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20 février 2025 -Anton Vos

 

Analyse

«L’arrêt des activités de l’USAID se traduira par des morts»

Karl Blanchet, directeur du Centre d’études humanitaires, revient sur les conséquences de la suspension par la nouvelle administration américaine de l’USAID qui représente 42% de l’aide humanitaire mondiale.

 

 

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Image: AdobeStock


Moins d’une semaine après son entrée en fonction, le président des États-Unis, Donald Trump, a abruptement ordonné un quasi-gel de toutes les aides octroyées par l’Usaid, l’Agence américaine pour le développement international (dont la page Internet est toujours blanche). L’objectif est de «mettre cette dernière sur pause» et de «passer en revue tous les programmes d’assistance à l’étranger» afin de s’assurer que «chaque dollar dépensé rende les États-Unis plus sûrs, plus forts et plus prospères», selon un communiqué de presse du 26 janvier.  L’administration Trump déclare vouloir réduire le nombre d’employé-es de 10’000 à quelques centaines seulement. L'effet de la décision s’est fait sentir immédiatement dans le monde entier. Un juge fédéral a certes d'ores et déjà ordonné la suspension de ces mesures avec un délai au 18 février. Mais il n'est pas encore clair si et comment le pouvoir exécutif s'y pliera. Petit topo avec Karl Blanchet, professeur et directeur du Centre d’études humanitaires (Faculté de médecine), qui a récemment été nommé coprésident du Conseil de la santé mondiale du World Humanitarian Forum.

 

Le Journal de l’UNIGE: Est-ce que la décision de Trump de fermer, ou de «mettre sur pause», l’Usaid vous a surpris?
Karl Blanchet: Oui, je ne m’y attendais pas du tout. Autant sa décision de quitter l’Organisation mondiale de la santé n’était pas si étonnante, étant donné ses critiques récurrentes à l’encontre de cette agence de l’ONU qu’il estime trop favorable à la Chine, autant celle de supprimer l’Usaid m’a pris de court. Je pensais au contraire que cette agence, fondée en 1961, pouvait continuer à lui être utile comme un outil majeur de soft power – de propagande, diraient certains – des États-Unis dans le monde entier. 

Karl Blanchet,professeur et directeur du Centre d’études humanitaires. Image: DR


Que représente l’Usaid en chiffres?
L’Usaid, c’est 43 milliards d’euros dépensés par année, c’est-à-dire 42% de l’aide humanitaire mondiale. C’est énorme.

Quelles seraient les conséquences d’un arrêt de ce financement?
Elles sont déjà époustouflantes. Tout d’abord, ce sont des milliers de postes qui ont été supprimés parmi les employé-es de l’agence. Des collègues à Washington m’ont dit qu’ils/elles n’avaient plus de travail. Cela concerne les États-Unis, mais aussi le personnel national dans les pays affectés, des gens qui ont dédié leur vie à l’humanitaire, qui ont pris des risques quotidiens, que ce soit en Syrie, au Yémen ou encore à Gaza, et qui ont perdu leur emploi, sans garantie de pouvoir le récupérer un jour. Ensuite, il y a tous les sous-contractants de l’Usaid, des organisations nationales et non gouvernementales qui, sur le terrain, mettent en œuvre l’aide humanitaire. Celles-ci redoutent aujourd’hui de perdre subitement une grande partie de leurs moyens financiers et ne savent plus si elles vont pouvoir payer leur personnel, poursuivre leurs programmes, voire simplement survivre. Enfin, et surtout, celles et ceux qui vont souffrir le plus, ce sont les bénéficiaires de cette aide. Des populations entières se voient refuser un accès à des services humanitaires très importants.

Avez-vous des exemples?
Du jour au lendemain, des centres de nutrition, actifs dans plusieurs pays, ont été obligés de fermer leurs portes et d’interrompre des programmes de santé essentiels dont dépend la survie de beaucoup d’enfants sous-alimenté-es à travers le monde. Un autre exemple concerne le VIH. Des centaines ou des milliers de patients et de patientes, en Afrique notamment, dépendent de l’Usaid pour obtenir un traitement antirétroviral sans lequel ils/elles risquent de mourir. Les cliniques ont fermé et ces personnes se retrouvent sans rien. La décision de Donald Trump est d’une violence extrême et ses conséquences vont se traduire en décès.

Cela va porter un sérieux coup à l’image des États-Unis dans le monde…
C’est un gâchis. L’Usaid a sauvé tellement de vies. La plus-value de cette agence, c’est qu’elle travaillait dans un très grand nombre de pays, même les plus compliqués, sur la base des besoins des populations. Elle est – était – présente en Afghanistan, au Soudan, en Centrafrique… enfin, tous les pays les plus affectés par les guerres et les crises humanitaires.

Tout n’était pas rose, pourtant, dans l’Usaid, en tout cas vu depuis l’Europe…
L’Usaid a toujours été perçue de l’extérieur comme le bras non armé du Département des affaires extérieures des États-Unis (Department of State) ayant pour objectif principal de promouvoir avant tout les intérêts de la politique étrangère américaine, par la promotion de la démocratie et du libre marché, tout en améliorant la vie des citoyen-nes des pays en développement. Elle méritait très certainement d’être réformée de manière à devenir plus neutre de ce point de vue là. Tout arrêter, comme c’est le cas maintenant, c’est se tirer une balle dans le pied. Cette agence aurait représenté un instrument très intéressant pour tenter de redorer le blason des États-Unis à l’étranger. Mais cela ne semble pas être la priorité de l’administration américaine actuelle.

D’autres pays, notamment ceux d’Europe, peuvent-ils remplacer l’Usaid?
Non, il est impossible de remplacer rapidement 42% de l’aide humanitaire mondiale. D’autant plus que nombre de pays occidentaux n’ont pas attendu l’élection de Donald Trump pour commencer à diminuer leur propre contribution à l’aide humanitaire. C’est le cas de la Suisse, pour l’année 2025, et de l’Allemagne qui a divisé son financement de moitié. C’est un mouvement relativement global. Convaincre ces parlements qui ont voté des baisses de faire maintenant machine arrière et de dépenser plus qu’avant pour compenser les pertes occasionnées par l’Usaid me paraît totalement illusoire. Tout cela signifie simplement que l’aide internationale humanitaire va se réduire comme peau de chagrin.

Est-ce que la disparition de l’Usaid aura un impact sur vos recherches?
Les financements de recherche du Centre d’études humanitaires sont par chance uniquement de provenance européenne. Mais beaucoup de mes collègues américain-es des universités Johns-Hopkins ou Harvard sont dans l’incertitude totale avec des études qui sont en pause et des inquiétudes sur l’avenir des scientifiques qui sont impliqué-es aux États-Unis, mais aussi dans les instituts nationaux des pays affectés.

 

 

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