LEXIQUE, THEORIE RHETORIQUE, ECRITURE
CHEZ ALCIDAMAS1
Pour Alcidamas, et en particulier pour son oeuvre Flepi zcov
tovq
ypanxovc, Aöyovp
ypacpövzcov f\ nepi cotpiozcov, apres l’edition exemplaire de Avezzü2, des etudes recentes et bien documentees, comme celle de Muir3 et celle, encore plus riche et ample,
de Ruth Mariß4, ont brosse un tableau complet des problemes relatifs ä la patemite du
discours et ä ses rapports textuels et chronologiques avec des pages fondamentales de
contemporains, certes plus connus, comme Platon et Isocrate. Un regain d’interet indeniable est temoigne aussi par beaucoup de traductions, en espagnol par Lopez Cruces et
Campos Daroca5, en japonais aussi par Notomi6, en franpais tout recemment par Patil1 Je present ici, revue et augmentee, la communication que j’ai donnee pendant les journees du Colloque International de Philosophie Ancienne «Paroles de sophistes, paroles de
sages», Aix-en-Provence, 4-8 novembre 2009, organise par Michael Erler, Alonso Tordesillas, Mauro Tulli. Je remercie Annie Hourcade pour l’aide amicale et competente dans
l’elaboration du texte franpais.
2 G. Avezzü, Alcidamante. Orazioni e frammenti, Roma 1982. Cfr. le compte rendu de
D.M. MacDowell, dans: CR n.s. 33, 1983, 189-190. L’etude de Avezzü a ete precedee en Italie par l’ample essai, avec une traduction du Flepi xcov tovq ypanzovQ ÄöyovQ ypacpövtcüv, de S. Gastaldi, La retorica del IV secolo tra oralitä e scrittura, dans: QS 7, 1981, 189—
225, maintenant dans: C. Ghirga/R. Romussi, Isocrate. Orazioni, Milano 1993, 5—40.
3 J.V. Muir, Alcidamas. The Works and Fragments, London 2001. Un compte rendu attentif par B.L. Cook, BMCR 2001.10.12. Muir donne aussi une nouvelle traduction en anglais,
apres les nombreuses, tres differentes entre eiles, jusqu’ä present disponibles, ä savoir L. Van
Hook, Alcidamas versus Isocrates: the Spoken versus the Written Word, Class. Weekly 12,
1919, 89-94, P.P. Matsen, Alcidamas, Conceming Those Who Write Written Speeches, or
Conceming Sophists, dans: P.P. Matsen/R. Rollinson/M. Sousa (edd.), Readings from Classical Rhetoric, Carbondale 111. 1990, 37-M2, et M. Gagarin, Alcidamas, On Those Who Write
Speeches, or On Sophists, dans: M. Gagarin/P. Woodmff (edd.), Early Greek Political
Thought from Homer to the Sophists, Cambridge 1995, 276-283.
4 R. Mariß, Alkidamas: Über diejenigen, die schriftliche Reden schreiben, oder über die
Sophisten. Eine Sophistenrede aus dem 4. Jahrhundert v.Chr. eingeleitet und kommentiert,
Münster 2002. Donne un excellent aperfu des differentes tendances de la critique au cours des
demieres decennies Z. Ritook, Alkidamas Über die Sophsten, dans: Philologus 135, 1991,
157-158.
5 J.L. Lopez Cmces/J. Campos Daroca, Alcidamante de Elea. Testimonios y fragmentos,
(avec: M.A. Märquez Guerrero, Anaxlmenes de Lämpsaco. Retorica a Alejandro), Madrid
2005.
6 N. Notomi, Who is the Sophist?, Kyoto 2006.
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MADDALENA VALLOZZA
Ion7. Le chapitre reserve ä Alcidamas par Edwards8, dans l’esquisse preliminaire
d’histoire de la rhetorique grecque du “Blackwell Companion to Greek Rhetoric”,
semble ranger definitivement Alcidamas a cote de ses grands contemporains. Nous
avons donc aujourd’hui quelques centaines de pages pour une dizaine de texte grec.
Mais, comme le conclut Mirhady son compte rendu detaille du livre de Ruth Mariß9, ce
texte charmant continue ä nous inviter ä des discussions ulterieures, et donc je me propose de relire ex analyser ici, de faqon ponctuelle, quelques passages du discours qui
offrent encore, ä mon avis, un espace de reflexion dans trois endroits: la valeur semantique particuliere de quelques termes utilises par Alcidamas, les elements embryonnaires de theorie rhetorique que, dans certains cas, il semble esquisser et enfin le rapport complexe qu’il entretient avec l’ecriture.
Nous commenqons ä relire le proeme, l’exorde du discours (1-2). Alcidamas debute
son ouvrage par une liste longue et presque minutieuse des divers themes ä partir desquels il conduit sa KaTriyoQ^ contre les discours ecrits. Adoptant un ton polemique et
pourtant solennel, avec une periode dotee d’une longueur et d’une structure assez
proche de celles dont Isocrate est coutumier, il s’inscrit ainsi dans le debat sur la forme
du discours qui caracterise l’elaboration rhetorique au debut du IVe siecle10. Il serait
pourtant, ä mon avis, reducteur d’interpreter cet exorde, et donc l’oeuvre entiere, seulement comme un moment marginal qui exacerbe le conflit entre oralite et ecriture, une
defense presque absurde, extremiste, de modeles culturels et de formes de communication definitivement revolues. Le theme meme de l’accusation contre les discours ecrits,
formule en adoptant un ton tranchant et insistant, au moins dans la premiere partie, sur
un mode martele, surprend presque par sa violence et contribue, d’une certaine faqon, ä
occulter les choix theoriques et terminologiques rigoureux qui sous-tendent et enrichis-
7 M. Patillon, Alcidamas, in J.-F. Pradeau (ed.), Les Sophistes, II, Paris 2009, 93-101.
C’est la premiere traduction en franqais apres celle de Athanase Auger, dans: (Euvres complettes d’Isocrate, auxquelles on a joint quelques discours analogues ä ceux de cet orateur, IIII, Paris 1781, en particulier pour le discours Sur les Sophistes I 307-324, pour le Ulysse
contre Palamede III 364-377.
N M. Edwards, Alcidamas, dans: I. Worthington (ed.), A Companion to Greek Rhetoric,
Oxford 2007, 47-57. Cfr. N. O’Sullivan, Alcidamas, dans: M. Ballif/M.G. Moran (edd.),
Classical Rhetorics and Rhetoricians. Critical Studies and Sources, Westport 2005, 14-18.
9 D. Mirhady, dans: CR n. s. 54, 2004, 331-333.
10 Une ample et en meme temps equilibree reconstruction du debat est donnee par M. Erler, Der Sinn der Aporien in den Dialogen Platons. Übungsstücke zur Anleitung im philoso
phischen Denken, Berlin/New York 1987, 21-45. Cfr. F. Trabattoni, La veritä nascosta. Oralitä e scrittura in Platone e nella Grecia classica, Roma 2005, 15-29, et recemment par ex. M.
Berzins McCoy, Alcidamas, Isocrates, and Plato on Speech, Writing, and Philosophical Rhet
oric, dans: AncPhil 29, 2009, 45-66.
Lexique, theorie rhetorique, ecriture chez Alcidamas
99
sent le discours11. La critique d’Alcidamas attaque donc l’attitude des soi-disant sophistes vis-ä-vis de l’ensemble des valeurs qui avaient marque le debat sur la meilleure
methode de formation des jeunes. Trois chefs d’accusation emergent d’emblee12: 13
’Eneibr] xrveq xcöv KaAoupbvcov CTOcjxcrxcöv Laxoplae |-i£v Kal rraiöelaq
f]|a£ArjKaCTL Kal xoü buvacrGai Aeyeiv öqolcoq xolq L&icoxaiq ansiQGoc; exoucu, yQa(j)£LV bä q£|j.£A£xqKÖx£q Aöyouq Kal 5T äßeßalcov Ö£lkvuvx£q xqv
auxcbv crocjuav cr£|avuvovxai Kal piya cjDQOVOÜcn, Kal 7ioAAoctxöv pepog
xfjq QqxoQLKf|g K£Kxr]p£VOi öm/apecoc; öAqg xqc XEyvqq äqcjDLüßqxoÜCTL, ÖLa
xabxqv xqv alxlav £7TLX£ior)aco KaxqyoQLav 7TOLr]CTaCT0aL xcov ypanxcov
Aöycov.
La negligence envers laxoQia et naibeia ouvre la serielj. Mais c’est le second chef
d’accusation qui est vraiment grave et compromettant. Alcidamas assimile ses adversaires ä la masse des IbubTaL, caracterises comme totalement depourvus de la capacite
de parier, xou 5bvaa0aL Aeyeiv öjaoicoq xolq ibLcbxaiq äTteLQcoq exouai. La presence de ce terme, LöicbTrjq, donne lieu ä de nombreuses reflexions. Avezzu traduit par
le terme italien “profani”, qui, comme l’indique son etymologie, fait plutöt reference
aux “etrangers”, aux “non inities”, des individus qui ne participent pas ä une opinion
determinee, plus ou moins esoterique14. D’autres Solutions ont ete proposees, par
exemple “ecrivains en prose”15. Mais avec l’usage de L5icdxr)q Alcidamas entend au
contraire contester, de maniere explicite et radicale, la physionomie professionnelle de
ses adversaires16. Ruth Mariß fait sienne cette interpretation, donnant au terme le sens
11 Cfr. en part. S. Friemann, Überlegungen zu Alkidamas’ Rede über die Sophisten, dans:
W. Kullmann/M. Reichel (edd.), Der Übergang von der Mündlichkeit zur Literatur bei den
Griechen, Tübingen 1990, et J.A.E. Bons, Schrijven is zilver, spreken is goud. Alcidamas en
schriftelijke voorbeiding van redevoeringen, dans: Lampas 31, 1998, 219-241.
12 Pour Alcidamas les citations sont tirees de Avezzu (n. 2).
13 Les adversaires negligent Tun et Tautre de ces facteurs, ils renoncent par consequent ä
une formation globale et rigoureuse. L’exegese diverge: Avezzu (n. 2), 74, laisse un peu en
suspens les deux facteurs, Mariß (n. 4), 83-84, y voit plutöt une negligence des adversaires
vis-ä-vis d’eux-memes, puisqu’ils ne se soucieraient pas de leur propre formation. Mais cfr.
Muir (n. 3), 40-41, qui, pace Edwards (n. 8), 48, avec raison exclue une renvoi polemique ä
Isocrate, et Patillon (n. 7), 93, qui traduit «font fi du savoir et de la formation».
14 Avezzu (n. 2), 9 et 74. Cfr. Patillon (n. 7), 93, qui traduit «profanes».
15 Par P. Vicaire, Recherches sur les mots designant la poesie et le poete dans Toeuvre de
Platon, Paris 1954, 64, dans Topposition avec “poetes” chez Platon (par ex. Lois 890 a).
16 Cfr. M. Vallozza, L’oratore, Tincolto e la comunicazione del discorso nel IV secolo
a.C., dans: A. Pennacini (ed.), Retorica della comunicazione nelle letterature classiche, Bolo
gna 1990, 15-31.
100
MADDALENA VALLOZZA
de “Laie”, “Fachmann”17. Mais eile neglige la trame dense des renvois ä la tradition du
savoir technique, professionnel que le terme evoque et qui contribue ä le connoter
d’une faqon extremement negative. Je voudrais donc la reprendre ici tres brievement,
afin de montrer combien le choix lexical d’Alcidamas n’est pas fortuit et est sous-tendu
par la valeur pesamment negative desormais assumee par le terme sur le plan d’une capacite technique reconnue.
Au Ve siede le champ semantique de LÖLcbxrjq enregistre de simples variations de
nuances ä partir de la notion de base du terme, celle de “prive”, d’individu qui vit dans
un cercle restreint, domestique, par Opposition ä celui qui detient un pouvoir, ä celui qui
prend part ä la vie politique ou occupe une Charge publique. Mais gräce ä un glissement
semantique significatif, le terme en arrive ä designer l’inculte, l’individu qui n’exerce
pas un röle technique qualifie, qui ne possede pas une specialisation professionnelle,
une connaissance sur la base de laquelle affirmer une fonction non seulement manuelle
mais surtout intellectuelle: ce glissement emerge dans le contexte des Oeuvres dans lesquels s’impose la figure professionnelle du medecin, du iaxQÖc18. Donc, par ce choix
lexical, Alcidamas indique en substance les limites d’un art oratoire Oriente seulement
vers la communication ecrite du discours, il Signale les dangers lies ä une theorie et ä
une pratique toujours plus specialisees et sectorielles, qui ramenent le QijxcoQ au rang
de l’inculte19. II est important de souligner qu’il s’agit d’un choix lexical qui se mani
feste dans deux autres endroits (4 et 15) d’un discours pourtant bref, comme on l’a dejä
dit, choix qui demeure bien defini et coherent.
Avant de passer ä l’analyse de ces contextes, je voudrais encore signaler une nouveaute d’une certaine importance dans le texte choisi par Muir et par Ruth Mariß. II
s’agit d’un probleme en apparence strictement et ponctuellement philologique, mais qui
met en jeu, egalement dans ce cas, un choix de type lexical qui n’est peut-etre pas tota
lement insignifiant. Cette nouveaute constitue, en realite, un retour en andere. Sur la
17 Mariß (n. 4), 85-86. Cfr. Muir (n. 3), 3, qui traduit «ordinary people» et Gagarin (n.
3), 276, qui traduit «orinary men».
18 II est interessant de souligner que l’unique passage dans lequel Thucydide accepte la
nouvelle connotation du terme est celui, fameux, dans lequel il reflechit sur les causes de la
peste (2,47,3-3,48,3), refusant les hypotheses formulees soit par un medecin soit par un inculte: Aeyexco pev obv 7teqI abxoü cbq EKacrxoq yiyvcdcrKeq kol iaxqöq Kai iÖLcdxqq.
Une reconstmction generale, egalement sensibles aux nombreux glissements semantiques qui
se produisent ä cette periode dans le domaine privilegie de la medecine, est donnee par M.
Vegetti, Culpability, Responsibility, Cause: Philosophy, Historiography, and Medicine in the
Fifth-Century, dans: A.A. Long (ed.), The Cambridge Companion to Early Greek Philosophy,
Cambridge 1999, 271-289, maintenant dans: S. Gastaldi/F. Calabi/S. Campese/F. Ferrari
(edd.), M. Vegetti. Dialoghi con gli antichi, Sankt Augustin 2007, 93-109.
19 Sur Futilisation de termes tels que QrjxcoQ et QqxoQncf], cf)iA6crocf)o<; et cj?iAoaoc()ia
ou aocjxCTxf|g et ooc[)ia, dans la trame qui lie Alcidamante ä Platon et ä Isocrate, cfr. M.
McCoy, Plato on the Rhetoric of Philosophers and Sophists, Cambridge 2008, 7-10.
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Lexique, theorie rhetorique, ecriture chez Alcidamas
base du texte de Avezzü, nous avons, comment nous l’avons vu, 8t’ aßeßaünv
öelk-
vuvxEg xqv auxcbv croc|xav, “esibiscono la loro sapienza con strumenti malsicuri”20.
C’est la lepon transmise par les manuscrits21. Mais Muir22 et Ruth Mariß23 retiennent en
revanche öiA ßLßAicov, reprenant une correction de Reiske24, une correction devenue
presque une vulgata chez tous les editeurs successifs, de Bekker23 ä Dobson“6, * de
Sauppe-7 ä Blass28, ä Radermacher29. Probable peut-etre sur le plan paleographique, la
correction de Reiske parait lectio facilior30 et comporte deux consequences negatives
sur le plan lexical. La premiere, minime, de rendre vain le contraste
öl'
äßeßaicov ...
CT£|nvt3vovxai31. L’autre, plus importante, de remplacer par l’objet concret, le support
materiel de 1’ecriture, c’est-ä-dire ‘banalement’ le livre, la qualite principale du livre, ce
qui le connote negativement et a donc plus de relief argumentatif, c’est-ä-dire son incertitude, son manque de fiabilite sur le plan de la pratique oratoire. Un trait negatif qui,
toujours souligne par l’opposition entre ßeßaioc et dßEßaioq, caracterise par ailleurs
les discours confies ä 1’ecriture egalement chez Isocrate et chez Platonj2.
Mais revenons au deux autres passages dans lesquels le lexique d’Alcidamas se caracte
rise par la reception de LÖLcbxrjg au sens technique (3^4):
75.
20 Avezzü (n. 2), 8-9.
21 En particulier par Co (Vat. gr. 2207) et par X (Pal. gr. 88). Cfr. Avezzü (n. 2), 8 et 74-
22 Muir (n. 3), 2 et 41, avec renvoi ä D.M. MacDowell, Gorgias, Alcidamas and the
Cripps and Palatine Manuscripts, dans: CQ n.s. 11, 1961, 116-124.
23 Mariß (n.4), 87-90. Cfr. Patillon (n. 7), 189.
24 J.J. Reiske, Oratores Graeci, VIII, Leipzig 1773, 77.
251. Bekker, Oratores Attici, V, Berlin 1824, 671.
26 G.S. Dobson, Oratores Attici, IV, London 1828.
2/ H. Sauppe, Fragmenta oratorum Atticorum, dans: J.G. Baiter/H. Sauppe, Oratores At
tici, II, Zürich 1848.
28 F. Blass, Antiphontis Orationes et fragmenta adiunctis Gorgiae, Antisthenis, Alcidamantis quae feruntur declamationibus Leipzig 1871, 18812.
29 L. Radermacher, Artium Scriptores. Reste der voraristotelischen Rhetorik, Wien 1951
(= SBAWW 227.3).
30 Comme Pa indique Avezzü (n. 2), 74.
31 La crEpvÖTqg de ceux qui s’appuient sur des moyens peu sürs tels que les textes ecrits
evoque la crejxvÖTqc; des etres engendres par la peinture, un moyen si semblable ä l’ecriture,
chez Platon, Phedre 275d: Kal yäq xd EKeivqc; eKyova ecrxrjKe pev cbg CAvxa, £äv
5Täv£q>r) xl7 cr£|xv(üg 7idvu oxyd, ils «se tiennent debout comme s’ils etaient vivants; mais
qu’on les interroge, il restent figes dans une pose solenneile et gardent le silence», selon la
traduction de L. Brisson, Platon. Phedre, Paris 19952, 180 et 232 (aussi dans L. Brisson, ed.,
Platon. (Euvres completes, Paris 2008, 1293), qui renvoie ä Timee 19 b-c et Protagoras 329 a.
MADDALENA VALLOZZA
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ernelv g.£v yag ek xoü nagauxiKa 7iegl xoü Txagaxuxövxog EmEiKcög, Kal
xaxela XQ^craCTOaL xcöv £v0ugq|adxcov Kal xcöv övogaxcov Eurcogia, Kal
xcö Kaipcö xcöv Txgaypdxcov Kal xaig EmOugiaig xcöv ävOgamcov eüctxoxwq
äKoAouOrjcrai Kal xöv 7iQoof]Kovxa Aöyov elnelv, oüxe (pvoecoc, anacrqg
oüxe Ttaiöelaq xrjq xuxoücrr]<; Ecrxiv- ev 7XoAAcö öe XQbvcp ypdijiai {av} Kal
Kaxa crxo4.f]v £7iocvoQ0ä)aaL, Kal naga0e|xevov xd xcöv 7XQoyeyovöxcov
üoc()iax(öv cruyyQa|a|xaxa 7xoAAaxö0ev eig xauxöv £V0u|xr])xaxa cruvay£lgai Kal |XL|xi]aaa0aL xag xcöv eu A£yo|j.£vcov äniTVxioic;, Kal xd g£v ek
xrjg xcöv 15icoxcöv üuixßouAlag ETcavoQOcöcxaaOaL, xd 5' aüxöv ev Eauxcö
noAAaKLg £TUOK£i|;d|j.£VOV ävaKa0f)Qai Kal ixExayga^aL, Kal xolg arcaiÖEÖXOLg QÖiblOV 7X£(|)UK£V.
La jointure ek xf\c; xcöv lölcotcov cnjiaßouALag £7TavoQ0cöcracj0ai, presque ä la fin
du long examen du premier motif de refutation de l’ecriture, revet un interet particulier3j. Le verbe est le meme que celui qui figure juste avant, Kaxa cxxoAfjv £7xavoQ0cöaaL. Dans les deux cas, il convient de relever ä la dimension technique que revet le
verbe ETcavogQöco au IVe siecle au sens de “ameliorer”, “modifier le texte”, en
somme: le corriger. En particulier chez Isocrate, le verbe indique la revision collective
du texte ä l’interieur de l’ecole, avec les eleves, avant son edition. Cette revision est decrite de faqon toujours plus large et precise de VAreopagitique (56-59) ä VAntidosis
(140-153) et du Philippe ä l’ample scene du dialogue qui conclut le Panathenaique
(200-272)34. Mais alors, dans ce cas, qui sont ici les Löicöxai? Dans ce cas encore,
l’exegese du passage proposee par Ruth Mariß ne convient pas pleinement, meme si
eile accepte l’opinion que les i&LCöxai, les profanes, ne sont pas les eleves d’Isocrate3'\
En effet, non seulement nous savons qu’au moment d’intervenir sur le texte du maitre
les disciples avaient dejä beneficie d’une bonne preparation, mais nous savons aussi
que, la plupart du temps, leur contribution se limitait ä de l’admiration et ä un plein accord utile au maitre pour reprendre et confmner les lignes argumentatives de son dis-
32 Cfr. Friemann (n. 11), 311-312.
33 Patillon (n. 7), 189, souligne ä raison que l’argumentation prend ici la forme d’un pa
rallele, eloge d’un cöte, bläme de l’autre, “ce qui releve du discours epidictique”.
34 Comment l’a mis en relief, par exemple, M. Erler, Hilfe und Hintersinn. Isokrates’ Panathenaikos und die Schriftkritik im Phaidros, dans: L. Rossetti (ed.), Understanding the
Phaedrus, Proceedings II Symposium Platonicum, Sankt Augustin 1992, 122-137. Cfr. S.
Usener, Isokrates, Platon und ihr Publikum: Hörer und Leser von Literatur im 4. Jahrhundert
v.Chr., Tübingen 1994, 102.
35 Mariß (n. 4), 86 en accord avec Vallozza (n. 16), 22.
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Lexique, theorie rhetorique, ecriture chez Alcidamas
cours36. Mais Ruth Mariß nie carrement dans la phrase de jonction
ek
xfjg xcbv
L&lcoxcov cnj|aßouALaq £navoQ0cbcrac70aL tout renvoi ä Isocrate et eile conclut: “Der
Hinweis auf die Löubxai ist topisch zu verstehen”. Dans d’autres lieux et ä propos d’un
autre sujet, je me suis penchee sur la notion rhetorique et historico-litteraire de topos,
trop souvent l’utile refuge d’une critique formaliste qui evite de regier jusqu’au bout
ses comptes avec la trame complexe des rapports qui, au sein du devenir non lineaire de
la tradition litteraire, lie inevitablement les textes, non seulement Tun ä 1’autre, mais
aussi ä 1’homme et ä son histoire37. Aussi sur le plan purement formel, il faudrait au
moins se rappeier l’observation par laquelle Lausberg ouvre son chapitre sur le topos:
“Le topos n’est jamais une notion toumant ä vide et denuee d’importance semantique”38. Mais alors, quelle est l’importance semantique du topos ek xfjq xcov löicoxcbv
cnj|ußouALaq £TtavoQ0coaaa0aL? Meme si on veut renoncer ä voir dans la phrase
une allusion ou un renvoi polemique, sinon ironique, aux habitudes de composition et ä
l’usage paideutique de l’adversaire, il convient au moins de relever encore une fois la
forte Opposition semantique entre la qualite hautement technique de 1'Operation de revision du texte, exprimee par le verbe £7iavoQ0mcracT0ai, et l’incapacite technique,
l’absence de competence de celui qui, en cela, acquiert un relief, exprimee par le substantif L5icüxr]q.
Un autre passage sur lequel je voudrais attirer Vattention est celui (18-21) dans lequel
Alcidamas, en decrivant les traits qui distinguent les deux pratiques, Aoyouq yQacj)£LV
et aüxo<TX£ÖidC£iv, sur le plan de l’elaboration du discours, isole le moment de la performance devant le public, de la communication, ou xmÖKQLcrig comme l’appellera
Aristote39, en tant que terrain de confrontation parmi les plus significatifs. Une affirmation preliminaire dans le developpement de cette analyse, d’apres le texte transmis, est
que, dans les discours ecrits, on doit memoriser et apprendre avec precision un plus
grand nombre d'elements (18-19):
36 Une analyse des scenes collectives de revision du texte dans l'ecole est donnee par R.
Nicolai, Studi su Isocrate, La comunicazione letteraria nel IV sec. a.C. e i nuovi generi della
prosa, Roma 2004, 135-146.
37 Cfr. M. Vallozza, Il motivo dell’invidia in Pindaro, dans: QUCC n.s. 31 (60), 1989,
13-30, et M. Vallozza, Sui topoi della lode nell’Evagora di Isocrate (1, 11, 72 e 51-52), dans:
Rhetorica 16, 1998, 121-130
38 H. Lausberg, Elemente der literarischen Rhetorik, München 19673, 38-39.
39 Cfr. H. Lausberg, Handbuch der literarischen Rhetorik, Stuttgart 19903, 139-140. Sur
les liens entre le cadre bäti par Aristote et le reflections rhetoriques qui le precede cfr. D.C.
Innes, Aristotle, The Written and the Performative Styles, dans: D.C. Mirhady (ed.), Influences on Peripatetic Rhetoric. Essays Essays in Honor of William W. Fortenbaugh, Leiden
2007, 151-168.
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MADDALENA VALLOZZA
vopiCco be Kal xqv pd0qcrLV xcöv yqartxcöv Aöycov xa4.£7if]v Kal xqv
pvf]|uqv £7tl7tovov Kal xqv Af]0r|v alaxQav ev xolg äycöcri ylyveoBai.
ndvxEg yaq av öpoAoyqcrEiav xd pLKQa xcöv pEyaAcov Kal xd noAAa xcöv
öAlycov x«d£7xcox£Qov £ivaL pa0£lv Kal p.vq|uov£ÜCTaL. tteq'l juev ouv xoug
aüxocrxEbiacrpoug eAl tcöv EvOupqpdxcov 5eI pövov xf]v yvcöpqv exelv,
xolg 5' övöpacav ek xoö uapauxlKa bqAoüv- ev bk xolg ypauxolg Aöyoig
Kal xcöv övopaxcov {Kal xcöv £v0upqpaxcnv} Kal < xcöv> cruAAaßcöv
avayKalöv ectxl 7ioi£la0ai xqv |avqpqv Kal xqv pd0qoxv cbcQißq.
£v0u|uq|aaxa pcv ouv öAlya Kal peydAa xolg Aöyoig eveoxiv, övöpaxa bk
Kal pqpaxa rcoAAa Kal xarcEiva Kal |uikqov äAAqAcov buxcjjEQOVxa, Kal
xcöv pev £v0upqpaxcov änaE, EKaaxov öqAoüxaL, xolg b' övöpaai
7xoAAaKLg xolg aüxolg ävayKaCöp£0a xOpoBai- 5io xcöv |uev EunoQog f]
(j.vq|j.r), xolg bk buaavaAqnxog f] |_ivr]|aq Kal 5ucrcj)uAaKxog q pdOqcug
Ka0£axrjK£v.
Le texte s’avere inacceptable surtout en raison d’une des caracteristiques du style
d’Alcidamas: la construction symetrique des periodes, le fait de toujours proceder par
couples d’elements parfaitement associes ou opposes40. L’evidente asymetrie du passage est ä 1’origine de diverses hypotheses de solution. Reiske41 conserve le texte
transmis, mais souligne l’aporie et exprime sa propension ä integrer xcöv ou abxcöv
xcöv devant cruAAaßcöv. Cette solution completement mecanique n’est pas retenue par
Bekker4", qui se limite ä accepter le texte transmis par les manuscrits. La proposition de
supprimer Kal xcöv £v0u|uqpdxcov a beneficie d’une meilleure fortune: formulee dubitativement par Dobree43, a ete adoptee par Blass44 et par Radermacher4". Une troisieme possibilite consiste ä deplacer Kal xcöv £v0upq|udxcov devant Kal xcöv
övopdxcnv: suggeree par Sauppe46, acceptee par Blass seulement dans la premiere edition du texte47, 48
est approuvee par Macdowell4S et maintenant accueillie par Muir49 de
maniere plutöt laconique.
40 Le style d’Alcidamas est bien circonscrit et analyse surtout par F. Blass, Die attische
Beredsamkeit, II, Leipzig 18922, 355-359. Cfr. Avezzü (n. 2), XI-XIII, Muir (n. 3), XXIXXII, et maintenant, en rapport avec le fameux jugement negatif d’Aristote dans la Rhetorique (1405 b 35-1406 b 14), Edwards (n. 8), 53-54.
41 Reiske (n. 22), 85.
42 Bekker, (n. 23), 676.
43 P.P. Dobree, Adversaria, dans: Dobson (n. 24), XXI.
44 Blass (n. 26), 199.
45 Radermacher (n. 27), 221.
46 Sauppe (n. 25), 160.
47 Edition Leipzig 1871 (cfr. supra, n. 26).
48 MacDowell, (n. 20), 120.
Lexique, theorie rhetorique, ecriture chez Alcidamas
105
Avezzü49
50 tente de restituer un texte qui soit conforme aux modules expressives
d’Alcidamas au moins dans la forme et edite, comment nous l’avons vu dans le texte
eite supra, Kai xcbv övo|uaxcov {Kai xcbv £v0x>|ur)|udxcüv} Kai < xcbv> cruAAaßcbv.
II intervient cependant sur le texte edite de maniere double, puisqu’il accepte ä la fois la
suppression et l’integration et, s’il retablit la symetrie au niveau de la forme, il ne tient
compte ni des habitudes lexicales d’Alcidamas, ni du contenu, de la theorie rhetorique
qu’Alcidamas expose. Je voudrais ici reformuler et reprendre, accompagnee de nouveaux arguments, ma proposition qui a evolue avec le temps: supprimer Kai auAAaßcbv51. *Je voudrais la reprendre non seulement parce qu’elle est endossee avec une
grande conviction par Ruth Mariß32, mais aussi parce que Ruth Mariß semble l’accepter
surtout pour des raisons philologiques, negligeant les considerations sur le lexique et
sur la theorie rhetorique, peut-etre encore plus probantes. Les raisons philologiques:
c’est la solution la plus economique, une Intervention unique, et Pelement insere peut
etre considere, sinon, ä proprement parier, comme une glose, du moins, de maniere certaine, comme un ajout maladroit - l’article manque - visant ä augmenter de maniere
impropre les elements de la comparaison. Le lexique: cruAAaßf] est un terme totale
ment etranger ä Alcidamas, tandis que £v0u|ur]|xa revient bien douze fois dans le cadre
du bref espace de l’ecrit, toujours utilise au pluriel, £v0u>|uf]|uaxa, pour designer les
grands blocs de contenu dans la construction du discours53. La theorie rhetorique: eile
est esposee de maniere serree par le biais d’une serie precise de couples opposes ou
homologues. Aux dex couples opposes places en parallele, xd |uiKQa et xcbv
|U£yaAcov ainsi que xa noAAa et xcöv öAiycov, correspondent en chiasme £7xi xcbv
£v0u|ar|(udxcuv ... xolq 5' övö|aa<jLV et enfin, de nouveau en parallele, Kai xcbv
övo|uaxcov Kai xcbv £v0u|ur)|adxcuv. L’element etranger a la construction rigoureuse,
insere de force dans le plan scrupuleux de la periode, est donc le Kai auAAaßcbv final.
Nous pourrions dire, en utilisant la terminologie en cinq points, EUQEcnq, inventio,
xa^iq, dispositio, Ae^iq, elocutio, |avf]|ar|, memoria et enfin TJTtÖKQiüLq, actio oupronuntiatio, codifiee d’apres Aristote54, que les deux pratiques oratoires, Aöyouc;
yQd(j)£LV et auxoCTX£ÖLdC£iv, considerees par rapport ä la |avf]|ur] et en vue de la
49 Muir (n. 3), 18. Sur la meme ligne semble etre Patillon (n. 7), 97, qui traduit “savoir
par cceur precisement les mots et le syllabes”, mais ne Signale rien dans les notes.
50 Avezzü (n. 2), 16.
51 M. Vallozza, Alcidamante e i gradi della memoria (Sugli autori di discorsi scritti 18),
dans: QUCC n.s. 27, 1987, 93-96.
32 Mariß, Alkidamas (n.4), 225.
53 Analyse des passages par Ritook (n. 4), 158, qui traduit «Beweise». Cfr. Muir (n. 3),
43, qui traduit «idea», «argument». Cfr. Muir (n. 3), 43.
54 Cfr Lausberg (n. 39).
106
MADDALENA VALLOZZA
xmÖKQicng, se diversifient soit sur le plan de la £UQ£cug et de la xd2frg, c’est-ä-dire des
£V0u|af)|xaxa, soit sur le plan de la Ae^ig, c’est-ä-dire, precisement, de nouveau, des
ovoptaxa.
Un passage auquel la critique a, depuis toujours, prete attention, et sur lequel Muir55 et
Ruth Mariß56 reviennent egalement ä present avec une abondance de reflexions et de
confrontations, est certainement celui dans lequel Alcidamas reprend et developpe le
celebre motif, nous pourrions dire ici aussi le topos51, de la confrontation entre la parole
et l’image (27-28):
qyoüpai 5' ouöe Aöyoug bncaiov elvai KaAelcrGai xoug ycypappevoug,
ÖAA' cootieq eiöcoAa Kal ayqpaxa Kai pipqpaxa Aöycov, Kai xqv abxqv
Kax' aüxcöv eiKOxcog av 5ö£,av exoipev, qvuep Kai Kaxa xcöv xaAKCÖv
ävbpidvxcov Kai AlGlvcov äyaAqaxcov Kai ycypappevcov Ccpcov. cootleq
yap xaüxa pipqpaxa xcöv dAqGLveöv acopaxcov ectxl, Kai xeqiJuv pev £7ii
xqg Gecopiag £X£0 XQ'ncrLV & oubepiav xcö xcöv dvGpcÖ7xcov ßicp 7xapaöibcocn, xöv abxöv xporcov ö ycypappevog Aöyog, £vi oxqpaxi Kai xa^ei K£Xpqpevog, £K ßißAiou <p£v> Gecopoupevog £X£l xivag eKnAqlfrig, £7xi bk
xcöv Kaipcöv aKivqxoc oöv oübeqiav cöcjfrAeLav xoig KEKxqpevoig rcapabiöcoctlv. aAA' dxjnep dvbpLavxcov KaAcöv dAqGiva acöpaxa tioAu xUpoug
xdg £U7ip£7i£Lag Ixovxa TcoAAaTxAaaioug £7ii xcöv epycov xdg cbcjmAEiag
uapabibcocriv, ouxco Kai Aöyog ö pxv anr aüxqg xqg biavoiag £v xcö
Trapauxnca Aeyöpevog epijnixog fern Kai Cq Kai xoig 7ipdy|aacriv enerai
Kai xoig äAqGecnv äcfxopoicüxai acopacriv, 6 bk ycypappEvog elkovl Aöyou
xqv cjmoiv öpoiav excov a7xdcrqg eueqyeoiag apoipog KaGecrxqKev.
Meme si la masse des materiaux rassembles ici par Ruth Mariß1'8 est ample et exhaustive du point de vue des references litteraires, peut-etre manque-t-il une vision, une
conclusion d’ensemble, justement en rapport avec la trame des textes ä laquelle le pas
sage d’Alcidamas est etroitemet relie. Une conclusion qui soit en mesure de clarifier,
meme dans le cadre d’une reprise d’un motif traditionnel, la position specifique,
l’apport specifique d’Alcidamas. Comme on le sait, le motif de la confrontation entre
parole et image nait dans le cadre de la poesie chorale avec Simonide et Pindare deve
loppe le motif en variete et en ampleur59. La confrontation entre parole et image est en55 Muir (n. 3), 59-62.
56 Mariß (n. 4), 266-280.
57 Tout en ayant ä l’esprit ce que nous avons dit precedemment, cfr. supra, 103.
58 Mariß, (n. 4).
59 Sur Simonide, cfr. G.K. Sprigath, Das Dictum des Simonides. Der Vergleich von
Dichtung und Malerei, dans: Poetica 36, 2004, 243-280, et O. Poltera, Simonides Lyricus. Te-
107
Lexique, theorie rhetorique, ecriture chez Alcidamas
richie ensuite dans le cadre de la theorie rhetorique et investit non seulement l’eloge et
son efficacite, mais aussi le discours en general, au moment oü apparait la distance
entre le discours issu de 1’ecriture et le discours fruit d’une pratique de composition di
verse, par exemple, pour Alcidamas, rimprovisation, l'auTOcrx£&taC£LV. C’est pas par
hazard que le motif revient dans l’epilogue de YEvagoras d’Isocrate (73-75)60 et que
l’analogie entre ecriture et peinture est bien notee dans le Phedre (275 d 4-275 e 6),
apres le mythe de Thamous, le roi avise qui previent les effets desastreux de la nouvelle
T£xvr), et de Theuth, le dieu egyptien qui en est l’inventeur61.
Alcidamas affirme (27) pouvoir considerer les discours ecrits ä Legal des statues
de bronze, figures de marbre ou animaux peints, Kam xcov
xolAköjv
avÖQLavxcov
Kai AlGlvcov äyaApiaxcuv Kai y£yQa|U|j.£vcov
Le meme rapport d’imitation
qui lie ces objets manufactures aux corps naturels se retrouve entre le discours improvise et le discours ecrit. De lä se developpe, avec de nombreuses particularites, la con-
frontation entre parole et image. Les deux plans du plaisir, xEQijnq, et de Lutile,
XQLCTLq, opposent aux produits des arts manuels et ä ceux de la ypacjA] les corps vivants et le fruit d’un art oratoire base sur le vivant auxocxxe&LafyLV. A la fin (28), il se
confirme que le discours ecrit est seulement une image, elkcuv, de celui qui est improvise. II est important de souligner que l’inutilite du discours ecrit est mesure sur la base
de sa tendance ä rester immobile dans les diverses occasions, £7xi ...
xgjv
KaiQcbv
aKivr)xoq cov. Au contraire, le texte elabore sur le moment a un souffle, vit, suit les
faits, £|xr(7uxö<; ectxl Kai Cf] Kai xolq 7iQay|uaaiv £7X£xai: une correspondance
presque litterale avec le Phedre (276a), oü le discours ecrit, el&coAov du discours fruit
de la dialectique, est defini Ccbvxa Kai £|arj;uxov62. Comme chez Platon, les aspects du
stimonia und Fragmente, Basel 2008, sur Pindare, utile recueil des passages par R. Nünlist,
Poetologische Bildersprache in der frühgriechischen Dichtung, Stuttgart/Leipzig 1998, 119125, et analyse, ä partir des premiers vers de la Ve Nemee (1-5), par M. Pavlou, Pindar Nemean 5: Real and Poetic Statues, Phoenix 64, 2010, 1-16.
60 Cfr. E. Alexiou, Der Euagoras des Isokrates. Ein Kommentar, Berlin/New York 2010,
175-176.
61 Pour le vaste probleme de la critique de Platon ä Pecriture en tant que moyen de
transmission des connaissances cfr. M. Erler, Platon, dans: Ueberweg Gmndriss der
Geschichte der Philosophie, 2/2, Basel 2007, 92-97. Dans le processus de reutilisation du mo
tif il faut rappeier au moins l’epitaphe de Pericles chez Thucydide (2,43,2-3), avec
Popposition entre le tombeau commun et Pinscription gravee sur la stele d’une part et de
l’autre la memoire non ecrite, universelle et etemelle, de la valeur des morts, qui nait seule
ment de l’eloge. Cfr. J. Ziolkowski, Thucydides and the Tradition of Funeral Speeches at Ath
ens, New York 1981, 136-145.
62 Une comparaison subtile et equilibree entre les deux textes est developpee par Muir (n.
3), 61-62. Cfr. Friemann (n. 11), 309-311. Analyse notamment le rapport avec les arts figures
M.-P. Noel, Peinture, sculpture et ecriture: le röle des arts figures dans la definition du dis-
108
MADDALENA VALLOZZA
motif de la confrontation entre parole et image, repris du code expressif de l’eulogie
poetique, sont utilises pour indiquer les difficultes qui derivent d’une presence rigide,
exclusive de l’ecriture. Mais cet arriere-plan concret produit une sorte de ‘levage’ du
motif, remarquablement agrandi en regard des enonces des textes lyriques, varies et
nombreux, mais, la plupart du temps, brefs. Alcidamas insere aussi, comme facteurs
discriminants et entre leurs contraires, le divertissement et l’utile. II opere, en second
lieu, des subdivisions ulterieures et plus subtiles, qui proviennent de la multiplication
des elements et des problemes ä considerer. S’il est necessaire de distinguer entre la pa
role et 1’image, mais aussi entre deux differents types de discours, celui fixe dans la
YQacfif) et celui fruit de l'aÜTOcxebidCEi-V, il est necessaire que soit evoque, ä travers
le rapport d’imitation, un quatrieme facteur, celui des corps vivants et reels. De cette
faqon, d’une confrontation ä deux membres, qui oppose parole et image, on passe ä une
confrontation ä quatre membres, qui oppose d’une part discours ecrit et image, de
l’autre discours improvise et corps vivant. Mais il faut surtout souligner un demier trait:
la valeur spatio-temporelle des deux discours est seulement observee sur la base de la
mesure breve et improvisee qui se resume dans les kcuqoi63: il etait peut-etre clair pour
Alcidamas que seul le discours ecrit, dans son caractere textuel concret, pouvait rejoindre ces confins lointains, dans l’espace et dans le temps, si craints par Platon.
C’est une conscience qui emerge dans la demiere partie du discours (29-34), sorte
d’ample epilogue dans lequel la critique en general avec perplexite, sinon avec embarras, a vu une sorte de retour en arriere, sinon de contradiction, par rapport ä la KaxrjyoQia
tgjv
yQa7iTcbv Aöycov enoncee avec emphase, comme nous l’avons vu, dans
l’ouverture du discours et certes poursuivie avec une extreme coherence au moins
jusqu’au passage, precisement, de la confrontation entre parole et image64. Il s’agit en
realite de pages concretes d’un interet extreme dans lesquelles on semble vraiment entrer dans l’atelier d’Alcidamas, ou au moins dans son etude d’orateur et dans son ecole
cours ecrit chez Alcidamas, Platon et Isocrate, dans: La litterature et les arts figures de
l’Antiquite ä nos jours. Actes du XIVe Congres Association G. Bude, Limoges, 25-28 aoüt
1998, Paris 2001, 133-143. Cfr. maintenant H. Yunis, Plato. Phedrus, Cambridge 2011, 230232, et R. Hunter, Plato and the Traditions of Ancient Literature. The Silent Stream, Cam
bridge 2012, 25-27.
63 Cfr. recemment A. Ford, The Origins of Criticism. Literary Culture and Poetic Theory
in Classical Greece, Princeton/Oxford 2002, 16-22 et 252-254, et S. Usher, Kairos in fourthcentury Greek Oratory, dans M. Edwards/C. Reid (edd.), Oratory in Action, Manchester 2004,
52-61.
64 Par ex. Muir (n. 3), 62, souligne qu’il y a ici “an unashamed note of self-justification”,
et Y.Z. Liebersohn, Alcidamas’ On the Sophists: a Reappraisal, dans: Eranos 97, 1999, 108—
124, qui distingue deux niveaux de lecture possibles du texte meme de Alcidamas, visant ä
differents cercles de lecteurs: un niveau apparent de accusation et un niveau plus cache et
complexe qui contient la vraie methode pour la composition des discours.
Lexique, theorie rhetorique, ecriture chez Alcidamas
109
de maitre de rhetorique. II faut relever aussi la forme, avec laquelle cette partie est introduite, avec icrcog av obv elttol xig (29), objection imaginaire, certes, mais non pas
simple expedient rhetorique63, plutöt sorte d’ouverture aux objections, presque au dialogue, avec une serie de problemes poses au für et ä mesure auxquels repond une liste
ponctuelle de Solutions.
Alcidamas non seulement confesse sans aucun probleme avoir recours ä 1’ecriture,
mais montre aussi (29) bien savoir que seulement gräce aux textes ecrits il est possible
de se procurer une bonne renommee aupres des Grecs, xpv 7xpaypax£iav xabxpv,
5l'
£Ü5okl(U£Iv 7iaQacrK£uaC£xai nagä xolq "EAApoxv, donc atteindre un public
plus eloigne. Outre la dimension spatiale, ne lui echappe pas la dimension, la duree de
1’ecriture dans le temps (32): «enfin, j’ai commence ä ecrire des discours soit avec le
desir de laisser le Souvenir de moi-meme, soit comme une concession ä mon desir de
renommee», £xl bk Kai pvr)p£ia KaxaAmELv qpcöv abxcov anovbdCovxEC, Kai xfj
cßtAoxipia xcd?i-Cöp£VOi Aoyouq ypacf)£LV £tilx£lqoü(U£v. La fin (34), de fapon symetrique ä l’ouverture (1-2), repete en une liste serree d’oppositions les raisons de
l'aüxocrxe&i-dCeLV, mais laisse au yQacf)£LV, ä l’ecriture, une place, meme si c’est «par
jeu et en marge», ev naLbiä Kai 7iaQ£Qycp. Mais c’est lä, juste avant, qu’Alcidamas
nous dit quelle est concretement la difference entre abxoo'XE&i.dCELV et yQac[)£LV, au
moment de l’elaboration du discours, donc dans la pratique de hart oratoire et des lors
dans la theorie rhetorique (33):
äAAa pf|v oüb' cbq eiKf] AeyeLV TtapaKeAEUopeOa, xf|v abxoCTX£&i-aaxLKf]v
bbvapLV xqg ypac^LK-qq TTQOxipcövxeg, d£,iöv eaxi maxeueiv. xolg pev yap
£v0upf]|j.aüL Kai xf] xa£,8L pexa ngovoLag rjyobpeGa 5elv xQ'qo’ö^1- xoug
Qqxopag, 7I8QL 5e xf]v xcbv övopaxcov 5f|AcoaLV abxoaxebLdCeLV. ob yaq
xoaabxqv <ücj)£A£i.av ai xcöv ypanxcov Aöycuv aKpißeLai rcapabLböacnv,
öcrqv euKaLpiav ai xcöv 8K xob napaxoppa Aeyopevcov bpAcöaeig exouaLV.
Ici, avec raison Ruth Mariß65
66 rappelle 1’observation faite precedemment ä propos du
frequent recours au couple £V0x>pf]paxa et övöpaxa: “Die spätere Einteilung in
Heuresis und Lexis ist also präformiert”, “la plus tardive subdivision in heuresis et en
lexis semble donc prefiguree”. Mais dans ce passage il faut aller plus au fond et voir
quelque chose de plus. Rappeions que, comme on l’a rappele en bref juste au-dessus, ä
partir du troisieme livre de la Rhetorique d’Aristote la theorie rhetorique de
l’elaboration du discours envisage cinq moments, cinq phases: la evqeoic,, Yinventio
des manuels latins, c’est-ä-dire la decouverte, disons de fapon generique, des contenus
65 Analyse de Patillon, (n. 7), 192.
66 Mariß (n. 4), 304 et 223. Cfr. maintenant Patillon (n. 7), 193.
110
MADDALENA VALLOZZA
de la matiere, la xd£,Lg, la dispositio, c’est-ä-dire la construction d’un ordre de cette
matiere qui va remplir toutes les parties de la structure prevue pour le discours, la
As^ig, ou elocutio, c’est-ä-dire la realisation linguistique et stylistique de la matiere
meme, enfin, |uvf)|xr], la memoria, phase au cours de laquelles le texte, desormais elabore, est memorise, enfin la Ü7iÖKQicrig, la pronuntiatio ou actio, prononciation, performance du discours, sa recitation ou expression publique ä voix haute et avec les
gestes appropries face ä un cercle plus ou moins ample d’auditeurs67.
Ainsi, sur la base de ce cadre, je dirais que, certainement, comme Ruth Mariß en a
brievement l’intuition, Alcidamas presuppose et distingue une EUQEcng, le plan des
£v0u(ur]|uaTa. Mais il met l’accent aussi sur la seconde phase, la xd£ig. II commence
en fait en disant, avec un debut fort (33), dAAd juqv oüö' cbg
naQaK£A£uö|a£0a ... a£,LÖv
ectxi tucjxeüeiv,
elkt)
AsyEiv
«mais certainement il n’est pas juste
de croire que nous exhortons ä parier au hasard»: Euer] AäyEiv, parier au hasard, donc
sans un ordre. Au contraire, dans raüxocrxEÖLdCeiv les orateurs doivent faire usage
non seulement de £v0x>|xf]|xaxa, donc des amples blocs thematiques decouverts au
moment de la EÜQEcng, mais aussi d’un ordre, d’une xd£ig, terme qui presente une acception typiquement technique, d’autant plus qu’il est renforce par l’expression de
jonction |x£xd TCQOvoiag, avec intention, ou mieux, selon la belle traduction de
Avezzü68, «secondo un piano determinato». La öf)Aco<JLg xcöv övo|udxcov, «la scelta
delle parole», toujours avec Avezzü69, donc peut-etre «l’expression» verbale du dis
cours70, constitue un troisieme moment, une troisieme phase. C’est le moment au cours
duquel les deux pratiques divergent, comme en temoigne aussi la reflexion suivante: la
precision verbale, aKQißEia, du discours ecrit comporte une utilite, cocj:£A£La, non
comparable, pour la grandeur, ä l’opportunite, EUKaiQÜx, que comporte l’expression
verbale, öfjAcoüLq, du discours improvise.
On peut en conclusion affirmer que la theorie rhetorique d’Alcidamas non seule
ment envisage deux phases, £0Q£crLq et AeEl^, premiere et troisieme dans le Schema
traditionnel rappele, affleurant d’ailleurs dans tout le discours dans l’opposition entre
EV0u|xf]|xaxa et övö|uaxa, mais que, ä la fin de la reflexion sur le role de l’ecriture,
ce n’est pas par hasard qu’emerge avec force egalement la troisieme phase, la xd^Lg, la
seconde dans le Schema), le moment de 1’ordre, de la structure selon un plan determine
et non fortuit. Puisque le röle de la juvf)|ur] est un autre des themes recurrents (18, 19,
39).
67 Un cadre generale est donne par Lausberg (n. 38), cfr. pour les sources Lausberg (n.
68 Avezzü (n. 2), 21. Cfr. Patillon (n. 7), 101: «en avoir prevu la disposition».
69 Avezzü (n. 2), 21.
70 Selon Patillon (n. 7), 101.
Lexique, theorie rhetorique, ecriture chez Alcidamas
111
32, 34, fr. 7 Avezzü), qui distingue arixocrxE&LaCELV, improvisation et yQacjrf), ecri
ture, du discours, pour completer le cadre en cinq points, en un sens completement
‘aristotelicien’, il manquerait seulement la unÖKQiaLq. Le terme apparait en realite
dans le discours, mais seulement une fois (14), et je dirais plus en un sens technique
proche du monde du theätre que dans un sens rhetorique, lie ä un art oratoire comple
tement devoue ä l’ecriture. C’est donc seulment ce demier, cinquieme passage envers
1’ecriture qu’Alcidamas, le soi-disant Champion de l'auTOüxeöiaCsiv, n’a pas accompli, ni par le lexique, ni par la theorie rhetorique.
Viterbo
Maddalena Vallozza