La fin d’année 2019 a été marquée par la survenue d’une pandémie mondiale hautement mortelle. En effet, si des informations officielles indiquent que la Covid-19 est apparue en Chine, le virus n’est cependant pas resté cloisonné dans ce...
moreLa fin d’année 2019 a été marquée par la survenue d’une pandémie mondiale hautement mortelle. En effet, si des informations officielles indiquent que la Covid-19 est apparue en Chine, le virus n’est cependant pas resté cloisonné dans ce pays. Le Cameroun a enregistré ses premiers cas, le 26 mars 2020. Depuis lors, le sujet cristallise les attentions au sein des médias toutes tendances confondues. Le questionnement au cœur de ce travail se présente comme suit : quel type de cadrage bénéficie le sujet de la Covid-19 au sein des débats télévisés ? Quelles catégories d’acteurs sont convoquées par l’instance médiatique pour discuter de la question ? Par quels registres discursifs les acteurs en parlent ?
Se situant au confluent des travaux en lien avec les approches communicationnelles du cadrage et celles constructivistes médiatiques (Gauthier, 2005 ; Charron, 2009 ; Veron, 1981), la présente contribution analyse comment la Covid-19 a été traitée et mise en discussion à travers les structures audiovisuelles camerounaises. Pour ce faire, un corpus de 21 émissions de débats télévisés dominicaux couvrant la période mars-mai 2020 a été constitué. Le choix a été porté sur Canal presse et 7hebdo, deux émissions de débats télévisés respectivement diffusées à Canal 2 international et Spectrum television 2 (STV2). Des entretiens semi-directifs ont été réalisés auprès de présentateurs de ces émissions télévisuelles. L’objectif était de mettre en évidence les trajectoires professionnelles des journalistes ayant traité de la Covid-19. La démarche d’analyse mobilise plusieurs approches. Il s’agit notamment du traitement de contenu de type catégoriel (Amey, 2009), celle thématique (Bardin, 2013), et l’expertise des registres de discours avec un accent sur l’étude des polémiques (Amossy et Burger, 2011 ; Oléron, 1995 ; Plantin, 2003).
Les résultats provisoires de cette recherche mettent en évidence un glissement des pratiques éditoriales avec les questions de santé bénéficiant d’une valorisation plus accrue pendant que les autres sujets « culte » (politique, société, sport) de ce type de programmes sont relégués au second plan. Il convient de préciser qu’en temps ordinaire, la santé fait partie des « objets subalternes (Tatchim, 2012 : 145) du champ journalistique camerounais. Afin de discuter autour de la Covid-19, les instances médiatiques ont surtout invité les hommes politiques au détriment des experts et spécialistes du domaine de la santé. Ce qui, en réalité, pose le problème de la légitimé de ceux qui s’expriment sur la Covid-19 et rejoint d’une certaine manière l’idée de la « consécration médiatique » (Bourdieu, 1996 ; Neveu, 2019) de certains acteurs peu reconnus par leurs pairs. Il est dès lors question de repenser l’expertise en santé, discuter des logiques de son instrumentalisation et par conséquent questionner la légitimité des acteurs sollicités par les instances médiatiques.
Cette recherche révèle également que la dynamique de discussion est dominée par des chroniques sur les « affaires » (à l’instar de celles relatives au Covidgate relativement aux soupçons de détournements des fonds alloués par la lutte contre cette crise pandémique, ou l’initiative Cameroon Survival - Survie Cameroun, une initiative de collecte de fonds engagée par le parti de l’opposition Mouvement pour la renaissance du Cameroun - MRC). Les échanges sont également dominés des discours polémiques sur la gestion politiques de la pandémie plutôt qu’informatifs au sujet de la crise sanitaire elle-même. Ils révèlent une certaine « conflictualité en discours » (Oger, 2012) et se traduisent le plus souvent par des injures dans les arènes médiatiques.
Ce traitement fantasmagorique de la Covid-19 est surtout symptomatique du défaut de spécialisation des journalistes camerounais. D’ailleurs, l’étude révèle enfin que la majorité des journalistes ayant présentés les débats télévisés dominicaux au sujet de la Covid-19 ne sont pas spécialisés dans le domaine du journalisme scientifique, voire de santé. Ils ont reçu une formation préalable (Comby, 2009) de « généraliste », qui fait d’eux des « journalistes touche-à-tout » (Yaméogo, 2020). La production de contenu de l’information scientifique et sanitaire constitue un défi majeur dans le contexte camerounais où des déficits en journalistes scientifiques (Atenga, 2015 ; Mbarga, 2011 ; Peters, 2012) se révèlent importants, avec des incidences sur l’éthique et la déontologie journalistique.