À ma grand-mère
-1-
« Une ardente volonté de puissance
animait Bernard comme tous ses
amis, tous ses camarades. Il était de
ces hommes redoutables, persuadés
de détenir la vérité, qui, brisant les
obstacles, la fin justifiant à leurs
yeux les moyens, entendent forcer
leurs contemporains à vivre selon le
modèle qu’ils ont forgé ».
Georges DUBY, « Saint Bernard et
les arts » dans l’Art et la société.
Moyen-Âge-XXème
siècle,
Paris,
2002, p. 444.
« Dans le cloître ou la salle
capitulaire, au gré du soleil, de la
brume ou du vent, des heures du
jour ou de la nuit, la récolte des
visions sombres et colorées exaltera
le moine le plus indifférent. De
même, le novice a appris, sans
effort, prosterné dans la prière, les
harmonies des chants sacrés. Sous
les voûtes de l’église, fraîche en
toutes saisons, lieu où les sons
s’élèvent, se brisent, se multiplient
dans une grave résonance, l’âme
s’illuminera autant par les effusions
-2-
de la prière que par l’envoûtement
d’un paradis de pierres ».
Fernand POUILLON, Les pierres
sauvages, Le Seuil, 1964, p. 25.
-3-
Résumé :
Les cisterciens du diocèse de Limoges s’implantent dans des salti délaissés. Les
premiers investissements des communautés sont dès lors dévolus à l’assainissement des
terres, l’agriculture et l’hydraulique, tandis que leurs abbayes se révèlent bien souvent bâties à
l’économie. L’austérité est de mise, en cohérence avec ces nombreux mouvements à vocation
érémitique nés de la réforme grégorienne. Il faut attendre le XIIIème siècle pour assister à une
réapparition de la figure bidimensionnelle. Les monastères évoluent alors d’un système en
faire-valoir direct à une économie de fermage, se rapprochant d’un modèle clunisien rejeté au
préalable. Les revenus engrangés permettent peut-être d’investir dans des créations artistiques
plus luxueuses. Les inhumations laïques conduisent aussi à des changements dans le décor des
abbatiales et introduisent une iconographie propre.
Ce tournant du XIIIème siècle est également marqué par des poussées capétiennes
tangibles en Aquitaine. Si l’art de bâtir relève plus d’un goût Plantagenêt encore largement
tributaire de formes romanes, les décors ajoutés au XIIIème siècle témoignent de liens étroits
avec un art du Nord. Les cisterciens sont aussi les révélateurs du glissement vers un premier
art gothique. Néanmoins, un certain nombre de formules propres au gothique capétien sont
rejetées. Entre austérité et acceptations progressives de l’image, entre roman et gothique, entre
Plantagenêts et Capétiens, entre saltus et ager, les moines cisterciens du diocèse de Limoges
s’inscrivent comme un maillon indispensable à la compréhension des créations artistiques
aquitaines des XIIème et XIIIème siècles.
Mots clés :
cisterciens, marges diocésaines, premier gothique, Limousin, hydraulique,
granges.
-4-
About Cîteaux in Limousin (XIIème-XIIIème centuries).
Architectural et sculpted realities, landscapes and pre industrial fittings.
The Cistercians of the diocese of Limoges are established in forsaken salti. The first
investments of the communities deal consequently with the cleansing of the grounds
agriculture and hydraulics, while their abbeys appear very often built with economy. The
austerity is of setting, in coherence with these many movements with eremitic vocation born
from the Gregorian reform. It is necessary to await XIIIe century to attend a reappearance of
the two-dimensional figure. The monasteries move then of a system in farming by the owner
with a saving in tenant farming, approaching a clunisian model rejected as a preliminary.
Perhaps the garnered incomes make it possible to invest in more luxurious artistic creations.
The laic burials also lead to changes in the decoration of abbey and introduce of an own
iconography.
This turning of XIIIe century is also marked by tangible capetians pushes in Aquitaine.
If art to build changing more than one Plantagenêt taste still largely dependent on Romance
forms, the decorations added to XIIIe century testify to close links with an art of North. The
Cistercians are also revealing slip towards a first Gothic art. Nevertheless, a certain number of
formulas suitable for the capetian Gothic are rejected. Between austerity and progressive
acceptances of the image, between novel and Gothic, Plantagenêts and Capetians, saltus and
ager, the cistercians monks of the diocese of Limoges are registered like a link essential to the
comprehension of Aquitanian artistic creations of XIIe and XIIIe centuries.
Keywords : Cistercians, diocesan borders, first Gothic, Limousin, hydraulic, barns.
-5-
Über CITEAUX in LIMOUSIN ( zwölftes – dreizehntes Jahrhundert. )
Bauliche und geschnitzte Realitäten, Landschaften und vorindustrielle Anlagen.
Die Zisterzienser der Diözese von Limoges nisten sich in verlassenen Salti. Die ersten
Investierungen sind von nun an der Sanierung des Bodens, der Landwirtschaft und den
Wasseranlagen gewidmet , während ihre Abteien sich sehr oft als sparsam gebaut erweisen.
Die Nüchternheit ist angebracht, im Zusammenhang mit diesen eremitenhaften
Bewegungen, die aus der gregorianischen Reform stammen. Erst im dreizehnten Jahrhundert
erscheint die zweidimensionale Figur wieder. Die Kloster entwickeln sich dann von einem
System mit Selbstbewirtschaftung zu einer Wirtschaft mit Pachtvertrag und nähern sich an
ein zuerst clunisianerisches Modell. Die gespeicherten Einkommen erlauben vielleicht in
prächtigere künstlerische Werke zu investieren. Die laienhaften Begrabungen führen auch zu
Veränderungen in der Ausstattung der Abteien und leiten eine eigenartige Ikonographie ein.
Diese Wende des dreizehnten Jahrhunderts ist auch durch einen kapetingischen
Einfluss geprägt, der in Aquitaine spürbar ist. Wenn die Baukunst mehr aus einem
Plantagenetischen Stil stammt, welcher noch sehr von romanischen Formen beeinflusst ist,
zeigen die im dreizehnten Jahrhundert hinzugefügten Ausstattungen enge Ähnlichkeiten mit
einer nördlichen Kunst. Die Zisterzienser beweisen auch das Gleiten zur Frühgotik. Eine
gewisse Zahl von Formeln , die der kapetingischen Frühgotik gehören, sind doch abgelehnt.
Zwischen Nüchternheit und allmählicher Annahme vom Bild , zwischen Romanik und Gotik,
zwischen Plantageneter und Kapetinger, zwischen Saltus und ager
tragen die
zisterziensischen Mönche der Diözese von Limoges zum Verständnis der künstlerischen
Schaffungen in der Aquitaine des dreizehnten Jahrhunderts unentbehrlich bei.
Schlüsselwörter : Zisterzienser, Diözesengrenzen, Frühgotik, Limousin, Wasseranlagen
Scheunen.
-6-
REMERCIEMENTS :
Depuis cinq ans maintenant j’arpente les routes du Limousin sur les
traces des moines cisterciens. J’ai croisé beaucoup d’amis sur ces chemins
sans qui cette recherche n’aurait sans doute pas abouti et qui m’ont
donné l’envie de continuer malgré les moments inévitables de
découragements.
Ma première pensée va bien sûr à Jacques Roger, rencontré dès mes
dix-huit ans et qui m’a transmis sa passion de l’archéologie à Prébenoît. Je
me rappelle les fouilles de 2001, les matins où je me levais tôt, la brume
enveloppant ces ruines chères à mon cœur. Ces pages lui doivent
beaucoup, ainsi qu’à ces premiers émois face à des vestiges malmenés
par le temps et les hommes.
C’est ensuite Philippe Loy qui m’a initié aux archives, aux vieux
parchemins énigmatiques et encore si souvent mystérieux. Il a pris le
temps de relire certains passages de ce travail, avec sa bienveillance
coutumière. Ses encouragements au fil des années ont été précieux.
Merci à Patrice Conte qui m’a si souvent donnée ma chance, qui m’a
fait confiance malgré mon inexpérience et mes tâtonnements. Il a
accompagné ma première expérience en tant que responsable d’opération
à l’abbaye du Palais-Notre-Dame au printemps 2007, et le bon
déroulement de ces sondages doit beaucoup à ses conseils avisés, ainsi
qu’au soutien financier et matériel apporté par le SRA Limousin et
l’association ArchéA que je remercie ici.
Merci aux professeurs et chargés de cours qui m’ont conseillé et ont
relu patiemment articles et écrits, à savoir Claude Andrault, Martin Aurell,
Isabelle Carreau, Philippe Depreux, Bruno Phalip et Nelly Pousthomis.
J’ai rencontré durant ces trois ans de doctorat beaucoup de
propriétaires passionnés d’histoire qui m’ont ouvert leurs portes avec
enthousiasme. Je pense notamment à Martin et Saskia au Palais qui nous
ont supporté pendant les deux semaines de fouilles en avril 2007 avec une
patience infinie ! Je tenais à remercier M. et Mme Wolkowitsch à Varennes,
à leur fils Gilles pour ses patientes relectures et multiples conseils, à Mme
Hoffman à Varennes, Marinette Crémoux et Jean Lapeyre à Derses, Mme
Ann Evans à Grosbot, Sœur Odile à Rieunette, M. et Mme Chefdebien aux
Olieux près de Narbonne, Jacques Boucard aux Châtelliers en Ré.
Merci à mes amis pour leur soutien constant, mais surtout pour les
fous rires et les discussions sans fin. Je ne peux ici les citer tous, mais j’ai
une pensée particulière pour Benjamin et Marie-Laure (au jour le jour,
c’est vous qui avez su apaiser mes angoisses !), Magali, Laurent, Nelly, les
deux Fred, Christophe, Raphaël, David, Delphine, Greg, Sébastien, Emma ;
pour Serge et Alain, pour toute l’équipe de fouilles de SoudaineLavinadière et pour les membres de l’association ArchéA, particulièrement
Angélique, Xavier, Manon, Anso et aussi Boris et Julien pour les fous rires à
Lupersat.
-7-
Merci à ma grand-mère creusoise pour ces multiples petites
attentions. Elle a été le phare incontournable de mes escapades
limousines. Il y a beaucoup d’elle dans ces pages, de son caractère têtu et
obstiné, de sa tendresse toute en retenue et en discrétion.
Ce travail doit beaucoup au soutien de ma famille, notamment à ma
sœur, à mes parents qui m’ont si souvent accompagnée sur les routes
cisterciennes du Midi de la France, qui ont su me soutenir, me guider dans
tous mes projets sans jamais me juger… et qui ont veillé sur ma santé et
mes états d’âme !
-8-
TABLE DES MATIÈRES
Résumés
Remerciements
Table des matières
Introduction
I.
p. 3
p. 6
p. 7
p. 14
Des ermites, des ordres, des entrepreneurs.
A. Historiographie : axes de recherche et impasses :
p. 22
p. 22
a. Les travaux d’érudition.
b. Les grandes synthèses d’histoire et d’histoire de l’art cistercien :
p. 23
p. 27
1. Édition des sources historiques.
2. Historique de l’Ordre et de ses institutions.
3. Architecture et décor. Refus ou acceptation de l’image.
p. 28
p. 31
p. 33
c. De nouvelles perspectives de recherche : l’occupation du sol. Les pionniers
(1970-1990).
p. 40
d. De nouveaux résultats : archéologie et archéologie du bâti (1980-200.).p.42
e. Vers des études globales. Sanctuaires, granges, installations pré
industrielles et aménagements hydrauliques (1998-200.).
p.44
B. Le diocèse de Limoges.
p. 51
a. Géographie et Géologie.
p. 52
b. Le diocèse de Limoges, espace intégré dans l’Aquitaine ducale (XIèmeXIIème siècles).
p. 57
c. Le pouvoir royal. Le diocèse de Limoges entre Capétiens et Plantagenêts
(1156-1259).
p. 61
C. Historique des fondations cisterciennes du diocèse de Limoges et de ses marges.
p. 71
a. Les ermitages préexistants.
p. 71
1. L’aura de Géraud de Sales.
2. L’érémitisme selon Étienne d’Obazine.
p. 71
p. 78
b. Le processus d’affiliation ou le glissement de l’érémitisme au cénobitisme.
p. 83
1. Dalon et Obazine en tant que chefs d’ordres. De l’ermitage au
monastère.
p. 83
2. L’affiliation à Cîteaux et ses implications. Le monastère
cistercien. Chapitre Général et liens avec les abbayes-mères. p.97
c. Les créations directes.
p. 109
-9-
d. Les monastères cisterciens au fil du temps. Essor, troubles et commende.
p. 118
1. Essor économique et embellissements des sanctuaires au XIIIème
siècle.
p. 120
2. Guerre de Cent Ans, fortifications et stagnation économique
(XIVème-XVème siècles).
p. 122
3. Commende et guerres de Religion et décadence (XVèmeXVIIIème siècles).
p. 124
4. Période révolutionnaire et extinction des monastères (fin
XVIIIème-XIXème siècles).
p. 130
D. Les cisterciens du saltus à l’ager.
a.
p. 133
La quête du désert primitif (XIème-XIIème siècles) :
p. 133
1. La recherche du désert, une préoccupation ravivée par la réforme
grégorienne.
p. 133
•
Réforme et ordres nouveaux. Des cisterciens
grégoriens?
p. 133
Vita Apostolica et règle monastique.p. 134
Les cisterciens, « fer de lance » de la
Papauté. Croisade des Albigeois et
inquisition.
p. 139
Rôle de l’image et instruction des fidèles.
p. 142
Réception de la réforme grégorienne en
Aquitaine.
p. 145
•
•
Le désert. Définitions, origines et conceptions.
Des difficultés d’approche.
p. 149
Solitude
et
vie
communautaire,
une
incompatibilité ?
p. 153
2. Le désert dans la théologie monastique cistercienne.
p. 159
•
Le désert dans les premiers textes cisterciens.
p. 159
• Cénobitisme et solitude.
p. 163
• Un désert recréé. Les cisterciens depopulatores.
p. 168
3. Paysages, toponymie et hagiotoponymie.
p. 170
•
Des marches boisées :
Géographie et géologie
cisterciens.
Couvert forestier.
- 10 -
p. 170
des
sites
p. 170
p. 174
Caractérisation d’une abbaye en marche
p. 180
- attirance
pour
les
limites
diocésaines et paroissiales. p. 182
- Les termes-frontières.
p. 185
•
•
Le désert dans la toponymie : les termes liés au
saltus.
p. 187
Hagiotoponymie.
p. 192
4. Un désert illusoire :
p. 194
•
•
Le cadre de l’occupation gallo-romaine.
p. 195
Réseau paroissial et peuplement du haut MoyenÂge au XIIème siècle.
p. 200
• Un isolement social et économique impossible :
p. 204
Choix du site : les cisterciens entre
pressions seigneuriales, épiscopales et
monastiques.
p. 204
Seigneurs, rois et clercs : donner pour
mieux contrôler ? Reprise en main des
frontières.
p. 222
Les
abbayes
comme
nécropoles
aristocratiques.
p. 233
Insertion dans les flux commerciaux.
p. 240
b. La constitution du patrimoine foncier (vers 1120-1200).
p. 249
1. Les sources
2. Les donateurs
3. La nature des biens :
p. 249
p. 253
p. 264
•
•
•
•
Granges. Vers la polyculture.
p. 265
Forêts, bois et défrichements.
p. 277
Hydraulique.
p. 278
Autres activités pré industrielles et artisanales.
p. 286
• Possessions urbaines.
p. 287
• Dîmes.
p. 289
• Chapelles et paroisses.
p. 290
4. Géographie des possessions
p. 292
c. Vers l’entreprise (XIIIème-XIVème siècle).
p. 295
1. Le faire-valoir indirect : diminution du nombre de convers,
évolution des politiques d’acquisition (achats, échanges, ventes)
vers une économie de surplus.
p. 295
2. De la grange à la bastide (XIVème siècle).
p. 307
- 11 -
II. Corpus des abbayes cisterciennes du diocèse de Limoges et de ses marges.
A. Les fondations de Géraud de Sales.
1.
2.
3.
4.
5.
6.
7.
Aubignac
Boeuil
Bonlieu
Boschaud
Dalon
Le Palais-Notre-Dame
Prébenoît
p. 320
p. 335
p. 348
p. 371
p. 387
p. 408
p. 431
B. Les fondations d’Étienne d’Obazine.
1.
2.
3.
4.
5.
p. 457
Bonnaigue
Grosbot
Obazine
Coyroux
Valette
p. 457
p. 479
p. 499
p. 543
p. 556
C. Les créations directes de l’Ordre de Cîteaux.
1.
2.
3.
4.
5.
6.
p. 316
p. 320
Aubepierres
Derses
La Colombe
Peyrouse
Les Pierres
Varennes
p. 567
p. 567
p. 582
p. 586
p. 603
p. 614
p. 627
III. Réalités cisterciennes du diocèse de Limoges. Entre spécificité discutée et tendance à une
« universalité » des formes.
p. 696
A. Chantier médiéval cistercien :
p. 696
a. Mise en œuvre :
p. 699
1.
2.
3.
4.
p. 699
p. 706
p. 710
p. 713
Carrières, matériaux de construction, acheminement.
Moyens de levage et échafaudages.
Des mises en œuvre soignées.
Des chantiers à l’économie.
b. Plans :
p. 716
1. Plan « bernardin ».
2. Parti de la nef unique :
p. 716
p. 718
Choix des moniales.
p. 719
Des moines tournés vers des partis
aquitains.
p. 719
c. Élévation : supports, percements, contrebutements :
- 12 -
p. 720
1. Élévation dans le cas d’un éclairage direct.
2. Élévation dans le cas d’un éclairage indirect.
3. Contrebutement.
d. Voûtements et charpentes :
e. Décors :
1.
2.
3.
4.
5.
6.
7.
8.
9.
p. 720
p. 726
p. 729
p. 733
p. 739
Bases
Chapiteaux
Culots
Archivoltes
Clés de voûtes
Modillons
Décors peints
Vitraux
Pavements
p. 740
p. 741
p. 743
p. 744
p. 744
p. 745
p. 745
p. 746
p. 747
B. Des cisterciens fidèles aux formes romanes ou pionniers d’un nouvel art gothique ?
p. 756
a. Des réalités romanes préexistantes :
p. 757
1. Des solutions architecturales éprouvées et pérennisées :
p. 757
Héritages bourguignons et aquitains.p.757
L’exemple de la coupole : croisée du
transept et solution de voûtement des
vaisseaux larges.
p. 769
2. Répertoire de motifs et éléments de décors sculptés :
p. 775
Manuscrits romans. De Saint-Martial aux
vitraux et pavements cisterciens. p. 776
Décors sculptés romans : chapiteaux,
tailloirs et bases.
p. 779
Animation
des
parements :
arcs
d’applique et profils polylobés.
p. 787
b. Le tournant des années 1180-1220. « Églises-granges », créations
hospitalières et grandmontaines, choix cisterciens.
p. 791
1. Des cisterciens pionniers du gothique ?
p. 791
Cathédrales gothiques et abbatiales
cisterciennes.
Émulations, créations,
novations.
p. 792
Le « premier gothique » Limousin.
Apports cisterciens.
p. 799
Entre réelles novations et transmissions.
p. 810
- 13 -
2. Gothique Plantagenêt, gothique Capétien ?
Symbolique du pouvoir et pouvoir du symbole. Les abbayes
cisterciennes comme lieu de pouvoir :
p. 813
Un goût Plantagenêt en Aquitaine ? 11501200 :
p. 816
- Les rapports Cîteaux/Angleterre.
p. 817
- Vers une monumentalisation des
chevets plats. Le déambulatoire
droit.
p. 821
- La nef unique gothique : dans la
tradition érémitique aquitaine, le
choix des abbayes féminines.p.826
- La place de l’église-halle en
Aquitaine.
p. 830
- Les voûtes.
p. 833
- Des décors Plantagenêts ? p. 837
La poussée capétienne des années 1200.
Changements de partis architecturaux et
embellissements au XIIIème siècle liés à
une nouvelle organisation économique : le
faire-valoir indirect.
p. 841
-
Déambulatoires
à
chapelles
rayonnantes.
p. 843
- Décors et formules à la
« française ». Baies rayonnantes,
cloîtres vitrés.
p. 846
- Le mobilier funéraire. Liens avec
Saint-Denis et la couronne
française (tombeaux, pavements).
p. 849
C. Aniconisme ou austérité. Des choix esthétiques délibérés.
p. 853
a. Les cisterciens face à l’art :
p. 853
1. L’Apologie. Émules et controverses.
2. Une tentative d’uniformisation :
p. 853
p. 877
La Charte de Charité :
p. 878
L’échec de la diffusion du modèle
« bernardin » :
p. 884
b. Mouvements érémitiques aquitains. La pauvreté volontaire au « goût du
jour » :
p. 893
1. Monastères réformés et nouvelles fondations ascétiques. Choix
artistiques contrastés.
p. 894
- 14 -
2. Goût pour l’austérité ou volonté d’économie ?
p. 901
Des constructions à l’économie.
p. 901
Le décor : chapiteaux nus, et vitraux
dépouillés.
p. 909
c. Acceptations timides de l’image et du décor :
p. 912
1. Entorses aux statuts.
2. Un rapprochement Cluny-Cîteaux au XIIIème siècle :
p. 912
p. 921
Présence clunisienne dans le diocèse de
Limoges.
p. 922
Modèles économiques et institutions.
p. 927
Quête d’un passé commun. Formules
artistiques romaines et carolingiennes.
p. 930
D. Le saltus, espace de dévotion magnifié.
p. 938
a. Équilibre entre travail revalorisé et prière :
p. 938
1. Le travail aux premiers temps du monachisme : un remède contre
l’oisiveté.
p. 938
2. Réforme carolingienne, fondations clunisiennes. Le travail
pénitentiel dévalorisé.
p. 941
3. Ordres érémitiques et cisterciens. Entre Marthe et Marie. p. 943
b. Granges et moulins. Une mise en œuvre soignée semblable à celle des
sanctuaires.
p. 950
1. Hydraulique et
cistercienne ?
•
•
•
activités
préindustrielles.
Une
spécificité
p. 950
Jalons historiographiques récents
p. 950
Typologie
des
aménagements
artisanaux
monastiques
p. 953
Une « originalité » cistercienne. Cohérences entre
lieux de prière et lieux de labeur.
p. 964
2. Vers une universalité des formes. Interpénétrations des cadres
religieux, civils et militaires.
p. 980
•
•
Cîteaux et les références à l’Église de Rome
p. 980
Cîteaux et l’intégration dans le paysage artistique
du site d’implantation
p.
983
Conclusion
Sources et bibliographie
p. 994
p. 1000
- 15 -
- 16 -
Introduction :
Le diocèse de Limoges apparaît comme un cadre privilégié pour l’étude des abbayes
cisterciennes et leur insertion dans l’environnement. En effet, largement pourvu en bois et
forêts, le Limousin est de plus connu pour son important réseau hydrographique, critères
propices aux installations érémitiques puis cisterciennes dont la présence peut être
appréhendée à travers les différents prismes de l’histoire, de l’étude du paysage, mais aussi de
leurs créations artistiques ayant marqué leur site d’implantation.
Par créations, il faut entendre une acceptation large du terme : il s’agit de l’ensemble
des productions artistiques, à savoir l’architecture et sa mise en œuvre, la sculpture, les décors
peints (fréquents enduits à faux-joints), les vitraux ou carreaux de pavement, ainsi que
certains éléments de mobilier telle l’armoire liturgique du XIIème siècle conservée à Obazine
notamment. Ces derniers sont néanmoins relativement délicats à étudier car bien souvent seuls
des éléments mobiliers modernes sont connus et largement décrits par les inventaires
révolutionnaires. Ces créations artistiques sont cernées à la fois du point de vue de la
technique proprement dite que stylistique. Ainsi, les carreaux de pavement par exemple sont
prétexte à étude des tuileries, de la conception artisanale des éléments de terre cuite, du
procédé d’élaboration des différents motifs, des techniques de cuisson et des fours. Les motifs
sont ensuite étudiés, leurs origines, inspirations et des comparaisons pourront mettre en
lumière les relations entre abbayes, entre ordres religieux, entre réguliers et séculiers. Les
créations artistiques ne rejettent ainsi pas ce qui relève plutôt de l’artisanat, de la technique,
d’où une certaine « schizophrénie » parfois entre méthodes propres à l’histoire de l’art, et
outils de l’archéologue et de l’historien.
L’histoire trouve toute sa place dans une tentative de reconstitution du paysage
religieux, politique et social du diocèse de Limoges et de ses marges aux XIIème et XIIIème
siècles. De multiples réseaux doivent être mis en lumière : tissu paroissial déjà presque
entièrement constitué lors de l’arrivée des moines blancs, réseaux aristocratiques de grandes
familles et seigneurs riches donateurs de ces abbatiales, liens politiques d’une terre tiraillée
entre rois Capétiens et Plantagenêts dont les conflits armés trouvent une résonance
particulière en Limousin.
Mais l’échelle même d’un diocèse reste insatisfaisante, les réseaux de relations ne
s’arrêtant pas aux limites artificielles créées par l’institution religieuse. Ainsi, il est difficile
d’aborder la Haute-Marche en éludant ces liens étroits avec le Boischaut, en passant sous
- 17 -
silence la forte présence de l’abbaye de Déols sur le nord du diocèse de Limoges. Ainsi le
cadre géographique déborde largement sur les marges diocésaines, ces zones incertaines
souvent encore largement boisées et où justement les moines blancs vont venir s’installer. Ces
espaces sont souvent dépréciés, considérés comme des terres ingrates et incultes, désert aussi
bien géographique qu’artistique. Éloignement du siège épiscopal, dernières terres laissées
libres par les autres communautés monastiques, vastes salti boisés, autant de critères ne
pouvant qu’attirer ces hommes désireux de se retirer du siècle et de ses contraintes. Certains
édifices sont par conséquent insérés dans cette étude sans pour autant faire partie du diocèse
de Limoges : c’est le cas de l’abbaye des Pierres sur la commune de Sidiailles, en Berry, fille
d’Aubepierres et donc difficile à éviter. De même concernant Boschaud, Peyrouse ou encore
Grosbot, mais dont les liens étroits de filiation avec les monastères limousins ne peuvent être
éludés. D’ailleurs, dans son ouvrage sur les moines cisterciens en Limousin, Bernadette
BARRIÈRE les intègrent déjà à son inventaire, et nous ne pouvons qu’agréer à ce choix 1. Par
ailleurs, le site de l’Abbaye-Nouvelle, fille d’Obazine, ne sera pas abordé car n’appartenant
pas aux marges du diocèse de Limoges (commune de Léobard, Lot). De même, l’abbaye de
Bellaigue en Combrailles, aux marges des diocèses de Clermont et de Limoges est exclue de
l’inventaire car elle fait actuellement l’objet d’un doctorat d’Histoire de l’Art et Archéologie à
l’Université Lyon II2. Enfin, l’abbaye de Varennes (com. Fougerolles, Indre), bien
qu’éloignée de la frontière diocésaine est néanmoins intégrée au corpus du fait des liens
étroits entretenus avec les abbayes limousines, révélés entre autre par les Statuta de
CANIVEZ3. De plus, les relations entre Haute-Marche et Boischaut sont incontestables, ne
serait-ce que par l’acquisition systématique de vignes et de maisons de ville en Berry par les
monastères limousins. Varennes connaît une évolution très similaire à celle de ses
homologues du diocèse de Limoges, notamment avec une phase de remaniements aux
XIVème et XVème siècles (cloître), mais aussi par sa ferme insertion au cœur des conflits
entre Plantagenêts et Capétiens. Ainsi, les marges berrichonnes paraissent difficiles à écarter
de l’étude et sont largement investies par les monastères marchois notamment.
Quant au cadre chronologique envisagé, il n’est pas cloisonné aux seuls XIIème et
XIIIème siècles, même si ceux-ci sont privilégiés. En effet, ils permettent d’évoquer les
premiers temps des communautés monastiques, et même parfois les premières expériences
érémitiques en lien avec la réforme grégorienne, comme à Obazine ou Dalon. Les ermitages
1
B. BARRIÈRE, Moines en Limousin, l’aventure cistercienne, PULIM, Limoges, 1998.
E. BOUVARD sous la direction de N. REVEYRON et B. PHALIP.
3
J. M. CANIVEZ, Statuta Capitulorum Generalium Ordinis Cisterciensis ab anno 1116 ad annum 1786,
Louvain, 1933.
2
- 18 -
de l’ancien diocèse de Limoges sont pour majorité le fait de Géraud de Sales, ermite
périgourdin à l’origine des sites de Dalon, Prébenoît ou encore Bonlieu, et d’Étienne
d’Obazine (Obazine, Coyroux, Bonnaigue, Valette, Boschaud…). Ainsi, il est intéressant de
pouvoir appréhender le passage de l’érémitisme au cénobitisme, puis les conséquences du
rattachement à Cîteaux pour l’économie, le bâti et les décors adoptés. La constitution du
patrimoine foncier peut être envisagée avec une tentative, parfois infructueuse, de localiser
l’ensemble des possessions des moines blancs (granges, moulins, digues, maisons de ville,
vignes, celliers…). L’étude des XIIème et XIIIème siècles est aussi l’occasion de mieux
appréhender le glissement progressif d’un système économique en faire-valoir direct, permis
par l’apparition d’un corps de convers, et une économie en faire-valoir indirect avec adoption
du fermage. Ces mutations économiques s’accompagnent d’un certain assouplissement des
règles cisterciennes, ainsi les dîmes sont acceptées, de même que la possession de paroisses,
d’églises et la multiplication des activités commerciales. Enfin, la seconde moitié du XIIIème
siècle est essentielle pour cerner l’apparition des bastides, dont deux sont fondées par les
cisterciens du Limousin (Puybrun et le Mont-Sainte-Marie).
Outre ces aspects économiques, les XIIème et XIIIème siècles sont aussi l’occasion de
mettre en lumière différentes phases de construction, des structures périssables des premiers
ermitages aux bâtiments en pierres, d’envisager un chantier médiéval entre roman et premier
gothique où les premières recherches sur le voûtement d’ogives se multiplient (Le Palais,
Obazine, Dalon) avec une multiple possibilité de plans, d’élévations et de formules
artistiques. Une période d’embellissement des monastères est tangible dans le courant du
XIIIème siècle, comme en témoigne la mise en place de pavements, de vitraux, de peintures.
Elle correspond par ailleurs à une phase d’enrichissement de certains monastères qui voient
leur patrimoine foncier à son apogée, mais aussi à une compromission de plus en plus nette
avec le monde laïc du fait de l’éloignement des préceptes cisterciens. À Bonlieu, c’est dans le
cadre de la consécration de 1232 que sont ajoutés des vitraux en grisaille et des croix de
consécration peinte. Pour Prébenoît, il faut tenir compte de l’inhumation du seigneur Roger de
Brosse qui bouscule le décor du chevet à la fin du XIIIème siècle (tombeau à gisant,
pavement). Ces éléments de mobilier introduisent bien souvent une iconographie propre
(thèmes de chasse à cour) éloignée de l’idéal primitif cistercien.
Il s’agit donc d’un cadre chronologique riche, aussi bien historiquement
qu’artistiquement : réception et application de la réforme grégorienne, multiplication des
initiatives à vocation érémitique, conflits entre rois anglais et français, créations entre roman
- 19 -
et gothique liées à une période de construction faste dans le diocèse de Limoges comme en
témoignent les multiples églises-granges qui parsèment la Haute-Marche au XIIIème siècle.
Néanmoins, le Bas Moyen-Âge et l’époque Moderne ne sauraient être mis de côté. Les
sources modernes sont en effet largement majoritaires. Ainsi, l’évolution des monastères est
prise en compte jusqu’à nos jours. Les réaménagements modernes, les restaurations du
XIXème siècle ne peuvent être éludées dans le cadre d’une étude régressive visant à envisager
la physionomie du monastère à l’époque médiévale. Les XIVème et XVème siècles, par
exemple, sont essentiels et doivent être évoqués pour leurs phases de fortifications concernant
édifices cisterciens mais aussi paroissiaux dans un contexte d’insécurité (Prébenoît, Bonlieu).
Ces différents cadres envisagés laissent transparaître un certain nombre de
questionnements auxquels des éléments de réponse pourront être proposés. Comment
envisager la spiritualité et les créations artistiques cisterciennes dans le cadre de la réforme
grégorienne ? Alors que les moines blancs sont parfois considérés comme le « fer de lance »
de la Papauté dans la lutte contre les hérésies (Croisade contre les Albigeois, rôle dans
l’Inquisition jusque dans les années 1220), alors même que saint Bernard s’engage avec verve
pour la Seconde Croisade, comment expliquer le rejet des images dans un contexte grégorien
où l’image est justement revalorisée, magnifiée en tant que Bible des Illettrés ? Si les
mouvements à vocation érémitique émergeants en cette fin du XIème siècle illustrent
parfaitement certains préceptes de la réforme comme le retour à la vie apostolique, à la
pauvreté et la lutte contre les hérésies, leur attitude face à l’image, de même que leur échec
parfois à maintenir leur indépendance par rapport aux seigneurs laïcs compliquent la vision de
leur rôle réel dans l’acceptation de la réforme. Mouvements grégoriens ou mouvements
parallèles, plus conservateurs, plus proches de traditions monastiques carolingiennes ? Si
l’historiographie traditionnelle tend à considérer les moines blancs comme des légats du Pape
prônant la réforme dans les campagnes, gardiens de l’orthodoxie, il semble nécessaire de
revenir sur ces problématiques et de les réévaluer.
Les moines cisterciens paraissent attachés à des pensées et traditions monastiques
anciennes trouvant parfois une expression dans des choix artistiques ancrés dans certains
systèmes carolingiens (organisation des baies en triplet notamment). Il convient dès lors de
déterminer la part des héritages et des novations réelles dans les créations architecturales et
sculptées cisterciennes. Quels sont les emprunts aux édifices du Haut Moyen-Âge ? de
l’époque romane ? Ces moines s’insèrent près d’églises romanes, voire pré romanes, à
considérer et dont les études architecturales paraissent à reprendre et à compléter telles Évaux,
- 20 -
Chambon, Brive, Beaulieu-sur-Dordogne ou Uzerche. En quoi cette proximité va-t-elle les
inspirer ? Quelles formulations vont-ils écarter, retenir et perpétuer (coupole sur pendentifs,
répertoire de motifs pour les vitraux et les pavements) ? Quels sont les liens avec le cadre
paroissial, civil et militaire des XIIème et XIIIème siècles ? Peut-on en déduire que les
cisterciens sont des « pionniers du gothique » ou s’adaptent-ils à un répertoire de formes déjà
éprouvé par d’autres bâtisseurs4 ? Que dire des circulations d’artistes, de tailleurs de pierre,
d’ouvriers spécialisés ? Que sait-on du chantier médiéval cistercien ? Quelle part d’adoption,
de novation ou de réticences ? Y a-t-il réellement réticence à l’image ou simplement d’autres
moyens d’expression (mobilier, vitraux, pavements) ? Si les moines blancs semblent en effet
résister à l’adoption de l’image tridimensionnelle, comme en témoignent de nombreux textes
cisterciens médiévaux (saint Bernard de Clairvaux, Aelred de Rielvaux), la bidimension serait
peut-être acceptée avec plus de facilité (pavements à décors géométriques mais aussi parfois
figurés), notamment dans le courant du XIIIème siècle.
Comment ces monastères évoluent-ils d’un premier noyau de territoires restreint
destiné à leur seule autosuffisance, à la constitution d’un vaste patrimoine foncier, puis à une
« entreprise » commerciale dès le XIIIème siècle ? Quelles conséquences ces mutations
économiques vont-elles avoir sur les productions artistiques, révélant souvent une phase
d’embellissements ?
Peut-on parler d’un art cistercien à part entière ou plutôt de choix cisterciens en lien
avec les contextes politiques, économiques, historiques, géographiques ? Pour cela, il sera
nécessaire de replacer les créations cisterciennes dans un contexte artistique aquitain plus
large, intégrant les hésitations entre espaces Plantagenêts et Capétiens à la fin du XIIème
siècle et tout au long du XIIIème siècle. Nous verrons que si les plans cisterciens paraissent
parfois en adéquation avec une esthétique appréciée des rois anglais (chevet plat souvent
percé d’un triplet de baies, parti de la nef unique, sobriété du décor), les reconstructions
d’abbatiales dans les années 1200 témoignent de l’adoption progressive d’un art gothique
français (chevet à déambulatoire et chapelles rayonnantes, arcs-boutants). Dans les abbayes
cisterciennes limousines, la présence capétienne est sensible par l’apparition d’un mobilier
funéraire proche de l’art parisien de la seconde moitié du XIIIème siècle (tombeau de saint
Étienne d’Obazine, pavements glaçurés).
Il semble aussi nécessaire de discuter et de remettre en cause l’idée d’un plan
cistercien « type » se répétant d’abbayes en abbayes et qui ne semble guère valable face à la
4
C. A. BRUZELIUS, L’apogée de l’art gothique : l’église abbatiale de Longpont et l’architecture cistercienne
au début du XIIIème siècle, Cîteaux, Commentarii cisterciences, 1990.
- 21 -
diversité des formules utilisées dans un cadre européen. Notre synthèse tentera de montrer les
difficultés à parler d’une architecture cistercienne, certaines formules pouvant se retrouver
dans d’autres ordres religieux (austérité commune aux moines grandmontains, à certaines
fondations canoniales régulières), dans d’autres cadres civils et militaires (granges et
abbatiales fortifiées à la manière de certains édifices castraux). Les quelques caractéristiques
dites « propres » à l’ordre cistercien (culots nus, chevet plat, vitraux en grisaille, chapiteaux
lisses, austérité des formes et des volumes) ne sauraient suffire à définir un art propre. Outre
ces aspects artistiques, la question d’une originalité cistercienne est également discutable dans
un cadre institutionnel et économique. Il semble indispensable de s’interroger sur l’existence
ou l’absence d’une spécificité cistercienne en matière d’hydraulique et d’économie grangère.
Autant de questions à évaluer et à discuter au fil de cette analyse des sites cisterciens
du diocèse de Limoges et de ses marges. Afin de mieux y répondre, diverses méthodes
peuvent être exploitées.
L’étude des fonds d’archives paraît essentielle et est trop souvent exclue des études
d’histoire de l’art pur négligeant parfois ces outils jugés propres à l’histoire. Ces fonds plus ou
moins riches selon les abbayes permettent de mieux cerner les étapes de fondations, de
construction et de remaniements successifs. Pour des édifices comme Aubignac ou
Aubepierres, les inventaires révolutionnaires et procès-verbaux de visite et d’expertise sont
très précieux et livrent des descriptions souvent éclairantes. Les cartulaires conservés
(Bonlieu, le Palais, Dalon, Obazine, Aubignac entre autres) permettent de mieux comprendre
les étapes de la constitution du patrimoine foncier, de lister les possessions de ces abbayes qui
seront ensuite cartographiées grâce aux cartes IGN et de Cassini. L’étude des plans cadastraux
(napoléoniens et actuels) est également nécessaire pour retrouver l’emprise de certains
bâtiments aujourd’hui disparus. Certains noms de parcelles peuvent également évoquer
d’anciennes installations monastiques (tuileries, moulins). Fort heureusement, ces fonds
d’archives ont fait l’objet pour la majeure partie des études de Bernadette BARRIÈRE et de
ses élèves, nous permettant d’avancer plus vite et de bénéficier d’une documentation déjà
riche et éclairante. À cela s’ajoutent des recherches bibliographiques auprès d’une
historiographie ancienne et contemporaine, régionale, française et internationale (universités
anglaise, américaine, allemande et belge notamment).
Des prospections systématiques sont menées sur les sites monastiques : abbayes,
granges, moulins, biefs, viviers sont pris en compte et repérés d’après les listes établies suite
aux études archivistiques. Certains sites ne sont malheureusement pas localisables et ont
- 22 -
disparu de la toponymie actuelle. Cette étude ne pourra donc pas être exhaustive et souffre des
lacunes des sources manuscrites et archéologiques. Ces prospections consistent en des études
de bâti comprenant la description et l’analyse des élévations conservées (matériaux de
construction, liants de maçonnerie, étapes de construction, études stylistiques et
comparatistes, tentatives de datation).
Enfin, des études archéologiques sont menées comme les sondages effectués à
l’abbaye du Palais-Notre-Dame en avril 2007 avec le soutien de la DRAC Limousin et de
l’association ArchéA5 ou les études lapidaires des monastères de Prébenoît et de Varennes.
Autant d’outils propres à l’histoire, l’histoire de l’art et l’archéologie qui tenteront de
répondre au mieux aux problématiques soulevées par l’étude des monastères cisterciens du
diocèse de Limoges et de ses marges et de prouver que les sites les plus ruinés et les plus
pauvres en documents d’archives peuvent être appréhendés (Les Pierres, Aubignac,
Aubepierres, Boeuil) et apporter des éléments de réponse quant à la place des cisterciens dans
la création artistique aquitaine des XIIème et XIIIème siècles et dans le développement
d’activités pré industrielles et artisanales. Bien sûr, cette étude est un reflet incomplet, un état
des lieux à un moment donné de la recherche, de ces abbayes cisterciennes aux XIIème et
XIIIème siècles. Il serait souhaitable que d’autres archives pour l’heure inconnues et
inexploitées ainsi que de nouvelles investigations archéologiques apportent des connaissances
supplémentaires au résultat actuel de nos recherches.
Une première étape de cette étude consiste donc à retracer le contexte géographique et
géologique afin de tenter une reconstitution du paysage médiéval dans lequel ont évolué les
moines blancs. Ces terres correspondent-elles à des déserts éloignés du siècle ? Comment les
cisterciens vont-ils devenir de vrais « entrepreneurs » en transformant le saltus en ager ? Ce
sera l’occasion d’intégrer un cadre paroissial largement constitué ainsi que le tissu canonial,
monastique déjà en place. Le cadre géo-politique est également abordé à travers les rois,
nobles, chevaliers et grandes familles impliquées dans le devenir des sites cisterciens, trame
nécessaire à la reconstitution du paysage d’implantation des monastères.
Ensuite dix-huit monographies abordent les créations artistiques des abbayes
cisterciennes du diocèse de Limoges et de ses marges, les étapes de construction, de
reconstruction, les décors, qu’il s’agisse des abbatiales proprement dite, mais aussi des
bâtiments conventuels, granges, moulins systématiquement inventoriés, de même que certains
dépôts lapidaires essentiels à l’étude et à la compréhension d’édifices en partie ruinés.
5
Association siégeant à Limoges consacrée à l’archéologie médiévale en Limousin.
- 23 -
Dans un troisième temps les données précédemment récoltées seront synthétisées dans
une tentative de répondre aux différentes problématiques énoncées, de replacer les cisterciens
du Limousin entre roman et gothique, entre novations et héritages, entre Plantagenêts et
Capétiens, entre saltus et ager, entre refus et acceptations timides de l’image. Ces bâtisseurs
semblent accorder un même soin aux églises, granges et moulins mis en œuvre et un certain
nombre de formules artistiques s’adaptent aussi bien à un sanctuaire qu’à un bâtiment
artisanal, une église paroissiale, une commanderie. Il s’agit de mieux comprendre la place des
créations artistiques cisterciennes dans le paysage architectural des XIIème et XIIIème siècle
dans le diocèse de Limoges et de ses marges, et plus largement au sein d’une vaste Aquitaine.
- 24 -
I. Des ermites, des ordres, des entrepreneurs.
Le monde monastique, et particulièrement cistercien, est largement étudié depuis le
XIXème siècle et a suscité une bibliographie relativement importante, écléctique et inégale.
D’où la nécessité avant de débuter cette étude des implantations cisterciennes en Limousin de
faire le point sur un certain nombre de publications incontournables et enrichissantes, mettant
en lumière certaines perspectives de recherches et problématiques essentielles à la
compréhension des réseaux monastiques cisterciens.
A. Historiographie : axes de recherche et impasses :
L’historiographie propre à l’art cistercien comporte un nombre impressionnant de
références de qualité inégale pouvant au départ déstabiliser le chercheur. Cette multitude est
révélatrice de l’intérêt porté à cet ordre religieux depuis le XIXème siècle. Les premiers
historiens en quête de mysticisme et de ruines romantiques n’ont pu qu’être séduits par la
forte personnalité de saint Bernard ou par les vastes espaces dépouillés des sanctuaires
cisterciens. Cet engouement pour les moines blancs ne s’est guère démenti aux XXème et
XXIème siècles et l’historiographie s’est enrichie d’études historiques pionnières (Georges
DUBY, Robert FOSSIER, Charles HIGOUNET), de fouilles archéologiques nécessaires à la
connaissance de sites mal préservés en élévation (Coyroux et Prébenoît notamment pour le
diocèse de Limoges intéressant notre étude) ou encore d’analyses stylistiques menées par des
historiens d’art (Thomas COOMANS, Claude ANDRAULT-SCHMITT)6. De nouvelles
thèses très récemment soutenues montrent que le sujet n’est pas épuisé et de nombreuses
problématiques et axes de recherche sont encore à explorer, à évaluer 7. Reste à distinguer dans
cette multitude les écrits d’érudits, les travaux universitaires, les rapports d’opérations
6
G. DUBY, Hommes et structures du Moyen-Âge, Mouton, Paris-La Haye, 1973 ; R. FOSSIER, « L’économie
cistercienne dans les plaines du nord-ouest de l’Europe », dans l’ouvrage du centre culturel de l’abbaye de
Flaran, Économie cistercienne. Géographie, mutations du Moyen-Âge aux temps modernes, 1981, Auch, 1983, p.
53-74 ; C. HIGOUNET, La grange de Vaulerent. Structure et exploitation d’un terroir cistercien de la plaine de
France, XIIème-XVème siècle, SEVPEN, Paris, 1965 ; T. COOMANS, L’abbaye de Villers-en-Brabant.
Construction, configuration et signification d’une abbaye cistercienne gothique, Bruxelles, 2000, p. 243 ; C.
ANDRAULT-SCHMITT, « Églises cisterciennes du Poitou », Revue Historique du Centre Ouest, T I, Société
des Antiquaires de l’Ouest, Poitiers, 2004, p. 9-103.
7
S. FOUCHER, Le décor sculpté cistercien dans l’ouest de la France, XIIème-XIVème siècles, Thèse sous la
direction de C. ANDRAULT-SCHMITT, CESCM, Poitiers, 2003, 5 volumes ; M. ORGEUR, Les carreaux de
pavement des abbayes cisterciennes en Bourgogne (fin XIIème-fin XIVème siècle), thèse de doctorat en histoire
de l’art médiéval sous la direction de D. RUSSO, université de Bourgogne, 3vols, 2004 ; S. DEMARTHE, « Au
pays de Cîteaux. Étude sur le développement d’une architecture religieuse (XIème-XVème siècles) », Bulletin
du CEM, n°10, Auxerre, 2006, p. 287-295.
- 25 -
archéologiques ou encore les colloques permettant à la recherche actuelle de s’étoffer et de
susciter de nouvelles perspectives de recherche.
Les travaux d’érudition :
Dans la seconde moitié du XIXème siècle, des érudits locaux ont commencé à
s’intéresser à l’histoire de ces vestiges cisterciens paraissant mystérieux, à l’heure où le
patrimoine religieux, civil et militaire attire l’attention de romantiques et d’antiquaires en
quête de leur passé. Ces premières études sont souvent de précieux témoignages pour la
description de bâtiments aujourd’hui disparus ou très remaniés. Ils tentent pour la première
fois l’inventaire des sources conservées et l’étude de textes anciens, premières analyses qui
peuvent nous aider lors de dépouillements préliminaires. Certains érudits livrent des études
toponymiques, des réflexions sur les méthodes agraires, les défrichements mais se heurtent
bien souvent à des impasses, particulièrement dans les descriptions stylistiques invoquant un
plan « type » reproduit d’abbayes en abbayes ne correspondant vraisemblablement pas à la
réalité et à la diversité des partis cisterciens. Dans le diocèse de Limoges par exemple, le
chevet plat dit « traditionnel », « habituel », est bien souvent supplanté par une simple abside
(Boschaud, Grosbot) ou une abside pentagonale (Bonlieu). Le plan de l’abbatiale de Fontenay
(com. Marmagne, Côte-D’Or) en Bourgogne est ainsi érigé en « modèle », caractérisé par une
nef à bas-côtés, un transept sur lequel se greffent des chapelles et un chevet plat. Fontenay est
le témoin d’une perfection architecturale reposant sur le nombre d’or et la géométrie parfaite
des proportions [Fig. 1]. Les descriptions souvent romantiques sont bien peu archéologiques
et rigoureuses et insistent plus sur la physionomie des sites, les broussailles, ronces et
fougères qui les recouvrent partiellement que sur une réelle analyse des vestiges, des
matériaux et des méthodes de construction.
ROY DE PIERREFITTE est l’un des premiers et des plus prolifiques à s’être intéressé
aux abbayes cisterciennes limousines et marchoises. Entre les années 1857 et 1863, il livre
une description des principaux sites ayant retenu son attention : Obazine, Coyroux, Prébenoît
et Bonlieu entre autres. Bien que cette étude ne corresponde pas aux exigences actuelles
d’analyse de bâti, elle reste honnête et complète malgré son esprit romantique et parfois
anecdotique. Elle permet d’imaginer la physionomie de sites dans cette seconde moitié du
XIXème siècle, avant les fréquentes destructions et remaniements du XXème siècle.8.
8
J. B. L. ROY DE PIERREFITTE, Études historiques sur les monastères du Limousin et de la Marche, T I,
Guéret, 1857-63.
- 26 -
Les abbayes de la Marche Limousine ont fait l’objet de toutes les attentions des
chercheurs et historiens locaux, souvent regroupés dans des Sociétés Savantes comme la
Société des Sciences Naturelles et Archéologiques de la Creuse ou la Société Archéologique
et Historique du Limousin. Henri DELANOY en particulier consacre une série d’articles sur
Aubepierres, Aubignac, Bonlieu, Le Palais et Prébenoît entre 1909 et 1912. Il s’adonne à un
état des sources disponibles mais sans réelle analyse critique. Il établit des listes de granges
appartenant aux moines blancs mais sans aucune description et étude de terrain ayant pu
étoffer et enrichir considérablement son analyse9. Le lecteur reste ainsi en quelque sorte sur sa
faim par rapport à ces articles succincts et incomplets qui ne peuvent servir que d’introduction
à une analyse plus précise des sources manuscrites. Les mêmes remarques peuvent
s’appliquer à Claude PÉRATHON qui s’attache plus particulièrement à l’historique et à la
constitution du patrimoine de l’abbaye de Bonlieu. Il identifie les principaux bienfaiteurs de
l’abbaye cistercienne et tente une reconstitution partielle du patrimoine foncier, mais la
description des vestiges est indigente et ne peut guère servir l’historien de l’art et
l’archéologue10.
Gabriel MARTIN est l’un des chercheurs les plus intéressants de la fin du XIXème
siècle. Il livre en effet la première étude abordant les questions d’occupation du sol, de
mutations du paysage par l’action des moines cisterciens. Il tente de cerner le basculement du
faire-valoir direct au faire-valoir indirect dans les abbayes cisterciennes de Haute-Marche. Il
étudie avec précision les granges et leur production, les acquisitions de maisons de ville, les
premières activités commerciales dès la fin du XIIIème siècle. Autant d’aspects précurseurs
expliquant que son article mérite encore largement sa place dans les bibliographies actuelles11.
En 1906, il publie une autre étude sur l’abbaye du Palais, beaucoup plus anecdotique
puisqu’elle ne s’attache qu’au siège de l’abbaye en 145112.
Le Berry dispose aussi de ses érudits et premiers historiens tentant de retracer
l’histoire des sites cisterciens. BUHOT DE KERSERS est par excellence l’érudit de l’actuel
département du Cher. En 1885, il décrit brièvement l’abbaye des Pierres, courte étude
malheureusement calquée sur la définition d’un « plan-type ». Il attribue de façon
complètement arbitraire les fonctions de bâtiments aujourd’hui ruinés sans aucune
9
H. DELANNOY, « Notes sur l’abbaye d’Aubepierre », MSSNAC, T 16, 1907, p. 43-86 ; « L’abbaye
d’Aubignac », MSSNAC, T 17, 1909, p. 7-63 ; « Notice sur l’abbaye de Bonlieu », MSSNAC, T 18, 1911, p. 752 ; « Abbayes du Palais et de Prébenoît », MSSNAC, T 18, 1912, p. 295-316.
10
C. PERATHON, « L’abbaye de Bonlieu », MSSNAC, T 16, 1908, p. 13-24.
11
G. MARTIN, « La Haute-Marche au XIIème siècle, les moines cisterciens et l’agriculture », MSSNAC, T 8,
1893, p. 47-127.
12
G. MARTIN, « Le siège de l’abbaye du Palais-Notre-Dame en 1451 », MSSNAC, T 15, 1906, p. 483-495.
- 27 -
justification archéologique, mais par seule référence au plan de l’abbaye de Fontenay. Nous
ne pouvons ainsi guère attribuer de crédit à son analyse13. De même, Émile de BEAUFORT
ne livre que de très courtes descriptions des sites de la Colombe et d’Aubignac, tout de même
importantes puisque ces sites sont essentiellement connus aujourd’hui par des éléments
lapidaires erratiques14. En 1889, c’est GAUDON qui écrit l’article le plus complet sur la
Colombe. L’historique, la description des vestiges et l’intérêt nouveau porté aux
aménagements hydrauliques en font une étude complète, synthétique même si la description
mérite d’être reprise et complétée par une véritable analyse de bâti.
L’abbaye de Varennes est la plus mal lotie des abbayes berrichonnes. Seul André
CHARDON lui a consacré un court article en 1907, unique étude sur le site. Il est vrai que
l’indigence des sources manuscrites et la complexité des vestiges en place ont pu rebuter
certains chercheurs. CHARDON ne donne d’ailleurs aucune description des élévations
conservées et ne livre qu’un historique incomplet du site15.
L’abbaye de Boeuil fait l’objet d’attentions particulières de la part d’érudits locaux lui
ayant consacré de nombreux articles. Dès 1865, l’abbé ARBELLOT écrit la première
synthèse historique sur Boeuil. Toutefois, cet article trop succinct (deux pages) paraît bien
insuffisant à retracer l’évolution du monastère au fil des sept siècles de son existence 16.
LECLER, dans sa monographie du canton de Nieul publiée en 1894 livre un historique du site
relativement lacunaire. Il s’adonne également à un inventaire des éléments lapidaires
conservés mais qui demeure incomplet. Les aménagements hydrauliques, pourtant encore
bien observables aujourd’hui, sont complètement ignorés17. Plus récemment, Germaine
COUTY, habitante de Veyrac, étudie l’histoire de sa commune et se penche tout
naturellement sur l’abbaye cistercienne de Boeuil. Bien que son étude n’ait pas la rigueur
d’une analyse historique ou archéologique, elle a le mérite d’inventorier précisément les
éléments lapidaires présents sur la commune. Toutefois, comme son prédécesseur LECLER,
elle ne dit rien des aménagements hydrauliques et modifications du paysage encore bien
perceptibles sur le site d’implantation18.
Les moines cisterciens de Corrèze attirent également des historiens locaux. Le
monastère-double d’Obazine-Coyroux en particulier fait l’objet de bien des attentions. Sera
13
A. BUHOT DE KERSERS, Histoire et statistique monumentale du département du Cher. Canton de
Châteaumeillant, Bourges, 1885.
14
É. DE BEAUFORT, « Abbaye d’Aubignac », MSAOMP, T 26, 1861, p. 314-321 ; É. DE BEAUFORT,
« Abbaye de la Colombe », MSAOMP, T 26, 1861, p. 307-310.
15
D. GAUDON, « Histoire de l’abbaye de la Colombe », Revue du Centre, 1889, T XI.
16
Abbé J. ARBELLOT, « Abbaye de Boeuil », Semaine religieuse de Limoges, T 3, 1865, p. 542-543.
17
A. LECLER, « Monographie du canton de Nieul », BSAHLC, 1894, T 42, p. 106-137.
18
G. COUTY, Veyrac : passé, coutumes, Limoges, 1990.
- 28 -
livré ici un aperçu des publications les plus intéressantes et ayant directement servi à la
présente étude. Une liste complète des références est toutefois proposée en bibliographie. Le
riche mobilier d’Obazine fascine en particulier Louis BONNAY qui étudie les vitraux en
grisaille bien avant Helen ZAKIN. Il les dessine et en propose une vague datation du XIIème
siècle, sans justification [Fig. 2]19. Ernest RUPIN s’intéresse quant à lui au mobilier de culte et
décrit minutieusement une croix, un pied de croix et un reliquaire qu’il tente de dater sans
réelle analyse comparative [Fig. 3]20. Nous sentons ici l’intérêt de ces érudits pour le
spectaculaire, le précieux, plus que pour cette architecture dépouillée ou ces aménagements
hydrauliques et pré industriels sans doute dénués d’attrait pour des « chercheurs de trésors ».
Quant à VAYSSIÈRE, il s’attache à retracer l’historique du monastère féminin de Coyroux,
les débuts de la communauté double jusqu’au déplacement à Tulle en 1622. Il évoque
brièvement les vestiges archéologiques. Il écrit qu’« au point de vue archéologique, leur
importance est très mince ». Petite remarque acerbe qui n’a sans doute pas manqué de faire
sourire Bernadette BARRIÈRE lors de ses multiples campagnes de fouilles sur le site.
L’intérêt porté aux vestiges archéologiques a considérablement évolué depuis le XIXème
siècle.
En 1890, Louis GUIBERT s’intéresse le premier au cartulaire d’Obazine. Il saisit
l’intérêt d’un tel document, livre une brève étude de la constitution du patrimoine foncier sans
commune mesure toutefois avec l’analyse de Bernadette BARRIÈRE un siècle plus tard21.
Enfin, en 1953, l’abbé BROUSSE décrit l’église et le mobilier de l’abbaye d’Obazine.
Il s’attache également aux bâtiments conventuels mais n’aborde toujours pas les questions
d’hydraulique et d’économie grangère. Quant aux datations proposées pour l’abbatiale, elles
sont en partie basées sur la date de consécration de l’édifice et la Vie d’Étienne d’Obazine et
nous semblent à réévaluer par des études de bâti, des analyses stylistiques et comparatistes.
Les filles d’Obazine font également l’objet d’articles d’érudition. CLÉMENT-SIMON
étudie en 1889 l’abbaye féminine de Derses. L’historique du site est toutefois difficile à
établir étant donné les lacunes des sources écrites. L’auteur déplore également l’absence de
vestiges en élévation et semble oublier l’apport de l’étude des cadastres et des aménagements
hydrauliques encore visibles.
19
L. BONNAY, « Église d’Obazine. Vitraux du XIIème siècle », BSSHAC, T 2, 1879, p. 119-211.
E. RUPIN, « Croix byzantine, fin XIIème siècle. Église d’Aubazine (Corrèze) », BSSHAC, T 1, 1879, p. 275279 ; E. RUPIN, « Pied de croix ou de reliquaire en cuivre doré émaillé, XIIème siècle, église d’Aubazine
(Corrèze) », BSSHAC, T 1, 1879, p. 147-150 ; E. RUPIN, « Reliquaire en cuivre doré et émaillé, XIIIème siècle,
église d’Obasine (Corrèze) », BSSHAC, T 2, 1880, p. 461-469.
21
L. GUIBERT, « Notice sur le cartulaire de l’abbaye cistercienne d’Obazine », BSLSAC, T 12, 1890, p. 57-74 ;
B. BARRIÈRE, Le cartulaire de l’abbaye cistercienne d’Obazine (XIIème-XIIIème siècles), Institut d’Études du
Massif Central, Clermont-Ferrand, 1989.
20
- 29 -
En 1894, LAVEYX écrit un historique du site de Bonnaigue, première synthèse sur
l’abbaye mais sans aucune analyse des vestiges pourtant encore bien conservés. L’auteur ne
semble s’intéresser qu’aux actes et inventaires conservés22.
Xavier BARBIER DE MONTAULT étudie brièvement les sources historiques
concernant l’abbaye de Valette et retranscrit un inventaire des biens. Quant à VAYSSIÈRE, il
évoque les malheurs du premier abbé commendataire de Valette en 1481, épisode anecdotique
sans grand intérêt pour l’histoire de l’art et l’analyse archéologique. L’absence de descriptions
de cette abbaye aujourd’hui détruite par la mise en eau du barrage du Chastang est
regrettable23.
Enfin, l’abbaye de Dalon intéresse également les érudits locaux, notamment l’abbé
Julien BROUSSE qui brosse en 1935 un historique rapide du site, retranscrit les inventaires de
1790 et 1791 et tente de dater approximativement les vestiges conservés.
Ces travaux d’érudition constituent ainsi souvent une première approche des sources
manuscrites et peuvent servir de bases à un dépouillement plus systématique des fonds
d’archives. Toutefois, les descriptions architecturales sont trop souvent incomplètes et trop
rapides pour aider à la reconstitution d’architectures partiellement conservées. Le désintérêt
de ces historiens locaux pour les granges et l’hydraulique notamment conduit à des analyses
restrictives ne prenant bien souvent en compte que les abbatiales et créations religieuses à
proprement parlé. Toutefois, ce déséquilibre va progressivement s’estomper à partir des
années 1950-1970 et les grandes études fondatrices sur l’occupation du sol, les défrichements,
les mutations du paysage, les granges, et plus particulièrement l’hydraulique.
Les grandes synthèses d’histoire et d’histoire de l’art cistercien :
À partir des années 1950, les études cisterciennes se multiplient et investissent surtout
la discipline historique. De nombreux historiens et archivistes s’attèlent à la lourde tâche
d’éditer les cartulaires de l’ordre, sources essentielles à la compréhension du monde cistercien
et surtout indispensables pour cerner la constitution du patrimoine foncier de ces sites, établir
une géographie des possessions, comprendre les politiques d’acquisition, d’échanges et de
ventes, les rapports entretenus avec l’aristocratie, l’épiscopat, les autres communautés
22
M. LAVEYX, « L’abbaye de Bonnaigue », BSSHAC, T 16, 1894, p. 536-557.
X. BARBIER DE MONTAULT, « Abbaye de Valette (1639) », BSLSAC, T 17, 1895, p. 353-354 ; A.
VAYSSIÈRE, « Les malheurs d’un abbé de Valette », BSSHAC, T 7, 1885, p. 35-41.
23
- 30 -
religieuses et les paroissiens. Ces travaux sont la base de toute étude sur Cîteaux et la place
des moines blancs dans l’environnement géographique, social et politique.
•
Édition des sources historiques :
En 1970, Michel AUBRUN s’attache à l’édition de la Vie d’Étienne d’Obazine, récit
hagiographique permettant une meilleure connaissance des premiers temps érémitiques de la
fondation d’Étienne et son passage progressif au cénobitisme puis à l’ordre cistercien. Il s’agit
d’un témoignage rare et par là même incontournable, évoquant en particulier le chantier
médiéval de construction d’Obazine et de Coyroux où les moines sont présentés comme des
bâtisseurs, et l’érection des bâtiments comme un miracle dû à l’abbé Étienne24.
En 1976, Madeleine VAN MIEGHEM étudie et retranscrit les documents modernes
concernant l’abbaye de Dalon et notamment les procès-verbaux de visite et d’expertise et les
inventaires révolutionnaires, sources réellement riches pour le chercheur qui y trouve des
descriptions du logis abbatial, des bâtiments conventuels, de l’abbatiale25.
En 1986, Nelly BUISSON fait un état des sources conservées pour l’abbaye de
Peyrouse et transcrit de nombreuses pièces importantes à la connaissance du patrimoine du
monastère. Face à l’indigence des documentations concernant ce site, l’étude de Nelly
BUISSON est essentielle même si elle ne s’attache nullement aux vestiges et aménagements
hydrauliques conservés26.
En 1989, Bernadette BARRIÈRE publie le cartulaire de l’abbaye d’Obazine, étude qui
fait suite à une thèse de troisième cycle soutenue en 1975 sur l’économie et le cartulaire du
site27. À propos de cette étude, Léon PRESSOUYRE écrit en 2006 : « un monumental
ouvrage de 690 pages que les spécialistes considèrent comme exemplaire par la qualité de son
appareil critique et la précision de ses index (…) »28. Il s’agit véritablement d’un ouvrage de
référence permettant de cerner les implications de l’affiliation à Cîteaux pour l’ermitage
d’Étienne d’Obazine, la lente constitution d’une vingtaine de granges par l’opiniâtreté des
abbés qui lui succédèrent, l’originalité d’une fondation double devant assurer la gestion des
deux édifices, puis le glissement faire le faire-valoir indirect et le fermage.
24
M. AUBRUN, Vie de Saint Étienne d’Obazine, Institut d’Études du Massif Central, Clermont-Ferrand, 1970.
M. VAN MIEGHEM, L’abbaye cistercienne Notre-Dame de Dalon de 1790 à 1814, Clairvive.
26
N. BUISSON, « Abbaye de Peyrouse », BSHAP, T 113, 1986, p. 308-323.
27
B. BARRIÈRE, Les origines de l’abbaye cistercienne d’Obazine : l’affiliation à Cîteaux, l’économie, le
cartulaire, thèse, Bordeaux III, sous la direction de Charles HIGOUNET, 1975 ; B. BARRIÈRE, Le cartulaire
de l’abbaye cistercienne d’Obazine (XIIème-XIIIème siècles), Institut d’Études du Massif Central, ClermontFerrand, 1989.
28
B. BARRIÈRE, Limousin médiéval, le temps des créations. Recueil d’articles, PULIM, Limoges, 2006, p. 15
(préface de Léon PRESSOUYRE).
25
- 31 -
Jean-Loup LEMAÎTRE maîtrise également parfaitement les sources historiques et
consacre ainsi une étude à l’abbaye de Bonnaigue qui regroupe l’ensemble de la
documentation historique disponible sur le site. Toutefois en 1998, Bernadette BARRIÈRE
constate à juste titre que « l’église, en particulier, mériterait une lecture archéologique
extrêmement minutieuse », une lacune n’étant toujours pas comblée aujourd’hui29.
Dans la continuité de Bernadette BARRIÈRE, ses étudiants du département d’histoire
de l’Université de Limoges vont également s’adonner à l’inventaire et à l’analyse des sources
manuscrites des principales abbayes cisterciennes du diocèse de Limoges intéressant la
présente étude, ce à partir des années 1990 à travers des analyses cohérentes et de qualité.
Nous regrettons toutefois que ces études purement historiques et archivistiques ne prennent
qu’épisodiquement en compte les réalités architecturales et sculptées. Les aménagements
hydrauliques et granges ne font pas l’objet d’une prospection systématique. Dès 1992, Silvia
VITTUARI livre une monographie de l’abbaye du Palais où elle étudie les principaux actes
conservés aux Archives Départementales de la Creuse. Son analyse reprend certains points de
l’étude de CIBOT sur le cartulaire de l’abbaye du Palais. Silvia VITTUARI consacre en
annexe une courte étude archéologique des vestiges. Sa place en fin de mémoire témoigne
bien qu’elle ne constitue pas un enjeu pour l’auteur et que l’archéologie n’est ici considérée
que comme une science « annexe » de l’histoire30. Cette étude certes nécessaire nous semble à
reprendre notamment sur des questions d’hydraulique et de granges n’ayant pas fait l’objet
d’un repérage et de prospections systématiques. Les vestiges de l’abbaye méritent également
une étude de bâti et une évaluation archéologique plus complètes (relevés d’élévation, étude
lapidaire, sondages archéologiques). Jérôme PICAUD, en 1995 étudie les sources concernant
l’abbaye de la Colombe, tente d’en reconstituer le patrimoine foncier (granges et moulins)31
tandis qu’Irène AUBRÉE livre une monographie de l’abbaye de Boeuil. Elle fait l’inventaire
des sources conservées, lacunaires puisque le cartulaire est perdu. Toutefois, elle ne prend pas
en compte les éléments lapidaires erratiques, témoins précieux de l’abbaye cistercienne dont
aucune élévation n’est préservée. Quant aux aménagements hydrauliques, si les possessions
des moines blancs sont identifiées, l’auteur reste discrète sur les vestiges pouvant en être
29
J. L. LEMAITRE, Bonnaigue, une abbaye cistercienne au pays d’Ussel, De Boccard, Paris, 1993 ; B.
BARRIÈRE (dir.), Moines en Limousin, l’aventure cistercienne, PULIM, Limoges, 1998, p. 155.
30
S. VITTUARI, Le patrimoine de l’abbaye du Palais-Notre-Dame d’après le cartulaire (1134-12..), mémoire
de maîtrise, dir. B. BARRIÈRE, Limoges, 1992, 2 vols ; J. CIBOT, Le cartulaire de l’abbaye du Palais-NotreDame (XIIème-XIIIème siècles), DES, Poitiers, 1961.
31
J. PICAUD, L’abbaye cistercienne de la Colombe au Moyen-Âge, maîtrise sous la direction de Bernadette
BARRIÈRE, université de Limoges, 1995, 213 p.
- 32 -
conservés de nos jours32. En 1997, Catherine DESPORT analyse deux abbayes aux confins du
Périgord, Boschaud et Peyrouse. Elle étudie l’ensemble des fonds d’archives conservés, le
patrimoine foncier de ces deux sites avec minutie (granges, moulins, étangs, viviers) et tente
de retrouver l’emplacement de chaque possession, parfois difficile à identifier dans la
toponymie actuelle. L’étude archéologique de Peyrouse est rendue délicate par le
démantèlement presque complet de l’édifice. Si elle est plus aisée concernant Boschaud dont
les vestiges sont bien conservés, elle mériterait toutefois d’être approfondie33. En 1998,
Michaël NOUGER consacre sa maîtrise à l’abbaye de Bonlieu et étudie à la fois le patrimoine
foncier et l’environnement aristocratique du site. Si cette analyse très complète et documentée
permet de cerner parfaitement les possessions du monastère, elle ne tient toutefois pas compte
des élévations conservés ou des moulins, biefs, ponts et autres aménagements systématiques
réalisés sur la Tardes.
Ainsi, si les études des élèves de Bernadette BARRIÈRE sont essentielles à notre
propre travail, les analyses stylistiques et archéologiques doivent être systématisées et
approfondies.
Plus récemment, en 2004, l’historien Louis GRILLON publie le cartulaire de l’abbaye
de Dalon, également essentiel à la compréhension de la politique patrimoniale des moines
blancs et de leurs rapports avec les seigneurs, évêques et autres communautés religieuses 34.
Cette publication fait suite à nombre d’articles et de travaux universitaires de qualité
entièrement consacrés à Dalon et aux abbayes cisterciennes de la Dordogne, plaçant Louis
GRILLON comme un chercheur incontournable pour l’étude des sources médiévales
cisterciennes35.
D’autres éditions ne concernant pas directement les abbayes cisterciennes limousines
ont néanmoins amplement servi à cette étude. C’est le cas notamment de la magistrale analyse
32
I. AUBRÉE, Patrimoine, gestion et vie sociale de l’abbaye cistercienne de Boeuil du XIIème au début du
XVIème siècle, mémoire de maîtrise d’Histoire Médiévale, sous la direction de B. BARRIÈRE, Limoges, 1995, 1
vol.
33
C. DESPORT, Deux abbayes cisterciennes du Périgord : Boschaud et Peyrouse, mémoire de maîtrise
d’Histoire médiévale sous la direction de Bernadette BARRIÈRE, Limoges, 217 p.
34
L. GRILLON, Le cartulaire de l’abbaye Notre-Dame de Dalon, Périgueux, 2004, dactyl.
35
L. GRILLON, « Les abbayes cisterciennes de la Dordogne dans les statuts des chapitres généraux de
l’Ordre », BSHAP, T 82, 1955, p. 138-148 ; « Les abbayes cisterciennes de la Dordogne dans les statuts des
chapitres généraux de l’Ordre », BSHAP, T 82, 1955, p. 186-204 ; Le cartulaire de Dalon (1114-1247), Mémoire
de DES sous la direction de C. HIGOUNET, Bordeaux, 1962 ; « Le Prieuré des Touches et l’exploitation du sel
par l’abbaye de Dalon », Annales du Midi, T 75, 1963, p. 311-319 ; Le domaine et la vie économique de
l’abbaye cistercienne Notre-Dame de Dalon en Bas-Limousin, thèse de doctorat, Bordeaux, 1964, 275 p. ;
« Deux granges corréziennes de l’abbaye cistercienne de Dalon », dans Le Bas-Limousin, Histoire et Économie,
Tulle, 1966, p. 21-32.
- 33 -
de Martine GARRIGUES qui publie en 1981 le premier cartulaire de l’abbaye de Pontigny
dans l’Yonne (com. Pontigny). Cette analyse exemplaire témoigne des efforts menés par les
moines cisterciens pour acquérir plus de possessions et pour donner une cohérence aux
domaines mis en valeur. Les jeux politiques menés par les rois Capétiens notamment sont
parfaitement mis en exergue à travers l’étude des premières bastides fondées en paréage avec
les moines blancs. L’historienne nous permet une compréhension optimale de la gestion d’un
patrimoine foncier illustrant les qualités d’entrepreneurs des cisterciens ainsi que les pressions
exercées sur ces futurs rentiers du sol par la noblesse, la royauté et l’épiscopat36.
Il faut attendre l’année 2004 pour assister enfin à la parution du recueil des chartes de
l’abbaye de Clairvaux au XIIème siècle, étude éclairante sur les premiers temps du monastère
du temps de saint Bernard et après sa mort 37. Là encore, les rapports avec la dynastie
capétienne sont explicités tandis qu’une vaste introduction permet de cerner les liens étroits
entre aristocrates et moines de Clairvaux. L’abbaye est dépeinte comme une fondation
familiale à vocation de nécropole, d’où les nombreuses donations ayant permis l’essor rapide
de la communauté.
Ces analyses des textes cisterciens, et tout particulièrement des cartulaires conservés
sont des mines d’informations pour l’historien, l’archéologue et l’historien de l’art et
constituent une base incontournable à tout travail de recherche sur les réseaux monastiques.
•
Historique de l’Ordre et de ses institutions :
La complexité des institutions cisterciennes et leur évolution au fil des siècles ont
nécessité de nombreuses études dans les années 1930-1950 essentiellement. Joseph-Marie
CANIVEZ livre une somme incroyable de documentation par l’édition des Statuts de l’ordre
de Cîteaux depuis les premiers temps jusqu’au XVIIIème siècle. Son analyse est essentielle à
la compréhension des institutions de l’ordre, du déroulement des Chapitres Généraux et
permet de cerner les rapports entretenus entre les abbayes de l’ordre. Les liens de filiation
sont mis en lumière, même pour ces abbayes limousines tardivement affiliées par
l’intermédiaire de Dalon ou Obazine. Anciens ermitages, elles doivent se plier aux nouveaux
36
M. GARRIGUES, Le premier cartulaire de l’abbaye cistercienne de Pontigny, Paris, 1981.
J. WAQUET, J-M. ROGER, L. VEYSSIÈRE, Recueil des chartes de l’abbaye de Clairvaux au XIIème siècle,
CTHS, Paris, 2004.
37
- 34 -
règlements et statuts de l’ordre. L’ouvrage de CANIVEZ éclaire ainsi parfaitement ces
adaptations et difficultés inévitables38.
En 1945, Jean-Baptiste MAHN étudie l’histoire, les institutions et les évolutions de
l’ordre de Cîteaux. Il tente d’en comprendre le fonctionnement, éclaircit les rapports avec la
Papauté, l’épiscopat. Il évalue la place des cisterciens dans la réforme monastique. Il s’agit de
l’une des premières synthèses historiques sur les institutions cisterciennes, très documentée.
Toutefois, les statuts concernant l’art et l’architecture ne sont presque pas évoqués, laissant
tout un pan des créations artistiques cisterciennes dans l’ombre.
Plus récemment, en 2000, Constance HOFFMAN BERMAN, professeur à l’université
d’Iowa aux USA publie une étude visant à reprendre les datations attribuées aux principales
institutions monastiques et à la réelle constitution d’un ordre cistercien. Pour elle, il est
nécessaire de postdater la naissance de cet ordre en tant que communauté d’abbayes dans les
années 1150-1160 seulement. Elle critique les dates attribuées à certains textes cisterciens et
propose notamment une nouvelle chronologie pour les premières instituta du Chapitre
Général vers 1157-1161. Cela ne nous semble toutefois guère possible étant donné que
Bernard de Clairvaux évoque les chapitres généraux qui devaient donc exister avant sa mort
en 1153. L’historienne remet également en cause la date d’affiliation d’Obazine à l’ordre
cistercien qui interviendrait pour elle plus tardivement que 1147. Elle nie ainsi les
informations délivrées par la Vie d’Étienne d’Obazine notamment. Si certaines de ces
hypothèses sont séduisantes, nous resterons toutefois prudente face à une étude contestable39.
Pour l’historique des réseaux cisterciens ou autres, les études menées par le CERCOR
à Saint-Étienne nous semblent réellement intéressantes et s’attachent à l’analyse de typologies
des réseaux monastiques ou canoniaux, aux réformes monastiques, à l’essor des ordres
nouveaux et des mouvements érémitiques (Robert d’Arbrissel, Géraud de Sales). Sont
également pris en compte les monastères féminins, moins prisés de l’historiographie
traditionnelle et qui doivent majoritairement attendre les années 1990 avant de faire l’objet
d’études systématiques40. Dans le cadre des recherches du CERCOR, Marie-Odile LENGLET
s’est attachée à la personnalité de Géraud de Sales à travers une série d’articles permettant de
38
J. M. CANIVEZ, Statuta Capitulorum Generalium Ordinis Cisterciensis ab anno 1116 ad annum 1786,
Louvain, 1933.
39
C. H. BERMAN, The Cistercian evolution. The Invention of a religious order in the Twelfth Century Europe,
Philadelphia, 2000.
40
Naissance et fonctionnement des réseaux monastiques et canoniaux, actes du Ier colloque international du
CERCOR, Saint-Étienne, 1991 ; N. BOUTER (dir.), Les religieuses dans le cloître et dans le monde des
origines à nos jours, actes du deuxième colloque international du CERCOR, Poitiers, 1988, Saint-Étienne, 1994,
p. 131-138 ; Unanimité et diversités cisterciennes, filiations, réseaux, relectures du XIIème au XVIème
siècles, Actes du colloque international du CERCOR, Dijon, 1996, Saint-Étienne, 2000.
- 35 -
restituer ses débuts érémitiques soutenus notamment par l’évêque de Limoges. Cette
démarche est toutefois malaisée face au relatif silence des sources historiques sur cette
période (premier tiers du XIIème siècle). Marie-Odile LENGLET essaie également de cerner
le passage de ces ermitages au cénobitisme puis à l’ordre cistercien et les implications de ces
changements pour la communauté. Toutefois, elle n’envisage pas les traductions de ces
bouleversements dans l’architecture et ses analyses sont purement historiques41.
D’autres centres de recherche s’intéressent à l’ordre de Cîteaux et à sa place dans le
monachisme occidental. C’est le cas du CEM d’Auxerre dont les axes de recherche
permettent d’aborder l’occupation du sol et la construction au Moyen-Âge, l’église et la
société dans le Moyen-Âge occidental aux Vème-XVème siècles. L’UMR 5594 de
l’Université de Dijon concerne quant à elle les cisterciens en Bourgogne et oriente beaucoup
ses recherches sur des questions d’occupation du sol (Benoît CHAUVIN), d’archéologie
(Stéphane BÜTTNER) mais aussi de créations artistiques (Daniel RUSSO).
•
Architecture et décor. Refus ou acceptation de l’image :
Bien souvent, les premières études d’histoire de l’art à partir des années 1950 se
heurtent à certaines impasses dont l’historiographie actuelle peine toutefois à se détacher.
L’idée d’une architecture cistercienne « type », avec son plan reproduit d’abbayes en abbayes
imité de celui de Clairvaux ou de Fontenay persiste encore parfois dans les études les plus
récentes. La conception artistique cistercienne fascine également les historiens d’art et si
certains qualifient Bernard de Clairvaux « d’iconoclaste », des nuances sont apportées et
témoignent de la richesse de la symbolique de l’art cistercien.
Les premiers auteurs à s’être véritablement intéressés à l’art cistercien sont Georges
DUBY et le père Anselme DIMIER. Ce dernier publie aux éditions Zodiaque une analyse
architecturale et stylistique de plusieurs sites cisterciens considérés comme « majeurs » par
leur bon état de conservation (souvent dû à de profondes restaurations aux XIXème et XXème
siècles). Il s’agit entre autre de Fontenay, Fontfroide, Noirlac, Obazine ou encore Sénanque.
Toutefois, l’étude porte essentiellement sur l’abbatiale proprement dite. Les bâtiments
conventuels font l’objet de moins d’attentions tandis que les granges et moulins ne sont pas
abordés. Les abbayes sont réduites à leur plus simple expression et leur emprise sur
41
M. O. LENGLET, « Le bienheureux Géraud de Sales fondateur des abbayes de Bonlieu, Prébenoît et du
Palais-Notre-Dame », Cîteaux, Commentarii Cistercienses, T XXIX, fasc. 1-2, 1978, p. 8-40 ; « Les fondations
de Géraud de Sales et leur évolution », Colloque international du CERCOM, Saint-Étienne, 1985, p.1-15 ;
« L’implantation cistercienne dans la Marche Limousine de Géraud de Sales à Saint Bernard », MSSNAC, Tome
46, 1997, p.258-268.
- 36 -
l’environnement n’est pas évoquée42. Dans un autre ouvrage plus historique, il étudie les
rapports entre cisterciens et dynastie capétienne. Il met en évidence l’enjeu que constitue
l’ordre cistercien pour des rois à la recherche de relais de pouvoir 43. Quant à Georges DUBY,
il publie en 1976 une étude sur l’art cistercien à travers les écrits de saint Bernard notamment
suivie d’un second ouvrage en 1998. Quelque soit la grande qualité et la précision de ces deux
analyses, il est dommageable que, bien souvent, seules les abbayes les plus renommées, les
mieux préservées ou restaurées soient prises en compte, comme si les édifices plus modestes,
aux noms moins prestigieux, échappaient aux grilles de lecture et à toute analyse44.
L’étude des formes architecturales et sculptées de l’ordre cistercien a souvent pris
l’aspect de monographies nationales ou régionales permettant un cadre d’étude plus facile,
bien qu’il ne corresponde à aucune réalité médiévale. Les problématiques sont souvent
discrètes et l’analyse correspond fréquemment plus à un catalogue, à un simple constat qu’à
un réel débat d’idées et de problématiques.
Dès 1932, René CROZET prend en compte l’architecture cistercienne en Berry et plus
particulièrement l’abbaye de Noirlac (com. Saint-Amand-Montrond, Cher). Le titre même de
sa publication annonce tout de suite cette préférence pour le monastère le mieux conservé
tandis que les abbayes les plus modestes feront l’objet de moins d’attentions. Les descriptions
sont en effet très succinctes concernant les Pierres, Varennes et Aubignac. Les bâtiments
conventuels et pré industriels sont laissés pour compte, seules les abbatiales sont étudiées.
L’auteur ne fait guère le point sur les données historiques et géographiques et cette analyse
uniquement stylistique reste partielle et difficilement exploitable45.
En 1987 Roger STALLEY étudie l’art cistercien en Irlande. Il évoque des questions de
voûtement, de plan, d’élévation, de décors et tente de montrer l’importance des cisterciens
dans la transmission de formes jusque là inconnues en Irlande (cloître carré ou rectangulaire).
Il distingue les apports anglais, français et du gothique anglo-normand et remet ainsi en cause
l’idée d’une architecture cistercienne « type », correspondant en fait à une multiplicité de
références. Cette étude purement stylistique laisse l’histoire de côté, les rapports avec
l’aristocratie laïque, l’épiscopat, les autres ordres religieux. En effet, l’auteur ne met guère en
42
A. DIMIER, J. PORCHER, L’art cistercien. France, Zodiaque, « La Nuit des Temps », 1962.
A. DIMIER, Saint Louis et Cîteaux, Letouzey et Ané, Paris, 1954.
44
G. DUBY, Saint Bernard, l’art cistercien, Paris, 1976 ; G. DUBY, L’Art cistercien, Paris, Flammarion, 1998.
45
R. CROZET, L’abbaye de Noirlac et l’architecture cistercienne en Berry, Paris, 1932.
43
- 37 -
perspective les créations cisterciennes avec l’art paroissial, monastique, militaire, civil
contemporain46.
En 1982, Claude ANDRAULT-SCHMITT, professeur d’histoire de l’art à l’Université
de Poitiers soutient sa thèse de troisième cycle sous la direction de Carol HEITZ concernant
les nefs des églises romanes de l’ancien diocèse de Limoges47. Le cadre cistercien y est abordé
à travers l’exemple d’Obazine, fermement ancré dans un cadre roman. Cette étude est
essentielle pour son effort considérable de datation des édifices romans, à la fois des grands
édifices comme Beaulieu, Chambon, Évaux, mais aussi des petites églises modestes. Des
relations sont sans cesse évaluées avec le Poitou, l’Anjou et une grande Aquitaine, mettant en
évidence concordances et dissemblances. L’historienne de l’art aboutit à la définition de
certains « particularismes limousins » témoignant d’occasionnelles continuités avec la théorie
d’écoles régionales. Elle aborde également les prémices du gothique par l’étude d’un « art de
transition », ainsi que le thème des églises-granges, et leur génèse dans l’art roman. Ces
« églises-granges » seront par ailleurs de nouveau étudiées dans son ouvrage Limousin
gothique publié en 199748.
Plus récemment en 1994, Claude ANDRAULT-SCHMITT publie un article sur les
églises cisterciennes ayant succédé aux ermitages de Géraud de Sales dans l’Ouest de la
France. Elle décrit un certain nombre d’édifices dont les abbayes de Bonlieu, Prébenoît et du
Palais intéressant notre étude. Elle propose également des datations pour le chantier de
construction. Toutefois ni les bâtiments conventuels, ni les granges, moulins et viviers ne sont
abordés49.
Dans son article sur les églises du Poitou, Claude ANDRAULT-SCHMITT insiste
notamment sur la diversité des plans retenus à nef unique ou à collatéraux. Pour elle,
l’architecture cistercienne est le résultat d’un compromis entre « traitement régional » et
« aspirations spécifiques à l’ordre ». Les cisterciens seraient en effet soucieux d’une double
intégration à l’Église d’Occident et à une région. Il nous semble important de discuter de
l’existence réelle d’une volonté d’intégration ou simplement d’un choix plus « pragmatique »
et économique d’ouvriers qualifiés sur place, ayant l’habitude de travailler à certaines
formules architecturales, appliquées indifféremment d’églises paroissiales en abbayes
46
R. STALLEY, The cistercian monasteries of Ireland, Yale University Press, 1987.
C. ANDRAULT-SCHMITT, Les nefs des églises romanes de l’ancien diocèse de Limoges. Rythmes et
volumes, Thèse, Poitiers, sous la direction de C. HEITZ, 4 tomes, 1982.
48
C. ANDRAULT-SCHMITT, Limousin gothique, Paris, Picard, 1997.
49
C. ANDRAULT-SCHMITT, « Des abbatiales du « désert ». Les églises des successeurs de Géraud de Sales
dans les diocèses de Limoges, Poitiers et Saintes (1160-1220) », BSAOMP, 5ème série, T 8, 1994, p. 91-173.
47
- 38 -
cisterciennes. Les jeux de pouvoir et les hésitations entre Plantagenêts et Capétiens peuvent
également entraîner des choix artistiques spécifiques50.
Évelyne PROUST publie une étude sur la sculpture romane en Bas-Limousin qui
intéresse directement notre étude, à la fois pour ses références aux créations cisterciennes,
mais aussi pour la compréhension et la datation des édifices ayant précédé l’arrivée des
moines blancs dans le diocèse de Limoges. Elle y aborde également des questions de rapport à
l’image et d’aniconisme51. Le Limousin paraît tourné vers les pays d’Ouest où, par opposition
aux pays d’Empire, l’image est acceptée. La Marche Limousine toutefois n’accepte
généralement que des décors discrets, et ce sont dans ces zones où les cisterciens vont
particulièrement s’implanter, s’inscrivant en parfaite cohérence avec ce mouvement de
résistance à l’image sculptée et peinte. Concernant Obazine, Évelyne PROUST évoque des
« caractères tout à fait cistercien », des « habitudes limousines avec une abside pentagonale
ou sa croisée sous coupole à pendentifs courbes », autant d’expressions dont il faudra
débattre, l’idée d’un plan « type » cistercien étant constamment remis en cause dans
l’historiographie contemporaine. La simplicité et l’austérité cistercienne suffisent-elles à
définir un art à part entière ? Quant à l’abside polygonale, elle n’a vraisemblablement rien de
purement « limousin » et est d’ailleurs fréquente dans les monastères de l’ordre cistercien (La
Chalade, Beaulieu, Berdoues, Fontfroide), de même que la coupole sur pendentifs est très
prisée en Aquitaine52. Ainsi, malgré ces réticences et ces interrogations, cette étude n’en reste
pas moins une base de travail essentielle et précieuse pour son iconographie soignée et ses
efforts de datation.
D’autres études prennent en compte un cadre géographique plus vaste. C’est le cas de
Matthias UNTERMANN qui publie récemment un ouvrage sur l’architecture cistercienne au
Moyen-Âge, témoignant de la diversité des plans et des élévations sur l’ensemble de l’Europe.
L’auteur compare les reconstructions de certains déambulatoires cisterciens à la fin du
XIIème siècle et au début du XIIIème siècle avec les cathédrales gothiques (Pontigny,
Clairvaux, Cîteaux) et fait du déambulatoire droit une spécificité cistercienne.L’auteur tend
toutefois à perpétuer l’idée de « modèles » dans l’ordre se déclinant d’abbayes en abbayes.
50
C. ANDRAULT-SCHMITT, « Églises cisterciennes du Poitou », Revue Historique du Centre Ouest, T I,
Société des Antiquaires de l’Ouest, Poitiers, 2004, p. 9-103.
51
É. PROUST, La sculpture romane en Bas-Limousin, un domaine original du grand art languedocien, Picard,
Paris, 2004.
52
R. CROZET, « Remarques sur la répartition des églises à file de coupoles. Déterminisme ou méthode
historique », CCM, IVème année, n°2, avril-juin 1961, p. 175-178 ; C. DARAS, « Les églises à file de coupoles
dérivées de la cathédrale d’Angoulême en Aquitaine », CCM, VIème année, n°1, janvier/mars 1963, p. 55-60 ; P.
DUBOURG-NOVES, « Quelques réflexions sur les églises à coupoles des diocèses d’Angoulême et de
Saintes », BSAOMP, T 15, 2ème trimestre 1980, p. 435-477.
- 39 -
Pour lui, les cisterciens auraient mis en place des éléments particuliers significatifs et un style
approprié. Il admet ainsi l’existence d’une architecture cistercienne « type », parle encore trop
souvent d’un plan « bernardin » « caractéristique » de la filiation de Clairvaux et évoque un
type « bourguignon » avec des voûtes en plein-cintre et une nef obscure à l’heure où les
écoles régionales n’ont plus lieu d’être. De plus, l’historien de l’art s’attache essentiellement
aux abbatiales pour appuyer son propos. Il évoque occasionnellement les granges, moulins et
tuileries. Malgré ces regrets, cet ouvrage est une source d’informations et un répertoire de
formes considérables dont l’iconographie très soignée est enrichissante53.
Certains historiens d’art privilégient l’analyse d’une forme artistique particulière ou un
espace géographique particulier : vitrail ou pavement, étudié sur plusieurs siècles et sous ses
aspects techniques et stylistiques, prise en compte d’une région, d’un comté, d’un diocèse.
Études beaucoup plus ciblées, elles permettent une connaissance plus en détail d’un
phénomène particulier. En 1979, Helen ZAKIN livre une étude entièrement consacrée aux
vitraux en grisaille cisterciens. Avec beaucoup de minutie, elle analyse en détail les motifs
utilisés et tente de retrouver leurs origines à la fois dans les manuscrits mais aussi dans la
sculpture romane. Elle témoigne ainsi d’un certain attachement au passé des moines blancs
qui puisent un répertoire de motifs dans des formes romanes. Il paraîtrait alors difficile de
parler d’un art cistercien « type » face aux héritages et filiations perçues54.
En 2003, Stéphanie FOUCHER soutient une thèse sur le décor sculpté végétal
cistercien dans l’ouest de la France sous la direction de Claude ANDRAULT-SCHMITT à
Poitiers. Cette étude nous semble essentielle dans la mesure où l’auteur tente de montrer
l’équilibre relatif entre les choix artistiques imposés par l’ordre cistercien, d’ailleurs plus ou
moins respectés au fil des siècles et l’inspiration d’édifices proches, paroissiaux, canoniaux ou
monastiques. Elle tend à remettre en cause une certaine historiographie en nuançant l’idée
d’une ornementation spécifique à l’ordre. Toutefois, elle ne conteste pas l’idée d’un répertoire
sculpté « cistercien » avec des caractéristiques communes lui conférant une certaine unité55.
L’année suivante, Magali ORGEUR soutient sa thèse de doctorat à l’Université de
Dijon sous la direction de Daniel RUSSO. Elle s’attache aux carreaux de pavement des
abbayes cisterciennes de Bourgogne56. Elle aborde des questions d’aniconisme et de timides
acceptations de l’image bidimensionnelle. Elle montre que les techniques et décors utilisés
53
M. UNTERMANN, Forma Ordinis. Die mittelalterliche Baukunst des Zisterzienser, Deutscher Kunstverlag,
München, Berlin, 2001.
54
H. J. ZAKIN, French Cistercian Grisaille Glass, Garland, New-York/London, 1979.
55
S. FOUCHER, Le décor sculpté cistercien dans l’ouest de la France, XIIème-XIVème siècles, Thèse sous la
direction de C. ANDRAULT-SCHMITT, CESCM, Poitiers, 2003, 5 volumes.
- 40 -
sont spécifiques à l’art cistercien par opposition à Cluny où les pavements imitent
généralement la mosaïque. Elle mène de nombreuses études comparatistes avec d’autres
abbayes cisterciennes et d’autres ordres religieux. Elle témoigne de l’importance des pouvoirs
politiques pour la création artistique. Un atelier répond en effet avant tout à des commandes
artistiques recherchant des aspects novateurs. Les motifs, comme pour les vitraux étudiés par
Helen ZAKIN, montrent l’héritage de la période romane. Magali ORGEUR n’étudie pas
simplement ces carreaux de pavement pour eux mêmes, hors de leur contexte mais les replace
dans l’espace. Ils paraissent étroitement liés aux parties orientales de l’édifice et peuvent
correspondrent à des pratiques liturgiques. Cette étude permet d’aborder de nombreuses
problématiques, l’idée d’un artisanat propre aux cisterciens, d’un art de commande
étroitement lié aux pouvoirs politiques et des questions de liturgie méritant d’être
approfondies et éprouvées pour le diocèse de Limoges.
Sylvain DEMARTHE soutient en 2006 une thèse à l’université de Bourgogne sous la
direction de Daniel RUSSO et s’attache particulièrement à l’abbaye de Cîteaux et ses environs
entre 1220 et 1250. Il parle alors d’un substrat roman encore présent mais « passéiste » auquel
s’adjoignent des éléments gothiques diffusés de façon inégale par des chantiers plus
novateurs. Il nous paraît toutefois délicat de maintenir cette idée d’un art roman du parti de la
« tradition », « rural », par rapport à un art gothique urbain du parti de la novation57. Il s’agit
simplement de deux manières de bâtir différentes, de techniques différentes, d’autres ouvriers
et tailleurs de pierres expérimentant d’autres méthodes sans qu’il nous paraisse nécessaire
d’introduire un jugement de valeur déplacé et inutile. L’auteur persiste également à appuyer la
thèse d’un plan « typiquement » cistercien (il l’atteste concernant le chevet plat de Nuits)
malgré les nombreuses études récentes le remettant en cause.
Le débat sur un aniconisme cistercien et une tendance au refus de l’image s’est amorcé
dès les années 1980 et continue de passionner l’historiographie actuelle. En 1985, Adrian
BREDERO publie une étude fondamentale sur la controverse entre Cluny et Cîteaux fondée
sur les textes de Pierre Le Vénérable et de saint Bernard. Il met en lumière les différences
institutionnelles mais aborde également les créations artistiques de deux ordres. Il souligne le
56
M. ORGEUR, Les carreaux de pavement des abbayes cisterciennes en Bourgogne (fin XIIème-fin XIVème
siècle), thèse de doctorat en histoire de l’art médiéval sous la direction de D. RUSSO, université de Bourgogne,
3vols, 2004.
57
« À ce substrat traditionnel se superposent, dans la plupart des cas, des éléments plus novateurs. Les édifices
semblent simultanément se « moderniser », en s’ouvrant peu à peu et de différentes manières, à l’art gothique,
tout récent et plus citadin, et dont la lente pénétration est stimulée par le chantier de l’église Notre-Dame de
Dijon » ; S. DEMARTHE, « Au pays de Cîteaux. Étude sur le développement d’une architecture religieuse
(XIème-XVème siècles) », Bulletin du CEM, n°10, Auxerre, 2006, p. 287-295.
- 41 -
goût des moines noirs pour les vastes programmes iconographiques sculptés tandis que la
sculpture est presque bannie de l’art cistercien. Même si les différences entre les deux ordres
nous semblent à nuancer, surtout au vu de leur rapprochement au XIIIème siècle avec le
glissement des cisterciens vers le faire-valoir indirect, l’acceptation d’inhumations laïques et
d’un mobilier funéraire spécifique, cette analyse reste une base indispensable à toute étude sur
le rapport à l’image dans l’ordre de Cîteaux58.
Cet intérêt pour les cisterciens et l’image se traduit par de nombreuses études
européennes de l’Apologie de Bernard de Clairvaux suscitant de multiples interprétations et
analyses. En 1990, Conrad RUDOLPH, professeur à l’université de Pennsylvanie propose une
relecture de ce texte après Adrian BREDERO. Il souligne le fait que Bernard de Clairvaux
condamne certes l’art dans ses excès mais en aucun cas toute forme d’art. Pour lui, l’art est
nécessaire à l’évêque qui se doit d’éduquer les foules. Ce n’est que pour un milieu monastique
que saint Bernard exprime ses réticences aux images pouvant détourner le moine de sa
méditation. Cette étude éclairante de Conrad RUDOLPH met en perspective les écrits de
Suger ou d’Aelred de RIELVAULX et nuance considérablement l’idée d’un art cistercien
« iconoclaste ». De plus, l’auteur élargit sa recherche aux autres ordres religieux et évoque les
rapports à l’art chez les grandmontains et les prémontrés notamment59.
Dans la même veine, Patrick REUTERSWÄRD participe à l’ouvrage dirigé par
Sergiusz MICHALSKI sur l’art et les iconoclasmes par un article concernant les cisterciens 60.
Il remet en cause l’idée d’un refus de l’image et donne pour exemple l’abbaye d’Eberbach.
Celle-ci montre un souci certain de décor. Il évoque les vitraux dont les motifs ne sont pas
dépourvus de sens (fleur-de-lys évoquant la royauté), les pavements, les roses de façade. Il
s’inscrit ainsi dans la même lignée que Conrad RUDOLPH et appuie l’idée d’un art cistercien
certes plus discret qu’à Cluny, mais bien réel et non dénué d’une symbolique propre.
K. BIALOSKORSKA défend les mêmes idées à travers l’étude des monastères
cisterciens polonais61. Après avoir repris brièvement l’étude des références à l’art à travers les
Capitula et l’Apologie, elle montre l’éloignement de la règle cistercienne au sein des sites
58
A. H. BREDERO, Cluny et Cîteaux au XIIème siècle. L’histoire d’une controverse monastique, Presses
Universitaires de Lille, 1985.
59
C. RUDOLPH, The « Things of greater importance ». Bernard of Clairvaux’s Apologia and the Medieval
attitude toward Art, University of Pennsylvania Press, 1990.
60
P. REUTERSWARD, « An overlooked reserve in cistercian iconoclasm », dans S. MICHALSKI (dir.), L’Art
et les révolutions. Section 4 : les iconoclasmes, XXVIIème Congrès International d’Histoire de l’Art, Strasbourg,
1989, Strasbourg, 1992, p. 25-35.
61
K. BIALOSKORSKA, « Le caractère et les idées du décor sculpté architectonique des monastères cisterciens
polonais du XIIIème siècle et sa position en regard des traditions et de la spiritualité de l’Ordre », dans M.
DERWICH (dir.), La vie quotidienne des moines et chanoines réguliers au Moyen-Âge et Temps Modernes,
LARHCOR, Ier colloque international de Wroclaw, 1994, Wroclaw, 1995, vol 2, p. 615-649.
- 42 -
polonais présentant de nombreux motifs zoomorphes, des thèmes figurés, un monde végétal
exubérant symbolique (évocation du Paradis), autant de décors remettant en cause un
« iconoclasme » cistercien. Si les textes se révèlent réticents à l’art dans les monastères, la
réalité des créations monastiques est parfois tout autre. La question d’un refus de l’image
mérite d’être réévaluée, notamment pour les monastères du diocèse de Limoges intéressant
notre étude.
En 2004, Terryl Nancy KINDER dirige un ouvrage à la mémoire de Peter
FERGUSSON abordant la question d’un « iconoclasme » cistercien, remettant en cause l’idée
d’un « plan-type » et présentant plusieurs articles sur les granges et les chapelles pouvant leur
être rattachées, encore largement méconnues62. Cet ouvrage contribue ainsi à remettre en
cause un certain nombre de poncifs de l’historiographie traditionnelle tout en s’engageant sur
de nouvelles pistes de recherche.
De nouvelles perspectives de recherche : l’occupation du sol. Les pionniers (1970-1990) :
À partir des années 1970, les études historiques sur l’ordre de Cîteaux s’étoffent avec
des considérations géographiques, d’insertion dans les paroisses et d’économie rurale. L’ordre
n’est plus étudié de manière abstraite mais replacé dans son contexte, dans son environnement
et dans les paysages géographiques, géologiques, sociaux, politiques, religieux. En 1973,
l’ouvrage de Georges DUBY sur les hommes et structures du Moyen-Âge évoque bien sûr le
domaine monastique et les cisterciens en particulier. Il atteste le rôle des cisterciens dans la
modification des rapports entre condition monastique et vie rurale. Il oppose l’agriculture
cistercienne en faire-valoir direct, permise par des convers motivés et bon marché, à un
modèle clunisien où l’agriculture est extérieure (faire-valoir indirect)63.
En 1970, l’étude de Michel AUBRUN nous permet de soulever une autre
problématique, à savoir l’insertion des moines cisterciens dans le tissu paroissial. En effet,
l’historien étudie avec précision la constitution des paroisses de l’ancien diocèse de Limoges,
des débuts du christianisme jusqu’à l’arrivée des ordres nouveaux. Son analyse est essentielle
à l’histoire de l’occupation des sols et de l’humanisation du diocèse. Pour lui, les moines
cisterciens n’ont pas réellement bousculé le tissu paroissial et se sont plutôt surimposés à lui.
62
T. N. KINDER, (dir.), Perspectives for an Architecture of solitude. Essays on Cistercians, Art and
Architecture in Honour of Peter Fergusson, Brépols, Cîteaux, 2004; C. RUDOLPH, “Communal Identity and
the earliest Christian Legislation on Art : canon 36 of the Synod of Elvira”, dans T. N. KINDER, (dir.), op. cit, p.
1-7; D. H. WILLIAMS, « Cistercian Grange Chapels », dans T. N. KINDER, (dir.), op. cit, p. 213-221.
63
G. DUBY, Hommes et structures du Moyen-Âge, Mouton, Paris-La Haye, 1973.
- 43 -
Leur installation en milieu rural, dans des déserts relatifs, évite de bouleverser réellement les
communautés paysannes64.
En 1975, Charles HIGOUNET publie un groupement d’articles sur les Paysages et
villages neufs. Il évoque la question de l’apparition de l’assolement triennal, de l’emprise de
la forêt jusqu’au XIème siècle et livre aussi un article essentiel sur les bastides cisterciennes
au milieu du XIIIème siècle nous intéressant directement (l’abbaye d’Obazine a
vraisemblablement possédé une bastide, de même que les moines de Dalon). Ces bastides sont
mises en place dans le cadre du faire-valoir indirect et sont très liées aux pouvoirs politiques65.
Le colloque tenu à Flaran en 1981 marque réellement le dynamisme des recherches sur
l’occupation du sol et l’économie cistercienne qui passionnent de nombreux historiens
renommés66. Benoît CHAUVIN, à travers l’exemple de la Bourgogne, définit une économie
cistercienne en faire-valoir direct dans les premiers temps de l’ordre qui va progressivement
perdre de son originalité au XIIIème siècle. Les cisterciens vont en effet devenir des « rentiers
de la terre », accepter le fermage, une exploitation du sol en faire-valoir indirect, la possession
d’églises et de paroisses67. Robert FOSSIER quant à lui s’attache au nord-ouest de l’Europe
où le passage des moines lui apparaît négligeable quant aux techniques agricoles68. Bernadette
BARRIÈRE évoque le sud-ouest de la France et contribue à réfuter l’idée bien ancrée dans
l’historiographie de moines « défricheurs ». En effet, pour elle, les moines occupent les
marges forestières sans défrichement systématique. Le bois est directement intégré à leur
économie et ils se doivent plutôt de maintenir une couverture forestière (bois de chauffe, bois
de construction, pacage des animaux)69.
En 1992, Charles HIGOUNET publie un second recueil d’articles dont un aborde le
premier siècle de l’économie rurale cistercienne. Il parle de cisterciens depopulatores qui
n’hésitent pas à chasser les paysans de leurs terres pour s’y installer et recréer un désert. Le
cas de la Haute-Marche est particulièrement bien cerné et l’auteur analyse le passage au fairevaloir indirect avec les premières activités commerciales dès les années 120070.
64
M. AUBRUN, L’ancien diocèse de Limoges des origines au milieu du XIème siècle, Institut d’Études du
Massif Central, Clermont-Ferrand, 1970.
65
C. HIGOUNET, Paysages et villages neufs du Moyen-Âge, Bordeaux, 1975.
66
Économie cistercienne. Géographie, mutations du Moyen-Âge aux temps modernes, Centre culturel de
l’abbaye de Flaran, 1981, Auch, 1983.
67
B. CHAUVIN, « Réalités et évolution de l’économie cistercienne dans les duchés et comté de Bourgogne au
Moyen-Âge. Essai de synthèse», dans Économie cistercienne…, op. cit, p. 13-52.
68
R. FOSSIER, « L’économie cistercienne dans les plaines du nord-ouest de l’Europe », dans Économie
cistercienne…, op. cit, p. 53-74.
69
B. BARRIÈRE, « L’économie cistercienne du sud-ouest de la France », Économie cistercienne…, op. cit, p.
75-99.
70
C. HIGOUNET, Villes, sociétés et économies médiévales, Bordeaux, 1992.
- 44 -
Aline DURAND s’attache quant à elle à des réalités méridionales. Dans son étude sur
les paysages médiévaux du Languedoc, elle tente de cerner les caractéristiques de
l’exploitation du saltus par les cisterciens, étude réellement enthousiasmante témoignant bien
des avancées des problématiques depuis 197071.
De nouveaux résultats : archéologie et archéologie du bâti (1980-200.) :
Les fouilles archéologiques concernant les sites cisterciens limousins sont assez
inégales et témoignent surtout de l’intérêt pour Obazine et Coyroux tandis que certaines
abbayes plus modestes et méconnues restent à l’écart des préoccupations des archéologues
(Boeuil, Bonnaigue, Aubignac et Aubepierres par exemple). Dès 1970, l’abbaye d’Obazine
fait l’objet de sondages par DE RIBIER et LAJUGIE afin de déterminer le nombre de travées
de la nef. Il apparaît qu’elle en comportait 9 et non 6 comme l’avaient annoncé Marcel
AUBERT, le chanoine POULBRIÈRE ou Anselme DIMIER72. L’archéologie apparaît alors
clairement comme un moyen de préciser ou infirmer certaines affirmations seulement étayées
par l’histoire de l’art.
À partir de 1976 et jusqu’en 1992, Bernadette BARRIÈRE va mener des campagnes
de fouilles programmées sur le monastère féminin de Coyroux visant à retrouver les structures
des bâtiments conventuels et à évaluer la conservation des couches stratigraphiques.
Toutefois, ces fouilles n’ont pas donné lieu à un ouvrage de synthèse. Seuls les rapports de
fouilles non publiés, uniquement consultables sur demande au Service Régional de
l’Archéologie de Limoges permettent de prendre connaissance de ces données nouvelles, mais
sans réel souci de synthèse et de datation systématique73.
Plus récemment, la connaissance des aménagements monastiques d’Obazine s’est
améliorée grâce aux travaux de l’équipe Hadès sur le canal des Moines, dirigée par Pierrick
STEPHANT et Bernard LEPRETRE. Cette étude très précise et documentée permet de cerner
71
A. DURAND, Les paysages médiévaux du Languedoc (Xème-XIIème siècle), Presses Universitaires du Mirail,
Toulouse, 1998.
72
J. de RIBIER, R. LAJUGIE, « Sur les travées de l’église d’Obazine », BSLSAC, T 74, 1970, p. 215-219 ; A.
DIMIER, J. PORCHER, L’art cistercien. France, Zodiaque, « La Nuit des Temps », 1962 ; M. AUBERT (avec
la collaboration de la marquise de Maillé), L’Architecture cistercienne en France, Vanoest, Paris, 1947 (2ème
édition).
73
B. BARRIÈRE, Monastère de moniales cisterciennes de Coyroux (Aubazine, Corrèze). Rapport de la
campagne de sondages de juillet 1976, Université de Limoges, 1976, non publié ; Rapport de la campagne de
sondages-sauvetages de juillet 1977, Université de Limoges, non publié ; Rapport de la campagne de sondagessauvetages de juillet 1978, Université de Limoges, non publié ; Rapport de campagne d’intervention de juillet
1979, Université de Limoges, non publié ; Premier rapport intermédiaire, campagne 1986, Limoges, non
publié ; Fouille programmée, 1986-1988, rapport de synthèse, 1988, Université de Limoges, non publié ; B.
BARRIÈRE, « Monastère de Coyroux », Archéologie Médiévale, Caen, Centre de Recherches Archéologiques
Médiévales, tomes X à XIX, de 1980 à 1989.
- 45 -
la mise en oeuvre du canal, les matériaux et techniques utilisés. Il s’agit d’un document
majeur pour l’histoire de l’hydraulique cistercienne74. Des sondages ont également été
récemment menés sur la place de l’abbatiale d’Obazine, investigations préalables à des
travaux de rénovation. Ils ont permis d’identifier les anciennes travées de la nef mis à bas,
ainsi qu’une galerie longeant le gouttereau sud de l’église75.
L’abbaye de Prébenoît a également fait l’objet de plusieurs opérations archéologiques
depuis les sondages de 1993 jusqu’aux fouilles programmées en 2001 menées par Jacques
ROGER (INRAP). Ces investigations ont permis de mettre au jour un pavement mosaïqué
dans le chœur de l’abbatiale, des inhumations dont celle du seigneur Roger de Brosse à la fin
du XIIIème siècle et de préciser l’organisation des bâtiments monastiques. Nous regrettons
toutefois que cette fouille programmée n’ait pu être reconduite face aux réticences de la
commune76.
Entre 1998 et 2003 sont menées des fouilles à l’abbaye de Grosbot par une équipe de
l’université de Bristol (Mark HORTON notamment). Ces investigations ont permis de révéler
l’existence de bâtiments canoniaux à rattacher à la communauté de Fontvive ayant précédé
l’arrivée des cisterciens ainsi qu’un atelier de fonte de cloche daté des années 130077.
En 2000, les actes du congrès Anselme DIMIER sont publiés et présentent notamment
un bilan des fouilles archéologiques françaises, permettant de faire le point des dernières
découvertes intéressantes et apportant à la connaissance de ces sites souvent bien ruinés.
Benoît CHAUVIN livre en particulier le résultat d’investigations à l’abbaye berrichonne de
Fontmorigny (com. Ménétou-Couture, Cher) visant à préciser l’organisation des bâtiments
conventuels et du cloître78.
Ces recherches nous apparaissent réellement indispensables à la connaissance des sites
cisterciens mais mériteraient toutefois d’être appliquées à l’ensemble des sites, et pas
seulement les plus connus et les plus prestigieux. Ils devraient également faire
systématiquement l’objet d’une synthèse et d’essais de datation systématique. Les rapports de
74
P. STÉPHANT, B. LEPRETRE, Le « canal des moines » de l’abbaye d’Aubazine, Hadès, SRA Limousin,
avril-juin 2004, 2 vols, (non publiés, déposés au SRA Limousin).
75
S. LEVEQUE, Aubazine, place de l’église. Rapport de diagnostic, DRAC/SRA Limousin, INRAP GSO, mai
2006, 28p., non publié.
76
J. P. BÉGUIN, J. ROGER, Abbaye de Prébenoît (Creuse), SRA Limousin, 1993-1996 (non publié, déposé au
SRA Limousin).
77
M. HORTON, “A Bell-founders Pit at the Cistercian Abbey of Grosbot (Charente)”, dans T. N. KINDER,
(dir.), Perspectives for an Architecture of solitude. Essays on Cistercians, Art and Architecture in Honour of
Peter Fergusson, Brépols, Cîteaux, 2004, p. 253-260.
78
B. CHAUVIN, « Premier bilan archéologique à l’abbaye de Fontmorigny », dans les actes du congrès
Anselme Dimier, Abbaye de Noirlac, Fouilles cisterciennes européennes. Bilans nationaux. I. France, Pupillin,
Arbois, 2000.
- 46 -
fouilles sont parfois une suite de faits et de données très précises mais sans réel souci
d’interprétation.
L’archéologie du bâti a de même beaucoup progressé ces dix dernières années et vient
elle aussi enrichir l’historiographie cistercienne. Une des études les plus complètes est celle
de Villers-en-Brabant par Thomas COOMANS qui livre de nombreux plans et relevés
permettant de mieux cerner les différentes étapes de construction de l’abbaye. Ces
descriptions et analyses sont très précises et s’accompagnent de datations basées sur de
multiples comparaisons. Il ne laisse pas de côté les bâtiments conventuels, eux aussi
précisément analysés et prend en compte le réseau hydraulique et particulièrement le moulinboulangerie intégré à l’enceinte monastique. Il s’agit donc d’une étude exemplaire et très
documentée témoignant des évolutions flagrantes de nos techniques documentaires79.
En 2006, Yves ESQUIEU livre une étude de bâti de l’abbaye du Thoronet en Provence
proposant des reconstitutions en trois dimensions de l’ancienne abbaye médiévale. Sont
abordés à la fois l’église proprement dite mais aussi le cloître, les bâtiments conventuels, les
bâtiments d’accueil (hôtellerie, porterie), les bâtiments à vocation pré industrielle (forge) et
les aménagements hydrauliques. Le déroulement du chantier médiéval est l’objet d’attentions
particulières de la part de l’auteur qui fait part de ses réflexions sur les différentes tailles de
pierres révélant une mise en valeur du sanctuaire, les mortiers (joints minces) et la qualité
générale de la construction, témoin d’une véritable technicité et d’une recherche esthétique
certaine (beaux matériaux, taille précise, voire polissage) nuançant l’idée d’une simplicité,
d’un dépouillement cistercien. Des relevés pierres à pierres seraient néanmoins nécessaires
afin de déterminer les différentes phases de construction, de reprises80.
Vers des études globales. Sanctuaires, granges, installations pré industrielles et
aménagements hydrauliques (1998-200.) :
Depuis une petite dizaine d’années, l’historiographie tend vers des analyses globales,
prenant en compte les réalités historiques, stylistiques et les résultats de l’archéologie
(sondages, fouilles et prospections). La géographie et la géologie ne sont pas non plus
négligées. Cela nécessite des chercheurs de plus en plus polyvalents, travaillant en
collaboration avec des spécialistes de toutes les disciplines. Cette interdisciplinarité n’est
toutefois pas toujours équilibrée et il est parfois bien difficile à l’historien de l’art de maîtriser
79
T. COOMANS, L’abbaye de Villers-en-Brabant. Construction, configuration et signification d’une abbaye
cistercienne gothique, Bruxelles, 2000.
80
Y. ESQUIEU, V. EGGERT, J. MANSUY, Le Thoronet. Une abbaye cistercienne, Cité de l’Architecture et du
Patrimoine, Aristeas/Actes Sud, Arles, 2006.
- 47 -
l’étude des sources historiques tandis que les historiens négligent encore souvent les analyses
stylistiques comme outil de datation. Malgré les difficultés rencontrées et les lacunes parfois
complexes à dépasser, l’effort est bien là, les disciplines tendent à s’estomper, et cette
« communion » aide à élaborer de nouvelles problématiques liées à la modification des
paysages par les moines blancs, aux techniques hydrauliques et pré industrielles (forges,
tuileries), aux chantiers de construction (carrières, mise en œuvre des matériaux), à
l’importance du contexte politique dans les choix artistiques. Les études actuelles discutent
également de plus en plus d’une réelle spécificité cistercienne en matière d’hydraulique et
d’économie grangère finalement peu éloignées des réalités clunisiennes. Ces questions font en
tout cas débat et méritent d’être discutées.
Les études sur les granges cisterciennes notamment se sont considérablement
développées, dépassant le stade où seuls les bâtiments à vocation religieuse étaient jugés
digne d’intérêt. Puisque les moines blancs semblent accorder autant de soin dans la
construction de leurs granges que de leurs sanctuaires, il semblait nécessaire de leur consacrer
autant d’études et d’analyses scientifiques. Là encore, Charles HIGOUNET s’inscrit comme
précurseur puisque dès 1965, il publie une étude entièrement consacrée à la grange de
Vaulerent, analysant à la fois les données historiques et les vestiges archéologiques
préservés81. Les questions d’occupation du sol, d’exploitation des terres, du passage du fairevaloir direct au fermage sont abordées de même que les techniques de construction étayées de
comparaison avec d’autres sites.
Dans la même veine, en 2005, Didier NUYTTEN étudie la grange de l’abbaye de Ter
Doest, seul témoin du monastère aujourd’hui disparu. Elle conserve une exceptionnelle
charpente datée de la seconde moitié du XIVème siècle. Cette étude archéologique pêche
toutefois par ses absences de synthèse ou de mise en perspective avec d’autres édifices,
cisterciens ou non. Il paraît ainsi réellement difficile d’allier plusieurs disciplines en
conservant un certain équilibre, sans rester cantonné à la monographie82. En 2007, le
géographe Christophe WISSENBERG analyse les vestiges de la grange de Beaumont
(Clairvaux, Côte-D’Or, com. Riel-Les-Eaux) ainsi que son emprise sur les paysages. Il se
place au carrefour de l’histoire, l’archéologie et la géographie dans une étude novatrice et
fourmillante d’idées quant aux aménagements du territoire (clairière de défrichement,
assolement triennal, installations hydrauliques), aux rapports nécessairement entretenus avec
81
C. HIGOUNET, La grange de Vaulerent. Structure et exploitation d’un terroir cistercien de la plaine de
France, XIIème-XVème siècle, SEVPEN, Paris, 1965.
82
D. NUYTTEN, « Bruges, recherches archéologiques sur l’ancienne grange cistercienne de Ter Doest », BM, T
163-2, 2005.
- 48 -
les populations alentours ou encore aux particularités architecturales des granges de Clairvaux
(édifices charpentés larges et bas). Une étude cartographique précise permet de mieux
comprendre en quoi « la grange de Beaumont fait figure aujourd’hui de véritable
conservatoire du paysage cistercien »83.
En 1982, Mireille MOUSNIER soutient une thèse sur l’abbaye de Grandselve sous la
direction de Pierre BONNASSIE à Toulouse, suivie d’une série d’articles tout aussi
intéressants. Elle tente de cerner l’abbaye à travers le prisme cistercien et toulousain et ne
perd ainsi pas de vue le cadre géographique et socio-politique. Elle replace les moines blancs
dans le contexte religieux toulousain du XIIème siècle. Le patrimoine foncier est précisément
détaillé, les granges identifiées de même que les moulins. L’auteur prend en compte non
seulement les sources écrites mais aussi la réalité des vestiges conservés. En cela cette étude
est exemplaire et devrait être appliquée à chaque monastère de l’ordre pour une meilleure
compréhension et connaissance du réseau cistercien et de l’occupation du sol84.
François BLARY livre une étude précise et minutieuse sur le domaine de Chaalis en
Ile-de-France85. Il s’agit de l’une des premières approches archéologiques à l’échelle du
domaine d’une abbaye. L’auteur prend en compte l’ensemble des granges mais aussi la
tuilerie de Commelles notamment. Il ne se contente pas d’une simple analyse des faits
historiques mais décrit précisément les vestiges conservés, leurs remaniements successifs, les
matériaux de construction, l’organisation du chantier médiéval et ouvre ainsi de nouvelles
perspectives de recherche dans lesquelles Guy de COMMINES va s’engouffrer dès l’année
suivante86. Celui-ci dirige en effet une revue sur les granges où plusieurs régions sont
abordées : le Limousin, la Bourgogne, l’Ile-de-France, le Rouergue ou encore le Berry,
mettant en évidence les caractéristiques communes et les différences (granges fortifiées en
Rouergue, grange sous forme de vastes halles dans le nord de la France). Ces études alliant
historiens, historiens d’art et archéologues tendent à pallier les lacunes des études
d’archéologie et d’archéologie du bâti sur les granges. Le problème de la conservation de ce
patrimoine est également soulevé. L’exemple des granges fortifiées montre la difficulté pour
83
C. WISSENBERG, Entre Champagne et Bourgogne. Beaumont, ancienne grange de l’abbaye cistercienne de
Clairvaux, Paris, Picard, 2007, p. 139.
84
M. MOUSNIER, L’abbaye de Grandselve et sa place dans la société et l’économie méridionales, XIIèmedébut XIVème siècles, thèse de doctorat sous la direction de Pierre Bonnassie, université de Toulouse Le Mirail,
1982 ; « Les granges de l’abbaye cistercienne de Grandselve (XIIème-XIVème siècles) », Annales du Midi, T
85, 1983, p.7-27 ; « Granges cisterciennes de la Gascogne toulousaine aux XIIème et XIIIème siècles. Une
dynamique spatiale originale », dans L. PRESSOUYRE (dir.), L’Espace cistercien, Paris, CTHS, 1994, p. 190203
85
F. BLARY, Le domaine de Chaalis, XIIème-XVème siècles. Approches archéologiques des établissements
agricoles et industriels d’une abbaye cistercienne, Paris, CTHS, 1989.
86
G. de COMMINES (dir.), « Les abbayes cisterciennes et leurs granges », Cahiers de la Ligue Urbaine et
rurale, n° 109, 1990, Paris.
- 49 -
l’historien d’art de prendre en compte une architecture où s’interpénètre cadre religieux, civil
et militaire. Ces analyses réellement enthousiasmantes témoignent de la nécessité d’étudier
globalement abbatiales, bâtiments conventuels, granges, aménagements hydrauliques et
bâtiments pré industriels (tuileries, fours, forges) pour une vision moins partielle du
patrimoine et de l’espace cistercien.
Toujours en 1990, Michel FIXOT publie un article novateur sur les porteries et la
métallurgie cistercienne à travers quelques exemples méridionaux. Il livre des études
archéologiques et de bâti très précises et d’autant plus essentielles que la fonction d’accueil
est rarement abordée dans un cadre cistercien. Ces moines sont trop souvent considérés
comme retirés du monde, ermites au « désert », et les porteries sont généralement ignorées de
l’historiographie87. Quant à la métallurgie, elle connaît un regain d’intérêt suite aux travaux de
Paul BENOÎT notamment et Denis CAILLEAUX88. Ce dernier publie en 1991 un article sur
l’abbaye de Preuilly axé sur ses bâtiments industriels. Il en livre d’excellentes descriptions
archéologiques sans tentative de synthèse ou de mise en perspective des connaissances. Il
reste dans une approche monographique qui aurait toutefois mérité des comparaisons avec
d’autres sites conservés89.
En 1993 est créé un PCR à Paris I sur les caractéristiques de l’hydraulique cistercienne
en Bourgogne, Champagne et Franche-Comté, réunissant des chercheurs comme Karine
BERTHIER, Joséphine ROUILLARD et Léon PRESSOUYRE. L’UMR 8589 regroupe ces
chercheurs de Paris I et ceux du CNRS sur ces questions d’hydrauliques et de technicités
cisterciennes (François BLARY, Paul BENOÎT, Benoît ROUZEAU). Cette priorité donnée
aux moines blancs quant à l’hydraulique et aux aménagements pré industriels tient à la
richesse de la documentation largement exploitée par ces équipes de recherche. La spécificité
cistercienne tiendrait d’ailleurs peut-être à la présence de bâtiments industriels utilisant
l’énergie hydraulique, ce dont il faudra discuter concernant le Limousin. Il apparaît en tout
cas clairement que les cisterciens sont plus des acquéreurs, de bons entrepreneurs que de réels
constructeurs (acquisitions de moulins notamment)90.
En 1994, Léon PRESSOUYRE dirige un ouvrage entièrement consacré à l’occupation
du sol et l’économie grangère qui fait date dans l’historiographie cistercienne. De nombreux
87
M. FIXOT, « Porteries, bâtiments d’accueil et métallurgie aux abbayes de Silvacane et du Thoronet »,
Archéologie Médiévale, T XX, 1990, CNRS, Paris, p. 181-252.
88
P. BENOÎT, D. CAILLEAUX (dir.), Moines et métallurgie, Paris, 1991.
89
D. CAILLEAUX, « Enquête sur les bâtiments industriels cisterciens, l’exemple de Preuilly », Bulletin de la
Société Nationale des Antiquaires de France, 1991, p. 151-164.
90
L. PRESSOUYRE, P. BENOIT, L’hydraulique monastique, milieux, réseaux, usages, Grône, 1995 ; K.
BERTHIER, J. ROUILLARD, « Nouvelles recherches sur l’hydraulique cistercienne en Bourgogne, Champagne
et Franche-Comté », Archéologie Médiévale, T 28, 1998, CNRS, Paris, p. 121-148.
- 50 -
articles d’historiens, d’historiens d’art et d’archéologues abordent les questions de mutations
du paysage, de « construction » de l’espace par les cisterciens à travers les aménagements
hydrauliques et les exploitations agricoles aux activités diversifiées. Le problème de la
conservation de ces bâtiments et aménagements sans connotation religieuse est abordée et fait
débat91.
En 1998, deux ouvrages essentiels à notre étude sont publiés, étudiant à la fois les
sanctuaires, granges et aménagements hydrauliques. Il s’agit de l’ouvrage dirigé par
Bernadette BARRIÈRE sur les cisterciens dans le diocèse de Limoges et de l’ouvrage
collectif sur « l’Ordre cistercien et le Berry »92. Le premier fait suite à une exposition
itinérante présentant les sites cisterciens principaux à Limoges, Guéret et Brive, projet dû à
l’association « Archives en Limousin ». Nombreux auteurs intervenant appartiennent au
groupe de recherche fondé par Bernadette BARRIÈRE en 1983 et rattaché au CNRS, le
Centre de Recherches Historiques et Archéologiques Médiévales (CRHAM), dont le thème
privilégié est l’occupation du sol et les relations interrégionales dans l’espace aquitain93. Cette
publication correspond en fait à un état des lieux précis des fonds d’archives conservés, des
sources figurées, des faits historiques, des réalités architecturales et sculptées des vestiges
conservés, ainsi que des réseaux hydrauliques encore visibles aujourd’hui ou connus grâce
aux plans cadastraux. Cette étude vise donc à englober plusieurs disciplines et à se faire la
plus exhaustive possible. Toutefois, chaque notice est relativement succincte (une double page
par abbaye en moyenne) et ne correspond bien souvent qu’à une introduction au site méritant
une analyse plus poussée. « L’Ordre cistercien et le Berry » est publié la même année et livre
également un point sur les sources disponibles, l’historique des fondations, la constitution du
patrimoine et le devenir des sites à l’époque moderne. Les données de l’archéologie sont
moins exploitées que dans l’ouvrage dirigé par Bernadette BARRIÈRE et l’étude des réseaux
hydrauliques reste à faire. De plus, certaines abbayes placées en limites diocèses, aux marges
du diocèse de Limoges, telles que la Colombe, Varennes et Aubignac ne soient pas évoquées.
Elles sont rejetées de la publication car situées aux confins diocésains, en marge du diocèse de
Bourges. Or, les abbayes des Pierres et de Varennes ne sont par ailleurs pas prises en compte
dans Moines en Limousin car en marge du diocèse de Bourges. Nous ne pouvons que
constater les réticences à envisager ces abbayes marginales, mal conservées et difficiles à
étudier pour l’historien et l’historien d’art face à l’indigence des sources disponibles.
91
L. PRESSOUYRE (dir.), L’Espace cistercien, Paris, CTHS, 1994.
B. BARRIÈRE (dir.), Moines en Limousin, l’aventure cistercienne, PULIM, Limoges, 1998 ; « L’Ordre
cistercien et le Berry », CAHB, n°136, 1998.
93
Ce groupe est remplacé aujourd’hui par le GRHAM (groupe de recherches historiques et archéologiques
médiévales).
92
- 51 -
La même année est également publié un ouvrage complet sur l’abbaye de Cîteaux qui,
pour la première fois, ne se contente pas des données historiques bien connues sur un site si
prestigieux. Il est fait état des matériaux de construction, de la mise en œuvre à la fois de
l’abbatiale, des bâtiments conventuels mais aussi à vocation pré industrielle (tuilerie). Le
réseau hydraulique est également étudié. Les productions artisanales comme les carreaux
décorés font l’objet d’attentions particulières, qu’ils s’agissent des techniques utilisées ou des
motifs. Un dépôt lapidaire est de même envisagé, ce qui est plutôt rare même dans les études
archéologiques actuelles. Ces éléments extraits de leur contexte sont en effet souvent mis de
côté par les archéologues et historiens de l’art face aux difficultés de datations et
d’interprétations rencontrées. Cette étude est donc très complète et ne se contente pas d’une
simple description des bâtiments religieux. L’ensemble des créations monastiques et des
aménagements du paysage sont pris en considération94. Les mêmes constatations peuvent
s’appliquer au catalogue de l’exposition tenu en 1998 à Maubuisson et qui tente cette
symbiose entre histoire, histoire de l’art et archéologie95.
Plus récemment, en juin 2006 se tient à Vesoul un colloque sur « Les granges
cisterciennes : unité et diversité. Autour de l’exemple de la Franche-Comté », organisé par les
Archives Départementales de la Haute-Saône et la DRAC de la Franche-Comté. Sur trois
jours, ce colloque a réuni des historiens, historiens d’art et archéologues tels Paul BENOÎT,
Benoît CHAUVIN, François BLARY ou encore Thomas COOMANS. Les communications
révèlent toutefois une place prééminente de l’archéologie tandis que l’histoire de l’art fait
l’objet de deux communications. Les thèmes abordés sont hétéroclites et montrent le
foisonnement de la recherche actuelle. Les granges évoquées, en Franche-Comté ou dans
d’autres régions, ont fait l’objet d’études de bâti précises, d’analyse sur les liants des
maçonneries, de cartographie des propriétés édaphiques des sols, d’études des carrières et du
réseau hydraulique nécessaire au fonctionnement de l’exploitation agricole96.
Quelques mois plus tard, en septembre, se tient un colloque à Obazine en mémoire à
Bernadette BARRIÈRE décédée en 2004. Les thèmes abordés sont le « Monde religieux :
histoire et histoire de l’art », « L’occupation cistercienne » et « L’occupation du sol et ses
94
M. PLOUVIER, A. SAINT-DENIS, Pour une histoire monumentale de l’abbaye de Cîteaux, 1098-1998,
Dijon, 1998.
95
Maubuisson à Maubuisson. Histoire et archéologie d’une abbaye cistercienne du XIIIème au XXème siècle,
catalogue de l’exposition, Maubuisson, 1998.
96
Nathalie BONVALOT, « Les cisterciens et l’occupation du sol en Franche-Comté. Recherches archéologiques
sur les granges : bilan et perspectives » ; Stéphane BÜTTNER, « L’étude des liants de maçonnerie des bâtiments
ruraux médiévaux en Bourgogne-Franche-Comté » ; Éric LUCOT, « Intérêt de la cartographie des propriétés
édaphiques des sols et leur mise en relation avec les occupations anciennes : l’exemple des granges de la
Bergerie, Vars et Montverrat ». Actes du colloque à paraître dans les Annales littéraires de l’Université de
Franche-Comté, série « Architecture », Presses Universitaires Franc-comtoises.
- 52 -
cadres de vie ». Le ton est donné : les communications regroupent historiens, historiens de
l’art et archéologues autour de sujets hétéroclites mais dans la lignée des méthodologies de
l’historienne. Ces principaux axes de recherche sont abordés et approfondis, montrant une
certaine dynamique de la recherche actuelle en Limousin qui a toutefois encore beaucoup à
faire quant à l’étude des réseaux monastiques, et particulièrement cisterciens97. En 2006 est
également publié un recueil d’articles à la mémoire de l’historienne permettant de faire un
point sur l’ampleur et la diversité de ses recherches98.
L’historiographie nous laisse ainsi présager certaines limites de la recherche, de même
que de nouvelles pistes à évaluer et à reconsidérer pour les abbayes cisterciennes du diocèse
de Limoges et de ses marges. Au sein de cette historiographie prolifique, il reste toutefois à
écarter quelques études érudites surannées qui tentent de perpétuer certains poncifs et
hypothèses de recherche stériles, comme celle d’un plan cistercien type appliqué d’abbayes en
abbayes ou d’écoles régionales battues en brèche depuis quelques années. À la lumière de
colloques et ouvrages récents, des avancées sont toutefois très nettes grâce notamment à une
certaine interdisciplinarité, et il paraît nécessaire pour l’étude d’abbayes cisterciennes mal
conservées de mêler sources historiques, études de bâti, analyses stylistiques et résultats de
l’archéologie. Le contexte historique, géographique et géo-politique est d’ailleurs le point de
départ essentiel à cette étude afin de mieux connaître le paysage où s’insère les moines blancs.
97
B. VALADAS, P. ALLÉE, « Archéologie du paysage rural » ; M-F. ANDRÉ, B. PHALIP, « Regards croisés
du géographe et de l’archéologue du bâti sur l’état de santé du patrimoine médiéval du Massif Central » ; C.
ANDRAULT-SCHMITT, « Loin de Clairvaux : des pistes pour comprendre les filiations artistiques »…
98
B. BARRIÈRE, Limousin médiéval, le temps des créations, PULIM, Limoges, 2006.
- 53 -
B. Le diocèse de Limoges.
Toute étude à l’échelle diocésaine se doit de débuter par une caractérisation
géographique, géologique et historique de l’aire prise en compte afin de tenter de mieux
cerner le paysage dans lequel évoluent les protagonistes, les évènements antérieurs pouvant
expliquer et justifier les choix et attitudes des moines cisterciens des XIIème et XIIIème
siècles.
L’histoire du diocèse de Limoges du XIème au XIIIème siècles peut être retracée
grâce aux sources conservées et à des chroniques précieuses rédigées par des clercs soucieux
de consigner par écrit et de commenter les évènements de leurs temps. Ainsi, les écrits
d’Adémar de CHABANNES, Bernard ITIER ou Geoffroy de VIGEOIS sont des témoignages
indispensables à toute étude du diocèse de Limoges à l’époque médiévale 99. C’est vers 1030
qu’Adémar rédige en trois livres l’histoire des Francs jusqu’à la mort de Pépin (768),
l’histoire de Charlemagne et son appréciation des évènements jusqu’en 1029. Geoffroy de
VIGEOIS écrit sa chronique en 1183, année des guerres sanglantes entre Henri II, roi
d’Angleterre et Henri le Jeune. Il est alors prieur depuis cinq ans à Vigeois. Quant à Bernard
ITIER, il est moine et bibliothécaire de Saint-Martial-de-Limoges de 1203 à 1225. Ces
chroniques sont des suites de notes portées dans les marges de deux manuscrits formant
l’actuel ms lat 1338 de la BNF. Autant de sources précieuses à notre étude de l’histoire du
diocèse et du contexte de la création artistique cistercienne aux XIIème et XIIIème siècles.
Cette tentative de retracer l’histoire d’un diocèse est bien sûr indissociable d’une
analyse géographique, géologique, d’une étude des paysages permettant de comprendre
notamment l’occupation du sol, les irrégularités de peuplement (zones moins peuplées dans la
Montagne Limousine notamment), les potentialités agricoles des sites, le choix des matériaux
de construction. Cette étude doit être précédée d’une interrogation sur les frontières même du
diocèse de Limoges. Il est toutefois difficile de savoir si ces limites étaient réellement perçues
par les hommes aux XIIème et XIIIème siècles. Si les clercs, évêques et moines en étaient
peut-être plus conscients comme le prouvent des conflits entre évêque de Limoges et
archevêque de Bourges à propos des abbayes marginales aux franges berrichonnes, il est plus
délicat d’imaginer l’impact sur les populations100.
99
Adémar de CHABANNES, Chronique, traduction par Yves CHAUVIN et Georges PON, Brépols, 2003 ;
Bernard ITIER, Chronique, traduction J-L. LEMAITRE, Paris, Les Belles Lettres, 1998 ; F. BONNÉLYE,
Chronique de Geoffroy prieur de Vigeois, Tulle, 1843.
- 54 -
a. Géographie et géologie.
Selon Guy LINTZ, les frontières des Lémovices avec les Pétrocores, les Santons, les
Pictaves et les Bituriges sont pratiquement calquées sur la limite géologique ; les Lémovices
occupent approximativement le socle granitique101. Les limites des territoires ne nous
semblent toutefois pas si aisées à déterminer, qu’il s’agisse de l’ancien pagus ou du diocèse
de Limoges. Avec la réorganisation de la Gaule, la cité des Lémovices est englobée dans une
Grande Aquitaine qui s’étendait de la Loire aux Pyrénées et aux Cévennes. À la fin du IIIème
siècle, Dioclétien divise l’Empire Romain en diocèses regroupant des provinces. Ainsi, le
diocèse de Viennoise comprend la province de Viennoise, la Narbonnaise Première et
Seconde, la Novempopulanie, l’Aquitaine Première et Seconde, les Alpes Maritimes. Vers
363, la cité des Lémovices est rattachée à l’Aquitaine Première dont Bourges est la capitale,
ce qui peut expliquer en partie les liens étroits entretenus entre le prélat limousin et
l’archevêque de Bourges, particulièrement durant les XIIème et XIIIème siècles intéressants
notre étude102. Le diocèse de Bourges reprend les limites de l’ancienne civitas des Bituriges
Cubi. Il correspond aux départements du Cher et de l’Indre actuels, ainsi que la moitié du
département de l’Allier, une partie de celui du Loir-et-Cher, une infime portion du Loiret,
quelques communes de Haute-Vienne, de Creuse et du Puy-de-Dôme. À l’est, la Loire forme
la limite naturelle entre ce diocèse et ceux d’Auxerre et de Nevers103.
Le pagus lemovicinus semble correspondre sensiblement à l’ancien diocèse de
Limoges. Celui-ci inclut les actuels départements de la Haute-Vienne104, de la Creuse et de la
Corrèze ainsi que le Confolentais (département de la Charente) et le Nontronnais
(département de la Dordogne). Ces limites sont celles de la formation géologique hercynienne
du pays. Elles peuvent être définies par celles actuelles de la Creuse septentrionale et
orientale, la Corrèze méridionale, par la limite géologique en Dordogne et en Charente à
l’ouest et dans l’Indre au nord105.
100
La Colombe, située aux marges des diocèses de Bourges et de Limoges, devient l’objet de conflits en 1187
entre l’évêque de Limoges Sébrand et l’archevêque de Bourges Henri de Sully, dus en partie à l’indécision des
limites des pouvoirs des deux évêques sur les frontières limousines. Les difficultés sont relatives aux droits de
prélature sur le monastère à l’occasion de la nomination des abbés. Ceux-ci doivent être ainsi alternativement
bénis par chacun des deux évêques. La bénédiction se fait en premier lieu par l’archevêque de Bourges du fait de
sa qualité de métropolitain. Les droits à percevoir sont partagés par moitié. Les biens acquis par les religieux
dépendent du diocèse sur le territoire duquel ils sont implantés.
101
G. LINTZ, Carte archéologique de la Gaule- Corrèze, Paris, 1981, p. 28.
102
J. PERRIER, Carte archéologique de la Gaule- Haute-Vienne, Paris, 1993, p. 32 ; A. CHASTAGNOL, « Le
diocèse civil d’Aquitaine au Bas-Empire », BSAF, 1970, p. 272-289.
103
G. DEVAILLY, Le Berry du Xème au milieu du XIIIème siècle, Mouton, Paris, 1973, p. 62.
104
Ce département est créé en 1790 par addition de la Basse-Marche et du Haut-Limousin. J. PERRIER, op. cit,
p. 29.
105
J. PERRIER, op. cit, p. 33.
- 55 -
Michel AUBRUN, dans son étude des paroisses de l’ancien diocèse de Limoges, s’est
particulièrement attaché à déterminer ces limites diocésaines. Il insiste sur la difficulté à en
définir le tracé, d’autant que ces frontières artificielles n’étaient peut-être pas réellement
perçues par le peuple. Selon cet historien, « la limite est considérée sous une forme linéaire
qu’elle ne pouvait avoir que dans des régions convenablement peuplées, ce qui n’est presque
jamais le cas, les marches étant alors le plus souvent des bois et des marais. »106
Malgré ces réticences, il parvient toutefois à nous éclairer sur l’emplacement de ces
limites diocésaines [Fig. 4]. Il nous semble important ici de citer dans son intégralité le
résultat de ses recherches puisqu’il paraît difficile de proposer meilleure définition de ces
frontières :
« Si l’on part de l’extrême Nord-Est du diocèse, on constate que la frontière avec
Bourges suit, en se dirigeant vers l’Ouest, un tracé qui correspond rigoureusement à la ligne
de séparation des eaux du bassin de l’Indre et de la Petite Creuse, le diocèse de Limoges
comprenant en particulier la paroisse de la Celette, attestée comme telle dès le XIème siècle.
Tout près, l’église Saint-Paul était considérée comme limousine également au XIème siècle.
On arrive ainsi à Aigurande en Berry et aux deux Lourdoueix, Saint-Pierre et Saint-Michel, en
Limousin. La limite s’infléchit ensuite vers le sud au fur et à mesure que deviennent plus
courts les affluents de la Petite Creuse, et arrive à la Grande Creuse légèrement en aval du
confluent. Après avoir traversé la Sédelle et laissé Maison-Feyne à Limoges et Bazelat à
Bourges, la frontière suit alors la ligne de faîte entre l’Anglin et la Benaize jusqu’au point le
plus septentrional du diocèse, la paroisse de Thollet.
Désormais, la direction prise est le Sud : la limite, franchissant la Benaize en amont de
la Trimouille, diocèse de Poitiers, court alors en diagonale, tantôt sur le plateau, tantôt le long
d’un ruisseau, tel celui d’Equilande et franchit la Gartempe en aval de Pont-Saint-Martin,
après avoir laissé la Baseuge, toponyme des limites en Limousin 107. La Vienne, atteinte en
amont d’Abzac, diocèse de Limoges est suivie jusqu’en aval de Manot, également à Limoges.
Ensuite abandonnant cette rivière, la limite s’infléchit à l’Ouest et, jusqu’à Mazerolles au Sud,
elle suit la ligne de séparation des eaux entre les affluents de la Charente naissante et ceux de
la Charente de l’aval. La Tardoire est franchie en aval de Montbron, le Bandiat en aval de
Javerlhac, paroisse limousine de même qu’Hautefaye.
106
M. AUBRUN, L’ancien diocèse de Limoges des origines au milieu du XIème siècle, Institut d’Études du
Massif Central, Clermont-Ferrand, 1970, p. 69.
107
L’étude des toponymes-frontières fait l’objet d’une étude plus approfondie ci-après. Voir I. D. 3. Paysages,
toponymie et hagiotoponymie.
- 56 -
C’est alors que s’amorce une curieuse avancée du diocèse de Périgueux. La frontière,
séparant les eaux du Bandiat de celles de la modeste Nizonne, garde Nontron en Limousin. En
fait, cette échancrure semble dictée par le réseau hydrographique et, jusqu’à Saint-Yrieix,
attesté en Limousin dès le VIème siècle, la limite ne fait que suivre à peu près la ligne qui
sépare le bassin de la Loire et celui de la Garonne.
La frontière descend alors nettement vers le Sud en laissant Payzac et Sainte-Trie en
Limousin. Elle remonte ensuite le cours de la Vézère, laissant Terrasson en Périgord, et
Larche en Limousin, contourne les paroisses limousines d’Estivals, Turenne et la Chapelleaux-Saints pour atteindre la Dordogne à Liourdes. Elle la quitte aussitôt pour s’engager dans
la vallée de la Cère, prenant désormais la direction de l’Est. Elle s’en éloigne au Sud de
Goulle pour emprunter plus au nord la vallée de la Maronne qu’elle remonte jusqu’au Sud de
Saint-Julien-aux-Bois. Elle prend ensuite résolument la direction du Nord qu’elle ne quittera
désormais plus.
Laissant Pleaux en Auvergne, la frontière retrouve la Dordogne au Sud de Soursac
qu’elle va suivre vers l’amont jusqu’à Confolens-Port-Dieu. Là, elle s’engage dans la vallée
du Chavanon, puis de la Ramade, laissant au diocèse de Limoges, Eygurande et MonestierMerlines.
Jusqu’à Auzance, la limite suit alors la ligne de séparation des eaux de la Tardes et du
Cher d’une part et celle du Sioulet de l’autre, laissant à Limoges Bellegarde-en-Marche et
Auzance. C’est ensuite le Cher qui sert de frontière jusqu’à son confluent avec la Tardes où se
trouve une chapelle dédiée à Sainte-Radegonde. Enfin, au hasard des limites du bassin de la
Vouèze et de la Petite-Creuse à l’Ouest et du Cher à l’Est, la limite entre les deux diocèses de
Bourges et de Limoges rejoint le point de départ que l’on s’était assigné. »108
Ces limites étant fixées, nous pouvons dès lors tenter de mieux cerner les principales
caractéristiques morphologiques des paysages constituant ce diocèse109. Le nord-est
correspond à la Haute-Marche (approximativement département de la Creuse actuelle)
s’inscrivant dans un socle hercynien irrigué de nombreux cours d’eau [Fig. 5] 110. Elle se
compose des derniers contreforts du Massif Central et présente des plateaux de moyenne
altitude culminant de 300 à 500 mètres. Les terrains sont cristallins, les sols légers et acides.
108
M. AUBRUN, op. cit, p. 69-72.
Les paysages particuliers à chaque abbaye cistercienne seront étudiés précisément par la suite. Voir I. D. 3.
Paysages, toponymie et hagiotoponymie.
110
J. M. DESBORDES, « Sitologie des structures agricoles gallo-romaines : l’exemple de la Haute-Marche »,
MSSNAC, T XI, 1980, p. 503-510.
109
- 57 -
Les schistes, micaschistes et gneiss, à l’inverse des formations granitiques, se prêtent mal à la
taille à cause de leur structure feuilletée. Les limites nord-ouest de l’ancien diocèse de
Limoges forment une frontière géologique avec les pays calcaires du pourtour tel le Berry, le
Poitou et l’Angoumois111.
Le Boischaut englobant le sud de l’actuel département de l’Indre et le sud du
département du Cher présente les mêmes sols cristallins et métamorphiques [Fig. 6]. Cette
dépression périphérique borde le Massif Central. Elle se constitue essentiellement de bocages,
de pâturages et de landes à genêts ou à fougères. Au sud-ouest, dans l’Indre, le Boischaut
rejoint la Brenne dont les paysages, longtemps voués aux bois et aux friches se caractérisent
par une multitude d’étangs, de landes et de buttons112. La « Brenne de Bélâbre » n’est guère
qu’à quelques kilomètres au nord de la frontière du diocèse de Limoges. Le grès argileux en
constitue le substrat géologique.
Le nord-ouest du diocèse de Limoges, actuel département de la Haute-Vienne,
correspond à la partie occidentale du Massif Central [Fig. 7]. Il se compose de reliefs
bosselés, d’un important réseau hydrographique et de nombreux plateaux. Les roches y sont là
encore anciennes comme en témoigne la forte présence de granite, schiste, gneiss et
micaschiste. Le climat y est relativement humide, les terrains imperméables. Un quart du
territoire est encore boisé aujourd’hui113.
La frontière nord-occidentale du diocèse de Limoges est en contact avec l’ancien
diocèse d’Angoulême, correspondant aujourd’hui à la plus grande partie du département de la
Charente [Fig. 8]. Ce dernier s’appuie en effet sur les contreforts cristallins de la bordure
ouest du Massif Central. Le nord-est appartient très tôt aux Lémovices (Confolentais), tandis
que l’ouest dépend de Mediolanum (Saintes) et le Ruffecois à Lemonum (Poitiers). Ce sont
majoritairement les terrains géologiques secondaires qui sont privilégiés par l’homme tels les
plateaux calcaires de l’Angoumois ou le Cognaçais. La présence encore importante de zones
boisées s’explique par les contraintes pédologiques114.
Au sud-ouest, le diocèse de Limoges rencontre le diocèse de Périgueux, correspondant
globalement au département actuel de la Dordogne [Fig. 9]. La cité Lémovice empiétait en
Nontronnais. Suite à la christianisation, la majorité des paroisses du Nontronnais relevait du
diocèse de Limoges, ainsi que la frange orientale des cantons de Lanouaille, Excideuil et
111
J. M. DESBORDES, L’archéologie du paysage rural en Limousin, Limoges, 1997, p.8.
G. COULON, J. HOLMGREN, Carte archéologique de la Gaule, Indre, Paris, 1992, p. 31 ; D. DUSSOT,
Carte archéologique de la Gaule, Creuse, Paris, 1989, p. 29-41 ; J. F. CHEVROT, J. TROADEC, Carte
archéologique de la Gaule, Cher, Paris, p. 27-30.
113
J. PERRIER, op. cit, p. 29.
114
C. VERNOU, Carte archéologique de la Gaule. La Charente, Paris, 1993, p. 24-26.
112
- 58 -
Hautefort où s’implantent les moines de Dalon. Elles correspondent ainsi aux marges
limousines du Massif Central. Les environs de Saint-Pardoux-La-Rivière, Hautefort et
Excideuil témoignent de reliefs karstiques et granitiques. Dalon est située à la limite du horst
cristallin et du bassin sédimentaire aquitain. Il s’agit d’une région de transition entre le
Limousin et l’Aquitaine115. Les paysages à l’est d’une ligne Nontron/Excideuil ont pris le nom
de « Périgord Vert ». Le modelé des reliefs y est peu accentué, couvert de châtaigniers. Les
vallées sont étroites et encaissées. À l’est il rejoint la bordure du Bassin de Brive entre Vézère
et Auvézère116.
Le sud du diocèse de Limoges s’apparente à l’actuel département de la Corrèze [Fig.
10]. Le relief s’abaisse rapidement vers le Bassin Aquitain. Il comprend la Montagne
Limousine, à savoir le plateau de Millevaches et de Massif des Monédières (700m), le plateau
corrézien (600m) et le Bas Pays (pénéplaine entaillée de vallées profondes). Géologiquement
parlant, le département est partagé en deux suivant une ligne nord/sud. À l’est, il s’agit de
granite, schiste, micaschiste et gneiss. À l’ouest, des micaschistes, gneiss, grès et calcaires au
sud117.
Les paysages du diocèse de Limoges paraissent ainsi relativement boisés, irrigués de
nombreux cours d’eau et présentent une relative homogénéité géologique. Les roches
métamorphiques sont incontestablement les plus présentes, tels les granites, gneiss et schiste.
Les terres calcaires n’apparaissent guère qu’au sud de la Corrèze et à l’ouest de la Charente.
Cette unité relative des paysages aura vraisemblablement une incidence sur le comportement
des moines cisterciens (agriculture, matériaux et techniques de construction). C’est ce dont
nous devrons discuter dans la suite de notre étude. Les cadres historiques et politiques sont
également incontournables à toute étude à l’échelle d’un diocèse.
115
M-C. PEYRAT, L’abbaye de Dalon et son environnement aux XIIème-XIIIème siècles, mémoire de maîtrise
d’histoire médiévale, dir. B. BARRIÈRE et J. VERDON, 1990, T I, p. 12.
116
H. GAILLARD, Carte archéologique de la Gaule. La Dordogne, Paris, 1997, p. 44.
117
G. LINTZ, op. cit, p. 19.
- 59 -
b. Le diocèse de Limoges, espace intégré à l’Aquitaine ducale (XIème-XIIème siècle).
Afin de mieux percevoir le contexte social, religieux et politique dans lequel les
moines blancs vont devoir évoluer, il semble essentiel de préciser l’histoire du diocèse de
Limoges, qu’il s’agisse du cadre paroissial, épiscopal ou des réseaux aristocratiques. Les
cisterciens apparaissant au cœur des conflits entre Plantagenêts et Capétiens, il convient de
discerner tout particulièrement les origines et les grandes phases de ces dissensions. Nous
devons pour cela évoquer la royauté autour de l’an Mil et l’histoire des premiers rois
Capétiens.
Dès 853, Robert le Fort est chargé de la marche de Neustrie comprenant l’Anjou et le
Maine, face à la poussée bretonne puis aux envahisseurs normands. En 855, Charles est oint
roi de France, d’Aquitaine et de Bourgogne à Limoges, dans la basilique du Sauveur. Cette
consécration laisse présager l’importance réelle de la cité limousine dans la Grande Aquitaine
dans laquelle elle est insérée depuis le IVème siècle 118. En 886, Eudes, comte de Paris, est
chargé du comté de Tours et d’Angers. Il est élu roi en 888. En 898, Charles le Simple devient
roi à son tour.
Dès 927, les comtes de Poitiers héritent du comté de Limoges. Ceux-ci sont, autour de
l’an Mil, à la tête d’une principauté qui va des abords de la Loire jusqu’à la Gironde,
comprend les confins de l’Auvergne, le Poitou, le Berry Méridional, le Limousin, la
Saintonge, l’Angoumois et enfin le Périgord. Leur influence est ainsi réellement considérable
en Aquitaine. En 929, Foulque Ier le Roux devient comte d’Anjou. Le début du XIème siècle
est également dominé par la personnalité du duc d’Aquitaine Guillaume Le Grand et le comte
d’Angoulême, Guillaume IV119. Quant à Foulques Nerra (987-1040), il peut être considéré
comme le fondateur de cet État angevin qui sera celui de ses descendants Plantagenêts. Il
élève quantité de châteaux pour protéger ses frontières tels Montbazon ou Montreuil-Bellay
(vers 1030)120.
Les rapports entre les princes aquitains et l’Église sont étroits, notamment dans la
seconde moitié du XIème siècle. En effet, Gui-Geoffroy (1056-1087) continue la politique de
son beau-père, le comte d’Anjou Geoffroy Martel en dotant largement ses propres fondations
monastiques, en Saintonge notamment. Il soutient la réforme amorcée en Aquitaine par
Hugues de Semur, abbé de Cluny en lui offrant Montierneuf de Poitiers en 1076 et Sainte118
Adémar de CHABANNES, Chronique, traduction par Yves CHAUVIN et Georges PON, Brépols, 2003, p.
217.
119
Adémar de CHABANNES, op. cit, p. 8.
120
R-H. BAUTIER, « Les Plantagenêts et le roi de France », dans L’œuvre de Limoges. Art et histoire au temps
des Plantagenêts, Actes du colloque, musée du Louvre, 1995, Paris, 1998, p. 109-122.
- 60 -
Eutrope de Saintes en 1081. L’abbé avait profité de son passage en Aquitaine pour réformer
certaines abbayes comme Maillezais et Saint-Jean-d’Angély en 1060, Saint-Martial de
Limoges en 1063 ou encore Saint-Maixent en 1069121.
En 1058, les comtes de Poitiers acquièrent Bordeaux et le duché de Gascogne. Au
XIème siècle, le Limousin éclate en seigneuries vassales du duc. On compte dès lors six
sièges de vicomtés : Limoges, Comborn, Turenne, Ventadour, Rochechouart et Aubusson. Il
comprend également le Comté de la Marche avec Charroux. Les vicomtes de Limoges
apparaissent dans le dernier quart du IXème siècle. Ils sont issus d’Hildebert, vassal royal de
Charles le Chauve et prêtent hommage aux comtes de Poitiers 122. Leur territoire se confond
approximativement avec le diocèse (hors comté de la Marche). Dès leur entrée en scène à
Limoges, des tensions naissent avec les abbés de Saint-Martial, contentieux lié à l’exercice de
la puissance publique sur la ville. Le siège primitif du pouvoir vicomtal pourrait être une
motte castrale dès l’origine, établie en même temps que l’édification d’une enceinte urbaine
par les abbés, englobant le quartier des Combes et celui de Saint-Michel-des-Lions123. Au
Xème siècle, le territoire s’émiette avec l’apparition du Comté de la Marche. D’après Michel
ROUCHE, ce comté existe déjà en germe au VIIIème siècle. En effet, en 766, Pépin le Bref
crée une marche au sud du Berry où il installe Remistan, oncle du prince d’Aquitaine. Cette
zone de défense est dominée par la forteresse d’Argenton-sur-Creuse. Il s’agit d’une marche
provisoire en attendant l’occupation finale de toute la province par les Francs. Néanmoins,
Remistan trahit la couronne pour se mettre au service de son neveu 124. Cette région est érigée
en comté indépendant au Xème siècle au profit de Boson le Vieux, vassal du Poitou. Il s’agit
d’une marche militaire du Limousin et du Poitou contre les invasions normandes et les terres
royales du Berry. Malval et Crozant servent alors de sentinelles avancées125.
Les vicomtes de Turenne, Ventadour, Comborn, Aubusson et le comte de la Marche
apparaissent rétifs à toute autorité royale ou féodale. Les vicomtes de Turenne et le comte de
la Marche frappent même monnaie, ce qui atteste de leur volonté d’indépendance et
d’autonomie. Au XIIème siècle, la seigneurie de Bridiers est récupérée par les vicomtes
berrichons de Brosse tandis que la seigneurie de Chambon-Combrailles passe aux mains des
121
A. DEBORD, Aristocratie et pouvoir. Le rôle du château dans la France Médiévale, Paris, Picard, 2000, p.
131.
122
A. DEBORD, op. cit, p. 46.
123
D. DELHOUME, « les vicomtes de Limoges et l’abbaye : difficultés et enjeux d’un pouvoir urbain (XèmeXIVème siècles) », dans C. ANDRAULT-SCHMITT (dir.), Saint-Martial de Limoges. Ambition politique et
production culturelle (Xème-XIIIème siècles), PULIM, Limoges, 2006, p. 71-86.
124
M. ROUCHE, L’Aquitaine des Wisigoths aux Arabes (418-781), Lille, 1977, T I, p. 117.
125
Le Limousin entre France et Angleterre, XIIème-XVème siècles, Archives Départementales, Conseil Général
de la Haute-Vienne, Limoges, 1999, p. 27.
- 61 -
comtes d’Auvergne. Au XIIIème siècle, le Comté de la Marche est détenu par les poitevins
Lusignans [Fig. 70].
Ces vicomtés s’appuient sur un maillage dense de châteaux au but militaire et
administratif [Fig. 75].
Selon André DEBORD, « Les détenteurs des terres assurent un contrôle social plus
direct en se dotant de l’instrument de leur domination, le château »126. Ainsi, les pauperes,
hommes libres les plus démunis, subissent le poids des coutumes imposés par le ban châtelain
tandis que les milites, petite aristocratie rurale, sont des vassaux dont la résistance au ban a
contribué à créer une classe de guerrier. Les vicomtes tentent par ailleurs de s’affranchir peu à
peu d’une tutelle ecclésiastique pesante.
L’évêque de Limoges est en effet un des seigneurs les plus stables et les plus influents
du diocèse. Son alliance est pour cela tout particulièrement recherchée des rois de France. Le
diocèse de Limoges est rattaché à la province de Bourges et non à celle de Bordeaux. Il
échappe ainsi quelque peu au duché d’Aquitaine et peut conserver une certaine autonomie.
Limoges est en position charnière de ces deux provinces, ce qui encourage les liens avec
l’ouest mais aussi le nord et les territoires capétiens.
Une des autres grandes puissances du diocèse de Limoges, au XIème siècle
notamment, est l’abbaye Saint-Martial. Selon Geoffroy de VIGEOIS, la basilique du Sauveur
de Limoges est consacrée le 17 décembre 1028. Elle est incendiée à peine trente ans plus tard,
en 1053. Dix ans après, les moines de Cluny s’en emparent à l’instigation de Pierre
d’Escausarie127. Elle est de nouveau consacrée par Urbain II en 1095.
Les querelles sont d’ailleurs fréquentes entre les évêques de Limoges et les puissants
abbés. Un des enjeux de la concurrence est « d’assurer le respect des droits et la sécurité des
uns et des autres », ne pouvant se faire qu’avec l’aval et le soutien de l’aristocratie. Dans la
seconde moitié du XIème siècle, l’évêque de Limoges est lui-même étroitement lié à la
noblesse, à la tête d’un important patrimoine foncier. Sa position temporelle est ainsi non
négligeable, et il reçoit pour cela les hommages du comte de la Marche, des vicomtes de
Ventadour, Turenne, Comborn, Rochechouart, Brosse. La donne change en 1063 lors de
l’affiliation de Saint-Martial à Cluny. Selon Myriam SORIA AUDEBERT, elle permet la
126
127
A. DEBORD, op. cit, p. 127.
F. BONNÉLYE, Chronique de Geoffroy prieur de Vigeois, Tulle, 1843, p. 27.
- 62 -
libération de l’abbaye des empiètements du vicomte et ouvre la voie à la réforme monastique
dans le diocèse de Limoges. La volonté des abbés est alors de contrôler les élections
épiscopales afin d’évincer et d’écarter l’aristocratie limousine. En 1097, c’est d’ailleurs un
prieur de Saint-Martial, Guillaume d’Huriel, qui devient évêque128.
Quant aux moines cisterciens, ils sont évoqués par les différents chroniqueurs
limousins contemporains. Bernard ITIER signale la naissance de l’ordre en 1096, avec une
erreur de deux années. En 1170, il nous apprend que Garin, nouvel archevêque de Bourges,
était auparavant abbé de Pontigny. Les moines blancs accèdent ainsi aux plus hautes
responsabilités, malgré leur volonté apparente de retrait des affaires du siècle 129. En 1210, il
cite douze abbayes cisterciennes en Berry, deux seulement en Limousin au lieu de dix et
quatre en Périgord au lieu de trois130.
Quant à Geoffroy de Vigeois, il écrit :
« Les moines de Cîteaux, il est vrai, font beaucoup
d’aumônes de leur travail ; ils chantent régulièrement les
psaumes et observent plusieurs pratiques de piété.
Cependant, ils enlèvent, par la ruse et la violence, les
propriétés des autres. Ainsi, ceux d’Obasine ont usurpé
une terre à ceux de Vigeois ; ceux de Dalon ont enlevé les
dîmes de Salom, qui appartiennent au prieur d’Arnac. Ils
détruisent indignement les noms et les légendes des saints
dont les reliques reposent même dans le diocèse, au point
que ceux de Pontigny ont effacé du collectaire les noms de
sainte Valérie, de saint Yrieix et de saint Pardoux »131.
Ses écrits nous apprennent ainsi de quelle manière les moines blancs pouvaient être
perçus par leurs contemporains. Hommes rusés, sournois, voleurs, cette vision est bien
négative mais reste à prendre avec précaution : les clercs de Vigeois sont entrés plusieurs fois
128
M. SORIA AUDEBERT, « Les évêques de Limoges face aux abbés : la question du soutien nobiliaire (milieu
XIème-fin XIIème siècles) », dans C. ANDRAULT-SCHMITT (dir.), Saint-Martial de Limoges. Ambition
politique et production culturelle (Xème-XIIIème siècles), PULIM, Limoges, 2006, p. 101-113.
129
B. ITIER, op. cit, p. 23.
130
B. ITIER, op. cit, p. 38.
131
F. BONNÉLYE, op. cit, p. 145.
- 63 -
en conflit avec les moines d’Obazine. Geoffroy de VIGEOIS prêche peut-être simplement
pour sa paroisse.
Ainsi, à l’aube des conflits entre Plantagenêts et Capétiens, l’évêque de Limoges fait
partie des puissances incontournables du diocèse. La basilique du Sauveur est influente, les
moines de Cluny rayonnent, tandis que les nombreuses seigneuries turbulentes et belliqueuses
laissent présager les difficultés à venir quant à l’affirmation d’une quelconque autorité royale
dans le diocèse. Région ouverte sur l’ouest et le nord de la France, marge septentrionale de
l’Aquitaine, la position charnière du diocèse va en faire une place stratégique, attirant les
convoitises royales, et par là même les conflits les plus violents.
c. Le pouvoir royal. Le diocèse de Limoges entre Capétiens et Plantagenêts (11561259).
Selon Richard LANDES, il existerait une tradition aquitaine « hostile et méprisante
aux Capétiens », sensible notamment au sud de l’Angoumois où les seigneurs se proclament
descendants de Vulgrin et se montrent rétifs à toute autorité extérieure. En 987, lorsque
Hugues Capet est élevé à la Royauté, Guillaume, duc d’Aquitaine, refuse de s’y soumettre 132.
La reconnaissance de Robert Le Pieux paraît néanmoins plus aisée, surtout dans le Midi de la
France. Ce qui n’empêche pas la révolte d’Aldebert, comte de la Marche, contre le roi
capétien entre 994 et 997133.
Les premiers Capétiens ne manquent toutefois pas d’atouts pour se faire respecter en
tant que souverains : le caractère sacré de leur royauté, une certaine continuité dynastique sont
des avantages considérables. Ils vont s’attacher la personnalité de Charlemagne tandis qu’à
des fins de propagande idéologique, les Plantagenêts récupèrent la personnalité mythique
d’Arthur. Les rois anglais se doivent en effet de légitimer leur dynastie et l’accès au trône
d’Angleterre par l’assimilation à la descendance des prestigieux rois Bretons134. Les Capétiens
ont quant à eux une bonne réputation dans les milieux cléricaux. Pour Richard LANDES, une
tradition orale, laïque est plutôt anticapétienne. À l’inverse, une tradition ecclésiastique,
réfléchie, littéraire est plutôt pro capétienne135. Qu’en est-il toutefois concernant le diocèse de
Limoges et comment les seigneurs laïcs et ecclésiastiques réagissent-ils entre Plantagenêts et
132
A. DE CHABANNES, op. cit, p. 233.
A. DE CHABANNES, op. cit, p. 234.
134
A. CHAUOU, « Arturus redivivus : royauté arthurienne et monarchie politique à la cour Plantagenêt (11541199) » dans M. AURELL (dir.), Noblesses de l’espace Plantagenêt (1154-1224), Table ronde tenue à Poitiers le
13 mai 2000, Poitiers, 2001, p. 67-78.
133
- 64 -
Capétiens ? Avant d’approfondir ces rapports entre rois, évêques et seigneurs, quelles sont
principales étapes des conflits entre les deux royautés aux XIIème et XIIIème siècles en
Limousin ? Ces précisions historiques et chronologiques semblent la base à toute étude du
diocèse de Limoges, tiraillé entre Plantagenêts et Capétiens.
Dans les années 1130, Geoffroy Plantagenêt impose son pouvoir à ses barons de
l’Anjou, du Maine et de Touraine. La présence anglaise est tangible dans certaines régions
aquitaines. Dès 1136, il entreprend la conquête de la Normandie et s’attribue le titre ducal 136.
Vers 1137, le diocèse de Limoges commence à susciter l’intérêt de Louis VII. À partir de
l’année 1149, Henri Plantagenêt prend le titre de duc de Normandie et de comte d’Anjou. Son
rayonnement commence à s’étendre sur une grande moitié ouest du territoire français. En
1152, les Plantagenêts aussi focalisent leur attention sur le diocèse en position stratégique,
frontière nord-est de l’Aquitaine, marge entre domaine royal et aquitain. À cette date, Henri II
impose deux tuteurs de son choix au jeune vicomte de Limoges, Adémar V. Il le marie
d’ailleurs à Sarah de Cornouailles. Sa mainmise dans les affaires et institutions limousines est
palpable. En 1154, le mariage d’Henri II et Aliénor d’Aquitaine est évoqué dans la Chronique
de Geoffroy de VIGEOIS. Henri se fait couronner roi à Westminster. Il est alors maître d’un
domaine qui s’étend sur tout l’ouest de la France, des Pyrénées au nord de l’embouchure de la
Seine, englobant avec l’Aquitaine une large partie des comtés de la Loire moyenne, ainsi que
la Normandie et l’Angleterre. Sur ces deux derniers territoires, le roi exerce un patronage
direct sur les évêchés, les chapitres et chapellenies, tandis qu’en Anjou et Aquitaine, le choix
des prélats reste plus libre. Les rois anglais couvrent les terres conquises de châteaux à double
vocation résidentielle et militaire, témoignant symboliquement de l’établissement d’une
monarchie guerrière et de la difficulté à gouverner un territoire souvent en révolte137.
C’est surtout à partir de 1167 que la présence d’Henri II et de ses fils est plus
tangible138. En 1171, Richard Cœur de Lion pose la première pierre du monastère SaintAugustin de Limoges. En 1172, il devient comte de Poitou et reçoit à Poitiers la lance sacrée
et l’étendard du duché139. La même année, il est intronisé à Limoges en tant que duc
135
R. LANDES, « L’accession des Capétiens. Une reconsidération selon les sources aquitaines. », Religion et
culture autour de l’an Mil. Royaume capétien et Lotharingie, Actes du colloque Hugues Capet 987-1987, La
France de l’an Mil, Picard, 1990, p. 151-166.
136
R-H. BAUTIER, op. cit., p. 109-122
137
M. AURELL, L’Empire des Plantagenêt, Perrin, Paris, 2004, p. 43.
138
B. BARRIÈRE, « Le Limousin et Limoges au temps de l’émail champlevé », dans E. TABURETDELAHAYE, B. DRAKE-BOEHM (dir.), L’œuvre de Limoges : émaux limousins du Moyen-Âge, exposition,
Paris, Musée du Louvre, New-York, Metropolitain museum of art, 1996, Paris RMN, 1995, p. 22-29.
139
Richard Cœur de Lion, roi d’Angleterre, duc de Normandie, 1157-1199, Actes du colloque international de
Caen, 1999, Condé-sur-Noireau, 2004, p. 13.
- 65 -
d’Aquitaine. Cette intronisation a fait l’objet d’un cérémonial particulier visant à affermir la
légitimité des rois anglais et à les ancrer plus fortement en Aquitaine, et tout particulièrement
en Limousin. Au début du XIIIème siècle, Hélie de l’Aumônerie rédige le cérémonial pour le
couronnement des ducs d’Aquitaine. L’abbé ARBELLOT précise que de Charles Le Chauve à
Richard-Cœur-de-Lion, cinq rois ou ducs d’Aquitaine ont été ainsi couronnés à Limoges.
Cette affirmation s’avère toutefois erronée, seul Richard a bénéficié de cette cérémonie 140.
Elle se déroule de la manière suivante : le duc et sa suite s’arrêtent devant les portes de la
cathédrale de Limoges. L’évêque et le chapitre s’avancent et revêtent le duc d’un manteau de
soie. Puis le prélat lui passe au doigt l’anneau de sainte Valérie, martyr célébrée à Chambon
notamment, très appréciée en Limousin, pose un cercle d’or sur sa tête et lui présente la
bannière. Il paraît probable que cet anneau ait été inventé de toute pièce puisque nous n’avons
aucune trace auparavant d’une telle relique en Limousin. Par la suite, il n’apparaîtra plus dans
aucune cérémonie et disparaît aussi promptement qu’il a été introduit. Ensuite, une épée est
remise au prélat qui la place dans la main du duc. Ce dernier prête serment de respecter et
défendre les droits de l’église de Limoges. Le doyen lui chausse les éperons, le chantre le fait
asseoir dans la stalle du doyen. Les seigneurs de sa suite se placent à ses côtés. Enfin,
l’évêque célèbre la messe141. Cette mise en scène témoigne bien de l’importance grandissante
de Limoges pour les territoires aquitains et les rois anglais ne négligèrent pas cet atout,
inventant de toute pièce un cérémonial ayant pour but de légitimer leur présence et leur
autorité, recourant à une martyr aimée des limousins pour appuyer leur royauté et justifier
leurs prétentions sur les territoires des pays d’Ouest.
Henri II va chercher de plus à placer ses hommes sur les sièges épiscopaux
d’Aquitaine, ce qui est particulièrement flagrant pour le diocèse de Limoges en 1177. C’est
aussi à cette date que le roi rachète le comté de la Marche. La période de troubles entre 1174
et 1178 se ressent pour certains sites monastiques tel Obazine et ses granges qui sont murées
et protégées142. Louis VII encourage en effet les révoltes des vassaux d’Henri II, notamment le
vicomte de Thouars. Les conflits avec les vicomtes de Limoges, les comtes de la Marche et
d’Angoulême, les vicomtes de Turenne et de Comborn sont incessants.
140
J. ARBELLOT, « Cérémonial du couronnement des ducs d’Aquitaine à Saint-Martial », BSAHL, T 39, 1892,
p. 725-726 ; B. BARRIÈRE, « L’anneau de Valérie, mythe ou réalité ? » dans l’ouvrage collectif, Valérie et
Thomas Becket. De l’influence des princes Plantagenêt dans l’œuvre de Limoges, Limoges, 1999.
141
J. ARBELLOT, op. cit, p. 725-726.
142
B. BARRIÈRE, L’abbaye cistercienne d’Obazine en Bas-Limousin, les origines- le patrimoine, Tulle, 1977,
p. 29. Nous n’avons toutefois aucun vestige tangible de ces fortifications et protections établies dans la seconde
moitié du XIIème siècle.
- 66 -
En 1180, c’est l’avènement de Philippe-Auguste qui va rapidement reprendre en main
son royaume et empiéter peu à peu sur les territoires anglais. Pour André DEBORD, face aux
pressions anglaises, les seigneurs et vicomtes ont semblé préférer l’alternative capétienne.
« En Aquitaine, après les révoltes contre Henri II, les châtelains ont dû se soumettre :
ils n’ont récupéré leurs alleux qu’en les reprenant en fief du duc d’Aquitaine et, pour tenter de
résister aux Plantagenêts, ils ont eux-mêmes joué la carte de la vassalité en se tournant vers le
roi de France». C’est ainsi que dès 1181, Guillaume Taillefer, comte d’Angoulême, reconnaît
Philippe-Auguste comme son seigneur, de même en 1194 pour Adémar et Geoffroi de
Rancon143. Dès 1187, le roi capétien s’empare de diverses places en Berry comme Graçay et
Issoudun et d’une partie de l’Auvergne. Le Berry sert en effet de tampon entre le domaine
royal de la vallée de la Loire et les fiefs angevins au sud. En 1189, Henri II renonce à sa
suzeraineté en faveur des Capétiens. Philippe-Auguste peut ainsi imposer son autorité féodale.
En 1190, à la veille de la Croisade, Philippe-Auguste prend treize abbayes cisterciennes sous
sa protection. Il marche ainsi dans les pas de Louis VII concernant ses rapports avec les
bourgeois et les ecclésiastiques144. Le Traité de Gaillon est enfin signé entre Philippe et
Richard en 1196. Richard renonce à l’Auvergne mais obtient Issoudun et Graçay, les fiefs de
la Châtre, de Saint-Chartier et du Châtelet, le fief de Châteaumeillant comme Eudes de Déols
le tenait du roi de France. Le vicomte de Brosse et le comte d’Angoulême récupèrent leurs
terres. Bernard III de Brosse fait alors serment d’allégeance à Philippe-Auguste 145. Les
Plantagenêts enchaînent les déboires et malchances en cette fin de XIIème siècle. En 1199,
Richard-Cœur-de-Lion est tué à Châlus. Aliénor prête bientôt hommage à Philippe-Auguste
pour le Poitou.
Au début du XIIIème siècle, l’autorité du roi de France se fait de plus en plus présente.
En 1200, le Traité de Goulet est signé entre Philippe-Auguste et Jean-Sans-Terre. Philippe y
renouvelle ses alliances avec Adémar, vicomte de Limoges et Adémar comte d’Angoulême.
Isabelle, fille d’Adémar d’Angoulême est fiancée à Hugues de Lusignan, comte de la Marche.
Jean s’en empare et l’épouse pour gagner la fidélité d’une baronnie indisciplinée. En 1201, il
envahit le Comté de la Marche. Entre 1202 et 1206, la roue semble tourner de manière
ostensible en faveur des Capétiens. Le roi récupère en effet toutes les possessions anglaises
excepté la Guyenne. En novembre 1204, Philippe-Auguste reçoit l’hommage de l’évêque de
143
A. DEBORD, op. cit, p. 199.
J. W. BALDWIN, Philippe Auguste et son gouvernement. Les fondations du pouvoir royal en France au
Moyen-Âge, Fayard, 1991, p. 106.
145
Eudes de Déols est le second fils d’Ebbe II (1141-1160). G. DÉSIRÉ DIT GOSSET, E. ROUSSEAU, « Le
traité de Gaillon (1196) : édition critique et traduction », dans Richard Cœur de Lion, roi d’Angleterre, duc de
Normandie, 1157-1199, Actes du colloque international de Caen, 1999, Condé-sur-Noireau, 2004, p. 67-74.
144
- 67 -
Limoges qui était harcelé par le roi Jean. Le Capétien prend dès lors le siège épiscopal sous sa
protection146. La même année, la prise de Château-Gaillard, forteresse des Plantagenêts
marque l’effondrement progressif de leur royaume. Entre 1206 et 1212, une période
d’accalmie semble s’établir. La Champagne, la Bretagne et la Lorraine acceptent la
domination capétienne sans trop de heurts. Boulogne et la Flandre se joignent toutefois aux
anglais147. Vers les années 1215, Jean-Sans-Terre fait sentir de plus en plus sa présence en
Angoumois, Limousin et Saintonge. Il gagne la confiance des vicomtes de Limoges et des
Lusignans. Il offre sa fille Jeanne à Hugues, comte de la Marche 148. En 1224, Bernard ITIER
écrit :
« Le roi Louis, la première année de son règne, entreprit
de ramener à lui tout le duché d’Aquitaine, et il eut avec
lui le comte d’Angoulême et de la Marche, le vicomte de
Limoges et celui de Turenne »149.
À partir de cette date en effet, les hommages se multiplient. Il s’agit d’hommages lige,
étroite allégeance jusque là inconnue des châtelains. Ils doivent prêter serment d’aider le
prince contre d’éventuels châtelains infidèles et traîtres à leur roi. Les Capétiens opèrent ainsi
peu à peu une véritable « territorialisation » de l’autorité du prince150.
En 1259, le Traité de Paris permet une redistribution des terres. Henri III renonce à la
Normandie, le Maine, la Touraine et le Poitou tandis que la Guyenne, le diocèse de Périgueux,
de Cahors et de Limoges lui sont restitués. Pour ces terres, il doit néanmoins faire hommage
au roi de France151. La cité de Limoges reste de plus aux Capétiens, alors même que le
Château Saint Martial redevient anglais. Si l’abbaye semble s’en accommoder, les vicomtes
acceptent mal ce joug. Une guerre se déclenche de 1260 à 1276 qui voit la victoire de la
vicomté avec l’appui du roi de France152.
Si nous nous attachons à présent plus précisément aux réactions des principaux
protagonistes pris entre rois anglais et français, elles paraissent bien hétérogènes. Les
vicomtés du diocèse de Limoges vont réagir différemment face à la tentative de mainmise des
146
J. W. BALDWIN, op. cit., p. 397.
J. W. BALDWIN, op. cit, p. 256.
148
J. W. BALDWIN, op. cit., p. 276.
149
B. ITIER, op. cit, p. 70.
150
A. DEBORD, op. cit, p. 199.
151
Le Limousin…, op. cit, p. 49.
152
B. BARRIÈRE, « Le Limousin et Limoges… », op. cit, p. 22-29.
147
- 68 -
Plantagenêts et aux prétentions montantes des Capétiens, et bien souvent ces seigneurs seront
utilisés par les rois de France pour saper l’autorité des souverains anglais153. Martin AURELL
cerne avec perspicacité les jeux politiques menés par l’aristocratie limousine : « En Aquitaine,
les véritables acteurs sociaux restent les comtes, vicomtes, châtelains, barons et chevaliers,
dont les seigneuries et le savoir-faire militaire assurent leur suprématie au sommet de la
hiérarchie du pouvoir. Cette aristocratie a vite fait de comprendre que tout son intérêt est de
demeurer sous la domination d’une dynastie étrangère et éloignée, plutôt que de voir sa marge
d’autonomie se rétrécir comme une peau de chagrin face à l’administration française
conquérante. Elle a saisi que le conflit entre les Plantagenêts et les Capétiens méritait d’être
entretenu par ses revirements, infidélités et trahisons qui empêcheraient à l’une des deux
dynasties de l’emporter définitivement pour s’imposer de façon durable et forte en Aquitaine,
libre de toute autre concurrence royale. »154
Dès 1168, Audebert, comte de la Marche et Guillaume d’Angoulême se soulèvent
contre le roi d’Angleterre et ouvrent le bal à une série de rébellions qui va bouleverser le
diocèse de Limoges pendant un siècle155. Les vicomtes de Limoges sont la plus puissante
autorité laïque dont la fidélité aux rois de France ne faillira guère. Aymard V (1148-1199)
notamment
est
au
cœur
de
toutes
les
coalitions
contre
Richard-Cœur-de-Lion
(particulièrement en 1174). En représailles, Richard fait démanteler les murailles du Château.
Les vicomtes de Limoges prendront par la suite le parti d’Henri le Jeune. Ils paraissent ainsi
réellement prêts à toutes les trahisons et versatilités pour tirer meilleur parti d’une situation
conflictuelle. En 1198, Richard punit les vicomtes de Limoges et le comte d’Angoulême
d’être passés du côté du roi de France. Il assiège Châlus où il est tué en 1199. En 1207, JeanSans-Terre obtient tout de même l’allégeance du vicomte de Limoges et des maisons de
Lusignan, Mauléon et Thouars. Les Comborn, alliés des vicomtes de Limoges, sont ainsi tout
naturellement ligués contre les rois Anglais. Les Malemort soutiennent quant à eux les
Plantagenêts. En 1247, Ebles de Ventadour rend hommage à Louis IX. Quant aux Turenne, la
soumission aux rois de France est négociée, en échange du maintien de la dignité vicomtale,
de leurs droits et prérogatives, franchises, libertés et privilèges. Ils sont exemptés à l’égard du
roi de France de tout subside et levée de troupes. En 1212, Raymond de Turenne fait alors
hommage à Philippe-Auguste qui s’engage en contrepartie à ne jamais séparer la seigneurie
du domaine156.
153
Le Limousin…, op. cit, p. 27.
M. AURELL, « Noblesse et royauté Plantagenêt (1154-1224) » dans M. AURELL (dir.), Noblesses de
l’espace Plantagenêt (1154-1224), Table ronde tenue à Poitiers le 13 mai 2000, Poitiers, 2001, p. 9-64.
155
F. BONNÉLYE, op. cit, p. 131.
156
Le Limousin…, op. cit, p. 24.
154
- 69 -
Quant aux évêques, ils sont les auxiliaires actifs des rois de France et s’opposent avec
ferveur aux Plantagenêts. Sébrand Chabot en particulier s’attire les foudres du roi Richard.
Les domaines des évêques et des abbés de Saint-Martial étant menacés par les déprédations
des mercenaires des Plantagenêts, ceux-ci décident d’oublier un temps leurs différends et de
s’associer pour fonder une milice en 1177. Ils sont à l’origine d’un massacre à Malemort. Par
la suite, l’abbé de Saint-Martial disparaît des différentes luttes tandis qu’évêques et seigneurs
se rapprochent. Depuis le milieu du XIIème siècle, les abbés de Saint-Martial manifestent leur
attachement loyal aux ducs d’Aquitaine en place, fidélité qui ne dure pas face à l’attitude des
Plantagenêts. Ils semblent ainsi tiraillés entre rois anglais et français et préfèreront bien
souvent rester en retrait et ne pas prendre parti, tandis que l’évêque Jean de Veyrac prête
hommage et jure fidélité à Philippe-Auguste, attestant du soutien de l’épiscopat à la cause
capétienne. Ainsi, pour Myriam SORIA AUDEBERT, le « soutien nobiliaire cultivé par les
évêques est un rempart contre l’ambition des abbés et la dynastie angevine ». Même pour une
Église « libérée » de la mainmise aristocratique suite au mouvement de réforme grégorienne,
le soutien nobiliaire reste une précieuse garantie pour la sauvegarde de l’indépendance
nouvellement acquise157.
Certains chroniqueurs limousins nous permettent de mieux cerner la manière dont
étaient perçus ces conflits royaux. Pour Bernard ITIER, les conflits entre Plantagenêts et
Capétiens se résument à quelques éléments essentiellement régionaux. Si la victoire de
Bouvines et la bataille de Poitiers en 1204 sont ignorées, il est bien précisé en 1224 que les
vicomtes de Limoges et de Turenne aident Louis VIII à ramener le duché d’Aquitaine dans sa
mouvance. Dans la Grande Chronique de Limoges, sans doute compilée par un moine de
Saint-Martial, les faveurs sont accordées aux rois français dans un premier temps. Le succès
de « l’idéologie capétienne » semble net vers 1160-1170. De premiers désaccords
apparaissent notamment à la fin du règne de Louis IX. Cette situation se dégrade encore sous
Philippe le Hardi158.
Généralement, les seigneurs de Limoges et les évêques nous semblent beaucoup plus
favorables aux Capétiens tandis que les Plantagenêts vont plutôt chercher leurs appuis dans
les réseaux monastiques.
157
M. SORIA AUDEBERT, « Les évêques de Limoges… », op. cit., p. 101-113
R. RECH, « Le Limousin entre Capétiens et Plantagenêt chez les chroniqueurs de Saint-Martial au XIIIème
siècle », dans C. ANDRAULT-SCHMITT (dir.), Saint-Martial de Limoges. Ambition politique et production
culturelle (Xème-XIIIème siècles), PULIM, Limoges, 2006, p. 115-132.
158
- 70 -
Les rapports avec les rois Anglais ne peuvent donc que se révéler conflictuels face aux
réticences des grands seigneurs laïcs et religieux du diocèse de Limoges. Henri II doit
notamment faire face aux rebellions d’Audebert, comte de la Marche, de Guillaume comte
d’Angoulême, d’Aymard, vicomte de Limoges, des vicomtes de Ventadour, de Chabanais et
des Lusignans. En 1177, Henri II obtient le comté de la Marche à l’abbaye de Grandmont159.
Les prédécesseurs des rois Anglais ont accordé leur protection à certains groupements
monastiques. En effet, les établissements religieux peuvent accroître le prestige du fondateur.
C’est le duc d’Aquitaine en particulier qui fonde Cluny. Richard et Henri II, dans la même
veine, aident les fondations cisterciennes, spécifiquement en Aquitaine, telles Dalon et
Obazine.
Toutefois, l’attitude d’Henri II et de sa cour envers les moines blancs n’est pas
toujours aussi indulgente, et les cisterciens eux-mêmes se montrent à plusieurs reprises
« agacés » par la dynastie Plantagenêt. Ainsi, en 1151, Geoffroy le Bel et son fils Henri
négocient une paix avec Louis VII à Paris. Bernard de Clairvaux est alors médiateur. Il aurait
fait la remarque que les Plantagenêts venaient tous du diable et qu’ils retourneraient un jour
en enfer. À l’époque d’Henri II, les fondateurs montrent une réelle prédilection pour les
Prémontrés, Augustins, Templiers et Hospitaliers. Par contre, une certaine hostilité envers les
cisterciens transparaît chez certains membres de l’entourage de la cour royale comme Gautier
MAP et Giraud du BARRI notamment. Les cisterciens sont en effet la cible préférée de MAP
qui critique sans vergogne leur « convoitise pathologique » qui les pousse à se procurer des
terres. Les moines blancs rejettent selon lui la responsabilité de leurs manœuvres malhonnêtes
sur les frères convers. De plus, il considère saint Bernard comme un charlatan, traduisant ainsi
un mécontentement répandu à la fin du XIIème siècle « face aux méthodes pratiquées par les
Cisterciens acquéreurs de terre ». Les moines blancs ne semblent ainsi pas faire l’unanimité à
la cour Plantagenêt qui semble soutenir avec plus d’entrain et de générosités d’autres
fondations à vocation érémitique160.
Ils soutiennent ainsi Grandmont et Fontevrault. Avec l’abbaye de Mortemer (com.
Lisors, Eure), ces trois sites font l’objet d’une attention suivie par Henri II. Mortemer est
située à la limite du Vexin Normand. Elle est dotée par le roi dès 1150. Vers 1160, il verse
1000 livres pour l’édification de la nef. Cent livres sont également offerts pour le chœur
159
M. LARIGAUDERIE-BEIJAUD, « La politique grandmontaine des Plantagenêts. Des nouvelles
implantations aux francs hommes », BSAHL, T 132, 2004, p. 27-40.
160
E. TÜRK, Nugae Curialium. Le règne d’Henri II Plantagenêt (1145-1189) et l’éthique politique, Genève,
Droz, 1977, p. 159.
- 71 -
commencé en 1174. Quant à Fontevrault, sa tante Mathilde en était abbesse dans les années
1150. Pour Alain ERLANDE-BRANDENBOURG, ce monastère « a été la manifestation
religieuse et sensible de l’effort unificateur ». Il devient nécropole funéraire en abritant les
tombeaux d’Henri II, Aliénor d’Aquitaine, Richard-Cœur-de-Lion et Isabelle d’Angoulême161.
Grandmont est situé dans la Marche, à la frontière des possessions acquises par le
mariage entre Henri II et Aliénor d’Aquitaine en 1152 [Fig. 72]. C’est donc une place
stratégique, sur la frontière ouest de la paroisse de Saint-Sylvestre, en limite d’une région
turbulente, ce qui n’a pas manqué d’attirer l’autorité royale. Grandmont est de plus bien située
pour quelqu’un qui aurait des vues sur Bourges et Toulouse. Elle va ainsi servir à maintes
reprises de lieu de rencontre et de pourparlers de paix. En 1166, l’église est consacrée en
présence de Pierre, archevêque de Bourges et Bertrand, archevêque de Bordeaux. Elle est
dédiée à la Vierge Marie162. Les rois anglais sont à l’origine de dons de vases précieux, de
gemmes, de châsses ainsi que d’un probable autel émaillé. En 1175-1176, Henri II fournit le
plomb pour la toiture de l’église163. La canonisation rapide d’Étienne de Muret tient également
beaucoup à Henri II qui souhaite s’attirer la bienveillance et la reconnaissance des moines. Il
favorise l’expansion de l’ordre : quand il saisit le duché de Châteauroux, les grandmontains
s’installent à Sauzai, dans la forêt de Châteauroux. Le roi donne aussi des hommes chargés de
gérer les affaires des Grandmontains et de les remplacer dans les transactions. La splendeur
du nouveau monastère affirme une volonté royale de prestige et d’autorité. Il s’agit d’une
marque ostentatoire de pouvoir164.
Les Plantagenêts ne vont toutefois guère s’intéresser aux ordres nouveaux comme
l’Artige, Aureil ou le Chalard, en Limousin et non en marche, proches du siège épiscopal. Ils
s’intéressent de plus près aux monastères marginaux, en position frontière comme Grandmont
et certaines abbayes cisterciennes (Varennes, Dalon et Obazine essentiellement). Les
établissements religieux apparaissent dès le milieu du XIIème siècle comme un enjeu de
pouvoir de part leur poids économique et leur prestige. Les Plantagenêts « utilisent les
fondations monastiques comme un moyen d’étendre leur présence sur le terrain »165.
Les Capétiens ne sont toutefois pas en reste et la « récupération » de réseaux
monastiques n’est pas une prérogative des rois Anglais. Les rois de France sont eux aussi des
bienfaiteurs de Grandmont. Entre 1160 et 1164, Louis VII donne aux moines un enclos boisé
161
A. ERLANDE-BRANDENBURG, « Fontevrault, le cimetière des rois Plantagenêts », dans Dossiers
d’Archéologie, n°311, mars 2006, « Tombeaux royaux et princiers », p. 22-27.
162
F. BONNÉLYE, op. cit, p. 113.
163
L. GRANT, « Le patronage architectural d’Henri II », CCM, n°1-2, janvier-juin 1994, p. 73-84.
164
M. LARIGAUDERIE-BEIJAUD, op. cit, p. 27-40
165
Le Limousin…, op. cit, p. 18.
- 72 -
dans le bois de Vincennes, un autre à la Coudre en forêt d’Orléans, un à Louye près de
Dourdan. Les hommes du roi renoncent dès lors à leurs droits sur ces terres. L’influence
grandissante des clercs grandmontains s’est exercée plus fortement et plus tôt dans les
domaines capétiens et champenois. Leur implantation est antérieure au divorce de Louis VII
en 1152166.
Séduit par l’œuvre de Limoges, saint Louis commande des plaques émaillées pour les
sépultures de deux de ses enfants. Ces relations sont toutefois à double sens. Saint Louis est
en effet probablement à l’origine du tombeau d’Étienne d’Obazine, créé indubitablement dans
un atelier français167.
Ainsi, le diocèse de Limoges est le théâtre des affrontements entre Plantagenêts et
Capétiens. La domination anglaise dans la seconde moitié du XIIème siècle est relativement
mal acceptée des seigneurs laïcs tandis que les évêques ne démentent jamais leur fidélité aux
rois de France. Quant aux moines, ils profitent allègrement des libéralités des Capétiens et des
Plantagenêts qui les couvrent de dons et de privilèges afin de s’assurer leur soutien. Sans
jamais s’inscrire clairement d’un côté ou de l’autre, les moines de Grandmont, Fontevrault ou
Cîteaux acceptent leur place au sein des jeux politiques et des surenchères royales, en tirent
profit autant que possible, acceptant parfois en contrepartie l’inhumation dans leurs églises ou
la participation aux affaires diplomatiques du royaume. Cette tentative de mainmise, de
contrôle royal sur les fondations monastiques aura probablement des conséquences sur les
partis architecturaux et créations artistiques du diocèse de Limoges, ne serait-ce que d’un
point de vue financier, et nous tenterons donc dans la suite de notre étude des abbayes
cisterciennes du diocèse de Limoges et de ses marges de discerner la participation réelle des
rois anglais et français dans l’histoire des sites et leurs productions artistiques 168. Avant
d’aborder cette thématique, il convient au préalable de retracer l’historique de ces
communautés monastiques depuis les premiers temps érémitiques.
C. Historique des fondations cisterciennes du diocèse de Limoges et de ses marges :
166
Dom J. BECQUET, Études grandmontaines, Musée du pays d’Ussel, 1998, p. 211.
B. BARRIÈRE, « Le Limousin des XIIème et XIIIème siècles : une région largement ouverte sur
l’extérieur », dans D. GABORIT-CHOPIN, E. TABURET-DELAHAYE (dir.), L’œuvre de Limoges : art et
histoire au temps des Plantagenêts : actes du colloque organisé au musée du Louvre en novembre 1995, Paris,
La Documentation Française, 1997, p. 165-202.
168
Voir III. B. b. 2. Gothique Plantagenêt, gothique Capétien ? Symbolique du pouvoir et pouvoir du symbole.
Les abbayes cisterciennes comme lieu de pouvoir.
167
- 73 -
Sur les dix-huit monastères pris en compte dans cette étude, certains ont connu des
expériences érémitiques préalables dès les années 1120, bien avant l’affiliation à Cîteaux.
D’autres comme les abbayes d’Aubepierres ou de Peyrouse sont des céations directes de
l’ordre. Il paraît nécessaire ici de retracer leur historique et les principales étapes de leur
développement économique et spirituel.
a. Les ermitages préexistants :
La fin du XIème siècle est marquée par le renouveau de l’érémitisme qui ne doit
toutefois pas apparaître comme le seul indice d’une crise supposée du cénobitisme. À cette
époque, Cluny est florissante et ses monastères couvrent aussi bien les terres capétiennes que
l’Aquitaine. Toutefois, le réseau clunisien ne semble pas pouvoir répondre aux aspirations au
désert et à une quête de vie apostolique à l’origine d’une flambée de l’érémitisme,
particulièrement sensible dans le diocèse de Limoges.
1. L’aura de Géraud de Sales :
D’après saint Benoît, l’érémitisme est décrit comme un idéal primitif, essentiel au
monachisme chrétien. Déjà Robert de Molesme (1030-1111) incarnait parfaitement le courant
du XIème siècle entre érémitisme et cénobitisme. La vie au monastère de Molesme169, fondé
en 1075 dans la vallée de la Laignes, ne lui permet pas l’aspect érémitique souhaité. Il se
retire ainsi souvent à l’ermitage de Fontaine-Sèche où a vécu saint Bruno, le fondateur des
Chartreux. Il se heurte à l’hostilité d’une majorité de frères qui acceptent mal ses exigences
d’austérité et d’ascèse. D’où son départ et la création de Cîteaux à son initiative en 1098.
C’est le respect de la règle de saint Benoît qui reste la motivation première de la fondation de
Cîteaux et sans doute aussi de celles de Dalon et d’Obazine170. Une volonté de se retirer dans
des déserts boisés s’exprime fortement et la quête de la solitude est un leitmotiv suite à la
réforme grégorienne. Les marges diocésaines bien souvent dévolues au saltus attirent alors de
plus en plus d’ermites à l’image de Robert de Molesme ou de saint Bruno. Les marges du
diocèse de Limoges encore très boisées vont ainsi se révéler particulièrement séduisantes pour
ces solitaires.
Nous pouvons en effet constater un rassemblement plutôt inhabituel de monastères
cisterciens en Haute-Marche et aux franges du Berry, sur un territoire de faible étendue
formant une langue de terres encore significativement boisées au XIIème siècle [Fig. 11]. À
169
Près de Dijon, Côte-D’Or.
L. VEYSSIÈRE, « Représentations du désert cistercien primitif », dans M. AURELL, T. DESWARTE,
Famille, violence et christianisation au Moyen-Âge. Mélanges offerts à Michel Rouche, PUPS, 2005, p. 239-250.
170
- 74 -
l’origine de nombre de ces fondations, le prédicateur itinérant Géraud de Sales. Celui-ci fonde
des ermitages sur ces terres encore vouées au saltus qui évoluent après sa mort en 1120 vers
un ordre à l’imitation des cisterciens que les évêques contribuent sans doute à orienter vers
une franche affiliation à Cîteaux. Dans un premier temps, ces ermitages sont pour la plupart
rattachés à l’abbaye de Dalon. L’abbé Roger de Dalon devient ainsi en quelque sorte le chef
d’un ordre puissant parallèle à celui d’Obazine et qui ne s’affilie à Cîteaux qu’en 1162 171.
L’ermite Géraud de Sales s’inscrit incontestablement comme un acteur incontournable ayant
favorisé (peut-être à son insu ? Il est en effet difficile de déterminer si le rattachement à
Cîteaux était de sa volonté) cette implantation cistercienne dans le sud-ouest de la France172.
La biographie de Géraud de Sales, ermite et prédicateur périgourdin, est connue grâce
à une Vita écrite à la fin du XIIIème siècle par un moine cistercien anonyme de l’abbaye des
Châtelliers en Poitou (com. Fomperrom, Deux-Sèvres). Elle est publiée en 1729 par dom
MARTÈNE173. On y apprend que Géraud est né entre 1050 et 1055 à Salles (arrondissement
de Bergerac, Dordogne), à trois kilomètres au sud de Cadouin dans le Périgord méridional
(com. Cadouin, Dordogne)174. Il est issu d’une famille noble. Il a deux frères. Foulques est le
plus jeune. Il mourra ermite à Boschaud vers 1145. La Vita précise qu’il « vécut saintement et
fut inhumé dans la salle du chapitre de l’abbaye » (§ 15 et 16). Grimaud devient quant à lui
prieur des Châtelliers puis abbé des Alleuds175. Géraud est donc l’aîné. Dès l’enfance, il est
attiré vers un idéal de vie érémitique dans l’ascèse et la pauvreté. Il est en effet persuadé que
« Adam a été chassé du paradis terrestre pour avoir mangé : il faut reconquérir le paradis
terrestre par le jeûne. » Il se rapproche d’un ermite, Robert, qui sera son mentor. Celui-ci est
souvent confondu avec Robert d’Arbrissel qui n’avait toutefois pas encore commencé ses
prédications à cette époque (en 1070 il n’est en effet âgé que de 23 ans). En effet, Dom
MARTÈNE dépeint Géraud comme un chanoine régulier de Saint-Augustin, disciple de
Robert d’Arbrissel, ermite-prédicateur, ami de saint Bernard, adepte de la règle de saint
Benoît dans sa teneur intégrale176. Il étudie chez les chanoines de Saint-Avit-Sénieur, proche
du manoir de Sales, où il est ordonné diacre. Il y reste de 1070 à 1080. C’est l’époque où
commence à se répandre dans le clergé la réforme grégorienne. Les clercs de Saint-Avit
171
M. O. LENGLET, « L’implantation cistercienne dans la Marche Limousine de Géraud de Sales à Saint
Bernard », MSSNAC, T XLVI, 1997, p. 258-268.
172
C. H. BERMAN, Medieval agriculture, the Southern French countryside and the Early Cistercians. A study
of Forty-three Monasteries, Philadelphia, 1986, p. 31.
173
Dom MARTÈNE, Veterum scriptorum …amplissima collectio, T VI, Paris, 1729, col. 989-1014.
174
M. BERTHIER, « Géraud de Salles, ses fondations monastiques. Leur évolution vers l’ordre cistercien à la fin
du XIIème siècle », BSHAP, T 114, 1987, p. 33-50.
175
M. O.LENGLET, « Le bienheureux Géraud de Sales fondateur des abbayes de Bonlieu, Prébenoît et du
Palais-Notre-Dame », Cîteaux, Commentarii Cistercienses, T XXIX, fasc. 1-2, 1978, p. 8-40.
176
M. O.LENGLET, « Le bienheureux Géraud de Sales… », op. cit, p. 8-40.
- 75 -
adopteront d’ailleurs la règle augustienne après 1081 et leur rattachement à Saint-Sernin de
Toulouse. Toutefois, ne se sentant pas appelé au sacerdoce, le jeune Géraud choisit de se
retirer dans la solitude. Il alterne les périodes d’érémitisme et d’apostolat. Selon le
témoignage de l’évêque de Poitiers, il devient à la fois « Jean-Baptiste au désert et Paul en
public »177. Il prêche en Languedoc, en Limousin et en Poitou. Il est dévoué à MarieMadeleine, plutôt la contemplative que la pénitente, ainsi qu’à Jean-Baptiste. Sa prédication
est centrée sur la personne de Jésus178. Plusieurs évêques l’attirent dans leur diocèse où il
suscite des vocations d’ermites. La Vita décrit ainsi cet ermite prisé des prélats aquitains :
« Crucifié au monde, il avait l’esprit fixé au ciel… Que de
nuits entières il a passées devant toi, Jésus, étranger à luimême et ravi dans tes filets ! (…) Tu lui ouvrais largement
l’esprit par l’intelligence des écritures, le sens des
symboles. Tu l’attirais par l’échelle des créatures (…). Il
était, ainsi qu’il est écrit, instruit par Dieu, enseigné par
le magistère des chênes et des hêtres. (§ 9)
(…) Rempli de l’Esprit Saint, possédant la triple science
innée, acquise et infuse, il prêchait avec clarté et élégance
dans toute la région. (§ 10)
(…) Sa réputation s’étendit en plusieurs diocèses.
L’évêque de Poitiers, Pierre II, lui délégua ses pouvoirs
ordinaires, et d’autres évêques firent de même. (§ 11)
(…) Il échauffait les âmes froides, enflammait les tièdes,
stimulait les indolents. »
Ces extraits laissent percevoir l’influence de Géraud de Sales auprès des évêques
d’Aquitaine et son pouvoir sur les foules par ses prédications. Son biographe met ainsi surtout
en valeur son charisme et sa faculté à galvaniser ses auditeurs. Cette description est toutefois
très laudative, à la manière des récits hagiographiques sans doute quelque peu éloignés de la
réalité.
177
M. O. LENGLET, « Les fondations de Géraud de Sales et leur évolution », Colloque international du
CERCOM, Saint-Étienne, 1985, p. 1-15.
178
É. DELARUELLE, « L’idéal de pauvreté à Toulouse au XIIème siècle », dans Vaudois languedociens et
Pauvres Catholiques, Cahiers de Fanjeaux, 2, Privat, 1967, p. 64-84.
- 76 -
Il s’attire donc tout naturellement la confiance et les générosités des seigneurs
aquitains. En 1114, les frères Gérald et Gouffiers de La Tour lui donnent une terre à Dalon.
Géraud y fonde un ermitage avec l’accord de l’évêque de Limoges. Le petit groupe des frères
ermites œuvre rapidement à se constituer un important patrimoine foncier, dès avant l’érection
en monastère (1120)179. Du vivant de Géraud de Sales, les termes nemus et eremus sont
employés pour désigner le site180.
En 1115, Robert d’Arbrissel donne à Géraud « vénérable maître, son compagnon et
ami très cher », tout ce qu’il possède dans la forêt de Cadouin, à savoir le Val-Seguin où
Géraud a déjà établi des disciples. Il lui cède également la Salvetat, lieu récemment donné à
Robert par l’évêque de Périgueux en vue d’une fondation fontevriste 181. Cette donation
suppose que les deux hommes se connaissaient bien, sans pouvoir attester de source sûre que
Géraud ait pu être son disciple.
Géraud est présent avec Eustorge, évêque de Limoges, en Haute-Marche lorsque le
seigneur Amélius de Chambon donne le mas de Mazerolles au prédicateur (vers 1120). Cette
donation sera à l’origine du monastère de Bonlieu (com. Peyrat-La-Nonière, Creuse).
Géraud de Sales suscite également des vocations près de Bourganeuf. Aimeric de
Quinsac, un de ses disciples, crée un ermitage sur sa propre terre du Petit-Quinsac (com.
Thauron, Creuse) qui couvre une partie du flanc oriental du Mont-de-Transet (vers 1120). Ce
mode de fondation n’a donné lieu à aucun acte juridique mais est évoqué dans la Gallia
Christiana. Le cartulaire du Palais-Notre-Dame énumère simplement les possessions
patrimoniales érémitiques, à savoir le nord-ouest de Quinsat et la Chaussade182.
Au XVIIème siècle, Dom Estiennot de la SERRE évoque la fondation d’un autre
ermitage sur l’actuelle commune de Bétête en Creuse :
« Le Bienheureux Géraud qui fonda un monastère dans la
forêt de Dalon reçut en aumône le lieu-dit ensuite Le PréBénit (Prébenoît) ».
179
B. BARRIÈRE (dir.), Moines en Limousin, l’aventure cistercienne, PULIM, Limoges, 1998, p. 163-166 ;
abbé J. BROUSSE, « Une poignée de documents sur l’abbaye de Dalon », BSSHAC, T 56, 1935, p. 122-171.
180
C. ANDRAULT-SCHMITT, « Des abbatiales du « Désert ». les églises des successeurs de Géraud de Sales
dans les diocèses de Poitiers, Limoges et Saintes (1160-1220) », BSAOMP, 1994, T 8, 5ème série, p. 91-173.
181
M. O.LENGLET, « Le bienheureux Géraud de Sales… », op. cit, p. 8-40.
182
AD Creuse, H 524, notice 12.
- 77 -
En 1119, la création des Châtelliers permet d’évoquer le processus-type des fondations
géraldiennes. Elle est évoquée dans le paragraphe 25 de la Vita183. En 1119, un messager de
l’évêque de Poitiers vient parler à Géraud d’une vaste solitude nommée les Châtelliers,
pourvue de bois, de prairies, de cours d’eau. Géraud charge un disciple d’aller examiner le
lieu puis s’y rend lui-même et reçoit la donation initiale du futur ermitage. Il y envoie ensuite
trois compagnons puis un prieur nommé Giraud. D’où venaient donc ces premiers frères des
Châtelliers ? Dans la Vita, il n’est nullement question de maison-mère et de fille. Pourtant il
s’agit bien d’une fondation par essaimage depuis un ermitage dont l’effectif devait être
suffisamment important.
Géraud serait également à l’origine de la fondation de l’ermitage de Boschaud avant sa
mort en 1120. Foulques, son frère, en aurait été le premier ermite. Ce site est érigé en abbaye
et rattaché en 1154 à l’abbaye des Châtelliers en Poitou, plus proche de la pensée géraldienne
que Cadouin, pourtant moins éloignée géographiquement de Boschaud184. Selon la Gallia
Christiana, Boschaud serait fondée en 1153 par essaimage depuis Peyrouse. Cette information
paraît toutefois erronée185.
Géraud se retrouve ainsi à la tête d’un véritable petit ordre religieux à vocation
érémitique qui s’est répandu dans les pays du Centre et du Midi. On connaît ainsi plus de
quinze monastères ayant à l’origine un ermitage géraldien. La Chronique de Saint-Maixent
nous livre une liste de sites186 : Grandselve, Gondon, Cadouin, Bournet, Les Alleuds,
Fontdouce, La Tenaille, L’Absie, Les Châtelliers, Le Pin, Bonnevaux, Dalon, Les Châtres,
Les Chalards et Corbasin. Il manque le Palais-Notre-Dame, Bonlieu, Prébenoît et Pontaut.
Une seule de ces fondations se solde par un échec : il s’agit du Bretenous, manse
donné à Géraud par le vicomte de Limoges, Adhémar III, qui deviendra par la suite la grange
de Chalamand (com. de Saint-Paul-La-Roche, Dordogne).
La Chronique de Saint-Maixent présente l’œuvre de Géraud comme un organisme bien
établi, selon des principes définis et acceptés :
« (…) inchoata sunt plurima coenobia de institutione sancti Giraudi de Sala »187.
183
M. O.LENGLET, « Le bienheureux Géraud de Sales fondateur des abbayes de Bonlieu, Prébenoît et du
Palais-Notre-Dame », Cîteaux, Commentarii Cistercienses, T XXIX, fasc. 1-2, 1978, p. 8-40.
184
B. BARRIÈRE (dir.), Moines en Limousin…, op. cit, p. 157-159.
185
C. ANDRAULT-SCHMITT, « L’abbaye de Boschaud », Congrès Archéologique de France, Périgord, 1998,
Paris, 1999, T 156, p. 105-117 ; C. DESPORT, Deux abbayes cisterciennes du Périgord : Boschaud et
Peyrouse, mémoire de maîtrise d’histoire sous la direction de B. BARRIÈRE, Limoges, p. 25.
186
BNF ms lat. 4892.
187
J. VERDON, Chronique de Saint-Maixent, DES, Poitiers, 1959.
- 78 -
Toutefois, si l’on se réfère au cartulaire de Dalon, Géraud n’assujettit ces religieux « à
aucun ordre ni aucune profession, les laissant passer leur vie dans la simplicité
évangélique »188.
Cette « simplicité évangélique » devait toutefois sans doute être régie selon des règles
fixes nécessaires à la survie de toute communauté.
Les communautés géraldiennes sont établies dans la solitude sous le vocable de la
Vierge Marie. Le mouvement érémitique s’accroît dans cette première moitié du XIIème
siècle, favorisé en toutes régions par une forte poussée démographique. Il s’agit toutefois d’un
souci pour les évêques qui s’inquiètent du manque de structures de ces mouvements
érémitiques qui peuvent engendrer des déviations dans la doctrine ou dans les mœurs.
Concernant l’institut géraldien, les risques sont néanmoins réduits : Géraud visite
régulièrement ses maisons, dirige et conseille les frères ermites.
En 1117 commence l’évolution des ermitages géraldiens vers le cénobitisme. Sous
l’impulsion de l’évêque de Toulouse, Grandselve (com. Bouillas, Tarn-et-Garonne) s’engage
à respecter la règle de saint Benoît et les coutumes de Cîteaux. On peut supposer que Géraud
de Sales était en accord avec ce glissement vers le cénobitisme, d’où les affiliations massives
de ses ermitages après sa mort. Avant sa mort en 1120, Géraud érige Sainte-Marie de l’Absie
en abbaye selon le règle de saint Benoît et le statut des Pères des très estimés moines
cisterciens. Après sa mort commence la lente affiliation de ses ermitages à Cîteaux, pour la
plupart par l’entremise de Dalon dont l’abbé Roger devient un chef d’ordre influent et tenant
ses abbayes d’une main ferme et rigide. Ces affiliations constituent les plus importantes
incursions de Cîteaux en Aquitaine.
En effet, les cisterciens ce sont montrés plutôt réticents à pénétrer les terres aquitaines,
ce jusque dans le premier tiers du XIIème siècle. Dans ses écrits, Bernard de CLAIRVAUX
exprime maintes fois ses réticences envers les terres d’Aquitaine et semble redouter
Guillaume X, duc d’Aquitaine, et Gérard, évêque d’Angoulême depuis 1101, tous les deux
soutiens d’Anaclet II lors de schisme. Bernard est quant à lui un fervent défenseur du Pape
Innocent II. Gérard est un évêque grégorien, soutenant les initiatives érémitiques telles celles
de Robert d’ARBRISSEL et que Bernard de CLAIRVAUX tend à craindre et juge
dangereuses. En effet, l’ermite est seul face à ses doutes et face aux tentations, tandis que les
moines, en communauté, peuvent s’entraider et se soutenir dans leur volonté de se plier à la
Règle de saint Benoît. Saint Bernard va tenter de rallier Guillaume X au pape Innocent II. À
188
Abbé J. B. L. ROY DE PIERREFITTE, Études historiques sur les monastères du Limousin et de la Marche, T
1, Guérét, Betoulle, 1857-1863, p. 625-648 ; AD Corrèze, 2 F 69 (copie du cartulaire).
- 79 -
l’occasion d’une rencontre à Poitiers, il célèbre une messe à la cathédrale Saint-Pierre. Après
son départ, le doyen du chapitre fait détruire l’autel sur lequel il a officié, ce qui permet
d’envisager les réticences à Bernard de CLAIRVAUX en Aquitaine, incarnées par le puissant
Gérard d’Angoulême189. Pour Pierre AUBÉ, « L’Aquitaine demeure une sérieuse pierre
d’achoppement » sur laquelle Bernard va régulièrement se heurter. Il est réticent aux
nombreuses initiatives érémitiques qui s’y développent, allant ainsi à l’encontre de certaines
volontés grégoriennes. Pour lui, rien n’est supérieur à la vie cénobitique :
« Qu’y a-t-il de plus redoutable qu’un combat solitaire
contre les astuces du vieil ennemi qui nous voit mais reste
invisible ? Une communauté, au contraire, est par sa
puissance redoutable comme une armée en ligne de
bataille. Malheur donc à l’homme seul ! Car s’il tombe, il
n’aura personne pour le relever. S’il est vrai que cette
grâce a été accordée à l’un ou l’autre des anciens Pères,
il ne convient pas cependant de se livrer témérairement à
ce danger, ni de tenter Dieu 190».
Les ermitages de Géraud de Sales auraient ainsi tout intérêt à rejoindre l’ordre de
Cîteaux et à se plier aux règes du cénobitisme, préservant les pauvres du Christ des tentations.
Certains évêques comme ceux de Limoges vont d’ailleurs pousser les frères de Géraud vers
l’ordre cistercien. Les mouvements érémitiques font peur car difficilement contrôlables, et les
prédications mettent souvent en cause les dérives de l’Église. Un bon ermite est celui qui se
plie au joug d’une règle, qu’elle soit monastique ou canoniale, d’une institution religieuse
stable et plus facile à surveiller.
2. L’érémitisme selon Étienne d’Obazine.
Si l’Aquitaine paraît très marquée par les prédications de Géraud de Sales, ses
ermitages ne sont toutefois pas les seules expériences érémitiques fructueuses dans le diocèse
de Limoges. Une autre personnalité se détache fortement dans la première moitié du XIIème
siècle. Il s’agit d’Étienne de Vielzot. Nous disposons d’une description de sa physionomie
189
190
P. AUBÉ, Bernard de Clairvaux, Fayard, 2003, p. 259-287.
P. AUBÉ, op. cit., p. 315.
- 80 -
lors du Chapitre Général de Cîteaux en 1147. Il est ainsi dépeint par Raynard, abbé de
Cîteaux :
« corpore
modicum,
statura
brevem,
habitu
despectabilem, vultu deformem ».
Il s’agit donc d’un homme au corps frêle, de petite taille et au visage disgracieux 191.
Son biographe dans la Vita le dépeint ainsi :
« Son chef était de corps menu, mais grande était son
âme. Petit de taille, son esprit était élevé. S’il était
d’aspect méprisable, il était illustre par l’honorabilité de
sa vie. Sa mine était misérable, mais insigne était la
supériorité de ses œuvres. Humble était son origine, mais
sublime la générosité de ses vertus. »192
Cet homme pieux montre une dévotion particulière à la Vierge, ce qui expliquera par
la suite son souci de subvenir aux besoins des femmes de la communauté de Coyroux. Pour
lui, la femme revêt un rôle primordial dans le salut chrétien193. Les débuts de sa vie d’ermite
sont un peu mieux connus grâce à sa Vita. Celle-ci relate en effet les premières décennies du
monastère double d’Obazine-Coyroux. Certains auteurs telle Cécile CABY nous mettent
toutefois en garde face à ce type de témoignages. Selon elle, les ermites demeurent difficiles à
étudier malgré ces Vitae. Celles-ci sont rédigées pour la plupart en milieu monastique,
plusieurs décennies après les faits relatés. Les approches de l’historien restent tributaires des
réécritures cénobitiques194. La Vita d’Étienne d’Obazine ne fait pas exception. Le livre I est
rédigé sous l’abbé Géraud, successeur d’Étienne en 1159. Michel AUBRUN place son
écriture vers 1166 jusqu’en 1180 pour le livre III195. Cinquante ans après les faits, l’ermitage
est devenu monastère puis abbaye cistercienne. Nous pouvons nous demander en quoi le
cadre monastique a influencé la rédaction de cette œuvre. Elle peut être considérée comme un
191
S-M. DURAND, Étienne d’Obazine. 1085-1159, Lyon, 1966, p. 76.
M. AUBRUN, Vie de Saint Étienne d’Obazine, Institut d’Études du Massif Central, Clermont-Ferrand, 1970,
p. 77.
193
J. VINATIER, « La piété mariale cistercienne à Obazine révélée par l’architecture, la statuaire et la peinture
(du XIIème siècle au XVIIIème siècles », BSSHAC, T 98, 1976, p. 79-96.
194
C. CABY, « Vies parallèles : ermites d’Italie et de la France de l’Ouest (Xème-XIIIème siècles) », dans J.
DALARUN (dir.), Robert D’Arbrissel et la vie religieuse dans l’Ouest de la France, Actes du colloque de
Fontevrault, 13-16 décembre 2001, Brépols, Belgique, 2004, p. 11-24.
195
M. AUBRUN, Vie de Saint Étienne d’Obazine, Institut d’Études du Massif Central, Clermont-Ferrand, 1970,
p. 8.
192
- 81 -
document précieux pour l’histoire de l’Église. En effet, le texte ne se contente pas d’une
biographie simple d’Étienne. À travers ses visites à Dalon ou encore à la Grande Chartreuse,
d’autres communautés religieuses, d’autres expériences monastiques sont évoquées et nous
renseignent sur le contexte religieux de l’époque. Seuls ces deux monastères semblent
d’ailleurs trouver crédit aux yeux de l’auteur. Il n’évoque pas Grandmont, Aureil ou l’Artige,
ordres pourtant en plein essor dans cette seconde moitié du XIIème siècle.
Nous apprenons donc qu’Étienne est né au hameau de Vielzot, sur l’actuelle commune
de Bassignac-le-Haut près de Tulle (Corrèze). Il est tout d’abord attiré par la prêtrise et se fait
remarquer par ses qualités de prédicateur. Il exerce ainsi dans un premier temps des fonctions
pastorales196. Les circonstances qui le mènent à devenir ermite restent relativement obscures.
Pour Cécile CABY, le départ de l’ermite fonctionne comme un refus, une rupture197. Dans
cette expérience, il est accompagné de Pierre qui le suivra jusque dans la forêt d’Obazine. La
Vita livre une description de cette forêt :
« (…) appelé ainsi, je crois, à cause de « l’opacité » des
forêts et de la densité des fourrés qui le recouvrait de
toute part. Ce lieu, fort boisé est entouré de tous côtés par
des rochers abrupts, et une rivière, la Corrèze, qui coule
plus bas, lui donne un charme certain. »198
Le lieu d’Obazine était déjà nommé avant l’arrivée d’Étienne et de Pierre. En effet,
une charte de l’abbaye Saint-Martin de Tulle datée du Xème siècle en fait déjà état199. Obazine
était donc au cœur d’un important manteau forestier. De nos jours, la forêt couvre encore plus
de 500 hectares. Dans la Vita, l’ermitage apparaît comme un site presque inaccessible et
sauvage. S’agit-il toutefois d’une vérité ou plutôt d’un stéréotype fréquent dans les
hagiographies contemporaines ? Selon Bernadette BARRIÈRE, Obazine ne correspond pas
vraiment à un « désert » véritable. La forêt s’intercale entre les villages de Vergonzac et de
Palazinges. Ce dernier dispose d’une église ancienne et d’une implantation humaine
d’importance. Les ermites ne sont ainsi pas véritablement isolés200.
196
E. BOURNAZEL, « Étienne et Robert : la tentation des femmes », dans J. HOAREAU-DODINEAU, P.
TEXIER (dir.), Anthropologie juridique. Mélanges Pierre Braun, PULIM, Limoges, 1998, p. 55-65.
197
C. CABY, op.cit.
198
M. AUBRUN, op. cit, p. 51.
199
CHAMPEVAL, Cartulaire de l’abbaye Saint-Martin de Tulle, 1903, p. 170.
200
B. BARRIÈRE, L’abbaye cistercienne d’Obazine en Bas-Limousin. Les origines. Le patrimoine, Tulle, 1977,
p. 19.
- 82 -
Nous ne savons pas grand-chose de l’ermitage primitif installé par Étienne et Pierre,
bientôt rejoints par d’autres croyants aspirant à la solitude. Martine LARIGAUDERIE parle
alors d’un « érémitisme de groupe » évoluant progressivement vers le cénobitisme201. Le site
proprement dit est décrit ainsi :
« Il y avait, non loin de là, une petite étendue plane
couverte de fourrés et de broussailles et encaissée entre
de raides versants. Un petit ruisseau coulait en son milieu.
On y accédait par des chemins tortueux aux détours
escarpés qui se faufilaient dans le fond des vallées et au
flanc de collines abruptes. »202
L’ermitage est décrit comme une petite cabane de bois couverte de chaume. Celle-ci
sert d’oratoire.
« Il construisit près d’un arbre convenable une petite
cabane en bois couverte d’un toit grossier où, nuit et jour,
avec son vénérable compagnon, il s’adonnait à la prière
incessante et au chant des psaumes ».203
La chapelle de l’ermitage disposait vraisemblablement d’une charpente puisque la
Vita mentionne une vision du charpentier204. Étienne s’inquiète de voir d’autres ermites se
joindre à eux et décide d’en référer à l’évêque de Limoges. En effet, tout rassemblement
d’hommes a besoin de l’aval de l’évêque pour s’installer. Le prélat joue alors un rôle majeur
dans l’acceptation de la réforme grégorienne. Il peut favoriser ou entraver les initiatives
naissantes qui en sont issues205. Eustorge (1106-1137) se montre favorable à ce nouveau
groupuscule érémitique. Étienne peut fonder une petite communauté avec sa permission. Il y
met toutefois une condition : le respect des coutumes des Pères du Monachisme. Cette
bienveillance est fréquente chez les évêques de l’Ouest de la France. En effet, les prélats
voient dans ces groupes « l’aile marchante » de la réforme grégorienne amorcée dès la fin du
XIème siècle. L’évêque officialise donc l’ermitage entre 1125 et 1127. Un inventaire du
XVIIIème siècle précise que « l’abbaye d’Obazine fut fondée en l’an 1127 à titre
201
M. LARIGAUDERIE, “Propos sur l’abbaye de Grosbot”, BASEPRC, Angoulême, n°6, 1995, p. 6-15.
M. AUBRUN, op.cit, p. 51.
203
M. AUBRUN, op. cit, p. 53.
204
S.M. DURAND, Étienne d’Obazine. 1085-1159, Lyon, 1966, p. 33 ; M. AUBRUN, op.cit, p. 63.
205
M. AUBRUN, op cit, p. 22.
202
- 83 -
d’ermitage »206. Cet ermitage comprend toutefois vraisemblablement des lieux réguliers
(interiores partes) et des dépendances (exteriores partes) ainsi qu’une maison d’hôtes
(hospitium)207.
Selon Suzanne-Marie DURAND, il existait un premier monastère avant le
déplacement sur le site actuel d’Obazine. Nous pensons toutefois que l’auteur a confondu
avec cet ermitage disposant de lieux réguliers cependant réduits au minimum : un réfectoire,
une cuisine et un dortoir. Il n’y a pas encore de salle capitulaire208.
La construction de ce premier « ermitage-prieuré » est ainsi décrite dans la Vita :
« Il [Étienne] coupa tout ce qui était nuisible et inutile en
cet endroit et construisit des demeures sur le modèle d’un
monastère, c’est-à-dire une chapelle, un dortoir, un
réfectoire, une cuisines et, au milieu, un cloître. Tout cela
était à peine plus étendu que l’espace d’une grande
maison (…).
Pour les offices, ils se conformaient à la règle canoniale
et suivaient par ailleurs le mode de vie érémitique ».209
Entre 1130 et 1134, l’ermitage est transféré sur le site actuel d’Obazine. Le transfert
est également décrit dans la Vita.
« Ce lieu se remplissait des arrivants et de la foule de
ceux qui s’y étaient établis. Notre père Étienne commença
donc à chercher en quel endroit il pourrait les installer
convenablement. Il se tourmentait cependant et souffrait
violemment en son âme du désir de solitude car il
supportait mal ces charges et redoutait d’avoir à assumer
la direction de tant de personnes (…)
En parcourant la forêt, il parvint rapidement au sommet
d’une colline qui se trouvait à l’Est. Il remarqua alors une
sorte de promontoire disposé de telle sorte qu’il était
206
AD Corrèze, Q 148.
B. BARRIÈRE, op.cit, p. 49.
208
S-M. DURAND, op.cit, p. 37.
209
M. AUBRUN, op. cit, p. 55.
207
- 84 -
accessible de toute l’étendue de la montagne, aussi bien
en montant qu’en descendant. Il y fit venir les frères et
construisit, sur le modèle des précédentes, des habitations
un peu plus importantes par le nombre et la grandeur. »210
Cette période est le point de départ du cartulaire, document précieux à la reconstitution
des premières années du monastère. Archambaud IV de Comborn cède la forêt aux ermites
qui y sont déjà installés. Cette donation est toutefois difficile à dater précisément. Nous
savons simplement qu’Archambaud est mort en 1137. En 1135, Étienne devient le prieur de la
communauté qui compte à ce moment-là une dizaine d’ermites. C’est Geoffroy de Lèves,
évêque de Chartres de 1116 à 1138 qui le nomme prieur. Celui-ci était un religieux cistercien
ami de Bernard de Clairvaux et donc très favorable aux initiatives du type de celle
d’Étienne211. Eustorge lui confère le pouvoir de célébrer la messe et de construire un
monastère. Le chantier est ainsi évoqué dans la Vita :
« Ils construisaient eux-mêmes leurs bâtiments, brisaient
avec des masses les pierres arrachées de la montagne et
les portaient sur leurs épaules pour construire la maison.
C’était un spectacle admirable que de voir ces énormes
pierres que de nombreux hommes ensemble ne pouvaient
déplacer, portées par quatre frères avec autant d’agilité
que si rien n’était. »212
L’ermitage commence alors son évolution vers une organisation cénobitique. De 1136
à 1142 s’échelonne l’édification de ce premier monastère en pierre. C’est la fin de
l’expérience érémitique d’Étienne et de son compagnon Pierre213.
b. Le processus d’affiliation ou le glissement de l’érémitisme au cénobitisme :
Suite à ces premières expériences érémitiques, et face à l’afflux de frères, Étienne
d’Obazine et Géraud de Sales, relayé par Roger de Dalon, doivent songer à l’organisation de
leurs ermitages en monastères. La vie anachorétique ne peut en effet être adaptée à des
210
M. AUBRUN, op. cit, p. 59.
S-M. DURAND, op. cit, p. 41.
212
M. AUBRUN, op. cit, p. 69
213
B. BARRIÈRE, op. cit, p. 57.
211
- 85 -
communautés toujours plus nombreuses. Elles vont dès lors se tourner vers l’ordre de Cîteaux
dont l’austérité affirmée et la rigueur font la célébrité en ce XIIème siècle.
1. Dalon et Obazine en tant que chefs d’ordres. De l’ermitage au monastère :
Le mouvement de créations de communautés avant Cîteaux correspond bien souvent à
une période relativement désordonnée où les évêques peinent parfois à garder le contrôle de
ces rassemblements d’hommes. Selon René LOCATELLI, la solitude choisie par ces groupes
d’ermites ne dure toutefois jamais bien longtemps. La normalisation des communautés est
progressive. Il cite l’exemple de Lieucroissant dans le diocèse de Besançon (com. Isle-sur-leDoubs, Doubs) : l’abbaye cistercienne était au préalable une fondation de l’ermite Thiébaud.
Ce passage au cénobitisme est selon l’historien quasiment obligé. Les moines se plient à une
observance déjà éprouvée et proche de leur idéal primitif. C’est la seule alternative
envisageable. Sinon, en refusant tout recrutement, ils s’exposent à disparaître. Les cisterciens
offrent ainsi aux communautés à vocation érémitique un genre de vie conforme à leur idéal
primitif214. En effet, il semblerait que l’intégration de certains principes érémitiques dans un
cadre cénobitique soit relativement bien réussie par les cisterciens, ce qui a sans doute pu
séduire des ermites tels Géraud de Sales ou Étienne d’Obazine. Ainsi les cisterciens
parviennent à allier un monachisme traditionnel, dans la droite ligne des pensées
carolingiennes, à une spiritualité évangélique renouvelée, éloignée des compromissions du
siècle, mais parfois encore trop désordonnée. Les principaux idéaux quelque peu utopiques
des mouvements érémitiques réformateurs sont intégrés à un cadre institutionnel précis qui
empêche les dérives tant redoutées par l’épiscopat.
Les moines cisterciens proposent une solution d’équilibre entre vocation érémitique et
cénobitisme, leur permettant dans un premier temps de rester éloignés du siècle à la manière
d’ermites au désert. Cette solution évite les inconvénients d’une vie érémitique solitaire où
l’ermite ne peut compter sur la solidarité de frères dans la quête de perfection et d’absolu.
Cîteaux aurait donc su « intégrer le dynamisme évangélique et le canaliser en lui donnant
corps par une pratique effective de la Règle de Saint Benoît ». Le respect à cette Règle permet
un cadre de vie précis évitant les dérives possibles à un ermite isolé sans règle ni statut215.
214
R. LOCATELLI, Sur les chemins de la perfection. Moines et chanoines dans le diocèse de Besançon vers
1060-1220, CERCOR, Université de Saint-Étienne, 1992.
215
Bernard de CLAIRVAUX, Le précepte et la dispense. La conversion, trad. J. LECLERCQ, H. ROCHAIS, C.
H. TALBOT, Sources Chrétiennes, Paris, Cerf, n°457, 2000, introduction, p. 135.
- 86 -
L’impulsion initiale donnée par le fondateur du groupe érémitique ne suffit pas dans
bien des cas à expliquer l’évolution institutionnelle de l’ermitage. C’est souvent la mort du
fondateur qui conduit à l’adoption d’une règle. Sans son aura, les ermites éprouvent le besoin
de se conformer à des coutumes stables, concrètes et immuables. Cette régularisation permet
non seulement l’intégration de la communauté au clergé du diocèse mais leur offre également
une place reconnue avec des devoirs, des fonctions spécifiques et des protections nouvelles.
Les moines de Dalon et d’Obazine vont en faire l’expérience lors de leur passage d’un
érémitisme volontaire au cénobitisme216. Cette évolution va également se caractériser par la
création de « prieurés » étroitement liés à ces deux abbayes-mères et obéissant aux mêmes
coutumes monastiques. Dalon et Obazine vont ainsi devenir de véritables chefs d’ordres avant
même leur affiliation à Cîteaux.
Avant de préciser le glissement progressif des premières intiatives érémitiques à une
organisation cénobitique, il convient de proposer un certain nombre de définitions de termes
essentiels à cette analyse des communautés érémitiques, cénobitiques puis cisterciennes du
diocèse de Limoges.
Le terme de celle en particulier est fréquemment utilisé dans l’historiographie
notamment pour désigner les premiers essaimages de la communauté d’Obazine à Bonnaigue
et Valette. Ils apparaissent dans la Vita sous le terme de monasteria217. Les expressions locus
et domus sont également fréquemment employées, témoignant d’un certain flou, d’hésitations
dans la désignation de ces dépendances d’Obazine.
La celle peut être définie comme « de petites cellules de vie monastique, détachées de
l’abbaye-mère, organisées sur un terroir où cette dernière possède assez de bien, près d’une
église qui doit continuer son office d’église paroissiale tout en servant de chapelle
monastique, mais rattachée très étroitement à l’abbaye-mère, en ce sens que le moine, peutêtre un prévôt, chargé de diriger les frères vivant comme lui, reçoit directement cette
obédience de l’abbé sans que les moines de la petite communauté aient à intervenir dans ce
choix. »218
C’est effectivement le cas des dépendances de Bonnaigue et de Valette où Étienne
d’Obazine envoie un groupe de moines et place lui-même un père à leur tête.
216
M. ARNOUX, « Dynamiques et réseaux de l’Église Régulière dans l’Ouest de la France (fin XIème-XIIème
siècles) », dans J. DALARUN (dir.), Robert d’Arbrissel et la vie religieuse dans l’Ouest de la France, Actes du
colloque de Fontevraud, 2001, Brépols, Belgique, 2004, p. 57-70.
217
M. AUBRUN, Vie d’Étienne d’Obazine…, op. cit., p. 106.
218
É. MAGNOU-NORTIER, La société laïque et l’Église dans la province ecclésiastique de Narbonne de la fin
du VIIIème siècle à la fin du XIème siècle, Toulouse, 1974, p. 409.
- 87 -
Le terme de celle correspond le plus fréquemment à des réalités du Haut Moyen-Âge.
Une abbaye mère fonde des cellae ou cellulae, petits établissements de médiocre importance
ou simples prolongements extérieurs du monastère. Certaines celles peuvent être de petits
monastères indépendants ou de simples dépendances. Ils sont administrés par un moine du
monastère appelé praepositus.
La celle semble néanmoins supplantée au XIème siècle par le prieuré. Il s’agit de l’une
des institutions les plus mal connues du monachisme médiéval, désigné au XIème siècle par
des termes très variés : cella, domus, locus ou monasterium (cas de Valette et Bonnaigue),
sous-entendant une destination religieuse ; ou terra, grangia, appellations purement
temporelles. Pour Anne-Marie BAUTIER, le prieuré est au XIème siècle l’héritier de la celle,
caractérisé par un relâchement des liens avec l’abbaye-mère. Le prieuré est organisé sous la
conduite d’un prieur. Il est une dépendance d’une abbaye principale, dirigé soit par un
supérieur (prieur) ou par un préposé (prévôt). Les prieurés sont ainsi des monastères de rang
inférieur à effectifs modestes par rapport à l’abbaye mère. Le personnel souvent très réduit est
désigné par l’abbé219. La multiplication de ces prieurés aux XIème et XIIème siècles est sans
doute liée à l’administration temporelle de biens monastiques dispersés 220. À la fin du Xème
siècle et au début du XIème siècle, le prieur peut signifier le second de l’abbé, le remplaçant
lors de ses absences. Il veille à la vie du monastère, intérieure et extérieure. Il semblerait que
ce soit Cluny qui soit à l’origine de l’appelation de priores pour les responsables de tous les
établissements groupés sous l’autorité de son abbé. L’auteur constate que les ordres
nouveaux, à l’exception des cisterciens, renoncent à la qualification d’abbés. Les Chartreux et
Grandmontains par exemple préfèrent la dédignation de prieur ou de doyen. À la fin du
XIIème siècle à L’Artige près le Limoges, s’inspirant de Grandmont, un prieur central est
requis tandis que des précepteurs sont placés à la tête des maisons dépendantes (domus). À
l’inverse, les chartreuses sont des maisons identiquement pourvues d’un prieur221.
Dom Jacques DUBOIS établit quant à lui une distinction entre prieurés, doyennés
clunisiens et granges cisterciennes. Les doyennés sont de grandes exploitations agricoles
dirigées par un moine et non un convers comme pour les granges cisterciennes jusqu’au début
du XIIIème siècle. Le doyenné se distingue du prieuré par une dépendance plus étroite envers
219
Dom J. BECQUET, « Le prieuré : maison autonome ou dépendance selon les ordres (moines, chanoines,
ermites) » dans J-L. LEMAITRE (dir.), Prieurs et prieurés dans l’Occident Médiéval, actes du colloque de Paris
organisé par la IVème section de l’École Pratique des Hautes Études, 1984, Genève, Droz, 1987, p. 47-52.
220
A-M. BAUTIER, « De prepositus à prior, de cella à prioratus : évolution linguistique et genèse d’une
institution (jusqu’à 1200) », dans J-L. LEMAITRE (dir.), Prieurs et prieurés dans l’Occident Médiéval, actes du
colloque de Paris organisé par la IVème section de l’École Pratique des Hautes Études, 1984, Genève, Droz,
1987, p. 1-21.
221
Dom. J. BECQUET, op. cit.
- 88 -
l’abbaye-mère. Le doyen est amené à négocier au nom de l’abbé des achats, ventes, ou
échanges de terres222.
Le passage de l’érémitisme au cénobitisme pour les fondations géraldiennes se fait de
façon progressive dès la mort de Géraud de Sales le 20 avril 1120 à l’abbaye des Châtelliers.
Si un de ses ermitages est devenu cistercien de son vivant (Cadouin en 1119), certains
évoluent vers des règles cisterciennes tandis que quelques ermitages continuent à observer les
préceptes géraldiens. L’évêque Eustorge organise les établissements érémitiques de son
diocèse à l’imitation des cisterciens en leur donnant Dalon pour maison-mère. Marie-Odile
LENGLET s’interroge sur la possibilité de l’action de moines instructeurs dans un certain
nombre d’ermitages géraldiens, venus peut-être de Pontigny. Ils auraient introduit dans les
communautés la règle de saint Benoît, les livres liturgiques et usages cisterciens sans toutefois
établir immédiatement des liens juridiques avec Cîteaux. Cette hypothèse est néanmoins
difficile à confirmer en l’abscence de texte223.
L’ermitage de Dalon est érigé en abbaye par l’autorité épiscopale. Elle est alors dotée
d’un abbé choisi selon une élection régulière. Il s’agit de Roger, limousin d’origine, qui
restera à la tête de l’abbaye de 1121 à 1159. Celui-ci se voit confier la responsabilité et la
gestion de nombreux ermitages dont certains vont également accéder au rang d’abbayes. C’est
ainsi que Bonlieu, Pontault (com. Mant, Landes)224, le Palais-Notre-Dame, Prébenoît et
Aubignac vont s’affilier à Dalon tandis que Grandselve, Gondom (com. Monbahus, Lot-etGaronne) et Bonnevaux (com. Marçay, Vienne) se rattachent à Cadouin. Dès 1119, cette
abbaye devient cistercienne avec à sa tête l’abbé Henri, moine cistercien de Pontigny. Quant à
Grandselve, l’évêque de Toulouse Amélius avait personnellement veillé à ce qu’elle adopte
les usages cisterciens225. Ce sont les évêques en particulier qui orientent les mouvements
érémitiques vers l’imitation des moines blancs226. Les Châtelliers et Boschaud rejoignent
quant à elles la filiation de Clairvaux en 1163. Ces affiliations ne résultent bien souvent pas
de la volonté délibérée des abbayes mais surtout de la demande des évêques et de la
222
Dom. J. DUBOIS, « La vie quotidienne dans les prieurés au Moyen-Âge », dans J-L. LEMAITRE (dir.),
Prieurs et prieurés dans l’Occident Médiéval, actes du colloque de Paris organisé par la IVème section de
l’École Pratique des Hautes Études, 1984, Genève, Droz, 1987, p. 95-114.
223
M. O. LENGLET, « Les fondations de Géraud de Sales et leur évolution », Colloque International du
CERCOM, Saint-Étienne, 1985, p. 1-15.
224
Cette abbaye rejoint Dalon en 1125 et s’affilie à Pontigny en 1151, avant le reste de la filiation dalonienne.
225
Gallia Christiana, T 13, Instr., col. 15.
226
M. O. LENGLET, « L’implantation cistercienne dans la Marche Limousine de Géraud de Sales à saint
Bernard », MSSNAC, T XLVI, 1997, p. 258-268.
- 89 -
motivation des seigneurs donateurs. Les autres fondations de Géraud de Sales restent
indépendantes ou disparaissent227.
Dalon va ainsi devenir un véritable chef d’ordre228. Contrairement à Obazine dont le
passage de l’érémitisme au cénobitisme est assuré par le fondateur lui-même, Étienne de
Vielzot, ce n’est pas le cas concernant les ermitages géraldiens. Leur fondateur meurt tôt et
c’est à Roger de Dalon qu’incombe la tâche de les faire évoluer vers le cénobitisme. Était-ce
toutefois ce que voulait Géraud de Sales ? Ayant lui-même présidé à l’érection en abbaye de
l’Absie, nous pouvons supposer qu’il approuvait cette évolution et reconnaissait sa nécessité
pour la survie des communautés. Nous pouvons également envisager qu’une formation
monastique portant sur la liturgie et les usages cisterciens avait peut-être eu lieu avant la mort
de Géraud de Sales.
L’abbé de Dalon va orienter sa communauté vers la règle cistercienne, sans toutefois
réclamer l’affiliation. Il tient en effet à contrôler lui-même ses abbayes-filles et à les garder
sous sa coupe. La charte n°38 du cartulaire de Dalon évoque l’adoption de cette règle de vie :
« regulae beati Benedicti professionem litterariam ad
imitationem
Cisterciensum
tenendam
unanimiter
decreverunt »229.
Les moines de Dalon doivent ainsi former aux usages cisterciens les ermites de
Mazerolles placés sous leur dépendance. Ce site est érigé en abbaye en 1141 et prend alors le
nom de Bonlieu. Eustorge et Roger de Dalon sont réunis lors de la cérémonie. Pierre de SaintJulien en est le premier abbé.
L’ermitage de Boeuil est érigé en abbaye en 1123 à l’initiative de Ramnulphe de
Nieul, doyen du chapitre du Dorat. Celui-ci prend soin de la confier au monastère de Dalon. Il
fait la donation de « Bulio » entre les mains de Roger. Il est fait mention du mot coenobium
dans la lettre de donation. L’ermitage devait donc répondre à une organisation cénobitique dès
le départ. Un petit groupe de moines de Dalon s’installent alors à Boeuil. L’abbé Roger est en
effet très respecté par les prélats et clercs limousins et l’administration de ses possessions est
appréciée. Il n’est ainsi pas étonnant que Ramnulphe lui ait fait confiance quant au devenir de
227
M. BERTHIER, « Géraud de Salles, ses fondations monastiques. Leur évolution vers l’ordre cistercien à la fin
du XIIème siècle », BSHAP, T 114, 1987, p. 33-50. L’ermitage de Bournet en particulier va disparaître.
228
B. BARRIÈRE (dir.), Moines en Limousin, l’aventure cistercienne, PULIM, Limoges, 1998, p. 163-166.
229
C. ANDRAULT-SCHMITT, « Des abbatiales du « Désert ». Les églises des successeurs de Géraud de Sales
dans les diocèses de Poitiers, Limoges et Saintes (1160-1220) », BSAOMP, 1994, T 8, 5ème série, p. 91-173. BNF,
ms 12697, fol. 151-156, extraits du cartulaire par dom J. BOYER.
- 90 -
l’ermitage de Boeuil. Nous pouvons constater qu’avant cette affiliation, il n’y avait que peu
d’émules du monachisme dalonien à proximité de la cité épiscopale. Boeuil n’est en effet
guère éloigné de plus de dix kilomètres de Limoges. Toutefois, la présence des prieurés
d’Aureil et de Grandmont avait freiné jusque là la poussée dalonienne230. Étienne est nommé
premier abbé de Boeuil. C’est lui qui unira son monastère à Cîteaux en 1162 avec l’ensemble
des filles de Dalon.
Les aumônes sont effectuées avec l’aval d’Eustorge, évêque de Limoges,
indispensable pour consacrer l’église. Celle-ci est consacrée le 4 octobre 1135 peu avant le
décès de Ramnulphe. Elle est placée sous le patronage de la Vierge et de saint Mandet. Dès
1123, saint Bernard désire affilier Boeuil à Clairvaux. Pourquoi cet intérêt pour ce petit
ermitage limousin ? Peut-être sa proximité avec le siège épiscopal a suscité l’intérêt de saint
Bernard qui y voyait un moyen pour pénétrer plus avant en Aquitaine. D’après Bernard GUI,
Roger de Dalon lui envoie une lettre pour l’en dissuader. Il se compare au berger de la
parabole de Nathan n’ayant qu’une brebis tandis que Bernard, riche de cent, veut enlever la
brebis au pauvre231. Roger prouve ici sa fermeté et sa réticence à voir ses filles s’affilier à
Cîteaux. Il tient à garder le contrôle de son ordre et freine le rattachement à l’ordre cistercien.
En 1145, une mission apostolique est pourtant organisée avec la participation de Bernard de
Clairvaux qui traverse le diocèse de Limoges à cette occasion. Les daloniens se sentent à
l’écart de l’ordre de Cîteaux et désirent le rejoindre. Roger s’y oppose toutefois et parvient en
particulier à garder Boeuil sous sa coupe malgré les démarches qu’elle avait engagées auprès
de saint Bernard232. C’est son successeur Amel qui favorisera l’affiliation en 1162, trois ans
après la mort de Roger.
En 1151, une bulle du pape Eugène III précise le patrimoine acquis par Boeuil pendant
l’époque dalonienne. L’abbaye disposait déjà de biens dans les diocèses de Poitiers,
Périgueux et Saintes. Il s’agissait de bois et de terres de médiocre qualité. Le pape prend
également Boeuil sous sa protection. Il est toutefois délicat d’avoir une idée exacte de
l’ampleur des acquisitions par Roger de Dalon. Aucun acte des Archives Départementales de
la Haute-Vienne ne concerne le XIIème siècle. Nous pouvons cependant constater une
concentration des acquisitions dans les années 1200-1320 avec un pic entre 1250 et 1280, soit
230
B. BARRIÈRE (dir.), Moines en Limousin, l’aventure cistercienne, PULIM, Limoges, 1998, p. 144-147.
A. LECLER, « Monographie du canton de Nieul », BSAHL, 1894, T 42, p. 105-137 ; Abbé J. ARBELLOT,
« Abbaye de Boeuil », Semaine Religieuse de Limoges, T 3, 1865, p. 542-543. « Domnus Rotgerius quiescit
apud Dalonem, Cisterciensis ordinis abbatiam. Hic B. Bernardo qui suae Clarevalli abbatiam de Bullo volebat
addere, et Daloni, cujus fuerat a principio, subtrahere, parabolam proposuit de illo qui habens centum oves
pauperculo homini suam unicam abstulit ».
232
M. O. LENGLET, « Les fondations de Géraud de Sales et leur évolution », Colloque International du
CERCOM, Saint-Étienne, 1985, p. 1-15.
231
- 91 -
assez tardivement par rapport à la date d’affiliation à Cîteaux233. Il n’y aurait pas dès lors de
corrélation directe.
En 1134, c’est au tour de l’ermitage du Petit-Quinsat de glisser lentement vers le
cénobitisme. Aimeric de Quinsat se donne à l’abbaye de Dalon avec ses terres et tous les
hommes placés sous sa responsabilité.
« Aimeric de Quinsat, ermite, fait donation à Dieu, à la
Vierge Marie et à l’ordre monastique de l’abbaye de
Dalon de sa propre personne, de tous ses biens, à savoir :
ses disciples, ses terres du Petit-Quinsat, la fontaine de
Chaussade et la terre qui partage le ruisseau descendant
au Taurion, entre les mains de Roger, abbé, l’an de
l’Incarnation
1134,
Eustorge
étant
évêque
de
Limoges »234.
Sa démarche s’explique-t-elle par un besoin d’être reconnu par l’Église ? À partir de
cette date, les donations affluent entre les mains de Roger de Dalon. C’est lui seul qui assure
la gestion des communautés filles de Dalon dont l’autonomie paraît très réduite. Des
seigneurs tels Pierre de Peyrat, Pierre Marbos, Guy Latour, Roger de Laron ou Umbaud de la
Roche se montrent généreux envers la communauté dalonienne. Ils donnent leur
consentement à la présence d’une filiale dalonienne sur leur fief. D’après le cartulaire,
l’implantation officielle du monastère dalonien ne semble pas engendrer de contestations de la
part de l’environnement aristocratique et paysan. Les seigneurs se montrent même plus
généreux235. Quant aux hommes de Quinsat, ils se fondent dans les structures de leurs
nouveaux voisins et apparaissent souvent comme bienfaiteurs ou témoins. Nous pouvons
toutefois constater que les donations seront moins nombreuses avec les deux premiers abbés
cisterciens. La confiance et le respect envers Roger de Dalon y était sans doute pour
beaucoup236. En 1160, c’est Amel, deuxième abbé de Dalon (1159-1167) qui établit un abbé à
la tête des moines de Quinsat. L’abbaye prend alors le nom de Palais-Notre-Dame, avant
233
I. AUBRÉE, Patrimoine, gestion et vie sociale de l’abbaye cistercienne de Boeuil du XIIème au début du
XIVème siècle, maîtrise d’histoire sous la direction de B. BARRIÈRE, Limoges, 1995, p. 48.
234
AD Creuse, H 524, fol. 8.
235
B. BARRIÈRE (dir.), Moines en Limousin, l’aventure cistercienne, PULIM, Limoges, 1998, p. 186-189 ; M.
DAYRAS, « Les abbayes creusoises et le Palais-Notre-Dame », MSSNAC, T 36, 1966, p. 216-220 ; S.
VITTUARI, Le patrimoine de l’abbaye du Palais-Notre-Dame d’après le cartulaire (1134-12..), mémoire de
maîtrise d’histoire sous la direction de B. BARRIÈRE, Limoges, 1992, p. 41.
236
H. DELANOY, « Abbayes du Palais et de Prébenoît », MSSNAC, T 18, 1912, p. 295-316.
- 92 -
même le rattachement à Cîteaux. Amel semble beaucoup plus souple que son prédécesseur
concernant la gestion des filles de Dalon. Il n’est donc pas étonnant qu’il facilite l’affiliation à
Cîteaux deux ans plus tard. Les liens tissés entre Dalon et le Palais sont étroits et se
maintiendront après l’affiliation à Cîteaux. Par exemple, en 1194, Arbert devient abbé du
Palais après l’avoir été à Dalon237.
Concernant la constitution du patrimoine de l’abbaye dalonienne, nous pouvons
constater en 1162 une concentration spatiale des possessions sur 12 kms environ. Elles
correspondent aux environs de Quinsat, Arcissas, Villefranche, Langladure et la jonction de
Janaillat et Saint-Dizier-Leyrenne. Il s’agit de zones de confins paroissiaux, faiblement
soumises à l’autorité ecclésiastique. Jusqu’à l’arrivée des moines de Dalon, nous pouvions
constater un désintéressement relatif pour ces zones. Les possessions daloniennes vont ainsi
rééquilibrer le paysage religieux238.
La politique patrimoniale de Roger de Dalon se révèle plutôt timide. Seulement 7%
des actes du cartulaire concernent des opérations onéreuses. Roger cherche cependant à régler
la question dîmière et milite pour la concentration spatiale du patrimoine. Il ouvre ainsi la
voie à la constitution d’un domaine monastique. L’impact dalonien est indéniable quant à la
formation et à la cohérence du patrimoine foncier de l’abbaye dalonienne et prépare le
regroupement en granges, en unités d’exploitation agricole de l’époque cistercienne.
Dès 1134, les moines s’adonnent à quelques défrichements ponctuels et à certains
aplanissements afin de préparer la plate-forme où sera bâti le monastère. Celui-ci est bâti à
quelques distances de l’ancien ermitage. Les bâtiments daloniens sont toutefois inconnus et il
est difficile de savoir s’ils ont été entièrement détruits suite à l’affiliation de 1162 ou
simplement remaniés afin de correspondre aux préceptes de l’ordre239.
La renommée de Roger de Dalon est bientôt connue du vicomte de Brosse qui lui cède
des terrains situés sur la rive gauche de la Grande Creuse, et en particulier la terre d’Aubignac
où étaient peut-être déjà installés des ermites. Les moines de Dalon s’y fixent en 1138.
En 1140, les frères de Prébenoît sont donnés à Dalon après des années de résistance et
de fidélité étroite aux préceptes géraldiens240.
Outre ces fondations dans le diocèse de Limoges, Roger de Dalon est aussi à l’origine
de créations dans d’autres diocèses. En 1123, Dalon fonde Loc-Dieu en Rouergue (com.
237
J. CIBOT, Le cartulaire de l’abbaye du Palais-Notre-Dame (XIIème-XIIIème siècles), DES, Poitiers, 1961, p.
17.
238
S. VITTUARI, op. cit, p. 81.
239
S. VITTUARI, op. cit, p. 84.
240
M. O. LENGLET, « L’implantation cistercienne dans la Marche Limousine de Géraud de Sales à saint
Bernard », MSSNAC, T XLVI, 1997, p. 258-268.
- 93 -
Martiel, Aveyron). En effet, l’évêque de Rodez, frère du vicomte de Limoges, désirait la
venue des frères daloniens241.
Le passage au cénobitisme à Obazine est préparé par Étienne. En 1135, il devient en
effet prieur de la communauté et engage la lente évolution de son groupe d’ermites vers une
organisation cénobitique. Il met dès lors en place la tenue d’un chapitre quotidien, comme
dans l’ordre cistercien. Il insiste également sur l’importance du travail manuel, à l’image des
moines blancs mais aussi des grandmontains ou d’autres ordres ascétiques. Il met en évidence
la nécessité de défricher pour agrandir habitations et jardins, d’ouvrir des carrières aux
alentours pour construire des bâtiments et les aménager242. Si les frères s’occupent de cultiver
les terres, les sœurs sont chargées des soins de l’intérieur. Hommes et femmes ne peuvent
s’adresser la parole sans autorisation du prieur.
Étienne veut faire le choix d’une règle monastique et non canoniale. Il n’y a toutefois
aucun monastère régulier dans la région excepté Dalon. De nombreuses visites à Dalon sont
ainsi évoquées dans la Vita. En effet, les moines sous la direction de Roger de Dalon avaient
adopté une vie à la manière des cisterciens qui suscitait l’admiration d’Étienne. Celui-ci prend
l’habitude de visiter de nombreux monastères des environs afin d’y prendre des exemples
dans les mœurs et les disciplines. Le second livre de la Vita évoque aussi le soutien
d’Aimeric, évêque de Clermont qui précède Étienne de Mercoeur à la tête de la Chaise-Dieu
de 1111 à 1150. En 1135, Étienne fait également un voyage à la Grande Chartreuse au
moment de la fête de la dédicace de leur église (2 septembre). La Chartreuse est décrite
« entourée de montagnes ». Éloignée du siècle, elle semble bien correspondre à un « désert ».
Étienne profite de sa visite pour observer les canalisations de pierre qui amènent l’eau dans la
cellule de chaque chartreux. Fasciné pour leur mode de vie, il évoque auprès du père Guigues
Ier son désir de rattacher à eux sa communauté d’Obazine mêlant hommes et femmes.
Guigues l’en dissuade. Pour lui, c’est l’ordre de Cîteaux qui détient la « voie royale » pour des
groupes aussi importants disposant d’autant de possessions. Il le convainc de la nécessité de
rechercher des institutions cénobitiques qui conviennent à la multitude. De plus, la distance
entre Obazine et la Chartreuse est trop grande pour assurer de vrais rapports de filiation entre
les deux. La présence de femmes est également proscrite dans les règles cartusiennes.
241
M. O. LENGLET, « Les fondations de Géraud de Sales et leur évolution », Colloque International du
CERCOM, Saint-Étienne, 1985, p. 1-15.
242
B. BARRIÈRE, L’abbaye cistercienne d’Obazine en Bas-Limousin, les origines- le patrimoine, Tulle, 1977,
p. 58.
- 94 -
À son retour, Étienne décide de reconstruire le monastère. L’église sera dédiée à
Sainte Marie, comme la Chartreuse. Cette dédicace montre l’impact de cette visite pour
l’évolution de la communauté obazinienne243. Étienne adopte toutefois l’observance
cistercienne selon les conseils de Guigues Ier, sans pour autant s’affilier à l’ordre, de la même
manière que les moines de Dalon244. Des moines de Dalon viennent d’ailleurs initier ceux
d’Obazine. La Vita nous livre un aperçu de l’apprentissage des frères d’Étienne.
« (…) Pendant ce temps, les frères d’Obazine, d’ermites
qu’ils avaient été, devenaient moines. Chaque jour, ils se
pénétraient des lois et des institutions nouvelles. Bien
qu’ils fussent des vétérans dans la milice céleste, ils se
montraient encore ignorants des pratiques monastiques.
Ils avaient atteint la perfection spirituelle, mais ils étaient
des moines inexpérimentés. C’étaient les maîtres venus de
Dalon qui les dirigeaient, leur apprenaient le mode de vie
monastique et leur enseignaient les préceptes de la règle.
La rudesse de leurs manières et leur manque de
discernement lassaient l’inexpérience des religieux de ces
soudaines nouveautés et de ces durs châtiments et
conduisaient leur âme à l’amertume. Ils ne s’employaient
pas à les attirer avec douceur et à les mener peu à peu des
anciennes pratiques aux nouvelles. Comme s’ils avaient
eu affaire à des gens élevés depuis toujours selon la règle,
ils exigeaient sans ménagement l’entière observance de la
discipline monastique. À l’église comme ailleurs, ils les
troublaient soudain, changeaient leurs habitudes et les
reprenaient. Les frères n’avaient pas l’habitude d’être
traités ainsi par leur très bon et très sage maître, aussi
allaient-ils à lui comme on se réfugie dans un port connu
et se prenaient-ils bien souvent à murmurer devant lui
contre la dureté des maîtres. Le saint homme, tel un père
affectueux et un médecin habile consolait et raisonnait les
243
M. AUBRUN, Vie de Saint Étienne d’Obazine, Institut d’Études du Massif Central, Clermont-Ferrand, 1970,
p. 89.
244
B. BARRIÈRE, L'abbaye cistercienne d’Obazine (…), op. cit, p. 63.
- 95 -
religieux bouleversés : « L’apprentissage de la discipline
ne doit pas vous peser lourdement, disait-il, elle est
maîtresse et éducatrice en sainteté. » Puis il parlait de la
dure et rigoureuse discipline des maîtres, de la vigueur de
la vie de religion qu’une molle tiédeur éteint et
qu’enflamme, avec assez de force, la ferveur. « Certes,
ajoutait-il, vous avez jusqu’à maintenant supporté pour
Dieu bien des peines et de dures contraintes corporelles,
mais tout cela ne sera vraiment grand que si vous endurez
entièrement tous les désagréments des remontrances
inséparables de votre récente entrée dans un ordre. C’est
avec amertume que l’on se soumet à de salutaires
institutions, mais cela se termine dans la douceur. On
n’embrasse aucun métier sans difficulté et il n’en est pas
un qui se retienne sans peine. Vous qui avez été nourris
d’un bienfaisant zèle, supportez donc d’une âme
courageuse tout ce qui pourra vous arriver de
désagréable pour cela afin que vous récoltiez un jour les
doux fruits d’une amère semence. » Par ces paroles, il
fortifiait et instruisait les faibles, invitait aussi les
nouveaux maîtres à persister dans l’œuvre entreprise et à
ne craindre personne. »245
De 1136 à 1142, les travaux de construction se révèlent intensifs. Les bâtiments déjà
existants sont réaménagés. On construit également tout ce que le nouveau mode de vie exige.
L’oratorium est remplacé par une ecclesia. Une église à saint Pierre est destinée aux hôtes. Le
cloître dispose d’une fontaine centrale. Les bâtiments réguliers qui le délimitent sont disposés
sur trois côtés, comme dans la majorité des monastères bénédictins depuis l’époque
carolingienne246. Le cartulaire demeure relativement flou sur toute cette période et sur les
étapes du chantier de construction. La rédaction de cette source n’intervient en effet que
245
246
M. AUBRUN, op. cit, p. 107.
B. BARRIÈRE, L'abbaye cistercienne d’Obazine (…), op. cit, p. 64.
- 96 -
tardivement, à partir de 1170 soit trente ans après les faits. Ce n’est que suite à l’affiliation à
Cîteaux en 1147 que les données deviennent plus précises247.
De plus en plus de nobles se pressent aux portes du monastère pour rejoindre les frères
d’Étienne. Le nombre de femmes du siècle souhaitant se convertir augmente également, si
bien qu’Étienne se voit dans l’obligation de séparer les deux communautés. Il se rend en effet
compte que ses précautions pour éviter toute parole échangée entre hommes et femmes ne
sont pas suffisantes248. Il ordonne donc la construction d’un nouveau monastère pour les
femmes sur le site de Coyroux, à 500m au sud-est d’Obazine. Il sera bâti en deux ans selon la
Vita, entre 1141 et 1143, ce qui paraît relativement court si l’on prend en compte le temps
d’extraction en carrière, la taille des pierres (de chaînages et harpages notamment), les temps
de pose et de séchage des mortiers. La pierre et le bois sont directement pris sur le site, seule
la chaux doit être acheminée. Si les femmes disposent d’un monastère propre, elles n’en
restent pas moins entièrement dépendantes d’Obazine jusqu’au XIVème siècle. Il ne s’agit
néanmoins plus d’un monastère-double où les deux communautés se côtoient. L’ordre
cistercien n’acceptait toutefois que des abbayes de moniales autonomes. Coyroux est donc
une exception. Il n’est pas rare dans l’ordre cistercien que deux communautés, masculine et
féminine, soient liées. C’est le cas par exemple de Villelongue (com. saint-Martin-le-Vieil,
Aude) et Rieunette (com. Ladern-sur-Lauquet, Aude) près de Carcassonne ou des Olieux et de
Fonfroide (com. Narbonne, Aude) près de Narbonne. La communauté masculine apporte
soutiens économiques et religieux aux moniales, chacune des deux jouissant d’une pleine
personnalité juridique sous l’autorité de son propre supérieur. Ce n’est toutefois pas le cas à
Coyroux jusqu’au XIVème siècle249.
En 1142, Étienne devient enfin abbé en présence de Géraud, évêque de Limoges de
1142 à 1177. Les deux communautés sont installées officiellement et s’organisent de manière
autonome sans rattachement à Dalon250. Obazine est désormais divisée entre moines et frères
lais. La communauté de Coyroux compte alors environ 150 moniales obéissant à une clôture
perpétuelle251. Elles reçoivent une direction spirituelle de la part des frères. Ceux-ci ont à
charge les offices, l’administration des sacrements et la tenue du chapitre. L’église comporte
247
B. BARRIÈRE, Le cartulaire de l’abbaye cistercienne d’Obazine (XIIème-XIIIème siècles), Institut d’Études
du Massif Central, Clermont-Ferrand, 1989, p. 22.
248
A. VAYSSIÈRE, « Les dames de Coyroux », BSSHAC, T 5, 1883, p. 365-379.
249
B. CHAUVIN, Pierres… pour l’abbaye de Villelongue, histoire et architecture, T 1, Pupillin, Arbois, 1992, p.
89.
250
B. BARRIÈRE (dir.), Moines en Limousin, l’aventure cistercienne, PULIM, Limoges, 1998, p. 179.
251
M. AUBRUN, op. cit, p. 97.
- 97 -
un mur de séparation percé seulement d’une ouverture à guichet, isolant la communauté du
chœur252.
Outre Obazine et Coyroux, Étienne est à l’origine d’autres fondations qui, de simples
« celles » érémitiques, vont également évoluer vers le cénobitisme. Avant l’affiliation à
Cîteaux en 1147, Valette et Bonnaigue sont fondées. Il y envoie des groupes de moines depuis
le monastère d’Obazine qui ne peut accueillir autant de nobles et chevaliers qui se présentent
toujours plus nombreux devant les portes.
L’abbaye de Bonnaigue est donc fondée en 1142 dans la forêt de Charoux alors
qu’Étienne vient d’être nommé abbé. Elle existait auparavant sous forme de celle puis
« d’ermitage-prieuré » et n’est transformée en monastère qu’en 1142 lorsque le nombre de
moines et de possessions est suffisant et après qu’Obazine soit érigée en abbaye253. Ces
dénominations employées par Bernadette BARRIÈRE méritent ici quelques explications
supplémentaires. Le terme de celle, précédemment défini, suppose une petite cellule
monastique, très modeste, rattachée étroitement à Obazine. L’abbé Étienne seul peut nommer
son représentant à la tête de Bonnaigue. L’expression « ermitage-prieuré » est plus complexe.
Selon Dom Jacques DUBOIS, un prieuré-ermitage est un prieuré isolé répondant à une
volonté de calme et de solitude. Il s’agit de petites structures où un groupe très restreint de
moines peuvent avoir le sentiment de vivre au désert254.
Suite à son érection en monastère, conséquence d’une mise en valeur des terres
alentours permettant l’accueil d’une communauté plus nombreuse, elle conserve néanmoins
des liens très étroits avec son abbaye-mère. Selon Suzanne-Marie DURAND, Bonnaigue
n’aurait été fondée qu’en 1144. L’auteur ne justifie néanmoins pas cette datation qui
n’apparaît pas dans les textes connus255. La charte de fondation n’est toutefois signée que plus
tard, en 1157 par le seigneur d’Ussel et son frère Pierre de Ventadour. Jean, le premier abbé
(1148), est lui-même un moine venu d’Obazine. Il existe ainsi de très étroits liens entre
Obazine et ses fondations256.
L’abbaye de Valette est tout d’abord fondée sur le site de Doumis-Le-Pestre dans
l’ancien diocèse de Clermont. Il s’agit d’une celle créée à l’initiative d’Étienne, érigée en
abbaye en 1143. C’est l’évêque de Limoges Géraud qui recommande son déplacement à
252
B. BARRIÈRE, op. cit, p. 103.
B. BARRIÈRE (dir.), Moines en Limousin, l’aventure cistercienne, PULIM, Limoges, 1998, p. 154.
254
Dom. J. DUBOIS, « La vie quotidienne dans les prieurés au Moyen-Âge », dans J-L. LEMAITRE (dir.),
Prieurs et prieurés dans l’Occident Médiéval, actes du colloque de Paris organisé par la IVème section de
l’École Pratique des Hautes Études, 1984, Genève, Droz, 1987, p. 95-114.
255
S-M. DURAND, Étienne d’Obazine, 1085-1159, Lyon, 1966, p. 67.
256
M. LAVEYX, « L’abbaye de Bonnaigue », BSSHAC, T 16, 1894, p. 536-557.
253
- 98 -
Valette pour des raisons de salubrité en 1145. Le transfert s’effectue effectivement « suggestu
ac precepto domni Geraldi Lemovicensis episcopi ». Il s’agit sans doute aussi d’un choix
stratégique pour attirer les moines d’Étienne sous sa protection et donc sous son contrôle et sa
surveillance. L’abbaye de Valette est placée sous la direction de Bégon d’Escorailles, un
chevalier disciple d’Étienne257. Doumis devient dès lors une simple grange dépendante du
monastère258.
Outre ces deux abbayes, Étienne d’Obazine est également à l’origine de la fondation
d’autres sites intervenant toutefois après l’affiliation à Cîteaux. L’abbaye de Grosbot est
située dans l’actuel département de la Charente, dans le diocèse d’Angoulême. Elle est créée
entre 1147 et 1166, date à laquelle elle est érigée en abbaye cistercienne dans la filiation
d’Obazine259. En 1147, Étienne reçoit en effet des droits d’usage dans le bois de Grosbot ainsi
que le manse de « Mas Codorz ». Il y installe un petit groupe de frères. Ceux-ci sont proches
de la communauté canoniale de Fontvive. Grosbot ne correspond alors pas véritablement à un
désert, ce qui permet de s’interroger sur une réelle volonté de colonisation du saltus et de
terres déshumanisées par Étienne d’Obazine. Ce monastère augustinien est connu depuis 975.
Les deux groupes vont fusionner et devenir cistercien en 1166260. Il semblerait que ce soit
Grosbot qui ait absorbé la communauté augustinienne pourtant plus ancienne261.
Après 1147, Étienne érige également en abbaye La Garde-Dieu dans le diocèse de
Cahors (com. Mirabel, Tarn-et-Garonne) ainsi que la Frénade dans le diocèse de Saintes
(com. Merpins, Charente), deux sites qui ne seront toutefois pas abordés en détail dans notre
étude étant donné leur éloignement avec la zone géographique prise en compte. Ces deux
monastères existaient antérieurement à l’état de prieurés. Cette notion étant ignorée par la
règle cistercienne, ils deviennent des abbayes-filles suite à l’affiliation d’Obazine262. Ces
créations interviennent dans des endroits déjà construits et permettent de se poser la question
de la fin de l’esprit pionnier, pourtant si présent dans les débuts érémitiques d’Étienne
d’Obazine.
2. L’affiliation à Cîteaux et ses implications. Le monastère cistercien :
257
J-L. LEMAITRE, La Dordogne avant les barrages, Ussel, 1979, p. 9.
B. BARRIÈRE (dir.), Moines en Limousin…, op. cit, p. 201-205.
259
B. BARRIÈRE (dir.), Moines en Limousin…, op. cit, p. 172-175.
260
B. BARRIÈRE, L'abbaye cistercienne d’Obazine (…), op. cit, p. 83.
261
D. N. BELL, « An eighteenth Century Book-List from the abbey of Grosbot », Cîteaux, commentarii
cistercienses, T 48, 1997, p. 339-370.
262
B. BARRIÈRE, L'abbaye cistercienne d’Obazine (…), op. cit, p. 83.
258
- 99 -
En Aquitaine, nous pouvons constater que beaucoup d’abbayes cisterciennes du
XIIème siècle correspondent à l’affiliation d’anciens groupes érémitiques. En effet, la
convergence vers Cîteaux de communautés explique la plus grande part du dynamisme des
moines blancs dans l’ouest de la France. L’initiative du rattachement vient de ces maisons et
non des abbayes cisterciennes elles-mêmes. Comme les moines blancs bénéficient de
privilèges ecclésiastiques, ils attirent les communautés monastiques affiliées et les
ermitages263. La plupart des affiliations de nouvelles communautés datent des années 1160 et
sont caractéristiques d’une volonté de normalisation du mouvement érémitique par la
diffusion de l’ordre cistercien. Constance Hoffman BERMAN insiste alors sur la création
plutôt tardive d’un ordre cistercien [Fig. 12]264.
Dalon et ses filles, ainsi que la congrégation obazinienne, vont obtenir leur affiliation à
l’ordre de saint Bernard. Nous pouvons également évoquer les abbayes de Savigny (com.
Savigny-Le-Vieux, Manche) et de Cadouin qui auront à leur charge de nombreuses filiales.
Savigny en particulier est fondée en 1112 par l’ermite normand Vital de Mortain. Trente ans
plus tard, elle dispose déjà de 32 filles, principalement en Normandie et en Angleterre [Fig.
13]. Elle s’affilie à Cîteaux en 1147, en même temps qu’Obazine, lors du Chapitre Général
présidé par le Pape Eugène III, lui-même moine de Clairvaux265. Mathieu ARNOUX insiste
sur le fait que la filiation savignacienne accorde moins d’importance « (…) à l’idéologie de
l’autarcie communautaire et la valorisation du travail manuel des religieux »266.
Ces monastères tardivement rattachés tendent souvent à conserver une certaine
originalité et nuisent ainsi parfois à la cohésion de l’ordre. Les affiliations constituent
néanmoins un avantage pour la communauté cistercienne qui bénéficie alors déjà de terres et
d’hommes. L’investissement financier et humain est moindre qu’une création directe de
l’ordre impliquant un important recrutement d’hommes et des donations initiales
conséquentes pour que la communauté soit viable267. Cîteaux et ses filles ne sauraient être
263
C. H. BERMAN, Medieval agriculture, the Southern French Countryside, and the Early Cistercians. A study
of Forty-three Monasteries, Philadelphia, 1986, p. 1.
264
C. H. BERMAN, The Cistercian evolution. The invention of a religious order in the Twelfth Century Europe,
Philadelphia, 2000, p. 95; C. H. BERMAN, “La filiation de Morimond dans le Midi de la France, XIIèmeXIIIème siècles”, dans G. VIARD (dir.), L’abbaye cistercienne de Morimond. Histoire et rayonnement, colloque
international de Langres, 2003, Langres, 2005, p. 311-333.
265
D-M. DAUZET, « Les abbayes normandes à la fin du XIIème siècle », dans Richard Cœur de Lion, roi
d’Angleterre, duc de Normandie, 1157-1199, Actes du colloque international de Caen, 1999, Condé-sur-Noireau,
2004, p. 179-187.
266
M. ARNOUX, Mineurs, férons et maîtres de forge. Étude sur la production du fer dans la Normandie du
Moyen-Âge, XIème-XVème siècles, CTHS, Paris, 1993, p. 282.
267
C. H. BERMAN, Medieval Agriculture…, op. cit., p. 31; F. CYGLER, ‘Un ordre cistercien au XIIème siècle ?
Mythe historique ou mystification historiographique ?” Revue Mabillon, T 74, 2002, p. 307-328.
- 100 -
considérées comme des centres d’impulsion dont le rayonnement s’étendrait jusqu’aux
rivages atlantiques. Elles « récupèrent » des groupuscules érémitiques contraints à adopter une
règle cénobitique afin d’assurer leur survie. La mort du fondateur, l’augmentation constante
des effectifs, la volonté d’être reconnu par l’Église et le siège épiscopal peuvent expliquer ce
glissement vers le cénobitisme. Cîteaux offre alors une possibilité à ces communautés
d’achever leur évolution. Selon Mathieu ARNOUX, l’essor de l’érémitisme et des nouvelles
communautés marque l’intégration d’espaces auparavant marginaux dans l’ensemble sans
cesse plus cohérent d’une chrétienté occidentale réformée. C’est le cas notamment des marges
diocésaines souvent encore dévolues au saltus (Marche Limousine)268.
L’affiliation à Cîteaux entraîne pour ces mouvements érémitiques des changements
profonds dans leur mode de vie et dans l’organisation des bâtiments monastiques. La liturgie,
le déroulement des offices, les rapports entre abbaye-mère et abbaye-fille vont se modifier et
les communautés vont devoir se conformer aux nouvelles règles et institutions. L’affiliation
peut engendrer un élan de donations de la part des seigneurs et familles aristocratiques. Le
rattachement à Cîteaux est alors déterminant dans l’essor et l’enrichissement des monastères
et amorce souvent une première phase de construction. Charles HIGOUNET constate pour la
Marche Limousine une accumulation de surplus sensible dès 1160, phénomène qui serait ainsi
directement à mettre en relation avec l’affiliation à Cîteaux. Pour Bernadette BARRIÈRE, le
rattachement à l’ordre cistercien entraîne nécessairement le début des chantiers de
construction, les moines devant disposer au moins d’un sanctuaire pour les offices.
« Ceux des monastères qui, ayant appartenu aux congrégations d’Obazine et de Dalon,
subsistent en tout ou partie, attestent qu’il y eut une reprise cistercienne systématique des
constructions »269.
Toutefois, les possessions agricoles alentour doivent être rendues suffisamment
productives auparavant pour assurer les revenus nécessaires aux coûts de mise en œuvre270.
Les changements dans l’architecture et le décor sont néanmoins plus délicats à saisir
que les implications économiques puisque les ermitages primitifs sont inconnus, étant bâtis en
matériaux périssables ; quant aux bâtiments daloniens (peut-être également en bois ?) et aux
premières structures bâties mises en place à Obazine (en bois d’après la Vita), elles demeurent
268
M. ARNOUX, « Dynamiques et réseaux de l’Église Régulière dans l’Ouest de la France (fin XIème-XIIème
siècles) », dans J. DALARUN (dir.), Robert d’Arbrissel et la vie religieuse dans l’Ouest de la France, Actes du
colloque de Fontevraud, 13-16 décembre 2001, Brépols, Belgique, 2004, p. 57-70.
269
B. BARRIÈRE, « Les abbayes issues de l’érémitisme », Cahiers de Fanjeaux, n° 21, Toulouse, Privat, 1986,
p. 71-105.
270
B. BARRIÈRE, « La place des monastères cisterciens dans le paysage rural des XIIème et XIIIème siècles »,
dans l’ouvrage collectif Moines et monastères dans les sociétés de rite grec et latin, Genève, 1996, p. 191-207.
- 101 -
méconnues. Il est ainsi difficile de savoir si le rattachement à l’ordre cistercien a déterminé
des « types architecturaux »271. Cette édification de premiers bâtiments en bois n’est pas une
spécificité des ermitages limousins. Mathias UNTERMANN souligne cet aspect pour de
nombreux monastères cisterciens. À Clairvaux en particulier (com. Ville-sous-Laferté, Aube),
des structures en bois sont utilisées durant une décennie avant la construction monumentale en
pierres. De même pour le monastère autrichien de Zwettl apparaissant comme un « ligneum
monasteriolum » en 1137. Dans les années 1150 à Villers (com. Villers-La-Ville, Brabant),
dortoir et réfectoire sont bâtis comme des huttes. En 1273, la fondation de Stams au Tirol est
d’abord en bois (« claustrum ligneum »)272. L’élaboration de premières structures en
matériaux périssables est donc fréquente mais difficile à l’étude, qu’il s’agisse d’un ermitage
primitif ou d’une première organisation cénobitique. L’affiliation à Dalon ou à Obazine des
ermitages limousins semble avoir entraîné systématiquement un abandon de ces structures
provisoires pour des bâtiments pérennes en pierres.
En 1147, Étienne d’Obazine se rend au Chapitre Général de Cîteaux et demande
l’affiliation, soutenue par le Pape Eugène III. Le site d’Obazine n’a pourtant rien de
réellement « cistercien ». C’est un site ouvert, dominant et salubre. Il n’y a pas de cours d’eau
à proximité immédiate contrairement aux volontés des statuts cisterciens. Le problème de
l’approvisionnement en eau conduit à s’interroger sur l’opportunité d’un changement de site.
Il est toutefois maintenu mais les aménagements hydrauliques nécessaires sont importants.
Les moines sont obligés de bâtir le « canal des moines » pour dériver l’eau du Coyroux.
La discipline était beaucoup plus stricte à Obazine qu’à Cîteaux, notamment
concernant l’abstinence. Cette démarche d’affiliation faillit être compromise par la présence
de la communauté féminine de Coyroux. Dès 1119, les statuts de l’ordre précisent en effet que
les moines et les convers ne doivent pas côtoyer les femmes. Une autre codification de 1152
laisse transparaître les réticences à accepter les communautés féminines de l’ordre.
L’affiliation d’Obazine et de Coyroux est toutefois acceptée mais sous la condition que « tout
ce qui était contraire aux institutions de l’ordre serait supprimé peu à peu ». Il est décidé
qu’Étienne cesse d’être le supérieur de Coyroux. Il continue d’en être le père mais une
abbesse doit être élue273. Il y avait donc clairement des divergences entre l’observance
271
C. ANDRAULT-SCHMITT, « Des abbatiales du « Désert ». Les églises des successeurs de Géraud de Sales
dans les diocèses de Limoges, Poitiers et Saintes (1160-1220) », BSAOMP, 1994, T 8, 5ème série, p. 91-173.
272
M. UNTERMANN, Forma Ordinis. Die mittelalterliche Baukunst des Zisterzienser, Deutscher Kunstverlag,
München, Berlin, 2001, p. 171.
273
S- M. DURAND, Étienne d’Obazine- 1085-1159, Lyon, 1966, p. 76.
- 102 -
dalonienne adoptée par les moines d’Obazine et l’observance cistercienne à laquelle ils
aspirent. Suite au rattachement à l’ordre, des adaptations à la Règle sont donc inévitables : des
changements sont nécessaires quant à l’office liturgique ; les malades peuvent désormais
manger de la viande, ce qu’Étienne interdisait. La spiritualité cistercienne met l’accent sur
l’exercice de la charité. La Vita apporte plusieurs fois le témoignage de la priorité absolue aux
pauvres à Obazine suite à l’affiliation. Les distributions de viande sont fréquentes de même
que l’embauche d’ouvriers par charité plus que par nécessité (livre II, 20) 274. Enfin,
concernant les bâtiments monastiques, ils sont agrandis par le sud. Il est indispensable pour
Étienne de mener cette phase d’uniformisation et de normalisation.
Constance Hoffman BERMAN remet toutefois en cause la date d’affiliation d’Obazine
à l’ordre de Cîteaux. Pour elle, elle n’a pas lieu avant 1165. L’historienne n’apporte toutefois
aucune justification solide à son propos. Pour elle, il n’y a aucune preuve de la tenue d’un
Chapitre Général en 1147 avec la présence du Pape Eugène III. Elle renie ainsi entièrement la
Vita d’Étienne d’Obazine, pourtant document incontournable quant aux premiers temps de la
communauté double d’Obazine-Coyroux. Consciente des limites de cette source écrite
quelques dizaine d’années après les faits, il apparaît toutefois délicat d’en faire totalement
abstraction face à l’indigence des autres sources mises à notre disposition. Pour Constance
BERMAN, Obazine doit s’être affiliée dans les années 1160 car c’est la dernière dans la liste
des filles de Cîteaux apparaissant dans la confirmation papale de 1165275.
Après l’affiliation, Obazine fonde trois abbayes : la Garde-Dieu dans le diocèse de
Cahors, la Frénade (diocèse de Saintes) et Grosbot (diocèse d’Angoulême). La Garde-Dieu et
la Frénade sont bâties « en des endroits déjà construits » d’après la Vita. Il n’y a donc pas
d’installation au désert. L’idéal pionnier primitif n’est peut-être plus aussi vivace 276. Ces deux
sites sont érigés en abbayes-filles277. Bonnaigue et Valette sont également affiliées à Cîteaux
en même temps que leur abbaye-mère Obazine.
Avant l’affiliation, l’abbaye d’Obazine agit déjà, sur le plan économique, en parfaite
conformité avec les méthodes et les objectifs de l’ordre cistercien. Toutefois, les termes de
« grangier » ou de « convers » n’apparaissent pas encore278. Dès 1150-1160, la carte du réseau
des granges obaziniennes est déjà esquissée. Il s’agit surtout de manses et de borderies, de
274
B. BARRIÈRE, « Un saint limousin au XIIème siècle », Annales du Midi, T 85, 1973, p. 107-110.
C. H. BERMAN, The Cistercian evolution…, op. cit, p. 146.
276
M. AUBRUN, Vie de Saint Étienne d’Obazine, Institut d’Études du Massif Central, Clermont-Ferrand, 1970,
p. 117.
277
B. BARRIÈRE, L’abbaye cistercienne d’Obazine en Bas-Limousin, les origines- le patrimoine, Tulle, 1977,
p. 81.
278
B. BARRIÈRE, « Un saint limousin au XIIème siècle », Annales du Midi, T 85, 1973, p. 107-110.
275
- 103 -
terroirs déjà constitués et exploités, rarement de terres incultes ou d’espaces forestiers 279. Ces
terres étaient pour la majorité déjà en possession de l’abbaye avant l’affiliation et les abbés
cisterciens successifs ont simplement consolidé ce patrimoine et continué l’expansion
notamment dans la région de Rocamadour. L’affiliation à Cîteaux ne change ainsi pas
foncièrement la politique patrimoniale de l’abbaye. La volonté de regrouper les donations afin
d’obtenir un patrimoine cohérent sous forme d’unités d’exploitation agricole est néanmoins
peut-être plus nettement exprimée.
Concernant Grosbot, elle s’affilie à l’ordre de Cîteaux par l’intermédiaire d’Obazine
en 1166. C’est à ce moment-là qu’elle prend le nom de Grosbot. C’est l’unique abbaye
cistercienne de l’Angoumois. Elle témoigne des efforts réalisés par l’ordre cistercien pour
s’implanter dans le diocèse. Étienne d’Obazine avait en effet la volonté de créer une
dépendance en Angoumois qui serait une étape sur la route Saintongeaise où était déjà
installée l’abbaye de la Frénade (1148). Étienne œuvre ainsi à la pénétration cistercienne dans
le diocèse d’Angoulême dès l’affiliation à Cîteaux en 1147. Il comprend bien le rôle
« colonisateur » que les moines cisterciens ont à jouer en Aquitaine et dans les zones de
confins diocésains faiblement peuplés.
Grosbot absorbe une communauté religieuse préexistante de type canonial rénové,
l’abbaye de Fontvive. Ce monastère augustinien est fondé vers 975. Il se laisse visiblement
gagner par le mode de vie du jeune monastère cistercien voisin. La réunion des deux
communautés entraîne soit le transfert de l’un des sites vers l’autre, soit le choix d’un
nouveau site280.
En 1162, Dalon et toute sa congrégation entrent dans l’ordre cistercien dans la filiation
de Pontigny : il s’agit d’Aubignac, Boeuil, Bonlieu, Prébenoît et le Palais-Notre-Dame.
Pontigny est située dans l’actuel département de l’Yonne (com. Pontigny), aux marges des
diocèses de Sens, Auxerre et Langres, et à la limite des comtés de Tonnerre, d’Auxerre et de
Champagne. Elle est placée sous la protection des rois de France281. L’affiliation de Dalon est
favorisée par les évêques et les seigneurs laïcs. Concernant l’abbaye de Boeuil, l’affiliation ce
3 novembre 1162 à la demande de l’abbé Amel n’entraîne pas une augmentation des
donations, des possessions. La majorité des acquisitions est plus tardive (vers 1250). Il n’y
279
B. BARRIÈRE, Le cartulaire de l’abbaye cistercienne d’Obazine (XIIème-XIIIème siècles), Institut d’Études
du Massif Central, Clermont-Ferrand, 1989, p. 23.
280
B. BARRIÈRE (dir.), Moines en Limousin, l’aventure cistercienne, PULIM, Limoges, 1998, p. 172-175 ; D.
N. BELL, « An eighteenth Century Book-List from the abbey of Grosbot », Cîteaux, Commentarii Cisterciensis,
T 48, 1997, p. 339-370.
281
M. GARRIGUES, Le premier cartulaire de l’abbaye cistercienne de Pontigny, Paris, 1981, p. 12.
- 104 -
aurait pas forcément de liens très étroits entre affiliation et acquisition d’un important
patrimoine foncier282. Dès 1151, Eugène III avait pris Boeuil sous sa protection. Ce pape avait
fait sa profession religieuse à Clairvaux, d’où sa bienfaisance envers cet ordre. Toutefois,
Boeuil n’était pas encore cistercienne à cette date283. En 1163, peu de temps après l’affiliation,
les moines se plaignent à Rome de la vie scandaleuse des ermites de la Malaise. Ceux-ci sont
donc donnés à Boeuil avec tous leurs bois. La Malaise est située à la jonction des trois
communes de Saint-Brice, Oradour-Sur-Glane et Saint-Victurnien. Quels changements
l’agrégation de cette petite communauté érémitique entraîne-t-elle pour les moines de
Boeuil ? Aucun texte n’évoque leur acclimatation dans la jeune communauté cistercienne.
En 1168, les moines cisterciens de Boeuil semblent assez nombreux et opulents pour
fonder une filiale. Il est fait état d’un essaimage à Ferrières mais qui n’est toutefois cité
qu’une fois. S’agit-il d’un échec ou bien d’une confusion avec l’abbaye-fille Saint-Léonarddes-Chaumes réellement fondée par Boeuil ? Cette abbaye est située dans le diocèse de
Saintes et aurait pu changer de nom lors de l’affiliation. Un lieu-dit « L’abbaye » en conserve
le souvenir sur la commune de Dompierre-sur-Mer (arrondissement de la Rochelle,
département Charente-Maritime).
Dès le XIIIème siècle, l’existence de convers est attestée à Boeuil. De même à Dalon,
la première mention d’un convers apparaît en 1169, soit sept ans après l’affiliation 284.
Existaient-ils avant l’affiliation à Cîteaux ou leur introduction est-elle étroitement liée au
rattachement à l’ordre ? Existaient-ils sous un autre nom ? L’ancien ermitage géraldien doit
en effet se conformer aux statuts cisterciens lors de son affiliation285. Les cisterciens
transforment les paysans en frères convers pour « débarrasser » leurs terres des anciens
habitants.
En 1162, l’abbaye du Palais-Notre-Dame est affiliée à Cîteaux en même temps que
Dalon, son abbaye-mère. Au début du XIIIème siècle, le monastère comptait seize religieux et
cinq à dix convers. Ces convers étaient-ils déjà là durant l’époque dalonienne ? Les textes ne
permettent pas de le savoir. Les effectifs dans les années 1200 montrent qu’il s’agissait en
tout cas d’un petit monastère. D’après le cartulaire, nous pouvons constater qu’il n’y a pas de
préférence pour la communauté dalonienne ou cistercienne. Il n’y a pas d’accroissement des
282
Pour ces questionnements, voire notre étude des liens entre patrimoine foncier et affiliation. I. D. b. 3.
AD Haute-Vienne, 13 H 1.
284
L. GRILLON, Le domaine et la vie économique de l’abbaye cistercienne Notre-Dame de Dalon en BasLimousin, thèse de doctorat, Bordeaux, 1964, p. 20.
285
I. AUBRÉE, Patrimoine, gestion et vie sociale de l’abbaye cistercienne de Boeuil du XIIème au début du
XVIème siècle, mémoire de maîtrise d’Histoire Médiévale, sous la direction de B. BARRIÈRE, Limoges, 1995, 1
vol., p. 70.
283
- 105 -
donations suite à l’affiliation. Les acquisitions gratuites ne perdent pas leur élan dans la
seconde moitié du XIIème siècle. Bernard Ier, premier abbé cistercien du Palais, agit dans la
lignée de ses prédécesseurs daloniens. Il travaille à l’expansion du patrimoine, notamment sur
la paroisse de Soubrebost. Il exige également de nombreux contrats de confirmation pour que
l’abbaye cistercienne dispose des mêmes droits d’usages et exemptions que l’abbaye
dalonienne. D’après l’héritage dalonien, il organise sept domaines et fonde la grange de
Beaumont. Son successeur Hélie (1168-1177) travaille à l’autonomie et l’affermissement du
patrimoine. Il ne réalise toutefois aucun élargissement du temporel286.
Concernant l’abbaye de Bonlieu, Claude ANDRAULT-SCHMITT s’est attachée à
démontrer l’importance de la date d’affiliation dans le chantier de construction de l’abbatiale.
Pour les érudits du début du XXème, le début de la construction interviendrait dès 1141 et son
rattachement à Dalon. La mise en œuvre du cloître et de l’église aurait été achevée sous l’abbé
Jean de Comborn (1179-1196) soit à l’extrême fin du XIIème siècle. L’édifice n’est toutefois
consacré qu’en 1232287. Pourquoi une telle attente si les travaux étaient achevés depuis plus de
trente ans ? Les actes du cartulaire peuvent nous apporter quelques indications de datation. En
effet, certaines transactions et donations tiennent lieu au monastère même et évoquent souvent
des bâtiments bien précis. Ainsi, l’hôtellerie est citée en 1179, le parloir et la cuisine en 1183,
la salle capitulaire et l’auditorium en 1195, la porte du cellier et le cloître des convers en
1198, la porte du monastère en 1199, le cloître de l’infirmerie en 1205, l’hôpital au bord de
l’étang en 1207, le cimetière en 1221, et enfin le parloir devant la chambre de l’abbé en 1221.
Pour Claude ANDRAULT-SCHMITT, ces dates iraient dans le sens d’une construction
entamée vers 1160-1170 par le chœur et le transept et qui s’échelonne jusque dans le premier
tiers du XIIIème siècle, ce qui justifierait la consécration tardive de l’édifice. Elle s’achèverait
par la mise en œuvre de la façade occidentale. L’affiliation à Cîteaux en 1162 aurait été
déterminante pour l’édification du monastère288. Toutefois, une interprétation légèrement
différente peut être envisagée. Nous savons d’après un acte conservé aux Archives
Départementales de la Creuse que le monastère de Bonlieu est pillé et détruit en 1171 par les
Brabançons. Hugues de Chambon, le fils d’Amelius, premier donateur de l’ermitage, fait une
description de l’abbaye après cette attaque289. Ne pourrait-on pas imaginer une reconstruction
après cette date ? Ce n’est ainsi peut-être pas une obligation spirituelle liée au rattachement à
286
S. VITTUARI, Le patrimoine de l’abbaye du Palais-Notre-Dame d’après le cartulaire (1134-12..), mémoire
de maîtrise d’histoire sous la direction de B. BARRIÈRE, Limoges, 1992, p. 122.
287
C. PÉRATHON, « L’abbaye de Bonlieu », MSSNAC, T XVI, 1902, p. 13-24.
288
C. ANDRAULT-SCHMITT, « Des abbatiales du « désert » (…) », op. cit, p. 150.
289
AD Creuse, H 284, « veni cum eodem patre meo ad abbatiam Boni Loci post invasionam et damnum quod
intulerunt fratribus Boni Loci Theutonici sub ducatu meo ».
- 106 -
l’ordre cistercien qui aurait été déterminante mais plutôt une obligation matérielle suite à des
destructions massives.
Concernant l’abbaye d’Aubignac, rattachée à Dalon dès 1138 et affiliée à Cîteaux en
même temps que son abbaye-mère en 1162, Marie-Hélène TERRIER montre que la
constitution du terroir principal des granges est amorcée dès le milieu du XIIème siècle, avant
même le rattachement à Cîteaux qui ne serait ici pas déterminant pour le développement du
monastère. Son étude sur les bois de l’abbaye prouve que des années 1165 au milieu du
XIIIème siècle, les moines n’acquièrent que peu de bois et forêts. L’affiliation serait alors à
relativiser et à nuancer, et n’engendre pas forcément une nouvelle politique d’acquisition, une
nouvelle gestion économique et domaniale. Aubignac reste une abbaye modeste ne disposant
que de six granges. Ce n’est que de 1248 à 1351 que les moines d’Aubignac se livrent à une
véritable politique d’acquisition. Les donations en pure aumône et les libéralités de la
noblesse se sont dès lors raréfiées, dès le début du XIIIème siècle. La piété seigneuriale ne
concerne que les tous premiers temps de l’affiliation à Cîteaux et ne dure qu’un demi-siècle 290.
Ils aident seulement à la mise en place du terroir principal du monastère qui assure ensuite par
lui-même son développement291.
En 1163, l’ancien ermitage géraldien de Boschaud est rattaché à Cîteaux dans la
filiation de Clairvaux. Il ne dépend pas de Dalon comme de nombreuses fondations de Géraud
de Sales. Claude ANDRAULT-SCHMITT s’attarde plus particulièrement sur les rapports
entre cette affiliation et la construction de l’abbatiale. Elle place l’édification entre 1160 et
1180. L’adoption d’une nef voûtée de coupoles sur pendentif ferait écho à la coupole de
croisée du transept d’Obazine (1156-1176). Pour l’historienne de l’art, l’affiliation serait
intervenue entre l’édification du chevet et du transept292. Face à la ruine de l’édifice, il paraît
toutefois délicat de soutenir cette hypothèse. La congrégation géraldienne avait dû auparavant
bâtir des bâtiments conventuels et un sanctuaire et il n’est pas attesté que l’affiliation ait
entraîné la destruction complète de ces structures et une reconstruction totale entre 1160 et
1180. Des remaniements semblent plus plausibles étant donné la modestie des revenus de
cette abbaye. Une reconstruction complète aurait sans doute été trop onéreuse pour ce site.
Cette hypothèse est partagée par Constance Hoffman BERMAN qui pense à une probable
290
En 1165, Bernard, vicomte de Brosse, confirme ses donations et celles de son père à Aubignac. Cette
confirmation montre que la générosité seigneuriale se poursuit au moment de l’affiliation à Cîteaux. La donation
elle-même est cependant antérieure et ne dépend pas de l’appartenance ou non du monastère à l’ordre de saint
Bernard. AD Creuse, H 234.
291
H. DELANNOY, « L’abbaye d’Aubignac », MSSNAC, T XVII, 1909, p. 7-63.
292
C. ANDRAULT-SCHMITT, « L’abbaye de Boschaud », Congrès Archéologique de France, Périgord, 1998,
Paris, 1999, T 156, p. 105-117.
- 107 -
conservation des sanctuaires précédant l’affiliation à Cîteaux : la pauvreté de certaines
communautés est flagrante et les moines n’ont sans doute pas eu les moyens de remplacer
entièrement les bâtiments. Cela a dû être le cas à Aubignac, Prébenoît et au Palais, abbayes ne
disposant que de peu de granges et de revenus. Les bâtiments daloniens n’ont probablement
pas été détruits mais seulement remaniés lors de l’affiliation293.
L’affiliation à l’ordre cistercien a pour conséquence directe la participation des abbés
aux Chapitre Généraux. Ces chapitres ont lieu chaque année, mi septembre, à l’abbaye de
Cîteaux. Ceux-ci ont une activité législative édictant des lois pour l’ordre tout entier ainsi
qu’une activité judiciaire en surveillant chaque filiation, chaque monastère. L’analyse des
Statuta de CANIVEZ permet de mieux cerner les rapports entretenus entre abbayes-mères et
abbayes-filles294. Ces relations sont précisées dès 1119 par la Carta Caritatis, énonçant en
particulier que chaque année, l’abbé-père doit visiter sa fille afin de l’aider à demeurer fidèle
à l’idéal cistercien. L’abbé-fils doit également se rendre régulièrement dans son abbaye-mère.
Néanmoins, les rapports entretenus ne sont pas toujours entièrement pacifiques. Les litiges
sont fréquents entre les différents sites dont les possessions se touchent parfois. Les conflits
de bornage sont monnaie courante.
Ainsi, les relations entre Obazine et ses filles semblent étroites. En 1169, Robert, abbé
de la Frénade est présent lors d’une donation par Guillaume Pépin de Dolus à Obazine. Cet
abbé est très souvent cité dans les actes du cartulaire d’Obazine de même que Bernard de
Fontvive. En 1170, Étienne Maurin, abbé de Valette, assiste à une donation d’Humbert de la
Marche à Obazine. En 1177, Géraud Doitrand de la Roque de Larc dote l’abbaye corrézienne
devant Bernard, abbé de la Garde-Dieu. En 1260, une inspection est confiée par le Chapitre
Général aux abbés de la Peyrouse et du Palais-Notre-Dame du lieu choisi par l’abbé
d’Obazine pour y édifier une abbaye-fille. Les relations entre Obazine et ses filles ne sont pas
toujours pacifiques. En 1262, elle entre en conflit avec la Frénade. Les abbés de Belleperche
(com. Cordes-Tolosannes, Tarn-et-Garonne) et de Montpeyroux (com. Puy-Guillaume, Puyde-Dôme) sont chargés de régler le différend295.
L’abbé d’Obazine doit veiller à la bonne conduite de ses filles et son entremise dans la
gestion de ces abbayes est tangible dans les Statuta. En 1217, l’abbé d’Obazine est chargé par
293
C. H. BERMAN, The cistercian evolution. The invention of a religious order in the Twelfth Century Europe,
Philadelphia, 2000, p. 29.
294
J. M. CANIVEZ, Statuta Capitulorum Generalium Ordinis Cisterciensis ab anno 1116 ad annum 1786,
Louvain, 1933.
295
B. BARRIÈRE, Le cartulaire de l’abbaye cistercienne d’Obazine…, op. cit, p. 508. J-M. CANIVEZ, op. cit.,
T II, 1260-60 ; T III, 1262-54.
- 108 -
le Chapitre Général de sanctionner l’abbé de la Frénade296. En 1220, c’est l’abbé de Grosbot
qui est réprimandé par son abbé-père pour avoir célébré des mariages dans la salle
capitulaire297.
L’abbaye de Dalon revêt certaines responsabilités au sein de l’ordre cistercien. En
1190, l’abbé traite avec d’autres pères quelques affaires de l’ordre dans une grange de
Pontigny. En 1201, il aide à décider de la collecte à faire dans les monastères pour la Terre
Sainte et la libération des captifs, aux côtés des abbés de Savigny, Preuilly et Cadouin 298.
Nous connaissons peu les rapports entretenus entre Dalon et ses abbayes-filles : selon
Bernadette BARRIÈRE, ils étaient sans doute plutôt spirituels et administratifs
qu’économiques299. En 1160, c’est Amel, deuxième abbé de Dalon (1158-1167) qui établit un
abbé au Palais. En 1194, Arbert devient abbé du Palais après l’avoir été à Dalon. En 1204,
Adémar de Peyrat donne aux moines du Palais des droits sur le manse de Martin. L’abbé de
Prébenoît est présent. En 1210, Jean de Coulonges devient abbé après avoir siégé à Dalon
entre 1196 et 1209. En 1211, il abandonne son abbaye pour se faire simple moine à SaintMartial de Limoges300. En 1214, l’abbé de Dalon se rend à Prébenoît où l’abbé a été blessé
dans sa couche pendant la nuit, agressé probablement par des frères convers301. En 1399,
l’abbé de Dalon est requis afin de réformer le monastère du Palais. L’abbaye-mère assure
ainsi sa mission « spirituelle » et morale envers sa fille302.
Dalon entre souvent en conflit avec certaines de ces abbayes-filles ou avec d’autres
abbayes limousines, comme l’abbaye de Peyrouse en 1192, 1219, 1220, 1221, 1241 et 1261.
Toutefois, les statuts précisent rarement quel est l’objet de ces litiges. Nous pouvons supposer
qu’il s’agit de simples conflits de bornage qui vont durer plusieurs années. Ces querelles sont
le plus fréquemment arbitrées et réglées par des abbés venus de proches abbayes, comme ceux
d’Obazine, Boschaud et Aubepierres, attestant de liens étroits et soutenus au fil des siècles
entre les différents monastères cisterciens du diocèse de Limoges et de ses marges, qu’il
s’agisse de créations directes ou d’affiliations et quelques soient les liens de parenté. En 1239,
296
J-M. CANIVEZ, op. cit, T II, 1217-35.
J-M. CANIVEZ, op. cit, T I, 1220-39.
298
J-M. CANIVEZ, op. cit, T I, 1190-76 ; 1201-51.
299
B. BARRIÈRE, « L’économie cistercienne du sud-ouest de la France », Centre culturel de l’abbaye de
Flaran, Économie cistercienne. Géographie, mutations du Moyen-Âge aux temps modernes, 1981, Auch, 1983, p.
75-99.
300
J. CIBOT, Le cartulaire de l’abbaye du Palais-Notre-Dame (XIIème-XIIIème siècles), DES, Poitiers, 1961,
fol. 48.
301
L. GRILLON, « Les abbayes cisterciennes de la Dordogne dans les statuts des chapitres généraux de
l’Ordre », BSHAP, T 82, 1955, p. 138-148 ; J-M. CANIVEZ, op. cit, T I, 1214-15.
302
J-M. CANIVEZ, op. cit, T III, 1399-30.
297
- 109 -
c’est avec l’abbé de la Grâce-Dieu (com. Benon, Charente-Maritime) que Dalon entre cette
fois en conflit. Les abbés d’Obazine et d’Aubignac sont requis pour rétablir la paix entre les
deux protagonistes. Cette querelle ne semble pas réglée en 1247 puisque l’abbé d’Obazine et
celui de Boeuil interviennent une nouvelle fois pour rétablir la paix entre les deux partis. En
1249, ce sont cette fois les abbés de Belleperche et de Peyrouse qui tentent de rétablir la
concorde303. Un conflit éclate également en 1271 entre Dalon et Boschaud. Les abbés de
Peyrouse et de la Garde-Dieu sont commis pour régler le différend304.
Les abbés de Dalon sont également fréquemment conviés à arbitrer des conflits
touchant l’une ou l’autre des abbayes-filles. Ainsi, en 1211, l’abbé de Dalon est commis pour
régler un litige entre Boeuil et Saint-Léonard-des-Chaumes. Il est pour cela accompagné des
abbés du Pin (com. Béruges, Vienne) et de Trizay (com. Saint-Vincent-Puymaufrais,
Vendée)305.
En 1209, l’abbé de Boschaud règle un conflit entre Peyrouse et Cadouin. En 1249,
Boschaud et Boeuil sont en désaccord, peut-être à propos de la grange de Mars dépendante de
Boeuil et située à six kilomètres de Boschaud. En 1271, Dalon et Boschaud se disputent à
propos du manse de Mazerou306. En 1233, un abbé de Pontigny est chargé d’enquêter sur la
conduite d’un abbé de Boschaud. Nous ne savons toutefois pas ce qui lui est reproché. En
1247, les convers de Boschaud sont sanctionnés pour avoir rudoyé leur abbé. En 1274, une
plainte est déposée contre l’abbaye des Châtelliers qui n’a pas respecté un accord avec sa fille
au sujet de granges dont Boschaud réclame la restitution. En 1233, l’abbé de Boschaud est
sanctionné par l’entremise de l’abbé de Clairvaux, son abbé-père par l’intermédiaire des
Châtelliers. Les liens de filiation apparaissent étroits même si Boschaud est affilié tardivement
à l’ordre cistercien. Les abbés-pères sont chargés de veiller à la bonne conduite de leurs fils et
prennent visiblement cette tâche à cœur. De même lorsqu’en 1247 une révolte des frères
convers sourde à Boschaud, c’est l’abbé de Clairvaux qui envoie un groupe d’hommes dignes
de confiance pour régler l’affaire307.
Les rapports entre certaines abbayes des marges berrichonnes sont également étroits.
En 1129, Martin Godin donne des vignes à Aubignac sur lesquelles les moines de la Colombe
303
J-M. CANIVEZ, op. cit, T II, 1239-35 ; 1247-52 ; 1249-41.
J-M. CANIVEZ, op. cit, T III, 1271-40.
305
J-M. CANIVEZ, op. cit, T. I, 1211-58.
306
C. DESPORT, Deux abbayes cisterciennes du Périgord : Boschaud et Peyrouse, mémoire de maîtrise
d’Histoire médiévale sous la direction de Bernadette BARRIÈRE, Limoges, p. 49.
307
L. GRILLON, op.cit, p. 138-148 ; J-M. CANIVEZ, T II, 1233-44 ; 1247-20.
304
- 110 -
recevaient déjà quatre deniers de cens308. En 1190, l’abbé de la Colombe est jugé coupable
d’avoir permis à des femmes d’entrer dans le monastère. En 1195, l’abbé des Pierres est jugé
puis sanctionné par les abbés d’Aubepierres, d’Aubignac et de Noirlac. Il sera également puni
par le Chapitre Général pour ne pas s’être présenté à la réunion annuelle. Ce sont souvent les
abbés les plus proches du monastère fautif qui règlent le conflit ou punissent la mauvaise
conduite309. En 1197, l’abbé de Varennes est sanctionné par les abbés de Preuilly et
Vauluisant. Vauluisant est son abbaye-mère (com. Courgenay, Yonne). Elle est elle-même
issue de Preuilly (com. Égligny, Seine-et-Marne). Les rapports de filiation semblent ici
importants et l’abbaye-mère veille étroitement à la droiture de la modeste abbaye berrichonne.
En 1214, l’abbé de Varennes est chargé par le Chapitre Général d’arbitrer un conflit entre les
monastères de la Prée (com. Ségry, Indre) et Issoudun.310. Lorsqu’une querelle éclate en 1236
entre les abbés de Noirlac (com. Saint-Amand-Montrond, Cher) et des Pierres, se sont les
proches abbés de La Prée et de Fontmorigny (com. Ménétou-Couture, Cher) qui interviennent
pour tenter de rétablir l’ordre et la paix entre ces deux monastères. Nous savons par ailleurs
qu’en 1247, les abbés de Noirlac et du Palais doivent rétablir la concorde entre les abbés de
Prébenoît et Aubepierres311. En 1279 éclate une querelle entre le monastère de Varennes et
l’abbaye de la Prée. L’abbé d’Aubepierres est alors commis pour régler le conflit. En 1297,
les abbés de la Prée et de Prébenoît doivent réconcilier les abbés des Pierres et de Varennes312.
En 1398, Roger de Saint-Avit, moine de Prébenoît, devient abbé de la Colombe313.
c. Les créations directes.
Si l’affiliation d’ermitages préexistants est le procédé le plus fréquent en Aquitaine,
l’ordre cistercien s’implante également par le biais de créations directes. Douze abbayes
cisterciennes du diocèse de Limoges correspondent ainsi à des affiliations314, tandis que six
seulement sont des créations directes [Fig. 11]315. Les cisterciens doivent en effet composer
avec ces pauvres du Christ déjà bien implantés dans les marges forestières dès le début du
XIIème siècle, disciples de Géraud de Sales ou frères d’Étienne d’Obazine. Pourtant, d’après
une historiographie traditionnelle, c’est le rayonnement de saint Bernard qui explique la
308
AD Creuse, H 234.
J-M. CANIVEZ, op. cit, T I, 1195-75 ; 1195-60 ; 1190-46.
310
J-M. CANIVEZ, op. cit, T I, 1197-54 ; 1214-37.
311
M. AUBRUN, Moines, paroisses et paysans, PUBP, Clermont-Ferrand, 2000, p. 13 et 37 ; J-M. CANIVEZ,
op. cit, T II, 1236-50 ; 1247-50.
312
J-M. CANIVEZ, op. cit, T III, 1279-83 ; 1297-10.
313
D. GAUDON, « Histoire de l’abbaye de la Colombe », Revue du Centre, 1889, T XI, p. 168-175.
314
Aubignac, Boeuil, Bonlieu, Bonnaigue, Boschaud, Dalon, Grosbot, Obazine et Coyroux, le Palais-NotreDame, Prébenoît, Valette.
315
Aubepierres et les Pierres, Derses, La Colombe, Peyrouse, Varennes.
309
- 111 -
rapide expansion de Cîteaux en France et dans l’Europe entière. Ce succès se comprendrait
par une brutale colonisation depuis la Bourgogne. D’après Constance Brittain BOUCHARD,
presque toutes les fondations cisterciennes de Bourgogne sont des créations directes, excepté
Reigny (com. Vermenton, Yonne), ancien ermitage, Longué fondation augustinienne (com.
Aubepierre-sur-Aube, Haute-Marne) et Vaux-la-Douce (com. Vaux-la-Douce, Haute-Marne)
auparavant grange de Clairefontaine316.
La réalité est toute autre en Aquitaine. Concernant le diocèse de Limoges, il s’agit plus
de réformer d’anciens ermitages ou monastères que de fonder de nouvelles abbayes par
colonisation. Cela semble être le cas de l’ensemble de l’Aquitaine où la pénétration
cistercienne est plus tardive que pour de nombreuses autres régions et intervient dans le
second tiers du XIIème siècle, voire la seconde moitié du XIIème siècle, soit un demi siècle
après la fondation de l’ordre317. Dans le premier tiers du XIIème siècle, les expansions de
Cîteaux et de Clairvaux restent limitées et ne sortent guère de la Bourgogne [Fig. 12]. Ce sont
les prédications de Bernard de Clairvaux qui permettent notamment de faire connaître l’ordre
hors de Bourgogne318. Il nous paraît nécessaire ici de faire un point précis sur la diffusion de
l’ordre cistercien en France, puis plus précisément en Aquitaine afin de mieux comprendre la
politique d’expansion des moines blancs notamment dans le cadre du diocèse de Limoges
intéressant notre étude.
Le berceau de l’ordre cistercien se situe en Bourgogne avec les créations de la Ferté en
1113 (com. Saint-Ambreuil, Saône-et-Loire, diocèse de Chalon), de Pontigny en 1114
(diocèse d’Auxerre), de Clairvaux et Morimond (com. Fresnoy-en-Bassigny, Haute-Marne)
en 1115 dans le diocèse de Langres [Fig. 13]. À partir des années 1118-1120, des essaimages
sont réalisés plus loin, généralement à la demande des évêques qui souhaitent attirer ces
moines réformateurs afin de dynamiser leurs diocèses. Ces essaimages sont généralement
constitués de douze moines allant peupler une nouvelle abbaye quant la communauté
d’origine devient trop nombreuse. Preuilly est alors fondée dans le diocèse de Sens, La CourDieu en 1119 dans le diocèse d’Orléans (com. Ingrannes, Loiret), Bonnevaux en 1119 dans le
diocèse de Vienne (com. Marçay, Vienne) et enfin l’Aumône en 1121 dans le diocèse de
Chartres (com. La Colombe, Loir-et-Cher). Ces dernières vont créer des abbayes-filles tout
316
C. B. BOUCHARD, Holy Entrepreneurs. Cistercians, Knights, and economic exchange in Twelfth-Century
Burgundy, Cornell University Press, 1991.
317
C. H. BERMAN, The Cistercian evolution. The invention of a religious order in the Twelfth Century Europe,
Philadelphia, 2000, p. 2.
318
C. H. BERMAN, The Cistercian evolution…, op. cit, p. 101.
- 112 -
d’abord dans les diocèses périphériques non pourvus à la demande de l’épiscopat ou de la
haute aristocratie locale.
L’action de Bonnevaux tout au long du XIIème siècle en Viennois est ainsi assez
spectaculaire. Ce monastère répand la formule cistercienne sur une grande partie du sud-est
français, jusqu’en Auvergne et en Provence.
La filiation de Cîteaux affiche une certaine omniprésence et s’impose davantage en
Bretagne et en Provence. Cîteaux s’étend aussi en Bourgogne, dans le nord de la France et
l’Ile-de-France. Elle est presque absente à l’est et dans le nord-est.
Clairvaux concentre ses réseaux en Normandie, en Champagne et dans les régions
septentrionales ; elle tente également quelques percées dans le centre de l’Aquitaine. Elle est
absente dans le sud-est.
L’Aumône permet la pénétration des frères de Bernard en Bretagne notamment.
Morimond domine largement dans les terres d’Empire, qu’il s’agisse de la Lorraine, de
l’Alsace ou du nord du comté de Bourgogne. Elle dispose également de réseaux en Aquitaine
et dans le sud-est. Son incidence est remarquée par René LOCATELLI dans le diocèse de
Besançon. En effet, celui-ci constate que vers 1130, un partage d’influence se fait au profit de
Clairvaux et de Morimond. Morimond procède surtout à des créations directes tandis que
Clairvaux, bien présente au sud du diocèse, agit par substitution. Selon l’historien, il n’y
aurait pas de rivalités entre les deux lignées. L’expansion s’opère de connivence dans un
esprit d’entente qui excluerait tout affrontement319. Les filiales de Morimond complètent son
extension. Bellevaux occupe le nord du comté de Bourgogne (com. Cirey, Haute-Saône), La
Creste la Champagne et la Lorraine (com. Bourdons, Haute-Marne), Bonnefont (com.
Proupiary, Haute-Garonne) et L’Escale-Dieu le sud de la Guyenne (com. Bonnemazon,
Hautes-Pyrénées)320.
Quant à Pontigny, ses filiales lui permettent de s’imposer au centre (Dalon), au sudouest (Cadouin) et dans le Bassin Parisien (Jouy, environs de Pau, com. Chenoise, Seine-etMarne).
René LOCATELLI insiste particulièrement sur le fait que la forte densité de
monastères cisterciens en Champagne, Lorraine et dans le comté de Bourgogne s’explique
justement par la proximité de Cîteaux et de Clairvaux, centres attractifs et abbayes « phares »
319
R. LOCATELLI, Sur les chemins de la perfection. Moines et chanoines dans le diocèse de Besançon vers
1060-1220, CERCOR, Université de Saint-Étienne, 1992, p. 211.
320
R. LOCATELLI, « Les cisterciens dans l’espace Français : filiations et réseaux », dans Unanimité et
diversités cisterciennes,filiations, réseaux, relectures du XIIème au XVIème siècles, Actes du colloque
international du CERCOR, Dijon, 1996, Saint-Étienne, 2000, p. 51-85.
- 113 -
de l’ordre. L’historien témoigne aussi de la forte densité des abbayes de moines blancs en
Aquitaine, dans la vallée de la Loire et en Normandie. Ces différences peuvent selon lui
s’expliquer par des conditions géologiques, la densité de l’implantation religieuse à l’arrivée
des cisterciens et la réaction des « élites », nobles et évêques sans qui l’ordre ne peut
compter321.
À partir de 1130, des établissements préexistants, plus ou moins structurés, de type
érémitique ou déjà cénobitique demandent leur affiliation à l’ordre cistercien ou sont
encouragés à le faire. Les pressions des évêques sont en effet déterminantes. L’affiliation
assure la pérennité des communautés et permet une reconnaissance de mouvements parfois
désordonnés et difficilement contrôlables par le siège épiscopal. Ainsi, les cisterciens peuvent
pénétrer en Aquitaine par l’intermédiaire d’Obazine et de ses filles. Toutefois, en Aquitaine,
c’est l’abbaye de Pontigny qui semble prédominer par le nombre de ses fondations et
affiliations, grâce notamment au rattachement de Dalon et de Cadouin.
Concernant le diocèse de Bourges, la poussée cistercienne est assez précoce par le fait
de Clairvaux et de Cîteaux et aboutit à la création d’un réseau d’une douzaine d’abbayes. À
partir de 1146, nous pouvons constater une incursion cistercienne aux confins limousinoberrichons, comme pour barrer la route aux daloniens, bien présents à Aubignac et Prébenoît
notamment. Ainsi sont fondées la Colombe, Varennes et Aubepierres.
En Poitou et Saintonge, l’action de Clairvaux et de Pontigny aboutit à la constitution
d’un réseau d’une quinzaine d’abbayes. La Grâce-Dieu est une création ex-nihilo en 1135 par
Clairvaux. L’abbaye de l’Étoile est affiliée à Pontigny en 1145 (com. Archigny, Vienne), les
Châtelliers à Clairvaux en 1163.
Dans le diocèse d’Angoulême, Grosbot est l’unique fondation, affiliée en 1166 à
Cîteaux par l’intermédiaire d’Obazine.
Le sud du diocèse de Périgueux est marqué par le rayonnement de l’abbaye de
Cadouin, en concurrence avec les créations directes de l’ordre telle Belleperche, fille de
Clairvaux fondée en 1143, proche de Grandselve qui se détachera de Cadouin en 1147 pour
entrer dans la filiation de Clairvaux. Au nord du diocèse, les abbayes de Boschaud et
Peyrouse sont relativement proches. Peyrouse est une création directe de Clairvaux à partir de
laquelle on avait probablement espéré une récupération de Boschaud, ermitage géraldien.
C’est chose faite dès 1163. Boschaud s’affilie en effet à Clairvaux.
321
R. LOCATELLI, « Les cisterciens dans l’espace… », op. cit, p. 51-85.
- 114 -
Concernant le diocèse de Cahors, la pénétration cistercienne résulte de l’action de
l’abbaye d’Obazine. Le Haut-Quercy et notamment la région de Rocamadour est
systématiquement investie par les moines qui y détiennent de nombreuses possessions.
Obazine fonde également La Garde-Dieu (com. Mirabel, Tarn-et-Garonne) vers 1150 et
l’Abbaye-Nouvelle près de Gourdon (com. Léobard, Lot).
Quant au diocèse de Clermont, les abbayes de Bonnevaux (com. Lieudieu, Isère) et de
Mazan (com. Mazan-L’Abbaye, Ardèche) y prédominent322.
Concernant le diocèse de Limoges, nous pouvons constater que la filiation de Cîteaux
est majoritaire. Cinq abbayes lui sont rattachées par l’intermédiaire d’Obazine, tandis que
Derses est une création directe. L’affiliation est donc le procédé le plus fréquent. C’est une
méthode rapide et efficace pour « coloniser » le tiers sud du diocèse de Limoges. Pontigny
dispose de cinq fondations grâce à l’affiliation de Dalon et de ses filles. Elle permet une
pénétration au cœur du diocèse où les cisterciens étaient absents auparavant grâce aux
communautés de Boeuil et du Palais-Notre-Dame. En effet, la présence des chanoines
d’Aureil, de l’Artige et des bonshommes de Grandmont avait pu freiner l’infiltration des
moines blancs aux abords de Limoges. Il n’y a aucune fondation dans la Montagne
Limousine.
Pontigny permet également le peuplement de la Marche Limousine grâce à Aubignac,
Prébenoît et Bonlieu. Clairvaux dispose de quatre fondations. Aubepierres et les Pierres
servent sans doute à contrecarrer l’avancée des moines daloniens vers les franges
berrichonnes. Aubepierres est en effet stratégiquement placée entre Aubignac et Prébenoît.
Preuilly est à l’origine des deux abbayes à la frontière du Berry : Varennes et la Colombe.
Nous pouvons supposer que Preuilly, proche de Clairvaux, s’est alliée à sa volonté de
stopper l’offensive dalonienne. Boschaud et Peyrouse s’intercalent de même entre les
fondations obaziniennes, sur la route saintongeaise jalonnée par les possessions des moines de
saint Étienne.
La Colombe est ainsi fondée en 1146 aux frontières du Limousin, du Poitou et du
Berry. Elle appartenait à l’ancien diocèse de Limoges mais fait désormais partie du
département de l’Indre. Un ermitage préexistait probablement au début du XIIème siècle.
L’archevêque de Bourges et les vicomtes de Brosse sont vraisemblablement à l’origine de
l’installation de moines venus de Preuilly, cinquième fille de Cîteaux fondée en 1118 sur les
terres du comte de Champagne. En 1138, vingt ans après la fondation de l’abbaye, les moines
322
B. BARRIÈRE (dir.), Moines en Limousin, l’aventure cistercienne, PULIM, Limoges, 1998, p. 16-18.
- 115 -
de Preuilly forment une communauté trop vaste et déjà opulente. Un groupe de moines se
détache et est envoyé sur les terres de la Colombe concédée par les de Brosse. Ils bénéficient
rapidement des donations constantes des seigneurs de la Trimouille, générosités qui
permettent par la suite l’agrandissement et la survie de la communauté nouvellement
installée323. Nous ne connaissons pas de charte de fondation pour le monastère. La Gallia
Christiana propose une datation :
« Columba Beata Mariae sacra, ordinis cisterciensis, filia
Pruliaci, diocesis olim Bituricensis, in utrisque finibus ad
fluvium Caldereti, inchoata legitur anno 1146, in
territorio vicecomitis Bruciae (…) ».
Jérôme PICAUD constate que les catalogues de l’ordre cistercien donnent quant à eux
la date de 1138 qui correspond à l’arrivée des moines de Preuilly. L’abbaye était-elle déjà
cistercienne avant son rattachement à Preuilly ? Existait-il un ermitage primitif ? Les moines
de l’abbaye du diocèse de Sens ont-ils été appelés par les vicomtes de Brosse ou par une
première communauté soucieuse de se conformer à la Règle ? Les sources écrites sont
insuffisantes pour nous permettre de répondre et d’étayer l’une ou l’autre de ces hypothèses324.
En effet, les actes concernant la naissance de l’abbaye de la Colombe sont très restreints.
Nous savons simplement que des moines de Preuilly s’installent sur le site en 1146 mais les
étapes de construction et de constitution du patrimoine du monastère ne sont guère
déductibles des quelques actes conservés. Les donations répétées des sires de la Trimouille
permettent un essor rapide de l’abbaye qui compte douze granges. Elle semble ainsi aussi
prospère que l’abbaye de Bonlieu. D’après une étude précise des sources manuscrites, Jérôme
PICAUD constate que la plus forte expansion de la Colombe relèverait des années 1208-1260.
Dans les années 1260 à 1350, les acquisitions de rente se multiplient et s’imposent comme les
éléments majeurs de la constitution du patrimoine. L’affiliation à Cîteaux ne serait pas dès
lors déterminante à l’expansion des territoires cisterciens 325. La construction relèverait selon
Jérôme PICAUD de la seconde moitié du XIIème siècle jusqu’au début du XIIIème siècle
comme le confirment les deux baies conservées dans le logis abbatial (galerie ouest de
323
M. GIRARD, « Sur les traces de La Colombe », Vie catholique du Berry, 1969, p. 322-324.
J. PICAUD, L’abbaye cistercienne de la Colombe au Moyen-Âge, maîtrise sous la direction de Bernadette
BARRIÈRE, université de Limoges, 1995, p. 34.
325
J. PICAUD, op. cit, p. 92.
324
- 116 -
l’ancien cloître) ou encore le chapiteau à boules en calcaire remployé en façade d’une
propriété privée.
Dès 1148, les franges berrichonnes accueillent une abbaye cistercienne, fille de
Vauluisant (1129) et petite-fille de Preuilly (1118). Il s’agit de Varennes, abbaye méconnue
car peu d’archives sont parvenues jusqu’à nous. Elle est fondée par Ebbes de Déols qui incite
des moines de Vauluisant (Yonne) à s’installer sur ses terres. Nous ne connaissons pas de
mentions textuelles d’un ermitage primitif sur le site. En 1155, un différend éclate entre Ebbes
de Déols et Garnier de Cluis. Les deux seigneurs se proclament fondateurs de l’abbaye.
L’affaire est portée devant leur suzerain Henri II. Pour mettre fin aux tergiversations, celui-ci
s’impose seul fondateur et protecteur326. La fondation de 1148 détermine probablement le
début de la constitution du patrimoine foncier de Varennes qui comprend entre autre la grange
de l’Abbé, de la Bergerie, de Séché ainsi que l’amorce de la mise en œuvre du monastère.
Toutefois, des modifications interviennent, vraisemblablement à l’époque moderne, qui
empêchent la connaissance de l’édifice médiéval. Les collatéraux de l’église sont détruits, les
grandes arcades entre la nef et ces bas-côtés obstruées. Les vestiges conservés au niveau de la
galerie du cloître laissent présager que les bas-côtés ont été supprimés après l’achèvement du
cloître, édifié dans le premier tiers du XIIIème siècle comme l’atteste la présence de
chapiteaux lisses327. Cette mise à bas a pu intervenir au XVIIIème siècle, en même temps que
la destruction du chevet et la modification de la façade occidentale.
Un an plus tard, l’abbaye de Clairvaux fonde Aubepierres aux confins septentrionaux
de la Marche limousine. Il s’agit vraisemblablement d’une fondation ex-nihilo acceptée par
l’évêque de Limoges sous la pression de l’archevêque de Bourges, Pierre de la Châtre, fervent
défenseur des moines blancs. Elle fonde rapidement l’abbaye des Pierres dont la date de
création pose toutefois problème. Le site a en effet peut-être été précédé par un monastère
d’origine érémitique mais celui-ci n’a toutefois laissé aucune trace dans les archives. La
Gallia Christiana atteste l’abbaye cistercienne en 1149 :
« Beata Maria de Petris, ordinis Cisterciensis, filia
monasterii de Albis Petris sub Clara-Valle in parochia S.
Pauli de Sidialles et in archidiaconatu de Castra. Sita
prope Culentum in valle horrida. Fundature anno 1149,
326
327
A. CHARDON, « L’abbaye de Varennes, 1148-1791 », RB, 1906, p. 201-205.
G. WOLKOWITSCH, L’abbaye royale Notre-Dame de Varennes, Lanscome Multimedia, 2004, p. 8.
- 117 -
benficio
praesertim
Radulfi
et
Ebonis
Dolensium
principum »328.
À propos d’Aubepierres, il est toutefois indiqué :
« Albae
Petrae,
ord.
Cisterciensis
abbatia,
filia
Claraevallis et Petrarum, in finibus hujus diocesis
fundatur III id junii 1149 »329.
Les Pierres est présentée tour à tour comme fille ou mère d’Aubepierres. Nous savons
qu’Amblard Guillebaud, fondateur du château de la Roche est attesté comme l’un des
premiers donateurs. Or son activité diplomatique s’étend de 1075 à 1133, année de son décès.
Durant cette période, il se livre à de nombreuses générosités envers Uzerche notamment. Il
devait donc y avoir des religieux sur le site dès le premier tiers du XIIème siècle. De même,
Raoul de Déols et son fils dotent le monastère primitif, peut-être d’origine érémitique 330.
Raoul meurt en 1135, ce qui atteste l’idée d’une installation avant le rattachement à Cîteaux.
En 1149, elle devient fille d’Aubepierres à l’initiative des seigneurs de Déols, dans la lignée
de Clairvaux. Aubepierres a-t-elle pu prendre l’abbaye des Pierres sous son égide pour lui
redonner un second souffle ? Les textes sont trop succincts pour nous permettre de
répondre331. Pour l’abbaye des Pierres en particulier, le rattachement à Cîteaux en 1149 ne
paraît pas engendrer un flot de donations pieuses. En effet, il n’y a que peu d’actes de
donations avant les années 1300332. Est-ce simplement dû aux lacunes documentaires ou les
nobles n’ont-ils effectivement que peu doté l’abbaye ? Les seigneurs du Boischaut sont en
effet moins nombreux que ceux du Sancerrois. C’est pourquoi les monastères du Haut-Berry
comme Noirlac ou Fontmorigny paraissent plus prospères tandis que ceux du Bas-Berry
subissent un échec prévisible, ne connaîtront jamais de véritable essor et ne créeront pas de
328
Gallia Christiana, T II, coll 215.
Gallia Christiana, T II, coll 644.
330
O. TROTIGNON, « Devenir cistercien en Berry du sud au temps des Croisades, filles et fils de saint Bernard
à l’épreuve du siècle », dans « L’ordre cistercien et le Berry », CAHB, Bourges, 1998, p. 97 ; É. CHENON, « Le
prieuré d’Aignerais, membre de l’abbaye des Pierres », MSAC, 1900, T XXVI, p. 35-55.
331
M. AUBRUN, « L’abbaye cistercienne d’Aubepierres dans la Marche Limousine des origines au XVIème
siècle » dans Moines, paroisses et paysans, PUBP, 2000, p. 35-37.
332
Nous connaissons toutefois une donation de Roger V Palesteau datant des années 1160 et qui cède aux moines
la quatrième part du moulin d’Aignerais en perpétuelle aumône. Voir É. CHENON, « Le prieuré d’Aignerais,
membre de l’abbaye des Pierres », MSAC, 1900, T XXVI, p. 35-55.
329
- 118 -
filiales. Le rattachement à Cîteaux n’engendre pas un développement économique net de ces
fondations333.
L’abbaye de Peyrouse est fondée ex-nihilo par Clairvaux en 1153, du vivant de saint
Bernard. Elle pourrait même être une fondation de l’abbé de Clairvaux décidée en 1147.
Bernard aurait visité le chantier en 1153 en revenant de Sarlat. Selon Nelly BUISSON, elle
serait consacrée dès le 15 octobre 1153, ce qui signifierait une construction sur six années
seulement, ce qui paraît assez audacieux en tenant compte des temps d’extraction en carrière,
d’acheminement des matériaux, de taille des pierres, de pose et de séchage des mortiers et des
voûtes. Peut-être le chœur et son autel étaient-ils achevés à cette époque et auraient fait l’objet
d’une première consécration334.
Il s’agit de la première installation cistercienne directe dans le diocèse de Périgueux.
C’est une période où Clairvaux est en pleine expansion et rayonne de l’aura particulière de
son fondateur. Elle exprime ici sa volonté d’implantation en Aquitaine. Le site de Peyrouse
résulte sans doute d’une stratégie réfléchie : elle est très proche de Boschaud, ermitage
géraldien érigé en 1154 en abbaye, soit un an après la création de Peyrouse. Les sites ne sont
distants que de 15kms. Par l’intermédiaire des moines de Peyrouse, l’abbaye de Clairvaux
voulait-elle freiner, contrecarrer la poussée géraldienne en Aquitaine ? En 1163, Boschaud
entre dans la filiation de Clairvaux, et ce n’est sans doute pas un hasard. Les moines de
Peyrouse ont probablement exercé une certaine influence, une séduction sur les ermites
géraldiens et ont conduit à l’affiliation du site. Clairvaux exprime ainsi sa volonté de contrôler
un territoire et tente une mainmise sur les terres aquitaines335. Roger, premier abbé de
Peyrouse, vient de l’abbaye de Clairvaux, attestant de liens relativement étroits à cette époque
entre les deux abbayes. En 1265, Peyrouse est assez riche pour créer à son tour le prieuré
Notre-Dame de la Garde.
L’abbaye féminine de Derses est fondée dans les années 1200. Il s’agit d’un essaimage
depuis l’abbaye féminine de l’Esclache, abbaye méconnue fondée vers 1160 dans la filiation
de Cîteaux. Elle est située en Auvergne, sur la paroisse de Prondines. Déjà florissante au
milieu du XIIème siècle, elle fonde en 1159 l’abbaye de Bussières (com. Culant, diocèse de
Bourges). Les liens sont étroits entre les deux abbayes de femmes puisque les prieures de
Derses viennent souvent de l’Esclache. La fondation de Derses est réalisée à la demande de la
333
O. TROTIGNON, « Devenir cistercien en Berry du sud (…) », op. cit, p. 105.
N. BUISSON, « Abbaye de Peyrouse », BSHAP, T 113, 1986, p. 308-323 ; C. DESPORT, Deux abbayes
cisterciennes du Périgord : Boschaud et Peyrouse, mémoire de maîtrise d’Histoire médiévale sous la direction
de Bernadette BARRIÈRE, Limoges, p. 51.
335
B. BARRIÈRE (dir.), Moines en Limousin, l’aventure cistercienne, PULIM, Limoges, 1998, p. 190-192.
334
- 119 -
famille de Malemort, attestant de l’importance de la noblesse dans l’implantation cistercienne
en Aquitaine. Les Malemort cèdent le lieu de l’installation ainsi que quelques revenus. En
1218, Gérald de Malemort confirme la donation de Derses et ses dépendances faite par son
aïeul. L’église est dédiée à Saint Jean et non à Notre Dame comme la majorité des abbayes
cisterciennes. Nous pouvons nous interroger sur les raisons de cette création si proche
d’Obazine et de la communauté féminine de Coyroux. Derses n’est en effet qu’à douze
kilomètres des fondations de saint Étienne. Les rapports entre ces abbayes n’apparaissent
guère dans les actes, Derses ne disposant d’aucun fonds documentaire. Si des conflits de
bornage ont existé entre Obazine et Derses, nous pouvons supposer la supériorité du
monastère d’Étienne sur la petite communauté féminine. Obazine veillait-elle d’une
quelconque manière sur les biens de Derses comme elle a pu le faire pour Coyroux ? Qui
gérait le patrimoine des moniales de Derses ? Les moniales de l’Esclache ? Assuraient-elles
elles-mêmes la gestion de leurs terres ? L’absence d’archives concernant Derses ne nous
permet guère de répondre à ces questionnements336.
Cette étude des créations directes de l’ordre de Cîteaux permet de mieux comprendre
la lente « colonisation » des moines blancs en Aquitaine. Ceux-ci s’implantent
stratégiquement non loin de fondations daloniennes ou obaziniennes pour mieux les attirer
dans leur giron, les agréger progressivement à l’ordre de saint Bernard. L’exemple de
l’affiliation de l’ancien ermitage géraldien de Boschaud, si proche de la fondation
claravalienne de Peyrouse, est en cela représentative de cette politique d’expansion
cistercienne. Nous pouvons également supposer une certaine concurrence entre Pontigny,
Clairvaux et Cîteaux, abbayes les plus présentes sur le sol aquitain et notamment dans le
diocèse de Limoges. Pontigny agrège la communauté dalonienne, Cîteaux s’implante grâce
aux filles d’Obazine. Elles se répartissent ainsi le territoire limousin. Ont-elles fait preuve
d’une connivence comme le supposait René LOCATELLI pour le diocèse de Besançon, ou un
esprit de compétition et de surenchère les animaient-elles ? Il paraît difficile de répondre à
cette question par l’affirmative. Quoi qu’il en soit, leurs efforts conjugués ont facilité
l’implantation cistercienne dans le diocèse de Limoges et l’occupation de zones parfois
encore dévolues au saltus (Marche Limousine notamment).
d. Les monastères cisterciens au fil du temps. Essor, troubles et commende.
336
B. BARRIÈRE (dir.), Moines en Limousin…, op. cit, p. 167-168 ; G. CLÉMENT-SIMON, « Notice sur le
couvent de Derses, paroisse de Saint-Hilaire-Peyrou », BSSHAC, T 11, 1889, p. 546-568.
- 120 -
Suite à leur fondation, les abbayes cisterciennes du diocèse de Limoges connaissent
une évolution différente durant la seconde moitié du XIIème siècle et le XIIIème siècle. Leur
essor est très variable et inégal puisque certaines restent de petites abbayes aux revenus
maigres tandis que d’autres prennent la tête de nombreuses exploitations agricoles aux
activités diversifiées et spécialisées. C’est le cas en particulier d’Obazine et Dalon qui
disposent d’une vingtaine de granges, cultivent avoine, seigle, blé, vignes et détiennent même
des salines en Charente-Maritime. Les abbayes de Bonlieu et La Colombe devaient également
être relativement importantes aux XIIème et XIIIème siècles avec treize granges chacune.
Bonlieu étend ses possessions jusqu’au bassin de Montluçon (grange d’Aubeterre et de la
Croze), tandis que les moines de La Colombe tendent à pénétrer en Poitou. Les autres sites
demeurent dans une certaine modestie, voire une précarité qui ne leur permet guère d’étendre
leur patrimoine.
Ainsi les abbayes de la Marche Limousine337, des confins du Périgord338 et du Cantal339
ne possèdent guère plus de six ou sept granges tout juste suffisantes à assurer leur autarcie. Le
devenir de ces monastères cisterciens est donc bien hétérogène et dépend des libéralités
seigneuriales et des potentialités du site d’implantation340. Il semble que ce patrimoine foncier
soit définitivement constitué dans la seconde moitié du XIIIème siècle pour la majorité des
abbayes341. Cette période est également marquée par une multiplication des inhumations de
seigneurs laïcs dans les monastères limousins, accompagnée d’embellissements des
sanctuaires par la mise en place de pavements, vitraux et tombeaux.
Le XIVème siècle connaît une évolution sensible du mode d’exploitation des terres.
Les convers se font de plus en plus rares et les moines se doivent d’arrenter leurs terres et de
recourir à des tenanciers laïcs. Les ventes et achats de plus en plus présents dans les actes
témoignent du passage à une économie de surplus, d’une insertion dans les flux commerciaux.
Les XIVème et XVème siècles sont également bouleversés par la Guerre de Cent ans
et les guerres de Religion qui entraînent bien souvent la ruine et la destruction d’un certain
nombre de monastères du Limousin, qu’ils soient cisterciens ou non. Les églises sont
fréquemment fortifiées dans les paroisses afin d’assurer la sécurité du peuple. Les abbayes
337
Aubepierres, Aubignac, Boeuil, Le Palais, Les Pierres, Prébenoît.
Boschaud et Peyrouse.
339
Bonnaigue, Valette.
340
La constitution du patrimoine foncier, les aménagements du sol et hydrauliques feront l’objet d’une étude
particulière ci-dessous. Voir I. D. b et c.
341
L’abbaye du Palais par exemple atteint l’étendue maximale de son patrimoine vers 1210. Ce n’est toutefois
pas le cas de l’abbaye de Boeuil dont l’expansion du patrimoine se poursuit jusqu’en 1320. I. AUBRÉE,
Patrimoine, gestion et vie sociale de l’abbaye cistercienne de Boeuil du XIIème au début du XVIème siècle,
mémoire de maîtrise d’Histoire Médiévale, sous la direction de B. BARRIÈRE, Limoges, 1995, p. 48.
338
- 121 -
cisterciennes n’échappent pas à cette fortification et de nombreux sites se dotent de tours, de
mâchicoulis et de fossés défensifs (Prébenoît et Bonlieu entres autres) [Fig. 14 et 15].
Le XVème siècle voit également l’instauration de la commende et avec elle la
nomination d’abbés le plus souvent négligents vis-à-vis de leurs monastères. Ainsi la ruine de
nombreux sites est sans doute plus due aux négligences et manque d’entretien qu’aux troubles
des guerres. Les siècles suivants conduisent à l’extinction progressive des monastères dont les
effectifs ne cessent de diminuer. Les bâtiments conventuels sont sans cesse remaniés pour
s’adapter à des communautés de plus en plus réduites. Les bâtiments des convers sont
fréquemment détruits ou entièrement remaniés puisque devenus totalement obsolètes, d’où la
difficulté de nos jours de connaître ces aménagements. Par ailleurs, les abbés commendataires
établissent des logis abbatiaux, appartements particuliers pour des aristocrates bien peu
investis dans leur tâche de guide de leur communauté.
À partir de 1789, les abbayes sont vendues comme biens nationaux, les patrimoines
démantelés. Les bâtiments monastiques sont soit utilisés à des fins agricoles et industrielles
(transformation en granges ou étables, utilisation en verrerie par exemple à Valette), soit
servent de carrières pour les habitants alentours. Bien peu nous parviendront donc dans un état
de conservation permettant une étude archéologique et de bâti fructueuse. Il convient dès lors
d’étudier plus en détail le devenir de chacun de ces sites après leur fondation au XIIème siècle
et jusqu’à nos jours. Nous ne rentrerons toutefois pas dans les détails concernant la
constitution du patrimoine foncier aux XIIème et XIIIème siècles qui fera l’objet d’une étude
particulière par la suite342.
1. Essor économique et embellissements des sanctuaires au XIIIème siècle.
Le second tiers du XIIIème siècle est marqué pour un certain de nombre de monastères
par une phase d’embellissements des sanctuaires liée à l’inhumation de nobles laïcs ou à la
consécration de l’autel principal. Ainsi à Bonlieu, des vitraux en grisaille sont datés des
années 1200 par Helen ZAKIN et peuvent être mis en relation avec la consécration de 1232.
L’abbaye d’Obazine dispose de vitraux très similaires aux mêmes motifs de palmettes mais
qu’Helen ZAKIN date de 1175 environ [Fig. 16]. Ils seraient ainsi mis en place pour la
consécration de 1176. Toutefois, si le chœur et le transept étaient achevés à cette époque,
l’abbatiale était-elle réellement terminée à cette date ? Les bases aux tores aplatis de la nef, les
baies largement ébrasées nous feraient plutôt pencher pour la poursuite d’un chantier jusque
dans les années 1200. Un décor aurait-il été ainsi mis en place avant même la fin du gros
342
Voir I. D. b.
- 122 -
œuvre ? Cela nous semble peu probable. Ne pourrait-on imaginer une datation de ces vitraux
identique à ceux de Bonlieu, par ailleurs réellement similaires ? Une réalisation de ces décors
à la fin du chantier de construction dans les années 1200 nous semble plus plausible et
expliquerait les parentés entre les vitraux de Bonlieu et d’Obazine343.
Outre la mise en place de ces vitraux, l’église d’Obazine dispose également du
tombeau de saint Étienne réalisé dans la seconde moitié du XIIIème siècle, probablement dans
les années 1250-1260, soit un siècle après la mort du fondateur (1159) [Fig. 17]. Pourquoi
cette attente avant la réalisation de ce tombeau ? Sans doute les moines ont-ils profité d’un
« mécénat », d’un financement royal, n’étant peut-être pas assez riches eux-mêmes pour la
commande d’une telle œuvre. Plus qu’un problème de revenus (dans la seconde moitié du
XIIIème siècle, le patrimoine d’Obazine était en effet à son apogée et les moines ne devaient
pas manquer de ressources), peut-être n’y avait-il tout simplement pas à proximité de
sculpteurs qualifiés pour un tel ouvrage. Le tombeau a en effet vraisemblablement été réalisé
dans des ateliers d’Ile-de-France grâce au patronage de Saint Louis344. À cette période, les
moines se dotent également d’objets raffinés en relation avec l’œuvre de Limoges, tels un
pied de croix en cuivre doré et émaillé, un reliquaire ou encore une croix à double traverse345.
Dans la seconde moitié du XIIIème siècle, le monastère de Prébenoît fait l’objet
d’embellissements d’une certaine ampleur dont nous avons une connaissance relativement
précise grâce aux fouilles archéologiques menées sur le site dans les années 1990. Ils sont en
étroite relation avec l’inhumation du seigneur Roger de Brosse, décédé en 1287 et ayant
souhaité être enterré dans le chœur de l’abbatiale cistercienne. Les fouilles de 1993 ont permis
de mettre au jour un pavement mosaïqué couvrant cinquante mètres carré [Fig. 18] 346. Il
présente encore par endroit des traces de glaçures. Certains motifs animaliers se retrouvent
parfois dans un cadre cistercien dans la seconde moitié du XIIIème siècle (oiseaux, cerfs). Ils
correspondent bien souvent à un mécénat laïc qui conduit à l’éloignement des préceptes
d’austérité des moines blancs tels que les exprimaient Bernard de Clairvaux. L’abbaye de
Bonlieu présente également des carreaux de pavement de terre cuite décorée placés devant
l’autel du sanctuaire, peut-être liés à la consécration de 1232 comme les vitraux [Fig. 19]. Des
343
H. J. ZAKIN, French Cistercian Grisaille Glass, Garland, New-York/London, 1979, p. 79.
B. BARRIÈRE, « Le tombeau de saint Étienne d’Obazine. Une œuvre française du XIIIème siècle », dans I.
DULAC-ROORYCK (dir.), L’Art religieux en Bas-Limousin, Toulouse, 1997, p. 72-85.
345
E. RUPIN, « Croix byzantine, fin XIIème siècle. Église d’Aubazine (Corrèze) », BSSHAC, T 1, 1879, p. 275279 ; E. RUPIN, « Pied de croix ou de reliquaire en cuivre doré émaillé, XIIème siècle, église d’Aubazine
(Corrèze) », BSSHAC, T 1, 1879, p. 147-150 ; E. RUPIN, « Reliquaire en cuivre doré et émaillé, XIIIème siècle,
église d’Obasine (Corrèze) », BSSHAC, T 2, 1880, p. 461-469.
346
J. P. BÉGUIN, J. ROGER, Abbaye de Prébenoît (Creuse), SRA Limousin, 1993-1996 (non publié) ; J.
ROGER, P. LOY, L’abbaye cistercienne de Prébenoît, Culture et patrimoine en Limousin, 2003, p. 44.
344
- 123 -
sujets profanes y sont représentés (figurations anthropomorphes, animalières) qui laissent
présager là encore d’une intervention de seigneurs laïcs. Toutefois, la datation de ces éléments
pose problème. Pour l’archéologue Patrice CONTE, ils pourraient dater des XIIIème-XIVème
siècles347. Toutefois, la présence d’une glaçure plombifère nous ferait plutôt pencher pour une
datation de l’époque moderne (XVIème siècle). Une comparaison avec des carreaux de
pavement retrouvés dans la descente d’une des caves de l’hôpital Notre-Dame de Seclin
(Nord) présentant une glaçure plombifère bicolore vert et jaune similaire à celle de Bonlieu et
datés du second tiers du XVIème siècle nous permet d’étayer cette hypothèse348. Il serait alors
contestable de mettre ces éléments en rapport avec une phase d’embellissement médiévale.
Au XIVème siècle, les seigneurs de la Trimouille sont enterrés dans l’abbatiale de la
Colombe, notamment Gui de la Trimouille, sa femme Alix de Vouhet, leur fils Gui et son
épouse Radegonde Giraude. L’abbatiale connaît alors elle aussi une période de
réaménagements liée à l’inhumation de seigneurs laïcs. Nous ne connaissons que de vagues
descriptions de ces sépultures présentant les armoiries des seigneurs « d’or, au chevron de
gueules, à trois aiglettes d’azur »349. Les tombeaux sont notamment décrits par le moine
bénédictin Dom Fonteneau au XVIIIème siècle : « ils donnent un carré de sept pieds et demi
(2.45m) et trois pieds trois pouces de haut (1m) »350.
Cette période d’embellissements amorcée dans le second tiers du XIIIème siècle n’est
pas spécifique à l’ordre cistercien et d’autres monastères bénéficient des libéralités
seigneuriales. Le cas du prieuré de l’Artige est en cela exemplaire. Des transformations
portent sur un décor de grande qualité et témoignent d’une évolution des principes de l’ordre.
Dans la seconde moitié du XIIIème siècle, une alcôve est adjointe dans le chœur avec le
tombeau des fondateurs. Deux crédences avec des lavabos sont ajoutées. Elles sont ornées de
voussures moulurées de tores retombant sur des colonnettes dont les chapiteaux sont décorés
de crochets. De nouveaux décors peints sont mis en place ainsi qu’un pavage de carreaux
décorés dans le chœur et les chapelles. Un clocher carré est peut-être édifié à cette période ou
dans les premières années du XIVème siècle. Ce mouvement de générosité des seigneurs
fondateurs touche ainsi d’autres ordres religieux à vocation érémitique351.
347
P. CONTE dans B. BARRIÈRE (dir.), Moines en Limousin, l’aventure cistercienne, PULIM, Limoges, 1998,
p. 77.
348
S. RÉVILLION, « L’architecture hospitalière en milieu rural dans le nord de la France du XIIIème au
XVIème siècles : l’exemple de l’hôpital Notre-Dame de Seclin (Nord) », dans F-O. TOUATI (dir.), Archéologie
et architecture hospitalières de l’Antiquité tardive à l’aube des temps modernes, Paris, 2004, p. 164.
349
M. GIRARD, « Sur les traces de la Colombe », Vie catholique du Berry, 1969, p. 322-324.
350
J. PICAUD, L’abbaye cistercienne de la Colombe au Moyen-Âge, maîtrise sous la direction de Bernadette
BARRIÈRE, université de Limoges, 1995, p. 60-61.
351
J. DENIS, Prieuré de l’Artige. Rapport d’étude historique et archéologique préalable à la restauration, SRA
Limousin, 2003, vol. 1, p. 5.
- 124 -
2. Guerre de Cent Ans, fortifications et stagnation économique (XIVèmeXVème siècles).
Le XIVème siècle marque le début des troubles et du déclin d’un certain nombre de
sites cisterciens du diocèse de Limoges. La guerre de Cent ans, la Peste Noire et la
concurrence grandissante des ordres Mendiants ne sont pas étrangers à cet essoufflement des
fondations cisterciennes.
Les premiers dysfonctionnements se font sentir dans la communauté double
d’Obazine/Coyroux. Les moines se voient dans l’obligation de recourir aux arrentements pour
pallier l’affaiblissement du recrutement des convers et Obazine n’est pas la seule abbaye à
être confrontée à ce problème352. Les moniales adressent des suppliques au Pape pour que de
nouveaux revenus leur soient attribués. À partir de 1355, Coyroux obtient son autogestion et
commence à acquérir des revenus propres sans passer par l’intermédiaire d’Obazine. C’est le
cas notamment pour la cession de l’église de Cornac en Quercy. Les moniales récupèrent de
même le patrimoine de l’église d’Albignac située à quelques kilomètres au sud d’Obazine353.
L’expansion des patrimoines est stoppée par les troubles de la guerre de Cent ans
notamment. Cette évolution est particulièrement sensible concernant l’abbaye de Boeuil dont
les acquisitions s’arrêtent vers dans le second tiers du XIVème siècle, sans doute en lien avec
la guerre de Cent ans (1337), la Peste Noire (1348) et la renommée croissante des ordres
mendiants. Les premiers baux à ferme datent de cette époque354.
Cette période pour le moins troublée trouve un écho dans l’architecture des bâtiments
monastiques puisque de nombreuses abbatiales vont être fortifiées. Ainsi, Bonlieu est pillée
une première fois par les Anglais en 1358 malgré la protection des comtes de la Marche et de
Clermont, d’où l’édification d’une tour de défense massive sur les deux premières travées de
la nef dès 1421355. À cette période est également entreprise une réfection du cloître avec des
piliers de profil octogonal [Fig. 20]. Certains tambours et chapiteaux sont conservés dans
l’actuelle chapelle du monastère et permettent d’imaginer la physionomie du cloître du Bas
Moyen-Âge. Dalon est également occupée par les Anglais au milieu du XVème siècle, ce qui
352
Concernant le passage du faire-valoir direct à indirect, voir I. D. c.
B. BARRIÈRE, « Les problèmes économiques d’une communauté cistercienne double : le cas
d’Obazine/Coyroux (XIIème-XVIIIèle siècles) », Annales du Midi, T 102, 1990, p. 149-159 ; B. BARRIÈRE, Le
cartulaire de l’abbaye cistercienne d’Obazine (XIIème-XIIIème siècles), Institut d’Études du Massif Central,
Clermont-Ferrand, 1989, p. 22.
354
I. AUBRÉE, op. cit, p. 48.
355
A. BONDÉELLE-SOUCHIER, Bibliothèques cisterciennes dans la France médiévale. Répertoire des
abbayes d’hommes, CNRS, Paris, 1991, p. 31 ; B. PHALIP, L’église d’Ajain : problème de la construction et de
la fortification de quelques églises creusoises entre la fin du XIIème siècle et la fin du XIVème siècle, maîtrise,
Paris IV, 1978, p. 69-70.
353
- 125 -
entraîne la ruine des domaines et du patrimoine356. Concernant l’abbaye du Palais-NotreDame, il semblerait que des contreforts aient été adjoints aux façades orientale et occidentale
dans le courant du XVème siècle [Fig. 21]. En effet, le chevet présente à l’angle nord-est un
contrefort massif, non lié aux maçonneries médiévales et dont le large soubassement est orné
d’un cavet, allant dans le sens d’une datation tardive. Les sondages archéologiques menés en
2007 ont révélé à l’angle sud-ouest de la façade occidentale l’adjonction d’un contrefort
indépendant de la maçonnerie médiévale et dont le mortier orangé est similaire à celui de la
façade orientale [Fig. 316]357. Ces deux structures montrent une volonté de renforcement des
parements du monastère en cette période troublée.
L’abbaye de Prébenoît est également fortifiée. Les nouveaux aménagements du
monastère sont bien connus grâce à un procès-verbal de 1621 signé par Jabrillac, état des
lieux réalisé à la demande de l’abbé Mathieu de Vertamont [PJ 7]358. Trois travées de la nef
sont alors supprimées, remplacées par un mur pignon et deux tours de défense, une ronde et
l’autre polygonale. Un corps de logis est installé au-dessus de l’église. Une douve circonscrit
l’ensemble des bâtiments réguliers [Fig. 14]. Cette installation aurait pu détruire le bâtiment
des convers situé à l’origine au niveau de la galerie ouest du cloître et dont les fondations
n’ont pas été retrouvées lors des investigations archéologiques. Le procès-verbal fait
également état de fossés, attestés par les sondages archéologiques de 2000 au nord et au sudouest de l’abbaye mais ne figurant cependant pas sur les cadastres. Ce travail colossal de
creusement des douves a donc conduit à un réaménagement considérable de l’espace
monastique. Ceci peut étonner à une période où le monastère ne disposait que de minces
revenus. Qui a financé ces travaux ? Qui les a mis en œuvre alors que le nombre de frères
convers diminuait de façon tangible359 ? Aucun texte ne permet de répondre à cette question.
Ces aménagements n’empêchent pourtant pas la mise à sac du monastère en 1590 par les
Huguenots, évènement décrit en détail par le même procès-verbal. Il est précisé qu’ils
« mirent le feu en ladite abbaye, dans les granges et les bâtiments, particulièrement dans la
tour où se trouvait le trésor, et dans laquelle étaient les terriers et les titres de l’abbaye
(…) »360.
356
C. ANDRAULT-SCHMITT, « Des abbatiales du « désert ». Les églises des successeurs de Géraud de Sales
dans les diocèses de Limoges, Poitiers et Saintes (1160-1220) », BSAOMP, 5ème série, T 8, 1994, p. 91-173.
357
I. PIGNOT, L’abbaye cistercienne du Palais-Notre-Dame (commune de Thauron, Creuse). Préciser le plan
de l’abbatiale médiévale et moderne, DRAC/SRA Limousin, 2007, non publié, p. 36.
358
AD Creuse, H 529. Transcription présentée en annexes, PJ 7.
359
J. ROGER, Sondages d’évaluation sur le site de l’abbaye cistercienne de Prébenoît, 2000, (non publié), p.
59.
360
AD Creuse, H 529.
- 126 -
3. Commende, guerres de Religion et décadence (XVème-XVIIIème siècles).
Cette période voit s’accentuer les difficultés financières de nombre d’abbayes du
diocèse de Limoges. Les statuts des Chapitres Généraux sont révélateurs de cette « crise » qui
n’a cessé de s’amplifier depuis le XIIIème siècle. De plus en plus d’abbés sont notamment
exemptés de se rendre au Chapitre Général annuel à Cîteaux, évitant aux plus modestes
monastères un voyage coûteux. C’est le cas par exemple pour les abbés d’Aubepierres et
Aubignac en 1410. En 1446 sont excusés les abbés d’Aubepierres, Varennes, La Colombe,
Aubignac et Prébenoît361. Des réformes de plus en plus fréquentes interviennent au sein de
monastères ayant trop tendance à s’éloigner des préceptes de l’ordre, régulièrement
réprimandés par le Chapitre et plutôt difficiles à contrôler. Les problèmes pour maintenir une
cohésion dans l’ordre sont de plus en plus flagrants. Ainsi en 1427, les monastères de Dalon,
Prébenoît, le Palais, Bonlieu, Boeuil, La Colombe et Aubignac sont réformés selon l’ordre du
Chapitre Général. De même en 1438 pour le Palais, Aubignac, Obazine et Dalon362.
Le XVème siècle voit également l’introduction de la commende au sein des abbayes
cisterciennes du diocèse de Limoges363. Les abbés qui prennent la tête des monastères tendent
à négliger les bâtiments et communautés qui leur sont confiés. Certains font construire des
logis très similaires aux logis aristocratiques laïcs du Bas Moyen-Âge. Ces logis abbatiaux
sont souvent parvenus jusqu’à nous et témoignent des réaménagements et modifications des
XVème-XVIème siècles. Ainsi, l’abbaye du Palais-Notre-Dame est dotée d’un logis daté du
XVIème siècle caractérisé par une tour d’escalier hors-œuvre d’appareil soigné et de larges
fenêtres à meneaux [Fig. 22]364.
En 1451, l’abbaye du Palais est témoin d’un siège. Jacques du Coudert s’empare du
site, de la direction et des revenus du monastère. L’abbé légitime Louis-Augustin doit dès lors
donner l’assaut. Jacques du Coudert est tué et inhumé dans le cloître. L’abbé est déchu pour
avoir fait couler le sang humain et est remplacé par Audoin d’Aubusson La Borne. Lors de cet
épisode, l’abbaye est décrite comme fortifiée. Nous ne savons toutefois pas en quoi
consistaient exactement ces fortifications et seuls deux contreforts vraisemblablement adjoints
aux façades orientale et occidentale témoignent de réaménagements à cette période. Les
alentours de Bourganeuf constituent une convergence entre plusieurs itinéraires : LimogesGuéret, Limoges-Ahun, Limoges-Aubusson, Bellac-Aubusson et La Souterraine-Tulle.
361
J-M. CANIVEZ, Statuta Capitulorum Generalium Ordinis Cisterciensis ab anno 1116 ad annum 1786,
Louvain, 1933, T IV, 1410-37 ; 1446-7
362
J-M. CANIVEZ, op. cit, T IV, 1427-50 ; 1438-41.
363
Ainsi en 1481, Claude de Doyac et nommé premier abbé commendataire de Valette. A. VAYSSIÈRE, « Les
malheurs d’un abbé de Valette », BSSHAC, T 7, 1885, p. 35-41.
364
B. BARRIÈRE (dir.), op.cit, p. 186-189.
- 127 -
L’abbaye du Palais est ainsi un passage obligé pendant les guerres de Religion. Elle est de
plus attirante pour les pillards : isolée dans les bois et accessible par une voie ancienne, elle
est ainsi une proie facile. En 1584, l’abbaye « était démolie depuis six ans pendant les
troubles et guerres civiles et nécessitait 1500 écus de réparation ». Elle est mise à sac en
1578. Selon la description de LECLER : « (…) la maison des religieux qui porte la date de
1574, puis la chapelle romane dont il ne reste qu’une masure de quelques mètres de haut,
enfin la maison de l’abbé, gracieuse habitation construite au XVIIIème siècle. »365
Des réfections se déroulent de 1584 à 1594 366. La maison de l’abbé commendataire,
démolie au début du XVIème siècle, est ainsi réédifiée avec des pierres de récupération des
bâtiments XIIIème siècle. Dans la seconde moitié du XVIIIème siècle, suite à un arrêté de
1745, l’église qui menaçait ruine est réduite. Les derniers vestiges du cloître sont également
mis à bas. Le bâtiment conventuel est qui abritait la salle capitulaire notamment et le dortoir
des moines à l’étage est entièrement remanié367.
Au XVème siècle, des crues répétées obligent des modifications dans l’organisation
des bâtiments monastiques de l’abbaye de Coyroux. Le bâtiment des moniales est déplacé de
l’est vers l’ouest. La partie nord de ce bâtiment est mise à bas. Au XVIIème siècle, une autre
crue violente détruit partiellement la terrasse artificielle (partie est) sur laquelle était bâti le
monastère. Les bâtiments est de la galerie du cloître sont endommagés. Aux XVIIème et
XVIIIème siècles, le parement délimitant cette terrasse est prolongé. Le bâtiment ouest
connaît probablement des réfections au XVIIème siècle. De cette époque date aussi peut-être
le prolongement de la galerie nord du cloître par un habitat maçonné. Le Bas Moyen-Âge et
l’époque moderne conduisent donc à de nombreuses modifications des bâtiments monastiques
de Coyroux368. De plus, en 1622, les moniales de Coyroux obtiennent le droit de se déplacer à
Tulle, évènement qui marquera le déclin irrémédiable de l’abbaye de femmes.
Le XVIème siècle est aussi marqué par les troubles des guerres de Religion qui
conduisent bien souvent à des destructions au sein de nombreux monastères cisterciens du
365
R. CALINAUD, « Le sac de l’abbaye du Palais-Notre-Dame », MSSNAC, T 36, 1966, p. 151-152 ; G.
MARTIN, « Le siège de l’abbaye du Palais-Notre-Dame en 1451 », MSSNAC, T 15, 1906, p. 483-495.
366
M. DAYRAS, « Les abbayes creusoises et le Palais-Notre-Dame », MSSNAC, T 36, 1966, p. 215-220 ; P.
LOURADOUR, « L’abbaye du Palais-Notre-Dame », MSSNAC, T 36, 1966, p. 221-227.
367
S. VITTUARI, Le patrimoine de l’abbaye du Palais-Notre-Dame d’après le cartulaire (1134-12..), mémoire
de maîtrise, dir. B. BARRIÈRE, Limoges, 1992, vol. 2, p. 97.
368
B. BARRIÈRE, « Monastère de Coyroux », Archéologie Médiévale, Caen, Centre de Recherches
Archéologiques Médiévales, T X, 1980, p. 390 ; T XI, 1981, p. 274 ; T XIV, 1984, p. 311-312 ; T XVIII, 1988,
p. 314-315 ; A. VAYSSIÈRE, « Les dames de Coyroux », BSSHAC, T 5, 1883, p. 365-379.
- 128 -
diocèse de Limoges. C’est à cette période que la nef de l’abbaye de Dalon est détruite 369. Le
chœur est rebâti en 1535 grâce à l’initiative de l’abbé commendataire François de Las Tours.
En 1777, la salle capitulaire est transformée en cuisine, le dortoir est réaménagé en chambres,
les chapelles est du transept sud dont réoccupées par des écuries comme en témoigne le
cadastre de 1811. Les modifications des divers bâtiments monastiques dépendent ainsi de
l’introduction de la commende et de la diminution des effectifs qui conduit à des
réorganisations370.
En 1569, des troupes calvinistes, conduites par Wolfgang de Bavière, duc des deux
Ponts, pillent et brûlent Aubepierres. La plupart des titres de l’abbaye sont incendiés, d’où les
lacunes des sources manuscrites à notre disposition concernant l’époque médiévale.
De même, le monastère d’Aubignac est détruit par les Protestants qui chassent les
religieux en 1562, puis de nouveau pillé en 1602 et en 1645. En 1602, le conseiller du roi
Antoine Barty mène une enquête pour comprendre le déroulement de l’attaque. Il précise que
les brigands pillent le bâtiment pendant deux heures. Ils ont pénétré dans l’abbaye par une
muraille en partie écroulée. La cour de l’abbaye menaçait déjà ruines suite au précédent
pillage de 1562. Ces dégradations successives expliquent qu’il ne demeure aujourd’hui de
l’abbaye cistercienne que quelques éléments lapidaires épars bien insuffisants pour espérer
connaître les aménagements médiévaux371.
Dans la première moitié du XVIème siècle, l’abbaye de Grosbot souffre des incursions
des seigneurs de Marthon et des Huguenots. En 1568, les moines sont chassés de l’abbaye et
ne peuvent revenir qu’en 1580. Il faut attendre les années 1641-1673 pour une reconstruction
à l’initiative de l’abbé Jean de la Font372. Les bâtiments conventuels correspondent à des
reconstructions des XVIIème et XVIIIème siècles.
L’abbaye de Valette est également dévastée par les protestants vers 1574 et ne fera
l’objet de restaurations qu’à la fin du XVIIème siècle373.
Avant sa quasi destruction aux XVIème et XVIIème siècles, le monastère des Pierres
connaît probablement une phase de réfection au XVème siècle. Il semblerait que le cloître ait
été reconstruit de piliers à facture octogonale tels ceux de Prébenoît et Bonlieu, comme le
369
Abbé BROUSSE, « Une poignée de documents sur l’abbaye de Dalon », BSSHAC, T 56, 1935, p. 122-171.
C. ANDRAULT-SCHMITT, « Des abbatiales du « désert ». Les églises des successeurs de Géraud de Sales
dans les diocèses de Limoges, Poitiers et Saintes (1160-1220) », BSAOMP, 5ème série, T 8, 1994, p. 91-173 ; M.
VAN MIEGHEM, L’abbaye cistercienne Notre-Dame de Dalon de 1790 à 1814, Clairvive, 1976.
371
J. MARCELLOT, « Le pillage de l’abbaye d’Aubignac en 1602 », dans l’ouvrage collectif, Mélanges
d’archéologie et d’histoire offerts à M. Hemmer, Guéret, 1979, p. 173-175.
372
D. N. BELL, « An eighteenth Century Book-List from the abbey of Grosbot », Cîteaux, Commentarii
Cistercienses, T 48, 1997, p. 339-370.
373
J-L. LEMAITRE, La Dordogne avant les barrages, Ussel, 1979.
370
- 129 -
laissent présager la quinzaine d’éléments lapidaires conservés sur la terrasse d’une propriété
privée [Fig. 23]. Il est troublant de constater qu’à la même époque, trois monastères de la
Marche Limousine ou des marges berrichonnes rebâtissent leur cloître selon les mêmes
formules artistiques (Bonlieu, Prébenoît, les Pierres). Peut-on envisager des circulations des
tailleurs de pierre entre ces chantiers du Bas Moyen-Âge, des échanges d’idées qui
expliqueraient ces ressemblances pour le moins étonnantes ? Les sources manuscrites ne
faisant guère état du déroulement des chantiers de construction et de réfection, il semble
délicat de se prononcer sur ce point. L’abbaye des Pierres est également victime des Guerres
de Religion et des troubles de la Fronde. Elle est incendiée et pillée en 1575, assiégée par les
Routiers en 1589 puis de nouveau détruite en 1650374. Un bâtiment d’exploitation au-dessus
des ruines de l’abbatiale actuelle est daté de 1778 et révèle donc une tentative de
reconstruction à l’époque moderne.
L’abbaye de Varennes a fait l’objet de constants remaniements au Bas Moyen-Âge et
jusqu’à la Révolution Française. Elle est prise en 1589 par les gens d’Aigurande qui
contribueront à la destruction des installations médiévales375. Le cloître a sans doute été
partiellement reconstruit à la même époque que ceux de Bonlieu, Prébenoît et les Pierres. En
effet, les arcades conservées actuellement présentent des chapiteaux à feuilles de trèfle
caractéristiques du Bas Moyen-Âge (sans doute fin XIVème, début XVème siècle) [Fig. 24].
À droite du pignon occidental de l’abbatiale, une porte donnant accès à un bâtiment en
appentis relève aussi du XVème siècle. Dans les années 1698-1699, le logis abbatial est édifié
par François de Castagnières, un familier de la cour de Louis XIV. Au début du XVIIIème
siècle, trois galeries du
cloître sont abattues. Seule la galerie ouest est préservée et
transformée en couloir en 1725. Les arcades sont comblées et certains piliers remaniés. Les
reprises et remaniements sont visibles aujourd’hui dans l’agencement des claveaux et la
disparité des piliers dont certains appartiennent au début du XIIIème siècle, d’autres à la
reprise du XVème siècle. En 1725, le bâtiment des convers est rehaussé et remanié. En 1777,
le chœur menaçant de s’écrouler est abattu par l’abbé commendataire, de même pour le
transept à la fin du siècle. Le pignon est est alors édifié pour clore la nef amputée. La
physionomie actuelle du monastère est ainsi difficile à cerner au vu de ces constants
remaniements.
C’est le même cas de figure concernant l’abbaye de la Colombe régulièrement
transformée au Bas Moyen-Âge et à l’époque moderne. Un linteau de porte des anciens
374
375
A. BONDÉELLE-SOUCHIER, op. cit, p. 3.
A. CHARDON, « L’abbaye de Varennes, 1148-1791 », RB, 1906, p. 201-205.
- 130 -
bâtiments conventuels à l’ouest des vestiges de l’abbatiale est daté de 1434. Des datations
dendrochronologiques effectuées en 1999 témoignent de ces réfections successives et d’une
importante restauration au XVème siècle. Le logis abbatial au niveau de l’ancienne galerie
ouest du cloître présente des solives datées de 1414 ou de 1525, un linteau de cheminée de
1434, le linteau d’une porte d’entrée de 1734. Certaines baies quadrangulaires relèvent du
XIXème siècle. L’église et les bâtiments de la galerie est du cloître sont abattus avant 1833
d’après les plans cadastraux. Deux étables conservent des charpentes datées de 1732376.
À l’époque moderne, la nef et le transept de l’abbaye de Bonlieu sont abattus, jugés en
trop mauvais état suite aux dégradations des guerres successives et aux négligences de
certains abbés commendataires. Seuls demeurent les deux premières travées de la nef et la
tour de fortification, une infime partie du chevet et le bras gauche du transept qui est
transformé en chapelle domestique en 1877377.
Dès la fin du XVIIème siècle jusqu’en 1715, les bâtiments conventuels du monastère
de Prébenoît connaissent une importante phase de réfection faisant suite aux périodes de
troubles et de dégradations des bâtiments monastiques. Les bâtiments conventuels sont
remaniés avec le schiste extrait des carrières de Bétête et de La Cellette. Les parois conservent
parfois des remplois de pierres de taille médiévales 378. Le cloître est recouvert en 1610. Les
quatre galeries du cloître, aujourd’hui entièrement disparues, étaient encore en place en 1621.
Dès le XVème siècle, le cloître est remanié de la même manière que celui de Bonlieu avec ces
piliers de granite octogonaux caractéristiques, creusés de large cavets permettant de beaux
jeux de lumière [Fig. 25].
L’abbaye de Bonnaigue connaît également une profonde restructuration des bâtiments
aux XVIIème et XVIIIème siècles. En effet, entre 1657 et 1714, une reconstruction est
permise par l’abbé Philippe de Montroux de Peyrissac, d’où la difficulté à reconstituer les
dispositions médiévales aujourd’hui379. En 1762, l’église de Bonnaigue est partiellement
détruite et sera reconstruite à la fin du XVIIIème siècle.
Concernant le monastère de moniale de Derses, la baisse des effectifs conduit à son
rattachement au couvent des Bernardines de Tulle. Derses est donnée à ce couvent en 1670.
L’abbesse devient alors prieure de Saint-Bernard de Tulle et de Saint-Jean de Derses et prend
ainsi la tête des deux communautés380.
376
J. PICAUD, op. cit,
A. LECLERC, op.cit.
378
I. PIGNOT, L’abbaye cistercienne de Prébenoît en Creuse. Étude lapidaire et architecturale, mémoire de
maîtrise sous la direction de B. PHALIP et A. COURTILLÉ, Clermont II, 2 vol., juin 2004.
379
B. BARRIÈRE (dir.), Moines en Limousin…, op.cit, p. 153-156.
377
- 131 -
En 1580, Edme de Hautefort, gouverneur et sénéchal du Limousin possédait Obazine.
C’est lui qui la reprend aux protestants en 1589. Le château de l’abbé est bâti au début du
XVIème siècle [Fig. 26]. Le cloître primitif ruiné est reconstruit à cette période. Les bâtiments
claustraux sont surélevés d’un étage au XVIIème siècle. Un « donjon » est également bâti
avec un escalier monumental. Nous savons que l’abbaye est choisie en 1667 pour abriter le
noviciat des cisterciens de la Commune Observance pour les provinces de Bordeaux et de
Poitiers, ce qui témoigne encore d’une certaine influence, d’un rayonnement du monastère
corrézien381. Nous disposons également d’une lettre de sommation de Dom Dumas, religieux
d’Obazine à l’abbé commendataire François d’Escoubleaux de Sourdis datée de 1672. Le
moine reproche à son supérieur de négliger l’abbaye et les bâtiments délabrés 382. Les
négligences lors de la commende sont réellement préjudiciables à la conservation des
bâtiments monastiques. Au XVIIIème siècle en effet, le réfectoire et l’aile ouest sont en ruine.
En 1757, l’abbatiale d’Obazine se voit amputée de la partie occidentale de la nef. Il ne
demeure plus que trois travées sur les neuf originelles. Le bâtiment des moines est également
remanié à cette période de même que le bâtiment nord correspondant à l’ancien réfectoire 383.
En 1779, le château de l’abbé est ainsi démoli avec l’autorisation royale. L’ancien noviciat
situé dans le bâtiment est disparaît lors d’une démolition systématique dans les années 1780.
En 1680, le cloître de l’abbaye de Boschaud est encore en état. Elle est partiellement
restaurée au XVIIIème siècle. Un logis est aménagé pour l’abbé commendataire384.
En 1569, l’abbé Coligny laisse l’abbaye de Peyrouse en ruines. Elle fait l’objet d’une
restauration entre 1650 et 1683 par l’abbé dom Barillat385. Un portail du XVIIème siècle est
encore conservé au domaine des Moulières. À cette date, les collatéraux de l’abbatiale sont
encore voûtés. La nef dévoûtée est couverte d’un lambris.
380
B. BARRIÈRE (dir.), op.cit, p. 167-168 ; G. CLÉMENT-SIMON, « Notice sur le couvent de Derses, paroisse
de Saint-Hilaire-Peyrou », BSSHAC, T 11, 1889, p. 546-568.
381
J. B. L. ROY DE PIERREFITTE, Études historiques sur les monastères du Limousin et de la Marche, T I,
Guéret, 1857-63, p. 167-192 ; J. VINATIER, « La piété mariale cistercienne à Obazine révélée par l’architecture,
la statuaire et la peinture (du XIIème au XVIIIème siècles) », BSSHAC, T 98, 1976, p. 79-96.
382
AD Corrèze, E 768, pièce 107.
383
B. BARRIÈRE, Aubazine en Bas-Limousin, Association Histoire et Archéologie au pays d’Obazine,
Limoges, 1991, p. 18 ; B. BARRIÈRE, « L’abbaye d’Obazine. Les enseignements d’un état des lieux de 1672 »,
BSLSAC, T 79, 1976, p. 53-70 ; J. de RIBIER, « L’abbaye d’Obazine en Bas-Limousin. Étude historique et
archéologique », thèse soutenue pour obtenir le diplôme d’archiviste-paléographe, positions, Paris, 1927.
384
C. ANDRAULT-SCHMITT, « L’abbaye de Boschaud », Congrès Archéologique de France, Périgord, 1998,
Paris, 1999, T 156, p. 105-117 ; C. DESPORT, Deux abbayes cisterciennes du Périgord : Boschaud et
Peyrouse, mémoire de maîtrise d’Histoire médiévale sous la direction de Bernadette BARRIÈRE, Limoges, p.
27.
385
N. BUISSON, « Abbaye de Peyrouse », BSHAP, T 113, 1986, p. 308-323 ; J. SECRET, « Note sur l’abbaye
cistercienne de Pérouse au XIXème siècle », BSHAP, T 101, 1974, p. 166-171.
- 132 -
4. Période révolutionnaire et extinction des monastères (fin XVIIIème-XIXème
siècles).
La période révolutionnaire s’accompagne bien souvent de la destruction des titres et
archives des abbayes, d’où la difficulté à présent de reconstituer l’histoire et la constitution du
patrimoine de ces sites. En 1793, les titres de l’abbaye du Palais-Notre-Dame sont brûlés,
excepté le cartulaire. La loi du 2 novembre 1789 vote la mise à la disposition de la Nation des
biens ecclésiastiques. Entre l’automne 1790 et le printemps 1791 est estimé l’ensemble du
temporel. Puis les abbayes et leurs meubles sont vendus.
En 1791, l’abbaye de Bonnaigue est vendue à Bourlin, jacobin d’Ussel, qui transforme
l’église en écurie386. À cette date, les deux cloches de l’abbatiale d’Aubepierres sont prises
pour fondre des canons. Dès 1820, l’habitat des religieux est détruit et remplacé par des
bâtiments d’exploitation agricole387. C’est pourquoi il nous est très difficile aujourd’hui de
connaître l’architecture et le décor de ce monastère presque entièrement ruiné. L’abbaye de
Valette est quant à elle abandonnée pendant la Révolution. Elle passe entre les mains de JeanAuguste Pénières qui la vend en 1816 après y avoir installé une verrerie. En 1951, les vestiges
sont noyés lors de la mise en eau du barrage du Chastang. L’ensemble est dynamité avant
relevés, d’où l’impossibilité désormais de mieux connaître les bâtiments monastiques388.
À l’aube de la Révolution, l’abbaye de Dalon est déjà bien ruinée. La nef notamment
est mise à bas. Le rhabillage des façades de l’ancien bâtiment des moines empêche la lecture
des anciennes structures médiévales. En 1811, les bâtiments en calcaire de Saint-Robert sont
détruits pour alimenter les proches fours à chaux. Les caves sous la salle des moines sont
comblées à la fin du XIXème siècle. Les granges, étables et porterie de l’enceinte monastique
sont détruites et remblayées389.
Au XIXème siècle, l’abbaye de Boeuil va servir de carrière pour les proches habitants,
d’où l’éparpillement de certains éléments sculptés dans un rayon de dix kilomètres autour de
l’abbaye390. Le site est vendu dans les années 1800 à Marc Fougère, entrepreneur, qui
transporte tout ce qu’il peut comme matériaux de construction à Limoges. En 1837 toutefois,
386
M. LAVEYX, « L’abbaye de Bonnaigue », BSSHAC, T 16, 1894, p. 536-557.
A. LECLER, Dictionnaire topographique, archéologique et historique de la Creuse, Marseille, Laffitte
reprints, 1902.
388
B. BARRIÈRE (dir.), op.cit, p. 201-205 ; J-L. LEMAITRE, op.cit.
389
B. BARRIÈRE (dir.), Moines en Limousin…, op.cit, p. 163-166 ; C. ANDRAULT-SCHMITT, « Des
abbatiales du « désert ». Les églises des successeurs de Géraud de Sales dans les diocèses de Limoges, Poitiers et
Saintes (1160-1220) », BSAOMP, 5ème série, T 8, 1994, p. 91-173 ; M. VAN MIEGHEM, L’abbaye cistercienne
Notre-Dame de Dalon de 1790 à 1814, Clairvive, 1976.
390
B. BARRIÈRE (dir.), Moines en Limousin…, op. cit, p. 144-147.
387
- 133 -
une partie du cloître existe encore391. À cette époque, des religieux sont encore présents dans
une maison à la « Grange de Boeuil », nommée « Grange Rouge » à la période moderne392.
Le chevet du monastère de Boschaud est encore en état mais la moitié occidentale de
la nef s’écroule. En 1892, le château de Beynac est vraisemblablement en partie reconstruit
avec des pierres de la chapelle de Peyrouse. Le logis conservé date a priori du XIXème
siècle393.
Au XIXème siècle, l’abbaye d’Obazine bénéficie d’une restauration par Anatole de
Baudot (1887). Les voûtes et dallages font alors l’objet d’une réfection. En 1885, les
ossements d’Étienne sont découverts dans le tombeau et déposés dans des châsses modernes.
En 1903, un campanile est créé pour recevoir les cloches que le beffroi central ne semblait
plus pouvoir porter394.
Suite à cette présentation, certes rapide, de l’historique des abbayes cisterciennes du
diocèse de Limoges jusqu’aux périodes révolutionnaires et contemporaines, il convient
désormais de replacer ces fondations dans un contexte plus vaste, lié à la réforme grégorienne
et à sa réception en Aquitaine notamment. Les initiatives de Géraud de Sales ou d’Étienne
d’Obazine ne peuvent se comprendre sans une analyse des mentalités religieuses de la fin du
XIème siècle et du début du XIIème siècle ayant conduit des ermites à la quête d’un désert
souvent inaccessible. En effet, la poignée d’ermites implantés au saltus, qu’il s’agisse des
forêts d’Obazine ou de Haute-Marche, sont souvent victimes de leur succès, attirent de plus
en plus de disciples, se doivent de s’organiser en monastère, sont l’objet de donations de
fervents bienfaiteurs laïcs qui peu à peu les éloignent de leur idéal de pauvreté primitif. Il
semble donc nécessaire de faire le point sur le glissement progressif du saltus vers l’ager
auquel les monastères cisterciens ne paraissent pouvoir échapper.
391
A. LECLER, « Monographie du canton de Nieul », BSAHLC, 1894, T 42, p. 106-137.
G. COUTY, Veyrac : passé, coutumes, Limoges, 1990, p. 13.
393
C. DESPORT, Deux abbayes cisterciennes du Périgord…, op.cit, p. 56.
394
J. QUEYREL, « La rénovation d’une abbatiale au XIXème siècle : l’église d’Aubazine », BSSHAC, T 115,
1995, p. 235-249 ; Abbé BROUSSE, Obazine religieux, archéologique, touristique, Tulle, 1953.
392
- 134 -
D. Les cisterciens du saltus à l’ager :
Face aux monastères clunisiens implantés dans des zones d’ager, les cisterciens
privilégient des salti boisés loin des villes et des compromissions du siècle. Cette volonté
d’éloignement et d’isolement n’est pas une nouveauté et correspond à la même impulsion
ayant conduit les premiers Pères à se retirer au désert.
a. La quête du désert primitif :
À la fin du XIème siècle, la réforme grégorienne provoque un certain nombre de
réactions dans le monde monastique, notamment un renouveau de l’érémitisme se traduisant
par l’émergence d’ordres nouveaux à volonté d’austérité et de retrait au désert. Il convient
donc de rappeler brièvement les caractéristiques de cette réforme et son incidence sur la
création des ermitages du diocèse de Limoges et sur les initiatives cisterciennes.
1. La recherche du « désert », une préoccupation ravivée par la réforme
grégorienne.
L’érémitisme est souvent considéré comme un « catalyseur » des aspirations
réformatrices insatisfaites par un épiscopat simoniaque et un clergé non réformé. Cette forme
radicale de vie retirée du monde connaît un franc succès à la fin du XIème siècle et au début
du XIIème siècle devant la lenteur des papes, évêques et moines à réformer profondément la
Chrétienté395.
•
Réforme et ordres nouveaux. Des cisterciens grégoriens ?
Le terme de « réforme » est fréquemment employé pour qualifier la volonté de
changement, de retour à un idéal apostolique ayant caractérisé le XIème siècle. Néanmoins, ce
terme est la plupart du temps trop fort ou mal approprié, alors même que les chartes de
l’époque privilégient des termes comme restauratio (renforcement, enrichissement) ou parfois
renovatio (renouvellement)396. Ce renouveau est illustré par une multiplication des
mouvements à vocation érémitique397, un essor des chanoines réguliers et une réinterprétation
de la règle bénédictine. Cette dernière doit en effet être « débarassée » des observances
coutumières rajoutées à Cluny notamment. Trop souvent, la réforme grégorienne est réduite à
395
J-H. FOULON, La réforme de l’Église dans la France de l’Ouest de la fin du XIème siècle au milieu du
XIIème siècle. Ecclésiologie et mentalités réformatrices, thèse, Paris I Sorbonne, dir. P. TOUBERT, 1998.
396
M. PARISSE, dans J-M. MAYEUR, C. PIÉTRI, A. VAUCHEZ, M. VENARD, Histoire du Christianisme, T
V Apogée de la Papauté et expansion de la Chrétienté, Desclée, 1993, p. 141.
397
Ces mouvements érémitiques naissent en Italie dans la première moitié du XIème siècle (Saint Romuald, Jean
Gualbert de Vallombreuse), puis irriguent le Limousin et la Bretagne, ainsi que la Lotharingie et la Flandre.
- 135 -
la seule lutte contre la mainmise de la féodalité sur l’Église, à l’affirmation d’une libertas
ecclesia. Certes, la volonté est forte de restaurer la distinction entre spirituel et temporel,
largement occultée par l’ordre carolingien. C’est ainsi que les réformateurs souhaitent limiter
les prérogatives royales aux affaires temporelles et au maintien de la paix. Mais en réalité, il
s’agirait avant tout de construire le royaume de Dieu, de rendre le monde conforme à la
volonté divine. Quel rôle vont jouer les moines cisterciens face à ces bouleversements de la
Chrétienté occidentale ? Ceux-ci étant plus du côté de la contemplation que de l’action, ont-ils
vraiment agi dans ce cadre grégorien ?
Vita Apostolica et règle monastique :
La réforme grégorienne est amorcée en réponse à une crise morale généralisée dans les
milieux ecclésiastiques à partir du Xème siècle, due en particulier à une profonde
féodalisation de l’Église. En effet, dès la fin du IXème siècle, l’atomisation du pouvoir
politique des souverains au profit de l’aristocratie aboutit à l’introduction des laïcs dans le
gestion des églises, qu’elles soient monastiques ou paroissiales. Les grégoriens ont ainsi voulu
rompre les liens entre charges ecclésiastiques et laïcs qui prétendaient pouvoir en disposer. La
réforme fait d’ailleurs suite à la fondation de l’abbaye de Cluny par un laïc, Guillaume
d’Aquitaine, qui prend par ailleurs soin de préserver son indépendance en la rattachant
directement à Rome398. L’Église carolingienne est avant tout séculière, largement dirigée par
les souverains et les évêques. Certains princes ont d’ailleurs un poids indéniable dans la
nomination des prélats de l’Ouest de la France. Ces derniers vivent comme de grands
seigneurs fonciers à la tête de riches exploitations. Les monastères n’échappent pas à cette
sécularisation mais seront peut-être les plus prompts à réagir et à se ressaisir : en effet, des
sites comme Cluny ou Gorze vont devenir de puissants centres de rénovation, aspirant à une
certaine « rénovation spirituelle »399. Cluny revêt une importance primordiale dans le soutien
des idées grégoriennes. Les grands abbés bourguignons ont largement travaillé à la
« libération de l’Église » et ont été de fermes appuis de l’autorité pontificale400.
Michel AUBRUN définit la réforme monastique comme un retour à la libre élection
de l’abbé par les moines, gage de la restauration de la vie monastique conforme à la règle,
398
A. ERLANDE-BRANDENBOURG, « Architecture religieuse et fidèles », dans L’architecture religieuse
médiévale. Art roman et art gothique. Une nouvelle vision, Dossiers d’Archéologie n°319, janvier-février 2007,
p. 24-35.
399
A. VAUCHEZ, La spiritualité du Moyen-Âge occidental, VIIIème-XIIIème siècle, Paris, 1994 (réédition de
1975), p. 33.
400
C. DEREINE, « Les chanoines réguliers au diocèse de Liège avant Saint Norbert », Mémoires de l’Académie
Royale de Belgique, T XLVII, Bruxelles, 1952, p. 11.
- 136 -
laquelle est l’adaptation pour les moines des principes évangéliques. Elle se manifeste
notamment par une lutte fervente contre la simonie et le nicolaïsme. Des clercs réformateurs,
désireux de lutter contre la simonie dans le clergé et contre le concubinage des prêtres,
dénoncent alors une telle pratique comme la racine du mal. Dès 1059, Nicolas II promulgue
un décret interdisant cet usage, repris par la suite par Alexandre II et Grégoire VII. Chaque
prêtre se doit alors d’être irréprochable, un modèle de pureté.
Par la réforme grégorienne, la Papauté s’affranchit de toute tutelle laïque et affirme sur
le monde des prétentions supérieures, d’ordre théocratique, en rivalité déclarée avec deux
autres puissances à légitimité divine : l’empereur germanique et le basileus byzantin. Dès
1053, c’est le schisme entre chrétienté latine et orthodoxe. Une consolidation du pouvoir
pontifical s’amorce à partir de Léon IX (1049-1054). Ce dernier s’attaque entre autres au
mariage et au concubinage des clercs, à la simonie, au trafic des biens spirituels et à la
subordination des tâches spirituelles aux intérêts laïcs.
Au milieu du XIème siècle, la querelle des Investitures s’amorce, Église et Empire
entrent en compétition. En effet, le Pape et l’Empereur assistent à la naissance d’un conflit à
propos de l’investiture accordée aux évêques par les pouvoirs laïcs. L’empereur Henri IV
notamment tient à contrôler la désignation des évêques de l’Empire car il leur délègue des
pouvoirs régaliens. En résulte un long conflit marqué par la déposition du Pape par Henri IV.
Grégoire VII riposte par l’excommunication et la déposition de l’Empereur (1076). Entre
1088 et 1099, Urbain II reprend la condamnation de l’Investiture.
Ainsi, pauvreté, chasteté et célibat sont remis à l’honneur, comme pour imposer à
toute une société une « conception monastique de l’obéissance », obéissance prioritairement
dévolue au Pape. Le siècle est dès lors compris comme l’univers du démon. Il convient donc
de renoncer aux richesses de certaines charges séculières pour vivre « nu comme le Christ
nu » et espérer le salut. L’idéal monastique est dès lors considérablement revalorisé, auréolé
de sainteté. La vie du moine est exemplaire par le respect de la chasteté, la vie commune et la
pratique du service liturgique. La fascination pour les tendances ascétiques est indéniable : le
moine cultive l’ascèse comme un instrument de retour à Dieu.
Une importance nouvelle est en effet prise par les thèmes ascétiques et moraux, les
Actes des Apôtres et les Évangiles sont réinvestis et inspirent largement la quête de la vraie
pauvreté et l’importance prise par le travail manuel401. La vita apostolica est cette vie
communautaire idéale à Jérusalem, décrite ainsi dans les Actes des Apôtres :
401
J. WIRTH, op. cit., p. 207.
- 137 -
« Tous ceux qui croyaient vivaient ensemble et ils avaient
tout en commun (…).
La multitude des fidèles n’avait qu’un cœur et qu’une
âme, nul n’appelait sien ce qu’il pouvait avoir, mais tout
était en commun entre eux. »402
Les Actes des Apôtres mettent néanmoins en lumière la place importante de la
prédication dans la vocation des Apôtres. La cura animarum est essentielle, et sera
notamment au cœur de la vie des chanoines réguliers nés de ce mouvement réformateur. Or, le
monachisme ferme bien souvent la porte aux affrontements avec le monde, et donc à la
prédication, comme ces cisterciens tellement désireux de s’enfermer loin du siècle, et par làmême, des fidèles.
De nombreuses réactions ascétiques s’affirment dans le cadre de la réforme comme
celles de Robert D’ARBRISSEL qui décide de vivre entouré de femmes au sein du monastère
de Fontevrault pour s’exposer directement à la tentation, et pour accroître le mérite d’y
résister. Nombre de ces ermites ne mènent pas une vie contemplative, le travail manuel tient
bien souvent une place de choix, de même que la prédication populaire. C’est le cas de Robert
d’ARBRISSEL ou d’Étienne de MURET en Limousin403. Ces Wanderprediger (prédicateurs
itinérants) se multiplient notamment à la fin du XIème siècle et dénoncent avec conviction les
vices du clergé, comme Robert de TIRON ou Vital de SAVIGNY404. Jean-Hervé FOULON
constate le synchronisme des entrées au désert encadrant le voyage d’Urbain II dans l’Ouest.
En effet, Robert d’Arbrissel, Bernard de Tiron et Vital de Mortain se retirent au saltus entre
1095 et 1097405. Ces prédicateurs tentent de concilier monde monastique du silence et monde
sacerdotal de la parole, ordre carolingien et son idéal du moine pur et ascète et préceptes
grégoriens profondément sacerdotaux. Quant au rejet de la sexualité et à la revalorisation du
labeur, ils se retrouvent chez d’autres pauvres du Christ tel Bernard de CLAIRVAUX. Les
cisterciens défendent en effet une ascèse rigoureuse, un travail manuel qui sanctifie et un
rapprochement de la vie des Apôtres, bien que la cura animarum soit rejetée.
Si les moines tendent vers plus de rigueur et d’ascétisme, comme en témoignent de
multiples initiatives érémitiques, la réforme grégorienne touche également le monde canonial,
402
Actes des Apôtres, II, 42-47 et IV, 32-35.
A. VAUCHEZ, op. cit., p. 83.
404
A. VAUCHEZ dans J-M. MAYEUR, C. PIÉTRI, A. VAUCHEZ, M. VENARD, Histoire du Christianisme…,
op. cit., p. 461.
405
J-H. FOULON, op.cit., vol. I.
403
- 138 -
dont la restauration s’amorce au milieu du XIème siècle. Le Pape s’appuie ainsi certes sur les
moines, notamment clunisiens, mais aussi sur les chanoines réguliers pour appliquer ses
décisions, tandis que les rois et princes s’appuient sur un épiscopat simoniaque406. Les
chanoines réguliers se multiplient, désireux de mener une vie ascétique, mais contrairement
aux moines cisterciens, ceux-ci acceptent la cura animarum. Ils suivent la règle de Saint
Augustin et se conforment à son idéal de pauvreté, de célibat, de vie communautaire, tandis
que les aspects liturgiques et sacerdotaux sont intégrés, à la différence des moines blancs407.
La réforme canoniale des XIème et XIIème siècles adopte ainsi les grandes lignes de la
réforme grégorienne, se conformant à la fois à la vie des Apôtres (vie commune, cura
animarum) mais aussi aux Épîtres de Paul en accordant une place importante au travail
manuel408. En Aquitaine, se sont surtout les Prémontrés qui s’imposent, largement soutenus
par l’épiscopat favorable à ces chanoines conciliant vie régulière et charge pastorale409.
Outre ces modifications dans la spiritualité monastique et canoniale, des aspects plus
économiques sont à prendre en considération. La régularité monastique retrouvée
s’accompagne presque nécessairement d’un enrichissement du monastère par la restitution des
biens spoliés, des donations ainsi qu’une sage administration410. La société monastique en
retire des avantages considérables au niveau du temporel notamment. La réforme se fait au
profit des moines, c’est-à-dire de ceux qui étaient déjà vraisembablement les mieux pourvus
de l’Église411.
En effet, la réforme se caractérise par une volonté de récupération des dîmes usurpées
par les laïcs qui sont sommés de restituer les biens de l’Église, sous peine
d’excommunication. Ceux-ci préfèrent toutefois céder les dîmes aux moines plus qu’aux
prêtres des paroisses et évêques. Nous assistons ainsi à l’augmentation des dîmes perçues par
les monastères. Selon Pierre le Vénérable, 1/10ème des revenus de Cluny sont issus des dîmes.
La possession de ces revenus est justifiée notamment par Gratien dans son décret publié vers
1140 qui devient une norme officielle412.
406
J-H. FOULON, op. cit., T I, p. 9.
M. PARISSE dans J-M. MAYEUR, C. PIÉTRI, A. VAUCHEZ, M. VENARD, Histoire du Christianisme…,
op. cit., p. 143.
408
C. DEREINE, « Les chanoines réguliers au diocèse de Liège avant Saint Norbert », Mémoires de l’Académie
Royale de Belgique, T XLVII, Bruxelles, 1952, p. 23.
409
J-H. FOULON, op. cit., p. 414.
410
M. AUBRUN, L’ancien diocèse de Limoges des origines au milieu du XIème siècle, Institut d’Études du
Massif Central, Clermont-Ferrand, 1970, p. 159.
411
M. AUBRUN, op. cit, p. 184.
412
Dom A. DAVRIL, E. PALAZZO, La vie des moines au temps des grandes abbayes, Paris, Hachette, 2000, p.
269.
407
- 139 -
L’étude de Jean-Louis BIGET sur le diocèse d’Albi est une précieuse illustration de
ces restitutions de dîmes. Néanmoins, l’auteur relativise l’importance de la réforme
grégorienne dans ce processus. En effet, il constate une première vague de restitution dès la
fin du Xème siècle, précédant ainsi d’un siècle la réforme grégorienne. Il s’agit en particulier
de paroisses rurales dont les déguerpissements anticipent d’un siècle le mouvement
réformateur. Il semblerait pour l’historien que l’émancipation des églises soit certes plus
précoce, mais aussi plus lent et plus limité que celle des établissements monastiques. Ce
mouvement d’émancipation profite en effet prioritairement aux réguliers. Il explique ce
phénomène par une nette prédilection des laïcs pour les réguliers qui « effectuent leurs
déguerpissements pour la rédemption de leurs péchés et la sauvegarde de leur âme ». Une
seconde vague de restitution correspondrait à la Croisade de Simon de Montfort en Albigeois.
Il s’agit ici de récupération des dîmes et églises par rachat et confiscation.
Ainsi, le rôle de la réforme grégorienne dans la restitution des biens de l’Église serait à
nuancer, d’autant plus que dans le diocèse d’Albi à la fin du XIIème siècle, une très large part
des dîmes et des églises reste aux mains des laïcs. Les fractionnements des droits
ecclésiastiques et des dîmes freinent par ailleurs leur délaissement par les laïcs. Il s’agit donc
« d’une entreprise de remembrement complexe et lente », constatation établie pour le diocèse
d’Albi mais qui peut certainement être vérifiée dans le diocèse de Limoges413.
Si les dîmes doivent être restituées à l’Église, la réforme grégorienne soulève
néanmoins le problème de leur perception par des établissements monastiques. Aux Xème et
XIème siècles, les églises acquièrent surtout des dîmes par donation. À la fin du XIème siècle
et au début du XIIème siècle, les papes réformateurs sont mal disposés à l’égard de la
détention, de l’acquisition, de l’aliénation des dîmes et d’autres revenus ecclésiastiques par les
monastères. Grégoire VII en particulier les a condamnés, sauf autorisation du Pape ou de
l’évêque. Au XIIème siècle néanmoins, la plupart des établissements monastiques, comme
nous l’avons observé ci-dessus pour Cluny, touchent des dîmes et beaucoup sont dispensés
d’en payer. Le nombre de dîmes appartenant aux monastères augmente même durant ce siècle
par donations ou restitutions. Cet enrichissement sensible permet de financer d’ambitieux
chantiers de construction et trouve ainsi son illustration dans l’architecture et le décor.
Les ordres nouveaux s’opposent toutefois aux revenus ecclésiastiques afin de réaliser
plus parfaitement la vie apostolique. C’est le cas des cisterciens, des chartreux, des
fontevristes et des grandmontains. La détention des dîmes liée à la cura animarum par les
413
J-L. BIGET, « La restitution des dîmes par les laïcs dans le diocèse d’Albi à la fin du XIIIème siècle », dans
« Les évêques, les clercs et le roi (1250-1300) », Cahiers de Fanjeaux, Toulouse, Privat, 7, 1972, p. 211-283.
- 140 -
moines et les chanoines réguliers trouve toutefois des défenseurs tel Pierre le Vénérable. Dès
le second quart du XIIème siècle, Cîteaux accepte de plus en plus d’exceptions à cette règle et
tend à se rapprocher d’un modèle clunisien pourtant remis en cause auparavant. S’ils
restituent parfois une part importante de ces dîmes à l’évêque, cette part restituée n’est pas
forcément totale. En effet, l’ordinaire n’en récupère fréquemment que la moitié ou les deuxtiers. Les cisterciens conservent en particulier la maîtrise des dîmes attachées aux paroisses
qu’ils ont contribuées à créer (cas des fondations de bastides notamment). La perception des
dîmes est donc problématique et ne sera pas vraiment résolue par la réforme grégorienne qui
encourage plutôt aux restitutions de ces revenus à l’Église414.
Les cisterciens, « fer de lance » de la Papauté.
Croisade des Albigeois et inquisition :
Outre ces aspects économiques liés aux revenus des monastères et à la volonté de
retourner à une vie apostolique, la réforme grégorienne a également pour aspiration profonde
de protéger les fidèles contre les hérésies, notamment l’hérésie cathare. La réforme
grégorienne a certes pour but de promouvoir l’idéal de vie apostolique, mais aussi de
développer l’idéologie de la Croisade, sensée défendre l’orthodoxie. L’Église s’immisce
régulièrement dans les affaires de siècle, comme en témoigne son combat pour la foi et sa
volonté de servir son prochain. C’est donc à la fin du XIème siècle que naît une « spiritualité
de la Croisade », assimilée à un opus dei415.
Initialement, il semble que la réforme grégorienne touche prioritairement le clergé et
les monarques. Elle a pour conséquence une désacralisation des laïcs, interdits de toute
immixion dans les affaires de l’Église416. La Première Croisade permet néanmoins d’étendre
certains principes réformateurs aux laïcs et aux seigneurs. Pour Yaël KATZIR, en participant
activement à la Croisade, les laïcs trouvent ainsi leur place dans la Chrétienté et y jouent un
rôle vital. Il existe donc un lien très fort entre Croisade et réforme417.
Pour Anne BRENON, il semblerait que l’Église ancienne soit sans doute plus tolérante
vis-à-vis de ces mouvements religieux marginaux, y compris cathares, tandis que cette Église
réformatrice « nouvelle » et militante de Rome et de Cîteaux condamne et conduit au bûcher.
414
F-L. GANSHOF, « La dîme monastique, du IXème à la fin du XIIème siècle », CCM, T 11, n°3, 1968, p.
413-420.
415
A. VAUCHEZ, op. cit., p. 65.
416
J-H. FOULON, op. cit., p. 392.
417
Y. KATZIR, « The Second Crusade and the redefinition of Ecclesia, Christianas and Papal Coercitive
Power », dans M. GERVERS (dir.), The Second Crusade and the Cistercians, Saint Martin’s Press, New York,
1992, p. 3-11.
- 141 -
En effet, les grégoriens seraient pour bonne part à l’origine du concept et de la
dénonciation de l’hérésie, ainsi que du principe de guerre sainte. Pour Anne BRENON,
l’Église médiévale utilise peut-être l’hérésie pour justifier ses prétentions à « dominer le
monde ». Les ordres nouveaux comme les moines blancs, puis les ordres mendiants vont jouer
un rôle indéniable dans cette lutte contre les dissidences, fer de lance de la Papauté réformée.
La place des cisterciens est importante, de même qu’ils s’engagent pour la Croisade (prêche
de saint Bernard à Vézelay en 1146 pour la seconde Croisade, Croisade des Albigeois de 1209
à 1229)418. L’Église de Rome et Cîteaux fondent le principe de domination sur le monolithe
d’un monde créé par Dieu, voulu par lui, vision opposée au dualisme « manichéen » des
bonshommes cathares.
L’intervention de Bernard de Clairvaux dans le Midi commence ainsi dès 1145. Il
participe à une mission en tant que légat du Pape. Il a été alerté sur la montée des dogmes
hérétiques deux ans auparavant par une lettre d’Evervin de Steinfeld concernant un groupe
d’hérétiques en Allemagne419. À partir du dernier tiers du XIIème siècle se met en place une
propagande anti-hérétique, d’abord cistercienne puis dominicaine dans les années 1220.
Ceux-ci contribuent à une image dogmatique de l’adversaire cathare. Les cisterciens vont
devenir des « prêcheurs itinérants » lors des campagnes anti-hérétiques. Ils seront parfois
nommés légats du Pape, allant ainsi à l’encontre de leur idéal de retrait du monde, de l’idée
d’un ordre contemplatif. Le prêche devait en effet normalement être réservé au clergé
séculier420.
Ainsi, dès 1181, Henry de Marcy, abbé de Clairvaux puis cardinal d’Albano et légat
du Pape mène en Languedoc une pré croisade. Il lève une armée et conduit une expédition à
travers le monde chrétien. Il condamne les hérétiques pour leurs turpitudes sexuelles
notamment. Au début du XIIIème siècle, Innocent III, devenu Pape en 1198, dépêche à une
vaste mission cistercienne (trente moines et douze abbés, sous autorité de trois légats
pontificaux) la charge de ramener à l’orthodoxie les populations occitanes et de disputer en
public contre les prédicateurs cathares. Il autorise l’intervention d’une armée en Occitanie.
Les cisterciens sont dès lors considérés comme des légats du Pape, garant de l’orthodoxie et
des préceptes grégoriens421. Leur mission échoue cependant et conduit à la Croisade des
418
A. BRENON, Le choix hérétique, La Louve, Cahors, 2006, p. 68.
B. M. KIENZLE, Cistercians, Heresy and Crusade in Occitania, 1145-1229. Preaching in the Lord’s
vineyard, York medieval Press, 2001, p. 82.
420
B. M. KIENZLE, op. cit., p. 1.
421
Plusieurs moines cisterciens vont ainsi devenir légats, tels Pierre de Castelnau, abbé de Fontfroide, Arnaud
Amaury, abbé de Grandselve puis archevêque de Narbonne (1212-1225), Guy des Vaux-de-Cernay et Foulque,
abbé du Thoronet.
419
- 142 -
Albigeois de 1209 à 1229. En 1208, c’est l’assassinat du légat Pierre de Castelnau qui
précipite le recours à la violence. Dès lors, les abbayes cisterciennes méridionales constituent
de solides points d’appui à cette croisade, excepté le monastère de Boulbonne (com.
Cintegabelle, Haute-Garonne), lié depuis sa fondation à la famille comtale de Foix, fervent
soutien du catharisme422. Nous pouvons également considérer que les monastères cisterciens
constituent de réels fers de lance des Français en Occitanie, comme en témoigne la création de
villes nouvelles (bastides) sur les terres cisterciennes423. Pour Beverly KIENZLE, « the
Cistercians retained a strong presence in Occitania and continued a course that has been
characterized as “anti-merdidionale” and “profrançais” in collaborating with Capetian lords
who established the new towns called “bastides” on Cistercian properties (…)”424. Il serait
bien sûr réducteur de ne considérer les bastides que comme des “bastions” capétiens mis en
oeuvre pour la défense de l’orthodoxie, comme autant de pions placés par le roi pour
s’immiscer un peu plus dans des terres non gagnées à sa cause. Elles sont avant tout des
centres de peuplement et d’agriculture nées d’une volonté concertée des rois, seigneurs,
populations et ordres monastiques présents sur ces terres. Les cisterciens quant à eux semblent
trouver dans la création de bastides en paréage avec les rois Capétiens une réponse à certains
problèmes économiques. Précisons d’ailleurs que deux bastides sont fondées par les
cisterciens du Limousin : le Mont-Sainte-Marie appartenant à Obazine et la bastide de
Puybrun (Dalon).
La participation du diocèse de Limoges dans la lutte anti-cathare est pour le moins
difficile à cerner. Le cartulaire de Bonlieu révèle quelques actes de seigneurs partant pour la
Croisade albigeoise. Trois donations de 1221 concernent des marchois partant en croisade :
Rainaud VIII vicomte d’Aubusson, Hugues de Mérinchal, chevalier et Géraud prévôt du Puy
Malsignat425. Le rôle de Bernard GUI, originaire de Royère à 40 kms au sud-ouest de Limoges
peut brièvement être évoqué. En effet, bien connu pour son Manuel de l’Inquisition, ce
dernier est né vers 1261-1262 en Limousin. Il fait profession dans l’ordre des Prêcheurs au
couvent de Limoges et est nommé inquisiteur de Toulouse dès 1307 426. Quant au rôle tenu par
les abbés et moines cisterciens du diocèse de Limoges dans cette lutte anti-hérétique, il est
difficile à établir faute de sources textuelles.
422
A. BRENON, op. cit., p. 87.
B. M. KIENZLE, op. cit., p. 2.
424
B. M. KIENZLE, op.cit., p. 212.
425
AD Creuse, H 284, fol. 95-96 ; A. GUY, « Voyages et croisades dans le cartulaire de Bonlieu », Bulletin des
Amis de Montluçon, n° 43, 1992, p. 4-11.
426
S. LOUIS, « Les relations de Bernard Gui avec le Limousin », dans « Bernard Gui et son monde », Cahiers
de Fanjeaux, 16, Toulouse, Privat, 1981, p. 41-53 ; Bernard GUI, Manuel de l’Inquisiteur, trad. G. MOLLAT,
« Les Belles Lettres », Paris, 1964, 2 volumes.
423
- 143 -
Le rôle des cisterciens dans le Midi va quant à lui décroître à partir des années 1220.
En effet, les principales personnalités de la Croisade des Albigeois disparaissent (Innocent III
meurt en 1216, Arnaud Amaury en 1225, Guy des Vaux-de-Cernay en 1223). Les prêches
d’Hélinand de Froidmont en 1229 sont les derniers engagements des cisterciens en Occitanie.
Ils cèdent ensuite la place aux dominicains427.
Rôle de l’image et instruction des fidèles :
Outre son rôle de maintien de l’orthodoxie et de développement de l’idéologie de
Guerre Sainte, la réforme grégorienne va également réamorcer la question du statut de
l’image dans les édifices et de la place des fidèles. Selon Jean WIRTH, « le luxe des églises et
les images ne pouvaient être critiquées par la Réforme Grégorienne- du reste largement
inspirée par les clunisiens- parce que sa conception de la pauvreté était personnelle et non
collective ». Les richesses du monastère ne sauraient empêcher la pauvreté du moine, le
dépouillement et l’ascétisme de sa vie428. L’image peut ainsi trouver sa place et sa justification
dans l’édifice. Les idées réformatrices contribuent à modifier considérablement la perception
et l’agencement des espaces ecclésiaux en canalisant et contrôlant mieux les foules,
notamment par ses références à l’Église des temps apostoliques.
Les fidèles n’occupent qu’une place réduite à l’époque carolingienne. La réforme
grégorienne va tenter de « rendre à l’église sa véritable signification pastorale » et de mieux
« intégrer le bouleversement démographique » en réintégrant le laïc dans l’édifice religieux 429.
Les grégoriens accordent une attention certaine à la sanctification du peuple. En réformant le
clergé, ils permettent de fait le salut des fidèles, passant par le respect des sacrements.
Or, la réforme grégorienne conduit par bien d’autres aspects à une dépréciation
certaine du laïcat. Les fidèles eux-mêmes ne voient le salut qu’à travers une étroite association
avec les religieux, par l’intermédiaire de dons, ou en plaçant les cadets au sein de monastères.
Certains laïcs tentent d’assurer leur salut en revêtant l’habit monastique à l’aube de la mort.
D’autres se tournent vers l’érémitisme, ou deviennent convers. En effet, souvent illettrés et
trop pauvres pour devenir moines de chœur, certains laïcs trouvent néanmoins une place en
tant que convers dans les monastères cisterciens. Le pèlerinage trouve également toute son
utilité pour ceux désireux d’assurer leur salut430.
427
B. M. KIENZLE, op. cit., p. 212.
J. WIRTH, L’image à l’époque romane, Paris, Ed. Cerf, 1999, p. 264.
429
A. ERLANDE-BRANDENBURG, « L’église grégorienne », Hortus Artium Medievaliu, vol. 5, Zagreb,
Croatie, 1999, p. 147-166.
430
A. VAUCHEZ, op. cit., p. 48.
428
- 144 -
La réforme exprime une volonté forte d’une meilleure prise en compte des laïcs par un
meilleur accueil. La nef est libérée, les autels déplacés vers l’est, d’où l’adoption progressive
des déambulatoires à chapelles rayonnantes. On assiste ainsi à un abandon de
« l’occidentation » et de la double abside (orientale et occidentale) fréquente dans un cadre
carolingien.
L’image trouve de fait sa place dans l’édifice et va probablement s’immiscer plus
franchement dans l’église, se faire peut-être moins discrète par l’acceptation de sa forme
tridimensionnelle directement intégrée à l’architecture. Celle-ci suit également le mouvement
de complexification du chevet : églises inférieures et supérieures dotées de déambulatoires et,
parfois, de chapelles rayonnantes ; aménagement de vastes nefs partagées. Désormais, la
figure sculptée, aidée des peintures et des mosaïques de pavement, « encadre ou souligne les
autels, les lieux de séparation, de la parole, de réunion, ceux de la procession, voire ceux de
l’inhumation. »431
Cette réforme va ainsi bouleverser certains usages liturgiques et les rapports à l’image.
Pour Hélène TOUBERT, la réforme grégorienne se traduit dans l’art de cette fin du XIème
siècle par une volonté de recréer les volumes architecturaux et le décor des églises du passé
paléochrétien. La reprise de programmes et de schémas anciens se fait systématique. Les
motifs ornementaux antiques et paléochrétiens sont à l’honneur432. Dans ce contexte, l’image
paraît largement revalorisée et tient un rôle dans l’instruction des fidèles et la structuration des
espaces. Dans un cadre monastique, l’intrusion de la société civile dans les monastères est
facilitée par les liens familiaux unissant clercs et laïcs, ainsi que par les donations multiples
des seigneurs. Les abbayes bénédictines souvent à proximité, voire dans les villes, sont moins
stricts que les cisterciens avec la clôture monastique et accueillent fréquemment les laïcs.
Ainsi, à Saint-Savin-sur-Gartempe, dans la seconde moitié du XIIème siècle, les trois
premières travées de la nef sont réservées aux fidèles433.
Les cisterciens se montrent quant à eux beaucoup plus « intraitables » quant à
l’imperméabilité de la clôture. Ils ne se préoccupent pas de la place du laïc dans l’édifice de
culte et peuvent ainsi revenir à un système carolingien d’organisation de l’espace, comme en
431
B. PHALIP, « Les cadres géographiques et chronologiques de l’étude », dans Espaces figurés médiévaux.
L’espace ecclésial, les aménagements liturgiques et la question iconographique, Morphogenèse de l’espace
ecclésial (dir. A. Baud), UMR 5138, Maison de l’Orient, université Lyon II. Actes du colloque de Nantua de
novembre 2007 en cours de publication dans les publications de la Maison de l’Orient ; texte complet en cours
de publication sous la direction de Anne Baud.
432
H. TOUBERT, Un art dirigé. Réforme Grégorienne et iconographie, Paris, Cerf, 1990, p. 7-13.
433
A. ERLANDE-BRANDENBURG, « L’église grégorienne »…, op. cit., p. 147-166.
- 145 -
témoignent la multiplication des autels et l’apparition de chapelles occidentées greffées sur les
bras de transept (Dalon)434. Cîteaux ne se targue ainsi pas d’innover, mais s’ancre bien au
contraire dans une tradition monastique ancienne, carolingienne. Nous pouvons ainsi d’ores et
déjà nous interroger sur la place réelle des mouvements à caractère érémitique dans cette
réforme, connaissant les fréquentes réticences à l’image tridimensionnelle, particulièrement
sensibles chez les cisterciens. Si Cluny et les monastères urbains et périurbains – relais
indéniables des idées réformatrices - paraissent pleinement aller dans le sens de la réforme et
recourir abondamment à l’image, la situation est beaucoup moins claire chez les moines
blancs ou grandmontains, ordres ruraux n’ayant en effet pas pour vocation première l’accueil
de fidèles et donc leur instruction. Les cisterciens, de même que certains seigneurs et nobles
lettrés, se montrent ainsi relativement méfiants vis-à-vis de l’image435.
La place des mouvements érémitiques tels Cîteaux, Grandmont ou la Chartreuse
semble difficile à cerner dans un cadre grégorien. Le renouveau des vocations érémitiques à la
fin du XIème siècle, déjà évoqué à travers les figures emblématiques d’Étienne d’Obazine ou
de Géraud de Sales, est en effet étroitement lié à la réforme grégorienne et au retour à la
pauvreté apostolique, sans toutefois en accepter toutes les avancées et préceptes nouveaux,
comme la revalorisation de l’image notamment ou l’attention portée à l’instruction des
fidèles. Il existe en effet un paradoxe entre leur volonté ferme de vivre à l’écart du siècle, leur
refus de certains aspects de la condition humaine et entre leur souci d’agir sur la société en se
plaçant régulièrement comme arbitres de certains conflits politiques (Bernard de Clairvaux
notamment). De même, les ermites participent à l’établissement des routes, à des
défrichements, assistent les voyageurs et contribuent à évangéliser les populations rurales 436. Il
existe une tension inévitable entre amour de Dieu et service du prochain, entre action et
contemplation, salut collectif et salut personnel, au cœur des préoccupations grégoriennes.
C’est la prédication qui permet de relier ces deux idéaux437.
Nous pouvons en effet légitimement nous demander si les ermites, puis les nouveaux
ordres monastiques à vocation érémitique comme les cisterciens accompagnent réellement la
réforme grégorienne. Quel est leur rôle exact ? Isolés du monde, quel est leur poids dans
l’évangélisation des fidèles ? Si la réforme tente de se tenir à l’écart des laïcs, de prendre leur
indépendance vis-à-vis des seigneurs, les cisterciens ne sont-ils pas au contraire trop liés au
434
A. ERLANDE-BRANDENBURG, « L’église grégorienne »…, op. cit., p. 147-166.
B. PHALIP, op. cit.
436
A. VAUCHEZ, op. cit., p. 47.
437
J-H. FOULON, op. cit., p. 498.
435
- 146 -
monde aristocratique, notamment au XIIIème siècle ? Ils en acceptent les donations,
accueillent les cadets de famille et deviennent peu à peu des nécropoles funéraires pour les
fondateurs. De plus, si la réforme grégorienne semble avoir besoin des images, les nouveaux
ordres à vocation érémitique comme Grandmont et Cîteaux tendent toutefois à l’aniconisme.
En effet, l’image controversée à l’époque carolingienne est reconnue comme un moyen
essentiel de pédagogie auprès des fidèles par les évêques réformateurs. À la fin du XIème
siècle, la reconnaissance du statut de l’image permet une véritable invasion de l’édifice de
culte, notamment sur les portails d’entrée des cathédrales accueillant les fidèles 438. La place
réelle de ces ordres dans la réforme nous semble ainsi à réévaluer.
Réception de la réforme grégorienne en Aquitaine :
Une volonté de retourner à l’Église Primitive telle qu’exprimée dans les Actes des
Apôtres (2, 44-45 ; 4-32) naît avec ferveur chez grands nombres de prédicateurs et ermites et
prend le nom de vita apostolica439. Cette réforme ne pénètre toutefois pas de la même manière
et au même moment suivant les diocèses. Les évêques jouent en effet un rôle indéniable dans
l’acceptation et la diffusion de la réforme grégorienne et de ses idées.
Le diocèse de Besançon par exemple est bien documenté grâce aux études de René
LOCATELLI et permet de mettre en lumière certains clivages et différences avec les diocèses
aquitains particulièrement intéressants pour cette étude. En effet, le monachisme bénédictin et
surtout clunisien est en plein essor dans le diocèse de Besançon au XIème siècle et cette
vitalité freine quelque peu les initiatives érémitiques. René LOCATELLI constate le peu de
réussite de l’érémitisme dans ce diocèse tandis que s’expriment les influences de SaintClaude, Romainmôtier et Luxeuil dès l’an Mil. La règle augustinienne ne pénètre que
tardivement. Les quelques mouvements d’inspiration érémitique ne s’installent pas réellement
au désert et privilégient des lieux habités, des lambeaux de forêts qui forment la lisière des
villages. Les communautés sont ainsi concentrées dans la vallée de la Saône440.
La réforme grégorienne semble triompher tardivement dans l’ouest de la France et
témoigne de trente années de décalage environ entre l’espace ligérien et l’Italie. Elle pénètre
en Aquitaine dans les années 1100 et est ainsi concomitante de la fondation de Fontevrault
438
A. ERLANDE-BRANDENBOURG, « Architecture religieuse et fidèles », dans L’architecture religieuse
médiévale. Art roman et art gothique. Une nouvelle vision, Dossiers d’Archéologie n°319, janvier-février 2007,
p. 24-35.
439
« Tous les croyants ensemble mettaient en commun ; ils vendaient leurs propriétés et leurs biens et en
partageaient le prix entre tous selon les besoins de chacun ».
440
R. LOCATELLI, Sur les chemins de la perfection. Moines et chanoines dans le diocèse de Besançon vers
1060-1220, CERCOR, Université de Saint-Étienne, 1992, p. 162.
- 147 -
notamment, née de l’expérience érémitique de Robert d’ARBRISSEL. L’Ouest de la France
se caractérise au XIème siècle par un monachisme largement inséré dans l’orbite comtale, très
puissant, fermement ancré dans une tradition carolingienne (Marmoutier). Les clunisiens sont
quasi absents, de même que les congrégations de chanoines réguliers 441. En effet, il semble
que les moines de Marmoutier aient longtemps fait écran à l’influence clunisienne, ainsi que
les communautés de Saint-Aubin et Saint-Nicolas d’Angers, la Trinité de Vendôme et
Bourgueil. La conception monastique en Aquitaine reste traditionnelle, carolingienne. Ainsi,
les idées réformatrices s’adaptent lentement et non sans difficultés en Aquitaine, du fait de
l’absence d’un monachisme exempt, de l’inexistence d’institutions de paix et de la puissance
d’écoles cathédrales conservatrices des pensées carolingiennes, dans la lignée de Grégoire le
Grand.
Le diocèse d’Anjou est relativement bien connu par les études de Jean-Marc
BIENVENU qui analyse les liens entre réforme et mouvements érémitiques. L’historien
explique qu’au XIème siècle, l’épiscopat angevin est largement promu grâce à des procédés
simoniaques. De nombreuses églises rurales et collégiales sont entre des mains laïques. Le
XIème siècle est néanmoins marqué par le renouveau des pèlerinages et du culte des saints.
Vers 1090, des prédicateurs itinérants sont à l’origine d’une flambée évangélique en Anjou.
Des apôtres de la pauvreté volontaire comme Robert d’ARBRISSEL et ses émules prêchent le
retour de la Vita Apostolica. La réforme pénètre grâce aux prélats tels Renaud (1100-1124) et
Ulger (1125-1148). Ceux-ci se montrent sympathiques vis-à-vis des nouvelles formes de vie
religieuse. Les restitutions d’églises et de biens ecclésiastiques se font par leur
intermédiaire442.
Cette réforme s’accompagne en effet d’un renouvellement du corps épiscopal, d’une
volonté de rapprochement entre Rome et les églises locales, d’une extension des privilèges
d’exemption ainsi que d’une dénonciation vigoureuse des liens féodaux. Un changement net
s’opère dans le recrutement ecclésiastique aquitain. Il est fait appel à des hommes de plus
humble origine, issus de la petite et moyenne aristocratie. Il s’agit d’hommes nouveaux, à
l’écart des lignages baroniaux qui monopolisaient auparavant les charges épiscopales.
Hildebrand, futur Grégoire VII (1073-1085), demeure le véritable acteur d’une politique
d’intervention romaine dans l’ouest ligérien. Il tente de s’appuyer sur les seigneurs pour
soutenir le mouvement réformateur. Guillaume VIII, duc d’Aquitaine (1058-1086), est l’un
des rares feudataires sur qui il puisse compter au début de son pontificat. Le duc est de plus un
441
J-H. FOULON, op. cit., p. 11.
J-M. BIENVENU, « Les caractères originaux de la Réforme Grégorienne dans le diocèse d’Angers », BPH,
1968, vol. II, p. 545-560.
442
- 148 -
partisan résolu de l’expansion clunisienne. Il entreprend ainsi la réforme des monastères
aquitains443.
La réforme en Aquitaine est préparée par de nombreux conciles qui tiennent lieu à
Bordeaux en 1068, 1070 et 1080 ; à Poitiers en 1074, 1075 et 1078 et à Saintes en 1075, 1081
et 1083. En 1088, Eudes de Châtillon accède au siège papal et prend le nom d’Urbain II. C’est
un ancien moine clunisien, acteur essentiel de la réforme grégorienne. La plupart des prélats
ligériens assistent au concile de Clermont qu’il organise en 1095. Urbain II demande à cette
occasion à Robert d’ARBRISSEL de prêcher et lui donne une licence de prédication
apostolique qui légitime sa vie érémitique et l’engage dans la lutte réformatrice. Réforme
grégorienne et érémitisme sont ainsi très imbriqués. Les ermites peuvent être perçus par les
évêques comme le fer de lance de certaines idées réformatrices comme la pauvreté et le retour
à une vie apostolique, et pourraient ainsi concourir à leur transmission au cœur des évêchés et
des campagnes. À partir de 1095 est engagée une vaste offensive contre les différentes formes
de fidélité qui liaient le personnel ecclésiastique aux pouvoirs temporels. Si Hildebrand a ainsi
aidé à promouvoir la réforme dans l’espace ligérien, elle se fait toutefois conjointement à une
réforme locale active spécialement par le biais de monastères comme Marmoutier444.
Nous pouvons affiner ces remarques grâce à une étude plus précise de la pénétration
de la réforme grégorienne dans le diocèse de Limoges intéressant directement notre sujet,
analyse permise à la faveur des travaux minutieux de Michel AUBRUN. L’historien nous
permet de suivre précisément les étapes du mouvement réformateur.
Dès 1031, un concile se tient à Limoges en présence d’Aimon de Bourbon, archevêque
de Bourges, d’Étienne du Puy, Rencon de Clermont, Raymond de Mende, Émile d’Albi et
Dieudonné de Cahors. Sont présents également des évêques de la province de Bordeaux :
Isembert de Poitiers, Arnaud de Périgueux, Rohon d’Angoulême. Jordan est alors évêque de
Limoges. L’ensemble territorial représenté est plus important qu’au concile de Bourges ayant
eu lieu quelques semaines auparavant. Ce concile prend ainsi l’aspect d’une grande réunion
aquitaine. Toutefois, il ne provoque pas réellement de donations d’églises. Celles-ci
apparaissent en effet en nombre plus tardivement, dans les années 1065-1068. Des conciles
réformateurs ont condamné les possessions laïques des biens d’églises, à Bourges et Limoges
en 1031, à Reims en 1049, à Toulouse en 1056. Le concile de 1031 à Limoges correspond à
443
E. MAGNOU, « L’introduction de la Réforme Grégorienne à Toulouse (fin XIème-début XIIème siècles) »,
Cahiers de l’Association Marc Bloch de Toulouse. Etudes d’Histoire Méridionale, n°3, Toulouse, 1958, p. 2.
444
J-H. FOULON, « Les relations entre la Papauté réformatrice et les pays de la Loire jusqu’à la fondation de
Fontevraud », dans J. DALARUN (dir.), Robert d’Arbrissel et la vie religieuse dans l’Ouest de la France, Actes
du colloque de Fontevraud, 2001, Brépols, Belgique, 2004, p. 25-56.
- 149 -
une entrée du Limousin et du clergé aquitain dans la zone d’influence capétienne. Elle se
réalise grâce à l’action incessante des archevêques de Bourges qui usent de leur droit de
métropolitain sur des diocèses qui échappent politiquement au souverain. On profite ainsi des
conciles pour prier pour le roi et favoriser son prestige445.
En 1050, l’évêque Jordan fait ratifier par le duc d’Aquitaine une convention qui enlève
à ce dernier le droit de nommer seul les évêques sur le siège de Limoges. C’est le terme de la
tutelle des puissances laïques sur l’Église et l’expression ferme d’une tendance à la
cléricalisation (à savoir rendre la direction de l’Église à ses seuls clercs).
En 1062, les moines de Cluny s’installent à l’abbaye Saint-Martial de Limoges. Ils
sont ainsi à pied d’œuvre en Limousin pour que triomphent partout les réformes romaines.
Michel AUBRUN insiste sur le fait que le milieu du XIème siècle marque la fin d’une période
de l’histoire ecclésiastique pendant laquelle le rôle principal est tenu par l’évêque. Une
orientation nouvelle apparaît vers un impérialisme romain et une omniprésence monastique446.
L’Église limousine est entre les mains des moines et des pontifes romains. Les abbayes
rivalisent entre elles et leurs réalisations architecturales témoignent de leur « hardiesse et
opulence ».
La vague de restitutions des années 1068-1075 s’explique par la campagne menée par
ces abbayes les plus prospères précédant les textes pontificaux. Elles prennent un nouvel et
remarquable essor suite au voyage d’Urbain II en Limousin dans les années 1095-1096. Ce
transfert de propriétés se poursuit dans le diocèse de Limoges jusqu’en 1120. La venue
d’Urbain II peut aussi expliquer la participation de certaines familles du diocèse de Limoges
aux Croisades. Ainsi, Jonathan RILEY-SMITH donne l’exemple des Bernard de Bré qui
envoient trois hommes à la Première Croisade, quatre pour la Seconde, témoignant de leur
forte implication447.
Toutefois, ces apparentes générosités laïques ne sont bien souvent que des ventes
déguisées en vue de pourvoir aux frais du voyage en Terre Sainte 448. La plupart des églises
offertes aux moines sont des propriétés privées, des chapelles de domaines. Il ne s’agit pas dès
lors de véritables usurpations car elles n’ont jamais appartenu à l’Église.
À la fin du XIème siècle, une flambée d’évangélisme tente de remettre en cause cette
société profondément ecclésiastique. Les chanoines en particulier s’installent dans la rigueur
et la règle. Ainsi, la collégiale de Lesterps fondée en 1040 adopte la vie canoniale selon la
445
M. AUBRUN, op. cit, p. 208.
M. AUBRUN, op. cit., p. 410.
447
J. RILEY-SMITH, « Family Traditions and Participation in the Second Crusade », dans M. GERVERS (dir.),
op. cit., p. 101-108
448
M. AUBRUN, op. cit, p. 186.
446
- 150 -
règle de saint Augustin dès 1076-80. Nous pouvons citer également les chapitres influents de
Bénévent, d’Aureil, de l’Artige et du Chalard449. Des chanoines sont attestés à Brive dès la fin
du XIème siècle. Suite à la réforme grégorienne et aux pressions des évêques de Limoges,
Brive est réformé dans les années 1100 et adopte la Règle de Saint-Augustin. C’est dans ce
contexte que vont naître les premières expériences érémitiques limousines motivées par une
volonté de retrait au désert. Celles-ci contribuent à la diffusion des messages grégoriens
jusqu’aux franges les plus marginales de la société et touchent ainsi le peuple des campagnes.
•
Le
désert.
Définitions,
origines,
conceptions.
Des
difficultés
d’approche.
L’idée de retrait au désert est exprimée dès les premiers temps du Christianisme,
notamment à plusieurs reprises dans la Vulgate. Dans le Cantique de Moïse (Deutéronome
32-10), il est dit : « in locus horroris et vastae solitudinis »450. Au moment de la Chute de
Babylone (Isaïe 21-1), il est précisé :« de deserto venit, de terra horribili »451.
Ces deux extraits résument bien les caractéristiques attribuées au désert : un espace
lugubre et dangereux, bien peu accueillant mais qui attire pourtant nombre de pénitents452. À
la fin du XIème siècle, de nombreux ermites se retirent dans des solitudes boisées à l’image
des Pères du Désert. Ils sont majoritairement issus de milieux modestes, ont parfois suivi des
études dans des écoles cathédrales renommées. D’après saint Benoît, l’érémitisme est un
« idéal primitif, essentiel au monachisme chrétien », un modèle de vie héroïque par
excellence453.
Il décrit ainsi les ermites :
« Ils ont appris à combattre de diable, instruits qu’ils sont
désormais grâce à l’aide de plusieurs, et bien armés dans
les lignes de leurs frères pour le combat singulier du
désert, ils sont désormais capables de combattre avec
assurance les vices de la chair et des pensées, sans le
449
M. AUBRUN, op. cit, p. 411.
« Au pays du désert, il le trouve, dans la solitude lugubre de la steppe ».
451
« Il vient du désert, d’un pays redoutable ».
452
C. H. BERMAN, The Cistercian evolution. The Invention of a religious order in the Twelfth Century Europe,
Philadelphia, 2000, p. 6.
453
J-H. FOULON, La réforme de l’Église dans la France de l’Ouest de la fin du XIème siècle au milieu du
XIIème siècle. Ecclésiologie et mentalités réformatrices, thèse, Paris I Sorbonne, dir. P. TOUBERT, 1998, p.
549.
450
- 151 -
secours d’autrui, par leur seule main et leur seul bras,
avec l’aide de Dieu. »454
Se retirer du siècle leur permet de mieux entendre la parole de Dieu. Ceci est
parfaitement exprimé par Michel ROUCHE : « Cette obsession de l’eremus, du véritable
désert humain n’est pas un cliché littéraire ou un mépris du prochain, mais le seul et unique
moyen de rencontrer Dieu »455, en vivant dans la pauvreté à l’exemple du Christ.
Il s’agit d’un désir intransigeant de l’âme de quitter tout commerce humain et d’aspirer
à un état proche de la vie des anges456. Solitude et silence sont dès lors essentiels, d’où leur
rejet d’un cénobitisme clunisien en pleine opulence qui ne peut répondre à leurs attentes
d’ascétisme, de rigueur, de pauvreté extrême et d’isolement.
Cette aspiration à une vie solitaire revêt plusieurs significations. Elle s’inscrit comme
une quête de la Terre Promise, le désert évoquant la vie angélique menée dans les solitudes
par le peuple élu. Selon ORIGÈNE, ce retrait du monde est une tentative de purification du
corps et de l’âme pour se libérer de ses erreurs et conquérir la Terre Promise457. Le moine
s’identifie dès lors à Moïse. Son désir d’autarcie et d’ascèse est motivé par l’aspiration à être
instruit de la loi divine, tel le Prophète sur le mont Sinaï. Le moine épouse alors la conduite
suggérée à chaque chrétien par TERTULLIEN458 et les auteurs anciens : suivre Moïse et
parvenir à la Terre Promise par l’Exode.
Cet Exode peut être compris comme une sorte de préparation au baptême, une seconde
naissance pour le chrétien qui choisit l’isolement pour mieux recevoir la parole de Dieu. La
retraite et le recueillement apparaissent nécessaires pour qui veut se rapprocher du seigneur.
Le moine se doit dès lors de renoncer aux plaisirs terrestres. Le désert correspondrait à
l’état du chrétien suite à son baptême, purifié et libéré des contraintes de la vie séculière.
C’est une anticipation de la vie à proximité immédiate de Dieu. Il cherche ainsi peut-être à se
rapprocher des souffrances subies par le Christ. En effet, d’après Damien BOQUET,
« derrière l’isolement érémitique semble poindre la réalité d’un corps vivant, doué d’une
454
La Règle de Saint Benoît, trad. A. DE VOGÜE, J. NEUFVILLE, Sources Chrétiennes, Cerf, Paris, 1972, tome
I, chap 1- 4, 5.
455
M. ROUCHE, « Saint Anthelme et la spiritualité érémitique de l’action », dans Saint Anthelme, chartreux et
évêque de Belley », Le Bugey, n° spécial, 1979, p. 327.
456
L. VEYSSIÈRE, « Représentations du désert cistercien primitif », dans M. AURELL, T. DESWARTE (dir.),
Famille, violence et christianisation au Moyen-Âge. Mélanges offerts à Michel Rouche, PUPS, 2005, p. 239-250.
457
Origène est un père de l’Église Grecque du IIIème siècle après JC.
458
Tertullien est l’un des premiers écrivains chrétiens de langue latine (vers 155-222). Il est connu pour son
ascétisme et son rigorisme intransigeant.
- 152 -
puissance de restauration, qui devient l’objet de toutes les attentions – outil de pénitence, le
corps propre de l’ermite se transforme en offrande spirituelle, si proche dès lors du corps
souffrant de Jésus»459.
La définition même du « désert » est toutefois sujette à caution et mérite que l’on
s’interroge. Le sens du mot eremus bien présent dans les chartes de fondation notamment peut
être interprété de deux manières différentes : la solitude du lieu sauvage non habité ou bien la
solitude opposée à la vie communautaire (coenobitus). Concernant les abbayes cisterciennes,
la première définition semble la plus exacte étant donné l’impossibilité du maintien des
moines dans une vie anachorétique460. Selon Constance BRITTAIN BOUCHARD, le
desertum fréquemment utilisé dans les textes médiévaux ne correspond pas à une terre
sauvage mais à une aire sans population permanente. Il est appelé ainsi pour être distingué de
la « villa », non pour être distingué d’une terre cultivée. Un désert pourrait ainsi comprendre
des terres cultes et incultes461.
L’auteur remet ainsi en cause l’étude de Gabriel FOURNIER notamment sur la
distinction entre un ager cultivé et un saltus inculte mais néanmoins intégré à l’économie. Les
campagnes auvergnates de l’époque mérovingienne comprennent de grands domaines appelés
villae, gérées par des membres de l’aristocratie. Ces exploitations rurales disposent d’un ager,
à savoir des terres cultivables aux sols plus ou moins régulièrement labourés et ensemencés,
ceintes d’une auréole de friches nommée saltus, constitué de terres incultes. Il est formé de
bois, de forêts, de pacages et d’herbages le plus fréquemment dévolus à la chasse. Le noble
s’y exerce dès son adolescence, ce qui constitue également un entraînement à la guerre 462.
Selon l’historien, les paysages dévolus au saltus correspondent à des terres en friches
inexploitées mais tout de même utilisées. Les territoires « laissés en friche, en particulier les
marais, étaient alors étroitement incorporés dans l’économie rurale ». Les forêts pourvoient en
gibiers, en produits de cueillette, elles sont une ressource en bois d’œuvre et de chauffe très
prisée par les moines463.
459
D. BOQUET, L’ordre de l’affect au Moyen-Âge. Autour de l’anthropologie affective d’Aelred de Rievaulx,
CRAHM, Caen, 2005, p. 99.
460
G. PLAISANCE, « Les premiers cisterciens de Bourgogne ont-ils été des défricheurs ? », dans « Le premier
demi-siècle des cisterciens à Léoncel, 1137-1188 », Les Cahiers de Léoncel, Colloque d’août 1988, n°5, 1988, p.
30-39.
461
C. B. BOUCHARD, Holy Entrepreneurs. Cistercians, Knights, and economic exchange in Twelfth-Century
Burgundy, Cornell University Press, 1991, p. 102.
462
G. FOURNIER, op.cit, p. 208.
463
G. FOURNIER, Le peuplement rural en Basse-Auvergne durant le haut Moyen-Âge, Thèse, Paris, 1962, p.
123.
- 153 -
Roger DION insiste sur l’idée d’un territoire désert et sauvage en limites de pagi. Si
l’ager est propre à l’agriculture, le saltus est voué à la pâture du bétail464. Pour Michel
ROUCHE, cette distinction entre saltus et ager paraît être la clef du système de mise en
valeur de l’Aquitaine à l’époque mérovingienne. Elle est très présente dans l’hagiographie
comme les récits de Grégoire de TOURS. L’historien met en garde toutefois contre ces
« clichés hagiographiques stéréotypés » qui considèrent souvent le saltus comme une vaste
solitude inutilisée. Pour lui, le saltus « paraît constituer le paysage dominant de l’Aquitaine ».
Il comprend des espaces incultes, des bois aux ressources variées, des marécages et eaux
courantes. Il est soit intégré à l’ager d’un domaine, soit fait juridiquement partie du domaine
public. Il est un legs fondamental du droit public romain que les rois mérovingiens se
réapproprient, d’où une continuité entre saltus romain et forêt mérovingienne465. Ainsi, le
saltus joue un rôle considérable dans la production des richesses de l’Aquitaine (bois, mines,
pêche) tandis que l’ager assure la culture des vignes et des céréales.
À partir du XIème siècle, le saltus va être progressivement investi par des
groupuscules érémitiques animés par la vocation de se retirer au désert. Humanisé,
christianisé, le saltus va tendre à devenir ager tandis que les communautés vont évoluer de
l’érémitisme au cénobitisme. Mathieu ARNOUX écrit à ce propos que « l’histoire de la
spiritualité n’est pas autonome de l’histoire de l’occupation du sol (…). Il serait simpliste de
parler en général d’une quête de la solitude et de la vie sauvage, quand l’implantation ou la
réoccupation d’un ermitage est un moment essentiel d’humanisation des espaces, avant la
construction d’une communauté stable entourée d’un habitat ou, plus simplement encore,
avant la transformation d’un simple oratoire en église paroissiale »466.
Dans le même ordre d’idées, l’historien Michel AUBRUN précise : « il est à
remarquer, tout d’abord, qu’ils [les ermites] furent le plus souvent en raison de leur popularité
et malgré eux, au centre d’une aire de christianisation »467.
Il existe donc une tension certaine entre le désir de vivre au désert et l’inévitable
humanisation du site choisi par l’ermite.
•
Solitude et vie communautaire, une incompatibilité ?
464
R. DION, Essai sur la formation du paysage rural français, Paris, 1991 (3ème édition), p. 78-79.
M. ROUCHE, L’Aquitaine des Wisigoths aux Arabes (418-781), Lille, 1977, p. 180.
466
M. ARNOUX, « Dynamiques et réseaux de l’Église Régulière dans l’Ouest de la France (fin XIème-XIIème
siècles) », dans J. DALARUN (dir.), Robert d’Arbrissel et la vie religieuse dans l’Ouest de la France, Actes du
colloque de Fontevraud, 2001, Brépols, Belgique, 2004, p. 57-70.
467
M. AUBRUN, L’ancien diocèse de Limoges des origines au milieu du XIème siècle, Institut d’Études du
Massif Central, Clermont-Ferrand, 1970, p. 103.
465
- 154 -
L’érémitisme est une forme de vie religieuse relativement bien étudiée,
particulièrement concernant les débuts de l’institution en Orient ainsi que son épanouissement
en Occident aux XIème et XIIème siècles, en relation étroite avec la réforme grégorienne.
L’historiographie traditionnelle laisse souvent dans l’ombre la longue période intermédiaire,
comme le constate Michel AUBRUN dans son étude du diocèse de Limoges des origines au
milieu du XIème siècle. Concernant ce diocèse en particulier, il insiste sur l’importance
d’ermites tels Amand, Marien, Lupicin, Léonard, Vaury dans la christianisation des espaces,
ce dès avant le VIIIème siècle et l’époque carolingienne. Certains sont à l’origine de la
création de monastères comme saint Yrieix et saint Pardoux (Guéret)468.
La fin du XIème siècle est toutefois mieux documentée et nous permet d’appréhender
certaines personnalités fortes et influentes caractéristiques des mouvements érémitiques. Cette
période témoigne ainsi d’un essor certain d’ordres nouveaux, une dynamique de création de
communautés avant même la fondation du Novum Monasterium et la naissance de Cîteaux.
Ainsi la réforme grégorienne s’accompagne d’un renouveau certain de l’érémitisme, d’une
volonté de retourner au désert, de quitter le siècle à la manière des Pères du Désert. Le succès
de ces mouvements, initié par Robert d’Arbrissel, Étienne de Muret ou Géraud de Sales en
Aquitaine entraîne un nombre croissant de disciples qui oblige une évolution de ces ermitages
vers le cénobitisme. L’adoption d’une règle est nécessaire ainsi que la rédaction de coutumes
afin de mieux encadrer ces effectifs grandissants. Ce glissement vers une organisation
monastique, nécessaire à la survie des groupuscules érémitiques trahit-elle toutefois l’idéal
primitif de retrait au désert ? Les moines peuvent-ils vivre en communauté et avoir tout de
même le sentiment de solitude et d’isolement si nécessaire à l’écoute de la parole divine ?
Monos en grec signifie « seul ». Comment concilier le désir de solitude et la présence quasi
constante des autres frères ?
Dès 1084, Bruno tente d’apporter une réponse acceptable à cette apparente
contradiction. Il fonde l’ordre des Chartreux ayant pour vocation l’éloignement des affaires
séculières, le retrait de la communauté dans un territoire infranchissable pour toute personne
étrangère à la communauté, l’isolement de chaque moine dans sa cellule 469. Celui-ci veut faire
refleurir le désert selon l’acceptation paléochrétienne du mot, c’est-à-dire un lieu
inhospitalier, sis à l’écart de tout bourg. Le moine doit être séparé du siècle d’un point de vue
physique, juridique et religieux470. Les limites du désert constituent un espace sacré, un
poemerium que nous ne pouvons toutefois comparer avec les bornes posées par certaines
468
M. AUBRUN, op. cit, p. 105.
P. BAUD, A. GUINVARC’H, M-E. HENNEAU, T. N. KINDER, La vie cistercienne. Hier et aujourd’hui,
Cerf, Zodiaque, 1998, p. 49.
469
- 155 -
abbayes cisterciennes qui n’ont pas la même importance dans l’histoire du monastère,
dépourvues de la batterie de précisions et de confirmations [Fig. 27]. Pour Guigues II, prieur
de la Chartreuse dans la première moitié du XIIème siècle, le moine doit aller au delà de la
simple séparation du monde et des préoccupations séculières. Il doit cultiver une solitude
intérieure qui prime sur la solitude extérieure471. Ainsi, selon Bernard BLIGNY, « même au
cœur d’une ville, le désert intériorisé garde sa vertu, qui est d’être irréductible à ce qu’offre le
monde ». Désert et monde périurbain ne sont ainsi pas incompatibles472. Le désert est l’espace
de la révélation divine. Ainsi, chez les chartreux, « qui n’est pas solitaire ne peut être
silencieux ; qui ne fait pas le silence ne peut entendre celui qui parle»473. Guigues Ier explique
que
« (…) presque tous les secrets les plus sublimes et les plus
profonds ont été révélés aux serviteurs de Dieu, non point
dans le tumulte des foules, mais quand ils se trouvaient
seuls »474.
Silence et solitude intérieure sont nécessaires pour bénéficier des paroles de Dieu et
permettent la sensation de vivre au « désert » malgré la présence de la communauté
monastique. Le désert revêt également une signification christologique, flagrante dans la
patristique latine. L’isolement volontaire peut sembler comme une imitation du Christ en son
jeûne de quarante jours, en ses moments de solitude priante, ou encore en l’abandon qu’il dût
endurer lors de la Passion. Cette assimilation du moine au Christ est un des fondements de
l’ordre chartreux puisque le Christ y est le modèle de la vie solitaire cachée475.
L’Aquitaine se révèle particulièrement réceptive aux initiatives érémitiques et reste un
lieu d’installation privilégié pour des groupuscules érémitiques soutenus et encouragés par un
épiscopat soucieux de la propagation de la réforme.
En Anjou un front pionnier entame certaines forêts-frontières dès le Xème siècle.
Néanmoins, si les ermites sont bien présents, il n’y a toutefois aucune réforme canoniale
significative. Celle-ci ne s’est réalisée en Anjou qu’à la fin du XIème siècle dans le
470
B. BLIGNY, « Saint Bruno et la naissance des Chartreuses », dans le Colloque International d’Histoire et de
spiritualité cartusiennes, La naissance des chartreuses, Cahiers de l’Alpe, Grenoble, 1986, p. 7-14.
471
GUIGUES II Le Chartreux, Lettres sur la vie contemplative (l’Échelle des Moines). Douze Méditations, trad.
Dom Maurice LAPORTE, Paris, Cerf, 2001, p. 56.
472
B. BLIGNY, Les Chartreux : le désert et le monde (1084-1984), Grenoble, 1984, p. 11.
473
GUIGUES II Le Chartreux, Lettres sur la vie contemplative, (…), op. cit, méditation I, 25-49.
474
GUIGUES Ier Le Chartreux, Coutumes de Chartreuse, Paris, Cerf, 2001, 80, 2-5, p. 289.
475
GUIGUES II Le Chartreux, Lettres sur la vie contemplative (…), op. cit, p. 54.
- 156 -
mouvement de réforme grégorienne476. Cette période permet aux monastères angevins de
devenir progressivement indépendants du pouvoir laïc tout en demeurant respectueux des
privilèges épiscopaux et soucieux d’assurer l’encadrement paroissial477. Le succès du
mouvement érémitique est concomitant. Il est mis en exergue par Jacques MALLET
notamment. L’historien de l’art insiste sur l’importance des fondations de la Roë, Fontevrault
et Nyoiseau, relayées par Savigny et les cisterciens au XIIème siècle. Les prêcheurs itinérants
à l’origine de ces créations choisissent des sites de déserts forestiers et optent pour des
constructions sobres reprenant le plus souvent la formule de la nef unique478. Ainsi, la
fondation de la Roë coïncide avec la mise en valeur de la forêt de Craon. Les moines de SaintAubin d’Angers fondent le prieuré de Chillon. Au nord-est, le chapitre de Saint-Laud
d’Angers érige une chapelle dans la forêt de Chambiers. Les paroisses de Saint Barthélémy et
de Saint Sylvain sont fondées dans les bois de Verrières. Les initiatives érémitiques ponctuent
ce XIème siècle en parallèle à la réforme grégorienne. Au XIIème siècle, il subsiste encore
d’abondantes formations forestières pour la cueillette, la chasse, la glandée et le bois de
chauffe. Quant à l’ermitage de Pontron (com. Le Loroux-Béconnais, Maine-et-Loire), il
deviendra cistercien au XIIème siècle. En effet, après 1150, ces groupes d’ermites sont
progressivement absorbés par des établissements religieux plus puissants, généralement liés
au mouvement canonial479.
L’expérience érémitique puis cénobitique de Robert d’Arbrissel et son rayonnement en
Anjou mérite que nous nous attardions plus longuement sur sa fondation principale,
Fontevrault. Celui-ci commence à prêcher en Aquitaine dès 1095 avec l’aval du pape Urbain
II. Il fonde le monastère de Fontevrault en 1101. C’est sous la pression des évêques qu’il
établit sa communauté mixte « dans un lieu inculte et âpre, plein d’épines et de buissons ».
Les forêts-frontières sont choisies aux limites des provinces pour tenir lieu de désert à
la communauté. Robert exprime toutefois sa préférence pour la solitude et ne supporte le
poids de l’ordre que par charité. La tradition du lieu désert et inhospitalier est transmise par
l’historiographie actuelle. Il s’agit ici d’un choix stratégique : l’abbaye est située à l’extrême
sud du comté d’Anjou afin d’éviter la tutelle du duc d’Aquitaine, à l’extrémité nord du
diocèse de Poitiers pour bénéficier du support de l’évêque, entre les trois places fortes de
476
J. AVRIL, Le gouvernement des évêques et la vie religieuse dans le diocèse d’Angers (1148-1240), thèse, vol.
1, Paris, Cerf, 1984, p. 132.
477
J. AVRIL, op. cit, p. 123.
478
J. MALLET, L’Art roman de l’Ancien Anjou, Paris, Picard, 1984, p. 109.
479
J. AVRIL, op. cit, p. 269.
- 157 -
Saumur, Chinon et Loudun480. La recherche d’un désert pour y asseoir une communauté
monastique dépend non seulement des qualités topographiques et géographiques du site
(absence de populations trop proches, présence de l’eau et de forêts) mais aussi de sa situation
géopolitique. Ermitages et monastères choisissent ainsi bien souvent les frontières
diocésaines, paroissiales et seigneuriales, terres relativement libres de prétention séculière qui
leur assureront une quiétude relative tout au moins durant les premiers temps de l’installation.
Pour Jacques DALARUN, « chaque nouvelle fondation ressuscite pour un temps l’Église
primitive », l’illusion des temps apostoliques, des fronts pionniers481.
Le diocèse de Limoges est particulièrement propice aux expériences érémitiques
comme nous avons eu l’occasion de le constater précédemment dans notre étude des
fondations d’Étienne d’Obazine et de Géraud de Sales. En 1120, Étienne, jeune prêtre
limousin fait le choix de la vie érémitique. Étienne de Mercoeur, abbé de la Chaise-Dieu, lui
conseille : « Rejette les soucis du monde pour t’engager d’un pas joyeux sur les traces du
Christ ». Étienne s’installe dans la forêt d’Obazine où il sera bientôt à l’origine du monastère
cistercien482.
De même, la Règle de Grandmont rédigée vers 1124 pour cet autre ordre érémitique né
en Limousin sous l’égide d’Étienne de Muret (1044-1125) exprime une spiritualité très
similaire. Ce dernier avait pour volonté d’arracher les hommes au Diable, et donc au siècle.
Les Grandmontains possèdent autour de leurs ermitages des bornes hors desquelles ils
s’interdisaient toute possession483. Ordres cistercien et grandmontain se ressemblent sur de
nombreux points et en particulier pour cette volonté de se retirer dans des déserts. Étienne
recherche un désert au sens patristique, à savoir une solitude dans laquelle on pénètre pour ne
pas la quitter. Les ermites « fuient le siècle, demeurant dans le repos des celles, s’exerçant au
silence et à l’oraison ». Le site de la solitude est toujours nommé nemus. Il ne s’agit pas d’une
forêt dense (sylva) mais d’un lieu boisé mêlé de pâturages où l’on peut cultiver la terre 484. Le
480
D. PRIGENT, « Fontevraud au début du XIIème siècle : les premiers temps d’une communauté
monastique », dans J. DALARUN (dir.), Robert d’Arbrissel et la vie religieuse dans l’Ouest de la France, Actes
du colloque de Fontevraud, 2001, Brépols, Belgique, 2004, p. 255-279.
481
J. DALARUN, L’impossible sainteté. La vie retrouvée de Robert d’Arbrissel (1045-1116), fondateur de
Fontevraud, Paris, Cerf, 1985, p. 197 ; E. BOURNAZEL, « Étienne et Robert. La tentation des femmes » dans J.
HOAREAU-DODINEAU, P. TEXIER (dir.), Anthropologies juridiques. Mélanges Pierre Braun, PULIM,
Limoges, 1998, p. 55-65.
482
M. AUBRUN, Vie de Saint Étienne d’Obazine, Institut d’Études du Massif Central, Clermont-Ferrand, 1970,
p. 49.
483
S. EXCOFFON, Recherches sur le temporel des Chartreuses Dauphinoises, XIIème-XVème siècle, thèse de
Doctorat d’Histoire, vol I., Grenoble, 1997, p. 109-113.
484
J. FOUQUET, Frère PHILIPPE-ETIENNE, Histoire de l’Ordre de Grandmont, CLD, Chambray-lès-Tours,
1986, p. 8.
- 158 -
chapitre XLVI de la Règle énonce que « ceux qui suivent le Christ cherchent la solitude des
bois et l’absence des hommes ». Le chapitre XXX précise que « plus cette terre sera
mauvaise, plus Dieu manifestera là son attention ». Les grandmontains s’orientent ainsi
également vers des terres « incultes » comme les moines blancs. Ils choisissent des zones
boisées mais jamais trop éloignées des itinéraires et des terres ayant quelques potentialités
agricoles485.
Le diocèse de Limoges connaît encore bien d’autres initiatives à vocation érémitique.
La communauté de l’Artige est installée sur une zone de confins à l’extrémité est de la
paroisse de Saint-Léonard-de-Noblat, au cœur d’une vaste forêt. Le cartulaire conservé
permet de constater que les premières donations concernent des zones de déserts, des forêts et
espaces de saltus. Cette communauté canoniale régulière se démarque du radicalisme de
Grandmont en acceptant le revenu des dîmes, une clôture moins stricte des clercs. Toutefois,
les chanoines persistent dans le refus de l’action pastorale ou de la possession d’églises486.
À vingt-deux ans, Gaucher se retire à Aureil où il accueille à la fois hommes et
femmes à la manière de Robert d’Arbrissel et d’Étienne d’Obazine. L’évêque de Limoges lui
accorde un lieu pour édifier un monastère de chanoines réguliers.
« Dans ce bois, une fois trouvé au milieu des arbres un
lieu à son gré, ayant appris que la forêt était à Saint
Étienne, il alla trouver les chanoines du siège de Limoges
pour demander que son désir pût se réaliser »487.
Si les mouvements érémitiques apparaissent à la fin du XIème siècle en réponse à la
réforme grégorienne, il paraît délicat de les considérer comme des « accompagnateurs » de
cette réforme, dans la mesure où ils se retirent du siècle et refusent le plus souvent l’accueil
des fidèles. Certes, ils sont animés d’une réelle volonté de retrait au désert, d’isolement et de
retrait du monde. Ils souhaitent rétablir la Règle de Saint Benoît dans toute sa pureté, rejettent
les dîmes et recherchent une pauvreté volontaire, s’inscrivant en cela bel et bien comme des
vicaires de cette réforme religieuse.
485
Extrait cité par I. AUBRÉE, « L’ordre de Grandmont en Bas-Limousin », ouvrage collectif, Les ordres
religieux au Moyen-Âge en Limousin, Les Monédières, Brive, 2003, p. 307-334 selon une traduction de R. P.
BERNIER.
486
J. DENIS, Prieuré de l’Artige. Rapport d’étude historique et archéologique préalable à la restauration, SRA
Limousin, 2003, vol. 1, p. 19.
487
Dom J. BECQUET, « Vie de Saint Gaucher d’Aureil », Revue Mabillon, T 54, 1964, p. 43-55.
- 159 -
Néanmoins, et le cas des moines cisterciens est en cela exemplaire, leur rôle dans
l’éducation des fidèles, un des axes majeurs de cette réforme, est très minime. Ils refusent
l’image d’une manière générale et leurs productions artistiques n’ont pas pour but
l’évangélisation des foules. De plus, leurs liens avec la noblesse, volontaires ou imposés, sont
bien éloignés de la volonté grégorienne de se détacher de toute influence laïque. Les rapports
entre les cisterciens et le siècle seront évoqués en détail par la suite mais il semble qu’ils
échouent en partie dans leur souhait de quitter le monde laïc et ses préoccupations488.
Ainsi, moines blancs, grandmontains et autres ordres à vocation érémitique pourraient
être interprétés comme un mouvement parallèle à la réforme grégorienne et non en parfaite
adéquation avec elle.
488
I. D. 4.
- 160 -
2. Le désert dans la théologie monastique cistercienne :
L’ouest de la France est marqué par la persistance du socle bénédictin ancien inentamé
et fortement encadré jusque dans le second tiers du XIIème siècle. Il n’existe pas d’alternative
cistercienne à l’ordre bénédictin mais de multiples expériences locales, organisées et liées aux
structures monastiques ou épiscopales en place489. Ces expériences ont en commun une
volonté forte de retrait au désert clairement exprimée dans de nombreux écrits de moines
cisterciens.
•
Le désert dans les premiers textes cisterciens :
Robert de Molesmes est le premier à aspirer à la solitude. Il incarne parfaitement le
courant du XIème siècle entre érémitisme et cénobitisme. Toutefois, aux yeux des laïcs, la
fondation de Molesmes devait avoir un rôle social multiple de prière pour les défunts,
d’accueil des candidats nobles à la conversion, de lieu de rencontre des seigneurs et de lieu de
tenue de cours féodales. Ceux-ci ne permettent ainsi pas l’aspect érémitique souhaité par
Robert, d’où la fondation de Cîteaux en 1098 afin de renouveler l’expérience de retrait du
monde.
Certains textes fondamentaux de l’ordre cistercien comme l’Exordium Parvum
évoquent cet idéal de retrait au désert. Le chapitre III en particulier (2-5) décrit Cîteaux
comme un heremus490.
« Le groupe ainsi renforcé se dirigea avec ardeur vers un
heremus appelé Cîteaux (…). À cause de l’écran formé à
cette époque par les bois et les fourrés d’épines, il n’était
pas fréquenté par les hommes et n’était habité que par les
bêtes sauvages »491.
L’expression « endroit horrible et d’une vaste solitude » tirée de la Vulgate est
souvent employée. Elle est reprise par l’Exordium Cistercii, Bernard de Clairvaux ou encore
Guillaume de Saint-Thierry. L’heremus peut toutefois correspondre à une réalité spirituelle. Il
est souvent fait mention de « bêtes sauvages » correspondant à une référence biblique
489
M. ARNOUX, « Dynamiques et réseaux de l’Église Régulière dans l’Ouest de la France (fin XIème-XIIème
siècles) », dans J. DALARUN (dir.), Robert d’Arbrissel et la vie religieuse dans l’Ouest de la France, Actes du
colloque de Fontevraud, 2001, Brépols, Belgique, 2004, p. 57-70.
490
La racine d’eremus se trouve dans le grec et non dans le latin qui utilisait le mot desertum.
491
Exordium parvum, III 2-5 ; L. VEYSSIÈRE, « Cîteaux et Tart, fondations parallèles“, dans B. BARRIÈRE,
M-E. HENNEAU (dir.), Cîteaux et les femmes, Créaphis, Paris, 2001, p. 179-191.
- 161 -
évoquant l’idéal messianique annoncé par les prophètes d’un retour à la vie paradisiaque.
L’utilisation du mot heremus devient dès la fin du XIème siècle une manière déguisée de
qualifier les lieux d’implantation des nouveaux moines, à savoir les cisterciens mais aussi les
chartreux et les grandmontains qui désirent faire fi des usages clunisiens.
Dans la première moitié du XIIème siècle, Guillaume de SAINT-THIERRY492, moine
bénédictin proche ami de saint Bernard, décrit ainsi le paysage entourant le monastère de
Clairvaux :
« (…) la solitude du lieu, situé dans l’épaisseur des forêts,
entouré de montagnes, où se cachaient les serviteurs de
Dieu, était comme une représentation de la grotte où
notre saint Père Benoît fut un jour découvert par des
bergers : ils semblaient avoir adopté le genre d’habitation
et de solitude de celui dont ils imitaient l’existence »493.
Les moines de Clairvaux se seraient donc réfugiés dans une « solitude », un désert par
volonté de se conformer à la Règle Bénédictine. Les fondateurs se sont installés sur un terroir
ingrat, assez tard dans l’année au point de connaître de graves difficultés alimentaires pendant
l’hiver. La vie des moines renvoie dès lors à la passion du Christ. La fondation de Clairvaux
devient une entreprise spirituelle renvoyant au Nouveau Testament494.
Damien BOQUET précise que pour les cisterciens, « le cloître fonde la conversion,
mais il ne délivre pour autant aucun sauf-conduit pour l’esprit. C’est un campement, une base
de départ, parfois un refuge dans le cadre de la guerre contre la chair, mais ce n’est sûrement
pas une antichambre du paradis. En se retirant du siècle, les cisterciens ne se libèrent pas du
monde charnel, ils se donnent simplement les moyens de la combattre plus efficacement ».
Ainsi, l’arrivée du moine au désert n’est que le commencement d’un long combat contre des
tentations que le seul éloignement du siècle ne suffit pas à faire disparaître495.
Saint Bernard souhaite que chaque abbaye soit construite autant que possible à l’image
de celle de Clairvaux en respectant cet isolement dans des fonds de vallée boisés. Chaque
492
Guillaume de Saint-Thierry est né à Liège vers 1080. Il devient abbé de Saint-Thierry dans le diocèse de
Reims en 1121. Il entre dans le monastère cistercien de Signy en 1135 où il meurt en 1148. J. CHRISTOPHE,
« Les premiers auteurs cisterciens », dans La grande aventure des cisterciens. Leur implantation en MidiPyrénées, Actes du colloque de Belleperche, 1998, Montauban, 1999, p. 39-48.
493
G. de SAINT-THIERRY, Vita Prima Bernardi, I, 35, P.L, 185, 248.
494
J. WAQUET, J-M. ROGER, L. VEYSSIÈRE, Recueil des chartes de l’abbaye de Clairvaux au XIIème siècle,
CTHS, Paris, 2004, p. 18.
495
D. BOQUET, L’ordre de l’affect au Moyen-Âge. Autour de l’anthropologie affective d’Aelred de Rievaulx,
CRAHM, Caen, 2005, p. 120.
- 162 -
abbaye créée par l’ordre doit ainsi autant que possible rechercher des paysages correspondant
à cet idéal exprimé dans les textes. Les salti sont fréquemment investis, des marges boisées
aux frontières des diocèses. Les cisterciens optent pour des terres abandonnées qui paraissent
de prime abord peu favorables au développement rural ou à la mise en exploitation du sol496.
Ils s’attacheraient ainsi à développer une prospérité agricole dans des sites « ingrats »
délaissés par les populations497. Les abbayes fondées sur des sols répulsifs et forestiers
seraient alors un facteur incontestable de colonisation rurale498.
La description livrée dans la Vie de Saint Étienne d’Obazine est en parfaite adéquation
avec les volontés de Bernard de Clairvaux. L’arrivée de saint Étienne y est ainsi évoquée :
« (…) il arriva enfin dans le pays boisé d’Obazine, appelé
ainsi, je crois, à cause de l’opacité des forêts et de la
densité des fourrés qui le recouvrait de toute part. Ce lieu,
fort boisé, est entouré de tous les côtés par des rochers
abrupts, et une rivière, la Corrèze, qui coule plus bas, lui
donne un charme certain »499.
C’est un monde à reconstruire, un espace intérieur à reconquérir500. Toutefois, la Vita
ayant été écrite plusieurs décennies après les faits relatés, elle peut être sujette à caution. Son
auteur se contente peut-être de recopier une description fréquente dans l’hagiographie
traditionnelle, elle-même inspirée de la Vulgate. Il est délicat de faire la part entre mythe
hagiographique et réalité.
C’est ainsi que nombre d’abbayes semblent opter pour le même type de site si l’on
s’en réfère aux textes et actes de donation. Boeuil est de fait implantée dans un saltus, au
milieu des bois, sur des terres marécageuses que les moines, en bons pionniers, doivent
défricher et assainir501. Les moines de Boschaud choisissent un vallon entouré de bois en
496
G. DESPY, « À propos de « désert » dans les campagnes au XIIème siècle », dans Campagnes médiévales :
l’homme et son espace. Études offertes à Robert Fossier, Paris, 1995, p. 549-562.
497
L. CHAMPIER, « Cîteaux, ultime étape dans l’aménagement agraire de l’Occident », Mélanges Saint
Bernard, Dijon, 1953, p. 254-261.
498
C. HIGOUNET, « L’église et la vie rurale pendant le très haut Moyen-Âge », dans Paysages et villages neufs
du Moyen-Âge, Bordeaux, 1975, p. 17-35.
499
M. AUBRUN, Vie de saint Étienne d’Obazine (…), op.cit, p. 49.
500
J. HEUCLIN, « La vie quotidienne des ermites en Gaule du Nord durant le haut Moyen-Âge », dans M.
DERWICH (dir.), La vie quotidienne des moines et des chanoines au Moyen-Âge et Temps Modernes, Ier
colloque international du LARHCOR, 1994, Wroclaw, 1995, vol 1, p. 111-127.
501
I. AUBRÉE, Patrimoine, gestion et vie sociale de l’abbaye cistercienne de Boeuil du XIIème au début du
XVIème siècle, mémoire de maîtrise d’Histoire Médiévale, sous la direction de B. BARRIÈRE, Limoges, 1995,
p. 36.
- 163 -
limite de la paroisse de Saint-Martial-de-Villars, sur le plateau de Champagnac, entre les deux
cours d’eau de la Dronne et du Trincou502.
Ce mythe hagiographique trouve des prolongements dans une historiographie
« romantique » du XIXème siècle. Certains érudits livrent des descriptions des sites
cisterciens en partie ruinés bien proches de celles des moines cisterciens du XIIème siècle. Par
exemple, Jacques BOYER inscrit dans son journal en juin 1711 :
« Nous arrivâmes à l’abbaye des Pierres, de l’Ordre de
Cîteaux, qui est située dans un lieu bien affreux et presque
inabordable »503.
Pour BUHOT DE KERSERS en 1885, ce même monastère s’est implanté dans un
« Val Horrible »504. En 1902, LECLER décrit l’abbaye d’Aubignac « dans un site désert et
sauvage, sous les épines et les ronces (…). Une grosse masse surgit encore sous le lierre»505.
Le monastère paraît inaccessible et propre à inspirer les esprits romantiques. Dans la
première moitié du XXème siècle, René CROZET écrit encore que l’abbaye des Pierres
« s’accroche aux escarpements broussailleux d’un ravin rocheux au fond duquel coule la
Joyeuse. De puissantes châtaigneraies environnent le monastère perdu dans une solitude totale
à peine troublée par le murmure des eaux qui suintent de partout »506.
Les travaux érudits, en fidèle continuateurs des écrits cisterciens médiévaux,
contribuent donc encore à perpétrer un mythe du désert qui bien souvent ne correspond guère
à la réalité des paysages.
•
Cénobitisme et solitude :
502
C. DESPORT, Deux abbayes cisterciennes du Périgord : Boschaud et Peyrouse, mémoire de maîtrise
d’Histoire médiévale sous la direction de Bernadette BARRIÈRE, Limoges, p. 25.
503
Journal de voyage de dom Jacques Boyer (1710-1714), Clermont-Ferrand, 1886, p. 85.
504
A. BUHOT DE KERSERS, Histoire et statistique monumentale du département du Cher. Canton de
Châteaumeillant, Bourges, 1885, p. 253.
505
A. LECLER, Dictionnaire topographique, archéologique et historique de la Creuse, Marseille, Laffitte
Reprints, 1902.
506
R. CROZET, L’abbaye de Noirlac et l’architecture cistercienne en Berry, Paris, 1932, p.5.
- 164 -
Selon Joseph AVRIL, l’adaptation aux modes de vie monastique n’est pas
incompatible avec la fidélité à la mystique traditionnelle de l’ordre507. Le cloître serait en effet
un équivalent du désert, le monastère une solitude pour tous où le moine, même prisonnier
dans l’enclos de l’abbaye, reclus dans une cellule, n’en a pas moins un esprit d’exilé. La vraie
solitude du moine est celle qu’il goûte derrière sa clôture monastique, d’où l’incorporation de
nombreux ermites à l’ordre de Cîteaux par la suite. D’après Dom Jean LECLERCQ, le
monastère est compris comme un désert « artificiel » construit pour qu’une communauté
trouve en clôture ce que l’ermite cherche dans l’isolement508. Le désert cistercien est ainsi déjà
en décalage avec le mythe originel puisqu’il s’est adapté à la vie communautaire. La solitude
relèverait alors plus d’une construction mentale que d’une réalité physique. Les moines ont le
sentiment d’être retirés au désert et dans l’isolement le plus complet là où ils sont en réalité
insérés dans une communauté, au sein d’un monastère et non dans cette grotte où s’était isolé
saint Benoît. Comment parviennent-ils à faire abstraction des autres frères et à reconstruire
une solitude intérieure au sein de la communauté monastique ? Pourquoi ce choix de vie
cénobitique alors même que l’érémitisme permet un isolement réel ?
Aelred de RIEVAULX est l’un des auteurs cisterciens qui exprime avec le plus de
clarté le choix de l’érémitisme et de la solitude 509. Cet écrit est destiné à sa sœur ayant choisi
la vie de moniale.
« Voici donc les motifs qui poussaient les anciens à vivre
à l’écart : échapper aux dangers de la vie en société,
éviter ses ennuis, ou bien s’en libérer pour soupirer et
languir plus à loisir après l’étreinte du Christ. C’est ainsi
qu’un certain nombre se tenaient assis, solitaires au
désert, y vivant du travail de leurs mains, tandis que
d’autres, redoutant la liberté que laisse la solitude et le
vagabondage auquel elle expose, jugèrent plus sûr de
s’enfermer dans une cellule dont ils faisaient murer
507
J. AVRIL, Le gouvernement des évêques et la vie religieuse dans le diocèse d’Angers (1148-1240), thèse, vol.
1, Paris, Cerf, 1984, p. 450.
508
Dom J. LECLERCQ, Chances de la spiritualité occidentale, Cerf, Paris, 1966, p. 273.
509
Aelred de Rievaulx est né en 1110 à Hexham en Northumbrie. De 1124 à 1134, il vit à la cour du roi d’Écosse
avant d’entrer à l’abbaye de Rievaulx. Il devient maître des novices dès 1141, abbé en 1143. Il y meurt en 1167.
J. CHRISTOPHE, op. cit, p. 39-48.
- 165 -
l’entrée. Tel est précisément le motif qui t’a incitée à te
vouer à ce genre d’existence. »510
Ainsi, la clôture au sein d’un monastère permet à l’ermite d’éviter les tentations de la
vie dans la nature et du « vagabondage ». Selon Isaac de l’ÉTOILE, les moines ne sont pas
encore capables de solitude, c’est pourquoi ils choisissent une vie communautaire. Ils
éprouvent le besoin d’être aidés les uns par les autres. La communauté est une source de joie,
d’aide mutuelle, de force et les auteurs monastiques clament souvent la joie d’habiter
ensemble dans l’unanimité511. Il n’en recommande par moins à ses moines de se tenir à l’écart
de la foule :
« Il est difficile, dans la foule, de voir la foule ; il est
inévitable, dans la foule d’éprouver du trouble ; et dans le
trouble il n’est jamais possible au regard de voir
clairement, de discerner ou de juger (…)
Aussi, mon frère, éloigne-toi par la fuite, ne reviens pas à
la foule, mais demeure dans la solitude, suis Jésus, gravis
la montagne, dis à la foule : « Où je vais, tu ne peux pas
venir ». »512
Dans son quatorzième sermon, l’abbé de l’Étoile explique :
« Et voilà pourquoi, mes bien-aimés, nous vous avons
conduit dans cette solitude retirée, aride et âpre. Dessein
astucieux ! il vous est possible d’y être humbles,
impossible d’y être riches. Oui, dans cette solitude des
solitudes, perdue dans la mer, au large, n’ayant presque
rien de commun avec le monde, nous voulons que, privés
de toute consolation mondaine, il y ait en vous silence
510
AELRED de RIEVAULX, La vie de recluse. La prière pastorale, trad. C. DUMONT, Cerf, Paris, 1961, p. 45.
Dom J. LECLERCQ, « Le travail, ascèse sociale d’après Isaac de l’Étoile », Collectanea O.C.R., 1971, p.
159-166. Isaac de l’ÉTOILE devient abbé de l’Étoile en 1147. Il aurait fondé l’abbaye des Châtelliers sur l’Ilede-Ré vers 1167. Il y est exilé pour avoir soutenu la cause de Thomas Becket, ce qui lui attire l’animosité
d’Henri II. Il prononce ces 55 sermons entre 1147 et 1169.
512
Isaac de l’ÉTOILE, Sermons, T I, trad. G. SALET, Sources Chrétiennes n°130, Paris, Cerf, 1967, p. 86-87,
sermon 1.
511
- 166 -
complet du monde puisque, sauf cet îlot à l’extrémité des
terres, pour vous le monde n’existe plus. »513
« Pourquoi à l’écart des hommes ? Parce que « les
conversations
mauvaises
corrompent
les
bonnes
mœurs » ».514
Adam de PERSEIGNE, abbé de Perseigne (fondée au diocèse du Mans en 1145, com.
Neufchâtel-en-Saosnois, Sarthe) depuis 1188 prône de même la solitude pour mieux percevoir
le message du Christ :
« Qui s’adonne à l’amour céleste, fuit la foule, évite le
bruit, et avec Marie dédaigne le service trop empressé de
Marthe, sachant que plus profonde sera sa retraite, plus
sûrement il pourra écouter et voir le Christ »515.
La vie monastique serait ainsi peut-être plus apte à répondre aux attentes d’isolement,
d’ascétisme et de rigueur des ermites. Même au cœur d’une communauté, le moine peut avoir
la sensation de vivre seul et retiré du monde. L’observance d’un silence presque continu
permet d’assurer ce sentiment d’isolement. Le cistercien Guerric d’IGNY516 évoque le silence
en ces termes :
« L’observance du silence nourrit, forme et fortifie l’esprit
de l’homme et lui donne de progresser d’autant plus
sûrement et sainement que c’est plus secrètement (…).
Mais le mystère ne vous est pas inconnu non plus, à vous
frères dont l’expérience et la confidence me sont témoins :
comment l’esprit paisible et humble, pratiquant le silence,
devient fort, puissant, brillant, comment, en revanche,
sous le flot des paroles il devient ramolli et flasque,
513
Isaac de l’ÉTOILE, Sermons…, op. cit., p. 277-278, sermon 14.
Isaac de l’ÉTOILE, Sermons, T III, trad. G. SALET, G. RACITI, Sources Chrétiennes n°339, Paris, Cerf,
1987, sermon 50, p. 183.
515
Adam de PERSEIGNE, Lettres, trad. Chanoine Jean BOUVET, Paris, Cerf, 1960, Lettre IX- 91, p. 159.
516
Guerric d’Igny est né vers 1087 à Tournai. En 1125, il entre à Clairvaux où il reste pendant 13 ans avant de
devenir abbé d’Igny. J. CHRISTOPHE, op. cit, p. 39-48.
514
- 167 -
comme paralysé, comment il s’amaigrit, se flétrit et meurt
de sécheresse »517.
Pour Isaac de l’ÉTOILE, les moines se doivent d’être silencieux
« (…) pour être plus habiles et exercés à parler à vous
seul, nous sommes forcés, bien forcés de garder entre
nous le silence. »518
« Pourquoi en silence ? parce que « abondance de parole
ne va pas sans péché » »519.
Le silence est donc une nourriture céleste pour le moine lui permettant de devenir
meilleur, plus proche de Dieu tout en le mettant à l’abri des futilités de paroles inutiles
pouvant brouiller le message divin. Dans sa biographie de Bernard de Clairvaux, Guillaume
de SAINT-THIERRY précise que le nombre des moines
« (…) ne les empêchait pas d’être seuls avec eux-mêmes.
La charité prescrite par la Règle, bien ordonnée, rendait
cette vallée solitaire pour chacun. Quand règne l’unité
spirituelle, la règle de silence observée par une multitude
d’hommes assure à chacun la solitude de son cœur ».
Le silence garantit la solitude intérieure. Quelques lignes plus loin, il évoque saint
Bernard en prière :
« (…) s’il s’offrait une occasion d’être seul pour prier, il
la saisissait ; autrement, soit qu’il fût avec lui-même, soit
qu’il fût avec la foule, se faisant lui-même une solitude
dans son cœur, il était seul partout »520.
517
Guerric d’IGNY, Sermons, II, Troisième sermon pour l’Annonciation, II, p. 156 ; cité dans A. NOBLESSEROCHER, L’expérience de Dieu dans les sermons de Guerric, abbé d’Igny (XIIème siècle), Cerf, Paris, 2005, p.
146.
518
Isaac de l’ÉTOILE, Sermons…, op. cit., p. 278, sermon 14.
519
Isaac de l’ÉTOILE, Sermons, T III, trad. G. SALET, G. RACITI, Sources Chrétiennes n°339, Paris, Cerf,
1987, sermon 50, p. 191.
520
Guillaume de SAINT-THIERRY, Vie de saint Bernard de Clairvaux, 1091-1153, Paléo, Clermont-Ferrand,
2004, p. 45.
- 168 -
Dans la Vita Prima Bernardi, Guillaume de SAINT-THIERRY décrit ainsi la vie des
moines de Clairvaux :
« Car tous, en cet endroit, en dépit de la multitude, étaient
des solitaires. Cette vallée qui était remplie d’hommes,
une charité ordonnée selon l’ordre de la raison la rendait
solitaire pour chacun d’eux : de même qu’un seul homme
est pour lui-même une foule, alors même qu’il vit isolé,
s’il n’y a en lui aucun ordre, ainsi en cet endroit, grâce à
l’unité d’esprit et à l’observance d’un silence régulier,
l’ordre lui-même garantissait à chacun des membres de
cette multitude ordonnée la solitude du cœur. »521
L’observance de la Règle de Saint Benoît et des statuts édictés par l’ordre de Cîteaux
garantit la quiétude de la communauté et le silence qui assure le sentiment de solitude. S’ils ne
vivent pas matériellement dans un désert, les moines en ont toutefois la perception. Dans son
quatrième sermon pour l’Avent, Guerric d’IGNY explique la nécessité de se retirer dans le
silence du désert pour entendre la parole divine :
« Le désert est grâce et béatitude, sanctifié par JeanBaptiste et les prophètes. Il a été préparé par le jeûne de
Jésus qui demeura, lui aussi, au désert (…).
Le désert te nourrira, car Jésus y a nourri la foule. Jésus
lui-même t’y rassasiera. Alors il fera de ton désert un
paradis, grâce à la richesse spirituelle de l’écriture. Nous
habitons la paix de la solitude, mais sans manquer de la
consolation d’une société de frères. Si notre silence
intérieur correspond à notre silence extérieur, alors, dans
le silence du milieu de la nuit, la parole Toute-Puissante
descendra secrètement en toi. »522
Ainsi le cénobitisme non seulement n’empêcherait pas la solitude et la sensation de
vivre isolé, au désert, mais présenterait également l’avantage de regrouper des individus
521
522
Guillaume de SAINT-THIERRY, Vita Prima Bernardi, I, 35, P.L, 185, 248.
A. NOBLESSE-ROCHER, op. cit, p. 315.
- 169 -
motivés par la même quête de la parole divine, ainsi poussés dans une émulation collective.
La vie communautaire serait alors, selon Guerric d’IGNY, supérieure à la vie anachorétique.
Pour les moines blancs, le désert doit certes accorder la solitude mais aussi assurer la
subsistance de la communauté, ce qui correspond déjà aux pensées de CASSIEN dans ses
Collationes. Il écrit que
« (…) pour acquérir la pureté du cœur, le solitaire devait
trouver un endroit qui ne puisse le tenter ni par la fertilité
trop grande, ni par une aridité telle qu’elle le conduise à
sortir de sa cellule »523.
Ils recherchent ainsi le site agraire doté des plus grandes chances de succès, le plus
souvent dans une zone montagneuse, en bordure de forêt, dans des vallons resserrés.
•
Un désert recréé. Des cisterciens depopulatores :
Concernant l’abbaye de Cîteaux, Laurent VEYSSIÈRE se demande à juste titre si le
désert ne serait pas avant tout une image plus qu’une réalité. En effet, la proximité de voies de
communication anciennes et de la route du sel remet quelque peu en cause cette notion de
retrait du monde. Néanmoins, le désert physique est à venir : c’est celui que les moines vont
créer autour d’eux en prenant progressivement possession des territoires alentours.524.
En effet, tous les monastères n’ont pu s’implanter dans des terres vides d’hommes.
L’abbaye belge de Villers-en-Brabant est en cela exemplaire et s’est insérée dans une zone
déjà habitée. Les cisterciens n’ont alors pas hésité à faire détruire des villages et expulser des
paysans pour reconstituer des déserts autour de nouvelles fondations. Ils ne s’implantent pas
toujours dans des zones de saltus dévolues aux friches mais recréent artificiellement un désert
pour être en correspondance avec les idéaux de l’ordre525.
Pour constituer les terroirs de certaines granges dont les terres sont parfois déjà
cultivées par des communautés rurales, les cisterciens n’hésitent pas à les chasser. Parfois, ces
paysans peuvent également être transformés en convers526. Charles HIGOUNET les nomme
523
J. HEUCLIN, « La vie quotidienne des ermites en Gaule du Nord (…) », op.cit, p. 111-127.
L. VEYSSIÈRE, « Représentations du désert cistercien primitif », dans M. AURELL, T. DESWARTE (dir.),
Famille, violence et christianisation au Moyen-Âge. Mélanges offerts à Michel Rouche, PUPS, 2005, p. 239-250.
525
A. VAUCHEZ, La spiritualité du Moyen-Âge occidental, VIIIème-XIIIème siècle, Paris, 1994, p. 94.
526
C. H. BERMAN, Medieval agriculture, the Southern French Countryside, and the Early Cistercians. A study
of Forty-three Monasteries, Philadelphia, 1986, p. 54.
524
- 170 -
alors des cisterciens « depopulatores »527. C’est le cas notamment concernant certaines
granges de l’abbaye de Pontigny dans l’Yonne. Celles-ci ne sont pas à l’origine de nouveaux
centres d’habitat. Bien au contraire, les moines chassent les habitants installés sur leurs terres.
Ils font le vide autour d’eux afin que leur site d’implantation corresponde trait pour trait aux
injonctions des textes fondamentaux de l’ordre et à la Règle de saint Benoît. Ils cernent
parfois leurs territoires de bornes pour marquer l’étendue du désert cistercien, à la manière du
poemerium des chartreux528. Des bornes marquant l’enclos de l’abbaye ont ainsi été retrouvées
aux alentours d’Obazine. Ce sont des pierres de grès entre 50 et 70cm de hauteur environ
présentant des croix pattées ou à fleurons [Fig. 27]529. La grange de Beaumont appartenant à
l’abbaye de Clairvaux a également livré un certain nombre de bornes. Il semblerait, d’après la
récente étude de Christophe WISSENBERG que le village de Hesia ait disparu lors de la
constitution de cette grange. Certains habitants ont dû être déplacés, d’autres engagés comme
convers. Il s’agit du même cas de figure que pour la grange de Sainte-Procaire appartenant
aux moines de Pontigny. La disparition du village homonyme est attestée à partir de 1156. Les
habitants sont dédommagés mais soumis à une clause de « déguerpissement » et contraints de
s’installer plus loin530.
Robert FOSSIER cite quant à lui l’exemple des abbayes cisterciennes de France du
Nord. Il fait état de difficultés à trouver de vrais déserts. Les cisterciens doivent dès lors
expulser des villageois pour récréer artificiellement un îlot d’isolement531.
Le désert cistercien correspondrait ainsi plus à un mythe hagiographique, une
conception mentale des moines blancs qui ont la sensation de l’isolement au sein même de la
communauté monastique. Cette conception peut - dans certains exemples bien précis non
majoritaires – être physiquement recréée par l’éviction des habitants présents sur les terres
acquises par les moines. Cela ne semble néanmoins pas être la règle dans le diocèse de
Limoges.
527
C. HIGOUNET, « Le premier siècle de l’économie rurale cistercienne », dans Villes, sociétés et économies
médiévales, Bordeaux, 1992, p. 455- 474.
528
M. GARRIGUES, Le premier cartulaire de l’abbaye cistercienne de Pontigny, Paris, 1981, p. 31.
529
B. BARRIÈRE, Moines en Limousin, l’aventure cistercienne, PULIM, Limoges, 1998, p. 101-102.
530
C. WISSENBERG, Entre Champagne et Bourgogne. Beaumont, ancienne grange de l’abbaye cistercienne de
Clairvaux, Paris, Picard, 2007, p. 36.
531
R. FOSSIER, « L’économie cistercienne dans les plaines du nord-ouest de l’Europe », dans l’ouvrage du
centre culturel de l’abbaye de Flaran, Économie cistercienne. Géographie, mutations du Moyen-Âge aux temps
modernes, 1981, Auch, 1983, p. 53-74.
- 171 -
3. Paysages, toponymie et hagiotoponymie :
Nous avons étudié dans les textes cisterciens l’importance du choix du site monastique
devant correspondre à différents critères précis à l’image de l’abbaye de Clairvaux :
isolement, présence d’un cours d’eau, de bois et de terres permettant la polyculture et
l’élevage afin d’assurer l’autonomie de la communauté. Les implantations cisterciennes du
diocèse de Limoges correspondent-elles à cet idéal ? Dans quel paysage s’implantent les
abbayes cisterciennes du diocèse de Limoges ? Choisissent-elles systématiquement des
marches forestières dévolues au saltus ? Que peut-on savoir du couvert forestier des XIIème
et XIIIème siècles ? La physionomie actuelle des sites peut-elle nous apprendre sur la
morphologie des paysages médiévaux ?
•
Des marches boisées :
Une étude de la géographie et de la géologie des sites d’implantation des moines
blancs peut nous apprendre beaucoup sur la qualité des sols, données ayant probablement peu
changées depuis l’époque médiévale. Nous pouvons également nous interroger sur les
similitudes et dissemblances des paysages choisis d’une abbaye à l’autre.
Géographie et géologie des sites cisterciens :
Le département actuel de la Haute-Vienne où sont implantées les abbayes de Boeuil et
du Palais-Notre-Dame, comprend la partie ouest du Massif Central [Fig. 7]. Les reliefs sont
bosselés, fortement ravinés par un réseau hydraulique serré, aux vallées encaissées découpant
un ensemble de plateaux inclinés du sud-est au nord-est. La surface est occupée par un massif
de roches anciennes. Les granites et granulites y alternent avec des schistes cristallins, gneiss
et micaschistes. Le climat est humide, l’altitude moyenne. L’imperméabilité en fait une
contrée rude. En 1987, la surface boisée recouvrait encore un quart du territoire, soit
141600ha532.
Boeuil est située sur un replat de la rive droite du Glanet, dans la partie ouest de la
paroisse de Veyrac. Elle est à 260m d’altitude. Le sol est de granite gneissique533. Quant à
l’abbaye du Palais, elle est située sur le plateau granitique de Soubrebost dont les sommets
peuvent dépasser 600m. Elle borde la rive droite du Thauron. Le relief accidenté est propre à
532
J. PERRIER, carte archéologique de la Gaule- Haute-Vienne, paris, 1993, p. 30-32.
I. AUBRÉE, Patrimoine, gestion et vie sociale de l’abbaye cistercienne de Boeuil du XIIème au début du
XVIème siècle, mémoire de maîtrise d’Histoire Médiévale, sous la direction de B. BARRIÈRE, Limoges, 1995,
p. 23.
533
- 172 -
la Haute-Marche. Au sud, le plateau est fermé par les hauteurs de la Montagne. Le sous-sol
est granitique, les sols sont humides, la couverture forestière importante534.
Le département de la Corrèze correspond à un relief qui s’abaisse rapidement vers le
Bassin Aquitain, facilitant naturellement les relations avec le sud-ouest [Fig. 10]. Au nord, la
Montagne correspond au plateau de Millevaches et au Massif des Monédières (plus de 700m).
La seule installation cistercienne est l’abbaye de Bonnaigue à l’est d’Ussel. Elle est située
dans la vallée de la Dozanne, au cœur de la forêt de Charroux, sur des sols granitiques. Le
plateau Corrézien culmine à 600m et accueille notamment l’abbaye de Valette, située à la
base du versant rive gauche de la vallée de la Dordogne qui s’encaisse de 300m dans le
plateau, au cœur d’une zone forestière.
Le Bas-Pays correspond à une pénéplaine entaillée par des vallées profondes. Les
moines d’Obazine, Coyroux et Derses s’y sont implantés. La faille d’Argentat partage le
département suivant une ligne sensiblement nord/sud. À l’est, une zone granitique présente
également des schistes, micaschistes et gneiss. À l’ouest, nous pouvons constater la présence
de micaschistes, gneiss, grès et calcaires au sud notamment 535. Derses est ainsi située sur des
sols gréseux, à proximité des sources du ruisseau de la Couze.
Le site d’Obazine est quant à lui atypique puisqu’il est dépourvu d’eau. Les moines
ont dû faire construire un canal d’1.7kms qui capte l’eau du Coyroux. Les moniales de
Coyroux sont plus isolées, à quelques centaines de mètres au sud-est d’Obazine, au fond de la
gorge escarpée du Coyroux536.
Le département de la Dordogne correspond à la bordure nord-est du Bassin Aquitain
ainsi qu’aux marges limousines du Massif Central [Fig. 9]. Le Périgord Vert est à l’est d’une
ligne Nontron/Excideuil, à la limite sud-ouest du massif cristallin (granites et gneiss) au
modelé du relief peu accentué, couvert de châtaigniers et aux vallées étroites et encaissée.
L’abbaye de Peyrouse, près de la Côle, est située à la frontière du Périgord Vert et du
Ribéracois, sur une ligne de faille géologique délimitant à l’est le massif cristallin, à l’ouest
les calcaires jurassiques. Les sols y sont peu fertiles. L’abbaye de Boschaud, à l’est de la
Dronne, est implantée dans le Ribéracois, au sud de Nontron, sur une faille géologique. Les
terrains sédimentaires présentent des calcaires crétacés tendres. Boschaud est située à la limite
534
S. VITTUARI, Le patrimoine de l’abbaye du Palais-Notre-Dame d’après le cartulaire (1134-12..), mémoire
de maîtrise, dir. B. BARRIÈRE, Limoges, 1992, vol II, p. 78.
535
G. LINTZ, Carte archéologique de la Gaule- Corrèze, Paris, 1981, p. 19 ; cartes BRGM 1/50000ème, Tulle n°
761, Brive n° 785.
536
B. BARRIÈRE, Le cartulaire de l’abbaye cistercienne d’Obazine (XIIème-XIIIème siècles), Institut d’Études
du Massif Central, Clermont-Ferrand, 1989, p. 23.
- 173 -
de la paroisse de Saint-Martial de Villars, entourée de bois, à 200m environ d’altitude537.
Quant à l’abbaye de Dalon, elle est placée au cœur de la vallée du Dalon entre Vézère et
Auvézère, en bordure du bassin de Brive présentant des sols gréseux538.
Le département de la Charente regroupe à l’est des sols de la partie nord du Bassin
Aquitain où les strates sédimentaires s’appuient sur les contreforts cristallins de la bordure
ouest de Massif Central [Fig. 8]. Le Confolentais présente des terres froides et humides. À
l’ouest, il s’agit de terrains sédimentaires, de cultures riches. Les contraintes pédologiques
expliquent l’importance actuelle de la forêt. L’abbaye de Grosbot se trouve ainsi à la limite de
zones de calcaire marneux, de sables et d’argiles539. Les moines se sont installés dans la forêt
de l’Horte à l’est d’Angoulême, entre le bassin de la Charente et celui de la Dordogne.
Les Combrailles appartiennent aux montagnes cristallines de l’ouest du département
du Puy-de-Dôme qui se composent de paysages de pénéplaines dégradées en croupes,
creusées de vallées encaissées à méandres (Sioule, Dordogne). Les micaschistes, gneiss et
migmatiques sont localement pénétrés de granites540. L’abbaye de Bonlieu fait partie des
Combrailles. Elle est située sur un plateau de moyenne altitude (environ 500m) entre la
Montagne Limousine et les bassins sédimentaires du Berry. C’est une zone de granites à
biotite, dits « granites de Guéret ». Le réseau hydrographique y est relativement important.
Depuis le monastère, la Tardes et la Voueize ne sont séparées que par trois kilomètres541.
La Haute-Marche s’inscrit de même dans un socle hercynien aux nombreux cours
d’eau qui délimitent une série de replats [Fig. 5]542. Elle est formée par les hauteurs des
derniers contreforts du Massif Central avec des moyens plateaux d’une altitude de 300 à 500
mètres. Les terrains sont cristallins, les sols légers et acides. Les schistes, micaschistes et
gneiss, à l’inverse des formations granitiques, se prêtent mal à la taille à cause de leur
structure feuilletée. Les limites nord-ouest de l’ancien diocèse de Limoges forment une
frontière géologique avec les pays calcaires du pourtour tel le Berry, le Poitou et
l’Angoumois543.
537
C. DESPORT, Deux abbayes cisterciennes du Périgord : Boschaud et Peyrouse, mémoire de maîtrise
d’Histoire médiévale sous la direction de Bernadette BARRIÈRE, Limoges, p. 25.
538
H. GAILLARD, Carte archéologique de la Gaule. La Dordogne, Paris, 1997, p. 44.
539
C. VERNOU, Carte archéologique de la Gaule. La Charente, Paris, 1993, p. 21.
540
M. PROVOST, C. MENNESSIER-JOUANNET, Carte archéologique de la Gaule, Clermont-Ferrand, Paris,
1994, p. 55-57.
541
I. BALLET, Archéologie des paysages de la commune de Peyrat-La-Nonière (Creuse), maîtrise de
géographie sous la direction de B. BARRIÈRE et M. BERNARD-ALLÉE, Limoges, 1994, p. 5-9.
542
J. M. DESBORDES, « Sitologie des structures agricoles gallo-romaines : l’exemple de la Haute-Marche »,
MSSNAC, T XI, 1980, p. 503-510.
543
J. M. DESBORDES, L’archéologie du paysage rural en Limousin, Limoges, 1997, p.8.
- 174 -
L’abbaye de Prébenoît se situe à 290m d’altitude sur le plateau d’Aigurande constitué
par un sol de schistes cristallins. Une grande dislocation appelée « faille de la Marche » sépare
ce plateau de la chaîne granitique de la Marche. Elle passe notamment par Châtelus-Malvaleix
et Jalesches. Une déchirure secondaire orientée nord/sud passe à Moisse, au nord de
Prébenoît. Elle délimite un passage brutal des gneiss amygdalaires du massif de Tercillat aux
gneiss à deux micas de Genouillac et aux micaschistes de la Cellette. Le Cluzeau suit le tracé
d’une faille qui délimite à l’est une zone où le gneiss est fin et se délite en plaques, à l’ouest
une zone où le gneiss est plus grossier. Prébenoît s’inscrit ainsi comme une terre de jonction
entre des sols schisteux et granitiques544.
Le Boischaut englobant le sud de l’actuel département de l’Indre et le sud du
département du Cher présente les mêmes terrains cristallins et métamorphiques [Fig. 6]. Il
s’agit d’une dépression périphérique qui borde le Massif Central. Le monastère de Varennes
est ainsi à la limite du Massif Central et du Bassin Parisien dans un paysage où les roches
granitiques affleurent545. Le Boischaut se constitue de bocages, de pâturages et de landes à
genêts ou à fougères. Au sud-ouest, dans l’Indre, l’abbaye de la Colombe au bord du ruisseau
de l’Allemette s’inscrit à la limite du Boischaut et de la Brenne dont les paysages, longtemps
voués aux bois et aux friches se caractérisent par une multitude d’étangs, de landes et de
buttons546. La « Brenne de Bélâbre » n’est guère qu’à quelques kilomètres au nord du
monastère. Le grès argileux constitue le substratum géologique.
Ces monastères de la Haute-Marche et du Boischaut se sont efforcés de se constituer
des granges sur les franges du Berry méridional et à l’ouest du Bourbonnais, dans les
premières zones sédimentaires bordant le socle cristallin limousin. Les terrains y étaient plus
propices à la culture de la vigne et se montraient riches en fer.
Les abbayes cisterciennes du diocèse de Limoges choisissent majoritairement des
terrains métamorphiques aux sols pauvres, des zones humides où le couvert forestier est
encore important aujourd’hui.
544
J. DELORME, E. EMBERGER, « La série cristallophyllienne renversée du plateau d’Aigurande », RSNA,
1949, p. 45-82 ; R. BOINEAU, J. NICAISE, « Les schistes cristallins du plateau d’Aigurande au sud de la
Châtre et de Châteaumeillant », RSNA, 1950, p. 9-41 ; L. BOUGNÈRES, « Les granites de l’extrémité orientale
de la chaîne de la Marche dans la Creuse et l’Allier », RSNA, 1950, p. 44-72 ; J.P. BÉGUIN, J. ROGER,
L’abbaye de Prébenoît, SRA Limousin, 1993-1996.
545
G. WOLKOWITSCH, L’abbaye royale Notre-Dame de Varennes, Lancosme Multimedia, 2004, p. 2.
546
Il s’agit de monticules de grès. Pour les descriptions géologiques et géographiques, voir G. COULON, J.
HOLMGREN, Carte archéologique de la Gaule, Indre, Paris, 1992, p. 31 ; D. DUSSOT, Carte archéologique
de la Gaule, Creuse, Paris, 1989, p. 29-41 ; J. F. CHEVROT, J. TROADEC, Carte archéologique de la Gaule,
Cher, Paris, p. 27-30 ; M. J. BERRY, Belâbre, monographie suivie de notices sur Chaillac, Chalais, Ciron,
Concremiers, Le Blanc, Liglet, Lignac, Mauvières, Oulches, Prissac, Ruffec, Saint-Hilaire et Tilly, Royer, 1992.
- 175 -
Couvert forestier.
Il n’est pas aisé de se faire une idée du couvert forestier des XIIème et XIIIème
siècles. Les études les plus complètes concernent l’époque moderne, mieux connue
notamment grâce aux cartes de Cassini. Il est toutefois délicat de tenter une étude régressive
des forêts médiévales d’après ces seules sources modernes.
Après la chute de l’Empire Romain et les invasions s’amorce une reconquête de terres
cultivées par des végétations « secondaires », de médiocre allure et plus ou moins denses. De
nouvelles cultures apparaissent grâce aux premières abbayes au VIème siècle, puis par les
carolingiens. De nouveaux abandons et un développement des accrues sont sensibles aux
abords de l’an Mil. C’est une partie de ces accrues que les moines cisterciens vont
progressivement attaquer547.
Concernant les marges limousines à l’époque mérovingienne, nous bénéficions de
l’analyse très minutieuse et indispensable de Michel ROUCHE pour qui « le Limousin est
probablement une nappe boisée piquetée de clairières avec la forêt d’Aureix dans le nord ».
La silva s’étire le long de la rive droite de la Vézère jusqu’à Uzerche. Le plateau de
Millevaches porte dans ses confins auvergnats une silva qui atteignait la Sioule et rejoignait
les salti de Pionsat et Vensat548. Gabriel MARTIN fait état au Moyen-Âge d’un massif boisé
important qui occupait la région qui forme l’angle nord-ouest du département de la Creuse549.
Bernadette BARRIÈRE constate l’existence d’une forêt attestée antérieurement à l’an Mil. Il
s’agit de la forêt de Salon qui occupe la longue dorsale d’interfluve séparant le Haut du BasLimousin, le bassin de la Vienne et celui de la Dordogne. Une forêt de Bretagne est citée dans
la Chronique d’Étienne Maleu, proche de Saint-Junien. Elle occupe une bonne partie de
l’interfluve entre Glane et Vienne, proche de la forêt de la Malaise où s’installe le groupe
d’ermites rattachés aux moines cisterciens de Boeuil au milieu du XIIème siècle550.
Pour l’époque moderne, Jean-Michel DESBORDES souligne que le couvert végétal
du Limousin souffre d’une carence en bois de chauffe et bois d’œuvre. Il se constitue
vraisemblablement plus de bois taillis plus que de véritables futaies. Pour David GLOMOT en
effet, les petits bois et landes ne manquent pas dans ce relief très vallonné mais ne peuvent
547
G. PLAISANCE, « Les premiers cisterciens de Bourgogne ont-ils été des défricheurs ? », dans « Le premier
demi-siècle des cisterciens à Léoncel, 1137-1188 », Les Cahiers de Léoncel, Colloque d’août 1988, n°5, 1988, p.
30-39.
548
M. ROUCHE, L’Aquitaine des Wisigoths aux Arabes (418-781), T I, Lille, 1977, p. 182.
549
G. MARTIN, « La Haute-Marche au XIIème siècle, les moines cisterciens et l’agriculture », MSSNAC, T
VIII, 1893, p. 47-127.
550
Chronique d’Étienne Maleu, ed. Abbé ARBELLOT, Paris, 1847, p. 47 ; B. BARRIÈRE, « Villages de
défrichement en Haut et Bas-Limousin aux XIème et XIIème siècles », dans J. TRICARD (dir.), Le village des
Limousins. Études sur l’habitat et la société rurale du Moyen-Âge à nos jours, PULIM, Limoges, 2003, p. 97117.
- 176 -
être comparés toutefois aux grandes forêts du Berry et du Bourbonnais. Les beaux massifs
forestiers sont rares. À la fin de l’époque Moderne, il apparaît nettement que le paysage et les
structures agraires, souvent hérités du Bas Moyen-Âge, ne présentent pas un réel bocage mais
plutôt un paysage mixte plus ouvert551. Les réalités de l’époque médiévale sont plus
complexes à envisager et ne peuvent prétendre à des résultats probants.
La disposition alignée des établissements cisterciens sur les confins de la Marche et du
Berry incite à se poser la question de la persistance en ce secteur d’une frontière appuyée sur
un massif forestier qui semblerait enfin entamé. Une thèse traditionnelle rappelée par MarieHélène TERRIER consiste à envisager que chaque entité politique comme les cités galloromaines puis les comtés tel le Comté de la Marche devaient être entourés de bois défensifs 552.
Ce paysage d’épaisses forêts se justifierait par la position en limite des diocèses de Bourges et
de Limoges et à la frontière de plusieurs entités politiques. Pour Bernadette BARRIÈRE, ces
bois périphériques seraient plutôt des résidus de défrichements sans réelle intention militaire.
De plus, des textes montrent des fréquentes clauses de non défrichement. Les droits d’usage
semblent d’ailleurs concerner plutôt de vastes bois que de réelles forêts, ce qui nuancerait
l’idée d’une couverture forestière importante maintenue aux frontières diocésaines553.
Les moines contribueraient eux aussi au maintien de la couverture boisée par souci de
respecter l’idéal de retrait au désert et pour l’intérêt économique représenté par les bois et
forêts. Le maintien des forêts permet notamment aux animaux de pâturer. Les moines ont
besoin de bois d’œuvre pour les charpentes, de bois de chauffe (fours banaux, tuileries,
briqueteries, fours à chaux, forges) ainsi que de petits bois pour les paisseaux de leurs vignes
(bois de fente, coudrier), les ateliers de tonnelleries et les instruments agricoles. Ils ne seraient
pas les grands défricheurs annoncés par une partie de l’historiographie traditionnelle, mythe
déjà largement contesté par Robert FOSSIER et Georges DUBY. Pour Christophe
WISSENBERG, la sylviculture avisée menée par les moines blancs participerait de fait à cette
relecture et critique de l’image désuète des moines défricheurs554. En effet, les cisterciens
cherchent de forts rendements agricoles. Or, les sols forestiers sont souvent les plus
médiocres. Les moines leur préfèrent des sols agricoles ou des terres grasses, humides qu’ils
ont assainis par l’ouverture de réseaux de fossés. L’iconographie cistercienne est riche en
551
D. GLOMOT, « Les cartes de Cassini et l’histoire du monde rural : l’exemple de la Haute-Marche », Archives
en Limousin, n°22, 2003, p. 13-19.
552
M. H. TERRIER, « Les bois et les forêts de l’abbaye d’Aubignac des origines à 1351 », MSSNAC, T XLVI,
1997, p. 269-275.
553
B. BARRIÈRE, « L’économie cistercienne du sud-ouest de la France », Centre culturel de l’abbaye de Flaran,
Économie cistercienne. Géographie, mutations du Moyen-Âge aux temps modernes, 1981, Auch, 1983, p. 75-99.
554
C. WISSENBERG, Entre Champagne et Bourgogne. Beaumont, ancienne grange de l’abbaye cistercienne de
Clairvaux, Paris, Picard, 2007, p. 139.
- 177 -
scènes agricoles (Moralia in Job, Cîteaux) [Fig. 28]. Toutefois, il s’agit vraisemblablement
plus de scènes de bûcheronnage correspondant à une exploitation normale qu’à de réelles
destructions et défrichements. En effet, ce n’est qu’à l’extrême fin du XIIème siècle, au
XIIIème siècle mais surtout à l’époque moderne que les cisterciens vont réellement défricher
et s’adonner au commerce du bois555.
Les actes de donation des XIIème et XIIIème siècles permettent de connaître le nom
d’un bois ou d’une forêt existant à l’époque médiévale mais son étendue reste inconnue. Ces
archives sont donc précieuses mais insuffisantes pour cette étude qui devra être complétée par
une analyse précise de la toponymie et des termes liés aux bois et forêts. Nous tenons à
insister sur la disparité des sources dont nous disposons pour cette étude puisque certaines
abbayes n’ont pas conservé de cartulaire. Il est dès lors presque impossible de connaître leur
patrimoine foncier et les bois dont elles disposaient. C’est le cas entre autres de Prébenoît, La
Colombe, Boeuil, Varennes, les Pierres, Valette, Bonnaigue, Boschaud ou encore Peyrouse.
La communauté double d’Obazine-Coyroux est sans doute la mieux documentée.
Le cartulaire d’Aubepierres conservé aux Archives Départementales de la Creuse
permet d’imaginer l’abbaye entourée de bois appartenant parfois aux seigneuries attenantes ou
au proche prieuré de Chambon Sainte-Croix, d’où de fréquents conflits d’intérêt qui donnent
lieu à de nombreux actes, confirmations de donations, de droits d’usage. Les moines
disposaient de la forêt de Féchaud au nord des bâtiments monastiques dont il ne demeure
aujourd’hui qu’un lieu-dit, du bois de Fauchart, de Bourliat et d’Estinières ainsi que de la
forêt de Parnac plus au sud [Fig. 29]556.
Les possessions des Pierres, son abbaye-fille en Berry sont peu connues et difficiles à
cerner n’ayant fait l’objet d’aucune étude poussée à ce jour. Les quelques actes conservés aux
Archives Départementales du Cher permettent de localiser le bois de la Roche sur la
commune de Sidiailles, d’une superficie encore importante aujourd’hui. Il est donné en 1264
par Agnès de la Roche557. En 1197, Ranulphe, seigneur de Culan, donne un droit de pacage
dans le bois de Coursier. Depuis 1198, la grange d’Aignerais (commune de Montlevicq)
pouvait jouir du bois de Feuilly558. Des cartes établies au XVIIIème siècle montrent que
l’abbaye était encore immergée dans les bois tels ceux de Chézelle, de Ranciers, des Pierres,
555
G. PLAISANCE, « Les premiers cisterciens de Bourgogne ont-ils été des défricheurs ? », dans « Le premier
demi-siècle des cisterciens à Léoncel, 1137-1188 », Les Cahiers de Léoncel, Colloque d’août 1988, n°5, 1988, p.
30-39 ; R. FOSSIER, « L’économie cistercienne dans les plaines du nord-ouest de l’Europe », dans l’ouvrage du
centre culturel de l’abbaye de Flaran, Économie cistercienne. Géographie, mutations du Moyen-Âge aux temps
modernes, 1981, Auch, 1983, p. 53-74.
556
G. MARTIN, « La Haute-Marche au XIIème siècle (…) » op. cit, p. 47-127.
557
AD Cher, 10 H 85.
558
É. CHENON, « Le prieuré d’Aignerais, membre de l’abbaye des Pierres », MSAC, 1900, T XVI, p. 35-55.
- 178 -
de Serer, des Chagnets, de la Grimauderie, de la Forêt Guyon et de Peucheny (bois de Puchent
actuel à l’est des Pierres, le long de l’Arnon) dont il ne demeure aujourd’hui dans le meilleur
des cas que des lieux-dits [Fig. 30]559.
Les bois de l’abbaye de la Colombe sont peu documentés. L’étude des textes aussi
bien sur les périodes médiévale et moderne révèle l’emploi quasi systématique du terme
nemus, moins dense que la silva qui n’est jamais citée560. L’abbé GAUDON décrit le site
comme un lieu « perdu au milieu des bois »561. D’après les textes, nous savons que les moines
jouissaient du bois de Péradan depuis 1218 ainsi que du bois de Vauret aujourd’hui totalement
disparus [Fig. 31]562. Quant à l’abbaye de Prébenoît, elle a obtenu la forêt Vela, le bois de
Montol, le bois du Cluzeau, le bois d’Ecosse au nord du site ainsi que le bois de Drouilles sur
la commune de Soumans aux limites du Bourbonnais563. Ne reste actuellement que le « bois
de l’abbaye » à quelques kilomètres au sud des ruines du monastère [Fig. 32].
L’abbaye de Bonlieu est l’une des mieux dotée des fondations de Haute-Marche. Elle
dispose en effet de treize granges et de nombreux bois connus grâce au cartulaire conservé.
Nous connaissons les bois de Foladeau et de Sermansanne aujourd’hui disparus. Le lieu-dit
« Sermansanne » apparaît bien sur la carte de Cassini au sud du monastère mais aucun bois
n’est matérialisé. De même pour le « bois de la Croix » localisé à l’ouest par un lieu-dit. La
« forêt des Landes » au nord du monastère a moins souffert des défrichements et est encore
relativement étendue de nos jours564. Les « bois de la Bonnette » (bois d’Estrader à l’époque
médiévale) et des « Reboules » existent encore à l’ouest de Bonlieu. Ils appartenaient à la
grange de la Porte. Le « bois de Bougnat » dépendait de la grange du même nom sur la
commune de Saint-Marien en Berry, à quelques kilomètres au nord de Boussac [Fig. 33] 565.
Le fonds du monastère de Bonlieu aux Archives Départementales de la Creuse révèle
également des plans des bois de l’abbaye datés des XVIIème et XVIIIème siècles566. Ces trois
planches de grand format réalisées à la plume permettent de juger de l’étendue des bois de la
Bonnette, de la Croix de la Bonnette et de la Chassagne-aux-Moines. Dans son mémoire de
maîtrise de géographie sur le paysage de la commune de Peyrat-La-Nonière, Isabelle
BALLET évoque le couvert forestier de l’abbaye de Bonlieu au Moyen-Âge. Elle remarque
559
AD Cher, 10 H 86.
J. PICAUD, L’abbaye cistercienne de la Colombe au Moyen-Âge, maîtrise sous la direction de B.
BARRIÈRE, Limoges, 1995, p. 70.
561
D. GAUDON, « Histoire de l’abbaye de la Colombe », RC, 1889, T XI, p. 168-175.
562
AD Indre, H 725 et H 728.
563
J. ROGER, P. LOY, L’abbaye cistercienne de Prébenoît, Limoges, 2003, p. 19-20.
564
G. MARTIN, « La Haute-Marche au XIIème siècle (…) » op.cit., p. 47-127.
565
M. NOUGER, Patrimoine et environnement aristocratique de l’abbaye cistercienne de Bonlieu en Creuse
aux XIIème et XIIIème siècles, maîtrise, Limoges, 1998, p. 207.
566
AD Creuse, 4 Fi 1300-1307.
560
- 179 -
d’après le cartulaire que toutes les parcelles évoquant un boisement semblent correspondre à
des parcelles effectivement boisées au Moyen-Âge, avant le grand effort de défrichement
médiéval567.
L’abbaye d’Aubignac a fait l’objet d’une étude récente de Marie-Hélène TERRIER
qui fait le point sur les bois et forêts possédés par les moines cisterciens568. Elle insiste en
particulier sur le fait que la majorité des acquisitions d’ensembles forestiers relève des années
1250 jusque dans le milieu du XIVème siècle. L’abbaye aux premiers temps de sa fondation
ne dispose guère que du bois de Luzeret ainsi que du bois de Versillat dépendant de la grange
de la Réjade au sud d’Aubignac. Il est encore assez étendu de nos jours. À partir du milieu du
XIIIème siècle, une réelle politique d’achats se met en place. Les moines engrangent sans
doute suffisamment de revenus pour se permettre d’investir dans l’acquisition de biens. Les
droits d’usage sont néanmoins fragiles et dépendent du bon vouloir des seigneurs. Aubignac
dispose ainsi de communaux sur la paroisse de Mouhet à la frontière de la Marche et de la
vicomté de Brosse. Associés au bois du Chapperon et à la Forêt Bâtée, ils forment une
écharpe au nord-est du site d’implantation des cisterciens, à la frontière d’entités politiques
tels la vicomté de Brosse, la vicomté de Bridiers, le comté de la Marche, la seigneurie de
Guierche et la châtellenie d’Argenton. Ils ont presque entièrement disparus aujourd’hui. Les
bois de Lalande et de Bellelande sont défrichés de manière systématique par les moines [Fig.
34]. Le sol calcaire permet d’établir des cultures assurant leur autarcie. Les cisterciens
implantent stratégiquement des granges au sud du Bassin Parisien qui permettent
l’approvisionnement en céréales et en vin tandis que le Massif Central est dévolu au saltus, à
l’élevage et aux bois.
Le patrimoine foncier de l’abbaye berrichonne de Varennes n’est cerné que par
quelques titres des Archives Départementales de l’Indre et du Cher. Les moines obtiennent en
1212 des droits de pacage et d’usage dans les forêts dépendant de la seigneurie de Cluis. Ils
disposent ainsi d’une centaine d’hectares. Il est toutefois difficile de retrouver la localisation
précise de cette généreuse donation [Fig. 35]569.
Les moines de Boeuil entreprennent de nombreux défrichements aux XIIème et
XIIIème siècles. Toutefois, ils conservent de grands espaces boisés pour leur intérêt
économique (bois d’ouvrage, bois de chauffe, glandée des porcs). Ainsi ils sont entourés de la
forêt d’Amberac et d’un bois au nord de l’abbaye. Les actes parlent de nemus, de bois plus
que de réelles forêts étendues. Les essences les plus courantes sont les chênes, les châtaigniers
567
I. BALLET, Archéologie des paysages de la commune de Peyrat-La-Nonière (…), op.cit., p. 113.
M. H. TERRIER, « Les bois et les forêts de l’abbaye d’Aubignac (…) » op.cit, p. 269-275.
569
A. CHARDON, « L’abbaye de Varennes, 1148-1791 », RB, 1906, p. 201-205.
568
- 180 -
et les aulnes comme le prouve la présence du toponyme « vergne » aux abords du monastère
[Fig. 36]570.
L’abbaye du Palais jouissait de droits sur les bois de Saneuil, d’Arcissas, de la Chaise
et de Fontloup. Les moines détenaient également des espaces boisés à Bonnefond,
Villefranche, Transet, Redondebesse et la Fayolle dans un rayon de 10 kms autour de
l’abbaye571. En 1211, Pierre de Peyrat donne aux moines ses droits sur le bois de Marbos. Les
moines obtiennent également le droit de prendre du bois pour les besoins de la construction
sur la terre de la Tenella grâce aux générosités de Pierre de Pierrebuffière. Il s’agit d’un bois
des donateurs de la seigneurie de Châteauneuf572. Au XIXème siècle, l’abbaye est encore
entourée d’importantes zones forestières : le Grand Bois à l’ouest, la forêt de Courson à l’est
et au sud [Fig. 37].
Concernant l’abbaye de Grosbot, elle est dès sa fondation décrite au cœur d’une forêt.
En effet, en 1147, Étienne d’Obazine reçoit les droits d’usage dans le bois de Grosbot et y
installe un petit groupe de frère. L’étymologie même du site, « Gros Bois », symbolise
l’implantation dans cette marche boisée [Fig. 38]573.
Concernant l’abbaye de Peyrouse, nous savons simplement que les moines jouissaient
des bois de Bartolocq, de Chabrolenc, de la forêt de Peyrouse et de Beynac [Fig. 39]574.
Le site d’Obazine est décrit comme un lieu « fort boisé » dans la Vita. Il est en effet
entouré d’un important couvert forestier. Obazine est citée comme une forêt dans le cartulaire
de Tulle (charte datée du début du Xème siècle) 575. Aujourd’hui encore l’abbaye est entourée
d’une importante forêt de plus de 500 ha576. Le cartulaire d’Obazine permet de mieux cerner
les possessions des moines cisterciens, et tout particulièrement les possessions de bois et de
forêts, aussi bien autour de l’abbaye même que pour chaque grange mise en place. Ainsi,
avant sa mort en 1137, Archambaud IV de Comborn donne la forêt d’Obazine aux ermites qui
y sont déjà installés. Entre 1148 et 1159, Archambaud V de Comborn donne une partie du
bois de Sourdain à Étienne. Entre 1142 et 1159, Étienne de Chanac donne la moitié du bois de
Charret. En 1162, Ajalbert de Borme donne des garanties pour les défrichements du bois de
Rasoll. Sous l’abbatiat de Robert (1164-1188), les donations de bois sont de plus en plus
570
I. AUBRÉE, op. cit, p. 63.
S. VITTUARI, op. cit, p. 85.
572
J. CIBOT, Le cartulaire de l’abbaye du Palais-Notre-Dame (XIIème-XIIIème siècles), DES, Poitiers, 1961, p.
13, fol 57 ; AD Creuse, H 524, fol. 78-79.
573
B. BARRIÈRE, Le cartulaire…, op. cit, p. 83.
574
C. DESPORT, op. cit., p. 69.
575
« Hec villa [de Vergonziaco] erat juxta quandam silvam que vocatur Obazina ». Cartulaire des abbayes de
Tulle et de Rocamadour, ed J-B. CHAMPEVAL, Brive, 1903, notice n° 289.
576
B. BARRIÈRE, L’abbaye cistercienne d’Obazine en Bas-Limousin, les origines- le patrimoine, Tulle, 1977,
p. 19.
571
- 181 -
nombreuses et progressivement, chaque grange va disposer d’au moins un espace forestier.
Ainsi le bois de Veyrières est donné à la grange de Veyrières, le bois de Veteri Carreria à
celle de Couffinier, le bois de Lauzerat à la grange de Saint-Palavy, le bois de la Limargue à
Bannières. Quant au groupe de Quercy-Rocamadour, il possède les bois de Naugers et de
Mortchabrit. En 1188, Étienne du Bosc donne aux frères de la grange de Graule (Cantal) le
droit de coupe dans le bois de Falcimagne. Dès 1170, nous savons que l’abbaye détient
l’usage momentané du bois Peironeg à proximité d’Obazine pour le pacage des animaux qui
travaillent au chantier de construction du monastère. Une perrière s’y trouve dont les moines
peuvent également disposer [Fig. 40].
Certaines de ces donations restent toutefois délicates à localiser [Fig. 41 à 44]. Elles
permettent néanmoins de constater l’importance de la forêt dans l’économie cistercienne. La
possession de bois était très prisée et objet de convoitises577.
Caractérisation d’une abbaye en marche :
Les marches peuvent être définies comme des zones de ressort mal défini où quelques
points limites sont déjà fixés. Michel AUBRUN livre une définition très éclairante de la
frontière, de la limite et de sa perception. Pour lui, « la limite est toujours la résultante de
données naturelles et humaines différentes, révélatrices d’affinités ou bien de dissemblances
ressenties et manifestées »578. Pour Christophe WISSENBERG, la frontière médiévale est « un
espace mal défini, intermédiaire, une zone tampon plus ou moins large, souvent forestière ou
marécageuse, en d’autres termes un espace périphérique que la notion de marche est plus à
même d’exprimer ». Il prend pour exemple la grange de Beaumont (Clairvaux, Côte-D’Or,
com. Riel-Les-Eaux), « l’archétype d’une clairière culturale cistercienne » située en limite de
deux régions et de trois départements, une « marginalité territoriale symptomatique de
l’ordre ». Beaumont est en limite de trois communes, aux frontières des archidiaconés du
Barrois et du Lassois. Dans les années 1200, trois grands feudataires se partagent l’espace. Le
géographe explique que les cisterciens tirent d’ailleurs probablement avantage de cette
situation marginale créant un climat concurrentiel entre les seigneurs, garantissant de
multiples donations579.
Selon Bruno PHALIP, les zones de marges apparaissent comme des territoires
mouvants, des « zones frontières qui sont des terres de rencontre, ambiguës dans leurs critères
577
B. BARRIÈRE, Le cartulaire…, op. cit, p. 71-87-155-177 et 327.
M. AUBRUN, L’ancien diocèse de Limoges des origines au milieu du XIème siècle, Clermont-Ferrand, 1981,
p. 67.
579
C. WISSENBERG, Entre Champagne et Bourgogne…, op. cit., p. 26.
578
- 182 -
de définition », difficiles à appréhender et à individualiser580. Ce sont sur ces territoires que les
moines cisterciens vont princiapelement s’implanter.
Ces abbayes frontières sont susceptibles de porter leur fidélité à l’un ou l’autre des
seigneurs dont ces marges séparent les territoires. L’hommage en marche assure en quelque
sorte le respect de cette frontière mal précisée581. Les marches sont le plus souvent des bois et
des marais. Elles deviennent naturellement un refuge pour les cultes naturistes lors des
premiers temps de la Chrétienté. Elles restent de hauts lieux de culte indigène en raison de
l’attachement mystique des Gaulois à leurs limites territoriales 582. Albert DUFOURCQ dans
son étude du début du XXème siècle sur la christianisation des foules insiste sur la fidélité du
peuple aux anciens cultes par rapport aux habitants des cités beaucoup plus réceptifs au
message des apôtres. Les marges diocésaines, peu peuplées, sont donc propices au maintien
de vieilles pratiques idolâtriques du fait de leur éloignement de la cité épiscopale. Selon
l’historien, c’est principalement le culte des martyrs qui accomplit l’œuvre populaire. Les
fidèles considèreraient en effet les martyrs comme de petits dieux locaux très actifs. Au
XIIème siècle, bien que la christianisation ait fait son œuvre depuis plusieurs siècles, certaines
marges forestières peuvent encore témoigner d’une persistance de certains cultes locaux
païens (Silvanus). Les ermites de la fin du XIème siècle, puis les cisterciens ne choisiraient-ils
pas justement ces frontières afin d’occuper des terres pouvant abriter des réminiscences de
cultes païens 583?
Au XIIème siècle, les abbayes cisterciennes optent le plus souvent pour ces zones
marginales peu peuplées et donc propre à leur assurer une relative solitude. L’abbaye de
Molesme est ainsi une abbaye-frontière, voisine de la limite du duché de Bourgogne. Elle est
originellement gardée par le comte de Champagne mais réussit en 1240 à passer sous la garde
royale, pouvoir plus éloigné et lui permettant ainsi une plus grande autonomie. De même
concernant l’abbaye de Pontigny dans l’Yonne, située aux marges des diocèses de Sens,
Auxerre et Langres, des comtés d’Auxerre, de Tonnerre et de Champagne584.
Les abbayes cisterciennes du sud de la France semblent adhérer à ce même schéma.
Ainsi, le monastère de Léoncel en Vercors correspond à une frontière géographique, civile et
580
B. PHALIP, « Étude monumentale et limites culturelles. Les confins de la Basse-Auvergne au XIIème
siècle », dans B. PHALIP (dir.), « Frontières médiévales », Revue Siècles, n° 5, PUBP, 1997, p. 29-58.
581
J. RICHARD, Les ducs de Bourgogne et la formation du duché du XIème au XIVème siècles, Paris, 1954, p.
171.
582
M. AUBRUN, L’ancien diocèse de Limoges des origines au milieu du XIème siècle, Institut d’Études du
Massif Central, Clermont-Ferrand, 1970, p. 69.
583
A. DUFOURCQ, La christianisation des foules. Étude sur la fin du paganisme populaire et sur les origines
du culte des saints, Paris, 1903, p. 35.
584
M. GARRIGUES, Le premier cartulaire de l’abbaye cistercienne de Pontigny, Paris, 1981, p. 11.
- 183 -
ecclésiastique. Les moines choisissent une marge entre les terres peuplées des plaines et les
collines déshumanisées585.
Ces monastères en marche attirent les convoitises seigneuriales et royales grâce à leur
situation stratégique et privilégiée, aux frontières diocésaines, paroissiales et seigneuriales586.
Qu’en est-il pour les abbayes cisterciennes du diocèse de Limoges ?
-
Attirance
pour
les
limites
diocésaines
et
paroissiales :
En 2001, Armelle BONIS et Monique WABONT remarquent concernant la France du
nord-ouest que dans 75% des cas, les abbayes sont situées aux marges des diocèses, tandis
que dans 90% elles optent pour les confins paroissiaux587.
Les abbayes cisterciennes du diocèse de Limoges et de ses marges semblent de même
attirées de manière quasi systématique par les frontières du diocèse [Fig. 11]. Seuls deux sites
dérogent à cette règle : il s’agit de Boeuil installée à quelques kilomètres à l’ouest de la cité
épiscopale et du Palais située entre Pontarion et Bourganeuf.
Ainsi, nous pouvons constater que les abbayes d’Obazine, Coyroux et Derses se sont
implantées non loin des limites du diocèse de Cahors où Obazine va d’ailleurs réussir de
nombreuses incursions (granges du groupe Quercy-Rocamadour, fondations des abbayesfilles de La Garde-Dieu et l’Abbaye-Nouvelle).
Les frontières entre le diocèse de Limoges et le diocèse de Clermont sont jalonnées de
nombreuses créations cisterciennes : la Valette et Bonnaigue, toutes deux filles d’Obazine, et
Bonlieu, fille de Dalon implantée au cœur des Combrailles. À l’est de cette limite, le diocèse
de Clermont connaît trois implantations cisterciennes intercalées entre les monastères
limousins : l’abbaye de Bellaigue (com. Virlet, Puy-de-Dôme), l’Esclache et Feniers (com.
Condat-en-Feniers, Cantal). L’occupation des marges diocésaines apparaît bel et bien comme
un enjeu pour les moines blancs qui s’éloignent ainsi d’une autorité épiscopale peut-être
indésirable.
L’abbaye de Grosbot est quant à elle incluse dans le diocèse d’Angoulême. Elle
correspond à une poussée obazinienne qui tente de jalonner la route qui conduit à ces
585
M. WULLSCHLEGER (dir.), “Léoncel, une abbaye cistercienne en Vercors”, Revue Drômoise, n°spécial,
Crest, 1991.
586
J. RICHARD, op. cit, p. 25.
587
A. BONIS, M. WABONT, « Cisterciens et Cisterciennes en France du Nord-ouest. Typologie des fondations,
typologie des sites », dans B. BARRIÈRE, M-E. HENNEAU (dir.), Cîteaux et les femmes, Créaphis, Paris, 2001,
p. 151-176.
- 184 -
possessions charentaises (salines d’Oléron) par des abbayes-filles (telles La Frénade 588 et
Grosbot) ou des greniers à sel (Cognac). Elle est située à la fois à la limite institutionnelle
entre vicomté de Limoges, comtés du Périgord et d’Angoulême et à la limite religieuse entre
les diocèses de Limoges, Périgueux et Angoulême. Il s’agit donc bien d’une zone de confins
susceptible d’être soumise à ces trois influences589.
Les marges septentrionales du diocèse de Périgueux connaissent deux installations
cisterciennes intéressant notre étude : Peyrouse et Boschaud. Le Périgord méridional est
dominé par l’abbaye de Cadouin, ancienne fondation géraldienne influente mais dont « les
options réformatrices et l’observance cistercienne dont on s’y réclamait s’y sont
progressivement assouplies ». Les cisterciens vont donc tenter de concurrencer cette abbaye
notamment par la création de Belleperche par Clairvaux en 1143, en faisant entrer Grandselve
dans la filiation de Clairvaux en 1147, en fondant Peyrouse en 1153 puis en agrégeant
Boschaud en 1163 dans cette même filiation. L’action des cisterciens est ici exemplaire et
caractéristique de leur prise de pouvoir sur les marges diocésaines590.
La même omniprésence des cisterciens est constatée aux marges des diocèses de
Poitiers, Limoges et Bourges. Ainsi, l’abbaye de la Colombe est située aux marges des
diocèses de Poitiers et Bourges. Louis RAYNAL insiste sur sa position équivoque puisque ses
bâtiments appartiennent au diocèse de Limoges, les jardins au diocèse de Bourges, ce qui
laisse présager des conflits d’intérêt certains591. Cette situation des abbayes cisterciennes
marginales doit parfois paraître quelque peu inconfortable et peut susciter de nombreuses
convoitises. Elle permet néanmoins aux moines de s’attirer les libéralités de nombreux
seigneurs alentours désireux de s’assurer les prières des moines et de « marquer » en quelque
sorte leur territoire.
Les monastères d’Aubepierres et de Prébenoît dépendent de l’évêque de Limoges mais
nombre de leurs terres et granges relèvent du diocèse de Bourges. Cette situation est inversée
pour les abbayes des Pierres et de Varennes sises dans le diocèse de Bourges aux frontières de
celui de Limoges.
588
Com. Merpins, canton de Cognac, département de la Charente, ancien diocèse de Saintes, fondée entre 1148
et 1150.
589
C. COUSSY, « L’implantation du monde religieux dans le Nontronnais à l’époque médiévale », Archives en
Limousin, n°26, 2005, p. 12-15.
590
B. BARRIÈRE, Moines en Limousin, l’aventure cistercienne, PULIM, Limoges, 1998, p. 26-28.
591
L. RAYNAL, Histoire du Berry depuis les temps les plus anciens jusqu’en 1789, T II, p. 421.
- 185 -
Quant à Aubignac, elle n’est à dix kilomètres à l’intérieur de l’ancien diocèse de
Bourges. Aujourd’hui, la limite de la Creuse et de l’Indre passe à quelques mètres de son
emplacement. Elle relève du département de la Creuse (com. de Saint-Sébastien)592.
La Colombe, Varennes et Aubepierres, créations directes de l’ordre, avaient sans doute
pour vocation de barrer la route aux moines daloniens bien présents à Prébenoît, Aubignac et
Bonlieu. Ainsi, le choix de ces terres marginales peut correspondre à un intérêt politique, à
une stratégie visant à la mainmise de territoires à coloniser. Les cisterciens ne sont d’ailleurs
pas les seuls à choisir ces paysages. Julien DENIS précise que les chanoines de l’Artige
s’installent de même dans une zone de confins à l’extrémité est de la paroisse de SaintLéonard-de-Noblat correspondant à une vaste forêt. Il ne s’agirait ainsi pas d’une spécificité
cistercienne593.
Les moines cisterciens semblent également opter pour des zones de confins
paroissiaux. Bien souvent, ils s’installent sur des paroisses-frontières fondées tardivement au
détriment des plus proches paroisses de l’intérieur et où la christianisation a généralement
tardé à pénétrer. Elles sont particulièrement nombreuses dans une Marche Limousine d’abord
peu peuplée594. L’abbaye de Prébenoît s’implante ainsi à la jonction des paroisses-frontières
de Bétête et de Genouillac. C’est le cas également de l’abbaye du Palais qui bénéficie ainsi du
désintéressement relatif pour ces terres faiblement soumises à l’autorité ecclésiastique595.
Quant à la paroisse de Chameyrat, dédiée à saint Étienne, elle est connue pour son
ancienneté. Une villa royale est citée dès 848. Elle comprend notamment la forêt d’Obazine.
Étienne s’installe avec ses frères à l’extrémité sud de cette paroisse596. Le monastère est placé
dans la vicomté de Comborn mais aux confins de celles de Turenne. Il dépend ainsi à la fois
des vicomtés de Turenne, Comborn et de Ventadour. Concernant les moines de Boeuil, ceuxci choisissent quant à eux les limites des paroisses de Saint-Victurnien et de Veyrac [Fig. 45].
592
G. DEVAILLY, Le Berry du Xème au milieu du XIIIème siècle, Mouton, Paris, 1973, p. 62.
J. DENIS, Prieuré de l’Artige…, op. cit., p. 19.
594
M. AUBRUN, L’Ancien diocèse de Limoges…, op. cit., p. 69.
595
S. VITTUARI, op. cit, p. 81.
596
M. AUBRUN, op. cit, p. 243.
593
- 186 -
-
Les termes-frontières :
Afin de mieux cerner l’emplacement de ces limites difficiles à appréhender, de ces
marges boisées qui souvent échappent à une définition et à une individualisation, des analyses
toponymiques peuvent être d’une aide précieuse [Fig. 46]. En effet, certains termes, appelés
« termes-frontières » dans l’historiographie actuelle, marquent souvent une terre de rencontre
entre deux territoires, deux diocèses, et avant cela deux civitas. Ce point de rencontre peut
parfois être matérialisé par un mégalithe. Ainsi, des toponymes comme fines, teminus,
uxellum, icoranda ou randa sont les plus fréquents marqueurs de limites. La forme icoranda
est particulièrement utile pour cerner ces frontières. Elle caractérise une limite de séparation
des eaux. Les limites de seigneuries ne peuvent guère quant à elles aider à notre étude étant
donné qu’elles s’étendent le plus souvent sur le diocèse voisin. Elles sont de plus trop peu
stables pour être prises en considération. Une étude précise de ces termes aux marges du
diocèse de Limoges montre un curieux rapprochement avec certains sites cisterciens597.
Ainsi, nous pouvons relever de nombreux toponymes aux frontières actuelles de la
Creuse, du Cher et de l’Indre, à savoir aux limites nord-est du diocèse de Limoges avec celui
de Bourges. Le tracé de cette frontière suit la ligne de séparation des eaux du bassin de l’Indre
et de la Petite Creuse. Elle est jalonnée de toponymes tels « Les Fins » à Saint-Pierre-Le-Bost
(Creuse) à une quinzaine de kilomètres à l’est de l’abbaye de Prébenoît, Aigurande à deux
kilomètres à l’est environ de l’abbaye d’Aubepierres. Ce dernier correspond à une « limite
sèche », traduction de icoranda. Les toponymes en rand y sont particulièrement nombreux
comme le soulignait Michel AUBRUN à juste titre : La Rondière et le Boirond (com.
d’Orsennes), le Poirond (com. de Montchevrier) qui ne sont qu’à quelques kilomètres de
l’abbaye d’Aubepierres se trouvant ainsi cernée de termes-frontières 598. À la frontière de la
Creuse et de l’Indre, l’abbaye de la Colombe peut également être interprétée comme un
terme-frontière. En effet, la Colombe est dérivée de columna qui pourrait signaler une colonne
romaine élevée pour rendre apparents les passages de souveraineté599. Un toponyme
« Entrefin » (com. Adriers) marque la rencontre des actuels départements de la Vienne et de la
Haute-Vienne. De même concernant le nom la Bazeuge au nord du Dorat. Ce terme est issu
de basilicae. Il s’agit de bâtiments publics pour les marchés situés sur les frontières des
civitates. Nous pouvons également relever le toponyme Eygurande en Haute-Corrèze à
597
P. C. BARRIÈRE, « Les termes-frontière dans la topographie gallo-romaine », Revue des Études Anciennes,
T 49, 1947, p. 160-168 ; J. HAVET, « Igoranda ou Icoranda, frontière. Note de toponymie gauloise », Revue
Archéologique, 3ème série, T XX, 1892, p. 170-175 ; A. LONGNON, « Le nom de lieu gaulois Ewiranda »,
Revue Archéologique, 3ème série, T XX, 1892, p. 281-287.
598
M. AUBRUN, L’ancien diocèse de Limoges…, op. cit, p. 70.
599
J. PERRIER, Carte archéologique de la Gaule- Haute-Vienne, Paris, 1993, p. 33.
- 187 -
quelques kilomètres au nord de l’abbaye de Bonnaigue, Engueyrande à Altillac au sud-est de
Beaulieu-sur-Dordogne.
Les limites diocésaines sont ainsi plus clairement matérialisées, à la fois par ces
termes-frontières et par l’emplacement même des sites cisterciens attirés par les limites. Outre
ces toponymes, l’hagiotoponymie peut également aider à mieux cerner les marges
diocésaines. En effet, le culte de Sainte-Radegonde est fréquemment associé aux zones
marginales, vraisemblablement par rapprochement entre Radegonda et icoranda600. En effet,
l’homophonie entre ces deux noms entraîne la substitution à des termes-frontières de saints
authentiques, telle sainte Radegonde qui s’inscrit ainsi comme une traduction christianisée de
l’ancien rand gaulois601. C’est une reine née vers 520, morte en 587 qui va bénéficier d’un
grand renom en Aquitaine et plus particulièrement en Limousin602. Son culte, attiré par les
limites, va surtout se manifester aux confins des cités puis aux frontières des diocèses de
Limoges et de Clermont où la sainte est titulaire de chapelles et de fontaines qui deviennent
lieux de pèlerinage le 13 août603. Toutefois, elle est honorée également aux limites des
diocèses de Limoges et de Poitiers. Selon Alain PERRIER, ces lieux de dévotion seraient
disposés suivant un itinéraire précis correspondant au voyage de la sainte à Arles. Elle aurait
donc suivi les frontières hydronymiques604. Des cultes lui sont rendus à Villeneuve-prèsCrocq (fontaine), les Mars (canton d’Auzances), Saint-Germain-sur-Vienne (chapelle),
Montroyer (commune de Saint-Aignan de Versillat), Sérandon (Corrèze) et Budelière
(chapelle). L’ensemble de ces sites est invariablement situé aux limites du diocèse. La
chapelle du Châtelet sur la commune de Budelière relevait de la cité des Bituriges. Elle a pu
revêtir un rôle militaire de part sa position stratégique sur le chemin qui relie Évaux à la vallée
du Cher, antique débouché des hauts plateaux creusois sur les plaines du Berry605. Les zones
rurales de montagne sont les dernières à pratiquer le gaulois, d’où ces toponymes et
hagiotoponymes issus de rand. Ces espaces sont longtemps restés réticents à la
christianisation. Le gaulois disparaît plus facilement dans les classes aisées des cités qui
600
J. L. LEMAITRE (dir.), Radegonde, reine, moniale et sainte. Son culte en Limousin, Ussel, De Boccard,
2003 ; A. PERRIER, « Manifestations populaires du culte de sainte Radegonde en Limousin », dans les actes des
Journées de Poitiers, Études Mérovingiennes, Paris, Picard, 1953, p. 249-252 ; M. PIBOULE, « Deux sites des
confins Lémovice-Bituriges » : Saint-Marien et Sainte-Radegonde », dans les actes du 102ème Congrès National
des Sociétés Savantes, Le Limousin, Études archéologiques, Limoges, 1977, Paris, 1979, p. 9-19.
601
P. C. BARRIÈRE, « Les termes-frontières dans la toponymie gallo-romaine », REA, T 49, 1947, p. 160-168.
602
J. L. LEMAITRE (dir.), op. cit., p. 14.
603
M. AUBRUN, op.cit, p. 70.
604
A. PERRIER, « Manifestations populaires du culte de sainte Radegonde en Limousin », Études
Mérovingiennes, Actes des journées de Poitiers, 1952, Paris, Picard, 1953, p. 249-252.
605
M. PIBOULE, « Deux sites des confins Lémovice-Biturige : Saint-Marien et Sainte-Radegonde », Le
Limousin, études archéologiques, Actes du 102ème Congrès National des Sociétés Savantes, Limoges, 1977,
Paris, 1979, p. 9-19.
- 188 -
veulent se romaniser. À quelques kilomètres seulement de l’abbaye cistercienne de Boschaud,
la commune de Villars comprend une chapelle à sainte Radegonde correspondant bien aux
frontières des diocèses de Limoges et de Périgueux606.
Toutefois, le culte à sainte Radegonde n’est pas systématiquement en limites
diocésaines comme en témoignent certaines titulatures repérées dans le diocèse de Périgueux
encourageant à nuancer notre propos. Ainsi, l’église de Milhac-D’Auberoche dédiée à sainte
Radegonde n’est qu’à 10kms au sud est de Périgueux, loin des marges diocésaines. De même
concernant l’église de Cladech, également dédiée à sainte Radegonde située au sud-ouest de
Sarlat607.
Ainsi, aussi bien les toponymes et hagiotoponymes peuvent nous apprendre sur les
marges diocésaines coïncidant bien souvent avec les sites d’implantation des moines
cisterciens qui trouvent sans doute un intérêt stratégique à ces emplacements : éloignement de
l’autorité de l’évêque, zones déshumanisées encore recouvertes de bois pouvant correspondre
au mythe du désert exprimé dans les écrits de l’ordre. Ces terres marginales pourraient ainsi
bien correspondre à un saltus propre à répondre aux idéaux de saint Bernard, Guillaume de
SAINT-THIERRY et Guerric d’IGNY.
•
Le désert dans la toponymie : les termes liés au saltus.
Outre les actes de donation concernant des droits d’usages dans les bois et forêts
environnantes, une analyse toponymique des sites cisterciens peut nous apprendre sur le
couvert forestier et la physionomie des paysages. Les termes liés au saltus gardent parfois le
souvenir de bois, friches ou marais aujourd’hui disparus et permettent d’envisager ce que
pouvait être le paysage médiéval et moderne entourant les abbayes cisterciennes. Ils évoquent
des bois, des marais, des friches, et leur maintien dans la toponymie actuelle peut être un
indice pour notre tentative de reconstitution du paysage gallo-romain puis médiéval. La
majorité des termes est connue des deux périodes, d’où notre difficulté à discerner s’ils se
réfèrent à une réalité gauloise ou médiévale. Toutefois, les gaulois et les romains ont peu
défriché. Les forêts forment les limites naturelles des cités tandis que les centres s’implantent
au cœur de terres cultivables. Une pérennisation des bois et forêts peut être supposée durant le
haut Moyen-Âge. Les défrichements n’apparaissent réellement que dans le courant du XIIème
siècle sous l’action des nouveaux ordres religieux agraires et de celle plus massive mais
606
J-A. CARLES, Les titulaires et les patrons du diocèse de Périgueux-Sarlat, éditions du Roc-de-Bourzac,
Bayac, 1884 (réédition 1986), p. 224.
607
J-A. CARLES, Les titulaires et les patrons du diocèse…, op. cit., p. 59- p. 93.
- 189 -
moins connue des laïcs608. La multiplication des termes liés au saltus près des sites cisterciens
semble corroborer l’idée d’une implantation au désert dans des zones boisées.
Pour une telle étude, nous bénéficions des cartes de Cassini et des cartes IGN au
1/25000ème, sources d’informations précieuses permettant non seulement de repérer certains
lieux-dits cités dans les actes de donation mais aussi de lister d’autres zones dévolues au
saltus aujourd’hui humanisées. Toutefois, cette étude demeure incomplète : certains sites
médiévaux n’ont laissé aucune trace dans la toponymie et ne peuvent être cartographiés. De
plus, il est souvent délicat, d’après un seul de toponyme, d’attester de source sûr sa datation
(époque gallo-romaine, médiévale ou moderne). Cette analyse toponymique reste donc
nécessaire mais de fait sujette à caution.
Les toponymes les plus fréquents dans ces marges autrefois dévolues au saltus sont les
dérivés de bois tels « bost » ou « breuil » qui laissent présager l’environnement très boisé
jusqu’à l’époque médiévale avant les premiers défrichements d’envergure au XIIème siècle.
« Breuil », du gaulois bragilo, est synonyme de bois taillis, généralement marécageux 609.
Gabriel FOURNIER le décrit comme un terrain laissé inculte et occupé par une végétation
arbustive610. Les toponymes issus de silva (seauve dans le Croissant linguisque correspondant
à une partie de la Marche Limousine et du sud du Berry) appartiennent surtout à l’époque
mérovingienne tandis que forestis désigne le domaine du roi ou du seigneur à l’époque
carolingienne611.
Les alentours proches de l’abbaye d’Aubepierres présentent de nombreux termes liés
au saltus tels « Le Feschaud » issu de « silva faya », le hêtre. La carte IGN révèle les
toponymes « Brousse » au nord de l’abbaye, « le Bois du Bouchet », « Nouzerolles » (le
noyer), « la Jarrige », le « Bois de Parnac », « La Sagne » et la « Bussière » (buis) au sud du
site monastique612. « La Sagne », dérivé de l’ancien occitan sanha se rapporte à des lieux où
l’eau abonde, à des marais ou des sources [Fig. 47].
La carte de Cassini signale près d’Aubignac un toponyme « La Bétoule » faisant
référence au bouleau. La forme bettullu (bouleau) est très fréquente dans cette zone de
frontière linguistique appelé le Croissant613. Le Croissant est une zone de parlers
608
G. DEVAILLY, Le Berry du Xème au milieu du XIIIème siècle, Paris/ La Haye, 1973, p. 287.
A. DAUZAT, La toponymie française, Paris, 1960, p. 62.
610
G. FOURNIER, Le peuplement rural en Basse-Auvergne durant le haut Moyen-Âge, Thèse de doctorat, Paris,
1962, p. 288.
611
M. VILLOUTREIX, Les noms de lieux de la Creuse : archéologie et toponymie, Limoges, 1989, p. 31
612
IGN Série Bleue, 1/25000ème, Dun-Le-Palestel, 2128 E.
613
G. BRUN-TRIGAUD, « Deux types toponymiques symptomatiques d’une zone intermédiaire : les
aboutissements d’oratoriu et de bettulu « bouleau » dans le Croissant », Onomastique et langues en contact,
Actes du colloque de Strasbourg, 1991, ABDO, 1992, p. 181-188.
609
- 190 -
intermédiaires d’une grande diversité qui s’étend sur 250 kms de long et 50 kms de large au
nord de la Haute-Vienne et de la Creuse, au sud de l’Allier de même qu’au nord du Puy-deDôme. Ainsi, aux frontières du Berry et de la Marche, Méasnes, Lourdoueix-saint-Michel et
Mortroux relèvent de la langue d’Oc, Saint-Plantaire, Montchevrier et Aigurande de la langue
d’Oïl614. « Le Bois » est situé à l’ouest de l’abbaye d’Aubignac. La forêt de Saint-Germain est
indiquée au sud-est de l’implantation du site cistercien. La carte IGN permet d’ajouter à cet
inventaire « le Grand Bois » au sud de l’abbaye, « Les Bois Chardon », « Le Bois Bertrand »,
« Le Bois de la Maison seule », « le Bois de la Chaume », « La Forêt Batée » et le « Bois des
Gorses ». « La forêt au comte » ne devait pas appartenir aux moines d’Aubignac. Un lieu-dit
« Labetoulle » témoigne de la présence de bouleaux au nord du monastère [Fig. 48]615.
Le site de l’abbaye de Bonlieu devait être dévolu au saltus si l’on se réfère à la forte
présence de termes liés aux bois et aux friches. Nous pouvons citer « le Breuil », « la
Jarrige », « le Bétoux », le « Bois » et le « Boix » présents aux alentours du site. La carte IGN
permet d’y ajouter le « Bois des Reboules », le « bois de la Bonnette », le « bois Poissin » le
« Bois des Souchères » encore très étendu aujourd’hui, le « bois de la Brégère », le « Breuil
Coton » [Fig. 49]616.
L’abbaye de la Colombe est de même cernée de termes liés aux bois et forêts tels « les
taillis » et le « bost » au nord-est du site, « la Jarige » au sud-ouest. La carte IGN permet d’y
adjoindre les « chaumes » et les « grandes chaumes » liées à des friches, « le Breuil » et le
« bois d’Hôme » [Fig. 50]617.
Concernant l’abbaye des Pierres, nous pouvons également inventorier un certain
nombre de toponymes pouvant aider à notre tentative de reconstitution du paysage médiéval.
Ainsi, nous relevons les termes « les Fougères », « le Châtaignier rond », « le gros buisson »,
« les trois chênes », « le bois du mas », le « Bois de l’abbaye » et le « bois de la Roche » qui
nous renseignent sur l’importance du couvert forestier et sur les essences qui le constituent618.
La carte de Cassini nous permet d’y ajouter le « Bois de Puchent », le « Breuil » au nord-est
du site, la « Betoulle », le « bois Derondais » et le « Bois des Eguilles » au nord-ouest [Fig.
51].
Quant à l’abbaye de Prébenoît, nous pouvons relever le « Bois Vieux », « les
Bracons » (marais), « le Bost », la « Forest », les « Ajoncs », « Les Boissières », les
« Fougères » et les « Bétoulles » évoquant des bois, friches et marais. Le terme « bracons »
614
G. MARTIN, Aigurande ou histoire d’une frontière, Guéret, 1896, p. 38.
IGN Série Bleue, 1/25000ème, Saint-Sébastien, 2128 O.
616
IGN Série Bleue, 1/25000ème, Gouzon, 2329 O.
617
IGN Série Bleue, 1/25000ème, Lussac-les-Eglises, 2028 O.
618
IGN Série Bleue, 1/25000ème, Châteaumeillant, 2327 O.
615
- 191 -
issu du gaulois bracos signifie en effet le marais tandis les « Boissières » désigne un lieu
recouvert de buis, souvent révélateur de sites anthropiques et indices de vestiges galloromains. La carte IGN nous permet d’ajouter à cet inventaire le « Bois de l’Abbaye » [Fig.
52]619.
L’abbaye de Varennes livre par ailleurs beaucoup moins de termes liés au saltus. Nous
pouvons relever « la loge des bois » apparaissant sur la carte IGN au nord-est du site, le
« Chassin », « les Chaumes » et « Fougerolles » au nord. La carte de Cassini permet d’y
ajouter « la Forest » au nord-ouest, « le Bois du Chassin » au nord-est, le « Bois de
Villemort » au niveau de Fougerolles620. L’étymologie de Varennes est également liée au
saltus. Elle est issu du latin arena, le sable et de vara, l’eau. Selon l’Encyclopédie, ce terme
désigne des fonds plats et marécageux situés entre les deux coteaux d’une rivière, définition
qui convient tout à fait au monastère blotti dans la vallée du Gourdon. Le nom même de ce
ruisseau renvoie à un point d’eau profond et bourbeux. Les terres une fois drainées ne sont
guère destinées à la culture mais constituent de bons pâturages. Il pourrait s’agir également
d’une autre forme du mot « garenne » qui s’applique à des sols ingrats, non cultivables, que la
noblesse réserve à la chasse. Ainsi, en considérant l’étymologie même de Varennes, il
semblerait bien que le monastère se soit implanté dans une zone dévolue au saltus [Fig. 53]621.
L’abbaye de Dalon correspond à un îlot de défrichement entre la forêt domaniale de
Born et le Bois Noir à l’est. La carte IGN révèle de nombreux toponymes liés au saltus : la
« Forêt Basse » au nord, « La Chassagne » et les « Grands Bois » à l’est de Sainte-Trie, « Le
Bois Nouveau » et le « Bois Noir » à l’est de Dalon et les « Bois Rosiers » au sud-ouest du
site monastique622. Ces toponymes révèlent l’importance du couvert forestier avant les
défrichements systématiques [Fig. 54].
L’abbaye de Boschaud apparaît entourée de bois. La carte IGN signale le « Bois de
Mousseau », la « Forêt de Lafarge », « Le Bost » prolongés par le « Bois de Coulonges ».
« Les Grands Bois » sont situés au sud de la tenure de Jayac appartenant aux moines
cisterciens [Fig. 55].
Quant à l’abbaye de Peyrouse, les toponymes liés au saltus sont aussi très nombreux.
Nous pouvons relever « Le Châtaignier » au nord de l’abbaye dans la direction de Saint-SaudLacoussière, le « Bos de Neymard » et le « Bos-Brûlat » au nord-ouest du site, « la Forêt » et
619
IGN Série Bleue, 1/25000ème, Châtelus-Malvaleix.
IGN Série Bleue, 1/25000ème, Neuvy-Saint-Sépulchre, 2227 O.
621
G. WOLKOWITSCH, L’abbaye royale Notre-Dame de Varennes (…), op.cit., p. 2.
622
IGN Série Bleue, 1/25000ème, Hautefort, 2034 O.
620
- 192 -
la « Forêt de Beynac » au nord de l’abbaye ainsi que le « Petit Bos ». « Le Buisson » est
indiqué au nord-est du site monastique [Fig. 56]623.
Concernant Obazine et Coyroux, les termes liés au saltus sont très fréquents et
permettent d’imaginer l’ampleur d’un couvert forestier encore important de nos jours. « Le
Bois d’Aillac » est situé au nord des monastères. Il apparaît sur la carte de Cassini sous la
graphie « bois d’Alaix ». « La Forêt de Palazinges » est encore très étendue aujourd’hui. « Le
Bois Clair », « Le Bois Grand » et le « Bois du Rieux » sont situés au sud de l’abbaye, « Le
Breuil » au sud d’Albignac et le « Bos Vieil » au sud-ouest d’Obazine, près de Dampniat [Fig.
57]624.
L’abbaye de Derses n’est pas indiquée sur la carte de Cassini. La carte IGN permet de
repérer des toponymes tels « Les Chassagnades » au sud, « le Bois l’Aiguille » et le « Bos
Franc » au sud-ouest liés au saltus [Fig. 58]625.
Sur la carte de Cassini, l’abbaye de Grosbot est signalée « Gros Bois », graphie
éclairant sur la signification du nom choisi par les moines. La forêt d’Horte y est représentée
relativement étendue, et c’est encore le cas aujourd’hui. La carte IGN présente l’abbaye
comme un îlot de défrichement au cœur de cette forêt. Les termes liés au saltus y sont
nombreux : « Bois de la Tâche », « La Forêt », le « Chêne Vert » au nord ; le « Bois du
Boucheron », « Bois du Lac des Cuves », « Bois du Soulier » à l’est ; la « Petite Forêt » et le
« Bois Boureau » à l’ouest [Fig. 59]626.
La carte de Cassini signale le toponyme « Le Breuil » au nord-est de l’abbaye de
Valette. Les moines se sont implantés dans une zone encore très boisée aujourd’hui : la forêt
domaniale de Miers est prolongée à l’ouest par le « bois de Tarrieu », le « Bois de
Lagrillère », le « bois de Lachaux », le « Bois de Charel », le « Bois de Brieu » et le « Bois
Grand » [Fig. 60]627.
D’après les cartes de Cassini et IGN, l’abbaye de Bonnaigue est située au cœur d’un
îlot de défrichement entre le « Bois de Pécey » et le « Bois de Bonnaygue ». Au nord, les
toponymes « Larfeuille » et « la Jarrige » sont liés au saltus. Le « Bois Bonnet » et le « Bois
de la Prade » sont indiqués au sud du site monastique [Fig. 61]628.
Concernant l’abbaye du Palais, nous pouvons également constater la présence de
nombreux termes liés au saltus comme les « Fayes » à l’ouest de l’abbaye témoignant la
623
IGN Série Bleue, 1/25000ème, Saint-Pardoux-La-Rivière, 1933 O.
IGN Série Bleue, 1/25000ème, Beynat-Meyssac, 2135 E.
625
IGN Série Bleue, 1/25000ème, Tulle, 2134 E.
626
IGN Série Bleue, 1/25000ème, Montbron, 1832 O.
627
IGN Série Bleue, 1/25000ème, Mauriac, 2334 O.
628
IGN Série Bleue, 1/25000ème, Eygurande, 2332 E.
624
- 193 -
présence de hêtres sur le site ou encore « Les Châtaigniers » à l’est de Quinsat. « Le Bois du
Transet », encore assez étendu aujourd’hui, montre l’attirance certaine des moines blancs pour
les zones boisées [Fig. 62]629.
De même concernant l’abbaye de Boeuil entourée de toponymes liés au saltus tels
« Le Buisson », le « Petit Buisson » au sud-est de l’abbaye, « les taillis » au sud-ouest, « La
Châtaignerie » et les « Châtaignolles » au sud-ouest nous renseignant sur les essences d’arbre
les plus fréquentes [Fig. 63]630.
•
Hagiotoponymie :
Outre cette récurrence des termes liés au saltus laissant présager de l’implantation des
moines cisterciens dans un désert relatif, l’hagiotoponymie peut également témoigner de
l’importance des zones boisées à l’époque médiévale sur les sites pris en compte dans cette
étude. En effet, nous pouvons constater la forte présence d’un culte à saint Silvain notamment
en Haute-Marche, phénomène déjà mis en exergue par Michel AUBRUN dans son étude du
diocèse de Limoges. Saint Silvain est un saint berrichon étroitement lié aux zones de friches
et de saltus et dont la récurrence ne peut que conforter les conclusions énoncées suite à
l’étude toponymique [Fig. 64].
Saint Silvain est connu pour être le compagnon de saint Martial, envoyé par saint
Pierre pour évangéliser le Poitou, le Limousin, la Marche et le Berry 631. Par la suite il serait
devenu un guérisseur connu pour soigner les convulsions infantiles. Il meurt à Levroux et
serait inhumé à la Celle-Bruère en Berry. Son culte est attesté dès le dernier tiers du VIIIème
siècle dans le martyrologe hiéronymien de Berne632. En Haute-Marche, il est honoré à Bonnat,
Saint-Silvain-Bellegarde, Saint-Silvain-Montaigut, Saint-Silvain-Sous-Toulx et Saint-SilvainBas-Le-Roc. Le nord-ouest de la Creuse actuelle reste ainsi fidèle à l’ancienne dévotion,
présente également en Poitou et en Loir-et-Cher633. Elle ne connaît cependant qu’une faible
expansion634. Jean PERRIER signale un culte à saint Silvain à Verneuil-Moustiers au nordouest du diocèse de Limoges mais sans toutefois préciser s’il s’agit de Silvain de Levroux ou
629
IGN Série Bleue, 1/25000ème, Bourganeuf, 2130 E.
IGN Série Bleue, 1/25000ème, Saint-Junien, 1931 E.
631
Nous connaissons également un autre Silvain honoré à Ahun où il fut martyrisé mais dont le culte s’est très
peu répandu.
632
Bernensis 289 : « au bourg berrichon de Levroux Saint Silvain et Saint Sylvestre », cité par J. P. SAINTAUBIN, « Le culte de saint Silvain en la collégiale de Levroux, son origine », RAC, 1971, p. 47-52.
633
En Poitou, il existe une fontaine saint Silvain à Mairé et une église Saint-Silvain de la Chaux sur la commune
de Genouilly. En Loire-et-Cher, il est honoré à Noyers.
634
M. M. du MURAUD, « Le culte de saint Silvain dans la Creuse », MSSNAC, T XXV, 1932, p. 363-368.
630
- 194 -
d’Ahun635. Ce dernier est essentiellement honoré à Ahun, Saint-Laurent-Les-Églises
(Ambazac), Château-Chervix (Saint-Germain-Les-Belles) et Guéret636.
Le saint peut être rapproché de l’ancienne divinité agraire des Romains, Silvanus,
oubliée à l’époque impériale excepté au sein des communautés rurales. Pour VIRGILE, il
s’agit du « dieu des troupeaux et des champs », champs obtenus par les défrichements de la
forêt primitive silva. C’est une divinité de la classe des éleveurs-agriculteurs, des bois et des
vergers, des jardins et des champs, protecteur des troupeaux et des chaumières. Il veillerait
ainsi à la fois sur le saltus et l’ager637. Saint Silvain entrerait alors dans le cadre de la
christianisation des cultes païens et se serait peu à peu substitué à l’antique Silvanus638. Le
Silvanus romain aurait lui-même supplanté le Dis Pater gaulois dont parle César. En effet,
nombre de divinités guerrières tendent à être oubliées suite à la longue paix romaine, d’où la
moindre faveur accordée au dieu infernal Dis Pater au profit de l’inoffensif saint Silvain639.
Celui-ci est ainsi avec les zones de saltus plus réticentes à la christianisation, attachées aux
cultes païens liés aux forêts et au monde végétal. La forte présence de ce culte en HauteMarche et au sud du Berry confirme les analyses toponymiques qui visaient à définir ces
espaces comme des « déserts », des terres en friches encore relativement dévolues au saltus.
Pour Bruno PHALIP, Silvain apparaît indéniablement comme le protecteur des espaces boisés
ou du saltus. Il faut selon lui en déduire l’importance prise par ces forêts ponctuées de
paroisses dédiées à saint Silvain dans la Marche et le Limousin puisque « ces protections
miraculeuses ou ces manifestations d’admiration, liées aux constructions charpentées, sont
trop fréquentes, au-delà des conventions littéraires pour ne pas alerter »640.
Ainsi l’analyse des actes de donation, les études toponymiques et hagiotoponymiques
semblent confirmer l’implantation au désert des moines cisterciens soucieux de se conformer
à un idéal largement exprimé dans les textes de l’ordre. Le choix de marges boisées paraît
quasi systématique. Si le Palais et Boeuil ne sont pas implantées aux limites des diocèses, la
présence d’un important couvert forestier est toutefois attestée. À en juger par ces témoins
indéniables, on pourrait croire en la réussite des moines blancs dans leur volonté d’isolement
635
J. PERRIER, Carte archéologique de la Gaule- Haute-Vienne, Paris, 1993, p. 33.
M. AUBRUN, L’ancien diocèse de Limoges…, op. cit, p. 281.
637
G. JANICAUD, « Le pays creusois à l’époque gallo-romaine, la religion », MSSNAC, T XXXI, 1953, p. 313351.
638
M. PICHON, « Saint Silvain », MSSNAC, T XXXVI, 1967, p. 431-439.
639
D. JANICAUD, « Les cultes locaux à l’époque romaine dans la Creuse », MSSNAC, T XXVII, 1940, p. 385395.
640
B. PHALIP, Charpentiers et couvreurs. L’Auvergne médiévale et ses marges, DARA, n°26, Lyon, 2004, p.
75.
636
- 195 -
au cœur de solitudes boisées impénétrables. Toutefois, une étude précise du cadre de
l’occupation gallo-romaine, du réseau paroissial, du peuplement du Haut Moyen-Âge est
nécessaire pour juger d’une réelle installation sur des terres déshumanisées. Les cartulaires et
actes conservés permettent aussi de prendre la mesure de l’importance des rapports avec
l’épiscopat, les seigneurs et les autres communautés religieuses. Après des premiers temps
érémitiques et solitaires semblent s’imposer invariablement un glissement du saltus vers
l’ager, une économie de surplus et une insertion dans les flux de commerce et d’échange, ce
dès la fin du XIIème siècle.
4. Un désert illusoire :
Nous avons pu percevoir à travers une étude toponymique, hagiotoponymique et des
actes de donation que les moines cisterciens de l’ancien diocèse de Limoges et de ses marges
semblent choisir prioritairement des terres dévolues au saltus, des espaces boisés en marge
des diocèses. Cette volonté de retrait au désert est exprimée dans les textes des grandes
figures de l’ordre dès les premiers temps de l’histoire cistercienne, relayée par l’hagiographie
contemporaine (Vita de saint Étienne d’Obazine) et jusqu’au XIXème siècle dans les écrits
d’érudits locaux. Ceux-ci décrivent en effet les sites de l’ordre comme de vastes et horribles
solitudes. Toutefois, nous devons nous interroger sur le caractère « déshumanisé » des
paysages d’implantation de ces moines blancs. Ces terres dites incultes et ingrates n’ont-elles
véritablement jamais connu de présence humaine ? Qu’en était-il à l’époque gallo-romaine, au
haut Moyen-Âge ? D’autre part, les cisterciens peuvent-ils vraiment vivre en retrait du siècle
alors même qu’ils acceptent les libéralités seigneuriales, ayant souvent pour fréquente
contrepartie le droit d’inhumation dans l’abbatiale ? Ils bénéficient des bienveillances des
évêques, des rois de France ou d’Angleterre qui sont souvent pour beaucoup dans leur choix
du site d’implantation et aident financièrement les moines lors de premières années précaires.
Les abbayes cisterciennes pourraient ainsi devenir des lieux de pouvoir et d’échanges
inattendus, de contacts entre moines et laïcs, des relais mais aussi des enjeux du pouvoir
comme le soulignait Anne-Marie FLAMBARD HÉRICHER à propos des abbayes
bénédictines normandes641.
Les moines blancs tendent de plus à commercialiser certains de leurs produits en surplus
et obtiennent pour ce faire des maisons dans les villes environnantes, remettant sérieusement
en cause le mythe d’une vie au désert, loin des préoccupations urbaines. René LOCATELLI
641
A-M. FLAMBARD HÉRICHER, « Introduction » dans A-M. FLAMBARD HÉRICHER, Les Lieux de
pouvoir au Moyen-Âge en Normandie et sur ses marges, CRAHM, Caen, 2006, p. 1-4.
- 196 -
met en lumière le fait que les moines blancs recherchent vraisemblablement moins la solitude
que des terres propices à la culture, des espaces suffisants pour leur développement. Ils
s’insèrent progressivement dans le monde par la détention d’églises, les acquisitions
d’immeubles (moulins), de rentes, d’hommes. Il existe donc un décalage sensible entre l’idéal
cistercien et la réalité monastique642.
•
Le cadre de l’occupation gallo-romaine :
Une étude précise de l’occupation gallo-romaine sur les communes concernées par
notre propos peut permettre de mieux connaître le paysage d’implantation des abbayes
cisterciennes et de préciser si ces sites ont déjà connu une humanisation ou si les moines
blancs « colonisent » véritablement de nouvelles terres « déshumanisées ». Les moines blancs
s’implantent sur des terres où l’installation d’une église paroissiale est relativement tardive, ce
qui ne signifie toutefois pas le peuplement tardif de la paroisse. Pour Michel AUBRUN, « Il
est des paroisses tardives où l’on relèvera au chef-lieu des traces d’habitat gallo-romain,
preuve évidente que le peuplement ancien n’a pas suscité l’installation d’une église »643.
Pour cette étude du peuplement gallo-romain, les Cartes Archéologiques de la Gaule
ainsi que des réflexions sur la toponymie sont des outils indispensables et précieux sur
lesquels nous avons pu appuyer notre analyse644.
En Haute-Marche, la commune de Méasnes sur laquelle est établi le monastère
d’Aubepierres a livré une trentaine de sépultures à incinération (notamment à Lavaud à
quelques centaines de mètres au nord de l’abbaye) ainsi que deux villae. L’une est à la
Vacheresse à l’est du monastère. Une voie romaine d’Aigurande à Argenton passe par le
hameau de Chézeau-Limousin à quelques kilomètres seulement au nord-est de l’abbaye
d’Aubepierres. Ce toponyme « Chézeau » est d’ailleurs d’origine gallo-romaine, dérivé de
casa qui désigne une habitation rurale ou un enclos 645. La toponymie est intéressante pour
642
R. LOCATELLI, Sur les chemins de la perfection. Moines et chanoines dans le diocèse de Besançon vers
1060-1220, CERCOR, Université de Saint-Étienne, 1992, p. 419.
643
M. AUBRUN, L’ancien diocèse de Limoges..., op. cit., p. 224.
644
J. F. CHEVROT, J. TROADEC, Carte archéologique de la Gaule, Cher, Paris ; G. COULON, J.
HOLMGREN, Carte archéologique de la Gaule, Indre, Paris, 1992 ; D. DUSSOT, Carte archéologique de la
Gaule, Creuse, Académie des inscriptions et des Belles Lettres, Paris, 1989 ; H. GAILLARD, Carte
archéologique de la Gaule. La Dordogne, Paris, 1997 ; G. LINTZ, Carte archéologique de la Gaule- Corrèze,
Paris, 1981 ; J. PERRIER, Carte archéologique de la Gaule- Haute-Vienne, Paris, 1993 ; M. PROVOST, C.
MENNESSIER-JOUANNET, Carte archéologique de la Gaule, Clermont-Ferrand, Paris, 1994 ; C. VERNOU,
Carte archéologique de la Gaule. La Charente, Paris, 1993.
645
M. VILLOUTREIX, Les noms de lieux de la Creuse : archéologie et toponymie, Association des Antiquités
Historiques du Limousin, Limoges, 1989, p. 43.
- 197 -
mieux cerner l’empreinte gallo-romaine sur ces paysages. Le nom de « Méasnes » est en effet
issu de medianas signifiant le domaine du milieu [Fig. 47].
La commune de Peyrat-La-Nonière est riche en vestiges gallo-romains. L’abbaye de
Bonlieu n’est ainsi pas réellement implantée dans une solitude n’ayant jamais connu
l’implantation humaine. Dans le bourg, à quelques kilomètres à l’ouest du monastère ont été
retrouvées des haches, des sépultures ainsi que des lions en granite. Les bourgades proches de
l’abbaye ont révélé des amphores vinaires (Chiroux), des sépultures à incinérations (Arcy,
Chaux), les ruines d’un sanctuaire (La Chassagne), ainsi que des tessons de sigillées
(Voreille). Une étude toponymique peut nous apprendre sur cette ancienne humanisation
gallo-romaine. Le toponyme maceria en particulier désigne un mur de clôture en pierres
sèches pouvant correspondre à des ruines gallo-romaines ou du haut Moyen-Âge. Ainsi, le
mas de Mazerolles donné à l’ermite Géraud de Sales et qui prendra par la suite le nom de
Bonlieu n’était pas vraiment un désert et avait sans doute déjà connu la présence des
hommes646. De même, les fréquents toponymes « boueix », « bussière », « boissière » mis en
évidence lors de notre étude des termes liés au saltus peuvent être également interprétés
comme des témoins d’une anthropisation. Nous avions insisté sur leur présence non loin des
sites cisterciens, particulièrement en Haute-Marche. Par ailleurs, l’ancienne voie reliant Ahun
à Évaux franchit le pont de Bonlieu [Fig. 65]. Il nous paraît dès lors important de relativiser ce
terme de désert semblant difficilement compatible avec la réalité des paysages et de
l’implantation humaine [Fig. 49].
La commune de Bétête a quant à elle livré une sépulture à incinération au Theix et une
pierre d’entablement dans le parc du château de Moisse qui faisait partie des terres relevant
des moines de Prébenoît. Une chaussée antique relie Aigurande à Clermont par Évaux : elle
traverse Genouillac, Theix et Jalesches au sud de l’abbaye de Prébenoît. Jean-Michel
DESBORDES met également en évidence un ancien itinéraire reliant Aigurande et Tercillat
tenant lieu de rocade frontalière entre le pagus des Bituriges et celui des Lémovices et
pourrait ainsi revêtir une origine politique [Fig. 52]647.
L’abbaye d’Aubignac appartient à l’actuelle commune de Saint-Sébastien présentant
de même une occupation gallo-romaine certaine puisqu’un fanum a notamment été découvert
à Parchimbaud au nord-est du monastère [Fig. 48].
La commune de Thauron dans laquelle est située l’abbaye du Palais est riche en
vestiges gallo-romains. Autour du bourg, un vaste camp retranché est signalé comme étant un
646
M. VILLOUTREIX, Les noms de lieux de la Creuse (…), op. cit, p. 26.
J. M. DESBORDES, Voies romaines en Limousin, Travaux d’Archéologie Limousine, 3ème supplément,
Limoges, 1995, p. 51.
647
- 198 -
oppidum. Une première enceinte est en partie détruite tandis qu’une seconde mieux conservée
l’entoure. Plusieurs sépultures à incinération ont été recensées dans le bourg de même qu’un
autel formé d’un cube couronné d’un entablement. À la « Chaise » où les moines du Palais
ont implanté une de leurs granges, un cippe en granite a été mis au jour. Derrière le Palais,
dans le bois des Fraulets, de nombreuses ruines ont été repérées. Une ancienne voie longe les
vestiges. Au Mont-du-Transet, une villa antique est encore identifiable par de nombreux
vestiges. À quelques kilomètres du Palais, à Pontarion, a été découvert un cimetière galloromain témoignant de la présence de population bien avant l’époque médiévale. Il est situé
aux Sagnes, à 500m au sud-ouest de l’entrée du bourg de Pontarion. En 1904 sont découverts
à l’occasion des labours une quinzaine d’ossaria cylindriques ou cubiques contenant des
cendres et des ossements, ainsi que des tuiles romaines et des tessons. La voie romaine de
Limoges à Ahun par Bourganeuf passait d’ailleurs à Pontarion où son tracé se trouve
actuellement recouvert par la N 141, à 400m de ce cimetière gallo-romain [Fig. 62]648.
Il nous semble évident que les cisterciens ont ici opté pour une terre ayant déjà connu
une forte humanisation à l’époque gallo-romaine et dont certaines installations étaient peutêtre encore visibles, la voie ancienne sans doute encore utilisée649.
La Carte archéologique du Cher révèle sur la commune de Sidiailles le lieu-dit
« camp romain » à quelques kilomètres au nord-est de l’abbaye des Pierres signalant la
présence d’un oppidum sur un éperon rocheux, délimité au nord et au sud par les vallées de
deux ruisseaux et à l’est par les gorges de l’Arnon. Selon Olivier TROTIGNON, ce vaste
camp retranché se constitue d’au moins quinze hectares clos de grands murs de terre. Les
immenses remparts fossoyés semblent avoir bouleversé un cimetière gallo-romain. Pour lui, la
présence de céramique des débuts de l’ère chrétienne dans les remblais expliquerait la
confusion de cette forteresse médiévale avec un camp romain [Fig. 51]650.
Les sites de Champillet et Néret, non loin de la grange d’Aignerais dépendante de
l’abbaye des Pierres ont livré des vestiges de temples octogonaux651. La voie de
Châteaumeillant à Néris passe au sud-est de Sidiailles au niveau d’un ancien oppidum gaulois
situé non loin de l’abbaye des Pierres.
648
R. CALINAUD, M. CHAUSSADE, « Cimetière gallo-romain des Sagnes de Pontarion », MSSNAC, T 36,
1968, p. 464-467.
649
D. DUSSOT, op. cit.
650
O. TROTIGNON, Les puissances féodales en Berry Aquitain Oriental du XIème au XIIIème siècles.
Conquête et organisation de la mouvance de la seigneurie de Déols, DEA d’Histoire Médiévale, dir. Bernard
CHEVALIER, Tours, 1988, p. 20.
651
J. P. SURRAULT (dir.), L’Indre, le Bas-Berry de la Préhistoire à nos jours, Saint-Jean d’Angély, 1990, p.
99.
- 199 -
Néanmoins, les communes de Tilly et de Fougerolles correspondant respectivement
aux abbayes de La Colombe et de Varennes n’ont pas livré à ce jour de mobilier gallo-romain.
Varennes est toutefois située sur la voie de Châteaumeillant à Argenton [Fig. 66].
Concernant l’abbaye de Boeuil en Haute-Vienne, le canton de Nieul a révélé de
nombreuses traces d’occupation gallo-romaine. Trois aurei frappés sous le règne d’Antonin le
Pieux sont inventoriés sur la commune de Nieul. La commune de Peyrilhac recense à la
« Boisserie » des tuiles à rebords et des tessons, à la « Trachaussade » des vestiges de la voie
Limoges-Poitiers révélés par des photographies aériennes. Sur la commune de Veyrac ont été
découverts autour de la ferme de Chatrusse des enclos quadrangulaires imbriqués ainsi que
des réseaux de fossés, des sépultures gallo-romaines à incinération en urne de terre cuite, des
tuiles à rebords à Glane, un aureus d’Antonin le Pieux à Chapelles-du-Queyroux ainsi que des
ruines gallo-romaines, des canalisations, des briques et des tegulae à l’ouest de Peury. Ainsi
les environs de l’abbaye de Boeuil semblent déjà avoir connu une humanisation. Irène
AUBRÉE insiste sur la proximité de voies de communication importantes tel l’itinéraire de
Limoges à Saint-Junien, portion de la voie menant de Lyon à Saintes à moins d’un kilomètre
de l’abbaye. Les moines blancs ne s’isolent ainsi pas totalement et préfèrent la proximité de
voies anciennes652. Ce choix d’installation près d’une voie de communication ancienne n’est
pas rare chez les cisterciens puisque l’abbaye de Cîteaux par exemple est bordée de deux
anciennes voies romaines quittant Dijon et de la route du sel. Le monastère ne peut être ainsi
véritablement qualifié de désert, mais il est perçu comme tel par les arrivants en raison de son
important écran forestier653.
Une occupation gallo-romaine d’importance est attestée dans l’actuel département de
la Corrèze, traversé par d’anciennes voies tel l’itinéraire de Clermont à Périgueux [Fig. 67].
Cette voie aisément observable mesure 7.5m de large et se constitue d’une chaussée bordée de
chaque côté par un fossé. Deux couches de pierres sont séparées par une mince couche de
terre sableuse. Les communes intéressant notre étude ont révélé : à Beynat (Faure) un coffre
contenant une urne cinéraire, à Auriac (Groussac) des tegulae, à Saint-Hilaire-Peyroux (La
Glane) des tegulae ainsi qu’un coffre funéraire avec une urne en verre654.
La Dordogne révèle un important réseau de voies « préromaines » désignées sous le
nom de « pouges », à savoir de chemin de hauteur dont le toponyme est formé sur le latin
podium. La liaison Cahors/Limoges traverse Domme, Sarlat, Montignac et Hautefort [Fig.
652
J. PERRIER, op. cit, p. 160.
L. VEYSSIÈRE, « Représentations du désert cistercien primitif », dans M. AURELL, T. DESWARTE (dir.),
Famille, violence et christianisation au Moyen-Âge. Mélanges offerts à Michel Rouche, PUPS, 2005, p. 239-250.
654
G. LINTZ, op. cit, p. 72.
653
- 200 -
68]. Elle doit sans doute sa promotion à la création de l’évêché de Sarlat au XIVème siècle
mais reprend vraisemblablement le tracé d’un itinéraire plus ancien 655. Hervé GAILLARD
signale que les secteurs faiblement occupés correspondent aux massifs forestiers, aux reliefs
karstiques et granitiques tels les environs de Saint-Pardoux-La-Rivière, de Hautefort et
d’Excideuil où s’est justement implantée l’abbaye de Dalon. Des habitats de métallurgistes
ont été découverts à Excideuil (Sarconnat), dans un champ à la terre noire, couvert de scories,
de tegulae et de tessons de céramiques. Il s’agit d’un bâtiment carré de 16m de côté bâti en
petit appareil de pierres sèches dont un angle présentait des assises en épi. Des fragments de
moules en mortier réfractaire portant des empreintes de chevilles de fente moulés ont été mis
au jour. Le paysage de l’abbaye de Dalon aurait ainsi connu la présence d’artisans dès
l’époque gallo-romaine. Sur la commune d’Excideuil a également été repéré un itinéraire
d’origine protohistorique joignant Excideuil à Saint-Yrieix-la-Perche par Glandon656. Quant à
l’abbaye de Peyrouse, elle se situe à proximité de la « Grande Pouge » reliant le Limousin à
Saint-Pardoux657.
L’actuel département de la Charente où est implantée l’abbaye de Grosbot est traversé
par les voies menant d’Angoulême à Nontron, et d’Angoulême à Périgueux en passant par
Charras à quelques kilomètres seulement du site d’implantation des moines blancs [Fig. 69].
L’homme semble avoir privilégié des terrains géologiques secondaires comme le Cognaçais,
le Barbezilier, les plateaux calcaires de l’Angoumois et les sols calcaires de Villefagnan. La
commune de Charras à proprement parler a révélé au lieu-dit « la Grosse Forge » des
monnaies gauloises du type lémovice, du minerai de fer et des scories, des poteries romaines.
Il pourrait s’agir d’une ancienne forge comme celle de Sarconnat. Les cisterciens ne peuvent
ainsi être pleinement considérés comme des pionniers humanisant des terres jusque là vides
d’hommes658.
Ces remarques peuvent aisément s’appliquer à d’autres diocèses et d’autres
monastères. En 2002, Yves ESQUIEU étudie les anciennes occupations humaines sur le site
du Thoronet et témoigne de la présence de tombes en bâtière des IIIème-IVème siècles, d’un
four de potier et d’une plaque-boucle de l’époque mérovingienne, de sépultures galloromaines et du VIIIème-Xème siècles. Un atelier de potier de l’Antiquité tardive est
655
H. GAILLARD, op. cit, p. 48.
H. GAILLARD, op. cit, p. 116.
657
C. DESPORT, Deux abbayes cisterciennes du Périgord : Boschaud et Peyrouse, mémoire de maîtrise
d’Histoire médiévale sous la direction de Bernadette BARRIÈRE, Limoges, p. 51.
658
C. VERNOU, op. cit, p. 150; L. De La BASTIDE, « Les voies romaines et mérovingiennes dans le
département de la Charente », BSHAC, T 12, p. 4-81.
656
- 201 -
découvert lors des fouilles de l’actuelle porterie en 1996. Le site du Thoronet n’a ainsi pas
toujours été un désert659. De même, MAURO LOI a montré que les moines de Morimondo ne
se sont pas implantés dans un lieu isolé malgré les préceptes de la Charte de Charité. Le site
est bordé d’une ancienne route marchande romaine et d’une voie fluviale. À l’époque
romaine, des centuriations avaient rendu la région fertile660.
L’étude des cartes archéologiques est alors significative d’une humanisation de ces
salti à l’époque gallo-romaine, ce qui permet de relativiser l’idée d’une implantation des
moines dans des solitudes ingrates à coloniser. Toutefois, ces territoires ont pu être désertés
durant le Haut Moyen-Âge, d’où le sentiment des moines blancs d’occuper des terres vierges
et déshumanisées.
•
Réseau paroissial et peuplement du Haut Moyen-Âge au XIIème
siècle :
Si les sites cisterciens ont déjà connu une humanisation à l’époque gallo-romaine,
reste à déterminer si les populations du haut Moyen-Âge jusqu’au XIIème siècle ont continué
à les occuper ou s’ils se sont progressivement déshumanisés jusqu’à l’arrivée des moines
blancs. Il n’est par ailleurs pas rare que des abbayes cisterciennes s’implantent sur des terres
ayant déjà connu l’occupation ou étant même encore peuplées au XIIème siècle. L’abbaye de
Villelongue (com. Saint-Martin-Le-Vieil, Aude) par exemple se rattache à Bonnefond vers
1150 (com. Proupiary, Haute-Garonne). Elle s’installe à l’emplacement d’un village et
amorce une lente dépopulation afin de recréer le désert décrit dans les textes de l’ordre 661.
L’abbaye de Fontenay (com. Marmagne, Côte-D’Or) s’installe non loin du site de Marmagne
(Marcomagna) attesté dès 722, Cîteaux (com. Saint-Nicolas-Lès-Cîteaux, Côte-D’Or) proche
d’Izeure (Iciodoro) connu dès 763 tandis que Gilly est connu à partir de 815, Argilly en 858,
Bessey en 1050 et Gerland en 1007. Des sites comme la Bussière (com. la Bussière-surOuche, Côte-D’Or) et Acey (com. Vitreux, Jura) s’implantent à l’emplacement d’une
ancienne villa gallo-romaine. Le mythe de moines colonisateurs de terres nouvelles, de
pionniers s’émousse ainsi face aux réalités historiques662. Le cadre de l’occupation du sol au
659
Y. ESQUIEU, « L’abbaye du Thoronet », Congrès Archéologique de France, Var, Paris, 2002, p. 195-212.
P. MAURO LOI, « Origine et développement de l’abbaye de Morimondo. Nouvelles hypothèses et
perspectives de recherche », dans G. VIARD (dir.), L’abbaye cistercienne de Morimond. Histoire et
rayonnement, colloque international de Langres, 2003, Langres, 2005, p. 267-277.
661
C. H. BERMAN, The Cistercian evolution. The Invention of a religious order in the Twelfth Century Europe,
Philadelphia, 2000, p. 141.
662
G. PLAISANCE, « Les premiers cisterciens de Bourgogne ont-ils été des défricheurs ? », dans « Le premier
demi-siècle des cisterciens à Léoncel, 1137-1188 », Les Cahiers de Léoncel, Colloque d’août 1988, n°5, 1988, p.
30-39.
660
- 202 -
Haut Moyen-Âge semble toutefois de prime abord plus problématique à déterminer n’ayant
pas fait l’objet de découvertes archéologiques à l’échelle de celles de la période galloromaine.
Concernant l’actuel département de la Corrèze, Guy LINTZ met en évidence
l’existence d’une douzaine de pagi au haut Moyen-Âge : Ursencis pagus, Exandonis pagus,
Brivensis pagus, Torinensis pagus, Asnacensis pagus, Santria pagus, Bienas pagus,
Cambolivensis pagus, Nigermontis pagus et Vallarensis termininus. Les régions les plus
densément peuplées correspondent à des sols granitiques dont la décomposition donne des
terres légères. Les terres sont en effet plus faciles à travailler mais sont moins fertiles que dans
les vallées.
Lorsque les moines d’Obazine s’installent, le paysage ne semble pas vraiment
correspondre à une solitude. En effet, la forêt d’Obazine s’intercale entre les villages de
Vergonzac et de Palazinges, église très ancienne à l’implantation humaine d’importance663. La
destruction de Palazinges par les Normands est évoquée par le cartulaire de Tulle (notice
289). Ce même cartulaire évoque une église à Roche à l’orée de la forêt d’Obazine. Elle est
détruite par les Normands, reconstruite par Pallo, habitant de Vergonzac et prendra ainsi le
nom de Palazinges. C’est une paroisse nouvelle autour d’une église privée, d’une petite
superficie. Le lieu-dit « Louradour » rappelle l’ancienne église disparue664. La paroisse de
Beynat où s’implantent les moines d’Obazine et la communauté de Coyroux est une vicairie
civile où des monnaies d’or étaient frappées à l’époque mérovingienne. Elle est dédiée à saint
Pierre665.
Les donations concernent le plus souvent des manses et borderies, des terroirs déjà
constitués et exploités, rarement des terres incultes ou des espaces forestiers, ce qui remet
considérablement en cause la description du désert de la Vita666.
L’abbaye de Bonnaigue située sur l’actuelle commune de Saint-Fréjoux est proche
d’Ussel, ancien vicus gallo-romain dédié à Martin, au centre d’une paroisse ancienne comme
en témoigne son vocable667. L’abbaye de Derses est sur la commune de Saint-Hilaire-Peyroux
et appartient à une paroisse relevant d’un groupe martinien daté des Vème-VIIème siècles. Le
centre paroissial est au vicus de Brive668.
663
B. BARRIÈRE, L’abbaye cistercienne d’Obazine en Bas-Limousin, les origines- le patrimoine, Tulle, 1977,
p. 19.
664
M. AUBRUN, op. cit, p. 157, 171, 62.
665
M. AUBRUN, op. cit, p. 250.
666
B. BARRIÈRE, Le cartulaire de l’abbaye cistercienne d’Obazine (XIIème-XIIIème siècles), Institut d’Études
du Massif Central, Clermont-Ferrand, 1989, p. 23.
667
M. AUBRUN, Le diocèse de Limoges…, op. cit, p. 290.
668
M. AUBRUN, op. cit, p. 287.
- 203 -
L’abbaye de Valette est située sur la commune d’Auriac disposant d’une église dédiée
à saint Côme et saint Damien, deux médecins martyrisés en Cilicie au IIIème siècle. Ils sont
largement représentés en Gaule dès la fin du IVème siècle et connaissent un regain de ferveur
au moment des Croisades. Deux fontaines sont connues sur la paroisse, très anciennement
christianisées, l’une à saint Martin, l’autre à saint Georges (Vème-VIIème siècles)669.
La fondation de l’église périgourdine s’accompagne de l’apparition d’un réseau
paroissial structuré ayant sans doute freiné le développement du monachisme absent avant
l’époque carolingienne. Les paroisses matrices de la première génération (VIème-VIIème
siècles) sont majoritairement dédiées à saint Pierre, saint Étienne et saint Martin. La deuxième
génération à partir du VIIIème siècle accueille des saints « régionaux » tels saint Front,
Cybard, sainte Radegonde et sainte Eutrope. Le développement d’un mouvement érémitique
introduit l’hagiotoponymie de saint Avit, saint Chamassy, saint Sour, saint Amand et saint
Meyme. La paroisse de Jumilhac est ainsi précoce et relèverait du début du VIème siècle.
Excidolium est mentionné dans le testament de saint Yrieix en 572. Il est le siège d’un
archiprêtré de l’ancien diocèse de Périgueux avant 1317. La paroisse où s’installe Dalon est
ainsi ancienne et révèle une humanisation précoce670. En effet, selon Michel AUBRUN,
Excideuil est une paroisse assez vaste offrant de fortes présomptions d’ancienneté. Elle est
dédiée à saint André (Vème-VIIème siècles). Il s’agit de l’apôtre le plus anciennement vénéré
en Gaule après Pierre et Paul. Quant à Sainte-Trie, il s’agit d’un petit prieuré-cure dont le
titulaire est saint Trié ou Trojan, vénéré dans le diocèse d’Angoulême le même jour
qu’André671.
Concernant l’abbaye de Grosbot, nous savons que les chanoines de Fontvive sont
attestés sur le site dès le Xème siècle. Il ne s’agit pas alors d’une installation au désert672.
La création des paroisses de Haute-Marche est mieux connue grâce à l’étude de
Michel AUBRUN sur les origines du diocèse de Limoges. L’historien nous apprend ainsi que
la paroisse de Genouillac est dédiée à saint Pierre et dispose de quatre chapelles succursales
promues au rang d’églises paroissiales, à savoir La Cellette, Châtelus, Roche et Bétête. Ainsi
il existait une occupation humaine probablement dès l’époque mérovingienne dans cette
paroisse où s’implantent les moines de Prébenoît673.
Au sud de l’abbaye d’Aubignac, l’église de Versillat est dédiée à saint Étienne ce qui
atteste l’ancienneté du lieu de culte. La paroisse de Peyrat-La-Nonière où se fixent les ermites
669
M. AUBRUN, op. cit, p. 257.
H. GAILLARD, op. cit, p. 60.
671
M. AUBRUN, op. cit, p. 253.
672
B. BARRIÈRE, L’abbaye cistercienne d’Obazine…, op. cit, p. 83.
673
M. AUBRUN, L’ancien diocèse de Limoges (…), op.cit, p. 250.
670
- 204 -
de Mazerolles en 1120 est dédiée au Sauveur et relève donc probablement de l’époque
mérovingienne. Sa vaste superficie témoigne de son ancienneté. Au nord de Bonlieu, une
paroisse est titrée à saint Loup, évêque de Limoges en 614 et jouxte la paroisse de Tardes
probablement d’origine carolingienne. Il semblerait que l’abbaye de Bonlieu ne se soit pas
réellement implantée au désert puisqu’elle est cernée de paroisses dont l’ancienneté est
avérée674. L’église de Thauron est située non loin d’une sorte d’oppidum. L’autel est dédié à
Jupiter. La paroisse vaste est amputée à l’époque féodale de celle de Pontarion. Elle est dédiée
à Pierre d’après une charte de 1012, ce qui laisse présager de son ancienneté 675. Le cartulaire
du Palais révèle l’existence au XIIème siècle d’un village de la Chaussade. La « villa du
Transet » est assiégée et détruite par les Anglais. Ce village est à 1000m au nord-est de
Quinsat, sur la parcelle E 472 dite Bois-de-Transet. À 600m d’altitude, il est installé à mipente orientée à l’ouest et est ainsi caractéristique de l’habitat rural dans la région. Le
toponyme « Chaussade » signale par ailleurs la proximité d’une voie romaine676. Une villa est
attestée à Fougerolles au sud de Varennes dès 841. Elle fait l’objet d’une donation à SaintSulpice de Bourges. Les villae sont plutôt rares dans ces zones où les petites propriétés
dominent. Cette mention a ainsi un caractère plutôt exceptionnel677.
Les moines de Boeuil sont installés sur l’actuelle commune de Veyrac. Il s’agit d’un
ensemble martinien appartenant aux grandes paroisses des époques gallo-romaines et
mérovingiennes. L’église de Veyrac est ainsi dédiée à saint Martin. Une fontaine SaintMartin-du-Fau est connue au lieu-dit « Boubeau » près de Nieul. « Boubeau » est sans doute
issu du Borvo, dieu des sources vénéré des celtes. Martin a d’ailleurs pour attribution de faire
reculer les anciennes croyances païennes678.
L’étude du réseau paroissial et de l’occupation du haut Moyen-Âge laisse présager de
l’ancienneté de la majorité des lieux de culte proche des abbayes cisterciennes implantées au
XIIème siècle. Les paysages où ils s’installent ne semblent guère vides d’hommes et ce depuis
l’époque gallo-romaine.
•
Un isolement social et économique impossible :
Lorsque les cisterciens s’installent sur des terres afin d’y bâtir un monastère, ils ont
besoin des libéralités seigneuriales leur accordant la jouissance de ces parcelles ainsi que des
droits d’usage dans les bois alentours. Ils doivent également bénéficier de la bienveillance de
674
J. NADAUD, « Le pouillé historique du diocèse de Limoges », BSAHL, T LIII, 1903, p. 11.
M. AUBRUN, op. cit, p. 250.
676
R. CALINAUD, « La villa du Transet. Site médiéval de la Chaussade », MSSNAC, T 37, p. 98-105.
677
J. P. SURRAULT (dir.), L’Indre (…) op.cit, p. 109.
678
M. AUBRUN, op. cit, p. 283.
675
- 205 -
l’évêque du diocèse qui officialise la communauté, assiste bien souvent aux donations et
consacre l’autel de l’église. Peut-on dès lors réellement parler d’un isolement du siècle des
moines cisterciens, d’un retrait dans la solitude alors même qu’ils nécessitent les appuis des
seigneurs laïcs et ecclésiastiques ? Ne sont-ils pas eux-mêmes majoritairement issus de
milieux aristocratiques ? En effet, saint Bernard ne peut fonder Clairvaux que grâce à l’aide
de sa famille fortement implantée dans la région. Les cisterciens s’appuient sur un lignage
sans pour autant devenir un monastère à vocation dynastique. Le caractère familial de la
fondation vient de la composition du groupe envoyé par Étienne Harding et des bienfaiteurs,
tous membres de la même famille. Leur éloignement du siècle paraît ainsi bien difficile étant
donné leur imbrication étroite dans les réseaux aristocratiques679.
De plus, leur arrivée tardive au XIIème siècle leur laisse peu de choix de terres laissées
libres par les autres ordres monastiques tels Cluny ou les autres ordres à vocation érémitique
bien présents en Limousin : Aureil, l’Artige et Grandmont. Les moines blancs n’auraient ainsi
guère le choix de leur site d’implantation et devraient composer avec d’autres communautés
déjà installées. Quelle est la part de choix des cisterciens quant à leur site d’implantation et
quelles pressions subissent-ils de la part de leur entourage ?
Choix
du
site :
les
cisterciens
entre
pressions
seigneuriales, épiscopales et monastiques :
Nous avons vu précédemment à travers l’étude des premiers textes cisterciens la
nécessité pour ceux-ci de choisir un site relativement isolé mais permettant la subsistance de
la communauté, l’importance de la présence d’un cours d’eau, souvent en fond de vallée, sans
toutefois se couper des voies de communication principales. Les cisterciens investissent des
terres peu mises en valeur, encore fortement boisées mais dont le potentiel certain leur
garantit une expansion non négligeable. Ces terres ne correspondent pas forcément à un choix
délibéré des moines blancs mais sont souvent celles laissées par des seigneurs qui espèrent
ainsi sans doute la mise en valeur de terroirs jusque là inexploités [Fig. 70]. Les cisterciens
sont tributaires de ces donations initiales qui constituent le noyau primitif de leur patrimoine
foncier et permettent d’assurer dans un premier temps la survie d’une communauté dont les
premières décennies sont souvent bien précaires. Ils ont besoin de l’aval des seigneurs pour
s’implanter et commencer l’exploitation de leurs terroirs. Les cisterciens sont ainsi forcément
redevables du soutien de cette noblesse bienveillante. Mais quel intérêt ces seigneurs
679
J. WAQUET, J-M. ROGER, L. VEYSSIÈRE, Recueil des chartes de l’abbaye de Clairvaux au XIIème siècle,
CTHS, Paris, 2004, p. 17.
- 206 -
trouvent-ils à léguer une part de leur patrimoine foncier aux frères de Bernard ? Ces donations
sont-elles pleinement désintéressées et pieuses ? Pourquoi doter Cîteaux plus qu’un autre
ordre religieux ? Il semble en réalité évident que la fondation d’une abbaye cistercienne
s’avère plus intéressante pour eux que celle d’une abbaye bénédictine : elle nécessite de
moins importantes donations, les moines blancs n’ayant que peu d’exigences concernant la
qualité des terres680. Les seigneurs ne laissent ainsi sans doute pas leurs meilleures terres mais
des terrains à végétation rabougrie, d’anciennes saussaies ou aulnaies devenues marécageuses
après un défrichement ancien681. Doter un monastère cistercien paraît de ce fait plus à la
portée de seigneurs locaux682. Ils peuvent céder des terres ingrates et de moindre qualité en
comptant sur les moines pour les mettre en valeur et en tirer un maximum de bénéfices. Pour
Christopher HARPER-BILL, les seigneurs trouvent également un intérêt « moral » à ces
donations : ils expient ainsi lieurs péchés et démontrent une certaine prééminence sociale en
fondant ou dotant ces monastères683.
Ainsi en 1114, Dalon est fondée par Gérald et Gouffiers de Lastours qui cèdent les
premières terres nécessaires à l’ermitage684. Elle est située dans la châtellenie de Génis,
appartenant elle-même à la vicomté de Limoges. Elle est cernée par les châteaux d’Excideuil,
de Génis, de Salagnac et de Born au nord-ouest, par la forteresse de Hautefort à l’ouest, de
Ségonzac à l’est, mais aussi de Badefols, Ayen, Juillac et Fialeix. Gérald, vicomte de Brosse
est le premier donateur d’Aubignac ; l’abbaye des Pierres est dotée dès 1149 par les princes
de Déols, seigneurs de Châteaumeillant. Au milieu du XIIème siècle, les seigneurs de la
Trimouille, vassaux des comtes de Poitiers, font dons de terres à l’abbaye de Preuilly (diocèse
de Sens) à condition qu’elle y fonde un monastère. Leur requête sera à l’origine de la création
de l’abbaye de la Colombe, située à la frontière orientale de la vicomté de Brosse, à la
frontière des fiefs des seigneurs de la Trimouille685. Ceux-ci favorisent l’expansion de
l’abbaye vers l’ouest et vers le diocèse de Poitiers. En 1120, Amélius de Chambon donne le
mas de Mazerolles à l’ermite Géraud de Sales, aux confins des Combrailles et de la vicomté
d’Aubusson. À la mort de ce dernier peu de temps après, ce même seigneur conseille aux
680
Ainsi, en 1209, Hugues Mainfroy donne une pièce de terre inculte aux moines de Bonlieu, un heremus entre
la grange de la Croze et les Chadenas. AD Creuse, H 284.
681
G. PLAISANCE, « Les premiers cisterciens de Bourgogne ont-ils été des défricheurs ? », dans « Le premier
demi-siècle des cisterciens à Léoncel, 1137-1188 », Les Cahiers de Léoncel, Colloque d’août 1988, n°5, 1988, p.
30-39.
682
Catalogue de l’exposition des Archives Départementales du Cher, Archives et histoire des abbayes
bénédictines et cisterciennes du Haut-Berry, Bourges, 1980, p.6.
683
C. HARPER-BILL, R. HARVEY, The ideals and Practice of Medieval Knighthood. Papers from the first
and second Strawberry Hill conferences, the Boydell Press, Suffolk, 1986, p. 10 (introduction).
684
Abbé BROUSSE, « Une poignée de documents sur l’abbaye de Dalon », BSSHAC, T 56, 1935, p. 122-171.
685
D. GAUDON, « Histoire de l’abbaye de La Colombe », RC, 1889, T XI, p. 165-175.
- 207 -
ermites de se confier à l’abbaye de Dalon. Mazerolles sera érigé en monastère en 1140 et
prendra le nom de Bonlieu. Roger de Laron, Pierre de Peyrat et Guy de Latour donnent leur
consentement à la présence d’une filiale dalonienne, le Palais-Notre-Dame sur leur fief.
L’accord des seigneurs est ainsi nécessaire de même que leurs libéralités pour la survie de la
communauté dans les premiers temps de l’ordre686. Quant à la fondation de l’abbaye de
moniale de Derses, elle est due à la famille de Malemort qui fait venir sur leurs terres des
moniales de L’Esclache687. L’action des nobles paraît dès lors déterminante. Étant à l’origine
des donations, ce sont eux finalement qui choisiraient le lieu d’implantation des moines
blancs. Il nous semble ainsi délicat de parler d’une volonté « délibérée » des cisterciens. Le
choix des marges forestières par ces seigneurs pourrait s’expliquer par une volonté de créer
une « barrière de prière » à la rencontre de leurs territoires respectifs afin d’éviter les conflits
de souveraineté et pour rentabiliser une zone sous-exploitée.
Selon Bernadette BARRIÈRE, cette coïncidence du phénomène cistercien et des
limites diocésaines pourrait effectivement résulter de la motivation des seigneursfondateurs688. Les puissants trouveraient un intérêt stratégique à céder des terres dans ces
secteurs de marges politiques, aux frontières de leurs territoires. Leurs libéralités envers les
cisterciens seraient une manière de montrer leur autorité, de marquer leur pouvoir dans des
zones marginales où les limites territoriales sont souvent mouvantes et confuses. D’où des
conflits d’intérêt entre ces seigneurs et parfois une surenchère de dons aux moines blancs qui
profitent de ces générosités intéressées pour constituer un important patrimoine foncier. Les
marges s’inscrivent ainsi comme les régions les plus âprement convoitées par les appétits des
nobles laïcs tentant de contrôler et de surveiller les implantations monastiques. Les moines
paraissent ainsi « instrumentalisés » par une noblesse qui utilise les monastères marginaux
pour asseoir leur autorité, se fonder une identité dans des zones où le pouvoir tend à leur
échapper689. Les familles aristocrates au XIIIème siècle manifesteraient par ces donations leur
conscience lignagère. Pour Bernadette BARRIÈRE, ils établissent leur propre généalogie et
cherchent à la faire remonter jusqu’à l’ancêtre réputé fondateur pour légitimer leur pouvoir690.
686
S. VITTUARI, Le patrimoine de l’abbaye du Palais-Notre-Dame d’après le cartulaire (1134-12..), mémoire
de maîtrise, dir. B. BARRIÈRE, Limoges, 1992, vol. I, p. 57.
687
G. CLÉMENT-SIMON, « Notice sur le couvent de Derses, paroisse de Saint-Hilaire-Peyrou », BSSHAC, T
11, 1889, p. 546-568.
688
B. BARRIÈRE, « L’économie cistercienne du sud-ouest de la France », Centre culturel de l’abbaye de Flaran,
Économie cistercienne. Géographie, mutations du Moyen-Âge aux temps modernes, 1981, Auch, 1983, p. 75-99.
689
C. LAURANSON-ROSAZ, « Réseaux aristocratiques et pouvoir monastique dans le Midi Aquitain du IXème
au XIème siècle », dans les actes du Ier colloque international du CERCOR, Naissance et fonctionnement des
réseaux monastiques et canoniaux, Saint-Etienne, 1991, p. 353-372.
690
B. BARRIÈRE, « Généalogies et lignages. Un problème de transmission lignagère en Limousin au XIème
siècle », dans M. CASSAN (dir.), Croyances, pouvoirs et société. Des Limousins aux Français. Études offertes à
Louis Pérouas, Les « Monédières », Treignac, 1988, p. 103-127.
- 208 -
Le Berry méridional reflète parfaitement cette situation. Il tend à se transformer en un
vaste front pionnier animé par des puissances féodales montantes telles les seigneuries de
Déols et de Bourbon. Ces militi conquérants élèvent des forteresses et fondent des abbayes
comme l’abbaye des Pierres en 1149 à l’initiative des seigneurs de Déols. La famille de la
Roche-Guillebaud disposant d’un château à quelques kilomètres de l’abbaye fera partie des
plus généreux donateurs, de même que les seigneurs de Culan. Toutefois, les seigneurs du
Boischaut sont moins nombreux, établis depuis moins longtemps et par conséquent moins
puissants que ceux du Sancerrois par exemple qui dotent bien plus largement les abbayes du
nord du Berry (Noirlac, Fontmorigny) tandis que des sites comme Les Pierres et Varennes
sont maintenus dans une certaine précarité. Ainsi, si le choix d’implantation est amplement
déterminé par les donations initiales, le développement et l’essor des monastères est
également dépendant des générosités et richesses de ces nobles fondateurs691.
L’exemple de Varennes est lui aussi significatif. Ce monastère du Boischaut bénéficie
des donations des seigneurs de Déols, de Cluis, de Chauvigny, de Magnac et de Seuly. Il est
situé à la frontière nord-est très sensible de l’Aquitaine et attire donc la convoitise des
seigneurs. En 1155 éclate un différend entre Ebbes de Déols et Garnier de Cluis. Les deux
seigneurs se proclament fondateurs de l’abbaye. L’affaire est portée devant leur suzerain
Henri II. Pour mettre fin à la querelle, il se place en fondateur unique et bienfaiteur de la
communauté de Varennes692. De même, Aubignac, en Haute-Marche, est située à la limite de
plusieurs entités politiques : la vicomté de Brosse et de Bridiers, le comté de la Marche, la
seigneurie de Guierche, la châtellenie d’Argenton dont les limites s’appuient sur d’épaisses
forêts693.
Il paraît ainsi indéniable que les seigneurs locaux sont pour beaucoup dans le choix du
site d’implantation des moines blancs, témoignant un échec certain des cisterciens à se
maintenir à l’écart du siècle. Il semble ainsi réellement difficile pour les ordres nouveaux de
demeurer en parfaite adéquation avec certains préceptes de la réforme grégorienne, soucieuse
de rétablir l’indépendance de l’Église vis-à-vis des pouvoirs laïcs.
D’autres bienfaiteurs, plus prestigieux, peuvent parfois également contribuer à la
fondation d’une abbaye cistercienne. Les rois Plantagenêts et Capétiens encouragent certaines
créations des moines blancs. Ce n’est toutefois pas flagrant dans le diocèse de Limoges,
691
O. TROTIGNON, « Devenir cistercien en Berry du sud au temps des Croisades : filles et fils de saint Bernard
à l’épreuve du siècle », dans l’ouvrage collectif, L’ordre cistercien et le Berry, CAHB, 1998, p. 99.
692
A. CHARDON, « L’abbaye de Varennes, 1148-1791 », RB, 1906, p. 201-205 ; L. GRANT, « Le patronage
architectural d’Henri II », CCM, n°1-2, janvier-juin 1994, p. 73-84.
693
M. H. TERRIER, « Les bois et les forêts de l’abbaye d’Aubignac des origines à 1351 », MSSNAC, T XLVI, p.
269-275.
- 209 -
excepté pour l’abbaye de Varennes où les rois Anglais montrent leur intérêt pour l’abbaye
marginale et leur volonté de s’en proclamer seuls fondateurs afin de l’ériger en abbaye royale.
Sa position stratégique entre terres capétiennes et aquitaines n’a sans doute pas manqué de les
attirer. Les Plantagenêts ont sans doute vu dans cette abbaye un moyen de marquer leur
territoire, de provoquer la couronne française présente dans certains actes de donation des
abbayes du nord du Berry (Noirlac, Fontmorigny694). Cette intervention autoritaire témoigne
d’une volonté de laisser dans la mémoire collective une trace de leur patronage et de leur
générosité envers les établissements ecclésiastiques.
Si l’abbaye de Boeuil n’intéresse pas particulièrement les rois Anglais, sa fille, SaintLéonard-des-Chaumes bénéficie dès les premiers temps des libéralités de Richard-Cœur-deLion puis de Jean-Sans-Terre. Le port de la Rochelle étant en pleine expansion, il devient en
effet un objet de conflits entre Plantagenêts et Capétiens et la mainmise sur Saint-Léonard
devait être considérée comme un moyen de contrôle et de pouvoir par les Plantagenêts695.
D’autres diocèses sont toutefois plus représentatifs de cet intérêt royal pour les sites
cisterciens et il n’est pas inintéressant d’en faire état brièvement ici, même si ces remarques
éloignent quelque peu du cadre géographique de l’étude.
Il semblerait que Louis VI le Gros et Louis VII notamment encouragent
particulièrement l’ordre cistercien. Ils exemptent les abbayes icaunaises de péages et
coutumes et donnent in perpetuam elemosinam696. En 1127, Louis VI fait appel aux moines de
Pontigny pour peupler l’abbaye de Châalis (com. Fontaine-Chaalis, Oise). Il veut en effet
fonder une abbaye où on priât pour son cousin Charles Le Bon assassiné à Bruges. En 1135,
Louis VI exempte avec l’accord de la reine de tous les péages et coutumes les abbayes de
Cîteaux, Pontigny, Clairvaux et d’une manière plus générale toutes les abbayes cisterciennes.
Louis VI et Louis VII fondent la Cour-Dieu (com. Ingrannes, Loiret), Chaalis et Barbeau
(com. Fontaine-Le-Port, Seine-et-Marne).
Entre 1137 et 1154, Louis VII, roi de France et duc d’Aquitaine exempte l’abbaye de
Clairvaux de toute coutume à lui due, dans toute sa terre, pour les ventes de leurs biens
propres et les achats de marchandises limitées à leur usage697. En 1190, Philippe-Auguste
fonde Cercanceaux dans le diocèse de Sens (com. Souppes-sur-le-Loing, Seine-et-Marne). En
694
Louis VII est en effet particulièrement favorable aux moines de Noirlac. R. P. A. DIMIER, Saint Louis et
Cîteaux, Letouzey et Ané, Paris, 1954, p. 7.
695
I. AUBRÉE, op. cit, p. 100.
696
C. WISSENBERG, « Granges cisterciennes de l’Yonne : constitution des domaines et aménagement de
l’espace », dans T. KINDER (dir.), Les cisterciens dans l’Yonne, « Les Amis de Pontigny », Pontigny, 1999, p.
49-72.
697
J. WAQUET, J-M. ROGER, L. VEYSSIÈRE, Recueil des chartes de l’abbaye de Clairvaux au XIIème siècle,
CTHS, Paris, 2004
- 210 -
1207, le pape Honorius III charge l’abbé de Cîteaux et l’abbé de Clairvaux de négocier la paix
entre Philippe-Auguste et Henri III, ce qui laisse présager de l’étroitesse des rapports entre
cisterciens et pouvoir royal puisque ceux-ci peuvent même revêtir un rôle politique et
diplomatique, totalement à l’encontre de leur volonté de retrait des affaires du siècle698. En
1227, Louis IX assiste à la consécration de Longpont, fondée en 1132 par l’évêque de
Soissons (com. Longpont, Aisne). Saint Louis gratifie également largement les abbayes du
Languedoc telles Fontfroide (com. Narbonne, Aude), Silvanès (com. Silvanès, Aveyron),
Villelongue (com. Saint-Martin-Le-Vieil, Aude). En 1236, Maubuisson est créée par Blanche
de Castille (com. Saint-Ouen-L’Aumône, Oise)699.
Quant aux rois Plantagenêts, leur attachement aux cisterciens est aussi flagrant. Henri
Ier, Mathilde et Henri II patronnent les abbayes de Mortemer (com. Lisors, Eure), la Noë
(com. Bonneville-sur-Iton, Eure), le Valasse (com. Gruchet-Le-Valasse, Seine-Maritime) et
Saint-Saëns (com. Saint-Saëns, Seine-Maritime) dans le nord-ouest de la France 700.
Concernant les fondations cisterciennes en Normandie, Annick GOSSE-KISCHINEWSKI
explique : « Voulant assurer la suprématie royale sur les fondations religieuses, Henri II
s’arroge parfois la place des premiers fondateurs pour des raisons purement politiques,
n’hésitant pas à se substituer à des vassaux puissants, voire dangereux, en tant que fondateur
et protecteur d’une abbaye. C’est ainsi qu’il a occulté les fondations de Galeran de Meulan à
Bordesley (Angleterre) et au Valasse ». Le même cas de figure s’est également produit à
l’abbaye de Varennes en Berry où Henri II supplante Ebbes de Déols701.
Le confesseur de Richard-Cœur-de-Lion n’est autre que le moine cistercien Adam de
Perseigne (1145-1221), ce qui témoigne de la proximité de la cour anglaise avec l’ordre
cistercien. Dès 1190, un an après être couronné roi, une charte est donnée par Richard
concernant l’abbaye de Charron (com. Charron, Charente-Maritime, fille de Clairvaux par la
Grâce-Dieu), fondation confirmée un an auparavant par Aliénor d’Aquitaine. Le lieu
d’implantation est toutefois concédé par un seigneur local. Richard fonde aussi Bonport (com.
Pont-de-L’Arche, Eure) en 1189. À cette époque, Richard et Philippe-Auguste s’entendent
relativement bien, et cette amitié contribue au développement des échanges économiques et
culturels entre la Normandie et le Royaume de France. Ils se traduisent par l’aménagement
des territoires, des voies de communication terrestres et fluviales. L’organisation et la
698
R. P. A. DIMIER, op. cit, p. 9.
R. P. A. DIMIER, op. cit, p. 120.
700
L’abbaye de la Noë est fondée dès 1144, le Valasse en 1156.
701
A. GOSSE-KISCHINEWSKI, « Fondations cisterciennes en Normandie au temps de Richard », dans Richard
Cœur de Lion, roi d’Angleterre, duc de Normandie, 1157-1199, Actes du colloque international de Caen, 1999,
Condé-sur-Noireau, 2004, p. 189-197.
699
- 211 -
surveillance d’un axe de communication stratégique entre Rouen et Paris est confié à des
religieux plutôt qu’à des vassaux parfois turbulents et incontrôlables. Cette surveillance
repose en partie sur les cisterciens en raison de leur poids non négligeable dans les affaires
politiques et de leurs compétences techniques indéniables. Ils jouent ainsi un rôle important
dans les politiques économiques capétiennes et anglaises.
Vers 1189-1190, l’abbaye de la Fontaine-Guérard (com. Radepont, Eure) est fondée
par Robert V de Leicester, ami proche de Richard Cœur de Lion. Ce « mécénat » plantagenêt
ne se démentira pas puisqu’en 1203, Jean-Sans-Terre donne le bois nécessaire à la
construction702.
Richard reconstruit également l’abbaye du Pin (com. Béruges, Vienne), finance le toit
en plomb de Pontigny. En 1203, l’abbaye de Beaulieu en Angleterre est fondée par Jean Sans
Terre. Toutefois, ces générosités peuvent être parfois nuancées. L’attitude de Geoffroi
d’Auxerre, abbé de Clairvaux dans l’affaire Becket en 1166 a beaucoup nuit à la réputation de
l’ordre. Le choix des Plantagenêts se porte alors plutôt vers d’autres institutions et Henri II en
particulier soutient Grandmont. Pour Martin AURELL, les chartreux et chanoines réguliers
« ont davantage le vent en poupe que les moines noirs ou blancs ». Richard ouvre également
plusieurs maisons de Prémontrés en Aquitaine. Les rois de France et d’Angleterre sont ainsi
présents dans le développement des abbayes cisterciennes et contribuent à de nombreuses
fondations, souvent stratégiques. Les moines blancs jouent de plus un rôle diplomatique
important en tant que légats pontificaux, ambassadeurs ou arbitres dans l’obtention de trêves
entre les rois anglais et français703.
Ainsi, ces quelques exemples tendent à montrer l’importance des stratégies
seigneuriales et royales dans le choix d’implantation des cisterciens ainsi que dans la
constitution de leur patrimoine foncier. Cette générosité révèle plusieurs aspects de la
personnalité de l’aristocratie locale. Ils donnent en pure aumône par piété mais aussi et surtout
par l’intérêt qu’ils trouvent dans la mise en valeur de terres encore vouées au saltus et à la
forêt. Les princes apparaissent soucieux du service de la prière mais aussi de leur réputation et
de l’appui diplomatique des moines blancs704. Ils pressent souvent les petits seigneurs et
vassaux qui sont sous leur domination de faire des donations. Il existerait ainsi une réelle
pression du groupe nobiliaire. Ils utilisent les monastères cisterciens pour concrétiser leur
autorité dans des zones marginales où les frontières seigneuriales sont floues et où les
702
A. GOSSE-KISCHINEWSKI, « Fondations cisterciennes en Normandie au temps de Richard… », op. cit, p.
189-197
703
M. AURELL, L’Empire des Plantagenêt, Perrin, Paris, 2004, p. 92-97.
704
C. ANDRAULT-SCHMITT, « Églises cisterciennes en Poitou », RHCO, TI, Société des Antiquaires de
l’Ouest, Poitiers, 2004, p. 9-103.
- 212 -
prétentions s’entremêlent. Les abbayes cisterciennes s’alignent donc sur les marges forestières
telle une longue « barrière de prière », frein aux conflits de souveraineté. Il nous semble dès
lors inexact de parler d’un choix délibéré des moines cisterciens de s’implanter dans des salti.
Il est essentiel de prendre en compte les stratégies des seigneurs fondateurs, des rois
Plantagenêts et Capétiens. La volonté de ces bienfaiteurs primerait sur l’aspiration des moines
à se retirer dans un désert par ailleurs bien relatif. Si le rôle des seigneurs laïcs est indéniable
dans la naissance et le développement de la communauté cistercienne naissante, qu’en est-il
des évêques ? Ne voient-ils pas chez les ermites puis les moines blancs un moyen de contrôler
des marges échappant à leur autorité, de parfaire l’évangélisation de zones longtemps restées
païennes ? Les cisterciens ne seraient-ils pas également des « jouets » au sein des stratégies
épiscopales ?
Dans l’ancien diocèse de Limoges, nombre d’abbayes cisterciennes étaient auparavant
des fondations érémitiques érigées au milieu du XIIème siècle en monastères. C’est le cas des
abbayes de Bonlieu, Prébenoît, Boeuil, le Palais et Aubignac nées grâce à l’action de l’ermite
périgourdin Géraud de Sales. Son arrivée en Limousin est due pour bonne part à la volonté de
l’évêque. Selon l’expression de Bernadette BARRIÈRE, il agit tel un « vicaire épiscopal »,
grâce à un consensus des évêques aquitains qui sollicitent son intervention auprès de
« groupuscules érémitiques » afin de les guider et de les structurer. L’historienne supposerait
ainsi l’arrivée d’ermites avant 1120 et la reprise en main de Géraud de Sales 705. Toutefois,
l’indigence des textes médiévaux sur les premiers temps des fondations nous incite à la plus
grande prudence. La coïncidence des implantations érémitiques et des frontières diocésaines
pourrait alors traduire une volonté épiscopale, soucieuse de s’assurer un contrôle des marges
forestières par l’intermédiaire d’ermites puissants comme Géraud de Sales.
L’attitude des évêques vis-à-vis des ermites aquitains n’est toutefois pas toujours aussi
accueillante et favorable. En effet, ils se révèlent parfois méfiants face à des dérives tel que le
vagabondage, l’inconstance ou le commerce avec les femmes. Leurs prédications posent aussi
problème à l’épiscopat puisque les ermites dénoncent certains abus de l’Église. Ainsi, les
prélats jugent nécessaire une normalisation monastique dans des cadres carolingiens, ou
cisterciens. Pour l’épiscopat, un bon ermite est un ermite stabilisé dans les cadres
monastiques, d’où peut-être l’insistance de l’évêque de Limoges pour le rattachement de
Dalon et ses filles à Cîteaux706.
705
706
B. BARRIÈRE, « L’économie cistercienne du sud-ouest de la France (…), op.cit., p. 75-99.
J-H. FOULON, op. cit., p. 488.
- 213 -
Guillaume III, évêque de Périgueux, cautionne l’apparition de Dalon707. À la mort de
l’ermite, c’est l’évêque Eustorge qui conseille aux solitaires de Mazerolles (Bonlieu) de se
donner à Roger, moine de l’abbaye de Dalon. Grâce à la caution épiscopale, les initiatives de
Géraud de Sales sont reprises en main par Dalon. Eustorge et Roger vont ensuite œuvrer pour
donner un caractère « cistercien » aux établissements du diocèse708. Quant à l’ermitage de
Boeuil, il est érigé en abbaye à l’initiative de Ramnulphe de Nieul, doyen du Dorat et futur
évêque schismatique de Limoges (nommé en 1131). Il fait don de l’ermitage à Dalon709.
Le milieu épiscopal pousse les ermitages à se rattacher à l’ordre de Cîteaux qui inspire
confiance et respect dans la première moitié du XIIème siècle. Ainsi, dès 1117, Amelius,
évêque de Toulouse, oriente les ermites géraldiens de Grandselve (com. Bouillas, Tarn-etGaronne) vers l’ordre de saint Bernard. Le rôle de l’épiscopat semble ainsi indéniable même
dans ces marges frontières éloignées du centre épiscopal710. L’Église est favorable au
renouveau érémitique mais veut et doit assurer le contrôle de toutes les expressions religieuses
du diocèse. Les faveurs et soutiens accordés leur permettent de conserver un réel pouvoir sur
ces fondations. Les mouvements géraldiens sont tolérés, voire même encouragés mais
néanmoins soumis au contrôle étroit de l’évêque711. Les évêques protègent les ordres
nouveaux comme les chanoines réguliers et les cisterciens. Toutefois, nous pouvons douter
que les moines blancs permettent réellement un meilleur encadrement des fidèles, du fait
même de leur volonté de se maintenir à l’écart des préoccupations séculières. L’idée souvent
émise que les ordres nouveaux comme Cîteaux agiraient en tant que « troupe d’élite » de la
réforme grégorienne doit être nuancée et leur rôle véritable auprès des fidèles reste difficile à
cerner, d’autant plus qu’ils semblent refuser l’image comme moyen principal d’éducation des
foules.
Adrian BREDERO montre néanmoins que certains évêques sont plus réticents que
d’autres à la pénétration cistercienne712. Ainsi, ils ne semblent pas réellement les bienvenus
dans le diocèse de Poitiers. L’évêque Gilbert de la Porée est longtemps fustigé par Bernard de
707
M-C. PEYRAT, L’abbaye de Dalon et son environnement aux XIIème-XIIIème siècles, mémoire de maîtrise
d’histoire médiévale, dir. B. BARRIÈRE et J. VERDON, 1990, vol. 1, p. 12.
708
M. O. LENGLET, « L’implantation cistercienne dans la Marche Limousine de Géraud de Sales à saint
Bernard », MSSNAC, T XLVI, 1997, p. 258-268.
709
I. AUBRÉE, Patrimoine, gestion et vie sociale de l’abbaye cistercienne de Boeuil du XIIème au début du
XVIème siècle, mémoire de maîtrise d’Histoire Médiévale, sous la direction de B. BARRIÈRE, Limoges, 1995,
p. 35.
710
C. ANDRAULT-SCHMITT, « Des abbatiales du « désert ». Les églises des successeurs de Géraud de Sales
dans les diocèses de Limoges, Poitiers et Saintes (1160-1220) », BSAOMP, 5ème série, T 8, 1994, p. 91-173.
711
L. MILIS, « Ermites et chanoines réguliers au XIIème siècle », CCM, XXIIème année, n°1, Poitiers, 1979, p.
39-80.
712
A. H. BREDERO, Bernard de Clairvaux. Culte et histoire. De l’impénétrabilité d’une biographie historique,
Turnhout, Brépols, 2003, p. 257.
- 214 -
CLAIRVAUX pour sa théologie monastique et freine dès lors l’implantation des moines
blancs dans son diocèse. De même concernant le diocèse de Limoges, certes favorable aux
initiatives érémitiques de Géraud de Sales et d’Étienne d’Obazine, mais peut-être plus réservé
concernant l’ordre cistercien. En effet, Adrian BREDERO rappelle que le siège épiscopal est
vacant suite au décès d’Eustorge en 1137. Le pape souhaite nommer Albéric, abbé de Vézelay
et ami de Bernard à la tête de l’épiscopat. Or, Pierre le VÉNÉRABLE empêche cette
désignation, souhaitant maintenir un abbé indispensable à sa charge. En 1142, c’est le neveu
d’Eustorge qui accède à la charge épiscopale. Les cisterciens ne prennent pied dans le diocèse
qu’à partir de 1147. Dans le même temps, en 1146, Preuilly fonde la Colombe grâce au
soutien de Pierre de la Châtre, devenu archevêque de Bourges grâce à saint Bernard. Il est
ainsi évident que l’expansion cistercienne est facilitée dans certains diocèses par l’accès aux
charges les plus hautes d’amis et de proches de Bernard de Clairvaux, tandis que d’autres
diocèses renâclent à la poussée cistercienne (Limoges, Poitiers).
Étienne d’Obazine est très soutenu par l’évêque de Limoges et bénéficie des mêmes
privilèges que Géraud de Sales. Il fonde sa communauté avec la permission d’Eustorge (11061137) qui y met toutefois une condition : le respect des coutumes des pères du monachisme.
Eustorge se montre très favorable à ce nouveau groupuscule érémitique. Cette bienveillance
est fréquente chez les évêques de l’ouest de la France qui voient dans ces groupes « l’aile
marchante de cette réforme »713. C’est Geoffroy de Lèves, évêque de Chartres (1116-1138)
qui nomme Étienne prieur. L’importance de l’épiscopat est indéniable dans la reconnaissance
de l’ordre cistercien714. Eustorge confère à Étienne le droit de célébrer la messe et de
construire un monastère. En 1142, Étienne devient abbé en présence de l’évêque Géraud
(1142-1177). C’est ce dernier qui recommande à Étienne le transfère de la Valette aux limites
de son diocèse depuis le site de Doumis jugé insalubre. Ce choix est toutefois surtout
stratégique et soustrait les moines à l’autorité des évêques de Clermont. Ces épisodes
marquent bien la sollicitude de certains évêques envers les ermites puis les cisterciens, leur
poids dans le choix du site d’implantation et dans le développement des communautés
naissantes715.
En Berry cependant, la situation est quelque peu différente. Nous ne connaissons pas
d’ermite du renom de Géraud de Sales. Les fondations cisterciennes sont très tôt soutenues
713
B. BARRIÈRE, L’abbaye cistercienne d’Obazine en Bas-Limousin, les origines- le patrimoine, Tulle, 1977,
p. 49. Cette idée est toutefois à nuancer. Si les cisterciens respectent en effet la Règle de saint Benoît, rejettent
les dîmes dans un premier temps et acceptent en cela les préceptes grégoriens, leur rôle évangélisateur auprès des
fidèles et leur attitude indulgente envers les laïcs n’est cependant guère conforme à la réforme.
714
S-M. DURAND, Étienne d’Obazine, 1085-1159, Lyon, 1966, p. 41.
715
M. AUBRUN, Vie de saint Étienne d’Obazine…, op. cit, p. 109.
- 215 -
par l’archevêque de Bourges. Dans le Boischaut, nous pouvons remarquer un effort net des
moines blancs pour s’implanter aux confins diocésains déjà amplement occupés par les
établissements daloniens. Est-ce en prévision d’une avancée de Dalon en Berry (qui détient
déjà Aubignac depuis 1138) ? Ou bien est-ce pour créer des brèches dans ces confins en vue
d’une avancée à l’intérieur du Limousin ? Ainsi, nous constatons que l’abbaye d’Aubignac est
encadrée par les monastères d’Aubepierres, création directe de l’ordre cistercien en 1149 et
celui de la Colombe en 1146. Concernant l’abbaye de la Colombe, nous ne sommes parvenus
à déterminer de manière indéniable s’il existait un ermitage primitif ou s’il s’agit d’une
création ex nihilo. Selon Bernadette BARRIÈRE, l’archevêque de Bourges et les vicomtes de
Brosse auraient poussé les cisterciens à s’intéresser à l’ermitage716. La fondation
d’Aubepierres est acceptée par l’évêque de Limoges sous la pression de l’archevêque Pierre
de La Châtre, métropolitain et primat d’Aquitaine717. Celui-ci est redevable de son siège à
saint Bernard, d’où peut-être sa générosité envers l’ordre cistercien. N’ayant plus la
possibilité d’installer de nouvelles fondations sur son diocèse, il choisit donc d’intervenir
auprès de son suffragant de Limoges et obtient son assentiment pour une création par ailleurs
bien dotée par les seigneurs de Déols 718. Ces fondations favorisées par l’archevêque de
Bourges révèlent sa volonté de réfréner une poussée dalonienne et de contrôler une marche où
s’affrontent les prétentions épiscopales et seigneuriales719.
Ermites puis cisterciens sont encouragés, protégés et ainsi contrôlés par les évêques.
Cette situation n’est pas propre au diocèse de Limoges. Geneviève DURAND constate le
même phénomène en Rouergue notamment où de nombreux ermitages sont érigés en
monastères à l’initiative des évêques. Beaulieu, fille de Clairvaux (com. Ginals, Tarn-etGaronne), est fondée à l’initiative de l’évêque de Rodez, de même que Bonnecombe (com.
Combs-La-Grandville, Aveyron) qui bénéficie de plus des libéralités de Raymond V, comte
de Toulouse720.
Évêques et archevêques témoignent également de leur mainmise en consacrant les
autels des sanctuaires de l’ordre. En 1141, l’évêque de Limoges bénit l’autel de Mazerolles et
institutionnalise le monastère en lui donnant le nom de Bonlieu. L’édifice est consacré en
1232 par l’évêque Guy de Clauzel. Nous pouvons supposer que cette cérémonie correspond à
716
B. BARRIÈRE, Moines en Limousin, l’aventure cistercienne, PULIM, Limoges, 1998, p. 161.
L’archevêque de Bourges a pour suffragants les évêques de Clermont, Limoges, Le Puy, Mende, Cahors,
Rodez et Albi. Si le pouvoir de métropolitain est relativement faible, il a tout de même une certaine influence.
718
M. AUBRUN, Moines, paroisses et paysans, PUBP, Aurillac, 2000, p. 14.
719
B. BARRIÈRE, « Les patrimoines cisterciens : principes et réalités », dans l’ouvrage collectif « L’ordre
cistercien et le Berry », CAHB, Bourges, 1998, p. 39.
720
G. DURAND, « Les abbayes cisterciennes de l’ancienne province de Rouergue », Découverte du Rouergue
Méridional, 1991, p. 362-371.
717
- 216 -
l’achèvement de la construction du monastère721. L’abbaye de Boeuil bénéficie des dons
d’Hélie de Nieul, d’Aymeric de Montcocu et d’Aymeric d’Aixe. Ces aumônes sont effectuées
avec l’aval d’Eustorge, indispensable également pour consacrer l’église722. En 1200, Arnaud,
abbé de Boschaud, prête serment entre les mains de Raymond, évêque de Périgueux.
« Ego, frater Arnaldus, abbas de Bosco Cavo, promitto
tibi,
Domine
Raimunde
episcope,
et
huic
sedi
Petragoricensi omnimodum subjectionem et reverentiam
et hobedientiam salvis Cisterciensis Ordinis institutis ».723
En 1174, l’évêque de Limoges Gérard II donne aux moines d’Aubepierres dix sous
limousins724. La présence des évêques est fréquente lors des donations. Ils attestent ainsi de
leur bienveillance mais aussi d’une mainmise relative exercée sur le monastère et son
patrimoine foncier. En 1180, une donation d’Archambaud V, vicomte de Comborn, à
Obazine, est effectuée en présence de Sébrand, évêque de Limoges725. En 1194, Sébrand
énumère les donations et les revenus faits à Aubepierres 726. Des conflits naissent de la
situation des monastères aux confins diocésains qui peuvent ainsi être au centre des
prétentions des différents prélats. La Colombe, située aux marges des diocèses de Bourges et
de Limoges, devient l’objet de conflits en 1187 entre l’évêque de Limoges Sébrand et
l’archevêque de Bourges Henri de Sully, dus en partie à l’indécision des limites des pouvoirs
des deux évêques sur les frontières limousines. Les difficultés sont relatives aux droits de
prélature sur le monastère à l’occasion de la nomination des abbés. Ceux-ci doivent être ainsi
alternativement bénis par chacun des deux évêques. La bénédiction se fait en premier lieu par
l’archevêque de Bourges du fait de sa qualité de métropolitain. Les droits à percevoir sont
partagés par moitié. Les biens acquis par les religieux dépendent du diocèse sur le territoire
duquel ils sont implantés727.
721
C. BRISSAC, « Grisailles romanes des anciennes abbatiales d’Obazine et de Bonlieu », dans les actes du
CIIème Congrès National des Sociétés Savantes, Le Limousin, études archéologiques, Limoges, 1977, Paris,
1979, p. 129-143.
722
I. AUBRÉE, op. cit, p. 36.
723
L. GRILLON, M. LEGENDRE, J. SECRET, L’abbaye de Boschaud. Le Château de Puyguilhem. L’église de
Villars, Périgueux, 1957, p. 5-24.
724
Dom J. BECQUET, Les actes des évêques de Limoges des origines à 1197, Paris, CNRS, 1999, p. 133 ; AD
Creuse, H 147, fol. 102.
725
B. BARRIÈRE, Le cartulaire de l’abbaye cistercienne d’Obazine (XIIème-XIIIème siècles), Institut d’Études
du Massif Central, Clermont-Ferrand, 1989, p. 346.
726
Dom J. BECQUET, (…)op. cit, p. 162.
727
D. GAUDON, (…), op. cit, p. 168-175.
- 217 -
S’il paraît évident que le choix du site d’implantation est en partie déterminé par les
pressions seigneuriales et épiscopales, un autre paramètre nous semble indispensable à
prendre en compte. Les moines cisterciens arrivant dans le diocèse de Limoges dans le
courant du XIIème siècle, ils doivent composer avec les ordres monastiques déjà en place et
tentent de s’implanter dans des vides monastiques relatifs. Les cisterciens semblent en effet
choisir des zones relativement libres d’implantations bénédictines, de grands monastères
influents, sauf peut-être pour l’abbaye de la Colombe qui n’est qu’à une quinzaine de
kilomètres au sud-ouest de l’abbaye de moines noirs de Saint-Benoît-du-Sault. Toutefois, les
documents d’archives conservés ne révèlent pas de tensions particulières entre les deux
ordres. Les abbayes bénédictines les plus influentes sont généralement dans la moitié nord du
diocèse de Bourges (Déols, Massay, Vierzon, Bourges). Elles sont également très présentes en
Bas-Limousin (Solignac, Uzerche, Meymac, Vigeois, Tulle, Beaulieu) tandis que la HauteMarche ne connaît guère que Châteauponsac et Guéret dont le rayonnement est toutefois bien
relatif. D’après la carte de répartition des possessions de Déols, nous pouvons constater
qu’elles occupent les vides laissés par les églises paroissiales soumises au patronat d’une
abbaye de Bourges ou de Cluny, d’où cette forte présence dans une marche forestière peu
attirante pour Cluny et éloignée du centre épiscopal [Fig. 71]728. Les cisterciens expriment-ils
une volonté de contrebalancer l’influence de la riche abbaye dans ces confins ? Cette
cohabitation révèle-t-elle une relative bonne entente entre les deux ordres ? Nous savons de
plus que les seigneurs de Déols sont de généreux donateurs pour les abbayes cisterciennes
marchoises, notamment celle de Prébenoît, « patronat » qui n’est probablement pas anodin729.
D’après la carte de répartition des établissements grandmontains dans l’ancien diocèse
de Limoges, nous constatons un vide correspondant à la Haute-Marche [Fig. 72]730. Les
cisterciens ont ici opté pour une zone délaissée par les Grandmontains plutôt que de se risquer
à pénétrer plus avant au cœur du diocèse où les initiatives érémitiques foisonnaient déjà. Leur
choix d’implantation nous paraît dès lors plutôt contraint et ces nouveaux venus dans la
seconde moitié du XIIème siècle sont forcés de tenir compte des réseaux monastiques déjà en
place [Fig. 73]. Ils ne paraissent guère libres de leurs choix.
Toutefois, en Berry, la situation n’est pas la même. Les celles grandmontaines sont
bien présentes et privilégient les confins diocésains comme les cisterciens. D’où la proximité
certaine de leurs implantations. Ainsi, Aubignac et Varennes encadrent la celle du
728
G. DEVAILLY, Le Berry du Xème au milieu du XIIIème siècle, Mouton, Paris, 1973, p. 258.
Prébenoît est ainsi à quelques kilomètres au sud des deux prieurés déolois de Nouziers et Nouzerines.
730
I. AUBRÉE, « L’Ordre de Grandmont en Bas-Limousin », dans Les ordres religieux au Moyen-Âge en
Limousin, Les Monédières, Brive, 2003, p. 307-334.
729
- 218 -
Châtaignier, Pentillou est seulement à quelques kilomètres au nord-ouest de l’abbaye des
Pierres, La Fontguedon au nord-est de Noirlac, Les Charnes au nord des cisterciens de
Chalivoy, Fontblanche au sud d’Olivet et Grandmont à l’est du Landais. Il semblerait que les
abbayes cisterciennes soient curieusement couplées à une celle grandmontaine. Peut-être les
celles aux effectifs relativement réduits souhaitaient se rapprocher des monastères de Cîteaux
pour assurer leur subsistance ? Les lieux choisis devaient être propices à l’érémitisme, tandis
que dans le diocèse de Limoges, le chef d’ordre ayant opté pour une situation centrale, rares
seront les fondations marginales. Ces zones de confins berrichons voient aussi l’implantation
de prieurés fontevristes (Longefond entre Le Blanc et Argenton, Orsan au nord des Pierres).
La présence d’autres fondations érémitiques ne semble pas freiner l’élan des créations
cisterciennes en Berry. Peut-être l’aura des grandmontains est-elle moins prégnante qu’en
Limousin où l’ordre d’Étienne de Muret a pris corps ? Faut-il voir là une stratégie des
cisterciens berrichons désireux de contrebalancer une présence malvenue des ermites
limousins ? Cette hypothèse séduisante est toutefois difficile à étayer faute de textes mais
permettrait d’expliquer ce rapprochement quasi systématique entre celle grandmontaine et
monastère cistercien.
En Boischaut, nous pouvons évoquer l’exemple de l’abbaye de la Colombe qui ne
s’installe pas véritablement dans un désert. En effet, en 1180, Guillaume, prieur de Tilly cède
des dîmes sur les terres juste au sud de l’abbaye. Ce prieuré dépendant de Charroux y avait
peut-être une charge pastorale. La paroisse de Tilly n’est donc vraisemblablement pas un vide
monastique lors de l’arrivée des cisterciens de Preuilly731. Le contexte social de l’abbaye de la
Colombe est sensiblement mieux connu grâce à l’étude minutieuse de Jérôme PICAUD qui
met en évidence plusieurs actes intéressants. En 1180, Guillaume, abbé de Charroux, donne
les terres du chemin de Chaillac jusqu’à la grange de Chabannes aux moines cisterciens, ce
qui laisserait présager de relativement bonnes relations entre certaines communautés
religieuses. En 1243, un contentieux éclate entre l’abbaye de la Colombe et les frères des
hospitaliers de Montmorillon qui disposent d’une commanderie à Chantouan sur l’Allemette à
quelques kilomètres au nord de La Colombe. Il s’agit de cerner la limite autorisée pour le
pacage de leurs troupeaux respectifs dans les terres entre les deux implantations
monastiques732. Un autre acte évoque une transaction entre les moines de la Colombe et ceux
de Montmorillon pour le tort causé à la terre de la Charpagne par l’écluse du moulin de
Montgenoux dépendant des cisterciens733. Les contentieux devaient être relativement
731
J. PICAUD, L’abbaye cistercienne de la Colombe au Moyen-Âge (…), op.cit, p. 69.
J. PICAUD, (…), op. cit, p. 76.
733
AD Indre, H 788.
732
- 219 -
fréquents avec les autres communautés monastiques dont l’objet est l’usurpation de la
propriété ou l’usufruit d’une terre.
Nous savons que les moines de Prébenoît ne sont implantés qu’à quelques kilomètres
seulement au sud de la commanderie de Viviers. Cette promiscuité n’a-t-elle pas engendré des
conflits ? Les quelques actes de l’abbaye ne conservent aucune trace de relations entre les
deux communautés. La carte de Cassini révèle la présence d’un « moulin de la
Commanderie » situé sur le Cluzeau déjà bien aménagé par les cisterciens. Il existait sans
doute des conflits pour les droits d’usage sur les eaux. La commanderie autrefois située dans
le diocèse de Bourges n’a laissé aucun vestige en élévation. Nous savons qu’elle disposait
d’une grange, d’un moulin banal, de jardins, de prés, de forêts, possessions qui jouxtaient
celles de Prébenoît734.
Les différends peuvent parfois conduire à des drames. En 1184, une dispute éclate
entre les convers d’Aubepierres et les chanoines de Chambon-Sainte-Croix dépendants
d’Aureil. De nombreux convers sont tués735. Ces rapports conflictuels s’expliquent par la
proximité des terres des deux communautés qui convoitent toutes deux le champ et les bois
des Forges au sud de la grange cistercienne de Lavauvieille. Toutefois, les moines
d’Aubepierres ont de bons rapports avec les templiers de la Forêt-au-Temple (com. Bonnat) et
leur abandonnent les rentes qu’ils possèdent dans la région 736. De même, ils s’entendent bien
avec les « Bonshommes » de Grandmont-Les-Châtaigniers, celle de l’ordre érémitique
d’Étienne de Muret (com. d’Orsennes). Les grandmontains se rendent tous les ans en
procession à Aubepierres pour vénérer les reliques de saint Gervais et saint Protais, en
possession des cisterciens depuis une époque indéterminée. Le « chemin des Moines » joint
en ligne directe les deux communautés, témoin de leurs relations suivies737.
Concernant les autres sites intéressant notre étude, nous disposons d’un acte daté de
1174 qui évoque un accord entre les chanoines d’Évaux et les religieux de Bonlieu relatif au
droit de dîme, de vin et de grain dans les paroisses de Montluçon, Saulx et Domérat738. Un
acte de 1194 précise que l’abbé de Varennes échange certains biens avec la communauté de
Saint-Sulpice-de-Bourges pour pouvoir regrouper leurs propriétés. Il devait donc y avoir une
relativement bonne entente et des possibilités d’accords entre les deux739. En 1210, les
734
A. VAYSSIÈRE, L’ordre de Malte en Limousin, p. 157-160.
J. BECQUET, « Clercs et laïcs en Limousin aux XIème et XIIème siècles » dans M. CASSAN (dir.), (…), op.
cit, p. 165-171.
736
AD Creuse, H 148.
737
M. AUBRUN, « L’abbaye cistercienne d’Aubepierres dans la Marche limousine (…) », op.cit, p. 15.
738
G. ANDRÉ, op. cit, p. 3-31.
739
G. WOLKOWITSCH, (…), op. cit, p. 13.
735
- 220 -
chanoines réguliers de Saint-Augustin de Plaimpied cèdent la moitié du moulin de Montlevic
à la grange d’Aignerais dépendant de l’abbaye des Pierres. Moines et chanoines pourraient
donc avoir tissé de bonnes relations740.
Malgré la densité considérable d’établissements religieux en Bas-Limousin, Obazine
semble tout de même être parvenue à occuper un vide monastique. Les possessions des frères
d’Étienne doivent s’insinuer dans les quelques places restantes. Elles encerclent les
possessions d’Albignac, du prieuré de Saillac, des abbayes comme Tulle et Beaulieu.
L’importance des domaines en Quercy/Rocamadour s’explique par une occupation moins
grande permettant la constitution de domaines importants d’un seul tenant. Le monastère a
ainsi dû nouer une multiplicité de contacts étant donné le nombre élevé de ses possessions
enchevêtrées. Il paraît ainsi délicat de parler d’un libre-arbitre des moines blancs quant à leur
choix de site. Ils sembleraient plutôt obligés d’occuper les seules terres restantes741.
De même concernant l’abbaye du Palais qui parvient à s’insérer dans des terres vides
d’occupation monastique. Pourtant, d’autres abbayes et prieurés parsèment les environs de
Bourganeuf : l’abbaye du Moutier, les chanoines réguliers de Bénévent, la maison
conventuelle de l’Artige, le monastère fontevriste de Blessac, autant de créations issues de la
réforme grégorienne. Une concentration exceptionnelle de l’ordre de Saint-Jean de Jérusalem
autour de Bourganeuf va également apparaître. Nous pouvons de même constater un
regroupement de prieurés d’Aureil sur un bloc compact de paroisses attenantes dans le quart
sud-ouest (Saint-Amand-Jatourdeix, La Brégère, Magnat, Fontloup). Le Palais acquiert
moyennant contrepartie onéreuse la cession de droits sans trop de difficultés. Il existe une
relative bonne entente avec les autres maisons religieuses. Les conciliations sont fréquentes
avec les Hospitaliers, les litiges récurrents avec les chanoines auréliens de Fontloup. Le Palais
occupe un espace modeste mais permettant la constitution d’un domaine d’un seul tenant742.
Quant aux moines de Dalon, nous pouvons constater que la paroisse de Sainte-Trie où
ils s’implantent est encerclée par les possessions de l’abbaye Saint-Martial de Limoges avec
les prieurés de Coubjours, Ségonzac, Rosiers et Concèze. L’abbaye de Tourtoirac est bien
implantée au sud-ouest (paroisses de Sainte-Eulalie, de Granges et de Nailhac). Les abbayes
de Solignac, Uzerche et Vigeois sont également bien pourvues dans cette région et les
cisterciens se doivent de s’insérer entre leurs terres. Ainsi, les possessions de Solignac
s’étendent sur les paroisses de Saint-Bonnet-La-Rivière, Ayen, Saint-Pantaléon de Larche ;
740
É. CHENON, « Le prieuré d’Aignerais, membre de l’abbaye des Pierres », Mémoires de la Société des
Antiquaires du Centre, 1900, T XXVI, p. 35-55.
741
B. BARRIÈRE, L’abbaye cistercienne d’Obazine…, op. cit, p. 33-34.
742
S. VITTUARI, op. cit, p. 31.
- 221 -
celles d’Uzerche sur les paroisses de Saint-Cyr-La-Roche et Saint-Médard-d’Excideuil ; enfin
celle de Vigeois sur les paroisses de Beyssac et Saint-Ybard. En 1177, l’abbé de Solignac
donne une partie du rivage de l’étang de Fialeix aux moines de Dalon (fol. 83). Quant au
moulin de Fialeix, il fait l’objet d’un compromis entre Dalon et Tourtoirac (fol. 470). Des
prêtres apparaissent fréquemment au bas de quelques donations (tel celui de Teillots), de
même que des représentants de l’abbaye de Tourtoirac, de Solignac, Sarlat, Saint-Yrieix ou
Aureil743.
Même si les cisterciens arrivent à maintenir une certaine distance avec les autres
communautés religieuses dans un rayon restreint autour de leur monastère, les actes conservés
permettent de juger des rapports entretenus, des conflits de bornage mais aussi des échanges
de biens auxquels les moines blancs doivent se plier. Ainsi, le cartulaire du Palais témoigne
bien de cette impossibilité pour les cisterciens de maintenir un isolement social permanent :
vers 1140, Géraud, prieur d’Aureil, baille à cens aux moines de Dalon ce qu’il possède sur la
borderie d’Archissat qui deviendra une grange de l’abbaye du Palais (fol. 77). Un accord est
passé devant Géraud, évêque de Limoges, entre Adhémar, prévôt d’Eymoutiers et Roger de
Dalon. Les chanoines peuvent percevoir la dîme dans les limites de la paroisse de Thauron et
sur les terres que les religieux cultivent, à charge pour les moines de payer un cens de cinq
deniers annuel (fol. 8). En 1158, un accord est conclu entre Adémar, prieur d’Ahun et Roger
de Dalon à propos de l’abbaye du Palais, ce devant Géraud, évêque de Limoges (fol. 39). En
1177, Bernard, abbé d’Uzerche, accense au Palais le manse de la Chaussade (fol. 33). Sous
l’abbatiat de Bernard (1177-1193), un échange est effectué avec Guillaume de Bramont,
maître des Hospitaliers de Bourganeuf. L’abbé cistercien cède le manse Pascales contre la
terre des Chasals et le bois des Vergnes (fol. 260). Ces échanges ont probablement pour but le
regroupement des territoires de l’un et l’autre parti pour une meilleure et plus facile
exploitation. Un accord est également passé sous cet abbatiat avec Géraud de Courson, prieur
de Mansat, au sujet d’un partage de terre (fol. 304). En 1200, un accord est signé entre
Bernard, abbé du Palais et le maître des Hospitaliers de Bourganeuf au sujet de la donation de
Ramnulphe Lebrars (fol. 11)744.
Les relations entre Dalon et les autres communautés religieuses peuvent être
appréhendées grâce au cartulaire conservé. Ainsi en 1177, l’abbé de Solignac Archambaud
donne une partie du rivage de l’étang de Fialeix pour la construction d’un moulin. Les
rapports ne sont ainsi pas toujours conflictuels et les moines cisterciens peuvent y trouver
743
M-C. PEYRAT, op. cit., p. 86.
AD Creuse, H 524 ; J. CIBOT, Le cartulaire de l’abbaye du Palais-Notre-Dame (XIIème-XIIIème siècles),
DES, Poitiers, 1961.
744
- 222 -
quelque avantage745. Toutefois en 1190, un différend éclate entre les moines de Dalon et
l’église de Tourtoirac au sujet du moulin de Fialeix près du bois de Born746. En 1181, Henri,
évêque d’Albano, arbitre un différend avec Sainte-Marie-De-Saintes à propos des dîmes de la
grange des Touches. En 1182, le chapitre collégial de Saint-Front-de-Périgueux compose avec
Dalon au sujet des dîmes de Sainte-Orse. Les cisterciens peuvent ainsi entretenir des relations
avec des communautés plus éloignées ayant des prétentions dans les environs747.
Quant aux moines de Bonnaigue, ils semblent entretenir des relations régulières avec
les proches communautés de Bort (prieuré clunisien) et de Port-Dieu (prieuré casadéen). Ainsi
Arbert, prieur de Bort, donne à Bonnaigue tous les droits qu’il avait à Bay. Pierre de la
Chassagne, prieur de Port-Dieu, donne aux moines cisterciens, en la main de l’abbé Gui
Gasmar, la ferme de Froidvent et le quart de la dîme de Daillac. En 1204, Gérard de la Roche,
prieur de Port-Dieu, donne la mas de Laubard. Les rapports entretenus ne sont toutefois pas
toujours cordiaux puisque l’abbé de Meymac doit arbitrer un différend entre l’abbé de
Bonnaigue et le prieur de Port-Dieu, les deux communautés ayant des prétentions sur la haute
vallée de la Dordogne748. Les moines cisterciens doivent ainsi composer avec les
communautés déjà installées lors de leur implantation.
Seigneurs,
rois
et
clercs :
donner
pour
mieux
contrôler ? Reprise en main des frontières.
Si les seigneurs, rois et évêques sont bien souvent à l’origine d’une fondation d’abbaye
cistercienne, s’ils contribuent très largement à la constitution du noyau initial du patrimoine
foncier de ces monastères, leur incidence sur les sites cisterciens ne s’arrête pas là. Les mieux
lotis continuent durant tout le XIIème siècle et parfois même le XIIIème siècle à doter les
abbayes de l’ordre et trouvent ainsi peut-être un moyen de s’assurer la fidélité des moines et
donc d’une certaine manière un contrôle, une mainmise sur des terres marginales aux limites
des seigneuries [Fig. 70]. De même, les évêques gardent un œil sur les fondations en assistant
aux donations. Ils tentent en quelque sorte « l’épiscopalisation » de ces terres frontalières
longtemps dévolues au saltus749. L’étude des vocables aux saints évêques pourra peut-être
745
L. GRILLON, Le cartulaire de Dalon (1114-1247), Mémoire de DES sous la direction de C. HIGOUNET,
Bordeaux, 1962, fol. 13.
746
L. GRILLON, op. cit, fol. 109.
747
Ibid., fol. 602 et 752.
748
J-L. LEMAITRE, Bonnaigue, une abbaye cistercienne au pays d’Ussel, Ussel, 1993, p. 136.
749
M. AUBRUN, L’ancien diocèse de Limoges des origines au milieu du XIème siècle, Institut d’Études du
Massif Central, Clermont-Ferrand, 1970, p. 229.
- 223 -
nous apprendre sur leur présence et leur volonté de s’implanter au sein même de ses terres
frontalières [Fig. 74].
Les liens entretenus entre Cîteaux et la noblesse locale sont très étroits, comme nous
avons eu le loisir de le remarquer en étudiant plus précisément les conditions des fondations
de sites cisterciens, aussi bien dans le diocèse de Limoges que dans d’autres diocèses. Les
moines blancs ne seraient ainsi pas parvenus à maintenir leur indépendance par rapport aux
pouvoirs laïcs, à l’encontre de certaines volontés de la réforme grégorienne. Les valeurs
spirituelles de Cîteaux mais surtout les qualités de gestionnaires des moines blancs attirent les
laïcs les plus hauts placés qui se montrent généreux de donations. Les cisterciens sont euxmêmes issus de milieux aristocratiques. Guillaume de SAINT-THIERRY constate à propos de
Clairvaux qu’on
« (…) voyait des hommes de vertu, autrefois riches et
honorés dans le monde, et maintenant se glorifiant dans la
pauvreté du Christ »750.
Ils sont souvent des cadets de grandes familles qui trouvent une place au sein des
réseaux cisterciens. Ceci explique sans doute leur réussite dans la mise en valeur de leurs
biens. Ils ont vraisemblablement l’habitude de la gestion de vastes domaines et agissent en
bons entrepreneurs et excellents administrateurs. Selon Michel AUBRUN, « Il n’empêche que
le couvent a servi à placer des enfants en surnombre, mal aimés ou illégitimes »751. Nous
comprenons ainsi mieux cet élan de générosité des seigneurs envers les cisterciens ; il s’agit
peut-être de membres de leur famille qu’ils se doivent de doter largement en échange de
prières pour le salut de leur âme. Véronique GAZEAU constate à propos des abbayes
bénédictines de la Normandie ducale qu’elles sont des relais du pouvoir aristocratique,
hypothèse démontrée par une étude prosopographique minutieuse sur les abbés. Selon
l’historienne, la quasi-disparition de l’oblation des enfants de l’aristocratie aux XIème et
XIIème siècles n’a pas réellement diminué l’influence des familles sur les établissements. Les
jeunes gens qui prennent l’habit monastique font généralement le choix d’entrer dans le
monastère fondé par leur propre famille752.
750
Guillaume de SAINT-THIERRY, Vie de Saint Bernard de Clairvaux, 1091-1153, Paleo, Clermont-Ferrand,
2004, p. 60.
751
M. AUBRUN, L’ancien diocèse de Limoges…, op. cit, p. 195.
752
V. GAZEAU, « Les abbayes bénédictines de la Normandie ducale : lieux de pouvoir ou relais du pouvoir ? »,
dans A-M. FLAMBARD HÉRICHER, Les Lieux de pouvoir au Moyen-Âge en Normandie et sur ses marges,
- 224 -
Les rapports sont ainsi très étroits entre moines réguliers et monde laïc. Les fondateurs
des réseaux sont par ailleurs très fréquemment d’origine aristocratique. N’est-ce pas le cas de
saint Bernard, ou de Géraud de Sales753?
Les donations sont un moyen de manifester leur conscience lignagère et de légitimer
un pouvoir. Ils peuvent ainsi chercher à faire remonter leur généalogie jusqu’à l’ancêtre
fondateur de l’abbaye754. D’où les nombreux conflits d’intérêt suscités par les fondations
monastiques qui excitent les convoitises seigneuriales. Les nobles se livrent alors à une
surenchère dans la générosité pour que leur autorité soit reconnue, particulièrement dans ces
zones marginales aux frontières politiques et ecclésiastiques mouvantes. Les dons ne relèvent
pas alors exclusivement de leur piété puisqu’ils attendent en échange la prise en charge de
l’éducation des cadets et marquent ainsi leur territoire et leur aire d’influence. Leurs donations
sont finalement un moyen de contrôle sur la communauté qui aspire pourtant à se détacher des
spéculations temporelles.
Les moines de Bonlieu bénéficient dès les premiers temps de la fondation des
libéralités des seigneurs de Chambon qui peuvent prétendre à la fondation du monastère.
Amélius est d’ailleurs à l’origine de l’installation des ermites de Géraud de Sales en 1120 755.
L’abbaye de Prébenoît est dotée par les vicomtes de Brosse, les seigneurs de Nouzerines, de
Déols756 et de Malval757. Ces derniers s’étaient déjà montrés très généreux envers les moines
d’Aubepierres. Les premières donations des seigneurs de Malval qui se revendiquent comme
les fondateurs du monastère marchois concernent la zone d’implantation initiale de l’abbaye
(Moisse) et ses abords directs (Les Charderies sur la paroisse de Genouillac). Guillaume de
Nouzerines, vassal des seigneurs de Boussac, concède notamment des terres à la Villatte et la
Fontanelle758.
Les donations répétées des vicomtes de Turenne notamment permettent aux moines
d’Obazine de constituer un important groupe de granges autour de Rocamadour, lieu de
CRAHM, Caen, 2006, p. 91-100.
753
C. LAURANSON-ROSAZ, L’Auvergne et ses marges (Velay, Gévaudan) du VIIIème au XIème siècle, la fin
du Monde Antique ? Le Puy, 1987, p. 355.
754
B. BARRIÈRE, « Généalogies et lignages. Un problème de transmission lignagère en Limousin au XIème
siècle » dans M. CASSAN (dir.), Croyances, pouvoirs et société. Des Limousins aux Français. Études offertes à
Louis Pérouas, « Les Monédières », Treignac, 1988, p. 103-127.
755
Amélius donne ses droits sur le bois d’Estrader (désormais bois de la Bonnette). Les moines peuvent prendre
le bois nécessaire pour le chauffage, les constructions, peuvent faire paître les porcs et autres animaux. AD
Creuse, H 284.
756
En 1208, les seigneurs de Déols cèdent aux moines le bois de Drouilles (Soumans). AD Creuse, H 528.
757
En 1223, Aubert de Malval récapitule et confirme les donations à titre perpétuel faites par ses ancêtres à
l’abbaye. Il donne au monastère tous les hommes de son domaine qui voudraient prendre l’habit monastique. AD
Creuse, H 528.
758
Cet acte est daté de 1192. Sébrand Chabot, évêque de Limoges, y appose son sceau. AD Creuse, H 528.
- 225 -
pèlerinage stratégiquement placé par les abbés de Tulle au XIIème siècle sur la route de SaintJacques de Compostelle759. Ces donations sont loin d’être désintéressées. En effet, elles sont
vues comme un moyen d’acquérir des possessions aux abords du lieu de pèlerinage pour
épauler l’abbaye de Tulle qui détenait alors les sanctuaires de Rocamadour. L’abbé de Tulle
Ebles est d’ailleurs un Turenne (1112-1152). Ces seigneurs désiraient vraisemblablement
attirer autour de Rocamadour le plus d’influences limousines possibles et stimuler la
production et le commerce. Dans cette volonté de promotion du pèlerinage, les cisterciens
apparaissent comme les plus aptes à mettre en place les infrastructures nécessaires à une telle
entreprise760. L’approvisionnement de Rocamadour et des nombreux pèlerins posait également
problème. Les granges cisterciennes d’Obazine avaient ainsi un rôle indéniable à jouer. Le
monastère cistercien trouve son intérêt dans les stratégies des Turenne et obtient des
débouchés à ses productions. L’implantation cistercienne autour de Rocamadour n’est ainsi
pas un hasard mais correspond à l’essor du pèlerinage. Les donations seigneuriales sont
pleinement stratégiques et visent à cerner le lieu de pèlerinage par les possessions des moines
d’Obazine. Cet exemple montre clairement que les seigneurs ne se contentent pas d’apporter
leur soutien à la fondation d’abbayes : ils utilisent les moines blancs à des fins politiques et
stratégiques afin de contrecarrer les prétentions d’autres puissants. Au cœur de ces joutes
seigneuriales, les cisterciens ne pouvaient guère assurer leur retrait du siècle761. Ils doivent
aussi composer avec les mainmises épiscopales qui tentent d’assurer leur pouvoir au cœur des
marges forestières. Ils tendent à utiliser les moines blancs tels des « vicaires épiscopaux »,
s’immiscent dans les affaires abbatiales afin de mieux les contrôler.
Les rois Plantagenêts se montrent également présents dans les actes de donation de
certaines abbayes et matérialisent ainsi l’étendue de leur pouvoir. Ces générosités sont bien
souvent un moyen de marquer leur présence. Ils utilisent les abbayes cisterciennes comme
lieu d’expression de leur pouvoir, relais de leur souveraineté. Ainsi en 1159 Henri II exempte
Dalon du péage du sel et de toute taxe sur le vivre ou le vêtement. En 1173, il ajoute à sa
précédente donation le forestage de la forêt de Baconnais. Puis Aliénor prend sous sa
759
B. BARRIÈRE, « Routes et échanges entre Limousin et Espagne du XIème au XIIIème siècle », dans P.
SÉNAC (dir.), Aquitaine-Espagne (VIIIème-XIIIème siècles), Poitiers, CESCM, 2001, p. 189-202.
760
B. BARRIÈRE, « L’économie cistercienne du sud-ouest de la France », Centre culturel de l’abbaye de Flaran,
Économie cistercienne. Géographie, mutations du Moyen-Âge aux temps modernes, 1981, Auch, 1983, p. 75-99.
761
B. BARRIÈRE, L’abbaye cistercienne d’Obazine en Bas-Limousin, les origines- le patrimoine, Tulle, 1977,
p. 170 ; J. ROCACHER, Rocamadour et son pèlerinage. Étude historique et archéologique, Toulouse, 1979, vol.
I, p. 345.
- 226 -
protection Dalon et tous ces biens. De même Richard-Cœur-de-Lion prend l’abbaye sous sa
protection et exempte ses biens de toute taxe762.
Jean-Baptiste MAHN, dans son étude sur l’ordre cistercien et son organisation, précise
les rapports entre moines et évêques dans le cadre des statuts et règlements de la communauté.
Il insiste sur le fait que la papauté exempte les moines blancs de toute juridiction épiscopale.
Le pouvoir unique reconnu est celui de l’abbé. L’évêque ne serait considéré dès lors que
comme un gardien de l’observance cistercienne et non un directeur doué d’initiative. Il est
d’ailleurs écarté de l’élection abbatiale. Il demeure toutefois le consécrateur de l’abbaye et a
la possibilité d’intervenir en cas de désaccord et de se proposer comme arbitre des éventuelles
discordes. Les abbés pourraient choisir eux-mêmes l’évêque chargé de leur bénédiction.
L’organisation de l’ordre cistercien exclut de fait tout pouvoir externe. Toutefois, nous
pouvons nous demander comment ces principes vont s’adapter au fil des siècles aux réalités
de la vie communautaire763. Que peut-on constater pour les marges du diocèse de Limoges ?
Les moines blancs s’implantent aux confins diocésains, loin des centres épiscopaux et
de l’influence directe des évêques de Clermont, de Limoges et de l’archevêque de Bourges.
Ces déserts semblent de prime abord relativement libres de toute autorité ecclésiastique forte.
En effet, l’étude du Pouillé du diocèse de Limoges révèle que les possessions territoriales de
l’évêque sont surtout concentrées autour du centre épiscopal, dans l’archiprêtré de Limoges,
tandis que les marches semblent largement convoitées par les seigneuries laïques ou certaines
abbayes puissantes comme celle de Déols en Berry, largement possessionée en HauteMarche764.
Toutefois, les évêques, de la même manière que les seigneurs laïcs, ne vont-ils pas
tenter de prendre le contrôle de ces marches forestières ? Marie CASSET dans son étude sur
les évêques normands au Moyen-Âge insiste sur la volonté des prélats de manifester leur
présence, leurs pouvoirs tant ecclésiastiques que seigneuriaux sur des sites qui peuvent être
éloignés du palais urbain, dans des environnements aptes à exprimer leur puissance. Ils
témoignent d’une volonté déterminée d’affirmer les pouvoirs religieux dans des zones
éloignées du chef-lieu, voire marginales du diocèse, au sein de territoires où les évêques ne
détiennent que d’infimes pouvoirs. N’est-ce pas justement le cas des évêques de Limoges ou
762
L. GRILLON, Le cartulaire de Dalon (1114-1247), Mémoire de DES sous la direction de C. HIGOUNET,
Bordeaux, 1962, fol. 731-732-733-736.
763
J. B. MAHN, L’ordre cistercien et son gouvernement des origines au milieu du XIIIème siècle (1098-1265),
Paris, 1945, p. 78.
764
J. NADAUD, Pouillé historique du diocèse de Limoges, 1775, BSHAL, T 53, 1903, p. 1-841.
- 227 -
des archevêques de Bourges qui vont tenter, à travers une « mainmise » relative sur les sites
cisterciens marginaux, d’affirmer une présence épiscopale aux limites extrêmes du
diocèse765 ?
Valérie POKUCINSKI insiste sur le fait que c’est bien l’évêque qui conduit la
politique et la religion dans son diocèse et favorise ainsi la venue et l’expansion des
mouvements à caractère érémitique. Ceux-ci auraient besoin de l’aval de l’évêque pour
s’implanter. Elle donne l’exemple des chanoines réguliers d’Aureil qui s’installent dans
l’ancien diocèse de Limoges vers 1086 et sont soumis au contrôle de l’évêque. Il les protège
et par là même assure sa mainmise sur cette fondation. Par opposition, les moines de l’Artige,
dépendant directement du Pape sont plus ou moins soustraits à l’autorité épiscopale766.
L’évêque peut ainsi voir certains mouvements lui échapper. Les fondations d’Aureil et de
l’Artige ne sont guère éloignées de la cité épiscopale. La proximité géographique facilite
probablement les tentatives de mainmise du pouvoir épiscopal. Qu’en est-il cependant des
fondations cisterciennes marginales ?
Claude ANDRAULT-SCHMITT évoque la situation très similaire des abbayes
cisterciennes du Poitou, elles aussi implantées aux marges diocésaines. Elle insiste sur le rôle
des évêques dans la « consolidation du patrimoine cistercien » et la protection d’abbayes qui
sont perçues comme des cautions morales et des relais pour obtenir des appuis politiques. Elle
met en évidence les liens étroits entre l’abbaye du Pin (com. Béruges, Vienne) et le chapitre
de Poitiers, entre Ourscamp (com. Chiry-Ourscamp, Oise) et Noyon, Lorroy (com. Méry-LèsBois, Cher) et Bourges, Longpont (com. Longpont, Aisne) et Soissons767. Il semble donc
relativement habituel que les monastères cisterciens soient étroitement liés avec l’épiscopat et
la noblesse, soutiens nécessaires à leur implantation et à l’accroissement de leur patrimoine.
Toutefois, ils perdent en contrepartie une certaine autonomie et liberté ne serait-ce que dans le
choix de leur site d’implantation.
Outre ce contrôle exercé sur les abbayes cisterciennes, les évêques tentent de reprendre
en main les marges forestières par une « épiscopalisation » des vocables, ce depuis les VIIème
et VIIIème siècles [Fig. 74]. Bien que cette constatation ne corresponde pas à la période
envisagée dans notre étude, il nous paraît nécessaire d’y faire référence ici afin de montrer les
stratégies épiscopales pour maintenir un contrôle sur ces terres marginales, avant une
765
M. CASSET, « Les stratégies d’implantation des châteaux et manoirs des évêques normands au Moyen-Âge
(XI-XVème siècles) », dans A-M. FLAMBARD HÉRICHER, Les Lieux de pouvoir au Moyen-Âge en
Normandie et sur ses marges, CRAHM, Caen, 2006, p. 37-52.
766
V. POKUCINSKI, Les chanoines d’Aureil et de l’Artige d’après leurs cartulaires, maîtrise sous la direction
de M. AUBRUN, Clermont II, 1991, p. 51.
767
C. ANDRAULT-SCHMITT, « Églises cisterciennes en Poitou (…) », op.cit., p. 9-103.
- 228 -
« l’instrumentalisation » possible des moines blancs. Des concurrences sont sensibles entres
évêques de Limoges, archevêques de Bourges tandis que la présence des saints évêques
auvergnats n’est pas non plus négligeable dans le diocèse de Limoges. Des interpénétrations
sont sensibles grâce à cette étude des vocables des églises. Des cultes à saint Aignan
d’Orléans, saint Maurille d’Angers et saint Amand de Rodez sont également présents dans
l’ancien diocèse de Limoges mais de manière moins systématique que les saints évêques
berrichons et auvergnats. Cette constatation s’explique aisément par la proximité des sièges
épiscopaux de Clermont et de Bourges768.
De même, les translations de reliques peuvent également nous apprendre sur les liens
entre les sièges épiscopaux et leurs tentatives de marquer leur territoire et d’assurer leur
présence. En 855 par exemple, les moines de Saint-Martial de Limoges dotent le prieuré de
Ruffec en Berry (com. Le Blanc, Indre) des reliques de saint Alpinien. Il s’agit d’un des
premiers évêques de Limoges, compagnon de saint Martial. N’est-ce pas là une tentative
d’incursion en Berry par l’intermédiaire du culte de ce saint très renommé que l’on voudrait
« exporter » au-delà des limites du diocèse de Limoges ?769 Par ailleurs, à la fin du Xème
siècle, à l’occasion du Mal des Ardents, de nombreuses reliques sont rassemblées. Vers 1041,
les reliques de saint Benoît sont acheminées à Limoges depuis le prieuré du Sault en Berry.
En chemin, deux miracles se produisent à Saint-Hilaire-La-Treille et Châteauponsac.
Des interpénétrations existent bien entre les deux diocèses par l’intermédiaire de la
circulation de reliques entraînant la propagation des cultes de l’autre côté des frontières
diocésaine770.
Concernant l’analyse des vocables des églises, l’étude de Michel AUBRUN est une
fois encore incontournable pour notre propre réflexion. Celui-ci explique que chaque époque a
ses préférences quant au choix du patron de l’église, déterminé pour des motifs propres à la
piété du moment. Les titulaires sont dans un premier temps d’origine scripturaire, puis des
martyrs. Ensuite, c’est le vocable à saint Martin qui prédomine. Plus tard, aux VIIème et
VIIIème siècles, les saints évêques gaulois de l’époque mérovingienne font leur apparition,
correspondant à une politique « d’épiscopalisation » afin de freiner l’extension du culte
martinien. Il pourrait également s’agir d’un souci d’utiliser les corps saints de la région à une
époque où il semble difficile de se procurer les reliques de saints d’Orient, la législation
romaine règlementant la propagation des reliques des catacombes et interdisant le
768
M. AUBRUN, L’Ancien diocèse de Limoges…, op. cit, p. 311.
M. AUBRUN, op. cit, p. 131.
770
M. AUBRUN, op. cit, p. 199.
769
- 229 -
fractionnement. Ce n’est que dans le courant du IXème siècle que ces pratiques seront
tolérées771.
Cette volonté « d’épiscopalisation » est ainsi tangible dès l’époque carolingienne
(VIIème-IXème siècles). En Haute-Marche et plus particulièrement aux confins des diocèses
de Limoges et de Bourges, les vocables des saints confesseurs tels saint Dizier et saint
Sulpice, évêques de Bourges durant l’époque mérovingienne sont très présents 772. Ils révèlent
ainsi les liens très étroits entre la Marche et le centre épiscopal berrichon, liens déjà évoqués à
travers le culte très fréquent de saint Silvain, martyr de Levroux. Nous disposons de peu de
renseignements sur les saints évêques mérovingiens berrichons. Il existait deux Sulpice issus
de la haute société gallo-romaine. Le vocable des églises ne précise toutefois pas duquel il
s’agit. Par leur imprécision, les dévotions sont attirées sur deux archevêques différents et
drainent de nombreux de pèlerins. Sulpice I (584-591) était orateur et poète selon Grégoire de
Tours. C’est un homme de haute noblesse appartenant à une famille sénatoriale des Gaules. Il
est apprécié pour ses décrets sur la discipline du clergé et les mœurs des fidèles. Sulpice II Le
Bon (624-647) est un peu mieux connu grâce au Livre de Miracles de Saint-Sulpice Le Bon
composé peu avant sa mort. Des détails sont livrés sur son ascétisme et ses mortifications.
Nous sommes moins renseignés sur son activité proprement religieuse. Il a fait de nombreux
séjours à la cour du roi et y a occupé des fonctions officielles avant d’accéder à l’épiscopat. Il
se montre comme le défenseur temporel des paroissiens et repousse notamment les collecteurs
d’impôts envoyés par des rois à Bourges en violation des immunités fiscales de la ville. Il
convertit des hérétiques et des juifs, lutte contre la survivance des cultes animistes dans son
diocèse, d’où son renom et sa popularité. Le culte qui lui est porté honore toutefois plus ses
vertus d’homme que son action d’évêque773. Quant à saint Désiré (538-541), il est
relativement peu connu. Il fonde les églises de Saint-Symphorien et Saint-Ursin de Bourges.
En 549, il prend part au 5ème concile d’Orléans et au concile de Clermont. Il serait mort à son
retour à Saint-Désiré dans l’actuel canton d’Huriel. Il existe en fait un autre saint Dizier à
Langres et un à Vienne, fêtés ensemble en Limousin le 23 mai774.
Nous pouvons ainsi citer de nombreuses églises titrées à saint Dizier, à savoir SaintDizier-La-Tour, Saint-Dizier-Les-Domaines, Saint-Dizier-Leyrenne situées en Haute-Marche.
771
M. AUBRUN, op. cit, p. 229.
M. AUBRUN, p. 310 ; G. DEVAILLY (dir.), Le diocèse de Bourges, Paris, 1973, p. 13 ; abbé J.
VILLEPELET, Nos saints berrichons, Bourges, 1931, p. 6-11 et 23-27.
773
Maurice DE LAUGARDIÈRE liste les églises titrées à saint Sulpice en France. La majorité est dans les
actuels départements de la Creuse et de l’Indre. Dans L’Église de Bourges avant Charlemagne, Paris, Bourges,
1951, p. 225-231.
774
M. AUBRUN, op. cit, p. 316.
772
- 230 -
Celles dédiées à saint Sulpice sont encore plus nombreuses ; nous connaissons Banize, BordSaint-Georges, Le Donzeil, Ladapeyre, Lafat, Saint-Sulpice-Les-Feuilles, Saint-Sulpice-LeDunois, Saint-Sulpice-Le-Guérétois, Saint-Sulpice-Les-Champs, Tercillat (située à la limite
de deux diocèses), Trois-Fonds et Viersat. L’église de Leyrat est quant à elle vouée à l’évêque
de Bourges saint Désiré775. Faut-il voir dans cette énumération une volonté des archevêques
de Bourges de faire valoir une emprise certaine sur la Haute-Marche, de s’insinuer dans cette
marche forestière éloignée du pouvoir de l’évêque de Limoges ? Cette concentration de
vocables dans le nord du diocèse de Limoges est en effet tout à fait particulière et ne se
confirme pas en Bas-Limousin. Elle s’explique par la proximité relative de Bourges. Cette
tentative « d’épiscopalisation » des zones de saltus est ainsi tangible en Haute-Marche et dans
cette frange forestière en contact direct avec le Boischaut.
Les liens avec l’épiscopat de Clermont paraissent plus ténus. Nous pouvons toutefois
relever certaines églises dédiées à saint Priest. Il s’agit d’un évêque de Clermont assassiné en
676. Il est connu par une Vita qui liste une succession de miracles accomplis par le saint. Il
fonde de nombreux monastères et se démarque par la création d’établissements charitables. Il
crée un hospice pouvant accueillir vingt malades avec le personnel médical adéquat « à
l’instar des hôpitaux d’Orient ». Huit églises sont placées sous son patronage dans l’ancien
diocèse de Clermont, ce qui traduit son grand prestige. Il meurt sauvagement assassiné dans
sa propriété de Volvic par un seigneur qui conteste une donation de la Dame Claudia de tous
ses biens à l’évêque et aux pauvres. L’Église est riche et puissante et excite forcément les
convoitises des nobles locaux. Il est honoré notamment à Saint-Priest-Taurion sur l’ancienne
voie romaine de Clermont à Limoges, à Saint-Priest au sud-est de l’abbaye de Bonlieu, non
loin de la limite diocésaine776. D’autres églises sont situées au cœur du diocèse et non en
marges forestières : Cognac, Saint-Priest-Sous-Aixe, Saint-Priest-Palus, Saint-Priest-LaFeuille, Saint-Priest-La-Plaine, Saint-Priest-Le-Bétoux ou Saint-Priest-Ligoure.
Saint Gal, évêque de Clermont mort en 554 n’est honoré qu’à Seilhac. Saint Gal (527553) est installé sur le trône épiscopal avec l’appui du roi. Il est le fils aîné d’un riche sénateur
arverne. Il est connu à travers les écrits très laudatifs de son neveu Grégoire de Tours. Par ses
mérites, il aurait obtenu la faveur divine que la Peste qui sévissait en Gaule ne frapperait pas
son diocèse. Il institue également une procession de Clermont à Brioude. À sa mort, une crise
se déclenche qui tourne au schisme. Caton et Cautin prétendent tous les deux à l’épiscopat.
775
L. LACROCQ, Les Églises de France, Creuse, Paris, 1934 ; R. CROZET, L’Art roman en Berry, Paris, 1932 ;
abbé J. VILLEPELET, op.cit, p. 68-69.
776
M. AUBRUN, L’Ancien diocèse de Limoges (…), op.cit., p. 312 ; A. POITRINEAU (dir.), Le diocèse de
Clermont, Paris, 1979, p. 30.
- 231 -
Le retour au calme est lié à l’élection de Saint Avit (vers 572). Il est connu pour avoir
fait expulser de nombreux juifs, intensifié la politique de conversion. Grégoire de Tours le
félicite d’ailleurs d’avoir fait de Clermont le premier diocèse exempt de judaïsme. Il fait
preuve d’une grande énergie dans ses relations avec les autorités laïques. Il est probablement
le fondateur de Notre-Dame-du-Port. Un second Avit (676-690) est connu pour avoir transféré
les reliques de Saint Austremoine à Volvic. Issu d’une riche famille arverne, il est l’un des
derniers évêques mérovingiens canonisés avec son frère saint Bonnet. Il est intéressant de
constater que le vocable d’une unique église peut ainsi englober les dévotions à plusieurs
prélats et rassembler ainsi un plus grand nombre de fidèles par l’ambiguïté intentionnelle de la
dédicace. Saint Avit est honoré près d’Aubusson (Saint-Avit-de-Tarde) et près de SaintSulpice-Les-Champs, non loin de la Colombe (Saint-Avit-Le-Pauvre).
Saint Genès est relativement méconnu. Sa vie est tardive et peu sûre. Saint Genest,
compagnon de saint Austremoine, évangélisateur de l’Auvergne, est titulaire des églises
d’Oradour-Saint-Genest (Le Dorat), Saint-Genest (Pierrebuffière) et Saint-Genest-deCuremonte (Meyssac)777.
Saint Julien de Brioude est fortement présent aux frontières du diocèse de Limoges. Ce
saint auvergnat est célébré à Arnac-La-Poste, Fresselines, Nouhant, Saint-Julien-La-Genête en
Haute-Marche, aux franges berrichonnes et bourbonnaises. Les sites de Saint-Julien-aux-Bois,
Soursac et Saint-Julien-Le-Pèlerin sont en limites du diocèse de Limoges. Nepouls, Varetz,
Louignac apparaissent aux frontières du diocèse de Périgueux. La présence de ce vocable en
marge diocésaine s’explique par cette volonté de « colonisation », de mainmise et de reprise
en main de zones frontalières par les évêques. Concernant saint Julien, son culte apparaît dès
les Vème et VIème siècles, ce qui laisse présager de la précocité de cette volonté
d’épiscopalisation des marges diocésaines778.
Le saint évêque auvergnat le mieux représenté est vraisemblablement saint Bonnet,
très présent dans son diocèse dans les années 720. Ce vocable est surtout fréquent en Corrèze :
Saint-Bonnet-La-Rivière (com. Juillac), Saint-Bonnet-L’Enfantier (com. Vigeois), SaintBonnet-Avalouze (com. Tulle), Saint-Bonnet-Elvert (com. Argentat), Saint-Bonnet-LesTours-de-Merle (com. Mercoeur), Saint-Bonnet (com. Bort) à la frontière du diocèse de
Clermont, Saint-Bonnet-Briance (com. Pierrebuffière), Vaulry et Saint-Bonnet (com. Bellac)
en Haute-Vienne779.
777
A. POITRINEAU, op. cit, p. 23.
M. AUBRUN, op. cit, p. 267.
779
M. AUBRUN, op. cit, p. 320.
778
- 232 -
Michel AUBRUN fait état de la rareté des dédicaces à saint Denis, l’évêque martyr de
Paris. Il l’interprète comme un manque d’ouverture du diocèse de Limoges sur les zones
septentrionales780. Toutefois, ce qui est constaté à l’époque carolingienne se confirme-t-il pour
les XIIème et XIIIème siècles qui intéressent notre étude ? Ce retrait par rapport aux régions
septentrionales perçues à travers les vocables peut-il être extrapolé à d’autres types
d’échanges (artistiques par exemple) ?
L’étude des vocables des églises de l’ancien diocèse de Bourges est également
révélatrice de réseaux de relations, de liens avec d’autres centres épiscopaux. Dès les premiers
temps de la chrétienté, saint Yrieix, évangélisateur limousin, vient dans la région d’Argenton
pour christianiser certaines populations restées attachées aux croyances païennes. Le culte de
saint Martial, premier évêque de Limoges, se propage de manière assez significative en Berry.
Les vocables à saint Priest sont également présents en Boischaut, révélant des relations avec
l’ancien diocèse de Clermont781. Nous pouvons notamment citer Saint-Priest-La-Marche aux
confins des diocèses de Bourges et Limoges, Malicorne et Montvicq actuellement dans le
département de l’Allier. Saint Pardoux est titulaire de l’église d’Archignat, Mesples et
Domérat aux confins des diocèses de Bourges, Clermont et Limoges 782. Maurice de
LAUGARDIÈRE fait état de vingt-deux églises tirées à saint Martin, deux à saint Julien de
Brioude, trois à saint Germain d’Auxerre, quatre à saint Martial de Limoges et trois à saint
Hilaire de Poitiers, témoignant des ouvertures sur les diocèses limitrophes783.
Le Haut-Berry témoigne d’un rattachement à un espace aquitain ; saint Amand, ancien
évêque de Bordeaux, est honoré à Saint-Amand-Montrond784. Pour l’abbé J. VILLEPELET, le
patron de Saint-Amand-Montrond serait un évêque de Maastricht. Saint Amand serait né en
pays Nantais dans une famille noble. Il reçoit la consécration épiscopale, non pas pour
gouverner un diocèse particulier mais en tant que missionnaire afin d’évangéliser les fidèles.
Il ne restera que trois années sur le trône de Maastricht. Saint Hilaire évêque de Poitiers, est
quant à lui honoré à Bourges et Sancerre. Ces échanges ne sont pas unilatéraux ; il suffit de
constater le nombre important d’églises vouées à l’archevêque saint Sulpice en Limousin,
Poitou et Saintonge. N’était-ce pas un moyen pour le métropolitain de Bourges d’attester de
sa présence dans les diocèses de ses suffragants ?
780
M. AUBRUN, op. cit, p. 315.
R. CROZET, L’art roman en Berry, Paris, 1932, p. 30.
782
L’histoire de saint Pardoux est relativement bien connue. Il perd la vue très jeune et part s’isoler dans la forêt
de Sardent au nord de Bourganeuf. Au VIIIème siècle, il est à l’origine de la fondation du monastère de Guéret.
Voir M. PÉNICAUT, Les grands saints Limousins, Paris, 1946, p. 76.
783
M. DE LAUGARDIÈRE, L’Église de Bourges avant Charlemagne, Paris, Bourges, 1951, p. 115.
784
Abbé J. VILLEPELET, op.cit, p. 36-39.
781
- 233 -
Le diocèse de Périgueux doit également faire l’objet de quelques remarques. En effet,
les abbayes de Boschaud et de Peyrouse sont situées en limites de ce diocèse et les vocables
des paroisses les entourant révèlent également des relations avec Clermont, Limoges et
Angoulême dès le haut Moyen-Âge. Nous en disposons pas d’étude équivalente à celle de
Michel AUBRUN mais l’ouvrage de Jean-Alcide CARLES sur les titulaires et patrons du
diocèse permet néanmoins de proposer quelques constatations. Les liens avec Limoges sont
attestés par la forte présence des vocables à saint Martial, disséminés dans l’ensemble du
diocèse, comme à Saint-Martial d’Albarède (sud-ouest d’Excideuil, non loin de l’abbaye de
Dalon) ou Thenon. À Villars, sur la commune où s’implantent les cisterciens de Boschaud,
une fontaine dédiée à saint Martial faisait l’objet d’un important pèlerinage785. Les dévotions à
saint Victurnien, ermite limousin, d’origine écossaise (VIIème siècle), sont également
fréquentes, notamment à Saint-Raphaël au sud-est d’Excideuil786. L’ermite limousin saint
Valéry est quant à lui vénéré à Badefols d’Ans et Boisseuilh. À Saint-Pardoux-La-Rivière,
c’est l’ermite né à Sardent qui fait l’objet d’une vénération particulière, témoignant du
rattachement du Nontronnais au diocèse de Limoges. Une fontaine de Saint-Pardoux était
l’objet de processions et cérémonies787. Certaines titulatures se réfèrent également au diocèse
de Clermont. En effet, saint Julien de Brioude par exemple est vénéré à Saint-Julien-deBourdeilles, à 30 kms au nord-ouest de Périgueux. Quant à saint Sulpice, ancien évêque de
Bourges, il est célébré par exemple à Saint-Sulpice d’Excideuil où une fontaine attire les
dévotions et à Saint-Sulpice-de-Mareuil788.
Le diocèse de Périgueux est également tourné vers l’Aquitaine et les vocables à saint
Cybard, saint Front (évêque de Périgueux, Nanthiat), saint Trojan (évêque de Saintes, à
Sainte-Trie notamment) saint Aignan (évêque de Périgueux, successeur de saint Front, célébré
à Hautefort), saint Martin (martyr de Tours, à Savignac-les-Eglises et Antonne) ou encore
saint Amand (évêque de Bordeaux, Saint-Amand-de-Vergt) sont très fréquents, témoignant là
encore du souci « d’épiscopalisation » dans ces zones marginales.
Ainsi l’analyse des vocables des paroisses renseigne sur la volonté de reprise en main
des marches par l’épiscopat, ce dès la Haut Moyen-Âge. Aux XIIème et XIIIème siècles, les
évêques tentent de maintenir sous leur coupe les moines et ermites réformateurs, nouveaux
785
J-A. CARLES, Les titulaires et les patrons du diocèse de Périgueux-Sarlat, éditions du Roc-de-Bourzac,
Bayac, 1884 (réédition 1986), p. 224.
786
J-A. CARLES, op. cit., p. 44.
787
J-A. CARLES, op. cit., p. 238.
788
J-A. CARLES, op. cit., p. 231.
- 234 -
ambassadeurs épiscopaux dans les marges diocésaines. Les cisterciens se doivent de
composer avec ces acteurs et « manipulateurs » plus ou moins présents.
Les abbayes comme nécropoles aristocratiques :
Si les seigneurs et rois se montrent généreux envers l’ordre cistercien et accordent
leurs libéralités pour la fondation et la constitution du patrimoine foncier des monastères, ils
n’en exigent pas moins une contrepartie. Ils réclament fréquemment à être enterrés dans
l’abbatiale, ce que les premiers statuts de l’ordre refusent avec véhémence, de même que les
préceptes grégoriens. Ils tentent de transformer les abbayes cisterciennes en nécropoles
aristocratiques et affirment ainsi leurs liens étroits avec la communauté monastique. Les
monastères tendent parfois à devenir des « mausolées » pour certaines grandes familles
seigneuriales. Les « soldats du Christ » gardent ainsi une place dans leurs prières pour les
« guerriers séculiers », garants des pauvres et serviteurs du Christ lors des croisades contre les
infidèles789. Ces inhumations seigneuriales dans les monastères permettent dès lors de
« cimenter » les liens entre les deux partis. Les moines y trouvent l’assurance que les
donations de la famille vont continuer.
Le rite funéraire propre à l’ordre de Cîteaux est connu dès les premiers textes
cisterciens et les statuts des Chapitres Généraux. Dans un premier temps, seuls les abbés
peuvent être inhumés dans l’église. En effet, les abbés de Cîteaux et de Clairvaux sont
enterrés au cours du XIIème siècle dans une fosse commune située dans une niche (loculus),
pratiquée dans le mur du transept, ouverte sur le cloître, auprès de la porte menant à l’église.
Les moines et les convers sont inhumés en pleine terre dans le cimetière souvent placé au
nord de l’église, sans aucun monument funéraire. Parfois, des tombes abbatiales sont placées
dans un enfeu dans l’aile est du cloître (Morimond, Preuilly, peut-être Dalon d’après l’enfeu
conservé au départ de l’aile est). En 1180, les statuts permettent l’aménagement de la
nécropole abbatiale dans la salle capitulaire790. Les plates-tombes sont admises mais sans
représentation figurative. Dès la seconde moitié du XIIème siècle, les fondateurs et
bienfaiteurs, rois et évêques recherchent les inhumations dans les abbayes cisterciennes
notamment pour la permanence de la prière. Dans la seconde moitié du XIIIème siècle, la
nécropole abbatiale quitte le chapitre envahi par les laïcs et entre dans l’église. Au XIVème
789
B. GOLDING, « Anglo-Norman Knightly burials », dans C. HARPER-BILL, R. HARVEY, The ideals and
Practice of Medieval Knighthood. Papers from the first and second Strawberry Hill conferences, the Boydell
Press, Suffolk, 1986, p. 35-48.
790
J. M. CANIVEZ, Statuta Capitulorum Generalium Ordinis Cisterciensis ab anno 1116 ad annum 1786,
Louvain, 1933, T I, p. 87.
- 235 -
siècle, les représentations figurées et les épitaphes apparaissent sur les dalles funéraires. Les
inhumations se font dans des sarcophages. Il n’y a plus guère de différence avec les
inhumations bénédictines791.
Concernant les abbayes bénédictines de la Normandie ducale, Véronique GAZEAU
explique que la fondation d’un
monastère s’apparente à la constitution d’un centre de
pouvoir, d’un lieu de pouvoir. Dans la première moitié du XIème siècle, la puissance des
familles passe par la possession d’un ou de plusieurs châteaux mais aussi bien souvent par la
fondation d’un monastère bénédictin. La salle capitulaire peut d’ailleurs devenir un lieu de
rassemblement de la cour féodale du fondateur, ce qui ne semble pas toutefois être le cas des
monastères cisterciens mais témoigne néanmoins de l’étroitesse et de l’ambiguïté des rapports
entre monde laïc et religieux. L’auteur insiste aussi sur le fait que bien souvent le pouvoir des
familles fondatrices passe aussi par l’élection de sépulture à l’abbaye familiale. Il s’agit d’une
tendance commune à presque toutes les lignées princières de l’Occident. Les sanctuaires
peuvent ainsi devenir de véritables mausolées familiaux. Le choix du lieu de sépulture
s’accompagne généralement d’un geste de bienveillance destiné à renforcer les liens entre
l’abbaye et la famille. La présence de l’ancêtre fondateur renforce la légitimité et le pouvoir
de la famille sur l’abbaye. Les seigneurs laïcs semblent ainsi se servir de leurs ancêtres pour
rappeler et légitimer le pouvoir qu’ils exercent. Dans la seconde moitié du XIIème siècle, les
seigneurs choisirent les maisons appartenant aux nouveaux ordres comme Cîteaux792.
En 1157, les statuts de l’ordre de Cîteaux précisent que les fondateurs peuvent être
ensevelis dans l’enceinte monastique. Seuls les rois et évêques ont le droit d’être inhumés
dans l’église793. Il est précisé que les évêques, fondateurs de l’abbaye et souverains pouvaient
être enterrés dans l’abbaye cistercienne à la condition que leur monument ne dépasse pas un
pied de haut. Les cisterciens sont soumis à des pressions de plus en plus importantes au fur et
à mesure que la pratique du monument funéraire se répand dans la noblesse et les statuts de
l’ordre sont parfois insuffisants à maintenir les règlements. La transgression de l’interdiction
d’inhumation traduit le souci des seigneurs de choisir leurs fondations.
La première entorse à ces interdictions intervient lorsqu’Alphonse VIII de Castille
fonde Las Huelgas de Burgos. La nef devient un cimetière pour les souverains de Castille. Il
791
E. DABROWSKA, « Le rite funéraire propre à l’ordre de Cîteaux. Son développement, sa réception, ses
filiations », dans Unanimité et diversités cisterciennes,filiations, réseaux, relectures du XIIème au XVIème
siècles, Actes du colloque international du CERCOR, Dijon, 1996, Saint-Étienne, 2000, p. 223-231.
792
V. GAZEAU, op. cit, p. 91-100.
793
R. P. A. DIMIER, op. cit, p. 76.
- 236 -
semblerait que dans la seconde moitié du XIIème siècle, les seigneurs aient considéré
donations et possibilités d’inhumations dans l’abbatiale dotée comme allant de paire.
Les seigneurs devaient gagner leur place au sein de l’abbatiale par des dons multiples
et généreux, ce qui peut expliquer en partie cette surenchère de donations dans la seconde
moitié du XIIème siècle lorsque les moines blancs s’installent dans le diocèse de Limoges.
Toutefois, les sites cisterciens pâtissent de leur implantation rurale, souvent isolée, les
éloignant de la bourgeoisie alors en pleine ascension et en quête d’espaces funéraires. Ce
groupe préfère dès lors se tourner vers les couvents urbains des ordres mendiants (XIIIème
siècle). Le succès des abbayes cisterciennes auprès de la noblesse et des rois s’explique
facilement à une époque où ceux-ci éprouvent le besoin de se distinguer de la bourgeoisie,
d’où le développement considérable des ensembles funéraires dans les abbayes cisterciennes
au XIVème siècle notamment794. Les sépultures s’accompagnent fréquemment d’un
embellissement des sanctuaires avec adjonction d’éléments de mobilier, de pavements, de
vitraux, de tombeaux monumentaux. Ils financent des embellissements développant une
iconographie propre. Les moines blancs n’auraient en effet sans doute pu financer seuls ces
investissements. Il s’agit donc probablement d’un « art de commande ».
En Allemagne et en Espagne, les rois sont ainsi inhumés le plus fréquemment dans les
abbayes cisterciennes telles Poblet et Alcobaça795. La reine Adèle, veuve de Louis VII, mère
de Philippe-Auguste, reçoit du pape la permission d’avoir sa sépulture dans l’église de
Pontigny. Étant bienfaitrice du nouveau chevet à déambulatoire et chapelles rayonnantes, elle
obtient le droit d’être inhumée en 1206 dans le sanctuaire796. Pontigny est en effet placée sous
la protection des rois de France qui, au XIIIème siècle semblent préférer les monastères
cisterciens comme nécropole plus que Saint-Denis. Pontigny devient ainsi un lieu de
pèlerinage, une source de profit pourtant rejetée dans les premiers temps de l’ordre permettant
d’éviter les difficultés qui touchent les abbayes cisterciennes au XIVème siècle797. Louis VII
choisit quant à lui sa sépulture à Barbeau, près de Melun (com. Fontaine-Le-Port, Seine-etMarne). L’abbaye de Royaumont devient elle aussi en quelque sorte un caveau familial.
Quant aux ducs de Bourgogne, fondateurs de Cîteaux, ils sont inhumés dans le porche de
794
X. DECTOT, « Abbayes cisterciennes et monuments funéraires », dans Dossiers d’Archéologie, n°311, mars
2006, « Tombeaux royaux et princiers », p. 38-41.
795
M. UNTERMANN, Forma Ordinis. Die mittelalterliche Baukunst des Zisterzienser, Deutscher Kunstverlag,
München, Berlin, 2001, p. 85.
796
T. N. KINDER, « Pontigny » dans T. KINDER (dir.), Les cisterciens dans l’Yonne, « Les Amis de
Pontigny », Pontigny, 1999, p. 85-96.
797
M. GARRIGUES, Le premier cartulaire de l’abbaye cistercienne de Pontigny, Paris, 1981, p. 12.
- 237 -
l’abbaye798. En 1228, l’abbaye de femmes de Marquette est créée à l’initiative de Jeanne, fille
aînée de Baudouin, comte de Flandre (com. Marquette-lès-Lille, Nord). Elle est inhumée en
1244 d’abord dans le cimetière des moines, la construction de l’église n’étant pas achevée,
puis déplacée dans le chœur de l’abbatiale. L’emplacement de son monument funéraire orné
d’un gisant a été récemment retrouvé lors d’investigations archéologiques799.
Les abbayes cisterciennes de l’ancien diocèse de Limoges n’échappent pas à cette
évolution au XIIIème siècle et accueillent elles aussi des sépultures de laïcs, bienfaiteurs et
généreux donateurs de l’ordre, malgré les représailles fréquentes du Chapitre Général. C’est
ainsi qu’en 1215 notamment l’abbé de Peyrouse est sanctionné pour avoir permis des
inhumations dans l’abbaye800. Ces monastères deviennent ainsi peu à peu des « bastions » du
pouvoir des familles de l’aristocratie qui les ont dotées. Contrairement à certains sites
cisterciens de Bourgogne notamment, nous pouvons remarquer dans le diocèse de Limoges
l’absence d’inhumation d’évêques. Ceux-ci ne semblent pas choisir les abbayes comme lieu
d’inhumations, par ailleurs déjà bien investies par les réseaux aristocratiques. D’après une
étude de René CROZET, les évêques se tournent plutôt vers certaines églises de Limoges.
L’église Saint-Augustin particulièrement connaît une série d’inhumations échelonnées du
XIème au XIIème siècles801. La première sépulture épiscopale connue à la cathédrale
n’intervient que tardivement en 1275 (Aimeri de Malemort)802.
En 1365, l’abbé de Varennes est absout par celui d’Aubepierres alors qu’il avait
permis l’inhumation de laïcs dans le monastère803. Dès le XIIème siècle, les seigneurs de la
Celle et les seigneurs de Puyguillon sont par ailleurs inhumés à Aubepierres.
Selon Michel AUBRUN «ces nobles partageaient l’idée simpliste que, de cette
manière, ils seront confondus avec les saints moines au jour du Jugement »804.
Au début du XIIIème siècle, Gérard Porret choisit Aubignac pour lieu de sépulture. Il
lègue divers biens pour la fondation d’un anniversaire805. En 1247, Pierre de Brosse demande
dans son testament à être inhumé dans ladite abbaye qu’il avait par ailleurs largement dotée 806.
798
A. ERLANDE-BRANDENBURG, « Cîteaux et la mort des rois », dans Dossiers d’Archéologie, n°311, mars
2006, « Tombeaux royaux et princiers », p. 42-45.
799
B. CHAUVIN, « Études d’histoire et d’archéologie cisterciennes. Abbayes cisterciennes féminines des comté
et duché de Bourgogne, travaux 2004-2005 », Bulletin du CEM, n°10, Auxerre, 2006, p. 137-162.
800
J-M. CANIVEZ, op. cit, T I, 1215-46.
Gui de Laron († 1086), Eustorge († 1137), Gérauld II († 1170), Sébrand († 1197).
802
R. CROZET, « Les lieux de sépulture des évêques de Limoges, des origines chrétiennes à la fin du XIIème
siècle », BSAHL, T 98, 1971, p. 149-152.
803
A. CHARDON, (…), op. cit, p. 201-205.
804
M. AUBRUN, « L’abbaye cistercienne d’Aubepierres dans la Marche limousine (…) », op.cit, p. 30.
805
AD Creuse, H 250.
806
H. DELANNOY, « L’abbaye d’Aubignac (…) op. cit, p. 7-63; AD Indre, H 976.
- 238 -
Il offre treize deniers à treize moines qui voudront célébrer son anniversaire chaque année. En
1303, Guillaume Chardon demande également à être inhumé dans l’abbatiale, de même
qu’Hélie de la Chaume en 1355 qui lègue par testament douze livres de rente à charge de trois
messes par semaine pour le salut de son âme807. En 1344, Marguerite et Aliénor de Sulyache
présente une requête au Chapitre Général pour que leur père repose à l’abbaye d’Aubignac808.
Concernant Bonlieu, nous savons simplement qu’en 1207, Guillaume de Lichiat se
donne à l’abbaye pour y avoir sa sépulture809. À notre connaissance, aucun tombeau laïc n’a
été découvert à ce jour dans l’abbatiale. L’abbaye de La Colombe va également devenir la
nécropole des sires de la Trimouille, principaux bienfaiteurs du monastère. Ils obtiennent un
droit de sépulture à l’intérieur de la chapelle de la Vierge, ce qui les différencient des
seigneurs de Brosse, autres donateurs importants mais qui privilégient l’abbaye de Prébenoît
pour lieu d’inhumation. Guy III est inhumé en 1316, Guy IV en 1360, Guy V en 1350. Dans
la cour du cloître repose Alix Huret, épouse de Rémi de la Trimouille 810. Auparavant, dès
1229, Amelius et Audebert, deux chevaliers, obtiennent également des droits de sépulture,
ainsi que Maheu, mère de Guillaume de Château-Guillaume en 1240 811. L’abbaye de
Prébenoît est aussi choisie comme lieu d’inhumation. En 1250, Marguerite, dame de Châtelus
décide de se faire enterrer dans l’enceinte de l’abbaye. En 1286, une clause du testament de
Roger de Brosse prévoit son inhumation dans le chœur de l’abbatiale. Il meurt un an plus tard.
La famille des De Brosse est intimement liée à la fondation et au développement de l’abbaye
puisqu’elle fait partie des donateurs essentiels812. La découverte archéologique de sa sépulture
lors des fouilles de 1993 a permis de confirmer un fait uniquement connu dans les textes.
Quant aux moines de Boeuil, ils accueillent notamment la sépulture de Ramnulphe de Nieul :
« Perlatus est in coenobium quod vocatur Bulos, ubi ipse
quondam bona contulerat, quod est non longe de castello
de Nioil ».
807
AD Indre, H 977.
J-M. CANIVEZ, op. cit, T III, 1344-37.
809
AD Creuse, H 284.
810
D. GAUDON, (…), op. cit, p. 168-175.
811
J. PICAUD, (…), op. cit, p. 60.
812
P. LOY, J. ROGER, L’abbaye cistercienne de Prébenoît (…), op. cit, p. 65 à 73.
808
- 239 -
En 1378, les moines de Boeuil acceptent également la sépulture de Jeanne d’Archiac,
première femme d’Aymeric de Rochechouart. La famille de Pierrebuffière choisit de même la
modeste abbaye limousine comme lieu d’inhumation813.
Vers 1211, Pierre Rigaus, prêtre, afin d’avoir sa sépulture dans le cimetière des moines
du Palais, donne une rente annuelle d’une émine de froment à prendre sur la dîme de SaintSulpice814.
En 1184, Aimeri de Teillots donne sa part de la terre du Mainil à condition d’être
enseveli dans le cimetière de Dalon815.
En 1180, Guillaume d’Ussel fait élection de sa sépulture dans le cimetière de
Bonnaigue. Néanmoins, en 1225, Ebles d’Ussel fait retirer du cimetière de l’abbaye les corps
de son père, sa mère et ses frères, son fils Ebles et les fait inhumer dans le cloître, près du
chapitre. Cet épisode marque ainsi l’évolution des pratiques funéraires. Si dans la seconde
moitié du XIIème siècle, les cisterciens parvenaient à maintenir les inhumations laïques dans
le cimetière des moines, elles ne tardent pas à envahir les espaces les plus sacrés comme le
cloître, la salle capitulaire, voire le chœur (Roger de Brosse à Prébenoît à la fin du XIIIème
siècle) parfois dès le premier tiers du XIIIème siècle. Les pressions seigneuriales parviennent
peu à peu à contourner et assouplir les statuts et interdits de l’ordre816.
Véronique GAZEAU conclut ainsi son étude des abbayes bénédictines normandes :
« force est d’observer que les familles de l’aristocratie normande ont considéré leurs
fondations comme des lieux de pouvoir, au même titre que leurs châteaux. Lieux de mémoire,
lieux de pouvoir, ces maisons religieuses ont servi les intérêts des familles et réciproquement.
Elles en ont attendu en retour des gestes de bienveillance. » Ne pourrait-on imaginer un
déplacement du pouvoir du château vers l’abbaye cistercienne dans des zones marginales où
l’on constaterait l’absence de forteresse prestigieuse817 ?
Cette hypothèse, si elle peut être vérifiée pour des exemples normands ne semble
guère pouvoir s’appliquer dans le diocèse de Limoges où un réseau complexe de châteaux
s’est établi dès le XIème siècle et plus encore au XIIème siècle [Fig. 75]. Les abbayes ne
semblent ainsi pas prendre la place d’une forteresse absente mais s’ajoutent à elles, les
côtoient et bénéficient des donations des seigneurs châtelains. Ainsi, l’abbaye de la Colombe
813
I. AUBRÉE, op. cit, p. 105; Abbé J. ARBELLOT, « Abbaye de Boeuil », Semaine religieuse de Limoges, T 3,
1865, p. 542-543.
814
AD Creuse, H 524, fol. 112.
815
L. GRILLON, op. Cit, fol. 106.
816
J-L. LEMAÎTRE, op. cit., p. 87, cart. fol. 51.
817
V. GAZEAU, op. cit, p. 91-100.
- 240 -
est proche de Châteauguillaume (com. Lignac) aux confins du Berry, du Poitou et du
Limousin. Cet édifice construit par Guillaume IX d’Aquitaine entre 1087 et 1127 est ensuite
donné à une branche cadette des comtes de Poitiers puis aux seigneurs de la Trémouille au
XIIIème siècle, bienfaiteurs des moines cisterciens818. Le monastère est ainsi un second lieu
de pouvoir qui permet à la noblesse d’asseoir leur autorité sur les populations et les autres
seigneurs, à la fois en démontrant force et puissance par l’intermédiaire du château, mais aussi
foi et dévotion par leur bienveillance vis-à-vis d’un ordre populaire.
De la même manière, nous pouvons remarquer les liens étroits entre le château
d’Huriel, aux mains des seigneurs de Déols puis des de Brosse de Boussac de 1256 à 1512 et
l’abbaye de Prébenoît en Creuse qui bénéficie de leurs libéralités 819. L’abbaye de Grosbot est
située non loin du château de Marthon dont le premier donjon est édifié dès le XIème siècle et
vraisembablement remanié dans le courant du XIIème siècle. L’abbaye de Boschaud est
cernée par les châteaux de Richemont, Vaugoubert, de la Renaudie, de Puyguilhem, de
Vauvocour tandis que Dalon n’est qu’à quelques kilomètres du donjon des donjons
d’Excideuil appartenant aux vicomtes de Limoges et de Saint-Yrieix (édifié par les chanoines
au XIIème siècle), et Bonlieu non loin de Sermur et d’Aubusson, donjon des vicomtes du
même nom, généreux donateurs du monastère aux XIIème et XIIIème siècles 820. Ce même
monastère n’est qu’à deux kilomètres de Saint-Julien-Le-Châtel, fief mouvant de la grande
seigneurie de Chambon-Combraille constitué dès le XIème siècle821.
Les moines cisterciens du diocèse de Limoges s’insèrent donc dans un maillage serré
de forteresses et profitent des générosités de ces seigneurs, font parfois les frais de leurs
violences et accueillent leurs dépouilles, devenant ainsi à la fois nécropoles aristocratiques et
lieux d’un pouvoir laïc influent au même titre que les châteaux et forteresses.
Insertion dans les flux commerciaux :
Dès la fin du XIIème siècle, les moines sont conduits à s’insérer dans de nouveaux
systèmes économiques. L’image de l’ordre devient ainsi relativement paradoxale. Quelle
crédibilité de cette institution riche qui prêche par ailleurs la pauvreté comme une valeur en
soi et le détachement matériel comme voie de salut ? Les cisterciens sont confrontés très
rapidement à une rupture entre l’idéal exprimé dans les textes et les réalités de la vie
818
A. CHATELAIN, Donjons romans des pays d’Ouest, étude comparative sur les donjons romans
quadrangulaires de la France de l’ouest, Paris, Picard, 1973, p. 144-145.
819
A. CHATELAIN, op.cit, p. 146-147.
820
A. CHATELAIN, op. cit, p. 200-201 ; 205 ; 215-216.
821
B. BARRIÈRE, P. COUANON, « Fortifications du Bas Moyen-Âge en Haute-Marche et Combrailles » dans
M. BUR (dir.), La maison forte au Moyen-Âge, CNRS, Paris, 1986, p. 289-306.
- 241 -
communautaire822. Les conseils et prescriptions du Chapitre Général interdisent formellement
aux moines de prendre part dans les spéculations temporelles. Le commerce permet des
échanges trop faciles qui confrontent le moine au monde extérieur et à ses tentations. Un
statut de 1152 précise que
les « revenus des fours et moulins et autres ressources
semblables, contraires à l’intégrité de l’observance
monastique sont incompatibles avec [la] condition de
moines et de cisterciens »823.
Pourtant, le commerce n’est pas entièrement rejeté par la Règle de Saint Benoît. Les
moines sont en effet autorisés à vendre des objets fabriqués par leurs soins.
« Le fléau de l’avarice ne doit pas s’insinuer dans les
prix, mais on vendra toujours un peu meilleur marché que
ne peuvent le faire les autres producteurs séculiers, pour
qu’en tout Dieu soit glorifié. »824
Toutefois, malgré les recommandations de l’ordre de Cîteaux, le superflu engendré par
leur bonne gestion des domaines sert à l’acquisition d’immeubles au lieu d’être entièrement
employé à des aumônes. Les principes originaux de l’ordre sont trahis dès la fin du XIIème
siècle par le métayage, le trafic des vins et des laines, la construction de celliers et d’entrepôts
urbains. Ainsi, à une économie de subsistance dans les premiers temps de l’ordre succède une
économie de surplus auxquels les moines du diocèse de Limoges et de ses marges
n’échappent guère. Dès 1205-1206, les moines d’Aubepierres vendent leur production de vin
sur les marchés. Ces opérations commerciales sont favorisées par de nombreux privilèges
comme l’exemption de certains droits de péage825. Ils sont de même exemptés de la dîme par
le Pape dès 1132. Ils sont donc avantagés pour vendre sur les marchés des nouvelles villes en
expansion. Les abbayes d’Aubepierres et Prébenoît ne se livrent pas à l’achat de terres avant
822
M. E. HENNEAU, « Esprit de pauvreté et pauvreté de vie ou les oscillations d’une église entre idéal et
réalité », dans les actes du colloque international d’Histoire, Finances et religion, Entre idéal et réalité, Clermont
II, 1994, p. 5-11.
823
J. M. CANIVEZ, Statuta capitulorum generalium ordinis cisterciensis, Louvain, 1934-1941, article 23.
824
Règle de Saint Benoît, trad. A. DE VOGÜE, J. NEUFVILLE, Sources Chrétiennes, Cerf, Paris, 1972, T 2, 57,
7-8-9.
825
G. MARTIN, « La Haute-Marche au XIIème siècle, les moines cisterciens et l’agriculture », MSSNAC, T
VIII, 1893, p. 47-127.
- 242 -
1250826. Nous assistons donc à une évolution de l’esprit cistercien. Au travail de la terre
destiné à satisfaire les seuls besoins de la communauté succède une expansion foncière axée
sur l’élevage, la production viticole et les activités pré industrielles827. Bienfaisance et richesse
sont les résultats de leur exploitation qui les éloigne cependant de l’idéal primitif de retrait au
désert.
Toutefois, si les statuts interdisent la vente au détail, ils tolèrent la vente de surplus.
Les moines peuvent se rendre dans les marchés des proches agglomérations pour acheter les
produits manquant et vendre certains excédents de leur exploitation. Ce sont souvent des
convers qui participent aux foires tout en restant soumis aux directives de l’abbé et du
cellérier. Les achats doivent correspondre aux seuls besoins communautaires.
Les richesses apparaissent comme un moyen d’honorer le Seigneur. Le comportement
des cisterciens semble alors peu différent de la spiritualité des clunisiens pour lesquels rien
n’est trop beau pour la maison de Dieu. Les moines blancs sont ainsi confrontés au monde du
commerce. Hildegarde de BINGEN s’adresse à eux en disant « vous voulez posséder à la fois
le ciel et la terre : c’est impossible »828. Elle doute ainsi de la crédibilité et de la réussite
possible d’un tel ordre dans la quête de Dieu, incompatible avec une compromission dans les
spéculations temporelles.
Pour écouler leurs surplus, les abbayes cisterciennes du diocèse de Limoges se dotent
de maisons de ville qui leur permettent de traiter des affaires dans les bourgs marchands. Ces
maisons urbaines servent à la fois à la vente et de lieux de résidence des moines. Les
monastères de Haute-Marche semblent privilégier une implantation en Berry. Leur présence
est en effet plus difficile à déceler dans les villes marchoises. Peut-être le Berry, plus
dynamique, offrait plus de débouchés pour les productions cisterciennes 829? Si les cisterciens
obtiennent des possessions urbaines en Boischaut, elles ne s’aventurent toutefois guère en
Haut-Berry. En effet, les abbayes comme Fontmorigny, Chalivoy, Noirlac et La Prée
disposent déjà de maisons de ville à Nevers, Sancerre, Châteauneuf, Saint-Amand-Montrond,
Mareuil et Dun. Elles délaissent le Boischaut qui va devenir le centre d’action des abbayes de
Haute-Marche. Ces maisons servent également de lieux d’habitation pour les convers affectés
826
C. HIGOUNET, « Le premier siècle de l’économie rurale (…) op. cit, p. 455- 474.
L. CHAMPIER, « Cîteaux, ultime étape dans l’aménagement agraire de l’Occident », Mélanges saint
Bernard, Dijon, 1953, p. 254-261.
828
Hildegarde de BINGEN, Patrologie Latine, épist 51, 197, col 265, c, citée par M. AUBRUN, « Les moines
cisterciens et l’argent : principes et applications ; l’exemple de Fontmorigny » dans les actes du colloque
international d’Histoire, Finances et religion, Entre idéal et réalité, Institut d’Études du Massif Central,
Clermont II, 1994, p. 23-32..
829
B. BARRIÈRE, « Les patrimoines cisterciens : principes et réalités », dans l’ouvrage collectif « L’ordre
cistercien et le Berry », CAHB, 1998, p. 40.
827
- 243 -
aux vignes du Bas-Berry830. Les moines s’implantent soit au cœur de la cité pour les premiers
arrivés, soit dans les faubourgs. Les fonds lacunaires de certains monastères ne nous
permettent guère d’envisager ces possessions urbaines.
Ainsi, nous n’avons pas d’informations sur les maisons de ville de Varennes et de La
Colombe. Concernant l’abbaye des Pierres, nous ne pouvons faire que des suppositions. Les
moines bénéficient de nombreuses vignes et terres sur la paroisse de Saint-Fulgent dès la fin
du XIIIème siècle et nous pouvons supposer qu’elle y disposait d’une maison pour y écouler
les surplus et accueillir les frères convers chargés de l’exploitation vinicole831. En 1216,
Guillaume de Chauvigny cède aux moines d’Aubepierres le droit de s’installer dans une
maison de Châteauroux832. En 1246, un acte de la même abbaye évoque la reconnaissance
d’une rente sur une maison sise à Argenton 833. La présence de nombreuses vignes et terres à
Villers laisse également présager l’existence d’une troisième maison. Les moines de Bonlieu
obtiennent de nombreuses vignes en Bourbonnais. Il paraît donc logique qu’ils détiennent une
maison de ville à Montluçon située dans la rue de la Fontaine conduisant à l’église NotreDame834. Concernant le monastère d’Aubignac, nous disposons de plusieurs actes éclairants.
En 1224, un homme libre est donné à l’abbaye d’Aubignac. Il est invité à résider dans une
maison de l’abbaye située à Châteauroux et devra être habillé différemment d’un laïc. S’il fait
du commerce, il devra suivre les usages du lieu à l’exemple des clunisiens de Déols déjà
présents dans la cité835. Cette donation nous permet d’envisager d’éventuels conflits entre les
moines des différents ordres, une concurrence certaine puisqu’ils commerçaient dans les
mêmes bourgades berrichonnes. La proximité des clunisiens de Déols ne devait pas faciliter
les transactions cisterciennes. En 1373, Simon Valeschat, clerc d’Argenton, rédige son
testament en faveur des moines d’Aubignac. Une clause porte sur la fondation d’un hôpital
dans la cité. Sa mère s’occupera de faire construire ce bâtiment dont les dimensions sont
précisées (13 toizes de long pour 5 de large). L’hôpital est placé sous la dépendance des
moines cisterciens qui veilleront à y envoyer un ou deux religieux afin d’administrer le
service divin836. Un acte plus tardif daté de 1643 évoque l’arrentement de « l’hôtel-Dieu de
Saint-Marcel » d’Argenton par Louis Feydeau, abbé d’Aubignac837. En 1204, Eudes de Déols,
seigneur de Châteaumeillant, cède dans ce bourg un emplacement pour bâtir une maison de
830
P. GOLDMAN, « Note sur les possessions cisterciennes à Bourges », CAHB, n°99-100, 1989, p. 41-48.
P. GOLDMAN, op. cit, p. 41-48.
832
AD Creuse, H 166.
833
AD Creuse, H 160.
834
Elle est citée dans le terrier de 1492 comme la « maison de l’abbé de Bonlieu ». AD Allier, A 107.
835
M. AUBRUN, « Les moines cisterciens et l’argent (…) », op. cit, p. 23-32 ; AD Creuse, H 233.
836
AD Creuse, H 238.
837
AD Creuse, H 242.
831
- 244 -
ville aux moines de Prébenoît838. Le terrier de 1621 fait également état d’une maison, de deux
moulins et de vignes à la Châtre839. À Limoges est établie une maison commune aux abbayes
cisterciennes limousines. En 1239, une querelle oppose les abbayes limousines et Aubepierres
à propos de cette maison de la cité épiscopale. Les abbés d’Aubignac et de Peyrouse sont
commis pour régler le conflit et rétablir la paix au sein des monastères840.
Les abbayes de Haute-Marche développent ainsi des activités commerciales dans les
principales agglomérations berrichonnes aptes à offrir des débouchés à leurs productions.
D’après les actes, nous pouvons supposer qu’ils se livraient essentiellement au commerce du
vin, des laines et peut-être de l’huile puisque les moines de la Colombe notamment
disposaient d’un moulin à huile dans l’enceinte monastique. Ils s’adonnaient aussi
probablement à la vente du fer.
L’abbaye de Boeuil, pourtant modeste, dispose de très nombreuses possessions
urbaines. Trente-cinq maisons sont réparties dans de simples villages comme la Barre. Une est
à Beaulieu (com. Usson-du-Poitou, Vienne), une à Cougoulhe (com. Antigny, Vienne), à
Tussac (com. Leignes-sur-Fontaine, Vienne). Pour cette dernière, il s’agit en fait d’une hôtise,
une petite habitation avec cour, jardin et quelques arpents de terre. Les moines de Boeuil
disposent également de maisons à Saint-Junien, Limoges, Saint-Victurnien et Montmorillon.
Ces pied-à-terre servent au commerce, à la vente des produits. Ils induisent de nécessaires
rapports avec les habitants des bourgs où ils s’implantent. Cîteaux ne serait ainsi pas
seulement un ordre agraire et ne parvient à maintenir les communautés en autarcie et dans le
retrait du siècle. De plus, l’abbaye-fille de Saint-Léonard-des-Chaumes permet la production
de vin pour la consommation mais aussi la vente facilitée par la proximité du port de la
Rochelle841.
L’abbaye d’Obazine développe une activité commerciale par l’intermédiaire de
maisons et d’entrepôts dans les gros bourgs comme Martel, Rocamadour, Brive, Angoulême
et Cognac disposé sur la route saintongeaise842.
Quant à l’abbaye de Dalon, elle dispose d’une maison à Excideuil. En 1219, un acte
est en effet passé « in porto domus dalonensis ». Elle en installe une également à Brive. En
1226, une donation a lieu « in domo Dalonis juxta puteum ». En 1184, Raymond II, vicomte
838
AD Creuse, H 528.
AD Creuse, 10 F 235.
840
P. LOY, J. ROGER, L’abbaye cistercienne de Prébenoît en Creuse, Limoges, 2003, p. 22 ; J-M. CANIVEZ,
op. cit., T II, 1239-47.
841
I. AUBRÉE, op. cit, p. 84.
842
B. BARRIÈRE, Le cartulaire…, op. cit, p. 25.
839
- 245 -
de Turenne, exempte de toute taxe les maisons de Dalon sise à Turenne et les hommes qui y
habitent, probablement des frères convers843.
Outre ces activités de commerce et d’échange, Mireille MOUSNIER attire notre
attention sur le rôle joué dans le crédit par certains cisterciens dans la société méridionale aux
XIIème et XIIIème siècles. En effet, elle prend en exemple l’abbaye de Berdoues (com.
Berdoues, Gers) qui consacre des sommes très importantes dans le prêt avec sûreté (mortgage) et joue un véritable rôle d’établissement de crédit. Le même cas de figure est observable
à l’abbaye de Grandselve (com. Bouillas, Tarn-et-Garonne). Cette pratique est méthodique à
Berdoues, fréquente, et l’abbaye profite largement des difficultés des débiteurs pour
consolider et agrandir son patrimoine foncier. S’ils ne peuvent pas rembourser, ceux-ci
doivent en effet fournir un gage foncier dont les moines deviennent propriétaires. Ces
exemples permettent ainsi de mettre en lumière l’importance accordée au monde matériel. Les
profits ainsi créés financent l’entretien des communautés mais aussi les constructions et
aumônes844.
Cette activité commerciale les incite à ne pas s’éloigner des principales voies de
communication, ce qui remet en cause l’idée de retrait au désert et de volonté d’isolement qui
s’adapte nécessairement aux exigences de la vie en communauté et à l’insertion dans des flux
d’échanges. Nous avons auparavant eu l’occasion de nous interroger sur le réseau de voies
anciennes et leur proximité évidente avec les sites cisterciens. Le réseau routier médiéval est
moins bien connu.
Une tradition historiographique tient à dire que toute route antérieure aux routes
modernes date de l’époque romaine. Les hommes de l’époque médiévale se seraient contentés
de réutiliser les voies antiques. Toutefois, pour Franck IMBERDIS, la réutilisation de voies
romaines reste une exception. Des routes et sentiers nouveaux sont tracés selon les nouveaux
centres de peuplement, les nouvelles relations qui s’établissent entre villes et régions. À partir
du XIIème siècle notamment, de chacun des petits centres partent des routes vers les
campagnes environnantes. Les routes médiévales relient des agglomérations formées
spontanément autour de châteaux, abbayes, lieux de foire ou de pèlerinage. À la fin du
843
L. GRILLON, Le cartulaire…, op. cit, fol. 134-453-746.
M. MOUSNIER, « Les abbayes cisterciennes et leur rôle dans l’économie et la société méridionale aux
XIIème et XIIIème siècles », dans La grande aventure des cisterciens. Leur implantation en Midi-Pyrénées,
Actes du colloque de Belleperche, 1998, Montauban, 1999, p. 105-130.
844
- 246 -
XIIIème siècle, le réseau routier est constitué en cette période d’essor démographique et
économique. Ces routes médiévales sont globalement peu entretenues845.
En 1980 lors du deuxième colloque de Flaran, Jean-Michel DESBORDES et
Bernadette BARRIÈRE évoquent les itinéraires médiévaux entre Limousin et Périgord. Deux
types d’itinéraires ont pu être distingués, à la fois des pouges suivant au maximum la crête des
interfluves ainsi que d’autres chemins qui, par monts et par vaux, se confrontent aux
difficultés du relief et de l’hydrographie. Un itinéraire conduisant de Bourges à Bordeaux
existe depuis l’Antiquité et est encore utilisé à l’époque médiévale [Fig. 76]. Il passe par
Châteaumeillant, Ahun, Saint-Léonard-de-Noblat, Nexon et Saint-Pardoux-La-Rivière.
L’utilisation médiévale est attestée par les structures qui le jalonnent : un pont sur le Taurion
surveillé par les mottes castrales du Dognon, un autre sur la Vienne surveillé par le château de
Noblat, les nécropoles des carrefours de Nexon et Saint-Pardoux-La-Rivière notamment. Les
moines de Boschaud notamment, au sud de Saint-Pardoux-La-Rivière, ne s’installent qu’à
quelques kilomètres de cette voie, atout considérable pour toute activité commerciale846.
En 1990, un article de Bernadette BARRIÈRE se penche sur les itinéraires médiévaux
du Limousin à l’Aquitaine qui se révèlent très éclairants pour notre étude847. Elle y évoque les
voies commerciales empruntées par les moines blancs [Fig. 77]. Pour elle, certains sites
comme les châteaux ou les bourgs tiennent compte du réseau routier préexistant et
s’implantent fréquemment le long des routes. Par ailleurs, les établissements religieux à
perspective érémitique s’ils ne sont guère éloignés des itinéraires, sont sans contiguïté directe
avec eux. Les dessertes économiques sont nécessaires au Moyen-Âge notamment pour ces
moines cisterciens qui disposent de vignobles en Bas-Limousin, en Boischaut ou Bourbonnais
[Fig. 78]. L’exemple d’Obazine est en cela exemplaire. L’abbaye utilise des voies de
communication vers l’Aunis et la Saintonge puisqu’elle dispose de salines sur l’île d’Oléron.
Elle place comme jalons des prieurés ou abbayes-filles (Grosbot, La Frénade, grenier à sel à
Cognac, maison de ville à Angoulême) sur cette route du sel, destinés à faciliter ces liaisons
régulières à longue distance. L’itinéraire passe par Excideuil, Thiviers, Angoulême. De là, soit
les moines optent pour la navigation sur la Charente à partir d’Angoulême, soit ils empruntent
845
F. IMBERDIS, « Les routes médiévales coïncident-elles avec les voies romaines ? », BPH, 1, 1960, p. 93-98 ;
R-H. BAUTIER, « Recherches sur les routes de l’Europe médiévale. I. De Paris et des foires de Champagne à la
Méditerranée par le Massif Central », BPH, 1, 1960, p. 99-143.
846
B. BARRIÈRE, J-M. DESBORDES, « Vieux itinéraires entre Limousin et Périgord », dans L’Homme et la
route en Europe Occidentale au Moyen-Âge et aux Temps Modernes, Actes du 2ème colloque de Flaran, 1980,
Auch, 1982, p. 231-240.
847
B. BARRIÈRE, « Itinéraires médiévaux du Limousin à l’Aquitaine », dans les Actes du Colloque régional de
Limoges, Les Moyens de communication en Limousin de l’Antiquité à nos jours, TAL, supplément 1, Limoges,
1990, p. 121-142.
- 247 -
le chemin « boisné » connu depuis l’Antiquité et qui passait au sud de la vallée de la
Charente. La Frénade est contiguë à ce chemin. Le même itinéraire était choisi par les moines
de Dalon pour rejoindre la grange des Touches à l’embouchure de la Seudre [Fig. 79].
C’est le même cas de figure pour l’ordre de Grandmont dont chaque celle ne devait
être éloignée de plus de 500m d’une route848. Bernadette BARRIÈRE fait également état d’un
« Chemin de la Vinade » qui alimentait vers le nord-est le pays d’Eymoutiers, une partie de la
Montagne Limousine, et la Haute-Marche ainsi qu’en témoigne à son extrémité sud le
vignoble détenu au Saillant (paroisse de Voutezac) par l’abbaye du Palais849. Ainsi pour
l’historienne, ces moines limousins ne sont pas des « (…) solitaires retirés dans le saltus, mais
des francs-tireurs de l’évangélisation, opérant en milieu rural, seuls certes, bien qu’en parfait
accord avec l’autorité épiscopale, mais en des secteurs particulièrement passagers ».
Ces voies peuvent revêtir un intérêt politique. L’archevêque de Bourges entretient
d’étroites relations avec son suffragant de Limoges, d’où de nombreuses dessertes entre
Bourges et Limoges. Les seigneurs marchois et berrichons sont en contact avec les comtes de
Poitiers, d’où cet itinéraire vers Poitiers qui traverse Montmorillon à l’ouest de l’abbaye de la
Colombe et qui explique peut-être la concentration d’établissements religieux aux abords de
cette cité. Il s’agit d’un important carrefour avec des lieux de culte sous la dépendance de
Saint-Martial de Limoges, du Dorat, de Grandmont. Les cisterciens de la Colombe
s’implantent relativement près de ce centre ce qui permet de nuancer et de contraster l’idée
d’un désert, d’un vide monastique loin du monde séculier.
Une autre voie de circulation essentielle est celle des chemins de Saint-Jacques de
Compostelle [Fig. 80]. Un itinéraire conduit de Vézelay à Bourges, traverse la Haute-Marche
par Châteaumeillant ou Argenton avant de rallier Saint-Martial de Limoges. Le long de cette
voie de pèlerinage s’installent stratégiquement des dépendances de Saint-Martial ou des celles
grandmontaines qui trahissent ainsi en quelque sorte leur volonté de solitude et d’isolement.
Les abbayes cisterciennes semblent donc s’insérer dans un tissu complexe de voies de
circulation, de relations et d’échanges. Elles sont essentiellement tournées vers le Bas-Berry
et les pays d’Ouest insérés dans une vaste Aquitaine.
Isabelle BALLET s’est attachée plus précisément à l’exemple de la paroisse de PeyratLa-Nonière qui révèle de nombreuses dessertes rurales dont bénéficient les moines de
848
J. FOUQUET, Frère PHILIPPE-ETIENNE, Histoire de l’Ordre de Grandmont, CLD, Chambray-lès-Tours,
1986, p. 111.
849
J. CIBOT, Le cartulaire de l’abbaye du Palais-Notre-Dame (XIIème-XIIIème siècles), DES, Poitiers, 1961,
fol. 93-313-315.
- 248 -
Bonlieu850. Ainsi, une pouge (voie rurale) sur la rive droite de la Creuse est toujours exploitée
au Moyen-Âge. L’abbaye y installe deux granges, la Chassagne et Grosmont. Des relais
parsèment souvent ces itinéraires. Des châteaux veillent à la protection des voies comme ici
ceux de Chénerailles et Jarnages. Guy ANDRÉ met en évidence l’existence d’une « route du
vin » qui reliait Domérat à Chambon dès l’époque médiévale et permettait de lier les moines
de Bonlieu aux convers d’Aubeterre chargés de l’exploitation des vignobles montluçonnais851.
Aubepierres n’est elle non plus pas réellement isolée puisque le chemin d’Aigurande à DunLe-Palestel passe dans le domaine des moines et traverse la Petite Creuse au pont de
Puylandon au sud de l’abbaye. Le trafic était sans doute important, à d’assez longues
distances puisque la région ne dispose pas vraiment d’agglomérations852.
Les moines cisterciens ne paraissent guère isolés et suite à ces constatations, le désert
semble plus correspondre à une vision littéraire, voire à une perception des moines blancs
qu’à une réalité vécue. L’exploitation systématique du saltus, la mise en valeur des terres par
la multiplication de granges aux activités diversifiées, de moulins céréaliers ou préindustriels,
l’insertion dans des réseaux commerciaux ne permettent guère aux moines l’isolement social
prôné par saint Bernard et les chapitres de l’ordre. Leur modèle d’activité économique
parfaitement adapté aux nouvelles conditions de production et d’échanges les poussent à sortir
du désert853. Ils sont étroitement liés à la noblesse locale, sont redevables à leurs bienfaiteurs
qui utilisent les abbatiales comme nécropoles familiales en contrepartie de riches donations.
Les cisterciens ont également besoin du soutien des évêques et archevêques, de leur aval et de
leur protection. Ils entrent en contact avec les paroissiens par l’intermédiaire des marchés, des
possessions urbaines dont ils disposent, mais également parfois sur le chantier de construction
proprement dit : Bernadette BARRIÈRE souligne la présence de laborantes, d’ouvriers
spécialisés sur le chantier d’Obazine, aides épisodiques aux travaux de construction. Les
aménagements auxquels ils procèdent peuvent d’ailleurs profiter aux populations
environnantes (assèchement des marais, défrichements, endiguement de rivières, création de
moulins et d’étangs). Ceux-ci peuvent solliciter l’intervention cistercienne pour nombre de
grands travaux d’aménagements et de valorisation du sol854.
850
I. BALLET, Archéologie des paysages de la commune de Peyrat-La-Nonière (Creuse), maîtrise de
géographie sous la direction de B. BARRIÈRE et M. BERNARD-ALLÉE, Limoges, 1994, p. 9.
851
G. ANDRÉ, op. cit, p. 3-31.
852
M. AUBRUN, « L’abbaye cistercienne d’Aubepierres dans la Marche limousine (des origines au XVIème
siècle) » dans Moines, paroisses et paysans, PUBP, 2000, p. 15.
853
A. VAUCHEZ, La spiritualité du Moyen-Âge occidental, VIIIème-XIIIème siècle, Paris, Seuil, 1994, p. 102.
854
B. BARRIÈRE, « Le domaine cistercien », dans L. PRESSOUYRE, T.N. KINDER (dir.), Saint Bernard et le
monde cistercien, exposition, Paris, Conciergerie, 1990, Paris, Caisse Nationale des Monuments Historiques et
des sites, 1990, p. 95-111.
- 249 -
Les relations avec les paroissiens ne sont toutefois pas toujours pacifiques. Mathieu
ARNOUX, dans son étude sur les forges normandes, met en évidence les réticences des
populations environnantes face à l’implantation des moines blancs. Il semblerait que le duché
de Normandie assiste à un « rejet de la colonisation cistercienne ». Fréquemment, les moines
ne parviennent pas à implanter leurs ateliers de manière stable, ni dans la forêt d’Othe, ni dans
celle de Dean en Angleterre ou dans les environs de Sienne comme le prouvent les exemples
suivants. En 1242, des hommes du village de Chiusdino se dressent contre l’abbaye de San
Galgano dans la région de Sienne et coupent certains arbres de la forêt, les emportant malgré
les protestations des moines. Dans la forêt de Dean en 1286, des mineurs pénètrent sur les
terres de l’abbaye de Flagsley pour en exploiter les mines de fer pour le compte des forestiers
royaux, en dépit du mécontentement des cisterciens. Le respect des hommes vis-à-vis des
possessions monastiques semble ainsi limité. De même, en 1316, une maison de Pontigny est
détruite à Sévy en forêt d’Othe par la population du village voisin de Vénizy. Les moines
blancs peinent ainsi parfois à s’insérer dans les campagnes et leur « colonisation » ne
s’effectue pas sans réaction. Pour la Normandie, cette hostilité envers les moines blancs
paralyse quelque peu leurs entreprises forestières et pré industries855.
Il semblerait donc que l’isolement social des moines blancs soit en partie un échec,
d’autant plus flagrant au XIIIème siècle avec le passage au faire-valoir indirect 856. Une étude
précise de la constitution du patrimoine foncier de ces abbayes est désormais nécessaire afin
de mieux cerner les protagonistes des donations, la nature des biens offerts ou échangés, leurs
motivations, leurs origines sociales et la géographie de ces possessions.
b. La constitution du patrimoine foncier (vers 1120-1200) :
La connaissance des abbayes cisterciennes du diocèse de Limoges et de ses marges est
en partie assurée par des sources manuscrites et diplomatiques dont la conservation est
toutefois inégale. Certains sites peuvent être bien connus et la constitution du patrimoine
foncier cernée avec une certaine précision grâce à la conservation des cartulaires.
1. Les sources :
Quelques abbayes ont effectivement conservé leur cartulaire, source précieuse pour
l’historien désireux de cartographier les possessions cisterciennes. C’est le cas des abbayes de
855
M. ARNOUX, Mineurs, férons et maîtres de forge. Étude sur la production du fer dans la Normandie du
Moyen-Âge, XIème-XVème siècles, CTHS, Paris, 1993, p. 282.
856
B. BARRIÈRE, L’abbaye cistercienne d’Obazine en Bas-Limousin, les origines- le patrimoine, Tulle, 1977,
p. 132.
- 250 -
Bonlieu, du Palais-Notre-Dame, de Dalon, d’Aubepierres, d’Aubignac. Seuls les cartulaires
d’Obazine et du Palais sont des originaux, les autres correspondent à des copies modernes.
Chaque abbaye tenait à disposer des titres pouvant faire foi dans l’avenir face à toutes
contestations. Ceux-ci étaient préservés dans un chartrier conservé dans la salle surmontant la
sacristie, encore observable à Obazine notamment. Les chartes de privilèges et la charte de
fondation y étaient également déposées mais bien peu sont parvenues jusqu’à nous. Les
principaux actes de donation sont précieusement recopiés dans des registres faits de cahiers de
parchemin, les cartulaires. Ils sont souvent rédigés lors d’une mise en ordre du chartrier,
parfois lors d’un changement d’évêque ou de l’acquisition d’une nouvelle grange. Ils sont
appréciés pour la commodité d’utilisation de ces grands instruments récapitulatifs 857. Des
pancartes sont également souvent conservées. Il s’agit d’un récapitulatif des possessions de
l’abbaye que l’autorité impliquée confirme par le biais de l’apposition de son sceau. Ainsi,
nous possédons trois pancartes concernant l’abbaye de Prébenoît récapitulant les donations
faites par trois des principales familles de bienfaiteurs, à savoir les seigneurs de Nouzerines
(1162-1192), de Déols et de Boussac (1208) et les seigneurs de Malval (1224)858.
Le cartulaire d’Obazine est un inventaire précieux des acquisitions faites par l’abbaye
de 1130 à 1197. Le point de départ est l’installation de la communauté érémitique à Obazine
dans les années 1130. Soixante-dix ans peuvent ainsi être suivis par le cartulaire. Toutefois, il
reste relativement flou sur la période précédant l’affiliation à Cîteaux en 1147. Il est
vraisemblablement composé de la fin du XIIème siècle (vers 1170) au début du XIIIème
siècle. Le patrimoine des frères d’Étienne a néanmoins continué de s’accroître au XIIIème
siècle859. Ce manuscrit se compose de 354 folios, de 43 cahiers (39 quaternions). Des
références onomastiques apparaissent dans 80% des cas. Louis VII et Philippe-Auguste sont
fréquemment cités alors que les rois anglais n’apparaissent qu’à cinq reprises860.
Le cartulaire de l’abbaye du Palais renseigne sur l’état florissant de l’abbaye aux
XIIème et XIIIème siècles. Il est consulté à l’abbaye en 1753, date à laquelle l’abbé Léonard
d’Espagnat lui adjoint quelques feuillets contenant un bref historique de l’abbaye et une liste
des abbés. Il est vraisemblablement encore conservé à l’abbaye en 1790. Il est acquis en 1854
857
J. WAQUET, J-M. ROGER, L. VEYSSIÈRE, Recueil des chartes de l’abbaye de Clairvaux au XIIème siècle,
CTHS, Paris, 2004, p. 77.
858
AD Creuse, H 528.
859
B. BARRIÈRE, « Les granges de l’abbaye cistercienne d’Obazine aux XIIème et XIIIème siècles », dans Le
Bas-Limousin, Histoire et Économie, Tulle, 1966, p. 33-51 ; B. BARRIÈRE, L’abbaye cistercienne d’Obazine
en Bas-Limousin, les origines- le patrimoine, Tulle, 1977, p. 111.
860
B. BARRIÈRE, Le cartulaire de l’abbaye cistercienne d’Obazine (XIIème-XIIIème siècles), Institut d’Études
du Massif Central, Clermont-Ferrand, 1989, p. 48.
- 251 -
par le British Museum861. En 1877, il est transcrit, et c’est sur cette transcription que M.
AUTORDE s’appuie pour sa copie aujourd’hui consultable aux Archives Départementales de
la Creuse862. Il se compose de 106 feuillets de parchemin, de trois feuilles de papier de 18.4cm
de haut pour 12.4cm de large. Il dispose d’une reliure de cuir brun de 19.5cm de haut pour
14.3cm de large. Les actes ne présentent guère une composition diplomatique puisque les
invocations sont rares. Il y a parfois de courts préambules, plus rarement des dates863.
Le cartulaire de Dalon, aujourd’hui perdu, a heureusement été étudié de nombreuses
fois par des érudits et nous pouvons l’appréhender par des copies. Il comprend 1345 actes de
1114 à 1247, probablement compilés par un moine du couvent864.
L’abbaye de Bonlieu conserve son cartulaire parvenu grâce à une copie de l’époque
moderne du moine dom Claude Joseph COL permettant une bonne connaissance du
patrimoine du monastère et de la constitution de son domaine. L’original est toutefois
perdu865. De même concernant les cartulaires d’Aubepierres et Aubignac connus grâce à des
copies des XVIIème siècle ou XVIIIème siècle866.
Au XVème siècle, l’introduction du système de la commende conduit à un
accroissement du nombre de documents liés à la gestion du patrimoine, chaque abbé ayant à
cœur d’inventorier ce qui était alors dû à la communauté de religieux, engageant parfois de
longues procédures pour faire valoir leurs droits. Les chartriers s’enrichissent dès lors de
terriers, censiers, états des lieux, inventaires de titres, plans, etc…867 Tous ces documents sont
une mine d’informations pour toute reconstitution des possessions des moines blancs. Ainsi,
les sources du XVème siècle sont majeures concernant l’abbaye de Boeuil dont le cartulaire
n’est malheureusement pas parvenu jusqu’à nous. Un de ces documents est un cahier de 14
folios concernant la grange de Fay en Poitou. Entre 1474 et 1476, un terrier est composé avec
257 notices classées par paroisses et par « prieurés ». Grâce à ces sources, les granges de
l’abbaye ont pu être déterminées : deux granges en Périgord, deux en Poitou et une abbayefille en Aunis (Saint-Léonard-des-Chaumes)868.
861
Cote ms add. 19887.
S. VITTUARI, Le patrimoine de l’abbaye du Palais-Notre-Dame d’après le cartulaire (1134-12..), mémoire
de maîtrise, dir. B. BARRIÈRE, Limoges, 1992, vol. I, p. 5.
863
J. CIBOT, Le cartulaire de l’abbaye du Palais-Notre-Dame (XIIème-XIIIème siècles), DES, Poitiers, 1961, p.
11 ; AD Creuse, H 524.
864
L. GRILLON, Le cartulaire de Dalon (1114-1247), Mémoire de DES sous la direction de C. HIGOUNET,
Bordeaux, 1962, p. 4.
865
AD Creuse, H 284, copie d’Auguste Bosvieux. Voir également les cotes H 137, H 284 à 521, H 939.
866
AD Creuse, H 147-232 ; H 233-283.
867
B. BARRIÈRE (dir.), Moines en Limousin, l’aventure cistercienne, PULIM, Limoges, 1998, p. 114.
868
I. AUBRÉE, B. BARRIÈRE, « L’abbaye cistercienne de Boeuil au Moyen-Âge : le patrimoine et sa gestion,
les relations avec l’environnement », Archives en Limousin, n°8, 1996, p. 9-10 ; AD Haute-Vienne, 13 H 8.
862
- 252 -
Les archives révolutionnaires sont également riches en enseignements. Les inventaires
mobiliers et immobiliers permettent de se faire une idée de la physionomie des sites au
lendemain de la Révolution Française. Les dégradations sont souvent importantes et les
descriptions tiennent compte des réparations à faire.
Outre ces sources manuscrites, certains fonds disposent de cartes, plans relevant bien
souvent de l’époque moderne permettant de mieux cerner le patrimoine des abbayes. Ainsi
des cartes établies au XVIIIème siècle montrent que l’abbaye des Pierres était encore entourée
de bois dont les noms sont soigneusement inscrits : Chézelle, Ranciers, bois des Pierres, de
Serer, des Chagnets, de la Grimauderie, la Forêt Guyon et bois de Peucheny (bois de Puchent
actuel à l’est des Pierres, le long de l’Arnon). Certains apparaissent encore dans la toponymie
actuelle869. De même concernant l’abbaye de Bonlieu dont le fonds des Archives
Départementales de la Creuse révèle des plans des bois appartenant aux moines, datés des
XVIIème et XVIIIème siècles870. Ces trois planches de grand format réalisées à la plume
permettent de juger de l’étendue des bois de la Bonnette, de la Croix de la Bonnette et de la
Chassagne-aux-Moines. Bien sûr, cet état moderne a sans doute évolué depuis l’époque
médiévale et ne nous permet pas d’évaluer la superficie des zones forestières aux XIIème et
XIIIème siècles.
L’étude des cartes de Cassini permet également de localiser certaines possessions par
des études toponymiques précises. De même que pour les plans modernes, l’étendue des bois
et forêts représentés ne peut être extrapolée à la période médiévale. Quant aux cartes IGN au
1/25000ème, elles sont également un outil précieux pour repérer les anciennes possessions
monastiques qu’il s’agisse de granges (souvent signalées par un toponyme « Les granges » ou
directement par le nom ancien. Certaines ont pu donner naissance à un hameau), de moulins,
de tuileries ou de forges (apparaissant souvent sous la forme « la Farge » ou « La Forge »)871.
À ces études archivistiques et cartographiques succèdent des prospections directement
sur le site repéré afin de déterminer la conservation des structures en élévation. Les
aménagements hydrauliques sont souvent conservés (biefs, canaux, digues) et ont laissé des
traces dans les paysages actuels qu’il nous convient aujourd’hui d’étudier précisément. Des
869
AD Cher, 10 H 86.
AD Creuse, 4 Fi 1300-1307.
871
Pour le détail des cartes IGN utilisées, voir « Cartes et plans », bibliographie.
870
- 253 -
photographies aériennes peuvent également permettre de cerner des structures difficilement
compréhensibles au sol872.
Ces différents outils permettent une meilleure connaissance du patrimoine foncier
cistercien dans le diocèse de Limoges et ses marges, son emprise sur les paysages et les
modifications que les moines ont apporté à leur environnement.
872
Voir cliché G. CHAPPE dans B. BARRIÈRE (dir.), op. cit,p. 100, vestiges de la grange obazinienne de
Graule sur le plateau du Limon (Cantal) [Fig. 560]. Les résultats des prospections menées sur les sites cisterciens
du diocèse de Limoges et de ses marges sont présentés et détaillés dans la seconde partie de cette étude (corpus).
- 254 -
2. Les donateurs :
Martine GARRIGUES constate d’après l’étude du cartulaire de Pontigny que les
donateurs sont essentiellement des nobles et ecclésiastiques ainsi que des chevaliers insérés
dans le système féodal873. Qu’en est-il pour les abbayes cisterciennes du diocèse de Limoges
et de ses marges ? Que peuvent nous apprendre les cartulaires conservés et autres sources
diplomatiques ?
L’abbaye de Dalon semble largement dotée par les seigneuries et vicomtés alentours et
ce dès l’arrivée des ermites de Géraud de Sales, générosités qui perdureront sous l’abbatiat de
l’abbé Roger, puis après l’affiliation à Cîteaux. Elles permettront aux moines la constitution
d’un solide patrimoine autour de Sainte-Trie ainsi que sur les paroisses de Salagnac, de
Teillots et de Boisseuil. La fondation initiale est due à Géraud et Gonfier seigneurs de
Lastours, principes, qui cèdent le désert de Dalon et tout ce qu’ils possèdent dans le bois de
Dalon874. Au XIème siècle, Gui de Lastours contrôle une bonne partie du Bas-Limousin et du
Périgord. Leur forteresse est située sur la commune de Rilhac-Nontron875. Les seigneurs de
Born dotent également l’abbaye dès les premiers temps et leur générosité ne se démentira
guère comme le prouvent les nombreux actes de donation les concernant. Leurs possessions
s’étendent notamment sur les confins du Limousin et du Périgord. L’étang et la forêt de Born
marquent la limite des deux provinces. Christian RÉMY constate dans son étude sur les
castra et seigneuries limousines que l’ascension de ces seigneurs de Born est rapide. Trois
mariages avec des branches des Lastours permettent d’asseoir leur autorité à la tête du
castrum. Leur motte féodale est identifiée près de l’étang de Dalon 876. Les biens cédés aux
cisterciens sont surtout en faveur des granges de Fougerolas, Puyredon, la Forêt, Lavaysse et
Taillepetit. Quant à Bertran de Born, troubadour et poète, il deviendra moine avant sa mort en
1215877. La famille de Flamenc est l’une des plus généreuses et cède notamment le manse de
la Ribière (cart. fol. 76-77). Elle est parfois citée parmi les principes de même que les
seigneurs de Lastours. Le château familial était peut-être situé à Saint-Paul-La-Roche. Les
Flamenc dotent essentiellement les granges de Murs, Chalaumand. Les libéralités vont aussi
aux abbayes de Peyrouse, Chancelade, Uzerche878.
873
M. GARRIGUES, Le premier cartulaire de l’abbaye cistercienne de Pontigny, Paris, 1981, p. 21.
L. GRILLON, Le cartulaire de Dalon (1114-1247)…, op. cit, fol. 1.
875
M-C. PEYRAT, L’abbaye de Dalon et son environnement aux XIIème-XIIIème siècles, mémoire de maîtrise
d’histoire médiévale, dir. B. BARRIÈRE et J. VERDON, 1990, vol. 1, p. 34-43.
876
C. RÉMY, Seigneuries et châteaux forts en Limousin, Tome I Xème-XIVème siècles, Culture et patrimoine en
Limousin, Limoges, 2006, p. 63.
877
A. THOMAS, Poésies complètes de Bertran de Born, Toulouse, 1888, p. 1-52 ; M-C. PEYRAT, op. cit., vol.
1, p. 43-50.
878
M-C. PEYRAT, op. cit., p. 51-54.
874
- 255 -
Les moines bénéficient également des générosités des vicomtes de Limoges. Adémar
III concède à l’ermite Géraud de Sales le plein usage de la forêt de Born dès 1114. Les moines
peuvent ainsi prendre du bois de chauffe et de construction et faire paître les porcs 879. Les
granges de Bedena (com. Larche) et Goudonnet (com. Chartrier-Ferrières) dépendantes de
Dalon bénéficient des donations des vicomtes de Turenne, propriétaires du château de Larche
à proximité de la grange de Bedena, ainsi que des seigneurs de Malemort880.
Les vicomtes de Turenne font également partie des bienfaiteurs du monastère
d’Obazine, ainsi que les Comborn et les Ventadour. Les Comborn sont en particulier à
l’origine des granges de la Serre et de Chadebec, prévues au départ pour les moines
cisterciens du Sourdain, essaimage avorté depuis l’abbaye berrichonne du Landais (com.
Frédillé, Indre, 1148-1159). Ils cèdent le bois du Sourdain et la vigne d’Allassac. Archambaud
IV, vicomte de Comborn, est à l’origine de la donation initiale de l’abbaye puisqu’entre 1133
et 1137 il cède la partie de la forêt où s’élève le monastère 881. Les Turenne cèdent le manse de
Tersac, les Ventadour les manses de Villières et de Vaculac (1158-59) tandis que les vicomtes
de Brassac donnent deux manses près de Rocamadour (1148-49). Les principales grandes
vicomtés limousines comptent ainsi au nombre des protectrices des ordres nouveaux et
particulièrement des moines blancs bien présents en Bas-Limousin882.
En 1233, c’est le seigneur Hugues de Lusignan qui dote généreusement les moines de
Grosbot. Il donne 60 sols de rente par muid de sel dans le port saunier de Cognac, confirme
l’exemption de coutume pour les besoins de l’abbaye d’Obazine et ses maisons, les 40 muids
de sel que Bardon seigneur de Cognac avait donné, les 100 muids de sel par an peuvent
transiter sur ses terres sans droit ni péage. Obazine et ses dépendances sont sous sa protection
sur ses terres et sur les cours d’eau. Leur circulation est libre de tous droits883.
Outre ces donations des grands vicomtes limousins, des seigneurs moins influents
mais tout aussi généreux dotent les moines d’Obazine. Entre 1142 et 1159, Hugues de la
Roche est à l’origine de la création de la grange de Couffinier tandis qu’Adémar de Ségur
cède un jardin et une terre à Martel où les moines construiront un cellier. La grange de la
Dame est issue d’une donation de Bertrand de Luzech entre 1150 et 1159 tandis que Baudran
est cédée par Gaubert d’Aliac et les Alys par Aymeric de Gourdon du vivant d’Étienne
879
L. GRILLON, op. cit, fol. 93.
L. GRILLON, « Deux granges corréziennes de l’abbaye cistercienne de Dalon », dans Le Bas-Limousin,
Histoire et Économie, Tulle, 1966, p. 21-32.
881
B. BARRIÈRE, Le cartulaire…, op. cit, p. 65.
882
B. BARRIÈRE, « Les granges de l’abbaye cistercienne d’Obazine aux XIIème et XIIIème siècles », op.cit, p.
33-51.
883
M. LARIGAUDERIE, « Abbaye cistercienne Notre-Dame de Grosbot, Charente : recueil de textes (11211791) », BASEPRC, Angoulême, 1998, n° 8, p. 1-93.
880
- 256 -
d’Obazine884. Étienne d’Escorailles, seigneur auvergnat, cède les manses de Croisy. Les
rapports entretenus entre les moines d’Obazine et certains seigneurs du diocèse de Clermont
peuvent s’expliquer par les origines d’Étienne né à Pleaux en limite des diocèses de Limoges
et Clermont (département du Cantal actuel). Escorailles est un bourg du canton de Pleaux.
Bégon d’Escorailles est d’ailleurs un disciple d’Étienne et devient le premier abbé de l’abbaye
cistercienne de Valette, fille d’Obazine (com. Auriac). Les Escorailles doteront ainsi
largement ce modeste monastère des bords de la Dordogne. C’est le seigneur Amblard de
Dienne qui cède le manse de Graule, noyau du terroir de la grange de Graule dans le plateau
du Cantal (1174-1175). Il cède le droit de pacage sur toute terre inculte du Limon pour les
animaux appartenant audit monastère885. Quant à Géraud d’Escorailles, devenu abbé de Tulle,
il cède aux moines cisterciens une saline à Oléron, témoignant de ce soutien qui ne se
démentira pas après la mort d’Étienne886. Les vicomtes ne sont ainsi pas les seuls protecteurs
du monastère mais les seigneurs des environs se montrent aussi soucieux de témoigner de
leurs générosités, si bien qu’avant la mort d’Étienne, la plupart des granges d’Obazine sont
déjà en partie constituées.
Une grande partie du patrimoine d’Obazine trouve son origine dans les dots
monastiques. En effet, les femmes prenant le voile à Coyroux étaient souvent accompagnées
de donations importantes au monastère. Cette particularité vient de l’originalité du monastèredouble accueillant une communauté féminine et en assurant la gestion.
Les vicomtes de Malemort, autres seigneurs importants du diocèse de Limoges aux
XIIème et XIIIème siècle, partisans des rois anglais, dotent aussi bien les moines d’Obazine
que les moniales de Derses. Ils sont à l’origine de la fondation initiale à la fin du XIIème
siècle, voire au début du XIIIème siècle. En 1218, Gérald de Malemort confirme la donation
faite par son aïeul du lieu de Derses et de ses dépendances887.
L’abbaye du Palais est quant à elle essentiellement dotée par les proches seigneurs de
Peyrat et de Laron, toutefois moins importants que les vicomtes bienfaiteurs d’Obazine et de
Dalon et ses possessions resteront d’ailleurs bien maigres comparées à ces deux autres
monastères888. Silvia VITTUARI insiste sur le peu de bienfaits des grandes familles
marchoises. L’environnement aristocratique du Palais est relativement peu fourni. Certains
884
B. BARRIÈRE, Le cartulaire…, op. cit, p. 115.
A. de ROCHEMONTEIX, La maison de Graule. Étude sur la vie et les œuvres des convers de Cîteaux en
Auvergne au Moyen-Âge, Paris, 1888, p. 273.
886
B. BARRIÈRE, Le cartulaire…, op. cit, p. 346.
887
G. CLÉMENT-SIMON, « Notice sur le couvent de Derses, paroisse de Saint-Hilaire-Peyrou », BSSHAC, T
11, 1889, p. 546-568.
888
M. DAYRAS, « Les abbayes creusoises et le Palais-Notre-Dame », MSSNAC, T 36, 1966, p. 215-220.
885
- 257 -
seigneurs dont les origines remontent au XIème siècle accordent toutefois une certaine
attention aux moines de Cîteaux tels les Pierrebuffière, les Lastours, les Rochechouart, les
seigneurs de Gimel et les vicomtes d’Aubusson mais leurs donations restent rares. Les plus
fréquents sont les seigneurs de Laron, de Peyrat et de Courson disposant du castrum de
Vidaillat. Ainsi, entre 1134 et 1156, Boson de Courson donne aux moines de Dalon tout ce
qu’il possède sur la terre d’Arcissat qui deviendra une des granges de l’abbaye du Palais 889.
Celle-ci étant dans la vassalité des Laron et des Peyrat, ce sont Roger de Laron, Pierre de
Peyrat et Guy de Lastours qui donnent leur consentement à la présence d’une fille de Dalon
sur leur fief entre 1134 et 1158. Ils cèdent leurs droits sur la terre de Quinsat tandis que Pierre
de Marbos donne la borderie de la Chaussade890. Quant aux seigneurs de Drouille dont la
motte castrale est à quelques kilomètres, ils apparaissent parfois comme témoins891.
L’abbaye de Boeuil est quant à elle dotée par des seigneurs relativement modestes
comme Hélie de Nieul, Aymeric de Montcocu ou Aymeric d’Aixe. Pas de grands vicomtes
influents comme à Obazine mais de petits seigneurs dont les revenus propres ne permettent
guère les dons d’importance au monastère qui sort difficilement de sa précarité892. Alors que
son abbaye-fille, Saint-Léonard-des-Chaumes, est dotée par les rois Plantagenêts, Boeuil
n’attire guère les libéralités des grands personnages.
La donation initiale de l’abbaye de Bonnaigue est le fait de Guillaume et Pierre
d’Ussel, seigneurs de moyenne importance qui cèdent leurs biens au monastère en 1142. La
charte n’est toutefois rédigée qu’en 1157893.
L’abbaye de Boschaud est quant à elle dotée essentiellement par les seigneurs de
Bourdeille, Agonac et La Tour894.
Aubepierres est quant à elle dotée à la fois par les seigneurs de Malval 895, les comtes
de la Marche, les nobles de Chauvigny, les Ajasson, seigneurs de Nouzerolles 896, les nobles de
Chamborand. Géraud, seigneur de Ladapeyre, fait preuve d’une grande générosité lors de son
entrée en religion dans le monastère897. Les comtes de la Marche paraissent très présents pour
889
AD Creuse, H 524, fol. 59.
AD Creuse, H 524, fol. 1.
891
S. VITTUARI, op. cit, vol. I, p. 14.
892
I. AUBRÉE, Patrimoine, gestion et vie sociale de l’abbaye cistercienne de Boeuil du XIIème au début du
XVIème siècle, mémoire de maîtrise d’Histoire Médiévale, sous la direction de B. BARRIÈRE, Limoges, 1995,
p. 35.
893
M. LAVEYX, « L’abbaye de Bonnaigue », BSSHAC, T 16, 1894, p. 536-557.
894
L. GRILLON, M. LEGENDRE, J. SECRET, L’abbaye de Boschaud. Le Château de Puyguilhem. L’église de
Villars, Périgueux, 1957, p. 5-24.
895
Donation par Philippe, seigneur de Malval en 1266. AD Creuse, H 147.
896
Pierre Ajasson et ses frères donnent en 1326 les droits de propriété sur les terres de Montgeseau et Feschaud
près de Chambon. AD Creuse, H 147.
897
H. DELANNOY, « Notes sur l’abbaye d’Aubepierre », MSSNAC, T XVI, 1907, p. 43-86.
890
- 258 -
les abbayes aux marges des diocèses de Limoges et Bourges. Ils dotent en effet Aubignac,
Bonlieu et Prébenoît, les couvrant de générosités ayant aussi pour but d’asseoir leur autorité
sur des terres aux frontières instables.
La situation marginale de l’abbaye d’Aubignac lui vaut les générosités des comtes de
la Marche, des vicomtes de Brosse898, des seigneurs du Dognon899 de Bridiers et de SaintSébastien900. En 1203, Giraud, vicomte de Brosse, fait connaître à ses prévôts et fidèles qu’il a
pris sous sa protection l’abbaye d’Aubignac. En 1274, Hugues de Brosse concède des droits
d’usage dans le Bois Chardon pour les granges de Lauberte et de Beauvais. Dès 1194, Pierre
Garnier de Dognon cède une rente sur le moulin de la Chapelle Saint-Gilles et sur les terres de
Châteauneuf près d’Argenton.
Les moines de Bonlieu bénéficient des libéralités des seigneurs de Chambon qui
peuvent prétendre à la fondation du monastère. Amélius est d’ailleurs à l’origine de
l’installation des ermites de Géraud de Sales en 1120901. Amélius donne ses droits sur le bois
d’Estrader (désormais bois de la Bonnette). Les moines peuvent prendre le bois nécessaire
pour le chauffage, les constructions, faire paître les porcs et autres animaux. Ces seigneurs
semblent ainsi trouver dans le monastère cistercien un fort référent culturel, un moyen
d’affirmer leur conscience d’appartenir à un lignage fort. Les moines comptent d’autres
bienfaiteurs comme les seigneurs de Saint-Julien-le-Châtel, de Gouzon902, de Chauchet, de
Saint-Domet903, de Saint-Loup, les comtes de Lusignan et les vicomtes d’Aubusson904. Les
seigneurs de Saint-Julien-Le-Châtel sont issus, vraisemblablement dès la seconde moitié du
XIème siècle, des seigneurs de Chambon-Combrailles et prolifèrent dans les siècles suivants.
Leur château n’est qu’à quelques kilomètres de Bonlieu. Ils sont très liés à cette abbaye,
comme en témoigne l’accession de Pierre de Saint-Julien au premier abbatiat905. Guillaume de
Gouzon autorise en 1217 les moines à établir un réservoir pour arroser leur pré de Fleuraget
au nord de l’abbaye. En 1221, Geoffroy de Saint-Domet donne une partie de ses terres que les
religieux doivent cultiver eux-mêmes ou faire cultiver par des colons réguliers. Dès 1150,
Geoffroy de Preuilly, seigneur de Boussac, donne aux moines de Bonlieu le manse du Péroux
ainsi que tout ce qu’il possède à Bonnat. Il est suivi dans sa générosité par les chevaliers de
898
AD Creuse, H 234.
AD Creuse, H 236.
900
H. DELANNOY, « L’abbaye d’Aubignac », MSSNAC, T XVII, 1909, p. 7-63.
901
AD Creuse, H 284.
902
AD Creuse, H 288.
903
AD Creuse, H 234.
904
C. PÉRATHON, « L’abbaye de Bonlieu », MSSNAC, T XVI, 1908, p. 13-24.
905
B. BARRIÈRE, G. CANTIÉ, R. LEBLANC, « Fortifications médiévales en Haute-Marche et Combrailles »,
TAL, T IV, Limoges, 1984, p. 115.
899
- 259 -
son entourage habituel qui cherchent peut-être son approbation ou subissent une pression du
groupe nobiliaire906. Les seigneurs de Bourbon leur permettent d’acquérir des vignobles en
Bourbonnais907. Avant 1159 et la mort de Roger de Dalon, Guillaume de Bourbon, seigneur de
Montluçon, donne la grange d’Aubeterre ainsi que des dépendances : les arbres de la Chaume,
le pré Jarric, un étang, un moulin ainsi que dix sous de rente sur le four de Montluçon.
Les moines cisterciens de la Colombe sont dotés par les seigneurs de Preuilly, de
Naillac, par les sires de la Trimouille, de Vouhet, de Chassingrimont et par les vicomtes de
Brosse, vassaux des comtes de Poitiers également rencontrés dans les actes de donations des
abbayes d’Aubignac et de Prébenoît notamment. Ils semblent désireux d’asseoir durablement
leur autorité sur cette marche forestière908. Leurs vassaux, les chevaliers de Chaillac dotent
aussi la fondation cistercienne909. En 1213, Guy de Chaillac donne trois moulins près de
Chaillac « pour se défendre de toute calomnie ». La respectabilité des moines est ainsi mise en
exergue. C’est le vicomte de Brosse qui accorde aux moines le privilège de mouture sur ces
moulins. En 1187, Jean, un cadet des vicomtes de Brosse entre au monastère. Ce prénom est
fréquent chez les cadets de famille. Les seigneurs de la Trimouille ont également une
importance indéniable. Ils possèdent la forteresse de Châteauguillaume au nord-ouest de
l’abbaye. Ils dotent La Colombe dès 1214. Ils sont à l’origine d’actes plus nombreux que les
seigneurs de Brosse. Ils paraissent plus généreux mais cèdent toutefois moins de droits
d’usage et de dons de terre. Il s’agit en effet d’une aristocratie plus récente à emprise
territoriale moins importante910.
Concernant le Boischaut du sud, Olivier TROTIGNON fait état d’un « terrain aux
conquêtes des seigneurs de Déols et de Bourbon ». Les grands féodaux du Berry font acte de
générosité envers les abbayes cisterciennes, bien que ces libéralités soient bien souvent à peu
de frais. Ils cèdent en effet leurs domaines les plus excentrés et les moins rentables 911. Les
seigneurs de la Roche-Guillebaud sont les principaux donateurs de l’abbaye des Pierres. Cette
« dynastie régionale » est vassale des seigneurs de Déols. Il dispose d’un château proche du
monastère, dans les gorges de l’Arnon, signalée pour la première fois en 1100. Cette
seigneurie s’est développée dans l’une des régions les plus vides du Berry et peut ainsi
906
É. CHENON, « Notes archéologiques et historiques sur le Bas-Berry », MSAC, 8ème série, Bourges, 1910,
p.119.
907
AD Creuse, H 187, folio 142.
908
D. GAUDON, « Histoire de l’abbaye de la Colombe », RC, 1889, T XI, p. 168-175.
909
AD Indre, H 726.
910
J. PICAUD, L’abbaye cistercienne de la Colombe au Moyen-Âge (…), op.cit, p. 55.
911
O. TROTIGNON, Les puissances féodales en Berry Aquitain Oriental du XIème au XIIIème siècles.
Conquête et organisation de la mouvance de la seigneurie de Déols, DEA d’Histoire Médiévale, dir. Bernard
CHEVALIER, Tours, 1988, p. 30.
- 260 -
acquérir une certaine indépendance, notamment par rapport aux seigneurs de Châteauroux 912.
Le site de la Roche-Guillebaud est d’ailleurs choisi pour son intérêt stratégique. Il peut en
effet devenir une « base avancée » de l’expansion déoloise dans le sud du Boischaut.
L’abbaye cistercienne ne joue-t-elle pas le rôle d’une « forteresse de la foi » symbole au
même titre que le château de la mainmise et de la puissance de ces nobles ? Elle bénéficie
également des dons des seigneurs de Déols, des seigneurs de Culan913, Préveranges et SaintSévère. En 1197, Ranulphe, seigneur de Culan, cède un droit de pacage dans son bois de
Coursier. En 1203, les seigneurs de Culan confirment une donation à l’abbaye des Pierres et
se dessaisissent de leurs droits sur Néret et Montipouret. Ces terres sont par ailleurs
marginales, éloignées et de peu d’intérêt pour les seigneurs de Culan 914. Quant aux seigneurs
de Bourbon, ils semblent se désintéresser de l’abbaye cistercienne. S’ils dotent les moines de
Bonlieu et semblent vouloir assurer leur présence en Haute-Marche et Combrailles, ils
renâclent à empiéter sur les terres des seigneurs de Déols et de leurs vassaux915. Raoul de
Déols pourrait d’ailleurs être à l’origine de la fondation des Pierres. Les seigneurs de Déols se
montrent généreux à la fois envers Aubepierres et envers sa fille. Une donation de 1256
évoque une remise de cens exigible sur les biens des deux monastères situés dans leurs
fiefs916.
L’abbaye de Prébenoît est dotée par les vicomtes de Brosse, les seigneurs de
Nouzerines, de Déols917 et de Malval918. Ces derniers s’étaient déjà montrés très généreux
envers les moines d’Aubepierres. En 1208, les seigneurs de Déols cèdent aux moines le bois
de Drouilles (Soumans). Les premières donations des seigneurs de Malval qui se revendiquent
comme les fondateurs du monastère marchois concernent la zone d’implantation initiale de
l’abbaye (Moisse) et ses abords directs (Les Charderies sur la paroisse de Genouillac). En
1223, Aubert de Malval récapitule et confirme les donations à titre perpétuel faites par ses
ancêtres à l’abbaye. Il donne au monastère tous les hommes de son domaine qui voudraient
prendre l’habit monastique. Guillaume de Nouzerines, vassal des seigneurs de Boussac,
concède notamment des terres à la Villatte et la Fontanelle 919. Cet acte est daté de 1192.
Sébrand Chabot, évêque de Limoges, y appose son sceau. Les seigneurs de Verneiges dotent
912
O. TROTIGNON, op. cit., p. 41.
AD Cher, 10 H 85.
914
AD Cher, 10 H 4 (n°2).
915
O. TROTIGNON, op. cit., p. 93.
916
AD Creuse, H 166.
917
AD Creuse, H 528.
918
AD Creuse, H 528.
919
AD Creuse, H 528.
913
- 261 -
également les moines de Prébenoît920. Le lieu-dit « Le Vieux Château » sur la commune de
Verneiges, à 500m au sud-est de l’actuel village de Verneiges est un témoin de l’anien
ensemble fortifié où vivaient ces seigneurs, attestés dès le milieu du XIIème siècle921.
Enfin, l’abbaye de Varennes bénéficie des dons des seigneurs de Cluis et des seigneurs
de Chauvigny qui avaient déjà doté l’abbaye d’Aubepierres922. En 1212, les moines obtiennent
des droits de pacage et d’usage dans les forêts dépendant de la seigneurie de Cluis. En 1294,
Guillaume de Chauvigny affranchit de tous droits et coutumes les métairies des Bergeries, de
Séchet, de Guéchaussiau appartenant aux moines.
Ce sont ainsi souvent les mêmes grands seigneurs que nous retrouvons comme
donateurs des abbayes cisterciennes en marges des diocèses de Limoges et de Bourges qui
jouent véritablement la carte de ces ordres nouveaux pour asseoir une autorité nouvelle,
affirmer leur conscience lignagère et créer de nouvelles nécropoles funéraires.
Outre ces grandes seigneuries, des familles entières se donnent parfois aux monastères
et sont ainsi à l’origine de granges. Ce cas de figure est assez fréquent à Obazine. Le seigneur
de Monceau est ainsi à l’origine de la grange de Montredon. Il cède l’ensemble des eaux,
moulins, terres, prés et bois en sa possession à son entrée au monastère (1148-1155). De
même concernant Pierre de Veyrières à l’origine de la grange du même nom vers 1140 tandis
que Pierre Guillaume d’Albussac contribue à la constitution de la grange d’Albussac (115059). Quant au domaine de Saint-Palavy, il est dû à Adémar Bérenger qui entre au monastère
avec sa femme et ses enfants entre 1142 et 1143. On peut supposer que sa femme entre à
Coyroux tandis que ses enfants sont envoyés au prieuré de Nougein semblant avoir accueilli
nombre d’enfants n’étant pas admis à Obazine923. Cette grange sera ensuite dotée par des
familles modestes telles les Gluges, la famille de Ferrières, de Dome, de Toucheboeuf, de
Foucaud et de Sarrazac. Chaque habitant proche de la grange semble vouloir s’attirer les
bonnes grâces des moines et de Dieu par leur intermédiaire. De même, la grange de Banières
est dotée par la famille Saint-Miche, d’Arques et de Vayrac ; Baudran par la famille de
Faydit ; les Alys par la famille de Gourdon, de Miers, de Borne, de la Popie, de Baussonie, de
Mayrignac, de Salgues, d’Artensa, de Mandaval ; la Dame par la famille de Cardaillac, de
Belcastel, de Félenon, de Gaulejac, d’Hébrard, d’Auriol, de Golème, de Linars, de Clermont,
920
AD Creuse, H 258.
B. BARRIÈRE, G. CANTIÉ, R. LEBLANC, « Fortifications médiévales en Haute-Marche et Combrailles »,
TAL, T IV, Limoges, 1984, p. 108.
922
A. CHARDON, « L’abbaye de Varennes, 1148-1791 », RB, 1906, p. 201-205.
923
B. BARRIÈRE, L’abbaye cistercienne d’Obazine en Bas-Limousin, les origines- le patrimoine, Tulle, 1977,
p. 122-124.
921
- 262 -
de Veyrières, de Peyrille, du Bosc, de Saint-Projet, de Ginouillac ; la grange de Calès par la
famille de Calès, de Verneuil, de Payrac, de Rouffilhac, de Chaussac, Bonnecoste par la
famille d’Espédaillac, de Patras, de Beaumont, de Lagarde de Bonnecoste et de Camy ;
Couzou essentiellement par la famille de Séniergues ; la Pannonie (première citation en 1286)
par la famille de Charrette, de Gramat, de Castelnau de Gramat, d’Aymeri, de Valette, de
Lavergne, de Valon et de la Faye ; Carlucet (première citation en 1287) par la famille de
Marcenac, de Baussac et de la Vaysse. Ainsi, cette énumération montre bien la générosité des
habitants proches des granges cisterciennes qui contribuent à la constitution de leur
patrimoine foncier, dans la mesure de leurs moyens. Les terres et biens cédés sont
majoritairement de petites dimensions contrairement aux dons des vicomtes de plus grande
importance et il revient aux moines et particulièrement aux abbés d’Obazine de rendre ces
terroirs disparates plus cohérentes par des achats et échanges de plus en plus fréquents dès la
seconde moitié du XIIème siècle924.
Ces familles pourtant moins bien loties que les grands seigneurs sont parfois les plus
généreuses envers les moines blancs. Ainsi, l’abbaye du Palais est amplement dotée par la
famille Lebrarius dont les biens s’étendent sur les paroisses de Saint-Dizier-Leyrenne et
Bosmoreau-Les-Mines. Elle apparaît à 39 reprises dans le cartulaire et cède notamment des
biens à Arcissat, Villefranche et Vaurs925. D’autres bienfaiteurs de classe moyenne dotent la
modeste abbaye tels les de Royère, de Peyrusse, les familles de Thauron et d’Espagnat. Alaiz
de Royère et ses fils donnent par exemple ce qu’ils possèdent à Mairemont en 1209 tandis que
Géraud de Las Mollerias cède ce qu’il possède sur la terre de Langladure, noyau du terroir de
la grange du même nom926. Ainsi, si certains sites comme Obazine et Dalon attirent les
générosités des vicomtes et parfois des rois anglais ou français, d’autres comme le Palais sont
dotés par des familles de classe moyenne, d’où la faible extension du patrimoine et les
difficultés à sortir d’une inévitable précarité.
Quarante-quatre familles dotent les moines de Dalon, comme celles du Burg, de Felez,
de Geoffroi, de Garin, du Barri, de Salagnac, de Jau, de la Tour, de Bruzac, de Rasa, de
Ribérac, d’Imon, d’Imos, de Verneuil ou encore de Bassignac pour ne citer que les plus
récurrentes927. Les familles de Terrasson et d’Ayen dotent quant à eux la grange de
924
Abbé ALBE, « Titres et documents concernant le Limousin et le Quercy. Les possessions de l’abbaye
d’Obasine dans le diocèse de Cahors et les familles du Quercy », BSSHAC, 1910, T 32, p. 251-304 ; p. 415-461 ;
p. 511-609.
925
S. VITTUARI, op. cit, vol. I, p. 69.
926
AD Creuse, H 524, fol. 129 et 319.
927
M-C. PEYRAT, L’abbaye de Dalon et son environnement aux XIIème-XIIIème siècles, mémoire de maîtrise
d’histoire médiévale, dir. B. BARRIÈRE et J. VERDON, 1990, vol. 1, p. 27.
- 263 -
Masmoutier. Quant aux Pérusse et aux Bouchiat, il s’agit de deux familles de chevaliers
respectivement issus de Châtelus-Le-Marcheix et de Saint-Ybard. Ils gratifient les granges du
Châtaignier et de Palemanteau. Ils sont bien pourvus à l’est et au sud-est de la vicomté de
Limoges, à proximité des châtellenies d’Ayen, de Ségur et de Masseret928.
Les donations de personnes de classe inférieure aux grands seigneurs et vicomtes
limousins ne sont ainsi pas rares. Des officiers féodaux ou vigiers apparaissent parfois dans
les cartulaires929.
Après avoir cerné les différentes personnalités bienfaiteurs des moines cisterciens du
diocèse de Limoges et de ses marges, reste à comprendre leurs motivations et les raisons de
ces générosités. D’après les actes de donation, certaines réponses peuvent être apportées. Les
seigneurs souhaitent que les moines veillent à la sauvegarde de leurs terres, notamment lors
d’un départ pour la Croisade. Le donateur pourra récupérer ses biens s’il revient vivant de la
Terre Sainte. L’abbaye gère ses biens et les protège. Des messes particulières sont parfois
célébrées. En effet, certains dons précèdent un départ pour un voyage jugé périlleux outremer, à Jérusalem, mais aussi pour un pèlerinage, à Saint-Jacques-de-Compostelle notamment.
Les seigneurs tiennent à s’assurer les bonnes grâces des moines et de Dieu par leur entremise.
Ainsi avant 1152, les frères de Jean Judex confirment une donation qu’il a faite pendant que
celui-ci est à Jérusalem. Trois donations de 1221 concernent des marchois partant en croisade
contre les Albigeois : Rainaud VIII vicomte d’Aubusson, Hugues de Mérinchal, chevalier et
Géraud prévôt du Puy Malsignat930. Des prières peuvent être dites à la date de leur
anniversaire en contrepartie de leurs libéralités. La donation peut également être considérée
comme un engagement familial, une tradition de protection envers l’abbaye transmise de père
en fils et exprimant une certaine conscience lignagère931. Ces générosités sont un moyen de
racheter leurs péchés, d’assurer le salut de leur âme et le bonheur éternel de leurs proches.
Certains dons peuvent également être faits en échange d’une inhumation, très fréquentes en
Bourgogne entre 1170 et 1180, tradition se perpétuant jusque dans les années 1200932.
Certaines donations accompagnent l’entrée au monastère d’un cadet de famille ou d’un
homme désireux de terminer sa vie dans le culte de Dieu. Ainsi, G. de Verget se fait moine à
928
M-C. PEYRAT, op. cit., p. 62-66.
L. GUIBERT, « Notice sur le cartulaire de l’abbaye cistercienne d’Obazine », BSLSAC, T 12, 1890, p. 57-74.
930
AD Creuse, H 284, fol. 95-96 ; A. GUY, « Voyages et croisades dans le cartulaire de Bonlieu », Bulletin des
Amis de Montluçon, n° 43, 1992, p. 4-11.
931
S. VITTUARI, op. cit, p. 73.
932
C. B. BOUCHARD, Holy Entrepreneurs. Cistercians, Knights, and economic exchange in Twelfth-Century
Burgundy, Cornell University Press, 1991, p. 73.
929
- 264 -
l’abbaye du Palais entre 1194 et 1211 et donne à l’abbaye la moitié du manse de la Font 933. Le
monastère est un moyen de placer un membre d’une famille trop nombreuse dont l’avenir sera
assuré et qui ne craindra pas les difficultés financières. Les familles ayant ainsi placé un cadet
ne peuvent que se montrer généreuses vis-à-vis de l’abbaye ayant accueilli un membre de leur
lignage.
Certains interviennent en réparation de dommages causés. La proximité des
monastères avec des châteaux ou forteresses et des seigneurs parfois turbulents entraîne
souvent des débordements. Ainsi, en 1175, Ebles de Ventadour donne les manses de Crassac,
de la Ville et du Moulin en réparation des dégâts faits à certaines granges d’Obazine par ses
gens934.
Ainsi, qu’il s’agisse de vicomtes, seigneurs ou d’humbles familles proches des moines
blancs, les donations affluent dès les premiers temps des communautés et concernent même
les premiers temps érémitiques. Ces bienfaiteurs sont à l’origine du noyau foncier des
principales granges des abbayes. Les abbés veillent à la cohérence de ces patrimoines en
acquérant des terres et biens par achats ou échanges. L’enrichissement et le développement
des sites cisterciens dépendent ainsi certes de la nature des sols et de leurs qualités mais aussi
de l’environnement aristocratique et de leurs moyens financiers. C’est pourquoi l’abbaye du
Palais est maintenue dans une certaine précarité car éloignée des grandes seigneuries et
vicomtés tandis que l’abbaye d’Obazine, à la jonction des vicomtés de Turenne, Comborn et
Ventadour profite de cette proximité pour acquérir une vingtaine de granges aux activités
diversifiées. Ces générosités s’expliquent par des motifs pieux : les seigneurs et familles
veulent s’attirer les prières des moines parfois avant un voyage périlleux, pour le salut de leur
âme. Ils ont également sans doute à gagner dans la mise en valeur de terres incultes et les
activités commerciales des moines dont le dynamisme ressurgit sur les proches vicomtés. Le
cas des granges d’Obazine près de Rocamadour en est un exemple édifiant.
933
934
AD Creuse, H 524, fol. 42.
L. GUIBERT, op. cit.
- 265 -
3. Nature des biens :
Les donations accordées aux moines blancs peuvent revêtir plusieurs aspects. Il peut
s’agir d’aumônes, à savoir l’aliénation consentie dans un but pieux, à titre gratuit, à un
établissement religieux. Au XIIème siècle à Pontigny, les donations sont le plus souvent sans
contrepartie, et c’est également le cas le plus fréquent pour les abbayes limousines et
marchoises. Mais parfois, les seigneurs réclament la participation aux bienfaits de l’abbaye et
notamment le droit d’y établir leur sépulture. Nous avons démontré précédemment la
fréquence de ce procédé935. À Pontigny, 62% des actes du cartulaire conservé correspondent à
des donations, 26% à des échanges, 6% à des achats. À Obazine, sous l’abbatiat d’Étienne,
78% des actes concernent des dons, 6% des achats, 3.5% des échanges. Sous Géraud Ier
(1159-1164), 54% sont des dons pour 46% d’achats. Sous Robert (1164-1188), 36% sont des
dons pour 63.5% d’achats. Sous Géraud II (1188-1212), les dons n’atteignent plus que
38.5%936. Au Palais, 376 opérations patrimoniales sont recensées dans le cartulaire, dont 48%
correspondent à la période dalonienne. 80% sont cédées en pure aumône par les seigneurs937.
La majorité des actes de donations concerne surtout des structures foncières mises en
valeur par l’homme, à savoir des manses, des borderies, des terres cultivées et en nombre plus
réduit des bois et friches. Cette constatation est particulièrement flagrante concernant l’abbaye
du Palais, remettant en cause une fois de plus l’idée d’une installation des moines au désert,
de débuts difficiles face à la nécessité de mises en valeur de terres incultes, de défrichements
et d’assainissement des terres qui sont loin d’être systématiques938. Bernadette BARRIÈRE
fait la même remarque concernant Obazine, dotée essentiellement de manses et de borderies,
rarement de terres incultes ou d’espaces forestiers939.
Les terres cédées sont parfois cernées de bornes comme Martine GARRIGUES le
souligne pour l’abbaye de Pontigny. De nombreuses bornes ont également été découvertes à
Obazine (la datation en est malaisée, probablement bas Moyen-Âge), souvent en grès, parfois
décorées de croix à fleurons ou du sigle de la Vierge (« S.M ») [Fig. 27]. À Bonlieu, une
probable borne est remployée dans un bâtiment moderne [Fig. 165]. Elles permettaient de
délimiter l’enclos monastique mais aussi certaines terres pour éviter toute confusion avec les
propriétaires environnants940.
935
Voir I. D. a. 4. Les abbayes comme nécropoles aristocratiques.
B. BARRIÈRE, L’abbaye cistercienne d’Obazine en Bas-Limousin, les origines- le patrimoine, Tulle, 1977,
p. 137.
937
S. VITTUARI, Le patrimoine de l’abbaye du Palais-Notre-Dame d’après le cartulaire (1134-12..), mémoire
de maîtrise, dir. B. BARRIÈRE, Limoges, 1992, vol. I, p. 97.
938
S. VITTUARI, op. cit, vol. I, p. 85.
939
B. BARRIÈRE, Le cartulaire…, op. cit, p. 23.
940
B. BARRIÈRE (dir.), op. cit, p. 101.
936
- 266 -
•
Granges. Vers la polyculture :
Les donations permettent aux moines dès la seconde moitié du XIIème siècle de
constituer un réseau de granges aux activités diversifiées. Les granges sont des unités
d’exploitation agricole, des cellules de productions variées de 10 à 100ha. Elles se composent
de bâtiments où sont stockés les céréales, de celliers, caves, d’un bâtiment d’habitation pour
les convers avec parfois un oratoire941. La polyculture permet aux moines d’assurer leurs
besoins propres tandis qu’ils vendent leurs surplus sur les marchés et distribuent aux pauvres.
Le nombre de granges est toutefois assez inégal selon les monastères envisagés et certains ne
sortent guère de la précarité des premiers temps. Leur taille varie également. Christophe
WISSENBERG constate concernant les granges de Clairvaux qu’il en existe différents types.
Les granges primitives (avant 1150) sont les plus opulentes, qualifiées de granges-maîtresses.
Elles sont souvent flanquées de fermes-annexes de seconde génération (fin XIIème-XIIIème
siècles). Ces fermes-annexes sont de constitution plus lente que les granges (un siècle
environ) et ne sont jamais appelées granges pendant les XIIIème et XIVème siècles, mais
domus. Elles sont peut-être placées trop près de la grange-maîtresse pour être elles-mêmes
érigées en granges. Christophe WISSENBERG précise que ces fermes sont à proximité
immédiate des lieux habités par des séculiers. Leur création serait la « seule formule juridique
–eu égard à l’Ordre- qui puisse répondre à un compromis inévitable entre l’intégration de la
croissance du temporel et la nécessaire composition avec le voisinage séculier interdisant en
théorie l’installation de granges, ces dernières étant soumises à une clause d’isolement. (…)
Les prescriptions cisterciennes, mises à l’épreuve des lieux (…) semblent bien à l’origine de
la hiérarchisation original du temporel claravallien »942.
Néanmoins, ces distinctions ne se retrouvent pas forcément aussi précisément et
nettement pour les abbayes cisterciennes du diocèse de Limoges. Dalon est l’une des abbayes
les mieux dotée avec 27 granges au total, à savoir Lavaysse, Puyredon, la Forêt, Taillepetit,
Puyboucher, Tauriac (prolongée par la création de la bastide de Puybrun), les Touches,
Bedena, Palemanteau, Chalaumand, Murs, Buxum, le Châtaignier, Jous, Masmoutier,
Goudonnet, Fougerolas, Excideuil, Montignac (hospice). Laurière et la Colre sont simplement
citées dans les actes [Fig. 81]. Le noyau primitif des donations comprend la forêt de Dalon, le
941
M. MOUSNIER, « Les abbayes cisterciennes et leur rôle dans l’économie et la société méridionale aux
XIIème et XIIIème siècles », dans La grande aventure des cisterciens. Leur implantation en Midi-Pyrénées,
Actes du colloque de Belleperche, 1998, Montauban, 1999, p. 105-130.
942
C. WISSENBERG, Entre Champagne et Bourgogne. Beaumont, ancienne grange de l’abbaye cistercienne de
Clairvaux, Paris, Picard, 2007, p. 56.
- 267 -
bois de Podio, la borderie de Fougerolas (com. Génis), le manse Britonis (com. Saint-PaulLa-Roche) ainsi que des droits de forestage et droits d’usage dans les forêts de Born et de
Coulaures. Certaines exploitations n’ont pu être localisées dans la toponymie actuelle. Il s’agit
de Laurière (attestée en 1244, sans doute près de la forêt de Born), Buxum, Châtaignier et la
Colre943.
Le groupe de l’abbaye comprend la grange de l’abbaye constituée du bois de Dalon, de
la borderie de Valcombe, de bois et terres à Cauchas (com. Ségonzac), de manses à Verneuil,
de la borderie Rainal, des borderies de Las Ruas, de terres à Pinac, de biens à Coubjours, de
pré, borderie et d’un pont à Milande (com. Ségonzac), de manses à Arnac (com. Ségonzac),
d’un manse de la Ribière, de l’étang de Fialeix, de l’étang de Born, des manses de Vidaillac,
de biens à la Machardie (com. Sainte-Trie), du pré de la Mabode (com. Salagnac), du pré
Bobeilum (com. Sainte-Trie), de l’étang de Chantecogul (com. Sainte-Trie) et du moulin de
Salagnac. Les possessions de cette première grange sont ainsi diversifiées. Les productions
sont essentiellement le seigle, le froment et la vigne. Le groupe de l’abbaye comprend
également la grange de Lavaysse sur la paroisse de Ségonzac disposant de vignes, du manse
de Bagnac. Elle produit entre autre du froment, de l’avoine, du seigle et du vin. La grange de
Puyredon (com. Coubjours) produit de même du seigle, du froment et de l’avoine. Ce groupe
intègre la grange de la Forêt (com. Hautefort) et de Fougeroles (com. Génis) comprenant les
moulins de Laurière, de Génis, de Rets. Le seigle et le froment sont les productions
majoritaires944.
Le groupe du nord-ouest se compose de la grange de Chalamand (com. saint-Paul-LaRoche) produisant essentiellement de l’avoine et du seigle. La grange de Murs (com.
Thiviers) est dotée d’une chapelle attestée en 1178. Elle produit du seigle et du vin. Les
moines possèdent également une maison à Excideuil citée en 1180 à laquelle se rattachent les
vignes de Noyer Maurel, La Vilette et Charrières945.
Le groupe du nord-est se compose de la grange de Masmoutier (com. Saint-BonnetLa-Rivière) disposant de la borderie de Vasses, du pré Eschales, du manse Polenc, du moulin
Culières. La grange de Palemanteau (com. Concèze) produit essentiellement du seigle. Enfin,
la grange de Jou est située sur la commune de l’Église-aux-Bois946.
943
L. GRILLON, Le cartulaire de Dalon (1114-1247), Mémoire de DES sous la direction de C. HIGOUNET,
Bordeaux, 1962, p. 4.
944
L. GRILLON, Le domaine et la vie économique de l’abbaye cistercienne Notre-Dame de Dalon en BasLimousin, thèse de doctorat, Bordeaux, 1964, p. 38-49.
945
L. GRILLON, Le domaine…, op. cit, p. 50-57.
946
L. GRILLON, Le domaine…, op. cit, p. 58-64.
- 268 -
Le groupe du sud-est se compose de la grange de Bedena, de Goudonnet et de Tauriac
(com. Bretenoux). Goudonnet est située sur la commune de Chartrier-Ferrières. Elle est citée
dès 1179 mais existe sans doute depuis 1120. Beaucoup de terres sont en effet cédées entre les
mains de Roger, premier abbé de Dalon. La nature des biens qui la compose est assez diverse.
Elle se constitue des manses des Masadies, de Marfons, de Meyrignac, d’une vigne à
Cousages, du moulin de la Grèze sur la Couze et du moulin de Ladoux. Les possessions de
cette grange ne cessent de s’accroître jusqu’en 1205. À cette date, elle dispose de 13 manses,
2 borderies, 5 pièces de terre et une vigne. Bedena est située sur la commune de Larche. Elle
est citée pour la première fois en 1190 mais est probablement antérieure. Elle dispose de
moins de terres que Goudonnet : les sols sont maigres à cause de l’affleurement de plaques de
grès. Elle comprend des moulins sur la Couze et sur la Vézère tel le moulin de Larche947.
Le groupe du sud-ouest se compose des granges de Taillepetit (com. Sainte-Orses), de
Puyboucher (com. La Boissière-d’Ans) et de Montignac (com. Sarlat) attesté vers 1210.
Les moines de Dalon dispose également d’une grange en Charente, les Touches,
attestée dès 1172. Elle est appelée « prieuré » à maintes reprises dans les actes et devait
disposer de sa chapelle propre pour les offices. Elle se compose de trois marais salants
(Friscarnau, Parsac, Palezou), de pêcheries et de terres948.
Certaines granges sont postérieures à la rédaction du cartulaire. C’est le cas de la
Besse (com. Ségonzac) qui apparaît en 1438, de Chabanes, la Hache (com. Savignac-lesÉglises), Las Rovas (com. saint-Bonnet-la-Rivière) en 1438 et Chantres (com. Milhac) dont la
chapelle est conservée949.
Les granges de Dalon ont ainsi essentiellement une vocation agricole et artisanale. Les
moines produisent du vin, des céréales, du fourrage, du chanvre.
L’abbaye d’Obazine est également très bien dotée d’autant plus qu’elle est couplée
avec l’abbaye de Coyroux dont elle gère entièrement le patrimoine [Fig. 82]. La majorité des
actes relèvent de l’abbatiat de Robert de 1164 à 1187. Avant l’affiliation à Cîteaux, l’abbaye
dispose déjà de centres d’exploitation. Ceux situés à proximités sont nommés « granges », les
plus éloignés « prieurés »950. À la fin du XIIème siècle, la création de granges spécialisées est
947
L. GRILLON, « Deux granges corréziennes de l’abbaye cistercienne de Dalon », dans Le Bas-Limousin,
Histoire et Économie, Tulle, 1966, p. 21-32 ; L. GRILLON, Le domaine…, op. cit, p. 65-70.
948
L. GRILLON, Le domaine…, op. cit, p. 75-85.
949
L. GRILLON, Le domaine…, op. cit, p. 90-98.
950
B. BARRIÈRE, L’abbaye cistercienne d’Obazine en Bas-Limousin, les origines- le patrimoine, Tulle, 1977,
p. 150. La grange était sans doute dirigée par un convers tandis que le « prieuré » avait peut-être un moine à sa
tête, d’où cette distinction dans le vocabulaire employé.
- 269 -
achevée (La Graule, La Morinière). L’abbé Robert a œuvré pour l’agrandissement des terroirs
des granges quercyniennes, l’amélioration des activités d’élevage (Chabanes, Graule), la
plupart des granges disposent de vignes, notamment en Quercy et dans les environs de
Donzenac, du sel est produit à la Morinière. Les activités des moines d’Obazine sont ainsi très
diverses, permettant l’autonomie mais aussi la vente de certains productions sur les marchés
par l’intermédiaire des maisons de ville951. Au XIIIème siècle, les 200 actes inventoriés
révèlent surtout la fortification d’un patrimoine déjà acquis plus que de réelles extensions.
Sont tout de même créées les granges du Chassaing, de Calès, de Granges (com. Carlucet) et
de la Pannonie (com. Couzou). La grange de Chassaing est une dépendance spécialisée dans
la culture de la vigne, placée dans le territoire donzenacois. Les cisterciens y possèdent un
pressoir952.
Le groupe de l’abbaye se constitue des granges d’Obazine, de Rochesseu (com.
Aubazine), de Montredon (com. Albignac) et d’Albussac. Les acquisitions interviennent
surtout dans les premiers temps de l’abbaye. La grange de Rochesseu, dotée dès 1138,
comprend les manses de Villières, du Peuch, de Vaculac, les terroirs de Chastang et de
Charret953. Albussac dispose de nombreux moulins sur la Roussanne, à draps ou à céréales.
Sous l’abbé Robert, elle est dotée des manses du Verdier et du Borc, de trois borderies et de
quelques prés.
Le groupe d’exploitations au nord de l’abbaye se compose de la grange de la
Montagne (com. Lagraulière) constituée des manses de Maurscham et de Baspeyrat, donnés
par Agnès de Mauriac entrant au monastère à la mort de son époux (1133-1159), et la grange
de la Serre (com. Chamboulive) disposant du bois de Sourdain et de nombreux moulins. Le
troisième abbé d’Obazine, Robert (1164-1188) contribue en particulier à l’extension du
patrimoine de la Montagne et y ajoute les manses de la Chanourdie, de Chaumont, du Mazel,
de Vedrenne, de Chassagne, de Mantes, de Vinolas, trois borderies et le bois de Las
Neboleiras. Il dote la grange de la Serre du manse Arnal.
Au nord-est, sur les hauts plateaux limousins, les moines érigent les granges de
Chabanes (com. Tarnac), de Chadebec (com. Bonnefond) et de Veyrières (com. Rosiers
d’Égletons). Cette dernière dispose des manses de Vaurgas, des Bordes et de Saignac. Sous
l’abbé Robert, Chadebec se voit agrandie par les terres de Currières, de Boucheteil, d’Abelos
et des Fours tandis que Veyrières est dotée de trois manses à Grassa.
951
B. BARRIÈRE, L’abbaye cistercienne d’Obazine en Bas-Limousin…, op. cit, p. 182.
P. GARRIGOU GRANDCHAMP, Y. VERGNE-LABROUSSE, « Donzenac du XIIème au milieu du XVème
siècle. Histoire sociale et architecture domestique », dans Monuments de Corrèze, Congrès Archéologique de
France, Société Française d’Archéologie, 163ème session, 2005, Paris, 2007, p. 157-205.
953
B. BARRIÈRE, L’abbaye cistercienne d’Obazine en Bas-Limousin…, op. cit, p. 152.
952
- 270 -
En Haute Dordogne, les frères d’Étienne disposent de la grange de Nougein (com.
Marcillac-La-Croisille), peut-être un prieuré pour les enfants, de Couffinier (com. GrosChastang) et de Croisy (com. Argentat). L’exploitation de Couffinier se compose des manses
du Saleix et de la Combe, de Brigoux, de la Chaumette auxquels s’ajoutent sous l’abbé Robert
les trois manses de la Brue, du Fraysse et de la Bissière ainsi que les terres de la Grillère et de
Pommier. Les moines obtiennent également deux borderies à Couffinier. La grange est dotée
d’un oratoire pour les offices religieux. Quant à Croisy, elle comporte les manses de Croisy,
de la Farge et des Chèzes. Le manse d’Ouix est adjoint sous l’abbé Robert.
En Quercy nous connaissons les granges de Ramière (com. Noaillac), de Baudran
(com. Nespouls), de Saint-Palavy (com. Cavagnac) et de Banières (com. Vayrac). SaintPalavy se constitue de nombreux prés, champs, vignes, manses et borderies cédées par
Adémar Bérenger à son entrée au monastère. Le groupe des Alys (com. Rocamadour)
comprend les granges de la Dame (com. Payrac), de Couzou (com. Gramat) et de Bonnecoste
(com. Calès). La grange des Alys est dotée par les seigneurs quercynois de Miers et de
Curemonte et obtient les manses de Malecoste, du Pendiz, de Canteloube. Elle se compose en
grande partie de terres défrichées, cultivées et habitées954. Ce groupe de Quercy/Rocamadour
est augmenté de 30 manses et 8 borderies sous l’abbé Robert qui œuvre à l’extension du
patrimoine foncier du monastère. La grange de Bonnecoste est d’ailleurs créée sous son
abbatiat en 1173. La faible densité de la population en Quercy et principalement dans les
environs de Rocamadour permet la création de vastes domaines d’un seul tenant.
Deux exploitations sont plus éloignées : la Graule est située sur la commune de SaintSaturnin sur le plateau du Cantal tandis que la Morinière est en Charente sur la commune de
Dolus à Oléron. Vers 1169-1170, Girard, abbé de la Trinité-de-Vendôme confirme la vente à
Obazine du marais « Folia Chantarel » ainsi que d’un droit de pêche à la Morinière955.
Des grangiers sont attestés à Graule, la Dame, Nougein, Couffinier, Veyrières,
Albussac et la Serre et relayaient le pouvoir de l’abbé au sein de granges parfois éloignées.
Quant aux productions de ces exploitations agricoles, elles sont relativement variées et
témoignent du soin des moines à assurer leur autarcie en produisant tout ce dont ils pouvaient
avoir besoin. Nougein, Couffinier et Veyrières produisent du seigle ; Albussac, Ramière,
Rochesseu, la Montagne et la Serre de l’avoine et du froment ; une activité vinicole est
attestée à Albussac, Saint-Palavy, Obazine, Baudran, Ramière, Nougein, Veyrières ainsi que
dans les granges quercynoises. La Graule est spécialisée dans l’élevage, de même que les
954
B. BARRIÈRE, L’abbaye cistercienne d’Obazine en Bas-Limousin…, op. cit, p. 154 ; 156 ; 158-161 ; 163 ;
167.
955
B. BARRIÈRE, Le cartulaire…, op. cit, p. 217.
- 271 -
granges de Chadebec et Albussac pour les ovins, d’Obazine et La Montagne pour les bovins,
de Nougein et Couffinier pour les porcins, tandis que la Morinière est une grange saline956.
L’abbaye du Palais-Notre-Dame ne dispose pas d’un patrimoine aussi important et
étendu que les monastères de Dalon et Obazine [Fig. 83]. La politique patrimoniale menée
révèle plus une volonté de défense pour préserver et maintenir les acquis qu’une volonté
d’extension du terroir. L’abbé Roger de Dalon mène une politique timide : de 1120 à 1159,
les opérations onéreuses ne concernent que 7% des actes. Il agit toutefois pour la
concentration spatiale du patrimoine. À sa suite, Bernard Ier étend les possessions vers la
paroisse de Soubrebost et exige de nombreux contrats de confirmation. Entre 1168 et 1177,
Hélie affermit le patrimoine mais ne l’élargit pas. Ce n’est que sous Bernard II (1177-1194) et
Bernard III (1200-1210) que les opérations onéreuses augmentent (20%). Vers 1210, le
patrimoine a atteint son extension maximale957. Ses biens sont répartis en 9 granges : Arcissas
(com. Bosmoreau), Le Mont-de-Transet, La Chaise (com. Thauron), Quinsat (com. Mansat),
Rapissat (com. saint-Dizier-Leyrenne), Mairemont-Bonnefond (com. Janaillat), Langladure
(com. Masbaraud-Mérignat), Beaumont (com. Soubrebost) et le Saillant (com. Voutezac)958.
Avant même l’affiliation à Cîteaux, les ermites disciples de Géraud de Sales sont déjà à la tête
de petites exploitations agricoles et détiennent des terres au nord-ouest de Quinsat et à la
Chaussade. Sept granges sont ainsi issues de l’héritage dalonien.
La grange du Mont se compose de deux manses, trois borderies à la Chaussade et des
biens à Transet. La Chaise dispose des manses de Fougeras, Poutignat, la Fayolle et
Redondebesse. L’exploitation d’Arcissas comporte deux manses, une borderie dans les
plaines de Villefranche et Conge, quatre borderies à Arcissas, le manse de Peyroux, le terroir
de Fontaneix et les terres de Clapijaud. Mairemont jouit du terroir de Mairemont, de
Bonnefond et Bonnefontette, de la borderie de Noger et de la Faye. Rapissat se compose des
borderies de Berlas et du Mas-Faraud. La grange de Beaumont, au nord-est de la paroisse de
Soubrebost est dotée de la terre de Tenèle, du terroir de Beaumont, des terres de Grandvallée,
de Grandvau et de Masmouchard. L’exploitation agricole de Langladure fait surtout l’objet
d’attentions après 1177. Elle détient des structures foncières à Saint-Michel, La Faye,
Estampel et des droits d’usage à la fontaine de Fontloup. Quant à la grange de Saillant en BasLimousin, elle est vraisemblablement constituée sous l’abbatiat de Bernard II. Elle se
956
B. BARRIÈRE, « Les granges de l’abbaye cistercienne d’Obazine aux XIIème et XIIIème siècles », dans Le
Bas-Limousin, Histoire et Économie, Tulle, 1966, p. 33-51.
957
S. VITTUARI, op. cit, vol. I, p. 100.
958
M. DAYRAS, « Les abbayes creusoises et le Palais-Notre-Dame », MSSNAC, T 36, 1966, p. 215-220.
- 272 -
compose du mas de la Sauvézie, de deux manses, deux borderies, de la terre du Claus
Favares, de la borderie dans le vignoble de Vertougit, de quatre manses à la Côte et du moulin
du Saillant. Elle est dotée d’une maison pour les convers, d’un cellier, d’une cave, d’un
pressoir, d’un jardin, de prés et de vignes. Elle possédait vraisemblablement les chapelles de
la Côte et de Bontat, dédiée à Sainte Radegonde selon l’abbé POULBRIÈRE, à la Vierge
selon NADAUD. Cette grange a donné son nom à un bourg à côté de Voutezac959.
Comme l’abbaye du Palais, le monastère de Boeuil demeure un établissement
modeste, peu doté et dont le patrimoine foncier reste méconnu du fait de la perte du cartulaire
[Fig. 84]. Les actes conservés permettent de constater que la majorité des acquisitions relèvent
des XIIIème et XIVème siècles, mais cette constatation peut être justifiée par la quasi
disparition de tous les documents du XIIème siècle. Les ¾ concernent des donations, peu
d’achats à titre onéreux sont exécutés. Nous pouvons remarquer une concentration des
donations entre 1200 et 1320, et tout particulièrement dans les années 1250-1280, ce qui est
plutôt inhabituel. La période d’expansion des abbayes cisterciennes du diocèse de Limoges est
plutôt la seconde moitié du XIIème siècle. De 1120 à 1260, les biens acquis concernent
prioritairement la paroisse de Saint-Yrieix-sous-Aixe. Dans la seconde moitié du XIIIème
siècle, les possessions s’étendent à Saint-Victurnien et Aixe-Sur-Vienne. Après 1320, une
chute des donations s’explique par le début de la Guerre de Cent Ans (1337), la Peste Noire
(1348) et la renommée montante des ordres Mendiants. À la fin du XIVème siècle, nous
pouvons affirmer que le patrimoine de l’abbaye de Boeuil est constitué. Les moines disposent
ainsi de la grange de Fay le long de la Clouère et de la Vienne, de Courdieu près de la
Gartempe, de Vieillefond près du Vincou au nord de Nantiat, de Mars près de la Dronne et de
la Valouse. La grange de Piangaud n’est citée que jusqu’en 1297. Les granges de Chambon,
Laborde et Pellechevant disparaissent rapidement. Pellechevant, sujette aux inondations, est
remplacée par la grange de Boeuil en 1259960. Cette dernière est rebaptisée « Grange Rouge »
en 1454. Elle est vraisemblablement habitée jusqu’en 1800. Au XIIème siècle, la majorité des
biens cédés sont des bois et terres de médiocres qualité, dont les parcelles n’excèdent souvent
pas un hectare. Aux XIIIème et XIVème siècles, il s’agit la plupart du temps de rentes, cens et
droits d’accapte, de biens fonciers agricoles (pré, terres, vignes), de maisons et de sommes
d’argent. Les moines disposent de vignobles constitués sur la droite de la Vienne, d’Aixe à
959
S. VITTUARI, op. cit, vol. I, p. 138 ; P. LARBANEIX, « La grange du Saillant », MSSNAC, T 22, 1922-24,
p.159-165.
960
I. AUBRÉE, Patrimoine, gestion et vie sociale de l’abbaye cistercienne de Boeuil du XIIème au début du
XVIème siècle, mémoire de maîtrise d’Histoire Médiévale, sous la direction de B. BARRIÈRE, Limoges, 1995,
p. 57.
- 273 -
Saint-Junien, principalement concentrés à Saint-Victurnien et Aixe. Une bonne part des
productions est céréalière (seigle, froment, avoine, orge et millet). Les moines détiennent
également des jardins et vergers (navets, raves, choux, poireaux, châtaignes, noix). La grange
de Courdieu s’est particulièrement spécialisée dans l’élevage (volailles, porcins, ovins). Les
moines produisent également de la cire et du miel961.
Le patrimoine foncier du monastère de Boschaud est méconnu du fait de la perte de la
quasi-totalité des titres de l’abbaye [Fig. 85]. Quelques-unes des possessions peuvent toutefois
être repérées, telles la tenure de la Côte de la Mort (com. Jayac) acquise au XVIème siècle,
dévolue à la production céréalière, la tenure des Fouilliers, de Puyjaloux et de Saint-Pierre de
Frugie. Les moines possèdent la grange de Saint-Jean-de-la-Lande et sa chapelle, également
spécialisée dans une production céréalière. Les possessions à Rieucaud (diocèse d’Agen)
correspondent peut-être à une grange. Les moines y percevaient la dîme. Des biens à la Petite
Bruyère n’ont pu être localisés de même que la forêt des Bernardins. Mazeros, sur la
commune de Milhac est une grange avortée, finalement agrégée à Dalon. La proximité de la
communauté dynamique et fructueuse ne devait en effet guère aider le développement de ce
monastère modeste maintenu dans une certaine précarité962.
L’abbaye de Peyrouse n’est guère mieux connue [Fig. 86]. Six granges peuvent être
repérées : Corbaria (non localisée), Beynac, Vieille Abbaye, Jaladier (paroisse de Saint-Saud),
Croze (paroisse de Milhac) et les Bordes (paroisse de Saint-Saud). Un acte de 1254 énumère
les granges, borderies et manses en possession des moines, nous permettant de mieux cerner
ce patrimoine. Elle semble aussi avoir possédé la grange de Puyharmier (com. Saint-Pantalyd’Ans), très proche de la grange de Dalon de Puyboucher ayant pu conduire à des conflits de
possession. Le lieu-dit « Puy Harnier » et la « Grange » existent encore aujourd’hui dans la
toponymie963. Les exploitations agricoles de Peyrouse sont à l’origine des hameaux de
Peyrouse, de Beynac, de La Veyrière, de Bonnefond, de Faurie Haute, de Gatinelli et des
Moulières964.
La donation initiale de l’abbaye de Grosbot en 1147 concerne le manse du « Mas
Codorz » ainsi que des droits dans la forêt de Grosbot, donation faite directement entre les
961
I. AUBRÉE, op. cit, p. 86.
C. DESPORT, Deux abbayes cisterciennes du Périgord : Boschaud et Peyrouse, mémoire de maîtrise
d’Histoire médiévale sous la direction de Bernadette BARRIÈRE, Limoges, p. 39-47.
963
C. DESPORT, op. cit, p. 67-72.
964
N. BUISSON, « Abbaye de Peyrouse », BSHAP, T 113, 1986, p. 308-323.
962
- 274 -
mains d’Étienne d’Obazine [Fig. 87]965. L’abbaye obtient des possessions à Balzac, BeaulieuCloulas, Chazelles, Dignac, Garat, Saint-Germain, Grassac, Juillé, Lonnes, La RocheFoucauld, Mainzac, Marthon, Montbron, Saint-Paul, Prazac, Salles, Sers, Vouzan, La
Rochebeaucourt, Rougnac, Villebois et Rancogne. Elle dispose de la grange d’Arsac. En
1346, Itier Farsete de Garat promet à l’abbé de Grosbot de livrer à ses frais un demi-boisseau
de froment à la grange d’Arsac annuellement966.
Le monastère de Bonlieu est l’un des monastères les mieux connus de Haute-Marche
grâce à son cartulaire [Fig. 88]. Il dispose d’un important domaine avec ses treize granges,
visiblement constituées dès les premières années du XIIIème siècle. La grange de la Porte à
l’ouest du monastère peut être assimilée sans équivoque à la porterie du monastère destinée à
l’accueil des pèlerins et des pauvres. Il s’agit également vraisemblablement d’un lieu de
gestion du patrimoine. Elle est citée dès 1118, dès les premiers temps érémitiques. Les
exploitations de la Chaudure, La Chassagne, Neyrolles (entre Chénerailles et Gouzon à
l’ouest de Bonlieu), Les Barres au nord de l’abbaye sont toutes les cinq situées dans un rayon
de cinq kilomètres du monastère. En 1198, Guillaume de la Salle donne ses droits sur le
domaine de Neyrolles aux moines de Bonlieu967. Grosmont et Villechenille sont implantées à
l’est de Glénic, non loin de certaines possessions des cisterciens d’Aubepierres (moulins de
Chibert et Vaumoins). Cette promiscuité a pu susciter des conflits d’intérêt et de bornage. La
Villatte, Montmoreau et Modard sont plus avancées dans les Combrailles au nord de Bonlieu.
La grange de Bougnat est en Berry, près de Saint-Marien au nord de Boussac. En 1207, les
moines de Bonlieu obtiennent de la famille de Déols un droit de pacage pour le bétail de la
grange de Bougnat. Aubeterre et la Croze sont en Bourbonnais à quelques kilomètres de
Montluçon968. C’est Hugues Mainfroy qui est à l’origine de la fondation de la Croze. Il donne
en effet une pièce de terre inculte (heremus) entre la maison de Croze et des Chadenas969. Ces
granges développent des activités diversifiées. Bougnat est une forge implantée dans un
paysage à forte densité ferreuse. Les lieux-dits « la Forge » et « le Moulin » conservés dans la
toponymie actuelle évoquent la probable activité d’une forge hydraulique. La Croze et
965
D. N. BELL, « An eighteenth Century Book-List from the abbey of Grosbot », Cîteaux, Commentarii
Cistercienses, T 48, 1997, p. 339-370.
966
A. MONDON, “Notes historiques sur la baronnie de Marthon en Angoumois. Chapitre XIV : abbaye NotreDame de Grosbost », MSAHC, 1895, p. 447-502 ; M. LARIGAUDERIE, « Abbaye cistercienne Notre-Dame de
Grosbot, Charente : recueil de textes (1121-1791) », BASEPRC, Angoulême, 1998, n° 8, p. 1-93 ; IGN Série
Bleue, 1/25000ème, 1732 E, Angoulême est.
967
AD Creuse, H 284.
968
H. DELANNOY, « Notice sur l’abbaye de Bonlieu », MSSNAC, T 18, 1911, p. 7-52.
969
AD Creuse, H 284.
- 275 -
Aubeterre sont les réservoirs en vin de l’abbaye, bien connus des historiens puisqu’elles ont
fait l’objet d’une étude de Guy ANDRÉ970. Les autres exploitations pratiquent l’élevage et une
activité céréalière évidente.
La modeste abbaye d’Aubepierres est méconnue [Fig. 89]. Peu d’actes du XIIème
siècles sont conservés. Le cartulaire copié à l’époque moderne permet toutefois de connaître
un peu le patrimoine foncier du monastère. Les moines disposent d’un certain nombre de
granges : la Porte, la Grange, Lavauvieille et Bourliat sont les plus proches de l’abbaye, à
moins de 10 kms. Chibert est sur la commune de Glénic plus au sud, Fondenet et Fontgilbert
près d’Argenton en Berry. La Porte et Bourliat n’ont pu être localisées sur les cartes de
Cassini ou les cartes IGN. En 1165 notamment, une terre est donnée à la communauté à
Bourliat971. Puis en 1209, les moines obtiennent d’Eudes de Cluis la promesse de protéger leur
grange de Fondenet972. La Porte devait correspondre à la porterie du monastère et revêtait sans
doute une fonction d’accueil des pèlerins et des pauvres. Les possessions des cisterciens
s’étendaient jusqu’en Boischaut, notamment pour la viticulture (vignes de Marzelle)973. Ces
exploitations agricoles pratiquaient essentiellement l’élevage et la céréaliculture.
Quant à l’abbaye d’Aubignac, une copie du cartulaire du XVIIème siècle permet
d’appréhender son patrimoine foncier mais de manière assez partielle face à la perte de
nombreux documents médiévaux [Fig. 90]. Les moines disposaient de granges à l’Auberte (à
quelques kilomètres au sud-ouest du monastère), la Rémondière (près de Parnac, non
localisée), Chanteloube (au sud de l’abbaye, au-delà d’Azérables), Beauvais (au sud près de
Lignac), à la Réjade (au sud est près de Lafat) et à l’abbaye même974. Les cinq autres
exploitations agricoles restent proches du monastère dont le territoire ne semble pas très
étendu. Bernadette BARRIÈRE insistait bien sur le fait qu’Aubignac était une petite abbaye
ne comportant que peu de granges et quelques terres à vignes sur les coteaux des vallées de la
Creuse à Argenton et de l’Indre à Châteauroux975. Les vignes d’Argenton (Fonsfurat)
970
G. ANDRÉ, « Aubeterre, grange bourbonnaise de l’abbaye cistercienne de Bonlieu », Bulletin des Amis de
Montluçon, 1991, n° 42, p. 3-31.
971
AD Creuse, H 147.
972
AD Creuse, H 147.
973
H. DELANNOY, « Notes sur l’abbaye d’Aubepierre », MSSNAC, T 16, 1907, p. 43-86 ; AD Creuse, H 166.
Les vignes de Marzelle sont données par Pierre Vital et sa femme Pétronille.
974
H. DELANNOY, « L’abbaye d’Aubignac », MSSNAC, T 17, 1909, p. 7-63.
975
B. BARRIÈRE, M. H. TERRIER, « Les archives médiévales de l’abbaye cistercienne d’Aubignac : première
approche », Archives en Limousin, n°8, 1996, p. 11-12.
- 276 -
s’accompagnaient d’une tuilerie et d’une maison976. Il est fréquent chez les cisterciens de
Haute-Marche d’obtenir des vignobles en Boischaut. Ces possessions sont attestées dès le
milieu du XIIème siècle977. Elles sont permises par les donations des vicomtes de Brosse,
exceptée la grange de la Réjade à la lisière de la forêt de Saint-Germain dotée par les vicomtes
de Bridiers.
L’abbaye de la Colombe est relativement bien dotée et dispose de nombreuses
exploitations agricoles [Fig. 91]. Douze granges sont attestées à Argenton, la Châtre,
Bordessoule (Saint-Maurice-La-Souterraine sur la vicomté de Bridiers), Chabannes,
Châteauroux (relais commercial et cellier), Gué-Rossignol (commune de Magnac-Laval,
Haute-Vienne), Montgenoux (commune de Prissac), Montmorillon, La Roche-Posay, Tillisset
(lieu-dit Thélisset sur la carte IGN) et La Varenne (paroisse de Bazaiges). La Colombe est
ainsi aussi prospère que l’abbaye de Bonlieu. Ces exploitations dessinent un rayon de 10 à 35
kms autour de l’abbaye. Elles pratiquent la céréaliculture (surtout le seigle) et l’élevage
(essentiellement des porcs). Elles sont majoritairement constituées entre les années 1200 et
1260 correspondant à la plus grande phase d’expansion du monastère. Certaines ne sont plus
présentes dans la toponymie actuelle. L’abbaye dispose également de vignobles au Blanc. La
plupart des aménagements sont mis en place dès le XIIIème siècle comme le prouvent les
actes conservés. En 1190, le moulin de la grange de Varenne existait déjà puisque qu’un
contentieux naît entre les moines et le seigneur A. Lepha qui reproche aux religieux
d’autoriser les paroissiens à venir moudre leurs grains au moulin de Varenne. Dès 1212,
Hugues Brun, comte de la Marche, donne ses droits sur la grange de Montgenoux.
L’abbaye des Pierres est difficile à étudier du fait de la perte de la majorité des sources
diplomatiques [Fig. 92]. Aucun cartulaire ne peut aider à la reconstitution du patrimoine
foncier. Nous connaissons une grange de l’abbaye des Pierres située à Aignerais, entre
Champillet et Montlevic à quelques kilomètres à l’est de la Châtre. Elle a été étudiée par
Émile CHENON qui livre un court article sur l’exploitation agricole978. En 1160, le moulin
d’Aignerais est donné en perpétuelle aumône par Roger V Palesteau. Il est placé sur le petit
ruisseau d’Igneraie. La grange dispose donc de moulins, d’étangs, d’une tuilerie et d’une
976
AD Creuse, H 239. En 1394, une sentence de la prévôté d’Issoudun maintient la possession d’une tuilerie et
d’immeubles à Argenton sur le territoire de Fonsfurat.
977
M. H. TERRIER, « Les bois et les forêts de l’abbaye d’Aubignac des origines à 1351 », MSSNAC, Tome 46,
1997, p.269-275 et p.477-488.
978
É. CHENON, « Le prieuré d’Aignerais, membre de l’abbaye des Pierres », Mémoires de la Société des
Antiquaires du Centre, 1900, T XXVI, p. 35-55.
- 277 -
chapelle, ce jusqu’en 1791. La chapelle est détruite en 1793. L’étude toponymique ne permet
guère de retrouver ces aménagements979. La grange proprement dite apparaît par les lieux-dits
« le Petit Igneraie » et le « Grand Igneraie ». Aucun toponyme, aucune prospection n’indique
un moulin ou une tuilerie.
L’abbaye de Prébenoît ne dispose plus de son cartulaire et la connaissance de ses
possessions est ainsi rendue plus difficile et partielle [Fig. 93]. Nous savons d’après les
quelques sources médiévales et les actes de donation conservés que l’abbaye de Prébenoît
disposait de sept granges : la grange de l’abbaye, de la Villatte (à quelques kilomètres au
nord-ouest du monastère), du Chassin (au sud-ouest de Prébenoît), de Bramareix (au sud de
l’abbaye au-delà de Châtelus-Malvaleix), de Chissac (à l’est de l’abbaye, non loin de
Lavaufranche), de Ligondeix (au sud-est, près de Bramareix) et de Sinaise (à quelques
kilomètres au sud de Châteaumeillant) qui ont toutes pu être identifiées. Les possessions de
l’abbaye confinaient donc au Berry.
Varennes est encore plus méconnue et les fonds conservés aux Archives
Départementales de l’Indre et du Cher la concernant sont indigents [Fig. 94]. Les granges de
Varennes sont difficilement identifiables. Nous savons qu’elle disposait dès sa fondation en
1148 des exploitations de Séchet (aujourd’hui «le Sachet » à un kilomètre à l’ouest du
monastère), des Bergeries (au sud de Varennes), de l’Abbé (à 300m au nord) et de
Guéchaussiot (à quelques kilomètres au nord au bord du ruisseau du Gourdon)980. En 1294,
Guillaume de Chauvigny affranchit de tous droits et coutumes les métairies des Bergeries (ou
Rebergère, com. Fougerolles au sud de l’abbaye), de Séchet (com. Fougerolles, à l’ouest de
l’abbaye) et de Guéchaussiot (com. Fougerolles, au nord de l’abbaye) appartenant aux
moines. Sont citées également les granges de Beccons, Augère (com. Cluis), Maynilet,
Neuvy-Chisset et Fontenelle. En 1194, un acte précise que l’abbé de Varennes échange des
biens avec Saint-Sulpice-de-Bourges pour regrouper ses propriétés 981. Ces trois exploitations
agricoles sont très proches de l’abbaye même. Nous pouvons supposer que les moines
possédaient des terres plus éloignées mais les quelques actes conservés ne nous permettent
guère d’en faire état.
979
IGN Série Bleue, 2227 E, La Châtre, 1/25000ème.
A. CHARDON, « L’abbaye de Varennes, 1148-1791 », Revue du Berry, 1906, p. 201-205 ;
G. WOLKOWITSCH, L’abbaye royale Notre-Dame de Varennes, Lancosme Multimedia, 2004.
981
AD Indre, H 1137.
980
- 278 -
•
Forêts, bois et défrichements :
Les donations de bois et de forêts sont fréquentes mais les seigneurs s’opposent
souvent aux défrichements. Les bois constituent en effet pour eux une réserve de gibiers.
Lorsqu’ils acceptent les défrichements, ce n’est qu’à condition de toucher une redevance sur
les terres nouvellement essartées982. Ces zones forestières sont prisées des moines car
permettent le bois de chauffe, le bois de construction et la glandée des porcs. Ainsi, un acte de
l’abbaye de Bonlieu daté de 1204 précise qu’Eudes de Déols donne la moitié de son bois de
Fosse-Lobert mais les religieux ne peuvent ni le mettre en culture, ni le faire cultiver 983. Les
défrichements monastiques sont limités et contrôlés. Leur action ne doit pas non plus masquer
celle des seigneurs et des populations rurales, sans doute de plus grande ampleur mais
méconnue des sources d’archives. Les artisans essentiels des défrichements sont sans doute
plutôt les paysans poussés par des seigneurs laïcs ou ecclésiastiques. Ces moines trouvent
peut-être un intérêt dans la persistance d’une certaine « protection » forestière les isolant
quelque peu du monde séculier. Les vastes étendues boisées sont de plus nécessaires à leurs
troupeaux.
L’abbaye de Dalon dispose ainsi de nombreux bois et forêts comme la forêt de Born,
de Coulaures (com. Savignac-les-Eglises), de Plagne (com. Excideuil), de Mainzac, de
Baconais, de Dalon, le bois Nouveau, le bois du Puy, le bois de Fialeix, de Bagnac, de Ilias,
de Charetas, de la Combe, de Robertis, de Gordonenc, de Taillepetit, de Costis, de Sorbole, de
Labatut, de Marchac, de Lachaux, de Fouchers, de Bedena, le Bois Barba, de Parigeas, de
Villevalet, de Badesac, de Gannac et d’Agornel984. C’est en 1182 que Guillaume Hélie cède
des droits d’usage dans les bois de Bagnac et de Fialeix aux moines de l’abbaye de Dalon
tandis qu’en 1198, Gui de Jau donne ce qu’il possède dans la forêt de Born 985. Les moines de
Peyrouse acquièrent les bois de Bartola, de Chabrolenc, les forêts de Peyrouse et de Beynac
[Fig. 54]986.
En 1212, les moines de Grosbot obtiennent le droit de prendre dans les bois de
Roumagne le bois nécessaire au chauffage [Fig. 59]. La même année, Hugues Jourdain de
Pranzac reconnaît que les frères de Grosbot ont le droit de prendre le bois de chauffage et de
pacage dans la forêt de Bois-Blanc987. En 1241, les seigneurs de Mareuil leur cèdent des droits
982
M. GARRIGUES, op. cit, p. 28.
AD Creuse, H 350. Par ailleurs, en 1245, Geoffroy Martel leur cède les terres de Bougnat avec autorisation
d’arracher les arbres et de cultiver la terre. AD Creuse, H 284.
984
L. GRILLON, Le domaine…, op. cit, p. 101.
985
L. GRILLON, le cartulaire…, op. cit, fol. 236 et 324.
986
C. DESPORT, op. cit, p. 67-72.
987
M. LARIGAUDERIE, « Abbaye cistercienne Notre-Dame de Grosbot, Charente : recueil de textes (11211791) », BASEPRC, Angoulême, 1998, n° 8, p. 1-93. IGN Série Bleue, 1/25000ème, 1732 E, Angoulême est.
983
- 279 -
de pâturage dans les bois de Broliac ainsi que le droit de prendre du bois de chauffage et de
construction. Ils ajoutent le bois mort et les espèces forestières sans valeur (érable, noisetier,
charme, osier) pour le chauffage et la construction de cabanes en branchages et parcs pour les
animaux. Ils autorisent le prélèvement de branches de chêne et renoncent à tout leur droit sur
cette donation. Suivent les interdictions concernant les animaux de l’abbaye dans leur forêt,
interdiction de séjourner la nuit avec les animaux sur le trajet de Connezac à Lussas988. En
1315, les personnes qui ont des droits sur la forêt de Rougnac renouvellent le droit d’exploiter
cette forêt pour tous les besoins de Grosbot989.
En 1274, Hugues de Brosse, seigneur de Dun et de Châteauroux concède des droits
d’usage dans le Bois Chardon pour les granges de L’Auberte et Beauvais appartenant à
l’abbaye d’Aubignac [Fig. 48]. Les moines d’Aubignac obtiennent également de la famille de
Copiac un droit de pâture dans la forêt de Versillat proche de leur grange de la Réjade (com.
Lafat) pour le gros comme pour le petit bétail (1245)990. Quant aux cisterciens de Boeuil, ils
obtiennent, par jugement de l’official de Limoges, confirmation de leurs droits d’usage dans
la forêt de Fraicher pour leur grange de Vieillefont (com. Berneuil) en bois tant mort que vif,
pour le chauffage et la construction991.
•
Hydraulique :
Du XIème au XIIIème siècles, une importance nouvelle est accordée à l’hydraulique,
due en grande partie à l’émergence d’ordres nouveaux, excellents gestionnaires des
patrimoines fonciers. Les moines cisterciens recherchent la possession d’étangs et en créent
également parfois. Ils sont tour à tour détenteurs et constructeurs d’étangs. Tous les
monastères comptent des viviers et étangs dans leur environnement immédiat dont on peut
encore retrouver l’emplacement sur les cadastres napoléoniens, parfois sur les cartes IGN
actuelles et dans les paysages992. Ne mangeant pas de viande, ces réservoirs à poissons sont
très prisés et leur possession recherchée par les cisterciens. Les étangs apparaissent ainsi
fréquemment dans les actes de donation ou seulement en tant que droits d’usage. Nous
disposons également de témoignages de construction d’étangs. Ils sont fréquemment associés
à une chaussée constituant un barrage de retenue. L’eau, libérée par une pelle en bois tenant le
988
A. MONDON, op. cit. M. LARIGAUDERIE, « Abbaye cistercienne Notre-Dame de Grosbot, Charente :
recueil de textes (1121-1791) », BASEPRC, Angoulême, 1998, n° 8, p. 1-93.
989
M. LARIGAUDERIE, « Abbaye cistercienne Notre-Dame de Grosbot… », op. cit., p. 1-93
990
AD Creuse, H 247.
991
AD Haute-Vienne, 13 H 31.
992
B. BARRIÈRE, « Étangs et hydraulique en Limousin : le temps des créations » dans B. BARRIÈRE,
Limousin médiéval, le temps des créations, PULIM, Limoges, 2006, p. 157-187.
- 280 -
rôle d’une bonde, permet l’alimentation d’un moulin, le plus souvent à roues horizontales
convenant mieux aux zones montagneuses993. Hervé BARBÉ témoigne en Berry de
l’importance des étangs liés à l’abbaye cistercienne de Noirlac et cite un certain nombre de
possessions sur les communes de Valleray, Farges-Allichamps, Nozières, Orcenais
(Boischaud sud). Il fait état de levées de terre barrant perpendiculairement des talwegs dans
lesquels s’inscrivent des ruisseaux convergeants vers le Cher, en majorité attribuable aux
cisterciens. Un des étangs sur la paroisse de Nozières dispose encore de sa digue
monumentale de 140m de long, 10 à 15m de large et 2m de hauteur. Des moulins sont souvent
installés sur des canaux de dérivation994. En matière d’hydraulique, nous pouvons nous
demander si des techniciens spécialisés ont été requis, s’ils circulaient d’abbayes en abbayes à
l’intérieur de l’Ordre ou si les moines eux-mêmes ont acquis cette expérience. Aucune source
ne permet de conclure sur ce point995.
Les possessions de moulins sont ainsi systématiques pour chaque abbaye, chaque
grange comme en témoignent les actes conservés. Pourtant, dès 1134, une prescription du
Chapitre Général de l’Ordre défend l’acquisition de moulins pour ne pas altérer la pureté de la
Règle, interdiction réitérée en 1157996. Un statut de 1152 précise que les
« (…) revenus des fours et moulins et autres ressources
semblables, contraires à l’intégrité de l’observance
monastique sont incompatibles avec [la] condition de
moines et de cisterciens »997.
Une fois encore, les prescriptions de l’ordre ne sont pas systématiquement appliquées
et les intérêts économiques priment généralement. Les possessions de moulins peuvent être de
deux sortes : les uns sont utilisés pour leur propre production, certains uniquement pour les
993
Y. POURCHER, La trémie et le rouet, moulins, industrie textile et manufactures de Lozère à travers leur
histoire, Les Presses du Languedoc, 1989.
994
H. BARBÉ, « L’aménagement des étangs en Berry (XIIIème-XVIIIème siècles) », CAHB, T 101, 1990, p. 4348.
995
B. BARRIÈRE, « Les cisterciens d’Obazine en Bas-Limousin (Corrèze, France) : les transformations du
milieu naturel », dans L. PRESSOUYRE, P. BENOÎT (dir.), L’hydraulique monastique : milieux, réseaux,
usages, actes du colloque de Royaumont, 1992, Paris, Créaphis, 1996, p. 13-33.
996
« Ecclesias, altaria, sepulturas, decimas alieni laboris vel nutrimenti, villas, villanos, terrarum census,
furnorum et molendinorum redditus, et cetera his similia monasticae puritati adversantia, nostri et nominis et
ordinis excludit institutio », « Molendinos vel ceteras possessiones quas secundum ordinem tenere non licet ». J.
M. CANIVEZ, Statuta capitulorum Generalium Ordinis Cisterciensis ab anno 1116 ad annum 1786, Louvain,
1933, T I, p. 14 et 61.
997
J. M. CANIVEZ, Statuta capitulorum generalium ordinis cisterciensis, Louvain, 1934-1941, article 23.
- 281 -
ressources économiques, les moines percevant des revenus sur quelques moulins placés sous
leur juridiction998.
Les cisterciens de Boschaud sont implantés sur un site sans cours d’eau, mais le
cadastre napoléonien révèle la proximité d’un étang. Un puits est également mentionné
permettant l’approvisionnement en eau du monastère999.
Les moines de Dalon disposent ainsi des étangs de Born et de Fialeix. En 1185, Gui de
Felez donne ce qu’il possède dans l’étang de Fialeix près de Born. Il n’est donc pas
directement construit par les moines1000.
Les moines de Boeuil jouissent de deux étangs (« Le Maupas » et « Frère Hague ») et
de trois viviers à proximité immédiate des bâtiments monastiques. Le trop-plein des étangs est
capté par un canal s’écoulant en direction de Pellechevant1001. Ils installent un moulin et son
écluse à la Valette sur la commune de Saint-Victurnien. Ces installations sont essentiellement
des moulins à mouture. L’un jouxtait l’étang de l’abbaye. La grange de Fay dispose d’un
moulin de la Pochonerie. Celui de Sapnac appartient à la grange de Vieillefond. Le moulin de
la Coste est sur la commune de Saint-Victurnien, celui des Bordes près d’Oradour-sur-Glane.
Les moines possèdent également des moulins à la Courdieu, Tussac, Soussif (com. Leignessur-Fontaine), un à la grange de Mars, un dépendant de l’exploitation de Piangaud. Ils
établissent deux moulins à draps : à Saint-Quentin et au Mas-du-Puy sur la commune
d’Oradour. En 1462 est également attesté un moulin à fer, le moulin Rodet sur la chaussée de
l’étang du monastère. À cette date, nous disposons d’un bail à Martial d’Estiveau d’un
emplacement entre la bonde de l’étang de l’abbaye et le moulin à blé de celle-ci pour y établir
un moulin à fer1002. Le minerai de fer a pu être importé de zones sidérolithiques à Fay, de
Courdieu ou de Vieillefond1003.
Les cisterciens de Dalon jouissent des moulins de Chalamand, de Fougeroles. En
1179, ils acquièrent le moulin de la Grèze, en 1186 le moulin de Ladoux 1004. Pierre de la Porte
cède également ses droits sur les moulins de la Couze et de la Vézère à Larche 1005. Un étang et
un moulin sont situés à proximité de l’abbaye. La digue subsiste encore en aval des bâtiments
998
C. B. BOUCHARD, Holy Entrepreneurs. Cistercians, Knights, and economic exchange in Twelfth-Century
Burgundy, Cornell University Press, 1991, p. 116.
999
C. DESPORT, Deux abbayes cisterciennes du Périgord : Boschaud et Peyrouse, mémoire de maîtrise
d’Histoire médiévale sous la direction de Bernadette BARRIÈRE, Limoges, p. 25.
1000
L. GRILLON, Le cartulaire…, op. cit, fol. 81.
1001
G. COUTY, Veyrac : passé, coutumes, Limoges, 1990, p. 3-7.
1002
AD Haute-Vienne, 13 H 27.
1003
I. AUBRÉE, op. cit, p. 91-97.
1004
L. GRILLON, Le domaine…, op. cit, p. 147.
1005
L. GRILLON, Le cartulaire…, op. cit, fol. 785.
- 282 -
monastiques. Ils acquièrent de plus l’étang de Born déjà existant sur la commune de
Salagnac1006.
Quant aux moines d’Obazine, les donations concernant des moulins sont nombreuses.
Six moulins s’échelonnent sur le Coyroux, alimentés par des biefs et retenues d’eau 1007. Vers
1159-1160, Étienne Belzom donne à titre de dot pour ses filles le moulin de la Peyre
dépendant de la grange de Couzou (1159). Le moulin est donc déjà construit et les moines
cisterciens en acquièrent simplement les droits. Entre 1164 et 1165, Pierre Aymeric de
Mandaval autorise l’établissement d’un moulin à la fontaine de Verve dépendant de la grange
de Couzou ainsi que la navigation en amont et en aval du moulin de la Peyre. En 1173, les
moines peuvent construire deux moulins dépendants de la grange de Baudran. Certaines
installations sont donc mises en œuvre directement par les moines blancs même si la majorité
semble ne correspondre qu’à l’acquisition de droits d’usage. En 1179, Pierre de Coursou de
Treignac cède l’usage du moulin de Sourdain, à la fois pour moudre le froment et fouler les
draps. Les moines jouissent également de l’étang et du moulin de Terrac acquis entre 1164 et
1188 et dépendant de la grange de la Serre 1008. La grange de Montredon dispose du moulin de
Rocha Bocheira, celle de la Serre de l’étang de Sourdain. Quant à la grange de Croisy, elle
bénéficie d’un moulin sur l’Etze1009. En Quercy, les moines d’Obazine disposent de nombreux
moulins sur l’Alzou et l’Ouysse [Fig. 97]. Ils sont construits de pied ferme avec des roues à
aubes horizontales, une digue ou payssière. La plupart ne sont toutefois pas construits
directement par les moines blancs : le moulin de Cabouy est acquis en 1330, construit par les
moines de Saint-Martin-de-Tulle. Caulet, acquis en 1279, est également l’œuvre des
Bénédictins de Tulle. Vers 1260, un accord est signé entre les abbés d’Obazine et de Tulle au
sujet des eaux et moulins de Caugnaguet, Caulet et Murat1010.
Les aménagements hydrauliques des moines du Palais consistent également à
l’utilisation d’une source dans le bois du Transet appelée Fontaine des Moines. Un moulin est
placé sur le cours du Taurion à quelques mètres en contrebas du site monastique, encore
conservé aujourd’hui1011.
À Bonnaigue, nous connaissons certains moulins par des actes de donation, mais
globalement le patrimoine du monastère reste méconnu [Fig. 95]. Ebles d’Ussel cède aux
1006
B. BARRIÈRE, « Étangs et hydraulique en Limousin… », op. cit., p. 157-187
B. BARRIÈRE, « Étangs et hydraulique en Limousin… », op. cit., p. 157-187.
1008
B. BARRIÈRE, L’abbaye cistercienne d’Obazine en Bas-Limousin…, op. cit, p. 174.
1009
B. BARRIÈRE, L’abbaye cistercienne d’Obazine en Bas-Limousin…, op. cit, p. 178.
1010
B. BARRIÈRE, Le cartulaire…, op. cit, p. 142, 162, 275, 350, 363 et 574 ; J. ROCACHER, Rocamadour et
son pèlerinage. Étude historique et archéologique, vol. I, Toulouse, 1979, p. 367-389.
1011
P. LOURADOUR, « L’abbaye du Palais-Notre-Dame », MSSNAC, T 36, 1966, p. 221-227.
1007
- 283 -
moines deux setiers de froment sur les moulins d’Ussel. En 1199, Robert d’Ussel donne à son
tour cinq setiers de froment sur les moulins d’Ussel et dix sous sur l’église de Saint-Fréjoux.
Il existe vraisemblablement un moulin dans l’enceinte même de l’abbaye, au sud-est de
l’abbatiale. Une chaussée ferme la vallée, constituant un réservoir alimenté par la Dozanne et
l’eau de l’étang de la Fage, comblé au XIXème siècle. Cette retenue d’eau est utilisée à la fois
comme vivier et pour l’alimentation d’un moulin disparu1012. Les moines de Bonnaigue ont
également acquis des droits sur le lac de Sarliève dans l’ancien diocèse de Clermont (paroisse
de Romagnat) dès 1198, accompagnés de la création de la grange de Bonneval occupant la
combe qui ouvre sur le lac au sud de Pérignat (attestée au milieu du XIIIème siècle). Ces
possessions permettent l’exploitation de roselières et de joncs, des activités de pêche et
d’agriculture comme le pacage du bétail et l’aménagement de jardins1013.
Les moines de Boschaud disposaient quant à eux des moulins de Laumède et de Chez
Nanot sur la Dronne munis de digues encore conservées, bien que révélatrices de constantes
modifications aux époques moderne et contemporaine1014.
À Peyrouse, si l’abbaye a presque entièrement disparue, des aménagements
hydrauliques sont encore perceptibles comme l’étang et sa digue en contrehaut du monastère,
ainsi que le moulin de la Scie, existant probablement depuis la fondation de l’abbaye. Un
vivier en « L » est alimenté grâce à une capture sur le ruisseau du Palem et sert de réserve de
poissons aux moines. Les moines cisterciens disposent du moulin de la Pauze sur la paroisse
de Celles, du moulin de Miou en amont du précédent sur la Dronne (moulin céréalier et
drapier) et d’un étang à Saint-Amand (paroisse de Milhac)1015. Le moulin de la Pauze (ou
Pause) est mieux connu grâce à des documents modernes. En effet, en 1761, un état des
réparations à faire dans les dépendances de Peyrouse fait état des chaussées et écluses du
moulin de la Pauze, percées de nombreuses brèches, nécessitant des « charettées de pierres
pour regarnir les écluses et les rétablir à hauteur suffisante »1016.
En 1212, Hugues de Lusignan demande à Robert, abbé de Grosbot et à son monastère,
de renoncer au moulin de Voreuil, écluse, île, vigne et pré et dépendances. Ils reçoivent en
1012
J-L. LEMAÎTRE, op. cit., p. 208.
G. FOURNIER, « Sarliève. Un lac au Moyen-Âge », Association du site de Gergovie, T 11, 1996, p. 2-34 ;
E. GRÉLOIS, “Les logiques concurrentes des populations riveraines des zones humides : rivières, lacs et marais
de Basse Auvergne d’après les sources écrites (XIIIème-XVIème siècles)” dans J. BURNOUF, P. LEVEAU,
Fleuves et marais, une histoire au croisement de la nature et de la culture. Sociétés préindustrielles et milieux
fluviaux, lacustres et palustres : pratiques sociales et hydrosystèmes, Paris, CTHS, 2004, p. 291-298. Lieu-dit
Bonneval conservé dans la toponymie actuelle. Voir IGN Série Bleue, 1/25000ème, 2531 E, Clermont-Ferrand.
1014
C. DESPORT, op. cit, p. 39-47.
1015
C. DESPORT, op. cit, p. 54.
1016
AD Dordogne, B 538, pièces 58 et 59.
1013
- 284 -
échange la remise des arriérages de rente sur ce moulin1017. En 1356, l’abbé Bernard II
accorde à Arnaud de Leygnau, Hugues Richard et Jean Maytal le droit de moudre leur blé au
moulin de l’abbé à Arsac, immédiatement après que le blé soit passé à la trémie et non pas
après 24 heures. Ils ne peuvent pas moudre leur blé dans un autre moulin1018. En 1476, un bail
à rente perpétuel concerne les quatre moulins de Font Palais au nord de l’abbaye. Ceux-ci sont
décrits en ruines. Sont évoqués le partage des droits de mouture, le paiement des droits, la
reconstruction des moulins et l’aliénation de l’étang. Le bailleur s’engage à fournir les
matériaux nécessaires pour la construction des murs, fondations et écluses et tous les bois qui
seront employés. En 1719, le prieur Claude de Nougaret demande à la famille Crose et à
Pierre Lassort de remettre en état l’étang de Grosbot et les canaux (biefs, évacuation). Il
réclame les arrérages de 29 ans sur le droit de pêche. En 1725, un procès-verbal est dressé
pour l’abbé de Grosbot. Des fossés d’irrigation gênent le fonctionnement des moulins :
« Claude de Nojaret cy devant prieur de ladite abbaye
auroit obtenu une sentance au juge presidial d’Angoumois
contre Pierre Lassort, marchand, en datte du dix huit
mars 1718 portant en outre que ledit lassort seroit tenu de
combler toutes les fosses et rigoles qu’il avoit fait dans les
prés sittues au dessus de Fons Palais, de nettoyer l’antien
canal afin de laisser couler et dessandre ladite eau
librement aux moulins de son palais dependant de ladite
abbaye (…) »1019
Les granges de l’abbaye d’Aubepierres sont fréquemment associées à un moulin. Ainsi
le cartulaire révèle l’existence d’un moulin à l’abbaye même (désormais nommé « Le Moulin
Neuf »), à Chibert (« Le Moulin Neuf », com. Glénic), Vaumoins (« le Moulin Noyé », com.
Glénic), Rebeyret (com. Roche) ainsi qu’à Lavauvieille (« Le Moulin Neuf » au bord de la
Petite Creuse, au sud de l’abbaye).
1020
. En 1247, Hélie de Ladapeyre renonce à tous les droits
qu’il pouvait avoir sur le moulin de Vaumoins sur la Creuse dépendant de la grange de
1017
M. LARIGAUDERIE, « Abbaye cistercienne Notre-Dame de Grosbot, Charente : recueil de textes (11211791) », BASEPRC, Angoulême, 1998, n° 8, p. 1-93, archives de l’évêché d’Angoulême.
1018
M. LARIGAUDERIE, « Abbaye cistercienne Notre-Dame de Grosbot… », op. cit., p. 1-93.
1019
M. LARIGAUDERIE, « Abbaye cistercienne Notre-Dame de Grosbot… », op. cit., p. 1-93. AD Charente, 2
E 29 69 ; 2 E 29 71.
1020
AD Creuse, H 147.
- 285 -
Chibert (Glénic)1021. Nous connaissons en particulier une transaction en 1324 à propos du
moulin de Chibert1022. Un acte de 1461 concerne un contrat d’acquisition du Moulin Gayet à
Aigurande par les seigneurs de Châteauroux (non localisé)1023.
L’abbaye des Pierres, fille d’Aubepierres, jouissait également de nombreux moulins.
D’après les sources manuscrites, nous savons que les moines des Pierres disposaient du
moulin de Chaumont sur l’Arnon, du moulin Portier et de la Phillipaude1024. Le moulin de
l’abbaye était utilisé pour le blanchissage du linge de même que le moulin des Paumes.
D’après le cartulaire d’Aubignac, les frères Porret, issus de l’aristocratie laïque, ont
cédé aux moines leurs droits de propriété sur le moulin de Malherbe où ils font moudre leurs
grains et fouler leurs draps1025. Dès 1194, Pierre Garnier, seigneur du Dognon donne une part
du moulin de la chapelle Saint Éloy aux moines cisterciens1026. En 1247, le testament de Pierre
de Brosse évoque les moulins de la Châtre et de la Pedière (près d’Azérables) que nous
n’avons toutefois pas pu identifier1027. C’est le même cas de figure pour le moulin de Rabois
vendu par Guillaume de Villenne en 1303, près d’Argenton1028.
À l’abbaye de la Colombe, un moulin à huile dont la meule servait à écraser les noix
existe encore en contrebas du monastère. Concernant les aménagements hydrauliques, il est
fait état d’un moulin à drap à Chaillac (moulin de « l’Eschimoult »), d’un moulin à grains à
La Varenne, du moulin du Pin à l’ouest de l’abbatiale, du moulin de Latus et du moulin à
huile de l’abbaye1029. Ils sont parfois éloignés des chefs-lieux des granges. En 1213, Guy de
Chaillac donne un moulin près de Chaillac, sans doute le moulin de l’Eschimoult1030. Le
moulin du Pin est donné par Guyot du Pin en 12181031. En 1255, une transaction avec les
religieux de Montmorillon concerne le moulin de Montgenoux1032. Au milieu du XIIIème
siècle, les paysans d’un village proche d’une grange de la Colombe détruisent l’écluse et la
chaussée de l’étang construit par les cisterciens car ils étaient préjudiciables à leurs prés1033.
1021
AD Creuse, H 172.
AD Creuse, H 147.
1023
AD Creuse, H 147.
1024
AD Cher, 10 H 4.
1025
AD Creuse, H 250.
1026
AD Creuse, H 234.
1027
AD Indre, H 976.
1028
AD Indre, H 977.
1029
J. PICAUD, op.cit, p. 114 ; D. GAUDON, « Histoire de l’abbaye de la Colombe », Revue du Centre, 1889,
T XI.
1030
AD Indre, H 726.
1031
AD Indre, H 725.
1032
AD Indre, H 728.
1033
AD Indre, H 728.
1022
- 286 -
L’abbaye de Varennes disposait d’un moulin dans l’enclos monastique, du moulin
Doué, du moulin des Mares (tous les deux sont situés au nord de Neuvy-Saint-Sépulchre) et
du moulin de Guéchaussiot, encore présents dans la toponymie actuelle. Dès 1210, le moulin
de Montlevic est cédé par le chapitre de Plaimpied aux cisterciens des Pierres. Le moulin de
l’abbaye est encore indiqué sur la carte IGN. De même, le toponyme « Les Paumes », témoin
du moulin du même nom est conservé au sud-ouest du monastère au bord de la Joyeuse. Nous
n’avons pu retrouver le moulin de Chaumont sur l’Arnon, ni le moulin Portier.
À Bonlieu, une donation de 1220 porte sur le moulin et l’aqueduc d’Aubeterre 1034.
Concernant les abbayes de Haute-Marche, les textes faisant état des productions sont surtout
les arrentements du XIVème siècle. Les moines de Bonlieu arrentent deux moulins en 1331,
l’un à blé, l’autre à « mailler », c’est-à-dire à broyer des tiges de chanvre. En 1414, deux
moulins, à blé et à foulon, sont cités à côté de l’étang d’Auge1035. Ces moulins sont plus acquis
que directement construits par les moines blancs. Ils proviennent de donations des seigneurs
ou de familles aristocratiques locales. Les moines bénéficient ainsi de techniques déjà
éprouvées par les laïcs. Il nous paraîtrait dès lors exagéré de les qualifier de « moines
hydrauliciens ». Leurs aménagements révèlent une certaine maîtrise technique, une mise en
œuvre soignée qui est le fruit de contacts et d’échanges avec les techniciens laïcs.
Quant à Prébenoît, les moines disposaient du moulin de l’abbaye, de la Côte, de
Naucher, de la Fontanelle, de la Porte et des Boissières. Tous n’ont pu être repérés dans la
toponymie ou peuvent apparaître sous des dénominations différentes. Ainsi, la carte de
Cassini révèle le « moulin des Côtes » au nord de Prébenoît, le moulin du Cluzeau (qui peut
être associé au moulin de Naucher des sources écrites) plus au nord-est et le « moulin de
Gourby » au sud-est sur la Petite Creuse. Ce dernier correspond vraisemblablement au moulin
des Boissières cité dans les actes médiévaux. Le « moulin de la Commanderie » au dessus de
Luyat prête à confusion. Il s’agit sans doute d’une installation des Hospitaliers de Viviers
implantés à quelques kilomètres au nord de Prébenoît. La proximité des deux communautés a
sans doute conduit à des conflits d’intérêt et à des prétentions communes sur les cours d’eau.
Le moulin de la Fontanelle est évoqué dans les textes dès la fin du XIIème siècle. En effet, en
1192 est fait mention de la donation d’un moulin en construction dans le mas de la Fontanelle.
Il n’a toutefois pas pu être cartographié. Le lieu-dit « la Barrière » au nord de l’abbaye
(parcelle n°351 du plan cadastral actuel) peut évoquer une ancienne digue placée sur l’Étang
Noir.
1034
1035
AD Creuse, H 284.
AD Creuse, H 240.
- 287 -
Outre ces aménagements de digues, étangs, biefs, viviers ou moulins, les moines
blancs peuvent également être amenés à assécher des marais (Saint-Léonard-des-Chaumes).
Ils jouent parfois un rôle dans la mise en valeur des étendues marécageuses. Les cisterciens de
Léoncel en particulier s’adonnent à la mise en valeur des « vèvres » qu’ils transforment en
prairies par l’ouverture de fossés d’assainissement. Ils drainent les terrains trop humides,
couverts de joncs et de roseaux et font peu à peu évoluer le saltus vers l’ager1036.
•
Autres activités préindustrielles et artisanales :
Concernant la métallurgie, les actes sont peu prolixes. Nous savons que certains
secteurs sont pourvus en fer et vont attirer la convoitise des moines tel le sud du bassin
sédimentaire de Brive [Fig. 98]. Obazine y fonde Baudran (com. Nespouls) et Dalon créée
Goudonnet (com. Chartrier-Ferrières). Les abbayes cisterciennes trouvent également du fer
sur les confins berrichons, d’où l’intérêt porté à ces zones par la Colombe, Aubepierres,
Aubignac et Prébenoît1037. Les monastères pouvaient disposer de forges hydrauliques ou
forestières. Rares sont les actes qui évoquent cette activité, exceptés pour la grange de
Bougnat en Berry relevant de l’abbaye de Bonlieu. Toutefois, de nombreux toponymes du
type les « Forges » aux abords des sites laissent présager une telle production. Nous le
rencontrons au sud-ouest d’Aubepierres, au sud-est d’Aubignac au bord du ruisseau de la
Planche, au nord-est de la Colombe sur l’Allemette et au nord de l’abbaye de Bonlieu sur la
Tardes. Concernant ces trois dernières abbayes, les toponymes sont directement placés à
proximité d’un cours d’eau, ce qui peut laisser présager l’installation d’une forge hydraulique
plutôt que forestière. D’autre part, les toponymes du type « camp romain » sont souvent
révélateurs d’exploitations métallifères. En effet, les fosses à ciel ouvert entourées de déblais
d’extractions du métal sont souvent confondues dans la tradition orale avec les remparts d’un
camp romain1038. Ainsi, le « camp de César » à Aubepierres pourrait révéler l’emplacement
d’une ancienne activité métallurgique. Ces forges pouvaient être acquises plus que
directement construites par les moines. C’est la cas notamment à Clairvaux : en 1157, Henri
Ier, comte de Troyes, notifie sa donation en franche aumône à l’abbaye de Clairvaux d’une
1036
G. PLAISANCE, « Les premiers cisterciens de Bourgogne ont-ils été des défricheurs ? », dans « Le premier
demi-siècle des cisterciens à Léoncel, 1137-1188 », Les Cahiers de Léoncel, Colloque d’août 1988, n°5, 1988, p.
30-39.
1037
B. BARRIÈRE, « Le Limousin des XIIème et XIIIème siècles : une région largement ouverte sur
l’extérieur », dans D. GABORIT-CHOPIN, E. TABURET-DELAHAYE (dir.), L’œuvre de Limoges : art et
histoire au temps des Plantagenêts : actes du colloque organisé au musée du Louvre en novembre 1995, Paris,
La Documentation Française, 1997, p. 165-202.
1038
J. M. DESBORDES, L’archéologie du paysage rural en Limousin, Limoges, 1997, p. 9.
- 288 -
forge de fer à Wassy avec les droits d’usage nécessaires. Cette pratique devait être également
courante dans les abbayes cisterciennes du diocèse de Limoges et de ses marges.
Des tuileries peuvent être parfois évoquées mais ces installations monastiques sont
globalement méconnues. Claude ANDRAULT-SCHMITT constate d’ailleurs que les tuileries
médiévales sont globalement peu connues en Limousin, peu évoquées des cartulaires1039.
Ainsi à Boeuil, le cadastre napoléonien signale trois parcelles « Des tuileries » à 300m des
bâtiments conventuels au sud de la route menant d’Oradour à Limoges. Une « argilière » est
d’ailleurs évoquée. Elles ne sont plus citées dans les textes à partir de 17431040. À Dalon, en
1790, un four à chaux et à tuiles est attesté 1041. Concernant Aubignac, la carte de Cassini
révèle la présence d’une tuilerie à l’est de la grange de Beauvais pouvant également relever
d’une industrie monastique. Le monastère des Pierres possédait une tuilerie et des vignes en
Bourbonnais1042.
Un toponyme « la tuilerie » près de Fédard à quelques kilomètres à l’ouest du
monastère correspond sans doute à l’industrie signalée dans les textes médiévaux.
•
Possessions urbaines :
Comme nous avons eu l’occasion de le remarquer précédemment, les abbayes se
dotent de maisons de ville leur permettant de prendre part aux marchés des bourgs
environnants et de stocker des denrées. Ainsi, Obazine dispose d’un grenier à Martel (com.
Bannières), centre de stockage établit entre le monastère et les granges du Quercy, et d’un
grenier à sel à Cognac, le long de la route menant de l’abbaye à ses possessions
charentaises1043. Entre 1145 et 1160, Itier III de Cognac donne aux moines d’Obazine un
emplacement dans cette ville pour y édifier un grenier à sel1044.
Le grenier de Martel est évoqué dans la Vie de saint Étienne d’Obazine :
« Dans un magasin près de Martel, nous entreposions les
récoltes provenant des granges situées au-delà de la
Dordogne (…).
1039
C. ANDRAULT-SCHMITT, « Tulle, ancienne abbaye Saint-Martin (actuelle cathédrale) », dans Monuments
de Corrèze, op. cit., p. 363-379.
1040
I. AUBRÉE, op. cit, p. 98.
1041
M. VAN MIEGHEM, L’abbaye cistercienne Notre-Dame de Dalon de 1790 à 1814, Clairvive, 1976, p. 15.
1042
AD Cher, 10 H 8. Nous savons que Pierre de la Chapelaude donne une vigne à Domérat près de la
Chapelaude dans l’Allier, à quelques kilomètres de Montluçon. AD Cher 10 H 4.
1043
B. BARRIÈRE, L’abbaye cistercienne d’Obazine en Bas-Limousin…, op. cit, p. 170. Voir I. D. 4. Un
isolement social impossible.
1044
B. BARRIÈRE, Le cartulaire…, op. cit, p. 195.
- 289 -
Près de Martel, dont nous avons déjà parlé se trouve une
maison hors des murs destinée à l’usage des frères
d’Obazine et utilement aménagée pour l’achat et la vente
des marchandises »1045.
L’abbaye détient également des entrepôts à Rocamadour, Brive et Angoulême. Les
moines de Boeuil disposent quant à eux de maisons à Saint-Junien, Limoges, Saint-Victurnien
et Montmorillon dans laquelle ville sont déjà installés des religieux de la Colombe, du Dorat,
de Saint-Martial de Limoges et de Grandmont1046. Quant à l’abbaye de Bonnaigue, nous
savons que Pierre de Comborn se donne à l’abbaye à la fin du XIIème siècle avec les maisons
qu’il possède à Ussel1047. Les moines de Peyrouse détiennent une maison rue du Cornador à
Périgueux, du four d’Armagnac près de l’hôtel de cette famille. Ils obtiennent également des
biens immobiliers dans l’enceinte de Puy-Saint-Front : une maison et un jardin dans le
quartier de Verdont, six maisons rue Neuve, six maisons dans le quartier de la Limogeanne,
deux maisons dans le quartier de Saint-Silain1048. En 1216, Guillaume de Chauvigny cède aux
moines d’Aubepierres le droit de s’installer dans une maison de Châteauroux1049. En 1246, un
acte de la même abbaye évoque la reconnaissance d’une rente sur une maison sise à
Argenton1050. La présence de nombreuses vignes et terres à Villers laisse également présager
l’existence d’une troisième maison. Les moines de Bonlieu détenant des vignobles sur les
coteaux au-dessus de Montluçon obtiennent logiquement une maison dans la cité, située dans
la rue de la Fontaine conduisant à l’église Notre-Dame1051. Concernant le monastère
d’Aubignac, nous disposons de plusieurs actes éclairants. En 1224, un homme est donné à
l’abbaye d’Aubignac qui doit résider dans une maison de l’abbaye située à Châteauroux. Il
devra être habillé différemment d’un laïc. S’il fait du commerce, il devra suivre les usages du
lieu à l’exemple des clunisiens de Déols déjà présents dans la cité 1052. Cette donation nous
permet d’envisager d’éventuels conflits entre les moines des différents ordres, une
concurrence certaine puisqu’ils commerçaient dans les mêmes bourgades berrichonnes. La
proximité des clunisiens de Déols ne devait pas faciliter les transactions cisterciennes. En
1204, Eudes de Déols, seigneur de Châteaumeillant, cède dans ce bourg un emplacement pour
1045
M. AUBRUN, op. cit., p. 147 et 151.
I. AUBRÉE, op. cit, p. 65.
1047
J-L. LEMAÎTRE, op. cit., p. 71.
1048
C. DESPORT, op. cit, p. 74.
1049
AD Creuse, H 166.
1050
AD Creuse, H 160.
1051
Elle est citée dans le terrier de 1492 comme la « maison de l’abbé de Bonlieu ». AD Allier, A 107.
1052
M. AUBRUN, « Les moines cisterciens et l’argent (…) », op. cit, p. 23-32 ; AD Creuse, H 233.
1046
- 290 -
bâtir une maison de ville aux moines de Prébenoît1053. Le terrier de 1621 fait également état
d’une maison, de deux moulins et de vignes à la Châtre1054. À Limoges est établie une maison
commune aux abbayes cisterciennes limousines1055.
•
Dîmes :
Les moines acceptent également très tôt la possession de dîmes et d’églises avec tous
les profits ecclésiastiques que cela représente, malgré les interdits de l’ordre souhaitant
marquer son antagonisme avec Cluny (statut de 1134 notamment). La dîme peut être définie
comme un prélèvement levé par l’Église – église diocésaine d’abord, puis églises paroissiales
– sur les revenus de l’agriculture et d’autres activités comme la pêche ou l’exploitation des
mines1056. Il semblerait que les moines aient accepté sans trop de réticence ces revenus. Nous
pouvons envisager qu’ils perçoivent des dîmes sur les exploitations paysannes pour empêcher
qu’une autre institution draine la production des paysans à son profit. L’abbaye reste ainsi
seul et unique propriétaire, seule puissance en pleine allodialité1057.
Dalon est fortement impliquée dans la perception de dîmes et de cens. Il semblerait
que l’ancienne fondation de Géraud de Sales soit moins impliquée qu’Obazine dans
l’acceptation des préceptes cisterciens. Les abbayes issues de l’érémitisme en disposent bien
souvent avant l’affiliation à Cîteaux et les conservent après. Toutefois, même des créations
directes acceptent ces revenus (Silvanès, Flaran, Berdoues)1058.
En 1180, Geoffroi Aimerie à Dalon donne tout ce qu’il possède dans les dîmes de
Lavaysse et de Puyredon1059. La même année, l’évêque de Limoges Sébrand arbitre un
différend entre Dalon et Saint-Martial de Limoges au sujet des dîmes de Coubjours 1060.
Aubepierres, pourtant création directe de l’ordre cistercien n’est pas étrangère à la perception
de dîmes, ce dès 11741061. En 1203, Raymond de Charrières donne la moitié de la dîme de ses
1053
AD Creuse, H 528.
AD Creuse, 10 F 235.
1055
P. LOY, J. ROGER, L’abbaye cistercienne de Prébenoît en Creuse, Limoges, 2003, p. 22.
1056
Dom A. DAVRIL, E. PALAZZO, La vie des moines au temps des grandes abbayes, Paris, Hachette, 2000, p.
267.
1057
M. MOUSNIER, « Les abbayes cisterciennes et leur rôle dans l’économie et la société méridionale aux
XIIème et XIIIème siècles », dans La grande aventure des cisterciens. Leur implantation en Midi-Pyrénées,
Actes du colloque de Belleperche, 1998, Montauban, 1999, p. 105-130.
1058
M. MOUSNIER, « Les abbayes cisterciennes et leur rôle dans l’économie… », op. cit, p. 105-130.
1059
L. GRILLON, Le cartulaire…, op. cit, fol. 197.
1060
L. GRILLON, Le cartulaire…, op. cit, fol. 749.
1061
B. BARRIÈRE, « L’économie cistercienne du sud-ouest de la France », Centre culturel de l’abbaye de
Flaran, Économie cistercienne. Géographie, mutations du Moyen-Âge aux temps modernes, 1981, Auch, 1983, p.
75-99.
1054
- 291 -
vignes aux moines du Palais-Notre-Dame pour la grange du Saillant1062. Bonnaigue perçoit les
dîmes sur les villages de Saint-Fréjoux, la Chabanne, Bigne, Mas-Girard, la Grange (par.
Saint-Bonnet), Dailhat, la Maison-Rouge (par. Veyrières) et Béchabru (par. SaintExupéry)1063. En 1214, Elie Bruschardi donne les dîmes de Piangaud aux moines de Boeuil.
En 1265, Pierre Bernard, chevalier de Saint-Paul, donne à l’abbaye de Boeuil tous ses droits
sur les dîmes de Piangaud1064. Quant au monastère féminin de Coyroux, il bénéficie des dîmes
et rentes détenus au titre des prieurés de Cornac et Albignac1065. Les moines de Peyrouse
disposent encore au XVIIIème siècle d’une partie des dîmes des églises de Saint-Saud, SaintJory de Chalais, Milhac-de-Nontron, Saint-Martin-de-Fressengeas, Saint-Romain, Vaunac et
Saint-Pantaly-d’Ans1066.
•
Chapelles et paroisses :
La possession d’une église par une communauté monastique bénédictine pose le
problème de la gestion spirituelle des fidèles. Les moines ne peuvent en principe assurer le
service des paroisses. Ils doivent en priorité s’occuper de la prière perpétuelle de leur
monastère. L’église est un ensemble de revenus destinés à subvenir aux besoins de son
titulaire. Pour Arlette MAQUET, « on peut donc dissocier l’exercice paroissial et la
possession du bénéfice ». Le titulaire du bénéfice peut se faire remplacer par un clerc payé.
Un laïc peut même percevoir les revenus du bénéfice. Néanmoins, les cisterciens refusent de
prime abord le soin des paroisses dans un esprit de réforme1067. Toutefois, malgré ces
interdictions de l’ordre, les moines possèdent parfois des églises, voire des paroisses entières.
Vers 1185-1186, Obazine reçoit en Quercy une église et toute sa paroisse à Saint-Médard-deChauzenéjoul1068. En 1345, les frères d’Étienne adressent une supplique au Pape Clément VI
sollicitant le rattachement de l’église de Cressensac de telle sorte que la totalité des revenus de
celle-ci puissent être affectés à l’augmentation des pensions du monastère de Coyroux. La
grange de Baudran étant limitrophe de cette paroisse, les moines d’Obazine en auraient retiré
un bénéfice indéniable. Toutefois, le Pape refuse de satisfaire cette requête. Les difficultés
1062
J. CIBOT, Le cartulaire de l’abbaye du Palais-Notre-Dame (XIIème-XIIIème siècles), DES, Poitiers, 1961,
fol. 96.
1063
M. LAVEYX, « L’abbaye de Bonnaigue », BSSHAC, T 16, 1894, p. 536-557.
1064
AD Haute-Vienne, 13 H 30.
1065
B. BARRIÈRE, « Les problèmes économiques d’une communauté cistercienne double : le cas
d’Obazine/Coyroux (XIIème-XVIIIèle siècles) », Annales du Midi, T 102, 1990, p. 149-159.
1066
AD Dordogne, B 701, pièce 79, 1779.
1067
A. MAQUET, Cluny en Auvergne. 910-1156, thèse, dir. Michel PARISSE, Paris I, 2006, vol. I, p. 265.
1068
B. BARRIÈRE, L’abbaye cistercienne d’Obazine en Bas-Limousin, les origines- le patrimoine, Tulle, 1977,
p. 146.
- 292 -
financières de la communauté double sont ainsi tangibles et les poussent à transgresser les
statuts de l’ordre1069.
L’abbaye de Peyrouse possède le prieuré de Notre-Dame de la Garde à Périgueux,
fondé en 12651070. Quant au monastère de Boschaud, il dispose de l’église Saint-Pierre-deFrugie, d’après Jean-Alcide CARLES1071. Grosbot dispose d’une chapelle à Puymerle en
Aussac, une autre à Biée en Souffrignac et des églises Notre-Dame de l’Assomption
d’Obesine et Notre-Dame de Broliac en Beaussac (diocèse de Périgueux) 1072. C’est en 1155
que l’abbé Guillaume Ier reçoit l’église Saint-Pierre de Souffrignac d’Hugues Tizon, évêque
d’Angoulême. Cette donation est confirmée en 1177 par Pierre de Lomond1073. Ainsi, l’abbaye
de Prébenoît détient une chapelle à Sainte-Sévère. Quant aux moines de la Colombe, ils ont
sous leur dépendance la chapelle Sainte-Marguerite de Bordessoulle et Sainte-Madeleine de
Gué-Rossignol en Basse-Marche1074. Dès le milieu du XIIème siècle, les règlements de l’ordre
sont déjà remis en cause, d’autant plus par des communautés affiliées tardivement qui peinent
peut-être à s’adapter à tous les statuts cisterciens1075.
Les moines cisterciens acquièrent ainsi des biens divers leur permettant des activités
complémentaires assurant la plupart du temps leur autarcie. Ils investissent dans l’agriculture,
l’élevage, l’hydraulique, mais développent également des granges spécialisées notamment
dans la production du sel qui permettent une ouverture vers les régions saintongeaises. Ils
gèrent leur patrimoine comme de bons entrepreneurs, en cadets de famille habitués à la prise
en charge de vastes domaines. Toutefois, chaque abbaye ne dispose pas du même potentiel et
certains moines ne peuvent prétendre à la même volonté d’expansion et de rayonnement sur
un large territoire comme les frères d’Étienne d’Obazine ou les moines de Dalon. Reste donc
à préciser la géographie des possessions de chaque abbaye, son emprise sur un territoire plus
ou moins important selon les sites.
4. Géographie de possessions :
1069
B. BARRIÈRE, « Les problèmes économiques d’une communauté cistercienne double : le cas
d’Obazine/Coyroux (XIIème-XVIIIèle siècles) », Annales du Midi, T 102, 1990, p. 149-159.
1070
C. DESPORT, op. cit., p. 84.
1071
J-A. CARLES, Les titulaires et les patrons du diocèse de Périgueux-Sarlat, éditions du Roc-de-Bourzac,
Bayac, 1884 (réédition 1986), p. 224.
1072
A. MONDON, op. cit., p. 447-502
1073
J. COUSSY, Occupation du sol aux confines de l’Angoumois et du Périgord (époque médiévale), mémoire de
maîtrise d’histoire médiévale, dir. B. BARRIÈRE, 1999, vol. 1, p. 35.
1074
D. GAUDON, « Histoire de l’abbaye de la Colombe », RC, 1889, T XI, p. 165-175.
1075
A. MONDON, op. cit.
- 293 -
L’abbaye de Dalon est l’une des mieux dotée des abbayes cisterciennes soumises à
cette étude [Fig. 81]. Une carte établie par Louis GRILLON en 1964 permet de cerner
parfaitement l’extension du patrimoine du monastère sur un large domaine 1076. Les granges se
dispersent dans un rayon de 30 kms autour de l’abbaye, majoritairement dans les diocèses de
Limoges et de Périgueux, les plus éloignées étant Jeu à une soixantaine de kilomètres au nordest du site, et Tauriac au sud-est. Onze granges sont situées dans la vicomté de Limoges, deux
dans celle de Comborn, trois dans la vicomté de Turenne. Montignac est dans le comté du
Périgord, Chalaumand dans le domaine des Flamenc, la Colre dans le comté d’Angoulême.
Quant au prieuré des Touches, il appartient au domaine du roi d’Angleterre. Les biens
s’étendent à la fois à l’est et à l’ouest du monastère, plus timidement au nord de celui-ci. En
effet, ces zones plus septentrionales se rapprochant du centre épiscopal de Limoges et des
possessions d’Aureil, de l’Artige et de Grandmont devaient se révéler moins intéressants pour
les moines blancs. La grange la plus éloignée est bien sûr le « prieuré » des Touches en
Charente à une trentaine de kilomètres de Saintes. Elle se situe à plus de cent quatre-vingt
kilomètres de Dalon. Les statuts de l’ordre de Cîteaux interdisant la possession de granges
éloignées de plus de trente kilomètres sont ainsi loin d’être respectés à la lettre. Les intérêts
commerciaux et économiques semblent parfois primer sur les recommandations de l’ordre. Il
ne faut pas oublier que Dalon ne s’affilie que tardivement à Cîteaux, en 1162, qu’une grande
partie de son patrimoine est déjà constituée et qu’elle a sans doute connu des difficultés à
s’adapter (ou qu’elle n’a pas souhaité s’adapter ?) à certains préceptes de l’ordre.
L’abbaye d’Obazine dispose également d’un territoire très étendu avec ses vingt-cinq
granges constituant un réseau économique assez complet auquel elle associe ses abbayes-filles
[Fig. 82]. La majorité de ses possessions s’étendent au sud de l’abbaye dans la région de
Rocamadour, dans un rayon de cinquante kilomètres, dans une région de Causse
apparemment quelque peu désertifiée, mise en valeur par les moines en réponse aux besoins
des pèlerins. Ceux-ci mettent en place un réseau serré de granges et de moulins afin d’assurer
l’essentiel des besoins alimentaires du pèlerinage de Rocamadour, avec le soutien des moines
bénédictins de Tulle1077. Elle dispose également au nord d’un certain nombre de granges
comme la Montagne et la Serre. À l’est, dans les monts du Cantal à 1300m d’altitude, la
grange de Graule est spécialisée dans l’élevage bovin laitier, de même que la grange de Brocq
dépendant de l’abbaye de Valette. Obazine détient également la grange de La Morinière et ses
marais salants sur l’Ile d’Oléron et là encore, comme Dalon, ne respecte guère les préceptes
1076
Carte réactualisée dans B. BARRIÈRE (dir.), Moines en Limousin, l’aventure cistercienne, PULIM,
Limoges, 1998, p. 99.
1077
B. BARRIÈRE (dir.), op. cit, p. 107.
- 294 -
de l’ordre de Cîteaux. La route menant d’Obazine en Saintonge est jalonnée de possessions
monastiques, parsemant une route commerciale par l’intermédiaire d’entrepôts urbains
(Cognac) ou d’abbayes-filles telles Grosbot ou la Frénade.
Les possessions de l’abbaye du Palais-Notre-Dame sont beaucoup moins étendues et
sur ses neuf granges, six sont implantées dans un rayon de quatre kilomètres autour de
l’abbaye [Fig. 83]. La grange de Beaumont est un peu plus éloignée, au sud de Pontarion, de
même que Langladure au sud-ouest de Bourganeuf. Seule la grange viticole de Saillant, sur la
commune de Voutezac, est située à cent kilomètres du monastère. Ce sont bien des intérêts
économiques et commerciaux qui poussent les moines à se doter de granges plus éloignées,
quelque soit les recommandations de l’ordre.
Les possessions des moines de Boeuil sont concentrées le long de la Vienne et de la
Glane, dans un rayon de 15 kms autour de l’abbaye [Fig. 84]. Nous pouvons constater que
l’extension des terres est manifeste vers l’ouest tandis que les possessions sont beaucoup plus
timides à l’est, sans doute du fait de la proximité du centre épiscopal et des nombreuses
fondations à vocation érémitique qui l’entourent (Aureil, l’Artige, Grandmont)1078. La
géographie des biens des moines blancs dépendent de la disponibilité de terres laissées libres
par les autres religieux et les cisterciens doivent s’insérer dans un maillage de possessions
déjà serré en cette seconde moitié du XIIème siècle. C’est pourquoi ils privilégient
majoritairement les zones marginales, excepté Boeuil proche du siège épiscopal et qui peine à
étendre ses possessions. Abbaye modeste, elle ne dispose que de peu de granges plutôt
tournées vers le Poitou. Son développement semble avoir été freiné par la proximité des
moines de Grandmont, des chanoines de l’Aureil et de l’Artige bien implantés dans ces
paysages.
Quant aux petites abbayes aux marges des diocèses de Limoges, Bourges et Clermont,
nous pouvons remarquer que leurs modestes possessions demeurent dans un rayon restreint
d’une quinzaine de kilomètres environ autour de l’abbaye [Fig. 93]. Les monastères
d’Aubepierres et Prébenoît notamment acquièrent des vignes en Berry dont les terres sont plus
propices à ce type de culture. Elles sont maintenues dans une certaine précarité. C’est le cas
aussi d’Aubignac qui possède des vignes sur les coteaux de la vallée de la Creuse près
d’Argenton et de l’Indre à Châteauroux [Fig. 90].
Les cisterciens de Haute-Marche obtiennent ainsi très souvent des vignes sur les terres
berrichonnes tandis que les moines du Boischaut se tournent parfois vers le Poitou telle
l’abbaye de la Colombe qui dispose de granges et de vignes à Montmorillon et la Roche1078
I. AUBRÉE, op. cit., p. 56.
- 295 -
Posay à l’ouest de son site d’implantation [Fig. 91]. La recherche systématique de bonnes
terres cultivables peut conduire les monastères à étendre considérablement leurs territoires.
Cette expansion est permise par les donations des seigneurs laïcs qui trouvent sans doute un
intérêt dans la mise en valeur des terres concédées.
Seule l’abbaye de Bonlieu se distingue avec treize granges relativement proches de
l’abbaye. Les moines disposent néanmoins d’une grange en Berry à plus de trente kilomètres
au nord de l’abbaye. Le domaine de Bougnat est en effet situé sur la commune de SaintMarien, au nord de Boussac, et s’est spécialisée dans l’exploitation du fer. Bonlieu détient
également deux granges plus éloignées, La Croze et Aubeterre à quelques kilomètres à l’ouest
de Montluçon [Fig. 88].
- 296 -
c. Vers l’entreprise (XIIIème-XIVème siècles) :
C’est probablement en grande partie en réaction aux moines noirs, et plus
particulièrement aux clunisiens, véritables rentiers du sol, que les cisterciens ont ardemment
désiré renoncer au faire-valoir indirect et au fermage dans les premiers temps de l’ordre. Ils
refusent catégoriquement tout revenu qui n’est pas directement issu du travail de leurs mains,
comme les dîmes. Malgré cela, la réussite de l’ordre est assurée par l’apparition d’un corps de
convers, main d’œuvre gratuite désireuse de gagner sa place au Paradis. Ceux-ci sont
majoritairement recrutés dans la classe moyenne et particulièrement dans la paysannerie.
Ceux-ci permettent l’exploitation des terres sans avoir recours au fermage et à des tenanciers.
1. Le faire-valoir indirect. Vers une économie de surplus :
Les moines ne devaient en effet s’adonner qu’aux travaux ne les éloignant guère du
sanctuaire. Ils sont tenus à respecter les horaires des offices et par là même ne peuvent
travailler dans les granges trop éloignées de leur abbaye. Ces convers sont introduits dans
l’ordre cistercien dès les années 1100-1101. Il ne s’agit pas d’une innovation puisque déjà des
convers existent en 1012 chez les Camaldules de saint Romuald1079.
Les convers ne sont pas astreints à une ascèse aussi rigoureuse que les moines et ne
suivent pas l’ensemble des offices liturgiques. Ils sont d’abord reçus au monastère comme
novices où ils sont instruits de leurs tâches dans la communauté. Ce sont des laïcs au service
des moines de chœur, chargés des travaux d’aménagements des sites choisis, de la
construction des barrages, du creusement de biefs, de la création de chemins et de
défrichements ponctuels. Selon James DONNELLY, « the original Cistercian economy would
have been impossible without the lay brothers ». Ils jouent un rôle clé dans le développement
économique rapide des cisterciens1080.
Les usages liés aux frères convers sont codifiés dans les Usus Conversorum
probablement rédigés vers 1120. Ce premier texte est constamment remanié et amélioré pour
aboutir à une version plus complète en 1183. En 1202 est rédigé le De conversis combinant
les statuts du Chapitre Général relatifs aux convers. Pour Chrysogonus WADDELL,
l’institution des frères convers est née d’une volonté d’associer plus étroitement les laïcs à la
communauté monastique. L’intégration dans le corps des convers est une solution pour les
laïcs de se consacrer à Dieu sans devenir moine ou clerc. Le terme conversus symbolise le
changement de vie par l’entrée dans une vie religieuse institutionnalisée, à ne pas confondre
1079
J. S. DONNELLY, The Decline of the Medieval Cistercian Laybrotherhood, Fordham University Press, New
York, 1949, P. 62.
1080
J. S. DONNELLY, op. cit., p. 62.
- 297 -
avec le conversus clunisien, moine entrant dans la vie monastique en tant qu’adulte1081. En
échange d’une place au sein du monastère, ces paysans souvent issus des paroisses
environnantes transfèrent les droits héréditaires attachés à leurs biens à la communauté. La
majorité de ces frères convers est assignée à une grange particulière, parfois éloignée du
monastère. Les Usus conversorum définissent les offices des convers travaillant dans ces
exploitations agricoles. Ils s’adonnent à la prière de la même manière que les moines de
chœur, reçoivent la communion douze fois par an, soit auprès de leur monastère de
rattachement, soit dans toute autre communauté religieuse proche si la grange est
géographiquement trop éloignée de l’abbaye-mère. Ils sont tenus d’observer le silence en
travaillant, de même au réfectoire et au dortoir. Les livres leur sont interdits, ils doivent donc
apprendre leurs prières par cœur. Comme les moines, un noviciat est obligatoire durant une
année à l’entrée dans la communauté religieuse. Ils renoncent alors à leurs possessions. Ils
sont soumis au même régime alimentaire que les moines, excepté pour le pain en plus grande
quantité et l’eau remplaçant le vin. Au réfectoire, il n’y a pas de lectures comme pour les
repas des moines de chœur, les convers ne comprenant pas le latin. Ils prennent donc leurs
repas en silence. Ils assistent aux chapitres des moines lors d’importants jours liturgiques.
Lors de fêtes importantes, ils sont présents aux offices dans l’abbatiale. Le chœur des convers
est normalement séparé du chœur des moines par un pulpitum le plus souvent en pierre (aucun
exemple n’est toutefois attesté en Limousin, excepté pour la séparation de la nef de Coyroux
entre les moniales et l’officiant1082).
Leur vocation tient peut-être à une aspiration pour le salut spirituel, à leur conviction
que le travail en toute humilité est une voie pour atteindre le seigneur. Le Petit Exorde de
Cîteaux explique ainsi le recours à cette main d’œuvre particulière :
« (…) ils convinrent de prendre des terres éloignées de
toute habitation, des vignes, des prairies, des forêts, des
cours d’eau pour y placer des moulins au service du
monastère et pour pêcher. Ils nourriraient des chevaux et
d’autres
animaux
domestiques
pour
servir
aux
exploitations et aux autres nécessités de la vie. Ayant
établi des granges au service de l’agriculture, ils
décidèrent qu’elles seraient confiées aux convers plutôt
1081
C. WADDELL, Cistercian Lay Brothers. Twelfth-Century usages with related texts, Studia et Documenta,
vol. X, Cîteaux : Commentarii cistercienses, 2000, p. 52.
1082
C. WADDELL, op. cit., p. 198.
- 298 -
qu’aux religieux, car la sainte règle dit : l’habitation du
moine, c’est le cloître.
(…) Ils décidèrent qu’ils recevraient, avec la permission
de leur évêque, des laïques convers portant la barbe, et
qu’ils les traiteraient en tout comme eux-mêmes durant
leur vie et à leur mort, à l’exception du monachat. Ils
emploieraient aussi des mercenaires. Les moines ne
pensaient pas pouvoir sans leur soutien observer
pleinement le jour et de nuit les préceptes de la Règle.»1083
La Vie d’Étienne d’Obazine évoque la présence de frères convers dès 1142, avant
même l’affiliation à Cîteaux cinq ans plus tard :
« (…) le vénérable Père Étienne fut fait moine par un
abbé qui était venu avec l’évêque. Aussitôt après, promu
abbé et béni par l’évêque, il bénit comme moines tous les
frères de son monastère qui étaient clercs, et il décida que
les autres garderaient leur ancien état. Après cela,
précédés de l’évêque et du clergé, le nouvel abbé et les
nouveaux moines, ainsi que les frères lais (…) firent la
procession des Rameaux (…) »1084
À Coyroux, les moniales étaient accompagnées de converses chargées de la majorité
des tâches manuelles. Dans une de ses lettres à Héloïse, Abélard évoque notamment les
converses du Paraclet en ces termes :
« Quant aux converses, qui ont renoncé au monde pour se
vouer au quotidien des moniales, elles occuperont parmi
les soldates à pied un rang subalterne, puisqu’elles
portent en quelque sorte un saint habit, mais qui n’est pas
l’habit monastique »1085
1083
Cité par G. DUBY, Saint Bernard, l’art cistercien, Paris, 1976, p. 93.
M. AUBRUN, Vie de Saint Étienne d’Obazine, Institut d’Études du Massif Central, Clermont-Ferrand, 1970,
p. 97.
1085
Lettres d’Abélard et Héloïse, trad. E. HICKS, T. MOREAU, « Lettres Gothiques », Paris, 2007, p. 411.
1084
- 299 -
Description qui pourrait tout aussi bien convenir aux moniales de Coyroux.
En 1147, un des convers de Grosbot est appelé Hugues de Confolens, ce qui confirme
l’idée d’un recrutement régional. Ces frères lais, non revêtu de la cléricature, n’ont pas reçu la
bénédiction monastique. Quelques pages plus loin, le moine cite le procureur du monastère,
chargé du soin des affaires concernant l’extérieur. Il doit pourvoir aux nécessités des moniales
de Coyroux et rassemble les provisions entre les deux portes du monastère féminin1086.
Les frères convers sont attestés dans les abbayes cisterciennes du diocèse de Limoges
et de ses marges dans les statuts des Chapitres Généraux notamment. Dès 1192, un statut
concerne les convers de l’abbaye de Prébenoît. Quant aux convers de l’abbaye des Pierres, ils
sont cités en 1207 lors d’une révolte contre leur abbé (« manu armata occurrerunt abbatibus
venientibus ad Capitulum »). En 1232, il est question de frères lais à Aubepierres 1087. En 1247,
les convers de Boschaud ont rudoyé leur abbé, dérobé son sceau. L’abbé de Clairvaux est
alors chargé de faire l’enquête1088. En 1278, une rixe est signalée entre les moines et les
convers d’Obazine.
Il semblerait ainsi que les convers soient encore présents jusque dans la seconde
moitié du XIIIème siècle dans certaines abbayes du diocèse de Limoges1089.
Toutefois, dès 1208, le Chapitre Général de l’Ordre autorise les abbayes à louer à des
séculiers les terres les moins utiles, attestant ainsi des premières difficultés de l’ordre à
recruter des convers, ce dès le début du XIIIème siècle pour certains monastères. Le premier
pas est ainsi franchi vers le faire-valoir indirect1090. Cette évolution sensible au début du
XIIIème siècle se caractérise par l’apparition des dîmes qui augmentent considérablement le
patrimoine. La perception de dîmes commence même parfois dès la seconde moitié du
XIIème siècle comme nous avons pu le constater pour certaines abbayes du diocèse de
Limoges1091. Ces acquisitions foncières permettent à l’abbaye de maintenir son patrimoine
dans un contexte difficile où les donations en pure aumône se tarissent pour bon nombre
1086
M. AUBRUN, op. cit., p. 101.
J-M. CANIVEZ, op. cit, T I, 1192-53 ; 1207-61 ; T II, 1232-24.
1
1088
L. GRILLON, M. LEGENDRE, J. SECRET, L’abbaye de Boschaud. Le Château de Puyguilhem. L’église de
Villars, Périgueux, 1957, p. 5-24.
1089
J-M. CANIVEZ, op. cit, T III, 1278-13.
1090
C. HIGOUNET, La grange de Vaulerent. Structure et exploitation d’un terroir cistercien de la plaine de
France, XIIème-XVème siècles, SEVPEN, Paris, 1965, p. 42.
1091
Voir I. D. b.
1087
- 300 -
d’établissements1092. Selon Constance Brittain BOUCHARD, le XIIème siècle est ainsi
souvent caractérisé comme le passage d’une « gift economy » à une « profit economy »,
mêmes si les dons ne s’arrêtent pas complètement chez les moines blancs1093.
Cette économie de profit n’est pas forcément vue d’un œil bienveillant par les auteurs
cisterciens contemporains. Dès le XIIème siècle, Isaac de l’ÉTOILE s’insurge contre cette
volonté d’acquérir de plus en plus de terres et de biens, conduisant souvent à des conflits
inévitables avec d’autres communautés religieuses. Dans son trente-septième sermon, il
compare les moines à des mendiants se battant pour une « grossière jonchée » :
« Est-ce là autre chose, dites-moi, que les rivalités, les
jalousies, les procès entre les hommes religieux et
spécialement les moines de notre temps, pour des terres,
des forêts, des pâturages, des troupeaux ? Ils n’ont jamais
assez de terres pour les hommes, assez d’hommes pour les
terres, assez de pâturages pour les troupeaux, assez de
troupeaux pour les pâturages. »1094
Le 19 juillet 1214, le pape Innocent III condamne également ces modifications
économiques et spirituelles dans l’ordre cistercien. Il adresse aux abbés une lettre sévère au
sujet de comportements à l’encontre des idéaux de l’ordre comme l’acceptation des dîmes.
« (…) vous vous êtes relâchés à tel point que – sauf
réforme rétablissant au plus vite le statut légal – on peut
craindre la disparition prochaine de votre ordre auquel
beaucoup refusent maintenant la révérence accoutumée.
Nous prions donc instamment Votre dévotion et lui
conseillons d’apporter remède, par vous-même et sans
retard, à ces maux et à d’autres qui offusquent la pureté
de votre ordre, afin que nous ne nous trouvions pas, lors
1092
M. GARRIGUES, Le premier cartulaire de l’abbaye cistercienne de Pontigny, Paris, 1981, p. 31.
C. B. BOUCHARD, Holy Entrepreneurs. Cistercians, Knights, and economic exchange in Twelfth-Century
Burgundy, Cornell University Press, 1991, p. 67.
1094
Isaac de l’ÉTOILE, Sermons, T II, trad. A. HOSTE, G. SALET, G. RACITI, Sources Chrétiennes n°207,
Paris, Cerf, 1974, p. 299.
1093
- 301 -
du
prochain
concile
général,
dans
l’obligation
d’intervenir. »1095
Au XIIIème siècle, on ne vend plus désormais simplement pour pouvoir acheter ce que
l’on ne peut produire mais on vend pour les profits qui en découlent. Les moines se doivent en
effet de penser à des constructions nouvelles, à des reconstructions, à l’acquisition de terres
afin de donner une plus grande cohérence aux terroirs issus des donations pieuses souvent
dispersées. Ils doivent s’occuper de l’amélioration des équipements existants, de l’entretien
des moulins, étangs et chemins. Les monastères s’apparentent ainsi à de véritables
« entreprises » et les moines blancs deviennent des rentiers du sol, des entrepreneurs de
travaux1096.
Souvent, ce glissement vers le faire-valoir indirect est compris comme les prémices
d’une décadence et l’ordre de Cîteaux est inscrit dans une logique chronologique où se
succèdent débuts prometteurs, apogée et déclin. Néanmoins, pour Michel PARISSE, cette
évolution est bien au contraire synonyme de dynamisme et révèle la capacité de l’ordre à
s’adapter aux nécessités de la vie quotidienne et aux mutations du contexte politique et
social1097.
En effet, dans le faire-valoir direct, l’emploi d’une main d’œuvre gratuite assure une
gestion bénéficiaire mais la disparition progressive des convers entraîne immanquablement la
nécessité d’une nouvelle gestion à laquelle les cisterciens, en bons entrepreneurs, vont se
plier. Les convers sont remplacés par des ouvriers salariés qu’il faut rémunérer, d’où un
bouleversement dans l’économie des abbayes cisterciennes. Ainsi, au XIVème siècle,
l’abbaye de Clairvaux emploie plus de 600 ouvriers mercenaires. Dès 1209, l’abbé
d’Aubignac est sanctionné par le Chapitre Général pour avoir employé des serviteurs
rémunérés1098.
Toutefois, pour James DONNELLY, la diminution du nombre de convers serait une
conséquence des mutations économiques et non une cause. Les changements économiques de
l’ordre avec l’apparition des dîmes notamment, ainsi que la difficulté à contrôler des convers
souvent turbulents et enclins aux problèmes disciplinaires auraient conduit à leur progressif
1095
R. FOREVILLE, Latran I, II, III et Latran IV, Paris, 1965, p. 332-333.
B. BARRIÈRE, « La place des monastères cisterciens dans le paysage rural des XIIème et XIIIème siècles »,
dans l’ouvrage collectif Moines et monastères dans les sociétés de rite grec et latin, Genève, 1996, p. 191-207.
1097
M. PARISSE, « Conclusions » dans Unanimité et diversités cisterciennes,filiations, réseaux, relectures du
XIIème au XVIème siècles, Actes du colloque international du CERCOR, Dijon, 1996, Saint-Etienne, 2000, p.
703.
1098
J-M. CANIVEZ, op. cit., T I 364-365.
1096
- 302 -
remplacement par des salariés. En effet, les statuts des Chapitres Généraux ont révélé un
certain nombre de révoltes dues aux convers, pouvant s’expliquer par la sévérité de leur mode
de vie pouvant entraîner des incompréhensions et des soulèvements violents 1099. Il est
toutefois difficile d’étayer cette hypothèse à l’échelle du diocèse de Limoges face aux lacunes
des sources où les frères convers ne sont qu’épisodiquement cités.
Cette diminution du nombre de convers pourrait sans doute s’expliquer en partie par la
montée en puissance des ordres mendiants, prêchant directement dans les bourgs et dont le
dynamisme, l’esprit d’ascèse et de piété évangélique a su séduire les populations. Pour
Christophe WISSENBERG, cette « crise » du recrutement peut se justifier par un « exode »
vers les principaux marchés en pleine expansion au XIIIème siècle, par l’attirance des
nouveaux ordres mendiants qui occupent les villes volontairement évitées par les moines
blancs ainsi que par les conflits fréquents entre moines et convers, ces derniers se pliant de
plus en plus mal à un statut « inférieur » et à une vie plus rude que celle des moines de
chœur1100.
En effet, Robert FAVREAU notamment constate que durant le XIIIème siècle, les
ordres monastiques dits contemplatifs, comme les cisterciens, apparaissent « inadaptés » face
aux besoins nouveaux induits par le développement constant des villes. Installés au saltus, ils
ne s’occupent guère de la direction spirituelle du peuple des villes, à la différence des ordres
mendiants. Ainsi, les frères pêcheurs, qu’ils soient dominicains, franciscains, augustins,
carmélites ou cordeliers vont être particulièrement bien accueillis par les seigneurs et les
simples fidèles, mais beaucoup moins par les ordres traditionnels et curés qui y voient une
concurrence. Les cisterciens vont d’ailleurs faire les frais de cette concurrence et voir la
diminution progressive de leur corps de convers. La spiritualité des mendiants semble mieux
adaptée aux appels du temps et aux mutations du XIIIème siècle. Proches du peuple, ils vivent
au sein même des bourgs et se sentent ainsi plus assurés d’y trouver leur subsistance. Dès la
fin du XIIIème siècle, la ville de Limoges accueille quatre ordres mendiants. En 1224, elle
avait été rattachée à une des huit provinces majeures de l’ordre, celle de Provence1101.
Les moines blancs ont néanmoins su s’adapter aux nouvelles difficultés et ainsi assurer
le maintien de l’ordre dans un contexte économique et politique plutôt complexe. Ils se
1099
J. DONNELLY, op. cit., p. 65.
C. WISSENBERG, Entre Champagne et Bourgogne, op. cit., p. 129.
1101
R. FAVREAU, « Les ordres mendiants dans le Centre-Ouest au XIIIème siècle », MSAOMP, T XIV, 4ème
série, Poitiers, 1977, p. 9-36.
1100
- 303 -
doivent de s’insérer progressivement dans le monde et s’y insinuent par la détention d’églises,
d’immeubles (moulins), de rentes, d’hommes et d’inhumations laïques à l’intérieur du
monastère. Ce passage au faire-valoir indirect révèle donc un décalage nécessaire entre l’idéal
primitif établi dans les premiers textes de l’ordre et la réalité de la vie monastique. Le
Chapitre Général semble reconnaître peu à peu ces nécessités comme en témoignent certains
statuts1102. Celui de 1274 énonce :
« Puisque dans le moment présent, l’Ordre souffre d’une
grande pénurie de convers, et puisqu’il faut réserver aux
convers les affaires les plus importantes et les plus
honorables, le Chapitre Général autorise ceux qui, parmi
les cuisiniers, le souhaiteraient, à se faire aider par des
laïcs, irréprochables, de bonne réputation et d’honnête
fréquentation ».
Ainsi, le recours à une main d’œuvre salariée laïque n’est plus proscrite et montre bien
la faculté d’adaptation de l’ordre et de ses institutions aux réalités économiques. Dès la fin du
XIIème siècle, cette main d’œuvre salariée prend de l’importance. Les convers sont de plus en
plus fréquemment épaulés par des serviteurs et des salariés. Mais c’est surtout dans la seconde
moitié du XIIIème siècle que la pénurie des frères convers se fait sentir avec le plus d’acuité.
De même en 1315, le Chapitre Général admet :
« (…) que des bonnes terres et possessions puissent être
confiées à des laïcs à vie ou à ferme perpétuelle, si
l’utilité d’une telle location est manifeste. »
Le fermage est ainsi accepté et les pratiques courantes depuis la fin du XIIème siècle
deviennent enfin officielles1103. Ainsi, les moines se livrent rapidement aux arrentements et
albergements. Arrenter signifie donner à ferme, moyennant le paiement d’une rente et selon
des conditions variables, un domaine entier, voire un ensemble de domaines à un individu, la
plupart du temps laïc, qui s’engage à en assumer la gestion pour une durée généralement
1102
R. LOCATELLI, Sur les chemins de la perfection. Moines et chanoines dans le diocèse de Besançon vers
1060-1220, CERCOR, Université de Saint-Étienne, 1992, p. 401.
1103
B. BARRIÈRE, « Les patrimoines cisterciens en France. Du faire-valoir direct au fermage et à la soustraitance », dans L. PRESSOUYRE (dir.), L’Espace cistercien, colloque de Fontfroide, 1993, Paris, CTHS,
1994, p. 45-69.
- 304 -
limitée1104. L’albergement est un contrat par lequel le propriétaire qui conserve le « domaine
direct », sorte de propriété éminente, cède le « domaine utile » à un albergataire pour une
période de longue durée. Accenser, affermer signifie louer un bien contre un loyer (un cens ou
une rente) en nature ou en monnaie ; on peut aussi vendre à l’année un droit de justice ou la
levée d’un impôt à un fermier qui avance la somme attendue puis se paye sur les
administrés1105. Par le biais des cens, les abbayes s’intègrent très tôt dans un système
seigneurial. Les cisterciens concèdent des tenures à cens, des fiefs à titre roturier. L’intérêt
humain réside dans la possibilité de faire mettre en valeur des régions peu humanisées ou
lointaines en les peuplant. L’inféodation se fait surtout par petites tenures dès le début du
XIIIème siècle1106.
Quelques abbayes parmi les plus dynamiques parviennent toutefois à maintenir le
faire-valoir direct dans certaines granges jusqu’au milieu du XIVème siècle. C’est le cas de
grands monastères comme Chaalis, Grandselve ou Obazine. Au XIVème siècle néanmoins, la
crise s’intensifie et assiste à la poursuite de la politique des arrentements pour de grands
domaines et des accensements. À cette période, le corps des convers a pratiquement disparu et
s’accompagne de l’abandon progressif de leurs bâtiments dont peu nous sont parvenus
aujourd’hui1107.
Les abbayes cisterciennes du diocèse de Limoges ne réagissent pas de la même
manière à la crise de recrutement des convers et certaines peuvent maintenir plus longtemps
une économie en faire-valoir direct. Des difficultés financières se font sentir dès la seconde
moitié du XIIème siècle et sont tangibles dans les statuts des Chapitres Généraux. En effet, les
abbés des monastères cisterciens limousins font souvent la demande de ne plus subvenir aux
besoins des hôtes s’arrêtant à leurs portes. Ainsi, en 1267, l’abbé d’Aubepierres en fait la
requête pour une durée de quatre ans. L’abbé de Boeuil présente la même demande en 1281.
Quant à l’abbé de Dalon, il ne souhaite plus accueillir d’hôtes durant trois ans à partir de
1293. Les moines ne devaient plus engranger assez de revenus pour nourrir et la communauté,
et les pauvres, voyageurs et pèlerins. Les abbés limousins sont également fréquemment
dispensés de se rendre au Chapitre Général annuel compte tenu de leurs revenus modestes les
1104
B. BARRIÈRE, « Les patrimoines cisterciens en France… », op. cit, p. 45-69.
Définition donnée par C. RÉMY, Seigneuries et châteaux forts en Limousin, Tome II La naissance du
château moderne (XIVème-XVIIème siècles), Culture et patrimoine en Limousin, Limoges, 2006 (lexique).
1106
M. MOUSNIER, « Les granges de l’abbaye cistercienne de Grandselve (XIIème-XIVème siècles) », Annales
du Midi, T 85, 1983, p.7-27.
1107
B. BARRIÈRE, « Les patrimoines cisterciens en France… », op. cit, p. 45-69.
1105
- 305 -
empêchant de financer un tel déplacement. C’est le cas des abbés de Peyrouse et Boschaud en
1268 et 1271 notamment, de Varennes en 1390 et 13911108.
Boschaud et Peyrouse, deux abbayes modestes aux marges du diocèse de Périgueux
périclitent très tôt, dès le début du XIIIème siècle. Elles sont ainsi encouragées à renoncer
précocement au faire-valoir direct. Elles ne disposent que de peu de granges, exploitées
rapidement par des laïcs et non plus des convers et sont maintenues longtemps dans la
précarité1109. À Boschaud, les possessions de Rieucaud au diocèse d’Agen (Saint-Pierre-deRieucaud, Gironde) sont affermées en 1305 à Bernard de Bouville. En 1343, la grange de
Saint-Jean-de-La-Lande est affermée à Guillaum Ségui, un bourgeois de Périgueux, mais les
moines se conservent tout de même la chapelle Saint-Jean et les terres joignant celle-ci. Ce
prieuré est en plein bois, à l’est de la commune de Celles1110.
Dès le XIIIème siècle, il n’y a plus guère que 5 à 10 convers à l’abbaye du Palais, pour
environ dix religieux, un abbé et un cellérier. Cette abbaye modeste ne disposait
vraisemblablement pas d’assez de convers pour l’entretien des moulins et étangs et
l’exploitation de ses neuf granges. Le recours à une main d’œuvre laïque était inévitable1111.
Dès le milieu du XIIIème siècle, Dalon se livre aux premiers arrentements, non
seulement de terroirs isolés mais aussi de granges entières. Les baux à cens se généralisent
dans les exploitations agricoles daloniennes. En effet, celle-ci ne joue pas comme Obazine la
carte de la commercialisation et connaît ainsi des difficultés dès le début du XIIIème siècle. À
l’inverse, Grandselve (com. Bouillas, Tarn-et-Garonne), autre fondation géraldienne, traverse
sans encombre le XIIIème siècle et aborde le XIVème siècle dans les meilleures conditions
possibles1112. À Dalon, l’abbatiat de dom Jean de Ongres de 1232 à 1242 marque les premiers
accensements. En effet, il arrente plusieurs granges dont celle de Laurière qu’il concède en
1244 à Guillaume Guai1113. La situation économique paraît relativement détériorée et le
cartulaire ne comporte que peu d’actes à ces dates1114.
1108
J-M. CANIVEZ, op. cit, T III, 1967-20 ; 1281-39 ; 1293-32 ; 1268-22 ; 1271-23 ; 1271-61 ; 1390-4 ; 1391-3.
C. DESPORT, op. cit, p. 67.
1110
L. GRILLON, M. LEGENDRE, J. SECRET, L’abbaye de Boschaud. Le Château de Puyguilhem. L’église de
Villars, Périgueux, 1957, p. 5-24.
1111
S. VITTUARI, op. cit, p. 42.
1112
L. GRILLON, « Deux granges corréziennes de l’abbaye cistercienne de Dalon », dans Le Bas-Limousin,
Histoire et Économie, Tulle, 1966, p. 21-32.
1113
M-C. PEYRAT, L’abbaye de Dalon et son environnement aux XIIème-XIIIème siècles, mémoire de maîtrise
d’histoire médiévale, dir. B. BARRIÈRE et J. VERDON, 1990, p. 17 (cart. fol. 680).
1114
L. GRILLON, Le domaine et la vie économique de l’abbaye cistercienne Notre-Dame de Dalon en BasLimousin, thèse de doctorat, Bordeaux, 1964, p. 22.
1109
- 306 -
Dès 1270, les moines de Grosbot commencent la série des arrentements 1115. En 1292,
les moines de Boeuil baillent à ferme la maison de Piangaud les rentes et appartenances1116.
Quant aux abbayes les plus dynamiques, elles se voient parfois en mesure de créer de
nouvelles granges au XIIIème siècle comme Obazine, Cadouin ou Grandselve. Le faire-valoir
direct se maintient à Obazine. Si les arrentements apparaissent, il ne s’agit que de petits
terroirs (c’est le cas également à Aubepierres). Les granges d’Obazine ne sont arrentées et
morcelées en tenure que dans le courant du XIVème siècle pour pallier l’affaiblissement du
recrutement des convers. C’est en 1310 que la grange de la Serre notamment commence les
arrentements. C’est à peu près à cette période, dans le milieu du XIVème siècle que Coyroux
obtient du Pape son autonomie1117. En 1366, Obazine abandonne l’exploitation directe de la
grange de Graule pour la donner à bail à des laïcs. En 1377, l’abbé afferme le domaine de
Graule pour cinq ans. Dès 1323, cette exploitation vouée à l’élevage est placée entre les mains
du roi de France avec ses droits de haute et basse justice. En 1329, une main levée est donnée
à l’abbé d’Obazine concernant ses revenus saisis par le roi à Graule en vertu de la preuve
faite, par lui, que cette montagne lui appartenait. En 1425, Pierre de Comborn, abbé
d’Obazine, cède à bail perpétuel la montagne de Chapgraule1118.
Par ailleurs, concernant la grange de Chabanes, le fermage n’est attesté que vers 1609.
Il n’y a ainsi pas vraiment de régularité dans la mise en place de cette nouvelle économie et
certaines exploitations agricoles maintiennent plus longuement le faire-valoir direct. L’usage
d’un gros marché à Rocamadour est un témoin de son dynamisme persistant1119.
Au XIVème siècle, les moines se révèlent soucieux d’accenser les terres, étangs et
domaines encore exploités en faire-valoir direct. Ainsi en 1331, Bonlieu accense les deux
moulins à blé et à foulon de l’étang d’Auge (com. Chambon). Ici aussi le faire-valoir indirect
semble s’amorcer plus tardivement que dans la majorité des abbayes de l’ordre. Les abbayes
souvent issues d’ermitages primitifs sont affiliés relativement tardivement à Cîteaux (Bonlieu
en 1162) d’où un décalage chronologique nécessaire dans le glissement vers le faire-valoir
direct et la sous-traitance. En 1554, un nouvel accensement est effectué, prouvant que l’étang
1115
A. MONDON, “Notes historiques sur la baronnie de Marthon en Angoumois. Chapitre XIV : abbaye NotreDame de Grosbost », MSAHC, 1895, p. 447-502.
1116
AD Haute-Vienne, 13 H 30.
1117
B. BARRIÈRE, Le cartulaire…, op. cit, p. 14.
1118
A. de ROCHEMONTEIX, La maison de Graule. Étude sur la vie et les œuvres des convers de Cîteaux en
Auvergne au Moyen-Âge, Paris, 1888, p. 166 ; AD Cantal, 1H 1.
1119
B. BARRIÈRE, « Les granges de l’abbaye cistercienne d’Obazine aux XIIème et XIIIème siècles », dans Le
Bas-Limousin, Histoire et Économie, Tulle, 1966, p. 33-51.
- 307 -
a vraisemblablement été rempoissonné. Une rente prévoit en effet une livraison de
poissons1120.
En 1454, l’abbé d’Aubignac et sa communauté arrentent à une famille paysanne,
Clément Gadefay et son épouse Pernelle, une superficie très précisément délimitée de terres
céréalières situées à proximité d’Argenton1121.
À la fin du XVème siècle, le terrier de Boeuil montre avec quel soin on procède à une
restructuration complète des terroirs avec des arrentements systématiques et une redistribution
rationnelle des terres et des équipements arrentés. Ainsi, même si le faire-valoir direct
constituant l’originalité de l’ordre est révolu, la qualité de l’organisation reste cistercienne1122.
Les terriers élaborés au XVème siècle tentent une remise en ordre de certains
patrimoines. Ils témoignent généralement d’un intérêt ravivé pour les étangs et moulins. Ainsi
en 1474, Boeuil accense des moulins à blé, à draps et à fer. Le moulin à draps notamment est
accensé aux habitants de Saint-Quentin1123. Nous savons également qu’un tenancier du village
de Pellechevant fait une reconnaissance de rentes pour le moulin banal de Pellechevant, ainsi
qu’un cens en argent pour le pacage situé sur la queue de l’étang1124. Un autre tenancier
reconnaît devoir un cens en argent « sur un emplacement maintenant aménagé en moulin
pour travailler le fer, sis sur la chaussée de l’étang du monastère de Boeuil, à savoir entre la
bonde de cet étang, le moulin à blé et le ruisseau. » Ce moulin est baillé à cens à un forgeron
dès 14621125. En effet, Martial d’Eytivaux, moyennant le paiement d’un cens annuel et la
fourniture d’outillage en fer, obtient un emplacement sous la chaussée de l’étang du
monastère pour y construire un moulin à fer1126.
Ainsi, les abbayes cisterciennes du diocèse de Limoges et de ses marges n’échappent
pas aux difficultés inhérentes à l’ordre de Cîteaux et s’adaptent peu à peu à une nouvelle
exploitation en faire-valoir indirect où les tenanciers laïcs occupent de plus en plus de place.
Ils se substituent à des convers probablement plus attirés par des ordres mendiants de plus en
plus présents et aux prêches séduisants. Certains monastères plus dynamiques, tel Obazine,
1120
AD Creuse, H 340.
AD Creuse, H 240.
1122
B. BARRIÈRE, « L’économie cistercienne du sud-ouest de la France », Centre culturel de l’abbaye de
Flaran, Économie cistercienne. Géographie, mutations du Moyen-Âge aux temps modernes, 1981, Auch, 1983, p.
75-99.
1123
AD Haute-Vienne, 13 H 5 ; 13 H 27.
1124
AD Haute-Vienne, 13 H 5 ; 13 H 33.
1125
AD Haute-Vienne, 13 H 5 ; 13 H 39 ; 13 H 79 ; B. BARRIÈRE, « Étangs et hydraulique en Limousin : le
temps des créations » dans B. BARRIÈRE, Limousin médiéval, le temps des créations, PULIM, Limoges, 2006,
p. 157-187.
1126
AD Haute-Vienne, 13 H 25.
1121
- 308 -
parviennent plus longtemps à limiter les arrentements, mais ces adaptations nécessaires et
inexorables se généralisent au XIVème siècle, accompagnées de modifications des statuts de
Chapitres Généraux.
2. De la grange à la bastide (XIVème siècle) :
Face à la diminution du nombre de convers, il devient nécessaire pour les moines
blancs d’accroître le nombre de salariés. Cette solution est toutefois coûteuse, d’où le recours
à des tenanciers pour les terres les plus marginales. Une autre issue consiste à la création de
bastides. Ce mouvement de fondation à la fin du XIIIème siècle est intimement lié au
développement du pouvoir de l’Église, à l’essor économique et démographique, à la
constitution progressive de royaumes unifiés autour d’un pouvoir fort1127. Ces bastides sont
des cités nouvelles dont l’acte de fondation est un contrat de paréage associant plusieurs partis
(rois, abbés) et visant à la création d’un nouveau centre de population1128.
L’abbaye seule ou en paréage avec un prince laïc (dans le cas des bastides du sudouest de la France), lotit le terroir d’une grange ou partie de celui-ci pour créer un village neuf
qui va se peupler de tenanciers censitaires. Ces bastides apparaissent à la fin du XIIIème
siècle. Elles correspondent à un urbanisme volontaire, à la création de peuplements planifiés.
Cette période se caractérise par la fin des défrichements et la protection des forêts par de
nombreux seigneurs du Midi, de la Gascogne et parfois de l’Aquitaine. Ainsi s’amorce une
diminution de la surface des tenures tandis que la démographie augmente. Les restructurations
du paysage par les bastides doivent être comprises comme une réponse à la crise, menant à
une refonte des structures foncières et à un redécoupage rationnel de l’espace productif. Il
s’agit de peupler, d’augmenter la présence des hommes et de les fixer sur les territoires à
cultiver afin de pallier en partie les crises internes de l’ordre de Cîteaux.
Or, cette « crise » est généralisée à l’ensemble des abbayes de l’ordre tandis que les
bastides ne concernent globalement que la Gascogne, le Gers, le Languedoc et l’Aquitaine.
Elles sont également assez fréquentes dans la région de Périgueux et de Sarlat1129. Pierre
GARRIGOU GRANDCHAMP constate la rareté des villes neuves dans le diocèse de
1127
F. DIVORNE, B. GENDRE, B. LAVERGNE, P. PANERAI, Les bastides d’Aquitaine, du Bas-Languedoc et
du Béarn. Essai sur la régularité, Bruxelles, 1985, p. 8.
1128
A. LAURET, R. MALEBRANCHE, G. SÉRAPHIN, Bastides, villes nouvelles du Moyen-Âge, Milan,
Toulouse, 1998, p. 17.
1129
Bastide de Mont-Dome, fondée par Philippe le Hardi en 1280 ; Villefranche-de-Belvès en 1260 par Alphonse
de Poitiers ; Molières en 1286 par le roi d’Angleterre Edouard Ier ; Lalinde en 1270 par Jean de La Linde,
officier du roi d’Angleterre ; Montpazier en 1284 ; Beauregard en 1268 par Edouerd Ier ; Villefranche-deLongchapt par Philippe le Bel. Les forces semblent bien réparties entre Plantagenêts et Capétiens. Leurs bastides
se font face.
- 309 -
Limoges, en dehors du terroir des bastides. Il cite néanmoins l’exemple de la création de
Jugeals-Nazareth par les vicomtes de Turenne, pouvant être considérée comme une étape sur
la route de Rocamadour1130. Nous ne connaissons que deux bastides fondées par les moines
cisterciens du diocèse de Limoges et de ses marges, à savoir la bastide de Mont-Sainte-Marie
fondée en 1330 par Obazine et la bastide de Puybrun fondée par Dalon [Fig. 81 et 82]. Face à
la discrétion des sources sur ces deux sites, la connaissance des ces bastides et les
caractéristiques de ces fondations particulières seront appréhendées à travers des exemples
mieux documentés de Gascogne et Languedoc.
En effet, si les bastides sont très nombreuses en Languedoc, Gascogne, Gascogne
toulousaine1131, Aquitaine1132, Gers, les abbayes cisterciennes du diocèse de Limoges ne se
sont pas vraiment montrés très prolifiques en la matière. En 1330 est édifiée la bastide du
Mont-Sainte-Marie en Quercy, dans les limites domaniales de la grange de la Dame, sur la
grange de Calès, dans les bois de la Dame (paroisse de Saint-Jacques de Calès). Le lieu-dit
« Sainte-Marie » est encore présent dans la toponymie actuelle mais aucun vestige ne
demeure de cette fondation. Elle se dresse sur un point naturellement fortifié de la paroisse de
Calès et pouvait ainsi permettre de repérer de loin des assaillants éventuels. Cette fondation
pouvait ainsi assurer la protection des granges alentours. Elle fait concurrence à la proche
bastide de Montfaucon appartenant aux rois anglais, située à 20 kms au sud environ. Un acte
de paréage est signé entre l’abbé d’Obazine et le sénéchal du roi de France Philippe IV,
attestant de relations fortes entre cisterciens et capétiens, déjà amorcées par de nombreuses
donations capétiennes attestées pour les XIIème et XIIIème siècle, ainsi qu’à la fin du
XIIIème siècle par la création du tombeau d’Étienne d’Obazine dans des ateliers parisiens,
sans doute en lien avec Saint-Louis1133.
1130
P. GARRIGOU GRANDCHAMP, « Introduction à l’architecture domestique urbaine, du XIIème au milieu
du XVème siècle, dans le Bas-Limousin », dans Monuments de Corrèze, Congrès Archéologique de France,
Société Française d’Archéologie, 163ème session, 2005, Paris, 2007, p. 9-81.
1131
En effet, entre 1250 et 1320, une quarantaine de bastides environ sont fondées en Gascogne par les moines
blancs. Elles sont généralement placées à la frontière des terres anglaises et françaises. Les avantages politiques
de ces structures sur une limite peu sûre sont indéniables. C. H. BERMAN, “From Cistercian granges to
Cistercian Bastides. Using the Order’s Records to date Landscape transformation”, dans L. PRESSOUYRE
(dir.), L’Espace cistercien, Paris, CTHS, 1994, p. 204-215.
1132
En 1234, l’abbaye de la Grâce-Dieu par exemple fonde Surgères en Saintonge. B. BARRIÈRE, « La place
des monastères cisterciens dans le paysage rural des XIIème et XIIIème siècles », dans l’ouvrage collectif
Moines et monastères dans les sociétés de rite grec et latin, Genève, 1996, p. 191-207.
1133
B. BARRIÈRE, « Les granges de l’abbaye cistercienne d’Obazine aux XIIème et XIIIème siècles », dans Le
Bas-Limousin, Histoire et Économie, Tulle, 1966, p. 33-51 ; Abbé ALBE, « Titres et documents concernant le
Limousin et le Quercy. Les possessions de l’abbaye d’Obasine dans le diocèse de Cahors et les familles du
Quercy », BSSHAC, 1910, T 32, p. 251-304 ; J. ROCACHER, Rocamadour et son pèlerinage. Étude historique
et archéologique, 2 vols., Toulouse, 1979, p. 349-358.
- 310 -
La grange de Tauriac fondée par les moines de Dalon au milieu du XIIème siècle sur
la commune de Bretenoux (Figeac, Lot) est prolongée par la bastide voisine de Puybrun, créée
en 12791134. Une charte de coutumes et de privilèges est édictée en 12821135. Elle va faire
concurrence à la bastide d’Orlinde (ou de Bretenoux) fondée deux ou trois ans plus tôt par
Guérin de Castelnau. Celui-ci s’oppose d’ailleurs fermement à cette nouvelle fondation de
peur qu’elle n’empêche le peuplement de sa propre ville neuve.
La grange de Tauriac est relativement méconnue. On ne connaît en effet ni sa date de
fondation, ni la nature des premières donations. Son emplacement peut être déduit de l’étude
des cadastres. En effet, le cadastre de 1818 présente à l’ouest du domaine de Coustalou, entre
Tauriac et Puybrun, une « Métairie de l’Abbé ». Cette grange était destinée à la culture de la
vigne. La bastide (villa nova) est en paréage entre l’abbé de Dalon Guillaume IV et le roi de
France Philippe III, aux confins du Quercy et du Limousin, aux limites de la Vicomté de
Turenne et de la baronnie de Castelnau.
Le roi de France est associé pour moitié aux droits de l’abbé sur les hommes de ce
territoire et de leurs redevances annuelles, à la haute et basse justice, ainsi qu’aux droits de
ban (four notamment). L’abbé de Dalon se réserve par ailleurs les terrains destinés à
l’édification des lieux de culte, des bâtiments de stockage et de vente des produits agricoles
(vin en particulier)1136.
La bastide s’accompagne de la construction d’un prieuré et de l’église Notre-Dame de
la Grange, probablement mis à bas au XIVème siècle lors des nombreux pillages des troupes
anglaises. Là encore les rapports étroits entretenus avec les rois capétiens sont mis en exergue
et il apparaît clairement que les cisterciens sont utilisés comme point d’appui dans des régions
marginales difficilement contrôlables. Les moines trouvent bien sûr un intérêt économique,
commercial à cette « alliance » qui leur permet de répondre à la crise et de solutionner le
problème du recrutement des convers1137. En effet, la fondation de la bastide apporte une main
d’œuvre importante qui vient compenser la fin du XIIIème siècle la raréfaction des frères
convers.
1134
L. GRILLON, Le cartulaire de Dalon (1114-1247), Mémoire de DES sous la direction de C. HIGOUNET,
Bordeaux, 1962 ; L. GRILLON, Le domaine et la vie économique de l’abbaye cistercienne Notre-Dame de
Dalon en Bas-Limousin, thèse de doctorat, Bordeaux, 1964, p. 65-70.
1135
E. ALBE, « La bastide de Tauriac Puybrun », BSSHAC, 1923, T XCV, p. 270-295.
1136
J-P. LAUSSAC, L. GRILLON, « Le prieuré Notre-Dame de la grange de Puybrun », Bulletin de la Société
des Études du Lot, 2002, T 123, p. 81-96.
1137
C. HIGOUNET, « Nouvelles réflexions sur les bastides… », op. cit, p. 127-137 ; J-P. LAUSSAC, L.
GRILLON, « Quelques notes inédites sur le prieuré de Puybrun au XVIème siècle et au XVIIème siècle »,
BSSHAC, T 127, 2005, p. 123-141.
- 311 -
C’est le même cas de figure à Grandselve (com. Bouillas, Tarn-et-Garonne), les
difficultés à recruter les convers conduit à un fractionnement du domaine en lots homogènes
pour les concéder à des paysans. Les moines blancs doivent opérer des remembrements autour
de leurs granges. Ce grand effort de réorganisation des campagnes marque les XIIème et
XIIIème siècles1138. La démarche de fondation d’une bastide est similaire1139.
Le contrat de paréage associe le monastère propriétaire du sol et une autorité politique,
royale ou seigneuriale qui assure l’édification, l’administration et la protection du site sur la
base d’un partage des revenus à venir. Les tenanciers à qui on garantit des avantages sont
recrutés par des agents royaux. Ce contrat modifie le statut juridique des terres afin de
permettre l’établissement de la bastide. Il s’accompagne de l’octroi d’une charte de franchises
ou de coutumes donnant un statut à la nouvelle population.
Le parcellaire est égalitaire afin de ne favoriser personne1140. Les fondateurs des
bastides devant réaliser une division égalitaire du sol opte ainsi naturellement pour des formes
géométriques simples. Il s’agit de diviser l’espace agraire en lots égaux (cazals) pour les
distribuer aux hôtes : ceux-ci disposent d’un jardin, d’une vigne, d’une terre à labourer en plus
de la parcelle à bâtir. Cet aménagement rationnel du paysage permet également de gérer de
manière précise les revenus de la seigneurie. Cette réorganisation des terroirs semble toutefois
limitée à l’espace de la bastide et ne dépasse pas son finage. Elle est réduite aux limites
paroissiales et seigneuriales, à l’inverse de certains systèmes antiques beaucoup plus
vastes1141.
Dans le nord-est de la France, le quadrillage laisse la place aux champs en lanières.
Une petite série de villeneuves cisterciennes est connue, fondées en paréage entre 1223 et
1314. Il s’agit notamment de Chantraînes et Boudrons en Bassigny (abbaye de la Crête, en
paréage avec le comte de Champagne, com. Bourdons, Haute-Marne), de Prémillieu et Motas
(1242-1245) en Bugey, de Gérouville entre l’abbaye d’Orval (com. Villers-devant-Orval,
1138
M. MOUSNIER, « Les abbayes cisterciennes et leur rôle dans l’économie et la société méridionale aux
XIIème et XIIIème siècles », dans La grande aventure des cisterciens. Leur implantation en Midi-Pyrénées,
Actes du colloque de Belleperche, 1998, Montauban, 1999, p. 105-130 ; M. MOUSNIER, « Bastides de
Gascogne Toulousaine, un échec ? » dans Villages et Villageois au Moyen-Âge, Paris, Sorbonne, 1992, p. 101116 ; J-L. ABBÉ, « Permanences et mutations des parcellaires médiévaux », dans G. CHOUQUER (dir.), Les
formes du paysage. II, Archéologie des parcellaires, Errance, Paris, 1996, p. 223-233.
1139
C. LAVIGNE, « Recherches sur les systèmes parcellaires de fondation en Gascogne au Moyen-Âge » dans
G. CHOUQUER (dir.), Les formes du paysage.I.Études sur les parcellaires, Errance, Paris, 1996, p. 182-198.
1140
A. LAURET, op. cit, p. 44.
1141
J-L. ABBÉ, « La dynamique historique des parcellaires au Moyen-Âge dans le midi de la France. L’exemple
de la grange cistercienne d’Hauterive (Aude) », dans l’ouvrage collectif, La dynamique des paysages
protohistoriques, antiques, médiévaux et modernes, XVIIèmes Rencontres Internationales d’Archéologie et
d’Histoire d’Antibes, Sophia Antipolis, 1997, p. 21-34 ; C. LAVIGNE, « Recherches sur les systèmes
parcellaires de fondation en Gascogne… », op. cit, p. 182-198.
- 312 -
Luxembourg) et le comte de Chimey. Le phénomène paraît toutefois exceptionnel dans le
sud-ouest de la France, la densité la plus forte étant en Gascogne occidentale et toulousaine.
Il n’y a que peu d’actes de paréage en Allemagne, Espagne, Italie et Angleterre1142.
Ces bastides sont à la fois des chefs lieux d’exploitation agricole mais aussi de
nouveaux noyaux urbains, un centre de peuplement séduisant pour la population paysanne.
Elles revêtent plusieurs fonctions : administrative, judiciaire, militaire, centre agricole et de
défrichement, lieu de marché1143. Elles créent un réseau d’étapes sûres pour le développement
des relations commerciales et des pèlerinages.
Elles offrent aux moines blancs l’opportunité de pallier la disparition progressive du
corps des convers et d’éviter à la fois la charge d’un personnel salarié inévitablement
croissant. Cette création de bastides ne peut-elle s’expliquer comme un moyen pour maintenir
un certain niveau de revenus ainsi que la continuité de l’exploitation par le recours à des
arrentements groupés ? Bernadette BARRIÈRE répond à ce questionnement en insistant sur le
fait que les monastères créant des bastides sont des établissements dynamiques aux revenus
importants (comme Dalon et Obazine), non des abbayes en réelles difficultés financières. Ces
villes nouvelles peuvent être plutôt interprétées comme une réponse au dynamisme ambiant et
à une organisation économique partiellement inadaptée1144. Les cisterciens contribuent ainsi à
la réorganisation des pratiques agricoles. En cela, les domaines cisterciens sont un facteur de
dynamisme économique même si les principes originaux de l’ordre (faire-valoir direct) sont
abandonnés dès le XIIIème siècle. Les bastides modifient le parcellaire déjà en place pour en
imposer un nouveau, quadrillé comme sous l’Antiquité. Il est toutefois difficile de déterminer
si les parcellaires anciens sont utilisés ou tout simplement gommés1145.
Ces villes neuves constituent des jalons de la pénétration royale dans le Midi de la
France ainsi que des symboles de la résistance seigneuriale locale à cette pénétration. Elles
prouvent en effet l’emprise d’un pouvoir politique fort, qu’il s’agisse des Capétiens, des
Plantagenêts, ou des comtes et seigneurs locaux, tel le comte Raymond VII de Toulouse
1142
C. HIGOUNET, « Nouvelles réflexions sur les bastides… », op. cit, p. 127-137.
A. LAURET, op. cit, p. 17.
1144
B. BARRIÈRE, « L’économie cistercienne du sud-ouest de la France », Centre culturel de l’abbaye de
Flaran, Économie cistercienne. Géographie, mutations du Moyen-Âge aux temps modernes, 1981, Auch, 1983, p.
75-99 ; B. BARRIÈRE, « Les patrimoines cisterciens en France. Du faire-valoir direct au fermage et à la soustraitance », dans L. PRESSOUYRE (dir.), L’Espace cistercien, colloque de Fontfroide, 1993, Paris, CTHS,
1994, p. 45-69.
1145
J-L. ABBÉ, « La dynamique historique des parcellaires au Moyen-Âge dans le midi de la France… », op. cit,
p. 21-34
1143
- 313 -
(1222-1249). La Croisade des Albigeois en 1209 est un bon prétexte pour les Capétiens de se
montrer plus présents dans le Midi de la France, d’intervenir dans la région afin d’assurer la
mainmise de la couronne de France sur les terres de l’influent comte de Toulouse. Cette
Croisade masque sous un prétexte religieux de profondes motivations politiques, tel le
développement de l’autorité royale par l’affirmation d’une unité nationale. Les contrats de
paréage permettent aux souverains français et anglais de phagocyter légalement de nombreux
domaines méridionaux et de les intégrer au domaine royal.
Ce mouvement de création de bastides ne semble pas correspondre à une irruption
brutale et massive de la monarchie capétienne. Des liens existaient déjà par l’intermédiaire de
l’ordre de Cîteaux notamment (inhumations, donations, « mécénat »)1146. Les abbayes
cisterciennes semblent faire le lit de la pénétration capétienne, dans les pays gascons
notamment. Les cisterciens ont répondu positivement à la sollicitation capétienne car la
création des bastides résout partiellement le problème économique auquel ils étaient
confrontés. Il est toutefois difficile de déterminer quel protagoniste s’est servi de l’autre1147.
Les partenaires des cisterciens sont assez divers. Nous pouvons citer Alphonse de
Poitiers, sénéchal du roi de France puis comte de Toulouse (1249-1271), Philippe le Bel,
Philippe le Hardi, Edouard Ier d’Angleterre (1272-1307) et des seigneurs régionaux comme
ceux de Foix, de Comminges, d’Astarac, d’Armagnac ou encore de Montfort. Les bastides
permettent au comte de Toulouse d’asseoir son autorité dans les extrêmes cantons de la
Gascogne, de l’Agenais et du Rouergue. Il peut également se procurer plus facilement les
ressources financières nécessaires à ses projets de Croisades. Eustache de Beaumarchais,
sénéchal du roi de France à Toulouse de 1276 à 1294, amplifie cette politique d’association
des cisterciens à la création des bastides. Vingt-deux villes nouvelles sont ainsi créées dès
1272-1292 dont dix en paréage avec les moines blancs. Fleurance est fondée en 1274 avec
l’abbaye de Bouillas, Beaumont-de-Lomagne en 1279 (Grandselve, com. Bouillas, Tarn-etGaronne), Saint-Lys en 1280 (Aiguebelle, com. Montjoyer, Drôme), Mirande en 1281
(Berdoues, com. Berdoues, Gers), Plaisance-du-Touch en 1285 (Bonnefont, com. Proupiary,
Haute-Garonne), Réjaumont en 1285 (L’Escale-Dieu, com. Bonnemazon, Hautes-Pyrénées),
Boulogne-sur-Gesse en 1285 (Nizors, com. Boulogne-sur-Gesse, Haute-Garonne), Grenade
en 1290 (Grandselve) et Beaufort en 1291 (Feuillant, com. La Bastide-Clermont, HauteGaronne)1148.
1146
Concernant les liens entre monastères cisterciens, Capétiens et Plantagenêts, voir I. B. c. ; I. D. 4.
C. HIGOUNET, « Nouvelles réflexions sur les bastides cisterciennes », dans Les cisterciens de Languedoc
(XIIIème-XIVème siècles), Cahiers de Fanjeaux, Toulouse, Privat, 1986, p. 127-137.
1148
C. HIGOUNET, « Nouvelles réflexions sur les bastides… », op. cit, p. 127-137.
1147
- 314 -
À l’est, les bastides rattachées à la couronne de France concernent 55% des fondations.
Elles sont délimitées par la ligne nord/sud du Périgord aux Pyrénées. Ainsi, les bastides de
Beaumont-de-Lomagne et de Grenade sont en paréage avec le roi de France et l’abbé de
Grandselve. Elles sont implantées sur la périphérie des domaines du monastère, comme pour
en protéger les frontières, surveiller des limites incertaines, objet de la convoitise des
seigneurs locaux ou des rois Anglais. Les mêmes acteurs fondent en 1272 Labastide-SaintPierre et Gilhac à laquelle le roi impose son paréage en 1275. En 1282, Comberouger absorbe
la grange voisine. Ainsi, si Grandselve conserve le faire-valoir direct au centre de ses biens,
elle fonde de nouveaux foyers de peuplement, facteurs de concentration de l’habitat dans les
parties excentriques et peu développées. Elle choisit ces sites sur de grands axes de
communication, les dote d’un marché et s’orient ainsi vers un autre type d’économie que
l’autosubsistance agricole1149.
À l’ouest, les bastides anglaises représentent 20% du total des fondations. Au sud des
Landes et au pied des Pyrénées, les fondations seigneuriales atteignent 25% des créations.
L’Agenais et le Périgord sont des terres de conflits entre la France et l’Angleterre et disposent
de bastides rattachées aux deux couronnes. Périgueux et Toulouse sont aux mains des
Français tandis que Bordeaux est aux Anglais. Chaque bastide française témoigne de
l’avancée de son camp, implantée aux nouvelles frontières. Ces villes neuves fournissent des
appuis en cas de guerre. Elles se présentent comme un front dense de créations rapprochées.
Quant aux fondations anglaises, elles semblent contrer les offensives capétiennes vers
Bordeaux. Les places fortes sont implantées le long des rivières pour contrôler les axes
naturels convergents vers la cité bordelaise. Un tiers des bastides a ainsi une fonction militaire
et contribue à garantir la sécurité de frontières mouvantes. Chacun tente de peupler son
territoire dans le double but de disposer d’une population importante pour lever des troupes
mais aussi pour le développement du commerce et de l’agriculture1150. Certaines bastides sont
ainsi fortifiées et répondent parfois prioritairement à l’insécurité des populations locales. Les
enceintes peuvent être de bois ou de pierres1151.
Ces bastides présentent les mêmes tracés, qu’il s’agisse d’une fondation anglaise,
française ou seigneuriale. La moitié d’entre elles sont établies sur la croisée de deux directions
perpendiculaires constituant l’amorce d’un quadrillage. Une place carrée au centre est bordée
1149
M. MOUSNIER, « Les granges de l’abbaye cistercienne de Grandselve (XIIème-XIVème siècles) », Annales
du Midi, T 85, 1983, p.7-27.
1150
F. DIVORNE, op. cit, p. 22-37.
1151
A. LAURET, p. 131.
- 315 -
d’arcades, longée par des rues. Une halle est bâtie sur cette place. Elle est charpentée, munie
de piliers maçonnés encore souvent conservés aujourd’hui.
La bastide a peu à peu revêtu une image symbolique à travers l’historiographie
traditionnelle. L’imagerie populaire la considérait bien souvent comme un rempart protégeant
un urbanisme orthogonal où l’égalité des lots annonçait la démocratie des institutions. De
VERNEILH, en 1846, affirme que ces bastides sont des villes neuves, créées de toutes pièces
dans des déserts. Toutefois, la majorité ne sont pas édifiées sur des lieux inoccupés et incultes
et profitent parfois des parcellaires déjà en place des habitants présents. Les cisterciens
fondent leurs bastides généralement sur le territoire d’une grange déjà établie depuis plus d’un
siècle. La bastide ne correspond ainsi pas réellement à une action de défrichement et de
colonisation.
De même, on la présente fréquemment comme une ville idéale, espace d’égalité et de
liberté mythiques, ce qui est loin d’être le cas, les paysans étant tout de même soumis au cens
et au champart.
Quant à la régularité du plan, il n’est pas systématique et s’adapte nécessairement à la
topographie du site. Les fortifications ne sont pas obligatoires, seul un tiers des bastides ayant
une vocation militaire1152.
Pour conclure, Charles HIGOUNET a parfaitement cerné l’évolution des
systématiques économiques, de l’exploitation des terres et du peuplement à propos de la
grange, puis de la bastide de Gimont. Avant 1150, le paysage se constituait de petits habitats
dispersés avec une structure généralisée de cazals. L’historien remarque qu’entre 1160 et
1210, les cisterciens ont remanié les terroirs, remembré les terres seigneuriales pour les
exploiter directement avec leurs convers dans le cadre de la grange et ainsi évincé les
tenanciers primitifs. Cette restructuration agraire est commandée par une exploitation
originale en faire-valoir direct. Certains tenanciers deviennent alors convers tandis que
d’autres choisissent de partir.
La bastide est créée en 1266 par un acte de paréage entre Pierre, abbé de Gimont, en
Gascogne (com. Gimont, Gers), et Pierre de Landreville, sénéchal de Toulouse et d’Albigeois.
Elle intervient à une période où les convers se font plus rares et où les abbés doivent suppléer
à cette pénurie. Ainsi, de 1250 à 1330, on assiste d’une manière générale à une concentration
massive des populations dans les bastides, parallèlement à l’éclatement d’une partie des
granges en petites et moyennes parcelles et au déclin des anciennes paroisses.
1152
F. PUJOL, « L’élaboration de l’image symbolique de la bastide », Annales du Midi, T 103, 1991, p. 345-367.
- 316 -
Les cisterciens ont ainsi agi de manière indélébile sur les paysages, constamment
remaniés, remembrés et repeuplés1153.
Ces bastides ont cependant parfois échoué dans leur tentative de repeuplement et de
concentration de l’habitat. En effet, certaines ont des terres plus riches que d’autres, vouées à
l’échec. Peu de centres de peuplement de sont maintenus. La bastide de Mont-Sainte-Marie
fondée par Obazine a entièrement disparu, tandis que Puybrun, créée par Dalon, s’est
maintenue malgré la disparition ou le remaniement d’un certain nombre de bâtiments. En
Gascogne toulousaine, seuls Grenade, Gimont, Beaumont, Saint-Lys, Plaisance-du-Touch et
Léguevin existent toujours. Le dynamisme des moines blancs n’a parfois pu compenser la
faible densité des populations, des terres peu favorables, l’absence d’un réseau urbain
préexistant et la faiblesse des comtes de Toulouse à l’ouest de la Garonne1154. La discrétion de
ces expériences en Limousin peut s’expliquer par la médiocrité de la plupart des
établissements dans cette fin du XIIIème siècle. Peut-être la présence capétienne est-elle
également moindre qu’en Gascogne, Gers ou Gascogne Toulousaine ? L’action des sénéchaux
du roi de France à Toulouse est effectivement indéniable et a sans doute joué un rôle
déterminant pour la multiplication spectaculaire des bastides dans ces régions.
Beaucoup de monastères limousins ont de plus déjà périclité et sont bien trop pauvres
pour participer à la création d’une bastide. C’est le cas notamment de Prébenoît, Aubepierres,
Aubignac, Peyrouse ou encore Boschaud. Seules Obazine et Dalon sont en mesure d’assurer
une telle fondation. Les pouvoirs politiques ont bien sûr leur importance et ces deux abbayes
ont, depuis leurs débuts, bénéficié du soutien de nombreux seigneurs et comtes, mais aussi des
rois Capétiens et Plantagenêts. Leur dynamisme en cette fin de XIIIème siècle est indéniable
et justifie de tels investissements.
Après cette nécessaire mise en point géographique, historique et économique, il
convient désormais de livrer une étude archéologique et stylistique de ces dix-huit
monastères, sous forme de monographies détaillées.
II. Corpus des abbayes cisterciennes du diocèse de Limoges et de ses
marges :
Avertissement au lecteur :
1153
C. HIGOUNET, « Sur les transformations de l’habitat et les structures agraires en Gascogne aux XIIème et
XIIIème siècles : Gimont avant la bastide », dans Études géogaphiques offertes à Louis Papy, Bordeaux, 1978,
p. 369-376.
1154
M. MOUSNIER, « Bastides de Gascogne Toulousaine… », op. cit, p. 101-116 ?
- 317 -
Les dix-huit monographies présentées ci-dessous sont organisées selon un même plan.
Sont évoquées dans un premier temps les sources manuscrites, à savoir les principaux fonds
d’archives dépouillés. Certains extraits peuvent être retranscrits quand ils apportent
directement à la description archéologique ou aux datations. Des transcriptions complètes sont
par ailleurs proposées en annexe. Ensuite, un point historiographique est mené. Quelques
références seulement sont citées, le but n’étant pas ici l’exhaustivité mais plutôt de retracer les
principaux courants de pensées. L’ensemble des références est consultable en bibliographie à
la fin de ce volume. Quelques données historiques sont énoncées, les dates clés et évènements
principaux ayant jalonné l’existence du monastère au fil des siècles. Les XIIème et XIIIème
siècles ne sont ainsi pas les seuls abordés. Les époques modernes et contemporaines sont
également évoquées (troubles des Guerres de Religion, époque révolutionnaire, devenir du
site à l’époque actuelle).
Les vestiges archéologiques sont ensuite étudiés. Il s’agit de la partie la plus
importante de la monographie. Elle est subdivisée selon les différents espaces monastiques
pris en compte : abbatiale, bâtiments conventuels, dépôts lapidaires éventuels et éléments
erratiques, granges, aménagements hydrauliques. Le monastère dans son ensemble est ainsi
envisagé, de même que les possessions. Néanmoins, toutes les granges et moulins ne sont pas
systématiquement étudiés et ne font pas toujours l’objet d’une notice descriptive. En effet,
certaines possessions avérées dans les textes n’ont pas laissé de traces dans la toponymie
actuelle. De plus, certains bâtiments ont pu être considérablement modifiés, voire entièrement
remplacés par des structures modernes ou contemporaines, sans qu’aucun vestige médiéval ne
puisse être clairement identifié. Quant aux aménagements hydrauliques, une certaine
prudence est nécessaire face aux descriptions et investigations menées : en effet, les vestiges
conservés sont le plus souvent modernes. Les installations de meunerie nécessitent de
constantes réparations, modifications et remaniements au fil des siècles. C’est pourquoi les
cadres médiévaux sont parfois difficiles à envisager.
Ainsi, les XIIème et XIIIème siècles ne sont pas les seuls à être pris en compte dans
cette étude. Des remaniements fréquents interviennent au XVème siècle dans un contexte
politique troublé. Certaines abbatiales sont fortifiées, comme Bonlieu et Prébenoît. Les
cloîtres médiévaux sont parfois rebâtis, souvent avec des piliers octogonaux comme observé à
Bonlieu, Prébenoît ou à l’abbaye des Pierres. Certaines modifications sont nécessaires dans le
cadre de la commende. Ainsi, les abbés commendataires se font fréquemment bâtir un logis
- 318 -
particulier, comme au Palais-Notre-Dame (XVIème siècle) où un bâtiment à tour d’escalier va
remplacer l’ancien bâtiment sud du cloître traditionnellement dévolu aux cuisines, réfectoire
et chauffoir. Des remaniements interviennent parfois aux XVIIème et XVIIIème siècles,
comme c’est le cas à l’abbaye de Bonnaigue, en partie reconstruite suite à un incendie. Quant
à Obazine, il paraît nécessaire de faire le point sur les restaurations du XIXème siècle menées
par Anatole de BAUDOT, afin de pouvoir cerner ce qui est médiéval de ce qui relève de
remaniements et de remontages récents. Ces études sont nécessaires, bien qu’elles soient en
dehors du cadre chronologique pris en compte dans cette étude.
Les descriptions proposées permettent, selon les édifices, de suggérer des phasages et
de différencier certaines étapes de construction et de reconstruction. Des tentatives de datation
peuvent être envisagées d’après les élévations et éléments lapidaires conservés. Des
comparaisons sont également établies avec d’autres sites cisterciens, mais aussi avec de
proches édifices aquitains ou du diocèse de Limoges. Ces comparaisons et essais de datations
sont bien souvent redevables des études précises et minutieuses de Bernadette BARRIÈRE,
Claude ANDRAULT-SCHMITT et Évelyne PROUST concernant la sculpture1155. À ces
descriptions correspondent des photos et plans, généralement de l’auteur sauf mention
contraire. Ceux-ci sont régroupés en annexe.
Concernant les éléments lapidaires erratiques, les abbayes de Varennes, de Prébenoît
et du Palais disposent de dépôts conséquents nécessitant inventaire et descriptions précises.
Toutefois, seuls les inventaires de Varennes et du Palais-Notre-Dame sont proposés ici.
Concernant Prébenoît, l’étude du dépôt lapidaire a fait l’objet d’un mémoire de maîtrise
particulier. Nous n’avons pas jugé utile de le retranscrire intégralement ici. Seuls les éléments
les plus représentatifs et les plus probants sont répertoriés. Les inventaires du Palais et de
Varennes sont par ailleurs détaillés. Il s’agit de notices descriptives complètes, livrant les
dimensions, matériau, provenance probable et datation envisagée pour chaque élément. Ces
notices peuvent ainsi paraître rébarbatives au lecteur, mais néanmoins nécessaires pour
dégager des systèmes de proportions et déterminer si possible des chronologies et
provenances éventuelles dans l’édifice. Ces dépôts lapidaires apprennent ainsi sur les
voûtements, les supports, les baies, les portails, soit disparus, soit très remaniés en élévation.
Il apparaîtra clairement au lecteur que ces monographies sont très inégales. Ainsi,
seules quatre pages sont consacrées à Derses pour près de 80 pages à Varennes. Ces inégalités
1155
C. ANDRAULT-SCHMITT, Les nefs des églises romanes de l’ancien diocèse de Limoges. Rythmes et
volumes, Thèse, Poitiers, sous la direction de C. HEITZ, 4 tomes, 1982 ; C. ANDRAULT-SCHMITT, Limousin
gothique, Paris, Picard, 1997 ; B. BARRIÈRE, Limousin médiéval, le temps des créations, PULIM, Limoges,
2006 ; É. PROUST, La sculpture romane en Bas-Limousin, un domaine original du grand art languedocien,
Picard, Paris, 2004.
- 319 -
s’expliquent par le hasard de la conservation des vestiges, des fonds d’archives, des travaux
d’érudits ou scientifiques plus ou moins prolixes. Certains monastères sont très modestes : ils
n’essaiment pas, ne disposent que de peu de possessions et sont parfois très mal conservés
(Aubignac, Derses). L’inégalité des sources archéologiques est aussi tangible : ainsi, seules
les abbayes de Prébenoît, Obazine, Coyroux, Grosbot et plus récemment le Palais ont fait
l’objet d’investigations archéologiques, nécessaires à la connaissance de sites parfois presque
entièrement disparus en élévation. Par ailleurs, nous regrettons de n’avoir pu mener d’autres
fouilles archéologiques à part celles du Palais-Notre-Dame. En effet, soucieuse de s’adapter à
la nouvelle réforme LMD et de faire aboutir ce travail en quatre ans maximum, nous n’avons
pas disposé du temps matériel suffisant pour fouiller l’ensemble des sites envisagés.
Ces monographies seront suivies d’une partie de synthèse permettant de mettre en
évidence cohérences et dissemblances de ces monastères cisterciens, d’établir un certain
nombre de constatations et de réflexions liées aux plans, élévations, voûtements, supports,
percements et décors, l’ensemble étant replacé dans le cadre d’un art de transition entre
époque romane et « premier gothique » aquitain.
- 320 -
AUBIGNAC
- 321 -
A. Les fondations de Géraud de Sales :
1. Aubignac (commune de Saint-Sébastien, Creuse) :
Aubignac est située sur la commune de Saint-Sébastien (Creuse), à une vingtaine de
kilomètres à l’ouest de l’abbaye d’Aubepierres. Elle relève à l’époque médiévale du diocèse
de Bourges mais est maintenant incluse dans le département de la Creuse. Le lieu-dit est
signalé « Aubeignat » sur la carte IGN au 1/25000ème1156. Il est fléché « Aubégnat » à
l’embranchement à quelques centaines de mètres avant d’arriver sur le site et nommé
« Aubignac » à l’emplacement proprement dit. Ces variations traduisent l’évolution de la
langue au fil des siècles. Seul le lieu de l’abbaye même a gardé l’orthographe originelle. La
carte de Cassini précise bien le nom « Aubignac » mais contrairement aux autres sites
cisterciens, nous ne retrouvons pas le symbole de l’église et de la crosse, ni la dénomination
ABH qui caractérise une abbaye d’hommes, ni O.S.B de l’ordre de saint Benoît, ni O.C
désignant une abbaye de l’observance cistercienne. La présence d’une ancienne abbaye
médiévale en ce lieu semble ignorée au XVIIIème siècle. Toutefois, en 1790, deux moines
habitent encore le monastère [Fig. 99 et 100].
Sources manuscrites et figurées :
Les actes médiévaux conservés aux Archives Départementales de l’Indre ainsi qu’aux
Archives Départementales de la Creuse ne livrent malheureusement pas d’indications sur les
bâtiments monastiques médiévaux1157. Ils permettent toutefois une reconstitution du
patrimoine foncier, des granges et moulins appartenant au monastère. Les installations à
caractère artisanal ne sont guère connues que par ces sources manuscrites elles-mêmes
lacunaires.
L’état des lieux de 1643 est dressé à l’abbaye après les destructions des Guerres de
Religion [PJ 1]. Quelques indications sont données sur les bâtiments monastiques, très
précieuses pour notre connaissance de l’abbatiale. Il est dit :
« Nous sommes entrés dans ladite basse-cour dans
laquelle nous avons trouvé quantité de pierres de taille et
autre provenant de la ruine de l’église ou maison de ladite
1156
1157
IGN série Bleue 2128 O, Saint-Sébastien, 1/25000ème.
AD Creuse, H 233 à H 261 ; AD Indre, H 461, H 976 à H 978, H 1151.
- 322 -
abbaye. Et nous a aussi mené et conduit dans une chapelle
persée de laquelle a été de nouveau construite sur le
fondement ancien du cœur de l’église ancienne de ladite
abbaye, laquelle église est de la longueur de soixante
pieds ou environ et de la largeur de vingt-deux pieds entre
les quatre murailles qu’il l’affermy à présent ainsi qu’il
nous a fait voir. Et sur le pignon de ladite église, de soleil
levant, y a un petit clocher de la hauteur de dix à douze
pieds dans lequel il y a une petite cloche, et lequel clocher
ensemble partie de ladite église est découvert à l’endroit
du grand hôtel en sorte qu’il pleut sur ledit hôtel ainsy
que ledit sieur prieur nous a déclaré. Et étant sorti de
ladite église et tout ce qui composait autrefois la nef est
entièrement ruiné et démoli sauf quelques piliers et
costiers de ladite église qui sont par interval de la hauteur
de dix-douze à quinze pieds d’hauteur1158. Et étant rentrés
dans ladite basse-cour, nous a aussy mené et conduit en
un petit jardin entouré de murailles à pierre sèche qu’il
nous a dit avoir été autrefois le cloistre de ladite abbaye
(…)»1159.
Nous pouvons donc déduire plusieurs informations capitales d’après ce court extrait.
Au XVIIème siècle, l’abbaye est déjà presque entièrement ruinée. Le chœur en particulier est
effondré. Une chapelle a été reconstruite sur ses fondations à une époque indéterminée entre
le XVIème et le premier tiers du XVIIème siècle. Il ne demeure rien aujourd’hui de cette
structure de l’époque moderne. Les dimensions de l’abbatiale sont précisées, mesures
essentielles étant donné qu’il ne reste rien aujourd’hui de l’église si ce n’est quelques
éléments lapidaires épars. Toutefois, nous pouvons douter de leur exactitude. Le terme
« environ » remet en cause la précision des mesures. D’après les tables de conversion mises
au point par Pierre CHARBONNIER, elle mesure 19.5m de long par 7.15m de large1160. Il
1158
La hauteur conservée variait donc entre 3.25m et 4.90m environ.
AD Creuse, H 268.
1160
P. CHARBONNIER (dir.), Les anciennes mesures locales du Massif Central d’après les tables de
conversion, Institut d’Études du Massif Central, Clermont-Ferrand, 1990. En Creuse, un pied mesure 0.365m,
une toise équivaut à 1.949m.
1159
- 323 -
s’agit donc d’un édifice très modeste. La faible longueur étonne, c’est pourquoi nous pensons
que la dimension donnée correspond uniquement à la nef. La largeur de 7.15m suppose
l’absence de collatéraux1161. De la nef ne demeure apparemment que quelques éléments de
piliers dont les formes et modénatures ne sont pas précisées ainsi que quelques pans de murs.
Le chevet se constitue d’un pignon orienté surmonté d’un clocher, ce qui ne correspond guère
aux injonctions de l’ordre interdisant la présence de clocher de pierres. La toiture est
effondrée, le cloître entièrement ruiné remplacé par un jardin cerné d’une clôture de pierres
sèches. Au XVIIème siècle, les aménagements monastiques sont donc d’ores et déjà
largement ruinés. Aucun élément de cette courte description ne permet de préciser la datation
de l’abbatiale médiévale et les différentes phases de son érection.
Dans les années 1768-1769, un inventaire des titres est réalisé par l’abbé de Varennes.
Les destructions des Guerres de Religion sont brièvement évoquées. Il est fait état des ruines
de l’église, du logis abbatial ainsi que des bâtiments claustraux1162. Nous pouvons imaginer
qu’en un siècle, l’état de conservation du monastère s’est encore détérioré. Deux inventaires
concernent les objets mobiliers de l’église de 1790 et 1791 [PJ 2] 1163. Ils sont les seuls témoins
d’objets et d’embellissements aujourd’hui disparus. Le premier est dressé par les officiers
municipaux de Saint-Sébastien en présence de dom Vernière, prieur de l’abbaye.
Il est fait état d’un « autel fort mal boisé garni de six
chandeliers de cuivre jaune, de la hauteur d’environ deux
pieds, un calice non en bon état et une petite custode dont
le pied sert à l’ostensoir et une petite custode pour porter
le viatique, plus une cloche, deux reliquaires en bois, un
mauvais missel à l’usage de l’ordre, un graduel, un
antiphonaire, un psautier, un proussionalle à l’usage du
droit romain, trois cartons d’autel assez propres, trois
vieux, une lampe et un bénitier en étain, un encensoir et
une navette en cuivre jaune, une croix processionnale en
fer, six vieux tableaux, un mauvais banc pour les chants,
deux aubes, trois amy, un cordon, sept chasubles
1161
Des dimensions similaires s’observent pour certaines nefs d’autres abbayes de l’ordre (L’Escale-Dieu et
Silvacane : 7.50m, Noirlac : 7.95m). René Crozet fait état d’une nef unique conçue dès le départ à l’inverse de
celle de Varennes qui comprenait à l’origine des collatéraux, R. CROZET, L’abbaye de Noirlac et l’architecture
cistercienne en Berry, Paris, 1932.
1162
AD Creuse, H 234.
1163
AD Creuse, H 283.
- 324 -
mauvaises, cinq corporaux, douze purificatoires tant bon
que mauvais, six lavabos, trois nappes d’autel propre
mais raccommodé et une commune (…). »
Un deuxième inventaire est dressé l’année d’après suite à des vols. Le transfert des
objets mobiliers est assuré dans l’église paroissiale de Saint-Sébastien par les officiers
municipaux. Ceux-ci placent
« la petite cloche dans le clocher ainsi que les six
tableaux, les chandeliers, deux reliquaires, la balustrade,
le tabernacle, le devant d’autel, les livres, la lampe, le
bénitier, la navette et l’encensoir, et la croix dans l’église
dudit lieu ».
Toutefois, les éléments décrits correspondent vraisemblablement à des réalités
modernes et il est bien difficile de se faire une idée du mobilier médiéval. Nous pouvons
présager que celui-ci a entièrement disparu suite aux guerres de Religion et aux troubles
révolutionnaires.
Historiographie :
Les travaux d’érudits sont très précieux pour notre connaissance de l’abbaye et des
aménagements monastiques. L’article d’Henri DELANNOY dans les Mémoires de la Société
des Sciences naturelles et Archéologiques de la Creuse n’apporte malheureusement aucune
indication sur la mise en œuvre et l’organisation des bâtiments1164.
Toutefois, la description d’Émile de BEAUFORT dans la seconde moitié du XIXème
siècle est éclairante1165. Il évoque la chapelle du pignon ouest décrite dans l’état des lieux de
1643. Elle est percée d’une porte en plein-cintre sans ornement. Une ouverture identique
apparaît dans le mur nord tandis que le mur sud comporte deux fenêtres en plein-cintre. Le
profil de ces baies pourrait correspondre à une datation de la seconde moitié du XIIème siècle,
avant la généralisation des arcs brisés. L’autel observé en 1643 est encore en place. Il ne livre
pas de description plus précise. Nous pouvons supposer qu’il s’agit de l’autel « fort mal
1164
1165
H. DELANNOY, « L’abbaye d’Aubignac », MSSNAC, T 17, 1909, p. 7-63.
É. DE BEAUFORT, « Abbaye d’Aubignac », MSAOMP, T 26, 1861, p. 314-321.
- 325 -
boisé » décrit dans l’inventaire de 1790. Toutefois, il paraît délicat de déterminer s’il existait
déjà à l’époque médiévale1166. Il précise que le clocher est charpenté. Les préceptes de l’ordre
ne sont alors pas réellement bafoués puisque les moines n’ont pas eu recours à la pierre. Les
dimensions qu’il donne de l’église ne correspondent pas à celles citées précédemment : elle
mesure 28m de long, 8.40m de large, 9m de haut jusqu’au tailloir des pilastres. Nous serions
plutôt tentés d’accréditer ces dimensions qui semblent plus cohérentes. En effet, la largeur de
la nef précisée en 1643 nous paraissait quelque peu réduite. Ces divergences peuvent se
justifier par la prise de mesure hors ou dans œuvre. La nef est scandée à l’intérieur par des
pilastres qui forment quatre travées. Ils sont le point de départ de faisceaux d’arcs et de filets
qui laissent supposer l’existence d’ogives plutôt que de voûtes d’arêtes. Ces pilastres
correspondent à des contreforts extérieurs irrégulièrement espacés. Entre chaque pilastre est
percée une fenêtre en plein-cintre d’1.50m de haut sur 1m de large. Elles sont fortement
ébrasées (1.60m de large et 2.30m de haut pour l’embrasure interne) comme souvent dans les
édifices religieux de Haute-Marche à la fin du XIIème siècle et dans le premier tiers du
XIIIème siècle (Prébenoît, Bonlieu, Gouzon). La façade orientale est en pignon et dispose
d’une arrière chapelle éclairée par deux fenêtres en meurtrières. Elle est flanquée de
contreforts et percée d’une porte en plein-cintre de 2m de haut par 1.50m de large, surmontée
d’une archivolte qui se prolonge en cordon jusqu’aux contreforts. Cette disposition est
relativement fréquente. Nous la retrouvons au portail de l’abbaye cistercienne de Bellaigue
(com. Virlet, Puy-de-Dôme) [Fig. 832]. La porte et la corniche sont en calcaire blanc à grains
fins tandis que l’ensemble de la construction est en granite à gros grains. La façade semble
ainsi privilégiée et bénéficie d’un matériau plus délicat et propre à la sculpture. Il a sans doute
nécessité un transport depuis des carrières plus éloignées et est donc plus coûteux que le
granite présent sur le site. C’est pourquoi le calcaire est cantonné aux éléments remarquables
nécessitant plus de soin et n’a pas été utilisé pour l’ensemble de l’édifice. La communauté,
peu prospère, ne dispose sans doute pas des moyens financiers nécessaires pour cela. L’érudit
constate toutefois la lourdeur des moulures, le dépouillement certain qui n’admet ni modillons
sculptés, ni corniches élégantes. Il insiste sur le fait que les murailles sont peu solides et en
mauvais mortier, révélant une mise en œuvre modeste à l’image des faibles ressources des
moines et qui pourrait expliquer en partie la dégradation inexorable des bâtiments
monastiques. Il décrit également un corps de logis scindé en deux parties, l’une médiévale
scandée de contreforts, l’autre plus récente qui ne dispose pas de contrebutement. Des
1166
É. DE BEAUFORT, op.cit, p. 314-321.
- 326 -
pilastres très larges supportent la voûte à l’intérieur. Au nord de cet habitat, un grand espace
carré rappelle l’emplacement primitif du cloître.
André LECLER livre également une courte description des vestiges d’Aubignac au
début du XXème siècle : « C’est l’église abbatiale du XIème siècle transformée en logements
par les derniers moines et coupée par eux en deux étages. Les piédestaux des pilastres sont
dans la cave, les chapiteaux dans le grenier, où naissent les voûtes. De gros piliers flanquent
chaque angle de la façade, dont la porte à plein-cintre allonge sa corniche circulaire jusqu’aux
contreforts »1167.
Il semble donc que l’abbatiale médiévale ait été très remaniée au fil des siècles et
modifiée en maison d’habitation pour les moines avec adjonction d’un étage supérieur.
L’abbaye d’Aubignac a été relativement peu étudiée par les historiens et les historiens
d’art. Un mémoire de maîtrise était en cours à l’université de Limoges et a abouti à la
publication d’articles éclairants mais essentiellement basés sur la constitution du patrimoine
foncier de l’abbaye1168. Aucun élément n’est livré sur l’architecture et les créations artistiques
du monastère marchois.
Un court article de Jean MARCELLOT rappelle le pillage de 1602 et les conséquences
sur la conservation des vestiges mais ne livre aucun indice précis sur l’organisation et la mise
en œuvre des bâtiments1169.
L’ouvrage collectif dirigé par Bernadette BARRIÈRE contient une courte notice sur
l’abbaye d’Aubignac1170. Toutefois, les trois pages consacrées à l’édifice nous paraissent
insuffisantes à la connaissance des vestiges.
D’après l’étude du plan cadastral de 1825, il est précisé que l’abbatiale mesure trente
mètres de long. Les contreforts sont encore matérialisés [Fig. 101 et 102]. À l’est de cet
édifice, des bâtiments ne semblent pas correspondre à l’organisation originelle. Aujourd’hui il
ne reste plus rien de ces aménagements. Bernadette BARRIÈRE faisait état d’un fragment de
mur, unique vestige de l’abbatiale recouvert de broussailles et placé sur la lisière d’un bouquet
d’arbres. Il a toutefois entièrement disparu aujourd’hui. L’analyse de bâti est donc impossible.
1167
A. LECLER, Dictionnaire topographique, archéologique et historique de la Creuse, Marseille, Laffitte
Reprints, 1902.
1168
Ce mémoire était préparé par Marie-Hélène TERRIER à l’université de Limoges sous la direction de B.
BARRIÈRE. Voir B. BARRIÈRE, M. H. TERRIER, « Les archives médiévales de l’abbaye cistercienne
d’Aubignac : première approche », Archives en Limousin, n°8, 1996, p. 11-12 ainsi que M. H. TERRIER, « Les
bois et les forêts de l’abbaye d’Aubignac des origines à 1351 », MSSNAC, Tome 46, 1997, p.269-275 et p.477488.
1169
J. MARCELLOT, « Le pillage de l’abbaye d’Aubignac en 1602 », dans l’ouvrage collectif, Mélanges
d’archéologie et d’histoire offerts à M. Hemmer, Guéret, 1979, p. 173-175.
1170
B. BARRIÈRE (dir.), Moines en Limousin (…), op. cit, p. 141-143.
- 327 -
Les études d’histoire de l’art sont totalement inexistantes concernant Aubignac.
Lorsque Claude ANDRAULT-SCHMITT présente son article sur l’architecture des
fondations de Géraud de Sales, elle exclut l’abbaye d’Aubignac, sans doute face aux lacunes
des vestiges. Elle se penche logiquement sur le cas des abbayes les mieux préservées, à savoir
Bonlieu, Prébenoît et le Palais-Notre-Dame1171. C’est pourquoi il nous a semblé nécessaire de
proposer une étude précise de ces vestiges se réduisant toutefois à des éléments lapidaires.
Historique :
De l’ermitage primitif installé sur le site dès le début du XIIème siècle, nous ne savons
rien. Le génie administratif de Roger de Dalon est rapidement connu du vicomte de Brosse
dont le fief s’étend jusqu’aux frontières du Berry et de la Marche. C’est pourquoi il donne aux
moines de Dalon la terre d’Aubignac où ils s’installent dès 1138. Des moines de Dalon
reprennent en charge le petit groupe d’ermites. L’affiliation à Cîteaux n’intervient qu’en 1162
dans la lignée de Pontigny. Communauté modeste, elle n’a jamais connu un développement
important et une prospérité notable. Les moines disposent de granges à l’Auberte (à quelques
kilomètres au sud-ouest du monastère), la Rémondière (près de Parnac), Chanteloube (au sud
de l’abbaye, au-delà d’Azérables), Beauvais (au sud près de Lignac), à la Réjade (au sud est
près de Lafat) et à l’abbaye même1172. La grange de la Rémondière n’a pu toutefois être
identifiée que ce soit sur les cartes de Cassini ou les cartes IGN. Les cinq autres exploitations
agricoles restent proches du monastère dont le territoire ne semble pas très étendu [Fig. 90].
Bernadette BARRIÈRE insiste bien sur le fait qu’Aubignac est une petite abbaye ne
comportant que peu de granges et quelques terres à vignes sur les coteaux des vallées de la
Creuse à Argenton et de l’Indre à Châteauroux1173. Cinq granges sont conservées dans la
toponymie actuelle. Les vignes d’Argenton (Fonsfurat) s’accompagnent d’une tuilerie et
d’une maison1174. Il est fréquent chez les cisterciens de Haute-Marche d’obtenir des vignobles
en Boischaut. Ces possessions sont attestées dès le milieu du XIIème siècle1175. Elles sont
permises par les donations des vicomtes de Brosse, exceptée la grange de la Réjade à la lisière
1171
C. ANDRAULT-SCHMITT, op. cit.
H. DELANNOY, « L’abbaye d’Aubignac », MSSNAC, T 17, 1909, p. 7-63.
1173
B. BARRIÈRE, M. H. TERRIER, « Les archives médiévales de l’abbaye cistercienne d’Aubignac : première
approche », Archives en Limousin, n°8, 1996, p. 11-12.
1174
AD Creuse, H 239. En 1394, une sentence de la prévôté d’Issoudun maintient la possession d’une tuilerie et
d’immeubles à Argenton sur le territoire de Fonsfurat.
1175
M. H. TERRIER, « Les bois et les forêts de l’abbaye d’Aubignac des origines à 1351 », MSSNAC, Tome 46,
1997, p.269-275 et p.477-488.
1172
- 328 -
de la forêt de Saint-Germain dotée par les vicomtes de Bridiers. C’est Gérald, vicomte de
Brosse, qui est à l’origine de la donation initiale au monastère comprenant les terres de
l’Auberte, La Rémondière et en partie celles de Chanteloube et de Beauvais. La carte IGN de
Saint-Sébastien révèle certains toponymes peut-être liés à d’anciennes installations pré
industrielles médiévales1176. Un lieu-dit « les Forges » est repéré à quelques kilomètres au sudest d’Aubignac. Il est probable que les moines disposaient de forges hydrauliques ou
forestières. Toutefois, les textes ne permettent pas d’étayer cette hypothèse. La carte de
Cassini révèle la présence d’une tuilerie à l’est de la grange de Beauvais. Elle pourrait
également relever d’une industrie monastique dont la datation est toutefois malaisée [Fig. 34].
Nous pouvons citer ici quelques actes témoignant de la constitution du patrimoine
foncier d’Aubignac. En 1165, Bernard, vicomte de Brosse, confirme les donations de son père
Gérald et consent aux religieux de nombreuses libéralités sur l’étendue de son fief. Dès 1194,
Pierre Garnier, seigneur du Dognon donne une part du moulin de la chapelle Saint Éloy aux
moines cisterciens1177. En 1203, G., vicomte de Brosse, prend sous sa sauvegarde l’abbaye
d’Aubignac et tous ses biens. Il cède aux moines blancs les droits d’usage dans ses bois. Au
début du XIIIème siècle, les frères Porret cèdent leurs droits de propriété sur le moulin de
Malherbe. Leurs hommes pourront continuer d’y faire moudre leurs grains et fouler leurs
draps1178. En 1245, Béraud et Aimeric de Copiac, chevaliers, donnent les droits d’usage dans
la forêt de Versillat pour les animaux de la grange de la Réjade. En 1247, le testament de
Pierre de Brosse évoque les moulins de la Châtre et de la Pedière (près d’Azérables) qui n’ont
pu être identifiés1179. C’est le même cas de figure pour le moulin de Rabois vendu par
Guillaume de Villenne en 1303, près d’Argenton1180. Notre étude ne peut ainsi prétendre à
l’exhaustivité puisque certaines installations n’existent plus dans la toponymie actuelle. En
1257, Géraud de Forges donne tout ce qu’il possède dans la Forêt Bâtée et ses droits sur la
dîme de Saint-Sébastien. En 1274, Hugues de Brosse, seigneur de Dun et de Châteauroux
concède des droits d’usage dans le Bois Chardon pour les granges de L’Auberte, Beauvais et
Aubignac. En 1286, Guillaume Chardon, chevalier, donne ses droits sur le Mas Boysi
(paroisse de Mouhet). En 1290, Pierre Porret donne une partie du bois commun d’Aubignac.
En 1317, Perrot de Puymorin, damoiseau, donne l’étang de la Goutte. En 1390, Louis de
Malval, seigneur de Châtelus, de Châteauclos et d’Éguzon reconnaît devoir aux religieux une
rentre de 40 sols sur les tailles franches d’Éguzon. Un an après, Hugues de l’Aigue,
1176
IGN série Bleue, 2128 O, Saint-Sébastien, 1/25000ème.
AD Creuse, H 234.
1178
AD Creuse, H 250.
1179
AD Indre, H 976.
1180
AD Indre, H 977.
1177
- 329 -
damoiseau, donne tous ses biens dans la paroisse de Parnac. Il paraît notable qu’au XIVème
siècle, l’abbaye d’Aubignac a atteint sa propriété territoriale maximale. Les donations ne vont
ensuite que se raréfier1181.
Le plan cadastral du XIXème siècle ne révèle que peu de choses des installations
hydrauliques de l’abbaye d’Aubignac [Fig. 101 et 102]. Une digue est visible, placée sur le
ruisseau du Chassepin au nord du monastère le long de la D10, près du hameau de la
Jarauderie. Aucun vivier n’est signalé.
Marie-Hélène TERRIER montre que la constitution du terroir principal des granges est
amorcée dès le milieu du XIIème siècle, avant même le rattachement à Cîteaux qui ne serait
ici pas déterminant pour le développement du monastère. Son étude sur les bois de l’abbaye
prouve que des années 1165 au milieu du XIIIème siècle, les moines n’acquièrent que peu de
bois et forêts. L’affiliation serait alors à relativiser et à nuancer, et n’engendre pas forcément
une nouvelle politique d’acquisition, une nouvelle gestion économique et domaniale.
Aubignac reste une abbaye modeste ne disposant que de six granges. Ce n’est que de 1248 à
1351 que les moines d’Aubignac se livrent à une véritable politique d’acquisition. Les
donations en pure aumône et les libéralités de la noblesse se sont dès lors raréfiées, dès le
début du XIIIème siècle. La piété seigneuriale ne concerne que les tous premiers temps de
l’affiliation à Cîteaux et ne dure qu’un demi-siècle 1182. Ils aident seulement à la mise en place
du terroir principal du monastère qui assure ensuite par lui-même son développement1183. Près
d’un siècle après son affiliation à Cîteaux, Aubignac semble ainsi assez prospère pour se
livrer à des acquisitions. Toutefois, ces innombrables achats transmis par les sources écrites
ne s’expliquent-ils pas simplement par une meilleure représentation d’Aubignac dans les
fonds d’archives ? En effet, nous ne disposons que de peu de sources concernant le XIIème
siècle et le début du XIIIème siècle. Les fonds d’archives lacunaires ne permettent guère de
cerner les premiers temps des fondations et peuvent conduire à des erreurs d’interprétation1184.
L’abbaye d’Aubignac devient également un lieu de sépulture pour les nobles laïcs.
Nous savons en particulier qu’au début du XIIIème siècle, Gérard Porret choisit le modeste
monastère pour lieu de sépulture. De même en 1247, Pierre de Brosse demande dans son
1181
J. MARCELLOT, « L’abbaye d’Aubignac. Pierres de l’oubli », 1990, non publié, 10p.
En 1165, Bernard, vicomte de Brosse, confirme ses donations et celles de son père à Aubignac. Cette
confirmation montre que la générosité seigneuriale se poursuit au moment de l’affiliation à Cîteaux. La donation
elle-même est cependant antérieure et ne dépend pas de l’appartenance ou non du monastère à l’ordre de saint
Bernard. AD Creuse, H 234.
1183
H. DELANNOY, « L’abbaye d’Aubignac », MSSNAC, T XVII, 1909, p. 7-63.
1184
M. H. TERRIER, « Les bois et les forêts de l’abbaye d’Aubignac des origines à 1351 », MSSNAC, TXLVI,
1997, p. 269-275.
1182
- 330 -
testament à être inhumé dans ladite abbaye qu’il avait par ailleurs largement dotée 1185, ainsi
que Guillaume Chardon en 1303 ou encore Hélie de la Chaume en 1355 qui lègue par
testament douze livres de rente à charge de trois messes par semaine pour le salut de son
âme1186. De ces sépultures, nous n’avons retrouvé aucun vestige et là encore, des fouilles
archéologiques seraient nécessaires à une étude approfondie du monastère. Toutefois, H.
HUGON évoque dans un article de 1939 une pierre tombale de l’abbaye, dessinée en 1890 par
Georges BERTHOMIER. Ce dernier représente une dalle gravée d’un personnage sous des
arcatures découverte dans les ruines de l’abbaye. H. HUGON ne reproduit pas le dessin et fait
juste état de son existence. Nous n’avons pu retrouver cette dalle à ce jour et ne pouvons
déterminer le seigneur auquel elle appartenait1187.
À l’époque moderne, l’abbaye d’Aubignac est déjà presque entièrement ruinée. Vers
1720, le prieur de Cressac essaie de relever l’abbaye et érige un nouveau bâtiment
d’habitation à l’emplacement de l’ancienne église. Sans doute bâti à la va-vite et à
l’économie, il menace rapidement ruines et on envisage de le mettre à bas dès 1739, de même
que le logis abbatial. En 1744, l’abbé de Pontigny consent à l’abbé d’Aubignac la démolition
de la boulangerie et d’une écurie. À la Révolution, l’abbaye n’est plus habitée que par deux
religieux. Les biens du monastère sont vendus en 1791. Le premier lot comprenait le domaine
même d’Aubignac, la chapelle, le corps de logis des religieux et l’étang de la Jarauderie,
adjugé au comte Silvain de la Marche pour 19000 livres. Le second lot comprenait le domaine
de Lanau.
Les bâtiments conventuels servent alors d’exploitation agricole avant de devenir
carrière de pierres. Les vestiges sont définitivement rasés en 19021188.
Vestiges archéologiques :
Les vestiges conservés sont aussi dérisoires que ceux des abbayes d’Aubepierres, de
Boeuil ou de Derses. Les plans cadastraux peuvent néanmoins apporter quelques éléments de
réflexion. Le cadastre de 1825 (section D) révèle l’église, encore scandée de contreforts au
sud (parcelle 1162) ainsi que trois bâtiments conventuels (parcelles 1160 et 1159),
correspondant peut-être au corps de logis des religieux et à des écuries et granges [Fig. 101 et
102]. Le cadastre actuel n’apporte malheureusement aucune information, l’abbaye ayant
1185
H. DELANNOY, « L’abbaye d’Aubignac (…) op. cit, p. 7-63; AD Indre, H 976.
AD Indre, H 977.
1187
H. HUGON, « Dessin d’une pierre tombale de l’abbaye d’Aubignac », MSSNAC, T XXVII, 1939, p. 49.
1188
J. MARCELLOT, « L’abbaye d’Aubignac. Pierres de l’oubli », 1990, non publié, 10 p.
1186
- 331 -
entièrement disparue. Elle devait s’étendre sur les actuelles parcelles 1675, 1676, 1677, 1678,
738 et 743.
Quelques éléments lapidaires sont conservés dans une propriété privée. L’abbatiale et
les bâtiments conventuels sont entièrement détruits et il est bien difficile de se faire une idée
de l’organisation du monastère à l’époque médiévale. Toutefois, ces ruines paraissent avoir
plus attiré les érudits que les monastères d’Aubepierres ou de Derses, largement délaissés de
l’historiographie. Les descriptions sont plus fréquentes et plus précises et permettent une
meilleure connaissance de l’abbaye.
L’abbaye d’Aubignac n’est qu’à quelques kilomètres à l’ouest du bourg de SaintSébastien. La route qui mène au monastère descend d’abord dans le vallon de l’Abloux,
traverse un pont avant de grimper sur un petit plateau. Les vestiges sont situés sur le versant
du vallon du Chassepin, petit ruisseau affluent de l’Abloux. Ils sont divisés entre plusieurs
propriétés privées.
L’arrivée sur le site est plutôt décevante. Aucune élévation n’est encore en place,
aucun plan discernable au sol. Sans la toponymie, il serait facile d’ignorer l’existence d’un
monastère cistercien en ce lieu. Aucun vestige ne demeure de la description d’Émile de
BEAUFORT du milieu du XIXème siècle exceptée une dizaine d’éléments lapidaires de
granite qui apportent des indications sur le voûtement, les percements et le décor interne de
l’édifice. Concernant l’architecture, nous ne pouvons ainsi que nous fier aux descriptions des
érudits ou des procès-verbaux et états des lieux. Le granite était directement présent sur le site
d’implantation si l’on se réfère à la Carte archéologique de la Gaule1189. Les moines
cisterciens se sont directement servis des matériaux présents sur le site. Il est toutefois
difficile de cerner le chantier médiéval étant donné les lacunes des vestiges conservés.
1189
D. DUSSOT, Carte archéologique de la Gaule, Creuse, Paris, 1989.
- 332 -
-
Éléments lapidaires épars :
C’est en prospectant dans plusieurs propriétés privées aux abords de l’ancien site
monastique que nous avons pu retrouver quelques éléments lapidaires appartenant à l’abbaye.
Il ne reste aucun des éléments décorés en calcaire blanc très fin décrits dans la seconde moitié
du XIXème siècle par Émile de BEAUFORT (porte, corniches)1190. Les seuls blocs retrouvés
sont en granite gris à grains relativement fins que l’érudit qualifie pourtant de grossiers. La
plupart sont conservés dans une propriété privée du lieu-dit « Aubignac ». Dix claveaux de
nervures d’ogives servent désormais de petite clôture à un parterre de fleurs [Fig. 103]. Les
nervures sont relativement simples et se composent d’un tore unique de 13cm de diamètre. La
hauteur moyenne est de 25cm. Les modules sont en général d’une longueur de 28cm excepté
un élément de 54cm de long. Le socle est de 10cm d’épaisseur. Émile de BEAUFORT faisait
état d’une nef unique voûtée d’ogives. Ces éléments pourraient être une preuve tangible d’un
tel voûtement. Par rapport aux claveaux de nervures d’ogives retrouvés à Bonlieu ou à
Varennes, ceux d’Aubignac ne présentent pas de profil en amande. Ils s’apparentent beaucoup
plus à un élément retrouvé à l’abbaye des Pierres disposant d’un simple tore de 12cm de
diamètre sur un socle de 10cm d’épaisseur également. Les ogives devaient présenter un profil
très similaire. L’aspect massif de ces élements, non amincis en amande, irait plutôt dans le
sens d’une datation de la fin du XIIème siècle.
Deux fragments de colonnettes en granite sont également conservés. Le matériau
utilisé est là encore à grains très fins [Fig. 104]. Pourrait-il s’agir de colonnettes de cloître ?
Nous ne savons rien des aménagements claustraux du modeste monastère. Il nous est dès lors
très délicat de conclure sur ce point.
Un autre élément pourrait correspondre à un piédroit de porte avec une mouluration
torique de 10cm de diamètre soulignée d’un cavet de 9cm de large. Il est préservé sur 69cm
de haut, 51cm de long et 23cm de large. Émile de BEAUFORT fait effectivement état d’une
porte en façade occidentale de 2m de haut sur 1.50m de large. Pourrait-il s’agir d’un piédroit
de ce percement ?
Un autre fragment peut également se rattacher à un portail à ébrasements. Il est
conservé sur 20cm de haut, 41cm de long et 42cm de large. En effet, un bloc présente trois
bases de colonnettes au profil en tore, scotie et tore [Fig. 105]. Le tore inférieur est aplati mais
ne présente pas de griffes. Les fragments de colonnettes de 15cm de diamètre observés
précédemment pourraient correspondre à ce portail et se nicher dans les ébrasements. Nous
1190
É. DE BEAUFORT, « Abbaye d’Aubignac », MSAOMP, T XXVI, 1861, p. 314-321.
- 333 -
n’avons toutefois pas retrouvé de chapiteaux associés. Ce portail à ébrasements pourrait
correspondre à celui de la façade occidentale.
Un carreau de granite taillé mesure 47 par 39cm. Il pourrait s’agir du tailloir d’un
chapiteau ou d’un élément de base.
Un autre élément déposé dans cette propriété privée nous pose des problèmes
d’interprétation. Il s’agit d’un bloc de granite de 70cm de haut par 38cm de large. Il pourrait
correspondre au bas du drapé d’une statue [Fig. 106]. En effet, les plis des drapés sont encore
bien visibles, assez précis malgré l’aspect fruste du granite. Toutefois, n’ayant pas la partie
haute de la statue, il nous paraît délicat d’avancer des hypothèses sur cet élément. Les
inventaires conservés n’évoquent pas cette statue.
Le dernier vestige conservé est dans une propriété en contrebas, au bord de la route à
l’arrière d’un jardinet au lieu-dit « Jappeloup ». Il s’agit d’une large vasque en calcaire qui
pourrait être rattachée à l’ancien cloître de l’abbaye d’Aubignac [Fig. 107]. Les bords en sont
légèrement évasés et soulignés de deux fins listels. Il est néanmoins difficile de proposer une
datation pour cet élément totalement extrait de tout contexte. Toutefois, un petit fragment de
grès appartenant à la vasque du monastère de Coyroux daté de la fin du XIIème siècle
présente à peu près la même modénature avec une double moulure horizontale 1191. Celle
d’Aubignac pourrait donc relever de la même époque.
Ainsi, ces quelques éléments lapidaires sont précieux pour notre étude et permettent de
préciser quelque peu les modes de voûtement, les supports et certains percements (portail à
ébrasements). Toutefois, la physionomie des bâtiments médiévaux sont encore très largement
méconnus et seules des fouilles archéologiques pourraient permettre de mieux cerner le plan
au sol et peut-être de retrouver d’autres vestiges lapidaires.
-
Aménagements hydrauliques :
Nous n’avons pu retrouver beaucoup de vestiges des granges et aménagements
hydrauliques d’Aubignac. Les granges sont désormais des maisons d’habitation ne conservant
aucun témoin des anciennes installations médiévales. La plupart des moulins cités dans les
actes n’ont pas laissé de traces dans la toponymie. La digue visible sur le plan cadastral du
XIXème siècle au lieu-dit « La Jarauderie » à un kilomètre au nord du monastère a été
détruite. Un pont traverse le ruisseau du Chassepin à cet endroit. Une retenue d’eau est
toujours aménagée mais les canalisations et aménagements en sont modernes.
1191
B. BARRIÈRE, op.cit, p. 70.
- 334 -
Le « Moulin du Bois » appartenant à la grange de la Réjade à la lisière de la forêt de
Saint-Germain est encore présente dans la toponymie actuelle. Il est placé à l’extrémité d’un
petit étang. Les bâtiments actuels sont modernes. Le mécanisme du moulin occupait la moitié
gauche de la demeure. Il n’en reste rien aujourd’hui, les propriétaires ayant détruit les
mécanismes et la roue en bois au début du siècle. Toutefois, étant donnée la proximité du
château de Saint-Germain, nous ne sommes pas persuadés que ce moulin appartiennent
effectivement aux moines cisterciens d’Aubignac. Les actes ne permettent guère d’être plus
précis.
- 335 -
BOEUIL
- 336 -
2. Boeuil (commune de Veyrac, Haute-Vienne) :
L’abbaye de Boeuil est située sur la commune de Veyrac, entre Limoges et SaintJunien. Elle est signalée sur la carte de Cassini sous cette graphie. Elle apparaît avec le
symbole habituel du prieuré, à savoir une petite église surmontée d’une crosse. Sur la carte
IGN au 1/25000ème, elle est indiquée par le toponyme « L’Abbaye » [Fig. 108 et 109]1192.
Sources manuscrites et figurées :
Les Archives Départementales de la Haute-Vienne disposent de fonds sur l’abbaye de
Boeuil conservés dans la série 13 H (cotes 1 à 39). Un bref aperçu – non exhaustif – peut être
livré dès à présent, regroupant les actes les plus intéressants pour notre propre étude. En effet,
ces sources ont déjà fait l’objet d’une analyse complète par Irène AUBRÉE et il n’y a pas ici
nécessité de nous adonner au même inventaire1193.
- 13 H 1 :
bulle d’Eugène III prenant l’abbaye sous sa protection apostolique et lui
confirmant ses possessions et ses droits (1151).
Bulle de Clément V confirmant les privilèges et immunités concédés par ses
prédécesseurs (1307).
Vidimus par l’official de Périgueux de la précédente bulle.
- 13 H 2 :
quittance délivrée à l’abbé de Boeuil par l’abbé de Bonnevaux pour 60 sous,
partie de sa contribution au chapitre général (1453).
Ordonnance de visite de Mathieu de Mesgrigny, abbé de Pontigny (1648)
- 13H 9 :
cartulaires (titres de procédures de 1619 à 1692).
- 13 H 10 :
titres de 1669 à 1692.
- 13 H 11 :
cahier des investitures dans les fonds de l’abbaye.
- 13 H 12 à 27 : titres et procédures concernant l’abbaye, classés par paroisses (Aixe-surVienne, Chabanais, Confolens, Compreignac, Javerdat, Limoges, Oradour,
Peyrillac, Saint-Junien, Saint-Martin-Le-Vieux, Saint-Victurnien, Saint-Yrieixsous-Aixe, Sainte-Marie-de-Vaux, Séreilhac, Tarn, Verneuil-sur-Vienne et
Veyrac).
- 13 H 28 à 31 : Titres et procédures concernant les « prieurés » : Courdieu, Fay, Mars,
Vieillefond.
1192
IGN Série Bleue 1/25000ème, Saint-Junien, 1931 E.
I. AUBRÉE, Patrimoine, gestion et vie sociale de l’abbaye cistercienne de Boeuil du XIIème siècle au début
du XVIème siècle, maîtrise d’histoire médiévale sous la direction de Bernadette BARRIÈRE, Limoges, 1995.
1193
- 337 -
- 13 H 32-33 : Titres et procédures non localisés.
- 13 H 34 à 38 : Lièves des cens, rentes, fermes et devoirs (1677-1789).
- 13 H 39 : documents relatifs aux biens et revenus de l’abbaye à l’époque révolutionnaire
(1790-1792).
1790 : attestations délivrées par Heyraud, curé de Veyrac. Bien reçu deux
antiphonaires, deux graduels, deux processionnaux. Reconnaissance de jouir
d’un « canton » de dîme délaissée à ses prédécesseurs pour la somme de 450
livres.
1790 : état des rentes dues à l’abbaye rédigé par le prieur à l’attention du
directoire.
1792 : extrait des registres de la municipalité de Veyrac : procès-verbal
d’inventaire des archives de l’abbaye et récolement des objets de la sacristie,
certains étant confiés au curé de Veyrac.
1790 : billets émanant des municipalités de Veyrac, Verneuil, Saint-Yrieix,
Peyzilhac, Saint-Victurnien, priant le prieur de Boeuil de donner de l’argent à
diverses personnes nécessiteuses.
Un terrier rédigé dans les années 1474-1476 demeure très précieux pour l’étude du
monastère. Il est rédigé par Jean Forgaud. Il se compose de 257 notices classées par paroisses
et par « prieurés »1194.
D’après l’état des fonds de Veyrac de 1743, nous savons que les bâtiments étaient
composés d’une «église, cloître, maison du presbitayre, cour, écurie et jardin à légume ».
Un inventaire des objets mobiliers de l’église nous permet de connaître un peu mieux
certains biens monastiques à la fin du XVIIIème siècle. Après inventaire, les officiers
municipaux confient certains objets de l’église de Boeuil au curé de Veyrac qui livre cette
quittance rédigée le 7 janvier 17911195 :
« (…) Le soussigné déclare avoir reçu de messieurs les
officiers municipaux de la commune de Veyrac les objets
ci-dessous énoncés provenant des effets de l’église de
Boeuil énumérés dans le présent procès-verbal, mais
reconnu et vérifié en l’état tel que s’ensuit, savoir dix-neuf
1194
1195
AD Haute-Vienne, 13 H 8.
AD Haute-Vienne, 1 Q 440.
- 338 -
purificatoires, lavabos et manuterges, six corporaux, dont
la plupart n’ont pas été lavés, deux amicts et un cordon de
même, le tout à demi usé ; plus un calice dont la seule
coupe et la patène sont d’argent doré en dedans, l’argent
paroissant à bas titre, ladite coupe soutenue par un pied
de cuivre ou de bronze en son entier et blanchi en forme
d’argent ; plus un ostensoir ou soleil aussi de la même
matière dudit pied du calice et blanchi de même en son
total, dont le port-Dieu en forme de croissant paroit être
de vermeil fermé entre deux verres ronds dont un est
détaché au défaut d’un crochet ou goupille à ce
nécessaire, ledit soleil avec une boîte de bois doublée
d’étoffe verte ; plus deux bras en cuivre contenant des
reliques avec un petit grillage de même matière, à chacun
dont les goupilles ou crochets manquent ; plus un petit
ciboire d’argent très faiblement doré en dedans, plus une
boîte d’argent pour les saintes huiles (…). »
Outre ces sources manuscrites, des sources figurées peuvent être également exploitées
pour mieux connaître l’abbaye de Boeuil. Un dessin aquarellé de Paul Peyrusson datant des
années 1830 est conservé à la mairie de Veyrac [Fig. 112]. Il a été réalisé d’après certains
souvenirs et descriptions orales, c’est pourquoi nous devons manier ce document avec la plus
grande précaution. À l’arrière plan, une végétation abondante est représentée signifiant
l’implantation du monastère à côté d’un bois de feuillus. L’abbatiale est le bâtiment le plus
élevé. Elle est couverte de tuiles creuses. Un clocher la surmonte, visiblement couvert
d’ardoises. Il semble être de plan octogonal. Il est placé à la croisée du transept. Le bras sud
du transept est représenté avec un pignon percé de cinq trous de boulin et une petite fenêtre à
meneaux. Sous la corniche de la nef sont également alignés neuf trous de boulins. Contre le
mur sud de la nef est accolé un bâtiment également repérable sur le plan cadastral de 1808
[Fig. 110 et 111]. Il s’agit peut-être du logis abbatial. Il se compose d’un corps de logis
encadré de deux tourelles rondes percées de larges fenêtres à meneaux. Il pourrait s’agir d’une
construction postérieure du XVème siècle. Devant ce bâtiment est représentée une petite cour
entourée d’un muret. Un ensemble de structures à l’ouest reste délicat à interpréter. Ils
pourraient correspondre aux bâtiments des convers, à des granges, greniers, entrepôts. Deux
- 339 -
petites tourelles se distinguent. L’édifice le plus à l’ouest, percé d’une vaste porte charretière
pourrait être identifié comme une porterie. Ce dessin, issu de la mémoire collective, est un
outil précieux mais en tous cas délicat à utiliser.
Historiographie :
Quelques érudits locaux se sont penchés sur l’histoire de l’abbaye de Boeuil. Dès
1865, l’abbé ARBELLOT consacre un court article sur les moines de Boeuil. Cette étude
regroupe quelques textes et actes épars permettant de préciser certains épisodes de l’histoire
du site1196. Il faut attendre A. LECLER pour découvrir la première étude véritablement
détaillée de l’ensemble du canton de Nieul. Il rappelle brièvement l’historique du monastère
cistercien déjà entièrement détruit en cette fin de XIXème siècle1197. C’est une analyse
succincte qui a néanmoins le mérite de faire un point sur la fondation du site et son devenir
jusqu’au XIXème siècle.
En 1990, une habitante de Veyrac livre une petite étude sur son village intégrant des
éléments concernant Boeuil. Elle se livre en particulier à un recensement des éléments
lapidaires appartenant à l’abbaye et étant désormais disséminés entre plusieurs villages : La
Grange de Boeuil, Les Quatre-Vents et Bellegarde de Langouge. Elle décrit également le
bâtiment d’habitation des moines (sans doute convers) à la Grange de Boeuil1198.
En 1995, Irène AUBRÉE présente une maîtrise sur le patrimoine de l’abbaye de
Boeuil. Cette étude est essentielle puisque l’auteur dépouille l’ensemble des fonds d’archives
disponibles aux Archives Départementales de la Haute-Vienne (série 13H)1199. Elle revient sur
l’historique du site, la fondation de l’abbaye, la constitution de son patrimoine, la géographie
de ses possessions, la maîtrise du réseau hydrographique. Elle énumère aussi bien les granges
que les possessions urbaines des moines cisterciens et identifie la nature et les donateurs de
chacun de ces biens. Elle repère également systématiquement les remplois médiévaux dans les
bâtiments de ferme aux alentours de l’ancien site médiéval, derniers témoins des anciennes
installations monastiques. Toutefois, l’étude des moulins et autres installations hydrauliques
et pré industrielles peut être approfondie.
1196
Abbé J. ARBELLOT, « Abbaye de Boeuil », Semaine Religieuse de Limoges, T 3, 1865, p. 542-543.
A. LECLER, « Monographie du canton de Nieul », BSAHL, 1894, T 42, p. 106-137.
1198
G. COUTY, Veyrac : passé, coutumes, Limoges, 1990, p. 3-13.
1199
I. AUBRÉE, Patrimoine, gestion et vie sociale de l’abbaye cistercienne de Boeuil du XIIème siècle au début
du XVIème siècle, maîtrise d’histoire médiévale sous la direction de Bernadette BARRIÈRE, Limoges, 1995.
1197
- 340 -
En 1996, les résultats de cette étude sont repris par Irène AUBRÉE et Bernadette
BARRIÈRE dans un court article publié dans la revue Archives en Limousin1200. Il consiste en
un état des lieux des documentations archivistiques disponibles : si les fonds concernant le
XIIème siècle sont très incomplets, des documents majeurs du XVème siècle permettent une
bonne connaissance des biens fonciers du monastère et notamment de la grange de Fay en
Poitou. Le terrier de 1474-1476 est également évoqué ainsi que les plans cadastraux de la
seconde moitié du XIXème siècle très précieux pour l’identification de certains lieux cités
dans les actes, la restitution de bâtiments disparus et l’interprétation de certains vestiges
d’aménagements hydrauliques (viviers, étangs, moulins).
En 1998, l’ouvrage dirigé par Bernadette BARRIÈRE sur les moines cisterciens en
Limousin évoque l’abbaye de Boeuil. Quatre pages lui sont consacrées et font le point sur les
connaissances historiques du site1201. L’auteur évoque les seuls aménagements hydrauliques
conservés : un chemin-digue en moellons de pierres, la digue rompue d’un petit étang, les
viviers alimentés par des sources captées. Elle fait également référence à une grande tranchée
argilière conservée liée à une tuilerie. C’est un état des lieux certes rapide mais nécessaire. Il
mérite toutefois d’être amplement approfondi. Des investigations archéologiques seraient
nécessaires pour mieux connaître l’organisation du site médiéval.
Historique :
L’abbaye de Boeuil est le seul monastère cistercien du Haut-Limousin. En effet, les
environs de Limoges bénéficient déjà de la présence de nombreuses fondations de type
érémitique ou canoniale telles Grandmont, Aureil et l’Artige, d’où la difficulté peut-être des
moines blancs à s’insérer sur ces terres bien occupées. Il s’agit au départ d’un ermitage de
Géraud de Sales érigé en abbaye en 1123 à l’initiative de Ramnulphe de Nieul, doyen du
chapitre du Dorat. Il deviendra par la suite évêque schismatique de Limoges, nommé par
Gérard, évêque d’Angoulême, légat de l’antipape Anaclet. Il sera inhumé à Boeuil 1202. Un
groupe d’ermites était peut-être présent sur le site dès 1117 1203. Le site choisi est au milieu des
bois, sur des terres marécageuses à proximité du ruisseau du Glanet. Il ne s’agit pas toutefois
réellement d’un désert inculte propre aux installations érémitiques puisque la voie de
1200
I. AUBRÉE, B. BARRIÈRE, « L’abbaye cistercienne de Boeuil au Moyen-Âge : le patrimoine et sa gestion,
les relations avec l’environnement », Archives en Limousin, n°8, 1996, p. 9-10.
1201
B. BARRIÈRE (dir.), Moines en Limousin, l’aventure cistercienne, PULIM, Limoges, 1998, p. 144-147.
1202
« Perlatus est in coenobium quod vocatur Bulos, ubi ipse quondam bona contulerat, quod est non longe de
castello de Nioil ». Abbé J. ARBELLOT, « Abbaye de Boeuil …», op. cit, p. 542-543.
1203
A. LECLER, « Monographie du canton de Nieul… », op. cit.
- 341 -
communication de Limoges à Saint-Junien n’est guère éloignée, à moins d’un kilomètre de
l’abbaye. Dès 1123, saint Bernard aurait voulu agréger le site à Cîteaux, mais Roger, abbé de
Dalon, l’en dissuade et se charge de constituer le monastère. Pour convaincre Bernard de
Clairvaux, il se compare au berger de la parabole de Nathan, n’ayant qu’une brebis tandis que
saint Bernard est riche de cent et veut enlever la brebis au pauvre. C’est toutefois
l’appréciation que nous livre Bernard GUI1204.
Le seigneur de Nieul fait la donation de « Bulio » à Dalon. Irène AUBRÉE signale que
dans cet acte, le mot « coenobium » est employé : l’organisation des ermites géraldiens est
donc considérée comme cénobitique dès le départ1205. Sont également bienfaiteurs du
monastère Hélie de Nieul, Aymeric de Montcocu (paroisse d’Ambazac) et Aymeric d’Aixe.
Le quatre octobre 1135, l’abbaye est consacrée avant le décès de Ramnulphe de Nieul.
L’église est placée sous le patronage de la sainte Vierge et de saint Mandet. Ce dernier est
peut-être un solitaire connu dans le diocèse de Tréguier et qui mourut au VIIème siècle (18
novembre)1206. Les reliques de saint Mandet auraient été déposées à Boeuil. Dès 1151, le pape
Eugène III prend l’abbaye sous sa protection. Il confirme toutes les possessions de l’abbaye à
la demande de son abbé Bernard. Une bulle retrace le patrimoine acquis dans les diocèses de
Poitiers, Périgueux et Saintes. En 1162, Boeuil est agrégée à Cîteaux dans la filiation de
Pontigny de même que les autres filles de Dalon.
Dès 1163, les proches ermites de la Malaize, considérés comme menant une vie
dissolue par l’évêque de Limoges, sont dépossédés de leurs biens et de leurs terres qui
échoient aux moines de Boeuil1207. En 1168, l’abbaye cistercienne peut essaimer à Ferrières
(Saint-Léonard de Ferrières, diocèse de Saintes). Toutefois, l’absence de mention postérieure
de cette fondation laisse présager son échec. Il pourrait également s’agir d’une confusion avec
la création de Saint-Léonard-des-Chaumes dans le diocèse de la Rochelle (commune de
Dompierre-sur-mer). Cette abbaye-fille aurait pu changer de nom lors de l’affiliation à
Pontigny. Nous ne connaissons que peu les relations entre Boeuil et sa fille. Toutefois, nous
savons que cette dernière bénéficie des libéralités de Richard-Cœur-de-Lion et Jean-SansTerre.
1204
C. ANDRAULT-SCHMITT, « Des abbatiales du « Désert »…, » op. cit, p. 91-173. « Domnus Rotgerius
quiescit apud Dalonem, Cisterciensis ordinis abbatiam. Hic B. Bernardo qui suae Clarevalli abbatiam de Bullo
volebat addere, et Daloni, cujus fuerat a principo, subtrahere, parabolam proposuit de illo qui habens centum
oves pauperculo homini suam unicam abstulit ».
1205
I. AUBRÉÉ, op. cit, p. 34.
1206
A. LECLER, « Monographie du canton de Nieul… », op. cit.
1207
Le lieu-dit « La Malaise » est encore signalé aujourd’hui. Il s’agit d’un hameau sur la N 141 (commune
Oradour-sur-Glane. IGN Série Bleue, 1/25000ème, Oradour-sur-Glane, 1930 E.
- 342 -
C’est l’une des rares abbayes du Limousin à poursuivre son expansion domaniale
jusque dans les années 1320. La concentration des acquisitions s’étend des années 1200 à
1320 avec un pic entre 1250 et 1280, phénomène relativement tardif par rapport aux autres
abbayes limousines (expansion plutôt dans la seconde moitié du XIIème siècle). À la fin du
XIIIème siècle, la majeure partie de son patrimoine est constituée. Il s’étend plutôt vers
l’ouest. Les moines disposent essentiellement de deux granges en Poitou, deux en Périgord et
d’une saline en Aunis-Saintonge, à savoir la grange de Fay le long de la Clouère et de la
Vienne (com. Bouresse, Vienne), la Courdieu près de la Gartempe (com. Antigny, Vienne),
Vieillefond près des rivières de Vincou et Bazine (com. Berneuil, Haute-Vienne), Mars près
de la Dronne (com. Quinsac, Dordogne) et de la Valouse [Fig. 120 et 121]1208. Les granges de
Chambon, Laborde et Pellechevent disparaissent rapidement. Cette dernière est remplacée par
la grange de Boeuil à un kilomètre à l’ouest de Boeuil. Cette exploitation donne naissance à
un village qui reste dans la mouvance et la directivité des abbés de Boeuil jusqu’à la
Révolution1209. En 1454, elle prend le nom de « Grange Rouge » [Fig. 131]. Les religieux y
habitent jusque vers 1800. Le bâtiment d’habitation est encore conservé de nos jours et
présente des murs en moellons de granite liés de mortier de terre, une porte charretière à deux
battants, un grenier à foin1210.
Le domaine de Piangaud apparaît dans les actes dès 1214. Il se constituait
vraisemblablement d’un moulin et d’une maison. Un acte de 1297 concerne un bail à ferme de
la maison, des rentes et appartenances de Piangaud1211.
La majeure partie de la production est céréalière (blé, seigle, froment, avoine, orge et
millet). La grange de Courdieu est quant à elle spécialisée dans l’élevage. Des châtaignes sont
cultivées à la Grange de Boeuil, des noix dans les granges de la Vienne. La production du vin
est permise notamment par Saint-Léonard-des-Chaumes. La proximité du port de la Rochelle
facilite le commerce, en particulier avec l’Angleterre.
Les moines disposent également de possessions urbaines : trente-cinq maisons dans de
simples villages comme la Barre, une maison à Beaulieu (com Usson du Poitou, Vienne), à
Cougoulhe (com Antigny, Vienne), à Tussac (com Leignes-sur-Fontaine, Vienne), vingtquatre maisons à Saint-Junien, Limoges et Saint-Victurnien. Ils possèdent également un
solare (vaste emplacement à bâtir) dans le château de Limoges (1371) [Fig. 84].
1208
Mars est un lieu-dit sur la commune de Saint-Pancrace. IGN Série Bleue, 1/25000ème, 1833 E.
G. COUTY, Veyrac : passé, coutumes, Limoges, 1990, p. 3-7.
1210
G. COUTY, Veyrac…, op.cit, p. 12-13.
1211
AD Haute-Vienne, 13 H 30.
1209
- 343 -
Quant au réseau hydraulique, nous connaissons d’après les actes conservés un étang
(associé à un moulin à fer) et trois viviers à proximité de Boeuil dont deux sont encore
visibles aujourd’hui, un moulin à la Valette (com Saint-Victurnien), le moulin de Pochonerie
(grange de Fay), de Sapnac (Vieillefond), de la Coste (paroisse de Saint-Victurnien), le
moulin des Bordes à Oradour-sur-Glane, deux moulins à la Courdieu, un à la grange de Mars,
un moulin à drap à Saint-Quentin (com Oradour), un au Mas-du-Puy (com Oradour).
L’étude toponymique d’après les cartes IGN et de Cassini de l’environnement de
l’abbaye de Boeuil peut nous apprendre sur certaines industries monastiques aujourd’hui
disparues en élévation [Fig. 36 et 63]. La carte de Cassini signale ainsi la « Grange de
Boeuil », principale exploitation des moines cisterciens ayant donné naissance à un hameau.
Concernant le toponyme « Grand Moulin » au nord de Veyrac, il est difficile de conclure si ce
pouvait être une industrie liée aux moines blancs ou dépendant des gens de Veyrac. Au sudouest du site, le « moulin de Bellecheraux » est signalé. Il est lié à un petit étang dont la
digue est encore en place. Il appartenait vraisemblablement à l’abbaye de Boeuil.
Aux alentours de l’abbaye de Boeuil, la carte IGN révèle des toponymes tels « les
granges », les « petites granges » qui pourraient correspondre à d’anciennes exploitations. Il
est toutefois délicat de savoir si elles étaient médiévales ou plus tardives. La grange de
Pellechevent a donné son nom à un hameau à un kilomètre à l’ouest de Boeuil. De
nombreuses carrières sont également mentionnées au sud de l’abbaye (« les carrières »,
« carrière de Pagnac »). Ces gisements étaient-ils déjà connus des moines de Boeuil ? Nous
pouvons recenser de nombreux lieu-dit liés à des aménagements hydrauliques : ainsi
« l’étang » et « le moulin » à l’est de Veyrac, « le petit moulin » et le « grand moulin » entre
Boeuil et Veyrac. Le site de la Valette est également signalé, là où les moines disposent d’un
moulin. Nous ne pouvons toutefois pas attester de l’appartenance de chacun de ces moulins
aux moines de Cîteaux1212.
Une autre carte IGN permet de repérer le « Moulin du Puy Embard » au Mas du Puy,
au nord de la grange de Boeuil. Il est placé sur la Glane. Il s’agissait d’un moulin drapier1213.
Le patrimoine des moines de Boeuil peut ainsi être mieux appréhendé à travers les
actes conservés mais aussi les cartes de Cassini et IGN qui gardent bien souvent des
témoignages d’anciennes installations monastiques.
L’histoire de l’abbaye de Boeuil au Bas Moyen-Âge et à l’époque Moderne est
relativement peu connue. En 1378, Boeuil devient un lieu d’inhumation pour les riches
1212
1213
IGN Série Bleue, 1/25000ème, Saint-Junien, 1931 E.
IGN Série Bleue, 1/25000ème, Oradour-Sur-Glane, 1930 E.
- 344 -
bienfaiteurs : Jeanne d’Archiac, première femme d’Aymeric de Rochechouart y est enterrée.
En 1481, nous savons qu’un conflit éclate entre les religieux de Boeuil et le seigneur de SaintVicturnien. Il détruit la chaussée d’un nouvel étang construit par les moines car celui-ci noyait
certaines de ses terres. La chaussée est donc reconstruite moins haute. L’étang disparu
aujourd’hui peut être localisé au lieu-dit La Vergne1214.
En 1742, des arpentements de la commune de Veyrac (n° 2809) signalent que l’abbaye
se compose encore d’une église, d’un cloître, d’un presbytère et d’une cour, d’une écurie,
d’un jardin à légumes, d’un chaume servant de pacage appelé « jardin de l’abbaye »
confrontant à la cour de l’abbaye et aux héritages et dépendances. Tout près de là les moines
avaient un petit étang, « le Maupas » et un autre dit de « Frère Hague »1215.
L’abbaye sert de carrière au XIXème siècle, c’est pourquoi il ne demeure rien
aujourd’hui des bâtiments médiévaux. En effet, dès le début du XIXème siècle, Boeuil est
vendu à Marc Fougère, un entrepreneur, qui transporte à Limoges comme matériaux de
construction tout ce qu’il peut arracher à l’abbaye. En 1821, Monsieur ALLOU, dans son
ouvrage sur les Monuments de la Haute-Vienne, décrit ainsi l’abbaye : « Cet édifice a été
démoli en grande partie, et l’on ne voit plus que quelques débris de l’église et du clocher »1216.
En 1837, une partie du cloître subsiste encore, mais qui s’écroule à la fin du siècle.
Vestiges archéologiques :
-
Abbaye :
L’abbaye est située à 20 kilomètres à l’ouest de Limoges, au niveau d’un replat de la
rive droite du Glanet, dans la partie ouest de la paroisse de Veyrac (commune de Veyrac,
canton de Nieul, département de la Haute-Vienne). Elle est à 260m d’altitude. Nous accédons
à l’ancien site de l’abbaye par la départementale 28 à l’ouest de Veyrac [Fig. 113]. Le chemin
conduisant au site est signalé par une croix entre l’Ébourliat et Réjasseville. Le lieu-dit
« L’abbaye » apparaît encore sur la carte IGN et demeure le seul témoin de l’emplacement
monastique à l’est du chemin, à 200m environ de l’embranchement avec la D28 [Fig. 108 et
109]1217. Ce chemin correspond en fait au « chemin-digue » appelé « chemin des moines »
1214
AD Haute-Vienne, 13 H 4; B. BARRIÈRE, « Étangs et hydraulique en Limousin : le temps des créations »
dans B. BARRIÈRE, Limousin médiéval, le temps des créations, PULIM, Limoges, 2006, p. 157-187.
1215
G. COUTY, Veyrac…, op.cit.
1216
p. 302. Cité dans Abbé J. ARBELLOT, « Abbaye de Boeuil », Semaine Religieuse de Limoges, T 3, 1865, p.
542-543.
1217
IGN Série Bleue, 1/25000e, 1931 E, Saint-Junien,
- 345 -
apparaissant sur le plan cadastral de 18081218. Les murs de rive laissent encore apparaître des
moellons de granite assemblés en pierres sèches. Il constitue le chemin d’accès à l’abbaye et
permet le passage à sec de cette vallée humide [Fig. 122 et 123]. La carte de Cassini signale
également l’abbaye de Boeuil sous cette orthographe. Toutefois, les sigles O.S.B. (ordre de
Saint Benoît) ou O.C (ordre cistercien) ne sont pas précisés.
Le cadastre permet de deviner l’organisation des bâtiments monastiques autour d’un
cloître carré de 12.5m de côté environ (parcelle 460) [Fig. 110 et 111]. Le côté nord est
occupé par la nef de l’église dont le chœur est orienté. Le chevet paraît être constitué d’une
abside pentagonale. L’église abbatiale n’a pas de transept. Elle mesure 42.5m de long sur
11.5m de large (parcelle 461). Le bâtiment de l’aile sud correspond à la parcelle 459, la cour à
l’arrière à la n°462. Trois petits bâtiments sont disposés au niveau du chemin d’accès
(459bis). Leur destination est inconnue : porterie ? Hôtellerie ?
- Éléments lapidaires et remplois :
Des éléments lapidaires épars ont pu être identifiés. Au lieu-dit « les Quatre Vents »
sur la N 141, un chapiteau à feuilles lisses est déposé à côté de la porte d’entrée d’une maison.
Il est taillé dans un granite à gros grains et à fortes inclusions. Il mesure 58 cm de haut, 42cm
pour la seule corbeille. L’astragale est épais de 6cm. Le tailloir carré mesure 44cm de côté
[Fig. 119].
De l’autre côté de la N 141, une maison conserve un chapiteau lisse de 33cm de haut
en granite fin ainsi qu’un autre fragment difficile à interpréter [Fig. 118]. Un chapiteau à
corbeille nu identique est déposé à l’intérieur de l’église de Veyrac. Il est toutefois délicat de
savoir s’il appartenait bel et bien à l’abbaye cistercienne ou à la nef primitive de l’église
paroissiale tardivement voûtée d’ogives.
À la « Grange de Boeuil » au sud-ouest de l’abbaye sur la D 9, de nombreux éléments
lapidaires sont conservés et remployés dans des propriétés privées. À l’entrée du village, un
chapiteau lisse sert de support à une croix de chemin [Fig. 115]. Il est en granite gris avec de
grosses inclusions de quartz. Il mesure 38 cm de haut. L’épannelage ressemble fortement à
celui conservé aux Quatre-Vents. Le tailloir est de 35 par 26cm pour 6cm d’épaisseur (celui
des Quatre-Vents mesurait par ailleurs 9cm d’épaisseur). Par comparaison avec les chapiteaux
lisses similaires des abbayes de Prébenoît et Obazine, une datation de la fin du XIIème siècle
au premier tiers du XIIIème siècle peut être envisagée.
1218
AD Haute-Vienne, 3P 212 n°1, section D dite de Saint-Quentin, subdivision 3ème, échelle 1/2500.
- 346 -
Au n°25 de la route de la Grange de Boeuil, des éléments de baies et de portes
moulurés sont remployés dans la façade. La maison située juste en face remploie également
des éléments de granite. Une maison de la « cour de la grange de Boeuil » a été baptisée
« Maison des religieuses » et pourrait correspondre à la demeure des convers de la grange de
Boeuil. De beaux blocs de granite sont mis en oeuvre en parement [Fig. 132].
Nous avons également pu inventorier un fût de colonne de 34cm de diamètre et de
66cm de haut [Fig. 114], une cuve interprétée comme un sarcophage par Germaine COUTY,
ce dont nous doutons tout de même face aux dimensions très réduites (137cm par 64cm) [Fig.
117]. Un bénitier est déposé dans un jardin (74cm de circonférence extérieure, 56cm à
l’intérieur). Le granite est fin avec peu d’inclusions [Fig. 116]. Une pierre tombale est
remployée en linteau au-dessus de la porte d’entrée d’une habitation. Deux petits chapiteaux
jumelés, probablement associés à des colonnettes de cloître, ont été transportés de la Grange
de Boeuil à Bellegarde de Landouge sur la N 141 peu après Limoges1219.
Il est toutefois difficile de replacer ces éléments extraits de leur contexte dans
l’édifice. Ces chapiteaux peuvent aussi bien correspondre à des colonnes de cloître qu’à une
nef ou un chevet. Nous ne savons en effet presque rien de l’élévation de l’édifice et ces
quelques éléments lapidaires épars ne nous éclairent que peu. Ils permettent simplement
d’attester du dépouillement certain de l’édifice qui adopte chapiteaux lisses et feuillagés.
- Aménagements hydrauliques :
La carte IGN signale un étang à l’est de l’abbaye encore conservé aujourd’hui. Il
apparaît également sur le plan cadastral de 1808 avec sa digue [Fig. 110 et 111].
Un second étang est repérable au sud de la D28 au niveau de l’Ébourliat. Ce dernier
dispose d’une chaussée signalée sur le cadastre de 1808. D’après le propriétaire ayant assisté à
la destruction d’une partie de la longue digue pour installer son habitation, elle se constitue de
parements de blocs de granite et est emplie de terre [Fig. 126 et 127].
L’étang de Pellechevant à l’ouest de l’abbaye n’est plus en eau [Fig. 130]. Il est
présenté sur ce même cadastre et alimenté par le Glanet. Toutefois, la chaussée en est encore
conservée. Elle se constitue de parements de blocs de pierres sèches. Trois conduits
d’évacuation de l’eau sont percés dans cette digue : au sud, il se présente comme un déversoir
dallé. Le second conduit directement à la roue d’un moulin, aujourd’hui maison d’habitation
avant de rejoindre l’évacuation d’eau précédente [Fig. 129 et 130]. Ces deux cours d’eau sont
1219
G. COUTY, Veyrac…, op.cit, p. 12-13.
- 347 -
signalés sur le cadastre de 1808. Un troisième est situé à l’extrémité nord de la digue. Il n’est
plus en eau aujourd’hui et n’est pas signalé sur le cadastre.
Un vivier en « L » au nord ouest de l’abbaye, indiqué sur le cadastre de 1808 est
encore visible de nos jours (parcelle 539) [Fig. 125]. Il n’est toutefois plus en eau. La bonde
de bois est conservée. Deux autres viviers sont signalés par le cadastre sur les parcelles 464 et
463 à l’est du site. Il ne reste rien aujourd’hui des bâtiments monastiques et ces
aménagements hydrauliques sont le seul souvenir de cette implantation cistercienne [Fig.
124].
Au lieu-dit le « grand Moulin » au sud-est de l’abbaye sur la D 9, aucun vestige de
moulin n’est conservé. Un barrage est encore placé en cet endroit sur le Glanet et des réseaux
de canalisations conduisent l’eau à l’actuelle habitation, pérennisant peut-être d’anciennes
installations médiévales. Le toponyme le « petit Moulin » légèrement en contrebas est plus
récent et ne correspond à aucun aménagement hydraulique.
De même, aucun vestige ne demeure au « moulin de la Barre » à l’ouest de l’abbaye
entre la Barre et Chaumeix, excepté une exploitation agricole moderne. Quant au moulin des
Bordes à l’est d’Oradour-Sur-Glane sur la D 101, les mécanismes et la roue du moulin sont
encore en activité. Il est placé sur le « ruisseau de l’étang », dérivé du Glanet. Le bâtiment est
moderne et sert aujourd’hui d’habitation.
- 348 -
BONLIEU
- 349 -
3. Bonlieu (commune de Peyrat-La-Nonière, Creuse) :
Nous accédons à l’abbaye de Bonlieu par la route départementale D 4 depuis le bourg
de Peyrat-La-Nonière. La route s’enfonce peu à peu dans un vallon boisé. Le monastère
entouré de son enceinte de moellons de granite et de schiste est niché dans une clairière
verdoyante où coule la Tardes. Elle est signalée sur la carte de Cassini par le symbole du
clocher et de la crosse ainsi que par les initiales réservées aux abbayes d’hommes : AB H. O.
B (abbaye d’hommes d’observance bénédictine). La carte IGN matérialise également le
monastère et précise l’existence d’une ancienne abbaye, d’un moulin, d’un château (logis
abbatial) et d’une chapelle1220. Le panneau de signalisation au niveau de l’embranchement
entre la D 4 et le chemin d’accès indique « Le Couvent » [Fig. 133 et 134]. L’abbaye est
protégée au titre des Monuments Historiques depuis le 12 décembre 1963 (façades et toitures
de l’ensemble des bâtiments).
Sources manuscrites et figurées :
L’abbaye de Bonlieu est l’un des monastères de Haute-Marche qui conserve le plus
d’archives médiévales et modernes. Le fonds des Archives Départementales de la Creuse est
en effet relativement important. Le cartulaire nous est parvenu grâce à une copie de l’époque
moderne du moine dom Claude Joseph COL et permet une bonne connaissance du patrimoine
du monastère et de la constitution de son domaine1221.
Malgré cette richesse documentaire, rares sont toutefois les mentions architecturales.
La mise en œuvre, l’organisation du chantier médiéval n’apparaissent guère dans les textes.
Une mention du cartulaire peut toutefois être relevée. En 1140, Amélius, seigneur de
Chambon, donne le bois d’Estrader (aujourd’hui bois de la Bonnette). Les moines ont le droit
de prendre le bois nécessaire pour le chauffage mais aussi pour la construction1222. Le chantier
médiéval est donc évoqué, même de manière très indirecte. Certains actes sont effectués à
l’abbaye même et précisent le lieu de la donation. Ils peuvent ainsi aider à dater les bâtiments
monastiques. Comme nous avons déjà eu l’occasion d’en faire état, la Porte de Bonlieu est
citée en 1198, l’hôpital en 1207, la cuisine en 1209, le chapitre en 1220, l’infirmerie en 1221
et le parloir en 1231.
1220
IGN Série Bleue 2329 O, Gouzon, 1/25000ème.
AD Creuse, H 284, copie d’Auguste Bosvieux. Voir également les cotes H 137, H 284 à 521, H 939.
1222
AD Creuse, H 284.
1221
- 350 -
Les sources modernes permettent également une meilleure connaissance des bâtiments
et de leur devenir au fil des siècles. En 1647, un état des lieux précise :
« (…) les voûtes commençant à se gâter par la pluie qui y
tombe faute de couverture, la plupart de laquelle église
est escarlée »1223.
Les dégâts sont évalués et on estime les réparations à mener. Le monastère a peutêtre subi les guerres de Religion comme ses sœurs marchoises, berrichonnes et limousines,
mais surtout une absence d’entretien sans doute tangible dès le XIVème siècle. L’inventaire
de 1790 ne concerne principalement que les objets mobiliers et révèle une relative opulence
du monastère1224. Il est très précieux pour la connaissance du mobilier de l’abbatiale [PJ 3].
Toutefois, il paraît peu probable que ces éléments relèvent de l’époque médiévale. Il s’agit
plus sûrement de mobilier de l’époque moderne.
Nous disposons d’une description des moulins de l’abbaye, l’un au nord des bâtiments
conventuels, le deuxième sur la Voueize (Moulin du Mazeau avec son canal de dérivation de
750m) datée de 17911225. Il est dit :
« (…) deux moulins fariniers, deux mailleries dont l’une
pour le chanvre et l’autre pour l’huile et un pressoir à
huile, le tout enfermé dans les mêmes bâtiments avec la
maison du meunier au-dessus des susdits moulins ».
Ainsi, les moulins pouvaient revêtir plusieurs fonctions et produire de la farine, de
l’huile ou broyer des tiges de chanvre1226.
Outre ces sources manuscrites, nous disposons d’une gravure datée de 1847 qui permet
une meilleure connaissance de l’état des bâtiments monastiques dans la première moitié du
XIXème siècle [Fig. 149]. Elle est extraite de l’Album Historique et pittoresque de la Creuse
de LANGLADE1227. À cette époque, les travées de la nef étaient encore en élévation. Le
1223
AD Creuse, H 513.
AD Creuse, H 521.
1225
AD Creuse, Q 117.
1226
I. BALLET, Archéologie des paysages de la commune de Peyrat-La-Nonière (Creuse), maîtrise de
géographie sous la direction de B. BARRIÈRE et M. BERNARD-ALLÉE, Limoges, 1994, p. 48.
1227
P. LANGLADE, Album Historique et pittoresque de la Creuse, Aubusson, 1847.
1224
- 351 -
voûtement d’origine est remplacé par une charpente couverte de tuiles fines, probablement
plates comme pour le reste des bâtiments conventuels. Le chevet n’est quant à lui ni voûté, ni
charpenté. Ce document est ainsi précieux et nous apprend que la nef a dû s’écrouler après
1847.
Nous disposons également d’une maquette de l’abbaye conservée dans la chapelle
nord datant du XIXème siècle et qui peut donner une idée de ce que pouvaient être les
bâtiments monastiques avant leur ruine [Fig. 138]. La tour de fortification est représentée et
semble bien correspondre à la réalité architecturale. Toutefois, la tour de la croisée du transept
semble hypertrophiée. Elle se compose de trois tambours octogonaux superposés de diamètres
de plus en plus réduits, terminés par un clocheton qui semble en ardoise. Cette monumentalité
ne correspond pas à l’ensemble des bâtiments monastiques qui, s’ils témoignent d’un grand
soin, n’en sont pas moins relativement modestes. Nous savons par ailleurs que les clochers de
pierres étaient prohibés dans les statuts de l’ordre cistercien, ce qui n’empêcha toutefois pas
les moines d’Obazine d’édifier un clocher octogonal massif.
Le plan cadastral actuel permet de visualiser l’implantation actuelle de l’abbaye et de
son moulin. Il s’agit de la section AP 01 réalisée au 1/2000ème, réactualisée en octobre 2002 et
conservée à la mairie de Peyrat-La-Nonière. La grange de la Porte est située sur les parcelles 1
et 2. Le moulin correspond aux parcelles 76 et 78, le bief alimentant la roue à la parcelle 13,
l’abbaye les parcelles 16 (cour et bâtiments conventuels) et 17 (abbatiale) [Fig. 135 et 136].
Historiographie :
Les travaux d’érudits sont multiples sur l’abbaye des Combrailles. J. B. L. ROY DE
PIERREFITTE, dans son étude sur les monastères du Limousin et de la Marche, réserve vingt
pages sur l’abbaye de Bonlieu. Toutefois, son analyse ne se base que sur des considérations
historiques. L’architecture et les créations artistiques ne sont pas abordées1228.
André LECLERC écrit à son propos qu’elle est « la plus belle, la plus vaste, la mieux
conservée des abbayes réunies dans notre pays sous l’obéissance de saint Bernard ». Il est vrai
que son état de conservation paraît exceptionnel comparé aux monastères creusois de
Prébenoît ou du Palais-Notre-Dame. L’auteur évoque en particulier une coupole sur
pendentifs au niveau de la croisée du transept. Cette mention est intéressante étant donné qu’il
ne demeure du transept que le bras nord transformé en chapelle domestique en 1877. Il fait
1228
J. B. L. ROY DE PIERREFITTE, Études historiques sur les monastères du Limousin et de la Marche,
Guéret, 1857-1863, p. 509-526.
- 352 -
également état du vestige de vitrail placé au niveau de la fenêtre centrale au-dessus de l’autel
dans le chœur.
C. BRISSAC a livré un court article sur ce précieux témoignage de l’art cistercien en
19771229. Claude PÉRATHON publie une notice sur le monastère en 1908. Son étude porte
essentiellement sur l’historique du site, sa fondation, ses principaux donateurs. Il ne décrit que
très peu l’église dont il donne les dimensions (65m de long) et précise brièvement le plan
(croix latine), l’élévation et le voûtement (coupole sur pendentifs à la croisée) [Fig. 137]. Les
bâtiments conventuels sont totalement ignorés de même que les installations hydrauliques1230.
La description d’Henri DELANNOY trois ans plus tard n’est guère plus détaillée. Si
son étude sur les possessions et les granges du monastère est plus poussée, il reprend point par
point la description de Claude PÉRATHON concernant l’architecture. Il fait état de la longue
nef, des trois absides à cinq pans du chevet, des cinq baies qui éclairent l’abside principale
plus profonde1231.
En 1991, André GUY livre une étude complète sur la grange d’Aubeterre (commune
de Domérat, Allier) appartenant aux moines de Bonlieu. Son étude est donc très précieuse
dans notre tentative de reconstituer l’architecture des bâtiments d’artisanat cisterciens1232.
L’année suivante, il consacre un article à l’étude des actes du cartulaire de Bonlieu
faisant état de pèlerinages ou de départ pour Jérusalem. Il met ainsi en lumière la participation
des nobles limousins à la croisade contre les Albigeois en 1221. Ces départs motivent souvent
d’importantes donations au monastère, en échange de quoi les seigneurs pensent bénéficier de
la protection divine par l’intermédiaire des prières des moines1233.
Des travaux universitaires ont tâché de combler les lacunes des documentations
manuscrites et des travaux des érudits locaux qui laissaient dans l’ombre de nombreux aspects
du développement économique du monastère. Ainsi, en 1992, Laurent BORDERIE rédige un
mémoire sur le cartulaire de Bonlieu essentiel pour la connaissance du patrimoine foncier du
monastère1234.
1229
C. BRISSAC, « Grisailles romanes des anciennes abbatiales d’Obazine et de Bonlieu », dans les Actes du
102ème Congrès National des Sociétés Savantes, Le Limousin, Études archéologiques, Limoges, 1977, Paris,
1979, p. 129-143.
1230
C. PERATHON, « L’abbaye de Bonlieu », MSSNAC, T 16, 1908, p. 13-24.
1231
H. DELANNOY, « Notice sur l’abbaye de Bonlieu », MSSNAC, T 18, 1911, p. 7-52.
1232
G. ANDRÉ, « Aubeterre, grange bourbonnaise de l’abbaye cistercienne de Bonlieu », Bulletin des Amis de
Montluçon, 1991, n° 42, p. 3-31.
1233
A. GUY, « Voyages et croisades dans le cartulaire de Bonlieu », Bulletin des Amis de Montluçon, n° 43,
1992, p. 4-11.
1234
L. BORDERIE, Le cartulaire de Bonlieu, maîtrise d’histoire, université de Limoges, 1992, 520p.
- 353 -
En 1998, Michaël NOUGER étudie plus précisément l’environnement aristocratique
des moines blancs et retrace avec minutie la constitution des granges. Aucun mot n’est dit de
l’architecture et des créations artistiques. Seuls les aspects économiques et sociaux sont pris
en compte1235.
L’ouvrage sous la direction de Bernadette BARRIÈRE sur les implantations
cisterciennes en Limousin accorde cinq pages au monastère marchois. L’historique est
brièvement rappelé, de même que les sources manuscrites disponibles à l’étude. Un état des
lieux succinct évoque les principaux vestiges du sanctuaire et des aménagements hydrauliques
les plus proches de l’abbatiale. Cette étude, certes indispensable, nous semble insuffisante
face à la qualité des vestiges conservés qui mériteraient une analyse de bâti complète et
détaillée1236.
Les études proprement d’histoire de l’art sont rares. En 1978, Bruno PHALIP soutient
un mémoire de maîtrise sur les églises fortifiées de Creuse. Il livre une étude de bâti de
l’abbaye de Bonlieu et particulièrement de la tour élevée sur les deux premières travées de la
nef au XVème siècle. Il propose des datations d’après l’observation du portail occidental qui
se révèlent très précieuses. Il est le premier à aborder des questions de parement, de systèmes
d’appareillages et de mise en œuvre. Toutefois, sa problématique étant axée sur les étapes de
fortification, cette analyse peut être complétée selon d’autres perspectives de recherches1237.
Dans son article sur les abbayes du « désert », Claude ANDRAULT-SCHMITT livre
une longue description de l’abbatiale de Bonlieu 1238. Elle confronte les textes médiévaux et les
informations données par les travaux d’érudits pour une meilleure connaissance des ruines de
l’abbaye marchoise. Toutefois, son analyse peut être complétée par d’autres observations des
parements. Selon l’historienne de l’art, l’église et le cloître ont été achevés sous l’abbatiat de
Jean de Comborn (1174-95). Toutefois, l’étude du portail occidental avec ces chapiteaux
ourlés de feuilles lisses recourbées en crochets témoigne d’hésitations avec des formulations
gothiques [Fig. 140]. Il nous semblerait plutôt relever du premier tiers du XIIIème siècle.
Claude ANDRAULT-SCHMITT ne prend pas en compte les bâtiments conventuels, le dépôt
lapidaire déposé dans la chapelle nord ou encore les aménagements hydrauliques pourtant
1235
M. NOUGER, Patrimoine et environnement aristocratique de l’abbaye cistercienne de Bonlieu en Creuse
aux XIIème et XIIIème siècles, mémoire de maîtrise sous la direction de B. BARRIÈRE, université de Limoges,
1998.
1236
B. BARRIÈRE, op. cit, p. 148-152.
1237
B. PHALIP, L’église d’Ajain : problème de la construction et de la fortification de quelques églises
creusoises entre la fin du XIIème siècle et la fin du XIVème siècle, maîtrise, 1978.
1238
C. ANDRAULT-SCHMITT, Des abbatiales du « désert » (…), op. cit, p.144-151.
- 354 -
bien conservés. L’histoire de l’art exclut trop souvent ces bâtiments à caractère artisanal qui
sont pourtant des témoins essentiels d’un art de bâtir au même titre qu’un sanctuaire.
Historique :
L’abbaye de Bonlieu est à l’origine un ermitage, Mazerolles, fondé par Géraud de
Sales peu avant 1120. De cette installation primitive, nous ne savons presque rien, les frères
géraldiens s’accommodant généralement de structures en bois et torchis ne laissant aucun
vestiges archéologiques. La mort de Géraud de Sales dès 1120 laisse Mazerolles et les autres
créations de l’ermite (Boeuil, Le Palais, Prébenoît, Aubignac et Dalon) sans chef d’ordre, sans
règle à laquelle adhérer. Ce manque de cohésion aurait pu conduire à leur dispersion.
L’évêque de Limoges Eustorge conseille alors aux ermites de Mazerolles de se donner à
Roger, abbé de Dalon1239. Les frères de Dalon avaient choisi dès la mort de leur fondateur une
vie « à l’imitation des cisterciens ». Une formation monastique est assurée sur la liturgie et les
usages cisterciens, peut-être débutée du vivant même de Géraud de Sales. Roger de Dalon et
l’évêque de Limoges souhaitent donner un caractère cistercien aux établissements du diocèse
qui sont peu à peu érigés en monastères. Certains ermitages se transforment ainsi en
monastères « pré cisterciens » (Bonlieu dès 1121), tandis que d’autres observent plus
longtemps les règlements géraldiens (Prébenoît jusqu’en 1140)1240.
L’ermitage de Mazerolles n’est ainsi institutionnalisé que vingt ans après la mort de
Géraud en 1141. Il prend dès lors le nom de Bonlieu 1241. L’affiliation à l’ordre cistercien
n’intervient qu’en 1162 en même temps que Dalon et ses filles (filiation de Pontigny). Le
passage de l’érémitisme au cénobitisme semble ainsi être un long processus qui nécessite une
mise en conformité des solitaires avec les principes de la vie en communauté réclamant
l’obéissance à une règle stricte et à un abbé, en l’occurrence Roger de Dalon1242.
Le monastère s’est implanté sur le cours de la Tardes qui a été largement aménagé par
les cisterciens. Quelques installations sont préservées, parfois très remaniées au fil des siècles
et peuvent nous apprendre beaucoup sur l’hydraulique et l’artisanat des moines blancs.
1239
En 1120, un acte concerne la propre donation que firent d’eux-mêmes les religieux ainsi que du lieu de
Mazerolles à l’abbaye de Dalon et son abbé Roger. AD Creuse, H 284.
1240
M. O. LENGLET, « Les fondations de Géraud de Sales et leur évolution », dans le Colloque International du
CERCOM, Saint-Étienne, 1985, p. 1-15.
1241
L’acte se fait en présence de l’évêque Géraud du Cher peu de temps après le décès d’Eustorge (1137). Il est
dit « benedixit cimiterium ibi, et locum, qui prius vocabatur Mazeyrolas, Bonum Locum nominavit (…) », AD
Creuse, H 284.
1242
C. ANDRAULT-SCHMITT, « Des abbatiales du « désert ». Les églises des successeurs de Géraud de Sales
dans les diocèses de Limoges, Poitiers et Saintes (1160-1220) », BSAOMP, 5ème série, T 8, 1994, p. 103.
- 355 -
Bonlieu est l’un des plus prospères des huit monastères pris en compte dans notre analyse.
Malgré son dynamisme, il n’a toutefois pas essaimé. Il dispose de treize granges constituées
dès le XIIIème siècle et qui conservent une trace dans la toponymie actuelle [Fig. 88]1243 : la
grange de la Porte à l’ouest du monastère correspondant à la porterie, à l’accueil des pèlerins
et des pauvres, la Chaudure, La Chassagne, Neyrolles (entre Chénerailles et Gouzon à l’ouest
de Bonlieu), Les Barres au nord de l’abbaye, toutes les cinq situées très près du monastère.
Grosmont et Villechenille sont implantées à l’est de Glénic non loin des granges et moulins
d’Aubepierres (Chibert, Vaumoins)1244. Nous pouvons présager de conflits d’intérêt entre les
deux monastères dont les territoires se touchent. La Villatte, Montmoreau et Modard sont plus
avancées dans les Combrailles au nord de Bonlieu1245. Bougnat est en Berry, près de SaintMarien au nord de Boussac. Aubeterre et la Croze sont en Bourbonnais à quelques kilomètres
de Montluçon1246. Ces granges ont des activités diversifiées mieux connues grâce à l’étude de
Michaël NOUGER qui n’évoque toutefois pas les réalités architecturales de ces sites 1247. La
Porte est l’intermédiaire entre le monde extérieur et le cloître. C’est également le lieu de
gestion du patrimoine. Bougnat est une forge implantée dans un paysage à forte densité
ferreuse. Les lieux-dits « la Forge » et « le Moulin » conservés dans la toponymie actuelle
évoquent l’activité d’une forge hydraulique1248. La Croze et Aubeterre sont les réservoirs en
vin de l’abbaye, bien connus des historiens puisqu’elles ont fait l’objet d’une étude de Guy
ANDRÉ1249. Les autres exploitations pratiquent l’élevage et une activité céréalière évidente.
L’étude des cartes IGN et de la carte de Cassini peut révéler la présence d’autres
industries aujourd’hui disparues [Fig. 33 et 49]. Ainsi, un lieu-dit « la Tuilerie » apparaît à
quelques kilomètres au nord-ouest du monastère à la lisière du bois de la Bonnette. Il pourrait
s’agir d’une ancienne industrie monastique. À quelques kilomètres au nord, le long de la
Tardes est placé le hameau des « Farges », peut-être témoin d’une ancienne forge hydraulique
utilisant la force du courant de la Tardes. Les toponymes d’anciens moulins sont nombreux :
« le Moulin de la Salle », le « Moulin de Luchat », le « moulin du Pradeau » et le « moulin de
Lavaud » au nord du monastère sur la Tardes. Au sud de l’abbaye, la Tardes dispose du
1243
IGN Série Bleue, 2329 O, Gouzon, 1/25000ème.
IGN Série Bleue, 2229 O, Guéret, 1/25000ème.
1245
IGN, carte des cantons de Boussac, Châtelus-Malvaleix, Jarnages, 1/50000ème.
1246
H. DELANNOY, « Notice sur l’abbaye de Bonlieu », MSSNAC, T 18, 1911, p. 7-52.
1247
M. NOUGER, Patrimoine et environnement aristocratique de l’abbaye cistercienne de Bonlieu en Creuse
aux XIIème et XIIIème siècles, mémoire de maîtrise sous la direction de B. BARRIÈRE, université de Limoges,
1998.
1248
IGN Série Bleue, 2328 O, Boussac, 1/25000ème.
1249
G. ANDRÉ, « Aubeterre, grange bourbonnaise de l’abbaye cistercienne de Bonlieu », Bulletin des Amis de
Montluçon, 1991, n° 42, p. 3-31.
1244
- 356 -
« moulin de Roche » et du « moulin des Côtes ». Le moulin « du Mazeau » est situé à l’ouest
sur la Voueize. Ces nombreux toponymes sont révélateurs de la forte présence des moines
blancs sur ces terres et de leur volonté d’exploitation systématique des terroirs et des cours
d’eau.
Ce patrimoine est mis en place relativement rapidement. La Porte est citée dès 1118
dans les textes, alors que l’ermitage n’était pas encore érigé en monastère. En 1198,
Guillaume de la Salle donne ses droits sur le domaine de Neyrolles aux moines de Bonlieu 1250.
En 1207, les moines de Bonlieu obtiennent de la famille de Déols un droit de pacage pour le
bétail de la grange de Bougnat. Hugues Mainfroy donne une pièce de terre inculte (heremus)
entre la maison de Croze et des Chadenas1251. En 1220, un acte précise la donation du moulin
et de l’aqueduc d’Aubeterre1252. Le patrimoine de l’abbaye est donc mis en place dès le
XIIIème siècle grâce aux libéralités des seigneurs.
Vestiges archéologiques :
C’est la tour de fortification qui surprend au premier regard et impressionne par sa
bonne conservation [Fig. 139]. Pour pénétrer dans l’enceinte du monastère, il faut obtenir
l’accord des métayers qui veillent sur les ruines de l’abbatiale et les bâtiments conventuels
désormais propriété privée [Fig. 158]. Nous entrons donc par une grande cour qui correspond
à l’ancien cloître dont il ne reste pas pierre sur pierre. Les bâtiments conventuels forment un
« L » [Fig. 159]. Ils ne seront pas pris en compte dans notre étude ne conservant pas de
vestiges de l’époque médiévale. Étant habités, leur accès est de plus limité. Ils sont
reconstruits à l’emplacement des bâtisses médiévales aux XVIIème et XVIIIème siècles.
Nous pouvons toutefois présager qu’ils en suivent l’organisation générale. La nef de
l’abbatiale devait être attenante à la galerie sud du cloître. Il n’en reste désormais que deux
travées surmontées par la tour de fortification. Au sud des vestiges de l’abbatiale, en contrehaut, un petit jardin pourrait correspondre à l’ancien cimetière des moines.
-
Abbatiale :
Le plan de l’abbatiale comprend une nef de six travées sans collatéraux, un transept
peu développé et un chevet à une abside principale pentagonale et deux absidioles de même
1250
AD Creuse, H 284.
AD Creuse, H 284.
1252
AD Creuse, H 234.
1251
- 357 -
plan [Fig. 137]. L’abbatiale mesure 58m de long et non 65 comme certains érudits locaux ont
pu le déduire, soit 40m de la façade occidentale jusqu’au transept1253. Chaque travée mesure
8m de large pour 7m de long. Notre description va procéder de l’ouest jusqu’au chevet ruiné
pour plus de commodité.
C’est le granite qui est utilisé pour la mise en œuvre des bâtiments monastiques.
L’abbaye s’est en effet implantée sur un sol granitique et les moines ont naturellement opté
pour le matériau directement présent sur le site1254.
La façade occidentale présente deux niveaux de construction bien discernables. La
moitié inférieure correspond à la façade originelle de la nef (premier tiers du XIIIème siècle)
avant la tour de fortification élevée en 1421 [Fig. 142]. Elle se constitue d’un bel appareil
moyen régulier en granite relativement fin, ne comportant que peu d’inclusions. Le carreau de
base est de 60 par 32 cm de haut. La rupture franche entre les deux types d’appareillages
utilisés (petit appareil irrégulier pour la tour du Bas-Moyen-Âge) laisse percevoir le pente de
l’ancien couvrement médiéval. La façade occidentale devait en effet comporter un pignon
dont le solin, encore visible dans le parement actuel, permet d’envisager une toiture à pentes
fortes (45°) et probablement couvertes de tuiles plates (des remplois sont d’ailleurs visibles au
niveau du chevet)1255. Deux contreforts plats à glacis sommital scandent la façade. Ils ont une
profondeur de 47cm pour 1.45m de large. Ils sont ainsi relativement discrets contrairement à
ceux beaucoup plus profonds de certaines églises templières ou hospitalières (Lamaids par
exemple dans l’Allier où les contreforts ont près d’un mètre de saillie).
Le portail occidental précédé de deux petits bénitiers en granite suggère quelques
réflexions. De forme légèrement brisée, il ne présente pas de tympan et dispose d’une
archivolte en sourcil à la modénature simple se prolongeant jusqu’aux contreforts par un
cordon de pierre de 15cm de large [Fig. 141 et 142]. Trois tores sont nichés dans les
ébrasements. Ils sont d’un diamètre identique aux colonnettes des piédroits qu’elles
prolongent visuellement. Ils reposent sur de petits chapiteaux de 24cm de haut dont le tailloir
est très peu prononcé. Ils présentent des feuilles se recourbant en crossettes. Les colonnes
monolithes se terminent par des bases de 18cm de haut dont le tore inférieur est renflé et
dispose de griffes aux angles. Les bases, les chapiteaux nettement séparés vont dans le sens
d’une datation du premier tiers du XIIIème siècle. En effet, la disposition des chapiteaux en
frise n’apparaît guère que dans le second tiers du XIIIème siècle (Lamaids). Pour Claude
1253
En comparaison, l’église de Fontfroide mesure 51m de long, celle de Noirlac 59m, 108m pour Pontigny,
abbaye-mère de Bonlieu par l’entremise de Dalon.
1254
D. DUSSOT, Carte archéologique de la Gaule, Creuse (...), op. cit.
1255
B. PHALIP, Charpentiers et couvreurs (...), op.cit, p. 62.
- 358 -
ANDRAULT-SCHMITT, ce portail « apparaît intermédiaire entre une interprétation
limousine romane et une interprétation limousine gothique ». Une seconde interprétation peut
être proposée, légèrement différente de l’hypothèse d’une édification vers 1160-1180 qui
paraît précoce1256. La présence de bases au tore inférieur aplati, de griffes et le décor des
chapiteaux ne semblent pas correspondre à cette définition. De plus, la destruction massive du
monastère en 1171 nous laisse présager une reconstruction plutôt dans les années 1180-1220
entamée par le chevet et le transept (ce qui paraîtrait plus cohérent avec la date de
consécration de 1232).
Au-dessus du portail, une baie légèrement brisée et très ébrasée est percée. Elle
présente un linteau clavé de blocs de granite soigneusement taillés, aux grains très fins. La
mise en œuvre de ce tiers inférieur relevant de l’époque médiévale est donc d’une très bonne
qualité et montre le recours à des tailleurs de pierre, en plus des maçons [Fig. 143]. Cette mise
en œuvre se confirme dans le tiers inférieur du mur gouttereau sud. Il est séparé de la tour de
fortification par une corniche qui correspond à l’ancien couvrement. Le moyen appareil
régulier est également utilisé (la majeure partie des carreaux sont de 64 par 34cm). L’assise
supérieure présente une alternance de carreaux et de boutisses. Nous pouvons supposer qu’il
ne s’agit pas de réelles boutisses s’enfonçant dans la maçonnerie mais plutôt de simples
bouchons. Les joints de mortier sont très usés et presque inexistants tandis qu’ils sont encore
apparents dans les parties inférieures.
Trois contreforts délimitent les deux travées de la nef. Ils présentent un glacis
sommital comme ceux de la façade occidentale. Là encore, ils témoignent d’une alternance de
carreaux et de bouchons que nous n’avions pas constatée pour les contreforts de façade. Deux
baies sont percées : celle de la première travée est plus haute et de 65cm de large [Fig. 146].
Elle dispose d’un linteau clavé. Celle de la seconde travée est plus petite, également de 65cm
de large [Fig. 147]. Le linteau plein-cintre est monolithe, comme ceux observés aux baies des
bas-côtés de l’abbaye de Prébenoît (premier tiers du XIIIème siècle). Une seconde baie est
percée dans cette travée, désormais rebouchée. Elle est plus large (89cm). Elle dispose d’un
linteau clavé. La présence de deux percements explique sans doute les dimensions
relativement modestes de ces ouvertures. Nous ne trouvons pas de disposition équivalente au
niveau du gouttereau nord puisque cette partie correspondait à l’aile des convers. Cette
seconde travée est montre en son milieu une rupture verticale des assises qui pourrait
correspondre à un arrêt dans le chantier de construction. Elle peut également s’apparenter à
une reprise ultérieure où les bâtisseurs comblent la seconde baie de la travée.
1256
C. ANDRAULT-SCHMITT dans B. BARRIÈRE (dir.), Moines en Limousin (…), op.cit, p. 40.
- 359 -
Pour Claude ANDRAULT-SCHMITT, ce type de parement de bonne qualité a un
aspect « austère et méridional » comme cela se rencontre notamment à Saint-Pierre de
Marnans dans la Drôme ou dans les abbayes cisterciennes du Languedoc (Fontfroide) et de
Provence1257. Cette mise en œuvre évoque aussi l’abbaye plus proche de Dalon, mère de
Bonlieu.
L’intérieur des deux travées est difficile à appréhender. Elles servent désormais de
remise pour le bois et les outils agricoles. Elles sont voûtées en berceau brisé qui s’appuie sur
une simple corniche de pierre [Fig. 148]. Un doubleau repose sur un puissant tailloir qui
aboutit non par un chapiteau ou un culot mais par un simple chanfrein terminé en biseau. Les
deux baies observées précédemment présentent un fort ébrasement interne. Les parties
inférieures de l’ébrasement sont entièrement dépecées. Le parement est en moyen appareil
régulier à joints fins. Des trous d’encastrement de poutres sont observables au-dessus des
baies. Ils témoignent de la mise en place d’un plancher qui séparait la tour en deux étages
distincts. À l’est, le mur qui vient clore la nef au XVème siècle est de moins bonne qualité. Il
est en petit appareil irrégulier noyé dans un mortier où la chaux est importante. La baie
rebouchée évoquée précédemment est comblée de ce même blocage de chaux grasse. Elle a
donc vraisemblablement été modifiée au XVème siècle lors de la fortification de l’abbatiale.
Une cheminée est également aménagée au niveau de cette paroi.
Les parties inférieures des deux travées de la nef permettent donc une meilleure
connaissance de la mise en œuvre médiévale bien que les remaniements du XVème siècle
aient souvent bouleversé les élévations. La tour de fortification se caractérise donc par une
mise en œuvre très différente [Fig. 145]. Elle relève du premier tiers du XVème siècle. Elle
est édifiée en petit appareil irrégulier à litages marqués. Les moellons sont noyés dans une
chaux relativement grasse. Les harpages sont toujours en moyen appareil régulier de granite.
Les baies percées sont quadrangulaires. Les linteaux monolithes sont simplement
parallélépipédiques. Les parements remploient fréquemment des éléments médiévaux. Ainsi,
nous pouvons remarquer le remploi d’un linteau plein-cintre monolithe dans le second tiers de
la façade, au sud de la baie ébrasée et qui pourrait correspondre à l’une des baies des
gouttereaux évoquées précédemment. Nous trouvons fréquemment ce type de linteau dans les
églises de Haute-Marche (Prébenoît, La Cellette). Les dimensions correspondent en effet au
second percement de la deuxième travée de la nef.
Au niveau du mur gouttereau sud, la baie inférieure ouest est surmontée d’une assise
de blocs de granite placés en épis. Les piédroits sont de moyen appareil de granite. Les
1257
C. ANDRAULT-SCHMITT, op. cit, p. 144-155.
- 360 -
harpages de moyen appareil tendent à se prolonger jusqu’aux baies quadrangulaires. Le
tailleur de pierre semble vouloir s’affirmer. Cette tour témoigne des changements dans les
modes de construction. Au XVème siècle, la mise en œuvre est alors plus le fait de maçons
que de tailleurs de pierre. Ce changement dans les qualifications et la mise en œuvre
correspond-il à un amoindrissement des moyens financiers au XVème siècle ? Les abbayes
cisterciennes de Haute-Marche entament en fait une période de déclin dès le XIVème siècle et
le passage au faire-valoir indirect. Les donations ne sont plus aussi fréquentes et importantes
qu’aux premiers temps des fondations. Les moyens accordés pour la construction ne sauraient
être les mêmes qu’aux XIIème et XIIIème siècles. D’où ce recours à un petit appareil
irrégulier qui remplace le moyen appareil aux pierres de taille de qualité. Ce changement peut
également se justifier par une urgence certaine de la construction liée aux nécessités
péremptoires d’une fortification [Fig. 150].
La façade est de la tour relève entièrement du XVème siècle. Elle vient fermer
l’ancienne nef. Elle se constitue de ce même petit appareil irrégulier. Nous pouvons relever
des remplois d’éléments médiévaux comme des claveaux dont le granite aux grains très fins
est très reconnaissable. Le moyen appareil des harpages tend à se prolonger jusqu’au quart de
la largeur. Deux épais contreforts la contrebutent. Ils sont de moyen appareil régulier
(carreaux de 54 par 34cm en moyenne) et remploient probablement des éléments de
l’élévation des anciens murs gouttereaux de la nef. Une simple porte quadrangulaire permet
l’accès aux deux travées conservées. La tour est aussi flanquée au nord d’une tour d’escalier
carrée datant également de la période de fortification. Ce massif est ouvert à l’est par une
porte d’entrée de profil brisé à tympan nu. Les claveaux qui constituent l’arc sont simplement
chanfreinés. Cette porte date vraisemblablement du XVème siècle [Fig. 144].
La tour est encore couverte de sa charpente moderne à enrayures. Elle dispose de
poinçons, de pannes faîtières et de sous faîtage ainsi que de croix de Saint-André 1258. Elle est
couverte de petites tuiles plates.
Au nord de la façade occidentale est édifiée la maison abbatiale, antérieure au décès de
Pierre II de Saint-Avit en 1438 [Fig. 157]. Son tombeau est conservé dans la chapelle de
l’abbaye. La maison serait donc contemporaine de la phase de fortification de l’abbatiale. Les
propriétaires n’en accordant pas l’accès et étant donné sa mise en œuvre tardive, nous ne
l’avons pas inclus à l’étude.
Les quatre autres travées de la nef ont donc été détruites et le plan au sol n’en est plus
lisible actuellement. Du transept, ne demeure que le bras nord transformé en chapelle en 1877
1258
B. PHALIP, Charpentiers et couvreurs (…), op.cit, p. 62.
- 361 -
[Fig. 152]. Celle-ci est désormais terminée par une façade en pignon percée de deux baies au
profil brisé surmontant une large porte. Un arc brisé en léger méplat est lancé au-dessus de ces
percements. Il correspond au profil de l’arc doubleau qui ouvre à l’époque médiévale sur la
croisée du transept. Le pignon est souligné d’une corniche avec de simples corbeaux et
surmonté d’un petit clocheton et d’une croix. La chapelle dispose d’une abside pentagonale
qui ouvre par une baie ébrasée. Les parements en moyen appareil régulier semblent avoir été
très remaniés, les joints recimentés. Le berceau est soutenu par un doubleau à double rouleau,
reçu par un tailloir à deux tores superposés comme nous avons pu en observer dans le dépôt
lapidaire de l’abbaye de Prébenoît1259. Deux chapiteaux lisses sont placés sur les demicolonnes engagées sur dosserets qui reçoivent l’arc doubleau [Fig. 155]. Les bases qui leur
sont associées disposent d’une scotie peu prononcée et un tore inférieur relativement aplati.
Les chapiteaux sont surmontés de puissants tailloirs dont l’un est orné d’un motif de corde
tressée. L’épannelage de la corbeille est souligné par une ligne brisée gravée. Il n’acceptent
pas la figuration et révèle des tentations pour l’austérité et le dépouillement décoratif. Les
corbeilles massives évoquent celles de la nef de l’abbaye d’Obazine datées de la seconde
moitié du XIIème siècle [Fig. 489]. Elles permettraient d’attester une première étape de
construction entamée par le chevet et le transept dans le dernier tiers du XIIème siècle. Pour
Claude ANDRAULT-SCHMITT, ces chapiteaux révèlent un « savoir-faire moins abouti qu’à
Obazine pour une construction sensiblement de la même époque ». Si les chapiteaux
d’Obazine présentent des corbeilles plus évasées qui semblent plus délicates, moins trapues, à
Bonlieu la présence de fines lignes gravées et de tailloirs décorés atteste toutefois un soin
particulier porté à ces éléments1260.
Nous pouvons constater le faible développement du transept qui ne permet pas
d’alignement de chapelles. Il ne mesure même pas vingt mètres. Selon Claude ANDRAUTSCHMITT, ceci est dû à la fois à une conséquence topographique mais aussi à une « habitude
romane limousine »1261. Cette étroitesse du transept se retrouve également dans certaines
abbayes cisterciennes telles Fontdouce et la Grenetière en Poitou. D’après les écrits d’érudits
précédemment cités, le transept dispose d’une tour de croisée placée sur une coupole sur
pendentifs de neuf mètres de côté. Il ne demeure aucun vestige aujourd’hui exceptée cette
maquette précédemment évoquée mais dont l’exactitude nous semble difficile à prouver.
1259
I. PIGNOT, L’abbaye cistercienne de Prébenoît en Creuse. Étude lapidaire et architecturale, mémoire de
maîtrise sous la direction de B. PHALIP et A. COURTILLÉ, Clermont II, vol I, 2004, p. 152.
1260
C. ANDRAULT-SCHMITT, op.cit, p. 45.
1261
C. ANDRAULT-SCHMITT, op. cit, p. 45.
- 362 -
Le chevet de l’abbaye de Bonlieu est très ruiné [Fig. 151]. De l’abside axiale
pentagonale demeurent trois côtés encore en élévation ainsi que des départs de voûtes [Fig.
153 et 154]. Le couvrement a presque entièrement disparu, de même que la seconde absidiole
pentagonale au sud. Le chevet était probablement couvert de tuiles creuses. Certains remplois
sont visibles sous les corniches1262. Les tuiles creuses sont toutefois remplacées par des tuiles
plates à l’époque moderne, modification correspondant à une surélévation, à une nécessité de
combles (tour de fortification). L’abside était précédée d’une travée droite bâtie en moyen
appareil régulier. Ce parement de très bonne qualité présente une alternance de carreaux (58
par 37cm environ) et de chandelles (7 par 37cm).
Un enfeu au profil brisé est percé avant l’entrée dans le chœur. Il pourrait également
s’agir d’un armarium où les moines rangeaient les livres nécessaires aux offices. Il est de
1.12m de large pour 1.48m de hauteur et 0.68m de profondeur. Les parois internes montrent
encore des traces d’un enduit peint blanc et ocre, peut-être un ancien appareil à faux-joints.
Un cordon simple et épais sans moulure divise le parement aux deux tiers de la
hauteur. Il marque le départ du berceau brisé qui voûte la travée droite. L’infime partie
conservée de la voûte clavée présente une chaux de bonne qualité.
L’abside proprement dite est légèrement plus étroite que la travée droite (36cm) et
présente encore un blocage de moellons de granite noyés de mortier de chaux en partie
visible. Claude ANDRAULT-SCHMITT s’interroge sur la possibilité d’un voûtement
d’ogive1263. Un des éléments lapidaires conservé correspond à un départ d’ogives et attesterait
la présence de ce mode de couvrement à Bonlieu [Fig. 164]. De même, un claveau de nervure
d’ogives est déposé dans la petite chapelle du XIXème siècle [Fig. 161]. Le profil légèrement
en amande attesterait une datation de la fin du XIIème siècle voire du premier tiers du
XIIIème siècle. Toutefois, ces éléments peuvent aussi bien appartenir à un bâtiment
conventuel (réfectoire, dortoir, salle capitulaire). Le chœur était peut-être doté d’un cul-defour fuselé comme le laisse présager le départ de voûte encore observable. L’abside principale
est percée de baies en plein-cintre très ébrasées surmontées d’un oculus clavé pour la partie
axiale ou d’une autre baie ébrasée pour le second pan conservé au nord [Fig. 153]. La
troisième série de baie n’est pas conservée mais l’ébrasement dépecé encore en place permet
la prise de mesure. Ces baies ont en effet un fort ébrasement interne (86cm de large) tandis
que l’ébrasement externe est moins important (41cm de large). Elles sont de 58cm de large.
Les pierres d’appui-fenêtre d’1.28m de largeur interne ont été largement dépecées. Ce type de
1262
1263
B. PHALIP, Charpentiers et couvreurs (…), op.cit, p. 62.
C. ANDRAULT-SCHMITT, op. cit.
- 363 -
percement est plutôt inhabituel. Les abbayes cisterciennes disposent plus fréquemment d’un
triplet de façade (Prébenoît, Palais-Notre-Dame, Noirlac). De l’extérieur, les baies de l’abside
axiale et de l’absidiole présentent des encoches régulières sur les piédroits et pierres d’appuifenêtres. Elles pourraient correspondre à l’emplacement de ferrures, vraisemblablement
modernes.
Les parties externes de l’abside axiale révèlent des soubassements en grand appareil
régulier (modules de 58 par 48cm)1264. Elle est scandée de contreforts plats à glacis sommital
(31cm de profondeur) dont le soubassement est également plus large, ce qui permet une
meilleure stabilité de l’édifice et compense la déclivité du terrain. La mise en oeuvre de cette
abside axiale montre une certaine hétérogénéité. En effet, nous constatons que les joints de
mortier sont presque entièrement creusés par l’érosion dans le tiers supérieur et n’apparaissent
presque plus comme pour les parties inférieures où un mortier relativement fin liait les blocs
de moyen appareil. Des cales de schiste permettent parfois la régularisation des assises. Cette
distinction pourrait-t-elle également s’expliquer par deux temps dans la construction ? Le tiers
inférieur aurait-il fait l’objet d’un remaniement tardif qui expliquerait cette différence ? Nous
en doutons toutefois et préférons expliquer cette distinction par la seule action de l’érosion.
Les modillons conservés en parties hautes sont nus ou présentent des enroulements avec
succession de deux tores.
L’absidiole nord est encore en place [Fig. 156]. Elle est attenante à la chapelle remaniée
au XIXème siècle. Elle est également de forme pentagonale. Son toit est en ardoise et non en
tuiles plates comme la tour occidentale. Ce couvrement correspond à celui de la chapelle
nord. Nous pouvons ainsi imaginer un remaniement de cette absidiole au XIXème siècle. Elle
ne dispose pas d’assises plus larges, étant édifiée sur un terrain plat. Les parements sont en
moyen appareil régulier. Les joints cimentés sont très épais et semblent appartenir à une
réfection moderne sans doute liée aux modifications du transept nord en chapelle. L’absidiole
est scandée de contreforts plats (29cm de profondeur) mais qui ne présentent pas de glacis
sommital. Ils se terminent par de simples tailloirs.
-
Mobilier et décor peint :
Le mobilier et décor peint du chevet de Bonlieu est relativement bien connu et permet
de mieux appréhender les créations artistiques de ces moines blancs. Le choeur présente ainsi
deux croix de consécration peintes [Fig. 168]. En effet, l’abbaye connaît une phase
d’embellissement avec la mise en place de carreaux de pavement, de vitraux et de croix
1264
On parle de grand appareil lorsque les assises mesurent plus de 35cm de hauteur.
- 364 -
peintes au niveau du chevet de l’édifice. Ces aménagements sont sans doute liés à la
consécration de l’édifice en 12321265.
La croix de consécration a été déposée et restaurée en 1998. Elle était placée dans
l’abside principale et est désormais remplacée par une copie. L’original est conservé dans la
chapelle nord. Cette petite peinture mesure 61 par 61cm. Un médaillon circulaire de 37cm de
diamètre est inscrit dans un carré. Les branches de la croix à trois pointes sont séparées par
des feuilles trilobées tournées vers l’intérieur. Les couleurs vives et délicates sont posées sur
un enduit mince. Elle est assez similaire à celles de Paulhac ou de la Croix-au-Bost datées du
troisième quart du XIIIème siècle [Fig. 910]. Toutefois, nous pouvons supposer que la
peinture de Bonlieu soit liée à la consécration de 1232 et relève de la première moitié du
XIIIème siècle1266.
Un vitrail en grisaille est également connu et a été largement étudié dès le milieu du
XXème siècle par C. BRISSAC [Fig. 167]1267. Il était placé au niveau de la fenêtre centrale de
l’abside principale. Il mesure 60cm de haut et 57cm de long. L’auteur propose deux datations
qui pourraient correspondre à sa création : celle de 1141, lors de la consécration de l’autel par
l’évêque de Limoges avant même l’affiliation à Cîteaux ou celle de 1232 au moment d’une
seconde bénédiction. Il pourrait également être le témoin des premiers travaux des cisterciens
dans les années 1160-1170. C’est une grisaille qui se constitue d’un tapis de palmettes en
forme de cœurs imbriqués les uns dans les autres, liées par des galons ou des nœuds plats.
L’auteur rapproche ce motif des transennes islamiques omeyyades ou encore des fenestellae
de la région charentaise de Fenioux. Les cisterciens auraient-ils établi le vocabulaire
ornemental de leurs premiers vitraux d’après des exemples de pierre ou de stuc ? Ils semblent
en tout cas ne pas innover dans le choix des décors et reprennent un vocabulaire ornemental
déjà en usage depuis l’Antiquité. En effet, Helen ZAKIN compare ces palmettes à celles de la
villa d’Adrien, à des motifs islamiques comme les fenêtres des mosquées et des palais
omeyyades du VIIIème siècle, ou encore aux sculptures et ivoires lombards telle la frise du
ciborium de Santa Maria en Valle de Cividale (VIIIème siècle)1268. Magali ORGEUR date ce
vitrail des années 1200. Il est très semblable à certaines grisailles d’Obazine (1175) ou de
Noirlac (1185). Nous pouvons toutefois présager qu’il soit lié à la consécration de 12321269.
1265
C. ANDRAULT-SCHMITT, « Des abbatiales du « désert » (…) », op.cit, p. 91-173.
B. BARRIÈRE, Moines en Limousin (…), op.cit, p. 60.
1267
C. BRISSAC, « Grisailles romanes des anciennes abbatiales d’Obazine et de Bonlieu », dans les actes du
102ème Congrès National des Sociétés Savantes, Le Limousin, Études archéologiques, Limoges, 1977, Paris,
1979, p. 129-143.
1268
M. ORGEUR, op.cit, vol I, p. 154.
1269
M. ORGEUR, op.cit, vol I, p. 305.
1266
- 365 -
Des carreaux de pavement sont également conservés et pourraient être datés du
XIIIème siècle [Fig. 166]. Ils sont déposés au musée de la Sénatorerie de Guéret. Ils mesurent
17 par 17cm. Douze carreaux ont été recensés dont 10 sont exhumés en 1878 lors du
déblaiement de l’abside. Le décor est vert et brun sur un fond d’émail blanc. La glaçure
plombifère inclue un opacifiant, sans doute de l’étain. Ces carreaux présentent des décors
végétaux (fleur-de-lys), des motifs héraldiques ou encore des figures humaines. Les fleur-delys sont un des motifs les plus couramment utilisés dans les mosaïques de pavement. Elles se
généralisent surtout dans la seconde moitié du XIIIème siècle. Les figurations humaines
peuvent étonner dans un cadre cistercien caractérisé par l’austérité et le dépouillement. L’un
d’eux est orné d’un cavalier armé d’une épée affrontant un animal. Un autre est décoré d’un
homme aux bras relevés. Un oiseau est posé sur un de ses bras. Nous pouvons supposer qu’il
s’agit d’une scène de chasse. Un autre carreau présente une sirène émergeant de vagues
ondulées. Patrice CONTE livre une datation imprécise de ses éléments relevant des XIIIème
et XIVème siècles1270. Toutefois, le recours à une glaçure plombifère sur certains carreaux
nous laisse présager une création plus tardive pour quelques éléments, vraisemblablement du
XVIème siècle, en lien avec la phase de réfection du cloître.
Le mobilier de l’abbaye de Bonlieu témoigne d’un soin particulier accordé à l’édifice
dans la première moitié du XIIIème siècle. La consécration de 1232 s’accompagne de la mise
en place de pavements, de vitraux et de croix de consécration peinte. Nous pouvons supposer
là encore un financement de ces embellissements par des seigneurs laïcs dont les sépultures
n’ont toutefois pas encore été mises à jour. Nous savons toutefois que dès 1207 Guillaume de
Lichiat se donne à l’abbaye pour y avoir sa sépulture 1271. Ces aménagements permettent le
développement d’une iconographie propre. La figuration y est acceptée plus facilement que
pour les éléments sculptés. Les pavements présentent des animaux et des figures humaines.
Édouard NORTON insiste d’ailleurs sur le fait que chez les cisterciens, la figuration apparaît
dans les espaces marginaux de l’art gothique (pavements, vitraux, manuscrits). Le mobilier
permet de nuancer cette hypothèse de tentation au refus de l’image au sein de l’ordre de
Cîteaux1272.
L’étude des vestiges en place, associée aux indices fournis par les sources d’archives,
les inventaires et états des lieux permet ainsi de proposer des datations pour la mise en œuvre
des bâtiments médiévaux. Il semblerait que la construction ait débuté par le chœur vers 1170,
1270
P. CONTE dans B. BARRIÈRE, Moines en Limousin (…), op.cit, p. 77.
AD Creuse, H 284.
1272
É. NORTON, Carreaux de pavement du Moyen-Âge à la Renaissance. Collections du musée Carnavalet,
Paris, 1992, p. 59.
1271
- 366 -
suite aux destructions par les « Teutons » évoquées par Hugues, seigneur de Chambon.
L’affiliation à Cîteaux en 1162 pourrait constituer une date clé. Le chantier s’achève par la
façade ouest entre la fin du XIIème siècle et le début du XIIIème siècle. Selon Claude
ANDRAULT-SCHMITT, Jean de Comborn aurait fait achevé la mise en oeuvre avant sa mort
en 11951273. Toutefois, le profil des baies et le portail de façade peuvent nous laisser présager
une datation jusque dans le premier tiers du XIIIème siècle [Fig. 140]. Les dates mentionnées
dans les actes s’étendent de la fin du XIIème siècle jusqu’au premier tiers du XIIIème siècle
pour la majorité des bâtiments conventuels. La consécration de 1232 correspond sans doute à
une phase d’embellissements (vitraux, pavements, croix de consécration peintes). La tour de
fortification est édifiée au XVème siècle (1421 sans doute) ainsi que la maison abbatiale. Le
cloître est peut-être remanié à cette époque comme le prouvent certains chapiteaux à profil
octogonaux retrouvés en dépôt lapidaire et étudiés ci-dessous, très similaires à ceux du cloître
du XVème siècle de Prébenoît et de l’abbaye des Pierres [Fig. 162 et 163].
Ce monastère était sans doute le plus prospère de Haute-Marche avec ses treize
granges implantées jusqu’en Berry et Bourbonnais. La mise en œuvre soignée où le moyen
appareil régulier s’impose témoigne de moyens financiers certains permettant de recourir à
des ouvriers qualifiés, des tailleurs de pierre expérimentés. Les éléments de mobilier attestent
de cette prospérité certaine. Malgré son état de ruines, Bonlieu impressionne par sa qualité de
construction et la majesté de ces parements qui évoquent les plus grandes abbayes limousines
(Dalon) et méridionales (Fontfroide).
- Éléments lapidaires :
Des éléments déposés dans la chapelle permettent également de mieux connaître
l’abbaye creusoise. Nous avons inventorié deux petits chapiteaux jumelés pouvant appartenir
à des colonnettes du cloître médiéval de 12cm de diamètre. Le granite est fin et délicat. Ils
mesurent 23cm de haut. Le tailloir est de 34 par 22cm. De nombreux fragments de colonnettes
sont entreposés. Les diamètres sont de 11, 12, 13 ou 15cm. Certains peuvent donc
correspondre aux colonnettes de cloître. Des tambours de colonne présentent des diamètres de
22cm conservés sur 52cm de haut. Trois chapiteaux octogonaux sont soulignés de larges
cavets [Fig. 162 et 163]. Ils mesurent 31cm de haut et disposent d’un tailloir de 46 par 28cm.
Ces chapiteaux nous évoquent ceux du cloître du XVème siècle de l’abbaye de Prébenoît ou
de l’abbaye des Pierres. Il serait tentant d’imaginer une reconstruction du cloître de Bonlieu à
1273
C. ANDRAULT-SCHMITT, op. cit, p. 144-151.
- 367 -
l’époque moderne dans le même esprit que celui du proche monastère de Prébenoît 1274.
Comment pourrait-on justifier ces similitudes ? En 1497, Guillaume de Bonlieu devient abbé
commendataire de l’abbaye de Prébenoît. Aurait-il pu être à l’initiative des deux
reconstructions ? Aucune source écrite ne nous permet de conclure de manière satisfaisante
sur cet aspect.
Une base est également déposée dans cette chapelle. Elle présente deux tores peu
renflés et une scotie très légèrement prononcée. Elle mesure 27cm de haut pour un diamètre
de 40cm [Fig. 160].
Deux claveaux de nervure d’ogives sont taillés dans un granite gris très fin à peu
d’inclusions de quartz [Fig. 161]. Le tore de huit centimètres de diamètre est légèrement en
amande comme nous avons pu le constater également dans le dépôt lapidaire de l’abbaye de
Varennes. Ce type de modénature relève plutôt de la fin du XIIème siècle ou du premier tiers
du XIIIème siècle et se révèle relativement fréquent dans les espaces Plantagenêts1275. D’où
pouvaient provenir ces ogives ? La nef présente quant à elle un berceau brisé. Les ogives
couvraient-elles un des bâtiments conventuels ? Une clé de voûte est décorée d’un blason à
trois rayures. Il s’agit des armoiries de l’abbé de saint Avit qui se rattachent donc au XVème
siècle.
La grange moderne située au nord-ouest de l’abbatiale présente certains éléments
médiévaux en remploi, la plupart étant de simples modules de granite taillés. Nous avons pu
constater la présence d’une petite borne ornée d’une croix en relief, peut-être ancien bornage
délimitant le territoire foncier du monastère [Fig. 165].
- Aménagements hydrauliques :
Outre ces créations à vocation religieuse, certains aménagements de la Tardes sont
encore bien visibles aujourd’hui dans le paysage de l’abbaye de Bonlieu et permettent une
meilleure connaissance de l’art de bâtir cistercien au même titre que les vestiges de la nef, les
éléments de mobilier ou les sculptures déposées. Au nord de l’abbatiale, une dérivation est
mise en place sur la Tardes. Sur le bras principal le plus au nord, un pont à une seule arche
enjambe le cours d’eau. Au-delà du pont, deux déversoirs sont aménagés à angle droit pour
augmenter la vitesse du courant [Fig. 170]. Ils se constituent de pierres sèches cernées de
1274
1275
I. PIGNOT, op. cit, p. 238-241.
Voir III. B. b. 2. Des décors Plantagenêts ?
- 368 -
murets de blocs de granite de moyen appareil et de deux caniveaux latéraux. Le matériau
utilisé est le même que pour le monastère. Qu’il s’agisse des bâtiments à vocation religieuse
ou artisanale, la mise en œuvre semble être la même. Le débit de l’un des déversoirs est rejeté
dans le bief placé sur la Tardes en contrebas.
Cette dérivation de la Tardes comprend un pont à cinq arches de dimensions inégales,
les trois dernières étant beaucoup plus réduites, bâties en granite de moyen appareil régulier
de bonne qualité [Fig. 169]. Les joints sont relativement minces, la mise en œuvre est soignée.
Un moulin est placé sur ce bief [Fig. 171 et 172]. Celui-ci n’est presque plus en eau
aujourd’hui. La canalisation en grosses dalles de granite qui se déversait au-dessus de la roue
du moulin est asséchée [Fig. 175]. Le moulin se constitue d’un volume quadrangulaire de
deux étages couvert de tuiles plates. Les parements sont de moellons de schiste et de tuiles.
Seuls les harpages et les soubassements sont en granite. Le tiers inférieur est entièrement en
moyen appareil régulier de granite [Fig. 174]1276. Cette différence d’appareillage pourrait
correspondre à deux étapes de construction. Le tiers inférieur s’apparenterait aux réalités
médiévales. La façade sud est percée d’une porte à l’arc brisé biseauté. Des meules de granite
sont conservées dans un jardin à l’ouest du bâtiment. Au niveau de la paroi nord, une roue en
bois est encore en place dans un étroit couloir bâti en moyen appareil régulier de granite,
voûté en plein-cintre avec de petites briques [Fig. 173]. Elle date probablement de l’époque
moderne. Un bief cerné de blocs de granite de moyen appareil actionnait autrefois la roue. Il
est désormais asséché.
Ces aménagements témoignent d’une certaine technicité des moines blancs qui
accordent beaucoup de soin à ces installations pré industrielles, d’où la qualité du matériau
qui a permis la conservation de ce patrimoine dans le paysage de la vallée de la Tardes.
À quelques kilomètres au nord de l’abbaye, le « moulin de la Salle » présente encore
d’intéressants vestiges [Fig. 179]. Une digue est placée sur la Tardes [Fig. 182]. Elle est de
pierres sèches comme celle observée au « Moulin Neuf » de Glénic sur la Creuse appartenant
aux moines d’Aubepierres. Elle date probablement du XIXème siècle. Le moulin est un
volume quadrangulaire de deux étages. Les parements sont de moellons de schiste excepté les
chaînages d’angle de moyen appareil de granite. Un bief longe un temps le cours de la Tardes
avant de la rejoindre [Fig. 180 et 181]. Il passe sous le moulin par une arche en anse de panier
bâtie en granite. L’axe de la roue est encore en place de même que le mécanisme interne. Il
s’agit sans doute d’une installation moderne mais qui reprend l’emplacement d’un moulin
médiéval.
1276
Carreaux de 55 par 33cm ou de 40 par 30cm.
- 369 -
À quelques kilomètres plus au nord, le « moulin de Luchat » est également préservé
[Fig. 183]. Il est placé sur la Tardes. Il est désormais transformé en gîte rural. Le bâtiment est
moderne et il ne demeure plus rien des parements médiévaux. Toutefois, des blocs de granite
sont déposés dans la cour du bâtiment actuel. Ils pourraient correspondre à la destruction du
bâtiment médiéval. Un bief encore en eau longe un temps le cours de la Tardes [Fig. 184]. Il
est cerné de blocs de granite sur quelques mètres au niveau de la roue du moulin. Les
mécanismes sont encore visibles et relèvent probablement du XIXème siècle. Des meules sont
conservées dans un champ au-dessus du moulin.
Le « moulin du Mazeau » est situé à l’ouest de l’abbaye de Bonlieu, à cinq cent mètres
au sud-est de Peyrat-La-Nonière [Fig. 176]. Il est encore présent dans la toponymie actuelle. Il
dispose d’un canal de dérivation de 750m placé sur la Voueize. Au-dessus du moulin, une
canalisation est visible, couverte de dalles de granite [Fig. 177]. Le moulin est un bâtiment
quadrangulaire très remanié. Les parements sont d’un petit appareil de granite irrégulier à
litages marqués. Les chaînages, baies et harpages sont en moyen appareil régulier. L’axe est
encore en place. Le pignon latéral présentant les vestiges du mécanisme est entièrement en
moyen appareil régulier [Fig. 178]. Une baie en plein-cintre est rebouchée. Il pourrait s’agir
d’une partie de l’élévation du XIIIème siècle. L’eau s’écoule par un bief maçonné de blocs de
granite de moyen appareil. Dans le champ adjacent, une roue et une meule sont conservées.
D’autres sites n’ont pas livré de vestiges aussi intéressants. De la grange de Modard,
près de Nouhant (Allier) ne demeure que le lieu-dit. Le moulin « de la Sagne » qui en
dépendait n’est pas conservé. De même pour les granges de Villechenille et de Grosmont près
de Glénic qui ne révèlent aucuns vestiges médiévaux. Le « moulin des Côtes » dépendant de
Villechenille n’est plus présent que dans la toponymie. Les propriétaires nous ont signalé sa
disparition depuis 1848. La grange de Bougnat sur la commune de Saint-Marien ne conserve
pas non plus de bâtiments des XIIème et XIIIème siècles. Seuls les lieux-dits « le Moulin » et
les « Forges » témoignent d’anciennes industries médiévales.
La grange d’Aubeterre à quelques kilomètres de Montluçon est un grand bâtiment
allongé du sud au nord. La façade est présente des fenêtres à ébrasements qui pourraient
remonter selon Guy ANDRÉ au Bas Moyen-Âge (XVème siècle). La façade ouest présente
- 370 -
également des remplois. Des chapiteaux non décorés sont conservés à l’intérieur.
L’emplacement d’un étang est encore discernable dans le paysage1277.
Les aménagements des moines de Bonlieu ont donc marqué la vallée de la Tardes.
Même si les vestiges sont bien souvent de l’époque moderne voire contemporaine, ils
pérennisent probablement les anciens sites médiévaux.
1277
G. ANDRÉ, op.cit.
- 371 -
BOSCHAUD
- 372 -
4. Boschaud (commune de Villars, Dordogne) :
L’abbaye de Boschaud est située sur la commune de Villars dans le canton de
Champagnac en Dordogne. Elle est classée Monument Historique depuis le 12 septembre
1950 (vestiges de l’église et du bâtiment oriental du cloître du XIIème siècle). Elle appartient
au Moyen-Âge à l’ancien diocèse de Périgueux. Elle est signalée sur la carte IGN comme
abbaye ruinée. Elle n’est qu’à quelques kilomètres de Villars au bord de la D 98. Elle est
située dans une zone encore très boisée (Forêt de Lafarge) 1278. Sur la carte de Cassini, elle est
signifiée par une église surmontée d’une crosse mais aucun sigle n’indique son rattachement à
un ordre [Fig. 185 et 186].
Sources manuscrites :
Des procès-verbaux de 1680 et 1682 permettent un état des lieux complet du
monastère au XVIIème siècle1279. En effet, le procès-verbal de 1680 précise les fruits et
revenus de l’abbaye de Boschaud. Les bâtiments sont brièvement décrits. Nous apprenons
ainsi que
« (…) Les bâtiments de ladite abbaye sont tout en ruine et
en très mauvais état (…).
Les titres, papiers et meubles de ladite abbaye ont été
emportés dans la maison de la Dame de Saint-Martin
située dans le bourg de Champaignat [Champagnac-deBelair ?]. »
Il est également fait état de « Trois petites voûtes qui couvraient la nef et une plus
basse où est le sanctuaire ». Pour Louis GRILLON, il s’agit ici des coupoles : trois couvrent
la nef, une le transept1280. La coupole plus basse pourrait également être assimilée au cul-defour de l’abside centrale.
L’église est encore pavée, le cloître couvert de tuiles. Les dépendances de l’abbaye
comme celle de Jayat sont également visitées.
1278
IGN série Bleue, Saint-Pardoux-La-Rivière, 1/ 25000ème, 1933O.
AD Dordogne, B 166, pièce 21.
1280
L. GRILLON, M. LEGENDRE, J. SECRET, L’abbaye de Boschaud. Le Château de Puyguilhem. L’église de
Villars, Périgueux, 1957, p. 5-24.
1279
- 373 -
Le procès-verbal de 1682 nous permet de mieux cerner l’organisation des bâtiments
monastiques1281. Ainsi, une grange est comprise dans l’enclos monastique, tout de suite à
gauche en pénétrant dans l’enceinte. La charpente en est encore en bon état. Puis sont visitées
une cuisine, une écurie. Le cloître est pavé et lambrissé. La charpente est à remettre en état.
Ainsi, le cloître n’était pas voûté mais disposait d’une charpente sans doute dès les XIIèmeXIIIème siècles. Les appartements du prieur sont en bon état. François Faucher, maître
charpentier de Périgueux, monte sur les voûtes de l’église et constate que la charpente de la
nef est à refaire car certaines sablières sont pourries. Il est fait état des
« Quatre voûtes qui faisaient la nef et celle qui fut le
sanctuaire plus basse que les autres ».
Il visite ensuite le réfectoire, le chauffoir et le dortoir. Martin Montaltio ( ?), architecte
de Périgueux se livre également à la même visite. Il décrit la « muraille » du corps de logis
munie d’une vieille tour. Il fait état d’un « arc-boutant » dans la cour, de 17 pieds de long
(5.50m) dont les soubassements sont en mauvais état. S’agit-il d’arcs-boutants soutenant le
corps de logis ou de simples contreforts ? Quant au cloître, deux piliers sont tombés avec la
charpente. Le réfectoire est en partie ruiné. Le chauffoir et son four à pain paraissent encore
en relativement bon état. L’architecte signale également que le pignon de la chapelle proche
du grand autel menace ruine. L’église paraît en effet très ruinée, les murs sont recouverts de
lierres et de broussailles. Deux chapelles sont encore voûtées en berceau.
En 1713, Dom BOYER visite l’abbaye de Boschaud et écrit :
« L’église était belle, les voûtes étaient en façon de
calottes ou de coupe, comme à Saint-Front de Périgueux.
Les trois autels sont d’une grande propreté (…). J’ai dit la
messe au grand autel où l’on voit le corps d’un saint
martyr, dont on ne dit pas le nom. »1282
En 1848, de VERNEILH livre une gravure de l’abbaye, montrant à l’ouest du pilier
nord commun aux deux travées, la naissance de grands arcs et d’un pendentif. Les coupoles
de la nef devaient être semblables à celle de la croisée du transept.
1281
1282
AD Dordogne, B 176, pièces 57 à 60.
Dom BOYER, Journal de Voyage, p. 306.
- 374 -
Historiographie :
En 1955, Louis GRILLON consacre deux articles sur les abbayes cisterciennes de la
Dordogne et leurs apparitions dans les chapitres généraux de l’ordre, publiés dans le Bulletin
de la Société Historique et Archéologique du Périgord. Il évoque ainsi les rapports entre
Boschaud, Cadouin, Dalon, Peyrouse et les autres abbayes de l’ordre. Ces relations consistent
essentiellement en litiges à propos de bornage. Cette étude permet de replacer l’abbaye dans
le contexte monastique de l’époque1283.
En 1957, le même auteur présente une courte monographie de Boschaud avec un
historique, une étude du patrimoine foncier et une description de l’abbatiale1284.
L’ouvrage dirigé par Bernadette BARRIÈRE en 1998 évoque brièvement ce site
autrefois inséré dans le diocèse de Périgueux, aux marges du diocèse de Limoges. L’auteur
livre un état des lieux succinct, décrit brièvement les vestiges encore en place et revient sur un
court historique de l’abbaye1285.
En 1998, l’abbaye fait l’objet d’une étude approfondie par une élève de Bernadette
BARRIÈRE, Catherine DESPORT, qui analyse l’ensemble des fonds d’archives des abbayes
de Boschaud et Peyrouse. Elle livre une étude incontournable sur le patrimoine foncier de ces
deux sites. Toutefois, les vestiges archéologiques ne sont guère évoqués1286.
En 1999, l’abbaye fait l’objet d’une étude d’histoire de l’art plus poussée par Claude
ANDRAULT-SCHMITT, professeur de l’Université de Poitiers. Après un bref rappel
historique, l’auteur étudie minutieusement les vestiges conservés de l’abbaye, qu’il s’agisse
du sanctuaire ou des bâtiments conventuels. Les aménagements hydrauliques et agricoles ne
sont pas envisagés1287.
1283
L. GRILLON, « Les abbayes cisterciennes de la Dordogne dans les statuts des chapitres généraux de
l’Ordre », BSHAP, T 82, 1955, p. 138-148.
1284
L. GRILLON, M. LEGENDRE, J. SECRET, L’abbaye de Boschaud. Le Château de Puyguilhem. L’église de
Villars, Périgueux, 1957.
1285
B. BARRIÈRE (dir.), Moines en Limousin, l’aventure cistercienne, PULIM, Limoges, 1998, p. 157-159.
1286
C. DESPORT, Deux abbayes cisterciennes du Périgord : Boschaud et Peyrouse, mémoire de maîtrise sous la
direction de B. BARRIÈRE, Limoges, 1998, 217p.
1287
C. ANDRAULT-SCHMITT, « L’abbaye de Boschaud », Congrès Archéologique de France, Périgord, 1998,
Paris, 1999, T 156, p. 105-117.
- 375 -
Historique :
Ce monastère est peut-être dans un premier temps un ermitage aquitain de Géraud de
Sales. Foulques, le frère de Géraud, aurait pu être le premier ermite du lieu. Boschaud est
rattachée à l’abbaye des Châtelliers en Poitou, abbaye fondée en 1120 par Géraud de Sales et
où il fut enterré, et non à Cadouin pourtant plus proche géographiquement. Boschaud est
érigée en abbaye en 1154, rattachée à Cîteaux en 1163 dans la filiation de Clairvaux en même
temps que son abbaye-mère, les Châtelliers. Toutefois, selon la Gallia Christiana, elle aurait
été fondée en 1153 par un essaimage depuis Peyrouse. La consécration d’une première église
serait intervenue en 1159, ce qui ne signifie toutefois pas la fin du chantier de construction 1288.
Un corps saint serait conservé sous l’autel majeur ou dans l’épaisseur du mur derrière cet
autel. S’agit-il d’un martyr ? De Foulques lui-même ?
La situation de Boschaud paraît contradictoire avec l’idéal formulé par Bernard de
Clairvaux et les statuts de l’ordre cistercien : il n’y a que peu d’eau sur le site d’implantation
des moines de Boschaud. L’abbaye est implantée en limite de la paroisse de Saint-Martial de
Villars, dans un vallon entouré de bois sur le plateau de Champagnac, entre deux cours d’eau :
la Dronne et le Trincou. L’altitude est de 180 à 200m. Le terrain est sédimentaire, de calcaire
tendre.
De même, les choix stylistiques adoptés peuvent étonner dans un cadre cistercien : la
nef à file de coupoles est plutôt inhabituelle, ainsi que l’abside décorée d’arcatures externes.
L’étude du patrimoine se révèle réellement délicate à mener dans sa totalité étant
donné le peu de sources préservées [Fig. 85]. Nous savons que les moines disposent d’une
tenure, la côte de la Mort, non loin de Jayac d’après le cadastre, acquise tardivement au
XVIème siècle. Elle produit essentiellement des céréales. Boschaud dispose de deux moulins
sur la Dronne près de Quinsac : le moulin de « Laumède » et le moulin de « Chez Nanot »
[Fig. 242]. Sont également cités le moulin de Villars (1758), le moulin de la Croix sur la
paroisse de la Chapelle-Faucher (1758)1289. Les deux possèdent encore leur digue. Les moines
détiennent la tenure de Puyjaloux, des Faureillières, la dîme de la Petite Brugière, l’église de
Saint-Pierre de Frugie (union prolongée en 1470), la grange de Saint-Jean-de-la-Lande (vouée
à la production céréalière ; il subsiste encore aujourd’hui une chapelle de pèlerinage), une
possession à Rieucaud dans le diocèse d’Agen où ils perçoivent une dîme, une à la Petite
1288
C. ANDRAULT-SCHMITT, « L’abbaye de Boschaud...“, op.cit, p. 105-117. Gallia Christiana, II, coll.
1506-7.
1289
AD Dordogne, B 659, pièces 26 et 27. Le moulin de la Croix est encore présent dans la toponymie actuelle.
IGN Série Bleue, 1/25000ème, 1933 O Saint-Pardoux-La-Rivière.
- 376 -
Bruyère (non localisée), la forêt des Bernardins (non localisée). Les cisterciens projètent
également la création d’une grange à Mazeroux sur la commune de Milhac, canton de
Nontron, dessein qui ne pourra être réalisé. Les possessions seront d’ailleurs par la suite
agrégées à Dalon1290. Toutefois au XVIIIème siècle, un accord est passé entre l’abbé de
Boschaud et le curé de Milhac pour la dîme sur les tènements de la lande de Mazeroux1291.
Les quelques sources manuscrites connues nous informent des litiges entre les moines
de Boschaud et d’autres abbayes : ainsi en 1209 avec Peyrouse et Cadouin, en 1249 avec
Boeuil (sans doute à propos de la grange de Mars qui n’est qu’à six kilomètres de Boschaud)
et avec Dalon en 1271 au sujet des possessions de Mazeros. Des litiges et relations avec
d’autres abbayes cisterciennes sont évoqués par l’article de Louis GRILLON précédemment
cité. Celui-ci base son étude sur les Statuta de CANIVEZ1292. La première mention de
Boschaud date de 1209 où elle est effectivement en conflit avec Peyrouse et Cadouin,
probablement à propos d’un bornage. En 1233, un abbé de Pontigny est chargé d’enquêter sur
la conduite d’un abbé de Boschaud et de le corriger sérieusement. Le motif n’est toutefois pas
évoqué. En 1274, Boschaud dépose une plainte contre son abbaye-mère, les Châtelliers, qui
n’a pas respecté un accord avec sa fille au sujet des granges dont Boschaud demande la
restitution1293.
Une étude toponymique des cartes IGN et de Cassini permet de repérer la majorité des
granges et moulins cités dans les actes médiévaux [Fig. 42 et 55]. Elles peuvent aussi garder
le souvenir d’installations monastiques aujourd’hui disparues en élévation et servent ainsi à la
reconstitution du patrimoine et de l’environnement du monastère cistercien. D’après la carte
IGN, Boschaud paraît encore entourée de bois : « Bois de Mousseau », « Forêt de Lafarge » et
« le Bost » qui sont prolongés par le « Bois de Coulonges ». « Les grands bois » sont signalés
au sud de la tenure de Jayac1294. Le moulin de « Chez Nanot » et celui de « Laumède »
apparaissent encore dans la toponymie actuelle, le long de la D 83 qui conduit de Quinsac à
Saint-Front la Rivière1295.
L’abbaye est partiellement restaurée au XVIIème siècle. Un logis est aménagé par
l’abbé commendataire. En 1741, les biens de Boschaud sont partagés en trois lots égaux, un
1290
C. DESPORT, Deux abbayes cisterciennes du Périgord…, op.cit, p. 47.
AD Dordogne, B 659, pièce 12.
1292
J. M. CANIVEZ, Statuta Capitulorum Generalium Ordinis Cisterciensis ab anno 1116 ad annum 1786,
Louvain, 1933.
1293
L. GRILLON, « Les abbayes cisterciennes de la Dordogne dans les statuts des chapitres généraux de
l’Ordre », BSHAP, T 82, 1955, p. 138-148.
1294
IGN Série Bleue, 1/25000ème, Saint-Pardoux-La-Rivière, 1933 O.
1295
IGN Série Bleue, 1/25000ème, Nontron, 1833 E.
1291
- 377 -
pour l’abbé, un pour la mense conventuelle, un indivis pour l’acquit des charges1296. En 1788,
Dom Pérignon est le dernier abbé de Peyrouse. Un inventaire des biens est dressé en 1790. Au
XIXème siècle, le chevet est encore en bon état tandis que la moitié occidentale de la nef s’est
déjà écroulée. En 1969, la parcelle est rachetée par l’État.
Vestiges archéologiques :
À la fin du XIXème siècle, Jean-Alcide CARLES présente le monastère de Boschaud
comme un
« (…) petit bijou byzantin caché dans les bois ; les ruines
sont encore belles. On y invoquait un saint martyr dont le
corps était sous le grand autel. »1297
Les vestiges encore visibles de nos jours présentent un beau calcaire blanc. L’abbaye
est en effet implantée sur un sol de calcaires crétacés tendres. Les moines ont donc opté pour
les matériaux directement disponibles sur le site par soucis d’économie (coûts de transport).
Nous pouvons encore admirer l’église à coupoles ainsi que le bâtiment des moines datant de
la seconde moitié du XIIème siècle. La mise en œuvre est en pierre de taille de moyen
appareil soigné. Le cloître est quant à lui entièrement détruit. Le réfectoire et la cuisine
disposés au sud de même que le bâtiment des convers à l’ouest ont disparu. Les vestiges sont
classés Monuments Historiques depuis le 12 septembre 1950 [Fig. 187 et 188].
- Abbatiale :
L’église orientée est placée au nord du carré du cloître [Fig. 189 et 191]. La dernière
travée de la nef est conservée, de même que le transept, ses chapelles en hémicycle et le
chœur en abside. Les fondations de l’avant-dernière travée de la nef sont encore perceptibles.
Elles semblent faire un angle au nord tandis qu’un départ de mur transversal, orienté nord/sud
irait dans le sens d’une nef de deux travées. Néanmoins, le mur gouttereau sud semble se
prolonger au-delà de cette séparation. Des investigations archéologiques seraient nécessaires
afin de préciser le plan de l’abbatiale médiévale. La mise en œuvre est de moyen appareil
régulier de calcaire à joints fins.
1296
L. GRILLON, M. LEGENDRE, J. SECRET, L’abbaye de Boschaud…, op.cit., p. 5-24.
J-A. CARLES, Les titulaires et les patrons du diocèse de Périgueux-Sarlat, éditions du Roc-de-Bourzac,
Bayac, 1884 (réédition 1986), p. 224.
1297
- 378 -
La file de coupole choisie pour le voûtement de la nef révèle, selon Claude
ANDRAULT-SCHMITT un choix certain de sévérité [Fig. 190]. Elle permet en effet une nef
unique dépourvue d’espaces de cheminement. L’historienne de l’art compare ce choix à
l’église de la Tenaille en Saintonge du sud, une fondation d’un disciple de Géraud de Sales. À
Boschaud, la nef pouvait comprendre cinq coupoles comme à Sablonceaux en Saintonge ou
Fontevrault, abbaye née de la vocation érémitique de Robert d’Arbrissel.
L’auteur s’interroge aussi sur la possibilité d’une construction entre 1160-1180, ce qui
permet de poser le problème du rapport entre la construction et l’affiliation à l’ordre. Les
bâtiments sont peut-être remaniés, voire entièrement reconstruits lors de l’affiliation en 1163
afin de satisfaire aux exigences de l’ordre de Cîteaux. Pour comparaison, Obazine est édifiée
entre 1156 et le début du XIIIème siècle (dernières travées de la nef et bâtiments conventuels)
et dispose également d’une coupole sur pendentif au niveau de la croisée du transept1298. Un
encorbellement est appliqué à des dosserets de même qu’à Eberbach et Santes Creus1299.
La dernière travée de la nef est incomplète et l’amorce des murs gouttereaux conservés
permet d’étudier la mise en œuvre des parements de manière plus complète [Fig. 192 et 193].
Le blocage est ainsi constitué de pierres de tout venant et d’un mortier blanchâtre où les
graviers sont très présents [Fig. 194]. Les pierres de parement ne forment pas boutisses. Il
s’agit de simples carreaux, non taillés en biseau comme souvent dans les abbayes
cisterciennes (Le Thoronet). Du fait des joints minces, cette mise en œuvre a dû poser des
problèmes de liaisonnement. Les murs gouttereaux atteignent les 0.92m d’épaisseur, ce qui est
bien moindre par rapport aux 1.65m d’épaisseur des murs gouttereaux du chevet de
l’abbatiale du Palais-Notre-Dame. La présence d’arcs aveugle interne et externe devait
permettre de supporter les poussées des voûtes à coupoles. Le blocage est de 0.37 à 0.48m
d’épaisseur. Les blocs de calcaire montrent encore les traces d’outil : piquetage pour les faces
internes, réalisé au pic ; traces de marteau taillant obliques et régulières pour les parements
externes. Il s’agit donc d’un travail de tailleurs de pierres qualifiés. Les modules utilisés
varient : 0.62 par 0.28m ; 0.70 par 0.31m ; 0.40 par 0.29m.
La coupole de cette dernière travée de la nef est entièrement appareillée [Fig. 195].
Les assises sont de modules quadrangulaires réguliers, en moyen appareil et à joints minces.
L’assemblage se termine par une pierre circulaire, sorte de clé de voûte. La calotte est
appareillée de dix-huit assises. Les modules sont de 30 par 35cm ou de 30 par 50cm pour une
1298
Cette datation communément admise dans l’historiographie traditionnelle nous paraît toutefois sujette à
caution et sera débattue dans le corpus consacré à Obazine. Nous serions en effet d’avis de prolonger le chantier
médiéval jusque dans les années 1200 (bases avachies de la nef, baies largement ébrasées).
1299
C. ANDRAULT-SCHMITT, « L’abbaye de Boschaud...“, op.cit, p. 105-117.
- 379 -
profondeur de 40 à 30cm. L’intrados est lisse tandis que l’extrados forme comme un
« hérisson rugueux » selon l’expression de Jean SECRET1300.
Cette calotte repose sur une mouluration simple en quart de rond. Les pendentifs sont
aussi appareillés. Ils se constituent de neuf assises en tas-de-charge. Les queues des blocs
taillés sont assez longues, noyées dans la maçonnerie. Le blocage en est de tout venant, lié
d’un mortier jaune orangé paraissant plus sablonneux que celui utilisé pour les parements des
murs gouttereaux. Ces pendentifs sont reçus sur un premier dosseret d’1.40m de large pour
une épaisseur de 0.41m. Il est appliqué sur un second dosseret plus large (2m, 0.34m de
saillie), recevant l’arc aveugle appliqué sur le mur gouttereau (même système aussi bien pour
le mur nord que mur sud) [Fig. 196]. Ces dosserets sont ornés dans leur partie supérieure par
une mouluration en quart de rond qui ne se prolonge pas sur le parement du mur gouttereau
mais reste cantonné aux supports. L’arc ouvrant sur la croisée du transept est souligné par un
arc doubleau au profil légèrement brisé, reposant sur un dosseret s’arrêtant aux deux-tiers de
la hauteur. Il se termine par une modénature sobre de deux cavets superposés. Le parement
nord, entre les deux piliers, montre une rupture dans la construction à partir de l’extrémité est
de la baie ébrasée en plein-cintre. Un chaînage vertical alterne carreaux et boutisses. À l’ouest
de ce chaînage, les assises montrent un rattrapage avec des pierres retaillées pour s’adapter
aux carreaux et boutisses précédemment montées. Il s’agirait ainsi d’un changement d’équipe
lié à la mise en œuvre de la baie, nécessitant d’autres ouvriers, d’autres qualifications, ou
d’une reprise du chantier après un temps de pause. La baie en plein-cintre est largement
ébrasée à l’intérieur [Fig. 193]. Elle est surmontée d’un linteau monolithe du type de ceux de
l’abbaye de Prébenoît (bas-côté nord, fin XIIème, premier tiers du XIIIème siècle) [Fig. 339].
Côté sud, nous ne remarquons pas la même rupture dans la mise en œuvre. La baie est quant à
elle rebouchée.
La croisée du transept présente la même coupole appareillée reposant sur une
modénature en quart-de-rond [Fig. 197 et 198]. La calotte est percée à l’est par un oculus. Elle
utilise le même système de pendentifs appareillés, reçus par quatre arcs doubleaux reposant
sur des dosserets. La calotte est de cinq mètres de diamètre. Nous pouvons également
remarquer que le sol est encore recouvert de grandes dalles de calcaire.
L’arc qui précède l’entrée vers le chœur est souligné par un arc doubleau reposant sur
un dosseret de trois assises, s’arrêtant aux deux tiers de la hauteur et orné d’une modénature
de trois cavets superposés [Fig. 199]. Le dosseret est ensuite décalé vers l’est et se poursuit
jusqu’au sol. Ce décalage ne ressemble pas à un ajout postérieur et cette dissymétrie était
1300
AD Dordogne, 2 J 1145 (notes de Jean SECRET).
- 380 -
vraisemblablement prévue dès le départ. Le dosseret est de 0.65m de large pour une saillie de
0.24m. L’abside principale est voûtée en cul-de-four. Une modénature en quart-de-rond à la
retombée de la voûte se poursuit jusqu’au dosseret. L’abside est percée de trois baies
ébrasées. Les linteaux en plein-cintre ne sont ici pas monolithes mais se constituent de deux
pierres en quart de cercle assemblées. L’ébrasement interne présente un système de gradins et
non un glacis comme très souvent dans les abbayes cisterciennes (Le Palais). La baie centrale
est soulignée de deux colonnes inscrites dans l’encadrement. Les chapiteaux sont lisses, les
bases ont un tore inférieur très renflé, une scotie prononcée et un tore supérieur mince. Au
nord-est, une piscine liturgique est inscrite dans une niche en plein-cintre, à 1.22m du sol [Fig.
201 et 202]. Elle mesure 1.35m de largeur interne pour 1.85m de largeur externe. Elle est
encadrée de deux petites colonnettes surmontées de chapiteaux lisses et dont les bases ont
l’aspect de chapiteaux lisses renversés. Les deux éviers circulaires sont de 0.24m de diamètre
tandis que l’orifice central est de 3cm de diamètre. Au nord, deux petits orifices voûtés en
berceau très brisé sont percés. Ils mesurent 0.23m de large pour une profondeur identique. Il
pourrait s’agir d’emplacements pour des bougies ou des lampes. Au centre, sous la baie
centrale, un panneau de 1.40m de long pour 0.40m de haut est inséré dans la maçonnerie,
probablement ajouté plus tardivement [Fig. 200]. Il s’agit d’une plaque de calcaire, peut-être
un élément d’autel, orné de huit arcatures gothiques trilobées. Il pourrait aussi s’agir d’une
niche conservant peut-être les reliques d’un saint.
Le bras du transept nord s’ouvre par un arc doubleau reposant sur un dosseret orné de
deux séries de deux cavets superposés [Fig. 203]. Ce bras de transept est voûté en berceau très
soigneusement appareillé reposant sur une modénature en quart-de-rond. Contre le mur
occidental est appliqué un arc aveugle au profil très légèrement brisé, reposant sur une
modénature en quart-de-rond. Le mur ouest est percé au sud par une porte ouvrant sur
l’extérieur. Elle est surmontée à l’intérieur par un arc en anse de panier et dans son parement
extérieur par un linteau droit reposant sur une modénature à deux cavets superposés. Le mur
nord dispose également d’un arc aveugle [Fig. 205]. Il est percé d’une baie en plein-cintre
plus large que celles observées pour les murs gouttereaux. Ce bras du transept ouvre à l’est
sur une abside voûtée en cul-de-four appareillé, moins profonde que l’abside principale [Fig.
204]. Elle est percée de deux baies très étroites, en plein-cintre, dont l’ébrasement interne
montre le même système de gradins que les baies de l’abside centrale. Un décor de faux-joints
rouge est encore visible, probablement moderne.
Le bras du transept sud présente sensiblement les mêmes caractéristiques avec sa
voûte en berceau soutenue à l’ouest par un arc aveugle [Fig. 206]. Le mur occidental est percé
- 381 -
d’une porte au nord ouvrant sur l’extérieur, d’une cavité circulaire difficile à interpréter et
d’une cavité quadrangulaire à l’extrémité sud probablement destinée aux livres de culte [Fig.
208]. Le mur sud est percé d’une baie en plein-cintre large et ébrasée, d’une porte rebouchée à
l’extrémité ouest dont l’arc est surbaissé (0.99m de large) et d’une porte à arc brisé à l’est
(0.97m de large) ouvrant sur un passage étroit muni d’un escalier menant à la sacristie [Fig.
209]. L’abside sud est percée d’une baie en plein-cintre ébrasée et au nord d’une piscine
liturgique assez similaire à celle de l’abside principale [Fig. 207]. Elle dispose également de
deux éviers circulaires inscrits dans une niche en plein-cintre munie de colonnettes (0.92m
interne, 1.26m de largeur externe) [Fig. 210].
À l’extérieur, l’abside centrale montre un système de cinq arcs d’applique tandis que
les absides latérales sont lisses. Les piédroits des arcs mesurent 0.81m pour une saillie faible
de 0.18m. Les trois arcs au centre sont plus élevés. La corniche est ornée de simples corbeaux.
La souche du clocher de croisée est conservée [Fig. 212]1301.
Le bras du transept sud est en pignon [Fig. 211]. Il est orné d’une corniche aux motifs
en zig-zag. Un cordon simplement mouluré d’un cavet passe aux deux tiers de la hauteur de la
baie en plein-cintre. Un premier alignement de trous de boulins est visible au premier tiers de
la hauteur du mur pignon, un second au second tiers de la hauteur, juste sous la baie en pleincintre. Ils correspondent aux différents étages du bâtiment est du cloître collé contre le bras du
transept sud.
Le pignon du transept nord est scandé de deux contreforts plats de 1.41m de large pour
0.24m de profondeur [Fig. 213 et 214]. Un cordon simplement mouluré passe aux deux tiers
de la hauteur de la baie en plein-cintre. La corniche présente comme au sud des motifs en zigzag. Le mur occidental montre une corniche ornée de modillons présentant des feuillages et
des figures grimaçantes [Fig. 215].
Le mur externe de la dernière travée de la nef est doté d’un arc aveugle correspondant
à l’arc aveugle interne. Ces arcs d’applique brisés relient les contreforts à ressaut et
compensent la minceur des murs gouttereaux.
Dans l’alignement de cette travée, un départ de mur vers le nord est repérable. Il est
néanmoins difficile de l’interpréter, la nef ne comportant pas de bas-côtés. Il pourrait s’agir
d’une petite chapelle latérale, peut-être postérieure. Des fouilles archéologiques seraient
nécessaires pour préciser ce plan.
La façade ouest est inconnue.
1301
L. GRILLON, M. LEGENDRE, J. SECRET, L’abbaye de Boschaud. Le Château de Puyguilhem. L’église de
Villars, Périgueux, 1957, p. 5-24.
- 382 -
-
Passage de l’escalier :
Ce passage étroit est en partie occupé par un escalier descendant à la sacristie ainsi que
par l’escalier menant au dortoir des moines au premier étage du bâtiment est [Fig. 216]. Il
ouvre sur le cloître situé à l’ouest par une large porte au profil brisé d’1.65m de large pour
1.41m de profondeur [Fig. 217]. Côté cloître, cette ouverture est soulignée d’une archivolte
reposant sur un petit motif en pointe de diamant. L’escalier menant au dortoir est bâti sur un
massif en moyen appareil régulier de qualité.L’accès en est condamné pour des raisons de
sécurité. Il ouvre sur le cloître à l’ouest par une simple porte légèrement brisée, sans décor.
Les marches de ces deux escaliers sont de dalles de calcaire.
-
Sacristie :
La façade occidentale de la sacristie est d’un petit appareil irrégulier noyé dans un
mortier très orangé [Fig. 218]. Elle semble refaite tardivement comme en témoigne le remploi
de certaines pierres taillées en moyen appareil régulier. Elle a peut-être subi des réfections au
Bas Moyen-Âge, voire à l’époque moderne. En effet, les parements internes montrent que
cette façade occidentale n’est pas liée aux parements des murs gouttereaux. Cette façade est
percée par une porte en simple tas-de-charge, sans linteau, surmontée par une petite fenêtre de
profil rectangulaire étroite, semblable à une meurtrière [Fig. 219]. La sacristie est précédée
par un petit passage ouvrant vers le sud et la salle capitulaire, passage sous l’escalier menant
au dortoir des moines. Côté salle capitulaire, ce percement se caractérise comme une simple
porte quadrangulaire sans ornement particulier.
Les murs gouttereaux de la sacristie présentent un cordon de mi-hauteur sous forme de
modénature en quart-de-rond, comme cela avait déjà été observé dans l’abbatiale [Fig. 220 et
221]. Elle soutient une voûte en berceau appareillée. À 1.50m de la porte d’entrée occidentale,
une rupture est sensible dans la maçonnerie de la voûte. Il pourrait s’agir d’un arrêt
momentané du chantier ou d’un changement d’équipe.
Le mur nord est percé de deux cavités quadrangulaires au centre et d’une petite baie à
l’est. Le mur nord comporte une cavité quadrangulaire rebouchée d’1.34m de large, une petite
baie en meurtrière au large ébrasement interne et une cavité quadrangulaire à l’extrémité est
de 0.86m de large dont l’interprétation reste délicate. Il pourrait s’agir de sorte d’armarium où
disposer les livres liturgiques. À l’extérieur, ce mur montre une partie inférieure médiévale en
moyen appareil régulier de qualité, soutenu par un contrefort plat. La moitié supérieure, au-
- 383 -
dessus de la sacristie correspond à des réfections modernes : le petit appareil de moellons
irréguliers est requis. Il est percé d’une porte et de trois baies quadrangulaires récentes.
La présence de ces nombreuses cavités n’a rien d’étonnant dans une sacristie. En effet,
la sacristie a vocation de rangement d’où la nécessité d’armoires. Les moines y revêtent leurs
attributs de prêtre et se préparent à la célébration de la liturgie. Des niches sont ainsi
pratiquées dans les murs. La sacristie de Silvanès présente ainsi trois niches communiquant
entre elles. Des armoires en bois sont également fréquemment utilisées. Des ouvrages
pouvaient y être conservés lorsque l’armarium était plein1302.
Le mur oriental est percé de deux baies en meurtrière ébrasées, surmontées par une
petite baie quadrangulaire à fort ébrasement, probablement destinée à l’aération [Fig. 222].
Nous pouvons constater les traces d’un enduit de qualité peint en faux joints (environ 1.50cm
de large) à doubles traits verticaux mais aussi horizontaux [Fig. 223].
-
Salle capitulaire et parloir :
Le mur occidental de la salle capitulaire montre une rupture franche avec les
parements du bras du transept sud. Les assises sont collées mais non liées entre elles, en
décalage. Un cordon torique aux deux tiers de la hauteur assure la transition visuelle. Il sépare
ce premier niveau du dortoir des moines dont le parement est régulièrement percé de baies
très fines en meurtrières [Fig. 224].
L’étude des parements extérieurs de cette salle a permis de repérer des trous de boulins
régulièrement espacés, tous les 0.80m environ, à 2.65m de haut. Une seconde série est placée
à 4.15m environ, pour un espacement plus important, de 2m en moyenne. Il s’agit des vestiges
de la galerie est du cloître, probablement charpentée. Nous ne connaissons pas grand-chose de
ce cloître médiéval puisque aucun indice n’en a été découvert en avant de ce bâtiment oriental
conservé. Seuls ces trous de boulins conservent la mémoire de galeries charpentées. D’après
le procès-verbal de 1680, nous savons que chaque galerie reposait sur des piliers d’angle et
deux supports intermédiaires au moins. Une base de pilier d’angle est/sud de retombée d’arc
des galeries du cloître a été découverte le long de l’aile est du cloître, au niveau de la salle
capitulaire. La base d’un lavabo a été mise au jour le long de la galerie sud. Les galeries
étaient dallées le long du mur sud de la nef et le long du mur est du cloître 1303. Ce cloître était
couvert de tuiles creuses.
1302
1303
T. KINDER, L’Europe cistercienne, Zodiaque, 1997, p. 242.
C. DESPORT, Deux abbayes cisterciennes du Périgord…, op. cit, p. 29.
- 384 -
La salle capitulaire se compose d’une porte encadrée par deux baies de chaque côté.
L’extrémité sud est percée d’une seconde porte correspondant vraisemblablement à l’entrée
du parloir [Fig. 224].
Les baies sont à profil légèrement brisé, soulignées d’une archivolte qui n’est pas
systématiquement conservée. Ces baies d’1.03m de large et d’1.17m de profondeur sont
encadrées de colonnettes reposant sur des bases attiques à la scotie très prononcée et aux
chapiteaux lisses [Fig. 225 et 226]. Ces bases classiques iraient dans le sens d’une datation de
la seconde moitié du XIIème siècle.
Ces ouvertures sont encadrées d’une mouluration torique retombant sur un épais
tailloir orné d’une superposition de deux cavets. La porte centrale et la porte d’entrée vers le
parloir présentent la même ornementation. Elles mesurent par ailleurs 1.57m de large.
De l’intérieur, le mur est de la salle capitulaire présente trois baies en plein-cintre
ébrasées, soulignées d’un tore. À l’extérieur, ce mur est scandé de cinq contreforts plats de
0.90m de large pour une faible saillie de 0.23m.
L’ébrasement interne des baies utilise le même système de gradins déjà observé dans
le chœur et les absides des bras du transept. La baie nord présente un tore reposant sur des
colonnettes surmontées de chapiteaux lisses et de bases classiques, mais ornées de motifs en
dents de scie. Le profil des bases et le décor des chapiteaux iraient dans le sens d’une datation
de la seconde moitié du XIIème siècle. La baie centrale est similaire, à part les chapiteaux
présentant des feuilles schématiques à très fortes nervures et au tailloir orné de zig-zag. Les
bases sont ornées elles aussi de dents de scie [Fig. 230]. Elles présentent un profil avec une
scotie très prononcée, un tore supérieur mince, évoquant des réalités post-carolingiennes (fin
Xème, début XIème siècle) comme observées à Saint-Hilaire-de-Poitiers notamment. La baie
la plus au sud conserve encore son archivolte reçue par un petit motif feuillagé. Les
chapiteaux sont lisses mais avec le même système de tailloirs en zig-zag [Fig. 231, 232 et
233]. Le socle des bases présente lui aussi ce motif tandis que le tore inférieur est dentelé.
Dans sa partie supérieure, le mur est correspondant au dortoir des moines montre des
baies en plein-cintre plus larges que les simples meurtrières du mur occidental. Elles
pourraient correspondre à des modifications apparues au XVème siècle avec la mise en place
d’ouvertures plus grandes. La salle capitulaire disposait d’une toiture en bois constituant le
plancher du dortoir au-dessus [Fig. 227, 228 et 229].
Le parloir présente une porte percée à l’est avec un arc surbaissé. Le mur pignon à
l’extrémité sud semble en partie tardivement refait. Contrairement aux autres parements, il est
de petit appareil irrégulier. Il est percé d’une porte centrale rectangulaire, d’une petite niche
- 385 -
en plein-cintre à l’est, sans doute en lien avec des libations car présentant dans la paroi nord
un système d’évacuation des eaux, et d’une porte récente à l’ouest, désormais rebouchée. Ce
pignon est percé dans sa moitié supérieure par une petite baie quadrangulaire.
Au sud du parloir, les fondations d’un autre bâtiment sont préservées dont on peut
encore distinguer l’angle sud-est. Il pourrait s’agir de l’ancien chauffoir.
-
Bâtiments conventuels :
Le bâtiment à l’est semble plus tardif [Fig. 234 et 235]. Il comprend quatre salles et un
cellier. Le cellier est dans l’alignement de la sacristie [Fig. 240]. Il s’agit d’une petite pièce
basse, voûtée d’un berceau en tas-de-charge au profil brisé. L’une des pièces, la plus à l’est,
dispose d’une cheminée et d’un évier de pierre. Il pourrait s’agir d’une cuisine1304. Ce
bâtiment est généralement bâti en petit appareil irrégulier. Les parements les plus anciens (fin
XIIème, début XIIIème siècles), souvent en partie basse, sont de moyen appareil régulier de
calcaire [Fig. 236 et 237]. Cet édifice aurait pu être construit sur les bases d’un édifice
médiéval, où en remployant de nombreuses pierres de taille plus anciennes [Fig. 239].
La façade sud est de moyen appareil régulier de calcaire. Elle est percée d’une porte
moderne à clé d’arc haute ouvrant sur la seconde petite pièce. La façade nord montre encore
fréquemment des parements en moyen appareil régulier, alternant avec des parties
entièrement refaites en petit appareil. Une tourelle circulaire en moellons irréguliers (XVème
siècle ?) est adjointe au niveau de la petite salle suivant le cellier, à l’angle nord-ouest [Fig.
238 et 241].
À l’extrémité de l’enclos monastique, au sud-est, une petite maison semble récente
mais les piédroits et harpages utilisent des pierres de taille soignées probablement médiévales.
-
Granges et aménagements hydrauliques :
•
Moulin de Laumède :
L’abbaye de Boschaud dispose encore de deux moulins bien conservés mais très
1304
C. DESPORT, Deux abbayes cisterciennes du Périgord…, op.cit, p. 31.
- 386 -
remaniés au fil des siècles [Fig. 242]. Le moulin de Laumède est situé à l’ouest de Villars sur
la Dronne1305. Il s’agit d’une propriété privée. Le bâtiment quadrangulaire actuel est presque
entièrement enduit ce qui ne permet guère une analyse précise du bâti. Une partie du
mécanisme est encore en place avec un axe et une roue très endommagée. Une digue est
placée à quelques mètres au-dessus du moulin. Elle est de béton et a sans doute remplacé
l’ancienne digue de pierres sèches [Fig. 245].
•
Moulin de Chez Nanot :
Le moulin de Chez Nanot est également placé sur la Dronne1306. Il s’agit de même
d’une propriété privée. Ce bâtiment quadrangulaire disposait de deux roues dont les
mécanismes sont encore conservés, de même que la digue permettant l’alimentation des deux
dérivations. L’un des biefs passe le long du pignon du moulin, l’autre en dessous [Fig. 243 et
244].
1305
1306
IGN Série Bleue, 1/25000ème, 1833 E, Nontron.
IGN Série Bleue, 1/25000ème, 1833 E, Nontron.
- 387 -
DALON
- 388 -
5. Dalon (commune de Sainte-Trie, Dordogne) :
L’abbaye de Dalon est située sur la commune de Sainte-Trie, canton d’Excideuil dans
le département de la Dordogne. Elle appartenait auparavant au diocèse de Limoges dans
l’archiprêtré de Lubersac. Elle est rattachée à la Dordogne en 1792. Nous accédons au site
depuis la D72. L’abbaye est classée Monument Historique depuis le 27 septembre 1948
(chapelles, corps de logis, salle voûtée, pigeonnier). Sur la carte de Cassini, l’abbaye est
signalée par les initiales AB. O.C. (abbaye d’ordre cistercien). Elle est symbolisée par une
petite église surmontée d’une crosse. Sur la carte IGN au 1/25000ème, le site monastique
correspond à un îlot de défrichement entre la forêt domaniale de Born et le Bois Noir à l’est
[Fig. 246 et 247]1307.
Sources manuscrites :
Le cartulaire de l’abbaye de Dalon est aujourd’hui perdu mais a fait l’objet de travaux
d’érudits aux XVIIème et XVIIIème siècles sur lesquels nous pouvons aujourd’hui baser
notre propre réflexion. Ainsi Vion d’HÉROUVAL, GAIGNIÈRES, BALUZE, Du CANGE,
dom Jacques BOYER, le père Anselme DIMIER ou encore l’abbé NADAUD se sont penchés
sur ce précieux témoignage. Ces écrits ont été étudiés avec minutie par Louis GRILLON qui
publie en 2004 les résultats de ses recherches sur le cartulaire1308.
Les Archives Départementales de la Corrèze conservent certains documents
concernant Dalon comme des baux à ferme (H 27- 1660-1784), un arpentage des bois de
l’abbaye (H 107-1758) ou encore les prises d’habits et décès des moines (H 146- 1769-1790).
Le procès-verbal de 1790 montre une abbaye en fort mauvais état [PJ 4 et 5]. Nous
pouvons nous demander si ces descriptions n’étaient pas quelque peu exagérées afin de
suggérer aux autorités qu’il n’y avait là plus rien d’intéressant. Les livres sont abîmés, les
stalles du chœur vétustes. Il est dit également :
« (…) Le tabernacle contient une custode de grandeur
moyenne avec son voile le tout propre, que sur l’autel se
trouvent quatre grands chandeliers et deux petits tous en
1307
IGN Série Bleue, 1/25000ème, Hautefort, 2034 O.
L. GRILLON, Le cartulaire de l’abbaye Notre-Dame de Dalon, Archives en Dordogne, Études et Documents
n°3, Périgueux, 2004, p. 9.
1308
- 389 -
cuivre jaune et qu’une lampe de cuivre argenté est
suspendue à la voûte de l’église. »
En 1712, Dom BOYER décrit la nef à bas tandis que le procès-verbal la présente
encore en élévation. S’agit-il alors d’une exagération de Dom BOYER ou la nef a-t-elle été
reconstruite entre 1712 et 1790 ? Cette hypothèse nous paraît plutôt improbable étant donné la
diminution du nombre de moines et de moyens financiers à cette période.
En 1790 est également évoqué le patrimoine foncier de l’abbaye. Elle dispose encore
de terres produisant vignes, céréales, fourrage et chanvre. Les moines détiennent un four à
chaux et à tuiles, un pressoir. L’abbaye est encore assez riche à la période révolutionnaire1309.
Les plans cadastraux conservés à la mairie de Sainte-Trie peuvent apporter quelques
éléments [Fig. 248 et 249]. Le cadastre napoléonien montre deux bâtiments principaux placés
à l’équerre correspondant à l’actuel bâtiment conventuel conservé (parcelle 175) et aux
anciennes écuries, bâtiment très allongé situé sur la parcelle 180. Les vestiges médiévaux sont
occultés (parcelles 179 et 181).
Le cadastre actuel témoigne du développement des exploitations agricoles sur l’ancien
site cistercien. Les deux bâtiments placés à l’équerre sont toujours présents (parcelle 16), bien
que les anciennes écuries paraissent moins longues que sur le cadastre ancien. Deux bâtiments
de ferme apparaissent au nord de celles-ci. Les ruines des chapelles occidentales du bras sud
du transept sont signalées par des pointillés, les chapelles du bras nord, remployées dans une
structure moderne, sont également représentées en trait plein. Deux autres petits bâtiments
quadrangulaires ont été ajoutés à l’entrée du site (parcelle 16).
Historiographie :
L’abbaye de Dalon fait l’objet de recherches d’érudits locaux dès le milieu du XIXème
siècle. L’abbé ROY DE PIERREFITTE consacre une étude rapide du site cistercien. Il
s’attache toutefois plus à l’historique du site et à la personnalité de Géraud de Sales qu’aux
vestiges conservés. Il signale simplement deux chapelles encore visibles1310.
En 1955, Louis GRILLON étudie les rapports entre les abbayes cisterciennes de la
Dordogne et les autres monastères de l’ordre à travers les statuts des chapitres généraux. Cette
1309
M. VAN MIEGHEM, L’abbaye cistercienne de Notre-Dame du Dalon de 1790 à 1814, Clairvive, 1976, p.
21.
1310
Abbé J-B. L. ROY DE PIERREFITTE, Études historiques sur les monastères du Limousin et de la Marche,
T 1, Guéret, Betoulle, 1857-1863, p. 625-648.
- 390 -
analyse nous permet de replacer Dalon dans le contexte monastique de l’époque, dans le
réseau cistercien du XIIIème siècle. Ces relations consistent essentiellement en litiges et
conflits de bornage1311. En 1962, il livre un DES sur le cartulaire de Dalon sous la direction de
Charles HIGOUNET à Bordeaux. Il étudie précisément les 1345 actes datés entre 1114 et
1247, probablement compilés par un moine du couvent. Ces actes sont classés
géographiquement et permettent à l’auteur de distinguer relativement facilement les
différentes granges et possessions des moines. Cette étude est ainsi essentielle pour la
reconstitution du patrimoine foncier de l’abbaye de Dalon et sera reprise et améliorée en 2004
par l’auteur1312. En 1964, sa thèse de 3ème cycle soutenue à Bordeaux est une analyse précise
du domaine et de la vie économique de Dalon, d’après le cartulaire et toutes les sources
conservées sur l’abbaye1313.
En 1976, Madeleine VAN MIEGHEM consacre une étude approfondie sur l’abbaye de
Dalon. C’est la première synthèse réellement complète sur le site. Elle en livre une description
minutieuse et évoque les sources disponibles à l’étude de vestiges archéologiques en partie
ruinés : procès-verbaux, visite de Dom BOYER ou encore du chanoine POULBRIÈRE1314.
En 1994, Claude ANDRAULT-SCHMITT étudie les monastères cisterciens nés de
l’initiative de l’ermite Géraud de Sales. Elle fait le point sur les vestiges conservés et mène
des comparaisons réellement nécessaires avec d’autres abbayes de l’ordre1315.
Bernadette BARRIÈRE consacre une courte analyse du monastère dans son ouvrage
Moines en Limousin. Elle recense les sources disponibles à l’étude du site et décrit brièvement
les vestiges encore observables de nos jours. C’est un point documentaire essentiel à la
connaissance de cette abbaye1316.
Historique :
Le site est placé dans la vallée du Dalon, un affluent de l’Auvézère. En 1114, Géraud
de Sales, ermite périgourdin né vers 1070 à Sales-de-Cadouin, y fonde un ermitage avec
l’assentiment de l’évêque de Limoges et de la famille des Lastours à qui appartient cette terre.
1311
L. GRILLON, « Les abbayes cisterciennes de la Dordogne dans les statuts des chapitres généraux de
l’Ordre », BSHAP, T 82, 1955, p. 138-148.
1312
L. GRILLON, Le cartulaire de Dalon (1114-1247), Mémoire de DES sous la direction de C. HIGOUNET,
Bordeaux, 1962 ; Le cartulaire de l’abbaye Notre-Dame de Dalon, Périgueux, 2004, dactyl.
1313
L. GRILLON, Le domaine et la vie économique de l’abbaye cistercienne Notre-Dame de Dalon en BasLimousin, thèse de doctorat, Bordeaux, 1964.
1314
M. VAN MIEGHEM, op. cit.
1315
C. ANDRAULT-SCHMITT, « Des abbatiales du « Désert ». Les églises des successeurs de Géraud de Sales
dans le diocèse de Poitiers, Limoges et Saintes (1160-1220) », BSAOMP, 1994, T8, 5ème série, p. 91-173.
1316
B. BARRIÈRE (dir.), Moines en Limousin, l’aventure cistercienne, PULIM, Limoges, 1998, p. 163-166.
- 391 -
En effet, à cette date, deux frères seigneurs de Lastours accordent tout ce qu’ils possèdent en
forêt de Dalon. La petite communauté œuvre très vite à se constituer un patrimoine foncier.
Du vivant de Géraud, les termes « nemus » et « eremus » se rencontrent dans les actes pour
désigner le site de l’ermitage. Il semble ainsi bien s’agir d’un désert boisé. Dès les premiers
temps et du vivant de Géraud, l’abbaye est dotée par une famille qui, outre les Lastours, se
montrera fidèle à l’abbaye de cisterciens. Il s’agit de la famille de Born, seigneurs de
Hautefort. Le célèbre troubadour Bertrand de Born né vers 1140 dotera comme ses aïeux le
monastère limousin et se fera moine à la fin de sa vie. Il apparaît en effet comme témoin dans
certains actes de donation. Il y meurt en 12151317.
Vers 1120, après la mort de Géraud, l’ermitage est érigé en abbaye par l’autorité
épiscopale et doté d’un abbé, Roger (1120-1159). Celui-ci se voit confier la responsabilité de
nombreux ermitages dont certains accédèrent au rang d’abbayes (Prébenoît, Bonlieu, Le
Palais-Notre-Dame, Boeuil, Aubignac, Loc-Dieu et Saint-Léonard-des-Chaumes). Dalon
devient en quelque sorte un chef d’ordre. L’abbaye adopte les usages cisterciens avant même
le rattachement. La charte n°38 du cartulaire stipule :
« Regulae beati Benedicti professionem litterariam ad
imitationem
Cisterciensum
tenendam
unanimiter
decreverant »1318.
En 1162, l’affiliation à Cîteaux est favorisée par l’accession à l’abbatiat d’Amel et par
les volontés des évêques et seigneurs laïcs. Au XIIIème siècle, l’abbaye dispose de 27 granges
dont une saline [Fig. 81].
Le patrimoine foncier du monastère est relativement bien connu grâce aux études de
Louis GRILLON, historien scrupuleux et opiniâtre qui a rassemblé une documentation
considérable sur les granges de Dalon. Il insiste sur le fait que le faire-valoir direct, l’emploi
d’une main d’œuvre bon marché assurent une gestion bénéficiaire. La polyculture est adaptée
à la nature des sols. Au milieu du XIIIème siècle, nous assistons aux premières aliénations et
à une généralisation des baux à cens. L’étude du cartulaire par Louis GRILLON permet de
lister les possessions des moines et les principales granges. Ainsi, le groupe de l’abbaye se
constitue de la grange de l’abbaye, de Lavaysse (com. Puy-Lavaysse), de Puyredon (com.
1317
A. THOMAS, Poésies complètes de Bertran de Born, Toulouse, 1888, p. 1-52.
J. CIBOT, Le cartulaire de l’abbaye du Palais-Notre-Dame (XIIème-XIIIème siècles), DES, Poitiers, 1961.
« D’une voix unanime ils ont décidé de professer littéralement la règle de Saint Benoît à l’imitation des
cisterciens ».
1318
- 392 -
Coubjours), de la Forêt (com. Hautefort, ancienne paroisse de La Nouaillette) et de
Fougeroles (com. Génis). Un second groupe au nord-ouest comprend Chalamand (com. SaintPaul la Roche), Murs (com. Thiviers) ainsi que la maison de ville d’Excideuil. Le groupe du
nord-est se constitue de Masmoutier (com. Saint-Bonnet-La-Rivière), de Palemanteau (com.
Concèze), et de Jeu (com. Église-aux-Bois) [Fig. 295 et 297]. Le groupe du sud-est comprend
Bedena (com. Larche), Goudonnet (com. Chartrier-Ferrières) et Tauriac (com. Bretenoux). Le
groupe du sud-ouest se constitue de Taillepetit (com. Sainte-Ores), de Puyboucher (com. La
Boissière d’Ans), l’hospice de Montignac (com. Sarlat). La grange de Puyboucher existe
encore en 1747 puisqu’à cette date, une transaction est passée entre l’abbaye de Dalon et les
tenanciers de Puyboucher [Fig. 298]. La grange arrentée perpétuellement est citée, de même
qu’un village du même nom. L’exploitation cistercienne a ainsi sans doute donné naissance à
un hameau1319. Le groupe de Charente et Saintonge se constitue de la grange des Touches
(com. saint-Just, cant. Marennes, Charente-Maritime) et de la Colre.
Certaines granges ne sont pas localisées telles le Buisson et Laurière (même si son
nom n’est pas conservé dans la toponymie, nous pouvons l’envisager sur la commune de
Génis, en amont du Moulin du Pont, sur la rive droite de l’Auvézère) 1320. D’autres sont
postérieures au cartulaire comme la Besse (com. Ségonzac), Chabanes, Hache (com.
Savignac-Les-Eglises), Las Royas (com. Saint-Bonnet-La-Rivière) et Chantres (com. Milhacde-Nontron) [Fig. 291]1321.
Huit exploitations agricoles appartiennent au département de la Corrèze. Il s’agit de
Lavaysse, Palemanteau, Masmoutier, Jeu, la Besse, Las Royas, Bedena et Goudonnet [Fig.
295 et 297]. Ces deux dernières ont fait l’objet d’une étude plus poussée dans un article publié
en 19661322. Bedena est située sur la commune de Larche, Goudonnet sur celle de ChartrierFerrières [Fig. 290]. Les vicomtes de Turenne sont alors propriétaires du château de Larche.
Le premier acte de donation concernant Goudonnet date de 1179. Toutefois, elle existait sans
doute depuis 1120. Beaucoup de terres sont données au premier abbé de Dalon. Elle se
constitue des manses de Masadies, de Marfons, de Meyrignac, d’une vigne à Cousages et du
manse de la Chassagne cédé par les Malemort. Elle possède le moulin de la Grèze sur la
Couze et le moulin de Ladoux. La grange s’accroît jusque dans les années 1200.
1319
AD Dordogne, 1 J 1680.
P. DEVAUX, L’occupation médiévale du sol du pays de Hautefort et de la forêt de Born, mémoire de
maîtrise sous la direction de B. BARRIÈRE, 1 vol., 2003, p. 54.
1321
L. GRILLON, Le cartulaire…, op. cit, p. 4-5.
1322
L. GRILLON, « Deux granges Corréziennes de l’abbaye cistercienne de Dalon », dans Le Bas-Limousin,
Histoire et économie, Tulle, 1966, p. 21-32.
1320
- 393 -
Bedena est citée pour la première fois en 1190. Les terres sont concédées par les
seigneurs de la Porte, de Belfort, de la Brousse et de Pommier. Elle détient de nombreux
moulins sur la Couze et la Vézère. Elle est située en Causse, où le calcaire jurassique moyen
donne des sols basiques, maigres et pierreux. Ces sols sont propres à la culture des céréales et
de la vigne. Selon Louis GRILLON, Bedena se trouve en « rougier » où l’altération des grès
permiens a donné des sols rouges au sable mêlé d’argile, acides, propres aux labours. Le sol
est maigre à cause de l’affleurement des plaques de grès. Toutefois, il peut donner de bonnes
terres céréalières. De nombreux cours d’eau favorisent les prairies, surtout dans la plaine
alluviale de la Vézère. Le cartulaire de Dalon cite la production du seigle, du froment et la
vigne.
L’étude toponymique des cartes IGN et de Cassini permet généralement de localiser
les granges et moulins de l’abbaye [Fig. 43 et 54]. La carte de Cassini signale trois tuileries
aux proches abords de Dalon. Il est toutefois délicat de conclure qu’il s’agisse bien ici
d’anciennes industries monastiques. Les toponymes « le Petit Moulin », « le Moulin de la
Besse » (ouest de Dalon) et le « moulin de Puyval » au sud-est peuvent également évoquer
d’anciennes possessions cisterciennes1323.
L’acquisition du patrimoine foncier entraîne fréquemment des conflits et litiges entre
les abbayes cisterciennes dont les territoires se chevauchent parfois. Dalon et Peyrouse sont
ainsi souvent confrontés et leurs litiges apparaissent dans les statuts des chapitres généraux de
l’ordre en 1192, 1219, 1220, 1221, 1239, 1241 et 1261. Dès 1190, l’abbé de Dalon est
sollicité pour traiter avec d’autres pères quelques affaires de l’ordre dans une grange de
Pontigny. En 1201, il aide à décider de la collecte à faire dans les monastères pour la Terre
Sainte et la rédemption des captifs. En 1214, il se rend à Prébenoît où l’abbé a été blessé la
nuit dans sa couche. En 1399, le Chapitre Général envoie quatre abbés pour réformer le
Palais-Notre-Dame. C’est en quelque sorte une honte pour Dalon : abbaye-mère du Palais,
elle aurait dû elle-même assurer les visites de sa fille1324.
Au milieu du XVème siècle, l’occupation par les Anglais ruine les domaines et le
patrimoine.
En 1535, François de Las Tours, abbé commendataire, fait refaire le chœur. L’aile
appuyée sur le transept est transformée en logis abbatial sur lequel on plaque une façade
classique. En 1777, la salle capitulaire est transformée en cuisine.
1323
IGN Série Bleue, 1/25000ème, Hautefort, 2034 O.
L. GRILLON, « Les abbayes cisterciennes de la Dordogne dans les statuts des chapitres généraux de
l’Ordre », BSHAP, T 82, 1955, p. 138-148.
1324
- 394 -
En 1811, la majorité des bâtiments en calcaire est démolie pour alimenter le four à
chaux proche.
Vestiges archéologiques :
-
Sources manuscrites :
Le cartulaire de Dalon révèle certaines mentions des bâtiments monastiques qui
peuvent nous aider à dater leur construction. En 1181, un acte est passé « in portica juxta
capitulum ». En 1190, une donation est faite « in communi capitulo », en 1192 « in auditorio
juxta capitulum ». Entre 1120 et 1137, une donation a lieu « in ecclesia », ce qui va dans le
sens d’une édification après la mort de Géraud de Sales de bâtiments daloniens, remaniés, ou
entièrement reconstruits par la suite lors de l’affiliation à Cîteaux. Ces bâtiments étaient-ils
encore en matériaux périssables comme l’ermitage ou en pierres de taille ? Sans fouilles
archéologiques, il paraît difficile de conclure ici. Il apparaît clairement qu’à la fin du XIIème
siècle, le monastère cistercien disposait de sa salle capitulaire et de l’auditoire. Cela ne
signifie toutefois pas que l’ensemble du monastère était achevé et l’église cistercienne n’était
probablement pas terminée à cette date [Fig. 250]1325.
-
Abbatiale :
Il demeure aujourd’hui les vestiges des chapelles occidentales du transept édifiées en
calcaire de Saint-Robert [Fig. 251]. Deux travées du bas-côté droit présentent des colonnes
élancées, des voûtes appareillées et des chapiteaux à feuillages1326.
Lorsque Nadaud visite l’abbaye en 1628, il raconte que déjà les bâtiments sont en
ruines. Des reconstructions seront menées par la suite par les architectes Nicolas Rambourg et
Jacques Maigret, travaillant aussi à Hautefort et Boisseuilh. Ces travaux seront toutefois axés
sur les bâtiments conventuels1327. Nadaud mentionne dans sa description un tombeau de
femme dans une chapelle septentrionale dont le gisant est aujourd’hui conservé dans l’église
de Sainte-Trie. La nef n’existe déjà plus au XVIIIème siècle. En effet, en 1712, Dom BOYER
écrit que « l’église était grande et belle mais la nef est à bas »1328. Le corps de logis relève du
XVIIIème siècle [Fig. 276]. Les façades de l’ancien bâtiment des moines sont rhabillées. On
1325
L. GRILLON, Le cartulaire…, op. cit, fol. 163-39-40-53.
Abbé J. BROUSSE, « Une poignée de documents sur l’abbaye de Dalon », BSSHAC, T 56, 1935, p. 122-171.
1327
M. VAN MIEGHEM, op. cit, p. 52.
1328
C. ANDRAULT-SCHMITT, « Des abbatiales du « Désert »…, » op. cit, p. 91-173.
1326
- 395 -
conserve néanmoins la salle capitulaire du XIIème siècle [Fig. 279]. En juin 1879, le chanoine
POULBRIÈRE livre également une description de l’abbaye de Dalon. Il écrit :
« L’église du Dalon, dont j’ai vu ces vacances les
déplorables ruines, appartient bien en effet au type
cistercien. Toutefois, elle est d’un bon demi-siècle
postérieure à celle d’Obazine. Ce n’est plus le pur roman
des bords de la Corrèze. C’est la grâce pudique et la
fraîcheur première d’un gothique naissant. Vous ne verrez
plus, sur ce site dévasté, que les six chapelles carrées qui
flanquaient autrefois le transept »1329.
Dans cette seconde moitié du XIXème siècle, les six chapelles du transept étaient alors
encore observables. Selon Madeleine VAN MIEGHEM, quatre chapelles avaient été ajoutées
aux bras du transept (deux chapelles par bras), contre le mur ouest, et ce pour le besoin des
offices à la fin du XIIème siècle voire au début du XIIIème siècle. Elles auraient été détruites
après 1605 et un ordre du Chapitre Général de supprimer les autels non utilisés. Cette
destruction aurait été réalisée à la faveur des travaux de réfection de la façade de la maison
abbatiale1330.
D’après la Gallia Christiana, l’abbaye disposait à l’origine de trois cloîtres, pour les
convers, les moines et les étrangers.
« Olim tria claustra : monachorum, conversum, et
hospitum »1331.
La longueur de la nef est estimée à 56m. Le vaisseau central mesurait 10m de large et
était flanqué de collatéraux de 5m de large. Le transept devait mesurer 44.5m de long pour
15m de large. Le chœur était large de 10m. D’après le découpage du parcellaire de l’ancien
cadastre, il s’agissait vraisemblablement d’un chevet plat [Fig. 248 et 249]. Selon Claude
ANDRAULT-SCHMITT, l’abbatiale de Dalon présente des affinités de plan, de dimensions
et d’exécution avec Preuilly, Jouy, la Cour-Dieu, le Landais et Valence en Poitou. On
retrouve l’ample développement du volume autour du transept, un plan orthogonal, un
1329
Chanoine POULBRIERE, BSSHAC, T II, 1879-1880.
M. VAN MIEGHEM, op. cit, p. 97.
1331
Abbé J. BROUSSE, « Une poignée de documents sur l’abbaye de Dalon… », op. cit, p. 122-171
1330
- 396 -
voûtement d’ogives quasi systématique et une longueur totale proche des 80m1332.
L’historienne de l’art propose une datation entre 1192 (première mention de l’auditorium
« contre le chapitre » terminant l’aile du cloître) et 1223 (difficultés des abbés sanctionnés par
Cîteaux) ou 1230 (apparition d’une chambre de l’abbé en complément du programme)1333.
Deux absidioles occidentales du transept sont intactes au sud mais semblent beaucoup
plus modifiées au nord où elles sont murées [Fig. 270 et 271]. La partie nord a en effet été
transformée en maison de métayer. Les voûtes ont disparu. Au sud, les chapelles sont
appuyées contre le logis et sont dépourvues de couverture. Ces chapelles sont hautes, de
4.20m de profondeur, 3.95m de large, ouvertes sur un large bras de transept (10m) par un arc
brisé à double rouleau, séparées par un mur.
•
Bras du transept sud. Chapelle nord :
La chapelle du bras sud la plus au nord est bâtie en moyen appareil régulier de calcaire
de qualité [Fig. 251 et 252]1334. Elle dispose d’un chevet plat. Des vestiges de peinture ocre et
rouge sont discernables sur les parements mais restent difficile à dater.
L’entrée en est marquée par deux piles engagées sur dosseret [Fig. 255]. Les angles du
dosseret présentent des colonnes cantonnées reposant sur des bases au tore inférieur aplati. La
scotie est peu prononcée. Elles sont ornées de griffes en forme de feuilles qui s’étalent sur le
socle et permettent d’envisager une datation de la première moitié du XIIIème siècle [Fig.
259]. Ces bases disposent d’un haut socle de 18cm reposant lui-même sur un soubassement
de 33cm de haut simplement souligné d’un cavet, lui-même reçu par une large assise de 24cm
de haut. Ces piles supportent un arc brisé à double rouleau aux claveaux très soignés et belles
pierres de taille. Le premier rouleau est reçu par le dosseret de la pile cruciforme tandis que le
second est reçu par une colonne engagée dont la base est strictement identique à celles
précédemment évoquées. Le dosseret comporte également des colonnes cantonnées dans les
angles. Le chapiteau au sud présente un décor de feuilles lisses se terminant chacune par trois
boules [Fig. 253, 254 et 256]. Ces feuillages se continuent en frise sur le dosseret et sur la
colonne d’angle sud-est. La corbeille est surmontée d’un tailloir en tore/scotie/tore tandis que
le fin astragale se poursuit en cordon sur le dosseret. Le chapiteau de la colonne nord présente
des feuilles lisses se terminant en boules chacune ornée d’un coquillage. Ce décor se poursuit
également en frise sur le dosseret et la colonnette d’angle nord-est. Ces piliers ressemblent
1332
C. ANDRAULT-SCHMITT, « Des abbatiales du « Désert »…, » op. cit, p. 91-173 ; C. ANDRAULTSCHMITT, Limousin gothique, Paris, Picard, 1997, p. 162-167.
1333
C. ANDRAULT-SCHMITT, Limousin gothique…, op. cit.
1334
Carreaux : en moyenne 51 par 24 cm ou 41 par 28cm.
- 397 -
fortement aux piliers de la croisée du transept de l’abbaye de Villelongue, située entre Castres
et Carcassonne, bâtie de même que le chevet plat entre 1180 et 1220. Les tailloirs sont
similaires, les chapiteaux présentent le même épannelage, les feuillages se prolongent en frise
sur les dosserets. De même pour les astragales se poursuivant en cordon mouluré.
Le chevet plat est percé d’une large baie en plein-cintre à double ébrasement. Les
claveaux présentent des vestiges de couleur alternant jaune et rouge. Un cordon de mi-hauteur
est simplement mouluré en doucine. Il rappelle en particulier celle du chœur de l’église de la
Souterraine (premier tiers du XIIIème siècle).
Au nord, un passage voûté en plein-cintre de 83cm de long pour 85cm de large ouvrait
sur le transept.
Le mur sud dispose également d’un passage voûté en plein-cintre ouvrant sur la
seconde chapelle sud. Les dimensions sont les mêmes que le précédent. Cette ouverture est
aujourd’hui condamnée.
Au tiers de la hauteur de la chapelle, des trous de poutres sont visibles et signalent
l’établissement d’un plancher à une époque difficile à déterminer. Une porte quadrangulaire
est percée dans le mur sud, à l’extrémité est, et témoigne bien de l’existence d’un étage à un
moment donné. Des trous de boulin sont également visibles aux 2/3 de la hauteur.
Le mur sud dispose d’une piscine liturgique [Fig. 258]. Son encadrement a été
entièrement dépecé, les pierres de taille sans doute récupérées pour leurs feuillures et
modénatures intéressantes. Elle se constitue de deux lavabos circulaires de 28cm de diamètre
avec un orifice central permettant l’évacuation des eaux. Cette installation liturgique confirme
une présence d’un autel vers l’est.
La voûte est quadripartite, appareillée avec soin, les ogives au tore unique sans
amande, dégagé de cavets. Elle est ornée par une clé feuillagée. Les nervures retombent à l’est
sur les chapiteaux en position biaise formant frise avec les chapiteaux principaux des colonnes
engagées. À l’ouest, les angles sont occupés par de fines colonnettes se terminant au tiers de
la hauteur par de petits culots feuillagés [Fig. 257]. Les chapiteaux sont également ornés de
végétaux se terminant en boules. Les tailloirs épais présentent un profil en tore/scotie/tore.
- 398 -
•
Bras du transept sud. Chapelle sud :
Cette seconde chapelle présente le même plan et les mêmes dispositions générales que
la précédente [Fig. 260]. Les sculptures diffèrent toutefois quelque peu. Le chapiteau le plus
au sud présente des boules ornées de coquille tandis qu’au nord la corbeille est ornée de
simples motifs feuillagés [Fig. 262, 263, 268 et 269].
La baie est aujourd’hui bouchée. Une différence avec la chapelle nord est la présence
d’une colonne à l’angle sud-ouest allant jusqu’au sol et non plus reçue par un culot au tiers de
la hauteur [Fig. 264 et 265].
Au sud, le parement présente les vestiges d’une petite niche servant sans doute
d’armoire liturgique. Elle mesure 1.12m de large. L’arc en plein-cintre en est mouluré d’un
tore [Fig. 266].
Nous pouvons également constater la conservation d’une partie du mur du fond du
transept sud, présentant deux portes de tracé brisé, l’une pour le dortoir, l’autre pour la
sacristie. L’une et l’autre sont aujourd’hui rebouchées. La porte du dortoir est à 2.25m audessus du sol actuel [Fig. 261].
Les parements ouest de ces chapelles septentrionales sont encore observables. Un
enfeu est conservé, d’1.02m de profondeur, ouvrant sur la galerie du cloître par un arc brisé
souligné d’un tore. La partie inférieure est un parement de moyen appareil régulier [Fig. 274
et 275]1335. Le blocage de la partie supérieure est visible car les pierres de parement en bel
appareil ont été arrachées. Il se constitue donc de moellons de grès rose ainsi que de quelques
blocs de moyen appareil, liés de mortier de chaux relativement grasse.
•
Bras du transept nord :
Les dispositions des deux chapelles occidentales du bras nord du transept peuvent
encore être observées bien qu’elles soient prises dans les maçonneries d’une petite maison
d’habitation de volume quadrangulaire [Fig. 270 et 271]. Le parement sud présente une pile
quadrangulaire encore visible avec ses colonnes cantonnées ornées de chapiteaux feuillagés.
Les départs de voûtes d’ogives sont également observables. Le chapiteau principal de la
colonne engagée est sculpté de feuilles lisses qui se poursuivent en frise sur le dosseret. À
l’ouest, un chapiteau fin avec des feuilles nervurées enroulées repose sur une colonnette se
terminant par un culot avec une succession de feuillages. Nous pouvons également constater
la présence d’une ouverture en plein-cintre faisant le pendant de celle de la chapelle nord du
bras sud et ouvrant sur le transept. Elle est désormais rebouchée. Le parement occidental
1335
Carreaux de 45 par 32cm ou 62 par 32cm.
- 399 -
témoigne encore de la présence d’une baie au sud rebouchée de petites pierres de tout venant.
À l’extrémité méridionale, nous pouvons observer le départ du mur gouttereau nord. Les
pierres de moyen appareil sont de belle qualité et assemblées visiblement sans blocage
interne. Ce mur devait atteindre les 1.04m de large. Dans le mur oriental, l’entrée des deux
chapelles est encore visible bien que prise dans des maçonneries modernes. Elle présente la
même organisation qu’au bras sud du transept avec ses trois piliers cruciformes. Les
chapiteaux et bases ont été enlevés, sans doute remployés dans d’autres bâtiments récents
[Fig. 272]. Les arcades sont rebouchées avec des pierres dont certaines sont des remplois
médiévaux (claveaux de nervure d’ogives). Les petits escaliers conduisant aux deux
ouvertures modernes se constituent d’ailleurs de pierres d’entablement délicatement
moulurées [Fig. 273]. L’amorce du mur du fond du transept nord est encore visible.
La présence de chapelles placées à l’ouest sur les bras du transept n’est pas
inhabituelle dans un cadre cistercien, bien que la disposition la plus fréquente soit celle de
chapelles orientales. C’est le cas de l’abbaye-mère de Dalon, Pontigny, qui présentait à la fin
du XIIème siècle et au début du XIIIème siècle à la fois des chapelles orientales et
occidentales, permettant une multiplication des autels pour les prières individuelles des
moines. De même à Chaalis, abbaye-fille de Pontigny, vraisemblablement reconstruite dans
les années 1200-1219. Le parti adopté est celui d’un vaste transept dont chaque bras se
termine par un déambulatoire à quatre chapelles polygonales [Fig. 1006]. Deux chapelles
rectangulaires sont placées à l’est, une chapelle à l’ouest. Les possibilités d’autels sont dès
lors multipliées. Faut-il voir dans l’adoption de ces chapelles occidentales des liens de
filiation forts entre Pontigny et ses abbayes-filles ? Il paraît difficile d’en juger par cette seule
ressemblance. Néanmoins, Dalon n’adopte pas le chevet à déambulatoire et à chapelles
rayonnantes édifié à Pontigny entre 1186 et 1210 et elle ne semble pas non plus reprendre le
parti de voûtes sexpartites présent dans l’abbaye de l’Yonne1336. Par ailleurs, l’adoption de
chapelles occidentales de transept n’est pas spécifique à la filiation de Pontigny et se retrouve
à Clairvaux III, édifiée vraisemblablement entre 1152 et 1174 (dédicace de l’abbatiale) [Fig.
995]1337 : le transept en forte saillie de plus de cinquante mètres est doté à chaque bras de deux
1336
C. A. BRUZELIUS, « The transept of the abbey church of Châalis and the filiation of Pontigny”, dans B.
CHAUVIN (dir.), Mélanges à la mémoire du père Anselme Dimier, T III, 6, Abbayes, Pupillin, Arbois, 1982, p.
447-454.
1337
En 1178, une lettre d’Henri, abbé de Clairvaux à Henri II Plantagenêt mentionne le don par ce même
souverain d’une somme ayant permis de doter l’abbatiale d’une couverture en plomb. Ce document confirme
ainsi la date de fin de chantier vers 1174. J. HENRIET, « L’abbatiale cistercienne de Cherlieu », dans J.
HENRIET, À l’aube de l’architecture gothique, Presses Universitaires de Franche-Comté, Besançon, 2005, p.
301-335.
- 400 -
chapelles orientales et de deux chapelles occidentales, comme à Dalon. Là encore, ce vaste
transept aux multiples autels est associé à un chevet à déambulatoire et chapelles rayonnantes
contiguës, enveloppées dans un mur polygonal. Ainsi, la multiplication des autels semble de
mise dans le dernier tiers du XIIème siècle et le début du XIIIème siècle.
-
Bâtiments conventuels :
•
Logis abbatial :
Le logis abbatial est le bâtiment contigu au transept, bâti en 1777 [Fig. 276 et 277]. Il
est édifié en grès permien extrait des carrières de Louignac et de Teilhot. La façade orientale
est toutefois bâtie en pierre de taille de calcaire importé de Saint-Robert. Il remplace le
bâtiment des moines qui comprenait aux XIIème et XIIIème siècles la sacristie, l’armarium,
la salle capitulaire, le parloir ainsi que l’escalier conduisant au dortoir des moines à l’étage.
Ce dortoir est aménagé en chambres au XVIIIème siècle1338. Il s’agit d’un bâtiment de 35m de
long pour 10m de large environ.
Le parement occidental permet d’observer les anciens aménagements monastiques liés
au cloître. Un cordon mouluré au 2/3 de la hauteur et trois corbeaux conservés permettent
d’attester l’existence d’un cloître charpenté.
•
Sacristie :
La sacristie est transformée en salle des archives, encore appelée « salle du trésor ». Il
s’agit de la pièce directement contiguë au transept avec lequel elle communiquait par une
ouverture en arc brisé où aboutissait l’escalier servant aux moines pour les offices de nuit.
•
Salle capitulaire :
En 1777, sous l’abbatiat de Jean Certain, la cuisine est aménagée dans l’ancienne salle
capitulaire qui prolonge le transept [Fig. 279]. Les moines, sans doute très peu nombreux, ne
se réunissaient peut-être plus dans le chapitre comme aux premiers temps de l’ordre
cistercien. La salle capitulaire est plus modeste que l’abbatiale et ne présente pas la même
qualité de mise en œuvre. En effet, elle associe le grès rouge local et le calcaire fin. Ses
dimensions réduites n’atteignent que 7.50m de côté. Elle se constitue de quatre travées et d’un
unique pilier central circulaire. Elle est donc relativement modeste par rapport à d’autres
chapitres connus. À Maubuisson par exemple, le plan quadrangulaire est de 14 par 12.40m et
1338
M. VAN MIEGHEM, op. cit, p. 35.
- 401 -
se constitue de deux vaisseaux de trois travées voûtées d’ogives (première moitié du XIIIème
siècle)1339. Les ogives sont de section polygonale cernées par des nervures transversales de
même profil lourd. Celui-ci se rencontre plus habituellement pour les salles moins nobles
comme le cellier de Noirlac ou la forge de Fontenay. Claude ANDRAULT-SCHMITT se
demande s’il ne pourrait pas s’agir ici d’une volonté de modestie des bâtisseurs1340. Toutefois,
un réel souci du décor nous paraît tangible ne serait-ce que dans le choix de clés de voûte
feuillagées, toutes différentes [Fig. 281 et 284]. Néanmoins, ce profil d’ogives observé
correspond souvent à une datation plus tardive (XIVème-XVème siècles). Une réfection n’est
ainsi pas impossible.
Cette pièce carrée est ouverte à l’ouest par des baies en plein-cintre. Les nervures des
ogives sont reçues par un tailloir monolithe de 0.45m de haut, de forme polygonale et d’un
diamètre de 2.40m. La colonne en elle-même mesure 1.03m de haut pour 2.25m de diamètre.
Les culots recevant les nervures sont ornés d’un simple bandeau [Fig. 280]. Le sol primitif est
décoré d’un carrelage de terre cuite émaillé d’un dessin géométrique. Ce pavement subsiste à
0.40m de profondeur, sous des dalles de grès posées au XVIIIème siècle. Une vaste cheminée
à l’angle sud-est est datée de 1777 [Fig. 282]1341. Les murs extérieurs ont été très repris tandis
que les ouvertures d’origine sont modifiées. Des vestiges de peinture de faux appareil à joints
ocres sont encore visibles par endroit [Fig. 283].
•
Autres bâtiments et dépendances :
L’ancien parloir communique avec la salle capitulaire par une porte. Il est voûté en
berceau, large d’une travée. À l’époque Moderne, il sert d’office. Une prison est prévue sous
la première volée de l’escalier. Un salon à manger est aménagé dans les murs d’origine. Le
plafond est en plein-cintre. Quant à la salle des moines, elle est très remaniée. Elle est
amputée de la moitié de sa longueur. Un mur pignon est construit au sud, percé d’une simple
fenêtre rectangulaire. Elle est édifiée sur des caves, comblées à la fin du XIXème siècle1342.
Au niveau du transept sud de l’abbatiale, des écuries sont installées. Si la description
du procès-verbal de 1790 n’en parle pas, le cadastre de 1811 en fait état. Elles mesurent 41m
de long pour 12.5m de large. La mise en œuvre de la façade sud est identique à celle de la
maison abbatiale. À l’extrémité est de ce bâtiment, Jean SECRET signale en 1961 la présence
de six squelettes, têtes orientées à l’ouest, bras croisés sur la poitrine, à 0.60m de profondeur.
1339
J-Y. LANGLOIS, « Le chapitre des cisterciennes de Maubuisson », dans L’Ile-de-France médiévale, T II,
Paris, 2001, p. 44-47.
1340
C. ANDRAULT-SCHMITT, op. cit.
1341
M. VAN MIEGHEM, op. cit, p. 44.
1342
M. VAN MIEGHEM, op. cit, p. 49.
- 402 -
Des vestiges de cercueil en bois ont été mis au jour, ainsi que des clous en fer forgé. Il
pourrait s’agir du cimetière des moines, placé à l’est du chevet de l’abbatiale 1343. Ce cimetière
aurait disposé d’une Lanterne des Morts. En effet, d’après le cartulaire, en 1187, un acte de
donation évoque l’entretien de la lampe du cimetière (fol. 198). En effet, Guillaume de
Tauron offre par testament « six livres pour le maintien d’une lampe pendant la nuit
auxquelles s’ajoutent le prix de six setiers de froment promis par le monastère pour que
ladite lampe brûle nuit et jour ».
Quant au cloître, il n’en demeure rien aujourd’hui. Certaines pierres sont conservées
au musée des cloîtres de New-York.
Un colombier est placé à l’angle nord ouest de l’enclos et est daté vraisemblablement
du Bas Moyen-Âge [Fig. 278]. D’après l’actuel propriétaire du site, il serait daté de 1524. Il
remploie des pierres en grès rose du XIIIème siècle de l’abbatiale. Il est toutefois difficile de
dater ces structures avec précision puisque l’ensemble a été presque entièrement enduit. Les
colombiers sont fréquents dans les abbayes cisterciennes. Selon Marcel AUBERT, « dans
chaque abbaye se dressait, au milieu des bâtiments de la ferme, un colombier, grosse tour
cylindrique coupée à l’extérieur, aux deux tiers de la hauteur, par un fort cordon mouluré en
larmier destiné à arrêter les bêtes puantes cherchant à monter jusqu’à l’entrée réservée au
sommet de la tour, et souvent abritée par une lucarne de la toiture. En bas est une porte étroite
permettant de pénétrer à l’intérieur où sont creusés, sur toute la surface des murs, des trous de
boulins. »1344
Le colombier de Dalon est en effet cylindrique, présente un cordon mouluré en larmier
aux deux tiers de la hauteur comme le décrit Marcel AUBERT. Son toit conique est couvert
de tuiles plates. Il est placé à l’extrémité ouest de l’enclos monastique. Des colombiers
similaires sont connus à Reigny (Yonne, Bourgogne), La Ferté (Saône-et-Loire, Bourgogne)
ou encore à Valloires (Somme, Picardie).
Les colombiers ne sont pas toujours placés au milieu des bâtiments de ferme mais
peuvent se trouver hors de la clôture monastique, à proximité de l’église et de l’entrée du
monastère, parfois à côté de bâtiments à vocation agricole. Ils ne sont pas toujours
cylindriques à l’image de celui de Dalon. Philippe MANNEVILLE remarque qu’en
Normandie, les colombiers des abbayes cisterciennes de Beaubec et Breuil-Benoît (com.
Marcilly-Sur-Eure) sont octogonaux1345. De même, le pigeonnier de Gimont est polygonal
1343
AD Dordogne, 2 J 1145 (notes de Jean SECRET).
M. AUBERT (avec la collaboration de la marquise de Maillé), L’Architecture cistercienne en France,
Vanoest, Paris, 1947 (2ème édition), T II, p. 170.
1345
P. MANNEVILLE, « Colombiers d’abbayes normandes », dans Les abbayes de Normandie, Actes du
XIIIème Congrès des Sociétés Historiques et Archéologiques de Normandie, Rouen, 1979, p. 205-221.
1344
- 403 -
(Gers, Midi-Pyrénées). Des colombiers carrés se retrouvent à Boulbonne (Haute-Garonne,
Midi-Pyrénées), Flaran (Gers, Midi-Pyrénées) ou encore à Villelongue (Aude, LanguedocRoussillon).
Les autres bâtiments telles les granges, étables et la porterie sont détruits après 1811 et
enterrés sous 1.60m de remblais. La grange de l’abbaye devait être située à 150m à l’ouest de
l’abbaye, au-delà du colombier. Il ne reste aujourd’hui que les ruines d’une ferme moderne à
peine perceptibles dans le paysage.
Le bâtiment des convers à l’ouest est remplacé par un corps de logis en grès rouge. Il
est aménagé au cours des siècles de la même manière que la maison abbatiale. L’aile sud est
occupée par la maison du prieur1346.
Autour des installations monastiques et particulièrement à l’ouest et au sud des
bâtiments, un enclos est encore perceptible. Il court tout le long de l’actuelle cour à l’est du
logis abbatial. Il est bâti en moyen appareil régulier à l’ouest tandis que les parements
conservés au sud sont plus irréguliers, en grès rose. Il pourrait également s’agir ici d’assises
appartenant au bâtiment méridional du cloître.
-
Éléments lapidaires vagabonds et remplois :
À l’est des chapelles du bras sud du transept, un bâtiment longiligne moderne orienté
est/ouest sert aujourd’hui à remiser le foin. Il présente de nombreux remplois médiévaux
comme des éléments de colonne (40cm de diamètre), de colonnettes, de portail à ébrasements
ou des claveaux de nervure d’ogives [Fig. 289].
De nombreux éléments lapidaires sont également déposés de loin en loin dans l’enclos
monastique mais ne suffisent toutefois pas à mener un réel inventaire et à tirer des conclusions
sur les voûtements, supports et dispositions de la nef et du cloître. Des claveaux de nervure
d’ogives présentent des profils différents mais généralement sans amande [Fig. 288]. Un
tambour de colonne de 45cm de diamètre et de 32cm de haut est déposé dans la cour devant le
logis abbatial. Ces colonnes massives pouvaient appartenir à nef aujourd’hui encore
méconnue.
Des éléments de corniche sont remployés en jardinière devant le logis abbatial. Nous
pouvons également recenser une base de pile engagée pentagonale (nef ?), trois fragments de
pilastres cannelés [Fig. 285, 286 et 287]. Ces derniers pourraient provenir d’un retable établi
1346
M. VAN MIEGHEM, op. cit, p. 97.
- 404 -
dans le chœur de l’abbatiale par François de Las Tours en 15351347. Un petit chapiteau
feuillagé semble appartenir à une colonne engagée.
-
Aménagements hydrauliques :
Les installations hydrauliques sont peu discernables dans le paysage actuel. À l’ouest
du pigeonnier, en contrebas de l’enclos monastique, un cours d’eau entièrement asséché
pourrait correspondre à l’ancien bief dérivé du Dalon. Il conduit au sud-ouest à un espace où
la végétation plus dense et plus verdoyante fait penser à l’emplacement d’un ancien vivier.
Des éléments de canalisation en pierre sont déposés devant le logis abbatial et
demeurent les seuls témoins tangibles d’aménagements que seules des investigations
archéologiques pourraient révéler [Fig. 286].
-
Granges :
Des prospections ont été menées sur les sites des anciennes exploitations agricoles
appartenant aux moines de Dalon. Néanmoins, les vestiges médiévaux sont rares, ces granges
ayant été constamment remaniées, voire détruites. Ainsi, les sites de Lavaysse (actuel VieuxLa-Veysse), La Besse1348, Puyredon et Fougerolas n’ont révélé aucun vestige significatif [Fig.
299]1349.
•
Grange de Bedena :
Cette grange est située à quelques kilomètres à l’est de Larche [Fig. 290]. Elle apparaît
dans la toponymie actuelle sous la graphie « Bédénas »1350. Le village actuel est relativement
moderne, excepté une maison au volume quadrangulaire cerné de deux pignons présentant
encore des pierres de taille. Elle sert actuellement de remise. Il demeure l’amorce d’une porte
en plein-cintre. Quant au moulin de Larche lui appartenant, il avait une réelle importance
d’après le cartulaire. À sa droite, en amont, un gué que l’on passait en barque est encore
repérable dans la toponymie (« le Port » est indiqué). Le moulin est toujours en activité mais
est entièrement moderne.
•
Grange de Chantres :
De la grange de Chantres située sur la commune de Milhac-de-Nontron reste
1347
C. ANDRAULT-SCHMITT, Limousin gothique…, op. cit., p. 161.
IGN 1/25000ème, Série Bleue, 2034 E, Juillac.
1349
IGN 1/25000ème, Série Bleue, 2034 O, Hautefort.
1350
IGN 1/25000ème, Série Bleue, 2035 E, Terrasson-Lavilledieu.
1348
- 405 -
actuellement une chapelle, simple volume quadrangulaire bâti en petit appareil irrégulier. La
porte d’entrée latérale est surmontée d’une archivolte au profil en plein-cintre ornée de dents
de scie [Fig. 291 et 292].
•
Grange du Châtaignier :
Cette exploitation agricole est installée par les moines à quelques kilomètres à l’ouest
d’Uzerche [Fig. 293]. Le nom est toujours présent dans la toponymie actuelle 1351. Les vestiges
consistent en deux corps de bâtiment à l’abandon ayant servi de granges et d’étables.
Certaines pierres de taille en harpages pourraient correspondre à un ancien bâtiment médiéval.
•
Grange de Goudonnet :
La grange de Goudonnet appartenant aux moines de Dalon apparaît encore dans la
toponymie actuelle sous la graphie « Coudonnet » [Fig. 294]. Elle est située non loin de la
grange de Baudran appartenant aux moines d’Obazine, au sud de Chartier-Ferrière1352. Le
bourg actuel présente un certain nombre de maisons disposant de belles pierres de taille.
L’une d’elle est dotée d’une abside et surmontée d’une flèche. Il pourrait s’agir d’une
ancienne chapelle appartenant aux cisterciens de Dalon et servant aux dévotions des convers
et moines chargés de l’exploitation. Une des maisons dispose d’une cave voûtée de 8 par 7 m
qui pourrait correspondre à l’ancienne grange. Une cheminée de pierre porte l’inscription
1668.
•
Grange de Laurière :
La grange de Laurière est située sur la commune de Génis, en amont du Moulin du
Pont, sur la rive droite de l’Auvézère au nord-est de Génis. Le lieu est abandonné après la
Révolution, désormais envahi par les broussailles et difficilement lisible. Les vestiges d’un
ancien moulin sont néanmoins discernables près d’un petit ruisseau. Le canal d’alimentation
se devine encore ainsi que les ruines d’une maison d’habtation en bordure d’un bois1353.
•
Grange de Palemanteau :
La grange de Palemanteau est située au nord de Juillac et a conservé l’ancienne
1351
IGN 1/25000ème, Série Bleue, 2133 O, Uzerche.
IGN 1/25000ème, Série Bleue, 2135 O, Brive-la-Gaillarde.
1353
P. DEVAUX, L’occupation médiévale du sol du pays de Hautefort et de la forêt de Born, mémoire de
maîtrise sous la direction de B. BARRIÈRE, 1 vol., 2003, p. 54.
1352
- 406 -
graphie médiévale [Fig. 295]1354. Elle ne présente guère de vestiges significatifs excepté un
grand bâtiment quadrangulaire encadré de deux pignons au sommet abattu présentant de
belles pierres de taille en harpage.
•
Grange de Tauriac :
Cette grange n’a laissé aucun vestige significatif. Elle est située entre Tauriac et
Puybrun. Concernant la bastide de Puybrun, elle s’est accompagnée de la création d’un
prieuré et d’une église Notre-Dame de la Grange, mis à bas lors des conflits avec les Anglais
au XIVème siècle. Ce prieuré est situé au cœur de la bastide, près de la Place Grande. L’abbé
de Dalon a ainsi plus de facilités à percevoir les rentes dus par les tenanciers de ses terres.
Une visite de 1676 fait état d’un fort et de l’église Notre-Dame de la Grange1355. Le
« fort » est un vaste bâtiment de 28 toises de long et 4 toises de large (53m par 7.5m environ).
C’est la bâtisse la plus imposante du prieuré. Il est également appelé « Maison du Prieur ». Ce
fort est dit ruiné depuis 300 ans. Il devait accueillir un certain nombre de frères convers, ainsi
que différents locaux (cuisine, réfectoire, dortoir, salle commune, pièces de stockage,
celliers). D’après le procès-verbal de 1676, la maison du Prieur communique avec l’église
actuelle. Un arc brisé sur le mur gouttereau sud de la nef de l’église pourrait être un témoin de
cet ancien prieuré.
Si l’église de Saint-Blaise de Puybrun (paroissiale) est réhabilitée suite à cette visite, le
fort et l’église Notre-Dame de La Grange ne sont pas rebâtis. En 1676, ne demeure de l’église
Notre-Dame de la Grange que des murs en ruines. On ne connaît pas ses dimensions. Est
décrit également un four banal, consistant en deux fours jumeaux de 26 pieds de long sur 14.5
pieds de large, couverts de tuiles cruses. Le sol est pavé de carreaux de briques, la voûte est
également de briques.
L’église Saint-Blaise est située à l’angle de la place principale, emplacement habituel
des édifices de culte dans les bastides méridionales. Elle est dotée d’un puissant clocher,
auparavant tour carrée massive au XIIIème siècle, utilisé comme beffroi, seule fortification de
la bastide [Fig. 300].
Certaines demeures alentours présentent encore de belles pierres de taille comme la
« salle des gardes » située à côté de l’église [Fig. 301]. En réalité, il s’agit d’une cave voûtée,
vestige de l’ancienne grange cistercienne. Elle mesure 15.65m par 9.35m. Elle est voûtée en
berceau brisé à 3.10m de hauteur. La porte nord est surmontée d’un arc ogival, la porte sud
1354
1355
IGN 1/25000ème, Série Bleue, 2034 E, Juillac.
H Supplément Limoges B 6.
- 407 -
d’un arc en anse de panier. Il devait s’agir d’une cave à vin puisqu’on sait que la vigne est la
principale richesse de cette bastide. Lorsque le prieuré est détruit, la cave est réutilisée en salle
de corps aux soldats du guet, d’où son nom actuel [Fig. 302]1356.
1356
J-P. LAUSSAC, L. GRILLON, « Le prieuré Notre-Dame de la grange de Puybrun », Bulletin de la Société
des Études du Lot, 2002, T 123, p. 81-96.
- 408 -
LE PALAIS-NOTRE-DAME
- 409 -
6. Le Palais-Notre-Dame (commune de Thauron, Creuse) :
L’abbaye du Palais-Notre-Dame est située sur la commune de Thauron, canton de
Pontarion en Creuse. Elle ne fait l’objet d’aucune protection au titre des Monuments
Historiques. Elle est signalée sur la carte de Cassini sous l’appellation « le Palais ».
L’abbatiale est indiquée par une petite église surmontée d’une crosse. Les initiales AB et O.C
(ordre cistercien) ne sont pas précisées. De même, la carte IGN indique l’abbaye par le
toponyme « Le Palais » et « château ruiné » qui fait probablement référence au logis abbatial.
Le vivier en contrebas à l’ouest de l’abbaye est représenté. L’abbaye est située au-dessus de la
D 940a, à quelques kilomètres au nord-est de Bourganeuf [Fig. 303 et 304]1357.
Sources manuscrites :
Pour la connaissance des premiers temps de la fondation et de la constitution du
patrimoine de l’abbaye du Palais-Notre-Dame, nous bénéficions de documents précieux
conservés aux Archives Départementales de la Creuse et en particulier du cartulaire1358.
Ce manuscrit est resté dans la bibliothèque de l’abbaye jusqu’au XVIIIème siècle. En
1854, le Musée Britannique en fait l’acquisition. Il est désormais déposé à la BNF sous la cote
ms. add. 19887. Il s’agit de 106 feuillets de parchemin, de trois feuilles de papier de 18.4cm
de haut et de 12.4cm de large. Le volume est recouvert d’une reliure en cuir brun de 19.5cm
de haut pour 14.3cm de large. Il permet de connaître le passage de l’ermitage à l’abbaye
dalonienne et nous renseigne sur la constitution des granges et l’expansion du patrimoine.
Rares sont les mentions concernant la construction des bâtiments monastiques. En 1160, une
donation tient lieu dans la salle du chapitre (folio 38). Il devait s’agir des bâtiments daloniens,
l’affiliation à Cîteaux n’intervenant qu’en 1162. En 1206, Aimeric de la Ribière donne une
rente annuelle d’un setier de froment pour les besoins des bâtiments monastiques : « ud
edificium monasterii » (folio 50). La même année, Pierre du Chasan donne une rente annuelle
de 6 deniers pour l’entretien des bâtiments du monastère : « ad opera monasterii » (folio 51).
Idem pour Pierre du Bois de Saint-Georges qui donne 6 deniers de rente pour les travaux à
effectuer aux bâtiments monastiques : « ad opera monasterii » (folio 52). En 1210, Aiceline
de Saozet donne une émine de seigle de rente annuelle qu’elle affecte à l’entretien des
bâtiments du couvent (folio 127). Les bâtiments daloniens auraient-ils été remaniés, voire
1357
1358
IGN Série Bleue, 1/25000ème, Bourganeuf, 2130 E.
AD Creuse, H 524.
- 410 -
reconstruits suite à l’affiliation à Cîteaux jusque dans le premier tiers du XIIIème siècle ? Ces
actes de donation vont dans le sens d’une construction (ou reconstruction) plutôt tardive. Il est
toutefois délicat de savoir exactement en quoi consistait ces « travaux » ou « entretien » des
bâtiments : réelle construction, simples remaniements ou embellissements de bâtiments déjà
édifiés ?
Sous la cote H 525, nous trouvons des arrentements, rapports et ventes datés des
années 1510 jusqu’au XVIIIème siècle. Ceux-ci n’apportent pas réellement d’informations
concernant les bâtiments monastiques proprement dit.
Une réduction de la nef est jugée nécessaire et déjà reconnue par un arrêt du Grand
Conseil de 1745.
Il faut « démolir cette partie inférieure jusqu’aux piliers
inférieurs de la croix » et un « mur (est) à construire entre
les piliers inférieurs de la croix pour fermer ladite église
(…).
L’église menace ruine prochaine et imminente par deux
vices de construction irréparables d’où il résulte que
telles réparations qu’on y fît ne pourraient la faire
subsister, au moins dans la partie inférieure, que la
reconstruction de cette église, nécessitant une dépense
considérable à laquelle on ne pouvait subvenir, il serait
plus utile de la réduire».
En 1745, l’église est donc réduite à 52 pieds (17.3m). Elle serait ainsi « plus que
suffisante tant pour le service divin où il n’y a jamais plus de deux religieux que pour
l’assemblée des fidèles ». Un nouveau mur est construit à l’ouest avant la destruction des 2/3
de l’édifice total. Pour ce faire, il est spécifié de remployer le portail d’entrée des fidèles. Ce
mur est de 4 pieds d’épaisseur (1.30m), dispose de pierres de traverse (boutisses) et d’un
mortier de chaux aux sables lavés. Il ne demeure rien aujourd’hui en élévation de ce mur du
XVIIIème siècle qui vient clore la nef tronquée. En 1745, les religieux sont également
autorisés par le Grand Conseil à supprimer les cloîtres [Fig. 318]. En 1789, le procès-verbal
de visite énonce :
« L’église mesure 136 pieds de longueur sur 20 de large
(45m par 6.50m). Elle est composée d’une croix de 80
pieds de longueur sur 22 pieds 6 pouces de largeur
- 411 -
(transept de 26.7m par 7.5m) et encore de bas-côtés qui
ont huit pieds neuf pouces de largeur (3m), le tout sans
comprendre le chœur qui a 36 pieds (12m) ».
La description ne tient pas compte des modifications voulues dès le milieu du
XVIIIème siècle. L’érection de la nouvelle façade n’était peut-être pas achevée ? Les
réparations jugées nécessaires par l’arrêté du Grand Conseil ont peut-être tardé à être
appliquées.1359.
Un inventaire des objets mobiliers de l’église (1790-1791)1360 précise que la maison
conventuelle est composée
« d’une grande salle, d’un salon, d’une boulangerie, et un
cellier dans le bas, de quatre chambres dans le dortoir,
dont deux servent pour les religieux qui les occupent, les
deux autres pour les étrangers et deux greniers au-dessus.
(…) Nous sommes allés dans la sacristie où dom Féry
nous a représenté un calice avec sa patène, un soleil
d’argent et une custode en maille dorée ; un encensoir,
une croix et une lampe argentée, trois aubes de linge
nécessaire, six chasubles de différentes couleurs en
mauvais état et quelques mauvais livres de chant.
De là, nous sommes allés dans l’église où il n’y avait
autre chose sur l’autel que six chandeliers de cuivre et
une nappe avec les cartons.
(…) et nous avons trouvé dans ladite église et sacristie
une custode en maille dorée un soleil d’argent, un
encensoir avec une navette, une lampe argentée, une croix
en cuivre avec son manche en bois, six grands chandeliers
de cuivre, cinq chasubles de différentes couleurs garnies,
deux aubes, sept purificatoires, deux corporaux, six
lavabos, deux amis, une bourse avec sa palle, deux
reliquaires en forme de bras, cinq mauvais livres de chant
1359
1360
AD Creuse, H 526.
AD Creuse, H 527.
- 412 -
et un missel, une vieille crosse en cuivre manchée en bois,
un mauvais pupitre en bois, un chandelier paschal aussi
en bois, un porte-chasse presque pourri.
Tout quoi a été mis dans la sacristie qui tient au
sanctuaire de ladite église (…). Dom Féry a pareillement
promis de présenter à la première réquisition un calice
avec sa patène d’argent, une chasuble complète en ver
presque usée, et une aube avec sa garniture.
Nous avons laissé dans laditte église et sur l’autel
d’icelle, la représentation de saint marc en bois, une
petite croix en cuivre, deux mauvais tableaux attachés à
cloux, l’image de la Vierge, quatre autres images en bois,
trois nappes et un missel et porte missel, ensemble trois
cartons, le tout servant de garniture à l’autel. De tout
quoi ledit dom Féry s’est pareillement chargé (…) ».
L’abbaye dispose également encore de deux étangs « rompus » (dont on peut supposer
que la digue s’est affaissée) ainsi que d’un moulin banal à seigle, à froment et à foulon.
Le fonds de l’abbaye du Palais est donc riche en enseignement concernant les débuts
de la communauté religieuse, la fondation de son patrimoine et l’évolution des bâtiments à
l’époque moderne notamment.
Historiographie :
L’abbaye du Palais-Notre-Dame a peu fait l’objet d’études archéologiques et d’histoire
de l’art. Aucun sondage ou fouilles archéologiques n’ont été menées sur le site jusque en
2007. Quelques érudits locaux ont toutefois fourni des descriptions succinctes du site. Plus
récemment, Bernadette BARRIÈRE et Silvia VITTUARI ont proposé une étude du
patrimoine foncier du monastère, et Claude ANDRAULT-SCHMITT s’est attachée à une
étude des élévations restantes.
En 1857, J. B. L. ROY DE PIERREFITTE est le premier à décrire l’abbaye du Palais.
Il en parle comme d’un oasis. La maison des moines est décrite comme une tour carrée aux
murs épais, un rez-de-chaussée portant la date de 1574. La chapelle romane forme une croix
- 413 -
latine, présente une ligne parallèle avec ce logis. Il n’en reste qu’une masure de quelques
mètres de haut dessinant le sanctuaire et l’un des bras de la croix. Ainsi, nous pouvons en
conclure qu’en cette seconde moitié du XIXème siècle, il demeure encore l’un des bras du
transept, totalement détruit aujourd’hui. La maison de l’abbé est une gracieuse habitation
construite au XVIIIème siècle. Ce sont les seules informations que nous pouvons extraire de
ce court article qui pêche par les descriptions « romantiques » et bien peu précises de son
auteur1361.
En 1906, Gabriel MARTIN s’intéresse au siège de l’abbaye par son propre abbé,
chassé par un usurpateur daté de 1451. Cet article reste anecdotique et n’apporte guère à une
étude d’histoire de l’art et d’archéologie. Nous apprenons simplement que l’abbaye est
fortifiée à cette époque. L’accent est mis sur les dissensions opposant l’abbé légitime Louis
Augustin et Jacques du Coudert qui parvient à s’emparer de la direction et des revenus du
couvent1362.
En 1912, Henri DELANOY revient sur les sources concernant les abbayes du Palais et
de Prébenoît. Il énumère les sources d’archives conservées, revient sur les origines, les
principaux donateurs et donne une liste des abbés du monastère. Il identifie neuf granges
rattachées à l’abbaye [Fig. 83]. Toutefois, il fait une erreur concernant la grange du Saillant
qu’il place aux abords de Bujaleuf. Celle-ci est toutefois située en Corrèze, sur la commune de
Voutezac (canton de Juillac)1363.
En 1922, Pierre LARBANEIX livre une courte étude sur la grange du Saillant, la plus
éloignée de l’abbaye marchoise. Le principal donateur en est Raymond Charrièras du proche
village d’Objat. Cette grange dispose d’une maison, d’un cellier, d’un pressoir, d’un jardin,
d’un pré et de vignes. Elle détient également deux chapelles : celle de la Côte et celle de
Bontat. Cette dernière serait dédiée à Sainte Radegonde selon POULBRIÈRE mais à la
Vierge selon NADAUD. Elle se situe à côté du moulin du même nom. Elle dispose de 18
pieds de long sur 15 de large (6 par 5m). La maison de religieux à côté porte la date de 1444.
La chapelle de la Côte est au sud du village du même nom. Elle mesure 24 pieds de long par
15 pieds de large (8 par 5m). Une fenêtre ouvre sur le côté ouest tandis qu’une porte demi
cintrée s’ouvre au nord1364.
1361
J. B. L. ROY DE PIERREFITTE, Études historiques sur les monastères de Limousin et de la Marche, T I,
Guéret, 1857-63.
1362
G. MARTIN, « Le siège de l’abbaye du Palais-Notre-Dame en 1451 », MSSNAC, T 15, 1906, p. 483-495.
1363
H. DELANOY, « Abbayes du Palais et de Prébenoît », MSSNAC, T 18, 1912, p. 295-316 ; Le Saillant est
actuellement un hameau. IGN Série Bleue, 1/25000ème, 2134 O, Donzenac.
1364
P. LARBANEIX, «La grange du Saillant », MSSNAC, T 22, 1922-24, p. 159-165.
- 414 -
En 1966, Robert CALINAUD revient sur le pillage de l’abbaye en 1578. En 1584,
l’abbaye « était démolie depuis six ans pendant les troubles et guerres civiles et nécessitait
1500 écus de réparation ». L’auteur cite une description de LECLER insistant sur les vestiges
conservés malgré les troubles et pillages : « la maison des religieux qui porte la date de 1574,
puis la chapelle romane dont il ne reste qu’une masure de quelques mètres de haut, enfin la
maison de l’abbé, gracieuse habitation construite au XVIIIème siècle »1365. Le monastère
cistercien a donc beaucoup souffert des dégradations lors des guerres de Religion justifiant en
partie le peu de vestiges conservés de nos jours.
La même année, M. DAYRAS revient lui aussi sur l’histoire mouvementée du
Palais1366. Il déplore également les importantes destructions subies au XVIème siècle. De la
grande église en croix latine de 136 pieds de long (45m) ne reste que le triplet du chevet [Fig.
307]. En 1745, l’église est réduite alors que la partie inférieure de la nef menace ruines. À
cette époque subsiste encore du cloître une enfilade de quinze petites arcades gothiques sans
toit ni voûtes.
P. LOURADOUR apporte nombre de compléments à l’étude de DAYRAS en citant à
l’appui des textes du XVIIIème siècle pour montrer les destructions subies par l’abbatiale1367.
En 1961, Jean CIBOT consacre son Diplôme d’Etudes Supérieures (DES) au cartulaire de
l’abbaye du Palais. Si certaines datations proposées peuvent être affinées, cette étude permet
une bonne connaissance du patrimoine foncier des moines blancs, regroupé en neuf granges.
Une liste des abbés est également proposée et paraît relativement cohérente. Rien n’est dit
toutefois des vestiges archéologiques1368.
En 1992, Silvia VITTUARI consacre un mémoire de maîtrise d’histoire au patrimoine
foncier de l’abbaye du Palais-Notre-Dame, reconstitué partiellement d’après le cartulaire
conservé aux Archives Départementales de la Creuse1369. Son étude se révèle nécessaire à la
connaissance de la naissance de la communauté, de ses principaux bienfaiteurs et de
l’organisation de son patrimoine. Les différentes granges sont nettement distinguées : le
groupe de l’abbaye (Quinsat, Le Mont, la Chaise), le groupe de Bosmoreau-Les-Mines
(Arcissas, Rapissat, Mairemont), la grange de Beaumont, de Langladure et le domaine viticole
de Saillant. Les vestiges archéologiques ne sont que brièvement évoqués en annexes.
1365
R. CALINAUD, « Le sac de l’abbaye du Palais-Notre-Dame », MSSNAC, T 36, p. 151-152.
M. DAYRAS, « Les abbayes creusoises et le Palais-Notre-Dame », MSSNAC, T 36, 1966, p. 215-220.
1367
P. LOURADOUR, « L’abbaye du Palais-Notre-Dame », MSSNAC, T 36, 1966, p. 221-227.
1368
J. CIBOT, Le cartulaire de l’abbaye du Palais-Notre-Dame (XIIème-XIIIème siècles), DES, Poitiers, 1961.
1369
S. VITTUARI, Le patrimoine de l’abbaye du Palais-Notre-Dame d’après le cartulaire (1134-12..), mémoire
de maîtrise d’histoire, Limoges, sous la direction de B. BARRIÈRE, 1992.
1366
- 415 -
En 1994, Claude ANDRAULT-SCHMITT livre une étude des élévations de certaines
abbatiales issues d’anciens ermitages de Géraud de Sales dont le Palais-Notre-Dame fait
partie. L’historienne de l’art fait le point sur les diverses sources modernes et s’adonne à la
première réelle étude de fond sur les vestiges conservés1370.
En 1998, Bernadette BARRIÈRE consacre une double page à l’abbaye cistercienne1371.
Un point rapide est fait sur les vestiges existants : le triplet du chevet (début XIIIème siècle),
le logis abbatial du XVIème siècle ayant relayé le réfectoire des moines ainsi qu’un corps de
logis du XVIIIème siècle sont les seuls témoins encore en place. Il ne reste aucune élévation
du cloître ou du bâtiment des convers. L’auteur livre également un bref historique du site et
recense une grande partie des sources manuscrites, imprimées ou publiées.
En 2007 est menée une première opération de sondages archéologiques sur le site,
sous l’égide de la DRAC du Limousin et grâce au soutien de l’association ArchéA basée à
Limoges. Cette courte opération a permis une meilleure connaissance du plan de l’abbatiale
médiévale et des remaniements modernes. Des relevés d’élévation du chevet médiéval et un
inventaire lapidaire complètent cette étude dont le dossier de synthèse est déposé au SRA
Limousin1372.
Historique :
L’abbaye du Palais est située sur la ligne de partage du Limousin et de la Marche, à
une dizaine de kilomètres au sud de Guéret, entre Bourganeuf et Pontarion.
Les origines du site ne sont guère documentées. Nous savons que dans les années
1120, il s’agit d’un ermitage fondé par Géraud de SALES et dirigé par Aymeric de
QUINSAC. Celui-ci le cède à l’abbaye de Dalon en 1134. Il fait don de sa personne, de ses
biens et de ses disciples. Le site actuel est à 100m au nord de l’ancien ermitage. Les
possessions de la communauté érémitique sont bien connues grâce à la notice 12 du
cartulaire : elles s’étendaient au nord-ouest de Quinsat et de la Chaussade1373. Une fontaine est
signalée sur les terres de la Chaussade. L’ermitage n’accède toutefois au rang d’abbaye qu’en
1370
C. ANDRAULT-SCHMITT, « Des abbatiales du « désert ». Les églises des successeurs de Géraud de Sales
dans les diocèses de Limoges, Poitiers et Saintes (1160-1220) », BSAOMP, 5ème série, T 8, 1994, p. 91-173.
1371
B. BARRIÈRE (dir.), Moines en Limousin, l’aventure cistercienne, PULIM, Limoges, 1998, p.186-189.
1372
I. PIGNOT, L’abbaye cistercienne du Palais-Notre-Dame (commune de Thauron, Creuse). Préciser le plan
de l’abbatiale médiévale et moderne, Document Final d’Opération de sondages archéologiques, CHEC,
DRAC/SRA Limousin, 2007, 79 p. non publié.
1373
AD Creuse H 524-527.
- 416 -
1160. En 1156, elle prend le nom de Palais-Notre-Dame1374. C’est Roger, abbé de Dalon entre
1120 et 1159 qui assure le passage de l’érémitisme au cénobitisme. Les moines de Dalon
tentent de vivre à la « manière des cisterciens » en revenant à une lecture plus stricte de la
Règle de Saint Benoît. Roger maintient toutefois ses abbayes sous sa coupe. Il tient son ordre
d’une main de fer et ce n’est que trois ans après sa mort que son successeur Amel demande
l’affiliation à Cîteaux. En 1162, le Palais-Notre-Dame s’affilie à Pontigny ainsi que
l’ensemble des filles de Dalon1375. Les bâtiments daloniens sont totalement inconnus. Les
moines s’étaient-ils installés dans des établissements provisoires en matériaux périssables ?
Un des intérêts de procéder à des sondages archéologiques serait de préciser ces différentes
étapes dans l’occupation du sol et pourquoi pas de retrouver des traces des anciens bâtiments
daloniens. À partir de 1162, les structures daloniennes sont-elles détruites ou simplement
remaniées pour être en cohérence avec les préceptes de l’Ordre cistercien ? Jusqu’au début du
XIIIème siècle, le cartulaire livre de nombreuses notices attestant de bienfaits en vu de ces
travaux de construction (notices 50-51-52-127)1376. Nous imaginons ainsi une reconstruction
s’échelonnant des années 1170 à 1220 environ. En 1204, le maître d’œuvre est même évoqué :
il s’agit d’un laïc originaire de Soubrebost (notice 305). Les matériaux utilisés sont locaux : le
manse de Peyroux fournit le granite ainsi que les gisements de Soubrebost (granite beige doré
aux grains fins). Ces derniers sont à 6 km au sud-est et permettent un approvisionnement
rapide.
Le site ne semble pas être un « désert » à proprement parler. Le cartulaire du Palais
révèle au XIIème siècle l’existence du village à la Chaussade, à 1000m au nord-est de Quinsat
(parcelle E 472 dite « Bois de Transet »). Il se situe à 600m d’altitude, à mi-pente orientée à
l’ouest. Le toponyme « Chaussade » signale également la proximité d’une voie romaine1377.
Elle reçoit dès ses débuts les dons des familles de Peyrat, de Laron, de Pierrebuffière
(possessions surtout à Soubrebost), de Courson (castrum de Vidaillat). Les Lastours,
Rochechouart, Gimel et Aubusson n’apparaissent que rarement. Les seigneurs de Drouille ne
sont cités que comme témoins. Ses biens se répartissent en neuf granges que l’on peut
aisément cerner grâce au cartulaire conservé : Arcissas (com. Bosmoreau), Le Mont de
Transet et la Chaise sur la commune de Thauron, Quinsat (com. de Mansat), Rapissat (com.
de Saint-Dizier-Leyrenne), Mairemont-Bonnefond (com. Janaillat), Langladure (com.
Masbaraud-Mérignat), Beaumont (com. Soubrebost) et le Saillant (com. Voutezac, Bas1374
M. O. LENGLET, « L’implantation cistercienne dans la Marche Limousine de Géraud de Sales à Saint
Bernard », MSSNAC, T XLVI, 1997, p. 258-268.
1375
B. BARRIÈRE (dir.), Moines en Limousin…, op. cit., p. 186-189.
1376
AD Creuse H 524-527.
1377
R. CALINAUD, « La villa du Transet. Site médiéval de la Chaussade », MSSNAC, T 37, 1969, p. 98-105.
- 417 -
Limousin) [Fig. 83]1378. Nous pouvons noter l’absence des Comtes de la Marche aux origines
de l’abbaye. Toutefois, Aldebert III est donateur des abbayes de Bonlieu et de Bénévent dans
les années 1150. Leurs possessions sont néanmoins modestes au XIIème siècle et ils ne
détiennent que de rares biens dans la région de Bourganeuf. Nous savons que sous l’abbatiat
de Bernard II (1177-1193), l’abbaye échange des terres avec le frère Guillaume de Bramon de
Bourganeuf. Des tensions devaient être fréquentes entre les deux proches communautés 1379.
L’abbaye se révèle largement isolée des principaux pôles d’attraction du Comté de la Marche.
L’environnement aristocratique est peu fourni et peu favorable au développement économique
du site1380. Les moines blancs disposent d’un espace certes modeste mais permettant la
constitution d’un domaine d’un seul tenant. La répartition spatiale des possessions révèle une
certaine concentration dans un rayon de 12 km. Les zones de confins paroissiaux sont
notamment concernées. Vers 1210, l’abbaye connaît l’étendue maximale de son territoire.
Une analyse toponymique permet bien souvent de retrouver sur les cartes de Cassini et IGN
les traces de ces installations monastiques, qu’il s’agisse de granges ou de moulins [Fig. 37 et
62]. Certains lieux-dits conservent le souvenir d’industries aujourd’hui entièrement disparues.
Ainsi, la carte de Cassini nous permet de repérer les granges de la « Chaize », de « Rapissat »
et de « Bonnefond ». Un « moulin de la Marque » est indiqué au nord-est de l’abbaye. La
carte IGN de Bourganeuf signale un lieu-dit « les tuiles » au nord-est de l’abbaye. Les moines
cisterciens disposaient-ils d’une tuilerie en contrebas du Mont de Transet, non loin du
Thaurion ? À l’ouest du Palais, une carrière est signalée. L’emplacement était-il déjà connu
des moines ? Une seconde est située au nord de l’abbaye, le long du Taurion, très proche de
l’abbaye. Une « perrière » apparaît également au nord de Bourganeuf et aurait pu servir aussi
bien à l’abbaye qu’à la construction de Bourganeuf1381.
Les toponymes peuvent ainsi être révélateurs de l’empreinte de l’abbaye sur son
environnement, bien qu’il soit souvent délicat d’attribuer chaque moulin et chaque tuilerie aux
cisterciens.
En 1399, l’abbé du Palais doit connaître quelques difficultés pour faire appliquer la
règle à ses moines. En effet, le Chapitre Général envoie quatre abbés pour réformer l’abbaye.
1378
M. DAYRAS, « Les abbayes creusoises et le Palais-Notre-Dame », MSSNAC, T36, 1966, p. 216-220.
C. ANDRAULT-SCHMITT, Limousin gothique, Paris, Picard, 1997, p. 125.
1380
S. VITTUARI, Le patrimoine de l’abbaye du Palais…, op.cit, vol I, p. 13-14.
1381
IGN Série Bleue, 1/25000ème, Bourganeuf, 2130 E.
1379
- 418 -
L’abbaye-mère, Dalon, n’a pas dû assurer les visites régulières, pourtant obligatoires, à son
abbaye-fille, d’où la décision de chapitre1382.
L’abbaye subit beaucoup de destructions à l’époque Moderne. En 1451, Jacques du
Coudert s’empare du site. L’abbé Louis-Augustin doit faire le siège de son propre monastère.
Il est ensuite mis à sac en 1578 et presque entièrement détruit1383. Ceci dit, dès 1504, le
Chapitre Général de l’Ordre déplore la ruine et la désolation du monastère du Palais qui avait
sans doute pâtit du siège de Louis-Augustin mais aussi des négligences de certains abbés et du
manque d’entretien1384. Suivent des réfections dans les années 1584-1594. La maison de
l’abbé commendataire est édifiée au niveau du côté sud du cloître avec des pierres de taille
récupérées sur les bâtiments du XIIIème siècle. En 1745, l’église est réduite d’une partie de la
nef qui menace ruine. Les religieux sont également autorisés par un arrêté du Grand Conseil à
supprimer les vestiges du cloître. Le palais abbatial est édifié à l’emplacement de l’ancienne
salle capitulaire.
En 1791, l’abbaye est acquise par Louis Aubusson de Soubrebost. En 1793, les titres
de l’abbaye sont brûlés, excepté le cartulaire.
Au XIXème siècle, les derniers vestiges de l’église s’écroulent. Ne demeure que le
triplet de façade. En 1830, les Aubusson de Soubrebost font bâtir une chapelle au nord-ouest
de l’ancienne abbatiale. Il s’agirait d’une offrande à Dieu en remerciement des revenus que
l’ouverture des mines de Bosmoreau procurait à la famille. En 1900, M. Rousselet devient
propriétaire du site.
Les actuels propriétaires du site, Martjin et Saskia Sandvliet-Breteler, se sont attachés,
ces dix dernières années, à la mise en valeur du bâtiment conventuel oriental – transformé en
chambres d’hôtes – et des bâtiments de communs (gîtes).
Vestiges archéologiques :
-
Abbatiale :
De l’abbatiale du Palais demeurent le triplet de façade orientale ainsi que les amorces
des murs gouttereaux. Le plan cadastral de 1853 et la description de J-B. L ROY DE
PIERREFITTE permettent toutefois d’envisager le plan de l’église avant sa ruine [Fig. 305 et
1382
L. GRILLON, « Les abbayes cisterciennes de la Dordogne dans les statuts des chapitres généraux de
l’Ordre », BSHAP, T 82, 1955, p. 138-148.
1383
R. CALINAUD, « Le sac de l’abbaye du Palais-Notre-Dame », MSSNAC, T36, 1966, p. 151-152.
1384
J. M. CANIVEZ, Statuta Capitulorum Generalium Ordinis Cisterciensis ab anno 1116 ad annum 1786,
Louvain, 1933, T VI, 1504-22.
- 419 -
306]. Elle dispose vraisemblablement d’une nef à bas-côtés étroits, d’un transept et d’un
chevet plat. Les dimensions sont connues grâce aux descriptions modernes. La nef mesure
6.50m de large et 26m de long, les collatéraux 3m de large, le chœur 11.70m. Il est peut-être
accosté par d’étroites chapelles élargissant le transept. Les murs sont épais (1.65m).
Selon
Claude ANDRAULT-SCHMITT,
ce plan
rappelle les
compositions
cisterciennes simplifiées du Londieu ou de la Merci-Dieu. Il évoque également l’abbaye
proche de Prébenoît qui présente une même longueur de transept mais des collatéraux plus
larges (4m). Selon elle, les premiers bâtiments devaient être en bois (dons de bois d’œuvre en
1160), remplacés à partir de 1200 par des constructions en pierre. En 1204, l’autel principal
serait en place et le chantier terminé1385. Une édification en quatre ans semble téméraire. Si
l’ermitage primitif est en matériaux périssables, nous imaginons mal les moines daloniens
vivre dans des structures en bois de 1134 à 1200. Les dons de bois d’œuvre pourraient
correspondre à une nécessité de cintrage et de coffrage et pas forcément à l’édification d’une
chapelle. Des bâtiments en pierre ont pu être édifiés à partir des années 1134 et remaniés (ou
entièrement reconstruits) lors de l’affiliation à Cîteaux en 1162. La mise en œuvre pourrait
s’être effectivement achevée en 1204 lors de la consécration de l’autel principal. Toutefois,
comme nous avons pu le constater concernant l’abbaye d’Obazine, la date de consécration
d’un autel ne marque pas systématiquement la fin du chantier. Si le chœur et le transept
pouvaient être en effet achevés à cette date, la nef, les décors et sculptures n’étaient peut-être
pas aboutis. Il semblerait plus prudent de proposer une évolution du chantier jusque dans les
années 1220.
La mise en œuvre est de granite gris relativement fin avec peu d’inclusions de quartz.
Un lieu-dit « La Perrière » à quatre kilomètres environ au sud de l’abbatiale pourrait rappeler
une ancienne carrière exploitée par les moines1386.
La façade orientale dispose d’un soubassement et de sept assises de carreaux de
granite précédant le triplet. Ce dernier est percé à 1.92m de haut [Fig. 307]. La façade est
scandée de deux contreforts à glacis sommital relativement plats d’1,80m de long et d’une
saillie de 0.43m et d’un contrefort à l’angle nord-est, massif et dont le soubassement s’orne
d’un cavet [Fig. 310 et 312]. Ce soubassement de quatre assises est en moyen appareil
régulier de granite, sur 1.20m de haut. La saillie est de 1.63m. L’assise de réglage est
biseautée. Le contrefort proprement dit est très dépecé et laisse percevoir un blocage de tout
1385
1386
C. ANDRAULT-SCHMITT, « Des abbatiales du « Désert »…, » op. cit, p. 91-173.
Carte IGN 1/25000ème, Bourganeuf, 2130 E.
- 420 -
venant lié par un mortier gras où la chaux est en forte proportion tandis qu’il n’y a que peu de
graviers.
Le premier contrefort plat au sud de la façade, en moyen appareil régulier, est bien
conservé et présente une alternance de carreaux et de boutisses qui s’enfoncent dans la
maçonnerie du chevet1387. Le deuxième contrefort plat est presque entièrement dépecé. Le
blocage en est visible et laisse apparaître un mortier de chaux relativement gras liant des
moellons irréguliers et pierres de tout venant. Le glacis sommital est conservé.
L’observation des contreforts de cette façade externe amène plusieurs constatations.
Le contrefort d’angle nord-est semble plus récent, vraisemblablement du XVème siècle
comme en témoigne le cavet ornant son soubassement en moyen appareil régulier. Il n’est pas
lié à la maçonnerie médiévale mais simplement adossé au chevet. Ayant été dépecé en grande
partie, l’étude du blocage interne est ainsi possible et montre un mortier blanchâtre liant des
pierres de tout venant, sensiblement différent du mortier médiéval plutôt jaune-orangé. Cette
adjonction d’un contrefort supplémentaire s’explique aisément par une necessité de
renforcement et de consolidation des parements à une époque où les maçonneries devaient
déjà travailler sous la pression des voûtes. Il pourrait également se justifier dans le cadre
d’une fortification de l’abbatiale à une période troublée, comme à Prébenoît et Bonlieu à la
même époque.
Le contrefort sud-est, plat et large, est constitué de 25 assises conservées. Il pourrait
être légèrement antérieur aux parements du triplet. En effet, les assises à l’angle du contrefort
montrent des rattrapages significatifs, un remontage avec un certain nombre de pierres
retaillées pour le rattrapage des assises. Le chantier de construction aurait ainsi pu se dérouler
du sud vers le nord, débutant par le contrefort puis le triplet de baies, peut-être réalisé par
d’autres équipes plus qualifiées pour la pose de pierres de taille complexes (claveaux d’arcs,
piédroits, pierres d’appui-fenêtre) et non plus seulement de modules réguliers de moyen
appareil. L’assemblage des baies a peut-être nécessité la présence d’ouvriers spécialisés.
Ce type de contrefort plat se rencontre dès la seconde moitié du XIIème siècle. Il est
encore couramment employé dans les années 1180-1220 dans les églises des ordres militaires.
Ainsi, un certain nombre de sites nous livrent des points de comparaisons : à Blaudeix
(Creuse), Rimondeix (Creuse), Chambéraud (Creuse), Paulhac (Creuse).
D’autres abbayes cisterciennes optent pour le même type de contreforts plats et larges :
c’est le cas à Bonnaigue, Bonlieu, Boschaud. Ces formulations sont ainsi fréquentes en Haute-
1387
Plusieurs modules sont utilisés : L 34cm, l 20cm, h 28cm ou L 60cm, l 29cm, h 26cm.
- 421 -
Marche et Limousin de la fin du XIIème siècle à la première moitié du XIIIème siècle, aussi
bien dans un cadre cistercien qu’hospitalier.
Au niveau de ce second contrefort nord, un départ de mur est observable. Il marque le
départ d’une structure plus récente, un porche collé contre le chevet et non emboîté dans
celui-ci.
Les assises de cette façade externe montrent par ailleurs l’usage d’un mortier jauneorangé attestant d’une datation du premier tiers du XIIIème siècle. L’ensemble est
régulièrement assisé. Les harpages entre les baies du triplet témoignent d’une organisation
avec alternance de carreaux et de boutisses [Fig. 807]. Des calages postérieurs peuvent
apparaître avec des tuiles creuses. L’alternance de matériaux est sensible. Deux types de
granite se distinguent, gris ou rosé, laissant supposer que deux carrières ont pu être exploitées,
ou deux bancs différents. Bruno PHALIP a par ailleurs rappelé à propos de certains chantiers
romans de l’ancien diocèse de Clermont que la facilité d’extraction détermine le choix et le
changement des bancs de carrière. C’est le cas à Saint-Nectaire et Issoire (Puy-de-Dôme) où
différentes carrières sont requises durant le chantier de construction1388. D’après Yves
ESQUIEU, les cisterciens rechercheraient en priorité les bancs les plus homogènes et aptes à
la taille. Ils exploitent néanmoins plusieurs carrières et de nombreux lits1389.
Au Palais, cette alternance des matériaux est sensible dans les harpages entre les baies
du triplet. D’une manière générale, le granite rosé semble plus utilisé dans les parties hautes,
soit dans la phase d’achèvement de la construction. Les mêmes remarques s’appliquent à la
façade interne : le granite gris est presque omniprésent au sud tandis que le granite rosé fait
peu à peu son apparition au nord, étayant l’idée d’une construction du mur oriental du sud
vers le nord.
Le triplet comporte une baie centrale plus haute que les baies latérales. Cette formule
est assez fréquente (prieuré d’Aureil près de Saint-Léonard-de-Noblat). Les arcs clavés sont
en plein-cintre et sont soulignés d’un cordon simplement mouluré. Les baies mesurent 0.80m
le large. L’ébrasement interne clavé en est relativement profond sur une largeur d’1.80m. Les
pierres d’appui-fenêtre mesurent 22cm de haut.
Des murs gouttereaux restent des traces d’arrachement permettant de constater l’usage
d’un mortier de chaux grasse ainsi que de moellons irréguliers formant blocage. Au nord, le
mur gouttereau très dépecé est observable sur 1.63m de long [Fig. 309].
1388
B. PHALIP, Des terres médiévales en friche…, op. cit., volume I (synthèse), p. 24.
Y. ESQUIEU, V. EGGERT, J. MANSUY, Le Thoronet. Une abbaye cistercienne, Cité de l’Architecture et
du Patrimoine, Aristeas/Actes Sud, Arles, 2006, p. 27.
1389
- 422 -
L’amorce du mur gouttereau nord du chevet, à l’angle avec le mur oriental a révélé
une encoche vraisemblablement destinée à recevoir une structure en bois, à 1.25m du sol
actuel. Le mur gouttereau sud présente en vis-à-vis un trou de boulin bouché en
correspondance. Ces deux éléments sont par ailleurs surmontés par deux trous de boulin en
regard (emplacement d’une poutre ?) à 2m du sol actuel. Il est difficile de préciser la fonction
et la datation de cet aménagement.
Au sud, une piscine liturgique est conservée [Fig. 308 et 311]. Une double arcature
brisée abrite à l’est une simple cavité tenant peut-être lieu d’armarium. Les claveaux de ces
deux arcs sont délicatement chanfreinés. La jonction des deux arcs est ornée d’une clé
moulurée. La seconde niche présente deux éviers de plan quadrangulaire percé d’un orifice
circulaire. Un cordon mouluré court sous cet aménagement liturgique jusqu’à l’angle avec le
mur oriental. Ce cordon ne se prolonge toutefois pas sur ce mur. Il n’y a pas de continuité
comme observé à La Souterraine notamment. Il s’agissait toutefois d’un cordon plus haut
placé, à mi-hauteur, particulièrement fréquent dans les espaces Plantagenêts. Un cordon de
mi-hauteur simplement mouluré en doucine est par ailleurs observé au niveau des chapelles
occidentales du transept de l’abbatiale de Dalon.
Un creusement (fouille « sauvage » d’une époque indéterminée) à l’emplacement de la
piscine liturgique permet de constater que le niveau de sol pourrait être à hauteur du glacis, à
0.50m sous le cordon mouluré. Cela supposerait un soubassement très soigné avec des pierres
de bel appareil de granite très régulièrement assisées. Néanmoins, après comparaison avec la
piscine liturgique de l’abbaye de Boschaud, nous pouvons proposer une autre hypothèse :
cette dernière se situe en effet à 1.22m du niveau de sol médiéval. Les assises de moyen
appareil régulier surmontées par la piscine au Palais atteignent également 1.20m. Le niveau de
sol médiéval pourrait ainsi être à 1.20m du cordon mouluré de la piscine. Le glacis repéré à
0.50m du cordon ne marquerait ainsi pas le niveau du sol mais aurait un simple but décoratif.
Des fouilles complémentaires seraient nécessaires à la reconnaissance de ce sol médiéval.
Cette piscine fait ensuite un angle vers le sud qui se révèle délicat à interpréter. Il
pourrait s’agir d’un élargissement du chœur, d’une ouverture vers des chapelles de transept
dont nous n’avons toutefois aucune mention. Elles sont cependant très fréquentes dans le
cadre d’abbayes à chevet plat comme à Dalon par exemple. Il semble toutefois impossible
qu’il s’agisse du départ du bras du transept qui serait alors en complet décalage avec les
données textuelles. Le chœur serait de plus trop restreint (4.50m environ alors que les textes
parlent de 12m). Il pourrait ainsi simplement s’agir d’un retrait pour l’installation d’une
- 423 -
armoire ou d’un autre aménagement liturgique. Seul un sondage pourrait permettre de préciser
la nature de cet angle.
Nous avons pu constater la présence d’enduits peints sous le cordon mouluré des
piscines liturgiques consistant en un appareil à faux joints rouges. Il ne reste toutefois que
quelques vestiges épars. Certaines pierres de parement au niveau de la baie nord en gardent
quelques traces.
Les trois baies formant le triplet de façade sont inégalement conservées. Elles
mesurent en moyenne de 0.74 à 0.76m d’ouverture. Les arcs internes des baies se constituent
de deux rangées de claveaux longs et étroits, parfois liés par de petites pierres de calage. Les
ébrasements internes de ces baies, relativement profonds, comportent un ou deux carreaux
finement jointoyés puis d’une pierre de piédroit.
Nous avons pu constater le long des piédroits un certain nombre d’encoches régulières
correspondant vraisemblablement aux barlotières de vitraux. La pierre d’appui-fenêtre de la
baie centrale (la seule conservée) présente également un système de piquetage régulier pour
ces mêmes barlotières. Nous pourrions aisément envisager la présence de vitraux en grisaille
mis en place dans les premières décennies du XIIIème siècle suite à l’achèvement du chœur,
de même qu’à Obazine (vers 1170-1180), Noirlac (vers 1180) ou Bonlieu (dans les années
1200-1220). À Bonlieu en effet, l’installation des vitraux est probablement liée aux
embellissements du chœur pour la consécration de 1232 en même temps que la mise en place
de pavements et de décors peints (croix de consécration). Une datation sensiblement identique
pourrait être envisagée au Palais.
La baie centrale est ainsi la mieux conservée puisque la pierre d’appui-fenêtre est
encore en place. Des ferronneries modernes sont toujours visibles sur les piédroits. Par
ailleurs, l’ébrasement de la baie sud est très perturbé. Il ne subsiste que le blocage de tout
venant dont le mortier est très dégradé. Les pierres de parement et la pierre d’appui-fenêtre
ont été arrachées et probablement récupérées. Il subsiste néanmoins l’angle du piédroit et de
la pierre d’appui-fenêtre au nord permettant de cerner le négatif de l’arrachage de la pierre
d’appui-fenêtre. Quant à la baie nord, la pierre d’appui-fenêtre a également été dépecée mais
le parement de l’ébrasement est conservé.
Les harpages entre les baies se composent d’une alternance d’assises constituées soit
de pierres longues (L=0.45m, h= 0.35m) ou de deux carreaux accolés (L=0.225m ; h= 0.32m).
Ces deux carreaux nécessitent parfois l’adjonction d’une pierre de calage (10ème assise du
harpage entre la baie nord et la baie centrale ; 10ème assise du harpage entre la baie centrale et
la baie sud).
- 424 -
Ce triplet de baies peut être daté du premier tiers du XIIIème siècle en référence aux
formules contemporaines de la Souterraine ou du prieuré d’Aureil, de même que les piscines
liturgiques et les départs d’ogives observés à l’angle sud-est et à l’angle nord-est du chevet.
En effet, la façade interne du mur du chevet présente dans les angles formés par les murs
gouttereaux, au deux tiers de la hauteur, des départs de voûtes d’ogives tréflées, caractérisés
par trois tores accolés [Fig. 313]. Le départ de l’arc formeret est de même encore visible. Il est
de profil brisé et se présente comme une simple modénature torique fine. Les études d’Anne
COURTILLÉ sur l’Auvergne et le Bourbonnais gothiques ont permis de préciser quelque peu
la datation de ces arcs formerets. Il apparaît clairement que les premières voûtes d’ogives
quadripartites sur travées droites n’en disposent pas (seconde moitié du XIIème siècle). Le
formeret n’a visiblement pas d’intérêt dans des édifices où les murs étaient encore peu évidés,
dans une tradition romane. Son absence permet également la simplification des supports. En
Auvergne, le formeret reste exceptionnel dans le cadre du premier gothique et même lorsque
l’ogive se répand, à l’inverse de la Bourgogne où il est déjà en usage dans les voûtes d’arêtes
romanes. Anne COURTILLÉ remarque néanmoins sa présence à Lamaids dans les années
1200-1220, non loin de la Marche Limousine intéressant notre étude. Pour l’historienne de
l’art, il faut se demander si «la tradition romane joua-t-elle son rôle dans le faible usage du
formeret dont la fonction n’était pas vraiment structurelle dans les édifices où on n’évidait pas
les murs ? »
Il est ainsi plutôt surprenant de constater l’usage d’un arc formeret dans cet édifice
cistercien du premier gothique limousin, aux murs épais et ayant par ailleurs une volonté
d’austérité et de dépouillement affirmé. Si la nef était également voûtée de ces ogives à
formerets, les supports devaient alors en être plus complexes1390.
D’après ces quelques éléments conservés, nous pouvons tenter de déduire l’organisation
spatiale de l’édifice. La présence de voûtes d’ogives quadripartites, probablement de plan
carré comme bien souvent dans les espaces Plantagenêts permet quelques réflexions. En effet,
le chœur mesure 6.80m du nord au sud, hors mur. Nous pourrions imaginer un chœur de deux
travées (6.80m par 2, soit 13.60m, qui ne sont pas très éloignés des 12m donnés dans les
textes), une croisée de 6.80m de large (7m d’après les textes) et une nef de quatre travées (4
par 6.80m soit 27.20m contre 26m dans les textes). Bien sûr, ces hypothèses mériteraient
d’être vérifiées par de plus amples investigations archéologiques.
1390
Sondages archéologiques. Avril 2007. Premiers résultats :
A. COURTILLÉ, Auvergne et Bourbonnais gothiques, Tome I, Les débuts, Créer, Nonette, 1991, p. 332.
- 425 -
Afin de préciser le plan méconnu de l’abbatiale médiévale et les remaniements
intervenus à l’époque moderne, une première opération de sondages archéologiques s’est
tenue en avril 2007 sur une période de deux semaines [Fig. 318]1391.
Un premier sondage, placé à 45m du chevet afin de vérifier les données textuelles
précisant la longueur totale de l’édifice médiéval, a mis au jour une terrasse artificielle,
vraisemblablement moderne et destinée à créer une plate-forme suite à la mise à bas d’une
grande partie de l’abbatiale et du cloître au XVIIIème siècle [Fig. 314 et 316]. Sous cette
terrasse, nous avons pu constater la conservation de l’angle sud-ouest de la façade occidentale
de la nef, corroborant la longueur de l’église donnée par les textes modernes (45m). La nef
devait ainsi comprendre quatre travées de 6.80 à 7m de large. Cette façade se constitue d’un
mur épais d’1.80m de large (MR02) visiblement scandé de contreforts. Le contrefort à
l’extrémité sud (MR02) semble néanmoins plus tardif et pourrait correspondre à une
adjonction du XVème siècle, de même que le contrefort à l’angle nord du chevet oriental. Un
second contrefort (MR04) a été repéré en stratigraphie (coupe nord) et semble bâti de la même
manière que MR02. Il pourrait être contemporain. Il nécessiterait toutefois d’être entièrement
dégagé afin de vérifier cette hypothèse.
L’angle sud-ouest de cette façade est presque dans l’alignement du pignon nord du
bâtiment conventuel est, ce qui nous permet de nous interroger sur l’existence d’un transept
non saillant ou d’une façade élargie par rapport à la nef. D’autres investigations seraient
nécessaires afin de répondre à ces questionnements.
Un second sondage placé à l’angle présumé de la nef et du transept médiéval a permis
de vérifier certaines données textuelles (arrêté du Grand Conseil de 1745) portant sur une
réduction de l’église à 17.30m à partir du chevet oriental [Fig. 315 et 317]. Nous avons en
effet mis au jour l’angle sud-ouest de la façade fermant la nouvelle église réduite, à environ
18m du mur oriental du chevet conservé. Ce mur est parementé de belles pierres de granite,
sans doute remployées de l’abbatiale médiévale. L’angle est cerné d’un pavement similaire à
celui de la cour pavée moderne entre le bâtiment conventuel est et les communs (gîtes
actuels). Ce pavement réutilise des colonnettes de cloître tronquées, un certain nombre de
claveaux d’arcs ou de piédroits de porte. Dans la seconde moitié du XVIIIème siècle, une
grande partie de la nef ainsi que le cloître sont détruits et de nombreux éléments ont dû être
réutilisés dans ces pavements. Toutefois, nous n’avons pu, faute de temps, atteindre les
1391
I. PIGNOT, L’abbaye cistercienne du Palais-Notre-Dame (commune de Thauron, Creuse). Préciser le plan
de l’abbatiale médiévale et moderne, Document Final d’Opération de sondages archéologiques, CHEC,
DRAC/SRA Limousin, 2007, 79 p. non publié.
- 426 -
niveaux médiévaux sur ce sondage. Cela aurait en effet nécessité la destruction du pavement
moderne.
Ainsi, ces deux sondages se sont révélés positifs et nous apprennent sur les
dispositions médiévales et modernes de l’abbatiale. Ils devraient être poursuivis en 2009 afin
de préciser l’existence de collatéraux et des supports séparant nef et bas-côtés. Des
investigations pourront également être menées au niveau du cloître.
-
Logis abbatial :
Les bâtiments claustraux sont dressés au sud de l’abbatiale [Fig. 322]. Le logis est édifié
au XVIème siècle [Fig. 319 et 320]. Le corps de bâtiment est un quadrilatère de 24m de long
et de 10m de large. Les murs sont d’une épaisseur d’1.20m. Il dispose d’une tour principale de
plan quadrangulaire (5m par 3.50m) qui s’élève sur quatre étages et abrite un escalier en vis
desservant les différents niveaux. L’entrée de la tour se fait par la face ouest percée d’une
porte soulignée d’un arc en accolade. Elle est édifiée en petit appareil irrégulier. Les moellons
de granite sont noyés dans un mortier de chaux relativement grasse. Toutefois, les zones
structurantes de la construction bénéficient d’un moyen appareil régulier de granite de qualité.
C’est le cas des harpages d’angles et des piédroits des baies. Les quatre fenêtres sont
quadrangulaires et à linteau droit.
Le corps de logis présente la même mise en œuvre en appareil mixte. Les anciens
planchers peuvent être devinés d’après les trous de poutres encore visibles. Des corbeaux
encore en place soutenaient les plafonds. Les murs internes présentent des traces d’un enduit
blanc.
-
Remplois :
Des aménagements conventuels demeurent deux longs bâtiments parallèles séparés par
une cour pavée [Fig. 323]. Ils ont fait l’objet de constants remaniements, particulièrement aux
XVIIIème et XIXème siècles. Le bâtiment plus à l’est dispose de nombreux remplois
d’éléments médiévaux. La façade ouest présente trois éléments sculptés superposés : deux
tailloirs ou consoles ainsi qu’un fragment d’arc décoré de petites feuilles plates très
schématisées. Les tailloirs présentent une tablette de 64cm de long sur 12cm de large et 6cm
de haut [Fig. 321].
La façade est remploie huit fragments ornés d’un tore de 11cm de diamètre. Ils pourraient
s’apparenter à un portail à voussures toriques comme souvent dans les abbayes cisterciennes
limousines et marchoises (portail occidental de l’abbaye de Bonlieu), à un encadrement de
- 427 -
baie ou de porte, voire à des éléments d’ogives. Nous avons également inventorié un fragment
de colonnette pouvant appartenir à des arcades d’un cloître.
-
Éléments lapidaires « vagabonds » :
Outre les vestiges en place ou remployés dans des bâtiments modernes ou
contemporains, de nombreux éléments lapidaires parsèment la propriété. Un inventaire précis
a été réalisé à l’occasion des sondages archéologiques de 2007 (voir inventaire présenté en
annexes, p. 208 à 215). Nous avons pu également accéder aux collections conservées à
l’intérieur des bâtiments grâce à la sollicitude et l’amabilité des propriétaires. Nous avons
ainsi recensés cinq fragments de colonnettes pouvant appartenir à des galeries de cloître. Le
granite en est relativement fin, avec peu d’inclusion et est de la même qualité que le matériau
employé pour la mise en œuvre du chevet de l’abbatiale.
Une pierre de forme parallélépipédique présente sur sa face supérieure des gravures
plutôt délicates à interpréter. Il s’agit d’un quart de cercle gravé formant un écoinçon délimité
par deux lignes perpendiculaires. Cette pierre paraît trop épaisse pour correspondre à un
fragment de pierre tombale. Il pourrait peut-être s’agir d’un élément de table d’autel.
Nous avons également pu étudier un fragment de cadran solaire malheureusement très
endommagé. La cavité recevant l’aiguillon est encore visible de même que trois chiffres : IV,
V et IIV. Une inscription latine est en partie conservée et surmonte le cadran proprement dit :
Proffit prior
Anno 1633 Non A
Les jardins extérieurs révèlent aussi de nombreux éléments lapidaires intéressant notre
étude. Au sud de la propriété, nous avons inventorié un petit bénitier de granite gris devant
être placé dans un angle. Il comporte en effet deux faces plates perpendiculaire destinées à
être accolées contre un mur. Il mesure 80cm de haut pour 30cm de large. Il se compose d’un
tronc quadrangulaire de 48cm de haut. Un tore puis un mince cavet précèdent une partie
sommitale quadrangulaire de 20cm de haut dotée d’une cavité de plan carrée (18 par 18cm).
Sur une petite terrasse devant l’entrée sud du bâtiment d’habitation, trois bases de
piliers identiques sont conservées. Il s’agit visiblement de bases de piliers quadrangulaires
disposant de quatre colonnettes engagées, présentant un profil avec tore inférieur évasé, scotie
peu profonde et tore supérieur de 16cm de diamètre délicatement renflé. Ces piles recevaient
vraisemblablement un voûtement d’ogives. Les bases mesurent 43cm de long, 35cm entre les
colonnettes pour une hauteur de 18cm. Le diamètre du tore supérieur ne correspond pas aux
- 428 -
diamètres des fragments de colonnettes retrouvées lors de nos prospections. Ces dernières
devaient donc plutôt se rattacher à des arcades de cloître. Il est toutefois délicat de présumer
de l’emplacement de ces piliers quadrangulaires. Ils servaient peut-être de séparation entre la
nef et les bas-côtés. Ces bases pourraient aussi appartenir à des bâtiments conventuels, salle
capitulaire, dortoir, réfectoire, cellier ou autres.
Nous avons également recensé un sarcophage déposé dans la cour pavée entre les deux
bâtiments conventuels. Il est de granite gris relativement fin. La base en est brisée. Il mesure
1.44m de long pour 0.66m de large. L’emplacement de la tête du défunt est resserré. Sa
datation pose problème. Il pourrait s’agit d’un sarcophage de l’époque romane, voire du Bas
Moyen-Âge, quoique la présence de l’encoche céphalique nous interroge1392.
Deux fragments d’ogives sont également déposés dans la cour. Le tore est de 11cm de
diamètre. La longueur conservée est de 61cm pour une hauteur de 24cm. Le dosseret en est
très endommagé. Ces ogives ne présentent pas de profil en amande comme souvent dans les
abbayes cisterciennes (Fontmorigny, Varennes) et les espaces Plantagenêts dans les années
1180-1220.
Deux bases de colonnette sont également préservées et sont placées le long du chemin
d’accès qui mène à l’abbaye. La base mesure 27 par 29cm pour une hauteur de 18cm. Le
profil présente un tore inférieur aplati mais ne présentant toutefois pas de griffes, un cavet peu
prononcé et un tore supérieur relativement renflé d’un diamètre de 17cm. Le granite employé
est de bonne qualité, les grains sont fins et présentent peu d’inclusions de quartz. Ces deux
bases pourraient appartenir à des colonnettes de cloître.
Au niveau du chevet, trois dalles funéraires sont adossées dont l’une présente une
croix pattée. Elle date vraisemblablement de la première moitié du XIIIème siècle1393. Elle
mesure 1.67m par 0.67m. Une autre présente un liseré. Plus longue, elle mesure 1.80m par
0.58m. La troisième est de 1.73m par 0.32m.
À cent mètres au nord du monastère, une base de colonne de granite gris aux grains
très fins est conservée. Elle est de forme attique avec un tore inférieur de 12cm de haut, un
tore supérieur de 14cm de haut pour un diamètre de 50cm. La scotie assez prononcée est de
9cm de haut (hauteur totale 36cm). Elle ne présente pas de griffes. Cette base attique pourrait
correspondre à des réalités du second tiers du XIIème siècle comme nous avons pu en
observer à Bellaigue (com. Virlet, Puy-de-Dôme). Cette base pourrait correspondre à une
1392
Après discussion avec les archéologues de l’INRAP Jacques ROGER et Sophie LIÉGARD, aucune datation
satisfaisante et plus précise n’a pu être proposée.
1393
M. DURIER, dans I. PIGNOT, L’abbaye cistercienne du Palais-Notre-Dame…, op. cit., Document Final
d’Opération de sondages archéologiques, CHEC, DRAC/SRA Limousin, 2007, non publié, p. 24-25.
- 429 -
édification entre 1134 et 1160 soit pendant la période dalonienne de l’abbaye, avant son
affiliation à Cîteaux. Elle est à mettre en relation avec un fût de colonne monolithe déposé à
côté. Celui-ci mesure 1.64m de haut pour un diamètre de 40cm. Ce support pourrait appartenir
à une salle capitulaire, petite salle au plafond souvent bas, mais ne saurait s’adapter à une nef
dont les colonnes appareillées se doivent de monter plus haut pour recevoir les voûtes.
L’étude lapidaire menée a posteriori (juillet 2007), a ainsi livré un certain nombre
d’informations complémentaires. Trois bases de piles composées permettent d’envisager la
présence de supports complexes, vraisemblablement situés entre la nef et les collatéraux. Il
s’agit de bases au noyau circulaire ou quadrangulaire flanqué de colonnettes engagées sans
doute destinées à recevoir des ogives. Des claveaux de nervure d’ogives sans amande attestent
ce type de voûtement, de même que les deux départs d’ogives toriques observées sur le mur
oriental du chevet. La colonne monolithe et la base attique associée découvertes à une
cinquantaine de mètres au nord des bâtiments monastiques nous sembleraient plus adaptées au
support d’une salle capitulaire, souvent voûtée d’arêtes reçues par un ou deux piliers
monolithes de ce type.
-
Aménagements hydrauliques :
À l’ouest des bâtiments monastiques, en léger contrebas du carré du cloître, un vivier
est conservé. Il n’est plus en eau aujourd’hui mais le sol en reste très humide [Fig. 324]. Les
parois sont bâties en moellons de granite assemblés avec soin. Il est signalé sur le plan
cadastral de 1853 [Fig. 305]. Nous pouvons supposer qu’il était relié par un drain au puits du
cloître.
Au nord-ouest de l’abbaye, à cinquante mètres de l’abbatiale environ, en contrebas, un
second vivier est observable [Fig. 325]. Il présente les mêmes parois de moellons de granite,
parfois mêlés de pierres de moyen appareil. Il est alimenté par un bief qui semble partir d’un
point en contre haut, à vingt mètres au nord-est, où est conservé le départ de murs maçonnés
de pierres de taille de granite régulières, dessinant un plan quadrangulaire. Il pourrait s’agir
d’une ancienne source. Ces installations n’apparaissent pas sur le plan cadastral napoléonien.
Au nord de l’abbaye, un pont est placé sur le Taurion. Un moulin est implanté sur un
bief. Il est signalé sur le plan cadastral de 1853 comme « Moulin du Palais » [Fig. 326 et 327].
La digue est récente. Des bâtiments modernes ont remplacé l’ancien moulin médiéval. Il
s’agit d’un grand édifice quadrangulaire édifié en moellons de granite. Nous avons toutefois
remarqué la présence d’un remploi médiéval dans le parement de la façade ouest du bâtiment.
- 430 -
Il s’agit d’un fragment avec un tore, peut-être un élément de portail ou d’ogives comme nous
en avons observé dans les bâtiments conventuels de l’abbaye.
-
Granges :
•
Langladure :
La grange de Langladure est aujourd’hui un hameau de quelques maisons à quelques
kilomètres au sud-ouest de Bourganeuf dont certaines remploient des pierres de taille de
granite. Aucune structure médiévale caractéristique n’a toutefois été repérée.
•
Le Saillant :
La grange du Saillant appartient à l’actuelle commune de Voutezac [Fig. 328, 329 et
330]. Est conservé un pont daté du XIIIème siècle passant sur la Vézère. Une chapelle est
également préservée dans le bourg, classée aux Monuments Historiques (élévation et toiture
protégés MH, inscription du 25 juin 1979, propriété de la commune, XIVème-XVIIème
siècle). Elle se constitue d’une simple nef unique et d’un chevet plat. Elle est entièrement
enduite, ce qui empêche toute étude plus précise.
- 431 -
PRÉBENOIT
- 432 -
7. Prébenoît (commune de Bétête, Creuse) :
L’abbaye de Prébenoît est située sur la commune de Bétête, canton de ChâtelusMalvaleix en Creuse. Elle est assez bien conservée aujourd’hui grâce à l’intérêt porté par des
bénévoles qui ont assuré la protection et la mise en valeur des vestiges ainsi qu’à l’association
« Objectif Prébenoît », aujourd’hui dissoute, chargée de faire connaître ce modeste monastère
marchois. Elle est inscrite à l’Inventaire Supplémentaire des Monuments Historiques depuis le
30 décembre 1980 (bâtiments, y compris les vestiges des peintures murales). Nous parvenons
au monastère par la départementale D3 qui mène au bourg de Saint-Dizier-Les-Domaines.
Elle s’enfonce dans le vallon où coule le Cluzeau qui longe les bâtiments monastiques. La
carte IGN précise bien l’implantation monastique, de même que la carte de Cassini qui la
signale par le clocher et la crosse propre aux prieurés. Les sigles AB H. sont indiqués (abbaye
d’hommes) [Fig. 331 et 332].
Sources manuscrites et figurées :
Le fonds de l’abbaye de Prébenoît est conservé majoritairement aux Archives
Départementales de la Creuse à Guéret. Deux manuscrits essentiels appartiennent aux fonds
de la BNF1394. Les sources concernant cette abbaye sont relativement indigentes, les titres et le
cartulaire ayant brûlé dans un incendie lors des troubles des guerres de Religion. Il est ainsi
parfois délicat de cerner la constitution du patrimoine foncier du monastère.
Les mentions architecturales sont particulièrement rares dans les actes médiévaux.
Toutefois, dans le cartulaire de Bonlieu, un acte de donation daté de 1180 se déroule dans la
cuisine de l’abbaye de Prébenoît. Certains bâtiments conventuels devaient déjà être édifiés à
la fin du XIIème siècle1395. Ce sentiment est confirmé par une donation des seigneurs de Déols
en 1208 qui tient lieu dans la salle capitulaire du monastère 1396. Il est ainsi possible de glaner
quelques informations dans ces sources médiévales.
En 1621, un procès-verbal est dressé à la requête de l’abbé commendataire Mathieu de
Vertamont suite à des vols, pillages et incendies. Il est réalisé en la présence de deux prêtres,
d’un charretier, d’un maçon et de deux laboureurs1397. Il livre des précisions essentielles sur
1394
AD Creuse, H 528, H 529, H 533, 10 F 235. BNF, ms 17049 et ms 12747.
AD Creuse, H 284.
1396
AD Creuse, H 528.
1397
Il est intéressant de constater que les gens du peuple servent fréquemment de témoins à ces visites et
expertise et sont ainsi impliqués dans la vie religieuse. AD Creuse, H 529.
1395
- 433 -
les bâtiments religieux à l’époque moderne et sur le mobilier. L’abbatiale paraît dans un état
de délabrement alarmant puisque « les sièges des religieux sont rompus et ruinés et l’entrée
du chœur est sans portes ». Quant à la salle capitulaire, la « voûte est soutenue par des piliers
ronds en quart de pierres et il n’en reste plus qu’un : la voûte est donc en ruine ». Le mobilier
et le décor de l’église sont décrits. Il est précisé que l’abbatiale est sans
« aucuns ornements, sinon une ancienne et vieille
chasuble de soie avec une aube et quatre nappes, un
calice d’étain et quelques vieux livres de chants tous
rompus. Nous a aussi été montré dans la dite église la
place où était anciennement une horloge, où nous avons
vu quelques pierres d’icelui. »
Il est également fait mention de certains aménagements hydrauliques1398. Les notaires :
« ont visité les deux moulins appelés de la Porte et des
Boissières qu’ils ont dit être presque en ruines, leurs
murailles et leurs toitures ayant besoin d’être remises à
neuf, nécessitant d’être équipés de meules et les chambres
de cheminées ».
Dès le XVIIème siècle, les installations hydrauliques avaient déjà bien souffert de
multiples dégradations.
Au XVIIème siècle, un effort de reconstruction semble nécessaire. Ce n’est toutefois
qu’au début du XVIIIème que l’abbé Dom Jean de Sayves entreprend des réaménagements de
l’abbatiale et des bâtiments conventuels. Nous disposons d’un document figuré qui atteste de
cette reconstruction. En effet, une fresque datée de 1715 est conservée dans la salle d’escalier
d’un des bâtiments conventuels du monastère et présente l’aspect de celui-ci après la
campagne de restauration de l’abbé [Fig. 336]. C’est un document rare et précieux pour notre
étude. La représentation de l’abbaye est peinte sur un badigeon de chaux blanche. Ce panneau
mesure 1.70m par 4.20m. Le dessin est au trait noir sur un badigeon de chaux blanche. Il est
encadré de fleurs et de volutes. Au premier étage, des colonnes ioniques divisent l’espace.
Des panneaux à motifs symétriques sont formés de rinceaux et de motifs animaliers. Une
1398
AD Creuse, H 529.
- 434 -
inscription précise « L’an 1715, Dom Jean de Sayves, religieux de la Ferté, Docteur en
Sorbonne et Prieur de cette abbaye de N. D de Prébenoît, a commencé cette maison à la
Gloire de Dieu et l’honneur de son nom. » C’est un exemple rare pour la région de peinture
ornementale de la période moderne. L’intérêt réside surtout dans la représentation de la façade
orientale de l’abbatiale dont rien ne subsiste aujourd’hui. Le chevet plat se caractérise par
l’alignement de deux chapelles à chaque bras du transept qui présentent de doubles rangées de
fenêtres au sud. Le chevet est percé d’un triplet surmonté d’un oculus. Ce type de percement
est fréquent au début du XIIIème siècle dans un cadre cistercien ainsi que dans les espaces
Plantagenêts dans les années 1200 (La Souterraine)1399. Un clocher domine l’ensemble avec
une flèche qui devait atteindre environ vingt-cinq mètres.
En 1790, un inventaire des commissaires de Boussac fait état d’une église « belle et
spacieuse mais fort peu décorée », ce qui laisse présager l’effort de reconstruction de certains
abbés commendataires suite aux guerres de Religion et aux négligences de l’époque moderne
[PJ 6 et 7]. Il dresse une liste des objets mobiliers. Il est écrit :
« (…) avons requis M. Le prieur de nous représenter
l’argenterie de la maison. Il nous a répondu qu’il n’y en
avait d’autre que celle destinée au service divin, déposée
dans la sacristie : il en est en effet de notre connaissance
que depuis quinze ans il n’en existe pas d’autres dans la
maison.
L’avons requis de nous représenter les ornements de la
sacristie de nous faire connaître les meubles les plus
précieux de l’église. Il nous a fait voir sept ornements de
toutes les couleurs, dont un assez propre, mais les aubes
de peu de valeur, deux autres, deux cordons, quatre amis,
douze purificatoires, six lavabos ; ces objets nous ont
paru peu conséquents.
Il nous a fait voir une croix, un petit bénitier, quatre petits
chandeliers, une petite châsse de saint Eutrope, une
navette, un encensoir et un mausolée, les premiers objets
de cuivre et le dernier partie du même métal, l’autre
1399
Nous le retrouvons à Noirlac, au Palais-Notre-Dame au début du XIIIème siècle et à Mègemont au milieu du
XIIIème siècle.
- 435 -
partie en bois ; il nous a fait voir enfin une main en bois
contenant un ossement de saint Bernard et partie de sa
robe, et nous a dit qu’il y avait deux cloches assez belles.
L’église très belle et spacieuse, mais fort peu décorée : le
chœur est simplement boisé ; il y a un tableau de la Vierge
au-dessus de l’autel (…). »
Le domaine paraît nettement amoindri1400. Outre ces précieuses mentions des sources
manuscrites et l’intérêt de la fresque du XVIIIème siècle, de nombreux travaux d’érudits
peuvent également aider à la connaissance de cette abbatiale. En 1817, le sous-préfet Rémy
écrit que
« l’église très vaste est d’une architecture gothique. Ce
que l’on voit de plus remarquable est une croisée
parfaitement ronde de huit mètres de circonférence dont
les pierres, légèrement taillées et sculptées, en divisent
agréablement les jours du centre à la circonférence ».
Il livre ainsi une belle description de l’oculus du chevet qui devait disposer de
remplages dont il est toutefois difficile de se faire une idée précise1401.
Historiographie :
Dès la seconde moitié du XIXème siècle, J. B. L. ROY DE PIERREFITTE étudie les
vestiges de l’abbaye de Prébenoît1402. Il revient sur les conditions de la fondation, les
principales donations mais n’aborde que peu l’architecture à proprement parler. Il décrit un
édifice simple et austère, précise que l’église est fortifiée au XVème siècle et le monastère
ceint d’un fossé. Son analyse est toutefois bien trop succincte pour nous permettre de nous
faire une idée de la physionomie du monastère médiéval.
1400
AD Creuse, H 533.
A. RÉMY, « Notes sur les monuments antiques qui existent dans l’arrondissement de Boussac », MSSNAC, T
XXV, 1934, p. 489.
1402
J. B. L. ROY DE PIERREFITTE, Études historiques sur les monastères du Limousin et de la Marche,
Guéret, 1857-1863, p. 311-336.
1401
- 436 -
En 1909, Émile CHENON s’intéresse à la modeste abbaye mais du point de vue de ses
relations avec les seigneurs de Boussac. Les aménagements monastiques ne sont donc pas
abordés1403.
Henri DELANNOY, qui avait déjà travaillé à la reconstitution du patrimoine des
abbayes de Bonlieu et d’Aubepierres, évoque aussi le monastère de Prébenoît 1404. Là encore, il
s’attache plus au patrimoine foncier de l’abbaye qu’à l’architecture et aux créations
artistiques.
L’abbaye de Prébenoît a fait l’objet d’études récentes menées essentiellement par des
historiens, des archivistes et des archéologues. L’archiviste Philippe LOY s’est attelé à l’étude
précise des fonds documentaires de l’abbatiale et particulièrement aux manuscrits conservés à
la Bibliothèque Nationale de France. Ses analyses sont donc extrêmement précieuses à la
reconstitution du patrimoine foncier du monastère et de son environnement aristocratique.
Toutefois, l’intérêt pour l’étude de la construction de l’abbaye est limité aux mentions
données dans les actes précédemment cités1405.
En 1987, Pierre-Valérie ARCHASSAL rédige un article fort intéressant sur les
vestiges de l’abbatiale. Il livre une étude de bâti minutieuse en précisant les matériaux utilisés
et leur provenance probable. Le granite employé pour les harpages, soubassements,
contreforts et éléments sculptés serait issu selon lui des carrières de Marcillat au sud du
monastère, à quelques kilomètres de Jalesches1406. Le schiste massivement utilisé pour les
réfections modernes serait extrait des proches carrières de Bétête et de la Cellette. Son étude
est donc essentielle car c’est l’une des premières à évoquer les réalités d’un chantier de
construction. Nous aurons donc l’occasion de nous servir de cette analyse dans notre propre
étude de bâti1407.
En 1998, l’historienne Bernadette BARRIÈRE livre une notice sur le monastère,
toutefois réduite à trois pages succinctes visant à un état des lieux de la recherche actuelle.
L’historique de l’abbaye est précisé, de même que les résultats des dernières investigations
archéologiques. La description des bâtiments reste néanmoins superficielle1408.
1403
É. CHENON, « Les seigneurs de Boussac et l’abbaye de Prébenoît (1140-1208) », MSAC, T 32, 1909, p. 73106.
1404
H. DELANNOY, « L’abbaye de Prébenoît », MSSNAC, T 18, 1912, p. 317-333.
1405
P. LOY, « Contribution à l’histoire de l’abbaye cistercienne de Prébenoît : les enseignements d’un manuscrit
de la Bibliothèque Nationale », MSSNAC, T 41, 1982, p. 288-294.
1406
Deux lieux-dits évoquent cette ancienne carrière, « les pierres en crochet » et la « pierre ébue ». Voir carte
IGN 2228 E, Châtelus-Malvaleix, 1/25000ème.
1407
P. V. ARCHASSAL, « L’église de l’abbaye de Prébenoît », Études creusoises, T VIII, 1987, Guéret, p. 162165.
1408
B. BARRIÈRE, Moines en Limousin (…), op. cit, p. 193-195.
- 437 -
Les rapports de fouilles et de sondages archéologiques constituent une mine de
renseignements pour notre étude. L’archéologue Jacques ROGER (SRA Limousin) a conduit
de nombreux sondages qui ont permis de préciser le plan au sol de l’abbatiale, du cloître et
des bâtiments conventuels ainsi que certains aménagements hydrauliques1409. Des fouilles se
sont déroulées depuis 1993, permettant la mise au jour de carreaux de pavements mosaïqués,
d’éléments sculptés, de tombeaux qui précisent nos connaissances du monastère à l’époque
médiévale. Les étapes de construction ont pu être affinées et attestent une édification de la fin
du XIIème siècle jusqu’au premier tiers du XIIIème siècle, une phase d’embellissements dans
le seconde moitié du XIIIème siècle et une période de fortification au XVème siècle avec
adjonction de tours de fortification et de douves. Le cloître est également reconstruit. Les
dossiers de synthèse sont donc riches en enseignements et nous serviront tout au long de notre
propre analyse1410.
Des précisions sont également apportées par l’étude de l’architecte B. RUEL en
20001411. Il livre ses hypothèses sur le voûtement de l’abbatiale d’après les vestiges encore en
place. La nef et le transept devaient être voûtés en berceau brisé, les collatéraux voûtés
d’arêtes. Il contredit l’hypothèse longtemps affirmée par des érudits selon laquelle la rose de
l’église de Tercillat, à quelques kilomètres au nord de Prébenoît, aurait pu provenir du chevet
de l’abbatiale. En effet, elle ne correspond pas à la description du sous-préfet Rémy en 1817.
Elle est plus petite et ne présente pas de remplages. Son analyse est donc nécessaire pour lever
quelques ambiguïtés et préciser certaines caractéristiques architecturales du monastère.
L’ouvrage de Jacques ROGER et de Philippe LOY publié en 2003 fait la synthèse des
dernières recherches, aussi bien du point de vue des sources d’archives que des réalités
archéologiques1412. Il s’agit donc d’un outil de travail essentiel pour notre propre analyse.
Toutefois, toutes ces études relèvent plus d’approches d’historiens, d’archéologues et
d’archivistes et nous pouvons déplorer les lacunes des travaux d’historiens d’art sur l’abbaye.
Sans doute l’indigence des vestiges conservés, la modestie des décors ont-ils freiné l’intérêt
des chercheurs. Claude ANDRAULT-SCHMITT étudie toutefois le monastère dans son
article sur les abbayes du « désert »1413. Son analyse paraît nécessaire car elle permet une mise
1409
J. ROGER, Sondages d’évaluation sur le site de l’abbaye cistercienne de Prébenoît, juin 2000, 67 p. (non
publié).
1410
J. P. BÉGUIN, J. ROGER, Abbaye de Prébenoît (Creuse), SRA Limousin, 1993-1996 (non publié) ;
J. ROGER, Abbaye cistercienne de Prébenoît, fouilles 2001, 2001, 32p. (non publié).
1411
B. RUEL, Abbaye de Prébenoît. Étude préalable à la restauration et au projet d’aménagement, 2000 (non
publiée).
1412
J. ROGER, P. LOY, L’abbaye cistercienne de Prébenoît, Culture et patrimoine en Limousin, 2003.
1413
C. ANDRAULT-SCHMITT, op. cit, p. 91-173.
- 438 -
au point des vestiges encore en place, des comparaisons avec d’autres édifices cisterciens et
limousins qui apporteront beaucoup à notre propre étude, des propositions de datation dont
nous pourrons discuter. Toutefois, les bâtiments conventuels et les aménagements à vocation
artisanale ne sont pas évoqués.
C’est pourquoi il semble nécessaire de reprendre l’étude du monastère de Prébenoît, ce
qui a déjà été amorcé lors du Master I 1414. Celui-ci a consisté en l’étude du bâti de l’abbatiale
mais également des bâtiments conventuels livrant de nombreux remplois médiévaux. Un
inventaire des éléments lapidaires issus de la destruction de l’abbatiale permet une meilleure
connaissance de la mise en œuvre du monastère et des réalités sculptées. Nous livrerons ici
une synthèse de ces investigations. Restait à mener l’étude précise des granges et
aménagements hydrauliques du monastère.
Historique :
Les origines de l’abbaye de Prébenoît sont difficiles à cerner étant donnée l’indigence
des sources manuscrites : ni charte de fondation, ni cartulaire n’ont été conservés. Nous
pouvons cependant présumer l’existence d’un ermitage peu avant 1120, comme le suggère le
manuscrit de Dom Estiennot de la Serre datant du XVIIème siècle. À cette date, il est écrit
que « le bienheureux Géraud reçut en aumône le lieu-dit ensuite Le Pré Béni»1415.
Nous pourrions également supposer une fondation ex nihilo du monastère par
essaimage depuis Dalon. Quelques moines, sous la direction d’un abbé, ont pu être envoyés
par Roger, abbé de Dalon pour fonder une nouvelle communauté au Prati Benedicti, se
constituant ainsi en abbaye-fille. Une autre théorie expliquerait la création du monastère par
un transfert de la communauté de Chatreix, fille de Dalon (monastère près de Saint-Julien-LePetit en Haute-Vienne.). La disparition de ce monastère coïnciderait avec la naissance de
l’abbaye de Prébenoît1416. Chatreix n’est en effet plus cité dans aucun texte à partir de 1138.
En 1140, l’érection du site du monastère régulier est facilitée par les seigneurs de
Malval qui multiplient les donations à l’abbaye1417. Nous pouvons tout de même constater que
l’ermitage reste le plus longtemps possible fidèle aux règlements de Géraud de Sales ; il
1414
I. PIGNOT, op. cit.
Dom ESTIENNOT DE LA SERRE, BNF 12747, p. 54. Dom Claude Estiennot de la Serre (1639-1699) était
sous-prieur de la Congrégation de Saint-Maur (1677-1678).
1416
P. LOY et J. ROGER, L’abbaye cistercienne de Prébenoît, Culture et Patrimoine en Limousin, Limoges,
2003, p. 16.
1417
P.L. JANAUSCHEK, Originum cisterciensium, Vienne, 1877, p. 149. L’auteur précise « Haec abbatia…
dominos Malae-Vallis auctores, Dalonam matrem habuit, cujus fratres a 1140 institu sunt. »
1415
- 439 -
faudra vingt ans pour qu’il soit érigé en monastère. Cette fondation pose cependant problème :
elle a lieu deux ans seulement après celle d’Aubignac. Dalon était-elle en mesure d’effectuer
la fondation ? Les ermites n’étaient-ils pas trop âgés pour former la communauté1418 ? Les
textes restent muets sur le sujet : seule la Gallia Christiana évoque cette fondation1419.
L’histoire de l’abbaye commence donc dans les textes en 1140 lors de son
rattachement à Dalon. En 1162, elle est affiliée à l’ordre de Cîteaux de même que ses sœurs
marchoises (filiation de Pontigny). De l’église édifiée entre la seconde moitié du XIIème
siècle et le début du XIIIème siècle, il reste quelques vestiges.
Les granges et aménagements hydrauliques sont relativement bien connus grâce aux
quelques sources manuscrites conservées, aux études toponymiques d’après les cartes IGN et
les cartes de Cassini et surtout aux investigations archéologiques menées sur le site depuis les
années 1990 [Fig. 333, 334 et 335]. Nous savons d’après les sources médiévales et les actes
de donation conservés que l’abbaye de Prébenoît disposait de sept granges : la grange de
l’abbaye, de la Villatte (à quelques kilomètres au nord-ouest du monastère), du Chassin (au
sud-ouest de Prébenoît), de Bramareix (au sud de l’abbaye au-delà de Châtelus-Malvaleix), de
Chissac (à l’est de l’abbaye, non loin de Lavaufranche), de Ligondeix (au sud-est, près de
Bramareix) et de Sinaise (à quelques kilomètres au sud de Châteaumeillant) qui ont toutes pu
être identifiées [Fig. 93]. Les possessions de l’abbaye confinaient donc au Berry. Nous savons
qu’elle disposait du moulin de l’abbaye, de la Côte, de Naucher, de la Fontanelle, de la Porte
et des Boissières. Tous n’ont pu être repérés dans la toponymie ou peuvent apparaître sous des
dénominations différentes [Fig. 32 et 52]. Ainsi, la carte de Cassini révèle le « moulin des
Côtes » au nord de Prébenoît, le moulin du Cluzeau (qui peut être associé au moulin de
Naucher des sources écrites) plus au nord-est et le « moulin de Gourby » au sud-est sur la
Petite Creuse. Ce dernier correspond vraisemblablement au moulin des Boissières cité dans
les actes médiévaux. Le « moulin de la Commanderie » au dessus de Luyat prête à confusion.
Il s’agit sans doute d’une installation des Hospitaliers de Viviers implantés à quelques
kilomètres au nord de Prébenoît. La proximité des deux communautés a sans doute conduit à
des conflits d’intérêt et à des prétentions communes sur les cours d’eau. Le moulin de la
Fontanelle est évoqué dans les textes dès la fin du XIIème siècle. En effet, en 1192 est fait
mention de la donation d’un moulin en construction dans le mas de la Fontanelle. Nous
n’avons toutefois pas pu le cartographier. Le lieu-dit « la Barrière » au nord de l’abbaye
(parcelle n°351 du plan cadastral actuel) peut évoquer une ancienne digue placée sur l’Étang
1418
1419
M.O. LENGLET, « L’implantation cistercienne dans la Marche Limousine… », p. 265.
Gallia Christiana, II, 632.
- 440 -
Noir [Fig. 376]. La carte IGN révèle également le toponyme « la Perière » qui pourrait
correspondre à une ancienne carrière1420.
Vestiges archéologiques :
L’ermitage primitif des premières années du XIIème siècle est totalement méconnu.
Le cloître est de même entièrement ruiné. Les bâtiments conventuels sont quant à eux très
remaniés aux XVIIIème et XIXème siècles. Ils ne feront dès lors pas l’objet d’une étude
complète et détaillée, excepté concernant certains remplois médiévaux utilisés en façade1421.
Un dépôt lapidaire conséquent permet de mieux appréhender l’élévation, les supports et le
voûtement du sanctuaire en ruines. Des fouilles archéologiques menées systématiquement
depuis les années 1990 sur le site ont heureusement permis une meilleure connaissance des
bâtiments médiévaux, des installations hydrauliques qui seront également pris en compte dans
notre corpus ainsi que des éléments de mobilier (tombeaux, pavements). Il nous paraît
nécessaire ici de livrer une synthèse des sources historiques, archéologiques et des créations
artistiques de cette abbaye de Haute-Marche.
L’étude des plans cadastraux n’apporte guère de renseignements supplémentaires sur
l’organisation des bâtiments monastiques [Fig. 333, 334 et 335]. Le cadastre ancien (section
A) montre les vestiges de l’abbatiale sur la parcelle 333, le vivier en L parcelle 334, les
bâtiments conventuels parcelle 336 et la grange à l’entrée du monastère parcelle 338. Le
cadastre actuel ne montre que peu de changements. L’abbaye comprend les parcelles 666667-671-672 et 700. Ces parcelles forment un trapèze pouvant correspondre à l’ancien enclos
monastique se distinguant ainsi relativement bien.
- Abbatiale :
Les bâtiments d’exploitation modernes placés autour d’une cour sont les premiers que
nous rencontrons en pénétrant sur le site. Ils ne feront toutefois pas l’objet d’une analyse
particulière étant donné leur mise en œuvre tardive. Les bâtiments conventuels disposés en
« L » abritent désormais des expositions temporaires ainsi qu’un musée avec des éléments
1420
IGN Série Bleue, 2228 E, Châtelus-Malvaleix, 1/25000ème.
Pour l’étude complète de ces bâtiments, voir I. PIGNOT, L’abbaye cistercienne de Prébenoît en Creuse.
Étude lapidaire et architecturale, maîtrise d’Histoire de l’art, Clermont II, dir. B. PHALIP, A. COURTILLÉ, vol
I, p. 159.
1421
- 441 -
lapidaires remarquables. Les ruines de l’abbatiale sont plus au nord [Fig. 337]. La mise en
œuvre recourt à de belles pierres de taille en granite disposées en assises de moyen appareil
régulier pour les harpages, les contreforts et les soubassements. Par ailleurs, le petit appareil
irrégulier en schiste et moellons de granite est majoritaire. Il est lié d’un mortier relativement
gras. La chaux y est en forte proportion. Les sables non tamisés et les petits graviers lui
confèrent un aspect plus pâteux. Le choix du granite pour les éléments structurants n’est pas
un hasard. L’abbaye est en effet implantée sur un sol schisteux si on se réfère à la Carte
archéologique de la Gaule concernant la Creuse [Fig. 5]1422. Toutefois, les bâtisseurs ont
préféré recourir à une roche plus résistante pour certains éléments privilégiés, provenant
probablement des carrières de Marcillat [Fig. 381]1423.
La mise en œuvre est assez modeste, peut-être faute de moyens pour généraliser le
moyen appareil régulier à l’ensemble de l’édifice. Elle semble être plus du fait de maçons que
de tailleurs de pierres dont le rôle se limite aux harpages et soubassements.
Nous ne disposons d’aucune information concernant la façade occidentale de l’église.
Aux XVème et XVIème siècles, celle-ci a été détruite tandis que la nef est tronquée
vraisemblablement de quatre travées. Il pouvait s’agir d’un mur pignon scandé de contreforts
comme souvent pour les églises de Haute-Marche (Lamaids, Clugnat ou Genouillac). Deux
tours de fortifications sont érigées, l’une polygonale (au sud), l’autre ronde (au nord). Au sud,
la tour polygonale est arasée (depuis les XVIIème et XVIIIème siècles) et peu de vestiges
demeurent en élévation. Les fouilles ont révélé la présence probable de deux pièces dont l’une
avec un puits. Les murs étaient de 2 à 1.40m d’épaisseur [Fig. 349]1424.
La tour de plan circulaire au sud de l’abbatiale se présente comme une construction
talutée en schiste. Seuls les piédroits des percements sont de granite [Fig. 349, 350 et 351].
Elle dispose d’une baie étroite avec un petit linteau monolithe en plein-cintre. Deux archères
canonnières sont appareillées de blocs de granite et présentent un large ébrasement interne.
Nous en observons de semblables au château de Malval (commune de Bonnat à l’ouest de
Prébenoît). À l’ouest, une deuxième ouverture rectangulaire est percée, de même qu’une porte
avec un harpage de granite. Cette tour mesure 2.50m de diamètre interne et 6.20m de haut 1425.
Depuis le bas-côté nord de l’abbatiale, deux percements en permettent l’accès. Le plus haut
qui devait correspondre à une porte conduisant à l’ancien corps de logis ajouté au-dessus de
l’abbatiale comporte une ouverture légèrement brisée, assez large, avec un ébrasement
1422
D. DUSSOT, Carte archéologique de la Gaule- Creuse (…), op.cit, p. 29 à 43.
B. RUEL, op.cit.
1424
J. ROGER, L’abbaye cistercienne de Prébenoît, fouilles 2001(…), op.cit, p. 18.
1425
P. V. ARCHASSAL, op. cit, p. 162-165.
1423
- 442 -
relativement important. Elle est surmontée d’une voûte de schiste clavée. Un étage inférieur
présente une voûte concrète avec deux paires de corbeaux difficiles à interpréter qui pouvaient
soutenir un plancher à l’origine.
La nef de l’abbaye de Prébenoît demeure relativement méconnue. Peu de vestiges sont
encore en élévation. Nous ne savons quasiment rien du voûtement, des supports ou de
l’élévation. Elle se réduit désormais à deux travées. La longueur existante n’est alors plus que
de 26m alors qu’elle devait avoisiner les 43m avant la période de fortification. La largeur est
de 7.60m et de 18.40m avec les collatéraux. En élévation, il demeure une partie du mur ouest
se rattachant à la période moderne de fortification de l’abbatiale [Fig. 343]. L’appareillage est
en schiste avec un important blocage comme pour toutes les parties non médiévales de la mise
en oeuvre. Nous pouvons remarquer deux corbeaux à double quart-de-rond à 2.90m de
hauteur. Au nord de ce mur est percée une porte relevant du XVème siècle avec des feuillures
présentant de larges cavets [Fig. 352]. Le linteau rectangulaire possède un arc trilobé. Il est
surmonté d’une partie triangulaire avec une niche trilobée où devait s’insérer une statue. Un
cul-de-lampe à tête humaine est conservé du côté sud.
Les fouilles ont permis de mieux cerner les modes de construction de l’abbatiale. Les
murs reposent sur une tranchée de fondation profonde (0.50m) constituée de dalles de schiste
posées à plat. La largeur des murs varie de 1.50 à 1.80 mètres. Une seconde technique est
toutefois employée lors de la fortification au XVème siècle. Nous pouvons l’observer sur le
mur ouest évoqué précédemment. Le schiste local est utilisé, les murs sont moins épais (0.40
à 0.70m), le liant de chaux est plus maigre1426.
Il ne subsiste que de minces vestiges des larges collatéraux (4.10m). Les fouilles ont
révélé l’existence de piliers en forme de rectangle de 2.20m par 1.20m les séparant de la nef.
Ils étaient sans doute surmontés d’impostes recevant les voûtes. Ils devaient être à l’origine en
« L » avec un retour vers les collatéraux1427. Nous pouvons observer les vestiges du mur du
bas-côté sud dont il reste quelques assises de gros blocs de granite à modules irréguliers1428.
Pour les parties hautes, un parement de granite enserre le blocage de schiste. Le granite est
relativement fin, avec peu d’inclusions. Le mur sud du bas-côté nord présente un parement de
granite sur 2.75m de hauteur1429. Il est ainsi relayé par un petit appareil irrégulier de schiste.
Face à la nef, nous remarquons à 3.30m de hauteur deux corbeaux dont l’un est semicirculaire et l’autre présente une succession de deux quarts-de-rond. Ce collatéral conserve le
1426
J. P. BÉGUIN, J. ROGER, L’Abbaye de Prébenoît (…), op. cit, p. 82.
J. ROGER, L’abbaye de Prébenoît, sondages dans l’abbatiale (…), op. cit, p. 14.
1428
On note par exemple des modules de 43 par 30cm, de 50 par 52cm et des éléments plus longs de 62 par
34cm.
1429
Les carreaux irréguliers varient de 64 par 39cm à 50 par 33cm.
1427
- 443 -
départ d’une voûte d’arêtes de plan carré [Fig. 338]. Le blocage se compose de schiste lié
d’un mortier gras. Les voûtes reposent sur de sobres dosserets appareillés à impostes engagés
dans le mur gouttereau [Fig. 340 et 344]. Du côté nord, le pilastre d’angle mesure 34cm de
profondeur pour une largeur de 86cm. Au sud, la voûte est reçue par deux éléments de
corniche disposés en quinconce, reposant sur un pilier aux bases talutées, aujourd’hui lié au
mur ouest de l’époque moderne.
Depuis le pilastre d’angle semblait partir un arc doubleau renforçant les voûtes
d’arêtes [Fig. 345]. Il est cependant entièrement dépecé aujourd’hui. Entre les deux dosserets
du mur gouttereau nord, les soubassements et les harpages présentent un bel appareil de
granite. Les assises du soubassement sont irrégulières, montrant une rupture dans le chantier.
Deux rangées de modules sont d’abord superposées puis se réduisent à un seul module au
niveau du deuxième dosseret. Une baie très étroite présente un large ébrasement dont il ne
demeure que le blocage en schiste [Fig. 339 et 341]. Les piédroits de granite sont dépecés. De
l’extérieur, elle est surmontée d’un linteau monolithe étroit à double ébrasement de 20cm de
large. Ce type de baies étroites et étirées en hauteur sont caractéristiques du début du XIIIème
siècle1430. Le second dosseret du mur gouttereau est moins débordant que le précédent (32cm
de large) [Fig. 342]. Il est toujours constitué d’un appareil de granite soigné. Il est surmonté
d’une imposte recevant les voûtes d’arêtes.
À 1.18m de ce dosseret, nous observons le départ d’un ébrasement en granite qui
correspond vraisemblablement à une seconde baie ébrasée. À l’extérieur, les assises du mur
gouttereau se composent de gros blocs de granite et disposent d’une assise de réglage
biseautée. Nous pouvons noter les vestiges d’un contrefort en grand appareil (56cm de
profondeur pour 118m de large) qui correspond au dosseret interne et dont le glacis sommital
est encore en place.
Le transept mesurait 25.20m de long pour 7.10m de large [Fig. 346, 347 et 348]1431. La
mise en oeuvre relève du même système de blocs de granite pour les harpages et de schiste
pour le reste du parement. Nous pouvons remarquer le départ d’une baie au bras nord du
transept. Le croisillon sud est accolé à la sacristie. Il est composé de blocs de granite de
moyen appareil régulier. Il ouvre sur la sacristie par une porte avec des feuillures soulignées
de tores et de cavets discrets. Deux corbeaux soutiennent un tympan nu. Un sondage réalisé à
cet endroit en 2001 à permis de révéler la présence de maçonneries en « j », peut-être les
vestiges d’un escalier en pierres permettant d’accéder au dortoir. Des sépultures ont
1430
B. PHALIP, L’église d’Ajain, problème de la fortification de quelques églises creusoises entre la fin du
XIIème siècle et la fin du XIVème siècle, mémoire de maîtrise, Paris IV, 1978, p. 136.
1431
P. V. ARCHASSAL, op. cit, p. 162-165.
- 444 -
également été repérées 1432. Le transept dispose d’un décor peint relevant probablement de
l’époque médiévale1433. Les murs présentent un décor de faux appareil. La chaux blanche est
rehaussée de traits rouges. Ce type de décor est assez fréquent dans un cadre cistercien. À
propos des enduits découverts à l’abbaye de Villers en Brabant, Thomas COOMANS rappelle
que les enduits à faux-appareil régulier sont courants à la fin du XIIème jusqu’au XIIIème
siècle1434. Ils ne correspondent pas à l’appareil maçonné.
Il ne reste rien du chevet de l’abbatiale qui ne nous est connu que par la description du
sous-préfet Rémy et la fresque du XVIIIème siècle citées précédemment. Les fouilles ont
permis de déterminer que les murs mesuraient 0.70m d’épaisseur. Deux contreforts scandaient
la façade. La largeur extérieure était de 7.20m1435. Le mobilier en est toutefois bien connu
grâce aux investigations archéologiques.
- Mobilier liturgique :
Le décor de l’abbaye de Prébenoît est en effet mieux cerné grâce à des sources
historiques prolifiques et surtout grâce aux campagnes de fouilles archéologiques de ces dix
dernières années qui ont permis la mise au jour de tombeaux et de carreaux de pavement. À la
fin du XIIIème siècle, Roger de Brosse, l’un des principaux donateurs du monastère marchois,
est inhumé devant le grand autel du chevet. Cet évènement détermine une phase
d’embellissement du chevet. Le lieu de la sépulture est confirmé par une épitaphe retrouvée à
Huriel (Allier). Il s’agit d’une dalle en grès de 1.26m de haut par 0.70m de large. Il y est
précisé que « le dit messire Roger enterré en l’abbaye de Prat Benoît et fut frère de messire
Hugues de Brosse ». Nous disposons de quelques éléments sur cette sépulture d’après les
sources manuscrites. L’inventaire de 1790 fait mention d’un tombeau de cuivre1436. Selon
l’abbé de Villeloin
« devant le grand autel est une tombe de cuivre eslevée
environ de trois pieds sur laquelle est couchée la figure
d’un homme, joignant les mains et tenant une croix
enscellée. Lescu de ses armes est party au un dragent à
1432
J. ROGER, Bilan scientifique de 2001, SRA Limousin, Ministère de la Culture, p. 34 et 35.
J. ROGER, P. LOY, op.cit, p. 51-55.
1434
T. COOMANS, L’abbaye de Villers-en-Brabant. Construction, configuration et signification d’une abbaye
cistercienne gothique, Bruxelles, 2000, p. 243.
1435
J. P. BÉGUIN, J. ROGER, L’Abbaye de Prébenoît (…), op.cit, p. 46.
1436
AD Creuse, H 533.
1433
- 445 -
trois gerbes dor comme broce, au fassé d’or… Il y a
beaucoup d’autres écussons »1437.
Le tombeau disposait donc d’un gisant aux armoiries des seigneurs de Brosse.
En 1788, le feudiste Duval décrit ainsi le tombeau1438 :
« Roger de Brosse est représenté au naturel avec sa cotte
d’armes en bronze. L’épaisseur de la tombe qui est
environ de quatre pouces [10cm], est couverte d’une lame
de cuivre doré sur laquelle étaient peintes en plusieurs
médaillons, rangés tout autour, les armoiries de Brosse,
de Déols et d’autres ; mais la couleur du métal a trompé
ou séduit quelques curieux qui ont arraché partie de ces
médaillons et endommagé la figure. »
Il précise que le tombeau se trouve du côté de l’évangile du grand autel, c’est-à-dire
sur la gauche. En 1791, Degesne, prieur de l’abbaye, s’engage à
« veiller jusqu’au moment de leur enlèvement à ce que les
cloches, mausolée et grand autel de ladite église de
Prébenoît ne soient gâtés et détériorés (…) ».
Si le grand autel a lui aussi été enlevé, nous pouvons supposer qu’il était peut-être
recouvert de métal comme le mausolée. Les maîtres-autels cisterciens du XIIIème siècle sont
relativement rares et peu ont été conservés. Thomas COOMANS fait état d’un autel à Villers
consacré entre 1225 et 1250. Un autre est préservé à l’abbaye de Preuilly, abbaye-mère de la
Colombe. Il se caractérise par une grande table en pierre portée par des arcatures à décor non
figuratif. Nous n’avons aucun vestige de celui de Prébenoît 1439. Les deux chapelles
septentrionales disposaient aussi chacune d’un autel. Selon Jacques ROGER, ce tombeau
1437
BNF, ms 12747.
Cité par J. P. BÉGUIN, J. ROGER, Abbaye de Prébenoît (Creuse), SRA Limousin, 1993-1996 (non publié),
p. 104-107.
1439
T. COOMANS, L’abbaye de Villers-en-Brabant. Construction, configuration et signification d’une abbaye
cistercienne gothique, Bruxelles, 2000, p. 247.
1438
- 446 -
pourrait être l’œuvre d’un atelier de Limoges. Ce type de sépulture était réalisé entre le milieu
du XIIIème et le milieu du XIVème siècle1440.
Les fouilles archéologiques de 1994 menées sur le site ont permis la découverte d’un
sarcophage de calcaire qui pourrait correspondre à celui de Roger de Brosse. Toutefois, il est
découvert à droite du grand autel et non à gauche comme le décrivait le feudiste Duval en
1788. L’ancien ordonnancement aurait-il été bouleversé lors des nombreux réaménagements
de l’abbatiale notamment ceux menés en 1715 par Dom Jean de Scayve [Fig. 369]?
D’autres éléments de mobilier peuvent être associés à cette inhumation. Une croix de
consécration est conservée au Walters Art Museum de Baltimore [Fig. 373]. Elle mesure
51.5cm de haut pour 33.5cm de large. Elle se compose d’un assemblage de plusieurs plaques
estampées sur un cœur en bois. Au centre, une plaque émaillée représente un Christ en
majesté assis sur un arc-en-ciel et entouré de rosaces. Chaque extrémité de la croix supporte
d’autres émaux représentant trois éléments du Tétramorphe. Sur les bras, trois plaquettes
losangiques sont ornées de fleurons d’émail polychrome à huit pétales dont quatre sont
ondulés. La tige inférieure présente les blasons des de Brosse et des Malemort1441.
Un pavement mosaïqué est également à rapprocher de cette inhumation [Fig. 370, 371
et 372]. Il a été mis au jour lors des fouilles archéologiques de 1993. Une analyse au carbone
14 a permis de le dater des années 1253-1297. Il se situe dans le chœur. Il se compose de 23
bandes longitudinales de 4.20m de long. L’une mesure 0.50m de large et dispose de carreaux
ovalaires. Deux autres de 0.25m de large sont ornées de carreaux ronds, demi-ronds et
losangiques. Le sanctuaire dispose de 19 bandes de 2.70m de long. La régularité est
interrompue au niveau de l’axe central par des panneaux de 0.40m de long représentant pour
l’un un oiseau aux ailes déployées, pour l’autre un cerf. Les carreaux sont noirs, verts ou à
teintes rougeâtres1442. Le motif du cerf est relativement fréquent dans les carreaux de
pavement médiévaux. Il est associé au thème de la chasse. Nous le retrouvons à l’ancienne
cathédrale de Saint-Omer à la fin du XIIIème siècle 1443. C’est un motif très fréquent dans les
édifices bourguignons. Des chasseurs et des chiens poursuivent un cerf sur un pavement du
château de Montcenis (fin XIIIème- début XIVème siècle). Un cerf attaqué par un chien est
aussi représenté sur un carreau de la chartreuse de Champmol dans le dernier quart du
XIVème siècle. Au XVIIème siècle, des têtes de cerfs apparaissent au château de Gilly, la
maison de campagne des abbés de Cîteaux. Ce thème n’est ainsi pas cantonné aux édifices
1440
J. P. BÉGUIN, J. ROGER, op.cit, p. 104-107.
J. ROGER, P. LOY, L’abbaye de Prébenoît en Creuse, Limoges, 2003, p. 65-73.
1442
J. ROGER, P. LOY, op.cit, p. 44-47.
1443
E. NORTON, Carreaux de pavement du Moyen-Âge à la Renaissance (…), op.cit, p. 59.
1441
- 447 -
religieux1444. Magali ORGEUR se livre elle aussi à une étude stylistique du pavement de
Prébenoît1445. Elle fait état de six bandes alternées dont trois sont décorées d’arcs sécants.
L’opposition entre teintes claires et teintes sombres témoigne de la maîtrise des coefficients
de rétractation des deux argiles au cours de la cuisson. Ce pavement relève donc de la fin du
contexte d’expérimentations techniques liées à l’obtention du jaune. Elle le date ainsi de la
seconde moitié du XIIIème siècle, ce que corroborent les datations proposées par
l’archéologue Jacques ROGER, confirmées par les analyses au carbone 14. Le cerf et la
colombe peuvent être rapprochés des motifs de l’abbaye cistercienne de Meaux (Angleterre,
Yorkshire) datés entre 1249 et 1269. La variante de cercles sécants alternant avec des arcs de
cercle sécants est aussi connue à Jumièges, Ligugé, à l’abbaye cistercienne des Châtelliers, à
la
Sauve-Majeure
et
à
Saint-Samson-Sur-Risle.
Ces
pavements
sont
quasiment
systématiquement associés aux parties orientales des édifices. C’est le cas à Prébenoît. Ceci
pourrait s’expliquer par une volonté de mettre en valeur un espace privilégié et témoigne
peut-être d’un lien avec des pratiques liturgiques. Magali ORGEUR met en évidence à ParayLe-Monial un pavement dont les décors sont hiérarchisés en fonction des espaces réservés. Ils
conduisent les fidèles jusqu’à l’autel et rehaussent le passage d’une procession1446. Ce n’était
néanmoins sans doute pas le cas à Prébenoît puisque les abbayes cisterciennes n’avaient pas
de vocation d’accueil des fidèles.
Ce pavement étant étroitement lié à l’inhumation de Roger de Brosse, nous pouvons
supposer que c’est lui qui en a financé l’exécution avant son décès ou l’un de ses descendants.
Il semble peu probable que les moines de cette modeste abbaye marchoise, ne disposant que
de peu de revenus, soient à l’origine de la mise en place de ce tombeau luxueux et du mobilier
qui l’accompagne. Il s’agirait plutôt d’un art de commande comme à Bellaigue ou Bonlieu.
Nous savons que l’abbaye disposait de vitraux en grisaille placés derrière le maîtreautel. Des fragments ont été découverts lors des diverses fouilles archéologiques mais nous ne
pouvons toutefois en reconstituer les motifs. Le mobilier de l’abbaye de Prébenoît est ainsi
relativement bien connu et témoigne d’embellissements certains dans la seconde moitié du
XIIIème siècle liés à l’inhumation d’un seigneur laïc. C’est ce « mécénat » de la noblesse
locale qui permet le développement d’une iconographie propre au sein de cette abbaye
cistercienne par ailleurs tentée par l’absence d’image.
- Cloître médiéval et moderne :
1444
M. PINETTE, Les carreaux de pavage dans la Bourgogne médiévale, Musée Rolin, Autun, 1981.
M. ORGEUR, op.cit, vol I, p. 230.
1446
M. ORGEUR, op.cit, vol II, p. 523.
1445
- 448 -
Le cloître médiéval, probablement édifié à la fin du XIIème siècle et dans les
premières années du XIIIème siècle est aujourd’hui entièrement disparu. Un solin sur le mur
sud du bâtiment conventuel sud est l’unique témoin du couvrement des galeries du cloître1447.
Celles-ci devaient être charpentées, délimitées par un mur bahut avec des arcatures de
pierres1448. Elles sont couvertes de tuiles au XVIIème siècle par l’abbé commendataire
Vertamont. Trois galeries ont pu être identifiées lors des fouilles archéologiques. Seule la
galerie ouest n’a pas été retrouvée. Elles mesurent 3.50m de large et comportent des murs de
soutènement de 0.60m d’épaisseur1449. Les piliers de la fin du XIIème siècle et du début du
XIIIème siècle comportent des chapiteaux lisses très évasés et des bases à griffes retrouvés
dans le dépôt lapidaire [Fig. 359, 362, 364 et 365]. En effet, une petite base à griffes en
granite gris très fin peut être associée à un chapiteau lisse à épannelage fortement évasé. Tous
deux sont déposés dans le petit musée du bâtiment conventuel de l’abbaye. Les dimensions
coïncident parfaitement (base et tailloir du chapiteau de 40 par 31cm). L’abbatiale ne
disposant pas de colonnes, ces éléments appartenaient vraisemblablement au cloître de
l’époque médiévale. La corbeille lisse évoque celles des arcades du cloître de Varennes édifié
à la même époque, certains chapiteaux d’Obazine (nef) ou encore de Bonlieu (bras du
transept).
Au XVème siècle, le cloître fait donc l’objet d’une reconstruction avec des piliers
octogonaux comme à Bonlieu, Varennes et l’abbaye des Pierres [Fig. 358, 368]. Les éléments
lapidaires conservés sur le site sont ici essentiels pour la reconstitution du cloître de Prébenoît.
Certains éléments de supports déposés (bases, chapiteaux, tambours) présentent un profil
octogonal souligné de larges cavets [Fig. 360 et 363]. Nous en avons inventorié en nombre
dans le dépôt lapidaire à l’ouest du bâtiment conventuel ainsi qu’en remploi dans la façade
orientale de ce même bâtiment1450. Ils sont de granite plus grossier, matériau typique des
phases de réfection du monastère au Bas Moyen-Âge et à l’époque moderne. L’étude des
remplois a révélé l’existence de deux modules, l’un souligné de cavets aux angles (26 par
44cm), l’autre aux angles biseautés (33 par 44cm). Nous pourrions ainsi envisager une
alternance de piles fortes et de piles faibles pour ces galeries de cloître. Si un support dispose
d’une base, d’un chapiteau et de trois tambours, en tenant compte de joints d’1.5cm en
moyenne, nous obtenons un pilier d’1.76m environ1451. Nous savons d’après les sources
1447
B. RUEL, op.cit.
B. BARRIÈRE (dir.), Moines en Limousin (…), op.cit, p. 70.
1449
P. LOY, J. ROGER, L’abbaye cistercienne de Prébenoît (…), op.cit, p. 48.
1450
130 blocs ont été ainsi inventoriés. Voir I. PIGNOT, op.cit, p. 240.
1451
Nous aboutissons ainsi aux mêmes dimensions que les supports du cloître du XVème siècle de l’abbaye des
Pierres.
1448
- 449 -
archéologiques que les galeries de ce cloître carré mesuraient ainsi 31.8m de long pour 3.50m
de large et le mur-bahut 22.7m. Les murs de soutènement composés de dalles de schiste
étaient peu épais (0.60m de large) et laissent présager un mur-bahut relativement étroit pour
soutenir une arcature1452. L’écartement des arcs peut être envisagé grâce à deux sommiers
inventoriés dans le dépôt lapidaire [Fig. 361]. Leurs dimensions (44cm de long) et la qualité
du granite les associent sans aucun doute aux piliers octogonaux. Le diamètre des arcs du
cloître peut être extrapolé et mesure environ 0.74m. Cette relative étroitesse s’explique par un
amoindrissement des dimensions aux XVème et XVIème siècles. Il devait donc y avoir vingtquatre arcs au mur-bahut.
Cette réfection du cloître au XVème siècle est simultanée à celles de Bonlieu,
Varennes ou encore du cloître du monastère des Pierres [Fig. 162, 163 et 735]1453. Ces
ressemblances troublantes dans la mise en œuvre de ces quatre sites pourraient s’expliquer par
une circulation des tailleurs de pierre dans ces sites peu éloignés géographiquement. Nous
pouvons associer à cette période de réfection du monastère une vasque de cloître conservée
sur le parvis de l’église de Châtelus-Malvaleix à quelques kilomètres à l’ouest de Prébenoît.
Elle présente le même type de granite et ces mêmes modénatures soulignées de cavets.
Les accès au cloître sont alors modifiés comme en témoigne la condamnation
d’ouvertures visible au niveau de l’angle sud-est de la façade occidentale du bâtiment
conventuel.
- Bâtiments claustraux : sacristie, salle capitulaire.
La sacristie présente une ouverture légèrement brisée avec un parement soigné. Le
granite employé est fin, avec peu d’inclusions, les feuillures constituées de tores très délicats.
L’arc qui marque l’entrée se compose de sommiers dont deux montrent une encoche pour les
cintres, typique du début du XIIIème siècle comme nous pouvons notamment en observer au
niveau d’une baie en façade occidentale de l’abbatiale de Bonlieu. Les zones internes se
constituent d’un soubassement de granite relayé par un petit appareil de schiste qui va former
une voûte clavée en berceau brisé.
Le seul témoin de l’ancienne salle capitulaire est une amorce de baie présente dans la
façade orientale du bâtiment conventuel avec deux claveaux de granite gris très fins [Fig.
353]1454. Une partie du parement de granite médiéval est conservée avec de gros blocs de
1452
J. ROGER, P. LOY, L’abbaye cistercienne de Prébenoît (…), op.cit, p.48-49.
Les chapiteaux de Prébenoît sont toutefois de dimensions plus importantes (51 par 34cm et 34cm de haut).
La longueur n’est que de 40cm pour les Pierres et 46cm pour Bonlieu.
1454
Leur longueur est de 34cm, les intrados mesurent respectivement 20 et 17cm, les extrados 29 et 26cm.
1453
- 450 -
granite rosé à gros grains et à fortes inclusions et qui présentent une alternance de carreaux
(de 44 par 30cm) et de bouchons (de 18 par 30cm) plutôt que de véritables boutisses qui
s’enfonceraient réellement dans la maçonnerie. Des éléments lapidaires peuvent provenir de
cette salle. Une base à griffes de relativement grandes dimensions (socle de 61 par 61cm) est
déposée dans le musée du bâtiment conventuel [Fig. 366 et 367]. Elle a été retrouvée lors
d’investigation archéologique dans la salle capitulaire. Nous savons que celle-ci disposait de
piliers soutenant une voûte. Deux chapiteaux conservés au château de Moisse au nord de
Prébenoît peuvent lui être associés. Elle dispose d’un profil en tore, scotie et tore, encore
proche du profil attique ce qui attesterait une datation de la fin du XIIème siècle. Le tore
inférieur n’est pas encore très aplati. Les griffes sont empâtées. Elles sont soulignées de deux
arceaux qui viennent s’étaler sur le tore. Une colonne du chauffoir des moines de Noirlac
dispose d’une base très similaire dont les dimensions coïncident exactement1455. Elle relève
des années 1170-1190. Cette correspondance avec une abbaye berrichonne pourrait
s’expliquer par une circulation des ouvriers spécialisés et des tailleurs de pierres. Toutefois,
aucune source écrite ne permet d’étayer cette hypothèse, le chantier médiéval n’étant que
rarement évoqué dans les textes.
- Éléments lapidaires :
Le monastère de Prébenoît est ainsi un édifice difficile à appréhender étant donné les
nombreuses reconstructions et réaménagements au fil des siècles. Les vestiges médiévaux se
réduisent donc à une partie du bas-côté nord et du transept. Un dépôt lapidaire conséquent
issu de la destruction de l’abbatiale est conservé à l’ouest de la ferme de l’abbaye. Il peut
aider à notre connaissance de l’abbaye même si ces éléments isolés sont souvent difficiles à
replacer dans leur contexte originel. Nous ne les avons ainsi pas directement insérés dans
l’étude de bâti face à l’impossibilité de les interpréter de source sûre. Par crainte
d’interprétations hâtives et erronées, nous préférons pour certaines sculptures rester prudent et
en livrer une notice séparée. Ils ont fait l’objet d’un inventaire complet lors de notre année de
Master I1456. Nous ne reprendrons pas ici l’ensemble de l’étude mais ne retiendrons que les
éléments médiévaux les plus significatifs, à l’exclusion des nombreux blocs modernes ou de
ceux ne présentant pas de modénature particulière. Nous n’évoquerons pas les nombreux
fragments de portes, de piédroits, de baies, le plus souvent modernes et difficiles à replacer
dans l’édifice. Ces fragments extraits de leur contexte peuvent aider à la compréhension d’une
1455
1456
En effet, le socle est de 62 par 62cm.
I. PIGNOT, op.cit.
- 451 -
abbaye très ruinée et apporter des connaissances sur le voûtement, les supports et le cloître
entièrement disparu aujourd’hui. Les vestiges de l’abbatiale conservés en élévation ne
présentent pas d’éléments sculptés particuliers. Les dosserets disposent de simples impostes et
non de chapiteaux. Notre étude se basera alors uniquement sur des éléments lapidaires isolés.
Un chapiteau feuillagé a été découvert lors des fouilles du cloître en 2001 [Fig. 357]. Il
pourrait donc se rattacher au cloître médiéval (fin XIIème, début XIIIème siècle). Les
dimensions du tailloir (38 par 30cm) sont très semblables à celles des chapiteaux lisses
évoqués précédemment. Le granite est identique, très fin et sans inclusion. Nous pourrions dès
lors envisager des arcades présentant une alternance de chapiteaux lisses et feuillagés. Les
moines de Prébenoît acceptent ainsi la représentation de feuillages, certes discrets, au sein de
leur abbaye.
Un chapiteau figuré est également conservé dans le dépôt du musée de l’abbaye [Fig.
356]. Il paraît atypique à la fois par son sujet, ces cinq masques humains très schématiques et
par l’usage d’un calcaire qui se substitue au granite habituel. Il présente des vestiges de
polychromie, ce qui peut surprendre dans un cadre cistercien plutôt enclin à l’austérité et au
dépouillement. Les dimensions de son tailloir (37 par 31cm) permettent de l’associer lui aussi
aux piliers du cloître médiéval. Les cisterciens de Prébenoît ne rejettent ainsi pas toute forme
de figuration, ici très simplifiée et réduite à des visages à peine ébauchés. Les yeux sont de
simples fentes, les bouches de petits orifices.
Certains fragments peuvent également nous renseigner sur le voûtement de l’abbatiale
relativement méconnu face aux vestiges conservés très lacunaires. Nous avons identifié une
nervure d’ogive à trois tores qui pourrait relever du XIIIème siècle comme l’atteste la qualité
certaine du granite [Fig. 354]. Son profil n’est pas en amande comme souvent à la fin du
XIIème siècle et au début du XIIIème siècle dans un cadre Plantagenêt. Cette modénature
pourrait être légèrement plus tardive (seconde moitié du XIIIème siècle). De quelle partie de
l’édifice pourrait-elle provenir ? L’essentiel de la mise en œuvre de l’abbatiale relève de la fin
du XIIème siècle et du premier tiers du XIIIème siècle si on se réfère au triplet de façade, aux
baies et aux éléments de portails. La mise en place du voûtement de l’édifice pourrait être
légèrement plus tardive et une datation du milieu du XIIIème siècle semblerait cohérente. La
nef serait-elle alors voûtée d’ogives ou bien ce type de couvrement s’adaptait-il plutôt aux
chapelles du transept ? Au chevet ? Ceux-ci sont cependant le plus souvent voûtés en berceau
dans un cadre cistercien. Les ogives pourraient également concerner un bâtiment conventuel,
le réfectoire des moines, ou le dortoir. Ils sont cependant probablement mis en place avant
l’abbatiale, étant indispensables à la vie communautaire et aux besoins les plus péremptoires
- 452 -
des moines. Leur édification se rattacherait alors plutôt à la fin du XIIème siècle ou au
premiers tiers du XIIIème siècle. Quant au cloître, ses galeries sont charpentées et non
voûtées. Il n’est donc pas question de voûtes d’ogives. Ce fragment, isolé dans le dépôt
lapidaire reste difficile à interpréter et à replacer dans l’édifice.
Un fragment de boudin placé sur un dosseret est également conservé [Fig. 355]. Il
pourrait appartenir à un doubleau. Les arêtes des bas-côtés pouvaient en effet en disposer.
Nous pourrions également l’interpréter comme un élément d’ogives relativement fruste, qui
apparaît plus sous la forme de gros tores que de fines nervures comme souvent dans un cadre
Plantagenêt ou dans les édifices de Haute-Marche au XIIIème siècle (Gouzon). Ce voûtement
pourrait alors être associé à la salle capitulaire, plus ancienne que l’abbatiale. Il pourrait
également s’adapter au cintre d’une porte, à une arcade, et pas obligatoirement à une voûte. Il
reste donc lui aussi assez délicat à interpréter. Ainsi, si l’abbaye de Prébenoît est un édifice
très ruiné, constamment remanié au fil des siècles, de nombreux éléments sculptés permettent
une meilleure connaissance des voûtements, des percements et des différentes étapes de
reconstruction du cloître. L’image est discrète et n’apparaît que sur un seul chapiteau. Les
chapiteaux lisses sont les plus fréquents, un seul adopte timidement des feuillages. Austérité
et sobriété sont de mise dans ce monastère de Haute-Marche.
L’inventaire lapidaire nous a également permis de retrouver certains éléments de
mobilier liturgique, en particulier deux piscines géminées [Fig. 374 et 375]. Ces cuvettes sont
généralement situées à gauche de l’autel, côté épître, et sont creusées dans le mur (Boschaud,
Le Palais). Elles sont destinées à recevoir l’eau du lavabo et l’eau des ablutions pendant la
messe. Elles révèlent l’existence d’un autel disparu. Elles sont parfois placées sous une niche,
d’abord en plein-cintre, puis brisée à la fin du XIIème siècle et au début du XIIIème siècle.
Nous pouvons en observer dans le chœur de l’abbaye de Noirlac (vers 1150-1160), à
Bellaigue, Loc-Dieu, Beaulieu, Valmagne, ou encore Pontigny. La proche abbaye du PalaisNotre-Dame présente dans le mur sud du chœur des crédences doubles avec deux cuvettes
rectangulaires similaires, percées d’un trou, insérées dans une niche voûtée d’un arc brisé
(début XIIIème siècle) [Fig. 308]. Les piscines liturgiques de l’abbaye féminine de Mègemont
(com. Chassagne, Puy-de-Dôme) présentent des éviers tréflés plus complexes (première
moitié du XIIIème siècle). À Prébenoît, deux éviers liturgiques ont pu être identifiés. Ils
semblent appartenir à deux piscines géminées différentes. En effet, le biseau qui marque
l’arête de chacun de ces deux éléments n’a pas la même largeur (3 ou 5cm). Le granite est
identique, avec des grains relativement grossiers. Les cavités sont similaires (20 par 20cm
avec un orifice de 2cm de diamètre). Ces deux fragments devaient donc relever du même type
- 453 -
de structure et de la même époque. Nous pouvons supposer que les piscines étaient géminées
telles celles de l’abbaye cistercienne du Palais-Notre-Dame ou du chœur de Clugnat, petite
église paroissiale à quelques kilomètres au sud de Prébenoît, dont les dimensions et l’aspect
sont très similaires. Sans doute étaient-elles placées au niveau du chevet ou des chapelles du
transept. Nous pourrions ainsi supposer l’existence de deux autels ce qui permet d’envisager
une communauté non négligeable. Ce type de piscine est très fréquent dans l’art cistercien
mais se rencontre également dans un cadre paroissial ou hospitalier (Clugnat, La Croix-auBost dans la première moitié du XIIIème siècle). Nous pourrions proposer une datation du
premier tiers du XIIIème siècle comme au Palais-Notre-Dame, ce qui correspond à la phase
d’édification du chevet et à la chronologie proposée pour le triplet oriental1457.
-Aménagements hydrauliques :
Outre les quelques vestiges architecturaux et un dépôt lapidaire conséquent, les
aménagements hydrauliques de la Petite Creuse et du Cluzeau ont également largement
marqué le paysage de ce petit vallon creusois et constituent encore aujourd’hui un objet
d’étude très enrichissant pour la connaissance des installations artisanales cisterciennes [Fig.
379]. Les sondages ont en effet permis la découverte de digues, canaux, biefs essentiels à
notre étude et qui témoignent de la technicité des moines blancs en matière d’hydraulique et
de leur exploitation systématique des cours d’eau1458.
Deux digues peuvent être étudiées. L’une est au sud de la ferme, au sud des ruines de
l’abbatiale, près du chemin d’accès au monastère [Fig. 377 et 378]. Elle est conservée sur
10m de long. Elle se constitue de dalles de schiste positionnées en épis, formant ainsi un
profil en arcade. Au niveau de la clé de voûte, les blocs de granite sont disposés en quinconce
et forment ainsi un harpage. Le cœur de la maçonnerie est composé de sable plus ou moins
grossier. Cette digue mesure 0.40m de haut à l’ouest pour 0.70m de haut à l’est. La largeur est
inférieure à 1.80m [Fig. 385]. Elle ressemble fortement à la digue des Boissières placée sur la
Petite Creuse au sud-est de Prébenoît. Le moulin qui lui était associée à la confluence de la
Petite Creuse et du ruisseau de Chez Pendu est aujourd’hui une maison d’habitation qui ne
conserve pas de vestiges médiévaux. La digue des Boissières n’est connue et citée dans les
textes qu’à partir de 1590 [Fig. 384]. S’agit-il d’une installation moderne ou son absence dans
les textes médiévaux n’est-elle due qu’aux lacunes des sources historiques ? Elle pourrait
1457
I. PIGNOT, op.cit, p. 234.
J. P. BÉGUIN, J. ROGER, Abbaye de Prébenoît (Creuse), SRA Limousin, 1993-1996 (non publié) ; J.
ROGER, Sondages d’évaluation sur le site de l’abbaye cistercienne de Prébenoît, juin 2000, 67 p. (non publié) ;
J. ROGER, Abbaye cistercienne de Prébenoît, fouilles 2001, 2001, 32p. (non publié).
1458
- 454 -
correspondre à une mise en œuvre relativement tardive de même que la digue au sud du
monastère qui présente les mêmes caractéristiques. Le système de harpage de blocs de granite
s’apparenterait plutôt à des réalités des XVIIIème ou XIXème siècles.
La digue de l’Étang Noir n’est plus présente que dans le toponyme « La Barrière »
(parcelle n°351 sur le cadastre actuel). Elle est rompue à la fin des années 1970. Elle était
longue de plus de cent mètres. La chaussée se constitue d’une levée de terre parementée de
murs de schiste. Elle retenait 1.5ha d’eau. Le conduit de vidange de l’étang est constitué de
dalles de schiste.
L’étang des Côtes à quelques mètres en amont a été construit de la même manière. À
partir de sa digue, un bief d’amenée d’eau prend sa source pour ensuite longer l’étang Noir
sur 450m avant de se perdre à moins de 400m du monastère. C’est un travail colossal qui a
nécessité soit une taille dans le rocher, soit la construction de murs de soutènement. Il
alimentait au moins deux moulins. À 2000m de l’abbaye, une troisième pièce d’eau est
suggérée par le toponyme « l’étang rompu » et le nom de la parcelle « de l’étang ».
Près du chemin d’accès à l’abbaye, les ruines d’une construction surplombent le
Cluzeau. Elles ne sont pas mentionnées sur le cadastre de 1808. C’est un bâtiment de 17m de
long pour 7m de large. Il comprenait deux pièces, l’une à l’est de 42m², l’autre à l’ouest de
70m². Les parements présentent des dalles de schiste liées à un mortier de chaux ainsi que des
harpages de granite. Elle correspond donc à la même mise en œuvre que les phases de
construction médiévales de l’abbaye. Nous pourrions ainsi proposer une datation du début du
XIIIème siècle pour ce moulin. Il est délicat de formuler des hypothèses quant à sa fonction.
Toutefois, des scories ont été découvertes à proximité lors des sondages archéologiques. Il
pourrait ainsi s’agir d’une forge hydraulique. Cette installation est alimentée par un bief
maçonné de cinq mètres de large qui canalise le Cluzeau dès le XIIIème siècle, à l’est des
bâtiments monastiques. Ce premier canal est abandonné pour un second parallèle, encore
visible de nos jours et conservé sur plus de cent mètres. Il est toutefois en partie ensablé1459.
Les fouilles de 2001 ont permis la mise au jour d’un drain au niveau de l’ancien cloître
médiéval [Fig. 380]1460. Il se compose de dalles de schiste mises à plat dans la partie centrale
et de plus petits modules latéralement. Il est étendu sur plus de 4m pour une largeur de 0.70m.
Il est orienté selon un axe nord-est/sud-ouest. Il se dirige vers le mur de la douve à l’ouest du
monastère. Au contact avec celui-ci, il présente un arc de décharge. Les eaux usées s’écoulent
de l’est vers l’ouest et se déversent dans la douve. Cet aménagement est sans doute lié au
1459
1460
J. ROGER, P. LOY, L’abbaye de Prébenoît en Creuse, Limoges, 2003, p. 58-59.
J. ROGER, Abbaye cistercienne de Prébenoît, fouilles 2001, 2001, p. 17.
- 455 -
temps de la fortification au XVème siècle et ainsi à la reconstruction du cloître avec ces
piliers octogonaux caractéristiques.
Au XVème siècle, des douves encerclent l’ensemble des bâtiments monastiques [Fig.
382 et 386]. Elles mesurent de 13 à 14m de large. Ne demeure aujourd’hui qu’un vivier en
« L » de 60 par 20m à l’ouest et le long du bas-côté et du transept nord de l’abbatiale. Il est
approvisionné par une dérivation du Cluzeau au nord-est longue de 80m, mentionnée sur le
cadastre de 1808. L’évacuation au sud-ouest du mur occidental s’effectue par une canalisation
construite en planches de bois, enterrée sur 5m environ. Une pelle en bois à l’entrée du
conduit permet d’en déterminer l’ouverture ou la fermeture [Fig. 383]. La vidange se réalise
vers le sud-ouest par un fossé ouvert long de 60m puis vers l’ouest sur trente mètres environ
pour se déverser dans un second système de bassins au sud et à l’ouest du monastère. Un
ensemble de grands fossés à parois non construites sont encore discernables dans les paysages
actuels. Ils marquent probablement les limites de l’enclos monastique1461. Les murs internes
des douves sont constitués de dalles de schiste. Au niveau du bras du transept, la douve est
simplement limitée par un talutage au pied de l’édifice. Les dalles peuvent atteindre jusqu’à
0.65 par 0.45m. Elles sont liées d’un mortier de tuf orangé.
Des réseaux de caniveaux ont également été mis au jour. Ils sont bâtis de deux murets
parallèles espacés seulement de 0.40m. Ils sont constitués de dalles de schiste régulières de
0.25 par 0.25m mises à plat sur trois ou quatre assises, sur une hauteur de 0.40m.
L’évaluation archéologique de 2000 a mis au jour un puits à l’intérieur de la tour
quadrangulaire à l’ouest de l’église. Il permet l’adduction en eau potable. Les sondages ont
également conduit à la découverte d’un canal d’amenée d’eau taillé dans le rocher au contact
du monastère. Il est large de 2m sur une profondeur d’1.20m. Il s’interrompt brutalement une
dizaine de mètres plus au sud au contact du mur de clôture. Sa fonction et sa datation ne
peuvent être clairement établis.
L’abbaye de Prébenoît est ainsi très riche à la connaissance de l’hydraulique
cistercienne et livre des réseaux de canalisations, des biefs et canaux, des digues et vestiges de
moulins qui montrent la complexité des installations mises en oeuvre au fil des siècles. Les
moines ont cherché à mettre en valeur et à contrôler les cours d’eau les plus proches du
monastère, en l’occurrence le Cluzeau et la Petite Creuse, ce dès le XIIIème siècle. Toutefois,
les témoins retrouvés dans les paysages sont parfois difficiles à dater. La plupart semblent
appartenir à la période de fortification du monastère avec la mise en place de douves qui
bouleverse l’organisation de l’abbaye marchoise.
1461
J. ROGER, P. LOY, op.cit, p. 58-59.
- 456 -
- 457 -
BONNAIGUE
- 458 -
B. Les fondations d’Étienne d’Obazine :
1. Bonnaigue (commune de Saint-Fréjoux, Corrèze):
Le monastère de Bonnaigue est situé sur la commune de Saint-Fréjoux dans le canton
d’Ussel en Corrèze. Nous accédons au site par un chemin depuis la nationale 89 au niveau de
Venard. La carte de Cassini l’indique à la lisière d’un petit bois, à côté du ruisseau de la
Dozanne. L’abbaye est signalée sous le nom de « la Bonnaygue ». Le sigle AB. O.C est
précisé (abbaye de l’ordre cistercien) et l’abbatiale est symbolisée par une petite église
surmontée d’une crosse, synonyme d’un prieuré. La carte IGN au 1/25000ème la signale sous la
même graphie dans un îlot de défrichement entre le Bois de Perey et le bois de Bonnaygue
[Fig. 387 et 388]1462.
Sources manuscrites :
Le fonds concernant le monastère de Bonnaigue est relativement peu conséquent et ne
permet guère une bonne connaissance du patrimoine foncier. Il est pour bonne part déposé
aux Archives Départementales de la Corrèze.
L’abbaye de Bonnaigue est citée dans la Vie de saint Étienne d’Obazine à de
nombreuses reprises, notamment lors de la mort de l’abbé Étienne, venu à Bonnaigue pour y
choisir un nouvel abbé en 1159. Une période de disette est également évoquée, de même qu’à
l’abbaye de Grosbot :
« Un événement semblable s’est produit au monastère de
Bonnaigue où le saint homme a quitté ce monde il y a
quelques temps. Le jour du Jeudi Saint, il s’y rassembla
une foule innombrable de pauvres venus en plus grand
nombre que d’habitude. Après que l’on eut distribué tout
le pain que l’on put trouver, il resta cependant des
pauvres à satisfaire. Contraints par la nécessité, les frères
distribuèrent alors celui qui leur était réservé pour le
repas. N’ayant plus alors de quoi manger, l’abbé donna
l’ordre d’acheter à prix d’argent du pain pour les
1462
IGN Série Bleue, 1/25000ème, Eygurande, 2332 E.
- 459 -
religieux. C’est alors que l’on trouva le coffre où l’on
avait coutume de ranger le pain, plein jusqu’en haut. Ils
en eurent pour la journée et le jour suivant »1463.
Nous ne disposons que de 58 notices concernant les XIIème et XIIIème siècles, ce qui
paraît insuffisant pour cartographier le patrimoine. Le cartulaire du XIIIème siècle est perdu,
nous n’en avons plus trace depuis 1790. Des extraits nous sont tout de même parvenus par des
copies de dom Estiennot au XVIIème siècle1464. Ce cartulaire est signalé en 1712 par Dom
Jacques Boyer lors de sa visite de l’abbaye. Des extraits sont ensuite copiés par Edme
Bonnette en 1766 à la demande du marquis Marc-Antoine d’Ussel1465. Le nécrologe est
également perdu. Quelques allusions sont données dans la Gallia Christiana par Dom Jacques
Boyer1466.
Nous connaissons la charte de donation de l’abbaye de Bonnaigue, signée en 1157 par
Guillaume d’Ussel et son frère Pierre de Ventadour.
« Qu’il soit connu de tous, présents et à venir, que
Guillaume d’Ussel, et Pierre, son frère, ont donné à Dieu,
et à la bienheureuse Marie, en présence d’Étienne,
premier abbé d’Obazine, pour la rémission de leurs
péchés et le salut de leurs âmes, le lieu qui est nommé
Bonnaigue, pour bâtir une abbaye, à la condition que,
dans cet endroit, l’ordre monastique institué selon le
précepte du Seigneur, et la Règle du Bienheureux Benoît
abbé, soit observé à perpétuité, avec le consentement de
Dieu. Et comme des frères y doivent aussi servir Dieu,
Guillaume d’Ussel a fourni les quatre manoirs désignés :
lo Mas d’Offros, Lo Mas Viscomptat, Lo Mas Benait, Lo
Mas de la Porte.
L’année mil cent cinquante-sept de l’Incarnation du
seigneur, sous le règne du roi Louis, et l’épiscopat de
Gérald Hector »1467.
1463
M. AUBRUN, Vie de Saint Étienne d’Obazine…, op. cit., p. 143.
BNF, ms lat. 12633, fol. 93 ; ms lat. 12765, p. 235.
1465
J-L. LEMAITRE, op. cit., p. 53.
1466
Gallia Christiana, col. 542 D à 644 C.
1467
S-M DURAND, Étienne d’Obazine, 1085-1159, Lyon, 1966, p. 67.
1464
- 460 -
Quelques documents modernes nous sont parvenus et sont conservés aux Archives
Départementales de la Corrèze :
- H 24 :
1634 copie d’extrait d’arrentement dans le bois de Bonnaigue pour les
habitants du village de la Vergne, paroisse de Saint-Fréjoux. Ceux-ci ont le
droit de pacage pour le bétail et peuvent emprunter la chaussée de l’étang,
prendre du bois mort.
1654 reconnaissance consentie par Jean Chabanes, notaire et les habitants et
tenanciers du village de la Chabane sur la paroisse de Saint-Fréjoux à Jean de
Peyrissac, abbé de Bonnaigue. De même pour les habitants de Chasses, village
de la Grange.
1655 contrat de vente au profit des religieux de Bonnaigue par Louis Charles
Maréchal habitant Freschamp sur la paroisse de Saint-Merd-La-Breuille d’une
maison située en ce lieu.
1668 vente d’un pré consentie par Blaise Faure du village de Lespinassoue sur
la paroisse de Flayac au profit des religieux de Bonnaigue. Il s’agit du « Grand
Pré » situé au village de Bissareix.
1664-1673 procédures entre l’abbaye de Bonnaigue et le sieur Bonnet de la
Chabanne pour la prise d’eau de son moulin et l’arrosement de son pré.
- H 25 :
1719 requête présentée par le cellérier de Bonnaigue souhaitant que défense
soit faite que les habitants de la paroisse d’Aix ne coupent du bois dans les
forêts voisines de l’abbaye.
- H 26 :
1789 mémoire concernant les bois de l’abbaye de Bonnaigue.
En 1773, une enquête est menée concernant un fermier de la dîme de Bonnaigue à la
requête de François Dulac, abbé de Bonnaigue1468.
En 1790, les officiers municipaux de la paroisse de Saint-Fréjoux dressent un
inventaire mobilier de l’abbaye de Bonnaigue et répertorient également les titres, papiers,
bulles des papes et privilèges accordés aux moines ainsi qu’un volume in folio intitulé
« Répertoire des titres et documents des archives de Bonnaigue », fait en 1726, aujourd’hui
perdu (454 cotes) [PJ 8]. Les registres sont listés : une série de terriers, une liève de 132
folios, le cartulaire du XIIIème siècle comprenant 125 folios, aujourd’hui perdu, un cahier de
52 folios, un terrier de 1545 de 43 folios et le terrier de la Marche daté de 1580 (127 folios).
1468
AD Creuse, H 522, liasse, 4 pièces papier.
- 461 -
Est évoquée également une bibliothèque comprenant 850 volumes, ainsi que quelques livres
liturgiques dans l’église.
Les officiers listent l’argenterie, les chandeliers, crucifix, reliquaire de cuivre, quatre
tableaux représentants les évangélistes, des chasubles, chapes et dalmatiques. En 1791, le
mobilier de l’abbaye est vendu1469.
L’inventaire de 1790 permet de mieux connaître les bâtiments conservés en cette fin
de XVIIIème siècle. Le chartrier par exemple occupe une pièce voisine du dortoir des
religieux, « au-dessus » de l’abbatiale, sans doute au premier étage du bâtiment est dont il ne
demeure aujourd’hui que la sacristie.
« En examinant ce qui étoit dans la susdite chambre, nous
avons aperçu une porte que MM. les religieux nous ont dit
être la porte du chartrier. Et après en avoir demandé
l’entrée, Dom Legentil nous a ouvert la porte et nous a
cependant fait observer le décret en vertu duquel nous
agissons ne nous permétoit pas de faire l’inventaire des
tittres qui y sont (…). »
Sont citées l’église et la sacristie. La première semble d’ailleurs en assez bon état. Les
officiers inventorient les biens de la cuisine, l’office, la cave, la boulangerie, l’appartement de
l’abbé, la salle à manger de la communauté, le dortoir, la bibliothèque, le clocher à quatre
cloches et son horloge, les quartiers des étrangers avec sept appartements, le chartrier, les
greniers, les chambres des domestiques, la menuiserie, le chapitre semblant servir de débarras
(lits entreposés…), une cave, un petit salon, l’ancien réfectoire servant à stocker du bois à
brûler, l’écurie, les étables, la grange, le moulin et les jardins.
« (…) De là accompagné comme dessus sommes entrés
dans un appartement qu’on nous a dit être le chapitre,
dans lequel nous n’avons rien trouvé qu’un moulin propre
à vaner le bled, deux bois de lits, où il y a seulement deux
mauvais matellats (…).
1469
AD Corrèze, Q 149- Q 54.
- 462 -
De là nous ont conduit dans un autre appartement appelé
l’ancien réfectoire, que nous avons trouvé plein de bois à
bruller (…). »
En 1796, une estimation des bâtiments est réalisée par Jean Monlouis, « expert
géomètre du lieu de la Chabanne, commune de Saint-Fréjoux ». Il évoque le piteux état des
bâtiments1470.
« Un bâtiment servant cy devant de couvent auxdits
Bernardins lesquels bâtiments forment trois corps de
logis, dont les deux latéraux sont en très movais état, tant
par raports à la charpente, murs menassant une ruine
prochène, que par rapport aux portes et fenêtres, dont ils
sont presques dépourvus.
Plus la cy-devant église assés bien bâtie, mais démunie de
touts les ornements et boiseries, planchers et autres, qui
pouvoient être dans icelle, la couverture de laquelle ayant
besoin de réparation.
Plus l’écurie des chevaux située devant ledict couvent,
dont les pignons menassent ruine et la charpente ayant
croulé en partie (…) »
Ainsi, les charpentes des bâtiments conventuels et de l’église ont l’air particulièrement
en mauvais état en cette fin de XVIIIème siècle.
Historiographie :
En 1896, Jean-Baptiste CHAMPEVAL est l’un des premiers érudits à écrire une
courte notice sur l’abbaye de Bonnaigue. Il précise les principales dates de son histoire sans
toutefois s’attarder sur son architecture et la disposition des bâtiments conservés1471.
1470
AD Corrèze, Q 127.
J-B. CHAMPEVAL, Le Bas-Limousin seigneurial et religieux ou géographie historique abrégée de la
Corrèze, Limoges, 1896-97, p. 266.
1471
- 463 -
En 1968, Jean-Loup LEMAITRE consacre un article à l’abbaye. Il déplore le manque
d’études historiques importantes sur le site. En effet, l’époque médiévale est particulièrement
méconnue faute de documents. L’auteur se livre à un inventaire des sources imprimées,
essentiel pour toute monographie concernant Bonnaigue1472.
En 1993, le même auteur livre la monographie la plus complète à ce jour sur l’abbaye
corrézienne1473. Il fait un inventaire des sources disponibles et retranscrit notamment le
précieux inventaire des biens de 1790. Il compose un historique précis en s’attardant sur les
questionnements liés à la date de fondation, aux premiers temps des moines cisterciens et
propose une liste abbatiale. La description des bâtiments reste néanmoins succincte (une
dizaine de pages) mais témoigne d’un effort certain d’identification des éléments lapidaires
vagabonds (domaine de Beauregard d’Ussel, musée du Pays d’Ussel) et d’étude de
l’hydraulique monastique. Cette analyse architecturale semble néanmoins à reprendre et à
compléter.
L’une des études les plus récentes concernant l’abbaye cistercienne de Bonnaigue est
la courte notice de l’ouvrage dirigé par Bernadette BARRIÈRE, publié en 19981474. L’auteur
fait un état des lieux des connaissances historiques et archéologiques concernant l’abbaye.
Cette double page est certes nécessaire mais insuffisante pour cerner la constitution du
patrimoine du monastère, son implantation dans le paysage, son insertion dans les réseaux
aristocratiques et ecclésiastiques. Les vestiges sont rapidement décrits mais méritent
néanmoins une étude plus approfondie. Bernadette BARRIÈRE soulève la nécessité d’une
« lecture archéologique minutieuse » du site, de même que des aménagements du milieu
naturel.
Historique :
L’abbaye de Bonnaigue est une fondation d’Étienne d’Obazine. Elle est placée sur la
route d’Ussel à Eygurande, dans la forêt de Charroux. L’abbé POULBRIÈRE la décrit « dans
une vallée bordée de bois épais et fécondée par un ruisseau humide »1475. Elle existe d’abord
sous forme de celle, « d’ermitage-prieuré » érigé en monastère en même temps qu’Obazine en
1142.
1472
J-L. LEMAITRE, « L’abbaye de Bonnaigue », BSLSAC, T 72, 1968, p. 155-158.
J. L. LEMAITRE, Bonnaigue, une abbaye cistercienne au pays d’Ussel, De Boccard, Paris, 1993.
1474
B. BARRIÈRE (dir.), Moines en Limousin…, op. cit., p. 153-156.
1475
Abbé J-B. POULBRIÈRE, Dictionnaire historique et archéologique des paroisses du diocèse de Tulle,
Brive, 1964, 2ème édition, T III, p. 130-136.
1473
- 464 -
Cette date de fondation pose toutefois problème. En effet, c’est la date de 1143 qui est
donnée par les érudits du XVIIème siècle, reprise ensuite par les Mauristes. La Gallia
Christiana corrobore cette datation1476. Néanmoins, la charte de fondation présentée dans le
même ouvrage est de 11571477. Nous pouvons toutefois constater qu’en 1148-1149, Aymeric
de Gourdon, Boson et Ebles de Brassac, Hugues de Belcastel et Géraud de La Vaysse donnent
à Étienne d’Obazine les manses de Malecoste et du Pendiz. Jean, abbé de Bonnaigue est
témoin de l’acte. Le monastère existait ainsi déjà. De plus, la donation initiale précisée dans la
charte de fondation comprend le don de la grange de Chasseix à Saint-Fréjoux « au
monastère », ainsi déjà implanté en 11571478.
Le prieuré devient abbaye autonome en 1142 ou 1143, lorsque le nombre de moines y
est suffisant. Le prieur prend alors le titre d’abbé. Elle garde toutefois des liens de filiation
étroits avec l’abbaye-mère qui l’a fondée1479. Elle devient cistercienne en même temps
qu’Obazine en 1147. Jean, son premier abbé, est un moine venu d’Obazine (1148). Étienne
d’Obazine y meurt en 1159.
Elle est principalement dotée par une famille seigneuriale d’Ussel. Guillaume et Pierre
d’Ussel sont à l’origine de la donation initiale. Elie et Eble poursuivront les donations,
justifiant ainsi le statut de « maison fondatrice ». Les Ussel sont largement possessionnés
autour de Saint-Merd-la-Breuille et de Flayat. Les prieurés voisins de Port-Dieu (casadéen) et
de Bort (clunisien) font aussi partie des bienfaiteurs. Il existe néanmoins parfois des conflits
de bornages et de possessions. En effet, l’abbé de Meymac doit arbitrer un différend entre
l’abbé de Bonnaigue et le prieur de Port-Dieu (cartulaire, fol. 40). La volonté d’expansion des
cisterciens vers la haute vallée de la Dordogne se heurte à la concurrence des casadéens1480.
Les vicomtes d’Aubusson sont également présents dans les actes de donation. Ainsi en 1208,
Renaud VI, vicomte d’Aubusson, donne le droit de pacage sur ses terres aux moines de
Bonnaigue. Sept ans plus tard, il précise que ce droit vaut pour les terres situées entre la
rivière de Roseilles, Felletin et Bonnaigue, auquel il ajoute les droits sur la forêt de Chirouse,
Flayat, le Theil, la Nouaille, Daloubeix, la Déjalade, Breuilh, Bosc, Fourfoureix et la dîme de
Diosidoux.
Quelques possessions sont mieux connues grâce à la copie de certains actes du
cartulaire par Edme Bonnotte. Il apparaît ainsi que les biens monastiques s’étendent en
quadrilatère de Saint-Merd-La-Breuille à Flayat, du Trucq à Saint-Fréjoux, englobant les
1476
Gallia Christiana, T IV, Paris, 1656, p. 178.
Gallia Christiana, T II, col. 203 AB.
1478
J-L. LEMAITRE, op. cit., p. 129.
1479
S. M. DURAND, Étienne d’Obazine, 1085-1159, Lyon, 1966, p. 65.
1480
J-L. LEMAITRE, op. cit., p. 136.
1477
- 465 -
forêts de Châteauvert et Mirambel. Nous savons ainsi qu’en 1157-1159, Aimon de Cros et
Robert d’Ussel donnent à Bonnaigue la terre de Chaumadou, de Fontaube à Lissaut. En 1159,
les moines acquièrent trois manses formant la terre de Bacelor, cédés par Guillaume et Pierre
d’Ussel.
Concernant les granges de l’abbaye, elles sont difficiles à identifier et localiser. Nous
savons que les moines en possédaient un certain nombre dès la fin du XIIème siècle sur la
paroisse de Saint-Merd-La-Breuille. En 1159, Étienne de Pérol donne tous ses droits sur la
grange de Chasseix. En 1185, Hugues d’Ussel donne une rente sur la grange de Diosidoux
(com. Flayat) [Fig. 95].
Une grange est bien identifiée aux abords du lac de Sarliève dans l’ancien diocèse de
Clermont, sur la paroisse de Romagnat. Elle occupe une combe qui ouvre sur le lac au sud de
Pérignat. En effet, l’installation des cisterciens de Bonnaigue sur les bords du lac de Sarliève,
attestée vers 1198, est accompagnée, ou suivie, de la « fondation d’une grange sur la rive
occidentale de la cuvette, au nord de Gergovie, à Bonneval ». Elle est mentionnée en 1251. Le
lieu-dit Bonneval est toujours présent dans la toponymie actuelle [Fig. 422]1481. Elle se
constitue de la grange proprement dite, de terres et de prés s’étendant jusqu’aux terroirs
marécageux et aux eaux du lac, et de roselières cédées par le seigneur d’Aubière moyennant
redevances1482. Selon Gabriel FOURNIER, cette exploitation agricole « représentait un
ensemble foncier aux confins des paroisses de Romagnat, d’Aubière et de Merdogne/La
Roche-Donnezat, des seigneuries de Romagnat/Montrognon, de la Roche/Merdogne et de
Pérignat. »1483 C’est dès la fin du XIIème siècle que les moines de Bonnaigue, ainsi que les
Prémontrés de Saint-André de Clermont prennent pied dans l’angle sud-ouest du lac de
Sarliève. En effet, en 1198, le seigneur de Romagnat donne à ces deux abbayes en indivis le
terroir de Hauteribe1484. Aux XIVème et XVème siècles, des conflits éclatent entre ces deux
communautés monastiques et un nouvel ayant-droit, le duc d’Auvergne, successeur des
Capétiens dans l’ancienne Terre royale d’Auvergne. Ils ont pour objet « l’eau claire » dite de
Hauteribe (1401), les limites territoriales des eaux et les méthodes de pêche (1462) 1485. Cette
présence des moines cisterciens peut s’expliquer par la richesse de ces paysages. En effet,
pour Gabriel FOURNIER, « les paysages de la cuvette de Sarliève se partageaient entre des
étendues d’eau libre, des terres humides non drainées, occupées par des plantes de marécages,
1481
IGN Série Bleue, 1/25000ème, 2531 E, Clermont-Ferrand.
G. FOURNIER, « Sarliève. Un lac au Moyen-Âge », Association du site de Gergovie, T 11, 1996, p. 2-34 ;
AD Puy-de-Dôme, 16 H 99 c. 1a (1250-1251).
1483
G. FOURNIER, op cit.
1484
AD Puy-de-Dôme, 16H99 c. 1a (1198-1401).
1485
AD Puy-de-Dôme, 16 H 156, c. 12 (1462).
1482
- 466 -
des terroirs hors eau laissés à une végétation herbacée dans lesquels des activités agricoles
étaient possibles sous certaines formes. »1486 Ainsi les moines se servent des roselières et des
joncs, exercent des droits de pêche, développent des activités agricoles comme le pacage du
bétail ou l’aménagement de parcelles de jardins. Ils ont affermé la jouissance de leurs droits
sur le lac de Sarliève pour mieux s’assurer la perception de rentes annuelles1487.
En 1170, Aiceline, femme d’Hélie d’Ussel, se donne à l’abbaye de Bonnaigue et cède
le droit de mettre des ruches et de faire paître dans les bois de Chirouze. En effet, la cire était
une production indispensable pour les moines cisterciens afin de produire les cierges et
bougies nécessaires, d’où la nécessité de l’obtention de ces droits d’établir des ruches. Les
moines étaient également en possession de droits sur des moulins : en 1170, Hélie d’Ussel
donne à Bonnaigue une rente de cinq setiers de blé à percevoir sur les moulins Bonnet et
Chamboulive. En 1185, Hugues d’Ussel donne la part de la dîme qu’il détient sur la paroisse
de Saint-Merd. Il semblerait que la réforme grégorienne n’ait pas entièrement fait son œuvre
en cette fin du XIIème siècle au sud du diocèse de Limoges puisque certaines dîmes sont
encore détenues par des laïcs. De même, en 1188, G. de Murat donne tout ce qu’il détient en
dîmes sur la paroisse de Saint-Merd ainsi que tout ce qu’il revendiquait à Chaumadour, Puy
Chabrol et Aubepierre. En 1190, Ebles et Pierre d’Ussel donnent la moitié du Fontchaude
ainsi que le droit de pacage sur toutes leurs terres. En 1195, le même Ebles donne pour le
salut de son âme le manse de Bay et ses dépendances 1488. Néanmoins, beaucoup de
possessions n’ont pas subsisté dans la toponymie actuelle, d’où la difficulté de cartographier
le terroir monastique. Ainsi, la terre de Chaumadour, Bacelor, le mas de la Borde et
d’Aubepierre n’ont laissé aucune trace.
Les religieux percevaient la dîme sur les villages de Saint-Fréjoux, de la Chabanne, de
Bigne, du Mas-Girard, de la Grange (paroisse de Saint-Bonnet), de Dailhat, de la MaisonRouge (paroisse de Veyrières), de Béchabru (paroisse de Saint-Exupéry). Les domaines dont
les moines de Bonnaigue disposent dans la Montagne sont principalement orientés vers
l’élevage du mouton pour la laine, comme dans les paroisses de Saint-Merd-La-Breuille et de
Flayat1489.
1486
G. FOURNIER, op. cit.
E. GRÉLOIS, “Les logiques concurrentes des populations riveraines des zones humides : rivières, lacs et
marais de Basse Auvergne d’après les sources écrites (XIIIème-XVIème siècles)” dans J. BURNOUF, P.
LEVEAU, Fleuves et marais, une histoire au croisement de la nature et de la culture. Sociétés préindustrielles
et milieux fluviaux, lacustres et palustres : pratiques sociales et hydrosystèmes, Paris, CTHS, 2004, p. 291-298.
1488
Edme Bonnotte, op. cit.
1489
B. BARRIÈRE, « Moines et religieux à la conquête de la Montagne Limousine du XIème au XIIIème
siècle », dans l’ouvrage collectif, Les ordres religieux au Moyen-Âge en Limousin, Les Monédières, Brive, 2003,
p. 111-134.
1487
- 467 -
L’abbaye de Bonnaigue est établie sur un important site minier (fer et plomb
argentifère) dont l’exploitation est attestée par la prospection archéologique, à défaut de
sources écrites. Des traces anciennes d’exploitation et de traitement du minerai ont en effet été
retrouvées tels des forges, fours ou scories. Des fouilles archéologiques seraient toutefois
nécessaires en complément. Obazine entretient pour cela d’étroites relations avec elle et
trouve ainsi son intérêt à la fondation de cette abbaye-fille1490.
Les études toponymiques permettent de repérer certaines anciennes industries
monastiques : « la grange » est située à proximité immédiate de Bonnaigue, à l’ouest de celleci1491. La carte de Cassini signale également le proche moulin de Foist Bast [Fig. 41 et 61].
En 1237, les biens, possessions et privilèges des moines de Bonnaigue sont confirmés
par une bulle du pape Grégoire IX, connue grâce à une copie de Dom Estiennot en 1676.
Au milieu du XVIème siècle, une réfection du cloître est entreprise sous l’abbatiat de
Pierre Andrieu. Il met en place le lavabo armorié. Elle connaît une importante réfection sous
l’abbatiat de Marc-Philippe de Montroux de Peyrissac de 1657 à 1714 suite à un incendie en
1656. Celui-ci restaure les murs de l’abbatiale jusqu’au cordon des voûtes. Les bâtiments
conventuels sont reconstruits. De 1758 à 1765 s’achèvent les travaux de reconstruction de
l’église de Bonnaigue. Les voûtes sont refaites en partie. Elle ne conserve qu’un vieux
portique qui la décore1492. POULBRIÈRE cite un document du XVIIIème siècle décrivant
l’abbaye comme « une des plus riantes et des mieux décorées de cette province »1493. Le
monastère est pillé à la Révolution. En 1791, l’abbaye est mise à ferme, puis le domaine est
vendu comme bien national. Elle devient une exploitation agricole. En 1843, l’abbaye est
transformée en carderie de laine pour le sieur Bourlin, jacobin d’Ussel. En 1849, Langlois la
rachète après la faillite de Bourlin. En 1860, elle passe au notaire usselois Pierre MoncourrierBeauregard qui récupère les colonnes servant de support au pigeonnier du domaine familial de
Beauregard à Ussel. Elle est ensuite vendue à Sylvio Brunie.
Vestiges archéologiques :
1490
B. BARRIÈRE, « Les patrimoines cisterciens en France. Du faire-valoir direct au fermage et à la soustraitance », dans L. PRESSOUYRE (dir.), L’Espace cistercien, colloque de Fontfroide, 1993, Paris, CTHS,
1994, p. 45-69 ; B. BARRIÈRE, « L’économie cistercienne du sud-ouest de la France », Centre culturel de
l’abbaye de Flaran, Économie cistercienne. Géographie, mutations du Moyen-Âge aux temps modernes, 1981,
Auch, 1983, p. 75-99 ; prospections R. LOMBARD.
1491
IGN Série Bleue, 1/25000ème, Eygurande, 2332 E.
1492
M. LAVEYX, « L’abbaye de Bonnaigue », BSSHAC, T 16, 1894, p. 535-557.
1493
Abbé POULBRIÈRE, op. cit, p. 130-136.
- 468 -
Le monastère de Bonnaigue a connu de nombreux remaniements qui rendent
aujourd’hui la compréhension du site difficile.
La physionomie de l’abbaye aux XIIème et XIIIème siècles ne peut guère être
qu’ébauchée d’après la Vie d’Étienne D’Obazine, les quelques actes du cartulaire conservés et
le journal de Simon de Beaulieu, archevêque de Bourges, visitant l’abbaye en 1285. Sont alors
cités mais sans description précise l’église, une chapelle du portail où Simon de Beaulieu
célèbre la messe, la sacristie, le chapitre, le cloître, l’infirmerie, le cimetière, des dépendances
et des viviers [Fig. 389, 390 et 391]1494.
Suite à un incendie en 1656, l’abbatiale placée au nord du cloître est remontée aux
XVIIème et XVIIIème siècles. De cette époque datent les baies à clé saillante, les voûtes
d’arêtes de la nef et le pignon du chevet plat. Sont réutilisés les fondations, les contreforts
ainsi que les supports intérieurs de la nef relevant vraisemblablement de la fin du XIIème
siècle voire du début du XIIIème siècle1495. L’ancien réfectoire est également conservé au sud
du cloître, transformé aujourd’hui en bâtiment d’habitation. Le bâtiment oriental devait être
encore conservé au XIXème siècle puisqu’il apparaît toujours sur le plan cadastral de 1811
[Fig. 389]. Du cloître ne demeure qu’une des deux vasques en granite, aménagée sur quatre
piliers du cloître.
-
Abbatiale :
Élévations externes :
L’église est devenue un bâtiment de ferme [Fig. 392]. Un plancher la sépare en deux
étages. Le niveau inférieur sert d’étable tandis que le niveau supérieur permet le stockage du
foin et du matériel agricole. Cette réutilisation a permis la conservation de l’église
contrairement à de nombreux sites cisterciens ayant servi de carrières de pierres mais ne
permet guère l’étude exhaustive des élévations.
L’église médiévale se constitue d’une nef unique de trois travées, de 36m de long pour
14m de large et d’un chevet plat. Ce plan extrêmement simple évoque plus un modeste
monastère de moniales comme celui de Coyroux qu’une abbaye d’hommes, et les dimensions
sont bien moindres par rapport aux abbatiales d’Obazine ou de Dalon. La communauté de
moines ne devait pas être très importante dès l’époque médiévale. La vie de saint Étienne
d’Obazine ne nous livre aucune donnée approximative sur le nombre de cisterciens. Selon
Jean-Loup LEMAITRE, il n’existait pas de transept1496. Cette hypothèse mériterait d’être
1494
J-L. LEMAITRE, op. cit., p. 143.
C. ANDRAULT-SCHMITT dans B. BARRIÈRE (dir.), Moines en Limousin…, op. cit., p. 53.
1496
J-L. LEMAITRE, op. cit., p. 200.
1495
- 469 -
vérifiée par des investigations archéologiques, les parements actuels, très remaniés, ne
révélant en effet aucune trace d’un éventuel transept. Ce dernier souligne la comparaison de
ce plan simple à celui de Coyroux, ou aux celles grandmontaines. L’abbatiale de Coyroux est
en effet de plan rectangulaire de 33m par 8m (dimensions internes), 35m par 10m hors œuvre.
Bonnaigue est ainsi sensiblement plus large. Quant aux celles de Grandmont, elles comportent
néanmoins le plus souvent une abside en hémicycle et non un chevet plat [Fig. 1030].
La façade occidentale en pignon est presque entièrement enduite, ce qui ne facilite
guère une étude de bâti précise et empêche de préciser les chronologies des différentes étapes
d’édification. Les harpages sont toutefois encore visibles. Il s’agit de beaux blocs de granite
gris de moyen appareil régulier1497. Ils devaient être assemblés par un mortier à joints peu
épais aujourd’hui presque disparu. Quelques pierres de calage ont été nécessaires par endroit.
Les parties non enduites tendent à montrer que seuls les harpages, encadrements de baies et de
porte sont de moyen appareil régulier [Fig. 393]. La mise en œuvre montre en effet une
alternance avec un appareil irrégulier mêlant moellons, pierres de tout venant et quelques
éléments en moyen appareil, noyés dans un épais mortier de chaux grasse. Toutefois, les
harpages en moyen appareil régulier tendent à se prolonger horizontalement, montrant un
essai d’organisation des assises. Ce type de mise en œuvre évoque les parements de Prébenoît
ou des Pierres pour la fin du XIIème siècle et le début du XIIIème siècle. Un cordon à mihauteur marque un très léger renfoncement de la façade dans sa partie supérieure.
L’entrée se fait par un portail mouluré d’un simple tore de 8cm de diamètre [Fig. 393].
Selon Jean-Loup LEMAITRE, cette façade occidentale serait en grande partie médiévale,
excepté les nouveaux percements effectués en partie au XIXème siècle. Cette hypothèse est
toutefois difficile à vérifier étant donné les enduits masquant les parements. À gauche de ce
portail, une fenêtre en anse de panier est effectivement plus récente et date vraisemblablement
des réfections du XVIIIème ou du XIXème siècles. Elle devait correspondre à une porte à
l’origine dont la partie basse a été rebouchée de moellons irréguliers. La partie supérieure de
la façade occidentale est percée d’une petite baie en plein-cintre et quatre ouvertures de
pigeonnier, quadrangulaires et récentes. Nous pouvons également observer les vestiges d’une
large baie en plein-cintre bouchée, sous la plus petite baie en plein-cintre. Nous ne pouvons
dire si la façade médiévale comprenait deux ouvertures ainsi superposées ou si la plus grande
baie a été rebouchée au moment du percement de la plus petite. Un blason moderne est
sculpté entre les deux ouvertures, témoignant des réfections multiples d’une façade désormais
1497
Module : L=54cm; h=36cm; l=20cm.
- 470 -
complexe à cerner. Il s’agit d’un blason orné d’une clé en pal, timbrée d’une couronne, sans
doute un ajout du XIXème siècle.
Le mur gouttereau nord est également très remanié et presque entièrement recouvert
d’un enduit [Fig. 394]. Les parties inférieures sont de moyen appareil régulier tandis que le
tiers supérieur présente un appareil très irrégulier, sans doute suite aux remaniements des
XVIIème et XVIIIème siècles, reconstructions s’appuyant sur les fondations médiévales. Le
soubassement est souligné d’un cordon qui se prolonge sur le contrefort conservé à l’ouest.
Celui-ci est entièrement constitué d’un moyen appareil régulier de granite. Il dispose d’un
glacis sommital. Son soubassement est plus large, souligné d’un cordon mouluré d’un simple
cavet. Au niveau du sol, il fait une saillie d’1.53m. Il nous paraît probable que les
soubassements du mur gouttereau ainsi que ce contrefort soient les seules parties médiévales
conservées, relevant probablement de la seconde moitié du XIIème siècle, voire du début du
XIIIème siècle.
La première baie la plus à l’ouest est en plein-cintre [Fig. 395]. Elle présente une clé
saillante. Elle mesure 80cm de large environ. Elle est surmontée de la date 1758 qui témoigne
des réfections tardives des percements de l’édifice sous l’abbatiat de François Dulac. Cette
baie a pu être en meurtrière à l’origine mais toute sa partie inférieure est rebouchée de pierres
de tout venant. Toutefois, la pierre d’appui-fenêtre originelle est conservée et témoigne de sa
forme primitive. La clé du linteau ainsi que les sommiers les plus hauts paraissent plus
récents.
Un seconde baie centrale est modifiée par l’ouverture récente d’une porte à deux
battants permettant l’accès au premier étage de la grange [Fig. 396 et 397]. Elle est également
en plein-cintre et présente des harpages en moyen appareil régulier de granite. Une troisième
baie, la plus à l’est est conservée, également bouchée dans sa partie inférieure. Elles
présentent toutes les trois un fort ébrasement intérieur et témoignent de la relative épaisseur
des murs (environ 1.50m).
Entre ces baies nous pouvons observer les traces de l’arrachement probable de deux
contreforts dont nous voyons encore les harpages de granite. Ils devaient mesurer 1.40m de
large, ce qui correspond aux dimensions observées pour les contreforts du mur gouttereaux
sud mieux préservés.
À l’extrémité est du mur gouttereau, une partie en saillie (sur 1.50m environ) est
observable et correspond à un élargissement du chœur au nord et au sud [Fig. 398]. Le
parement occidental de cette saillie est en moyen appareil régulier de granite tandis que la
partie sud est en appareil irrégulier mêlant des moellons et des blocs de moyen appareil. Le
- 471 -
cordon observé précédemment le long du mur gouttereau se poursuit également ici. Cette
avancée est couverte d’une toiture très en pente. La partie ouest présente en son sommet un
corbeau ainsi qu’un modillon sculpté d’une petite tête humaine aux joues rebondies qui
pourraient correspondre à l’ancienne corniche médiévale [Fig. 399].
Le mur gouttereau sud est lui aussi très remanié et presque entièrement enduit,
notamment le tiers supérieur presque illisible, mais les contreforts sont ici préservés et
permettent une meilleure lecture des trois travées [Fig. 400 et 401]. L’appareil irrégulier est
de mise excepté pour les harpages des baies et les contreforts. Le tiers inférieur, dont l’enduit
est presque entièrement tombé, permet d’observer l’usage de blocs de petit et moyen appareil
noyés dans un épais mortier de chaux grasse. Les baies présentent le même profil que celles
du bas-côté nord mais sont néanmoins plus larges (environ 1.50m au lieu de 0.80m) [Fig.
402]. Elles sont en plein-cintre et disposent d’un large ébrasement interne. La baie centrale est
surmontée d’un blason avec la date de 1758 qui témoigne une fois encore des profondes
réfections du XVIIIème siècle par François Dulac. Les contreforts présentent un moyen
appareil régulier de granite de qualité1498. Ils se constituent d’un glacis sommital, d’un cordon
de mi-hauteur qui se prolongeait sans doute jusqu’aux baies mais a été en partie arraché. Ces
contreforts sont plus larges en partie basse et atteignent 1.53m au sol. La saillie est de 0.48m.
Ces dimensions ne sont ainsi pas très éloignées du contrefort plat du chevet de l’abbatiale du
Palais (début du XIIIème siècle) d’1,77m de large et d’une saillie de 0.43m.
L’extérieur du chevet plat témoigne également de remaniements successifs brouillant
la lecture actuelle [Fig. 404]. Il est bâti en moyen appareil régulier de qualité excepté
l’extrémité nord qui présente un appareil irrégulier. Le chevet est percé de deux baies en
plein-cintre similaires à celles des gouttereaux et donc probablement modernes, surmontées
d’un oculus. Cette partie médiane entièrement en moyen appareil est clairement un rajout,
comme en témoignent les ruptures bien nettes avec les extrémités sud et nord du chevet. Les
joints cimentés sont récents.
Il est difficile de cerner ce qui appartient ici encore aux XIIème et XIIIème siècles et
le remaniement de la façade orientale nous paraît presque total. Seuls les harpages en moyen
appareil régulier au sud et à l’extrémité nord sont peut-être médiévaux. Le tiers inférieur en
moyen appareil régulier de granite paraît également plus ancien. Il est malheureusement percé
par deux ouvertures récentes (sans doute XIXème siècle) aux arcs en plate-bande permettant
l’accès aux étables et compliquant encore un peu l’analyse. La rupture entre ce moyen
1498
Module : L=45cm; h=32cm; l=21cm.
- 472 -
appareil régulier vraisemblablement médiéval est toutefois très sensible avec l’appareil
régulier moderne repéré au niveau des percements. Le clivage entre les deux est tangible au
niveau de l’assise directement sous les pierres d’appui-fenêtre des larges baies en plein-cintre.
Les assises modernes sont beaucoup moins hautes que les assises médiévales.
Le pignon sommital, délimité par un cordon simplement mouluré, est percé de deux
baies en plein-cintre. Il est totalement enduit, ce qui empêche toute interprétation sur sa
datation. Nous pensons toutefois qu’il relève de la période de réfection de l’abbatiale, ce que
semble également attester Claude ANDRAULT-SCHMITT1499.
Élévations internes :
L’intérieur de l’abbatiale est délicat à étudier. Le niveau inférieur transformé en étable
est impossible à prendre en compte face aux remaniements antérieurs et à son utilisation
actuelle qui empêche l’accès aux parements médiévaux. Sa transformation en étable a conduit
l’adjonction d’un plancher au quart de sa hauteur, reposant sur des poutres maîtresses
probablement récupérées dans les démolitions des ailes est et ouest du cloître. Ces
modifications ont impliqué des percements d’ouvertures nouvelles, complexifiant l’étude des
parements (mur nord, sous la fenêtre médiane ; mur nord, sous la fenêtre de la troisième
travée ; mur sud à l’angle de la nef et de la sacristie).
Le niveau supérieur est toutefois envisageable. Les trois travées de la nef présentent
donc de larges baies ébrasées en plein-cintre, appareillées en moyen appareil régulier, avec
une clé en saillie. La baie médiane du mur nord est bouchée au XIXème siècle [Fig. 406].
Ces travées sont voûtées d’arêtes bâties en tas-de-charge relevant vraisemblablement
de la phase de réfection du XVIIIème siècle. Elles sont soulignées d’arcs doubleaux aux
angles abattus. Les doubleaux et arêtes reposent sur des piliers constitués de trois colonnes
engagées juxtaposées [Fig. 407 et 408]. Ces piliers sont apparemment ceux de l’abbatiale
médiévale de la fin du XIIème voire du début du XIIIème siècle, probablement remontés lors
des réfections du XVIIIème siècle. L’arc doubleau est reçu par un chapiteau au tailloir et à la
simple corbeille pentagonale dont les arêtes correspondent aux lignes des chanfreins du
doubleau [Fig. 409]. L’astragale est large et plate et surmonte une frise de feuillages. Des
vestiges de peinture ocre-rouge sont encore visibles par endroit. L’amorce de la quatrième
travée de choeur est visible mais rebouchée à l’époque moderne afin de séparer nettement la
nef et le chevet.
1499
C. ANDRAULT-SCHMITT, op. cit, p. 53.
- 473 -
La travée correspondant au chevet est un peu plus large que celles de la nef, comme
observé lors de l’étude des parties externes, et est scindée en deux par un mur parallèle aux
murs gouttereaux [Fig. 410]. Il est donc percé de deux baies dont on distingue mieux le large
ébrasement en moyen appareil régulier. Le chœur a subi des modifications dans la seconde
moitié du XVIIème siècle, comme en témoigne la présence d’un claveau armorié, aux armes
difficilement lisibles, probablement modernes. Le chevet est voûté d’ogives à listel soulignées
de deux cavets surmontées d’une clef de voûte ornée de feuillages, probablement en lien avec
les réfections modernes [Fig. 412 et 413]. La voûte est édifiée en tas-de-charge. Ce profil
d’ogive est généralement daté des XIVème-XVème siècles et ne correspond ainsi pas aux
réalités du XIIIème siècle. Cette voûte d’ogives est reçue par des culots complexes aux motifs
feuillagés, loin de l’austérité prônée par saint Bernard. Ils se composent d’une corbeille ornée
de feuilles plates et de crosses d’angle, d’un demi-tambour sous lequel se superposent deux
volumes renflés. Selon Claude ANDRAULT-SCHMITT, ces éléments pourraient être
médiévaux et se rencontrent parfois dans un cadre cistercien à l’époque médiévale (nef de
Pontigny en 1160)1500. Ainsi, si les voûtes d’ogives ne semblent pas correspondre à des
réalités des XIIème et XIIIème siècles, les culots les recevant sont peut-être des témoins de
l’ancien voûtement médiéval (voûtes d’ogives ?) [Fig. 411].
Au sud, l’arcade de l’ouverture vers le bras du transept est encore visible et se
constitue de larges claveaux reposant sur une corniche moulurée d’une scotie profonde et d’un
tore.
Selon Jean-Baptiste CHAMPEVAL, l’église médiévale aurait été rebâtie vers 1700,
élevée jusqu’à la naissance des voûtes et laissée telle en 1732, sans doute faute de
financements suffisants1501. Toutefois, nous ne pouvons attester cette hypothèse alors que
certains cartouches donnent les dates de 1738 et 1758.
L’abbatiale est couverte d’un toit à deux versants sur charpente, beaucoup plus élevé
sur les deux premières travées que sur la troisième et le chœur. Ceci pourrait s’expliquer « par
un manque de ressources lors de l’achèvement de la reconstruction au milieu du XVIIIème
siècle ou par une reprise avec réduction au XIXème siècle »1502. Au XVIIIème siècle, l’église
était couverte de bardeaux de bois. Elle est désormais recouverte d’ardoises.
-
Sacristie :
1500
C. ANDRAULT-SCHMITT dans B. BARRIÈRE (dir.), op. cit, p. 53.
J-B. CHAMPEVAL, op. cit, p. 266.
1502
J-L. LEMAITRE, op. cit., p. 202.
1501
- 474 -
La sacristie est elle aussi fortement remaniée [Fig. 403 et 405]. Elle est le seul vestige
du bâtiment oriental qui devait correspondre au dortoir des moines à l’étage. Elle conserve un
dallage grossier en granite. L’entrée à l’ouest se fait par une porte moderne en pierre de taille,
refaite au XVIIIème siècle, surmontée d’une baie portant un cartouche accompagné d’une
palmette daté de 1765. Cette baie en plein-cintre est largement ébrasée. Elle est sans doute
moderne puisqu’elle coupe les assises de moyen appareil régulier dans lesquelles elle s’est
insérée. Elle est surmontée d’un linteau monolithe en anse de panier correspondant à une
ouverture plus ancienne. L’angle à la jonction avec le mur gouttereau sud présente un appareil
irrégulier associant moellons et blocs de moyen appareil, auquel succède un moyen appareil
régulier de qualité, vraisemblablement lié aux réfections du XVIIIème siècle.
Le mur sud est édifié en appareil irrégulier de tout venant sauf pour les harpages et les
piédroits de baies en moyen appareil régulier. Il dispose d’une porte ainsi que de trois
percements dans la partie supérieure. Les deux fenêtres latérales sont modernes et datent
probablement du XIXème siècle. En effet, en 1811, le bâtiment est est encore en élévation et
ces baies n’avaient donc pas de raison d’être. L’ouverture médiane en plein-cintre pourrait
être plus ancienne et correspondre à une porte conduisant au premier étage du bâtiment
conventuel. La sacristie était peut-être accolée à la salle capitulaire. Un petit muret vient
fermer le carré du cloître à l’est. Il pourrait réutiliser certaines assises du bâtiment conventuel.
L’intérieur de la sacristie témoigne aussi de remaniements successifs. Le mur nord
présente deux arcs en plein-cintre qui ouvraient sur l’église, reposant sur un pilier au tailloir
simplement mouluré [Fig. 414]. Cette arcade est rebouchée aujourd’hui et enduite avec un
décor de faux appareil à joints ocre. À l’angle nord-est, une pile quadrangulaire est conservée
avec une colonne engagée surmontée d’un chapiteau lisse [Fig. 415]. Il devait recevoir la
voûte primitive du chœur (fin XIIème, premier tiers du XIIIème siècle). Le mur oriental
présente à son extrémité sud une ouverture en plein-cintre rebouchée qui pouvait correspondre
à une baie dont la datation reste malaisée.
L’abbatiale reste donc très difficile à appréhender face à ces remaniements successifs.
Il serait nécessaire pour une étude plus complète d’enlever les enduits qui empêchent une
bonne compréhension des constructions et reconstructions.
-
Bâtiments conventuels :
Les quelques sources manuscrites conservées permettent de préciser la datation de
certains bâtiments conventuels. Ainsi, en 1185, Hugues d’Ussel et son épouse Constance
autorisent les moines de Bonnaigue à construire des granges en sus de celles qu’ils ont sur la
- 475 -
paroisse de Saint-Merd. La donation a lieu dans le chapitre de Bonnaigne, « in capitulo Bone
Aqua ». Ainsi, dans le dernier quart du XIIème siècle, les bâtiments conventuels les plus
usités devaient être achevés. La salle capitulaire est de nouveau citée en 1216 et 1225. En
1218, Guillaume d’Ussel donne deux mas avec leurs dépendances et Montbouzon aux moines
de Bonnaigue. L’acte est passé à l’infirmerie. Ce sont néanmoins les seuls indices sur les
bâtiments conventuels donnés par les actes du cartulaire1503.
Le dernier corps de logis subsistant est édifié dans la seconde moitié du XVIIème
siècle à l’emplacement du réfectoire primitif [Fig. 416 et 417]. Il a servi de résidence aux
abbés commendataires. Il est très sobre excepté la porte d’entrée délicatement moulurée,
encadrée de pierres de taille. Il s’agit d’un bâtiment rectangulaire, épaulé à l’est et à l’ouest
par deux tours de plan rectangulaire. La tour occidentale apparaît en retrait sur la façade. La
tour orientale est quant à elle englobée dans une aile quadrangulaire prolongeant le corps de
logis dans l’alignement de la façade. Le couvrement est une toiture à deux versants avec
croupes. Les salles médianes du rez-de-chaussée sont voûtées d’arêtes retombant sur un pilier
central carré. L’extrémité occidentale est occupée par une cuisine sur caves. À l’étage, le
dortoir est composé de sept appartements dont l’un servait de bibliothèque1504.
Le cadastre napoléonien présente le « château de Bonnaigue » sur la parcelle 92 [Fig.
389]. Le bâtiment est est alors encore présent. Le bâtiment sud est prolongé par une structure
en retour d’équerre à l’ouest. Néanmoins, le cadastre actuel (1969) montre que le bâtiment
oriental a disparu de même que ce petit bâtiment en retour d’équerre (parcelle 103). Est
ajoutée une grange orientée nord-sud au nord de l’abbatiale (parcelle 102) [Fig. 390].
Du cloître ne demeure que le lavabo, vasque reposant sur des piliers de l’ancien cloître
[Fig. 418]. En effet, il ne reste aucune trace de trous d’encastrement de poutres sur les murs
de l’église et de la sacristie, attestant ainsi de reconstructions tardives alors que le cloître était
déjà à bas. Ces piliers soutenant la vasque se présentent comme un noyau quadrangulaire sur
lequel se greffent quatre colonnettes d’angles. Le lavabo est désormais utilisé comme
fontaine. Il est posé sur un dallage concentrique de granite. La vasque de 2m de diamètre est
décorée de quinze arcatures aveugles parfois séparées de crosses végétales. Des orifices
servent à l’évacuation de l’eau dans la seconde vasque. Ils sont aujourd’hui bouchés. Cet
aménagement correspond aux réfections du cloître au début du XVIème siècle par Pierre
Andrieu. En effet, sur un des piliers, les armes de l’abbé sont représentées. Il est à la tête de
l’abbaye de 1522 à 1559. Selon l’abbé POULBRIÈRE, les angles du cloître devaient être
1503
J-L. LEMAITRE, op. cit., p. 61 et suivantes, extraits de Edme Bonnotte, Archives du comte d’Ussel, Neuvic
d’Ussel.
1504
J-L. LEMAITRE, op. cit., p. 204.
- 476 -
soutenus par de quadruples colonnes en pierre de Volvic surmontées de chapiteaux. Il s’agit
vraisemblablement d’une confusion avec les éléments lapidaires assemblés arbitrairement au
domaine de Beauregard d’Ussel où d’anciens piliers du cloître de Bonnaigue sont surmontés
de chapiteaux en pierre de Volvic1505.
-
Éléments lapidaires « vagabonds » :
Les prospections menées dans les propriétés alentours ont révélé certains éléments
appartenant à l’abbaye. Ainsi, au village « La Grange », une base de colonnette pouvant
appartenir à l’ancien cloître est déposée au seuil de la maison du maire de Saint-Fréjoux. Son
socle mesure 26 par 31cm pour 19cm de haut et 25cm de diamètre. Elle ne présente pas de
griffes (fin XIIème siècle ?). La scotie est relativement peu prononcée [Fig. 424 et 420].
Au domaine de Beauregard d’Ussel subsistent des éléments de piliers de cloître,
remployés dans un pigeonnier [Fig. 419]. Il s’agit de quatre piliers cantonnés de quatre
colonnes, en granite gris (H : 0.80m, 0.39m de côté ; base carrée de 0.54m, H : 0.20m).
L’espace entre-colonne est orné d’un simple cavet.
Ces piles se composent de deux tronçons de 0.74m à 0.81m de hauteur. Elles sont
surmontées de chapiteaux en pierre de Volvic sans doute rajoutés au XIXème siècle. Chaque
pile est surmontée de quatre petits chapiteaux à boules, regroupés par paire sous deux tailloirs.
L’astragale est de 3cm d’épaisseur, la corbeille de 15cm de hauteur et le tailloir épais de 5cm.
Les piles se terminent par un socle de 20cm de haut, surmonté de petites bases de 12cm de
hauteur. La scotie en est relativement peu prononcée, le tore inférieur est avachi, sans griffe
(fin XIIème siècle ?).
Sur un des murets du pigeonnier, au-dessus d’une fontaine, un tronçon de pilier à
colonnes d’angle est déposé, surmonté de quatre chapiteaux feuillagés en granite regroupés
sous un tailloir unique (0.55m×0.55m). Entre les quatre corbeilles, de petites têtes humaines
sont sculptées, très bûchées et érodées. Cet élément est posé sur quatre autres chapiteaux
retournés à l’envers, de même facture mais ne présentant pas de visages humains.
Le musée du Pays d’Ussel révèle un chapiteau en granite gris à décors à entrelacs (H :
0.335m ; 0.26 par 0.30m), trouvé dans les bois à proximité de l’abbaye [Fig. 421].
-
Aménagements hydrauliques :
À 50 m à l’est du site, en léger contrebas est conservé le vivier (parcelle 86 du cadastre
1505
Abbé POULBRIÈRE, op. cit, p. 130-136.
- 477 -
ancien), alimenté par la Dozanne et l’eau de l’étang de la Fage comblé au XIXème siècle [Fig.
425]. Il n’est plus en eau actuellement mais ses parois bâties sont encore bien visibles par
endroit. La digue qui le fermait au sud et laissait s’échapper le ruisseau de Bonnaigue est
encore discernable et sert de chemin aujourd’hui. Cette retenue d’eau était associée à un
moulin disparu.
Plus à l’est, à 500m environ de l’abbaye, un étang est aménagé dont la digue est
rompue. Il est représenté sur le cadastre napoléonien de 1811 (section A). Il ne porte pas de
dénomination.
À l’ouest, l’étang de Vénard existe toujours avec en amont sa digue empierrée [Fig.
426]1506. Il est représenté sur la section C du cadastre ancien. Il était alors encore relié au
vivier à l’est du monastère par le « ruisseau de l’étang de Vénard ». Cet étang est encore
indiqué sur le cadastre actuel (section AB, 1969).
L’abbaye de Bonnaigue possède l’exploitation agricole de Diosidoux située à quelques
kilomètres au sud de Flayat [Fig. 423]. Elle est encore présente dans la toponymie actuelle
sous la graphie « Diozidoux »1507. Le hameau se compose de quelques maisons dont certaines
pierres taillées pourraient provenir d’un édifice plus ancien, sans qu’une datation de ces
simples éléments puisse être établie. Par ailleurs, à cinq cent mètres au nord de Diosidoux, le
« moulin des Chevilles » pourrait également correspondre à une ancienne exploitation
monastique [Fig. 427]. Le moulin se constitue d’un simple volume quadrangulaire accolé à
l’actuelle maison d’habitation. Les parements sont de moyen appareil de granite gris
relativement irrégulier. Les harpages d’angle sont néanmoins en moyen appareil régulier,
voire en grand appareil puisque certains modules sont de 0.80m×0.42m×0.32m. Les
mécanismes du moulin ne sont pas conservés et il sert désormais de débarras et de remise de
bois. Une dérivation passe sous le moulin par une conduite bâtie en moyen appareil régulier
de granite, voûtée en berceau en plein-cintre. Elle ouvre par un arc en plein-cintre constitué de
claveaux relativement courts (0.32m de longueur, intrados de 0.14m de large, extrados de
0.23m de large). Une seconde ouverture en plein-cintre d’1.10m de large est percée sous le
moulin mais est désormais rebouchée. Peut-être existait-il deux dérivations et deux
mécanismes différents ? Des vestiges des anciens mécanismes sont néanmoins observables.
Deux roues sont remployées dans le dallage à l’entrée de la maison d’habitation actuelle.
1506
1507
B. BARRIÈRE, Moines en Limousin, l’aventure cistercienne, PULIM, Limoges, 1998, p. 153.
IGN Série Bleue, 1/25000ème, 2331 E, Crocq.
- 478 -
À un kilomètre au nord du moulin des Chevilles, à l’intersection de la RN et de la D
30, un étang est conservé ainsi que sa digue qui semble néanmoins largement moderne. Nous
pourrions toutefois envisager qu’elle reprenne le tracé d’une ancienne installation monastique.
- 479 -
GROSBOT
- 480 -
2. Grosbot (commune de Charras, Charente) :
L’abbaye de Grosbot est située sur la commune de Charras, canton de Montbron dans
le département de la Charente. Nous accédons au site par la D 25 depuis Charras. Elle
appartenait à l’ancien diocèse d’Angoulême. Elle est classée Monument Historique depuis le
5 juillet 1993, en totalité. Elle est signalée sur la carte de Cassini sous l’appellation de « Gros
Bois ». Les initiales AB sont précisées de même que le symbole du prieuré (église surmontée
d’une crosse). La carte IGN au 1/25000ème indique Grosbot comme un petit hameau. Au sud
de celui-ci, les lieux-dits « L’abbaye » et « L’abbatiale » signalent l’emplacement de l’abbaye
cistercienne [Fig. 428 et 429]1508.
Sources manuscrites :
La Vie de saint Étienne d’Obazine fait état des filles fondées par Étienne et l’abbaye
de Grosbot est citée. Ainsi, il est fait état d’une disette quelques temps après l’affiliation à
Cîteaux :
« Une semblable affaire [disette] s’est produite autrefois
au monastère de Grosbot qui, depuis longtemps est sous
notre juridiction.(…) Pendant que les frères chantaient à
l’église l’office du moment, le seigneur de la région [un
La Rochefoucauld, seigneur de Marthon] qui était aussi le
fondateur du monastère arriva sans être attendu. Selon
son habitude, il pénétra dans le cloître et, comme
d’ordinaire, se mit à visiter les différentes salles sans que
personne n’osât l’en empêcher. Entrant au réfectoire, il
vit seulement des plats de nourriture et pas de pain ».
Cet extrait nous permet donc de savoir que Grosbot est fondée par Obazine avant
l’affiliation à Cîteaux grâce aux libéralités du seigneur de Marthon1509.
Les archives de l’évêché d’Angoulême permettent de mieux cerner l’histoire et le
patrimoine foncier de l’abbaye de Grosbot, dépouillement effectué en partie par Martine
1508
1509
IGN Série Bleue, 1/25000ème, Montbron, 1832 O.
M. AUBRUN, Vie de Saint Étienne d’Obazine…, op. cit., livre II, p. 141.
- 481 -
LARIGAUDERIE1510. En 1376, une lettre de Charles V (1364-1380) évoque les religieux
ruinés par les guerres.
« (…) on grant dommage et prejudice d’eux, considéré
que ilz sont de present pour le fait des guerres à tres grant
poureté et misere et en voye de laissier le service divin à
touz les temps mais, si comme ilz dient, supplians à eulx
être pourveu de remesde gracieux et convenable. »
Au XVIIème siècle (1632 et 1673) sont dressés un procès-verbal de l’état de l’abbaye
de Grosbot ainsi qu’un inventaire des meubles qui n’apportent malheureusement que peu de
renseignements utiles. En 1632, François de Vapy, prieur, constate l’état d’abandon de
Grosbot, document précieux permettant d’envisager la physionomie de l’abbatiale et des
bâtiments conventuels au XVIIème siècle [PJ 10]1511.
« (…) et c’estant retyré dans ladicte abbaye pour y fere sa
continuelle rezidance, auroit icelle trouvée en tres
mauvais estat, descouverte et ruynée (…).
Nous sommes entrés premierement dans l’églize de ladite
abeye ou estans et dans laquelle c’est trouvé deux
chappelles vouthées, l’une desquelles a les murailles et
vouthes fendues depuis la syme jusques au pied de
l’ouverture d’un grand pied, lesdictes chapelles estans
couvertes au dessus des vouthes de fort vielhe couverture
et sur lesquelles vouthes, nonobstant ladicte couverture il
tombe de l’eau l’hors qu’il en dessant du ciel, qui
prejudissie grandemant lesdictes vouthes et en danger de
les fere tomber. Avons aussi trouvé le cœur de ladicte
églize sur lequel est assis le clocher vouthé et couvert
aussy, le tout d’une vielhe couverture ayant grand besoin
d’être recouvert et pour cet effet est necessere d’avoir de
la latte et thuille. Avons aussy trouvé une arcade de la nef
1510
M. LARIGAUDERIE, « Abbaye cistercienne Notre-Dame de Grosbot, Charente : recueil de textes (11211791) », BASEPRC, Angoulême, 1998, n° 8, p. 1-93.
1511
M. LARIGAUDERIE, « Abbaye cistercienne Notre-Dame de Grosbot… », op. cit., p. 1-93.
- 482 -
de ladicte eglize vouthée sur laquelle vouthe n’y a aulcune
couverture, comme parelhement sur le surplus de ladicte
nef d’églize, y ayant seullement la charpante montée sans
aulcune latte ni thuisle ; et ladicte nef d’eglize qui n’est
couverte est de la longueur de cinquante pieds ou environ
et de la largeur de trante pieds en œuvre (…).
Et d’illecq sommes allés dans le dortoir de ladicte abeye,
lequel s’est trouvé la moytié desmolly ou environ, couvert
d’une vielhe cherpante et couverture ayant besoing de
latte et thuisle et l’autre moytié sans murallhe ne
couverture ; et dans le lieu qui est couvert y a seullement
une chambre basse et deux chambres hautes desnuhées de
vitres, grislhes, portes et fenestres. De plus nous avons
trouvé
les
antien
reffectoir,
cuizine,
despance,
sommelherye, boullangerye, buhanderye, cave, guernier,
grange et escurye tous ruynés et desmollys, ensamble les
muralhes de l’anclos de ladicte abeye (…) ».
De la même manière, un inventaire mobilier est dressé en 1673 [PJ 11]. Il est précisé :
« (…) Premierement, dans l’eglize nous avons trouvé dans
le tabernacle une custode a mettre le Saint Sacremant et
ung soleil d’argent, plus deulx qualisses d’argent avecq
leurs patenes, plus ung seul devant d’hostel de toille
peinte, plus 4 chasubles de camelot noir et blanc à fleurs
rouges et viollettes, plus les aubbes, dont il y en a trois
bonnes et les aultres fort médiocres, plus une nappe
d’hostel médiocre et uzée, plus deulx bourses a
corporaulx, une verte et une blanche, avecq quatre
corporaulx et quatre voilles de calisse (…) »1512
Les sources conservées aux Archives Départementales de la Charente sont
nombreuses, conservées sous la cote H V 1 à 56. Les actes conservés concernent
1512
M. LARIGAUDERIE, « Abbaye cistercienne Notre-Dame de Grosbot… », op. cit., p. 1-93.
- 483 -
essentiellement des donations sur la grange de Brouillac, en limite des paroisses de Hautefaye
et de Beaussac. Le cartulaire est conservé en partie et étudié par Martine
LARIGAUDERIE1513.
En 1691, un concordat est passé entre l’abbé Roze et le prieur Bernard Guichardet. Ce
dernier peut jouir des revenus temporels de l’abbaye à condition qu’il en assume les
réparations nécessaires en contrepartie (bâtiments et église abbatiale). À la fin du XVIIème
siècle, l’abbaye devait être ainsi en mauvais état1514.
En 1719, un procès-verbal des biens et domaines de l’abbaye est dressé et reprend en
grande partie les données du procès-verbal de 16321515.
« Premierement,
estant
dans
l’esglise
et
austres
bastimants de ladite abbaye de Grosbos, nous avons
trouvé le tout dans le mesme etat que les choses sont
contenues dans ledit procès-verbal de visitte, excepte le
corps de la maison qui joint ladite eglise et qui a son
aspect sur le jardin dont la charpente a été refaite a neuf
et en mansarde (…). »
Les moulins de Font Palais au nord de l’abbaye font également l’objet de cette visite.
« Et dudit moulin nous nous sommes transportes au
moulin de Font Pelaix situé dans la mesme paroisse ou
estant entrés nous avons tropuvé la roue rouet et cable, en
bon estat et le gond de la roue qui est cassotte, elle est
vielle et vole aussi bien que la chenau le coin pouvant
servir encore plus de dix années.
Plus nous nous sommes transportes dans un autre moullin
appellé de Font Palaix sittué dans la mesme paroisse ou
estant nous y sommes entres et l’avons trouvé en bon
estat. Dans lequel moulin il y a un moulin a huisle dont la
roue a besoin d’estre racommodé, le restant estant en bon
estat (…) ».
1513
M. LARIGAUDERIE, Abbaye de Grosbost, première approche du cartulaire, s.d.
AD Charente, H V 2.
1515
AD Charente, 2 E 454.
1514
- 484 -
Nous connaissons une liste d’ouvrages issue de la déclaration des biens de Grosbot
réalisée entre 1790 et 1791 et découverte par Ann EVANS, actuelle propriétaire du site, dans
les Archives Municipales d’Angoulême (AD Charente, Q VI 13) [PJ 9]. Il s’agit de huit pages
de 20 par 32cm, datées du 9 février 1791. La bibliothèque de l’abbaye se constituait
essentiellement de huit manuscrits et d’ouvrages de Bernard de Clairvaux. Il y est également
fait état des meubles à vendre, des titres, papiers et affaires conservés à l’abbaye, de
l’argenterie, des recettes des revenus de l’abbaye, des sommes à recevoir. Nous apprenons
que l’église disposait alors de deux tableaux : une Assomption et une Descente de Croix. Les
chambres des hôtes sont ornées de tapisseries à personnages. Les visiteurs montent également
au clocher de l’église encore pourvu d’une cloche. Il s’agit vraisemblablement du clocher de
la croisée du transept. 1516.
Des documents figurés tels les plans cadastraux peuvent également apprendre sur la
disposition des bâtiments monastiques et révèlent certains aménagements hydrauliques [Fig.
430, 431 et 432]. Le cadastre ancien, dressé en 1833, montre quatre bâtiments disposés autour
d’un cloître carré. Trois petits bâtiments sont placés au niveau des sources captées à l’ouest
des bâtiments monastiques, disparus aujourd’hui et dont la fonction reste difficile à
appréhender. Les deux viviers allongés placés à l’est du monastère sont représentés (parcelle
1), tandis que le canal qui les relie au proche cours d’eau est omis (parcelle du « Pré des
Serves »).
Le cadastre actuel (section A, feuille n°1, Charras) présente trois bâtiments délimitant
la cour du cloître (parcelle 77). L’église n’est pas intégralement représentée. Seul le chœur en
abside et le transept apparaissent tandis que la nef, en partie ruinée, n’est pas dessinée. Les
parcelles 73 et 74 correspondent au « Pré de la Fontaine » là où sont captées les sources
permettant l’alimentation en eau du monastère. Les deux grands viviers à l’est du site sont
indiqués (parcelle 79), de même que le canal en partie maçonné (parcelle 83). La physionomie
actuelle des bâtiments est relativement proche de ce plan récent.
Historiographie :
1516
AD Charente, Q VI 13. D. N. BELL, “An eighteenth Century Book-list from the abbey of Grosbot”, Cîteaux,
Commentarii Cistercienses, T 48, 1997, p. 339-370.
- 485 -
Dès 1895, A. MONDON s’intéresse à l’abbaye de Grosbot dans son article très
documenté sur la baronnie de Marthon1517. Il livre une liste des granges de l’abbaye, décrit très
sommairement l’abbatiale et cite les abbés qui s’y sont succédés jusqu’à l’époque moderne.
Cette étude permet donc de faire un point sur l’historique du site relativement précis. Nous
regrettons toutefois le peu d’intérêt porté aux vestiges proprement dits.
En 1962, René CROZET consacre un court article de trois pages sur l’abbaye de
Grosbot. Il fait un point rapide sur les conditions de la fondation puis décrit les vestiges
conservés. Néanmoins, seule l’abbatiale est étudiée tandis que les bâtiments conventuels et
aménagements hydrauliques ne sont pas pris en compte. Rien n’est dit sur le patrimoine
foncier. Cette étude reste ainsi purement stylistique1518.
L’ouvrage dirigé par Bernadette BARRIÈRE en 1998 contient une courte notice
concernant l’abbaye de Grosbot. L’auteur fait un point sur l’histoire du site et les vestiges
archéologiques encore présents en élévation. Cette étude succincte est néanmoins nécessaire
comme point de départ à toute étude des moines de Grosbot1519.
Martine LARIGAUDERIE, particulièrement intéressée par l’ordre de Grandmont, a
également publié deux articles permettant une meilleure connaissance de l’histoire de
Grosbot. En 1995, elle propose quelques hypothèses quant aux premiers temps de l’abbaye, sa
fondation et les rapports entretenus avec Fontvive et l’ordre canonial1520. Trois ans après, elle
s’attache à la transcription de certains actes du cartulaire conservés en majorité aux archives
de l’évêché d’Angoulême, éclairant notre compréhension du patrimoine foncier et des liens
sociaux de l’abbaye avec son environnement laïc et religieux1521.
L’abbaye fait l’objet d’investigations archéologiques de 1996 à 2002 par une équipe
de l’université de Bristol en Grande-Bretagne qui apportent de nombreux renseignements sur
divers aménagements monastiques. Ces campagnes font suite à de premiers sondages dans le
cadre d’une fouille de sauvetage par C. HUTCHISON en 1994, 1995 et 1996. Ces premières
recherches ont donné lieu à des rapports qui n’apportent malheureusement que peu
d’informations directement utilisables dans cette étude. Ces dossiers sont déposés au Service
Régional de l’Archéologie Poitou-Charentes1522.
1517
A. MONDON, “Notes historiques sur la baronnie de Marthon en Angoumois. Chapitre XIV : abbaye NotreDame de Grosbost », MSAHC, 1895, p. 447-502.
1518
R. CROZET, “L’ancienne abbatiale cistercienne Notre-Dame de Grosbot”, BSAHC, 1962-1963, p. 155-158.
1519
B. BARRIÈRE (dir.), Moines en Limousin, l’aventure cistercienne, PULIM, Limoges, 1998, p. 172-175.
1520
M. LARIGAUDERIE, “Propos sur l’abbaye de Grosbot”, BASEPRC, Angoulême, n°6, 1995, p. 6-15.
1521
M. LARIGAUDERIE, « Abbaye cistercienne Notre-Dame de Grosbot, Charente : recueil de textes (11211791) », BASEPRC, Angoulême, 1998, n° 8, p. 1-93.
1522
C. HUTCHISON, L’abbaye de Grosbot XIIème siècle. Ordre de Cîteaux. Rapport de fouilles de sauvetage,
1994- 1995- 1996. M. HORTON, Abbaye de Grosbot. Commune de Charras, Charente. Rapport de fouilles,
SRA Poitou-Charentes, 1998 à 2001. Rapports de fouilles concernant l’abbaye de Grosbot, cotes 00093, 00094,
- 486 -
Historique :
L’abbaye est située dans la forêt de l’Horte à l’est d’Angoulême, entre le bassin de la
Charente et celui de la Dordogne. Elle est à deux kilomètres du bourg de Charras. Elle est
fondée entre 1147 et 1166 grâce à l’action durable des abbés d’Obazine.
En effet, dès 1147, le manse de « mas Codorz » ainsi que des droits dans la forêt de
Grosbot sont donnés aux moines d’Obazine1523. Grosbot absorbe une communauté religieuse
préexistante, de type canonial, appelée Fontvive.
Fontvive est un monastère augustinien vraisemblablement fondé vers 975, par un
seigneur de Marthon. Vers 1060, un acte précise qu’Audoin Borel et Hugues de Marthon,
frères de l’évêque de Périgueux, Guillaume de Montbron, donnent aux chanoines de SaintPierre d’Angoulême le droit de glandage, de chasse et le bois de construction « in foresta de
Grosboc ». Le toponyme « Grosbot » est ainsi utilisé bien avant l’apparition des cisterciens.
Une installation canoniale est permise, sous le patronage épiscopal, dans une zone frontière
entre deux évêchés1524.
Dès 1121, Jean I, abbé de Fontvive reçoit de l’évêque Girard II la permission d’ouvrir
une chapelle à Luget (Luquet). Il remet à Fontvive la dîme sur les terres qu’ils exploitent, les
autorise à exercer les droits paroissiaux ; clercs ou laïcs qui y vivent peuvent y avoir leur
sépulture [Fig. 467]1525.
Le monastère s’est probablement laissé gagner par le mode de vie du jeune monastère
cistercien voisin. La réunion de ces deux communautés pose toutefois problème. D’après la
Gallia Christiana, l’abbaye de Grosbot est dès l’origine aux mains des chanoines réguliers de
Saint-Augustin1526. Y-a-t’il eu transfert de l’un des sites vers l’autre ou transfert des deux
communautés vers un nouveau site ? Où se trouvait Fontvive ? Pourrait-il s’agir du village
« L’Hermite » conservé dans la toponymie actuelle à l’ouest de Grosbot [Fig. 38 et 59] 1527 ?
La communauté canoniale était-elle déjà implantée sur l’actuel site de Grosbot ? Les
00095, 00096, 00887, 01701, 02611.
1523
D. N. BELL, “An eighteenth Century Book-list from the abbey of Grosbot”, Cîteaux, Commentarii
Cistercienses, T 48, 1997, p. 339-370.
1524
M. LARIGAUDERIE, “Propos sur l’abbaye de Grosbot”, BASEPRC, Angoulême, n°6, 1995, p. 6-15 ;
« Cartulaire de l’Eglise d’Angoulême », p. 180, charte CCXVI, p. 109, chap. XCVI.
1525
IGN Série Bleue, 1/25000ème, 1732 E, Angoulême (est). M. LARIGAUDERIE, « Abbaye cistercienne NotreDame de Grosbot, Charente : recueil de textes (1121-1791) », BASEPRC, Angoulême, 1998, n° 8, p. 1-93.
Charte publié par Eusège CASTAIGNE, « Essai d’une bibliothèque historique de l’Angoumois », BSAHC,
1846, p. 121 et 197-198.
1526
Gallia Christiana, T II, col. 1048-1049.
1527
IGN Série Bleue, 1/25000ème, 1832 O, Montbron.
- 487 -
bâtiments connus sont-ils canoniaux ou cisterciens ? Martine LARIGAUDERIE alerte sur la
similitude de construction de Grosbot et certaines abbayes augustiniennes telle Châtres qui
disposait d’une nef à trois coupoles, primitivement voûtée en berceau et d’une croisée
également à coupoles. Des ressemblances sont sensibles avec Sablonceaux (CharenteMaritime) et Fontaine-Le-Comte (Vienne). Ces églises à coupoles sont en lien avec les
coupoles de la cathédrale d’Angoulême terminées vers 1125 sous l’épiscopat de Girard. C’est
lui-même qui autorise la construction d’une chapelle sur ses terres au Luget (Luquet).
D’après les fouilles menées par Mark HORTON, il semblerait toutefois que les
bâtiments canoniaux primitifs aient été disposés à quelques dizaines de mètres seulement à
l’est du monastère actuel. Ils auraient d’ailleurs été en partie réutilisés par les cisterciens,
intégrés dans leur clôture monastique. Les fouilles se sont en effet concentrées sur la partie est
des bâtiments claustraux et ont révélé un bâtiment de 10.25m de long et 4.85m de large
(mesures internes). Les murs sont de 1.10m de large. Cet édifice pourrait relever des XIèmeXIIème siècles. De nombreuses inhumations ont été repérées, d’où l’interprétation de Mark
HORTON qui y voit une sorte de « mausolée », lieu d’ensevelissement des donateurs laïcs de
l’abbaye, à savoir des seigneurs de La Rochefoucault et de Marthon1528.
Martine LARIGAUDERIE signale également un précédent d’une installation
cistercienne près d’un chapitre canonial. C’est le cas de l’abbaye d’Echoisy près de SaintAmant-de-Boixe1529. La distinction entre les deux communautés n’est pas évidente : Pierre,
premier abbé de Grosbot, est contemporain de Guillaume, abbé de Fontvive qui reçoit de
l’évêque l’église de Souffrignac en 1155. En 1169-1172 et 1177, l’abbé Bernard est tour à
tour désigné comme abbé de Grosbot et de Fontvive.
Les dates de fondation de l’ermitage puis d’affiliation sont sujettes à discussion.
D’après l’abbé MICHON, Grosbot est fondée en 1150 par un La Rochefoucauld, seigneur de
Marthon. Pierre I, profès d’Obazine, devient abbé. Il ne justifie toutefois pas cette date1530.
Quant à MONDON, il date l’affiliation à Cîteaux de 1142, ce qui ne peut être possible
puisqu’Obazine n’est elle-même affiliée que cinq ans plus tard. Pour Martine
LARIGAUDERIE, l’absorption a pu être réalisée après 1155, peut-être en 1169, confirmée en
1177. En 1169 en effet, l’abbé Bernard se rend à Obazine, peut-être pour demander
l’affiliation. Nous ne disposons toutefois guère de preuves suffisantes pour étayer cette
1528
M. HORTON, Abbaye de Grosbot. Commune de Charras, Charente. Rapport de fouilles, SRA PoitouCharentes, 1999.
1529
M. LARIGAUDERIE, “Propos sur l’abbaye de Grosbot… », op. cit., p. 6-15
1530
Abbé J-H. MICHON, Statistique monumentale de la Charente, Paris, 1844, p. 98.
- 488 -
hypothèse1531. Pour NANGLARD, elle est cistercienne à partir de 1166 et cette date nous
semble la plus sûre1532.
En 1166, elle serait donc érigée en abbaye cistercienne sous le nom de « Grosbot »
dans la filiation d’Obazine. Selon NANGLARD, son nom ne lui serait donné qu’en 1180.
C’est l’unique abbaye cistercienne de l’Angoumois. Elle témoigne des efforts réalisés par
l’ordre cistercien pour s’implanter dans le diocèse d’Angoulême, que ce soit par création
directe ou affiliation d’ermitages et de communautés préexistantes. Dès 1147 et l’affiliation
d’Obazine à Cîteaux, l’abbaye va tenter de s’implanter en Angoumois, à faible distance de
l’itinéraire menant du Bas-Limousin vers la Saintonge. C’est une région dans laquelle elle a
déjà établi une « celle », la Frénade, érigée en abbaye vers 1148 (commune de Merpins,
Charente). S’exprime alors une volonté de créer une autre dépendance en Angoumois, étape
sur la route saintongeaise. Grosbot est dotée dès les premiers temps par les seigneurs de
Marthon qui y reçoivent d’ailleurs leur sépulture. La lenteur de l’érection de Grosbot en
abbaye peut s’expliquer par les réticences de l’abbé d’Obazine qui ne concède le titre
d’abbaye qu’à des maisons pouvant survivre économiquement.
L’abbaye dispose d’une dizaine de granges en Angoumois [Fig. 87]. Le noyau primitif
des possessions comprend les terres et la forêt de Charras, ainsi qu’une chapelle à Luget
(Luquet) en Pranzac. Ses biens fonciers s’échelonnent du Bandiat de Varaignes au Luquet,
tout proche d’Arsac [Fig. 468].
La donation initiale est datée de 1147-1148. Elle est connue grâce au cartulaire
d’Obazine. Robert de Marthon et ses deux fils donnent à Étienne d’Obazine le manse de Mas
Codorz. Ils exemptent les moines de péage sur leurs terres et donnent dans le bois de Grosbot
le droit de pacage pour les porcs et l’usage du bois tant pour le chauffage que pour les autres
besoins1533.
MONDON dresse une liste de ces principales possessions comprenant entre autre la
grange d’Arsac et sa chapelle1534, Puymerle en Aussac où les moines édifient une chapelle
dédiée à sainte Quitterie (les moines n’y habitent plus après 1568), Notre-Dame de
l’Assomption d’Obesine à Angoulême (fin XIIème siècle), un hôpital à Mainzac, Biée en
Souffrignac où une chapelle est bâtie, Notre-Dame de Broliac (Brouillac ?) en Beaussac
(diocèse de Périgueux), Luget en Pranzac (chapelle bâtie en 1121) ainsi que des biens à
Combiers, arrentés par l’abbé Hélie de Trion [Fig. 469 ; PJ 12].
1531
M. LARIGAUDERIE, “Propos sur l’abbaye de Grosbot… », op. cit., p. 6-15
J. NANGLARD, Pouillé historique du diocèse d’Angoulême, T I, Angoulême, 1894, p. 566.
1533
B. BARRIÈRE, op. cit., p. 271, fol. 400.
1534
Les moines la quittent en 1460. La chapelle est transformée en grange vers 1700. J. NANGLARD, op. cit., p.
566-577.
1532
- 489 -
La grange de Brouillac est située aux limites des paroisses de Hautefaye et de
Beaussac (com. Beaussac, canton de Mareuil). En 1229, le chevalier Hélie de Hautefaye
donne aux moines cinq sols de rente sur la borderie de Granfont près de cette grange. Cette
dernière se compose également du mas d’Auzou, du mas de Léraudie, de droits de pacage
dans les forêts de Mareuil1535. Il ne reste désormais aucun vestige de cette grange. Dès 1430,
elle est dite en ruines. Elle est placée sous la dépendance de la seigneurie de Mareuil1536. Les
moines possèdent également des biens à Balzac, Beaulieu-Cloulas, Chazelles, Dignac, Garat,
Saint-Germain, Grassac, Juillé, Lonnes, La Rochefoucauld, Mainzac, Marthon, Montbron,
Saint-Paul, Pranzac, Salles-Sers, Vouzan, Edon, La Rochebeaucourt, Rougnac, Villebois,
Rancogne1537.
En 1172, l’abbaye de Nanteuil-en-Vallée cède à Grosbot des terres sur les paroisses de
Juillé et de Lonnes, aux lieux-dits La Chaussée, les Deffends, les Essarts, à condition qu’elle
n’y établisse ni église, ni cimetière.
En 1215, l’évêque d’Angoulême Guillaume III confirme les droits et privilèges de
Grosbot à l’abbé Guillaume II.
En 1265, les moines de Grosbot cèdent un domaine à la Jarne, près de la Rochelle, à
l’abbaye de la Frénade. En 1267 est effectuée une transaction entre l’abbé Robert et le comte
Hugues II de Lusignan au sujet du moulin de Voreuil, du bois des Brosses et des terres de la
vallée de Charmeau. En 1274, ceux-ci échangent avec les chanoines de La Rochefoucauld la
cure d’Olérac pour celle de Notre-Dame de Charves, près de Chastelars. Les moines disposent
également d’une petite chapelle sans revenus à La Rochefoucauld, dédiée à Sainte Quiterie.
Sur la paroisse de Grassac, les moines bénéficient de moulins et d’un étang à Font
Palais, attestés au XVème siècle (1494). En 1640 est mené un procès-verbal de visite des
moulins de Font Palais1538. Grosbot possédait des droits sur la paroisse de Souffrignac et dans
le village des Balloteries1539.
Les études toponymiques permettent dans une certaine mesure de connaître
l’emplacement des granges et moulins de l’abbaye [Fig. 38 et 59]. De nombreux lieux-dits
liés à des aménagements hydrauliques sont repérables : la « Fontaine de l’Hermite », l’étang
1535
AD Charente, H V 21.
C. COUSSY, Implantation du monde religieux dans le Nontronnais à l’époque médiévale (Vème-XVIème
siècles), mémoire de maîtrise d’histoire médiévale, dir. B. BARRIÈRE, S. CASSAGNES-BROUQUET, 2003,
vol. 1, p. 105-107.
1537
A. MONDON, op. cit, p. 447-502.
1538
AD Charente, H V 33-34.
1539
AD Charente, H V 50 ; J. COUSSY, Occupation du sol aux confines de l’ANgoumois et du Périgord (époque
médiévale), mémoire de maîtrise d’histoire médiévale, dir. B. BARRIÈRE, 1999, vol. 1, p. 35.
1536
- 490 -
« Dudo » à l’ouest de Grosbot, l’étang de Font Palais au nord avec sa digue, ainsi qu’un étang
signalé au nord-est de l’abbaye avec le bief et les viviers qui lui sont associés1540.
Dans la première moitié du XVIème siècle, l’abbaye souffre des incursions des
seigneurs de Marthon ainsi que des Huguenots. Ils doivent soutenir de longs et ruineux procès
contre les seigneurs de Marthon au sujet de leurs droits respectifs, particulièrement de 1540 à
1555 contre Hubert de La Rochefoucauld1541. Quant aux Huguenots, ils enlèvent les bois de
charpente de l’église dont elle est encore dépourvue en 1630. Les moines sont chassés de
l’abbaye en 1568 et ne peuvent revenir sur le site qu’en 1580. En effet, l’abbaye est alors prise
par Vincent de Villars, de la maison de Mainzac. Il s’approprie les revenus de la communauté.
Au XVIIème siècle, le cloître, les murs de clôture de la basse-cour située devant
l’abbaye et ceux du jardin sont à refaire tandis que le réfectoire est en ruines.
De 1641 à 1673, l’abbaye est en partie reconstruite par l’abbé Jean de la Font.
Toutefois, ces successeurs laisseront l’abbaye décliner de nouveau1542. En 1701, l’abbé
Toussaint Rose et le prieur Bernard Guichardet se mettent d’accord sur l’achat d’une maison
et de domaines pour servir de maison abbatiale au village de Grosbot. Il est alors question
d’un nouvel étang, d’une chènevière et d’une garenne, d’un moulin nouvellement construit
par le prieur1543.
En 1722, Claude-François Léoutre commence à reconstruire en majeure partie
l’édifice. En 1744, il fait édifier un mur de séparation entre la nef et le transept1544.
Entre 1755 et 1760, l’abbaye subit deux incendies qui contribuent à sa ruine. Une
restauration de l’abbatiale s’impose alors, entreprise en 1770 par l’abbé François Coupdelance
(1767-1779).
Après la Révolution, elle est transformée en ferme.
Vestiges archéologiques :
De l’abbaye demeure quatre corps de bâtiments entourant l’ancien cloître. Une
première installation, vraisemblablement canoniale, a été identifiée à l’est de ces bâtiments
actuels.
-
Installation primitive :
1540
IGN Série Bleue, 1/25000ème, Montbron, 1832 O.
J. NANGLARD, Pouillé historique du diocèse d’Angoulême, T I, Angoulême, 1894, p. 566-577.
1542
D. N. BELL, “An eighteenth Century Book-list from the abbey of Grosbot”, Cîteaux, Commentarii
Cistercienses, T 48, 1997, p. 339-370.
1543
M. LARIGAUDERIE, « Abbaye cistercienne Notre-Dame de Grosbot… », op. cit., p. 1-93.
1544
A. MONDON, op. cit, p. 447-502.
1541
- 491 -
Les fouilles menées par Mark HORTON ont permis de révéler un certain nombre
d’éléments essentiels. Une aire de 26 par 25m est sondée à l’est des bâtiments actuels.
Un petit bâtiment a été repéré, de plan rectangulaire de 10.25m de long pour 4.85m de
large (mesures internes), correspondant vraisemblablement à la période canoniale du site. Les
murs sont de 1.10m de large. Ce petit bâtiment augustinien est scandé de contreforts. Deux
dosserets internes se font face et devaient recevoir les voûtes (arc doubleau soutenant un
berceau ? arêtes ?). Des sépultures d’hommes, de femmes et d’enfants sont découvertes qui
pourraient correspondre à l’occupation cistercienne du site. Au centre de cette structure est
découverte une tombe construite en dalles de calcaire oolithique avec agrafes de fer et réserve
céphalique ayant pu appartenir à un des donateurs du site (seigneurs de Marthon ou de La
Rochefoucault). L’édifice est encore utilisé au XIIIème siècle, d’après le mobilier découvert,
mais est détruit dans les années 1300 lors de l’érection d’un nouveau bâtiment.
En effet, le mur septentrional a servi de fondation pour le mur sud d’une seconde
contruction plus tardive, vraisemblablement un bâtiment datant de l’époque cistercienne
(infirmerie ? hôtellerie pour accueil des pèlerins ?). Ce bâtiment est de 18.50m de long pour
6.40m de large. Selon Mark HORTON, cet édifice daterait des années 1300. Il est divisé en
deux parties égales par une cloison en bois. Le sol est un épandage de sable et de mortier1545.
- Abbatiale :
L’église au sud du cloître est bâtie entre la seconde moitié du XIIème siècle et le début
du XIIIème siècle en moellons de calcaire bien taillés et appareillés. Le plan est en croix
latine avec une nef unique de trois travées, un transept et un chœur en abside précédé d’une
travée droite. L’église est de 28.10m de long pour 7.95m de large.
La façade occidentale se présente comme un pignon surmonté d’un clocher
vraisemblablement plus récent [Fig. 433]. La moitié inférieure est de moyen appareil régulier
de calcaire alternant carreaux (0.71m×0.31 ; 0.37×0.27) et bouchons (0.29×0.12). La façade
est scandée par des contreforts plats à glacis sommital. Le larmier se prolonge en cordon de
mi-hauteur sur la façade. Des vestiges de corbeaux signalent la présence probable d’un ancien
auvent au-dessus du portail occidental. Cette porte d’1.38m de large dispose d’un profil
légèrement brisé dont l’archivolte est simplement chanfreinée [Fig. 434]. Ce portail ne
dispose que d’un seul ressaut dans lequel ne s’inscrit aucune colonnette. Les claveaux de l’arc
de la porte sont soulignés d’un cavet. Ils portent des traces de marteau taillant [Fig. 435]. Un
1545
M. HORTON, Abbaye de Grosbot. Commune de Charras, Charente. Rapport de fouilles, SRA PoitouCharentes, 1999, 23 p.
- 492 -
second arc brisé correspond au ressaut. Les claveaux sont ici soulignés d’un tore se
poursuivant sur les piédroits. Le profil brisé, la présence de fines modénatures toriques, les
outils utilisés iraient dans le sens d’une chronologie de la fin du XIIème siècle au premier
tiers du XIIIème siècle. La moitié supérieure de la façade occidentale dispose de parements de
plus petits modules, irréguliers, remplaçant le moyen appareil régulier de la partie basse. Il
pourrait s’agir d’un remaniement tardif (XVIIIème siècle ?). Cette partie supérieure est percée
d’une baie en plein-cintre à double ébrasement, relativement large.
La nef de trois travées est voûtée en berceau brisé, démolie aux deux tiers depuis le
passage des protestants [Fig. 436 et 437]. Une autre partie s’est effondrée en 1991. Il ne reste
en effet plus que l’amorce de ce berceau bien appareillé en pierres calcaires. La voûte est
reçue sur un cordon simplement mouluré d’un cavet courant le long des murs gouttereaux. Le
berceau est souligné d’arcs doubleaux reçus par des chapiteaux lisses surmontés d’un épais
tailloir et à l’astragale délicatement renflé. Ces chapiteaux surmontent une colonne engagée
appareillée, se terminant au tiers de la hauteur du mur par des culots coniques à décors
géométriques [Fig. 440, 441 et 442]. Toutefois, la première travée nord ne dispose pas de
culot, son support ayant été en partie démonté lors du percement d’une porte moderne [Fig.
438]. Une baie moderne est également percée, disposant d’un arc surbaissé. Ces supports ne
sont observables que sur le mur gouttereau nord et le mur gouttereau sud de la dernière travée
de la nef. Le support de cette dernière travée est par ailleurs surmonté d’un chapiteau dont le
tailloir est orné d’un zig-zag assez proche des réalités observées à Boschaud (seconde moitié
XIIème siècle). Le mur gouttereau sud semble particulièrement remanié. Si les supports ont
disparu de même que le cordon et le départ de la voûte en berceau, des baies ont par ailleurs
été percée à chaque travée, à l’inverse du mur gouttereau nord resté aveugle. Ces baies sont
largement ébrasées à l’intérieur et à l’extérieur (1.08m de largeur externe). La dernière travée
de la nef présente dans son mur sud une porte d’1.22m de large percée sous la baie, moderne,
comme un témoigne la présence d’un arc surbaissé.
Un enduit blanc est conservé sur la majorité des parements internes. Des faux joints
rouges sont encore discernables à certains endroits, relevant probablement du XIIIème ou du
XIVème siècle [Fig. 439]. Les culots présentent de même des vestiges de peinture ocre.
Entre la nef et le transept, des vestiges du mur de séparation édifié en 1744 sont encore
observables. Deux alcôves se dessinent de part et d’autre, flanquées de colonnes cannelées
surmontées de chapiteaux corinthiens.
Les piles à l’entrée de la croisée sont presque entièrement dépecées et difficiles
d’accès face à l’accumulation des gravats et pierres effondrés des voûtes de la croisée. Ces
- 493 -
piles présentent deux dosserets successifs puis une colonne engagée montant de fond. Le bras
du transept nord est condamné par un mur récent (XVIIème-XVIIIème siècle) bâti en petit
appareil irrégulier noyé dans un mortier orangé.
Le bras sud est entièrement échafaudé pour réfection. Il est voûté en berceau brisé. Les
absides des bras du transept sont ruinées, remplacées par un mur où sont encore adossés les
autels. Cette modification a vraisemblablement eu lieu après les Guerres de Religion. Le mur
oriental du bras sud présente encore les traces de l’entrée de l’absidiole. Il dispose d’un arc
aveugle en plein-cintre, surmonté d’un cordon simplement chanfreiné et d’une baie étroite et
ébrasée. Le croisillon sud présente dans son mur occidental une porte des morts, en pleincintre, dotée de claveaux courts et surmontée d’une archivolte ornée de pointes de diamant
[Fig. 449 et 450]. Le pignon sud est doté d’une baie en plein-cintre surmontée d’un linteau
monolithe en plein-cintre. Il est scandé de deux contreforts d’1.30m de large et de 0.35m de
saillie. Un simple cordon aux deux tiers de la hauteur est soutenu par des corbeaux. Le mur
oriental remplace au XVIIème siècle l’absidiole médiévale. Une ouverture récente est percée,
dotée d’un arc surbaissé.
La croisée du transept est voûtée d’une coupole appareillée sur pendentifs ajourée au
sommet par un oculus, présentant à sa base un cordon « en tête de diamant » cernant les
contours des pendentifs et le cercle de base de la calotte hémisphérique [Fig. 443, seconde
moitié du XIIème siècle]1546. Cette calotte est délimitée par un simple cordon chanfreiné.
Quatre arcs brisés à double rouleau sont portés par des colonnes couplées surmontées de
chapiteaux nus. Ces arcs relativement massifs se composent de deux rangées de pierres en
largeur. Quant aux colonnes, certaines partent de fond, tandis que d’autres retombent sur de
simples culots. Ces arcs encadrent la coupole. Elle soutenait un clocher à huit pans
aujourd’hui entièrement effondré.
Le bras nord du transept a été modifié lors de la reconstruction des bâtiments
conventuels. Il ouvre à l’est par une large porte récente, datée d’après la Révolution française,
destinée à accueillir de gros engins de ferme. Elle est surmontée d’un arc doubleau en pleincintre orné de faux joints pouvant correspondre à l’ancien arc médiéval ouvrant sur
l’absidiole. Le croisillon nord communique par une porte latérale moderne (XVIIèmeXVIIIème siècle) avec le cloître, et par une seconde ouverture avec la sacristie [Fig. 452]. Un
escalier permettait la communication entre le dortoir des moines au premier étage et le bras
nord du transept dont il reste aujourd’hui le vestige d’une porte rebouchée, ouverture moderne
1546
A. MONDON, op. cit, p. 447-502.
- 494 -
(fin XVIIème- début XVIIIème siècles) remplaçant l’ancien percement médiéval. La façade
sur le cloître présente une corniche à modillons nus et est percée d’une baie étroite en pleincintre.
L’entrée du chœur est marquée par la présence de supports composés : les piles sont
dotées de dosserets sur lesquels s’engagent des colonnes couplées [Fig. 444 et 445]. Ces
colonnes de 0.34m de diamètre présentent encore des vestiges de faux joints ocre. Elles sont
surmontées de simples chapiteaux lisses. L’abside est ouverte par trois grandes baies en pleincintre [Fig. 451]. La voûte en cul-de-four est soulignée par un cordon mouluré d’un simple
biseau. Seule l’amorce de ce cul-de-four est encore perceptible, la majeure partie de la voûte
s’étant effondrée. La travée droite est quant à elle voûtée en berceau brisé, les murs
gouttereaux sont animés d’arcs aveugles en plein-cintre reposant sur de larges tailloirs [Fig.
446]. L’arc doubleau précédant le cul-de-four repose sur un dosseret et une colonne engagée
surmontée d’un chapiteau lisse.
Les parements externes du mur gouttereau nord montrent un certain nombre
d’ouvertures et d’aménagements divers. Une porte d’1.23m de large, rebouchée, reliait
l’église et le cloître [Fig. 463 et 464]. Elle dispose d’une archivolte brisée ornée d’un cordon
de billettes, évoquant des réalités de la seconde moitié du XIIème siècle. Deux ressauts se
composent de claveaux moulurés de tores, ornés de pointes de diamant [Fig. 465 et 466]. Les
arcs reposent sur des tailloirs sculptés de feuillages délicats. Les bases sont munies de tore
inférieur avachi et de scotie peu prononcée évoquant plutôt le premier tiers du XIIIème siècle.
Une seconde ouverture est à l’ouest de cette première porte. Il s’agit d’une seconde
porte de 0.76m de large, en plein-cintre, munie de claveaux courts. Enfin, un armarium devait
disposer de deux placards de 0.71m de large pour une profondeur identique, surmontés d’arcs
en plein-cintre aux claveaux courts.
Le mur gouttereau nord est scandé de deux contreforts plats à glacis sommital (1.72m
de large pour une saillie de 0.32m). Le mur gouttereau sud dispose de trois contreforts à glacis
sommital et larmier1547. La corniche est surmontée de simples corbeaux. La dernière travée, à
la rencontre avec le bras sud du transept, montre un certain nombre de rattrapages d’assises,
témoignant vraisemblablement d’un temps d’arrêt dans la construction, ou d’un changement
1547
D’ouest en est : 1.62m de large, saillie 0.31m ; 1.54m de large, saillie 0.22m ; 1.65m de large, saillie de
0.32m.
- 495 -
d’équipe. Nous pouvons également observer un départ d’arc aveugle (en retrait de 0.20m)
[Fig. 447 et 448].
-
Bâtiments conventuels :
Les trois autres bâtiments correspondent à des reconstructions des XVIIème et
XVIIIème siècles. Les bâtiments est et nord sont en partie remaniés par l’abbé Jean de la Font
(1641-1673 †). Les ailes sud et nord sont reconstruites au cours du XVIIème siècle, la
disposition des pièces en est entièrement changée. Ces bâtiments s’adossent au nord de
l’abbatiale, intercalés entre elle et le ruisseau.
Le carré du cloître est doté d’un puits placé en son centre. Les parements du bâtiment
conventuel nord et de l’église présentent encore des vestiges de corbeaux, de trous
d’encastrement de poutres et de larmiers attestant l’existence d’un cloître charpenté. Un
élément lapidaire découvert lors des fouilles de Mark HORTON pourrait être rattaché au
cloître : il s’agit d’une base octogonale de colonne, correspondant a priori à une arcade de
cloître. Elle pourrait relever du XVème siècle d’après son profil très similaire aux éléments
octogonaux des cloîtres de Prébenoît, Bonlieu ou des Pierres remaniés au XVème siècle [Fig.
162, 163, 358, 360, 735 et 736]1548.
Le bâtiment est, très remanié au cours du XVIIème siècle, est restauré entre 1998 et
2003. Il conserve la sacristie et les anciennes baies de la salle capitulaire ouvrant sur le cloître.
La sacristie communique directement avec le bras nord du transept [Fig. 453 et 454]. Il s’agit
d’une salle exiguë, voûtée d’arêtes au XVIIème siècle. Elle est dotée d’un sol pavé de petits
carreaux, à l’imitation d’une mosaïque. Les parements internes, presque entièrement enduits,
ne permettent guère une observation minutieuse des différentes phases de construction et de
réfection. Les remaniements sont identifiables par l’utilisation d’un petit appareil irrégulier
noyé dans un mortier de chaux grasse.
Les ouvertures de la salle capitulaire sont conservées, bien que le volume interne ne
corresponde plus aux anciennes dispositions médiévales [Fig. 455, 456]. Deux baies géminées
(1.57m de large) encadrent une large porte (1.43m de large). Les profils en sont légèrement
brisés. Les baies géminées sont séparées par des colonnettes (0.64m de haut) réunies par un
tailloir commun (0.68m de long, 0.18m de haut), orné de motifs en dents de scie. Les
chapiteaux sont dotés de coquilles ou de motifs géométriques (0.23m de haut). Les bases
(0.14m de haut) disposent d’un tore inférieur relativement massif, d’une scotie prononcée et
1548
M. HORTON, Abbaye de Grosbot, commune de Charras, Charente, SRA Poitou-Charentes, 2001, 57 p.
- 496 -
d’un tore supérieur renflé. Ces décors pourraient se rattacher à la seconde moitié du XIIème
siècle [Fig. 457 et 458].
La salle capitulaire a fait l’objet des premières investigations archéologiques menées
sur le site par Carole HUTCHISON. Celles-ci ont permis de constater les destructions liées à
un incendie lors des guerres de Religion et du passage des Huguenots. Lors de cette période
particulièrement mouvementée, le mur nord de la salle capitulaire est mis à bas (fin XVIème
siècle). La partie sud du chapitre est isolée par un mur de cloison, probablement au XVIIème
siècle, et est pavée de petits carreaux de terre cuite, posés en série de cercles,
traditionnellement appelés « pichards ». Des sépultures ont été mises au jour, probablement
d’abbés comme en témoigne une dalle funéraire ornée d’une crosse (2.07m par 0.67m). Des
éléments lapidaires sont également extraits des remblais : deux chapiteaux, un linteau en
plein-cintre, des tambours de colonne ainsi qu’un fragment mouluré pouvant appartenir à un
banc de pierre1549.
Ce bâtiment oriental dispose d’un toit inhabituel composé en partie de tuiles et en
partie d’ardoises. L’étage présente des fenêtres mansardées alternativement arrondies et
pointues. L’aile nord abritait à l’origine le réfectoire, la cuisine et les caves [Fig. 459 et 460].
La cuisine datée du XVIIème siècle est voûtée d’arêtes. À l’entrée du bâtiment, un placard
peut correspondre à l’ancien armarium du réfectoire médiéval [Fig. 461]. L’aile ouest est
reconstruite au début du XVIIIème siècle. Elle est laissée à l’abandon et brûle en 1990. C’est
le premier bâtiment restauré par les propriétaires en 1991 [Fig. 462]. À l’est de l’abbatiale,
une petite structure de pierres est conservée, très ruinée et difficilement lisible. Il s’agit d’une
ancienne chapelle dédiée à sainte Quitterie datant du XVIIème siècle. Sainte Quitterie était
très appréciée pour son aide aux accouchements.
-
L’hôtellerie :
Quant au bâtiment (infirmerie ou hôtellerie) découvert lors des fouilles archéologiques
de Mark HORTON à l’est des structures actuelles, cette pièce a fait l’objet de plus amples
investigations archéologiques en 2001 et 2002 qui ont permis la mise au jour des vestiges de
cavités liées à la fonte d’une cloche probablement dans les années 1300 comme en témoignent
les céramiques retrouvées (fin XIIIème, début XIVème siècles). La fonte avait lieu au centre
de la structure, à cheval entre les deux pièces. La cavité de fonte est de 3.05m de long par
1.10m de large. Le diamètre de la cloche était de 0.70m et a été réalisée par la technique de la
cire perdue. La salle de fonte devait d’abord être vide. On place donc le foyer en son centre.
1549
C. HUTCHISON, L’abbaye de Grosbot. XIIème siècle. Ordre de Cîteaux. Charras. Rapport de fouilles de
sauvetage, 1994-1995 et 1996, SRA Poitou-Charentes.
- 497 -
Puis elle est réutilisée et scindée en deux à une date postérieure. Cette découverte est peu
commune dans un cadre cistercien puisque les cloches étaient prohibées dans les statuts de
l’ordre. D’autres exemples sont connus à Tintern et Kirkstall. À titre de comparaison, nous
pouvons également citer les traces de la fabrication d’une cloche découverte dans la forge du
Thoronet lors des fouilles de 1996, relevant de la fin de l’occupation du site (XVème-XVIème
siècles)1550.
Au-dessus des niveaux de destruction de l’hôtellerie, une structure octogonale a été
mise au jour. Il s’agit vraisemblablement des fondations d’un bassin en pierre alimenté par
une adduction en pierre dans laquelle est installé un tuyau de fer. Cet élément relève des
XVIIème et XVIIIème siècles. Il est lié à un second bassin octogonal, tous deux mis à bas
dans le courant du XVIIIème siècle1551.
-
Aménagements hydrauliques :
Deux sources captées sont acheminées par tout un réseau de canalisations souterraines
et desservent à la fois les viviers à l’est du monastère, mais aussi la cour du cloître et la salle
capitulaire. Les deux viviers sont maçonnés, et semblent avoir été largement remaniés à
l’époque moderne [Fig. 470 et 471].
Le moulin de Biée, à quelques kilomètres au nord de Souffrignac, semble entièrement
moderne bien que les enduits ne permettent guère une étude précise des parements. Les
mécanismes du moulin sont encore en place, de même que la digue et dérivation placées sur le
Bandiat [Fig. 472].
-
Granges :
Nos prospections n’ont guère été fructueuses concernant les granges de l’abbaye de
Grosbot. Le domaine du Grand Nadaud, à 500m au sud-est de l’abbaye pourrait correspondre
à la grange de l’abbaye. Les deux bâtiments actuels sont très remaniés comme l’attestent les
parements modernes en moellons. Néanmoins, des poutres en bois plus anciennes sont
conservées, datées par dendrochronologie des années 1485 et 15391552.
À Biée, aucun vestige de chapelle n’a été identifié.
1550
Y. ESQUIEU, « L’abbaye du Thoronet », Congrès Archéologique de France, Var, Paris, 2002, p. 195-212.
M. HORTON, « A bell-founders Pit at the Cistercian Abbey of Grosbot (Charente)”, dans T. N. KINDER
(dir.), Perspectives for an Architecture of solitude. Essays on Cistercians, Art and Architecture in honour of
Peter Fergusson, Brépols, Cîteaux, 2004, p. 253-260.
1552
M. HORTON, Abbaye de Grosbot, commune de Charras, Charente, SRA Poitou-Charentes, 2000, 27 p.
1551
- 498 -
OBAZINE
- 499 -
3. Obazine (commune d’Aubazine, Corrèze) :
L’abbaye d’Obazine est située sur la commune d’Aubazine, canton de Beynat en
Corrèze. « Obazine » correspond à la graphie ancienne, « Aubazine » à la graphie
administrative récente. Elle est classée Monument Historique depuis le 13 octobre 1988
(bâtiments et enclos en totalité). La carte de Cassini la signale sous la graphie « Aubazine »
suivie des initiales AB. Le symbole du prieuré surmonté d’une crosse est indiqué. La carte
IGN au 1/25000ème indique « Aubazines » [Fig. 473 et 474]1553.
Sources manuscrites et figurées :
L’une des sources manuscrites les plus précieuses est la Vie de Saint Étienne
d’Obazine publiée en 1970 par Michel AUBRUN1554. Le livre I est rédigé sous Géraud,
successeur d’Étienne en 1159, dans les années 1166. Le troisième livre est écrit vers 1180.
Michel AUBRUN insiste sur le fait que ce document est précieux quant à l’histoire de l’Église
puisque plusieurs ordres monastiques contemporains sont évoqués. Toutefois, seuls les
cisterciens de Dalon semblent trouver crédit aux yeux de l’auteur tandis que Grandmont n’est
même pas évoqué. Cette source est très précieuse quant aux premiers temps de la
communauté double d’Obazine-Coyroux. Nous y voyons naître et se développer un
mouvement érémitique qui s’agrègera en 1147 à Cîteaux après avoir sollicité les Chartreux.
Ce document est également essentiel pour l’histoire de la société. Le monde paysan apparaît
avec une assez nette distinction entre les riches et les pauvres. Des ouvriers salariés employés
dans la construction de l’église sont cités. La classe noble est également présentée à travers
des évocations de la chasse et de la guerre. Enfin, la Vita sert aussi à une étude des mentalités.
Les sentiments religieux de l’époque comme le culte des reliques y tiennent une place
importante. Le salut n’est assuré que dans le cloître et l’éducation des enfants est entourée
d’un grand souci d’isolement du monde. La piété des laïcs est montrée à maintes reprises,
dominée par l’attachement à Étienne d’Obazine qui ne ménage pas ses interventions
miraculeuses. À travers elle, c’est « le défilé des misères » de ce temps qui est illustré1555.
La Vita a fait l’objet d’un récent article d’Alexis GRÉLOIS qui en réévalue les
apports. Selon lui, une certaine rivalité apparaît entre les deux fondateurs de la communauté,
1553
IGN Série Bleue, 1/25000ème, Beynat, 2135 E.
M. AUBRUN, Vie de Saint Étienne d’Obazine, Institut d’Études du Massif Central, Clermont-Ferrand, 1970.
1555
M. AUBRUN, « Intérêt historique de la vie d’Étienne d’Obazine », BSAHL, T 97, 1970, p. 203.
1554
- 500 -
Étienne et Pierre. Ce dernier défendait une vie canoniale plus qu’érémitique et a été
progressivement évincé en faveur d’Étienne. La Vita insiste sur les originalités et atypismes
d’Obazine par rapport à l’ordre cistercien, sur les résistances du « local » au « global » : la
communauté accueille dans un premier temps hommes, femmes et enfants, tous les pénitents
sans distinction. Les règles de vie y sont souvent plus strictes qu’à Cîteaux (refus de manger
de la viande, par exemple). La Vita témoigne ainsi de la résistance de certaines maisons
réformées aux normes cisterciennes, affirmant avec véhémence leur identité propre. À la fin
du XIIème siècle, c’est donc une version remaniée qui est envoyée à l’abbaye-mère, les
originalités d’Obazine sont prudemment atténuées pour faire d’Étienne un saint cistercien
comme les autres1556.
Nous bénéficions également du cartulaire de l’abbaye, mine d’informations concernant
le patrimoine foncier acquis par les moines blancs. Il est rédigé à partir des années 1170 et
reste donc relativement flou sur les origines du patrimoine avant l’affiliation à Cîteaux. Il
s’agit d’un volume de 354 folios répartis en 43 cahiers. Nous en devons la publication à
Bernadette BARRIÈRE1557.
L’étude des Statuts des Chapitres Généraux de l’Ordre de Cîteaux a révélé un article
de 1504 mettant en lumière l’état de conservation de l’abbaye à cette date et les réparations
nécessaires. Ce texte est éclairant pour une étude archéologique des vestiges et leur
datation1558.
« Et premièrement a été dit et accordé que ledit abbé
d’Obazine fera faire en son monastère d’Obazine les arcsboutants pour garder les fentes de la voûte dudit
monastère, à son regard et ainsi qu’il cognoistra à faire
que ne se ouvrent, et ce dedans six ans prochainement
venans. Item, aussi sera tenu de pourvoir et appliquer la
maison où est commencé une viz de pierre laquelle est
près du cloître devers le soleil couchant, et icelle garnir
de lits et utenciles pour l’infirmerie pour mettre les
religieux qui deviendront malades, ou seront viels ou
valitudinaires, qui ne pourront dormir au dortoir
1556
A. GRÉLOIS, « Les origines contre la réforme : nouvelles considérations sur la Vie de Saint Étienne
d’Obazine », dans Écrire son histoire. Les communautés régulières face à leur passé, Actes du Vème colloque
International du CERCOR, Saint-Étienne, 2005, p. 369-388.
1557
B. BARRIÈRE, Le cartulaire de l’abbaye cistercienne d’Obazine, XIIème-XIIIème siècles, Institut d’Études
du Massif Central, Clermont-Ferrand, 1989.
1558
J. M. CANIVEZ, Statuta…, op. cit., T VI, 1504-30.
- 501 -
regulariter, dedans deux ans prochains venans. Item, et
quant au nombre de religieux, ledit abbé sera tenu
d’entretenir
en
ladite abbaye d’Aubazine dix-huit
religieux, tant pères que novices, et à ceux faire pourvoir
de victu et vestitu selon les statuts de l’Ordre et faculté
dudit monastère. Item, tant que bouche ladite abbaye
nouvelle, ledit abbé sera tenu de faire bâtir le bout dudit
monastère et couvrir la voûte de ladite église, et faire les
autres réparations audit monastère, ainsi qu’il cognoistra
estre le plus expédiant selon la faculté deladite abbaye
dedans six ans prochains venans (…). »
Un état des lieux de 1672 permet de connaître l’état de délabrement des bâtiments
religieux. Il s’agit d’une lettre de sommation par Dom Dumas, religieux d’Obazine, adressée à
l’abbé commendataire François d’Escoubleaux de Sourdis. Celui-ci néglige visiblement
l’abbaye et les bâtiments qui sont en état d’extrême délabrement. L’église est dépavée, les
voûtes des trois nefs « crevées ». Il est fait état des « pierres qui se détachent et tombent des
voûtes ». La plupart des fenêtres sont sans vitres. Le clocher de croisée a la charpente pourrie ;
de même concernant les charpentes du dortoir et du réfectoire. Il est également fait état des
dégradations des moulins, chaussées et du canal. Pour procéder aux réparations, l’abbé fait
venir Maguet, architecte de Paris, des maçons de la paroisse de Chambeyrac, un charpentier
de Vergonzac1559.
Un extrait du journal de Dom Boyer nous permet de connaître l’état de l’abbaye en
1712. Celui-ci parvient à Obazine le 14 août où il rencontre également l’abbé de la Colombe.
Il décrit :
« L’abbaye est belle, le cloître est long et vaste. Le
réfectoire est grand et ancien, de même que le chapitre où
est le tombeau des seigneurs de Comborn (…) »1560.
En 1754, des arpentements d’Obazine font état du cimetière jouxtant l’abbaye, du
château abbatial confrontant au couvent, du jardin des religieux, des cours, du cloître, d’un
moulin composé de deux roues, une à froment et une à seigle1561.
1559
AD Corrèze, E 758, pièce 107 ; B. BARRIÈRE, “L’abbaye d’Obazine. Les enseignements d’un état des lieux
de 1672 », BSLSAC, T 79, 1976, p. 53-70.
1560
R. FAGE, « Une visite à Obazine en 1712 », BSSHAC, T 8, 1886, p. 85-92.
1561
AD Corrèze, C 258.
- 502 -
L’une des granges de l’abbaye d’Obazine est dotée d’un fonds particulier. Il s’agit de
la grange de Graule située aux confins des territoires communaux de Cheylade, Collandres et
Apchon. Ce fonds spécifique distinct de celui de l’abbaye elle-même provient selon toute
vraisemblance de l’administrateur et du fermier qui avaient succédé aux grangiers. Il est
déposé aux Archives Départementales du Cantal à Aurillac sous la cote 1 H. Il se compose
principalement de quelques titres de propriété médiévaux ainsi qu’un terrier et ses lièves de
1584-1585. Des dossiers d’estimation des biens sont également conservés [PJ 14 et 15]1562.
Le fonds conservé aux Archives Départementales de la Corrèze comprend de
nombreux documents révolutionnaires, en particulier un inventaire du mobilier dressé le 9
septembre 1790 par Joseph Parjadis, administrateur du district de Tulle. Il décrit le mobilier
contenu dans les nombreuses chambres du monastère, la sacristie et ses chasubles,
dalmatiques, aubes, encensoirs…, le réfectoire, la cuisine et tous les ustensiles. Il étudie
également les documents conservés dans le chartrier et dresse les noms des diverses paroisses
sur lesquelles Obazine a des droits. Il remarque la présence d’un cartulaire en vélin contenant
343 pages et un terrier [PJ 13]1563.
Un autre document révolutionnaire concerne l’état des revenus de l’abbaye
commendataire d’Obazine. Les domaines affermés sont cités de même que les noms des
tenanciers. L’état des charges est dressé1564.
Historiographie :
L’abbaye d’Obazine a donné lieu à de nombreux travaux d’érudition dont l’un des
plus précieux est le témoignage de ROY DE PIERREFITTE qui décrit le site lors d’une de ses
visites au milieu du XIXème siècle. Bien qu’imprécise et souvent entachée de propos
pittoresques et romantiques, son étude demeure un état des lieux précieux pour la
connaissance du site1565.
À la fin du XIXème siècle, Jean-Baptiste CHAMPEVAL cite dans son étude du BasLimousin certaines granges de l’abbaye d’Obazine, premier inventaire des biens des moines
cisterciens. Il nomme la Serre, La Montagne, Veyrières, Nougein, Couffinier, Crauzy,
Albussac, Chadebec et Chabanes. Il cite également Malbuisson et Grange qui sont toutefois
1562
AD Cantal, 1 Q 561, 1 Q 655, 1 Q 746.
AD Corrèze, Q 148.
1564
AD Corrèze, Q 9.
1565
J-B. L. ROY DE PIERREFITTE, Études historiques…, op. cit., p. 167-192.
1563
- 503 -
fondées postérieurement au cartulaire. Son étude permet ainsi un premier repérage des
granges actuellement toutes identifiées avec certitude et localisées1566.
En 1910, l’abbé ALBE rédige un article conséquent sur les possessions de l’abbaye
d’Obazine en Quercy. Il répertorie les granges, les principales étapes de leur développement
et cite les donateurs à l’origine de leur patrimoine. Cette analyse est donc éclairante pour la
constitution du patrimoine foncier des moines d’Obazine et leur politique d’acquisition dans
la région de Rocamadour1567.
Dès 1927, l’abbaye d’Obazine a fait l’objet des attentions d’historiens et archivistes.
C’est le cas de Jean-Jérôme de RIBIER qui consacre à l’abbaye cistercienne sa thèse soutenue
en vue de l’obtention du diplôme d’archiviste-paléographe. Il fait tout d’abord un état des
sources narratives et diplomatiques (cartulaire, terrier) puis il consacre une partie à
l’historique du site et enfin à son étude archéologique. C’est la première synthèse complète
sur les frères d’Étienne1568.
Les publications concernant le monastère sont nombreuses : il a en effet attiré très tôt
l’intérêt d’érudits corréziens et à partir des années 1960 à fait l’objet d’études opiniâtres et
passionnées de Bernadette BARRIÈRE, étayées de données archéologiques nouvelles. Nous
ne ferons pas ici un inventaire complet de chaque article publié qui seront toutefois cités de
manière la plus exhaustive possible en bibliographie. Ne seront retenues ici que les
principales études, les plus complètes et synthétiques pour notre propre investigation.
En 1977, Bernadette BARRIÈRE livre une étude minutieuse sur le patrimoine
d’Obazine issue du dépouillement précis et détaillé du cartulaire de l’abbaye. Cette analyse
permet une connaissance relativement exhaustive des possessions cisterciennes, de leur
emplacement, de leur nature et de leur évolution au fil des siècles1569.
En 1989, Bernadette BARRIÈRE publie le cartulaire de l’abbaye d’Obazine, étude
majeure permettant de retracer la constitution du patrimoine des moines blancs. Les notices
renseignent sur l’emplacement, la nature des biens acquis par les moines mais également sur
les donateurs et le passage du faire-valoir direct à indirect. De rares actes apportent des
indices quant à la construction et au chantier médiéval. Apparaissent aussi en filigrane les
1566
J-B. CHAMPEVAL, Le Bas-Limousin seigneurial…, op. cit., 1896-97.
Abbé ALBE, « Titres et documents concernant le Limousin et le Quercy. Les possessions de l’abbaye
d’Obasine dans le diocèse de Cahors et les familles du Quercy », BSSHAC, 1910, T 32, p. 251-304 ; p. 415-461 ;
p. 511-609.
1568
J-J De RIBIER, « L’abbaye d’Obazine en Bas-Limousin. Étude historique et archéologique », Thèse
soutenue pour obtenir le diplôme d’archiviste-paléographe (positions), Paris, 1927.
1569
B. BARRIÈRE, L’abbaye cistercienne d’Obazine en Bas-Limousin. Les origines, le patrimoine, Tulle, 1977.
1567
- 504 -
rapports de ces moines avec les autres filiales cisterciennes (Valette, La Garde-Dieu) ainsi
qu’avec les autres ordres religieux (Aureil, Solignac, Uzerche), les laïcs et les évêques1570.
En 1998, une courte notice de l’ouvrage dirigé par Bernadette BARRIÈRE reprend
certaines connaissances concernant le monastère double d’Obazine-Coyroux. Le point est fait
sur les sources manuscrites et sur l’historique du site, de la fondation érémitique d’Étienne
jusqu’à la Révolution. L’auteur insiste sur l’importance de deux sources en particulier : la Vie
d’Étienne d’Obazine et le cartulaire conservé, mines d’informations pour les historiens et
archivistes permettant une bonne connaissance des débuts de la fondation et de la constitution
de sont patrimoine foncier. Plus de vingt granges peuvent ainsi être inventoriées1571.
Des opérations archéologiques ont eu lieu très récemment sur le site d’Obazine. Le
Canal des Moines a en effet fait l’objet d’une étude du bureau d’investigations archéologiques
d’Hadès d’avril à juin 2004 qui a abouti à une meilleure connaissance des techniques de
construction hydraulique des cisterciens. Cette étude très scientifique et poussée est
primordiale pour la compréhension des technicités monastiques médiévales1572. Des sondages
ont également été menés place de l’église afin de vérifier si les fondations de la partie
occidentale de l’abbatiale réduite au XVIIIème siècle avaient été conservées1573.
La publication la plus récente sur Obazine est un article dans le Congrès
Archéologique de France consacré à la Corrèze, édité en 2007. Geneviève CANTIÉ et Éric
SPARHUBERT reviennent rapidement sur l’historique du site, mais surtout sur la
chronologie du chantier, relativement bien cernée grâce aux sources écrites précises et à une
étude de bâti minutieuse. Les bâtiments conventuels ainsi que l’abbatiale font l’objet d’une
description et d’un phasage relativement précis, base essentielle à la présente étude1574.
Historique :
Il paraît délicat d’étudier séparément les histoires des monastères d’Obazine et de
Coyroux, si étroitement entremêlées du moins jusqu’au XIVème siècle. Ainsi, les données
que nous présentons ici concernent bien souvent les deux sites. La monographie concernant
Coyroux reprendra certains faits et insistera sur les épisodes plus propres à la communauté
féminine.
1570
B. BARRIÈRE, Le cartulaire de l’abbaye cistercienne d’Obazine…, op.cit.
B. BARRIÈRE (dir.), Moines en Limousin…, op. cit., p. 178-185.
1572
P. STÉPHANT, B. LEPRETRE, Le « Canal des Moines » de l’abbaye d’Aubazine, 2 vols. Hadès, SRA
Limousin, avril/juin 2004.
1573
S. LEVEQUE, « Aubazine, Place de l’église », Bilan scientifique, DRAC/SRA Limousin, 2006, p. 10.
1574
G. CANTIÉ, É. SPARHUBERT, « Obazine, abbaye » dans Monuments de Corrèze…, op. cit., p. 251-270.
1571
- 505 -
-
La fondation, première moitié du XIIème siècle :
La vie d’Étienne, ermite à l’origine d’Obazine et de ses filles est mieux connue grâce à
sa Vita. Nous savons ainsi qu’Étienne serait né au hameau de Vielzot sur la commune de
Bassignac-Le-Haut près de Tulle. Dans sa première expérience érémitique, il est accompagné
de Pierre. Son arrivée au pays d’Obazine est ainsi décrite :
« (…) appelé ainsi, je crois, à cause de l’opacité des forêts
et de la densité des fourrés qui le recouvrait de toute part.
Ce lieu, fort boisé est entouré de tous côtés par des
rochers abrupts, et une rivière, la Corrèze, qui coule plus
bas, lui donne un charme certain (…) ».
Obazine est déjà connu des textes depuis le Xème siècle où le site est évoqué dans une
charte1575. Elle appartient dès lors à un important manteau forestier. L’ermitage primitif créé
par Étienne est décrit dans sa Vita comme un site presque inaccessible est sauvage. L’habitat
de ces deux solitaires apparaît comme une simple cabane de bois couverte de chaume 1576.
Toutefois, il ne s’agit pas réellement d’un désert puisque la forêt d’Obazine s’intercale entre
les villages de Vergonzac et de Palazinges. Concernant ce dernier, il dispose d’une église
ancienne et d’une implantation humaine relativement importante.
Cet ermitage est officialisé entre 1125 et 1127 d’après un inventaire du XVIIIème
siècle qui précise [Fig. 477] que « L’abbaye d’Obazine fut fondée en l’an 1127 à titre
d’ermitage ». Cet ermitage comprend alors des lieux réguliers (« interiores partes ») et des
dépendances (« exteriores partes ») avec une maison d’hôtes (« hospitium »), destinés à
accueillir des ermites de plus en plus nombreux. La simple cabane de bois ne pouvait plus
suffire1577. Ce premier « monastère » est toutefois réduit au minimum : un réfectoire, une
cuisine, un dortoir. La salle capitulaire n’est pas mentionnée 1578. Excepté le temps nécessaire à
la lecture et à la récitation de l’office canonial, la journée de ces ermites est alors consacrée
aux travaux des champs.
1575
CHAMPEVAL, Cartulaire de l’abbaye Saint-Martin de Tulle, 1903, p. 170.
S. M. DURAND, Étienne d’Obazine, 1085-1159, Lyon, 1966, p. 33.
1577
B. BARRIÈRE, L’abbaye cistercienne d’Obazine en Bas-Limousin…, op. cit., p. 54.
1578
S. M. DURAND, Étienne d’Obazine, 1085-1159, Lyon, 1966, p. 37.
1576
- 506 -
Entre 1130 et 1134, les ermites se déplacent sur le site actuel du monastère, situé à 2
km au sud de l’ermitage primitif, à 300m d’altitude. C’est un site ouvert, dominant et salubre
qui n’a rien de réellement « cistercien » et de désertique.
C’est Geoffroy de Lèves, évêque de Chartres de passage en Limousin (1116-1138) et
ami de Bernard de Clairvaux qui nomme Étienne prieur de cette communauté, et non pas
Pierre, son plus fidèle disciple et compagnon des premiers temps érémitiques.
En 1135, Étienne se rend à la Grande Chartreuse. Il décrit un monastère « entouré de
montagnes glaciales »1579. Il peut observer à loisir les canalisations de pierre qui amènent
l’eau dans la cellule de chaque chartreux. Son admiration pour ces pauvres du Christ est sans
borne et il espère pouvoir rattacher sa petite communauté à cette règle qu’il approuve et à
laquelle il aspire. Toutefois, on lui conseille plutôt d’adopter un modèle cistercien, plus adapté
au nombre important de pénitents attirés à Obazine. Pour le prieur de la Chartreuse, Guigues
Ier, Cîteaux détient la voie royale surtout pour les groupes aussi importants et disposant de
nombreuses possessions. Il convainc Étienne de la nécessité de rechercher des institutions
cénobitiques qui conviennent à la multitude. Ce dernier se rend ainsi plusieurs fois à Dalon
afin de se familiariser avec les coutumes de ces moines. Étienne décide d’adopter
l’observance de Cîteaux sans toutefois s’affilier à l’ordre dans un premier temps.
Des moines venus de Dalon tentent alors de convertir les pauvres d’Obazine à leurs
règles. C’est selon le conseil d’Aimeric, alors évêque de Clermont qu’Étienne réclame la
venue de ces frères de Dalon. En 1142, l’évêque de Limoges Géraud (1142-1177) procède à
l’installation officielle des deux communautés, féminine et masculine. Étienne devient dès
lors abbé. Il avait obtenu auparavant la permission de l’évêque Eustorge (1106-1137) de
fonder une communauté à la condition qu’il respecte les coutumes des Pères du
Monachisme1580. Cet évêque lui avait conféré le pouvoir de célébrer la messe et de construire
un monastère. Obazine s’organise toutefois de manière autonome, il n’y a pas de rattachement
à Dalon. En 1147, Étienne se rend au chapitre de Cîteaux et obtient enfin l’affiliation à
Cîteaux. Il bénéficie pour cela du soutien du Pape Eugène III. Il est présenté devant le
Chapitre Général par Raynard, abbé de Cîteaux, qui le décrit comme « corpore modicum,
statura brevem, habitu despectabilem, vultu deformen ». Cette démarche d’affiliation faillit
toutefois être compromise par la présence de la communauté féminine de Coyroux. Elle se fait
d’ailleurs à la condition que « tout ce qui était contraire aux institutions de l’ordre serait
supprimé peu à peu ». Étienne cesse d’être le supérieur de Coyroux qui aura sa propre
1579
1580
M. AUBRUN, op. cit, p. 81.
M. AUBRUN, op. cit, p. 22.
- 507 -
prieure1581. De sa visite au chapitre de Cîteaux, Étienne aurait ramené deux moines et deux
frères lais1582. À partir de cette date, le monastère d’Obazine aurait été entièrement reconstruit
suivant les normes cisterciennes tandis que celui de Coyroux ne recevrait que quelques
améliorations1583.
Entre 1142 et 1147, Étienne fonde la Valette et Bonnaigue qui se rattachent à Cîteaux
en même temps qu’Obazine et Coyroux. Étienne y envoie des groupes de moines d’Obazine
afin de constituer le premier noyau de ces nouvelles communautés. Jean est le premier abbé
de Bonnaigue tandis que Begon d’Escorailles, chevalier, devient abbé de la Valette1584. Après
1147, Obazine essaime à la Garde-Dieu au diocèse de Cahors, à la Frénade au diocèse de
Saintes ainsi qu’à Grosbot au diocèse d’Angoulême. Les deux premières créations
correspondent à des endroits déjà construits et ne sauraient être considérés comme des
« déserts ». Elles marquent pour Michel AUBRUN la fin d’un esprit pionnier1585.
Le troisième livre de la Vita de saint Étienne évoque sa mort le 8 mars 1159. Il se
trouvait alors à Bonnaigue et son corps doit être transporté jusqu’à Obazine où il est inhumé.
De nombreux miracles surviennent alors sur sa dépouille1586. Ses ossements, découverts sous
son tombeau en 1885 sont désormais contenus dans deux reliquaires modernes. En 1176,
l’église d’Obazine est achevée. Un autel est consacré dans une des chapelles du croisillon
nord du transept par Guérin, archevêque de Bourges. Une inscription est encore visible sur la
voûte de la chapelle ouvrant sur la sacristie : « Anno ab Incarnatione Domini MCLXXVI
consecratum est hoc altare »1587.
-
Constitution du patrimoine au XIIème et XIIIème siècles :
D’après le cartulaire conservé de l’abbaye, nous pouvons retracer assez précisément la
constitution du patrimoine foncier de celle-ci [Fig. 82]. Nous disposons également
d’inventaires des acquisitions faites par l’abbaye de 1147 à 1197. Le patrimoine paraît
composé à la fin du XIIème siècle et dans les premières années du XIIIème siècle. Il est dû en
partie aux donations issues de trois grandes seigneuries limousines : Turenne, Comborn et
Ventadour. D’autres bienfaiteurs sont également connus comme la famille de Chanac, les
Roffignac, les Malemort, la famille de la Borne, des Escorailles, de Gourdon, les Secot
1581
B. BARRIÈRE, L’abbaye cistercienne d’Obazine…, op. cit, p. 71.
J-B. L. ROY DE PIERREFITTE, Études historiques sur les monastères du Limousin et de la Marche, T 1,
Guéret, Betoulle, 1857-1863, p. 167-192.
1583
B. BARRIÈRE, « Les cloîtres d’Obazine et Coyroux, en Corrèze », TAL, T 1, 1981, p. 83-89.
1584
M. AUBRUN, op. cit, p. 107.
1585
M. AUBRUN, op.cit, p. 24.
1586
M. AUBRUN, op. cit, p. 197.
1587
H. J. ZAKIN, French Cistercian Grisaille Glass, Garland, New-York/ London, 1979, p. 19.
1582
- 508 -
Lansat. Il s’agit souvent de dons à la veille d’un départ à la Croisade ou pour un pèlerinage. Il
peut également s’agir de dot à l’occasion de l’entrée d’un frère dans la communauté. Parfois
ces dons interviennent en réparation de dommages causés. En 1175, Ebles de Ventadour
donne les manses de Crassac, de la Ville et du Moulin en réparation des dégâts faits à leurs
granges1588. Le souci de subvenir aux besoins des moniales explique la fondation d’un certain
nombre de granges. Il rappelle le rôle primordial de la femme dans le salut chrétien1589.
La plupart des actes sont concentrés lors de l’abbatiat de Robert de 1164 à 1187.
Considérant la densité importante d’établissements religieux en Bas-Limousin, les
possessions acquises par les moines d’Obazine doivent s’insinuer dans les quelques places
restantes. Elles encerclent les territoires d’Albignac, du prieuré de Saillac ou d’abbayes
comme Tulle et Beaulieu. Les domaines d’Obazine seront plus conséquents en Quercy et dans
les environs de Rocamadour étant donné le vide relatif d’établissements religieux et une plus
faible densité de population. Les moines peuvent constituer des domaines d’un seul tenant1590.
Concernant la nature des biens acquis par le monastère, nous savons que les moines
détiennent beaucoup plus de terroirs agricoles déjà constitués et mis en valeur (manses,
borderies, jardins, champs, prés) que de forêts et d’espaces à défricher. Les droits de pacage
concernant surtout le Quercy, l’Auvergne et le Haut-Limousin.
La donation initiale revient à Archambaud IV de Comborn avant son décès en 1137. Il
cède la forêt où les ermites d’Étienne sont déjà installés. Il donne également le manse de
Maurschams où Étienne va constituer la grange de la Montagne.
Un groupe est situé près d’Obazine : il s’agit des granges d’Obazine, de Rochesseu
(com. Aubazine) et de Monredon (com. Albignac). Cette dernière est issue d’une donation du
seigneur de Monceau, chevalier, qui se donne au monastère et dont l’ensemble des domaines
sont transformés en grange1591. Ce groupe bénéficie d’acquisitions surtout dans les premiers
temps.
Plus au nord, nous trouvons les exploitations de la Montagne (com. Lagraulière) et de
la Serre (com. de Chamboulive). Elles semblent spécialisées dans la production de seigle,
d’avoine, de froment de même que le groupe d’Obazine. La Montagne est probablement
antérieure à 1147 puisqu’elle fait partie de la donation initiale d’Archambaud IV de Comborn.
1588
L. GUIBERT, « Notice sur le cartulaire de l’abbaye cistercienne d’Obazine », BSLSAC, T 12, 1890, p. 57-74.
J. VINATIER, « La piété mariale cistercienne à Obazine révélée par l’architecture, la statuaire et la peinture
(du XIIème au XVIIIème siècles) », BSSHAC, T 18, 1976, p. 79-96.
1590
B. BARRIÈRE, L’abbaye cistercienne d’Obazine en Bas-Limousin. Les origines, le patrimoine, Tulle, 1977,
p. 84.
1591
B. BARRIÈRE, L’abbaye cistercienne d’Obazine, op. cit, p. 124 et 146.
1589
- 509 -
Trois granges au Nord-est sont situées sur les hauts plateaux limousins. Il s’agit de Chabanes
(com. de Tarnac), de Chadebec (com. de Bonnefond) et de Veyrières (com. de Rosiers
d’Egletons) [Fig. 555].
Concernant les granges de la Serre et de Chadebec, nous savons qu’à l’origine ces
terres étaient destinées pour un petit groupe de moines sis au Sourdain [Fig. 567]. Il s’agissait
d’un essaimage de l’abbaye cistercienne berrichonne du Landais qui a toutefois échoué. Ce
sont donc les pauvres d’Obazine qui récupèrent ces donations. Vers 1180, la grange de la
Serre possédait deux étangs à moulins sur deux cours d’eau. Les moines y créèrent l’étang du
Sourdain1592.
Un autre groupe comprend les exploitations de Nougein (com. de Marcillac-LaCroisille), Couffinier (com. de Gros-Chastang) et Croisy (com. Argentat) [Fig. 557]. Ces
granges produisent essentiellement du seigle. Concernant Nougein, elle dispose d’une église
dédiée à Saint-Jean qui correspondait à un prieuré destiné à l’accueil des enfants
d’Obazine1593. Quant à Croisy, elle est dotée dès 1142 par la famille Escorailles de HauteAuvergne.
En terre quercynoise, Obazine détient des possessions à Ramière (com. de Noailhac),
Baudran (com. de Nespouls)1594, Saint-Palavy (com. de Cavagnac), et Banières (com. de
Vayrac).
Les prétentions des moines d’Obazine s’étendent jusque vers Rocamadour où ils
installent les granges des Alis (com. de Rocamadour), de la Dame (com. de Payrac), de
Couzou (com. de Gramat) et de Bonnecoste (com. de Calès). La grange des Alis est à la tête
de ces exploitations. Une agglomération va se constituer autour d’elle.
La création de ces granges non loin de Rocamadour peut s’expliquer par les stratégies
politiques des seigneurs donateurs. Rocamadour est en effet un lieu de pèlerinage en
expansion, cerné par les possessions des moines d’Obazine. À cette époque, les sanctuaires de
la cité du Quercy appartiennent à l’abbaye de Tulle. L’abbé de Tulle étant un Turenne (Ebles,
1112-1152), famille favorable aux pauvres d’Étienne, Obazine est alors considéré comme un
moyen d’acquérir les possessions alentours pour épauler l’abbaye de Tulle1595.
Ces granges proches de Rocamadour sont relativement bien documentées en partie
grâce à l’étude de Jean ROCACHER sur Rocamadour et son pèlerinage1596. L’auteur explique
1592
B. BARRIÈRE, « Étangs et hydraulique en Limousin : le temps des créations » dans B. BARRIÈRE,
Limousin médiéval, le temps des créations, PULIM, Limoges, 2006, p. 157-187.
1593
B. BARRIÈRE, L’abbaye cistercienne d’Obazine, op.cit, p. 158.
1594
IGN Série Bleue, 1/25000ème, Brive-La-Gaillarde, 2135 O.
1595
B. BARRIÈRE, L’abbaye cistercienne d’Obazine, op.cit, p. 170.
1596
J. ROCACHER, Rocamadour et son pèlerinage. Étude historique et archéologique, 2 vols., Toulouse, 1979.
- 510 -
la multiplication des granges par la nécessité de nourrir de nombreux pèlerins. Le monastère
cistercien aurait trouvé ici des débouchés pour ses productions. Ces granges sont vouées à
l’élevage ovin, ainsi qu’au froment, seigle, avoine. La région de Rocamadour n’ayant qu’une
faible densité de population, les moines blancs peuvent constituer des domaines d’un seul
tenant.
L’abbé ALBE étudie également précisément les titres et documents concernant ces
granges du Quercy et nous apprend beaucoup sur leur constitution. Il distingue un groupe des
environs de Turenne comprenant Saint-Palavy, Banières et Baudran, un second groupe autour
de Rocamadour avec la bastide du Mont-Sainte-Marie, les Alis, la Dame, Couzou, Calès,
Bonnecoste, Carlucet et la Pannonie. Contrairement à Jean ROCACHER, il n’étudie pas
précisément les vestiges archéologiques mais s’attache plutôt à retrouver les donateurs de ces
granges et à retracer leur évolution lors du passage au faire-valoir indirect1597.
Nombre de ces granges se spécialisent dans la production vinicole : il s’agit
d’Obazine, Saint-Palavy, Baudran, Ramière, Nougein et Veyrières, de même que les granges
quercynoises [Fig. 568].
Deux granges sont très éloignées de l’abbaye, contrairement à la règle cistercienne qui
encourage les monastères à ne pas disperser leur patrimoine trop loin du monastère. La grange
de Graule est dans le département du Cantal sur la commune de Saint-Saturnin [Fig. 558].
Elle est mieux connue grâce à l’étude d’Adolphe de ROCHEMONTEIX qui, en 1888, retrace
la création de cette grange, cite les principaux actes la concernant conservés aux Archives
Départementales du Cantal et évoque les vestiges archéologiques1598. Le fonds conservé, bien
que peu important, apporte à l’histoire de cette grange du Limon. Sa donation est faite vers
1147 par Léon II de Dienne partant pour la Croisade (la seconde Croisade débute en effet en
1147). En 1296, un acte de partage fixe la limite entre les biens d’Amblard, seigneur de
Dienne et ceux d’Étienne de Gorsse, grangier de l’abbaye1599. L’élevage de moutons est
l’activité principale de l’abbaye. En 1327, une mainlevée est donnée aux assises royales de
Bredons en faveur de l’abbé d’Obazine pour ses revenus saisis par le roi à Graule, en vertu de
la preuve faite que la grange de Graule lui appartient1600.
1597
Abbé ALBE, « Titres et documents concernant le Limousin et le Quercy. Les possessions de l’abbaye
d’Obasine dans le diocèse de Cahors et les familles du Quercy », BSSHAC, 1910, T 32, p. 251-304 ; p. 415-461 ;
p. 511-609.
1598
A. de ROCHEMONTEIX, La maison de Graule. Étude sur la vie et les œuvres des convers de Cîteaux en
Auvergne au Moyen-Âge, Paris, 1888.
1599
B. BARRIÈRE, « Les granges de l’abbaye cistercienne d’Obazine aux XIIème et XIIIème siècles », dans Le
Bas-Limousin, Histoire et Économie, Tulle, 1966, p. 33-51. AD Cantal, 1 H 1.
1600
AD Cantal, 1 H 1.
- 511 -
Un terrier et ses lièves de 1584-1585 nous apprennent sur les possessions des moines
d’Obazine à Graule. Un certain nombre de terres sont citées comme les montagnes de la
Fagette (Cheylade et confins), de Graule et Chapgraule (Saint-Saturnin et confins), de
Ventalhac (Cheylade et confins) et le bailliage de Nouix (Saint-Saturnin) 1601. L’estimation des
biens nationaux en 1790 précise ces possessions et énumère : Nouix, les Chareaux, la
Grosvière, Lavergne, Saint-Saturnin, la Chaumette, les montagnes de la Fagette, de Graule, de
Chapgraule, de Ventalbrou, de la Barre et d’Angrave ( ?)1602.
Quant à la Morinière, elle est placée sur l’île d’Oléron (com. de Dolus), soit à 250 kms
du monastère d’Obazine. Elle y détient trois marais salants. La création de ces granges
spécialisées s’achève à la fin du XIIème siècle. En effet, dès 1169, Girard, abbé de la Trinitéde-Vendôme, avec le consentement de son chapitre, confirme la vente à Obazine du marais dit
de « Folia Chantarel » ainsi que du droit de pêche à Saint-Georges d’Oléron1603. La création de
cette grange saline apparaît assez tôt dans l’acquisition du patrimoine d’Obazine. Elle est
fréquemment considérée comme un prieuré à part entière. À la période révolutionnaire, l’état
des revenus de l’abbaye cite le revenu temporel du prieuré de la Morinière affermé 1800
livres1604.
Les moines d’Obazine disposent également de greniers à Martel, à l’ouest de
Bannières. Il s’agit d’un centre de stockage établi entre le monastère et ses granges du
Quercy/Rocamadour. Il existe également un grenier à sel en Saintonge, à Cognac 1605. Les
cisterciens détiennent de même des maisons dans certains gros bourgs comme Rocamadour,
Brive ou Angoulême1606.
Au XIIIème siècle, nous pouvons constater une fortification du patrimoine monastique
avec la création de quatre nouvelles granges : le Chassaing, Calès, Granges (com. Carlucet) et
la Pannonie (com. Couzou). Il ne demeure que peu de vestiges archéologiques de ces granges
(sauf à Bonnecoste, les Alis et la Panonnie), mais chacune porte un village, une ferme ou un
hameau1607.
L’étude des cartes IGN ou de Cassini permet le plus souvent de localiser ces sites
d’anciennes granges ou moulins [Fig. 40 et 57]. Certains toponymes peuvent conserver le
souvenir d’installations monastiques aujourd’hui entièrement disparues et nous renseignent
1601
AD Cantal, 1 H 2-3.
AD Cantal, 1 Q 561, 1 Q 655, 1 Q 746.
1603
B. BARRIÈRE, Le cartulaire de l’abbaye cistercienne d’Obazine…, op.cit, p. 217.
1604
AD Corrèze, Q 9.
1605
B. BARRIÈRE, L’abbaye cistercienne d’Obazine, op.cit, p. 172.
1606
B. BARRIÈRE, Le cartulaire de l’abbaye cistercienne d’Obazine…, op. cit., p. 25.
1607
B. BARRIÈRE, « Les granges de l’abbaye cistercienne d’Obazine aux XIIème et XIIIème siècles », dans Le
Bas-Limousin, Histoire et Économie, Tulle, 1966, p. 33-51.
1602
- 512 -
ainsi sur le patrimoine et l’environnement de ces moines. La carte de Cassini révèle une
« Périère », peut-être emplacement d’une ancienne carrière. Était-elle toutefois connue des
moines cisterciens ? La difficulté d’une étude toponymique réside bien souvent sur ces
problèmes de datation des termes rencontrés. « Le moulin rouge » est signalé au sud de
l’abbaye et dépendait peut-être d’Obazine. La carte IGN révèle de nombreux termes liés à des
aménagements hydrauliques : « le moulin du Pré » à l’ouest d’Obazine, le « moulin du
Sapinier » au sud-ouest, « la Rivière » au sud-ouest, le « moulin du Prieur » et le « moulin de
la Roche » pouvant dépendre de la grange de Montredon au sud de l’abbaye ainsi que le
« moulin à papier » en direction de Beynat1608.
-
Le Bas-Moyen-Âge et l’époque Moderne :
La communauté féminine est entièrement prise en charge par la communauté
masculine. Les acquisitions des femmes (par donations des seigneurs et grandes familles par
exemple) sont reversées directement aux hommes qui gèrent ainsi le patrimoine foncier des
deux monastères. Obazine dispose de 25 granges polyvalentes (sel, vin, fromage, céréales,
élevage) destinées ainsi à subvenir aux besoins des deux communautés. Toutefois, au
XIVème siècle, les premiers disfonctionnements se font sentir. Les moniales adressent des
suppliques au Pape pour que de nouveaux revenus leurs soient directement attribués. Elles
semblent soucieuses d’acquérir une nouvelle autonomie. Ainsi, dès 1355, Coyroux commence
à acquérir des revenus propres sans passer par l’intermédiaire d’Obazine (on peut citer en
exemple la cession de l’église de Cornac en Quercy). Les moniales récupèrent également le
patrimoine d’Albignac1609.
Au XIVème siècle, c’est l’abandon du faire-valoir direct par les moines d’Obazine.
Certaines granges commencent les arrentements, dès 1310 à la Serre notamment. Ceci permet
entre autre de pallier l’affaiblissement du recrutement des convers. En 1332 est fondée la
bastide du Mont-Sainte-Marie dans les limites domaniales de la grange de la Dame. En
demeure aujourd’hui le lieu-dit « Sainte-Marie »1610.
Le Château de l’Abbé issu de la commende est édifié dans la seconde moitié du
XVème siècle comme en témoigne un écusson retrouvé par l’Abbé POULBRIÈRE dans les
décombres de cet édifice (1476, abbé Jean de Ventadour)1611.
1608
IGN Série Bleue, 1/25000ème, Beynat, 2135 E.
B. BARRIÈRE, “Les problèmes économiques d’une communauté cistercienne double : le cas d’ObazineCoyroux (XIIème-XVIIIème siècles)”, Annales du Midi, T 102, 1990, p. 149-159.
1610
B. BARRIÈRE, « Les granges de l’abbaye cistercienne d’Obazine… », op.cit, p. 33-51.
1611
Abbé J-B. POULBRIÈRE, Dictionnaire historique et archéologique des paroisses du diocèse de Tulle,
Brive, 1964, 2ème édition, T II, p. 339-357.
1609
- 513 -
En 1580, Edme de Hautefort, gouverneur et sénéchal du Limousin possédait l’abbaye
d’Obazine. Il la reprend aux protestants le 5 mars 1589. Henri de la Tour, son parent, vicomte
de Turenne, prend l’engagement de protéger en sa faveur cette possession et de la mettre sous
la sauvegarde du roi de Navarre1612.
En 1667, Obazine est choisie pour abriter le noviciat des cisterciens de la commune
Observance pour les provinces de Bordeaux et de Poitiers1613. Quant au cloître, il est dévasté
au XIXème siècle et l’abbé TEXIER en observe les derniers arcs en 1845. À la fin du
XIXème siècle, un orphelinat s’installe à Obazine de même que la congrégation du SaintCœur de Marie en 18871614.
-
Les restaurations du XIXème siècle :
L’abbatiale a connu des restaurations par l’architecte Anatole de BAUDOT dans la
seconde moitié du XIXème siècle1615. En 1852, ABADIE est mandaté à Obazine. Le projet
reste sans suite, et c’est finalement Anatole de BAUDOT qui reprend le dossier de 1876 à
1907. Des sommes considérables vont ainsi être dépensées en 25 ans pour la rénovation de
l’abbatiale. Avant cette campagne, l’abbaye est décrite par ROY DE PIERREFITTE qui
constate la ruine de certains bâtiments. Le réfectoire en particulier est démoli mais « on
aperçoit encore des nervures gothiques »1616. L’intervention de l’architecte permet que l’église
soit classée au rang des Monuments Historiques. En 1876, Anatole de BAUDOT constate que
l’église d’Obazine est dans un état alarmant : les piliers du transept et les voûtes de la nef
menacent ruines, les charpentes et couvertures sont en très mauvais état, les murs pignons
sont lézardés, les contreforts des collatéraux ne sont pas suffisants pour résister à la poussée
des voûtes, les arcs doubleaux de la nef sont prêts à céder [Fig. 479]. En 1877, il remet ses
projets concernant Arnac et Obazine. Dès son arrivée, il étaye la coupole et la nef pour éviter
l’effondrement. Puis il démonte les voûtes affaissées et les rebâtit, ce qui sera d’ailleurs
fortement critiqué par Léon PALUSTRE qui lui reproche de ne pas avoir conservé les voûtes
tel quel. Il refait deux piles de la croisée de la nef qui ne pouvaient plus porter la coupole et
remonte des contreforts plus épais pour stabiliser l’ensemble. En effet, dès 1863, celles-ci
étaient sur le point de crouler et commençaient à s’incliner en dedans.
1612
J-B. L. ROY DE PIERREFITTE, Études historiques sur les monastères du Limousin…, op. cit, p. 167-192.
J. VINATIER, « La piété mariale cistercienne à Obazine révélée par l’architecture, la statuaire et la peinture
(du XIIème au XVIIIème siècles) », BSSHAC, T 18, 1976, p. 79-96.
1614
Abbé J-B. POULBRIÈRE, Dictionnaire historique et archéologique…, op. cit., p. 339-357.
1615
A. de BAUDOT, Restaurations de l’abbatiale, Paris, Médiathèque de l’Architecture et du Patrimoine,
dossier 0081/019/0003.
1616
J-B. L. ROY DE PIERREFITTE, Études historiques…, op. cit., T 1, p. 167-192.
1613
- 514 -
Quant au clocher, on reproche à BAUDOT d’avoir inventé de toutes pièces la
disposition des glacis à la base du clocher. Pour preuve, le relevé effectué auparavant par
l’architecte Abadie comporte l’indication d’une couverture envahie par la végétation avec un
décor de petits frontons. En fait, ce relevé paraît sujet à caution dans la mesure où la
couverture de la nef par exemple apparaît beaucoup moins haute par rapport au clocher que ne
l’indique Abadie. Des clichés anciens témoignent des dispositions avant restauration : deux
faces présentent des frontons manifestement postérieurs à la construction de l’édifice, les deux
autres faces n’en présentent pas. L’ensemble est protégé par une couverture dont le mauvais
état laisse apparaître le glacis de pierre que BAUDOT s’est contenté de restaurer sans
modification.
Ainsi, de 1877 à 1884, les voûtes du transept et de la nef, ainsi que la couverture de
l’ensemble de l’édifice sont refaites. Cette campagne se caractérise également par une
réfection du dallage, une réparation du clocher et de sa couverture, une restauration de la
grande rose du transept et des verrières. De 1906 à 1907, il fait construire un campanile sur le
pignon de la façade pour abriter les cloches qui ébranlaient le lanternon de la croisée1617. Des
nouvelles réparations du clocher ont toutefois été nécessaires en 1992, 1993 et 19941618.
Vestiges archéologiques :
-
Apport des sources manuscrites :
Le chantier médiéval du monastère d’Obazine est évoqué dans la Vita de Saint
Étienne, de manière certes épisodique mais toujours éclairante pour toute étude architecturale.
Un problème de levage des blocs par exemple est évoqué dans le livre I :
« (…) On en était au plus haut de la construction et les
religieux s’employaient à soulever une pierre d’une
grande taille à l’aide des machines qui cédant sous le
poids, se mirent à craquer et à s’incliner jusqu’à toucher
terre. »1619
1617
P. LEBOUTEUX, « Quelques restaurations d’Anatole de Baudot », Les Monuments Historiques de la
France, 1965, n°3, p. 139-145 ; Anatole de Baudot et l’architecture en Corrèze, Catalogue d’Exposition, Tulle
1987, p. 12.
1618
J. QUEYREL, « La rénovation d’une abbatiale au XIXème siècle : l’église d’Aubazine », BSSHAC, T 115,
1995, p. 235-249.
1619
M. AUBRUN, Vie de Saint Étienne d’Obazine…, op. cit, p. 83.
- 515 -
Les travaux de construction du premier monastère semblent intensifs entre 1136 et 1142.
Les bâtiments existants de la période érémitique sont réaménagés, d’autres sont construits
selon ce que le mode de vie cénobitique exige. L’oratorium est ainsi remplacé par une
ecclesia dédiée à la Vierge, à l’image des Chartreux. Suite à l’affiliation à Cîteaux en 1147,
une nouvelle église va être bâtie dont la mise en œuvre débute en 1156. La première pierre est
en effet posée le 6 avril, en présence de l’évêque de Limoges Géraud, d’Étienne d’Obazine et
du maître d’œuvre (electus operis magister)1620. Cette date est confirmée par la Gallia
Christiana1621. L’embauche d’ouvriers est de même évoquée, sous prétexte de lutter contre la
disette. En réalité, ce recrutement correspond sans doute plus à un besoin de main d’œuvre
pour un chantier important.
Outre la Vita d’Étienne, le cartulaire apporte aussi quelques indices concernant la
construction et les bâtiments médiévaux. En 1159, Pierre Raynaud fait une donation au
monastère qui tient lieu dans le chapitre : « Hoc donum fecit in capitulo ». S’agit-il d’un
chapitre réédifié suite à l’affiliation à Cîteaux ou d’une salle servant déjà à la communauté
non cistercienne ? La même année, Bertrand de la Porte cède des biens dans ce même
chapitre : « Hoc idem concessit in capitulo Obazine ». Le chapitre est encore cité en 1160
pour une donation de Hugues de Mayrignac et en 1161 pour un don d’Armand Liapec. En
1169, une donation de Géraud de Murat tient lieu dans la salle capitulaire : « concessit illud
idem in Obazinensi capitulo ». Vers 1179-1180, des actes ont lieu « in capitule Obazine
novo ». La reconstruction de l’aile orientale est alors avérée (acte 580)1622. Il semblerait que la
construction ait débuté par l’abbatiale et l’aile est du cloître, pour se poursuivre par les ailes
nord et ouest à la fin du XIIème siècle et dans les premières années du XIIIème siècle.
Le chantier médiéval est évoqué de manière plus directe en 1171. Géraud de Cornil
autorise les moines à utiliser sa pierrière sise près du Bois Peironeg (com. Dampniat, cant.
Brive) jusqu’à l’achèvement du monastère en construction et de tous les bâtiments
nécessaires. Il cède également un droit de pacage pour les animaux travaillant au chantier.
Cette donation irait dans le sens d’une poursuite de la construction dans les années 117011751623. La clôture du chantier médiéval ne peut toutefois être déduite des actes de donation
ou de la Vita, et la seule date de consécration de l’autel d’une chapelle ne nous semble pas
suffisante pour conclure à la date de 1176. L’autel de la chapelle sud du bras sud du transept
1620
M. AUBRUN, op. cit., p. 127-129.
Gallia Christiana, T II, col. 524.
1622
G. CANTIÉ, É. SPARHUBERT, « Obazine, abbaye », op. cit., p. 251-270.
1623
B. BARRIÈRE, Le cartulaire de l’abbaye cistercienne d’Obazine…, op.cit, p.78, 124 et 245.
1621
- 516 -
est également dédicacée par Guérin, archevêque de Bourges de 1174 à 1179, autre indice utile
à la datation de la fin du chantier.
-
Abbatiale :
Il semblerait que les nouveaux aménagements visant à remplacer le premier monastère
- devenu trop exigu - aient débuté vers 1156. La reconstruction tiendrait lieu au nord des
anciens bâtiments. Ceux-ci sont encore utilisés durant le temps que dure la construction 1624.
Les lieux réguliers se développent au nord de l’abbatiale, à l’inverse du monastère de
Coyroux [Fig. 475]. La construction de l’abbatiale s’échelonnerait entre 1156 et 1176.
L’année 1176 correspond toutefois à la consécration d’une chapelle de transept et n’atteste
pas forcément de la fin du chantier médiéval. Si le chœur et le transept ont pu être bâtis dans
ce laps de temps, certains indices vont en effet dans le sens d’une nef édifiée sans doute
jusque dans le premier tiers du XIIIème siècle [Fig. 478 et 480]. Dans l’article récent publié
sur Obazine par Geneviève CANTIÉ et Éric SPARHUBERT, les auteurs s’interrogent
d’ailleurs sur la possibilité d’une partie occidentale de la nef « sans doute à rapprocher plutôt
des phases ultimes du chantier monastique, vers 1180-1200, phases au cours desquelles furent
édifiés le réfectoire puis le bâtiment des convers »1625. En effet, la première travée de la nef
actuelle montre des raccords et rattrapage d’assises dans les murs gouttereaux, témoignant
d’un arrêt du chantier. Claude ANDRAULT-SCHMITT relève par ailleurs des différences
discrètes de moulurations à listel entre deux quart-de-rond amincis, légèrement dissemblables
par rapport aux autres travées. Les baies ne sont en effet pas tout à fait identiques. Cette
hypothèse pourrait toutefois être contredite par la Vie d’Étienne d’Obazine. Le second livre,
rédigé avant 1180 d’après Michel AUBRUN, décrit une église parfaite, vraisemblablement
achevée, ce qui irait à l’encontre d’un achèvement du chantier dans les années 1180-1200.
Cette source hagiographique reste cependant à manier avec précautions1626.
Par ailleurs, il semblerait que le chevet, le transept et les deux travées orientales de la
nef correspondent à une même phase de construction, ainsi que la sacristie. Nous avons
toutefois constaté un léger décalage dans les assises juste avant la salle capitulaire marquant
vraisemblablement une pause dans le chantier de construction.
Jacques BOUSQUET se penche en particulier sur la crédibilité de ces dates de
consécration. Celles-ci interviennent souvent avant la fin du chantier de construction. Le
1624
B. BARRIÈRE, « Les cisterciens d’Obazine en Bas-Limousin (Corrèze, France) : les transformations du
milieu naturel », dans L. PRESSOUYRE, P. BENOÎT (dir.), L’hydraulique monastique…, op. cit., p. 13-33.
1625
G. CANTIÉ, É. SPARHUBERT, op. cit.
1626
C. ANDRAULT-SCHMITT, Les nefs des églises romanes…, op. cit., T I, 1982, p. 162.
- 517 -
terme même de construction régulièrement employé dans les actes de donation prête
également à confusion : on a pu parler de construction par le simple fait de développer et
d’enrichir les bases matérielles d’une œuvre par des donations. La cérémonie de consécration
est essentiellement symbolique et centrée sur l’autel. Elle marque le retour à un esprit neuf et
purifié en faisant table rase des « errements antérieurs ». L’achèvement du chantier de
construction n’est pas une condition nécessaire à la célébration de l’autel, d’où notre méfiance
par rapport à cette datation pourtant fréquemment admise de 11761627.
L’abbatiale est orientée suivant un axe nord/ nord-est, décalage certainement dû à une
importante longueur du bâtiment d’origine et à la topographie du terrain [Fig. 476].
Les fondations de l’abbatiale sont de moellons de gneiss grossièrement équarris
extraits directement du site monastique. Des sondages au niveau du mur nord de la nef ont
permis de mieux en connaître les assises de fondation. L’édifice repose sur le substrat rocheux
débarrassé des éclats issus de l’altération qui affecte normalement en surface cette zone. Le
gneiss est dur, les moellons de taille moyenne et de découpe irrégulière. L’élévation des
fondations est de 3 à 4 rangées d’assises de 90cm à 1m avec des petites pierres de calage. Il
existe également des massifs de renforts pour les contreforts peut-être datés des réfections
d’Anatole de BAUDOT au XIXème siècle1628. Par ailleurs, il semblerait que ces restaurations
aient peu concerné l’élévation des travées de la nef.
Les parements sont de pierres de grès gris-ocre taillées provenant d’une carrière peu
éloignée, située à deux kilomètres au sud, vers Lanteuil (toponyme « la Peyrière »)1629. Les
coûts de transport devaient donc être limités, le gneiss étant extrait sur place, le grès à
proximité immédiate du chantier de construction. Les parements sont de moyen appareil
régulier de qualité, à joints vifs enserrant un blocage dur à mortier riche. La couverture
originelle était probablement de lauzes de schiste, remplacées aujourd’hui par de l’ardoise.
Il semblerait que les bâtisseurs aient édifié l’abbatiale d’est en ouest en commençant
par le chœur, le transept et ses chapelles ayant fait l’objet de la consécration de 1176. Le
chœur est une abside à cinq pans [Fig. 482]. Elle est voûtée d’un cul-de-four à trois pans et
percée de trois baies en plein-cintre largement ébrasées et soulignées d’un tore. À l’extérieur,
1627
J. BOUSQUET, « La dédicace ou consécration des églises et ses rapports avec leur construction. L’exemple
d’Oliba », CSMC, 3, 1972, p. 51-71.
1628
B. BARRIÈRE, Monastère cistercien d’hommes d’Aubazine (Corrèze). Rapport des campagnes de sondages
de juillet 1977, de sauvetage de septembre-octobre 1977, Université de Limoges, 1977, p. 24. A. de BAUDOT,
restaurations de l’abbatiale, Paris, Médiathèque de l’Architecture et du Patrimoine, dossier 0081/019/0003.
1629
Le toponyme « La Peyrière » au nord-ouest de Lanteuil et à deux kilomètres environ au sud d’Obazine sur la
N 121 est sans doute un témoin de cette ancienne exploitation monastique.
- 518 -
ces baies sont soulignées d’un cordon simplement mouluré [Fig. 498]. La corniche est
soutenue par des corbeaux nus et n’acceptant aucun ornement. Cette abside est surmontée par
le pignon correspondant à la travée droite du chœur. Il est percé par un triplet de baies
allongées et étroites [Fig. 486]. La baie centrale est plus haute que les deux autres et évoque
ainsi des formules comme celle du chevet du Palais-Notre-Dame bien daté des premières
années du XIIIème siècle [Fig. 307]. Cet élément pourrait aller dans le sens d’une datation
plus tardive que celle supposée par la simple date de consécration. En 1176, les parties hautes
du chœur et du transept n’étaient peut-être pas achevées ? Les boiseries du chœur sont datées
de 1720 et correspondent à des aménagements modernes.
Cette abside principale est encadrée par six chapelles à chevet plat [Fig. 493]. Chacune
d’elle présente des piscines liturgiques à un évier simple ainsi que des autels de pierres. Les
piédroits des arcs à l’entrée de chaque chapelle des bras sud et nord du transept sont ornés
d’amortissements en volutes ou en feuillages [Fig. 490]. La base des tailloirs présente
également le même type de petites sculptures délicates sur lesquelles demeurent des vestiges
de peinture ocre. Au bras nord, les tailloirs épais soutenant les arcs en plein-cintre se
composent de trois tores superposés [Fig. 487]. Pour le bras sud, le même système est
reproduit sauf pour la chapelle la plus au sud qui présente un tailloir à deux tores superposés.
La chapelle médiane du bras du transept sud est couverte de peintures modernes. L’extrados
de l’arc en plein-cintre à l’entrée est orné de feuillages rouges. Les arcs ouvrant sur les
chapelles de transept, aussi bien au nord qu’au sud, sont soulignés d’un cordon mouluré à
deux tores superposés.
Le transept est largement saillant [Fig. 484 et 485]. Les bras sont voûtés en berceau
brisé souligné de doubleaux [Fig. 491]. Ceux-ci retombent sur des colonnes engagées
surmontées de chapiteaux lisses et se terminant à mi hauteur par des culots tronconiques ornés
de pétales s’étalant en corolles [Fig. 492]. Cette solution est également connue à Eberbach,
Santes Creus, Alcobaça ou encore Pontigny. Ces culots n’ont pas de réelle valeur
fonctionnelle puisqu’il n’y a pas de nécessité d’installer des stalles dans ces croisillons.
Depuis le tailloir des chapiteaux part un cordon mouluré de deux tores superposés qui court le
long des bras du transept. Le tombeau d’Étienne d’Obazine est déposé au niveau du bras sud
du transept [Fig. 992]. Le pignon du bras nord est percé d’un oculus. Un escalier majestueux
permettait l’entrée au dortoir. Il dispose d’une rampe torique de 13cm de diamètre. Deux
portes encadrant deux petites fenêtres en bois donnaient accès à la sacristie. Ces ouvertures
sont surmontées d’arcs en plein-cintre clavés. À l’extérieur, le bras du transept sud est scandé
de contreforts à glacis sommital et disposant d’un soubassement plus large. Le contrefort le
- 519 -
plus à l’est du pignon du bras sud du transept est de 0.84m de large pour une saillie de 0.52m
de profondeur. Le soubassement est de 1.29m de large pour 0.59m de saillie. Il s’agit d’un
contrebutement massif destiné à compenser les poussées des voûtes.
La croisée du transept est surmontée d’une coupole appareillée sur pendentifs
soutenant le clocher [Fig. 488]. Elle s’appuie sur des piles cruciformes à colonnes engagées
montant de fond. Ces colonnes sont surmontées de chapiteaux dont deux présentent des
feuillages. Il s’agit des chapiteaux des deux colonnes à l’entrée du chœur. Quant aux bases
des piles de la croisée, elles ne présentent pas toutes le même profil [Fig. 494]. Pour la pile du
sud-est, le socle épais (37cm de haut) est surmonté d’une base au tore inférieur puissant
(14cm de haut) souligné de légers arceaux. Le tore supérieur est plus discret mais bien renflé.
La scotie est très peu prononcée. Au nord-est, la base présente exactement le même profil
mais est dépourvue d’arceaux. Au nord-ouest, les bases des quatre colonnes engagées de la
pile cruciforme présentent un tore inférieur avachi, sans griffe (13cm de haut). La scotie est
peu prononcée, surmontée d’un tore discret de 7cm de haut, l’ensemble reposant sur un socle
épais de 47cm de haut. Au sud-ouest, les bases de la pile cruciforme sont assez différentes.
Elles reposent sur un socle de 41cm de haut. La scotie est cette fois beaucoup plus prononcée.
Le tore inférieur n’est pas avachi (12cm de haut) mais bien renflé, tandis que le tore supérieur
est discret (6cm de haut) et galbé.
Le vaisseau central est voûté en berceau brisé à doubleaux [Fig. 482]. Les départs
assisés des berceaux évoquent ceux de Bonlieu datés du premier tiers du XIIIème siècle. Les
arcades reposent sur des piles carrées ornées de colonnes engagées 1630. Le berceau est percé au
niveau de la deuxième travée de la nef, au nord et au sud, par une petite baie en plein-cintre
ouvrant sur les combles des bas-côtés. Cette particularité se retrouve également au Dorat vers
1130, à Bénévent et La Souterraine. Concernant les piles des deux premières travées
conservées de la nef, les colonnes engagées face à la nef se terminent par des culots à mihauteur. Ce sont des culots simples, sans ornement, de forme tronconique. Selon Claude
ANDRAULT-SCHMITT, ce choix d’interrompre les colonnes de la nef à l’approche du sol
est un « caractère cistercien », ainsi que l’alignement de six chapelles carrées sur un transept
largement débordant. À l’inverse, d’autres caractères seraient proprement « limousins »
comme les collatéraux étroits, la coupole sur pendentifs courbes à la croisée, la tour de croisée
octogonale et l’abside principale de plan pentagonal. Toutefois, nous pouvons constater que la
présence d’une abside à pans n’est pas inconnue du cadre cistercien (Léoncel) et ne se
1630
Abbé F. BROUSSE, Obazine religieux, archéologique, touristique, Tulle, 1953, p. 10.
- 520 -
cantonne pas au seul Limousin. Quant aux voûtes en coupoles sur pendentifs, l’usage n’est
pas une prérogative « limousine » mais bien plus largement aquitaine1631.
Les autres travées disposent de colonnes engagées reposant sur des bases se
constituant d’un tore inférieur aplati sans griffe, d’une scotie peu prononcée et d’un tore
supérieur peu renflé [Fig. 495]. Ce profil est assez éloigné de la base attique fréquente au
XIIème siècle et se rapproche de formulations de la fin du XIIème siècle et du premier tiers
du XIIIème siècle. Nous pouvons ainsi supposer que la construction de la nef s’est échelonnée
jusque dans les années 1200. Ces colonnes engagées sont surmontées de chapiteaux lisses très
similaires à ceux de Prébenoît ou de Bonlieu datés de la fin du XIIème siècle ou du premier
tiers du XIIIème siècle [Fig. 489].
Les collatéraux sont quant à eux voûtés d’arêtes. Des doubleaux retombent sur des
colonnes engagées elles aussi surmontées de chapiteaux lisses. Un deuxième rouleau
correspond à la retombée sur la pile cruciforme. Les chapiteaux présentent de puissants
tailloirs composés de deux tores superposés se prolongeant en cordon sur la pile cruciforme.
Des colonnes sont engagées contre le mur gouttereau et reçoivent elles aussi les doubleaux.
Elles sont surmontées de chapiteaux dont les tailloirs se prolongent en cordon sur une
quinzaine de centimètres. Quant aux bases de colonnes des piles cruciformes, elles sont
similaires à celles de la croisée du transept (orientées sud-ouest). La scotie en est en effet peu
prononcée. Ce n’est toutefois pas le cas pour les piliers cruciformes de la première travée. Le
tore inférieur est avachi, la scotie est quasiment inexistante comme nous l’avions constaté
pour certaines bases de la croisée du transept (orientées nord-ouest). Pour le collatéral nord,
seule la pile cruciforme médiane est munie de bases non avachies à la scotie prononcée. Ces
bas-côtés sont percés de baies largement ébrasées en plein-cintre.
De l’extérieur, nous pouvons constater que le mur gouttereau sud dispose à mi hauteur
de corbeaux vraisemblablement liés à la charpente d’une ancienne galerie couverte [Fig. 483
et 496]. Ils sont placés à 4.20m du sol actuel. Il est toutefois délicat d’en connaître la fonction
exacte. Stéphane LÉVEQUE, lors de ses sondages en 2006, a établi la présence d’une galerie
le long du mur méridional de l’église (fondation du mur servant de soutènement à cette
galerie), ce qui permet de justifier la présence de ces corbeaux le long du gouttereau sud [Fig.
500 et 501]1632. La fondation de ce mur est très arasée. Elle est conservée sur deux ou trois
assises. L’assise inférieure est liée par de l’argile orangée provenant du substrat tandis que les
1631
C. ANDRAULT-SCHMITT, Les nefs des églises romanes…, op. cit., T I, p. 162.
S. LEVEQUE, « Aubazine, Place de l’église », Bilan scientifique, DRAC/SRA Limousin, 2006, p. 10. S.
LEVEQUE, Aubazine, place de l’église. Rapport de diagnostic, DRAC/SRA Limousin, INRAP GSO, mai 2006,
p. 18, non publié.
1632
- 521 -
assises supérieures sont liées d’un mortier de chaux. Cette galerie placée à 3.20m du mur de
l’église, parfaitement parallèle à celui-ci, ne longeait pas toute l’église puisque d’autres
sondages au niveau du mur gouttereau sud de la nef n’ont pas permis d’en établir la
continuité. Il pourrait s’agir d’un mur bahut formant ainsi une galerie simplement couverte ou
d’un mur plein formant une galerie fermée sur ses côtés.
Ce mur gouttereau sud est scandé de contreforts munis de glacis sommital et larmier
de 1.10m de large et de 0.84m de saillie.
La dernière travée du bas-côté nord est percée d’une ouverture sur le cloître.
L’ouverture en est légèrement brisée.
Le nombre de travées de la nef a posé beaucoup de questions et soulevé quelques
polémiques auprès des chercheurs et érudits. Il n’en reste que trois aujourd’hui [Fig. 481]. En
1757, sous l’abbatiat de Guillaume Mathurin de Sers, un certain nombre de travées est
supprimé. Selon Marcel AUBERT, trois travées seulement ont été détruites. La nef originelle
disposait donc de six travées. Cet avis semble partagé dans l’ouvrage L’Art cistercien des
éditions Zodiaque. Toutefois, pour le chanoine POULBRIÈRE, se sont bien six travées qui
auraient été détruites. L’abbatiale en avait donc neuf au total, ce qui reste assez
impressionnant dans un cadre cistercien, d’autant plus dans le diocèse de Limoges où la
majorité des abbatiales restent de dimensions modestes (Prébenoît, Aubepierres, Bonlieu). Le
chanoine se base ici sur une tradition orale. Des sondages sont alors pratiqués par J. DE
RIBIER et R. LAJUGIE dans les années 1970 pour vérifier ou infirmer cette hypothèse. Il
s’avère que l’abbatiale disposait bel et bien de neuf travées d’après les murs de fondation mis
au jour. Comme chaque travée mesurait 6.50m (sauf la dernière travée conservée de 6m,
amputée du fait de l’érection de la nouvelle façade occidentale), l’abbatiale s’étendait sur
80.5m au total1633. De nouveaux sondages ont été réalisés en 2006 sous la direction de
Stéphane LÉVEQUE sur la place de l’église [Fig. 499]. Cette opération entre dans le cadre
d’un projet d’aménagement de la place par la municipalité. Les sondages ont ainsi permis de
vérifier la conservation des fondations de la partie occidentale détruite au XVIIIème siècle. Le
mur gouttereau sud-est et le mur de façade occidental ont été positionnés avec précision. Le
mur de fondation du mur gouttereau sud est de 1.70m de large. Les pierres de fondation ne
sont pas taillées mais simplement équarries et emploient le granite de Palazinges. Les
parements enserrent un blocage désorganisé, noyé dans un mortier très sablonneux avec
1633
J. DE RIBIER, R. LAJUGIE, « Sur les travées de l’église d’Obazine », BSLSAC, T 74, 1970, p. 215-219.
- 522 -
parfois la présence d’un mortier de chaux compact1634. Le dallage médiéval est partiellement
conservé le long du mur du collatéral. Il se constitue de dalles très inégales en granite de
Palazinges, épaisses de 6 à 8cm1635. Ainsi, la longueur de l’église avant destruction était de
79.60m pour une largeur de 20.80m. L’abbatiale d’Obazine dispose donc d’une des plus
longue nef de la région. Selon Éric SPARHUBERT, le rythme serré des travées la distingue
des espaces aux volumes unifiés, aux bas-côtés étroits ouverts sur la nef comme à Uzerche,
Saint-Junien, Le Dorat ou encore Lesterps1636. Ce rythme des travées pourrait correspondre à
des « préoccupations cisterciennes » : les travées orientales sont intégrées au chœur liturgique,
celles des bas-côtés sont utilisées comme oratoires.
Comment justifier toutefois une si longue nef ? Le nombre de moines et de convers
justifiait-il une telle ampleur ? Le chœur des moines ne concerne en effet que les dernières
travées de la nef, près de la croisée. Quant aux laïcs, leur présence n’est que très
occasionnelle, voire proscrite. Pour Claude ANDRAULT-SCHMITT, cette longueur « ne
tient pas exclusivement à des considérations utilitaires ou fonctionnelles » mais pourrait
correspondre à une volonté plus « spirituelle » en cohérence avec l’importance particulière
d’une abbaye chef d’ordre, à la tête d’une communauté nombreuse portée par une figure
charismatique1637.
Le clocher d’Obazine est connu pour son passage du plan carré au plan octogonal par
un système de gradins de pierre réalisant une figure géométrique dite « paraboloïde
hyperbolique » [Fig. 497]. Le recours à des gradins a également été tenté à Beaulieu et SaintLéonard de Noblat, mais sans réel succès [Fig. 1046]1638. Cette tourelle octogonale surmontant
la coupole de la croisée du transept prend appui sur une souche carrée. Chaque face de la tour
est percée d’une baie en plein-cintre avec deux fenêtres géminées. Ces baies ont un profil en
plein-cintre et reposent sur une colonnette centrale surmontée d’un chapiteau lisse. Le clocher
dispose d’une corniche s’appuyant sur de simples corbeaux n’acceptant aucun ornement.
Cette tour de croisée ne dispense pas d’éclairage direct. En effet, les fenêtres donnent sur les
reins de la coupole.
Ce mariage entre l’octogone et le carré se retrouve également à la cathédrale de Tulle.
Le raccordement du clocher avec la souche porteuse s’effectue par ces fameux « redans de
1634
S. LEVEQUE, Aubazine, place de l’église…, op. cit., p. 20.
S. LEVEQUE, « Aubazine, Place de l’église », Bilan scientifique, DRAC/SRA Limousin, 2006, p. 10. S.
LEVEQUE, Aubazine, place de l’église. Rapport de diagnostic, DRAC/SRA Limousin, INRAP GSO, mai 2006,
28p., non publié.
1636
G. CANTIÉ, É. SPARHUBERT, op. cit..
1637
C. ANDRAULT-SCHMITT, Les nefs des églises romanes…, op. cit., T I, p. 220.
1638
B. BARRIÈRE, Aubazine en Bas-Limousin, Association Histoire et Archéologie au pays d’Obazine,
Limoges, 1991, p. 12.
1635
- 523 -
pierre », parfois appelés « triangles dallés à ressauts ». Comme Anatole de BAUDOT a
restauré cette partie dans les années 1875, beaucoup lui attribue l’invention de ce glacis.
Toutefois, des photos anciennes prouvent qu’il l’aurait simplement réparé à l’identique, sans
modification. Le glacis était auparavant recouvert par une couverture en mauvais état
supprimée par l’architecte1639.
Nous savons qu’au milieu du XVIIIème siècle, l’église est amputée de la partie ouest
de la nef : ne demeurent dès lors que trois travées sur les neuf initiales1640.
-
Cloître :
L’emplacement du site d’Obazine étant en pente (orientée est-ouest), des travaux de
remblaiement se sont employés à créer une plate-forme pour asseoir le cloître. Les remblais
sont plus importants en allant vers l’ouest et vers le nord. Ainsi, à l’angle nord-est du cloître,
une dénivellation de 2m de haut a dû être rattrapée tandis qu’au nord-ouest elle atteint
3.40m1641.
Le cloître est un carré de 43m de côté. Les galeries en étaient charpentées comme le
prouvent les vestiges de corbeaux observables le long du mur gouttereau nord de l’église, du
bâtiment est et de l’extrémité ouest du bâtiment conventuel nord (cuisine). Les trous
d’encastrement des poutres de la charpente du cloître sont de même encore visibles. Le faîte
du toit atteignait 6.70m. Il est surmonté d’un larmier chanfreiné protégeant les murs des
infiltrations d’eau. Il était probablement couvert de lauzes comme en témoignent les
nombreux éléments mis au jour lors des diverses campagnes de fouilles archéologiques.
La largeur intérieure des galeries était de 3.70m et de 4m de hauteur. Ces galeries
étaient pavées de tomettes carrées. Ces carreaux de céramique mesuraient 12 à 13 cm de côté.
Ils étaient séparés par des interstices d’1cm environ. Ils reposaient sur une couche de mortier
jaunâtre et léger de 4cm d’épaisseur1642. La galerie sud prend appui sur le mur gouttereau de
l’église [Fig. 506]. La « porte de jour » au profil légèrement brisé assurait le passage entre le
cloître et l’abbatiale. Cette galerie disposait de carreaux décorés rouges à incrustations de
dessins blancs jaunâtres [Fig. 529]. Des sépultures du XIIIème siècle, bâties ou en fosses, ont
été découvertes sous le pavement de cette galerie1643.
1639
J. DE RIBIER, R. LAJUGIE, « Le clocher d’Obazine », BSLSAC, T 75, 1971, p. 77-82.
B. BARRIÈRE, Aubazine en Bas-Limousin…, op. cit, p. 7.
1641
B. BARRIÈRE, « Les cloîtres des monastères d’Obazine et de Coyroux en Bas-Limousin », Mélanges à la
mémoire du père A. DIMIER, Pupillin, tome III, 1982, p. 177-193.
1642
B. BARRIÈRE, Monastère cistercien d’hommes d’Aubazine (Corrèze)…, op.cit,, p. 36.
1643
B. BARRIÈRE, « Les cloîtres des monastères d’Obazine…, op. cit.
1640
- 524 -
La galerie ouest ne s’appuie sur aucun bâtiment mais court le long d’un puissant mur
nu servant également de soutènement à la plate-forme du cloître. De l’autre côté s’étendait la
cour des convers, puis le bâtiment des convers.
Au centre du cloître actuel est conservé le lavabo médiéval [Fig. 523]. Il s’agit d’une
vasque de grès de 2.40m de diamètre. Elle dispose de vingt orifices permettant l’écoulement
des eaux dans une seconde vasque aujourd’hui disparue. De simples moulures horizontales
ornent le pourtour de la vasque. D’après la Vita, cette vasque semble correspondre à celle du
premier monastère (vers 1140).
« Étienne fit également bâtir un cloître et, tout autour, des
habitations régulières. Au centre, il fit faire une élégante
fontaine. On amena, pour cela, une pierre d’un poids
énorme, que trente paires de bœufs avaient peine à
mouvoir (…) »1644.
Des piliers de section carrée cantonnés de quatre colonnettes aux angles ont été
retrouvés et devaient appartenir au cloître. Ils présentent des similitudes avec ceux des salles
capitulaires de Sénanque et de Fontenay. Le mur du transept garde le vestige de l’armarium
où les moines rangeaient les livres [Fig. 507]1645. Il s’agit de deux cavités rectangulaires
surmontées d’arcs en plein-cintre. Selon Jean-Jérôme de RIBIER, le cloître primitif est ruiné
(il ne précise toutefois pas à quelle époque) et reconstruit au XVIème siècle 1646. Le cloître est
encore conservé lors de l’état des lieux de 16721647.
-
Bâtiments conventuels :
•
Bâtiment est :
À l’est, le bâtiment des moines a été fortement remanié dès la fin du XVIIème siècle et
au XVIIIème siècle [Fig. 503]. En effet, le bâtiment originel ne disposait que d’un étage. Un
second étage ainsi que des combles sont ajoutés tardivement. Cette surélévation est en lien
avec la transformation d’Obazine en noviciat pour les abbayes cisterciennes d’Aquitaine. Le
dortoir primitif est alors arasé. Les baies du dortoir des moines sont modifiées et agrandies par
1644
M. AUBRUN, Vie de saint Étienne d’Obazine…, op. cit., I, 29 ; B. BARRIÈRE (dir.), Moines en
Limousin…, op. cit., p. 69.
1645
B. BARRIÈRE, Aubazine en Bas-Limousin…, op.cit, p. 13.
1646
J-J De RIBIER, « L’abbaye d’Obazine en Bas-Limousin… », op. cit.
1647
B. BARRIÈRE, “L’abbaye d’Obazine. Les enseignements d’un état des lieux…, op. cit., p. 53-70.
- 525 -
rapports aux réalités médiévales [Fig. 513]. Le bâtiment à l’angle nord-est est également
tardivement remanié comme en témoigne la mise en œuvre différente en petit appareil
irrégulier employant le grès rouge local et non plus le gneiss blond caractéristique de la mise
en œuvre médiévale. Il s’agit du Château de l’Abbé édifié au XVème siècle [Fig. 522]. De
plan quadrangulaire (20m de long, 15m de haut), il est placé perpendiculairement à l’aile est.
La médiocrité de la mise en œuvre a conduit à son écroulement partiel sur l’extrémité du
bâtiment est, amputé de 15 mètres environ.
En progressant du sud vers le nord, nous trouvons la sacristie, bâtie comme une petite
chapelle dotée d’une abside à trois pans faisant saillie dans le mur oriental de ce bâtiment est.
Ce type de sacristie, servant parfois de chapelle, placée contre un bras du transept et visible de
l’extérieur uniquement par la saillie de l’abside est fréquent dans un cadre cistercien
(Cadouin, Noirlac), et s’observe également à l’église du Chalard au milieu du XIIème
siècle1648. La sacristie est voûtée en berceau brisé. Elle est ornée de décors peints à faux joints
dont le liseré rouge est assorti d’un bandeau aux motifs d’entrelacs.
Ensuite, la bibliothèque s’ouvre sur la galerie du cloître par une porte et une baie en
plein-cintre.
Une rupture verticale est visible dans la mise en œuvre juste avant la salle capitulaire.
Des rattrapages d’assises sont effectivement bien visibles et pourraient correspondre à un arrêt
temporaire du chantier ou à un changement d’équipe d’ouvriers. Une seconde rupture
similaire est observable à cinq ou six mètres de l’angle nord-est, au niveau de la porte menant
au dortoir des moines.
La salle capitulaire est entièrement bâtie en moyen appareil régulier [Fig. 508]. Elle est
ouverte sur la galerie du cloître par quatre baies encadrant une porte au profil très légèrement
brisé [Fig. 514]. La porte est soulignée par une archivolte se prolongeant en cordon jusqu’aux
premières baies latérales. Les arcades des baies reposent sur des colonnettes surmontées de
chapiteaux lisses et dotées de bases au tore inférieur légèrement avachi. L’embrasure des
baies est dotée de deux colonnettes adossées elles aussi surmontées de simples chapiteaux
lisses. La salle capitulaire est orientée. Elle dispose de six travées voûtées d’arêtes. Ce type de
voûtement peut étonner alors même que les ogives sont souvent requises dans les salles
capitulaires contemporaines (Noirlac, Sénanque, Fontfroide) 1649. Les arêtes retombent sur
deux colonnes cylindriques [Fig. 509]. Ces colonnes de 1.90m de hauteur sont monolithiques.
Elles sont coiffées de corbeilles lisses évasées surmontées de puissants tailloirs [Fig. 510].
1648
X. LHERMITE, « Le prieuré du Chalard. Étude architecturale », BSAHL, T 131, 2003, p. 37-71.
G. CANTIÉ, É. SPARHUBERT, « Obazine, abbaye » dans Monuments de Corrèze, Congrès Archéologique
de France, Société Française d’Archéologie, 163ème session, 2005, Paris, 2007, p. 251-270.
1649
- 526 -
Ceux-ci recueillent les tas-de-charge sur lesquels se rejoignent les arêtes des voûtes. Les bases
ont un tore inférieur avachi mais sans griffes. La scotie est peu prononcée. Un des trois côtés
de la salle présente trois étages de bancs. Le mur est est percé de trois baies en plein-cintre
largement ébrasées, témoignant de la relative épaisseur des murs. Cette salle capitulaire est
vraisemblablement achevée avant 11791650. Elle sert actuellement de chapelle à la
communauté.
Nous remarquons ensuite un passage voûté en berceau faisant communiquer le cloître
avec certaines dépendances. La voûte présente encore des traces de cintrage. Ce passage est
dévolu aux frères lors des travaux à l’extérieur du cloître [Fig. 511 et 512]. Une autre porte
précédée d’un emmarchement correspond à un escalier reliant le cloître au dortoir des moines.
Il s’agit d’une porte au profil légèrement en plein-cintre et dont les claveaux longs
correspondraient à une datation postérieure aux percements de la salle capitulaire notamment
(XIIIème siècle).
Ensuite, une autre porte au profil brisé, soulignée d’un simple tore et aux claveaux
longs et larges (comme dans l’ensemble des percements des bâtiments conventuels, attestant
d’une certaine homogénéité de la mise en œuvre) ouvre sur la salle de travail des moines, le
scriptorium, également voûté d’arêtes, à la manière de la salle capitulaire. Cette salle se
compose de deux vaisseaux de trois travées séparés par deux piliers carrés maçonnés.
L’étude des parements est de ce bâtiment oriental du cloître permet un certain nombre
de remarques. La porte de la galerie reliant le cloître à l’extérieur est dotée d’un profil brisé et
dispose de claveaux longs et larges. Le premier sommier montre un rattrapage avec les
parements de la salle capitulaire, attestant de l’antériorité de celle-ci sur l’extrémité nord du
bâtiment, sans doute achevée dans la première moitié du XIIIème siècle. Par comparaison, les
trois baies en plein-cintre de la salle capitulaire ont des claveaux plus courts, tandis que les
baies des étages supérieurs, quadrangulaires et larges, datent des XVIIème et XVIIIème
siècles.
L’état des lieux de 1672 évoque un « ancien noviciat » à l’extrémité nord de ce corps
de bâtiment, entièrement inconnu de nos jours. Il a sans doute disparu lors d’une démolition
systématique en 1780. Le bâtiment amputé reçoit le mur pignon qui ferme aujourd’hui la salle
des moines au nord1651.
1650
J-J De RIBIER, « L’abbaye d’Obazine en Bas-Limousin. Étude historique et archéologique », Thèse
soutenue pour obtenir le diplôme d’archiviste-paléographe (positions), Paris, 1927.
1651
AD Corrèze, E 758, pièce 107 ; B. BARRIÈRE, “L’abbaye d’Obazine. Les enseignements d’un état des lieux
de 1672 », BSLSAC, T 79, 1976, p. 53-70.
- 527 -
L’étage est occupé par le dortoir. Il se composait à l’origine d’une vaste salle
recouverte de terre battue. Une porte au profil brisé soulignée d’un tore discret mène à
l’escalier monumental le reliant à l’église. À gauche de cette porte, un petit escalier conduit à
une pièce exiguë dévolue au veilleur. À la fin du Moyen-Âge, ce sont des cellules qui
succèdent au dortoir. Au XVIIème siècle, des appartements riches en boiseries remplacent le
vaste dortoir nu et dépouillé de l’époque médiévale. Un nouveau dallage est mis en place avec
de petits galets de la Corrèze formant des dessins telle la Croix de Malte [Fig. 513].
D’une manière générale cette aile est montre une certaine homogénéité avec le
traitement architectural de l’abbatiale et a sans doute été édifiée pour bonne part de manière
concomitante (en particulier les parements jusqu’à la salle capitulaire).
•
Bâtiment nord :
Le bâtiment nord regroupe le chauffoir (appelé « archives » lors de l’état des lieux de
1672), la cuisine et le réfectoire, ensemble presque entièrement démoli aujourd’hui [Fig. 504
et 521]. Il connaît une période de remaniements modernes en même temps que l’aile est,
notamment par la création d’un nouveau bâtiment des hôtes. Un imposant bâtiment
quadrangulaire conservé à l’angle nord-ouest est couvert d’un dôme. Il est daté du XVIIIème
siècle et bâti en petit appareil irrégulier. Seuls les piédroits des baies et les harpages sont de
moyen appareil régulier. La pierre utilisée est le grès rouge local. Il abrite une cage d’escalier
desservant les anciens étages [Fig. 505]. Le parement nord est particulièrement intéressant.
Son élévation massive est renforcée par d’épais contreforts saillants. L’ensemble est installé
sur un réseau de caves.
Quant au réfectoire, il est presque entièrement détruit aujourd’hui [Fig. 517 et 519]. Il
occupe à l’origine l’essentiel de l’aile nord par ces dimensions imposantes : 26m de long pour
8.50m de large et 16m de haut. Il se compose de quatre travées voûtées d’ogives [Fig. 515 et
516]. Demeure la porte ouvrant sur la galerie nord du cloître au profil brisé et aux tores nichés
dans les ébrasements reposant sur de petites bases attiques. Les départs d’ogives et les
formerets montrent un profil en amande dégagé de deux cavets attestant d’une datation des
dernières décennies du XIIème siècle (après 1180), voire du premier tiers du XIIIème siècle,
comme l’attestent les exemples contemporains de Trois-Fontaines ou de Preuilly 1652. Les
voûtes étaient de plan carré, assez plates, formées d’un blocage massif, de voûtains lourds,
d’ogives non pénétrantes reposant sur des culots feuillagés. Le pignon ouest est percé d’un
armarium constitué de deux placards. Il devait accueillir les ouvrages destinés à la lecture lors
1652
G. CANTIÉ, É. SPARHUBERT, « Obazine, abbaye », op. cit., p. 251-270.
- 528 -
des repas. La porte conduisant aux cuisines est très remaniée et présentait un profil en pleincintre. Le réfectoire devait être scandé de puissants contreforts dont ne demeure aujourd’hui
que celui de l’angle nord-ouest encore doté de son glacis sommital.
La cuisine se compose de deux vastes travées carrées voûtées d’arêtes soulignées de
doubleaux. Elle mesure 15m de long pour 8.50m de large. Nous pénétrons par une porte
percée au XVème siècle surmontée d’un arc en accolade reposant sur de petites têtes
sculptées. Une cheminée lui est adjointe au XVIIIème siècle [Fig. 518 et 520].
•
Bâtiment ouest :
Le bâtiment ouest correspond au bâtiment des convers, vraisemblablement mis en
œuvre dans la dernière phase d’édification du monastère. Il n’est pas évoqué dans l’état des
lieux de 1672 et a dû être progressivement abandonné suite à la diminution du nombre de
convers. Il abritait un réfectoire, un dortoir, des caves, des celliers, greniers et écuries. Il
s’agissait d’une puissante bâtisse de 18m de large dont l’ampleur nord/sud n’a pas pu être
déterminée. Il se situe à trois mètres en contrebas de l’espace monastique et a nécessité un
second terrassement. Le mur gouttereau ouest servait de mur d’enceinte à l’enclos
monastique. Ce bâtiment était divisé en deux parties inégales par un mur de refend. Il est
entièrement détruit aujourd’hui1653. Il communiquait avec un grand vivier à poissons maçonné
et un ensemble de trois moulins dont l’un fonctionnait encore il y a 60 ans [Fig. 531 et
533]1654. Le secteur ouest des convers a fait l’objet d’une investigation archéologique en juillet
1977 par Bernadette BARRIÈRE et son équipe de l’Université de Limoges1655. Un sondage
atteste l’existence d’une ruelle des convers de 12.5m de large dont l’extrémité sud butait sur
les deux dernières travées ouest de la nef de l’église, détruites depuis 1757. Le report du
bâtiment des convers à l’ouest de la ruelle est ainsi délimité, au niveau de l’actuel jardinterrasse.
-
Mobilier liturgique :
•
Le tombeau d’Étienne d’Obazine :
Ce tombeau est l’une des plus précieuses réalisations détenues par les moines
cisterciens d’Obazine [Fig. 992]. Il est classé au titre d’immeuble en 1840. Il est réalisé en
calcaire oolithique dans la seconde moitié du XIIIème siècle. Étienne étant mort en 1159
1653
B. BARRIÈRE, « Les cloîtres d’Obazine et Coyroux, en Corrèze », TAL, T 1, 1981, p. 83-89.
B. BARRIÈRE, Aubazine en Bas-Limousin…, op.cit, p. 18.
1655
B. BARRIÈRE, Monastère cistercien d’hommes d’Aubazine (Corrèze). Rapport des campagnes de sondages
de juillet 1977, de sauvetage de septembre-octobre 1977, Université de Limoges, 1977.
1654
- 529 -
avant l’achèvement de la construction de l’église, son tombeau est tout d’abord placé dans la
salle capitulaire avant d’être déplacé dans le croisillon sud de l’église.
Le monument funéraire dressé à la fin du XIIIème siècle prend l’aspect d’une châsse
reliquaire ajourée. Un gisant d’1.85m, sans doute un peu plus grand que nature est placé sur
un socle mouluré. Étienne est revêtu des ornements sacerdotaux, couché dans l’attitude du
sommeil1656. L’ensemble mesure 2.30m de long, 1.25m de large et 1.70m de haut. Une sobre
arcature décore le pourtour du tombeau. Les écoinçons sont ornés d’un décor végétal. Le
gisant est abrité par un toit en bâtière dont les versants mesurent 1.90m de long par 0.80m de
large. Ces versants sont compartimentés par des arcs trilobés qui rythment la composition.
Des personnages sont sculptés en haut-relief. Il s’agit de cortèges de moines et de moniales,
d’abbés, d’anges sous le regard bienveillant de la Vierge Marie et du Christ. Les deux pignons
portent une décoration végétale.
D’après le décor architectural, végétal et la physionomie des personnages, ce tombeau
peut être daté des années 1250-1260. Plusieurs indices permettent d’étayer cette hypothèse :
en effet, six abbés sont sculptés sur les versants du tombeau. Il s’agit vraisemblablement
d’une représentation d’Obazine et de ses cinq filles. Toutefois, une sixième fille est fondée en
1260 : il s’agit de Notre-Dame La Nouvelle. Le tombeau est donc antérieur à cette fondation.
Louis IX implante des sépultures familiales à Royaumont et Maubuisson entre 1228 et 1244
qui présentent de fortes similitudes avec le tombeau d’Étienne d’Obazine (notamment avec
celui de Philippe d’Agobert). Celui-ci proviendrait-il d’ateliers parisiens ? Saint Louis étant
très généreux avec l’ordre cistercien, nous pouvons aisément l’imaginer à l’origine de cette
création1657.
•
Les vitraux :
Le monastère masculin d’Obazine est l’un des seuls à conserver des vitraux in situ.
Quatre panneaux ont fait l’objet de restaurations partielles [Fig. 530]. En effet, ils sont classés
MH en 1842 et sont restaurés entre 1877 et 1884 par Anatole de Baudot. En 1842, Violet-LeDuc en retrouve de semblables à Pontigny. En 1850, l’abbé Texier, curé du Dorat, les avait
présenté aux archéologues ainsi que ceux de Bonlieu1658. Nous pouvons supposer qu’ils ont
été placés dans l’abbatiale peu avant l’inauguration de l’édifice en 1176. À cette date, l’autel
est consacré comme l’atteste une inscription sur les voûtes de la chapelle ouvrant sur la
sacristie :
1656
M. FAUCHER, « Tombeau de saint Étienne d’Obazine », BSLSAC, T 2, 1880, p. 179-186.
B. BARRIÈRE, “Le tombeau de saint Étienne d’Obazine. Une œuvre française du XIIIème siècle », I.
DULAC-ROORYCK (dir.), L’Art religieux en Bas-Limousin, Toulouse, 1997, p. 72-85.
1658
L. BONNAY, “Église d’Obazine. Vitraux du XIIème siècle”, BSSHAC, T 2, 1879, p. 199-211.
1657
- 530 -
« Anno ab Incarnatione Domini MCLXXVI consecratum est hoc altare ».
Trois panneaux sont placés dans le bas-côté nord, un au niveau du côté ouest du
transept nord. Les quatre motifs représentés diffèrent : un décor de croix placées en diagonale,
des entrelacs bordés de losanges, des palmettes similaires à celles du vitrail de l’abbaye de
Bonlieu (toutefois, celles d’Obazine pointent toutes dans la même direction), ainsi que des
cercles entrelacés [Fig. 167]1659. Des vitraux ont également été découverts à l’abbaye de
Noirlac dans les années 1970, l’un appartenant au transept (vers 1180), l’autre à la nef ( ?)
dont le décor de palmettes est très proche des vitraux d’Obazine et de Bonlieu1660.
•
L’armoire liturgique :
L’abbaye conserve également une armoire liturgique en chêne datée de la fin du
XIIème siècle [Fig. 527]. Elle mesure 2.30m de large, 2.25m de haut, et 0.84m de profondeur.
Les montants et traverses de 10cm d’épais sont grossièrement travaillés et reliés à la base de
la face par une plate-bande en fer. Deux vantaux sont retenus chacun par deux pentures de fer
terminées par des fleur-de-lys. Les faces latérales sont ornées d’arcatures géminées. Des
traces de peinture rouge sont encore perceptibles1661.
•
Le petit mobilier de culte :
Une petite croix en vermeil fait partie des objets de culte précieux découverts à
Obazine [Fig. 526]. Il s’agit d’une croix à double traverse comme on en rencontre
fréquemment à Constantinople, dans l’Attique, en Morée et au Mont Athos. Elle mesure
320mm de haut, la traverse la plus grande 160mm et la seconde 100mm. Le métal en est très
mince, en feuilles et cloué sur du bois recouvert d’une étoffe de couleur rougeâtre. La figure
du Christ est placée au centre de la croix, à la rencontre des branches inférieures. Le Christ est
cloué par les mains et les pieds. Les pieds sont attachés séparément, ce qui irait dans le sens
d’une datation du XIIème siècle. En effet, dès le XIIIème siècle, les pieds sont superposés et
fixés par un seul clou. La tête est inclinée à droite, nimbée, mais sans la couronne d’épines.
Un petit médaillon est placé à la rencontre des branches supérieures. Était-il destiné à recevoir
des reliques ? Les montants sont ornés d’émaux, taillés en cabochons ou en tablettes. Selon
1659
H. J. ZAKIN, French Cistercian Grisaille Glass, Garland, New-York/London, 1979, p. 19.
J. HAYWARD, « Glazed Cloisters and their Development in the Houses of the Cistercian Order”, Gesta, vol.
XII, 1973, p. 93-109.
1661
Abbé F. BROUSSE, Obazine religieux, archéologique, touristique, Tulle, 1953, p. 14-15.
1660
- 531 -
Ernest RUPIN, cet objet aurait pu être ramené de Constantinople suite à la prise de 1204. Ne
pourrait-il pas également s’agir d’une œuvre des ateliers de Limoges1662 ?
Un pied de croix ou de reliquaire en cuivre doré et émaillé est aussi conservé à
Obazine. C’est un petit objet de 31cm de haut. Il se compose d’un cône tronqué, légèrement
aplati et terminé dans sa partie supérieure par un magnifique nœud ressemblant à un fruit. Le
cône ayant à sa base 17cm de diamètre repose sur trois pieds. Il est divisé en trois sections
égales par trois petits animaux étranges en cuivre doré et ciselé. Ceux-ci ressemblent à des
caméléons. Leurs têtes sont armées de longues cornes. L’échine est figurée par des
gouttelettes d’émail bleu turquoise. Les yeux sont recouverts d’un émail plus foncé. La queue
est enroulée en volute et terminée par une tête de serpent. L’intervalle entre les animaux est
occupé par des rinceaux réservés en taille d’épargne, se détachant par l’éclat de la dorure sur
un fond d’émail de couleur bleu lapis.
Le fruit qui surmonte le cône ressemble à une grenade enrichie de huit côtes nervées et
séparées entre elles par un nombre similaire de sillons richement gravés. Il prend naissance
au-dessus de la queue des animaux. À son extrémité s’épanouit une double rangée de feuilles
d’où surgit une douille destinée à recevoir un objet. Il s’agit probablement d’une œuvre de
Limoges du XIIIème siècle, assez similaire à une œuvre de Grandmont. En effet, un support à
une statue d’Étienne de Muret reprend la même composition1663.
Appartient également aux moines d’Obazine un reliquaire en cuivre doré et émaillé
daté vraisemblablement du XIIIème siècle. Il s’agit d’un petit édifice rectangulaire reposant
sur quatre pieds, surmonté d’une couverture à double versant incliné. Il mesure 22cm de long
pour 8cm de large et 18cm de haut. Il se compose d’une âme en bois de chêne forte et épaisse.
Cinq plaques de cuivre rouge, doré et émaillé y sont appliquées au moyen de petits clous à
tête ronde. Il manque toutefois une plaque au niveau d’une façade. L’émail du fond est
champlevé, de couleur bleu lapis.
La façade principale et le toit sont ornés de huit statues en cuivre doré et repoussé en
relief très saillant. Elles sont disposées en deux rangs, les unes au dessus des autres. Cinq
d’entres elles tiennent un livre dans les plis de leurs manteaux. Le costume est riche,
largement drapé, la tête appliquée sur un nimbe formé d’un émail vert liseré de jaune, tacheté
de points rouges et inscrit dans un petit cercle de métal doré. Chacune des statues a une
1662
É. RUPIN, « Croix byzantine (fin XIIème siècle). Église d’Aubazine (Corrèze) », BSSHAC, T 1, 1879, p.
275-279.
1663
É. RUPIN, « Pied de croix ou de reliquaire en cuivre doré et émaillé, XIIIème siècle, église d’Aubazine
(Corrèze) », BSSAHC, T 1, 1879, p. 147-150.
- 532 -
physionomie propre. La façade est divisée dans le sens de la longueur en deux parties égales
par une large bande turquoise enrichie de petits losanges de différentes couleurs.
L’autre façade est mutilée et probablement remaniée au XIVème siècle.
Les pignons présentent deux saints personnages gravés au trait sur un fond de cuivre
doré. Ils sont figurés pieds nus, nimbés, dans une mandorle bordée d’un filet doré qui se
détache sur un fond bleu lapis. Il s’agit probablement d’apôtres. L’un d’eux semble être Jean
avec ses cheveux longs et tenant un livre. Cette châsse évoque fortement celle de l’église de
Malval. Créations monastique et paroissiale peuvent adopter les mêmes formules1664.
•
Les représentations de la Vierge :
La Vierge fait l’objet d’une dévotion particulière chez les moines cisterciens et leurs
églises sont quasi systématiquement dévolues à Marie. Elle est représentée plusieurs fois à
Obazine. Nous connaissons une Vierge en pierre couronnée qui rappelle certaines Vierges du
diocèse de Clermont. L’attitude est toutefois assouplie par rapport aux vierges romanes.
Une Vierge à l’Oiseau en pierre présente encore une riche polychromie. C’est un
thème rare en Limousin qui révèle un goût certain du détail. Elle évoque une sculpture
conservée à Notre-Dame du Marturet à Riom (Puy-de-Dôme).
Une peinture murale du milieu du XVème siècle représente une Piéta. Elle est
accompagnée d’une inscription en langue vernaculaire, relativement rare. Il est dit : « L’an
1466 le dernier jour de mars fut exécutée cette histoire et la fit peindre le frère P.
Chabanas ». Selon Jean VINATIER, ce peintre pourrait être un convers de la grange de
Chabanes1665.
-
Le canal des Moines :
Une capture sur le Coyroux est réalisée à 1.5 km du site monastique d’Obazine [Fig.
532]. L’eau est acheminée jusqu’en contrehaut du monastère par une canalisation aménagée à
flanc de montagne. Cette canalisation est bâtie contre le versant, retenue par une digue
maçonnée et talutée servant en outre de cheminement 1666. Ce canal est classé Monument
Historique par arrêté du 12 avril 1965. La fonction de ce canal est avant tout l’alimentation
des moulins. Trois édifices sont placés en cascade en aval du vivier et flanquent l’abbaye au
nord. L’un est céréalier, un autre drapier. Un seul subsiste encore aujourd’hui. Il s’agit du
1664
É. RUPIN, « Reliquaire en cuivre doré et émaillé, XIIIème siècle, église d’Obazine (Corrèze) », BSAHSC, T
2, 1880, p. 461-469.
1665
J. VINATIER, « La piété mariale cistercienne à Obazine… », op. cit, p. 79-96.
1666
B. BARRIÈRE, Aubazine en Bas-Limousin…, op.cit, p. 28.
- 533 -
moulin du Barry-Bas, aujourd’hui propriété privée [Fig. 533]. Le canal permettait l’adduction
en eau nécessaire à l’hygiène, l’élevage ou l’artisanat de l’abbaye. Il irriguait le terroir aux
abords et en aval de l’abbaye. Deux retenues placées en verrou sur le haut bassin aquifère
assuraient la régulation du cours d’eau : il s’agit de la retenue de Bordebrune, ouvrage
puissant de 8m d’épaisseur pour 4m de haut et de la retenue des « Grenailles » à l’est de
Rochesseux1667. Or, l’étude des cartes de Cassini a permis de révéler la présence de deux
étangs à Bordebrune, l’Étang Grand et l’Étang Petit. De plus, une carte de département de la
Corrèze de 1837 signale une troisième retenue d’eau, « Le Chastang », appartenant aux
moines de Conques puis cédé aux moniales de Coyroux1668.
Les sources manuscrites sont quasiment muettes sur cet aménagement. La Vita en
particulier ne le signale pas. Seul l’aqueduc destiné aux besoins du monastère des femmes est
mentionné. Le canal n’existait ainsi peut-être pas dans les aménagements originels du
monastère1669. Un inventaire des actes concernant l’abbaye d’Obazine édité par la Société de
Brive évoque toutefois cette installation hydraulique. En 1463 (n°432) il est fait état d’une
« vigne aux appartenances du courtal de la Levade d’Obazine » et de la « levée qui conduit
l’eau vers les moulins de l’abbaye ». C’est la première mention écrite du Canal des Moines.
En 1465 (n°54), en 1470 (n°52) et en 1562 (n°414-415) est citée la « levée par laquelle l’eau
va au moulin d’Obazine », « la levade », « la levée qui descend des étangs de Bordebrune au
château d’Obazine »1670. Ces sources éparses ne permettent pas une datation du canal.
L’étude de Pierrick STÉPHANT et de Bernard LEPRETRE nous permet une meilleure
connaissance des modes de construction du canal. Ils définissent en particulier les différentes
étapes de construction de l’œuvre1671. Tout d’abord, le sol est nivelé. Ensuite, les maçonneries
de parement sont réalisées avec des blocs de dimensions hétérogènes sur 60cm d’épaisseur
environ, avec un blocage de blocs et d’éclats de leptynite et de sable. Puis est réalisé le
comblement de fond de la tranchée et du pavement formant le fond du canal. Les murs de rive
du canal sont ensuite mis en place. Pour ce faire, des dalles de leptynite sont placées de chant
(40-60cm de haut par 40 à 50cm de large pour une épaisseur de 15 à 25cm). Puis est effectuée
la pose d’une à deux assises de blocs prolongeant l’élévation des parois en dalles de chant.
1667
P. STÉPHANT, B. LEPRETRE, Le « Canal des Moines » de l’abbaye d’Aubazine, vol. 1, Hadès, SRA
Limousin, avril/juin 2004, p. 49.
1668
Je remercie ici Pierrick STÉPHANT pour avoir signalé l’existence de ces étangs lors du séminaire du 8
février 2008 à Toulouse, séminaire « Espaces monastiques » (coordination Nelly POUSTHOMIS- UTMTRACES- TERRAE) tenu le 8 février 2008 à l’université Toulouse Le Mirail, « L’hydraulique de l’abbaye
d’Aubazine : état des lieux et perspectives de recherches ».
1669
La question est notamment posée lors de l’intervention de Pierrick STÉPHANT dans le séminaire « Espaces
monastiques » tenu le 8 février 2008 à l’université Toulouse Le Mirail.
1670
P. STÉPHANT, B. LEPRETRE, Le « Canal des Moines »…, op.cit, p. 11.
1671
P. STÉPHANT, B. LEPRETRE, Le « Canal des Moines »…, op. cit, p. 30.
- 534 -
Concernant les parties basses et médianes du mur de soutènement, des éléments de
fortes dimensions sont employés. Certains de ces murs peuvent être datés de la fin du XIIème
au début du XIIIème siècle. Les blocs peuvent parfois être cyclopéens et atteindre 2m de long
pour 50 à 60cm de haut. Ce sont des blocs de leptynite rose grossièrement débités. La
maçonnerie est non talutée, parfois en encorbellement et épouse les irrégularités du rocher.
L’appareil est hétérogène. Lorsque ce mur de soutènement atteint des hauteurs de 2 à 6m,
nous pouvons observer une succession de 3 à 5 assises en grand appareil de blocs bruts (70cm
à 1m) séparés par un bloc pénétrant de 80 à 120cm. Les éléments de blocage sont disposés
soigneusement et probablement damés mais aucun soin particulier n’est apporté au
conglomérat accompagnant ce blocage.
Concernant les zones à faible ou moyenne pente du versant, le mur de soutènement se
rapproche d’un empierrement de digue plus que d’un mur appareillé avec soin. Des réfections
postérieures présentent un petit module, parfois très soigné, taluté et calé. Pour les murs de
rive, l’appareil est alors assisé. Il ne s’agit plus de dalles posées de chant.
La technique du « mur-barrage » surmonté par le canal est visiblement étanche sans le
recours à un liant spécifique comme la chaux ou l’argile. Un équilibre d’étanchéité s’établit
dans le rapport débit/absorption par l’intermédiaire des dalles en pavement et le remblai
sableux. La hauteur des soutènements de la terrasse va jusqu’à huit mètres. Dans la zone de
faible pente, les hauteurs vont de 2 à 3.50m. L’analyse des maçonneries a montré qu’il ne
subsiste plus que 10.5% des murs de soutènement originels1672.
Cinq sections peuvent être déterminées pour cette construction. La première
correspond à 1430m d’un tracé sinueux ancré sur la falaise et la pente de la vallée (dont 7%
seulement des maçonneries peuvent être identifiées comme médiévales), puis 250m d’une
chute avec un tracé plus ou moins rectiligne, 75m d’un parcours du canal dans l’enceinte
monastique jusqu’au vivier, 110m d’une succession de chutes permettant l’alimentation des
différents moulins, enfin 1200m où le canal rejoint le lit de la Corrèze1673.
À ce canal principal s’ajoutent 54 canaux secondaires, greffés à lui et permettant
d’irriguer les terres en amont de l’abbaye et jusqu’au débouché de la Corrèze.
-
Les granges, moulins et viviers :
Un vivier est directement présent dans l’enclos monastique. Il mesure 33m sur 14.30m
1672
1673
P. STÉPHANT, B. LEPRETRE, Le « Canal des Moines »…, op.cit, p. 4.
P. STÉPHANT, B. LEPRETRE, Le « Canal des Moines »…, op.cit, p.22.
- 535 -
pour 3m de profondeur [Fig. 531]. À l’angle nord-ouest de ce vivier, l’eau canalisée est
jalonnée de deux moulins : un céréalier et un drapier pour lequel des vestiges sont encore
observables. Un troisième moulin est repérable grâce au cadastre du XIXème siècle1674.
•
Grange des Alys :
Cette grange est particulièrement bien connue grâce à l’étude de Jean ROCACHER
qui en livre une description complète et détaillée [Fig. 546 et 547] 1675. La construction
principale dispose d’un corps de bâtiment de 27.40m par 9.50m orienté nord/sud, prolongé à
l’ouest par deux ailes. Une maison rectangulaire de 9.60m par 8.40m est bâtie en moyen
appareil. Elle se compose de deux salles voûtées superposées. La salle supérieure est munie
d’une large cheminée au nord ainsi que d’une fenêtre ébrasée dont les montants chanfreinés
sont décorés de nervures prismatiques épanouies en fleurons [Fig. 548 et 549].
Une grosse tour de petit appareil irrégulier est accolée à la face orientale de cette
maison [Fig. 550]. Elle mesure 16.50m de haut pour 6.50m de diamètre. Elle dispose de trois
salles voûtées superposées. Le rez-de-chaussée est voûté d’arêtes. Le blocage en est
relativement grossier, noyé dans un épais mortier. Le premier étage est voûté en plein-cintre,
le second de voûtes d’arêtes dont les angles descendent jusqu’au bas des murs. Le troisième
étage est une salle de 6 par 5m pavée de briquettes. Selon Jean ROCACHER, ces vestiges
pourraient
correspondre
à
un
« bureau
de
contrôle »
des
granges
du
groupe
Quercy/Rocamadour édifié au début du XIIIème siècle.
•
Grange de Baudran :
L’ancienne grange de Baudran est située à quelques kilomètres au sud-ouest de
Nespouls [Fig. 551]. Le nom en est conservé dans la toponymie actuelle et un hameau s’est
installé sur les anciennes terres des moines1676. Certaines maisons d’habitation actuelles
présentent des pierres de taille pouvant provenir d’anciens bâtiments médiévaux. L’une d’elle
est dotée d’une fenêtre en accolade [Fig. 552]. À l’entrée du hameau, une petite maison à
volume quadrangulaire est terminée par une abside. Il pourrait s’agir d’une ancienne chapelle.
•
Grange de Bonnecoste :
1674
B. BARRIÈRE, « Les cisterciens d’Obazine en Bas-Limousin (Corrèze, France) : les transformations du
milieu naturel », dans L. PRESSOUYRE, P. BENOÎT (dir.), L’hydraulique monastique : milieux, réseaux,
usages, actes du colloque de Royaumont, 1992, Paris, Créaphis, 1996, p. 13-33.
1675
J. ROCACHER, Rocamadour et son pèlerinage…, op. cit, vol I, p. 349-358.
1676
IGN Série Bleue, 1/25000ème, 2135 0, Brive-La-Gaillarde.
- 536 -
Cette grange est encore présente dans la toponymie au lieu-dit le « château de
Bonnecoste » et non aux « granges de Bonnecoste » [Fig. 553]. Elle est aussi bien connue
grâce aux observations de Jean ROCACHER1677. La construction formant l’angle nord-ouest
du château est vraisemblablement médiévale. Les parties hautes semblent toutefois avoir fait
l’objet d’une réfection aux XVIIIème et XIXème siècles. La porte d’entrée est couverte d’un
arc en tiers-point d’1.50m de large. L’édification est en moyen appareil. Des colonnes à
consoles soutiennent les poutres et la charpente.
•
Grange de Chabannes :
Le lieu-dit Chabannes est un hameau dont de nombreuses demeures présentent de
belles pierres de taille de granite [Fig. 554]. À l’entrée (n°12), deux grands bâtiments de plan
rectangulaire pourraient remployer des éléments de l’ancienne exploitation médiévale ou
moderne. L’un de ces bâtiments est entièrement bâti en moyen appareil régulier de qualité. Le
second est de petit appareil régulier aux litages bien marqués. Le moyen appareil régulier est
réservé aux zones structurantes de la construction comme les harpages d’angle et les piédroits
des baies. Ces deux bâtiments servent aujourd’hui d’étables et de granges. Un troisième
bâtiment, plus petit, de plan rectangulaire et relativement mal préservé dispose d’un appareil
en moyen voire grand appareil régulier de granite. Certains blocs présentent des traces de
marteau taillant et pourraient éventuellement correspondre à des réalités médiévales.
•
Grange de Chadebec :
La grange de Chadebec conserve certains de ses aménagements hydrauliques encore
discernables dans le paysage, tel un étang dont la digue talutée est bien bâtie en gros moellons
[Fig. 555 et 556]. L’étang n’est actuellement plus en eau mais son emplacement est encore
tangible dans le paysage. La digue n’a pas trop souffert de modifications au fil des siècles.
Elle se constitue de gradins de gros blocs de granite irréguliers. Un conduit traverse cette
digue de part en part et conduit à un petit moulin directement enchâssé dans la digue. Il s’agit
d’un moulin à meule unique. À chacune de ses extrémités, des « levades » permettaient
l’irrigation des près d’aval1678. Ce moulin est bâti en moellons de granite irréguliers avec de
multiples pierres de calage, excepté pour les harpages d’angle en moyen appareil. Celui-ci est
recouvert d’un toit de chaume. L’accès à l’intérieur n’est pas autorisé.
1677
J. ROCACHER, Rocamadour et son pèlerinage…, op. cit, vol I, p. 358-360.
B. BARRIÈRE, « Étangs et hydraulique en Limousin : le temps des créations » dans B. BARRIÈRE,
Limousin médiéval, le temps des créations, PULIM, Limoges, 2006, p. 157-187.
1678
- 537 -
Le hameau de Chadebec conserve quant à lui une petite croix en granite, peut-être
d’origine médiévale et un puits à bascule.
•
Grange de Couffinier :
Le hameau de Couffinier ne révèle pas de vestiges médiévaux caractéristiques [Fig.
557]. Quelques demeures présentent toutefois de belles pierres de taille sans que nous
puissions attester de remplois médiévaux.
•
Grange de La Pannonie :
Il ne demeure pas de vestiges médiévaux de cette exploitation agricole. Les vestiges
conservés relèvent au mieux du XVème siècle mais plus vraisemblablement de l’époque
moderne [Fig. 565].
•
Grange de Graule (commune de Saint-Saturnin, Cantal) :
Graule est située à 1200m d’altitude, au nord-est du Puy-Mary, sur le plateau du
Limon [Fig. 558 et 559]. Elle domine la vallée de la Devezoune. Les vestiges actuels sont
essentiellement constitués de moellons et pierres de taille épars, recouverts en partie de
végétation, dont l’ensemble est saisissable par photographies aériennes [Fig. 560]. Cette
grange est située à trois jours de marche d’Obazine. Il reste un mur d’enceinte de moellons
encore bien perceptible dans le paysage, relié à un épaulement en terre précédé d’un large
fossé [Fig. 562]. La porte d’entrée se trouve au sud. Cette enceinte mesure 120m de long pour
60m de large1679.
L’ensemble se compose à l’origine de deux grands bâtiments, d’une tour, d’une
« porterie », d’une chapelle et d’un vivier1680. La vallée étant relativement marécageuse, les
moines et convers ont dû la drainer afin d’obtenir des pâturages de bonne qualité. De même
concernant la vallée du Lemmet. Ainsi, un long canal d’un kilomètre est bâti à flanc de coteau
dont les murs de soutènement sont encore visibles par endroit (lieu-dit « La Bussinie »). Un
premier bâtiment à droite de la tour sert de carrière aux XIXème et XXème siècles [Fig. 563].
Il est de 29.60m de long pour 8.50m de large. Il pourrait s’agir d’une étable. Toutefois, seules
des suppositions sont possibles et des fouilles archéologiques seraient nécessaires pour
préciser les fonctions de ce bâtiment. Le second bâtiment est de 33.80m par 6.20m. Il pourrait
1679
A. de ROCHEMONTEIX, La maison de Graule. Étude sur la vie et les œuvres des convers de Cîteaux en
Auvergne au Moyen-Âge, Paris, 1888, p. 39.
1680
C. CHAPPE-GAUTHIER, Granges fromagères d’Auvergne. La vie des moines fromagers dans les
montagnes de Haute-Auvergne du XIIème au XVIIIème siècles, éditions Cheminements, Bron, 2007, p. 14, 53 et
58.
- 538 -
s’agir du logement des convers comprenant également laiterie et cave à fromages. Quant à la
tour, il est délicat de préciser s’il s’agissait d’une tour de défense ou d’un simple pigeonnier.
Enfin, le vivier est de 25m par 5m pour une profondeur d’1.50m.
À cent mètres en aval des bâtiments de Graule, un groupement d’une dizaine de fonds
de cabanes sous talus pourrait correspondre à un premier établissement des frères convers. À
ces éléments s’ajoutent des bâtiments modernes, placés en contrehaut à l’est de l’enceinte. Un
bâtiment longitudinal dispose d’un plan rectangulaire encadré de deux pignons, bâti en moyen
appareil irrégulier pris dans un mortier à forte proportion de chaux. Les parements sont encore
en partie enduits [Fig. 561]. Un second petit bâtiment édifié en moellons irréguliers très en
ruines montre deux vestiges de voûtes en berceau appareillées.
À la Bussinie, un moulin est bâti, en prise directe sur le canal. Il est de 12.60 par
4.60m de large [Fig. 564]. L’étage et le rez-de-chaussée disposent de deux voûtes surbaissées
en pierres posées de chant. La toiture est de lauzes. Le premier étage sert de logis au meunier.
Un rouet horizontal muni de godets en bois était actionné directement par l’eau venue d’une
conduite forcée, entraînant la meule placée au-dessus. L’eau libérée passe sous le moulin et
est évacuée par le ruisseau du Lemmet. Il dispose d’un vaste réservoir en bordure du canal.
Les bondes libèrent l’eau du canal, augmentant ainsi sensiblement le débit. Il s’agit d’un
moulin à roue horizontale dont le rendement reste néanmoins relativement médiocre. Un petit
étang est lié à ce canal et servait probablement de réserve de poissons.
•
Grange de Nougein :
Le bourg de Nougein ne présente pas de vestiges médiévaux caractéristiques. La
chapelle actuelle est récente [Fig. 566].
•
Grange de Rochesseux :
La grange de Rochesseux est désormais un hameau de maisons modernes et
contemporaines où aucun vestige médiéval caractéristique n’a pu être repéré. Néanmoins, à la
Roche Bergère (Puy de Pauliat), des ruines composent un ensemble pouvant peut-être être
considéré comme une annexe à la grange d’Obazine (parcelle 498, B3, cadastre actuel). Il
s’agit de bâtiments très ruinés construits en gneiss, directement extrait sur place ou dans les
proches environs. Les maçonneries sont de pierres sèches. L’un des bâtiments, très allongés,
pourrait être selon Jean-Lucien COUCHARD un ancien élèvage de pigeons. Un bâtiment
d’habitation est également repérable, de même qu’une fontaine au nord de l’ensemble. La
- 539 -
désignation locale « Ermitage » est trompeuse et correspond à une appellation moderne et non
médiévale. La datation de ces structures est néanmoins malaisée1681.
•
Grange de la Serre :
Il ne reste aucun vestige médiéval de cette grange ayant donné naissance à un petit
hameau près de Chamboulive. Par ailleurs, des moulins sont encore observables. Le moulin
du Terrac est ainsi conservé [Fig. 545]. Il s’agit maintenant d’une maison d’habitation
présentant encore de belles pierres de taille. Il est associé à un bief et à un étang. Néanmoins,
aucun mécanisme de l’ancien moulin n’est préservé (axe, roue, meules). Le proche moulin de
Chaillac est entièrement détruit, mis à bas récemment par les actuels propriétaires. Des pierres
de taille ont néanmoins été réutilisées dans une grange. Reste une digue maçonnée recouverte
de végétation au lieu-dit « Le Sucquet ».
•
Moulin de Barry-Bas :
Il est situé juste en contrebas des bâtiments monastiques et est alimenté par le Canal
des Moines [Fig. 533 et 534]. Il s’agit d’un haut bâtiment quadrangulaire bâti en appareil
irrégulier de grès rose mêlant pierres de taille de moyen appareil et simples moellons. Les
piédroits sont de moyen appareil régulier de gneiss1682. Les ouvertures sont modernes. Les
mécanismes sont en partie conservés dans une salle voûtée d’arêtes reçues par un pilier
central quadrangulaire. La conduite forcée dispose d’un arc surbaissé composé de dalles.
•
Moulin de Bordebrune :
Il dispose d’une retenue d’eau consistant en un étang de 3 à 4 ha de superficie qui n’est
plus en eau [Fig. 535 et 536]. Une digue de pierres sèches de 70m de long est conservée. Elle
se compose de dalles et de gros moellons de pierres superposés. Sous cette chaussée s’était
implanté un moulin primitif attesté depuis 14801683. Le moulin actuel est moderne, accolé à
une maison d’habitation bâtie en petit appareil irrégulier. Les mécanismes ne sont pas
conservés.
•
Moulin de Lagier :
1681
J-L et J-S. COUCHARD, « Roche Bergère (Puy de Pauliat), commune d’Aubazine (Corrèze) », BSSHAC, T
128, 2006, p. 41-57.
1682
Les carreaux sont de 0.75m par 0.40m et 0.38 par 0.32m en moyenne.
1683
B. BARRIÈRE, « Les cisterciens d’Obazine en Bas-Limousin… », op. cit, p. 13-33.
- 540 -
Ce bâtiment presque entièrement moderne se distingue par la présence de deux
mécanismes [Fig. 543]. Deux déversoirs du XIIIème siècle sont bâtis en pierre de taille et
voûtés en plein-cintre1684.
•
Moulin de Cabouy :
Ce moulin est construit par les moines de Saint-Martin de Tulle [Fig. 537]. Les
cisterciens en obtiennent les droits en 1630. Il est bâti sur la rive droite de l’Ouysse. Deux
meules sont placées dans une salle de 7.60m par 9.70m. Un étage correspond au logement du
meunier. La construction actuelle relève de réfections fin XVème début XVIème siècles1685.
•
Moulins de Caoulet :
Un moulin fut construit par les bénédictins de Tulle au XIIIème siècle. Il devient
propriété des moines blancs d’Obazine en 1279. Il est restauré dans ses parties hautes au
XIXème siècle mais les douves qui l’entourent relèvent du XVème siècle. Il est muni de
quatre meules. Il dispose encore d’une digue maçonnée de plusieurs mètres de long [Fig.
538].
Un second moulin plus modeste est bâti à quelques mètres de celui-ci. Il s’agit d’un
volume quadrangulaire encadré de deux pignons. Il est édifié en petit appareil irrégulier,
excepté pour les harpages et piédroits de baies. Deux arches au profil brisé laissent passer
l’eau sous le moulin et permettent d’actionner deux roues.
•
Moulin de la Peyre :
Il est mentionné pour la première fois dans le cartulaire d’Obazine en 1159. Il fait
donc partie des premières acquisitions du temps de saint Étienne. Au XVIème siècle, un
moulin à foulon lui est adjoint. Il demeure aujourd’hui les douves de l’un des moulins ainsi
qu’une chaussée formée de trois énormes assises disposées en arc-boutant [Fig. 544].
•
Moulin de Cougnaguet :
C’est le moulin le mieux connu des installations hydrauliques des moines d’Obazine.
Il est bâti sur la rive droite de l’Ouysse, à 1.550 km du pont de la Peyre. Il se compose d’un
corps de bâtiment quadrangulaire de 17.40 m par 9.60m. La salle des meules est à cheval sur
les douves. L’étage supérieur correspond à une habitation. Le grenier est couvert d’une toiture
1684
1685
B. BARRIÈRE, « Les cisterciens d’Obazine en Bas-Limousin… », op.cit, p. 13-33.
J. ROCACHER, Rocamadour et son pèlerinage…, op. cit, vol I, p. 367-389.
- 541 -
à coyaux à trois versants. L’ensemble s’élève à 14m [Fig. 539 à 542]. Le mur est ainsi que les
parements du rez-de-chaussée sont en moyen appareil régulier (carreaux de 40 par 50cm en
moyenne). Le mur est mesure 1.90m d’épaisseur, le mur nord 1.30m et les deux autres 1.20m.
La digue se termine au sud du moulin par un canal de 7m de large et d’1.50m de profondeur,
soigneusement dallé. L’eau pénètre par quatre conduites forcées étranglées : elles se
rétrécissent de 1.50m à 0.20m sur une longueur de 4m. Ce moulin dispose de quatre meules
dormantes d’1.60m de diamètre au-dessus des quatre cuves. L’accès à la salle des meules est
permis par une porte d’1.90m de large dans le mur méridional. Les parties hautes des murs
sont en partie reconstruites notamment au niveau de l’étage d’habitation. La majeure partie
des parements relève toutefois de la première moitié du XIIIème siècle. Une restauration
partielle est sans doute intervenue dans la seconde moitié du XVème siècle. Des baies en
accolade sont en effet percées dans les murs gouttereaux.
•
Le moulin de la Treille :
Cette installation apparaît à partir de 1249 dans les actes passés par les cisterciens. Il
est équipé de trois meules. Reconstruit à trois reprises, les douves actuelles relèvent du
XVème ou du XVIIème siècle.
•
Moulin de Regardet :
Celui-ci est placé sur l’Alzou. Il n’est que très peu documenté. Le cours d’eau étant
relativement pauvre, il n’est que peu usité par les moines.
- 542 -
COYROUX
- 543 -
4. Coyroux (commune d’Aubazine, Corrèze) :
L’abbaye de Coyroux est située sur la commune d’Aubazine (canton de Beynat) en
Corrèze. Elle est classée aux Monuments Historiques depuis le 13 octobre 1988 (vestiges en
totalité). La carte de Cassini la signale selon la graphie « Coiroux », suivie des initiales AB.
L’abbatiale est symbolisée par une église surmontée d’une crosse. Sur la carte IGN au
1/25000ème, elle est nommée « Au Coiroux », abbaye ruinée. Elle est située au milieu de bois
encore importants aujourd’hui [Fig. 569 et 570]1686.
Sources manuscrites :
La Vita d’Étienne d’Obazine est une source précieuse pour la connaissance de la
communauté féminine d’Obazine. Les femmes y sont présentées comme des pécheresses,
voire des prostituées. Le biographe en présente les turpitudes « habituelles » de la gent
féminine pour mieux leur opposer la qualité de la conversion obtenue par Étienne d’Obazine.
Elles sont lascives, tentatrices, sensuelles, voluptueuses. La construction du monastère du
Coyroux intervient alors autant pour les couper du monde que pour préserver les hommes1687.
L’église y est assez précisément décrite :
« Leur église est assez étendue en longueur. Un mur
sépare du haut en bas la partie orientale, si bien qu’il
divise
l’intérieur
en
deux
parties
entièrement
indépendantes, tout en laissant à l’extérieur l’aspect d’un
seul édifice. La partie supérieure, celle qui est tournée à
l’Est, est la plus petite. On y entre par une porte ouverte
au Nord par laquelle les frères et ceux qui sont désignés
pour célébrer les vigiles nocturnes et la messe solennelle
entrent toujours.
Dans le mur qui sépare l’église en deux parties, il a été
aménagé un guichet carré, garni de barreaux de fer et
fermé d’un voile du côté des religieuses. Vers le bas, il a
1686
IGN Série Bleue, 1/25000ème, Beynat, 2135 E.
É. BOURNAZEL, « Étienne et Robert : la tentation des femmes », dans J. HOAREAU-DODINEAU, P.
TEXIER (dir.), Anthropologie juridique. Mélanges Pierre Braun, PULIM, Limoges, 1998, p. 55-65.
1687
- 544 -
été laissé un espace libre pour permettre à la main du
prêtre de distribuer la sainte Eucharistie. Quand les
religieuses veulent communier, toutes ensemble ou
spécialement les malades, après avoir communié à l’autel,
apporte avec grand respect le corps du Seigneur en cet
endroit. Une fois le voile retiré, toutes celles qui
s’approchent communient ainsi de la main du prêtre avec
respect et crainte. »1688
En 1759, un état des revenus du monastère de Coyroux et de ses charges est dressé.
Les moniales jouissent alors des revenus du prieuré de Cornac (diocèse de Cahors), des
revenus du prieuré d’Albignac, de la rente sur le moulin du prieuré d’Albignac. Les lieux
réguliers sont alors décrits en très bon état. Le chœur est « parqueté et lambrissé ». Le
logement des étrangers est également bien entretenu1689.
Nous disposons d’un document précieux concernant le mobilier de la sacristie de
l’église de Coyroux rédigé en 1790. Il se compose de 7 feuillets écrits de papier (33 par 21
cm). Il est dressé par Joseph Parjadis, administrateur du district, en présence de la majeure
partie des religieuses de la communauté1690.
« (…) Nous nous sommes transportés dans la tribune où
sont les armoires de la sacristie et ayant été ouvertes par
Madame Lamothe et madame Dalme sacristaine, y avons
trouvé un calice avec sa patène, la coupe et la patène d’un
autre calice et un ostensoir ny eyant qu’un pied commun
pour le second calice et l’ostensoir ; une piscine en
argent, une paire de burette avec le plat, un encensoir
avec sa navette, un ciboire, le tout en argent, six
chandeliers avec la croix et une lampe argentée, dix
chandeliers grands ou petits en cuivre avec deux lampes
aussi en cuivre, quatre chandeliers et un pot à eau
1688
M. AUBRUN, Vie de Saint Étienne d’Obazine…, op. cit., p. 99.
AD Corrèze, 6 F 109.
1690
AD Corrèze, Q 148.
1689
- 545 -
d’étain, une patène de cuivre dorée, deux bénitiers l’un
d’étain et l’autre de plomb.
Dix aubes bonnes ou mauvaises dont quelques unes
garnies, vingt quatre nappes d’autel usées, quinze amicts,
vingt quatre serviettes très usées, huit corporeaux,
soixante purificatoires dont partie usés, cinq cordons,
deux garnitures pour l’autel en dentelle, deux surplis,
deux tapis de soie fort usés, deux rideaux d’indienne pour
les autels, trois chappes dont une en glacis en or, l’autre
noire ; et la troisième d’étoffe sans galon très vieille et
très usée, une écharpe avec une crépine en or, trois
ornements de plusieurs couleurs en sistheme en or avec
les galons du même métal, cinq ornements aussi de
plusieurs couleurs avec leurs galons en argent, un autre
ornement avec un galon en or faux et un autre avec un
galon en argent aussi faux, deux autres ornements dont
l’un en soie et l’autre en laine avec leurs galons en soie
très usés, quatre dalmatiques dont deux noires avec des
galons à sistheme en argent, les autres deux de damas
avec des galons en soie ; dix huit devant l’autel, deux
draps l’un en pâne et l’autre en laine, deux missel, six
chaises garnies en étoffe verte avec un fauteuil (…) ».
Historiographie :
Concernant le monastère de Coyroux, nous disposons d’une courte description livrée
par le moine bénédictin dom BOYER lors de sa visite du 14 août 1712. Il dit :
« La situation de Coiroux est telle qu’elle est représentée
dans la Vie de Saint Étienne, excepté la muraille, qui
séparait l’église en deux, que l’on a abattue depuis peu
pour y faire une grille et placer le chœur en bas »1691.
1691
R. FAGE, « Une visite à Obazine en 1712 », BSSHAC, T 8, 1886, p. 85-92.
- 546 -
ROY DE PIERREFITTE livre également une courte étude du monastère, bien
succincte comparée à sa description d’Obazine. Les vestiges archéologiques ne sont presque
pas évoqués1692.
En 1908, J-B. ESPEREY reproduit un acte de 1749 signé par la supérieure et les
religieuses de Coyroux. Il s’agit d’une quittance consentie par les religieuses en faveur de
Jacques Fournet de Beauclair de la somme de 300 livres en « cancellation » d’une rente
constituée au capital de pareille somme. Les noms des religieuses sont cités et nous
apprennent qu’elles appartiennent majoritairement à la noblesse du pays1693.
Dans l’ouvrage Moines en Limousin dirigé par Bernadette BARRIÈRE, une notice
concerne le monastère double d’Obazine-Coyroux qui fait le point sur les documentations
exploitées pour ces deux sites. L’auteur insiste sur l’importance des sources concernant les
deux monastères : le cartulaire d’Obazine et la Vie de Saint Étienne sont des documents très
précieux pour retracer l’histoire et la formation du patrimoine de ces sites1694.
Historique :
Dans un premier temps, moines et moniales vivent ensemble à Obazine. Gauberte, la
mère d’Étienne, est l’une des premières à suivre son fils sur la voie de l’érémitisme. Elle
entraîne de nombreuses femmes à sa suite. Les sœurs sont occupées par les soins de l’intérieur
tandis que les frères cultivent les terres. Ces femmes ne sont pas de simples converses. Elles
reçoivent une direction spirituelle de la part des frères. Le recrutement est essentiellement
nobiliaire. Hommes et femmes n’ont toutefois pas le droit de s’adresser la parole sans
autorisation du prieur. Cependant, Étienne constate que ces précautions sont insuffisantes et
décide alors l’érection d’un nouveau monastère où les femmes seraient définitivement closes.
Celui-ci est établi à Coyroux entre 1141 et 1143. Lors des offices, les moniales sont même
séparées du prêtre par un grand mur percé d’une fenêtre munie d’une grille de fer et d’un
rideau. À l’extrémité du cloître s’ouvrent deux portes reliées par un sas. C’est par cette voie
qu’arrivent les provisions. La prieure de Coyroux conserve la clé de l’une des portes, l’autre
appartient à Obazine1695. L’entrée de nouvelles moniales s’accompagne de donations au
1692
Abbé J-B. L. ROY DE PIERREFITT, Études historiques sur les monastères…, op. cit., T I, p. 195-198.
J-B. ESPEREY, « Le monastère de Coiroux », BSSHAC, T 30, 1908, p. 121-122.
1694
B. BARRIÈRE (dir.), Moines en Limousin…, op. cit., p. 178-185.
1695
A. VAYSSIÈRE, « Les dames de Coyroux », BSSHAC, T 5, 1883, p. 365-379.
1693
- 547 -
monastère. Coyroux participe ainsi à la constitution du patrimoine d’Obazine. Le monastère
féminin est en effet entièrement placé sous la dépendance économique d’Obazine1696.
Au XIIème siècle, certaines moniales quittent le monastère après l’annonce d’une
suspension momentanée dans le recrutement. Elles vont s’installer dans un prieuré féminin
dans la dépendance de la Garde-Dieu, Fontmourlhes. Cette hypothèse, formulée par
Bernadette BARRIÈRE est toutefois récemment remise en cause par Alexis GRÉLOIS. En
effet, ce dernier est d’avis que la distance importante entre Coyroux et Fontmourlhes (90 km)
ainsi que l’existence « éphémère de l’établissement fondé par les transfuges de Coyroux
semblent contredire cette identification »1697. Cette initiative se solde en tout cas par un échec
et les moniales doivent retourner à Coyroux.
Au XVème siècle, des transformations sont sensibles au monastère de Coyroux qui
seront développées plus minutieusement dans les descriptions archéologiques ci-dessous. Le
dortoir est transféré à l’ouest suite aux crues. Au XVIIème siècle, ce bâtiment est doublé en
largeur et accueille la cuisine, le réfectoire, le parloir et les caves. Le cloître se réduit alors à
deux galeries [Fig. 575 et 576].
À cette époque, les moniales de Coyroux sont encore au nombre de quarante. En 1622,
une partie des moniales (une vingtaine) s’installe à Tulle, au couvent des Bernardines, durant
l’abbatiat de Jeanne de Badefol [Fig. 578].
À partir de 1650, les sépultures des moniales prennent place dans l’église de Coyroux
et non plus dans le cimetière d’Obazine, marquant la prise d’indépendance flagrante de la
communauté féminine. En 1700, on supprime la clôture entre la nef et le chœur. Le chœur est
déplacé d’est en ouest afin de le rapprocher du bâtiment d’habitation. Une nouvelle sacristie
est installée sous la tribune. Un escalier en bois la relie au choeur1698. Le lieu est déserté
depuis la Révolution. Dès la première moitié du XXème siècle, des pierres de taille sont
arrachées à l’édifice.
De 1976 à 1990, des interventions archéologiques menées par Bernadette BARRIÈRE
permettent une meilleure connaissance de ce site très ruiné [Fig. 577].
Vestiges archéologiques :
1696
B. BARRIÈRE, L’abbaye cistercienne d’Obazine en Bas-Limousin. Les origines, le patrimoine, Tulle, 1977,
p. 103.
1697
A. GRÉLOIS, « Les origines contre la réforme : nouvelles considérations sur la Vie de Saint Étienne
d’Obazine », dans Écrire son histoire. Les communautés régulières face à leur passé, Actes du Vème colloque
International du CERCOR, Saint-Étienne, 2005, p. 369-388.
1698
B. BARRIÈRE, « L’organisation de l’espace monastique aux XVIIème et XVIIIème siècles. Le cas des
moniales de Coyroux et de Tulle en Limousin », dans B. BARRIÈRE et M-E. HENNEAU (dir.), Cîteaux et les
femmes, actes du colloque de Royaumont, novembre 1998, Paris, Créaphis, 2001, p. 134-150.
- 548 -
En 1883, A. VAYSSIÈRE évoque les ruines de Coyroux en disant qu’au « point de
vue archéologique, leur importance est très mince » [Fig. 572]1699. Toutefois, les études
archéologiques entreprises à Coyroux sont très nombreuses et riches en enseignements et
méritent ici d’être reprises et synthétisées pour une meilleure compréhension du site.
L’abbaye a en effet fait l’objet de fouilles archéologiques de 1976 à 1990 par une équipe
dirigée par Bernadette BARRIÈRE. Nous ajouterons aux résultats de ces fouilles nos propres
investigations et observations.
L’étude du cadastre actuel n’a guère apporté d’enseignements. L’église n’est pas
représentée. L’emplacement de l’ancien monastère correspond aux parcelles 2109 et 1616
(section B, feuille n°3, cadastre d’Aubazine) [Fig. 571].
Le monastère est édifié selon trois grandes périodes d’aménagement : mi XIIème-mi
XIIIème siècles ; fin XVème siècle ; fin XVIIème-XVIIIème siècles [Fig. 573 et 574]. Nous
pouvons constater la qualité médiocre de la plupart des constructions, sauf concernant
l’église1700. Les bâtiments monastiques sont en effet érigés en moellons irréguliers de gneiss
rose ocré extraits du versant même de la vallée. Ce matériau est certes résistant mais il ne
permet qu’un appareil irrégulier et grossier à l’inverse des parements de l’abbaye d’hommes
d’Obazine. Les maçonneries sont jointoyées à la terre sauf pour l’église où les joints sont de
mortier de chaux. Les bâtisseurs ont ainsi tenté de minimiser les coûts de transport et la mise
en oeuvre des matériaux pour une édification plus rapide et moins onéreuse.
Le lieu choisi pour l’implantation des moniales n’est pas réellement aménageable et
Étienne doit le créer de toute pièce. Pour installer ce monastère, la rivière du Coyroux est
repoussée vers le sud, contre le versant rive gauche de la vallée. Une terrasse artificielle peut
dès lors être édifiée contre le versant nord afin de recevoir l’église et les lieux réguliers, bâtie
aux dépens de l’ancien lit [Fig. 579]1701.
-
La terrasse artificielle :
L’abbaye de femmes de Coyroux est en effet édifiée sur une terrasse artificielle haute
1699
A. VAYSSIÈRE, « Les dames de Coyroux… », op.cit, p. 365-379.
B. BARRIÈRE, « Monastère de Coyroux », Archéologie Médiévale, T X, 1980, p. 390.
1701
B. BARRIÈRE, « Les cloîtres des monastères d’Obazine et de Coyroux en Bas-Limousin », Mélanges à la
mémoire du père A. DIMIER, Pupillin, tome III, 1982 ; B. BARRIÈRE, « Coyroux, doublet féminin de l’abbaye
d’Obazine (Limousin, XIIème-XIIIème siècles) » dans N. BOUTER (dir.), Les religieuses dans le cloître et dans
le monde des origines à nos jours, actes du deuxième colloque international du CERCOR, Poitiers, 1988, SaintÉtienne, 1994, p. 131-138.
1700
- 549 -
de 4m et d’une superficie d’un demi hectare. Les bâtisseurs y implantent les fondations des
futurs bâtiments monastiques1702. Les blocs qui constituent la terrasse sont pris sur place et
utilisés comme assises. Ils sont recouverts d’un remblai de sable mêlé de galets puis d’une
couche constituée d’une accumulation de tessons de céramique. Enfin, un dernier remblai est
composé de terre et de pierres. Il s’agit du niveau de préparation du chantier de construction
des bâtiments monastiques1703. Cette terrasse est dotée à l’ouest d’un mur de soutènement de
4m de haut mais également d’un véritable bâtiment disposant d’un sous-sol destiné à rattraper
une importante différence de niveau. Un réseau de caissons maçonnés en constitue
l’infrastructure. Les étages supérieurs ont toutefois disparu et sont arasés1704. Au XVIIème
siècle, une crue violente détruit partiellement la terrasse artificielle dans sa partie est ainsi que
les bâtiments est et la galerie du cloître. Les moniales durent ainsi faire des réparations du mur
de soutènement de leur terrasse comme en témoigne le minutier de Me Eschapasse à Brive en
17561705.
-
L’église :
L’église est bâtie sur un plan rectangulaire de 33m par 8m (dimensions internes), 35m
par 10m hors œuvre. Les murs sont maçonnés au mortier de chaux. Le mur gouttereau nord
d’1.10m d’épaisseur est renforcé de contreforts (trois contreforts et deux contreforts d’angle)
tandis que le mur sud (1.60m d’épais) n’en a pas [Fig. 587]. Ces contreforts nord
correspondent à l’emplacement des retombées des nervures des voûtes intérieures1706. La nef
unique, surmontée d’une toiture à deux pans et peut-être charpentée à l’origine (seconde
moitié du XIIème siècle), dispose désormais de quatre travées voûtées d’ogives quadripartites
mises en œuvre au milieu du XIIIème siècle, aujourd’hui effondrées 1707. Les décombres ont
permis d’observer des voûtains soit de briques, soit de pierres tandis que les nervures sont
taillées dans le grès [Fig. 599]. La présence de briques dans les voûtes pourrait remettre en
cause leur authenticité, comme cela a été le cas pour les voûtes en grande partie en briques de
1702
B. BARRIÈRE, Aubazine en Bas-Limousin, Association Histoire et Archéologie au pas d’Obazine, Limoges,
1991, p. 18.
1703
B. BARRIÈRE, Monastère de moniales cisterciennes de Coyroux (Aubazine, Corrèze). Rapport de la
campagne de sondages de juillet 1976, p. 40.
1704
B. BARRIÈRE, Monastère de moniales cisterciennes de Coyroux (Aubazine, Corrèze). Rapport de la
campagne de sondages-sauvetages de juillet 1977, Université de Limoges.
1705
B. BARRIÈRE, « Les cloîtres des monastères d’Obazine… », op. cit.
1706
B. BARRIÈRE, « Monastère de Coyroux », Archéologie Médiévale, T XVII, 1987, p. 188-189.
1707
La charpente primitive est supposée pour la première fois dans les rapports de fouilles de Bernadette
Barrière, hypothèse reprise dans G. CANTIÉ, É. SPARHUBERT, « Obazine, abbaye » dans Monuments de
Corrèze, Congrès Archéologique de France, Société Française d’Archéologie, 163 ème session, 2005, Paris, 2007,
p. 251-270.
- 550 -
la nef de Saint-Martin de Tulle. Or ce procédé est souvent utilisé pour des galeries de cloître
ou salles cisterciennes du sud-ouest de la France (XIIIème siècle)1708.
Dans les angles nord-ouest et sud-ouest, les voûtes retombent sur des triples
colonnettes montant de fond reposant sur de petites bases (7cm de haut seulement) au tore
inférieur avachi, sans griffes. Elles prennent place sur un socle de 15cm de hauteur [Fig. 584
et 585].
La nef sert probablement également de salle capitulaire aux moniales. Nous pouvons
constater une dénivellation d’1.30m environ du seuil au chœur rattrapée par plusieurs paliers.
L’église n’a pas de transept, à la manière des simples « églises-granges » de Haute-Marche.
D’après les sources écrites (Vita, la nef devait être coupée en deux par un mur isolant dont
aucune trace n’a cependant été retrouvée. Peut-être s’agissait-il d’une simple cloison en bois ?
L’accès au chœur est ménagé par une porte percée dans le mur nord, réservée aux seuls
moines desservants. Ce mur de séparation est doté d’une petite baie centrale permettant aux
moniales de recevoir la communion et de se confesser. Cette séparation aurait été abattue peu
avant la visite de Dom BOYER en 17121709.
Le chœur est un chevet plat [Fig. 580]. Sa voûte retombe sur une triple colonnette de
grès s’achevant en encorbellement à 0.90m du sol. Ces fondations sont talutées à la manière
d’une digue et destinées à résister aux crues fréquentes du torrent. Le choeur dispose d’un
sol de dalles de calcaire disposées en losange. Les empreintes en sont encore visibles. Un
niveau de circulation dallé en grès a été de même mis en évidence dans la partie est, à 2.50m
en contrehaut du seuil de la porte primitive de communication avec le cloître. Treize mètres à
l’ouest du mur du fond du chœur, les fondations d’un mur transversal ont été observées. Elles
sont implantées sur et dans les remblais de terre compacts sous-jacents au niveau de
circulation définitif. Il pourrait s’agir des soubassements d’un mur de clôture1710.
Le gouttereau sud est percé à l’est par une porte ouvrant sur le cloître, d’un profil
légèrement brisé [Fig. 588].
Le mur pignon ouest est percé d’une porte et d’une baie en arc brisé à 8m de haut. La
toiture à deux versants était couverte de grandes lauzes de schiste [Fig. 581, 582 et 583]1711.
1708
C. ANDRAULT-SCHMITT, « Tulle, ancienne abbaye Saint-Martin (actuelle cathédrale) », dans Monuments
de Corrèze, …, op. cit., p. 363-379.
1709
R. FAGE, « Une visite à Obazine en 1712… », op. cit ; G. CANTIÉ, É. SPARHUBERT, « Obazine,
abbaye », op. cit., p. 251-270
1710
B. BARRIÈRE, « Monastère de Coyroux », Archéologie Médiévale, T XVII, 1987, p. 188-189.
1711
B. BARRIÈRE, Monastère de moniales cisterciennes de Coyroux (Aubazine, Corrèze). 1986-1988. Rapport
de synthèse, 1988, Université de Limoges, p. 12.
- 551 -
Au XVIIème siècle, le chœur est déplacé à l’ouest et est surmonté d’une tribune à
usage de sacristie.
-
Bâtiments conventuels :
Les bâtiments monastiques étaient disposés autour d’un cloître charpenté de 22m de
côté, pavé de dalles de grès et de gneiss [Fig. 589]. Les trous de boulins et quelques corbeaux
encore observables sur le mur sud de l’abbatiale témoignent de la présence de charpente et
non de voûtes. L’église en occupe le côté nord1712. La galerie nord du cloître est repérée lors
des investigations archéologiques de 1977. Elle mesure 2.70m de large pour 35m de long. Le
mur bahut conservé mesure 0.63m de large pour 0.56m de hauteur environ [Fig. 591]. La
galerie ouest est de 2.70m de large pour 22.90 de long et 3.50m de haut. Elle présente un
décrochement par rapport à l’angle sud-ouest de l’église. Il pourrait s’agir d’un accès direct au
bâtiment qui, dans le prolongement de l’église, pouvait constituer l’habitation des converses,
comme à l’abbaye des Blanches à Mortain (Manche)1713. La galerie sud mesure également
2.70m de large1714. Le pavement de ces galeries sud et ouest sont de gneiss. Au XVème siècle,
la galerie nord du cloître est prolongée vers l’est où est aménagée une sacristie, petite salle
dont on peut encore observer les dalles au sol. Elle est prolongée par une petite pièce abritant
des latrines dont le conduit d’évacuation des eaux est encore visible [Fig. 590]. Cela
correspond à une période de prise d’indépendance des moniales par rapport à Obazine. Cette
sacristie est toutefois abandonnée au XVIIème siècle lorsqu’une seconde sacristie est
aménagée dans une tribune dans la partie ouest de l’église. La galerie est du cloître est détruite
au XVIIème siècle par une crue. L’église et le cloître étaient reliés par une ouverture voûtée
obstruée. La terrasse ayant été rapidement rehaussée de 0.60m environ, cet accès est vite
bouché et abandonné1715.
Le réfectoire mesurait 8.80m de largeur interne et était organisé en deux nefs
longitudinales, séparées par un alignement de piliers portant la charpente1716. Sous les
fondations du mur gouttereau sud de ce réfectoire ont été découvertes trois assises d’un mur
en moellons bien équarris qui pourraient correspondre à des fondations encore antérieure aux
XIIème et XIIIème siècles.
1712
B. BARRIÈRE, Aubazine en Bas-Limousin…, op.cit.
B. BARRIÈRE, « Les cloîtres d’Obazine et Coyroux, en Corrèze », TAL, T 1, 1981, p. 83-89.
1714
B. BARRIÈRE, Monastère de moniales cisterciennes de Coyroux (Aubazine, Corrèze). Rapport de la
campagne de sondages-sauvetages de juillet 1978, Université de Limoges.
1715
B. BARRIÈRE, « Monastère de Coyroux », Archéologie Médiévale, T XIII, 1983, p. 258.
1716
B. BARRIÈRE, « Monastère de Coyroux… », op.cit, T XII, 1982, p. 318.
1713
- 552 -
À l’est du site, le bâtiment d’habitation des moniales est rapidement détruit par les
crues et remplacé au XVème siècle par un bâtiment d’entrepôt qui bordait le cloître du côté
opposé.
Le nouveau bâtiment occidental – édifié au XVIIème siècle sur les fondations de
l’ancienne structure médiévale – dispose en son extrémité sud d’une bâtisse tardive
probablement à usage de fournil1717. Cet édifice moderne est élargi vers l’ouest par rapport à
l’édifice médiéval et va ainsi au-delà du soutènement de la terasse artificielle, d’où la
possiblité de créer des sous-sols à usage de caves. Ainsi, ce bâtiment se compose de plusieurs
niveaux desservis par un bel escalier en vis. L’étage est occupé par un dortoir, une lingerie
ainsi qu’un certain nombre de cellules. Les différentes salles sont desservies par un couloir
interne dallé. Les fouilles archéologiques ont permis de repérer une pièce en sous-sol dont la
fonction est inconnue (stockage ?) et une salle voûtée (probablement une cave). La porte
d’entrée du bâtiment est précédé par un couloir extérieur dallé et tournant [Fig. 592 à 594]1718.
Cette structure recoupe des aménagements antérieurs et notamment un large couloir
voûté partiellement effondré. En effet, à l’ouest de l’enclos, une porterie voûtée était
aménagée à la manière d’un sas. Il s’agissait d’une sorte de souterrain voûté de quelques
mètres de long où les convers d’Obazine déposaient régulièrement les denrées nécessaires à la
survie des moniales qui ne pouvaient sortir de la clôture. Lors des investigations
archéologiques, il a été constaté qu’il mesurait 3.80m de large. Il était voûté d’un berceau
bloqué sans mortier, recouvert d’un talus de terre1719.
Au XVIIème siècle, une partie de la communauté d’installe à Tulle, les activités sont
alors regroupées dans un bâtiment unique (bâtiment ouest). Le bâtiment regroupant chauffoir
et réfectoire est alors détruit.
Les investigations au niveau du secteur sud, au-delà de l’angle sud-est du cloître ont
révélé des fondations de murs gouttereaux d’1.20m d’épaisseur édifiés en même temps que la
terrasse soit au XIIème siècle. Un mur de refend mesure 0.45m d’épaisseur. Il pourrait s’agir
de la cuisine médiévale [Fig. 595]1720. En contrebas de cet aménagement, une salle dallée a été
identifiée. Elle est située à 0.60m au-dessous du niveau de la cuisine, à 10m au sud-ouest. Elle
mesure 3.65m par 2.60m. Elle dispose de la base d’un four en arc de cercle.
Sept portes de communication ont pu être identifiées entre l’église et les bâtiments
conventuels et le cloître, marquant les différentes phases de remaniements et de
1717
B. BARRIÈRE, « Monastère de Coyroux… », op.cit, T XI, 1981, p. 274.
B. BARRIÈRE, « Monastère de Coyroux… », op.cit, T XV, 1985, p. 231.
1719
B. BARRIÈRE, « Monastère de Coyroux », Archéologie Médiévale, T XVI, 1986, p. 179.
1720
B. BARRIÈRE, « Monastère de Coyroux », Archéologie Médiévale, T XIII, 1983, p. 258.
1718
- 553 -
transformations successives du monastère. Deux portes initiales de communication avec le
dortoir et le cloître ont été abandonnées dès l’origine à la suite d’un repentir dans la
construction. Une porte reliant l’église et le dortoir est transformée au XVème siècle en la
vaste niche destinée à recevoir la Mise au Tombeau. À l’ouest, une porte reliant l’église au
cloître demeure en usage jusqu’à l’abandon du site au XVIIIème siècle. Une porte est
ménagée dans le mur du chœur au XVème siècle pour relier directement celui-ci à la sacristie
édifiée dans l’enclos monastique et appuyée au mur sud de l’église. Une porte dans le mur
pignon ouest est percée au XVIIème siècle pour relier l’étage du bâtiment monastique
nouvellement construit à l’ouest du site à la tribune aménagée dans la partie occidentale de
l’église, en liaison avec le chœur déplacé d’est en ouest et réimplanté au-dessous d’elle. Enfin,
une porte fait communiquer l’église avec l’extérieur dans le mur nord1721.
-
Aménagements hydrauliques :
Afin d’aménager les bâtiments monastiques, le ruisseau du Coyroux est repoussé vers
le sud hors de son lit naturel. L’alimentation en eau est assurée par le captage d’une source
dans le versant opposé du vallon, à 30m en contrehaut de la terrasse du monastère. L’arrivée
sur le site est permise grâce à des canalisations de bois qui franchissent le torrent, puis au
moyen d’un aqueduc de pierres qui conduit l’eau, sous légère pression, jusqu’au milieu du
jardin du cloître. Ce dernier disposait de deux petits bassins juxtaposés, liés par un conduit,
encore visibles aujourd’hui [Fig. 596]. La redistribution s’effectue en direction de la
cuisine1722.
Un conduit souterrain est mis au jour lors de la campagne d’intervention de juillet
1979. Il est étudié sur 13m de long. Les parois atteignent 30 à 40cm de haut et entre 35 et
45cm de large. Elles se constituent de moellons de gneiss assez réguliers1723. Il passe
notamment sous le réfectoire et est probablement construit en même temps que lui. Il est en
effet protégé par des dalles de couverture qui sont prises dans les maçonneries. Il est utilisé du
XIIème au XVIIème siècles si on en juge par le mobilier découvert. Il atteste ainsi les
bouleversements de l’organisation primitive des bâtiments au XVIIème siècle1724. Un grand
bassin dallé, circulaire, est repéré au sud, il paraît également tardif. Il est cerné d’un
« promenoir » et dispose d’une conduite d’eau.
-
Décor intérieur :
1721
B. BARRIÈRE, « Aubazine, Coyroux. Monastère de moniales cisterciennes », TAL, T 9, 1989, p. 133-134.
B. BARRIÈRE, Aubazine en Bas-Limousin…, op.cit, p. 22.
1723
B. BARRIÈRE, Monastère de moniales cisterciennes de Coyroux (Aubazine, Corrèze). Rapport de la
campagne d’intervention de juillet 1979, université de Limoges, p. 46.
1724
B. BARRIÈRE, « Monastère de Coyroux », Archéologie Médiévale, T XIV, 1984, p. 311-312.
1722
- 554 -
Nous ne savons que peu de choses du décor intérieur du monastère. L’église était
revêtue d’un enduit blanc à faux joints ocre rouge recouvrant les moellons irréguliers
(XIIIème siècle), le sol pavé de dalles de gneiss ou de grès [Fig. 586].
Du décor intérieur de l’abbatiale féminine de Coyroux, nous connaissons un groupe
sculpté représentant une Mise au Tombeau. Elle était placée dans une niche dans la troisième
travée de la nef. Elle est datée des années 1500 par comparaison avec celles de Carennac (Lot)
ou de Reygade (Beaulieu, Corrèze). Elle devait se composer de sept personnes mais seuls
quatre ont été mis au jour lors des fouilles archéologiques menées sur le site par Bernadette
BARRIÈRE. Il s’agit visiblement de Nicodème, Jean, Marie et Marie-Madeleine. L’une des
Saintes Femmes a été retrouvée intacte chez des particuliers. Ces statues sont réalisées en
calcaire oolithique du Quercy. Les personnages placés à l’arrière mesurent 0.90m tandis que
Joseph et Nicodème mesurent 1.35m. Des traces de polychromie rouge, verte et bleue sont
visibles et ont été appliquées sur un apprêt ocre-rouge. Bernadette BARRIÈRE remarque le
souci du détail vestimentaire et ornemental et rapproche ainsi l’œuvre de la Vierge de Piété
d’Obazine1725.
Nous connaissons également une clef de voûte provenant de l’abbaye, portant sculpté
en relief le monogramme du Christ (IHS) tel qu’il est figuré dans nombre d’églises du BasLimousin. Le monogramme de la Vierge est placé au centre1726. Selon l’auteur, elle daterait
probablement du XVème siècle [Fig. 598]. L’église aurait-elle été revoûtée à cette époque ?
Bernadette BARRIÈRE évoque aussi certaines clefs de voûtes sculptées qu’elle date
toutefois plutôt du début du XIIIème siècle1727. Trois sur quatre ont été retrouvées. L’une est
scellée au pied de la croix placée devant le pignon sud du transept d’Obazine. L’une
représente un canard aux ailes déployées, inscrit dans un cercle délimité par un bourrelet
sculpté de feuilles tréflées stylisées. Une autre représente une sorte de mouton. Ces clefs
montrent le départ de huit nervures : elles correspondraient ainsi à des voûtes gothiques à
liernes, probablement datées du premiers tiers du XIIIème siècle selon les études de Claude
ANDRAULT-SCHMITT.
1725
B. BARRIÈRE, « Éléments de statuaire retrouvés à Coyroux », TAL, vol. 6, p. 121-122.
P. LALANDE, « Clef de voûte provenant de l’abbaye de Coyroux (Corrèze), XVème siècle », BSSHAC, T 9,
1887, p. 679-680.
1727
B. BARRIÈRE, « Note d’archéologie monumentale. L’église de Coyroux à Obazine », BSLSAC, T 98, 1995,
p. 370-372.
1726
- 555 -
VALETTE
- 556 -
5. Valette (commune d’Auriac, Corrèze) :
L’abbaye de Valette est située sur la commune d’Auriac, canton de Saint-Privat dans
le département de la Corrèze. Elle appartient primitivement au diocèse de Limoges, puis à
celui de Tulle depuis 1317. Elle est aujourd’hui recouverte par les eaux du barrage du
Chastang et ne fait l’objet d’aucune protection au titre des Monuments Historiques. La carte
de Cassini signale l’abbaye à la lisière d’un bois au bord de la Dordogne. Aucun sigle ne
précise son appartenance à un ordre religieux. Le symbole du prieuré est représenté, petite
église surmontée d’une crosse. La carte IGN au 1/25000ème la signale dans un méandre de la
Dordogne. Nous y accédons par un sentier depuis la D 75 provenant d’Auriac. Elle est située
dans une zone très boisée encore aujourd’hui, à l’ouest de la forêt domaniale de Miers,
prolongée à l’ouest par les bois de Tarrieu, de Lagrillière, de Lachaux, de Charel, de Brieu et
le Bois Grand [Fig. 600 et 601]1728.
Sources manuscrites :
L’abbaye de Valette est citée dans La Vie de saint Étienne d’Obazine ainsi que les
autres fondations de l’ermite. Le moine rédacteur de la Vita nous apprend sur la fondation et
le premier abbé du site, Bégon d’Escorailles :
« L’autre, dans le siècle, était d’une haute noblesse et
illustre par son rang dans la chevalerie. Il entre en
religion et, de chevalier, devint moine ; ensuite, les
mérites de sa vie le firent choisir comme abbé. Le
monastère dont il avait la charge souffrait d’être situé
dans une région inhospitalière et manquait de ressources.
À la suggestion et sur les pressantes recommandations de
Géraud, évêque de Limoges, le seigneur Étienne le
transféra, après quelques années, aux limites du diocèse
de ce prélat. Pendant toute sa vie, le saint homme fut
toujours plein de sollicitude envers les monastères qu’il
avait fondés comme s’il s’était agi du sien propre ».1729
1728
1729
IGN Série Bleue, 1/25000ème, Mauriac, 2334 O.
M. AUBRUN, Vie de Saint Étienne d’Obazine…, op. cit., p. 109 ; Gallia Christiana, II, 682.
- 557 -
Un petit fonds de l’abbaye de Valette est conservé aux Archives Départementales du
Cantal à Aurillac. La sous-série 23 H lui est consacrée mais ne comporte qu’un état des biens,
cens et rentes de la mense conventuelle de l’abbaye à Tourniac, Chaussenac et Brageac (après
1786). Ces possessions sont donc dans le Cantal et forment un triangle autour de Brageac.
Sont évoqués le « moulinot de la Valette » et la « grange de la Valette » sur la paroisse de
Chaussenat, aujourd’hui village d’Escladines [Fig. 619]1730.
L’abbaye désormais disparue est mieux connue grâce à un état des lieux dressé en
1711 à la demande de François Delort, abbé commendataire, également conservé aux
Archives Départementales du Cantal [PJ 16]. Un rapport d’expert est rendu. Il se présente
sous la forme d’un cahier de 10 feuillets et décrit avec une certaine précision les bâtiments
monastiques1731. Ils apparaissent très négligés, en ruines pour la plupart.
Entre le 17 août 1780 et le 22 mars 1781, un conflit oppose les abbayes de Valette et
de Brageac dont les termes nous sont parvenus et sont conservés sous la cote 1 B 751-3. Les
biens des deux sites sont énumérés et clairement distingués, une carte avec la répartition des
possessions est même dressée pour éviter toute confusion.
Un inventaire établi à l’abbaye de Valette vers 1590 après le passage des Huguenots
permet de mieux connaître les possessions mobilières des moines blancs. Ainsi ont été
inventoriées treize chasubles de diverses couleurs, deux pluvials, deux dalmatiques, trois
nappes pour le grand autel dont une en dentelle, quatorze aubes, quatorze amis, trois grands
psautiers, un reliquaire usé, une croix de procession en bois usé, une suspense en bois
argenté1732. C’est monsieur CHAMPEVAL qui a découvert ce document précieux aux
archives de la préfecture de Tulle.
Dans les années 1780, un inventaire des ornements, titres et papiers de Valette et de
Broc permet de dresser un état des lieux des bâtiments et des réparations à y faire. Le
bâtiment des religieux est décrit comme un corps de logis à deux étages avec une terrasse sur
le devant, le long de la Dordogne. L’église est dite ornée avec beaucoup de simplicité. Un
logement pour les étrangers comporte deux étages. Sont citées une boulangerie, trois écuries
et une grange. L’ancienne maison abbatiale est presque ruinée. Un jardin potager est placé
côté sud. Quant au domaine de Valette qui doit correspondre à la grange de l’abbaye, il se
compose d’une maison, d’un jardin potager, de bois en deçà de la Dordogne (chênes, hêtres,
1730
AD Cantal, 23 H 1.
AD Cantal, 14 B 94 1 ; T. PATAKI, « État des lieux de l’abbaye Notre-Dame de Valette en 1711 », Lemouzi,
n°35, 1970, p. 313-316.
1732
X. BARBIER DE MONTAULT, « Abbaye de Valette (1639) », BSLSAC, T 17, 1895, p. 353-354.
1731
- 558 -
châtaigniers). Ce document très précieux nous apprend que les moines disposaient d’une
exploitation à Peysidière sur la paroisse de Tourniac [Fig. 618]. Il correspond au lieu-dit
actuel « Péridières » à deux kilomètres au sud de Tourniac1733. Ce domaine se compose en
cette fin de XVIIIème siècle d’une maison, une grange, une cour, un jardin et un bois.
Le domaine de Broc dépendant de l’abbaye de Valette est mieux connu grâce à un
inventaire des ornements, titres et papiers de l’abbaye de Valette et de la chapelle de Broc,
dressé dans les années 1780 [Fig. 609]. Nous savons ainsi que le domaine de Broc se compose
d’un château formant un corps de logis avec deux pavillons sur le derrière, dans l’un desquels
est la chapelle, le tout à deux étages. Il est également fait état d’une boulangerie joignant le
château, une terrasse sur le devant, un jardin potager clos d’une muraille, un pavillon au fond
du jardin, trois granges couvertes de paille. Le château est reconstruit à neuf par le seigneur
abbé. Les murs sont décrits en pierres de taille de qualité. Le domaine est entouré d’une
muraille en pierres sèches. L’ensemble est en bon état, de même que les burons des
montagnes de Marlhoux et de Chartaix1734.
Il est dit « L’inventaire des meubles qui sont dans ladite
cuisine ainsi que ceux qui sont dans le salon y attenant,
caves aussi attenantes, la fournial qui est à côté du salon.
Dans la chambre qui est au-dessus du salon (chambre de
l’abbé), cabinet y attenant, ni dans le corridor et deux
petites chambres qui sont au-dessus de ladite cuisine (…).
Attendu que ce qui y est lui appartient (au fermier
Pougheol) et après avoir parcouru tous les dits
appartements, sommes montés dans les greniers qui sont
au-dessus de ladite maison (…). Ledit Pougheol nous a dit
qu’un grand tas de blé noir qui est dans le grenier qui est
au-dessus de la chapelle lui appartient. Ledit Me
Chabrier, fermier des cens et rentes de la seigneurie de
Broc nous a déclaré que ce qui appartient à l’abbé se
trouve dans sa chambre, à savoir une petite table, un lit
garni d’un matelas, couette et coussins de plume, deux
couvertures de laine, pente et rideaux en serge grise, le
tout fort usé. Quant à la chapelle, y étant entrés par la
1733
1734
IGN Série Bleue, 1/25000ème, 2334 O Mauriac.
AD Corrèze, H 52.
- 559 -
porte du côté du cabinet, avons observé que la porte
donnant au dehors vers le midi est sans serrure et fermée
en dedans par une barre de fer. »
Un inventaire de 1790 conservé aux Archives Départementales de la Corrèze permet
également une meilleure connaissance du mobilier de l’abbaye [PJ 17]. Ce sont des officiers
municipaux de la paroisse d’Auriac qui font cette visite à Valette et étudient les registres de
compte, inventorient les dîmes perçues. L’église dispose d’un maître-autel avec un Christ en
bois, des chandeliers, un reliquaire, un encensoir et sa navette, des chasubles et dalmatiques…
Les ustensiles de la cuisine sont décrits. Les chambres des religieux de même que le pavillon
en face de l’abbaye ne révèlent rien de précieux à part de vieux meubles. L’abbaye paraît
relativement pauvre1735.
Un autre document intitulé « Estimation des revenus et du capital de Valette » apporte
quelques précisions sur l’état des bâtiments. Le corps de logis est couvert de tuiles en bon état
et mesure 180 pieds de long sur 40 pieds de large (59.5 par 13.2m). Le premier étage est
occupé par des chambres. L’église est de même couverte de tuiles et mesure 90 pieds de long
sur 40 de large (29.7 par 13.2m). Un grillage de fer à feuillage sépare le chœur. Il mesure 24
pieds de large sur 7 pieds de haut (8 par 2.31m). Un autre bâtiment appelé « Le vieux
Couvent » est destiné aux étrangers. Il est aussi couvert de tuiles, en assez mauvais état. Il
mesure 200 pieds de long pour 26 de large (66 par 8.5m). Une mauvaise grange est couverte
de paille. Elle mesure 60 pieds de long par 30 pieds de large (19.8 par 10). Enfin, une maison
de métayer est citée, de 37 par 22 pieds (12.2 par 7.3m)1736.
La même année sont estimés les biens nationaux. La liste des fonds dépendants du
monastère est établie. Les moines disposent d’un pré de 12500 pieds de superficie, de 55
livres de revenu net ; du bois des Vignes situé contre la forêt de Freytine appartenant au
village du Pont, de 40 livres de revenu1737.
Les plans cadastraux peuvent également apprendre sur la physionomie des bâtiments
monastiques de l’abbaye de Valette au XIXème siècle. Le cadastre de 1840 (section B) révèle
trois bâtiments rectangulaires placés autour d’une parcelle carrée définissant le cloître.
L’emprise du monastère correspond aux parcelles 116, 119, 121, 125, 126 et 129 [Fig. 602].
Le cadastre actuel (section B, feuille n°5, Auriac) est très différent puisque les
bâtiments monastiques ont disparu suite à la mise en eaux du barrage du Chastang. Ils se
1735
AD Corrèze, Q 149.
AD Corrèze, Q 127.
1737
AD Corrèze, Q 36.
1736
- 560 -
situaient à l’origine sur la parcelle n°456. Par rapport au cadastre ancien, un nouveau bâtiment
est édifié sur la parcelle n°457 [Fig. 603 et 604].
Historiographie :
Jean-Baptiste CHAMPEVAL livre une petite étude de l’abbaye de Valette dans son
ouvrage sur le Bas-Limousin seigneurial et religieux. Il reprend les principales dates de son
histoire mais ne fait nullement état des vestiges encore conservés1738.
Bernadette BARRIÈRE consacre une courte notice à l’abbaye noyée depuis la mise en
eau du barrage du Chastang en 1951. Elle livre un état des lieux succinct concernant le peu de
données pouvant être rassemblées sur le site1739.
Historique :
L’abbaye occupe la base du versant rive gauche de la vallée de la Dordogne qui
s’encaisse de 300m dans le plateau, au cœur d’une zone forestière et sauvage. Cette « celle »
est d’abord créée à l’initiative d’Étienne d’Obazine puis érigée en abbaye en 1143. En 1145,
la communauté est transférée depuis Doumis-Le-Pestre (commune de Tourniac, Cantal). Le
site primitif est en effet jugé trop inhospitalier par l’évêque et devient le siège d’une
grange1740. En 1147, l’abbaye est affiliée à Cîteaux. Elle fait l’objet de nombreuses donations
des seigneurs d’Escorailles, également bienfaiteurs d’Obazine. Bégon d’Escorailles en est le
fondateur. Il est également un ancien disciple d’Étienne d’Obazine1741. Elle dispose en
particulier d’un domaine important au Brocq (commune de Menet, Cantal) consacré à
l’élevage bovin laitier. En 1187, Odon Ier, comptour de Saignes, cède sa villa du Monteil. En
1239, Guillaume d’Apchon donne la montagne de Marlhioux au-dessus de Brocq. En 1260,
Aymeric de Claviers, seigneur de Murat-la-Rabbe donne l’affar de Faussanges et en 1284, par
suite d’accord avec Bertrand de la Tour, les villages de Dijon et du Cheyrier. En 1302,
l’abbaye échange le mas de la Condamine et l’affar de Lavergne contre le fief de la Fosse, au
sud des terres de Brocq. En 1318, Bertrand VIII de la Tour cède à Astorg de Conroc, abbé de
1738
J-B. CHAMPEVAL, Le Bas-Limousin seigneurial et religieux ou géographie historique abrégée de la
Corrèze, Limoges, 1896-97, p. 222.
1739
B. BARRIÈRE (dir.), Moines en Limousin…, op. cit., p. 201-205.
1740
« Suggestu ac precepto domni Geraldi Lemovicensis episcopi ».
1741
J-L. LEMAITRE, La Dordogne avant les barrages, Ussel, 1979, p. 9.
- 561 -
Valette, les rentes de Jalaniac dans la paroisse de Chastel-Marlhac, moyennant le prix de deux
cens sols clermontois1742.
Nous ne connaissons presque rien des autres possessions de Valette. Outre le domaine
du Brocq, nous savons que l’abbaye disposait d’une grange dans l’enclos monastique et du
domaine de la Péridière (com. Tourniac)1743. La carte IGN révèle un lieu-dit « moulin
d’Auze » au sud-est de l’abbaye qui pourrait correspondre à une ancienne installation
monastique [Fig. 44 et 60]1744.
En 1304, le roi de France doit protéger l’abbaye contre les convoitises par des lettres
de privilèges et de sauvegarde.
Un article de A. VAYSSIÈRE nous permet de connaître un peu mieux l’un des abbés
de Valette, Claude de Doyac. Celui-ci est sans doute le premier abbé commendataire de
Valette en 1481. Il succède à Louis Valmier. Toutefois, Jean de Marsan est choisi par les
moines comme abbé. Il gouverne l’abbaye quand Claude de Doyac arrive aux portes du
monastère avec une troupe d’hommes. Jean de Marsan s’esquive et va demander asile à un
seigneur en Auvergne. Claude de Doyac reste ainsi à l’abbaye jusqu’en 1493. Cet épisode est
connu grâce à une bulle du pape Sixte IV pour Jean de Marsan, abbé élu de Valette le 22 juin
14831745.
L’abbaye est dévastée par les protestants vers 1574. Elle perd alors une partie de ses
titres qui sont brûlés. Elle est restaurée à la fin du XVIIème siècle, sans doute de 1675 à 1704.
D’après l’abbé POULBRIÈRE, le rez-de-chaussée du bâtiment régulier est voûté de tout son
long. Il ouvre à l’est par une belle terrasse qui longe la Dordogne 1746. Abandonnée pendant la
Révolution Française, elle passe alors entre les mains de Jean-Auguste Pénières qui la vend en
1816 après y avoir installé une verrerie.
En 1951, la mise en eau du barrage du Chastang empêche toute étude du site, dynamité
avant relevés. Les barrages sur la Dordogne ont ainsi fait disparaître les prieurés de Port-Dieu,
de Val-Beneyte, de Saint-Projet et l’abbaye de Valette.
Vestiges archéologiques :
1742
C. CHAPPE-GAUTHIER, Granges fromagères d’Auvergne. La vie des moines fromagers dans les
montagnes de Haute-Auvergne du XIIème au XVIIIème siècles, éditions Cheminements, Bron, 2007, p. 147.
1743
AD Corrèze, H 52.
1744
IGN Série Bleue, 1/25000ème, Mauriac, 2334 O.
1745
AN K 1179 ; A. VAYSSIÈRE, « Les malheurs d’un abbé de Valette », BSSHAC, T 7, 1885, p. 35-41.
1746
Abbé J-B. POULBRIÈRE, Dictionnaire historique et archéologique…, op. cit., 2ème édition, T I, p. 78-79.
- 562 -
À Doumis-Le-Pestre où seule une grange a pu subsister, nous pouvons encore
observer quelques pierres de remplois dans une grange de construction récente ainsi qu’une
source aménagée dont la datation est malaisée.
Nous savons qu’il demeurait à Valette dans la première moitié du XXème siècle un
petit escalier de pierres, un puits comblé, des caves voûtées, un cellier avec une voûte en
pierres posées de chant, une petite pièce d’eau, des murs de soutènement délimitant la terrasse
monastique du côté de la rivière ainsi que des éléments architecturaux vagabonds. Une porte
romane est remontée à Auriac [Fig. 605].
L’abbaye est mieux connue grâce à un état des lieux dressé en 17111747. L’église
mesurait 12 toises de long (environ 23.50m) pour 3.5 toises de large (environ 7m, mesures
dans oeuvre)1748. Ces mesures semblent néanmoins douteuses et il semble préferable de se
baser sur celles plus cohérentes de l’estimation des biens de Valette établie à l’époque
révolutionnaire (église de 29.7m par 13.20m)1749. Le chœur mesure 6 toises de long (environ
11.50m), ce qui semble de même curieux car il occuperait la moitié de l’édifice.
Les dimensions sont donc modestes. La largeur de la nef de 13.20m donnée à l’époque
révolutionnaire permet d’imaginer la présence d’une nef à bas-côtés (nef de 7m de large, bascôtés de 3m de large par exemple). Le choeur est séparé de la nef par une muraille de sept
pieds de haut avec une grande porte grillée au milieu. L’église est voûtée d’aix ( planches de
boies ?), enduite et blanchie. S’agit-il d’une charpente ? Elle dispose d’un clocher carré à
l’entrée, couvert de tuiles « blanches ». Ce clocher est rétabli depuis les années 1680. Un
corps de logis est placé du côté de la rivière de la Dourdounie. Il mesure 28 toises de long
pour 3.5 toises de large (environ 54.50m par 7m de large). Il dispose de deux caves, d’une
sacristie avec une porte de communication avec l’église, d’un dortoir à l’étage de 28 toises par
7.5 pieds de large (54.50m par 2.50m). Le rez-de-chaussée est occupé par un réfectoire avec
sa cheminée de 5.5 toises de long par 3.5 toises de large (11m par 7m), pavé de grands
carreaux de pierres de taille. La cuisine est pavée de petites pierres de granite.
Les angles du corps de logis ainsi que les piédroits des portes et des fenêtres sont en
pierres de taille. Un autre bâtiment au nord joint le nouveau bâtiment au-dessus. Il s’agit du
logis abbatial, en partie en ruines [Fig. 606].
1747
AD Cantal, B 621 ; T. PATAKI, « État des lieux de l’abbaye Notre-Dame de Valette en 1711 », Lemouzi,
n°35, 1970, p. 313-316.
1748
En Corrèze, la toise est de 1.948m, le pied de 0.325m. P. CHARBONNIER (dir.), Les anciennes mesures
locales du Massif Central d’après les tables de conversion, Institut d’Études du Massif Central, ClermontFerrand, 1990, p. 112.
1749
AD Corrèze, Q 127.
- 563 -
Le cadastre de 1840 informe sur la disposition des bâtiments monastiques au XIXème
siècle. Le carré du cloître est encore discernable bien que le bâtiment au niveau de la galerie
sud ait entièrement disparu. Le côté est est occupé par un bâtiment allongé, sans doute le
corps de logis cité dans l’état des lieux de 1711. Le logis abbatial au nord est également
encore représenté en 1840. Le bâtiment à l’ouest est de forme trapézoïdale. S’agissait-il de
l’ancien bâtiment des convers comme souvent dans les abbayes cisterciennes ? Un puits est
signalé au sud des bâtiments monastiques. Un petit bâtiment longiligne est situé au nord du
corps de logis. Un autre est placé à l’ouest, au niveau du chemin d’accès. Il pourrait s’agir de
la porterie ou du « Vieux couvent » évoqué dans la description moderne, accueillant les
étrangers1750. Le nom des parcelles du plan cadastral conserve les traces de certains
aménagements monastiques : le Champ de l’Abbé au nord des bâtiments, Le Verger, La
Péchière et le Bois du Prieur à l’ouest [Fig. 602, 603 et 604].
Des vestiges archéologiques proprement dit ne demeure guère que la porte de
l’abbatiale, remontée à Auriac près du monument aux morts de la commune [Fig. 605]. Cette
porte bâtie en moyen appareil de granite gris relativement grossier 1751, à fortes inclusions de
mica et quartz, se constitue d’un arc en plein-cintre. L’ouverture est de 1.34m de large pour
une profondeur de 0.91m. L’arc est composé de claveaux biseautés. Il est souligné d’un tore
unique, reçu par deux puissants tailloirs de 0.19m de haut pour 0.31m de large, simplement
moulurés d’une gorge. Les chapiteaux, colonnettes et bases ont disparu. L’arc est surmonté
d’une archivolte ornée de motifs en damiers. Elle est prolongée par des cordons qui devaient
courir le long de la façade. Cette porte pourrait correspondre à la porte d’entrée ouest, souvent
de dimensions modestes et peu ornée ou à la porte sud rejoignant l’église et le cloître. Il est
difficile de se prononcer face à la perte totale des vestiges de l’abbatiale médiévale.
- Granges, moulins et viviers :
Les investigations menées sur le site de l’ancienne grange d’Escladines à côté de
Pleaux (Cantal) n’a révélé aucun vestige intéressant notre étude.
Le domaine de Brocq présente des bâtiments quelque peu modifiés au XIXème siècle.
Un ensemble de caves, de soues à cochons, un vaste four à pain, une laiterie sont encore
observables dans la vallée du Violon, à proximité du bourg de Menet. Le site est à 600m
1750
1751
AD Corrèze, Q 127.
Modules : L 0.42m ; l 0.23m ; h 0.22m ou L 0.47m ; l 0.24m ; h 0.36m.
- 564 -
d’altitude, entouré des montagnes de Charleix et de Marlhioux (1300m alt, com. Trizac)1752.
Ce domaine est fondé grâce aux libéralités des seigneurs de Saignes, d’Apchon, de Murat-LaRabbe et des seigneurs de la Tour. Le cadastre napoléonien révèle la présence du « moulin de
Broc » et de l’abbaye de Broc [Fig. 609].
La grange de Brocq va servir de logis à certains abbés commendataires, tel Joseph de
Gontaud-Biron au XVIIème siècle. Elle se constitue d’une maison, d’une chapelle aujourd’hui
détruite suite à un incendie et remplacée par un jardin en terrasse, ainsi qu’une vaste grange
étable. À proximité, sur une butte au sud était un pigeonnier aujourd’hui disparu. Les terres et
les prairies étant inondables, c’est un chemin-digue maçonné qui permettait l’accès au proche
moulin [Fig. 614]. La demeure principale comporte un salon doté d’un dallage bicolore en
galets1753. Cette maison d’habitation dispose au-dessus de sa porte d’entrée d’un linteau
portant la date de 1841 [Fig. 610]. Elle est bâtie en moyen et grand appareil de tuf taillé avec
soin. Le grand appareil concerne essentiellement les harpages et les soubassements.
Un petit bâtiment rectangulaire en léger contrebas de cette demeure est daté de 1840
d’après le linteau au-dessus de l’une des portes. Il semble avoir servi de clapiers à lapins.
La grange proprement dite, aujourd’hui transformée en étable, est un long bâtiment à
pentes accusées, datée de 17.9 ( ?), d’après l’inscription gravée au-dessus d’une porte percée
dans un des murs-pignons (nord) [Fig. 611]. Elle se constitue d’un arc surbaissé surmonté
d’un arc de décharge en bâtière. Cette grange est bâtie sur de puissants fondements constitués
de gros blocs non taillés1754. Les parements de moyen et grand appareil régulier montrent des
traces de piquetage. Les murs gouttereaux sont percés de simples fenêtres allongées, étroites,
rectangulaires. L’entrée principale au sud est une porte charretière à arc surbaissé, surmontée
d’un arc de décharge en mitre.
Des éléments lapidaires erratiques sont conservés sur la propriété dont une petite main
bénissante sculptée et une base de colonnette octogonale [Fig. 612 et 613].
Le moulin englobe également une grange et une maison d’habitation, probablement
demeure des convers [Fig. 615]. Il s’agit de constructions soignées en tuf. La maison des
convers est de 17 par 15m. Elle est adossée au rocher, en partie enterrée. Le rez-de-chaussée
comprend une salle voûtée surbaissée en pierres taillées et appareillées, ainsi que deux caves à
fromage voûtées en plein-cintre1755. Un four circulaire est voûté en pierre de taille formant une
coupole surbaissée de 2.37m de diamètre. Quatre loges à cochons sont voûtées. À l’étage, une
1752
C. CHAPPE-GAUTHIER, op. cit., p. 15.
C. CHAPPE-GAUTHIER, op. cit., p. 178.
1754
Modules : 0.90 par 0.48 et 0.27m; 1.10 par 0.48 par 0.30m.
1755
C. CHAPPE-GAUTHIER, op. cit., p. 153.
1753
- 565 -
vaste pièce dispose d’un sol couvert de grandes dalles de pierres. Il peut s’agir du dortoir. Puis
une salle commune à laquelle succède une laiterie, petite pièce voûtée de 2 par 3.50m.
Le moulin proprement dit est placé sur une dérivation du Violon. Il s’agit d’un
bâtiment quadrangulaire dont le pignon sud est conservé. Les parements, en grande partie
éboulés, sont de grand appareil pour les harpages et moyen appareil régulier [Fig. 615]1756.
Certaines pierres de taille présentent des traces de pic marquées. En amont du moulin, un
vivier maçonné servait de réservoir et permettait l’alimentation contrôlée en eau du moulin
[Fig. 616]. Il était lui-même alimenté par un bief placé sur le cours du ruisseau de Brocq,
aujourd’hui asséché mais bien perceptible dans le paysage car entièrement maçonné en pierres
sèches. Ce moulin employait vraisemblablement une roue horizontale, entraînant une meule
placée au rez-de-chaussée. Il ne demeure aujourd’hui des mécanismes que l’axe en bois. Le
canal de fuite passant sous le moulin est bâti en belles pierres de taille. Il ouvre sur l’extérieur
par un arc légèrement surbaissé composé de claveaux courts. D’autres aménagements sont
perceptibles : un four et une cheminée sont installés dans le pignon sud du moulin. Un second
moulin est placé en amont sur le bief, bâti en petit appareil irrégulier tandis que les harpages
se constituent de moellons massifs [Fig. 617].
1756
Module : 0.73 par 0.46 par 0.27m.
- 566 -
AUBEPIERRES
- 567 -
C. Les créations directes de l’Ordre de Cîteaux :
1. Aubepierres (commune de Méasnes, Creuse) :
L’abbaye d’Aubepierres est située sur la commune de Méasnes, canton de Bonnat dans
le département de la Creuse. Nous abordons le site monastique par la D5 qui s’enfonce en
serpentant dans un vallon où coule le ruisseau de Lavaud. La carte IGN au 1/25000 ème ne la
signale que par le lieu-dit « l’Abbaye »1757. Le nom d’Aubepierres n’apparaît même plus dans
la toponymie actuelle, tandis que la carte de Cassini signale bien « Aubepierre » accompagnée
du symbole représentant une église et une crosse attestant la présence d’un prieuré. Le sigle
AB O. C. est précisé (abbaye d’observance cistercienne). Le site est désormais divisé entre
plusieurs propriétés privées et ne bénéficie d’aucune protection au titre des Monuments
Historiques [Fig. 620 et 621].
Il n’en reste actuellement quasiment aucun vestige en place, aucune élévation nous
permettant de connaître les bâtiments monastiques médiévaux. Notre étude doit donc se baser
sur les documents d’archives et l’historiographie contemporaine. Toutefois, les actes
médiévaux ne font que très peu référence au bâti et les descriptions d’érudits sont souvent
délicates à utiliser, parfois faussées par une forte imagerie romantique. Il est néanmoins
nécessaire de faire le point sur l’ensemble des documentations concernant l’abbaye
d’Aubepierres.
Sources manuscrites et figurées :
L’abbaye d’Aubepierres comporte un fonds aux Archives Départementales de la
Creuse sous les cotes H 147 à H 196. Son patrimoine foncier est ainsi relativement bien connu
grâce à ces actes médiévaux et modernes conservés. Toutefois, les dates ne sont pas
systématiquement précisées. Nous pouvons également déplorer que les actes conservés ne
comprennent pas de mentions architecturales. Le chantier médiéval, la mise en œuvre,
l’approvisionnement des matériaux ne sont pas évoqués. Les sources de l’époque moderne
peuvent alors parfois pallier les lacunes des documentations médiévales. Elles sont les plus
importantes dans les fonds d’archives des abbayes cisterciennes du diocèse de Limoges. Les
procès-verbaux de visite et d’expertise, les inventaires dressés à la Révolution sont des
sources inépuisables d’informations pour l’historien et dans une certaine mesure pour
1757
IGN série Bleue 2128 E, Dun-le Palestel, 1/25000ème.
- 568 -
l’historien d’art. Suite aux destructions des guerres de Religion et aux négligences de certains
abbés, les états de lieux se multiplient et inventorient avec précision les éléments mobilier et
immobilier.
Claude
ANDRAULT-SCHMITT
insiste
sur
l’importance
de
cette
documentation : « la notion de paysage artistique disparu est intéressante en soi pour mettre
l’accent sur le poids du hasard dans la connaissance de la réalité médiévale. Les procèsverbaux de visite de l’époque moderne pourront soutenir un effort d’imagination, à condition
de ne pas commettre de contresens dans le vocabulaire de l’époque »1758. L’inventaire
révolutionnaire de l’abbaye d’Aubepierres daté de 1790 est surtout basé sur la description des
éléments de mobilier [PJ 18]1759. Il est précisé :
« (…) l’église est un grand vaisseau pavé en carreau cuit
dont il y en a la moitié de mauvais, éclairée par vingt-six
croisées. Le sanctuaire est carlé en petit carreau cuit et
éclairé par quatre croisées ».
Les croisées désignent des baies. Le chevet plat était donc percé de quatre fenêtres.
Nous pourrions imaginer un triplet surmonté d’un oculus comme il est fréquent dans un cadre
cistercien (Prébenoît, Noirlac). La nef était donc éclairée par vingt-six baies, soit treize de
chaque côté, un percement tous les quatre mètres si l’on n’en croit les dimensions relevées au
XIXème siècle avant la disparition des fondations de l’abbatiale (50m de long environ). Quant
au profil des baies, nous n’avons aucun indice. Étaient-elles brisées et à fort ébrasement
comme dans la plupart des abbayes de Haute-Marche conservées (Bonlieu, Bellaigue,
Prébenoît)? Ce type de baie est fréquent dans le premier tiers du XIIIème siècle au sein
d’édifices paroissiaux (Gouzon en Creuse, Lamaids dans l’Allier) ou militaires (donjon de la
Toque à Huriel, Allier).
Si l’historien dispose ainsi de sources manuscrites pour appuyer ses recherches, rares
sont les vestiges qui permettent une étude des créations artistiques de cette modeste abbaye
marchoise. Concernant le mobilier, aucun élément n’est conservé. Pourtant, nous savons
d’après les textes que les seigneurs de la Celle et les seigneurs de Puyguillon sont inhumés à
Aubepierres dès le XIIème siècle. Ces inhumations ont-elles conduit à des embellissements du
monastère ? Aucun vestige n’en demeure aujourd’hui. L’inventaire des objets mobiliers de
l’église daté de 1790 nous permet d’imaginer le décor d’Aubepierres à l’époque moderne.
1758
C. ANDRAULT-SCHMITT, « Églises cisterciennes du Poitou », Revue Historique du Centre Ouest, T I,
Société des Antiquaires de l’Ouest, Poitiers, 2004, p. 9-103.
1759
AD Creuse, H 232.
- 569 -
Nous tenions ici à en retranscrire un extrait puisqu’il s’agit de l’un des seuls documents que
nous ayons à notre disposition1760.
« Nous nous sommes transportés dans la sacristie où nous
avons trouvé deux calices dont un en vermeil et l’autre en
argent, un soleil qu’on pose sur le pied du calice d’argent,
une boîtes de saintes huiles en argent, un vieux dais
d’indienne dont les pentes sont en soie, franges d’argent
faux, une chape en soie, neuf chasubles dont quatre en
laine et cinq en soie, dix-neuf amicts, cinq aubes et deux
surplis, trois corporaux, quarante-cinq lavabos ou
purificatoire, deux mauvais devant l’autel et une table
couverte d’une grosse toile (…).
Le maître-autel est soutenu par quatre grandes colonnes
en bois surmonté d’ornements au milieu duquel est une
niche ou est une statue représentant la Sainte Vierge et
l’enfant Jésus, dans lequel encadrement est un tableau
représentant l’Assomption avec les apôtres, sous lequel
est un vieux tabernacle peint, en petit gris, où sont quatre
statues dorées saint Silvain, saint Paul apôtre, saint JeanBaptiste et saint Bernard, deux bras où sont les reliques
de saint Denis, saint Gervais, saint Gilles, saint Denis,
sept cadres dorés représentant saint Pierre, saint Paul,
l’Annonciation, la Nativité de saint Jean-Baptiste, sainte
Barbe, et notre seigneur à table avec deux pèlerins, une
croix argentée, six chandeliers d’étain et deux petits de
cuivre, six fiches pour poser les cierges, les cartons vitrés
pour la messe, une vieille chaise tapissée, un missel, un
antiphonaire gothique, deux psautiers et un graduel de
l’ordre, un antiphonaire et graduel romain, deux
processionnaux, un pupitre avec un mauvais tapis.
1760
AD Creuse, H 232.
- 570 -
L’autel est couvert de deux grosses nappes et d’une fine
de dentelle et d’un tapis d’indienne. Deux petites cloches.
Le chœur est planchée avec six stalles de chaque côté ».
Cette description est donc très précise et très complète. Nous pouvons toutefois
supposer que la majorité des éléments cités relèvent de l’époque moderne et ne correspondent
pas à des réalités médiévales. Nous pouvons constater que le culte à saint Silvain, protecteur
du saltus et des bois a perduré jusqu’à la fin du XVIIIème siècle dans ces zones de marches
forestières et ne s’est donc pas démenti depuis l’époque médiévale. Une statue lui est
réservée, placée à côté des saints apôtres et de saint Bernard, chef d’ordre, ce qui prouve bien
son importance dans les dévotions. Le chœur est décrit avec douze stalles, ce qui laisse
présager un nombre de moines relativement réduit à la période révolutionnaire.
Ce seul document semble bien insuffisant à la connaissance du mobilier de l’abbaye
d’Aubepierres particulièrement méconnu pour la période médiévale. Notre étude trouve ainsi
ses limites face à l’indigence des vestiges archéologiques. Seules des fouilles permettraient
peut-être de mettre au jour certains éléments intéressants.
Historiographie :
Au début du XXème siècle, l’érudit Henri DELANNOY rédige un court article
concernant le monastère mais qui ne concerne toutefois que les conditions de la fondation et
des informations sur le patrimoine foncier déduites d’après les actes conservés. Bâtiments et
mise en oeuvre ne sont là encore pas mentionnés1761.
Le dictionnaire d’André LECLER fait état du monastère marchois mais se borne à
décrire les principaux évènements historiques ayant marqué la communauté cistercienne
comme les Guerres de Religion et les troubles révolutionnaires. Aucune indication n’est
toutefois livrée concernant les étapes de construction1762.
C’est J. B. L ROY DE PIERREFITTE qui nous laisse percevoir le premier la
physionomie du modeste monastère marchois dans la seconde moitié du XIXème siècle. Il
décrit l’abbaye sur un plateau artificiel entouré d’un fossé. Le plan de l’abbatiale est évoqué,
information très précieuse étant donné qu’aucun vestige ne nous est parvenu de cette
1761
H. DELANNOY, « Notes sur l’abbaye d’Aubepierre », MSSNAC, T 16, 1907, p. 43-86.
A. LECLER, Dictionnaire topographique, archéologique et historique de la Creuse, Marseille, Laffitte
Reprints, 1902.
1762
- 571 -
architecture. Elle est disposée en croix latine, mesure 50m de long, 10m de long pour le bras
du transept, 13.80m de large pour la nef1763. Il ne reste rien aujourd’hui de ce sanctuaire
encore observable dans les années 1850. Le plan cadastral de 1836 n’atteste guère cette
description puisque l’abbatiale apparaît comme un simple bâtiment rectangulaire sans transept
[Fig. 622 et 624]. À l’est, un bâtiment conventuel est préservé, totalement disparu
aujourd’hui. En effet, l’abbaye sert au XIXème siècle de carrière où les proches habitants
viennent se pourvoir en matériaux de construction. L’auteur précise également les dimensions
d’un bâtiment conventuel de l’aile sud du cloître qui mesure 54 par 13.80m. Il est aussi large
que la nef. Outre ces quelques dimensions, nous ne possédons aucune autre information
concernant le monastère dans les sources manuscrites ou dans les travaux d’érudits, données
qui semblent bien ténues pour comprendre l’architecture et l’ordonnance du monastère.
Nous disposons de quelques travaux historiques récents qui peuvent aider à la
connaissance du monastère marchois. En 1956 et 1957, Michel AUBRUN livre une étude sur
l’abbaye publiée dans les Mémoires de la Société des Sciences naturelles et archéologiques
de la Creuse1764. Il présente un état des lieux précis des sources manuscrites disponibles aux
chercheurs, revient sur les origines de l’abbaye et la constitution de son patrimoine. Il évoque
rapidement l’organisation des bâtiments monastiques. D’après le plan grossier dressé au début
du cartulaire et les mesures prises au XIXème siècle avant que les fondations n’aient disparu,
il remarque que l’église est normalement orientée, bordée au Midi du cloître qu’entourent les
autres constructions. Le chevet est plat, la nef bordée de collatéraux à la différence des
Pierres, son abbaye-fille qui ne présente qu’une nef unique. Pour l’historien, ceci
s’expliquerait par le fait que le monastère des Pierres ne dispose pas des mêmes revenus et de
la même importance qu’Aubepierres. La communauté berrichonne était peut-être plus
restreinte. Nous pourrions également voir ici un choix esthétique pouvant s’expliquer par la
proximité de celles grandmontaines aux abords des Pierres, caractérisées par un parti très
dépouillé et simplifié dépourvu de bas-côtés. La communauté des Pierres n’est en effet qu’à
quelques kilomètres au sud des « Bonshommes » de Pentillou.
La publication la plus récente concernant l’abbaye d’Aubepierres est une notice dans
l’ouvrage réalisé sous la direction de Bernadette BARRIÈRE sur les implantations
cisterciennes en Limousin1765. Le monastère ne fait toutefois l’objet que d’une double page qui
récapitule les principaux actes et sources érudites la concernant. Les indications sur
1763
Nous pouvons supposer que cette dernière dimension inclut les bas-côtés. L’édifice n’est pas très large si on
le compare à l’Escale-Dieu (14.50m avec collatéraux) ou Obazine (15.45m avec collatéraux). Par ailleurs, sa
longueur totale permet de ma comparer à Silvanès (47.60m de long) ou encore Fontfroide (51m de long).
1764
Ces deux articles ont été réédités dans Moines, paroisses et paysans, PUBP, 2000, p. 9-53.
1765
B. BARRIÈRE (dir.), Moines en Limousin…, op. cit., p. 138-139.
- 572 -
l’architecture et l’organisation des bâtiments monastiques restent là encore relativement
ténues. Le cadastre de 1836 permet toutefois de préciser l’emplacement de l’église et des
bâtiments monastiques. Le carré des lieux réguliers est placé sur la partie ouest d’une vaste
plate-forme de près de 200m de long, partiellement cernée par des fossés naguère en eau dont
parlait déjà J. B. L. ROY DE PIERREFITTE. Seul un arc en pierre demeure, vestige d’une
porte d’entrée de l’ancien enclos daté du XVIIIème siècle. Un mémoire de maîtrise d’histoire
sur la constitution du patrimoine et les aménagements hydrauliques d’Aubepierres était en
cours lors de la publication de 1998 mais n’a apparemment pas abouti1766.
Ces études succinctes témoignent des difficultés à retracer l’architecture de l’abbaye
d’Aubepierres. Le plan au sol est connu mais par ailleurs nous ne savons rien de l’élévation
du sanctuaire et des bâtiments conventuels. Si les études d’historiens sont rares concernant
l’abbaye d’Aubepierres, elles sont totalement inexistantes en histoire de l’art.
Claude ANDRAULT-SCHMITT est l’une des seules à avoir abordé l’architecture et
les créations artistiques des abbayes cisterciennes de Haute-Marche. Toutefois, son article
s’attache aux monographies des monastères de Bonlieu, de Prébenoît et du Palais-NotreDame. En effet, elle base son étude sur les fondations à l’initiative de Géraud de Sales, ce qui
exclut Aubepierres, création directe de l’ordre de Cîteaux1767.
Historique :
Dès la première moitié du XIIème siècle, le diocèse de Bourges connaît la présence
cistercienne. La Prée est fondée dès 1128, Lorroy en 1135 et Barzelle en 1137. La Colombe
est érigée en abbaye en 1146. L’abbaye d’Aubepierres, sise au sud du bourg de Méasnes, est
fondée en 1149 dans le diocèse de Limoges par des moines venus de Clairvaux selon la
volonté de l’archevêque de Bourges Pierre de la Châtre et avec l’approbation de l’évêque de
Limoges. Nous n’avons aucune source attestant l’existence d’un ermitage primitif sur ces
terres. Claude ANDRAULT-SCHMITT interprète cette création comme une volonté des
claravalliens de s’implanter dans les marges du diocèse de Limoges pour bloquer le
développement d’établissements concurrents tel Dalon. En s’attachant à l’exemple des
fondations du diocèse de Poitiers, elle constate que les filiales de Clairvaux sont rares ;
l’abbaye-mère opte pour des « filles stériles » afin de mieux tenir en main son réseau, ce qui
1766
Mémoire de Cyrille DURAND à l’université de Limoges sous la direction de B. BARRIÈRE.
C. ANDRAULT-SCHMITT, « Des abbatiales du « désert ». Les églises des successeurs de Géraud de Sales
dans les diocèses de Limoges, Poitiers et Saintes (1160-1220) », BSAOMP, 5ème série, T 8, 1994, p. 91-173.
1767
- 573 -
n’est toutefois pas le cas d’Aubepierres qui essaime au monastère des Pierres. Dans le diocèse
de Poitiers, les processus d’affiliation se réalisent indépendamment des groupes de pression
de l’abbé de Clairvaux, à la différence du Berry pour qui l’action de Pierre de La Châtre, ami
de saint Bernard, est primordiale1768.
Aubepierres sera donc à l’origine de la fondation de l’abbaye des Pierres. La Gallia
Christiana est toutefois très obscure quant aux liens de filiation des deux monastères. À
propos d’Aubepierres, il est stipulé :
« Albae Petrae, ord. Cisterciensis abbatia, filia
Claraevallis et Petrarum, in finibus hujus diocesis
fundatur III id junii 1149 »1769.
Les Pierres est présentée comme la mère d’Aubepierres. Toutefois, à propos de
l’abbaye des Pierres, elle atteste une fondation en 1149 par Aubepierres dont elle semble cette
fois être la fille :
« Beata Maria de Petris, ordinis Cisterciensis, filia
monasterii de Albis Petris sub Clara-Valle in parochia S.
Pauli de Sidialles et in archidiaconatu de Castra. Sita
prope Culentum in valle horrida. Fundature anno 1149,
benficio
praesertim
Radulfi
et
Ebonis
Dolensium
principum »1770.
Les abbayes de la Colombe, Aubepierres, Les Pierres et Varennes ne sont pas
solidaires des deux grandes mouvances cisterciennes du diocèse de Limoges issues d’Obazine
et de Dalon.
Les moines disposent d’un certain nombre de granges : la Porte, la Grange,
Lavauvieille et Bourliat sont les plus proches de l’abbaye, à moins de 10 km, tandis que
Chibert est sur la commune de Glénic plus au sud, Fondenet et Fontgilbert près d’Argenton en
Berry [Fig. 89, 632]. Nous n’avons toutefois pas retrouvé « La Porte » et « Bourliat » sur les
cartes de Cassini ou les cartes IGN. Leur existence est néanmoins bien attestée dans les textes.
1768
C. ANDRAULT-SCHMITT, « Les églises cisterciennes en Poitou », RHCO, T I, Société des Antiquaires de
l’Ouest, Poitiers, 2004, p. 9-103.
1769
Gallia Christiana, T II, coll 644.
1770
Gallia Christiana, T II, coll 215.
- 574 -
« La Porte » devait correspondre à la porterie du monastère et revêtait sans doute une fonction
d’accueil des pèlerins et des pauvres.
Les possessions des cisterciens s’étendent jusqu’en Boischaut, notamment pour la
viticulture (vignes de Marzelle)1771. Les moines de Haute-Marche pratiquent également
l’élevage et la céréaliculture. La création de ces granges s’est souvent accompagnée de
défrichements1772. Ces unités d’exploitation agricole sont fréquemment associées à un moulin.
Ainsi, les textes médiévaux révèlent l’existence d’un moulin à l’abbaye même (désormais
nommé « Le Moulin Neuf »), à Chibert (« Le Moulin Neuf », Glénic), Vaumoins (« le Moulin
Noyé », Glénic), Rebeyret (Roche) ainsi qu’à Lavauvieille (« Le Moulin Neuf » au bord de la
Petite Creuse, au sud de l’abbaye). L’étude des cartes IGN au 1/25000 ème permet de
cartographier la majorité de ces installations [Fig. 29 et 47]1773. La carte de Dun-Le-Palestel
révèle à 500m au nord-est de l’abbaye un lieu-dit « la Tuilerie » qui peut évoquer une
ancienne installation monastique, à moins qu’il ne s’agisse d’un bâtiment artisanal moderne
ou contemporain1774. Les moines produisent peut-être leurs propres briques et tuiles. Sans
l’appui des textes, nous ne pouvons toutefois dater cette structure. À 1 km au nord
d’Aubepierres, le toponyme « La Bergerie » peut également faire référence à une ancienne
exploitation cistercienne. Ceci est d’autant plus plausible que nous savons que les moines
pratiquent l’élevage. Au sud-ouest d’Aubepierres, le lieu-dit « les Forges » pourrait également
s’apparenter à une ancienne industrie mais nous ne nous déterminer si elle relève de l’époque
médiévale.
Dès le XIIIème siècle, le patrimoine de l’abbaye devait être constitué. Quelques actes
attestent de l’existence relativement précoce de ces granges et moulins. En 1165 une terre est
donnée à la communauté à Bourliat1775. Certaines granges cisterciennes disposent de leurs
propres chapelles qui appartenaient parfois aux terres données aux abbayes. Elles sont
fréquentes lorsque les granges sont trop éloignées de l’abbaye pour permettre aux convers de
rentrer pour les offices. C’est le cas notamment à Aubepierres qui aurait huit chapelles
1771
H. DELANNOY, « Notes sur l’abbaye d’Aubepierre », MSSNAC, T 16, 1907, p. 43-86 ; AD Creuse, H 166.
Les vignes de Marzelle sont données par Pierre Vital et sa femme Pétronille.
1772
C. HIGOUNET, « Les types d’exploitations cisterciennes et prémontrés du XIIème siècle et leur rôle dans
l’édification de l’habitat et des paysages ruraux », dans les Actes du Colloque International de l’Université de
Nancy, Géographie et histoire agraires, 1957, Nancy, 1959, p. 266-271.
1773
Les moulins et granges de la commune de Glénic apparaissent sur la carte IGN série Bleue 2229 O de Guéret,
1/ 25000ème.
1774
IGN série Bleue, 2128 E, Dun-Le-Palestel, 1/25000ème.
1775
AD Creuse, H 147.
- 575 -
associées à des granges. Bourliat étant à neuf kilomètres de l’abbaye, elle jouissait ainsi de
son propre sanctuaire1776.
En 1209, les moines obtiennent d’Eudes de Cluis la promesse de protéger leur grange
de Fontenay. En 1247, Hélie de Ladapeyre renonce à tous les droits qu’il pouvait avoir sur le
moulin de Vaumoins sur la Creuse dépendant de la grange de Chibert (Glénic). D’autres actes
sont plus récents. Nous connaissons en particulier une transaction en 1324 à propos du moulin
de Chibert1777. D’après les statuts de l’ordre cistercien, il semblerait qu’une grange de
« Broulhac » soit vendue par l’abbé d’Aubepierres. Il pourrait s’agir de la grange de
Bourliat1778. Un acte de 1461 concerne un contrat d’acquisition du Moulin Gayet à Aigurande
par les seigneurs de Châteauroux1779. Nous n’avons toutefois pas trouvé traces de ce moulin
dans la toponymie actuelle.
L’abbaye d’Aubepierres est en mesure de développer une activité commerciale dès les
années 12001780. Les actes conservés montrent un essor des donations depuis la fondation en
1149 jusqu’au milieu du XIIIème siècle à un rythme relativement soutenu. Le cartulaire
révèle en particulier une concentration de donations dans les années 1163-11651781. Les
seigneurs de Malval, les comtes de la Marche, les nobles de Chauvigny, Ajasson et
Chamborand soutiennent de leurs générosités les moines blancs nouvellement installés 1782.
Nous pouvons envisager le début de la mise en œuvre d’Aubepierres dès les années 1150.
Au Bas Moyen-Âge, l’abbaye semble très ruinée puisque même le Chapitre Général
annuel de l’ordre de Cîteaux déplore la « désolation » de l’abbaye d’Aubepierres. Il est décidé
de céder au modeste monastère trois florins par an pendant cinq ans pour aider à son
redressement1783.
Vestiges archéologiques :
-
Abbatiale, bâtiments conventuels et remplois :
1776
D. H. WILLIAMS, « Cistercian Grange Chapels », dans T. N. KINDER, (dir.), Perspectives for an
Architecture of solitude…, op. cit., p.213-221.
1777
AD Creuse, H 147 et 172.
1778
J-M. CANIVEZ, Statuta…, op. cit., T IV, 1430-31.
1779
AD Creuse, H 147.
1780
C. HIGOUNET, « Le premier siècle de l’économie rurale cistercienne », dans Villes, sociétés et économies
médiévales, Bordeaux, 1992, p. 455-474.
1781
AD Creuse, H 147.
1782
H. DELANNOY, « Notes sur l’abbaye d’Aubepierre », MSSNAC, T XVI, 1907, p. 43-86.
1783
J-M. CANIVEZ, op. cit, T IV, 1453-56.
- 576 -
Il ne reste que quelques vestiges des aménagements monastiques de l’abbaye
d’Aubepierres, si bien qu’il semble difficile aujourd’hui de se faire une idée de l’organisation
du monastère médiéval.
Le plan cadastral de 1836 (section E) permet toutefois de mieux la cerner [Fig. 622].
Le carré du cloître est encore discernable (parcelle 285). L’église est placée au niveau de la
galerie nord (parcelle 286), le long du chemin de l’abbaye. Seule son emprise au sol est
représentée comme un simple vaisseau longiligne. Le bâtiment est est entièrement détruit. Les
bâtiments ouest sont en partie conservés. Deux petites constructions quadrangulaires sont en
effet représentées (parcelles 281 et 284). Un vivier (parcelle 275) est conservé au nord de
l’abbaye, relié au « ruisseau de l’Abbé ». Deux bâtiments de ferme longitudinaux sont
disposés au nord du site (parcelle 276). Les noms de parcelle conservent le souvenir
d’anciennes installations comme l’Étang à l’est, désormais asséché, La Garenne ou la Vigne.
Le chemin-digue de l’étang est encore conservé. Il longe le côté nord de l’emplacement de
l’abbaye.
Le cadastre actuel (section BD) permet de constater la conservation des deux
bâtiments longitudinaux au nord du site (parcelles 62, 63 et 65), réunis par un porche moderne
[Fig. 623]. Les deux petits édifices quadrangulaires présents sur le cadastre napoléonien sont
remplacés par des habitations (parcelle 66). L’église et le carré du cloître correspondent à la
parcelle 69. Le chemin de l’abbaye d’Aubepierres est encore signalé. Le vivier correspond à
la parcelle 67.
Nous entrons sur le site par une arche en plein cintre de 2.80m de large, vestige d’une
porte de l’enclos du monastère et qui relie désormais deux bâtiments d’habitations
contemporaines [Fig. 625 et 626]. Elle est en granite gris à grains moyens avec peu
d’inclusions de quartz. Le matériau est ainsi d’une relativement bonne qualité et le grain
permet une taille assez précise. En effet, la grosseur des grains entraîne des imperfections et
éclats à la taille. Or ici le rendu est lisse et sans aspérité. Nous pouvons nous interroger sur la
provenance de ce matériau. Aubepierres est implantée sur un sol granitique comme le prouve
la Carte archéologique de la Gaule1784. Les bâtisseurs n’ont donc pas eu besoin d’importer les
blocs depuis des carrières éloignées. La toponymie peut peut-être aider à préciser
l’emplacement de la carrière. En effet, à quelques kilomètres au nord-est de l’abbaye, un lieudit « La Perrière » pourrait évoquer une ancienne exploitation. Les textes médiévaux ne
faisant aucune référence à la mise en œuvre et au déroulement du chantier médiéval, il nous
est toutefois délicat d’attester cette hypothèse de source sûre.
1784
D. DUSSOT, Carte archéologique de la Gaule, Creuse, Paris, 1989.
- 577 -
L’arche ne présente aucune modénature complexe, excepté un chanfrein de 10cm de
large qui se prolonge sur les angles des montants de la porte. Les piédroits mesurent 68cm de
large pour une profondeur de 48cm. Ils font alterner des carreaux longs de 29 par 68cm et des
carreaux larges de 46 par 43cm. L’arche proprement dite se compose de claveaux de taille
irrégulière liés de mortier de chaux relativement épais. Cette structure est surmontée
d’écoinçons constitués de moellons irréguliers liés d’un épais mortier de chaux. La différence
d’appareillage nous laisse supposer qu’ils relèvent d’une époque postérieure. Une toiture de
tuiles à deux versants vient couronner l’arche. L’ensemble des bâtiments d’exploitation
actuels ne conserve malheureusement pas de vestiges médiévaux. L’abbatiale a totalement
disparu ainsi que ses fondations encore discernables au XIXème siècle. Ne demeurent que des
chapiteaux remployés dans une maison d’habitation et un vivier.
Face à cet état de ruines, il est très difficile pour l’historien et l’historien d’art
d’appréhender le monastère d’Aubepierres. Les aménagements hydrauliques ont finalement
marqué les paysages beaucoup plus sûrement que les architectures aujourd’hui disparues. Ce
ne sont pas toujours les formes artistiques pourtant largement privilégiées des érudits et
chercheurs qui sont les mieux préservées. Deux éléments lapidaires intéressants ont toutefois
été conservés. Ils apparaissent en remploi à l’angle sud-ouest du bâtiment agricole placé au
nord de l’ancien emplacement de l’abbatiale. Il s’agit de deux fragments de chapiteaux de
granite gris très foncé disposés en frise [Fig. 627]. Ils sont superposés dans la paroi à plusieurs
mètres du sol, intercalés entre les gros blocs de granite formant chaînages d’angle, disposition
qui ne facilite pas leur lecture. L’élément supérieur est particulièrement bûché et érodé. Les
grains sont très fins, permettant une taille délicate sans éclatement de la roche. Ces deux
éléments comprennent les départs de deux fines colonnettes surmontées d’une frise de petits
chapiteaux à crochets formant boules. Les tailloirs ne sont presque plus lisibles et se réduisent
à un mince bourrelet très usé.
La présence des boules pourrait attester une datation de la première moitié du XIIIème
siècle. En effet, le même type de chapiteau se retrouve dans l’une des chapelles du transept de
l’abbatiale de Dalon (1220-1250) [Fig. 253-254]. Les boules sont toutefois plus ouvragées à
Dalon, recouvertes de coquilles. Peut-être le calcaire de Saint-Robert permet une finition plus
« précise et élégante des motifs »1785. Le granite employé à Aubepierres ne se prête guère à ce
genre de motifs très fins. Un chapiteau en calcaire de l’abbaye de la Colombe dispose
1785
C. ANDRAULT-SCHMITT, dans B. BARRIÈRE (dir.), op.cit, p. 42.
- 578 -
également de boules d’angle qui émergent de crosses végétales (années 1200) [Fig. 680]. Le
motif d’Aubepierres n’est pas si élaboré et les crosses ne sont pas présentes1786.
Les chapiteaux d’Aubepierres paraissent plus frustes du fait même du choix du
matériau qui favorise peut-être moins une sculpture délicate comme le calcaire. Quant à sa
provenance, il paraît délicat de se prononcer étant donné nos lacunes concernant l’architecture
et le décor de l’abbaye d’Aubepierres. Ces éléments pourraient appartenir à un portail à
ébrasements comme nous en connaissons à Bonlieu dans le premier tiers du XIIIème siècle.
Toutefois, la disposition en frises des chapiteaux attesterait d’une datation légèrement plus
tardive. En effet, elle se retrouve plutôt dans le second tiers du XIIIème siècle (Lamaids). Il
pourrait également s’agir du couronnement d’un pilier quadrangulaire à colonnettes
cantonnées dans les angles comme nous avons pu en rencontrer au XVème siècle au niveau
d’une arcade du cloître de l’abbaye de Varennes. Nous ne disposons toutefois d’aucun
élément pouvant étayer l’une ou l’autre de nos hypothèses.
Michel AUBRUN fait également état d’un bassin rectangulaire conservé dans une
propriété privée aux Buis (commune de Lourdoueix-Saint-Michel au nord-ouest de l’abbaye).
Il pourrait correspondre au lavatorium du cloître de l’ancien monastère1787. Nous ne l’avons
toutefois pas retrouvé lors de nos propres prospections. Ces seuls éléments paraissent encore
bien indigents à la connaissance de l’abbaye marchoise. Cette sculpture relativement délicate
atteste toutefois du soin porté au décor même au sein d’un monastère aux revenus modestes.
-
Aménagements hydrauliques :
Des installations hydrauliques sont encore discernables dans le paysage et semblent
avoir plus marqué la physionomie de ce petit vallon creusois que les créations à vocation
religieuse. Le site même de l’abbaye conserve un vivier pour lequel il est cependant difficile
de donner une datation précise [Fig. 628 et 629]. Il devait servir de réserve de poissons pour la
communauté cistercienne qui ne pouvait manger de viande. Il apparaît sur le cadastre de 1836
[Fig. 622]. En 1998, lors de la parution de l’ouvrage dirigé par Bernadette BARRIÈRE, celuici était encore en eau. Il est aujourd’hui asséché et totalement laissé à l’abandon. C’est un
grand bassin oblong cerné de murets mêlant granites et schistes. Nous pouvons présager qu’il
recourrait aux mêmes matériaux que ceux de l’abbatiale. Les éléments lapidaires préservés
sont en effet en granite gris relativement fin. Les moines utilisaient souvent les matériaux
directement présents sur le site. La bonde est encore conservée au niveau de la paroi ouest et
1786
1787
C. ANDRAULT-SCHMITT, op.cit, p. 73.
M. AUBRUN, op.cit, p. 16-17.
- 579 -
permettait à l’eau de se déverser en contrebas et de rejoindre le ruisseau de Lavaud qui
serpente à l’ouest des bâtiments monastiques. Le vivier est relié à son extrémité nord au
« ruisseau de l’Abbé » qui coulait sur trois kilomètres en amont du monastère. Il n’est plus
entretenu aujourd’hui et est totalement envahi de friches (environ 50m de long pour 15m de
large). En 1998 déjà, Bernadette BARRIÈRE constate que « l’entretien du Ruisseau de l’Abbé
serait souhaitable pour aider à la préservation de ce patrimoine en voie de disparition ». Dix
ans plus tard, la situation nous paraît encore plus alarmante1788.
Le moulin le plus proche de l’abbaye est « le moulin Neuf » placé sur le ruisseau de
Lavaud à cinq cent mètres au sud-ouest de l’abbaye d’Aubepierres. Il apparaît encore dans la
toponymie actuelle. Toutefois, la maison d’habitation ne conserve aujourd’hui aucun vestige
de l’ancienne installation. Par ailleurs, une pierre tombale du monastère sert de linteau audessus d’une porte tandis que des piédroits de porte en granite gris aux grains fins semblent
également provenir du site cistercien [Fig. 630 et 631]. À l’intérieur de la propriété, un petit
chapiteau est encastré dans un mur. Il est de granite gris foncé très similaire à celui utilisé
pour les chapiteaux en frise remployés dans un bâtiment de l’abbaye. Nous ne voyons que la
partie supérieure du tailloir qui comporte l’inscription 1618. Il pourrait s’agir d’un petit
chapiteau de colonnette de cloître médiéval retravaillé au XVIIème siècle. Toutefois, ne
pouvant l’observer sous toutes ses faces, il nous paraît délicat de proposer une interprétation
et une datation certaine pour cet élément.
À quelques kilomètres au nord-ouest d’Aubepierres est située la grange de
Lavauvieille, au-dessus de la Petite Creuse. Des installations médiévales, il ne reste rien, les
trois bâtiments d’exploitation ayant été détruits au début du siècle selon l’actuelle propriétaire
des lieux. Au bord de la Petite Creuse, le moulin a entièrement disparu et la digue qui barrait
le cours d’eau est réduite à quelques dalles de schiste. Tous deux ont été emportés dans les
années 1960. Toutefois, nous pouvons supposer que la digue et le moulin présentaient des
caractéristiques similaires au « Moulin Neuf » près de Glénic, évoqué ci-dessous.
Le « Moulin Noyé » sur la commune de Glénic correspond peut-être au moulin de
Vaumoins cité dans les actes médiévaux. Il est placé sur la Creuse en contrebas de la D 940 à
quelques kilomètres au nord-ouest du bourg de Glénic, près du hameau de Vaumoins. Il est
aujourd’hui réaménagé en hôtel-restaurant. Ne demeure désormais qu’une digue en pierres
assemblées à sec relevant sans doute du XVIIIème ou XIXème siècle, prolongée aux
1788
B. BARRIÈRE (dir.), Moines en Limousin (…), op.cit, p. 138-139.
- 580 -
extrémités par un petit muret moderne. Une meule de granite est conservée sur la rive droite
de la Creuse [Fig. 636 et 637]1789.
Le « Moulin Neuf » est placé sur la Creuse presque au niveau de Glénic [Fig. 633, 634
et 635]. Il s’agit désormais d’une propriété privée. Le moulin proprement dit a été très
restauré par les propriétaires. Les mécanismes internes de l’époque moderne sont encore
visibles. Un bief longe la maison et actionne la roue du moulin. Une digue en pierres sèches
est placée sur le cours de la Creuse. À quelques mètres sur la gauche du moulin moderne, un
petit muret de 80cm de haut environ est conservé. Il est néanmoins très ruiné. Il s’agit de
l’angle d’un ancien bâtiment. Des blocs de granite à grains fins et aux carreaux relativement
importants assemblés en pierres sèches composent un chaînage d’angle soigné1790. Le blocage
interne est de schiste. Il pourrait s’agir d’un vestige de l’ancienne installation médiévale du
début du XIIIème siècle. Il est toutefois délicat d’attester cette hypothèse face à un vestige si
ruiné.
Ainsi, les installations hydrauliques correspondent bien souvent à des réalités
modernes et rares sont les témoins des aménagements médiévaux. Toutefois, il nous paraît
probable que les moulins et digues modernes pérennisent les anciennes implantations
médiévales. L’exemple du « Moulin Neuf » permet d’étayer cette hypothèse puisque le
moulin actuel ne devait être qu’à quelques mètres de celui du XIIIème siècle. Ainsi, même si
les vestiges pris en compte n’appartiennent pas directement à la période étudiée dans notre
analyse, ils sont néanmoins une source d’informations essentielle à notre connaissance des pré
industries cisterciennes du Moyen-Âge.
1789
1790
IGN Série Bleue 2229 O, Guéret, 1/25000ème.
Les carreaux sont environ de 40 par 30cm.
- 581 -
DERSES
- 582 -
2. Derses (commune de Saint-Hilaire-Peyroux, Corrèze) :
L’abbaye de Derses est située sur la commune de Saint-Hilaire-Peyroux dans le canton
de Tulle en Corrèze. Elle n’est pas signalée sur la carte de Cassini. La carte IGN indique le
lieu-dit « Derses » sur la D 141, au cœur d’un îlot boisé1791. Il ne reste toutefois presque aucun
vestige en élévation de cette ancienne abbaye féminine [Fig. 638].
Sources manuscrites :
Les Archives Départementales de la Corrèze n’ont conservé que très peu de
documents concernant Derses, ce qui ne facilite guère notre tentative de reconstitution du
monastère. Nous disposons d’un procès-verbal d’évaluation d’après le bail daté de 1791 qui
ne nous donne toutefois que peu d’informations directement utiles à notre étude1792.
Historiographie :
En 1889, G. CLÉMENT-SIMON livre une courte notice sur l’abbaye de Derses. Il
s’agit de l’une des seules études historiques que nous ayons à notre disposition1793.
En 1896, Jean-Baptiste CHAMPEVAL décrit très brièvement l’historique de l’abbaye
de Derses dans son ouvrage sur le Bas-Limousin seigneurial et religieux1794.
Une double page est consacrée à ce monastère féminin dans l’ouvrage de Bernadette
BARRIÈRE publié en 1998. Un rappel est fait sur l’historique du site. Les connaissances sont
toutefois limitées face à la disparition des archives et des vestiges archéologiques1795.
Historique :
Cet établissement féminin est implanté à proximité des sources du ruisseau de la
Couze. Il est placé sous le vocable de Saint Jean-Baptiste et Notre Dame. Il s’agit d’un
essaimage de l’abbaye auvergnate de l’Esclache (com. Prondines, Puy-de-Dôme, ancien
1791
IGN Série Bleue, 1/25000ème, Tulle, 2134 E.
AD Corrèze, Q 46.
1793
G. CLÉMENT-SIMON, « Notice sur le couvent de Derses, paroisse de Saint-Hilaire-Peyrou », BSSHAC, T
11, 1889, p. 546-568.
1794
J-B. CHAMPEVAL, Le Bas-Limousin seigneurial et religieux…, op. cit., p. 11.
1795
B. BARRIÈRE (dir.), Moines en Limousin…, op. cit., p. 167-168.
1792
- 583 -
diocèse de Clermont) dans les années 1200, à la demande de la famille de Malemort. En 1218,
une donation de Gérald de Malemort du lieu de Derses et de ses dépendances confirme la
donation faite par son aïeul1796. Les moniales bénéficient également des libéralités de
Guillaume de Chartoule, de Sainte-Féréole1797. L’abbaye de L’Esclache était déjà florissante
au milieu du XIIème siècle. En 1159, elle fonde l’abbaye de Bussières près de Culan dans le
diocèse de Bourges (com. Bourges, Cher). Les liens sont étroits entre l’Esclache et Derses
puisque les prieures viennent souvent du monastère auvergnat.
Les études toponymiques menées sur les cartes IGN et de Cassini permettent de
connaître un peu mieux le patrimoine de l’abbaye de Derses et certaines installations
monastiques aujourd’hui disparues [Fig. 58]. Le « Moulin du Sacquet » sur la Couze au sudouest de l’abbaye est peut-être un souvenir d’une ancienne meunerie médiévale. De même
concernant le moulin du « Bourquet ». Toutefois, il est difficile de savoir s’il dépendait des
moniales de Derses ou des paroissiens de Saint-Hilaire-Peyroux1798.
En 1670, elle est donnée au couvent des Bernardines de Tulle. Jean-Baptiste
CHAMPEVAL date toutefois cette donation de 16731799. Il est question de la prieure de
« Saint-Bernard de Tulle et de Saint-Jean de Derses ». Nous pouvons nous interroger sur les
motivations de cette fondation si proche d’Obazine (à 12 km seulement), confiée à une abbaye
si éloignée. En 1691, l’afferme de ses revenus ne donne plus que 250 livres, témoin de la
pauvreté et de la modestie de ce monastère. L’obligation est faite au fermier de faire dire
chaque semaine une messe dans la chapelle. Lui étaient confiés pour cela des vases sacrés et
ornements. Au XIXème siècle, il existait toujours une dévotion à la fontaine Saint-Jean le
dimanche avant le 24 juin pour y faire laver la tête de jeunes enfants comme préservation du
mal [Fig. 648]1800.
Vestiges archéologiques :
Les plans cadastraux peuvent apporter quelques informations sur l’abbaye de moniales
de Derses, aujourd’hui disparue [Fig. 639, 640 et 641]. Le cadastre ancien de 1824 (section de
Femblat) présente un bâtiment au sud terminé en abside pouvant correspondre à une chapelle
et trois petits édifices de plans quadrangulaires, dépendances ou granges (parcelles 479-480).
1796
G. CLÉMENT-SIMON, « Notice sur le couvent de Derses… », op.cit, p. 546-568.
Abbé J-B. POULBRIÈRE, Dictionnaire historique et archéologique…, op. cit., 2ème édition, T III, p. 167168.
1798
IGN Série Bleue, 1/25000ème, Tulle, 2134 E.
1799
J-B. CHAMPEVAL, op. cit, p. 11.
1800
Abbé J-B. POULBRIÈRE, op. cit, p. 167-168.
1797
- 584 -
L’église était ainsi encore discernable au XIXème siècle. Elle mesurait environ 20m de long.
L’une des parcelles à l’ouest de ces bâtiments est de forme rectangulaire (parcelle 481),
légèrement allongée, et pourrait être rattachée à un ancien vivier, ce qui semble confirmé par
les prospections menées sur le terrain.
Le cadastre actuel (section AD, 1969) montre encore une partie de ce qui pourrait être
un enclos monastique englobant les parcelles 42, 43, 44 et 48. Des vestiges de muret en
pierres sèches sont conservés tout au long de ces parcelles. La parcelle 45 correspond à un
bois. En contrebas y coule une dérivation du ruisseau de la Couze. Sur la parcelle 43, un
bâtiment de ferme remploie des pierres de taille de l’ancienne abbaye [Fig. 643]. Sur la
parcelle 42 devait être l’ancienne église, aujourd’hui remplacée par un bâtiment d’habitation,
terminé à l’est par un four à pain. On peut encore observer des pierres taillées en biseau ainsi
que quelques fragments grossiers de sculpture. La face nord présente une ouverture sur une
cave surmontée d’un linteau gravé, sans doute une dalle funéraire retaillée. À l’intérieur, une
cheminée présente un linteau gravé de 1711 [Fig. 642, 644 et 647]1801.
Une adjonction prolonge le bâtiment vers le sud. Quant à la parcelle 48, elle révèle la
présence de structures bâties pouvant correspondre au pourtour d’un vivier [Fig. 645]. En
léger contrebas, au nord, les vestiges d’une petite structure de plan quadrangulaire se
discernent encore. Un angle de ce bâtiment est conservé et présente des pierres de taille [Fig.
646]. Il est néanmoins difficile d’en préciser la fonction et la datation.
Un toponyme « Font de la Chapelle », en contrebas, là où coule la dérivation du
ruisseau de la Couze, rappelle une pratique de dévotion perdue. Les vestiges d’une fontaine y
sont repérables.
À quelques kilomètres au nord-ouest de l’abbaye, le moulin de Sacquet est placé le
long de la Couze. Il pourrait s’agir d’une ancienne dépendance des moniales (cadastre actuel,
parcelle 24, propriété de M. Emile Goudat). Le bâtiment, aujourd’hui très bien entretenu,
conserve des vestiges de mécanismes, de roues et de meules.
1801
G. CLÉMENT-SIMON, « Notice sur le couvent de Derses… », op.cit, p. 546-568.
- 585 -
LA COLOMBE
- 586 -
3. La Colombe (commune de Tilly, Indre) :
L’abbaye de la Colombe est située sur la commune de Tilly, canton de Belâbre dans le
département de l’Indre. Elle appartient à l’ancien diocèse de Limoges, à la charnière des trois
régions : le Limousin, le Poitou et le Berry. L’abbaye est signalée sur la carte IGN au lieu-dit
« La Colombe » sur la départementale D 441802. Elle apparaît également sur la carte de Cassini
qui la matérialise par un clocher ainsi qu’une crosse et les initiales réservées aux abbayes
d’hommes AB. R. H. O.C (abbaye d’hommes d’observance cistercienne). Nous ne savons
toutefois pas à quoi le « R » peut correspondre [Fig. 649 et 650].
Sources manuscrites et figurées :
Les fonds d’archives concernant l’abbaye de la Colombe sont dispersés entre Guéret,
Châteauroux et la Bibliothèque Municipale de Poitiers1803. Ces fonds ont par ailleurs fait
l’objet d’un dépouillement exhaustif effectué par Jérôme PICAUD en 19951804.
Pour la connaissance des bâtiments monastiques et du mobilier dont disposaient les
moines, les écrits du moine bénédictin Dom FONTENEAU datant du XVIIIème siècle sont
particulièrement précieux. Nous pouvons glaner certaines descriptions du monastère. Il écrit :
«(…) en la croisée de l’église de la Colombe, du côté droit
de l’épître1805, est une fort petite chapelle voûtée où il y a
un autel proportionné au-dessus duquel est un tableau de
saint Jean-Baptiste. Cette chapelle était autrefois ornée de
peinture briquetée et de feuillages. Un cintre en arcade ou
ogive forme l’entrée de cette chapelle ».
Il s’agit probablement de la chapelle sépulcrale édifiée pour les seigneurs de la
Trimouille au XIVème siècle qui disposait donc d’une architecture gothique. Elle est
vraisemblablement enduite d’un appareil à faux-joints. Elle devait être placée au niveau du
1802
IGN série Bleue 2028 0, Lussac-Les-Eglises, 1/25000ème.
AD Creuse, H 523 ; AD Indre, H 725 à 739, F 1107 (travaux d’érudits des XIXème et XXème siècles).
1804
J. PICAUD, L’abbaye cistercienne de la Colombe au Moyen-Âge, maîtrise sous la direction de Bernadette
BARRIÈRE, université de Limoges, 1995, 213 p.
1805
L’épître se trouve traditionnellement à droite de l’autel dans le sanctuaire.
1803
- 587 -
bras sud du transept1806. Concernant le mobilier, nos connaissances ne sont guère plus précises
et les sources historiques ne sont pas d’un grand secours. Dom FONTENEAU est le seul à
livrer cette courte description citée précédemment1807.
Excepté ces maigres indices, les mentions architecturales sont quasiment inexistantes.
Un inventaire des titres de 1629 permet simplement une meilleure connaissance du patrimoine
foncier des moines blancs1808.
Historiographie :
Quelques travaux d’érudits permettent heureusement de mieux connaître cette modeste
abbaye berrichonne tandis que les sources d’archives médiévales et modernes restent
indigentes.
En 1861, Émile de BEAUFORT, un érudit qui a énormément travaillé au Berry et
particulièrement aux environs de Saint-Benoît-du-Sault décrit l’abbaye de la Colombe1809. Il
évoque le grand corps de logis encore observable aujourd’hui, disposant d’un premier étage
d’habitation. Du côté du chapitre (à l’est), le cloître offre encore une rangée de colonnes
accouplées. La cour du cloître est remplie de tombes. Face aux lacunes des sources
manuscrites et à l’indigence des vestiges archéologiques, nous tenons à citer entièrement ce
passage très éclairant pour notre étude, seul témoignage précis de l’organisation des bâtiments
du monastère de la Colombe.
« Je suis arrivé près d’un siècle trop tard pour traiter ce sujet : la salle du chapitre,
l’église, une partie des cloîtres, les bâtiments principaux de l’abbaye n’existent plus (…). Un
canal bordait le monastère du côté du bas. Sur le chemin qui descend au ruisseau, de grandes
étables formaient le côté d’une vaste cour où on entrait par deux portes garnies de créneaux à
mâchicoulis (…). Le côté le plus élevé était fermé encore par des bâtiments de service tels que
granges, hangars, bergeries, établis avec goût, ayant presque l’apparence d’un château, que
leur donnait un pavillon plus élevé placé au milieu.
Le fond de la cour était occupé par le monastère proprement dit. Il consistait en un
grand corps de logis avec premier étage, une assez grande porte au centre et des fenêtres
grandes et carrées. Cette façade n’annonçait pas une haute antiquité et datait probablement du
1806
Dom FONTENEAU, Manuscrits, vol V, chap. IV, p. 357-489 ; J. PICAUD, op. cit, p. 60.
Dom FONTENEAU, op. cit, p. 357-489.
1808
AD Indre, H 735.
1809
É. DE BEAUFORT, « Abbaye de la Colombe », MSAOMP, T 26, 1861, p. 307-310.
1807
- 588 -
temps de Louis XIV. Un intervalle qui restait entre ce bâtiment et les granges permettait de
s’avancer jusqu’à l’entrée de l’église.
Une cour plus petite était établie, pour le cloître, derrière le monastère, et était close
par l’église en haut, par une grande aile en retour du monastère en bas, et de l’autre côté par le
chapitre. Cinq ou six grandes arcades à plein-cintre formaient le côté nord ou du bas et
fermaient le devant d’une galerie couverte adossée à l’aile en retour parallèle au ruisseau (…).
Du côté du chapitre, le cloître offrait une rangée de colonnes accouplées dont nous avons
retrouvé des chapiteaux (…). Le mur de l’église formait sous arcade le côté du midi (…). À
en juger par quelques débris bien travaillés et qui avaient appartenu à l’église, elle devait être
d’une belle architecture. »
Ainsi, dans la seconde moitié du XIXème siècle, il ne reste déjà plus beaucoup de
vestiges de l’abbaye de la Colombe. La description des galeries nord et est du cloître sont
intéressantes étant donné qu’il n’en reste rien aujourd’hui. Les arcades étaient en plein-cintre
et reposaient sur des colonnes jumelées. Nous n’avons retrouvé qu’un seul chapiteau qui
pourrait s’apparenter à cette structure. Il livre une datation de la façade du corps de logis qui
remonte selon lui à l’époque de Louis XIV et a ainsi été déjà bien remanié depuis l’époque
médiévale.
En 1889, GAUDON publie également une étude sur l’histoire de l’abbaye de la
Colombe. Il reprend en grande partie la description d’Émile de BEAUFORT. Il précise que le
sanctuaire disposait d’une chapelle dédiée à Marie qui deviendra sépulcrale par la suite en
acceptant l’inhumation de trois sires de la Trimouille au XIVème siècle. Il fait état de tombes
dans la cour du cloître1810. L’épitaphe d’Alix de Huret, la femme de Rémi de la Trimouille est
encore lisible lorsque l’auteur se rend sur le site en 1889. En effet, l’abbaye de la Colombe
devient la nécropole des sires de la Trimouille, principaux bienfaiteurs du monastère. Ils
obtiennent un droit de sépulture à l’intérieur de la chapelle de la Vierge. C’est ainsi que Guy
III est inhumé en 1316, Guy IV en 1360, Guy V en 1350. Dès 1229, Amelius et Audebert,
deux chevaliers, obtiennent également des droits de sépulture, ainsi que Maheu, mère de
Guillaume de Château-Guillaume en 12401811. GAUDON fait également état d’une pierre audessus d’un fourneau présentant des figures d’anges. Elle est également citée par MaximeJules BERRY qui évoque la représentation d’anges aux ailes dessinées en creux et de lettres
1810
1811
D. GAUDON, « Histoire de l’abbaye de la Colombe », Revue du Centre, 1889, T XI, p. 168-175.
J. PICAUD, L’abbaye cistercienne de la Colombe (…), op. cit, p. 60.
- 589 -
gravées1812. De quelle époque date cette sculpture ? Henri LANDAIS écrit que l’abbaye de la
Colombe aurait disposé d’un bas-relief historié1813. S’agit-il d’un fragment de cet élément ?
Henri LANDAIS fait référence à une description de Gilliebertus au XIIIème siècle dans la
Disputatio Ecclesiae et Synagogae éditée dans le tome V du Thesaurus Novus Anecdotorum
des mauristes de MARTÈNE et DURAND (vol. 1457-1506). Ce relief comprenait une
Descente de Croix, un Christ en gloire, une Mise au tombeau, le Couronnement d’épines, la
Résurrection, le Portement de Croix et la représentation de l’Église et la Synagogue. La
description de Gilliebertus peut prêter à confusion et pourrait convenir également à un vitrail
ou à un ivoire sculpté. Toutefois, les vitraux cisterciens n’adoptent majoritairement que des
motifs géométriques. Il serait ainsi plus probable qu’il s’agisse d’un bas-relief.
L’étude d’Henri LANDAIS nous paraît néanmoins sujette à caution. Il se base sur
l’article de BLUMENKRANZ, publié deux ans auparavant, en 1955. Celui-ci retranscrit des
extraits du manuscrit de Gilliebertus sur l’Église et la Synagogue. Il explique alors que
l’agencement de ce texte semble correspondre à la description d’un tableau, d’une œuvre
directement placée sous les yeux d’un auditoire. Les thématiques décrites sont d’ailleurs
fréquentes sur les ivoires et bibles moralisées. BLUMENKRANZ suppose alors que le
manuscrit correspond à un vitrail ou un bas-relief de l’abbaye de la Colombe d’où provient le
texte de Gilliebertus. Cette hypothèse paraît toutefois quelque peu hasardeuse, et Henri
LANDAIS l’a simplement reprise à son compte sans justification supplémentaire1814.
Lors de nos propres prospections, nous avons découvert dans le jardin attenant au
corps de logis un fragment de dalle en calcaire marquée de très fines inscriptions pouvant
correspondre aux lettres évoquées par Maxime-Jules BERRY. Le bas d’un drapé est visible. Il
pourrait également s’agir des ailes d’un ange comme les décrivaient GAUDON. Cette pierre
pourrait s’apparenter à un fragment de bas-relief mais il semble délicat de le mettre en
corrélation avec les suppositions de LANDAIS et BLUMENKRANZ [Fig. 671].
GAUDON fait lui aussi état de deux portes d’entrée dans l’enceinte monastique qui
disposaient de créneaux et de mâchicoulis. Ces aménagements pourraient correspondre à une
phase de fortification comme les abbayes de Bonlieu et de Prébenoît ont pu en connaître.
L’auteur précise que la salle du chapitre présentait de petites arcades à minces colonnes. Il
décrit également les aménagements hydrauliques du site1815.
1812
M. J. BERRY, Belâbre…, op. cit., Royer, 1992, p. 272-274.
H. LANDAIS, « À propos d’une étude récente. Un vitrail ou bas-relief historié de l’abbaye de la
Colombe ? » BM, T CXV, 1957, p. 42-46.
1814
B. BLUMENKRANZ, « Un vitrail ou un bas-relief historié de l’abbaye de la Colombe », Revue des Sciences
Religieuses, T 29, 1955, p. 239-249.
1815
D. GAUDON, « Histoire de l’abbaye de la Colombe », Revue du Centre, 1889, T XI.
1813
- 590 -
En 1969, M. GIRARD rédige une petite étude sur l’abbaye où il revient rapidement
sur les conditions de la fondation. Il mentionne le vestige d’une porte portant l’inscription
1434 dans un bâtiment à l’ouest de la cour, seul vestige d’un bâtiment conventuel. L’abbaye
aurait donc connu une importante réfection au XVème siècle1816.
Maxime-Jules BERRY s’attache lui aussi à décrire les vestiges du monastère du
Boischaut1817. Il le considère comme une abbaye bénédictine, renommée pour ses terres
fertiles et ses grasses prairies. Il propose un plan très rationalisé des bâtiments monastiques,
présenté en annexe [Fig. 652]. Toutefois, ce document reste délicat à exploiter, l’auteur ne
livrant pas d’échelle. Le chevet de l’église est représenté avec une abside. Nous n’avons
néanmoins aucune preuve aussi bien dans les textes que sur le terrain d’un tel choix de plan.
Des fouilles archéologiques seraient nécessaires pour espérer retrouver les fondations et le
plan au sol du sanctuaire. Maxime-Jules BERRY ne justifie d’ailleurs pas son choix. Il
représente des tombes au niveau de la galerie ouest du cloître, de l’abside de l’église. Le
logement du prieur occupe la galerie nord, le chapitre la galerie est. À l’ouest, une étable et
des granges sont disposées autour d’une vaste cour. Nous pouvons douter de la précision d’un
tel plan très rationalisé. Les attributions qu’il propose pour les emplacements des bâtiments
conventuels ne sont pas justifiées.
L’abbaye de la Colombe est quelque peu délaissée par l’historiographie
contemporaine. En 1932, dans son étude sur l’architecture cistercienne en Berry, René
CROZET n’en fait que très peu mention. Il précise simplement que les lieux réguliers sont
disposés au nord de l’abbatiale dont il ne reste plus aucun vestige1818. C’est la disposition
inverse de celle adoptée par l’abbaye des Pierres et de Varennes.
L’ouvrage de Bernadette BARRIÈRE réserve une courte notice à l’abbaye de la
Colombe. Elle fait un résumé des principales sources disponibles pour l’étude et livre un état
des lieux très succinct. Elle évoque quelques éléments lapidaires encore conservés sur le site.
Elle ne consacre que trois pages au monastère1819.
L’étude la plus récente et la plus complète est le mémoire de maîtrise de Jérôme
PICAUD1820. Il analyse très précisément le patrimoine foncier de l’abbaye qui dispose de
douze granges en Boischaut et en Poitou. Il retrace l’environnement aristocratique de
l’abbaye, l’évolution des possessions au fil des siècles. Son approche est celle d’un historien
1816
M. GIRARD, « Sur les traces de la Colombe », Vie catholique du Berry, 1969, p. 322-324.
M. J. BERRY, Belâbre (...), op.cit, p. 272-274.
1818
R. CROZET, L’abbaye de Noirlac et l’architecture cistercienne en Berry, Paris, 1932.
1819
B. BARRIÈRE, op. cit, p. 160-162.
1820
J. PICAUD, op. cit.
1817
- 591 -
et se base exclusivement sur des sources manuscrites et érudites. Il ne donne alors que très
peu de renseignements concernant l’architecture [Fig. 653]. Il insiste sur le fait que les
descriptions du XIXème siècle sont relativement peu fiables étant donné que les érudits ont
toujours la volonté d’imaginer ce que pouvaient être les bâtiments. Il fait état d’une mise en
œuvre qui s’échelonnerait de la seconde moitié du XIIème siècle jusqu’au début du XIIIème
siècle. Les bâtiments auraient été extrêmement remaniés au XVème siècle comme le prouve
la date inscrite sur le linteau d’un bâtiment conventuel. Le seul édifice encore en place est le
logis abbatial au niveau de l’aile occidentale du cloître qui conserve une fenêtre gothique ainsi
qu’un corbeau qui devait soutenir la toiture du cloître primitif1821.
L’abbaye de la Colombe n’a donc jamais fait l’objet d’une étude d’histoire de l’art à
proprement parler, ce qui s’explique aisément par le peu de vestiges conservés. Toutefois, si
les élévations sont quasi inexistantes, certains éléments lapidaires nécessitent une étude plus
poussée.
Historique :
Il reste quelques vestiges du monastère de la Colombe, érigé en abbaye en 1146. Un
ermitage préexistait probablement au début du XIIème siècle. L’archevêque de Bourges et les
vicomtes de Brosse auraient poussé les cisterciens à s’intéresser à l’ermitage. En 1138, les
moines de Preuilly, cinquième fille de Cîteaux, forment une communauté trop vaste. Un
groupe de moines se détache et est envoyé sur les terres de la Colombe concédée par les
seigneurs de Brosse. Les donations constantes des seigneurs de la Trimouille permettent par la
suite l’agrandissement et la survie de la communauté nouvellement installée 1822. Nous ne
connaissons pas de charte de fondation pour le monastère. La Gallia Christiana nous permet
alors de proposer une datation :
« Columba Beata Mariae sacra, ordinis cisterciensis,
filia Pruliaci, diocesis olim Bituricensis, in utrisque
finibus ad fluvium Caldereti, inchoata legitur anno 1146,
in territorio vicecomitis Bruciae (…) ».
1821
1822
J. PICAUD, op. cit, p. 24.
M. GIRARD, « Sur les traces de La Colombe », Vie catholique du Berry, 1969, p. 322-324.
- 592 -
Jérôme PICAUD constate que les catalogues de l’ordre cistercien donnent quant à eux
la date de 1138 qui correspond à l’arrivée des moines de Preuilly. L’abbaye était-elle déjà
cistercienne avant son rattachement à Preuilly ? Existait-il bien un ermitage primitif ? Les
moines de l’abbaye du diocèse de Sens ont-ils été appelés par les vicomtes de Brosse ou par
une première communauté soucieuse de se conformer à la Règle ? Les sources écrites sont
insuffisantes pour nous permettre de répondre1823.
Les sources manuscrites concernant la naissance de l’abbaye de la Colombe sont
restreintes et les étapes de construction et de constitution du patrimoine du monastère ne sont
guère déductibles des quelques actes conservés. Les donations répétées des sires de la
Trimouille permettent un essor rapide de l’abbaye qui compte douze granges rurales et périurbaines [Fig. 91]. Elle semble ainsi aussi prospère que l’abbaye de Bonlieu dans les
Combrailles. D’après une étude précise des sources manuscrites, Jérôme PICAUD constate
que la plus forte expansion de la Colombe relèverait des années 1208-1260. Des années 1260
à 1350, les acquisitions de rente se multiplient et s’imposent comme les éléments majeurs de
la constitution du patrimoine. L’affiliation à Cîteaux ne serait pas dès lors déterminante à
l’expansion des territoires cisterciens1824. La construction relèverait selon Jérôme PICAUD de
la seconde moitié du XIIème siècle jusqu’au début du XIIIème siècle comme le confirment
les deux baies conservées dans le logis abbatial (galerie ouest de l’ancien cloître) ou encore le
chapiteau de calcaire à boules remployé en façade d’une propriété privée (années 1200) [Fig.
680].
L’extension des possessions de l’abbaye de la Colombe est relativement bien cernée
grâce aux études érudites et surtout grâce à ce mémoire compilant l’ensemble des sources
manuscrites et faisant le point sur la constitution du patrimoine foncier de l’abbaye. Douze
granges sont attestées à Argenton, la Châtre, Bordessoule (Saint-Maurice-La-Souterraine sur
la vicomté de Bridiers), Chabannes, Châteauroux (relais commercial et cellier), GuéRossignol (commune de Magnac-Laval, Haute-Vienne), Montgenoux (commune de Prissac),
Montmorillon, La Roche-Posay, Tillisset (Thélisset sur la carte IGN) et La Varenne (paroisse
de Bazaiges). Ces exploitations agricoles et possessions urbaines sont dans un rayon de 10 à
35 km de l’abbaye. Elles pratiquent la céréaliculture (surtout le seigle) et l’élevage
(essentiellement des porcs). Elles sont majoritairement constituées entre les années 1200 et
1260 qui correspondent à la plus grande phase d’expansion du monastère. Certaines ne sont
plus présentes dans la toponymie actuelle [Fig. 31 et 50]. C’est le cas du Gué-Rossignol qui
1823
1824
J. PICAUD, op. cit., p. 34.
J. PICAUD, op. cit, p. 92.
- 593 -
n’apparaît plus depuis le XIXème siècle. L’abbaye dispose également de vignobles au Blanc.
Comme la plupart des sites cisterciens de Haute-Marche, les activités vinicoles sont déplacées
en Berry pour une meilleure qualité des terres. Concernant les aménagements hydrauliques, il
est fait état d’un moulin à drap à Chaillac (moulin de « l’Eschimoult »), d’un moulin à grains
à La Varenne, du moulin du Pin à l’ouest de l’abbatiale, du moulin de Latus et du moulin à
huile de l’abbaye1825. Ils sont parfois éloignés des chefs-lieux des granges, les cours d’eau
pouvant être jugés « insalubres ».
La plupart des aménagements sont mis en place dès le XIIIème siècle comme le
prouvent les actes conservés. En 1190, le moulin de la grange de Varenne existe déjà puisque
qu’un contentieux naît entre les moines et le seigneur A. Lepha qui reproche aux religieux
d’autoriser les paroissiens à venir moudre leurs grains au moulin de Varenne. Dès 1212,
Hugues Brun, comte de la Marche, donne ses droits sur la grange de Montgenoux. En 1213,
Guy de Chaillac donne un moulin près de Chaillac, sans doute le moulin de l’Eschimoult1826.
Le moulin du Pin est donné par Guyot du Pin en 1218 1827. En 1255, une transaction avec les
religieux de Montmorillon concerne le moulin de Montgenoux1828.
La toponymie actuelle conserve des témoins de certaines installations, peut-être
médiévales [Fig. 31 et 50]1829. La carte de Cassini révèle un lieu-dit « La Perrière » au nordouest de la Colombe qui correspond probablement à un gisement exploitable de pierres de
construction. À quelques kilomètres au nord-est, le toponyme « Les Forges » évoque une
ancienne exploitation peut-être d’origine monastique. « Le Moulin du Pin » apparaît encore
dans la toponymie. « Le Conduit » au sud de l’abbatiale se réfère à la Fontaine du Conduit qui
fournissait de l’eau à l’abbatiale. Trois lieux-dits évoquent des tuileries : « La Tuilerie de
Loissière », « La Tuilerie » et « La Tuilerie de Gué-Martin » toutes situées dans un rayon de
cinq kilomètres au sud de La Colombe. Nous ne savons toutefois si elles appartenaient aux
moines cisterciens.
Vestiges archéologiques :
Les quelques vestiges de l’époque médiévale sont divisés entre plusieurs propriétés
privées, au bord du ruisseau du Vavret. Cette dispersion n’a guère facilité la prospection et il
n’a pas toujours été aisé d’accéder aux sites face aux réticences de certains propriétaires. Un
1825
J. PICAUD, op.cit, p. 114 ; D. GAUDON, « Histoire de l’abbaye de la Colombe », Revue du Centre, 1889,
T XI.
1826
AD Indre, H 726.
1827
AD Indre, H 725.
1828
AD Indre, H 728.
1829
IGN Série Bleue, 2028 0, Lussac-Les-Eglises, 1/25000ème.
- 594 -
seul bâtiment est encore en élévation ; le corps de logis s’est substitué au bâtiment des
convers. Il longe la galerie ouest du cloître aujourd’hui entièrement disparue et dont il ne reste
effectivement que le puits. Il a été très remanié à l’époque moderne et contemporaine et ne
dispose que de rares éléments encore médiévaux [Fig. 663].
L’église est entièrement détruite avant 1833 si on se réfère au plan cadastral [Fig. 651
et 654]. De même pour le bâtiment à l’est du cloître (salle capitulaire et dortoir). Le bâtiment
au nord correspondant au réfectoire est détruit au milieu du siècle. Ne demeurent que
quelques pierres taillées rassemblées dans la cour de l’ancien cloître et un autel qui évoquent
encore l’ancien sanctuaire. En contrebas de la terrasse qui portait le carré du cloître se
perçoivent deux grands viviers allongés alimentés par une dérivation du Vavret. Une propriété
à l’ouest des bâtiments claustraux conserve également certains éléments lapidaires médiévaux
ainsi que des poutres remployées pouvant appartenir à d’anciens bâtiments conventuels. Une
autre habitation conserve l’ancien moulin à huile de l’abbaye ainsi que certains fragments de
linteau et de chapiteaux. Tous ces éléments « vagabonds » seront étudiés précisément. Il est
cependant très difficile de connaître le plan, l’élévation et les principales étapes de
construction de ce monastère berrichon. Nous ne savons à l’heure actuelle s’il fut précédé
d’un établissement à vocation érémitique. En effet, les structures érémitiques sont
généralement de petites cellules en matériaux périssables ne laissant aucune trace en
élévation.
L’arrivée sur le site est plutôt déstabilisante puisqu’on ne reconnaît de prime abord
aucun vestige médiéval, aucune physionomie qui puisse rappeler une abbaye cistercienne. La
propriété en contrebas, près du Vavret, ne présente que des éléments lapidaires en remplois
ainsi que des vestiges du moulin à huile. Un petit chapiteau en calcaire a été retrouvé en
remploi dans la façade nord d’une propriété privée en contrebas au nord-ouest des anciens
aménagements monastiques [Fig. 680]. La corbeille présente un profil polygonal et devait
s’adapter à une colonne de même forme. Elle dispose de feuilles simplifiées, de crosses
végétales et de boules d’angle. L’astragale est délicatement renflé. Ce type de corbeille est
comparable à certains chapiteaux de Saint-Yrieix, Grandmont ou encore Dalon, bien que les
chapiteaux y soient plus travaillés, les boules recouvertes de coquilles. Les boules simples de
La Colombe pourrait correspondre à une datation des années 1200, caractéristiques d’un
« premier gothique » qui va tendre à plus de raffinement dans les années 1220-1250 (Dalon,
corbeilles disposées en frise)1830. La provenance d’un tel élément paraît très délicate à
1830
C. ANDRAULT-SCHMITT dans B. BARRIÈRE, op.cit, p. 73.
- 595 -
déterminer. Comme il est inséré dans une façade, nous ne pouvons l’observer sous tous les
angles et constater s’il correspondait à une colonne engagée ou isolée. Il pourrait s’agir du
chapiteau d’une colonnette de cloître de forme polygonale ou d’un élément de portail à
ébrasements. Nous savons en effet que le cloître dispose de rangées de colonnes accouplées
du côté du chapitre. Ce chapiteau pourrait parfaitement s’adapter à ce type de support 1831. D.
GAUDON décrit également une salle capitulaire qui dispose de petites arcades à minces
colonnes auxquelles ce chapiteau pourrait appartenir1832. Nous en observons en effet d’assez
semblables au niveau de la salle capitulaire de Noirlac qui ouvre sur la galerie du cloître par
de petites colonnes aux chapiteaux à feuilles lisses délicats.
Dans la même façade de cette propriété privée, sous le chapiteau, est également
remployé un fragment de bases de colonnes appartenant vraisemblablement à un portail à
ébrasement [Fig. 680]. Cet élément étant quasiment entièrement encastré dans la paroi, il est
toutefois délicat de l’étudier. Trois bases sont conservées. Elles reposent sur un socle dont la
partie supérieure est soulignée d’un léger biseau. Les tores inférieurs sont aplatis mais ne
disposent pas encore de griffes aux angles, ce qui pourrait correspondre à une datation de la
seconde moitié du XIIème siècle. Les scoties sont assez profondes, surmontées par un tore qui
n’est presque plus lisible. Cet élément emploie le même calcaire très fin que le chapiteau
précité et nous pourrions imaginer qu’ils soient associés. Il pourrait s’agir d’un fragment de
portail à ébrasements ou de supports à l’entrée d’une salle capitulaire comme à Noirlac.
Toutefois, il paraît délicat de privilégier une hypothèse face à un bloc totalement extrait de
son contexte.
Un autre élément erratique est déposé dans la cour de cette propriété privée. Il s’agit
vraisemblablement d’un linteau de baie de 82cm de long conservé sur 30cm de haut et 32cm
de large [Fig. 682]. L’ouverture est de 40cm et ne saurait donc convenir à une porte. Il est
toutefois difficile de se prononcer sur la provenance et la datation d’un tel élément. Il ne
relève probablement pas des XIIème et XIIIème siècles où les baies adoptent un profil plutôt
brisé ou en plein-cintre. Ce fragment pourrait se rattacher à une période moderne de
réaménagement des bâtiments conventuels.
La première maison d’habitation à l’ouest du logis abbatial conserve des éléments
médiévaux auxquels nous avons pu avoir accès grâce à la sollicitude du propriétaire [Fig.
655]. Ce long bâtiment quadrangulaire est divisé en deux étages. L’étage supérieur remploie
huit entraits chanfreinés ayant probablement appartenu à l’église abbatiale reconstruite au
1831
1832
E. De BEAUFORT, « Abbaye de la Colombe », MSAOMP, T XXVI, 1861, p. 307-310.
D. GAUDON, « Histoire de l’abbaye de la Colombe », Revue du Centre, 1889, T XI, p. 168-175.
- 596 -
XVème siècle ou à un bâtiment conventuel. D’autres éléments lapidaires sont réutilisés en
façade ou en décoration dans les parois internes de l’habitation très bien restaurée. Elle
remploie dans sa façade orientale des claveaux de nervure d’ogives que le propriétaire a
soigneusement nettoyé et assemblé pour recréer la courbure de l’arc [Fig. 657]. Cinq éléments
sont ainsi présentés. Ils sont en calcaire fin, de très bonne qualité comme celui observé pour le
petit chapiteau. Le tore de 17cm de diamètre ne dispose pas d’un profil en amande. Les
dimensions sont plus massives que pour les claveaux observés à Bonlieu, Les Pierres ou
Aubignac1833. Le dosseret sur lequel repose l’ogive est de 28cm de large pour 12cm
d’épaisseur. Les modules sont conservés sur 46cm de haut. Quelle partie de l’édifice médiéval
pouvait adopter un voûtement d’ogives ? Nous ne savons rien du voûtement de l’abbatiale et
des bâtiments conventuels. Des ogives pouvaient aussi bien couvrir la nef que le chevet ou
encore la chapelle sépulcrale des sires de la Trimouille au XIVème siècle.
Un claveau d’arc biseauté est également préservé par le propriétaire, taillé dans ce
même calcaire fin. Il devait appartenir à l’arc d’une porte. Nous en avons observé de tels dans
le dépôt lapidaire de Prébenoît pour lesquels une datation du premier tiers du XIIIème siècle
semble plausible1834.
L’une des portes de la propriété dispose d’un linteau de calcaire plus grossier qui
présente une inscription que nous n’avons pu déchiffrer face à l’usure de la pierre [Fig. 660].
Toutefois, GIRARD avait pu la lire lors de sa visite en 1969. Il s’agit de la date de 1434 qui
pourrait donc correspondre à la phase de réfection des bâtiments monastiques au XVème
siècle. Quant à sa provenance, il paraît délicat de se prononcer face à cet élément totalement
extrait de son contexte1835.
Le propriétaire Pierre Mercier ayant permis l’accès à l’intérieur de son habitation, nous
avons pu étudier deux autres éléments lapidaires remployés au premier étage [Fig. 658 et
659]. Un second claveau biseauté en calcaire est très similaire au premier et peut appartenir à
un arc en plein-cintre du début du XIIIème siècle. Un petit fragment en calcaire très délicat
présente une moulure torique soulignée d’un cavet, un second tore plus épais, un cavet plus
mince puis un replat. Cette modénature pourrait correspondre à un fragment de portail à
ébrasement ou au décor surmontant une baie. Son état de conservation ne permet toutefois pas
d’interprétation plus précise. Le même type d’élément a été inventorié dans le dépôt lapidaire
1833
Respectivement 8cm, 12cm et 13cm de diamètre.
I. PIGNOT, op.cit, p. 95.
1835
M. GIRARD, « Sur les traces de la Colombe », Vie catholique du Berry, 1969, p. 322-324.
1834
- 597 -
de Prébenoît et daté d’après la qualité du granite (granite à grains fins employé dans la phase
d’édification médiévale) du début du XIIIème siècle1836.
Au sud de ce logis, un petit bâtiment quadrangulaire attenant est presque totalement
ruiné. Il présente un ébrasement de porte en granite en partie dépecé dont le profil biseauté
semble plutôt relever de l’époque moderne. Le même type de percements est observable dans
les bâtiments d’exploitation des XVIIIème et XIXème siècles de l’abbaye de Prébenoît 1837. Du
côté occidental de ce bâtiment, les vestiges d’un four très ruiné sont préservés. Sa voûte se
compose d’un tas-de-charge de tuiles fines. Il relève certainement de l’époque moderne [Fig.
656 et 661].
Au sud de cette propriété et perpendiculairement à celle-ci, deux longues étables sont
transformées en maisons d’habitations auxquelles nous n’avons pu avoir accès. Une étude des
Monuments Historiques a révélé des charpentes datées par dendrochronologie de 1732 1838.
Elles présentent des toits à croupes couvertes de tuiles plates. Ces bâtiments d’exploitation ont
donc été très remaniés au XVIIIème siècle.
Le logis abbatial se présente comme un bâtiment quadrangulaire couvert de tuiles
plates, avec un pignon au sud constitué d’un petit appareil irrégulier à litages marqués [Fig.
662 et 663]. De petites baies quadrangulaires sont percées. Deux contreforts cimentés
renforcent les parements. Le logis est très remanié et les murs gouttereaux présentent de
larges ouvertures relevant sans doute pour la majeure partie du XIXème siècle [Fig. 664 et
665]. Les parements sont enduits, empêchant une bonne lecture des appareillages. Seule la
moitié nord de la façade occidentale laisse apparaître un petit appareil irrégulier de calcaire à
litages marqués. La rupture entre les deux types de parements est nette. Le logis était peut-être
divisé en deux au Moyen-Âge ou au début de l’époque moderne. Les harpages des fenêtres et
les chaînages d’angle sont en moyen appareil régulier de calcaire laissé apparent. La façade
occidentale présente trois fenêtres à meneaux. Deux ont des linteaux nus. Selon les
Monuments Historiques, elles pourraient relever des XIIème et XIIIème siècles. Toutefois, il
nous semble plus probable qu’elles datent de l’époque moderne étant donné la présence même
de meneaux. Les linteaux ne sont pas en plein-cintre comme nous en rencontrons
fréquemment dans les édifices cisterciens et paroissiaux à la fin du XIIème siècle et surtout
dans le premier tiers du XIIIème siècle (Prébenoît, Bonlieu, Boschaud). Le linteau de la baie
1836
I. PIGNOT, op.cit, p. 143. Ce petit fragment d’une grande finesse dispose d’un tore de 5cm de diamètre
environ en léger arrondi comme pour s’insérer dans un arc de cercle. Lui succède un méplat de 6cm de long. Il
s’agissait peut-être de la partie inférieure du linteau d’une baie très étroite, soulignée d’une voussure torique, ou
d’un élément de portail.
1837
I. PIGNOT, op.cit, vol I, p. 105.
1838
Inventaire topographique réalisé par Christian TRÉZIN en 1999 (numéro de notice IA36001121).
- 598 -
centrale présente des modénatures plus recherchées avec une gorge surmontée d’un listel
finement sculpté. Il s’agit probablement d’un remploi : il est en effet beaucoup plus large que
la fenêtre à laquelle il est associé. Une large porte est percée dans la moitié nord. Les piédroits
sont soulignés de bossages quadrangulaires.
La façade nord du logis ne présente quant à elle pas de pignon [Fig. 667]. Le parement
est en moyen appareil irrégulier, les harpages des baies en briques. À l’est, un petit puits
circulaire est accolé à la façade et relève sans doute du XIXème ou XXème siècles.
La façade orientale est totalement enduite, excepté les harpages des baies en briques et
les chaînages d’angle en moyen appareil régulier de calcaire. Deux larges portes disposent
d’une ouverture avec un arc en anse de panier. L’arc est composé de briques, les piédroits de
modules de calcaire. Au tiers de la hauteur, six corbeaux nus devaient soutenir l’ancien toit du
cloître médiéval dont il ne reste que le puits à l’angle de l’ancienne galerie ouest et de la
galerie septentrionale [Fig. 666 et 669]. Nous pouvons encore deviner ses limites qui forment
une vaste plate-forme quadrangulaire avec une bordure très légèrement surhaussée [Fig. 668
et 670].
Un inventaire réalisé par les Monuments Historiques permet de mieux connaître les
modifications subies par ce logis qui s’est substitué au bâtiment des convers 1839. Le premier
étage révèle des solives datées de 1414 par dendrochronologie, un linteau de cheminée en
remploi de 1434, ce qui attesterait bien d’un remaniement au XVème siècle comme l’évoquait
Jérôme PICAUD précédemment cité. Certaines solives datent de 1525. Un linteau placé audessus de la porte d’entrée du premier étage porte l’inscription de 1734. Des modifications
relèvent donc du XVIIIème siècle. Il est également fait état de peintures et d’éléments de
mobilier. L’inventaire fait état d’une armoire-crédence, d’une sculpture de saint Christophe,
d’une ornementation peinte de faux joints et de végétaux sur le calcaire enduit. Ces éléments
de mobilier sont difficiles à dater mais n’appartiennent probablement pas à l’époque
médiévale1840. À l’intérieur de ce bâtiment, un escalier dans œuvre est entièrement charpenté.
Les vestiges architecturaux de l’abbaye de la Colombe ont donc été très remaniés au
fil des siècles et particulièrement aux XVème et XVIIIème siècles. Il reste de l’époque
médiévale quelques éléments lapidaires épars ainsi que des descriptions érudites parfois
insuffisantes pour imaginer le monastère berrichon aux XIIème et XIIIème siècles.
1839
1840
Christian TRÉZIN, op.cit.
Christian TRÉZIN, op.cit.
- 599 -
Quelques éléments lapidaires sont conservés dans l’ancienne cour du cloître. Ils se
constituent d’une vingtaine de blocs recouverts de mousse, totalement laissés à l’abandon et
sans entretien [Fig. 673]. Nous ne connaissons pas la provenance de ces pierres mais leur
emplacement au niveau de la galerie sud jouxtant l’abbatiale laisse présager qu’ils
proviennent soit du sanctuaire, soit du cloître. La majorité ne présente pas forcément de
modénatures intéressantes. Ils sont en granite et non en calcaire. La présence de ces deux
matériaux s’explique par l’implantation de la Colombe à la limite entre le socle hercynien et
les terrains sédimentaires. Diverses pierres sont ainsi utilisées. Le calcaire est en particulier
plus propice à la sculpture, d’où son emploi pour des chapiteaux médiévaux. Nous pourrions
ainsi envisager une mise en oeuvre en granite tandis que le calcaire serait réservé aux
éléments remarquables et nécessitant une taille plus délicate (chapiteaux, bases). Nous avons
remarqué en particulier un élément de porte à ébrasement torique taillé dans un granite gris
aux grains relativement fins. Il pourrait correspondre à une simple porte ou entrer dans la
composition d’un portail plus complexe à multiples ébrasements [Fig. 674]. Il paraît toutefois
difficile de se prononcer face à cet élément très érodé et isolé de tout contexte. Un second
fragment en granite semble correspondre à un piédroit de porte moderne du type de ceux
observés dans les bâtiments d’exploitation du XVIIIème siècle de l’abbaye de Prébenoît [Fig.
672]1841. Les éléments lapidaires conservés sont ainsi très précieux pour notre étude et
permettent de mieux connaître les supports et modes de voûtement des bâtiments ruinés.
Toutefois ces fragments extraits de tout contexte sont parfois délicats à interpréter [Fig. 675].
Ils témoignent d’une certaine sobriété (ogives avec simple tore, piédroits de granite fruste,
corbeaux nus du logis abbatial) mais pour certain d’un soin particulier, taillés dans un calcaire
fin (chapiteau, bases de colonnes). L’austérité tangible chez ces moines cisterciens du diocèse
de Limoges n’empêche pas un soin et une qualité d’exécution certaine. L’image n’est pas
admise dans les éléments évoqués ici. Néanmoins, ces quelques rares témoins conservés ne
sauraient être pleinement représentatifs des créations de ces moines de la Colombe.
À l’emplacement de l’ancien chevet de l’abbatiale demeure un autel de granite
difficilement datable [Fig. 679]. Il se présente sous la forme d’une table moulurée d’une gorge
soulignée d’un listel. Elle est percée en surface d’une cavité rectangulaire sans doute destinée
aux ablutions. Elle est surmontée d’une statue de la Vierge abritée dans une petite niche.
L’autel est encadré à gauche par un petit bénitier de granite, à droite par un mortier de 22cm
de haut, de 34cm de long par 34cm de large [Fig. 676 et 678]. Sous la table est déposée une
petite plaque de granite gravée d’une croix [Fig. 677]. En 1969, GIRARD fait état d’une
1841
I. PIGNOT, op.cit, p. 108.
- 600 -
grande pierre d’autel avec cinq croix sculptées. Il pourrait s’agir de l’une d’elle1842. Nous
pourrions également l’assimiler à une pierre de bornage ornée d’une croix. En effet, ce type
de borne est assez fréquent dès le XIIIème siècle dans les abbayes cisterciennes. À Obazine
en particulier, une borne de grès du XIIIème siècle est marquée d’une croix à fleurons. Une
autre présente une croix pattée. Elles servaient à délimiter l’enclos monastique [Fig. 27]1843. Il
pourrait s’agir du même type de borne à la Colombe.
La Colombe dispose ainsi d’éléments de mobilier très intéressants mais dont la
chronologie et la fonction exacte est parfois délicate à établir. C’est pourquoi il est nécessaire
de croiser les informations des sources manuscrites et érudites pour tenter de mieux
comprendre le décor de cette abbatiale entièrement disparue.
- Aménagements hydrauliques :
Peu d’aménagements hydrauliques et de granges sont conservés. Les bâtiments
artisanaux sont essentiellement connus par les sources historiques et certains toponymes
maintenus dans les paysages actuels.
Les vestiges d’installations à vocation pré industrielle sont relativement lacunaires
comparativement aux sources historiques prolifiques. Deux viviers sont encore discernables
au nord de l’abbaye. Les talus en sont visibles en contrebas depuis le fond de vallée où coule
le Vavret. Ils sont alimentés par un canal d’amenée d’environ 400m dérivé du Vavret. À la
sortie du second bassin, le canal actionne la roue du moulin à huile.
Le moulin à huile est désormais une propriété privée appartenant à des hollandais [Fig.
683]. Il est utilisé jusqu’en 1860, date à laquelle le cadastre indique sa destruction. Il n’est
transformé que tardivement en habitation et remploie alors des éléments provenant de
l’abbaye (chapiteau à boules). Il conserve une partie de son mécanisme et une meule déposée
près du bief [Fig. 684 et 685]. Le gros œuvre est de moellons de grès. La couverture est de
tuiles plates. Le toit est à longs pans. Par ailleurs, un pressoir à huile appartenant peut-être à la
Colombe est exposé au Musée du machinisme agricole de Prissac1844.
Le moulin du Pin à l’ouest de l’abbaye conserve également des vestiges [Fig. 686 et
687]. Il se situe en contrebas du château du Pin (commune de Collonges-Les-Hérolles),
résidence aux confins du Poitou, du Berry et du Limousin édifiée dès le XIIIème siècle et
largement réaménagée au Bas Moyen-Âge1845. Le moulin dispose encore d’un bief asséché
1842
M. GIRARD, « Sur les traces de la Colombe », Vie catholique du Berry, 1969, p. 322-324.
B. BARRIÈRE, Moines en Limousin (…), op.cit, p. 101-102.
1844
Christian TRÉZIN, op.cit.
1845
M. P. BAUDRY, Les fortifications des Plantagenêts en Poitou, 1154-1242, CTHS, Paris, p. 296.
1843
- 601 -
dérivé d’un ruisseau provenant de l’étang des Chaumes [Fig. 688]. Ce canal conduit à une
petite retenue d’eau d’environ un mètre de profondeur, cernée de talus en moellons de grès
[Fig. 691]. Un déversoir désormais asséché permettait d’alimenter la roue du moulin
légèrement en contrebas puis s’échappait par le bief encore visible dans les paysages [Fig. 689
et 690]. Le moulin se constitue d’un bâtiment de deux étages en moyen appareil régulier,
encore partiellement enduit. Le couvrement est entièrement effondré. La mise en œuvre paraît
relever pour bonne part de l’époque moderne. En effet, les encadrements de fenêtre de l’étage
supérieur sont de briques. Les parements sont de moellons de grès excepté les soubassements
et chaînages en moyen appareil régulier1846. Nous pourrions envisager que le tiers inférieur
corresponde à des réalités médiévales, comme envisagé pour le moulin de l’abbaye de
Bonlieu.
Ainsi il est parfois délicat de faire la part des vestiges médiévaux et modernes pour des
réalités ruinées et constamment remaniées comme les moulins des moines cisterciens de
Haute-Marche et du Limousin.
1846
Carreaux de 50 par 30cm en moyenne.
- 602 -
PEYROUSE
- 603 -
4. Peyrouse (commune de Saint-Saud-Lacoussière, Dordogne) :
L’abbaye de Peyrouse est située sur la commune de Saint-Saud, canton de SaintPardoux-La-Rivière dans le département de la Dordogne. Elle relève de l’ancien diocèse de
Périgueux, à quelques kilomètres seulement des limites du diocèse de Limoges. Les vestiges
ne disposent d’aucune protection au titre des Monuments Historiques. Elle est signalée sur la
carte de Cassini par les sigles AB. La carte IGN conserve le lieu-dit « Peyrouse » au bord du
ruisseau du Palin [Fig. 692 et 693]1847.
Sources manuscrites :
Pour connaître l’abbaye aujourd’hui presque entièrement disparue, nous disposons
d’une description de Dom Jean Perron datée de 1684 [PJ 19]1848.
Le fonds des Archives Départementales de la Dordogne dispose d’un certain nombre
de documents pouvant intéresser cette étude, bien qu’aucun texte médiéval ne soit conservé.
En 1761, une estimation des réparations à faire aux lieux dépendants de l’abbaye de
Peyrouse nous apprend sur les aménagements hydrauliques du domaine de la Pause (paroisse
de Celles). En effet, des réparations doivent être faites aux chaussées et écluses du moulin de
la Pause, ces dernières présentant de nombreuses brèches à colmater, nécessitant des
« charettes de pierres pour regarnir les écluses et les rétablir à hauteur suffisante »1849.
Un procès-verbal descriptif de 1774-1775 permet de mieux connaître l’organisation
des bâtiments monastiques et dépendances de l’abbaye1850. L’église Notre-Dame de la Garde à
Périgueux est la première à être décrite. La charpente paraît en mauvais état, de même que la
couverture de tuiles creuses. L’intérieur semble en bon état, ainsi que le mobilier de la
sacristie, décrit avec précision. Quant aux bâtiments monastiques de Peyrouse, il est fait état
d’un bâtiment comprenant une boulangerie dont la cheminée et la couverture de tuiles creuses
sont à refaire, une cuisine, des appartements à l’étage, d’une grange, d’un moulin des Mesles
(des Merles ?) dans l’enclos monastique, ainsi que de la forêt dépendant de l’abbaye. Sont
ensuite évalués les biens de certaines dépendances au village de la Pause (paroisse de Celles),
dont le moulin de la Pause. La trémie est en bon état, tandis que la meule dormante pourrait
être remplacée. L’église du bourg de Saint-Méard est décrite, son mobilier inventorié. Elle est
1847
IGN Série Bleue, 1/25000ème, Saint-Pardoux-La-Rivière, 1933 O.
AD Aube, 3 H 228. Voir transcription en annexe. PJ 19.
1849
AD Dordogne, B 538, pièces 58 et 59.
1850
AD Dordogne, 36 H 1 ; B 651 (pièce 75).
1848
- 604 -
à la charge de l’abbaye. Nous savons donc à cette date que les moines étaient encore en
possession de leurs domaines de la Pause, de l’église Notre-Dame de la Garde et de celle de
Saint-Méard.
Historiographie :
L’abbaye de Peyrouse a intéressé certains érudits locaux dès le XIXème siècle. En
1885, Louis GUIBERT retranscrit un acensement pour trois ans de l’abbaye de Peyrouse, daté
de 1490 [PJ 20]1851.
Louis GRILLON livre en 1955 deux articles concernant les mentions des abbayes
cisterciennes de la Dordogne dans les statuts des chapitres généraux de l’ordre. Il se réfère
pour cela à l’étude de CANIVEZ1852. Il met donc en lumière les liens entre Peyrouse,
Boschaud, Cadouin, Dalon et les autres abbayes de l’ordre, ce qui nous permet de replacer
cette modeste abbaye dans un contexte monastique plus général. Elle n’est ainsi plus
simplement considérée comme une entité isolée1853.
Jean SECRET s’est également penché sur l’histoire de Peyrouse et livre un article en
1974 axé sur l’analyse d’un procès-verbal de 1822. Il tente de préciser le plan de l’abbaye
d’après cette source et un plan conservé aux archives Départementales de l’Aube (sous la cote
3 H 228). Cette courte étude nous permet une meilleure connaissance des vestiges de ce site
aujourd’hui presque entièrement ruiné1854.
En 1986, Nelly BUISSON publie un article sur Peyrouse dans le Bulletin de la Société
Historique et Archéologique du Périgord. C’est la première synthèse consacrée au monastère.
Bien que succincte, elle livre toutefois un état des lieux minutieux des connaissances
historiques et archéologiques [Fig. 696]1855.
Bernadette BARRIÈRE consacre en 1998 une courte notice sur l’abbaye, néanmoins
nécessaire pour la connaissance des sources disponibles à l’étude et des vestiges
archéologiques discernables1856. Face à l’indigence des sources manuscrites et des vestiges
encore en élévation, cette analyse bien que succincte demeure un document précieux à la
connaissance des moines de Peyrouse.
1851
L. GUIBERT, « Acensement pour trois ans de l’abbaye de Peyrouse », BSHAP, T 12, 1885, p. 192-193.
J. M. CANIVEZ, Statuta…, op. cit., 1933.
1853
L. GRILLON, « Les abbayes cisterciennes de la Dordogne dans les statuts des chapitres généraux de
l’Ordre », BSHAP, T 82, 1955, p. 138-148.
1854
J. SECRET, « Note sur l’abbaye cistercienne de Peyrouse au XIXème siècle », BSHAP, T 101, 1974, p. 166171.
1855
N. BUISSON, « Abbaye Notre-Dame de Peyrouse », BSHAP, T 113, 1986, p. 308-323.
1856
B. BARRIÈRE (dir.), Moines en Limousin…, op. cit., p. 190-192.
1852
- 605 -
En 1998, l’abbaye de Peyrouse fait l’objet d’un mémoire de maîtrise d’histoire réalisé
à l’université de Limoges. Catherine DESPORT revient sur l’histoire de l’abbaye et la
constitution de son patrimoine. Les données propres à l’archéologie et l’histoire de l’art sont
toutefois ignorées1857.
Historique :
L’abbaye aujourd’hui disparue est située dans la vallée du Palin. Il s’agit d’une
fondation ex nihilo de l’abbaye de Clairvaux. Elle est créée en 1153 par saint Bernard. Le
premier abbé, Roger, est d’ailleurs un moine venu de Clairvaux. Saint Bernard aurait peut-être
visité le chantier en 1153 en revenant de Sarlat. Pour Nelly BUISSON, la construction de
Peyrouse aurait été décidée en 1147 et le chantier se serait échelonné jusqu’à la consécration
le 15 octobre 1153. Six années nous paraissent toutefois bien courtes pour mener à bien la
construction d’une abbaye1858. C’est la première installation directe dans le diocèse de
Périgueux, à une quinzaine de kilomètres de l’ermitage géraldien de Boschaud. Son nom est
dérivé de petrosa qui signifie la « pierreuse » et évoque ainsi la stérilité du sol. Les terrains
sont cristallophylliens et livrent ainsi du gneiss pour les constructions. À 500m du site
d’implantation actuelle, le lieu-dit « vieille abbaye » évoque peut-être un ancien site choisi au
préalable. Selon Nelly BUISSON, ce toponyme correspondrait à une ancienne abbaye
bénédictine dévastée par les Normands au IXème siècle. Peyrouse aurait profité de cette
carrière de pierres. Toutefois, elle ne cite pas ses sources et il est ainsi difficile d’accorder
beaucoup de crédit à cette hypothèse1859.
Peyrouse se trouve à proximité de la « Grande Pouge » allant du Limousin à SaintPardoux. Elle ne correspond alors pas véritablement à un désert puisqu’elle s’installe non loin
de voies de communication importantes.
Le patrimoine foncier de l’abbaye n’est pas très bien connu. Un acte de 1254 énumère
une partie des granges, borderies et manses détenus par les moines [Fig. 86]. Ils possèdent au
moins six granges : Corbaria (non localisée), Beynac, Vieille-Abbaye et Jaladier sur la
paroisse de Saint-Saud, Croze sur la paroisse de Milhac et les Bordes sur la commune de
Saint-Saud. Au milieu du XIIIème siècle, ces granges sont exploitées par des laïcs et non plus
des convers. Les moines disposent également de droits sur les bois de Bartolala, de
1857
C. DESPORT, Deux abbayes cisterciennes du Périgord : Boschaud et Peyrouse, mémoire de maîtrise sous la
direction de B. BARRIÈRE, Université de Limoges, 1998, 217 p.
1858
N. BUISSON, « Abbaye Notre-Dame de Peyrouse… », op. cit, p. 308-323.
1859
N. BUISSON, « Abbaye Notre-Dame de Peyrouse… », op. cit, p. 308-323.
- 606 -
Chabrolenc, les forêts de Peyrouse et de Beynac. La forêt de Peyrouse est d’ailleurs vendue en
17931860.
Ils possèdent des arrentements sur les communes de Saint-Méard de Dronne et Perduz
ainsi que deux maisons et un jardin. Le domaine de la Pause est doté d’un moulin à grains
(paroisse de Celles), jugé en bon état en 1773 même si la meule dormante pourrait être
changée. Outre ce moulin, le domaine comporte une maison de métayers, une fontaine, une
forêt, un pré, et un pont1861. Le moulin de Miou est en amont du précédent sur la Dronne. Il est
à la fois à grains et à draps. Le moulin de la Scie ou de Peyrouse existe sans doute depuis la
fondation du monastère. Un conflit éclate à son propos dès 1247. Les moines détiennent une
maison à Périgueux, rue du Cornador ainsi qu’un four d’Armagnac. Ils possèdent de même
des biens immobiliers dans l’enceinte de Puy-Saint-Front : une maison et un jardin dans le
quartier de Verdun, six maisons rue Neuve, six maisons dans le quartier de la Limogeanne et
deux maisons dans le quartier de Saint-Silain. Ils détiennent également l’étang de SaintAmand sur la paroisse de Milhac et possèdent peut-être le prieuré Notre-Dame de la Garde.
Les biens détenus sur la paroisse de Saint-Pantaly d’Ans (grange de Puyharmier) font l’objet
de litiges avec l’abbaye de Dalon qui possède non loin la grange de Puyboucher sur la
commune de Brouchaud [Fig. 714]1862. Ces granges sont à l’origine des actuels villages de
Peyrouse, Beynac, La Veyrière, Bonnefond, Faurie-Haute, Gatinelli et Les Moulières.
Certains documents modernes aident à mieux cerner ce patrimoine foncier. Ainsi, des lièves
de rentes permettent de lister les tènements possédés par les moines au XVIIIème siècle : sur
la paroisse de Vaunac (à une dizaine de kilomètres au sud du monastère), les tènements de
Verzinas, de Puyssezeix, de Las Cambas (tous localisés, hameaux repérés sur la carte IGN de
Saint-Pardoux-La-Rivière1863) ; la tenance de Mazeroux sur la paroisse de Milhac-de-Nontron,
projet de grange avortée de l’abbaye de Boschaud. Les moines perçoivent également des
rentes foncières sur les paroisses de Thiviers, de Saint-Romain, Saint-Clément et Beaulieu1864.
L’étude toponymique menée d’après les cartes IGN et de Cassini permet de repérer les
granges et moulins cités dans les actes médiévaux [Fig. 39 et 56]. Certains termes peuvent
également évoquer des installations monastiques disparues. Ainsi, la carte de Cassini indique
un lieu-dit « l’étang » au sud de Peyrouse qui correspond peut-être à une possession des
moines blancs. L’analyse de la carte IGN de Saint-Pardoux-La-Rivière est assez fructueuse.
Au nord de l’abbaye, dans la direction de Saint-Saud-Lacoussière, nous pouvons relever les
1860
AD Dordogne, Q 122.
AD Dordogne, B 651 ; B 701 (1779).
1862
C. DESPORT, Deux abbayes cisterciennes du Périgord…, op.cit, p. 84.
1863
IGN Série Bleue, 1/25000ème, 1933 O, Saint-Pardoux-la-Rivière.
1864
AD Dordogne, 36 H 4, 1740-1789 ; 36 H 5 (1743).
1861
- 607 -
lieux-dits « Étang de la Garenne », « Moulin du Pont » sur la Dronne et les « Farges » audessus de la grange des Bordes qui peuvent s’avérer être des installations monastiques. Le
toponyme « farge » est en effet souvent associé à une ancienne forge. Près de Mazeroux à
quelques kilomètres à l’ouest de l’abbaye, le lieu « la grange » fait peut-être référence à une
exploitation de Peyrouse, mais pourrait également évoquer le projet de grange de Boschaud à
Mazeroux. Au nord-ouest, nous rencontrons les lieux « la tuilerie de Veyrières », « l’étang de
Bonnefond », « l’étang des Merles » et « l’étang » qui sont peut-être le souvenir d’anciennes
possessions monastiques1865.
La toponymie peut ainsi suppléer aux lacunes des sources et nous apprendre sur de
possibles industries monastiques, bien qu’il soit difficile d’en préciser la datation.
Les relations entretenues par les abbés de Peyrouse avec les autres abbayes
cisterciennes sont évoquées par Louis GRILLON dans son article pour la Société Historique
et Archéologique du Périgord. On y apprend que l’abbaye est en litige avec Dalon en 1192,
avec Cadouin en 1209. En 1260, les abbés du Palais-Notre-Dame et de Peyrouse vont
inspecter le lieu où Obazine veut installer une nouvelle fondation1866.
En 1265, Peyrouse fonde le prieuré Notre-Dame de la Garde à Périgueux. Elle devait
donc être relativement opulente à l’époque pour disposer d’assez de fonds pour la création
d’une filiale. Le nombre de moines devait également être important pour permettre un
essaimage. Toutefois, l’étude de Jean-Alcide CARLES sur les titulaires et patrons du diocèse
de Périgueux présente une datation différente. Selon lui, la communauté de femmes de NotreDame de la Garde ne serait réunie à Peyrouse qu’en 14091867.
En 1569, l’abbé commendataire Coligny laisse l’abbaye de Peyrouse en ruines.
Les bâtiments sont en partie restaurés entre 1650 et 1683, travaux achevés par l’abbé dom
Barillat.
En 1683, le domaine de l’abbaye comprend encore des tenances à Saint-Saud, SaintMartin, Saint-Jaury, Saint-Pantaly d’Ans, Saint-Romain ainsi que le moulin de Verneuil, le
moulin de la Pause, le Moulin Neuf et le prieuré Notre-Dame de la Garde 1868. En 1791, les
biens de l’abbaye sont vendus, de même que la forêt de Peyrouse (1793)1869. En 1892, les
vestiges de l’abbaye sont incendiés.
1865
IGN Série Bleue, 1/25000ème, Saint-Pardoux-La-Rivière, 1933 O.
L. GRILLON, « Les abbayes cisterciennes de la Dordogne dans les statuts des chapitres généraux de
l’Ordre », BSHAP, T 82, 1955, p. 138-148.
1867
J-A. CARLES, Les titulaires et les patrons du diocèse de Périgueux-Sarlat, éditions du Roc-de-Bourzac,
Bayac, 1884 (réédition 1986), p. 30.
1868
N. BUISSON, « Abbaye Notre-Dame de Peyrouse… », op. cit, p. 308-323.
1869
AD Dordogne, Q 122.
1866
- 608 -
Vestiges archéologiques :
-
Abbaye :
Il reste peu de vestiges de cette ancienne installation cistercienne [Fig. 697]. Selon
Nelly BUISSON, il devait s’agir d’une église à coupoles. Elle ne justifie toutefois pas cette
affirmation et nous ne disposons d’aucun document figuré ou manuscrit nous permettant de la
confirmer1870. Seul Jean-Alcide CARLES présente l’abbaye de Peyrouse à la fin du XIXème
siècle comme une église « byzantine », bâtie selon la tradition, sur le modèle de Saint-Front
de Périgueux. Peyrouse, comme la proche abbaye de Boschaud, pourrait donc présenter une
église à file de coupoles, en liens avec des formules aquitaines (Angoulême, Périgueux). Les
vestiges archéologiques actuels ne peuvent néanmoins confirmer ou infirmer cette
hypothèse1871.
Jean SECRET a tenté une reconstitution du plan de Peyrouse d’après l’état des lieux
de 1774. Il présente une église à chevet plat, encadré de deux chapelles par bras du transept,
également à chevet plat. La nef est flanquée de bas-côtés, ce qui irait à l’encontre de la
présence de coupoles dans la nef. En effet, l’emploi de files de coupoles est généralement
associé à une nef unique, comme à Boschaud, Fontevrault ou Solignac. L’abbatiale dispose
peut-être simplement d’une coupole à la croisée du transept (comme à l’abbatiale de Grosbot
ou de Bonlieu), ce qui paraît toutefois difficile à attester face aux vestiges conservés. L’aile
est comprendrait l’ancienne sacristie, la salle capitulaire, un escalier menant au dortoir à
l’étage, un noviciat. L’aile sud présenterait une cuisine, le chauffoir, un four, un réfectoire de
70 par 28 pieds (22.7 par 9m), une ancienne cuisine, une boulangerie avec son four. Aucun
cellier n’est toutefois indiqué. Le bâtiment ouest, ancien dortoir des convers, est remplacé par
le logis abbatial du XVIIème siècle. Enfin, l’auteur représente le vivier à l’ouest et les latrines
au sud-ouest1872.
Le plan de l’église, son élévation et son mobilier peuvent être mieux connus grâce à un
autre article de Jean SECRET qui fait le point sur un procès-verbal de 1822. Celui-ci décrit
des murs entièrement dégradés tombant en ruines. À droite et à gauche, deux chapelles sont
encore bien voûtées même si les toitures sont enlevées. Celle de droite est restaurée et
présente un autel boisé et un tabernacle. Selon Jean SECRET, ces deux chapelles pourraient
1870
N. BUISSON, « Abbaye Notre-Dame de Peyrouse… », op. cit, p. 308-323.
J-A. CARLES, Les titulaires et les patrons du diocèse de Périgueux-Sarlat…, op. cit., p. 241.
1872
AD Dordogne, 2 J 1145 (notes de Jean SECRET).
1871
- 609 -
être plutôt deux travées du collatéral sud de l’église ou encore des chapelles quadrangulaires
donnant à l’est du croisillon sud du transept.
Au XVIème siècle, l’abbaye a connu quelques réfections grâce à l’abbé
commendataire de Pompadour qui répare et couvre l’abbaye. Une chapelle consacrée à SaintMéé est évoquée1873.
Au XVIIème siècle, nous savons que les collatéraux étaient encore voûtés de « voustes
rondes ». Pourrait-il s’agir de voûtes en berceau ? La nef dévoûtée était couverte d’un lambris
de planches de faîne1874. Les croisillons (bras du transept) étaient également voûtés de
« voustes rondes », comme les quatre chapelles rectangulaires qui y débouchaient. Au
XVIIème siècle, on ne peut relever complètement l’église des ruines causées par les
Protestants. On ampute dès lors la nef d’environ un tiers de sa longueur à l’ouest.
Le plan cadastral du XIXème siècle peut nous apprendre un peu plus sur la disposition
des bâtiments monastiques [Fig. 694 et 695]. Le carré du cloître est bien discernable. Le
bâtiment est a complètement disparu. À l’ouest du carré du cloître, trois petits bâtiments de
plan quadrangulaire sont signalés. Il est toutefois difficile d’en déterminer la fonction :
grange, porterie ? Un vivier en « L » est représenté au sud de l’abbaye. Un pont sur le Palin
est signalé de même qu’une digue sur un étang au nord du site. Le plan cadastral de SaintSaud (section F 6) redessiné par Jean SECRET permet d’envisager une abbatiale à chevet
plat1875.
Catherine DESPORT avait repéré un pan de mur de l’église (mur sud) révélant encore
des traces d’enduits et de joints de couleur rouge que nous n’avons toutefois pas identifié lors
de nos propres prospections. Bernadette BARRIÈRE reprend se description et parle d’un pan
de mur de l’église « à la base du versant de rive gauche et dans la broussaille »1876. Il s’agirait
en fait plutôt d’un mur appartenant à l’un des bâtiments modernes. En effet, les deux
structures les mieux conservées sont deux petits bâtiments modernes bâtis près du Palin. Le
bâtiment le plus à l’ouest est presque entièrement ruiné. Reste l’angle nord-ouest, le mur
ouest, le départ du mur est et le mur nord conservé sur quelques assises uniquement [Fig.
1873
J. SECRET, « Notes historiques et archéologiques. Le plan de l’abbaye de Peyrouse », En famille, n°16,
1952, 3 p.
1874
J. SECRET, « Note sur l’abbaye cistercienne de Peyrouse au XIXème siècle », BSHAP, T 101, 1974, p. 166171 ; J. SECRET, « Notes historiques et archéologiques. Le plan de l’abbaye de Peyrouse », En famille, n°16,
1952, 3 p.
1875
AD Dordogne, 2 J 1145 (notes de Jean SECRET).
1876
B. BARRIÈRE, op. cit., p. 190.
- 610 -
708]. Ces murs sont bâtis en petit appareil irrégulier. Quelques blocs de moyen appareil
régulier taillés peuvent provenir des anciens bâtiments médiévaux.
Le second bâtiment conservé, daté de la fin du XIXème siècle et nommé le « logis »,
est encore couvert de sa toiture [Fig. 702]. Il se compose d’un volume quadrangulaire encadré
de deux pignons [Fig. 706 et 707]. Il est bâti en petites pierres de tout venant, liées par un
mortier très orangé et sablonneux. Les piédroits et chaînages sont de moyen appareil régulier
pouvant également appartenir aux anciens bâtiments médiévaux [Fig. 705]. Il dispose d’une
porte monumentale du XVIIème siècle remployée, encadrée de deux pilastres et surmontée
par un masque grimaçant [Fig. 703]. Ce petit édifice fut bâti suite à l’incendie de 1892 [Fig.
704]. La porte remployée provient vraisemblablement de la partie nord-est du dortoir donnant
sur le potager qui s’étendait à l’est de l’abbaye. Une pierre d’autel sert de banc devant ce
bâtiment [Fig. 712]1877. Il est longé par une sorte d’allée bordée de deux parements dont le
plus au sud pourrait correspondre à d’anciennes fondations médiévales, difficiles à identifier.
Un portail devait marquer l’entrée de cette allée comme en témoigne un piédroit moderne en
granite encore en place.
-
Aménagements hydrauliques :
Nous pouvons encore observer le pont de pierre enjambant le Palin, entièrement
recouvert de mousse et de lierres, une fontaine de dévotion à Saint Jacques abritée par une
petite construction à coupole [Fig. 698 et 701]. Cette coupole désormais presque entièrement
mise à bas est appareillée de pierres de tout venant de grosseurs inégales. Quatre trous de
boulins creusés à l’amorce de la calotte, placés par paire et en vis-à-vis, évoquent la mise en
place d’une structure en bois au-dessus de la source. Un conduit profond de 4 à 5m se
compose d’un berceau très brisé lui aussi soigneusement appareillé. L’eau suinte encore au
niveau d’une cavité ovale creusée dans le sol au pied du conduit.
Sur le versant de rive droite, à quelques mètres au sud de la fontaine, l’angle d’un mur
en petit appareil irrégulier est conservé, ainsi qu’une sorte de cave voûtée en tas-de-charge et
dont l’intérieur utilise des pierres de moyen appareil régulier très bien taillées. Il pourrait
s’agir de l’emplacement d’un ancien moulin [Fig. 699 et 700].
Demeurent également des murs d’endiguement d’un à deux mètres de large et de
hauteur variable entre lesquels coule le ruisseau [Fig. 709]. Ils sont bâtis en petit appareil de
moellons. Leur lecture est actuellement difficile étant donné le lierre qui les recouvre. Un
1877
J. SECRET, « Notes historiques et archéologiques… », op. cit., 3 p.
- 611 -
grand vivier en « L » est alimenté par une capture sur le Palin. Ce vivier mesure 76 sur 56m
pour 6m de large. Un déversoir permettait l’évacuation de l’eau dans le pré.
Un étang en amont est retenu par une digue en gros appareil de sept mètres de haut.
L’eau s’échappait de l’étang grâce à trois écluses [Fig. 715]. Elle se regroupait ensuite pour
former le Palin. Elle faisait tourner la roue du « moulin de la scie », également appelé moulin
de la Peyrouse, dont il ne reste aujourd’hui que les fondations en friches, difficilement
reconnaissables. Il a appartenu aux moines jusqu’en 1750.
-
Éléments lapidaires « vagabonds » :
Des éléments vagabonds appartiennent à l’abbaye comme cette vasque de pierre
déposée à la « Coutille ». Cinq statues modernes sont également conservées au niveau du
transept sud de l’église de Saint-Saud Lacoussière : il s’agit de quatre évangélistes et d’un
Christ en bois.
En 1892, le château de Beynac est reconstruit avec des pierres de la chapelle de
Peyrouse. Les arcades qui ceinturent les façades du château proviennent peut-être des
colonnes de la galerie du cloître. Toutefois, leur diamètre paraît trop important. Ces colonnes
pourraient provenir d’une autre partie du monastère (dortoir ? église ?) [Fig. 713].
Certaines colonnes de cloître sont dites être conservées à Bonnefond et à Saint-Martin
de Fressengeas. Nos prospections n’ont toutefois pas révélées d’éléments médiévaux. À SaintMartin-de-Fressengeas, une halle couverte est placée devant l’entrée ouest de l’église [Fig.
710]. La charpente repose sur quatre massives colonnes dont le diamètre des fûts ne pourrait
correspondre à des colonnettes de cloître. De plus, le profil des chapiteaux et bases associées,
très géométrique, nous permet d’envisager une création plutôt moderne. Les chapiteaux sont
nus, à la corbeille très écrasée, les bases non classiques constituées d’un seul tore posé sur un
socle massif.
Au domaine des Moulières, à quelques kilomètres au sud-est de Peyrouse, une grille
en fer forgée moderne placée au portail d’entrée aurait pu appartenir aux moines de Peyrouse
[Fig. 711].
Par ailleurs, Cécile DESPORT signale deux chapiteaux déposés dans une ferme
voisine que nous n’avons toutefois pu retrouver1878.
-
1878
Granges :
C. DESPORT, Deux abbayes cisterciennes du Périgord…, op. cit, p. 56.
- 612 -
Nos prospections au lieu-dit actuel « La Croze », ancien site d’implantation d’une
grange de Peyrouse n’ont révélé aucun élément médiéval significatif.
- 613 -
LES PIERRES
- 614 -
5. Les Pierres (commune de Sidiailles, Cher) :
L’abbaye des Pierres est située sur la commune de Sidiailles dans le département du
Cher. Elle appartient à l’ancien diocèse de Bourges, aux marges de la Haute-Marche. Nous
accédons à l’abbaye des Pierres par la départementale D3 depuis le petit village de SaintSaturnin. Le monastère est à quelques kilomètres au sud-ouest de Sidiailles dans le vallon
encore très boisé de la Joyeuse. La carte IGN la signale par le lieu-dit « L’abbaye des
Pierres », au creux d’un îlot boisé1879. La carte de Cassini indique également avec précision le
site de l’abbaye par le clocher et la crosse. Le sigle AB O.C est précisé (abbaye d’observance
cistercienne) [Fig. 716 et 717].
Les vestiges appartiennent désormais à une propriété privée sise en contre-haut du
ruisseau de la Joyeuse et n’ont jamais fait l’objet d’un classement aux Monuments
Historiques.
Sources manuscrites et figurées :
Le fonds de l’abbaye des Pierres est conservé aux Archives Départementales du Cher à
Bourges1880. Les informations glanées dans les actes médiévaux, les travaux d’érudits et les
cartes IGN et de Cassini restent lacunaires et insuffisantes pour retranscrire la constitution du
patrimoine foncier de cette modeste abbaye berrichonne.
Rares
sont
les
mentions
architecturales.
Le
chantier
médiéval
semble
systématiquement oublié des actes médiévaux et il est bien difficile de mener une étude de
bâti face à des vestiges aussi ruinés, d’où vraisemblablement le peu d’études sur le monastère
berrichon, qu’il s’agisse d’histoire de l’art ou d’archéologie. De prime abord, seuls les
historiens semblent pouvoir apporter des connaissances sur la fondation, le patrimoine foncier
et le devenir des cisterciens des Pierres. En 1650, un procès-verbal fait état de vols, de
pillages et d’incendies systématiques à l’abbaye depuis le XVIème siècle. Les titres et papiers
sont brûlés, les ornements de l’église volés, mais les vestiges du monastère à proprement
parler ne sont guère évoqués1881.
En 1789, une déclaration des biens et des revenus de l’abbaye évoque également ces
pillages de 1575 à 1650. L’église entièrement consumée par les flammes à cette époque a été
1879
IGN série Bleue 2327 O, Châteaumeillant, 1/25000ème.
1880
AD Cher, 8 G 1819, 8 H 1862, 10 H 1 à 10 H 143.
1881
AD Cher, 10 H 6.
- 615 -
reconstruite sur une étendue suffisante pour assurer l’office divin. Nous pouvons donc
imaginer une période de reconstruction de la fin du XVIIème au début du XVIIIème siècle
essentiellement axée sur le sanctuaire. En effet, les chapelles et le chœur sont ornés d’une
« menuiserie » récente. Nous n’avons aucun renseignement sur le mobilier de l’abbaye, que
ce soit dans les sources manuscrites ou les travaux d’érudits du XIXème siècle. Nous pouvons
supposer que la majorité des éléments de mobilier ont été détruits lors de ces périodes
troublées.
Les bâtiments sont reconstruits plus simplement, sans cimetière. L’aile ouest
correspond au logis abbatial encore en place, totalement disparu aujourd’hui [Fig. 720]. Il est
évoqué le « degré qui monte au dortoir des religieux ». Une grange est mentionnée dans la
basse-cour, avec des jardins et des vergers. Elle correspond peut-être au bâtiment
d’exploitation au-dessus de la propriété privée qui conserve les ruines de l’abbaye, daté de
1778. Les principales possessions du monastère sont énumérées (bois, moulins, tuilerie,
vignes), ce qui laisse présager encore une certaine activité de l’abbaye berrichonne malgré les
nombreux pillages subis1882.
Historiographie :
Les sources historiques ne permettent guère de se faire une idée de l’architecture du
monastère et de l’organisation des bâtiments conventuels. Quelques travaux d’érudits ont
heureusement décrits le site avant sa disparition quasi totale. Abbaye presque ignorée des
travaux contemporains et des universitaires, il paraît essentiel de faire un point précis sur les
connaissances à notre disposition pour l’étude de cette implantation cistercienne du
Boischaut.
Les érudits ayant travaillés au Berry évoquent le monastère des Pierres. G.
THAUMAS DE LA THAUMASSIÈRE livre quelques lignes sur l’abbaye des Pierres. Il
décrit un vallon environné de précipices, de pierres, de rochers et de bois. Pour ces auteurs,
c’est la description « romantique » qui prime, les impressions d’abandon suscitées par les
ruines du monastère, mais aucune analyse précise n’est menée pouvant aider à notre propre
recherche1883.
1882
1883
AD Cher, 10 H 8.
G. THAUMAS DE LA THAUMASSIÈRE, Histoire du Berry, Bourges, 1868, livre X, chap. XXXV, p. 807.
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Louis RAYNAL en fait également mention quelques années plus tard. Il évoque le site
sauvage où il s’est implanté, nommé le « val horrible ». Il rappelle les conditions de
l’affiliation en 1149 mais rien n’est dit de l’architecture1884.
La même année, BUHOT DE KERSERS publie une histoire du canton de
Châteaumeillant. Trois pages sont consacrées à l’abbaye des Pierres 1885. Il revient sur les
conditions de la fondation, les principaux donateurs et bienfaiteurs de l’abbaye, évoque les
troubles des guerres de Religion, de la Fronde, et de la Révolution qui ont conduit à la ruine
quasi-totale du monastère. Il livre pour la première fois une description des vestiges, très
précieuse étant donné qu’il ne demeure presque plus rien aujourd’hui des ruines observées à
la fin du XIXème siècle. L’église dispose d’un chevet plat voûté d’un berceau dont on voit
encore la naissance. Chaque bras du transept dispose d’une chapelle. Le mur gouttereau sud
présente encore une fenêtre au linteau clavé. À l’angle sud-ouest, une tour carrée est
conservée. Elle était divisée en quatre étages, comprenait la cuisine, l’infirmerie et la
bibliothèque. Les bâtiments sont disposés en carré autour du cloître. Ils sont portés à l’est sur
des caves voûtées qui compensent la déclivité du terrain. Le bâtiment est correspondait au
dortoir, le bâtiment sud au réfectoire et à l’accueil des hôtes. Le parloir et les écuries étaient
au niveau de la galerie ouest. Ces aménagements claustraux ont servi de carrière dès le
XIXème siècle. Il n’en demeure plus rien aujourd’hui. Il évoque également un moulin, un
jardin et un réservoir à poissons appartenant au monastère. Si l’étude de BUHOT DE
KERSERS est succincte, elle est essentielle à notre compréhension de l’organisation des
bâtiments monastiques.
En 1900, Émile CHENON se préoccupe du prieuré d’Aignerais entre Champillet et
Montlevic dans l’Indre, dépendant de l’abbaye des Pierres [Fig. 92]1886. Il évoque de nouveau
la fondation et la constitution du patrimoine du monastère berrichon. Rien n’est dit toutefois
de l’architecture de l’abbaye.
Nous ne disposons que de très rares études récentes sur l’abbaye des Pierres. Elle n’a
pas fait l’objet d’une monographie particulière et est seulement mentionnée dans plusieurs
études générales sur le Berry. Guy DEVAILLY, dans sa synthèse sur le Berry à l’époque
médiévale, fait à plusieurs reprises mention des fondations cisterciennes berrichonnes mais
son point de vue reste celui d’un historien qui tente de cerner les rapports des moines avec les
1884
L. RAYNAL, Histoire du Berry depuis les temps les plus anciens jusqu’en 1789, Bourges, 1885, T II, p. 136.
A. BUHOT DE KERSERS, Histoire et statistique monumentale du département du Cher. Canton de
Châteaumeillant, Bourges, 1885, p. 253-256.
1886
É. CHENON, « Le prieuré d’Aignerais, membre de l’abbaye des Pierres », Mémoires de la Société des
Antiquaires du Centre, 1900, T XXVI, p. 35-55.
1885
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nobles locaux, les rois Plantagenêts et Capétiens 1887. Son analyse est donc précieuse pour le
contexte dans lequel l’abbaye est fondée mais le chantier médiéval est ignoré.
P. GOLDMAN étudie également les possessions des moines cisterciens à Bourges.
L’abbaye des Pierres est citée. L’auteur constate la difficulté pour connaître le patrimoine
foncier de la modeste abbatiale et particulièrement les maisons de ville dont les moines
pouvaient être propriétaires. Rien n’est dit de l’architecture et de l’organisation du chantier
médiéval1888.
P. POULLE, dans un article des Cahiers d’Archéologie et d’Histoire du Berry étudie
très précisément l’état des lieux suite au pillage de 1650 et livre ainsi de précieuses
informations sur la conservation des aménagements monastiques 1889. Les bâtiments
conventuels sont précédés par une cour entourée d’un palis. L’aile ouest correspond à un
grand pavillon. L’église au nord est pourvue d’un chevet plat et flanquée de deux chapelles.
Un escalier conduit au dortoir qui jouxte la chapelle sud. Le bâtiment est est édifié sur des
caves. La salle basse sert de cellier et de fruiterie. L’étage est occupé par un dortoir. L’angle
sud-est de l’abbaye est occupé par une tour à quatre niveaux comprenant les cuisines, la
boulangerie, l’office, l’infirmerie et la bibliothèque. L’aile sud sert à accueillir les étrangers
de passage. Cette analyse étant basée sur les mêmes sources que BUHOT DE KERSERS, sa
description n’est guère plus complète mais apporte tout de même à la connaissance de
l’aménagement des bâtiments conventuels.
Les études d’histoire de l’art sont très rares et le modeste monastère n’a guère attiré
l’intérêt du fait du peu de vestiges encore en place. Les analyses de bâti et des créations
artistiques sont forcément restreintes. René CROZET livre toutefois quelques éléments sur
l’architecture du monastère1890. Selon lui, l’abbaye des Pierres aurait pu rivaliser en splendeur
avec Noirlac. En effet, sa tour de quatre étages évoquée précédemment devait lui conférer une
certaine monumentalité. Les bâtiments conventuels sont groupés au sud de l’abbatiale. Le
dortoir des moines communique avec l’église par un escalier. Il donne quelques précisions sur
le plan de l’église qui présente une nef unique, un chevet plat couvert d’un berceau brisé, une
chapelle rectangulaire sur chaque bras du transept, disposition assez rare au sein des créations
cisterciennes. Ce plan évoque plutôt celui des celles grandmontaines. Nous avons déjà eu
l’occasion de remarquer la proximité de l’abbaye des Pierres et de la celle de Pentillou,
1887
G. DEVAILLY, Le Berry du Xème au milieu du XIIIème siècle, Mouton, Paris, 1973, p. 290-292.
P. GOLDMAN, « Note sur les possessions cisterciennes à Bourges », CAHB, n°99-100, 1989, p. 41-48.
1889
P. POULLE, « Un patrimoine menacé : l’abbaye des Pierres et le pillage du 9 juillet 1650 », dans l’ouvrage
collectif, L’ordre cistercien et le Berry, CAHB, 1998.
1890
R. CROZET, L’abbaye de Noirlac et l’architecture cistercienne en Berry, Paris, 1932.
1888
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rapprochement qui pourrait expliquer ce choix architectural. Le cloître est charpenté comme
en témoignent des corbeaux conservés dans l’élévation des murs gouttereaux de la nef
destinés à porter des pièces de charpente.
L’abbaye semble ainsi largement mise à l’écart des études d’histoire de l’art face aux
lacunes des vestiges conservés. Des investigations archéologiques seraient nécessaires pour
retrouver les fondations des bâtiments claustraux et du sanctuaire que nous ne pouvons que
présager d’après des documents d’archives ou des travaux érudits dont la crédibilité peut être
remise en cause. En effet, ils semblent attacher plus d’importance à l’imagerie romantique de
ruines couvertes de lierres qu’à une description précise et minutieuse des vestiges encore en
place. Il nous paraît nécessaire de faire le point sur les élévations observables aujourd’hui.
Historique :
La date de fondation de l’abbaye des Pierres reste sujette à caution et est délicate à
étayer de source sûre. Elle a peut-être été précédée par une communauté d’origine érémitique
mais celui-ci n’a toutefois laissé aucune trace dans les archives. Les sources diffèrent quant
aux circonstances de sa création. La Gallia Christiana en particulier reste très confuse. Elle
l’atteste en 1149 :
« Beata Maria de Petris, ordinis Cisterciensis, filia
monasterii de Albis Petris sub Clara-Valle in parochia S.
Pauli de Sidialles et in archidiaconatu de Castra. Sita
prope Culentum in valle horrida. Fundature anno 1149,
benficio
praesertim
Radulfi
et
Ebonis
Dolensium
principum »1891.
À propos d’Aubepierres, il est toutefois stipulé
« Albae
Petrae,
ord.
Cisterciensis
abbatia,
filia
Claraevallis et Petrarum, in finibus hujus diocesis
fundatur III id junii 1149 »1892.
Les Pierres est présentée tour à tour comme fille ou mère d’Aubepierres. Nous savons
qu’Amblard Guillebaud, fondateur du château de la Roche est attesté comme l’un des
1891
1892
Gallia Christiana, T II, coll 215.
Gallia Christiana, T II, coll 644.
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premiers donateurs. Or son activité diplomatique s’étend de 1075 à 1133, année de son décès.
Durant cette période, il se livre à de nombreuses générosités envers Uzerche notamment. Il
devait donc y avoir des religieux sur le site dès le premier tiers du XIIème siècle. De même,
Raoul de Déols et son fils dotent le monastère primitif, peut-être d’origine érémitique1893.
Raoul meurt en 1135, ce qui atteste l’idée d’une installation avant le rattachement à Cîteaux.
En 1149, elle devient fille d’Aubepierres à l’initiative des seigneurs de Déols, dans la lignée
de Clairvaux. Aubepierres a-t-elle pu prendre l’abbaye des Pierres sous son égide pour lui
redonner un second souffle ? Les textes sont trop succincts pour nous permettre de
répondre1894.
D’après les sources manuscrites, nous savons que les moines des Pierres disposent du
moulin de Chaumont sur l’Arnon, du moulin Portier et de la Phillipaude1895. Le moulin de
l’abbaye est utilisé pour le blanchissage du linge de même que le moulin des Paumes. Le
monastère possède également une tuilerie et des vignes en Bourbonnais1896. Dès 1210, le
moulin de Montlevic est cédé par le chapitre de Plaimpied aux cisterciens des Pierres. Il est
toutefois difficile de localiser ces installations puisque les actes ne précisent guère que le lieudit parfois impossible à identifier dans la toponymie moderne. Le moulin de l’abbaye est
encore indiqué sur la carte IGN, ainsi que le lieu-dit la Phillipaude à cinq cent mètres au sud
du monastère, à la lisière du bois de l’abbaye [Fig. 30 et 51]. De même, le toponyme « Les
Paumes » est conservé au sud-ouest du monastère au bord de la Joyeuse. Nous n’avons pu
retrouver le moulin de Chaumont sur l’Arnon, ni le moulin Portier 1897. Un toponyme « le
Carroir » à l’est de l’abbaye pourrait correspondre à une ancienne carrière de pierres utilisée
par les moines. La carte de Cassini révèle d’autres installations qui ne se sont pas pérennisées
au XXème siècle : le « moulin de la Varenne » est placé au nord de l’abbaye, près du hameau
de Chézelle et pouvait appartenir au monastère. Le hameau de Chaumont (« Chaudmont ») est
signalé au bord de l’Arnon au nord-est de l’abbaye mais aucun moulin ne lui est associé. Un
toponyme « la tuilerie » près de Fédard à quelques kilomètres à l’ouest du monastère
correspond sans doute à l’industrie signalée dans les textes médiévaux mais qui n’apparaît
plus dans la toponymie actuelle.
1893
O. TROTIGNON, « Devenir cistercien en Berry du sud au temps des Croisades, filles et fils de saint Bernard
à l’épreuve du siècle », dans « L’ordre cistercien et le Berry », CAHB, Bourges, 1998, p. 97 ; É. CHENON, « Le
prieuré d’Aignerais, membre de l’abbaye des Pierres », MSAC, 1900, T XXVI, p. 35-55.
1894
M. AUBRUN, « L’abbaye cistercienne d’Aubepierres dans la Marche Limousine des origines au XVIème
siècle » dans Moines, paroisses et paysans, PUBP, 2000, p. 35-37.
1895
AD Cher, 10 H 4.
1896
AD Cher, 10 H 8. Nous savons que Pierre de la Chapelaude donne une vigne à Domérat près de la
Chapelaude dans l’Allier, à quelques kilomètres de Montluçon. AD Cher 10 H 4.
1897
IGN Série Bleue, 2327 O, Châteaumeillant, 1/25000ème.
- 620 -
Nous connaissons une grange de l’abbaye des Pierres située à Aignerais, entre
Champillet et Montlevic à quelques kilomètres à l’est de la Châtre. Elle a été étudiée par
Émile CHENON qui livre un court article sur l’exploitation agricole1898. En 1160, le moulin
d’Aignerais est donné en perpétuelle aumône par Roger V Palesteau. Il est placé sur le petit
ruisseau d’Igneraie. La grange dispose donc de moulins, d’étangs, d’une tuilerie et d’une
chapelle, ce jusqu’en 1791. La chapelle est détruite en 1793. L’étude toponymique ne permet
guère de retrouver ces aménagements1899. La grange proprement dite apparaît par les lieux-dits
« le Petit Igneraie » et le « Grand Igneraie ». Aucun toponyme n’indique un moulin ou une
tuilerie.
En 1464, un statut du Chapitre Général de l’ordre de Cîteaux permet la connaissance
d’une grange de Veillet, simplement citée sans aucune précision supplémentaire1900. L’actuel
hameau de Villers pourrait correspondre à cette exploitation, à quelques kilomètres au nordest des Pierres, mais sans autre indication ou texte à l’appui, il paraît difficile de l’attester. De
même en 1628, un statut fait état d’une transaction entre l’abbé des Pierres et Gilbert le Groin
à propos de la grange de la Bergerie. Les études toponymiques des cartes IGN et de Cassini
n’ont permis de localiser cette exploitation. La même année, l’abbé des Pierres est en contrat
avec Sylvain de Doussat à propos des terres et manses des Bourdans et de la Perousse,
également non localisés1901.
Le patrimoine foncier de l’abbaye des Pierres demeure très délicat à retracer et à
cartographier.
Vestiges archéologiques :
- Abbatiale et bâtiments claustraux :
De l’abbatiale, il reste quelques pans de mur. Le site n’est plus du tout entretenu et
nous ne serions guère étonné si ces seuls témoins venaient à disparaître dans les années à
venir. Une vingtaine d’éléments lapidaires cernent la terrasse de la petite maison, derniers
indices sur le voûtement et les supports du monastère cistercien. Quant aux aménagements
hydrauliques et aux granges, quelques lieux-dits évoquent encore les anciennes installations
agricoles et moulins.
1898
É. CHENON, « Le prieuré d’Aignerais, membre de l’abbaye des Pierres », Mémoires de la Société des
Antiquaires du Centre, 1900, T XXVI, p. 35-55.
1899
IGN Série Bleue, 2227 E, La Châtre, 1/25000ème.
1900
J. M. CANIVEZ, Statuta…, op. cit., T V, 1464-65.
1901
J-M. CANIVEZ, op. cit, T VII, 1628- 103, 112.
- 621 -
Les plans cadastraux peuvent nous apprendre sur l’organisation du monastère [Fig.
718 et 719]. Le cadastre napoléonien (section D) montre quatre bâtiments autour d’un cloître
(carré du cloître parcelle 479, bâtiment nord parcelle 497, bâtiment ouest parcelle 496,
bâtiment sud parcelle 472). Néanmoins, le cadastre actuel ne permet plus d’observer ces
structures dont il ne reste que quelques assises en élévation. Le nom de « L’abbaye des
Pierres » est cependant maintenu (section AN).
Les vestiges de l’abbatiale ne se remarquent pas de prime abord. Les ruines
appartiennent à une propriété privée. Nous pénétrons par une vaste arche en plein-cintre aux
beaux claveaux de granite qui remploient peut-être des éléments de l’abbaye médiévale.
Quelques éléments lapidaires sont disposés autour d’une terrasse. Un inventaire en est
présenté ci-dessous. En contre-bas de cette terrasse, un petit portillon permet l’accès à un
champ en friches au milieu duquel est conservé un pan de mur, seul vestige du sanctuaire
médiéval correspondant au mur gouttereau sud [Fig. 721]. Il est quasiment inaccessible et
délicat à photographier. Le parement nord se compose de moellons de schiste liés d’un
mortier relativement gras avec beaucoup de chaux. Des chaînages horizontaux sont de pierres
de taille en grès. Un percement est encore discernable mais les piédroits en sont très dépecés
et ne permettent pas de connaître le profil de la baie [Fig. 722 à 724]. Ils comprennent des
vestiges de briques, témoignant de remaniements certains de cette ouverture. BUHOT DE
KERSERS décrivait ici une baie au linteau clavé. Une pierre d’appui-fenêtre retrouvée dans
l’ancienne cour du cloître laisserait effectivement présager l’existence de baies ébrasées. Nous
avons en effet déjà eu l’occasion d’observer ce type d’éléments lapidaires à l’abbaye de
Prébenoît. Nous les avions datés du premier tiers du XIIIème siècle en comparaison avec la
baie en plein-cintre conservée dans le mur gouttereau nord de l’abbatiale marchoise1902. La
mise en œuvre est modeste et semble plus correspondre à des qualifications de maçons que de
tailleurs de pierre. Le parement du côté sud est en grande partie enduit et ainsi difficile à
étudier. Il présente trois corbeaux de grès, nus et très érodés qui devaient correspondre au
couvrement de la galerie nord du cloître médiéval charpenté [Fig. 725]. Le plan au sol a été
observé lors d’une investigation des Monuments Historiques1903. La nef unique mesure 6.50m
de large, ce qui correspond à peu près aux dimensions de la majorité des celles
grandmontaines. Le chevet plat voûté en berceau est flanqué de part et d’autre d’une chapelle,
confirmant les descriptions érudites.
1902
I. PIGNOT, op.cit, p. 129. Le piédroit de la baie des Pierres mesure 11cm de large et est conservé sur 24cm
de haut et 42cm de large.
1903
Inventaire topographique réalisé en 1995 par Annie CHAZELLE (numéro de notice IA18000204).
- 622 -
À l’ouest, à un mètre environ du mur de la nef, un pan de mur est sans doute un
vestige du logis abbatial décrit en 1789. Il se constitue de moellons de schiste. Un corbeau nu
devait appartenir de même au couvrement du cloître.
La tour à l’angle sud-ouest est encore observable [Fig. 726 à 728]. Deux murs
parallèles sont conservés. Les parements sont là encore de schiste. Des chaînages horizontaux
présentent de beaux blocs de grès taillés en moyen appareil régulier. Des trous d’encastrement
de poutres quadrangulaires réguliers marquent les divisions en plusieurs étages 1904. Sur les
quatre étages décrits dans les travaux érudits, n’en demeurent que deux aujourd’hui. Nous
pouvons observer le départ d’un mur vers l’est en moyen appareil régulier de grès qui
correspond peut-être au bâtiment sud du cloître [Fig. 729]. D’après les textes, il s’agirait du
réfectoire et d’un lieu d’accueil pour les voyageurs. L’intérieur de la tour est presque
entièrement enduit. Les chaînages horizontaux sont là encore très visibles. Dans la paroi
ouest, à l’extrémité sud, une petite cavité moulurée peut correspondre à la niche d’une
statuette.
À l’angle opposé, au sud-est de l’abbatiale, un pan de mur très ruiné surplombe la
vallée de la Joyeuse. Il pourrait s’agir d’une petite pièce placée à l’extrémité du bâtiment sud
du cloître. Les parements sont de schiste exceptés les chaînages en moyen appareil de grès 1905.
La paroi est conserve les traces d’une baie très dépecée. Au sud, une cavité voûtée en pleincintre ouvre sur une baie étroite à fort ébrasement interne. Nous ne connaissons pas à l’heure
actuelle la fonction de cette petite salle. Il s’agissait peut-être d’un lieu d’accueil pour les gens
de passage.
Au niveau du bâtiment est, les trois caves voûtées évoquées par les érudits locaux sont
encore observables, presque entièrement comblées aujourd’hui. Selon BUHOT DE
KERSERS, elles permettaient de compenser la déclivité du terrain. La plus au sud présente
encore des marches d’escalier et un vestige de voûte concrète en schiste [Fig. 732].
Du bâtiment est qui devait correspondre au dortoir des moines demeure un mur en
« L » présentant encore des vestiges de cheminée, ce qui attesterait de la destination de cette
salle comme lieu de repos des moines. Le foyer circulaire irait dans le sens d’une datation des
années 1180-1220 [Fig. 730, 731 et 733].
À quelques mètres du mur gouttereau de la nef, un muret très ruiné pourrait être un
vestige de l’escalier évoqué dans les textes, jouxtant la chapelle sud de l’abbatiale. La mise en
œuvre est toujours la même et recourt à un parement de schiste et des chaînages de grès.
1904
1905
Ces trous de boulins mesurent 29 par 20cm.
Les carreaux sont généralement de 51 par 32 cm.
- 623 -
-
Éléments lapidaires :
Ces témoins sont bien ruinés pour permettre de comprendre l’organisation des
bâtiments conventuels et ce n’est qu’en associant études de bâti, sources historiques et
érudites que nous pouvons mieux identifier les élévations observées. Les vestiges paraissent
toutefois pauvres pour connaître la mise en œuvre et les différentes étapes de construction et
de reconstruction du monastère berrichon. Toutefois, les éléments lapidaires en granite
présents sur le site peuvent aider à une tentative de reconstitution de l’abbaye des Pierres.
L’usage du granite s’explique par l’implantation de l’abbaye sur un sol hercynien. Le lieu-dit
« Le Carroir » à quelques kilomètres à l’est de l’abbatiale pourrait évoquer une ancienne
carrière.
Des tambours de colonnes, des chapiteaux, des bases livrent des indices sur le cloître
sans doute reconstruit au XVème siècle comme celui de Prébenoît, Bonlieu et Varennes. En
effet, de nombreux éléments lapidaires sont conservés sur la terrasse ou remployés dans un
petit muret de la propriété privée englobant l’ancien site monastique. Ils sont de granite fin
avec relativement peu d’inclusions. Si les parements de l’abbatiale sont majoritairement de
moellons de schiste, les éléments de supports (bases, chapiteaux) et d’ogives utilisent un
matériau plus résistant, se prêtant mieux à la taille que le schiste qui éclate sous le ciseau du
sculpteur.
Deux claveaux de nervure d’ogives sont préservés au bas d’un petit escalier de pierres
[Fig. 734]. Le tore de 12cm de diamètre ne dispose pas d’amande. Il est simplement souligné
par un très léger cavet. Ce type de modénature pourrait correspondre à une datation de la fin
du XIIème au début du XIIIème siècle. Un autre claveau est conservé au niveau de la porte
d’entrée de la propriété. Il est mieux conservé sur 34cm de long. Le tore est également de
12cm de haut et peut donc être associé aux deux éléments précédemment cités. Certains
fragments conservés à l’abbaye de Prébenoît présentent des dimensions très similaires1906.
Quelle partie de l’édifice était voûtée d’ogives ? René CROZET précise que le chevet plat et
la chapelle méridionale du transept disposaient d’un berceau brisé. Le cloître était charpenté
comme le signalent les corbeaux destinés à porter des pièces de charpente conservés dans le
mur de la nef, aujourd’hui en partie disparus1907. Les ogives couvraient alors peut-être plutôt
un bâtiment conventuel, l’ancienne salle capitulaire ou autres aménagements monastiques.
1906
1907
Des claveaux de nervure d’ogives disposent d’un tore de 15cm de diamètre conservés sur 32cm de long.
R. CROZET, L’abbaye de Noirlac et l’architecture cistercienne en Berry, Paris, 1932.
- 624 -
Toutefois, nos minces connaissances sur l’organisation de l’abbaye ne peuvent nous permettre
de conclure.
Les éléments de supports sont très nombreux. Neuf bases de colonnes sont soulignées
de cavets de 8cm de large qui permettent des jeux de lumière [Fig. 736]. Elles mesurent 34cm
de haut pour une longueur de 40cm. Leur profil évoque les piliers octogonaux des cloîtres de
Prébenoît et de Bonlieu1908. Elles pourraient ainsi également correspondre à une réfection du
cloître au XVème siècle. Elles recourent au même granite gris relativement fin. Elles sont
associées à des chapiteaux de profil identique [Fig. 735]. Ils se divisent en trois niveaux
successifs horizontaux de moins en moins larges, individualisés par d’épais cordons. Six sont
conservés à l’abbaye même, un autre est déposé dans une propriété privée de Rancier à
quelques kilomètres au nord. Ils mesurent 32cm de haut, 40cm de long et 31cm de large1909.
Certains sont très érodés. En considérant qu’un pilier dispose d’une base, de trois tronçons de
la même hauteur que les bases et d’un chapiteau, auxquels s’ajoutent des joints d’1.5cm
d’épaisseur, nous pouvons envisager des piliers d’1.76m de haut. Ce sont les mêmes
dimensions que pour les piliers du cloître de Prébenoît. Toutefois, ne connaissant pas les
dimensions des galeries du cloître des Pierres, il nous est impossible de savoir combien de
piliers étaient nécessaires. Un élément de nervure peut être associé à ces piliers de cloître [Fig.
740]. En effet, sa largeur est de 32cm. Elle correspond à celles des bases étudiées. Les cavets
qui le soulignent mesurent 8cm de large comme ceux des piliers de cloître. Il pourrait s’agir
du départ d’une des arcatures du cloître. Un fragment de linteau de baie est également
préservé. Il dispose d’un double ébrasement. L’écoinçon est conservé, souligné d’une bordure
légèrement surhaussée. Cet élément est trop lacunaire pour pouvoir déterminer s’il s’agissait
d’une baie brisée ou en plein-cintre. Une datation serait également hasardeuse [Fig. 738 et
739].
Un modillon à figure humaine est conservé [Fig. 737]. Il est très érodé, c’est pourquoi
il nous est impossible de préciser l’identité du personnage. Les cheveux sont représentés par
de fines gravures. Nous distinguons les plissés d’un vêtement. Les ciselures sont marquées et
profondes. Cette figure déroge à la Règle cistercienne d’austérité et de dépouillement. Il n’y
aurait pas de refus total de l’image, même si elle n’apparaît que timidement, aux marges de
l’édifice (modillons). Quant à sa provenance, nous savons que les pièces de charpente du
cloître reposaient sur des corbeaux. Il pourrait peut-être s’agir de l’un de ces éléments.
1908
Les modules de Prébenoît sont cependant plus importants (55cm de long).
En comparaison, les chapiteaux octogonaux de Prébenoît mesurent 34cm de haut, 51cm de long et 34cm de
large. I. PIGNOT, op.cit, p. 94.
1909
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Un petit muret remploie trois éléments intéressants pour notre étude, un fragment de
borne [Fig. 743], un claveau d’arc [Fig. 742] et une pierre longitudinale présentant une
inscription sous une frise de losanges que nous n’avons toutefois pas pu déchiffrer face à son
très mauvais état de conservation. Il pourrait s’agir du linteau d’une porte (67cm de long,
20cm de haut pour 13cm de large) ou plus sûrement d’une plate-tombe relevant sans doute du
XIVème siècle [Fig. 741]. Toutefois, nous ne saurions envisager une datation pour cet
élément totalement extrait de son contexte. Ainsi, l’abbaye des Pierres peut être mieux
appréhendée grâce à ces éléments lapidaires épars dont les conditions de conservation ne sont
pas toujours optimales. Nous connaissons mieux les types de supports utilisés ainsi que le
mode de voûtement. Un modillon permet d’envisager la présence d’une figuration dans un
cadre cistercien pourtant souvent caractérisé par des tentations au refus de l’image
(prédilection pour les corbeilles lisses, les culots nus).
-
Aménagements hydrauliques et granges :
Nos prospections n’ont malheureusement guère révélé de vestiges des aménagements
agricoles et artisanaux des moines cisterciens des Pierres. Les plans cadastraux restent de plus
relativement muets quant aux biefs et canaux et ne feront donc pas l’objet d’une analyse
particulière.
La grange d’Aignerais est désormais une exploitation agricole moderne qui ne
présente pas de témoins de l’époque médiévale. Le moulin et la tuilerie n’ont pas laissé de
traces. Le moulin de l’abbaye était en contrebas du site, sur le ruisseau de la Joyeuse. Ne
demeure aujourd’hui qu’un petit muret aux parements de schiste et harpages de grès presque
entièrement ruiné. Le mécanisme a complètement disparu. Ce maigre vestige nous permet
simplement de constater que la mise en œuvre est la même que pour l’abbatiale. Quant au
moulin des Paumes, il a également disparu. Son emplacement peut toutefois être envisagé
d’après une canalisation moderne qui conduit sur quelques mètres à la Joyeuse. Il nous est
ainsi bien difficile de connaître les aménagements pré industriels de cette modeste abbaye
face à la disparition inexorable de vestiges laissés à l’abandon.
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VARENNES
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6. Varennes (commune de Fougerolles, Indre) :
Nous accédons à l’abbaye de Varennes par une route nationale qui traverse la
commune de Fougerolles, à quelques kilomètres à l’est de Neuvy-Saint-Sépulchre. L’ancien
monastère est indiqué par la carte IGN dans un petit vallon sur les rives du Gourdon 1910. La
carte de Cassini matérialise l’implantation cistercienne par le clocher et la crosse habituelle.
Le sigle AB H. SB O.C. est précisé (abbaye d’hommes, saint Benoît, ordre cistercien). Les
vestiges en place peuvent surprendre de prime abord par leur hétérogénéité due aux multiples
reconstructions et réaménagements au fil des siècles [Fig. 744 et 745].
De cette abbaye royale placée sous la protection des rois Plantagenêts en 1155
demeure l’église tronquée de plusieurs travées, quelques arcades du cloître, des bâtiments
conventuels très remaniés et un dépôt lapidaire relativement conséquent. Elle est aujourd’hui
divisée entre deux propriétaires grâce auxquels il nous a été permis de visiter l’ensemble des
vestiges.
Sources manuscrites et figurées :
Les vestiges médiévaux concernant l’abbaye de Varennes, les aménagements
hydrauliques, granges et tuileries ne se sont guère préservés et les sources historiques étant
par ailleurs indigentes, nous sommes confrontés à des difficultés pour tenter de reconstituer le
patrimoine foncier du monastère berrichon. Le peu de sources connues sur l’abbaye de
Varennes est essentiellement déposé aux Archives Départementales du Cher à Bourges pour
les périodes médiévale et moderne1911 et aux Archives Départementales de l’Indre à
Châteauroux pour la période moderne1912.
En 1790 est dressé un « état par détail des bâtiments, cours, enclos, près, terres, bois,
vignes et revenus non fonciers du couvent de Varennes ». Les dimensions des bâtiments
monastiques sont données, indications très précieuses pour notre étude même si nous nous
devons de rester prudents face à des mesures prises à la fin du XVIIIème siècle et dont
l’exactitude peut être remise ne cause. Le couvent est alors fermé de murailles. L’église a 65
pieds de long (21m), 30 pieds de large (10m) et 28 pieds de haut (9m). La sacristie mesure 15
pieds de long (5m), 12 de large (4m) et 7 de haut (2m) tandis que le colombier et son petit
1910
IGN série Bleue 2227 O, Neuvy-Saint-Sépulchre, 1/25000ème.
AD Cher, C 761, B 148, E 912, B 3355, E 1860, D 729, Q 639, Q 265, H 739 (n°5).
1912
AD Indre : H 1137.
1911
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jardin attenant disposent de 15 pieds carré (5 par 5m) [Fig. 748 et 749] 1913. C’est l’unique
document d’archives qui permet de connaître l’abbatiale à une époque déjà tardive. Les
informations sont limitées concernant le mobilier de l’abbaye de Varennes. Nous ne savons si
elle a bénéficié elle aussi d’une période d’embellissement durant le XIIIème siècle comme les
sites de Bonlieu ou Prébenoît (adjonction de vitraux, pavements, décors peints). Les lacunes
des sources historiques ne permettent guère de combler les manques des vestiges
archéologiques. Un procès-verbal de 1789 fait état du mobilier et des effets de la sacristie
comprenant de l’argenterie, des chasubles, des chapes, des ciboires, un calice, un encensoir,
une lampe de cuivre argentée, des chandeliers en étain ainsi que trois tableaux représentant la
Vierge, saint Benoît et saint Bernard1914.
Deux pierres tombales sont découvertes en 1875 à l’emplacement de la salle du
chapitre. Elles sont désormais déposées dans le chœur de l’église de Fougerolles. L’une est
illisible, l’autre porte une inscription à l’abbé Jean VI :
« Ci-gît Jean VI, abbé de Varennes, dont la sage
administration dura cinquante-sept ans et qui mourut le
jour du bienheureux Vincent martyr, le 22 janvier de l’an
du seigneur 1328. »
Historiographie :
Les érudits locaux ne se sont pas révélés très prolifiques vis-à-vis de l’abbaye
berrichonne. Seul CHARDON évoque le monastère dans un très court article de quatre
pages1915. Il décrit brièvement une église datant du XIIIème siècle ayant subi de nombreux
remaniements au cours du temps. Il cite LA THAUMASSIÈRE évoquant « les vitres qui
étaient derrière le grand autel du côté de l’épître ». De cet autel et des vitraux, il ne reste rien
aujourd’hui. Au nord, une maison abbatiale relève du XVIIIème siècle (1698-1699). Au sud
demeure un corps de bâtiment jugé antérieur à l’abbatiale et qui sert de logis aux religieux.
Nous pouvons d’ores et déjà douter de l’exactitude de ces datations, ce bâtiment relevant
plutôt de l’époque moderne comme nous aurons l’occasion de le démontrer ci-dessous.
1913
Il est délicat de comparer ces dimensions avec celles d’autres abbatiales étant donné l’amputation de la nef et
la suppression des collatéraux dès le XIIIème siècle qui ont profondément réduit l’édifice.
1914
AD Indre, H 1137.
1915
A. CHARDON, « L’abbaye de Varennes, 1148-1791 », Revue du Berry, 1906, p. 201-205.
- 629 -
CHARDON propose des datations sans toutefois les justifier et qui restent difficiles à
accréditer.
Rares sont les auteurs récents à s’être penchés sur l’abbatiale, sans doute du fait des
sources historiques lacunaires et de vestiges archéologiques délicats à appréhender. Dans son
étude sur Noirlac et les cisterciens en Berry, René CROZET livre néanmoins quelques
indications sur l’architecture de l’abbaye1916. Il ne prend toutefois pas en compte les bâtiments
conventuels disposés au sud de l’abbatiale. Le plan a subi des remaniements certains. La nef
primitive de la fin du XIIème siècle présente d’étroits collatéraux. Pour René CROZET, ceuxci sont probablement voûtés de berceaux brisés transversaux comme à l’abbatiale de Fontenay
(com. Marmagne, Côte-D’Or). Toutefois, cette hypothèse ne s’appuie sur aucune preuve
tangible. Elle repose sur l’idée d’un plan et d’une élévation cistercienne typique reproduite
d’abbayes en abbayes et qui conduirait à une unité des créations artistiques. Nous pouvons
aisément remettre cette théorie en cause face à la diversité des plans cisterciens. Concernant
les collatéraux, Bonlieu par exemple n’en dispose pas, ni l’abbaye des Pierres, ni Boschaud ou
Grosbot, tandis que Prébenoît et Dalon en présentent d’assez larges. Les bas-côtés du
monastère de Varennes sont détruits à une époque difficile à déterminer (époque moderne, en
même temps que la mise à bas du chœur et d’une partie de la nef ?). Ne demeure qu’une nef
unique peut-être plus en correspondance avec une communauté de moines peu nombreuse à
l’époque moderne. Suite à cette destruction, les grandes arcades à profil brisé sont obstruées.
Le vaisseau unique est couvert de voûtes d’ogives sans se soucier des dispositions antérieures.
Les travées actuelles ne correspondent en effet pas aux travées primitives. La nef est
raccourcie à l’ouest en 1777 par décision de l’abbé Barlien. L’éclairage est assuré par des
baies légèrement brisées ébrasées.
La description de René CROZET est ainsi précieuse. Toutefois, nous pouvons douter
parfois de sa crédibilité et nombre d’hypothèses émises ne sont pas étayées de démonstrations
et de faits archéologiques.
En 1998, un ouvrage collectif sur les abbayes cisterciennes berrichonnes évoque
Varennes1917. L’organisation des bâtiments est précisée. Le réfectoire est parallèle à la galerie
du cloître, à l’inverse de la disposition adoptée à Noirlac. Le logis abbatial, simplement cité
par René CROZET, est construit par François de Castagnière (ou de Chateauneuf), un familier
de la cour de Louis XIV, parrain de Voltaire. Le bâtiment des convers, à l’ouest, borde la cour
du cloître dont le niveau a été surélevé par de multiples remblais. Il conserve dans sa façade
1916
1917
R. CROZET, L’abbaye de Noirlac et l’architecture cistercienne en Berry, Paris, 1932, p. 103.
Abbayes cisterciennes en Berry. Cher, Indre, Itinéraires du Patrimoine, Orléans, 1998, p. 41-43.
- 630 -
une partie des arcades du cloître du XIIIème siècle. Le volume de l’ancien réfectoire est
conservé tandis qu’il ne subsiste rien du chauffoir et de la salle capitulaire. L’église enfin est
décrite avec beaucoup plus de précisions que ne l’avait fait René CROZET. La façade
occidentale dispose d’une porte de facture classique datée de 1741. À droite du pignon, une
porte du XVème siècle donne accès à un bâtiment en appentis. La façade nord présente les
vestiges de trois arcades brisées qui ouvraient sur un bas-côté. Le mur sud dispose des mêmes
traces. Pour l’auteur, cette amputation des collatéraux est sans doute due au fait que l’église
était devenue trop grande pour la communauté, ce dès le XIIIème siècle. Nous n’avons
toutefois aucune preuve que cette mise à bas des collatéraux ait pu intervenir dès le XIIIème
siècle. La nef est voûtée d’ogives et de doubleaux au début du XIIIème siècle. Au XVIIIème
siècle, l’abbé commendataire fait démolir le chœur et le transept en ruines et édifie le pignon
pour refermer la nef amputée. Ne demeurent aujourd’hui de ces aménagements que des
éléments lapidaires épars.
La même année, les Cahiers d’Archéologie et d’Histoire du Berry publient un numéro
spécial sur les moines cisterciens berrichons. Toutefois, les auteurs déplorent que la Colombe,
Aubignac et Varennes n’y soient pas évoquées du fait de leur proximité avec le diocèse de
Limoges. L’étude est axée sur les abbayes plus prestigieuses et mieux conservées du HautBerry1918.
De même, l’ouvrage dirigé par Bernadette BARRIÈRE ne prend pas en compte le
monastère alors que la Colombe et Aubignac font toutes les deux l’objet d’une notice bien
qu’elles relèvent du diocèse de Bourges1919. Les historiens semblent réticents à prendre en
compte le monastère du Boischaut face à l’indigence des sources manuscrites et à la difficulté
d’étude des vestiges encore en élévation.
Gilles WOLKOWITSCH livre la synthèse la plus récente sur l’abbaye1920. Il est luimême propriétaire d’une partie des bâtiments (église et logis abbatial), d’où sa passion et son
désir de connaissance tenace. Il insiste sur la difficulté de son analyse puisque les bâtiments
ont subi des transformations multiples. Il précise de nouveau les dimensions de l’église qui ne
coïncident pas tout à fait à celles données en 1790. À l’origine, elle mesurait 40m de long par
16m de large et 14m sous les voûtes1921. Aujourd’hui, elle ne dispose plus que de 20m de long,
7.50m de large et 9m de haut. Ces dimensions l’apparentent plus à une celle grandmontaine.
Les collatéraux sont supprimés après l’achèvement du cloître puisque le plan de celui-ci tient
1918
« L’Ordre cistercien et le Berry », CAHB, n°136, 1998, p. 218.
B. BARRIÈRE, op. cit.
1920
G. WOLKOWITSCH, L’abbaye royale Notre-Dame de Varennes, Lancosme Multimedia, 2004.
1921
Ces dimensions évoquent celles de l’Escale-Dieu (44 par 14.50m) ou encore Sénanque (38.50 par 17.80m).
1919
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compte de la présence de bas-côtés. Le cloître médiéval relève vraisemblablement du premier
tiers du XIIIème siècle (chapiteaux lisses, profil des bases). En 1741, la façade occidentale est
remaniée, le chœur abattu en 1777. Peut-être les collatéraux sont-ils mis à bas à cette même
époque ? La communauté très restreinte et des revenus moindres ne permettant pas l’entretien
coûteux des bâtiments ont sans doute conduit les moines à ces modifications. En 1777, les
voûtes abaissées de la nef sont reconstruites, remployant des claveaux de nervure d’ogives
médiévaux. Il précise qu’en 1790, lors de l’inventaire révolutionnaire, deux chapelles latérales
et le transept sont encore debout. Le transept et le chevet ayant été détruits, il paraît difficile
d’étayer cette hypothèse par l’analyse de vestiges trop ruinés. Des fouilles archéologiques
seraient nécessaires afin de préciser le plan de cette abbatiale.
L’auteur étudie ensuite les bâtiments conventuels. La salle capitulaire et le dortoir ont
disparu. Le réfectoire disposait au nord d’une porte d’accès sur le cloître, au sud de quatre
baies à profil brisé. L’aile des convers est transformée en maison du prieur. La façade sur le
cloître dispose selon lui de fenêtres romanes à l’étage qui correspondait au dortoir. Toutefois,
étant donné les remaniements du bâtiment en 1725, nous pouvons douter que ces fenêtres
relèvent des XIIème et XIIIème siècles. Il ne reste plus beaucoup de vestiges du cloître
médiéval édifié au début du XIIIème siècle. Trois galeries sont abattues au début du
XVIIIème siècle. Les pierres sont laissées directement sur place d’où le rehaussement du sol.
Un puits est encore conservé au centre de la cour actuelle. La galerie ouest est transformée en
couloir en 1725. Les arcades sont comblées pour servir de mur extérieur à la maison du
prieur. En 1698, la maison de l’abbé est construite. Elle récupère des pierres des collatéraux.
Les communs sont sans doute réalisés dans la foulée.
L’étude de Gilles WOLKOWITSCH est donc réellement essentielle pour notre propre
analyse. Elle fait le point des connaissances sur le monastère aussi bien d’un point de vue
historique que sur les vestiges encore en place. Toutefois, il semble nécessaire d’affiner
certaines datations et de discuter de certaines hypothèses émises par l’auteur.
En octobre 2006 est menée une étude sur les décors peints des parties hautes de
l’abbatiale. Elle est dirigée par Mme Edwige BRIDA, restauratrice de peintures
monumentales (maîtrise d’œuvre Laurent DELFOUR, Architecte des Bâtiments de France,
maîtrise d’ouvrage M. WOLKOWITSCH). Ce rapport livre l’analyse des enduits et badigeons
anciens avant crépi. Grâce à cette étude, nous pouvons ainsi distinguer les enduits anciens des
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apports du XVIIIème siècle lors de la réfection des voûtes. Des photos de détail permettent
également d’envisager le décor des clés de voûtes particulièrement intéressant car figuré1922.
Historique :
En 1148, l’abbaye de Varennes est fondée par Ebbes de Déols qui incite des moines de
Vauluisant (com. Courgenay, Yonne) à s’installer sur ses terres. Nous ne connaissons pas de
mentions textuelles d’un ermitage primitif sur le site. En 1155, un différend éclate entre Ebbes
de Déols et Garnier de Cluis. Les deux seigneurs se proclament fondateurs de l’abbaye.
L’affaire est portée devant leur suzerain Henri II. Pour mettre fin aux tergiversations, celui-ci
se proclame seul fondateur et protecteur1923.
Outre cet épisode lié à la fondation, nous ne savons que très peu de choses concernant
les premiers temps de l’abbaye de Varennes étant donné l’indigence des fonds documentaires.
Sa fondation en 1148 détermine probablement le début de la constitution de son patrimoine
ainsi que l’amorce de la mise en œuvre du monastère. Les vestiges conservés au niveau de la
galerie du cloître laissent présager que les bas-côtés ont été supprimés après l’achèvement du
cloître, édifié dans le premier tiers du XIIIème siècle comme l’atteste la présence de
chapiteaux lisses1924. Selon René CROZET, la mise à bas des collatéraux et l’obstruction des
grandes arcades auraient pu intervenir dès le XIIIème siècle. Cette hypothèse est toutefois
difficile à justifier. Pourquoi cette restriction dans le parti architectural si peu de temps après
la fondation ? Le projet prévu au moment de la création cistercienne était-il démesuré pour
une communauté ne bénéficiant que de peu de revenus, trop modeste et insuffisamment dotée
pour financer une construction ambitieuse1925 ? Nous penchons plutôt pour une destruction des
collatéraux à l’époque moderne, en même temps que les réfections de la nef.
Les granges de Varennes sont relativement méconnues. Nous savons qu’elle dispose
dès sa fondation en 1148 des exploitations de Séchet (aujourd’hui «le Sachet » à un kilomètre
à l’ouest du monastère), des Bergeries (au sud de Varennes), de l’Abbé (à 300m au nord), de
l’Augère (à quelques kilomètres au nord-est de Cluis) et de Guéchaussiot (à quelques
kilomètres au nord au bord du ruisseau du Gourdon) [Fig. 94]1926.
1922
E. BRIDA, Indre, Fougerolles, abbaye de Varennes, étude des décors peints, octobre 2006, 28p. (non
publié).
1923
A. CHARDON, « L’abbaye de Varennes, 1148-1791 », RB, 1906, p. 201-205.
1924
G. WOLKOWITSCH, op. cit, p. 8.
1925
R. CROZET, L’abbaye de Noirlac et l’architecture cistercienne du Berry, Paris, 1932, p. 111.
1926
A. CHARDON, op. cit, p. 201-205 ; G. WOLKOWITSCH, op. cit. Pour l’Augère, voir carte IGN Série
Bleue 1/25000ème, 2127 E, Cluis.
- 633 -
En 1294, Guillaume de Chauvigny affranchit de tous droits et coutumes les métairies
des Bergeries, de Séchet et de Guéchaussiot appartenant aux moines. Au sud-est de l’abbaye,
à quelques kilomètres au-delà du bourg de Fougerolles, un lieu-dit « les granges » pourrait
aussi évoquer une exploitation monastique [Fig. 35 et 53]. La carte de Cassini révèle
également un toponyme « les granges » à quelques kilomètres au nord de Varennes à
proximité d’un lieu-dit « le Quaroi » qui correspondrait peut-être à une ancienne carrière. Il
est vraisemblable que ces cisterciens pratiquent l’élevage du fait de la proximité de cette
bergerie. En 1194, un acte précise que l’abbé de Varennes échange des biens avec SaintSulpice-de-Bourges pour regrouper ses propriétés1927. Ces trois exploitations agricoles sont
très proches de l’abbaye même. Nous pouvons supposer que les moines possèdent des terres
plus éloignées mais les quelques actes conservés ne nous permettent guère d’en faire état.
L’abbaye dispose d’un moulin sur le site même de Varennes, du moulin Doué, du moulin des
Mares (tous les deux sont situés au nord de Neuvy-Saint-Sépulchre) et du moulin de
Guéchaussiot qui sont encore présents dans la toponymie actuelle1928. Toutefois, il est vain
d’espérer reconstituer le patrimoine de l’abbaye berrichonne uniquement sur une étude
toponymique et des quelques actes disponibles.
Vestiges archéologiques :
Les bâtiments aujourd’hui préservés en élévation méritent une étude approfondie, qu’il
s’agisse des élévations, des supports, voûtements, des matériaux de construction afin de
proposer des datations plausibles pour la construction et les remaniements successifs. Cette
tâche est toutefois malaisée face aux bouleversements subis par le monastère. De plus, une
restauration récente (octobre 2006) a permis le badigeonnage des parements et voûtements
internes de l’église, avant que des relevés d’élévation aient pu être entrepris. Une grande
partie de l’information est ainsi perdue et nous établirons donc notre étude sur les
observations et photographies menées avant restauration.
De nombreux éléments lapidaires issus de l’abbatiale et du cloître médiéval sont
conservés sur le site mais n’avaient jamais fait l’objet à ce jour d’un inventaire complet. Nous
avons donc tenté ici d’inventorier un certain nombre d’éléments pouvant aider à la
1927
1928
AD Indre, H 1137.
IGN Série Bleue, 2227 O, Neuvy-Saint-Sépulchre, 1/25000ème.
- 634 -
compréhension et la connaissance des voûtements, supports et décors méconnus de l’abbatiale
et du cloître notamment1929.
Les aménagements hydrauliques n’ont été que peu conservés et nos prospections
auprès des divers moulins possédés par les moines et indentifiables sur les cartes IGN
actuelles se sont révélées décevantes.
Les plans cadastraux n’apportent que de minces éléments de réflexion. Il y a en effet
peu d’évolution entre le cadastre ancien1930 et le cadastre actuel [Fig. 746 et 747]1931.
-
Abbatiale :
Le plan de l’église comporte une nef, deux collatéraux, un transept saillant présentant
vraisemblablement deux chapelles latérales (une par bras du transept ?) et un chevet plat. Ne
demeurent aujourd’hui que trois travées de la nef sur les quatre originelles.
La façade occidentale est entièrement remaniée au XVIIIème siècle [Fig. 750]. Elle se
caractérise par un haut pignon. La pente de la toiture à deux versants est fortement prononcée.
Elle est couverte de petites tuiles plates. Cette façade est scandée de deux contreforts très
saillants aux soubassements plus larges. Les parements sont en moyen appareil régulier de
calcaire assemblés pratiquement sans mortier. Le monastère est implanté à la limite entre un
sol de granites, d’argiles et de grès si on se réfère à la Carte Archéologique de la Gaule1932. Le
calcaire a donc pu être importé d’une carrière plus éloignée. La porte d’entrée actuelle dispose
d’un arc en anse de panier datée de 1741. Elle ne correspond pas à la réalité médiévale
comme en témoignent les nombreux rattrapages des assises au niveau des piédroits. La baie
percée dans le pignon présente un profil légèrement brisé. Elle remplace une baie beaucoup
plus large et haute comme le prouve le comblement de petit appareil irrégulier encore
observable.
Les murs gouttereaux de l’abbatiale témoignent des réaménagements successifs. Le
mur gouttereau nord présente à son extrémité ouest une section entièrement remaniée, au
niveau du contrefort de la façade occidentale [Fig. 751]. Le moyen appareil régulier de
calcaire gris se constitue de modules ne semblant guère correspondre à des réalités
médiévales1933. À cette partie succède à l’est sur un mètre de large une section de moellons de
1929
99 éléments ont ainsi été inventoriés et seront présentés à la fin de cette étude.
Section A. Les bâtiments monastiques occupent les parcelles 380, 381, 382, 383, 385.
1931
Section A. L’église et le logis de l’abbé occupent la parcelle 693, le cloître parcelle 696.
1932
G. COULON, J. HOLMGREN, Carte archéologique de la Gaule, Indre, Paris, 1992.
1933
Module : L 35cm ; l 6cm ; h 15cm.
1930
- 635 -
tout venant en grande partie enduite ne correspondant vraisemblablement pas à la mise en
œuvre médiévale mais à une réfection moderne. Les vestiges de trois grandes arcades sont
ensuite visibles. Elles séparaient les anciens bas-côtés de la nef et sont désormais rebouchées.
Elles se constituent d’une alternance de claveaux larges et étroits qui paraissent en partie
refaits. La première arcade est comblée de petits moellons irréguliers, presque entièrement
enduits, ce qui ne facilite pas la compréhension des remaniements successifs. Elle est percée
dans son tiers inférieur par deux portes aux arcs surbaissés. Les arcs de ces deux ouvertures
sont clavés en plate-bande. Les clés en sont saillantes, attestant une réfection tardive (des
baies similaires ont été observées à Bonnaigue et correspondent aux réfections du XVIIIème
siècle). La présence de ces clés saillantes attesterait ainsi l’hypothèse de collatéraux mis à bas
dans la seconde moitié du XVIIIème siècle en même temps qu’une partie de la nef et le
chevet. Les piédroits sont en belles pierres de taille réutilisant sans doute des éléments
médiévaux. La clé de la deuxième ouverture porte la date de 1741, comme pour la façade
occidentale et prouve donc certains aménagements et reconstructions menées par les abbés
commendataires de Varennes. Ces deux portes sont désormais comblées en petit, voire moyen
appareil régulier.
Le parement entre les deux premiers arcs brisés est en moyen appareil régulier de
qualité vraisemblablement médiéval. Cet espace mesure deux mètres de long environ. Au
centre de cette section, nous pouvons observer les vestiges d’un harpage pouvant
correspondre à l’arrachement d’un ancien contrefort faisant le pendant des deux contreforts
conservés au mur gouttereau sud. Cet arrachement est aujourd’hui comblé par de petits
moellons.
Le deuxième arc brisé ouvrant originellement sur le bas-côté nord est interrompu
aujourd’hui par une baie en plein-cintre largement ébrasée, sans doute percée lors de
l’abattement des collatéraux. La nef devait dès lors comporter un éclairage direct permis par
ces nouveaux percements. Cette baie présente un arc clavé dont la clé est saillante. Cet
élément ferait pencher pour une datation moderne de la baie (XVIIème-XVIIIème siècles),
témoignant de remaniements concomitants de la réfection de la façade et des portes du mur
gouttereau sud1934. Nous retrouvons en effet les mêmes baies en plein-cintre et à clé saillante à
l’abbatiale de Bonnaigue, datées de 1738.
Ce deuxième arc est comme le précédent comblé de pierres en petit appareil
témoignant d’une tendance à la régularité. Dans son tiers inférieur, le parement est percé
1934
Voir C. ANDRAULT-SCHMITT dans B. BARRIÈRE (dir.), Moines en Limousin…, op. cit., p. 53 pour la
datation des clés saillantes.
- 636 -
d’une porte moderne disposant d’un arc en plate-bande. Certains claveaux et piédroits
présentent des traces de boucharde attestant de la datation tardive de cette ouverture relevant
elle aussi probablement du XVIIIème siècle.
Entre le deuxième et le troisième arc, une section de deux mètres environ bâtie en
moyen appareil régulier présente des traces d’arrachement de blocs pouvant correspondre soit
à un second contrefort, soit au grand portail édifié au début du XIXème siècle dans
l’écartement de la troisième arcade lors de la transformation de l’église en grange. Ce portail
charpenté est détruit depuis 1980.
Le troisième arc n’est presque plus discernable aujourd’hui du fait de l’enduit qui le
recouvre. Il est entièrement comblé d’un parement de petit appareil régulier. Il est surmonté
d’une baie en plein-cintre sans clé saillante. Les parements recevant l’arc à l’est sont de
moyen appareil régulier dont les carreaux semblent médiévaux1935. L’extrémité est du
gouttereau nord se constitue d’un petit appareil excepté pour le harpage d’angle et le
contrefort d’angle en moyen appareil régulier. Les deux contreforts de la façade orientale
ainsi que ceux de la façade occidentale correspondent vraisemblablement à des réfections
modernes peut-être datées du XVIIIème siècle en même temps que les remaniements de la
façade et de percements du gouttereau nord.
Les parties supérieures du gouttereau nord (quart supérieur) présentent des tentatives
d’organisation du parement avec certaines assises en moyen appareil régulier, alternant avec
des moellons et blocs de petit appareil. Ces harpages horizontaux de bel appareil sont surtout
visibles entre les deux baies en plein-cintre. Ce parement est surmonté d’une corniche aux
corbeaux nus. Un seul présente une mouluration torique. Au-dessus du premier arc ouvrant
sur les anciens collatéraux, deux corbeaux sont conservés, appartenant peut-être à une
ancienne charpente. La couverture actuelle aurait donc pu être rehaussée.
Le mur gouttereau sud est beaucoup plus difficile à appréhender puisqu’un bâtiment
en appentis s’est greffé sur sa partie occidentale, tandis que de petits bâtiments agricoles
servant de remise occupent son extrémité orientale. Nous pouvons toutefois observer la
présence de baies identiques à celles du gouttereau nord ainsi que deux contreforts en moyen
appareil régulier [Fig. 757].
Le pignon oriental remplace le chevet abattu à la fin du XVIIIème siècle, suite à la
destruction des bras du transept [Fig. 755]. Ceux-ci sont encore cités lors de l’inventaire du
1935
47 par 41cm.
- 637 -
monastère en 1790 ainsi que les « deux chapelles latérales de l’église »1936. Il se compose d’un
moyen appareil irrégulier scandé de deux gros contreforts. Il est percé d’une petite baie
ébrasée au profil légèrement brisé qui pourrait constituer un remploi de l’époque médiévale.
Une partie du chevet médiéval est préservée, très ruinée et entièrement prise dans la
végétation [Fig. 754]. L’emprise du chevet plat est encore discernable dans le paysage. Nous
pouvons observer la présence d’une pile cruciforme renforcée de dosserets à l’angle du chevet
et du bras sud du transept. Elle est bâtie en moyen appareil régulier de qualité1937. Elle est
conservée sur quatre assises et repose sur un soubassement. La présence de cette pile
cruciforme nous ferait plutôt pencher pour un simple voûtement du chœur en berceau, les
ogives nécessitant généralement des supports plus complexes avec colonnes engagées. Le
parement sud du chevet est par ailleurs en petit appareil régulier.
Les parties internes sont également très bouleversées. Nous avons heureusement eu la
chance de pouvoir les observer avant la pose du badigeon en octobre 2006. Toute étude de
bâti est aujourd’hui de fait impossible. Les parements sont en moyen appareil régulier. Nous
distinguons encore les vestiges d’arcatures au profil brisé qui ouvraient sur les collatéraux.
La nef est désormais voûtée d’ogives présentant un profil en amande. En 1777, les
voûtes sont en grande partie remontées, d’où les discordances actuelles visibles au niveau des
peintures des nervures. La composition des décors est en effet souvent dissociée. Des
décalages nets sont visibles dans les décors peints, observables en lumière rasante. Certains
claveaux d’arcs ont également été retaillés (travées 1 et 2). La maçonnerie des voûtes est
couverte d’un enduit de terre marquée par des lattes correspondant au banchage des voûtes
lors de leur construction. Cet enduit est recouvert d’un second enduit gris à granulométrie
variable de 2 à 3cm d’épaisseur, puis de deux badigeons de chaux superposés. À la rencontre
des ogives, des clés de voûtes sont ornées de feuillages ou de figures humaines schématiques,
soulignées de peintures noires et vertes [Fig. 753] 1938. L’étude d’Edwige BRIDA permet de
mettre en évidence la présence de décors peints médiévaux (fin XIIème-début XIIIème
siècles), encore conservés sur certains arcs (arc nord) et constitués d’une polissure de chaux
puis de faux joints sur filets blancs, sur un fond jaune. Les nervures et les clés témoignent
également de cette polissure de chaux puis d’un décor jaune et rouge vif.
Les voûtes sont scandées de doubleaux ornés d’ogives à listel. Les nervures reposent
sur quatre culots en encorbellement surmontés de chapiteaux finement gravés [Fig. 752]. Ils
1936
G. WOLKOWITSCH, op. cit, p. 8.
Module : L 61cm, h 40cm, l 39cm.
1938
E. BRIDA, Indre, Fougerolles, abbaye de Varennes, étude des décors peints, octobre 2006, p. 6.
1937
- 638 -
ne sont pas nus comme souvent dans les sites cisterciens (travée droite du chœur du monastère
de Bellaigue, com. Virlet, Puy-de-Dôme ; nef de l’abbatiale d’Obazine). Les culots
proprement dits présentent des motifs géométriques discrets gravés dans un calcaire très fin et
délicat (coquille, pointes de diamants). Les chapiteaux se caractérisent par un astragale très
peu prononcé, un tailloir épais à double ressaut. Les quatre corbeilles présentent des motifs
variés. L’une est couverte de croisillons décorés de demi-cercles. L’une très endommagée
dispose de crosses d’angles et de feuilles de chêne entremêlées. Les deux dernières adoptent
des feuilles plates nervurées, très géométrisées et qui semblent bien peu naturelles. Si les
décors sont admis dans cet édifice, ils sont soit géométriques, soit feuillagés, très simplifiés,
mais la figure n’apparaît que sur les clés de voûtes.
Ce voûtement correspond-il au projet initial ou à des remaniements tardifs ? La
présence d’ogives à listel irait dans le sens d’une datation des XIVème-XVème siècles tandis
que les amandes pérennisent des réalités des années 1200. Les traces de peinture similaire à
celles des réfections du cloître aux XIVème-XVème siècles corroborent cette datation du bas
Moyen-Âge. Des clés de voûtes ornées de végétaux ne correspondent guère aux premiers
temps austères de l’ordre cistercien dans les années 1180-1220. Il nous paraît ainsi clairement
que ces voûtes ont été entièrement refaites. Elles remplacent le voûtement primitif à un niveau
moins élevé de cinq mètres environ. Nous pouvions encore observer dans les combles de
l’église, au-dessus des voûtes actuelles, les chapiteaux qui supportaient les voûtes initiales1939.
De nombreux éléments lapidaires conservés dans l’abbatiale présentent des claveaux
de nervure d’ogives au profil en amande. Dans le dépôt lapidaire qui jouxte l’abbatiale, nous
avons également inventorié des claveaux de nervures d’ogives très érodés. Les tores ont un
profil en amande, élément commun aux espaces Plantagenêt et cistercien. Nous l’observons à
Dalon où les claveaux se caractérisent par un tore en amande avec deux moulurations
latérales. Une variante de ce profil existe déjà à Pontigny (com. Pontigny, Yonne). À
Fontmorigny également (com. Ménétou-Couture, Cher), un claveau isolé déposé dans le
réfectoire des convers dispose d’une amande très prononcée. Ce type de modénature
semblerait plutôt relever de la fin du XIIème siècle. Il se pérennise cependant au XIIIème
siècle comme à l’Abbaye-Nouvelle à la fin du XIIIème siècle (com. Léobard, Lot). Ces
éléments découverts à Varennes devaient correspondre au voûtement des travées détruites de
la nef1940.
1939
Nous n’avons toutefois pu y avoir accès et nous réferons ici à l’étude de Gilles WOLKOWITSCH, op. cit, p.
8.
1940
Voir étude du dépôt lapidaire ci-après.
- 639 -
Ainsi, les éléments sculptés du monastère berrichon peuvent nous permettre de mieux
connaître les aménagements monastiques et le mode de voûtement de l’abbatiale. Toutefois,
une étude lapidaire plus complète est nécessaire avec l’inventaire exhaustif des différents
dépôts conservés sur le site.
-
Bâtiments claustraux :
Outre ces deux travées conservées de l’abbatiale, quelques éléments du cloître sont les
derniers témoins des aménagements médiévaux. Trois galeries ont été entièrement détruites et
ne subsistent qu’à travers quelques éléments lapidaires. Des arcatures sont conservées dans le
bâtiment conventuel ouest, ancien dortoir des convers transformé en maison du prieur en 1725
[Fig. 761]. Ce bâtiment dispose d’un parement enduit difficile à analyser. Les contreforts sont
en moyen appareil régulier, de même que les piédroits des baies. Les linteaux sont clavés en
plate-bande ce qui nous semble incompatible avec la datation du XIIIème siècle proposée par
Gilles WOLKOWITSCH. Elles relèveraient plutôt des réaménagements du XVIIIème siècle.
Elles présentent le même profil que les portes déjà observées dans les murs gouttereaux de
l’abbatiale. Toutefois, l’une des baies présente un linteau en plein-cintre monolithe qui
pourrait correspondre à un remploi du XIIIème siècle.
Les arcades peuvent être observées depuis le couloir de la maison d’habitation. Les
claveaux sont de calcaire fin permettant une taille précise. Certains présentent des marques de
marteaux taillants et conservent parfois des vestiges de peinture ocre sur l’extrados. Les arcs
sont séparés de 0.90m et disposent de 0.45m de profondeur. Les piliers témoignent des
remaniements successifs du cloître. Les claveaux de 24cm de long sont irrégulièrement
assemblés selon les diverses reprises. Deux colonnes accouplées de 16cm de diamètre sont
surmontées de chapiteaux lisses de 16cm de haut. Le tailloir a une épaisseur de 9cm. Les
corbeilles présentent un épannelage fortement évasé qui rappelle les chapiteaux du cloître de
Prébenoît datés du premier tiers du XIIIème siècle 1941. Ils sont très endommagés, si bien que
l’astragale n’est plus visible. La présence de ces chapiteaux attesterait une datation du premier
tiers du XIIIème siècle pour ce cloître médiéval [Fig. 762]. Toutefois, l’arc en plein-cintre
repose sur un deuxième pilier bien différent qui ne semble pas correspondre à la même
période de construction. Les claveaux de l’arc sont d’ailleurs parfois bien décalés, témoignant
de reprises certaines. Il s’agit d’une pile quadrangulaire simple qui pourrait attester d’un
remaniement au début du XVIIIème siècle lorsque la galerie ouest du cloître est transformée
1941
I. PIGNOT, op.cit, p. 91.
- 640 -
en couloir (1725). Les arcades sont alors comblées pour servir de mur extérieur à la maison du
prieur1942.
Le troisième pilier ne semble pas non plus de l’époque médiévale. En effet, il s’agit
d’une pile quadrangulaire avec des colonnettes cantonnées aux angles de 12cm de diamètre.
Elle est surmontée de chapiteaux en frise ornés de feuilles de trèfles [Fig. 763]. Des vestiges
de polychromie sont discernables. Les feuilles devaient être entièrement recouvertes d’une
couleur ocre tandis que le fond était peint en bleu. La présence d’enduits peints dans un
monastère cistercien pourrait étonner par rapport à leur volonté de dépouillement et
d’austérité. Toutefois, ces chapiteaux sont déjà tardifs, à une époque où les statuts de l’ordre
ce sont largement assouplis. La frise est surmontée d’un épais tailloir de sept centimètres de
large. La présence de ces feuilles de trèfles attesterait une datation de la fin du XIVème siècle
voire du XVème siècle. Le cloître aurait donc était remanié sensiblement à la même période
que ceux de Bonlieu, Prébenoît et de la proche abbaye des Pierres.
Nous pouvons également observer l’arc en plein-cintre clavé qui ouvre sur la galerie
sud du cloître, arc préservé dans la maçonnerie de l’extrémité sud du bâtiment ouest du
cloître. Il mesure 3.13m de large et permet la circulation vers le cloître. Il repose au nord sur
une pile quadrangulaire massive de 1.16m de long avec des colonnettes cantonnées aux
angles. Cette pile repose sur un support quadrangulaire puis sur un soubassement chanfreiné
constituant le mur bahut du cloître. Les colonnettes sont surmontées de chapiteaux feuillagés.
Les tailloirs en sont simplement moulurés d’un tore. Les feuillages se poursuivent en frise sur
le pourtour de la pile quadrangulaire. Des traces de peinture ocre et rouge sont toujours
perceptibles. Les bases de ces colonnettes présentent un tore inférieur aplati.
Ces arcades de cloître sont ainsi riches en enseignement et l’étude des piliers permet
de préciser des datations et différentes étapes de construction. Les corbeaux qui soutenaient la
charpente du cloître, conservés dans le mur du bâtiment d’exploitation moderne au sud sont
simplement nus et n’admettent aucun motif [Fig. 758 à 760]. Ces corbeaux de 30 cm de haut
sont placés à 2.60m de hauteur. La galerie sud du cloître présente encore un pavement de
simples dalles bien envahies d’herbe aujourd’hui. Le mur-bahut de cette galerie est encore
conservé. Il se constitue de blocs de petit appareil régulier [Fig. 768]. Il mesure 82cm de large
pour 71cm de haut. Au nord, des pierres affleurantes témoignent également de sa présence.
L’angle sud-est du cloître est encore discernable aujourd’hui avec son ouverture sur le
bâtiment conventuel sud correspondant au réfectoire. Cette ouverture est matérialisée par de
belles pierres de taille aux feuillures soignées [Fig. 765].
1942
G. WOLKOWITSCH, Abbaye royale Notre-Dame de Varennes, Lanscome Multimedia, 2004.
- 641 -
Le cloître édifié dans le premier tiers du XIIIème siècle aurait donc été remanié au
XVème siècle avant sa destruction au début du XVIIIème siècle et ne conserve que quelques
éléments d’arcatures très remaniés au niveau du mur est de la maison du prieur.
Dans la cour du cloître sont conservés un puits et de nombreux éléments lapidaires
(bases, colonnes, chapiteaux) étudiés ci-après.
Le bâtiment sud est très remanié. Il présente encore deux corbeaux correspondant au
couvrement du cloître. Nous pouvons remarquer le départ d’une porte d’accès au cloître (ou
d’un armarium) avec un amortissement décoré de volutes. Cet élément est néanmoins
difficilement datable étant donné sa destruction presque totale. Toutefois, le même type
d’amortissement a été observé en remploi dans une ferme de l’abbaye de Prébenoît datable du
premier tiers du XIIIème siècle. Il pourrait ainsi s’agir d’un élément médiéval [Fig. 759]1943.
Les parements sont de moyen appareil régulier. En 2004, ce bâtiment est aménagé en maison
d’habitation après avoir servi d’écurie et de grange au XVIIIème siècle. Il s’agit de l’ancien
réfectoire aujourd’hui entièrement enduit dans ses parties internes et donc difficile à
appréhender [Fig. 764]. Les percements actuels présentent des piédroits et linteaux de belles
pierres de taille pouvant correspondre à des remplois médiévaux. Il est charpenté mais a pu
être voûté au XIIIème siècle. À l’est, il était jouxté par une cuisine aujourd’hui ruinée dont
nous connaissons toutefois une cheminée [Fig. 766 et 767]. Les montants et les deux conduits
sont encore visibles dans le pignon bâti en moyen appareil régulier. Nous pouvons présumer
que ce bâtiment comportait un étage également pourvu d’un foyer, peut-être une infirmerie.
Il ne reste rien aujourd’hui de la salle capitulaire et du dortoir des moines occupant le
bâtiment est, complètement disparu dès avant la Révolution. Sur l’emplacement de l’ancien
chapitre est édifiée en 1890 une grange orientée est/ouest. Elle dispose d’un sioutre central
pour battre le grain, de même que la grange bâtie à la même période au sud du bâtiment ouest,
également orientée est/ouest.
Au nord du site est bâtie la maison de l’abbé, construite en 1698-1699, aujourd’hui
maison d’habitation de M. et Mme Wolkowitsch. Elle est édifiée avec des remplois
appartenant à l’église médiévale et particulièrement aux collatéraux. Elle se compose de trois
« appartements » disposant chacun d’une antichambre, d’une garde-robe et pour deux d’entre
eux d’une chambre pour un domestique. Le sol de l’entrée remploie d’anciennes pierres
tombales retournées pour former un dallage homogène. Initialement dotée de tuiles, cette
demeure est couverte d’ardoises en 1901. Dans le même temps s’est édifié à l’est de la maison
de l’abbé le bâtiment des communs.
1943
I. PIGNOT, op. cit, p. 202.
- 642 -
L’abbaye cistercienne de Varennes apparaît ainsi comme un édifice relativement bien
conservé et de nombreux bâtiments monastiques sont encore en place de nos jours, divisés
entre plusieurs propriétés privées. Toutefois, ces témoins concernent majoritairement l’époque
moderne et les vestiges médiévaux sont bien minces comparativement. Restent trois travées
de l’abbatiale et quelques arcades de l’ancien cloître conservées dans le mur gouttereau d’une
maison d’habitation. Néanmoins, des éléments lapidaires déposés ou encore en place peuvent
nous aider à envisager la physionomie des aménagements monastiques et à préciser les étapes
de construction. Plusieurs dépôts conséquents sont ainsi conservés sur le site, au niveau de
l’abbatiale et de l’ancien cloître.
-
Aménagements hydrauliques :
Les prospections réalisées sur le site de Varennes même et aux alentours visant à
retrouver les aménagements hydrauliques et artisanaux se sont révélées plutôt décevantes et
peu d’installations sont encore observables [Fig. 769 et 770]. À 300m environ du monastère,
le bief de l’ancien moulin est discernable dans le paysage tandis que le moulin a lui-même
entièrement disparu. Le moulin de Guéchaussiot au bord du Gourdon est désormais une
maison d’habitation qui ne conserve pas de vestiges médiévaux. Elle est entièrement remaniée
et le mécanisme n’est plus en place. Un vivier est préservé au nord de la demeure.
Au nord-est de Neuvy-Saint-Sépulchre, un lieu-dit « le Moulin Neuf » pourrait
correspondre à une ancienne installation monastique. Toutefois, le propriétaire des lieux nous
a attesté la destruction progressive des mécanismes du moulin depuis le XIXème siècle. Un
peu plus au nord sur le Gourdon sont placés « le moulin des Mares » et « le moulin Doué ».
Ils correspondent à des bâtiments d’exploitation modernes. Des mécanismes ne restent guère
que des roues en bois très détériorées et des meules en granite.
Ainsi, nous n’avons pu retrouver beaucoup d’installations artisanales liées à l’abbaye
de Varennes. Ces lacunes ne correspondent pas forcément à une destruction systématique des
aménagements au fil des siècles mais peuvent aussi se justifier par l’indigence des sources
historiques qui ne nous permettent guère de cerner le patrimoine de l’abbaye berrichonne.
- 643 -
-
Étude lapidaire :
Dans son étude sur le monastère cistercien de Varennes, Gilles WOLKOWITSCH ne
fait aucune mention du dépôt lapidaire conservé le long du gouttereau nord de l’abbatiale. Les
dépôts lapidaires sont encore bien souvent rejetés des études historiques et parfois
archéologiques. Le travail d’inventaire paraît en effet souvent ingrat et fastidieux comparé à
des résultats jugés peu productifs. L’intérêt d’une telle étude est toutefois indéniable face à la
destruction d’une partie de la nef, des bas-côtés, du chevet et du cloître du monastère. Ces
pierres restent un témoignage précieux de structures disparues. Lors de l’étude de Master II
sur les abbayes cisterciennes en marge des diocèses de Limoges, Bourges et Clermont,
l’abbaye de Varennes avait déjà été évoquée mais d’un point de vue architectural
uniquement1944. Faute de temps, le dépôt lapidaire n’avait pu être étudié.
•
Avertissement :
Le but de cette étude lapidaire est essentiellement de comprendre les modes de
voûtement de structures disparues comme le chevet, le transept ou la nef primitive, de
retrouver la physionomie des supports comme ceux du cloître ou encore de mieux connaître le
profil des bases ou les décors des chapiteaux. Cette étude ne peut répondre à tous ces
questionnements. De nombreux éléments sont désormais inaccessibles, en remploi dans des
parements modernes de l’enclos monastique ou dans les fermes environnantes. Une grande
partie des pierres du cloître ont été laissées sur place et ont servi au rehaussement du niveau
du sol à cet emplacement ; ils sont désormais remblayés et des fouilles archéologiques
seraient nécessaires pour en apprendre plus. D’après cet inventaire, nous espérons pouvoir
proposer des hypothèses sur leur place présumée dans l’édifice ainsi que des datations d’après
des analyses stylistiques, des comparaisons avec des éléments similaires en place, d’autres
édifices mieux datés, cisterciens ou non, d’autres régions ou à proximité. Il nous paraît
nécessaire de multiplier les références pour mettre au point un répertoire de formes permettant
d’affiner les datations du mieux possible. Des comparaisons pourront être établies avec
l’étude du dépôt lapidaire de l’abbaye de Prébenoît menée en Master I1945.
Le dépôt lapidaire conservé dans l’enclos monastique de Varennes se compose de
deux parties. Un premier dépôt est situé contre le mur gouttereau nord de l’abbatiale et fait
donc partie de la propriété de Maurice et Micheline WOLKOWITSCH. Il se constitue de 300
1944
I. PIGNOT, Les abbayes cisterciennes en marge des diocèses de Limoges, Bourges et Clermont.
Architecture, créations artistiques, occupation du sol et peuplement, mémoire de Master II sous la direction de
Bruno PHALIP, Clermont II, juin 2005, 3 vols.
1945
I. PIGNOT, L’abbaye cistercienne de Prébenoît en Creuse. Étude lapidaire et architecturale, maîtrise
d’Histoire de l’art, Clermont II, dir. B. PHALIP, A. COURTILLÉ, 2 vols, 2004.
- 644 -
éléments environ dont 60 ont été inventoriés. Ils proviennent majoritairement de la destruction
des collatéraux, du chevet plat, d’une partie de la nef, mais aussi de bâtiments de ferme
modernes. D’autres blocs sont conservés sur la propriété de Mme Annie HOFFMAN
comprenant les bâtiments ouest et sud du cloître. Environ 200 éléments correspondent
essentiellement de la destruction du cloître. 39 sont désormais inventoriés.
Il ne s’agit pas d’un inventaire systématique mais d’un choix de certains éléments
directement intéressants pour notre étude. Ce choix est bien sûr subjectif et constitue une
limite de cette analyse qui reste partielle. Ont été inventoriés les seuls éléments présentant des
modénatures. Les éléments non taillés ne sont pas pris en compte. De même concernant les
blocs présentant de simples faces taillées, de simples modules de calcaire sans feuillures ou
sculptures particulières, difficiles à dater ou à prendre en compte dans une étude lapidaire.
Leur intérêt est en effet limité pour toute tentative de reconstitution du décor et des structures
disparues de l’abbaye. Un certain nombre d’éléments lapidaires sont ainsi volontairement
écartés de l’inventaire.
Concernant les blocs inventoriés, certains présentant des modénatures rigoureusement
identiques ne seront pas systématiquement dessinés. Ils seront inventoriés, numérotés,
photographiés mais un seul de ces éléments, le plus représentatif et le moins érodé ou bûché
sera dessiné. C’est le cas de nombreux fragments de colonnettes présentant un même diamètre
ne nécessitant pas de représentation graphique systématique.
D’autre part, certains éléments lapidaires trop érodés et fragmentaires n’ont pu être
dessinés et bénéficient uniquement d’une couverture photographique.
Cette étude ne prétend ainsi pas à l’exhaustivité, ce qui constitue une première limite à
notre analyse. Seuls les éléments pouvant aider à la compréhension des voûtements, supports,
décors aujourd’hui disparus sont pris en compte. L’archéologie tend pourtant souvent à
l’exhaustivité et multiplie les méthodes d’enregistrement pour tout répertorier, tout ficher et
inventorier. Toutefois, il nous semble une perte de temps de s’attarder à des éléments
lapidaires inexploitables pour une étude de bâti. Tous les éléments ne pourront non plus être
identifiés face à l’érosion. Certains blocs sont très fragmentaires et le fait qu’ils soient
complètement extraits de leur contexte ne facilite pas les interprétations. De plus, les datations
sont malaisées et des confusions sont possibles avec des éléments modernes. Les hypothèses
proposées seront ainsi toujours sujettes à caution.
Malgré ces limites inévitables, il nous paraît nécessaire de livrer ici le bilan de
recherches apportant quelques éléments de réflexion complémentaires sur l’abbaye de
Varennes.
- 645 -
•
Méthodes :
Pour chaque élément répertorié selon les critères évoqués ci-dessus, une fiche
d’identification est dressée. Elle décrit le matériau, sa couleur, le grain de la pierre, la qualité
apportée par le sculpteur à la taille, les traces d’outils éventuelles ainsi que les vestiges de
peinture, le cas échéant. Les dimensions en sont également précisées en cm (longueur,
largeur, hauteur, diamètre des tores, des colonnettes). Une partie interprétation comprend
l’identification de l’élément lapidaire, sa place présumée dans l’édifice ainsi qu’une datation
plausible. Des rapprochements, comparaisons avec d’autres éléments du dépôt, des structures
conservées en élévation et d’autres abbayes et sites sont envisagés. Des références
bibliographiques peuvent être précisées si nécessaire.
Chaque notice ainsi dressée est regroupée dans une « famille » : nous distinguons ainsi
les supports (bases, fûts), les voûtements (claveaux de nervure d’ogives), les percements
(piédroits, éléments de portails), les éléments de couverture (corbeaux). Certains blocs n’ont
pu être identifiés et sont regroupés dans une dernière catégorie.
Chaque élément répertorié dispose d’un numéro d’inventaire, donné arbitrairement
durant l’étude sur le terrain et correspondant aux numéros des photos, ainsi qu’un numéro de
notice, fonction de la « famille » de classement. Le numéro d’inventaire est simplement
indiqué entre parenthèses pour permettre de se repérer plus facilement à la photo et au dessin
correspondant.
Outre ces fiches d’indentification, des dessins permettent l’analyse des éléments
lapidaires. Ils sont réalisés dans un premier temps sur papier millimétré (échelle 1/5e). Les
modénatures sont généralement prises à l’aide d’un conformateur. Les dessins sont ensuite
retracés sur papier calque, puis scannés et retravaillés grâce au logiciel Adobe Illustrator.
Certains dessins ont également pu être réalisés directement sous Adobe Illustrator d’après
photos numériques. Cette technique est très pratique pour les profils de claveaux d’ogive et
permet des comparaisons rapides. Chaque élément inventorié est en effet systématiquement
photographié, même ceux qui ne disposent pas d’une notice propre. Des clichés de face et de
profil avec une échelle photographique permettent une meilleure analyse des éléments
lapidaires.
•
Notices :
Supports :
-
Bases :
- 646 -
IDENTIFICATION :
- Notice n°1 (N° d’inventaire : 63). [Fig. 771]
- Matériau : calcaire gris à grains fins, taille délicate.
- Dimensions : L 58cm
l 27cm
h 17.5cm
DESCRIPTION :
Il s’agit de bases de colonnettes accouplées très érodées. Elles
reposent sur un socle commun de 8.5cm de haut sur une longueur totale
de 58cm. Leur profil est relativement simple et présente un tore inférieur
aplati muni de griffes triangulaires aux angles. La scotie est peu
prononcée. Le tore supérieur renflé est de 18cm de diamètre.
INTERPRÉTATION :
Ces bases appartenaient vraisemblablement à des colonnettes du
cloître. Le socle de 58cm
de long s’adapte parfaitement à la largeur du mur bahut (82cm). De
nombreux fragments de colonnettes de 16cm de diamètre devaient
s’associer à ces bases (voir les n° d’inventaire de 70 à 75).
Le profil observé avec la présence de griffes aux angles ferait plutôt
pencher pour une datation des années 1200-1220. Une base similaire est
conservée dans le musée lapidaire de l’abbaye de Prébenoît et présente
également de simples griffes aux angles, un tore inférieur aplati et une
scotie peu prononcée. Elle est datée des années 1200 et de l’édification
du cloître, alors que les griffes se généralisent peu à peu sur les bases.
BIBLIOGRAPHIE :
- C. ANDRAULT-SCHMITT, Limousin gothique, Paris, Picard, 1997, p. 23-35.
- I. PIGNOT, L’abbaye cistercienne de Prébenoît en Creuse. Étude lapidaire
et architecturale, maîtrise d’Histoire de l’art, Clermont II, dir. B. PHALIP, A.
COURTILLÉ, 2004, vol. I, p. 74.
- 647 -
IDENTIFICATION :
- Notice n°2 (N° d’inventaire : 68). [Fig. 772]
- Matériau : calcaire gris à grains fins taillé avec soin.
- Dimensions : L 30cm
l 27cm
h 18cm
DESCRIPTION :
Cette base présente les mêmes caractéristiques que celle étudiée
précédemment (notice n°1, n° d’inventaire : 63). Elle est isolée mais peut
avoir été accouplée à une autre base similaire. Elle est très érodée et son
socle entièrement bûché sur un côté. Elle présente un tore inférieur aplati,
une scotie discrète et un tore supérieur renflé de 18cm de diamètre. Elle
est également munie de simples griffes aux angles.
INTERPRÉTATION :
Comme
la
base
étudiée
précédemment,
celle-ci
appartient
vraisemblablement au cloître médiéval et pourrait être datée des années
1200-1220.
BIBLIOGRAPHIE :
- C. ANDRAULT-SCHMITT, Limousin gothique, Paris, Picard, 1997, p. 23-35.
- I. PIGNOT, L’abbaye cistercienne de Prébenoît en Creuse. Étude lapidaire
et architecturale, maîtrise d’Histoire de l’art, Clermont II, dir. B. PHALIP, A.
COURTILLÉ, 2004, vol. I, p. 74.
- 648 -
IDENTIFICATION :
- Notice n°3 (N° d’inventaire : 69). [Fig. 773]
- Matériau : calcaire gris à grains fins soigneusement taillé.
- Dimensions : L 30cm
l 27cm
h 16cm
DESCRIPTION :
Il s’agit d’une base de colonnette présentant un socle de 7cm de
haut surmonté d’un tambour de 7cm de hauteur également, orné d’un
tore enroulé en zigzag. Le tore supérieur de 21cm de diamètre pour 2cm
de hauteur est délicatement renflé. L’ensemble est très abîmé et les
angles en particulier sont bûchés et ne permettent guère d’observer la
présence ou l’absence de griffes.
INTERPRÉTATION :
Cette base se révèle plus trapue que les deux bases précédemment
observées (notices 1 et 2, n° d’inventaire 63 et 68). Elle pourrait
également appartenir à des colonnettes de cloître et s’adapter aux
colonnettes de 16cm de diamètre retrouvées lors de l’inventaire (n°
d’inventaire de 70 à 75). Nous pourrions imaginer une alternance de bases
à griffes simples et de bases plus ornementées avec des motifs
géométriques. Elle est la seule de l’inventaire à présenter ce motif. Si l’on
admet son appartenance aux supports du cloître, elle peut être datée des
années 1200-1220.
- 649 -
IDENTIFICATION :
- Notice n°4 (N° d’inventaire : 76).
- Matériau : calcaire gris à grains fins, taille appliquée.
- Dimensions : L 31cm
l 27cm
h 12.5cm
DESCRIPTION :
Il s’agit d’une base de colonnette très abîmée et difficile à décrire. Il
ne reste plus en effet que le tore inférieur de 2.5cm de hauteur pour 28cm
de diamètre, sur son socle quadrangulaire. Les angles bûchés empêchent
de distinguer la présence de griffes.
INTERPRÉTATION :
Cet élément appartenait vraisemblablement au cloître et ses
dimensions le rapprochent des autres bases présentées précédemment
(notices 1 et 2, n° d’inventaire 63 et 68). Il pourrait donc être daté lui
aussi des années 1200-1220 mais son mauvais état de conservation nous
incite à la prudence.
- 650 -
IDENTIFICATION :
- Notice n°5 (N° d’inventaire : 77). [Fig. 774]
- Matériau : calcaire gris aux grains fins, taillé finement.
- Dimensions : L 25cm
l 24cm
h 19cm
DESCRIPTION :
Cette base de colonnette est très abîmée, amputée de moitié. Elle
présente un socle de 9cm de haut sur lequel s’étale un tore épais de 5cm
de haut, muni de griffes triangulaires aux angles. La scotie peu prononcée
est surmontée d’un tore plus fin dont nous ne pouvons guère déduire le
diamètre.
INTERPRÉTATION :
Cet
élément
si
bûché
reste
difficile
à
interpréter.
Il
s’agit
vraisemblablement d’une base de colonnette de cloître dont le profil est
assez identique à celle de la notice 1(n° d’inventaire 63). Les griffes
triangulaires sont très semblables mais le tore inférieur est plus trapu. Une
datation des années 1200-1220 peut être envisagée grâce à la présence
de ces griffes.
BIBLIOGRAPHIE :
- C. ANDRAULT-SCHMITT, Limousin gothique, Paris, Picard, 1997, p. 23-35.
- I. PIGNOT, L’abbaye cistercienne de Prébenoît en Creuse. Étude lapidaire
et architecturale, maîtrise d’Histoire de l’art, Clermont II, dir. B. PHALIP, A.
COURTILLÉ, 2004, vol. I, p. 74.
- 651 -
IDENTIFICATION :
- Notice n°6 (N° d’inventaire : 96). [Fig. 775]
- Matériau : calcaire gris à grains fins et à la taille délicate.
- Dimensions : L 27cm
l 17cm
h 13cm
DESCRIPTION :
Cette base de colonnette est très érodée, ce qui ne facilite pas sa
description. Elle se compose d’un socle de 8cm de hauteur surmonté d’un
premier tore aplati de 27cm de diamètre environ et de 4cm de hauteur.
Nous pouvons observer par endroit le départ de la scotie et du tore
supérieur presque entièrement bûché, de 20cm de diamètre environ.
L’érosion ne nous permet pas de constater la présence de griffes aux
angles
INTERPRÉTATION :
Il pourrait s’agir d’une base appartenant au cloître médiéval. Le
diamètre du tore supérieur correspondrait aux colonnettes de cloître de
16cm de diamètre prises en compte dans l’inventaire (n° d’inventaire de
70 à 75). Sa datation peut ainsi être envisagée entre 1200 et 1220 comme
les bases précédemment inventoriées (notices 1 et 2, n° d’inventaire 63 et
68).
- 652 -
-
Fûts :
IDENTIFICATION :
- Notice n°7 (N° d’inventaire : 36). [Fig. 776]
- Matériau : calcaire gris fin ayant tendance à être cassant, taille délicate.
- Dimensions : L 30cm
l 25cm
h 26cm
DESCRIPTION :
Il s’agit vraisemblablement d’un tambour de colonne engagée. Le
diamètre est de 22cm. La demi colonne est fixée sur un socle de 15cm de
large souligné de deux fines doucines. D’autres éléments inventoriés
présentent le même profil et les mêmes dimensions et ne feront donc pas
l’objet d’une notice particulière. Il s’agit des numéros d’inventaire 41, 54,
55, 56, 57 et 58. Certains présentent parfois des vestiges de lait de chaux
blanc ainsi que de peinture ocre conservés sur les cavets, ou des traces de
marteau taillant.
INTERPRÉTATION :
Si la fonction de cet élément est aisée à déterminer, il semble plus
difficile de retrouver sa place dans l’édifice. La nef actuelle ne présente
pas de supports. Les voûtes d’ogives reposent sur des culots placés à mihauteur ornés de feuillages et motifs géométriques. Toutefois, ces ogives
à listel sont mises en place au XIVème siècle, voire au XVème siècle. Peutêtre le voûtement mis en place entre 1180 et 1220 prévoyait une
réception des voûtes par des colonnes engagées ? Elles pourraient
également correspondre à des supports des collatéraux mis à bas
vraisemblablement à l’époque moderne, ou au chevet plat presque
entièrement ruiné ou encore aux bras du transept détruits après 1790.
Toutefois, nous pouvons encore observer le pilier d’angle du chevet et du
bras du transept sud, de plan cruciforme sans colonnes engagées. Nous
pourrions également imaginer l’appartenance de cet élément à un
- 653 -
bâtiment conventuel. Il a toutefois été déposé dans l’abbatiale même et
même s’il a pu être déplacé, il paraît plus probable qu’il appartienne à
l’église. Sa datation reste malaisée. Si ce tambour appartient à l’abbatiale
primitive, il pourrait relever des années 1180-1220.
La peinture présente sur certains tambours de colonnes engagées a
peut-être été ajoutée au XIVème-XVème siècles en même temps que celle
appliquée sur les piliers de cloître datés du Bas Moyen-Âge. Les colonnes
engagées ont peut-être été maintenues dans un premier temps pour
recevoir les nouvelles voûtes d’ogives au XIVème siècle, peintes en même
temps qu’elles (elles présentaient en effet des vestiges de couleurs ocre et
rouge avant la pose du badigeon actuel en octobre 2006). Ces demi
colonnes auraient pu être dépecées par la suite lors de réaménagements
modernes (vers 1747 en même temps que les modifications de la façade).
- 654 -
IDENTIFICATION :
- Notice n°8 (N° d’inventaire : 61). [Fig. 777]
- Matériau : calcaire gris assez fin, taille soignée.
- Dimensions : L 20cm
l 23cm
h 20cm
DESCRIPTION :
Cet élément très érodé peut être assimilé à un fragment de
colonnette d’angle d’une pile quadrangulaire appartenant au cloître. Ce
bloc de forme quadrangulaire présente un effet un tore de 11.5cm de
diamètre, souligné d’un discret cavet. Ce tore ne présente pas d’amande.
Il est rigoureusement identique au numéro d’inventaire 62 qui ne fera
ainsi pas l’objet d’une notice particulière.
INTERPRÉTATION :
L’angle sud-ouest du cloître dispose d’un pilier massif de plan
quadrangulaire d’1.16m de long avec des colonnes nichées dans les
angles. Il est surmonté de chapiteaux feuillagés se prolongeant en frise le
long du pilier. Des vestiges de polychromie sont visibles, dans les tons
d’ocre et de rouge. Ce pilier pourrait appartenir à la réfection du cloître
dans le courant des XIVème-XVème siècles. Ce pilier est toutefois dépecé
dans sa moitié orientale. Les tores des deux fragments inventoriés
présentent le même diamètre que les colonnettes d’angle de cette pile et
semblerait y correspondre parfaitement. Si cette interprétation est exacte,
nous pouvons proposer une datation du XIVème siècle, voir du XVème
siècle pour ces deux éléments. En effet, les frises de feuilles de trèfles et
la présence de polychromie sur ce pilier vont dans le sens de cette
datation du Bas Moyen-Âge et des réfections des arcades du cloître dont
témoignent en particulier des décalages sensibles dans les claveaux des
arcs.
- 655 -
IDENTIFICATION :
- notice n° 9 (N° d’inventaire 64) [Fig. 778]
- matériau : calcaire gris à grains fins, taille délicate.
- dimensions : L 25.5cm
Ø13cm
DESCRIPTION :
Il s’agit d’un tambour de colonnette engagée très érodée et en
partie bûché, ce qui ne facilite guère une étude précise de cet élément.
Son diamètre est de 13cm environ.
INTERPRÉTATION :
Il est difficile de savoir quelle était la place de ce fragment dans
l’édifice et d’en déduire une datation. Comme cette colonne engagée
appartient au dépôt lapidaire issu de la destruction des trois galeries de
cloître, il nous semble plus plausible de la rattacher aux aménagements
claustraux. Elle pourrait aussi bien appartenir aux piles complexes des
galeries elles-mêmes ou à un bâtiment conventuel (salle capitulaire,
dortoir, réfectoire). Nous ne pouvons guère affiner nos hypothèses face à
un élément en mauvais état, extrait de son contexte. Il pourrait être
rapproché de l’élément de la notice 11 (n° d’inventaire 80).
- 656 -
IDENTIFICATION :
- notice n° 10 (N° d’inventaire 67) [Fig. 779]
- matériau : calcaire gris à grains relativement fin, taillé avec soin.
- dimensions : h 32cm
Ø 16cm
DESCRIPTION :
Il s’agit d’un tambour de colonnette de 16cm de diamètre. De
nombreux éléments similaires sont conservés dans le dépôt lapidaire qui
ne feront pas l’objet d’une notice particulière. Ils portent les numéros
d’inventaire 70, 71, 72, 73, 74 et 75. Les diamètres sont rigoureusement
identiques. Seule la hauteur varie d’un élément à l’autre, de 32 à 40cm
selon la bonne conservation des tambours.
INTERPRÉTATION :
Ces tambours appartiennent vraisemblablement aux colonnettes du
cloître qui ornaient le mur-bahut et recevaient la charpente des galeries.
Elles étaient probablement jumelées comme le suggèrent les bases
inventoriées précédemment (notice 1, n° d’inventaire 63). Nous n’avons
toutefois pas retrouvé de chapiteaux correspondants. Le profil des bases
au tore inférieur aplati muni de griffes permet de proposer une datation
des années 1200-1220. Ces colonnettes appartiennent donc de fait au
premier cloître médiéval de l’abbaye de Varennes.
- 657 -
IDENTIFICATION :
- notice n° 11 (N° d’inventaire 80) [Fig. 780]
- matériau : calcaire fin légèrement doré, taille délicate.
- dimensions : L 27cm
Ø 12cm
DESCRIPTION :
Ce fragment de colonne engagée est relativement bien conservé. La
différence de couleur de calcaire avec les éléments précédemment
évoqués peut s’expliquer par la conservation de cet élément dans une
galerie couverte, limitant son exposition aux pluies et aux mousses.
INTERPRÉTATION :
Cet élément peut être associé au tambour de colonne engagée
étudié précédemment (notice 9, n° d’inventaire 64). Le diamètre est
presque
identique,
de
même
que
la
longueur
conservée.
Il
est
vraisemblable que les tambours de colonnette disposent d’une même
longueur afin d’en faciliter la pose et l’assemblage pour les ouvriers. Ce
tambour étant bûché en partie, nous pourrions imaginer une longueur
originelle de 30cm environ. Sa place dans l’édifice ainsi que sa datation
restent difficiles à déterminer.
- 658 -
IDENTIFICATION :
- notice n° 12 (N° d’inventaire 85) [Fig. 781]
- matériau : calcaire doré aux grains très fins, taille délicate.
- dimensions : L 15cm
Ø 8cm
DESCRIPTION :
Il s’agit d’un fragment de colonnette ronde très délicate. Nous
n’avons trouvé aucun élément similaire d’un diamètre de 8cm.
INTERPRÉTATION :
Il n’est pas aisé de retrouver la provenance de cet élément. Aucune
base ou chapiteau
ne correspond à ce diamètre de colonnette. Elle vient probablement au
cloître ou aux bâtiments conventuels puisqu’elle appartient au dépôt
lapidaire issu de la destruction des aménagements claustraux. Elle peut
être liée à des installations liturgiques, à des baies géminées ou des piles
complexes. Quant à sa datation, il n’est guère possible de proposer une
hypothèse quelconque.
- 659 -
IDENTIFICATION :
- notice n° 13 (N° d’inventaire 98) [Fig. 782]
- matériau : calcaire gris très fin, taille relativement soignée.
- dimensions : L 36cm
l 27cm
h 55cm
DESCRIPTION :
Il s’agit vraisemblablement d’un fragment de colonne engagée, sans
doute placée dans un angle. Cet élément se compose d’un dosseret
trapézoïdal sur lequel se greffe une colonne de 20cm de diamètre. Elle est
soulignée de deux fins cavets discrets.
INTERPRÉTATION :
Il est difficile de connaître la place de cet élément dans l’édifice.
Comme il appartient
au dépôt lapidaire issu de la destruction du cloître, nous pouvons en
déduire son appartenance aux bâtiments claustraux. Aucun vestige en
place ne témoigne de l’usage de colonnes engagées. Il pourrait s’agir d’un
support de la salle capitulaire ou du réfectoire dont nous ne connaissons
rien aujourd’hui. Le diamètre de la colonne engagée permet de l’associer à
l’élément de la notice 14 (n° d’inventaire 99). Il est beaucoup trop
important pour appartenir aux piles complexes de l’angle du cloître
(colonnettes engagées de 11.5cm de diamètre). Quant aux éléments de
colonnes engagées retrouvées en nombre dans le dépôt lapidaire de
l’abbatiale, le diamètre est de 22cm et les demi colonnes soulignées de
doucines (notice 7, n° d’inventaire 36) ne correspondent pas à celle-ci.
- 660 -
IDENTIFICATION :
- notice n° 14 (N° d’inventaire 99) [Fig. 783]
- matériau : calcaire gris à grains fins, taille délicate.
- dimensions : L 35cm
l 20cm
h 36cm
DESCRIPTION :
Cet élément très érodé et en partie bûché est certainement un
fragment de colonne engagée. Son diamètre est de 20cm. Elle est greffée
sur un des angles d’un bloc de forme quadrangulaire. Elle est soulignée
par deux bandeaux latéraux de 2cm d’épaisseur en léger renfoncement
(2cm de profondeur). Il ne s’agit toutefois pas de cavets puisqu’ils ne sont
pas arrondis.
INTERPRÉTATION :
Comme la colonne engagée de la notice 13 (n° d’inventaire 98), il
est difficile de retrouver
la place de cet élément dans l’édifice bien que nous puissions envisager
son appartenance aux aménagements claustraux pour les mêmes raisons
que celles évoquées dans la notice 13. Elle présente un diamètre
identique. Cette colonne engagée ne semble toutefois pas correspondre à
un angle. Quant à sa datation, il est délicat de proposer une hypothèse
face à sa mauvaise conservation.
- 661 -
Percements :
-
Piédroits de porte :
IDENTIFICATION :
- notice n° 15 (n° d’inventaire 10) [Fig. 784]
- matériau : calcaire gris aux grains fins, taille soignée.
- dimensions : L 48cm
l 26cm
h 24cm
DESCRIPTION :
Il s’agit d’un piédroit de porte. L’un des angles est abattu par un
biseau de 11.5cm auquel succède un méplat de 11.5cm puis un autre
biseau de 15cm de large.
INTERPRÉTATION :
Le profil de cette feuillure atteste d’une datation moderne. Cet
élément pourrait appartenir à la réutilisation de l’abbaye en grange au
début du XIXème siècle. Une grande porte est percée dans le mur nord de
l’abbatiale pour permettre le passage des charrettes. Ce piédroit pourrait
également s’apparenter au pigeonnier établi aux XVIIème ou XVIIIème
siècles à l’emplacement du bras du transept sud, abattu en 1962 car
menaçant ruines.
Des éléments similaires ont été inventoriés à l’abbaye de Prébenoît
appartenant aux granges édifiées aux XVIIIème et XIXème siècles.
Certains sont encore en place et ne laissent que peu de doutes à leur
interprétation et leur datation.
BIBLIOGRAPHIE :
- I. PIGNOT, L’abbaye cistercienne de Prébenoît en Creuse. Étude lapidaire
et architecturale, maîtrise d’Histoire de l’art, Clermont II, dir. B. PHALIP, A.
COURTILLÉ, 2004, vol. I, p. 108 à 118, notices 34 à 44.
- 662 -
IDENTIFICATION :
- notice n° 16 (n° d’inventaire 26). [Fig. 785]
- matériau : calcaire gris, grains fins, taille délicate.
- dimensions : L 36cm
l 21.5cm
h 16cm
DESCRIPTION :
Ce piédroit de porte n’est conservé que sur 16cm de hauteur. La
feuillure comprend un biseau de 18cm de large puis un méplat de 9cm
auquel succède un second biseau de 19cm de large.
INTERPRÉTATION :
Comme l’élément de la notice 15 (n° d’inventaire 10), il s’agit
vraisemblablement d’une feuillure de porte moderne liée à la réutilisation
de
l’abbaye
de
Varennes
en
grange
au
XIXème
siècle
ou
aux
aménagements agricoles (pigeonnier) mis en place dès le XVIIIème siècle.
La même comparaison avec les percements des bâtiments de ferme de
l’abbaye de Prébenoît peuvent être établis et attestent cette datation des
XVIIIème-XIXème siècles.
BIBLIOGRAPHIE :
- I. PIGNOT, L’abbaye cistercienne de Prébenoît en Creuse. Étude lapidaire
et architecturale, maîtrise d’Histoire de l’art, Clermont II, dir. B. PHALIP, A.
COURTILLÉ, 2004, vol. I, p. 108 à 118, notices 34 à 44.
- 663 -
IDENTIFICATION :
- notice n°17 (n° d’inventaire 47). [Fig. 786]
- matériau : calcaire doré, grains fins et taille plutôt soignée.
- dimensions : L 28cm
l 22cm
h 20cm
DESCRIPTION :
Ce piédroit de porte est très bûché et seule la feuillure est encore en
relativement bon état. Elle se compose d’un premier biseau de 11.5cm de
large, d’un large méplat de 15cm, de deux biseaux successifs formant un
angle saillant, puis un dernier biseau de 5cm de large.
INTERPRÉTATION :
Comme les deux piédroits inventoriés précédemment (notice 15, n°
d’inventaire
10 ; notice 16, n° d’inventaire 26), nous pouvons supposer que cet
élément appartenait à un bâtiment de ferme ou au pigeonnier moderne
(XVIIIème-XIXème siècles).
- 664 -
-
Portails :
IDENTIFICATION :
- notice n°18 (n° d’inventaire 2). [Fig. 787]
- matériau : calcaire gris à grains fins, taille délicate.
- dimensions : L 21cm
l 13cm
h 11.5cm.
DESCRIPTION :
Ce
petit
élément
délicatement
sculpté
est
toutefois
très
fragmentaire et endommagé d’où la difficulté à le décrire et à l’interpréter.
Il se compose d’une sorte de pied de 18cm de haut, dégagé de deux
cavets. Il est surmonté d’une partie de forme quadrangulaire de 12 par
13.5cm percée en son centre d’une petite cavité quadrangulaire de 5 par
5cm. Elle-même présente un orifice circulaire d’1cm de diamètre.
INTERPRÉTATION :
Cet élément étant très érodé et bûché, il est difficile de proposer une
interprétation qui ne puisse être contestée. Il pourrait s’agir d’un élément
de modénature, peut-être liée à un portail polylobé ou à un remplage,
comme le suggèrent les fins cavets et la forme particulière de la partie
verticale. L’orifice pourrait corresponde à une cavité recueillant un goujon,
c’est-à-dire une cheville en fer servant à relier deux pièces de bois, de
pierre, ou de métal.
S’il s’agit bel et bien d’un élément de portail polylobé, il pourrait
correspondre au portail occidental de l’église remplacé au XVIIIème siècle
par la simple porte actuel. Sont encore visibles certains piédroits de porte
présentant des tores laissant présager un portail à ébrasements multiples.
Était-il surmonté d’un tympan orné de lobes ? Ceci n’est toutefois pas
courant dans un cadre cistercien mais est fréquent dans de nombreux
édifices de la seconde moitié du XIIème siècle au début du XIIIème siècle.
Les dessins polylobés sont en effet très présents dans l’ancien diocèse de
- 665 -
Limoges dès le XIème siècle. La tour-porche de l’église de Meymac est
ainsi percée d’un portail polylobé. De même, le portail occidental de
l’église de la Souterraine présente par exemple un très beau portail
polylobé daté par Claude ANDRAULT-SCHMITT du milieu du XIIème siècle.
Plus proche du monastère de Varennes, l’abbaye de Déols disposait
également au milieu du XIIème siècle d’un portail polylobé ornant la porte
sud de communication avec le cloître. Il présente des ressauts polylobés
dont les redents se poursuivent sur les jambages, comme à la Souterraine.
Toutefois, nous ne pouvons affirmer cette hypothèse face à la
mauvaise conservation de
cet élément ainsi qu’à son isolement dans le dépôt lapidaire. Aucun autre
bloc inventorié ne lui ressemble. Il pourrait tout aussi bien s’agir d’un
fragment de rose (pignon d’un transept ?) ou de remplage de baie.
BIBLIOGRAPHIE :
- C. ANDRAULT-SCHMITT, Limousin gothique, Paris, Picard, 1997, p. 366.
- C. ANDRAULT-SCHMITT, « Le succès des tours-porches occidentales en
Limousin (XIème-XIIème siècles) », dans C. SAPIN (dir.), Avant-nefs et
espaces d’accueil dans l’église entre le IVème et le XIIème siècle, CTHS,
Paris, 2002, p. 233-250.
- J. HUBERT, « L’abbatiale Notre-Dame de Déols », dans J. HUBERT,
Nouveau recueil d’études d’archéologie et d’histoire. De la fin du monde
antique au Moyen-Âge, Droz, Paris, Genève, 1985, p. 361-424.
- 666 -
IDENTIFICATION :
- notice n°19 (n° d’inventaire 11) [Fig. 788]
- matériau : calcaire gris à grains fins, taille relativement fine.
- dimensions : L 70cm
l 25cm
h 21cm
DESCRIPTION :
Ce fragment très érodé et amputé d’une grande partie peut être
identifié
comme
un
élément
de
porte
ou
de
portail.
De
forme
quadrangulaire, il est orné d’un tore fin de 5cm de diamètre, dégagé de
deux cavets discrets. Lui succède une large gorge qui devait peut-être
précéder un second tore dans le cas d’un portail à multiples ébrasements.
Seule la face présentant cette modénature est relativement bien
conservée tandis que les autres faces sont très dégradées.
INTERPRÉTATION :
Il s’agit vraisemblablement d’un élément de portail, peut-être à
ébrasements multiples comme il est fréquent dans le diocèse de Limoges
dans les années 1180-1220, particulièrement chez les ordres militaires
(Pontarion, Lavaufranche, Blaudeix et Lamaids vers 1250) et cisterciens
(Bonlieu notamment vers 1220). Le dépôt lapidaire de l’abbaye de
Prébenoît a également révélé de nombreux fragments similaires à celui-ci
avec des modénatures toriques laissant présager l’existence d’un portail
complexe.
Il est difficile de retrouver la place de cet élément dans l’édifice. Le
portail occidental dont il reste aujourd’hui une partie des piédroits
témoigne de la présence d’au moins une voussure torique mais le
diamètre (7cm environ) ne correspond pas au présent piédroit. Il pourrait
donc s’adapter à un second portail, peut-être celui du collatéral nord de
l’abbatial ou à une ouverture sur le cloître depuis l’ancien bas-côté sud.
Notre ignorance de ces structures détruites à l’époque moderne nous
empêche d’étayer une hypothèse en particulier.
- 667 -
Quant à la datation de cet élément, nous pouvons remarquer que
ces portails à voussures toriques sont fréquents dans les années 11801220. Aux chapiteaux isolés des années 1220 succèdent les chapiteaux en
frise dans les années 1250. Il est difficile de déterminer ici de quelle forme
il pouvait s’agir. Nous pencherions plutôt pour une datation identique au
portail de Bonlieu (1200-1220).
BIBLIOGRAPHIE :
- C. ANDRAULT-SCHMITT, « Les églises des Templiers de la Creuse et
l’architecture religieuse du XIIIème siècle en Limousin. », MSAOMP, 1996,
5ème série, T 10, p. 73-143.
- C. ANDRAULT-SCHMITT, Limousin gothique, Paris, Picard, 1997, p. 3547.
- I. PIGNOT, L’abbaye cistercienne de Prébenoît en Creuse. Étude lapidaire
et architecturale, maîtrise d’Histoire de l’art, Clermont II, dir. B. PHALIP, A.
COURTILLÉ, 2004, vol. I, p. 119-120, notices n° 45 et 46.
- 668 -
IDENTIFICATION :
- notice n°20 (n° d’inventaire 44) [Fig. 789]
- matériau : calcaire gris à grains fins, taille fine.
- dimensions : L 30cm
l 29cm
h 7cm
DESCRIPTION :
Il s’agit d’un fragment de portail, de porte ou de baie disposant d’un
tore fin de 3cm de diamètre dégagé par un fin cavet. L’ensemble est très
bûche et érodé.
INTERPRÉTATION :
Comme pour l’élément de la notice 19 (n° d’inventaire 11), il peut
appartenir à un portail à voussures toriques. Toutefois, le tore est ici plus
discret et le diamètre moindre de 2cm. Ils ne peuvent donc appartenir au
même percement. Il pourrait également s’agir d’un simple piédroit de
porte ou de baie mouluré d’un tore unique. Il est difficile de savoir où ce
percement pouvait être dans l’édifice. Il peut appartenir à des structures
entièrement disparues aujourd’hui comme les portes percées dans les
collatéraux ouvrant sur le cloître, la porte des morts ou la porte des
convers dont nous ne savons rien aujourd’hui. Sa datation est tout aussi
malaisée. Si ce fragment est lié aux aménagements des collatéraux, nous
pourrions le dater des années 1180-1220.
- 669 -
IDENTIFICATION :
- notice n°21 (n° d’inventaire 59) [Fig. 790]
- matériau : calcaire légèrement rosé aux grains fins et taillé avec soin.
- dimensions : L 41cm
l 24cm
h 23cm
DESCRIPTION :
Ce fragment de portail présente deux faces presque entièrement
bûchées. Il devait auparavant être de forme quadrangulaire. Une face
témoigne encore de modénatures finement taillées. Un tore de 7cm de
diamètre, sans amande, est dégagé de deux cavets de 6cm de large. Lui
succède une partie en méplat de 14.5cm. Des vestiges de peinture ocre
sont préservés sur le tore. Des traces de marteau taillant sont également
visibles et témoignent du soin apporté à la taille de cet élément.
INTERPRÉTATION :
Il s’agit apparemment d’un élément de portail à voussures toriques.
D’après le diamètre du tore et le profil des modénatures, nous pouvons
admettre qu’il appartient à l’ancien portail occidental de l’abbatiale daté
des années 1180-1220. Il paraît probable que ce portail ait été peint au
cours des réfections des voûtes de l’abbatiale, elles-mêmes peintes dans
ces tonalités, et en même temps que les peintures du cloître, à savoir
dans le courant du XIVème siècle, voire au XVème siècle.
- 670 -
Voûtements :
De nombreux éléments inventoriés sont des claveaux de nervure
d’ogive dont les profils
diffèrent, témoignant de différences selon les espaces voûtés et les
phases de construction et de reconstruction. Cinq profils ont pu être
distingués et les notices seront regroupées en fonction afin de faciliter la
compréhension du lecteur. Ce sont bien souvent les diamètres des tores
qui permettent d’établir ces distinctions.
Le profil 1 est une voûte d’ogive fine. Le tore en amande est dégagé
de larges cavets et ses dimensions varient de 10 à 12cm de long pour 10 à
11cm de large environ. 35 éléments peuvent être classés dans cette
catégorie.
Le profil 2 est assez ressemblant mais le tore en amande est de
10cm de long pour 8-9cm de large. Il est plus petit et encore plus fin. 4
éléments présentent ce profil.
Le profil 3 se distingue par un tore sans amande de 9cm de
diamètre. Seul un élément correspond à cette description (n° d’inventaire
12).
Le profil 4 dispose d’un tore sans amande de 12cm de diamètre qui
n’est pas souligné de cavets. L’aspect en est ainsi relativement massif.
Deux éléments sont classés dans cette catégorie.
Le profil 5 correspond à des claveaux de nervure d’ogives à listel. Le
tore massif de 14cm par 16cm est surmonté d’un petit bandeau.
L’ensemble
est
assez
trapu.
12
éléments
correspondent
à
cette
description.
Tous les éléments inventoriés ne feront ainsi pas l’objet d’une notice
particulière puisque beaucoup présentent un même profil et n’apportent
pas forcément de précisions essentielles à la connaissance des divers
types d’ogives.
- 671 -
-
Profil 1 :
IDENTIFICATION :
- notice n°22 (n° d’inventaire 1) [Fig. 791]
- matériau : calcaire doré à grains fins, taille soignée.
- dimensions : L 27cm
l 21cm
h 29cm
DESCRIPTION :
Il s’agit d’un claveau de nervure d’ogive. Il se compose d’un tore en
amande de 12cm de long au profil effilé très fin, dégagé de deux cavets
prononcés, reposant sur un socle de 21cm de large pour 1cm de hauteur.
Il n’est conservé que sur 27cm et est sévèrement bûché. La face la mieux
préservée présente encore des traces de mortier permettant l’adhésion
avec un autre claveau de nervure d’ogive.
De nombreux autres éléments inventoriés disposent des mêmes
caractéristiques, des mêmes dimensions et ne feront ainsi pas l’objet
d’une notice particulière. Les seules différences relevées peuvent être des
vestiges de lait de chaux blanc, de peintures ocre ou rouge parfois encore
observables sur les cavets. Certains présentent un tore bûché mais le
profil est généralement reconnaissable grâce aux larges cavets préservés
permettant l’association au type 1. Les numéros d’inventaire suivant
peuvent être regroupés dans cette catégorie : 13 (conservé sur 32cm de
longueur, 31cm de haut), 14, 15, 20 (conservés sur 17cm de long), 31
(conservé sur 22cm de long), 33 (conservé sur 23cm), 35 (conservé sur
23cm de long), 38 (le tore est toutefois très endommagé, conservé sur
24cm de long, 17cm de haut), 40 (tore en amande bûché, 24cm de
longueur conservée), 42 (conservé sur 34cm de long, tore bûché), 43
(conservé sur 30cm de long, 18cm de haut, tore bûché), 45 (tore bûché,
conservé sur 26cm de long, 22cm de haut), 46 (conservé sur 26cm de
long, 21cm de haut), 49 (tore bûché, 39cm de long, 21cm de haut), 51
(l’un des mieux conservé, 48cm de long, 30cm de haut), 52 (24cm de
- 672 -
long), 91 (tore bûché, 21cm de long, 10cm de haut), 92 (tore bûché, 30cm
de long, 21cm de haut), 93 (bien conservé, 28.5cm long, 32cm haut), et
94 (17cm de long, 32cm de haut).
- 673 -
INTERPRÉTATION :
Ce claveau de nervure d’ogive semble correspondre à ceux
observables actuellement dans la nef de l’église. Il provient peut-être du
voûtement de la quatrième travée de la nef aujourd’hui détruite et être
associé aux remaniements de la voûte aux XIVème-XVème siècles (d’où
les traces de peinture sur certains éléments). Il pourrait également s’agir
d’un élément du premier voûtement médiéval, plus haut de quelques
mètres par rapport aux voûtes actuelles et ayant également pu se
constituer de voûtes d’ogives au profil en amande. La voûte du Bas
Moyen-Âge aurait pu remployer des éléments médiévaux par souci
d’économie ou les copier. Ce voûtement d’ogives en amande pourrait
également appartenir au chevet ou aux collatéraux détruits.
Les voûtes d’ogives en amande sont fréquentes dans un cadre
cistercien et particulièrement dans les espaces Plantagenêts, dès le
XIIème siècle et se généralisent dans les années 1180-1220. Des claveaux
de nervure d’ogive en amande ont été inventoriés à l’abbaye d’Obazine et
datés par Claude ANDRAULT-SCHMITT des années 1180. Le profil en est
toutefois beaucoup plus trapu que celui de la présente notice, simplement
dégagé de deux cavets. Ils proviennent du réfectoire des moines.
L’abbaye de Dalon témoigne de profils plus complexes. Un claveau
de nervure d’ogive provenant vraisemblablement de l’église presque
entièrement détruite se compose d’un tore principal en amande, de deux
tores latéraux plus petits, et de deux larges cavets. Les deux modénatures
latérales donnent un aspect tréflé au claveau. Des variantes de ce profil
sont datées des années 1160-1170 à Pontigny (com. Pontigny, Yonne),
abbaye-mère de Dalon, à Trois-Fontaines (com. Trois-Fontaines, Marne) ou
à Foigny (com. La Bouteille, Aisne), à savoir les premières abbatiales de
l’ordre voûtées d’ogives.
D’autres claveaux similaires sont observables à l’Abbaye-Nouvelle
(com. Léobard, Lot) à la fin du XIIIème siècle. Le profil en amande perdure
ainsi durant tout le XIIIème siècle dans les abbayes de l’ordre. Les
claveaux de nervure d’ogive en amande retrouvés à Coyroux sont quant à
eux datés du milieu du XIIIème siècle. Les tores sont simplement dégagés
- 674 -
de deux cavets. Ce profil très simple s’observe également dans le dépôt
lapidaire de l’abbaye de Villelongue (com. Saint-Martin-Le-Vieil, Aude ;
nef ?).
BIBLIOGRAPHIE :
- C. ANDRAULT-SCHMITT dans B. BARRIÈRE (dir.), Moines en Limousin,
l’aventure cistercienne, PULIM, Limoges, 1998, p. 47-48.
- 675 -
IDENTIFICATION :
- notice n°23 (n° d’inventaire 3) [Fig. 792]
- matériau : calcaire gris, grains fins, taille délicate.
- dimensions : L 10.5cm
l 12cm
h 13cm
DESCRIPTION :
Il s’agit d’un fragment de claveau de nervure d’ogive très abîmé.
Seul le tore en amande est conservé ainsi que l’amorce du socle sur lequel
il reposait, conservé sur 3cm. Le tore est de 10 par 10.5cm. Son profil
effilé semble bien correspondre à la première catégorie distinguée, mais
l’absence de socle ne facilite pas l’identification. Des vestiges de lait de
chaux blanc sont visibles, témoins d’anciennes peintures. De nombreux
fragments de tore en amande présentent les mêmes caractéristiques que
cet élément. Ils ne feront dès lors pas l’objet de notices particulières. Il
s’agit des numéros d’inventaire 4, 5, 16, 81, 82, 83, 84, 86, 87, 88, 89, 90
et 95. Les tores ont des dimensions légèrement variables (10 par 10.5cm ;
12 par 11cm ; 11 par 11cm, 11.5 par 10.5cm). Certains présentent encore
des vestiges de peinture ocre ou rouge, des traces de lait de chaux
blanche.
INTERPRÉTATION :
Bien que ces éléments se réduisent à un simple tore et ne disposent
plus de leur socle, ni des cavets les soulignant, nous pouvons les associer
au claveau de nervure d’ogive de la notice n°22 (n° d’inventaire 1). Ils
peuvent ainsi appartenir au voûtement de la travée détruite de la nef, au
voûtement primitif des années 1180-1220, ou même à des structures
inconnues comme les collatéraux ou le chevet. La majorité de ces
fragments ont été retrouvés dans le dépôt lapidaire côté cloître, le long du
mur gouttereau sud, à l’emplacement des anciens bas-côtés. Ils ont
toutefois pu être déplacés et il serait audacieux de les rattacher aux
collatéraux par cette seule constatation.
- 676 -
-
Profil 2 :
IDENTIFICATION :
- notice n°24 (n° d’inventaire 6) [Fig. 793]
- matériau : calcaire blanchâtre à grains fins, taille soignée
- dimensions : L 20cm
l 8cm
h 11cm
DESCRIPTION :
Cet élément est très détérioré. Il s’agit d’un fragment de tore en
amande appartenant vraisemblablement à un claveau de nervure d’ogive.
Le socle n’est plus conservé que sur 4.5cm de long sur 0.7cm de haut. Le
tore est plus petit que celui du profil 1 et mesure 10cm par 8cm de large.
Des traces de peinture rouge sont conservées.
INTERPRÉTATION :
Il
est
difficile
d’interpréter
cet
élément
très
fragmentaire,
visiblement apparenté à un claveau de nervure d’ogive d’un profil plus fin
que celui précédemment envisagé. Il pourrait appartenir aux voûtes du
chevet inconnues, aux collatéraux, voire à un bâtiment conventuel. Le
profil en amande nous ferait plutôt pencher pour une datation de la fin du
XIIème siècle au premier tiers du XIIIème siècle.
- 677 -
IDENTIFICATION :
- notice n°25 (n° d’inventaire 8) [Fig. 794]
- matériau : calcaire doré à grains fins, taille délicate.
- dimensions : L 35cm
l 18cm
h 26cm
DESCRIPTION :
Il s’agit d’un fragment de claveau de nervure d’ogive. Le tore est en
amande et mesure 10 par 9cm. Il peut être associé à l’élément de la
notice 24 (n° d’inventaire 6). Il conserve des traces de peinture ocre et de
lait de chaux blanc. Il est très endommagé. Deux autres fragments
inventoriés dans cette étude présentent le même profil et ne feront donc
pas l’objet d’une notice particulière. Le n° d’inventaire 9 ne conserve que
le tore de mêmes dimensions que celui de la notice n°25. Il est préservé
sur 8cm de large. Le n° d’inventaire 27 présente le même tore en amande
ainsi qu’une petite partie du socle bûché de 3cm de haut. Il est conservé
sur 13cm de large. Une face témoigne encore de la présence du mortier
ayant permis sa fixation.
INTERPRÉTATION :
Comme le claveau de nervure d’ogive de la notice 24, il pourrait
correspondre au voûtement de chevet, des bas-côtés ou encore des
bâtiments conventuels aujourd’hui disparus. Quant à sa datation, le profil
en amande nous permet d’envisager une fourchette chronologique des
années 1180-1220.
- 678 -
-
Profil 3 :
IDENTIFICATION :
- notice n° 26 (n° d’inventaire 12) [Fig. 795]
- matériau : calcaire doré, grains fins, taille précise.
- dimensions : L 33cm
l 21cm
h 32cm
DESCRIPTION :
Il s’agit d’un claveau de nervure d’ogive dont le profil est très
différent de ceux observés jusqu’à maintenant. Le tore ne présente pas
d’amande et mesure 9cm de diamètre. Il repose sur un socle massif de
23cm de haut pour 21cm de large. Il n’est pas dégagé de cavets mais
seulement souligné par deux biseaux. L’aspect en est assez massif. Des
vestiges de peinture apparaissent ainsi qu’un fin lait de chaux blanc. C’est
le seul claveau de ce type inventorié.
INTERPRÉTATION :
Il paraît difficile de retrouver la place de cet élément dans l’édifice
étant donné son isolement dans le dépôt lapidaire et son mauvais état de
conservation. D’après son aspect trapu, nous pourrions imaginer une
datation antérieure aux voûtes d’ogives en amande fines. Il pourrait
correspondre au voûtement d’un espace plus ancien. Si le chantier
médiéval a été mené comme souvent d’est en ouest, les voûtes du chœur
pourraient avoir adopté ce profil plus massif. Elles pourraient également
correspondre au voûtement d’un bâtiment conventuel comme la salle
capitulaire, souvent dans les premières salles construites car essentielle à
- 679 -
la communauté monastique. Il est toutefois difficile d’étayer de source
sûre l’une ou l’autre de ces hypothèses.
Concernant le chevet, la
présence d’une pile cruciforme sans colonne engagée nous ferait de plus
plutôt pencher pour une simple voûte en berceau plutôt que des ogives
nécessitant des supports complexes.
- 680 -
-
Profil 4 :
IDENTIFICATION :
- notice n° 27 (n° d’inventaire 25) [Fig. 796]
- matériau : calcaire gris, grains fins, taille délicate.
- dimensions : L 36cm
l 21cm
h 7.5cm.
DESCRIPTION :
Il s’agit d’un claveau de nervure d’ogive très fragmentaire. Il
présente un tore sans amande de 12cm de diamètre. Il n’est pas dégagé
de cavets mais d’une modénature composée d’un petit méplat de 6cm de
large puis d’un biseau de 6.5cm de large. L’aspect en est assez trapu. Un
second
élément
présente
les
mêmes
caractéristiques :
le
numéro
d’inventaire 39 ne bénéficiera ainsi pas d’une notice particulière. La seule
différence avec le claveau de nervure d’ogive n°27 est la présence de
peinture ocre sur le tore.
INTERPRÉTATION :
Comme l’élément de la notice n°26 (n° d’inventaire 12), il est délicat
de retrouver la place de ce fragment dans l’édifice bien que son profil
massif et l’absence d’amande nous fassent pencher pour un type de
voûtement plus ancien, appartenant peut-être à un bâtiment conventuel.
- 681 -
-
Profil 5 :
IDENTIFICATION :
- notice n° 28 (n° d’inventaire 17) [Fig. 797]
- matériau : calcaire gris à grains fins, taille délicate.
- dimensions : L 20cm
l 34cm
h 29cm
DESCRIPTION :
Cet élément présente un profil très différent de ce que nous avons
eu l’occasion d’observer jusqu’à présent. Il se compose d’un tore massif
de 16cm de diamètre surmonté d’un listel de 3.5cm de large et 0.5cm de
hauteur. Ce tore n’est pas dégagé de cavets mais simplement encadré de
deux biseaux. Il repose sur un socle de 20cm de long pour 10cm de
hauteur. Le claveau est ici conservé sur 34cm de large. Ce profil bien
particulier est reconnaissable à plusieurs reprises dans le dépôt lapidaire
de l’abbatiale. Les numéros d’inventaire suivants ne feront ainsi pas l’objet
d’une notice particulière, disposant des mêmes caractéristiques que le
claveau de la notice 28 : 18 (conservé sur 26cm, présente des vestiges de
peinture rouge sur les biseaux), 19 (conservé sur 31cm de large), 21, 22
(traces de peinture ocre sur le tore), 23 (traces de lait de chaux blanc et
de peinture rouge sur les biseaux), 29 (conservé sur 42cm de large, traces
de lait de chaux et de peinture rouge sur les biseaux), 30 (conservé sur
18cm, très détérioré), 32 (conservé sur 18cm de large, vestiges de
peinture rouge et ocre sur les biseaux), 34 (conservé sur 42cm de long,
vestiges de peinture rouge sur les biseaux), 37 (vestiges de lait de chaux
blanc et de peinture rouge, conservé sur 25cm de long) et 48 (tore
entièrement recouvert d’un lait de chaux blanc, conservé sur 21cm).
INTERPRÉTATION :
D’après les voûtes d’ogives encore en place dans l’abbatiale, nous
pouvons constater que si les nervures diagonales disposent de tores en
- 682 -
amande, les nervures transversales présentent des tores à listel du type
du claveau de la notice 28. Ce profil relève plutôt des XIVème-XVème
siècles. Il se rencontre dans d’autres édifices du diocèse de Limoges. Ainsi,
l’église de Mourioux en Creuse, non loin de Bénévent et du Grand-Bourg,
est voûtée d’ogives à méplat dégagé de cavets. Ce voûtement est une
reprise
du
XVème
siècle.
À
Varennes,
ces
ogives
correspondent
vraisemblablement à la réfection des voûtes de l’abbatiale au Bas MoyenÂge. En témoignent les fréquents vestiges de peinture. Ces nombreux
fragments de claveaux de nervure d’ogives à listel peuvent ainsi
appartenir à la voûte de la quatrième travée de la nef.
BIBLIOGRAPHIE :
- C. ANDRAULT-SCHMITT, Limousin gothique, Paris, Picard, 1997, p. 287288.
- 683 -
Couverture :
IDENTIFICATION :
- notice n° 29 (n° d’inventaire 78) [Fig. 798]
- matériau : calcaire gris, grains fins, taille soignée.
- dimensions : L 16cm
h 32cm
DESCRIPTION :
Cet élément très érodé semble être un corbeau dont plusieurs
ressauts successifs forment la modénature très simplifiée. Un second
fragment similaire est conservé dans le dépôt lapidaire du cloître. Il
mesure 23cm de long pour 27cm de hauteur mais ne fera pas l’objet d’une
notice particulière (n° d’inventaire 79).
INTERPRÉTATION :
Ce corbeau très érodé pourrait appartenir à la couverture des
anciens collatéraux mis à bas au milieu du XIIIème siècle. Nous pourrions
également envisager un lien avec une galerie charpentée de cloître, mais
les deux corbeaux conservés au niveau du bâtiment sud du cloître ne
présentent pas le même profil avec des ressauts successifs. Il s’agit
simplement de quart de rond sans modénature. Ces éléments pourraient
être datés des années 1180-1220 s’ils appartiennent bien aux anciens
bas-côtés.
- 684 -
Éléments avec modénatures non classés :
IDENTIFICATION :
- notice n° 30 (n° d’inventaire 7) [Fig. 799]
- matériau : calcaire gris très fin, taille délicate
- dimensions : L 11cm
l 3cm
h 9cm
DESCRIPTION :
Ce fragment très partiel reste difficile à appréhender. Il est presque
entièrement bûché. Une face présente encore une modénature disposant
de trois ressauts successifs. Le biseau le plus haut mesure 6cm de large. Il
est succédé d’une partie verticale de 0.7cm de haut. Puis une seconde
partie biseautée mesure 0.4cm de large, suivie d’un pan vertical de 2cm.
Le dernier biseau de 0.7cm de large est suivi d’une partie verticale de 5cm
de haut.
INTERPRÉTATION :
Il est malaisé d’interpréter un élément aussi fragmentaire. Il pourrait
s’agir d’un petit fragment de plinthe ou de base.
- 685 -
IDENTIFICATION :
- notice n° 31 (n° d’inventaire 24) [Fig. 800]
- matériau : calcaire gris à grains fins
- dimensions : L 34cm
l 20cm
h 21cm
DESCRIPTION :
Cet élément de forme quadrangulaire est orné d’une gorge dans son
tiers supérieur.
INTERPRÉTATION :
Il pourrait vraisemblablement s’agir d’un fragment de corniche,
d’entablement. Sa place dans l’édifice de même que sa datation ne
peuvent toutefois être déduites de si peu d’éléments. Le dépôt lapidaire
de l’abbaye de Prébenoît a révélé le même type d’éléments à mettre en
rapport avec la corniche simplement ornée d’une gorge recevant les
voûtes d’arêtes du collatéral nord de l’abbatiale. Ce dernier pouvait être
daté du premier tiers du XIIIème siècle.
À Varennes, cette corniche recevait-elle les voûtes des bas-côtés ?
Les voûtes de la nef
primitive ? Il paraît audacieux de conclure sur ce point.
BIBLIOGRAHIE :
- I. PIGNOT, L’abbaye cistercienne de Prébenoît en Creuse. Étude lapidaire
et architecturale, maîtrise d’Histoire de l’art, Clermont II, dir. B. PHALIP, A.
COURTILLÉ, 2004, vol. I, p. 198, notice n°37.
- 686 -
IDENTIFICATION :
- notice n° 32 (n°d’inventaire 28). [Fig. 801]
- matériau : calcaire gris à grains fins, taille soignée.
- dimensions : L 18cm
l 17cm
h 17cm
DESCRIPTION :
Cet élément de forme cubique présente un angle chanfreiné.
INTERPRÉTATION :
Il est difficile de retrouver la fonction de ce fragment dans l’édifice et
plus encore sa datation. Il peut s’agir d’un élément de soubassement,
probablement lié à l’abbatiale d’après sa place dans le dépôt lapidaire du
mur gouttereau nord.
- 687 -
IDENTIFICATION :
- notice n° 33 (n° d’inventaire 50) [Fig. 802]
- matériau : calcaire doré à grains fins, taille soignée.
- dimensions : L 43cm
l 26cm
h 3.5cm
DESCRIPTION :
Cet élément est brisé en deux fragments. Il est de forme
quadrangulaire. Il est entouré d’une moulure torique fine (2.5cm de
diamètre) soulignée d’un liseré qui n’est plus observable que sur deux des
quatre côtés. En effet, cet élément est amputé de deux de ses extrémités.
INTERPRÉTATION :
Les interprétations peuvent être multiples pour cet élément. Il
pourrait s’agir d’un fragment de dalle funéraire, de plaque d’autel ou d’un
aménagement liturgique quelconque (armarium, piscines…).
Quant à sa datation, il est malaisé de proposer une quelconque
hypothèse tant cet élément
est fragmentaire.
- 688 -
IDENTIFICATION :
- notice n° 34 (n° d’inventaire 53) [Fig. 803]
- matériau : calcaire gris, grains fins, taille plutôt grossière.
- dimensions : L 27cm
DESCRIPTION :
Ce bloc de forme ovale est divisé par de profondes rainures
régulières, taillées de manière assez grossière.
INTERPRÉTATION :
Il pourrait s’agir d’un fragment de culot comme ceux conservés à
l’angle sud et nord-ouest de la nef actuelle, recevant les voûtes d’ogives,
auquel cas nous pourrions dater cet élément des réfections des voûtes
aux XIVème-XVème siècles.
Néanmoins, d’après Gilles WOLKOWITSCH, cet élément pourrait
provenir de l’ancienne abbaye de Déols, et aurait été apporté en 2001 par
un habitant de Déols qui le conservait dans son jardin, afin de ne pas le
laisser à l’acheteur de sa propriété.
- 689 -
IDENTIFICATION :
- notice n° 35 (n° d’inventaire 60) [Fig. 804]
- matériau : calcaire doré à grains fins, taille délicate.
- dimensions : L 35cm
l 20cm
h 28cm
DESCRIPTION :
Ce bloc quadrangulaire présente dans sa partie supérieure deux
cavets latéraux très fins auxquels succèdent deux biseaux formant un
angle rentrant.
INTERPRÉTATION :
Il pourrait s’agir d’un élément de pilier ou de soubassement. Quant à
sa place dans
l’édifice et sa datation, il est difficile de formuler une hypothèse
convaincante, d’autant plus que cet élément est isolé dans le dépôt
lapidaire.
- 690 -
IDENTIFICATION :
- notice n° 36 (n° d’inventaire 65) [Fig. 805]
- matériau : calcaire jaune aux grains très fins, taille soignée.
- dimensions : L 20cm
l 11cm
h 31
DESCRIPTION :
Ce petit élément très endommagé dispose sur une face de deux
gorges superposées respectivement de 12 et 16cm. Elles sont séparées
horizontalement et verticalement par une petite saignée très fine. Un
second fragment présente la même modénature et ne disposera pas d’une
notice particulière : il s’agit du numéro d’inventaire 66.
INTERPRÉTATION :
Considérant le mauvais état de conservation de ces deux fragments,
il paraît délicat d’en proposer une interprétation et d’envisager leur place
dans l’édifice ainsi qu’une datation probable. Leur place dans le dépôt
lapidaire du cloître ne suffit à elle seule à proposer leur rattachement aux
bâtiments claustraux. D’après la saignée, nous pourrions imaginer qu’il
s’agisse de piédroits de baies destinées à recevoir des vitraux. L’abbaye
médiévale disposait-elle de vitraux en grisaille comme à Bonlieu ou
Obazine ? Il est difficile de l’attester d’après ces deux seuls éléments.
Nous pourrions également envisager que ces deux éléments
appartiennent à un cloître vitré. Ce type de cloître est connu dans le nord
de la France à Saint-Jean-des-Vignes, Saint-Léger de Soissons, à la
cathédrale de Laon (début XIIIème siècle), de Langres. Plus proche, le
cloître de l’abbaye cistercienne de Noirlac disposait également de vitres
(dernier quart du XIIIème siècle). En effet, les oculi surmontant les arcades
des galeries nord et ouest présentent des saignées témoignant de la
présence d’anciens vitraux, peut-être en grisaille. Les vitraux dans les
cloîtres cisterciens sont attestés depuis le second quart du XIIIème siècle.
Huit abbayes cisterciennes disposaient ainsi de cloîtres vitrés comme
- 691 -
Haina (vers 1240), Heiligenkreuz (1220-1250) ou Altenberg (XVIème
siècle). Le même cas de figure pourrait être envisagé à Varennes dans la
première moitié du XIIIème siècle. C’est également le cas à Saint-Martial
de Limoges dans le second quart du XIIIème siècle, témoignant de
l’introduction d’une architecture septentrionale.
- 692 -
BIBLIOGRAPHIE :
- J. HAYWARD, « Glazed Cloisters and their Development in the Houses of
the Cistercian Order”, Gesta, vol. XII, 1973, p. 93-109.
- X. LHERMITE, « L’invention architecturale au XIIIème siècle à SaintMartial. De la plus ancienne voûte d’ogives de Limoges à l’introduction de
l’architecture gothique rayonnante », dans C. ANDRAULT-SCHMITT (dir.),
Saint-Martial de Limoges. Ambition politique et production culturelle
(Xème-XIIIème siècles), PULIM, Limoges, 2006, p. 309-326.
- 693 -
IDENTIFICATION :
- notice n° 37 (n° d’inventaire 97) [Fig. 807]
- matériau : calcaire jaune à grains fins, taille délicate.
- dimensions : L 20cm
l 9cm
DESCRIPTION :
Ce fragment très érodé et bûché présente deux beaux motifs floraux
ressemblant à des marguerites avec d’épais pétales.
INTERPRÉTATION :
Ce fragment pourrait correspondre à un élément de chapiteau et
évoque en particulier les chapiteaux se prolongeant en frise sur les piles
quadrangulaires massives du cloître. Il pourrait ainsi être daté des
XIVème-XVème siècles, avec toute la prudence qui s’impose face à un
élément si abîmé.
- 694 -
•
Synthèse. Apports et hypothèses de l’étude lapidaire :
Cet inventaire lapidaire recense 99 éléments présentant des modénatures dont 37 ont
fait l’objet d’une notice particulière. Les premiers constats soulignent la simplicité des
modénatures et des profils d’ogives pris en compte. La réticence à l’image sculptée semble
bien présente. Aucune figure n’est représentée dans l’échantillon envisagé et seul un élément
très fragmentaire est orné de feuillages (notice n°37, n° d’inventaire 97). Sobriété et simplicité
sont de mises au sein du modeste monastère cistercien. Toutefois, aucun chapiteau n’a été
retrouvé et peut-être les éléments sculptés les plus intéressants ont été pillés et remployés dans
les demeures alentours. Les prospections menées sur la commune de Fougerolles n’ont guère
été fructueuses quant à ces probables éléments vagabonds. Suite à la description et l’analyse
de ces divers éléments, il revient à présent de cerner leurs apports pour la connaissance des
bâtiments disparus et des premières dispositions de l’abbatiale (1180-1220).
Pour une approche du chantier médiéval :
Ces quelques éléments fragmentaires, souvent érodés et extraits de leur contexte
permettent néanmoins de formuler quelques modestes hypothèses sur le déroulement du
chantier de construction.
Le matériau utilisé est un calcaire à grains fins, de bonne qualité et de couleur dorée.
Les variations de couleur observées s’expliquent par la conservation de quelques éléments à
l’abri tandis que d’autres sont exposés à l’extérieur et prennent souvent une teinte plus grise.
Il permet une taille précise sans aspérité et est souvent privilégié des sculpteurs pour ses
qualités. Les bâtisseurs de Varennes ne semblent toutefois pas avoir profité des potentialités
de cette pierre et la sculpture est discrète aux XIIème et XIIIème siècles. Seules les
modénatures toriques semblent admises. Est-ce dû à une volonté de conformité avec les
préceptes cisterciens d’austérité ou à la pénurie de sculpteurs qualifiés sur le chantier de
construction ? L’édification de l’abbaye de Varennes relève-t-elle plus du travail de maçons
que de tailleurs de pierre ? Cette question sera débattue et évaluée par la suite à la lumière de
l’ensemble des abbayes cisterciennes étudiées et de comparaisons avec d’autres sites
monastiques et paroissiaux de l’ancien diocèse de Limoges et de ses marges1946. Toutefois, ce
matériau n’est pas choisi par hasard. L’abbaye est implantée sur un sol de granites,
micaschistes et gneiss. Les bâtisseurs sont donc allés chercher plus loin ce matériau de
qualité. L’étude de la Carte archéologique de l’Indre révèle la présence non loin du site
monastique de deux langues de sols calcaires : l’une à 7 km au nord-est dans les environs de
1946
Voir III. A.
- 695 -
Lourouer-Saint-Laurent, l’autre à 10 km à l’ouest autour de Mouhers et Cluis. Les blocs de
pierre auraient pu être acheminés depuis ces zones peu éloignées1947.
Cette recherche d’un matériau plus fin et plus propice à la sculpture que le granite
directement présent sur place témoigne d’une certaine recherche esthétique de la part des
bâtisseurs. Ce choix plus onéreux pourrait être justifié par le statut d’abbaye royale de
Varennes et l’intérêt porté au site par Henri II qui aurait pu déterminer certains choix
architecturaux. La taille des matériaux est quoi qu’il en soit particulièrement soignée et des
traces de marteaux taillants sont visibles sur certains blocs, témoignant du travail tout en
régularité des tailleurs de pierre. Les marques sont en effet obliques et régulières (notices 7 et
21).
Nous pouvons également constater une volonté de rationalisation du chantier, témoin
d’une réflexion certaine du maître d’œuvre pour réduire les coûts d’édification et surtout le
temps de réalisation. En effet, une standardisation de nombreux éléments est sensible et
s’observe pour les tambours de colonnette du cloître présentant la même longueur (notice 10).
La taille de ces éléments, leur pose et leur assemblage sont ainsi facilités et l’exécution en est
plus rapide. Cette standardisation de certains éléments produits en atelier à l’identique et
assemblés sur place est une des caractéristiques de la mise en œuvre gothique et confirme la
précocité des moines blancs à évaluer ces méthodes dès les années 1200 (mise en œuvre
probable du cloître de l’abbaye de Varennes).
Ces quelques constations témoignent de l’apport non négligeable d’une étude lapidaire
pour la compréhension de certaines particularités d’un chantier de construction cistercien.
Elles seront étayées et discutées plus avant dans la suite de notre étude (synthèse sur le
chantier médiéval cistercien dans le diocèse de Limoges et ses marges)1948.
Les supports :
L’analyse de nombreux éléments lapidaires nous a conduit à les assimiler à des
fragments de supports liés aux bâtiments conventuels ou à l’abbatiale. Ainsi, des tambours de
colonnettes de cloître de 16cm de diamètre ont été inventoriés, associés à de petites bases,
parfois à griffes, permettant une datation de la fin du XIIème siècle au premier tiers du
XIIIème siècle [Fig. 771]. Une base similaire est conservée à l’abbaye de Prébenoît (18cm de
haut, L 40 par 36cm), datée des années 1180-1220. Elle présente les mêmes griffes
triangulaires simples. Ces éléments nous permettent de mieux imaginer la physionomie du
1947
1948
G. COULON, J. HOLMGREN, Carte archéologique de la Gaule, Indre, Paris, 1992.
Voir III. A.
- 696 -
cloître médiéval avant les remaniements partiels du Bas Moyen-Âge. Ces colonnettes
appartenaient vraisemblablement au mur-bahut et devaient être jumelées comme l’atteste la
présence de bases accouplées (notice 1, n° d’inventaire 63). Nous n’avons toutefois pas
retrouvé de chapiteaux associés à ces colonnettes. Il est relativement aisé de déduire de ces
éléments la dimension de ces piliers de cloître, par comparaison avec les études menées sur
les cloîtres d’Obazine et de Prébenoît. Les bases retrouvées mesurent 20cm de haut environ,
les tambours des colonnes 40cm de haut. En prenant pour référence le chapiteau de colonnette
de cloître de l’abbaye de Prébenoît daté des années 1200, dont le profil et les dimensions sont
assez fréquents dans un cadre cistercien, nous pourrions imaginer un chapiteau à Varennes de
24cm environ. À Obazine, les chapiteaux lisses du cloître mesurent entre 22 et 25cm de
hauteur. Si on suppose la succession de trois tambours de colonnette de 40cm de hauteur, des
joins de 1.50cm de large, nous parvenons ainsi à une hauteur de pilier d’1.71m, ce qui paraît
plausible face aux dimensions données à Prébenoît (1.76m) et à Obazine (1.80m)1949. Nous
avons également inventorié deux tambours de colonnette liés aux colonnettes d’angles de la
pile quadrangulaire complexe située à l’angle sud-ouest du cloître. Ce pilier massif est
vraisemblablement lié aux réfections du bas Moyen-Âge comme en témoignent les chapiteaux
ornés de feuilles de trèfles se prolongeant sur le pourtour du pilier et les vestiges de peinture
ocre-rouge (notice n°8, n° d’inventaire 61 et 62).
L’étude lapidaire a révélé des fragments de colonnes engagées dont il est difficile de
connaître la provenance dans l’édifice et plus encore une datation plausible. Ils présentent un
diamètre de 20cm (notices 13 et 14 ; n° d’inventaire 98 et 99). Ils pourraient correspondre à
des supports de la nef recevant les ogives primitives mises en place dans les années 1200,
reprises aux XIVème-XVème siècles, aux collatéraux mis à bas au milieu du XIIIème siècle
ou aux bâtiments conventuels. La présence de peinture probablement ajoutée au XIVème
siècle en même temps que celle du cloître et des voûtes de la nef nous ferait plutôt pencher
pour une appartenance au vaisseau principal et non aux bas-côtés déjà détruits à cette date. Un
autre tambour de colonnette engagée de 13cm de diamètre pourrait être lié aux aménagements
claustraux (notice 9, n° d’inventaire 64). La présence de ces fragments de colonnes engagées
va dans le sens de supports complexes, accueillant probablement des voûtes d’ogives,
1949
I. PIGNOT, L’abbaye cistercienne de Prébenoît en Creuse. Étude lapidaire et architecturale, maîtrise
d’Histoire de l’art, Clermont II, dir. B. PHALIP, A. COURTILLÉ, vol. 1, 2004, p. 74 et 91 ; B. BARRIÈRE,
« Les cloîtres d’Obazine et Coyroux, en Corrèze », TAL, T 1, 1981, p. 83-89 ; B. BARRIÈRE, « Les cloîtres des
monastères d’Obazine et de Coyroux en Bas-Limousin », Mélanges à la mémoire du père A. DIMIER, Pupillin,
tome III, 1982, B. BARRIÈRE (dir.), Moines en Limousin, l’aventure cistercienne, PULIM, Limoges, 1998, p.
72.
- 697 -
inscrivant ainsi l’abbaye de Varennes au cœur d’expériences gothiques comme en témoignent
les nombreux claveaux de nervures d’ogives découverts sur le site.
Les percements :
Les éléments liés à des percements (baies, portes, portails) ne sont guère nombreux
dans l’inventaire réalisé. Des piédroits modernes ont été identifiés, vraisemblablement liés
aux réaménagements agricoles de l’abbaye aux XVIIIème et XIXème siècles. Certains
fragments peuvent être rattachés à des portails à voussures toriques comme on en trouve
fréquemment dans le diocèse de Limoges dans les années 1200 (Bonlieu en 1220, chapiteaux
isolés recevant les tores ou Lamaids en 1250 avec chapiteaux en frise, de même à SaintLéonard-de-Noblat, Pontarion, Gouzon). Trois éléments ont été inventoriés et dont les
diamètres des tores diffèrent : 5cm (notice 19, n° d’inventaire 11), 3cm (notice 20,
n’°d’inventaire 44), et 7cm (notice n° 21, n°d’inventaire 59). Ce dernier correspond au portail
occidental de l’abbatiale édifié dans les années 1200-1220 et dont il reste le départ des
piédroits en place. Nous n’avons toutefois pas retrouvé de chapiteaux associés ou de
fragments d’archivolte. Les deux autres fragments inventoriés pourraient correspondre à
d’autres ouvertures comme la porte des moines, la porte des convers ou encore la porte de
communication vers le cloître.
Enfin, un petit fragment mouluré muni d’un goujon pourrait s’adapter à un portail
polylobé (notice n°18, n° d’inventaire 2) [Fig. 787]. Toutefois, ce type de portail est plutôt
rare dans un cadre cistercien mais est connu dans le diocèse de Limoges au milieu du XIIème
siècle à la Souterraine (portail occidental), à Meymac, Allassac ou encore à la proche
abbatiale de Déols à la même période. Il peut aussi bien s’agir d’un fragment de remplage.
Le voûtement :
L’étude des nombreux claveaux de nervure d’ogive a permis le classement en cinq
profils différents. Le profil 1 dispose d’un tore en amande souligné de deux cavets,
relativement fin. Il correspond au profil observé sur les croisées d’ogives des travées restantes
de la nef. Les éléments inventoriés sembleraient appartenir au voûtement de la travée détruite
de la nef. Cette voûte a toutefois été remontée aux XIVème et XVème siècles puis repeinte.
Ce profil en amande est pourtant courant dans les premières expériences gothiques,
particulièrement dans les espaces Plantagenêts. Il apparaît dès la fin du XIIème siècle à
Pontigny, sous une forme plus complexe, tréflée, et perdure jusqu’à la fin du XIIIème siècle
(L’Abbaye-Nouvelle). Nous pourrions imaginer l’usage de ce profil durant le bas Moyen-Âge
- 698 -
à Varennes. Les bâtisseurs auraient également pu réutiliser les claveaux de l’ancienne voûte
d’ogives mise en place dans les années 1200.
Le deuxième profil témoigne également d’un tore en amande, plus fin que le
précédent, datable des années 1180-1220. Il pourrait appartenir au voûtement des collatéraux,
des bâtiments conventuels ou encore aux premières voûtes de la nef. Quant au chevet, la
présence du pilier cruciforme avec des dosserets, sans colonne engagée nous laisse supposer
un voûtement plus simple, en berceau brisé par exemple, plus que l’usage d’ogives qui
auraient nécessité des supports complexes.
Le profil 3 est plus massif. Le tore de 9cm de diamètre ne dispose pas d’amande. Il
pourrait convenir à un voûtement plus ancien, appartenant peut-être à un bâtiment conventuel
tel la salle capitulaire, souvent édifiée dans les premières étant donné son importance pour la
communauté monastique.
Le profil 4 est également trapu et son tore sans amande mesure 12cm de diamètre. Les
mêmes hypothèses peuvent être proposées que pour le profil précédent.
Quant au dernier profil, il est massif. Le tore est surmonté d’un listel. Ce type d’ogive
est caractéristique du bas Moyen-Âge (XIVème-XVème siècles). Il est encore observable
dans les trois travées de la nef conservées et orne les nervures longitudinales. Les nombreux
claveaux retrouvés lors du recensement correspondent donc assurément aux voûtes de la
travée détruite de la nef.
L’étude des claveaux de nervure d’ogive nous permet donc quelques hypothèses sur le
voûtement encore méconnu de l’abbaye de Varennes. Face au nombre important de claveaux
ornés de tores en amande, nous pouvons supposer que la voûte primitive de la nef, sans doute
édifiée dans les années 1200 disposait d’un tel profil, simple, comme on en rencontre à la
même époque à Fontmorigny. Ce type d’ogive apparaît en fait dès 1170 dans certaines
abbayes de la moitié nord de la France comme à l’abbaye de Cherlieu en Haute-Saône,
concomitamment à la cathédrale de Langres1950. L’abbaye de Villelongue près de Carcassonne
révèle également le même type d’ogive au tore aminci en amande entre deux cavets, daté de la
première moitié du XIIIème siècle1951. Cette voûte est remplacée au bas Moyen-Âge par une
autre voûte d’ogives dont les profils alternent listel (nervures longitudinales) et amande
(nervures diagonales). Elle est revêtue d’une peinture ocre-rouge.
1950
D’après É. VERGNOLLE, visite de l’abbaye de Cherlieu lors du colloque de Vesoul en juin 2006 sur les
granges cisterciennes de Franche-Comté.
1951
B. CHAUVIN, Pierres… pour l’abbaye de Villelongue, histoire et architecture, T II, Pupillin, Arbois, 1992,
p. 250-251 ; J-L. BIGET, H. PRADALIER, M. PRADALIER-SCHLUMBERGER, « L’art cistercien dans le
Midi Toulousain », dans Les cisterciens de Languedoc (XIIIème-XIVème siècles), Cahiers de Fanjeaux,
Toulouse, Privat, 1986, p. 313-370.
- 699 -
Le voûtement des collatéraux n’est pas connu et la diversité des types de voûtement
employés pour ces espaces dans les sites cisterciens ne nous aident guère à affiner nos
hypothèses. Nous serions tenté d’imaginer là encore des voûtes d’ogives au profil en amande
face au nombre conséquent de ces éléments retrouvés en inventaire. L’importance d’Henri II
Plantagenêt sur la fondation du site pourrait corroborer cette hypothèse, ce profil étant
fréquent dans les espaces aquitains dévolus au roi anglais1952. Il n’est pas rare de rencontrer
une nef voûtée d’ogives, contrebutée par des collatéraux également voûtés d’ogives dans un
cadre cistercien. Cette solution est adoptée à Aiguebelle pour ne citer que cet exemple (com.
Montjoyer, Drôme). D’autres solutions peuvent être admises. À Mazan (com. MazanL’Abbaye, Ardèche) et Léoncel (com. Léoncel, Drôme), les bas-côtés sont voûtés en berceaux
rampants1953.
Quant au chevet, d’après le pilier cruciforme sans colonne engagée conservé, il
paraîtrait plus plausible d’imaginer une voûte en berceau brisé ne nécessitant pas d’être reçue
par des piles complexes comme les ogives.
Ces propositions ne sont bien sûr que des suppositions d’après les éléments retrouvés
en inventaire. Face à l’absence de textes et de descriptions éclairantes, il nous paraît délicat
d’affirmer l’une ou l’autre de ces hypothèses. Cette étude lapidaire permet néanmoins de
mieux connaître certains aménagements du cloître et notamment les colonnes géminées
reposant sur le mur-bahut. Ce cloître était peut-être vitré comme celui de la proche abbaye de
Noirlac (1230). En témoignent deux probables éléments de remplages de baies dont la saignée
servait à la pose de vitres, découverts dans le dépôt lapidaire lié à la destruction des bâtiments
claustraux. Ces cloîtres vitrés sont fréquents en France septentrionale et pénètrent dans le
diocèse de Limoges par l’abbatiale Saint-Martial dans le second quart du XIIIème siècle.
Le voûtement est de même mieux perçu et permet de constater le recours fréquent à
l’ogive adoptée dans l’église de Varennes mais aussi sans doute dans certains bâtiments
conventuels. Le profil en amande est à la fois le reflet d’un premier gothique bien intégré,
d’une insertion dans des espaces Plantagenêts et de l’appartenance à un ordre religieux
prônant la sobriété, au fait des innovations de la construction et de la mise en œuvre.
1952
L. GRANT, « Le patronage architectural d’Henri II », CCM, n°1-2, janvier-juin 1994, p. 73-84 ; J. L.
LOZINSKI, « Henri II, Aliénor d’Aquitaine et la cathédrale de Poitiers », CCM, n°1-2, janvier-juin 1994, p. 91100.
1953
M. WULLSCHLEGER (dir.), « Léoncel, une abbaye cistercienne en Vercors », Revue Drômoise, n° spécial,
Crest, 1991.
- 700 -
III. Réalités cisterciennes du diocèse de Limoges. Entre spécificité discutée
et tendance à une « universalité » des formes.
A. Chantier médiéval cistercien :
Les dix-huit monographies proposées précédemment ont permis une mise au point des
connaissances historiques, archivistiques, archéologiques et stylistiques des sites cisterciens
de l’ancien diocèse de Limoges et de ses marges. Mise au point néanmoins partielle face à
certains édifices presque entièrement ruinés (Boeuil et Derses), d’autres très remaniés
(Varennes, Bonnaigue) et des fonds d’archives parfois indigents (Varennes, Les Pierres).
Suite à ces descriptions monographiques, il semble nécessaire de proposer une vision
plus synthétique, thématique afin de dégager un certain nombre de cohérences ou de
différences entre ces divers monastères de l’ordre. Des constatations doivent faire l’objet de
développements plus précis.
Certaines formulations artistiques, certains choix des bâtisseurs témoignent de
ressemblances indéniables pouvant se justifier par un faisceau de facteurs : une incidence
géographique et géologique (forte présence de sols métamorphiques, granite souvent
privilégié, couvert forestier), une incidence de la géographie politique (appartenance du
diocèse de Limoges à une vaste Aquitaine ; des moines cisterciens qui semblent tournés vers
les pays d’Ouest comme en témoigne le fréquent recours à la nef unique, au chevet plat, aux
coupoles de croisée ou files de coupoles), une cohérence chronologique (périodes proches de
construction pour une majorité d’édifices bâtis dans la seconde moitié du XIIème siècle et le
premier tiers du XIIIème siècle) et enfin une volonté commune d’austérité, de simplicité et de
dépouillement à replacer dans le cadre de mouvements érémitiques ascétiques (communautés
daloniennes ou fondations d’Obazine), de choix cisterciens, cohérents avec les goûts des rois
Plantagenêts présents en Limousin dans la seconde moitié du XIIème siècle.
À ces ressemblances pouvant de prime abord faire croire à une certaine unité, une
uniformité des créations cisterciennes de l’ancien diocèse de Limoges, s’opposent un certain
nombre de dissemblances, de disparités pouvant être en partie liées au contexte économique
de ces sites monastiques. En effet, certains monastères sont peu dotés, éloignés de seigneuries
dominantes et riches (c’est le cas du Palais-Notre-Dame, relativement isolé des principales
seigneuries marchoises et limousines), d’autres éprouvent des difficultés à constituer des
domaines agricoles d’un seul tenant, à multiplier les granges et à diversifier leurs activités.
- 701 -
Ainsi, les sites de Prébenoît, d’Aubignac ou de Varennes restent des abbayes
modestes, dotées de peu de possessions, de six ou sept granges maximum, à l’inverse de
monastères opulents comme Obazine ou Dalon (entre vingt et trente exploitations agricoles).
Ces abbayes disposent souvent de communautés restreintes (le Palais accueille seize moines
au XIIIème siècle, cinq ou six convers) et périclitent relativement tôt après le passage au
faire-valoir indirect. Cette situation précaire caractérisée par une faiblesse notoire des revenus
se ressent sur la mise en œuvre, souvent faite à l’économie. Les parements sont ainsi
fréquemment en petit appareil de moellons tandis que seuls les éléments structurants
(soubassements, harpages, contreforts, piédroits de baies) sont de moyen appareil régulier de
qualité (Prébenoît, Les Pierres).
À l’inverse, des abbayes telles Bonlieu, Dalon ou Obazine parviennent à « tirer leur
épingle du jeu ». En effet, elles sont largement dotées dès les premiers temps des fondations,
jouent la carte des activités commerciales et parviennent à diversifier leurs activités : vignes,
élevage, productions céréalières, possessions urbaines (greniers, maisons de ville), salines
(Dalon et Obazine).
Certaines disparités peuvent être liées au statut même des abbayes. Ainsi, les
monastères de Derses et Coyroux accueillent des communautés féminines, souvent moins
nombreuses que les communautés masculines (néanmoins, nous savons que Coyroux
disposait d’une centaine de moniales peu après sa fondation.). Ces femmes sont fréquemment
sous la dépendance d’une abbaye d’hommes et ne peuvent dans un premier temps gérer leur
patrimoine elles-mêmes. Ainsi, Derses est fondée par le monastère relativement éloigné de
l’Esclache dans le diocèse de Clermont tandis que Coyroux est étroitement liée au monastère
d’Obazine et ne pourra acquérir son indépendance que tardivement (XIVème siècle). Il s’agit
d’édifices modestes, aux dimensions réduites s’apparentant plus à une celle grandmontaine.
La nef unique sans transept et le chevet plat sont requis, la mise en œuvre est à moindre coût.
Ce même plan simplifié est adopté à Bonnaigue, choix qui pourrait être justifié par les
origines érémitiques de son abbaye-mère Obazine, ou par son statut même de fille d’Obazine,
de même que Valette dont nous ne connaissons malheureusement pas le plan.
D’autres distinctions et différences peuvent être liées à la personnalité des donateurs,
seigneurs ou grandes familles plus ou moins impliqués dans la vie et les modifications du
monastère. Au XIIIème siècle, certaines abbayes connaissent une période d’embellissements
souvent due aux seigneurs donateurs, comme à Prébenoît où l’inhumation de Roger de Brosse
conduit à de profonds bouleversements dans le décor du chevet (mise en place d’un pavement
glaçuré, d’un gisant) [Fig. 372], tandis que l’abbaye de Bonlieu se dote de pavements, de
- 702 -
vitraux et de croix de consécration [Fig. 166 à 168]. À Obazine, la sépulture d’Étienne est
déplacée dans le bras sud de transept et a pour écrin un tombeau de calcaire en forme de
châsse-reliquaire (seconde moitié du XIIIème siècle) .
De même, nous pouvons nous demander si la différence entre abbayes affiliées
tardivement et créations directes a pu avoir des conséquences sur les partis architecturaux et
les choix artistiques. En effet, un certain nombre de monastères ne sont pas cisterciens au
départ : il s’agit des ermitages géraldiens (vers 1120), érigés en monastères daloniens dans les
années 1140, tardivement affiliés à Cîteaux en 1162 (Le Palais, Prébenoît) ou des créations
d’Étienne d’Obazine, affiliées en 1147 (Bonnaigue, Valette). Concernant le Palais et
Prébenoît, nous pouvons nous demander si nous sommes en présence des réalités daloniennes,
remaniées lors de l’affiliation à Cîteaux ou si ces monastères ont entièrement été reconstruits
suite au rattachement à l’ordre de saint Bernard. Seules des fouilles archéologiques plus
poussées pourraient nous permettre la connaissance d’éventuels bâtiments plus anciens.
Néanmoins, nous doutons fortement de la possibilité d’une reconstruction totale de ces deux
monastères. En effet, le Palais et Prébenoît sont des communautés modestes n’ayant sans
doute pas pu financer une reconstruction d’une telle ampleur après l’affiliation. Des
réaménagements pour être en cohérence avec les idéaux de l’ordre paraissent plus plausibles.
Il ne faut pas non plus oublier que Dalon et ses filles vivent avant même l’affiliation à la
manière des cisterciens et disposent déjà d’un chapitre quotidien. De profonds
réaménagements n’ont ainsi peut-être pas eu lieu d’être.
Quant aux créations directes de l’ordre cistercien dans le diocèse de Limoges, elles
sont malheureusement mal préservées aujourd’hui. En effet, les sites d’Aubepierres, Derses,
La Colombe et Peyrouse ont presque entièrement disparu. De l’abbaye des Pierres restent
néanmoins quelques pans de murs et éléments lapidaires permettant une connaissance
partielle du site. Le monastère de Varennes est quant à lui très remanié mais dispose de
suffisamment de vestiges pour la présente étude. Quant à définir un plan « type » propre aux
créations directes, il nous semble hasardeux face à la disparité des partis architecturaux (nef
unique à l’abbaye des Pierres, chevet plat et nef à bas-côtés à Varennes, Aubepierres, plans
inconnus à la Colombe et Peyrouse).
Ainsi, il paraît nécessaire de faire la part des cohérences et dissemblances repérées
pour ces dix-huit sites cisterciens du diocèse de Limoges et de ses marges. Certaines
ressemblances sont-elles suffisantes pour pouvoir parler d’un « art cistercien » propre au
diocèse de Limoges ou les différences identifiées prennent-elles le pas ?
- 703 -
Nous ne souhaitons pas ici parler d’un art cistercien « Limousin », les limites
régionales actuelles ne correspondant pas aux limites diocésaines de l’époque. De plus, cette
idée d’un art propre lié à une région correspond à une hypothèse surannée (les « écoles
régionales ») développée par les érudits du XIXème siècle et battue en brèche depuis une
trentaine d’années dans l’historiographie. Nous préférons envisager le diocèse de Limoges
comme une zone frontière, aux marges septentrionales de l’Aquitaine, au carrefour des
réalités artistiques des pays d’Ouest et des terres capétiennes ; une zone de rencontre,
d’échanges et d’interpénétrations de formes artistiques et de techniques architecturales plutôt
qu’un espace fermé doté d’une individualité artistique. Quant à l’existence d’un « art
cistercien » à part entière, il fera l’objet d’une discussion dans la suite de cette synthèse1954.
a. Mise en œuvre :
Avant de proposer une synthèse sur la mise en œuvre des bâtiments cisterciens du
diocèse de Limoges et de ses marges, il convient d’avertir le lecteur qu’une telle étude ne peut
être que lacunaire face à la destruction d’un certain nombre de sites. Quelques abbayes ne
disposent plus d’élévation médiévale : c’est le cas d’Aubignac, Boeuil, Valette, Aubepierres,
Derses et la Colombe. Un tiers des édifices pris en compte dans notre étude demeure donc
difficile à analyser, et principalement connu par des éléments lapidaires erratiques (porte
romane conservée à Auriac, témoin de l’abbaye de Valette [Fig. 822]), par de précieuses
descriptions dans les inventaires révolutionnaires ou dans des articles d’érudits locaux (cas
d’Aubignac). Cette étude est donc parcellaire et ne peut prétendre à prendre en compte
l’ensemble du paysage artistique médiéval.
1. Carrières, matériaux de construction, acheminement :
Les carrières et moyens de transports sont rarement évoqués dans les textes médiévaux
propres au diocèse de Limoges. La Vie de Saint Étienne d’Obazine en fait toutefois
rapidement état :
« Il [Étienne] fît également bâtir un cloître et, tout autour,
des habitations régulières. Au centre, fut taillée une
élégante fontaine. On amena, pour cela, une pierre d’un
poids énorme, que trente paires de bœufs avaient peine à
mouvoir et l’on compléta le chargement avec une très
grande table d’autel.
1954
Voir III. C. 2. Une tentative d’uniformisation. L’échec de la diffusion du modèle « bernardin ».
- 704 -
(…) Ces pierres, enfin arrivées à destination, furent
convenablement taillées, creusées et placées aux endroits
qu’il fallait1955.
L’étude des carrières utilisées par les bâtisseurs lors de la construction des abbayes
cisterciennes du diocèse de Limoges révèle que ceux-ci choisissent bien souvent la proximité
afin de pouvoir bâtir à moindre coût.
À Prébenoît, les bâtisseurs utilisent la carrière de granite de Marcillat, à quatre
kilomètres environ au sud-est du monastère [Fig. 381]. Les toponymes « la pierre ébue » et les
« pierres en crochet » situés autour de l’actuel hameau peuvent d’ailleurs être un souvenir de
cette ancienne exploitation1956. Le granite est une roche grenue et microgrenue. Son
comportement à la taille varie en fonction du volume des cristaux et de leur cohésion. En
effet, plus les cristaux sont fins et solidaires, plus l’homogénéité globale augmente et facilite
la taille1957. C’est ainsi que les éléments sculptés découverts dans le dépôt lapidaire de
l’abbaye de Prébenoît recourent à un granite à grains très fins permettant une taille
relativement précise, tandis que les parements (harpages, soubassements, contreforts) ne
nécessitent pas la même qualité et la même précision. Les grains du granite sont alors moyens.
C’est donc le granite gris qui est extrait de cette carrière tandis que le schiste, autre
matériau utilisé pour la mise en œuvre est directement présent sur le site. Cette roche très
clivable est surtout prisée pour les petits appareillages et les dallages. Les moines cisterciens
semblent ainsi s’adapter aux ressources du sol et limitent de fait les coûts de transport de
pierres. Les cisterciens semblent aller à l’économie. Les matériaux sont soit directement
extraits du site, soit issus des proches environs afin de réduire au maximum les
investissements. Pour la réalisation du mortier de chaux, le calcaire devait être acheminé
depuis le Berry. En effet, la Haute-Marche dispose d’un sol granitique, tandis que les zones
calcaires les plus proches devaient être celles de l’extrémité nord-ouest de la Brenne et de la
Champagne Berrichonne au nord-est du Berry [Fig. 5 et 6]. La proximité des bois entourant
l’abbaye de Prébenoît en facilite la production.
Plusieurs types de mortiers peuvent être requis par les bâtisseurs. Le mortier de terre
est simplement constitué de sable argileux. Il est le plus souvent usité pour les bâtiments de
communs. C’est le cas pour les bâtiments conventuels de l’abbaye de Coyroux1958. Le mortier
1955
M. AUBRUN, op. cit., p. 87.
IGN Série Bleue 1/25000ème, Châtelus-Malvaleix, 2228 E.
1957
J-C. BESSAC, « L’archéologie de la pierre de taille », dans La construction. Les matériaux durs : pierre et
terre cuite, Collection « Archéologiques », éditions Errance, Paris, 2004, p. 7-49.
1958
D. PRIGENT, C. SAPIN, op. cit.
1956
- 705 -
de chaux est toutefois le plus fréquemment employé. Il est constitué de chaux éteinte et d’un
agrégat délayé dans l’eau. La chaux est obtenue par calcination du calcaire à 950° dans des
fours. L’agrégat se compose de sable siliceux ou de calcaire provenant généralement des
alluvions de proches cours d’eau (Le Cluzeau à Prébenoît). Il est plus ou moins grossier. En
effet, les sables des cours d’eau sont soit lavés pour les débarrasser des impuretés (brindilles,
terres, feuilles) soit tamisés, ce qui intervient sans doute plus rarement. À ces mortiers
peuvent aussi se mêler des chutes de taille, particulièrement dans les zones de blocage. C’est
le cas pour le blocage des murs gouttereaux du chevet de l’abbaye du Palais-Notre-Dame.
Nous pouvons distinguer un mortier gras, doté d’une faible teneur en eau et à la prise plus
rapide. Sa composition entraîne la création d’alvéoles entre les pierres permettant des
respirations, et par conséquent un séchage plus rapide et une meilleure conservation des
parements1959. La réalisation de parements en petit appareil se caractérise par des joints épais,
de 2 à 3 cm. Le mortier est généralement gras, les sables ne sont pas tamisés (parements de
l’abbaye de Prébenoît). Dans une mise en œuvre en moyen appareil (Dalon, Boschaud), les
joints sont minces (0.5 à 1cm), les mortiers humides, les sables tamisés. Dans ce système, les
alvéoles entre les pierres disparaissent1960.
L’abbaye de Dalon, implantée en bordure du bassin de Brive, est bâtie en calcaire
blond, issu des carrières de Saint-Robert à une dizaine de kilomètres environ au sud du
monastère. Le calcaire est une pierre compacte dont le grain est indécelable à l’œil nu car
inférieur à ½ mm. Il est polissable et très prisé pour les œuvres soignées1961. Les pierres ainsi
polies peuvent dès lors réfléchir la lumière de même que les enduits de chaux recouvrant les
parements1962. Néanmoins, ce matériau n’est employé que pour l’abbatiale proprement dite.
Pour les bâtiments conventuels, c’est le grès rouge local qui est directement utilisé. Ce
matériau peut être issu d’une proche carrière à un kilomètre à l’ouest de Dalon et dont le
toponyme « Le Perrier » serait un témoin1963. La salle capitulaire associe le grès et le calcaire.
Cette recherche d’un beau matériau pour bâtir un espace privilégié peut s’expliquer par la
prospérité indéniable des moines de Dalon. Chef d’ordre, communauté plus opulente que les
modestes monastères de Prébenoît ou du Palais comme en témoignent les innombrables actes
de donation du cartulaire, Dalon comprend plus d’une vingtaine de granges et crée plus de
revenus que la plupart de ses abbayes-filles. Certaines disparités dans la mise en œuvre des
1959
B. PHALIP, Des terres médiévales en friches..., op. cit., p. 26 et 27.
B. PHALIP, op. cit., p. 44.
1961
J-C. BESSAC, op. cit., p. 7-49.
1962
B. PHALIP, « Voir, sentir et toucher. Un espace vu. La lumière, vitreries, luminaires », dans
« Morphogénèse de l’espace ecclesial », dir. A. BAUD, Maisons de l’Orient Méditerranéen, Lyon II, à paraître.
1963
IGN Série Bleue, 1/25000ème, 2034 O Hautefort.
1960
- 706 -
monastères cisterciens limousins et marchois pourraient ainsi se comprendre par l’importance
économique et spirituelle variable d’édifices diversement dotés.
L’abbaye du Palais-Notre-Dame nous paraît plutôt à rapprocher du cas de figure de
Prébenoît. Les carrières exploitées sont relativement proches, qu’il s’agisse de celle du manse
de Peyroux (non localisée précisément) ou du gisement de Soubrebost livrant un granite beige
doré aux grains relativement fins. Ce dernier n’est qu’à six kilomètres au sud-est, permettant
ainsi un approvisionnement rapide. En effet, le toponyme « Les Carrières » à 500m au sud du
bourg actuel de Soubrebost est vraisemblablement une preuve de cette ancienne
exploitation1964. Un toponyme « La Perrière » est également repérable au nord de Bourganeuf.
Les bâtisseurs semblent là encore aller vers la facilité. Une étude plus précise des élévations
du triplet de façade oriental conservé a permis de distinguer l’usage de deux granites
différents [Fig. 807]. Dans les parties hautes (tiers supérieur) et surtout dans la moitié
septentrionale, un granite rose-saumoné fait son apparition. Il pourrait s’expliquer par
l’exploitation de ces deux carrières différentes ou simplement d’un nouveau banc de
carrière1965. Une construction du sud vers le nord semble ainsi probable. Quant à la chaux
nécessaire à l’élaboration du mortier liant les maçonneries, elle peut soit provenir du Berry,
soit des environs de Beaulieu-sur-Dordogne. La proximité du Bois-du-Transet permet
l’approvisionnement en bois nécessaire à la chauffe. Les mortiers sont lavés, non tamisés et
présentent dans les blocages des murs gouttereaux du chevet des éclats de taille de granite.
Pour la construction de l’abbaye d’Obazine, ce sont les carrières de Lanteuil qui sont
exploitées. Le lieu-dit « la Peyrière » au nord-ouest du bourg de Lanteuil est
vraisemblablement un témoin de cette ancienne exploitation, à deux ou trois kilomètres du
monastère cistercien [Fig. 40 et 57]1966. Le cartulaire d’Obazine renseigne également sur ces
carrières. En effet, en 1171-1172, une donation de Géraud de Cornil a lieu dans la salle du
chapitre. Elle concerne l’autorisation d’user de la pierrière sise près du bois de Peironeg sur
la paroisse de Dampniat, ce jusqu’à l’achèvement du monastère en construction et de tous les
bâtiments nécessaires. De même, des droits de pacage sont cédés pour les animaux travaillant
au chantier de construction1967. Pour la mise en œuvre du monastère, deux matériaux sont
requis : les fondations sont érigées en moellons de gneiss local, grossièrement équarris, tandis
1964
IGN Série Bleue, 1/25000ème, Pontarion, 2230 O.
Le banc de carrière est une strate de roche assez résistante et compacte pour que l’on puisse en extraire de la
pierre de taille. J-C. BESSAC, R. SABLAYROLLES (dir.), « Carrières antiques de la Gaule. Une recherche
polymorphe », Gallia, T 59, Paris, CNRS, 2002, p. 189.
1966
IGN Série Bleue 1/25000ème, Beynat, 2135 E.
1967
B. BARRIÈRE, Le cartulaire de l’abbaye cistercienne d’Obazine (XIIème-XIIIème siècles), Institut d’Études
du Massif Central, Clermont-Ferrand, 1989, p. 245.
1965
- 707 -
que les parements sont bâtis de pierres de grès taillées provenant de Lanteuil. Les fondations
sont généralement « l’occasion de réaliser un large socle de maçonneries en principe
invisible » 1968. Les blocs sont donc à peine équarris, dégrossis au pic ou au marteau têtu, liés
par un épais mortier. Quant au calcaire utilisé pour la production du mortier de chaux, il est
sans doute issu des environs de Beaulieu-sur-Dordogne à quelques dizaines de kilomètres au
sud de l’abbaye.
À Coyroux néanmoins, la construction semble faite à l’économie. Les pierres et le bois
d’œuvre sont pris directement sur le site, le calcaire nécessaire à la chaux probablement
acheminé depuis Beaulieu. En effet, les bâtiments sont édifiés en moellons irréguliers de
gneiss rose-ocre extraits du versant même de la vallée. Les bâtisseurs sont allés au plus
économique et au plus facile pour ériger le monastère. Son statut d’abbaye féminine sous la
dépendance d’Obazine peut expliquer cette différence de mise en œuvre entre les deux
proches monastères.
À Bonnaigue, c’est là encore la pierre locale qui est privilégiée puisque le granite gris
d’Ussel (à quelques kilomètres à l’ouest du monastère) est employé pour la mise en œuvre.
Les éléments lapidaires conservés de l’abbaye de Boeuil témoignent de l’usage du
granite. Les études toponymiques révèlent une concentration de termes liés à d’anciennes
carrières près de l’abbaye : « Les carrières » à trois reprises au sud du site et la « carrière de
Pagnac », sans qu’il soit possible de déterminer s’il s’agissait d’exploitations médiévales ou
modernes [Fig. 63]1969.
Les tailleurs de pierres restent discrets dans la mise en œuvre de ces abbayes
cisterciennes puisqu’aucun signe lapidaire n’a pu être observé. Ces marques ne sont toutefois
pas inconnues des sites cisterciens et apparaissent à Silvanès, Cherlieu ou encore Sénanque
[Fig. 808]. À l’abbaye de Rievaulx en Angleterre, des marques de taille peuvent être
observées sur certains claveaux et bases de colonnes, correspondant non pas à une volonté
d’identification du tailleur de pierre, mais à un moyen de quantifier les pierres, témoignant
ainsi d’un haut degré d’organisation du chantier1970. Les sites cisterciens du diocèse de
Limoges n’ont cependant pas livré de telles marques.
Certains parements peuvent néanmoins conserver des traces d’outils. Ainsi, à
Boschaud, l’arrachement des murs gouttereaux de la nef bâtis en moyen appareil régulier de
1968
B. PHALIP, op. cit., p. 25.
IGN Série Bleue 1/25000ème, 1931 E.
1970
P. FERGUSSON, S. HARRISSON, Rievaulx Abbey. Community, Architecture, Memory, Yale University
Press, 1999, p. 77.
1969
- 708 -
calcaire permet l’étude du parement et du blocage [Fig. 809]. Un piquetage organisé est ainsi
observable sur les faces internes des blocs, non destinées à être vues (percussion posée, usage
du pic). Le parement externe présente quant à lui des traces de tailles obliques et régulières,
peu profondes, vraisemblablement dues à l’usage du marteau taillant (percussion lancée). Ces
traces témoignent de la présence d’ouvriers qualifiés, de tailleurs de pierres soit recrutés dans
les paroisses environnantes, soit appelés de paroisses plus lointaines ou d’autres abbayes
cisterciennes. Face aux lacunes des textes quant au déroulement des chantiers médiévaux, ces
hypothèses ne pourront sans doute jamais être plus affirmées. De même à l’abbatiale de
Grosbot en Charente, nous avons pu constater l’usage du marteau taillant sur les claveaux des
arcs du portail de façade occidentale. Les marques obliques sont régulières [Fig. 810].
Les carrières du Moyen-Âge ont fait l’objet d’études récentes de Jean-Claude
BESSAC ou de Paul BENOIT, alors même que les analyses les plus fréquentes relèvent
généralement la période antique1971. Les considérations générales énoncées par Jean-Claude
BESSAC ainsi que les exemples précis ne concernent certes pas directement notre objet
d’étude mais peuvent néanmoins apporter des éléments de réflexion concernant les sites
cisterciens du diocèse de Limoges.
Il semblerait que les bâtisseurs médiévaux s’orientent le plus souvent vers l’extraction
souterraine, mais n’en abandonne pas pour autant les carrières à ciel ouvert. Pour Jean-Claude
BESSAC, « l’extraction en galerie, commencée à partir d’un front antérieur à ciel ouvert ou
d’un flanc de coteau, prédomine alors nettement ». Pour ces carrières souterraines, il «s’agit
toujours de cerner un bloc de tranchées et d’obtenir une fracture sur sa face rattachée au
substrat. Seules les stratégies d’extraction diffèrent un peu par rapport à celles des carrières à
ciel ouvert »1972.
L’extraction du calcaire, présent à Boschaud ou à Dalon, se fait le plus souvent en
carrière souterraine « afin de limiter les contraintes de terrassement et d’évacuation des
matériaux impropres à l’utilisation »1973. Par ailleurs, l’extraction du granite est généralement
effectuée dès la période antique par la méthode de tranchées verticales creusées à
1971
J. LORENZ, P. BENOIT, Carrières et constructions en France et dans les pays limitrophes, Paris, 1991, T
I ; J-P. DEROIN, « Le choix de la pierre dans l’architecture cistercienne au XIIème siècle : principaux résultats
sur les filiations de Cîteaux et Clairvaux », dans J. LORENZ, P. BENOIT, op. cit., p. 21-39 ; J-C. BESSAC, R.
SABLAYROLLES (dir.), « Carrières antiques de la Gaule. Une recherche polymorphe », Gallia, T 59, Paris,
CNRS, 2002, p. 1-204.
1972
J-C. BESSAC, « L’archéologie de la pierre de taille », dans La construction. Les matériaux durs : pierre et
terre cuite, Collection « Archéologiques », éditions Errance, Paris, 2004, p. 7-49.
1973
D. PRIGENT, C. SAPIN, « La construction en pierre au Moyen-Âge », dans La construction…, p. 117-148.
- 709 -
l’escoude1974. Les tranchées verticales sont creusées autour du volume de pierre qui doit être
extrait. Puis le bloc est arraché au substrat à l’aide de coins fichés dans une série d’emboîtures
horizontales1975. Le dégrossissage des blocs est fréquemment effectué sur place en vue du
transport avec pic et broche.
Les matériaux sont le plus souvent extraits à proximité des chantiers, les quantités
transportées par des véhicules terrestres restent faibles. Pour Bruno PHALIP, une carrière ne
peut guère être ouverte au-delà d’une vingtaine de kilomètres pour permettre un
acheminement sans trop de coûts1976. Selon Daniel PRIGENT, un véhicule à simple essieu en
bois peut transporter une demie tonne, un chariot à deux essieux une tonne, soit environ 25
pierres de taille. De plus, les transports par voie terrestre sont malaisés du fait de la mauvaise
qualité des routes, d’où la volonté de les réduire au maximum1977. Les charretiers transportent
à la fois la pierre, le bois et le sable de rivière nécessaires à la réalisation du mortier. Dans le
cadre d’abbayes cisterciennes, ce sable est sans doute directement extrait des méandres des
rivières à côté desquelles les moines choisissent quasi systématiquement de s’installer (Le
Coyroux, le Dalon, Le Cluzeau…). Concernant la chaux, nous pouvons toutefois nous
interroger sur son transport direct ou sur l’acheminement de pierres à chaux qui seront
amenées près des fours du chantier1978. Ce transport est assuré par des mulets, des ânes ou des
bœufs.
Un certain nombre de sources figurées permettent également d’envisager ces aspects.
En effet, à partir du XIème siècle, les miniatures médiévales mettent en scènes des chantiers
de construction. Les détails techniques les plus réalistes interviennent vers les XIVème et
XVème siècles. Dans un cadre cistercien, un dessin à la plume représente la construction du
monastère de Schönau [Fig. 811]1979. Différentes étapes de la construction sont représentées
sur un même plan. Plusieurs corps de métiers apparaissent : les carriers, les gâcheurs de
mortier, les tailleurs de pierres. La carrière est à ciel ouvert. Des convers barbus sont occupés
au dégrossissage des blocs au pic, effectué sur place avant transport. Ce dégauchissage
1974
Outil de carrier dont les extrémités actives peuvent être forgées d’une pointe, d’une double dent ou d’un
tranchant. Définition dans J-C. BESSAC, R. SABLAYROLLES (dir.), « Carrières antiques de la Gaule… », op.
cit. p. 191. Y. MALIGORNE, J-Y. ÉVEILLARD, L. CHAURIS, « Extraction et utilisation des granites en
Armorique romaine : l’exemple de la carrière de Locuon en Ploërdut (Morbihan) », dans J-C. BESSAC, R.
SABLAYROLLES (dir.), « Carrières antiques de la Gaule… », op. cit., p. 133-143.
1975
Les emboîtures sont des trous creusés spécialement dans la roche pour qu’un coin puisse y être placé et forcé
à la masse de manière à provoquer une fracture. Définition dans J-C. BESSAC, R. SABLAYROLLES (dir.),
« Carrières antiques de la Gaule… », op. cit. p. 191.
1976
B. PHALIP, Des terres médiévales en friche…, op. cit., vol. I, p. 21.
1977
D. PRIGENT, C. SAPIN, op. cit., p. 117-148.
1978
B. PHALIP, op. cit., p. 44.
1979
Dessin à la plume, K 1532 H 2196 fol. 196, Germanisches Nationalmuseum, Nüremberg.
- 710 -
consiste à amener tous les points d’une face brute dans un même plan. L’acheminement des
matériaux sur le chantier de construction est assuré par des chariots tirés par quatre bœufs,
représentés avec beaucoup de réalisme.
2. Moyens de levage et échafaudages :
Les engins de levage employés à l’époque médiévale sont divers. Le plus fréquent est
sans doute la chèvre à treuil, simple grue en bois, ou encore la roue à écureuil, legs de
l’Antiquité.
De rares sources textuelles envisagent ces aspects techniques pour le diocèse de
Limoges. La Vie D’Étienne d’Obazine est là encore un document précieux pour l’étude du
chantier médiéval cistercien puisque même les engins de levage sont évoqués :
« On en était au plus haut de la construction et les
religieux s’employaient à soulever une pierre d’une
grande taille à l’aide de machines qui, cédant sous le
poids, se mirent à craquer et à s’incliner jusqu’à toucher
la terre. Le saint homme, voyant cela de loin, accourut à
la hâte, traça un signe de la croix et, comme s’il soutenait
la charge, apporta soudain un tel secours que tout se
redressa en moins de temps qu’il ne faut pour le dire. Les
frères ainsi secondés se remirent à la tâche, comme si le
poids avait disparu. Ainsi le saint homme, de tout le poids
de ses vertus, allégea leur fardeau si bien que, de cette
manière, ils durent être chargés davantage.1980»
La Vie de saint Étienne d’Obazine est ainsi un document précieux et rare dans la
connaissance du déroulement d’un chantier médiéval cistercien.
Les échafaudages sont connus par plusieurs sources : textuelles, iconographiques et
archéologiques. Ils laissent en effet des négatifs dans les parements étudiés sous la forme de
trous de boulins servant à l’encastrement de poutres en bois entrant dans la composition des
1980
M. AUBRUN, op. cit., p. 87.
- 711 -
échafaudages1981. Après démontage des échafaudages, ces trous de boulins peuvent également
faciliter le séchage des maçonneries et trouvent ici une seconde utilité.
À l’époque romane, il semblerait que ce soit les échafaudages semi solidaires les plus
fréquents. Chaque travée est alors munie de deux perches, les boulins sont espacés tous les
80cm environ. L’installation de l’échafaudage se déroule en trois étapes : le montage des
perches, l’ancrage des boulins et la pose des platelages. L’usage de montants verticaux
nécessite par ailleurs un contreventement par l’adjonction de perches obliques1982.
L’observation des parements de l’abbaye cistercienne de Bellaigue (seconde moitié du
XIIème siècle) a révélé l’usage probable d’un échafaudage encastré à une rangée de perches.
Les trous de boulins sont assez régulièrement alignés. Les trous ont une entrée maçonnée de
granite même dans les parements en petit appareil irrégulier (murs gouttereaux notamment ; la
façade occidentale est en moyen appareil régulier) [Fig. 812].
À l’époque gothique, nous assistons à une raréfaction des trous de boulins qui sont peu
à peu cantonnés aux parties les plus élevées des nefs ou des chœurs. Cette évolution est
d’autant plus nette dans le second quart du XIIIème siècle alors même que l’échafaudage
indépendant à double rangée de perches se répand1983. Ce dernier est encore utilisé
aujourd’hui.
« L’assemblage est dressé indépendamment du mur. Il utilise deux perches plantées deux à
deux, une proche de la construction, l’autre sur la même perpendiculaire à la face du mur,
mais à une certaine distance, de manière à aménager entre elles la largeur du plan de travail ».
Nous avons eu l’occasion d’observer des trous de boulin à l’abbaye du Palais lors de
l’étude de bâti menée en avril 2007 [Fig. 309 et 310]. La façade interne du mur du chevet
oriental a révélé un seul trou de boulin encore observable, situé entre la baie centrale et la baie
la plus au sud. Il mesure environ 0.15cm par 0.20cm. Il est placé à 9m de hauteur environ. Il
s’agit ici d’une ouverture maçonnée, comme généralement dans le cadre du moyen et du
1981
Le boulin est une « pièce de bois horizontale fixée sur la perche et/ou encastrée dans la maçonnerie pour
échafauder et maintenue à l’autre extrémité par des pièces de bois verticales (perches, échasses). Il est disposé au
même niveau que les moises pour supporter le plan de travail. L’écartement entre les boulins doit être en rapport
avec les charges supportées et la nature du platelage, en sachant que le bois travaille aisément à la compression,
mais mal à la flexion. Les moises, longerons, longrines ou filières relient entre eux les montants d’une même
rangée et soutiennent les boulins» dans L’échafaudage dans le chantier médiéval, DARA n°13, Ministère de la
Culture, DRAC/SRA, Lyon, 1996, p. 19.
1982
Le contreventement peut-être défini comme « (…) l’ensemble des dispositifs adoptés pour qu’un ouvrage
résiste aux efforts horizontaux. Dans un échafaudage, cet assemblage de pièces diagonales, normalement de sens
contrarié, est destiné à assurer la rigidité et la stabilité de l’ossature, et à la garantir des déformations du système
perches-moises. Il est donc formé de pièces secondaires, qui ne composent pas directement la structure et, de ce
fait, ne participent pas proprement à ses fonctions, mais mises en place uniquement pour la renforcer. Il est
constitué de petits liens disposés obliquement entre les montants verticaux » dans L’échafaudage dans le
chantier médiéval…, op. cit., p. 19.
1983
B. PHALIP, op. cit., p. 31-32.
- 712 -
grand appareil régulier. Le trou de boulin est créé par un décalage d’un bloc dans l’assise.
Dans le cas d’une ouverture façonnée, le trou de boulin est taillé dans un angle ou dans une
face du parement. La faible présence de trous de boulin est sans doute due aux impossibilités
de lecture de certaines parties des parements du fait du lierre. Ceci peut aussi s’expliquer par
l’utilisation de l’ouverture des trois baies comme ancrage. En effet, le boulin n’est pas la seule
forme d’ancrage des échafaudages encastrés. L’ouverture des baies est également utilisée1984.
Cette méthode permet de limiter les opérations de taille de pierre et d’épargner les surfaces
murales.
Nous avons également pu constater en étudiant les départs conservés des murs
gouttereaux nord et sud du chevet, la présence d’une encoche de cintre en bois taillée dans le
granite (angle nord-est), surmontée d’un trou de boulin (environ 80cm plus haut) [Fig. 813].
En regard, à l’angle du mur gouttereau nord et du mur oriental, deux trous de boulins
rebouchés sont observables, également espacés de 80cm environ. Il s’agit sans doute de
témoins d’une ancienne structure en bois difficile à interpréter et plus encore à dater1985. La
façade externe révèle un trou de boulin à la même hauteur que celui observé en façade
interne : il pourrait s’agir d’un boulin traversant. Ces boulins particuliers peuvent servir à
supporter, de part et d’autre des murs des échafaudages dépourvus de tout support vertical. Ils
permettent au boulin de dépasser de chaque côté du mur et de recevoir deux platelages qui
s’équilibreraient1986. Ils peuvent également correspondre à un « système de fixation de
coffrage et correspondre aux emplacements des tirants inférieurs ayant permis de maintenir
les banches en position pendant le travail »1987. Trois autres trous de boulin ont pu être repérés
sur la façade, ce qui reste insuffisant pour mieux apprécier le type d’échafaudage utilisé.
Nos investigations sur les types d’échafaudages employés dans les abbayes
cisterciennes du diocèse de Limoges sont restées peu fructueuses du fait d’un certain nombre
de handicaps : bien souvent les enduits (Bonnaigue, Grosbot) et le lierre recouvrant les
parements (Le Palais, Les Pierres) empêchent une lecture correcte des élévations conservées.
Les observations faites sont donc parcellaires. Certaines élévations sont par ailleurs très
remaniées aux époques moderne et contemporaine, d’où les difficultés d’études des vestiges
1984
L’échafaudage dans le chantier médiéval…, op. cit., p. 19, 27 et 47.
I. PIGNOT, L’abbaye cistercienne du Palais-Notre-Dame (commune de Thauron, Creuse). Préciser le plan
de l’abbatiale médiévale et moderne, DRAC/SRA Limousin, 2007, non publié, p. 44.
1986
« Le platelage est une surface de circulation et de travail constituée par l’assemblage de plusieurs planches ou
claies posées sur les boulins et sur les moises. Il faut avant tout prévenir leur soulèvement et assurer leur
continuité. La pose d’une plinthe empêche un homme de glisser, et les outils de tomber. » L’échafaudage dans le
chantier médiéval…, op. cit., p. 19.
1987
D. PRIGENT, C. SAPIN, op. cit., p. 117-148.
1985
- 713 -
médiévaux (Varennes, Obazine). D’autres enfin ont entièrement disparu (Boeuil, Derses,
Valette, Aubignac, Aubepierres).
De nombreux trous d’encastrement de poutres observés correspondent en fait à des
vestiges des cloîtres charpentés et non à des témoins d’échafaudages. C’est le cas pour les
trous de boulin relevés à Boschaud (mur extérieur de la salle capitulaire). Ceux-ci sont très
régulièrement espacés, à environ 80cm les uns des autres [Fig. 814]. De même concernant le
mur gouttereau de l’abbatiale de Coyroux donnant sur le cloître [Fig. 815].
Au Coyroux, le pignon ouest (façade interne) révèle quelques trous de boulin disposés
autour de la baie. D’autres sont repérables sur les murs gouttereaux, bien que ces élévations
aient été largement dépecées, les pierres de tailles encadrant les baies systématiquement
arrachées. L’entrée du trou de boulin est ici maçonnée, comme généralement dans le cadre
d’un appareil de moellons. « C’est la pierre de l’assise supérieure qui constitue le linteau, et
qui porte sur les deux moellons latéraux, parfois disposés en boutisse pour fermer les
piédroits. »1988
À Dalon, seuls quelques trous de boulin concernent essentiellement les parties hautes
des chapelles occidentales du bras sud du transept (parties internes). Les élévations externes
étant en partie dépecées, elles demeurent délicates à étudier de manière exhaustive. À
Grosbot, les enduits masquant les parements nous ont seulement laissé voir deux trous de
boulins parfaitement alignés en hauteur au niveau de la première travée de la nef (façade
interne, parement nord). D’autres apparaissent au niveau du cul-de-four de l’abside du chœur.
Ces observations, incomplètes, ne nous permettent guère d’apprendre plus sur les
échafaudages utilisés.
L’absence de trous de boulin pour certaines élévations pourrait s’expliquer par
l’utilisation d’échafaudages indépendants, ne laissant ainsi aucune trace dans l’élévation. Il
semblerait en effet qu’à la fin du XIIème siècle et surtout au XIIIème siècle, l’utilisation de
l’échafaudage à double rang de perches, indépendant du mur se développe. L’arase du mur
sert alors de lieu de circulation. C’est souvent le cas des églises des ordres nouveaux, à savoir
les cisterciens, les chartreux et les templiers1989.
Les sources iconographiques médiévales peuvent également nous apprendre sur les
engins de levage et échafaudages utilisés. Les carreaux du poêle en faïence de l’abbaye
cistercienne de Salem en Allemagne présentent un engin de levage en bois,
1988
1989
L’échafaudage dans le chantier médiéval…, op. cit., p. 48.
L’échafaudage dans le chantier médiéval…, op. cit., p. 108.
- 714 -
vraisemblablement une chèvre à treuil actionné par des frères convers [Fig. 816]. Aucune roue
à écureuil n’est visible. Ces carreaux présentent aussi des échafaudages en bois avec des
perches aboutées et un système de rampes et d’échelles en bois pour acheminer les matériaux
jusqu’à l’arase des murs. Les moyens d’accès au platelage sont en effet généralement les
plans inclinés, escaliers et échelles. Les frères convers transportent les matériaux dans des
auges à bras (sorte de brancards), des brouettes ou encore des hottes d’osier. Il s’agit
d’échafaudages encastrés à un rang de perches et non d’échafaudages à bascule fréquemment
usités à l’époque médiévale et faisant l’économie de supports verticaux1990. La représentation
de ces échafaudages témoigne des difficultés à traduire la perspective et présente de
nombreuses anomalies.
Sur le dessin de la construction du monastère de Schönau1991, c’est une potence
pivotante en bois qui est représentée [Fig. 811]. Un bloc taillé est accroché par une griffe.
D’autres dispositifs d’accrochage sont néanmoins connus comme les tenons à bardage et les
louves. Les louves et griffes sont des pinces métalliques formées de deux crochets qui se
resserrent avec le poids de la charge à soulever.
Dans le diocèse de Limoges, les trous de louves et de griffes son attestés pour des
blocs antiques, parfois remployés dans des structures romanes ou gothiques comme la
cathédrale Saint-Étienne et l’église Saint-Michel des Lions à Limoges. Les trous de louves
sont plus larges et se positionnent au centre de gravité du plan supérieur des blocs. Les trous
de griffes sont de section plus réduite et se situent « symétriquement sur les deux faces
opposées verticales du bloc, assez près de l’arête supérieure »1992. Il n’existe pas à notre
connaissance d’exemple cistercien de ces deux systèmes dans le diocèse de Limoges.
3. Des mises en œuvre soignées :
Certains édifices cisterciens du diocèse de Limoges semblent disposer de moyens
financiers suffisants pour envisager des mises en œuvre soignées, caractérisées par le recours
à des parements en moyen appareil régulier de qualité dont les joints minces ne nécessitent
que peu de mortier de chaux.
Les modules sont réguliers comme en témoignent les parements de Dalon, Boschaud
et du Palais-Notre-Dame. À Dalon, les carreaux des chapelles ouest du bras sud du transept
mesurent entre 0.51m×0.24m et 0.45m×0.28m [Fig. 255]. Les parements externes de ces
1990
L’échafaudage est dit en bascule lorsque les boulins sont confortés seulement par des équerres.
Dessin à la plume, K 1532 H 2196 fol. 196, Germanisches Nationalmuseum, Nüremberg.
1992
J-P. LOUSTAUD, « À la recherche des composantes architectoniques de grand
d’Augustoritum/Limoges », TAL, T 27, Limoges, 2007, p. 63-102.
1991
- 715 -
appareil
chapelles présentent des carreaux de 0.45m×0.32m et de 0.62m×0.32m. À Boschaud, les
carreaux atteignent des dimensions proches : 0.62m×0.28m, 0.70m×0.31m ou encore
0.40×0.29m. À l’abbaye du Palais-Notre-Dame, les modules sont de 0.34m×0.28m×0.20m ou
de 0.60m×0.26m×0.29m. Des harpages verticaux entre les baies du triplet de façade orientale
présentent une alternance de carreaux de 0.68m×0.20m et de chandelles de 0.10m×0.20m
[Fig. 807]. Les mêmes constatations peuvent s’observer dans la mise en œuvre de l’église
Saint-Martin de Donzenac notamment. Le clocher est édifié en moyen appareil régulier de
qualité. Le porche occidental présente, de part et d’autre du portail d’entrée, des harpages
alternant carreaux et chandelles. Ce clocher est néanmoins plus tardif que les parements du
Palais (seconde moitié du XIVème siècle).
Pour ces édifices, le moyen appareil régulier n’est pas seulement réservé aux parties
structurantes de la construction mais est généralisé à l’ensemble de l’édifice. À Obazine, un
appareil régulier en grès gris-ocre enserre un blocage dur à mortier riche. Cet appareil
surmonte de solides assises de moellons de gneiss local dur prenant appui sur la roche en
place [Fig. 496]1993. À Bonlieu également, probablement la mieux dotée des abbayes
marchoises, le moyen appareil régulier est de mise pour les deux premières travées de la nef
conservées et pour le chevet en partie préservé. Les carreaux de la façade occidentale sont
majoritairement de 0.60m×0.32m. La partie droite du chœur précédant l’abside pentagonale
présente une alternance de carreaux (0.58m×0.37m) et de chandelles (0.07m×0.37m). Les
soubassements extérieurs de l’abside pentagonale utilisent de forts modules (carreaux de
0.58×0.48m) destinés à assurer la stabilité de l’édifice. Le moulin de l’abbaye, directement
inséré dans l’enclos monastique, opte également pour des soubassements et harpages de
moyen appareil régulier dont les carreaux de granite gris atteignent 0.55m×0.33m et
0.40m×0.30m, soit des réalités assez similaires à celles de l’abbatiale proprement dite. Ces
parements de qualité requièrent des ouvriers spécialisés, des tailleurs de pierres plus que des
maçons affectés au montage.
Néanmoins, nous pouvons constater que la tour de fortification adjointe sur les deux
premières travées de la nef de Bonlieu au XVème siècle (1421) témoigne d’un net
changement d’appareillage [Fig. 817]. Des moellons irréguliers sont liés d’un mortier de
chaux relativement grasse. Le calcaire est sans doute acheminé depuis le Berry (Champagne
Berrichonne ou extrémité nord-ouest de la Brenne). Seuls les harpages d’angle sont encore de
moyen appareil régulier de granite de qualité. Ces modifications dans la mise en œuvre
peuvent s’expliquer par la diminution des moyens financiers au Bas Moyen-Âge
1993
B. BARRIÈRE, « Les cloîtres d’Obazine et Coyroux, en Corrèze », TAL, T 1, 1981, p. 83-89.
- 716 -
(essoufflement des donations notamment) et par l’urgence d’une construction liée à un
contexte d’insécurité. Les mêmes observations peuvent être faites à l’église templière de
Paulhac (1220-1250). En effet, elle est bâtie en moyen appareil régulier de granite tandis que
les parties hautes de la tour de façade sont plus tardives et optent pour un appareil de moellons
mêlés d’un important mortier de chaux [Fig. 818]. À Blaudeix (1180-1220), l’église est
entièrement bâtie en moyen appareil régulier. Les murs gouttereaux ne présentent aucun trou
de boulins, laissant présager l’usage d’échafaudages indépendants, sans doute comme pour la
majorité des sites cisterciens envisagés.
L’usage du moyen appareil régulier de granite de qualité n’est pas propre aux
abbatiales cisterciennes les mieux dotées mais est aussi fréquemment adopté pour des édifices
civils, comme la tour de Sermur près d’Aubusson [Fig. 819] ou encore la Tour Colin à
Crozant (XIIIème siècle) [Fig. 820]. Le donjon d’Huriel permet également d’envisager des
cohérences sensibles avec une architecture castrale [Fig. 821]. En effet, cette tour élevée en
plusieurs temps de 1180 à 1220 témoigne d’une mise en œuvre proche de certaines abbayes
cisterciennes avec un moyen appareil régulier de granite aux joints fins. Elle présente une baie
ébrasée très similaire à celles de l’abbaye de Prébenoît ou de celle de Bonlieu. L’arc en étant
clavé, elle semble en effet plus proche de cette dernière.
Certains sites très remaniés ne permettent guère une connaissance exhaustive des
parements. Ainsi, reste de l’abbaye de Valette une porte remontée à Auriac dont les modules
de moyen appareil régulier de granite témoignent de similitudes avec les autres édifices
précédemment cités : 0.42m×0.22m×0.23m ou 0.47m×0.36m×0.24m [Fig. 822]. Il est
toutefois impossible de dire si l’ensemble de l’église était bâti en moyen appareil régulier
similaire ou seulement si celui-ci était réservé aux parties structurantes de la mise en œuvre.
À Bonnaigue, une grande partie des élévations actuelles est enduite tandis que les
parties supérieures de l’édifice relèvent de modifications modernes (XVIème-XVIIIème
siècles). Néanmoins, la façade occidentale présente des harpages en moyen appareil régulier
dont le module de base est de 0.54m×0.36m×0.20m. Le contrefort à l’angle du mur gouttereau
nord dispose de modules de 0.45m×0.32m×0.21m correspondant à des réalités médiévales
[Fig. 823].
À l’abbaye de Varennes, l’église actuelle révèle de constantes modifications au fil des
siècles (suppression des bas-côtés, d’une partie de la nef, du chevet, réfections des voûtes).
Certains modules sont ainsi caractéristiques de ces réfections : la nouvelle façade occidentale
dispose par exemple de modules de 0.35m×0.15m×0.06m ne correspondant pas aux
- 717 -
proportions médiévales habituelles [Fig. 824]. Les carreaux des parties les plus anciennes
(murs gouttereaux) sont de 0.47m×0.41m en moyenne. Des vestiges du chevet oriental sont
encore perceptibles dans le paysage, comme un dosseret d’angle à l’entrée du chevet dont les
modules sont de 0.61m×0.40m×0.39m. Il est toutefois difficile de déterminer si l’ensemble de
l’église médiévale était de moyen appareil régulier.
4. Des chantiers à l’économie :
Des disparités sont tangibles dans la mise en œuvre selon les moyens économiques et
financiers des monastères, certains étant mieux dotés que d’autres. En effet, des abbayes
comme Dalon ou Obazine essaiment, engrangent de forts revenus, disposent de terroirs vastes,
parfois éloignés, tandis que de petits monastères comme Aubignac, Prébenoît ou le Palais ne
fondent que six ou sept granges proches (neuf pour le Palais) et sont maintenus dans une
certaine précarité. Les terres dont ils disposent sur les franges berrichonnes ou en HauteMarche sont souvent marécageuses, nécessitant de profonds travaux d’assainissement, les
seigneurs étant relativement modestes et ne pouvant les doter suffisamment pour assurer leur
autarcie. De plus, ces donateurs semblent préférer se départir de mauvaises terres, souvent
éloignées et ne leur étant que peu utiles.
Ainsi, ces moines des petites abbayes recourent fréquemment aux maçons plutôt
qu’aux ouvriers qualifiés comme les tailleurs de pierres. Les appareillages de moellons sont le
plus souvent requis. En effet, ils ne nécessitent pas la même qualité de pierre que pour le
grand ou le moyen appareil régulier. D’autres avantages sont tangibles, telle la perte de
matériau réduite lors de l’extraction : la qualité de pierre n’étant pas la même que pour le
moyen ou grand appareil, les matériaux fracturés ne sont de fait pas rejetés. Daniel PRIGENT
cite l’exemple de l’édification de Saint-Pierre-de-Montmartre au VIIIème siècle où les
moellons ne proviennent pas de carrières mais directement de l’épierrage des champs
alentours. Dans le cas d’une construction en moellons, le coût en carrière est sensiblement
moins élevé que celui observé pour la pierre de taille. Ces moellons peuvent être bruts (non
taillés), simplement ébauchés ou équarris (l’équarrissement consiste à la mise d’équerre des
faces d’un bloc). Les temps de séchage dus à la forte utilisation de mortier de chaux sont plus
élevés1994.
Ainsi à Prébenoît, le moyen appareil régulier de granite est cantonné aux
soubassements de l’église, aux harpages, contreforts et piédroits des baies, c’est-à-dire aux
1994
D. PRIGENT, C. SAPIN, « La construction en pierre au Moyen-Âge », dans La construction. Les matériaux
durs : pierre et terre cuite, Collection « Archéologiques », éditions Errance, Paris, 2004, p. 117-148.
- 718 -
zones structurantes de la construction [Fig. 825]. Sinon, c’est un petit appareil irrégulier à
litages marqués noyé dans un mortier de chaux qui est mis en œuvre. La chaux est ainsi
largement requise, sa conception étant permise par une forte présence de bois autour du
monastère, ne nécessitant pas son économie. Il s’agirait ici donc plus d’un travail de maçons
que de tailleurs de pierres.
La même constatation peut s’appliquer à l’abbaye des Pierres [Fig. 826]. Le mur de
l’église conservé est bâti en appareil irrégulier, témoignant toutefois de tentatives
d’organisation du parement par la présence de harpages horizontaux en moyen appareil
régulier. Le calcaire est de plus largement présent dans des zones peu éloignées du site
(Champagne Berrichonne, Brenne). Cette mise en œuvre ayant recourt à des parements mixtes
n’est pas caractéristique de ces fondations cisterciennes modestes. Ainsi l’église templière de
Chambéraud (1180-1220) présente un moyen appareil régulier de qualité pour la mise en
œuvre de la façade occidentale, des contreforts, des harpages, des soubassements, des
piédroits des baies et des portes [Fig. 827]. Par ailleurs, les parements des murs gouttereaux
sont de simples moellons noyés dans un mortier de chaux relativement grasse. Ces
caractéristiques se retrouvent également dans un cadre civil : ainsi le château de Malval
(XIIIème siècle), près de Prébenoît (com. Bonnat) est bâti en petit appareil irrégulier sauf
pour les harpages et piédroits édifiés en moyen appareil de granite [Fig. 828]. Quant au
château de Crocq (XIIIème siècle) dont il demeure deux tours, l’appareil est également mixte.
Les parements sont de moyen appareil irrégulier mêlant de simples moellons, tandis que les
harpages, piédroits et soubassements sont de moyen appareil régulier [Fig. 829].
À Peyrouse, les fondations repérées le long du Palin sont bâties dans un petit appareil
de moellons irréguliers, envahis de lierres et donc difficilement lisibles [Fig. 830]. Nous ne
pouvons nous prononcer sur une datation de ces structures face à l’état de ruines actuel de
l’ancienne fondation cistercienne. Le bâtiment moderne partiellement conservé est édifié en
petit appareil irrégulier de moellons et de pierres de tout venant. Les piédroits et chaînages
sont néanmoins en moyen appareil régulier. Il pourrait s’agir de remplois médiévaux. Le
blocage recourt à un mortier orangé très sablonneux, de mauvaise qualité, d’où probablement
l’état de ruine actuel. L’abbaye est placée aux limites d’un Périgord Vert caractérisé par des
sols granitiques (nord-est) et d’une zone calcaire jurassique au sud-ouest, solutionnant la
question de la production de chaux nécessaire au mortier.
À Coyroux, un gneiss dur est mis en oeuvre, débité en moellons de taille moyenne et
de découpe irrégulière pour les fondations (fondations de trois ou quatre assises, environ 1m
de hauteur). À l’inverse des parements de moyen appareil régulier de grès à Obazine, le gneiss
- 719 -
utilisé à Coyroux ne permet guère qu’un appareil irrégulier [Fig. 831]. Les maçonneries sont
simplement jointoyées à la terre sauf pour l’église qui bénéficie d’un mortier de chaux. Le
calcaire est probablement acheminé depuis les environs de Beaulieu. D’après la Vita de saint
Étienne d’Obazine, il aurait fallu seulement deux ans pour l’érection du monastère. En effet, il
est écrit :
« Les frères requis se mirent aussitôt à débroussailler, à
arracher les pierres et à s’emparer des lieux selon les
directives
de
leur
maître
spirituel,
devenu
sous
l’inspiration du Saint-Esprit, architecte averti. Ils
aménagèrent des aqueducs pour les nombreux besoins du
monastère : l’eau coulait ainsi d’elle-même et en quantité
suffisante dans toutes les dépendances. Mais pourquoi
insister plus longuement ? On travailla avec tant de zèle,
on s’acharna avec tant de ténacité qu’en deux ans ou
guère plus, la totalité du monastère avec tous ses
bâtiments fut terminée ».
Il s’agirait ainsi d’une construction à la « va vite » et à l’économie, d’où peut-être sa
mauvaise conservation actuelle1995. Ce type de mise en œuvre à l’économie est souvent
caractéristique des réfections modernes comme nous l’avons précédemment constaté à
Bonlieu.
C’est le cas également à l’abbaye de Varennes où les murs gouttereaux de l’église
présentent encore des parties en moyen appareil régulier médiévales tandis que les
remaniements modernes en parties supérieures sont d’un petit appareil irrégulier pris dans un
important mortier de chaux.
Ainsi, ces abbayes modestes ne disposant que de maigres revenus bâtissent souvent à
l’économie, les appareils sont de médiocre qualité, d’où peut-être leur mauvaise conservation
ne permettant guère une étude exhaustive et plus précise des procédés de mise en œuvre.
b. Plans :
L’étude des dix-huit abbayes cisterciennes du diocèse de Limoges et de ses marges
révèle une certaine diversité des plans, une disparité des solutions allant à l’encontre de l’idée
d’un plan-type repris d’abbayes en abbayes, d’un « plan cistercien », « bernardin » reproduit
1995
M. AUBRUN, Vie de Saint Étienne d’Obazine, op. cit., p. 91.
- 720 -
sur chaque site. En effet, le plan à chevet plat et nef à bas-côtés concerne seulement quelques
sites.
1. Plan « bernardin » :
L’abbaye de Prébenoît dispose d’une nef à bas-côtés (4m de large) de cinq ou six
travées, d’un transept saillant sur lequel étaient greffés trois chapelles à mur plat au sud et
deux chapelles sur le bras nord [Fig. 337]. Le chœur aujourd’hui entièrement détruit était un
chevet plat. Ce plan médiéval primitif est néanmoins très bouleversé par la mise en place
d’aménagements défensifs au XVème siècle (douves, tourelles de façade occidentale, mise à
bas d’une partie de la nef). Le monastère dispose ainsi à l’origine d’un plan « bernardin ».
L’abbaye de Dalon présente le même plan, de plus grande ampleur cependant [Fig.
250]. Elle est dotée d’une nef à bas-côtés, d’un chevet plat, de chapelles orientales et
occidentales de transept ayant ainsi permis la multiplication des autels. Il ne demeure plus
actuellement que les chapelles occidentales du bras sud du transept. La présence de multiples
chapelles peut se justifier par l’accueil d’une communauté monastique nombreuse et
l’opulence d’une abbaye, chef d’ordre, bien dotée et en constante expansion jusqu’au XIIIème
siècle.
Le plan de l’abbaye cistercienne du Palais-Notre-Dame est encore méconnu malgré les
descriptions de textes modernes, d’érudits locaux et les résultats récents de l’archéologie [Fig.
318]. Le monastère dispose d’un chevet plat dont il demeure encore le mur oriental percé d’un
triplet. Nous savons que la nef dispose de bas-côtés de 3m de large. Quant au transept, il est
décrit comme mesurant 26m de long pour 7m de large dans les textes modernes. Néanmoins,
les sondages archéologiques n’ont pas encore permis d’en retrouver la trace. De plus,
l’emplacement de l’angle sud-ouest du mur de la façade occidentale laisserait présager soit
l’existence d’un transept non saillant, soit une façade élargie par rapport à la nef. D’après la
description de ROY DE PIERREFITTE au milieu du XIXème siècle, l’église est bien en croix
latine. Il demeure un bras du transept en élévation à cette époque1996. Nous ne savons pas si ce
transept dispose de chapelles greffées sur ses bras comme à Prébenoît ou à Dalon. Cette
problématique n’a pu faire l’objet d’une investigation archéologique puisque des arbres
empêchent la fouille au niveau du bras du transept nord tandis que des constructions
modernes bloquent l’accès à l’emplacement d’éventuelles chapelles au sud. L’abbatiale
médiévale a par ailleurs subi un certain nombre de remaniements modernes. En effet, dans la
1996
J. B. L. ROY DE PIERREFITTE, Études historiques sur les monastères du Limousin et de la Marche, T I,
Guéret, 1857-63.
- 721 -
seconde moitié du XVIIIème siècle, la nef est réduite aux trois quarts et le cloître est mis à
bas. Une nouvelle façade est dès lors érigée pour fermer le nouvel édifice de 17m de long
environ. Rien n’est toutefois précisé quant à d’éventuelles chapelles orientales de transept.
Il semblerait que l’abbaye de Varennes ait elle aussi disposé d’un plan à chevet plat et
nef à bas-côtés [Fig. 748 et 749]. Il reste encore aujourd’hui des vestiges du chevet plat dont
nous distinguons l’une des piles à dosseret à l’entrée du chœur. Les bas-côtés ont quant à eux
été mis à bas (vraisemblablement à l’époque moderne) mais leur existence à la fin du XIIème
siècle est avérée par le décalage de la galerie du cloître tenant compte de la présence d’un
collatéral. Quant à d’éventuelles chapelles de transept, elles sont citées dans un inventaire de
17901997. Des sondages seraient toutefois nécessaires afin de confirmer ou infirmer leur
existence.
Ces quatre édifices sont ainsi les seuls dont on peut présumer l’existence d’un plan à
chevet plat et nef à bas-côtés. L’abbaye d’Obazine témoigne certes d’un plan ressemblant,
mais la forme du chœur la distingue de ses homologues [Fig. 480]. Il s’agit en effet d’une
abside pentagonale. Le choix d’un simple chevet plat peut se justifier par de multiples
facteurs comme une volonté affirmée d’austérité et d’économie de la mise en œuvre ou le
nombre réduit de moines-prêtres rendant superflu la multiplication des autels dans les
premiers temps de l’ordre. Ce plan est d’autant plus apprécié à l’époque gothique qu’il
s’adapte facilement à un voûtement d’ogives (Le Palais), tandis que les absides induisent un
cul-de-four1998. Pierre HÉLIOT note en effet la prédilection du chevet plat gothique en
Aquitaine de la fin du XIIème siècle au XVème siècle, comme en témoignent les sites de
Saint-Seurin de Bordeaux, des abbatiales de Bassac, de la Couronne, de Sablonceaux, de
Saint-Amand-de-Boixe, des prieurales de Châteauneuf-sur-Charente et de Saint-Léger de
Cognac.
Toutefois, certains édifices cisterciens limousins sont méconnus et nous ne pouvons
conclure sur leur plan. C’est le cas d’Aubepierres qui a entièrement disparu aujourd’hui,
excepté quelques aménagements hydrauliques (vivier, bief). Néanmoins, les fondations en
sont encore observables au XIXème siècle. Le monastère dispose ainsi vraisemblablement
d’un chevet plat et d’une nef à bas-côtés de 13.80m de large. Des chapelles de transept ne sont
pas évoquées1999. Toutefois, il est délicat de ne baser nos hypothèses que sur ce seul constat
1997
AD Indre, H 1137.
P. HÉLIOT, « Origines et extension du chevet plat dans l’architecture religieuse de l’Aquitaine », Cahiers
Techniques de l’Art, T III, 1955, p. 23-49.
1999
J. B. L. ROY DE PIERREFITTE, Études historiques sur les monastères du Limousin et de la Marche, T I,
Guéret, 1857-63.
1998
- 722 -
d’un érudit. Des fouilles archéologiques seraient nécessaires afin de préciser le plan exact du
monastère.
Quant à l’abbaye de la Colombe, nos informations sont également très restreintes [Fig.
652 et 653]. Nous savons qu’elle dispose d’un transept sur les bras duquel se greffent des
chapelles. Une chapelle au sud est d’ailleurs chapelle sépulcrale des seigneurs-donateurs de la
Trimouille (XIVème siècle). Concernant la nef, nous ne savons si elle dispose de bas-côtés ou
non. De même, nous ne connaissons pas le plan du chevet (chevet plat ? en abside ?).
L’abbaye de Valette a quant à elle été dynamitée avant relevés lors de la mise en eau
du barrage du Chastang. Son plan est méconnu. Seuls des documents anciens permettent
quelques précisions. Une « Estimation des revenus et du capital de Valette » nous apprend
que l’église mesure 90 pieds de long sur 40 de large (soit 29.7m par 13.2m). Cette largeur
permet d’envisager la présence de bas-côtés. Néanmoins, le chevet demeure inconnu.
Souvent, il a été affirmé dans une historiographie traditionnelle que le plan à chevet
plat et nef à bas-côtés était caractéristique de la filiation claravalienne, ce qui ne semble pas
être le cas dans le diocèse de Limoges. En effet, Prébenoît, Dalon et le Palais-Notre-Dame
sont filles de Pontigny, Varennes de Vauluisant. Ce plan ne paraît ainsi pas être l’apanage des
filles de Clairvaux, ni encore un plan « privilégié » « typique » de l’architecture cistercienne
puisqu’il ne concerne pas la moitié des sites cisterciens du diocèse de Limoges et de ses
marges.
2. Parti de la nef unique :
Le plan à chevet plat et nef à bas-côtés ne fait ainsi pas l’unanimité dans un cadre
cistercien limousin. La nef unique est en effet largement requise et convient bien à des
communautés modestes, peu dotées, souvent issues de mouvements érémitiques à vocation de
dépouillement et de simplicité. La nef unique est également presque systématiquement choisie
par les moniales cisterciennes, que l’on prenne en compte le diocèse de Limoges mais
également l’ensemble des fondations françaises et européennes.
Choix des moniales :
Le diocèse de Limoges et ses marges connaissent deux fondations cisterciennes
féminines, à savoir Coyroux et Derses, vraisemblablement édifiées tardivement. L’abbatiale
de Coyroux est certes ruinée mais son plan est néanmoins bien connu. Elle dispose d’une nef
unique de 8m de large et d’un chevet plat, sans transept [Fig. 574 et 575]. Simple vaisseau,
elle se rapproche plus des réalités grandmontaines ou des « églises-granges » du cadre
- 723 -
gothique que des monastères masculins du diocèse. Il semblerait que le voûtement de l’église
de Coyroux soit assez tardif comme en témoigne la découverte de clés de voûtes sculptées
pouvant être datées des années 1250-1300 [Fig. 598]2000. Celles-ci sont adaptées à des voûtes à
liernes. Les feuillages naturalistes plaident pour cette chronologie, de même que des
comparaisons avec les voûtes à liernes des églises de Paulhac ou de Blaudeix en Creuse. Le
choix de ce plan modeste, simple halle callée entre deux pignons ne peut toutefois s’expliquer
par une moindre communauté que leurs homologues masculins d’Obazine puisque le
monastère accueillait tout de même presque cent moniales à la fin du XIIème siècle. Son
patrimoine est néanmoins géré par Obazine jusqu’au XIVème siècle où Coyroux obtient peu à
peu son indépendance.
L’abbaye féminine de Derses est cependant moins bien connue et n’a laissé aucune
trace dans le paysage actuel. Les anciens bâtiments monastiques ont servi de carrière et seuls
quelques remplois sont visibles dans les demeures actuelles. Il est dès lors difficile
d’envisager son plan à l’époque médiévale, bien qu’il serait logique de le rapprocher de celui
de Coyroux.
Des moines tournés vers des partis aquitains :
La nef unique peut également être adoptée par des abbayes masculines. Ainsi, le
monastère de Boschaud opte pour un plan atypique dans un cadre cistercien, caractérisé par
une nef unique couverte d’une file de coupoles [Fig. 189]. Ce parti n’est toutefois pas
inhabituel dans un cadre aquitain puisque de nombreux édifices romans opte pour ce plan :
c’est le cas de Fontevrault, Sablonceaux, les cathédrales de Périgueux et d’Angoulême2001.
De même, l’abbatiale de Bonlieu opte pour un parti simplifié avec une nef unique
terminée par un chevet pentagonal [Fig. 137]. Ce type de chevet à pans coupés se diffuse tout
particulièrement dans le diocèse de Limoges à partir des années 1130. Il s’observe notamment
au milieu du XIIème siècle à l’église du Chalard2002. L’abbatiale de Bonnaigue est également
un vaisseau simple terminé par un chevet plat. Ce choix de simplicité pourrait se justifier par
les origines érémitiques de Bonnaigue, au départ simple celle d’Obazine.
L’abbaye des Pierres opte de même pour une nef unique et un chevet plat bordé de
chapelles de transept à fond plat. Chaque bras ne dispose que d’une seule chapelle, plan
relativement rare dans un cadre cistercien [Fig. 720].
2000
C. ANDRAULT-SCHMITT dans B. BARRIÈRE, Moines en Limousin..., op. cit., p. 49.
Voir III. B. a. 1. Des solutions architecturales éprouvées et pérennisées. L’exemple de la coupole : croisée du
transept et solution de voûtement des vaisseaux larges.
2002
X. LHERMITE, « Le prieuré du Chalard. Étude architecturale », BSAHL, T 131, 2003, p. 37-71.
2001
- 724 -
À Grosbot, le plan est en croix latine avec une nef unique de trois travées, un transept
et un chœur en abside précédé d’une travée droite.
Face à ces réalités, un certain nombre d’édifices nous échappent encore. L’abbatiale de
Boeuil par exemple est méconnue. Aucun mur n’est conservé en élévation. Une aquarelle de
Paul Peyrusson donne une vision imaginée de l’abbaye mais ne peut en aucun cas être
considérée comme un témoignage réel [Fig. 112]2003. L’abbaye de Peyrouse est également
difficile à cerner face aux ruines actuelles.
Cette synthèse sur les plans des abbatiales cisterciennes du diocèse de Limoges et de
ses marges a permis de constater l’inexistence d’un plan « type » reproduit d’abbayes en
abbayes. Le plan « bernardin » ne fait pas l’unanimité et souvent les choix des moines blancs
se tournent vers plus de simplicité, comme ce fréquent parti de la nef unique. La diversité des
solutions est tangible et peut s’expliquer en partie par le statut des abbayes (féminines ou
masculines) ou leur développement économique. Nous n’avons toutefois guère pu distinguer
de choix marqués différenciant créations directes de l’ordre et monastères affiliés, anciens
ermitages rattachés à Dalon ou à Obazine. La question d’un plan « type » sera réévaluée dans
la suite de notre étude et étayée de comparaisons avec d’autres diocèses et d’autres pays2004.
c. Élévation : supports, percements, contrebutements :
1. Élévation dans le cas d’un éclairage direct :
À Aubignac, nous savons d’après les textes modernes que la nef ne dispose pas de
collatéraux2005. L’éclairage est donc direct. D’après Émile de BEAUFORT, des « pilastres »
adossés aux murs gouttereaux séparent les quatre travées de la nef. Ces dosserets sont sans
doute surmontés d’impostes recevant les voûtes de la nef, supports simples ne nécessitant
aucune base ou chapiteau sculptés, comme nous l’avons constaté pour la nef de Boschaud ou
pour le collatéral nord de l’abbaye de Prébenoît. Entre chaque dosseret, une fenêtre en pleincintre est percée, d’1.50m de haut pour 1m de large. Ces baies sont fortement ébrasées
(embrasure interne d’1.60m de large pour 2.30m de haut). Nous ne savons pas si ces baies
étaient surmontées d’un arc composé d’un linteau monolithe comme pour le bas-côté nord de
l’abbatiale de Prébenoît ou si le linteau était clavé comme à Bonlieu (nef et chœur). La largeur
de 1m nous laisserait plutôt supposer l’usage d’un linteau clavé. Les linteaux monolithes
2003
Vue d’ensemble des bâtiments constituant l’abbaye. Dessin aquarellé de Paul Peyrusson, maire de Veyrac,
vers 1830, conservé à la mairie de Veyrac [Fig. 112].
2004
Voir III. C. 2. Une tentative d’uniformisation. L’échec de la diffusion du modèle « bernardin ».
2005
AD Creuse, H 268, état des lieux de 1643.
- 725 -
paraissent en effet plus souvent requis pour des baies plus étroites (30-50cm large). Lors de
nos prospections et de l’inventaire lapidaire établi sur l’ancien site d’Aubignac, aucun élément
de baie n’a pu être inventorié.
Les textes modernes décrivent également une arrière-chapelle à la façade orientale.
Celle-ci est dotée d’une porte en plein-cintre surmontée d’une archivolte se prolongeant
jusqu’aux contreforts. Ce portail est bâti en calcaire et non en granite pourtant utilisé pour le
reste de la mise en œuvre. Nous n’avons toutefois retrouvé aucun élément de calcaire lors de
nos investigations. Néanmoins, un des éléments lapidaires conservé sur une propriété privée
est un fragment de base de portail à ébrasements multiples [Fig. 105]. Il est de granite gris. Il
pourrait s’agir de la porte occidentale de l’église.
Ce type de portail est très fréquent dans le diocèse de Limoges dès le premier tiers du
XIIIème siècle pour des sites non cisterciens et cisterciens également, et trouve ses origines
dès l’époque romane. Aux débuts de la période romane, les portails sont simples, traités
comme des baies. Dans la seconde moitié du XIème siècle apparaissent néanmoins de
profonds ébrasements à ressauts abritant de fines colonnettes, tel à Saint-Étienne de Nevers ou
à Sainte-Foy de Conques. Ces premiers exemples vont trouver des prolongements et un net
essor dans le cadre du premier gothique2006.
Trois types de portails à ébrasements peuvent être envisagés et distingués : dans les
années 1130-1180, il semble se mettre en place des portails au profil en plein-cintre, au
nombre d’ébrasements relativement réduits, et dont les colonnes et chapiteaux sont très
nettement individualisés. Le système décoratif est roman : bases attiques, fréquents cordons
de billettes ou motifs en damiers. C’est le cas à l’abbaye cistercienne de Bellaigue (com.
Virlet, Puy-de-Dôme), édifiée pour grande part dès l’époque romane (second tiers du XIIème
siècle pour les parties basses). Le portail occidental en plein-cintre (vers 1130-1150) est orné
de colonnettes placées dans les ébrasements dotés de ressauts [Fig. 832]. Celles-ci sont
isolées, surmontées de chapiteaux à décors géométriques. Les bases adoptent un profil
classique en tore, scotie et tore. L’archivolte est décorée de motifs en dents-de-scie. De même
à Veyrac, église paroissiale non loin de l’abbaye cistercienne de Boeuil, le portail en pleincintre dispose de trois ébrasements dans lesquels se nichent des colonnes aux chapiteaux bien
isolés, lisses [Fig. 833]. Les bases et chapiteaux des parties internes (nef et chœur) évoquent
une stylistique proche de celle de Bellaigue (corbeilles massives lisses ou aux décors
géométriques) et pouvant relever des années 1130-1180. L’étude sur les portails de Haute2006
É. VERGNOLLE, L’art roman en France…, op. cit., p. 190.
- 726 -
Auvergne de Caroline ROUX va dans le sens de ces chronologies. Elle constate la fréquence
de ce type de portail dans la seconde moitié du XIIème siècle. Le portail sud de l’église de
Bredons (vers 1180) présente ainsi une archivolte encore en plein-cintre, ornée de damiers et
des chapiteaux isolés surmontés de puissants tailloirs, également décorés de motifs en
damiers2007. Pour l’historienne de l’art, un type de portail simple, au profil en plein-cintre, doté
de fines colonnettes nichées dans les ébrasements, de chapiteaux souvent sans tailloir et d’un
simple tore dans les voussures (de même diamètre que les colonnettes) est fréquent dans la
seconde moitié du XIIème siècle et se retrouve en Haute-Auvergne (chapelle Sainte-Croix de
Saignes, portail occidental) ainsi que dans le proche diocèse de Limoges ou encore l’ancien
diocèse de Cahors. Concernant le Limousin, nous pouvons donc encore affiner ces datations
entre 1130 et 1180 puisque après cette date, le profil brisé tend à s’imposer.
Un second type de portail présente donc un profil légèrement brisé, un nombre
d’ébrasements encore modestes et des chapiteaux le plus souvent lisses ou aux feuillages
simples isolés. Ces réalités semblent s’apparenter à une datation des années 1180-1220,
période définie par Claude ANDRAULT-SCHMITT comme l’éclosion d’un « premier
gothique » dans le diocèse de Limoges2008. À Bonlieu, les ébrasements accueillent des
colonnes surmontées de chapiteaux isolés [Fig. 834]. Le portail opte pour un profil
légèrement brisé. Les chapiteaux aux corbeilles évasées sont nus, les bases non classiques au
tore inférieur avachi disposant de griffes aux angles, s’éloignant des dispositions
« classiques » romanes de la base attique observées à Bellaigue. Des édifices templiers
semblent adopter des portails relativement similaires et pouvant correspondre au même cadre
chronologique. Ainsi, le portail de Blaudeix (Creuse) ne dispose que de deux ébrasements
[Fig. 835]. Les chapiteaux feuillagés sont bien isolés. Les feuilles lisses se terminent par des
boules lisses simples, assez similaires au chapiteau à boules de La Colombe (années 1200)
[Fig. 680]. La présence en chevet d’un triplet triangulé assez proche de celui du Palais-NotreDame (premier tiers du XIIIème siècle) irait dans le sens d’une datation des années 12001220. Par ailleurs, la mise en oeuvre de voûtes d’ogives à liernes, formerets et doubleaux
couvrant la nef suggèrerait l’intervention d’un voûtement légèrement postérieur (mi XIIIème
siècle). De même pour l’église templière de Chambéraud (Creuse). Son portail adopte un
profil légèrement brisé, à deux ébrasements seulement [Fig. 836]. Les chapiteaux là encore
isolés sont surmontés de puissants tailloirs. Les corbeilles lisses sont peu évasées, les bases
2007
C. ROUX, Les portails romans des églises de Haute-Auvergne. Architecture, sculpture et orientations, thèse
de doctorat, dir. A. COURTILLÉ, Clermont II, 3 vol., 2001 ; C. ROUX, La pierre et le seuil. Portails romans en
Haute-Auvergne, PUBP, 2004, p. 117.
2008
C. ANDRAULT-SCHMITT, Limousin gothique, op. cit., p. 23.
- 727 -
sont classiques, placées sur un haut socle. Comme à Blaudeix, la présence d’un triplet
triangulé irait dans le sens d’une datation des années 1200-1220. Les voûtes à liernes
pourraient intervenir dans le milieu du XIIIème siècle2009.
Un troisième type de portail émerge dans les années 1220-1250 et trouve des
prolongements jusqu’à la fin du XIIIème siècle (Chénerailles notamment) [Fig. 837]. Le
profil du portail est plus nettement brisé, les ébrasements se multiplient considérablement, les
chapiteaux s’organisent en frise. Le portail occidental de l’église Notre-Dame de Gouzon en
Creuse est doté de multiples ébrasements dans lesquels se nichent de fines colonnettes
surmontées de chapiteaux en frise ornés de boutons et crochets végétaux [Fig. 838]. Selon
Claude ANDRAULT-SCHMITT, ces frises végétales sont à rapprocher des portails de SaintYrieix et Saint-Léonard de Noblat et « inviteraient à ne pas trop s’éloigner du début du
XIIIème siècle », bien que les tailloirs et la présence d’un contrefort escalier incitent à une
chronologie plus tardive. Une datation des années 1220-1250 nous semblerait ainsi
prudente2010. De même, la collégiale de Brive en partie reconstruite au cours du XIIIème siècle
(nef) dispose d’un portail latéral nord à multiples ébrasements ornés de chapiteaux aux
feuillages naturalistes disposés en frise pouvant être daté du milieu du XIIIème siècle [Fig.
839]2011. L’église templière de Paulhac (Creuse) opte également pour un portail à multiples
ébrasements et chapiteaux disposés en frise s’inscrivant dans une chronologie similaire [Fig.
840]. À Mourioux en Creuse, le portail occidental est doté d’ébrasements et de chapiteaux en
frise à crochets végétaux allant dans le sens de cette datation des années 1220-1250 [Fig.
841].
À Bonlieu, le système d’éclairage est mieux connu qu’à Aubignac puisque deux
travées de la nef unique ont été conservées, de même qu’une partie du chevet et du transept.
L’éclairage direct est assuré par des baies différentes : la baie de la première travée de la nef
est surmontée d’un linteau clavé [Fig. 842]. La seconde travée dispose de deux baies. L’une
est plus étroite et opte pour un linteau monolithe mieux adapté tandis que la seconde,
bouchée, est surmontée d’un linteau clavé. Les claveaux en sont plutôt courts. Ces trois baies
se caractérisent par un fort ébrasement interne. Au-dessus de ces baies, un cordon simplement
mouluré reçoit la voûte en berceau brisé souligné d’arcs doubleaux. Ces derniers reposent sur
un tailloir surmontant un simple chanfrein. Les chapiteaux et culots, supports traditionnels de
sculptures, sont inexistants pour ces deux travées de la nef de fait très dépouillées.
2009
C. ANDRAULT-SCHMITT, « Les églises des Templiers de la Creuse et l’architecture religieuse du XIIIème
siècle en Limousin. », BSAOMP, 1996, 5ème série, T 10, p. 73-143.
2010
C. ANDRAULT-SCHMITT, op. cit., p. 197.
2011
É. PROUST, op. cit., p. 243-254 ; C. ANDRAULT-SCHMITT, op. cit., p. 140.
- 728 -
Le chevet dispose de baies en plein-cintre très ébrasées, surmontées d’un oculus clavé
[Fig. 843]. L’ébrasement interne de ces baies est de 0.86m de large, l’ébrasement externe de
0.41m. Elles sont surmontées de linteaux aux claveaux courts, attestant une datation des
années 1180-1220. Le chœur n’est ainsi pas percé par le fréquent triplet de façade (Prébenoît,
Le Palais). Néanmoins, cette superposition d’une baie longue et d’un oculus est assez fréquent
en Aquitaine dès l’époque romane et se retrouve au chevet d’Uzerche ou encore à SainteEutrope de Saintes [Fig. 844]. Ces formulations correspondent à des habitudes carolingiennes
comme à Saint-Riquier ou encore Corvey. Saint-Riquier, édifiée à la fin du VIIIème siècle,
présente une façade occidentale flanquée de deux tours rondes. La partie centrale se
décompose en trois niveaux horizontaux. Le second est percé de trois baies en plein-cintre
surmontées chacune d’un oculus. Les baies sont toutefois moins allongées qu’à Bonlieu ou
Uzerche2012. Corvey est mise en œuvre dans la seconde moitié du IXème siècle. En façade
occidentale, au-dessus de la porte principale, une baie en plein-cintre est percée, là encore
surmontée d’un oculus. La tour centrale du Westwerk dispose dans son dernier étage de trois
baies surmontées de trois oculi2013. Par ailleurs, les triplets des abbayes cisterciennes du
diocèse de Limoges (Prébenoît, Le Palais) peuvent également être liés à des réalités
carolingiennes : en effet, un dessin du XVIIIème siècle de l’abbatiale Saint-Sauveur et SainteMarie de Fulda montrant son état dans le second quart du IXème siècle témoigne de la
présence d’un triplet au mur pignon du bras du transept occidental2014.
Quant au portail de façade occidentale de Bonlieu, comme nous l’avons précisé cidessus, il correspond à la « mode » fréquente en Aquitaine du portail à ébrasements multiples
[Fig. 834]. Les chapiteaux lisses sont par ailleurs isolés, allant dans le sens d’une datation des
années 1180-1220.
L’abbaye de Boschaud opte également pour un plan à nef unique voûtée d’une file de
coupoles. L’éclairage est assuré par des baies en plein-cintre au fort ébrasement interne,
relativement étroites et surmontées d’un linteau monolithe en plein-cintre similaire à ceux
observés à Prébenoît (collatéral nord) [Fig. 845]. L’abside principale est percée de trois baies
ébrasées. Les linteaux en plein-cintre sont néanmoins quelque peu différents puisqu’ils se
constituent de deux pierres en arc-de-cercle assemblées. La baie centrale est par ailleurs
soulignée de deux colonnettes placées dans l’encadrement.
2012
C. HEITZ, Recherches sur les rapports entre architecture et liturgie à l’époque carolingienne, thèse, École
Pratique des Hautes Études, Paris, 1963, p. 26.
2013
C. HEITZ, op. cit., p. 33.
2014
J-P. CAILLET, L’art carolingien, Paris, Flammarion, 2005, p. 44.
- 729 -
Les moines de Bonnaigue choisissent une simple nef unique dotée d’un chevet plat. Ce
vaisseau a subi des remaniements aux XVIIème et XVIIIème siècles et il est délicat
d’envisager le profil des baies médiévales. En effet, les percements actuels sont modernes
comme en témoignent les linteaux clavés dotés d’une clé saillante [Fig. 846]. Ils présentent un
fort ébrasement interne. Les baies médiévales pouvaient être du type de celles de Prébenoît,
étroites, à fort ébrasement interne et externe et surmontées d’un linteau monolithe, ou bien du
type de celles de Bonlieu, plus larges et avec un linteau clavé. La façade occidentale est dotée
d’un portail mouluré d’un simple tore, sans ébrasement multiple comme souvent dans un
cadre cistercien (Bonlieu) et aquitain. La simplicité et le dépouillement sont ici privilégiés.
L’abbatiale de Coyroux opte elle aussi pour le plan à nef unique, ce qui se justifie
aisément par le statut d’abbaye féminine. Les monastères de moniales choisissent en effet
majoritairement ce simple vaisseau évoquant plus une celle de Grandmont. L’éclairage est
assuré par des baies aujourd’hui dépecées et dont il est par conséquent difficile d’envisager la
physionomie [Fig. 847]. Quant aux portes, celle du mur gouttereau sud ouvre à l’est sur le
cloître et présente un profil simple, légèrement brisé. Le mur pignon ouest est percé d’une
porte et d’une baie en arc brisé à 8m de haut. Cette dernière dispose d’un fort ébrasement
interne et est surmontée d’un linteau clavé du type des baies de Bonlieu.
À Grosbot, la nef unique est percée dans le mur gouttereau sud de baies relativement
récentes, absentes au nord. Le bras du transept sud, bien que très remanié, conserve dans son
mur sud une petite baie ébrasée surmontée d’un linteau monolithe en plein-cintre du type de
ceux de l’abbatiale de Prébenoît.
D’après ce que nous savons de l’abbaye des Pierres, aujourd’hui très ruinée, elle
dispose d’une nef unique et donc d’un éclairage direct. Comme à Coyroux, les baies sont
néanmoins entièrement dépecées. Alors que les parements sont de petit appareil irrégulier, les
baies et harpages sont en moyen appareil régulier de qualité. Ces pierres taillées ont ainsi été
systématiquement pillées lorsque l’abbaye est devenue carrière de pierres. Au XIXème siècle,
BUHOT DE KERSERS décrit les baies de la nef avec des linteaux clavés. Elles sont ainsi
probablement assez larges, avec un fort ébrasement interne, du type de celles de la nef de
Bonlieu. Un des éléments lapidaires conservé et déposé près des vestiges de la nef est un
fragment de pierre d’appui-fenêtre. Nous avons également pu inventorier un élément de
linteau de baie à double ébrasement. Cet élément très lacunaire ne permet pas de conclure si
son profil est en plein-cintre ou brisé [Fig. 738 et 739]. Les autres éléments lapidaires
découverts se rattachent majoritairement au cloître moderne (bases, chapiteaux octogonaux) et
- 730 -
ne nous apprennent guère sur les percements, l’élévation et le contrebutement de l’abbatiale
médiévale.
Comme Coyroux, l’abbaye féminine de Derses est dotée d’une nef unique. Cependant,
il ne reste aujourd’hui aucun vestige permettant de préciser son élévation, le contrebutement
et les percements.
2. Élévation dans le cas d’un éclairage indirect :
La nef de l’abbaye de Dalon peut être appréhendée grâce à certaines descriptions
modernes et d’érudits du XIXème siècle. Nous apprenons ainsi que la nef dispose de bascôtés, sans que l’éclairage, le profil des baies ou des portails ne puissent être envisagés.
Seules les chapelles occidentales du transept, encore préservées, permettent une connaissance
des percements de l’abbatiale médiévale [Fig. 848]. Ainsi, les chapelles à chevet plat sont
percées chacune d’une baie en plein-cintre ébrasée, relativement large. Les linteaux en pleincintre se composent de claveaux relativement courts, se rapprochant ainsi des réalités
observées à l’abbaye de Bonlieu. Quant aux supports, les piles à l’entrée des chapelles sont
des piles engagées sur dosseret. Des colonnettes sont cantonnées dans les angles de ces
dosserets. Elles sont surmontées de chapiteaux disposés en frise et dont les feuillages se
terminent en boules, permettant d’envisager une datation des années 1220-1250, caractérisée
par l’acceptation progressive de formulations gothiques, de feuillages systématisés,
schématiques et fréquemment organisés en frise (portails). La qualité de la taille, la précision
des détails feuillagés et des coquilles ornant les boules laisseraient supposer une datation plus
proche des années 1250, à l’inverse du petit chapiteau à boules lisses de l’abbaye de la
Colombe, beaucoup plus simple, relevant vraisemblablement du premier tiers du XIIIème
siècle.
D’après les textes modernes, nous savons que l’abbaye du Palais-Notre-Dame dispose
d’une nef à bas-côtés de 3m de large environ, dont il ne reste plus rien en élévation. Les
sondages archéologiques menés en avril 2007 ont mis en évidence la relative bonne
conservation des structures enterrées (angle sud-ouest de la façade occidentale), laissant
présager la possibilité de vérifier l’exactitude de ces données textuelles2015. Néanmoins, les
textes modernes renseignent peu sur les élévations, supports et percements de l’abbatiale
médiévale. Des remaniements sont de plus envisagés dans la seconde moitié du XVIIIème
siècle, tel le raccourcissement de la nef aux trois quarts. Le portail de la façade occidentale est
2015
I. PIGNOT, L’abbaye cistercienne du Palais-Notre-Dame (commune de Thauron, Creuse). Préciser le plan
de l’abbatiale médiévale et moderne, DRAC/SRA Limousin, 2007, non publié.
- 731 -
dès lors remonté dans la nouvelle façade moderne. Nous ne savons toutefois pas de quel type
de portail il s’agissait : portail à ébrasements multiples type Bonlieu, ou simple porte
moulurée d’un tore unique comme à Bonnaigue. Les percements connus sont ceux du chevet
de l’abbatiale. Un triplet de baies triangulé est mis en œuvre [Fig. 849]. Ces baies sont hautes
et étroites (entre 0.70 et 0.80m de large) et disposent d’un double ébrasement, interne et
externe. Les linteaux, légèrement brisés, sont clavés. Ils sont surmontés par une archivolte
simplement moulurée. Cette disposition en triangulation apparaît essentiellement dans les
années 1200 dans un cadre cistercien (abbaye cistercienne de Rieunette, com. Ladern-surLauquet) mais aussi hospitalier (Blaudeix). Les chevets plats percés de triplet non triangulé
interviennent plutôt dans la seconde moitié du XIIème siècle. C’est le cas de l’abbatiale de
Montpeyroux (com. Chassagne, Puy-de-Dôme) dans les années 1170, de l’église de Noirlac
(com. Saint-Amand-Montrond, Cher) [Fig. 850] et du prieuré d’Azat-Le-Ris en Haute-Vienne
(fin XIIème siècle).
L’étude lapidaire menée sur le site du Palais (juillet 2007) a permis d’inventorier un
certain nombre d’éléments de supports très éclairants pour la présente étude. En effet, trois
bases de piles complexes sont déposées dans la propriété [Fig. 851]. Elles disposent d’un
noyau circulaire ou quadrangulaire encadré de colonnettes engagées. Il s’agit peut-être des
bases des piles séparant la nef des collatéraux, sans doute destinées à recevoir un voûtement
d’ogives (attesté dans le chevet).
De même, l’abbatiale cistercienne de Prébenoît est mieux connue grâce aux fouilles
archéologiques menées à partir des années 19902016. Une partie du bas-côté nord est conservée
ainsi que des réaménagements modernes (tours de fortification, système de douves). La nef
dispose ainsi de bas-côtés larges (4m). Le collatéral nord est doté d’une petite baie en pleincintre, étroite, à double ébrasement [Fig. 852]. Elle est surmontée d’un linteau monolithe
simple de 20cm de large seulement. La fresque moderne datée de 1715 et conservée dans l’un
des bâtiments conventuels est une source précieuse pour la connaissance de l’abbatiale [Fig.
336]. Le chevet entièrement disparu en élévation est représenté et dispose d’un triplet de baies
surmonté d’un oculus. Ce triplet n’est pas triangulé comme au Palais-Notre-Dame. Les baies
sont hautes et étroites, au profil en plein-cintre, probablement largement ébrasées (seconde
moitié XIIème siècle). L’étude du dépôt lapidaire de l’abbaye de Prébenoît a permis
d’inventorier un linteau monolithe à double ébrasement. Les supports du bas-côté nord
2016
J. P. BÉGUIN, J. ROGER, Abbaye de Prébenoît (Creuse), SRA Limousin, 1993-1996 (non publié) ; J.
ROGER, Sondages d’évaluation sur le site de l’abbaye cistercienne de Prébenoît, juin 2000, 67 p. (non publié) ;
J. ROGER, Abbaye cistercienne de Prébenoît, fouilles 2001, 2001, 32p. (non publié) ; J. ROGER, P. LOY,
L’abbaye cistercienne de Prébenoît, Culture et patrimoine en Limousin, 2003.
- 732 -
recevant les voûtes d’arêtes sont de simples dosserets à imposte bâtis en moyen appareil
régulier de granite, permettant de faire l’économie des chapiteaux et des bases. Quant aux
supports séparant la nef des bas-côtés, ils sont connus grâce aux sondages archéologiques
menés dans l’abbatiale. Il s’agit de piliers de plan rectangulaire de 2.20m par 1.20m,
probablement en « L » à l’origine avec retour vers les collatéraux. Ils sont vraisemblablement
surmontés d’impostes recevant les voûtes. Les arcs doubleaux soutenant les voûtes d’arêtes
des bas-côtés sont d’ailleurs reçus par de simples dosserets à impostes. L’étude lapidaire a
également permis de reconnaître un certain nombre d’éléments de portail et de porte. Certains
piédroits sont munis de moulurations toriques, sans que nous puissions attester la présence
d’un portail à ébrasements multiples comme à Bonlieu.
L’abbatiale d’Obazine dispose d’une nef à bas-côtés. L’éclairage indirect est assuré
par les collatéraux. Les baies sont en plein-cintre et présentent de larges ébrasements internes
et externes [Fig. 853]. Les linteaux sont clavés, les claveaux courts. Ce type de linteau peut se
justifier par la largeur conséquente des baies comparées à celles de Prébenoît beaucoup plus
étroites (0.20m de large seulement contre 0.80m de large environ à Obazine). La façade
actuelle est récente, mise en place suite à une réduction de la nef. Les portes des bâtiments
conventuels sont simples, au profil légèrement brisé. Les claveaux en sont longs et étroits
(premier tiers du XIIIème siècle ?) [Fig. 513 et 514].
L’abbaye de Valette est méconnue puisque dynamitée avant relevés lors de la mise en
eau du barrage du Chastang. Son élévation, ses percements et contrebutements sont inconnus.
Nous disposons par ailleurs d’une porte remontée dans le proche bourg d’Auriac [Fig. 822]. Il
s’agit d’une porte en plein-cintre, sans ébrasements multiples. Elle est ornée d’un tore unique
reçu sur un tailloir surmontant autrefois des colonnes et chapiteaux désormais disparus. L’arc
en plein-cintre est souligné d’une moulure d’archivolte. Nous ne savons toutefois pas quelle
place elle occupait dans l’abbaye. Il pourrait s’agir du portail occidental de l’église, d’une
porte latérale ou du percement d’un des bâtiments conventuels.
De même concernant l’abbatiale d’Aubepierres : l’élévation, les percements et
contrebutements sont méconnus face à la lente disparition du monastère au fil des siècles. Des
chapiteaux feuillagés en frise sont néanmoins remployés dans un bâtiment de ferme moderne
[Fig. 854]. Ils permettent de supposer la présence d’un portail à ébrasements multiples. Les
chapiteaux disposés en frise attestent une datation des années 1220-1250 (porte latérale de
Saint-Léonard de Noblat, tour-porche de Chambon-sur-Voueize).
Le plan et l’élévation de l’abbaye de la Colombe sont inconnus aujourd’hui. Quelques
éléments lapidaires remployés dans les propriétés environnantes permettent toutefois
- 733 -
d’appréhender certains percements. En effet, un fragment de bases de portail à multiples
ébrasements est remployé dans la façade du moulin en contrebas de l’ancien monastère [Fig.
855]. Les trois petites bases taillées dans un calcaire fin sont écrasées et ne présentent pas de
griffes aux angles. Nous avons également inventorié un élément de piédroit à modénature
torique simple pouvant correspondre à une porte ou à un éventuel portail à ébrasements
multiples.
Concernant Peyrouse, nous ne pouvons malheureusement guère apporter de certitudes
quant à l’élévation, les supports et contrebutements face au manque de vestiges et de sources
textuelles pour appréhender le site.
À Varennes, la nef désormais unique dispose à l’origine de bas-côtés, détruits à une
date difficile à préciser (époque moderne ?). La nef est alors percée de baies destinées à
assurer un éclairage direct suite à la destruction des collatéraux [Fig. 856]. Ces baies sont très
légèrement brisées, les linteaux clavés. Elles disposent d’une clé saillante allant dans le sens
de réfections modernes. Au XVIIIème siècle, la nef est également raccourcie, le chevet plat
mis à bas. La nouvelle façade occidentale édifiée à l’époque moderne remploie quelques
piédroits d’un ancien portail à ébrasements multiples. L’étude lapidaire menée l’été 2006 a
permis de recenser un certain nombre d’éléments de piédroits de porte ou de portail, dont
certains peuvent être associés à ce portail occidental. Quant aux supports, ceux du chevet sont
en partie préservés. En effet, quelques assises de la pile à l’entrée du chevet sont conservées et
permettent d’envisager une pile cruciforme munie de simples dosserets [Fig. 857].
3. Contrebutement :
L’étude de ces dix-huit abbayes cisterciennes du diocèse de Limoges et de ses marges
témoigne de traditions romanes maintenues, telle la persistance de volumes trapus, souvent
sombres, contrebutés de simples contreforts, le plus souvent plats et larges. L’arc-boutant
n’est jamais requis, contrairement à certaines abbatiales cisterciennes proches tournées vers
les espaces capétiens, comme le monastère de Noirlac.
La datation de ces contreforts reste toutefois problématique et il paraît délicat de
mettre en place une typo chronologie de ces éléments. Claude ANDRAULT-SCHMITT fait
remarquer dans sa thèse de doctorat qu’au XIème siècle, certains édifices se dotent de
pilastres minces en guise de contreforts (0.60 par 0.45m). C’est le cas en particulier à l’église
- 734 -
Saint-Oradoux de Lupersat (Creuse)2017. Les contreforts étroits et plats sont ainsi souvent un
marqueur du milieu du XIème siècle (Sagnat, Saint-Benoît-du-Sault par exemple).
Anne COURTILLÉ fait état d’une tradition romane au XIIème siècle de contreforts
relativement épais, avec parfois un ou deux ressauts, dotés d’un glacis terminal léger
(pérennisés dans des édifices comme à Saint-Éloi de Vaux vers 1150-1170, Saint-Étienne de
Luzillat et Saint-Martin de Magnet vers 1170-1220, diocèse de Clermont)2018. Vers 11501170, l’église d’Herment, qualifiée d’édifice de transition entre roman et gothique est dotée de
contreforts d’épaisseur variable, généralement munis de larmiers et de talus. Quant à l’église
de Ronnet en Combrailles, des contreforts épais terminés en talus encadrent un portail
occidental à ébrasements multiples et chapiteaux en frise (première moitié du XIIIème siècle).
Enfin, à l’église hospitalière de Lamaids (Allier), les contreforts sont particulièrement épais,
munis de larmiers et de longs talus (1/3 de leur hauteur), dans les années 1220-1250. Des
contreforts similaires sont observables à Blaudeix en Creuse. Cette forte épaisseur pourrait
s’expliquer par la présence d’un voûtement complexe (ogives à liernes) nécessitant la
compensation de fortes poussées2019. De manière générale, Anne COURTILLÉ constate le
refus des arcs-boutants, de même que dans le diocèse de Limoges.
À l’abbaye de Prébenoît, les contreforts correspondent aux dosserets recevant les arcs
doubleaux des voûtes du bas-côté nord. Il s’agit de contrebutements de 1.18m de large pour
une saillie de 0.56m (collatéral nord). On ne peut guère parler de contreforts plats et ils sont
moins larges que ceux observés au Palais (premier tiers du XIIIème siècle). Ils peuvent
correspondre à des réalités de la seconde moitié du XIIème siècle, également présentes dans
un cadre paroissial proche. À Nouzerines en Haute-Marche, non loin des abbayes de
Prébenoît, Aubepierres et Aubignac, l’abside principale, vraisemblablement édifiée au
XIIème siècle (décors de cordon de billettes) dispose de contreforts de 0.64m de large pour
une très faible saillie de 0.21m. La largeur restreinte irait dans le sens d’une datation de la
seconde moitié du XIIème siècle [Fig. 858].
De même à Auriac (Corrèze), à quelques kilomètres de l’abbaye de Valette, l’église
dispose d’un transept dont les bras se terminent en pignon [Fig. 859]. Ils sont scandés de deux
contreforts à glacis sommital, sans ressauts, de 0.86m de large pour une saillie de 0.47m.
Moins larges et plus saillants que les contreforts plats des années 1180-1220, ces éléments
2017
C. ANDRAULT-SCHMITT, Les nefs des églises romanes de l’ancien diocèse de Limoges. Rythmes et
volumes, Thèse, Poitiers, sous la direction de C. HEITZ, 4 tomes, 1982, T I, p. 49.
2018
A. COURTILLÉ, Auvergne et Bourbonnais gothiques. I. Les débuts, Créer, Nonette, 1990, p. 262.
2019
A. COURTILLÉ, op. cit., p. 584.
- 735 -
semblent relever de l’époque romane, vraisemblablement de la seconde moitié du XIIème
siècle.
Au Moutier-Rozeille (Creuse), l’abside principale est scandée de petits contreforts de
0.30m de saillie et de 0.63m de large, se rapprochant ainsi des réalités romanes de la seconde
moitié du XIIème siècle [Fig. 860].
L’abside axiale de Bonlieu est scandée de contreforts plats de très faible saillie (0.29m
seulement), ne disposant pas de glacis sommital [Fig. 861]. Quant à la façade occidentale,
deux contreforts plats à glacis sommital flanquent le portail à ébrasements multiples. La
saillie est légèrement plus importante (0.47m) pour une largeur de 1.45m. Ces contreforts
plats, datés des années 1180-1220 diffèrent des formules plus tardives des proches édifices
hospitaliers et templiers, comme à Lamaids où les contreforts atteignent quasiment un mètre
de saillie (vers 1250 [Fig. 862]). Ces deux derniers types de contreforts se retrouvent
d’ailleurs à l’église templière de Chambéraud (Creuse) [Fig. 863]. En effet, les contreforts de
la façade occidentale sont larges et plats : 1.60m de large pour une saillie faible de 0.33m
correspondant à des formulations des années 1180-1220 comme en témoigne la présence d’un
portail à ébrasements et chapiteaux isolés du type de celui de Bonlieu. Néanmoins, les
contreforts des murs gouttereaux sont très différents et massifs : 3.30m de large pour 2.35m
de saillie, s’approchant plus des réalités hospitalières et templières des années 1250
(Lamaids). À Paulhac, les contreforts relativement plats sont dotés d’un glacis sommital
(1.84m pour 0.28m de profondeur) [Fig. 864]. Nous pouvons ainsi relever des cohérences
significatives entre certains choix cisterciens et ordres militaires.
À l’abbaye du Palais-Notre-Dame, deux types de contreforts sont observables au
niveau de la façade orientale. L’extrémité sud est dotée d’un contrefort plat d’1.80m de large
pour une profondeur de 0.43m, relevant vraisemblablement des années 1180-1220, en
cohérence avec la datation du triplet de façade (début XIIIème siècle), des modénatures de la
piscine liturgique et de la présence du voûtement d’ogives à formeret [Fig. 865]. Un second
contrefort est placé à l’angle nord-est. Le soubassement est souligné d’un cavet, ce qui nous
ferait penser à une réfection plus tardive, vraisemblablement du XVème siècle [Fig. 866]. Les
XIVème et XVème siècles sont des périodes ayant donné lieu à des fortifications dans les
abbatiales cisterciennes (à Prébenoît avec un système de tours et de douves, tour de Bonlieu)
ainsi qu’à des premières restaurations et consolidations. L’adjonction de contreforts pourrait
entrer de ce cadre de renforcement de parements fragilisés par les poussées des voûtes. Les
sondages archéologiques ont permis la découverte de l’angle sud-ouest de la nef,
vraisemblablement munie d’un contrefort d’angle peut-être également adjoint au XVème
- 736 -
siècle. Sa mise en œuvre est en effet différente (mortier orangé) et il n’est de plus pas lié à la
maçonnerie de la façade occidentale mais vient seulement s’appuyer contre elle. Sa saillie est
de 1.10m [Fig. 316].
À Grosbot, les contreforts plats disposent de même d’un glacis sommital [Fig. 867].
Les dimensions en sont légèrement variables, qu’il s’agisse des contreforts du mur gouttereau
nord (1.71m de large pour une saillie de 0.32m), sud (1.62m de large, 0.31m de saillie) ou du
bras du transept sud (1.30m de large pour 0.32m de saillie).
L’abbaye de Boschaud met également en œuvre des contreforts plats. La salle
capitulaire est scandée à l’extérieur de cinq contreforts plats de 0.90m de large pour une
saillie de 0.23m, encore plus faible qu’à l’abside axiale de Bonlieu [Fig. 868]. De même, le
pignon du transept nord est doté de deux contreforts plats d’1.41m de large et de faible saillie
(0.24m), allant dans le sens d’une datation des années 1180-1220.
L’abbaye de Bonnaigue a connu de nombreux remaniements, particulièrement durant
les XVIIIème et XIXème siècles. Néanmoins, les contreforts médiévaux sont encore
observables [Fig. 869]. Ainsi, un contrefort massif est conservé à l’angle nord-ouest de la
façade. Il dispose d’un soubassement plus large. La saillie est de 1.53m, ce qui ne correspond
guère aux dimensions habituelles relevées sur les précédents sites. Il ne s’agit pas ici d’un
simple contrefort plat. A-t-il été remanié lors des nombreuses réfections de l’abbatiale ?
Toutefois, les contreforts observés le long du mur gouttereau sud, côté cloître sont quelque
peu différents. Ils disposent d’un glacis sommital. La largeur maximale est de 1.53m pour une
faible saillie de 0.48m. Nous sommes ici plus proches des réalités observées à Bonlieu, datées
des années 1180-1220.
À l’abbaye d’Aubignac, le système de contrebutement peut être saisi d’après la
précieuse description d’Émile de BEAUFORT2020. Nous apprenons ainsi qu’aux dosserets
séparant les quatre travées de la nef correspondent des contreforts extérieurs. Néanmoins, leur
physionomie et dimensions ne peuvent guère être envisagées. Le cadastre napoléonien
représente l’église abbatiale encore munie sur un de ses murs gouttereaux de contreforts qui
semblent relativement saillants, pouvant être assimilés à un remaniement tardif (contrefort
saillant à l’angle nord-est du chevet du Palais relevant du XVème siècle) [Fig. 102]. Il est
toutefois difficile de se prononcer face aux lacunes des sources archéologiques.
Ainsi, il semblerait que les abbayes cisterciennes du diocèse de Limoges et de ses
marges optent majoritairement pour des contreforts plats, le plus souvent larges, surmontés
2020
É. DE BEAUFORT, « Abbaye d’Aubignac », MSAOMP, T 26, 1861, p. 314-321.
- 737 -
d’un glacis sommital. Ces réalités ne sont pas propres à cet ordre monastique et des
contrebutements similaires se retrouvent fréquemment dans un cadre paroissial proche.
d. Voûtements et charpentes :
L’étude des voûtements, comme les plans et les élévations, révèle là encore la
diversité des partis architecturaux cisterciens. Il ne semble pas exister de voûtement « type »
repris d’abbayes en abbayes. Néanmoins, nos connaissances de certains sites ne peuvent
qu’être partielles puisque les voûtes ont parfois entièrement disparu : c’est le cas d’Aubignac,
Boeuil, Valette, Aubepierres, Derses, La Colombe, Peyrouse et les Pierres. Toutefois,
d’éventuels dépôts lapidaires permettent des analyses et hypothèses.
À Aubignac, certains blocs sculptés erratiques renseignent sur le voûtement. Ainsi, dix
claveaux de nervure d’ogives ont été inventoriés. Le tore est simple, sans amande [Fig. 103].
Émile de BEAUFORT évoque dans sa description une nef unique voûtée d’ogives dont nous
avons ici peut-être un témoignage.
À Boeuil, les éléments inventoriés lors de nos prospections n’ont révélé aucun vestige
de voûtement. Il est dès lors difficile d’envisager le couvrement sans investigations
archéologiques plus poussées.
À Bonlieu, la nef unique est voûtée en berceau brisé souligné de doubleaux reçus sur
de simples tailloirs. Le chœur était peut-être doté d’un cul-de-four fuselé comme le laisse
présager le départ de voûte encore observable [Fig. 870]. C’est souvent le cas des voûtes de
chevets polygonaux. Ainsi, l’abbatiale de Bonlieu dans la Drôme (com. Bonlieu-sur-Roubion)
dispose d’un cul-de-four fuselé daté du début du XIIIème siècle. Par ailleurs, un certain
nombre d’éléments lapidaires déposés dans le bras du transept nord (claveau de nervure
d’ogive en amande, départ de nervure d’ogives) laissent présager le recours à l’ogives,
concernant vraisemblablement les bâtiments conventuels (réfectoire ? dortoir ? salle
capitulaire ?) [Fig. 164]. La travée droite est couverte d’un berceau brisé dont le départ est
encore visible. Une coupole de croisée est de plus probable.
L’abbaye de Boschaud offre le couvrement le plus original pour une abbaye
cistercienne, bien que relativement fréquent dans un cadre aquitain roman [Fig. 871]. En effet,
la nef unique est voûtée d’une file de coupoles sur pendentifs. Nous reviendrons sur ce choix
de voûtement dans une partie ci-dessous consacrée à un probable héritage roman aquitain2021.
2021
Voir III. B. a. 1. Des solutions architecturales éprouvées et pérennisées. L’exemple de la coupole : croisée du
transept et solution de voûtement des vaisseaux larges.
- 738 -
L’abbaye de Grosbot dispose d’une nef unique voûtée d’un berceau dont il ne demeure
aujourd’hui que l’amorce. La croisée du transept est par ailleurs voûtée d’une coupole sur
pendentifs assez similaire à celles de Boschaud, soutenue par des grands arcs à doubles
rouleaux [Fig. 443].
Les vestiges de l’abbaye de Dalon permettent d’envisager l’acceptation progressive
des voûtements gothiques. En effet, la salle capitulaire, vraisemblablement achevée dans la
seconde moitié du XIIème siècle est voûtée d’ogives polygonales massives correspondant
plus aux voûtements d’espaces moins nobles dévolus au corps (cellier, cuisine) [Fig. 872].
Néanmoins, ce profil d’ogives observé correspondrait plutôt à une datation tardive (XIVèmeXVème siècles). Une réfection n’est ainsi pas impossible. Les clés de voûtes sont feuillagées.
Les chapelles de transept, vraisemblablement achevées dans la première moitié du XIIIème
siècle comme en témoigne la présence de chapiteaux à boules finement sculptés dont la
disposition en frise suggère une datation des années 1220-1250, présentent un voûtement
relativement différent [Fig. 873]. Les voûtes d’ogives sont beaucoup moins massives,
dégagées de cavets, sans amande. Les clés de voûtes sont là encore feuillagées. L’étude des
éléments lapidaires déposés sur le site permet de distinguer un certain nombre de profils
différents, souvent plus complexes et plus élaborés, pouvant correspondre aux voûtements du
chevet, de la nef, ou d’autres bâtiments conventuels (réfectoire par exemple) [Fig. 874]. L’un
des claveaux de nervure d’ogives dispose d’un tore principal en amande dégagé de deux
cavets latéraux. Il est accompagné de deux autres fines moulures toriques plus petites, lui
donnant un aspect tréflé. Un autre élément présente un tore principal sans amande dégagé de
deux cavets. Deux tores latéraux sont greffés sur le socle. Ces modénatures plus complexes et
plus délicates témoignent des tentatives, des expériences et des recherches progressives dans
le domaine du voûtement d’ogives dès la fin du XIIème siècle et plus particulièrement dans le
premier tiers du XIIIème siècle.
Concernant l’abbaye cistercienne du Palais, seul le voûtement du chevet est connu de
source sûre. En effet, deux amorces de voûtes d’ogives sont encore en place aux angles sud et
nord de la paroi interne du triplet de façade oriental [Fig. 875]. Il s’agit d’ogives toriques, sans
amande. L’étude des éléments lapidaires déposés ou découverts lors des sondages
archéologiques a permis d’inventorier des claveaux de nervure d’ogives pouvant appartenir
aux voûtes du chevet [Fig. 876]. Nous ne savons toutefois pas si la nef et les bas-côtés
disposaient également d’ogives, de même concernant les bâtiments conventuels médiévaux.
Les descriptions érudites et textes modernes ne permettent guère de répondre à ces
questionnements. Les bases de piles complexes inventoriées, correspondant peut-être à la
- 739 -
séparation entre nef et collatéraux, laisseraient présager la présence d’un voûtement complexe
avec ogives et formerets comme observé au niveau du chevet.
À Prébenoît, le voûtement du bas-côté nord est encore observable. Il s’agit de voûtes
d’arêtes soulignées d’arcs doubleaux [Fig. 877]. Il est néanmoins délicat d’envisager le
couvrement de la nef, du chevet et des bâtiments conventuels soit détruits (bâtiment des
convers), soit entièrement remaniés (bâtiments est et sud). L’étude du dépôt lapidaire peut
tout de même livrer quelques indices2022. Ainsi nous avons inventorié un claveau de nervure
d’ogives à trois tores (aspect tréflé) [Fig. 354]. Les tores ne sont pas amincis en amande. Il est
toutefois difficile d’envisager sa provenance. De même, un fragment de boudin torique sur
dosseret est inventorié [Fig. 355]. Il est relativement massif et pourrait provenir d’un des
premiers bâtiments mis en œuvre telle la salle capitulaire, peut-être édifiée dès la période
dalonienne (entre 1140 et 1162). Nous ne pouvons toutefois étayer ces hypothèses faute de
sources textuelles et descriptions modernes éloquentes.
La nef unique de Bonnaigue est voûtée d’arêtes bâties en tas-de-charge, soulignées
d’arcs doubleaux chanfreinés [Fig. 878]. Cette voûte est peut-être remaniée en partie aux
XVIIème et XVIIIème siècles, probablement remontée comme à l’origine. Le chevet est
voûté d’ogives dont les tores à bandeau sont soulignés de deux cavets [Fig. 879]. Les ogives
sont reçues sur des culots et se rejoignent en une clé de voûte feuillagée. Concernant les
bâtiments conventuels, le voûtement est inconnu et n’est pas décrit par les sources textuelles.
La nef d’Obazine est voûtée d’un berceau brisé soigneusement appareillé, souligné de
puissants arcs doubleaux. Ce vaisseau principal est contrebuté par des collatéraux voûtés
d’arêtes, eux-mêmes soulignés d’arcs doubleaux. La croisée du transept est voûtée d’une
coupole tandis que les bras sont voûtés en berceau brisé souligné d’arcs doubleaux retombant
sur des culots. Quant aux chapelles, elles sont simplement voûtées en cul-de-four. Ainsi, le
voûtement requis est assez fréquent dans un cadre cistercien, particulièrement dans les
abbatiales édifiées dans la seconde moitié du XIIème siècle. Les bâtiments conventuels
adoptent largement les voûtes d’arêtes, qu’il s’agisse de la salle capitulaire, recevant les
voûtes sur deux piles circulaires massives [Fig. 880], ou de la cuisine, très remaniée à
l’époque moderne.
L’ogive n’est pas encore de mise dans cette abbatiale probablement mise en œuvre
pour bonne part dans la seconde moitié du XIIème siècle (chœur, transept et premières travées
de la nef). L’ogive fait néanmoins son apparition dans certains bâtiments conventuels comme
2022
I. PIGNOT, L’abbaye cistercienne de Prébenoît en Creuse. Étude lapidaire et architecturale, maîtrise
d’Histoire de l’art, Clermont II, dir. B. PHALIP, A. COURTILLÉ, 2 vols, 2004.
- 740 -
le réfectoire vraisemblablement mis en œuvre entre les dernières décennies du XIIème siècle
et le premier tiers du XIIIème siècle [Fig. 881]. Les nervures ont un profil en amande,
dégagées de deux cavets, allant dans le sens d’une datation des années 1180-1220. Selon
Claude ANDRAULT-SCHMITT, ce voûtement pourrait en effet intervenir dès les années
1180 et s’inscrire ainsi comme l’une des premières voûtes d’ogives du diocèse de Limoges2023.
Concernant l’abbatiale de moniales de Coyroux, le voûtement est plus tardif et relève
vraisemblablement du milieu du XIIIème siècle. Il s’agit de voûtes à liernes. Les voûtains
sont relativement légers, bâtis en briques. Les campagnes de fouilles successives menées par
Bernadette BARRIÈRE ont permis la découverte d’un certain nombre de claveaux de nervure
d’ogives à rattacher à ce voûtement de la nef [Fig. 882]. De même, des clés de voûtes
sculptées ont été inventoriées, dotées de huit amorces de nervures, attestant ainsi la présence
de voûtes à liernes [Fig. 598]2024.
L’abbaye de Varennes dispose d’une nef couverte d’ogives, remontées tardivement en
remployant néanmoins les éléments de voûtements médiévaux. Le projet de voûtement initial
devait ainsi être un voûtement d’ogives. Nous ne connaissons toutefois pas le voûtement des
collatéraux, sans doute mis à bas lors de réfections modernes en même temps que la réduction
de la nef et la destruction du chevet. Quant au chevet, la présence à l’entrée de piles
quadrangulaires dotées de dosserets irait plutôt dans le sens d’un voûtement simple en
berceau, souligné d’un doubleau reçu sur ce dosseret. Nous ne pouvons toutefois qu’émettre
des hypothèses. L’étude du dépôt lapidaire (été 2006) a permis de recenser un grand nombre
d’éléments de voûtement [Fig. 791 à 797]2025. Cinq profils ont ainsi été distingués pouvant
appartenir à des ogives, formerets ou nervures diagonales. Certaines ogives présentent un tore
aminci en amande pouvant relever de la fin du XIIème siècle et du premier tiers du XIIIème
siècle. Des ogives à listel correspondent néanmoins à des réfections des XIVème-XVème
siècles. Le voûtement d’ogives a ainsi pu concerner certes l’abbatiale mais également des
bâtiments conventuels. Les textes et descriptions n’apportent pas d’informations sur les
voûtements.
Le voûtement de certaines abbatiales reste néanmoins plus complexe à saisir. Ainsi,
l’abbaye de Valette est entièrement détruite et les fonds conservés enseignent peu sur la
physionomie du monastère médiéval. Les prospections menées n’ont de plus pas permis de
découvrir d’éléments lapidaires significatifs ayant appartenu à l’ancienne abbatiale.
2023
2024
C. ANDRAULT-SCHMITT dans B. BARRIÈRE (dir.), Moines en Limousin…, op. cit., p. 47.
B. BARRIÈRE et C. ANDRAULT-SCHMITT, dans B. BARRIÈRE (dir.), Moines en Limousin…, op. cit., p.
49.
2025
Voir la monographie de Varennes dans le corpus II pour le détail des éléments inventoriés.
- 741 -
Concernant l’abbaye d’Aubepierres, certains aménagements hydrauliques subsistants
attestent encore de la présence des moines sur ces terres. L’église a entièrement disparu. Les
textes modernes et inventaires révolutionnaires ne livrent par ailleurs aucun indice sur le
voûtement.
L’abbaye de moniales de Derses est également détruite et des bâtiments de ferme et
d’habitation ont remplacé l’ancien site monastique. Nous ne disposons à ce jour d’aucune
information concernant le voûtement de l’abbatiale ou des bâtiments conventuels autour du
cloître.
À la Colombe, quelques éléments lapidaires inventoriés et déposés dans une propriété
privée permettent d’envisager certaines hypothèses de voûtement. En effet, cinq claveaux de
nervure d’ogives sont recensés [Fig. 883]. Le tore est simple, sans amande, pouvant
correspondre à des réalités de la fin du XIIème siècle ou du premier tiers du XIIIème siècle.
Ce voûtement d’ogives pourrait convenir à une nef, au chevet plat, aux chapelles de transept
ou même aux bâtiments conventuels, sans que nous puissions affiner plus ces suppositions.
L’abbaye de Peyrouse est de même relativement difficile à étudier face à la disparition
progressive des vestiges du monastère. Restent aujourd’hui quelques pans de murs, murs de
soutènement le long du Palin et un petit bâtiment moderne remployant une ancienne porte du
monastère. Les documents d’archives permettent néanmoins de récolter quelques
informations concernant le voûtement. En effet, un texte moderne des Archives
Départementales de l’Aube cite les « voûtes rondes » de la nef et des chapelles de transept2026.
Nelly BUISSON a interprété cette expression comme la présence de coupoles à la manière de
l’abbaye de Boschaud. Toutefois, il paraît impossible d’imaginer des coupoles couvrant de
petites chapelles de transept2027. Ne pourrait-il s’agir plutôt de voûte en berceau pour la nef et
de voûtes en cul-de-four pour les chapelles de transept ? Il est difficile de se prononcer sur
cette seule source moderne.
Le voûtement de l’abbaye des Pierres est essentiellement connu grâce aux descriptions
érudites de la fin du XIXème siècle puisqu’aucun couvrement n’est conservé. Ainsi BUHOT
DE KERSERS, lors de sa visite du site, constate l’amorce d’une voûte en berceau encore
discernable au niveau de l’ancien chevet plat. L’étude lapidaire a permis la découverte de trois
claveaux de nervure d’ogives [Fig. 884]. Les tores sont simples, sans amande, allant dans le
sens d’une datation de la fin du XIIème siècle, voire du premier tiers du XIIIème siècle. Il est
toutefois délicat d’envisager leur provenance (église ? bâtiments conventuels ?).
2026
2027
AD Aube, 3 H 228.
N. BUISSON, « Abbaye de Peyrouse », BSHAP, T 113, 1986, p. 308-323.
- 742 -
Ce recensement permet ainsi de constater la disparité des voûtements choisis par ces
monastères cisterciens. Le berceau est encore de mise (nef d’Obazine), de même que les
fréquentes voûtes d’arêtes (collatéraux d’Obazine et de Prébenoît). Des pérennités romanes
sont également sensibles à Boschaud dans le maintien de la traditionnelle nef unique voûtée
d’une file de coupoles, très fréquente en Aquitaine. Les moines blancs semblent ainsi
s’adapter parfaitement à certaines formules artistiques de leurs territoires d’implantation,
absorbent certaines solutions architecturales des pays d’Ouest en cohérence avec les principes
d’austérité et de dépouillement de leur ordre. Ces abbayes témoignent également des
recherches et expériences dans le domaine de l’ogive et la variété des profils requis en est une
parfaite illustration (Dalon, Varennes). Ainsi, les voûtes d’ogives tendent à se généraliser à la
fin du XIIème siècle et jusqu’au milieu du XIIIème siècle, qu’il s’agisse des chevets (Le
Palais), des nefs (Coyroux) ou des bâtiments conventuels (réfectoire d’Obazine). Héritiers de
formules romanes aquitaines, les moines cisterciens savent également se montrer perméables
aux novations d’un premier gothique caractérisé notamment par le recours fréquent à l’ogive.
Concernant les charpentes cisterciennes, notre corpus est incomplet face à la
disparition déjà évoquée de nombreuses élévations. Nous pouvons toutefois établir quelques
remarques d’après les sites de Bonlieu et Obazine2028. Tout d’abord, il convient de préciser
que les charpentes conservées du diocèse de Limoges appartiennent toutes soit au XVème
siècle, soit à l’époque moderne. À Bonlieu, comme à Obazine, il existe des combles bas audessus des voûtes2029. La façade de l’abbatiale de Bonlieu conserve les vestiges d’un ancien
pignon d’une pente marquée de 45°. Il semblerait que la Marche adopte plus nettement les
pentes fortes au XIIIème siècle. Ainsi, la nef à toiture pentue (berceau brisé) est couverte de
tuiles plates dont certaines sont remployées dans les parements du chevet. Par ailleurs, le
chevet devait être couvert de tuiles creuses (remplois sous corniches)2030.
La forêt semble largement reconstituée aux XIVème et XVème siècles. Le Limousin
adopte alors des structures charpentées plus que voûtées. En Marche, les pentes passent de
45° à 60°, facilitant dès lors l’évacuation des eaux de pluie. C’est au XVème siècle que la tour
de Bonlieu est édifiée (1421) sur les deux premières travées de la nef, en lien avec un contexte
2028
B. PHALIP, Charpentiers et couvreurs. L’Auvergne médiévale et ses marges, DARA, n°26, Lyon, 2004.
Le comble peut être défini comme le « (…) volume dégagé par le biais d’une charpente entre l’extrados
d’une voûte (ou d’un plancher) et la couverture (ou toiture). Ces combles sont essentiels pour l’aération et le
séchage des parties hautes d’un édifice ». B. PHALIP, op. cit., p. 132.
2030
B. PHALIP, op. cit., p. 62.
2029
- 743 -
d’insécurité. Elle dispose d’une charpente à enrayures, poinçons, pannes faîtières et de sous
faîtage, croix de Saint-André, pannes entre fermes principales. Concernant les entraits,
l’élancement important est « tempéré par la courbure des troncs »2031.
À ces constatations, nous pouvons ajouter que les cloîtres cisterciens sont
vraisemblablement charpentés mais aucun ne nous est parvenu en élévation. Les charpentes
en sont toutefois envisageables par leurs négatifs : corbeaux, larmiers et trous d’encastrement
des poutres comme observés à Obazine, Boschaud ou Grosbot. Nous pouvons également
présager l’existence de structures légères de type auvent, fréquentes dans un cadre gothique.
À Grosbot, la façade occidentale révèle la présence de corbeaux et de larmier au-dessus du
portail à ébrasements [Fig. 433].
e. Décors :
L’étude des dix-huit monastères cisterciens du diocèse de Limoges et de ses marges a
clairement révélé un goût certain pour la simplicité et l’austérité, et une timidité flagrante à la
représentation figurée. L’idée d’un « aniconisme » cistercien sera par ailleurs abordée cidessous2032. Ne seront ici évoqués que les seules sculptures, éventuels décors peints, vitraux et
pavements, du point de vue d’une culture matérielle plus qu’artistique. Les sols seront ainsi
envisagés selon des critères de production, de techniques tandis que les motifs à proprement
parler et leur symbolique seront abordés ultérieurement2033.
Concernant les décors cisterciens de l’ouest de la France, Stéphanie FOUCHER
précise qu’ils se concentrent essentiellement sur les chapiteaux, les culots et les clés de
voûtes. Aux XIIème et XIIIème siècles, les tailloirs cisterciens adoptent des formes simples
comme des bandeaux ou des cavets. Les corbeaux, modillons sont généralement nus ou
simplement moulurés. Elle constate que les motifs sont presque exclusivement d’inspiration
végétale. Les décors géométriques, animaux, personnes et scènes historiées sont marginalisés.
Les motifs foliaires sont prédominants, tandis que les fleurs et fruits sont minoritaires. Selon
2031
B. PHALIP, op. cit., p. 47. L’élancement d’un tronc « correspond à la hauteur moyenne du fût de l’arbre.
Celle-ci peut être déduite grâce à l’observation des pièces les plus longues d’une charpente. L’élancement
correspond au bois utile en charpenterie. Le houppier ou la ramure basse sont repérés par observation du
positionnement des nœuds » (p. 133).
2032
Voir III. C. Aniconisme ou austérité. Des choix esthétiques délibérés.
2033
Voir III. B. b. 2. Gothique Plantagenêt, gothique Capétien ? Symbolique du pouvoir et pouvoir du symbole.
Les abbayes cisterciennes comme lieu de pouvoir.
- 744 -
elle, il n’y a que peu de différence entre la flore sculptée des édifices cisterciens et des
édifices contemporains non cisterciens2034.
Les abbayes cisterciennes étudiées ont révélé un certain nombre de chapiteaux, culots,
bases, archivoltes, modillons, clés de voûtes, autant de supports qui sont souvent prétextes à
sculptures. Néanmoins, dans l’ordre cistercien, le dépouillement est de mise et rares sont les
éléments acceptant des décors sculptés et peints. Les chapiteaux sont souvent nus ou dotés de
feuillages simplifiés. Quand l’image est admise, timidement, elle est fréquemment rejetée à
l’extérieur des édifices, au niveau des modillons. Les dix-huit édifices pris en compte
permettent de préciser ces premières considérations générales.
1. Bases :
Les bases de colonnes ou de piles complexes n’adoptent généralement aucun décor
particulier. Ainsi à Obazine, nous avons recensé un certain nombre de bases attiques simples
dans la nef [Fig. 494 et 495]. À Prébenoît, le musée lapidaire conserve deux bases munies de
griffes simples sans ornement ou tentative d’embellissement [Fig. 365].
Les seules bases décorées inventoriées dans notre corpus sont celles de la salle
capitulaire de Boschaud ainsi qu’une base du dépôt lapidaire de Varennes. À Boschaud, les
baies sont en effet encadrées de colonnettes dont les bases au profil classique sont
ornementées de motifs en dents de scie, relativement inhabituels dans un cadre cistercien [Fig.
885]. Le tore inférieur est parfois muni de zigzags ou de dentelures. Une base du dépôt
lapidaire de Varennes (dépôt du cloître) présente un tore supérieur enroulé en zig-zag (notice
3) [Fig. 773]. Ces formulations existent néanmoins dans un cadre roman aquitain (SaintHilaire de Poitiers). Notre-Dame des Miracles de Mauriac (ancien diocèse de Clermont)
présente également des bases sculptées. Caroline ROUX précise que les sculptures réalisées
sur les scoties des bases du portail occidental « s’inscrivent dans une aire culturelle
aquitaine » d’après le « programme iconographique et la monumentalité de la structure qui
l’intègre ». Les scoties s’ornent en effet de lions, de griffons au vase, de rinceaux. Le cordon
d’archivolte surmontant le portail est doté de scènes de chasse et de zodiaque 2035. L’usage
d’un portail encadré par des arcs aveugles paraît commun à de nombreuses églises
d’Aquitaine, ce dès le XIIème siècle et durant le XIIIème siècle. Le diocèse de Limoges est
parfaitement représentatif de ces tendances (Le Dorat, Saint-Junien, Arnac, Gouzon, Saint2034
S. FOUCHER, « Le décor sculpté cistercien médiéval d’inspiration végétale au travers d’exemples
normands », Mémoires de la Société des Antiquaires de Normandie, T XXXVIII, 2006, p. 51-63.
2035
C. ROUX, « Mauriac et l’Auvergne » dans UMR 5138, « Morphogénèse de l’espace ecclésial », dir. A.
BAUD, Maison de l’Orient Méditerranéen, Lyon II, à paraître.
- 745 -
Léonard de Noblat, Saint-Yrieix, La Souterraine). Les bases sculptées se retrouvent également
dans la nef de Mauriac, mais aussi dans d’autres églises de l’archiprêtré de Mauriac tel
Brageac, Roc-Vignon ou Ydes. Elles s’ornent d’entrelacs, de palmettes, de motifs cordés ou
de quadrupèdes2036.
Des bases ornées sont connues dans l’église de Beaulieu-sur-Dordogne [Fig. 886]. Cet
édifice semble avoir été bâti d’est en ouest à partir de la première décennie du XIIème siècle.
En effet, pour Évelyne PROUST, les références des sculptures du chevet aux décors des
manuscrits de Saint-Junien et de Saint-Martial permettraient de placer la mise en œuvre vers
1110-1115. Néanmoins, certaines bases du chœur évoquent plutôt des réalités du milieu du
XIème siècle. En effet, des bases sont ornées de billettes, de damiers ou de motifs cordés
encadrés de deux tores renflés. Pour Évelyne PROUST, ce « caractère archaïque » pourrait
s’expliquer par un chantier débuté dès le milieu du XIème siècle, ou par le remploi de bases
plus anciennes lors de la reconstruction du XIIème siècle 2037. L’église d’Albignac, non loin
d’Obazine, révèle également une base ornée dont la scotie est sculptée de deux serpents se
rencontrant en son centre [Fig. 887]. Ainsi les cadres cisterciens et paroissiaux montrent des
cohérences et des interpénétrations.
2. Chapiteaux :
Les chapiteaux ne seront ici que rapidement évoqués et seront analysés plus
précisément dans notre discussion sur un aniconisme cistercien. Il apparaît clairement que les
chapiteaux lisses sont les plus fréquents dans les abbatiales de l’ordre. Nous les retrouvons
dans la nef d’Obazine ou déposés dans le musée lapidaire de Prébenoît [Fig. 888]. Les
chapiteaux nus du bras du transept de Bonlieu sont plus complexes. Le tailloir est en effet
orné d’un motif cordé. L’épannelage est par ailleurs souligné d’une ligne en dent de scie
gravée [Fig. 889]. Bien que ces décors soient discrets, ils attestent d’une volonté esthétique
certaine.
Un certain nombre de sites excluent le recours aux chapiteaux. Les voûtes sont reçues
par de simples impostes moulurées. C’est le cas dans la nef de Boschaud et également pour le
bas-côté nord de l’abbatiale de Prébenoît. Ainsi, il n’est pas nécessaire de recourir à des
sculpteurs qualifiés. Les éléments à sculpter sont réduits au maximum. Le musée lapidaire de
Prébenoît a révélé un chapiteau nu, à l’épannelage très évasé, à rattacher au cloître médiéval
2036
B. PHALIP, Des terres médiévales en friche…, op. cit., T 5-1, p. 192-194.
É. PROUST, op. cit., p. 226-239 ; A-M. PECHEUR, É. PROUST, « Beaulieu-sur-Dordogne, abbatiale SaintPierre », dans Monuments de Corrèze, Congrès Archéologique de France, Société Française d’Archéologie,
163ème session, 2005, Paris, 2007, p. 86-103.
2037
- 746 -
[Fig. 359]. Un chapiteau figuré est également déposé. Il est orné de petits visages très
schématiques [Fig. 356]. À Bonnaigue, des éléments du cloître médiéval sont désormais
remployés dans un pigeonnier d’Ussel (domaine de Beauregard), telles quatre petites
corbeilles rassemblées sous un tailloir unique d’un demi mètre de large [Fig. 890]. Entre ces
corbeilles, l’espace est occupé par de petites têtes humaines schématiques, bûchées, semblant
à peine plus élaborées que les masques du chapiteau de Prébenoît. Lorsque la figure est
acceptée, ce n’est que dans une forme très schématique et restrictive : la bouche, les yeux et le
nez sont ébauchés mais sans plus de détails ou de réalisme.
À Boschaud, les baies de la salle capitulaire sont ornées de chapiteaux dotés de
feuilles simplifiées [Fig. 891]. Les tailloirs sont sculptés de zigzags à la manière des bases
évoquées ci-dessus, caractéristiques d’un répertoire sculpté roman.
Les mêmes décors se retrouvent à Grosbot. En effet, les baies de la salle capitulaire
sont ornées de petits chapiteaux réunis sous un même tailloir doté de motifs en dents de scie
(seconde moitié du XIIème siècle) [Fig. 892].
Certaines abbatiales témoignent également de l’apparition de formules gothiques.
Ainsi, les chapiteaux à boules ne sont pas rares. Nous les retrouvons à l’entrée des chapelles
de transept occidentales de l’abbaye de Dalon [Fig. 893]. Ils sont finement sculptés en
calcaire et évoquent une datation des années 1220-1250 par la finesse de la sculpture et la
disposition en frise. Par ailleurs, un chapiteau à boules lisses appartenant à l’ancienne abbaye
de la Colombe, également taillé en calcaire, semble légèrement antérieur (années 1200) [Fig.
894]. La même datation peut être proposée pour les chapiteaux à boules de l’abbaye de
Bonnaigue, conservés dans le pigeonnier de Beauregard d’Ussel. Les supports sont surmontés
de chapiteaux ornés de feuilles lisses se terminant en boules simples [Fig. 895].
Ces chapiteaux témoignent de l’acceptation de nouvelles formes gothiques mais aussi
de l’apparition progressive d’un art de série chez les cisterciens. Les corbeilles sont souvent
similaires, les feuillages peu variés et surtout peu réalistes. Cette « rationalisation » a été mise
en lumière à Royaumont où il a été remarqué une grande standardisation de la construction
mais aussi des pièces décoratives acceptant un répertoire floral très simple facile à reproduire
de corbeilles en corbeilles2038.
3. Culots :
2038
J-L. BERNARD, « L’abbaye cistercienne de Royaumont, son cloître et sa fontaine », dans L’Ile-de-France
médiévale, T II, Paris, 2001, p. 32-35.
- 747 -
Les voûtes peuvent parfois être reçues par de simples culots, le plus souvent lisses.
C’est le cas de l’abbaye cistercienne d’Obazine [Fig. 896]. En effet, les voûtes en berceau
brisé de la nef et des bras du transept sont soulignées d’arcs doubleaux retombant sur de
simples culots lisses. Ce système permet de faire l’économie d’un support montant de fond
reposant sur une base et un socle. Par ailleurs, le réfectoire d’Obazine est également doté
d’une console plus complexe, ornée de feuilles nervurées, correspondant à des formulations
gothiques du premier tiers du XIIIème siècle [Fig. 516]. À Valette, un élément lapidaire
vagabond peut être interprété comme une console tronconique lisse, très simple, dont la
provenance est difficile à établir [Fig. 608]. À Varennes, les voûtes d’ogives remaniées en
partie au Bas Moyen-Âge reposent sur des culots aux feuillages schématiques ou décors
d’entrelacs [Fig. 897]. La nef de Grosbot est scandée de colonnes engagées reposant sur des
culots acceptant de simples motifs géométriques [Fig. 898].
Ainsi les culots semblent le plus souvent nus ou adoptent des décors sobres, feuillagés
ou schématiques, à la manière des chapiteaux. Ces formules sont assez différentes des décors
des culots gothiques observés par Anne COURTILLÉ dans l’ancien diocèse de Clermont.
Cette dernière constate que le culot en encorbellement est une solution récurrente depuis
l’époque romane, revivifiée par l’usage de l’ogive. Leur « disposition oblique paraît en effet
adoptée plus facilement pour le culot que pour le chapiteau, et le rôle du culot dans
l’évolution des formes architecturales du début du gothique pourrait être mis en évidence ».
Ces culots sont très fréquents au cours de la première moitié du XIIIème siècle dans les
régions de l’ouest, particulièrement en Anjou et constitue ainsi une des originalités du « style
gothique »2039. Le culot est soit directement associé à l’ogive, sans transition, soit un chapiteau
peut servir d’intermédiaire, comme observé à Bonnaigue ou à Saint-Vincent-de-Tronget dans
l’ancien diocèse de Clermont. L’historienne de l’art constate que « le visage reste l’ornement
primordial du culot où le sculpteur retrouvait un support comparable au modillon ». Ainsi, des
sites comme Saint-Amable de Riom, Saint-Cerneuf de Billom ou Sainte-Croix de Gannat au
XIIIème siècle présentent des culots ornés de visages témoignant d’une « esthétique
naturaliste »2040. Dans un cadre cistercien en Limousin, les culots restent à l’inverse
majoritairement nus, et le support privilégié acceptant les figures sous forme de masque reste
le modillon.
4. Archivoltes :
2039
2040
A. COURTILLÉ, Auvergne et Bourbonnais gothiques…, op. cit., p. 340.
A. COURTILLÉ, op. cit., p. 155.
- 748 -
Les archivoltes peuvent également être un support à la sculpture. Néanmoins, les dixhuit sites étudiés n’ont guère révélés d’archivoltes décorées, mais cette carence peut sans
doute s’expliquer à la fois par la volonté d’austérité affirmée de cet ordre, mais aussi par la
perte d’un certain nombre de bâtiments monastiques nuisant à l’exhaustivité de l’étude.
La porte de l’abbaye de Valette, remontée dans le bourg d’Auriac, présente néanmoins
une archivolte décorée de billettes, décors bien présents dans un cadre roman (cordons de
billettes au-dessus des baies en plein-cintre des murs gouttereaux, des bras du transept et des
absides de l’église de Beaulieu-sur-Dordogne) et qui laisserait supposer une datation de cette
porte en plein-cintre de la seconde moitié du XIIème siècle [Fig. 899].
À Boschaud, la salle capitulaire, ornée de bases et de chapiteaux décorés, présente
également des archivoltes simplement moulurées lancées au-dessus des baies. Ces archivoltes
sont reçues par de petits motifs feuillagés. De même, la porte ouvrant sur le passage de
l’escalier est soulignée d’une archivolte reposant sur de délicates pointes de diamant [Fig.
900]. Il semblerait ainsi que l’abbaye de Boschaud ait accepté un décor, certes discret, mais
plus proche des réalités romanes aquitaines que des préceptes cisterciens.
De même à Grosbot, la porte des Morts percée dans le croisillon sud du transept est
soulignée d’une archivolte ornée de pointes de diamant [Fig. 901].
5. Clés de voûtes :
Certaines clés de voûtes gothiques peuvent admettre des sculptures. C’est le cas à
Bonnaigue, Coyroux et Varennes. Elles correspondent cependant en général à des réalités plus
tardives. À Coyroux, les voûtes d’ogives à liernes sont vraisemblablement mises en place
dans la seconde moitié du XIIIème siècle [Fig. 902]. Une autre clé de voûte peut être datée
des XVème-XVIème siècles. Elle est ornée d’un médaillon circulaire avec le monogramme de
la Vierge (SM). Elle est désormais scellée dans le socle d’une croix en pierre au pied du mur
pignon sud du transept d’Obazine2041.
6. Modillons :
Les modillons sculptés sont rares dans un cadre cistercien. Nous en avons toutefois
recensé quelques uns lors de nos prospections. Ils acceptent souvent la figuration, comme les
modillons de la corniche du bras du transept de Boschaud, le modillon de la nef de Bonnaigue
ou le personnage sculpté déposé à l’abbaye des Pierres [Fig. 903 et 904]. Il s’agit toutefois le
2041
B. BARRIÈRE et C. ANDRAULT-SCHMITT, dans B. BARRIÈRE (dir.), Moines en Limousin…, op. cit., p.
49.
- 749 -
plus souvent de corbeaux nus, sans décor, comme à Prébenoît (façade occidentale moderne)
[Fig. 343], à l’abbaye des Pierres (mur gouttereau de la nef conservé) [Fig. 725] ou à Obazine.
7. Décors peints :
Les abbayes cisterciennes présentent fréquemment des décors peints dont la datation
n’est pas aisée et relève sans doute bien souvent de la période moderne. Thomas COOMANS
a récemment montré l’existence de décors peints à l’abbaye de Villers en Brabant2042. Il atteste
que les enduits à faux appareil régulier sont courants à la fin du XIIème siècle et au XIIIème
siècle, ce qui correspond bien à la période d’édification des monastères pris en compte dans la
présente étude. Les joints dessinés ne correspondent généralement pas à l’appareil maçonné.
Il s’agit de décors à faux joints rouge ou brun.
Nous avons pu en observer à la sacristie de l’abbaye de Boschaud. C’est un vestige
d’un enduit peint de qualité dont les faux joints sont à doubles traits verticaux et
horizontaux2043.
À Grosbot, la nef devait être enduite de blanc et de faux joints rouges comme en
témoignent quelques vestiges épars. Les culots sur lesquels reposent les colonnes engagées
soutenant la voûte s’ornent également d’ocre et de rouge [Fig. 905].
La sacristie de l’abbaye d’Obazine montre des vestiges de faux joints, un liseré rouge
assorti d’un bandeau aux motifs d’entrelacs. Dans l’abside principale de l’abbatiale, deux
croix sont peintes, en lien avec la consécration de 1176. Chaque croix latine est inscrite dans
un médaillon cerné d’une bordure ornementée. Ces croix sont dotées de branches aux
extrémités fleuronnées2044.
À Coyroux, l’église abbatiale est revêtue d’un enduit blanc à faux joints ocre-rouge.
Non seulement les parements sont peints, mais les investigations archéologiques ont révélé
que les voûtes disposent également d’un enduit à faux joints ocre et jaune [Fig. 906]2045.
Le bras nord du transept de l’abbaye de Prébenoît, en partie préservé, a révélé des
vestiges d’un enduit peint à faux appareil. La chaux blanche est rehaussée de traits rouges.
Au Palais, les récentes études de bâti menées en avril 2007 ont permis de constater la
conservation de quelques vestiges d’enduit peint à faux joints rouge, à la fois sur les
2042
T. COOMANS, L’abbaye de Villers-en-Brabant…, op. cit., p. 243.
C. ANDRAULT-SCHMITT, « L’abbaye de Boschaud », Congrès Archéologique de France, Périgord, 1998,
Paris, 1999, T 156, p. 105-117.
2044
G. CANTIÉ, É. SPARHUBERT, « Obazine, abbaye » dans Monuments de Corrèze, Congrès Archéologique
de France, Société Française d’Archéologie, 163ème session, 2005, Paris, 2007, p. 251-270.
2045
B. BARRIÈRE, « Monastère de Coyroux », Archéologie Médiévale, Caen, Centre de Recherches
Archéologiques Médiévales, tome XVI, 1986, p. 179.
2043
- 750 -
parements de la piscine liturgique (mur gouttereau sud du chœur) et sur les parements internes
du mur du chevet oriental. Les joints sont décalés par rapport aux véritables joints de la
maçonnerie [Fig. 907].
Les vestiges de peinture ne sont pas rares sur les voûtes. Nos observations à l’abbaye
de Dalon ont révélé que les claveaux des baies présentent une alternance de peinture jaune et
rouge. Des traces d’un enduit peint à faux joints sont visibles dans la salle capitulaire [Fig.
908].
L’abbaye de Bonlieu est dotée dans le premier tiers du XIIIème siècle de deux croix
sans doute liées à la consécration du chœur en 1232 (mise en place d’un dallage dans le chœur
et peut-être également de vitraux en grisaille) [Fig. 909]. Ces deux fresques de 61 par 61cm
présentent des croix de couleurs vives posées sur un mince enduit, assez proches des croix de
consécration peintes de Paulhac (Creuse, 1220-1250) et de la Croix-au-Bost (Creuse, vers
1250), attestant là encore de liens étroits entre créations cisterciennes et hospitalières [Fig.
910]2046.
Ainsi, certaines abbatiales ont pu recevoir un décor peint dès l’époque médiévale,
décor certes sobre et géométrique, dont les faux joints imitent la maçonnerie, mais qui
s’éloigne toutefois des préceptes cisterciens réticents à la couleur et à la peinture.
8. Vitraux :
Peu de vitraux cisterciens médiévaux sont parvenus jusqu’à nous. Fort heureusement
dans le diocèse de Limoges, deux édifices, Bonlieu et Obazine, permettent d’en envisager la
réalité [Fig. 911].
Celui découvert à Bonlieu occupait vraisemblablement la baie centrale de l’abside
axiale (premier tiers du XIIIème siècle, en lien avec la consécration de 1232). D’une hauteur
de 60cm et de 50cm de large, il se compose de verre incolore, de nuance verdâtre, mise en
plomb. Il est déposé au laboratoire de recherche des Monuments Historiques.
À Obazine, quatre vitraux en grisaille sont préservés (seconde moitié du XIIème
siècle ?). Il s’agit de verre incolore de nuance gris-verdâtre mis en plomb. Trois se trouvent
aux trois baies subsistantes dans le mur gouttereau nord de la nef, le dernier au niveau de la
baie occidentale du bras nord du transept. Ils représentent des palmettes et entrelacs2047.
2046
Les originaux sont désormais mis en place dans la chapelle aménagée dans le bras nord du transept, tandis
que des copies les remplacent dans le chœur. C. ANDRAULT-SCHMITT dans B. BARRIÈRE (dir.), Moines en
Limousin…, op.cit., p. 60.
2047
B. BARRIÈRE (dir.), Moines en Limousin…, op. cit., p. 46.
- 751 -
À Prébenoît, les fouilles du chevet ont également révélé la présence de fragments de
grisailles. Au Palais-Notre-Dame, des piquetages sur les piédroits et pierres d’appui-fenêtres
des trois baies du chevet témoignent de la présence de barlotières liées à des vitraux,
probablement en grisaille.
Ce goût pour la grisaille peut s’expliquer par un souci d’économie puisque les vitraux
blancs sont de fait moins coûteux que les vitraux colorés. Les jeux de la lumière naturelle sont
seuls recherchés. Les motifs reproduits ne sont toutefois pas des créations cisterciennes.
Même si la technique de la grisaille est relativement novatrice par rapport aux créations
contemporaines, les motifs se rapprochent de décors islamiques, des sculptures et ivoires
lombards tandis que certaines formes géométriques sont communes avec les carreaux de
pavement (fleurons, treillages). Les vitraux d’Obazine se dotent ainsi de palmettes,
d’entrelacs de cercles ou de croisillons. À Bonlieu, le vitrail se constitue de fleurons reliés
entre eux par des entrelacs. Seules les formes géométriques sont admises dans ces vitraux.
Toutefois, dans la seconde moitié du XIIIème siècle, au sein d’abbayes étroitement liées aux
milieux aristocratiques, des vitraux historiés peuvent apparaître en réponse à une commande
de seigneurs laïcs. C’est ainsi qu’un vitrail de l’abbaye de Royaumont fondée par saint Louis
et sa mère Blanche de Castille dans le premier tiers du XIIIème siècle représente ses deux fils
enterrés là.
9. Pavements :
Les abbayes cisterciennes du diocèse de Limoges révèlent majoritairement la présence
de carreaux de pavement, qu’il s’agisse d’éléments isolés retrouvés le plus fréquemment hors
contexte lors d’investigations archéologiques ou de pavements organisés en place, comme
c’est le cas à Prébenoît. Il convient ici de préciser brièvement les modes de fabrication de ces
carreaux de céramique et d’en étudier l’emplacement et la datation présumée. L’analyse
stylistique des motifs représentés sera précisée ultérieurement2048.
La thèse de doctorat récemment soutenue par Magali ORGEUR livre un certain
nombre de définitions ainsi qu’une description des procédés techniques de fabrication des
carreaux de pavement très éclairante2049. Le terme de pavement sert à décrire selon elle un
espace dont la décoration au sol est réalisée en carreaux de terre cuite. Ces carreaux sont des
2048
III. B. b. 2. Gothique Plantagenêt, Gothique Capétien ?
M. ORGEUR, Les carreaux de pavement des abbayes cisterciennes en Bourgogne (fin XIIème-fin XIVème
siècle), thèse de doctorat en histoire de l’art médiéval sous la direction de D. RUSSO, université de Bourgogne,
2004, vol I, p. 27-35 ; M. ORGEUR, « Les carreaux de pavement décorés dans les abbayes cisterciennes de
l’Yonne », dans T. N. KINDER (dir.), Les cisterciens dans l’Yonne, « Les Amis de Pontigny », Pontigny, 1999,
p. 41-47.
2049
- 752 -
tablettes de pierre, de marbre ou de terres cuites qui servent à paver l’intérieur des édifices. Ils
disposent souvent d’une glaçure, c’est-à-dire d’un enduit vitrifié recouvrant les carreaux pour
les imperméabiliser. Ce terme est également employé pour la poterie. L’auteur distingue des
carreaux unis, incisés avec un décor réalisé à la main (dès la fin du XIIème siècle dans un
cadre cistercien), des carreaux imprimés dont le motif est imprimé en creux grâce à une
matrice sculptée en relief, des carreaux bicolores, à engobe, incrustés ou de faïence2050.
Elle décrit ensuite les procédés de cuisson dans des fours horizontaux ou verticaux
généralement maçonnés, dont aucun n’a pu être identifié dans les abbayes cisterciennes du
diocèse de Limoges et de ses marges. La base du four est enterrée à un mètre de profondeur.
Les murs s’élèvent de deux ou trois mètres au-dessus du niveau du sol. Le toit peut être en dur
(four de Commelles, domaine de Chaalis, Ile-de-France) ou temporaire. L’argile est mélangée
à du sable qui fait office de dégraissant. Elle est moulée dans un cadre le plus souvent de
forme carrée. La durée de cuisson varie de deux à trois jours. La température est élevée
jusqu’à 1000° pour permettre la fusion de la glaçure.
Concernant les abbayes cisterciennes du diocèse de Limoges, les carreaux découverts
sont le plus souvent « vagabonds ». Ils apparaissent prioritairement dans les sanctuaires. Il est
par ailleurs difficile de déterminer si ces carreaux de terre cuite ont été produits localement,
au sein de tuileries dans l’enclos monastique ou à proximité, ou s’ils ont été importés d’autres
sites cisterciens ou non, du diocèse de Limoges ou d’autres régions plus éloignées (nord de la
France ?). Aucun texte ne permet de nous apprendre sur cette production particulière.
Les études toponymiques peuvent néanmoins apporter des éléments de réflexion. Les
toponymes « Les tuileries » ne sont en effet pas rares, sans que nous puissions affirmer le
caractère médiéval de l’ancienne installation désignée. Ainsi, le toponyme « la tuilerie » est
repéré au nord-est de l’abbaye d’Aubepierres d’après la carte IGN, tandis que la carte de
Cassini révèle deux toponymes « tuilerie » au nord-ouest et à quelques kilomètres à l’est des
bâtiments monastiques [Fig. 29 et 47]2051. Concernant Aubignac, une tuilerie est signalée sur
la carte de Cassini non loin de la grange cistercienne de Beauvais [Fig. 34]. Près de la
Colombe, à quelques kilomètres au sud des bâtiments monastiques, trois tuileries sont
repérées : « la Tuilerie », « La Tuilerie de Loissière » et la « Tuilerie du Gué Martin » [Fig. 31
et 50]2052. Concernant l’abbaye des Pierres, la carte de Cassini révèle la présence d’une
« tuilerie » à l’ouest des bâtiments monastiques, à l’orée du bois entourant l’abbaye [Fig. 30].
2050
M. ORGEUR, op.cit, vol I, p. 49.
IGN Série Bleue 1/25000ème, 2128 E.
2052
IGN Série Bleue 1/25000ème, 2028 O.
2051
- 753 -
L’étude de la carte de Cassini concernant l’abbaye de Dalon a signalé trois toponymes liés à
des tuileries à quelques centaines de mètres au nord, nord-est et sud-ouest de l’abbaye [Fig.
43]. Non loin de l’abbaye de Peyrouse, le toponyme « la tuilerie de Veyrières » au nord-est du
site pourrait être lié à une ancienne exploitation monastique [Fig. 39 et 56]2053. Au PalaisNotre-Dame, un toponyme « Les Tuiles » est repérable au nord-est de l’abbaye, en contrebas
du site à côté du Taurion [Fig. 37 et 62]. Il est toutefois difficile de déduire de ces seuls
toponymes l’existence d’une installation monastique. La proximité de ces termes et des sites
cisterciens ne semble toutefois pas hasardeuse.
Quarante-six pièces et fragments de carreaux de pavement proviennent d’Obazine sans
que l’on puisse déterminer leur emplacement exact dans l’édifice [Fig. 912]. Il s’agit de
carreaux de terre cuite bicolores décorés de petit format (8 par 8cm) ou grand format (16 par
16cm). La technique décorative employée est celle du décor estampé obtenu par l’impression
d’une matrice portant un motif sur le carreau de terre crue. La dépression en surface de la
pièce est alors remplie d’argile liquide appelée engobe, de couleur blanche. La surface est
ensuite recouverte d’une glaçure jaune ou légèrement verdâtre. La datation précise de ces
éléments hors contexte est malaisée. Cette technique est certes adoptée dès le milieu du
XIIIème siècle mais trouve ses prolongements jusqu’au XVème siècle. Les motifs représentés
sont essentiellement géométriques ou floraux (fleur-de-lys, acanthes), répertoire ne permettant
guère de préciser une chronologie2054.
Les carreaux de pavement de l’abbaye de Bonlieu ont été découverts en 1878 en
« avant de l’autel, sous un carrelage de vulgaires carreaux en terre rouge »2055. Ils
proviennent donc du chœur, espace magnifié accueillant le plus souvent ce type de dallage
luxueux. Il s’agit de carreaux de terre cuite décorée de 17 par 17cm [Fig. 913]. La technique
employée est celle d’un décor vert et brun sur un fond d’émail blanc, recouvert par une
glaçure plombifère évoquant plutôt une datation tardive des XVème-XVIème siècles. Le
décor est peint par la suite à l’aide de glaçures plombifères vertes ou brun-gris sur le fond
blanc. Ces carreaux témoignent par ailleurs d’une grande variété des décors (motifs végétaux,
fleur-de-lys, figures anthropomorphes)2056.
Un autre exemple de pavement décoré dans le chœur d’une abbatiale est le pavement
découvert lors des fouilles de l’abbaye de Prébenoît [Fig. 914]. Il est de type « opus sectile »,
2053
IGN Série Bleue 1/25000ème, 1933 O.
P. CONTE dans B. BARRIÈRE (dir.), op. cit., p. 76.
2055
P. DE CESSAC, « Note sur les carreaux provenant de l’abbaye de Bonlieu », Bulletin de la Société
Nationale des Antiquaires de France, 1880, p. 210-214. Ces carreaux sont conservés pour partie au musée de la
Sénatorerie de Guéret ou à l’abbaye même.
2056
P. CONTE dans B. BARRIÈRE (dir.), op. cit., p. 77.
2054
- 754 -
en terre cuite glaçurée, et recouvre 50m² autour du maître autel. Sa composition est « fondée
sur l’agencement de carreaux monochromes de formes simples disposés en séries
géométriques et en compartiments délimités par des bordures »2057. L’assemblage de carreaux
se compose de 23 bandes longitudinales de 4.20m de longueur. Ce pavement est complété par
quatre panneaux figuratifs (colombe, cerf) de 0.40m de côté. Les couleurs utilisées sont
essentiellement le noir, le vert, clair ou foncé, le rouge et le brun. Son contexte en
stratigraphie permet une datation plus aisée : il est recoupé par des sépultures, telle celle de
Roger de Brosse inhumé à l’extrême fin du XIIIème siècle et pourrait ainsi dater de la
seconde moitié du XIIIème siècle (datation C 14 1253-1297). La similitude des techniques
utilisées et de l’organisation des carreaux avec le pavement découvert à Fontmorigny,
probablement mis en place vers 1225 étaie cette hypothèse.
Les bâtiments conventuels et granges ne sont pas exemptes de pavages, bien que les
exemples identifiés soient modernes (XVIIème-XVIIIème siècles). Ils se constituent de
petites pierres locales ou de galets. C’est le cas à Brocq, grange de l’abbaye de Valette (rezde-chaussée du bâtiment d’habitation), à Obazine (couloir du premier étage du bâtiment des
moines, ancien dortoir) et de Grosbot (rez-de-chaussée du corps de logis nord) [Fig. 915 et
916]2058.
Les carreaux de pavement sont relativement fréquents dans un cadre cistercien, ce dès
le XIIème siècle. Cet artisanat est relativement bien connu grâce au nombre important de
pièces retrouvées au sein des abbayes cisterciennes de France du Nord. Au XIIème siècle, ces
carreaux sont surtout monochromes. Toutefois, à partir du XIIIème siècle, les carreaux
décorés sont privilégiés. En effet, des décors incisés à la main apparaissent dès la fin du
XIIème siècle à Cîteaux. Au milieu du XIIIème siècle, les carreaux bicolores sont
prédominants avec un motif en argile blanche sur fond rouge. Des carreaux incrustés existent
également, fabriqués à l’aide d’une matrice en bois sur laquelle est sculpté un motif en relief.
L’empreinte peut atteindre jusqu’à cinq millimètres. Apparaissent à la même période des
carreaux à décor en engobe. L’impression ne dépasse pas 1mm. L’argile blanche est déposée
à l’état plus ou moins liquide2059.
Ces carreaux proviennent majoritairement des abbayes de France du Nord : Bourgogne
(premières fondations de l’ordre), Ile-de-France, Haut-Berry (Fontmorigny), si bien que cette
2057
J. ROGER dans B. BARRIÈRE (dir.), op. cit., p. 78 ; J. ROGER, P. LOY, L’abbaye cistercienne de
Prébenoît en Creuse, PULIM, Limoges, 2003, p. 44-45.
2058
P. CONTE dans B. BARRIÈRE (dir.), op. cit., p. 79.
2059
C. NORTON, Carreaux de pavement du Moyen-Âge à la Renaissance. Collections du musée Carnavalet,
Paris, 1992, p. 35-37.
- 755 -
production apparaît d’abord septentrionale. Au XIIème siècle, une production en masse de
briques et de tuiles est connue dans le nord de l’Europe. Edouard NORTON met d’ailleurs en
évidence l’existence d’un atelier parisien dans la réalisation de carreaux de céramique qui
aurait déterminé l’art des carreaux de pavements dans le sud de la Bourgogne, le Midi, le sud
de l’Angleterre à la fin du XIIIème siècle. Le caractère international et centralisé de l’ordre
cistercien aurait joué un rôle indéniable dans la diffusion des carreaux décorés non seulement
en France mais aussi en Irlande, en Ecosse, en Hongrie et en Espagne, peut-être par la
circulation de carnets de modèles2060. Ainsi, des carreaux décorés sont recensés dès le début
du XIIème siècle en Bourgogne : plus de 300 ont été découverts à l’abbaye de Cîteaux. Ils
développent un répertoire ornemental étendu2061. Les couleurs vont du jaune au brun-rouge, au
vert et au noir. Toutefois, contrairement aux motifs découverts sur les pavements plus tardifs
(seconde moitié du XIIIème siècle à Prébenoît) des abbayes du diocèse de Limoges, seuls les
végétaux et formes géométriques sont tolérés. Aucune figure n’est représentée. Certains
carreaux gravés de Cîteaux sont très similaires à ceux de la Bénisson-Dieu en Bourgogne
(com. La Bénisson-Dieu, Loire) ou de Fontmorigny en Haut-Berry (com. MénétouCouture)2062. Cette dernière abbaye dispose de pavements au niveau des chapelles des bras du
transept disparues. Ils sont probablement mis en place en 1225 lors de la dédicace de l’édifice
par Simon de Beaulieu. La technique d’assemblage de pièces monochromes forme des motifs
géométriques avec alternance de couleurs. Les motifs de dodécagones imbriqués se retrouvent
à Maubuisson (com. Saint-Ouen l’Aumône, Val D’Oise), aux Châtelliers (com. Fomperron,
Deux-Sèvres), à Byland et Rievaulx dans le Yorkshire. Toutefois les motifs figurés ne sont là
encore pas admis.
Des sondages d’évaluation réalisés en 2004 par Daniel Parent (INRAP) ont permis une
meilleure connaissance du pavement mis en place dans le chœur de l’abbaye de Bellaigue
(com. Virlet, Puy-de-Dôme)2063. Le pavement est situé au niveau des absides du choeur. Le
négatif d’un sol en terre cuite est encore observable et certains carreaux sont en place contre
les murs2064. Ils ont laissé une empreinte en relief très marquée dans le mortier. Le pavement
recouvrait ainsi toute la partie avant du chevet. Le panneau central se composait d’un carré de
2.50m de côté dans lequel s’insère un cercle de 2.20m de diamètre. Les panneaux latéraux
2060
C. NORTON, op.cit, p. 59.
M. PLOUVIER, A. SAINT-DENIS, Pour une histoire monumentale de l’abbaye de Cîteaux, 1098-1998,
Dijon, 1998, p. 106.
2062
N. VANBRUGGHE, B. CHAUVIN, « Abbatiale cistercienne de Fontmorigny, pavements des chapelles
latérales, relevés commentés », CAHB, mars 1998, p. 3-33.
2063
D. PARENT, Abbaye de Bellaigue, rapport de diagnostic, INRAP Rhône-Alpes/Auvergne, 2004, p. 103.
2064
D. PARENT, op.cit, p. 25-28.
2061
- 756 -
disposent de ronds de 13cm de diamètre, de carrés à faces concaves de 7cm séparés par des
quarts de cercle et des cabochons circulaires. Le panneau le plus au sud présente un bandeau
périphérique avec des résilles de petits rectangles. Des fragments de carreaux vernissés ont
également été mis au jour. Ils sont ornés de décors colorés représentant un griffon en or sur
fond rouge, une croix de Saint-André ou encore une roue avec des rayons rouges sur fond or.
Ces motifs sont relativement fréquents dans les carreaux de pavement cisterciens. Les motifs
animaliers ne sont pas rares malgré la volonté de dépouillement et d’austérité et procèdent
bien souvent des bestiaires romans des XIème et XIIème siècles 2065. Les thèmes de la chasse
sont relativement fréquents (Bonlieu, Prébenoît). Des griffons représentés de profil existent
aussi à Pontigny. Ils sont datés de la seconde moitié du XIIIème siècle, ce qui pourrait attester
d’une mise en œuvre du pavement de Bellaigue suite à l’inhumation d’Archambaud VIII. Ce
thème est également récurrent en Angleterre à la même époque. Les roues architecturées sont
de même très fréquentes. Nous les retrouvons à la Bénisson-Dieu, dans les carreaux incisés de
Cîteaux et sur un carreau bicolore d’Obazine daté du milieu du XIIIème siècle. Ces motifs
évoquent les grandes roues des cathédrales gothiques2066.
Pour Daniel PARENT, la répétition des motifs dans les carreaux de Bellaigue
laisserait supposer qu’ils soient apposés au tampon, puis rehaussés de glaçure pour protéger et
aviver les couleurs. Il rapproche les coloris et motifs des pavements cisterciens de Fontenay
(com. Marmagne, Côte-D’Or), de Val-Richer (com. Saint-Ouen le Pin, Calvados), Byland
(Angleterre) et Buildwas (pays de Galles). La qualité des pavements correspond à la maîtrise
des terres cuites dans cette seconde moitié du XIIIème siècle. Nous savons d’après les textes
que l’abbaye de Bellaigue disposait d’une tuilerie. Fabriquait-elle ses propres pavements ou se
contentait-elle de la création de briques et de tuiles ? Il est délicat de se prononcer sur cet
aspect2067. Ces tuileries sont placées à proximité de gisement d’argile, non loin de réserves de
combustibles et d’une source d’eau2068.
Les pavements cisterciens ne constituent néanmoins pas une prérogative de l’ordre
puisque ce type de dallage se rencontre aussi bien au sein d’édifices laïques qu’épiscopaux ou
clunisiens. Edouard NORTON remarque à juste titre que ces sols décorés coûtent très chers.
2065
M. ORGEUR, op.cit, p. 305.
M. ORGEUR, op. cit, vol I, p. 261 et 293.
2067
Les tuileries ne servaient pas forcément à la création de carreaux de pavement. La tuilerie des Fosses de
l’abbaye cistercienne de Chaalis ne produit que des briques et des tuiles. C’est le four de Commelles qui met en
œuvre les carreaux. Voir M. ORGEUR, op.cit, vol II, p. 444.
2068
E. NORTON, Carreaux de pavement du Moyen-Âge à la Renaissance. Collections du musée Carnavalet,
Paris, 1992, p. 26.
2066
- 757 -
Ainsi, ce sont surtout les cathédrales, les abbayes et communautés religieuses qui ont les
moyens de les faire exécuter2069. Jusqu’au milieu du XIIIème siècle, les pavements sont
surtout cantonnés aux cathédrales et grandes abbatiales puis se propagent peu à peu vers les
bâtiments conventuels, les églises paroissiales ainsi que les bâtiments civils (châteaux, hôtels
particuliers)2070. Pour l’auteur, c’est la présence des abbayes cisterciennes en milieu rural qui
donnerait des modèles aux églises et constructions laïques des environs. Il serait toutefois plus
juste de parler d’interactions, d’échanges, et d’interpénétrations des cadres civils et
monastiques que d’une « influence cistercienne » sur les productions laïques. Les abbayes
cisterciennes montrent d’ailleurs parfaitement comment les laïcs parviennent à introduire
leurs motifs et goûts artistiques au sein des sanctuaires de l’ordre de Cîteaux (scènes de
chasse, financement des embellissements à Prébenoît par Roger de Brosse). Il ne semble ainsi
pas exister de spécificité des carreaux de pavements cisterciens, par ailleurs largement
tributaires d’un héritage roman.
La période romane voit en effet le développement de mosaïques en opus sectile ou en
opus tessellatum. Elles présentent fréquemment des scènes de l’Ancien Testament, des signes
du Zodiaque, des monstres. Certains motifs comme les losanges récurrents dans l’art
cistercien se retrouvent sur certains tympans romans tel celui de Saint-Jouin de Marnes au
milieu du XIIème siècle2071. Les écailles de poissons fréquents sur les vitraux et les carreaux
cisterciens apparaissaient déjà sur un chapiteau de Saint-Martin de Celles à Maubourguet à la
fin du XIème siècle, sur un pilier du cloître de Moissac en 11002072. Les motifs animaliers
procèdent des bestiaires romans des XIème et XIIème siècles. Des dalles décorées à
incrustations se rencontrent également à Cluny, Conques ou Saint-Omer au XIIème siècle2073.
Toutefois, les mosaïques sont de moins en moins utilisées au XIIème siècle. En effet, le
marbre et les pierres semi-précieuses coûtent chers et sont peut-être devenus introuvables. De
plus, les mosaïques et dalles incrustées permettent le développement d’une iconographie riche
et suggestive qui n’est pas cohérente avec les préceptes de l’art cistercien ou les
manifestations artistiques du gothique rayonnant. Edouard NORTON fait ainsi état d’une
adaptation des techniques à l’évolution des goûts artistiques.
Aux XIIème et XIIIème siècles, les carreaux de pavements ne sont ainsi pas réservés
aux seuls monastères cisterciens. Les moines clunisiens recourent eux aussi à cette technique
2069
E. NORTON, op.cit, p. 35-45.
E. NORTON, « Les carreaux de pavage en France au Moyen-Âge », Revue de l’Art, n°63, 1984, p. 59-72.
2071
M. ORGEUR, op.cit, vol I, p. 202.
2072
M. ORGEUR, op.cit, vol I, p. 244.
2073
E. NORTON, « Les carreaux de pavage (…) », op.cit, p. 59-72.
2070
- 758 -
de revêtement des sols. Nous retrouvons le même type de pavements mosaïqués à l’abbaye
bénédictine de Ligugé à la fin du XIIème siècle. L’assemblage est très similaire à celui du
pavement de l’abbaye cistercienne des Châtelliers au milieu du XIIIème siècle. Les moines
cisterciens ne seraient-ils pas dès lors des héritiers de techniques artisanales clunisiennes, elles
mêmes issues de réalités antiques ou carolingiennes 2074 ? Nous retrouvons les mêmes
dispositions à Saint-Denis vers 1240, à Saint-Ouen de Rouen, au niveau du cloître de SaintBenoît-sur-Loire (motifs de chevrons vers 1030, également très fréquents dans un cadre
cistercien) ou encore à Paray-Le-Monial. Ces pavements ne sont dès lors pas une prérogative
des moines blancs. Les motifs des carreaux cisterciens puisent ainsi dans un fond ornemental
utilisé du XIème au XIIème siècles en sculpture, peinture murale, mosaïque de pavement. Ces
décors ne sont pas typiquement cisterciens mais s’inscrivent en continuité de créations
antiques, romanes, qu’elles soient religieuses (clunisiennes) ou civiles. Ils permettent de
hiérarchiser des espaces, des aires privilégiées qui ne correspondent toutefois pas à un
itinéraire liturgique comme à Paray-Le-Monial mais à l’espace d’inhumation d’un seigneur
laïc. Ces seigneurs favorisent l’introduction de la figure dans des monastères comme
Bellaigue, Bonlieu ou Prébenoît qui tendent pourtant à l’austérité, voire à un refus de l’image.
Ils développent une iconographie propre toutefois éloignée des préceptes cisterciens de
sobriété et de dépouillement.
Cette étude des créations architecturales et sculptées des abbayes cisterciennes du
diocèse de Limoges et de ses marges peut sembler ingrate de prime abord face à la disparition
d’un certain nombre d’élévations (Boeuil, Derses, Valette, Aubignac, Aubepierres).
Néanmoins, les premiers résultats présentés ci-dessus témoignent de la possibilité de travailler
à des sites ruinés et d’en extraire des problématiques, hypothèses et analyses diverses, ce
grâce à la prise en compte des vestiges en élévation (Dalon, Obazine, Bonlieu) ou en sous-sol
(Le Palais), au recensement systématique d’éléments lapidaires épars (Boeuil) ou regroupés
en dépôt (Varennes, Prébenoît), et grâce aux prospections menées sur les anciens sites de
granges ou de moulins. Ces derniers sont identifiés au préalable lors du dépouillement des
fonds d’archives, puis repérés grâce aux cartes de Cassini et IGN. Une fois encore,
l’importance de méthodes interdisciplinaires peut être réaffirmée et semble indispensable à la
prise en compte d’abbayes mal conservées et dont les sources sont bien souvent lacunaires.
Cette analyse révèle des cohérences et dissemblances. La qualité de la mise en œuvre
est tributaire pour bonne part des capacités économiques et financières de ces monastères.
Certains sites peu dotés optent pour de proches carrières, des mises en œuvre à l’économie, un
2074
M. ORGEUR, op.cit, vol I., p. 89.
- 759 -
travail de maçons plus que de tailleurs de pierres. Il n’existe pas de plan privilégié par les
bâtisseurs et la diversité prime sur l’unanimité. Les chevets plats ou en absides sont liés à des
nefs uniques ou triples tandis que les bras de transept acceptent des nombres variables de
chapelles orientales, voire occidentales. À cette diversité des plans correspond une diversité
des voûtements entre traditions romanes (berceau, arêtes, file de coupoles, coupoles de
croisée) et novations gothiques (voûtes d’ogives, ogives à liernes). Quant aux décors, si le
dépouillement semble commun à la majorité des monastères, certains témoignent d’une
volonté esthétique particulière (Boschaud), tandis que les décors peints sont fréquents
(Boschaud, le Palais, Prébenoît, Bonlieu) et que la figure humaine tente de timides apparitions
(Bonnaigue, Prébenoît, Les Pierres).
Il paraît ainsi délicat de parler d’une unanimité des créations artistiques cisterciennes
dans le cadre du diocèse de Limoges et de ses marges. De plus, certaines cohérences établies
avec des productions paroissiales proches, romanes ou gothiques, nous incitent à nous
interroger d’ores et déjà sur l’existence réelle de particularités artistiques cisterciennes.
- 760 -
B. Des cisterciens fidèles aux formes romanes ou pionniers d’un nouvel art gothique ?
Les dix-huit monographies présentées ci-dessus ont révélé une certaine diversité des
partis architecturaux choisis. Il n’existe pas de plan unique, ni de voûtement privilégié pour
ces abbatiales cisterciennes du diocèse de Limoges, mais des hésitations entre voûtes en
berceau, voûtes d’arêtes bien maîtrisées depuis l’époque romane et premiers voûtements
d’ogives, expériences tentées à Obazine (réfectoire), plus abouties à Dalon et Coyroux. Les
cisterciens du Limousin semblent puiser un certain nombre de références au sein d’édifices
romans bien connus et proches de leur site d’implantation, tels Beaulieu, Solignac, Uzerche,
Saint-Martial de Limoges, Chambon, comme en témoignent certaines ressemblances,
cohérences et permanences brièvement relevées ci-dessus (murs épais, volumes amples,
coupoles de croisée ou file de coupoles, élévation simple). Il convient désormais de faire la
part des formes romanes maîtrisées et des novations gothiques expérimentées au sein de ces
édifices, souvent qualifiées comme appartenant à un art de « transition », entre roman et
gothique, entre tradition et novation, entre héritage et autonomie.
Lorsque Étienne d’Obazine se rend au Chapitre Général de l’Ordre à Cîteaux en 1147
afin de requérir l’affiliation de sa jeune communauté double, peut-être a-t-il eu l’occasion sur
son parcours de s’arrêter et de prier dans un certain nombre de sanctuaires romans tels les
édifices bourguignons de Cluny ou de Beaune. À cette date, le paysage limousin est parsemé
d’églises romanes. Vers 1130-1140, le porche de l’abbaye de Beaulieu est orné de sculptures
à l’image de celles de Souillac ou de Moissac. Les sites d’Uzerche et de Collonges ne sont
guère éloignés d’Obazine et de Coyroux, Saint-Junien est à quelques kilomètres seulement de
Boeuil, tandis que l’abbaye de Déols étend ses possessions et rayonne sur la Haute-Marche où
les moines de Prébenoît, Aubepierres et Aubignac tentent de s’implanter [Fig. 71]. L’abbaye
Saint-Martial de Limoges tient une place particulière dans le diocèse. Elle atteint son apogée
au début du XIIème siècle tandis que les manuscrits enluminés dans son scriptorium se
diffusent jusqu’à Angoulême et Saintes.
Les moines cisterciens évoluent ainsi non loin de ces édifices romans qui constituent
immanquablement une source d’inspiration pour les maîtres d’œuvres, un répertoire de
motifs, alors même que Cîteaux, le chef de l’ordre, est né en Bourgogne non loin de Vézelay,
Autun, Cluny ou Beaune. Certaines techniques de construction et de décoration ont pu être
transmises, évaluées, modifiées par les bâtisseurs des monastères cisterciens.
Néanmoins, pour appréhender ces formes romanes, un certain nombre de lacunes n’ont
pu être contournées. Il manque en effet à ce panorama les édifices majeurs tel Saint-Martial
- 761 -
de Limoges, abbatiale connue par des anciens plans, gravures, descriptions lacunaires et
quelques éléments lapidaires préservés (chapiteaux) ; et Déols, presque entièrement ruinée
dont il demeure une partie de l’avant-nef. Il est ainsi difficile d’imaginer le paysage
monumental dans lequel évoluent les moines cisterciens du diocèse de Limoges. Toutefois, un
certain nombre de cohérences, de permanences et d’héritages peuvent être mis en lumière à
l’étude des vestiges romans limousins, bourguignons et aquitains.
a. Des réalités romanes préexistantes :
L’art roman recouvre traditionnellement les œuvres produites de l’an mil jusqu’au
XIIème siècle. Il est peu à peu supplanté par les formes gothiques apparues dès le milieu du
XIIème siècle en Angleterre et en Ile-de-de-France, tandis que l’art de bâtir roman perdure
jusqu’à l’aube du XIIIème siècle dans les régions méridionales. Dans le diocèse de Limoges,
l’apparition des premières novations gothiques relève des années 1180 (réfectoire d’Obazine,
cathédrale de Tulle). Les moines cisterciens, implantés dans la seconde moitié du XIIème
siècle et bâtissant leurs monastères jusque dans les années 1220 s’inscrivent ainsi à la jonction
entre deux arts de bâtir, entre voûtes romanes et premières ogives.
1. Des solutions architecturales éprouvées et pérennisées :
Lorsque les cisterciens s’implantent dans le diocèse de Limoges, le tissu paroissial,
monastique et canonial est déjà largement constitué, et les plateaux et vallées du Limousin
sont parsemés d’églises et de chapelles romanes. Les bâtisseurs de leurs abbatiales ont sans
doute déjà travaillé à d’autres églises paroissiales, à d’autres chantiers et sont héritiers d’un
certain nombre de techniques de construction largement éprouvées. Leur savoir-faire ne peut
que transparaître dans les fondations cisterciennes. Certains ouvriers proviennent peut-être
d’autres régions de France, ou circulent d’un site cistercien à un autre. Aucune source
historique ne vient toutefois témoigner de l’existence de ces circulations d’ouvriers internes à
l’ordre de Cîteaux, mais cette hypothèse séduisante ne peut toutefois être définitivement
balayée car elle pourrait expliquer certaines ressemblances entre divers sites cisterciens
géographiquement éloignés.
•
Héritages bourguignons et aquitains :
Les premières abbayes cisterciennes sont nées en Bourgogne à la fin du XIème siècle
et dans le premier tiers du XIIème siècle, alors même que Cluny est à son apogée et que ses
prieurés et dépendances fleurissent partout en France. Les cisterciens vont hériter d’un certain
- 762 -
nombre de formules architecturales et sculptées romanes, puisées dans l’observation des
proches édifices de Bourgogne. Quant aux moines cisterciens du diocèse de Limoges, ils
semblent s’inspirer de formulations romanes plus proches géographiquement que la
Bourgogne, comme en témoignent les plans choisis, les élévations et les voûtements.
En effet les monastères du diocèse de Limoges et de ses marges semblent tournés de
manière assez caractéristique vers les pays d’Ouest, une vaste Aquitaine dont le Limousin
constitue la marge nord-est. Une première partie historique a montré les liens étroits dans ce
territoire avec les princes angevins puis les rois Plantagenêts jusque dans les années 1200.
Ainsi, il semblerait qu’un certain nombre de partis architecturaux relayés par les cisterciens
dans la seconde moitié du XIIème siècle trouvent une origine dans certaines créations
romanes du Poitou, de l’Anjou ou de la Saintonge.
Le parti de la nef unique, choisi dès la seconde moitié du XIIème siècle dans les
abbayes cisterciennes de Bonnaigue, Bonlieu, Boschaud, Aubignac et Grosbot, ainsi que par
certaines abbatiales de moniales telles Coyroux et Derses (soit environ 40% des édifices pris
en compte dans cette étude), est connu et largement diffusé dès l’époque romane, privilégié
dans un certain nombre de territoires comme en Anjou, mais également en Normandie où les
églises à nef unique et chevet plat sont requises depuis le XIème siècle (Saint-Martin-de-laLieue, Vieux-Pont-en-Auge, Saint-André d’Hébertot, Marigny, Chambois)2075. Ces nefs
simples du XIème siècle sont directement héritées des schémas carolingiens.
André MUSSAT se penche sur l’héritage roman des édifices gothiques de l’ouest de la
France. Il insiste tout particulièrement sur le fait que la nef unique est l’un des partis les plus
fréquents à la fin du XIème siècle et dans la première moitié du XIIème siècle, soit durant le
second art roman. La nef unique angevine est un vaisseau large, définissant un espace ample.
Dès le Xème siècle, cette formule est connue à Savennières, datation haute attestée par un
appareil en arases de briques. La nef unique est dotée de baies largement ébrasées, permettant
un éclairage abondant.
Dans la première moitié du XIème siècle, l’église du Lion d’Angers est dotée d’une
nef unique de 10.50m de large pour 23.50m de long. La hauteur est relativement modeste
(10m). Les dimensions de ces nefs uniques sont généralement plus larges que les nefs
cisterciennes du diocèse de Limoges : celles de Bonlieu et de Coyroux par exemple atteignent
2075
A. GOSSE-KISCHINEWSKI, « Fondations cisterciennes en Normandie au temps de Richard », dans
Richard Cœur de Lion, roi d’Angleterre, duc de Normandie, 1157-1199, Actes du colloque international de
Caen, 1999, Condé-sur-Noireau, 2004, p. 189-197.
- 763 -
8m de large. Par ailleurs, ces abbatiales cisterciennes sont souvent plus longues : 35m pour
Coyroux, 58m pour Bonlieu.
La cathédrale d’Angers est dotée d’une nef unique dès les années 1025-1032, une
grande et large salle pouvant accueillir un nombre important de fidèles. Cette nef est scandée
de contreforts plats de 1.20m de large pour une saillie de 0.60m. Ces contrebutements ne sont
ainsi guère éloignés des réalités cisterciennes limousines où les contreforts plats et larges sont
fréquents (Bonnaigue, Le Palais) dans les années 1180-12202076.
Les établissements monastiques d’Anjou semblent avoir adopté moins facilement ce
parti de la nef unique qui est rejeté à Saint-Aubin et Saint-Martin d’Angers, à l’abbaye du
Ronceray [Fig. 917]. Il semblerait que cette préférence pour la nef unique s’applique
essentiellement aux milieux épiscopaux et comtaux angevins. Nous avons déjà eu l’occasion
de constater que les édifices monastiques de vieille fondation privilégient le parti de la
novation, les bas-côtés plus que la traditionnelle nef unique. C’est le cas à Saint-Florent de
Saumur, consacrée une première fois en 956, dotée d’une nef à trois vaisseaux, d’un chevet en
abside et d’un probable Westwerk [Fig. 918]. Quant aux édifices modestes, petites églises
paroissiales et prieurales, elles optent le plus souvent pour une nef unique. La longueur est
double de la largeur. Ces édifices se distinguent souvent par l’usage du petit appareil, parfois
animé par des jeux d’appareil et arases de briques (Saint-Eusèbe de Gennes)2077.
Au XIIème siècle, la nef unique triomphe, souvent associée à un chœur bas, une
croisée rétrécie et élevée parfois flanquée de « passages berrichons». Elle est particulièrement
reprise par le mouvement érémitique dans la première moitié du XIIème siècle, ainsi à
Nyoiseau, Saint-Sulpice-La-Forêt, Fontevrault, La Roë, ces deux dernières étant des
fondations de Robert d’Arbrissel [Fig. 1029]. Cette nef permet de disposer d’un vaste espace
pour les prêches tandis que les chevets restent modestes, en cohérence avec « l’exercice serein
de la liturgie conventuelle ». Ce n’est toutefois pas systématiquement le cas puisque
l’abbatiale de Fontevrault associe la nef unique large (14m) et un déambulatoire à chapelles
rayonnantes. Ce chœur est alors magnifié, développé à la manière de certaines grandes
abbatiales bénédictines romanes (Vézelay, Cluny). La nef est parfois associée à des passages
latéraux entre elle et les croisillons afin de créer un grand espace public favorable à la
prédication. L’abbaye de la Roë est dédicacée en 1138. Le chœur réédifié au XVème siècle
est désormais détruit. Elle est dotée d’une nef unique de 11.35m de large pour une longueur
de 34.35m. Jacques MALLET y pressent la rencontre de solutions « archaïsantes » comme
2076
2077
J. MALLET, L’Art roman de l’Ancien Anjou, Paris, Picard, 1984, p. 16.
J. MALLET, op. cit., p. 35 et 79.
- 764 -
l’usage de moellons mal équarris, d’arcs fourrés connus dès le XIème siècle et de solutions
« traditionnelles » comme ces volumes fondés sur le cube, la nef unique dotée de passages
berrichons. Ainsi, les ordres érémitiques semblent bien souvent faire le choix de la
« tradition » plus que des novations de leur temps.
Cette remarque semble s’appliquer à nombre d’abbayes cisterciennes du diocèse de
Limoges, privilégiant une nef unique prisée dès le XIème siècle en Aquitaine, et qui leur
permet de se rattacher, de s’ancrer à un passé commun, angevin, tout en s’adaptant à leur
volonté d’austérité, de simplicité [Fig. 919]2078. Les largeurs des nefs uniques cisterciennes
sont généralement restreintes par rapport aux réalités romanes angevines. Elles sont de l’ordre
de 8m de large contre 10 à 14m de large pour certaines églises telle Fontevrault.
Les abbayes cisterciennes d’Anjou montrent d’ailleurs très nettement cette préférence
pour la nef unique. Elle est adoptée au Loroux (com. Vernantes, Maine-et-Loire), associée à
des passages latéraux. Quant à Chaloché (com. Chaumont-d’Anjou, Maine-et-Loire) et La
Boissière (com. Dénézé-sous-le-Lude, Maine-et-Loire), il s’agit de nefs uniques charpentées,
comme c’est peut-être le cas à Coyroux au XIIème siècle. Elle reçoit son voûtement d’ogives
au milieu du XIIIème siècle sans que nous puissions déterminer de source sûre le mode de
voûtement primitif, la Vita n’en faisant pas état.
Pourtant, d’une manière plus générale, considérant la majorité des abbayes
cisterciennes françaises et européennes, elles semblent opter le plus souvent pour une nef à
bas-côtés. La nef unique est bien souvent l’apanage des abbatiales de moniales, ou de
nombreuses abbayes d’hommes aquitaines. Certains monastères du Midi de la France
choisissent aussi ce parti en accord avec des créations de l’époque romane. C’est le cas à
Silvanès (com. Silvanès, Aveyron) ou à Léoncel (com. Léoncel, Drôme).
Outre le parti de la nef unique, les chevets cisterciens peuvent parfois relever
d’habitudes et d’expériences romanes [Fig. 920]. L’abbaye de Boschaud associe une nef
unique à file de coupoles avec un chevet en « trident », à savoir un chœur doté d’une abside
principale flanquée de deux absidioles greffées sur les bras du transept [Fig. 189]. Ce type de
plan est relativement ancien et se retrouve dès les années 980-1020 à l’abbatiale Saint-André
de Sorède (Pyrénées-Orientales). Le chevet est associé comme à Boschaud à une nef unique
large. L’abside principale est de la même largeur que la nef. Cette disposition est relativement
2078
J. MALLET, op. cit., p. 113.
- 765 -
répandue depuis l’époque carolingienne, surtout pour des édifices de dimensions
moyennes2079.
Cette formule est connue en Anjou comme à Notre-Dame du Fougeray à Cormery,
édifice pourvu d’une croisée voûtée d’une coupole sur pendentifs et d’une nef à berceau brisé
scandé de doubleaux, autant de partis architecturaux largement repris par les abbayes
cisterciennes du diocèse de Limoges et de ses marges 2080. Ce plan en trident est également
celui de la crypte de l’abbaye du Ronceray, de l’église d’Echemiré au début XIIème siècle,
soit un demi siècle avant le début de la mise en œuvre de Boschaud.
Des continuités avec des créations romanes antérieures sont sensibles dans d’autres
diocèses, et particulièrement dans le sud de la France. Ainsi, à Sénanque (com. Gordes,
Vaucluse) et au Thoronet (com. Le Thoronet, Var) est préservée l’habitude fréquente à
l’époque romane de l’abside arrondie prise dans un mur droit.
Quant au plan à déambulatoire et chapelles rayonnantes, il ne semble pas avoir la
faveur des abbayes cisterciennes dans un premier temps et le chevet plat ou l’abside sont
privilégiés [Fig. 921]. Il est pourtant fréquent dans certaines grandes abbatiales bénédictines
romanes, sans doute bien connues des bâtisseurs cisterciens. Les nefs à collatéraux et chevet à
déambulatoire et chapelles rayonnantes semblent nécessaires au bon déroulement de la
liturgie conventuelle et au déploiement des processions. Ce type de chœur développé est
privilégié pour les édifices clunisiens. En effet, Cluny accorde une place prépondérante à
l’Opus dei, d’où une multiplication des offices, des messes et des messes propres célébrées
par des moines-prêtres pour qui on multiplie les autels, et donc les chapelles latérales autour
du déambulatoire.
L’abbatiale de Vézelay par exemple est dotée d’un chevet à déambulatoire et chapelles
rayonnantes, plan que les cisterciens vont rejeter dans la première moitié du XIIème siècle,
sans doute par souci de simplicité. À Vézelay, ce choix est lié à la célébration eucharistique
vers l’est (changement dans la liturgie apparu à la fin du IXème siècle et au début du Xème
siècle). Le déambulatoire permet également la circulation des fidèles et des pèlerins autour
des reliques, ce dont les cisterciens n’ont pas à se préoccuper. Ceux-ci n’ont effectivement pas
pour vocation l’accueil des reliques et des fidèles. Les églises cisterciennes ne sont
qu’exceptionnellement ouvertes aux laïcs, n’abritent pas de reliques, et les processions sont
proscrites de la liturgie. Par ailleurs, les autels sont multipliés pour que les moines-prêtres
2079
2080
É. VERGNOLLE, L’art roman en France, Flammarion, Paris, 1994, p. 53.
A. MUSSAT, op. cit., p. 35.
- 766 -
puissent dire leur messe privée. L’église est réservée aux seuls membres de la
communauté2081. Néanmoins, le déambulatoire tend à faire son apparition dans la
reconstruction des grandes abbatiales de l’ordre dès la seconde moitié du XIIème siècle
(Clairvaux, Cîteaux, Pontigny, Valmagne…), au moment où certains principes d’austérité
tombent en désuétude.
Dans le diocèse de Limoges, de nombreux édifices romans de la fin du XIème siècle et
des premières décennies du XIIème siècle choisissent ce plan. Les exemples ne manquent
donc pas dans le paysage architectural où s’implantent les moines blancs dans la seconde
moitié du XIIème siècle. Le déambulatoire est requis à Beaulieu, à Uzerche, deux abbayes
rattachées à Cluny à la fin du XIème siècle.
À Uzerche, le chœur est consacré en 1097 [Fig. 922]. Le sanctuaire dispose
d’absidioles au plan légèrement outrepassé2082. Les piles du déambulatoire sont surmontées
d’impostes chanfreinées, attestant cette datation de la fin du XIème siècle. Néanmoins, les
voûtes à pénétration sembleraient plutôt du début du XIIème siècle. À Beaulieu, le chœur à
déambulatoire présente trois niveaux d’élévation : les grandes arcades, les tribunes, ainsi que
des fenêtres en plein-cintre. La datation de ce chœur est malaisée et pourrait relever des
années 1110-1115 d’après Évelyne PROUST. En effet, certaines sculptures du chœur
évoquent de manière troublante des motifs des manuscrits de Saint-Junien et de Saint-Martial,
d’où cette proposition de datation2083. Les bases attiques épaisses sont difficilement datables.
Elles présentent des motifs de cordages, feuillages et damiers atypiques évoquant plutôt des
réalités de la seconde moitié du XIème siècle [Fig. 886]. C’est également le parti des églises
romanes de Saint-Pierre de Lesterps, Saint-Robert, Tulle, Bénévent, Chambon-sur-Voueize,
Le Dorat, Saint-Étienne de Limoges ou encore Saint-Léonard de Noblat.
Le déambulatoire de Saint-Martial de Limoges est vraisemblablement antérieur et
relève sans doute du premier tiers du XIème siècle. Il pourrait ainsi constituer un précédent de
ce type de plan dans le diocèse de Limoges. La date de consécration est de 1095, soit en
même temps que la cathédrale romane, sans que nous puissions déterminer si le chantier était
achevé à cette date. L’abbatiale ayant disparue, il est difficile de proposer des datations
2081
A. ERLANDE-BRANDENBOURG, « Architecture religieuse et fidèles », dans L’architecture religieuse
médiévale. Art roman et art gothique. Une nouvelle vision, Dossiers d’Archéologie n°319, janvier-février 2007,
p. 24-35.
2082
C. ANDRAULT-SCHMITT, Les nefs des églises romanes…, op. cit., T I, p. 36.
2083
A-M. PECHEUR, É. PROUST, « Beaulieu-sur-Dordogne, abbatiale Saint-Pierre », dans Monuments de
Corrèze, Congrès Archéologique de France, Société Française d’Archéologie, 163 ème session, 2005, Paris, 2007,
p. 86-103.
- 767 -
précises sur le déroulement de la construction. Cinq chapelles sont greffées sur le
déambulatoire, la chapelle axiale présente un plan légèrement outrepassé. Ce plan est en lien
avec la vocation de pèlerinage affirmée par une communauté monastique drainant ainsi de
nombreux fidèles, nécessitant un espace approprié qui permet la circulation et le bon
déroulement des processions2084. C’est pourquoi sans doute les bas-côtés sont larges, de
4.80m, caractéristique relativement rare en Limousin et cohérente avec un cadre clunisien et
de pèlerinage2085.
L’abbaye de Déols en Berry, à côté de Châteauroux, opte également pour ce type de
chevet [Fig. 923]. À la fin du XIème siècle, une troisième abbatiale est construite sur le site
clunisien fondé en 917 par Ebbe de Déols, vassal de Guillaume d’Aquitaine. Elle est
consacrée en 1107 par le pape Pascal II. Elle est dotée d’un chœur à déambulatoire, d’une nef
à bas-côtés, d’une avant-nef, le tout ceint par une enceinte fortifiée. Il est toutefois difficile
aujourd’hui de connaître le plan et l’élévation exacts de cet édifice presque entièrement
ruiné2086.
En Anjou, le déambulatoire à chapelles rayonnantes reste rare en comparaison des
multiples exemples septentrionaux, bourguignons et même limousins. Il apparaît à SaintAubin d’Angers entre 1130 et 1150 [Fig. 917]. À l’abbatiale du Ronceray, bâtie entre 1028 et
1119 suite à la fondation de Foulques Nerra et de sa femme Hildegarde, le chœur adopte un
plan bénédictin avec des absidioles jointives communiquant entre elles. André MUSSAT
constate néanmoins qu’il ne trouve guère de prolongements dans les édifices du gothique de
l’ouest2087.
Si les plans choisis révèlent des liens étroits, des continuités et permanences avec
certaines habitudes romanes aquitaines, que dire des élévations et des voûtements ?
Les élévations des abbayes cisterciennes du diocèse de Limoges sont méconnues du
fait de l’état de ruines de la majorité des édifices. Certaines constatations peuvent toutefois
être esquissées, évoquant cette continuité avec l’art roman sensible à travers l’étude des
proches réalités romanes aquitaines. Certains édifices optent pour une élévation simple à un
seul niveau comme à Obazine où les grandes arcades sont seulement surmontées de deux
2084
C. ANDRAULT-SCHMITT, « L’architecture de la grande église en questions », dans C. ANDRAULTSCHMITT (dir.), Saint-Martial de Limoges…, op. cit., p. 219-239.
2085
C. ANDRAULT-SCHMITT, Les nefs des églises romanes …, op. cit., T I, p. 18.
2086
J. HUBERT, « L’abbatiale Notre-Dame de Déols », dans J. HUBERT, Nouveau recueil d’études
d’archéologie et d’histoire. De la fin du monde antique au Moyen-Âge, Droz, Paris, Genève, 1985, p. 361-424 ;
J. HUBERT, « L’abbaye de Déols et les constructions monastiques » dans J. HUBERT, Arts et vie sociale de la
fin du monde antique au Moyen-Âge. Étude d’archéologie et d’histoire, Genève, 1977, p. 449-458.
2087
A. MUSSAT, op. cit., p. 33 ; J. MALLET, op. cit., p. 56-71.
- 768 -
baies en plein-cintre ouvrant sur les combles [Fig. 482]. Certaines abbatiales romanes du
diocèse de Limoges privilégient déjà ce type d’élévation. C’est le cas à Saint-Junien où les
grandes arcades reposent sur de simples piles cruciformes à impostes. Cet édifice du tournant
du XIIème siècle, bâti vraisemblablement entre 1075 et 1100 se caractérise par une certaine
ampleur des formes, une généralisation des supports à demi-colonnes et un éclairage par la
croisée. La puissance et l’articulation des piles va dans le sens d’une datation du dernier quart
du XIème siècle, comme l’attestent l’épaisseur des murs gouttereaux et l’implantation des
contreforts [Fig. 924]2088.
De même au Dorat, le seul niveau requis est celui des grandes arcades. Cet édifice
pourrait être construit entre 1115 et 1145 tandis que le dernier étage de la croisée relève plutôt
de la fin du XIIème siècle2089.
Les élévations tripartites semblent plus rares dans le diocèse de Limoges. À Beaulieu
toutefois, si la nef ne dispose que de deux niveaux (grandes arcades surmontées de petites
baies géminées), le chœur se dote de grandes arcades au profil légèrement brisé, de tribunes
(certes atrophiées) et de baies. Ces tribunes, traitées comme de simples galeries obscures, sont
voûtées en quart-de-cercle2090. Dans un cadre cistercien, les tribunes disparaissent et
généralement les élévations n’acceptent qu’un seul niveau.
Quant aux baies observées, elles sont le plus souvent en plein-cintre, avec de larges
ébrasements internes et surmontées d’un linteau monolithe. C’est le cas à Prébenoît (bas-côté
nord et dépôt lapidaire) [Fig. 339], et Boschaud (dernière travée de la nef) [Fig. 193]. Ces
baies sont étroites et atteignent souvent 20cm de large.
Les baies peuvent également être plus larges (entre 50 et 80cm de large) et surmontées
de linteaux clavés, très ébrasées comme à Obazine et Bonlieu [Fig. 146]. Nous ne sommes
alors guère éloigné des percements de certaines églises angevines antérieures : à Saint-Aubin
d’Angers par exemple, les baies présentent un profil en plein-cintre dès le XIème siècle. Les
claveaux qui la constituent sont étroits et allongés. Ces caractéristiques sont proches des
réalités cisterciennes, bien que les claveaux soient généralement plus larges comme observés
pour les portes et percements des bâtiments conventuels d’Obazine (fin XIIème, premier tiers
du XIIIème siècle) [Fig. 513].
Les voûtements des abbatiales cisterciennes du diocèse de Limoges sont mieux connus
que leurs élévations et mettent en lumière des liens avec des abbatiales de Bourgogne,
paraissant dès lors évidents et ayant pu être établis par l’intermédiaire des premières abbayes2088
C. ANDRAULT-SCHMITT, Les nefs des églises romanes …, op. cit., T I, p. 14 et 37.
C. ANDRAULT-SCHMITT, Les nefs des églises romanes…, op. cit., T I, p. 151.
2090
É. VERGNOLLE, op. cit., p. 200.
2089
- 769 -
mères de l’ordre. En Bourgogne, dans le premier tiers du XIIème siècle, le voûtement de nefs
larges est résolu par un couvrement en berceau plein-cintre ou brisé, souvent souligné d’arcs
doubleaux à double rouleaux. Au Bois-Sainte-Marie par exemple, berceau en plein-cintre et
berceau brisé cohabitent harmonieusement. L’église prieurale de Paray-Le-Monial dispose
d’une nef bordée de bas-côtés, voûtée d’un berceau scandé de puissants arcs doubleaux brisés.
Le berceau brisé va être très prisé dans un cadre cistercien et s’inscrit comme le système de
voûtement privilégié.
Il semble apparaître dès le début du XIIème siècle dans divers monuments de
Bourgogne (Bois-Sainte-Marie) mais aussi de l’Ouest de la France (Saint-Pierre de
Chauvigny, Saint-Eutrope de Saintes). Selon Éliane VERGNOLLE, ce succès s’explique par
« les avantages d’une voûte qui, engendrée par deux segments de cercle s’affrontant à la clé,
pousse moins au vide et s’avère, de ce fait, plus facile à contrebuter que le berceau pleincintre ». Il est ainsi possible de percer des fenêtres sous les retombées des voûtes.
L’historienne de l’art constate que la Bourgogne, l’Auvergne et le Limousin semblent avoir
précocement adopté le berceau brisé, ce qui a entraîné la disparition des tribunes de
contrebutement, ou leur atrophie progressive comme observé à Beaulieu 2091. L’adoption du
tracé brisé est tangible dès le XIème siècle et assure « une meilleure diffusion des poussées,
soulage la clé de l’arc tout en l’exhaussant ». Quant à la combinaison classique d’un
voûtement en berceau contrebuté d’arêtes dans les bas-côtés (Obazine), elle s’accompagne au
XIIème siècle de l’usage du profil brisé2092. Les cisterciens vont également largement recourir
à ce type de voûtes.
Ainsi, à Fontenay, le berceau brisé de la nef est scandé d’arcs doubleaux [Fig. 1]. Les
bas-côtés sont élevés afin de contrebuter la voûte du vaisseau central. Ces collatéraux sont
couverts de berceaux brisés placés transversalement, selon une technique initiée à SaintPhilibert de Tournus au XIème siècle (consécration du chevet en 1019) [Fig. 925]. En effet, à
Tournus, les bas-côtés sont couverts de berceaux transversaux reposant sur des arcs
diaphragmes. Les berceaux transversaux ne sont pas inconnus en Limousin. Ainsi, l’église de
Toulx-Sainte-Croix édifiée au XIème siècle présente une nef à bas-côtés et un seul niveau
d’élévation constitué d’arcades en plein-cintre. Le vaisseau principal est couvert d’un berceau
en plein-cintre souligné d’arcs doubleaux. Les collatéraux permettent un éclairage indirect par
l’intermédiaire de petites baies. Ils sont voûtés de berceaux longitudinaux en plein-cintre,
2091
2092
É. VERGNOLLE, op. cit., p. 200.
C. ANDRAULT-SCHMITT, Les nefs des églises romanes..., op. cit., T I, p. 193.
- 770 -
soulignés d’arcs doubleaux. Nous ne sommes ici pas très éloignés du parti cistercien de
Fontenay ou des formules choisies à Tournus2093.
Le même système est choisi à l’abbatiale du Ronceray (entre 1028 et 1119). La nef est
voûtée d’un berceau longitudinal de 30m de long pour 7.60m de large. Elle est scandée d’arcs
doubleaux légèrement outrepassés. Les bas-côtés sont quant à eux couverts de berceaux
transversaux supportés par des arcs diaphragmes relevant de la fin du XIème siècle, voire de
la première décennie du XIIème siècle. Ce type de voûtement est également celui choisi à
Cunault dans la première moitié du XIIème siècle. Les collatéraux élevés voûtés d’arêtes
parviennent peu en dessous des sommiers de la voûte en berceau principale [Fig. 926]2094.
À Fontfroide, la nef voûtée en berceau brisé est contrebutée par des bas-côtés voûtés
en demi-berceau. Les solutions semblent ainsi multiples [Fig. 927]. À Grosbot, les vestiges de
la nef laissent percevoir la naissance d’un berceau, probablement brisé, choisi pour couvrir la
nef unique [Fig. 437]. Ce choix du berceau brisé lancé au-dessus d’une simple nef est très
fréquent à partir des années 1130, mais surtout dans la seconde moitié du XIIème siècle pour
des vaisseaux de proportions mesurées, et Grosbot s’inscrit ainsi comme un exemple
significatif [Fig. 430 bis]. Cette solution est une alternative au choix de voûtement d’un
vaisseau large par des files de coupoles, choix permettant néanmoins de conserver une unité
de l’espace. Les poussées de la voûte sont uniquement reçues par les gouttereaux devant être
renforcés, d’où la présence de contreforts relativement massifs à Grosbot. Ce type
architectural est également choisi à Notre-Dame de Nantilly de Saumur où le vaisseau est
scandé de contreforts massifs, mais aussi et surtout en Languedoc et Provence, tel à
Maguelone où les murs atteignent 2.50m d’épaisseur [Fig. 928]2095.
À Obazine, la nef est voûtée d’un berceau brisé à doubleaux tandis que les bas-côtés
sont cette fois voûtés d’arêtes [Fig. 482 et 483]. Les grandes arcades conservent par ailleurs
un profil en plein-cintre. Certains choix cisterciens semblent ainsi tributaires de formules
romanes déjà éprouvées en Bourgogne2096.
Le même parti est peut-être choisi à l’abbaye de Prébenoît. Le bas-côté nord permet
d’envisager des voûtes d’arêtes soulignées de doubleaux tandis que le voûtement de la nef est
inconnu [Fig. 338]. Nous savons toutefois d’après un sondage archéologique que les piliers
séparant nef et collatéraux sont très simples, quadrangulaires, et correspondraient sans doute
plus à un voûtement simple, de type berceau, qu’à des ogives nécessitant des piles complexes
2093
P. MARTIN, « L’église Saint-Martial à Toulx-Sainte-Croix », dans C. ANDRAULT-SCHMITT (dir.), SaintMartial de Limoges…, op. cit., p. 281-293
2094
J. MALLET, op. cit., p. 126.
2095
É. VERGNOLLE, op. cit., p. 314.
2096
R. OURSEL, Bourgogne romane, Zodiaque, « La Nuit des Temps », 1968 (5ème édition).
- 771 -
avec colonnes engagées. Par ailleurs, l’étude du dépôt lapidaire issu de la destruction de
l’abbatiale a révélé peu de claveaux de nervure d’ogives. L’utilisation de l’ogive ne semble
pas systématique dans cette abbatiale. Ainsi, la nef est peut-être couverte d’un berceau brisé
souligné de doubleaux comme à Obazine.
C’est un parti architectural souvent employé dans les abbayes clunisiennes. Selon
Raymond OURSEL, l’élévation « clunisienne » comprend des arcs brisés à double rouleau,
une nef voûtée en berceau brisé et des bas-côtés voûtés d’arêtes. C’est le cas à Autun, et peutêtre aussi à Saint-Martial de Limoges. L’abbatiale est connue grâce aux gravures et plans
conservés. Nous pouvons constater que la nef est voûtée en berceau, contrebuté par un étage
de tribunes surmontant les collatéraux. Le berceau est renforcé de doubleaux2097.
Le berceau brisé est fréquent dès le XIème siècle dans le diocèse de Limoges. À SaintJunien, dès les années 1075-1100, la nef est couverte d’un berceau légèrement brisé souligné
de doubleaux tandis que les collatéraux étroits se dotent de berceaux brisés sur doubleaux,
montrant bien la précocité de ce recours aux tracés brisés.
Le berceau brisé est également la solution choisie pour l’abbatiale clunisienne de
Beaulieu-sur-Dordogne, reconstruite depuis la première décennie du XIIème siècle (chœur et
transept) jusque dans les années 1130-1140 (nef et porche), soit quelque peu avant la mise en
œuvre d’Obazine (seconde moitié du XIIème siècle jusque dans les années 1200 pour les
bâtiments conventuels, réfectoire et bâtiment des convers). Les dons les plus fréquents aux
moines de Beaulieu correspondent par ailleurs aux années 1050-11202098. L’avant dernière
travée de la nef de Beaulieu montre toutefois un décalage chronologique comme en
témoignent les bases de colonne au tore inférieur aplati, les chapiteaux à feuilles engainantes
et bourgeons terminaux, attestant d’une datation plus tardive des années 1190-1200. À
Beaulieu, la nef de quatre travées est en effet voûtée en berceau sur doubleaux et les
collatéraux voûtés d’arêtes. Les similitudes de cette nef avec Obazine sont confirmées par un
décor sobre où le chapiteau nu prédomine [Fig. 929]. Les collatéraux de Beaulieu montrent
par ailleurs des corbeilles à grandes feuilles se terminant par des boules aux angles, assez
identiques à des modèles cisterciens méridionaux2099. Au Dorat, bâtie entre 1115 et 1145, la
nef est voûtée d’un berceau brisé sur doubleaux à doubles rouleaux. Les bas-côtés sont
couverts de voûtes d’arêtes soulignées de doubleaux comme à Obazine.
2097
É. VERGNOLLE, « L’abbatiale romane : bilan documentaire », dans C. ANDRAULT-SCHMITT (dir.),
Saint-Martial de Limoges…, op. cit., p. 189-218.
2098
C. ANDRAULT-SCHMITT, Les nefs des églises romanes..., op. cit., T I, p. 167.
2099
A-M. PECHEUR, É. PROUST, op. cit., p. 86-103.
- 772 -
Les deux premières travées de la nef et des bas-côtés de l’église de la Souterraine sont
édifiées dans le milieu du XIIème siècle. Le vaisseau central est couvert d’un berceau brisé
flanqué de hauts et étroits bas-côtés voûtés d’arêtes. Le chœur, la crypte et les dernières
travées de la nef correspondent par ailleurs à une phase de construction gothique comme en
témoignent l’apparition de chapiteaux à crochets ou encore le chevet plat percé d’un triplet2100.
Ainsi, les moines cisterciens limousins paraissent maîtriser parfaitement les solutions
de voûtement romanes, qu’elles soient celles de Bourgogne, du Poitou, de l’Anjou ou de plus
proches édifices du diocèse de Limoges (Beaulieu, Saint-Martial, La Souterraine), permettant
le contrebutement des nefs sans avoir recours aux arcs-boutants gothiques ou à d’épais
contreforts.
Les moines cisterciens paraissent souvent tributaires de nombreuses formulations
romanes et s’inspirent largement des créations bourguignonnes mais surtout des proches
édifices aquitains.
Néanmoins, il n’y a pas de servitude vis-à-vis de cet héritage roman, et Matthias
UNTERMANN en particulier s’attache à témoigner de différences essentielles entre les
productions cisterciennes et les créations antérieures, de résistances, de parentés refusées, non
intégrées. C’est ainsi que le déambulatoire à chapelles rayonnantes peine à être accepté dans
un premier temps, et ne sera jamais mis en œuvre dans les abbatiales cisterciennes du diocèse
de Limoges, alors qu’il est par ailleurs bien présent dans certaines églises proches comme
Saint-Martial, Lesterps, Uzerche, Beaulieu.
En effet, les abbayes cisterciennes, dans leur recherche de sobriété, de dépouillement
et de simplicité, vont se débarrasser d’un certain nombre d’éléments jugés superflus, qu’il
s’agisse de chevets développés ou d’élévations tripartites. Ils renoncent en particulier au
triforium aveugle placé entre les grandes arcades et les fenêtres hautes munies de vitraux,
ainsi qu’aux tribunes, ignorées des abbayes cisterciennes du diocèse de Limoges. Une autre
distinction fondamentale est la proportion même des édifices. Il existe un écart sensible entre
un monastère cistercien et une cathédrale septentrionale. Ainsi, la nef de Pontigny atteint 19m
de haut pour 12.50m de large, celle de Cluny 29.50m de haut pour 14.80m de large, ou encore
celle de la cathédrale de Sens 24.40m de haut pour 15.30m de large. Nous avons déjà constaté
ci-dessus la faible largeur des nefs uniques des abbayes cisterciennes limousines comparées
aux larges vaisseaux romans aquitains comme Fontevrault. À cette relative modestie des
dimensions correspond une simplicité, une discrétion des ornements sculptés et peints. Pas de
2100
C. ANDRAULT-SCHMITT, Les nefs des églises romanes..., op. cit., T I, p. 157.
- 773 -
grands portails sculptés, aux tympans et trumeaux envahis de figures (tels à Autun, Vézelay
ou Beaulieu), pas de chapiteaux historiés aux thèmes bibliques complexes (Cluny, Vézelay),
ni de programmes peints (Berzé-la-Ville)2101.
Ainsi, il existe bien des hésitations entre adoption de formes romanes, des
permanences et un refus de certaines dispositions contraires aux principes d’austérité, de
dépouillement et de simplicité des volumes. Des considérations liturgiques peuvent également
entrer en ligne de compte : les cisterciens n’ayant pas pour vocation première l’accueil des
fidèles et le culte autour des reliques, le choix d’un déambulatoire à chapelles rayonnantes ne
trouve ainsi pas de justification.
Un témoin du maintien de formules romanes dans cette seconde moitié du XIIème
siècle est le recours à la coupole, voire à la file de coupoles associée à une nef unique
(monastère de Boschaud). C’est en effet l’exemple le plus flagrant de ces passerelles entre
créations cisterciennes et réalités aquitaines préexistantes.
•
L’exemple de la coupole : croisée du transept et solution de
voûtement des vaisseaux larges.
Les bâtisseurs de l’époque romane ont initié un mode de voûtement convenant tout
particulièrement aux larges vaisseaux, aux nefs uniques dont les dimensions importantes ne
facilitent guère la mise en œuvre d’un berceau en plein-cintre ou de voûtes d’arêtes. En effet,
le remplacement de charpentes adaptées à de larges vaisseaux a posé la question du type de
voûte pouvant être édifié, de sorte à ce que les gouttereaux résistent à de fortes poussées. Si
vers 1130-1140, les voûtes en berceau brisé sont fréquemment choisies comme solution, dès
le début du XIIème siècle, le voûtement en file de coupoles est initié dans l’Ouest de la
France. Ces voûtes sont certes plus lourdes, jusque là réservées aux croisées, mais poussent
peu au vide et apportent donc ici une solution innovante. Elles conduisent toutefois à briser
l’unité caractérisant les nefs uniques charpentées2102.
Ainsi, les files de coupoles apparaissent en Aquitaine et vont se développer jusque
dans l’ancien diocèse de Limoges, où les choix des cisterciens de Boschaud nous invitent à
nous attarder sur ce voûtement plutôt inhabituel dans un cadre cistercien [Fig. 930]. Une
soixantaine d’édifices sont ainsi construits dans la première moitié du XIIème siècle en
Aquitaine.
2101
2102
M. UNTERMANN, Forma Ordinis..., op. cit., p. 142.
É. VERGNOLLE, op. cit., p. 217.
- 774 -
René CROZET remarque que ces édifices bien particuliers se répartissent
majoritairement sur un axe reliant Cahors à Saintes, sur des terrains géologiques généralement
privés de ressources forestières, dotés de roches calcaires légères, faciles à débiter et à tailler,
se délitant naturellement en petite hauteur de banc. L’abbaye de Boschaud est justement
édifiée en calcaire. Ces églises sont souvent bâties dans le voisinage des carrières, le long de
voies de circulation pour faciliter le charroi des pierres. Les coupoles supposent un tas-decharge soigné en pendentifs. Toutes les assises sont montées en porte-à-faux ou en
encorbellement. Ainsi, la pénurie de bois d’œuvre peut expliquer le choix de la coupole face
aux voûtes2103. Nous ne sommes toutefois pas entièrement d’accord avec cette définition qui
semble souffrir des exceptions : ainsi l’abbaye de Solignac dans le diocèse de Limoges se
situe en pays granitique relativement boisé tandis que Fontevrault semble isolée de l’axe
défini, à plus de 200 km au nord d’Angoulême, et dispose elle aussi d’importantes ressources
forestières2104.
À Solignac, il semblerait que la nef, la croisée et le chœur aient été édifiés
simultanément dans le second quart du XIIème siècle. La tour-porche, hors-œuvre, est plus
tardive. La nef est large (17.70m) et est voûtée de coupoles sur pendentifs appareillés, reçues
par des massives piles cruciformes. Les murs gouttereaux sont animés à l’extérieur et à
l’intérieur d’arcades aveugles surmontées d’une baie large par travée [Fig. 932 et 933].2105
Un certain nombre d’historiens de l’art se sont attachés à déterminer quel était le
modèle de ces édifices à file de coupoles, le premier a avoir initié cette formule, qu’il s’agisse
de René CROZET, Charles DARAS ou Pierre DUBOURG-NOVES. Selon René CROZET,
Géraud III de Cardaillac, évêque de Cahors (1090-1113), à la suite d’un voyage à Chypre et
en Terre Sainte en 1109, aurait décidé de doter sa cathédrale d’une file de coupoles de 16m de
diamètre (dans les années 1115). La cathédrale de Cahors présente une nef unique très large
(20m) et la mise en œuvre de coupoles est une solution efficace pour le voûtement d’un
vaisseau de telles dimensions. L’édifice est consacré en 1119, ce qui ne signifie toutefois pas
que le chantier était achevé à cette date.
Saint-Étienne de Périgueux et Souillac en Quercy seraient postérieures et leurs
coupoles semblent gagner en légèreté2106. Néanmoins, pour Edmond-René LABANDE, la file
2103
B. PHALIP, Charpentiers et couvreurs…, op. cit., p. 54.
R. CROZET, « Remarques sur la répartition des églises à file de coupoles. Déterminisme ou méthode
historique », CCM, IVème année, n°2, avril-juin 1961, p. 175-178.
2105
C. ANDRAULT-SCHMITT, Les nefs des églises romanes..., op. cit., T II, p. 277.
2106
R. CROZET, op. cit. ; R. CROZET, « L’église abbatiale de Fontevrault. Ses rapports avec les églises à
coupoles d’Aquitaine », Annales du Midi, n° 190, 1936, p. 113-151 ; C. DARAS, « Les églises à file de coupoles
dérivées de la cathédrale d’Angoulême en Aquitaine », CCM, VIème année, n°1, janvier/mars 1963, p. 55-60.
2104
- 775 -
de coupole de Saint-Étienne de Périgueux serait la première au début du XIIème siècle et
Girard d’Angoulême s’en serait inspiré pour sa cathédrale. Il est toutefois délicat d’attester
l’une ou l’autre de ces hypothèses. Les coupoles de Périgueux semblent néanmoins plus
abouties, la mise en œuvre plus soignée qu’à Cahors [Fig. 934]2107.
La file de coupoles édifiée à Périgueux aurait pu inspirer un certain nombre d’édifices
proches comme l’abbaye cistercienne de Boschaud (com. Villars) ou les églises de Cherval,
Saint-Martial de Viveyrol et Vieux-Mareuil en Périgord. Selon Charles DARAS, la voie
ancienne reliant Périgueux à Angoulême pourrait avoir une incidence sur cette répartition et
aurait facilité les échanges2108. À Boschaud, la nef unique de deux ou trois travées et la croisée
du transept sont couvertes de coupoles sur pendentifs appareillées en modules réguliers de
calcaire [Fig. 195]. Les calottes reposent sur un cordon simplement mouluré. C’est le seul
édifice cistercien à file de coupoles du diocèse de Limoges et de ses marges. Ces choix
architecturaux paraissent ainsi exceptionnels dans un cadre cistercien. Les moines se sont
probablement inspirés des proches édifices aquitains comme Saint-Étienne de Périgueux.
D’après Nelly BUISSON, l’abbaye de Peyrouse dispose peut-être également d’une nef voûtée
d’une file de coupoles. Elle ne justifie toutefois pas cette hypothèse. Les vestiges conservés ne
permettent pas d’attester ce voûtement2109. Boschaud pourrait être une exception, étroitement
liée à son paysage d’implantation, héritière de techniques romanes privilégiées pour le
voûtement de vaisseaux uniques larges.
La cathédrale d’Angoulême serait quant à elle bâtie entre 1110 et 1130 [Fig. 935]. Elle
est consacrée en 1128, soit dix ans après la cathédrale de Cahors. L’appareillage des coupoles
de 11m de diamètre paraît plus soigné et elles sont ornées de colonnes. Pour Charles DARAS,
elle est vraisemblablement à l’origine des files de coupoles de nombre d’édifices charentais
mais a peut-être aussi incité le développement des coupoles de croisée (Grosbot en Charente,
Bonlieu, Obazine). Charles DARAS constate que les églises à file de coupoles sont souvent
situées dans les pays d’Ouest, se concentrant au voisinage de la Charente. En effet, la vallée
de la Charente possède de nombreuses carrières de pierres tendres d’une exploitation aisée
(Saint-Même, Séreuil) et permettant des structures légères pouvant couvrir de larges
vaisseaux. Ainsi, de nombreuses églises paroissiales ou prieurales charentaises sont bâties en
bel appareil régulier, souvent de pierres calcaires comme à Fléac, Champmillon, Châtres
(quatre coupoles dont une de croisée), Bourg-Charente, Cherves (trois coupoles sur
pendentifs), Gensac-La-Pallue [Fig. 936]. Ces églises sont regroupées par Pierre DUBOURG2107
E-R. LABANDE, Histoire du Poitou, du Limousin et des payes charentais…, op. cit., p. 170.
C. DARAS, op. cit.
2109
N. BUISSON, « Abbaye de Peyrouse », BSHAP, T 113, 1986, p. 308-323.
2108
- 776 -
NOVES sous le nom de « groupe de Cognac », édifices à file de coupoles situés autour de
Cognac en Angoumois, bourg bien connu des moines cisterciens d’Obazine qui y détiennent
des biens immobiliers (grenier). Ainsi, la prieurale Saint-Léger de Cognac dispose d’une nef
de deux travées voûtées de coupoles, remplaçant une charpente dans les années 1115-1130.
Une fois encore, c’est ce parti de la coupole qui est choisi pour le couvrement d’un vaisseau
large auparavant charpenté.
De nombreuses églises adoptant ce parti sont par ailleurs étroitement liées à la
cathédrale d’Angoulême. Fléac passe avant 1110 au chapitre cathédral d’Angoulême tandis
que Champmillon appartient à la manse de l’évêque. Ces deux édifices sont charpentés à
l’origine. Le voûtement à file de coupoles peut ainsi intervenir comme une alternative à la
charpente, une novation permettant le voûtement de larges vaisseaux uniques autrefois
charpentés. De même, Sainte-Marie de Douzat en Angoumois est dévolue en 1110 au chapitre
d’Angoulême. Elle se constitue d’un long vaisseau unique bientôt doté d’une file de coupoles,
probablement édifiée du vivant de l’évêque Girard († 1136)2110.
Quant aux liens avec l’abbatiale de Fontevrault, ils paraissent plus évidents à établir.
Robert d’Arbrissel, fondateur de l’ordre, connaît Girard de Blaye, évêque d’Angoulême
initiateur de la file de coupoles de sa cathédrale. La construction de la nef unique large (14m)
commence en effet en 1117. L’édifice est dédicacé en 1119 par Calixte II, sans doute avant
l’achèvement des travaux. Il est probable que vers 1120, les parties orientales de l’édifice
soient utilisables, mais l’achèvement n’est sans doute pas intervenu avant 1130. Robert
d’Arbrissel est peut-être mort avant l’érection de la nef. Il aurait pu évoquer un projet de file
de coupoles à l’image de la cathédrale avant son décès. Les quatre coupoles sur pendentifs
reproduisent exactement les dimensions de celles d’Angoulême [Fig. 937]. Les seules
différences tiennent à la réception des formerets par des colonnes jumelées. Les coupoles sont
appareillées, à l’inverse des coupoles de Saint-Martin d’Angers ou du Ronceray qui sont
encore en blocage. Les pendentifs sont formés d’assises horizontales posées en
encorbellement. Un bandeau souligne le départ de la calotte2111.
Peut-être Girard, évêque d’Angoulême, a-t-il envoyé son maître d’œuvre sur le
chantier de Fontevrault ? Il est également probable que le prieuré d’Orsan en Berry, fils de
Fontevrault, ait disposé d’une file de coupoles similaire [Fig. 938]. En effet, en 1711, Jacques
2110
P. DUBOURG-NOVES, « Quelques réflexions sur les églises à coupoles des diocèses d’Angoulême et de
Saintes », BSAOMP, T 15, 2ème trimestre 1980, p. 435-477.
2111
A. MUSSAT, Le style gothique de l’Ouest de la France…, op. cit., p. 62 ; J. MALLET, op. cit., p. 113.
- 777 -
BOYER compare les voûtes d’Orsan à celles d’Angoulême et de Solignac. De même
concernant le prieuré fontevriste de Tusson (1112)2112.
L’abbatiale saintongeaise de Sablonceaux opte également pour ce voûtement [Fig.
939]. Cette communauté augustinienne est fondée en 1136 et les coupoles couvrant les quatre
travées de la nef interviennent ainsi sans doute dans la seconde moitié du XIIème siècle. Des
liens de filiation expliquent aussi parfois ce choix : ainsi, Saint-Romain de Benet, prieuré fille
de Sablonceaux, se dote également d’une file de coupoles de 9.60m de diamètre.
Ce parti adopté en Saintonge peut peut-être s’expliquer par le voûtement initial de la
cathédrale de Saintes. La nef devait en effet être couverte de deux grandes coupoles sur
pendentifs. Nous pouvons aujourd’hui observer des coupoles sur pendentifs sur les bras et la
croisée du transept, créant ainsi une file transversale de coupoles. La coupole du croisillon sud
est de 9m de diamètre. Quant à l’abbaye aux Dames de Saintes, elle se dote également d’une
file de coupoles (1135-1148). Elles mesurent 12.5m de diamètre et sont soutenues par les
rouleaux des grandes arcades. Il s’agit des plus larges calottes du nord de l’Aquitaine. En
Saintonge, d’autres exemples similaires sont connus à Nouillers (trois coupoles de 5.70m de
diamètre), à l’église bénédictine de la Tenaille (sans doute trois coupoles dans la nef) ou
encore à Marestay où les larges coupoles sur pendentifs atteignent 12.50m de diamètre.
Ainsi, les pays d’Ouest semblent particulièrement sensibles à ce type de voûtement,
spécialement dans les années 1100-1130. Ces coupoles nécessitent une main d’œuvre
qualifiée, circulant peut-être d’un chantier à l’autre, d’où les ressemblances flagrantes entre
certains édifices comme la cathédrale d’Angoulême et la nef de Fontevrault. Néanmoins en
Bordelais, il semblerait que le voûtement à file de coupoles demeure exceptionnel. Seules
Saint-Philippe d’Aiguille, Sainte-Geneviève de Fronsac et Saint-Emilion de Pleineselve
optent pour cette formule, assez tardivement. À la fin du XIIème siècle, ce type de voûtement
se fait de plus en plus rare tandis que les voûtes d’ogives priment peu à peu.
La coupole est fréquemment choisie pour le voûtement de la croisée du transept,
espace souvent magnifié par la mise en place d’une tour, d’un clocher nécessitant d’être
soutenu par un voûtement puissant. Concernant l’abbatiale clunisienne de Déols en Berry,
cœur de la principauté de Déols, marche avancée de l’Aquitaine tournée vers les pays d’Ouest
et le sud, il existe probablement une coupole à la croisée du transept dont il ne reste
malheureusement aucun vestige2113. Dans le diocèse de Limoges, cette solution est fréquente
et montre une alternance entre des coupoles sur trompes et sur pendentifs [Fig. 930]. Les
2112
A. MUSSAT, op. cit., p. 40.
J. HUBERT, « L’abbatiale Notre-Dame de Déols », dans J. HUBERT, Nouveau recueil d’études
d’archéologie et d’histoire. De la fin du monde antique au Moyen-Âge, Droz, Paris, Genève, 1985, p. 361-424.
2113
- 778 -
pendentifs sont néanmoins nettement plus nombreux (environ 70% des coupoles). Certaines
coupoles peuvent également adopter une forme octogonale. C’est le cas au Chalard, à SaintRobert et à Dournazac où la coupole octogonale présente des pendentifs [Fig. 940]. À
Uzerche, la travée sous clocher dispose également d’une coupole octogonale sur pendentifs
(second quart XIIème siècle). La coupole de croisée de Saint-Junien est à pans coupés et
repose sur des pendentifs. À Lesterps et Sagnat, la coupole octogonale de croisée est sur
trompes. Nous pouvons remarquer la présence de coupoles sur pendentifs à Maisonfeyne, les
Salles-Lavauguyon, Chambon-sur-Voueize, Brive et le Dorat. À Saint-Léonard de Noblat, la
croisée est voûtée d’une coupole sur pendentifs, de même que les bras du transept. À
Collonges, la travée sous clocher est voûtée d’une coupole sur pendentifs [Fig. 941]. Cette
travée est limitée par quatre arcs outrepassés aux claveaux étroits, reposant sur des piédroits
rectangulaires surmontés d’impostes à cartouche. Ces éléments ainsi que des chapiteaux au
tailloir large et ornementés d’entrelacs vont dans le sens d’une datation du milieu du XIème
siècle2114. Au Moutier d’Ahun, la coupole de croisée est sur trompes. Ce goût pour la coupole
se prolonge aux prémices du gothique. À la fin du XIIème siècle, l’église d’Azat-Le-Ris se
dote d’une tour de croisée octogonale reçue par une coupole sur pendentifs. La nef voûtée en
berceau est un témoin supplémentaire de la persistance de certaines formules romanes dans le
cadre du premier gothique.
Les coupoles correspondent souvent au voûtement d’une tour-porche. Ainsi, la salle
haute des tours-porches du diocèse de Limoges disparaît fréquemment « au profit d’un
voûtement par une coupole que le berceau principal prolonge sans grande rupture ». C’est le
cas au Dorat (vers 1140-1160), à Bénévent (vers 1165), Saint-Junien (vers 1160-1170) ou
encore la Souterraine (vers 1170). Le système de la tour-porche, très fréquent en Limousin, ne
trouve cependant pas de pérennité chez les moines cisterciens. Sa présence dans un grand
nombre d’édifices s’explique par des raisons liturgiques et politiques (volonté de surenchère,
expression d’un prestige), une nécessité d’assurer le succès des pèlerinages, préoccupation qui
n’existe pas chez les cisterciens. La tour-porche de Tulle est ainsi à mettre en relation avec les
ambitions et la volonté hégémonique de son abbé Géraud d’Escorailles, à l’origine des
sanctuaires de Rocamadour. Claude ANDRAULT-SCHMITT fait remarquer la similitude des
modes de construction avec ceux d’Obazine, témoignant « d’échanges mutuels » autour des
années 11802115.
2114
É. PROUST, La sculpture romane en Bas-Limousin…, op. cit., p. 258-263.
C. ANDRAULT-SCHMITT, « Le succès des tours-porches occidentales en Limousin (XIème-XIIème
siècles) », dans C. SAPIN (dir.), Avant-nefs et espaces d’accueil…, op. cit., p. 233-250.
2115
- 779 -
Dans l’actuel département de la Dordogne, sur les cantons appartenant anciennement
au diocèse de Limoges (Nontron, Bussière-Badil, Excideuil, Lanouaille) là où s’implantent les
moines de Dalon, un certain nombre d’édifices présente des coupoles, parfois situées sur la
travée droite du chœur : c’est le cas à Saint-Paul de Reilhac, Saint-Étienne de Javerlhac,
Saint-Étienne de Lussas, Saint-Martin-Le-Pin et Saint-Cyr-Les-Champagnes. Au début du
XIIème siècle, l’église de Bussière-Badil se dote également d’une coupole sur trompes à la
croisée du transept. Ainsi, le paysage où s’implantent les moines de Dalon, Boschaud et
Peyrouse est parsemé d’églises à coupoles, qu’elles soient de croisée, de chœur ou sur les nefs
uniques2116.
La coupole n’est pas un voûtement rare pour les croisées des abbayes cisterciennes. La
carte établie sur l’ensemble de la France permet de remarquer la concentration des coupoles
de croisée dans la moitié sud et plus particulièrement en Aquitaine [Fig. 931]. C’est le cas des
abbayes de Bonlieu, Obazine, Boschaud, Grosbot, Cadouin, Bonnevaux et Beaulieu en
Aquitaine, Mazan, Léoncel et Sénanque au sud-est. Nous pouvons constater que nombre de
ces édifices sont d’anciennes fondations érémitiques de Géraud de Sales telles Bonlieu,
Boschaud, Cadouin et Bonnevaux. Géraud est l’initiateur d’un des plus importants
mouvements érémitiques aquitains. Nous avons déjà eu l’occasion de constater que ces
mouvements sont plutôt tournés vers des formules romanes traditionnelles comme la nef
unique et le chevet plat que vers des novations comme le déambulatoire à chapelles
rayonnantes. Le goût pour les coupoles peut entrer dans cette dynamique, cette volonté
d’ancrer de nouvelles fondations dans une tradition architecturale afin d’asseoir une légitimité
qui ne va peut-être pas de soi.
2. Répertoire de motifs et éléments de décors sculptés :
Plus que réellement novateurs, les cisterciens savent puiser leur inspiration dans les
créations antérieures et s’ancrent ainsi dans une tradition monastique ancienne, souvent
carolingienne. Par bien des aspects – et il semblerait que leur choix de décor en soit une
illustration supplémentaire – l’ordre de Cîteaux se montre conservateur et trouve peut-être une
certaine légitimité dans ces citations d’un passé monastique glorieux.
•
Manuscrits romans. De Saint-Martial aux vitraux et pavements
cisterciens :
Dans son ouvrage sur les vitraux en grisaille cisterciens, Helen ZAKIN fait état des
inspirations des maîtres verriers et des héritages ayant conduit à l’élaboration de motifs
2116
J. SECRET, « Les églises de Dordogne de l’ancien diocèse de Limoges », BAHP, T 79, 1952, p. 220-259.
- 780 -
spécifiques. Pour l’historienne de l’art, les motifs des vitraux sont pour grande part inspirés de
la sculpture romane et des manuscrits des grandes abbayes, des entrelacs et feuillages ornant
les corbeilles aquitaines. Les entrelacs, largement repris dans les vitraux et pavements
cisterciens, sont très répandus au cours du haut Moyen-Âge, tant dans les manuscrits que dans
la sculpture mobilière. L’essor de ce décor sur les corbeilles sculptées est caractéristique des
années 1060-1070, particulièrement dans le sud du Massif Central mais trouve visiblement
des prolongements jusqu’aux frontières du gothique2117.
Elle distingue deux types de motifs, géométrique ou végétal. Ainsi, les vitraux de
l’abbatiale d’Obazine, qu’elle date de 1175 environ, présentent un décor de croix placées en
diagonale, des entrelacs bordés de losanges, des cercles entrelacés, ou encore des palmettes,
relativement similaires à celles du vitrail conservé de l’abbatiale de Bonlieu, même si à
Obazine les palmettes pointent toutes dans la même direction [Fig. 530]. À Bonlieu, dans les
années 1200, des vitraux sont installés dans le chœur, vraisemblablement en lien avec la date
de consécration (1232) [Fig. 167]. Un vitrail a été découvert, orné de cinq palmettes orientées
dans différentes directions. Des vitraux similaires ont été découverts à la Bénissons-Dieu
(com. La Bénissons-Dieu, Loire), Pontigny (com. Pontigny, Yonne, vers 1210), Noirlac (com.
Saint-Amand-Montrond, Cher, vers 1185) et la Chalade (com. Lachalade, Meuse).
Helen ZAKIN constate par ailleurs que les motifs représentés sont également
fréquemment utilisés pour les lettres enluminées des manuscrits ou les carreaux de pavement.
Ainsi, un même motif peut apparaître plusieurs fois dans le même édifice. À Pontigny, les
vitraux en grisaille sont ornés d’entrelacs ou de végétaux très similaires aux motifs des
carreaux de pavement2118. Cette unification du décor pourrait s’expliquer par l’existence d’un
répertoire de motifs circulant d’abbayes en abbayes, ou par la mobilité d’artisans spécialisés.
Par ailleurs, l’usage de pavements dans les édifices monastiques est fréquent dès l’époque
romane. Magali ORGEUR précise que les sols décorés se rencontrent principalement dans les
espaces magnifiés (chœur) de riches abbayes bénédictines, et surtout clunisiennes. C’est le cas
à Paray-Le-Monial2119.
Les motifs cisterciens peuvent être issus de plusieurs sources relativement aisément
identifiables. Certaines mosaïques romaines témoignent de décors similaires, telles les
palmettes et croix mêlées de la mosaïque de la Villa Hadriana à Tivoli, relativement proches
2117
É. VERGNOLLE, op. cit., p. 133.
H. J. ZAKIN, French Cistercian Grisaille Glass, Garland, New-York/London, 1979, p.2 ; T. N. KINDER,
« Pontigny » dans T. KINDER (dir.), Les cisterciens dans l’Yonne, « Les Amis de Pontigny », Pontigny, 1999, p.
85-96.
2119
M. ORGEUR, « Les carreaux de pavement décorés dans les abbayes cisterciennes de l’Yonne », dans T. N.
KINDER (dir.), Les cisterciens dans l’Yonne, op. cit., p. 41-47.
2118
- 781 -
des décors d’Obazine. Il existe également des similitudes avec les entrelacs celtiques, tels
ceux du Livre de Kells, peut-être connus grâce à l’abbé Étienne Harding, anglo-saxon
d’origine. Le Livre de Kells, ou Grand Évangéliaire de Saint-Colomba, est un manuscrit
illustré de motifs essentiellement ornementaux, réalisé vers l’an 800, contenant les quatre
évangiles du Nouveau Testament2120. Néanmoins, les motifs cisterciens sont simplifiés et
moins confus que ces enluminures. Des références à la sculpture lombarde peuvent également
expliquer la récurrence des entrelacs et des palmettes. L’auteur évoque des références aux
motifs mérovingiens des mosaïques, ivoires et manuscrits, aux motifs carolingiens de cercles
entrelacés. Enfin, elle met en lumière le recours à des créations romanes. Les cercles
entrelacés peuvent évoquer certains bas-reliefs de Saint-Guilhem-le-Désert, comme l’autel de
saint Guilhem et ses entrelacs floraux. Les losanges sont de même très présents sur les
carreaux de pavement de Saint-Benoît-sur-Loire. D’autres motifs peuvent rappeler la
mosaïque de Saint-Sever (Landes, XIème siècle). Pour Helen ZAKIN, la forte présence de
motifs floraux pourrait se justifier par des références bibliques au printemps et à la
Résurrection, ou encore à l’Arbre de Jessé2121.
À Obazine, les carreaux de pavement découverts révèlent des feuilles grasses pouvant
évoquer certains manuscrits ou même certaines corbeilles sculptées fréquentes en Aquitaine
[Fig. 529]. Les palmettes sont aussi un motif récurrent et ressemblent bien à celles des vitraux
de grisaille mis en place dans l’abbatiale. Les motifs d’entrelacs et de treillis ne sont pas rares
et rappellent certaines enluminures de Saint-Martial, ou même des décors de chancels. Ce sont
ces motifs floraux et géométriques qui dominent.
Les manuscrits de l’époque romane sont aussi une source d’inspiration privilégiée.
Ainsi, les Bibles de Saint-Martial de Limoges peuvent être à l’origine d’un certain nombre de
motifs. La proximité du centre épiscopal et de certains monastères cisterciens du diocèse de
Limoges (Boeuil, Le Palais) a pu faciliter les échanges et interpénétrations. Le rayonnement
de Saint-Martial s’étend de plus jusqu’en Angoumois et Saintonge. Des liens spirituels
existent avec divers monastères comme Saint-Denis et Cluny, de même qu’avec certains
scriptoria de la vallée de la Loire (Tours). Les relations avec l’art ottonien et l’Espagne sont
accentuées suite à l’affiliation à Cluny2122. Les thèmes romans de la première Bible de SaintMartial, datés du dernier tiers du IXème siècle sont mis en exergue par Denise GABORIT2120
L’abbaye de Kells est située dans le comté de Meath en Irlande. Ce manuscrit est conservé au Trinity College
de Dublin (ms 58).
2121
H. J. ZAKIN, op. cit., p. 93 et 155.
2122
D. GABORIT-CHOPIN, La décoration des manuscrits à Saint-Martial de Limoges et en Limousin du IXème
au XIIème siècles, Droz, Paris, Genève, 1969, p. 24.
- 782 -
CHOPIN. Elle relève la présence fréquente de rinceaux de vigne à gros fleuron central, de
rinceaux habités, de grecques, de feuilles d’acanthe. Les lettrines révèlent une tendance
aniconique. Elles sont simplement décorées de motifs ornementaux et la figure est quasi
inexistante. Au début du XIème siècle, l’auteur fait état d’un « style aquitain » se développant
à Limoges, consistant en des « entrelacs très déliés, groupés par paquets, réservés presque
toujours sur des fonds de couleurs et terminés par de larges palmettes aux feuilles lancéolées,
peu ou point nervées, dont les extrémités donnent naissance à de nouvelles branches
d’entrelacs ».
La seconde Bible est illustrée dans la seconde moitié du XIème siècle et le début du
XIIème siècle. Son succès en Aquitaine ne se dément pas jusque dans le début du XIIème
siècle, particulièrement sous l’abbatiat d’Adémar, premier abbé clunisien. Les enluminures se
dotent alors de palmettes, d’un bestiaire varié, de lettrines historiées 2123. Ce sont surtout ces
palmettes que les moines cisterciens vont reprendre à leur compte dans leurs vitraux en
grisaille.
Le décor de palmettes doit de fait beaucoup à l’enluminure et va trouver des
prolongements sur certains carreaux de pavement et vitraux d’Obazine et de Bonlieu, mais
aussi en sculpture. Nous le retrouvons sur les chapiteaux conservés de l’abbatiale SaintMartial, avec une alternance de palmettes trilobées et de hautes feuilles d’acanthe, similaires
aux décors des grands chantiers poitevins du XIème siècle comme Notre-Dame La Grande et
Sainte-Radegonde de Poitiers ou Saint-Savin2124. Évelyne PROUST fait état dans les années
1110-1115 d’une relation entre des corbeilles du chœur de Beaulieu et certains motifs
feuillagés des manuscrits de Saint-Junien et de Saint-Martial. Il n’est ainsi pas rare que les
sculpteurs puisent dans un répertoire de motifs issus des enluminures des grandes Bibles
illustrées.
Nous pouvons interpréter les inspirations cisterciennes de la même manière : les
artisans ayant produit les vitraux et carreaux de pavements de certaines abbatiales
cisterciennes connaissent vraisemblablement les manuscrits de Saint-Martial par exemple, et
ont pu y puiser leur inspiration. Ainsi, les cisterciens semblent trouver leurs motifs dans un
passé commun, qu’il soit mérovingien, carolingien ou roman, parfois même issu d’OutreManche par l’intermédiaire du troisième abbé de Cîteaux, Étienne Harding.
•
Décors sculptés romans : chapiteaux, tailloirs et bases :
2123
D. GABORIT-CHOPIN, op. cit., p. 61.
É. PROUST, « Les chapiteaux de l’abbatiale : épaves d’un décor sculpté », dans C. ANDRAULT-SCHMITT
(dir.), Saint-Martial de Limoges…, op. cit., p. 241-279.
2124
- 783 -
Outre les vitraux et carreaux de pavement, les chapiteaux feuillagés peuvent également
trouver leur origine dans un répertoire roman. Si la figure semble presque complètement
bannie des édifices cisterciens, les feuillages sont par ailleurs fréquents chez les moines
blancs. Ce succès du décor végétal n’est pas une nouveauté et est très présent dès le XIème
siècle en Normandie (simplicité des corbeilles, schématisation du décor végétal) et dans les
pays d’Ouest. Pour Éliane VERGNOLLE, cette fortune du chapiteau ornemental est
particulièrement remarquable dans les années 1060-1090 et prend la forme de palmettes, de
feuilles lisses et de rinceaux2125. Le recours fréquent aux feuilles lisses peut être interprété
comme un souci d’économie dans l’exécution – comparé aux complexes corbeilles
corinthiennes – mais aussi comme une recherche certaine de monumentalité. Quant aux
palmettes et entrelacs, l’engouement dont ils sont l’objet tient peut-être à l’essor d’un
répertoire ornemental similaire dans l’enluminure aquitaine.
Marie-Thérèse CAMUS remarque dès 1070-1090 à Sainte-Croix de Loudon une
sculpture très dépouillée, des feuilles lisses qui sont peut-être les prémices de l’ornementation
qu’adopteront Robert d’Arbrissel et les cisterciens. En effet, le décor végétal semble trouver
son plein épanouissement dans le chœur de Fontevrault et l’art cistercien [Fig. 1031 et 1032].
Jacques MALLET constate en Anjou une sobriété générale de la sculpture au début du
XIIème siècle avec la présence de feuilles d’eau, puis une évolution dans le second quart de
ce même siècle vers plus de richesse. Ce contraste est sensible entre le chœur et la nef plus
récente de Fontevrault, beaucoup plus ornée. Les décors sont rythmés, parfois confus, très
fleuris et témoignent d’emprunts aux espaces méridionaux. Ainsi, entre 1125 et 1150,
Fontevrault, La Roë, Saint-Florent de Saumur, Cunault ou encore Saint-Aubin d’Angers
adoptent une décoration plus chargée2126. Ce dernier exemple est particulièrement intéressant
car il allie les deux tendances. En effet, Jacques MALLET explique que les arcades entre le
cloître et la salle capitulaire présentent des disparités décoratives. Les supports les moins
visibles sont ornés de simples chapiteaux à feuilles d’eau tandis que les plus accessibles
témoignent d’une certaine « fantaisie végétale », d’une surcharge décorative. La porte de la
salle capitulaire dispose par ailleurs de voussures et de colonnes ornées de chevrons et de
spirales. La porte du réfectoire emploie des chapiteaux à palmettes grasses (vers 1180)2127.
Outre la présence de feuilles lisses, la sculpture romane des pays d’Ouest adopte
également très fréquemment des corbeilles ornées de feuilles grasses. Marie-Thérèse CAMUS
décrit « des tiges épaisses et souples », des « feuilles à folioles arrondies », comme « gonflées
2125
É. VERGNOLLE, op. cit., p. 185.
M- T. CAMUS, op. cit., p. 249 ; J. MALLET, op. cit., p. 139 et 159.
2127
J. MALLET, op. cit., p. 139.
2126
- 784 -
de sève », parfois associées aux volutes du chapiteau corinthien, à des masques, lions ou
figures monstrueuses, ou à des fréquents entrelacs. Ainsi en Poitou se distinguent des
corbeilles corinthiennes reprenant l’épannelage antique avec plus ou moins de libertés, des
chapiteaux à feuilles grasses, des corbeilles à feuilles lisses ou des chapiteaux nus. Ces
feuillages luxuriants sont pour bonne part issus des enluminures ou de plaques d’ivoire, tels
les ivoires carolingiens d’ateliers de Lotharingie (seconde école de Metz). Les manuscrits de
Saint-Martial de Limoges peuvent également constituer une source d’inspiration, avec un
décalage toutefois puisque certaines enluminures sont réalisées dès le dernier tiers du IXème
siècle. L’historienne de l’art insiste sur la transmission de ces corbeilles vers le Limousin et
l’Auvergne, au sein d’édifices tels Menat, Évaux, Gannat ou Royat2128.
À Beaulieu-sur-Dordogne, les chapiteaux de la nef présentent généralement une
imbrication d’un volume conique et pyramidal, assez similaire aux chapiteaux du chœur de la
cathédrale de Cahors ou de certaines églises du Haut-Quercy [Fig. 929]. Pour Évelyne
PROUST, la nef de Beaulieu peut relever des années 1120-1130, après l’achèvement du
chœur de la cathédrale de Cahors2129. D’autres chapiteaux se dotent de palmettes et de feuilles
grasses, évoquant parfois les modèles corinthiens par l’adjonction de crosses angulaires et
d’hélices. Des corbeilles similaires se retrouvent à Uzerche. À Brive, les chapiteaux des
chapelles latérales sont ornés de feuilles d’acanthe et de palmettes, assez similaires aux
corbeilles de Saint-Sernin de Toulouse ou de Conques pour la fin du XIème siècle2130. Le
prieuré casadéen de Saint-Robert est doté d’un chœur à déambulatoire et chapelles
rayonnantes. Les colonnes du rond-point sont surmontées de chapiteaux à feuilles grasses
tandis que les scènes historiées couvrent les corbeilles à l’entrée des chapelles.
Les monastères cisterciens étudiés n’ont guère révélé de chapiteaux semblables, mais
notre corpus reste cependant incomplet face à la disparition partielle de certains sites (Valette,
Derses, Aubepierres, Aubignac, Boeuil).
Concernant l’étude des chapiteaux feuillagés cisterciens dans les pays d’Ouest, la
thèse de Stéphanie FOUCHER est une base de travail riche et enthousiasmante. Celle-ci
déplore le peu d’études sur le répertoire sculpté cistercien d’inspiration végétale n’ayant guère
suscité les débats et analyses chez les historiens de l’art2131.
2128
M -T. CAMUS, op. cit., p. 150 et 256.
A-M. PECHEUR, É. PROUST, « Beaulieu-sur-Dordogne, abbatiale Saint-Pierre », dans Monuments de
Corrèze, op. cit., p. 86-103.
2130
É. PROUST, La sculpture romane en Bas-Limousin…, op. cit., p. 48 ; p. 243-254.
2131
S. FOUCHER, Le décor sculpté cistercien dans l’ouest de la France, XIIème-XIVème siècles, Thèse sous la
direction de C. ANDRAULT-SCHMITT, CESCM, Poitiers, 2003, vol I, p. 16.
2129
- 785 -
Elle constate la diversité de l’ornementation végétale, des types de composition qui ne
sont pas stéréotypés, remettant en cause l’idée souvent avancée de formes cisterciennes
« types » reproduites telles quelles d’abbayes en abbayes. Toutefois, elle évoque un point
commun qui semble caractériser le décor sculpté cistercien. Il s’agit d’une retenue, d’une
réserve certaine dans le choix et le traitement des feuillages. La sobriété de motifs qui
n’acceptent pas la figure est en rapport avec la vocation utilitaire des salles qui les renferment.
Nous les rencontrons en effet souvent dans les réfectoires (Obazine), les salles capitulaires
(clés de voûte de la salle capitulaire de Dalon) et celliers.
Pour l’auteur, les cisterciens se placent à la transition entre une flore romane où
l’influence du chapiteau corinthien est encore tangible et où les feuilles d’eau s’épanouissent
et une flore gothique qui tend à la monumentalité, à une flore « générale » qui admet parfois
des crochets, des fruits ou des boutons floraux (chapelles occidentales du transept de Dalon,
vers 1220-1250 [Fig. 253-254]). Ces feuillages gothiques correspondent parfois à un art de
série et se réduisent à des sculptures rudimentaires, stéréotypées. La taille est ainsi
relativement rapide, le travail répétitif et simplifié au maximum. Là encore, le souci
d’économie et de simplicité est présent.
Les cisterciens s’inscrivent ainsi dans un mouvement de simplification amorcé dès la
période romane. Les abbayes cisterciennes des pays d’Ouest ne seraient alors pas vraiment
novatrices, mais plutôt héritières de formules sculptées romanes. La flore cistercienne serait le
plus souvent en « retard » par rapport aux créations contemporaines non cisterciennes. Les
moines blancs copient des répertoires sculptés antérieurs, ce qui peut être interprété comme
une « recherche de la facilité », ou peut-être aussi une volonté de s’ancrer dans un paysage
artistique aquitain, un choix délibéré de formes largement connues de leur aire d’implantation.
Trouvent-ils une légitimité dans ces motifs récurrents ? Pour l’historienne de l’art, les moines
cisterciens semblent identifier le conservatisme de ces formes romanes à la sobriété et la
mode au luxe2132. Cette démarche serait ainsi cohérente avec une volonté fortement exprimée
d’austérité dans les premiers temps de l’ordre.
Cette prédominance des motifs végétaux peut revêtir une symbolique forte, au même
titre que les scènes historiées, ce qui permettrait de revaloriser des corbeilles souvent ignorées
des études stylistiques cisterciennes. Ce thème n’a été que peu abordé par l’historiographie
contemporaine. Un article de K. BIALOSKORSKA s’attache toutefois à l’analyse des motifs
végétaux des abbayes cisterciennes polonaises et peut apporter quelques éléments de
2132
S. FOUCHER, op.cit, vol I, p. 91.
- 786 -
réflexion2133. L’auteur constate que le monde végétal domine dans les nefs comme celle de
Wachock, qu’il s’agisse de feuilles lisses, de palmettes, d’acanthes. Pour elle, la flore et les
arbres ont un sens symbolique et correspondent à une évocation du Paradis. Les salles
capitulaires en particulier sont considérées comme un espace où tout doit rappeler et certifier
la promesse de la vie éternelle. L’Éden est donné en récompense à tous ceux qui restent
fidèles à l’évangile du Christ. Les motifs feuillagés y sont donc fréquents. C’est le cas
également dans nombre d’abbayes des pays d’Ouest comme le monastère de l’Étoile dans le
diocèse de Poitiers, fondé en 1145 et affilié à Pontigny. La salle capitulaire édifiée au début
du XIIIème siècle dispose de chapiteaux à feuilles plates 2134. Toutefois, les programmes
iconographiques semblent plus complexes dans ces monastères de Pologne et acceptent
également des motifs zoomorphes et des représentations figurées. Les salles capitulaires en
particulier se dotent d’un bestiaire fantastique. À Sénanque, un diable grimaçant est sculpté en
face du chapitre et doit être compris comme une sorte de mise en garde aux moines turbulents.
Pour l’auteur, les créateurs de ces programmes iconographiques appartenaient sans doute au
monde monastique et devaient disposer de bonnes connaissances théologiques.
Cette prédominance des motifs végétaux dans les abbayes cisterciennes du diocèse de
Limoges et de ses marges ne pourrait-elle pas symboliser une victoire sur le saltus dans lequel
les moines cisterciens s’insèrent ? Le fait de représenter ces végétaux étalés sur des corbeilles
et les culots pourrait être une manière de montrer leur mainmise sur les mondes végétaux, sur
les friches et les marais qui recouvrent leurs terres et qu’ils apprennent peu à peu à maîtriser.
Ces corbeilles pourraient évoquer la mise en valeur d’un saltus qui bientôt pourra devenir
ager comme en témoigne une enluminure des Moralia in Job présentant deux moines
cisterciens coupant un arbre [Fig. 28]2135. Ils apparaissent tels des défricheurs maîtrisant les
forces de la nature. Outre la représentation d’un paradis, d’un Éden Céleste, les feuillages qui
décorent les corbeilles feraient peut-être directement référence aux paysages dans lesquels
s’installent les moines aux premiers temps de l’ordre, ces terres souvent incultes et parfois
encore recouvertes de friches et de marais. Nous avons abordé dans une première partie
l’idéal « pionnier » de cisterciens déterminés à faire reculer le saltus et ainsi les dernières
2133
K. BIALOSKORSKA, « Le caractère et les idées du décor sculpté architectonique des monastères
cisterciens polonais du XIIIème siècle et sa position en regard des traditions et de la spiritualité de l’Ordre »,
dans M. DERWICH (dir.), La vie quotidienne des moines et chanoines réguliers au Moyen-Âge et Temps
Modernes, LARHCOR, Ier colloque international de Wroclaw, 1994, Wroclaw, 1995, vol 2, p. 615-649.
2134
C. ANDRAULT-SCHMITT, « Églises cisterciennes du Poitou », Revue Historique du Centre Ouest, T I,
Société des Antiquaires de l’Ouest, Poitiers, 2004, p. 9-103.
2135
Saint-Grégoire le Grand, Moralia in Job, Cîteaux, début XIIème siècle, ms 170, fol. 59, Dijon, Bibliothèque
Municipale.
- 787 -
terres où certains cultes profanes (Saint Sylvain) tendent à persister. L’acte de défricher 2136
peut être compris comme une victoire du christianisme, une « humanisation » de terres en
friches qui peut trouver son expression au sein de ces végétaux sculptés, coupés et donc
maîtrisés. Mireille MOUSNIER appuie cette interprétation dans son étude de l’abbaye de
Grandselve présentant des corbeilles ornées de feuilles de fougères, de feuilles disposées en
arêtes de poisson le long d’une tige droite, de feuilles lisses et nervées à limbe découpé [Fig.
942]. Elle rappelle que ces terres en friches sont tout de même utilisées pour une économie de
cueillette. Les cisterciens ne négligent pas cet aspect agreste de la nature et l’un des signes de
leur intérêt est justement la décoration des chapiteaux. Dans un style sobre et dépouillé, ce ne
sont pas les travaux de tous les jours qui sont représentés mais les végétaux témoignant d’un
certain sens de l’observation s’alliant à une connaissance profonde de leur environnement.
Saint Bernard écrivait d’ailleurs : « les arbres t’apprendront davantage que les livres »2137.
À Cîteaux, les sculpteurs tendent alors naturellement à l’abandon des thèmes historiés
au profit de motifs végétaux souvent répétitifs, issus d’un vocabulaire déjà largement maîtrisé
à l’époque romane.
Le dépôt lapidaire de Prébenoît a livré un chapiteau feuillagé pouvant appartenir au
cloître médiéval du premier tiers du XIIIème siècle [Fig. 357]. Sa corbeille peu évasée est
ornée de motifs végétaux, au niveau des arêtes et au centre de chaque face de celle-ci. Les
feuilles peuvent être couplées, excepté celle de la face principale qui est triple. Les feuilles
très fines et délicates sont stylisées, simplifiées. À l’abbaye de la Colombe, un petit chapiteau
de calcaire est remployé dans la façade d’une maison d’habitation, présentant des feuilles
simplifiées ainsi que des crosses végétales aux angles qui donnent naissance à des boules [Fig.
680]. Là encore, les feuilles sont bien peu naturalistes (vers 1200-1220). À Bonnaigue, des
chapiteaux à boules sont observables au pigeonnier de Beauregard d’Ussel. Des feuilles lisses
se recourbent en simples boules lisses et semblent correspondre à une datation des années
1200-1220 [Fig. 419]. Le même type de corbeille est conservé à Aubepierres où des
chapiteaux en frise ornés de boules sont remployés dans la façade d’un bâtiment
d’exploitation moderne [Fig. 627]. Le granite ne permet toutefois pas la même délicatesse que
le calcaire fin requis à la Colombe. La présence des boules s’inscrit bien dans ces nouvelles
formulations gothiques qui pénètrent dès la fin du XIIème siècle dans ces zones de marges
2136
Même s’il reste bien souvent restreint au futur emplacement des bâtiments monastiques et ne prend pas
l’ampleur des défrichements laïcs du XIIIème siècle.
2137
M. MOUSNIER, L’abbaye de Grandselve et sa place dans la société et l’économie méridionales, XIIèmedébut XIVème siècles, thèse de doctorat sous la direction de Pierre Bonnassie, université de Toulouse Le Mirail,
1982, p. 184.
- 788 -
forestières. La disposition en frise de ces feuillages irait dans le sens d’une datation des
années 1220-1250.
Nous retrouvons ces chapiteaux à boules à Grandmont, Dalon ou encore Saint-Yrieix à
la même époque. Un chapiteau à boules de la celle de Grandmont est conservé au musée
municipal de Limoges. L’astragale est bien renflé, les feuilles lisses séparées par une nervure
médiane se recourbent en boules (vers 1200). Le tailloir épais ne présente pas de
modénatures.
À Dalon, les chapelles occidentales du bras du transept conservé présentent de très
beaux chapiteaux dont les feuilles se terminent en boules, elles-mêmes recouvertes de
coquilles [Fig. 263]. Certaines feuilles lisses sont prolongées par trois boules dont les tiges
épaisses sont parfaitement moulurées. Les feuillages sont disposés en frise (1220-1250).
Les cisterciens ne sont ainsi pas étrangers à ce mouvement de renouvellement des
créations artistiques et contribuent peut-être à faciliter la pénétration de ces formes gothiques.
Toutefois, ces chapiteaux à boules sont redevables d’un répertoire sculpté roman. En effet, les
chapiteaux à « feuilles engainantes et bourgeons terminaux » de Beaulieu-sur-Dordogne
préfigurent ces crochets et boules gothiques (vers 1190-1200)2138.
Les feuillages cisterciens sont souvent réduits à l’essentiel et peuvent être appréhendés
comme des simplifications de l’acanthe corinthienne ou des feuilles grasses poitevines
romanes. Les formulations sont plus sobres et dépouillées, épurées, mais sont bel et bien
redevables des créations romanes.
Outre ces chapiteaux, d’autres choix décoratifs cisterciens témoignent d’héritages
romans aquitains. Là encore, l’abbatiale de Boschaud aux marges du diocèse de Périgueux est
l’exemple le plus flagrant de ce maintien des décors romans. Dans la salle capitulaire
conservée, les baies ouvrant à l’est sont encadrées de colonnettes reposant sur des bases
sculptées et surmontées de tailloirs également ornementés [Fig. 230 et 231]. La baie la plus au
nord présente en effet une mouluration torique reposant sur des colonnettes surmontées de
chapiteaux lisses et de bases au profil classique, mais ornées de motifs en dents de scie. La
baie centrale similaire présente des chapiteaux au tailloir orné de zig-zag. Les bases sont
quant à elles soulignées de dents de scie. La baie la plus au sud est surmontée d’une archivolte
reçue par un petit motif feuillagé. Les chapiteaux lisses disposent également de tailloirs en
zig-zag. Le socle des bases présente lui aussi ce motif tandis que le tore inférieur est dentelé.
Ce type de décor est plutôt inhabituel dans un cadre cistercien limousin habitué à plus de
2138
A. PECHEUR, É. PROUST, op. cit.
- 789 -
sobriété, qu’il s’agisse des bases découvertes dans le dépôt lapidaire de Prébenoît ou des
supports de la nef d’Obazine.
Toutefois, le portail de l’abbatiale cistercienne de Valette, remonté à Auriac, dispose
d’une archivolte ornée de damiers et devant se prolonger en cordon le long de la façade [Fig.
605]. Ce motif n’est pas rare dans un cadre cistercien aquitain. La porte occidentale de
l’abbatiale de Flaran (Gers) datée de la seconde moitié du XIIème siècle dispose d’une
archivolte en plein-cintre également ornée de damiers similaires à ceux de Valette. À
Bellaigue dans le Puy-de-Dôme (com. Virlet), l’archivolte en plein-cintre est quant à elle
soulignée de dents de scie [Fig. 832]. À Valmagne (com. Villeveyrac, Hérault), la porte de la
sacristie communiquant avec la galerie est du cloître (seconde moitié du XIIème siècle)
présente un arc au profil en plein-cintre orné d’un décor soigné en dents-de-scie. Ce type de
motifs n’est ainsi pas exceptionnel et semble plutôt se rencontrer en Aquitaine et dans le sud
de la France.
Ces motifs de dents-de-scie, de zig-zag ou de damiers trouvent leur origine dans un
répertoire roman aquitain. Ainsi, l’abbaye du Pré présente des chapiteaux ornés d’entrelacs
dont les tailloirs sont sculptés de dents-de-scie similaires aux motifs de Boschaud. Les
bandeaux d’ogives du chœur de Saint-Martin d’Angers sont décorés de dents-de-scie. À la
Trinité de Laval, certains chapiteaux sont surmontés d’un tailloir orné de dents-de-scie. De
même pour les chapiteaux à feuilles lisses de Saint-Pierre de Saumur dans la seconde moitié
du XIIème siècle. La Maison-Dieu de Coeffort édifiée sous le règne d’Henri II dispose d’un
portail d’entrée orné de chapiteaux dont les tailloirs épais sont décorés de dents-de-scie.
André MUSSAT affirme que cette ornementation issue de la Loire Moyenne « prospère à
Angers entre 1140 et 1180 » et devient habituelle en Anjou. Il semblerait qu’elle se soit
prolongée jusque dans le diocèse de Périgueux et aux marges limousines2139. En effet, un
certain nombre d’édifices du Périgord, proches de l’abbatiale de Boschaud s’ornent de motifs
similaires. Ainsi, le portail occidental de Saint-Martial-de-Valette, à quelques kilomètres au
sud-ouest de Nontron, présente une archivolte décorée de dents-de-scie. Les tailloirs des
chapiteaux sont entièrement sculptés et les voussures couvertes d’un bestiaire. De même à
Saint-Sulpice de Mareuil en Haut Périgord, au sud-ouest de Nontron, où l’archivolte du
portail sud est dotée de dents-de-scie. Le portail méridional de Saint-Martin-Le-Pin, au nordouest de Nontron, accepte les mêmes sculptures ornementales. Ces décors sont également
communs à la Saintonge où se multiplient les larges bandeaux ornés, les tailloirs sculptés de
2139
A. MUSSAT, op. cit., p. 205.
- 790 -
damiers ou de dents d’engrenage. Ainsi, à Doumeray (Anjou) au milieu du XIIème siècle, les
arcs de la nef sont ornés de dents-de-scie et de billettes2140.
Dans le diocèse de Limoges, de tels motifs existent comme à l’abbatiale de Beaulieu.
Le chœur présente des bases relativement atypiques ornées de billettes, de motifs cordés ou de
damiers, encadrées de deux tores (mi XIème siècle) [Fig. 886]. Néanmoins, les bases de la
salle capitulaire, plus récentes (fin XIIème siècle, premier tiers du XIIIème siècle), sont
aplaties et se révèlent plus proches des réalités cisterciennes contemporaines. À Collonges,
certains chapiteaux sont surmontés de tailloirs très débordants présentant un
décor
géométrique sculpté sur le chanfrein droit (fin XIème siècle ?). À Uzerche, les chapiteaux de
la croisée du transept sont vraisemblablement les plus anciens encore en place. Ils sont
surmontés de tailloirs à chanfrein droit sous une gorge comme à Beaulieu, Saint-Junien ou
Chambon (fin XIème-début XIIème siècle). Ainsi, les cisterciens de Boschaud et de Valette
témoignent dans cette seconde moitié du XIIème siècle du maintien de certains motifs
sculptés romans comme les damiers, dents-de-scie, tailloirs et bases ornés, arcs d’applique
animant les parements.
Certains éléments évoquent des habitudes romanes communes à une vaste Aquitaine
dans laquelle s’insèrent les monastères pris en compte dans notre étude, qu’il s’agisse des
plans (nef unique), des voûtements (coupoles) ou de certaines sculptures (chapiteaux, bases,
tailloirs, moulures d’archivolte). Des passerelles peuvent ainsi être établies entre créations
cisterciennes, édifices limousins et pays d’Ouest.
•
Animation des parements : arcs d’applique et profils polylobés :
Un autre témoin de la présence des formes décoratives romanes dans un cadre
cistercien limousin est la volonté d’animer des parements lisses et sans décors par des arcs
aveugles. Le recours à des arcatures murales pour scander des parements est déjà connu de
l’Antiquité Tardive et du haut Moyen-Âge, et trouve des permanences durant le XIème siècle.
Ainsi, les murs de la Daurade de Toulouse ou encore de Saint-Pierre de Vienne sont déjà
recouverts d’arcatures superposées2141. Des continuités existent également au sein
d’architectures plus tardives dans la seconde moitié du XIIème siècle comme en témoigne
l’abbatiale cistercienne de Boschaud.
2140
2141
J. MALLET, op. cit., p. 229.
É. VERGNOLLE, op. cit., p. 105.
- 791 -
Cette église présente en effet des décors d’arcs d’applique, à la fois sur l’abside
principale du chevet et sur la dernière travée de la nef, la seule conservée (parements internes
et externes) [Fig. 196 et 212]. Ces arcs en plein-cintre reposent sur de simples dosserets. Cette
animation des parois est assez exceptionnelle dans un cadre cistercien limousin. Ces choix
décoratifs s’expliquent néanmoins par la proximité d’édifices du diocèse de Périgueux ou
d’Angoumois adoptant de telles arcatures aveugles. C’est le cas de la proche église paroissiale
de Reilhac (com. Champniers-et-Reilhac, Dordogne). Celle-ci se dote d’une abside décorée à
l’extérieur et à l’intérieur d’arcs d’applique. Elle présente également une avant-nef couverte
d’une coupole sur pendentifs, autre disposition romane reprise à Boschaud pour l’ensemble de
la nef et la croisée du transept. Les décors d’arcs aveugles sont très fréquents dès le XIème
siècle en Aquitaine et vont ainsi trouver des prolongements dans certains édifices cisterciens
tel Boschaud.
Ainsi, l’église de Lesterps dans l’ancien diocèse de Limoges est consacrée en 1091. Sa
construction s’est toutefois probablement prolongée jusque dans les années 1140 par
l’édification d’un chœur à déambulatoire et chapelles rayonnantes sous l’abbatiat de
Ramnulphe (1110-1140). Des arcs d’applique sont inscrits sur les murs gouttereaux et
scandent les travées2142. De même, la tour-porche d’Évaux, datée du milieu du XIème siècle,
est animée d’arcades aveugles externes.
Ce type de décor est pérennisé au XIIème siècle. L’abbaye de Saint-Aubin d’Angers
est ornée d’arcatures aveugles au-dessus des grandes arcades de la nef (XIIème siècle). À
Saint-Pierre de Saumur (seconde moitié du XIIème siècle), la nef unique présente dans sa
partie inférieure trois hautes arcatures plaquées en plein-cintre. Ces dispositions se retrouvent
au transept d’Asnières ou encore au Puy-Notre-Dame2143. Jacques MALLET insiste sur le fait
que les chœurs romans angevins sont fréquemment ornés d’arcatures permettant souvent une
certaine luxuriance décorative au milieu du XIIème siècle. Il cite Saint-Charles du Thoureil et
ses arcs d’applique entre des colonnes de fort diamètre. De même, les arcatures aveugles
décoratives de la nef de Notre-Dame de Trèves sont colossales (mi XIIème siècle). Elles n’ont
généralement pas de but structurel mais permettent l’animation des façades et deviennent un
lieu de décor supplémentaire. Les façades à arcatures aveugles n’ont quant à elles que peu de
succès excepté à la Roë, Notre-Dame de Nantilly, Trèves et Chigné2144. Toutefois à Boschaud,
ces arcs d’applique sont nus et ne deviennent pas un prétexte à la sculpture. L’avant-nef de
Déols en Berry, non loin des abbayes de la Haute-Marche intéressant notre étude, dispose
2142
C. ANDRAULT-SCHMITT, Les nefs des églises romanes..., op. cit., T I, p. 32.
A. MUSSAT, op. cit., p. 281.
2144
J. MALLET, op. cit., p. 229 et 249.
2143
- 792 -
d’une chapelle haute ouvrant sur la nef, ornée d’arcatures aveugles reposant sur des piliers
ornementés [Fig. 943]2145.
De nombreux édifices du XIIème siècle dans le diocèse de Limoges présentent ce
décor d’arcades aveugles. Dans son étude sur les chevets des petites églises romanes du
Limousin, Thomas CRESSEIN constate que sur un échantillon de 200 édifices, 50 présentent
des arcades aveugles au niveau du chevet. Les supports sont soit des colonnettes, soit des
pilastres, reposant sur des stylobates, sortes de murs-bahuts supportant les arcatures. Il
explique ce décor par une possible volonté de souligner l’importance du chevet par rapport à
la nef, mais aussi pour des questions architectoniques. En effet, ces arcades permettent de
soutenir efficacement les voûtes du chevet tout en réduisant l’épaisseur des murs2146.
À Solignac, la nef unique est scandée d’arcs aveugles reposant sur une alternance de
colonnes engagées ou de simples culots. Huit arcs par travée supportent une coursière de mihauteur. À l’extérieur, le chevet est composé d’une abside principale pentagonale dont le
niveau supérieur est orné d’arcatures aveugles [Fig. 944]. De même, l’église du Chalard,
pouvant être datée du milieu du XIIème siècle, présente des arcatures murales au niveau de
l’abside principale du chœur et des absidioles2147.
Ces arcs peuvent parfois revêtir une importance structurelle, et pas seulement
décorative. Ainsi, l’église de Saint-Léonard de Noblat conserve d’un premier édifice du
XIème siècle des murs minces, des fenêtres larges aux claveaux étroits. Il devait s’agir à
l’origine d’une vaste nef charpentée. Néanmoins, pour canaliser une foule de pèlerins toujours
plus nombreux, des réaménagements sont nécessaires, telle la construction de collatéraux à
l’approche du sanctuaire. Ainsi, l’église est dotée d’une nef successivement simple puis
tripartite, et d’un chœur à chapelles rayonnantes probablement bâti au milieu du XIIème
siècle. Les travées orientales de la nef relèvent de la fin du XIème siècle, les travées
occidentales des années 1150. Les travées orientales ne peuvent se doter que d’étroits
passages plus que de réels collatéraux. De multiples renforts viennent compenser la minceur
initiale des murs gouttereaux et montrent une parfaite adaptation au monument en place au
XIème siècle. Ainsi, des systèmes d’arcs inscrits et d’étrésillons sont mis en place, tenant lieu
de véritables arcs-boutants intérieurs. Il ne s’agit plus ici d’arcs d’applique simplement
décoratifs, destinés à rompre la monotonie des parements. Les travées occidentales sont donc
dotées d’un système de formerets plaqués contre la paroi, une formule qui se retrouve par
2145
2146
J. HUBERT, « L’abbatiale Notre-Dame de Déols », dans J. HUBERT…, op. cit., p. 361-424.
T. CRESSEIN, « Les chevets plats des petites églises romanes du Limousin », BSAHL, T 127, 1999, p. 51-
78.
2147
X. LHERMITE, « Le prieuré du Chalard. Étude architecturale », BSAHL, T 131, 2003, p. 37-71.
- 793 -
ailleurs à l’église d’Aureil ou encore à Maisonfeyne2148. À Saint-Angel dans les années 1200,
le chœur à sept pans se dote d’un jeu d’arcades plaquées servant à la fois de système décoratif
et de contrebutement. Ainsi, les arcs inscrits constituent parfois plus qu’un décor plaqué.
Cette suite d’arcades peut être considérée comme un réel substitut de bas-côté et permet de
libérer au maximum un espace central restreint ne permettant guère l’adjonction de
collatéraux.
Ces arcs d’applique sont pérennisés dans certains édifices gothiques du diocèse de
Limoges, dans les années 1180-1220. C’est le cas à Azat-Le-Ris et à Bellac où la nef unique
de trois travées est articulée par des pilastres et des arcs d’applique. De même à Saint-Yrieix,
des arcs latéraux aveugles annoncent la présence de bas-côtés pour la première travée de la
tour-porche2149.
Ainsi, certaines formules décoratives romanes aquitaines trouvent des prolongements
dans ce « premier gothique » du diocèse de Limoges, et parfois même au sein des édifices
cisterciens comme en témoigne l’abbatiale de Boschaud, visiblement cohérente avec des
réalités romanes préexistantes dans les pays d’Ouest dès la fin du XIème siècle et la première
moitié du XIIème siècle (nef à file de coupoles sur pendentifs, chœur en trident, arcs
d’applique).
Nous pouvons également constater la persistance de profils polylobés, fréquents à
l’époque romane et semblant se perpétuer dans le « premier art gothique » du Limousin. Il est
néanmoins délicat d’attester leur présence dans un cadre cistercien face à la disparition de la
majorité des portails. Ainsi, certains édifices romans proches des sites cisterciens pris en
compte optent pour des portails polylobés. C’est le cas de l’abbaye de Déols qui dispose d’un
portail polylobé ornant la porte sud de communication avec le cloître. Il est doté de ressauts
polylobés dont les redents se poursuivent sur les jambages [Fig. 945]. L’église de Lubersac en
Corrèze dispose également d’un portail latéral au profil polylobé [Fig. 946].
Concernant les tours-porches limousines gothiques, Claude ANDRAULT-SCHMITT
souligne la récurrence de chapiteaux modestes, de baies soulignées d’un tore et de dessins
polylobés. En effet, la tour-porche de l’église de Meymac est percée d’un portail polylobé au
profil brisé. De même, la tour-porche de l’église de la Souterraine ouvre par un portail
polylobé. Idem concernant Saint-Jean-Baptiste d’Allassac.
2148
C. ANDRAULT-SCHMITT, Les nefs des églises romanes..., op. cit., T II, p. 261.
C. ANDRAULT-SCHMITT, « Le succès des tours-porches occidentales en Limousin (XIème-XIIème
siècles) », dans C. SAPIN (dir.), Avant-nefs et espaces d’accueil…, op. cit., p. 233-250.
2149
- 794 -
Dans un cadre cistercien, les portails polylobés semblent relativement rares. Le dépôt
lapidaire de l’abbaye de Varennes a livré un petit élément de modénature pouvant être liée à
un portail polylobé comme le suggèrent les fins cavets et la forme particulière de la partie
verticale. Un orifice pourrait correspondre à une cavité recueillant un goujon, à savoir une
cheville en fer servant à relier deux pièces de bois, de pierre, ou de métal. Toutefois, aucun
autre fragment semblable n’a été inventorié. Il pourrait aussi bien s’agir d’un élément de
remplage (cloître ?) ou de rose de façade. La proximité de Déols pourrait néanmoins expliquer
ce recours à un profil polylobé dans ce monastère, mais ne suffit pas à attester de source sûre
cette hypothèse [Fig. 787].
Ainsi, il semblerait que les moines cisterciens du diocèse de Limoges et de ses marges
se placent comme les héritiers de nombreuses formules architecturales et décoratives
romanes. Ils s’inscrivent dans une certaine continuité avec l’art roman aquitain alors même
que les formes gothiques s’affirment de plus en plus dans les zones septentrionales dans cette
seconde moitié du XIIème siècle. Le choix fréquent de la nef unique, le recours aux coupoles
de croisée (Grosbot, Bonlieu, Obazine) ou aux files de coupoles (Boschaud), la présence de
certains motifs ornant vitraux et carreaux de pavements (entrelacs, palmettes), la préférence
pour les chapiteaux feuillagés, l’adoption d’arcs plaqués, l’usage de damiers ou de décors en
dents-de-scie montrent la continuité des créations cisterciennes avec des réalités romanes
aquitaines (Saintonge, Poitou, Anjou).
Des cohérences sont également sensibles avec certains édifices du « premier
gothique » du Limousin (La Souterraine, Azat-Le-Ris, Saint-Yrieix, Bellac), montrant des
persistances de certaines formulations romanes jusque dans les années 1180-1220. Abbayes
cisterciennes, édifices paroissiaux ou monastiques du diocèse de Limoges apparaissent parfois
comme héritiers d’un passé roman commun, et l’on peut d’ores et déjà se demander quelle
sera l’acceptation des formes gothiques dans un diocèse paraissant fortement ancré dans des
réalités romanes.
b. Le tournant des années 1180-1220. « Églises-granges », créations hospitalières et
grandmontaines, choix cisterciens.
Le « premier gothique » du diocèse de Limoges émerge dans les années 1180 et se
prolonge jusque dans les années 1220. Il se caractérise par une certaine ferveur dans la
construction puisque de multiples églises paroissiales, des petites chapelles, des
commanderies et des abbatiales cisterciennes sont édifiées. Cette période s’accompagne en
- 795 -
effet d’une poussée démographique non négligeable ayant pour conséquence la multiplication
des lieux de culte. Quant aux cisterciens en Limousin, les années 1180-1220 correspondent
aux dernières phases de construction ainsi qu’à une période d’embellissements due à des
revenus plus importants (acceptation des dîmes, donations encore importantes, domaines
constitués de plus en plus productifs, activités commerciales) et à une plus nette
compromission avec de généreux seigneurs donateurs.
1. Des cisterciens pionniers du gothique ?
Si les cisterciens restent largement tributaires de formules romanes, et ce qu’il s’agisse
du plan choisi (nef unique), du voûtement (coupoles, berceau brisé), de certains décors
(vitraux, pavements, chapiteaux feuillagés, bases, tailloirs, arcs d’applique), nombreux
historiens et historiens de l’art les considèrent néanmoins comme des « pionniers du
gothique ».
Ainsi, dans un article récent, Philippe PLAGNIEUX parle d’une « architecture
innovante et hors du temps » et nomme une partie de sa réflexion « Les pionniers de
l’architecture gothique ». Jacques GARDELLES soutient quant à lui que « l’importance des
cisterciens comme initiateurs de l’art gothique méridional a été comprise depuis
longtemps »2150. Quelles sont les réelles innovations apportées par les moines blancs ? Des
cathédrales gothiques ou des abbatiales cisterciennes, qui est à l’origine du nouvel art de
bâtir ? L’étude des monastères limousins permet-elle de révéler des interpénétrations,
d’étroites relations avec les proches édifices du « premier gothique » ? Sont-ils simplement
des « passeurs » permettant la diffusion d’un certain nombre de formulations innovantes sur
l’ensemble du territoire et à l’étranger2151 ?
•
Cathédrales gothiques et abbatiales cisterciennes. Émulations,
créations, novations :
Les premières voûtes d’ogives semblent apparaître vers 1100 dans le domaine anglonormand, particulièrement à la cathédrale de Durham et à l’abbatiale de Lessay (Manche),
mais aussi en Lombardie à Saint-Ambroise de Milan sous forme de voûtes renforcées par des
nervures massives. Elles apportent une nouvelle solution au problème du voûtement de
vaisseaux de grandes dimensions. Ces premières expériences se caractérisent par des nervures
2150
J. GARDELLES, Aquitaine gothique, Paris, Picard, 1992, p. 22.
P. PLAGNIEUX, « L’architecture cistercienne » dans L’Architecture religieuse médiévale. Art roman et art
gothique, une nouvelle vision, Dossiers d’Archéologie, n°319, janvier-février 2007, p. 81-91.
2151
- 796 -
lourdes, le recours à des murs épais pour résister aux importantes poussées induites par le
tracé surbaissé des croisées d’ogives2152.
Dans le royaume de France, elles font leur apparition vers 1140. Elles sont
relativement différentes des croisées anglo-normandes : le tracé surbaissé disparaît, le profil
brisé est généralisé aux ogives, doubleaux et formerets (Saint-Germer-de-Fly, cathédrale de
Sens). Le contrebutement est assuré par le recours à des contreforts à glacis ou à des arcsboutants. Les ogives s’adaptent alors à la fois aux travées quadrangulaires, mais aussi aux
absides ou aux déambulatoires.
Le domaine Plantagenêt adopte le voûtement d’ogive dans les années 1140 et se révèle
quelque peu différent des réalités du royaume de France. Entre 1140 et 1160 est édifiée la nef
de la cathédrale Saint-Julien du Mans (Sarthe). La nef est voûtée d’ogives de plan carré dont
le bombement est très marqué. De même à la cathédrale Saint-Maurice d’Angers dont la nef
est reconstruite à partir des années 1148. La nef unique de 16m de large, primitivement
charpentée, est revoûtée d’ogives de plan carré, domicales. Des arcs formerets à double
rouleau et des contreforts massifs assurent la stabilité de l’édifice.
Dans le sud de la France, l’ogive reste souvent cantonnée à un seul espace (croisée du
transept par exemple). Les premières expériences concernent la cathédrale de Maguelone dans
les années 1130 (transept). Selon Éliane VERGNOLLE, il s’agit encore d’essais
« épisodiques qui n’affectent pas la conception d’ensemble des édifices »2153.
Ainsi vers 1130-1140, l’adoption de l’ogive se fait plus systématique, au moment où
l’on pense à rebâtir les premières abbatiales de l’ordre cistercien jugées trop modestes pour
l’accueil de communautés monastiques toujours plus nombreuses. Des chantiers s’ouvrent en
parallèle pour de grandes cathédrales ou des abbatiales cisterciennes et vont devenir des
creusets pour les nouvelles expériences de voûtement, de contrebutement et de décor.
Cette étude conduit à interroger de prime abord des exemples septentrionaux, bien
souvent les premiers à initier ces nouvelles techniques liées à l’ogive. Toutefois, nous
n’ignorerons pas pour autant des exemples méridionaux riches en enseignements. Concernant
le diocèse de Limoges, il paraît plus délicat d’établir des comparaisons entre une cathédrale
édifiée relativement tardivement, à partir des années 1273 et des expériences cisterciennes
plus précoces, dès les années 1180 pour le voûtement du réfectoire d’Obazine. Il n’y a pas eu
comme pour de nombreux exemples septentrionaux de réelles émulations entre évêques et
moines blancs, d’où cette nécessité de nous éloigner quelque peu de notre champ
2152
2153
É. VERGNOLLE, L’art roman en France..., op. cit., p. 216-217.
É. VERGNOLLE, op. cit., p. 288 et 298.
- 797 -
d’investigations de départ. Cette digression sur des réalités septentrionales et méridionales
semble néanmoins nécessaire afin de mieux cerner les débuts des formes gothiques et d’en
comprendre ainsi l’apparition et le développement dans le diocèse de Limoges. Cette analyse
est l’occasion de discuter de cette fréquente appellation de cisterciens « pionniers du
gothique ».
L’étude de certaines abbatiales cisterciennes du nord de la France met en exergue
l’amorce d’un premier gothique cistercien qui semble parfois concomitant de l’érection de
certaines grandes cathédrales gothiques (Pontigny dès 1136), et parfois s’en inspire
(Longpont).
L’exemple de l’abbaye de Pontigny (Yonne) paraît relativement édifiant en ce qui
concerne l’apparition des formes gothiques en lien avec la reconstruction d’un monastère jugé
trop modeste face à des effectifs croissants [Fig. 1006 et 1007]. Matthias UNTERMANN la
compare à un premier gothique dans la droite ligne de la cathédrale de Sens, comme en
témoignent les grandes baies au profil brisé, les voûtes d’ogives de la nef édifiées vers 1136
d’après Terryl KINDER, soit près de trente ans avant l’apparition de l’ogive dans les abbayes
cisterciennes du Midi toulousain, bien avant l’érection de la voûte d’ogives du réfectoire
d’Obazine (vers 1180). Il existe ainsi des disparités nettes entre le nord et le sud de la France,
un décalage chronologique indéniable. Le diocèse de Limoges paraît en cela plus
« méridional », « aquitain » que septentrional. La façade occidentale de Pontigny serait quant
à elle achevée plus tardivement, vers 1170. L’abbatiale se dote dans le premier tiers du
XIIIème siècle d’un chœur à déambulatoire et chapelles rayonnantes voûtées d’ogives. Nous
ne sommes pas loin des choix des grandes cathédrales gothiques2154. Le chevet dispose d’une
élévation à deux niveaux : des grandes arcades séparées des fenêtres hautes étroites par une
importante surface murale se substituant aux habituels triforiums et tribunes. Ce nouveau
sanctuaire rappelle de manière flagrante la proche cathédrale de Sens, commencée vers 1135,
quasiment au même moment que l’abbatiale de Pontigny. Quant aux chapelles polygonales,
elles prennent modèles sur la Madeleine de Vézelay, Saint-Denis (chœur achevé vers 1144)
ou encore Saint-Germain-des-Prés (chœur consacré en 1163).
L’abbatiale de Longpont (com. Longpont, Aisne) est quant à elle réédifiée dans le
premier quart du XIIIème siècle [Fig. 947]. Elle est très proche de la cathédrale de Soissons
(chœur achevé vers 1212), témoignant de la perméabilité des édifices cisterciens envers les
édifices gothiques, et particulièrement les cathédrales proches géographiquement. Ici, c’est la
cathédrale qui sert de « modèle » à une abbatiale tardivement rebâtie. Longpont se distingue
2154
M. UNTERMANN, Forma Ordinis..., op. cit., p. 150-152.
- 798 -
toutefois de Soissons par son élévation. À Soissons, les grandes arcades et les larges fenêtres
hautes sont séparées par le triforium, tandis qu’à Longpont, une certaine muralité est affirmée.
Un système d’arcatures aveugles remplace le triforium. Quant aux fenêtres, elles sont de taille
plus modeste. Comme à Pontigny, le triforium n’est pas intégré et est remplacé par un espace
mural, ici néanmoins animé d’arcs d’applique. L’évidement des parois n’est pas de mise, la
muralité encore recherchée, à l’inverse des principes généraux du gothique septentrional,
aquitain.
L’abbatiale de Royaumont (com. Asnières-sur-Oise, Val D’Oise) opte pour un chevet
à déambulatoire et sept chapelles rayonnantes polygonales et se dote d’une élévation à trois
niveaux [Fig. 948]. Elle est fondée en 1228 et est donc plus tardive que Pontigny et Longpont.
Nous ne sommes guère éloignés des réalités architecturales des cathédrales du nord de la
France. Néanmoins, une forte présence murale est encore de mise2155.
D’autres monastères cisterciens adoptent certaines formules architecturales similaires
aux cathédrales gothiques. C’est le cas de l’abbatiale de Roche en Angleterre, contemporaine
de Laon et de Paris qui présente un transept à trois niveaux d’élévation et se couvre d’ogives.
De même, l’abbatiale de Chaalis (com. Fontaine-Chaalis, Oise) tend à s’éloigner quelque peu
des préceptes bernardins d’austérité pour s’approcher des créations gothiques contemporaines
[Fig. 1004 et 1005]. Les bras du transept se dotent de déambulatoires polygonaux (12001219). Elle s’inscrit alors dans la lignée d’un groupe d’églises du nord de la France à
déambulatoire circulaire ou polygonal comme Tournai, Cambrai, Valenciennes et SaintLucien de Beauvais, de même que le transept sud de la cathédrale de Soissons. La nef de
Chaalis est voûtée d’ogives sexpartites reposant sur une alternance de supports2156.
À Fontaine-Guérard en Normandie (com. Radepont, Eure), abbaye fondée en 1189 et
affiliée à Cîteaux en 1207, la nef unique est voûtée d’ogives sexpartites reposant sur des
consoles ornées de feuilles similaires aux culots de la coursière du bas-côté sud de la proche
cathédrale de Rouen. Le chœur, consacré en 1218 est quant à lui voûté d’ogives rondes. La
salle capitulaire est voûtée d’ogives à tore aminci entre deux cavets, reposant sur de fines
colonnes monolithes surmontées de chapiteaux à grosses feuilles nervurées se terminant en
boule [Fig. 949]. Des interpénétrations sont tangibles entre monastères cisterciens et
cathédrales gothiques2157. Les ogives ne sont pas réservées à la seule abbatiale mais tendent à
2155
P. PLAGNIEUX, op. cit., p. 81-91.
C. A. BRUZELIUS, « The transept of the abbey church of Châalis and the filiation of Pontigny”, dans B.
CHAUVIN (dir.), Mélanges à la mémoire du père Anselme Dimier, T III, 6, Abbayes, Pupillin, Arbois, 1982, p.
447-454.
2157
A. GOSSE-KISCHINEWSKI, « Fondations cisterciennes en Normandie au temps de Richard », dans
Richard Cœur de Lion…, op. cit., 189-197.
2156
- 799 -
se généraliser aux bâtiments conventuels : salle capitulaire à Fontaine-Guérard, réfectoire
d’Obazine, salle capitulaire de Dalon (ogives toutefois probablement remaniées d’après le
profil des ogives polygonales, plutôt XIVème siècle).
Jacques HENRIET livre quant à lui une comparaison minutieuse entre l’abbaye de
Cherlieu et la proche cathédrale de Langres [Fig. 990]. L’abbatiale de Cherlieu (com.
Montigny-lès-Cherlieu, Haute-Saône), fondée en 1131, édifiée pour bonne part dans la
seconde moitié du XIIème siècle, aujourd’hui très ruinée, ne dispose plus que d’une partie du
bras du transept nord [Fig. 950]. Elle est bâtie en moyen appareil régulier de calcaire jaune de
belle qualité. Les parements enserrent un blocage de moellons et de mortier relativement gras.
Les éléments structurants sont en grand appareil, à joints minces, finement layés. Son plan et
son élévation sont en partie connus grâce aux textes et visites d’expert. Les bas-côtés de la nef
devaient sans doute être voûtés d’ogives comme en témoigne le départ d’un arc formeret
encore visible. Des arcs-boutants étayaient vraisemblablement les collatéraux comme en
attestent les visites. D’après les descriptions connues, ils seraient relativement similaires à
ceux de Langres et de Clairvaux II (ces deux édifices ont été mis en chantier sensiblement en
même temps, probablement vers 1150-1163). Le chevet est également perçu grâce aux
visites : il s’agissait d’un déambulatoire à sept chapelles rayonnantes rectangulaires ou
trapézoïdales, ceintes dans une même enveloppe. L’élévation est à trois niveaux comme dans
la nef. Nous savons de plus que le même maître d’ouvrage, Godefroy de La Roche-Vanneau,
a travaillé à Langres et à Clairvaux, ce qui peut expliquer certaines correspondances. Les
élévations de Clairvaux, Cherlieu et Langres sont ainsi édifiées de manière très similaire.
Toutefois, les pilastres et arcatures encadrant les baies du niveau médian ne sont pas repris
dans les deux abbatiales cisterciennes, peut-être dans un souci de simplification de ces
élévations. Nous pouvons également constater que les piles cruciformes de la nef de Cherlieu,
avec ces pilastres en forte saillie et les colonnes d’angles de 0.24m de diamètre sont très
similaires aux piles du vaisseau de la cathédrale de Langres [Fig. 951]. Les seules différences
relevées entre les supports de deux édifices sont des détails de modénatures, plus sobres à
Cherlieu puisque les colonnettes d’angle ne disposent pas de bases. Les piles de la nef de
Langres sont également reprises à Morimond, abbatiale cistercienne appartenant au diocèse de
Langres (com. Fresnoy-en-Bassigny, Haute-Marne, consacrée en 1253) ou encore à SainteBénigne de Dijon (avant-nef). Nous pourrions imaginer une circulation des artistes et ouvriers
- 800 -
entre les chantiers de Langres, Clairvaux et Cherlieu. Il ne serait pas impossible qu’une partie
de son équipe ait suivi les déplacements de l’architecte Godefroy de La Roche-Vanneau2158.
Wilhelm SCHLINK est l’un des premiers à constater les ressemblances fortes entre
Clairvaux et la cathédrale de Langres. Il établit également des correspondances indéniables
avec le plan et l’élévation de Cluny III. Ainsi, Cluny comme Langres optent pour des travées
courtes et oblongues [Fig. 952]. Les bras du transept sont peu saillants (une travée seulement).
L’élévation se caractérise par la présence d’un triforium aveugle. Des pilastres cannelés sont
présents sur les deux sites. La cathédrale de Langres, comme Clairvaux, présente des absides
polygonales greffées sur le déambulatoire. Les deux nefs sont voûtées d’ogives, les absides
couvertes des mêmes voûtes en cul-de-four. Pour Wilhelm SCHLINK, le chœur de Langres
est bâti à l’image de celui de Clairvaux II, lui-même issu du schéma de Cluny III2159.
Créations cisterciennes, clunisiennes et art des cathédrales sont ainsi très imbriqués dans le
Nord de la France.
Ces constatations peuvent également s’appliquer au sud de la France bien que les
exemples soient moins nombreux et peut-être moins parlants. Pour Henri PRADALIER et
Jean-Louis BIGET, deux chantiers contemporains seraient à l’origine de l’élaboration du
gothique méridional : il s’agit de l’abbatiale de Grandselve et de la cathédrale de Toulouse. Il
semblerait que le gothique méridional doive beaucoup à l’art cistercien comme en témoignent
les ogives en biseau de Saint-Étienne de Toulouse, la simplicité de la nef et l’absence de décor
sculpté évoquant un cadre cistercien sobre. Des interpénétrations existent ainsi entre
architecture cistercienne et art des cathédrales. Des emprunts directs au gothique capétien sont
également tangibles. L’installation des Capétiens en Languedoc, facilitée par l’action des
évêques, permet l’introduction du gothique rayonnant
Le voûtement d’ogives n’est toutefois pas inconnu dans le Midi avant l’arrivée des
moines blancs comme en témoignent le croisillon du transept de la cathédrale de Maguelone
(vers 1130) ou encore le porche de Moissac. Il s’agit d’ogives larges, sans clé de voûtes. Il
semblerait que l’initiative des premières novations gothiques revienne ici plus aux cathédrales
qu’aux moines blancs. De plus, les cisterciens arrivent relativement tardivement dans le sud
de la France et les premiers bâtiments en pierres tardent parfois à être édifiés. En effet les
premiers investissements, permis grâce aux donations initiales souvent importantes et
2158
J. HENRIET, « L’abbatiale cistercienne de Cherlieu », dans J. HENRIET, À l’aube de l’architecture
gothique, Presses Universitaires de Franche-Comté, Besançon, 2005, p. 301-335 ; visite à Cherlieu par Éliane
VERGNOLLE lors du colloque de Vesoul, juin 2006.
2159
W. SCHLINK, Zwischen Cluny und Clairvaux. Die Kathedrale von Langres und die burgundische
Architektur des 12. Jahrhunderts, Berlin, 1970, p. 115.
- 801 -
généreuses, sont utilisés prioritairement pour la constitution et la cohérence du patrimoine
foncier, prioritaire afin d’assurer la relative autarcie des moines, ce qui peut prendre entre 40
et 50 ans. Les constructions en pierres n’interviennent qu’après ce délai nécessaire à la survie
de la communauté naissante, souvent dans la seconde moitié du XIIème siècle, remplaçant
ainsi des édifices provisoires en matériaux périssables (bois, torchis, chaume). Des reprises
partielles ou reconstructions peuvent ensuite intervenir à la fin du XIIIème siècle, comme
nous avons pu l’observer pour les abbatiales cisterciennes du diocèse de Limoges et de ses
marges (Bonlieu, Prébenoît, en lien avec des inhumations laïques), correspondant à une
certaine apogée des monastères, à une période faste permettant des investissements dans le
mobilier ou dans des partis architecturaux plus prestigieux (Le Vignogoul, Valmagne).
Le premier essai de voûtement gothique est sans doute celui de la nef de Silvanès
(com. Silvanès, Aveyron) [Fig. 953]. L’abbatiale est dotée d’une nef unique de plus de 14m
de large, scandée de puissants contreforts. Les questions de contrebutement sont par ailleurs
en partie réglées par l’élargissement du berceau brisé de la nef et par un système de voûtes
perpendiculaires unissant la tête des contreforts. Ce même système est utilisé à Fontenay en
Bourgogne (com. Marmagne, Côte-D’Or), l’Escaledieu (Hautes-Pyrénées) et Bonneval (com.
Le Cayrol, Aveyron). Il sera également repris ultérieurement au chevet des Cordeliers de
Toulouse ou à la cathédrale d’Albi, ce qui permet de s’interroger sur le rôle des cisterciens
dans l’élaboration du gothique toulousain.
Le voûtement d’ogives est relativement discret, limité à des espaces cloisonnés dans ce
cadre cistercien du sud de la France. Il apparaît souvent à la croisée du transept (Silvanès,
Flaran, Fontfroide) et peine à se diffuser à l’ensemble de l’édifice. À Fontfroide, le voûtement
d’ogives concerne également la travée droite du chœur. La croisée du transept est couverte de
boudins toriques, de même que les croisillons. Ce voûtement bien particulier est également
adopté pour la salle capitulaire. À Silvanès, le projet d’ogives dans la nef est rapidement
abandonné. La nef unique est voûtée en berceau brisé souligné de doubleaux. La dernière
travée montre le départ de boudins toriques signifiant cet essai de voûtement d’ogives. La
croisée du transept est par ailleurs soulignée de ces boudins toriques n’ayant toutefois aucune
réelle fonction structurelle.
Toutefois, malgré la discrétion de l’ogive dans un cadre cistercien méditerranéen, les
moines cisterciens semblent contribuer au développement d’un certain nombre d’aspects tels
la clé de voûte, les ogives à section torique constituées de claveaux dont les queues
s’enfoncent dans la maçonnerie, les retombées adoptant un profil en fuseau, les voûtes en tas-
- 802 -
de-charge. Ce procédé est par ailleurs redevable à la cathédrale de Langres, puis transmise à
l’abbatiale de Morimond.
Les similitudes entre gothique cistercien et gothique des cathédrales septentrionales,
parfois méridionales, sont très étroites. Une certaine émulation a pu naître entre abbés et
évêques, une volonté de surenchère ayant trouvé son expression en architecture, un climat
propice à la création et à la novation. Les architectes et ouvriers ont également pu circuler
d’un chantier à un autre, expliquant les fortes similitudes dans la mise en œuvre.
Benoît CHAUVIN évoque dès lors un « plan-type perverti » par l’apparition de
« cathédrales cisterciennes », édifiées en même temps que les cathédrales voisines. Beaucoup
de monastères romans sont rebâtis ou édifiés dans la seconde moitié du XIIème siècle et le
premier tiers du XIIIème siècle tels Longpont, Ourscamp (com. Chiry-Ourscamp, Oise),
Royaumont (com. Asnières-sur-Oise, Val D’Oise), Vauclair (com. Bouconville-Vauclair,
Aisne) et Valmagne. Valmagne montre de fortes affinités architecturales avec le chœur de la
cathédrale de Toulouse tandis qu’Ourscamp témoigne de similitudes avec la cathédrale de
Noyon [Fig. 954]. Les bâtisseurs adaptent alors certaines formules gothiques absentes des
édifices primitifs2160.
Néanmoins, Matthias UNTERMANN met en exergue le refus de certaines innovations
propres aux cathédrales gothiques : le triforium est en effet relativement rare dans un cadre
cistercien et nous avons vu comment il peut être remplacé par une simple surface murale
(Pontigny) parfois animée d’arcs aveugles (Longpont). Il n’est presque jamais fait usage de
piliers en faisceaux. Les arcs-boutants sont de même fréquemment exclus, excepté pour
quelques exemples septentrionaux (Pontigny, Noirlac) et les murs restent bien souvent épais
et nus [Fig. 955]2161.
Il semblerait ainsi que certaines caractéristiques d’un premier art gothique soient
apparues de manière concomitante chez les cisterciens et les cathédrales, cohérences
particulièrement tangibles dans le nord de la France. Même si les moines blancs se montrent
réticents à un certain nombre de formulations (triforium, arcs-boutants) et si certaines
habitudes romanes sont encore bien ancrées dans les techniques de construction et de
voûtement, ils se montrent relativement perméables aux novations gothiques. Toutefois, il
paraît difficile de parler de « pionniers » alors même que les comparaisons entre cathédrales et
abbatiales cisterciennes ont révélé la possible antériorité de certaines initiatives épiscopales
2160
2161
B. CHAUVIN, « Autour du plan cistercien », dans La grande aventure des cisterciens…, op. cit., p. 65-85.
M. UNTERMANN, op. cit., p. 639.
- 803 -
(Maguelone), tandis que les mises en œuvre de Langres et Clairvaux paraissent simultanées. Il
est par exemple évident que les cisterciens ne sont pas à l’origine du déambulatoire à
chapelles rayonnantes, présent antérieurement à Saint-Denis ou Saint-Germain-des-Prés, mais
peut-être ont-ils néanmoins contribué à la diffusion de ce plan vers l’Aquitaine et le sud de la
France, voire dans d’autres pays comme l’Allemagne.
•
Le « premier gothique » Limousin. Apports cisterciens :
Concernant les abbayes cisterciennes du diocèse de Limoges et de ses marges, Claude
ANDRAULT-SCHMITT évoque une modernité, une innovation transmise par les cisterciens
dans le cadre d’un « premier gothique » à placer dans les années 1180-1220. Pour
l’historienne de l’art, le « premier gothique » est fortement marqué par le voûtement angevin
(voûtes à liernes adoptées à l’abbatiale de Coyroux au milieu du XIIIème siècle, relayées dans
les églises templières et hospitalières). Les églises romanes du diocèse de Limoges optent
fréquemment pour une élévation simplifiée, sans tribune ni clair-étage pour évider les murs
relativement épais et peu décorés, comme c’est le cas par exemple dans les nefs de SaintJunien et du Dorat. À Beaulieu, si les tribunes sont encore présentes, elles sont atrophiées et
réduites à une simple galerie. Cette tendance à la simplification des élévations se confirme
parfois dans un cadre gothique et notamment au sein de certains édifices cisterciens
limousins. L’élévation d’Obazine en témoigne avec ces grandes arcades en plein-cintre
seulement surmontées de deux petites baies ouvrant sur les combles [Fig. 482].
Toutefois, l’abbatiale de Saint-Martial apporte une originalité à l’époque romane en
acceptant les tribunes, voûtées en quart-de-cercle, et prépare ainsi en quelque sorte certaines
novations préfigurant le gothique. De plus, les tracés brisés y sont relativement précoces,
inscrivant l’abbaye comme un des ferments du « premier gothique » du diocèse de Limoges.
Les piles sont constituées d’un noyau carré cantonné de demi-colonnes, choix relativement
inhabituel en Limousin. Les collatéraux sont par ailleurs exceptionnellement larges (4.80m ;
4m à Prébenoît), rompant avec une tradition fermement ancrée de vaisseaux uniques
(Solignac) ou de collatéraux étroits (Beaulieu, Saint-Junien, Le Dorat). La place de SaintMartial dans l’élaboration de certaines formules gothiques est indéniable 2162. Quant au clairétage, il semble redevable aux édifices cisterciens. L’historienne de l’art constate « que ce
sont les cisterciens, et eux seuls, qui ont implanté en Berry, Poitou et Limousin, le système
2162
C. ANDRAULT-SCHMITT, « L’architecture de la grande église en questions », dans C. ANDRAULTSCHMITT (dir.), Saint-Martial de Limoges…, op. cit., p. 219-239 ; C. ANDRAULT-SCHMITT, Les nefs des
églises..., op. cit., T I, p. 18.
- 804 -
des bas-côtés et donc celui du clair-étage, inusité alors dans ce territoire »2163. En effet, les
bas-côtés ne sont pas rares dans un cadre cistercien limousin et se retrouvent à Prébenoît, au
Palais-Notre-Dame (3m de large), à Aubepierres, Obazine (3.80m de large) et Dalon (5m de
large).
Claude ANDRAULT-SCHMITT explique également que « les vestiges du transept de
l’abbatiale de Dalon témoignent d’un savoir-faire cistercien qui a certainement constitué l’un
des moteurs de l’évolution en matière de techniques de construction »2164. En effet, les
établissements daloniens illustrent certaines avancées techniques dans la taille de la pierre
(Dalon, Bonlieu, Le Palais). Le moyen appareil régulier est souvent de mise, les joints sont
fins, la taille soignée [Fig. 274]. Cette constatation n’est néanmoins pas systématique chez les
filles de Dalon : à Prébenoît, le moyen appareil régulier de qualité est cantonné aux éléments
structurants (harpages, piédroits, soubassements) tandis que le petit appareil irrégulier domine
[Fig. 340]. La mise en œuvre des sites d’Aubignac et Boeuil, entièrement détruits, ne peuvent
par ailleurs pas être envisagés. Il semblerait que cette qualité de la mise en œuvre soit à mettre
en relation avec l’importance économique du monastère. Dalon dispose d’une vingtaine de
granges, de même qu’Obazine, Bonlieu de treize granges, le Palais neuf et acquièrent ainsi
peut-être suffisamment de revenus pour investir dans une mise en œuvre soignée. À l’inverse,
Prébenoît, ou les Pierres restent modestes, peu dotées, d’où une discrétion certaine de la pierre
de taille, un effacement progressif du tailleur de pierre au profit du maçon. Les petits appareils
irréguliers sont privilégiés.
Une formule va connaître un certain rayonnement dans le cadre d’un « premier
gothique » grâce aux monastères cisterciens limousins. Il s’agit du triplet de baies triangulé du
chevet de l’abbatiale du Palais-Notre-Dame qui bénéficie d’une large diffusion dans le
diocèse de Limoges, qu’il s’agisse de prieurés ou de paroissiales [Fig. 307] 2165. Un triplet est
également envisagé au chevet de l’abbatiale de Prébenoît, non triangulé, connu d’après une
fresque moderne conservée dans un bâtiment conventuel [Fig. 336]. Il semblerait que les
triplets ne soient pas triangulés dans la seconde moitié du XIIème siècle (Noirlac, Fig. 958).
Dans les années 1200, le chevet de la chapelle de Cinturat est percé d’un triplet d’égale
hauteur doté de vastes ébrasements2166.
2163
C. ANDRAULT-SCHMITT, « L’architecture cistercienne, une forteresse historiographique », Perspective,
INHA, Paris, n°1, 2006, p. 124-128.
2164
C. ANDRAULT-SCHMITT, Limousin gothique, Paris, Picard, 1997, p. 19.
2165
C. ANDRAULT-SCHMITT, op. cit., p. 32.
2166
C. ANDRAULT-SCHMITT, Les nefs des églises romanes..., op. cit., T II, p. 333.
- 805 -
Le changement interviendrait dans le premier tiers du XIIIème siècle avec le recours à
une triangulation permettant peut-être de rompre une certaine monotonie (Le Palais,
Rieunette, Silvanès, Villelongue) [Fig. 307, 959, 960 et 961]. Cette organisation en triplet est
symbolique chez les cisterciens et peut-être appréhendée comme une référence à la Trinité2167.
On le retrouve presque à l’identique à Blaudeix, église hospitalière caractéristique du
« premier gothique » limousin, ou au chevet de Chambéraud (Creuse) [Fig. 956, 957 et 962].
De même pour l’église d’Ussel, à quelques kilomètres de l’abbaye de Bonnaigue et dont le
chevet plat s’orne d’un triplet. L’église d’Aureil propose le même type de percement à son
chevet oriental. À Biennac, le chevet monumental est percé d’un triplet sans triangulation.
L’église de Saint-Paxent de Cluis est située à quelques kilomètres au sud de l’abbaye de
Varennes dont nous savons qu’elle disposait à l’origine d’un chevet plat dont il ne reste plus
que le plan au sol aujourd’hui [Fig. 964]. Les seigneurs de Cluis faisaient d’ailleurs partie des
plus généreux donateurs de l’abbaye berrichonne, attestant de liens forts entre les deux sites.
L’église paroissiale, dépendance de Déols édifiée à la fin du XIIème et dans les premières
années du XIIIème siècle dispose d’un chevet plat voûté en berceau brisé et de chapelles
rectangulaires placées sur les bras du transept à la manière de certains sites cisterciens
limousins (Dalon, Obazine). Ce parti austère est ainsi très similaire aux choix architecturaux
des cisterciens. Le chevet plat de Cluis dispose d’un triplet et d’un oculus comparable au
triplet de baies du Palais-Notre-Dame, de la Souterraine ainsi que de celui représenté sur la
fresque moderne de l’abbaye de Prébenoît. La proximité de l’abbaye de Varennes peut
justifier le choix d’un tel parti.
Outre le triplet, un autre élément de percement fréquent dans l’art cistercien a été
repris par d’autres édifices contemporains. C’est le cas des oculi fréquents dans le cadre d’un
« premier gothique ». Anne COURTILLÉ distingue bien en Auvergne et Bourbonnais des
exemples romans d’oculus, simples ouvertures circulaires, abondantes à l’ouest du diocèse de
Clermont (Notre-Dame des Miracles de Mauriac, Brageac) dès le second quart du XIIème
siècle, et des oculi gothiques munis d’une armature à lobes ou à rayons (Escurolles,
Fleuriel)2168. À Malemort, le transept ample est percé d’un grand oculus au nord dans un
« goût cistercien » évoquant par exemple l’oculus de l’abbatiale de Mègemont (fondée en
1206, com. Chassagne, Puy-de-Dôme) ou de Prébenoît, connu grâce à la peinture murale
2167
2168
H. J. ZAKIN, op. cit., p. 150.
A. COURTILLÉ, Auvergne et Bourbonnais gothiques..., op. cit., p. 241.
- 806 -
conservée dans le bâtiment conventuel principal2169. De même, le bras nord du transept de
l’église de Brive est percé d’un oculus très ressemblant aux réalités cisterciennes2170.
Concernant Obazine, Claude ANDRAULT-SCHMITT évoque un transept dont les
modernités sont « étonnantes dans la région », qu’il s’agisse des piédroits ornés de chanfreins
à congés [Fig. 490], des cintres légèrement brisés obtenus par un clavage savant à clé
imposante. La salle capitulaire et la salle des moines, relevant vraisemblablement du troisième
quart du XIIème siècle étaient dès l’origine voûtés d’arêtes dans une tradition romane [Fig.
509]. Le réfectoire, aujourd’hui presque entièrement ruiné, présente des départs d’ogives
pouvant correspondre à une seconde campagne de construction admettant certains éléments
gothiques vers 1180-1200 [Fig. 515]. Ces ogives ont un fort diamètre en amande, dégagées de
deux cavets. Selon Claude ANDRAULT-SCHMITT, ce voûtement pourrait s’inscrire ainsi
comme l’une des premières voûtes d’ogives du diocèse de Limoges2171.
L’abbaye d’Obazine pourrait avoir une incidence sur les choix architecturaux adoptés
lors de la construction de Saint-Martin de Tulle. En effet, des parentés troublantes peuvent
être établies entre les deux abbatiales. Comme la nef d’Obazine, celle de Tulle dispose de
piliers cruciformes sur lesquels se greffent des colonnes engagées. Les chapiteaux lisses sont
également similaires à ceux de l’église cistercienne bâtie entre 1156 et 1176 pour le chevet, le
transept et les deux premières travées de la nef. La nef de Tulle pourrait être légèrement
postérieure, édifiée entre 1176 et 1190. La date souvent citée de 1103 pour le début de la
construction paraît très précoce. Elle est avancée d’après une charte citée par BALUZE,
aujourd’hui disparue et donc invérifiable. Les contreforts plats, sans ressauts, à larmiers
pourraient aller dans le sens d’une datation plus tardive (mi XIIème ?), de même que les
grandes arcades doubles et brisées, les fins astragales, les bases au tore inférieur aplati mais
sans griffes évoquant celles d’Obazine (troisième quart XIIème siècle ?). Des éléments
gothiques sont tangibles, comme le recours aux voûtes d’ogives pour couvrir le vaisseau
central et la présence d’une coursière surmontant les grandes arcades. Quant à la tour-porche,
elle témoigne des différentes campagnes romane, gothique et flamboyante2172.
Claude ANDRAULT-SCHMITT évoque même la possibilité de recrutement de
spécialistes cisterciens sur le chantier de Tulle. Il est toutefois délicat d’étayer cette hypothèse
en l’absence de sources écrites. Nous ne pouvons pas non plus savoir si des ouvriers propres à
2169
C. ANDRAULT-SCHMITT, op. cit., p. 266.
G. CANTIÉ, X. LHERMITTE, É. PROUST, « Brive-La-Gaillarde, église Saint-Martin. De la memoria
mérovingienne à la collégiale », dans Monuments de Corrèze…, op. cit., p. 105-123.
2171
C. ANDRAULT-SCHMITT dans B. BARRIÈRE (dir.), Moines en Limousin…, op. cit., p. 47.
2172
C. ANDRAULT-SCHMITT, Les nefs des églises romanes..., op. cit., T I, p. 159.
2170
- 807 -
l’ordre circulent d’abbayes en abbayes2173. L’élévation de l’abbatiale de Tulle est toutefois
plus audacieuse qu’à Obazine avec l’adjonction d’un clair-étage, en lien avec l’utilisation de
la voûte d’ogives se substituant au berceau d’Obazine. Selon l’historienne de l’art, les voûtes
d’ogives de la nef de Tulle constituent l’une des premières expériences de ce type de
voûtement, après le réfectoire d’Obazine et avant la voûte angevine de Saint-Yrieix. Par
ailleurs, l’association d’une voûte d’ogives dans la nef et de voûtes d’arêtes couvrant les bascôtés est fréquente chez les cisterciens (Pontigny, Noirlac ou encore Preuilly). Les arêtes sont
montées en pierre de taille pour les premières assises comme dans la salle capitulaire et la
salle des moines d’Obazine.
Il est difficile d’envisager l’adoption du voûtement d’ogives chez les cisterciens du
Limousin face à la disparition partielle ou totale d’un certain nombre d’édifices. Ainsi, nous
savons que les bas-côtés de l’abbaye de Prébenoît sont voûtés d’arêtes [Fig. 338]. Quant à la
nef, il est délicat de se prononcer. L’absence de claveaux de nervure d’ogives dans le dépôt
lapidaire issu de la destruction de l’abbatiale laisserait supposer que la nef était plutôt en
berceau brisé. L’abbaye d’Aubignac est connue par quelques éléments lapidaires épars
conservés dans les jardins des propriétés voisines. Des claveaux de nervures d’ogives toriques
ont été inventoriés, sans que l’on puisse toutefois envisager leur provenance dans l’édifice
[Fig. 103]. La modénature est simple, un tore relativement massif, sans amande, pouvant
correspondre à des réalités de la seconde moitié du XIIème siècle. À Varennes, la nef
désormais unique suite à la mise à bas des collatéraux au XIIIème siècle est voûtée d’ogives
au profil en amande ou à listel, témoignant de réfections probables au bas Moyen-Âge
(XIVème siècle ?). Le dépôt lapidaire a livré un certain nombre de claveaux de nervures
d’ogives – le plus souvent en amande – permettant d’envisager le voûtement primitif et
attestant de sa probable généralisation à l’ensemble du monastère [Fig. 791 à 797]. Les ogives
concernent peut-être aussi les bâtiments conventuels. Quant au chevet plat, aujourd’hui
détruit, il est délicat d’en imaginer le voûtement. Néanmoins, au vu de la simplicité du
support conservé sur quelques assises, simple pile cruciforme à dosserets, nous pencherions
plutôt pour une voûte plus simple, en berceau, ne nécessitant pas une complexité des supports.
Toutefois, si Varennes accepte l’ogive, elle refuse l’arc-boutant à l’inverse de sa proche sœur
de Noirlac à l’allure largement septentrionale, capétienne (remplages rayonnants).
L’implication des rois Plantagenêts dans l’histoire de Varennes explique-t-elle cette réticence
à l’acceptation de certaines formes du gothique du Nord ?
2173
C. ANDRAULT-SCHMITT, « Tulle, ancienne abbaye Saint-Martin (actuelle cathédrale », dans Monuments
de Corrèze, op. cit., p. 363-379.
- 808 -
L’abbatiale de Dalon est en partie préservée. Les deux chapelles occidentales du bras
du transept sud en particulier sont conservées et optent pour le voûtement d’ogives [Fig. 260].
Ces voûtes sont quadripartites, appareillées avec soin, les ogives au tore unique sans amande,
dégagé de cavets. Elles sont ornées par une clé feuillagée. Ces chapelles occidentales de
transept peuvent être datées des années 1220-1250 si on se réfère aux chapiteaux feuillagés
ornés de boules se disposant en frise. Des claveaux de nervure d’ogives sont également
déposés dans le jardin devant le bâtiment conventuel principal. Ils présentent des profils
différents mais le plus souvent sans amande. Ces profils pourraient correspondre à une
datation de la fin du XIIème siècle et du premier tiers du XIIIème siècle [Fig. 288].
L’apparition de l’ogive dans un cadre cistercien limousin serait ainsi relativement tardive par
rapport aux abbatiales du nord de la France et se rapprocherait ainsi plutôt des datations
précédemment évoquées pour le Midi toulousain (seconde moitié du XIIème siècle).
La nef unique de l’abbatiale de moniale de Coyroux adopte un voûtement d’ogives
vraisemblablement au milieu du XIIIème siècle [Fig. 584]. Il remplace ainsi une possible
charpente. Les quatre travées sont voûtées d’ogives à liernes. Les voûtains sont soit de
briques, soit de pierres tandis que les nervures sont taillées dans le grès directement présent
sur le site. Dans les angles nord-ouest et sud-ouest, les voûtes retombent sur de triples
colonnettes montant de fond reposant sur de petites bases au tore inférieur avachi, sans
griffes. Le dépôt lapidaire issu des fouilles réalisées dans l’abbatiale par Bernadette
BARRIÈRE a révélé un certain nombre de claveaux de nervure d’ogives amincies en amande
[Fig. 599]. Il a été constaté que « le profil des nervures a été prévu de telle sorte que leur
découpe permette un emboîtage des différents éléments : la partie convexe (la moulure) d’un
claveau trouvant parfaitement sa place dans la réunion des parties concaves (les cavets) de
deux autres ». Le stockage de ces éléments est ainsi plus aisé en attendant leur pose2174. Des
clés de voûte ont également été découvertes lors des fouilles archéologiques [Fig. 598]. Deux
d’entre elles sont de grès, de 70cm de diamètre et relèvent a priori de la seconde moitié du
XIIIème siècle. Elles sont adaptées à des ogives à liernes (huit départs d’ogives sont visibles).
Les feuillages naturalistes attestent cette datation. Sont également représentés à l’intérieur de
médaillons un agneau et un aigle. L’adoption d’ogives à liernes n’a rien d’inhabituel dans le
diocèse de Limoges et ce type de voûtes est largement investi par les ordres militaires dans les
années 1220-1250 (Paulhac). Les cisterciens ne sont ici pas novateurs.
Au Palais Notre-Dame, le chevet plat est voûté d’ogives comme en témoignent les
deux amorces d’ogives constituées de trois moulurations toriques [Fig. 313]. Il s’agit d’ogives
2174
B. BARRIÈRE (dir.), Moines en Limousin…, op. cit., p.48.
- 809 -
quadripartites. Un arc formeret au profil brisé est également visible contre la paroi orientale.
Ce voûtement est vraisemblablement mis en place dans le premier tiers du XIIIème siècle.
Concernant les voûtes d’ogives avec formeret, l’étude d’Anne COURTILLÉ sur
l’Auvergne et le Bourbonnais est exemplaire et permet d’affiner les datations2175.
L’historienne de l’art constate que les premières voûtes d’ogives en Auvergne et Bourbonnais
sont quadripartites sur travées droites. Les formerets sont alors presque toujours absents. En
effet, il semblerait que le formeret n’ait pas d’intérêt dans des édifices où les murs sont peu
évidés. L’absence de ces arcs simplifie ainsi les supports. Il est alors plutôt curieux de
retrouver ce type de voûtement au Palais où les murs épais sont peu évidés. De plus, les
moines cisterciens optent le plus souvent pour la simplicité des supports. L’abbaye du Palais
montre ainsi une précoce adoption de certaines novations gothiques au détriment de l’habituel
dépouillement de l’ordre. Des voûtes d’ogives similaires sont également connues à Chambonsur-Voueize et datées du premier tiers du XIIIème siècle. En Auvergne et Bourbonnais, le
formeret reste épisodique. Il se retrouve à Entraigues, Saint-Menoux, Saint-Germain de
Brenat ou encore au bas-côté sud de la cathédrale du Puy.
Néanmoins, Anne COURTILLÉ constate qu’en Bourgogne, le formeret est déjà usité
pour les voûtes d’arêtes de la période romane. Il va être logiquement réutilisé dans les voûtes
gothiques. Peut-être s’est-il ainsi plus facilement diffusé dans les abbayes cisterciennes par
l’intermédiaire des sites bourguignons romans, alors même qu’il reste exceptionnel dans le
cadre d’un premier gothique. Pour l’historienne de l’art, « l’armature ogivale est rarement
complétée de formerets ». En Auvergne, l’absence de formeret peut être interprétée comme un
prétexte supplémentaire à la simplification des supports. Même lorsque le voûtement d’ogive
tend à se systématiser durant ce premier gothique, le formeret reste bien souvent absent. Il est
néanmoins présent à Lamaids, église hospitalière à la frontière de la Marche Limousine,
proche de l’abbaye de Prébenoît. L’auteur s’interroge alors : « la tradition romane joua-t-elle
son rôle dans le faible usage du formeret dont la fonction n’était pas vraiment structurelle
dans les édifices où on n’évidait pas les murs ? ».
Les moines blancs étant très attachés à certaines traditions romanes de voûtement
(arêtes, berceaux, coupoles), il est plutôt surprenant de constater l’usage de formerets au
chevet de l’abbatiale du Palais.
2175
A. COURTILLÉ, Auvergne et Bourbonnais gothiques. I. Les débuts, Créer, Nonette, 1990, p. 328, 332 et
615.
- 810 -
Quant aux plans cisterciens, certaines constatations peuvent être évoquées quant à leur
diffusion et réception dans le diocèse de Limoges. Il semble que la disposition de chapelles à
fond plat sur les bras du transept, bien connue à Dalon et Prébenoît, va trouver des
prolongements dans certains sites paroissiaux ou militaires. Les bras du transept sont ainsi
dotés de chapelles rectangulaires à Ussel non loin de Bonnaigue et à Biennac, à la manière des
abbatiales de l’ordre (Dalon, Obazine)2176. L’église d’Azat-Le-Ris semble exemplaire de cette
austérité caractéristique des années 1200 [Fig. 965]. Elle se dote elle aussi de chapelles de
transept à fond plat. Quant au chevet droit, il est percé d’un triplet.
Une piste de recherche que nous souhaitions succinctement aborder ici est l’apparition
du type de « l’église-grange » dans le diocèse de Limoges dans les années 1180-1220. Le
« premier gothique » du Limousin voit en effet l’apparition d’un type architectural
caractéristique surnommé « église-grange » par Claude ANDRAULT-SCHMITT. Ce terme
apparaît en premier lieu dans son doctorat en 1982. Ce type se présente comme un simple
volume quadrangulaire, une nef unique encadrée par deux pignons souvent en moyen appareil
régulier. Les dimensions en sont modestes, la hauteur restreinte. Il apparaît en germe à la fin
du XIIème siècle dans un certain nombre de petits édifices modestes, à nef unique et à
l’ordonnance simple, comme les églises sobres de Reilhac ou de la Chapelle-Saint-Robert au
contact avec le Périgord. De petites églises à chevet plat se multiplient dans le diocèse de
Limoges (Albussac dès le milieu du XIème siècle, Rosiers-Saint-Georges et Saint-HilaireLastours vers 1110, Azat-Le-Ris, Razès à la fin du XIIème siècle, exemples donnés par
Claude ANDRAULT-SCHMITT)2177. Le chevet plat est simple, il ne s’illustre pas par la
même monumentalité qu’à Saint-Junien notamment, et évolue vers une « absolue austérité » à
l’origine des églises-granges des années 1200. Dès 1955, Pierre HÉLIOT constate que ce
chevet plat convient plus particulièrement aux petites chapelles et églises modestes, tandis que
les grandes abbatiales privilégient les absides ou chœurs à déambulatoire2178.
Ce plan largement adopté par les églises paroissiales et de petites chapelles comme La
Plaigne (com. Tersannes) ou Cinturat perdure dans les années 1220-1250 à travers certaines
fondations hospitalières. Les voûtes d’ogives y sont alors introduites et complexifiées par des
liernes (Paulhac) et des clés de voûtes feuillagées. L’historienne de l’art constate qu’«autour
de 1200, les aspirations à la sévérité sont plus excessives que conservatrices. De nombreux
oratoires qui surgissent alors, surtout à l’ouest du diocèse, représentent une architecture
2176
C. ANDRAULT-SCHMITT, op. cit., p. 37.
C. ANDRAULT-SCHMITT, Les nefs des églises romanes..., op. cit., T II, p. 316 et 323.
2178
P. HÉLIOT, « Origines et extension du chevet plat dans l’architecture religieuse de l’Aquitaine », Cahiers
Techniques de l’Art, T III, 1955, p. 23-49.
2177
- 811 -
minimum, au point que les plus petits ont pu être regroupés sous le terme « églisesgranges ». 2179»
Face au développement de ce type architectural et à sa diffusion en Haute-Marche, non
loin des domaines cisterciens intéressant notre étude, des questions se posent nécessairement.
Ne pourrions-nous imaginer une « incidence cistercienne » sur les choix architecturaux des
petites églises rurales ? La large présence de granges cisterciennes sur les paysages limousins
n’aurait-elle pu influer sur les architectures des plus proches édifices paroissiaux ? Bien sûr, la
grange cistercienne est tant que telle n’est pas un modèle architectural nouveau – elle est en
effet peu éloignée des doyennés clunisiens, par exemple – mais les moines blancs ont peutêtre contribué à sa rationalisation et à son développement. La connaissance architecturale des
granges cisterciennes limousines est malheureusement limitée face à la disparition ou aux
remaniements presque complet des exploitations agricoles. La grange de Brocq, certes
remaniée à l’époque moderne, se présente comme un volume quadrangulaire simple,
relativement large, encadré de deux pignons [Fig. 611]. L’aspect en est trapu, l’édifice étant
plus large et moins haut que certaines granges septentrionales (Vaulerent). Cet exemple peut
donner ainsi des indices et éléments de réflexion. Nous savons qu’en France septentrionale,
les granges de l’ordre adoptent un plan basilical encadré de deux pignons, comme pour les
granges de Vaulerent ou de Fourcheret, dépendant de l’abbaye de Chaalis [Fig. 1061 et 1062].
Les granges limousines ont-elles un plan similaire, bien que sans doute moins monumental à
l’image du domaine de Brocq ? Ont-elles pu alors servir de modèles appliqués et réduits pour
s’adapter aux petites « églises-granges » limousines ?
Ces églises sont souvent des dépendances d’ordres à vocation érémitique tel
Fontevrault ou le Chalard. Nous pouvons ainsi citer les « églises-granges » de Beauvais à
Saint-Laurent-sur-Gorre
(géraldienne),
Pont-Cholet
à
Saint-Germain
(Fontevrault),
Beaubreuil à Saint-Cyr (Le Chalard), Bost-Las-Mongeas (équivalent féminin du prieuré
d’Aureil). Claude ANDRAULT-SCHMITT cite également des chapelles à dévotion
particulière telles la Chapelle de Cieux et la Plaigne à Tersannes, des églises paroissiales
comme Sauviat-sur-Vige, Saint-Georges-Les-Landes, Eybouleuf, Saint-Bonnet-Briance et
enfin des églises templières comme le Masdieu (Charente Limousine) et la Bussière-Rapy en
Basse-Marche2180. La chapelle de la Plaigne est ainsi un simple rectangle voûté d’un berceau
brisé, scandé de contreforts larges et solides.
2179
2180
C. ANDRAULT-SCHMITT, Limousin gothique, op. cit., p. 29.
C. ANDRAULT-SCHMITT, op. cit., p. 31.
- 812 -
Ce type de « l’église-grange » paraît donc en cohérence avec une volonté affirmée
d’austérité de certains ordres à vocation érémitique comme Grandmont, l’Aureil ou l’Artige.
En effet, les grandmontains ou les chartreux développent des architectures dépouillées,
réduites à l’essentiel. Le nombre de moines est d’ailleurs limité (14 chartreux, 12
grandmontains). Il n’est pas nécessaire de bâtir des édifices amples et à grande capacité
d’accueil. La nef unique est alors requise, terminée en abside. Le vaisseau est couvert d’un
berceau en plein-cintre ou brisé. À Grandmont, c’est la vouta plana qui est prisée, un berceau
lisse sans doubleau, comme c’est le cas du prieuré Saint-Michel de Grandmont présentant une
nef de 6.70m de large, un sanctuaire en abside éclairé de trois baies largement ébrasées. Il est
indubitable que la présence du chef d’ordre grandmontain dans les monts d’Ambazac a aidé à
la diffusion du plan simple de ces celles [Fig. 1030]. Ainsi, la chapelle d’Étricor en Charente
Limousine, une des seules prieurales intactes et la seule en Limousin, propose cette même
architecture dépouillée : murs épais bâtis en moyen appareil régulier, nef unique couverte
d’un berceau lisse, abside du chœur percée de trois baies2181. Elle est vraisemblablement
fondée entre 1148 et 1157. Elle mesure 21.70m de long pour 6m de large et 7m de haut.
L’abside est plus large que la nef. Cette dilatation montre bien le caractère privilégié de cette
partie sacrée de l’édifice2182.
L’ordre de Chalais, concernant surtout la Provence et le Dauphiné adopte les mêmes
principes. Vers 1140-1170, l’église Notre-Dame de Boscodon se dote d’une nef unique voûtée
d’un berceau en plein-cintre. Elle est associée à un transept et un chevet plat percé de trois
baies2183.
Ces « églises-granges » sont très présentes en Haute-Marche aux abords des
monastères de Prébenoît et Bonlieu. Nous pouvons ainsi citer les églises de Bonnat, Pionnat,
Saint-Laurent, Ambazac près du monastère de Boeuil ou Soubrebost aux abords du PalaisNotre-Dame. Dans la Marche Limousine, ces églises sont fréquemment voûtées d’ogives,
qu’il s’agisse de voûtes à liernes pour les fondations templières ou de voûtes quadripartites
simples. L’église de Chambéraud en Creuse opte également pour le principe de « l’églisegrange » [Fig. 966]. La nef unique étroite de quatre travées est voûtée d’ogives sexpartites
dont les clés de voûtes sont feuillagées ou étoilées. Les ogives sont reçues par de fines
colonnettes s’arrêtant au tiers de la hauteur sur des culots feuillagés ou à décors géométriques.
C’est le même cas de figure à Ladapeyre en Haute-Marche [Fig. 967]. Cette petite église
paroissiale édifiée dans le voisinage des possessions de Bonlieu, Prébenoît et Blaudeix, se
2181
C. ANDRAULT-SCHMITT, op. cit., p. 29.
C. ANDRAULT-SCHMITT, Les nefs des églises romanes..., op. cit., T II, p. 335.
2183
É. VERGNOLLE, op. cit., p. 310.
2182
- 813 -
compose d’un volume quadrangulaire encadré de deux pignons. Les baies sont en meurtrière,
très étirées et étroites. L’église hospitalière de Paulhac présente de même un volume
quadrangulaire encadré de deux pignons [Fig. 968]. Elle est scandée de contreforts plats
surmontés d’un glacis (1.84m de large pour une faible saillie de 0.28m). Ces contreforts sont
relativement proches du contrefort sud du chevet plat de l’abbatiale du Palais-Notre-Dame
(premier tiers XIIIème siècle, 1.77m de large, saillie de 0.43m). Les baies en meurtrières sont
soulignées d’un tore se poursuivant sur les pierres d’appui-fenêtre. De même à l’église
d’Ajain située à proximité de la grange cistercienne de Grosmont dépendant des moines de
Bonlieu et qui adopte au XIIIème siècle ce parti « d’église-grange » caractéristique de ces
zones de saltus [Fig. 1071]. Certaines dispositions architecturales se diffusent ainsi au sein de
la moindre église rurale et peut-être la proximité de moines cisterciens couvrant leurs terres de
granges aux vastes volumes prend une part dans cette diffusion de modèles par ailleurs déjà
largement éprouvés dans un cadre Plantagenêt.
L’église de Soubrebost présente une nef unique encadrée de deux pignons bâtie en
moyen appareil régulier de granite. Les baies sont percées en meurtrière comme souvent pour
ces édifices d’un « premier gothique » en Limousin (Blaudeix). Les voûtes d’ogives couvrant
la nef retombent sur des culots lisses proches des réalités cisterciennes, affirmant cette volonté
de sobriété fréquente dans les églises rurales de Haute-Marche. À Gouzon, à quelques
kilomètres de l’abbaye de Bonlieu, la nef unique est voûtée d’ogives à liernes taillées en
amande assez similaires à celles observées à Coyroux. Par ailleurs, l’abbatiale de Coyroux
peut être qualifiée « d’église-grange » : il s’agit là encore d’un simple volume encadré de
deux pignons, couvert de voûtes à liernes à la manière des églises hospitalières des années
1220-1250.
Les relations entre « églises-granges », créations hospitalières et sites cisterciens
semblent ainsi relativement étroites, qu’il s’agisse des plans, de la volonté de simplicité et
d’austérité (nef unique, chevet plat, sobriété des décors) ou des voûtements (ogives à liernes
fréquentes similaires à celles de Coyroux). Ces similitudes attestent de passerelles entre
créations monastiques cisterciennes, hospitalières, templières et paroissiales. Les cisterciens
semblent ainsi avoir une réelle place dans la création de ce « premier gothique » du diocèse de
Limoges et semblent transmettre un certain nombre d’éléments novateurs, qu’il s’agisse des
ogives (Coyroux, Dalon), parfois à formerets (Palais-Notre-Dame), des triplets de façade
triangulés (Le Palais), des oculi, des portails à ébrasements multiples et chapiteaux isolés
(Bonlieu).
- 814 -
•
Entre réelles novations et transmissions :
Les moines cisterciens, s’ils ne sont pas toujours à l’origine des novations gothiques,
semblent néanmoins jouer un rôle majeur dans la transmission des formes nouvelles, qu’il
s’agisse des plans, élévations, voûtes d’ogives ou d’éléments sculptés.
Philippe PLAGNIEUX fait remarquer que par l’intermédiaire de l’abbatiale de
Morimond, le chevet à déambulatoire et chapelles rayonnantes s’est propagé dans les pays
d’Empire. Le déambulatoire droit est en particulier choisi à Walkenried en Allemagne sous
l’abbatiat de Guido II, par ailleurs ancien abbé de Morimond [Fig. 1002 et 1003]2184.
Les abbayes cisterciennes méditerranéennes sont essentielles dans la transmission de
certaines formes architecturales et sculptées en Espagne. En effet, les moines blancs
emploient fréquemment des colonnes jumelles adossées aux supports de la nef comme à
Flaran, Fontfroide, Villelongue ou Silvanès, pratique qui va être diffusée aux abbayes
cisterciennes d’Espagne puis aux cathédrales et collégiales espagnoles. Ce procédé n’est
toutefois pas une novation cistercienne et existe déjà dans certaines églises du nord du
Languedoc, du Rouergue, du Velay et du Forez. Par ailleurs, Bruno PHALIP constate la
fréquente utilisation de colonnes jumelées à l’entrée de certains déambulatoires d’édifices
romans d’Auvergne (Notre-Dame du Port à Clermont), « trait d’union entre l’Antiquité, les
basiliques mérovingiennes, les redécouvertes carolingiennes et les réalités romanes en
Auvergne ». Ces colonnes sont fréquemment installées sur des piédestaux et les chapiteaux
les surmontant sont reliés par de puissants tailloirs. Ce principe des colonnes jumelées
adossées se rencontre ainsi à Saint-Pierre de Vienne, aux cryptes de Jouarre, de Saint-Laurent
de Grenoble et de Saint-Martin d’Auxerre2185. Les moines blancs puisent ainsi une fois encore
dans un répertoire largement connu des époques pré-romanes et romanes et semblent avoir
aidé à sa diffusion par l’intermédiaire de leurs fondations espagnoles.
Nous aurions ainsi plutôt tendance à considérer les moines blancs comme des
« passeurs » permettant une large diffusion des premières formes gothiques en France et en
Europe par l’intermédiaire d’abbayes-filles implantées en Angleterre, en Allemagne, en Italie,
et en Espagne dans la seconde moitié du XIIème siècle. Pour Philippe PLAGNIEUX, c’est la
centralisation de l’ordre qui aurait permis de porter « le ferment du nouvel art de bâtir dans
l’ensemble de l’Occident chrétien et jusque dans l’Orient latin ».
L’étude de Robert STALLEY sur les monastères cisterciens d’Irlande a permis de
distinguer ce rôle de relais joué par les moines blancs dans la transmission de certaines formes
2184
2185
P. PLAGNIEUX, op. cit., p. 81-91.
B. PHALIP, Des terres médiévales en friches…, op. cit., vol. I, p. 54.
- 815 -
gothiques. L’implantation cistercienne en Irlande date des années 1140 et se caractérise par sa
relative simplicité. Les cisterciens permettent entre autre l’introduction du cloître carré ou
rectangulaire, inconnu jusque là en Irlande. De même, les absides semi-circulaires ne sont
guère usitées. À l’abbatiale de Mellifont, fondée en 1142 et consacrée en 1157, elles alternent
avec des absides quadrangulaires [Fig. 969]. Les façades orientales sont percées de triplets
inhabituels chez les bâtisseurs irlandais mais très fréquents en France à la fois dans un cadre
cistercien et dans les espaces Plantagenêts [Fig. 970]2186.
Les moines blancs semblent faciliter la transmission du voûtement d’ogives en
Europe. En effet, elles apparaissent vers 1170 à l’abbatiale de Roche en Angleterre, en 1207
en Allemagne à la chapelle Saint-Michel d’Eberbach, dès 1166 en Espagne où les bas-côtés
de l’abbatiale de Poblet sont voûtés d’ogives, vers 1170 en Italie à Fossanova, au début du
XIIIème siècle à Casamari et San Galgano2187. En Angleterre, l’introduction du gothique
français est permise par l’édification de l’abbatiale de Canterbury, mais aussi par les
cisterciens qui fondent de nombreux établissements dans les provinces du nord (Yorkshire).
La construction de l’abbatiale de Roche est ainsi amorcée vers 1175 et se dote d’une élévation
à trois étages avec un triforium aveugle, plutôt rare dans un cadre cistercien. Au sud-ouest de
l’Angleterre, un premier art gothique est introduit à la cathédrale de Worcester, peut-être
encore grâce aux intermédiaires cisterciens2188.
Les moines cisterciens peuvent également avoir une incidence sur d’autres ordres
monastiques. Ainsi, A. GIRARD évoque l’importance des cisterciens dans l’apparition du
gothique chez les hospitaliers. Il cite l’exemple de l’hôpital de Pont-Saint-Esprit et distingue
un certain nombre de similitudes avec les créations cisterciennes tel le principe d’isolement
des fonctions, nouveau dans cet ordre militaire. L’hôpital est bâti à l’image d’une abbatiale
cistercienne. L’architecte emprunte par ailleurs beaucoup au plan du dortoir cistercien tandis
que la cheminée fait référence au dortoir de Sénanque (com. Gordes, Vaucluse). La sculpture
demeure très sobre, dépouillée, avec des chapiteaux ornés de deux rangées de feuilles
stylisées. Ces interpénétrations avec un cadre cistercien s’observent dès la fin du XIIème
siècle dans le sud de la France. A. GIRARD insiste sur le fait que « le milieu cistercien adopte
précocement l’ogive », il est dès lors normal de retrouver « son influence dans les premières
expériences d’adaptation des principes gothiques dans le domaine méridional »2189.
2186
R. STALLEY, The cistercian monasteries of Ireland, Yale University Press, 1987, p. 55 et 81. Des triplets de
baies s’observent à Dunbrody, Grey, Hore, Abbey Knockmoy, Buildwas et Boyle notamment.
2187
P. PLAGNIEUX, op. cit., p. 81-91.
2188
L. GRODECKI, Architecture gothique, Paris, 1979, p. 192-250.
2189
A. GIRARD, « Les origines du plan de la salle des pauvres de l’hôpital de Pont-Saint-Esprit », dans F-O.
TOUATI (dir.), Archéologie et architecture hospitalières de l’Antiquité tardive à l’aube des temps modernes,
- 816 -
Ainsi, les cisterciens semblent adopter avec beaucoup d’aisance certaines novations
gothiques comme les voûtes d’ogives apparaissant de manière relativement précoce dans
l’ordre. Les moines cisterciens du diocèse de Limoges ne sont pas en reste et les voûtes
d’ogives du réfectoire d’Obazine comptent vraisemblablement dans les premières mises en
œuvre, vers 1180. Ils vont dès lors jouer un rôle précieux dans la transmission de certaines de
ces novations. Or, durant cette période de transition et d’émergence progressive des formes
gothiques dans les années 1180-1220, nous avons vu que le diocèse de Limoges est tenaillé
entre rois anglais et couronne de France, deux royautés tentant de s’affirmer certes par des
offensives guerrières, mais aussi par la mise en œuvre d’architectures aisément
reconnaissables destinées à marquer les territoires conquis. Les châteaux philippiens sont en
cela exemplaires, auxquelles répondent des forteresses Plantagenêts à tours de flanquement en
amande et mâchicoulis sur arcs. Peut-on dès lors définir un art gothique plantagenêt et un art
gothique capétien ? Quelles en sont les expressions dans le diocèse de Limoges ? À quelles
formes artistiques gothiques les moines cisterciens vont-ils se référer ?
2. Gothique Plantagenêt, gothique capétien ? Symbolique du pouvoir et pouvoir du
symbole. Les abbayes cisterciennes comme lieu de pouvoir.
Certaines études récentes tendent à mettre en évidence les liens étroits entre
monastères cisterciens et pouvoirs politiques, qu’il s’agisse des seigneurs donateurs
choisissant les sites cisterciens comme nécropoles familiales, ou des bienfaiteurs plus
prestigieux encore tels les rois de France et d’Angleterre. Dès 1968, Carol HEITZ écrivait que
« mieux que les autres arts, l’architecture exprime les aspirations les plus hautes et la volonté
politique des maîtres du royaume.2190 »
Un exemple flagrant de l’empreinte royale sur l’architecture est sans doute le château.
L’architecture castrale est en effet peut-être la plus révélatrice de la présence des rois
Plantagenêts et Capétiens sur leurs territoires respectifs, témoins des avancées et victoires des
uns et des autres. Chacun développe un certain nombre d’éléments reconnaissables permettant
d’identifier relativement facilement l’obédience de la forteresse. Philippe DURAND fait état
en particulier d’une « recherche d’identité à travers l’architecture castrale »2191. Dans les
années 1190, Philippe-Auguste impose en effet des tours maîtresses circulaires symboles de la
puissance royale tandis que les forteresses Plantagenêts se distinguent par des enceintes
Paris, 2004, p. 197-198.
2190
C. HEITZ, « Nouvelles interprétations de l’art carolingien », Revue de l’Art, 1-2, 1968, p. 105-113.
2191
P. DURAND dans Les fortifications dans les domaines Plantagenêts…, op. cit., p. 135.
- 817 -
flanquées de tours hémicirculaires pleines, renforcées parfois de grands arcs de décharge, des
tours en amande ou encore des archères à étriers. Les pratiques culturelles et artistiques
semblent étroitement liées aux pouvoirs politiques.
Sont ainsi mises en œuvre un certain nombre de tours circulaires « philippiennes »
telles la Tour du Louvre (1202), Dun-Le-Roy, les tours-maîtresses d’Orléans, de Villeneuvesur-Yonne, de Laon et de Péronne (1205-1212), la tour du Prisonnier à Gisors, Falaise,
Rouen, Verneuil, Lillebonne, Verneuil et Chinon. Toutes ces tours disposent du même aspect
extérieur et de mesures comparables. Ainsi, celles d’Orléans, Villeneuve-sur-Yonne, Laon et
Péronne mesurent 27.28m de haut, 4.95m d’épaisseur de mur pour un diamètre de 16.50m
(interne) et 18.48m (externe). Ce modèle atteint son apogée à Coucy entre 1230 et 1240.
Philippe-Auguste semble ainsi avoir mis au point un programme de construction
« concerté et unifié ». Le recours à des ingénieurs spécialisés, suivant à la lettre des plans
standardisés, permet de construire rapidement et à moindre coût ces tours cylindriques qui
parsèment le territoire capétien.
Dans le diocèse de Limoges, le type de la tour-maîtresse circulaire s’est développé
dans le cadre de l’affirmation progressive du pouvoir capétien. Ainsi nous pouvons citer les
exemples de la tour de Châlus, la tour d’Isabelle d’Angoulême à Crozant, la tour de César à
Allassac et la tour de César à Turenne. Pour Crozant, des hésitations sont sensibles entre une
maîtrise d’œuvre capétienne suite à la saisie du château entre 1242 et 1250 ou les comtes de la
Marche, ces derniers ayant oscillé entre couronnes française et anglaise au XIIIème siècle 2192.
Au XIIIème siècle, un plan raisonné, géométrique et rationnel est introduit à l’imitation des
fondations de Philippe-Auguste. C’est le cas à Châlucet vers 1272-1280 où le plan
quadrangulaire se développe autour d’une tour-maîtresse, de même qu’à Châlus-Chabrol et
Courbefy. Les logis y sont ornés de voûtes à nervures. Des pavements ont également été mis
au jour, ornés de motifs animaliers, fleurdelisés ou héraldiques2193.
Par ailleurs, dans le diocèse de Limoges, certains châteaux témoignent de choix
Plantagenêts. Ainsi, à Rochechouart, une tour présente un profil en amande (XIIIème siècle).
En effet, son front arrondi est doté d’une légère arête caractéristique de formules propres aux
espaces Plantagenêts dans la première moitié du XIIIème siècle. Le même type de tour se
rencontre à Chabanais ou à la Roche-Aymon. À Ségur, une partie de l’enceinte est renforcée
de deux tourelles pleines, conformes à certains procédés de mise en œuvre de la défense
caractéristiques des fortifications Plantagenêts2194. Le développement des tours en amande est
2192
C. RÉMY, Seigneuries et châteaux forts en Limousin…, op. cit., p. 95.
C. RÉMY, op. cit., p. 108.
2194
Les fortifications dans les domaines Plantagenêt. XIIème-XIVème siècles…, op. cit.
2193
- 818 -
ainsi « symptomatique » de la présence des rois Plantagenêts dans le diocèse de Limoges.
Plusieurs tours en amande flanquaient en effet l’enceinte du château de Limoges tandis que
des investigations à Saint-Léonard de Noblat ont également révélé trois tours d’enceinte
similaires. Limoges et Saint-Léonard sont par ailleurs deux villes prises par les Plantagenêts
dans les années 12002195.
L’instrumentalisation des créations artistiques et architecturales à des fins politiques et
symboliques est ainsi tangible. Si les châteaux sont peut-être l’expression la plus flagrante des
ambitions royales, certaines abbayes peuvent de même devenir des symboles d’un pouvoir
fort et opulent. Les moines cisterciens du diocèse de Limoges paraissent ainsi refléter les
hésitations et tiraillements entre pouvoirs Plantagenêt et Capétien, particulièrement dans les
années 1200.
Cette « instrumentalisation » des monastères par les pouvoirs politiques n’est pas une
nouveauté des XIIème et XIIIème siècles. En effet, Charlemagne et Louis le Pieux par
exemple ont utilisé les monastères comme « agents de romanisation » et d’unification pour
l’Empire d’Occident. Les abbayes deviennent des points d’appui pour l’autorité publique en
Germanie, France et Italie septentrionale. À la fin du Xème siècle et au début du XIème
siècle, les abbayes de Saint-Denis et Saint-Benoît-sur-Loire sont ralliées au pouvoir royal et
permettent l’affermissement de la dynastie d’Hugues Capet et de son fils Robert Le Pieux2196.
C’est ainsi qu’Amelle BONIS s’interroge sur les liens entre créations monastiques
cisterciennes et réseaux politiques dans lesquelles les moines blancs sont obligés de s’insérer :
« Quels sont les rythmes de la diffusion savignienne et cistercienne de part de d’autres de la
frontière interne séparant espaces Capétiens et Plantagenêts ? 2197». Elle suppose ainsi que la
répartition des sites cisterciens n’est pas anodine et pourrait dépendre des pouvoirs politiques
y gouvernant. Les moines blancs du diocèse de Limoges prennent d’ailleurs place au cœur des
conflits entre Plantagenêts et Capétiens par le biais de donations (Obazine, Dalon) ou de
fondations royales (Varennes).
Pour Matthias UNTERMANN, l’art cistercien doit être appréhendé comme un art
« politique » dès la seconde moitié du XIIème siècle et plus particulièrement dans le courant
du XIIIème siècle. Les moines blancs paraissent en effet investis d’un nouveau « devoir » :
montrer les politiques victorieuses à travers des fondations royales. C’est pourquoi Richard
2195
C. RÉMY, op. cit., p. 104.
Dom A. DAVRIL, E. PALAZZO, La vie des moines au temps des grandes abbayes, Paris, Hachette, 2000.
2197
A. BONIS, M. WABONT, « Cisterciens et Cisterciennes en France du Nord-ouest. Typologie des fondations,
typologie des sites », dans B. BARRIÈRE, M-E. HENNEAU (dir.), Cîteaux et les femmes…, op. cit. p. 151-176.
2196
- 819 -
Cœur-de-Lion aide au financement de la couverture en plomb de l’abbatiale de Pontigny,
après que son père Henri II ait financé celle de Clairvaux en 1178. En 1205, Adèle de
Champagne choisit Pontigny comme lieu d’inhumation. Son père Thibaud III (†1201) avait
d’ailleurs financé le nouveau sanctuaire à déambulatoire et chapelles rayonnantes. En 1226,
l’abbaye de Royaumont est fondée par saint Louis, témoignant des liens étroits entre la
couronne française et les monastères cisterciens2198.
Véronique GAZEAU atteste parfaitement cette vision des abbayes cisterciennes
normandes comme des relais du pouvoir royal, qu’il soit Plantagenêt ou Capétien. Pour
l’historienne, les abbayes peuvent en effet devenir des « bastions » du pouvoir pour les
familles de l’aristocratie qui les ont dotées. Les monastères constituent également des relais
du pouvoir ducal par l’intermédiaire d’abbés souvent issus de réseaux aristocratiques, ce qui
est également le cas des abbés cisterciens du diocèse de Limoges. Étienne d’Obazine est issu
de la noblesse, le premier abbé de Bonlieu est un seigneur de Saint-Julien-Le-Château. Les
élections abbatiales fournissent au prince l’occasion de placer un candidat de son choix et de
jouer alors de son influence. Ainsi, l’auteur affirme que les ducs normands s’appuient non
seulement sur les évêques mais aussi sur les abbés pour mener à bien leurs desseins en
matière religieuse2199.
Cet exemple normand nous permet de nous interroger sur les réalités présentes dans
les pays d’Ouest, souvent tiraillés entre Plantagenêts et Capétiens. Quel va être alors le rôle
joué par les moines blancs et leur implication dans la politique royale ? Les Plantagenêts et
Capétiens vont-il en retour avoir un quelconque poids sur les choix artistiques aquitains, et
plus particulièrement cisterciens ?
•
Un « goût Plantagenêt » en Aquitaine ? 1150-1200 :
L’idée d’un « mécénat » Plantagenêt est relativement délicate à établir en dehors des
sites castraux, qu’il s’agisse d’architecture cistercienne ou des choix des principaux
mouvements à vocation érémitique aquitains.
Armelle BONIS constate qu’au tournant des XIème et XIIème siècles, les espaces
capétiens, angevin et normand ont connu le développement de mouvements érémitiques vite
transformés en mouvement cénobitique. Néanmoins, il semblerait que les terres capétiennes
soient moins prolifiques en nouveaux ordres. Ils vont ainsi plus naturellement jouer la carte
2198
M. UNTERMANN, op. cit., p. 60.
V. GAZEAU, « Les abbayes bénédictines de la Normandie ducale : lieux de pouvoir ou relais du pouvoir ? »,
dans A-M. FLAMBARD HÉRICHER, Les lieux de pouvoir au Moyen-Âge en Normandie et sur ses marges,
CRAHM, Caen, 2006, p. 91-100.
2199
- 820 -
des ordres bénédictins solidement implantés et se tourner vers Cluny. Toutefois, Cîteaux
essaime largement dans l’espace capétien, tandis que la congrégation de Savigny se tourne
plus vers les espaces Plantagenêts2200. Savigny est née de la réforme grégorienne en
Normandie, de même que Tiron. Elle est affiliée à Cîteaux en 1147. L’abbatiale est
commencée grâce au mécénat d’Henri II et achevée dans les années 1200. Les abbayes
normandes paraissent très liées à la politique ducale, d’où une méfiance certaine vis-à-vis de
Cluny (deux prieurés seulement).
Le « mécénat » des Plantagenêts envers certains sites cisterciens est bien attesté.
D’après Lindy GRANT, il semblerait que les rois Plantagenêts aient laissé les cathédrales aux
évêques choisis dans leur proche entourage, tandis qu’ils préfèrent exercer leur patronage sur
les monastères. Cette idée peut toutefois être nuancée par l’intérêt particulier porté à la
cathédrale du Mans où est inhumé le père d’Henri II.
Les rois anglais témoignent également de générosités envers Fontevrault et Grandmont
comme nous avons déjà eu l’occasion de le signaler, deux ordres privilégiant nef unique et
sobriété affirmée. Henri II fournit les maçons royaux nécessaires à la reconstruction de
l’abbatiale de Grandmont. Richard Cœur-de-Lion dote en particulier le cloître de Fontevrault
de nouvelles arcades. Quant aux cuisines, elles appartiennent à une série de cuisines
circulaires ou octogonales dont la plupart sont situées dans la vallée de la Loire (Marmoutier
vers 1155, Saumur entre 1160 et 1203, Bourgueil entre 1185 et 1207, La Trinité de Vendôme,
Pontlevoy, Thiron, Saint-Aubin d’Angers) et étroitement liées à la maison d’Anjou. Elles vont
également se diffuser en Angleterre (cuisines du logis abbatial de Glastonbury au début du
XIVème siècle). Celles de Fontevrault sont bâties entre 1144 et 1189 grâce aux dons d’Henri
II. Cette forme inhabituelle ne pourrait-elle ainsi revêtir une connotation princière dans l’ouest
de la France 2201?
Les rois Plantagenêts font bâtir des léproseries à Caen (1161), Bayeux et près de
Quevilly (1180). Dans cette seconde moitié du XIIème siècle, l’aide aux lépreux, de même
que le patronage des monastères cisterciens sont à la mode. La partie est de l’abbaye du Bec
est ainsi reconstruite afin d’accueillir l’impératrice Mathilde2202. Bérengère de Navarre, veuve
de Richard Cœur-de-Lion, fonde l’abbaye cistercienne de L’Épau (com. Yvré-L’Evêque,
Sarthe) où elle meurt en 12302203. L’abbaye de la Fontaine-Guérard (com. Radepont, Eure) est
créée en 1189 par Robert IV de Leicester, ami proche de Richard Cœur-de-Lion. Elle opte
2200
A. BONIS, M. WABONT, « Cisterciens et Cisterciennes en France du Nord-ouest. Typologie des fondations,
typologie des sites », dans B. BARRIÈRE, M-E. HENNEAU (dir.), Cîteaux et les femmes…, op. cit., p. 151-176.
2201
M. MELOT, « Les cuisines circulaires de Fontevrault et des abbayes de la Loire », Congrès National des
Sociétés Savantes, Tours, XCIII, p. 339-364.
2202
L. GRANT, « Le patronage architectural d’Henri II », CCM, n°1-2, janvier-juin 1994, p. 73-84.
- 821 -
pour la traditionnelle nef unique terminée par un sobre chevet plat. À Bonport (com. Pont-deL’Arche, Eure), le chœur à déambulatoire dispose de chapelles rayonnantes de plan
quadrangulaire ne formant pas saillie sur le mur du chevet, définissant ainsi un simple mur à
pans coupés. Cette formule avait déjà été choisie à Savigny (1173-1220, com. Savigny-leVieux, Manche) et Breuil-Benoît (1224, com. Marcilly-sur-Eure, Eure), parti fréquent en
Angleterre, intermédiaire entre le chevet capétien et le déambulatoire droit2204.
Ainsi, des liens paraissent se tisser entre rois Anglais et sites cisterciens, d’où la
nécessité de faire un point rapide sur les relations entre l’Angleterre et Cîteaux.
Rapports Cîteaux/Angleterre :
Les pays d’Ouest et plus particulièrement l’Anjou semblent étroitement liés à des
réalités artistiques anglaises et la présence des Plantagenêts jusque dans les années 1210 n’est
plus à démontrer. Jean GLÉNISSON tend à montrer comment au XIIème siècle les ducs
d’Aquitaine anciennement implantés sur les territoires angevins vont chercher à renforcer leur
emprise sur leur zone d’influence traditionnelle (Aunis) par un « mécénat » artistique. Les
comtes d’Anjou espèrent quant à eux, grâce à leurs fondations, asseoir leur position sur les
terres où ils viennent de pénétrer2205. Un certain nombre de formules romanes et gothiques
anglaises vont tendre à s’adapter en Aquitaine par l’intermédiaire de ces rois Plantagenêts,
désireux de marquer leur présence sur les territoires conquis. Afin de distinguer ces
interpénétrations et éventuels apports anglais, il semble nécessaire de faire un point rapide sur
l’architecture et le décor anglais. Même si cette digression semble s’éloigner quelque peu de
notre objet d’étude, elle n’en est pas moins nécessaire pour discerner l’existence ou non d’un
« mécénat » artistique Plantagenêt, et donc anglais.
L’architecture gothique anglaise – dont les balbutiements s’expriment à Durham –
emprunte certains aspects au royaume de France par l’intermédiaire de l’architecte Guillaume
de Sens au chœur de Canterbury en 1174. Il adapte certains procédés de construction français
aux murs épais privilégiés par les bâtisseurs anglais. Certaines formules françaises ne sont
toutefois pas reprises comme les arcs-boutants, inutiles avec cette présence de murs épais,
d’autant plus que l’étage supérieur n’est que de faible hauteur. Nous avions déjà pu faire cette
constatation pour les sites cisterciens aquitains qui semblent ainsi se rapprocher par certains
2203
D-M. DAUZET, « Les abbayes normandes à la fin du XIIème siècle », dans Richard Cœur de Lion…, op.
cit., p. 179-187.
2204
A. GOSSE-KISCHINEWSKI, « Fondations cisterciennes en Normandie au temps de Richard », dans
Richard Cœur de Lion…, op. cit., p. 189-197.
2205
J. GLÉNISSON, « Le Moyen-Âge » dans J-N. LUC (dir.), La Charente-Maritime. L’Aunis et la Saintonge
des origines à nos jours, ed Bordessoules, Saint-Jean-d’Angély, 1981, p. 104-186.
- 822 -
aspects des formulations du gothique anglais en privilégiant les murs massifs et en se
montrant réticents à adopter l’arc-boutant et le triforium2206.
Toutefois, bien avant l’érection de Canterbury et l’apparition de formes rayonnantes
en Angleterre, les bâtisseurs ont initié un certain nombre de formes artistiques gothiques. Il
semblerait que les architectes anglais aient généralisé l’emploi de l’ogive précocement dès la
fin du XIème siècle, comme pour les sites de Peterborough, Gloucester et Southwell. Cette
novation est adaptée à des formes architecturales plutôt trapues, les bâtisseurs tendant à rester
fidèles à une conception architecturale romane imposée par les Normands dans le dernier tiers
du XIème siècle. Malgré le voûtement d’ogives, les murs restent ainsi massifs, les arcsboutants rares. Des passages anglo-normands au niveau des fenêtres hautes impliquent la
continuité horizontale de l’élévation. La fidélité à certains caractères romans est de fait
tangible, témoignant d’un « conservatisme », d’une continuité similaire à celle observée chez
les moines blancs. Le gothique anglais opte souvent pour le plan à double transept imité de
celui de Cluny III, le chevet plat se généralise dès 1100, de même qu’une élévation à trois
niveaux, l’alternance des supports, l’insistance sur les tours occidentales ou de croisée. Le
chevet plat est par ailleurs largement présent en Angleterre dès le VIIème siècle. Pierre
HÉLIOT constate sa généralisation jusqu’à la conquête de 1066, avant de connaître un
formidable renouveau à l’époque gothique, car particulièrement adapté au voûtement
d’ogives2207.
Dès l’époque romane, les baies en plein-cintre ou brisées se dotent d’un tore en
soulignant le profil, tels certains percements fréquents dans le diocèse de Limoges (église
Saint-Nicholas, Barfreston, Kent). Elles vont trouver des prolongements dans un cadre
gothique. Dans les années 1150-1190, le nombre de fondations monastiques augmente
considérablement, qu’il s’agisse de créations cisterciennes ou augustiniennes. En 1154,
l’avènement d’Henri II est une date clé, ce dernier ayant un rôle important en tant que
commanditaire2208.
Presque tous les édifices sont bâtis sur un plan rectangulaire. Les chœurs sont de plan
barlong, très rarement polygonaux. Les déambulatoires à chapelles rayonnantes sont rares
tandis que les chœurs à déambulatoires rectangulaires sont privilégiés. Les édifices sont
relativement bas par rapport aux cathédrales françaises capétiennes. Ainsi, Salisbury mesure
25.60m de haut contre 43.50m de haut pour la cathédrale d’Amiens par exemple. Nous avons
2206
L. GRODECKI, Architecture gothique, Paris, 1979, p. 192-250.
P. HÉLIOT, « Origines et extension du chevet plat dans l’architecture religieuse de l’Aquitaine », Cahiers
Techniques de l’Art, T III, 1955, p. 23-49.
2208
P. DRAPER, « Recherches récentes sur l’architecture dans les îles britanniques à la fin de l’époque romane et
au début du gothique », BM, 1986, p. 395-328.
2207
- 823 -
eu l’occasion par ailleurs de constater la relative modestie de la hauteur des abbatiales
cisterciennes par rapport à celles des cathédrales gothiques capétiennes. Les volumes
cisterciens semblent ainsi plus proches des réalités gothiques anglaises. Sont donc édifiées à
la fin du XIème siècle les cathédrales de Wells (1185) et de Lincoln (1192) présentant la
même élévation à trois niveaux. Tandis que l’horizontalité prime à Wells, de même que le
cloisonnement du volume central, la cathédrale de Lincoln témoigne d’une certaine verticalité
et d’une diminution de l’épaisseur des murs. Salisbury opte quant à elle pour l’habituel plan à
chevet plat. L’abbaye de Westminster est l’un des seuls édifices bâtis selon des formules
capétiennes. Celle-ci essayait en effet de concurrencer les plus grandes cathédrales françaises.
Certains éléments du gothique capétien sont ainsi adaptés aux traditions anglaises.
L’Angleterre semble donc très attachée aux formules romanes. Les bâtisseurs ne
paraissent « pas vraiment entraînés dans les recherches spatiales, la définition de la travée et
le rôle de la lumière qui agitent les maîtres d’œuvre du Nord de la France».
Certaines sculptures, dès l’époque romane, évoquent également des créations
artistiques communes aux cadres aquitains et cisterciens. À la cathédrale de Winchester
(Hampshire), la nef et les arcades de la tribune présentent des chapiteaux cubiques pénétrés
d’un volume pyramidal (Beaulieu, Cahors). Le bras nord du transept appartient à la cathédrale
romane édifiée vers 1079-1098. Il est contourné par des collatéraux, solution reprise à
l’abbaye cistercienne de Chaalis. Les chapiteaux cubiques y sont déjà largement présents.
Nous pouvons également noter la présence de piles circulaires appareillées massives, comme
à la nef gothique de Brive. À la cathédrale de Durham (1093-1133), des piles circulaires
massives alternent dans la nef avec des piles cruciformes à colonnes engagées surmontées de
chapiteaux cubiques. De même qu’à Winchester, le transept saillant est pourvu de
collatéraux2209.
Le double transept et le chevet droit sont ainsi fréquents en Angleterre (Salisbury). Les
sanctuaires sont généralement dépourvus d’arcs-boutants. Semble ainsi se distinguer un art
gothique du Nord de la France, bien différent des réalités anglaises et aquitaines2210.
Les cisterciens entretiennent des liens particuliers avec l’Angleterre, tissés dès les
premiers temps de l’Ordre. En effet, Étienne Harding, troisième abbé de Cîteaux, est un
moine anglais ayant suivi sa formation dans la communauté de Sherbone au sud-ouest de
l’Angleterre avant de partir en France. Il est issu d’un noble lignage anglo-saxon. C’est lui qui
2209
R. STOLL, L’Art roman en Grande-Bretagne, Paris, 1966 ; A. PRACHE, Cathédrales d’Europe, Citadelles
et Mazenod, 1999, p. 116.
2210
A. ERLANDE-BRANDENBURG, L’art gothique, Mazenod, Paris, 1983, p. 61 et 547.
- 824 -
met au point la Charte de Charité en 1114, établissant les principales institutions de l’Ordre et
définissant les liens de filiation entre les différents sites. Sa présence et son influence sur
l’ordre cistercien peuvent peut-être justifier un certain nombre de ressemblances entre l’art
anglais et les créations cisterciennes : murs trapus, horizontalité, prédilection pour le chevet
plat, hauteurs modestes des édifices2211.
Quant aux abbatiales cisterciennes anglaises, elles sont essentiellement des filles du
monastère de Clairvaux, excepté les fondations de l’extrémité sud rattachées à Morimond.
L’art cistercien anglais et irlandais se caractérise par la fréquence du parti de la nef unique.
Elle se retrouve en effet en Irlande à Grey, Kilcooly, Corcomroe et Abbeydorney [Fig. 971].
Les voûtes d’ogives complexes sont souvent de mise. À Jerpoint, la croisée du transept est
couverte de voûtes à liernes et tiercerons. Quant aux décors et éléments de mobilier, ils ne
sont guère éloignés des réalités françaises. Les sols de carreaux émaillés sont ainsi fréquents
et se retrouvent pour les abbatiales de Boxley, Warden et Waverley [Fig. 1040]. Les plus
anciens relèvent de la fin du XIIème siècle. Leur production se prolonge jusque dans les
années 1225. Dans le second quart du XIIIème siècle, les sols de mosaïques se concentrent
surtout au nord de l’Angleterre, tel à Byland, Fountains, Jervaulx, Louth Park, Meaux,
Newbattle, Newminster, Rielvaux et Sawley2212.
Il semblerait ainsi que les techniques de constructions et de décors anglaises ne soient
guère éloignées des réalités cisterciennes comme en témoignent un certain nombre
d’aspirations communes : le dépouillement, les plans simples (chevet plat, nef unique dans un
cadre cistercien), les murs épais, la résistance à un gothique capétien optant pour les plans
complexes, les piles fasciculées, l’évidement des murs et le contrebutement par des arcsboutants. Les cisterciens ont ainsi pu apparaître aux rois Plantagenêts comme des relais
naturels étant donné des goûts artistiques partagés.
Une de ces tendances communes aux abbayes cisterciennes, à certains sites aquitains
des espaces Plantagenêts et aux créations anglaises est la fréquente monumentalisation des
chevets plats qui va aboutir à l’élaboration d’un chevet à déambulatoire droit, réponse aux
chevets à déambulatoire et chapelles rayonnantes des Capétiens.
Vers une monumentalisation des chevets plats. Le
déambulatoire droit :
2211
2212
T. KINDER, L’Europe cistercienne, Zodiaque, 1997, p. 30.
T. KINDER, op. cit., p. 169.
- 825 -
Le déambulatoire droit est considéré par Matthias UNTERMANN comme une
« solution cistercienne originale ». Il permet de conserver le plan de base rectangulaire et de
lui adapter une couronne fermée de chapelles, transformation « consciente et programmée »
du déambulatoire circulaire2213. Néanmoins, des précédents sont connus, en Angleterre mais
aussi en Aquitaine. Ce plan pourrait tirer son origine des cryptes extérieures ottoniennes ainsi
que des dispositifs des cryptes carolingiennes comme à Saint-Michel-de-Cuxa ou encore
Corvey.
Ce plan est en effet très fréquent en Angleterre et est connu pour des édifices non
cisterciens antérieurs ou contemporains (cathédrale de York par exemple). Dès le XIIème
siècle, il est choisi à Old Sarum et Romsey. Il est ensuite relayé par des exemples cisterciens
dans la seconde moitié du XIIème siècle. Ainsi, l’abbaye cistercienne de Roche, entreprise
vers 1175 se dote d’un chevet plat à déambulatoire rectangulaire. De même, l’église
cistercienne de Tintern dispose d’un chœur à déambulatoire droit ample [Fig. 972].
Ce chevet monumentalisé est assez similaire à certains exemples aquitains comme
ceux de Saint-Junien [Fig. 924] ou de la cathédrale de Poitiers [Fig. 973]. Il est associé à un
transept à bas-côtés et à un triple vaisseau ample. Ce plan correspond par ailleurs au plan
d’une église cistercienne levé par Villard de HONNECOURT dans ses carnets au début du
XIIIème siècle2214. Il est le même que celui adopté à Cîteaux, un chœur rectiligne muni de
chapelles sur les trois côtés, consacré en 1193 [Fig. 974]2215. Ces choix architecturaux sont
repris à Byland [Fig. 975]. Le choeur à déambulatoire droit est associé à une nef et un vaste
transept à bas-côtés. À Rievaulx, le chevet plat primitif édifié vers 1135 est remplacé dans la
seconde moitié du XIIème siècle par un choeur plus vaste à déambulatoire droit de la même
largeur que la nef, créant un immense espace, une vaste halle pouvant accueillir un très grand
nombre de moines. À Lincoln, le déambulatoire droit est associé à une triple nef et un double
transept2216.
Ces choix anglais ne semblent guère éloignés des chevets monumentaux de SaintJunien ou de la cathédrale de Poitiers. Jacques MALLET constate, dans son ouvrage sur
l’Anjou roman, que les trois grandes abbatiales bénédictines d’Angers (telle Saint-Serge)
adoptent un chevet où les chapelles orientées viennent élargir le déambulatoire avec lequel
elles communiquent largement [Fig. 976]. L’allègement des supports entre le chœur et le
2213
M. UNTERMANN, op. cit., p. 164.
Vers 1225, Paris, BNF, ms Fr. 19093, fol. 14 verso.
2215
T. N. KINDER, L’Europe cistercienne, Zodiaque, 1997, p. 169.
2216
L. GRODECKI, Architecture gothique, Paris, 1979, p. 192-250.
2214
- 826 -
déambulatoire ainsi créé permet la réalisation d’un vaste espace horizontal et unitaire d’un
mur gouttereau à l’autre. Ce plan peut être à l’origine du chœur-halle rectangulaire adaptant le
déambulatoire à chapelles rayonnantes2217.
La cathédrale de Poitiers opte pour un chevet plat monumentalisé assez similaire aux
choix cisterciens et pouvant s’expliquer par un « mécénat » Plantagenêt [Fig. 973]. Entre
1162 et 1170, Aliénor d’Aquitaine réside néanmoins le plus souvent en Angleterre. Il est ainsi
difficile d’attester son « mécénat » à Poitiers. La cathédrale est édifiée alors que l’évêque Jean
Belmain est sur le siège épiscopal2218. Le mur du chevet plat massif est bâti sur un puissant
remblai de 2m. Il présente un caractère austère proche de certaines réalités cisterciennes. Ce
monumental chevet plat de 40m de large et 48m de haut est dénué de tout contrefort extérieur.
La mise en œuvre et les procédés de construction évoquent ainsi plus l’architecture castrale tel
le château d’Orford édifié par les architectes militaires d’Henri II. Par ailleurs, le contrefort en
pyramide renversée de la base du clocher du chevet évoque la tour de Douvres et la tour du
Moulin de Chinon, permettant de lancer des passerelles entres créations religieuses et
militaires2219.
L’ornementation reste de plus toute en sobriété. Le chœur met l’accent sur la
luminosité et l’espace. Les trois vaisseaux sont de même hauteur, l’éclairage vient
uniquement des bas-côtés. Ils se terminent par de grandes niches en abside surmontées de
voûtes d’ogives, inscrites dans un mur plat.
Ce type de grands chevets plats n’est pas inconnu, même pour de vastes monuments
comme la cathédrale de Bourges dont le chevet plat est réalisé entre 1145 et 1160. Le chevet
plat monumentalisé est très répandu en Angleterre, comme à la cathédrale de York dont
l’évêque Jean Belmain a par ailleurs été le trésorier. Cette dernière est édifiée entre 1154 et
1181 et comporte des chapelles latérales en guise de croisillons comme à Poitiers. De 1190 à
1250, nous pouvons constater une prédilection des maçons anglais et du clergé pour les
chevets rectangulaires à déambulatoire. En Poitou, dans la première moitié du XIIIème siècle,
la cathédrale Notre-Dame de Luçon opte également pour un chevet plat monumental peut-être
inspiré par celui de la cathédrale de Poitiers2220.
Ce chevet monumental est par ailleurs repris à Saint-Pierre de Saumur. Il s’agit en
effet d’un chœur-halle, d’une vaste salle dégagée par de grandes colonnes. Il est percé d’un
2217
J. MALLET, op. cit., p. 159.
Celui-ci est consacré en 1162. De 1174 à 1182, il porte le titre de légat pontifical, avant de devenir
archevêque de Narbonne puis de Lyon en 1182. A. MUSSAT, Le style gothique de l’Ouest…, op. cit. p. 244-267.
2219
J. L. LOZINSKI, « Henri II, Aliénor d’Aquitaine et la cathédrale de Poitiers », CCM, n°1-2, janvier-juin
1994, p. 91-100.
2220
Y. BLOMME, Poitou gothique, Paris, Picard, 1993, p. 183.
2218
- 827 -
triplet et couvert de nervures multiples, attestant de liens étroits avec un cadre Plantagenêt.
D’autres grands chœurs rectangulaires sont bâtis à l’imitation de Saint-Serge d’Angers
comme les prieurés de Loché et de Précigné, le chœur d’Asnières ou encore le chœur de
l’église paroissiale de Saint-Germain de Bourgueil couvert de neuf voûtes bombées à nervures
multiples2221.
À Saint-Junien dans le diocèse de Limoges, le chœur monumental atteint 28.40m de
long pour une hauteur de 17m [Fig. 924]. Il est vraisemblablement édifié entre 1190 et 1220.
Ce choeur magnifié est significatif de la mainmise du clergé sur un vaste espace oriental
désormais aussi long que celui de la nef2222. L’église de Biennac (1180-1220) adopte un
chevet monumental du type de celui de Saint-Junien, percé d’un triplet de baies et couvert de
voûtes d’ogives bombées à nervures et liernes composées de trois tores inégaux [Fig. 977].
Les murs sont épais, autant de témoins d’un goût proche des réalités anglaises et donc
Plantagenêt2223.
Ainsi, les cisterciens ne semblent pas être les initiateurs de ce chevet à déambulatoire
droit. Ils vont néanmoins probablement contribuer à son développement en France et en
Europe. Après le mort de saint Bernard en 1153, un certain nombre d’abbatiales de l’ordre
sont reconstruites avec un chevet magnifié disposant d’un déambulatoire à chapelles
rayonnantes, sur le modèle de certaines cathédrales gothiques françaises. C’est le cas de
Clairvaux entre 1148 et 1174. Ces modifications sont attestées d’après la biographie de saint
Bernard par Guillaume de SAINT-THIERRY. Le projet avait donc déjà été amorcé avant
même la mort de Bernard. Peut-être était-il à l’origine de ce projet ? L’initiative revient peutêtre également au Pape Eugène III qui donne l’ordre de cette reconstruction au Chapitre
Général de 1147. En 1154, des donations sont délivrées pour la construction de la nouvelle
abbatiale. Cette date ne marque toutefois vraisemblablement pas le début de la mise en œuvre,
amorcée quelques années auparavant. Ce nouveau chœur est parfois interprété comme un
« mausolée » à saint Bernard2224.
Pontigny adopte ensuite le même plan vers 1205 [Fig. 1006]. En parallèle se met en
place un autre type de chevet monumentalisé avec un déambulatoire droit.
2221
A. MUSSAT, op. cit., p. 334.
C. ANDRAULT-SCHMITT, Limousin gothique, Paris, Picard, 1997, p. 24.
2223
C. ANDRAULT-SCHMITT, op. cit., p. 115.
2224
A. GAJEWSKI, « The architecture of the choir at Clairvaux Abbey : saint Bernard and the Cistercian
Principle of Conspicuous Poverty », dans T. N. KINDER, (dir.), Perspectives for an Architecture of solitude.
Essays on Cistercians, Art and Architecture in Honour of Peter Fergusson, Brépols, Cîteaux, 2004, p. 71-80.
2222
- 828 -
Cîteaux est ainsi reconstruite vers 1165-1170, Morimond vers 1253 (date de la
dédicace du nouvel édifice, attestée en chantier en 1204 et remplaçant un premier monument
du XIIème siècle. La nef et les collatéraux sont vraisemblablement édifiés dans les années
12302225). La datation des réfections de Cîteaux pose problème [Fig. 974]. L’abbatiale est en
effet consacrée en 1193, mais il semblerait que la mise en œuvre soit bien antérieure. En effet,
un premier autel est consacré dès 1178 par Geoffroi, évêque de Sorres en Sardaigne (chapelle
Saint-Matthieu), ce qui permettrait d’envisager une date de reconstruction à partir des années
11652226. Aussi bien Cîteaux que Morimond optent pour un plan différent de Clairvaux, avec
un déambulatoire droit, associant l’ancien chevet plat à un déambulatoire permettant l’accueil
de communautés de moines toujours plus nombreuses et la multiplication d’autels pour les
messes des moines-prêtres. Cîteaux se distingue ainsi volontairement de Clairvaux par ce
déambulatoire coudé ouvrant sur une série de chapelles jointives. L’ensemble est couvert
d’ogives, attestant de la parfaite perméabilité des moines cisterciens aux réalités gothiques
contemporaines. De même à Morimond, le chevet est entièrement voûté d’ogives et flanqué
d’arcs-boutants, rares dans un cadre cistercien parfois réticent à l’adoption systématique d’un
gothique capétien [Fig. 1002]2227. Selon Benoît CHAUVIN, d’après les textes conservés,
l’abbatiale de Morimond II est probablement amorcée entre la dédicace de Cîteaux II en 1193
et l’entrée en fonction d’Heidenreich à Morimond vers 1202-12042228. Les plans à
déambulatoire et chapelles rayonnantes ont par ailleurs souvent été considérés comme
contradictoires avec la volonté d’austérité exprimée par Bernard de CLAIRVAUX. Or il s’est
imposé comme une nécessité pour ces abbatiales accueillant toujours plus de moines.
Ces reconstructions concernent ainsi essentiellement les premières filles de Cîteaux et
correspondent sans doute à une volonté de monumentalisation en rapport avec leur statut
particulier et privilégié de représentantes de l’ordre, de son pouvoir et de sa magnificence 2229.
Benoît CHAUVIN distingue plusieurs types de modification à la fin du XIIème siècle et au
début du XIIIème siècle : un allongement des nefs permettant de s’adapter à une
augmentation des effectifs (Clairvaux, Foigny, Ourscamp), une adoption progressive de la
croisée d’ogives avec un bâti surélevé (Noirlac, Fontmorigny). L’accroissement du nombre de
2225
B. CHAUVIN, « Morimond : une ou deux abbatiales ? Les fouilles d’Henri-Paul Eydoux : écrits publics et
lettres privées (1953-1982) » dans G. VIARD (dir.), L’abbaye cistercienne de Morimond…, op. cit., p. 115-156.
2226
B. CHAUVIN, « La reconstruction du monastère de Cîteaux (vers 1160-vers 1240) », BM, T 165-2, 2007, p.
143-173.
2227
P. PLAGNIEUX, « L’architecture cistercienne » dans L’Architecture religieuse médiévale. Art roman et art
gothique, une nouvelle vision, Dossiers d’Archéologie, n°319, janvier-février 2007, p. 81-91.
2228
B. CHAUVIN, « La seconde abbatiale de Morimond, à la lumière de Walkenried II. Hypothèses et précisions
nouvelles (1990-2003) », dans G. VIARD (dir.), op. cit., p. 157-178.
2229
M. UNTERMANN, op. cit., p. 144 et 163.
- 829 -
moines prêtres conduit de plus à une multiplication des autels. Les parties orientales romanes
sont ainsi fréquemment détruites et remplacées par des chevets à chapelles multiples greffées
sur un déambulatoire2230. Alors que les chevets de Clairvaux et Pontigny puisent leur
inspiration dans des formules connues et usitées à Cluny ou à Vézelay, Cîteaux et Morimond
semblent se tourner vers l’Angleterre (cathédrale d’York).
Outre certaines grandes abbatiales de l’ordre, le déambulatoire droit est repris
tardivement en France, Espagne et Italie. Il est choisi à l’abbatiale des Châtelliers en Poitou
(1277, com. Fomperron, Deux-Sèvres), associé à une nef basilicale, et ce n’est certainement
pas une coïncidence s’il s’agit d’une fondation géraldienne, ancrée en Aquitaine et par là
même tournée vers les espaces Plantagenêts2231. En Allemagne, l’abbatiale féminine de SaintJacob-Saint-Burchard d’Halberstadt opte elle aussi pour un chevet ample à déambulatoire
droit. Cette abbaye est fondée tardivement en 1199. Sa construction s’échelonne de 1208 à
1214 environ et prend visiblement son inspiration dans la reconstruction de Cîteaux achevée à
la fin du XIIème siècle. Ce choix architectural est plutôt inhabituel pour un monastère de
moniales, le plus souvent de plan simple et sobre2232.
Ainsi, il semblerait que les chevets à déambulatoire droit soient issus d’une tradition
anglaise (York), transmise en France par l’intermédiaire des rois Plantagenêts et adoptée par
certaines abbatiales cisterciennes en réaction à un gothique capétien privilégiant les
déambulatoires à chapelles rayonnantes. Si les abbayes cisterciennes limousines ne semblent
pas avoir adopté ce chevet monumentalisé, le plus souvent choisi par des communautés
nombreuses et mieux dotées que les modestes sites limousins, ce type de plan est connu en
Limousin à Saint-Junien et dans une moindre mesure à Biennac [Fig. 924 et 977]. Le diocèse
de Limoges semble ainsi tourné vers les pays d’Ouest, vers Poitiers et certaines formulations
propres à un premier gothique Plantagenêt.
La nef unique gothique : dans la tradition érémitique
aquitaine, le choix des abbayes féminines :
D’autres choix cisterciens semblent ancrés dans des traditions aquitaines, relayées par
les rois Plantagenêts dans les années 1150-1220. Le maintien de la nef unique est flagrant
pour les abbatiales cisterciennes du diocèse de Limoges (Bonlieu, Boschaud, Bonnaigue,
2230
B. CHAUVIN, « La reconstruction du monastère de Cîteaux… », op. cit., p. 143-173
M. UNTERMANN, op. cit., p. 427.
2232
C. OEFELEIN, « Typiquement atypique, l’abbatiale Saint-Jacob-Saint-Burchard d’Halberstadt », dans B.
BARRIÈRE, M-E. HENNEAU (dir.), Cîteaux et les femmes, Créaphis, Paris, 2001, p. 41-54.
2231
- 830 -
Coyroux, Aubignac, Grosbot) mais ne correspond pas pour autant à une idée « d’archaïsme »,
de « conservatisme » dans un sens péjoratif. Il s’agit plutôt d’une tradition volontairement
maintenue, idéologique, en correspondance avec un idéal fort de simplicité et de sobriété
cistercienne. De la même manière, d’autres ordres à vocation érémitique optent pour la nef
unique : c’est le cas des celles grandmontaines ou des chartreuses [Fig. 1030].
Des raisons économiques sont également à prendre en considération. Des
communautés comme celles d’Aubignac sont modestes, peu dotées. La priorité à la naissance
de l’abbaye est d’assurer l’autarcie relative des moines par une mise en valeur des terres à
disposition de la communauté. Les premiers investissements sont ainsi destinés à la
constitution d’un patrimoine foncier cohérent. Les premiers bâtiments sont sans doute en
matériaux périssables, et lorsque les moyens sont suffisants pour bâtir en pierre, la taille de
l’édifice reste modeste, la nef unique simple privilégiée. Le système économique de cette
seconde moitié du XIIème siècle est ainsi étroitement lié aux choix de mise en œuvre. Les
revenus engrangés par le travail des frères convers dans le cadre du faire-valoir direct sont
prioritairement réinvestis dans la constitution des exploitations agricoles et des aménagements
hydrauliques (moulins, biefs, viviers) permettant la survie immédiate des moines et le
dégagement progressif de surplus.
Alors que les ordres nouveaux à vocation érémitique comme Cîteaux choisissent la
simplicité et la tradition dans la seconde moitié du XIIème siècle (nef unique, chevet plat,
absence d’images), les ordres anciens comme Cluny paraissent choisir des architectures plus
amples et plus novatrices : nef à bas-côtés, chevet à déambulatoire et chapelles rayonnantes,
programmes iconographiques sculptés complexes. Ceux-ci engrangent beaucoup plus de
revenus que leurs homologues cisterciens du fait de l’acceptation des dîmes et d’une
économie différente basée sur le fermage. Ils s’implantent dans des sites d’ager et non des
salti incultes à mettre en valeur. Les investissements d’assainissement et de défrichements
sont dès lors moins importants et relégués à des tenanciers. Ils peuvent sans doute plus se
permettre d’investir dans l’architecture et la sculpture. Les rois capétiens vont ainsi trouver
chez les clunisiens de puissants relais partageant leurs goûts architecturaux pour les chevets
complexes, les piles composées, les sculptures, tandis que les Plantagenêts trouvent peut-être
une légitimité dans la tradition et le maintien de la nef unique, du chevet plat, d’une timidité
vis-à-vis de l’image et d’une sobriété relayée par Cîteaux. Les historiens insistent toutefois
traditionnellement plus sur les liens étroits entre cisterciens et capétiens, particulièrement dans
la moitié nord de la France (Longpont, Maubuisson), mais moins sur les rapports avec les rois
Plantagenêts, pourtant essentiels en Aquitaine.
- 831 -
L’observation de la carte des plans cisterciens en France révèle que le parti de la nef
unique est plus fréquent en Aquitaine et dans le Midi de la France, en particulier dans les
espaces Plantagenêts [Fig. 1027]. Elle concerne surtout les abbayes de moniales,
communautés généralement moins nombreuses et moins bien dotées que leurs homologues
masculines (telles Coyroux et Derses). À Coyroux, le vaisseau unique sans transept et à
chevet plat évoque les plus simples celles grandmontaines [Fig. 579]. Cette abbatiale féminine
est peut-être primitivement couverte d’une charpente. Ce n’est que dans la seconde moitié du
XIIIème siècle qu’elle se dote de voûtes d’ogives complexes, atténuant quelque peu cette
austérité flagrante d’un vaisseau unique bâti à l’économie.
La nef unique correspond à une tradition romane bien ancrée en Aquitaine et reprise à
leur compte par certains mouvements à vocation érémitique (Grandmont, Cîteaux,
Fontevrault). Elle est même choisie pour des édifices prestigieux comme la cathédrale SaintMaurice d’Angers et n’est ainsi pas cantonnée aux seuls édifices ruraux paroissiaux. Le
caractère économique de ce choix n’est ainsi pas le seul à prendre en considération. La nef
unique n’est pas un pis-aller mais bien un choix concerté et affirmé. La cathédrale est ainsi
dotée d’une nef unique romane de 18.25m de large éclairée par des fenêtres hautes. Les
voûtes sont reconstruites dans la première moitié du XIIIème siècle. Il s’agit de voûtes
barlongues d’Ile-de-France adaptées à une large nef unique. Cette nef s’inspire des nefs
uniques à file de coupoles sur pendentifs telle Fontevrault et la cathédrale d’Angoulême. Il
s’agit d’un édifice modeste qui, selon André MUSSAT, n’a pas « tenu le même rôle politique
auprès des Plantagenêts que la cathédrale du Mans ».
La nef unique est également choisie à Sainte-Radegonde de Poitiers [Fig. 978]. La
large nef de quatre grandes travées gothiques (début XIIIème siècle) est juxtaposée au chevet
à déambulatoire et chapelles rayonnantes roman. Le parti de la nef unique est remis à
l’honneur par la cathédrale angevine et se maintient dans le cadre du premier gothique
aquitain, plus particulièrement du dernier quart du XIIème siècle au milieu du XIIIème
siècle2233. Le parti de la nef unique est ainsi choisi à Notre-Dame de Bressuire où elle est
associée à un chœur flamboyant, à Brion (dernier quart XIIème siècle), à Saint-Epain
(Touraine, plateau de Sainte-Maure).
Dans le diocèse de Limoges, il semble exister dès l’époque romane un « dilemme
entre nef unique et trois nefs ». Le système des trois nefs est largement choisi par de grands
édifices comme Beaulieu, Chambon, Tulle, Le Dorat, La Souterraine, Bénévent ou encore
Obazine. Au XIIème siècle, il semblerait que la nef à trois vaisseaux soit la plus prisée dans le
2233
A. MUSSAT, op. cit., p. 177,190 et 265.
- 832 -
diocèse de Limoges. Le choix peut dépendre alors des moyens financiers et techniques mis en
œuvre. Nous pouvons toutefois également envisager cette décision comme un choix réel,
concerté, consenti dans un cadre érémitique, et pas seulement un pis-aller2234.
À l’époque gothique, il n’est pas rare qu’un simple vaisseau soit choisi, même pour
des églises largement dotées comme Saint-Yrieix, édifiée à la fin du XIIème siècle [Fig. 979].
Ce choix est ici peut-être à relier à une forte présence des rois Plantagenêts, et ainsi à une
volonté d’attester de liens étroits avec l’Aquitaine. En effet, la nef unique connaît un succès
certain dans les pays d’Ouest, expansion indéniable que ne connaîtra pas le diocèse de
Limoges. La nef unique gothique est par ailleurs choisie à Bellac, Malemort, Meymac,
Neuville, Saint-Quentin et Coussac-Bonneval où elle est associée à une abside à pans comme
à l’abbatiale cistercienne de Bonlieu2235.
Le vaisseau unique de Saint-Yrieix est entrepris en 1181. Il s’agit d’un vaste espace de
15m de large. Les murs sont épais, les voûtes domicales à liernes comme souvent dans les
espaces Plantagenêts. La présence de coursières, le dessin des bases et le profil des voûtes
sont caractéristiques d’un premier gothique du début du XIIIème siècle, et d’un gothique
« Plantagenêt », affirmé entre 1150 et 1220, aussi bien dans de grands monuments que dans
de petits édifices.
À Arnac, la nef unique voûtée d’ogives est associée à un chœur triconque similaire à
celui de l’abbatiale de Boschaud. Les murs sont relativement minces. La plupart des nefs
uniques correspondent à un chevet plat tel à Ajain, Azat-Le-Ris, Bersac, Beyssac, Biennac,
Blaudeix,
Bourganeuf,
La
Croix-au-Bost,
Gouzon,
Le
Grand-Bourg,
Ladapeyre,
Lavaufranche, Mourioux, Naves, Paulhac, Pontarion, La Roche L’Abeille, Saint-SulpiceLaurière ou encore Ussel. Saint-Augustin de Limoges est quant à elle reconstruite vers 1171
par Richard et Aliénor d’Aquitaine. Elle opte pour l’austère nef unique et un chevet plat,
associés à un ample transept dont la croisée est surmontée d’une tour. Le « premier gothique »
du diocèse de Limoges semble ainsi s’inscrire dans le cadre d’une inspiration anglaise
résistant au gothique français par un goût prononcé pour l’austérité et certaines traditions
romanes2236. Le gothique de l’Ouest paraît ignorer volontairement l’architecture gothique
d’Ile-de-France. Selon André MUSSAT, le premier art gothique des pays d’Ouest est
caractérisé par la «netteté des grands volumes intérieurs, la simplicité générale du plan,
l’aspect massif et nu des extérieurs », description qui pourrait aussi s’appliquer à la majorité
2234
C. ANDRAULT-SCHMITT, Les nefs des églises romanes..., op. cit., T I, p. 15.
C. ANDRAULT-SCHMITT, Les nefs des églises romanes..., op. cit., T II, p. 337 à 340.
2236
C. ANDRAULT-SCHMITT, op. cit., p. 34.
2235
- 833 -
des exemples cisterciens aquitains. Ceci coïncide en effet avec la volonté de sévérité exprimée
par les mouvements érémitiques et l’ordre cistercien en particulier2237.
Le parti du chevet plat et de la nef unique est lié à la recherche de la lux continua. Le
chevet plat est issu des premières générations romanes et perdure dans les petites églises
d’Albussac, de Saint-Hilaire-près-Lastours ou encore de Roziers-Saint-Georges. Cette
solution semble privilégiée dans le cadre du « premier gothique » limousin (1180-1220) car
permet la « conjonction entre une ancienne habitude aquitaine et un désir de sobriété ». Quant
au recours au pignon oriental, il n’est plus réservé aux petites églises mais est lié à l’essor de
certains ordres religieux comme les cisterciens. Il est déjà adopté chez les chanoines réguliers
de La Réau en Poitou, Sablonceaux en Saintonge, la Couronne en Angoumois ou encore
Saint-Amand de Coly en Périgord. Le pignon est souvent percé d’un triplet de baies dont la
lancette centrale n’est dans un premier temps pas plus haute que les autres (comme à Azat-LeRis). Au début du XIIIème siècle et suite à l’impulsion de l’abbatiale du Palais, le chevet
triangulé va se diffuser dans le diocèse de Limoges comme nous avons pu le constater
précédemment2238.
Ainsi, les cisterciens choisissent le parti de la tradition en optant pour la nef unique et
le chevet plat, choix en adéquation avec leur volonté d’austérité, de dépouillement et
d’économie partagée par les rois Plantagenêts. Le « mécénat » Plantagenêt concerne
essentiellement les années 1150-1200 correspondant aux gros œuvres des abbatiales
cisterciennes aquitaines et à une économie en faire-valoir direct plutôt tournée vers la mise en
valeur des terres, l’agriculture, l’hydraulique. Les investissements portent peut-être plus sur la
gestion du patrimoine foncier que sur une mise en œuvre demeurant ainsi sobre et sans décor.
Les Plantagenêts paraissent dès lors trouver chez les abbayes cisterciennes d’Aquitaine de
puissants relais de leur pouvoir.
La place de l’église-halle en Aquitaine :
Outre le parti de la nef unique, héritée de traditions carolingiennes, romanes et reprises
par les ordres à vocation érémitique, le parti de l’église-halle semble également fréquent en
Aquitaine [Fig. 980]. Selon Pierre SESMAT, l’église-halle triomphe surtout dans une large
moitié septentrionale de la France au Moyen-Âge mais pénètre également un vaste sud-ouest
dès les premières décennies du XIIème siècle. Elle se retrouve effectivement aussi bien à
Saint-Savin-Sur-Gartempe, Cunault, Le Dorat, Aulnay qu’en Languedoc à Saint-Nazaire de
2237
2238
A. MUSSAT, op. cit., p. 27.
C. ANDRAULT-SCHMITT, op. cit., p. 28.
- 834 -
Carcassonne pour ne citer que ces quelques exemples les plus connus. Au milieu du XIIIème
siècle, elle s’impose à Billom (Puy-de-Dôme), Candes, au Puy-Notre-Dame ou à la collégiale
Saint-Martin-de-Brive [Fig. 981, 982 et 983]2239.
L’église-halle est une solution architecturale très prisée dans les pays d’Empire, et
particulièrement en Allemagne (Hallenkirche). Cette constatation peut peut-être se justifier
par le manque d’études sur les églises-halles en France, à l’inverse des fréquentes analyses
allemandes, alors même que ce type d’architecture existe dans les espaces Plantagenêts.
L’église-halle n’a cependant guère attiré l’intérêt des chercheurs. Elle n’est pas non plus
ignorée des cisterciens et se rencontre à Haina en Allemagne, Vyssi Brod (ou Hohenfurt) en
Bohême, Alcobaça au Portugal et Fontfroide en France (com. Narbonne, Aude) [Fig. 927]2240.
En Aquitaine, l’église-halle est requise dès l’époque romane comme à Notre-Dame de
Cunault, Saint-Pierre d’Aulnay ou au Dorat (vers 1115-1145) dans le diocèse de Limoges où
l’accent est mis sur la verticalité. À Cunault, la nef aveugle est couverte par un berceau brisé.
Ce sont les collatéraux qui assurent l’éclairage. Ils sont voûtés d’arêtes et permettent le
contrebutement du vaisseau central. L’église du Puy-Notre-Dame en Maine-et-Loire relevait
de l’ancien diocèse de Poitiers. Elle est sous la coupe des comtes de Poitiers qui décident de la
bâtir à l’image de la cathédrale de Poitiers comme le prouve sa triple nef 2241. De même à
Candes où la nef est inspirée du vaisseau triple de Poitiers. La puissance murale, les fenêtres
longues et étroites en plein-cintre évoquent certaines caractéristiques des espaces
Plantagenêts. André MUSSAT constate que le Poitou à l’époque romane est marqué par un
nombre important d’églises à trois nefs de hauteur presque égale, comme à Saint-Maixent par
exemple au début du XIIème siècle. La nef centrale est le plus souvent aveugle, l’éclairage
étant alors assuré par les bas-côtés. C’est le cas à Saint-Savin-sur-Gartempe où l’effort porte
sur la luminosité et la cohérence des trois vaisseaux. Les fenêtres latérales sont placées très
haut dans le mur. La largeur totale est de 17m pour 17m de hauteur2242.
Ce parti est également présent dans le Midi de la France tel à Carcassonne dans l’Aude
où les trois vaisseaux de même hauteur sont séparés par une alternance de piles comme pour
les édifices charpentés du XIème siècle2243.
La cathédrale de Poitiers, reconstruite à partir de 1162 grâce au soutien d’Aliénor
d’Aquitaine est une église-halle à trois vaisseaux portés à une hauteur presque similaire [Fig.
2239
P. SESMAT, « Les « églises-halles », histoire d’un espace sacré (XIIème-XVIIIème siècle) », BM, T 163-1,
2005, Paris, p. 3-77.
2240
T. N. KINDER, L’Europe cistercienne, Zodiaque, 1997, p. 194.
2241
Y. BLOMME, Poitou gothique, Paris, Picard, 1993, p. 289.
2242
A. MUSSAT, op. cit., p. 49.
2243
É. VERGNOLLE, L’art roman en France, Flammarion, Paris, 1994, p. 202-203.
- 835 -
973]. Les voûtes des collatéraux sont en effet placées seulement 5m plus bas que celles de la
nef, permettant un meilleur contrebutement. Il n’y a ainsi pas nécessité d’arcs-boutants.
L’église-halle pourrait être une alternative aux cathédrales capétiennes dont les volumes
hiérarchisés aux murs minces, évidés, sont contrebutés d’arcs-boutants. Dans le cas de
l’église-halle, les murs restent épais et les collatéraux hauts évitent le recours aux
contrebutements extérieurs. Son élévation est inspirée des églises à files de coupoles
aquitaines comme la cathédrale d’Angoulême ou l’abbatiale de Fontevrault2244. Il s’agit d’un
vaisseau basilical traditionnel sans tribunes. Les hautes arcades brisées sont reçues par des
piles composées et surmontées par les fenêtres hautes. Ces choix architecturaux permettent
ainsi une grande homogénéité de l’édifice et de l’espace.
La nef de l’église de Brive est rebâtie dans le courant du XIIIème siècle. Elle est
édifiée selon le principe de l’église-halle. Les supports séparant la nef des collatéraux sont des
piles circulaires massives. Ces piles ne sont pas inconnues en Aquitaine. L’église Saint-Seurin
de Bordeaux, reconstruite à la fin du XIIème siècle et jusque dans les premières années du
XIVème siècle dispose d’une nef centrale de 12m de large flanquée de collatéraux étroits
voûtés de berceaux transversaux. Les trois vaisseaux sont séparés de colonnes cylindriques
massives appareillées. Des grandes piles rondes divisaient également le réfectoire de l’abbaye
de Saint-Martial de Limoges2245.
Ce type de supports est très présent pour les églises-halles anglaises. Dès l’époque
romane, les piles circulaires massives sont utilisées en Angleterre pour séparer les trois
vaisseaux, tel à la cathédrale de Gloucester (Gloucestershire) où les piles entre nef et bascôtés sont circulaires, très massives, appareillées et surmontées de chapiteaux réduits à une
bague moulurée d’un tore. Les grandes arcades sont surmontées de tribunes et de fenêtres
hautes. Les liens entre Angleterre et Aquitaine semblent ainsi une fois encore mis en exergue
et sont sans doute dus à la présence des rois Plantagenêts. Le même système est requis à
l’abbaye de Dumferline (Fife) où les piles séparant la nef et les collatéraux sont circulaires et
massives, surmontées de tribunes et de fenêtres hautes. De même à la cathédrale de Durham,
au prieuré de Worksop et à Southwell (Nottinghamshire)2246. C’est le cas également pour les
abbayes cisterciennes irlandaises de Baltinglass et de Buildwas2247.
À Brive, une coursière de mi-hauteur est aménagée, comme à la Souterraine, sans
réelle signification architecturale. Ces coursières de circulation se retrouvent dans certains
2244
J. L. LOZINSKI, « Henri II, Aliénor d’Aquitaine et la cathédrale de Poitiers », CCM, n°1-2, janvier-juin
1994, p. 91-100 ; E. R. LABANDE, op. cit., p. 175.
2245
J. GARDELLES, Aquitaine gothique, Paris, Picard, 1992, p. 167.
2246
R. STOLL, L’art roman en Grande-Bretagne, Paris, 1966.
2247
R. STALLEY, op. cit., p. 84.
- 836 -
édifices à file de coupoles, dans des édifices de l’Ouest telles Solignac dès l’époque romane
ou encore à la cathédrale d’Angers ou Saint-Yrieix [Fig. 932 et 933]. Des églises-halles telles
la cathédrale de Poitiers ou l’église San Fortunato de Todi présentent également des
coursières de mi-hauteur2248.
L’église de la Souterraine dispose de volumes à la même hauteur comme à la
cathédrale de Poitiers [Fig. 984]. Le chevet plat percé d’un triplet de baies évoque également
les cadres Plantagenêts et cisterciens. D’autres églises, même modestes de ce « premier
gothique » du Limousin choisissent le parti de l’église-halle telle Saint-Pierre de Fursac par
exemple (XIIIème siècle) dont les trois vaisseaux de même hauteur sont là encore associés à
un chevet plat.
Ce principe de l’église-halle perdure jusque dans le Bas Moyen-Âge. Ainsi, l’église de
Saint-Michel-des-Lions à Limoges est édifiée entre 1363 et 1455 selon ce principe,
parfaitement adapté à la fonction paroissiale de l’édifice. Cette vaste salle permet en effet
d’accueillir un grand nombre de fidèles pour assister au prêche. Les trois vaisseaux de même
hauteur sont associés à un chevet plat2249.
Les voûtes :
Les espaces Plantagenêts tendent à développer des voûtes d’ogives particulières à
distinguer des réalités présentes en France capétienne. Ces voûtes sont conçues pour s’adapter
à des nefs uniques amples et larges ou aux églises-halles fréquentes en Aquitaine. Il s’agit de
voûtes d’ogives bombées de plan carré, bien différentes des voûtes plates barlongues du
domaine royal. Ces voûtes pèsent sur les murs gouttereaux des édifices qui se dotent ainsi de
murs épais percés de fenêtres à larges ébrasements. Les murs ne peuvent être évidés et
amincis à la manière des sites gothiques capétiens. Par ailleurs, ces murs massifs ne
nécessitent pas le recours aux arcs-boutants si fréquents dans le domaine capétien.
Ainsi, la nef unique divisée « en grandes travées carrées couvertes de voûtes d’ogives
bombées résiste longtemps au type articulé à bas-côtés » caractéristique de l’Ile-de-France.
Dans la seconde moitié du XIIème siècle, les bâtisseurs expérimentent des recherches à partir
de la voûte d’ogives sur plan carré et à profil bombé. Au début du XIIIème siècle, ces voûtes
se complexifient avec l’apparition de liernes, nervures pénétrantes, nervures multiples
sensiblement différentes des créations du nord de la France2250.
2248
É. PROUST, op. cit., p. 243-254 ; G. CANTIÉ, X. LHERMITTE, É. PROUST, « Brive-La-Gaillarde, église
Saint-Martin. De la memoria mérovingienne à la collégiale », op. cit., p. 105-123
2249
C. ANDRAULT-SCHMITT, Limousin gothique…, op. cit., p. 247.
2250
A. MUSSAT, op. cit., p. 291, 402-403.
- 837 -
En Anjou, les premières voûtes gothiques doivent s’adapter à des structures
architecturales encore romanes, des murs épais, des volumes simples (nef unique, chevet
plat). Il s’agit majoritairement de coupoles nervées, de voûtes à nervures et voûtains
indépendants ou de voûtes sexpartites2251.
Les voûtes à nervures se rencontrent au chœur de Passavant au milieu du XIIème
siècle ou au croisillon sud de l’église de Mouliherne. À Mouliherne, les voûtes d’ogives
bombées se rencontrent à la croisée et au bras du transept nord. Le bras nord est couvert de
deux grands arcs diagonaux « montés en larges moellons rectangulaires ». Il n’y a pas de clé à
la rencontre des deux arcs. L’un traverse l’autre.
Les coupoles nervées témoignent de la perfection de l’appareillage, tel à Saumur ou à
Brion. Saint-Pierre de Saumur est édifiée dans la seconde moitié du XIIème siècle. Sa croisée
est couverte d’une coupole nervée dont les nervures pénètrent les voûtains. Le chœur et les
bras du transept sont par ailleurs couverts d’ogives bombées de plan carré.
À la cathédrale d’Angers, dans les années 1150, des voûtes fortement bombées sont
mises en place, reposant sur des arcs doubleaux et des formerets. Pour André MUSSAT, le
voûtement d’Angers « tend au poids vertical beaucoup plus qu’aux poussées obliques ». La
largeur et la puissance des ogives rappellent les « nervures-ponts » de certains édifices
méridionaux. À la Trinité d’Angers, les voûtes sexpartites sur travées rectangulaires sont
dotées de liernes. Elles se réfèrent aux créations de Saint-Étienne de Caen ou encore à la
voûte sexpartite primitive du chœur de Saint-Martin d’Angers, composé de deux travées
droites carrées couvertes de voûtes fortement bombées à liernes.
L’hôpital Saint-Jean d’Angers est édifié grâce au mécénat d’Henri II à partir des
années 11812252. Les voûtes sont par ailleurs peu bombées, sans liernes, à l’inverse des autres
édifices d’Angers. Les ogives, doubleaux et formerets sont simplement moulurés comme pour
la plupart des voûtes cisterciennes. Les bases sont ornées de griffes décorées de volutes ou de
pommes de pin. Pour André MUSSAT, il s’agit d’une « grande halle aux effets simples et
puissants » comme de nombreux vaisseaux cisterciens. À Saint-Serge d’Angers au XIIIème
siècle, le chœur est couvert de voûtes d’ogives bombées appareillées à huit nervures.
Les chapelles de commanderie adoptent fréquemment ces voûtes bombées à nervures
multiples. C’est le cas à Saint-Jean de Saumur. Trois travées carrées sont couvertes de voûtes
bombées à huit nervures dont les poussées sont reçues par des murs d’1.40m d’épaisseur. De
même à Saulgé-L’Hôpital en Luigné.
2251
2252
J. MALLET, op. cit., p. 264.
A. MUSSAT, op. cit., p. 41, p. 177-190, p. 205, p. 213-221, p. 301.
- 838 -
En Touraine également, les voûtes adoptent fréquemment un profil bombé. De
nombreuses nefs uniques romanes sont « reprises afin de les voûter en grandes travées carrées
et bombées ». C’est le cas pour la nef de Saint-Martin de Tours dans la seconde moitié du
XIIème siècle. Les voûtes bombées de plan carré reposent sur une alternance de supports2253.
Concernant la cathédrale de Poitiers, Edmond-René LABANDE constate que le maître
d’œuvre s’inspire des voûtes de la cathédrale d’Angers et non des créations du nord de la
France ; ce qui n’est guère étonnant puisque Poitiers est étroitement liée aux rois Plantagenêts
vraisemblablement désireux de marquer leur différence et leurs oppositions aux Capétiens
dans l’architecture des bâtiments des territoires conquis. L’architecture castrale en est
d’ailleurs une illustration exemplaire.
À la cathédrale de Poitiers, ce sont six grandes voûtes d’ogives carrées et bombées qui
couvrent les trois nefs2254. Au Puy-Notre-Dame, le chœur quadrangulaire est couvert d’une
voûte angevine à nervures multiples. Les voûtes de la nef sont de plan carré, bombées et
dotées de huit nervures.
La cathédrale de Saint-Malo également se dote au XIIème siècle d’une nef unique de
trois travées carrées couvertes de voûtes très bombées sur croisées d’ogives simples. Elle est
associée au XIIIème siècle à un chevet plat2255.
Dans le diocèse de Limoges, les architectes de Saint-Yrieix, Tulle et la Souterraine
font des propositions de voûtement d’ogives vers 1180 et se tournent naturellement vers des
exemples connus en Anjou, Touraine ou Poitou.
À Saint-Martin de Tulle, la nef est voûtée d’ogives reposant sur deux niveaux
d’élévation séparés par une coursière. La nef centrale est surhaussée pour permettre
l’établissement d’un clair-étage. L’éclairage direct est par ailleurs assez peu fréquent en
Limousin. C’est le cloître édifié dans les années 1200-1230 qui montre plus nettement des
dispositions aquitaines puisqu’il est bâti selon des techniques angevines et Plantagenêts de
voûtement2256. Les voûtes d’ogives associent en effet les nervures multiples et un profil
bombé. Les clés de voûtes sont de fait nettement plus hautes que les clés des arcs.
La Souterraine introduit deux de ces nouveautés : le voûtement d’ogives et le registre
de baies hautes. À Malemort, la nef voûtée d’ogives est quelque peu postérieure à la
Souterraine et à Tulle. Elle est associée à un chevet polygonal. À Biennac au début du
2253
A. MUSSAT, op. cit., p. 154; p. 298; p. 337-341.
E-R. LABANDE, op. cit., p. 175.
2255
A. MUSSAT, op. cit., p. 286.
2256
C. ANDRAULT-SCHMITT, « Tulle, ancienne abbaye Saint-Martin (actuelle cathédrale », dans Monuments
de Corrèze, op. cit., p. 363-379
2254
- 839 -
XIIIème siècle, la partie orientale est couverte de voûtes à liernes domicales. Les nervures et
liernes sont composés de trois tores inégaux. Les murs sont relativement épais, la tour de
croisée octogonale repose sur une coupole sur pendentifs. Cette église est ainsi très proche de
celle de La Réau en Poitou dans les années 1200 : la croisée est voûtée d’une coupole sur
pendentifs, le sanctuaire d’ogives à liernes.
L’église d’Azat-Le-Ris accepte le voûtement d’ogives. La voûte du chœur est pourvue
de formerets comme à l’abbaye du Palais-Notre-Dame. Elle est bombée à la manière des
voûtes Plantagenêts et se compose d’un dôme de maçonnerie en granite. Elle est très similaire
au couvrement du chœur de Biennac. À Blaudeix, les voûtes à liernes forment baldaquins, de
même qu’au Grand-Bourg au début du XIIIème siècle. L’église hospitalière de Paulhac
présente des ogives à liernes à effet de baldaquins. Néanmoins, les combles ne révèlent pas de
bombement de type Plantagenêt2257.
Dans les années 1250, Coyroux se dote de voûtes d’ogives complexes, sexpartites,
munies de liernes. Elles se rejoignent en des clés de voûtes aux feuillages naturalistes [Fig.
598]. Le cadre cistercien ne reste ainsi pas indifférent à ces expériences de voûtement.
À Limoges, les voûtes de la chapelle Saint-Michel permettent d’appréhender les
réalités du « premier gothique ». Celle-ci est édifiée vers 1204. Les voûtes d’ogives sont sans
formeret. Les voûtains retombent largement sur chaque pilier surmonté d’une imposte
simplement chanfreinée. Ces piliers sobres sont caractéristiques de la simplicité des années
1200 en Limousin, stimulée par les mouvements à vocation érémitique comme Grandmont et
Cîteaux2258.
Le berceau brisé est par ailleurs maintenu pour un certain nombre de sites. Il permet le
voûtement de vaisseaux larges et reste privilégié par certains ordres nouveaux comme
Grandmont. Claude ANDRAULT-SCHMITT rappelle que ce type de voûte est très prisé dans
les pays de la Loire (Notre-Dame de Nantilly à Saumur) ou dans le sud de la France (SaintPons-de-Thomières). Dans le diocèse de Limoges, il est requis à Aureil (fin XIème siècle) ou
encore
à
Saint-Sulpice-Laurière
(berceau
sur
corniche
à
l’image
des
celles
grandmontaines)2259.
Ainsi, le diocèse de Limoges semble s’insérer dans une vaste Aquitaine marquée par la
présence des rois Plantagenêts. Les voûtes bombées à liernes fréquentes en Limousin, Anjou,
2257
C. ANDRAULT-SCHMITT, op. cit., p. 25 à 27, 81, 115 et 297.
X. LHERMITE, « L’invention architecturale au XIIIème siècle à Saint-Martial. De la plus ancienne voûte
d’ogives de Limoges à l’introduction de l’architecture gothique rayonnante », dans C. ANDRAULT-SCHMITT
(dir.), Saint-Martial de Limoges…, op. cit., p. 309-326.
2259
C. ANDRAULT-SCHMITT, op. cit., p. 29.
2258
- 840 -
Poitou et Touraine sont révélatrices des résistances à un gothique du Nord de la France
privilégiant les voûtes plates sur travées barlongues. Ces voûtes tendent à se complexifier dès
le début du XIIIème siècle avec adjonction de liernes et de nervures multiples, relayées par les
fondations hospitalières. Ce voûtement « Plantagenêt » est associé le plus souvent à une nef
unique aux murs épais percés de baies aux larges ébrasements internes. Certains éléments de
décors peuvent également permettre de reconnaître l’empreinte des rois Plantagenêts en
Aquitaine et dans le diocèse de Limoges.
Des décors Plantagenêts ?
Les décors cisterciens se caractérisent par une sobriété affirmée et volontaire en lien
avec une économie en faire-valoir direct. Les moines cisterciens engrangent probablement
moins de revenus que leurs homologues clunisiens acceptant les dîmes. Les profits dégagés
sont prioritairement réinvestis dans la mise en valeur des terres, de salti nécessitant parfois
des assainissements et défrichements. La mise en œuvre est ainsi faite à l’économie (d’abord
structures périssables) et l’accent n’est guère mis sur la décoration interne des édifices dans la
seconde moitié du XIIème siècle. Les chapiteaux sont le plus souvent nus ou à feuilles lisses,
les murs nus, les vitraux incolores. L’image est quasiment bannie du sanctuaire, sans doute
par choix aniconique, mais aussi peut-être par manque de revenus à attribuer à des sculpteurs
qualifiés à même de réaliser de vastes programmes iconographiques comme dans les
abbatiales clunisiennes. Cette volonté de dépouillement est commune à certaines créations des
rois Plantagenêts qui trouvent de puissants relais auprès des ordres à vocation érémitique
réticents à l’image comme Grandmont, Cîteaux et Prémontrés. Certains décors sobres
fréquents dans les espaces Plantagenêts vont être diffusés dans un cadre cistercien aquitain.
La place jouée par les rois Anglais dans les créations artistiques des pays d’Ouest n’est pas
aisée à déterminer, moins tangible que pour les sites castraux, forteresses avérées contre le
pouvoir capétien. Leur « mécénat » est toutefois envisageable pour un certain nombre
d’édifices aquitains.
Le « mécénat » des rois Plantagenêts est particulièrement sensible en Aquitaine pour
quelques programmes décoratifs. Ainsi, Nurith KENAAN-KEDAR atteste un probable
patronage d’Aliénor d’Aquitaine sur les portails des cathédrales du Mans et d’Angers et la
collégiale de Saint-Martin de Candes, témoignant à la fois d’une conscience dynastique forte
et de ses intentions christologiques. La cathédrale du Mans est édifiée comme un « SaintDenis » pour les rois Anglais. Les Plantagenêts prennent ici pour référence le portail de la
- 841 -
façade occidentale de la cathédrale de Chartres. Cette adaptation de décors d’Ile-de-France
n’est probablement pas anodine. Pour l’auteur, ces formulations artistiques sont utilisées en
tant que « déclarations politiques et dynastiques », d’où les thèmes représentés comme le
Christ-roi, les rois de l’Ancien Testament afin « d’exalter la légitimité monarchique de la
maison d’Anjou »2260. Aliénor d’Aquitaine connaît de plus parfaitement les cathédrales
capétiennes, ayant d’abord été reine de France. Elle assiste ainsi aux débuts du premier
gothique d’Ile-de-France entre 1137 et 1152. Son impact est de fait indéniable en tant que
duchesse d’Aquitaine dans la transmission de certaines formulations artistiques aux pays
d’Ouest. Le mécénat des Plantagenêts est de plus attesté à la cathédrale de Poitiers comme en
témoigne la présence d’un vitrail représentant la reine, Henri II et leurs quatre enfants. Ils
apparaissent comme les donateurs de la Crucifixion de saint Pierre. Les largesses royales
s’expriment ainsi dans l’iconographie. Entre 1189 et 1204, les rois Anglais jouent un rôle
dans la réalisation des peintures murales de Chinon et du palais ducal de Poitiers2261.
Outre ces exemples marquants, la présence des rois Anglais en Aquitaine est sensible
de façon plus ténue et épisodique par certains éléments de décors qui s’inscrivent comme des
« marqueurs » de leur présence. C’est le cas des ogives ou colonnes au profil en amande. Elles
se rencontrent dans une multitude de sites aquitains et cisterciens. Ainsi, l’abbaye de la
Couture (Vendée) dispose de voûtes d’ogives dans la nef dont le profil est un tore massif en
amande2262. En Normandie également ce profil de nervure est fréquent. La salle capitulaire de
l’abbaye de Bonport édifiée dans le premier quart du XIIIème siècle dispose d’ogives au
profil en amande dégagé de deux cavets. Les voûtes sont reçues par des chapiteaux dont les
feuilles sont nervées ou recourbées en boules2263. L’abbaye cistercienne Notre-Dame d’Élan
(com. Élan, Ardennes, près de Sedan, fondée par l’abbaye de Lorroy, diocèse de Bourges)
témoigne de la pénétration de certains décors Plantagenêts dans un cadre capétien. En effet, le
réfectoire de ce monastère est voûté d’ogives dont le tore est en amande (début XIIIème
siècle). Ces ogives sont reçues par des tailloirs à cinq pans surmontant des chapiteaux à
feuilles lancéolées en faible relief2264. L’abbaye cistercienne de Cherlieu près de Besançon
2260
M. AURELL, L’Empire des Plantagenêt, Perrin, Paris, 2004, p. 97.
N. KENAAN-KEDAR, « The impact of Eleanor of Aquitaine on the Visual Arts in France », dans M.
AURELL (dir.), Culture politique des Plantagenêt (1154-1224), Actes du Colloque tenu à Poitiers du 2 au 5 mai
2002, Poitiers, 2003, p. 39-60.
2262
A. MUSSAT, op. cit., p. 113.
2263
A. GOSSE-KISCHINEWSKI, « Fondations cisterciennes en Normandie au temps de Richard », dans
Richard Cœur de Lion…, op. cit., p. 189-197.
2264
A. SARTELET, « L’abbaye cistercienne de Notre-Dame d’Élan », Archéologia, n°139, 1980, p. 62-65.
2261
- 842 -
adopte également des voûtes d’ogives au profil en amande caractéristique d’un premier art
gothique. Seul le départ de ces ogives est conservé au niveau du bras du transept nord.
Le Midi de la France est largement perméable à ces décors. À Villelongue dans
l’Aude, le dépôt lapidaire correspondant à la destruction d’une partie de la nef et du cloître a
révélé un certain nombre de claveaux de nervure d’ogive dont le tore est aminci en amande,
entre deux cavets [Fig. 985]. Les voûtes d’ogives de la nef sont édifiées dans la seconde
moitié du XIIIème siècle, témoignant de la permanence de ce type de nervures tout au long du
XIIIème siècle. L’abbatiale de moniales des Olieux, à quelques kilomètres de Narbonne
dispose de voûtes d’ogives au profil aminci en amande [Fig. 986]. À l’abbaye du Thoronet, la
salle capitulaire est couverte de six travées voûtées d’ogives au profil en amande reposant sur
des chapiteaux ornés de fleurs ou de pommes de pin.
Le diocèse de Limoges se révèle réceptif aux formulations artistiques propres aux
espaces Plantagenêts. Des résistances à un premier gothique capétien venu d’Ile-de-France
peuvent être constatées (refus des arcs-boutants, de l’élévation tripartite, des murs évidés, des
déambulatoires à chapelles rayonnantes), comme en témoignent la perméabilité à certains
décors issus du premier art gothique Plantagenêt. De forts particularismes sont ainsi
observables dans les modénatures des baies (baies en plein-cintre aux larges ébrasements
internes, parfois étirées en meurtrière), des portails (à voussures multiples et chapiteaux isolés
ou en frise) et des clochers (clochers octogonaux, à gâbles issus de créations romanes, tourporche comme à Chambon-sur-Voueize et Mourioux)2265.
Les profils en amande sont fréquents, qu’il s’agisse de nervures d’ogives ou de
supports. Ainsi, à Ladapeyre, ce sont des demi-colonnes en amande qui reçoivent les arcs
doubleaux. L’église de Naves est couverte de voûtes d’ogives à nervures toriques au profil
aminci en amande. De même à l’église de Pontarion où les ogives quadripartites disposent de
tores en amande. Les colonnettes des faisceaux séparant les différentes travées optent
également pour un profil en amande. Les ogives sont en amande à Tarnac. L’église de
Chambon-sur-Voueize dispose d’une tour-porche ornée d’un portail à profil brisé. De fines
colonnes sont nichées dans les ébrasements multiples dont les plus à l’extérieur ont un profil
en amande souvent adopté dans ces espaces Plantagenêts [Fig. 987].
Les abbayes cisterciennes du diocèse de Limoges et de ses marges optent
fréquemment pour des voûtes d’ogives au profil en amande. Selon Claude ANDRAULTSCHMITT, « les nervures en amande existent dès le XIIème siècle dans deux domaines du
2265
C. ANDRAUL-SCHMITT, op. cit., p. 56.
- 843 -
premier gothique particulièrement importants pour nos régions : le domaine cistercien et le
domaine angevin Plantagenêt »2266. Ainsi, les ruines du réfectoire du monastère d’Obazine
présentent un départ de voûtes d’ogives au tore aminci en amande vraisemblablement mises
en œuvre dans les années 1180-1220 [Fig. 515].
À Dalon, certains éléments lapidaires déposés devant le bâtiment d’habitation
permettent d’envisager un voûtement d’ogives dont le profil est en amande (fin XIIèmepremier tiers XIIIème siècle) [Fig. 288]. En effet, certains claveaux de nervure d’ogives
présentent un tore en amande flanqué de deux petites moulurations toriques latérales dégagées
de cavets. Il est difficile d’envisager la provenance de ces éléments ayant pu couvrir la nef, le
transept, le chevet de l’abbatiale ou même un bâtiment conventuel (dortoir, réfectoire).
Quant à l’abbatiale de Bonlieu, si la nef est voûtée d’un berceau brisé soutenu d’arcs
doubleaux, le chevet d’un éventuel cul-de-four nervé, certains bâtiments conventuels
acceptent peut-être l’ogive (salle capitulaire comme à Dalon ?). Cette hypothèse peut être
étayée par certains éléments lapidaires déposés dans le bras du transept nord. Des claveaux de
nervure d’ogives présentent un tore au profil légèrement en amande [Fig. 161].
La nef de Varennes est voûtée d’ogives. Le dépôt lapidaire a révélé des claveaux de
nervure d’ogives en amande dont le profil évoque des créations artistiques des espaces
Plantagenêts, probablement datés de la fin du XIIème siècle et du premier tiers du XIIIème
siècle. Leur présence n’a rien d’étonnant quand on sait qu’Henri II se proclame fondateur de
l’abbaye de Varennes en 1155 [Fig. 792, 793 et 794].
Les fouilles de l’abbatiale de Coyroux par Bernadette BARRIÈRE ont révélé un
certain nombre de claveaux de nervure d’ogives, retrouvés dans les remblais d’écroulement
des voûtes de l’église [Fig. 599]. La stéréotomie est de qualité, les profils standardisés et
produits en série en atelier. Les voûtes de la nef de Coyroux relèvent vraisemblablement du
milieu du XIIIème siècle, comme l’attestent la standardisation des gabarits et les clés de
voûtes aux feuillages naturalistes. Ces claveaux constituent quatre voûtes d’ogives à liernes
formant baldaquins, peut-être inspirées du voûtement du cloître de Tulle (premier tiers du
XIIIème siècle)2267.
Ainsi, les abbayes cisterciennes du diocèse de Limoges semblent insérées dans une
vaste Aquitaine où la présence des rois Plantagenêts est palpable par un certain nombre
d’indices. La récurrence de la nef unique, du chevet plat percé d’un triplet de baies, les
chevets à déambulatoire droit, la fréquence des églises-halles, les murs épais percés de baies
2266
2267
C. ANDRAULT-SCHMITT, dans B. BARRIÈRE (dir.), Moines en Limousin..., op. cit., p. 47.
C. ANDRAULT-SCHMITT, dans B. BARRIÈRE (dir.), Moines en Limousin..., op. cit., p. 48.
- 844 -
fortement ébrasées, les portails et baies à multiples ressauts, les coursières de mi-hauteur, les
voûtes d’ogives bombées à liernes et à nervures multiples, les nervures aux tores amincis en
amande sont autant de « marqueurs » des espaces Plantagenêts, parfois importés d’Angleterre.
Les moines cisterciens s’inscrivent comme d’évidents relais pour des rois en quête de
légitimité et d’un appui par un ordre religieux fort, influent et présent en Aquitaine. La
sobriété propre à l’ordre, le dépouillement architectural, les volumes amples sont par ailleurs
en parfaite adéquation avec les goûts Plantagenêts, de même que la réticence à l’image
sculptée. Ainsi, dans les années 1150-1200, alors que le gros œuvre des abbatiales
cisterciennes limousines est amorcé, le choix de volumes simples paraît en cohérence avec les
statuts de l’ordre, les goûts Plantagenêts et une économie en faire-valoir direct ne permettant
guère d’investir dans des constructions monumentales, coûteuses, aux programmes décoratifs
développés. La priorité de petites communautés peu dotées telles Aubepierres, Prébenoît,
Aubignac, Bonnaigue ou Derses est le défrichage, l’assainissement des salti, la constitution
d’un patrimoine foncier cohérent permettant l’autonomie relative des frères. Nous verrons cidessous que les années 1200-1220 vont néanmoins initier un certain nombre de changements
prolongés jusqu’à la fin du XIIIème siècle. Le passage au faire-valoir indirect, la présence de
plus en forte des rois capétiens vont en effet conduire à des modifications et embellissements
des monastères pris en compte dans cette étude.
Si les plans et élévations révèlent un profond attachement dans la seconde moitié du
XIIème siècle aux réalités romanes aquitaines et à un « goût Plantagenêt » (profil en amande),
que dire toutefois des embellissements des années 1200-1220, de la mise en place de
pavements luxueux, de la présence de tombeaux monumentaux ? Il semblerait que dès le
premier tiers du XIIIème siècle, la poussée capétienne, concomitante au glissement vers une
économie en faire-valoir indirect, ait conduit à certain nombre de changement et à la
pénétration progressive d’un art du Nord. Dans le courant du XIIIème siècle, le diocèse de
Limoges voit l’apparition du gothique rayonnant, tel à la cathédrale.
•
La « poussée capétienne » des années 1200. Changements de
partis architecturaux, embellissements et faire-valoir indirect.
À partir de 1215, l’empire Plantagenêt n’existe plus. Les pays d’Ouest comme le
Maine, l’Anjou et la Touraine, de même que la Normandie, entrent dans la mouvance
capétienne. Seul le sud-ouest reste anglais. Ces troubles politiques vont connaître une
expression en architecture et les créations cisterciennes sont révélatrices de ces mutations.
- 845 -
Certaines caractéristiques architecturales et décoratives capétiennes vont progressivement se
diffuser dans l’ordre par l’intermédiaire des abbatiales et cathédrales du Nord de la France.
Les liens entre moines cisterciens et rois capétiens sont relativement étroits, ce dès le
XIIème siècle. En effet, les familles royales de France dotent certaines abbayes cisterciennes
et peuvent être à l’origine d’un grand nombre de fondations. Louis VI par exemple fonde
Chaalis tandis que Louis VII favorise les cisterciens de Noirlac. Les moines blancs implantés
sur les terres capétiennes peuvent ainsi constituer des relais pour les rois français et contribuer
à la diffusion de pratiques architecturales et décoratives.
Concernant le diocèse de Limoges, en marge septentrionale de l’Aquitaine, des
hésitations sont tangibles entre rois Plantagenêts et couronne française. Les textes ne nous
permettent guère d’attester d’un « mécénat » royal clair, excepté pour l’abbaye de Varennes
dont Henri II s’est proclamé seul fondateur. Nous avons pu recenser précédemment certains
« marqueurs » d’un « goût » Plantagenêt, profondément cohérent avec les statuts de l’ordre,
comme la volonté de sobriété, la préférence pour le chevet plat percé d’un triplet de baies, la
récurrence des nefs uniques, les profils en amande. Il semblerait que les partis architecturaux
choisis dans les années 1150-1200 soient plutôt en référence à des solutions aquitaines et
anglaises, en lien avec une économie en faire-valoir direct ne permettant guère les
investissements dans de somptueux décors. Néanmoins, qu’en est-il du XIIIème siècle,
accompagné du glissement vers le faire-valoir indirect et l’économie de surplus, alors même
que le pouvoir des rois Plantagenêts cède peu à peu la place à une poussée capétienne de plus
en plus tangible ? N’existe-t-il pas également des liens étroits avec la couronne de France,
renforcés à partir du XIIIème siècle ?
Les abbayes cisterciennes du diocèse de Limoges sont par ailleurs filles d’abbatiales
inscrites dans une mouvance capétienne. Il ne faut en effet pas oublier que Pontigny, mère de
Dalon, Prébenoît, Aubignac, Boeuil, le Palais et Bonlieu est largement dotée par les rois de
France tandis qu’Aubepierres et les Pierres entrent dans la filiation de Clairvaux dont le
chœur est reconstruit dès la seconde moitié du XIIème siècle avec un déambulatoire à
chapelles rayonnantes [Fig. 995]. La Colombe est fille de Preuilly et Varennes de Vauluisant,
toutes fondées en terres capétiennes, de même que la filiation d’Obazine est rattachée à
Cîteaux en 1147 [Fig. 11].
Ainsi au XIIIème siècle, le gothique français va progressivement pénétrer en
Aquitaine, par le biais des abbayes cisterciennes, mais également des cathédrales, les évêques
constituant fréquemment de puissants relais et alliés de la couronne de France. André
- 846 -
MUSSAT constate dans le dernier quart du XIIIème siècle la pénétration dans tout le sudouest du pays de l’art des portails du Nord, témoignant de l’effacement progressif des
particularismes des provinces de l’ouest. Dès les années 1225-1230, il avait constaté
l’adoption de certaines nouveautés venues du Nord en Aquitaine telles les statues aux
volumes monumentaux, les roses de façade et les thèmes iconographiques proches de ceux
développés dans le domaine royal2268.
Ainsi, le déambulatoire ceinturé de chapelles, les baies rayonnantes se multiplient et le
diocèse de Limoges ne va pas rester étranger à ces transformations. En réalité, une césure est
sensible dès les années 1170-1190, coïncidant avec l’avènement de Philippe-Auguste et de
Richard Cœur-de-Lion.
Cette période correspond à une expansion économique de l’ordre et à l’amorce des
campagnes de reconstruction des principaux monastères masculins. Nous assistons également
à un affaiblissement des châtellenies au profit d’un pouvoir royal de plus en plus fort.
L’expansion des abbayes féminines est de même caractéristique de l’opulence et de la
popularité croissante de l’ordre de Cîteaux. Cette période faste va ainsi s’exprimer par des
choix architecturaux et décoratifs différents, de même que par le développement du mobilier.
Le déambulatoire à chapelles rayonnantes :
L’une des caractéristiques du gothique capétien est la préférence pour un chœur
magnifié à déambulatoire et couronne de chapelles rayonnantes, choisi à la fois dans les
grandes cathédrales d’Ile-de-France mais aussi dans un certain nombre d’abbayes
cisterciennes reconstruites dans la seconde moitié du XIIème siècle et au XIIIème siècle. Ce
type de chœur n’est pas une novation capétienne mais correspond à une tradition romane bien
ancrée depuis le XIème siècle. Il est privilégié pour des raisons liturgiques puisqu’il facilite la
circulation des fidèles autour des reliques d’un saint. Il est également l’expression du pouvoir
fort des commanditaires de l’édifice. Les chœurs en abside munie d’un déambulatoire à
chapelles rayonnantes se multiplient à partir du XIème siècle en Poitou et surtout dans le
courant du XIIème siècle en Anjou. Dès 1040 à la Trinité de Vendôme, le pouvoir comtal de
Geoffroy Martel se manifeste par les volumes magnifiés du chœur à déambulatoire et
chapelles rayonnantes2269. En 1174, le nouveau chœur de Clairvaux est achevé [Fig. 995]. Il
s’agit d’un chœur à déambulatoire circulaire et neuf chapelles rayonnantes non saillantes,
prises dans une enveloppe polygonale, comme Cherlieu, Bonport et Heisterbach [Fig. 994 et
2268
2269
A. MUSSAT, op. cit., p. 262.
J. MALLET, op. cit., p. 52.
- 847 -
988]. La nef est alors contrebutée d’arcs-boutants. L’abbatiale d’Alcobaça au Portugal se dote
vers 1200 d’un chevet similaire à neuf chapelles rayonnantes. Le déambulatoire est voûté
d’ogives. Le tout est contrebuté par des arcs-boutants [Fig. 989]2270.
L’abbatiale de Pontigny dans l’Yonne se dote d’un nouveau chœur édifié dès la fin du
XIIème siècle [Fig. 1006]. Le nouveau chevet à sept chapelles rayonnantes non saillantes,
comprises dans un mur polygonal, est voûté d’ogives, contrebuté d’arcs-boutants (1180-1208
ou 1212). Il est en partie financé par Adèle, veuve de Louis VII et mère de Philippe-Auguste.
Elle est par ailleurs inhumée dans le chœur en 1206. L’abbaye cistercienne devient ainsi
nécropole pour la reine capétienne. Les arcs-boutants témoignent de l’introduction d’un
gothique capétien dans l’abbatiale. De récents travaux de restauration de 2004 à 2006 ont
permis de constater que ce contrebutement du chevet et de la nef est postérieur à l’édification
du vaisseau et du chevet à déambulatoire, comme en témoignent la technique de taille de
pierre et la nature géologique des matériaux employés. Cette réalisation a posteriori est
confirmée par l’incrustation des volées dans les contreforts au moyen d’une incision en biais.
Ces liaisons sont relativement peu soignées par rapport à l’ensemble de la mise en œuvre. La
taille ciselée irait dans le sens d’une datation peu éloignée du XIIIème siècle, cette technique
de taille disparaissant au XIVème siècle. C’est le goût « capétien » qui est de mise et s’impose
progressivement à l’ensemble de l’édifice.
Ces reconstructions et modifications se justifient souvent par un mécénat royal. Louis
IX et Blanche de Castille jouent un rôle majeur, particulièrement pour les sites de Longpont et
de Royaumont (déambulatoire à chapelles rayonnantes saillantes) [Fig. 947 et 948].
L’abbatiale de Savigny fait également l’objet d’une reconstruction à partir de 1173. Le chœur
est achevé dans les années 1200 et consacré en 1220. Il s’agit d’un chevet ample dont l’abside
est munie d’un déambulatoire à chapelles rayonnantes, inspiré du nouveau chœur de
Clairvaux. Ce type de plan convient parfaitement aux abbayes acceptant des reliques (ce qui
n’est généralement pas le cas à Cîteaux) mais aussi aux monastères dont le nombre de moines
augmente considérablement, nécessitant ainsi une multiplication des autels. Ces choix
peuvent aussi s’expliquer par une volonté de surenchère, une émulation collective entre les
filles de Cîteaux. Pour Lindy GRANT « it is impossible to believe that there was no element
of deliberate emulation, of competition, however amicable, behind this artburst of
construction »2271.
2270
P. PLAGNIEUX, « L’architecture cistercienne » dans L’Architecture religieuse médiévale. Art roman et art
gothique, une nouvelle vision, Dossiers d’Archéologie, n°319, janvier-février 2007, p. 81-91.
2271
L. GRANT, « Savigny and its Saints », dans T. N. KINDER, (dir.), Perspectives for an Architecture of
solitude. Essays on Cistercians, Art and Architecture in Honour of Peter Fergusson, Brépols, Cîteaux, 2004, p.
109-114.
- 848 -
Les formes du gothique rayonnant s’introduisent progressivement dans les abbatiales
cisterciennes du Nord de la France tel à Longpont (com. Longpont, Aisne)2272.
Le déambulatoire à chapelles rayonnantes n’est cependant pas propre aux abbatiales
du nord de la France. En effet, l’abbaye de Valmagne (com. Villeveyrac, Hérault) est dotée
dans les années 1250 d’un chœur à déambulatoire et chapelles rayonnantes [Fig. 954]. Le plan
et l’élévation évoquent la cathédrale de Clermont (1248) qui aurait pu servir de modèle, ainsi
que Longpont et Royaumont.
Certaines abbatiales anglaises optent aussi pour le déambulatoire à chapelles
rayonnantes. C’est le cas de l’abbaye de Westminster dont l’abside principale à pans est ceinte
de cinq chapelles rayonnantes. En Angleterre, il n’existe alors qu’un seul précédent de ce type
de plan au XIIIème siècle : il s’agit de l’abbaye cistercienne de Beaulieu2273.
Le diocèse de Limoges ne reste pas étranger à ces mutations. Dès le XIème siècle est
expérimentée à Uzerche une « formule d’avenir ». Un chœur en abside, ceinte d’un
déambulatoire à cinq chapelles rayonnantes de plan légèrement outrepassé, est mis en œuvre.
Dès le premier tiers du XIIème siècle, le déambulatoire à chapelles rayonnantes est choisi à
Beaulieu, à Saint-Léonard de Noblat probablement au milieu du XIIème siècle. L’abbatiale de
Déols en Berry, proche des abbayes cisterciennes des Pierres ou de Varennes opte également
pour un chœur dont l’abside est munie d’un déambulatoire à sept chapelles rayonnantes [Fig.
923].
Le chevet à déambulatoire et chapelles rayonnantes est choisi à Saint-Martial de
Limoges. Un certain nombre d’éléments rapprochent Saint-Martial d’autres églises de
pèlerinage telles Saint-Sernin de Toulouse, Saint-Jacques de Compostelle, Saint-Martin de
Tours et Sainte-Foy de Conques : la présence de cinq chapelles rayonnantes desservies par un
déambulatoire, une chapelle axiale aux dimensions amplifiées, des tribunes continues entre
nef et transept, le recours à des tracés en plein-cintre et enfin la présence d’une puissante tour
de croisée. Pour Claude ANDRAULT-SCHMITT, ce choix architectural est bien l’expression
d’un pouvoir fort mais pas systématiquement capétien. Il peut être comtal ou ducal, comme
nous l’avions signalé concernant la Trinité de Vendôme fondée par Geoffroy Martel. Ainsi il
ne faudrait pas « associer la forme [déambulatoire] au caractère « capétien » de ces chantiers
(Clermont, Chartres) sous le prétexte que l’abbaye est « royale » : elle l’est depuis les
souverains carolingiens et c’est ensuite le duc qui détient la puissance tutélaire invoquée »2274.
2272
M. UNTERMANN, op. cit., p. 164.
L. GRODECKI, Architecture gothique, Paris, 1979, p. 192-250.
2274
C. ANDRAULT-SCHMITT, « L’architecture de la grande église en questions », dans C. ANDRAULTSCHMITT (dir.), Saint-Martial de Limoges…, op. cit., p. 219-239.
2273
- 849 -
Claude ANDRAULT-SCHMITT constate au XIIIème siècle un « effacement relatif du
rôle des évêques dans la mode « capétienne » du gothique au profit d’un engagement des
commanditaires monastiques » tels les cisterciens en Poitou ou les clunisiens en Limousin2275.
Les cisterciens en Limousin semblent en effet beaucoup plus sensibles à un gothique
Plantagenêt. L’abside cernée d’un déambulatoire à chapelles rayonnantes est toutefois peu
choisie au XIIIème siècle puisqu’elle n’est jamais requise pour les églises rurales, « églisesgranges » et chapelles hospitalières qui constituent majoritairement le paysage architectural
des années 1200.
La cathédrale Saint-Étienne de Limoges opte également pour un chevet en abside
dotée d’un déambulatoire à cinq chapelles rayonnantes polygonales. Cette cathédrale « à la
française » est amorcée en 1272 à l’initiative d’Aimeric de la Serre. L’évêque est alors
étroitement lié à la couronne de France, bien que le Traité de Paris ait restitué le Limousin aux
Plantagenêts2276. Le chevet de Saint-Étienne présente un étagement à triforium aveugle et
clair-étage comme à la cathédrale de Chartres. Les chapelles sont jointives. Des contreforts
servent de points d’appui aux arcs-boutants, disposition adoptée dès les années 1200 dans le
nord de la France.
Les moines cisterciens du diocèse de Limoges et de ses marges ne choisissent pas le
déambulatoire à chapelles rayonnantes et semblent ainsi réticents à certaines caractéristiques
du gothique français. La même constatation peut s’appliquer au proche diocèse de Clermont
où seule l’abbaye de Montpeyroux (com. Puyguillaume, Puy-de-Dôme) opte pour ce type de
plan et se rattache ainsi aux espaces capétiens. Les moines blancs semblent opter pour des
plans et élévation « Plantagenêts » : nef unique sobre, chevet plat, triplet de baies, murs épais
et nus sont de mise. Toutefois, qu’en est-il des décors et éléments de mobilier ?
Décors et formulations « à la Française » :
Outre le choix de chevet à déambulatoire et chapelles rayonnantes, d’autres indices
sont révélateurs de la présence capétienne et de l’introduction progressive d’un gothique
français dans les espaces Plantagenêts suite à l’affaiblissement du pouvoir des rois anglais.
L’introduction d’une architecture septentrionale dans le second quart du XIIIème
siècle se caractérise par le recours à des baies rayonnantes en Aquitaine. C’est le cas plus
particulièrement de l’abbaye cistercienne de Valence en Poitou (com. Couhé, Vienne)
entièrement construite « à la Française ». Claude ANDRAULT-SCHMITT fait état de traits
2275
C. ANDRAULT-SCHMITT, « Les heures de gloire de l’abbaye médiévale », dans C. ANDRAULTSCHMITT (dir.), Saint-Martial de Limoges…, op. cit., p. 13-22.
2276
C. ANDRAULT-SCHMITT, Limousin gothique…, op. cit., p. 21 et 47 à 51.
- 850 -
communs entre le chantier de Royaumont contemporain de celui de l’abbaye cistercienne de
Valence fondée en 12272277. Elle constate que le réfectoire voûté d’ogives quadripartites ne
dispose pas de liernes comme dans les espaces Plantagenêts. Les ogives retombent sur des
tailloirs polygonaux et des chapiteaux à crochets végétaux. Les clés de voûtes sont formées de
roues de feuillages et s’apparentent ainsi étroitement à celles du réfectoire de Royaumont. De
même, les annexes occidentales du transept, également présentes à l’abbatiale de Dalon, sont
relativement rares et font référence aux formulations des édifices les plus vastes de l’ordre
cistercien, surtout situés en France septentrionale. Ces créations artistiques traduisent
l’ambition du fondateur, Hugues de Lusignan. Ce « goût septentrional » pourrait être
interprété comme une preuve de son rattachement à la France capétienne dans ce second tiers
du XIIIème siècle et montre d’étroites parentés avec la cathédrale de Laon. Dans le second
quart du XIIIème siècle, des motifs rayonnants sont adoptés à la cathédrale de Poitiers et
Saint-Jean d’Angély. De même concernant l’abbatiale cistercienne du Vignogoul (com.
Pignan, Hérault).
Dans le diocèse de Limoges, Saint-Martial peut être envisagée comme l’un des
principaux témoins de l’introduction du gothique français dans les régions de l’ouest et du sud
de la France, bien que les baies rayonnantes y restent relativement rares, excepté à la
cathédrale Saint-Étienne de Limoges. En effet, Limoges pourrait être un relais dans la
diffusion de certaines novations gothiques en direction du sud de la France. De même
concernant les abbayes cisterciennes acceptant des formules capétiennes comme aux salles
capitulaires de Flaran, L’Escale-Dieu et Berdoues (com. Berdoues, Gers). À la fin des années
1220, l’abbaye Saint-Martial prête serment d’allégeance au roi de France, ce qui ne manquera
pas de trouver des échos en architecture. Les partis privilégiés à Saint-Martial peuvent certes
se justifier par ce rapprochement de la couronne française mais aussi peut-être par la diffusion
de modèles au sein des monastères clunisiens (similitudes avec Saint-Martin-des-Champs), ce
qui paraîtrait toutefois étonnant à propos de Saint-Martial au vu des réticences exprimées lors
du rattachement à l’ordre clunisien.
L’abbatiale clunisienne de Déols tisse également des liens particuliers avec la
couronne française et adopte un certain nombre de formulations capétiennes. C’est ainsi qu’au
début du XIIIème siècle, des arcs-boutants sont ajoutés le long de la façade nord. L’élévation
est à trois niveaux comme dans la plupart des cathédrales gothiques du nord de la France. Se
succèdent ainsi de grandes arcades à profil brisé, un triforium et des fenêtres hautes. La nef
2277
C. ANDRAULT-SCHMITT, « L’abbaye de Valence et le style gothique des cisterciens » dans Isabelle
d’Angoulême, comtesse-reine et son temps (1186-1246), Actes du colloque de Lusignan, 1996, Civilisation
Médiévale V, 1999, p. 97-111.
- 851 -
est voûtée d’ogives, contrebutée par des collatéraux voûtés d’arêtes. Les voûtes retombent sur
des piles cruciformes avec des colonnes engagées sur dosserets dont les chapiteaux sont ornés
de palmettes, de feuillages ou d’animaux fantastiques [Fig. 991]2278.
La cathédrale Saint-Étienne de Limoges est édifiée dans un « goût » capétien. Les
voûtes quadripartites aplaties assurent la continuité du vaisseau central. Une des clés de voûte
présence une roue de feuillages flanquée de deux têtes, décor déjà usité à Saint-Denis, à la
Sainte-Chapelle, à Tours et à Meaux. Les baies présentent des réseaux de lancettes et de roses.
Nous pouvons constater la généralisation du filet sur les ogives et les arcs. La scotie disparaît
progressivement des bases qui s’éloignent peu à peu du profil classique. Les dimensions de
l’édifice restent toutefois modestes par rapport à d’autres cathédrales telle Saint-Just de
Narbonne qui s’élève deux fois plus haut. Des points communs peuvent par ailleurs être
établis entre les plans et élévations de la cathédrale de Clermont, Limoges et Narbonne
édifiées par les Deschamps2279.
Outre le choix de déambulatoire à chapelles rayonnantes, les élévations à trois niveaux
ou l’introduction des baies rayonnantes, la présence de cloîtres vitrés peut également
témoigner de la présence capétienne. Le dépôt lapidaire du cloître de l’abbaye de Varennes a
révélé la présence de deux éléments très endommagés disposant sur une face de deux gorges
superposées, séparées horizontalement et verticalement par une petite saignée très fine.
D’après la saignée, il paraît probable qu’il s’agisse de piédroits de baies destinés à recevoir
des vitraux [Fig. 805].
Ce type de cloître est connu dans le nord de la France à Saint-Jean-des-Vignes, SaintLéger de Soissons, à la cathédrale de Laon (début XIIIème siècle), de Langres [Fig. 990]. De
même en Berry, le cloître de l’abbaye cistercienne de Noirlac dispose de vitres (dernier quart
du XIIIème siècle) comme l’attestent les oculi surmontant les arcades des galeries nord et
ouest. En effet, ils présentent des saignées témoignant de la présence d’anciens vitraux, peutêtre en grisaille. Nous avons déjà constaté l’attachement de Noirlac à des formes capétiennes
tels les remplages rayonnant du cloître et les arcs-boutants scandant la nef. Les vitraux dans
les cloîtres cisterciens sont attestés depuis le second quart du XIIIème siècle, même s’ils
restent assez rares. Seules huit abbayes cisterciennes en disposent comme Haina (vers 1240),
Heiligenkreuz (1220-1250) ou Altenberg (XVIème siècle). Le même cas de figure pourrait
être envisagé à Varennes dans la première moitié du XIIIème siècle. C’est le cas à Saint-
2278
J. HUBERT, « L’abbatiale Notre-Dame de Déols », dans J. HUBERT, Nouveau recueil d’études
d’archéologie et d’histoire. De la fin du monde antique au Moyen-Âge, Droz, Paris, Genève, 1985, p. 361-424.
2279
C. ANDRAULT-SCHMITT, Limousin gothique…, op. cit., p. 47-51.
- 852 -
Martial de Limoges dans le second quart du XIIIème siècle, témoignant de l’introduction
d’une architecture septentrionale en Aquitaine.
Le mobilier funéraire en lien avec l’Ile-de-France :
Le XIIIème siècle est marqué chez les moines blancs par l’introduction dans les
abbatiales de sépultures laïques, souvent les donateurs-fondateurs, qui tendent à transformer
les abbatiales cisterciennes en nécropoles familiales. La mise en place de ces tombeaux est
l’occasion de doter le monastère d’un certain nombre d’embellissements tels des pavements
glaçurés (Prébenoît, Bonlieu) ou des vitraux (Bonlieu).
Ainsi, le tombeau d’Étienne d’Obazine est réalisé dans la seconde moitié du XIIIème
siècle, vraisemblablement dans les années 1250-1260 [Fig. 992]. Il est placé dans le bras du
transept sud. Il est traité à la manière d’une châsse reliquaire. Un gisant repose sur un socle
mouluré massif et est surmonté par un toit à deux versants entièrement sculptés2280. Bernadette
BARRIÈRE suppose que ce tombeau a été exécuté dans des ateliers d’Ile-de-France. En effet,
des ressemblances sont flagrantes avec certaines sépultures du nord de la France. Nous
pouvons établir des comparaisons avec les sépultures de la famille de Louis IX à Royaumont
et à Maubuisson (1228-1244). Peut-être sont-elles issues des mêmes ateliers parisiens 2281?
C’est également le cas du tombeau de Philippe d’Agobert. Il s’agit du premier monument de
la famille royale mis en place à Royaumont. Philippe dit d’Agobert est le fils de Louis VIII et
le frère cadet de Louis IX (1222-1234). Ce tombeau associe deux formes de sépultures : le
gisant et la tombe en forme de coffre. Le coffre est orné d’arcatures en mitre dans lesquelles
s’insèrent des ancêtres pleurants, représentés sous la forme de moines et d’anges. Cette
œuvre, sans doute réalisée par un sculpteur parisien de la cour est ainsi très proche du
tombeau d’Étienne d’Obazine.
Dans le courant du XIIIème siècle, les abbayes cisterciennes du diocèse de Limoges se
dotent de pavements, parfois en lien avec des inhumations comme dans le chœur de
l’abbatiale de Prébenoît (fin XIIIème siècle). Cette constatation vaut pour l’ensemble de
l’ordre cistercien où les carreaux de pavement se développent considérablement durant le
XIIIème siècle et constituent un exemple flagrant des apports de l’art du nord de la France.
Nous pouvons ainsi nuancer l’hypothèse de monastères limousins insérés dans des espaces
Plantagenêts au XIIIème siècle par certaines créations artistiques faisant référence aux
abbayes septentrionales capétiennes. En effet, les carreaux de pavement retrouvés à Bonlieu,
2280
Pour une description complète, se référer au corpus concernant Obazine.
B. BARRIÈRE, « Le tombeau de saint Étienne d’Obazine. Une œuvre française du XIIIème siècle », dans I.
DULAC-ROORYCK (dir.), L’Art religieux en Bas-Limousin, Toulouse, 1997, p. 72-85.
2281
- 853 -
Bellaigue et Prébenoît font plutôt référence à des artisanats de France du Nord. Ainsi, les
carreaux de pavement découverts à Obazine présentent parfois des motifs géométriques
simples à lignes brisées ou entrelacs, décors similaires à ceux des carreaux de pavement du
château du Louvre (mi XIIIème siècle) [Fig. 529]2282.
Les abbayes de Cîteaux, Pontigny, Maubuisson en disposent et Magali ORGEUR
atteste à ce propos l’existence d’ateliers « parisiens » circulant dans la moitié sud de la
France, d’où la pénétration de certains motifs décoratifs et de techniques dans les monastères
aquitains et méridionaux2283.
En effet, des carreaux de faïence ont ainsi été découverts dans des sites cisterciens du
sud de la France tels Flaran (com. Valence-sur-Baïse, Gers), L’Escaledieu (com.
Bonnemazon, Hautes-Pyrénées) et Bonnefont-en-Comminges (com. Proupiary, HauteGaronne). Des réalisations similaires se rencontrent dans un cadre civil comme au château de
l’archevêque d’Auch à Mazères. Pour Edouard NORTON, ces réalisations relèveraient d’un
même atelier ayant produit à la fin du XIIIème siècle et au début du XIVème siècle. Il met en
lumière l’alliance étroite « d’une conception artistique audacieuse, calculée à l’avance et de
techniques rares d’exécution » permettant d’exalter le propriétaire des lieux. Ce dernier fait
systématiquement représenter ses armoiries et emblèmes. Les pavements peuvent ainsi être
considérés comme une forme d’expression du pouvoir. Pour l’auteur « La simple présence de
la faïence en tant que nouveauté rare et matériau de luxe a pu suffire à la manifestation du
pouvoir »2284.
Le motif de la fleur-de-lys est souvent considéré comme le symbole de la dynastie
capétienne. Il se développe surtout au milieu du XIIème siècle et trouve également sa place au
sein des créations cisterciennes aquitaines. Certains carreaux de pavement découverts à
Obazine et datés des XIIIème-XIVème siècles en présentent. Un carreau de l’abbatiale de
Bonlieu est orné d’une double fleur-de-lys florencée [Fig. 166]2285.
Les échanges entre le diocèse de Limoges et l’Ile-de-France se sont toutefois
développés dans les deux sens. Ainsi, l’œuvre de Limoges s’est particulièrement diffusée en
France du nord. Cette production d’émaux correspond à une demande accrue de mobilier
liturgique dès le milieu du XIIème siècle. En 1215, lors du concile de Latran IV, le Pape
Innocent III recommande officiellement le recours à l’œuvre de Limoges pour les vases sacrés
2282
2283
P. CONTE dans B. BARRIÈRE (dir.), Moines en Limousin…, op. cit., p. 76.
M. ORGEUR, Les carreaux de pavement des abbayes cisterciennes en Bourgogne…, op. cit., vol I, 2004, p.
89.
2284
C. NORTON, « De l’Aquitaine à l’Artois : carreaux stannifères et carreaux plombifères des XIIIème et
XIVème siècles en France », dans Images du pouvoir…, op. cit., p. 34-48.
2285
P. CONTE, op. cit., p. 77.
- 854 -
contenant l’eucharistie. Se met alors en place une réelle production en série de croix,
chandeliers, burettes, encensoirs, navettes et reliquaires, de même qu’un mobilier funéraire à
décor héraldique, des sépultures de laïques et d’ecclésiastiques. Cette diffusion de l’œuvre de
Limoges se fait principalement par le biais des ordres monastiques. En effet, aux XIIème et
XIIIème siècles, les commanditaires ayant les moyens de financer de tels objets sont les
chanoines augustins, les cisterciens, templiers et grandmontains. Ainsi, quatre abbayes
cisterciennes de fondation capétienne se dotent d’émaux limousins remarquables dans la
première moitié du XIIIème siècle. Il s’agit des abbayes du Lys (com. Dammarie-lès-Lys,
Seine-et-Marne), de Chaalis (com. Fontaine-Chaalis, Oise), de Preuilly (com. Égligny, Seineet-Marne) et de Royaumont (com. Asnières-sur-Oise, Val D’Oise). Nous pouvons ainsi citer à
titre d’exemples un coffret reliquaire de saint Louis offert aux moines du Lys, une crosse
découverte à Chaalis, la crosse de l’évêque Jean de Chanlay († 1294) déposée dans le chœur
de Preuilly ou encore les deux tombeaux des enfants de saint Louis, Jean († 1243) et Blanche
(† 1248) à Royaumont (aujourd’hui conservés à Saint-Denis). Nous pouvons également
supposer que des émaux avaient été commandés pour la celle grandmontaine de
Vincennes2286.
Ainsi, les abbayes cisterciennes du diocèse de Limoges et de ses marges semblent
hésiter entre Plantagenêts et Capétiens. Entre les années 1150 et 1200, elles paraissent se
tourner vers des solutions aquitaines et anglaises comme en témoignent les partis
architecturaux et la mise en œuvre. Certaines traditions romanes des pays d’Ouest sont
tenaces (coupoles, nef unique) tandis que les novations gothiques introduites sont souvent
issues d’un gothique Plantagenêt (voûtes à liernes à Coyroux, ogives au profil aminci en
amande). La mise en œuvre de ces abbatiales du saltus est souvent faite à l’économie, qu’il
s’agisse du choix de volumes simples et trapus, de murs épais et nus, de décors sobres et
dépouillés. Ces choix peuvent être en lien avec un système économique particulier tourné vers
l’assainissement des sols, l’hydraulique, l’élevage et la culture céréalière nécessaire à
l’autonomie des moines, priorité absolue pour le développement et la subsistance de la
communauté naissante. La majorité des revenus des moines devait être engloutie dans cette
mise en valeur des terres. Ce n’est que dans le courant du XIIIème siècle que les mutations
économiques et le passage à une économie de surplus va permettre l’introduction de créations
artistiques nouvelles : carreaux de pavement décorés (Dalon, Bonlieu, Obazine, Prébenoît),
tombeaux monumentaux (Prébenoît, Obazine), cloîtres vitrés (Varennes ?) en référence à un
2286
G. FRANÇOIS, « La diffusion de l’œuvre de Limoges en Ile-de-France », dans L’Ile-de-France médiévale, T
II, Paris, 2001, p. 70-75.
- 855 -
art d’Ile-de-France. Ces embellissements interviennent parallèlement à la mainmise
progressive des capétiens sur l’Aquitaine et le Limousin en particulier. Ainsi, les chantiers de
Saint-Martial, de la cathédrale Saint-Étienne et les abbatiales cisterciennes ont pu constituer
des relais pour les rois français vers l’Aquitaine et le sud de la France.
La présence de ces carreaux de pavements décorés, de ces embellissements va faire
naître un certain nombre de réprimandes de la part du Chapitre Général de l’ordre de Cîteaux,
et nombre d’abbés seront régulièrement sanctionnés pour leurs manquements à la Règle, qu’il
s’agisse des décors trop somptueux, mais aussi des inhumations de seigneurs laïcs, de plus en
plus fréquentes malgré les interdits de l’ordre. L’austérité est définie comme règle depuis
Bernard de CLAIRVAUX mais ne semble pas être appliquée par tous les monastères et subit
immanquablement des adaptations et entorses, souvent encouragées par des relations étroites
avec les communautés laïques. Il semble nécessaire ici de faire un point sur les rapports entre
Cîteaux et l’image, de mettre en lumière les oscillations entre austérité revendiquée et décors
progressivement intégrés, et les abbayes du diocèse de Limoges constituent là encore un
témoin essentiel de ces hésitations. Malgré la ruine d’un certain nombre d’édifices, l’historien
de l’art et l’archéologue peuvent appréhender quelques sculptures – en place ou déposées –,
des carreaux de pavement retrouvés lors de fouilles archéologiques ou de prospections, des
vestiges de peintures encore observables sur les parements ou sur certains éléments lapidaires,
autant de témoins des décors cisterciens qui posent la question de choix artistiques austères où
la figure, certes timide, s’accorde toutefois quelques incursions. Si des études stylistiques ont
pu être proposées sur ces décors sculptés et peints des abbatiales cisterciennes du diocèse de
Limoges2287, ils sont plus rarement replacés dans le cadre général du débat sur l’image – certes
ravivé par Bernard de CLAIRVAUX au XIIème siècle – mais qui remonte bien au-delà, dès
les premiers temps de la Chrétienté.
2287
Nous renvoyons ici aux nombreux articles et ouvrages publiés par Claude ANDRAULT-SCHMITT, listés en
bibliographie en fin de volume.
- 856 -
C. Aniconisme ou austérité : des choix esthétiques délibérés :
Dans un cadre grégorien, la question de l’image peinte et sculptée est de nouveau
posée. Elle est largement investie par les moines clunisiens qui y voient un moyen d’honorer
Dieu. Les églises richement ornées se doivent d’être un reflet de la Jérusalem Céleste. Quant
aux évêques, ils prônent l’image comme vecteur d’émotion chez le fidèle, souvent illettré. Les
nouveaux ordres nés du mouvement de réforme monastique et canoniale du XIème siècle
réagissent différemment face à l’image. Les cisterciens, désireux de marquer leur différence
face aux clunisiens, rejettent tout luxe, qu’il s’agisse de peintures, de sculptures historiées et
figurées, de vitraux ou enluminures trop colorés. L’image fait donc de nouveau débat, quatre
siècles après le fameux concile de Nicée II.
a. Les cisterciens face à l’art :
L’image est très présente dans les écrits cisterciens, même si la vision des moines
blancs est bien souvent négative, voire dévalorisante. Elle est fréquemment au cœur des
débats opposant clunisiens et cisterciens, moines grégoriens et ordres austères. Décriée par
saint Bernard, héritier de pensées carolingiennes aniconiques, acceptée à Fontevrault et
Prémontré, l’image ne fait pas l’unanimité au sein des mouvements à vocation érémitique, ni
auprès des moines blancs.
1. L’Apologie. Émules et controverses :
L’Apologie à Guillaume de Saint-Thierry, même s’il s’agit d’un texte essentiel à
l’étude de l’ordre de Cîteaux, ne doit pas conduire à l’affirmation d’un « iconoclasme »
cistercien généralisé. Il paraît nécessaire pour l’étude des créations artistiques des moines
cisterciens en Limousin de préciser la place de l’image dans ce cadre monastique
sensiblement proche des carolingiens, étroitement lié à un milieu aristocratique tendant à
l’aniconisme. Pour ce faire, il est important de s’attarder sur un certain nombre d’écrits
carolingiens ou grégoriens permettant de mieux comprendre la vision de Bernard de
CLAIRVAUX, de ses émules et détracteurs, qui ne saurait être appréhendée et approfondie
sans une connaissance sérieuse des théories de l’image l’ayant précédé.
Cette analyse est bien sûr redevable à de nombreuses études sur l’image et le culte
publiées pour l’essentiel à partir des années 80, dans lesquelles les moines cisterciens ont
souvent leur place. Le statut de l’image sculptée et peinte dans les édifices religieux de la
Chrétienté a fait l’objet de fervents débats chez les historiens et les historiens de l’art. À la fin
- 857 -
des années 1980, François BOESPFLUG codirige avec Nicolas LOSSKY un ouvrage sur le
concile de Nicée II, permettant de souligner l’impact du concile sur les créations artistiques
byzantines ou occidentales, de mesurer le retentissement de cette réhabilitation de l’image
suite à la première crise iconoclaste, de réévaluer les difficultés à imposer l’image dans un
contexte carolingien. Ils précisent par ailleurs que les milieux aristocratiques et impériaux
sont sensiblement plus iconoclastes que des évêques ayant en charge l’éducation des foules,
quelques moines et les fidèles majoritairement attachés aux icônes2288. Ces questionnements
sont en partie repris et réévalués concernant l’ancien diocèse de Clermont par Bruno PHALIP
dans son ouvrage Art roman, culture et société en Auvergne, puis plus récemment dans son
mémoire d’Habilitation à Diriger des Recherches. Il s’interroge sur la persistance de pensées
iconoclastes dans certains milieux aristocratiques, nobles (familles comtales) et lettrés, tandis
que les sanctuaires proches de l’évêque, ouverts aux fidèles illettrés, développent la figure. En
Orient également, ce sont les empereurs et leurs proches, les évêques et certains hauts
fonctionnaires de l’armée qui rejettent l’image. Seuls les fidèles, quelques moines et évêques
recourent à la figure2289. L’image reste suspecte pour un public exigeant et lettré. Les émotions
que font naître certaines sculptures ou peintures sont jugées superflues, voire dangereuse et
suscitent la méfiance des milieux aristocratiques et conservateurs, proches des traditions
carolingiennes de refus de l’image.
À l’inverse, le clergé loin des cours serait plutôt favorable à l’image car proche du
peuple et soumis à des nécessités pastorales. Nous avons eu par ailleurs l’occasion de
démontrer les liens étroits entre cisterciens et aristocratie, qu’il s’agisse du recrutement, des
donations et inhumations. Les moines blancs pourraient être assimilés à ces marginaux
choisissant une foi « expurgée », retirés au désert pour mieux approcher Dieu et n’ayant nul
besoin des images des humbles. Les nobles à tendance aniconique trouvent ainsi de puissants
relais dans ces monastères dépouillés et où l’image tridimensionnelle peine à s’épanouir.
Des tentatives de synthèse vont succéder à l’étude majeure de François BOESPFLUG
et Nicolas LOSSKY, tels les ouvrages d’Hélène TOUBERT s’attachant plus particulièrement
à l’impact de la réforme grégorienne sur les productions artistiques du XIème siècle à travers
un certain nombre d’analyses de programmes iconographiques, de Jean WIRTH reprenant très
précisément les principaux textes sur l’image, de la Bible des Illettrés de Grégoire le GRAND
aux Libri Carolini jusqu’à la réforme grégorienne et aux ordres ascétiques du XIIème et du
2288
F. BOESPFLUG, N. LOSSKY, Nicée II, 787-1987, douze siècles d’images religieuses, Paris, 1987.
B. PHALIP, Des terres médiévales en friche…, op. cit., volume I (synthèse), p. 65 ; B. PHALIP, Art roman,
culture et société en Auvergne. La sculpture à l’épreuve de la dévotion populaire et des interprétations savantes,
publications de la Faculté des Lettres et Sciences humaines de Clermont-Ferrand, 1997, p. 138 et 141.
2289
- 858 -
XIIIème siècles. À cela s’ajoute l’analyse magistrale d’Hans BELTING sur les images et les
icônes où d’autres textes sont savamment décortiqués afin de mieux comprendre le rôle joué
par l’image dans les cultes chrétiens2290.
Plus récemment s’est formé un groupe de recherche travaillant à la Morphogenèse de
l’espace ecclésial (ACR regroupant des chercheurs des universités de Clermont II, Lyon II
Genève, Paris I, des archéologues de l’INRAP). Cette ACR est dirigée par Anne BAUD,
professeur à l’université de Lyon II, rattachée à l’UMR 5138. Une première conclusion de ces
recherches a été exposée lors d’un colloque international tenu à Nantua (Ain) les 23, 24 et 25
novembre 2006. Une publication est en préparation dans les Documents de la Maison de
l’Orient. Sous l’intitulé « Espace et liturgie. Organisation de l’espace ecclésial au MoyenÂge » se sont ainsi regroupés historiens, historiens d’art, archéologues se proposant d’intégrer
plus clairement la liturgie à leurs études, où bien sûr le statut de l’image fait débat.
La connaissance de certaines pratiques liturgiques (barrières de chœur, chancel) peut
permettre
d’améliorer,
de
préciser
la
compréhension
de
nombreux
programmes
iconographiques. D’où la nécessité de ces recherches ayant donné naissance à l’ouvrage
Espaces figurés médiévaux. L’espace ecclésial, les aménagements liturgiques et la question
iconographique. Une partie entière est d’ailleurs consacrée aux clercs, aux laïcs et à la
réception de l’image dans l’Église, source d’inspiration indéniable à la présente étude2291.
Le rôle de l’image au sein de l’Église chrétienne se révèle problématique et fait l’objet
de nombreux débats, ravivés dans le cadre de la réforme grégorienne dans la seconde moitié
du XIème siècle. Ces difficultés liées à la représentation sculptée et peinte ne sont pas une
nouveauté et trouvent leurs origines dès la période antique. Le culte chrétien n’était pas centré
sur une image mais sur la mensa, la table du sacrifice. L’image cultuelle est alors réprouvée
car considérée comme l’expression du culte païen des idoles 2292. L’iconoclasme peut être
défini comme la réplique quasi spontanée des monothéismes à la matérialisation du sacré et à
ses compromissions avec le vocabulaire visuel du polythéisme. L’Islam orthodoxe maintient
l’aniconisme dans ses mosquées, de même dans les synagogues juives. La reconnaissance du
caractère sacré de l’image de l’empereur est intégrée dans l’État au IVème siècle. Elle
2290
H. TOUBERT, Un art dirigé. Réforme Grégorienne et iconographie, Paris, Cerf, 1990 ; J. WIRTH, L’image
à l’époque romane, Paris, Ed. Cerf, 1999 ; C. DUPEUX, P. JEZLER, J. WIRTH (dir.), Iconoclasme. Vie et mort
de l’image médiévale, Berne, 2001 ; H. BELTING, Image et culte. Une histoire de l’art avant l’époque de l’art,
Paris, 1998.
2291
UMR 5138, « Morphogénèse de l’espace ecclésial », dir. A. BAUD, Maison de l’Orient Méditerranéen, Lyon
II, à paraître. La partie « Espaces figurés » est sous la direction de Bruno PHALIP.
2292
H. BELTING, Image et culte…, op. cit., p. 193.
- 859 -
familiarise l’Église avec la notion de portrait de culte, de l’icône du Christ ou des saints. De
plus, la survivance de comportements païens conduit à l’acceptation progressive de l’image.
Au VIIème siècle, l’icône est entrée dans les mœurs chrétiennes de Byzance 2293. Plusieurs
« crises iconoclastes » se sont amorcées, tel en Orient en 727, à laquelle répond le concile de
Nicée II en 787 visant à réhabiliter l’image. Il semblerait que cette résistance à l’art provienne
de milieux exigeants, lettrés, tandis que l’image est acceptée par la communauté, le « peuple
charnel » cité par Bernard de CLAIRVAUX. Les principaux acteurs de ce refus catégorique
de l’image sont les cours comme celle de Charlemagne, puis certains ordres nouveaux tels les
cisterciens – principalement recrutés dans la noblesse – et les ordres mendiants au XIIIème
siècle2294. Nous verrons toutefois que le rapport à l’image chez les cisterciens n’est pas aussi
radical et uniforme qu’il n’y paraît et certains auteurs se montrent en réalité plus modérés que
Bernard de CLAIRVAUX.
Suite à la réforme grégorienne, l’image tend à être revalorisée par des évêques
soucieux de l’éducation des fidèles, comme en témoignent les complexes programmes
iconographiques sculptés et peints de nombreuses cathédrales ou églises liées à l’évêque.
Dans le diocèse de Clermont, le Val d’Allier illustre parfaitement cette tendance à l’invasion
de l’image (chapiteaux du chœur et portail d’entrée de Notre-Dame du Port, chœurs de SaintNectaire et Saint-Austremoine d’Issoire). Cette réhabilitation de l’image est relayée par les
moines clunisiens, fervents soutiens de la réforme grégorienne, qui livrent dans le diocèse de
Limoges le portail d’entrée de l’abbatiale de Beaulieu ou les sculptures exubérantes de
Vigeois, pour ne citer que ces deux exemples édifiants. Les mouvements à vocation
érémitique tels Cîteaux, Grandmont ou la Chartreuse se montrent par ailleurs plus réticents
face au recours à l’image sculptée ou peinte, et réactivent ainsi avec verve les interrogations
suscitées par Nicée II. Pour réfuter l’image, ils s’appuient généralement sur des textes
bibliques, issus de l’Ancien Testament, dont l’interdit du Décalogue est le plus fréquemment
invoqué
« Tu ne feras point d’image taillée, ni de représentation
quelconque des choses qui sont en haut dans les cieux, qui
sont en bas sur la terre, et qui sont dans les eaux plus bas
que la terre. Tu ne te prosterneras point devant elles, et tu
ne les serviras point2295. »
Les Psaumes réitèrent à maintes reprises cette méfiance envers l’image sculptée, les
2293
Encyclopedia Universalis, corpus 9.
H. TOUBERT, Un art dirigé…, op. cit., p. 20.
2295
Exode, 20 § 3-5, Décalogue.
2294
- 860 -
idoles païennes qui ne sauraient être une représentation de Dieu sur terre, ne peuvent écouter
et sauver.
« Honte aux servants des idoles, eux qui se vantent de
vanités ; prosternez-vous devant lui, tous les dieux2296.
(…) Les idoles des païens, en or et argent, une œuvre de
la main de l’homme ; elles ont une bouche et ne parlent
pas, elles ont des yeux et ne voient pas. Elles ont des
oreilles et n’entendent pas, pas le moindre souffle en leur
bouche. Comme elles seront ceux qui les firent, quiconque
met en elles sa foi2297.
(…)N’allez pas prévariquer et vous faire une image
sculptée représentant quoique ce soit : figure d’homme ou
de femme2298 ».
L’interdit de représenter des images n’aura de cesse d’être rappelé et les crises
« iconoclastes » sont fréquentes dans la Chrétienté. Dès 306 a lieu le synode d’Elvire dont le
canon 36 proclame :
« Ne picturae in ecclesia fiant.
Placuit pictures in ecclesia esse non debere, ne quod
colitur et adoratur in parietibus depingatur”.2299
Cette interdiction correspond presque mot pour mot aux formulations employées dans
les statuts des chapitres généraux de Cîteaux au XIIème siècle proscrivant les images
sculptées et peintes. Dans son Histoire des Francs, Grégoire de TOURS (vers 538-594) se
montre également très réticent à l’image et n’a de cesse de rappeler les interdits bibliques. Il
tourne en dérision ces cultes idolâtres qu’il exècre :
« Que sert la statue qu’ils ont sculptée? Ils l’ont fabriquée en
la fondant, fantôme mensonger ! Or ce n’est qu’un produit
fait d’argent et d’or et dans eux il n’y a aucune âme ; mais le
2296
Psaume 97 § 7.
Psaume 134 § 15-19.
2298
Deutéronome, 4 § 16-17.
2299
C. RUDOLPH, “Communal Identity and the earliest Christian Legislation on Art : canon 36 of the Synod of
Elvira”, dans T. N. KINDER, (dir.), Perspectives for an Architecture of solitude…, op. cit., p. 1-7.
2297
- 861 -
Seigneur habite dans son temple saint ; que toute la terre
tremble devant sa face. (...) C’est avec des charbons brûlants
et des marteaux qu’un les a forgés et c’est à la force du bras
qu’un autre a travaillé. De même l’artisan menuisier a
esquissé son idole avec un compas et a fait la statue d’un
personnage ressemblant à un bel homme habitant dans une
maison. Il l’a façonné, et il a fait une statue et l’a adorée
comme un dieu, il l’a consolidée avec des clous et des
marteaux pour qu’elle ne se brise pas en morceaux. Il faut
les soulever et les porter parce qu’elles sont incapables de
marcher.»2300
À cette vision très négative de l’image, relayant l’interdit du Décalogue, s’oppose
certains iconophiles, défenseurs de l’image sculptée et peinte qui y voient un moyen
d’éducation des fidèles illettrés, idée que les papes, évêques et moines grégoriens reprendront
fréquemment à leur compte. Le pape Grégoire le GRAND s’oppose ainsi avec verve aux
commandements du Décalogue lorsqu’il écrit à son évêque Sérénus de Marseille (600-602).
En effet, ce dernier avait brisé et jeté des images, suscitant l’opprobre du pape qui lui envoie
deux lettres. Il s’exprime en ces termes :
« Nous te louons d’avoir empêché qu’on adore les images.
Nous te blâmons de les avoir détruites. Autre chose est
d’adorer une peinture. Autre chose d’enseigner par la
peinture ce qu’il faut adorer (...).
L’art de la peinture est utilisé dans les églises pour que
ceux qui ne savent pas lire apprennent sur les murs ce
qu’ils ne peuvent apprendre dans les livres. »2301
L’image ne devrait donc pas être détruite puisqu’elle sert aux fidèles qui ne savent pas
lire. Ce « pamphlet » de Grégoire le GRAND va nourrir et inspirer les thèses iconophiles,
relayées par les moines clunisiens aux XIIème et XIIIème siècles, couvrant leurs édifices de
programmes iconographiques complexes à la fois destinés aux foules de fidèles (portails
2300
Grégoire de TOURS, Histoire des Francs, trad. R. Latouche, Les Belles Lettres, Paris, 2 vols, 1975.
« Pictura in ecclesiis adhibitur ut hi qui litteras nesciunt saltem in parietibus videndo legant quae legere in
codicibus non valent ». Grégoire I, « Registri », IX, 208, M.G.H., Epistolae, T II, p. 195.
2301
- 862 -
occidentaux) et aux moines lettrés (cloîtres). La Bible présente d’ailleurs sans équivoque le
décor figuratif du Temple de Salomon. Il faudrait ainsi distinguer adoration d’une image et
enseignement par l’image, ce qui ne saurait être répréhensible.
Cette idée d’une Bible des Illettrés représentée sur les murs des églises et sur les
chapiteaux recevant les voûtes est relayée par Bède Le VÉNÉRABLE (673-735). Celui-ci est
un moine anglais de l’abbaye de Jarrow, auteur du De Templo Salomis Liber. Pour lui, il est
salutaire d’accepter un art bidimensionnel aux vertus thaumaturgiques. Il accepte les peintures
mais ne fait pas état des sculptures. Il semblerait que l’image sculptée soit souvent plus
difficile à accepter, ce que nous pouvons également constater à Cîteaux. En effet, si les
chapiteaux y sont le plus souvent nus ou feuillagés, les culots ornés de motifs géométriques,
les carreaux de pavement acceptent parfois l’image, particulièrement dans la seconde moitié
du XIIIème siècle2302. Grâce à l’image, la mémoire des évènements bibliques telle la Passion
du Christ est conservée. Elle permet aux illettrés la connaissance de la Bible et suscite ainsi la
conversion.
À l’inverse, pour Jean DAMASCÈNE, théoricien des images (680-749), il est
nécessaire de se préoccuper du pouvoir de l’image sur le spectateur inculte puisque celui-ci
peut être amené à confondre le contenu et le contenant. Pour lui,
« L’image est une similitude reproduisant le prototype de
façon à ce qu’il reste toujours une différence entre eux. »
C’est cette incontournable différence qui pose problème aux iconoclastes2303.
En 726, l’empereur Léon III fait détruire l’image du Christ ornant les portes de son
palais, donnant le signale d’une nouvelle poussée d’iconoclasme, proclamé doctrine officielle
en 7302304. Quarante ans plus tard, le concile de Nicée II tente de défendre les images à la suite
de Grégoire le GRAND, ce en réponse à la crise iconoclaste amorcée en Orient en 727. Le
pouvoir thaumaturge des œuvres peintes est mis en lumière tandis que la possibilité de
représenter le Christ ainsi que les saints est affirmée. La pratique d’offrir un culte aux icônes
remonte d’ailleurs aux origines du christianisme. Un nouvel essor est ainsi donné au culte des
saints2305. Les représentations peuvent aider à la conversion, à se rapprocher des « modèles
2302
J. WIRTH, L’image à l’époque romane, Paris, Cerf, 1999, p. 28 et 30.
H. BELTING, Image et culte…, op. cit., p. 195.
2304
J. WIRTH, « Faut-il adorer les images ? La théorie du culte des images jusqu’au Concile de Trente », dans C.
DUPEUX, P. JEZLER, J. WIRTH (dir.), Iconoclasme. Vie et mort de l’image médiévale, Berne, 2001, p. 28-37.
2305
C. WALTER, « Le souvenir du IIème concile de Nicée dans l’iconographie byzantine », dans F.
BOESPFLUG, N. LOSSKY, Nicée II, 787-1987, douze siècles d’images religieuses, Paris, 1987, p. 167-183.
2303
- 863 -
originaux » et à leur témoigner une dévotion plus fervente puisque s’appuyant sur une image
concrète. Sont ainsi défendues à la fois les peintures, mais aussi les mosaïques et toute autre
représentation sculptée ou peinte, bidimensionnelle ou tridimensionnelle. Il est écrit :
« Nous définissons en toute certitude et justesse que,
comme les représentations de la Croix précieuse et
vivifiante, aussi les vénérables et saintes images qu’elles
soient peintes, en mosaïque ou de quelque autre matière
appropriées, doivent être placées dans les saintes églises
de Dieu. (…) plus on regardera ces représentations
imagées, plus ceux qui les contempleront seront amenés à
se souvenir des modèles originaux, à se porter vers eux, à
leur
témoigner,
en
les
baisant,
une
vénération
respectueuse sans que ce soit une adoration véritable
(…).»2306
L’image conserve ainsi la mémoire des évènements bibliques, suscite le respect du
peuple de croyants pour le saint représenté, non pour l’image en tant que telle, et ce sans
forcément conduire à une idolâtrie fautive.
Les réactions au concile de Nicée ne se font pas attendre de la part des artisans de la
réforme carolingienne. Les carolingiens, et particulièrement l’entourage de Charlemagne,
issus d’un milieu lettré, tendent à rejeter toute œuvre tridimensionnelle. Certains de leurs
arguments consistant à affirmer que les lettrés n’ont nullement besoin d’icônes pour la
conversion, vont être relayés au XIIème siècle par des cisterciens réticents à l’image, pour le
moins soucieux de se rattacher à l’Église de Rome en se rapprochant d’un cadre carolingien
lettré et aniconique. Ainsi en 787, THÉODULPHE, un des protagonistes de cette réforme,
écrit :
« Si l’on vénère une image avec plus de piété qu’une
autre, simplement parce qu’elle est plus belle, on juge de
son caractère sacré en fonction du talent de l’artiste.
Ceux qui croient vénérer quelque chose de sacré parce
qu’ils sont émus par la beauté, se trompent pour ainsi dire
sans le savoir, mais ceux qui adorent les tableaux dont la
2306
H. BELTING, Image et culte…, op. cit., p. 677-679.
- 864 -
difformité offusquent l’art sont inexcusables comme si leur
erreur était consciente et volontaire. (...) L’homme peut se
sauver sans avoir d’images, il ne le peut sans la
connaissance de Dieu. De plus, il est bien malheureux,
l’esprit qui, pour se souvenir de la vie du Christ, a besoin
du secours des tableaux, de la peinture et qui est
incapable de prendre son élan dans sa propre
puissance. »2307
Nous ne sommes pas loin des idées de Bernard de CLAIRVAUX affirmant que le
moine lettré n’a que faire d’une image qui contribuerait à tromper et distraire son esprit,
l’entravant alors dans la connaissance de Dieu. Les moines n’ont nullement besoin d’un
intermédiaire avec la divinité qui ne peut être qu’une source de confusion.
De même, ALCUIN (735-804), conseiller de Charlemagne, atteste la supériorité de
l’écriture sur la représentation peinte. L’image ne permettrait qu’une compréhension
superficielle de la divinité, et en cela trompe et trahit la pensée divine tandis que l’écriture
peut en envisager le sens profond. Les cisterciens ne privilégient-ils pas également l’écrit,
comme le prouvent l’activité et le dynamisme des scriptoria de l’ordre ainsi que les heures de
lecture prévues dans le cloître ?
« Toi vénère les couleurs superficielles, nous, qui
préférons l’écriture, nous pénétrons jusqu’au sens caché.
Tu te laisses charmer par des surfaces peintes, nous nous
émouvons devant la parole divine. Arrête-toi à l’image
trompeuse, sans vie et sans âme, des choses, nous nous
élevons à la réalité des valeurs morales et religieuses. Et
si, toi, amateur et adorateur d’images, tu nous reproches
en murmurant au fond de ton coeur de nous délecter de
figures et de tropes, sache qu’en effet, nous éprouvons un
plaisir plus vif à nous rassasier de la douceur des lettres
que tu ne peux en ressentir en regardant les images. »2308
2307
2308
P. RICHÉ, Les carolingiens, Paris, 1983, p. 331.
E. DE BRUYNE, Étude d’esthétique médiévale, vol. I., Bruges, 1946, Paris, 1998, p. 268-269.
- 865 -
Au concile de Nicée II de 787 répond en 794 le concile de Francfort prenant parti
contre les images. Charlemagne réunit ses évêques en synode et fait rédiger sous son contrôle
personnel les Libri Carolini, quatre livres probablement rédigés par ALCUIN et
THÉODULPHE dont nous avons déjà pu constater ci-dessus les réticences à l’image. Cette
théologie carolingienne refuse l’adoration de la chair du Christ2309. Les Libri Carolini
condamnent toute pratique de vénération envers une représentation plastique quelle qu’elle
soit. Ils admettent toutefois l’utilisation des images dans l’église pour des rôles auxiliaires et
excluent ainsi les iconoclastes. Ils envisagent l’usage religieux légitime des images
uniquement dans l’édifice cultuel. La vénération des icônes est perçue comme un risque
d’extension du culte hors de son lieu propre. Cette position médiane est finalement assez
proche de celle adoptée par la suite par Bernard de CLAIRVAUX. Les Libri Carolini
affirment la nature purement spirituelle de la foi chrétienne et de la communication avec Dieu.
L’idée de la médiation matérielle est contraire à la vraie dévotion chrétienne. Ce qui est
spirituel ne saurait transiter par des objets concrets. La médiation par l’image est facteur de
confusion et doit être évitée.
En effet, il est fait état des risques d’erreurs générés par l’image ne permettant pas
systématiquement de reconnaître la scène et les personnages représentés. L’image pourrait
être tolérée si elle s’accompagne d’une inscription permettant l’identification de la scène. Là
encore, l’écriture est indispensable et supérieure à l’image confuse et trompeuse2310. Il est
également précisé que ce n’est pas l’image en tant que telle qui est rejetée, mais plutôt
l’adoration des images par des illettrés ne pouvant comprendre ce qui est suggéré.
« À l’endroit des images, nous ne blâmons rien, si ce n’est
leur adoration ; aussi nous permettrons-nous qu’il y ait
des images dans les basiliques des saints, non dans un but
d’adoration, mais pour rappeler leurs actions et embellir
les murs.»2311
Pour montrer que cette adoration des images est illégitime, les Libri Carolini
remarquent qu’on ne les consacre ni en Orient, ni en Occident. D’où leur viendrait dès lors
leur sainteté2312? Les Libri Carolini ont aussi des conséquences en architecture. L’édifice n’est
2309
J. WIRTH, « Faut-il adorer les images… », op. cit., p. 28-37.
D. IOGNA-PRAT, La maison Dieu, Une histoire monumentale de l’Église au Moyen Âge, Paris, Seuil, 2006,
p. 238.
2311
D. MENOZZI, Les images. L’Église et les arts visuels, Paris, 1991, p. 107.
2312
J. WIRTH, L’image à l’époque romane…, op. cit., p. 44.
2310
- 866 -
pas conçu comme le lieu d’une présence particulière de Dieu. Il n’est pas spécialement le lieu
de la rencontre. Comme tout élément matériel, l’édifice n’est pas saint par nature.
L’établissement du lieu de culte dans sa fonction religieuse doit bénéficier d’une autorité
spirituelle incontestable2313.
Dans le premier tiers du IXème siècle, les réactions aniconiques se poursuivent,
comme sous la plume de Claude de TURIN, dit « l’Iconoclaste », chapelain du roi
d’Aquitaine Louis le Pieux, qui n’hésite pas à faire détruire les images et les croix dans son
diocèse. Il écrit, reprenant l’interdit du Décalogue (vers 825) :
« Si le culte des saints est légitime, il l’était bien plus de
leur vivant, quand ils étaient à l’image de Dieu, et non pas
lorsqu’ils ressemblent à des animaux, ou plutôt à des
pierres, ou à du bois, sans vie, sensibilité ni raison. »2314
Vers 1026, un épisode témoigne à la fois de réticences persistantes à l’image, mais
aussi de l’impact des Libri Carolini sur certains esprits acceptant timidement une
représentation dans la mesure où elle est commentée. En effet, un moine de Marmoutier brise
les têtes et les membres de statues du monastère Saint-Florent de Saumur à coups de marteau,
réalisées à la demande de l’abbé Robert (985-1011). Ces sculptures étaient peintes,
accompagnées de légendes en vers pour une meilleure compréhension et pour éviter toute
confusion selon les vœux des Libri Carolini2315. Il s’agissait vraisemblablement de chapiteaux
historiés. Ce témoignage montre les dissensions au sein du monde monastique quant au statut
de l’image. Décriée par les uns, acceptée par les autres (souvent clunisiens), l’image ne fait
pas l’unanimité et la réforme grégorienne à la fin du XIème siècle ne parvient pas à apporter
une réponse au conflit.
À la même période, entre 1025 et 1027, le synode d’Arras tend à l’acceptation de
l’image, capable de conversion. L’idée d’une Bible des Illettrés est une fois de plus défendue.
« Ce que les illettrés ne peuvent voir grâce aux signes de
l’écriture, ils le regardent grâce aux tracés de la peinture
(…). Ce n’est ni la statue ni le démon que j’adore, mais je
2313
X. PAYET, « L’image des lieux de culte dans les Livres Carolins. La question des idées directrices à travers
la Renaissance carolingienne en architecture », dans P. BERNARDI, A. HARTMANN-VIRNICH, D.
VINGTAIN (dir.), Texte et archéologie monumentale. Approches de l’architecture médiévale, Montagnac, 2005.
2314
F. BOESPFLUG, N. LOSSKY, Nicée II…, op. cit., p. 247.
2315
J. MALLET, L’Art roman de l’ancien Anjou, Paris, Picard, 1984, p. 13 ; 35-36.
- 867 -
vois dans cette forme corporelle le signe de la réalité que
j’adore ».
L’adoration des images est ainsi justifiée en théorie. On n’adore pas une image mais ce
qu’elle représente2316. Toutefois, nous pouvons apporter une nuance à cette volonté
d’éducation des foules. En effet, si l’image a cette vocation pédagogique, comme expliquer la
prolifération de l’image dans les cloîtres, pourtant réservés à la communauté monastique ?
Les exemples des cloîtres de Moissac et de la Daurade de Toulouse sont en cela significatifs
[Fig. 993]. La sculpture figurée n’aurait ainsi pas toujours été en rapport avec une volonté
d’enseigner le peuple chrétien. Selon Jean HUBERT, il y aurait en fait deux degrés
d’enseignement : un réservé au peuple, un plus savant pour les lettrés. Toutefois, à Moissac,
les thèmes les plus simples sont dans le cloître, infirmant cette hypothèse, tandis que le portail
d’entrée ouvert aux fidèles témoigne d’intentions théologiques profondes, dépassant
largement le contenu d’une prédication ordinaire2317.
Avec l’émergence de nouveaux ordres à vocation érémitique, la représentation figurée
est de nouveau réévaluée, critiquée, voire rejetée. Pour Jean WIRTH néanmoins, l’ascétisme
ne s’accompagne pas nécessairement d’un refus massif des pratiques artistiques. Saint
Bernard par exemple doit faire des concessions au luxe ecclésiastique2318.
Dans les années 1124-1125, il écrit une Apologie à Guillaume de SAINT-THIERRY,
abbé bénédictin proche du cistercien. Il prend clairement position vis-à-vis de l’image. Il n’a
de cesse de stigmatiser le luxe des objets cultuels. Les sculptures et peintures sont ainsi
prohibées dans les abbatiales cisterciennes. Si l’image est tolérée pour des édifices épiscopaux
ayant vocation à l’accueil de fidèles illettrés, les moines lettrés, n’ont aucun besoin de ce
support visuel pouvant bien au contraire les entraver dans leur concentration et leur zèle à la
prière intérieure. Toutefois, Adrian BREDERO nous alerte sur un certain nombre de clichés
concernant l’Apologie. Saint Bernard est en effet fréquemment considéré comme « insensible
à la beauté », pouvant être assimilé à un iconoclaste. Or, celui-ci ne réclame néanmoins que la
retenue dans l’architecture et le décor des seuls monastères2319.
L’art constitue en effet une distraction inutile et dommageable pour les moines. Il peut
les empêcher de lire, de méditer sur la loi divine. Son influence fait d’ailleurs cesser la
2316
J. WIRTH, L’image à l’époque romane…, op. cit., p. 41.
J. HUBERT, « Le caractère et le but du décor sculpté des églises, d’après les clercs du Moyen-Âge », dans J.
HUBERT, Arts et vie…, op. cit., p. 449-510.
2318
J. WIRTH, op. cit., p. 261.
2319
A. H. BREDERO, Bernard de Clairvaux. Culte et histoire. De l’impénétrabilité d’une biographie historique,
Turnhout, Brépols, 2003, p. 142.
2317
- 868 -
production de manuscrits enluminés dans l’ordre. Il ne condamne toutefois pas l’art en luimême, ni l’image dont il reconnaît la nécessité pour évangéliser les foules, mais refuse son
utilisation dans les sanctuaires et cloîtres monastiques par définition fermés aux fidèles. Ainsi,
l’image ne pose vraiment problème que dans le cloître ou dans la cellule du moine. Dans les
églises accessibles aux laïcs, l’exubérance du décor serait justifiée par la nécessité de les
séduire. Il suggère ainsi une foi différente pour les humbles et les savants. L’une a besoin du
support des images, l’autre non. La foi du peuple, plus instinctive, nécessite des « ornements
sensibles pour exciter la dévotion », à savoir tout ce qui touche aux cinq sens. Il reconnaît
néanmoins l’efficacité de la foi des humbles lorsqu’il dit à l’évêque de Havelberg, souffrant
(1146-1147), « Si tu as la même foi que les pauvres femmes, elle pourra peut-être te servir ».
Selon Bernard de Clairvaux, la foi des gens du peuple est essentielle, sa simplicité et son
humilité peuvent obtenir un miracle2320.
Même si la « réforme » cistercienne est souvent considérée comme l’une des plus
radicales manifestations d’abstinence, et particulièrement dans le domaine artistique, saint
Bernard ne peut toutefois être assimilé à un « iconoclaste » puisqu’il reconnaît les vertus de
l’image pour les fidèles2321. Il paraît de même très exagéré de considérer les cisterciens comme
les initiateurs d’une nouvelle « crise iconoclaste » face aux propos somme toute assez
mesurés de Bernard de CLAIRVAUX et d’autres auteurs comme Aelred de RIEVAULX et
Guillaume de SAINT-THIERRY.
« Vous donnez à vos églises des proportions gigantesques,
les décorez avec somptuosité, les faîtes revêtir de
peintures qui détournent irrésistiblement sur elles
l’attention des fidèles, et n’ont pour effet que d’empêcher
le recueillement (...).
Un abbé dans son monastère ne peut se permettre d’imiter
un évêque. Ce dernier par la nature de sa charge, règne
sur un troupeau où tous n’ont pas l’intelligence des
choses spirituelles et il est juste qu’il use de moyens aussi
matériels pour provoquer la piété d’un peuple charnel (...)
tout cela n’a pas plus de valeur que du fumier (...).
2320
B. PHALIP, Art roman, culture et société en Auvergne…, op. cit., p. 67.
P. REUTERSWARD, « An overlooked reserve in cistercian iconoclasm », dans S. MICHALSKI (dir.), L’Art
et les révolutions. Section 4 : les iconoclasmes, XXVIIème Congrès International d’Histoire de l’Art, Strasbourg,
1989, Strasbourg, 1992, p. 25-35.
2321
- 869 -
Que gagnons-nous à la splendeur de nos églises, sinon
l’admiration des sots ou les offrandes des simples ? Parce
que nous vivons au milieu des peuples, allons-nous les
imiter dans toutes leurs oeuvres et, pour parler comme le
psaume, nous faire les esclaves de leurs statues? (...).
Vous montrez aux ignorants une image resplendissante de
saint ou de sainte, et les voilà qui croient d’une foi
d’autant plus vive que les couleurs les ont plus frappés!
(...)
Et que signifient dans les cloîtres, sous les yeux des frères
lisant leur bréviaire, ces monstres ridicules, toute cette
beauté informe, cette trop belle hideur, ces singes
immondes, ces lions féroces, ces centaures, ces êtres à
demi humains, ces tigres tachetés, ces scènes de combat et
de chasse? On voit ici plusieurs corps pour une seule tête,
ailleurs plusieurs têtes sur un même corps ; un
quadrupède s’achève en queue de serpent, un poisson
dresse une queue de quadrupède... De toute part une
luxuriance
de
formes
extraordinaires
attire
notre
attention, nous nous prenons à aimer mieux lire sur le
marbre que dans nos livres, nous passons le jour à nous
étonner de ces merveilles plutôt qu’à méditer la loi de
Dieu (...).
Les murs de l’église sont étincelants de richesses et les
pauvres sont dans le dénuement! Ses pierres sont
couvertes de dorures et ses enfants sont privés de
vêtements ; on fait servir le bien des pauvres à des
embellissements qui charment le regard des riches. Les
dilettantes trouvent à l’église de quoi satisfaire leur
curiosité, mais les pauvres n’y trouvent pas de quoi
sustenter leur misère (...).
Je passe sous silence la hauteur immense des oratoires, la
longueur démesurée, les surfaces inutilement vastes, les
polissages somptueux, les peintures curieuses qui, en
- 870 -
détournant vers elles le regard des fidèles en prière, font
obstacle à la piété et, en quelque façon, me rappellent
l’ancien rite des juifs (...).
On offre à la vue quelque très belle image d’un saint ou
d’une sainte, et le saint est estimé d’autant plus saint qu’il
est mieux colorié. »2322
Cette Apologie est en partie adressée aux moines clunisiens dont l’opulence en ce
premier tiers du XIIème siècle se reflète dans certains monuments de grande ampleur (Cluny,
Paray-Le-Monial, Souvigny) développant de complexes programmes sculptés, s’étalant à la
fois aux portails des églises et sur les chapiteaux des cloîtres (Moissac) pourtant uniquement
dévolus aux moines. Il critique ces êtres hybrides qui attirent l’attention et attisent la curiosité,
les scènes de chasse et de guerre qui n’ont pour lui rien à faire dans un espace entièrement
réservé aux moines (cloître de Moissac, manuscrits de Saint-Martial de Limoges). Il convient
toutefois de préciser que toutes les dépendances clunisiennes ne présentent pas de tels
programmes et luxes décoratifs. Pour Adrian BREDERO, cette Apologie peut également être
envisagée comme une critique sous-jacente des enluminures et miniatures des manuscrits
recopiés à Cîteaux sous l’abbatiat d’Étienne Harding. Les plus anciens manuscrits de Cîteaux
sont antérieurs à 1113 et à l’arrivée de Bernard à l’abbaye2323.
Saint Bernard rappelle aussi aux moines noirs la Règle de Saint Benoît que ceux-ci se
devaient de respecter. Le chapitre 66 évoque de manière diffuse et indirecte l’organisation du
monastère, décrit comme un organisme autarcique. Il est clairement précisé que tout ce qui
n’est pas directement lié à l’oraison et au culte doit être supprimé de l’oratoire2324. Cette idée
est réitérée par Benoît d’ANIANE dès le IXème siècle. Ce dernier se montre dans un premier
temps très rigoriste, presque « cistercien » avant la Règle. Il décrète qu’il n’y aura dans ses
constructions :
« (…) ni les murailles ornementées, ni peinture aux
voûtes, ni tuiles écarlates, mais bien plutôt, murs en
torchis et toits de chaume. Pour consacrer le corps du
Christ il ne voulait pas de vases d’argent. Il repoussait de
2322
G. BRUNEL, E. LALOU, Sources d’histoire médiévale (IXe-milieu XIVe s.), Paris, 1992, p. 654-655 ;
Bernard de CLAIRVAUX, Apologie, 28-29, Migne, col. 914, traduction de AUBER, 1871, T III, p. 594 et
suivantes ; Bernard de CLAIRVAUX, Écrits sur l’art, Paléo, Clermont-Ferrand, 2001.
2323
A. H. BREDERO, Bernard de Clairvaux..., op. cit., p. 201.
2324
M. COCHERIL dans G. LEBRAS (dir.), Les ordres religieux. La vie et l’art, T I, Flammarion, 1979, p. 501.
- 871 -
même les chasubles de soie, s’empressant, lorsqu’on lui
en offrait, d’en faire cadeau à autrui. »
Saint Bernard s’inscrit ainsi dans une tradition monastique carolingienne réticente à
l’image. C’est toutefois un art excessif qu’il condamne, et non toute forme d’art. Il s’insurge
contre un art utilisé pour attirer des donations (« Que gagnons-nous à la splendeur de nos
églises, sinon l’admiration des sots ou les offrandes des simples »). Selon Conrad
RUDOLPH, c’est peut-être un art de « pèlerinage » qui est ainsi visé où de précieux
reliquaires sont placés au cœur d’édifices majestueux et aux dimensions de plus en plus
ambitieuses afin de drainer des pèlerins toujours plus nombreux. Mais ceux-ci ne sont-ils
alors pas plus émus par les beautés décoratives, les dorures, les programmes peints liés aux
itinéraires liturgiques et le luxe des pierres précieuses que par la vie du martyr ou du saint
enterré là2325 ? Le pèlerin n’accorde-t-il pas plus d’importance à la représentation artistique
qu’aux reliques elles-mêmes, au saint et à ses miracles ? L’art entraîne des donations
exceptionnelles, des revenus particuliers dont les monastères ne devraient avoir que faire.
Pour Bernard de CLAIRVAUX, la pauvreté matérielle est la nécessaire expression
d’un retour au « désert » auquel les ordres nouveaux comme Grandmont, Cîteaux ou la
Chartreuse aspirent. Il mentionne cinq exemples d’art excessif à ses yeux : les reliquaires, les
images de saints, les chandeliers en couronne, les candélabres et les pavements figurés, autant
d’éléments liés à la liturgie et à l’exercice du culte dont il condamne la force d’attraction issue
des métaux précieux et des bijoux2326. Plus le sanctuaire est orné, plus la foule croit en le
pouvoir spirituel du saint, plus les donations affluent. L’art deviendrait alors en quelque sorte
la preuve de l’efficacité des reliques du saint patron2327. D’où une surenchère entre les
différents monuments de pèlerinage dans la décoration et le luxe que ne peut que condamner
saint Bernard. Cette « débauche » de luxe est d’ailleurs pour lui réellement indécente face aux
pauvres à qui l’on devrait prodiguer plus de soins plutôt que de couvrir les églises de décors
somptueux. L’impact réel de ce texte sur l’architecture et le décor cistercien est toutefois
plutôt délicat à déterminer. L’Apologie est-elle respectée par les monastères affiliés, par
ailleurs majoritaires dans le diocèse de Limoges ? Bernard de CLAIRVAUX insiste en effet
surtout sur ce qu’il ne faut pas faire, parle de manière négative, mais aucune directive réelle
n’est donnée aux maîtres d’œuvres et bâtisseurs2328.
2325
C. RUDOLPH, The « Things of greater importance ». Bernard of Clairvaux’s Apologia and the Medieval
attitude toward Art, University of Pennsylvania Press, 1990, p. 19.
2326
C. RUDOLPH, op. cit., p. 54-57.
2327
C. RUDOLPH, op. cit., p. 78.
2328
M. UNTERMANN, Forma Ordinis..., op. cit., p. 99.
- 872 -
Ce « pamphlet » de Bernard de CLAIRVAUX est quelques années après relayé par les
statuts de l’ordre de Cîteaux. En effet, il n’existe jusqu’alors aucun texte édictant certaines
directives architecturales artistiques dans les écrits fondateurs de l’ordre. Ni l’Exordium
Coenobii Cisterciensis, ni la Carta Caritatis ne font état de ces préoccupations. Ainsi, dès
1134, les sculptures et peintures sont officiellement interdites. Seules les croix en bois sont
tolérées dans les abbatiales2329. Les croix d’or et d’argent de grand format sont prohibées, de
même que les tableaux peints (tabulae pictae). Les statuts du Chapitre Général de 1150
précisent :
«Nous interdisons que l’on fasse des sculptures ou des
peintures dans nos églises et dans les autres lieux du
monastère parce que, lorsqu’on les regarde, on néglige
souvent l’utilité d’une bonne méditation et la discipline de
la gravité religieuse. »2330
D’autres auteurs, cisterciens ou non, vont prendre la suite de l’Apologie et appuyer les
idées de saint Bernard. Guillaume de SAINT-THIERRY engage les frères chartreux de MontDieu à rejeter les œuvres d’art, les belles façades aux décors exubérants. Il perçoit les images
de manière très négative, l’imagination étant pour lui une fonction inférieure de l’âme. Les
cellules se doivent d’être des « tentes de soldats aux camps du seigneur ». Les chartreux
vivent absorbés par les réalités intérieures, méprisent et dédaignent les choses extérieures.
L’esprit ne doit pas être distrait par des décorations superflues. En effet, selon Guillaume de
SAINT-THIERRY, la beauté « ralentit la détermination qui est propre à l’homme et tend à
efféminer l’esprit masculin ». Quiconque s’attache à la beauté sensible redescend de l’état
d’homme spirituel à celui d’homme animal2331.
Outre les milieux monastiques, l’ordre canonial n’est pas resté à l’écart des ces
discours sur l’image. Hugues de FOUILLOY est un chanoine régulier de Saint-Augustin,
prieur de Saint-Laurent d’Heilly. Vers 1153, dans l’un de ses écrits de théologie morale, le De
Claustro animae, il exprime sensiblement les mêmes remarques que Bernard de
2329
J. KUTHAN, « Die zisterzienserklöster in den Böhmischen Ländern und die Hussitischen Bilderstürme“,
dans S. MICHALSKI (dir.), L’Art et les révolutions. Section 4 : les iconoclasmes, XXVIIème Congrès
International d’Histoire de l’Art, Strasbourg, 1989, Strasbourg, 1992, p. 45-56.
2330
J. M. CANIVEZ, Statuta…, op. cit., T I, 1150 ; T I 1157-12, 61, 15 ; T II 218, 12 ; G. DUBY, Saint Bernard
et l’art cistercien, Paris, 1979, p. 12 ; L. PRESSOUYRE, Le rêve cistercien, Paris, 1991, p. 112-113.
2331
D. LE BLÉVEC, « Les chartreux et l’art » dans D. LE BLÉVEC, A. GIRARD (dir.), Les Chartreux et l’art,
XIVème-XVIIIème siècles, Actes du colloque de Villeneuve-Lès-Avignon, Paris, Cerf, 1989, p. 12-16 ;
Guillaume de SAINT-THIERRY, Lettre aux frères du Mont-Dieu, traduction de J. DÉCHANET, Paris, Cerf,
1975, p. 31.
- 873 -
CLAIRVAUX en rappelant la simplicité que devait avoir l’architecture de leurs édifices
religieux. Il blâme tout particulièrement le luxe des demeures épiscopales de son temps,
invective les moines de Cluny, les accuse de s’occuper plus de soucis temporels que du soin
spirituel de leurs âmes.
« Que cela [l’emploi des images] soit permis – s’il faut le
permettre à quelqu’un – aux clercs qui demeurent dans les
villes ou dans les bourgs, où afflue un grand concours de
peuple, afin que ces gens simples soient attirés par la
beauté des peintures, eux qui ne peuvent être charmés par
la subtilité d’un écrit (…).
La pierre est utile pour la sculpture de l’édifice, mais à
quoi sert de la sculpter ? Et l’on doit lire la Genèse dans
la Bible, non sur un mur. On y voit Ève toute habillée,
alors qu’un pauvre homme couche tout nu contre lui.
Adam y a droit à une tunique fourrée, alors que la
communauté des frères est assaillie par les rigueurs de
l’hiver. »2332
À son tour il atteste la nécessité des images pour des fondations urbaines, tandis que
les monastères ruraux comme les abbayes cisterciennes, grandmontaines, chartreuses ne
devraient pas en faire usage. Il y aurait donc une dichotomie entre un monde urbain adoptant
l’image par nécessité, pour l’éducation d’un peuple illettré ayant besoin en quelque sorte
d’illustrations pour comprendre sermons et prédications, tandis que le monde rural où se
retirent des moines lettrés en quête de solitude et de méditation rejetterait ces décors inutiles,
superflus et coûteux.
Il critique également sévèrement les mœurs de certains évêques se faisant bâtir de
luxueuses demeures où rien ne justifie plus pourtant le recours à l’image et aux décors.
« Les évêques se font construire des palais dont la
dimension ne le cède pas à celle des églises ! Ils ont un
2332
Hugues de FOUILLOY, Le cloître de l’âme, II, 4. Cet ouvrage est souvent présent dans les scriptoria des
monastères (Clairvaux, Les Dunes). Il s’agit d’un texte où « la construction de l’âme est figurée sur le schéma
spirituel d’un chantier pour la construction d’une église ». S. BANDERA, « Les premiers manuscrits de l’abbaye
de Morimondo et leurs relations avec la région d’origine. L’histoire des filles aide à construire l’histoire des
maisons mères », dans G. VIARD (dir.), L’abbaye cistercienne de Morimond…, op. cit., p. 279-309.
- 874 -
véritable plaisir à occuper des chambres aux parois
recouvertes de peintures, où l’on voit des personnages
revêtus de couleurs éclatantes et d’ornements précieux,
alors que le pauvre, lui, manque de vêtements, et que,
l’estomac vide, il crie à la porte !»2333
Le luxe des demeures laïques et religieuses est également dénoncé par Pierre Le
CHANTRE. Ce dernier appartient au chapitre de la cathédrale de Paris. Il écrit la Somme
Ecclésiastique vers 1180 où il blâme le luxe déployé en architecture et s’attaque aux moyens
pécuniaires dont on se sert pour bâtir. S’il conteste lui aussi la somptuosité de certains édifices
monastiques, il critique de même les châteaux, donjons et palais laïcs, les évêques dépensant
trop d’argent pour édifier et décorer cathédrales et palais épiscopaux.
« Les palais des princes construits avec les larmes des
pauvres qu’on a rançonnés font maudire cette rage de
bâtir. Mais les édifices monastiques ou ecclésiastiques,
élevés grâce aux prêts à intérêt et aux gains illicites des
usuriers, grâce aux mensonges des fourbes et aux
fourberies des menteurs, des faux prêcheurs, des
stipendiés, s’effondrent souvent, bâtis qu’ils sont avec des
biens mal acquis, puisque le « mauvais butin n’engendre
pas d’heureuses fins ». Voyez aussi l’exemple de saint
Bernard qui pleurait ayant vu les cabanes de berger
couvertes de chaume, semblables aux anciennes masures
des cisterciens qui commençaient alors à habiter dans des
palais étincelants et fortifiés. Mais, atteints souvent eux
aussi par la maladie de la construction, ces religieux sont
punis tout comme les autres justement pas l’intermédiaire
de leur vice. Car la construction de maisons si belles et si
vastes est comme un appel aux hôtes arrogants ».
Pierre le CHANTRE s’insurge ici aussi contre les moines blancs dont les mœurs
relâchées auraient conduit à des constructions plus ambitieuses bien éloignées des premières
2333
Hugues de FOUILLOY, op. cit., I. 1.
- 875 -
constructions en bois. Peut-être l’auteur fait-il référence à la reconstruction de nombreuses
abbatiales cisterciennes dans la seconde moitié du XIIème siècle, comme Clairvaux et Cîteaux
qui se dotent de chevet à déambulatoire et chapelles rayonnantes et de vaisseaux aux
dimensions imposantes. Cette idée est reprise dans le premier tiers du XIIIème siècle par
Hélinand de FROIDMONT, vers 1200-1220. Celui-ci, issu d’une famille seigneuriale de
Flandres, s’insurge contre les excès de l’enrichissement de l’ordre de Cîteaux et s’adresse
ainsi aux moines blancs :
« Pourquoi vous, Cisterciens, bien que vous ayez tout
abandonné et fait profession de sobriété et de pauvreté,
pourquoi construisez-vous des édifices aussi somptueux et
aussi vastes ? »2334
Pour Aelred de RIEVAULX, les images sont impropres à la vie ascétique choisie par
les moines cisterciens et autres ordres à vocation érémitique et de retour à la pureté
évangélique. Il réitère certaines idées développées dans l’Apologie telle la mise en cause des
décors dans les espaces claustraux :
« Ainsi, jusque dans les cloîtres des moines, on trouve des
grues et des lièvres, des daims et des cerfs, des pies et des
corbeaux, c’est-à-dire certainement pas les instruments
d’Antoine et de Macaire, mais des plaisirs de femme.
Toutes choses qui peuvent satisfaire les yeux de curieux,
mais
sûrement
pas
satisfaire
à
la
pauvreté
monastique. »2335
Dans son écrit La vie de recluse où il s’adresse directement à sa sœur ayant choisi la
vie monastique, son attitude envers les images apparaît toutefois plus nuancée puisqu’il admet
les ornements sous forme d’images peintes dans l’oratoire personnel de la moniale :
2334
MIGNE, Patrologie Latine, T CCXII, coll. 676 ; V. MORTET, « Hugues de Fouilloi, Pierre Le Chantre,
Alexandre Neckam et les critiques dirigées au XIIème siècle contre le luxe des constructions », dans Mélanges
d’Histoire offerts à M. Charles BÉMONT, Paris, 1913, p. 105-137 ; Pierre le CHANTRE, Verbum abbreviatum,
LXXXVI.
2335
Aelred de RIEVAULX, Le miroir de la charité, II, 24, 70.
- 876 -
« Il y a même une sorte de vanité à se complaire jusque
dans la cellule à rechercher de la beauté, à orner ses
murs de peinture ou d’objets orfévrés de toute sorte, à
décorer son oratoire de tentures ou d’images diverses.
Garde-toi de tout cela comme contraire à ta profession.
Je t’en prie, ne recherche pas, sous couvert de dévotion,
la gloriole par les peintures ou les sculptures, par des
tentures couvertes d’oiseaux ou de bestiaux ou par des
figures variées représentant diverses fleurs. Ce sont là des
occupations dignes de gens qui, n’ayant rien dans leur
cœur dont ils puissent se glorifier, doivent chercher
ailleurs des motifs de contentement.
Trouve ta gloire, trouve ton contentement dans ton cœur
et non à l’extérieur, dans les vraies vertus et non dans les
peintures ou les images.
Que les ornements de ton oratoire représentent les choses
suivantes – ainsi tes yeux ne se repaîtront pas d’images
saugrenues. Sur ton autel, il te suffira d’avoir l’image du
Sauveur supplicié sur la croix. Qu’elle t’incite à imiter sa
passion, que ses bras étendus t’invitent à les embrasser ;
jouis de ces embrassements et, de sa poitrine découverte,
il fera couler sur toi le doux lait qui te consolera. Et, si tu
veux, tu pourras placer aussi les images de la Vierge
Mère et du disciple vierge à côté de la croix afin de te
rappeler en les voyant l’excellence de la virginité.»2336
Ainsi, s’il condamne le luxe décoratif de certaines représentations peintes, il autorise
tout de même quelques images comme le Christ en Croix et Marie et se montre ainsi moins
sévère que Bernard de CLAIRVAUX. Ces seules représentations dépouillées auraient pour
but d’aider la moniale à la charité et à la contemplation.
Certains moines cisterciens semblent ainsi plus mesurés et moins sévères dans leurs
propos que saint Bernard. C’est le cas de Galand de REIGNY, à l’origine de l’ermitage de
2336
Aelred de RIEVAULX, La vie de recluse. La prière pastorale, traduction C. DUMONT, Cerf, Paris, 1961,
§ 24 et 26.
- 877 -
Fontesmes en 1104, devenu cistercien en 1128. L’ermitage prend dès lors le nom de Reigny
(com. Vermenton, Auxerre). Il écrit une série de proverbes vers 1146-1147. Alors que
Bernard réserve les images aux laïcs, dont la pastorale revient à l’évêque et non aux moines,
et que le chapitre 26 de la codification cistercienne de 1134 interdit formellement les
sculptures et n’admet de peinture que sur les croix, Galand ne dédaigne pas d’utiliser des
« représentations sensibles pour sa prédication ». Il s’éloigne fortement de la prohibition de
images dans les cloîtres et les églises, inventant selon Alexis GRÉLOIS, la théorie du « dessin
animé par l’imagination de celui qui le contemple »2337.
« Il y a trois jours, je suis entré dans une église décorée
de haut en bas de peintures et de statues. Sous mes yeux,
voici que s’animaient les peintures et que les statues
vivaient. Tels personnages causaient entre eux, tels autres
s’entre-tuaient.»2338
« Préfères-tu revoir le spectacle des prodiges d’antan ?
Viens à l’église avec moi. Là, de tes yeux, tu verras les fils
d’Israël traverser la Mer Rouge sains et saufs, et les
Egyptiens étouffés sous les eaux. »2339
Ainsi, le débat sur l’image est ouvert au sein même de l’ordre cistercien et l’Apologie
de Bernard de CLAIRVAUX a certes suscité beaucoup d’émules mais aussi fait réagir un
certain nombre de moines plus tolérants face à l’image. Après la mort de saint Bernard,
l’austérité et le refus de l’image tendent d’ailleurs souvent à s’assouplir et certaines formes
d’art comme les pavements, les monuments funéraires parviennent à imposer une
iconographie propre. La même évolution est sensible chez les Prémontrés. Aux débuts de cet
ordre fondé en 1120 par saint Norbert, la nudité des églises est préconisée. Toutefois, ceux-ci
participent à la vie paroissiale. Peut-être le contact avec les fidèles les entraînera à orner
richement leurs églises. Dans le cas d’une église paroissiale en effet, l’image est comprise
comme une prédication.
2337
A. GRÉLOIS, « Galand de Reigny et le problème de l’unité institutionnelle et spirituelle de l’ordre aux
premiers temps de la branche de Clairvaux”, dans Unanimité et diversités cisterciennes, filiations, réseaux,
relectures du XIIème au XVIème siècles, Actes du colloque international du CERCOR, Dijon, 1996, SaintÉtienne, 2000, p. 149-159.
2338
Galand DE REIGNY, Petit livre de Proverbes, traduction de J. CHÂTILLON, M. DUMONTIER, A.
GRÉLOIS, Sources Chrétiennes n°436, Paris, 1998, 92.
2339
Galand DE REIGNY, op. cit., 64.
- 878 -
Tandis que certains expriment leurs réticences à l’image, d’autres la défendent encore
et répondent avec verve à ces ordres austères. C’est le cas de SUGER qui soutient ce recours
aux images et au luxe. Dans son texte De la Consécration, il écrit :
« Que chacun suive sa propre opinion. Pour moi, je le
déclare, ce qui m’a paru juste avant tout, c’est que tout ce
qu’il y a de plus précieux doit servir d’abord à la
célébration de la sainte eucharistie. Si, selon la parole de
Dieu, selon l’ordonnance des Prophètes, les coupes d’or,
les fioles d’or, les petits mortiers d’or devaient servir à
recueillir le sang des boucs, des veaux et d’une génisse
rouge, combien davantage, pour recevoir le sang de
Jésus-Christ, convient-il de disposer les vases d’or, les
pierres précieuses, et tout ce que l’on tient pour précieux
dans la création. Ceux qui nous critiquent objectent qu’il
suffit, pour cette célébration, d’une âme sainte, d’un esprit
pur, d’une intention de foi. Je l’admets : c’est bien cela
qui importe avant tout. Mais j’affirme aussi que l’on doit
servir par les ornements extérieurs des vases sacrés, et
plus qu’en toute autre chose dans le saint sacrifice, en
toute pureté intérieure, en toute noblesse extérieure. 2340»
L’art est comme une aide spirituelle, une manière d’honorer Dieu. Suger justifie la
beauté dans les églises par un psaume de l’Ancien Testament, déjà invoqué lors du concile de
Nicée II, précisant : « Domini, dilexi decorem domus tuae, et locum habitationis gloriae
tuae »2341.
Pour SUGER, la richesse des abbayes bénédictines est due aux faveurs divines.
L’embellissement des églises serait finalement un signe de remerciement adressé à Dieu, un
juste retour des choses2342. Néanmoins, Aelred de RIEVAULX interprète différemment ce
psaume. Pour lui, la beauté de la maison de Dieu est fondée sur l’équité entre amour et unité.
La vraie beauté de la maison de Dieu n’est pas matérielle mais existe en réalité dans la
pauvreté volontaire et la sainte simplicité.
2340
SUGER, Œuvres, Tome I, « Les Belles Lettres », Paris, 1996, p. 20.
« Yahvé, j’aime la beauté de ta maison et le lieu du séjour de ta gloire ». Psaume 25-8.
2342
C. RUDOLPH, op. cit., p. 35.
2341
- 879 -
De même pour Gui de BAZOCHES, chroniqueur champenois, chanoine et chantre de
la cathédrale de Châlons, qui semble conserver certains goûts de sa famille aisée. Il orne
d’ailleurs allègrement sa maison de Châlons.
« L’art est un luxe, il est vrai ; c’est le luxe de l’esprit, le
superflu du cœur ; mais c’est, il faut l’avouer, un luxe bien
nécessaire. Et s’il fallait attendre, pour oser en jouir, que
la pauvreté eût disparu de la terre, il y aurait lieu de
craindre que l’esprit humain ne fût à jamais privé de l’un
de ses aliments les plus délicats. »2343
Ainsi, les différents conciles qui se sont succédés depuis les premiers temps de la
Chrétienté ne sont guère parvenus à régler la question de la représentation figurée. Suite à la
réforme grégorienne à la fin du XIème siècle, les débats sont réamorcés et certains auteurs
cisterciens à l’image de saint Bernard semblent bien souvent s’inscrire dans la droite ligne des
carolingiens et des moines les plus rigoristes. Toutefois, cet aniconisme n’est pas unanime
dans l’ordre comme en témoignent certains textes d’Aelred de RIEVAULX et Galand de
REIGNY. Ces dissensions au sein même des plus lettrés de l’ordre expliquent peut-être en
partie les entorses faites aux statuts des chapitres généraux dès la fin du XIIème siècle
concernant les pavements décorés, les vitraux, les clochers, les chœurs de plus en plus
ambitieux ou encore les monuments funéraires délicatement ornés, financés par une noblesse
soucieuse de s’assurer des nécropoles familiales toujours plus imposantes et remarquables.
Entre idéal d’austérité et acceptations progressives de l’image, les moines blancs hésitent,
tandis que textes rigoristes, aniconiques ou tolérants se répondent avec toujours plus de verve
et d’arguments, sans parvenir à une solution acceptable pour chacun.
2. Une tentative d’uniformisation :
Si les productions artistiques cisterciennes se caractérisent par une certaine austérité
dans les premiers temps de l’ordre, par une timidité face aux images sculptées et peintes, une
autre caractéristique pourrait être cette volonté d’unité et d’uniformité dans le choix du plan
des abbatiales de l’ordre, souvent invoquée par une historiographie traditionnelle. L’idée d’un
plan « type » reproduit d’abbayes en abbayes, sorte de « marque de fabrique » de l’ordre
cistercien est exprimée dès les années 1950, à travers les travaux de Marcel AUBERT ou
2343
É. VACANDARD, Vie de saint Bernard, T I, p. 120.
- 880 -
Anselme DIMIER et serait le résultat de la politique cistercienne d’uniformité et d’unanimité
exprimée dès la rédaction de la Charte de Charité en 1114. Ce plan consisterait en une
reproduction de celui de l’abbatiale de Fontenay avec un chevet plat, une nef à bas-côtés
relativement obscure, un transept saillant avec des chapelles disposées sur chaque bras,
également à fond plat. Les liens forts existant entre abbayes-mères et abbayes-filles auraient
conduit à des similitudes architecturales, visibles dans la filiation de Clairvaux, à la diffusion
de ce « modèle » en France et en Europe.
Cette idée de plan stéréotypé est exprimée par Benoît CHAUVIN : « Il n’est pour ainsi
dire aucun ouvrage, aucune monographie, aucun article sur le bâti de l’une ou l’autre des
abbayes de Cîteaux qui n’expliquent ou ne mentionnent pas la notion de « plan cistercien ».
Avec les évidentes ressemblances entre les partis architecturaux adoptés et le dépouillement
stylistique recherché qu’offrent en élévation les constructions de l’ordre, on tient les deux
principales raisons ayant autorisé à parler d’architecture, voire d’art cistercien ».
L’historien parle de « spécificités cisterciennes affirmées ». Pour lui, la « découverte
de la notion de « plan bernardin » constitue l’une des principales avancées de l’histoire de
l’architecture cistercienne ». Ne s’agirait-il pas plutôt d’un carcan étroit et inadapté aux
diversités architecturales de l’ordre, une chape de plomb faussant notre vision et obligeant
presque chaque chercheur à retrouver à tout prix dans les sites étudiés l’expression de ce
« plan bernardin » sans quoi il ne saurait y avoir d’art cistercien ? L’austérité cistercienne
invoquée par Benoît CHAUVIN suffit-elle à définir un art à part entière, alors même que les
XIIème et XIIIème siècles voient naître bien d’autres expériences similaires tel à
Grandmont ? Grandmont ainsi que l’architecture des ordres à vocation érémitique (augustins,
fontevristes) ne constituent-elles pas également une source importante d’inspiration ?
Ces « évidentes ressemblances » des abbayes cisterciennes sont-elles d’ailleurs si
systématiques que cela ? Résistent-elles à des comparaisons dans toutes les régions, sur une
longue période ou ne correspondent-elles qu’à une réalité à un moment donné, cloisonnée à la
filiation de Clairvaux ? Il apparaît clairement que les cisterciens suivent les innovations de
leurs temps et revêtent un rôle de transmission des formes du premier gothique (ogives), tout
en témoignant de permanences pour certaines formes romanes (coupoles de croisée et files de
coupoles en Aquitaine)2344. Pour Peter FERGUSSON et Stuart HARRISSON, il paraît évident
que l’évolution des « modèles » dans l’historiographie, les remises en cause successives
montrent les impasses de ces modes de pensée. Il n’existe pas de modèle, de plan type, mais
2344
T. KINDER, L’Europe cistercienne, Zodiaque, 1997, p. 386.
- 881 -
une multitude de sources d’inspiration, d’interpénétrations, de dialogues avec des héritages
romans, des édifices paroissiaux, canoniaux et monastiques contemporains2345.
Cette idée d’un modèle en architecture nous semble à réévaluer à la lumière des
créations artistiques cisterciennes limousines et marchoises, à rediscuter grâce à des
publications
récentes
remettant
en
cause
ce
qui
ne serait
qu’une « invention
historiographique » uniquement justifiée pour la filiation claravalienne.
•
La Charte de Charité :
La volonté d’unité et d’uniformisation de l’ordre et de ses institutions est exprimée dès
les premiers temps à travers la rédaction de la Charte de Charité – probablement vers 1114 –
conçue en partie par Étienne HARDING, troisième abbé du Nouveau Monastère. Cette charte
est approuvée par une bulle du pape Calixte II en 1119. Elle préconise le dépouillement de
tous les biens terrestres, la pauvreté même dans la célébration du culte divin, une austérité
rigoureuse dans les mœurs, la soumission aux évêques. Même si art et architecture ne sont pas
directement cités, ces préceptes peuvent aisément leur être appliqués. La Charte organise les
filiations et institue le Chapitre Général. Elle précise :
« L’Église de Cîteaux, mère de toutes les autres, s’est
réservée spécialement ceci : une fois par an, les abbés
viendront tous ensemble chez elle pour se visiter, rétablir
la discipline, affermir la paix et conserver la charité.
Quand des déviations devront être corrigées, chacun
obéira à l’abbé de Cîteaux et à cette sainte assemblée
avec respect et humilité (…).
Voici un autre bienfait attendu de l’institution de cette
assemblée : si l’on apprend que l’un des abbés se trouve
d’aventure dans une extrême pauvreté, tous s’emploieront
à soulager l’indigence d’un frère, chacun selon ce que lui
dictera la charité et compte tenu de ses ressources.
Aucune raison ne sera valable pour s’absenter du
chapitre annuel, excepté ces deux motifs : une raison de
santé et la bénédiction d’un novice. Celui à qui cela
arrivera enverra son prieur pour le remplacer. Mais si
2345
P. FERGUSSON, S. HARRISSON, Rievaulx Abbey…, op. cit., p. 78.
- 882 -
quelqu’un ose un jour rester chez lui pour quelque autre
raison, il demandera pardon de sa faute au chapitre
suivant, et, au jugement des abbés, il fera une satisfaction
sous forme de coulpe légère. »2346
Les rapports entre abbayes-mères et abbayes-filles sont ainsi organisés, planifiés,
tandis que l’institution du Chapitre Général permet de maintenir une cohérence dans l’ordre et
une surveillance du maintien de la Règle et de la stricte observance.
Dans son étude sur la diplomatique cistercienne au XIIème siècle, Marlène HÉLIAS
BARON s’interroge sur l’existence d’une unanimité diplomatique cistercienne, permise par la
Charte de Charité et les Chapitres Généraux. Dans le cadre d’une thèse de doctorat, elle
analyse les fonds des quatre premières filles de Cîteaux et convient que les documents
cisterciens ne présentent guère d’originalité dans le dictamen et la scriptio. Les moines blancs
semblent plutôt se conformer aux usages locaux. Les Chapitres Généraux ne semblent pas
avoir édicté de règles précises concernant la diplomatique. Les cisterciens témoignent dès lors
d’une grande capacité d’adaptation à des pratiques locales. La diversité est de mise dans les
pratiques diplomatiques, bien souvent communes aux ordres nouveaux et non spécifique à
Cîteaux2347. Les mêmes constatations peuvent-elles s’appliquer en architecture et sculpture ?
Quel est l’impact réel de la Charte de Charité et des statuts de l’ordre ? Les liens spirituels
entre une abbaye et ses filles ont-ils une traduction dans les productions artistiques,
caractérisées par des ressemblances de plan et d’élévation ?
Pour Matthias UNTERMANN, l’idée d’un « style cistercien », d’un art de bâtir propre
à Cîteaux serait né de cette volonté de l’ordre d’unité et d’uniformité dans ses coutumes. Cette
volonté se traduirait dans le Charte de Charité ou l’Exorde de Cîteaux. Ces écrits
s’appliqueraient en architecture par la mise au point de modèles, d’un « style » né en
Bourgogne2348. Cette unité, cette unanimité cistercienne peut se définir comme l’adhésion aux
principes exposés dans la Charte de Charité, l’observance des usages contenus dans ce
document fondamental, la mise en application et le respect de statuts promulgués par le
Chapitre Général, la participation régulière des abbés à cette assemblée à Cîteaux une fois par
2346
G. GHISLAIN, J-C. CHRISTOPHE, Cîteaux. Documents primitifs, Cîteaux, 1988.
M. HÉLIAS-BARON, « Recherches sur la diplomatique cistercienne au XIIème siècle. La Ferté, Pontigny,
Clairvaux, Morimond », thèse de doctorat, Paris I, sous la direction de Michel PARISSE, 2005, résumé, CEM,
Auxerre, 11, 2007, p. 279-281.
2348
M. UNTERMANN, Forma Ordinis..., op. cit., p. 19.
2347
- 883 -
an, et les visites annuelles aux abbayes-filles par leur abbé-père2349. Les Chapitres Généraux
de l’ordre auraient pu jouer un rôle dans la diffusion de certaines formules architecturales, les
abbés de toute la France et même de toute l’Europe s’y rendant régulièrement. L’abbatiale de
Cîteaux devait ainsi être connue de tous. De même concernant la diffusion de certains motifs
décoratifs : une unité cistercienne est sensible dans le choix de motifs des vitraux en grisaille
unifiés se retrouvant à la Bénissons-Dieu (, com. La Bénisson-Dieu, Loire), Bonlieu, Obazine,
La Chalade (com. Lachalade, Meuse), Noirlac (com. saint-Amand-Montrond, Cher) et
Pontigny (com. Pontigny, Yonne)2350.
Pour Constance BERMAN néanmoins, la Charte de Charité n’aurait été rédigée que
plus tardivement, dans les années 1160. Le mot « ordre » n’est lui-même que rarement utilisé
dans les textes cisterciens du XIIème siècle. Jusqu’au milieu du XIIème siècle, les moines
blancs ne semblent pas se considérer comme un ordre religieux. Dans ces conditions,
auraient-ils vraiment eu la volonté de créer un « modèle » architectural propre à l’ordre ?
Selon l’historienne, l’ordre serait vraisemblablement né dans le troisième quart du XIIème
siècle, une période où se multiplient les affiliations de communautés préexistantes (comme
celle de Dalon et de toute sa filiation en 1162)2351. Cette théorie nous permettrait de nuancer
l’idée d’un « modèle » architectural établi dès les premiers temps de l’ordre en réponse à la
Charte de Charité.
Pour Philippe PLAGNIEUX, « l’uniformisation » des plans cisterciens se serait
imposée dans le troisième quart du XIIème siècle, avec pour référence le plan de l’abbaye de
Fontenay (com. Marmagne, Côte-D’Or), consacrée en 1147 par le Pape Eugène III [Fig. 1].
Pour lui, c’est la centralisation de l’ordre qui est à l’origine de cette communion des formes,
des plans et des élévations, à la fois dans les abbayes occidentales et orientales2352. Une
circulation de documents graphiques aurait permis la diffusion du plan « bernardin »
caractérisé par son chevet plat. L’unité architecturale pourrait aussi s’expliquer par la venue
de religieux issus de Clairvaux, comme Achard, formé à l’architecture sur des chantiers à
l’étranger, tel en Allemagne. De même Geoffroi d’Aignay est chargé de la construction de
plusieurs abbatiales en Angleterre et en Flandres. Néanmoins, les élévations et les voûtements
2349
Unanimité et diversités cisterciennes,filiations, réseaux, relectures du XIIème au XVIème siècles, Actes du
colloque international du CERCOR, Dijon, 1996, Saint-Étienne, 2000.
2350
H. J. ZAKIN, French Cistercian Grisaille Glass, Garland, New-York/London, 1979, p. 2.
2351
C. H. BERMAN, The Cistercian evolution…, op. cit., p. 49; p. 142.
2352
Pour l’étude du rôle des cisterciens dans la transmission des formes gothiques, voir III. B.
- 884 -
étant difficiles à représenter sur les plans, ils seraient davantage tributaires des « savoir-faire
locaux » dont le pragmatisme cistercien aurait fait bon usage2353.
Certains auteurs ont mis en lumière des ressemblances au sein des filiations de l’ordre
cistercien. La filiation claravalienne est souvent prise en exemple et aurait contribué à la
diffusion du chevet plat. Ainsi, l’étude de Jacques HENRIET témoigne des relations étroites
entre Clairvaux III et l’abbaye de Cherlieu en Franche-Comté (com. Montigny-lès-Cherlieu,
Haute-Saône) [Fig. 994 et 995]. Celle-ci est la première fille de Clairvaux fondée dans le
comté de Bourgogne en 1131. Cherlieu adopte en effet le plan et l’élévation de la troisième
abbatiale de Clairvaux mise en chantier vers 1152-1153, peut-être juste avant la mort de saint
Bernard. Dès 1158, des autels du déambulatoire de Clairvaux sont consacrés, tandis qu’une
dédicace intervient vers 1174, ne marquant toutefois pas forcément la fin du chantier de
construction de l’abbatiale, mais un bon avancement du gros œuvre. Quant à Cherlieu, elle est
consacrée vers 1204-1205. Les deux abbayes présentent ainsi trois niveaux d’élévation
rythmés par des cordons moulurés, de grandes arcades, des baies donnant sur les combles des
bas-côtés de la nef, puis des fenêtres en plein-cintre. À Cherlieu, des arcs-boutants similaires à
ceux de Clairvaux sont attestés dans les différentes visites et expertises. Elle présente un
chevet à déambulatoire et chapelles rayonnantes comme à Clairvaux, même si cette dernière
en possède neuf au lieu de sept à Cherlieu2354.
Si l’historiographie traditionnelle fait le plus souvent référence à la filiation de
Clairvaux, d’autres abbayes semblent avoir joué un rôle dans les choix architecturaux de leurs
filles. En effet, Marc THIBOUT par exemple remarque des liens étroits entre Sénanque, Le
Thoronet (com. Le Thoronet, Var) et Mazan (com. Mazan-L’Abbaye, Ardéche), leur abbayemère. Sénanque est un essaimage depuis Mazan en 1148 (com. Gordes, Vaucluse). Elle
présente une nef voûtée d’un berceau brisé lisse, contrebutée par des collatéraux à berceaux
rampants [Fig. 996]. Cette formule est fréquemment usitée dans le sud-est et se retrouve tout
particulièrement au Thoronet, à Silvacane (com. La Roque d’Anthéron, Bouches-du-Rhône)
et à Mazan [Fig. 997, 998 et 999]. Mazan est, de même que Léoncel (com. Léoncel, Drôme),
fille de Bonnevaux, présentant elle aussi des bas-côtés à berceaux rampants [Fig. 1000].
Sénanque opte pour une coupole sur trompes à la croisée du transept, de même qu’à Mazan.
Son clocher est proche de celui de Silvacane. Quant à la rose polylobée en façade, elle est
2353
P. PLAGNIEUX, « L’architecture cistercienne » dans L’Architecture religieuse…, op. cit., p. 81-91.
J. HENRIET, À l’aube de l’architecture gothique, Presses Universitaires de Franche-Comté, Besançon, 2005,
p. 301-335.
2354
- 885 -
également très similaire à celle de son abbaye-mère2355. Pour Philippe PLAGNIEUX, le
Thoronet, Sénanque et Silvacane présenteraient un « plan cistercien » tandis que des traits
« caractéristiques de la Provence romane » s’exprimeraient à travers le choix d’un vaste
vaisseau central contrebuté de collatéraux voûtés en demi berceaux [Fig. 1001]
2356
. Ce parti
ne nous semble toutefois pas uniquement provençal puisqu’il pourrait découler des choix
architecturaux de l’abbaye de Mazan. L’idée d’écoles régionales est de plus régulièrement
battue en brèche dans l’historiographie la plus récente, le concept de région étant très
contemporain et ne correspondant pas aux réalités médiévales.
L’étude de l’abbatiale de Morimond et de ses abbayes-filles a également permis de
relever un certain nombre de cohérences. La première abbatiale de Morimond édifiée au
XIIème siècle est encore inconnue. Une nouvelle abbatiale est consacrée en 1253 et opte pour
un chevet à déambulatoire droit. Ce plan est par la suite repris pour la seconde abbatiale de
Walkenried, fille de Morimond (avant 1209). Le grand chœur rectangulaire est de même
choisi par certaines abbatiales germaniques de sa filiation dans la première moitié du XIIIème
siècle comme Lilienfeld (vers 1206) et Hradist (vers 1230)2357. Il semblerait ainsi que les liens
de filiation puissent trouver une expression dans certains choix architecturaux [Fig. 1002 et
1003].
Selon Caroline BRUZELIUS, des ressemblances s’observeraient également dans
certaines abbayes de la filiation de Pontigny à la fin du XIIème siècle et au début du XIIIème
siècle. Elle cite pour cela l’exemple de Chaalis (com. Fontaine-Chaalis, Oise),
vraisemblablement édifiée entre 1200 et 1219 [Fig. 1004 et 1005]. Celle-ci présente un chœur
en abside, une nef à bas-côtés et un transept dont chaque bras se termine par un
déambulatoire. Pour Caroline BRUZELIUS, ce plan serait adapté de celui de Pontigny [Fig.
1006 et 1007]. Cette dernière est réédifiée entre 1186 et 1210. Elle présente un chœur à
déambulatoire et chapelles rayonnantes dont le rond-point est voûté de voûtes sexpartites,
comme l’abside de Chaalis. Les bras du transept n’adoptent toutefois pas de déambulatoires.
Quincy (com. Commissey, Yonne), autre fille de Pontigny, reconstruite à la fin du XIIème
siècle, opte elle aussi par des bras de transept à déambulatoires, selon la description de
MARTÈNE et DURAND. Quant au recours à des voûtes sexpartites, d’autres filles de
Pontigny en font l’usage comme Fontainejean dans le Loiret (com. Saint-Maurice-sur2355
M. THIBOUT, “L’abbaye de Sénanque”, Congrès Archéologique de France. Comtat-Venaissin, Paris, 1963,
p. 365-376.
2356
P. PLAGNIEUX, « L’architecture cistercienne… », op. cit., p. 81-91
2357
B. CHAUVIN, « La seconde abbatiale de Morimond, à la lumière de Walkenried II. Hypothèses et précisions
nouvelles (1990-2003) », dans G. VIARD (dir.), L’abbaye cistercienne de Morimond…, op. cit., p. 157-178.
- 886 -
Aveyron), Jouy en Seine-et-Marne (com. Chenoise). L’élévation est similaire à Chaalis et
Pontigny : de grandes arcades brisées surmontées par un mur, séparé des fenêtres hautes par
un cordon horizontal. Le choix de deux niveaux d’élévation serait une caractéristique de la
filiation de Pontigny tandis que celle de Clairvaux privilégie trois niveaux (Clairvaux,
Cherlieu). Toutefois, l’auteur ne se réfère qu’à des exemples proches géographiquement de
Pontigny et les caractéristiques relevées ne se retrouvent pas concernant Dalon et ses filles,
pourtant dans la filiation de Pontigny. Celles-ci sont toutefois des ermitages primitifs, érigés
en monastère vingt ans avant une affiliation à l’ordre cistercien plutôt tardive. Peut-être ontelles conservé une relative indépendance par rapport à leur lointaine abbaye-mère2358.
Ainsi, si certains exemples attestent de relations architecturales entre un monastère et
ses filles, ceci ne semble guère s’appliquer à l’ensemble des fondations, et particulièrement
aux affiliations d’ermitages ou de communautés préexistantes. Bien souvent, ces monastères
affiliés sont déjà construits lors du rattachement et l’affiliation n’entraîne pas
systématiquement une reconstruction. C’est probablement le cas pour les abbayes
daloniennes, souvent modestes et peu dotées, si bien qu’on imagine mal une reconstruction
coûteuse et peu utile. Or, comme la plupart des fondations cisterciennes à partir de la seconde
moitié du XIIème siècle sont des affiliations, nous pouvons douter de la réussite de la
diffusion d’un modèle « bernardin ». Ces communautés tendent de plus fréquemment à
conserver une certaine autonomie par rapport à l’ordre (Dalon, Obazine, Savigny).
•
Échec de la diffusion du modèle « bernardin » ?
Le plan d’une abbaye cistercienne répond à une tradition longtemps éprouvée dans la
Chrétienté, et en cela ne témoigne guère d’originalité. Les cisterciens ne se targuent pas d’être
des novateurs, mais bien au contraire des conservateurs de formes souvent héritées des temps
carolingiens. Les bâtiments réguliers s’organisent autour d’un cloître carré ou trapézoïdal,
voûté ou charpenté. En son centre ou à proximité de la porte d’entrée du réfectoire, est
souvent placé un lavabo, enfermé ou non dans un pavillon comme à Valmagne (Aude,
Languedoc-Roussillon). L’une des galeries est accolée à l’abbatiale tandis que les trois autres
abritent le réfectoire, le dortoir, le chauffoir, la salle capitulaire, le parloir2359, parfois un
scriptorium, le cellier, la cuisine et toute autre salle destinée à assurer la vie en autarcie de la
2358
C. A. BRUZELIUS, « The transept of the abbey church of Châalis and the filiation of Pontigny”, dans B.
CHAUVIN (dir.), Mélanges à la mémoire du père Anselme Dimier, T III, 6, Abbayes, Pupillin, Arbois, 1982, p.
447-454.
2359
Sont conservés les parloirs de Fontenay (Côte-d’Or, Bourgogne, fin XIIème siècle), de Valmagne (Aude,
Langudoc-Roussillon, seconde moitié du XIIème siècle) ou encore de Vaucelles (Nord, Nord-Pas-de-Calais, fin
XIIème siècle).
- 887 -
communauté. L’enclos monastique inclut souvent un moulin, parfois une grange, une
porterie2360 et une hôtellerie pour accueillir les pèlerins de passage. La porterie subsiste
rarement. Celle de l’abbaye des Écharlis (com. Villefranche, Yonne) est conservée et présente
deux passages voûtés caractéristiques : un pour les piétons, l’autre pour les charrettes. Quant à
l’hôtellerie, elle est généralement placée à proximité de la porte du monastère. À Vauluisant
(com. Courgenay, Yonne), elle se présente comme un volume quadrangulaire encadré de deux
pignons. L’espace sacré du monastère peut être clos par un mur d’enceinte à partir du
XIIIème siècle. Il est parfois renforcé de tourelles aux XIVème et XVème siècles comme à
l’abbaye de Vauluisant2361. En cela, les monastères cisterciens ne dérogent pas à la règle et
s’inscrivent dans la droite ligne des abbayes bénédictines depuis le haut Moyen-Âge.
L’oratoire est présent dès l’origine dans les monastères bénédictins et se pare du terme
ecclesia au tournant des VI-VIIème siècles avec Colomban. Le premier cellier est mentionné
dès le début du Vème siècle (précepte d’Augustin). Le réfectoire existe à la fin du IVème
siècle à Marmoutier. Le dortoir commun apparaît vers 500 à Saint-Claude dans le Jura et
rompt avec les traditions orientales de cellules isolées. La salle capitulaire apparaît en même
temps que les usages more romano et la réforme carolingienne. Au milieu du VIIIème siècle,
la réunion en chapitre est définie par la règle canoniale de Chrodegang, s’inspirant des usages
bénédictins de la même époque au Mont-Cassin. La salle des moines se généralise surtout en
imitation à celle de Cluny. Quant au noviciat, il est de plus en plus fréquent au XIIème siècle.
La formation du carré claustral serait ainsi établie entre le VIIème et le VIIIème siècles, à
Landévennec notamment. Pour Jean-Pierre CAILLET, la tendance à ce regroupement des
bâtiments utilitaires et cultuels autour d’une cour s’observe dès les années 745-748 à
Herrenchiemsee en Germanie. Il explique cette disposition par une éventuelle dérivation du
système de l’atrium paléochrétien. En effet, l’édifice des Saints-Marcellin-et-Pierre de Rome,
ou encore le groupe épiscopal primitif de Genève présentent un atrium non pas en façade mais
au flanc de l’église, préfigurant ainsi des schémas carolingiens. De même, la cour à péristyle
des grandes villae pourrait entrer dans la genèse des cloîtres. Il cite d’ailleurs les exemples de
Fraga au nord-ouest de l’Espagne ou de Mienne-Masboué (Centre de la Gaule) où une
chapelle est installée le long d’une des galeries du péristyle (Vème-VIème siècles)2362.
Les cisterciens apparaissent ainsi bien implantés dans l’art et les formules
carolingiennes, romaines, ancrés dans une tradition de l’Église de Rome.
2360
Celle de Fontenay par exemple (Côte-d’Or, Bourgogne) se constitue d’un unique passage charretier. Si
certains éléments sont datés du XIIème siècle, elle a été remaniée au XVème siècle.
2361
D. BORLÉE, « L’architecture des abbayes cisterciennes de l’Yonne : état des lieux et hypothèses », dans T.
KINDER (dir.), Les cisterciens dans l’Yonne, « Les Amis de Pontigny », Pontigny, 1999, p. 29-39.
2362
J-P. CAILLET, L’art carolingien, Paris, Flammarion, 2005, p. 81 et 82.
- 888 -
Ce type de plan est à mettre en relation avec le plan de Saint-Gall, perçu comme la
représentation d’une abbaye idéale [Fig. 1008]. Ce plan, dit « plan de Bâle », correspond à
certains principes définis au concile d’Inden en 816. Ce concile avait pour but de mener une
réflexion sur la nécessité de proposer un modèle pour l’organisation des monastères.
Toutefois, selon GILLON, le plan de Saint-Gall serait plutôt d’un projet isolé qui ne serait pas
réellement issu de ce concile mais d’une longue tradition monastique 2363. Il est réalisé par
Heito, évêque de Bâle et abbé de Reichenau. Il comporte une dédicace à Gozbert, abbé de
Saint-Gall de 816 à 837. Il exprime la conception des Carolingiens de l’espace théorique du
monastère2364. L’abbaye s’organise en îlots clairement répartis, évoquant les plans quadrillés
autour du cardo et du decumanus de la tradition antique. Les lieux de culte sont réduits à un
seul édifice destiné à rassembler l’ensemble de la communauté. La répartition des autels à
l’intérieur de l’édifice est également évoquée. Les fidèles, seulement tolérés, disposaient d’un
emplacement précis2365. Le plan de Saint-Gall est plutôt éloigné de la modestie réformatrice de
Benoît d’Aniane et témoigne d’un retour à l’architecture de représentation de l’époque de
Charlemagne après l’échec de la réforme de Benoît. L’ampleur de l’église, la résidence isolée
de l’abbé, les deux écoles sont plutôt en contradiction avec certaines décisions du concile
d’Inden.
Si les cisterciens s’inscrivent dans une tradition carolingienne dans la conception des
espaces claustraux, ils montrent toutefois quelques originalités propres à leur ordre. Par
exemple, ils suppriment complètement l’usage d’une avant-nef ou d’un massif occidental,
étant donné le refus d’accueil des fidèles. De même, les cryptes sont bannies, les monastères
cisterciens n’accueillant que rarement des reliques, et en aucun cas le pèlerinage qui pourrait
s’y rattacher. L’abbaye est généralement fermée aux foules de fidèles.
Ainsi, s’ils reprennent l’essentiel de l’organisation topographique des monastères
depuis le haut Moyen-Âge, ils modifient toutefois la disposition de la galerie ouest.
L’apparition des frères convers les conduit à leur destiner une galerie entière comprenant un
réfectoire, un dortoir différents de ceux des moines, ces derniers ne pouvant être mélangés
aux frères lais. Les convers disposent de leur propre cellier. Parfois, une ruelle sépare leur
bâtiment de la galerie ouest du cloître et conduit directement à l’église par une porte discrète.
2363
P. GILLON, « Notions d’architecture et de topographie monastique. État de quelques questions » dans P.
RACINET, J. SCHWERDROFFER (dir.), Méthodes et initiations d’histoire et d’archéologie, Editions du
Temps, Nantes, 2004, p. 265-300.
2364
Dom A. DAVRIL, E. PALAZZO, La vie des moines au temps des grandes abbayes, Paris, Hachette, 2000, p.
198.
2365
A. ERLANDE-BRANDENBURG, « Architecture religieuse et fidèles », dans L’architecture religieuse
médiévale. Art roman et art gothique. Une nouvelle vision, Dossiers d’Archéologie n°319, janvier-février 2007,
p. 24-35.
- 889 -
C’est le cas à l’abbaye de Fontfroide (com. Narbonne, Aude) où l’étroite galerie est voûtée
d’un berceau rampant, ou encore à Aiguebelle (com. Montjoyer, Drôme) à la fin du XIIème
siècle [Fig. 1009]2366. Cette galerie ouest remplace une organisation originelle comprenant un
cellier et d’autres structures d’abri et de stockage. Néanmoins, au XIVème siècle, la crise de
recrutement des convers conduit bien souvent à l’inutilité de cette galerie qui retrouve alors sa
fonction originelle de cellier, avec parfois une hôtellerie à l’étage. À long terme, ce bâtiment
ouest est fréquemment détruit et il est rare d’en retrouver un parfaitement conservé 2367. Celui
de Pontigny néanmoins est conservé et dispose d’un cellier et d’un réfectoire voûtés d’ogives.
À l’étage, le dortoir est voûté d’arêtes 2368. Autre particularité cistercienne, le réfectoire des
moines est souvent placé perpendiculairement à la galerie de cloître, disposition peut-être
inspirée de Sainte-Bénigne de Dijon.
Comme les moines blancs tendent à rétablir la part quotidienne du travail, plus
particulièrement la copie des manuscrits, il est fréquemment ajouté une salle de travail à la
suite de la salle capitulaire. Cette salle est conservée à Silvanès (com. Silvanès, Aveyron, fin
XIIème siècle), vaste espace divisé en deux nefs par une file de piliers circulaires recevant les
ogives toriques relativement massives. À Noirlac (com. Saint-Amand-Montrond, Cher, fin
XIIème siècle), la salle des moines est chauffée par une belle cheminée, repérable à
l’extérieur par un lanterneau [Fig. 1010]. L’enclos monastique se dote également de bâtiments
agricoles et d’ateliers. Ainsi, à Fontenay, une forge hydraulique est adjointe aux bâtiments
claustraux. Le système économique en faire-valoir direct et la création du corps de convers
détermine ainsi une nouvelle organisation des bâtiments religieux.
Les monastères cisterciens se différencient des prieurés grandmontains concomitants
dont le plan totalement standardisé est disposé autour d’un petit cloître carré de 14m de long
environ [Fig. 1030]. Quant aux chartreuses, elles se distinguent par des galeries de cloître
entourées de cellules individuelles2369.
Toutefois, cette organisation n’est pas stéréotypée, malgré la volonté d’unité et
d’uniformisation exprimée dans la Charte de Charité. La topographie religieuse cistercienne
n’est pas immuable mais s’adapte aux conditions d’implantation de chaque communauté2370.
2366
P. PLAGNIEUX, « L’architecture cistercienne » dans L’Architecture religieuse médiévale…, op. cit., p. 81-
91.
2367
À Prébenoît et au Palais-Notre-Dame, le bâtiment des convers a entièrement disparu. Les sondages menés à
Prébenoît n’ont pas permis d’en retrouver les fondations.
2368
D. BORLÉE, op. cit., p. 29-39
2369
P. GILLON, op. cit., p. 265-300.
2370
P. PLAGNIEUX, op. cit., p. 81-91.
- 890 -
Ainsi, des contraintes topographiques sont à prendre en compte, remettant en cause l’idée
d’un plan « type », d’un modèle calqué d’abbayes en abbayes. Marc THIBOUT remarque
qu’à Sénanque, l’étroitesse de la vallée impose une construction de l’église suivant un axe
sud-nord, tandis que les lieux réguliers sont disposés à l’ouest de l’abbatiale, ce qui est somme
toute assez inhabituel. La sacristie est rejetée hors œuvre faute de place. Le parloir est
supprimé. Quant au chauffoir il fait également fonction de salle des moines. Les cuisines sont
reportées dans le réfectoire, à cheval sur la rivière. Il paraît ainsi difficile de faire état d’un
modèle immuable et les contre-exemples semblent fréquents. Les moines blancs ont su
adapter leurs besoins aux contraintes des paysages d’implantation. Le réfectoire est
généralement placé perpendiculairement au cloître afin de dégager un espace pour installer le
chauffoir et la cuisine. Or, des contraintes topographiques ont obligé certaines abbayes à le
placer parallèlement. C’est le cas de Fontfroide, Silvacane, Sénanque et le Thoronet. Le
chauffoir et la salle des moines deviennent alors une seule et même pièce 2371. À Grosbot,
l’abbatiale est disposée au sud du cloître et non au nord. Là encore, les bâtisseurs répondent
aux nécessités d’un terrain en pente et tiennent compte de l’écoulement des eaux.
Cette constatation peut s’appliquer aussi bien à l’organisation générale des bâtiments
autour du cloître qu’aux dispositions choisies pour l’abbatiale proprement dite. L’idée d’un
plan « bernardin » à chevet plat commun aux abbayes de l’ordre ne résiste guère à une étude
précise des choix architecturaux en France et en Europe [Fig. 920]. L’étude précédente sur les
liens de filiation entre les abbayes a d’ailleurs montré les différences entre certaines
dispositions claravaliennes (élévation à trois niveaux par exemple) et des choix de Pontigny et
de quelques unes de ses filles (élévation à deux niveaux).
La simplicité à laquelle aspire les moines blancs n’est pas synonyme de pauvreté de
moyens, ni d’unité. Les statuts du Chapitre Général de Cîteaux étant relativement flous sur
l’architecture et le décor, les bâtisseurs disposent d’une certaine liberté de choix, qu’il s’agisse
des plans ou des élévations. En effet, les statuts, de même que les textes de saint Bernard ne
citent que les interdits, les dérives et les excès. Aucune directive positive, aucun modèle
architectural n’est clairement donné2372.
Les partis mis en œuvre semblent ainsi beaucoup plus diversifiés que certains études
contribuent à le faire croire (Marcel AUBERT, Anselme DIMIER, Benoît CHAUVIN), ce
2371
Y. ESQUIEU, V. EGGERT, J. MANSUY, Le Thoronet…, op. cit., p. 53.
C. ANDRAULT-SCHMITT, « L’architecture cistercienne, une forteresse historiographique », Perspective,
INHA, Paris, n°1, 2006, p. 124-128.
2372
- 891 -
que confirme vraisemblablement l’étude des monastères du diocèse de Limoges et de ses
marges.
En effet, l’échec de la diffusion d’un modèle « bernardin » peut être évoqué à travers
les exemples de Boschaud et de Peyrouse. Pourtant, ces deux sites font partie de la lignée
claravalienne, traditionnellement associée au plan à chevet plat. Boschaud est affiliée à
Clairvaux par l’intermédiaire de son abbaye-mère, les Châtelliers en 1163. Elle présente une
nef unique voûtée d’une file de coupoles, un transept avec deux absides semi-circulaire
encadrant une abside principale voûtée en cul-de-four, soulignée d’arcs aveugles. La file de
coupoles de Boschaud révèle un choix d’austérité et permet le voûtement d’une nef unique
sans espace de cheminement. Ce parti est proche de ceux adoptés à la Tenaille en Saintonge
du sud, également fondation géraldienne, à Sablonceaux en Saintonge ou encore à Fontevrault
[Fig. 189]2373. Ces dispositions paraissent plutôt éloignées du plan « type » cistercien avec sa
nef voûtée en berceau brisé, son transept aux chapelles rectangulaires encadrant le chevet à
fond plat. Est-ce simplement parce que Boschaud est un ancien ermitage affilié ? Dans ce caslà, comme la majorité des abbayes cisterciennes dans la seconde moitié du XIIème siècle sont
des affiliations d’ermitages primitifs ou d’abbayes réformées (tel Dalon, Obazine ou encore
Savigny), la diffusion du plan « bernardin » a pu connaître beaucoup de difficultés à
s’imposer. Quant à Peyrouse, pourtant création directe de l’ordre, fondée en 1153, son plan
est plus difficile à connaître face à la disparition presque complète de l’abbatiale. Nombre
d’auteurs font toutefois état d’une église à coupoles comme celle de Boschaud, à l’image de
Saint-Front-de-Périgueux2374.
Matthias UNTERMANN, dans son étude très complète sur les productions artistiques
cisterciennes, tente de répondre à un certain nombre de questionnements : « Comment les
architectes, moines et fondateurs ont réalisé et exposé des besoins liturgiques avec les formes
architecturales de leurs églises ? (…) Comment se sont-ils référés à des modèles de l’ordre ?
(…) Comment mettent-il en place des éléments particuliers significatifs et un style
approprié ? »2375 Il reconnaît l’existence de différents types de plans et d’organisation,
2373
C. ANDRAULT-SCHMITT, « L’abbaye de Boschaud »..., op. cit., p. 105-117.
Selon Nelly BUISSON, il devait en effet s’agir d’une église à coupoles. Elle ne justifie toutefois pas cette
affirmation et nous ne disposons d’aucun document figuré ou manuscrit nous permettant de la confirmer. Seul
Jean-Alcide CARLES présente l’abbaye de Peyrouse à la fin du XIXème siècle comme une église « byzantine ».
Peyrouse pourrait donc présenter une église à file de coupoles, en liens avec des formules aquitaines
(Angoulême, Périgueux). Les vestiges archéologiques actuels ne peuvent néanmoins confirmer cette hypothèse.
N. BUISSON, « Abbaye de Peyrouse », BSHAP, T 113, 1986, p. 308-323 ; J-A. CARLES, Les titulaires et les
patrons du diocèse de Périgueux-Sarlat, éditions du Roc-de-Bourzac, Bayac, 1884 (réédition 1986), p. 241.
2375
M. UNTERMANN, Forma Ordinis..., op. cit., p. 225, traduction Josette PIGNOT.
2374
- 892 -
variables selon les régions et les époques, dont nous souhaitons reprendre ici en partie la
typologie. Il ne dénie toutefois pas l’existence d’une volonté commune de simplification
technique, fonctionnelle et artistique en plein accord avec les idéaux cisterciens.
Il fait ainsi état d’une tradition bénédictine du chevet en abside dans les années 11001140, très présent dans le Centre et le Sud de la France, globalement assez réticents au chevet
plat. À Reigny dans l’Yonne (com. Vermenton), c’est un chevet échelonné qui est choisi,
conservant ainsi le modèle de Cluny qui se retrouve dans certaines abbayes de l’est de
l’Europe (terres d’Empire) [Fig. 1011]2376. En Allemagne, le chevet en abside correspond
généralement à la filiation de Morimond (com. Fresnoy-en-Bassigny, Haute-Marne), fille de
Cîteaux la plus présente dans les terres d’Empire, comme à Kamp par exemple. Dans le
Centre et le Sud de la France, l’abside principale est flanquée de deux absides sur les bras du
transept comme les filles de Bonnevaux en témoignent, à savoir Mazan, Tamié (com.
Plancherine, Savoie) et Léoncel. Certaines églises présentent des absides échelonnées comme
à Reigny (Yonne), Berdoues (com. Berdoues, Gers) et Valbuena en Espagne [Fig. 1012].
Toutefois, contrairement au plan bénédictin, les chapelles latérales sont ici fermées au
sanctuaire et ne présentent pas de communication avec lui.
Il fait ensuite état du fameux « plan bernardin » de la filiation de Clairvaux, « type
bourguignon » avec des voûtes en berceau et une nef relativement obscure. Pour Philippe
PLAGNIEUX, l’abbaye de Fontenay serait l’un des prototypes de l’architecture cistercienne
[Fig. 1]. Elle est consacrée en 1147 par le Pape Eugène III (la construction n’était toutefois
peut-être pas achevée à cette date). Le chantier se serait ouvert vers 1130. En effet, les
techniques de construction sont proches de celles de Cluny alors tout juste achevée. Pour
Philippe PLAGNIEUX, le chevet plat s’explique par la non nécessité de déambulation des
fidèles autour des reliques de même que par la suppression des processions. D’où un chevet
simplifié à fond plat en parfait accord avec les préceptes d’austérité et de simplicité de saint
Bernard2377.
Matthias UNTERMANN distingue ensuite les abbatiales d’une seconde génération,
édifiées entre 1140 et 1180. Les églises à chevet en abside sont plus fréquentes. Après 1150,
le plan « bernardin » est remplacé dans le sud de la France et en Espagne par une abside
principale flanquée d’absidioles. Le plus souvent, quatre absidioles encadrent l’abside
principale. C’est le cas à Bellaigue (com. Virlet, Puy-de-Dôme), Flaran (com. Valence-surBaïse, Gers), Montheron (com. Lausanne) et Faleri (Latium) [Fig. 1013, 1014 et 1015].
2376
2377
N. CETRE, « Reigny », dans T. KINDER (dir.), Les cisterciens dans l’Yonne…, op. cit., p. 117-136.
P. PLAGNIEUX, op. cit., p. 81-91.
- 893 -
L’abbaye du Thoronet se compose d’un chevet en abside encadré de deux chapelles
également en abside sur chaque bras du transept [Fig. 1001]. Pour Yves ESQUIEU, il s’agirait
d’une « variante du « plan bernardin » ». Il nous semble toutefois délicat de parler ici de plan
« bernardin » alors même que sa spécificité, le recours à un chevet plat sobre, n’est pas
respectée2378.
Un type « plein d’avenir » selon Matthias UNTERMANN est le chevet composé d’une
abside principale et de chapelles du transept fermées comme à Obazine, la Oliva (Navarre) et
Huerta [Fig. 480, 1016 et 1017]. Fréquemment, les bras du transept se dotent de chapelles
occidentales adjointes aux traditionnelles chapelles orientales, comme à Dalon ou à
Vauluisant (com. Courgenay, Yonne). L’auteur insiste sur une particularité en Europe du
Nord-ouest où les églises sont encore souvent charpentées, comme à Baltinglass en Irlande 2379.
Plus rarement, certaines abbatiales présentent une seule chapelle par bras du transept
encadrant le chevet. Cette disposition est adoptée à l’abbaye des Pierres. Deux chapelles de
plan rectangulaire encadrent le chevet plat. De même à Tiglieto (Ligurie) [Fig. 720 et 1018].
Les chevets plats sont encore présents. Dans son étude sur les monastères cisterciens
d’Irlande, Roger STALLEY fait état de la fortune de cette formule architecturale dérivée du
plan de Fontenay, repris à Mellifont, Hore et Holycross [Fig. 1019, 1020 et 1021]. Selon lui,
la construction de Mellifont ne fait référence à aucun modèle irlandais, les cisterciens sont ici
libres d’établir leurs idées propres. Entre 1140 et 1180, des efforts sont menés pour
correspondre à l’esprit ascétique voulu par saint Bernard. Les décors gravés sur les chapiteaux
sont tolérés, mais uniquement géométriques. Les décors de chevrons en particulier sont très
populaires. Néanmoins, l’auteur remarque un certain relâchement dans les années 1200, de
même qu’en France et dans le reste de l’Europe. La figure fait son apparition, plus
particulièrement dans les cloîtres2380.
Cette seconde génération d’édifices se caractérise par le choix fréquent de chevets à
déambulatoire et chapelles rayonnantes, formule assez éloignée de la volonté de simplicité et
d’austérité formulée par saint Bernard. Le chevet plat ne semble guère être la référence pour
les bâtisseurs de cette époque et est supplanté par de nombreuses formules moins austères. Le
parti d’un déambulatoire peut étonner dans la mesure où les moines blancs n’accueillent pas
de pèlerins ayant besoin de circuler aisément autour des reliques d’un saint. Ce type de plan
s’est multiplié au XIème siècle dans le centre et le sud de la France mais essentiellement dans
l’ordre bénédictin. Les abbayes cisterciennes d’Espagne adoptent relativement rapidement
2378
Y. ESQUIEU, « L’abbaye du Thoronet », Congrès Archéologique de France, Var, Paris, 2002, p. 195-212.
M. UNTERMANN, op. cit., p. 285 à 393.
2380
R. STALLEY, op. cit., p. 183.
2379
- 894 -
cette formulation. En effet, Veruela, fondée en Aragon en 1150 dans la filiation de Morimond
présente ce type de chevet, probablement achevé vers 1173 [Fig. 1022]. De même à Fitero
(Navarre), Moreruela et Poblet (Catalogne) [Fig. 1023 et 1024].
L’une des particularités cisterciennes semble être l’usage d’un chevet à déambulatoire
droit. Selon Matthias UNTERMANN, il s’agirait d’une synthèse entre le plan « bernardin »,
le chevet plat et le chevet à déambulatoire et chapelles rayonnantes des cathédrales et églises
de pèlerinage. La majorité est dans la filiation de Clairvaux (Les Châtelliers). La dimension
des déambulatoires est néanmoins réduite par rapport à ceux des cathédrales françaises.
Entre 1180 et 1240, les églises à abside polygonale se multiplient comme à Obazine,
Meira (Galice), Matallana (Vieille Castille), Villers ou encore Ter Duinen (Flandres) [Fig.
1025]. Le chevet en abside est fréquent dans la France de l’Ouest après 1180. Nous le
retrouvons en effet à Boschaud et à Bonlieu (date de consécration en 1232) [Fig. 137 et 189].
Ce plan est également fréquent pour les abbatiales cisterciennes fondées près de Jérusalem.
Les moines blancs ne s’y installent que tardivement (pas avant 1157) et n’optent pas pour le
plan à chevet plat et nef à bas-côtés. Qu’il s’agisse de Saint-Jean-des-Bois, de Belmont ou de
Salvatio, la nef est unique, le chœur en abside parfois inséré dans un mur droit. Saint-Jeandes-Bois dispose par ailleurs d’une crypte, rareté dans un cadre cistercien2381.
Enfin, les fondations tardives entre 1240 et 1320 présentent fréquemment des
déambulatoires polygonaux, tel à Altenberg près de Cologne [Fig. 1026]. Les églises à abside
sont toujours très répandues en Savoie, Dauphiné, Provence, Languedoc, Massif-Central,
Aquitaine, Catalogne, Aragon, Castille, Galice et Portugal2382.
Cette étude témoigne ainsi de la diversité des plans cisterciens, de la fortune du chevet
en abside qui supplante bien souvent le chevet plat, remettant en cause l’idée d’un plan
stéréotypé appliqué à chaque fondation. Il existe donc une multiplicité de possibilités
correspondant à une simplicité et aux besoins des communautés 2383. Pour Philippe
PLAGNIEUX, les abbayes cisterciennes adoptent également certaines particularités
architecturales du lieu où elles s’implantent. La perméabilité des chantiers cisterciens aux
constructions extérieures à leur ordre semble indéniable. Ainsi, Boschaud opte pour une nef
unique voûtée d’une file de coupoles, solution peu usitée chez les cisterciens mais à l’image
de Saint-Front de Périgueux, Saint-Cybard-d’Angoulême ou Fontevrault. Buildwas et
Fontains en Angleterre font appel à l’architecture anglo-normande, Eberbach à l’art de
2381
D. PRINGLE, « Cistercian Houses in the Kingdom of Jerusalem » dans M. GERVERS (dir.), The Second
Crusade and the Cistercians, Saint Martin’s Press, New York, 1992, p. 183-198.
2382
M. UNTERMANN, op. cit., p. 603.
2383
A. GAJEWSKI, « The architecture of the choir at Clairvaux Abbey : saint Bernard and the Cistercian
Principle of Conspicuous Poverty », dans T. N. KINDER, (dir.), Perspectives…, op. cit., p. 71-80.
- 895 -
l’Empire, d’où les difficultés à parler d’un plan cistercien. Une sobriété commune aux
premiers édifices de l’ordre ne semble guère suffisante à définir une architecture, un art
propre aux cisterciens2384.
Pour Grosbot, l’église est sobre, le décor est minimum, les arcs reposent sur des culots
simples comme le souhaite saint Bernard. Toutefois, le plan n’a rien de celui de Fontenay
[Fig. 430, 430 bis]. Le chevet est en abside, la croisée voûtée d’une coupole sur pendentif
soulignée de cordons ornés de pointes de diamant [Fig. 443]. Peut-être la proximité de la
cathédrale d’Angoulême a-t-elle eu plus de répercussion que l’affiliation tardive à Cîteaux en
1166, alors même que la construction de l’abbatiale devait être en passe d’être achevée. Pour
Marcel AUBERT, Grosbot peut-être prise comme un exemple d’attachement aux « traditions
locales ». Quant à René CROZET, il voit dans le choix d’une coupole sur pendentifs, de
colonnes couplées recevant les arcs brisés, les liens avec la communauté augustinienne de
Fontvive rattachée à Grosbot. Il met en évidence des parentés avec d’autres sites augustiniens
comme Sablonceaux (Charente-Maritime), Saint-Émilion (Gironde) et Fontaine-Le-Comte
(Vienne)2385.
Le parti d’une nef unique étirée et étroite est fréquent en Aquitaine et dans le Midi, et
est parfaitement illustrée par les abbayes cisterciennes du Pin, de Trisay, de Bonlieu et de
Boschaud [Fig. 1027]. Cette étroitesse des vaisseaux est fréquente dans les églises
monastiques d’Aquitaine comme Fontdouce en Saintonge et d’autres fondations de Géraud de
Sales. C’est le cas également à l’abbaye de Faise en Gironde qui se caractérise également par
la tripartition de sa façade occidentale, dite « poitevine ». Deux registres d’arcs en plein-cintre
superposés rappellent certaines réalités saintongeaises, mais sont très rares dans un cadre
cistercien. Une disposition similaire est adoptée pour deux fondations géraldiennes : Cadouin,
affiliée par la suite à Cîteaux, et la Tenaille, abbaye devenue augustinienne. Il semble ainsi
exister des liens étroits entre les abbayes cisterciennes et certains mouvements réformateurs
aquitains2386.
b. Mouvements érémitiques aquitains. La pauvreté volontaire au « goût du jour » :
La réforme grégorienne trouve ses relais chez les moines clunisiens et les évêques
conscients de l’importance de l’image et du décor dans l’initiation des fidèles aux préceptes
2384
P. PLAGNIEUX, op. cit., p. 81-91.
R. CROZET, “L’ancienne abbatiale cistercienne Notre-Dame de Grosbot”, BSAHC, 1962-1963, p. 155-158 ;
M. AUBERT (avec la collaboration de la marquise de Maillé), L’Architecture cistercienne en France, Vanoest,
Paris, 1947 (2ème édition), T I, p. 154 et 205.
2386
J. GARDELLES, « L’abbaye cistercienne de Faise (Gironde) », BM, T 141, p. 7-19.
2385
- 896 -
chrétiens. L’image est revalorisée et tient pour bonne part dans les dévotions et les pratiques
liturgiques.
À cette indulgence envers la figure s’oppose la rigueur et l’ascétisme de certains
ordres nouveaux, réticents à l’image et souvent profondément aniconiques. Ceux-ci, tels les
cisterciens et les grandmontains, forment une sorte de second mouvement conservateur qui,
pour prouver sa légitimité face à d’anciens monastères à la réputation bien assurée, doit
s’ancrer dans des traditions artistiques anciennes, souvent carolingiennes. Leur refus de
l’image est ainsi en corrélation avec un monde carolingien, et particulièrement avec
l’entourage de Charlemagne, souvent aniconique et réagissant violemment aux idées du
concile de Nicée II.
1. Monastères réformés et nouvelles fondations ascétiques. Choix artistiques
contrastés.
Suite à la réforme se distinguent ainsi deux tendances contradictoires s’exprimant
nettement dans les productions artistiques, architecturales et sculptées. Un parti de la
« modernité » est représenté par des édifices de milieu « urbain », souvent clunisiens et
épiscopaux. Les abbatiales aux vastes dimensions présentent une nef et des bas-côtés, des
chevets développés optant pour le déambulatoire à chapelles rayonnantes. Certains bas-côtés
étroits peuvent être associés à des « passages berrichons ». S’ils sont larges, ils correspondent
bien souvent à un chevet développé avec chapelles rayonnantes. Il s’agit d’édifices bien dotés,
opulents, drainant de nombreux pèlerins (Cluny, Souvigny, Paray-Le-Monial, sièges
épiscopaux, églises de pèlerinage comme Saint-Martial-de-Limoges). En Poitou, MarieThérèse CAMUS constate la forte présence de déambulatoires à chapelles rayonnantes
comme à Saint-Hilaire-de-Poitiers, Notre-Dame la Grande ou encore Sainte-Radegonde. Il
s’agit de lieux de pèlerinage très fréquentés ayant ainsi opté pour des chevets ambitieux et
développés. Ils correspondent à des fondations ou des protections ducales et de puissants
seigneurs ecclésiastiques et laïques2387. L’historienne de l’art constate aussi que le passage de
l’église charpentée à l’église voûtée a conduit à l’abandon du concept de nefs basilicales,
larges et bien éclairées pour celui de longs volumes, plus étroits (comme à l’abbaye
cistercienne de Bonlieu). L’adoption de la voûte a conduit à la multiplication des supports et
donc des espaces à sculpter.
À cela s’oppose la résistance d’édifices « ruraux », fréquemment placés en marges
diocésaines (sites cisterciens), fermés aux fidèles et aux pèlerins. Ceux-ci optent pour un parti
2387
M. T. CAMUS, Sculpture romane du Poitou. Les grands chantiers du XIème siècle, Paris, Picard, 1992, p.
42.
- 897 -
architectural plus simple, souvent une nef unique. Celle-ci est large et modeste, reprenant les
tracés modulaires carolingiens. Quand l’édifice est doté de collatéraux, il est alors charpenté
et non pas voûté, selon un schéma carolingien. Jacques MALLET constate ainsi en Anjou
l’adoption puis la « constante utilisation » du plan à nef unique large, croisée étroite souvent
flanquée de passages latéraux, dès 1025 à la cathédrale d’Angers. Ce plan est ensuite accepté
par les ordres de prédicateurs itinérants2388. Dans les années 1100 en effet, les fontevristes,
grandmontains et cisterciens se montrent respectueux de certaines traditions de l’Antiquité
tardive et s’apparentent à un cadre carolingien parfois aux limites de l’aniconisme. Ils
développent une architecture de prédicateurs réformateurs avec une nef unique. Ils semblent
privilégier l’oral aux images toujours rejetées et suspectes.
Nous pouvons constater que les pays d’Ouest sont traditionnellement plutôt favorables
à l’image, coïncidant ainsi avec une forte présence de l’autorité épiscopale. Les rois capétiens
les utilisent comme leviers systématiques pour asseoir leur lente pénétration aux XIIème et
XIIIème siècles, apprécient les chevets complexes, les piles composées permettant la
multiplication des sculptures (Saint-Denis), tandis que les Plantagenêts proposent la
continuité, le maintien de certaines traditions (parti de la nef unique, du chevet plat, tendance
à l’aniconisme), relayées par les monastères cisterciens. Ainsi, les ordres anciens tenteraient le
parti de la novation (nef à collatéraux, chevets à déambulatoire et chapelles rayonnantes),
n’ayant plus de légitimité à asseoir, tandis que les ordres nouveaux ont besoin de recourir à
certaines traditions architecturales pour asseoir leur légitimité, de même que les rois Anglais
qui les choisissent comme relais du pouvoir. Ainsi, Jacques MALLET écrit que les « anciens
monastères sont détenteurs d’une tradition contraire à la nef unique »2389. Les Plantagenêts
semblent quant à eux animés par la même quête de légitimité que les cisterciens dans la
mesure où leur tentative de mainmise en Aquitaine n’est pas évidente et suscite les révoltes,
notamment limousines.
Ces deux tendances opposées s’observent dans la vallée de la Loire. Les abbayes
bénédictines s’illustrent par des réalisations architecturales et sculpturales souvent chargées
tandis que les ordres austères, dans un climat favorable à l’austérité, aux volumes simples, aux
sculptures sobres, optent pour un « goût archaïsant » selon les termes de Jacques MALLET.
Nous préférons toutefois parler d’une austérité volontaire, de choix esthétiques affirmés plutôt
que de formules « archaïques ». Ainsi, les cisterciens reprennent le parti de la nef unique
2388
2389
J. MALLET, L’Art roman de l’Ancien Anjou, Paris, Picard, 1984, p. 276.
J. MALLET, op. cit., p. 126.
- 898 -
angevine donnant l’impression d’un espace ample [Fig. 1027 et 1028]. Elle est connue en
Anjou depuis la première moitié du XIème siècle (Savennières, Le Lion d’Angers). C’est dans
ce XIème siècle que surgit une lutte entre deux tendances : le refus de l’image à Marmoutier
et son acceptation à Saint-Florent de Saumur où les représentations sont commentées par des
textes selon le souhait des Libri Carolini. Vers 1050 apparaissent des traits nouveaux comme
l’utilisation de la coupole de croisée. Ainsi se développe particulièrement autour de ChâteauGontier un groupe d’édifices optant pour un plan basilical et une coupole de croisée, plan qui
sera d’ailleurs relayé dans certains sites cisterciens aquitains tel Obazine. La nef basilicale est
également choisie dans certains sites majeurs des pays charentais comme Saint-Amant-deBoixe ou Châteauneuf. Les moines blancs du diocèse de Limoges semblent ainsi se tourner
vers les pays d’Ouest comme l’illustrent bon nombre de leurs partis architecturaux. Quant aux
églises paroissiales angevines, elles tendent à privilégier une nef unique qui conserve la
faveur. Au XIIème siècle, cette formule est reprise par les prêcheurs itinérants. Elle est
connue pour des édifices épiscopaux comme à la cathédrale d’Angers. La nef unique
d’Angers est reproduite à la Trinité de Vendôme, à la collégiale de Toussaints, à l’abbatiale
Saint-Nicolas. Parfois, la nef unique est associée à des passages latéraux entre elle et les
croisillons : c’est le cas à l’abbaye de la Roë2390. Celle-ci est le premier établissement canonial
de l’Anjou, fondé par Robert d’ARBRISSEL et en étroites relations avec Fontevrault [Fig.
1029]. Le parti de la nef unique est fréquemment associé à un chevet plat, sobre, ce qui n’est
pas sans nous rappeler le plan dit « bernardin », jugé « caractéristique » de l’ordre
cistercien2391. À la fin du XIIème siècle et au début du XIIIème siècle est adopté le grand
chœur rectangulaire sur le modèle de l’hôpital Saint-Jean d’Angers. Ces espaces (nef unique,
chevet plat) permettent la multiplication en Anjou des voûtes à nervures2392.
Jacques MALLET constate qu’en Anjou vers 1130-1140, la sculpture et le décor
évoluent vers moins de sobriété. Les feuilles grasses et opulentes couvrent les corbeilles et
sont communes à un large domaine aquitain. Si le goût persistant pour les formes
architecturales sobres paraît avoir retardé le développement de la sculpture (seuls les
chapiteaux corinthiens et les feuilles d’eau dans les années 1100 sont acceptés), le milieu du
XIIème siècle est marqué par la recherche d’une exubérance sculptée opposée à l’austérité
cistercienne2393.
2390
J. MALLET, L’Art roman de l’Ancien Anjou, Paris, Picard, 1984, p. 109.
La nef unique est choisie en Anjou à Bocé, Notre-Dame-d’Alençon, Genneteil, Brion, Meignié-sous-Doué,
Mouliherne, Echemiré, Trèves, Gouis, Fontaine-Guérin, Brissarthe, Blou... Elle est associée à un chevet plat à
Dénezé-sous-Doué, La Roë, Sermaise, Beauvau et Rou.
2392
J. AVRIL, Le gouvernement des évêques…, op. cit., vol. I, p. 422.
2393
J. MALLET, op. cit., p. 253.
2391
- 899 -
Ainsi émerge une scission entre édifices de procession acceptant l’image (Cluny,
édifices épiscopaux, églises de pèlerinage) et des édifices de parole, sans image, comme
Cîteaux. Chez les moines blancs, les rapports avec les évêques sont restreints, de même que
les contacts avec les fidèles. Par ailleurs, la proximité comtale, royale et de réseaux
aristocratiques souvent résistants à l’image est indéniable et les conduit peut-être à des choix
plus austères, telle la nef unique ou l’église-halle. Ce parti de la tradition choisi par les ordres
à vocation érémitique est toutefois volontairement maintenu. Il correspond à une idéologie
carolingienne et ne peut être compris comme un archaïsme, ou un retard accusé par rapport
aux édifices clunisiens ou épiscopaux osant les chevets à déambulatoire et les vastes
programmes sculptés. Il s’agit bel et bien d’une pauvreté volontaire, d’un ascétisme choisi,
voulu et assumé pour les prédicants et les ermites. Comme les cisterciens, les grandmontains
se montrent ainsi réticents à l’image. Ils rejettent les ornements superflus. Un des statuts de
1260 précise :
« Omnis pictura et omnis sculptura inutilis et superflua a
nostris penitus absit aedificiis ».
Par certains aspects, et notamment dans les choix architecturaux, les grandmontains se
montrent même plus austères, plus rigoureux dans l’expression de la pauvreté que les moines
blancs. Les celles sont de simples nefs uniques terminées en abside [Fig. 1030]. Ce chœur en
hémicycle est généralement percé de trois baies orientales à ébrasements internes [Fig. 963].
La nef est voûtée en berceau. Les dimensions sont réduites, les murs épais. L’appareil est le
plus souvent de belles pierres de taille. Cette définition se retrouve aussi bien en Charente
Limousine (Étricor) qu’en Poitou, Anjou, Berry, Bourgogne, Rouergue et Languedoc. Le
chevet plat n’est ainsi pas la seule définition possible des églises austères, comme en
témoignent en Limousin de nombreuses églises modestes à chevet à trois pans (Javerdat,
Saint-Nicolas-de-Courbefy, Champconteau)2394.
Les Chartreux s’inscrivent dans ce mouvement de sobriété. Les statuts précisent en
1261 « picturae curiosae de ecclesiis et hospitiis deleantur ». Les Chartreux mettent en place
un ordre austère, séparé du monde, pénétré de l’esprit de pauvreté. Néanmoins, les
interdictions concernant l’opulence artistique sont moins strictes que dans l’ordre cistercien et
rapidement, les monastères sont construits avec faste, tout particulièrement durant le bas
Moyen-Âge et la Renaissance. C’est ainsi que les chartreuses de Naples (1323), de Florence
2394
C. ANDRAULT-SCHMITT, Limousin gothique, op. cit., p. 29.
- 900 -
(1341), de Dijon (1383) et de Pavie (1398) sont très décorées et apparaissent plus comme des
« maisons de prière de caractère palatin »2395.
Dans l’ancien diocèse de Limoges, le parti de l’austérité et de la pauvreté volontaire
est aussi adopté au prieuré de l’Artige. L’église médiévale mesure 10.60m de large pour 48m
de long. Le chœur en abside est flanqué de deux chapelles latérales elles aussi absidales,
voûtées en berceau brisé. Des traces de décor peint en faux-appareil sont observables, mais
pas de figure ni de scènes historiées représentées sur les murs. Le portail nord présente des
voussures au profil brisé reposant sur de sobres chapiteaux nus. Là encore, pas de figures ni
même de feuillages. Quant aux baies éclairant timidement la nef, ce sont de simples
ouvertures encadrées de granite, surmontées d’un arc brisé, à l’embrasure interne profonde de
50cm de large. Aucune fioriture n’est acceptée2396.
Cette volonté d’austérité, cette pauvreté volontaire est relayée à partir du XIIIème
siècle par les ordres mendiants. Leurs bâtiments sont souvent pauvres et humbles, les églises
de 10m de hauteur environ sont couvertes d’une charpente, excepté le chevet (d’après le
chapitre dominicain de 1228). Selon les franciscains, il ne doit pas y avoir de clocher en
forme de tour. Le décor est limité, sans vitraux historiés ou décorés, sauf pour les grandes
baies derrière l’autel majeur du chœur (1260). Si l’on prend l’exemple précis de l’église des
dominicains de Colmar (Haut-Rhin), la nef charpentée est divisée par deux files de grêles
colonnes lisses dépourvues de chapiteaux. La nef est conçue comme un volume unique
essentiel pour associer tous les fidèles aux célébrations religieuses2397.
La fortune de la nef unique ne se dément pas même durant le bas Moyen-Âge et est
parfois reprise par les ordres hospitaliers. Ainsi elle est utilisée pour la salle des pauvres de
l’hôpital du Pont-Saint-Esprit dont la construction débute en 1310. La nef unique est choisie
pour couvrir l’espace d’un seul tenant. Elle n’est plus seulement réservée aux petites chapelles
rurales de l’époque romane et permet de voûter un vaste espace, le plus souvent d’ogives2398.
La nef unique est également fréquemment requise pour les églises des bastides, cisterciennes
ou non. Selon Alain LAURET, l’église « salle » avec sa nef large, son clocher latéral et
parfois des chapelles latérales entre les contreforts est largement diffusée des Pyrénées au
2395
J. HUBERT, « L’érémitisme et l’archéologie », dans J. HUBERT, Arts et vie sociale…, op. cit., p. 193-231.
J. DENIS, Prieuré de l’Artige. Rapport d’étude historique et archéologique préalable à la restauration, SRA
Limousin, 2003, vol. I, p. 5 (non publié, consultable au SRA Limousin).
2397
T. SOULARD, « Une spiritualité renouvelée dans la pierre. L’architecture des ordres mendiants », dans
L’architecture religieuse médiévale. Art roman et art gothique. Une nouvelle vision, Dossiers d’Archéologie
n°319, janvier-février 2007, p. 92-99.
2398
A. GIRARD, « Les origines du plan de la salle des pauvres de l’hôpital de Pont-Saint-Esprit », dans F-O.
TOUATI (dir.), Archéologie et architecture hospitalières de l’Antiquité tardive à l’aube des temps modernes,
Paris, 2004, p. 194.
2396
- 901 -
Périgord du XIIIème au XVIème siècles (à Beaumont-de-Lomagne par exemple). Elle relève
d’une inspiration des ordres mendiants mais s’inscrit aussi dans cette tradition d’un volume
ample et unifié chers aux ordres ascétiques et prédicateurs. L’église sert alors à la fois de lieu
de culte et d’assemblée du fait des vastes dimensions de la nef unique. C’est également un
lieu de refuge pour les populations assiégées. La hauteur du clocher permet le guet2399.
Les ordres à vocation érémitique semblent ainsi se placer en marge de certains aspects
de la réforme grégorienne soutenue et diffusée par Cluny, préférant l’oral, la prédication, à
l’instruction par l’image. Aux chevets développés permettant la circulation autour des reliques
est préféré un chevet simplifié associé à une nef ample et unifiée pour faciliter les prêches.
Toutefois, il ne semble pas y avoir au sein de ces mouvements ascétiques d’unanimité quant
au statut de l’image et au parti architectural à adopter.
Ainsi, les Prémontrés par exemple rivalisent avec Cluny pour la richesse de leurs
églises et de leurs ornementations. Ils s’adonnent également à l’enluminure des manuscrits et
se montrent favorables aux images. La présence d’artistes est même permise dans le cloître.
Bernard de TIRON encourage l’art, les sculpteurs, artistes et peintres. Nous pouvons ainsi
constater le rapprochement entre Cluny et certains ordres ascétiques tel les Prémontrés. Pierre
le Vénérable évoque également son admiration envers les Chartreux. Entre 1211 et 1229 se
créent ainsi des tensions entre les cisterciens et les Prémontrés à propos du rapport à l’art.
Quant au monastère de la Chaise-Dieu, il y est fait la promotion de la production artistique2400.
De même, Fontevrault apparaît comme un exemple atypique entre austérité et
opulence affichée, peut-être en rapport avec son statut particulier de nécropole royale. Dès sa
fondation (1101), Fontevrault bénéficie des libéralités du comte d’Anjou ainsi que de celles
de Louis VI. La partie orientale de l’église est probablement amorcée du temps de Robert
d’ARBRISSEL. En 1119, l’édifice cultuel est dédicacé par le pape Calixte II. Vers 1125,
l’essentiel du grand monastère de moniales est réalisé. Le chevet est dépouillé, à l’inverse de
la nef très ornementée édifiée sous l’abbatiat de Pétronille de Chemillé [Fig. 1031 et 1032].
La nef unique est ici couplée à un déambulatoire à trois chapelles rayonnantes, associant de
fait continuité (nef unique angevine) et novation (chœur développé des espaces capétiens).
Les bras du transept sont réservés pour les assistants privilégiés d’une société très
hiérarchisée. Fontevrault associe le caractère ligérien du chevet à une nef unique aquitaine,
large de 14m. Celle-ci est dotée de passages latéraux permettant un vaste espace pour les
prêches. La nef, charpentée à l’origine, du fait de son ampleur et de la préférence méridionale
2399
A. LAURET, R. MALEBRANCHE, G. SÉRAPHIN, Bastides, villes nouvelles du Moyen-Âge, Milan,
Toulouse, 1998, p. 123.
2400
C. RUDOLPH, The « Things of greater importance…, op. cit., p. 178.
- 902 -
pour les volumes bas, a une hauteur inférieure ou égale à sa largeur. Ce plan est favorable à la
construction d’un clocher de croisée. Jacques MALLET signale que ce type de plan se
retrouve en deux bandes, du Morbihan à l’Ain et de la Charente au Quercy. En Anjou, il est
initié à la cathédrale en 1025. Robert d’ARBRISSEL est par ailleurs ami de Giraud qui a
élevé la cathédrale d’Angoulême, voûtée de coupoles, d’où peut-être le projet d’une nef à file
de coupoles, adoptée néanmoins assez tard à Fontevrault. Les murs sont renforcés au moment
de l’établissement de ces coupoles2401. Fontevrault devient ainsi le témoin le plus septentrional
des édifices à file de coupoles, caractérisés par une nef large de moyenne hauteur sans
collatéraux. Elle est néanmoins la seule à associer file de coupoles et chœur à déambulatoire
et chapelles rayonnantes, ce qui constitue sa profonde originalité, entre austérité et ambition.
L’austérité élancée du chevet, isolé par une croisée étroite pour les offices, s’oppose aux
proportions plus basses, carrées de la nef et de la richesse de sa décoration. Ce chœur évoque
ceux de Saint-Benoît-sur-Loire, de Fontgombauld ou encore de Saint-Étienne de Nevers.
Mais à l’inverse des abbayes cisterciennes, aussi bien à la Roë qu’à Fontevrault, il est
rapidement fait adoption d’un décor opulent. Si le chœur de Fontevrault privilégie les grands
chapiteaux à corbeille nue, la nef présente des oiseaux, des quadrupèdes assez similaires aux
décors de Sainte-Eutrope de Saintes2402. Les décors des chapiteaux sont peu variés mais
notablement plus exubérants que les chapiteaux nus et les feuilles d’eau cisterciennes : ici, les
feuilles d’eau se terminent par une volute ou un bouton, des rinceaux et des palmettes
couvrent les corbeilles tandis que des animaux (oiseaux affrontés) apparaissent parfois. Cette
évolution vers une sculpture chargée est facilitée par la richesse des abbayes, bien dotées,
placées sous la protection des rois anglais. De plus, les principales dirigeantes de Fontevrault
sont recrutés dans le groupe nobiliaire et suscitent ainsi les libéralités. C’est ainsi que dès
1120, « certains seigneurs s’adressent aux moines de Savigny ou de Cîteaux restés fidèles à
l’idéal austère »2403.
Suite à la réforme grégorienne, deux productions artistiques se font face : les ordres
nouveaux tendent au respect de certaines formules carolingiennes, optent pour des chevets
simplifiés et des nefs uniques larges. L’image est suspecte, souvent rejetée, réactivant ainsi les
tentations aniconiques de l’entourage de Charlemagne et des milieux aristocratiques.
L’aniconisme ne fait cependant pas l’unanimité au sein des mouvements à vocation ascétique
2401
J. MALLET, « Fontevraud dans l’art roman et gothique angevin », dans 303…, op. cit., p. 61-72.
R. CROZET, « L’église abbatiale de Fontevrault. Ses rapports avec les églises à coupoles d’Aquitaine »,
Annales du Midi, n° 190, 1936, p. 113-151.
2403
J. MALLET, L’Art roman de l’Ancien Anjou, Paris, Picard, 1984, p. 123.
2402
- 903 -
et certains comme les Prémontrés se montrent plus indulgents. Les ordres anciens réformés
comme Cluny font quant à eux le choix de la novation, développent des chevets à
déambulatoire et chapelles rayonnantes relayés dans les espaces capétiens. L’image est
requise pour l’éducation des fidèles et de vastes programmes iconographiques sont
développés au sein des édifices clunisiens, des sites de pèlerinage et des sièges épiscopaux.
Quant à Fontevrault, elle réussit à synthétiser les deux approches dans un édifice à la fois
novateur et austère. Si l’image est toujours timide, l’opulence des feuillages et de certains
décors est bien éloignée de l’austérité des premiers temps cisterciens.
2. Goût pour l’austérité ou volonté d’économie ?
Cette sobriété dans l’art de bâtir et le décor a pu parfois être interprétée comme un
souci d’économie, un manque de moyens financiers pour attirer sculpteurs et ouvriers
qualifiés. Il est vrai que les moines blancs sont souvent dotés de terres incultes et l’une de leur
priorité est ainsi nécessairement de mettre en valeur leurs territoires, regrouper les donations
afin de constituer de vastes domaines d’un seul tenant. Ils investissent peut-être en premier
lieu dans la mise en place de granges ou dans l’hydraulique, travaux indispensables afin
d’assurer leur autarcie et la viabilité des exploitations. La simplicité des constructions
découle-t-elle d’une nécessité économique face à une implantation au saltus ou d’un choix
affirmé ?
•
Des constructions à l’économie :
Lors de l’arrivée des moines blancs sur un nouveau site d’implantation, les premières
structures bâties sont en matériaux périssables (bois, pisée) dans l’attente de la rentabilité de
leurs terres et de l’avancement des chantiers de construction en pierres. C’est le cas à Obazine
ou à Clairvaux où les moines vivent pendant une dizaine d’année dans des bâtiments en bois.
Ces sortes de « huttes » sont attestées à Zwettl (1137), Villers (1150) et Stams au Tyrol
(1273)2404. Ne percevant pas les dîmes dans un premier temps, à l’inverse de leurs homologues
clunisiens, certains monastères souffrent de la précarité, comme l’abbaye des Pierres ou les
modestes sites de Boschaud et Peyrouse. Il a pu effectivement être problématique pour
certains abbés de bâtir en faisant appel à des ouvriers qualifiés, d’où la médiocrité de certaines
constructions.
De plus, le déroulement du chantier de construction peut s’étaler sur une période
relativement longue, faute de moyens financiers suffisants. C’est le cas à l’abbaye du
Thoronet. Si la construction de l’église débute vers 1160, le cloître et l’aile des moines sont
bâtis vers 1175 tandis que l’aile des convers n’est achevée qu’au milieu du XIIIème siècle.
2404
M. UNTERMANN, Forma Ordinis..., op.cit, p. 171.
- 904 -
Selon Yves ESQUIEU, cet étalement de la construction sur un siècle peut s’expliquer par les
saisons, les matériaux, l’argent et les hommes qui impulsent un rythme au chantier. En effet,
l’hiver ralentit tous les travaux des champs mais aussi de construction. Seul le travail en
atelier est possible (taille de pierre, préparation des outils) ainsi que la coupe du bois d’œuvre.
Ce n’est qu’aux beaux jours que le chantier peut vraiment reprendre2405.
Ainsi, l’abbaye des Pierres dispose de faibles revenus, d’où sa mise en œuvre de
moellons irréguliers noyés dans un épais mortier de chaux [Fig. 723]. Il n’est en effet pas
nécessaire d’économiser la chaux, le bois étant présent autour du site en forte proportion.
Quant au calcaire, il peut être acheminé de la proche Champagne Berrichonne ou de la
Brenne. Les bâtisseurs privilégient dès lors l’usage de moellons nécessitant un mortier de
chaux épais plus que de pierres de taille assemblées en moyen appareil à joints minces. Il y a
donc une adaptation nécessaire des techniques de construction aux ressources directement
disponibles sur le site. La taille de pierres nécessite d’autres qualifications, des ouvriers
spécialisés. L’abbaye des Pierres semble ainsi plutôt révéler un travail de maçons. Seuls les
harpages, piédroits de baies et les éléments sculptés sont soignés.
Les mêmes remarques peuvent être appliquées à l’abbaye de Prébenoît où seuls les
éléments structurants de la maçonnerie et les soubassements bénéficient d’un soin particulier
[Fig. 344]. Les chapiteaux et bases sont également taillés dans un granite fin.
De même, l’abbaye de femmes de Coyroux ne bénéficie pas de la même qualité de
mise en œuvre que le monastère d’Obazine. Les bâtiments conventuels, en moellons de gneiss
irréguliers et grossièrement équarris sont liés d’un mortier médiocre et ont ainsi presque
entièrement disparus. Le cloître est deux fois moindre qu’à Obazine. À Coyroux, la
construction est nettement faite à l’économie [Fig. 579]2406.
Par ailleurs, les sites les mieux dotés, tels Bonlieu, Dalon ou Obazine peuvent
s’enorgueillir de parements soignés, en moyen appareil régulier de qualité qui n’est pas
uniquement réservé aux parties structurantes de la construction. À Bonlieu, les deux travées
de la nef subsistantes et le chevet sont d’un bel appareil régulier aux joints minces [Fig. 142].
Seule la tour de fortification ajoutée en 1421 sur les vestiges de la nef est en petit appareil
irrégulier [Fig. 139]. Les parements de la nef et du chevet conservés nécessitent des
qualifications de tailleurs de pierre plus que de maçons, à l’inverse d’autres sites proches
comme Prébenoît ou les Pierres. Cette distinction peut s’expliquer par la plus grande richesse
de Bonlieu, à la tête de treize exploitations, bien dotée jusque dans le XIIIème siècle, à
2405
Y. ESQUIEU, V. EGGERT, J. MANSUY, Le Thoronet…, op. cit., p. 27.
B. BARRIÈRE, « Coyroux, doublet féminin de l’abbaye d’Obazine (Limousin, XIIème-XIIIème siècles) »
dans N. BOUTER (dir.), Les religieuses dans le cloître…, op. cit., p. 131-138.
2406
- 905 -
l’inverse de deux autres monastères plus modestes et qui n’ont jamais vraiment quitté la
précarité des premiers temps.
Un des moyens d’économie peut être de faire travailler directement les moines et les
convers à la construction des monastères. Ceux-ci pouvaient-ils être les maçons et tailleurs de
pierre nécessaires à la mise en œuvre de leurs propres bâtiments ? C’est ce que suggère par
exemple la Vie de saint Étienne d’Obazine. Nous pouvons toutefois douter que les moines,
astreints à des offices réguliers, aient pu réellement participer de manière régulière à
l’édification des bâtiments. Il est par ailleurs tout à fait plausible que certains convers aient eu
les capacités de participer au gros œuvre. Quant aux sculptures et décors, il n’est pas
impossible que certains moines aient pu s’y adonner selon leurs compétences. De fréquents
passages de la Vita évoquent ainsi la construction d’Obazine et de Coyroux :
« Ils
[les
moines]construisaient
eux-mêmes
leurs
bâtiments, brisaient avec des masses les pierres arrachées
de la montagne et les portaient sur leurs épaules pour
construire la maison. C’était un spectacle admirable que
de voir ces énormes pierres que de nombreux hommes
ensemble ne pouvaient déplacer, portées par quatre frères
avec autant d’agilité que si rien n’était. Bien que chacun
dût participer à ce travail selon ses forces, c’était surtout
aux religieux forts et habiles que revenaient ces tâches et
les autres du même genre. Les plus faibles et ceux qui
n’entendaient rien à ce genre de travail étaient occupés à
copier des livres ou à des travaux moins pénibles.
Pendant toutes ces rudes occupations qui les fatiguaient
sans cesse, il n’était porté aucune atténuation au jeûne :
la nourriture n’était pas augmentée et leur corps
travaillait sans être soutenu par une alimentation
meilleure et plus abondante. Pharaon accablait ainsi les
fils d’Israël et ne voulait pas les secourir. Le maître des
frères n’agissait pas autrement, bien que ses intentions ne
fussent pas les mêmes : il voulait qu’ils se contentassent
d’une nourriture médiocre tout en leur commandant
beaucoup de travail, afin d’affliger leur corps et de
- 906 -
fortifier leur âme. Au contraire, Pharaon nourrissait la
chair figurée par les filles tandis qu’il mettait à mort
l’esprit, figuré par les fils »2407.
La construction du monastère d’Obazine prend ici une allure épique et miraculeuse.
Les moines semblent doués de pouvoirs « surnaturels », puisés dans une foi inébranlable et
une ascèse sans faille. Ils peuvent porter des poids colossaux malgré les jeûnes perpétuels. Les
allusions à l’Ancien Testament et à l’Exode les placent en opposition aux fils d’Israël. Si ces
derniers sont asservis, les moines sont au contraire libérés, fortifiés et édifiés par leur tâche.
« À son retour de la Grande Chartreuse, l’homme de Dieu
décida d’agrandir les bâtiments du monastère qui étaient
devenus trop petits en raison du nombre croissant des
religieux. Il commença par le sanctuaire et entreprit la
construction d’une église en l’honneur, comme celle des
Chartreux, de Marie, la sainte mère de Dieu.
Tandis que les frères la construisaient, l’un des seigneurs
de la région, craignant que l’édifice ne devînt un refuge
pour ses ennemis, et la cause de sa perte, s’en vint,
accompagné d’un grand déploiement de force, interdire
aux frères de continuer leur travail. Ceux-ci, terrorisés
par ces menaces, continuèrent à bâtir, moins solidement
qu’ils n’avaient commencé, pendant près de deux jours,
sans utiliser un mortier convenable. L’homme de Dieu se
trouvait alors absent. À son retour, il s’aperçut que les
pierres étaient mal taillées et surtout entassées sans
solidité. Il réprimanda les frères et fit changer, pour les
constructions à venir, le choix des matériaux et la façon
de les employer. 2408»
2407
2408
M. AUBRUN, Vie de Saint Étienne d’Obazine…, op. cit., livre I, p. 69.
M. AUBRUN, op. cit., p. 85.
- 907 -
Il est rare à l’époque médiévale d’avoir une description aussi précise des procédés de
construction jusqu'au mortier utilisé. Ce sont chaque fois les moines qui sont présentés
comme les bâtisseurs.
Par ailleurs, certaines inscriptions nous permettent d’attester de la participation des
frères convers à la construction et au décor des édifices. Ainsi à l’abbaye d’Haina (12501260) une signature « Lupuldus Frater » est apposée sur un vitrail. À Ebrach est indiqué sur
le tympan à l’entrée d’une chapelle « Fratris Iohanis Lapicide Mementote » (1276)2409.
Pour Yves ESQUIEU, il est tout à fait probable que les moines et les convers de
l’abbaye du Thoronet aient assuré la taille des blocs ordinaires et leur pose, tandis que la taille
des éléments les plus délicats pouvait être réservée aux professionnels. L’encadrement des
baies en particulier n’a pas été produit sur le chantier mais préfabriqué en atelier ou en
carrière par des ouvriers qualifiés 2410. Il écrit néanmoins que malgré leur fervent désir
d’autonomie, il devait être nécessaire de faire appel ponctuellement à des ouvriers qualifiés,
salariés, et spécialisés pour certaines tâches particulières, mais aussi pour prendre la tête
d’équipes composées de moines et convers devant être formés au préalable2411.
Il distingue une mise en œuvre propre aux monastères de l’ordre cistercien, diffusée
par la circulation d’équipes d’ouvriers formés au sein des abbayes. Ainsi, il remarque au
Thoronet que les fondations sont assises sur une large semelle faite de pierres soigneusement
appareillées, technique que les cisterciens auraient contribué à répandre. Si cette technique de
construction est effectivement observable pour les abbayes cisterciennes du Midi de la France
(Sénanque, Silvacane), elle ne nous semble pas généralisée et ne se confirme guère pour
l’ancien diocèse de Limoges. Yves ESQUIEU met également en lumière l’usage fréquent
d’assises de pierres taillées en biseau dans les monastères de l’ordre « dégageant un volume
que le mortier pouvait occuper, liant plus sûrement les pierres entre elles sans que l’aspect
extérieur s’en trouvât modifié ». En effet, le rétrécissement des joints observé dans de
nombreuses abbayes (le Thoronet, Silvacane, Bonlieu) pose le problème de la dissociation du
blocage interne et du parement du mur, d’où cette technique de la taille en biseau. Nous
n’avons toutefois pu l’observer en Limousin et Marche2412.
Outre les moines et les convers, des ouvriers spécialisés sont donc également évoqués.
Ceux-ci sont vraisemblablement rémunérés à la tâche. À Obazine, un maître d’œuvre est
mentionné dans la Vita et est probablement laïc2413. Par ailleurs, le maître d’œuvre de Silvanès
2409
M. UNTERMANN, op. cit., p. 225.
Y. ESQUIEU, « L’abbaye du Thoronet », Congrès Archéologique de France, Var, Paris, 2002, p. 195-212.
2411
Y. ESQUIEU, V. EGGERT, J. MANSUY, Le Thoronet…, op. cit., p. 26.
2412
Y. ESQUIEU, op. cit., p. 27.
2413
“Electo operio magistro”, II-18.
2410
- 908 -
semble appartenir au monastère. Il est cité en 1150 et 1153 : « Sicardus operarius ecclesie ».
Selon Jean-Louis BIGET, les moines blancs peuvent avoir parfois recours à une équipe de
maîtres d’œuvre envoyés par l’ordre. L’abbé de Pontigny délègue ainsi un maçon à l’abbaye
de Loc-Dieu (com. Martiel, Aveyron). Néanmoins, la majorité des abbés font appel à une
main d’œuvre locale, laïque, possédant ses techniques propres2414.
Nous n’avons toutefois pas repéré de signes lapidaires à Obazine ou à Coyroux. Il en
existe cependant dans certaines abbayes cisterciennes comme à Silvanès (cloître), Flaran,
Cherlieu (transept) ou à Sénanque [Fig. 808]. À l’abbaye de l’Escale-Dieu aussi, des marques
de tailleurs de pierre témoignent du recours à des ouvriers salariés. Leur nombre était peutêtre limité afin d’économiser les coûts de construction. Les rapports avec l’abbé d’Obazine
paraissent de plus conflictuels et les ouvriers contestent en particulier les jeûnes auxquels ils
sont soumis.
« Les ouvriers salariés ne pouvant supporter une si longue
privation de viande, achetèrent un porc. (…) Lorsque les
ouvriers déjà à l’ouvrage apprirent la nouvelle, ils
entrèrent dans une grande colère, jetèrent à terre leurs
outils et abandonnèrent leur travail. (…) Il [Étienne
d’Obazine] embaucha de toute part tant d’ouvriers des
campagnes pour le charroi des matériaux, qu’à les voir,
on aurait pu penser qu’il s’agissait d’une paroisse
réunie2415 ».
Le nombre de ces ouvriers salariés ne devait donc pas être aussi insignifiant que cela.
Ils sont sans doute majoritairement recrutés dans les paroisses environnantes, mais pourraient
également circuler à l’intérieur de l’ordre de Cîteaux.
Outre la Vie de saint Étienne d’Obazine, nous disposons d’autres sources médiévales
afin de mieux connaître le déroulement du chantier et ses acteurs. En effet, certaines
enluminures ou autres supports iconographiques représentent des scènes de moines bâtisseurs.
Même si ces documents ne sont pas limousins et sont souvent tardifs, ils peuvent apporter à
notre connaissance du chantier médiéval cistercien. Ainsi, l’abbaye cistercienne de Salem en
Allemagne conserve des carreaux de poêle en faïence illustrant un chantier de construction
2414
J-L. BIGET, H. PRADALIER, M. PRADALIER-SCHLUMBERGER, « L’art cistercien dans le Midi
Toulousain », dans Les cisterciens de Languedoc (XIIIème-XIVème siècles), Cahiers de Fanjeaux, Toulouse,
Privat, 1986, p. 313-370.
2415
M. AUBRUN, op. cit., p. 133.
- 909 -
[Fig. 816]. Ce sont clairement les moines qui sont au travail. Une des scènes les montrent sur
un échafaudage, avec des machines de levage. Au premier plan, certains taillent des pierres.
La robe de bure et la tonsure permettent de les identifier. Sur une seconde vue, un moine
gâche du mortier sous un appentis (peut-être une loge ?). Même si ces petites scènes relèvent
souvent plus du mythe que de la réalité, certains moines ont pu prendre une part active dans
les travaux de construction selon leurs compétences. Néanmoins, si l’on en croit la couleur de
la robe de bure marron portée par ces ouvriers, il s’agirait plutôt de frères convers que de
moines de chœur.
Une des enluminures les plus connue est celle de la construction du monastère de
Schönau [Fig. 811]2416. Les différentes phases de la construction sont représentées. Des
moines sont représentés montant sur une échelle servant de rampe d’accès. Au premier plan,
un homme pouvant être l’architecte tient une équerre et une canne, unité de mesure. Des
moines gâchent le mortier. D’autres, dans une loge, taillent des pierres, les dégrossissent au
marteau têtu et au pic. Ces moines sont représentés barbus. Il pourrait donc s’agir là aussi de
frères convers.
Ainsi, il est vraisemblable que les frères convers aient participé à la construction de
monastères. Main d’œuvre gratuite, elle permettait aux moines blancs de réduire certains
coûts de construction. Néanmoins, il était nécessaire de recourir à des ouvriers spécialisés
bien attestés dans certains actes et dans la Vie de saint Étienne d’Obazine. Maçons et tailleurs
de pierres pourraient être recrutés au plus près, directement dans les paroisses environnantes,
ou parfois au sein même de l’ordre cistercien, circulant d’abbayes en abbayes. Il est toutefois
difficile d’étayer cette hypothèse face aux lacunes des sources sur l’origine des ouvriers
bâtisseurs.
Afin de limiter les coûts de construction, les matériaux utilisés sont pris directement
sur place ou dans de proches carrières. Ainsi, les abbayes de la Marche Limousine, installées
sur des sols métamorphiques, sont bâties de granite et de schiste. À Prébenoît en particulier, la
carrière de Marcillat exploitée est à quelques kilomètres à peine au sud-est de l’abbatiale [Fig.
381]. La carte géologique du Boischaut présente une « langue » de sols calcaires entre la
Colombe et Varennes [Fig. 6]. De nombreux éléments sculptés de ces sites sont ainsi taillés
dans un calcaire fin (chapiteau à boules de La Colombe, dépôt lapidaire de Varennes). La
mise en œuvre de l’abbaye du Palais est de granite gris relativement fin avec peu d’inclusions
de quartz correspondant au matériau présent en sous-sol. Toutefois, l’abbaye de Dalon
2416
Dessin à la plume, K 1532 H 2196, fol. 196, Germanisches Nationalmuseum, Nüremberg.
- 910 -
bénéficiant de revenus supérieurs et de multiples générosités seigneuriales fait venir du
calcaire tendre de Saint-Robert alors que les bâtisseurs disposaient sur place d’un grès rouge.
Ce matériau est d’ailleurs requis pour la salle capitulaire. Une certaine recherche du beau
matériau n’est pas rare pour les sites les mieux dotés, bien que les abbayes cisterciennes
limousines soient d’une manière générale plus enclines à l’économie et au pragmatisme. Yves
ESQUIEU constate également que l’abbaye du Thoronet est bâtie en calcaire froid
directement extrait à proximité immédiate du monastère2417. Les bâtisseurs s’adaptent ainsi
aux matériaux présents sur place. À l’Escale-Dieu, l’emploi d’une pierre dure difficile à
travailler entraîne la suppression des formes arrondies. Il n’y a ni colonnes engagées, ni
chapiteaux2418.
Les moines semblent ainsi aller à l’économie et exploitent les ressources du saltus où
ils s’implantent. Ils ne recherchent donc pas forcément de matériaux plus aptes à la sculpture
que le granite présent sur les sites. Nous constatons ainsi une économie certaine de moyens,
une recherche de rentabilité maximale. Les fonds engagés sont réduits. Néanmoins, certains
indices témoignent d’une réelle recherche esthétique et d’une qualité indéniable de la taille de
pierre pour les sites les plus aisés. Au Thoronet, les parements réguliers présentent des pierres
calcaires débitées en blocs, retouchées au moment de la pose pour que le joint soit le plus
mince possible. Les colonnes du cloître et les parements extérieurs du chevet font l’objet d’un
traitement particulier : l’aspect poli et lisse est surprenant. Le sanctuaire semble ainsi valorisé
par la noblesse des matériaux, la régularité des assemblages, la finesse des joints, le rendu
lisse des parements2419. Malgré une volonté d’économie certaine, il n’est pas rare de constater
une réelle recherche esthétique et un intérêt flagrant pour la mise en œuvre des matériaux.
De nombreuses astuces architecturales sont également déployées pour limiter les coûts
de la construction. Ainsi, à l’abbaye de Sénanque, les mêmes cintres sont utilisés pour édifier
les voûtes de la nef, les bras du transept et le dortoir, limitant ainsi la nécessité de se procurer
du bois et de le travailler2420. Les techniques de voûtement tendent à limiter les dépenses
inutiles et superflues. À Fontenay par exemple, on reprend le système des arcs brisés des
grandes arcades et la voûte en berceau brisé déjà apparus à Cluny dans les années 1100.
Toutefois, à Cluny, l’utilisation de ces éléments servait à faire monter le vaisseau à trente
mètres de hauteur et à augmenter la luminosité. À l’inverse, à Fontenay, cette technique est
2417
Y. ESQUIEU, « L’abbaye du Thoronet », op. cit., p. 195-212.
J-L. BIGET, H. PRADALIER, M. PRADALIER-SCHLUMBERGER, op. cit., p. 313-370.
2419
Y. ESQUIEU, op. cit., p. 27.
2420
É. MUHEIM, Une architecture cistercienne, l’abbaye de Sénanque, Monaco, 1989, p. 21.
2418
- 911 -
liée aux préceptes de simplicité de l’ordre. La nef de 17m de haut (moitié moins qu’à Cluny)
pour 8m de large ne dispose que d’un seul niveau d’élévation, les grandes arcades [Fig. 1]. Il
n’y a pas d’éclairage direct et l’ensemble demeure assez sombre. Quant aux collatéraux, ils
sont assez élevés afin de contrebuter la voûte du vaisseau central. Ils sont couverts de voûtes
en berceaux brisés placés transversalement, système déjà présent dans l’architecture du
XIème siècle. Les cisterciens apparaissent ainsi une fois encore du parti de la tradition. Pour
Philippe PLAGNIEUX, ils synthétisent des éléments techniques de pointes (voûtes d’ogives)
et des éléments probablement jugés « archaïques » (nef unique), en fait peut-être destinés à les
ancrer dans l’Église de Rome, à asseoir leur légitimité face à des ordres anciens et
renommés2421. Les techniques architecturales, les choix de voûtement et d’élévation vont dans
le sens de la fonctionnalité, de l’austérité et de l’économie, en partie hérités de l’époque
carolingienne.
De même, un
procédé fréquemment requis est celui du culot recevant des arcs
doubleaux ou des voûtes d’ogives. Des culots sont utilisés à Obazine : ils reçoivent les arcs
doubleaux renforçant les berceaux brisés des bras du transept et de la nef. Ils sont de forme
conique, le plus souvent nus, parfois avec de légers décors géométriques ou feuillagés [Fig.
1033]. Le culot permet d’épargner de la pierre et de la main d’œuvre en remplaçant une
colonne engagée appareillée montant de fond. Ce système permet également d’appuyer aux
supports les stalles des moines et les bancs des convers. Là encore, il s’agit d’une architecture
fonctionnelle, utilitaire qui va vers l’économie de moyens. Les culots sont également requis à
l’abbatiale du Thoronet. Les arcs doubleaux de la nef sont reçus par de simples chapiteaux
cubiques, puis se prolongent par des colonnes engagées arrêtées par des culots en quart-derond.
•
Les décors. Chapiteaux nus et vitraux dépouillés :
Ce souci d’économie pourrait expliquer la forte présence de chapiteaux nus, sans
aucun décor, dans les abbayes cisterciennes. Pas de vaste programme iconographique avec
des scènes historiées complexes comme dans certaines abbayes clunisiennes. Au Thoronet, le
décor sculpté est quasiment absent de l’édifice, exprimant un refus certain de tout luxe. Pour
Yves ESQUIEU, la perfection de l’architecture serait un luxe en elle-même, de part la qualité
des matériaux employés. Les chapiteaux cubiques présents dans l’édifice sont peu fréquents
en Provence mais se multiplient non loin, en Italie du Nord. Dans la nef, certains chapiteaux
sont ornés de discrètes croix en faible relief2422.
2421
P. PLAGNIEUX, « L’architecture cistercienne » dans L’Architecture religieuse médiévale..., op. cit.,p. 81-
91.
2422
Y. ESQUIEU, « L’abbaye du Thoronet », Congrès Archéologique de France, Var, Paris, 2002, p. 195-212.
- 912 -
La corbeille lisse prédomine dans les abbayes cisterciennes limousines et
marchoises [Fig. 1034]: chapiteaux du cloître de l’abbaye de Prébenoît (début XIIIème siècle)
[Fig. 359], chapiteaux de la nef d’Obazine (fin XIIème siècle) [Fig. 489], chapiteaux du bras
du transept nord de Bonlieu (fin XIIème-début XIIIème siècles) [Fig. 155], chapiteaux
déposés de l’abbaye de Boeuil (lieu-dit « Les Quatre-Vents »)[Fig. 118]. Ne pourrait-on
justifier la forte présence de ces chapiteaux par le manque de sculpteurs qualifiés sur les
chantiers de construction ? Par un manque de moyens financiers ? Par un inachèvement des
corbeilles ? Ou s’agit-il d’un choix esthétique délibéré en rapport avec les préceptes
d’austérité de Bernard de CLAIRVAUX ?
Concernant les corbeilles lisses de Saint-Hilaire de Poitiers, Marie-Thérèse CAMUS
propose une autre hypothèse séduisante. Cet édifice majeur présente un déambulatoire à
chapelles rayonnantes lié à de grandes familles locales, tel le comte duc du Poitou, ayant prêté
hommage aux rois de France avant 1150 et le mariage d’Aliénor d’Aquitaine. Cette mainmise
aristocratique peut peut-être expliquer une réticence à l’image et la présence de chapiteaux
nus. Selon l’historienne de l’art, les corbeilles devaient cependant être peintes, non seulement
les chapiteaux lisses (enduit plus épais) mais aussi les corbeilles ouvragées. Sur les chapiteaux
nus sont ainsi représentés des acanthes, palmettes, rinceaux, tiges, pointes de feuilles,
masques, volutes ou griffons, à savoir les mêmes motifs que sur les chapiteaux sculptés. Des
ocres et rouges subsistent encore aujourd’hui. La réticence pour la tridimension n’est toutefois
pas dépassée, et l’aniconisme n’est pas réellement remis en cause 2423. Ces constatations
semblent trouver un écho en Normandie. Ainsi, Maylis BAYLÉ envisage l’existence de
décors peints sur les chapiteaux à feuilles lisses très schématiques de Bernay et de Bayeux
(Normandie) dès le XIème siècle2424.
Les chapiteaux de Notre-Dame de Saintes et de la Trinité-de-Vendôme étaient
également destinés à être peints. Nous pouvons aussi constater que certaines corbeilles nues
du cloître de la cathédrale de Périgueux présentent des traces de peinture. Il en est de même à
Saint-Savin-Sur-Gartempe dans les années 1050. Les chapiteaux du rond-point du chœur de
type corinthien étaient à l’origine peints de tons clairs. Ils imitaient les chapiteaux de marbre.
Ce type de décors évoque les premiers temps de la Chrétienté et est peut-être compris comme
un moyen de se rattacher à l’Église latine2425. Le Poitou aurait engendré un courant
d’exploration vers le diocèse de Limoges.
2423
M- T. CAMUS, Sculpture romane du Poitou…, op. cit., p. 167.
M. BAYLÉ, « Les chapiteaux dérivés du corinthien dans la France du Nord », dans l’ouvrage collectif,
L’acanthe dans la sculpture monumentale de l’Antiquité à la Renaissance, Paris, CTHS, 1993, p. 269-280.
2425
Saint-Savin. L’abbaye et ses peintures murales, Poitiers, 1999, p. 73-83.
2424
- 913 -
Évelyne PROUST signale également que sur les trente-sept chapiteaux témoins du
décor de l’abbatiale de Saint-Martial de Limoges, certains présentent des vestiges de peintures
en trompe l’œil. Des restes d’enduits préalables et de pigments demeurent sur certaines
pièces, souvent caractérisées par leur « lourdeur et l’imprécision du modelé ». La peinture
permettait ainsi peut-être de mieux cerner des contours imprécis et d’animer les corbeilles
massives2426. Évelyne PROUST constate que les corbeilles lisses du rond-point du
déambulatoire de Beaulieu (Dordogne) présentant une pénétration d’un volume conique et
pyramidal étaient également destinés à être peints, tels ceux très similaires de la cathédrale de
Cahors [Fig. 1035]. Cependant, à notre connaissance, aucune trace d’enduit ou de
pigmentation n’étaye son propos de façon tangible2427. De même, nous n’avons aucune trace
de peintures sur les chapiteaux nus des abbayes cisterciennes du diocèse de Limoges et cette
hypothèse est difficile à vérifier pour les édifices intéressant notre étude.
D’autres monastères cisterciens permettent néanmoins d’envisager cette théorie.
Thomas COOMANS, dans son étude de l’abbaye cistercienne de Villers-en-Brabant 2428, décrit
avec précision les chapiteaux taillés dans le fin calcaire mosan. Il évoque les chapiteaux lisses
ou à feuilles très stylisées de la Porte des Moines ou de la Porte des Convers qui rappellent les
feuillages observés au sein des monastères limousins. Il constate que les corbeilles de l’église
datées du début du XIIIème siècle reflètent une très grande simplicité. Certaines présentent
des feuillages témoignant d’une grande variété de formes et de décors stylisés. D’autres sont
entièrement lisses, rehaussés de couleurs et portent un décor végétal peint. Lorsque les
végétaux ne sont pas sculptés, ils apparaissent sous forme de peintures sur les corbeilles aux
volumes simples. Les badigeons sont de calcaire blanc. Les arêtes des feuilles représentées
sont soulignées de traits rouges. De même, quelques culots sont rehaussés de rouge cinabre.
Selon Marie-Thérèse CAMUS, la présence de certaines corbeilles nues pourrait
s’expliquer par un manque de temps, d’argent et d’artistes. Néanmoins, nous pouvons
constater que les chapiteaux nus sont présents à Obazine ou à Bonlieu, édifices bien dotés et
relativement opulents qui auraient sans doute eu les financements nécessaires à une équipe de
sculpteurs2429. Il s’agirait donc d’un choix esthétique délibéré plus que d’une nécessité
imposée par de faibles moyens financiers.
2426
É. PROUST, « Les chapiteaux de l’abbatiale : épaves d’un décor sculpté », dans C. ANDRAULT-SCHMITT
(dir.), Saint-Martial de Limoges…, op. cit., p. 241-279.
2427
É. PROUST, La sculpture romane en Bas-Limousin…, op. cit., p. 49.
2428
T. COOMANS, L’abbaye de Villers-en-Brabant…, op. cit., p. 158 et 240.
2429
M- T. CAMUS, op. cit., p. 245.
- 914 -
Helen ZAKIN fait état de cette volonté de construire à l’économie, dans un but
nettement utilitaire. Cette constatation s’applique également pour d’autres éléments de décors
tels les vitraux. En effet, les statuts des Chapitres Généraux témoignent de leur préférence
pour les grisailles. Or, ces vitraux sont de fait moins onéreux que ceux en couleur et
demandent moins de travail par leurs motifs simples et répétitifs. Ils entrent dans le cadre de
l’utilisation subtile de la lumière. Les cisterciens aspirent en effet à un environnement unifié,
simple et ordonné qui ne puisse les distraire de leur méditation 2430. Ce rejet de la couleur est
parfois justifié par une certaine « chromophobie » de saint Bernard de Clairvaux. Pour Michel
PASTOUREAU, la méfiance vis-à-vis de la couleur s’explique en particulier par
l’étymologie : couleur se rattache au latin celare, signifiant cacher. La couleur dissimule et
trompe. Ainsi, les couleurs trop vives sont bannies, tandis que des camaïeux, des déclinaisons
de nuances peu saturées sont parfois acceptés. Quant aux manuscrits enluminés de Cîteaux,
leur recours à la couleur peut s’expliquer par un ressenti différent de l’abbé Étienne Harding
qui ne semble pas éprouver le même rejet de la couleur2431.
Si certains choix artistiques semblent répondre à une volonté d’économie, comme la
mise en œuvre souvent médiocre de certains sites modestes du diocèse de Limoges (abbaye
des Pierres, Prébenoît, Coyroux), d’autres paraissent répondre à un réel choix esthétique
comme la forte présence de chapiteaux nus. Ceux-ci répondent aux goûts aniconiques des
premiers temps de l’ordre, des réseaux aristocratiques auxquels les moines blancs sont
étroitement liés et les rattachent à des réalités carolingiennes. Les rares décors admis sont bien
souvent les seuls feuillages, simplifiés et réduits à l’essentiel, les motifs géométriques des
vitraux incolores, témoins d’une production de série proche du stéréotype.
c. Acceptations timides de l’image et du décor :
Si du vivant de saint Bernard les principes d’austérité, de sobriété et de refus de
l’image semblent relativement bien respectés, des transgressions apparaissent assez
rapidement et peuvent être appréhendées grâce aux statuts des chapitres généraux faisant état
des réprimandes aux abbés fautifs. De plus, dans la seconde moitié du XIIème siècle,
l’expansion de l’ordre de Cîteaux se fait essentiellement par l’affiliation de communautés
préexistantes comme Savigny, Obazine ou Dalon qui tendent à conserver certaines
originalités, une autonomie particulière qui rend plus difficile leur contrôle, facilitant de fait
les entorses aux statuts. Il est aussi délicat de maintenir les préceptes hors de France, pour des
2430
2431
H. J. ZAKIN, French Cistercian Grisaille Glass, Garland, New-York/London, 1979, p. 145.
M. PASTOUREAU, « Les cisterciens et la couleur au XIIème siècle », CAHB, T 136, 1998, p. 21-30.
- 915 -
abbayes éloignées dont les représentants ne peuvent que rarement se rendre aux chapitres et
sont de fait régulièrement exemptés.
1. Entorses aux statuts :
Au XIIIème siècle, les abbayes limousines et marchoises connaissent une période
d’embellissements, contemporaine du passage à une économie en faire-valoir indirect. Les
sanctuaires se dotent de pavements (Prébenoît, Bonlieu), de vitraux (Bonlieu, Obazine) et
parfois de tombeaux luxueux (Obazine, Prébenoît). Les mutations économiques, de même que
la présence plus forte de la noblesse locale jouent vraisemblablement un rôle dans l’apparition
progressive de la figure, d’éléments de mobilier plus riche et de la transgression de certaines
règles d’austérité chères aux premiers temps de l’ordre.
Les abbayes cisterciennes du diocèse de Limoges et de ses marges ne dérogent ainsi
pas à cette évolution sensible dans d’autres sites cisterciens de France et d’Europe. Bien que
certains sites mal conservés ne nous permettent guère de connaître les sculptures, décors et
éléments de mobiliers mis en place (comme Aubepierres, Aubignac, Valette ou Derses),
certains exemples confirment ces tendances à la transgression des préceptes de saint Bernard
et des Chapitres Généraux. La figure apparaît en effet timidement dans certaines abbayes du
diocèse de Limoges. Ainsi, un chapiteau de l’abbaye de Prébenoît dispose de cinq têtes
humaines très schématiques, apparentées à des masques dont la bouche est réduite à une
simple fente [Fig. 1036]. Cette corbeille est déposée dans le musée lapidaire de l’abbaye et sa
provenance est inconnue. L’usage du calcaire privilégié au granite habituel étonne et pose la
question de sa réelle appartenance au monastère. Il n’est toutefois pas rare qu’un matériau
plus noble soit privilégié pour les éléments sculptés. À Dalon, le calcaire est requis de
préférence au grès rouge local et permet la création de corbeilles feuillagées, à boules et à
crochets d’une grande finesse. Il n’est pas impossible que les sculpteurs de Prébenoît aient
utilisé ponctuellement le calcaire. L’étude du dépôt lapidaire issu de la ruine de l’abbatiale et
du cloître n’a toutefois pas révélé d’autres éléments de calcaire2432.
À l’abbaye des Pierres, un modillon sculpté d’une petite tête humaine est déposé et
conservé sur la propriété à quelques mètres des vestiges du monastère [Fig. 1037]. Elle est
relativement bien détaillée malgré le recours à un granite se prêtant peu à une taille précise.
Les cheveux sont représentés par de fines ciselures tandis que les plis d’un drapé enveloppent
2432
I. PIGNOT, L’abbaye cistercienne de Prébenoît en Creuse. Étude lapidaire et architecturale, maîtrise
d’Histoire de l’art, Clermont II, dir. B. PHALIP, A. COURTILLÉ, 2 vols, 2004.
- 916 -
le personnage. Il s’agissait peut-être d’un élément soutenant la charpente du cloître comme
ces corbeaux nus retrouvés en élévation dans le mur sud de la nef.
L’abbaye de Varennes présente certains éléments figurés. L’étude récente des
peintures des voûtes de l’abbatiale a permis l’analyse précise des clés ayant révélé la présence
de visages humains schématiques [Fig. 1038]. Si la clé de la première travée représente une
simple croix tréflée sculptée, celle de la deuxième travée est ornée de visages et feuillages
entremêlés, finement taillés dans un beau calcaire jaune. Celle de la troisième travée est dotée
d’un visage humain schématique et souriant. Bien qu’invisibles depuis le sol, ces petits
visages témoignent néanmoins de l’adoption progressive et encore timide de la figure dans
certains monastères cisterciens2433.
À l’abbaye de Bonnaigue, un modillon présente la tête d’un personnage très joufflu, au
visage allongé, le nez long, les yeux et les sourcils nettement dessinés [Fig. 399]. Il apparaît
au niveau d’un décrochement correspondant à l’élargissement du choeur. Certains éléments
lapidaires vagabonds peuvent également révéler la présence de visages humains. Ainsi, des
fragments de l’ancien cloître médiéval sont conservés dans le domaine de Beauregard à Ussel
et remployés dans un pigeonnier. Est déposé, au-dessus d’une fontaine, un tronçon de pilier à
colonnes d’angle surmonté de quatre chapiteaux feuillagés. Entre les quatre corbeilles, de
petites têtes humaines sont sculptées, très bûchées et érodées [Fig. 1039].
À Boschaud, le croisillon nord du transept présente une corniche ornée de modillons
sculptés [Fig. 215]. Les thèmes sont soit feuillagés, soit figurés. Une tête grimaçante est
représentée, attestant de l’adoption progressive de la figure tridimensionnelle dans ces
monastères, bien que souvent reléguée dans des espaces marginaux (corniches, modillons).
Outre ces figures sculptées, certes discrètes, parfois peu visibles (clés de voûte de
Varennes), la présence de carreaux de pavement, de peintures et de vitraux colorés semble
être la faute la plus fréquemment réprimandée dans les chapitres généraux. En 1205, l’abbé de
Pontigny est même sanctionné pour avoir autorisé un pavement dans son église
« qui exhibe une certaine légèreté et qui, par son excès et
par son éclat, attire la curiosité des spectateurs, s’écarte
de la pauvreté qui est la nourrice du saint ordre
cistercien ».
2433
E. BRIDA, Indre, Fougerolles, abbaye de Varennes, étude des décors peints, octobre 2006, p. 6.
- 917 -
Si les carreaux de céramique à motifs non figuratifs et géométriques sont tolérés, les
excès de couleurs sont rejetés. Toutefois, malgré les interdictions et remontrances, les motifs
figurés, animaliers, les dessins héraldiques et figures humaines ne sont pas rares2434.
Les abbayes cisterciennes du diocèse de Limoges ne font pas exception et certaines se
dotent de pavements luxueux au XIIIème siècle. C’est le cas dans le chœur du monastère de
Prébenoît, en lien avec l’inhumation du seigneur donateur Roger de Brosse à l’extrême fin du
XIIIème siècle [Fig. 369 et 370]. Certains sont figurés. Il s’agit de panneaux de 0.40m de côté
représentant des animaux traités en mosaïque ; un cerf, une colombe sont figurés, évoquant
peut-être des scènes de chasse. Ces motifs, curieux dans un cadre cistercien austère et sobre
sont vraisemblablement à mettre en rapport avec un « mécénat » des seigneurs laïcs qui dotent
le modeste monastère et permettent ainsi l’introduction de la figure. Roger de Brosse, lors de
son testament, avait lui-même exigé son inhumation dans le chœur. Peut-être avait-il
également évoqué certains embellissements et décors liés à sa sépulture. Cette iconographie
propre témoigne de certains goûts artistiques de la noblesse, d’où les motifs en rapport avec la
chasse à cour2435.
Certains carreaux de terre cuite décorée de 17 par 17cm retrouvés à Bonlieu pourraient
être liés à la consécration de l’édifice en 1225. Patrice CONTE les date en effet entre le
XIIIème et le XIVème siècles [Fig. 166]. Toutefois, la présence d’une glaçure plombifère
ferait plutôt pencher pour une datation plus tardive, peut-être du XVIème siècle2436. La
comparaison avec d’autres sites permet d’étayer cette proposition. En effet, le site de l’hôpital
Notre-Dame de Seclin (Nord), a révélé des carreaux de terre cuite de petit module (10 par
10cm) également à glaçure plombifère unie monochrome ou bicolore vert et jaune datés du
XVIème siècle. Ce pavement est en effet attesté en 15332437. Ceux de Bonlieu s’illustrent de
figures humaines telles une sirène ou un personnage présentant un oiseau sur son bras. Il
s’agit là aussi probablement d’une scène de chasse apparemment très fréquente au sein des
abbayes cisterciennes2438.
Des carreaux de terre cuite ont également été découverts à Obazine lors de travaux des
XIXème et XXème siècles [Fig. 529]. La technique utilisée est celle du décor estampé obtenu
2434
C. NORTON, « Les carreaux de pavage de la Bourgogne médiévale », Archéologia, 1982, n°165, p. 35-45.
J. ROGER, P. LOY, L’abbaye cistercienne de Prébenoît…, op. cit., p. 45.
2436
Information donnée par Mme Pascale CHEVALIER, maître de conférence en histoire de l’art médiéval,
Clermont II.
2437
S. RÉVILLION, « L’architecture hospitalière en milieu rural dans le nord de la France du XIIIème au
XVIème siècles : l’exemple de l’hôpital Notre-Dame de Seclin (Nord) », dans F-O. TOUATI (dir.), Archéologie
et architecture hospitalières de l’Antiquité tardive à l’aube des temps modernes, Paris, 2004, p. 164.
2438
P. CONTE dans B. BARRIÈRE (dir.), Moines en Limousin…, op. cit., p. 77. Conservés à l’abbaye de
Bonlieu et au musée de la Sénatorerie de Guéret.
2435
- 918 -
par l’application d’une matrice portant un motif sur le carreau de terre crue. Elle est connue à
partir du milieu du XIIIème siècle jusqu’au XVème siècle. Ensuite est effectué le remplissage
par un engobe blanc. Puis le carreau est recouvert d’une glaçure de couleur jaune ou verdâtre.
On obtient ainsi des carreaux bicolores au décor contrasté sur fond orange, rouge ou brun. Les
figures géométriques (lignes brisées, entrelacs), les feuillages (fleur de lys, palmettes, feuilles
d’acanthes) déjà employés à Cîteaux (com. Saint-Nicolas-lès-Cîteaux, Côte-D’Or) ou à la
Bénissons-Dieu (com. La Bénisson-Dieu, Loire) sont très présents à Obazine, mais quelques
pièces présentent néanmoins un aigle et un cerf2439.
Un seul carreau a été découvert à Dalon dans la salle capitulaire. Il s’agit d’un élément
de terre cuite décorée de 8 par 6cm présentant un décor vert et brun sur fond d’émail blanc. Il
est orné de lignes obliques sinueuses. Il pourrait dater du XIIIème siècle.
De nombreux autres sites se dotent de pavements à motifs géométriques ou parfois
figurés, et il convient désormais de livrer un bref aperçu d’autres productions cisterciennes
françaises et européennes. Ainsi, il existe des carreaux de pavement à l’abbaye Notre-Dame
d’Élan en terre cuite vernissée rouge à motifs jaunes, datés des XIIIème-XIVème siècles2440.
À Eberbach en Allemagne, l’acceptation de l’image est sensible sur différents
supports. Les piles de la nef et du transept conservent des traces de motifs en « V » colorés. P.
REUTERSWÄRD pense que les vitraux et motifs des pavements développés ne sont pas
dépourvus de signification profonde, révélant un goût certain des moines blancs pour le décor,
malgré les réticences émises par Bernard de CLAIRVAUX. Selon lui, les fleurs de lys, très
fréquentes, peuvent être interprétées comme l’essence de Dieu. Sont souvent représentés des
motifs de croix de consécration, à la fois sur les vitraux et les pavements. Ce motif est
également connu à Bonlieu par exemple où deux croix de consécration sont peintes, datées du
premier tiers du XIIIème siècle en lien sans doute avec la consécration de 1232. Les branches
de la croix comportent chacune trois pointes tournées vers l’intérieur. Pour P.
REUTERSWÄRD, même les motifs les plus simples peuvent revêtir un sens profond, parfois
« emblèmes cosmiques ». Les arbres souvent représentés peuvent avoir une signification
christologique. Difficile alors de parler encore d’aniconisme durant le XIIIème siècle
cistercien2441.
2439
P. CONTE dans B. BARRIÈRE (dir.), op. cit., p. 76.
A. SARTELET, « L’abbaye cistercienne de Notre-Dame d’Élan », Archéologia, n°139, 1980, p. 62-65.
2441
P. REUTERSWARD, « An overlooked reserve in cistercian iconoclasm », dans S. MICHALSKI (dir.), L’Art
et les révolutions…, op. cit., p. 25-35.
2440
- 919 -
Quant aux vitraux, une ordonnance de 1150 prône l’usage de vitraux blancs, sans croix
ni peinture2442. Les quelques éléments découverts dans les abbayes cisterciennes limousines et
marchoises semblent correspondre aux goûts de saint Bernard. En effet, ceux découverts à
Bonlieu (un vitrail), à Obazine (quatre sont conservés) ainsi que les fragments retrouvés
durant les fouilles de l’abbaye de Prébenoît attestent du seul recours à la grisaille avec des
motifs géométriques d’entrelacs et de palmettes. Ils peuvent être datés de la fin du XIIème
siècle [Fig. 167 et 530]. Néanmoins, certaines abbayes acceptent dès le milieu du XIIIème
siècle des vitraux historiés pouvant apparaître en réponse à une commande de seigneurs laïcs.
C’est ainsi qu’un vitrail de l’abbaye de Royaumont (com. Asnières-sur-Oise, Val D’Oise)
fondée par saint Louis et sa mère Blanche de Castille dans le premier tiers du XIIIème siècle
représente ses deux fils enterrés là. Ces deux riches « mécènes » sont par ailleurs à l’origine
de la commande de la rose nord de la cathédrale de Chartres (vers 1230). Les abbayes
cisterciennes peuvent alors devenir – comme les cathédrales – des « laboratoires
d’expériences » des nouvelles formes décoratives gothiques. D’autres abbatiales adoptent des
vitraux figurés telles Lindena, Pforta (Allemagne), Heiligenkreuz (Autriche) et Haina
(Allemagne, Hesse, entre 1240 et la fin du XIIIème siècle). Ainsi à Heiligenkreuz dans la
dernière décennie du XIIIème siècle, se sont des saints et des prophètes qui sont représentés
sur les vitraux du cloître, édifié entre 1220 et 1250. Ils alternent avec certains vitraux en
grisaille proches de ceux d’Obazine, avec des tapis de palmettes et d’entrelacs inspirés des
manuscrits enluminés de l’ordre. À Wienhausen (Allemagne du Nord, abbaye de femmes), un
véritable programme iconographique se développe dans le cloître autour de la Passion du
Christ. Enfin, à Altenberg (Cologne) au XVIème siècle, quatre-vingt seize vitraux évoquent la
vie de saint Bernard et ses miracles après sa mort2443. Autant d’exemples illustrant bien
l’assouplissement de l’ordre vis-à-vis de la figure, qui d’une réticence austère évolue vers une
acceptation progressive tout au long du XIIIème siècle, bien que souvent réduite à la bidimension.
L’apparition de la peinture n’est de même pas rare dans certains sites cisterciens, et
même si les scènes historiées sont très anecdotiques, les motifs montrent un goût nouveau
pour le décor et l’ornement dès le début du XIIIème siècle, à l’encontre des premiers
préceptes cisterciens. Ainsi des décors de faux appareils sont relativement fréquents et se
retrouvent à Prébenoît (transept), Le Palais-Notre-Dame (chevet et piscines liturgiques) [Fig.
311], à Boschaud (absidiole nord et sacristie), au chevet du monastère de Bellaigue (com.
2442
« vitrae albae fiant, et sine crucibus et picturis » ; J- M. CANIVEZ, Statuta…, op. cit., T I.
J. HAYWARD, « Glazed Cloisters and their Development in the Houses of the Cistercian Order”, Gesta, vol.
XII, 1973, p. 93-109.
2443
- 920 -
Virlet, Puy-de-Dôme), à l’abbaye de Mègemont (com. Chassagne, Puy-de-Dôme) ou encore
dans celle plus éloignée de Villers-en-Brabant. L’abbaye de Bonlieu se dote également dans
la première moitié du XIIIème siècle de croix de consécration comme nous avons déjà eu
l’occasion de le signaler [Fig. 168]. Elles sont proches de créations templières ou hospitalières
de la même époque (Paulhac et la Croix-au-Bost, première moitié du XIIIème siècle). À
Paulhac en effet, les croix pattées sont cernées d’ocre rouge sur fond bleu foncé. Les
palmettes présentent des pointes tournées vers l’intérieur2444.
Certaines
monographies
permettent
d’appréhender
les
caractéristiques
de
l’implantation cistercienne hors de France et la réception des préceptes bernardins. Robert
STALLEY livre une analyse précise des monastères cisterciens irlandais et leurs rapports
spécifiques à l’image sculptée. Ainsi en Irlande, l’interdiction de construire des clochers en
pierre, édictée en 1157, est quasiment ignorée comme à l’abbatiale de Grey (1193) par
exemple. Ce statut est d’ailleurs particulièrement mal respecté par les bâtisseurs de l’ordre, en
France également, comme en témoigne le clocher de l’abbatiale cistercienne d’Obazine. En
Irlande, seule la filiation de Mellifont semble suivre la règle à la lettre, en tous cas dans un
premier temps. Après 1200, les entorses à la règle cistercienne se multiplient et les sanctions
promulguées par le chapitre annuel ne parviennent guère à rétablir l’austérité première. Les
figures humaines apparaissent de même que des animaux affrontés ou ces dragons issus de
l’imagination de sculpteurs s’exprimant tout particulièrement sur les piliers des cloîtres. Alors
que le cloître est le lieu de méditation du moine où rien ne doit le troubler, les supports et
chapiteaux se couvrent de figures de saints, de moines, de seigneurs, de bêtes, d’apôtres et
d’évangiles. C’est toute la vie quotidienne du moine qui envahit les espaces claustraux. Les
seigneurs laïcs sont eux aussi souvent représentés et peuvent être identifiés comme les
bienfaiteurs des abbayes. Ils devaient éprouver une certaine fierté à marquer ainsi de leur
empreinte le monument, démarche liée à leur conscience lignagère et une volonté certaine de
reconnaissance. Au XIIIème siècle apparaissent également des carreaux de pavement
couvrant les sols et des décors de faux appareils [Fig. 1040]2445. Ainsi, l’abbatiale de Mellifont
a livré un certain nombre de carreaux de pavements dont les motifs feuillagés alternent avec
de nombreuses représentations de lions, ailés ou non.
En France, les mêmes dérives apparaissent et un certain nombre d’exemples peuvent
aider à mieux cerner ce lent détachement de l’idéal originel cistercien de sobriété et de
2444
C. ANDRAULT-SCHMITT dans B. BARRIÈRE (dir.), Moines en Limousin..., op. cit., p. 60 ; C.
ANDRAULT-SCHMITT, Limousin gothique…, op. cit., p. 295-301.
2445
R. STALLEY, The cistercian monasteries of Ireland, Yale University Press, 1987, p. 141.
- 921 -
dépouillement décoratif. À l’abbatiale de Villelongue près de Carcassonne (com. SaintMartin-le-Viel, Aude), le voûtement d’ogives intervient dans la seconde moitié du XIIIème
siècle. Comme à l’abbatiale de Varennes, elles sont le prétexte à développer la sculpture. En
effet, la clé de voûte du chœur présente un agneau pascal. Le plus étrange et quelque peu
incongru dans un cadre cistercien tendant à l’aniconisme au XIIème siècle est la présence de
personnages grotesques sur chaque culot de la nef, qui pour Benoît CHAUVIN montrent « le
lent déclin de la spécificité cistercienne et la montée continue de l’art local dans les
constructions les plus récentes » [Fig. 1041].
Les culots de la nef se présentent ainsi comme des corbeilles d’où jaillissent des
personnages surmontés d’un tailloir pentagonal. Les joues sont rebondies, les lèvres charnues,
la chevelure abondante. À l’angle sud-ouest du bras sud, un diablotin sourit de toutes ses
dents taillées en pointes. Autant de figures qui ne correspondent pas à un idéal cistercien
d’austérité et de réticence à l’image tridimensionnelle. Dans le cloître, des masques sont
également présents sur un culot au niveau de l’arc sud-ouest de la galerie sud. Des oiseaux et
des têtes sont dissimulés dans les feuillages des chapiteaux des colonnettes géminées du murbahut. Une des curiosités de ce cloître est également la présence de visages entre corbeilles,
parfois avec des tiges de feuillages jaillissant de la bouche. Enfin, des modillons figurés
appartenant à l’église de Villelongue sont conservés au proche village de Saissac (maison
Leduc). S’exhibent ainsi des têtes bovines, des béliers, des têtes humaines aux bouches hilares
ou aux rictus moqueurs. Pour Villelongue, ces sculptures sont probablement à mettre en
relation avec des aspects financiers. Au début du XIIIème siècle, l’abbaye s’enrichit avec un
afflux de moyens financiers nouveaux à la suite de la croisade contre les Albigeois. Les
moines avaient-ils alors suffisamment de moyens pour faire appel à des sculpteurs ? Les
mutations économiques comme le passage au faire-valoir indirect, les activités commerciales
de plus en plus fréquentes, l’étroitesse croissante des liens avec l’aristocratie ont-ils facilité
ces changements artistiques ? La perte du système d’exploitation qui faisait l’originalité des
cisterciens a-t-elle eu des conséquences pour les productions artistiques ? Nous pourrions
imaginer que l’acceptation des dîmes, les activités commerciales aient permis à certains
monastères de s’enrichir et ainsi d’attirer sculpteurs et ouvriers qualifiés. La production de
surplus, de bénéfices aurait pu permettre de réinvestir dans un décor plus abondant que dans
les premiers temps de l’ordre, s’éloignant ainsi des principes originels de dépouillement2446.
2446
B. CHAUVIN, Pierres… pour l’abbaye de Villelongue, histoire et architecture, T II, Pupillin, Arbois, 1992,
p. 265.
- 922 -
L’abbatiale cistercienne de moniales des Olieux (com. Narbonne, Aude), témoigne
également de l’acceptation de la figure [Fig. 1042]. En effet, un des chapiteaux conservés aux
retombées des voûtes d’ogives de la nef présente un personnage en pied à l’angle de la
corbeille ainsi qu’une feuille au premier plan. Il s’agit d’un homme portant
vraisemblablement une robe de bure, sans doute un moine au visage schématique. À
Sénanque, une tête de démon est sculptée sur un corbeau de la galerie nord du cloître [Fig.
1043]. Il faisait face au père abbé assis dans la salle du chapitre. Cette figure grimaçante
plutôt inhabituelle est dotée de petites oreilles pointues, d’yeux globuleux, d’une bouche
ouverte sur des dents de scie.
L’abbaye de Noirlac en Berry (com. Saint-Amand-Montrond, Cher) non loin de
l’abbaye des Pierres révèle cette acceptation progressive mais timide de la figure [Fig. 1044].
En effet, si l’abbatiale et les bâtiments conventuels restent très sobres, le cloître présente
quelques éléments figurés. Un chapiteau de la galerie nord, situé à la retombée d’une arcature,
est orné d’un petit personnage aux mains jointes. Son visage est disproportionné par rapport
au corps. Sa tête massive est traitée comme un masque schématique aux yeux mi-clos. Il
pourrait s’agir d’un moine en prière. Dans cette même galerie, une autre tête humaine est
sculptée sur un méplat tenant lieu de chapiteau à la retombée des voûtes d’ogives. Il s’agit
d’un visage schématique à la bouche ouverte percée d’un orifice. Il représente un moine
tonsuré aux yeux grand ouverts. L’étude des chapiteaux des galeries nord et ouest a révélé de
petits visages cachés dans les crochets des chapiteaux feuillagés. Ces petites têtes
schématiques sont des moines tonsurés aux visages parfois grimaçants. Ces décors sont plutôt
inhabituels dans un cadre cistercien souvent réticent à l’image et montrent les
assouplissements progressifs de la règle, bien que ces visages soient schématiques et discrets.
Ces entorses à la Règle touchent particulièrement les fondations les plus récentes de la
première moitié du XIIIème siècle. Ainsi, l’abbaye royale de Royaumont fondée par les rois
capétiens, puissants et influents « mécènes », consacrée en 1236, choque par la richesse de la
décoration et des aménagements liturgiques, sévèrement condamnés au chapitre général de
1253. Il semblerait que les moines blancs tendent à investir progressivement dans les éléments
de mobilier, sans doute pour bonne part grâce aux fonds mis à leur disposition par les
fondateurs royaux. Le projet architectural de Royaumont est par ailleurs ambitieux avec son
chevet à déambulatoire et chapelles rayonnantes, les trois niveaux d’élévation évoquant les
choix artistiques d’une cathédrale française plus que d’une sobre abbatiale cistercienne des
premiers temps de l’ordre2447.
2447
P. PLAGNIEUX, « L’architecture cistercienne » dans L’Architecture religieuse médiévale…,op. cit.,p. 81-91.
- 923 -
Cette évolution vers moins de rigueur et d’austérité n’est pas propre à Cîteaux et
d’autres ordres à vocation érémitique voient également leur discipline se relâcher,
particulièrement concernant les productions artistiques et la place de l’image, se rapprochant
ainsi des modèles clunisiens pourtant décriés. Ainsi, dans la seconde moitié du XIIIème
siècle, des changements interviennent au prieuré limousin de l’Artige. Une alcôve est adjointe
dans le chœur pour accueillir le tombeau des fondateurs. Un pavage de carreaux décorés a été
retrouvé lors des fouilles archéologiques menées par Julien DENIS dans le chœur et les
chapelles latérales. Les carreaux de 13 par 13cm adoptent soit une couleur uniforme, soit
bicolore jaune et rouge. Certains sont incisés, bicolores estampés. Le thème floral est à
l’honneur avec des rosaces, des quatre-feuilles. Sont aussi représentés des croix pattées, deux
oiseaux adossés à un fleuron, un aigle bicéphale (chapelle nord). Ces décors de plus grande
qualité interviennent en parallèle aux évolutions des principes de l’ordre vers une moindre
austérité2448.
Ainsi, dès le XIIIème siècle, certaines interdictions de l’ordre de Cîteaux sont
bafouées et l’image pénètre peu à peu dans les cloîtres et dans les églises, sous forme de
pavements, parfois de vitraux, de chapiteaux ou de modillons. En parallèle, les mutations
économiques comme l’abandon du faire-valoir direct, l’acceptation des dîmes, l’insertion
dans les flux commerciaux permettent à certains sites d’engranger plus de revenus que les
abbés peuvent réinjecter dans les productions artistiques. Les pressions aristocratiques doivent
également jouer dans l’introduction de certains éléments de mobilier, ceux-ci choisissant de
plus en plus fréquemment les sites cisterciens comme lieu d’inhumation et nécropole
familiale. Le cas de Prébenoît est en cela exemplaire et l’inhumation de Roger de Brosse
s’accompagne de profonds embellissements (tombeau, pavement, mobilier). Ainsi, le XIIIème
siècle marque la fin de nombreuses « spécificités cisterciennes » comme le faire-valoir direct,
accompagné de la disparition progressive du corps des convers, et l’aniconisme cistercien est
également considérablement adouci. Insensiblement, les moines blancs se rapprochent peu à
peu du modèle clunisien pourtant tant décrié dans les premiers temps de l’ordre. Leur attitude
nouvelle, plus indulgente face à l’image, les conduit bien souvent à adopter des productions
artistiques similaires à celles de Cluny (pavements). Qu’en est-il alors réellement au XIIIème
siècle de la fameuse controverse entre Cluny et Cîteaux ?
2. Rapprochement Cluny/Cîteaux au XIIIème siècle :
2448
J. DENIS, op. cit., vol. II, p. 9-12.
- 924 -
Les rapports entre Cluny et Cîteaux sont souvent présentés par le biais de la
controverse les ayant opposés au XIIème siècle2449. Les textes de Bernard de CLAIRVAUX,
de Pierre le VÉNÉRABLE ou de SUGER ont permis d’étayer l’idée d’une opposition entre
des clunisiens profondément grégoriens et un Nouveau Monastère prônant l’austérité, le rejet
du monde laïc et des images trompeuses et superflues. Ces précieux documents permettent de
mieux cerner comment d’une même règle, celle de Saint Benoît, deux ordres apparemment si
différents au XIIème siècle ont pu émerger. Les productions artistiques semblent un reflet de
ces différences : chevet à déambulatoire et chapelles rayonnantes, chapiteaux historiés, vastes
programmes iconographiques pour les uns ; chevet simplifié, volumes unifiés et sculptures
discrètes pour les autres. Toutefois, l’étude de ces textes fondateurs du XIIème siècle ne doit
pas masquer les réalités de la vie en communauté, la gestion de l’économie au quotidien,
témoignant d’un rapprochement sensible des deux ordres dans le courant du XIIIème siècle.
Un siècle après la rédaction de l’Apologie, que reste-t-il concrètement des idéaux de saint
Bernard ? Il paraît nécessaire de revenir sur certains points de cette « controverse » et de la
nuancer par une étude succincte des institutions et des créations artistiques clunisiennes et
cisterciennes étroitement liées à leur paysage d’implantation, le saltus ou l’ager. Auparavant,
il convient de préciser la place des moines clunisiens dans le diocèse de Limoges intéressant
plus particulièrement notre étude.
•
Présence clunisienne dans le diocèse de Limoges :
Quelle est la présence clunisienne dans le diocèse de Limoges et existe-t-il des
interpénétrations entre productions cisterciennes et clunisiennes ?
L’étude de POECK fait état des difficultés de Cluny de s’implanter dans le diocèse de
Limoges et évoque pour cela le cas de l’abbaye de Saint-Martial. Concernant Vézelay, SaintMartial ou Saint-Bertin, elles semblent soumises à contre-cœur à Cluny, ne font partie de
l’ordre que de manière nominale sans être jamais réellement mêlées à l’existence de la
communauté des maisons clunisiennes. Dès 930, les moines de Saint-Martial tissent des liens
étroits avec Cluny. À la même époque, des émissaires clunisiens sont accueillis à Tulle. Dès
le temps d’Odon, Saint-Martial et Solignac concluent des pactes d’amitié avec Cluny.
Bernadette BARRIÈRE met en évidence une imprégnation de la spiritualité et de l’observance
clunisiennes pour les monastères limousins de 930 à 950. À partir de l’an Mil, Saint-Martial
2449
A. H. BREDERO, Cluny et Cîteaux au XIIème siècle. L’histoire d’une controverse monastique, Presses
Universitaires de Lille, 1985 ; Sous la règle de Saint Benoît, École Pratique des Hautes Études, Genève, Paris,
1982 ; É. GILSON, La théologie mystique de saint Bernard, Paris, 1947 ; Z. OLDENBURG, Saint Bernard,
« Le mémorial des Siècles », Paris, 1970.
- 925 -
revêt une dimension aquitaine, Aquitaine par ailleurs profondément romanisée et dont
l’aristocratie gallo-romaine s’est en partie perpétuée et dispose encore de vastes domaines
jusqu’au VIIIème siècle. Or, les relations entre Cluny et l’Aquitaine sont constantes depuis la
fondation par Guillaume d’Aquitaine. L’évêque, l’abbé de Saint-Martial et le vicomte de
Limoges sont dans la mouvance de Guillaume V le Grand, comte de Poitiers et duc
d’Aquitaine. Les ducs d’Aquitaine fondent leur politique religieuse sur Cluny, ce qui semble
particulièrement sensible au XIème siècle. En 1018, Saint-Jean-D’Angély est réunie à Cluny,
cédée par les ducs. En 1082, les moines clunisiens s’installent à Montierneuf de Poitiers. Les
moines noirs sont alors les principaux bénéficiaires des créations et donations. Pour Jean
GLÉNISSON, il ne reste au XIIème siècle pour les cisterciens des pays charentais que les
« marécages d’un Aunis aux rivages incertains » où s’implanteront tant bien que mal les
moines de la Grâce-Dieu, Saint-Léonard-des-Chaumes, Notre-Dame de Ré, Notre-Dame de
Charron et la Frénade. Ni Grandmont, ni Fontevrault n’y essaimeront2450.
En 1031 est reconnue l’Apostolicité de saint Martial. Saint-Martial devient clunisienne
en 1063 suite aux pressions exercées par Cluny sur le vicomte de Limoges. L’abbé Pierre
Escauser tente de convaincre les vicomtes de Limoges des bienfaits de l’affiliation après la
mort de l’abbé Mainard en 1062. Pour Bernard ITIER, adoptant une attitude fortement
réprobatrice envers les moines noirs au début du XIIIème siècle, les clunisiens auraient pris
l’abbaye de force. Geoffroy de VIGEOIS, moine de 1178 à 1184 se montre par ailleurs plus
positif. C’est le vicomte de Limoges qui remet Saint-Martial à l’abbaye de Cluny, à l’abbé
Hugues et ses successeurs, sans toutefois justifier de ses droits. Les moines de Cluny vont
d’ailleurs parfaitement se servir de ses prétentions sur Saint-Martial pour le pousser à leur
léguer l’abbaye. Face aux réticences des moines de Saint-Martial, désireux de maintenir et de
préserver leur autonomie, le légat papal Pierre Damiani doit intervenir et obliger les moines à
accepter l’ordre clunisien sous peine d’excommunication. Saint-Martial conservera
néanmoins une certaine autonomie dans l’ordre clunisien2451. Elle deviendra cependant un
pôle de diffusion de l’influence clunisienne en Limousin. L’abbaye d’Uzerche va également
passer dans l’observance clunisienne, de même que Vigeois réformée en 1082 par SaintMartial. L’abbaye est alors reconstruite entre 1096 et 1124 selon les chartes du monastère
mentionnant des donations ad opus monasterii. En 1096, Guillaume, moine clunisien de
Saint-Martial monte sur le siège épiscopal. Adémar, abbé de 1063 à 1114 obtient du Pape que
l’élection épiscopale de Limoges se fasse sous la présidence et avec la voix prépondérante de
2450
2451
J. GLÉNISSON, « Le Moyen-Âge » dans J-N. LUC (dir.), La Charente-Maritime…, op. cit., p. 104-186.
D. W. POECK, Cluniacensis Ecclesia…, op. cit., p. 117.
- 926 -
l’abbé de Saint-Martial. La victoire d’Adémar et de Cluny semble complète sur les usages
ecclésiastiques locaux2452. Ce n’est qu’au milieu du XIIIème siècle que Saint-Martial
retrouvera une réelle indépendance vis-à-vis de Cluny.
L’étude de Denise GABORIT-CHOPIN sur les manuscrits de Saint-Martial est
édifiante afin de cerner les rapports artistiques avec Cluny. En effet, le scriptorium de
l’abbaye limousine va se rapprocher de celui de Cluny suite au rattachement en 1062. Les
manuscrits de Cluny témoignent de l’utilisation d’une gouache épaisse avec des rehauts d’or
et d’argent. À Limoges avant l’affiliation, les dessins étaient rehaussés d’encre rouge ou de
peintures légères. Après 1062, l’abbatiale Saint-Martial s’enrichit et prospère, influençant
indéniablement l’évolution de l’enluminure. Les manuscrits chers sont favorisés. L’abbé
clunisien Adémar fait dès lors travailler à Limoges des enlumineurs de l’abbaye-mère. Des
relations avec la Bourgogne se manifestent par l’usage de lettrines à encre rouge. Les
enlumineurs limousins retiennent l’emploi de l’or et de l’argent, les couleurs des gouaches
sont à dominantes de rose, mauve et bleu comme en témoigne l’iconographie de peintures en
pleine page2453.
L’abbaye de Beaulieu (Corrèze) est fondée au milieu du XIème siècle par les moines
de Solignac. Elle est donnée à Cluny en 1076, ce qui peut justifier la place importante
accordée à la sculpture (porche occidental, Fig. 1045). C’est l’abbé laïc Hugues de Castelnau
qui en fait don à Cluny. S’amorce dès lors une période de stabilité marquée par la
reconstruction de l’église. Le chantier progresse vraisemblablement d’est en ouest à partir de
la première décennie du XIIème siècle2454. L’abbaye est dotée d’un chevet à déambulatoire et
chapelles rayonnantes. La nef est flanquée de collatéraux plus larges qu’à Saint-Junien, le
Dorat, la Souterraine ou Uzerche. Ils atteignent la moitié de la largeur de la nef. Le porche
occidental en particulier multiplie les reliefs et les figures. Les programmes sculptés entrent
parfaitement dans le cadre de la réforme grégorienne soutenue par Cluny et tendant à
l’éducation des fidèles par l’image. Les chapiteaux de la nef présentent des lions crachant des
feuillages, des hommes attaqués par des monstres, des Atlantes, tout un panel de formes et de
figures rejetées quasi systématiquement dans un cadre cistercien. Les motifs végétaux sont
néanmoins majoritaires et les corbeilles s’ornent de palmettes et d’acanthes. Toutefois, nous
pouvons également constater la présence de corbeilles lisses dont le volume conique pénétrant
un volume pyramidal évoque certaines productions cisterciennes [Fig. 1035]. Ces chapiteaux
2452
B. BARRIÈRE, « L’abbaye Saint-Martial de Limoges au Moyen-Âge », dans Les Limousins en quête de leur
passé, Limoges, L. Souny, 1986, p. 25-38.
2453
D. GABORIT-CHOPIN, La décoration des manuscrits à Saint-Martial de Limoges…, op. cit., p. 111.
2454
É. PROUST, op. cit., p. 226.
- 927 -
« géométriques » sont de même fréquents dans l’archiprêtré de Mauriac. La présence de
linteaux en bâtière en remplois dans certains parements va dans le sens de cette volonté de
rapprochement d’un cadre antique et carolingien. En effet, les linteaux en bâtière font
référence à une tradition antique visiblement en lien avec la tranche pentagonale des
couvercles de sarcophages antiques et paléochrétiens. Ces linteaux sont repris dans un cadre
carolingien et ottonien (Germigny-des-Prés, Corvey, Saint-Riquier, Jumièges, Aix-LaChapelle, Saint-Michel-de-Hildesheim)2455.
La croisée du transept de l’abbatiale de Beaulieu est couverte d’une coupole sur
pendentifs surmontée d’un clocher [Fig. 1046]. Celui-ci dispose d’un premier étage
quadrangulaire puis d’une section octogonale percée de baies en plein-cintre. Un système
tournant de gradins assure la transition entre les deux plans. La ressemblance avec le clocher
d’Obazine, certes remanié au XIXème siècle, est troublante [Fig. 1047]. Ce dernier est surtout
connu pour son passage du plan carré au plan octogonal par un système de gradins de pierre,
système également tenté à Beaulieu et Saint-Léonard de Noblat, mais sans réel succès 2456. La
galerie du cloître conservée, datée du début du XIIIème siècle, présente des bases au tore
inférieur avachi tandis que les chapiteaux sont ornés de feuillages schématiques proches des
créations cisterciennes contemporaines. La salle capitulaire est aussi ornée de chapiteaux nus
[Fig. 1048]. Les piliers disposent d’un noyau central orné de motifs géométriques qui n’est
pas sans rappeler les piliers du cloître d’Obazine, certains élements provenant des galeries de
cloître du Chalard (années 1200) ou encore un pilier-porche de Paray-Le-Monial [Fig.
1049]2457. Des interpénétrations sont ainsi possibles entre les deux ordres religieux et la
proximité d’Obazine et de Beaulieu a sans doute pu faciliter des échanges.
L’abbaye d’Uzerche est érigée en monastère en 977, dédiée à saint Pierre. En 1068, la
discipline clunisienne est instaurée par Adémar, abbé de Saint-Martial. L’autel majeur est
consacré par Gui, évêque de Limoges de 1073 à 1086. Elle présente un chevet à
déambulatoire et cinq chapelles rayonnantes, associé à une nef à bas-côtés [Fig. 1050]. Les
chapelles adoptent un système de baies en plein-cintre surmontées d’un oculus assez similaire
aux percements du chevet pentagonal de l’abbaye cistercienne de Bonlieu. Cette formulation
est connue dès la fin du XIème siècle en Poitou et en Saintonge mais aussi à Saint-Sernin de
Toulouse. À Uzerche, le chœur est consacré en 1097. Cette datation de la fin du XIème siècle
correspond au profil des bases observées dans le chœur. Quant aux voûtes à pénétration du
2455
B. PHALIP, Des terres médiévales en friche…, op. cit., volume I (synthèse), p. 55 ; W. FOLKESTAD, J.
NILSSON, « Les linteaux en batière romans d’Auvergne. Recherche sur la typologie et les origines », CCM,
28ème année, n°3, 1995, p. 227-238.
2456
B. BARRIÈRE, Aubazine en Bas-Limousin…, op. cit., p. 12.
2457
X. LHERMITE, « Le prieuré du Chalard. Étude architecturale », BSAHL, T 131, 2003, p. 37-71.
- 928 -
déambulatoire, elles relèvent vraisemblablement du début du XIIème siècle. À la fin du
XIIème siècle, les moines de Bonlieu reprennent ainsi des formules déjà éprouvées dans
certains sites clunisiens. Des interpénétrations entre deux ordres souvent jugés artistiquement
opposés ne sont ainsi pas impossibles 2458. L’austérité du décor n’est pas sans rappeler
certaines formules cisterciennes. La nef, le bras nord du transept, les chapelles rayonnantes
sont dépourvues de sculptures. Les autres espaces acceptent des chapiteaux feuillagés aux
feuilles simples ou palmettes. Décors cisterciens et clunisiens se rejoignent ainsi parfois.
Quant à Vigeois, il s’agit d’un des plus anciens monastères limousins, fondé par saint
Yrieix au VIème siècle. Il est donné à Saint-Martial de Limoges en 1082. L’abbé de Vigeois
est alors toujours choisi par celui de Saint-Martial parmi les moines de son abbaye. Une
reconstruction est amorcée qui s’étend jusque dans le premier tiers du XIIème siècle. Le
monastère n’adopte pas le plan à déambulatoire selon cette « tradition maintenue »
carolingienne déjà évoquée précédemment. Le chevet très large rappelle celui de Solignac
(13m). Il dispose de trois chapelles rayonnantes directement ouvertes sur le rond-point du
chœur. Ce type de chevet sans déambulatoire connaît des prolongements dans certains
édifices de l’ouest de la France où le chœur à chapelles rayonnantes fait l’économie du
déambulatoire. C’est le cas à Arnac, Solignac, Cahors et Souillac. Selon Marcel DURLIAT,
les absides de Vigeois et de Souillac seraient postérieures à celles de Cahors (achevée
vraisemblablement vers 1119). Au Vigeois, la nef unique rappelle les formules chères aux
ordres à vocation érémitique. Les chapiteaux sont tour à tour feuillagés ou historiés, les
modillons adoptent des têtes grimaçantes tandis que le portail nord, polylobé, est encadré de
niches contenant des figures de saints mutilés. Les thèmes abordés sont riches comme souvent
dans les monastères clunisiens et témoignent d’un goût certain pour la glorification et les
mandorles. La mise en scène de ces représentations est simplifiée à l’extrême : seuls les
éléments jugés indispensables à la compréhension sont sculptés. Les personnages se détachent
sur un fond nu, les détails inutiles sont systématiquement éliminés. Les scènes de la Tentation
au Désert jouent un rôle privilégié, placées dans l’axe de l’église, juste derrière l’autel. La
résistance du Christ à la Tentation est une invitation à repousser les séductions du Diable. Le
Christ acquiert ainsi un rôle d’exemple pour les moines et leur donne une possibilité de
l’imiter2459.
Même si les fondations ou affiliations clunisiennes adoptent le plus souvent de vastes
programmes iconographiques sculptés, peuplés de scènes bibliques, de monstres ou d’un
2458
É. PROUST, La sculpture romane en Bas-Limousin…, op. cit. p. 327-334.
É. PROUST, op. cit., p. 114-116, p. 335-344 ; J. MAURY, M. M. GAUTHIER, J. PORCHER, Limousin
roman, Zodiaque, « La Nuit des temps », 1960, p. 37.
2459
- 929 -
bestiaire exubérant, les corbeilles lisses, les feuillages sobres ne sont pas exclus et rappellent
certaines corbeilles cisterciennes. Ceux-ci privilégient les feuillages sobres, de plus en plus
simples et schématiques selon les goûts d’une première sculpture gothique. Les nefs
clunisiennes semblent souvent vouées au saltus et s’ornent de feuillages parfois proches des
réalisations cisterciennes ou plus directement issus de l’acanthe corinthienne. Par ailleurs, les
chœurs sont magnifiés, dévolus à l’ager et optent pour des décors savants réservés aux seuls
lettrés. Les abbatiales cisterciennes sont quant à elles entièrement réservées au saltus, sans
distinction entre dévotion savante et populaire puisqu’elles ne revêtent pas de fonction
d’accueil. Ces différences entre les deux ordres tiennent à diverses interprétations de la Règle
de saint Benoît ainsi qu’à deux systèmes économiques divergents, deux modes d’exploitation
des terres et de gestion des ressources. Toutefois, ces différences tendent à s’estomper dans le
courant du XIIIème siècle et des rapprochements entre les deux ordres permettent de nuancer
quelque peu la controverse.
•
Modèles économiques et institutions :
Les différences paraissent néanmoins multiples lors de la naissance de l’ordre
cistercien refusant les dîmes, l’accueil des enfants (admis et protégés chez les moines noirs en
tant qu’oblats) et une économie en faire-valoir indirect. À Cluny, la prolixité de la prière
vocale correspond à une participation à la mission d’intercesseurs dont les moines se sentent
socialement investis. À Cîteaux, le labeur a autant de place et de valeur que la prière2460. Le
traitement des conversions laïques est contrasté. Les cisterciens insistent sur le nécessaire
passage de la superbia à l’humilitas. Les fastes de Cluny sont ainsi considérés comme une
imposture.
Les
deux pôles laïque et ecclésiastique constitutifs de l’aristocratie
s’interpénètrent2461.
Les clunisiens tendent à choisir des vallées comme lieu d’implantation pour leurs
monastères, près d’axes de circulation. Dans le diocèse de Clermont, ils optent prioritairement
– et ce dès l’an Mil – pour les Limagnes à l’est du diocèse, tandis que l’ouest et ses
montagnes est difficilement pénétré, difficultés confirmées jusqu’au début du XIIème siècle.
L’Allier semble constituer une barrière de l’expansion clunisienne. Les meilleures qualités du
sol entrent en considération dans le choix des sites d’implantation2462. Tandis que Cluny
investit prioritairement l’ager, il ne resterait plus à Cîteaux que les zones de saltus laissées
2460
Sur la place du travail, voir III. D. P. BAUD, A. GUINVARC’H, M-E. HENNEAU, T. N. KINDER, La vie
cistercienne. Hier et aujourd’hui, Cerf, Zodiaque, 1998, p. 45.
2461
D. IOGNA-PRAT, « La place idéale du laïc à Cluny (vers 930-1150). D’une morale statutaire à une éthique
absolue ? », dans M. LAUWERS (dir.), Guerriers et moines…, op. cit., p. 291-316.
2462
A. MAQUET, Cluny en Auvergne, 910-1156, thèse, Paris I, dir. Michel PARISSE, vol. I, p. 94.
- 930 -
libres d’implantation. Les clunisiens optent généralement pour les lieux privilégiés de
l’occupation humaine, tandis que les moines blancs tendent parfois à s’en éloigner, même si
les voies de communication ne sont jamais très loin. Les prieurés clunisiens sont parfois
attirés par les pôles de commandement que sont les châteaux. Ainsi, Philippe RACINET
donne l’exemple du prieuré de Beaumont qui s’installe à l’intérieur de l’enceinte castrale de
Montlhéry2463.
Kristina KRÜGER met en évidence quelques différences fondamentales entre les deux
ordres et certaines de leurs conséquences pour l’architecture : « Les cisterciens, qui observent
attentivement les difficultés des clunisiens, adoptent une solution radicalement différente. Ils
réduisent fortement le nombre des anniversaires à célébrer en limitant les entrées dans les
nécrologes aux seuls abbés. Ils remplacent également le trentain, auquel a droit un défunt
clunisien, par une obligation fixe pour chaque moine-prêtre de chanter trois messes des morts
pour un confrère nouvellement décédé et vingt messes annuelles pour les défunts de l’ordre.
Ces célébrations se déroulent à l’est de l’église et chaque prêtre est assigné à un autel
particulier. Sur le plan architectural les conséquences de ce changement sont manifestes.
Aucune église cistercienne n’est précédée d’une avant-nef à deux niveaux de type
bourguignon et les porches accolés aux façades occidentales des églises cisterciennes ne
comprennent plus de chapelle à l’étage »2464.
Toutefois, la position des cisterciens envers les moines noirs n’est pas toujours aussi
tranchée et radicale qu’il n’y paraît. Ainsi, Conrad d’EBERBACH écrit dans le Grand Exorde
de Cîteaux à propos de la réforme clunisienne :
« Nous voyons en effet que le bienheureux Odon, chef
éminent du très noble monastère de Cluny, parvient à une
si haute sainteté qu’il restaura l’Ordre monastique qui, à
son époque, courait à sa ruine, et selon la grâce qu’il
avait reçue de Dieu, il lui rendit toute la sainte vigueur de
l’ancienne religion »2465.
Dès le début du XIIIème siècle, les monastères cisterciens perdent une partie de leur
originalité en renonçant à une exploitation en faire-valoir direct. Leur participation aux
2463
P. RACINET, « L’espace clunisien en Ile-de-France », dans L’Ile-de-France médiévale, T II, Paris, 2001, p.
18-23.
2464
K. KRÜGER, « Tournus et la fonction des galilées en Bourgogne », dans C. SAPIN (dir.), Avant-nefs et
espaces d’accueil dans l’église entre le IVème et le XIIème siècle, CTHS, Paris, 2002, p. 414-423.
2465
Conrad D’EBERBACH, Le Grand Exorde de Cîteaux…, op. cit., I-6, 1-3.
- 931 -
marchés locaux, aux flux de commerce et d’échange, l’acceptation des dîmes, leurs
compromissions de plus en plus fréquentes dans les affaires du siècle, le rapprochement avec
une aristocratie laïque choisissant les sites cisterciens comme nécropole les conduit peu à peu
à un modèle clunisien pourtant décrié du vivant de saint Bernard. En effet, comme à Cluny,
les inhumations laïques se multiplient dans les sanctuaires. Les moines y trouvent ainsi peutêtre un moyen de promouvoir leurs églises. Les récits de moniage2466 sont de plus en plus
fréquents, valorisant la conversion tardive de chevaliers à l’état monastique. C’est le cas aussi
bien à Cluny qu’à Cîteaux comme en témoignent certains passages de la Vie de saint Étienne
d’Obazine, telle la conversion de Bégon d’Escorailles2467.
En outre, certaines novations cisterciennes sont adoptées à Cluny. Ainsi, le IVème
concile de Latran crée un chapitre général pour les moines noirs à l’image de celui des
cisterciens (1215)2468. Cluny tend aussi à se rapprocher de certaines institutions cisterciennes
ayant fait leurs preuves. Dès le milieu du XIIème, des efforts sont faits pour redresser
l’économie et certains dysfonctionnements clunisiens, auxquels les pamphlets de Bernard de
CLAIRVAUX ne sont peut-être pas étrangers. Sous l’abbatiat de Pierre le VÉNÉRABLE,
certaines mesures sont prises visant à un retour à plus d’ascèse. Il prône la restauration de
l’austérité et de l’autosuffisance, réorganise les doyennés et renforce le pouvoir des cellériers
et des régisseurs laïcs2469. De nouveaux statuts édictés en 1146-1147 témoignent d’un souci
d’économie et de réaménagements liturgiques. Il réforme certaines coutumes trop laxistes et
va même jusqu’à réduire la variété et la qualité des plats. Certaines différences entre Cluny et
Cîteaux tendent ainsi à s’estomper, quelques institutions vont se rapprocher. Saint Bernard
lui-même appréciera cet effort de retour à la Règle Bénédictine. Pierre prétend ainsi défendre
la légitimité de l’idéal de son ordre, l’orthodoxie clunisienne face aux prétentions de
Cîteaux2470. La baisse des revenus des monastères clunisiens, la diminution des revenus
paroissiaux due à des conflits avec les évêques, les dîmes impayées poussent les abbés à
mener des transformations économiques pour résorber cette crise intérieure. La nouvelle
génération de donateurs semble en effet moins disposée à s’acquitter d’une obligation
imposée par un bail à terme indéfini. De plus, Cluny ayant bénéficié de nombreux dons jusque
dans la première moitié du XIIème siècle a engagé d’importantes dépenses pour la
2466
Le moniage est la conversion tardive d’un laïc à l’état monastique.
C. de MIRAMON, « La guerre des récits : autour des moniages du XIIème siècles », dans M. LAUWERS
(dir.), Guerriers et moines…, op. cit., p. 589-636.
2468
J. AVRIL, Le gouvernement des évêques…, op. cit., p. 786.
2469
D. VINGTAIN, L’abbaye de Cluny, CNRS, Paris, 1998, p. 78.
2470
J. P. TORRELL, D. BOUTHILLIER, Pierre le Vénérable…, op. cit., p. 164 ; A. BREDERO, op. cit, p. 187.
2467
- 932 -
construction de Cluny III fondée par Hugues de Semur et poursuivie par Pierre le Vénérable.
Des réformes sont ainsi nécessaires pour redresser l’économie clunisienne.
•
Quête d’un passé commun. Formules artistiques romaines et
carolingiennes :
Outre ces considérations rapides sur des rapprochements d’ordre économique et
institutionnel, Cluny et Cîteaux semblent par ailleurs animés par une même recherche de
formules artistiques tendant à une certaine « universalité », de formes « généralisées »
pouvant les rattacher à l’Église de Rome, les inscrire dans une tradition monastique savante
connue et respectée de tous, légitime. L’exemption de Cluny et de Cîteaux les soustrait
d’ailleurs à la juridiction épiscopale et les soumet directement au Pape. Les liens avec l’Église
de Rome sont donc étroits.
Certaines références artistiques à un passé religieux commun semblent ainsi
rapprocher moines noirs et moines blancs plutôt que de les différencier. Ils puisent parfois
dans un même répertoire de motifs, souvent carolingiens, d’où des ressemblances sensibles,
concernant par exemple les carreaux de pavements et vitraux. Ainsi, Dominique IOGNAPRAT insiste particulièrement sur le fort mimétisme romain exprimé par des clunisiens
réellement soucieux de s’identifier à l’Église latine, préoccupation aussi sensible à Cîteaux 2471.
Ainsi à Cluny, les cinq vaisseaux de la nef rappellent l’existence de liens privilégiés entre
l’abbaye et la Papauté [Fig. 1051]. La référence à la nef de la basilique paléochrétienne de
Saint-Pierre de Rome est indéniable, cette dernière comportant le même nombre de vaisseaux.
De même concernant l’emploi des ordres superposés et des pilastres cannelés, l’usage du
grand appareil pour certaines parties de la construction, les emprunts à la modénature et
décors architecturaux romains (bases attiques, frises d’oves et de rais-de-cœur, rosaces
d’acanthes et prédominance des chapiteaux dérivés du corinthien) [Fig. 1052]2472.
Arlette MAQUET précise à propos de l’abbatiale clunisienne de Souvigny dans
l’Allier que la romanité est évoquée par un certain nombre de citations architecturales et
sculptées comme le système de plaques et enduits peints largement inspirés de l’Antiquité
tardive. Ceci relève du même processus que la réutilisation de sarcophages antiques. Pour
l’abbaye clunisienne de Mozac, de nombreux remplois antiques sont à remarquer, procédé
fréquent dans l’ancien diocèse de Clermont et correspondant également aux habitudes
clunisiennes. En effet, le caractère antique de ces blocs antiques pourrait être un élément de
2471
2472
D. IOGNA-PRAT, « La place idéale du laïc à Cluny (vers 930-1150)…, op. cit., p. 291-316.
É. VERGNOLLE, L’art roman en France, Paris, 1994, p. 213.
- 933 -
« légitimation » du pouvoir. Pour Laura FOULQUIER, ces « reliques architecturales » sont
conservées avec un dessein de vénération. Elle cite l’exemple du portail sud de Saint-Martin
d’Artonne (Puy-de-Dôme) remployant deux colonnes cannelées couronnées de chapiteaux
feuillagés antiques, célébrant « l’ancienneté et le prestige des édifices »2473.
Les remplois antiques, le goût pour un système décoratif caractéristique des premiers
temps chrétiens est ainsi tangible et témoigne d’une volonté forte de s’inscrire dans une
tradition artistique de l’Église de Rome. Les clunisiens intègrent parfaitement l’attachement à
l’Antiquité, à la romanité, au culte des saints, pratiques ferventes dans certaines régions
d’implantation (Auvergne, sud de la France). L’antiquité des pierres remployées confère au
monastère une plus grande valeur symbolique et constitue une forme de « légitimation des
prétentions »2474.
Helen ZAKIN met en évidence certains motifs communs aux ordres clunisiens et
cisterciens, souvent issus d’un passé carolingien. Les cercles entrelacés représentés sur les
vitraux sont issus d’un répertoire carolingien connu à Saint-Rémi de Reims et Saint-Maur-deGlanfeuil. Elle insiste sur la correspondance avec des motifs d’abbayes clunisiennes de
Bourgogne comme Paray-Le-Monial, permettant de nuancer l’idée d’une controverse, adoucie
sensiblement au XIIIème siècle. Les moines blancs témoignent en effet de moindres
réticences aux décors et optent pour un répertoire de motifs commun aux moines noirs,
souvent carolingiens. Les motifs des pavements sont plus aisés à étudier car mieux conservés
d’une manière générale que les vitraux, eux aussi règlementés par les Chapitres Généraux 2475.
Le recours aux carreaux de pavement dans les édifices clunisiens évoque également les
mosaïques antiques et se placent dans une certaine continuité avec une tradition décorative
ancienne. À Paray-Le-Monial en particulier, un pavement daté du XIIIème siècle se compose
de carreaux de terre cuite jaune et noir glaçurés qui couvrent la nef et le transept. Ils évoquent
la mosaïque en opus sectile de Saint-Benoît-sur-Loire. Le pavement de carreaux glaçurés
découvert dans le choeur de l’abbaye cistercienne de Prébenoît n’est guère différent et relève
d’un même héritage artistique [Fig. 369]2476.
Outre les pavements et les vitraux – déjà longuement évoqués précédemment –
d’autres décors et procédés architecturaux témoignent d’inspirations communes à Cluny et
2473
L. FOULQUIER, « Bonae memoriae : des remplois comme reliques dans l’espace ecclésial », dans UMR
5138, « Morphogénèse de l’espace ecclésial », dir. A. BAUD, Maison de l’Orient Méditerranéen, Lyon II, à
paraître.
2474
A. MAQUET, Cluny en Auvergne, 910-1156, thèse, dir. Michel PARISSE, Paris I, vol. II, p. 373, 491 et
581 ; A. MAQUET, « Tertia d’Austremoine, les remplois et Cluny », dans UMR 5138, « Morphogénèse de
l’espace ecclésial », dir. A. BAUD, Maison de l’Orient Méditerranéen, Lyon II, à paraître.
2475
H. ZAKIN, op. cit., p. 101 ; 120.
2476
J. ROGER dans B. BARRIÈRE (dir.), op. cit., p. 78.
- 934 -
Cîteaux, en lien avec des réalités antiques, paléochrétiennes ou carolingiennes. Ainsi, la
disposition d’arcatures aveugles au niveau du transept de Cluny est relativement fréquente et
nous pouvons l’observer à Autun, Beaune ou Langres2477. Ainsi, l’église Saint-Lazare d’Autun
présente une élévation dérivée de modèles antiques avec une superposition d’arcades en pleincintre évoquant sans aucun doute la proche porte antique d’Aroux. Quant au portail sculpté
présentant le Christ en majesté, il fait également référence aux proches vestiges antiques : le
Christ est assis sur une architecture évoquant sans équivoque des arènes. Outre ces copies
directes, des blocs antiques peuvent également être réinsérés dans la construction. C’est le cas
en soubassement à Autun. Ces éléments ne sont ainsi pas mis en scène et ne sont pas exposés
de manière ostensible. Cette politique de remplois est par ailleurs absente dans les abbayes
cisterciennes du diocèse de Limoges, peut-être du fait même de leur implantation au saltus,
loin des anciens grands centres antiques.
À Paray-Le-Monial, une élévation « antiquisante » est mise en œuvre avec une
superposition des ordres dorique, ionique et corinthien au niveau des grandes arcades, tel au
Colisée de Rome. Le déambulatoire présente des pilastres cannelés à l’entrée des absides. Des
décors d’arcs à damiers ouvrent sur les chapelles. Ces références multiples à l’Antique
témoignent bien de cette volonté de se rattacher à l’Église de Rome.
À Souvigny, la dernière travée du collatéral avant le transept ne dispose pas de
colonnes engagées sur une pile cruciforme comme dans l’ensemble de la nef mais de pilastres
cannelés qui font directement référence à l’Antique [Fig. 1053]. Ils sont datés du troisième
quart du XIIème siècle. Ils sont surmontés de chapiteaux à entrelacs feuillagés et de treillages.
Les chapiteaux corinthiens ornent la première travée de la nef. Les pilastres cannelés sont
ainsi relativement fréquents dans un cadre clunisien, rappelant certaines formules antiques. Ils
sont présents à la cathédrale de Langres, édifiée entre 1160-1180 pour la première campagne
(chœur) et 1180-1240 (nef et transept) [Fig. 990]. Wilhelm SCHLINK insiste sur la forte
présence de ces pilastres en Bourgogne, Champagne et Provence, témoignant d’un goût
fervent pour l’Antiquité2478.
La référence aux édifices carolingiens monumentaux est également omniprésente et
constitue un second repère, un second modèle, d’autres formulations à reproduire dans cette
volonté de tendre à une certaine « universalité ». Nous pouvons constater à maintes reprises
les permanences de certaines formules carolingiennes dans l’ancien diocèse de Clermont,
particulièrement en Val d’Allier. Un certain nombre de continuités apparaissent tel l’usage du
2477
2478
A. BAUD, N. REVEYRON, G. ROLLIER, Paray-Le-Monial, Paris, Zodiaque, 2004, p. 134.
W. SCHLINK, Zwischen Cluny und Clairvaux..., op. cit., p. 73.
- 935 -
berceau lisse, du massif occidental, de linteaux en bâtière, d’arcs en mitre, d’arcs
diaphragmes, d’une importante muralité, de supports à impostes, de baies à claires-voies, de
marqueteries de pierres (mondes antique et carolingien) ou encore de tours lanternes. La
présence de chevets à déambulatoire sans chapelles rayonnantes témoigne d’une « tradition
maintenue » tandis que la « tradition rénovée », c’est-à-dire le chevet à déambulatoire et
chapelles rayonnantes s’exprime à Tours, Limoges, Nevers ou Conques2479. Les clunisiens
puisent ainsi dans un répertoire de formes romaines, carolingiennes visant à asseoir leur
légitimité et à les rapprocher de l’Église de Rome tandis qu’un certain nombre de formules les
ancrent dans la novation, tel l’usage du chevet à déambulatoire et chapelles rayonnantes.
Ainsi, Cluny II se dote d’une galilée qui trouve son origine dans les églises-porches
carolingiennes. L’abbaye de Déols en Berry, à côté de Châteauroux, en possédait aussi une,
aujourd’hui entièrement disparue [Fig. 1054]2480. Les cisterciens n’ont néanmoins jamais eu
recours à cet élément architectural étant donné leur refus d’accueillir des fidèles. Selon
Nicolas REVEYRON, le souhait de Cluny est alors de « créer un paysage monumental
reflétant l’unité et la spiritualité d’une ecclesia conçue à l’échelle de l’Europe »2481.
Cette recherche explique la multiplication des corbeilles corinthiennes au sein des
monastères de l’ordre. Les sculpteurs s’efforcent d’imiter les modèles antiques, de reproduire
et d’adapter l’acanthe aux volumes des chapiteaux romans2482. Cette recherche esthétique
clunisienne est immédiatement tangible à travers les références à l’Antique ou à l’art
carolingien. Les moines noirs cherchent leurs modèles dans un passé jugé prestigieux et
tentent ainsi de se rattacher plus étroitement à l’Église de Rome. Ils trouvent ainsi peut-être
une certaine légitimité.
Concernant les abbayes cisterciennes, la volonté de s’inscrire dans la lignée de l’Église
de Rome est sans doute moins évidente de prime abord. Le choix d’un plan traditionnel
depuis l’époque carolingienne est tangible. La salle capitulaire en particulier, si importante
dans un cadre cistercien grâce à la tenue d’un chapitre journalier, est née en même temps que
la volonté d’usages more romano, ravivés lors de la création du plan de Saint-Gall [Fig.
1008]. La volonté de retrait au désert peut d’ailleurs apparaître comme un « avatar du
monachisme carolingien, dispersé dans la nature ». Il existe une continuité forte entre
2479
B. PHALIP, Des terres médiévales en friche…, op. cit., volume I (synthèse), p. 97 et 115.
C. HEITZ, op.cit, p. 81-94.
2481
N. REVEYRON dans l’ouvrage collectif, op.cit, p. 209.
2482
M. ANGHEBEN, « La sculpture clunisienne », dans « Cluny ou la puissance des moines… », op.cit.,p. 6871.
2480
- 936 -
érémitisme, cisterciens et un cadre carolingien animé par une volonté de paix et de
perfection2483.
Les cisterciens ne se préoccupant pas de la place du laïc dans l’édifice de culte, ils
peuvent revenir à un système architectural carolingien, avant la revalorisation de la place du
laïc lors de la réforme grégorienne. En effet, dans un cadre carolingien, une séparation nette
est faite entre clergé et fidèles. Dans certaines cathédrales, les chanoines regroupés dans le
chœur liturgique sont isolés par une clôture et des tentures. C’est peut-être pourquoi les autels
se multiplient dans les abbayes cisterciennes pour les messes des moines-prêtres,
caractéristique manifeste dans les abbatiales réservées aux religieux2484.
L’un de ces usages carolingiens consiste également à faire coexister des absides
occidentées avec un sanctuaire oriental, prenant dès lors le nom de contre-absides. Cette
formule emblématique est reprise aux sources carolingiennes. Ces chevets occidentés
carolingiens correspondent à des cérémonies contra populum2485. Les cisterciens paraissent
fermement ancrés dans certaines formules romaines puis carolingiennes. Ils multiplient par
exemple la présence de chapelles occidentées sur les bras du transept (Dalon, Pontigny,
Chaalis). Pontigny présente à la fin du XIIème siècle et au début du XIIIème siècle à la fois
des chapelles orientales et occidentales, permettant une multiplication des autels pour les
prières individuelles des moines. Ces chapelles de transept sont parfois destinées à la
célébration de messes privées, à la mémoire des donateurs par exemple2486. Ces autels
correspondent en effet vraisemblablement à une dévotion individuelle, privée, en total
désaccord avec les principes grégoriens d’un culte et d’une liturgie ouverte aux fidèles et
accessible à tous.
Une inspiration de formules carolingiennes est tangible à l’abbatiale de Bonlieu. En
effet, le chœur montre une superposition de baies et d’oculi, solutions employées à Corvey ou
encore à Saint-Riquier dès la fin du VIIIème siècle. Les baies carolingiennes sont simplement
moins allongées [Fig. 154]2487. Les édifices carolingiens sont aussi marqués par l’apparition
2483
J-H. FOULON, op. cit., p. 567.
A. PRACHE, Cathédrales d’Europe, Citadelles et Mazenod, 1999, p. 33 ; A. ERLANDE-BRANDENBURG,
« L’église grégorienne », Hortus Artium Medievaliu, vol. 5, Zagreb, Croatie, 1999, p. 147-166.
2485
X. PAYET, « L’image des lieux de culte dans les Livres Carolins. La question des idées directrices à travers
la Renaissance carolingienne en architecture », dans P. BERNARDI, A. HARTMANN-VIRNICH, D.
VINGTAIN (dir.), Texte et archéologie monumentale. Approches de l’architecture médiévale, Montagnac, 2005.
2486
C. A. BRUZELIUS, « The transept of the abbey church of Châalis and the filiation of Pontigny”, dans B.
CHAUVIN (dir.), Mélanges à la mémoire du père Anselme Dimier, T III, 6, Abbayes, Pupillin, Arbois, 1982, p.
447-454.
2487
C. HEITZ, op. cit., p. 33.
2484
- 937 -
du pilier carré à tailloir ou à impostes, supports largement requis par les cisterciens du diocèse
de Limoges (Prébenoît, Boschaud)2488.
La mise en œuvre peut également rappeler certains usages antiques ou carolingiens.
Michel WULLSCHLEGER remarque concernant Léoncel (com. Léoncel, Drôme) que la
stéréotomie pourrait relever d’une inspiration antique, comme en témoignent l’emploi
généralisé de la pierre de taille, le levage des blocs à l’aide de pinces, les moellons taillés au
ciseau et aux arêtes marquées, la finesse des joints au mortier de chaux, l’utilisation d’agrafes
en plomb coulé, la technique du blocage entre deux parements appareillés [Fig. 1055]2489.
L’importante muralité observée sur la majorité des sites, le manque d’éclairage, souvent
indirect, peut faire penser à certaines formules carolingiennes. Les constructions modestes à
l’ornementation simple, l’usage de petits appareils de moellons (Les Pierres, Prébenoît) à
l’exemple de certains édifices de l’époque carolingienne (Montherault ou Saint-Thomas de
Conac dans les pays charentais) sont autant de ressemblances pour le moins troublantes de cet
héritage. En effet, Jean-Pierre CAILLET constate que la grande majorité des parements des
édifices carolingiens présente de petits moellons jointoyés au mortier de chaux avec ou non
insertion d’assises de briques. Le grand appareil est restreint, le plus souvent réservé aux
chaînages d’angle ou aux supports (chapelle palatine d’Aix, Torhalle de Lorsch)2490. Les
parements sont ainsi relativement proches de ceux de Prébenoît ou des Pierres où les pierres
de taille sont réservées aux zones structurantes de la construction majoritairement en
moellons. Nous avions déjà eu l’occasion d’aborder ces similitudes avec un cadre carolingien
lors de réflexions sur l’aniconisme2491. Les simples piles à impostes sont fréquentes dans
l’architecture cistercienne (bas-côté nord de l’abbatiale de Prébenoît, nef d’Aubignac,
abbatiale de Boschaud) comme carolingienne2492. Néanmoins, les pilastres cannelés, les
corbeilles corinthiennes aux larges feuilles d’acanthes ainsi que l’élévation présentant une
succession des ordres demeurent relativement rares. À Dalon, les fragments de pilastres
cannelés déposés à l’abbaye semblent plutôt correspondre à un ancien retable mis en place
tardivement plus qu’à un élément d’élévation. La présence de linteaux en bâtière est plutôt
2488
A. PRACHE, Cathédrales d’Europe, Citadelles et Mazenod, 1999, p. 33.
M. WULLSCHLEGER (dir.), « Léoncel, une abbaye cistercienne en Vercors », Revue Drômoise, n° spécial,
Crest, 1991, p. 68.
2490
J-P. CAILLET, L’art carolingien, Paris, p. 59.
2491
Sur ces questions, voir III. C. a ; P. GILLON, « Notions d’architecture et de topographie monastique. État de
quelques questions » dans P. RACINET, J. SCHWERDROFFER (dir.), Méthodes et initiations d’histoire et
d’archéologie, Éditions du Temps, Nantes, 2004, p. 265-300.
2492
À Bonlieu par exemple, les deux travées de la nef conservées présentent une voûte en berceau souligné de
doubleaux retombant sur de simples impostes. La nef de l’abbaye de Sénanque ne dispose que de simples piles à
impostes (commune de Gordes, Vaucluse, vers 1180). Dans la nef de l’abbatiale de Fontenay (Côte-D’Or), se
sont également des impostes qui reçoivent les arcs doubleaux soutenant le berceau brisé.
2489
- 938 -
rare mais s’observe toutefois dans certains sites comme au Thoronet. L’armarium situé dans
l’aile des moines se distingue par son entrée marquée par une fine colonnette soutenant un
linteau monolithique en bâtière. Les références à l’art carolingien ne sont pas rares2493.
Les chapiteaux lisses si fréquents au sein des monastères cisterciens trouvent leurs
origines dans certains monuments antiques et carolingiens (chapiteaux cubiques de SaintMichel d’Hildesheim, tribune des anges, transept oriental). Les moines blancs n’innovent
ainsi pas réellement et reprennent des formes déjà connues dans l’Antiquité, les simplifient et
les systématisent [Fig. 1034]. De même concernant les carreaux de pavement précédemment
évoqués, hérités des mosaïques romaines (Prébenoît, Bonlieu, Obazine). Les tesselles de
marbre étant trop coûteux, les cisterciens optent pour des carreaux de terre cuite dont les
couleurs restreintes sont en accord avec les statuts de l’ordre et leur volonté d’austérité. Les
techniques antiques sont adaptées aux nouveaux goûts artistiques d’une première architecture
gothique.
Ainsi, de cette quête d’un passé commun lié à l’Église de Rome naissent certaines
parentés architecturales pouvant être relevées entre monastères cisterciens et clunisiens,
particulièrement sensibles lors des reconstructions de certaines grandes abbatiales de l’ordre
de Cîteaux, dès la seconde moitié du XIIème siècle. Clairvaux est par exemple reconstruite
vers 1148 d’après la biographie de saint Bernard par Guillaume de SAINT-THIERRY. Le
maître d’œuvre opte pour un déambulatoire voûté d’arêtes, ceint de chapelles rayonnantes
évoquant le chantier de Cluny III plus que les cathédrales gothiques contemporaines2494. Le
plan et l’élévation évoquent les abbayes bénédictines du nord de la France comme SaintMartin-des-Champs, Saint-Denis et Saint-Germain-des-Prés. Le triforium surmontant les
grandes arcades est très proche de celui mis en œuvre à Autun ou de l’élévation tripartite de
Cluny III. Le décor intérieur de Clairvaux demeure néanmoins méconnu. Clairvaux, mais
aussi Pontigny paraissent s’inspirer des chantiers contemporains de Cluny et de Vézelay.
SCHLINK en particulier évoque vers 1970 le peu de distance architectonique entre Clairvaux
et Cluny2495.
Ces rapprochements entre Cluny et Cîteaux au XIIIème siècle permettent de nous
interroger sur une réelle spécificité de l’ordre cistercien. L’austérité de mise dans les premiers
temps de l’ordre ne suffit vraisemblablement pas à définir un art cistercien à part entière,
2493
Y. ESQUIEU, V. EGGERT, J. MANSUY, Le Thoronet…, op. cit., p. 53.
A. GAJEWSKI, « The architecture of the choir at Clairvaux Abbey : saint Bernard and the Cistercian
Principle of Conspicuous Poverty », dans T. N. KINDER, (dir.), Perspectives…, op. cit., p. 71-80.
2495
M. UNTERMANN, op. cit., p. 147.
2494
- 939 -
austérité par ailleurs partagée par de nombreux ordres à vocation érémitique nés de la réforme
grégorienne.
Outre les productions artistiques, reste à évaluer l’existence d’une spécificité dans les
créations artisanales et pré industries. Une des caractéristiques de l’ordre pourrait relever
d’une revalorisation nette du travail manuel, une économie basée sur l’exploitation des terres,
la création de granges spécialisées, la mise en place d’aménagements hydrauliques
systématiques. De nombreux exemples sont conservés sur les sites cisterciens du Limousin.
Bien souvent, alors que les abbatiales tendent à servir de carrière de pierres aux XIXème et
XXème siècles, les aménagements hydrauliques marquent encore les paysages, les moulins
sont parfois encore en activité. Les biefs, digues et canaux sont discernables sur de nombreux
sites (Boeuil, Peyrouse, Prébenoît, Obazine). Pourtant, ces témoins d’un art de bâtir et d’une
technicité monastique sont souvent mis de côté par l’histoire de l’art qui se penche plus
assidûment sur les bâtiments religieux à proprement parler ou les vestiges les plus
remarquables, tel le Canal des Moines ayant donné lieu à de multiples études. La
revalorisation de ces aménagements hydrauliques, agricoles et artisanaux sont néanmoins
nécessaires à une connaissance plus globale des architectures et décors cisterciens.
- 940 -
D. Le saltus, espace de dévotion magnifié :
Le maillage resserré des réseaux monastiques aquitains oblige les ermites et moines
cisterciens à s’implanter aux marges diocésaines, dans les forêts et déserts, échappant ainsi à
la tutelle d’un seigneur ecclésiastique ou laïc. Ces terres laissées libres ont l’inconvénient
d’être souvent incultes (marais, friches, bois) et leur mise en valeur occupe généralement les
premiers investissements cisterciens. Le labeur manuel, et particulièrement les travaux des
champs sont ainsi nécessaires à la survie de la communauté, et de fait revalorisés.
a. Équilibre entre travail revalorisé et prière :
Si le travail est une nécessité pour les cisterciens aspirant à l’autarcie et l’autonomie, il
a toutefois régulièrement été déprécié par certaines communautés monastiques, notamment
clunisiennes.
1. Le travail aux premiers temps du monachisme : un remède contre
l’oisiveté :
Dès les premières expériences monastiques, il semblerait que le travail ait suscité des
réflexions au même titre que l’exercice de la prière et de la dévotion. Ainsi, les préceptes de
Pacôme2496 sont repris dès le Vème siècle dans la Règle de Macaire où il est énoncé
« Ne hais pas le travail pénible, ne recherche pas non plus
l’oisiveté. »
Selon la Règle du Maître, principale source à l’origine de la Règle de Saint Benoît,
l’office divin occupe la première place dans la vie du moine. Le travail est alors uniquement
une occupation visant à combler les moments de liberté, non consacrés à la liturgie. Il n’est
pas recherché pour lui-même, apprécié en tant que tel. Le labeur n’est guère considéré comme
une activité bénéfique à part entière, mais plus comme un remède à l’oisiveté et à la paresse.
Ainsi, le Maître conseille :
« Quand les offices divins cessent au cours de la journée,
nous ne voulons pas que les intervalles, où l’on cesse de
psalmodier les heures, se passent dans l’oisiveté, de
2496
Vers 320, à Tabennisi, en Thébäïde, Pacôme fonde le premier monastère, appelé Iaure. Les moines obéissent
à l’abbé et aux Règle instituées par celui-ci.
- 941 -
crainte que l’oisiveté du moment n’engendre une perte
par les siècles (…). Au contraire, lorsqu’un frère travaille
en fixant les yeux sur son travail manuel, il occupe son
esprit à ce qu’il fait, il n’a pas le temps de songer à rien et
il ne sombre pas dans les flots du désir »2497.
Le travail empêche ainsi la paresse du moine et le met également à l’abri du désir et de
l’envie qu’il pourrait ressentir lors de moments d’inactivité, le « détourne de sa volonté
propre ».
Cependant, dès le début du VIème siècle, le Maître écarte l’idée de domaines exploités
par les moines en faire-valoir direct. Ces travaux les éloigneraient en effet du cloître et les
compromettraient dans les affaires du siècle, contrairement à la volonté ferme d’isolement au
cœur de la vocation monastique. Le travail est accepté dans la mesure où il ne remet pas en
cause la clôture. Il est intégré à la vie monastique quand il se déroule dans l’enceinte
monastique et n’empêche pas le moine d’assister aux offices.
Qu’il s’agisse du Maître ou plus tard de saint Benoît, ils ne condamnent pas les
activités commerciales des moines, et suggèrent simplement à ceux-ci de ne pas céder à
l’appât du gain et de vendre moins cher que les séculiers.
« Les domaines du monastère doivent être affermés, afin
que tout le travail des champs, le soin du domaine, les cris
des tenanciers, les disputes avec les voisins, retombent sur
un fermier séculier (…). Car si nous voulons les exploiter
par les soins de frères spirituels, nous leur imposons de
rudes travaux et ils perdent l’habitude de jeûner (…).
Aussi se contentera-t-on, en fait de travaux au monastère,
des seuls métiers et du jardin ».
Les travaux manuels trop réguliers et trop soutenus remettent en cause le régime
alimentaire du moine et empêchent les jeûnes et l’ascèse alimentaire. Seuls les travaux les
moins pénibles leur sont donc confiés. Le travail doit être modéré, ménager les malades et les
faibles, et surtout ne pas éloigner le moine de la clôture monastique.
2497
Dom. J. DUBOIS, « Le travail des moines au Moyen-Âge », dans Le travail au Moyen-Âge…, op. cit. p. 61100.
- 942 -
Pour saint Ferréol, évêque d’Uzès au VIème siècle,
« le moine qui passerait la journée sans travailler doit
être exclu de la table commune, selon la prescription de
l’Apôtre : Celui qui ne travaille pas, qu’il ne mange pas ».
L’acceptation du moine au sein de la communauté est donc soumise à la condition que
celui-ci participe aux travaux réguliers du monastère, bien souvent cantonnés à l’entretien du
jardin ou des plus proches exploitations. Un équilibre doit être établi entre labeur et
prière, comme évoqué par saint Benoît :
« L’oisiveté est l’ennemie de l’âme. Les frères doivent
donc consacrer certaines heures au travail des mains et
d’autres à la lecture des choses divines (…). Si les frères
se trouvent obligés, par la nécessité ou la pauvreté, à
travailler eux-mêmes aux récoltes, ils ne s’en affligeront
point, c’est alors qu’ils seront vraiment moines, lorsqu’ils
vivront du travail de leurs mains, à l’exemple de nos pères
et des Apôtres »2498.
Il semblerait que seules les communautés les plus pauvres soient obligées de travailler
elles-mêmes leurs exploitations, tandis que les mieux loties recourent aux tenanciers laïcs.
Cette différence se retrouve par la suite entre communautés clunisiennes implantées
dans des zones d’ager et premières créations cisterciennes situées dans des salti et prônant le
faire-valoir direct jusqu’à la fin du XIIème siècle. Cette pauvreté permet toutefois aux moines
de s’accomplir pleinement car ce travail manuel les rapproche un peu plus de l’idéal de leurs
Pères et des Apôtres. La spiritualité bénédictine tente ainsi de réunir ora et labora. Le moine
doit se livrer à un travail-pénitence. C’est parce qu’il est un pénitent pour soi-même et pour
les autres que le moine travaille.
Pour saint Benoît, comme pour le maître, le travail manuel est néanmoins réduit aux
proches activités dans l’enceinte même du monastère, au moulin, aux jardins ou aux ateliers
mais ne doivent pas conduire à éloigner le moine de l’église et de la prière.
2498
Règle de Saint Benoît, trad. A. DE VOGÜE, J. NEUFVILLE, Sources Chrétiennes, Cerf, Paris, 1972, chap.
48.
- 943 -
2. Réforme carolingienne, fondations clunisiennes. Le travail pénitentiel
dévalorisé :
Au Xème siècle, le travail n’est généralement plus représenté dans la vie du moine
bénédictin que sous la forme des services indispensables à une vie communautaire. Ce labeur
est dès lors entièrement ritualisé et s’accomplit tout en récitant des psaumes. La subsistance
de la communauté doit être assurée par le labeur paysan, comme le sous-entend le système
féodal.
Les moines clunisiens s’inscrivent dans la continuité de la réforme carolingienne
initiée par Benoît d’Aniane, pour qui la liturgie et la contemplation devait correspondre à la
majeure partie de la journée monastique2499. Benoît d’Aniane († 821) révise en effet la Règle
de Saint Benoît à la demande de Louis Le Pieux (814-840). Il ne suggère aucun gros travail à
l’extérieur. Seule l’exception des récoltes est prévue. Il met par ailleurs un fort accent sur la
liturgie. Le travail manuel est de fait relégué au second plan, de même que la lectio divina2500.
Bien souvent, lorsqu’il est question de travail, c’est celui de copiste qui est privilégié.
Dans la réforme carolingienne, l’office divin est allongé, privilégié à la lectio divina et
aux travaux des champs. La journée du moine est scandée par une suite de sept offices
comprenant des psaumes, des prières, des méditations, des exercices contemplatifs et la
célébration de l’Eucharistie. Les monastères sont avant tout des lieux de prière. La charte de
fondation de Cluny (909) reprend d’ailleurs les prescriptions de Benoît d’Aniane et annonce
les trois éléments qui composeront la spécificité de Cluny : l’office divin, l’aide aux pauvres
et le culte des morts2501.
Les clunisiens sont dès lors tenus à une somme importante de prestations liturgiques.
Les offices paraissent d’une longueur démesurée. En effet, les bienfaiteurs des monastères, en
contrepartie de leurs donations, réclament souvent des prières aux moines pour le salut de leur
âme, d’où une surcharge certaine du culte. Adrian BREDERO insiste sur le fait que pour les
clunisiens, la vita activa est moins importante que la vita contemplativa, rapport modifié par
les cisterciens un siècle et demi plus tard2502. Les moines noirs abandonnent ainsi
progressivement les travaux de la terre et les œuvres serviles du fait de l’enrichissement des
monastères, de la plus grande importance accordée à la culture intellectuelle et à la prière
perpétuelle. Des serviteurs laïcs doivent être introduits au sein des monastères pour effectuer
les tâches jugées ingrates. À Cluny, c’est donc un système d’exploitation en faire-valoir
2499
A. VAUCHEZ, La spiritualité du Moyen-Âge occidental, VIIIème-XIIIème siècle, Seuil, Paris, 1994, p. 37.
P. BAUD, A. GUINVARC’H, M-E. HENNEAU, T. N. KINDER, La vie cistercienne…, op. cit., p. 42.
2501
D. VINGTAIN, L’abbaye de Cluny, CNRS, Paris, 1998, p. 25.
2502
A. H. BREDERO, Cluny et Cîteaux au XIIème siècle…, op. cit., p. 201.
2500
- 944 -
indirect qui est choisi, les exploitations sont confiées à des tenanciers afin de laisser les
moines au plein exercice de la prière. Dès le Xème siècle, le nom de doyen est utilisé pour
désigner l’intendant d’une seigneurie rurale. Il peut être laïc, clerc ou moine. Le plus souvent,
il s’agit d’un moine appartenant à l’unique communauté de son monastère, à la différence du
maître de grange cistercien, souvent convers, membre de la seconde communauté de l’abbaye.
Les clunisiens semblent considérer l’œuvre des mains comme contraire à l’idéal du
moine. En effet, Pierre le VÉNÉRABLE écrit que la culture de la terre est contraire au
recueillement. La copie de manuscrits est selon lui préférable et correspond mieux à l’activité
monastique. La conception du travail est négative. Il est déprécié, tout juste bon pour les serfs.
Le labeur physique est de fait compris comme un châtiment qui ne doit être effectué que par
ces serfs que Dieu a d’ailleurs créés dans ce seul but2503. Jacques LE GOFF constate que les
hommes du Moyen-Âge ont d’abord vu le travail comme un châtiment du péché originel, une
pénitence. Selon l’historien, il faut attendre l’apparition d’ordres érémitiques au XIème siècle
pour assister à une revalorisation du travail. Le labeur devient dès lors un instrument de
rachat, de dignité et de salut. Il est un moyen de collaborer à l’œuvre du créateur qui après
avoir travaillé s’est reposé le dernier jour. Le travail peut donc devenir une voie difficile vers
la libération2504. Les travaux serviles sont néanmoins indispensables à certains monastères de
l’ordre clunisien les plus pauvres, ou manquant d’ouvriers laïques, exceptions s’appliquant à
certains prieurés ruraux.
La richesse de certains moines clunisiens rend inutile le travail de chaque jour pour
subvenir à leurs besoins. Ils accumulent les biens : terres cultes et incultes, prés, champs,
vergers, vignes. Les églises constituent un élément important de leur propriété. Les clunisiens
reçoivent des paroisses et engrangent beaucoup de profits en acceptant les dîmes2505. Pour les
moines noirs, le travail manuel est alors réduit à un simple remède contre l’oisiveté. Il n’est
considéré que comme un moyen secondaire de sanctification et non comme une œuvre
essentielle.
Georges DUBY constate qu’au XIème siècle, Cluny développe une économie
domaniale. La production du domaine satisfait à la plupart des besoins. Toutefois, leur
rayonnement entraîne de nombreuses aumônes en numéraire qui accroissent de manière
indéniable leurs richesses. Les moines noirs bénéficient des libéralités des fidèles qui
2503
M. J. MOLINIER, Pierre le Vénérable…, op. cit., p. 32.
J. LE GOFF, La bourse et la vie. Économie et religion au Moyen-Âge, Paris, 1986, p. 84.
2505
D. MÉHU, Paix et communautés autour de l’abbaye de Cluny, Xème-XVème siècles, Presses Universitaires
de Lyon, 2001, p. 47.
2504
- 945 -
constituent le premier noyau des possessions. La célébration d’anniversaires en mémoire des
bienfaiteurs est un excellent moyen pour faire affluer les dons des laïcs et les moines en
bénéficient largement2506. Les clunisiens enrichis peuvent dès lors s’appliquer avec plus de
soin et de fastes à l’Opus Dei. En vivant plus confortablement, ils libèrent leur esprit des
soucis matériels. Ils choisissent ainsi souvent d’embellir les sanctuaires et embauchent pour ce
faire de nombreux ouvriers qualifiés rémunérés à la tâche. Jusqu’en 1080 environ,
l’exploitation du vaste domaine foncier est directe, comme dans les premiers temps de l’ordre
cistercien. À la fin du XIème siècle toutefois, l’apport d’aumônes et de redevances modifie
l’économie. La communauté vit de ses revenus en espèces et plus seulement de l’exploitation
des terres. Après 1125, la dépréciation de la monnaie et l’augmentation des dépenses (due aux
multiples chantiers de construction et de reconstruction engagés) conduisent dès lors les
moines à revenir à l’exploitation du domaine. Georges DUBY souligne le fait que le même
cas de figure s’applique à Cîteaux avec un décalage d’un siècle et demi. Les premiers temps
des monastères cisterciens correspondent à une véritable ascèse et à une exploitation en fairevaloir direct. Toutefois, dès le XIIIème siècle, le faire-valoir indirect s’impose et les moines
blancs acceptent les dîmes2507.
3. Ordres érémitiques et cisterciens. Entre Marthe et Marie :
Comment le travail est-il perçu à travers les écrits des moines cisterciens et de leurs
contemporains ? Un certain nombre de sources témoignent, montrant les hésitations et
tâtonnements de moines cherchant un équilibre entre prière et travail, entre contemplation et
action, entre Marthe et Marie, Marthe représentant l’abnégation, Marie la virginité, l’humilité
ou l’obéissance.
Pour GUIGUES Ier, prieur de la Chartreuse, le travail est important mais doit être
accompagné de prières et ne se suffit pas à lui-même. Dans les Coutumes, il prescrit
« De Tierce à Sexte en hiver, et de Prime à Tierce en été,
le temps est député à des travaux manuels ; nous voulons
toutefois que ces travaux soient coupés de brèves
oraisons. L’espace qui sépare None de Vêpres est occupé
par des travaux manuels. Et toujours, en travaillant, il est
2506
G. DE VALOUS, Le temporel et la situation financière des établissements de l’ordre de Cluny du XIIème au
XIVème siècle, Picard, Paris, 1935, p. 14.
2507
G. DUBY, « Économie domaniale et économie monétaire. Le budget de l’abbaye de Cluny entre 1080 et
1155 », dans Annales économies- Sociétés- Civilisations, Paris, 7ème année, 1952, p. 155-171.
- 946 -
permis de recourir à de brèves prières, comme
jaculatoires. »2508
Plus loin, il évoque un passage de la Genèse où « Isaac s’en va seul aux champs pour
méditer » (Genèse, 24-63). Ainsi, les champs peuvent devenir un lieu de méditation au même
titre que le sanctuaire2509.
Chez Robert d’Arbrissel, fondateur de Fontevrault, il semble exister deux conceptions
de la femme, selon l’équilibre établi entre activité et contemplation. Pétronille de Chémillé,
placée à la tête de l’abbaye, est comparée à Marthe. Elle est en effet une bonne gestionnaire
du temporel monastique, une « maîtresse de maison » hors pair, mais manquerait toutefois des
vertus acquises par le renoncement au monde. Selon Robert d’Arbrissel, il existerait un intérêt
à placer les femmes issues de milieux aristocratiques aux postes de responsabilités pour des
raisons de compétence, d’intérêt matériel pour l’ordre, de non-remise en cause des hiérarchies
et peut-être des pressions extérieures. Les cisterciens semblent également avoir adhéré à cette
idée puisque les abbés sont très majoritairement issus de la noblesse et ont de fait l’habitude
de la gestion de vastes domaines. Par ailleurs, les simples moniales de Fontevrault ou des
prieurés filles peuvent être assimilées à Marie, sœur de Lazare, privilégiant la contemplation.
Toutefois, on ne peut leur confier les soins d’une maison. Marthe et Marie seraient ainsi
complémentaires et ne pourraient vivre l’une sans l’autre2510.
Suivant ce raisonnement, Robert d’Arbrissel, Bernard de Clairvaux ou Étienne
d’Obazine pourraient être considérés comme Marthe, obligés de s’occuper des affaires du
siècle afin d’assurer la survie de leurs communautés, très sollicités et éloignés à regret de la
vie contemplative. Ceux-ci préfèrent le désert, la contemplation, mais se doivent de supporter
le poids de l’ordre par charité.
Les moines semblent embrasser une vie à la fois proche de celle de Marthe et de
Marie. Ils prient avec leur cœur et travaillent avec leurs mains2511. Ces deux vies tendent à se
combiner chez Bernard de Clairvaux. Action et contemplation sont alternées, comparées au
jour et à la nuit. Pour Bernard, l’action doit précéder la contemplation. L’idéal cistercien tente
d’allier les deux. Saint Bernard se considère ainsi lui-même comme la « chimère de son
temps », tiraillé entre contemplation et action, entre Marthe et Marie, aspirant à la vie calme
2508
GUIGUES Ier Le Chartreux, Coutumes de Chartreuse, Sources Chrétiennes n° 313, Paris, Cerf, 2001, 29-3.
GUIGUES Ier Le Chartreux, op. cit., 80-5.
2510
J. DALARUN, L’impossible sainteté…, op. cit., p. 183.
2511
G. CONSTABLE, Three studies in Medieval religious and social thought. The interpretation of Mary and
Martha. The ideal of the imitation of Christ. The orders of society, Cambridge, University Press, 1995, p. 31.
2509
- 947 -
de son monastère, et pourtant souvent projeté dans les affaires du siècle, parfois contre son
gré.
« Je ne vis ni comme un clerc, ni comme un laïc. Je porte
encore l’habit d’un moine, mais il y a longtemps que je ne
mène plus la vie d’un moine. Vous savez bien au milieu de
quels périls je me trouve, ou plutôt de quel précipice j’ai
été jeté ».
Il paraît ainsi compromis dans le siècle contre sa volonté et est confronté à des
difficultés auxquelles un moine ne devrait pas avoir affaire2512. Il paraît difficile de passer
outre les tensions entre l’attrait de la vie contemplative qui pousse les ermites et cisterciens
vers la solitude et la nécessité du troupeau qui les en éloigne.
Étienne d’Obazine déclare quant à lui avoir été occupé comme Marthe pour nourrir ses
moines. Pour Walter MAP, les moines noirs paraissent plus proches de Marie tandis que les
cisterciens sont plus occupés par le travail manuel et seraient ainsi plus proches de Marthe.
Guillaume de SAINT-THIERRY approuve d’ailleurs cette mixité dans la lettre aux moines de
Mont-Dieu2513. Le travail manuel fait partie de l’ascèse, il se doit donc d’être bien fait et
s’inscrit comme un gage de qualité. Le travail n’est pas une malédiction divine mais peut
participer au même titre que la prière à l’ascèse spirituelle. Les moines tendent ainsi à associer
travail et contemplation dans un équilibre bien particulier. Les travaux dans les granges
éloignées sont néanmoins confiés à des convers. Ce statut de convers est considéré comme
une promotion sociale pour la paysannerie environnante qui est ainsi mise à l’abri de la misère
et de la famine2514. Quant aux tâches spécialisées, elles sont parfois confiées à une main
d’œuvre salariée.
Aelred de RIEVAULX compare les recluses à Marie et non à Marthe qui se disperse
en tâches futiles. Marthe semble en effet plus soucieuse du service du prochain que de sa
propre élévation spirituelle2515.
2512
Sancti Bernardi Opera, trad. J. LECLERCQ, H.M. ROCHAIS, C-H. TALBOT, Editiones Cistercienses,
Rome, 1957-77, T VIII, Ep. 250-4, 147, l. 2-5 ; Bernard de CLAIRVAUX, L’amour de Dieu. La grâce et le libre
arbitre, Sources Chrétiennes n° 393, trad. F. CALLEROT, J. CHRISTOPHE, M. I. HUILLE, P. VERDEYEN,
Paris, Cerf, 1993, p. 49 ; J-H. FOULON, op. cit., p. 463.
2513
Guillaume de SAINT-THIERRY, Lettre aux frères du Mont-Dieu, traduction de J. DÉCHANET, Paris, Cerf,
1975.
2514
M. MOUSNIER, « Les abbayes cisterciennes et leur rôle dans l’économie et la société méridionale aux
XIIème et XIIIème siècles », dans La grande aventure des cisterciens…, op. cit., p. 105-130.
2515
Aelred de RIEVAULX, La vie de recluse…, op. cit., p. 109.
- 948 -
Isaac de l’ÉTOILE, abbé de l’Étoile mort dans les années 1168-1169, rédige
cinquante-cinq sermons entre 1147 et son décès. Ceux-ci sont prononcés soit à l’abbaye de
l’Étoile, soit aux Châtelliers en Ré où il est envoyé en exil pour avoir soutenu Thomas Becket,
s’attirant ainsi les foudres d’Henri II. Il accorde la priorité au travail manuel, qu’il s’agisse de
jardinage ou d’agriculture. Pour lui, il convient de travailler comme Adam après avoir été
chassé du Paradis. Le labeur permet à la fois d’assurer l’autonomie de la communauté mais
aussi de donner aux indigents, et ainsi peut-être de racheter le péché originel. Le moine pose
également le problème des rapports entre consommation et production : pourquoi se donner
tant de peine à travailler, à acquérir pour si peu en profiter puisque les moines cisterciens
tendent à vivre dans le plus grand dénuement ? Ce ne peut être que pour venir en aide aux
plus démunis. Les moines ne travaillent pas pour eux mais bien pour ceux qui sont dans le
besoin. C’est aussi un moyen d’initier les autres au travail, de les rendre capables de travailler
« avec nous, après nous ». Cependant, Isaac de l’ÉTOILE met en garde contre les déviances
de ce système. Si l’on produit trop, au détriment du but de la vie monastique, si le travail et
les affaires obligent à sortir trop fréquemment de l’enceinte monastique, il y a dès lors
déviation. Le moine se doit de travailler beaucoup pour donner beaucoup2516.
Dans le sermon 14, Isaac de l’ÉTOILE évoque Marthe et Marie. Pour lui, c’est dans le
repos et non dans la paresse qu’on apprend la sagesse. Il conseille dès lors d’atteindre la
dévotion de Marie plutôt que l’activité inquiète de Marthe. Les cisterciens se doivent d’être
plus proches de Marie, tandis que les convers s’adonnent aux activités comme Marthe 2517.
Dans le sermon 50, le travail est associé à la pénitence d’Adam.
« Puisque pêcheurs et fils de pêcheurs selon la chair, nous
sommes encore dans la chair, nous ne répugnons donc
pas à la sentence de condamnation de la chair, et nous
mangeons notre pain à la sueur de notre front. D’autre
part, afin que tout le travail de l’homme n’aille pas à sa
bouche, nous travaillons de nos mains plus activement
pour avoir de quoi secourir le nécessiteux. »
2516
Dom J. LECLERCQ, « Le travail, ascèse sociale d’après Isaac de l’Étoile », Collectanea O.C.R., 1971, p.
159-166.
2517
Isaac de l’ÉTOILE, Sermons, T II, trad. A. HOSTE, G. SALET, G. RACITI, Sources Chrétiennes n°207,
Paris, Cerf, 1974, p. 271.
- 949 -
À Cîteaux, la vie quotidienne des moines s’articule ainsi entre deux grands pôles : le
travail et la prière. Le travail s’inscrit en effet comme un élément important de la vie
monastique, inhérent à la condition du moine. Il collabore à l’œuvre de la création et s’inscrit
comme un facteur d’équilibre dans la vie quotidienne. Ce labeur obtient une dimension
spirituelle puisque les moines continuent à prier en travaillant2518.
Cluny étant fondé un siècle et demi plus tôt que Cîteaux, il semble naturel qu’aux
XIIème et XIIIème siècles cet ordre ait engendré suffisamment de revenus pour se permettre
d’investir dans la liturgie, le culte et les créations artistiques, tandis que l’ordre de Cîteaux né
à la fin du XIème siècle doit en priorité mettre en valeur les terroirs dont il dispose avant de
penser à orner ses monuments de décors jugés superflus. Dans la seconde moitié du XIème
siècle, une stabilisation et un fort ralentissement de l’accroissement du domaine clunisien est
sensible. C’est la fin du processus de mise en culture de terres nouvelles. Ce ralentissement ne
signifie pas nécessairement un tarissement puisque le domaine clunisien ne cesse de
s’agrandir jusqu’au début du XIVème siècle2519.
À Cîteaux au XIIème siècle, les besoins les plus péremptoires des moines sont au cœur
des préoccupations et retiennent les principaux investissements. Le travail manuel est ainsi
valorisé, sans doute du fait même de la nécessité de mettre en valeur le saltus. Les cisterciens
réinstaurent le travail manuel systématique, poussés par la nécessité. L’office liturgique est
alors abrégé et simplifié. Les activités manuelles occupent entre quatre et six heures de la
journée d’un moine2520. Cette activité laborieuse est considérée comme un remède à l’oisiveté,
une activité pénitentielle revêtant même un aspect social. En effet, le travail est considéré
comme un phénomène social plutôt que comme une activité uniquement économique.
L’accent est porté sur le travail manuel, agricole ou artisanal non pas dans sa finalité
économique mais en tant qu’élément d’ascèse. La pauvreté est recherchée dans une
motivation spirituelle qui est toutefois très relative en pratique. La pauvreté consisterait en
effet sans doute davantage en absence de superflu qu’en manque de nécessaire2521. Les moines
blancs cherchent ainsi à être en accord avec les textes bibliques. Le Nouveau Testament en
particulier encourage à mépriser les richesses. L’Évangile contient également deux
exhortations. La charité est tout d’abord nécessaire, le royaume de Dieu étant promis à ceux
qui partagent avec les pauvres. Ensuite, le renoncement est recommandé puisque nul n’entre
2518
P. BAUD, op. cit., p. 51.
P. GARRIGOU-GRANDCHAMP, A. GUERREAU, J. D. SALVÈQUE, « Doyennés et granges de l’abbaye
de Cluny. Exploitations domaniales et résidences seigneuriales monastiques en clunisois du XIème au XIVème
siècle », BM, T CLVII, n°1, 1999, p. 71-113.
2520
A. VAUCHEZ, op. cit, p. 93.
2521
M. MOUSNIER, L’abbaye de Grandselve…, op. cit., p. 61.
2519
- 950 -
dans le royaume divin s’il ne choisit de vivre comme un pauvre. Les Actes des Apôtres
ajoutent qu’il est bon de travailler de ses mains2522. Ainsi Paul, s’adressant aux anciens
d’Éphèse, explique
« Argent, or, vêtements, je n’en ai convoité de personne :
vous savez vous-mêmes qu’à mes besoins et à ceux de mes
compagnons ont pourvu les mains que voilà. De toutes
manières je vous l’ai montré : c’est en peinant ainsi qu’il
faut venir en aide aux faibles et se souvenir des paroles du
Seigneur Jésus, qui a dit lui-même : il y a plus de bonheur
à donner qu’à recevoir. »2523
Le système économique cistercien accroît la production tout en restreignant la
consommation. Le travail n’a donc pas pour vocation première de produire. Il revêt une
nécessité sociale en créant des richesses légitimes car il provient du travail des mains ou de
libéralités. L’obligation pour les moines et les convers de travailler rend inutile la présence de
tenanciers sur les terres qu’ils ont obtenues. L’abbé NADAUD écrit à ce propos que « Le
travail dévoué d’hommes qui y voyaient un moyen de servir Dieu et de gagner le ciel fertilisa
les solitudes les plus arides »2524. L’opiniâtreté des moines blancs et leur investissement
humain et financier dans la mise en valeur des terres vont permettre au fil des siècles de
transformer le saltus en ager.
Le travail est d’autant plus nécessaire aux moines blancs qu’ils refusent au XIIème
siècle tout ce qui pourrait constituer une fortune monétaire : églises, bénéfices, dîmes,
possessions de villages ou de serfs2525. Ces deux conceptions différentes du travail révèlent
donc deux systèmes économiques divergents, l’un monétaire et l’autre domanial ainsi que
deux modes d’exploitation des territoires. Il serait alors tentant d’assimiler les moines
cisterciens à Marthe et les clunisiens à Marie ayant choisi une vie contemplative. Cette
dernière est ainsi peut-être plus réceptive à la parole divine. Marthe privilégie quant à elle le
travail manuel, les tâches ingrates et lutte de fait contre l’oisiveté. Pour Anselme de
HAVELBERG, c’est Marthe qui a fait le bon choix. Si le Christ a fait l’éloge de Marie, c’est
par pure charité, pour éviter que Marthe, qui est dans le vrai, ne soit trop triomphante 2526. Ce
2522
G. DUBY, Saint Bernard, l’art cistercien, Paris, 1976, p. 35.
Actes de Apôtres, 20, 33-35.
2524
J. NADAUD, « Le pouillé historique du diocèse de Limoges », BSAHL, T LIII, 1903, p. 28.
2525
M. COCHERIL dans G. LEBRAS (dir.), Les ordres religieux. La vie et l’art, T I, Flammarion, 1979, p. 508.
2526
A. VAUCHEZ, op. cit., p. 113.
2523
- 951 -
sont deux voies divergentes sensées conduire à Dieu et ouvrir les portes du Paradis.
Cisterciens et Clunisiens ont ainsi opté pour deux chemins différents, les uns en s’implantant
dans des zones d’ager déjà en partie mises en valeur, les autres au cœur de salti à cultiver et
assainir. Ces deux types de paysages s’accompagnent de deux systèmes économiques
différents, deux modes d’exploitation des terres, deux conceptions du travail et de la liturgie
qui trouveront vraisemblablement une expression au sein des créations artistiques.
Toutefois, cette opposition qui semble transparaître entre les deux ordres n’est peutêtre pas aussi tranchée. Si les cisterciens se refusent à solliciter des tenanciers aux premiers
temps de l’ordre, ils n’en ont pas moins recours à la paysannerie environnante en recrutant les
convers sur les terres où ils s’implantent. Ceux-ci sont essentiellement chargés de s’occuper
des travaux des champs. Contraints aux offices liturgiques réguliers, les moines de chœur ne
peuvent en effet s’éloigner de l’église et s’occuper des exploitations agricoles hors de la
clôture. Ce sont donc les frères convers qui se chargent des tâches les plus éloignées. De plus,
les moines embauchent fréquemment des « mercenaires » chargés des activités les plus
spécialisées. En effet, à Cîteaux, la participation d’une main d’œuvre salariée est admise pour
des travaux réclamant des compétences particulières comme les chantiers de construction ou
bien la mise en œuvre de certains ouvrages hydrauliques2527.
Pour Jacques DUBOIS, il y aurait ainsi peu de différences entre Cluny et Cîteaux. Les
convers remplacent dans un premier temps les tenanciers laïcs clunisiens, mais cette
originalité ne tient bien souvent que jusque dans la première moitié du XIIIème siècle. Les
moines de chœur ne sont véritablement chargés que des tâches les moins lourdes (jardinage,
entretien du monastère, toutes activités dans l’enceinte monastique), à l’image de leurs
homologues clunisiens. L’auteur insiste aussi sur le fait que le travail des moines est souvent
victime de sa réussite : « Parce qu’ils exploitent savamment leurs domaines, les moines eurent
de vastes cultures de céréales, d’immenses troupeaux, des vignes donnant d’excellents vins,
des forêts aux futaies splendides, ils y ajoutèrent de véritables industries comme la fabrication
de la bière ou du fromage. Les moines n’étaient plus de simples cultivateurs ou artisans mais
des gestionnaires de grandes entreprises. »
Le travail est là encore souvent perçu comme une pénitence, laissée de préférence aux
non moines (frères lais ou ouvriers spécialisés recrutés pour des tâches particulières et
ponctuelles). Les moines de chœur s’inscrivent ainsi comme des « chefs d’entreprises »,
2527
C. WISSENBERG, « Granges cisterciennes de l’Yonne : constitution des domaines et aménagement de
l’espace », dans T. KINDER (dir.), Les cisterciens dans l’Yonne…, op. cit., p. 49-72.
- 952 -
gestionnaires de vastes exploitations plutôt que comme de réels cultivateurs, éleveurs,
vignerons. La seule forme valorisée du travail serait, comme à Cluny, le scriptorium2528.
b. Granges et moulins. Une mise en œuvre soignée semblable à celle des sanctuaires :
L’ordre de Cîteaux s’implante relativement tardivement en Aquitaine et doit ainsi se
satisfaire des dernières terres libres d’occupation monastique, souvent des zones de saltus aux
marges des diocèses. Ces paysages nécessitent bien souvent une mise en valeur systématique
lors de l’arrivée des moines, d’où des activités de drainage, de dérivations (sur le Coyroux),
d’assainissement de terres cultivables. Les cours d’eau sont investis par des séries
d’aménagements à vocation préindustrielle : biefs, viviers, digues, ponts, moulins sont mis en
œuvre, des droits d’usage sont systématiquement acquis. Il est délicat de savoir si ces
ouvrages artisanaux sont l’œuvre de moines initiés à ces techniques, venant peut-être d’autres
abbayes (Pontigny ?) ou si des ouvriers spécialisés sont recrutés pour ces tâches particulières.
L’étude de granges, moulins et installations hydrauliques des cisterciens du diocèse de
Limoges et de ses marges révèle des mises en œuvre généralement soignées, une technicité
évidente témoignant de l’intérêt porté par cet ordre monastique à ces préindustries. Cette
impressionnante gestion des ressources et la qualité des ouvrages mis en œuvre constituent-telles pour autant une spécificité cistercienne ?
1. Hydraulique et activités préindustrielles. Une spécificité cistercienne ?
Depuis 1990, il semblerait que les études sur l’hydraulique, essentiellement
monastique, a attiré un certain nombre de chercheurs et donné naissance à des groupes de
recherches, PCR, colloques et publications multiples dont il convient ici de présenter les
dernières évolutions et problématiques2529.
•
Jalons historiographiques récents :
En 1993 est fondé à l’Université Paris I Panthéon/Sorbonne un PCR sur
« l’hydraulique monastique en Bourgogne, Champagne et Franche-Comté », dirigé par
l’Équipe d’Histoire des Techniques dont Paul BENOIT, Karine BERTHIER ou encore
Joséphine ROUILLARD font partie. Ce PCR a suscité l’élaboration de multiples mémoires de
maîtrise, DEA et actuellement de Master, incluant non seulement l’hydraulique des sites
cisterciens mais aussi d’autres ordres monastiques peut-être moins investis par
2528
J. DUBOIS, op. cit., p. 61-100.
Des considérations plus générales et chronologiquement plus larges sont présentées dans la partie
historiographie. Voir I. A.
2529
- 953 -
l’historiographie contemporaine2530. L’ouvrage de référence publié en 1996 sur l’hydraulique
monastique par Paul BENOIT et Léon PRESSOUYRE montre d’ailleurs des ouvertures vers
d’autres ordres monastiques, même si les cisterciens restent à l’honneur et si les laïcs sont
quelque peu oubliés2531.
Dans la publication dirigée par Paolo SQUATRITI sur les techniques hydrauliques en
Europe, le rôle des cisterciens dans le développement des technologies liées à la
domestication de l’eau est une fois encore souligné. Pour l’auteur, ils ont des affinités
particulières avec les techniques hydrauliques, sont impliqués dans des opérations de
drainage, utilisent l’eau aussi bien pour l’énergie et l’hygiène2532.
Par ailleurs, un PCR devrait voir le jour en 2009 sur l’hydraulique des cisterciens en
Limousin (sous la direction de Pierrick STÉPHANT, archéologue HADÈS), témoignant de
l’intérêt encore prégnant pour ces aménagements monastiques.
La fascination des historiens pour les réseaux cisterciens en particulier peut se justifier
par la conservation d’archives exceptionnelles tenues par les moines en bons gestionnaires.
Les cartulaires, actes, terriers permettent de mieux cerner les exploitations agricoles et les
possessions de moulins détenues par les moines blancs. Les cartulaires de Dalon, du Palais, de
Bonlieu et d’Obazine sont une mine d’informations pour les possessions des moines
cisterciens du diocèse de Limoges, même si les caractéristiques techniques et architecturales
de ces installations ne sont jamais abordées. Selon Karine BERTHIER, la priorité souvent
donnée aux moines blancs concernant l’hydraulique tient d’abord à cette richesse de la
documentation disponible, et particulièrement aux vestiges conservés, aux marques encore
bien discernables dans les paysages, qu’il s’agisse de biefs, de viviers, de canaux ou de
moulins2533. C’est peut-être du fait même de leur implantation au saltus, au cœur de zones
rurales, que les réseaux hydrauliques cisterciens se sont mieux préservés, à l’inverse des
structures urbaines (aménagements clunisiens). Les cisterciens dotés de terres marginales
peut-être moins favorables que celles appartenant aux fondations des siècles précédents
doivent les améliorer, les rendre productives par des aménagements hydrauliques
systématiques (dérivations, assainissements, drainages). La même constatation s’applique aux
ordres tardifs comme les Prémontrés ou les Chartreux2534. Ainsi, à Boeuil ou encore à
2530
C. TRANCHANT, Les aménagements hydrauliques des abbayes et prieurés fondés par la famille de
Montfort, Master I, Université Paris I Panthéon-Sorbonne, dir. J. BURNOUF, 2007, 2 volumes.
2531
L. PRESSOUYRE, P. BENOIT, L’hydraulique monastique, milieux, réseaux, usages, Grône, 1995.
2532
P. SQUATRITI, Working with water in Medieval Europe. Technology and Resource-Use, Brill, London,
2000, p. 19 (introduction).
2533
K. BERTHIER, J. ROUILLARD, « Nouvelles recherches sur l’hydraulique cistercienne… », op. cit., p. 121148.
2534
R. HOLT, « Medieval England’s Water-Related technologies », dans P. SQUATRITI, …, op. cit., p. 51-100.
- 954 -
Aubepierres, alors même que les bâtiments monastiques médiévaux ont disparu, les biefs,
viviers, étangs, digues et moulins (bien que constamment remaniés jusqu’à nos jours)
témoignent des modifications apportées par les moines à leur paysage d’implantation.
Il convient cependant de se méfier d’une illusion des sources. Si leur politique
d’exploitation des ressources est bien connue, elle ne doit pas masquer l’intérêt sans doute
équivalent des laïcs. En Creuse, des études archéologiques menées sur le site seigneurial de
Drouilles (com. Saint-Éloi, Creuse) ont révélé deux mottes féodales accompagnées
d’aménagements hydrauliques complexes sous forme de fossés et d’étangs2535. D’autres
communautés, peut-être moins connues et moins documentées ont donc certainement
contribué à l’essor des techniques hydrauliques. À ce titre, les cisterciens seraient plutôt
d’excellents entrepreneurs aptes à mettre en œuvre des techniques bien connues des laïcs que
de réels innovateurs. La majorité des moulins dont ils disposent sont par ailleurs le plus
souvent des acquisitions de structures existantes plus que de fondations nouvelles. Les moines
blancs bénéficient de techniques déjà éprouvées par les communautés rurales et qu’ils
réutilisent à leur profit.
En 2004 est fondé le Groupe d’Histoire des Zones Humides – sous la présidence de JM. DEREX – montrant un intérêt renouvelé pour tous les espaces humides et leur mise en
valeur, leur utilisation par les hommes au fil des siècles, qu’il s’agisse de religieux ou de laïcs,
dans une perspective beaucoup plus vaste et englobante que les études spécifiques sur
l’hydraulique cistercienne. Ainsi, il ne s’agit plus de considérer les marais, les salti comme
des zones incultes, inutiles, rebelles à la culture, mais bien comme des espaces liés à
l’économie, essentiels, recherchés, voir convoités par les hommes2536. En 2004 est publié dans
la droite ligne de ces travaux l’ouvrage dirigé par Joëlle BURNOUF et Philippe LEVEAU sur
les sociétés préindustrielles et les milieux fluviaux 2537. Ce recueil d’articles tend à montrer une
exploitation optimisée des ressources liées aux fleuves et marais. Ainsi, la végétation aquafile
de saules, osiers, joncs entretenue aux bords des étangs fournit aux moines les produits
nécessaires à la vannerie ou à la couverture des habitations2538. C’est le cas particulièrement
2535
S. GADY, « Fouille sur le site médiéval de Drouilles », MSSNAC, T XLVII, 2000, 2ème fasc, p. 268-280.
J-M. DEREX (dir.), Les étangs : espaces de production hier et aujourd’hui, Actes de la Journée d’Étude,
Paris, 2004, p. 4.
2537
J. BURNOUF, P. LEVEAU, Fleuves et marais, une histoire au croisement de la nature et de la culture.
Sociétés préindustrielles et milieux fluviaux, lacustres et palustres : pratiques sociales et hydrosystèmes, Paris,
CTHS, 2004.
2538
P. BENOIT, K. BERTHIER, G. BILLEN, J. GARNIER, « Agriculture et aménagement du paysage
hydrologique dans le bassin de la Seine aux XIVème et XVème siècles », dans J. BURNOUF, P. LEVEAU, op.
cit., p. 235-244
2536
- 955 -
pour les moines de Bonnaigue qui vont jouir de droits sur le lac de Sarliève (com. Romagnat,
Puy-de-Dôme), à la fois utile pour la pêche mais aussi pour les roselières et joncs2539. Selon
Jean-Louis ABBÉ, ces étangs sont souvent situés aux confins des finages, comme c’est le cas
pour Sarliève, impliquant le partage des droits de seigneurie ou d’usage2540. De la même
manière, Emmanuel GRÉLOIS insiste sur le haut rendement économique des zones humides,
en cela très prisées par les communautés religieuses et laïques. Les pacages humides sont en
effet des aires de parcours pour les troupeaux. La couverture végétale des marais et les lits
majeurs assurent des productions spécifiques comme les chenevières, les roselières, le bois, à
la fois de chauffage et de construction2541.
C’est dans cette même perspective que s’inscrit l’ouvrage de Jean-Loup ABBÉ publié
en 2006 sur la gestion des étangs en Languedoc méditerranéen du XIIème au XVème siècles.
Ce dernier insiste sur l’illusion des sources conduisant souvent à considérer les cisterciens
comme ayant la prérogative des aménagements hydrauliques et assèchements, alors même
que les laïcs en sont bien souvent à l’origine, tandis que d’autres communautés religieuses ont
été actives. Il constate qu’en Languedoc, les comtes et rois interviennent peu. La gestion des
zones humides est avant tout l’affaire des exploitants et des seigneurs fonciers2542.
Ainsi, les études récentes tendent à montrer l’intérêt porté aux zones humides par tout
type de propriétaires fonciers, qu’il s’agisse des cisterciens, mieux connus des archives,
d’autres communautés religieuses (ordres militaires, clunisiens) et de laïcs peu documentés
par des sources très lacunaires, mais néanmoins bien présents. La spécificité cistercienne dans
la mise en valeur et l’exploitation des zones humides semble difficile à établir.
•
Typologie des aménagements artisanaux monastiques :
Les moines cisterciens ont fréquemment été présentés comme des agriculteurs hors
pair, de grands défricheurs, parfois même qualifiés de moines « hydrauliciens », images
d’Épinal relayées par une historiographie romantique et par certaines documentations
médiévales, telles les célèbres initiales du Moralia in Job de Cîteaux [Fig. 28]2543. Les convers
y sont tour à tour représentés coupant du bois ou cultivant les terres de leurs propres mains.
Les historiens semblent considérer les sites cisterciens comme un domaine d’étude privilégié
2539
G. FOURNIER, « Sarliève. Un lac au Moyen-Âge », Association du site de Gergovie, T 11, 1996, p. 2-34.
J-L. ABBÉ, À la conquête des étangs. L’aménagement de l’espace en Languedoc méditerranéen (XIIèmeXVème siècles), Presses Universitaires du Mirail, Toulouse, 2006, p. 109.
2541
É. GRÉLOIS, “Les logiques concurrentes des populations riveraines des zones humides : rivières, lacs et
marais de Basse Auvergne d’après les sources écrites (XIIIème-XVIème siècles)” dans J. BURNOUF, P.
LEVEAU, op. cit., p. 291-298.
2542
J-L. ABBÉ, À la conquête des étangs…, op. cit., p. 48.
2543
Manuscrit du début du XIIème siècle, 170, Dijon, Bibliothèque Municipale.
2540
- 956 -
quant à l’hydraulique ou l’exploitation agricole, comme en témoigne la multiplication
d’ouvrages universitaires ou de vulgarisation sur ces thèmes2544. Toutefois, cette prolixité
d’ouvrages est-elle révélatrice d’une spécificité des exploitations cisterciennes justifiant un tel
engouement, ou est-elle au contraire trompeuse ?
La mise en place d’exploitations agricoles ne semble pas être une prérogative
cistercienne. Chaque communauté monastique régulière ne saurait se contenter des libéralités
seigneuriales pour survivre et se doit de cultiver les terres alentours pour assurer une certaine
autonomie et répondre aux besoins les plus péremptoires des moines. Les clunisiens disposent
de doyennés, globalement peu différents des granges cisterciennes. Les installations agricoles
clunisiennes ont toutefois moins attiré l’attention que celles de Cîteaux. Les dénominations
même de ces exploitations sont plus floues puisqu’on parle tour à tour de grange, de prieuré
rural ou de doyenné.
Pour Denis CAILLEAUX, cette prééminence des études sur les granges cisterciennes
pourrait s’expliquer par une réussite économique quasi systématique (du moins pour les plus
grandes abbayes de l’ordre), tenant pour grande part à l’abondance d’une main d’œuvre
gratuite et qualifiée, à l’organisation rationnelle de l’exploitation des ressources locales et au
développement de techniques nouvelles telle l’énergie hydraulique. Nous ne sommes toutefois
pas entièrement en accord avec cette dernière explication puisque, comme démontré cidessus, les cisterciens ne semblent pas être les seuls novateurs en matière d’hydraulique. Ils
contribuent toutefois certainement à la propagation d’un certain nombre de techniques et
technologies2545.
Les doyennés clunisiens doivent s’occuper des champs, des vignes et du bétail à
l’exclusion de toute autre activité. Les doyens ne disposent que de peu d’autonomie. Ce sont
les sièges de l’administration d’un domaine agricole. Ils revêtent parfois une fonction
d’accueil ou de défense. Ce sont des centres de production, des lieux de perceptions et de
rassemblement. Les moines y prélèvent les rentes et rendent la justice. Ce sont souvent de
grosses fermes à l’allure de forteresses ou de monastères en réduction. La majorité est créée
sous l’abbatiat d’Hugues de Sermur entre 1049 et 1109. Chacun participe à
2544
L. PRESSOUYRE, P. BENOIT, L’hydraulique monastique…, op. cit., 1995 ; G. de COMMINES (dir.),
« Les abbayes cisterciennes et leurs granges », Cahiers de la Ligue Urbaine et rurale, n° 109, 1990, Paris ; F.
BLARY, Le domaine de Chaalis…, op. cit.; K. BERTHIER, J. ROUILLARD, « Nouvelles recherches sur
l’hydraulique cistercienne en Bourgogne, Champagne et Franche-Comté », Archéologie Médiévale, T 28, 1998,
CNRS, Paris, p. 121-148 ; C. WISSENBERG, Entre Champagne et Bourgogne…, op. cit.
2545
D. CAILLEAUX, « Enquête sur les bâtiments industriels cisterciens, l’exemple de Preuilly », Bulletin de la
Société Nationale des Antiquaires de France, 1991, p. 151-164.
- 957 -
l’approvisionnement de Cluny par un versement en somme d’argent ou de produits en nature.
Les doyennés s’implantent le plus souvent dans des sites de plaine, sur des lieux de passage
(voies de Saint-Jacques de Compostelle) et près de cours d’eau, d’anciennes voies romaines,
de croisée de chemins et de routes commerciales, ce qui n’est guère différent des installations
cisterciennes2546.
La maîtrise des cours d’eau n’est visiblement pas non plus une prérogative
cistercienne puisque saint Benoît, dans le chapitre 66 de sa règle, impose à toute communauté
monastique de disposer d’un moulin pour assurer son autarcie. Qu’il s’agisse d’un monastère
clunisien, d’une celle grandmontaine, d’une chartreuse, l’eau est indispensable à la survie de
la communauté et d’innombrables exemples en témoignent.
Dès le XIème siècle, des puits sont creusés et recreusés à Saint-Florent-Le-Vieil. À
Fontevrault, un égout collecteur souterrain entièrement voûté desservait les latrines et pouvait
servir de régulateur en cas d’orage et de fortes précipitations. La qualité de sa mise en œuvre
n’a rien à envier aux créations cisterciennes.
Les lavabos ne sont pas non plus une prérogative des cloîtres cisterciens. Le plan de
Saint-Gall indique une vasque dans le réfectoire même [Fig. 1008]. Dès 840, nous savons
qu’il existait une fontaine dans le cloître de Notre-Dame du Mans. D’autres sont connues au
Xème siècle à Saint-Florent-de-Saumur, Lobbes, Saint-Benoît-sur-Loire. Les ouvrages liés à
l’eau sont indispensables à chaque communauté monastique quelque soit son obédience, et ce
dès les premières expériences cénobitiques2547.
Gilles ROLLIER a largement étudié l’hydraulique clunisienne et la juge, à juste titre,
aussi remarquable que les réseaux hydrauliques cisterciens2548. Il analyse les installations de
l’abbaye de Cluny même. Dès 910, les moines noirs détournent la Grosne et prouvent ainsi
leur maîtrise des cours d’eau et leur intérêt pour des techniques hydrauliques, trois siècles
avant le détournement de la Sansfond par les moines de Cîteaux 2549. Les fouilles
archéologiques menées à diverses reprises sur le site monastique ont révélé la présence de
drains se présentant sous la forme de canaux maçonnés couverts de dalles. Au niveau de
l’avant-nef, le système de drainage permet l’assainissement des fondations du portail. Ces
2546
D. MÉHU, « Le domaine de l’abbaye de Cluny », dans l’ouvrage collectif, « Cluny ou la puissance des
moines. Histoire de l’abbaye et de son ordre. 910-1790 », Dossiers d’Archéologie, n° 269, 2002, p. 114-119.
2547
P. GILLON, « Notions d’architecture et de topographie monastique. État de quelques questions » dans P.
RACINET, J. SCHWERDROFFER (dir.), Méthodes …, op. cit., p. 265-300.
2548
G. ROLLIER, Cluny. Documentation d’évaluation du patrimoine archéologique urbain, AFAN, 1994 ; G.
ROLLIER, « De l’eau et des moines », dans « Cluny ou la puissance des moines… », op. cit., p. 106-109.
2549
D. LOHRMANN, « Monachisme et techniques hydrauliques » dans C. HELTZEN, R. DE VOS (dir.),
Monachisme et technologie dans la société médiévale du Xème au XIIIème siècles, Cluny, 1991, p. 349-362.
- 958 -
aménagements révèlent ainsi une parfaite maîtrise de l’hydraulique en relation avec des
questions d’assainissement2550.
C’est le cas également du monastère de Lewes, premier établissement clunisien fondé
en Angleterre entre 1078 et 1082 et dont le réseau hydraulique est relativement bien connu.
Les moines prennent exemple sur Cluny II pour les travaux d’assainissement. Des
canalisations alimentent ainsi deux latrines dès le XIème siècle. Un lavabo est édifié en
marbre de Tournai vers 1160 et deux puits sont percés dans le cloître2551.
Les moines clunisiens sont peut-être plus confrontés à des problèmes d’évacuation des
eaux usées, d’adduction en eau potable que les cisterciens mettant les biefs, canaux, digues et
moulins au service de la production, de l’artisanat, voire des préindustries.
Toutefois, les moines clunisiens disposent également de moulins. Cluny acquiert en
effet un réseau de rivières canalisées pour les besoins de trois gros moulins. Ils sont associés à
une digue appelée « chaussée du grand Étang » jouant également un rôle de protection. Un
système de différents biefs s’amorce à ce niveau de 370m de long pour 42m de large. Le
ruisseau est canalisé dans la ville soit dans un large fossé, soit dans des conduites souterraines.
L’eau se déverse dans l’Étang Vieux. Le plan d’eau est créé par une digue barrant la vallée
sur près de 400m de long. La datation en est malaisée. Les moulins relevaient sans doute du
XIIIème siècle. D’autre part, Arlette MAQUET, dans sa récente thèse sur les clunisiens en
Auvergne, précise que beaucoup de communautés clunisiennes possèdent des moulins. Il
s’agit de structures simples, généralement placées sur de petits cours d’eau. Ces moulins
s’accompagnent de droits sur les rivières, sur des ponts par des péages ou des bacs (SaintGermain-des-Fossés, Sauxillanges)2552.
Dans son étude sur les étangs en Languedoc méditerranéen, Jean-Loup ABBÉ
relativise également le rôle des cisterciens dans l’assèchement de l’assainissement des marais
et étangs. L’assèchement du marais poitevin est souvent pris en exemple de la prééminence
des moines blancs pour des questions d’hydraulique. En effet, vers 1180-1190, six abbayes
cisterciennes interviennent : La Grâce-Dieu (com. Benon, Charente-Maritime), La GrâceNotre-Dame-de-Charron (com. Charron, Charente-Maritime), Saint-Léonard-des-Chaumes
(fille de l’abbaye de Boeuil, com. Dompierre-sur-Mer, Charente-Maritime), Moreilles (com.
Moreilles, Vendée), Trizay (com. saint-Vincent-Puymaufrais, Vendée) et Bois-Grolland (com.
2550
G. ROLLIER, « Une hydraulique a-t-elle existé à l’abbaye de Cluny ? », dans C. HELTZEN, R. DE VOS
(dir.), op.cit, p. 407-421.
2551
F. ANDERSON, « Le système hydraulique et le lavabo du prieuré de Lewes », dans L. PRESSOUYRE, P.
BENOÎT (dir.), L’hydraulique monastique…, op. cit., p. 55-63.
2552
A. MAQUET, Cluny en Auvergne. 910-1156, thèse, dir. Michel PARISSE, Paris I, 2006, vol. II, p. 580-581.
- 959 -
Le Poiroux, Vendée). Elles passent pour cela des accords avec les seigneurs laïcs. Jean-Loup
ABBÉ émet deux réserves quant aux interventions cisterciennes. Elles masquent en effet
fréquemment les actions d’autres communautés, religieuses ou non, ayant peut-être laissé
moins de sources archivistiques : c’est le cas des chanoines de Coïmbra pour le Bas Mondego,
des bénédictins de Laach dans l’Eifel ou des ordres militaires dans le contexte de la
Reconquista ibérique. D’autre part, l’auteur est très réservé quant à la nature de leur
intervention : les cisterciens semblent plutôt développer à leur profit des initiatives antérieures
prises par d’autres, en concertation avec les communautés rurales présentes. Ils ne seraient
ainsi pas les initiateurs de ces travaux d’assainissement et d’assèchement mais prendraient
bien souvent « le train en marche »2553. Cette analyse est confirmée par Élisabeth ZADORARIO qui atteste de trois temps dans les opérations de drainage du Marais Poitevin : un premier
temps correspondant aux initiatives locales de paysans aisés, suivi vers 1180-1190 par une
intervention non coordonnée des six abbayes cisterciennes précédemment citées, qui ont
totalement évincé les premiers entrepreneurs. De 1180 à 1220, ce sont donc les moines
cisterciens qui modifient le marais. Un troisième temps correspond enfin à une tardive
intervention du pouvoir royal2554.
Armelle BONIS et Monique WABONT ont contribué à mettre en place une typologie
des aménagements hydrauliques des sites cisterciens, certes éprouvée en France du Nord,
mais pouvant s’appliquer à d’autres réalités aquitaines ou méridionales2555.
Les monastères cisterciens peuvent ainsi être alimentés par des biefs, telles les abbayes
de Foigny (com. La Bouteille, Aisne), l’Eau (com. Ver-lès-Chartres, Eure-et-Loir) et les
Blanches (com. Mortain, Manche) [Fig. 1056]; par un chapelet d’étangs comme à Maubuisson
(com. Saint-Ouen l’Aumône, Val d’Oise), Longpont (com. Longpont, Aisne), Le Paraclet
(com. Boves, Somme), Les Clairets (com. Mâle, Orne) et l’Abbaye-aux-Bois (com. Paris,
Paris) [Fig. 1057]. C’est le cas également à Morimond. Un système d’étangs est mis en place
pour assurer l’alimentation en eau du monastère. Ils s’organisent en chapelet : une chaussée
est en contact avec deux étendues d’eau, une en amont, l’autre en aval. Ces retenues d’eau
permettent la pisciculture. Les chaussées sont principalement en terre avec des parties
2553
J-L. ABBÉ, À la conquête des étangs…, op. cit., p. 48.
É. ZADORA-RIO, « Aménagements hydrauliques et inférences socio-politiques : études de cas au MoyenÂge », dans J. BURNOUF, P. LEVEAU, op. cit., p. 387-393
2555
A. BONIS, M. WABONT, « Cisterciens et Cisterciennes en France du Nord-ouest. Typologie des fondations,
typologie des sites », dans B. BARRIÈRE, M-E. HENNEAU (dir.), Cîteaux et les femmes, Créaphis, Paris, 2001,
p. 151-176 ; A. BONIS, M. WABONT, « Les abbayes cisterciennes en Ile-de-France », dans L’Ile-de-France
médiévale, T II, Paris, 2001, p. 24-27.
2554
- 960 -
maçonnées. Des vannes de vidange et des déversoirs permettent d’éliminer les surplus. En
plus de ce système d’étangs, cinq sources sont repérées dans l’enclos monastique. Des
captages permettent l’alimentation en eau potable ainsi que le fonctionnement d’installations
cultuelles, fonctionnelles et ornementales comme le lavabo devant les cuisines, le petit bassin
au centre du cloître et le bassin de la porterie2556.
Les monastères peuvent être bâtis dans une vallée étroite et occuper le lit même de la
rivière qui est dès lors rejeté sur un flanc de la vallée (Mortemer, com. Lisors, Eure ; Barbeau,
com. Fontaine-Le-Port, Seine-et-Marne) [Fig. 1058].
Ils s’installent parfois en tête de vallée, établis près de sources abondantes (Le Trésor,
com. Bus-Saint-Rémy, Eure ; l’Aumône, com. La Colombe, Loir-et-Cher) [Fig. 1059].
Enfin, certaines abbayes sont bâties au cœur de marécages comme Cercanceaux (com.
Souppes-sur-le-Loing, Seine-et-Marne) et Lieudieu (com. Beauchamps, Somme) [Fig. 1060].
Cercanceaux est alimentée par un bief de deux kilomètres reliant deux rivières. Pour Armelle
BONIS, cette ingratitude des lieux est acceptée, mais jamais recherchée pour elle-même
comme le prouvent un certain nombre de transferts dus au manque d’eau (cas de Valette,
originellement prévue sur la commune de Doumis-Le-Pestre, Cantal). D’après les deux
historiennes, ce sont les deux premiers types qui sont majoritaires. Quels sont les choix des
moines cisterciens du diocèse de Limoges ?
Certains édifices cisterciens s’installent directement aux bords d’un cours d’eau, ce qui
supprime la question de l’acheminement en eau courante, mais pose par ailleurs le problème
des crues et inondations. C’est le cas à Coyroux où le monastère de moniales est en contiguïté
directe avec le ruisseau du même nom, d’où de fréquents remaniements des bâtiments
conventuels, régulièrement détruits par les crues. Le même parti est adopté à Peyrouse. Le
monastère occupe le fond plat et inondable de la vallée étroite et encaissée du ruisseau du
Palin. À 250m en amont, un étang est créé par les moines, barré par une digue massive. Il
tient ainsi le rôle de régulateur, de tampon en cas de crues. En aval, un grand vivier en « L »
alimenté par le Palin sert de fossé à l’enclos monastique [Fig. 694].
Chaque abbaye semble créer son propre système d’alimentation en eau courante par
dérivation à partir d’un cours d’eau, mais la plupart du temps à l’écart de celui-ci. L’abbaye
est généralement construite sur le versant ou à son pied. Chacun des cours d’eau associé à une
2556
B. ROUZEAU, E. MADIGAND, « L’hydraulique dans l’enclos de l’abbaye de Morimond.
Approvisionnement, réseaux et fonctions, de la fondation à nos jours », dans G. VIARD (dir.), L’abbaye
cistercienne de Morimond. Histoire et rayonnement, colloque international de Langres, 2003, Langres, 2005, p.
179-204.
- 961 -
abbaye a fait l’objet d’aménagements, qu’il s’agisse du Coyroux, du Cluzeau à Prébenoît ou
de la Tardes à Bonlieu. Chaque abbaye s’équipe de viviers, d’étangs servant de réserve de
poissons, mais aussi de moulins, de pressoirs ou de forges. Les étangs peuvent également
permettre de protéger le site abbatial, notamment pour les sites de fond de vallée. En effet, ces
étangs évitent les crues en servant de réservoir. Ils sont dotés de digues imposantes (Peyrouse)
[Fig. 715]. Les granges utilisent généralement les mêmes équipements (grange de Brocq
dépendant de Valette avec son chemin-digue) [Fig. 614]2557.
L’abbaye de Boschaud toutefois pose problème et ne semble pas entrer dans l’un des
types définis par Armelle BONIS et Monique WABONT. En effet, aucun vestige d’adduction
en eau n’a été retrouvé à ce jour. Il semblerait que les moines se soient contentés d’un ou
plusieurs puits. Des investigations archéologiques plus poussées seraient nécessaires afin de
préciser l’alimentation en eau du monastère [Fig. 188].
Beaucoup de monastères cisterciens du diocèse de Limoges semblent choisir
l’alimentation par dérivation, permise par un bief. C’est le cas à Prébenoît où les douvesviviers sont alimentées par une dérivation du Cluzeau longue de 80m environ. Le Cluzeau est
barré à deux reprises par l’Étang des Côtes et l’Étang Noir munis de digues aujourd’hui
disparues [Fig. 376]. À Aubepierres, située en contrehaut de la confluence de deux ruisseaux,
l’alimentation en eau est là aussi assurée par une dérivation. Le « Ruisseau de l’Abbé » résulte
de la capture de plusieurs sources situées à plus de deux kilomètres en amont des bâtiments
monastiques [Fig. 624]. Ce ruisseau vient se jeter dans un vivier encore perceptible
aujourd’hui dans le paysage, même s’il n’est plus en eau [Fig. 629]. De même à La Colombe,
monastère implanté à mi-versant de la vallée du Vavret, l’adduction en eau est permise par
une capture sur le Vavret. Ce bief alimente deux grands viviers allongés en contre bas de
l’abbaye [Fig. 651].
Certains monastères ont bénéficié de la présence de sources proches. L’abbaye de
Bonnaigue, implantée près du ruisseau de la Dozanne, est placée à la tête d’un vallon
alimentée par plusieurs sources. À 50m à l’est du chevet de l’abbatiale, un vivier est aménagé
sur le ruisseau de Bonnaigue [Fig. 391 et 425]. Les moines ont également mis en place deux
proches étangs dont celui de Vénard est encore perceptible, ainsi que sa digue.
L’abbaye de Grosbot s’est implantée sur un site riche en sources qui, captées et
domestiquées, sont acheminées par un réseau de canalisations souterraines [Fig. 470 et 471].
2557
B. BARRIÈRE (dir.), Moines en Limousin…, op. cit., p. 103.
- 962 -
Au Palais-Notre-Dame, une source est captée à l’est, en contrehaut des bâtiments
monastiques [Fig. 305]. De nouveaux sondages archéologiques devraient permettre de mieux
cerner l’alimentation en eau, particulièrement au niveau du cloître encore méconnu.
Le monastère d’Aubignac occupe le bas du versant du vallon du Chassepin. Il est
alimenté en eau par une source aménagée près de l’abbaye.
De même à Boeuil, les différents viviers ainsi que les bâtiments monastiques sont
alimentés par des sources captées [Fig. 122 à 125]. Ce versant de la vallée du Glanet est par
ailleurs très humide, d’où la nécessité d’établir un chemin-digue pour la franchir, bâti de gros
moellons de granite. Le cours du Glanet est quant à lui barré en plusieurs points pour
aménager étangs et moulins, tels l’étang et le moulin de Pellechevant encore conservés
aujourd’hui [Fig. 129].
À Bonlieu, les moines se sont directement installés sur le bord de la Tardes [Fig. 136].
Ils ont repoussé son cours contre sa rive droite en contrebas du chevet. Est ainsi créée une
dénivellation accentuée ayant donné lieu à des aménagements particuliers (digue, déversoirs,
réservoir, vivier). La rivière est domestiquée, jalonnée d’installations comme cette dérivation
en direction du moulin directement bâti dans l’enclos monastique2558.
L’abbaye d’Obazine fait quelque peu figure d’exception. Les moines se sont installés
sur un replat bien exposé, et non dans un fond de vallée comme souvent dans un cadre
cistercien [Fig. 532]. N’ayant pas d’alimentation en eau directement sur le site, les moines ont
dû capter l’eau du Coyroux et l’acheminer jusqu’aux bâtiments monastiques par le « Canal
des Moines », aboutissant directement dans le vivier attenant à l’abbaye. Un cas de figure
similaire peut être celui de l’abbaye de Cîteaux. En effet, les moines ne disposent pas d’une
alimentation en eau suffisante pour la survie d’une communauté de plus en plus nombreuse.
En 1212, ils décident donc de détourner la Sansfond. Elle est canalisée jusqu’au monastère
par un canal de 10 km, large de 2 à 8m, profond de 1.50m environ. Ils doivent pour cela
mettre en œuvre un pont aqueduc, le pont des Arvaux, permettant de franchir à cinq mètres de
hauteur un cours d’eau. Cette dérivation va conduire au façonnage progressif du paysage
autour de Cîteaux et la création de multiples étangs et moulins dans le vallon du Coindon2559.
Les acquisitions de moulins sont très fréquentes chez les cisterciens. Les moulins à
roue horizontale prédominent apparemment dans les zones méridionales. Ils correspondent
souvent à de petites communautés, à des zones de montagne aux réseaux hydrauliques
2558
B. BARRIÈRE, op. cit., p. 108.
K. BERTHIER, J. ROUILLARD, « Nouvelles recherches sur l’hydraulique cistercienne en Bourgogne,
Champagne et Franche-Comté », Archéologie Médiévale, T 28, 1998, CNRS, Paris, p. 121-148.
2559
- 963 -
restreints. Le rendement est modeste, le broyage irrégulier, la farine assez grossière mais ces
installations simples sont peu coûteuses par rapport aux moulins à roue verticale. Plus
complexes, ils nécessitent un débit constant et important. Ils dominent dans les pays
septentrionaux, dans les zones de plaine avec des cours d’eau plus puissants. Ils bénéficient
d’une plus grande efficacité potentielle mais nécessitent des techniciens qualifiés2560.
D’après des statistiques d’Yves POURCHER en 1809 les installations creusoises
adoptent majoritairement la roue verticale. En Haute-Vienne, elle concerne 80% des moulins
tandis que 20% adoptent la roue horizontale. La Corrèze, plus nettement tournée vers le Midi,
opte pour la roue horizontale2561. Dans le diocèse de Limoges, il y a donc hésitation et
adoption partagée. Néanmoins, considérant ces faits, ne peut-on pas aussi envisager
l’hypothèse d’une continuité des techniques médiévales à l’époque moderne ? Nos
informations concernant le moulin médiéval sont trop ténues pour conclure.
Une spécificité des moulins cisterciens pourrait être liée à leur vocation industrielle : si
les moulins céréaliers prédominent, des moulins à foulon et à tan sont évoqués dans les actes.
C’est le cas pour certaines abbayes du diocèse de Limoges. D’après le cartulaire d’Aubignac,
les frères Porret ont cédé aux moines leurs droits de propriété sur le moulin de Malherbe où ils
font moudre leurs grains et fouler leurs draps2562. À l’abbaye de la Colombe, un moulin à huile
dont la meule servait à écraser les noix existe encore en contrebas du monastère. Les moines
de Bonlieu arrentent deux moulins en 1331, l’un à blé, l’autre à « mailler », c’est-à-dire à
broyer des tiges de chanvre. En 1414, deux moulins, à blé et à foulon, sont cités à côté de
l’étang d’Auge2563. Toutefois, s’agit-il vraiment d’une originalité de l’ordre ? Certaines études
sur Cluny permettent d’en douter. Lors de son doctorat sur l’implantation clunisienne en
Auvergne, Arlette MAQUET constate que si les moulins céréaliers sont les plus fréquents
d’après les censiers, il existe néanmoins des moulins à foulons pour battre draps et écorce.
Cette pratique semble se développer au XIIème siècle grâce à l’usage de l’arbre à cames
permettant de transformer le mouvement rotatif en mouvement alternatif. Un usage
préindustriel est donc également avéré pour certains moulins clunisiens (Sauxillanges
notamment)2564.
B. PHALIP, « Le moulin à eau médiéval. Problème et apport de la documentation
languedocienne », Archéologie du Midi Médiéval, T X, 1992, p. 63-96.
2560
2561
Y. POURCHER, La trémie et le rouet, moulins, industrie textile et manufactures de Lozère à travers leur
histoire, Les Presses du Languedoc, 1989, p. 17.
2562
AD Creuse, H 250.
2563
AD Creuse, H 240.
2564
A. MAQUET, op. cit., vol. I, p. 178.
- 964 -
Pour Karine BERTHIER et Joséphine ROUILLARD, la spécificité cistercienne
tiendrait à la présence de bâtiments industriels utilisant l’énergie hydraulique. Ces bâtiments
sont d’ailleurs fréquemment réutilisés en tant que tel jusqu’au siècle dernier, qu’il s’agisse de
moulins industriels à vocation textile ou de forges hydrauliques2565. Les forges les mieux
préservées sont celles de Bourgogne, telles Fontenay, La Bussière, Fontaine-Jean, Jouy et
Preuilly2566.
Ces forges hydrauliques peuvent être envisagées pour les abbayes du diocèse de
Limoges, structures surtout mises en place à la fin du XIIème siècle et usitées durant le
XIIIème siècle. La force hydraulique sert à mouvoir de lourds marteaux à l’aide d’un système
de cames2567. Ces installations, fragiles, sont toutefois rarement conservées. Des sondages
archéologiques révèlent parfois des amoncellements de scories comme à Prébenoît.
Malheureusement, les archives sont muettes sur ce type d’exploitation. Nous savons que la
grange de Bougnat dépendant de l’abbaye de Bonlieu (com. Saint-Marien) dispose de forges.
Cette région bénéficie en effet d’une forte densité de matière ferreuse. La densité du réseau
hydraulique laisse à penser qu’il s’agissait probablement de forges hydrauliques2568.
Les forges cisterciennes les mieux connues et les mieux documentées sont celles de
Bourgogne et du nord de la France. Une forge est identifiée à l’abbaye de Morimond. Le
ferrier a été daté au C 14 après 1665 et jusqu’à l’époque contemporaine. Il est donc à associer
à des ateliers modernes. Pour Benoît ROUZEAU, il s’agissait vraisemblablement d’une forge
maréchale pour façonner et retraiter les objets tordus ou cassés. Dans le cas de Fontenay, la
forge est directement située dans l’enclos monastique. Le puits d’exploitation du minerai est
situé dans le plateau tout proche. À Morimond, deux bâtiments avec leurs dépendances sont
bâtis le long du cours du Flambart canalisé. Il a pu actionner une roue hydraulique comme
dans le bâtiment industriel de la forge de Fontenay. Les structures de Morimond disposent
d’un appentis pour le stockage comme on le perçoit dans l’iconographie minière et
métallurgique des XIVème et XVème siècles. Il existe peut-être d’autres activités que la
métallurgie (foulon, tannerie, meunerie)2569.
2565
K. BERTHIER, J. ROUILLARD, op. cit.
D. CAILLEAUX, « Enquête sur les bâtiments industriels cisterciens…», op. cit., p. 151-164.
2567
C. VERNA, Les mines et les forges des cisterciens…, op. cit., p. 22.
2568
M. NOUGER, Patrimoine et environnement aristocratique de l’abbaye cistercienne de Bonlieu en Creuse
aux XIIème et XIIIème siècles, maîtrise, Limoges, 1998, p. 207.
2569
B. ROUZEAU, « L’activité industrielle des moines blancs à Morimond aux époques médiévale et moderne
d’après les sources écrites et archéologiques : métallurgie et bâtiment industriel cistercien dans l’enclos », dans
G. VIARD (dir.), L’abbaye cistercienne de Morimond…, op. cit., p. 205-240.
2566
- 965 -
Néanmoins, les études récentes de Mathieu ARNOUX tendent à remettre en question
l’idée d’une « sidérurgie cistercienne » que le seul exemple monumental de la forge de
Fontenay ne peut suffire à justifier. Prenant l’exemple de la Normandie, il constate que les
moines blancs restent plutôt discrets quant à la métallurgie. Leur puissance commerciale se
perçoit bien plus dans leur forte présence aux foires de Champagne. Il n’y a pas de réelle
originalité cistercienne par rapport aux autres établissements du duché concernant la
production sidérurgique. Mathieu ARNOUX fait état d’une relative indifférence à l’égard de
la production du fer, de même que les bénédictins et chanoines réguliers. La production est
avant tout seigneuriale2570. Il cite les exemples des abbayes de Savigny et de Beaubec,
implantées dans une région minière, mais ne profitant pourtant pas de cette production. De
même dans la province de Rouen où les moines de La Valasse et La Noe ne possèdent pas de
forges malgré une activité minière très présente.
Le seul contre-exemple avéré est celui de Mortemer, fondée par Clairvaux en 1130
dans la forêt de Lyons. Celle-ci est amplement dotée de droits d’usage forestiers, à tel point
que le monopole des férons locaux est quelque peu mis en danger par la vente du fer produit
par les moines blancs. L’historien met également en évidence les réussites plutôt modestes
des abbayes de l’Éstrée, des Vaux-de-Cernay et de la Trappe. En effet, l’Éstrée parvient à
exploiter timidement le minerai du pays d’Ouche avec une forge attestée, celle de la Ferrière.
Concernant la Trappe, une activité sidérurgique peut être déduite de la présence de proches
gisements de minerai. Deux granges détenues dans le pays d’Ouche sont accompagnées de
droits d’usage dans la forêt de Breteuil, ce qui ne veut toutefois pas dire que celui-ci était à
usage sidérurgique. Il pourrait s’agir de bois de chauffe ou de bois d’œuvre. Toutefois, la
Trappe a acquis des terres sur des sites d’extraction et dispose ainsi de la mine du « Val aux
Moines ».
Pour Mathieu ARNOUX, les cisterciens ont la volonté de s’insérer par le biais du
commerce du bois dans le marché de la sidérurgie, en se « créant des ressources forestières
d’autant plus intéressantes que leur statut légal les soustrait aux prélèvements de la fiscalité
royale, et en rétablissant des terres sans doute pauvres, que leur vocation céréalière soumettait
à la servitude supplémentaire des pratiques communautaires ». La finalité commerciale
semble caractéristique de la gestion des cisterciens. En Normandie, ils se heurtent toutefois au
manque de ressources forestières, le patrimoine forestier étant largement laissé à l’économie
seigneuriale2571.
2570
2571
M. ARNOUX, Mineurs, férons et maîtres de forge…, op. cit., p. 278.
M. ARNOUX, op. cit., p. 287 et 295.
- 966 -
•
Une « originalité » cistercienne. Cohérences entre lieux de
prière et lieux de labeur :
Les textes cisterciens révèlent une tendance à revaloriser le travail manuel, considéré
comme un chemin vers Dieu de même que les prières et offices liturgiques. Cette vision très
positive du labeur pourrait expliquer certaines cohérences affirmées entre la mise en œuvre
des abbatiales, des bâtiments conventuels et artisanaux. Qu’il s’agisse des aménagements des
convers, des granges, moulins ou sanctuaires, les formulations architecturales et sculptées
sont souvent similaires, ce qui pourrait constituer une des spécificités, une originalité des
exploitations cisterciennes. Si les bâtiments utilitaires clunisiens, les doyennés, sont peu
différents de ceux des cisterciens et d’autres ordres religieux, la différence est toutefois nette
avec l’architecture et le décor des sanctuaires et édifices religieux de l’ordre clunisien. Nous
ne retrouvons pas cette cohérence entre doyennés et églises de Cluny comme au sein de
l’ordre cistercien. Le travail est pour eux déprécié. Prière et liturgie ont la primauté et
bénéficient d’investissements importants, de soins particuliers tandis que les granges,
prieurés, doyennés et moulins ne sont pas l’objet d’attentions aussi marquées que les
sanctuaires. À Cluny, ces bâtiments utilitaires sont séparés par la topographie du groupe
religieux mais également par le mode de construction. Philippe RACINET constate que les
lieux réguliers sont souvent couverts de tuiles et d’ardoises tandis que les édifices à vocation
artisanale utilisent fréquemment un toit de chaume. Ils adoptent un plan de masse, une
construction en pierres de bonne qualité mais dont les décors sont sans commune mesure avec
ceux des églises clunisiennes2572.
Avant d’évoquer les granges et bâtiments artisanaux cisterciens, certaines similitudes
entre les sanctuaires et les bâtiments des convers parfois simplement utilitaires (réfectoire,
dortoir, cuisines) peuvent être établies. Guy de COMMINES précise qu’il n’y a en effet que
peu de différences entre les bâtiments destinés aux simples convers et les bâtiments réservés
aux moines de chœur. Ce sont les mêmes formulations pour les ouvrages laïcs et ceux des
clercs. Les frontières liturgiques ne semblent pas trouver d’expression tangible au sein des
créations artistiques et de l’art de bâtir2573.
2572
P. GARRIGOU-GRANDCHAMP, A. GUERREAU, J. D. SALVÈQUE, « Doyennés et granges de l’abbaye
de Cluny (…), » op.cit, p. 71-113.
2573
G. de COMMINES (dir.), « Les abbayes cisterciennes et leurs granges », Cahiers de la Ligue Urbaine et
rurale, n° 109, 1990, Paris, p. 2.
- 967 -
À la « Grange de Boeuil », le bâtiment des convers conservé, appelé « Maison des
Religieuses », est aujourd’hui très remanié et en très mauvais état de conservation. La
charpente est très dégradée, l’enduit blanc recouvrant les parements est presque entièrement
tombé [Fig. 132]. Le bâtiment est visiblement à l’abandon et ne bénéficie d’aucun entretien.
Cette dégradation n’empêche toutefois pas certaines constatations. Il est bâti en appareil
mixte : les parements mêlent de belles pierres de taille en moyen appareil régulier de granite,
des moellons, de petites pierres de calage, des tuiles, le tout pris dans un mortier à forte
proportion de chaux. L’ensemble est assez désorganisé. Par ailleurs, les piédroits de baies et
de portes, les harpages sont de moyen appareil régulier soigné. Parfois des blocs massifs en
grand appareil sont utilisés, provenant peut-être du bâtiment médiéval originel, sans doute
édifié avec un soin manifeste si l’on en juge par la qualité des matériaux et de la taille de ces
éléments primitifs remployés. Il ne devait y avoir que peu de différences entre la mise en
œuvre de ce bâtiment des convers et celle de l’église abbatiale, aujourd’hui connue par des
éléments lapidaires où la qualité de la taille est indéniable.
La disparition (Prébenoît, Le Palais, Boeuil) ou les profonds remaniements successifs
(Varennes, Obazine) subis par les bâtiments des convers dans un cadre cistercien limousin
nous conduit à nous tourner vers d’autres régions, d’autres abbayes mieux documentées
pouvant étayer ce propos.
La monographie de Thomas COOMANS sur l’abbaye cistercienne de Villers (com.
Villers-La-Ville, Brabant) est ainsi exemplaire pour cette analyse2574. L’auteur décrit en effet
le réfectoire comme un vaste volume quadrangulaire calé entre deux pignons assez similaire
aux « églises-granges » de Haute-Marche. Il est voûté d’ogives reposant sur des culots. Le
profil de nervures et les décors des culots sont très semblables à ceux de l’église. Le chauffoir
est voûté d’arêtes et présente des chapiteaux à corbeilles lisses proches de ceux observés dans
la nef. Qu’il s’agisse d’un sanctuaire ou d’un lieu simplement lié au bien-être corporel, le
même vocabulaire stylistique et décoratif peut être requis. L’hôtellerie se compose de même
d’un volume quadrangulaire encadré de deux pignons. Elle se divise en deux nefs de sept
travées. Elle se rapproche ainsi de l’architecture des granges type Vaulerent et Fourcheret
[Fig. 1061 et 1062].
Michel FIXOT livre quant à lui une étude archéologique des bâtiments conventuels de
Silvacane (com. La-Roque-d’Anthéron, Bouches-du-Rhône) et du Thoronet (com. le
Thoronet, Var). Il constate en particulier que l’hôtellerie de Silvacane dispose d’une
2574
T. COOMANS, L’abbaye de Villers-en-Brabant…, op. cit., p. 357.
- 968 -
architecture aussi soignée que celle de l’abbatiale. Une recherche décorative est certaine. Les
moines blancs semblent ainsi accorder autant de soin au sanctuaire, lieu de prières et d’offices
liturgiques, qu’à un simple lieu d’accueil ou même à un réfectoire pourtant destiné à satisfaire
des besoins corporels largement dépréciés par des moines contemplatifs plus proches des
méditations de Marie que de l’affairement de Marthe2575.
Yves ESQUIEU constate dans sa récente étude sur les installations monastiques du
Thoronet que le bâtiment des convers est de grande qualité pouvant être comparée à la mise
en œuvre des bâtiments des moines de chœur. Les convers disposent d’un réfectoire voûté
d’ogives, à la pointe des initiatives gothiques. Le dortoir est quant à lui en berceau brisé. Les
frères lais disposent également de latrines, à la manière des moines de chœur. Quant à
« l’hôtellerie » en ruines, il s’agit d’après Yves ESQUIEU plutôt d’une grange ou d’une cave
à vin. Les pierres sont plus sommairement équarries que pour les bâtiments claustraux. Il
s’agit d’un volume rectangulaire encadré de deux pignons, ouvert de jours ébrasés, assez
similaire aux granges septentrionales ou aux « églises-granges » de Haute-Marche2576.
À Clairvaux, le bâtiment des convers est vraisemblablement achevé dans la seconde
moitié du XIIème siècle. Il s’agit d’un vaste bâtiment de 80m de long pour 17.70m de large. Il
se compose de deux étages chacune divisé en trois nefs de 14 travées par deux files de
colonnes. Le rez-de-chaussée est voûté d’ogives, l’étage d’arêtes. À l’extérieur, les murs
gouttereaux sont rythmés en travées par « des contreforts que réunissent, à leur tête, des arcs
de décharge en plein-cintre ». Les baies percées sont en plein-cintre. Des vestiges d’enduits
peints sont observables sur les voûtes et ébrasements internes des baies, représentant un
appareil à faux-joints, comme dans certaines abbatiales cisterciennes (Villers, Coyroux,
Prébenoît, Le Palais). Ainsi, qu’il s’agisse du voûtement, des percements, des peintures ou de
la qualité de la mise en œuvre, il n’y a que peu de différences avec les réalités abbatiales2577.
Edouard NORTON souligne quant à lui à propos des décorations intérieures que les
carreaux de pavements, s’ils sont cantonnés aux cathédrales et grandes abbatiales jusqu’au
milieu du XIIIème siècle, s’étendent rapidement aux bâtiments conventuels. Il n’y aurait ainsi
pas de décor propre aux abbatiales, aux sanctuaires, valorisés par rapport à des bâtiments à
vocation domestique. Ainsi, à Brocq (com. Menet, Cantal), grange cistercienne de l’abbaye de
2575
M. FIXOT, « Porteries, bâtiments d’accueil et métallurgie aux abbayes de Silvacane et du Thoronet »,
Archéologie Médiévale, T XX, 1990, CNRS, Paris, p. 181-252.
2576
Y. ESQUIEU, V. EGGERT, J. MANSUY, Le Thoronet …, op. cit., p. 62 et 65.
2577
J-M. MUSSO, M. MIGUET, « Le bâtiment des convers de l’abbaye de Clairvaux : Histoire, archéologie,
restauration », Les cahiers de la Ligue Urbaine et Rurale : Patrimoine et cadre de Vie, T 109, 1990, p. 224-232.
- 969 -
Valette, un petit pavement de galets bicolores est mis en place à l’étage du bâtiment
d’habitation [Fig. 610].
Des cohérences sont également tangibles entre sanctuaires et bâtiments d’exploitations
agricoles et préindustrielles (granges, moulins, forges). Yves ESQUIEU constate à ce propos
que « les moines cisterciens manifestèrent le même souci de perfection, d’efficacité dans la
mise en valeur du domaine agricole que dans l’art de s’élever à Dieu »2578, volonté qui
s’exprime visiblement à travers la mise en œuvre des bâtiments de ces exploitations agricoles
ou des ouvrages d’hydraulique.
Ces édifices à vocation artisanale sont toutefois globalement moins connus que les
églises et les cloîtres, rarement pris en compte par l’histoire de l’art. Les analyses
cisterciennes sont souvent réduites à celles de la spiritualité et de l’esthétique. L’architecture
rurale est d’ailleurs rarement inscrite à l’Inventaire ou classée et reste par conséquent
fréquemment à l’écart des protections officielles.
Les prospections menées sur les sites cisterciens du diocèse de Limoges et de ses
marges ont malheureusement peu livré de vestiges de granges médiévales. Elles ont souvent
été soit très remaniées au fil des siècles, soit détruites. Néanmoins, le domaine de Brocq,
dépendant de l’abbaye cistercienne de Valette conserve suffisamment de vestiges pour
constater la qualité certaine de la mise en œuvre [Fig. 609]. Des remaniements modernes sont
toutefois indéniables comme en témoignent les inscriptions sur les linteaux de la porte de la
grange à proprement parler et du bâtiment d’habitation [Fig. 610]. Les percements ont
vraisemblablement subi des modifications, tandis que les parties basses des parements
semblent cohérentes et peuvent correspondre à des réalités médiévales. Les soubassements du
bâtiment d’habitation sont de grand appareil régulier de tuf de très bonne qualité, taillé avec
soin. Des traces de piquetage sont encore visibles sur certains blocs. Les joints sont très
minces. La grange proprement dite est un vaste bâtiment longitudinal calé entre deux pignons
[Fig. 611]. Elle est fondée sur des blocs massifs non taillés. Les premières assises sont de
grand appareil à la manière de la maison d’habitation2579. Là encore, le tuf est taillé avec
beaucoup de précision et l’ensemble est assemblé avec soin. La qualité de la mise en œuvre
n’a ici rien à envier à celle d’une abbatiale.
Face à la quasi disparition (ou aux profonds remaniements) des granges cisterciennes
médiévales du diocèse de Limoges, dont il ne demeure généralement que le toponyme,
2578
2579
Y. ESQUIEU…, op. cit., p. 59.
Modules : 0.90 par 0.48 et 0.27m; 1.10 par 0.48 par 0.30m.
- 970 -
révélant bien souvent un hameau avec parfois quelques belles pierres de taille en remploi, il
semble nécessaire de se tourner vers d’autres diocèses, d’autres réalités pouvant se révéler
éclairantes pour notre propre cadre d’étude.
Pour Guy de COMMINES, il est évident que les cisterciens veulent que leurs granges
soient bâties avec autant de soin et de rigueur que les édifices religieux 2580. Elles représentent
des monuments dressés pour la célébration du travail désintéressé de l’homme, d’où le
caractère monumental de certaines granges, vastes halles destinées à abriter les récoltes. Son
analyse se base essentiellement sur des bâtiments d’exploitation de France septentrionale,
relativement bien conservés par rapport aux données envisagées pour le diocèse de Limoges.
Les pierres sont de bonne qualité, parfaitement taillées. Il cite l’exemple des granges de
Pontigny (com. Pontigny, Yonne). Sur les quinze exploitations des XIIème et XIIIème siècles,
seuls quatre bâtiments médiévaux sont actuellement conservés. Les murs sont épais, les
pierres de taille soigneusement équarries. Le voûtement est assez similaire à celui des
sanctuaires. La grange de Sainte-Procaire en particulier adopte un voûtement d’arêtes
reposant sur des chapiteaux à feuilles d’eau très similaires à ceux observés dans l’abbatiale.
Terryl KINDER s’est également penchée sur le domaine de Pontigny et met en
lumière ces cohérences entre bâtiments religieux et agricoles. La grange de Villiers par
exemple (com. Grimault, Yonne), propriété de Pontigny attestée vers 1145, est bâtie de belles
pierres de taille [Fig. 1063]. Elle est scandée de contreforts de la même manière qu’une église.
Les baies percées sont surmontées d’un arc brisé2581. Le bâtiment des convers est un volume
rectangulaire de 20 par 10m, entièrement en pierres de taille, encore utilisé aujourd’hui pour
le stockage du blé2582. L’étage servait de dortoir. Villiers disposait de sa propre chapelle du
fait de l’éloignement de Pontigny (environ trente-cinq km). La nef se présente comme un
simple rectangle sans autel, couvert d’une voûte en berceau brisé. Une abside flamboyante est
bâtie en 1479 lorsque la grange est mise à bail. À ces bâtiments s’ajoute une citerne de 8 par
16m, vaste espace souterrain de 4.15m de haut, divisé en deux nefs par une arcade de neuf
piliers chanfreinés. La mise en œuvre en est très soignée, les pierres taillées assemblées en
moyen appareil régulier, les joints sont minces2583.
2580
G. de COMMINES (dir.), « Les abbayes cisterciennes et leurs granges », op.cit, p. 2.
T. N. KINDER, « Pontigny et ses domaines. Richesse et précarité d’un patrimoine agricole », dans L.
PRESSOUYRE (dir.), L’Espace cistercien, Paris, CTHS, 1994, p. 441-450.
2582
Il semblerait que le goût prononcé des bâtisseurs cisterciens pour de vastes halles aux amples volumes ait
séduit les agriculteurs des XIXème et XXème siècles qui ont souvent réutilisé ces bâtiments comme aires de
stockage. Cette réutilisation a bien souvent permis leur conservation.
2583
T. N. KINDER, « La grange de Villiers », dans Cîteaux, à la découverte de 64 sites en France, Dossiers
d’Archéologie, n°234, juin-juillet 1998, p. 104-105.
2581
- 971 -
Non loin de Villiers, la grange de Oudun, dépendant de Reigny (com. Joux-La-Ville,
Yonne) présente des caractéristiques similaires. Le bâtiment conservé est de 20 par 10m. Le
rez-de-chaussée est voûté d’ogives, le premier étage couvert d’un berceau. La présence de
chapiteaux à crochets pourrait aller dans le sens d’une datation du premier tiers du XIIIème
siècle2584.
La grange de Vaulerent (com. Villeron, Val d’Oise) dépendant de Chaalis est
largement étudiée par Charles HIGOUNET [Fig. 1062]2585. Le plan basilical est choisi,
répondant aux besoins de stockage engendrés par de nouvelles pratiques agricoles (assolement
triennal). Avant le XIIème siècle en effet, les techniques de conservation des grains étaient
bien différentes : des greniers sur pieux isolés du sol étaient usités, de même que des silos,
simples fosses creusées à même le sol. Les capacités de stockage étaient limitées mais
correspondaient à la production de l’époque. La grange de Vaulerent est donc un vaste
rectangle de 72 par 23m. Le vaisseau central est encadré de collatéraux élevés. Les arcades
brisées en tiers-point reçoivent la charpente. Elles sont soutenues par des piles
quadrangulaires. La mise en œuvre est en moyen appareil régulier de calcaire. Des contreforts
extérieurs contrebutent les murs gouttereaux et les deux façades en pignon. Elle était
primitivement couverte d’une grande toiture en bâtière. Elle n’est ornée d’aucun décor
particulier.
La grange de Fourcheret (com. Fontaine-Chaalis, Oise) datée du premier tiers du
XIIIème siècle appartenant aussi au domaine de Chaalis dispose d’un plan basilical similaire
[Fig. 1061]. Elle comporte un lieu de remisage des récoltes, le logis des frères convers, le tout
ceint dans un mur d’enceinte. La grange est de 20 par 52m de long, soit 1000m². Les trois
vaisseaux sont divisés par deux rangées de piliers surmontés de tailloirs supportant des arcs en
tiers-point.
Selon Christophe WISSENBERG, les granges du Nord de la France comme celle bien
connue de Vaulerent emploient la pierre de taille de manière systématique, celle-ci prévalant
largement sur l’usage du bois. La charpente est réduite, l’édifice haut mais moins large. À
Clairvaux en Bourgogne (com. Ville-sous-Laferté, Aube), le contexte est inversé.
L’abondance et la qualité des ressources en bois d’œuvre est déterminante. Les granges
peuvent se doter de charpentes denses et complexes prenant directement appui au sol sur des
dés de pierre. L’auteur constate que l’emploi de poutres en chêne à la place de piliers
appareillés a contraint les charpentiers à compenser la perte d’espace en hauteur (longueur
2584
D. BORLÉE, « L’architecture des abbayes cisterciennes de l’Yonne : état des lieux et hypothèses », dans T.
KINDER (dir.), Les cisterciens dans l’Yonne, « Les Amis de Pontigny », Pontigny, 1999, p. 29-39.
2585
C. HIGOUNET, La grange de Vaulerent…, op. cit., p. 8.
- 972 -
limitée des fûts) par une extension en largeur (multiplication du nombre des nefs). Ainsi, les
granges de Clairvaux présentent généralement un aspect plus ramassé et moins altier qu’à
Vaulerent. Est-ce le même cas de figure dans le diocèse de Limoges ? La présence de bois a-telle conduit à la mise en œuvre de granges similaires ? La grange de Brocq, certes en partie
remaniée en parties hautes, présente toutefois un aspect similaire aux granges de Clairvaux
avec une halle relativement large pour une hauteur plus réduite que les hauts pignons de
Vaulerent ou Fourcheret. L’absence d’autres vestiges médiévaux significatifs ne nous permet
guère de mieux étayer cette hypothèse2586.
Christophe WISSENBERG précise que les granges de Clairvaux se caractérisent par
une indéniable homogénéité architecturale. La capacité intérieure de stockage du bâtiment
correspond strictement à la quantité estimée des récoltes, comme observé pour la grange de
Vaulerent. Les pignons sont bâtis en petit appareil calcaire local. Des pierres de taille de belle
qualité sont utilisées pour l’encadrement des baies et des deux portes charretières. La partie
sommitale des pignons est tronquée par les demi-croupes de la toiture. La charpente de la
grange de Beaumont est en chêne, et est de 12m au faîte. Elle a subi de constantes
modifications au fil des siècles. Cette grange comprend également une tuilerie et un bâtiment
des convers daté de 1604 regroupant un lieu de repos, d’alimentation, d’accueil et de culte.
Une chapelle Saint-Gauthier, probablement existante dès le XIIIème siècle, n’est toutefois
mentionnée dans les textes qu’à l’époque moderne. Quant à la tuilerie, elle est bâtie de
manière identique à la grange proprement dite et se dote également d’une charpente. Elle se
constitue d’un four et d’une grande halle pour le séchage des tuiles, briques et carreaux de
pavement avant cuisson. La halle est conservée, amputée néanmoins de ses travées
orientales2587.
Les granges de Maubuisson, de Preuilly, de Clairvaux sont bâties avec les mêmes
matériaux que l’abbatiale et certaines formulations artistiques s’appliquent indifféremment
aux bâtiments agricoles, aux églises et aux bâtiments conventuels. La grange de la Borde
dépendant de Clairvaux adopte par exemple une porte avec un linteau en bâtière monolithe
similaire à celui du bâtiment conventuel2588.
L’ancienne grange de l’abbaye de Vauclair (com. Bouconville-Vauclair), bien connue
par l’intermédiaire de cartes postales et photographies anciennes, témoigne également d’un
2586
C. WISSENBERG, Entre Champagne et Bourgogne…, op. cit., p. 66-67.
C. WISSENBERG, op. cit., p. 113.
2588
J. L. ADAINE, « Le domaine de Maubuisson », dans L. PRESSOUYRE (dir.), op.cit, p. 554-567 ; N.
PICART, « Le domaine de Preuilly », dans L. PRESSOUYRE (dir.), op.cit, p. 569-580 ; G. VILLAIN, « Trois
granges de l’ancienne abbaye de Clairvaux protégées au titre des monuments historiques », dans L.
PRESSOUYRE (dir.), op.cit, p. 581-588.
2587
- 973 -
soin réel accordé à la mise en œuvre [Fig. 1064]. Il s’agit d’un vaste bâtiment rectangulaire
(68m de long, 13m de large) encadré de deux hauts pignons, entièrement édifié en moyen
appareil régulier à joints minces et couvert d’une charpente. L’édifice comprend deux étages
ainsi que des combles. De multiples baies sont percées sur les murs gouttereaux et les pignons
permettant un éclairage idéal. En effet, chaque travée du premier étage est percée de deux
baies en plein-cintre, surmontées d’une troisième fenêtre de même profil. Elles sont largement
ébrasées. Les parements sont scandés de puissants contreforts à ressauts, individualisant
fortement les différentes travées. Les percements, le système de travées, la présence de
contreforts à ressauts, le moyen appareil régulier sont autant de témoins des perméabilités
entre abbatiale et grange, entre cadre religieux et artisanal.
Ces cohérences entre bâtiments religieux et granges sont également observables pour
des monastères méridionaux. La grange de Fontcalvy (com. Ouveillan, Aude) par exemple,
dépendant de l’abbaye de Fontfroide et datée de la fin du XIIIème siècle présente un module
de conception identique à celui de l’église abbatiale. Il existe une unité et une cohérence dans
la construction. Un soin et une qualité certaine sont portés à la mise en œuvre. La nef se
compose de quatre travées voûtées d’ogives peu différentes des formulations des bâtiments
religieux2589.
La grange de Lassalle dépendant de l’abbaye cistercienne de Grandselve (com.
Bouillas, Tarn-et-Garonne) opte elle aussi pour le plan basilical de la halle. La nef centrale est
réservée au passage des chariots. Les bas-côtés servent au stockage. Le plan est donc choisi
pour son côté pratique et utilitaire2590.
Au Thoronet, la grange est placée le long de l’enclos monastique. Elle dispose de deux
niveaux de stockage. La vaste pièce du rez-de-chaussée est voûtée d’arêtes retombant sur
deux piliers. Les murs sont de moellons grossièrement équarris. Des baies en archère sont
percées. L’étage est une pièce voûtée en berceau brisé2591.
Ces quelques exemples concernent des régions différentes, aussi bien septentrionales
que méridionales, révélant à chaque fois une mise en œuvre soignée, comme s’il s’agissait
d’un sanctuaire. D’ailleurs, pour le liturgiste et chanoine parisien Jean BELETH, l’oratoire se
définit par l’acte de prière que l’on y pratique. Ainsi, le statut d’oratoire peut être conféré à
2589
G. LARGUIER, « Fontfroide et l’espace cistercien en Narbonnais », dans L. PRESSOUYRE (dir.), op.cit, p.
70-114.
2590
M. MOUSNIER, op.cit, p. 198.
2591
Y. ESQUIEU, op. cit., p. 64.
- 974 -
n’importe quel lieu du monastère, comme une grange, pourvu que l’on s’y adonne de temps
en temps à la prière2592.
Ces cohérences significatives semblent uniquement s’appliquer au cadre cistercien.
Les différentes conceptions du travail manuel pour les cisterciens et les clunisiens trouvent
ainsi peut-être une expression directe au sein des créations artistiques et d’une architecture
utilitaire qui s’apparente aux édifices religieux pour les premiers et s’en distinguent nettement
chez les moines noirs. L’originalité de l’ordre de Cîteaux tiendrait à cette cohérence forte
entre la mise en œuvre des bâtiments artisanaux et celle des sanctuaires, similitudes que nous
ne retrouvons pas au sein de l’ordre clunisien où les différences sont très marquées entre
l’architecture des doyennés et des édifices religieux. À Cîteaux, travail et prière sont
rééquilibrés et cette symbiose trouve une expression dans les créations artistiques. La
conception de l’art, de l’architecture et du décor sont par ailleurs un autre sujet de discorde
entre les deux ordres. Les textes de saint Bernard et de Pierre le Vénérable en témoignent et
reflètent des divergences fondamentales entre l’ager des clunisiens et le saltus des cisterciens.
Outre les granges, d’autres bâtiments à vocation agricole ou préindustrielle comme les
moulins peuvent témoigner de cohérences de mise en œuvre avec les églises abbatiales. Dans
le diocèse de Limoges et ses marges, si les prospections menées sur les sites des anciennes
exploitations agricoles ou vinicoles cisterciennes n’ont guère révélé de vestiges médiévaux
signifiants, à part sous forme de remplois épars dans des bâtiments modernes, les moulins et
autres aménagements hydrauliques sont par ailleurs mieux préservés.
À l’abbaye de Prébenoît, les installations hydrauliques médiévales sont révélées par le
cadastre napoléonien de 1808 et les sondages archéologiques effectués entre 1991 et 2001. Un
bief maçonné ainsi que des réseaux de drains constitués de dalles de schiste sont datés du
début du XIIIème siècle, soit en même temps que l’érection du cloître du monastère. Une
digue est placée au niveau de l’Étang Noir en amont de l’abbaye. Longue de 100m environ, sa
chaussée se constitue d’une levée de terre parementée de schiste [Fig. 385]. Le conduit de
vidange de l’étang recourt à des dalles de granite. La roche utilisée pour la mise en œuvre est
extraite dans les proches environs pour minimiser les coûts2593. L’alternance de schiste et de
granite caractérise aussi les parements du modeste monastère marchois. Ces mêmes matériaux
sont employés pour une construction de 17m de long et 7m de large, très ruinée, qui
surplombe le Cluzeau non loin du chemin d’accès de l’abbaye. Il s’agit très probablement
2592
2593
Dom A. DAVRIL, E. PALAZZO, La vie des moines…, op. cit., p. 198.
J. ROGER, P. LOY, op. cit., p. 58-59.
- 975 -
d’un moulin dont la mise en œuvre se rattache aux phases anciennes de construction du
monastère.
À Bonlieu, la Tardes est aménagée grâce à un pont à cinq déversoirs voûtés édifié en
granite gris de moyen appareil régulier [Fig. 169]. Les joints sont minces, la mise en œuvre
soignée comme celle de l’abbatiale et sans doute comme celle des nombreux moulins qui
dépendaient du monastère, ce qui laisse supposer une simultanéité des constructions. Le
moulin de l’abbaye dispose dans ses parties inférieures de beaux blocs de moyen appareil de
granite correspondant vraisemblablement à des réalités médiévales, cohérentes avec les
parements de l’église abbatiale [Fig. 171].
Les moines d’Aubepierres disposent d’au moins trois moulins sur la Creuse dépendant
de la grange de Chibert (com. de Glénic, Creuse). Au lieu-dit « le moulin Neuf », une digue
de pierres sèches est encore en place de même qu’un moulin dont la roue est toujours en
activité. À quelques mètres de cette installation moderne, un angle de mur (80cm de haut)
constitué de blocs de granite assemblés en pierres sèches rappelle l’ancien emplacement
médiéval. Les matériaux employés sont les mêmes que ceux des ruines du monastère [Fig.
634].
L’abbaye cistercienne de Boeuil a aujourd’hui disparu en élévation. Il est ainsi difficile
d’établir des comparaisons entre la mise en œuvre du sanctuaire et celle des moulins
conservés. Le « moulin des Barres » est un bâtiment moderne bâti en petit appareil irrégulier.
Toutefois, les piédroits des baies, des portes et les harpages d’angle sont en moyen voire
grand appareil de granite de qualité [Fig. 128]. Ces belles pierres de taille proviennent peutêtre de l’ancien bâtiment médiéval. Le moulin est placé sur un bief maçonné de moellons de
granite assemblés en pierres sèches. Le moulin de Pellechevant dispose encore de ses
mécanismes et d’une digue maçonnée en gros moellons de granite (environ 4-5m de hauteur).
Le petit bâtiment conservé est vraisemblablement remanié à l’époque moderne. Il est édifié en
petit appareil noyé dans un mortier de chaux grasse [Fig. 129 et 130].
L’abbaye de Bonnaigue dispose d’une proche grange à Diosidoux dont le moulin est
encore préservé aujourd’hui (« Moulin des Chevilles »). Il est accolé à une maison
d’habitation récente. Il s’agit d’un bâtiment quadrangulaire édifié avec soin [Fig. 427]. Les
parements sont de petit et moyen appareil mêlés avec tentatives d’assisage et d’organisation
régulière. Le mortier employé montre une forte proportion de chaux. Les harpages d’angle
sont de moyen voire grand appareil régulier de granite gris (modules de 0.80×0.42×0.32m). Il
s’agit vraisemblablement du granite gris d’Ussel, le même qui est utilisé pour l’abbaye de
Bonnaigue. Le bief passe par une conduite sous le moulin. Elle est couverte d’une voûte en
- 976 -
berceau, bien appareillée en moyen appareil régulier. Les joints sont minces, témoignant de la
qualité de la mise en œuvre. Cette conduite s’ouvre par un bel arc en plein-cintre aux claveaux
courts et larges pouvant correspondre à des réalités médiévales (0.32m de hauteur, corde de
0.23m). L’axe en bois est encore en place mais la roue a disparu.
L’abbaye de Boschaud dispose de deux moulins bien conservés placés sur le cours de
la Dronne. Néanmoins, ils ont subi de constants remaniements au fil des siècles et il est
difficile d’identifier des vestiges médiévaux. Le « Moulin de Chez Nanot » est une maison
d’habitation moderne entièrement enduite [Fig. 243]. C’est un long bâtiment rectangulaire
doté d’une tour quadrangulaire au centre correspondant aux deux étages du moulin. Une
conduite forcée passe sous le moulin. Elle se compose d’un arc surbaissé aux claveaux courts
et larges en granite, probablement médiéval. La Dronne passe le long du mur pignon doté
d’une roue. Quant au « Moulin de Laumède », il s’agit d’un bâtiment quadrangulaire moderne
enduit, associé à une digue cimentée remplaçant l’ancienne installation médiévale, sans doute
originellement en gros moellons de granite assemblés en pierres sèches [Fig. 245].
À Grosbot, le « Moulin de Biée » n’est de même pas évident à étudier. Le bâtiment
quadrangulaire est entièrement enduit. Les mécanismes sont encore en place avec une grande
roue en bois [Fig. 472].
Au Palais, le moulin en contrebas des bâtiments monastiques, sur le Taurion, est
moderne, de même que sa digue et son écluse. Il remploie néanmoins des éléments médiévaux
[Fig. 326 et 327].
L’abbaye de Valette dispose de la grange de Brocq sur la commune de Menet dans le
Cantal. Deux moulins sont placés le long d’une dérivation sur le ruisseau de Brocq [Fig. 615 à
617]. L’un des deux moulins est bâti de pierres de taille de moyen et grand appareil pour les
harpages et les soubassements, assemblées avec soin. Les joints sont minces, les pierres
montrent encore les traces d’un piquetage régulier et soigné. La conduite passant sous le
moulin se constitue d’une voûte soigneusement appareillée. Elle ouvre sur l’extérieur par un
arc légèrement surbaissé constitué de claveaux courts pouvant correspondre à des réalités de
la fin du XIIème siècle et du premier tiers du XIIIème siècle. Cette qualité de la mise en
œuvre n’a rien à envier à des constructions plus « nobles » comme les abbatiales à vocation
cultuelle et non artisanale.
De nombreux aménagements hydrauliques des moines d’Obazine sont encore bien
préservés et apportent un certain nombre d’éléments de réflexion. Le moulin de Cougnaguet
construit sur l’Ouysse au XIIIème siècle utilise des roues horizontales à pales placées dans
quatre cuves maçonnées [Fig. 539 à 541]. C’est un bâtiment rectangulaire de 17 par 10m qui
- 977 -
s’élève sur quatre niveaux, calé entre deux pignons. Il est couvert de tuiles plates, les pentes
de la charpente sont accusées. Le parement est constitué d’un moyen appareil régulier de
granite aussi soigné que les bâtiments conventuels du monastère. Certaines baies sont
surmontées d’arcs en accolade témoignant de modifications probablement intervenues au Bas
Moyen-Âge. Dans le parement nord, une ouverture dispose d’un arc au profil brisé, constitué
de claveaux longs. Elle est identique aux arcs des ouvertures du bâtiment conventuel oriental
de l’abbaye d’Obazine et peut relever de la première moitié du XIIIème siècle. Le moulin est
doté d’une digue de 6m de large, permettant une réserve d’eau d’1 km 600. L’eau est déviée
vers le moulin et arrive par une chute d’eau d’1.50m actionnant les roues. L’eau est ensuite
évacuée par quatre déversoirs voûtés en plein-cintre2594.
Le « Moulin du Terrac » est un bâtiment moderne. Les parements sont de petit
appareil irrégulier, les harpages d’angle en moyen appareil régulier de qualité [Fig. 545].
Le « Moulin de Caoulet » est un simple volume quadrangulaire encadré de deux
pignons, bâti en petit appareil irrégulier, sauf les harpages et piédroits de moyen appareil [Fig.
538]. Une conduite forcée passe sous le bâtiment pour actionner les mécanismes. Elle est
surmontée d’un arc au profil légèrement brisé se composant de claveaux longs à la manière de
ceux des bâtiments conventuels d’Obazine. Il est associé à une digue de moellons massifs
grossièrement équarris.
Le « Moulin de Lagier » à Obazine est particulièrement intéressant par son canal de
fuite, constitué d’une belle voûte en berceau (probablement XIIIème siècle), bien appareillée
en moyen appareil régulier. Les joints sont minces. Cette mise en œuvre de qualité, très
soignée, évoque les bâtiments monastiques de l’abbaye d’Obazine. Il n’y aurait ainsi pas
vraiment de distinction nette entre la mise en œuvre des bâtiments religieux et des édifices à
vocation artisanale et préindustrielle [Fig. 543].
Le « canal des moines » est lui-même construit en gros blocs de gneiss équarris et
talutés comme ceux qui constituent les assises des bâtiments monastiques d’Obazine. Du fait
de la grande unité des techniques de construction, elles ont sans doute été mises en place selon
un projet d’ensemble cohérent entre les années 1150-1180 et le XIIIème siècle.
Cette cohérence entre moulins et sanctuaires peut également être éprouvée à l’échelle
nationale et européenne afin d’étayer notre propos. Le moulin boulangerie de l’abbaye de
Villers-en-Brabant dispose d’une façade en pignon tout à fait identique au pignon nord du
2594
B. BARRIÈRE, « Le moulin de Cougnaguet », Dossiers d’Archéologie, Cîteaux- À la découverte de 64 sites
en France, n°234, juin/juillet 1998, p.92-93.
- 978 -
bâtiment conventuel ou du pignon sud de l’hôtellerie. Il est monté sur des caves voûtées
d’arêtes retombant sur des colonnes ornées de chapiteaux lisses pouvant être datées des
années 12002595.
Le moulin d’Estrées dépendant de l’abbaye de Preuilly (com. Égligny, Seine-etMarne) est un bâtiment oblong dont les murs gouttereaux sont contrefortés de la même
manière que l’église abbatiale. Il est longé par un bief et est surmonté d’un toit en bâtière.
Les forges hydrauliques peuvent également témoigner de ce soin accordé aux
bâtiments à vocation préindustrielle. Aucun bâtiment en élévation lié à ce type d’exploitation
n’a toutefois été observé dans le diocèse de Limoges et de ses marges, d’où la nécessité
d’élargir notre cadre d’étude à d’autres exemples français.
La forge de Fontenay (com. Marmagne, Côte d’Or) est l’exemple le plus souvent
étudié et reste le plus prestigieux des bâtiments industriels cisterciens. Elle est située à 50m au
sud du carré claustral. Il s’agit d’un vaste bâtiment de 53.30 par 13.50m. Il se compose d’un
magasin, d’une salle des fourneaux, d’une salle de travail et d’un moulin.
Cette disposition se retrouve à plusieurs endroits et particulièrement à Preuilly comme
Denis CAILLEAUX l’a récemment mis en lumière2596. Ainsi, la forge de Preuilly, appelée à
tort « grange des Beauvais », est à 130m à l’ouest du carré claustral. C’est un bâtiment de plan
rectangulaire, de 60 par 11m de large. Il n’adopte pas les mêmes dispositions que les granges
céréalières habituelles mais semble plus proche des caractéristiques de la forge de Fontenay.
Il dispose de trois salles, plus deux nouvelles salles adjointes au milieu du XIIIème siècle.
Des hottes sont présentes comme à Fontenay. Pour Denis CAILLEAUX, le « principe d’une
construction normative se retrouve dans l’aménagement des réseaux hydrauliques et dans la
construction des canalisations souterraines ».
À Preuilly, comme à Fontenay, le bâtiment industriel est localisé dans la zone
périphérique du carré claustral, au contact du réseau hydraulique. Il est divisé en plusieurs
salles combinant un espace de travail, une salle haute pourvue de cheminées. La forge associe
une salle des fourneaux et un moulin. Ces deux forges hydrauliques conservées peuvent être
datées des premières années du XIIIème siècle.
De simples ouvrages d’hydraulique peuvent également bénéficier d’une mise en œuvre
de qualité, quoi que leur destination soit pour le moins modeste. C’est le cas des fontaines et
2595
T. COOMANS, op.cit, p. 495-502.
D. CAILLEAUX, « Enquête sur les bâtiments industriels cisterciens, l’exemple de Preuilly », Bulletin de la
Société Nationale des Antiquaires de France, 1991, p. 151-164.
2596
- 979 -
lavabos qui font souvent l’objet de soins particuliers, bien qu’ils soient prioritairement
destinés au lavement des mains des moines avant les repas.
Les lavabos, dont deux exemples nous sont parvenus dans le diocèse de Limoges
(Obazine et Bonnaigue) sont généralement constitués de deux vasques superposées. La
vasque supérieure est percée d’orifices circulaires régulièrement espacés sur le pourtour. Ils
laissent se déverser l’eau dans une vasque inférieure au diamètre moins important. À Obazine
et Bonnaigue, se sont deux vasques à orifices, donc supérieures qui sont conservées [Fig. 418
et 523]. À Bonnaigue, il s’agit d’une vasque monolithe de granite gris d’Ussel, de 2m de
diamètre, placée au centre du carré du cloître. Elle est ornée de quinze arcs sculptés, en pleincintre, séparés par de petites crosses végétales. La vasque est surmontée d’un cippe carré sur
lequel est fixée une sphère. À Obazine, la vasque monolithe est en grès et est de 2.40m de
diamètre (vers 1140). Elle est placée au centre du cloître. Elle est ornée de simples moulures
horizontales. Son transport est évoqué dans la Vita :
« Étienne fit également bâtir un cloître et, tout autour, des
habitations régulières. Au centre, il fit faire une élégante
fontaine. On amena, pour cela, une pierre d’un poids
énorme, que trente paires de bœufs avaient peine à
mouvoir (…). Ces pierres, enfin arrivées à destination,
furent convenablement taillées, creusées et placées aux
endroits convenables. Jusqu’à ce jour, elles donnent à ce
lieu beaucoup d’agrément et de commodité.2597»
D’autres exemples font également état du soin apporté à ce type de structures. La
fontaine de l’abbaye de Royaumont (com. Asnières-sur-Oise, Val d’Oise) va ainsi prendre un
caractère monumental pouvant se justifier par son caractère particulier de fondation royale. La
fontaine est abritée sous une rotonde accolée à la galerie sud du cloître, au niveau de l’entrée
du réfectoire [Fig. 1065]. L’espace libre autour de la vasque (4.60m de diamètre) crée un
couloir annulaire d’1.20m de large ouvrant directement sur la galerie. L’élévation se présente
sous la forme d’un socle de fondation circulaire supportant une paroi à pans coupés large de
70cm, compatible avec les murs-bahuts des galeries. Vient ensuite un réseau de deux
2597
M. AUBRUN, op. cit., I, 29. B. BARRIÈRE (dir.), Moines en Limousin…, op. cit., p. 69.
- 980 -
arcatures trilobées soutenant un grand oculus et reposant sur des colonnettes doubles. Il est
vraisemblable que les arcades du cloître de Royaumont reprenaient la même disposition2598.
D’autres bâtiments à vocation préindustrielle (caves, celliers, tuilerie) se caractérisent
également par une mise en œuvre soignée témoignant de l’importance accordée aux travaux
manuels aussi nécessaires que les prières et offices religieux. Aucun bâtiment de ce type n’a
cependant été identifié dans le diocèse de Limoges et de ses marges. Les exemples cités cidessous sont essentiellement du Nord de la France. Le site de Commelles (com. Orry-LaVille, Oise) dépendant de l’abbaye de Chaalis (com. Fontaine-Chaalis, Oise) est exemplaire
de ce soin accordé à des bâtiments utilitaires, telle la tuilerie bâtie en moyen appareil régulier
soigné [Fig. 1066]. Sa cheminée est préservée. Il s’agit d’une structure pyramidale en belles
pierres de taille montée sur arcades. Elle est dotée de deux arcades par face, au profil très
brisé et dont les claveaux sont relativement courts. La porterie est également édifiée en belles
pierres de taille régulières. Elle est renforcée de contreforts. Un corps de logis se compose
d’un volume quadrangulaire encadré de deux pignons de moyen appareil régulier. Les baies
en tiers point sont surmontées de remplages à feuilles de trèfles.
Les caves de Vaulerent disposent de voûtes sur croisée d’ogives retombant sur des
culots soignés. Les nervures sont décorées d’arêtes plates. Une colonne centrale dispose d’un
chapiteau lisse au tailloir peu saillant comme nous en avons fréquemment observé dans les
sanctuaires cisterciens.
Le cellier de Torigny (com. Torigni-sur-Vire, Manche) présente également une voûte
sur croisée d’ogives reposant sur des chapiteaux lisses ou des culots massifs2599.
Ces quelques exemples visent ainsi à mettre en évidence une cohérence forte entre les
bâtiments artisanaux, les granges et les sanctuaires cisterciens. Le travail est revalorisé par
nécessité. Les moines se doivent de mettre en valeur le saltus par une exploitation
systématique des terroirs, par la mise en place de granges aux activités diversifiées, de celliers
et de moulins. Le travail manuel est aussi important que la prière et est considéré comme une
autre voie possible pour atteindre Dieu. C’est peut-être pourquoi les bâtiments utilitaires sont
bien souvent traités avec le même soin, la même qualité que les sanctuaires ou bâtiments
conventuels. Toutefois, Michel FIXOT insiste bien sur le fait que ces cohérences fortes et
similitudes indéniables ne s’appliquent pas systématiquement et quelques contre-exemples
nuancent cette hypothèse. Il cite le bâtiment lié à une activité métallurgique au Thoronet dont
2598
J-L. BERNARD, « L’abbaye cistercienne de Royaumont, son cloître et sa fontaine », dans L’Ile-de-France
médiévale, T II, Paris, 2001, p. 32-35.
2599
F. BLARY, p. 47-71; p. 105-123; p. 313.
- 981 -
la mise en œuvre est nettement distincte des autres bâtiments monastiques. L’installation
paraît plus fruste, plus proche de la forme d’ateliers rustiques que de l’édifice monumental de
la forge de Fontenay par exemple. Nous ne devons ainsi pas généraliser ces constatations à
l’ensemble des sites cisterciens. Aux grandes tendances qui ont pu être dégagées, des
exemples contradictoires apparaissent nécessairement2600.
Le soin particulier porté à un bâtiment religieux non noble peut s’observer de manière
épisodique au sein d’autres ordres religieux. Il suffit de citer l’exemple des cuisines de
l’abbaye de Fontevrault, bâties en pierres appareillées. Une dizaine d’autres exemples sont
connus dans le bassin de la Loire Moyenne mais concernent essentiellement des abbayes
bénédictines (Marmoutier, Saumur). Selon Michel MELOT, c’est sans doute la rigueur des
autres ordres qui interdisent qu’on accorde une telle place à l’architecture de bâtiments
utilitaires. Nous ne sommes toutefois pas entièrement d’accord avec cette idée puisque
Fontevrault en particulier appartient à ces ordres à vocation d’austérité liés aux préceptes
grégoriens. De même concernant Cîteaux, caractérisé par le dépouillement et le dénuement
mais accordant pourtant autant de soin à une simple grange qu’au sanctuaire proprement
dit2601.
2. Vers une « universalité » des formes. Interpénétrations des cadres religieux, civils
et militaires.
Nous avons eu l’occasion ci-dessus de remettre en cause et de nous interroger sur une
réelle spécificité des créations cisterciennes, qu’il s’agisse de leurs choix architecturaux,
stylistiques mais aussi de leurs activités artisanales, hydrauliques et préindustrielles. Il est
fréquemment apparu qu’il n’existe que peu de différences entre certaines créations
cisterciennes et réalités clunisiennes (similitudes des granges et des doyennés), paroissiales,
templières, hospitalières ou civils. Ainsi, des formules comme le triplet de façade, les portails
à ébrasements multiples, les baies ébrasées semblent s’adapter aux cadres civils, militaires ou
religieux et mettent ainsi en évidence des passerelles existantes, des dialogues, des
interpénétrations entre différents types architecturaux pourtant souvent cloisonnés en histoire
de l’art.
Nous souhaiterions, à titre de piste de recherche, d’ouverture, et avec la plus grande
prudence, évoquer l’idée d’une « universalité » de certaines formes, d’adaptations de
2600
M. FIXOT, op. cit, p. 181-252.
M. MELOT, « Les cuisines circulaires de Fontevrault et des abbayes de la Loire », Congrès National des
Sociétés Savantes, Tours, XCIII, p. 339-364.
2601
- 982 -
créations artistiques au-delà des clivages souvent bien présents dans les études stylistiques
entre des cadres civils et religieux. De fortes similitudes ont été mises en évidence entre les
abbatiales cisterciennes et les bâtiments artisanaux tels les granges et moulins, souvent bâtis
avec le même soin que les sanctuaires. Certaines formules seraient ainsi susceptibles de tendre
à « l’universalité » en s’appliquant aussi bien à une abbatiale, une maison seigneuriale, une
demeure patricienne, une petite église paroissiale ou une grange. Le diocèse de Limoges et ses
marges semblent un cadre d’étude intéressant, permettant de sonder monastères cisterciens,
commanderies, châteaux, édifices civils, églises paroissiales, abbayes clunisiennes.
•
Cîteaux et les références à l’Église de Rome :
Un certain nombre de formes architecturales et artistiques choisies par les cisterciens
semblent montrer une volonté ferme de se rattacher à l’Église de Rome. Ces formes
identifiables et aisément reconnaissables font partie d’une culture artistique commune et
revêtent ainsi un caractère « universel ». Elles sont déclinées de bâtiments civils antiques
romains aux églises paléochrétiennes, puis aux abbatiales carolingiennes, clunisiennes
jusqu’aux sites cisterciens aux XIIème et XIIIème siècles.
Le premier exemple pouvant être évoqué est celui des granges cisterciennes bâties
comme de grands espaces aux volumes amples pouvant évoquer les halles romaines. Malcolm
KIRK aborde dans son ouvrage sur les granges de tous ordres religieux l’origine
architecturale de ces vastes halles. Il pense qu’elles sont directement issues de la basilica
romaine du IIème siècle avant J. C2602. Celle-ci connaît des usages variés. Elle peut en effet
servir de salle d’audience, de cour de justice mais également de marché et de halle. Elle se
caractérise par une nef encadrée ou non de bas-côtés. En raison de son statut officiel, les
premiers chrétiens vont faire de cette basilica un lieu de culte. Certaines granges cisterciennes
reprennent ainsi le plan basilical paléochrétien (Vaulerent, Fourcheret) [Fig. 1061 et 1062]. Le
plan de Saint-Gall présente déjà une basilique à trois nefs [Fig. 1008]. Ces formes se
rattachent à un passé romain, réinvesti aux tous premiers temps de la Chrétienté. Cette
formulation architecturale, adaptée aux lieux publics et aux églises, quelque soit l’époque
envisagée, tendrait ainsi à une certaine « universalité ».
Ce plan rappelle également les horrea. Ils peuvent disposer ou non de bas-côtés. Pour
les Romains, il s’agit de granges, de greniers dans lesquels ils stockent des outils agricoles ou
le matériel militaire des troupes en campagne. Ce plan s’applique ainsi surtout aux granges
septentrionales, telles Vaulerent et Fourcheret par exemple dépendant de l’abbaye cistercienne
2602
M. KIRK, L’art des granges, Paris, 1994, p. 24.
- 983 -
de Chaalis2603. Concernant les granges cisterciennes des abbayes du diocèse de Limoges, nous
connaissons peu les plans adoptés. La grange de Brocq, certes remaniée à l’époque moderne,
présente un plan similaire aux granges de Clairvaux : moins hautes que les granges
septentrionales, plus trapues mais à un large vaisseau permettant de grandes capacités de
stockage2604.
Nous avons eu l’occasion de constater la présence forte d’églises-granges en HauteMarche et Limousin, souvent proches des exploitations agricoles cisterciennes. Ne pourrionsnous imaginer une interpénétration entre les bâtiments artisanaux cisterciens, aujourd’hui en
grande partie disparus et ces églises traitées comme de simples halles rectangulaires calées
entre deux pignons, à la manière des granges du Nord de la France ? Le terme d’églisesgranges choisi par Claude ANDRAULT-SCHMITT paraît en tout cas particulièrement bien
choisi et nous incite à nous interroger sur des parentés possibles, des échanges et interactions
entre ces églises et les exploitations agricoles cisterciennes géographiquement proches2605.
Le caractère « universel » de ce plan peut s’expliquer par son côté fonctionnel. Vaste
halle, il permet une grande capacité de stockage séduisante pour les bâtisseurs, quelque soit
l’époque prise en compte et la finalité du bâtiment : accueil de fidèles, cour de justice, grenier,
grange ; elle s’adapte à de nombreuses fonctions. Les techniques de construction même
pérennisent l’art de bâtir romain : les piliers en maçonnerie supportant les arcs (Maubuisson,
Fourcheret, Troussures, Vaulerent), la charpente complexe avec des fermes triangulaires ne
pouvant être déformées latéralement, les poinçons soutenant la panne faîtière, les contrefiches
empêchant les arbalétriers de ployer, les contreventements longitudinaux, autant de
techniques déjà éprouvées dans l’Antiquité et reprises par les moines cisterciens pour leurs
granges en France septentrionale et en Bourgogne. Cette tradition d’une architecture en bois
s’inscrit également dans des racines germaniques ou celtiques. Les horrea étaient quant à eux
bâtis en bois jusqu’au IIème siècle après J. C2606.
Cette caractéristique semble s’appliquer aussi bien à des exploitations cisterciennes,
prémontrées ou d’ordres militaires. Malcolm KIRK constate que la grange dispose d’une
même ordonnance quelque soit le pays, l’ordre religieux et s’oriente ainsi vers une certaine
« uniformité » des dispositions et des formules. Par sa capacité de stockage, la grange offre
une utilisation optimale de l’espace qui sied à nombre d’ordres religieux. Il n’y a ainsi que
peu de différences entre une grange cistercienne, clunisienne ou prémontrée. Le prieuré
2603
C. HIGOUNET, La grange de Vaulerent…, op. cit.; F. BLARY, op. cit., 1989.
C. WISSENBERG, Entre Champagne et Bourgogne…, op. cit., 2007.
2605
C. ANDRAULT-SCHMITT, Les nefs des églises romanes de l’ancien diocèse de Limoges…, op. cit., T II, p.
333 ; C. ANDRAULT-SCHMITT, Limousin gothique…, op. cit., p. 37.
2606
M. KIRK, op. cit, p. 127.
2604
- 984 -
bénédictin de Perrières (Calvados) dépendant de Marmoutier et daté du début du XIIIème
siècle présente comme les granges cisterciennes une façade en pignon, une nef à collatéraux
séparés par des piliers ornés de chapiteaux à feuilles lisses schématiques. Au XIIIème siècle,
la grange de l’abbaye prémontrée Notre-Dame d’Ardenne (Calvados) se constitue elle aussi
d’une façade en pignon et d’une nef à bas-côtés. De même pour la grange de la commanderie
de Templiers de Saint-Vaubourg (Val-de-la-Haye, Seine Maritime). Cette architecture n’est
de même pas cantonnée à la France. La grange de Great Coxwell dépendant de Beaulieu en
Angleterre présente cette ordonnance. De même à Glastonbury Abbey (Somerset) ou encore à
Ter Doest (Lissewege, Belgique) où le pignon de façade se constitue de parements de briques
et est orné d’arcs brisés.
Ces granges aux volumes amples fonctionnels sont souvent réutilisées aux périodes
moderne, voire contemporaine, le plus souvent pour une utilisation agricole (stockage,
remisage). Les exploitants et agriculteurs modernes ont parfaitement compris l’intérêt des
vastes volumes et ont été séduits par une fonctionnalité indéniable quelque soit la destination
de l’ouvrage de départ. Ces réutilisations, malgré des remaniements, ont bien souvent permis
la conservation de granges, forges et moulins, et montrent bien « l’universalité » de certaines
formes artistiques.
Un second exemple que nous souhaitions brièvement aborder, outre les granges, est
celui des bastides. Les bastides cisterciennes, essentiellement édifiées dans la seconde moitié
du XIIIème siècle et au XIVème siècle dans le sud de la France et en Aquitaine, en paréage
avec les souverains anglais et français, révèlent également une volonté de s’inscrire dans une
certaine « universalité ». En effet, ces villes nouvelles sont héritières de l’expérience des
villes antiques aux tracés réguliers. Depuis l’Antiquité, la grille représente le schéma
géométrique le plus efficace pour l’organisation des territoires coloniaux. Outre l’urbanisme
romain, la grille a été utilisée à Tell-el-Amarna en Egypte, nouvelle capitale fondée par le
pharaon Akhénaton sous la XVIIIème dynastie. Dans son étude sur les bastides du Périgord
(non cisterciennes), Pierre GARRIGOU-GRANDCHAMP relève cette tendance à une
« universalité », une unité des formes avec un proche cadre religieux gothique. Ainsi, il
constate que ces bastides optent généralement pour des percements stéréotypées, à savoir des
arcades ogivales. Les fenêtres géminées sont fréquentes, elles sont surmontées de linteaux aux
arcs brisés clavés. Les remplages sont toutefois relativement rares. Les maçonneries sont de
très bonne qualité, soit de pierres de tailles, soit de moellons régulièrement assemblés. Les
parements sont liés d’excellents mortiers de chaux et de sable. Les formes artistiques, l’art de
- 985 -
bâtir sont finalement peu différents qu’il s’agisse d’un édifice civil, urbain, ou d’une abbatiale
cistercienne rurale2607.
•
Cîteaux et l’intégration dans le paysage artistique du site
d’implantation :
Outre cette volonté de se rattacher à l’Église de Rome, les cisterciens semblent
témoigner d’une curiosité vis-à-vis de formes largement connues en Aquitaine. L’analyse des
dix-huit sites cisterciens du diocèse de Limoges et de ses marges illustre le recours aux
coupoles de croisée, aux files de coupoles, aux décors romans aquitains (motifs en damiers,
arcs d’applique), à une mise en œuvre commune aux proches édifices paroissiaux, civils et
militaires. Ces dialogues et interpénétrations montrent une volonté de s’intégrer dans l’aire
géographique d’implantation, de s’ancrer dans un paysage artistique environnant en optant
pour des formes artistiques s’adaptant aussi bien à l’abbatiale cistercienne, aux moulins et
granges, aux tours seigneuriales, aux commanderies. Dans un article récent sur l’abbaye
cistercienne d’Obazine, Éric SPARHUBERT fait d’ailleurs état de la « dualité de l’intégration
au paysage monumental régional et des préoccupations spécifiques à l’ordre », dualité dont il
convient désormais de discuter2608.
Cîteaux en Limousin semble hésiter, allier, équilibrer références romaines antiques et
références aquitaines, tente à la fois de montrer une filiation ténue avec l’Église de Rome par
l’usage d’un vocabulaire antique mais aussi avec son aire géographique d’implantation par
des procédés, mises en œuvre et repères stylistiques bien présents dans les édifices proches.
Cette aire géographique ne saurait être réduite au Limousin comme nous avons déjà eu
l’occasion de le souligner. Face aux réticences à parler d’un art « limousin », et plus encore
d’un art « cistercien limousin » (nous avons en effet constaté la difficulté à établir la présence
de créations réellement cisterciennes qui ne sauraient se justifier par la seule volonté
d’austérité et de dépouillement commune à bien d’autres ordres à vocation érémitique), nous
préférons envisager un cadre aquitain plus vaste et semblant mieux englober les réalités de ses
abbayes en marge des diocèses de Limoges, Bourges, Clermont, Périgueux et Angoulême.
Ainsi, un certain nombre de cohérences artistiques témoignent de passerelles lancées
entre cadres monastique, civil et militaire. Les portails à multiples ébrasements par exemple
peuvent s’observer aussi bien à l’entrée d’une abbaye cistercienne (Bonlieu, Bellaigue) qu’au
2607
P. GARRIGOU-GRANDCHAMP, « L’architecture domestique des bastides périgourdines aux XIIIème et
XIVème siècles », Congrès Archéologique de France, 1998, Périgord, p. 47-71.
2608
G. CANTIÉ, É. SPARHUBERT, « Obazine, abbaye » dans Monuments de Corrèze, Congrès Archéologique
de France, Société Française d’Archéologie, 163ème session, 2005, Paris, 2007, p. 251-270, note 60.
- 986 -
sein d’édifices paroissiaux (Saint-Léonard-de-Noblat) ou de commanderies hospitalières
(Blaudeix, Chambéraud). Ces portes sobres, le plus souvent sans ornement ou à simples
chapiteaux feuillagés, évoquent celles des édifices carolingiens dépouillés, avant l’apparition
des grands portails historiés de l’époque romane. De même, les baies largement ébrasées,
surmontées d’un linteau monolithe en plein-cintre comme celles du bas-côté nord de
l’abbatiale de Prébenoît s’observent dans un cadre paroissial (Tercillat) ; les baies au linteau
clavé du type de celles de la nef de Bonlieu s’adaptent aussi bien à un cadre civil comme le
donjon de la Toque d’Huriel, tour seigneuriale témoin du pouvoir des de Brosse. Les triplets
de façade orientale s’observent pour des sites cisterciens (Le Palais, Prébenoît), pour des
églises paroissiales (La Souterraine, Cluis) ou pour des canoniales (Aureil). Le principe de
l’église-grange, à savoir un simple volume quadrangulaire encadré de deux pignons, est requis
pour certaines abbatiales cisterciennes comme à Coyroux, pour de simples exploitations
agricoles (domaine de Brocq) ou des commanderies (Lamaids, Paulhac). Les moines-soldats
ont probablement « assuré la pérennité du type, en inventant une traduction luxueuse et
parfaitement gothique »2609. En effet, les voûtes se font plus complexes (voûtes d’ogives à
liernes ornées de clés) et les parements se dotent souvent d’enduits peints (croix de
consécration à la Croix-au-Bost, relativement similaires à celles du chevet de Bonlieu, 1232).
Il semble important de mener également une enquête quant au cadre civil, à une
architecturale vernaculaire qui peut sans doute illustrer ces passerelles entre créations
artistiques religieuses, civiles et militaires. Le domaine vernaculaire semble encore trop
souvent laissé de côté au sein des études d’histoire de l’art. Il est fréquemment éclipsé par une
architecture religieuse largement mieux connue. Les études récentes de Pierre GARRIGOUGRANDCHAMP tendent toutefois à réhabiliter des maisons patriciennes médiévales
méconnues, à travers des exemples du Périgord, de l’Auvergne ou du Limousin2610. Certains
témoignages architecturaux civils paraissent relever de formes tendant à « l’universalité »,
communes aux cadres religieux.
2609
C. ANDRAULT-SCHMITT, op. cit., p. 31.
P. GARRIGOU-GRANDCHAMP, « Introduction à l’architecture domestique en Périgord aux XIIIème et
XIVème siècles », Congrès Archéologique de France, 1998, Périgord, p. 17-45 ; P. GARRIGOUGRANDCHAMP, « L’architecture domestique des bastides périgourdines aux XIIIème et XIVème siècles »,
Congrès Archéologique de France, 1998, Périgord, p. 47-71 ; P. GARRIGOU-GRANDCHAMP,
« L’architecture domestique du XIIème au XIVème siècles dans les agglomérations du Puy-de-Dôme. État des
questions », Congrès Archéologique de France, Clermont, 2000-2003, p. 241-278 ; P. GARRIGOUGRANDCHAMP, « Les maisons de l’Éléphant, de la Chantrerie et d’Adam et Ève, trois demeures des XIIème et
XIIIème siècles à Montferrand », Congrès Archéologique de France, Clermont, 2000-2003, p. 279-311.
2610
- 987 -
L’étude récente menée sur l’architecture civile en Bas-Limousin par Pierre
GARRIGOU GRANDCHAMP et Yasmine LABROUSSE (Donzenac) témoigne de ces
cohérences entre cadre civil et cadre religieux, monastique2611. Quelques exemples peuvent
être intégrés à notre étude. Certaines maisons patriciennes de Brive montrent une qualité
certaine de la mise en œuvre : le moyen appareil régulier est de mise. Les percements
recourent parfois aux chapiteaux ou bases disposés en frise, à la manière des portails
gothiques des années 1220-1250. Les baies optent généralement pour une forme ogivale
(Beaulieu, Brive). Certains parements de Jugeals-Nazareth (maison n°2 d’après la
classification établie par Pierre GARRIGOU GRANDCHAMP) se dotent d’animaux sculptés,
de chapiteaux en frise, de piédroits soulignés de moulures raffinées (fin XIIIème siècle).
L’ancien couvent de Sainte-Claire de Brive présente des arcs brisés ornés de cordons de
billettes et réinvestit ainsi des motifs décoratifs empruntés aux édifices religieux. Il existe de
réelles passerelles, des échanges indéniables entre cadres civils et religieux. Certaines
formules artistiques tendent à s’adapter aussi bien à une église qu’à une maison patricienne.
De la même manière, la maison Treilhard à Brive est percée de baies clavées. Les piédroits
sont décorés et se dotent de colonnettes surmontées de chapiteaux végétaux dont les tailloirs
s’ornent de dents de scie comme nous avions pu en observer dans la salle capitulaire de
Boschaud. À Donzenac, des maisons se dotent de baies aux linteaux clavés brisés
relativement similaires à celles de l’abbatiale de Bonlieu et sont datées de la première moitié
du XIIIème siècle. La maison du château de Donzenac au 3, passage Catherine de Médicis
dispose également d’éléments similaires aux édifices religieux. En effet, deux oculi ont été
découverts, réinsérés dans les pans de bois, un oculus quadrilobe et un oculus quatre-feuilles.
Ils peuvent être datés du XIIIème ou du XIVème siècle. Ils sont taillés dans des blocs
monolithes de grès de 80cm de haut, 64cm de large et 15cm de large. Ils étaient munis de
vitraux. Il pourrait s’agir d’une récupération sur les ruines de la nef de l’église de Donzenac,
ou bien d’une inspiration de formes artistiques existantes dans le bâtiment religieux2612.
Outre ces exemples limousins intéressant directement notre cadre d’étude, d’autres
cohérences peuvent être établies en sondant d’autres régions, d’autres espaces.
2611
P. GARRIGOU GRANDCHAMP, « Introduction à l’architecture domestique urbaine, du XIIème au milieu
du XVème siècle, dans le Bas-Limousin », dans Monuments de Corrèze, Congrès Archéologique de France,
Société Française d’Archéologie, 163ème session, 2005, Paris, 2007, p. 9-81 ; P. GARRIGOU GRANDCHAMP,
Y. VERGNE-LABROUSSE, « Donzenac du XIIème au milieu du XVème siècle. Histoire sociale et architecture
domestique », op. cit., p. 157-205.
2612
D. ROCHER, Y. VERGNE-LABROUSSE, « Une maison du château de Donzenac : l’exemple du 3, passage
Catherine de Médicis », BSSHAC, T 128, 2006, p. 29-39.
- 988 -
Bruno PHALIP met en évidence certaines de ces cohérences lors de son étude du
cadre civil de l’Auvergne et du Bourbonnais2613. L’exemple du château de Saint-Hérent dans
le Puy-de-Dôme, aux marges du Val d’Allier nous semble particulièrement intéressant. Il
présente un four banal dont la porte est couverte d’un arc brisé aux épais claveaux ornés d’un
large chanfrein peu différent des réalités architecturales castrales, cisterciennes et paroissiales.
La salle en est voûtée en berceau. L’ensemble est encore en partie couvert de lauzes. Des
dialogues sont ainsi tangibles entre édifices civils et religieux.
De même, dans les années 1200, le donjon de plan rectangulaire de Saugues présentant
deux niveaux voûtés en berceau brisé évoque directement le sanctuaire à deux chapelles
superposées et chevet plat de Rivière-L’Evêque (Ardes-sur-Couze).
La tour circulaire d’Arches au milieu du XIIIème siècle (canton de Mauriac) présente
au deuxième niveau une baie au profil légèrement brisé. L’arc en est clavé [Fig. 1067] 2614. Elle
ressemble fortement aux percements observés à Huriel et à l’abbatiale de Bonlieu (nef).
À la fin du XIIème siècle, la cheminée en tribunes de transept de Saint-Julien de
Brioude est proche de celles des maisons-tours contemporaines. L’église est fortifiée, ce qui
ajoute à la confusion entre cadres religieux et civil. Les tribunes sont éclairées de vastes baies
géminées aux arcs de décharge brisés. Ces formulations sont courantes dans une architecture
civile mais relativement rares en architecture religieuse. Les échanges d’idées ne se font ainsi
pas uniquement dans le sens de créations religieuses vers des édifices civils. L’inverse est tout
aussi plausible, remettant en cause l’idée d’une architecture religieuse plus précoce, animée
par des dynamiques de créations servant de modèles à l’architecture civile.
Nous pouvons également citer les exemples peu connus des sources de saint Martial et
de saint Julien à Nohanent et Brioude qui possèdent des arcs en plein-cintre reçus par des
chapiteaux datables de la fin du XIIème siècle.
Quant au logis gothique de Mirefleurs dans le Puy-de-Dôme, il est orné d’une baie
avec un oculus tréflé. Certains éléments du décor architectural des sanctuaires sont ainsi
aisément transposés dans le cadre civil. Toutes ces formulations sont insérées dans une même
société médiévale malgré quelques nuances2615. Les références aux édifices religieux sont
claires et rapidement intelligibles. Certaines formulations s’appliquent ainsi aussi bien à une
source, un donjon, à une église paroissiale ou une abbatiale cistercienne.
D’autres exemples du Puy-de-Dôme sont abordés par Pierre GARRIGOUGRANDCHAMP. Selon lui, les décors observés dans une architecture domestique (Volvic,
2613
B. PHALIP, Auvergne et Bourbonnais gothiques. Le cadre civil, Paris, Picard, 2003, p. 61.
B. PHALIP, Seigneurs et bâtisseurs en Haute-Auvergne…, op. cit., p. 182.
2615
B. PHALIP, op. cit, p. 62.
2614
- 989 -
Montferrand, Clermont) témoignent de la présence d’une sculpture décorative puissante et
raffinée, d’un goût certain pour la représentation humaine (corbeaux de la rue du Séminaire à
Montferrand). Les baies en plein-cintre sont clavées, les fenêtres géminées fréquentes tandis
que les claires-voies, observées en nombre à Cluny sont ici peu présentes. À Volvic, le pignon
est de l’École d’Architecture se dote d’une fenêtre triple dont les arcatures reposent sur de
petits chapiteaux ornés de pommes de pin, tandis que les bases présentent un profil non
classique à la scotie très prononcée (XIIème siècle). À Montferrand, les trois baies en façade
de la Maison de l’Éléphant sont soulignées d’archivoltes dont les retombées centrales sont
ornées de petites têtes de rois. Les bases sont dotées de griffes aux angles. Certains chapiteaux
sont décorés de feuilles plates s’enroulant en boutons. Ces sculptures sont ainsi peu
différentes des réalités observées dans la première moitié du XIIIème siècle à Dalon
(chapelles occidentales du transept).
Le premier gothique apparaît dans les années 1200 dans le cadre civil de BasseAuvergne comme en témoigne le recours fréquent à des chapiteaux à crochets. Le plein-cintre
reste toutefois de mise. Les colonnettes des baies géminées sont généralement lisses, sans
cannelures et enroulements de rinceaux comme à Cluny. Le répertoire sculpté est ainsi
souvent plus sobre que dans la ville de Bourgogne2616.
Dans un article concernant l’architecture domestique en Périgord, Pierre GARRIOUGRANDCHAMP établit un certain nombre de ressemblances entre bâti civil et religieux 2617.
Ainsi à Beynac, au sud-ouest de Sarlat, la demeure dite « Prieuré d’Abrillac » (XIVème
siècle) présente une façade ouest percée d’une porte surmontée d’un linteau clavé au profil
brisé et chanfreiné. Les baies sont à larges ébrasements. Des fenêtres géminées attestent d’un
certain luxe décoratif, autant de formes artistiques largement éprouvées dans un cadre
religieux. Non loin de l’abbaye de Dalon, le logis de Montmège à Terrasson (XIVème siècle)
est doté de fenêtres à remplages, créations qui correspondent aux « aspirations des élites
laïques », s’exprimant finalement de manière relativement similaire à celle des « élites »
religieuses. Ces deux demeures sont bâties en moyen appareil régulier de qualité, avec de
belles pierres de taille. Pour Pierre GARRIGOU-GRANDCHAMP, ce soin révèle un souci
certain de « mise en scène des extérieurs », une recherche esthétique, un enrichissement par le
2616
P. GARRIGOU-GRANDCHAMP, « L’architecture domestique du XIIème au XIVème siècles dans les
agglomérations du Puy-de-Dôme. État des questions », Congrès Archéologique de France, Clermont, 20002003, p. 241-278 ; P. GARRIGOU-GRANDCHAMP, « Les maisons de l’Éléphant, de la Chantrerie et d’Adam
et Ève, trois demeures des XIIème et XIIIème siècles à Montferrand », Congrès Archéologique de France,
Clermont, 2000-2003, p. 279-311.
2617
P. GARRIGOU-GRANDCHAMP, « Introduction à l’architecture domestique en Périgord aux XIIIème et
XIVème siècles », Congrès Archéologique de France, 1998, Périgord, p. 17-45.
- 990 -
biais de sculptures ornementales, une « fascination pour les réseaux élaborés des remplages
des monuments religieux ». L’adoption de ces formes gothiques est plus tardive que dans un
cadre religieux et intervient pour le cadre civil périgourdin dans la seconde moitié du XIIIème
siècle. Ainsi, si l’église abbatiale de Brantôme opte précocement pour un gothique angevin, le
proche château de Bourdeilles se dote de chapiteaux à crochets, de fenêtres à linteaux évidés
de trilobes dans les années 1283-1289.
Les études de Pierre GARRIGOU-GRANDCHAMP sur les maisons de la ville de
Cluny constituent une source d’exemples intéressants, d’autant plus précieuses que rares sont
les synthèses abordant des maisons particulières, des créations architecturales civiles et non
religieuses [Fig. 1068]. Nombre d’édifices pris en compte par l’auteur relèvent en effet de la
fin du XIIème siècle et du début du XIIIème siècle et s’insèrent ainsi parfaitement dans notre
cadre chronologique. L’auteur met en évidence par des relevés précis de logis aristocratiques
des cohérences fortes entre un bâti civil et certaines formulations de la proche abbatiale aux
XIIème et XIIIème siècles. Il s’attache en particulier à l’étude des claires-voies. Ces
ouvertures délicatement sculptées donnent sur la rue. Elles peuvent être interprétées comme
une expression monumentale du rang, un signe social ostentatoire et correspondent également
à une recherche certaine de luminosité. Les arcs sont bâtis sans tailloir sous le sommier. Des
supports faibles séparent les baies géminées. Les colonnettes peuvent être cannelées ou
enveloppées d’un décor couvrant. Les chapiteaux sont soit de composition simple avec des
feuilles nues ou s’ornent de motifs et feuillages exubérants. Au XIIIème siècle, les chapiteaux
à crochets se multiplient. Les arcs non clavés sont taillés dans des linteaux monolithes. Ceuxci sont parés de rosaces, de bandes de fleurettes et d’oves enrubannés, dans un cadre chargé
de besants. L’exécution est d’une grande qualité. La réalisation est confiée à la main d’œuvre
la plus qualifiée2618. Les sculptures sont surtout réservées aux façades tandis que les intérieurs
s’ornent plutôt de peintures murales. Pour l’auteur, les claires-voies s’expliquent par une
« émulation monumentale ». L’ordonnance des façades trouve une inspiration monumentale
dans la quotidienne observation des monuments abbatiaux. Pour lui, « la parenté avec les
modèles religieux est particulièrement probante ». C’est ainsi que plusieurs maisons peuvent
se doter de façades en pignon comme les églises et grands édifices, comme les abbatiales
cisterciennes ou les granges agricoles. Elles sont parfois ornées de lésènes, de pilastres. Les
claires-voies sont un exemple représentatif de ces interpénétrations entre bâti civil et
religieux2619. Pierre GARRIGOU-GRANDCHAMP formule alors l’hypothèse de bâtisseurs
2618
2619
P. GARRIGOU-GRANDCHAMP (…), op. cit, p. 141.
P. GARRIGOU-GRANDCHAMP (…), op. cit, p. 163.
- 991 -
ayant travaillé à la fois sur les chantiers de l’abbatiale de Cluny et sur ces demeures
aristocratiques, ce qui pourrait expliquer cette forte inspiration de l’architecture monumentale
religieuse. Les emprunts au vocabulaire religieux sont tangibles dans l’usage de cannelures
(sur les piliers et pilastres comme à Cluny III), à travers l’omniprésence de l’arcature comme
pour les élévations de l’abbatiale ou encore dans la fréquence de l’acanthe ornant les
chapiteaux.
À Belleville en Bourgogne du sud, entre Lyon et Mâcon, dans la rue du Canon Braqué,
il relève une porte ornée d’un modillon sculpté d’une tête humaine, datée de la fin du XIIème
siècle et du début du XIIIème siècle. Le modelé est très précis et très soigné. Les détails des
cheveux ondulés sont délicatement sculptés2620. De même dans la ville de Cluny, une maison
au 10, rue de la Barre présente un modillon gothique décoré d’une tête de bélier très réaliste.
Des éléments de décors comme les modillons peuvent ainsi concerner aussi bien une abbatiale
cistercienne, une église paroissiale ou un logis aristocratique. Les cadres civils et religieux
tendent parfois à s’entremêler.
Les modillons sculptés, bien présents dans un cadre religieux, et même cistercien
(Bonnaigue, Boschaud, les Pierres) peuvent ainsi également pénétrer le cadre civil. Le château
de Crozant édifié au-dessus de la Sédelle au nord de Dun-Le-Palestel présente une tour
circulaire, la « Tour Colin », dont les parements de moyen appareil régulier de granite
semblent relever du XIIIème siècle. À droite de la petite porte d’entrée, un modillon
délicatement sculpté représente une petite tête léonine de granite [Fig. 1069]. Elle n’est guère
différente des animaux ornant les modillons du chevet de Saint-Désiré près de l’abbaye des
Pierres [Fig. 1070] ou de l’église de Malval. Le premier étage de la « Tour du Renard »,
également datée du XIIIème siècle, dispose d’une cheminée ornée de deux modillons aux
têtes porcines.
D’autres exemples peuvent être cités hors des marges forestières intéressant notre
analyse. Marie-Pierre BAUDRY évoque un décor sculpté bien présent dans les fortifications
des Plantagenêts en Poitou entre 1154 et 12422621. Elle cite en particulier l’exemple du château
de Coudray-Salbart dont la Grosse Tour aux étages voûtés d’ogives s’orne de culots souvent
figurés. Pour l’auteur, les personnages représentés peuvent être rattachés au milieu des
donateurs, des commanditaires ou des constructeurs. Certaines têtes sont couronnées et
pourraient être des portraits de la famille royale anglaise. Ces motifs correspondraient dès lors
à une volonté ostentatoire.
2620
P. GARRIGOU-GRANDCHAMP (…), La ville de Cluny et ses maisons, XIème-XVème siècle, Paris, Picard,
1997, p. 66.
2621
M. P. BAUDRY, Les fortifications des Plantagenêts en Poitou, 1154-1242, CTHS, Paris, 2001, p. 84.
- 992 -
Le bâti civil témoigne ainsi de formulations proches des édifices religieux. Le recours
fréquent à l’ogive, la présence de chapiteaux feuillagés, de culots aux têtes humaines
grimaçantes, les parements soignés, les claires-voies évoquent les créations artistiques des
abbayes cisterciennes et clunisiennes ainsi que des églises paroissiales. Cet échange de
procédés architecturaux et décoratifs ne s’effectue pas uniquement dans le sens d’un bâti
religieux vers des édifices civils. En effet, nombre d’abbayes, de granges cisterciennes et
d’églises paroissiales ont pu être fortifiées. Des interpénétrations sont patentes entre bâti
religieux et édifices à vocation militaire.
Une question se pose d’emblée face à ces ressemblances architecturales : peut-on
envisager la circulation d’ouvriers d’un chantier à un autre, indépendamment de la destination
de l’œuvre (civile, religieuse, militaire) ? Les charpentiers, maçons, sculpteurs pourraient-ils
être à l’origine de ces interactions ? L’absence de sources ne permet guère d’étayer cette
hypothèse. Nous ne pouvons toutefois écarter l’idée de techniciens propres à l’ordre cistercien
pouvant circuler d’abbayes en abbayes, notamment pour des œuvres spécifiques (hydraulique,
vitraux en grisaille, pavements) ne relevant peut-être pas systématiquement des compétences
des ouvriers présents sur place. Le tombeau d’Étienne d’Obazine, pour ne citer que cet
exemple, a par ailleurs sans doute été réalisé dans des ateliers parisiens, et non par des artistes
limousins.
L’interpénétration des cadres civils, religieux et militaire se prolonge aux XIVème et
XVème siècles lorsqu’un certain nombre d’églises paroissiales, d’abbayes cisterciennes et de
granges sont fortifiées en réponse à un contexte d’insécurité. Ces constatations sont certes
éloignées du cadre chronologique envisagé mais constituent ici une ouverture et des éléments
de réflexion complémentaires.
Des sites religieux peuvent dès lors adapter un vocabulaire spécifique aux châteaux et
fortifications, montrant bien ainsi les limites de cloisonnements fréquents en histoire de l’art,
souvent caduques. Les conflits de la Guerre de Cent Ans conduisent en effet nombre d’églises
à se pourvoir de systèmes de défense dans l’espoir d’éviter les pillages. Aux XIVème et
XVème siècles s’amorce un mouvement de fortifications des églises paroissiales tentant
d’assurer leur protection en se dotant de créneaux, de mâchicoulis et de tours de défense 2622.
Les cadres religieux et civils sont de fait étroitement liés.
2622
C. COMBROUZE-LAFAYE, Les églises fortifiées en Limousin, Culture et Patrimoine en Limousin, 1999 ;
B. PHALIP, L’église d’Ajain…, op. cit.
- 993 -
L’église de Bonnat, à quelques kilomètres à l’ouest de l’abbaye de Prébenoît adjoint à
sa façade en pignon deux échauguettes ainsi que des créneaux et mâchicoulis. À Genouillac
également la façade occidentale dispose d’une bretèche soutenue par trois corbeaux. L’église
d’Ajain au nord de Guéret connaît une étape de fortification à la fin du XIVème siècle [Fig.
1071]. Le pignon oriental est abattu, la façade surélevée et flanquée de deux tourelles en
encorbellement2623. Elle dispose d’une échauguette, d’un chemin de ronde et d’un crénelage
aujourd’hui disparu comme à la Souterraine et Bonnat. Ces modifications sont en petit
appareil irrégulier. La mise en œuvre est donc la même que pour la tour de défense de
l’abbaye cistercienne de Bonlieu (1421) et se distingue des parements de la façade et du
chevet bâtis en moyen appareil régulier de granite. Cette différence d’appareillage peut
s’expliquer par l’urgence de la fortification ainsi que par une baisse des moyens financiers
disponibles. À Glénic, l’église paroissiale est fortifiée au XIVème siècle et agrandie au
XVème siècle [Fig. 1072]. La dernière travée de la nef et le chœur sont alors surélevés. Le
chevet est flanqué de tours. La façade occidentale dispose de tourelles en encorbellement.
Même les églises les plus modestes et n’ayant que peu de moyens financiers n’hésitent guère
à se doter d’éléments de fortifications. Les clercs considéraient-ils que les seigneurs laïcs
étaient incapables de les défendre ? Ces systèmes de défense appliqués aux églises
témoignent-ils de l’inutilité ou tout au moins de l’insuffisance des châteaux pour assurer la
sécurité dans ces régions troublées lors des guerres franco-anglaise et des guerres de
Religion ? Ils reflètent quoi qu’il en soit un climat d’insécurité et de peur latent qui s’exprime
au sein de la moindre église paroissiale.
Les abbayes cisterciennes participent elles aussi à ce mouvement de fortifications. Le
monastère de Bonlieu est fortifié en 1421. Une tour est construite sur les deux premières
travées de la nef en petit appareil irrégulier à litages marqués [Fig. 139]. Elle est pourvue à
l’origine de quatre mâchicoulis de pierre disparus aujourd’hui2624. Cette fortification peut
étonner dans un cadre monastique. Les moines bénéficient en effet de la protection des
seigneurs des environs mais cette garantie ne semble pas avoir suffi et ils ont ainsi exprimé
leur volonté d’assurer leur défense par leurs propres moyens. Toutefois, cette tour s’est
révélée insuffisante et n’a pas empêché les pillages aux XVème et XVIème siècles.
L’abbaye de Prébenoît est également fortifiée au XVème siècle et ces exemples
montrent bien le climat d’insécurité qui règne en Haute-Marche et Combrailles à cette
2623
2624
C. ANDRAULT-SCHMITT, op. cit., p. 73-75.
C. ANDRAULT-SCHMITT, « Des abbatiales du « désert » (…) », op.cit, p. 144-151.
- 994 -
époque. La nef est dès lors tronquée de quatre travées. À la place de la façade occidentale,
deux tours de fortifications sont érigées en moellons de schiste et harpages de granite. L’une
est polygonale, aujourd’hui entièrement arasée, l’autre ronde au nord est préservée. Elle
dispose d’archères canonnières très similaires à celles du proche château de Malval (com.
Bonnat). La base en est talutée. Des douves sont également creusées tout autour de l’enceinte
monastique et devaient ainsi assurer la protection du monastère marchois. Il n’en demeure
aujourd’hui qu’un vivier en « L ». Cette fortification là encore ne suffit pas et en 1590,
l’abbaye de Prébenoît est pillée et incendiée par les Huguenots [Fig. 349].
D’après les sources érudites, nous pouvons également supposer que le monastère de la
Colombe est de même fortifié. En 1861, Émile de Beaufort décrit deux portes d’entrée
« garnies de créneaux et de mâchicoulis »2625. Il ne reste rien aujourd’hui de ces
aménagements mais il serait logique d’envisager une période de fortifications au XVème
siècle en même temps qu’à Bonlieu ou Prébenoît. Ces modifications du Bas Moyen-Âge
reflètent une interpénétration des cadres religieux et militaires et il paraît ainsi très délicat
pour l’historien de l’art de maintenir des distinctions strictes entre les divers types de bâti.
D’autres exemples de fortifications de sites cisterciens sont connus en France
méridionale et septentrionale. Des granges fortifiées sont bien documentées dans le Midi de la
France grâce aux études de Mireille MOUSNIER sur l’abbaye de Grandselve (com. Bouillas,
Tarn-et-Garonne). Ainsi, l’exploitation agricole de Lassale est fortifiée dès le XIIIème siècle,
peut-être en lien avec les troubles dus à la Croisade des Albigeois et à la montée des hérésies
dès le milieu du XIIème siècle. Elle est construite en briques et ne s’orne d’aucune décoration.
Elle est détruite depuis les années 1960, d’où nos difficultés à livrer une description précise
des bâtiments. Quant à la grange de Terride, également dépendante de Grandselve, elle se
compose aujourd’hui de bâtiments modernes, mais conserve une entrée monumentale dont le
porche voûté est surmonté d’une tour de deux étages percées de petites fenêtres et dotée de
mâchicoulis surplombant l’entrée2626.
Certains exemples septentrionaux sont également envisageables, prouvant que ces
fortifications ne sont pas l’apanage des zones méridionales. En effet, la grange de Duchy,
appartenant aux moines de Pontigny dans l’Yonne est fortifiée au XVIIème siècle et se dote
de créneaux et de mâchicoulis. Même si ces aménagements sont tardifs, ils montrent bien
toutefois l’intérêt porté à ces installations agricoles protégées de la même manière et parfois
2625
É. DE BEAUFORT, « Abbaye de la Colombe », MSAOMP, T XXVI, 1861, p. 307-310.
M. MOUSNIER, « Les granges de l’abbaye cistercienne de Grandselve (XIIème-XIVème siècles) », Annales
du Midi, T 85, 1983, p.7-27.
2626
- 995 -
avec plus de soin que les églises et autres bâtiments religieux2627. La grange de Maubuisson
dans le Val d’Oise présente une façade en pignon dotée d’une échauguette.
Ainsi il existe de réelles interpénétrations entre cadres religieux, civil et militaire bien
illustrées par le recours à certaines formes artistiques et architecturales tendant à
« l’universalité », comme les portails à ébrasements multiples, les baies ébrasées, le type de
l’église-grange ou les éléments de fortifications au Bas Moyen-Âge. Cîteaux en Limousin
s’ancre à la fois dans une filiation avec l’Église de Rome mais aussi dans une aire
géographique aquitaine en optant pour des formes largement connues des proches églises
paroissiales (Ajain, Bonnat), des commanderies (Blaudeix, Paulhac, Lamaids) ou tours
seigneuriales environnantes (Huriel, Aubusson, Sermur).
2627
T. N. KINDER, « Les granges de l’abbaye de Pontigny », dans G. de COMMINES (dir.), op.cit, p. 33-39.
- 996 -
Conclusion :
Proposer une nouvelle étude sur les abbayes cisterciennes du diocèse de Limoges et de
ses marges – après les travaux fondateurs de Bernadette BARRIÈRE et de Claude
ANDRAULT-SCHMITT2628 – peut sembler une gageure, et ce à double titre. Il paraît difficile
de prime abord de trouver une démarche originale, de nouveaux axes de recherche sur un
sujet largement investi par les historiens et les historiens de l’art. Ce doctorat est ainsi
redevable des nombreux articles et ouvrages de Bernadette BARRIÈRE, des travaux
universitaires réalisés par ses étudiants de l’université de Limoges, socle incontournable sur
lequel s’est appuyée cette analyse. Quant aux premières études stylistiques menées par Claude
ANDRAULT-SCHMITT, elles permettent de caler de nombreux jalons chronologiques,
d’établir des points de comparaison essentiels à la compréhension des sites encore
partiellement en élévation. La seconde difficulté relève sans doute de l’impossibilité
apparente d’appréhender certaines abbayes en grande partie disparues en élévation, comme
Boeuil, Aubepierres, Aubignac ou Derses qui en sont les exemples les plus flagrants. Seuls les
historiens ont pu alors apporter quelques éléments de réflexion grâce à des fonds d’archives,
certes lacunaires, mais existants. L’historien de l’art tend cependant ici à s’effacer.
Il nous a donc semblé particulièrement intéressant de nous confronter à ces difficultés
et probables impossibilités, de rechercher d’autres outils et d’autres méthodes pour
appréhender ces sites. Dans un premier temps, les études toponymiques et l’analyse des
cadastres napoléoniens ont permis de répondre à un certain nombre de questionnements sur
ces monastères. La présence d’installations monastiques disparues peut apparaître à travers un
certain nombre de lieux-dits (le moulin, la grange, les tuileries…), tandis que les plans
conservent parfois le souvenir de bâtiments claustraux ruinés, comme c’est le cas pour
l’abbaye des Pierres, Boeuil ou Aubignac. Il devient alors possible d’imaginer la physionomie
de ces anciens monastères, même si elle correspond bien souvent à des réalités modernes.
Des méthodes archéologiques ont également été investies, et apportent de multiples
enseignements. Des études lapidaires sont menées au Palais-Notre-Dame, à Varennes et à
Prébenoît. Ces témoins issus de la destruction des sites sont le plus souvent écartés par
l’historien de l’art qui voit dans le recensement et l’inventaire une tâche ingrate, fastidieuse et
peu productive. Sur trois cent ou quatre cent éléments, combien vont véritablement nourrir la
réflexion ? Sans doute une minorité, mais les informations apportées justifient à notre sens le
2628
Leurs nombreuses publications sont présentées ci-dessous en bibliographie.
- 997 -
temps passé à inventorier, dessiner, déplacer, photographier ces blocs souvent lourds,
informes, mais parfois décorés ou peints. Ainsi, les dépôts lapidaires peuvent apprendre sur
les supports de voûtes disparues (piles complexes au Palais), sur le recours à l’ogive (claveaux
de nervure en amande au Palais, à Varennes), sur des portails, des baies, sur des cloîtres mis à
bas (cloîtres médiéval et moderne de Prébenoît), parfois même sur des aménagements
liturgiques (piscines géminées de Prébenoît) et des inhumations (sarcophage et dalles
funéraires au Palais). Ces éléments lapidaires apportent une multitude de renseignements sur
des élévations disparues et permettent même parfois des essais de datation. Par exemple, les
multiples éléments de supports octogonaux recensés à Prébenoît – au sein du dépôt lapidaire
et en remploi dans un bâtiment conventuel moderne – permettent de supposer la
reconstruction du cloître au XVème siècle, tandis que deux sommiers d’arc conservés ont aidé
à la reconstitution des arcades et galeries de ce nouveau cloître. Ainsi, l’archéologie pallie
parfois les lacunes de l’histoire ou de l’histoire de l’art, comme en témoignent les sondages
menés à l’abbaye du Palais ayant permis une meilleure connaissance du plan de l’abbatiale
médiévale et des réaménagements modernes.
Il semblerait qu’il soit possible d’envisager le cadre cistercien du Limousin à travers
des édifices certes ruinés, mais dont un certain nombre d’informations peuvent être dégagées
en faisant appel à des méthodologies empruntées à l’histoire, l’histoire de l’art et
l’archéologie, ainsi qu’en réintégrant un certain nombre de structures laissées pour compte,
tels les dépôts lapidaires, les aménagements hydrauliques et les granges. En effet, l’histoire de
l’art met souvent à l’écart ces témoins de « l’industrie » cistercienne, pourtant bien présents
encore aujourd’hui dans les paysages. C’est le cas du monastère de Boeuil, entièrement
disparu en élévation, mais qui livre encore des viviers, étangs, moulins, digues, certes souvent
remaniés à l’époque moderne, mais pérennisant sans doute une installation médiévale.
L’historien lui s’attache plus souvent au patrimoine foncier, tandis que seuls les
aménagements hydrauliques les plus prestigieux sont appréhendés d’un point de vue
archéologique, comme pour le Canal des Moines à Obazine ou le moulin de Cougnaguet. De
nombreuses prospections ont donc été menées sur les différents sites pour tenter de retrouver
d’anciens biefs, viviers, digues, moulins, souvent recouverts de lierres et de mousses (moulin
du Pin de la Colombe) mais bien présents.
En s’appuyant sur les précédents travaux de Bernadette BARRIÈRE et du CRHAM,
sur les études stylistiques de Claude ANDRAULT-SCHMITT, nous avons tenté de répondre à
d’autres questionnements, en appréhendant le monastère comme une « entreprise », en lien
avec des réseaux aristocratiques, ecclésiastiques et paroissiaux, marquant durablement les
- 998 -
paysages par leurs activités agricoles, hydrauliques et par des architectures à la fois intégrées
au paysage existant, mais aussi « rationalisées », et par là même tendant à l’universalité. Les
abbayes cisterciennes ne peuvent être réduites à un simple « microcosme » autarcique, un
« désert » isolé du siècle. Ce n’est pas tant le phénomène cistercien en tant que tel qui attire
l’attention, mais ce qui l’entoure et le justifie. Ces abbayes sont des « barrières de prière » aux
marges diocésaines, des nécropoles aristocratiques pour de riches donateurs tel Roger de
Brosse à Prébenoît ; elles sont des entreprises aux activités commerciales insérées dans les
proches bourgs par l’intermédiaire de maisons, de celliers. Elles deviennent un enjeu de
pouvoir pour les rois Plantagenêts ou Capétiens qui les dotent largement, et s’en proclament
parfois fondateurs (Henri II à Varennes). Toutes ces données politiques, géopolitiques,
économiques et sociales doivent être intégrées pour une meilleure compréhension des données
stylistiques et archéologiques, d’architectures certes dépouillées, mais ô combien
symboliquement riches, entre roman et gothique, entre art français et goût capétien, entre
aniconisme et acceptation progressive de l’image, entre Cîteaux et domaine aquitain. Cette
quête « autour de Cîteaux » a ainsi suscité interrogations, hypothèses, pistes de recherche et
premiers résultats.
Cette étude témoigne des difficultés à pouvoir parler d’un art cistercien, et plus encore
d’un art cistercien du Limousin. En effet, l’originalité de l’ordre cistercien souvent
revendiquée dans une historiographie même récente n’est pas aisément justifiable. Le parti
d’austérité largement prôné par les moines blancs n’a rien de réellement original au XIIème
siècle, et s’inscrit en cohérence avec les multiples mouvements érémitiques nés de la réforme
grégorienne. La volonté de retour au désert, de pauvreté est partagée par les chanoines
réguliers de Saint Augustin, ou encore par les ordres de Grandmont, Fontevrault, Prémontré,
par ailleurs bien représentés dans le diocèse de Limoges.
L’austérité cistercienne ne s’explique pas uniquement par la précarité de certaines
fondations se contentant des terres délaissées par les autres ordres religieux. Il est vrai que les
moines blancs doivent s’insérer dans un maillage serré de fondations monastiques, canoniales
et épiscopales et n’ont finalement que peu de choix de leur site d’implantation. Ils
s’implantent sur les premières terres cédées par de proches seigneurs désireux d’attirer les
cisterciens sur leurs domaines, pour des raisons économiques de mise en valeur des sites, mais
aussi peut-être pour s’assurer le salut dans l’au-delà ou encore affirmer une conscience
lignagère. Le dépouillement dont ils font preuve n’est pas la seule conséquence de la pauvreté
des premières décennies des communautés. Il s’agit avant tout d’un réel choix esthétique, bien
plus qu’un pis-aller. Dans ce cadre réformateur, l’image fait débat. Si elle est nécessaire à
- 999 -
l’éducation des fidèles, elle attire néanmoins la méfiance d’ordres religieux conservateurs
d’idées carolingiennes comme les cisterciens, refusant la cura animarum et l’accueil des
foules. Les moines blancs sont en effet proches des mondes carolingiens réticents à l’image
sculptée et peinte. Ils s’inscrivent bien souvent comme les garants d’une certaine tradition
monastique ancienne, dans la lignée des préceptes de Grégoire de Tours, à l’inverse de leurs
homologues clunisiens du parti de la novation, de l’image, du luxe pour Dieu. Les édifices
cisterciens sont sombres, les volumes sont amples et simples, la muralité y est importante, le
décor est réduit à sa plus simple expression comme en témoignent les culots lisses, les
chapiteaux nus, autant de formules largement éprouvées en Limousin et Aquitaine où la
présence de mouvements à vocation érémitique est forte.
Ces derniers tentent de rétablir une concorde entre contemplation et action, entre vie
au désert et prédications aux fidèles. Les moines cisterciens ne semblent pas avoir réussi à
préserver le silence et la solitude du cloître. En effet, les compromissions avec le siècle sont
inévitables : les moines sont issus de proches milieux nobles, reçoivent des donations de
généreux bienfaiteurs, côtoient régulièrement des laïcs (convers) et développent des activités
commerciales dès le XIIIème siècle (maisons de ville, greniers). Ils illustrent ainsi
parfaitement les tensions inévitables entre monde du silence et monde de la parole. Le saltus
peu à peu devient ager en même temps que les moines blancs passent du faire-valoir direct à
une économie de fermage, à l’image des moines clunisiens. Ces changements économiques
trouvent une expression dans leurs créations artistiques comme en témoigne cette phase
d’embellissements des monastères au XIIIème siècle (vitraux, décors peints, carreaux de
pavement avec scènes liées à la chasse), développant une iconographie propre proches des
réseaux aristocratiques de plus en plus présents, choisissant les abbayes comme nécropole.
Les relations avec le monde extérieur sont ainsi tangibles dans leurs choix
architecturaux et décoratifs. Les moines blancs maintiennent par bien des aspects des
traditions architecturales romanes bourguignonnes et aquitaines, témoignant de leur parfaite
connaissance des édifices proches et de leur volonté de se fondre dans le paysage architectural
existant. Nous pourrions également supposer une circulation des ouvriers, issus soit des
paroisses environnantes, soit circulant à l’intérieur même de l’ordre de Cîteaux. Les
références à un art de bâtir et à des techniques aquitaines apparaissent dans le choix d’un
voûtement à file de coupoles à Boschaud, dans le recours fréquent à une coupole de croisée
(Obazine, Bonlieu, Grosbot), dans un certain nombre de décors de bases et de chapiteaux à
damiers, dents de scie, billettes… Les cisterciens expriment ainsi sans doute une volonté
ferme d’intégration à un paysage monumental aquitain, à leur lieu d’implantation. Cette
- 1000 -
volonté se double d’une nécessité de se rattacher à l’Église de Rome, d’en revendiquer la
filiation par la mise en œuvre d’un certain nombre de formules architecturales caractéristiques
attestant d’une légitimité qui ne va pas de soi. Il s’agit d’un ordre neuf, issu des idées
réformatrices, mais profondément ancré dans la tradition.
En héritiers d’un monachisme traditionnel, les cisterciens privilégient une organisation
classique des bâtiments monastiques autour d’un cloître, le maintien de la nef unique et du
chevet plat, la présence de chapelles occidentées pour les messes des moines-prêtres, des
baies larges et ébrasées souvent organisées en triplet ou surmontées d’un oculus, des portails
sobres sans scènes historiées. Certaines formes artistiques « rationalisées » semblent tendre à
une « universalité », s’appliquant aussi bien à une abbatiale cistercienne, une commanderie ou
une église paroissiale. Il y a peu de différence dans la mise en œuvre d’une simple grange
cistercienne et d’une abbatiale. Le travail est en effet pour eux aussi important que la prière,
d’où une revalorisation des bâtiments agricoles et artisanaux. Les activités pré industrielles,
l’hydraulique et l’exploitation des terres restent prioritaires pour un ordre installé au saltus,
sur des terres à mettre en valeur. Les premiers investissements sont ainsi dévolus à ces tâches
primordiales pour assurer l’autarcie d’une communauté, tandis que les constructions restent
souvent modestes, à l’économie, et le décor timide.
Les constructions édifiées dans la seconde moitié du XIIème siècle restent ainsi
sobres, romanes dans l’esprit, proches des goûts Plantagenêts, rois présents en Aquitaine et
apparaissant à maintes reprises dans les cartulaires cisterciens limousins. Une mutation
intervient toutefois au tournant du XIIIème siècle. Des essais de voûtement d’ogives
interviennent, qu’il s’agisse du voûtement de bâtiments conventuels (réfectoire d’Obazine,
vers 1180-1200), de chevet (Le Palais, premier tiers du XIIIème siècle), puis plus tardivement
de l’ensemble d’une nef (Coyroux, mi XIIIème siècle). Cette émergence d’un premier
gothique semble plus Plantagenêt que Capétien, comme en témoignent le refus du
déambulatoire couronné de chapelles, de l’arc-boutant, des baies à remplages, le goût pour le
chevet plat, les baies ébrasées en triplet, les profils en amande (ogives, colonnes), les portails
à ébrasements multiples. Les rois Capétiens ne s’imposent réellement en Aquitaine que dans
le premier quart du XIIIème siècle, comme l’illustrent la mise en place de carreaux de
pavement sur les sols des églises, des cloîtres et des bâtiments conventuels. Le tombeau
d’Étienne d’Obazine est aussi caractéristique d’un art parisien s’exportant peu à peu dans les
régions aquitaines et méridionales, symptomatique des poussées capétiennes. Les liens de plus
en plus étroits avec les rois de France sont illustrés par la fondation de deux bastides en
paréage avec les abbés d’Obazine (Mont-Sainte-Marie) et de Dalon (Puybrun), nouveaux
- 1001 -
centres de peuplement permettant de répondre en partie à la crise de recrutement des frères
convers.
Ces quelques éléments de conclusion ne répondent certes pas pleinement à l’ensemble
des questionnements posés en introduction. Ils ne peuvent qu’être partiels, incomplets face
aux lacunes des sources historiques et archéologiques, mais prouvent néanmoins que l’étude
de sites en partie ruinés peut apporter de multiples réponses sur les implantations cisterciennes
dans le diocèse de Limoges et de ses marges, mais aussi sur le contexte plus général d’un
diocèse aux marges de l’Aquitaine, tiraillé entre couronne de France et Empire Plantagenêt et
dans lequel va émerger un premier art gothique singulier mêlant sobriété des élévations et
audacieuses voûtes d’ogives. Ces abbayes du « désert » nous ont parfois éloigné des cloîtres
silencieux pour deviner le brouhaha des bourgs et des marchés urbains, le tumulte des eaux
jaillissant d’un moulin farinier ou le martèlement des outils sur la forge, mais c’est
probablement dans ce pèlerinage autour de Cîteaux que nous avons pu le mieux percevoir les
multiples facettes du phénomène cistercien en Limousin.
- 1002 -
SOURCES ET BIBLIOGRAPHIE
SOURCES
Sources manuscrites :
AUBEPIERRES :
AD Creuse : H 147 à H 196.
H 147 : copie des titres de l’abbaye royale Notre-Dame d’Aubepierres par
Jean-Baptiste Annet de la Celle (1767).
H 160 : reconnaissance à l’abbaye d’Aubepierres d’une rente sur une maison
sise à Argenton (1246).
arrentement par l’abbé commendataire d’Aubepierres d’une vigne et
d’une terre situées au clos de Fontgilbert (1567).
Bail du champ d’Angilbert (XVIIème siècle).
H 166 : donation à Aubepierres par Guillaume de Chauvigny, seigneur de
Châteauroux. Donne le droit de s’installer dans sa maison de
Châteauroux (1216).
Donation de Raoul de Déols aux abbayes d’Aubepierres et des Pierres.
Remise de tout cens exigible sur les biens des abbayes situés dans ses
fiefs. Concession d’une maison à Châteauroux (1256).
Concession à Aubepierres par Pierre Vital et sa femme Pétronille de
vignes à Marzelle (1209).
Accord entre Geoffroy de Chauvigny et l’abbaye d’Aubepierres (1224).
Vente par Geoffroy d’Azay d’une terre sise dans les Sablonnières (12.?)
H 172 : actes concernant le moulin de Chibert, commune de Glénic (12471785).
H 196 : actes concernant Villers, Indre (1210-1274).
AUBIGNAC :
AD Creuse : H 233 à H 261.
H 234 : inventaire des titres de l’abbaye (1768-1769).
H 236 : Pierre Garnier de Dognon cède une rente d’un setier de froment sur le
moulin de la chapelle Saint-Gilles (1194).
Donation de Molin Panetier de sa maison et dépendances avant son
départ pour la croisade (1218).
Vente par Giraud Jocelin du Champ de la Couture (1229).
H 237 : L’épouse de Jean de Prissac cède des vignes (1290).
Donation par Raoul Bocheneire de vignes à Prégalet (1229).
H 238 : testament de Simon Valeschat portant la fondation d’un hôpital à
Argenton, placé sous la dépendance d’Aubignac (1373).
Donation d’Isabelle Reynaud de terres au mas de Montflery (1294).
Donation d’une vigne à Chipret par Molin Panetier (1218).
H 239 : donations, cessions, ventes (1218-XVIIème siècle).
H 242 : arrentements (1633-1643).
H 243 : le damoiseau Monvoisier de Villegenêt donne un jardin à Châteauroux
- 1003 -
(1268).
Geoffroy Deret renonce à ses prétentions sur une vigne et reçoit en
retour une vigne sous la maison de l’abbaye de la Colombe à
Châteauroux (1234).
H 245 : ventes (1257-XVIIème siècle).
H 250 : Les frères Porret abandonnent aux religieux d’Aubignac différents
droits litigieux (vers 1200). Droit de propriété sur le moulin de
Malherbe. Reconnaissent le droit à leurs hommes de faire moudre leurs
grains et fouler leurs draps au moulin des religieux.
Testament de Gérard Porret qui choisit Aubignac pour lieu de sépulture
(XIIIème siècle).
AD Indre :
H 461 : état des revenus de l’abbaye (1690).
H 976 : testament de Pierre de Brosse par lequel il choisit sa sépulture dans
l’abbaye d’Aubignac (1247).
Arrentement (1491).
H 977 : copie (XVIIème siècle) d’un contrat passé par Pétronille par lequel elle
donne part de biens et de revenus dans la paroisse de Parnac.
Testament de Guillaume Chardon souhaitant être enterré à Aubignac
(1303).
Testament d’Hélie de la Chaulme qui élit sa sépulture à Aubignac
(1355).
H 978 : arrentements et baux à rente (1532-1778).
H 1151 : procès pour un bois dans la métairie des Crasseaux (1778-1791).
BOEUIL:
AD Haute-Vienne : 13 H 1-39
L 1226 (compte de l’abbaye de Boeuil de 1789 à 1791).
1 Q 419 (fol. 48)
1 Q 440 (inventaire des objets mobiliers de l’abbaye de Boeuil, 17901791)
1 Q 441
3 P 212 1 (section D, subdivision 3ème)
BONLIEU :
AD Creuse : H 137 : procès entre les religieux du Moutier d’Ahun et ceux de l’abbaye de
Bonlieu (176.).
H 284 à 521 : cartulaire de l’abbaye de Bonlieu (1141-1377).
H 513 : procès-verbal de visite (1647).
H 939 : quittances (1679-1758).
5 Fi 59, 5 Fi 754 : cartes postales anciennes.
BONNAIGUE :
AD Creuse : H 522 : liasse, 4 pièces, 1773, enquête concernant un fermier de la dîme de
Bonnaigue.
AD Corrèze : Q 149 : 1790 inventaire mobilier de l’abbaye de Bonnaigue, inventaire des titres
- 1004 -
et papiers, inventaire mobilier.
1791 vente du mobilier de l’abbaye de Bonnaigue.
Q 54 : 1791 vente des biens de l’abbaye et recollement par rapport à
l’inventaire de 1790.
H 24 à H 26 : reconnaissances, fermes, procès, plaintes (1624-1789).
AD Puy-de-Dôme :
16 H
fonds des Prémontrés Saint-André de Clermont
16 H 99 c. 1a (1198-1401) Le seigneur de Romagnat donne aux
cisterciens de Bonnaigue et aux Prémontrés de SaintAndré en indivis le terroir d’Hauteribe (1198).
16 H 156 c. 12 (1462) conflit entre le duc d’Auvergne et les religieux
de Saint-André et de Bonnaigue au sujet de leurs droits
respectifs sur le lac.
BOSCHAUD :
AD Haute-Vienne : 13 H 3
AD Dordogne :
33 H 1 : gestion du temporel et des dîmes (1704-1748).
B 166 : pièce 21, procès-verbaux (1680).
B 176 : pièces 57 à 60, procès-verbaux (1682), visite par François
Faucher, maître charpentier de Périgueux et Martin Montaltio
( ?) architecte de Périgueux.
Q 122 : vente des biens situés dans les paroisses de Villars et de
Quinsac dépendant de l’abbaye de Boschaud (1791).
B 659 : pièces 1 à 29, inventaire de pièces produites en appel (17601774).
Q 194 : reconnaissance de l’argenterie provenant de la maison
religieuse de Boschaud (1792).
2 J 1145 : notes de Jean SECRET. Un texte intitulé « Anatomie d’une
coupole ».
LA COLOMBE :
AD Creuse : H 523 : Baux. État des revenus de la ferme de Bordessoule dépendant de
l’abbaye de la Colombe.
AD Indre :
H 725 à 739.
H 725 : donation de la vigne de Belena par Blanche Fleur (1211).
Don de Pierre Ribotiaus des bois et terres de Péradau (1218).
Don de Guiot du Pin du moulin du Pin (1218).
H 726 : Guy de Chaillac donne moulins près du pont de Chaillac. Le vicomte
de Brosse accorde le privilège de mouture sur ses moulins (1213).
- 1005 -
H 727 : Passavanz donne la quatrième part de récolte de vignes à Babic et au
clos Mulart (1230).
Étienne dit Syret donne une vigne à la Forêt près du Blanc (1292).
H 728 : accord entre les moines et Géraudus vicomte de Brosse au sujet du bois
de Vauret (1231).
Transaction avec les religieux de Montmorillon (1255).
H 729 : Guillaume Gruel donne le moulin près de la maison des lépreux de
Chaillac (1245).
Arrentement du moulin du pré près de l’Anglin.
H 730 : déclarations des héritages rendues à la Colombe (1366-1779).
H 731 : échanges, ventes (1454-1773).
H 732 : ferme du moulin de L’Eschinault sur la rivière de Chaillac dépendant
de la Colombe (1554-1783).
H 735 : inventaire des titres de l’abbaye de la Colombe (1629).
H 736 à H 739 : terriers, cens, rentes, recettes et dépenses (1634-1789).
F 1107 (travaux d’érudits des XIXème et XXème siècles.)
DALON :
AD Haute-Vienne : 1 J 247
5 F/K 86
AD Corrèze : H 27 1660-1784 baux à ferme.
H 107 1758 arpentage des bois de l’abbaye de Dalon.
H 134 1200-1472 transactions.
H 146 1769-1790 prises d’habits et décès.
AD Dordogne :
35 H 1 : rentres foncières (1474-1751).
1 J 1680 : documents relatifs aux abbayes de Dalon et de Tourtoirac
(1639-1747). Copie de la transaction passée entre l’abbaye de Dalon et
les tenanciers de Puyboucher (1747).
2 J 1145 : notes de Jean SECRET. Un croquis de l’abbaye de Dalon
(1961).
DERSES :
AD Corrèze : Q 46 : 1791 procès-verbal d’évaluation d’après le bail.
GROSBOT :
AD Charente : H V 1 personnel, affaires intérieures, visites (1641-1738).
H V 2 concordats entre abbés et prieurs (1691-1712).
H V 3 correspondance d’affaires des abbés (1599-1657).
H V 4 idem (1727-1779).
H V 5 arrentements (XVIème siècle).
H V 6-7 censifs (XVème-XVIIIème siècles).
H V 8 compte des recettes et des dépenses (1534-1638).
H V 9 ferme des revenus (1571-1715).
- 1006 -
H V 10 procès-verbal des bâtiments et du mobilier (1632).
H V 11 créances et dettes (1641-1742).
H V 12 quittances et impôts (1640-1790).
H V 13 procès contre le seigneur de Larochebeaucourt. Incendie de forêt
(1761-63).
H V 14-20 : contre les seigneurs de Marthon au sujet des forêts (1540-1576).
Possessions :
H V 21 Beaussac, Hautefaye, donations, achats, transactions (1229-1455).
H V 22-23 : arpentements, reconnaissances (1468-1789).
H V 24 procès au sujet de la tenure dite de la Chapelle de Brouillac (1637-47).
H V 25 ferme des revenus (1648-1753).
H V 26-27 Charras. Arpentements (1553-1753).
H V 28 baillettes (1461-1725).
H V 29 actes particuliers de la mouvance (1537-1639).
H V 30 prise du Soulier (1461-1724).
H V 31 ferme des revenus (1620-1732).
H V 32 procès contre les seigneurs de Charras (1638-41).
H V 33-34 Grassac. Prise de Fontpalais, moulin et étang (1494-1725).
H V 35 La Tâche (1474-1751).
H V 36 Domérac ou Ribérou (1517-1748).
H V 37 Prises diverses (1265-1778).
H V 38 Garat. Acquisitions (1267-1346).
H V 39 Baillettes et reconnaissances (1325-1471).
H V 40 Fermes, procurations (1649-1778).
H V 41-42 Grand et Bas Arsac (1598-1777).
H V 43 arpentements et déclarations (1538-1789).
H V 44 prés de l’Échelle (1330-1675).
H V 45 Mainzac, Souffrignac (1290- XVIIIème siècle).
H V 46 Rougnac (1231-1763).
H V 47 Edon, Gardes, Villebois (1335-1768).
H V 48 Sers, Vouzan (1565-1725).
H V 49 Marthon, procès pour la Tour de Birac (1613-1777).
H V 50 Marthon, Pranzac, Varaigne (1478-1777).
H V 51 Chazelle (1485-1759).
H V 52 Aussac, Coulgens (1546-1742).
H V 53 Juillé, Salles (1475-1774).
H V 54 Angoulême (1376-1778).
H V 55 rentes diverses (1262-1744).
H V 56 procédures (1643-1771).
OBAZINE et COYROUX :
AD Haute-Vienne : 5 F/K 78 (analyse d’actes)
AD Cantal (grange de Graule) : 1H 1 : Titres de propriété, acensements anciens (1296-1425).
1H 2 : Gestion des cens et rentes (1543-1585) : lièves des
cens et rentes dus à la seigneurie de Graule ; terrier des
cens et rentes dus à l’abbaye d’Obazine sur les
- 1007 -
montagnes de la Fagette, de Graule et Chapgraule, de
Ventalhac et au bailliage de Nouix.
1 H 3 : Terrier des cens et rentes dus à l’abbaye d’Obazine
(fragments, 1585-1774) : reconnaissances isolées de
tenanciers de l’abbaye de Graule (1585) ; extraits
informes du terrier de 1584-1585 (début XVIIIème
siècle) ; liève des cens et rentes dressée d’après le terrier
de 1584-1585 ; poursuite de censitaires débiteurs et
procès entre deux anciens associés à la ferme des revenus
de l’abbaye d’Obazine à Graule (1762-1774)
1 Q 561 ; 1 Q 655 ; 1Q 746 : estimation des biens nationaux (1790).
AD Corrèze : C 225 : état général de tous les établissements, fondations, revenus de la
généralité de Limoges (1784).
C 258 : arpentements d’Obazine (1754).
E 758 : 1672, fol. 107, état des lieux, bâtiments et aménagements hydrauliques.
1 F 4 : 4 liasses concernant Obazine (1301-1682), archives de François
Bonnélye, arpentements, reconnaissances de rente.
6 F 109 : mémoire pour l’histoire de l’abbaye d’Obazine d’après un manuscrit
de l’abbé Nadaud, depuis 1159.
H 31 : 1484-1789 : tènements, baux à ferme.
H 81 : 1610, exploit.
H 109 : table alphabétique de tous les tenanciers du tènement et village de
Crousché (1709).
Quittances (1784-1785).
H 135 : 1444-1782, contrats de vente, rentes, arrentements, ventes.
Q 148 : 1790 inventaire du mobilier des abbayes d’Obazine et de Coyroux.
Q 9 : état de revenus de l’abbaye d’Obazine et état des charges.
8 Fi 6 : Fonds Lapie, commune d’Aubazine, vues de l’abbatiale.
5 Fi 13 : commune d’Aubazine, cartes postales de petit format.
Médiathèque du Patrimoine, Paris :
-
Plans de Paul ABADIE, 1852, cote 669 : plan de l’église, états actuel et restauré,
coupes longitudinale et transversale, élévations des façades, élévations du meuble
roman.
Plans d’Anatole de BAUDOT, 1879, cote 8848 : plan du rez-de-chaussée, détails es
fenêtres OO et de l’angle Y du réfectoire et des corbeaux ZZ, coupes KL, IJ et MN,
état actuel.
- 1008 -
-
Plans d’Anatole de BAUDOT, 1876, cote 32551 : étaiement des piliers A et B du
transept, élévation et plan.
Cote 34152 : élévation du meuble roman.
Cote 83598 : établissement d’un campanile sur le mur de la façade, élévations, plan et
coupe.
Cote 83599 : Projet de presbytère, élévations, plan et coupe.
Cote 83600 : plan coté de l’église avec indication, coupe sur la nef et les bas-côtés,
état restauré.
Cote 83601 : élévation de la façade principale, état actuel. Coupe longitudinale, état
restauré.
Cote 83602 : élévation de la façade absidiale restaurée. Coupe longitudinale, état
restauré.
Plans d’Henri CHAINE, 1918, cote 83603 : plan de masse, coupe, état actuel.
Plans d’Albert MAYEUX, 1918, cote 83604 : Plan général avec indication de
classement.
Cote 83605 : Élévations de la plaque commémorative.
Cote 83893 : Plan d’ensemble, coupes longitudinale et transversale, élévations des
façades.
Plans d’Anatole de BAUDOT, 1898, cote 83894 : établissement d’un campanile sur le
mur de la façade, élévations principale et latérale, coupe, plans de la façade et du
campanile.
Cote 83895 : étude des glacis du clocher, élévation, plan, coupe et détails.
Cote 83598 (2) : établissement d’un campanile sur le mur de la façade. Élévations,
plan et coupe. Plan du campanile.
Cote 83598 (3) : Établissement d’un campanile, élévations, plan et détails, minute.
Cote 83598 (4) : Établissement d’un campanile, élévation et coupe, minute.
Cote 83598 (5) : Établissement d’un campanile, détails de la couverture, minute.
LE PALAIS-NOTRE-DAME :
AD Creuse : H 524 cartulaire (copie)
H 525 : liasse, 8 pièces, 1510-XVIIIème siècle, arrentement, rapport, vente.
H 526 : liasse, 7 pièces, 1780-1789, procès-verbal d’expertise des lieux et
bâtiments dépendants de l’abbaye du Palais.
H 527 : liasse, 5 pièces, 1790-1792, inventaire des titres et meubles de
l’abbaye
du Palais.
6 H 51 : 1377-1776, commanderie de Bourganeuf, rentes dues à
l’abbaye du
Palais entre autres.
AD Haute-Vienne : 7 F 23 (procès-verbal de la remise des titres de
l’abbaye du
Palais, 1785)
PEYROUSE :
AD de l’Aube : 3 H 228 (description de l’abbaye de Peyrouse au XVIIème siècle).
- 1009 -
AD Dordogne :
36 H 1 : procès-verbal descriptif des bâtiments et dépendances de
Peyrouse (1774-1775).
36 H 2 : lettre de terrier et son sceau (1738).
36 H 3 : extraits de titres du terrier (1614-1627).
36 H 4 : lièves de rentes (1740-1789).
36 H 5 : rentes foncières à Beaulieu (1743).
36 H 6 : rentes et dîmes de Milhac-de-Nontron et Saint-Martin de Fressengeas ;
moulin à Saint-Martin-de-Fressengeas (1550-1743).
36 H 7 : rentes foncières dans la ville et banlieue de Périgueux (1451-1758).
36 H 8 : lods et ventes sur une maison à Périgueux, paroisse de Saint-Silain (16271771).
36 H 9 : rentes foncières à Saint-Jory-de-Chalais (1451-1743).
36 H 10 : rentes foncières de Saint-Laurent-de-Gogabaud, Saint-Saud et Sorges (15981759).
36 H 11 : rentes et dîmes de Vaunac et Thiviers (1738-1786).
36 H 12 : rentes foncières diverses (1482-1748).
36 H 13 : décimes dus au roi (1739).
36 H 14 : procédure contre Jean Ségui et Jacques Desfarges (1788-1789).
Q 122 : vente de biens ayant appartenu aux religieux de Peyrouse (1791).
vente de la forêt dite de Peyrouse appartenant à la communauté (1793).
Q 123 : vente des biens situés à Notre-Dame de La Garde (Périgueux). 1791.
Q 194 : reconnaissance du ballot contenant l’argenterie de l’abbaye de Peyrouse. État
et pesage (1792).
B 532 : pièces 42-49-71, procès-verbaux civiles (1759-1760).
B 538 : pièces 58-59, procédures civiles (1761). État des réparations à faire dans les
dépendances de l’abbaye de Peyrouse.
B 651 : pièce 75, procédures civiles (1773-1774). Procès-verbal d’expertise pour
Charles Eutrope De La Laurence de Villeneuve, abbé commendataire
de Peyrouse.
B 701 : pièces 79-80-88, verbaux civils (1779)
B 712 : pièces 50-51-62-104, experts nommés pour dresser un procès-verbal des objets
dépendants de l’abbaye de Peyrouse (1780) ; l’abbé de Peyrouse donne
pouvoir à Roger de la Feuillade notaire royal pour choisir les experts
pour la visite des réparations à Peyrouse (1780) ; procès-verbal
d’expertise, mobilier et ornements (1780).
B 725 : pièces 18 à 21, procès-verbaux civils, constatation des réparations faites par
rapport au procès-verbal (1781).
- 1010 -
2 J 1145 : notes de Jean SECRET. Plan de l’abbaye de Peyrouse
d’après le procès-verbal et l’état des lieux des bâtiments de 1774. Copie
du plan cadastral de Saint-Saud.
LES PIERRES :
AD Cher :
8 G 1819 : censier de Saint-Fulgent (XIVème siècle).
8 H 1862, 10 H 1 à 10 H 143.
10 H 1 à 10 H 3 : inventaire des titres (XVIIème-XVIIIème siècles).
10H 4 : donations, fondations, cessions, échanges (1163-1711)
10 H 5 : acte de décès.
10 H 6 : procès verbaux de vols, pillages et incendies (1609-1650).
10 H 7 : rentes.
10 H 8 : état des revenus et historique des bâtiments (1789).
10 H 10 à 10 H 14 : terriers et actes notariés.
10 H 15 à 10 H 29 : registres d’actes notariés et de reconnaissances (moderne).
10 H 30 à 10 H 52 : lièves (moderne).
10 H 53 à 10 H 81 : comptes d’exploitation des fermes, bois, métairies.
10 H 85 : bois de l’abbaye. Titres de propriétés, droits d’usage et de pacage
(1197-1264).
10 H 86 : plans des bois de l’abbaye (XVIIIème siècle).
10 H 87 : procès (XVIIIème siècle).
10 H 88 : métairie et moulin de Bonnefond (fin XIIème jusqu’à 1789).
10 H 89 à 10 H 143 : biens dans diverses paroisses (Boussac, La Cellette, La
Chapelette, Châteaumeillant, Huriel, Marçais, Mesples, Montlevic, Pérassay,
Préveranges, Sidiailles, Saint-Christophe, Saint-Désiré, Saint-Martinien, SaintMaur, Saint-Palais, Saint-Priest-La-Marche, Saint-Saturnin, Saint-Sauvier,
Viplaix).
PRÉBENOIT :
AD Creuse : H 528 -533 : donations, testament, bail, procédures, documents comptables,
procès-verbal de visite de l’abbaye, inventaires du mobilier, des titres et des
objets du culte (1162-1811).
H 528 : récapitulation des donations faites par trois des principales familles de
bienfaiteurs en faveur de l’abbaye de Prébenoît au début du XIIIème siècle.
H 533 : inventaire du mobilier et des titres de l’abbaye de Prébenoît (1790).
10 F 235.
BNF, ms 17049 et ms 12747 (extraits de titres, XVIIIème siècle).
VARENNES :
AD Cher :
H 739 (n°5) : Prieuré de Fougerolles. Donation de 1207 par Garnier de Cluis
aux religieux de Saint-Sulpice d’un chezal situé près de l’église
de Fougerolles.
B 148 :
Acte d’hôtel portant nomination d’expert dans le litige existant
entre Louis d’Hugues, abbé commendataire de Varennes et le
marquis de Chavignac (1735).
- 1011 -
B 3355 :
Déclaration par Louis Duménil Simon de Beaujeu, chevalier,
seigneur de la Tour, comme quoi il accepte la succession de son
oncle Jean Duménil Simon de Beaujeu, décédé abbé de
Varennes et doyen de l’église de Bourges (1654-1669).
C 761 :Liève du duché de Châteauroux. Le sixte de Laage, paroisse de Jeu-lesBois, petite dîme se levant sur tous les laboureurs du village de
Laage, en ladite paroisse, où le duché de Châteauroux prend le
6ème, le seigneur du Magné la moitié, Varennes et le vicaire de
Pérote le surplus, affermé 28 livres.
E 912 :Procuration donnée par Louis Pot de Rhodes, abbé de Varennes, à ladite
veuve Gabriele Pot, sa mère, pour lui confier l’administration,
en son lieu et place, des revenus de ladite abbaye de Varennes
(1636-1672).
E 1860 :
Minutes de Maître Cormier, notaire à Bourges (1661).
Transaction entre le chapitre de Saint-Étienne de Bourges et
Louis Duménil Simon de Beaujeu, sieur de la Tour de Vèvre.
Par son testament, Jean Duménil Simon, abbé de Varennes et
doyen de l’église de Bourges, avait légué en sa faveur une
somme de 1800 livres pour un obit solennel qui devait être dit,
chaque année, le jour de son décès. Mais, à sa mort, le passif de
sa succession ayant dépassé l’actif, son neveu obtint du chapitre
une réduction à 950 livres de la somme de 1800 livres portée au
testament de son oncle comme chiffre de sa fondation.
Q 265 :
District de Bourges. État des objets envoyés à différentes églises
pour le service du culte (1791-1792).
Q 639 :
Sommiers de comptes ouverts avec les acquéreurs de domaines
nationaux de première origine (biens situés dans le district de
Bourges). 1791.
AD Indre : H 1137 : biens et rentes (1137).
État estimatif des biens ecclésiastiques situés dans la paroisse et la
municipalité de Fougerolles (1782-1785).
État des bâtiments, cours, enclos, terres et revenus non fonciers du
couvent de Varennes (1790).
Bail de la dîme du Chassin (1795).
Bail de la basse-cour (1785).
VALETTE :
AD Cantal :
23 H 1 : état des biens, cens et rentes de la mense conventuelle de l’abbaye de
Valette à Tourniac, Chaussenac et Brageac (après 1786).
14 B 94-1 : état des bâtiments de Valette (1711).
1 B 751-3 : conflit entre l’abbaye de Valette et l’abbaye de Brageac (17
août
1780-22 mars 1781).
- 1012 -
AD Corrèze : H 52 : partage en trois lots des biens, domaines et revenus de l’abbaye de
Valette (1774).
H 158 : diminution de rente pour les tenanciers, pour raison de délaissement de
certains fonds qui composent partie des prés clôturés de la Valette ;
lettre du prieur de Valette de 1781 demandant aide financière à M.
Druilhes, chirurgien de Pleaux.
H 159 : justice de l’abbaye de Valette (1678-1780).
Q 149 : 1790 état des biens et revenus de l’abbaye de Valette.
Inventaire mobilier.
Q 36 : 1790 estimation des biens nationaux (n°288). Liste des fonds dépendants
du monastère.
Q 127 : estimation des revenus et du capital de Valette (n°222).
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Sources imprimées :
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BSAOMP : Bulletin de la Société des Antiquaires de l’Ouest et des Musées de Poitiers
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de la Société des Antiquaires du Centre, 1900, T XXVI, p. 35-55.
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1650 », dans l’ouvrage collectif, « L’ordre cistercien et le Berry », CAHB, 1998.
PRÉBENOIT :
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P. V. ARCHASSAL, « L’église de l’abbaye de Prébenoît », Études creusoises, T VIII,
1987, Guéret, p. 162-165.
É. CHENON, « Les seigneurs de Boussac et l’abbaye de Prébenoît (1140-1208) »,
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(non publié).
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VALETTE :
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G. WOLKOWITSCH, L’abbaye royale Notre-Dame de Varennes, Lancosme
Multimedia, 2004.
- 1058 -
CARTES ET PLANS :
Aubepierres : IGN Série Bleue 1/25000ème, 2128 E (abbaye, grange de Lavauvieille), IGN
Série Bleue 1/25000ème, 2229 O (moulins de Chibert et de Vaumoins) ; IGN Série Bleue
1/25000ème, 2127 E (grange de Fontenay).
Aubignac : IGN Série Bleue 1/25000ème, 2128 O (abbaye, granges de l’Auberthe,
Chanteloube).
Boeuil : IGN Série Bleue 1/25000ème, 1931 E (abbaye) - IGN Série Bleue 1/25000 ème, 2030 O
(Pellechevant, Vieillefont) - IGN Série Bleue 1/25000ème, 1930 E (grange de Boeuil, moulin
des Bordes, La Malaise) - IGN Série Bleue 1/25000ème, 2031 E (éléments lapidaires
vagabonds, « Les Quatre Vents ») ; IGN Série Bleue, 1/25000ème, 1833 E (grange de Mars).
Bonlieu : IGN Série Bleue 1/25000ème, 2329 O (abbaye, grange de la Porte) - IGN Série Bleue
1/25000ème, 2328 O (grange de Bougnat).
Bonnaigue : IGN Série Bleue 1/25000ème, 2332 E (abbaye) ; IGN Série Bleue 1/25000ème,
2331 E (grange de Diosidoux) ; IGN Série Bleue 1/25000ème, 2531 E (grange de Bonneval).
Boschaud : IGN Série Bleue 1/25000ème, 1933 O (abbaye) - IGN Série Bleue 1/25000ème,
1833 E (abbaye, moulins de Laumède et Chez Nanot).
La Colombe : IGN Série Bleue 1/25000ème, 2028 O (abbaye, granges de Théllisset,
Chabanne, moulin du Pin).
Grobost : IGN Série Bleue 1/25000ème, 1832 O (abbaye) ; IGN Série Bleue 1/25000ème, 1732
E (Bois Blanc, grange d’Arsac, Le Luquet, Puymerle) ; IGN Série Bleue 1/25000ème, 1833 O
(grange de Brouillac) ; IGN Série Bleue 1/25000ème, 1831 O (possessions autour de La
Rochefoucauld) ; IGN Série Bleue 1/25000ème, 1733 E (Gardes).
Dalon : IGN Série Bleue 1/25000ème, 2034 O (abbaye, granges de Tailleptit, Fougeroles,
Puyredon) - IGN Série Bleue 1/25000ème, 1934 E (granges de Puyboucher) - IGN Série Bleue
1/25000ème, 2034 E (granges de Masmoutier, Palemanteau, La Besse, Lavaysse) - IGN Série
Bleue 1/25000ème, 2035 O (hospice de Montignac) - IGN Série Bleue 1/25000ème, 2135 O
(grange de Goudonnet) - IGN Série Bleue 1/25000ème, 1933 O (chapelle de Chantres) – IGN
Série Bleue 1/25000ème, 1933 E (grange de Chalamand)- IGN Série Bleue 1/25000ème, 2035 E
(grange de Bedena) ; IGN Série Bleue 1/25000ème, 2133 O (grange de Châtaignier).
Derses : IGN Série Bleue 1/25000ème, 2134 E (abbaye).
Obazine et Coyroux : IGN Série Bleue 1/25000ème, 2135 E (abbayes) - IGN Série Bleue
1/25000ème, 2133 E (grange de la Serre) - IGN Série Bleue 1/25000ème, 2534 OT (grange de
Graule) - IGN Série Bleue 1/25000ème, 2233 E (granges de Chadebec et de Veyrières) - IGN
Série Bleue 1/25000ème, 2134 E (grange de la Montagne) - IGN Série Bleue 1/25000ème, 2135
O (grange de Baudran).
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Le Palais : IGN Série Bleue 1/25000ème, 2130 E (abbaye, granges de Bonnefond, Rapissat,
Arcissat, Le Mont, Quinsat, Langladure) - IGN Série Bleue 1/25000ème, 2230 O (Beaumont,
La Chaise) ; IGN Série Bleue, 1/25000ème, 2134 O (grange du Saillant).
Peyrouse : IGN Série Bleue 1/25000ème, 1933 O (abbaye) - IGN Série Bleue 1/25000 ème, 1934
E (grange de Puyharmier).
Les Pierres : IGN Série Bleue 1/25000ème, 2327 O (abbaye) - IGN Série Bleue 1/25000 ème,
2227 E (grange d’Ignerais).
Prébenoît : IGN Série Bleue 1/25000ème, 2228 E (abbaye, granges du Chassain, La Villatte,
Ligondeix, Bramareix, Molles).
Valette : IGN Série Bleue 1/25000ème, 2334 O (abbaye) - IGN Série Bleue 1/25000ème, 2335
O (grange d’Escladines).
Varennes : IGN Série Bleue 1/25000ème, 2227 O (abbaye, Guéchaussiot)- IGN Série Bleue
1/25000ème, 2127 E (grange de l’Augère).
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