Au premier abord il peut paraître incongru de rapprocher deux écrivains que sépare plus d'un siècle et qui, dans des conditions historiques évidemment fort différentes, se sont confrontés à des genres bien distincts, l'un étant d'abord...
moreAu premier abord il peut paraître incongru de rapprocher deux écrivains que sépare plus d'un siècle et qui, dans des conditions historiques évidemment fort différentes, se sont confrontés à des genres bien distincts, l'un étant d'abord connu mondialement pour ses romans (L'Abbé Jules, Le Jardin des supplices, Le Journal d'un femme de chambre) et son théâtre (Les affaires sont les affaires), genres littéraires que Michel Onfray, philosophe de formation, n'a pas abordés. Il n'y a guère que la critique d'art qui leur soit commune, mais les artistes auxquels leurs noms restent attachés sont aussi bien différents et, bien évidemment, également distants d'un siècle. Et pourtant, au-delà de convergences superficielles-leurs initiales inversables, leur proximité géographique (OM et MO sont tous deux Ornais, mais ne sont pas nés du même côté de la barrière sociale), leur immense culture reposant sur une masse de livres ingurgités avec une frénésie de lecture, leur aisance matérielle acquise au moyen de leur plume féconde et au prix d'un énorme et harassant labeur continu pendant des décennies-, il n'est pas interdit de souligner entre eux une forme de continuité. Tous deux-et c'est peut-être là le lien majeur qui les unit-sont des libres penseurs, au sens habituel et restreint du mot comme au sens littéral et plus général : ils ne peuvent exercer leur pensée, forcément critique, qu'en toute liberté, refusant de se plier à la langue de bois et au politiquement correct, et réfractaires à tout embrigadement partidaire, fût-ce dans les mouvements de la gauche radicale dont ils sont les plus proches et dont ils partagent les valeurs et connaissent les ressorts. D'où le risque d'être attaqués, non seulement par les tenants du désordre établi et par l'establishment politique et culturel, ce qui est normal de la part de leurs cibles privilégiées, mais aussi par ceux-là mêmes dont ils sont proches et qui n'hésitent pas, à l'occasion, à les taxer commodément d'incohérence, ou à tenter de les rabaisser à grands coups d'étiquettes réductrices, quand elles ne sont pas carrément infamantes. Ainsi le nihilisme du dénouement des Mauvais bergers (1897) at -il été mal encaissé par le socialiste Jean Jaurès, qui le juge « effarant », et par l'anarchiste Jean Grave, pour qui il n'y aurait plus qu'à aller se jeter dans la Seine ; cependant que la décadence du judéo-christianisme prophétisée par Michel Onfray passe mal auprès de ceux qui, à gauche, ont besoin de continuer à croire au progrès indéfini. Il est tellement plus confortable de s'en tenir obstinément et aveuglément à ses propres convictions, sans chercher à les confronter à la complexité du réel… Dans des milieux intellectuels bien formatés et volontiers misonéistes, à gauche, hélas ! aussi bien qu'à droite, cette liberté de pensée ne saurait être bien vue : il y a des choses que l'on préfère ne pas voir ni savoir, pour préserver sa bonne conscience et ses bonnes digestions, et il est risqué de prétendre forcer « les aveugles volontaires » à « regarder Méduse en face », selon la forte expression de Mirbeau. Mais c'est justement cette courageuse liberté de pensée et d'expression qui fait d'OM et de MO, parrèsiastes héritiers des cyniques grecs de l'antiquité, des incarnations de la figure de l'intellectuel éthique : celui qui, à l'instar d'Albert Camus-qui constitue entre eux une manière de trait d'union-, n'obéit qu'à sa conscience, qui place l'éthique au poste de commande, et qui met sa notoriété, son entregent et sa plume au service de ses valeurs et de ses idéaux humanistes, au lieu de se servir lui-même, vulgairement et cyniquement, comme c'est trop souvent la règle chez les politiciens et les nantis. Une seconde convergence idéologique est l'athéisme sans concession et le matérialisme radical de nos deux auteurs, qui les amènent, sur la base de la connaissance de l'histoire comme sur celle de l'analyse du présent, à voir dans les religions en général, et dans le christianisme en particulier, non seulement des mystifications et un opium du peuple visant