«Une entreprise de médiatisation de littérature conservatrice en Grande-Bretagne : l’Association de la Couronne et de l’Ancre (1792-1793) », dans La Médiatisation du littéraire dans l'Europe des XVII et XVIIIe siècles, dir. Florence...
more«Une entreprise de médiatisation de littérature conservatrice en Grande-Bretagne : l’Association de la Couronne et de l’Ancre (1792-1793) », dans La Médiatisation du littéraire dans l'Europe des XVII et XVIIIe siècles, dir. Florence Boulerie. Tübingen: Narr Verlag, "Biblio 17", 2013, pp.157-169.
La Révolution française provoque en Grande-Bretagne la publication et la diffusion d’écrits politiques à une échelle inégalée jusqu’alors. Les Droits de l’homme de Thomas Paine (publiés en 2 vols, 1791 et 1792), critique subversive de l’ordre établi au regard des principes de la Révolution française, connaissent un tel succès auprès des masses que les autorités l’interdisent, et les élites encouragent la publication d’écrits dits « loyalistes » pour défendre le régime. En novembre 1792, une « Association de protection de la liberté et de la propriété contre les républicains et les niveleurs » (APLP), née de l’initiative privée, se met en place à cet effet. Son action passe par la répression (tentative, par des moyens divers, d’empêcher la diffusion d’écrits jacobins et de traîner leurs auteurs et éditeurs en justice), mais aussi par une vaste entreprise de médiatisation d’écrits loyalistes rédigés dans une langue et des genres « populaires » variés (fables, poèmes, sermons, historiettes…). Cette littérature vise autant à inculquer le respect des hiérarchies établies qu’à détourner les masses de l’action politique révolutionnaire en leur offrant le dérivatif de la religion et de la morale.
L’APLP présente le cas intéressant d’une initiative privée, qui tient à son indépendance vis-à-vis du gouvernement, tout en en recevant le soutien. La médiatisation des écrits loyalistes passe par des canaux de diffusion et de promotion variés, faisant appel aux institutions et aux particuliers au niveau local ; le secrétaire de l’APLP se trouve vite au centre d’un réseau et reçoit des lettres de particuliers recommandant des moyens nouveaux de distribution, ou d’auteurs cherchant à faire connaître leur œuvre. Hannah More en particulier rédige de nombreux opuscules ("cheap tracts") vendus en librairie, colportés, et distribués en grand nombre par diverses institutions (Eglise, workhouses, hôpitaux...).
Le souci de large diffusion, la nécessité de créer une impression de proximité entre l’auteur et le lecteur, et la concurrence avec la propagande radicale qui vise aussi les masses, se reflètent dans la forme des ouvrages diffusés : jeux sur les titres, sur les pseudonymes et sur le format, adoption d’une voix narrative et d’un style « populaire », références croisées entres ouvrages d’une même série...