Learning Centre

Dans le contexte actuel de transition numérique, alors que l’accès à internet et le développement des réseaux ont profondément modifié le rapport à l’information et aux savoirs et qu’ils sont à l’origine d’une baisse de fréquentation, le « devenir » des bibliothèques est interrogé. Divers projets de réaménagement ont vu le jour, dans l’esprit de la bibliothèque 3ème lieu et/ou de la démarche Learning Centre, qui cherchent à répondre au désir de renouveau exprimé par les usagers, à la recherche d’un modèle capable de satisfaire leurs attentes, des attentes plurielles et évolutives. Ces nouvelles réalisations ont en commun d’accorder une attention spécifique à l’aménagement des espaces : au-delà d’un cadre convivial et flexible, censé favoriser le « vivre ensemble » et créer du lien social, elles offrent un large choix de services et de ressources, à même de mettre plus de fluidité dans la circulation des savoirs et de permettre des parcours différenciés pour leurs usagers. La bibliothèque et les professionnels de l’information sont amenés à se repositionner, d’autant plus que leur rôle social est mis en avant. Dans ce processus, l’ordre de la bibliothèque – et des savoirs (qu’il s’agisse de leur organisation ou de leur circulation) - se trouve bousculé.
Ce sont ces évolutions que nous nous proposons de questionner, en considérant plus spécifiquement, derrière les processus de « réinvention » de la bibliothèque en cours, les effets du numérique sur l’énonciation documentaire et la circulation des savoirs. Que donne à voir la réécriture des espaces documentaires des évolutions en cours dans la circulation des savoirs ? Que disent les usages et les pratiques qui émergent et/ou s’installent des « mouvements » à l’œuvre dans l’ordre des savoirs, entre projet intellectuel et préoccupations sociales ? Selon quelles lignes de force ces transformations opèrent-elles ? Quel devenir de la bibliothèque dessinent-elles ?

Parmi les pionniers francophones, reconnus pour leur contribution à la bibliothéconomie, et leur influence sur l'évolution des bibliothèques, Eugène Morel occupe une place de choix. Ses travaux et ses réflexions, moins connus que ceux de grands noms comme Suzanne Briet ou Paul Otlet apparaissent d’une grande modernité aujourd’hui, dans le contexte actuel d’évolution des bibliothèques. Passeur entre deux mondes, inspiré par le modèle anglo-saxon de la « librairie publique », il est aussi un passeur entre deux époques, selon l’idée mise en avant par Georgette et Eric de Grolier dans l’hommage qu’ils lui rendent en1934, au moment de son décès. Situant son héritage intellectuel sur l’échelle du temps, ils distinguent deux périodes : celle d’avant Morel où les intérêts des sciences non historiques sont sacrifiés, et, plus encore, ceux du grand public ; et celle d’après, où un mouvement voit le jour en faveur de la bibliothèque publique et de la documentation.  A travers cette contribution, c’est la pensée pionnière d’Eugène Morel qui est interrogée.  Que nous dit une lecture de ses œuvres, au-delà des critiques portées sur son époque, des idées novatrices qu’il promeut, tirées de ses voyages ?  Quels sont ses apports au monde de l’information-documentation ? Quelle est la résonance de ses apports aujourd’hui, alors que le monde des bibliothèques connaît de profonds bouleversements qui bousculent les modèles traditionnels.  Après avoir situé les travaux d’Eugène Morel dans leur époque pour mieux en comprendre la portée, nous étudierons quels sont les ressorts qui fondent leur modernité aujourd’hui :  sa vision anticipatrice de l’évolution des bibliothèques (aujourd’hui bibliothèques troisième lieu ou learning centres) et le caractère fondateur de sa pensée bibliothéconomique  (du livre au document, vers l’information  ;  nouveaux systèmes de diffusion de l’information).                                                 

                                                                                                                                                                                      Eugène Morel occupies a key position among the Francophone pioneers, recognized for their contribution to librarianship and their influence on the evolution of libraries. His works and his reflection, less known than those of the leading figures of documentation such as Suzanne Briet or Paul Otlet, are of a great modernity today, in the current context of changes in libraries. The intermediary between two worlds, inspired by the Anglo-Saxon model of the "public library", Morel was also a go-between bridging two eras, as Georgette and Eric de Grolier's stated in the tribute they paid to him, when he died in 1934. They distinguished two periods, situating Morel's intellectual heritage on the time scale: the one before Morel, when the interests of the non-historical sciences - and even more the interests of the general public - were sacrificed; and the period after Morel, when a movement for public library and documentation was born. In this paper, Eugene Morel's pioneering thought will be explored. Apart from many criticisms of his time, what does his works tell us about the innovative ideas he promoted, drawn from his travels? What is his contribution to the world of information-documentation? How is his contribution resonating today, while the world of libraries is experiencing deep changes that challenge the traditional models? To better understand this scope today, we first situate Eugene Morel's works in his time; and then we study the elements that prove their modernity: his forward-looking vision on the evolution of libraries (third-place libraries; learning centres) as well as the seminal character of his thinking about the library (from book to document, towards information, new system for disseminating and sharing information).

En appui sur une recherche récente, cette communication interroge les temporalités à l’oeuvre dans les Learning Centres, une nouvelle forme de bibliothèque qui renouvelle la relation entre bibliothèque, enseignement, apprentissage, mission sociale. Mettant en dialogue des rythmes en apparence peu compatibles, des pratiques « traversières » s’y développent qui témoignent du bricolage adaptatif des usagers. Elles viennent en contrepoint au mouvement d’accélération du temps, porté notamment par le numérique. Elles paraissent symboliques d’une mutation du rapport au temps qui questionne le modèle traditionnel de la bibliothèque