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À ma grand-mère -1- « Une ardente volonté de puissance animait Bernard comme tous ses amis, tous ses camarades. Il était de ces hommes redoutables, persuadés de détenir la vérité, qui, brisant les obstacles, la fin justifiant à leurs yeux les moyens, entendent forcer leurs contemporains à vivre selon le modèle qu’ils ont forgé ». Georges DUBY, « Saint Bernard et les arts » dans l’Art et la société. Moyen-Âge-XXème siècle, Paris, 2002, p. 444. « Dans le cloître ou la salle capitulaire, au gré du soleil, de la brume ou du vent, des heures du jour ou de la nuit, la récolte des visions sombres et colorées exaltera le moine le plus indifférent. De même, le novice a appris, sans effort, prosterné dans la prière, les harmonies des chants sacrés. Sous les voûtes de l’église, fraîche en toutes saisons, lieu où les sons s’élèvent, se brisent, se multiplient dans une grave résonance, l’âme s’illuminera autant par les effusions -2- de la prière que par l’envoûtement d’un paradis de pierres ». Fernand POUILLON, Les pierres sauvages, Le Seuil, 1964, p. 25. -3- Résumé : Les cisterciens du diocèse de Limoges s’implantent dans des salti délaissés. Les premiers investissements des communautés sont dès lors dévolus à l’assainissement des terres, l’agriculture et l’hydraulique, tandis que leurs abbayes se révèlent bien souvent bâties à l’économie. L’austérité est de mise, en cohérence avec ces nombreux mouvements à vocation érémitique nés de la réforme grégorienne. Il faut attendre le XIIIème siècle pour assister à une réapparition de la figure bidimensionnelle. Les monastères évoluent alors d’un système en faire-valoir direct à une économie de fermage, se rapprochant d’un modèle clunisien rejeté au préalable. Les revenus engrangés permettent peut-être d’investir dans des créations artistiques plus luxueuses. Les inhumations laïques conduisent aussi à des changements dans le décor des abbatiales et introduisent une iconographie propre. Ce tournant du XIIIème siècle est également marqué par des poussées capétiennes tangibles en Aquitaine. Si l’art de bâtir relève plus d’un goût Plantagenêt encore largement tributaire de formes romanes, les décors ajoutés au XIIIème siècle témoignent de liens étroits avec un art du Nord. Les cisterciens sont aussi les révélateurs du glissement vers un premier art gothique. Néanmoins, un certain nombre de formules propres au gothique capétien sont rejetées. Entre austérité et acceptations progressives de l’image, entre roman et gothique, entre Plantagenêts et Capétiens, entre saltus et ager, les moines cisterciens du diocèse de Limoges s’inscrivent comme un maillon indispensable à la compréhension des créations artistiques aquitaines des XIIème et XIIIème siècles. Mots clés : cisterciens, marges diocésaines, premier gothique, Limousin, hydraulique, granges. -4- About Cîteaux in Limousin (XIIème-XIIIème centuries). Architectural et sculpted realities, landscapes and pre industrial fittings. The Cistercians of the diocese of Limoges are established in forsaken salti. The first investments of the communities deal consequently with the cleansing of the grounds agriculture and hydraulics, while their abbeys appear very often built with economy. The austerity is of setting, in coherence with these many movements with eremitic vocation born from the Gregorian reform. It is necessary to await XIIIe century to attend a reappearance of the two-dimensional figure. The monasteries move then of a system in farming by the owner with a saving in tenant farming, approaching a clunisian model rejected as a preliminary. Perhaps the garnered incomes make it possible to invest in more luxurious artistic creations. The laic burials also lead to changes in the decoration of abbey and introduce of an own iconography. This turning of XIIIe century is also marked by tangible capetians pushes in Aquitaine. If art to build changing more than one Plantagenêt taste still largely dependent on Romance forms, the decorations added to XIIIe century testify to close links with an art of North. The Cistercians are also revealing slip towards a first Gothic art. Nevertheless, a certain number of formulas suitable for the capetian Gothic are rejected. Between austerity and progressive acceptances of the image, between novel and Gothic, Plantagenêts and Capetians, saltus and ager, the cistercians monks of the diocese of Limoges are registered like a link essential to the comprehension of Aquitanian artistic creations of XIIe and XIIIe centuries. Keywords : Cistercians, diocesan borders, first Gothic, Limousin, hydraulic, barns. -5- Über CITEAUX in LIMOUSIN ( zwölftes – dreizehntes Jahrhundert. ) Bauliche und geschnitzte Realitäten, Landschaften und vorindustrielle Anlagen. Die Zisterzienser der Diözese von Limoges nisten sich in verlassenen Salti. Die ersten Investierungen sind von nun an der Sanierung des Bodens, der Landwirtschaft und den Wasseranlagen gewidmet , während ihre Abteien sich sehr oft als sparsam gebaut erweisen. Die Nüchternheit ist angebracht, im Zusammenhang mit diesen eremitenhaften Bewegungen, die aus der gregorianischen Reform stammen. Erst im dreizehnten Jahrhundert erscheint die zweidimensionale Figur wieder. Die Kloster entwickeln sich dann von einem System mit Selbstbewirtschaftung zu einer Wirtschaft mit Pachtvertrag und nähern sich an ein zuerst clunisianerisches Modell. Die gespeicherten Einkommen erlauben vielleicht in prächtigere künstlerische Werke zu investieren. Die laienhaften Begrabungen führen auch zu Veränderungen in der Ausstattung der Abteien und leiten eine eigenartige Ikonographie ein. Diese Wende des dreizehnten Jahrhunderts ist auch durch einen kapetingischen Einfluss geprägt, der in Aquitaine spürbar ist. Wenn die Baukunst mehr aus einem Plantagenetischen Stil stammt, welcher noch sehr von romanischen Formen beeinflusst ist, zeigen die im dreizehnten Jahrhundert hinzugefügten Ausstattungen enge Ähnlichkeiten mit einer nördlichen Kunst. Die Zisterzienser beweisen auch das Gleiten zur Frühgotik. Eine gewisse Zahl von Formeln , die der kapetingischen Frühgotik gehören, sind doch abgelehnt. Zwischen Nüchternheit und allmählicher Annahme vom Bild , zwischen Romanik und Gotik, zwischen Plantageneter und Kapetinger, zwischen Saltus und ager tragen die zisterziensischen Mönche der Diözese von Limoges zum Verständnis der künstlerischen Schaffungen in der Aquitaine des dreizehnten Jahrhunderts unentbehrlich bei. Schlüsselwörter : Zisterzienser, Diözesengrenzen, Frühgotik, Limousin, Wasseranlagen Scheunen. -6- REMERCIEMENTS : Depuis cinq ans maintenant j’arpente les routes du Limousin sur les traces des moines cisterciens. J’ai croisé beaucoup d’amis sur ces chemins sans qui cette recherche n’aurait sans doute pas abouti et qui m’ont donné l’envie de continuer malgré les moments inévitables de découragements. Ma première pensée va bien sûr à Jacques Roger, rencontré dès mes dix-huit ans et qui m’a transmis sa passion de l’archéologie à Prébenoît. Je me rappelle les fouilles de 2001, les matins où je me levais tôt, la brume enveloppant ces ruines chères à mon cœur. Ces pages lui doivent beaucoup, ainsi qu’à ces premiers émois face à des vestiges malmenés par le temps et les hommes. C’est ensuite Philippe Loy qui m’a initié aux archives, aux vieux parchemins énigmatiques et encore si souvent mystérieux. Il a pris le temps de relire certains passages de ce travail, avec sa bienveillance coutumière. Ses encouragements au fil des années ont été précieux. Merci à Patrice Conte qui m’a si souvent donnée ma chance, qui m’a fait confiance malgré mon inexpérience et mes tâtonnements. Il a accompagné ma première expérience en tant que responsable d’opération à l’abbaye du Palais-Notre-Dame au printemps 2007, et le bon déroulement de ces sondages doit beaucoup à ses conseils avisés, ainsi qu’au soutien financier et matériel apporté par le SRA Limousin et l’association ArchéA que je remercie ici. Merci aux professeurs et chargés de cours qui m’ont conseillé et ont relu patiemment articles et écrits, à savoir Claude Andrault, Martin Aurell, Isabelle Carreau, Philippe Depreux, Bruno Phalip et Nelly Pousthomis. J’ai rencontré durant ces trois ans de doctorat beaucoup de propriétaires passionnés d’histoire qui m’ont ouvert leurs portes avec enthousiasme. Je pense notamment à Martin et Saskia au Palais qui nous ont supporté pendant les deux semaines de fouilles en avril 2007 avec une patience infinie ! Je tenais à remercier M. et Mme Wolkowitsch à Varennes, à leur fils Gilles pour ses patientes relectures et multiples conseils, à Mme Hoffman à Varennes, Marinette Crémoux et Jean Lapeyre à Derses, Mme Ann Evans à Grosbot, Sœur Odile à Rieunette, M. et Mme Chefdebien aux Olieux près de Narbonne, Jacques Boucard aux Châtelliers en Ré. Merci à mes amis pour leur soutien constant, mais surtout pour les fous rires et les discussions sans fin. Je ne peux ici les citer tous, mais j’ai une pensée particulière pour Benjamin et Marie-Laure (au jour le jour, c’est vous qui avez su apaiser mes angoisses !), Magali, Laurent, Nelly, les deux Fred, Christophe, Raphaël, David, Delphine, Greg, Sébastien, Emma ; pour Serge et Alain, pour toute l’équipe de fouilles de SoudaineLavinadière et pour les membres de l’association ArchéA, particulièrement Angélique, Xavier, Manon, Anso et aussi Boris et Julien pour les fous rires à Lupersat. -7- Merci à ma grand-mère creusoise pour ces multiples petites attentions. Elle a été le phare incontournable de mes escapades limousines. Il y a beaucoup d’elle dans ces pages, de son caractère têtu et obstiné, de sa tendresse toute en retenue et en discrétion. Ce travail doit beaucoup au soutien de ma famille, notamment à ma sœur, à mes parents qui m’ont si souvent accompagnée sur les routes cisterciennes du Midi de la France, qui ont su me soutenir, me guider dans tous mes projets sans jamais me juger… et qui ont veillé sur ma santé et mes états d’âme ! -8- TABLE DES MATIÈRES Résumés Remerciements Table des matières Introduction I. p. 3 p. 6 p. 7 p. 14 Des ermites, des ordres, des entrepreneurs. A. Historiographie : axes de recherche et impasses : p. 22 p. 22 a. Les travaux d’érudition. b. Les grandes synthèses d’histoire et d’histoire de l’art cistercien : p. 23 p. 27 1. Édition des sources historiques. 2. Historique de l’Ordre et de ses institutions. 3. Architecture et décor. Refus ou acceptation de l’image. p. 28 p. 31 p. 33 c. De nouvelles perspectives de recherche : l’occupation du sol. Les pionniers (1970-1990). p. 40 d. De nouveaux résultats : archéologie et archéologie du bâti (1980-200.).p.42 e. Vers des études globales. Sanctuaires, granges, installations pré industrielles et aménagements hydrauliques (1998-200.). p.44 B. Le diocèse de Limoges. p. 51 a. Géographie et Géologie. p. 52 b. Le diocèse de Limoges, espace intégré dans l’Aquitaine ducale (XIèmeXIIème siècles). p. 57 c. Le pouvoir royal. Le diocèse de Limoges entre Capétiens et Plantagenêts (1156-1259). p. 61 C. Historique des fondations cisterciennes du diocèse de Limoges et de ses marges. p. 71 a. Les ermitages préexistants. p. 71 1. L’aura de Géraud de Sales. 2. L’érémitisme selon Étienne d’Obazine. p. 71 p. 78 b. Le processus d’affiliation ou le glissement de l’érémitisme au cénobitisme. p. 83 1. Dalon et Obazine en tant que chefs d’ordres. De l’ermitage au monastère. p. 83 2. L’affiliation à Cîteaux et ses implications. Le monastère cistercien. Chapitre Général et liens avec les abbayes-mères. p.97 c. Les créations directes. p. 109 -9- d. Les monastères cisterciens au fil du temps. Essor, troubles et commende. p. 118 1. Essor économique et embellissements des sanctuaires au XIIIème siècle. p. 120 2. Guerre de Cent Ans, fortifications et stagnation économique (XIVème-XVème siècles). p. 122 3. Commende et guerres de Religion et décadence (XVèmeXVIIIème siècles). p. 124 4. Période révolutionnaire et extinction des monastères (fin XVIIIème-XIXème siècles). p. 130 D. Les cisterciens du saltus à l’ager. a. p. 133 La quête du désert primitif (XIème-XIIème siècles) : p. 133 1. La recherche du désert, une préoccupation ravivée par la réforme grégorienne. p. 133 • Réforme et ordres nouveaux. Des cisterciens grégoriens? p. 133  Vita Apostolica et règle monastique.p. 134  Les cisterciens, « fer de lance » de la Papauté. Croisade des Albigeois et inquisition. p. 139  Rôle de l’image et instruction des fidèles. p. 142  Réception de la réforme grégorienne en Aquitaine. p. 145 • • Le désert. Définitions, origines et conceptions. Des difficultés d’approche. p. 149 Solitude et vie communautaire, une incompatibilité ? p. 153 2. Le désert dans la théologie monastique cistercienne. p. 159 • Le désert dans les premiers textes cisterciens. p. 159 • Cénobitisme et solitude. p. 163 • Un désert recréé. Les cisterciens depopulatores. p. 168 3. Paysages, toponymie et hagiotoponymie. p. 170 • Des marches boisées :  Géographie et géologie cisterciens.  Couvert forestier. - 10 - p. 170 des sites p. 170 p. 174  Caractérisation d’une abbaye en marche p. 180 - attirance pour les limites diocésaines et paroissiales. p. 182 - Les termes-frontières. p. 185 • • Le désert dans la toponymie : les termes liés au saltus. p. 187 Hagiotoponymie. p. 192 4. Un désert illusoire : p. 194 • • Le cadre de l’occupation gallo-romaine. p. 195 Réseau paroissial et peuplement du haut MoyenÂge au XIIème siècle. p. 200 • Un isolement social et économique impossible : p. 204  Choix du site : les cisterciens entre pressions seigneuriales, épiscopales et monastiques. p. 204  Seigneurs, rois et clercs : donner pour mieux contrôler ? Reprise en main des frontières. p. 222  Les abbayes comme nécropoles aristocratiques. p. 233  Insertion dans les flux commerciaux. p. 240 b. La constitution du patrimoine foncier (vers 1120-1200). p. 249 1. Les sources 2. Les donateurs 3. La nature des biens : p. 249 p. 253 p. 264 • • • • Granges. Vers la polyculture. p. 265 Forêts, bois et défrichements. p. 277 Hydraulique. p. 278 Autres activités pré industrielles et artisanales. p. 286 • Possessions urbaines. p. 287 • Dîmes. p. 289 • Chapelles et paroisses. p. 290 4. Géographie des possessions p. 292 c. Vers l’entreprise (XIIIème-XIVème siècle). p. 295 1. Le faire-valoir indirect : diminution du nombre de convers, évolution des politiques d’acquisition (achats, échanges, ventes) vers une économie de surplus. p. 295 2. De la grange à la bastide (XIVème siècle). p. 307 - 11 - II. Corpus des abbayes cisterciennes du diocèse de Limoges et de ses marges. A. Les fondations de Géraud de Sales. 1. 2. 3. 4. 5. 6. 7. Aubignac Boeuil Bonlieu Boschaud Dalon Le Palais-Notre-Dame Prébenoît p. 320 p. 335 p. 348 p. 371 p. 387 p. 408 p. 431 B. Les fondations d’Étienne d’Obazine. 1. 2. 3. 4. 5. p. 457 Bonnaigue Grosbot Obazine Coyroux Valette p. 457 p. 479 p. 499 p. 543 p. 556 C. Les créations directes de l’Ordre de Cîteaux. 1. 2. 3. 4. 5. 6. p. 316 p. 320 Aubepierres Derses La Colombe Peyrouse Les Pierres Varennes p. 567 p. 567 p. 582 p. 586 p. 603 p. 614 p. 627 III. Réalités cisterciennes du diocèse de Limoges. Entre spécificité discutée et tendance à une « universalité » des formes. p. 696 A. Chantier médiéval cistercien : p. 696 a. Mise en œuvre : p. 699 1. 2. 3. 4. p. 699 p. 706 p. 710 p. 713 Carrières, matériaux de construction, acheminement. Moyens de levage et échafaudages. Des mises en œuvre soignées. Des chantiers à l’économie. b. Plans : p. 716 1. Plan « bernardin ». 2. Parti de la nef unique : p. 716 p. 718  Choix des moniales. p. 719  Des moines tournés vers des partis aquitains. p. 719 c. Élévation : supports, percements, contrebutements : - 12 - p. 720 1. Élévation dans le cas d’un éclairage direct. 2. Élévation dans le cas d’un éclairage indirect. 3. Contrebutement. d. Voûtements et charpentes : e. Décors : 1. 2. 3. 4. 5. 6. 7. 8. 9. p. 720 p. 726 p. 729 p. 733 p. 739 Bases Chapiteaux Culots Archivoltes Clés de voûtes Modillons Décors peints Vitraux Pavements p. 740 p. 741 p. 743 p. 744 p. 744 p. 745 p. 745 p. 746 p. 747 B. Des cisterciens fidèles aux formes romanes ou pionniers d’un nouvel art gothique ? p. 756 a. Des réalités romanes préexistantes : p. 757 1. Des solutions architecturales éprouvées et pérennisées : p. 757  Héritages bourguignons et aquitains.p.757  L’exemple de la coupole : croisée du transept et solution de voûtement des vaisseaux larges. p. 769 2. Répertoire de motifs et éléments de décors sculptés : p. 775  Manuscrits romans. De Saint-Martial aux vitraux et pavements cisterciens. p. 776  Décors sculptés romans : chapiteaux, tailloirs et bases. p. 779  Animation des parements : arcs d’applique et profils polylobés. p. 787 b. Le tournant des années 1180-1220. « Églises-granges », créations hospitalières et grandmontaines, choix cisterciens. p. 791 1. Des cisterciens pionniers du gothique ? p. 791  Cathédrales gothiques et abbatiales cisterciennes. Émulations, créations, novations. p. 792  Le « premier gothique » Limousin. Apports cisterciens. p. 799  Entre réelles novations et transmissions. p. 810 - 13 - 2. Gothique Plantagenêt, gothique Capétien ? Symbolique du pouvoir et pouvoir du symbole. Les abbayes cisterciennes comme lieu de pouvoir : p. 813  Un goût Plantagenêt en Aquitaine ? 11501200 : p. 816 - Les rapports Cîteaux/Angleterre. p. 817 - Vers une monumentalisation des chevets plats. Le déambulatoire droit. p. 821 - La nef unique gothique : dans la tradition érémitique aquitaine, le choix des abbayes féminines.p.826 - La place de l’église-halle en Aquitaine. p. 830 - Les voûtes. p. 833 - Des décors Plantagenêts ? p. 837  La poussée capétienne des années 1200. Changements de partis architecturaux et embellissements au XIIIème siècle liés à une nouvelle organisation économique : le faire-valoir indirect. p. 841 - Déambulatoires à chapelles rayonnantes. p. 843 - Décors et formules à la « française ». Baies rayonnantes, cloîtres vitrés. p. 846 - Le mobilier funéraire. Liens avec Saint-Denis et la couronne française (tombeaux, pavements). p. 849 C. Aniconisme ou austérité. Des choix esthétiques délibérés. p. 853 a. Les cisterciens face à l’art : p. 853 1. L’Apologie. Émules et controverses. 2. Une tentative d’uniformisation : p. 853 p. 877  La Charte de Charité : p. 878  L’échec de la diffusion du modèle « bernardin » : p. 884 b. Mouvements érémitiques aquitains. La pauvreté volontaire au « goût du jour » : p. 893 1. Monastères réformés et nouvelles fondations ascétiques. Choix artistiques contrastés. p. 894 - 14 - 2. Goût pour l’austérité ou volonté d’économie ? p. 901  Des constructions à l’économie. p. 901  Le décor : chapiteaux nus, et vitraux dépouillés. p. 909 c. Acceptations timides de l’image et du décor : p. 912 1. Entorses aux statuts. 2. Un rapprochement Cluny-Cîteaux au XIIIème siècle : p. 912 p. 921  Présence clunisienne dans le diocèse de Limoges. p. 922  Modèles économiques et institutions. p. 927  Quête d’un passé commun. Formules artistiques romaines et carolingiennes. p. 930 D. Le saltus, espace de dévotion magnifié. p. 938 a. Équilibre entre travail revalorisé et prière : p. 938 1. Le travail aux premiers temps du monachisme : un remède contre l’oisiveté. p. 938 2. Réforme carolingienne, fondations clunisiennes. Le travail pénitentiel dévalorisé. p. 941 3. Ordres érémitiques et cisterciens. Entre Marthe et Marie. p. 943 b. Granges et moulins. Une mise en œuvre soignée semblable à celle des sanctuaires. p. 950 1. Hydraulique et cistercienne ? • • • activités préindustrielles. Une spécificité p. 950 Jalons historiographiques récents p. 950 Typologie des aménagements artisanaux monastiques p. 953 Une « originalité » cistercienne. Cohérences entre lieux de prière et lieux de labeur. p. 964 2. Vers une universalité des formes. Interpénétrations des cadres religieux, civils et militaires. p. 980 • • Cîteaux et les références à l’Église de Rome p. 980 Cîteaux et l’intégration dans le paysage artistique du site d’implantation p. 983 Conclusion Sources et bibliographie p. 994 p. 1000 - 15 - - 16 - Introduction : Le diocèse de Limoges apparaît comme un cadre privilégié pour l’étude des abbayes cisterciennes et leur insertion dans l’environnement. En effet, largement pourvu en bois et forêts, le Limousin est de plus connu pour son important réseau hydrographique, critères propices aux installations érémitiques puis cisterciennes dont la présence peut être appréhendée à travers les différents prismes de l’histoire, de l’étude du paysage, mais aussi de leurs créations artistiques ayant marqué leur site d’implantation. Par créations, il faut entendre une acceptation large du terme : il s’agit de l’ensemble des productions artistiques, à savoir l’architecture et sa mise en œuvre, la sculpture, les décors peints (fréquents enduits à faux-joints), les vitraux ou carreaux de pavement, ainsi que certains éléments de mobilier telle l’armoire liturgique du XIIème siècle conservée à Obazine notamment. Ces derniers sont néanmoins relativement délicats à étudier car bien souvent seuls des éléments mobiliers modernes sont connus et largement décrits par les inventaires révolutionnaires. Ces créations artistiques sont cernées à la fois du point de vue de la technique proprement dite que stylistique. Ainsi, les carreaux de pavement par exemple sont prétexte à étude des tuileries, de la conception artisanale des éléments de terre cuite, du procédé d’élaboration des différents motifs, des techniques de cuisson et des fours. Les motifs sont ensuite étudiés, leurs origines, inspirations et des comparaisons pourront mettre en lumière les relations entre abbayes, entre ordres religieux, entre réguliers et séculiers. Les créations artistiques ne rejettent ainsi pas ce qui relève plutôt de l’artisanat, de la technique, d’où une certaine « schizophrénie » parfois entre méthodes propres à l’histoire de l’art, et outils de l’archéologue et de l’historien. L’histoire trouve toute sa place dans une tentative de reconstitution du paysage religieux, politique et social du diocèse de Limoges et de ses marges aux XIIème et XIIIème siècles. De multiples réseaux doivent être mis en lumière : tissu paroissial déjà presque entièrement constitué lors de l’arrivée des moines blancs, réseaux aristocratiques de grandes familles et seigneurs riches donateurs de ces abbatiales, liens politiques d’une terre tiraillée entre rois Capétiens et Plantagenêts dont les conflits armés trouvent une résonance particulière en Limousin. Mais l’échelle même d’un diocèse reste insatisfaisante, les réseaux de relations ne s’arrêtant pas aux limites artificielles créées par l’institution religieuse. Ainsi, il est difficile d’aborder la Haute-Marche en éludant ces liens étroits avec le Boischaut, en passant sous - 17 - silence la forte présence de l’abbaye de Déols sur le nord du diocèse de Limoges. Ainsi le cadre géographique déborde largement sur les marges diocésaines, ces zones incertaines souvent encore largement boisées et où justement les moines blancs vont venir s’installer. Ces espaces sont souvent dépréciés, considérés comme des terres ingrates et incultes, désert aussi bien géographique qu’artistique. Éloignement du siège épiscopal, dernières terres laissées libres par les autres communautés monastiques, vastes salti boisés, autant de critères ne pouvant qu’attirer ces hommes désireux de se retirer du siècle et de ses contraintes. Certains édifices sont par conséquent insérés dans cette étude sans pour autant faire partie du diocèse de Limoges : c’est le cas de l’abbaye des Pierres sur la commune de Sidiailles, en Berry, fille d’Aubepierres et donc difficile à éviter. De même concernant Boschaud, Peyrouse ou encore Grosbot, mais dont les liens étroits de filiation avec les monastères limousins ne peuvent être éludés. D’ailleurs, dans son ouvrage sur les moines cisterciens en Limousin, Bernadette BARRIÈRE les intègrent déjà à son inventaire, et nous ne pouvons qu’agréer à ce choix 1. Par ailleurs, le site de l’Abbaye-Nouvelle, fille d’Obazine, ne sera pas abordé car n’appartenant pas aux marges du diocèse de Limoges (commune de Léobard, Lot). De même, l’abbaye de Bellaigue en Combrailles, aux marges des diocèses de Clermont et de Limoges est exclue de l’inventaire car elle fait actuellement l’objet d’un doctorat d’Histoire de l’Art et Archéologie à l’Université Lyon II2. Enfin, l’abbaye de Varennes (com. Fougerolles, Indre), bien qu’éloignée de la frontière diocésaine est néanmoins intégrée au corpus du fait des liens étroits entretenus avec les abbayes limousines, révélés entre autre par les Statuta de CANIVEZ3. De plus, les relations entre Haute-Marche et Boischaut sont incontestables, ne serait-ce que par l’acquisition systématique de vignes et de maisons de ville en Berry par les monastères limousins. Varennes connaît une évolution très similaire à celle de ses homologues du diocèse de Limoges, notamment avec une phase de remaniements aux XIVème et XVème siècles (cloître), mais aussi par sa ferme insertion au cœur des conflits entre Plantagenêts et Capétiens. Ainsi, les marges berrichonnes paraissent difficiles à écarter de l’étude et sont largement investies par les monastères marchois notamment. Quant au cadre chronologique envisagé, il n’est pas cloisonné aux seuls XIIème et XIIIème siècles, même si ceux-ci sont privilégiés. En effet, ils permettent d’évoquer les premiers temps des communautés monastiques, et même parfois les premières expériences érémitiques en lien avec la réforme grégorienne, comme à Obazine ou Dalon. Les ermitages 1 B. BARRIÈRE, Moines en Limousin, l’aventure cistercienne, PULIM, Limoges, 1998. E. BOUVARD sous la direction de N. REVEYRON et B. PHALIP. 3 J. M. CANIVEZ, Statuta Capitulorum Generalium Ordinis Cisterciensis ab anno 1116 ad annum 1786, Louvain, 1933. 2 - 18 - de l’ancien diocèse de Limoges sont pour majorité le fait de Géraud de Sales, ermite périgourdin à l’origine des sites de Dalon, Prébenoît ou encore Bonlieu, et d’Étienne d’Obazine (Obazine, Coyroux, Bonnaigue, Valette, Boschaud…). Ainsi, il est intéressant de pouvoir appréhender le passage de l’érémitisme au cénobitisme, puis les conséquences du rattachement à Cîteaux pour l’économie, le bâti et les décors adoptés. La constitution du patrimoine foncier peut être envisagée avec une tentative, parfois infructueuse, de localiser l’ensemble des possessions des moines blancs (granges, moulins, digues, maisons de ville, vignes, celliers…). L’étude des XIIème et XIIIème siècles est aussi l’occasion de mieux appréhender le glissement progressif d’un système économique en faire-valoir direct, permis par l’apparition d’un corps de convers, et une économie en faire-valoir indirect avec adoption du fermage. Ces mutations économiques s’accompagnent d’un certain assouplissement des règles cisterciennes, ainsi les dîmes sont acceptées, de même que la possession de paroisses, d’églises et la multiplication des activités commerciales. Enfin, la seconde moitié du XIIIème siècle est essentielle pour cerner l’apparition des bastides, dont deux sont fondées par les cisterciens du Limousin (Puybrun et le Mont-Sainte-Marie). Outre ces aspects économiques, les XIIème et XIIIème siècles sont aussi l’occasion de mettre en lumière différentes phases de construction, des structures périssables des premiers ermitages aux bâtiments en pierres, d’envisager un chantier médiéval entre roman et premier gothique où les premières recherches sur le voûtement d’ogives se multiplient (Le Palais, Obazine, Dalon) avec une multiple possibilité de plans, d’élévations et de formules artistiques. Une période d’embellissement des monastères est tangible dans le courant du XIIIème siècle, comme en témoigne la mise en place de pavements, de vitraux, de peintures. Elle correspond par ailleurs à une phase d’enrichissement de certains monastères qui voient leur patrimoine foncier à son apogée, mais aussi à une compromission de plus en plus nette avec le monde laïc du fait de l’éloignement des préceptes cisterciens. À Bonlieu, c’est dans le cadre de la consécration de 1232 que sont ajoutés des vitraux en grisaille et des croix de consécration peinte. Pour Prébenoît, il faut tenir compte de l’inhumation du seigneur Roger de Brosse qui bouscule le décor du chevet à la fin du XIIIème siècle (tombeau à gisant, pavement). Ces éléments de mobilier introduisent bien souvent une iconographie propre (thèmes de chasse à cour) éloignée de l’idéal primitif cistercien. Il s’agit donc d’un cadre chronologique riche, aussi bien historiquement qu’artistiquement : réception et application de la réforme grégorienne, multiplication des initiatives à vocation érémitique, conflits entre rois anglais et français, créations entre roman - 19 - et gothique liées à une période de construction faste dans le diocèse de Limoges comme en témoignent les multiples églises-granges qui parsèment la Haute-Marche au XIIIème siècle. Néanmoins, le Bas Moyen-Âge et l’époque Moderne ne sauraient être mis de côté. Les sources modernes sont en effet largement majoritaires. Ainsi, l’évolution des monastères est prise en compte jusqu’à nos jours. Les réaménagements modernes, les restaurations du XIXème siècle ne peuvent être éludées dans le cadre d’une étude régressive visant à envisager la physionomie du monastère à l’époque médiévale. Les XIVème et XVème siècles, par exemple, sont essentiels et doivent être évoqués pour leurs phases de fortifications concernant édifices cisterciens mais aussi paroissiaux dans un contexte d’insécurité (Prébenoît, Bonlieu). Ces différents cadres envisagés laissent transparaître un certain nombre de questionnements auxquels des éléments de réponse pourront être proposés. Comment envisager la spiritualité et les créations artistiques cisterciennes dans le cadre de la réforme grégorienne ? Alors que les moines blancs sont parfois considérés comme le « fer de lance » de la Papauté dans la lutte contre les hérésies (Croisade contre les Albigeois, rôle dans l’Inquisition jusque dans les années 1220), alors même que saint Bernard s’engage avec verve pour la Seconde Croisade, comment expliquer le rejet des images dans un contexte grégorien où l’image est justement revalorisée, magnifiée en tant que Bible des Illettrés ? Si les mouvements à vocation érémitique émergeants en cette fin du XIème siècle illustrent parfaitement certains préceptes de la réforme comme le retour à la vie apostolique, à la pauvreté et la lutte contre les hérésies, leur attitude face à l’image, de même que leur échec parfois à maintenir leur indépendance par rapport aux seigneurs laïcs compliquent la vision de leur rôle réel dans l’acceptation de la réforme. Mouvements grégoriens ou mouvements parallèles, plus conservateurs, plus proches de traditions monastiques carolingiennes ? Si l’historiographie traditionnelle tend à considérer les moines blancs comme des légats du Pape prônant la réforme dans les campagnes, gardiens de l’orthodoxie, il semble nécessaire de revenir sur ces problématiques et de les réévaluer. Les moines cisterciens paraissent attachés à des pensées et traditions monastiques anciennes trouvant parfois une expression dans des choix artistiques ancrés dans certains systèmes carolingiens (organisation des baies en triplet notamment). Il convient dès lors de déterminer la part des héritages et des novations réelles dans les créations architecturales et sculptées cisterciennes. Quels sont les emprunts aux édifices du Haut Moyen-Âge ? de l’époque romane ? Ces moines s’insèrent près d’églises romanes, voire pré romanes, à considérer et dont les études architecturales paraissent à reprendre et à compléter telles Évaux, - 20 - Chambon, Brive, Beaulieu-sur-Dordogne ou Uzerche. En quoi cette proximité va-t-elle les inspirer ? Quelles formulations vont-ils écarter, retenir et perpétuer (coupole sur pendentifs, répertoire de motifs pour les vitraux et les pavements) ? Quels sont les liens avec le cadre paroissial, civil et militaire des XIIème et XIIIème siècles ? Peut-on en déduire que les cisterciens sont des « pionniers du gothique » ou s’adaptent-ils à un répertoire de formes déjà éprouvé par d’autres bâtisseurs4 ? Que dire des circulations d’artistes, de tailleurs de pierre, d’ouvriers spécialisés ? Que sait-on du chantier médiéval cistercien ? Quelle part d’adoption, de novation ou de réticences ? Y a-t-il réellement réticence à l’image ou simplement d’autres moyens d’expression (mobilier, vitraux, pavements) ? Si les moines blancs semblent en effet résister à l’adoption de l’image tridimensionnelle, comme en témoignent de nombreux textes cisterciens médiévaux (saint Bernard de Clairvaux, Aelred de Rielvaux), la bidimension serait peut-être acceptée avec plus de facilité (pavements à décors géométriques mais aussi parfois figurés), notamment dans le courant du XIIIème siècle. Comment ces monastères évoluent-ils d’un premier noyau de territoires restreint destiné à leur seule autosuffisance, à la constitution d’un vaste patrimoine foncier, puis à une « entreprise » commerciale dès le XIIIème siècle ? Quelles conséquences ces mutations économiques vont-elles avoir sur les productions artistiques, révélant souvent une phase d’embellissements ? Peut-on parler d’un art cistercien à part entière ou plutôt de choix cisterciens en lien avec les contextes politiques, économiques, historiques, géographiques ? Pour cela, il sera nécessaire de replacer les créations cisterciennes dans un contexte artistique aquitain plus large, intégrant les hésitations entre espaces Plantagenêts et Capétiens à la fin du XIIème siècle et tout au long du XIIIème siècle. Nous verrons que si les plans cisterciens paraissent parfois en adéquation avec une esthétique appréciée des rois anglais (chevet plat souvent percé d’un triplet de baies, parti de la nef unique, sobriété du décor), les reconstructions d’abbatiales dans les années 1200 témoignent de l’adoption progressive d’un art gothique français (chevet à déambulatoire et chapelles rayonnantes, arcs-boutants). Dans les abbayes cisterciennes limousines, la présence capétienne est sensible par l’apparition d’un mobilier funéraire proche de l’art parisien de la seconde moitié du XIIIème siècle (tombeau de saint Étienne d’Obazine, pavements glaçurés). Il semble aussi nécessaire de discuter et de remettre en cause l’idée d’un plan cistercien « type » se répétant d’abbayes en abbayes et qui ne semble guère valable face à la 4 C. A. BRUZELIUS, L’apogée de l’art gothique : l’église abbatiale de Longpont et l’architecture cistercienne au début du XIIIème siècle, Cîteaux, Commentarii cisterciences, 1990. - 21 - diversité des formules utilisées dans un cadre européen. Notre synthèse tentera de montrer les difficultés à parler d’une architecture cistercienne, certaines formules pouvant se retrouver dans d’autres ordres religieux (austérité commune aux moines grandmontains, à certaines fondations canoniales régulières), dans d’autres cadres civils et militaires (granges et abbatiales fortifiées à la manière de certains édifices castraux). Les quelques caractéristiques dites « propres » à l’ordre cistercien (culots nus, chevet plat, vitraux en grisaille, chapiteaux lisses, austérité des formes et des volumes) ne sauraient suffire à définir un art propre. Outre ces aspects artistiques, la question d’une originalité cistercienne est également discutable dans un cadre institutionnel et économique. Il semble indispensable de s’interroger sur l’existence ou l’absence d’une spécificité cistercienne en matière d’hydraulique et d’économie grangère. Autant de questions à évaluer et à discuter au fil de cette analyse des sites cisterciens du diocèse de Limoges et de ses marges. Afin de mieux y répondre, diverses méthodes peuvent être exploitées. L’étude des fonds d’archives paraît essentielle et est trop souvent exclue des études d’histoire de l’art pur négligeant parfois ces outils jugés propres à l’histoire. Ces fonds plus ou moins riches selon les abbayes permettent de mieux cerner les étapes de fondations, de construction et de remaniements successifs. Pour des édifices comme Aubignac ou Aubepierres, les inventaires révolutionnaires et procès-verbaux de visite et d’expertise sont très précieux et livrent des descriptions souvent éclairantes. Les cartulaires conservés (Bonlieu, le Palais, Dalon, Obazine, Aubignac entre autres) permettent de mieux comprendre les étapes de la constitution du patrimoine foncier, de lister les possessions de ces abbayes qui seront ensuite cartographiées grâce aux cartes IGN et de Cassini. L’étude des plans cadastraux (napoléoniens et actuels) est également nécessaire pour retrouver l’emprise de certains bâtiments aujourd’hui disparus. Certains noms de parcelles peuvent également évoquer d’anciennes installations monastiques (tuileries, moulins). Fort heureusement, ces fonds d’archives ont fait l’objet pour la majeure partie des études de Bernadette BARRIÈRE et de ses élèves, nous permettant d’avancer plus vite et de bénéficier d’une documentation déjà riche et éclairante. À cela s’ajoutent des recherches bibliographiques auprès d’une historiographie ancienne et contemporaine, régionale, française et internationale (universités anglaise, américaine, allemande et belge notamment). Des prospections systématiques sont menées sur les sites monastiques : abbayes, granges, moulins, biefs, viviers sont pris en compte et repérés d’après les listes établies suite aux études archivistiques. Certains sites ne sont malheureusement pas localisables et ont - 22 - disparu de la toponymie actuelle. Cette étude ne pourra donc pas être exhaustive et souffre des lacunes des sources manuscrites et archéologiques. Ces prospections consistent en des études de bâti comprenant la description et l’analyse des élévations conservées (matériaux de construction, liants de maçonnerie, étapes de construction, études stylistiques et comparatistes, tentatives de datation). Enfin, des études archéologiques sont menées comme les sondages effectués à l’abbaye du Palais-Notre-Dame en avril 2007 avec le soutien de la DRAC Limousin et de l’association ArchéA5 ou les études lapidaires des monastères de Prébenoît et de Varennes. Autant d’outils propres à l’histoire, l’histoire de l’art et l’archéologie qui tenteront de répondre au mieux aux problématiques soulevées par l’étude des monastères cisterciens du diocèse de Limoges et de ses marges et de prouver que les sites les plus ruinés et les plus pauvres en documents d’archives peuvent être appréhendés (Les Pierres, Aubignac, Aubepierres, Boeuil) et apporter des éléments de réponse quant à la place des cisterciens dans la création artistique aquitaine des XIIème et XIIIème siècles et dans le développement d’activités pré industrielles et artisanales. Bien sûr, cette étude est un reflet incomplet, un état des lieux à un moment donné de la recherche, de ces abbayes cisterciennes aux XIIème et XIIIème siècles. Il serait souhaitable que d’autres archives pour l’heure inconnues et inexploitées ainsi que de nouvelles investigations archéologiques apportent des connaissances supplémentaires au résultat actuel de nos recherches. Une première étape de cette étude consiste donc à retracer le contexte géographique et géologique afin de tenter une reconstitution du paysage médiéval dans lequel ont évolué les moines blancs. Ces terres correspondent-elles à des déserts éloignés du siècle ? Comment les cisterciens vont-ils devenir de vrais « entrepreneurs » en transformant le saltus en ager ? Ce sera l’occasion d’intégrer un cadre paroissial largement constitué ainsi que le tissu canonial, monastique déjà en place. Le cadre géo-politique est également abordé à travers les rois, nobles, chevaliers et grandes familles impliquées dans le devenir des sites cisterciens, trame nécessaire à la reconstitution du paysage d’implantation des monastères. Ensuite dix-huit monographies abordent les créations artistiques des abbayes cisterciennes du diocèse de Limoges et de ses marges, les étapes de construction, de reconstruction, les décors, qu’il s’agisse des abbatiales proprement dite, mais aussi des bâtiments conventuels, granges, moulins systématiquement inventoriés, de même que certains dépôts lapidaires essentiels à l’étude et à la compréhension d’édifices en partie ruinés. 5 Association siégeant à Limoges consacrée à l’archéologie médiévale en Limousin. - 23 - Dans un troisième temps les données précédemment récoltées seront synthétisées dans une tentative de répondre aux différentes problématiques énoncées, de replacer les cisterciens du Limousin entre roman et gothique, entre novations et héritages, entre Plantagenêts et Capétiens, entre saltus et ager, entre refus et acceptations timides de l’image. Ces bâtisseurs semblent accorder un même soin aux églises, granges et moulins mis en œuvre et un certain nombre de formules artistiques s’adaptent aussi bien à un sanctuaire qu’à un bâtiment artisanal, une église paroissiale, une commanderie. Il s’agit de mieux comprendre la place des créations artistiques cisterciennes dans le paysage architectural des XIIème et XIIIème siècle dans le diocèse de Limoges et de ses marges, et plus largement au sein d’une vaste Aquitaine. - 24 - I. Des ermites, des ordres, des entrepreneurs. Le monde monastique, et particulièrement cistercien, est largement étudié depuis le XIXème siècle et a suscité une bibliographie relativement importante, écléctique et inégale. D’où la nécessité avant de débuter cette étude des implantations cisterciennes en Limousin de faire le point sur un certain nombre de publications incontournables et enrichissantes, mettant en lumière certaines perspectives de recherches et problématiques essentielles à la compréhension des réseaux monastiques cisterciens. A. Historiographie : axes de recherche et impasses : L’historiographie propre à l’art cistercien comporte un nombre impressionnant de références de qualité inégale pouvant au départ déstabiliser le chercheur. Cette multitude est révélatrice de l’intérêt porté à cet ordre religieux depuis le XIXème siècle. Les premiers historiens en quête de mysticisme et de ruines romantiques n’ont pu qu’être séduits par la forte personnalité de saint Bernard ou par les vastes espaces dépouillés des sanctuaires cisterciens. Cet engouement pour les moines blancs ne s’est guère démenti aux XXème et XXIème siècles et l’historiographie s’est enrichie d’études historiques pionnières (Georges DUBY, Robert FOSSIER, Charles HIGOUNET), de fouilles archéologiques nécessaires à la connaissance de sites mal préservés en élévation (Coyroux et Prébenoît notamment pour le diocèse de Limoges intéressant notre étude) ou encore d’analyses stylistiques menées par des historiens d’art (Thomas COOMANS, Claude ANDRAULT-SCHMITT)6. De nouvelles thèses très récemment soutenues montrent que le sujet n’est pas épuisé et de nombreuses problématiques et axes de recherche sont encore à explorer, à évaluer 7. Reste à distinguer dans cette multitude les écrits d’érudits, les travaux universitaires, les rapports d’opérations 6 G. DUBY, Hommes et structures du Moyen-Âge, Mouton, Paris-La Haye, 1973 ; R. FOSSIER, « L’économie cistercienne dans les plaines du nord-ouest de l’Europe », dans l’ouvrage du centre culturel de l’abbaye de Flaran, Économie cistercienne. Géographie, mutations du Moyen-Âge aux temps modernes, 1981, Auch, 1983, p. 53-74 ; C. HIGOUNET, La grange de Vaulerent. Structure et exploitation d’un terroir cistercien de la plaine de France, XIIème-XVème siècle, SEVPEN, Paris, 1965 ; T. COOMANS, L’abbaye de Villers-en-Brabant. Construction, configuration et signification d’une abbaye cistercienne gothique, Bruxelles, 2000, p. 243 ; C. ANDRAULT-SCHMITT, « Églises cisterciennes du Poitou », Revue Historique du Centre Ouest, T I, Société des Antiquaires de l’Ouest, Poitiers, 2004, p. 9-103. 7 S. FOUCHER, Le décor sculpté cistercien dans l’ouest de la France, XIIème-XIVème siècles, Thèse sous la direction de C. ANDRAULT-SCHMITT, CESCM, Poitiers, 2003, 5 volumes ; M. ORGEUR, Les carreaux de pavement des abbayes cisterciennes en Bourgogne (fin XIIème-fin XIVème siècle), thèse de doctorat en histoire de l’art médiéval sous la direction de D. RUSSO, université de Bourgogne, 3vols, 2004 ; S. DEMARTHE, « Au pays de Cîteaux. Étude sur le développement d’une architecture religieuse (XIème-XVème siècles) », Bulletin du CEM, n°10, Auxerre, 2006, p. 287-295. - 25 - archéologiques ou encore les colloques permettant à la recherche actuelle de s’étoffer et de susciter de nouvelles perspectives de recherche. Les travaux d’érudition : Dans la seconde moitié du XIXème siècle, des érudits locaux ont commencé à s’intéresser à l’histoire de ces vestiges cisterciens paraissant mystérieux, à l’heure où le patrimoine religieux, civil et militaire attire l’attention de romantiques et d’antiquaires en quête de leur passé. Ces premières études sont souvent de précieux témoignages pour la description de bâtiments aujourd’hui disparus ou très remaniés. Ils tentent pour la première fois l’inventaire des sources conservées et l’étude de textes anciens, premières analyses qui peuvent nous aider lors de dépouillements préliminaires. Certains érudits livrent des études toponymiques, des réflexions sur les méthodes agraires, les défrichements mais se heurtent bien souvent à des impasses, particulièrement dans les descriptions stylistiques invoquant un plan « type » reproduit d’abbayes en abbayes ne correspondant vraisemblablement pas à la réalité et à la diversité des partis cisterciens. Dans le diocèse de Limoges par exemple, le chevet plat dit « traditionnel », « habituel », est bien souvent supplanté par une simple abside (Boschaud, Grosbot) ou une abside pentagonale (Bonlieu). Le plan de l’abbatiale de Fontenay (com. Marmagne, Côte-D’Or) en Bourgogne est ainsi érigé en « modèle », caractérisé par une nef à bas-côtés, un transept sur lequel se greffent des chapelles et un chevet plat. Fontenay est le témoin d’une perfection architecturale reposant sur le nombre d’or et la géométrie parfaite des proportions [Fig. 1]. Les descriptions souvent romantiques sont bien peu archéologiques et rigoureuses et insistent plus sur la physionomie des sites, les broussailles, ronces et fougères qui les recouvrent partiellement que sur une réelle analyse des vestiges, des matériaux et des méthodes de construction. ROY DE PIERREFITTE est l’un des premiers et des plus prolifiques à s’être intéressé aux abbayes cisterciennes limousines et marchoises. Entre les années 1857 et 1863, il livre une description des principaux sites ayant retenu son attention : Obazine, Coyroux, Prébenoît et Bonlieu entre autres. Bien que cette étude ne corresponde pas aux exigences actuelles d’analyse de bâti, elle reste honnête et complète malgré son esprit romantique et parfois anecdotique. Elle permet d’imaginer la physionomie de sites dans cette seconde moitié du XIXème siècle, avant les fréquentes destructions et remaniements du XXème siècle.8. 8 J. B. L. ROY DE PIERREFITTE, Études historiques sur les monastères du Limousin et de la Marche, T I, Guéret, 1857-63. - 26 - Les abbayes de la Marche Limousine ont fait l’objet de toutes les attentions des chercheurs et historiens locaux, souvent regroupés dans des Sociétés Savantes comme la Société des Sciences Naturelles et Archéologiques de la Creuse ou la Société Archéologique et Historique du Limousin. Henri DELANOY en particulier consacre une série d’articles sur Aubepierres, Aubignac, Bonlieu, Le Palais et Prébenoît entre 1909 et 1912. Il s’adonne à un état des sources disponibles mais sans réelle analyse critique. Il établit des listes de granges appartenant aux moines blancs mais sans aucune description et étude de terrain ayant pu étoffer et enrichir considérablement son analyse9. Le lecteur reste ainsi en quelque sorte sur sa faim par rapport à ces articles succincts et incomplets qui ne peuvent servir que d’introduction à une analyse plus précise des sources manuscrites. Les mêmes remarques peuvent s’appliquer à Claude PÉRATHON qui s’attache plus particulièrement à l’historique et à la constitution du patrimoine de l’abbaye de Bonlieu. Il identifie les principaux bienfaiteurs de l’abbaye cistercienne et tente une reconstitution partielle du patrimoine foncier, mais la description des vestiges est indigente et ne peut guère servir l’historien de l’art et l’archéologue10. Gabriel MARTIN est l’un des chercheurs les plus intéressants de la fin du XIXème siècle. Il livre en effet la première étude abordant les questions d’occupation du sol, de mutations du paysage par l’action des moines cisterciens. Il tente de cerner le basculement du faire-valoir direct au faire-valoir indirect dans les abbayes cisterciennes de Haute-Marche. Il étudie avec précision les granges et leur production, les acquisitions de maisons de ville, les premières activités commerciales dès la fin du XIIIème siècle. Autant d’aspects précurseurs expliquant que son article mérite encore largement sa place dans les bibliographies actuelles11. En 1906, il publie une autre étude sur l’abbaye du Palais, beaucoup plus anecdotique puisqu’elle ne s’attache qu’au siège de l’abbaye en 145112. Le Berry dispose aussi de ses érudits et premiers historiens tentant de retracer l’histoire des sites cisterciens. BUHOT DE KERSERS est par excellence l’érudit de l’actuel département du Cher. En 1885, il décrit brièvement l’abbaye des Pierres, courte étude malheureusement calquée sur la définition d’un « plan-type ». Il attribue de façon complètement arbitraire les fonctions de bâtiments aujourd’hui ruinés sans aucune 9 H. DELANNOY, « Notes sur l’abbaye d’Aubepierre », MSSNAC, T 16, 1907, p. 43-86 ; « L’abbaye d’Aubignac », MSSNAC, T 17, 1909, p. 7-63 ; « Notice sur l’abbaye de Bonlieu », MSSNAC, T 18, 1911, p. 752 ; « Abbayes du Palais et de Prébenoît », MSSNAC, T 18, 1912, p. 295-316. 10 C. PERATHON, « L’abbaye de Bonlieu », MSSNAC, T 16, 1908, p. 13-24. 11 G. MARTIN, « La Haute-Marche au XIIème siècle, les moines cisterciens et l’agriculture », MSSNAC, T 8, 1893, p. 47-127. 12 G. MARTIN, « Le siège de l’abbaye du Palais-Notre-Dame en 1451 », MSSNAC, T 15, 1906, p. 483-495. - 27 - justification archéologique, mais par seule référence au plan de l’abbaye de Fontenay. Nous ne pouvons ainsi guère attribuer de crédit à son analyse13. De même, Émile de BEAUFORT ne livre que de très courtes descriptions des sites de la Colombe et d’Aubignac, tout de même importantes puisque ces sites sont essentiellement connus aujourd’hui par des éléments lapidaires erratiques14. En 1889, c’est GAUDON qui écrit l’article le plus complet sur la Colombe. L’historique, la description des vestiges et l’intérêt nouveau porté aux aménagements hydrauliques en font une étude complète, synthétique même si la description mérite d’être reprise et complétée par une véritable analyse de bâti. L’abbaye de Varennes est la plus mal lotie des abbayes berrichonnes. Seul André CHARDON lui a consacré un court article en 1907, unique étude sur le site. Il est vrai que l’indigence des sources manuscrites et la complexité des vestiges en place ont pu rebuter certains chercheurs. CHARDON ne donne d’ailleurs aucune description des élévations conservées et ne livre qu’un historique incomplet du site15. L’abbaye de Boeuil fait l’objet d’attentions particulières de la part d’érudits locaux lui ayant consacré de nombreux articles. Dès 1865, l’abbé ARBELLOT écrit la première synthèse historique sur Boeuil. Toutefois, cet article trop succinct (deux pages) paraît bien insuffisant à retracer l’évolution du monastère au fil des sept siècles de son existence 16. LECLER, dans sa monographie du canton de Nieul publiée en 1894 livre un historique du site relativement lacunaire. Il s’adonne également à un inventaire des éléments lapidaires conservés mais qui demeure incomplet. Les aménagements hydrauliques, pourtant encore bien observables aujourd’hui, sont complètement ignorés17. Plus récemment, Germaine COUTY, habitante de Veyrac, étudie l’histoire de sa commune et se penche tout naturellement sur l’abbaye cistercienne de Boeuil. Bien que son étude n’ait pas la rigueur d’une analyse historique ou archéologique, elle a le mérite d’inventorier précisément les éléments lapidaires présents sur la commune. Toutefois, comme son prédécesseur LECLER, elle ne dit rien des aménagements hydrauliques et modifications du paysage encore bien perceptibles sur le site d’implantation18. Les moines cisterciens de Corrèze attirent également des historiens locaux. Le monastère-double d’Obazine-Coyroux en particulier fait l’objet de bien des attentions. Sera 13 A. BUHOT DE KERSERS, Histoire et statistique monumentale du département du Cher. Canton de Châteaumeillant, Bourges, 1885. 14 É. DE BEAUFORT, « Abbaye d’Aubignac », MSAOMP, T 26, 1861, p. 314-321 ; É. DE BEAUFORT, « Abbaye de la Colombe », MSAOMP, T 26, 1861, p. 307-310. 15 D. GAUDON, « Histoire de l’abbaye de la Colombe », Revue du Centre, 1889, T XI. 16 Abbé J. ARBELLOT, « Abbaye de Boeuil », Semaine religieuse de Limoges, T 3, 1865, p. 542-543. 17 A. LECLER, « Monographie du canton de Nieul », BSAHLC, 1894, T 42, p. 106-137. 18 G. COUTY, Veyrac : passé, coutumes, Limoges, 1990. - 28 - livré ici un aperçu des publications les plus intéressantes et ayant directement servi à la présente étude. Une liste complète des références est toutefois proposée en bibliographie. Le riche mobilier d’Obazine fascine en particulier Louis BONNAY qui étudie les vitraux en grisaille bien avant Helen ZAKIN. Il les dessine et en propose une vague datation du XIIème siècle, sans justification [Fig. 2]19. Ernest RUPIN s’intéresse quant à lui au mobilier de culte et décrit minutieusement une croix, un pied de croix et un reliquaire qu’il tente de dater sans réelle analyse comparative [Fig. 3]20. Nous sentons ici l’intérêt de ces érudits pour le spectaculaire, le précieux, plus que pour cette architecture dépouillée ou ces aménagements hydrauliques et pré industriels sans doute dénués d’attrait pour des « chercheurs de trésors ». Quant à VAYSSIÈRE, il s’attache à retracer l’historique du monastère féminin de Coyroux, les débuts de la communauté double jusqu’au déplacement à Tulle en 1622. Il évoque brièvement les vestiges archéologiques. Il écrit qu’« au point de vue archéologique, leur importance est très mince ». Petite remarque acerbe qui n’a sans doute pas manqué de faire sourire Bernadette BARRIÈRE lors de ses multiples campagnes de fouilles sur le site. L’intérêt porté aux vestiges archéologiques a considérablement évolué depuis le XIXème siècle. En 1890, Louis GUIBERT s’intéresse le premier au cartulaire d’Obazine. Il saisit l’intérêt d’un tel document, livre une brève étude de la constitution du patrimoine foncier sans commune mesure toutefois avec l’analyse de Bernadette BARRIÈRE un siècle plus tard21. Enfin, en 1953, l’abbé BROUSSE décrit l’église et le mobilier de l’abbaye d’Obazine. Il s’attache également aux bâtiments conventuels mais n’aborde toujours pas les questions d’hydraulique et d’économie grangère. Quant aux datations proposées pour l’abbatiale, elles sont en partie basées sur la date de consécration de l’édifice et la Vie d’Étienne d’Obazine et nous semblent à réévaluer par des études de bâti, des analyses stylistiques et comparatistes. Les filles d’Obazine font également l’objet d’articles d’érudition. CLÉMENT-SIMON étudie en 1889 l’abbaye féminine de Derses. L’historique du site est toutefois difficile à établir étant donné les lacunes des sources écrites. L’auteur déplore également l’absence de vestiges en élévation et semble oublier l’apport de l’étude des cadastres et des aménagements hydrauliques encore visibles. 19 L. BONNAY, « Église d’Obazine. Vitraux du XIIème siècle », BSSHAC, T 2, 1879, p. 119-211. E. RUPIN, « Croix byzantine, fin XIIème siècle. Église d’Aubazine (Corrèze) », BSSHAC, T 1, 1879, p. 275279 ; E. RUPIN, « Pied de croix ou de reliquaire en cuivre doré émaillé, XIIème siècle, église d’Aubazine (Corrèze) », BSSHAC, T 1, 1879, p. 147-150 ; E. RUPIN, « Reliquaire en cuivre doré et émaillé, XIIIème siècle, église d’Obasine (Corrèze) », BSSHAC, T 2, 1880, p. 461-469. 21 L. GUIBERT, « Notice sur le cartulaire de l’abbaye cistercienne d’Obazine », BSLSAC, T 12, 1890, p. 57-74 ; B. BARRIÈRE, Le cartulaire de l’abbaye cistercienne d’Obazine (XIIème-XIIIème siècles), Institut d’Études du Massif Central, Clermont-Ferrand, 1989. 20 - 29 - En 1894, LAVEYX écrit un historique du site de Bonnaigue, première synthèse sur l’abbaye mais sans aucune analyse des vestiges pourtant encore bien conservés. L’auteur ne semble s’intéresser qu’aux actes et inventaires conservés22. Xavier BARBIER DE MONTAULT étudie brièvement les sources historiques concernant l’abbaye de Valette et retranscrit un inventaire des biens. Quant à VAYSSIÈRE, il évoque les malheurs du premier abbé commendataire de Valette en 1481, épisode anecdotique sans grand intérêt pour l’histoire de l’art et l’analyse archéologique. L’absence de descriptions de cette abbaye aujourd’hui détruite par la mise en eau du barrage du Chastang est regrettable23. Enfin, l’abbaye de Dalon intéresse également les érudits locaux, notamment l’abbé Julien BROUSSE qui brosse en 1935 un historique rapide du site, retranscrit les inventaires de 1790 et 1791 et tente de dater approximativement les vestiges conservés. Ces travaux d’érudition constituent ainsi souvent une première approche des sources manuscrites et peuvent servir de bases à un dépouillement plus systématique des fonds d’archives. Toutefois, les descriptions architecturales sont trop souvent incomplètes et trop rapides pour aider à la reconstitution d’architectures partiellement conservées. Le désintérêt de ces historiens locaux pour les granges et l’hydraulique notamment conduit à des analyses restrictives ne prenant bien souvent en compte que les abbatiales et créations religieuses à proprement parlé. Toutefois, ce déséquilibre va progressivement s’estomper à partir des années 1950-1970 et les grandes études fondatrices sur l’occupation du sol, les défrichements, les mutations du paysage, les granges, et plus particulièrement l’hydraulique. Les grandes synthèses d’histoire et d’histoire de l’art cistercien : À partir des années 1950, les études cisterciennes se multiplient et investissent surtout la discipline historique. De nombreux historiens et archivistes s’attèlent à la lourde tâche d’éditer les cartulaires de l’ordre, sources essentielles à la compréhension du monde cistercien et surtout indispensables pour cerner la constitution du patrimoine foncier de ces sites, établir une géographie des possessions, comprendre les politiques d’acquisition, d’échanges et de ventes, les rapports entretenus avec l’aristocratie, l’épiscopat, les autres communautés 22 M. LAVEYX, « L’abbaye de Bonnaigue », BSSHAC, T 16, 1894, p. 536-557. X. BARBIER DE MONTAULT, « Abbaye de Valette (1639) », BSLSAC, T 17, 1895, p. 353-354 ; A. VAYSSIÈRE, « Les malheurs d’un abbé de Valette », BSSHAC, T 7, 1885, p. 35-41. 23 - 30 - religieuses et les paroissiens. Ces travaux sont la base de toute étude sur Cîteaux et la place des moines blancs dans l’environnement géographique, social et politique. • Édition des sources historiques : En 1970, Michel AUBRUN s’attache à l’édition de la Vie d’Étienne d’Obazine, récit hagiographique permettant une meilleure connaissance des premiers temps érémitiques de la fondation d’Étienne et son passage progressif au cénobitisme puis à l’ordre cistercien. Il s’agit d’un témoignage rare et par là même incontournable, évoquant en particulier le chantier médiéval de construction d’Obazine et de Coyroux où les moines sont présentés comme des bâtisseurs, et l’érection des bâtiments comme un miracle dû à l’abbé Étienne24. En 1976, Madeleine VAN MIEGHEM étudie et retranscrit les documents modernes concernant l’abbaye de Dalon et notamment les procès-verbaux de visite et d’expertise et les inventaires révolutionnaires, sources réellement riches pour le chercheur qui y trouve des descriptions du logis abbatial, des bâtiments conventuels, de l’abbatiale25. En 1986, Nelly BUISSON fait un état des sources conservées pour l’abbaye de Peyrouse et transcrit de nombreuses pièces importantes à la connaissance du patrimoine du monastère. Face à l’indigence des documentations concernant ce site, l’étude de Nelly BUISSON est essentielle même si elle ne s’attache nullement aux vestiges et aménagements hydrauliques conservés26. En 1989, Bernadette BARRIÈRE publie le cartulaire de l’abbaye d’Obazine, étude qui fait suite à une thèse de troisième cycle soutenue en 1975 sur l’économie et le cartulaire du site27. À propos de cette étude, Léon PRESSOUYRE écrit en 2006 : « un monumental ouvrage de 690 pages que les spécialistes considèrent comme exemplaire par la qualité de son appareil critique et la précision de ses index (…) »28. Il s’agit véritablement d’un ouvrage de référence permettant de cerner les implications de l’affiliation à Cîteaux pour l’ermitage d’Étienne d’Obazine, la lente constitution d’une vingtaine de granges par l’opiniâtreté des abbés qui lui succédèrent, l’originalité d’une fondation double devant assurer la gestion des deux édifices, puis le glissement faire le faire-valoir indirect et le fermage. 24 M. AUBRUN, Vie de Saint Étienne d’Obazine, Institut d’Études du Massif Central, Clermont-Ferrand, 1970. M. VAN MIEGHEM, L’abbaye cistercienne Notre-Dame de Dalon de 1790 à 1814, Clairvive. 26 N. BUISSON, « Abbaye de Peyrouse », BSHAP, T 113, 1986, p. 308-323. 27 B. BARRIÈRE, Les origines de l’abbaye cistercienne d’Obazine : l’affiliation à Cîteaux, l’économie, le cartulaire, thèse, Bordeaux III, sous la direction de Charles HIGOUNET, 1975 ; B. BARRIÈRE, Le cartulaire de l’abbaye cistercienne d’Obazine (XIIème-XIIIème siècles), Institut d’Études du Massif Central, ClermontFerrand, 1989. 28 B. BARRIÈRE, Limousin médiéval, le temps des créations. Recueil d’articles, PULIM, Limoges, 2006, p. 15 (préface de Léon PRESSOUYRE). 25 - 31 - Jean-Loup LEMAÎTRE maîtrise également parfaitement les sources historiques et consacre ainsi une étude à l’abbaye de Bonnaigue qui regroupe l’ensemble de la documentation historique disponible sur le site. Toutefois en 1998, Bernadette BARRIÈRE constate à juste titre que « l’église, en particulier, mériterait une lecture archéologique extrêmement minutieuse », une lacune n’étant toujours pas comblée aujourd’hui29. Dans la continuité de Bernadette BARRIÈRE, ses étudiants du département d’histoire de l’Université de Limoges vont également s’adonner à l’inventaire et à l’analyse des sources manuscrites des principales abbayes cisterciennes du diocèse de Limoges intéressant la présente étude, ce à partir des années 1990 à travers des analyses cohérentes et de qualité. Nous regrettons toutefois que ces études purement historiques et archivistiques ne prennent qu’épisodiquement en compte les réalités architecturales et sculptées. Les aménagements hydrauliques et granges ne font pas l’objet d’une prospection systématique. Dès 1992, Silvia VITTUARI livre une monographie de l’abbaye du Palais où elle étudie les principaux actes conservés aux Archives Départementales de la Creuse. Son analyse reprend certains points de l’étude de CIBOT sur le cartulaire de l’abbaye du Palais. Silvia VITTUARI consacre en annexe une courte étude archéologique des vestiges. Sa place en fin de mémoire témoigne bien qu’elle ne constitue pas un enjeu pour l’auteur et que l’archéologie n’est ici considérée que comme une science « annexe » de l’histoire30. Cette étude certes nécessaire nous semble à reprendre notamment sur des questions d’hydraulique et de granges n’ayant pas fait l’objet d’un repérage et de prospections systématiques. Les vestiges de l’abbaye méritent également une étude de bâti et une évaluation archéologique plus complètes (relevés d’élévation, étude lapidaire, sondages archéologiques). Jérôme PICAUD, en 1995 étudie les sources concernant l’abbaye de la Colombe, tente d’en reconstituer le patrimoine foncier (granges et moulins)31 tandis qu’Irène AUBRÉE livre une monographie de l’abbaye de Boeuil. Elle fait l’inventaire des sources conservées, lacunaires puisque le cartulaire est perdu. Toutefois, elle ne prend pas en compte les éléments lapidaires erratiques, témoins précieux de l’abbaye cistercienne dont aucune élévation n’est préservée. Quant aux aménagements hydrauliques, si les possessions des moines blancs sont identifiées, l’auteur reste discrète sur les vestiges pouvant en être 29 J. L. LEMAITRE, Bonnaigue, une abbaye cistercienne au pays d’Ussel, De Boccard, Paris, 1993 ; B. BARRIÈRE (dir.), Moines en Limousin, l’aventure cistercienne, PULIM, Limoges, 1998, p. 155. 30 S. VITTUARI, Le patrimoine de l’abbaye du Palais-Notre-Dame d’après le cartulaire (1134-12..), mémoire de maîtrise, dir. B. BARRIÈRE, Limoges, 1992, 2 vols ; J. CIBOT, Le cartulaire de l’abbaye du Palais-NotreDame (XIIème-XIIIème siècles), DES, Poitiers, 1961. 31 J. PICAUD, L’abbaye cistercienne de la Colombe au Moyen-Âge, maîtrise sous la direction de Bernadette BARRIÈRE, université de Limoges, 1995, 213 p. - 32 - conservés de nos jours32. En 1997, Catherine DESPORT analyse deux abbayes aux confins du Périgord, Boschaud et Peyrouse. Elle étudie l’ensemble des fonds d’archives conservés, le patrimoine foncier de ces deux sites avec minutie (granges, moulins, étangs, viviers) et tente de retrouver l’emplacement de chaque possession, parfois difficile à identifier dans la toponymie actuelle. L’étude archéologique de Peyrouse est rendue délicate par le démantèlement presque complet de l’édifice. Si elle est plus aisée concernant Boschaud dont les vestiges sont bien conservés, elle mériterait toutefois d’être approfondie33. En 1998, Michaël NOUGER consacre sa maîtrise à l’abbaye de Bonlieu et étudie à la fois le patrimoine foncier et l’environnement aristocratique du site. Si cette analyse très complète et documentée permet de cerner parfaitement les possessions du monastère, elle ne tient toutefois pas compte des élévations conservés ou des moulins, biefs, ponts et autres aménagements systématiques réalisés sur la Tardes. Ainsi, si les études des élèves de Bernadette BARRIÈRE sont essentielles à notre propre travail, les analyses stylistiques et archéologiques doivent être systématisées et approfondies. Plus récemment, en 2004, l’historien Louis GRILLON publie le cartulaire de l’abbaye de Dalon, également essentiel à la compréhension de la politique patrimoniale des moines blancs et de leurs rapports avec les seigneurs, évêques et autres communautés religieuses 34. Cette publication fait suite à nombre d’articles et de travaux universitaires de qualité entièrement consacrés à Dalon et aux abbayes cisterciennes de la Dordogne, plaçant Louis GRILLON comme un chercheur incontournable pour l’étude des sources médiévales cisterciennes35. D’autres éditions ne concernant pas directement les abbayes cisterciennes limousines ont néanmoins amplement servi à cette étude. C’est le cas notamment de la magistrale analyse 32 I. AUBRÉE, Patrimoine, gestion et vie sociale de l’abbaye cistercienne de Boeuil du XIIème au début du XVIème siècle, mémoire de maîtrise d’Histoire Médiévale, sous la direction de B. BARRIÈRE, Limoges, 1995, 1 vol. 33 C. DESPORT, Deux abbayes cisterciennes du Périgord : Boschaud et Peyrouse, mémoire de maîtrise d’Histoire médiévale sous la direction de Bernadette BARRIÈRE, Limoges, 217 p. 34 L. GRILLON, Le cartulaire de l’abbaye Notre-Dame de Dalon, Périgueux, 2004, dactyl. 35 L. GRILLON, « Les abbayes cisterciennes de la Dordogne dans les statuts des chapitres généraux de l’Ordre », BSHAP, T 82, 1955, p. 138-148 ; « Les abbayes cisterciennes de la Dordogne dans les statuts des chapitres généraux de l’Ordre », BSHAP, T 82, 1955, p. 186-204 ; Le cartulaire de Dalon (1114-1247), Mémoire de DES sous la direction de C. HIGOUNET, Bordeaux, 1962 ; « Le Prieuré des Touches et l’exploitation du sel par l’abbaye de Dalon », Annales du Midi, T 75, 1963, p. 311-319 ; Le domaine et la vie économique de l’abbaye cistercienne Notre-Dame de Dalon en Bas-Limousin, thèse de doctorat, Bordeaux, 1964, 275 p. ; « Deux granges corréziennes de l’abbaye cistercienne de Dalon », dans Le Bas-Limousin, Histoire et Économie, Tulle, 1966, p. 21-32. - 33 - de Martine GARRIGUES qui publie en 1981 le premier cartulaire de l’abbaye de Pontigny dans l’Yonne (com. Pontigny). Cette analyse exemplaire témoigne des efforts menés par les moines cisterciens pour acquérir plus de possessions et pour donner une cohérence aux domaines mis en valeur. Les jeux politiques menés par les rois Capétiens notamment sont parfaitement mis en exergue à travers l’étude des premières bastides fondées en paréage avec les moines blancs. L’historienne nous permet une compréhension optimale de la gestion d’un patrimoine foncier illustrant les qualités d’entrepreneurs des cisterciens ainsi que les pressions exercées sur ces futurs rentiers du sol par la noblesse, la royauté et l’épiscopat36. Il faut attendre l’année 2004 pour assister enfin à la parution du recueil des chartes de l’abbaye de Clairvaux au XIIème siècle, étude éclairante sur les premiers temps du monastère du temps de saint Bernard et après sa mort 37. Là encore, les rapports avec la dynastie capétienne sont explicités tandis qu’une vaste introduction permet de cerner les liens étroits entre aristocrates et moines de Clairvaux. L’abbaye est dépeinte comme une fondation familiale à vocation de nécropole, d’où les nombreuses donations ayant permis l’essor rapide de la communauté. Ces analyses des textes cisterciens, et tout particulièrement des cartulaires conservés sont des mines d’informations pour l’historien, l’archéologue et l’historien de l’art et constituent une base incontournable à tout travail de recherche sur les réseaux monastiques. • Historique de l’Ordre et de ses institutions : La complexité des institutions cisterciennes et leur évolution au fil des siècles ont nécessité de nombreuses études dans les années 1930-1950 essentiellement. Joseph-Marie CANIVEZ livre une somme incroyable de documentation par l’édition des Statuts de l’ordre de Cîteaux depuis les premiers temps jusqu’au XVIIIème siècle. Son analyse est essentielle à la compréhension des institutions de l’ordre, du déroulement des Chapitres Généraux et permet de cerner les rapports entretenus entre les abbayes de l’ordre. Les liens de filiation sont mis en lumière, même pour ces abbayes limousines tardivement affiliées par l’intermédiaire de Dalon ou Obazine. Anciens ermitages, elles doivent se plier aux nouveaux 36 M. GARRIGUES, Le premier cartulaire de l’abbaye cistercienne de Pontigny, Paris, 1981. J. WAQUET, J-M. ROGER, L. VEYSSIÈRE, Recueil des chartes de l’abbaye de Clairvaux au XIIème siècle, CTHS, Paris, 2004. 37 - 34 - règlements et statuts de l’ordre. L’ouvrage de CANIVEZ éclaire ainsi parfaitement ces adaptations et difficultés inévitables38. En 1945, Jean-Baptiste MAHN étudie l’histoire, les institutions et les évolutions de l’ordre de Cîteaux. Il tente d’en comprendre le fonctionnement, éclaircit les rapports avec la Papauté, l’épiscopat. Il évalue la place des cisterciens dans la réforme monastique. Il s’agit de l’une des premières synthèses historiques sur les institutions cisterciennes, très documentée. Toutefois, les statuts concernant l’art et l’architecture ne sont presque pas évoqués, laissant tout un pan des créations artistiques cisterciennes dans l’ombre. Plus récemment, en 2000, Constance HOFFMAN BERMAN, professeur à l’université d’Iowa aux USA publie une étude visant à reprendre les datations attribuées aux principales institutions monastiques et à la réelle constitution d’un ordre cistercien. Pour elle, il est nécessaire de postdater la naissance de cet ordre en tant que communauté d’abbayes dans les années 1150-1160 seulement. Elle critique les dates attribuées à certains textes cisterciens et propose notamment une nouvelle chronologie pour les premières instituta du Chapitre Général vers 1157-1161. Cela ne nous semble toutefois guère possible étant donné que Bernard de Clairvaux évoque les chapitres généraux qui devaient donc exister avant sa mort en 1153. L’historienne remet également en cause la date d’affiliation d’Obazine à l’ordre cistercien qui interviendrait pour elle plus tardivement que 1147. Elle nie ainsi les informations délivrées par la Vie d’Étienne d’Obazine notamment. Si certaines de ces hypothèses sont séduisantes, nous resterons toutefois prudente face à une étude contestable39. Pour l’historique des réseaux cisterciens ou autres, les études menées par le CERCOR à Saint-Étienne nous semblent réellement intéressantes et s’attachent à l’analyse de typologies des réseaux monastiques ou canoniaux, aux réformes monastiques, à l’essor des ordres nouveaux et des mouvements érémitiques (Robert d’Arbrissel, Géraud de Sales). Sont également pris en compte les monastères féminins, moins prisés de l’historiographie traditionnelle et qui doivent majoritairement attendre les années 1990 avant de faire l’objet d’études systématiques40. Dans le cadre des recherches du CERCOR, Marie-Odile LENGLET s’est attachée à la personnalité de Géraud de Sales à travers une série d’articles permettant de 38 J. M. CANIVEZ, Statuta Capitulorum Generalium Ordinis Cisterciensis ab anno 1116 ad annum 1786, Louvain, 1933. 39 C. H. BERMAN, The Cistercian evolution. The Invention of a religious order in the Twelfth Century Europe, Philadelphia, 2000. 40 Naissance et fonctionnement des réseaux monastiques et canoniaux, actes du Ier colloque international du CERCOR, Saint-Étienne, 1991 ; N. BOUTER (dir.), Les religieuses dans le cloître et dans le monde des origines à nos jours, actes du deuxième colloque international du CERCOR, Poitiers, 1988, Saint-Étienne, 1994, p. 131-138 ; Unanimité et diversités cisterciennes, filiations, réseaux, relectures du XIIème au XVIème siècles, Actes du colloque international du CERCOR, Dijon, 1996, Saint-Étienne, 2000. - 35 - restituer ses débuts érémitiques soutenus notamment par l’évêque de Limoges. Cette démarche est toutefois malaisée face au relatif silence des sources historiques sur cette période (premier tiers du XIIème siècle). Marie-Odile LENGLET essaie également de cerner le passage de ces ermitages au cénobitisme puis à l’ordre cistercien et les implications de ces changements pour la communauté. Toutefois, elle n’envisage pas les traductions de ces bouleversements dans l’architecture et ses analyses sont purement historiques41. D’autres centres de recherche s’intéressent à l’ordre de Cîteaux et à sa place dans le monachisme occidental. C’est le cas du CEM d’Auxerre dont les axes de recherche permettent d’aborder l’occupation du sol et la construction au Moyen-Âge, l’église et la société dans le Moyen-Âge occidental aux Vème-XVème siècles. L’UMR 5594 de l’Université de Dijon concerne quant à elle les cisterciens en Bourgogne et oriente beaucoup ses recherches sur des questions d’occupation du sol (Benoît CHAUVIN), d’archéologie (Stéphane BÜTTNER) mais aussi de créations artistiques (Daniel RUSSO). • Architecture et décor. Refus ou acceptation de l’image : Bien souvent, les premières études d’histoire de l’art à partir des années 1950 se heurtent à certaines impasses dont l’historiographie actuelle peine toutefois à se détacher. L’idée d’une architecture cistercienne « type », avec son plan reproduit d’abbayes en abbayes imité de celui de Clairvaux ou de Fontenay persiste encore parfois dans les études les plus récentes. La conception artistique cistercienne fascine également les historiens d’art et si certains qualifient Bernard de Clairvaux « d’iconoclaste », des nuances sont apportées et témoignent de la richesse de la symbolique de l’art cistercien. Les premiers auteurs à s’être véritablement intéressés à l’art cistercien sont Georges DUBY et le père Anselme DIMIER. Ce dernier publie aux éditions Zodiaque une analyse architecturale et stylistique de plusieurs sites cisterciens considérés comme « majeurs » par leur bon état de conservation (souvent dû à de profondes restaurations aux XIXème et XXème siècles). Il s’agit entre autre de Fontenay, Fontfroide, Noirlac, Obazine ou encore Sénanque. Toutefois, l’étude porte essentiellement sur l’abbatiale proprement dite. Les bâtiments conventuels font l’objet de moins d’attentions tandis que les granges et moulins ne sont pas abordés. Les abbayes sont réduites à leur plus simple expression et leur emprise sur 41 M. O. LENGLET, « Le bienheureux Géraud de Sales fondateur des abbayes de Bonlieu, Prébenoît et du Palais-Notre-Dame », Cîteaux, Commentarii Cistercienses, T XXIX, fasc. 1-2, 1978, p. 8-40 ; « Les fondations de Géraud de Sales et leur évolution », Colloque international du CERCOM, Saint-Étienne, 1985, p.1-15 ; « L’implantation cistercienne dans la Marche Limousine de Géraud de Sales à Saint Bernard », MSSNAC, Tome 46, 1997, p.258-268. - 36 - l’environnement n’est pas évoquée42. Dans un autre ouvrage plus historique, il étudie les rapports entre cisterciens et dynastie capétienne. Il met en évidence l’enjeu que constitue l’ordre cistercien pour des rois à la recherche de relais de pouvoir 43. Quant à Georges DUBY, il publie en 1976 une étude sur l’art cistercien à travers les écrits de saint Bernard notamment suivie d’un second ouvrage en 1998. Quelque soit la grande qualité et la précision de ces deux analyses, il est dommageable que, bien souvent, seules les abbayes les plus renommées, les mieux préservées ou restaurées soient prises en compte, comme si les édifices plus modestes, aux noms moins prestigieux, échappaient aux grilles de lecture et à toute analyse44. L’étude des formes architecturales et sculptées de l’ordre cistercien a souvent pris l’aspect de monographies nationales ou régionales permettant un cadre d’étude plus facile, bien qu’il ne corresponde à aucune réalité médiévale. Les problématiques sont souvent discrètes et l’analyse correspond fréquemment plus à un catalogue, à un simple constat qu’à un réel débat d’idées et de problématiques. Dès 1932, René CROZET prend en compte l’architecture cistercienne en Berry et plus particulièrement l’abbaye de Noirlac (com. Saint-Amand-Montrond, Cher). Le titre même de sa publication annonce tout de suite cette préférence pour le monastère le mieux conservé tandis que les abbayes les plus modestes feront l’objet de moins d’attentions. Les descriptions sont en effet très succinctes concernant les Pierres, Varennes et Aubignac. Les bâtiments conventuels et pré industriels sont laissés pour compte, seules les abbatiales sont étudiées. L’auteur ne fait guère le point sur les données historiques et géographiques et cette analyse uniquement stylistique reste partielle et difficilement exploitable45. En 1987 Roger STALLEY étudie l’art cistercien en Irlande. Il évoque des questions de voûtement, de plan, d’élévation, de décors et tente de montrer l’importance des cisterciens dans la transmission de formes jusque là inconnues en Irlande (cloître carré ou rectangulaire). Il distingue les apports anglais, français et du gothique anglo-normand et remet ainsi en cause l’idée d’une architecture cistercienne « type », correspondant en fait à une multiplicité de références. Cette étude purement stylistique laisse l’histoire de côté, les rapports avec l’aristocratie laïque, l’épiscopat, les autres ordres religieux. En effet, l’auteur ne met guère en 42 A. DIMIER, J. PORCHER, L’art cistercien. France, Zodiaque, « La Nuit des Temps », 1962. A. DIMIER, Saint Louis et Cîteaux, Letouzey et Ané, Paris, 1954. 44 G. DUBY, Saint Bernard, l’art cistercien, Paris, 1976 ; G. DUBY, L’Art cistercien, Paris, Flammarion, 1998. 45 R. CROZET, L’abbaye de Noirlac et l’architecture cistercienne en Berry, Paris, 1932. 43 - 37 - perspective les créations cisterciennes avec l’art paroissial, monastique, militaire, civil contemporain46. En 1982, Claude ANDRAULT-SCHMITT, professeur d’histoire de l’art à l’Université de Poitiers soutient sa thèse de troisième cycle sous la direction de Carol HEITZ concernant les nefs des églises romanes de l’ancien diocèse de Limoges47. Le cadre cistercien y est abordé à travers l’exemple d’Obazine, fermement ancré dans un cadre roman. Cette étude est essentielle pour son effort considérable de datation des édifices romans, à la fois des grands édifices comme Beaulieu, Chambon, Évaux, mais aussi des petites églises modestes. Des relations sont sans cesse évaluées avec le Poitou, l’Anjou et une grande Aquitaine, mettant en évidence concordances et dissemblances. L’historienne de l’art aboutit à la définition de certains « particularismes limousins » témoignant d’occasionnelles continuités avec la théorie d’écoles régionales. Elle aborde également les prémices du gothique par l’étude d’un « art de transition », ainsi que le thème des églises-granges, et leur génèse dans l’art roman. Ces « églises-granges » seront par ailleurs de nouveau étudiées dans son ouvrage Limousin gothique publié en 199748. Plus récemment en 1994, Claude ANDRAULT-SCHMITT publie un article sur les églises cisterciennes ayant succédé aux ermitages de Géraud de Sales dans l’Ouest de la France. Elle décrit un certain nombre d’édifices dont les abbayes de Bonlieu, Prébenoît et du Palais intéressant notre étude. Elle propose également des datations pour le chantier de construction. Toutefois ni les bâtiments conventuels, ni les granges, moulins et viviers ne sont abordés49. Dans son article sur les églises du Poitou, Claude ANDRAULT-SCHMITT insiste notamment sur la diversité des plans retenus à nef unique ou à collatéraux. Pour elle, l’architecture cistercienne est le résultat d’un compromis entre « traitement régional » et « aspirations spécifiques à l’ordre ». Les cisterciens seraient en effet soucieux d’une double intégration à l’Église d’Occident et à une région. Il nous semble important de discuter de l’existence réelle d’une volonté d’intégration ou simplement d’un choix plus « pragmatique » et économique d’ouvriers qualifiés sur place, ayant l’habitude de travailler à certaines formules architecturales, appliquées indifféremment d’églises paroissiales en abbayes 46 R. STALLEY, The cistercian monasteries of Ireland, Yale University Press, 1987. C. ANDRAULT-SCHMITT, Les nefs des églises romanes de l’ancien diocèse de Limoges. Rythmes et volumes, Thèse, Poitiers, sous la direction de C. HEITZ, 4 tomes, 1982. 48 C. ANDRAULT-SCHMITT, Limousin gothique, Paris, Picard, 1997. 49 C. ANDRAULT-SCHMITT, « Des abbatiales du « désert ». Les églises des successeurs de Géraud de Sales dans les diocèses de Limoges, Poitiers et Saintes (1160-1220) », BSAOMP, 5ème série, T 8, 1994, p. 91-173. 47 - 38 - cisterciennes. Les jeux de pouvoir et les hésitations entre Plantagenêts et Capétiens peuvent également entraîner des choix artistiques spécifiques50. Évelyne PROUST publie une étude sur la sculpture romane en Bas-Limousin qui intéresse directement notre étude, à la fois pour ses références aux créations cisterciennes, mais aussi pour la compréhension et la datation des édifices ayant précédé l’arrivée des moines blancs dans le diocèse de Limoges. Elle y aborde également des questions de rapport à l’image et d’aniconisme51. Le Limousin paraît tourné vers les pays d’Ouest où, par opposition aux pays d’Empire, l’image est acceptée. La Marche Limousine toutefois n’accepte généralement que des décors discrets, et ce sont dans ces zones où les cisterciens vont particulièrement s’implanter, s’inscrivant en parfaite cohérence avec ce mouvement de résistance à l’image sculptée et peinte. Concernant Obazine, Évelyne PROUST évoque des « caractères tout à fait cistercien », des « habitudes limousines avec une abside pentagonale ou sa croisée sous coupole à pendentifs courbes », autant d’expressions dont il faudra débattre, l’idée d’un plan « type » cistercien étant constamment remis en cause dans l’historiographie contemporaine. La simplicité et l’austérité cistercienne suffisent-elles à définir un art à part entière ? Quant à l’abside polygonale, elle n’a vraisemblablement rien de purement « limousin » et est d’ailleurs fréquente dans les monastères de l’ordre cistercien (La Chalade, Beaulieu, Berdoues, Fontfroide), de même que la coupole sur pendentifs est très prisée en Aquitaine52. Ainsi, malgré ces réticences et ces interrogations, cette étude n’en reste pas moins une base de travail essentielle et précieuse pour son iconographie soignée et ses efforts de datation. D’autres études prennent en compte un cadre géographique plus vaste. C’est le cas de Matthias UNTERMANN qui publie récemment un ouvrage sur l’architecture cistercienne au Moyen-Âge, témoignant de la diversité des plans et des élévations sur l’ensemble de l’Europe. L’auteur compare les reconstructions de certains déambulatoires cisterciens à la fin du XIIème siècle et au début du XIIIème siècle avec les cathédrales gothiques (Pontigny, Clairvaux, Cîteaux) et fait du déambulatoire droit une spécificité cistercienne.L’auteur tend toutefois à perpétuer l’idée de « modèles » dans l’ordre se déclinant d’abbayes en abbayes. 50 C. ANDRAULT-SCHMITT, « Églises cisterciennes du Poitou », Revue Historique du Centre Ouest, T I, Société des Antiquaires de l’Ouest, Poitiers, 2004, p. 9-103. 51 É. PROUST, La sculpture romane en Bas-Limousin, un domaine original du grand art languedocien, Picard, Paris, 2004. 52 R. CROZET, « Remarques sur la répartition des églises à file de coupoles. Déterminisme ou méthode historique », CCM, IVème année, n°2, avril-juin 1961, p. 175-178 ; C. DARAS, « Les églises à file de coupoles dérivées de la cathédrale d’Angoulême en Aquitaine », CCM, VIème année, n°1, janvier/mars 1963, p. 55-60 ; P. DUBOURG-NOVES, « Quelques réflexions sur les églises à coupoles des diocèses d’Angoulême et de Saintes », BSAOMP, T 15, 2ème trimestre 1980, p. 435-477. - 39 - Pour lui, les cisterciens auraient mis en place des éléments particuliers significatifs et un style approprié. Il admet ainsi l’existence d’une architecture cistercienne « type », parle encore trop souvent d’un plan « bernardin » « caractéristique » de la filiation de Clairvaux et évoque un type « bourguignon » avec des voûtes en plein-cintre et une nef obscure à l’heure où les écoles régionales n’ont plus lieu d’être. De plus, l’historien de l’art s’attache essentiellement aux abbatiales pour appuyer son propos. Il évoque occasionnellement les granges, moulins et tuileries. Malgré ces regrets, cet ouvrage est une source d’informations et un répertoire de formes considérables dont l’iconographie très soignée est enrichissante53. Certains historiens d’art privilégient l’analyse d’une forme artistique particulière ou un espace géographique particulier : vitrail ou pavement, étudié sur plusieurs siècles et sous ses aspects techniques et stylistiques, prise en compte d’une région, d’un comté, d’un diocèse. Études beaucoup plus ciblées, elles permettent une connaissance plus en détail d’un phénomène particulier. En 1979, Helen ZAKIN livre une étude entièrement consacrée aux vitraux en grisaille cisterciens. Avec beaucoup de minutie, elle analyse en détail les motifs utilisés et tente de retrouver leurs origines à la fois dans les manuscrits mais aussi dans la sculpture romane. Elle témoigne ainsi d’un certain attachement au passé des moines blancs qui puisent un répertoire de motifs dans des formes romanes. Il paraîtrait alors difficile de parler d’un art cistercien « type » face aux héritages et filiations perçues54. En 2003, Stéphanie FOUCHER soutient une thèse sur le décor sculpté végétal cistercien dans l’ouest de la France sous la direction de Claude ANDRAULT-SCHMITT à Poitiers. Cette étude nous semble essentielle dans la mesure où l’auteur tente de montrer l’équilibre relatif entre les choix artistiques imposés par l’ordre cistercien, d’ailleurs plus ou moins respectés au fil des siècles et l’inspiration d’édifices proches, paroissiaux, canoniaux ou monastiques. Elle tend à remettre en cause une certaine historiographie en nuançant l’idée d’une ornementation spécifique à l’ordre. Toutefois, elle ne conteste pas l’idée d’un répertoire sculpté « cistercien » avec des caractéristiques communes lui conférant une certaine unité55. L’année suivante, Magali ORGEUR soutient sa thèse de doctorat à l’Université de Dijon sous la direction de Daniel RUSSO. Elle s’attache aux carreaux de pavement des abbayes cisterciennes de Bourgogne56. Elle aborde des questions d’aniconisme et de timides acceptations de l’image bidimensionnelle. Elle montre que les techniques et décors utilisés 53 M. UNTERMANN, Forma Ordinis. Die mittelalterliche Baukunst des Zisterzienser, Deutscher Kunstverlag, München, Berlin, 2001. 54 H. J. ZAKIN, French Cistercian Grisaille Glass, Garland, New-York/London, 1979. 55 S. FOUCHER, Le décor sculpté cistercien dans l’ouest de la France, XIIème-XIVème siècles, Thèse sous la direction de C. ANDRAULT-SCHMITT, CESCM, Poitiers, 2003, 5 volumes. - 40 - sont spécifiques à l’art cistercien par opposition à Cluny où les pavements imitent généralement la mosaïque. Elle mène de nombreuses études comparatistes avec d’autres abbayes cisterciennes et d’autres ordres religieux. Elle témoigne de l’importance des pouvoirs politiques pour la création artistique. Un atelier répond en effet avant tout à des commandes artistiques recherchant des aspects novateurs. Les motifs, comme pour les vitraux étudiés par Helen ZAKIN, montrent l’héritage de la période romane. Magali ORGEUR n’étudie pas simplement ces carreaux de pavement pour eux mêmes, hors de leur contexte mais les replace dans l’espace. Ils paraissent étroitement liés aux parties orientales de l’édifice et peuvent correspondrent à des pratiques liturgiques. Cette étude permet d’aborder de nombreuses problématiques, l’idée d’un artisanat propre aux cisterciens, d’un art de commande étroitement lié aux pouvoirs politiques et des questions de liturgie méritant d’être approfondies et éprouvées pour le diocèse de Limoges. Sylvain DEMARTHE soutient en 2006 une thèse à l’université de Bourgogne sous la direction de Daniel RUSSO et s’attache particulièrement à l’abbaye de Cîteaux et ses environs entre 1220 et 1250. Il parle alors d’un substrat roman encore présent mais « passéiste » auquel s’adjoignent des éléments gothiques diffusés de façon inégale par des chantiers plus novateurs. Il nous paraît toutefois délicat de maintenir cette idée d’un art roman du parti de la « tradition », « rural », par rapport à un art gothique urbain du parti de la novation57. Il s’agit simplement de deux manières de bâtir différentes, de techniques différentes, d’autres ouvriers et tailleurs de pierres expérimentant d’autres méthodes sans qu’il nous paraisse nécessaire d’introduire un jugement de valeur déplacé et inutile. L’auteur persiste également à appuyer la thèse d’un plan « typiquement » cistercien (il l’atteste concernant le chevet plat de Nuits) malgré les nombreuses études récentes le remettant en cause. Le débat sur un aniconisme cistercien et une tendance au refus de l’image s’est amorcé dès les années 1980 et continue de passionner l’historiographie actuelle. En 1985, Adrian BREDERO publie une étude fondamentale sur la controverse entre Cluny et Cîteaux fondée sur les textes de Pierre Le Vénérable et de saint Bernard. Il met en lumière les différences institutionnelles mais aborde également les créations artistiques de deux ordres. Il souligne le 56 M. ORGEUR, Les carreaux de pavement des abbayes cisterciennes en Bourgogne (fin XIIème-fin XIVème siècle), thèse de doctorat en histoire de l’art médiéval sous la direction de D. RUSSO, université de Bourgogne, 3vols, 2004. 57 « À ce substrat traditionnel se superposent, dans la plupart des cas, des éléments plus novateurs. Les édifices semblent simultanément se « moderniser », en s’ouvrant peu à peu et de différentes manières, à l’art gothique, tout récent et plus citadin, et dont la lente pénétration est stimulée par le chantier de l’église Notre-Dame de Dijon » ; S. DEMARTHE, « Au pays de Cîteaux. Étude sur le développement d’une architecture religieuse (XIème-XVème siècles) », Bulletin du CEM, n°10, Auxerre, 2006, p. 287-295. - 41 - goût des moines noirs pour les vastes programmes iconographiques sculptés tandis que la sculpture est presque bannie de l’art cistercien. Même si les différences entre les deux ordres nous semblent à nuancer, surtout au vu de leur rapprochement au XIIIème siècle avec le glissement des cisterciens vers le faire-valoir indirect, l’acceptation d’inhumations laïques et d’un mobilier funéraire spécifique, cette analyse reste une base indispensable à toute étude sur le rapport à l’image dans l’ordre de Cîteaux58. Cet intérêt pour les cisterciens et l’image se traduit par de nombreuses études européennes de l’Apologie de Bernard de Clairvaux suscitant de multiples interprétations et analyses. En 1990, Conrad RUDOLPH, professeur à l’université de Pennsylvanie propose une relecture de ce texte après Adrian BREDERO. Il souligne le fait que Bernard de Clairvaux condamne certes l’art dans ses excès mais en aucun cas toute forme d’art. Pour lui, l’art est nécessaire à l’évêque qui se doit d’éduquer les foules. Ce n’est que pour un milieu monastique que saint Bernard exprime ses réticences aux images pouvant détourner le moine de sa méditation. Cette étude éclairante de Conrad RUDOLPH met en perspective les écrits de Suger ou d’Aelred de RIELVAULX et nuance considérablement l’idée d’un art cistercien « iconoclaste ». De plus, l’auteur élargit sa recherche aux autres ordres religieux et évoque les rapports à l’art chez les grandmontains et les prémontrés notamment59. Dans la même veine, Patrick REUTERSWÄRD participe à l’ouvrage dirigé par Sergiusz MICHALSKI sur l’art et les iconoclasmes par un article concernant les cisterciens 60. Il remet en cause l’idée d’un refus de l’image et donne pour exemple l’abbaye d’Eberbach. Celle-ci montre un souci certain de décor. Il évoque les vitraux dont les motifs ne sont pas dépourvus de sens (fleur-de-lys évoquant la royauté), les pavements, les roses de façade. Il s’inscrit ainsi dans la même lignée que Conrad RUDOLPH et appuie l’idée d’un art cistercien certes plus discret qu’à Cluny, mais bien réel et non dénué d’une symbolique propre. K. BIALOSKORSKA défend les mêmes idées à travers l’étude des monastères cisterciens polonais61. Après avoir repris brièvement l’étude des références à l’art à travers les Capitula et l’Apologie, elle montre l’éloignement de la règle cistercienne au sein des sites 58 A. H. BREDERO, Cluny et Cîteaux au XIIème siècle. L’histoire d’une controverse monastique, Presses Universitaires de Lille, 1985. 59 C. RUDOLPH, The « Things of greater importance ». Bernard of Clairvaux’s Apologia and the Medieval attitude toward Art, University of Pennsylvania Press, 1990. 60 P. REUTERSWARD, « An overlooked reserve in cistercian iconoclasm », dans S. MICHALSKI (dir.), L’Art et les révolutions. Section 4 : les iconoclasmes, XXVIIème Congrès International d’Histoire de l’Art, Strasbourg, 1989, Strasbourg, 1992, p. 25-35. 61 K. BIALOSKORSKA, « Le caractère et les idées du décor sculpté architectonique des monastères cisterciens polonais du XIIIème siècle et sa position en regard des traditions et de la spiritualité de l’Ordre », dans M. DERWICH (dir.), La vie quotidienne des moines et chanoines réguliers au Moyen-Âge et Temps Modernes, LARHCOR, Ier colloque international de Wroclaw, 1994, Wroclaw, 1995, vol 2, p. 615-649. - 42 - polonais présentant de nombreux motifs zoomorphes, des thèmes figurés, un monde végétal exubérant symbolique (évocation du Paradis), autant de décors remettant en cause un « iconoclasme » cistercien. Si les textes se révèlent réticents à l’art dans les monastères, la réalité des créations monastiques est parfois tout autre. La question d’un refus de l’image mérite d’être réévaluée, notamment pour les monastères du diocèse de Limoges intéressant notre étude. En 2004, Terryl Nancy KINDER dirige un ouvrage à la mémoire de Peter FERGUSSON abordant la question d’un « iconoclasme » cistercien, remettant en cause l’idée d’un « plan-type » et présentant plusieurs articles sur les granges et les chapelles pouvant leur être rattachées, encore largement méconnues62. Cet ouvrage contribue ainsi à remettre en cause un certain nombre de poncifs de l’historiographie traditionnelle tout en s’engageant sur de nouvelles pistes de recherche. De nouvelles perspectives de recherche : l’occupation du sol. Les pionniers (1970-1990) : À partir des années 1970, les études historiques sur l’ordre de Cîteaux s’étoffent avec des considérations géographiques, d’insertion dans les paroisses et d’économie rurale. L’ordre n’est plus étudié de manière abstraite mais replacé dans son contexte, dans son environnement et dans les paysages géographiques, géologiques, sociaux, politiques, religieux. En 1973, l’ouvrage de Georges DUBY sur les hommes et structures du Moyen-Âge évoque bien sûr le domaine monastique et les cisterciens en particulier. Il atteste le rôle des cisterciens dans la modification des rapports entre condition monastique et vie rurale. Il oppose l’agriculture cistercienne en faire-valoir direct, permise par des convers motivés et bon marché, à un modèle clunisien où l’agriculture est extérieure (faire-valoir indirect)63. En 1970, l’étude de Michel AUBRUN nous permet de soulever une autre problématique, à savoir l’insertion des moines cisterciens dans le tissu paroissial. En effet, l’historien étudie avec précision la constitution des paroisses de l’ancien diocèse de Limoges, des débuts du christianisme jusqu’à l’arrivée des ordres nouveaux. Son analyse est essentielle à l’histoire de l’occupation des sols et de l’humanisation du diocèse. Pour lui, les moines cisterciens n’ont pas réellement bousculé le tissu paroissial et se sont plutôt surimposés à lui. 62 T. N. KINDER, (dir.), Perspectives for an Architecture of solitude. Essays on Cistercians, Art and Architecture in Honour of Peter Fergusson, Brépols, Cîteaux, 2004; C. RUDOLPH, “Communal Identity and the earliest Christian Legislation on Art : canon 36 of the Synod of Elvira”, dans T. N. KINDER, (dir.), op. cit, p. 1-7; D. H. WILLIAMS, « Cistercian Grange Chapels », dans T. N. KINDER, (dir.), op. cit, p. 213-221. 63 G. DUBY, Hommes et structures du Moyen-Âge, Mouton, Paris-La Haye, 1973. - 43 - Leur installation en milieu rural, dans des déserts relatifs, évite de bouleverser réellement les communautés paysannes64. En 1975, Charles HIGOUNET publie un groupement d’articles sur les Paysages et villages neufs. Il évoque la question de l’apparition de l’assolement triennal, de l’emprise de la forêt jusqu’au XIème siècle et livre aussi un article essentiel sur les bastides cisterciennes au milieu du XIIIème siècle nous intéressant directement (l’abbaye d’Obazine a vraisemblablement possédé une bastide, de même que les moines de Dalon). Ces bastides sont mises en place dans le cadre du faire-valoir indirect et sont très liées aux pouvoirs politiques65. Le colloque tenu à Flaran en 1981 marque réellement le dynamisme des recherches sur l’occupation du sol et l’économie cistercienne qui passionnent de nombreux historiens renommés66. Benoît CHAUVIN, à travers l’exemple de la Bourgogne, définit une économie cistercienne en faire-valoir direct dans les premiers temps de l’ordre qui va progressivement perdre de son originalité au XIIIème siècle. Les cisterciens vont en effet devenir des « rentiers de la terre », accepter le fermage, une exploitation du sol en faire-valoir indirect, la possession d’églises et de paroisses67. Robert FOSSIER quant à lui s’attache au nord-ouest de l’Europe où le passage des moines lui apparaît négligeable quant aux techniques agricoles68. Bernadette BARRIÈRE évoque le sud-ouest de la France et contribue à réfuter l’idée bien ancrée dans l’historiographie de moines « défricheurs ». En effet, pour elle, les moines occupent les marges forestières sans défrichement systématique. Le bois est directement intégré à leur économie et ils se doivent plutôt de maintenir une couverture forestière (bois de chauffe, bois de construction, pacage des animaux)69. En 1992, Charles HIGOUNET publie un second recueil d’articles dont un aborde le premier siècle de l’économie rurale cistercienne. Il parle de cisterciens depopulatores qui n’hésitent pas à chasser les paysans de leurs terres pour s’y installer et recréer un désert. Le cas de la Haute-Marche est particulièrement bien cerné et l’auteur analyse le passage au fairevaloir indirect avec les premières activités commerciales dès les années 120070. 64 M. AUBRUN, L’ancien diocèse de Limoges des origines au milieu du XIème siècle, Institut d’Études du Massif Central, Clermont-Ferrand, 1970. 65 C. HIGOUNET, Paysages et villages neufs du Moyen-Âge, Bordeaux, 1975. 66 Économie cistercienne. Géographie, mutations du Moyen-Âge aux temps modernes, Centre culturel de l’abbaye de Flaran, 1981, Auch, 1983. 67 B. CHAUVIN, « Réalités et évolution de l’économie cistercienne dans les duchés et comté de Bourgogne au Moyen-Âge. Essai de synthèse», dans Économie cistercienne…, op. cit, p. 13-52. 68 R. FOSSIER, « L’économie cistercienne dans les plaines du nord-ouest de l’Europe », dans Économie cistercienne…, op. cit, p. 53-74. 69 B. BARRIÈRE, « L’économie cistercienne du sud-ouest de la France », Économie cistercienne…, op. cit, p. 75-99. 70 C. HIGOUNET, Villes, sociétés et économies médiévales, Bordeaux, 1992. - 44 - Aline DURAND s’attache quant à elle à des réalités méridionales. Dans son étude sur les paysages médiévaux du Languedoc, elle tente de cerner les caractéristiques de l’exploitation du saltus par les cisterciens, étude réellement enthousiasmante témoignant bien des avancées des problématiques depuis 197071. De nouveaux résultats : archéologie et archéologie du bâti (1980-200.) : Les fouilles archéologiques concernant les sites cisterciens limousins sont assez inégales et témoignent surtout de l’intérêt pour Obazine et Coyroux tandis que certaines abbayes plus modestes et méconnues restent à l’écart des préoccupations des archéologues (Boeuil, Bonnaigue, Aubignac et Aubepierres par exemple). Dès 1970, l’abbaye d’Obazine fait l’objet de sondages par DE RIBIER et LAJUGIE afin de déterminer le nombre de travées de la nef. Il apparaît qu’elle en comportait 9 et non 6 comme l’avaient annoncé Marcel AUBERT, le chanoine POULBRIÈRE ou Anselme DIMIER72. L’archéologie apparaît alors clairement comme un moyen de préciser ou infirmer certaines affirmations seulement étayées par l’histoire de l’art. À partir de 1976 et jusqu’en 1992, Bernadette BARRIÈRE va mener des campagnes de fouilles programmées sur le monastère féminin de Coyroux visant à retrouver les structures des bâtiments conventuels et à évaluer la conservation des couches stratigraphiques. Toutefois, ces fouilles n’ont pas donné lieu à un ouvrage de synthèse. Seuls les rapports de fouilles non publiés, uniquement consultables sur demande au Service Régional de l’Archéologie de Limoges permettent de prendre connaissance de ces données nouvelles, mais sans réel souci de synthèse et de datation systématique73. Plus récemment, la connaissance des aménagements monastiques d’Obazine s’est améliorée grâce aux travaux de l’équipe Hadès sur le canal des Moines, dirigée par Pierrick STEPHANT et Bernard LEPRETRE. Cette étude très précise et documentée permet de cerner 71 A. DURAND, Les paysages médiévaux du Languedoc (Xème-XIIème siècle), Presses Universitaires du Mirail, Toulouse, 1998. 72 J. de RIBIER, R. LAJUGIE, « Sur les travées de l’église d’Obazine », BSLSAC, T 74, 1970, p. 215-219 ; A. DIMIER, J. PORCHER, L’art cistercien. France, Zodiaque, « La Nuit des Temps », 1962 ; M. AUBERT (avec la collaboration de la marquise de Maillé), L’Architecture cistercienne en France, Vanoest, Paris, 1947 (2ème édition). 73 B. BARRIÈRE, Monastère de moniales cisterciennes de Coyroux (Aubazine, Corrèze). Rapport de la campagne de sondages de juillet 1976, Université de Limoges, 1976, non publié ; Rapport de la campagne de sondages-sauvetages de juillet 1977, Université de Limoges, non publié ; Rapport de la campagne de sondagessauvetages de juillet 1978, Université de Limoges, non publié ; Rapport de campagne d’intervention de juillet 1979, Université de Limoges, non publié ; Premier rapport intermédiaire, campagne 1986, Limoges, non publié ; Fouille programmée, 1986-1988, rapport de synthèse, 1988, Université de Limoges, non publié ; B. BARRIÈRE, « Monastère de Coyroux », Archéologie Médiévale, Caen, Centre de Recherches Archéologiques Médiévales, tomes X à XIX, de 1980 à 1989. - 45 - la mise en oeuvre du canal, les matériaux et techniques utilisés. Il s’agit d’un document majeur pour l’histoire de l’hydraulique cistercienne74. Des sondages ont également été récemment menés sur la place de l’abbatiale d’Obazine, investigations préalables à des travaux de rénovation. Ils ont permis d’identifier les anciennes travées de la nef mis à bas, ainsi qu’une galerie longeant le gouttereau sud de l’église75. L’abbaye de Prébenoît a également fait l’objet de plusieurs opérations archéologiques depuis les sondages de 1993 jusqu’aux fouilles programmées en 2001 menées par Jacques ROGER (INRAP). Ces investigations ont permis de mettre au jour un pavement mosaïqué dans le chœur de l’abbatiale, des inhumations dont celle du seigneur Roger de Brosse à la fin du XIIIème siècle et de préciser l’organisation des bâtiments monastiques. Nous regrettons toutefois que cette fouille programmée n’ait pu être reconduite face aux réticences de la commune76. Entre 1998 et 2003 sont menées des fouilles à l’abbaye de Grosbot par une équipe de l’université de Bristol (Mark HORTON notamment). Ces investigations ont permis de révéler l’existence de bâtiments canoniaux à rattacher à la communauté de Fontvive ayant précédé l’arrivée des cisterciens ainsi qu’un atelier de fonte de cloche daté des années 130077. En 2000, les actes du congrès Anselme DIMIER sont publiés et présentent notamment un bilan des fouilles archéologiques françaises, permettant de faire le point des dernières découvertes intéressantes et apportant à la connaissance de ces sites souvent bien ruinés. Benoît CHAUVIN livre en particulier le résultat d’investigations à l’abbaye berrichonne de Fontmorigny (com. Ménétou-Couture, Cher) visant à préciser l’organisation des bâtiments conventuels et du cloître78. Ces recherches nous apparaissent réellement indispensables à la connaissance des sites cisterciens mais mériteraient toutefois d’être appliquées à l’ensemble des sites, et pas seulement les plus connus et les plus prestigieux. Ils devraient également faire systématiquement l’objet d’une synthèse et d’essais de datation systématique. Les rapports de 74 P. STÉPHANT, B. LEPRETRE, Le « canal des moines » de l’abbaye d’Aubazine, Hadès, SRA Limousin, avril-juin 2004, 2 vols, (non publiés, déposés au SRA Limousin). 75 S. LEVEQUE, Aubazine, place de l’église. Rapport de diagnostic, DRAC/SRA Limousin, INRAP GSO, mai 2006, 28p., non publié. 76 J. P. BÉGUIN, J. ROGER, Abbaye de Prébenoît (Creuse), SRA Limousin, 1993-1996 (non publié, déposé au SRA Limousin). 77 M. HORTON, “A Bell-founders Pit at the Cistercian Abbey of Grosbot (Charente)”, dans T. N. KINDER, (dir.), Perspectives for an Architecture of solitude. Essays on Cistercians, Art and Architecture in Honour of Peter Fergusson, Brépols, Cîteaux, 2004, p. 253-260. 78 B. CHAUVIN, « Premier bilan archéologique à l’abbaye de Fontmorigny », dans les actes du congrès Anselme Dimier, Abbaye de Noirlac, Fouilles cisterciennes européennes. Bilans nationaux. I. France, Pupillin, Arbois, 2000. - 46 - fouilles sont parfois une suite de faits et de données très précises mais sans réel souci d’interprétation. L’archéologie du bâti a de même beaucoup progressé ces dix dernières années et vient elle aussi enrichir l’historiographie cistercienne. Une des études les plus complètes est celle de Villers-en-Brabant par Thomas COOMANS qui livre de nombreux plans et relevés permettant de mieux cerner les différentes étapes de construction de l’abbaye. Ces descriptions et analyses sont très précises et s’accompagnent de datations basées sur de multiples comparaisons. Il ne laisse pas de côté les bâtiments conventuels, eux aussi précisément analysés et prend en compte le réseau hydraulique et particulièrement le moulinboulangerie intégré à l’enceinte monastique. Il s’agit donc d’une étude exemplaire et très documentée témoignant des évolutions flagrantes de nos techniques documentaires79. En 2006, Yves ESQUIEU livre une étude de bâti de l’abbaye du Thoronet en Provence proposant des reconstitutions en trois dimensions de l’ancienne abbaye médiévale. Sont abordés à la fois l’église proprement dite mais aussi le cloître, les bâtiments conventuels, les bâtiments d’accueil (hôtellerie, porterie), les bâtiments à vocation pré industrielle (forge) et les aménagements hydrauliques. Le déroulement du chantier médiéval est l’objet d’attentions particulières de la part de l’auteur qui fait part de ses réflexions sur les différentes tailles de pierres révélant une mise en valeur du sanctuaire, les mortiers (joints minces) et la qualité générale de la construction, témoin d’une véritable technicité et d’une recherche esthétique certaine (beaux matériaux, taille précise, voire polissage) nuançant l’idée d’une simplicité, d’un dépouillement cistercien. Des relevés pierres à pierres seraient néanmoins nécessaires afin de déterminer les différentes phases de construction, de reprises80. Vers des études globales. Sanctuaires, granges, installations pré industrielles et aménagements hydrauliques (1998-200.) : Depuis une petite dizaine d’années, l’historiographie tend vers des analyses globales, prenant en compte les réalités historiques, stylistiques et les résultats de l’archéologie (sondages, fouilles et prospections). La géographie et la géologie ne sont pas non plus négligées. Cela nécessite des chercheurs de plus en plus polyvalents, travaillant en collaboration avec des spécialistes de toutes les disciplines. Cette interdisciplinarité n’est toutefois pas toujours équilibrée et il est parfois bien difficile à l’historien de l’art de maîtriser 79 T. COOMANS, L’abbaye de Villers-en-Brabant. Construction, configuration et signification d’une abbaye cistercienne gothique, Bruxelles, 2000. 80 Y. ESQUIEU, V. EGGERT, J. MANSUY, Le Thoronet. Une abbaye cistercienne, Cité de l’Architecture et du Patrimoine, Aristeas/Actes Sud, Arles, 2006. - 47 - l’étude des sources historiques tandis que les historiens négligent encore souvent les analyses stylistiques comme outil de datation. Malgré les difficultés rencontrées et les lacunes parfois complexes à dépasser, l’effort est bien là, les disciplines tendent à s’estomper, et cette « communion » aide à élaborer de nouvelles problématiques liées à la modification des paysages par les moines blancs, aux techniques hydrauliques et pré industrielles (forges, tuileries), aux chantiers de construction (carrières, mise en œuvre des matériaux), à l’importance du contexte politique dans les choix artistiques. Les études actuelles discutent également de plus en plus d’une réelle spécificité cistercienne en matière d’hydraulique et d’économie grangère finalement peu éloignées des réalités clunisiennes. Ces questions font en tout cas débat et méritent d’être discutées. Les études sur les granges cisterciennes notamment se sont considérablement développées, dépassant le stade où seuls les bâtiments à vocation religieuse étaient jugés digne d’intérêt. Puisque les moines blancs semblent accorder autant de soin dans la construction de leurs granges que de leurs sanctuaires, il semblait nécessaire de leur consacrer autant d’études et d’analyses scientifiques. Là encore, Charles HIGOUNET s’inscrit comme précurseur puisque dès 1965, il publie une étude entièrement consacrée à la grange de Vaulerent, analysant à la fois les données historiques et les vestiges archéologiques préservés81. Les questions d’occupation du sol, d’exploitation des terres, du passage du fairevaloir direct au fermage sont abordées de même que les techniques de construction étayées de comparaison avec d’autres sites. Dans la même veine, en 2005, Didier NUYTTEN étudie la grange de l’abbaye de Ter Doest, seul témoin du monastère aujourd’hui disparu. Elle conserve une exceptionnelle charpente datée de la seconde moitié du XIVème siècle. Cette étude archéologique pêche toutefois par ses absences de synthèse ou de mise en perspective avec d’autres édifices, cisterciens ou non. Il paraît ainsi réellement difficile d’allier plusieurs disciplines en conservant un certain équilibre, sans rester cantonné à la monographie82. En 2007, le géographe Christophe WISSENBERG analyse les vestiges de la grange de Beaumont (Clairvaux, Côte-D’Or, com. Riel-Les-Eaux) ainsi que son emprise sur les paysages. Il se place au carrefour de l’histoire, l’archéologie et la géographie dans une étude novatrice et fourmillante d’idées quant aux aménagements du territoire (clairière de défrichement, assolement triennal, installations hydrauliques), aux rapports nécessairement entretenus avec 81 C. HIGOUNET, La grange de Vaulerent. Structure et exploitation d’un terroir cistercien de la plaine de France, XIIème-XVème siècle, SEVPEN, Paris, 1965. 82 D. NUYTTEN, « Bruges, recherches archéologiques sur l’ancienne grange cistercienne de Ter Doest », BM, T 163-2, 2005. - 48 - les populations alentours ou encore aux particularités architecturales des granges de Clairvaux (édifices charpentés larges et bas). Une étude cartographique précise permet de mieux comprendre en quoi « la grange de Beaumont fait figure aujourd’hui de véritable conservatoire du paysage cistercien »83. En 1982, Mireille MOUSNIER soutient une thèse sur l’abbaye de Grandselve sous la direction de Pierre BONNASSIE à Toulouse, suivie d’une série d’articles tout aussi intéressants. Elle tente de cerner l’abbaye à travers le prisme cistercien et toulousain et ne perd ainsi pas de vue le cadre géographique et socio-politique. Elle replace les moines blancs dans le contexte religieux toulousain du XIIème siècle. Le patrimoine foncier est précisément détaillé, les granges identifiées de même que les moulins. L’auteur prend en compte non seulement les sources écrites mais aussi la réalité des vestiges conservés. En cela cette étude est exemplaire et devrait être appliquée à chaque monastère de l’ordre pour une meilleure compréhension et connaissance du réseau cistercien et de l’occupation du sol84. François BLARY livre une étude précise et minutieuse sur le domaine de Chaalis en Ile-de-France85. Il s’agit de l’une des premières approches archéologiques à l’échelle du domaine d’une abbaye. L’auteur prend en compte l’ensemble des granges mais aussi la tuilerie de Commelles notamment. Il ne se contente pas d’une simple analyse des faits historiques mais décrit précisément les vestiges conservés, leurs remaniements successifs, les matériaux de construction, l’organisation du chantier médiéval et ouvre ainsi de nouvelles perspectives de recherche dans lesquelles Guy de COMMINES va s’engouffrer dès l’année suivante86. Celui-ci dirige en effet une revue sur les granges où plusieurs régions sont abordées : le Limousin, la Bourgogne, l’Ile-de-France, le Rouergue ou encore le Berry, mettant en évidence les caractéristiques communes et les différences (granges fortifiées en Rouergue, grange sous forme de vastes halles dans le nord de la France). Ces études alliant historiens, historiens d’art et archéologues tendent à pallier les lacunes des études d’archéologie et d’archéologie du bâti sur les granges. Le problème de la conservation de ce patrimoine est également soulevé. L’exemple des granges fortifiées montre la difficulté pour 83 C. WISSENBERG, Entre Champagne et Bourgogne. Beaumont, ancienne grange de l’abbaye cistercienne de Clairvaux, Paris, Picard, 2007, p. 139. 84 M. MOUSNIER, L’abbaye de Grandselve et sa place dans la société et l’économie méridionales, XIIèmedébut XIVème siècles, thèse de doctorat sous la direction de Pierre Bonnassie, université de Toulouse Le Mirail, 1982 ; « Les granges de l’abbaye cistercienne de Grandselve (XIIème-XIVème siècles) », Annales du Midi, T 85, 1983, p.7-27 ; « Granges cisterciennes de la Gascogne toulousaine aux XIIème et XIIIème siècles. Une dynamique spatiale originale », dans L. PRESSOUYRE (dir.), L’Espace cistercien, Paris, CTHS, 1994, p. 190203 85 F. BLARY, Le domaine de Chaalis, XIIème-XVème siècles. Approches archéologiques des établissements agricoles et industriels d’une abbaye cistercienne, Paris, CTHS, 1989. 86 G. de COMMINES (dir.), « Les abbayes cisterciennes et leurs granges », Cahiers de la Ligue Urbaine et rurale, n° 109, 1990, Paris. - 49 - l’historien d’art de prendre en compte une architecture où s’interpénètre cadre religieux, civil et militaire. Ces analyses réellement enthousiasmantes témoignent de la nécessité d’étudier globalement abbatiales, bâtiments conventuels, granges, aménagements hydrauliques et bâtiments pré industriels (tuileries, fours, forges) pour une vision moins partielle du patrimoine et de l’espace cistercien. Toujours en 1990, Michel FIXOT publie un article novateur sur les porteries et la métallurgie cistercienne à travers quelques exemples méridionaux. Il livre des études archéologiques et de bâti très précises et d’autant plus essentielles que la fonction d’accueil est rarement abordée dans un cadre cistercien. Ces moines sont trop souvent considérés comme retirés du monde, ermites au « désert », et les porteries sont généralement ignorées de l’historiographie87. Quant à la métallurgie, elle connaît un regain d’intérêt suite aux travaux de Paul BENOÎT notamment et Denis CAILLEAUX88. Ce dernier publie en 1991 un article sur l’abbaye de Preuilly axé sur ses bâtiments industriels. Il en livre d’excellentes descriptions archéologiques sans tentative de synthèse ou de mise en perspective des connaissances. Il reste dans une approche monographique qui aurait toutefois mérité des comparaisons avec d’autres sites conservés89. En 1993 est créé un PCR à Paris I sur les caractéristiques de l’hydraulique cistercienne en Bourgogne, Champagne et Franche-Comté, réunissant des chercheurs comme Karine BERTHIER, Joséphine ROUILLARD et Léon PRESSOUYRE. L’UMR 8589 regroupe ces chercheurs de Paris I et ceux du CNRS sur ces questions d’hydrauliques et de technicités cisterciennes (François BLARY, Paul BENOÎT, Benoît ROUZEAU). Cette priorité donnée aux moines blancs quant à l’hydraulique et aux aménagements pré industriels tient à la richesse de la documentation largement exploitée par ces équipes de recherche. La spécificité cistercienne tiendrait d’ailleurs peut-être à la présence de bâtiments industriels utilisant l’énergie hydraulique, ce dont il faudra discuter concernant le Limousin. Il apparaît en tout cas clairement que les cisterciens sont plus des acquéreurs, de bons entrepreneurs que de réels constructeurs (acquisitions de moulins notamment)90. En 1994, Léon PRESSOUYRE dirige un ouvrage entièrement consacré à l’occupation du sol et l’économie grangère qui fait date dans l’historiographie cistercienne. De nombreux 87 M. FIXOT, « Porteries, bâtiments d’accueil et métallurgie aux abbayes de Silvacane et du Thoronet », Archéologie Médiévale, T XX, 1990, CNRS, Paris, p. 181-252. 88 P. BENOÎT, D. CAILLEAUX (dir.), Moines et métallurgie, Paris, 1991. 89 D. CAILLEAUX, « Enquête sur les bâtiments industriels cisterciens, l’exemple de Preuilly », Bulletin de la Société Nationale des Antiquaires de France, 1991, p. 151-164. 90 L. PRESSOUYRE, P. BENOIT, L’hydraulique monastique, milieux, réseaux, usages, Grône, 1995 ; K. BERTHIER, J. ROUILLARD, « Nouvelles recherches sur l’hydraulique cistercienne en Bourgogne, Champagne et Franche-Comté », Archéologie Médiévale, T 28, 1998, CNRS, Paris, p. 121-148. - 50 - articles d’historiens, d’historiens d’art et d’archéologues abordent les questions de mutations du paysage, de « construction » de l’espace par les cisterciens à travers les aménagements hydrauliques et les exploitations agricoles aux activités diversifiées. Le problème de la conservation de ces bâtiments et aménagements sans connotation religieuse est abordée et fait débat91. En 1998, deux ouvrages essentiels à notre étude sont publiés, étudiant à la fois les sanctuaires, granges et aménagements hydrauliques. Il s’agit de l’ouvrage dirigé par Bernadette BARRIÈRE sur les cisterciens dans le diocèse de Limoges et de l’ouvrage collectif sur « l’Ordre cistercien et le Berry »92. Le premier fait suite à une exposition itinérante présentant les sites cisterciens principaux à Limoges, Guéret et Brive, projet dû à l’association « Archives en Limousin ». Nombreux auteurs intervenant appartiennent au groupe de recherche fondé par Bernadette BARRIÈRE en 1983 et rattaché au CNRS, le Centre de Recherches Historiques et Archéologiques Médiévales (CRHAM), dont le thème privilégié est l’occupation du sol et les relations interrégionales dans l’espace aquitain93. Cette publication correspond en fait à un état des lieux précis des fonds d’archives conservés, des sources figurées, des faits historiques, des réalités architecturales et sculptées des vestiges conservés, ainsi que des réseaux hydrauliques encore visibles aujourd’hui ou connus grâce aux plans cadastraux. Cette étude vise donc à englober plusieurs disciplines et à se faire la plus exhaustive possible. Toutefois, chaque notice est relativement succincte (une double page par abbaye en moyenne) et ne correspond bien souvent qu’à une introduction au site méritant une analyse plus poussée. « L’Ordre cistercien et le Berry » est publié la même année et livre également un point sur les sources disponibles, l’historique des fondations, la constitution du patrimoine et le devenir des sites à l’époque moderne. Les données de l’archéologie sont moins exploitées que dans l’ouvrage dirigé par Bernadette BARRIÈRE et l’étude des réseaux hydrauliques reste à faire. De plus, certaines abbayes placées en limites diocèses, aux marges du diocèse de Limoges, telles que la Colombe, Varennes et Aubignac ne soient pas évoquées. Elles sont rejetées de la publication car situées aux confins diocésains, en marge du diocèse de Bourges. Or, les abbayes des Pierres et de Varennes ne sont par ailleurs pas prises en compte dans Moines en Limousin car en marge du diocèse de Bourges. Nous ne pouvons que constater les réticences à envisager ces abbayes marginales, mal conservées et difficiles à étudier pour l’historien et l’historien d’art face à l’indigence des sources disponibles. 91 L. PRESSOUYRE (dir.), L’Espace cistercien, Paris, CTHS, 1994. B. BARRIÈRE (dir.), Moines en Limousin, l’aventure cistercienne, PULIM, Limoges, 1998 ; « L’Ordre cistercien et le Berry », CAHB, n°136, 1998. 93 Ce groupe est remplacé aujourd’hui par le GRHAM (groupe de recherches historiques et archéologiques médiévales). 92 - 51 - La même année est également publié un ouvrage complet sur l’abbaye de Cîteaux qui, pour la première fois, ne se contente pas des données historiques bien connues sur un site si prestigieux. Il est fait état des matériaux de construction, de la mise en œuvre à la fois de l’abbatiale, des bâtiments conventuels mais aussi à vocation pré industrielle (tuilerie). Le réseau hydraulique est également étudié. Les productions artisanales comme les carreaux décorés font l’objet d’attentions particulières, qu’ils s’agissent des techniques utilisées ou des motifs. Un dépôt lapidaire est de même envisagé, ce qui est plutôt rare même dans les études archéologiques actuelles. Ces éléments extraits de leur contexte sont en effet souvent mis de côté par les archéologues et historiens de l’art face aux difficultés de datations et d’interprétations rencontrées. Cette étude est donc très complète et ne se contente pas d’une simple description des bâtiments religieux. L’ensemble des créations monastiques et des aménagements du paysage sont pris en considération94. Les mêmes constatations peuvent s’appliquer au catalogue de l’exposition tenu en 1998 à Maubuisson et qui tente cette symbiose entre histoire, histoire de l’art et archéologie95. Plus récemment, en juin 2006 se tient à Vesoul un colloque sur « Les granges cisterciennes : unité et diversité. Autour de l’exemple de la Franche-Comté », organisé par les Archives Départementales de la Haute-Saône et la DRAC de la Franche-Comté. Sur trois jours, ce colloque a réuni des historiens, historiens d’art et archéologues tels Paul BENOÎT, Benoît CHAUVIN, François BLARY ou encore Thomas COOMANS. Les communications révèlent toutefois une place prééminente de l’archéologie tandis que l’histoire de l’art fait l’objet de deux communications. Les thèmes abordés sont hétéroclites et montrent le foisonnement de la recherche actuelle. Les granges évoquées, en Franche-Comté ou dans d’autres régions, ont fait l’objet d’études de bâti précises, d’analyse sur les liants des maçonneries, de cartographie des propriétés édaphiques des sols, d’études des carrières et du réseau hydraulique nécessaire au fonctionnement de l’exploitation agricole96. Quelques mois plus tard, en septembre, se tient un colloque à Obazine en mémoire à Bernadette BARRIÈRE décédée en 2004. Les thèmes abordés sont le « Monde religieux : histoire et histoire de l’art », « L’occupation cistercienne » et « L’occupation du sol et ses 94 M. PLOUVIER, A. SAINT-DENIS, Pour une histoire monumentale de l’abbaye de Cîteaux, 1098-1998, Dijon, 1998. 95 Maubuisson à Maubuisson. Histoire et archéologie d’une abbaye cistercienne du XIIIème au XXème siècle, catalogue de l’exposition, Maubuisson, 1998. 96 Nathalie BONVALOT, « Les cisterciens et l’occupation du sol en Franche-Comté. Recherches archéologiques sur les granges : bilan et perspectives » ; Stéphane BÜTTNER, « L’étude des liants de maçonnerie des bâtiments ruraux médiévaux en Bourgogne-Franche-Comté » ; Éric LUCOT, « Intérêt de la cartographie des propriétés édaphiques des sols et leur mise en relation avec les occupations anciennes : l’exemple des granges de la Bergerie, Vars et Montverrat ». Actes du colloque à paraître dans les Annales littéraires de l’Université de Franche-Comté, série « Architecture », Presses Universitaires Franc-comtoises. - 52 - cadres de vie ». Le ton est donné : les communications regroupent historiens, historiens de l’art et archéologues autour de sujets hétéroclites mais dans la lignée des méthodologies de l’historienne. Ces principaux axes de recherche sont abordés et approfondis, montrant une certaine dynamique de la recherche actuelle en Limousin qui a toutefois encore beaucoup à faire quant à l’étude des réseaux monastiques, et particulièrement cisterciens97. En 2006 est également publié un recueil d’articles à la mémoire de l’historienne permettant de faire un point sur l’ampleur et la diversité de ses recherches98. L’historiographie nous laisse ainsi présager certaines limites de la recherche, de même que de nouvelles pistes à évaluer et à reconsidérer pour les abbayes cisterciennes du diocèse de Limoges et de ses marges. Au sein de cette historiographie prolifique, il reste toutefois à écarter quelques études érudites surannées qui tentent de perpétuer certains poncifs et hypothèses de recherche stériles, comme celle d’un plan cistercien type appliqué d’abbayes en abbayes ou d’écoles régionales battues en brèche depuis quelques années. À la lumière de colloques et ouvrages récents, des avancées sont toutefois très nettes grâce notamment à une certaine interdisciplinarité, et il paraît nécessaire pour l’étude d’abbayes cisterciennes mal conservées de mêler sources historiques, études de bâti, analyses stylistiques et résultats de l’archéologie. Le contexte historique, géographique et géo-politique est d’ailleurs le point de départ essentiel à cette étude afin de mieux connaître le paysage où s’insère les moines blancs. 97 B. VALADAS, P. ALLÉE, « Archéologie du paysage rural » ; M-F. ANDRÉ, B. PHALIP, « Regards croisés du géographe et de l’archéologue du bâti sur l’état de santé du patrimoine médiéval du Massif Central » ; C. ANDRAULT-SCHMITT, « Loin de Clairvaux : des pistes pour comprendre les filiations artistiques »… 98 B. BARRIÈRE, Limousin médiéval, le temps des créations, PULIM, Limoges, 2006. - 53 - B. Le diocèse de Limoges. Toute étude à l’échelle diocésaine se doit de débuter par une caractérisation géographique, géologique et historique de l’aire prise en compte afin de tenter de mieux cerner le paysage dans lequel évoluent les protagonistes, les évènements antérieurs pouvant expliquer et justifier les choix et attitudes des moines cisterciens des XIIème et XIIIème siècles. L’histoire du diocèse de Limoges du XIème au XIIIème siècles peut être retracée grâce aux sources conservées et à des chroniques précieuses rédigées par des clercs soucieux de consigner par écrit et de commenter les évènements de leurs temps. Ainsi, les écrits d’Adémar de CHABANNES, Bernard ITIER ou Geoffroy de VIGEOIS sont des témoignages indispensables à toute étude du diocèse de Limoges à l’époque médiévale 99. C’est vers 1030 qu’Adémar rédige en trois livres l’histoire des Francs jusqu’à la mort de Pépin (768), l’histoire de Charlemagne et son appréciation des évènements jusqu’en 1029. Geoffroy de VIGEOIS écrit sa chronique en 1183, année des guerres sanglantes entre Henri II, roi d’Angleterre et Henri le Jeune. Il est alors prieur depuis cinq ans à Vigeois. Quant à Bernard ITIER, il est moine et bibliothécaire de Saint-Martial-de-Limoges de 1203 à 1225. Ces chroniques sont des suites de notes portées dans les marges de deux manuscrits formant l’actuel ms lat 1338 de la BNF. Autant de sources précieuses à notre étude de l’histoire du diocèse et du contexte de la création artistique cistercienne aux XIIème et XIIIème siècles. Cette tentative de retracer l’histoire d’un diocèse est bien sûr indissociable d’une analyse géographique, géologique, d’une étude des paysages permettant de comprendre notamment l’occupation du sol, les irrégularités de peuplement (zones moins peuplées dans la Montagne Limousine notamment), les potentialités agricoles des sites, le choix des matériaux de construction. Cette étude doit être précédée d’une interrogation sur les frontières même du diocèse de Limoges. Il est toutefois difficile de savoir si ces limites étaient réellement perçues par les hommes aux XIIème et XIIIème siècles. Si les clercs, évêques et moines en étaient peut-être plus conscients comme le prouvent des conflits entre évêque de Limoges et archevêque de Bourges à propos des abbayes marginales aux franges berrichonnes, il est plus délicat d’imaginer l’impact sur les populations100. 99 Adémar de CHABANNES, Chronique, traduction par Yves CHAUVIN et Georges PON, Brépols, 2003 ; Bernard ITIER, Chronique, traduction J-L. LEMAITRE, Paris, Les Belles Lettres, 1998 ; F. BONNÉLYE, Chronique de Geoffroy prieur de Vigeois, Tulle, 1843. - 54 - a. Géographie et géologie. Selon Guy LINTZ, les frontières des Lémovices avec les Pétrocores, les Santons, les Pictaves et les Bituriges sont pratiquement calquées sur la limite géologique ; les Lémovices occupent approximativement le socle granitique101. Les limites des territoires ne nous semblent toutefois pas si aisées à déterminer, qu’il s’agisse de l’ancien pagus ou du diocèse de Limoges. Avec la réorganisation de la Gaule, la cité des Lémovices est englobée dans une Grande Aquitaine qui s’étendait de la Loire aux Pyrénées et aux Cévennes. À la fin du IIIème siècle, Dioclétien divise l’Empire Romain en diocèses regroupant des provinces. Ainsi, le diocèse de Viennoise comprend la province de Viennoise, la Narbonnaise Première et Seconde, la Novempopulanie, l’Aquitaine Première et Seconde, les Alpes Maritimes. Vers 363, la cité des Lémovices est rattachée à l’Aquitaine Première dont Bourges est la capitale, ce qui peut expliquer en partie les liens étroits entretenus entre le prélat limousin et l’archevêque de Bourges, particulièrement durant les XIIème et XIIIème siècles intéressants notre étude102. Le diocèse de Bourges reprend les limites de l’ancienne civitas des Bituriges Cubi. Il correspond aux départements du Cher et de l’Indre actuels, ainsi que la moitié du département de l’Allier, une partie de celui du Loir-et-Cher, une infime portion du Loiret, quelques communes de Haute-Vienne, de Creuse et du Puy-de-Dôme. À l’est, la Loire forme la limite naturelle entre ce diocèse et ceux d’Auxerre et de Nevers103. Le pagus lemovicinus semble correspondre sensiblement à l’ancien diocèse de Limoges. Celui-ci inclut les actuels départements de la Haute-Vienne104, de la Creuse et de la Corrèze ainsi que le Confolentais (département de la Charente) et le Nontronnais (département de la Dordogne). Ces limites sont celles de la formation géologique hercynienne du pays. Elles peuvent être définies par celles actuelles de la Creuse septentrionale et orientale, la Corrèze méridionale, par la limite géologique en Dordogne et en Charente à l’ouest et dans l’Indre au nord105. 100 La Colombe, située aux marges des diocèses de Bourges et de Limoges, devient l’objet de conflits en 1187 entre l’évêque de Limoges Sébrand et l’archevêque de Bourges Henri de Sully, dus en partie à l’indécision des limites des pouvoirs des deux évêques sur les frontières limousines. Les difficultés sont relatives aux droits de prélature sur le monastère à l’occasion de la nomination des abbés. Ceux-ci doivent être ainsi alternativement bénis par chacun des deux évêques. La bénédiction se fait en premier lieu par l’archevêque de Bourges du fait de sa qualité de métropolitain. Les droits à percevoir sont partagés par moitié. Les biens acquis par les religieux dépendent du diocèse sur le territoire duquel ils sont implantés. 101 G. LINTZ, Carte archéologique de la Gaule- Corrèze, Paris, 1981, p. 28. 102 J. PERRIER, Carte archéologique de la Gaule- Haute-Vienne, Paris, 1993, p. 32 ; A. CHASTAGNOL, « Le diocèse civil d’Aquitaine au Bas-Empire », BSAF, 1970, p. 272-289. 103 G. DEVAILLY, Le Berry du Xème au milieu du XIIIème siècle, Mouton, Paris, 1973, p. 62. 104 Ce département est créé en 1790 par addition de la Basse-Marche et du Haut-Limousin. J. PERRIER, op. cit, p. 29. 105 J. PERRIER, op. cit, p. 33. - 55 - Michel AUBRUN, dans son étude des paroisses de l’ancien diocèse de Limoges, s’est particulièrement attaché à déterminer ces limites diocésaines. Il insiste sur la difficulté à en définir le tracé, d’autant que ces frontières artificielles n’étaient peut-être pas réellement perçues par le peuple. Selon cet historien, « la limite est considérée sous une forme linéaire qu’elle ne pouvait avoir que dans des régions convenablement peuplées, ce qui n’est presque jamais le cas, les marches étant alors le plus souvent des bois et des marais. »106 Malgré ces réticences, il parvient toutefois à nous éclairer sur l’emplacement de ces limites diocésaines [Fig. 4]. Il nous semble important ici de citer dans son intégralité le résultat de ses recherches puisqu’il paraît difficile de proposer meilleure définition de ces frontières : « Si l’on part de l’extrême Nord-Est du diocèse, on constate que la frontière avec Bourges suit, en se dirigeant vers l’Ouest, un tracé qui correspond rigoureusement à la ligne de séparation des eaux du bassin de l’Indre et de la Petite Creuse, le diocèse de Limoges comprenant en particulier la paroisse de la Celette, attestée comme telle dès le XIème siècle. Tout près, l’église Saint-Paul était considérée comme limousine également au XIème siècle. On arrive ainsi à Aigurande en Berry et aux deux Lourdoueix, Saint-Pierre et Saint-Michel, en Limousin. La limite s’infléchit ensuite vers le sud au fur et à mesure que deviennent plus courts les affluents de la Petite Creuse, et arrive à la Grande Creuse légèrement en aval du confluent. Après avoir traversé la Sédelle et laissé Maison-Feyne à Limoges et Bazelat à Bourges, la frontière suit alors la ligne de faîte entre l’Anglin et la Benaize jusqu’au point le plus septentrional du diocèse, la paroisse de Thollet. Désormais, la direction prise est le Sud : la limite, franchissant la Benaize en amont de la Trimouille, diocèse de Poitiers, court alors en diagonale, tantôt sur le plateau, tantôt le long d’un ruisseau, tel celui d’Equilande et franchit la Gartempe en aval de Pont-Saint-Martin, après avoir laissé la Baseuge, toponyme des limites en Limousin 107. La Vienne, atteinte en amont d’Abzac, diocèse de Limoges est suivie jusqu’en aval de Manot, également à Limoges. Ensuite abandonnant cette rivière, la limite s’infléchit à l’Ouest et, jusqu’à Mazerolles au Sud, elle suit la ligne de séparation des eaux entre les affluents de la Charente naissante et ceux de la Charente de l’aval. La Tardoire est franchie en aval de Montbron, le Bandiat en aval de Javerlhac, paroisse limousine de même qu’Hautefaye. 106 M. AUBRUN, L’ancien diocèse de Limoges des origines au milieu du XIème siècle, Institut d’Études du Massif Central, Clermont-Ferrand, 1970, p. 69. 107 L’étude des toponymes-frontières fait l’objet d’une étude plus approfondie ci-après. Voir I. D. 3. Paysages, toponymie et hagiotoponymie. - 56 - C’est alors que s’amorce une curieuse avancée du diocèse de Périgueux. La frontière, séparant les eaux du Bandiat de celles de la modeste Nizonne, garde Nontron en Limousin. En fait, cette échancrure semble dictée par le réseau hydrographique et, jusqu’à Saint-Yrieix, attesté en Limousin dès le VIème siècle, la limite ne fait que suivre à peu près la ligne qui sépare le bassin de la Loire et celui de la Garonne. La frontière descend alors nettement vers le Sud en laissant Payzac et Sainte-Trie en Limousin. Elle remonte ensuite le cours de la Vézère, laissant Terrasson en Périgord, et Larche en Limousin, contourne les paroisses limousines d’Estivals, Turenne et la Chapelleaux-Saints pour atteindre la Dordogne à Liourdes. Elle la quitte aussitôt pour s’engager dans la vallée de la Cère, prenant désormais la direction de l’Est. Elle s’en éloigne au Sud de Goulle pour emprunter plus au nord la vallée de la Maronne qu’elle remonte jusqu’au Sud de Saint-Julien-aux-Bois. Elle prend ensuite résolument la direction du Nord qu’elle ne quittera désormais plus. Laissant Pleaux en Auvergne, la frontière retrouve la Dordogne au Sud de Soursac qu’elle va suivre vers l’amont jusqu’à Confolens-Port-Dieu. Là, elle s’engage dans la vallée du Chavanon, puis de la Ramade, laissant au diocèse de Limoges, Eygurande et MonestierMerlines. Jusqu’à Auzance, la limite suit alors la ligne de séparation des eaux de la Tardes et du Cher d’une part et celle du Sioulet de l’autre, laissant à Limoges Bellegarde-en-Marche et Auzance. C’est ensuite le Cher qui sert de frontière jusqu’à son confluent avec la Tardes où se trouve une chapelle dédiée à Sainte-Radegonde. Enfin, au hasard des limites du bassin de la Vouèze et de la Petite-Creuse à l’Ouest et du Cher à l’Est, la limite entre les deux diocèses de Bourges et de Limoges rejoint le point de départ que l’on s’était assigné. »108 Ces limites étant fixées, nous pouvons dès lors tenter de mieux cerner les principales caractéristiques morphologiques des paysages constituant ce diocèse109. Le nord-est correspond à la Haute-Marche (approximativement département de la Creuse actuelle) s’inscrivant dans un socle hercynien irrigué de nombreux cours d’eau [Fig. 5] 110. Elle se compose des derniers contreforts du Massif Central et présente des plateaux de moyenne altitude culminant de 300 à 500 mètres. Les terrains sont cristallins, les sols légers et acides. 108 M. AUBRUN, op. cit, p. 69-72. Les paysages particuliers à chaque abbaye cistercienne seront étudiés précisément par la suite. Voir I. D. 3. Paysages, toponymie et hagiotoponymie. 110 J. M. DESBORDES, « Sitologie des structures agricoles gallo-romaines : l’exemple de la Haute-Marche », MSSNAC, T XI, 1980, p. 503-510. 109 - 57 - Les schistes, micaschistes et gneiss, à l’inverse des formations granitiques, se prêtent mal à la taille à cause de leur structure feuilletée. Les limites nord-ouest de l’ancien diocèse de Limoges forment une frontière géologique avec les pays calcaires du pourtour tel le Berry, le Poitou et l’Angoumois111. Le Boischaut englobant le sud de l’actuel département de l’Indre et le sud du département du Cher présente les mêmes sols cristallins et métamorphiques [Fig. 6]. Cette dépression périphérique borde le Massif Central. Elle se constitue essentiellement de bocages, de pâturages et de landes à genêts ou à fougères. Au sud-ouest, dans l’Indre, le Boischaut rejoint la Brenne dont les paysages, longtemps voués aux bois et aux friches se caractérisent par une multitude d’étangs, de landes et de buttons112. La « Brenne de Bélâbre » n’est guère qu’à quelques kilomètres au nord de la frontière du diocèse de Limoges. Le grès argileux en constitue le substrat géologique. Le nord-ouest du diocèse de Limoges, actuel département de la Haute-Vienne, correspond à la partie occidentale du Massif Central [Fig. 7]. Il se compose de reliefs bosselés, d’un important réseau hydrographique et de nombreux plateaux. Les roches y sont là encore anciennes comme en témoigne la forte présence de granite, schiste, gneiss et micaschiste. Le climat y est relativement humide, les terrains imperméables. Un quart du territoire est encore boisé aujourd’hui113. La frontière nord-occidentale du diocèse de Limoges est en contact avec l’ancien diocèse d’Angoulême, correspondant aujourd’hui à la plus grande partie du département de la Charente [Fig. 8]. Ce dernier s’appuie en effet sur les contreforts cristallins de la bordure ouest du Massif Central. Le nord-est appartient très tôt aux Lémovices (Confolentais), tandis que l’ouest dépend de Mediolanum (Saintes) et le Ruffecois à Lemonum (Poitiers). Ce sont majoritairement les terrains géologiques secondaires qui sont privilégiés par l’homme tels les plateaux calcaires de l’Angoumois ou le Cognaçais. La présence encore importante de zones boisées s’explique par les contraintes pédologiques114. Au sud-ouest, le diocèse de Limoges rencontre le diocèse de Périgueux, correspondant globalement au département actuel de la Dordogne [Fig. 9]. La cité Lémovice empiétait en Nontronnais. Suite à la christianisation, la majorité des paroisses du Nontronnais relevait du diocèse de Limoges, ainsi que la frange orientale des cantons de Lanouaille, Excideuil et 111 J. M. DESBORDES, L’archéologie du paysage rural en Limousin, Limoges, 1997, p.8. G. COULON, J. HOLMGREN, Carte archéologique de la Gaule, Indre, Paris, 1992, p. 31 ; D. DUSSOT, Carte archéologique de la Gaule, Creuse, Paris, 1989, p. 29-41 ; J. F. CHEVROT, J. TROADEC, Carte archéologique de la Gaule, Cher, Paris, p. 27-30. 113 J. PERRIER, op. cit, p. 29. 114 C. VERNOU, Carte archéologique de la Gaule. La Charente, Paris, 1993, p. 24-26. 112 - 58 - Hautefort où s’implantent les moines de Dalon. Elles correspondent ainsi aux marges limousines du Massif Central. Les environs de Saint-Pardoux-La-Rivière, Hautefort et Excideuil témoignent de reliefs karstiques et granitiques. Dalon est située à la limite du horst cristallin et du bassin sédimentaire aquitain. Il s’agit d’une région de transition entre le Limousin et l’Aquitaine115. Les paysages à l’est d’une ligne Nontron/Excideuil ont pris le nom de « Périgord Vert ». Le modelé des reliefs y est peu accentué, couvert de châtaigniers. Les vallées sont étroites et encaissées. À l’est il rejoint la bordure du Bassin de Brive entre Vézère et Auvézère116. Le sud du diocèse de Limoges s’apparente à l’actuel département de la Corrèze [Fig. 10]. Le relief s’abaisse rapidement vers le Bassin Aquitain. Il comprend la Montagne Limousine, à savoir le plateau de Millevaches et de Massif des Monédières (700m), le plateau corrézien (600m) et le Bas Pays (pénéplaine entaillée de vallées profondes). Géologiquement parlant, le département est partagé en deux suivant une ligne nord/sud. À l’est, il s’agit de granite, schiste, micaschiste et gneiss. À l’ouest, des micaschistes, gneiss, grès et calcaires au sud117. Les paysages du diocèse de Limoges paraissent ainsi relativement boisés, irrigués de nombreux cours d’eau et présentent une relative homogénéité géologique. Les roches métamorphiques sont incontestablement les plus présentes, tels les granites, gneiss et schiste. Les terres calcaires n’apparaissent guère qu’au sud de la Corrèze et à l’ouest de la Charente. Cette unité relative des paysages aura vraisemblablement une incidence sur le comportement des moines cisterciens (agriculture, matériaux et techniques de construction). C’est ce dont nous devrons discuter dans la suite de notre étude. Les cadres historiques et politiques sont également incontournables à toute étude à l’échelle d’un diocèse. 115 M-C. PEYRAT, L’abbaye de Dalon et son environnement aux XIIème-XIIIème siècles, mémoire de maîtrise d’histoire médiévale, dir. B. BARRIÈRE et J. VERDON, 1990, T I, p. 12. 116 H. GAILLARD, Carte archéologique de la Gaule. La Dordogne, Paris, 1997, p. 44. 117 G. LINTZ, op. cit, p. 19. - 59 - b. Le diocèse de Limoges, espace intégré à l’Aquitaine ducale (XIème-XIIème siècle). Afin de mieux percevoir le contexte social, religieux et politique dans lequel les moines blancs vont devoir évoluer, il semble essentiel de préciser l’histoire du diocèse de Limoges, qu’il s’agisse du cadre paroissial, épiscopal ou des réseaux aristocratiques. Les cisterciens apparaissant au cœur des conflits entre Plantagenêts et Capétiens, il convient de discerner tout particulièrement les origines et les grandes phases de ces dissensions. Nous devons pour cela évoquer la royauté autour de l’an Mil et l’histoire des premiers rois Capétiens. Dès 853, Robert le Fort est chargé de la marche de Neustrie comprenant l’Anjou et le Maine, face à la poussée bretonne puis aux envahisseurs normands. En 855, Charles est oint roi de France, d’Aquitaine et de Bourgogne à Limoges, dans la basilique du Sauveur. Cette consécration laisse présager l’importance réelle de la cité limousine dans la Grande Aquitaine dans laquelle elle est insérée depuis le IVème siècle 118. En 886, Eudes, comte de Paris, est chargé du comté de Tours et d’Angers. Il est élu roi en 888. En 898, Charles le Simple devient roi à son tour. Dès 927, les comtes de Poitiers héritent du comté de Limoges. Ceux-ci sont, autour de l’an Mil, à la tête d’une principauté qui va des abords de la Loire jusqu’à la Gironde, comprend les confins de l’Auvergne, le Poitou, le Berry Méridional, le Limousin, la Saintonge, l’Angoumois et enfin le Périgord. Leur influence est ainsi réellement considérable en Aquitaine. En 929, Foulque Ier le Roux devient comte d’Anjou. Le début du XIème siècle est également dominé par la personnalité du duc d’Aquitaine Guillaume Le Grand et le comte d’Angoulême, Guillaume IV119. Quant à Foulques Nerra (987-1040), il peut être considéré comme le fondateur de cet État angevin qui sera celui de ses descendants Plantagenêts. Il élève quantité de châteaux pour protéger ses frontières tels Montbazon ou Montreuil-Bellay (vers 1030)120. Les rapports entre les princes aquitains et l’Église sont étroits, notamment dans la seconde moitié du XIème siècle. En effet, Gui-Geoffroy (1056-1087) continue la politique de son beau-père, le comte d’Anjou Geoffroy Martel en dotant largement ses propres fondations monastiques, en Saintonge notamment. Il soutient la réforme amorcée en Aquitaine par Hugues de Semur, abbé de Cluny en lui offrant Montierneuf de Poitiers en 1076 et Sainte118 Adémar de CHABANNES, Chronique, traduction par Yves CHAUVIN et Georges PON, Brépols, 2003, p. 217. 119 Adémar de CHABANNES, op. cit, p. 8. 120 R-H. BAUTIER, « Les Plantagenêts et le roi de France », dans L’œuvre de Limoges. Art et histoire au temps des Plantagenêts, Actes du colloque, musée du Louvre, 1995, Paris, 1998, p. 109-122. - 60 - Eutrope de Saintes en 1081. L’abbé avait profité de son passage en Aquitaine pour réformer certaines abbayes comme Maillezais et Saint-Jean-d’Angély en 1060, Saint-Martial de Limoges en 1063 ou encore Saint-Maixent en 1069121. En 1058, les comtes de Poitiers acquièrent Bordeaux et le duché de Gascogne. Au XIème siècle, le Limousin éclate en seigneuries vassales du duc. On compte dès lors six sièges de vicomtés : Limoges, Comborn, Turenne, Ventadour, Rochechouart et Aubusson. Il comprend également le Comté de la Marche avec Charroux. Les vicomtes de Limoges apparaissent dans le dernier quart du IXème siècle. Ils sont issus d’Hildebert, vassal royal de Charles le Chauve et prêtent hommage aux comtes de Poitiers 122. Leur territoire se confond approximativement avec le diocèse (hors comté de la Marche). Dès leur entrée en scène à Limoges, des tensions naissent avec les abbés de Saint-Martial, contentieux lié à l’exercice de la puissance publique sur la ville. Le siège primitif du pouvoir vicomtal pourrait être une motte castrale dès l’origine, établie en même temps que l’édification d’une enceinte urbaine par les abbés, englobant le quartier des Combes et celui de Saint-Michel-des-Lions123. Au Xème siècle, le territoire s’émiette avec l’apparition du Comté de la Marche. D’après Michel ROUCHE, ce comté existe déjà en germe au VIIIème siècle. En effet, en 766, Pépin le Bref crée une marche au sud du Berry où il installe Remistan, oncle du prince d’Aquitaine. Cette zone de défense est dominée par la forteresse d’Argenton-sur-Creuse. Il s’agit d’une marche provisoire en attendant l’occupation finale de toute la province par les Francs. Néanmoins, Remistan trahit la couronne pour se mettre au service de son neveu 124. Cette région est érigée en comté indépendant au Xème siècle au profit de Boson le Vieux, vassal du Poitou. Il s’agit d’une marche militaire du Limousin et du Poitou contre les invasions normandes et les terres royales du Berry. Malval et Crozant servent alors de sentinelles avancées125. Les vicomtes de Turenne, Ventadour, Comborn, Aubusson et le comte de la Marche apparaissent rétifs à toute autorité royale ou féodale. Les vicomtes de Turenne et le comte de la Marche frappent même monnaie, ce qui atteste de leur volonté d’indépendance et d’autonomie. Au XIIème siècle, la seigneurie de Bridiers est récupérée par les vicomtes berrichons de Brosse tandis que la seigneurie de Chambon-Combrailles passe aux mains des 121 A. DEBORD, Aristocratie et pouvoir. Le rôle du château dans la France Médiévale, Paris, Picard, 2000, p. 131. 122 A. DEBORD, op. cit, p. 46. 123 D. DELHOUME, « les vicomtes de Limoges et l’abbaye : difficultés et enjeux d’un pouvoir urbain (XèmeXIVème siècles) », dans C. ANDRAULT-SCHMITT (dir.), Saint-Martial de Limoges. Ambition politique et production culturelle (Xème-XIIIème siècles), PULIM, Limoges, 2006, p. 71-86. 124 M. ROUCHE, L’Aquitaine des Wisigoths aux Arabes (418-781), Lille, 1977, T I, p. 117. 125 Le Limousin entre France et Angleterre, XIIème-XVème siècles, Archives Départementales, Conseil Général de la Haute-Vienne, Limoges, 1999, p. 27. - 61 - comtes d’Auvergne. Au XIIIème siècle, le Comté de la Marche est détenu par les poitevins Lusignans [Fig. 70]. Ces vicomtés s’appuient sur un maillage dense de châteaux au but militaire et administratif [Fig. 75]. Selon André DEBORD, « Les détenteurs des terres assurent un contrôle social plus direct en se dotant de l’instrument de leur domination, le château »126. Ainsi, les pauperes, hommes libres les plus démunis, subissent le poids des coutumes imposés par le ban châtelain tandis que les milites, petite aristocratie rurale, sont des vassaux dont la résistance au ban a contribué à créer une classe de guerrier. Les vicomtes tentent par ailleurs de s’affranchir peu à peu d’une tutelle ecclésiastique pesante. L’évêque de Limoges est en effet un des seigneurs les plus stables et les plus influents du diocèse. Son alliance est pour cela tout particulièrement recherchée des rois de France. Le diocèse de Limoges est rattaché à la province de Bourges et non à celle de Bordeaux. Il échappe ainsi quelque peu au duché d’Aquitaine et peut conserver une certaine autonomie. Limoges est en position charnière de ces deux provinces, ce qui encourage les liens avec l’ouest mais aussi le nord et les territoires capétiens. Une des autres grandes puissances du diocèse de Limoges, au XIème siècle notamment, est l’abbaye Saint-Martial. Selon Geoffroy de VIGEOIS, la basilique du Sauveur de Limoges est consacrée le 17 décembre 1028. Elle est incendiée à peine trente ans plus tard, en 1053. Dix ans après, les moines de Cluny s’en emparent à l’instigation de Pierre d’Escausarie127. Elle est de nouveau consacrée par Urbain II en 1095. Les querelles sont d’ailleurs fréquentes entre les évêques de Limoges et les puissants abbés. Un des enjeux de la concurrence est « d’assurer le respect des droits et la sécurité des uns et des autres », ne pouvant se faire qu’avec l’aval et le soutien de l’aristocratie. Dans la seconde moitié du XIème siècle, l’évêque de Limoges est lui-même étroitement lié à la noblesse, à la tête d’un important patrimoine foncier. Sa position temporelle est ainsi non négligeable, et il reçoit pour cela les hommages du comte de la Marche, des vicomtes de Ventadour, Turenne, Comborn, Rochechouart, Brosse. La donne change en 1063 lors de l’affiliation de Saint-Martial à Cluny. Selon Myriam SORIA AUDEBERT, elle permet la 126 127 A. DEBORD, op. cit, p. 127. F. BONNÉLYE, Chronique de Geoffroy prieur de Vigeois, Tulle, 1843, p. 27. - 62 - libération de l’abbaye des empiètements du vicomte et ouvre la voie à la réforme monastique dans le diocèse de Limoges. La volonté des abbés est alors de contrôler les élections épiscopales afin d’évincer et d’écarter l’aristocratie limousine. En 1097, c’est d’ailleurs un prieur de Saint-Martial, Guillaume d’Huriel, qui devient évêque128. Quant aux moines cisterciens, ils sont évoqués par les différents chroniqueurs limousins contemporains. Bernard ITIER signale la naissance de l’ordre en 1096, avec une erreur de deux années. En 1170, il nous apprend que Garin, nouvel archevêque de Bourges, était auparavant abbé de Pontigny. Les moines blancs accèdent ainsi aux plus hautes responsabilités, malgré leur volonté apparente de retrait des affaires du siècle 129. En 1210, il cite douze abbayes cisterciennes en Berry, deux seulement en Limousin au lieu de dix et quatre en Périgord au lieu de trois130. Quant à Geoffroy de Vigeois, il écrit : « Les moines de Cîteaux, il est vrai, font beaucoup d’aumônes de leur travail ; ils chantent régulièrement les psaumes et observent plusieurs pratiques de piété. Cependant, ils enlèvent, par la ruse et la violence, les propriétés des autres. Ainsi, ceux d’Obasine ont usurpé une terre à ceux de Vigeois ; ceux de Dalon ont enlevé les dîmes de Salom, qui appartiennent au prieur d’Arnac. Ils détruisent indignement les noms et les légendes des saints dont les reliques reposent même dans le diocèse, au point que ceux de Pontigny ont effacé du collectaire les noms de sainte Valérie, de saint Yrieix et de saint Pardoux »131. Ses écrits nous apprennent ainsi de quelle manière les moines blancs pouvaient être perçus par leurs contemporains. Hommes rusés, sournois, voleurs, cette vision est bien négative mais reste à prendre avec précaution : les clercs de Vigeois sont entrés plusieurs fois 128 M. SORIA AUDEBERT, « Les évêques de Limoges face aux abbés : la question du soutien nobiliaire (milieu XIème-fin XIIème siècles) », dans C. ANDRAULT-SCHMITT (dir.), Saint-Martial de Limoges. Ambition politique et production culturelle (Xème-XIIIème siècles), PULIM, Limoges, 2006, p. 101-113. 129 B. ITIER, op. cit, p. 23. 130 B. ITIER, op. cit, p. 38. 131 F. BONNÉLYE, op. cit, p. 145. - 63 - en conflit avec les moines d’Obazine. Geoffroy de VIGEOIS prêche peut-être simplement pour sa paroisse. Ainsi, à l’aube des conflits entre Plantagenêts et Capétiens, l’évêque de Limoges fait partie des puissances incontournables du diocèse. La basilique du Sauveur est influente, les moines de Cluny rayonnent, tandis que les nombreuses seigneuries turbulentes et belliqueuses laissent présager les difficultés à venir quant à l’affirmation d’une quelconque autorité royale dans le diocèse. Région ouverte sur l’ouest et le nord de la France, marge septentrionale de l’Aquitaine, la position charnière du diocèse va en faire une place stratégique, attirant les convoitises royales, et par là même les conflits les plus violents. c. Le pouvoir royal. Le diocèse de Limoges entre Capétiens et Plantagenêts (11561259). Selon Richard LANDES, il existerait une tradition aquitaine « hostile et méprisante aux Capétiens », sensible notamment au sud de l’Angoumois où les seigneurs se proclament descendants de Vulgrin et se montrent rétifs à toute autorité extérieure. En 987, lorsque Hugues Capet est élevé à la Royauté, Guillaume, duc d’Aquitaine, refuse de s’y soumettre 132. La reconnaissance de Robert Le Pieux paraît néanmoins plus aisée, surtout dans le Midi de la France. Ce qui n’empêche pas la révolte d’Aldebert, comte de la Marche, contre le roi capétien entre 994 et 997133. Les premiers Capétiens ne manquent toutefois pas d’atouts pour se faire respecter en tant que souverains : le caractère sacré de leur royauté, une certaine continuité dynastique sont des avantages considérables. Ils vont s’attacher la personnalité de Charlemagne tandis qu’à des fins de propagande idéologique, les Plantagenêts récupèrent la personnalité mythique d’Arthur. Les rois anglais se doivent en effet de légitimer leur dynastie et l’accès au trône d’Angleterre par l’assimilation à la descendance des prestigieux rois Bretons134. Les Capétiens ont quant à eux une bonne réputation dans les milieux cléricaux. Pour Richard LANDES, une tradition orale, laïque est plutôt anticapétienne. À l’inverse, une tradition ecclésiastique, réfléchie, littéraire est plutôt pro capétienne135. Qu’en est-il toutefois concernant le diocèse de Limoges et comment les seigneurs laïcs et ecclésiastiques réagissent-ils entre Plantagenêts et 132 A. DE CHABANNES, op. cit, p. 233. A. DE CHABANNES, op. cit, p. 234. 134 A. CHAUOU, « Arturus redivivus : royauté arthurienne et monarchie politique à la cour Plantagenêt (11541199) » dans M. AURELL (dir.), Noblesses de l’espace Plantagenêt (1154-1224), Table ronde tenue à Poitiers le 13 mai 2000, Poitiers, 2001, p. 67-78. 133 - 64 - Capétiens ? Avant d’approfondir ces rapports entre rois, évêques et seigneurs, quelles sont principales étapes des conflits entre les deux royautés aux XIIème et XIIIème siècles en Limousin ? Ces précisions historiques et chronologiques semblent la base à toute étude du diocèse de Limoges, tiraillé entre Plantagenêts et Capétiens. Dans les années 1130, Geoffroy Plantagenêt impose son pouvoir à ses barons de l’Anjou, du Maine et de Touraine. La présence anglaise est tangible dans certaines régions aquitaines. Dès 1136, il entreprend la conquête de la Normandie et s’attribue le titre ducal 136. Vers 1137, le diocèse de Limoges commence à susciter l’intérêt de Louis VII. À partir de l’année 1149, Henri Plantagenêt prend le titre de duc de Normandie et de comte d’Anjou. Son rayonnement commence à s’étendre sur une grande moitié ouest du territoire français. En 1152, les Plantagenêts aussi focalisent leur attention sur le diocèse en position stratégique, frontière nord-est de l’Aquitaine, marge entre domaine royal et aquitain. À cette date, Henri II impose deux tuteurs de son choix au jeune vicomte de Limoges, Adémar V. Il le marie d’ailleurs à Sarah de Cornouailles. Sa mainmise dans les affaires et institutions limousines est palpable. En 1154, le mariage d’Henri II et Aliénor d’Aquitaine est évoqué dans la Chronique de Geoffroy de VIGEOIS. Henri se fait couronner roi à Westminster. Il est alors maître d’un domaine qui s’étend sur tout l’ouest de la France, des Pyrénées au nord de l’embouchure de la Seine, englobant avec l’Aquitaine une large partie des comtés de la Loire moyenne, ainsi que la Normandie et l’Angleterre. Sur ces deux derniers territoires, le roi exerce un patronage direct sur les évêchés, les chapitres et chapellenies, tandis qu’en Anjou et Aquitaine, le choix des prélats reste plus libre. Les rois anglais couvrent les terres conquises de châteaux à double vocation résidentielle et militaire, témoignant symboliquement de l’établissement d’une monarchie guerrière et de la difficulté à gouverner un territoire souvent en révolte137. C’est surtout à partir de 1167 que la présence d’Henri II et de ses fils est plus tangible138. En 1171, Richard Cœur de Lion pose la première pierre du monastère SaintAugustin de Limoges. En 1172, il devient comte de Poitou et reçoit à Poitiers la lance sacrée et l’étendard du duché139. La même année, il est intronisé à Limoges en tant que duc 135 R. LANDES, « L’accession des Capétiens. Une reconsidération selon les sources aquitaines. », Religion et culture autour de l’an Mil. Royaume capétien et Lotharingie, Actes du colloque Hugues Capet 987-1987, La France de l’an Mil, Picard, 1990, p. 151-166. 136 R-H. BAUTIER, op. cit., p. 109-122 137 M. AURELL, L’Empire des Plantagenêt, Perrin, Paris, 2004, p. 43. 138 B. BARRIÈRE, « Le Limousin et Limoges au temps de l’émail champlevé », dans E. TABURETDELAHAYE, B. DRAKE-BOEHM (dir.), L’œuvre de Limoges : émaux limousins du Moyen-Âge, exposition, Paris, Musée du Louvre, New-York, Metropolitain museum of art, 1996, Paris RMN, 1995, p. 22-29. 139 Richard Cœur de Lion, roi d’Angleterre, duc de Normandie, 1157-1199, Actes du colloque international de Caen, 1999, Condé-sur-Noireau, 2004, p. 13. - 65 - d’Aquitaine. Cette intronisation a fait l’objet d’un cérémonial particulier visant à affermir la légitimité des rois anglais et à les ancrer plus fortement en Aquitaine, et tout particulièrement en Limousin. Au début du XIIIème siècle, Hélie de l’Aumônerie rédige le cérémonial pour le couronnement des ducs d’Aquitaine. L’abbé ARBELLOT précise que de Charles Le Chauve à Richard-Cœur-de-Lion, cinq rois ou ducs d’Aquitaine ont été ainsi couronnés à Limoges. Cette affirmation s’avère toutefois erronée, seul Richard a bénéficié de cette cérémonie 140. Elle se déroule de la manière suivante : le duc et sa suite s’arrêtent devant les portes de la cathédrale de Limoges. L’évêque et le chapitre s’avancent et revêtent le duc d’un manteau de soie. Puis le prélat lui passe au doigt l’anneau de sainte Valérie, martyr célébrée à Chambon notamment, très appréciée en Limousin, pose un cercle d’or sur sa tête et lui présente la bannière. Il paraît probable que cet anneau ait été inventé de toute pièce puisque nous n’avons aucune trace auparavant d’une telle relique en Limousin. Par la suite, il n’apparaîtra plus dans aucune cérémonie et disparaît aussi promptement qu’il a été introduit. Ensuite, une épée est remise au prélat qui la place dans la main du duc. Ce dernier prête serment de respecter et défendre les droits de l’église de Limoges. Le doyen lui chausse les éperons, le chantre le fait asseoir dans la stalle du doyen. Les seigneurs de sa suite se placent à ses côtés. Enfin, l’évêque célèbre la messe141. Cette mise en scène témoigne bien de l’importance grandissante de Limoges pour les territoires aquitains et les rois anglais ne négligèrent pas cet atout, inventant de toute pièce un cérémonial ayant pour but de légitimer leur présence et leur autorité, recourant à une martyr aimée des limousins pour appuyer leur royauté et justifier leurs prétentions sur les territoires des pays d’Ouest. Henri II va chercher de plus à placer ses hommes sur les sièges épiscopaux d’Aquitaine, ce qui est particulièrement flagrant pour le diocèse de Limoges en 1177. C’est aussi à cette date que le roi rachète le comté de la Marche. La période de troubles entre 1174 et 1178 se ressent pour certains sites monastiques tel Obazine et ses granges qui sont murées et protégées142. Louis VII encourage en effet les révoltes des vassaux d’Henri II, notamment le vicomte de Thouars. Les conflits avec les vicomtes de Limoges, les comtes de la Marche et d’Angoulême, les vicomtes de Turenne et de Comborn sont incessants. 140 J. ARBELLOT, « Cérémonial du couronnement des ducs d’Aquitaine à Saint-Martial », BSAHL, T 39, 1892, p. 725-726 ; B. BARRIÈRE, « L’anneau de Valérie, mythe ou réalité ? » dans l’ouvrage collectif, Valérie et Thomas Becket. De l’influence des princes Plantagenêt dans l’œuvre de Limoges, Limoges, 1999. 141 J. ARBELLOT, op. cit, p. 725-726. 142 B. BARRIÈRE, L’abbaye cistercienne d’Obazine en Bas-Limousin, les origines- le patrimoine, Tulle, 1977, p. 29. Nous n’avons toutefois aucun vestige tangible de ces fortifications et protections établies dans la seconde moitié du XIIème siècle. - 66 - En 1180, c’est l’avènement de Philippe-Auguste qui va rapidement reprendre en main son royaume et empiéter peu à peu sur les territoires anglais. Pour André DEBORD, face aux pressions anglaises, les seigneurs et vicomtes ont semblé préférer l’alternative capétienne. « En Aquitaine, après les révoltes contre Henri II, les châtelains ont dû se soumettre : ils n’ont récupéré leurs alleux qu’en les reprenant en fief du duc d’Aquitaine et, pour tenter de résister aux Plantagenêts, ils ont eux-mêmes joué la carte de la vassalité en se tournant vers le roi de France». C’est ainsi que dès 1181, Guillaume Taillefer, comte d’Angoulême, reconnaît Philippe-Auguste comme son seigneur, de même en 1194 pour Adémar et Geoffroi de Rancon143. Dès 1187, le roi capétien s’empare de diverses places en Berry comme Graçay et Issoudun et d’une partie de l’Auvergne. Le Berry sert en effet de tampon entre le domaine royal de la vallée de la Loire et les fiefs angevins au sud. En 1189, Henri II renonce à sa suzeraineté en faveur des Capétiens. Philippe-Auguste peut ainsi imposer son autorité féodale. En 1190, à la veille de la Croisade, Philippe-Auguste prend treize abbayes cisterciennes sous sa protection. Il marche ainsi dans les pas de Louis VII concernant ses rapports avec les bourgeois et les ecclésiastiques144. Le Traité de Gaillon est enfin signé entre Philippe et Richard en 1196. Richard renonce à l’Auvergne mais obtient Issoudun et Graçay, les fiefs de la Châtre, de Saint-Chartier et du Châtelet, le fief de Châteaumeillant comme Eudes de Déols le tenait du roi de France. Le vicomte de Brosse et le comte d’Angoulême récupèrent leurs terres. Bernard III de Brosse fait alors serment d’allégeance à Philippe-Auguste 145. Les Plantagenêts enchaînent les déboires et malchances en cette fin de XIIème siècle. En 1199, Richard-Cœur-de-Lion est tué à Châlus. Aliénor prête bientôt hommage à Philippe-Auguste pour le Poitou. Au début du XIIIème siècle, l’autorité du roi de France se fait de plus en plus présente. En 1200, le Traité de Goulet est signé entre Philippe-Auguste et Jean-Sans-Terre. Philippe y renouvelle ses alliances avec Adémar, vicomte de Limoges et Adémar comte d’Angoulême. Isabelle, fille d’Adémar d’Angoulême est fiancée à Hugues de Lusignan, comte de la Marche. Jean s’en empare et l’épouse pour gagner la fidélité d’une baronnie indisciplinée. En 1201, il envahit le Comté de la Marche. Entre 1202 et 1206, la roue semble tourner de manière ostensible en faveur des Capétiens. Le roi récupère en effet toutes les possessions anglaises excepté la Guyenne. En novembre 1204, Philippe-Auguste reçoit l’hommage de l’évêque de 143 A. DEBORD, op. cit, p. 199. J. W. BALDWIN, Philippe Auguste et son gouvernement. Les fondations du pouvoir royal en France au Moyen-Âge, Fayard, 1991, p. 106. 145 Eudes de Déols est le second fils d’Ebbe II (1141-1160). G. DÉSIRÉ DIT GOSSET, E. ROUSSEAU, « Le traité de Gaillon (1196) : édition critique et traduction », dans Richard Cœur de Lion, roi d’Angleterre, duc de Normandie, 1157-1199, Actes du colloque international de Caen, 1999, Condé-sur-Noireau, 2004, p. 67-74. 144 - 67 - Limoges qui était harcelé par le roi Jean. Le Capétien prend dès lors le siège épiscopal sous sa protection146. La même année, la prise de Château-Gaillard, forteresse des Plantagenêts marque l’effondrement progressif de leur royaume. Entre 1206 et 1212, une période d’accalmie semble s’établir. La Champagne, la Bretagne et la Lorraine acceptent la domination capétienne sans trop de heurts. Boulogne et la Flandre se joignent toutefois aux anglais147. Vers les années 1215, Jean-Sans-Terre fait sentir de plus en plus sa présence en Angoumois, Limousin et Saintonge. Il gagne la confiance des vicomtes de Limoges et des Lusignans. Il offre sa fille Jeanne à Hugues, comte de la Marche 148. En 1224, Bernard ITIER écrit : « Le roi Louis, la première année de son règne, entreprit de ramener à lui tout le duché d’Aquitaine, et il eut avec lui le comte d’Angoulême et de la Marche, le vicomte de Limoges et celui de Turenne »149. À partir de cette date en effet, les hommages se multiplient. Il s’agit d’hommages lige, étroite allégeance jusque là inconnue des châtelains. Ils doivent prêter serment d’aider le prince contre d’éventuels châtelains infidèles et traîtres à leur roi. Les Capétiens opèrent ainsi peu à peu une véritable « territorialisation » de l’autorité du prince150. En 1259, le Traité de Paris permet une redistribution des terres. Henri III renonce à la Normandie, le Maine, la Touraine et le Poitou tandis que la Guyenne, le diocèse de Périgueux, de Cahors et de Limoges lui sont restitués. Pour ces terres, il doit néanmoins faire hommage au roi de France151. La cité de Limoges reste de plus aux Capétiens, alors même que le Château Saint Martial redevient anglais. Si l’abbaye semble s’en accommoder, les vicomtes acceptent mal ce joug. Une guerre se déclenche de 1260 à 1276 qui voit la victoire de la vicomté avec l’appui du roi de France152. Si nous nous attachons à présent plus précisément aux réactions des principaux protagonistes pris entre rois anglais et français, elles paraissent bien hétérogènes. Les vicomtés du diocèse de Limoges vont réagir différemment face à la tentative de mainmise des 146 J. W. BALDWIN, op. cit., p. 397. J. W. BALDWIN, op. cit, p. 256. 148 J. W. BALDWIN, op. cit., p. 276. 149 B. ITIER, op. cit, p. 70. 150 A. DEBORD, op. cit, p. 199. 151 Le Limousin…, op. cit, p. 49. 152 B. BARRIÈRE, « Le Limousin et Limoges… », op. cit, p. 22-29. 147 - 68 - Plantagenêts et aux prétentions montantes des Capétiens, et bien souvent ces seigneurs seront utilisés par les rois de France pour saper l’autorité des souverains anglais153. Martin AURELL cerne avec perspicacité les jeux politiques menés par l’aristocratie limousine : « En Aquitaine, les véritables acteurs sociaux restent les comtes, vicomtes, châtelains, barons et chevaliers, dont les seigneuries et le savoir-faire militaire assurent leur suprématie au sommet de la hiérarchie du pouvoir. Cette aristocratie a vite fait de comprendre que tout son intérêt est de demeurer sous la domination d’une dynastie étrangère et éloignée, plutôt que de voir sa marge d’autonomie se rétrécir comme une peau de chagrin face à l’administration française conquérante. Elle a saisi que le conflit entre les Plantagenêts et les Capétiens méritait d’être entretenu par ses revirements, infidélités et trahisons qui empêcheraient à l’une des deux dynasties de l’emporter définitivement pour s’imposer de façon durable et forte en Aquitaine, libre de toute autre concurrence royale. »154 Dès 1168, Audebert, comte de la Marche et Guillaume d’Angoulême se soulèvent contre le roi d’Angleterre et ouvrent le bal à une série de rébellions qui va bouleverser le diocèse de Limoges pendant un siècle155. Les vicomtes de Limoges sont la plus puissante autorité laïque dont la fidélité aux rois de France ne faillira guère. Aymard V (1148-1199) notamment est au cœur de toutes les coalitions contre Richard-Cœur-de-Lion (particulièrement en 1174). En représailles, Richard fait démanteler les murailles du Château. Les vicomtes de Limoges prendront par la suite le parti d’Henri le Jeune. Ils paraissent ainsi réellement prêts à toutes les trahisons et versatilités pour tirer meilleur parti d’une situation conflictuelle. En 1198, Richard punit les vicomtes de Limoges et le comte d’Angoulême d’être passés du côté du roi de France. Il assiège Châlus où il est tué en 1199. En 1207, JeanSans-Terre obtient tout de même l’allégeance du vicomte de Limoges et des maisons de Lusignan, Mauléon et Thouars. Les Comborn, alliés des vicomtes de Limoges, sont ainsi tout naturellement ligués contre les rois Anglais. Les Malemort soutiennent quant à eux les Plantagenêts. En 1247, Ebles de Ventadour rend hommage à Louis IX. Quant aux Turenne, la soumission aux rois de France est négociée, en échange du maintien de la dignité vicomtale, de leurs droits et prérogatives, franchises, libertés et privilèges. Ils sont exemptés à l’égard du roi de France de tout subside et levée de troupes. En 1212, Raymond de Turenne fait alors hommage à Philippe-Auguste qui s’engage en contrepartie à ne jamais séparer la seigneurie du domaine156. 153 Le Limousin…, op. cit, p. 27. M. AURELL, « Noblesse et royauté Plantagenêt (1154-1224) » dans M. AURELL (dir.), Noblesses de l’espace Plantagenêt (1154-1224), Table ronde tenue à Poitiers le 13 mai 2000, Poitiers, 2001, p. 9-64. 155 F. BONNÉLYE, op. cit, p. 131. 156 Le Limousin…, op. cit, p. 24. 154 - 69 - Quant aux évêques, ils sont les auxiliaires actifs des rois de France et s’opposent avec ferveur aux Plantagenêts. Sébrand Chabot en particulier s’attire les foudres du roi Richard. Les domaines des évêques et des abbés de Saint-Martial étant menacés par les déprédations des mercenaires des Plantagenêts, ceux-ci décident d’oublier un temps leurs différends et de s’associer pour fonder une milice en 1177. Ils sont à l’origine d’un massacre à Malemort. Par la suite, l’abbé de Saint-Martial disparaît des différentes luttes tandis qu’évêques et seigneurs se rapprochent. Depuis le milieu du XIIème siècle, les abbés de Saint-Martial manifestent leur attachement loyal aux ducs d’Aquitaine en place, fidélité qui ne dure pas face à l’attitude des Plantagenêts. Ils semblent ainsi tiraillés entre rois anglais et français et préfèreront bien souvent rester en retrait et ne pas prendre parti, tandis que l’évêque Jean de Veyrac prête hommage et jure fidélité à Philippe-Auguste, attestant du soutien de l’épiscopat à la cause capétienne. Ainsi, pour Myriam SORIA AUDEBERT, le « soutien nobiliaire cultivé par les évêques est un rempart contre l’ambition des abbés et la dynastie angevine ». Même pour une Église « libérée » de la mainmise aristocratique suite au mouvement de réforme grégorienne, le soutien nobiliaire reste une précieuse garantie pour la sauvegarde de l’indépendance nouvellement acquise157. Certains chroniqueurs limousins nous permettent de mieux cerner la manière dont étaient perçus ces conflits royaux. Pour Bernard ITIER, les conflits entre Plantagenêts et Capétiens se résument à quelques éléments essentiellement régionaux. Si la victoire de Bouvines et la bataille de Poitiers en 1204 sont ignorées, il est bien précisé en 1224 que les vicomtes de Limoges et de Turenne aident Louis VIII à ramener le duché d’Aquitaine dans sa mouvance. Dans la Grande Chronique de Limoges, sans doute compilée par un moine de Saint-Martial, les faveurs sont accordées aux rois français dans un premier temps. Le succès de « l’idéologie capétienne » semble net vers 1160-1170. De premiers désaccords apparaissent notamment à la fin du règne de Louis IX. Cette situation se dégrade encore sous Philippe le Hardi158. Généralement, les seigneurs de Limoges et les évêques nous semblent beaucoup plus favorables aux Capétiens tandis que les Plantagenêts vont plutôt chercher leurs appuis dans les réseaux monastiques. 157 M. SORIA AUDEBERT, « Les évêques de Limoges… », op. cit., p. 101-113 R. RECH, « Le Limousin entre Capétiens et Plantagenêt chez les chroniqueurs de Saint-Martial au XIIIème siècle », dans C. ANDRAULT-SCHMITT (dir.), Saint-Martial de Limoges. Ambition politique et production culturelle (Xème-XIIIème siècles), PULIM, Limoges, 2006, p. 115-132. 158 - 70 - Les rapports avec les rois Anglais ne peuvent donc que se révéler conflictuels face aux réticences des grands seigneurs laïcs et religieux du diocèse de Limoges. Henri II doit notamment faire face aux rebellions d’Audebert, comte de la Marche, de Guillaume comte d’Angoulême, d’Aymard, vicomte de Limoges, des vicomtes de Ventadour, de Chabanais et des Lusignans. En 1177, Henri II obtient le comté de la Marche à l’abbaye de Grandmont159. Les prédécesseurs des rois Anglais ont accordé leur protection à certains groupements monastiques. En effet, les établissements religieux peuvent accroître le prestige du fondateur. C’est le duc d’Aquitaine en particulier qui fonde Cluny. Richard et Henri II, dans la même veine, aident les fondations cisterciennes, spécifiquement en Aquitaine, telles Dalon et Obazine. Toutefois, l’attitude d’Henri II et de sa cour envers les moines blancs n’est pas toujours aussi indulgente, et les cisterciens eux-mêmes se montrent à plusieurs reprises « agacés » par la dynastie Plantagenêt. Ainsi, en 1151, Geoffroy le Bel et son fils Henri négocient une paix avec Louis VII à Paris. Bernard de Clairvaux est alors médiateur. Il aurait fait la remarque que les Plantagenêts venaient tous du diable et qu’ils retourneraient un jour en enfer. À l’époque d’Henri II, les fondateurs montrent une réelle prédilection pour les Prémontrés, Augustins, Templiers et Hospitaliers. Par contre, une certaine hostilité envers les cisterciens transparaît chez certains membres de l’entourage de la cour royale comme Gautier MAP et Giraud du BARRI notamment. Les cisterciens sont en effet la cible préférée de MAP qui critique sans vergogne leur « convoitise pathologique » qui les pousse à se procurer des terres. Les moines blancs rejettent selon lui la responsabilité de leurs manœuvres malhonnêtes sur les frères convers. De plus, il considère saint Bernard comme un charlatan, traduisant ainsi un mécontentement répandu à la fin du XIIème siècle « face aux méthodes pratiquées par les Cisterciens acquéreurs de terre ». Les moines blancs ne semblent ainsi pas faire l’unanimité à la cour Plantagenêt qui semble soutenir avec plus d’entrain et de générosités d’autres fondations à vocation érémitique160. Ils soutiennent ainsi Grandmont et Fontevrault. Avec l’abbaye de Mortemer (com. Lisors, Eure), ces trois sites font l’objet d’une attention suivie par Henri II. Mortemer est située à la limite du Vexin Normand. Elle est dotée par le roi dès 1150. Vers 1160, il verse 1000 livres pour l’édification de la nef. Cent livres sont également offerts pour le chœur 159 M. LARIGAUDERIE-BEIJAUD, « La politique grandmontaine des Plantagenêts. Des nouvelles implantations aux francs hommes », BSAHL, T 132, 2004, p. 27-40. 160 E. TÜRK, Nugae Curialium. Le règne d’Henri II Plantagenêt (1145-1189) et l’éthique politique, Genève, Droz, 1977, p. 159. - 71 - commencé en 1174. Quant à Fontevrault, sa tante Mathilde en était abbesse dans les années 1150. Pour Alain ERLANDE-BRANDENBOURG, ce monastère « a été la manifestation religieuse et sensible de l’effort unificateur ». Il devient nécropole funéraire en abritant les tombeaux d’Henri II, Aliénor d’Aquitaine, Richard-Cœur-de-Lion et Isabelle d’Angoulême161. Grandmont est situé dans la Marche, à la frontière des possessions acquises par le mariage entre Henri II et Aliénor d’Aquitaine en 1152 [Fig. 72]. C’est donc une place stratégique, sur la frontière ouest de la paroisse de Saint-Sylvestre, en limite d’une région turbulente, ce qui n’a pas manqué d’attirer l’autorité royale. Grandmont est de plus bien située pour quelqu’un qui aurait des vues sur Bourges et Toulouse. Elle va ainsi servir à maintes reprises de lieu de rencontre et de pourparlers de paix. En 1166, l’église est consacrée en présence de Pierre, archevêque de Bourges et Bertrand, archevêque de Bordeaux. Elle est dédiée à la Vierge Marie162. Les rois anglais sont à l’origine de dons de vases précieux, de gemmes, de châsses ainsi que d’un probable autel émaillé. En 1175-1176, Henri II fournit le plomb pour la toiture de l’église163. La canonisation rapide d’Étienne de Muret tient également beaucoup à Henri II qui souhaite s’attirer la bienveillance et la reconnaissance des moines. Il favorise l’expansion de l’ordre : quand il saisit le duché de Châteauroux, les grandmontains s’installent à Sauzai, dans la forêt de Châteauroux. Le roi donne aussi des hommes chargés de gérer les affaires des Grandmontains et de les remplacer dans les transactions. La splendeur du nouveau monastère affirme une volonté royale de prestige et d’autorité. Il s’agit d’une marque ostentatoire de pouvoir164. Les Plantagenêts ne vont toutefois guère s’intéresser aux ordres nouveaux comme l’Artige, Aureil ou le Chalard, en Limousin et non en marche, proches du siège épiscopal. Ils s’intéressent de plus près aux monastères marginaux, en position frontière comme Grandmont et certaines abbayes cisterciennes (Varennes, Dalon et Obazine essentiellement). Les établissements religieux apparaissent dès le milieu du XIIème siècle comme un enjeu de pouvoir de part leur poids économique et leur prestige. Les Plantagenêts « utilisent les fondations monastiques comme un moyen d’étendre leur présence sur le terrain »165. Les Capétiens ne sont toutefois pas en reste et la « récupération » de réseaux monastiques n’est pas une prérogative des rois Anglais. Les rois de France sont eux aussi des bienfaiteurs de Grandmont. Entre 1160 et 1164, Louis VII donne aux moines un enclos boisé 161 A. ERLANDE-BRANDENBURG, « Fontevrault, le cimetière des rois Plantagenêts », dans Dossiers d’Archéologie, n°311, mars 2006, « Tombeaux royaux et princiers », p. 22-27. 162 F. BONNÉLYE, op. cit, p. 113. 163 L. GRANT, « Le patronage architectural d’Henri II », CCM, n°1-2, janvier-juin 1994, p. 73-84. 164 M. LARIGAUDERIE-BEIJAUD, op. cit, p. 27-40 165 Le Limousin…, op. cit, p. 18. - 72 - dans le bois de Vincennes, un autre à la Coudre en forêt d’Orléans, un à Louye près de Dourdan. Les hommes du roi renoncent dès lors à leurs droits sur ces terres. L’influence grandissante des clercs grandmontains s’est exercée plus fortement et plus tôt dans les domaines capétiens et champenois. Leur implantation est antérieure au divorce de Louis VII en 1152166. Séduit par l’œuvre de Limoges, saint Louis commande des plaques émaillées pour les sépultures de deux de ses enfants. Ces relations sont toutefois à double sens. Saint Louis est en effet probablement à l’origine du tombeau d’Étienne d’Obazine, créé indubitablement dans un atelier français167. Ainsi, le diocèse de Limoges est le théâtre des affrontements entre Plantagenêts et Capétiens. La domination anglaise dans la seconde moitié du XIIème siècle est relativement mal acceptée des seigneurs laïcs tandis que les évêques ne démentent jamais leur fidélité aux rois de France. Quant aux moines, ils profitent allègrement des libéralités des Capétiens et des Plantagenêts qui les couvrent de dons et de privilèges afin de s’assurer leur soutien. Sans jamais s’inscrire clairement d’un côté ou de l’autre, les moines de Grandmont, Fontevrault ou Cîteaux acceptent leur place au sein des jeux politiques et des surenchères royales, en tirent profit autant que possible, acceptant parfois en contrepartie l’inhumation dans leurs églises ou la participation aux affaires diplomatiques du royaume. Cette tentative de mainmise, de contrôle royal sur les fondations monastiques aura probablement des conséquences sur les partis architecturaux et créations artistiques du diocèse de Limoges, ne serait-ce que d’un point de vue financier, et nous tenterons donc dans la suite de notre étude des abbayes cisterciennes du diocèse de Limoges et de ses marges de discerner la participation réelle des rois anglais et français dans l’histoire des sites et leurs productions artistiques 168. Avant d’aborder cette thématique, il convient au préalable de retracer l’historique de ces communautés monastiques depuis les premiers temps érémitiques. C. Historique des fondations cisterciennes du diocèse de Limoges et de ses marges : 166 Dom J. BECQUET, Études grandmontaines, Musée du pays d’Ussel, 1998, p. 211. B. BARRIÈRE, « Le Limousin des XIIème et XIIIème siècles : une région largement ouverte sur l’extérieur », dans D. GABORIT-CHOPIN, E. TABURET-DELAHAYE (dir.), L’œuvre de Limoges : art et histoire au temps des Plantagenêts : actes du colloque organisé au musée du Louvre en novembre 1995, Paris, La Documentation Française, 1997, p. 165-202. 168 Voir III. B. b. 2. Gothique Plantagenêt, gothique Capétien ? Symbolique du pouvoir et pouvoir du symbole. Les abbayes cisterciennes comme lieu de pouvoir. 167 - 73 - Sur les dix-huit monastères pris en compte dans cette étude, certains ont connu des expériences érémitiques préalables dès les années 1120, bien avant l’affiliation à Cîteaux. D’autres comme les abbayes d’Aubepierres ou de Peyrouse sont des céations directes de l’ordre. Il paraît nécessaire ici de retracer leur historique et les principales étapes de leur développement économique et spirituel. a. Les ermitages préexistants : La fin du XIème siècle est marquée par le renouveau de l’érémitisme qui ne doit toutefois pas apparaître comme le seul indice d’une crise supposée du cénobitisme. À cette époque, Cluny est florissante et ses monastères couvrent aussi bien les terres capétiennes que l’Aquitaine. Toutefois, le réseau clunisien ne semble pas pouvoir répondre aux aspirations au désert et à une quête de vie apostolique à l’origine d’une flambée de l’érémitisme, particulièrement sensible dans le diocèse de Limoges. 1. L’aura de Géraud de Sales : D’après saint Benoît, l’érémitisme est décrit comme un idéal primitif, essentiel au monachisme chrétien. Déjà Robert de Molesme (1030-1111) incarnait parfaitement le courant du XIème siècle entre érémitisme et cénobitisme. La vie au monastère de Molesme169, fondé en 1075 dans la vallée de la Laignes, ne lui permet pas l’aspect érémitique souhaité. Il se retire ainsi souvent à l’ermitage de Fontaine-Sèche où a vécu saint Bruno, le fondateur des Chartreux. Il se heurte à l’hostilité d’une majorité de frères qui acceptent mal ses exigences d’austérité et d’ascèse. D’où son départ et la création de Cîteaux à son initiative en 1098. C’est le respect de la règle de saint Benoît qui reste la motivation première de la fondation de Cîteaux et sans doute aussi de celles de Dalon et d’Obazine170. Une volonté de se retirer dans des déserts boisés s’exprime fortement et la quête de la solitude est un leitmotiv suite à la réforme grégorienne. Les marges diocésaines bien souvent dévolues au saltus attirent alors de plus en plus d’ermites à l’image de Robert de Molesme ou de saint Bruno. Les marges du diocèse de Limoges encore très boisées vont ainsi se révéler particulièrement séduisantes pour ces solitaires. Nous pouvons en effet constater un rassemblement plutôt inhabituel de monastères cisterciens en Haute-Marche et aux franges du Berry, sur un territoire de faible étendue formant une langue de terres encore significativement boisées au XIIème siècle [Fig. 11]. À 169 Près de Dijon, Côte-D’Or. L. VEYSSIÈRE, « Représentations du désert cistercien primitif », dans M. AURELL, T. DESWARTE, Famille, violence et christianisation au Moyen-Âge. Mélanges offerts à Michel Rouche, PUPS, 2005, p. 239-250. 170 - 74 - l’origine de nombre de ces fondations, le prédicateur itinérant Géraud de Sales. Celui-ci fonde des ermitages sur ces terres encore vouées au saltus qui évoluent après sa mort en 1120 vers un ordre à l’imitation des cisterciens que les évêques contribuent sans doute à orienter vers une franche affiliation à Cîteaux. Dans un premier temps, ces ermitages sont pour la plupart rattachés à l’abbaye de Dalon. L’abbé Roger de Dalon devient ainsi en quelque sorte le chef d’un ordre puissant parallèle à celui d’Obazine et qui ne s’affilie à Cîteaux qu’en 1162 171. L’ermite Géraud de Sales s’inscrit incontestablement comme un acteur incontournable ayant favorisé (peut-être à son insu ? Il est en effet difficile de déterminer si le rattachement à Cîteaux était de sa volonté) cette implantation cistercienne dans le sud-ouest de la France172. La biographie de Géraud de Sales, ermite et prédicateur périgourdin, est connue grâce à une Vita écrite à la fin du XIIIème siècle par un moine cistercien anonyme de l’abbaye des Châtelliers en Poitou (com. Fomperrom, Deux-Sèvres). Elle est publiée en 1729 par dom MARTÈNE173. On y apprend que Géraud est né entre 1050 et 1055 à Salles (arrondissement de Bergerac, Dordogne), à trois kilomètres au sud de Cadouin dans le Périgord méridional (com. Cadouin, Dordogne)174. Il est issu d’une famille noble. Il a deux frères. Foulques est le plus jeune. Il mourra ermite à Boschaud vers 1145. La Vita précise qu’il « vécut saintement et fut inhumé dans la salle du chapitre de l’abbaye » (§ 15 et 16). Grimaud devient quant à lui prieur des Châtelliers puis abbé des Alleuds175. Géraud est donc l’aîné. Dès l’enfance, il est attiré vers un idéal de vie érémitique dans l’ascèse et la pauvreté. Il est en effet persuadé que « Adam a été chassé du paradis terrestre pour avoir mangé : il faut reconquérir le paradis terrestre par le jeûne. » Il se rapproche d’un ermite, Robert, qui sera son mentor. Celui-ci est souvent confondu avec Robert d’Arbrissel qui n’avait toutefois pas encore commencé ses prédications à cette époque (en 1070 il n’est en effet âgé que de 23 ans). En effet, Dom MARTÈNE dépeint Géraud comme un chanoine régulier de Saint-Augustin, disciple de Robert d’Arbrissel, ermite-prédicateur, ami de saint Bernard, adepte de la règle de saint Benoît dans sa teneur intégrale176. Il étudie chez les chanoines de Saint-Avit-Sénieur, proche du manoir de Sales, où il est ordonné diacre. Il y reste de 1070 à 1080. C’est l’époque où commence à se répandre dans le clergé la réforme grégorienne. Les clercs de Saint-Avit 171 M. O. LENGLET, « L’implantation cistercienne dans la Marche Limousine de Géraud de Sales à Saint Bernard », MSSNAC, T XLVI, 1997, p. 258-268. 172 C. H. BERMAN, Medieval agriculture, the Southern French countryside and the Early Cistercians. A study of Forty-three Monasteries, Philadelphia, 1986, p. 31. 173 Dom MARTÈNE, Veterum scriptorum …amplissima collectio, T VI, Paris, 1729, col. 989-1014. 174 M. BERTHIER, « Géraud de Salles, ses fondations monastiques. Leur évolution vers l’ordre cistercien à la fin du XIIème siècle », BSHAP, T 114, 1987, p. 33-50. 175 M. O.LENGLET, « Le bienheureux Géraud de Sales fondateur des abbayes de Bonlieu, Prébenoît et du Palais-Notre-Dame », Cîteaux, Commentarii Cistercienses, T XXIX, fasc. 1-2, 1978, p. 8-40. 176 M. O.LENGLET, « Le bienheureux Géraud de Sales… », op. cit, p. 8-40. - 75 - adopteront d’ailleurs la règle augustienne après 1081 et leur rattachement à Saint-Sernin de Toulouse. Toutefois, ne se sentant pas appelé au sacerdoce, le jeune Géraud choisit de se retirer dans la solitude. Il alterne les périodes d’érémitisme et d’apostolat. Selon le témoignage de l’évêque de Poitiers, il devient à la fois « Jean-Baptiste au désert et Paul en public »177. Il prêche en Languedoc, en Limousin et en Poitou. Il est dévoué à MarieMadeleine, plutôt la contemplative que la pénitente, ainsi qu’à Jean-Baptiste. Sa prédication est centrée sur la personne de Jésus178. Plusieurs évêques l’attirent dans leur diocèse où il suscite des vocations d’ermites. La Vita décrit ainsi cet ermite prisé des prélats aquitains : « Crucifié au monde, il avait l’esprit fixé au ciel… Que de nuits entières il a passées devant toi, Jésus, étranger à luimême et ravi dans tes filets ! (…) Tu lui ouvrais largement l’esprit par l’intelligence des écritures, le sens des symboles. Tu l’attirais par l’échelle des créatures (…). Il était, ainsi qu’il est écrit, instruit par Dieu, enseigné par le magistère des chênes et des hêtres. (§ 9) (…) Rempli de l’Esprit Saint, possédant la triple science innée, acquise et infuse, il prêchait avec clarté et élégance dans toute la région. (§ 10) (…) Sa réputation s’étendit en plusieurs diocèses. L’évêque de Poitiers, Pierre II, lui délégua ses pouvoirs ordinaires, et d’autres évêques firent de même. (§ 11) (…) Il échauffait les âmes froides, enflammait les tièdes, stimulait les indolents. » Ces extraits laissent percevoir l’influence de Géraud de Sales auprès des évêques d’Aquitaine et son pouvoir sur les foules par ses prédications. Son biographe met ainsi surtout en valeur son charisme et sa faculté à galvaniser ses auditeurs. Cette description est toutefois très laudative, à la manière des récits hagiographiques sans doute quelque peu éloignés de la réalité. 177 M. O. LENGLET, « Les fondations de Géraud de Sales et leur évolution », Colloque international du CERCOM, Saint-Étienne, 1985, p. 1-15. 178 É. DELARUELLE, « L’idéal de pauvreté à Toulouse au XIIème siècle », dans Vaudois languedociens et Pauvres Catholiques, Cahiers de Fanjeaux, 2, Privat, 1967, p. 64-84. - 76 - Il s’attire donc tout naturellement la confiance et les générosités des seigneurs aquitains. En 1114, les frères Gérald et Gouffiers de La Tour lui donnent une terre à Dalon. Géraud y fonde un ermitage avec l’accord de l’évêque de Limoges. Le petit groupe des frères ermites œuvre rapidement à se constituer un important patrimoine foncier, dès avant l’érection en monastère (1120)179. Du vivant de Géraud de Sales, les termes nemus et eremus sont employés pour désigner le site180. En 1115, Robert d’Arbrissel donne à Géraud « vénérable maître, son compagnon et ami très cher », tout ce qu’il possède dans la forêt de Cadouin, à savoir le Val-Seguin où Géraud a déjà établi des disciples. Il lui cède également la Salvetat, lieu récemment donné à Robert par l’évêque de Périgueux en vue d’une fondation fontevriste 181. Cette donation suppose que les deux hommes se connaissaient bien, sans pouvoir attester de source sûre que Géraud ait pu être son disciple. Géraud est présent avec Eustorge, évêque de Limoges, en Haute-Marche lorsque le seigneur Amélius de Chambon donne le mas de Mazerolles au prédicateur (vers 1120). Cette donation sera à l’origine du monastère de Bonlieu (com. Peyrat-La-Nonière, Creuse). Géraud de Sales suscite également des vocations près de Bourganeuf. Aimeric de Quinsac, un de ses disciples, crée un ermitage sur sa propre terre du Petit-Quinsac (com. Thauron, Creuse) qui couvre une partie du flanc oriental du Mont-de-Transet (vers 1120). Ce mode de fondation n’a donné lieu à aucun acte juridique mais est évoqué dans la Gallia Christiana. Le cartulaire du Palais-Notre-Dame énumère simplement les possessions patrimoniales érémitiques, à savoir le nord-ouest de Quinsat et la Chaussade182. Au XVIIème siècle, Dom Estiennot de la SERRE évoque la fondation d’un autre ermitage sur l’actuelle commune de Bétête en Creuse : « Le Bienheureux Géraud qui fonda un monastère dans la forêt de Dalon reçut en aumône le lieu-dit ensuite Le PréBénit (Prébenoît) ». 179 B. BARRIÈRE (dir.), Moines en Limousin, l’aventure cistercienne, PULIM, Limoges, 1998, p. 163-166 ; abbé J. BROUSSE, « Une poignée de documents sur l’abbaye de Dalon », BSSHAC, T 56, 1935, p. 122-171. 180 C. ANDRAULT-SCHMITT, « Des abbatiales du « Désert ». les églises des successeurs de Géraud de Sales dans les diocèses de Poitiers, Limoges et Saintes (1160-1220) », BSAOMP, 1994, T 8, 5ème série, p. 91-173. 181 M. O.LENGLET, « Le bienheureux Géraud de Sales… », op. cit, p. 8-40. 182 AD Creuse, H 524, notice 12. - 77 - En 1119, la création des Châtelliers permet d’évoquer le processus-type des fondations géraldiennes. Elle est évoquée dans le paragraphe 25 de la Vita183. En 1119, un messager de l’évêque de Poitiers vient parler à Géraud d’une vaste solitude nommée les Châtelliers, pourvue de bois, de prairies, de cours d’eau. Géraud charge un disciple d’aller examiner le lieu puis s’y rend lui-même et reçoit la donation initiale du futur ermitage. Il y envoie ensuite trois compagnons puis un prieur nommé Giraud. D’où venaient donc ces premiers frères des Châtelliers ? Dans la Vita, il n’est nullement question de maison-mère et de fille. Pourtant il s’agit bien d’une fondation par essaimage depuis un ermitage dont l’effectif devait être suffisamment important. Géraud serait également à l’origine de la fondation de l’ermitage de Boschaud avant sa mort en 1120. Foulques, son frère, en aurait été le premier ermite. Ce site est érigé en abbaye et rattaché en 1154 à l’abbaye des Châtelliers en Poitou, plus proche de la pensée géraldienne que Cadouin, pourtant moins éloignée géographiquement de Boschaud184. Selon la Gallia Christiana, Boschaud serait fondée en 1153 par essaimage depuis Peyrouse. Cette information paraît toutefois erronée185. Géraud se retrouve ainsi à la tête d’un véritable petit ordre religieux à vocation érémitique qui s’est répandu dans les pays du Centre et du Midi. On connaît ainsi plus de quinze monastères ayant à l’origine un ermitage géraldien. La Chronique de Saint-Maixent nous livre une liste de sites186 : Grandselve, Gondon, Cadouin, Bournet, Les Alleuds, Fontdouce, La Tenaille, L’Absie, Les Châtelliers, Le Pin, Bonnevaux, Dalon, Les Châtres, Les Chalards et Corbasin. Il manque le Palais-Notre-Dame, Bonlieu, Prébenoît et Pontaut. Une seule de ces fondations se solde par un échec : il s’agit du Bretenous, manse donné à Géraud par le vicomte de Limoges, Adhémar III, qui deviendra par la suite la grange de Chalamand (com. de Saint-Paul-La-Roche, Dordogne). La Chronique de Saint-Maixent présente l’œuvre de Géraud comme un organisme bien établi, selon des principes définis et acceptés : « (…) inchoata sunt plurima coenobia de institutione sancti Giraudi de Sala »187. 183 M. O.LENGLET, « Le bienheureux Géraud de Sales fondateur des abbayes de Bonlieu, Prébenoît et du Palais-Notre-Dame », Cîteaux, Commentarii Cistercienses, T XXIX, fasc. 1-2, 1978, p. 8-40. 184 B. BARRIÈRE (dir.), Moines en Limousin…, op. cit, p. 157-159. 185 C. ANDRAULT-SCHMITT, « L’abbaye de Boschaud », Congrès Archéologique de France, Périgord, 1998, Paris, 1999, T 156, p. 105-117 ; C. DESPORT, Deux abbayes cisterciennes du Périgord : Boschaud et Peyrouse, mémoire de maîtrise d’histoire sous la direction de B. BARRIÈRE, Limoges, p. 25. 186 BNF ms lat. 4892. 187 J. VERDON, Chronique de Saint-Maixent, DES, Poitiers, 1959. - 78 - Toutefois, si l’on se réfère au cartulaire de Dalon, Géraud n’assujettit ces religieux « à aucun ordre ni aucune profession, les laissant passer leur vie dans la simplicité évangélique »188. Cette « simplicité évangélique » devait toutefois sans doute être régie selon des règles fixes nécessaires à la survie de toute communauté. Les communautés géraldiennes sont établies dans la solitude sous le vocable de la Vierge Marie. Le mouvement érémitique s’accroît dans cette première moitié du XIIème siècle, favorisé en toutes régions par une forte poussée démographique. Il s’agit toutefois d’un souci pour les évêques qui s’inquiètent du manque de structures de ces mouvements érémitiques qui peuvent engendrer des déviations dans la doctrine ou dans les mœurs. Concernant l’institut géraldien, les risques sont néanmoins réduits : Géraud visite régulièrement ses maisons, dirige et conseille les frères ermites. En 1117 commence l’évolution des ermitages géraldiens vers le cénobitisme. Sous l’impulsion de l’évêque de Toulouse, Grandselve (com. Bouillas, Tarn-et-Garonne) s’engage à respecter la règle de saint Benoît et les coutumes de Cîteaux. On peut supposer que Géraud de Sales était en accord avec ce glissement vers le cénobitisme, d’où les affiliations massives de ses ermitages après sa mort. Avant sa mort en 1120, Géraud érige Sainte-Marie de l’Absie en abbaye selon le règle de saint Benoît et le statut des Pères des très estimés moines cisterciens. Après sa mort commence la lente affiliation de ses ermitages à Cîteaux, pour la plupart par l’entremise de Dalon dont l’abbé Roger devient un chef d’ordre influent et tenant ses abbayes d’une main ferme et rigide. Ces affiliations constituent les plus importantes incursions de Cîteaux en Aquitaine. En effet, les cisterciens ce sont montrés plutôt réticents à pénétrer les terres aquitaines, ce jusque dans le premier tiers du XIIème siècle. Dans ses écrits, Bernard de CLAIRVAUX exprime maintes fois ses réticences envers les terres d’Aquitaine et semble redouter Guillaume X, duc d’Aquitaine, et Gérard, évêque d’Angoulême depuis 1101, tous les deux soutiens d’Anaclet II lors de schisme. Bernard est quant à lui un fervent défenseur du Pape Innocent II. Gérard est un évêque grégorien, soutenant les initiatives érémitiques telles celles de Robert d’ARBRISSEL et que Bernard de CLAIRVAUX tend à craindre et juge dangereuses. En effet, l’ermite est seul face à ses doutes et face aux tentations, tandis que les moines, en communauté, peuvent s’entraider et se soutenir dans leur volonté de se plier à la Règle de saint Benoît. Saint Bernard va tenter de rallier Guillaume X au pape Innocent II. À 188 Abbé J. B. L. ROY DE PIERREFITTE, Études historiques sur les monastères du Limousin et de la Marche, T 1, Guérét, Betoulle, 1857-1863, p. 625-648 ; AD Corrèze, 2 F 69 (copie du cartulaire). - 79 - l’occasion d’une rencontre à Poitiers, il célèbre une messe à la cathédrale Saint-Pierre. Après son départ, le doyen du chapitre fait détruire l’autel sur lequel il a officié, ce qui permet d’envisager les réticences à Bernard de CLAIRVAUX en Aquitaine, incarnées par le puissant Gérard d’Angoulême189. Pour Pierre AUBÉ, « L’Aquitaine demeure une sérieuse pierre d’achoppement » sur laquelle Bernard va régulièrement se heurter. Il est réticent aux nombreuses initiatives érémitiques qui s’y développent, allant ainsi à l’encontre de certaines volontés grégoriennes. Pour lui, rien n’est supérieur à la vie cénobitique : « Qu’y a-t-il de plus redoutable qu’un combat solitaire contre les astuces du vieil ennemi qui nous voit mais reste invisible ? Une communauté, au contraire, est par sa puissance redoutable comme une armée en ligne de bataille. Malheur donc à l’homme seul ! Car s’il tombe, il n’aura personne pour le relever. S’il est vrai que cette grâce a été accordée à l’un ou l’autre des anciens Pères, il ne convient pas cependant de se livrer témérairement à ce danger, ni de tenter Dieu 190». Les ermitages de Géraud de Sales auraient ainsi tout intérêt à rejoindre l’ordre de Cîteaux et à se plier aux règes du cénobitisme, préservant les pauvres du Christ des tentations. Certains évêques comme ceux de Limoges vont d’ailleurs pousser les frères de Géraud vers l’ordre cistercien. Les mouvements érémitiques font peur car difficilement contrôlables, et les prédications mettent souvent en cause les dérives de l’Église. Un bon ermite est celui qui se plie au joug d’une règle, qu’elle soit monastique ou canoniale, d’une institution religieuse stable et plus facile à surveiller. 2. L’érémitisme selon Étienne d’Obazine. Si l’Aquitaine paraît très marquée par les prédications de Géraud de Sales, ses ermitages ne sont toutefois pas les seules expériences érémitiques fructueuses dans le diocèse de Limoges. Une autre personnalité se détache fortement dans la première moitié du XIIème siècle. Il s’agit d’Étienne de Vielzot. Nous disposons d’une description de sa physionomie 189 190 P. AUBÉ, Bernard de Clairvaux, Fayard, 2003, p. 259-287. P. AUBÉ, op. cit., p. 315. - 80 - lors du Chapitre Général de Cîteaux en 1147. Il est ainsi dépeint par Raynard, abbé de Cîteaux : « corpore modicum, statura brevem, habitu despectabilem, vultu deformem ». Il s’agit donc d’un homme au corps frêle, de petite taille et au visage disgracieux 191. Son biographe dans la Vita le dépeint ainsi : « Son chef était de corps menu, mais grande était son âme. Petit de taille, son esprit était élevé. S’il était d’aspect méprisable, il était illustre par l’honorabilité de sa vie. Sa mine était misérable, mais insigne était la supériorité de ses œuvres. Humble était son origine, mais sublime la générosité de ses vertus. »192 Cet homme pieux montre une dévotion particulière à la Vierge, ce qui expliquera par la suite son souci de subvenir aux besoins des femmes de la communauté de Coyroux. Pour lui, la femme revêt un rôle primordial dans le salut chrétien193. Les débuts de sa vie d’ermite sont un peu mieux connus grâce à sa Vita. Celle-ci relate en effet les premières décennies du monastère double d’Obazine-Coyroux. Certains auteurs telle Cécile CABY nous mettent toutefois en garde face à ce type de témoignages. Selon elle, les ermites demeurent difficiles à étudier malgré ces Vitae. Celles-ci sont rédigées pour la plupart en milieu monastique, plusieurs décennies après les faits relatés. Les approches de l’historien restent tributaires des réécritures cénobitiques194. La Vita d’Étienne d’Obazine ne fait pas exception. Le livre I est rédigé sous l’abbé Géraud, successeur d’Étienne en 1159. Michel AUBRUN place son écriture vers 1166 jusqu’en 1180 pour le livre III195. Cinquante ans après les faits, l’ermitage est devenu monastère puis abbaye cistercienne. Nous pouvons nous demander en quoi le cadre monastique a influencé la rédaction de cette œuvre. Elle peut être considérée comme un 191 S-M. DURAND, Étienne d’Obazine. 1085-1159, Lyon, 1966, p. 76. M. AUBRUN, Vie de Saint Étienne d’Obazine, Institut d’Études du Massif Central, Clermont-Ferrand, 1970, p. 77. 193 J. VINATIER, « La piété mariale cistercienne à Obazine révélée par l’architecture, la statuaire et la peinture (du XIIème siècle au XVIIIème siècles », BSSHAC, T 98, 1976, p. 79-96. 194 C. CABY, « Vies parallèles : ermites d’Italie et de la France de l’Ouest (Xème-XIIIème siècles) », dans J. DALARUN (dir.), Robert D’Arbrissel et la vie religieuse dans l’Ouest de la France, Actes du colloque de Fontevrault, 13-16 décembre 2001, Brépols, Belgique, 2004, p. 11-24. 195 M. AUBRUN, Vie de Saint Étienne d’Obazine, Institut d’Études du Massif Central, Clermont-Ferrand, 1970, p. 8. 192 - 81 - document précieux pour l’histoire de l’Église. En effet, le texte ne se contente pas d’une biographie simple d’Étienne. À travers ses visites à Dalon ou encore à la Grande Chartreuse, d’autres communautés religieuses, d’autres expériences monastiques sont évoquées et nous renseignent sur le contexte religieux de l’époque. Seuls ces deux monastères semblent d’ailleurs trouver crédit aux yeux de l’auteur. Il n’évoque pas Grandmont, Aureil ou l’Artige, ordres pourtant en plein essor dans cette seconde moitié du XIIème siècle. Nous apprenons donc qu’Étienne est né au hameau de Vielzot, sur l’actuelle commune de Bassignac-le-Haut près de Tulle (Corrèze). Il est tout d’abord attiré par la prêtrise et se fait remarquer par ses qualités de prédicateur. Il exerce ainsi dans un premier temps des fonctions pastorales196. Les circonstances qui le mènent à devenir ermite restent relativement obscures. Pour Cécile CABY, le départ de l’ermite fonctionne comme un refus, une rupture197. Dans cette expérience, il est accompagné de Pierre qui le suivra jusque dans la forêt d’Obazine. La Vita livre une description de cette forêt : « (…) appelé ainsi, je crois, à cause de « l’opacité » des forêts et de la densité des fourrés qui le recouvrait de toute part. Ce lieu, fort boisé est entouré de tous côtés par des rochers abrupts, et une rivière, la Corrèze, qui coule plus bas, lui donne un charme certain. »198 Le lieu d’Obazine était déjà nommé avant l’arrivée d’Étienne et de Pierre. En effet, une charte de l’abbaye Saint-Martin de Tulle datée du Xème siècle en fait déjà état199. Obazine était donc au cœur d’un important manteau forestier. De nos jours, la forêt couvre encore plus de 500 hectares. Dans la Vita, l’ermitage apparaît comme un site presque inaccessible et sauvage. S’agit-il toutefois d’une vérité ou plutôt d’un stéréotype fréquent dans les hagiographies contemporaines ? Selon Bernadette BARRIÈRE, Obazine ne correspond pas vraiment à un « désert » véritable. La forêt s’intercale entre les villages de Vergonzac et de Palazinges. Ce dernier dispose d’une église ancienne et d’une implantation humaine d’importance. Les ermites ne sont ainsi pas véritablement isolés200. 196 E. BOURNAZEL, « Étienne et Robert : la tentation des femmes », dans J. HOAREAU-DODINEAU, P. TEXIER (dir.), Anthropologie juridique. Mélanges Pierre Braun, PULIM, Limoges, 1998, p. 55-65. 197 C. CABY, op.cit. 198 M. AUBRUN, op. cit, p. 51. 199 CHAMPEVAL, Cartulaire de l’abbaye Saint-Martin de Tulle, 1903, p. 170. 200 B. BARRIÈRE, L’abbaye cistercienne d’Obazine en Bas-Limousin. Les origines. Le patrimoine, Tulle, 1977, p. 19. - 82 - Nous ne savons pas grand-chose de l’ermitage primitif installé par Étienne et Pierre, bientôt rejoints par d’autres croyants aspirant à la solitude. Martine LARIGAUDERIE parle alors d’un « érémitisme de groupe » évoluant progressivement vers le cénobitisme201. Le site proprement dit est décrit ainsi : « Il y avait, non loin de là, une petite étendue plane couverte de fourrés et de broussailles et encaissée entre de raides versants. Un petit ruisseau coulait en son milieu. On y accédait par des chemins tortueux aux détours escarpés qui se faufilaient dans le fond des vallées et au flanc de collines abruptes. »202 L’ermitage est décrit comme une petite cabane de bois couverte de chaume. Celle-ci sert d’oratoire. « Il construisit près d’un arbre convenable une petite cabane en bois couverte d’un toit grossier où, nuit et jour, avec son vénérable compagnon, il s’adonnait à la prière incessante et au chant des psaumes ».203 La chapelle de l’ermitage disposait vraisemblablement d’une charpente puisque la Vita mentionne une vision du charpentier204. Étienne s’inquiète de voir d’autres ermites se joindre à eux et décide d’en référer à l’évêque de Limoges. En effet, tout rassemblement d’hommes a besoin de l’aval de l’évêque pour s’installer. Le prélat joue alors un rôle majeur dans l’acceptation de la réforme grégorienne. Il peut favoriser ou entraver les initiatives naissantes qui en sont issues205. Eustorge (1106-1137) se montre favorable à ce nouveau groupuscule érémitique. Étienne peut fonder une petite communauté avec sa permission. Il y met toutefois une condition : le respect des coutumes des Pères du Monachisme. Cette bienveillance est fréquente chez les évêques de l’Ouest de la France. En effet, les prélats voient dans ces groupes « l’aile marchante » de la réforme grégorienne amorcée dès la fin du XIème siècle. L’évêque officialise donc l’ermitage entre 1125 et 1127. Un inventaire du XVIIIème siècle précise que « l’abbaye d’Obazine fut fondée en l’an 1127 à titre 201 M. LARIGAUDERIE, “Propos sur l’abbaye de Grosbot”, BASEPRC, Angoulême, n°6, 1995, p. 6-15. M. AUBRUN, op.cit, p. 51. 203 M. AUBRUN, op. cit, p. 53. 204 S.M. DURAND, Étienne d’Obazine. 1085-1159, Lyon, 1966, p. 33 ; M. AUBRUN, op.cit, p. 63. 205 M. AUBRUN, op cit, p. 22. 202 - 83 - d’ermitage »206. Cet ermitage comprend toutefois vraisemblablement des lieux réguliers (interiores partes) et des dépendances (exteriores partes) ainsi qu’une maison d’hôtes (hospitium)207. Selon Suzanne-Marie DURAND, il existait un premier monastère avant le déplacement sur le site actuel d’Obazine. Nous pensons toutefois que l’auteur a confondu avec cet ermitage disposant de lieux réguliers cependant réduits au minimum : un réfectoire, une cuisine et un dortoir. Il n’y a pas encore de salle capitulaire208. La construction de ce premier « ermitage-prieuré » est ainsi décrite dans la Vita : « Il [Étienne] coupa tout ce qui était nuisible et inutile en cet endroit et construisit des demeures sur le modèle d’un monastère, c’est-à-dire une chapelle, un dortoir, un réfectoire, une cuisines et, au milieu, un cloître. Tout cela était à peine plus étendu que l’espace d’une grande maison (…). Pour les offices, ils se conformaient à la règle canoniale et suivaient par ailleurs le mode de vie érémitique ».209 Entre 1130 et 1134, l’ermitage est transféré sur le site actuel d’Obazine. Le transfert est également décrit dans la Vita. « Ce lieu se remplissait des arrivants et de la foule de ceux qui s’y étaient établis. Notre père Étienne commença donc à chercher en quel endroit il pourrait les installer convenablement. Il se tourmentait cependant et souffrait violemment en son âme du désir de solitude car il supportait mal ces charges et redoutait d’avoir à assumer la direction de tant de personnes (…) En parcourant la forêt, il parvint rapidement au sommet d’une colline qui se trouvait à l’Est. Il remarqua alors une sorte de promontoire disposé de telle sorte qu’il était 206 AD Corrèze, Q 148. B. BARRIÈRE, op.cit, p. 49. 208 S-M. DURAND, op.cit, p. 37. 209 M. AUBRUN, op. cit, p. 55. 207 - 84 - accessible de toute l’étendue de la montagne, aussi bien en montant qu’en descendant. Il y fit venir les frères et construisit, sur le modèle des précédentes, des habitations un peu plus importantes par le nombre et la grandeur. »210 Cette période est le point de départ du cartulaire, document précieux à la reconstitution des premières années du monastère. Archambaud IV de Comborn cède la forêt aux ermites qui y sont déjà installés. Cette donation est toutefois difficile à dater précisément. Nous savons simplement qu’Archambaud est mort en 1137. En 1135, Étienne devient le prieur de la communauté qui compte à ce moment-là une dizaine d’ermites. C’est Geoffroy de Lèves, évêque de Chartres de 1116 à 1138 qui le nomme prieur. Celui-ci était un religieux cistercien ami de Bernard de Clairvaux et donc très favorable aux initiatives du type de celle d’Étienne211. Eustorge lui confère le pouvoir de célébrer la messe et de construire un monastère. Le chantier est ainsi évoqué dans la Vita : « Ils construisaient eux-mêmes leurs bâtiments, brisaient avec des masses les pierres arrachées de la montagne et les portaient sur leurs épaules pour construire la maison. C’était un spectacle admirable que de voir ces énormes pierres que de nombreux hommes ensemble ne pouvaient déplacer, portées par quatre frères avec autant d’agilité que si rien n’était. »212 L’ermitage commence alors son évolution vers une organisation cénobitique. De 1136 à 1142 s’échelonne l’édification de ce premier monastère en pierre. C’est la fin de l’expérience érémitique d’Étienne et de son compagnon Pierre213. b. Le processus d’affiliation ou le glissement de l’érémitisme au cénobitisme : Suite à ces premières expériences érémitiques, et face à l’afflux de frères, Étienne d’Obazine et Géraud de Sales, relayé par Roger de Dalon, doivent songer à l’organisation de leurs ermitages en monastères. La vie anachorétique ne peut en effet être adaptée à des 210 M. AUBRUN, op. cit, p. 59. S-M. DURAND, op. cit, p. 41. 212 M. AUBRUN, op. cit, p. 69 213 B. BARRIÈRE, op. cit, p. 57. 211 - 85 - communautés toujours plus nombreuses. Elles vont dès lors se tourner vers l’ordre de Cîteaux dont l’austérité affirmée et la rigueur font la célébrité en ce XIIème siècle. 1. Dalon et Obazine en tant que chefs d’ordres. De l’ermitage au monastère : Le mouvement de créations de communautés avant Cîteaux correspond bien souvent à une période relativement désordonnée où les évêques peinent parfois à garder le contrôle de ces rassemblements d’hommes. Selon René LOCATELLI, la solitude choisie par ces groupes d’ermites ne dure toutefois jamais bien longtemps. La normalisation des communautés est progressive. Il cite l’exemple de Lieucroissant dans le diocèse de Besançon (com. Isle-sur-leDoubs, Doubs) : l’abbaye cistercienne était au préalable une fondation de l’ermite Thiébaud. Ce passage au cénobitisme est selon l’historien quasiment obligé. Les moines se plient à une observance déjà éprouvée et proche de leur idéal primitif. C’est la seule alternative envisageable. Sinon, en refusant tout recrutement, ils s’exposent à disparaître. Les cisterciens offrent ainsi aux communautés à vocation érémitique un genre de vie conforme à leur idéal primitif214. En effet, il semblerait que l’intégration de certains principes érémitiques dans un cadre cénobitique soit relativement bien réussie par les cisterciens, ce qui a sans doute pu séduire des ermites tels Géraud de Sales ou Étienne d’Obazine. Ainsi les cisterciens parviennent à allier un monachisme traditionnel, dans la droite ligne des pensées carolingiennes, à une spiritualité évangélique renouvelée, éloignée des compromissions du siècle, mais parfois encore trop désordonnée. Les principaux idéaux quelque peu utopiques des mouvements érémitiques réformateurs sont intégrés à un cadre institutionnel précis qui empêche les dérives tant redoutées par l’épiscopat. Les moines cisterciens proposent une solution d’équilibre entre vocation érémitique et cénobitisme, leur permettant dans un premier temps de rester éloignés du siècle à la manière d’ermites au désert. Cette solution évite les inconvénients d’une vie érémitique solitaire où l’ermite ne peut compter sur la solidarité de frères dans la quête de perfection et d’absolu. Cîteaux aurait donc su « intégrer le dynamisme évangélique et le canaliser en lui donnant corps par une pratique effective de la Règle de Saint Benoît ». Le respect à cette Règle permet un cadre de vie précis évitant les dérives possibles à un ermite isolé sans règle ni statut215. 214 R. LOCATELLI, Sur les chemins de la perfection. Moines et chanoines dans le diocèse de Besançon vers 1060-1220, CERCOR, Université de Saint-Étienne, 1992. 215 Bernard de CLAIRVAUX, Le précepte et la dispense. La conversion, trad. J. LECLERCQ, H. ROCHAIS, C. H. TALBOT, Sources Chrétiennes, Paris, Cerf, n°457, 2000, introduction, p. 135. - 86 - L’impulsion initiale donnée par le fondateur du groupe érémitique ne suffit pas dans bien des cas à expliquer l’évolution institutionnelle de l’ermitage. C’est souvent la mort du fondateur qui conduit à l’adoption d’une règle. Sans son aura, les ermites éprouvent le besoin de se conformer à des coutumes stables, concrètes et immuables. Cette régularisation permet non seulement l’intégration de la communauté au clergé du diocèse mais leur offre également une place reconnue avec des devoirs, des fonctions spécifiques et des protections nouvelles. Les moines de Dalon et d’Obazine vont en faire l’expérience lors de leur passage d’un érémitisme volontaire au cénobitisme216. Cette évolution va également se caractériser par la création de « prieurés » étroitement liés à ces deux abbayes-mères et obéissant aux mêmes coutumes monastiques. Dalon et Obazine vont ainsi devenir de véritables chefs d’ordres avant même leur affiliation à Cîteaux. Avant de préciser le glissement progressif des premières intiatives érémitiques à une organisation cénobitique, il convient de proposer un certain nombre de définitions de termes essentiels à cette analyse des communautés érémitiques, cénobitiques puis cisterciennes du diocèse de Limoges. Le terme de celle en particulier est fréquemment utilisé dans l’historiographie notamment pour désigner les premiers essaimages de la communauté d’Obazine à Bonnaigue et Valette. Ils apparaissent dans la Vita sous le terme de monasteria217. Les expressions locus et domus sont également fréquemment employées, témoignant d’un certain flou, d’hésitations dans la désignation de ces dépendances d’Obazine. La celle peut être définie comme « de petites cellules de vie monastique, détachées de l’abbaye-mère, organisées sur un terroir où cette dernière possède assez de bien, près d’une église qui doit continuer son office d’église paroissiale tout en servant de chapelle monastique, mais rattachée très étroitement à l’abbaye-mère, en ce sens que le moine, peutêtre un prévôt, chargé de diriger les frères vivant comme lui, reçoit directement cette obédience de l’abbé sans que les moines de la petite communauté aient à intervenir dans ce choix. »218 C’est effectivement le cas des dépendances de Bonnaigue et de Valette où Étienne d’Obazine envoie un groupe de moines et place lui-même un père à leur tête. 216 M. ARNOUX, « Dynamiques et réseaux de l’Église Régulière dans l’Ouest de la France (fin XIème-XIIème siècles) », dans J. DALARUN (dir.), Robert d’Arbrissel et la vie religieuse dans l’Ouest de la France, Actes du colloque de Fontevraud, 2001, Brépols, Belgique, 2004, p. 57-70. 217 M. AUBRUN, Vie d’Étienne d’Obazine…, op. cit., p. 106. 218 É. MAGNOU-NORTIER, La société laïque et l’Église dans la province ecclésiastique de Narbonne de la fin du VIIIème siècle à la fin du XIème siècle, Toulouse, 1974, p. 409. - 87 - Le terme de celle correspond le plus fréquemment à des réalités du Haut Moyen-Âge. Une abbaye mère fonde des cellae ou cellulae, petits établissements de médiocre importance ou simples prolongements extérieurs du monastère. Certaines celles peuvent être de petits monastères indépendants ou de simples dépendances. Ils sont administrés par un moine du monastère appelé praepositus. La celle semble néanmoins supplantée au XIème siècle par le prieuré. Il s’agit de l’une des institutions les plus mal connues du monachisme médiéval, désigné au XIème siècle par des termes très variés : cella, domus, locus ou monasterium (cas de Valette et Bonnaigue), sous-entendant une destination religieuse ; ou terra, grangia, appellations purement temporelles. Pour Anne-Marie BAUTIER, le prieuré est au XIème siècle l’héritier de la celle, caractérisé par un relâchement des liens avec l’abbaye-mère. Le prieuré est organisé sous la conduite d’un prieur. Il est une dépendance d’une abbaye principale, dirigé soit par un supérieur (prieur) ou par un préposé (prévôt). Les prieurés sont ainsi des monastères de rang inférieur à effectifs modestes par rapport à l’abbaye mère. Le personnel souvent très réduit est désigné par l’abbé219. La multiplication de ces prieurés aux XIème et XIIème siècles est sans doute liée à l’administration temporelle de biens monastiques dispersés 220. À la fin du Xème siècle et au début du XIème siècle, le prieur peut signifier le second de l’abbé, le remplaçant lors de ses absences. Il veille à la vie du monastère, intérieure et extérieure. Il semblerait que ce soit Cluny qui soit à l’origine de l’appelation de priores pour les responsables de tous les établissements groupés sous l’autorité de son abbé. L’auteur constate que les ordres nouveaux, à l’exception des cisterciens, renoncent à la qualification d’abbés. Les Chartreux et Grandmontains par exemple préfèrent la dédignation de prieur ou de doyen. À la fin du XIIème siècle à L’Artige près le Limoges, s’inspirant de Grandmont, un prieur central est requis tandis que des précepteurs sont placés à la tête des maisons dépendantes (domus). À l’inverse, les chartreuses sont des maisons identiquement pourvues d’un prieur221. Dom Jacques DUBOIS établit quant à lui une distinction entre prieurés, doyennés clunisiens et granges cisterciennes. Les doyennés sont de grandes exploitations agricoles dirigées par un moine et non un convers comme pour les granges cisterciennes jusqu’au début du XIIIème siècle. Le doyenné se distingue du prieuré par une dépendance plus étroite envers 219 Dom J. BECQUET, « Le prieuré : maison autonome ou dépendance selon les ordres (moines, chanoines, ermites) » dans J-L. LEMAITRE (dir.), Prieurs et prieurés dans l’Occident Médiéval, actes du colloque de Paris organisé par la IVème section de l’École Pratique des Hautes Études, 1984, Genève, Droz, 1987, p. 47-52. 220 A-M. BAUTIER, « De prepositus à prior, de cella à prioratus : évolution linguistique et genèse d’une institution (jusqu’à 1200) », dans J-L. LEMAITRE (dir.), Prieurs et prieurés dans l’Occident Médiéval, actes du colloque de Paris organisé par la IVème section de l’École Pratique des Hautes Études, 1984, Genève, Droz, 1987, p. 1-21. 221 Dom. J. BECQUET, op. cit. - 88 - l’abbaye-mère. Le doyen est amené à négocier au nom de l’abbé des achats, ventes, ou échanges de terres222. Le passage de l’érémitisme au cénobitisme pour les fondations géraldiennes se fait de façon progressive dès la mort de Géraud de Sales le 20 avril 1120 à l’abbaye des Châtelliers. Si un de ses ermitages est devenu cistercien de son vivant (Cadouin en 1119), certains évoluent vers des règles cisterciennes tandis que quelques ermitages continuent à observer les préceptes géraldiens. L’évêque Eustorge organise les établissements érémitiques de son diocèse à l’imitation des cisterciens en leur donnant Dalon pour maison-mère. Marie-Odile LENGLET s’interroge sur la possibilité de l’action de moines instructeurs dans un certain nombre d’ermitages géraldiens, venus peut-être de Pontigny. Ils auraient introduit dans les communautés la règle de saint Benoît, les livres liturgiques et usages cisterciens sans toutefois établir immédiatement des liens juridiques avec Cîteaux. Cette hypothèse est néanmoins difficile à confirmer en l’abscence de texte223. L’ermitage de Dalon est érigé en abbaye par l’autorité épiscopale. Elle est alors dotée d’un abbé choisi selon une élection régulière. Il s’agit de Roger, limousin d’origine, qui restera à la tête de l’abbaye de 1121 à 1159. Celui-ci se voit confier la responsabilité et la gestion de nombreux ermitages dont certains vont également accéder au rang d’abbayes. C’est ainsi que Bonlieu, Pontault (com. Mant, Landes)224, le Palais-Notre-Dame, Prébenoît et Aubignac vont s’affilier à Dalon tandis que Grandselve, Gondom (com. Monbahus, Lot-etGaronne) et Bonnevaux (com. Marçay, Vienne) se rattachent à Cadouin. Dès 1119, cette abbaye devient cistercienne avec à sa tête l’abbé Henri, moine cistercien de Pontigny. Quant à Grandselve, l’évêque de Toulouse Amélius avait personnellement veillé à ce qu’elle adopte les usages cisterciens225. Ce sont les évêques en particulier qui orientent les mouvements érémitiques vers l’imitation des moines blancs226. Les Châtelliers et Boschaud rejoignent quant à elles la filiation de Clairvaux en 1163. Ces affiliations ne résultent bien souvent pas de la volonté délibérée des abbayes mais surtout de la demande des évêques et de la 222 Dom. J. DUBOIS, « La vie quotidienne dans les prieurés au Moyen-Âge », dans J-L. LEMAITRE (dir.), Prieurs et prieurés dans l’Occident Médiéval, actes du colloque de Paris organisé par la IVème section de l’École Pratique des Hautes Études, 1984, Genève, Droz, 1987, p. 95-114. 223 M. O. LENGLET, « Les fondations de Géraud de Sales et leur évolution », Colloque International du CERCOM, Saint-Étienne, 1985, p. 1-15. 224 Cette abbaye rejoint Dalon en 1125 et s’affilie à Pontigny en 1151, avant le reste de la filiation dalonienne. 225 Gallia Christiana, T 13, Instr., col. 15. 226 M. O. LENGLET, « L’implantation cistercienne dans la Marche Limousine de Géraud de Sales à saint Bernard », MSSNAC, T XLVI, 1997, p. 258-268. - 89 - motivation des seigneurs donateurs. Les autres fondations de Géraud de Sales restent indépendantes ou disparaissent227. Dalon va ainsi devenir un véritable chef d’ordre228. Contrairement à Obazine dont le passage de l’érémitisme au cénobitisme est assuré par le fondateur lui-même, Étienne de Vielzot, ce n’est pas le cas concernant les ermitages géraldiens. Leur fondateur meurt tôt et c’est à Roger de Dalon qu’incombe la tâche de les faire évoluer vers le cénobitisme. Était-ce toutefois ce que voulait Géraud de Sales ? Ayant lui-même présidé à l’érection en abbaye de l’Absie, nous pouvons supposer qu’il approuvait cette évolution et reconnaissait sa nécessité pour la survie des communautés. Nous pouvons également envisager qu’une formation monastique portant sur la liturgie et les usages cisterciens avait peut-être eu lieu avant la mort de Géraud de Sales. L’abbé de Dalon va orienter sa communauté vers la règle cistercienne, sans toutefois réclamer l’affiliation. Il tient en effet à contrôler lui-même ses abbayes-filles et à les garder sous sa coupe. La charte n°38 du cartulaire de Dalon évoque l’adoption de cette règle de vie : « regulae beati Benedicti professionem litterariam ad imitationem Cisterciensum tenendam unanimiter decreverunt »229. Les moines de Dalon doivent ainsi former aux usages cisterciens les ermites de Mazerolles placés sous leur dépendance. Ce site est érigé en abbaye en 1141 et prend alors le nom de Bonlieu. Eustorge et Roger de Dalon sont réunis lors de la cérémonie. Pierre de SaintJulien en est le premier abbé. L’ermitage de Boeuil est érigé en abbaye en 1123 à l’initiative de Ramnulphe de Nieul, doyen du chapitre du Dorat. Celui-ci prend soin de la confier au monastère de Dalon. Il fait la donation de « Bulio » entre les mains de Roger. Il est fait mention du mot coenobium dans la lettre de donation. L’ermitage devait donc répondre à une organisation cénobitique dès le départ. Un petit groupe de moines de Dalon s’installent alors à Boeuil. L’abbé Roger est en effet très respecté par les prélats et clercs limousins et l’administration de ses possessions est appréciée. Il n’est ainsi pas étonnant que Ramnulphe lui ait fait confiance quant au devenir de 227 M. BERTHIER, « Géraud de Salles, ses fondations monastiques. Leur évolution vers l’ordre cistercien à la fin du XIIème siècle », BSHAP, T 114, 1987, p. 33-50. L’ermitage de Bournet en particulier va disparaître. 228 B. BARRIÈRE (dir.), Moines en Limousin, l’aventure cistercienne, PULIM, Limoges, 1998, p. 163-166. 229 C. ANDRAULT-SCHMITT, « Des abbatiales du « Désert ». Les églises des successeurs de Géraud de Sales dans les diocèses de Poitiers, Limoges et Saintes (1160-1220) », BSAOMP, 1994, T 8, 5ème série, p. 91-173. BNF, ms 12697, fol. 151-156, extraits du cartulaire par dom J. BOYER. - 90 - l’ermitage de Boeuil. Nous pouvons constater qu’avant cette affiliation, il n’y avait que peu d’émules du monachisme dalonien à proximité de la cité épiscopale. Boeuil n’est en effet guère éloigné de plus de dix kilomètres de Limoges. Toutefois, la présence des prieurés d’Aureil et de Grandmont avait freiné jusque là la poussée dalonienne230. Étienne est nommé premier abbé de Boeuil. C’est lui qui unira son monastère à Cîteaux en 1162 avec l’ensemble des filles de Dalon. Les aumônes sont effectuées avec l’aval d’Eustorge, évêque de Limoges, indispensable pour consacrer l’église. Celle-ci est consacrée le 4 octobre 1135 peu avant le décès de Ramnulphe. Elle est placée sous le patronage de la Vierge et de saint Mandet. Dès 1123, saint Bernard désire affilier Boeuil à Clairvaux. Pourquoi cet intérêt pour ce petit ermitage limousin ? Peut-être sa proximité avec le siège épiscopal a suscité l’intérêt de saint Bernard qui y voyait un moyen pour pénétrer plus avant en Aquitaine. D’après Bernard GUI, Roger de Dalon lui envoie une lettre pour l’en dissuader. Il se compare au berger de la parabole de Nathan n’ayant qu’une brebis tandis que Bernard, riche de cent, veut enlever la brebis au pauvre231. Roger prouve ici sa fermeté et sa réticence à voir ses filles s’affilier à Cîteaux. Il tient à garder le contrôle de son ordre et freine le rattachement à l’ordre cistercien. En 1145, une mission apostolique est pourtant organisée avec la participation de Bernard de Clairvaux qui traverse le diocèse de Limoges à cette occasion. Les daloniens se sentent à l’écart de l’ordre de Cîteaux et désirent le rejoindre. Roger s’y oppose toutefois et parvient en particulier à garder Boeuil sous sa coupe malgré les démarches qu’elle avait engagées auprès de saint Bernard232. C’est son successeur Amel qui favorisera l’affiliation en 1162, trois ans après la mort de Roger. En 1151, une bulle du pape Eugène III précise le patrimoine acquis par Boeuil pendant l’époque dalonienne. L’abbaye disposait déjà de biens dans les diocèses de Poitiers, Périgueux et Saintes. Il s’agissait de bois et de terres de médiocre qualité. Le pape prend également Boeuil sous sa protection. Il est toutefois délicat d’avoir une idée exacte de l’ampleur des acquisitions par Roger de Dalon. Aucun acte des Archives Départementales de la Haute-Vienne ne concerne le XIIème siècle. Nous pouvons cependant constater une concentration des acquisitions dans les années 1200-1320 avec un pic entre 1250 et 1280, soit 230 B. BARRIÈRE (dir.), Moines en Limousin, l’aventure cistercienne, PULIM, Limoges, 1998, p. 144-147. A. LECLER, « Monographie du canton de Nieul », BSAHL, 1894, T 42, p. 105-137 ; Abbé J. ARBELLOT, « Abbaye de Boeuil », Semaine Religieuse de Limoges, T 3, 1865, p. 542-543. « Domnus Rotgerius quiescit apud Dalonem, Cisterciensis ordinis abbatiam. Hic B. Bernardo qui suae Clarevalli abbatiam de Bullo volebat addere, et Daloni, cujus fuerat a principio, subtrahere, parabolam proposuit de illo qui habens centum oves pauperculo homini suam unicam abstulit ». 232 M. O. LENGLET, « Les fondations de Géraud de Sales et leur évolution », Colloque International du CERCOM, Saint-Étienne, 1985, p. 1-15. 231 - 91 - assez tardivement par rapport à la date d’affiliation à Cîteaux233. Il n’y aurait pas dès lors de corrélation directe. En 1134, c’est au tour de l’ermitage du Petit-Quinsat de glisser lentement vers le cénobitisme. Aimeric de Quinsat se donne à l’abbaye de Dalon avec ses terres et tous les hommes placés sous sa responsabilité. « Aimeric de Quinsat, ermite, fait donation à Dieu, à la Vierge Marie et à l’ordre monastique de l’abbaye de Dalon de sa propre personne, de tous ses biens, à savoir : ses disciples, ses terres du Petit-Quinsat, la fontaine de Chaussade et la terre qui partage le ruisseau descendant au Taurion, entre les mains de Roger, abbé, l’an de l’Incarnation 1134, Eustorge étant évêque de Limoges »234. Sa démarche s’explique-t-elle par un besoin d’être reconnu par l’Église ? À partir de cette date, les donations affluent entre les mains de Roger de Dalon. C’est lui seul qui assure la gestion des communautés filles de Dalon dont l’autonomie paraît très réduite. Des seigneurs tels Pierre de Peyrat, Pierre Marbos, Guy Latour, Roger de Laron ou Umbaud de la Roche se montrent généreux envers la communauté dalonienne. Ils donnent leur consentement à la présence d’une filiale dalonienne sur leur fief. D’après le cartulaire, l’implantation officielle du monastère dalonien ne semble pas engendrer de contestations de la part de l’environnement aristocratique et paysan. Les seigneurs se montrent même plus généreux235. Quant aux hommes de Quinsat, ils se fondent dans les structures de leurs nouveaux voisins et apparaissent souvent comme bienfaiteurs ou témoins. Nous pouvons toutefois constater que les donations seront moins nombreuses avec les deux premiers abbés cisterciens. La confiance et le respect envers Roger de Dalon y était sans doute pour beaucoup236. En 1160, c’est Amel, deuxième abbé de Dalon (1159-1167) qui établit un abbé à la tête des moines de Quinsat. L’abbaye prend alors le nom de Palais-Notre-Dame, avant 233 I. AUBRÉE, Patrimoine, gestion et vie sociale de l’abbaye cistercienne de Boeuil du XIIème au début du XIVème siècle, maîtrise d’histoire sous la direction de B. BARRIÈRE, Limoges, 1995, p. 48. 234 AD Creuse, H 524, fol. 8. 235 B. BARRIÈRE (dir.), Moines en Limousin, l’aventure cistercienne, PULIM, Limoges, 1998, p. 186-189 ; M. DAYRAS, « Les abbayes creusoises et le Palais-Notre-Dame », MSSNAC, T 36, 1966, p. 216-220 ; S. VITTUARI, Le patrimoine de l’abbaye du Palais-Notre-Dame d’après le cartulaire (1134-12..), mémoire de maîtrise d’histoire sous la direction de B. BARRIÈRE, Limoges, 1992, p. 41. 236 H. DELANOY, « Abbayes du Palais et de Prébenoît », MSSNAC, T 18, 1912, p. 295-316. - 92 - même le rattachement à Cîteaux. Amel semble beaucoup plus souple que son prédécesseur concernant la gestion des filles de Dalon. Il n’est donc pas étonnant qu’il facilite l’affiliation à Cîteaux deux ans plus tard. Les liens tissés entre Dalon et le Palais sont étroits et se maintiendront après l’affiliation à Cîteaux. Par exemple, en 1194, Arbert devient abbé du Palais après l’avoir été à Dalon237. Concernant la constitution du patrimoine de l’abbaye dalonienne, nous pouvons constater en 1162 une concentration spatiale des possessions sur 12 kms environ. Elles correspondent aux environs de Quinsat, Arcissas, Villefranche, Langladure et la jonction de Janaillat et Saint-Dizier-Leyrenne. Il s’agit de zones de confins paroissiaux, faiblement soumises à l’autorité ecclésiastique. Jusqu’à l’arrivée des moines de Dalon, nous pouvions constater un désintéressement relatif pour ces zones. Les possessions daloniennes vont ainsi rééquilibrer le paysage religieux238. La politique patrimoniale de Roger de Dalon se révèle plutôt timide. Seulement 7% des actes du cartulaire concernent des opérations onéreuses. Roger cherche cependant à régler la question dîmière et milite pour la concentration spatiale du patrimoine. Il ouvre ainsi la voie à la constitution d’un domaine monastique. L’impact dalonien est indéniable quant à la formation et à la cohérence du patrimoine foncier de l’abbaye dalonienne et prépare le regroupement en granges, en unités d’exploitation agricole de l’époque cistercienne. Dès 1134, les moines s’adonnent à quelques défrichements ponctuels et à certains aplanissements afin de préparer la plate-forme où sera bâti le monastère. Celui-ci est bâti à quelques distances de l’ancien ermitage. Les bâtiments daloniens sont toutefois inconnus et il est difficile de savoir s’ils ont été entièrement détruits suite à l’affiliation de 1162 ou simplement remaniés afin de correspondre aux préceptes de l’ordre239. La renommée de Roger de Dalon est bientôt connue du vicomte de Brosse qui lui cède des terrains situés sur la rive gauche de la Grande Creuse, et en particulier la terre d’Aubignac où étaient peut-être déjà installés des ermites. Les moines de Dalon s’y fixent en 1138. En 1140, les frères de Prébenoît sont donnés à Dalon après des années de résistance et de fidélité étroite aux préceptes géraldiens240. Outre ces fondations dans le diocèse de Limoges, Roger de Dalon est aussi à l’origine de créations dans d’autres diocèses. En 1123, Dalon fonde Loc-Dieu en Rouergue (com. 237 J. CIBOT, Le cartulaire de l’abbaye du Palais-Notre-Dame (XIIème-XIIIème siècles), DES, Poitiers, 1961, p. 17. 238 S. VITTUARI, op. cit, p. 81. 239 S. VITTUARI, op. cit, p. 84. 240 M. O. LENGLET, « L’implantation cistercienne dans la Marche Limousine de Géraud de Sales à saint Bernard », MSSNAC, T XLVI, 1997, p. 258-268. - 93 - Martiel, Aveyron). En effet, l’évêque de Rodez, frère du vicomte de Limoges, désirait la venue des frères daloniens241. Le passage au cénobitisme à Obazine est préparé par Étienne. En 1135, il devient en effet prieur de la communauté et engage la lente évolution de son groupe d’ermites vers une organisation cénobitique. Il met dès lors en place la tenue d’un chapitre quotidien, comme dans l’ordre cistercien. Il insiste également sur l’importance du travail manuel, à l’image des moines blancs mais aussi des grandmontains ou d’autres ordres ascétiques. Il met en évidence la nécessité de défricher pour agrandir habitations et jardins, d’ouvrir des carrières aux alentours pour construire des bâtiments et les aménager242. Si les frères s’occupent de cultiver les terres, les sœurs sont chargées des soins de l’intérieur. Hommes et femmes ne peuvent s’adresser la parole sans autorisation du prieur. Étienne veut faire le choix d’une règle monastique et non canoniale. Il n’y a toutefois aucun monastère régulier dans la région excepté Dalon. De nombreuses visites à Dalon sont ainsi évoquées dans la Vita. En effet, les moines sous la direction de Roger de Dalon avaient adopté une vie à la manière des cisterciens qui suscitait l’admiration d’Étienne. Celui-ci prend l’habitude de visiter de nombreux monastères des environs afin d’y prendre des exemples dans les mœurs et les disciplines. Le second livre de la Vita évoque aussi le soutien d’Aimeric, évêque de Clermont qui précède Étienne de Mercoeur à la tête de la Chaise-Dieu de 1111 à 1150. En 1135, Étienne fait également un voyage à la Grande Chartreuse au moment de la fête de la dédicace de leur église (2 septembre). La Chartreuse est décrite « entourée de montagnes ». Éloignée du siècle, elle semble bien correspondre à un « désert ». Étienne profite de sa visite pour observer les canalisations de pierre qui amènent l’eau dans la cellule de chaque chartreux. Fasciné pour leur mode de vie, il évoque auprès du père Guigues Ier son désir de rattacher à eux sa communauté d’Obazine mêlant hommes et femmes. Guigues l’en dissuade. Pour lui, c’est l’ordre de Cîteaux qui détient la « voie royale » pour des groupes aussi importants disposant d’autant de possessions. Il le convainc de la nécessité de rechercher des institutions cénobitiques qui conviennent à la multitude. De plus, la distance entre Obazine et la Chartreuse est trop grande pour assurer de vrais rapports de filiation entre les deux. La présence de femmes est également proscrite dans les règles cartusiennes. 241 M. O. LENGLET, « Les fondations de Géraud de Sales et leur évolution », Colloque International du CERCOM, Saint-Étienne, 1985, p. 1-15. 242 B. BARRIÈRE, L’abbaye cistercienne d’Obazine en Bas-Limousin, les origines- le patrimoine, Tulle, 1977, p. 58. - 94 - À son retour, Étienne décide de reconstruire le monastère. L’église sera dédiée à Sainte Marie, comme la Chartreuse. Cette dédicace montre l’impact de cette visite pour l’évolution de la communauté obazinienne243. Étienne adopte toutefois l’observance cistercienne selon les conseils de Guigues Ier, sans pour autant s’affilier à l’ordre, de la même manière que les moines de Dalon244. Des moines de Dalon viennent d’ailleurs initier ceux d’Obazine. La Vita nous livre un aperçu de l’apprentissage des frères d’Étienne. « (…) Pendant ce temps, les frères d’Obazine, d’ermites qu’ils avaient été, devenaient moines. Chaque jour, ils se pénétraient des lois et des institutions nouvelles. Bien qu’ils fussent des vétérans dans la milice céleste, ils se montraient encore ignorants des pratiques monastiques. Ils avaient atteint la perfection spirituelle, mais ils étaient des moines inexpérimentés. C’étaient les maîtres venus de Dalon qui les dirigeaient, leur apprenaient le mode de vie monastique et leur enseignaient les préceptes de la règle. La rudesse de leurs manières et leur manque de discernement lassaient l’inexpérience des religieux de ces soudaines nouveautés et de ces durs châtiments et conduisaient leur âme à l’amertume. Ils ne s’employaient pas à les attirer avec douceur et à les mener peu à peu des anciennes pratiques aux nouvelles. Comme s’ils avaient eu affaire à des gens élevés depuis toujours selon la règle, ils exigeaient sans ménagement l’entière observance de la discipline monastique. À l’église comme ailleurs, ils les troublaient soudain, changeaient leurs habitudes et les reprenaient. Les frères n’avaient pas l’habitude d’être traités ainsi par leur très bon et très sage maître, aussi allaient-ils à lui comme on se réfugie dans un port connu et se prenaient-ils bien souvent à murmurer devant lui contre la dureté des maîtres. Le saint homme, tel un père affectueux et un médecin habile consolait et raisonnait les 243 M. AUBRUN, Vie de Saint Étienne d’Obazine, Institut d’Études du Massif Central, Clermont-Ferrand, 1970, p. 89. 244 B. BARRIÈRE, L'abbaye cistercienne d’Obazine (…), op. cit, p. 63. - 95 - religieux bouleversés : « L’apprentissage de la discipline ne doit pas vous peser lourdement, disait-il, elle est maîtresse et éducatrice en sainteté. » Puis il parlait de la dure et rigoureuse discipline des maîtres, de la vigueur de la vie de religion qu’une molle tiédeur éteint et qu’enflamme, avec assez de force, la ferveur. « Certes, ajoutait-il, vous avez jusqu’à maintenant supporté pour Dieu bien des peines et de dures contraintes corporelles, mais tout cela ne sera vraiment grand que si vous endurez entièrement tous les désagréments des remontrances inséparables de votre récente entrée dans un ordre. C’est avec amertume que l’on se soumet à de salutaires institutions, mais cela se termine dans la douceur. On n’embrasse aucun métier sans difficulté et il n’en est pas un qui se retienne sans peine. Vous qui avez été nourris d’un bienfaisant zèle, supportez donc d’une âme courageuse tout ce qui pourra vous arriver de désagréable pour cela afin que vous récoltiez un jour les doux fruits d’une amère semence. » Par ces paroles, il fortifiait et instruisait les faibles, invitait aussi les nouveaux maîtres à persister dans l’œuvre entreprise et à ne craindre personne. »245 De 1136 à 1142, les travaux de construction se révèlent intensifs. Les bâtiments déjà existants sont réaménagés. On construit également tout ce que le nouveau mode de vie exige. L’oratorium est remplacé par une ecclesia. Une église à saint Pierre est destinée aux hôtes. Le cloître dispose d’une fontaine centrale. Les bâtiments réguliers qui le délimitent sont disposés sur trois côtés, comme dans la majorité des monastères bénédictins depuis l’époque carolingienne246. Le cartulaire demeure relativement flou sur toute cette période et sur les étapes du chantier de construction. La rédaction de cette source n’intervient en effet que 245 246 M. AUBRUN, op. cit, p. 107. B. BARRIÈRE, L'abbaye cistercienne d’Obazine (…), op. cit, p. 64. - 96 - tardivement, à partir de 1170 soit trente ans après les faits. Ce n’est que suite à l’affiliation à Cîteaux en 1147 que les données deviennent plus précises247. De plus en plus de nobles se pressent aux portes du monastère pour rejoindre les frères d’Étienne. Le nombre de femmes du siècle souhaitant se convertir augmente également, si bien qu’Étienne se voit dans l’obligation de séparer les deux communautés. Il se rend en effet compte que ses précautions pour éviter toute parole échangée entre hommes et femmes ne sont pas suffisantes248. Il ordonne donc la construction d’un nouveau monastère pour les femmes sur le site de Coyroux, à 500m au sud-est d’Obazine. Il sera bâti en deux ans selon la Vita, entre 1141 et 1143, ce qui paraît relativement court si l’on prend en compte le temps d’extraction en carrière, la taille des pierres (de chaînages et harpages notamment), les temps de pose et de séchage des mortiers. La pierre et le bois sont directement pris sur le site, seule la chaux doit être acheminée. Si les femmes disposent d’un monastère propre, elles n’en restent pas moins entièrement dépendantes d’Obazine jusqu’au XIVème siècle. Il ne s’agit néanmoins plus d’un monastère-double où les deux communautés se côtoient. L’ordre cistercien n’acceptait toutefois que des abbayes de moniales autonomes. Coyroux est donc une exception. Il n’est pas rare dans l’ordre cistercien que deux communautés, masculine et féminine, soient liées. C’est le cas par exemple de Villelongue (com. saint-Martin-le-Vieil, Aude) et Rieunette (com. Ladern-sur-Lauquet, Aude) près de Carcassonne ou des Olieux et de Fonfroide (com. Narbonne, Aude) près de Narbonne. La communauté masculine apporte soutiens économiques et religieux aux moniales, chacune des deux jouissant d’une pleine personnalité juridique sous l’autorité de son propre supérieur. Ce n’est toutefois pas le cas à Coyroux jusqu’au XIVème siècle249. En 1142, Étienne devient enfin abbé en présence de Géraud, évêque de Limoges de 1142 à 1177. Les deux communautés sont installées officiellement et s’organisent de manière autonome sans rattachement à Dalon250. Obazine est désormais divisée entre moines et frères lais. La communauté de Coyroux compte alors environ 150 moniales obéissant à une clôture perpétuelle251. Elles reçoivent une direction spirituelle de la part des frères. Ceux-ci ont à charge les offices, l’administration des sacrements et la tenue du chapitre. L’église comporte 247 B. BARRIÈRE, Le cartulaire de l’abbaye cistercienne d’Obazine (XIIème-XIIIème siècles), Institut d’Études du Massif Central, Clermont-Ferrand, 1989, p. 22. 248 A. VAYSSIÈRE, « Les dames de Coyroux », BSSHAC, T 5, 1883, p. 365-379. 249 B. CHAUVIN, Pierres… pour l’abbaye de Villelongue, histoire et architecture, T 1, Pupillin, Arbois, 1992, p. 89. 250 B. BARRIÈRE (dir.), Moines en Limousin, l’aventure cistercienne, PULIM, Limoges, 1998, p. 179. 251 M. AUBRUN, op. cit, p. 97. - 97 - un mur de séparation percé seulement d’une ouverture à guichet, isolant la communauté du chœur252. Outre Obazine et Coyroux, Étienne est à l’origine d’autres fondations qui, de simples « celles » érémitiques, vont également évoluer vers le cénobitisme. Avant l’affiliation à Cîteaux en 1147, Valette et Bonnaigue sont fondées. Il y envoie des groupes de moines depuis le monastère d’Obazine qui ne peut accueillir autant de nobles et chevaliers qui se présentent toujours plus nombreux devant les portes. L’abbaye de Bonnaigue est donc fondée en 1142 dans la forêt de Charoux alors qu’Étienne vient d’être nommé abbé. Elle existait auparavant sous forme de celle puis « d’ermitage-prieuré » et n’est transformée en monastère qu’en 1142 lorsque le nombre de moines et de possessions est suffisant et après qu’Obazine soit érigée en abbaye253. Ces dénominations employées par Bernadette BARRIÈRE méritent ici quelques explications supplémentaires. Le terme de celle, précédemment défini, suppose une petite cellule monastique, très modeste, rattachée étroitement à Obazine. L’abbé Étienne seul peut nommer son représentant à la tête de Bonnaigue. L’expression « ermitage-prieuré » est plus complexe. Selon Dom Jacques DUBOIS, un prieuré-ermitage est un prieuré isolé répondant à une volonté de calme et de solitude. Il s’agit de petites structures où un groupe très restreint de moines peuvent avoir le sentiment de vivre au désert254. Suite à son érection en monastère, conséquence d’une mise en valeur des terres alentours permettant l’accueil d’une communauté plus nombreuse, elle conserve néanmoins des liens très étroits avec son abbaye-mère. Selon Suzanne-Marie DURAND, Bonnaigue n’aurait été fondée qu’en 1144. L’auteur ne justifie néanmoins pas cette datation qui n’apparaît pas dans les textes connus255. La charte de fondation n’est toutefois signée que plus tard, en 1157 par le seigneur d’Ussel et son frère Pierre de Ventadour. Jean, le premier abbé (1148), est lui-même un moine venu d’Obazine. Il existe ainsi de très étroits liens entre Obazine et ses fondations256. L’abbaye de Valette est tout d’abord fondée sur le site de Doumis-Le-Pestre dans l’ancien diocèse de Clermont. Il s’agit d’une celle créée à l’initiative d’Étienne, érigée en abbaye en 1143. C’est l’évêque de Limoges Géraud qui recommande son déplacement à 252 B. BARRIÈRE, op. cit, p. 103. B. BARRIÈRE (dir.), Moines en Limousin, l’aventure cistercienne, PULIM, Limoges, 1998, p. 154. 254 Dom. J. DUBOIS, « La vie quotidienne dans les prieurés au Moyen-Âge », dans J-L. LEMAITRE (dir.), Prieurs et prieurés dans l’Occident Médiéval, actes du colloque de Paris organisé par la IVème section de l’École Pratique des Hautes Études, 1984, Genève, Droz, 1987, p. 95-114. 255 S-M. DURAND, Étienne d’Obazine, 1085-1159, Lyon, 1966, p. 67. 256 M. LAVEYX, « L’abbaye de Bonnaigue », BSSHAC, T 16, 1894, p. 536-557. 253 - 98 - Valette pour des raisons de salubrité en 1145. Le transfert s’effectue effectivement « suggestu ac precepto domni Geraldi Lemovicensis episcopi ». Il s’agit sans doute aussi d’un choix stratégique pour attirer les moines d’Étienne sous sa protection et donc sous son contrôle et sa surveillance. L’abbaye de Valette est placée sous la direction de Bégon d’Escorailles, un chevalier disciple d’Étienne257. Doumis devient dès lors une simple grange dépendante du monastère258. Outre ces deux abbayes, Étienne d’Obazine est également à l’origine de la fondation d’autres sites intervenant toutefois après l’affiliation à Cîteaux. L’abbaye de Grosbot est située dans l’actuel département de la Charente, dans le diocèse d’Angoulême. Elle est créée entre 1147 et 1166, date à laquelle elle est érigée en abbaye cistercienne dans la filiation d’Obazine259. En 1147, Étienne reçoit en effet des droits d’usage dans le bois de Grosbot ainsi que le manse de « Mas Codorz ». Il y installe un petit groupe de frères. Ceux-ci sont proches de la communauté canoniale de Fontvive. Grosbot ne correspond alors pas véritablement à un désert, ce qui permet de s’interroger sur une réelle volonté de colonisation du saltus et de terres déshumanisées par Étienne d’Obazine. Ce monastère augustinien est connu depuis 975. Les deux groupes vont fusionner et devenir cistercien en 1166260. Il semblerait que ce soit Grosbot qui ait absorbé la communauté augustinienne pourtant plus ancienne261. Après 1147, Étienne érige également en abbaye La Garde-Dieu dans le diocèse de Cahors (com. Mirabel, Tarn-et-Garonne) ainsi que la Frénade dans le diocèse de Saintes (com. Merpins, Charente), deux sites qui ne seront toutefois pas abordés en détail dans notre étude étant donné leur éloignement avec la zone géographique prise en compte. Ces deux monastères existaient antérieurement à l’état de prieurés. Cette notion étant ignorée par la règle cistercienne, ils deviennent des abbayes-filles suite à l’affiliation d’Obazine262. Ces créations interviennent dans des endroits déjà construits et permettent de se poser la question de la fin de l’esprit pionnier, pourtant si présent dans les débuts érémitiques d’Étienne d’Obazine. 2. L’affiliation à Cîteaux et ses implications. Le monastère cistercien : 257 J-L. LEMAITRE, La Dordogne avant les barrages, Ussel, 1979, p. 9. B. BARRIÈRE (dir.), Moines en Limousin…, op. cit, p. 201-205. 259 B. BARRIÈRE (dir.), Moines en Limousin…, op. cit, p. 172-175. 260 B. BARRIÈRE, L'abbaye cistercienne d’Obazine (…), op. cit, p. 83. 261 D. N. BELL, « An eighteenth Century Book-List from the abbey of Grosbot », Cîteaux, commentarii cistercienses, T 48, 1997, p. 339-370. 262 B. BARRIÈRE, L'abbaye cistercienne d’Obazine (…), op. cit, p. 83. 258 - 99 - En Aquitaine, nous pouvons constater que beaucoup d’abbayes cisterciennes du XIIème siècle correspondent à l’affiliation d’anciens groupes érémitiques. En effet, la convergence vers Cîteaux de communautés explique la plus grande part du dynamisme des moines blancs dans l’ouest de la France. L’initiative du rattachement vient de ces maisons et non des abbayes cisterciennes elles-mêmes. Comme les moines blancs bénéficient de privilèges ecclésiastiques, ils attirent les communautés monastiques affiliées et les ermitages263. La plupart des affiliations de nouvelles communautés datent des années 1160 et sont caractéristiques d’une volonté de normalisation du mouvement érémitique par la diffusion de l’ordre cistercien. Constance Hoffman BERMAN insiste alors sur la création plutôt tardive d’un ordre cistercien [Fig. 12]264. Dalon et ses filles, ainsi que la congrégation obazinienne, vont obtenir leur affiliation à l’ordre de saint Bernard. Nous pouvons également évoquer les abbayes de Savigny (com. Savigny-Le-Vieux, Manche) et de Cadouin qui auront à leur charge de nombreuses filiales. Savigny en particulier est fondée en 1112 par l’ermite normand Vital de Mortain. Trente ans plus tard, elle dispose déjà de 32 filles, principalement en Normandie et en Angleterre [Fig. 13]. Elle s’affilie à Cîteaux en 1147, en même temps qu’Obazine, lors du Chapitre Général présidé par le Pape Eugène III, lui-même moine de Clairvaux265. Mathieu ARNOUX insiste sur le fait que la filiation savignacienne accorde moins d’importance « (…) à l’idéologie de l’autarcie communautaire et la valorisation du travail manuel des religieux »266. Ces monastères tardivement rattachés tendent souvent à conserver une certaine originalité et nuisent ainsi parfois à la cohésion de l’ordre. Les affiliations constituent néanmoins un avantage pour la communauté cistercienne qui bénéficie alors déjà de terres et d’hommes. L’investissement financier et humain est moindre qu’une création directe de l’ordre impliquant un important recrutement d’hommes et des donations initiales conséquentes pour que la communauté soit viable267. Cîteaux et ses filles ne sauraient être 263 C. H. BERMAN, Medieval agriculture, the Southern French Countryside, and the Early Cistercians. A study of Forty-three Monasteries, Philadelphia, 1986, p. 1. 264 C. H. BERMAN, The Cistercian evolution. The invention of a religious order in the Twelfth Century Europe, Philadelphia, 2000, p. 95; C. H. BERMAN, “La filiation de Morimond dans le Midi de la France, XIIèmeXIIIème siècles”, dans G. VIARD (dir.), L’abbaye cistercienne de Morimond. Histoire et rayonnement, colloque international de Langres, 2003, Langres, 2005, p. 311-333. 265 D-M. DAUZET, « Les abbayes normandes à la fin du XIIème siècle », dans Richard Cœur de Lion, roi d’Angleterre, duc de Normandie, 1157-1199, Actes du colloque international de Caen, 1999, Condé-sur-Noireau, 2004, p. 179-187. 266 M. ARNOUX, Mineurs, férons et maîtres de forge. Étude sur la production du fer dans la Normandie du Moyen-Âge, XIème-XVème siècles, CTHS, Paris, 1993, p. 282. 267 C. H. BERMAN, Medieval Agriculture…, op. cit., p. 31; F. CYGLER, ‘Un ordre cistercien au XIIème siècle ? Mythe historique ou mystification historiographique ?” Revue Mabillon, T 74, 2002, p. 307-328. - 100 - considérées comme des centres d’impulsion dont le rayonnement s’étendrait jusqu’aux rivages atlantiques. Elles « récupèrent » des groupuscules érémitiques contraints à adopter une règle cénobitique afin d’assurer leur survie. La mort du fondateur, l’augmentation constante des effectifs, la volonté d’être reconnu par l’Église et le siège épiscopal peuvent expliquer ce glissement vers le cénobitisme. Cîteaux offre alors une possibilité à ces communautés d’achever leur évolution. Selon Mathieu ARNOUX, l’essor de l’érémitisme et des nouvelles communautés marque l’intégration d’espaces auparavant marginaux dans l’ensemble sans cesse plus cohérent d’une chrétienté occidentale réformée. C’est le cas notamment des marges diocésaines souvent encore dévolues au saltus (Marche Limousine)268. L’affiliation à Cîteaux entraîne pour ces mouvements érémitiques des changements profonds dans leur mode de vie et dans l’organisation des bâtiments monastiques. La liturgie, le déroulement des offices, les rapports entre abbaye-mère et abbaye-fille vont se modifier et les communautés vont devoir se conformer aux nouvelles règles et institutions. L’affiliation peut engendrer un élan de donations de la part des seigneurs et familles aristocratiques. Le rattachement à Cîteaux est alors déterminant dans l’essor et l’enrichissement des monastères et amorce souvent une première phase de construction. Charles HIGOUNET constate pour la Marche Limousine une accumulation de surplus sensible dès 1160, phénomène qui serait ainsi directement à mettre en relation avec l’affiliation à Cîteaux. Pour Bernadette BARRIÈRE, le rattachement à l’ordre cistercien entraîne nécessairement le début des chantiers de construction, les moines devant disposer au moins d’un sanctuaire pour les offices. « Ceux des monastères qui, ayant appartenu aux congrégations d’Obazine et de Dalon, subsistent en tout ou partie, attestent qu’il y eut une reprise cistercienne systématique des constructions »269. Toutefois, les possessions agricoles alentour doivent être rendues suffisamment productives auparavant pour assurer les revenus nécessaires aux coûts de mise en œuvre270. Les changements dans l’architecture et le décor sont néanmoins plus délicats à saisir que les implications économiques puisque les ermitages primitifs sont inconnus, étant bâtis en matériaux périssables ; quant aux bâtiments daloniens (peut-être également en bois ?) et aux premières structures bâties mises en place à Obazine (en bois d’après la Vita), elles demeurent 268 M. ARNOUX, « Dynamiques et réseaux de l’Église Régulière dans l’Ouest de la France (fin XIème-XIIème siècles) », dans J. DALARUN (dir.), Robert d’Arbrissel et la vie religieuse dans l’Ouest de la France, Actes du colloque de Fontevraud, 13-16 décembre 2001, Brépols, Belgique, 2004, p. 57-70. 269 B. BARRIÈRE, « Les abbayes issues de l’érémitisme », Cahiers de Fanjeaux, n° 21, Toulouse, Privat, 1986, p. 71-105. 270 B. BARRIÈRE, « La place des monastères cisterciens dans le paysage rural des XIIème et XIIIème siècles », dans l’ouvrage collectif Moines et monastères dans les sociétés de rite grec et latin, Genève, 1996, p. 191-207. - 101 - méconnues. Il est ainsi difficile de savoir si le rattachement à l’ordre cistercien a déterminé des « types architecturaux »271. Cette édification de premiers bâtiments en bois n’est pas une spécificité des ermitages limousins. Mathias UNTERMANN souligne cet aspect pour de nombreux monastères cisterciens. À Clairvaux en particulier (com. Ville-sous-Laferté, Aube), des structures en bois sont utilisées durant une décennie avant la construction monumentale en pierres. De même pour le monastère autrichien de Zwettl apparaissant comme un « ligneum monasteriolum » en 1137. Dans les années 1150 à Villers (com. Villers-La-Ville, Brabant), dortoir et réfectoire sont bâtis comme des huttes. En 1273, la fondation de Stams au Tirol est d’abord en bois (« claustrum ligneum »)272. L’élaboration de premières structures en matériaux périssables est donc fréquente mais difficile à l’étude, qu’il s’agisse d’un ermitage primitif ou d’une première organisation cénobitique. L’affiliation à Dalon ou à Obazine des ermitages limousins semble avoir entraîné systématiquement un abandon de ces structures provisoires pour des bâtiments pérennes en pierres. En 1147, Étienne d’Obazine se rend au Chapitre Général de Cîteaux et demande l’affiliation, soutenue par le Pape Eugène III. Le site d’Obazine n’a pourtant rien de réellement « cistercien ». C’est un site ouvert, dominant et salubre. Il n’y a pas de cours d’eau à proximité immédiate contrairement aux volontés des statuts cisterciens. Le problème de l’approvisionnement en eau conduit à s’interroger sur l’opportunité d’un changement de site. Il est toutefois maintenu mais les aménagements hydrauliques nécessaires sont importants. Les moines sont obligés de bâtir le « canal des moines » pour dériver l’eau du Coyroux. La discipline était beaucoup plus stricte à Obazine qu’à Cîteaux, notamment concernant l’abstinence. Cette démarche d’affiliation faillit être compromise par la présence de la communauté féminine de Coyroux. Dès 1119, les statuts de l’ordre précisent en effet que les moines et les convers ne doivent pas côtoyer les femmes. Une autre codification de 1152 laisse transparaître les réticences à accepter les communautés féminines de l’ordre. L’affiliation d’Obazine et de Coyroux est toutefois acceptée mais sous la condition que « tout ce qui était contraire aux institutions de l’ordre serait supprimé peu à peu ». Il est décidé qu’Étienne cesse d’être le supérieur de Coyroux. Il continue d’en être le père mais une abbesse doit être élue273. Il y avait donc clairement des divergences entre l’observance 271 C. ANDRAULT-SCHMITT, « Des abbatiales du « Désert ». Les églises des successeurs de Géraud de Sales dans les diocèses de Limoges, Poitiers et Saintes (1160-1220) », BSAOMP, 1994, T 8, 5ème série, p. 91-173. 272 M. UNTERMANN, Forma Ordinis. Die mittelalterliche Baukunst des Zisterzienser, Deutscher Kunstverlag, München, Berlin, 2001, p. 171. 273 S- M. DURAND, Étienne d’Obazine- 1085-1159, Lyon, 1966, p. 76. - 102 - dalonienne adoptée par les moines d’Obazine et l’observance cistercienne à laquelle ils aspirent. Suite au rattachement à l’ordre, des adaptations à la Règle sont donc inévitables : des changements sont nécessaires quant à l’office liturgique ; les malades peuvent désormais manger de la viande, ce qu’Étienne interdisait. La spiritualité cistercienne met l’accent sur l’exercice de la charité. La Vita apporte plusieurs fois le témoignage de la priorité absolue aux pauvres à Obazine suite à l’affiliation. Les distributions de viande sont fréquentes de même que l’embauche d’ouvriers par charité plus que par nécessité (livre II, 20) 274. Enfin, concernant les bâtiments monastiques, ils sont agrandis par le sud. Il est indispensable pour Étienne de mener cette phase d’uniformisation et de normalisation. Constance Hoffman BERMAN remet toutefois en cause la date d’affiliation d’Obazine à l’ordre de Cîteaux. Pour elle, elle n’a pas lieu avant 1165. L’historienne n’apporte toutefois aucune justification solide à son propos. Pour elle, il n’y a aucune preuve de la tenue d’un Chapitre Général en 1147 avec la présence du Pape Eugène III. Elle renie ainsi entièrement la Vita d’Étienne d’Obazine, pourtant document incontournable quant aux premiers temps de la communauté double d’Obazine-Coyroux. Consciente des limites de cette source écrite quelques dizaine d’années après les faits, il apparaît toutefois délicat d’en faire totalement abstraction face à l’indigence des autres sources mises à notre disposition. Pour Constance BERMAN, Obazine doit s’être affiliée dans les années 1160 car c’est la dernière dans la liste des filles de Cîteaux apparaissant dans la confirmation papale de 1165275. Après l’affiliation, Obazine fonde trois abbayes : la Garde-Dieu dans le diocèse de Cahors, la Frénade (diocèse de Saintes) et Grosbot (diocèse d’Angoulême). La Garde-Dieu et la Frénade sont bâties « en des endroits déjà construits » d’après la Vita. Il n’y a donc pas d’installation au désert. L’idéal pionnier primitif n’est peut-être plus aussi vivace 276. Ces deux sites sont érigés en abbayes-filles277. Bonnaigue et Valette sont également affiliées à Cîteaux en même temps que leur abbaye-mère Obazine. Avant l’affiliation, l’abbaye d’Obazine agit déjà, sur le plan économique, en parfaite conformité avec les méthodes et les objectifs de l’ordre cistercien. Toutefois, les termes de « grangier » ou de « convers » n’apparaissent pas encore278. Dès 1150-1160, la carte du réseau des granges obaziniennes est déjà esquissée. Il s’agit surtout de manses et de borderies, de 274 B. BARRIÈRE, « Un saint limousin au XIIème siècle », Annales du Midi, T 85, 1973, p. 107-110. C. H. BERMAN, The Cistercian evolution…, op. cit, p. 146. 276 M. AUBRUN, Vie de Saint Étienne d’Obazine, Institut d’Études du Massif Central, Clermont-Ferrand, 1970, p. 117. 277 B. BARRIÈRE, L’abbaye cistercienne d’Obazine en Bas-Limousin, les origines- le patrimoine, Tulle, 1977, p. 81. 278 B. BARRIÈRE, « Un saint limousin au XIIème siècle », Annales du Midi, T 85, 1973, p. 107-110. 275 - 103 - terroirs déjà constitués et exploités, rarement de terres incultes ou d’espaces forestiers 279. Ces terres étaient pour la majorité déjà en possession de l’abbaye avant l’affiliation et les abbés cisterciens successifs ont simplement consolidé ce patrimoine et continué l’expansion notamment dans la région de Rocamadour. L’affiliation à Cîteaux ne change ainsi pas foncièrement la politique patrimoniale de l’abbaye. La volonté de regrouper les donations afin d’obtenir un patrimoine cohérent sous forme d’unités d’exploitation agricole est néanmoins peut-être plus nettement exprimée. Concernant Grosbot, elle s’affilie à l’ordre de Cîteaux par l’intermédiaire d’Obazine en 1166. C’est à ce moment-là qu’elle prend le nom de Grosbot. C’est l’unique abbaye cistercienne de l’Angoumois. Elle témoigne des efforts réalisés par l’ordre cistercien pour s’implanter dans le diocèse. Étienne d’Obazine avait en effet la volonté de créer une dépendance en Angoumois qui serait une étape sur la route Saintongeaise où était déjà installée l’abbaye de la Frénade (1148). Étienne œuvre ainsi à la pénétration cistercienne dans le diocèse d’Angoulême dès l’affiliation à Cîteaux en 1147. Il comprend bien le rôle « colonisateur » que les moines cisterciens ont à jouer en Aquitaine et dans les zones de confins diocésains faiblement peuplés. Grosbot absorbe une communauté religieuse préexistante de type canonial rénové, l’abbaye de Fontvive. Ce monastère augustinien est fondé vers 975. Il se laisse visiblement gagner par le mode de vie du jeune monastère cistercien voisin. La réunion des deux communautés entraîne soit le transfert de l’un des sites vers l’autre, soit le choix d’un nouveau site280. En 1162, Dalon et toute sa congrégation entrent dans l’ordre cistercien dans la filiation de Pontigny : il s’agit d’Aubignac, Boeuil, Bonlieu, Prébenoît et le Palais-Notre-Dame. Pontigny est située dans l’actuel département de l’Yonne (com. Pontigny), aux marges des diocèses de Sens, Auxerre et Langres, et à la limite des comtés de Tonnerre, d’Auxerre et de Champagne. Elle est placée sous la protection des rois de France281. L’affiliation de Dalon est favorisée par les évêques et les seigneurs laïcs. Concernant l’abbaye de Boeuil, l’affiliation ce 3 novembre 1162 à la demande de l’abbé Amel n’entraîne pas une augmentation des donations, des possessions. La majorité des acquisitions est plus tardive (vers 1250). Il n’y 279 B. BARRIÈRE, Le cartulaire de l’abbaye cistercienne d’Obazine (XIIème-XIIIème siècles), Institut d’Études du Massif Central, Clermont-Ferrand, 1989, p. 23. 280 B. BARRIÈRE (dir.), Moines en Limousin, l’aventure cistercienne, PULIM, Limoges, 1998, p. 172-175 ; D. N. BELL, « An eighteenth Century Book-List from the abbey of Grosbot », Cîteaux, Commentarii Cisterciensis, T 48, 1997, p. 339-370. 281 M. GARRIGUES, Le premier cartulaire de l’abbaye cistercienne de Pontigny, Paris, 1981, p. 12. - 104 - aurait pas forcément de liens très étroits entre affiliation et acquisition d’un important patrimoine foncier282. Dès 1151, Eugène III avait pris Boeuil sous sa protection. Ce pape avait fait sa profession religieuse à Clairvaux, d’où sa bienfaisance envers cet ordre. Toutefois, Boeuil n’était pas encore cistercienne à cette date283. En 1163, peu de temps après l’affiliation, les moines se plaignent à Rome de la vie scandaleuse des ermites de la Malaise. Ceux-ci sont donc donnés à Boeuil avec tous leurs bois. La Malaise est située à la jonction des trois communes de Saint-Brice, Oradour-Sur-Glane et Saint-Victurnien. Quels changements l’agrégation de cette petite communauté érémitique entraîne-t-elle pour les moines de Boeuil ? Aucun texte n’évoque leur acclimatation dans la jeune communauté cistercienne. En 1168, les moines cisterciens de Boeuil semblent assez nombreux et opulents pour fonder une filiale. Il est fait état d’un essaimage à Ferrières mais qui n’est toutefois cité qu’une fois. S’agit-il d’un échec ou bien d’une confusion avec l’abbaye-fille Saint-Léonarddes-Chaumes réellement fondée par Boeuil ? Cette abbaye est située dans le diocèse de Saintes et aurait pu changer de nom lors de l’affiliation. Un lieu-dit « L’abbaye » en conserve le souvenir sur la commune de Dompierre-sur-Mer (arrondissement de la Rochelle, département Charente-Maritime). Dès le XIIIème siècle, l’existence de convers est attestée à Boeuil. De même à Dalon, la première mention d’un convers apparaît en 1169, soit sept ans après l’affiliation 284. Existaient-ils avant l’affiliation à Cîteaux ou leur introduction est-elle étroitement liée au rattachement à l’ordre ? Existaient-ils sous un autre nom ? L’ancien ermitage géraldien doit en effet se conformer aux statuts cisterciens lors de son affiliation285. Les cisterciens transforment les paysans en frères convers pour « débarrasser » leurs terres des anciens habitants. En 1162, l’abbaye du Palais-Notre-Dame est affiliée à Cîteaux en même temps que Dalon, son abbaye-mère. Au début du XIIIème siècle, le monastère comptait seize religieux et cinq à dix convers. Ces convers étaient-ils déjà là durant l’époque dalonienne ? Les textes ne permettent pas de le savoir. Les effectifs dans les années 1200 montrent qu’il s’agissait en tout cas d’un petit monastère. D’après le cartulaire, nous pouvons constater qu’il n’y a pas de préférence pour la communauté dalonienne ou cistercienne. Il n’y a pas d’accroissement des 282 Pour ces questionnements, voire notre étude des liens entre patrimoine foncier et affiliation. I. D. b. 3. AD Haute-Vienne, 13 H 1. 284 L. GRILLON, Le domaine et la vie économique de l’abbaye cistercienne Notre-Dame de Dalon en BasLimousin, thèse de doctorat, Bordeaux, 1964, p. 20. 285 I. AUBRÉE, Patrimoine, gestion et vie sociale de l’abbaye cistercienne de Boeuil du XIIème au début du XVIème siècle, mémoire de maîtrise d’Histoire Médiévale, sous la direction de B. BARRIÈRE, Limoges, 1995, 1 vol., p. 70. 283 - 105 - donations suite à l’affiliation. Les acquisitions gratuites ne perdent pas leur élan dans la seconde moitié du XIIème siècle. Bernard Ier, premier abbé cistercien du Palais, agit dans la lignée de ses prédécesseurs daloniens. Il travaille à l’expansion du patrimoine, notamment sur la paroisse de Soubrebost. Il exige également de nombreux contrats de confirmation pour que l’abbaye cistercienne dispose des mêmes droits d’usages et exemptions que l’abbaye dalonienne. D’après l’héritage dalonien, il organise sept domaines et fonde la grange de Beaumont. Son successeur Hélie (1168-1177) travaille à l’autonomie et l’affermissement du patrimoine. Il ne réalise toutefois aucun élargissement du temporel286. Concernant l’abbaye de Bonlieu, Claude ANDRAULT-SCHMITT s’est attachée à démontrer l’importance de la date d’affiliation dans le chantier de construction de l’abbatiale. Pour les érudits du début du XXème, le début de la construction interviendrait dès 1141 et son rattachement à Dalon. La mise en œuvre du cloître et de l’église aurait été achevée sous l’abbé Jean de Comborn (1179-1196) soit à l’extrême fin du XIIème siècle. L’édifice n’est toutefois consacré qu’en 1232287. Pourquoi une telle attente si les travaux étaient achevés depuis plus de trente ans ? Les actes du cartulaire peuvent nous apporter quelques indications de datation. En effet, certaines transactions et donations tiennent lieu au monastère même et évoquent souvent des bâtiments bien précis. Ainsi, l’hôtellerie est citée en 1179, le parloir et la cuisine en 1183, la salle capitulaire et l’auditorium en 1195, la porte du cellier et le cloître des convers en 1198, la porte du monastère en 1199, le cloître de l’infirmerie en 1205, l’hôpital au bord de l’étang en 1207, le cimetière en 1221, et enfin le parloir devant la chambre de l’abbé en 1221. Pour Claude ANDRAULT-SCHMITT, ces dates iraient dans le sens d’une construction entamée vers 1160-1170 par le chœur et le transept et qui s’échelonne jusque dans le premier tiers du XIIIème siècle, ce qui justifierait la consécration tardive de l’édifice. Elle s’achèverait par la mise en œuvre de la façade occidentale. L’affiliation à Cîteaux en 1162 aurait été déterminante pour l’édification du monastère288. Toutefois, une interprétation légèrement différente peut être envisagée. Nous savons d’après un acte conservé aux Archives Départementales de la Creuse que le monastère de Bonlieu est pillé et détruit en 1171 par les Brabançons. Hugues de Chambon, le fils d’Amelius, premier donateur de l’ermitage, fait une description de l’abbaye après cette attaque289. Ne pourrait-on pas imaginer une reconstruction après cette date ? Ce n’est ainsi peut-être pas une obligation spirituelle liée au rattachement à 286 S. VITTUARI, Le patrimoine de l’abbaye du Palais-Notre-Dame d’après le cartulaire (1134-12..), mémoire de maîtrise d’histoire sous la direction de B. BARRIÈRE, Limoges, 1992, p. 122. 287 C. PÉRATHON, « L’abbaye de Bonlieu », MSSNAC, T XVI, 1902, p. 13-24. 288 C. ANDRAULT-SCHMITT, « Des abbatiales du « désert » (…) », op. cit, p. 150. 289 AD Creuse, H 284, « veni cum eodem patre meo ad abbatiam Boni Loci post invasionam et damnum quod intulerunt fratribus Boni Loci Theutonici sub ducatu meo ». - 106 - l’ordre cistercien qui aurait été déterminante mais plutôt une obligation matérielle suite à des destructions massives. Concernant l’abbaye d’Aubignac, rattachée à Dalon dès 1138 et affiliée à Cîteaux en même temps que son abbaye-mère en 1162, Marie-Hélène TERRIER montre que la constitution du terroir principal des granges est amorcée dès le milieu du XIIème siècle, avant même le rattachement à Cîteaux qui ne serait ici pas déterminant pour le développement du monastère. Son étude sur les bois de l’abbaye prouve que des années 1165 au milieu du XIIIème siècle, les moines n’acquièrent que peu de bois et forêts. L’affiliation serait alors à relativiser et à nuancer, et n’engendre pas forcément une nouvelle politique d’acquisition, une nouvelle gestion économique et domaniale. Aubignac reste une abbaye modeste ne disposant que de six granges. Ce n’est que de 1248 à 1351 que les moines d’Aubignac se livrent à une véritable politique d’acquisition. Les donations en pure aumône et les libéralités de la noblesse se sont dès lors raréfiées, dès le début du XIIIème siècle. La piété seigneuriale ne concerne que les tous premiers temps de l’affiliation à Cîteaux et ne dure qu’un demi-siècle 290. Ils aident seulement à la mise en place du terroir principal du monastère qui assure ensuite par lui-même son développement291. En 1163, l’ancien ermitage géraldien de Boschaud est rattaché à Cîteaux dans la filiation de Clairvaux. Il ne dépend pas de Dalon comme de nombreuses fondations de Géraud de Sales. Claude ANDRAULT-SCHMITT s’attarde plus particulièrement sur les rapports entre cette affiliation et la construction de l’abbatiale. Elle place l’édification entre 1160 et 1180. L’adoption d’une nef voûtée de coupoles sur pendentif ferait écho à la coupole de croisée du transept d’Obazine (1156-1176). Pour l’historienne de l’art, l’affiliation serait intervenue entre l’édification du chevet et du transept292. Face à la ruine de l’édifice, il paraît toutefois délicat de soutenir cette hypothèse. La congrégation géraldienne avait dû auparavant bâtir des bâtiments conventuels et un sanctuaire et il n’est pas attesté que l’affiliation ait entraîné la destruction complète de ces structures et une reconstruction totale entre 1160 et 1180. Des remaniements semblent plus plausibles étant donné la modestie des revenus de cette abbaye. Une reconstruction complète aurait sans doute été trop onéreuse pour ce site. Cette hypothèse est partagée par Constance Hoffman BERMAN qui pense à une probable 290 En 1165, Bernard, vicomte de Brosse, confirme ses donations et celles de son père à Aubignac. Cette confirmation montre que la générosité seigneuriale se poursuit au moment de l’affiliation à Cîteaux. La donation elle-même est cependant antérieure et ne dépend pas de l’appartenance ou non du monastère à l’ordre de saint Bernard. AD Creuse, H 234. 291 H. DELANNOY, « L’abbaye d’Aubignac », MSSNAC, T XVII, 1909, p. 7-63. 292 C. ANDRAULT-SCHMITT, « L’abbaye de Boschaud », Congrès Archéologique de France, Périgord, 1998, Paris, 1999, T 156, p. 105-117. - 107 - conservation des sanctuaires précédant l’affiliation à Cîteaux : la pauvreté de certaines communautés est flagrante et les moines n’ont sans doute pas eu les moyens de remplacer entièrement les bâtiments. Cela a dû être le cas à Aubignac, Prébenoît et au Palais, abbayes ne disposant que de peu de granges et de revenus. Les bâtiments daloniens n’ont probablement pas été détruits mais seulement remaniés lors de l’affiliation293. L’affiliation à l’ordre cistercien a pour conséquence directe la participation des abbés aux Chapitre Généraux. Ces chapitres ont lieu chaque année, mi septembre, à l’abbaye de Cîteaux. Ceux-ci ont une activité législative édictant des lois pour l’ordre tout entier ainsi qu’une activité judiciaire en surveillant chaque filiation, chaque monastère. L’analyse des Statuta de CANIVEZ permet de mieux cerner les rapports entretenus entre abbayes-mères et abbayes-filles294. Ces relations sont précisées dès 1119 par la Carta Caritatis, énonçant en particulier que chaque année, l’abbé-père doit visiter sa fille afin de l’aider à demeurer fidèle à l’idéal cistercien. L’abbé-fils doit également se rendre régulièrement dans son abbaye-mère. Néanmoins, les rapports entretenus ne sont pas toujours entièrement pacifiques. Les litiges sont fréquents entre les différents sites dont les possessions se touchent parfois. Les conflits de bornage sont monnaie courante. Ainsi, les relations entre Obazine et ses filles semblent étroites. En 1169, Robert, abbé de la Frénade est présent lors d’une donation par Guillaume Pépin de Dolus à Obazine. Cet abbé est très souvent cité dans les actes du cartulaire d’Obazine de même que Bernard de Fontvive. En 1170, Étienne Maurin, abbé de Valette, assiste à une donation d’Humbert de la Marche à Obazine. En 1177, Géraud Doitrand de la Roque de Larc dote l’abbaye corrézienne devant Bernard, abbé de la Garde-Dieu. En 1260, une inspection est confiée par le Chapitre Général aux abbés de la Peyrouse et du Palais-Notre-Dame du lieu choisi par l’abbé d’Obazine pour y édifier une abbaye-fille. Les relations entre Obazine et ses filles ne sont pas toujours pacifiques. En 1262, elle entre en conflit avec la Frénade. Les abbés de Belleperche (com. Cordes-Tolosannes, Tarn-et-Garonne) et de Montpeyroux (com. Puy-Guillaume, Puyde-Dôme) sont chargés de régler le différend295. L’abbé d’Obazine doit veiller à la bonne conduite de ses filles et son entremise dans la gestion de ces abbayes est tangible dans les Statuta. En 1217, l’abbé d’Obazine est chargé par 293 C. H. BERMAN, The cistercian evolution. The invention of a religious order in the Twelfth Century Europe, Philadelphia, 2000, p. 29. 294 J. M. CANIVEZ, Statuta Capitulorum Generalium Ordinis Cisterciensis ab anno 1116 ad annum 1786, Louvain, 1933. 295 B. BARRIÈRE, Le cartulaire de l’abbaye cistercienne d’Obazine…, op. cit, p. 508. J-M. CANIVEZ, op. cit., T II, 1260-60 ; T III, 1262-54. - 108 - le Chapitre Général de sanctionner l’abbé de la Frénade296. En 1220, c’est l’abbé de Grosbot qui est réprimandé par son abbé-père pour avoir célébré des mariages dans la salle capitulaire297. L’abbaye de Dalon revêt certaines responsabilités au sein de l’ordre cistercien. En 1190, l’abbé traite avec d’autres pères quelques affaires de l’ordre dans une grange de Pontigny. En 1201, il aide à décider de la collecte à faire dans les monastères pour la Terre Sainte et la libération des captifs, aux côtés des abbés de Savigny, Preuilly et Cadouin 298. Nous connaissons peu les rapports entretenus entre Dalon et ses abbayes-filles : selon Bernadette BARRIÈRE, ils étaient sans doute plutôt spirituels et administratifs qu’économiques299. En 1160, c’est Amel, deuxième abbé de Dalon (1158-1167) qui établit un abbé au Palais. En 1194, Arbert devient abbé du Palais après l’avoir été à Dalon. En 1204, Adémar de Peyrat donne aux moines du Palais des droits sur le manse de Martin. L’abbé de Prébenoît est présent. En 1210, Jean de Coulonges devient abbé après avoir siégé à Dalon entre 1196 et 1209. En 1211, il abandonne son abbaye pour se faire simple moine à SaintMartial de Limoges300. En 1214, l’abbé de Dalon se rend à Prébenoît où l’abbé a été blessé dans sa couche pendant la nuit, agressé probablement par des frères convers301. En 1399, l’abbé de Dalon est requis afin de réformer le monastère du Palais. L’abbaye-mère assure ainsi sa mission « spirituelle » et morale envers sa fille302. Dalon entre souvent en conflit avec certaines de ces abbayes-filles ou avec d’autres abbayes limousines, comme l’abbaye de Peyrouse en 1192, 1219, 1220, 1221, 1241 et 1261. Toutefois, les statuts précisent rarement quel est l’objet de ces litiges. Nous pouvons supposer qu’il s’agit de simples conflits de bornage qui vont durer plusieurs années. Ces querelles sont le plus fréquemment arbitrées et réglées par des abbés venus de proches abbayes, comme ceux d’Obazine, Boschaud et Aubepierres, attestant de liens étroits et soutenus au fil des siècles entre les différents monastères cisterciens du diocèse de Limoges et de ses marges, qu’il s’agisse de créations directes ou d’affiliations et quelques soient les liens de parenté. En 1239, 296 J-M. CANIVEZ, op. cit, T II, 1217-35. J-M. CANIVEZ, op. cit, T I, 1220-39. 298 J-M. CANIVEZ, op. cit, T I, 1190-76 ; 1201-51. 299 B. BARRIÈRE, « L’économie cistercienne du sud-ouest de la France », Centre culturel de l’abbaye de Flaran, Économie cistercienne. Géographie, mutations du Moyen-Âge aux temps modernes, 1981, Auch, 1983, p. 75-99. 300 J. CIBOT, Le cartulaire de l’abbaye du Palais-Notre-Dame (XIIème-XIIIème siècles), DES, Poitiers, 1961, fol. 48. 301 L. GRILLON, « Les abbayes cisterciennes de la Dordogne dans les statuts des chapitres généraux de l’Ordre », BSHAP, T 82, 1955, p. 138-148 ; J-M. CANIVEZ, op. cit, T I, 1214-15. 302 J-M. CANIVEZ, op. cit, T III, 1399-30. 297 - 109 - c’est avec l’abbé de la Grâce-Dieu (com. Benon, Charente-Maritime) que Dalon entre cette fois en conflit. Les abbés d’Obazine et d’Aubignac sont requis pour rétablir la paix entre les deux protagonistes. Cette querelle ne semble pas réglée en 1247 puisque l’abbé d’Obazine et celui de Boeuil interviennent une nouvelle fois pour rétablir la paix entre les deux partis. En 1249, ce sont cette fois les abbés de Belleperche et de Peyrouse qui tentent de rétablir la concorde303. Un conflit éclate également en 1271 entre Dalon et Boschaud. Les abbés de Peyrouse et de la Garde-Dieu sont commis pour régler le différend304. Les abbés de Dalon sont également fréquemment conviés à arbitrer des conflits touchant l’une ou l’autre des abbayes-filles. Ainsi, en 1211, l’abbé de Dalon est commis pour régler un litige entre Boeuil et Saint-Léonard-des-Chaumes. Il est pour cela accompagné des abbés du Pin (com. Béruges, Vienne) et de Trizay (com. Saint-Vincent-Puymaufrais, Vendée)305. En 1209, l’abbé de Boschaud règle un conflit entre Peyrouse et Cadouin. En 1249, Boschaud et Boeuil sont en désaccord, peut-être à propos de la grange de Mars dépendante de Boeuil et située à six kilomètres de Boschaud. En 1271, Dalon et Boschaud se disputent à propos du manse de Mazerou306. En 1233, un abbé de Pontigny est chargé d’enquêter sur la conduite d’un abbé de Boschaud. Nous ne savons toutefois pas ce qui lui est reproché. En 1247, les convers de Boschaud sont sanctionnés pour avoir rudoyé leur abbé. En 1274, une plainte est déposée contre l’abbaye des Châtelliers qui n’a pas respecté un accord avec sa fille au sujet de granges dont Boschaud réclame la restitution. En 1233, l’abbé de Boschaud est sanctionné par l’entremise de l’abbé de Clairvaux, son abbé-père par l’intermédiaire des Châtelliers. Les liens de filiation apparaissent étroits même si Boschaud est affilié tardivement à l’ordre cistercien. Les abbés-pères sont chargés de veiller à la bonne conduite de leurs fils et prennent visiblement cette tâche à cœur. De même lorsqu’en 1247 une révolte des frères convers sourde à Boschaud, c’est l’abbé de Clairvaux qui envoie un groupe d’hommes dignes de confiance pour régler l’affaire307. Les rapports entre certaines abbayes des marges berrichonnes sont également étroits. En 1129, Martin Godin donne des vignes à Aubignac sur lesquelles les moines de la Colombe 303 J-M. CANIVEZ, op. cit, T II, 1239-35 ; 1247-52 ; 1249-41. J-M. CANIVEZ, op. cit, T III, 1271-40. 305 J-M. CANIVEZ, op. cit, T. I, 1211-58. 306 C. DESPORT, Deux abbayes cisterciennes du Périgord : Boschaud et Peyrouse, mémoire de maîtrise d’Histoire médiévale sous la direction de Bernadette BARRIÈRE, Limoges, p. 49. 307 L. GRILLON, op.cit, p. 138-148 ; J-M. CANIVEZ, T II, 1233-44 ; 1247-20. 304 - 110 - recevaient déjà quatre deniers de cens308. En 1190, l’abbé de la Colombe est jugé coupable d’avoir permis à des femmes d’entrer dans le monastère. En 1195, l’abbé des Pierres est jugé puis sanctionné par les abbés d’Aubepierres, d’Aubignac et de Noirlac. Il sera également puni par le Chapitre Général pour ne pas s’être présenté à la réunion annuelle. Ce sont souvent les abbés les plus proches du monastère fautif qui règlent le conflit ou punissent la mauvaise conduite309. En 1197, l’abbé de Varennes est sanctionné par les abbés de Preuilly et Vauluisant. Vauluisant est son abbaye-mère (com. Courgenay, Yonne). Elle est elle-même issue de Preuilly (com. Égligny, Seine-et-Marne). Les rapports de filiation semblent ici importants et l’abbaye-mère veille étroitement à la droiture de la modeste abbaye berrichonne. En 1214, l’abbé de Varennes est chargé par le Chapitre Général d’arbitrer un conflit entre les monastères de la Prée (com. Ségry, Indre) et Issoudun.310. Lorsqu’une querelle éclate en 1236 entre les abbés de Noirlac (com. Saint-Amand-Montrond, Cher) et des Pierres, se sont les proches abbés de La Prée et de Fontmorigny (com. Ménétou-Couture, Cher) qui interviennent pour tenter de rétablir l’ordre et la paix entre ces deux monastères. Nous savons par ailleurs qu’en 1247, les abbés de Noirlac et du Palais doivent rétablir la concorde entre les abbés de Prébenoît et Aubepierres311. En 1279 éclate une querelle entre le monastère de Varennes et l’abbaye de la Prée. L’abbé d’Aubepierres est alors commis pour régler le conflit. En 1297, les abbés de la Prée et de Prébenoît doivent réconcilier les abbés des Pierres et de Varennes312. En 1398, Roger de Saint-Avit, moine de Prébenoît, devient abbé de la Colombe313. c. Les créations directes. Si l’affiliation d’ermitages préexistants est le procédé le plus fréquent en Aquitaine, l’ordre cistercien s’implante également par le biais de créations directes. Douze abbayes cisterciennes du diocèse de Limoges correspondent ainsi à des affiliations314, tandis que six seulement sont des créations directes [Fig. 11]315. Les cisterciens doivent en effet composer avec ces pauvres du Christ déjà bien implantés dans les marges forestières dès le début du XIIème siècle, disciples de Géraud de Sales ou frères d’Étienne d’Obazine. Pourtant, d’après une historiographie traditionnelle, c’est le rayonnement de saint Bernard qui explique la 308 AD Creuse, H 234. J-M. CANIVEZ, op. cit, T I, 1195-75 ; 1195-60 ; 1190-46. 310 J-M. CANIVEZ, op. cit, T I, 1197-54 ; 1214-37. 311 M. AUBRUN, Moines, paroisses et paysans, PUBP, Clermont-Ferrand, 2000, p. 13 et 37 ; J-M. CANIVEZ, op. cit, T II, 1236-50 ; 1247-50. 312 J-M. CANIVEZ, op. cit, T III, 1279-83 ; 1297-10. 313 D. GAUDON, « Histoire de l’abbaye de la Colombe », Revue du Centre, 1889, T XI, p. 168-175. 314 Aubignac, Boeuil, Bonlieu, Bonnaigue, Boschaud, Dalon, Grosbot, Obazine et Coyroux, le Palais-NotreDame, Prébenoît, Valette. 315 Aubepierres et les Pierres, Derses, La Colombe, Peyrouse, Varennes. 309 - 111 - rapide expansion de Cîteaux en France et dans l’Europe entière. Ce succès se comprendrait par une brutale colonisation depuis la Bourgogne. D’après Constance Brittain BOUCHARD, presque toutes les fondations cisterciennes de Bourgogne sont des créations directes, excepté Reigny (com. Vermenton, Yonne), ancien ermitage, Longué fondation augustinienne (com. Aubepierre-sur-Aube, Haute-Marne) et Vaux-la-Douce (com. Vaux-la-Douce, Haute-Marne) auparavant grange de Clairefontaine316. La réalité est toute autre en Aquitaine. Concernant le diocèse de Limoges, il s’agit plus de réformer d’anciens ermitages ou monastères que de fonder de nouvelles abbayes par colonisation. Cela semble être le cas de l’ensemble de l’Aquitaine où la pénétration cistercienne est plus tardive que pour de nombreuses autres régions et intervient dans le second tiers du XIIème siècle, voire la seconde moitié du XIIème siècle, soit un demi siècle après la fondation de l’ordre317. Dans le premier tiers du XIIème siècle, les expansions de Cîteaux et de Clairvaux restent limitées et ne sortent guère de la Bourgogne [Fig. 12]. Ce sont les prédications de Bernard de Clairvaux qui permettent notamment de faire connaître l’ordre hors de Bourgogne318. Il nous paraît nécessaire ici de faire un point précis sur la diffusion de l’ordre cistercien en France, puis plus précisément en Aquitaine afin de mieux comprendre la politique d’expansion des moines blancs notamment dans le cadre du diocèse de Limoges intéressant notre étude. Le berceau de l’ordre cistercien se situe en Bourgogne avec les créations de la Ferté en 1113 (com. Saint-Ambreuil, Saône-et-Loire, diocèse de Chalon), de Pontigny en 1114 (diocèse d’Auxerre), de Clairvaux et Morimond (com. Fresnoy-en-Bassigny, Haute-Marne) en 1115 dans le diocèse de Langres [Fig. 13]. À partir des années 1118-1120, des essaimages sont réalisés plus loin, généralement à la demande des évêques qui souhaitent attirer ces moines réformateurs afin de dynamiser leurs diocèses. Ces essaimages sont généralement constitués de douze moines allant peupler une nouvelle abbaye quant la communauté d’origine devient trop nombreuse. Preuilly est alors fondée dans le diocèse de Sens, La CourDieu en 1119 dans le diocèse d’Orléans (com. Ingrannes, Loiret), Bonnevaux en 1119 dans le diocèse de Vienne (com. Marçay, Vienne) et enfin l’Aumône en 1121 dans le diocèse de Chartres (com. La Colombe, Loir-et-Cher). Ces dernières vont créer des abbayes-filles tout 316 C. B. BOUCHARD, Holy Entrepreneurs. Cistercians, Knights, and economic exchange in Twelfth-Century Burgundy, Cornell University Press, 1991. 317 C. H. BERMAN, The Cistercian evolution. The invention of a religious order in the Twelfth Century Europe, Philadelphia, 2000, p. 2. 318 C. H. BERMAN, The Cistercian evolution…, op. cit, p. 101. - 112 - d’abord dans les diocèses périphériques non pourvus à la demande de l’épiscopat ou de la haute aristocratie locale. L’action de Bonnevaux tout au long du XIIème siècle en Viennois est ainsi assez spectaculaire. Ce monastère répand la formule cistercienne sur une grande partie du sud-est français, jusqu’en Auvergne et en Provence. La filiation de Cîteaux affiche une certaine omniprésence et s’impose davantage en Bretagne et en Provence. Cîteaux s’étend aussi en Bourgogne, dans le nord de la France et l’Ile-de-France. Elle est presque absente à l’est et dans le nord-est. Clairvaux concentre ses réseaux en Normandie, en Champagne et dans les régions septentrionales ; elle tente également quelques percées dans le centre de l’Aquitaine. Elle est absente dans le sud-est. L’Aumône permet la pénétration des frères de Bernard en Bretagne notamment. Morimond domine largement dans les terres d’Empire, qu’il s’agisse de la Lorraine, de l’Alsace ou du nord du comté de Bourgogne. Elle dispose également de réseaux en Aquitaine et dans le sud-est. Son incidence est remarquée par René LOCATELLI dans le diocèse de Besançon. En effet, celui-ci constate que vers 1130, un partage d’influence se fait au profit de Clairvaux et de Morimond. Morimond procède surtout à des créations directes tandis que Clairvaux, bien présente au sud du diocèse, agit par substitution. Selon l’historien, il n’y aurait pas de rivalités entre les deux lignées. L’expansion s’opère de connivence dans un esprit d’entente qui excluerait tout affrontement319. Les filiales de Morimond complètent son extension. Bellevaux occupe le nord du comté de Bourgogne (com. Cirey, Haute-Saône), La Creste la Champagne et la Lorraine (com. Bourdons, Haute-Marne), Bonnefont (com. Proupiary, Haute-Garonne) et L’Escale-Dieu le sud de la Guyenne (com. Bonnemazon, Hautes-Pyrénées)320. Quant à Pontigny, ses filiales lui permettent de s’imposer au centre (Dalon), au sudouest (Cadouin) et dans le Bassin Parisien (Jouy, environs de Pau, com. Chenoise, Seine-etMarne). René LOCATELLI insiste particulièrement sur le fait que la forte densité de monastères cisterciens en Champagne, Lorraine et dans le comté de Bourgogne s’explique justement par la proximité de Cîteaux et de Clairvaux, centres attractifs et abbayes « phares » 319 R. LOCATELLI, Sur les chemins de la perfection. Moines et chanoines dans le diocèse de Besançon vers 1060-1220, CERCOR, Université de Saint-Étienne, 1992, p. 211. 320 R. LOCATELLI, « Les cisterciens dans l’espace Français : filiations et réseaux », dans Unanimité et diversités cisterciennes,filiations, réseaux, relectures du XIIème au XVIème siècles, Actes du colloque international du CERCOR, Dijon, 1996, Saint-Étienne, 2000, p. 51-85. - 113 - de l’ordre. L’historien témoigne aussi de la forte densité des abbayes de moines blancs en Aquitaine, dans la vallée de la Loire et en Normandie. Ces différences peuvent selon lui s’expliquer par des conditions géologiques, la densité de l’implantation religieuse à l’arrivée des cisterciens et la réaction des « élites », nobles et évêques sans qui l’ordre ne peut compter321. À partir de 1130, des établissements préexistants, plus ou moins structurés, de type érémitique ou déjà cénobitique demandent leur affiliation à l’ordre cistercien ou sont encouragés à le faire. Les pressions des évêques sont en effet déterminantes. L’affiliation assure la pérennité des communautés et permet une reconnaissance de mouvements parfois désordonnés et difficilement contrôlables par le siège épiscopal. Ainsi, les cisterciens peuvent pénétrer en Aquitaine par l’intermédiaire d’Obazine et de ses filles. Toutefois, en Aquitaine, c’est l’abbaye de Pontigny qui semble prédominer par le nombre de ses fondations et affiliations, grâce notamment au rattachement de Dalon et de Cadouin. Concernant le diocèse de Bourges, la poussée cistercienne est assez précoce par le fait de Clairvaux et de Cîteaux et aboutit à la création d’un réseau d’une douzaine d’abbayes. À partir de 1146, nous pouvons constater une incursion cistercienne aux confins limousinoberrichons, comme pour barrer la route aux daloniens, bien présents à Aubignac et Prébenoît notamment. Ainsi sont fondées la Colombe, Varennes et Aubepierres. En Poitou et Saintonge, l’action de Clairvaux et de Pontigny aboutit à la constitution d’un réseau d’une quinzaine d’abbayes. La Grâce-Dieu est une création ex-nihilo en 1135 par Clairvaux. L’abbaye de l’Étoile est affiliée à Pontigny en 1145 (com. Archigny, Vienne), les Châtelliers à Clairvaux en 1163. Dans le diocèse d’Angoulême, Grosbot est l’unique fondation, affiliée en 1166 à Cîteaux par l’intermédiaire d’Obazine. Le sud du diocèse de Périgueux est marqué par le rayonnement de l’abbaye de Cadouin, en concurrence avec les créations directes de l’ordre telle Belleperche, fille de Clairvaux fondée en 1143, proche de Grandselve qui se détachera de Cadouin en 1147 pour entrer dans la filiation de Clairvaux. Au nord du diocèse, les abbayes de Boschaud et Peyrouse sont relativement proches. Peyrouse est une création directe de Clairvaux à partir de laquelle on avait probablement espéré une récupération de Boschaud, ermitage géraldien. C’est chose faite dès 1163. Boschaud s’affilie en effet à Clairvaux. 321 R. LOCATELLI, « Les cisterciens dans l’espace… », op. cit, p. 51-85. - 114 - Concernant le diocèse de Cahors, la pénétration cistercienne résulte de l’action de l’abbaye d’Obazine. Le Haut-Quercy et notamment la région de Rocamadour est systématiquement investie par les moines qui y détiennent de nombreuses possessions. Obazine fonde également La Garde-Dieu (com. Mirabel, Tarn-et-Garonne) vers 1150 et l’Abbaye-Nouvelle près de Gourdon (com. Léobard, Lot). Quant au diocèse de Clermont, les abbayes de Bonnevaux (com. Lieudieu, Isère) et de Mazan (com. Mazan-L’Abbaye, Ardèche) y prédominent322. Concernant le diocèse de Limoges, nous pouvons constater que la filiation de Cîteaux est majoritaire. Cinq abbayes lui sont rattachées par l’intermédiaire d’Obazine, tandis que Derses est une création directe. L’affiliation est donc le procédé le plus fréquent. C’est une méthode rapide et efficace pour « coloniser » le tiers sud du diocèse de Limoges. Pontigny dispose de cinq fondations grâce à l’affiliation de Dalon et de ses filles. Elle permet une pénétration au cœur du diocèse où les cisterciens étaient absents auparavant grâce aux communautés de Boeuil et du Palais-Notre-Dame. En effet, la présence des chanoines d’Aureil, de l’Artige et des bonshommes de Grandmont avait pu freiner l’infiltration des moines blancs aux abords de Limoges. Il n’y a aucune fondation dans la Montagne Limousine. Pontigny permet également le peuplement de la Marche Limousine grâce à Aubignac, Prébenoît et Bonlieu. Clairvaux dispose de quatre fondations. Aubepierres et les Pierres servent sans doute à contrecarrer l’avancée des moines daloniens vers les franges berrichonnes. Aubepierres est en effet stratégiquement placée entre Aubignac et Prébenoît. Preuilly est à l’origine des deux abbayes à la frontière du Berry : Varennes et la Colombe. Nous pouvons supposer que Preuilly, proche de Clairvaux, s’est alliée à sa volonté de stopper l’offensive dalonienne. Boschaud et Peyrouse s’intercalent de même entre les fondations obaziniennes, sur la route saintongeaise jalonnée par les possessions des moines de saint Étienne. La Colombe est ainsi fondée en 1146 aux frontières du Limousin, du Poitou et du Berry. Elle appartenait à l’ancien diocèse de Limoges mais fait désormais partie du département de l’Indre. Un ermitage préexistait probablement au début du XIIème siècle. L’archevêque de Bourges et les vicomtes de Brosse sont vraisemblablement à l’origine de l’installation de moines venus de Preuilly, cinquième fille de Cîteaux fondée en 1118 sur les terres du comte de Champagne. En 1138, vingt ans après la fondation de l’abbaye, les moines 322 B. BARRIÈRE (dir.), Moines en Limousin, l’aventure cistercienne, PULIM, Limoges, 1998, p. 16-18. - 115 - de Preuilly forment une communauté trop vaste et déjà opulente. Un groupe de moines se détache et est envoyé sur les terres de la Colombe concédée par les de Brosse. Ils bénéficient rapidement des donations constantes des seigneurs de la Trimouille, générosités qui permettent par la suite l’agrandissement et la survie de la communauté nouvellement installée323. Nous ne connaissons pas de charte de fondation pour le monastère. La Gallia Christiana propose une datation : « Columba Beata Mariae sacra, ordinis cisterciensis, filia Pruliaci, diocesis olim Bituricensis, in utrisque finibus ad fluvium Caldereti, inchoata legitur anno 1146, in territorio vicecomitis Bruciae (…) ». Jérôme PICAUD constate que les catalogues de l’ordre cistercien donnent quant à eux la date de 1138 qui correspond à l’arrivée des moines de Preuilly. L’abbaye était-elle déjà cistercienne avant son rattachement à Preuilly ? Existait-il un ermitage primitif ? Les moines de l’abbaye du diocèse de Sens ont-ils été appelés par les vicomtes de Brosse ou par une première communauté soucieuse de se conformer à la Règle ? Les sources écrites sont insuffisantes pour nous permettre de répondre et d’étayer l’une ou l’autre de ces hypothèses324. En effet, les actes concernant la naissance de l’abbaye de la Colombe sont très restreints. Nous savons simplement que des moines de Preuilly s’installent sur le site en 1146 mais les étapes de construction et de constitution du patrimoine du monastère ne sont guère déductibles des quelques actes conservés. Les donations répétées des sires de la Trimouille permettent un essor rapide de l’abbaye qui compte douze granges. Elle semble ainsi aussi prospère que l’abbaye de Bonlieu. D’après une étude précise des sources manuscrites, Jérôme PICAUD constate que la plus forte expansion de la Colombe relèverait des années 1208-1260. Dans les années 1260 à 1350, les acquisitions de rente se multiplient et s’imposent comme les éléments majeurs de la constitution du patrimoine. L’affiliation à Cîteaux ne serait pas dès lors déterminante à l’expansion des territoires cisterciens 325. La construction relèverait selon Jérôme PICAUD de la seconde moitié du XIIème siècle jusqu’au début du XIIIème siècle comme le confirment les deux baies conservées dans le logis abbatial (galerie ouest de 323 M. GIRARD, « Sur les traces de La Colombe », Vie catholique du Berry, 1969, p. 322-324. J. PICAUD, L’abbaye cistercienne de la Colombe au Moyen-Âge, maîtrise sous la direction de Bernadette BARRIÈRE, université de Limoges, 1995, p. 34. 325 J. PICAUD, op. cit, p. 92. 324 - 116 - l’ancien cloître) ou encore le chapiteau à boules en calcaire remployé en façade d’une propriété privée. Dès 1148, les franges berrichonnes accueillent une abbaye cistercienne, fille de Vauluisant (1129) et petite-fille de Preuilly (1118). Il s’agit de Varennes, abbaye méconnue car peu d’archives sont parvenues jusqu’à nous. Elle est fondée par Ebbes de Déols qui incite des moines de Vauluisant (Yonne) à s’installer sur ses terres. Nous ne connaissons pas de mentions textuelles d’un ermitage primitif sur le site. En 1155, un différend éclate entre Ebbes de Déols et Garnier de Cluis. Les deux seigneurs se proclament fondateurs de l’abbaye. L’affaire est portée devant leur suzerain Henri II. Pour mettre fin aux tergiversations, celui-ci s’impose seul fondateur et protecteur326. La fondation de 1148 détermine probablement le début de la constitution du patrimoine foncier de Varennes qui comprend entre autre la grange de l’Abbé, de la Bergerie, de Séché ainsi que l’amorce de la mise en œuvre du monastère. Toutefois, des modifications interviennent, vraisemblablement à l’époque moderne, qui empêchent la connaissance de l’édifice médiéval. Les collatéraux de l’église sont détruits, les grandes arcades entre la nef et ces bas-côtés obstruées. Les vestiges conservés au niveau de la galerie du cloître laissent présager que les bas-côtés ont été supprimés après l’achèvement du cloître, édifié dans le premier tiers du XIIIème siècle comme l’atteste la présence de chapiteaux lisses327. Cette mise à bas a pu intervenir au XVIIIème siècle, en même temps que la destruction du chevet et la modification de la façade occidentale. Un an plus tard, l’abbaye de Clairvaux fonde Aubepierres aux confins septentrionaux de la Marche limousine. Il s’agit vraisemblablement d’une fondation ex-nihilo acceptée par l’évêque de Limoges sous la pression de l’archevêque de Bourges, Pierre de la Châtre, fervent défenseur des moines blancs. Elle fonde rapidement l’abbaye des Pierres dont la date de création pose toutefois problème. Le site a en effet peut-être été précédé par un monastère d’origine érémitique mais celui-ci n’a toutefois laissé aucune trace dans les archives. La Gallia Christiana atteste l’abbaye cistercienne en 1149 : « Beata Maria de Petris, ordinis Cisterciensis, filia monasterii de Albis Petris sub Clara-Valle in parochia S. Pauli de Sidialles et in archidiaconatu de Castra. Sita prope Culentum in valle horrida. Fundature anno 1149, 326 327 A. CHARDON, « L’abbaye de Varennes, 1148-1791 », RB, 1906, p. 201-205. G. WOLKOWITSCH, L’abbaye royale Notre-Dame de Varennes, Lanscome Multimedia, 2004, p. 8. - 117 - benficio praesertim Radulfi et Ebonis Dolensium principum »328. À propos d’Aubepierres, il est toutefois indiqué : « Albae Petrae, ord. Cisterciensis abbatia, filia Claraevallis et Petrarum, in finibus hujus diocesis fundatur III id junii 1149 »329. Les Pierres est présentée tour à tour comme fille ou mère d’Aubepierres. Nous savons qu’Amblard Guillebaud, fondateur du château de la Roche est attesté comme l’un des premiers donateurs. Or son activité diplomatique s’étend de 1075 à 1133, année de son décès. Durant cette période, il se livre à de nombreuses générosités envers Uzerche notamment. Il devait donc y avoir des religieux sur le site dès le premier tiers du XIIème siècle. De même, Raoul de Déols et son fils dotent le monastère primitif, peut-être d’origine érémitique 330. Raoul meurt en 1135, ce qui atteste l’idée d’une installation avant le rattachement à Cîteaux. En 1149, elle devient fille d’Aubepierres à l’initiative des seigneurs de Déols, dans la lignée de Clairvaux. Aubepierres a-t-elle pu prendre l’abbaye des Pierres sous son égide pour lui redonner un second souffle ? Les textes sont trop succincts pour nous permettre de répondre331. Pour l’abbaye des Pierres en particulier, le rattachement à Cîteaux en 1149 ne paraît pas engendrer un flot de donations pieuses. En effet, il n’y a que peu d’actes de donations avant les années 1300332. Est-ce simplement dû aux lacunes documentaires ou les nobles n’ont-ils effectivement que peu doté l’abbaye ? Les seigneurs du Boischaut sont en effet moins nombreux que ceux du Sancerrois. C’est pourquoi les monastères du Haut-Berry comme Noirlac ou Fontmorigny paraissent plus prospères tandis que ceux du Bas-Berry subissent un échec prévisible, ne connaîtront jamais de véritable essor et ne créeront pas de 328 Gallia Christiana, T II, coll 215. Gallia Christiana, T II, coll 644. 330 O. TROTIGNON, « Devenir cistercien en Berry du sud au temps des Croisades, filles et fils de saint Bernard à l’épreuve du siècle », dans « L’ordre cistercien et le Berry », CAHB, Bourges, 1998, p. 97 ; É. CHENON, « Le prieuré d’Aignerais, membre de l’abbaye des Pierres », MSAC, 1900, T XXVI, p. 35-55. 331 M. AUBRUN, « L’abbaye cistercienne d’Aubepierres dans la Marche Limousine des origines au XVIème siècle » dans Moines, paroisses et paysans, PUBP, 2000, p. 35-37. 332 Nous connaissons toutefois une donation de Roger V Palesteau datant des années 1160 et qui cède aux moines la quatrième part du moulin d’Aignerais en perpétuelle aumône. Voir É. CHENON, « Le prieuré d’Aignerais, membre de l’abbaye des Pierres », MSAC, 1900, T XXVI, p. 35-55. 329 - 118 - filiales. Le rattachement à Cîteaux n’engendre pas un développement économique net de ces fondations333. L’abbaye de Peyrouse est fondée ex-nihilo par Clairvaux en 1153, du vivant de saint Bernard. Elle pourrait même être une fondation de l’abbé de Clairvaux décidée en 1147. Bernard aurait visité le chantier en 1153 en revenant de Sarlat. Selon Nelly BUISSON, elle serait consacrée dès le 15 octobre 1153, ce qui signifierait une construction sur six années seulement, ce qui paraît assez audacieux en tenant compte des temps d’extraction en carrière, d’acheminement des matériaux, de taille des pierres, de pose et de séchage des mortiers et des voûtes. Peut-être le chœur et son autel étaient-ils achevés à cette époque et auraient fait l’objet d’une première consécration334. Il s’agit de la première installation cistercienne directe dans le diocèse de Périgueux. C’est une période où Clairvaux est en pleine expansion et rayonne de l’aura particulière de son fondateur. Elle exprime ici sa volonté d’implantation en Aquitaine. Le site de Peyrouse résulte sans doute d’une stratégie réfléchie : elle est très proche de Boschaud, ermitage géraldien érigé en 1154 en abbaye, soit un an après la création de Peyrouse. Les sites ne sont distants que de 15kms. Par l’intermédiaire des moines de Peyrouse, l’abbaye de Clairvaux voulait-elle freiner, contrecarrer la poussée géraldienne en Aquitaine ? En 1163, Boschaud entre dans la filiation de Clairvaux, et ce n’est sans doute pas un hasard. Les moines de Peyrouse ont probablement exercé une certaine influence, une séduction sur les ermites géraldiens et ont conduit à l’affiliation du site. Clairvaux exprime ainsi sa volonté de contrôler un territoire et tente une mainmise sur les terres aquitaines335. Roger, premier abbé de Peyrouse, vient de l’abbaye de Clairvaux, attestant de liens relativement étroits à cette époque entre les deux abbayes. En 1265, Peyrouse est assez riche pour créer à son tour le prieuré Notre-Dame de la Garde. L’abbaye féminine de Derses est fondée dans les années 1200. Il s’agit d’un essaimage depuis l’abbaye féminine de l’Esclache, abbaye méconnue fondée vers 1160 dans la filiation de Cîteaux. Elle est située en Auvergne, sur la paroisse de Prondines. Déjà florissante au milieu du XIIème siècle, elle fonde en 1159 l’abbaye de Bussières (com. Culant, diocèse de Bourges). Les liens sont étroits entre les deux abbayes de femmes puisque les prieures de Derses viennent souvent de l’Esclache. La fondation de Derses est réalisée à la demande de la 333 O. TROTIGNON, « Devenir cistercien en Berry du sud (…) », op. cit, p. 105. N. BUISSON, « Abbaye de Peyrouse », BSHAP, T 113, 1986, p. 308-323 ; C. DESPORT, Deux abbayes cisterciennes du Périgord : Boschaud et Peyrouse, mémoire de maîtrise d’Histoire médiévale sous la direction de Bernadette BARRIÈRE, Limoges, p. 51. 335 B. BARRIÈRE (dir.), Moines en Limousin, l’aventure cistercienne, PULIM, Limoges, 1998, p. 190-192. 334 - 119 - famille de Malemort, attestant de l’importance de la noblesse dans l’implantation cistercienne en Aquitaine. Les Malemort cèdent le lieu de l’installation ainsi que quelques revenus. En 1218, Gérald de Malemort confirme la donation de Derses et ses dépendances faite par son aïeul. L’église est dédiée à Saint Jean et non à Notre Dame comme la majorité des abbayes cisterciennes. Nous pouvons nous interroger sur les raisons de cette création si proche d’Obazine et de la communauté féminine de Coyroux. Derses n’est en effet qu’à douze kilomètres des fondations de saint Étienne. Les rapports entre ces abbayes n’apparaissent guère dans les actes, Derses ne disposant d’aucun fonds documentaire. Si des conflits de bornage ont existé entre Obazine et Derses, nous pouvons supposer la supériorité du monastère d’Étienne sur la petite communauté féminine. Obazine veillait-elle d’une quelconque manière sur les biens de Derses comme elle a pu le faire pour Coyroux ? Qui gérait le patrimoine des moniales de Derses ? Les moniales de l’Esclache ? Assuraient-elles elles-mêmes la gestion de leurs terres ? L’absence d’archives concernant Derses ne nous permet guère de répondre à ces questionnements336. Cette étude des créations directes de l’ordre de Cîteaux permet de mieux comprendre la lente « colonisation » des moines blancs en Aquitaine. Ceux-ci s’implantent stratégiquement non loin de fondations daloniennes ou obaziniennes pour mieux les attirer dans leur giron, les agréger progressivement à l’ordre de saint Bernard. L’exemple de l’affiliation de l’ancien ermitage géraldien de Boschaud, si proche de la fondation claravalienne de Peyrouse, est en cela représentative de cette politique d’expansion cistercienne. Nous pouvons également supposer une certaine concurrence entre Pontigny, Clairvaux et Cîteaux, abbayes les plus présentes sur le sol aquitain et notamment dans le diocèse de Limoges. Pontigny agrège la communauté dalonienne, Cîteaux s’implante grâce aux filles d’Obazine. Elles se répartissent ainsi le territoire limousin. Ont-elles fait preuve d’une connivence comme le supposait René LOCATELLI pour le diocèse de Besançon, ou un esprit de compétition et de surenchère les animaient-elles ? Il paraît difficile de répondre à cette question par l’affirmative. Quoi qu’il en soit, leurs efforts conjugués ont facilité l’implantation cistercienne dans le diocèse de Limoges et l’occupation de zones parfois encore dévolues au saltus (Marche Limousine notamment). d. Les monastères cisterciens au fil du temps. Essor, troubles et commende. 336 B. BARRIÈRE (dir.), Moines en Limousin…, op. cit, p. 167-168 ; G. CLÉMENT-SIMON, « Notice sur le couvent de Derses, paroisse de Saint-Hilaire-Peyrou », BSSHAC, T 11, 1889, p. 546-568. - 120 - Suite à leur fondation, les abbayes cisterciennes du diocèse de Limoges connaissent une évolution différente durant la seconde moitié du XIIème siècle et le XIIIème siècle. Leur essor est très variable et inégal puisque certaines restent de petites abbayes aux revenus maigres tandis que d’autres prennent la tête de nombreuses exploitations agricoles aux activités diversifiées et spécialisées. C’est le cas en particulier d’Obazine et Dalon qui disposent d’une vingtaine de granges, cultivent avoine, seigle, blé, vignes et détiennent même des salines en Charente-Maritime. Les abbayes de Bonlieu et La Colombe devaient également être relativement importantes aux XIIème et XIIIème siècles avec treize granges chacune. Bonlieu étend ses possessions jusqu’au bassin de Montluçon (grange d’Aubeterre et de la Croze), tandis que les moines de La Colombe tendent à pénétrer en Poitou. Les autres sites demeurent dans une certaine modestie, voire une précarité qui ne leur permet guère d’étendre leur patrimoine. Ainsi les abbayes de la Marche Limousine337, des confins du Périgord338 et du Cantal339 ne possèdent guère plus de six ou sept granges tout juste suffisantes à assurer leur autarcie. Le devenir de ces monastères cisterciens est donc bien hétérogène et dépend des libéralités seigneuriales et des potentialités du site d’implantation340. Il semble que ce patrimoine foncier soit définitivement constitué dans la seconde moitié du XIIIème siècle pour la majorité des abbayes341. Cette période est également marquée par une multiplication des inhumations de seigneurs laïcs dans les monastères limousins, accompagnée d’embellissements des sanctuaires par la mise en place de pavements, vitraux et tombeaux. Le XIVème siècle connaît une évolution sensible du mode d’exploitation des terres. Les convers se font de plus en plus rares et les moines se doivent d’arrenter leurs terres et de recourir à des tenanciers laïcs. Les ventes et achats de plus en plus présents dans les actes témoignent du passage à une économie de surplus, d’une insertion dans les flux commerciaux. Les XIVème et XVème siècles sont également bouleversés par la Guerre de Cent ans et les guerres de Religion qui entraînent bien souvent la ruine et la destruction d’un certain nombre de monastères du Limousin, qu’ils soient cisterciens ou non. Les églises sont fréquemment fortifiées dans les paroisses afin d’assurer la sécurité du peuple. Les abbayes 337 Aubepierres, Aubignac, Boeuil, Le Palais, Les Pierres, Prébenoît. Boschaud et Peyrouse. 339 Bonnaigue, Valette. 340 La constitution du patrimoine foncier, les aménagements du sol et hydrauliques feront l’objet d’une étude particulière ci-dessous. Voir I. D. b et c. 341 L’abbaye du Palais par exemple atteint l’étendue maximale de son patrimoine vers 1210. Ce n’est toutefois pas le cas de l’abbaye de Boeuil dont l’expansion du patrimoine se poursuit jusqu’en 1320. I. AUBRÉE, Patrimoine, gestion et vie sociale de l’abbaye cistercienne de Boeuil du XIIème au début du XVIème siècle, mémoire de maîtrise d’Histoire Médiévale, sous la direction de B. BARRIÈRE, Limoges, 1995, p. 48. 338 - 121 - cisterciennes n’échappent pas à cette fortification et de nombreux sites se dotent de tours, de mâchicoulis et de fossés défensifs (Prébenoît et Bonlieu entres autres) [Fig. 14 et 15]. Le XVème siècle voit également l’instauration de la commende et avec elle la nomination d’abbés le plus souvent négligents vis-à-vis de leurs monastères. Ainsi la ruine de nombreux sites est sans doute plus due aux négligences et manque d’entretien qu’aux troubles des guerres. Les siècles suivants conduisent à l’extinction progressive des monastères dont les effectifs ne cessent de diminuer. Les bâtiments conventuels sont sans cesse remaniés pour s’adapter à des communautés de plus en plus réduites. Les bâtiments des convers sont fréquemment détruits ou entièrement remaniés puisque devenus totalement obsolètes, d’où la difficulté de nos jours de connaître ces aménagements. Par ailleurs, les abbés commendataires établissent des logis abbatiaux, appartements particuliers pour des aristocrates bien peu investis dans leur tâche de guide de leur communauté. À partir de 1789, les abbayes sont vendues comme biens nationaux, les patrimoines démantelés. Les bâtiments monastiques sont soit utilisés à des fins agricoles et industrielles (transformation en granges ou étables, utilisation en verrerie par exemple à Valette), soit servent de carrières pour les habitants alentours. Bien peu nous parviendront donc dans un état de conservation permettant une étude archéologique et de bâti fructueuse. Il convient dès lors d’étudier plus en détail le devenir de chacun de ces sites après leur fondation au XIIème siècle et jusqu’à nos jours. Nous ne rentrerons toutefois pas dans les détails concernant la constitution du patrimoine foncier aux XIIème et XIIIème siècles qui fera l’objet d’une étude particulière par la suite342. 1. Essor économique et embellissements des sanctuaires au XIIIème siècle. Le second tiers du XIIIème siècle est marqué pour un certain de nombre de monastères par une phase d’embellissements des sanctuaires liée à l’inhumation de nobles laïcs ou à la consécration de l’autel principal. Ainsi à Bonlieu, des vitraux en grisaille sont datés des années 1200 par Helen ZAKIN et peuvent être mis en relation avec la consécration de 1232. L’abbaye d’Obazine dispose de vitraux très similaires aux mêmes motifs de palmettes mais qu’Helen ZAKIN date de 1175 environ [Fig. 16]. Ils seraient ainsi mis en place pour la consécration de 1176. Toutefois, si le chœur et le transept étaient achevés à cette époque, l’abbatiale était-elle réellement terminée à cette date ? Les bases aux tores aplatis de la nef, les baies largement ébrasées nous feraient plutôt pencher pour la poursuite d’un chantier jusque dans les années 1200. Un décor aurait-il été ainsi mis en place avant même la fin du gros 342 Voir I. D. b. - 122 - œuvre ? Cela nous semble peu probable. Ne pourrait-on imaginer une datation de ces vitraux identique à ceux de Bonlieu, par ailleurs réellement similaires ? Une réalisation de ces décors à la fin du chantier de construction dans les années 1200 nous semble plus plausible et expliquerait les parentés entre les vitraux de Bonlieu et d’Obazine343. Outre la mise en place de ces vitraux, l’église d’Obazine dispose également du tombeau de saint Étienne réalisé dans la seconde moitié du XIIIème siècle, probablement dans les années 1250-1260, soit un siècle après la mort du fondateur (1159) [Fig. 17]. Pourquoi cette attente avant la réalisation de ce tombeau ? Sans doute les moines ont-ils profité d’un « mécénat », d’un financement royal, n’étant peut-être pas assez riches eux-mêmes pour la commande d’une telle œuvre. Plus qu’un problème de revenus (dans la seconde moitié du XIIIème siècle, le patrimoine d’Obazine était en effet à son apogée et les moines ne devaient pas manquer de ressources), peut-être n’y avait-il tout simplement pas à proximité de sculpteurs qualifiés pour un tel ouvrage. Le tombeau a en effet vraisemblablement été réalisé dans des ateliers d’Ile-de-France grâce au patronage de Saint Louis344. À cette période, les moines se dotent également d’objets raffinés en relation avec l’œuvre de Limoges, tels un pied de croix en cuivre doré et émaillé, un reliquaire ou encore une croix à double traverse345. Dans la seconde moitié du XIIIème siècle, le monastère de Prébenoît fait l’objet d’embellissements d’une certaine ampleur dont nous avons une connaissance relativement précise grâce aux fouilles archéologiques menées sur le site dans les années 1990. Ils sont en étroite relation avec l’inhumation du seigneur Roger de Brosse, décédé en 1287 et ayant souhaité être enterré dans le chœur de l’abbatiale cistercienne. Les fouilles de 1993 ont permis de mettre au jour un pavement mosaïqué couvrant cinquante mètres carré [Fig. 18] 346. Il présente encore par endroit des traces de glaçures. Certains motifs animaliers se retrouvent parfois dans un cadre cistercien dans la seconde moitié du XIIIème siècle (oiseaux, cerfs). Ils correspondent bien souvent à un mécénat laïc qui conduit à l’éloignement des préceptes d’austérité des moines blancs tels que les exprimaient Bernard de Clairvaux. L’abbaye de Bonlieu présente également des carreaux de pavement de terre cuite décorée placés devant l’autel du sanctuaire, peut-être liés à la consécration de 1232 comme les vitraux [Fig. 19]. Des 343 H. J. ZAKIN, French Cistercian Grisaille Glass, Garland, New-York/London, 1979, p. 79. B. BARRIÈRE, « Le tombeau de saint Étienne d’Obazine. Une œuvre française du XIIIème siècle », dans I. DULAC-ROORYCK (dir.), L’Art religieux en Bas-Limousin, Toulouse, 1997, p. 72-85. 345 E. RUPIN, « Croix byzantine, fin XIIème siècle. Église d’Aubazine (Corrèze) », BSSHAC, T 1, 1879, p. 275279 ; E. RUPIN, « Pied de croix ou de reliquaire en cuivre doré émaillé, XIIème siècle, église d’Aubazine (Corrèze) », BSSHAC, T 1, 1879, p. 147-150 ; E. RUPIN, « Reliquaire en cuivre doré et émaillé, XIIIème siècle, église d’Obasine (Corrèze) », BSSHAC, T 2, 1880, p. 461-469. 346 J. P. BÉGUIN, J. ROGER, Abbaye de Prébenoît (Creuse), SRA Limousin, 1993-1996 (non publié) ; J. ROGER, P. LOY, L’abbaye cistercienne de Prébenoît, Culture et patrimoine en Limousin, 2003, p. 44. 344 - 123 - sujets profanes y sont représentés (figurations anthropomorphes, animalières) qui laissent présager là encore d’une intervention de seigneurs laïcs. Toutefois, la datation de ces éléments pose problème. Pour l’archéologue Patrice CONTE, ils pourraient dater des XIIIème-XIVème siècles347. Toutefois, la présence d’une glaçure plombifère nous ferait plutôt pencher pour une datation de l’époque moderne (XVIème siècle). Une comparaison avec des carreaux de pavement retrouvés dans la descente d’une des caves de l’hôpital Notre-Dame de Seclin (Nord) présentant une glaçure plombifère bicolore vert et jaune similaire à celle de Bonlieu et datés du second tiers du XVIème siècle nous permet d’étayer cette hypothèse348. Il serait alors contestable de mettre ces éléments en rapport avec une phase d’embellissement médiévale. Au XIVème siècle, les seigneurs de la Trimouille sont enterrés dans l’abbatiale de la Colombe, notamment Gui de la Trimouille, sa femme Alix de Vouhet, leur fils Gui et son épouse Radegonde Giraude. L’abbatiale connaît alors elle aussi une période de réaménagements liée à l’inhumation de seigneurs laïcs. Nous ne connaissons que de vagues descriptions de ces sépultures présentant les armoiries des seigneurs « d’or, au chevron de gueules, à trois aiglettes d’azur »349. Les tombeaux sont notamment décrits par le moine bénédictin Dom Fonteneau au XVIIIème siècle : « ils donnent un carré de sept pieds et demi (2.45m) et trois pieds trois pouces de haut (1m) »350. Cette période d’embellissements amorcée dans le second tiers du XIIIème siècle n’est pas spécifique à l’ordre cistercien et d’autres monastères bénéficient des libéralités seigneuriales. Le cas du prieuré de l’Artige est en cela exemplaire. Des transformations portent sur un décor de grande qualité et témoignent d’une évolution des principes de l’ordre. Dans la seconde moitié du XIIIème siècle, une alcôve est adjointe dans le chœur avec le tombeau des fondateurs. Deux crédences avec des lavabos sont ajoutées. Elles sont ornées de voussures moulurées de tores retombant sur des colonnettes dont les chapiteaux sont décorés de crochets. De nouveaux décors peints sont mis en place ainsi qu’un pavage de carreaux décorés dans le chœur et les chapelles. Un clocher carré est peut-être édifié à cette période ou dans les premières années du XIVème siècle. Ce mouvement de générosité des seigneurs fondateurs touche ainsi d’autres ordres religieux à vocation érémitique351. 347 P. CONTE dans B. BARRIÈRE (dir.), Moines en Limousin, l’aventure cistercienne, PULIM, Limoges, 1998, p. 77. 348 S. RÉVILLION, « L’architecture hospitalière en milieu rural dans le nord de la France du XIIIème au XVIème siècles : l’exemple de l’hôpital Notre-Dame de Seclin (Nord) », dans F-O. TOUATI (dir.), Archéologie et architecture hospitalières de l’Antiquité tardive à l’aube des temps modernes, Paris, 2004, p. 164. 349 M. GIRARD, « Sur les traces de la Colombe », Vie catholique du Berry, 1969, p. 322-324. 350 J. PICAUD, L’abbaye cistercienne de la Colombe au Moyen-Âge, maîtrise sous la direction de Bernadette BARRIÈRE, université de Limoges, 1995, p. 60-61. 351 J. DENIS, Prieuré de l’Artige. Rapport d’étude historique et archéologique préalable à la restauration, SRA Limousin, 2003, vol. 1, p. 5. - 124 - 2. Guerre de Cent Ans, fortifications et stagnation économique (XIVèmeXVème siècles). Le XIVème siècle marque le début des troubles et du déclin d’un certain nombre de sites cisterciens du diocèse de Limoges. La guerre de Cent ans, la Peste Noire et la concurrence grandissante des ordres Mendiants ne sont pas étrangers à cet essoufflement des fondations cisterciennes. Les premiers dysfonctionnements se font sentir dans la communauté double d’Obazine/Coyroux. Les moines se voient dans l’obligation de recourir aux arrentements pour pallier l’affaiblissement du recrutement des convers et Obazine n’est pas la seule abbaye à être confrontée à ce problème352. Les moniales adressent des suppliques au Pape pour que de nouveaux revenus leur soient attribués. À partir de 1355, Coyroux obtient son autogestion et commence à acquérir des revenus propres sans passer par l’intermédiaire d’Obazine. C’est le cas notamment pour la cession de l’église de Cornac en Quercy. Les moniales récupèrent de même le patrimoine de l’église d’Albignac située à quelques kilomètres au sud d’Obazine353. L’expansion des patrimoines est stoppée par les troubles de la guerre de Cent ans notamment. Cette évolution est particulièrement sensible concernant l’abbaye de Boeuil dont les acquisitions s’arrêtent vers dans le second tiers du XIVème siècle, sans doute en lien avec la guerre de Cent ans (1337), la Peste Noire (1348) et la renommée croissante des ordres mendiants. Les premiers baux à ferme datent de cette époque354. Cette période pour le moins troublée trouve un écho dans l’architecture des bâtiments monastiques puisque de nombreuses abbatiales vont être fortifiées. Ainsi, Bonlieu est pillée une première fois par les Anglais en 1358 malgré la protection des comtes de la Marche et de Clermont, d’où l’édification d’une tour de défense massive sur les deux premières travées de la nef dès 1421355. À cette période est également entreprise une réfection du cloître avec des piliers de profil octogonal [Fig. 20]. Certains tambours et chapiteaux sont conservés dans l’actuelle chapelle du monastère et permettent d’imaginer la physionomie du cloître du Bas Moyen-Âge. Dalon est également occupée par les Anglais au milieu du XVème siècle, ce qui 352 Concernant le passage du faire-valoir direct à indirect, voir I. D. c. B. BARRIÈRE, « Les problèmes économiques d’une communauté cistercienne double : le cas d’Obazine/Coyroux (XIIème-XVIIIèle siècles) », Annales du Midi, T 102, 1990, p. 149-159 ; B. BARRIÈRE, Le cartulaire de l’abbaye cistercienne d’Obazine (XIIème-XIIIème siècles), Institut d’Études du Massif Central, Clermont-Ferrand, 1989, p. 22. 354 I. AUBRÉE, op. cit, p. 48. 355 A. BONDÉELLE-SOUCHIER, Bibliothèques cisterciennes dans la France médiévale. Répertoire des abbayes d’hommes, CNRS, Paris, 1991, p. 31 ; B. PHALIP, L’église d’Ajain : problème de la construction et de la fortification de quelques églises creusoises entre la fin du XIIème siècle et la fin du XIVème siècle, maîtrise, Paris IV, 1978, p. 69-70. 353 - 125 - entraîne la ruine des domaines et du patrimoine356. Concernant l’abbaye du Palais-NotreDame, il semblerait que des contreforts aient été adjoints aux façades orientale et occidentale dans le courant du XVème siècle [Fig. 21]. En effet, le chevet présente à l’angle nord-est un contrefort massif, non lié aux maçonneries médiévales et dont le large soubassement est orné d’un cavet, allant dans le sens d’une datation tardive. Les sondages archéologiques menés en 2007 ont révélé à l’angle sud-ouest de la façade occidentale l’adjonction d’un contrefort indépendant de la maçonnerie médiévale et dont le mortier orangé est similaire à celui de la façade orientale [Fig. 316]357. Ces deux structures montrent une volonté de renforcement des parements du monastère en cette période troublée. L’abbaye de Prébenoît est également fortifiée. Les nouveaux aménagements du monastère sont bien connus grâce à un procès-verbal de 1621 signé par Jabrillac, état des lieux réalisé à la demande de l’abbé Mathieu de Vertamont [PJ 7]358. Trois travées de la nef sont alors supprimées, remplacées par un mur pignon et deux tours de défense, une ronde et l’autre polygonale. Un corps de logis est installé au-dessus de l’église. Une douve circonscrit l’ensemble des bâtiments réguliers [Fig. 14]. Cette installation aurait pu détruire le bâtiment des convers situé à l’origine au niveau de la galerie ouest du cloître et dont les fondations n’ont pas été retrouvées lors des investigations archéologiques. Le procès-verbal fait également état de fossés, attestés par les sondages archéologiques de 2000 au nord et au sudouest de l’abbaye mais ne figurant cependant pas sur les cadastres. Ce travail colossal de creusement des douves a donc conduit à un réaménagement considérable de l’espace monastique. Ceci peut étonner à une période où le monastère ne disposait que de minces revenus. Qui a financé ces travaux ? Qui les a mis en œuvre alors que le nombre de frères convers diminuait de façon tangible359 ? Aucun texte ne permet de répondre à cette question. Ces aménagements n’empêchent pourtant pas la mise à sac du monastère en 1590 par les Huguenots, évènement décrit en détail par le même procès-verbal. Il est précisé qu’ils « mirent le feu en ladite abbaye, dans les granges et les bâtiments, particulièrement dans la tour où se trouvait le trésor, et dans laquelle étaient les terriers et les titres de l’abbaye (…) »360. 356 C. ANDRAULT-SCHMITT, « Des abbatiales du « désert ». Les églises des successeurs de Géraud de Sales dans les diocèses de Limoges, Poitiers et Saintes (1160-1220) », BSAOMP, 5ème série, T 8, 1994, p. 91-173. 357 I. PIGNOT, L’abbaye cistercienne du Palais-Notre-Dame (commune de Thauron, Creuse). Préciser le plan de l’abbatiale médiévale et moderne, DRAC/SRA Limousin, 2007, non publié, p. 36. 358 AD Creuse, H 529. Transcription présentée en annexes, PJ 7. 359 J. ROGER, Sondages d’évaluation sur le site de l’abbaye cistercienne de Prébenoît, 2000, (non publié), p. 59. 360 AD Creuse, H 529. - 126 - 3. Commende, guerres de Religion et décadence (XVème-XVIIIème siècles). Cette période voit s’accentuer les difficultés financières de nombre d’abbayes du diocèse de Limoges. Les statuts des Chapitres Généraux sont révélateurs de cette « crise » qui n’a cessé de s’amplifier depuis le XIIIème siècle. De plus en plus d’abbés sont notamment exemptés de se rendre au Chapitre Général annuel à Cîteaux, évitant aux plus modestes monastères un voyage coûteux. C’est le cas par exemple pour les abbés d’Aubepierres et Aubignac en 1410. En 1446 sont excusés les abbés d’Aubepierres, Varennes, La Colombe, Aubignac et Prébenoît361. Des réformes de plus en plus fréquentes interviennent au sein de monastères ayant trop tendance à s’éloigner des préceptes de l’ordre, régulièrement réprimandés par le Chapitre et plutôt difficiles à contrôler. Les problèmes pour maintenir une cohésion dans l’ordre sont de plus en plus flagrants. Ainsi en 1427, les monastères de Dalon, Prébenoît, le Palais, Bonlieu, Boeuil, La Colombe et Aubignac sont réformés selon l’ordre du Chapitre Général. De même en 1438 pour le Palais, Aubignac, Obazine et Dalon362. Le XVème siècle voit également l’introduction de la commende au sein des abbayes cisterciennes du diocèse de Limoges363. Les abbés qui prennent la tête des monastères tendent à négliger les bâtiments et communautés qui leur sont confiés. Certains font construire des logis très similaires aux logis aristocratiques laïcs du Bas Moyen-Âge. Ces logis abbatiaux sont souvent parvenus jusqu’à nous et témoignent des réaménagements et modifications des XVème-XVIème siècles. Ainsi, l’abbaye du Palais-Notre-Dame est dotée d’un logis daté du XVIème siècle caractérisé par une tour d’escalier hors-œuvre d’appareil soigné et de larges fenêtres à meneaux [Fig. 22]364. En 1451, l’abbaye du Palais est témoin d’un siège. Jacques du Coudert s’empare du site, de la direction et des revenus du monastère. L’abbé légitime Louis-Augustin doit dès lors donner l’assaut. Jacques du Coudert est tué et inhumé dans le cloître. L’abbé est déchu pour avoir fait couler le sang humain et est remplacé par Audoin d’Aubusson La Borne. Lors de cet épisode, l’abbaye est décrite comme fortifiée. Nous ne savons toutefois pas en quoi consistaient exactement ces fortifications et seuls deux contreforts vraisemblablement adjoints aux façades orientale et occidentale témoignent de réaménagements à cette période. Les alentours de Bourganeuf constituent une convergence entre plusieurs itinéraires : LimogesGuéret, Limoges-Ahun, Limoges-Aubusson, Bellac-Aubusson et La Souterraine-Tulle. 361 J-M. CANIVEZ, Statuta Capitulorum Generalium Ordinis Cisterciensis ab anno 1116 ad annum 1786, Louvain, 1933, T IV, 1410-37 ; 1446-7 362 J-M. CANIVEZ, op. cit, T IV, 1427-50 ; 1438-41. 363 Ainsi en 1481, Claude de Doyac et nommé premier abbé commendataire de Valette. A. VAYSSIÈRE, « Les malheurs d’un abbé de Valette », BSSHAC, T 7, 1885, p. 35-41. 364 B. BARRIÈRE (dir.), op.cit, p. 186-189. - 127 - L’abbaye du Palais est ainsi un passage obligé pendant les guerres de Religion. Elle est de plus attirante pour les pillards : isolée dans les bois et accessible par une voie ancienne, elle est ainsi une proie facile. En 1584, l’abbaye « était démolie depuis six ans pendant les troubles et guerres civiles et nécessitait 1500 écus de réparation ». Elle est mise à sac en 1578. Selon la description de LECLER : « (…) la maison des religieux qui porte la date de 1574, puis la chapelle romane dont il ne reste qu’une masure de quelques mètres de haut, enfin la maison de l’abbé, gracieuse habitation construite au XVIIIème siècle. »365 Des réfections se déroulent de 1584 à 1594 366. La maison de l’abbé commendataire, démolie au début du XVIème siècle, est ainsi réédifiée avec des pierres de récupération des bâtiments XIIIème siècle. Dans la seconde moitié du XVIIIème siècle, suite à un arrêté de 1745, l’église qui menaçait ruine est réduite. Les derniers vestiges du cloître sont également mis à bas. Le bâtiment conventuel est qui abritait la salle capitulaire notamment et le dortoir des moines à l’étage est entièrement remanié367. Au XVème siècle, des crues répétées obligent des modifications dans l’organisation des bâtiments monastiques de l’abbaye de Coyroux. Le bâtiment des moniales est déplacé de l’est vers l’ouest. La partie nord de ce bâtiment est mise à bas. Au XVIIème siècle, une autre crue violente détruit partiellement la terrasse artificielle (partie est) sur laquelle était bâti le monastère. Les bâtiments est de la galerie du cloître sont endommagés. Aux XVIIème et XVIIIème siècles, le parement délimitant cette terrasse est prolongé. Le bâtiment ouest connaît probablement des réfections au XVIIème siècle. De cette époque date aussi peut-être le prolongement de la galerie nord du cloître par un habitat maçonné. Le Bas Moyen-Âge et l’époque moderne conduisent donc à de nombreuses modifications des bâtiments monastiques de Coyroux368. De plus, en 1622, les moniales de Coyroux obtiennent le droit de se déplacer à Tulle, évènement qui marquera le déclin irrémédiable de l’abbaye de femmes. Le XVIème siècle est aussi marqué par les troubles des guerres de Religion qui conduisent bien souvent à des destructions au sein de nombreux monastères cisterciens du 365 R. CALINAUD, « Le sac de l’abbaye du Palais-Notre-Dame », MSSNAC, T 36, 1966, p. 151-152 ; G. MARTIN, « Le siège de l’abbaye du Palais-Notre-Dame en 1451 », MSSNAC, T 15, 1906, p. 483-495. 366 M. DAYRAS, « Les abbayes creusoises et le Palais-Notre-Dame », MSSNAC, T 36, 1966, p. 215-220 ; P. LOURADOUR, « L’abbaye du Palais-Notre-Dame », MSSNAC, T 36, 1966, p. 221-227. 367 S. VITTUARI, Le patrimoine de l’abbaye du Palais-Notre-Dame d’après le cartulaire (1134-12..), mémoire de maîtrise, dir. B. BARRIÈRE, Limoges, 1992, vol. 2, p. 97. 368 B. BARRIÈRE, « Monastère de Coyroux », Archéologie Médiévale, Caen, Centre de Recherches Archéologiques Médiévales, T X, 1980, p. 390 ; T XI, 1981, p. 274 ; T XIV, 1984, p. 311-312 ; T XVIII, 1988, p. 314-315 ; A. VAYSSIÈRE, « Les dames de Coyroux », BSSHAC, T 5, 1883, p. 365-379. - 128 - diocèse de Limoges. C’est à cette période que la nef de l’abbaye de Dalon est détruite 369. Le chœur est rebâti en 1535 grâce à l’initiative de l’abbé commendataire François de Las Tours. En 1777, la salle capitulaire est transformée en cuisine, le dortoir est réaménagé en chambres, les chapelles est du transept sud dont réoccupées par des écuries comme en témoigne le cadastre de 1811. Les modifications des divers bâtiments monastiques dépendent ainsi de l’introduction de la commende et de la diminution des effectifs qui conduit à des réorganisations370. En 1569, des troupes calvinistes, conduites par Wolfgang de Bavière, duc des deux Ponts, pillent et brûlent Aubepierres. La plupart des titres de l’abbaye sont incendiés, d’où les lacunes des sources manuscrites à notre disposition concernant l’époque médiévale. De même, le monastère d’Aubignac est détruit par les Protestants qui chassent les religieux en 1562, puis de nouveau pillé en 1602 et en 1645. En 1602, le conseiller du roi Antoine Barty mène une enquête pour comprendre le déroulement de l’attaque. Il précise que les brigands pillent le bâtiment pendant deux heures. Ils ont pénétré dans l’abbaye par une muraille en partie écroulée. La cour de l’abbaye menaçait déjà ruines suite au précédent pillage de 1562. Ces dégradations successives expliquent qu’il ne demeure aujourd’hui de l’abbaye cistercienne que quelques éléments lapidaires épars bien insuffisants pour espérer connaître les aménagements médiévaux371. Dans la première moitié du XVIème siècle, l’abbaye de Grosbot souffre des incursions des seigneurs de Marthon et des Huguenots. En 1568, les moines sont chassés de l’abbaye et ne peuvent revenir qu’en 1580. Il faut attendre les années 1641-1673 pour une reconstruction à l’initiative de l’abbé Jean de la Font372. Les bâtiments conventuels correspondent à des reconstructions des XVIIème et XVIIIème siècles. L’abbaye de Valette est également dévastée par les protestants vers 1574 et ne fera l’objet de restaurations qu’à la fin du XVIIème siècle373. Avant sa quasi destruction aux XVIème et XVIIème siècles, le monastère des Pierres connaît probablement une phase de réfection au XVème siècle. Il semblerait que le cloître ait été reconstruit de piliers à facture octogonale tels ceux de Prébenoît et Bonlieu, comme le 369 Abbé BROUSSE, « Une poignée de documents sur l’abbaye de Dalon », BSSHAC, T 56, 1935, p. 122-171. C. ANDRAULT-SCHMITT, « Des abbatiales du « désert ». Les églises des successeurs de Géraud de Sales dans les diocèses de Limoges, Poitiers et Saintes (1160-1220) », BSAOMP, 5ème série, T 8, 1994, p. 91-173 ; M. VAN MIEGHEM, L’abbaye cistercienne Notre-Dame de Dalon de 1790 à 1814, Clairvive, 1976. 371 J. MARCELLOT, « Le pillage de l’abbaye d’Aubignac en 1602 », dans l’ouvrage collectif, Mélanges d’archéologie et d’histoire offerts à M. Hemmer, Guéret, 1979, p. 173-175. 372 D. N. BELL, « An eighteenth Century Book-List from the abbey of Grosbot », Cîteaux, Commentarii Cistercienses, T 48, 1997, p. 339-370. 373 J-L. LEMAITRE, La Dordogne avant les barrages, Ussel, 1979. 370 - 129 - laissent présager la quinzaine d’éléments lapidaires conservés sur la terrasse d’une propriété privée [Fig. 23]. Il est troublant de constater qu’à la même époque, trois monastères de la Marche Limousine ou des marges berrichonnes rebâtissent leur cloître selon les mêmes formules artistiques (Bonlieu, Prébenoît, les Pierres). Peut-on envisager des circulations des tailleurs de pierre entre ces chantiers du Bas Moyen-Âge, des échanges d’idées qui expliqueraient ces ressemblances pour le moins étonnantes ? Les sources manuscrites ne faisant guère état du déroulement des chantiers de construction et de réfection, il semble délicat de se prononcer sur ce point. L’abbaye des Pierres est également victime des Guerres de Religion et des troubles de la Fronde. Elle est incendiée et pillée en 1575, assiégée par les Routiers en 1589 puis de nouveau détruite en 1650374. Un bâtiment d’exploitation au-dessus des ruines de l’abbatiale actuelle est daté de 1778 et révèle donc une tentative de reconstruction à l’époque moderne. L’abbaye de Varennes a fait l’objet de constants remaniements au Bas Moyen-Âge et jusqu’à la Révolution Française. Elle est prise en 1589 par les gens d’Aigurande qui contribueront à la destruction des installations médiévales375. Le cloître a sans doute été partiellement reconstruit à la même époque que ceux de Bonlieu, Prébenoît et les Pierres. En effet, les arcades conservées actuellement présentent des chapiteaux à feuilles de trèfle caractéristiques du Bas Moyen-Âge (sans doute fin XIVème, début XVème siècle) [Fig. 24]. À droite du pignon occidental de l’abbatiale, une porte donnant accès à un bâtiment en appentis relève aussi du XVème siècle. Dans les années 1698-1699, le logis abbatial est édifié par François de Castagnières, un familier de la cour de Louis XIV. Au début du XVIIIème siècle, trois galeries du cloître sont abattues. Seule la galerie ouest est préservée et transformée en couloir en 1725. Les arcades sont comblées et certains piliers remaniés. Les reprises et remaniements sont visibles aujourd’hui dans l’agencement des claveaux et la disparité des piliers dont certains appartiennent au début du XIIIème siècle, d’autres à la reprise du XVème siècle. En 1725, le bâtiment des convers est rehaussé et remanié. En 1777, le chœur menaçant de s’écrouler est abattu par l’abbé commendataire, de même pour le transept à la fin du siècle. Le pignon est est alors édifié pour clore la nef amputée. La physionomie actuelle du monastère est ainsi difficile à cerner au vu de ces constants remaniements. C’est le même cas de figure concernant l’abbaye de la Colombe régulièrement transformée au Bas Moyen-Âge et à l’époque moderne. Un linteau de porte des anciens 374 375 A. BONDÉELLE-SOUCHIER, op. cit, p. 3. A. CHARDON, « L’abbaye de Varennes, 1148-1791 », RB, 1906, p. 201-205. - 130 - bâtiments conventuels à l’ouest des vestiges de l’abbatiale est daté de 1434. Des datations dendrochronologiques effectuées en 1999 témoignent de ces réfections successives et d’une importante restauration au XVème siècle. Le logis abbatial au niveau de l’ancienne galerie ouest du cloître présente des solives datées de 1414 ou de 1525, un linteau de cheminée de 1434, le linteau d’une porte d’entrée de 1734. Certaines baies quadrangulaires relèvent du XIXème siècle. L’église et les bâtiments de la galerie est du cloître sont abattus avant 1833 d’après les plans cadastraux. Deux étables conservent des charpentes datées de 1732376. À l’époque moderne, la nef et le transept de l’abbaye de Bonlieu sont abattus, jugés en trop mauvais état suite aux dégradations des guerres successives et aux négligences de certains abbés commendataires. Seuls demeurent les deux premières travées de la nef et la tour de fortification, une infime partie du chevet et le bras gauche du transept qui est transformé en chapelle domestique en 1877377. Dès la fin du XVIIème siècle jusqu’en 1715, les bâtiments conventuels du monastère de Prébenoît connaissent une importante phase de réfection faisant suite aux périodes de troubles et de dégradations des bâtiments monastiques. Les bâtiments conventuels sont remaniés avec le schiste extrait des carrières de Bétête et de La Cellette. Les parois conservent parfois des remplois de pierres de taille médiévales 378. Le cloître est recouvert en 1610. Les quatre galeries du cloître, aujourd’hui entièrement disparues, étaient encore en place en 1621. Dès le XVème siècle, le cloître est remanié de la même manière que celui de Bonlieu avec ces piliers de granite octogonaux caractéristiques, creusés de large cavets permettant de beaux jeux de lumière [Fig. 25]. L’abbaye de Bonnaigue connaît également une profonde restructuration des bâtiments aux XVIIème et XVIIIème siècles. En effet, entre 1657 et 1714, une reconstruction est permise par l’abbé Philippe de Montroux de Peyrissac, d’où la difficulté à reconstituer les dispositions médiévales aujourd’hui379. En 1762, l’église de Bonnaigue est partiellement détruite et sera reconstruite à la fin du XVIIIème siècle. Concernant le monastère de moniale de Derses, la baisse des effectifs conduit à son rattachement au couvent des Bernardines de Tulle. Derses est donnée à ce couvent en 1670. L’abbesse devient alors prieure de Saint-Bernard de Tulle et de Saint-Jean de Derses et prend ainsi la tête des deux communautés380. 376 J. PICAUD, op. cit, A. LECLERC, op.cit. 378 I. PIGNOT, L’abbaye cistercienne de Prébenoît en Creuse. Étude lapidaire et architecturale, mémoire de maîtrise sous la direction de B. PHALIP et A. COURTILLÉ, Clermont II, 2 vol., juin 2004. 379 B. BARRIÈRE (dir.), Moines en Limousin…, op.cit, p. 153-156. 377 - 131 - En 1580, Edme de Hautefort, gouverneur et sénéchal du Limousin possédait Obazine. C’est lui qui la reprend aux protestants en 1589. Le château de l’abbé est bâti au début du XVIème siècle [Fig. 26]. Le cloître primitif ruiné est reconstruit à cette période. Les bâtiments claustraux sont surélevés d’un étage au XVIIème siècle. Un « donjon » est également bâti avec un escalier monumental. Nous savons que l’abbaye est choisie en 1667 pour abriter le noviciat des cisterciens de la Commune Observance pour les provinces de Bordeaux et de Poitiers, ce qui témoigne encore d’une certaine influence, d’un rayonnement du monastère corrézien381. Nous disposons également d’une lettre de sommation de Dom Dumas, religieux d’Obazine à l’abbé commendataire François d’Escoubleaux de Sourdis datée de 1672. Le moine reproche à son supérieur de négliger l’abbaye et les bâtiments délabrés 382. Les négligences lors de la commende sont réellement préjudiciables à la conservation des bâtiments monastiques. Au XVIIIème siècle en effet, le réfectoire et l’aile ouest sont en ruine. En 1757, l’abbatiale d’Obazine se voit amputée de la partie occidentale de la nef. Il ne demeure plus que trois travées sur les neuf originelles. Le bâtiment des moines est également remanié à cette période de même que le bâtiment nord correspondant à l’ancien réfectoire 383. En 1779, le château de l’abbé est ainsi démoli avec l’autorisation royale. L’ancien noviciat situé dans le bâtiment est disparaît lors d’une démolition systématique dans les années 1780. En 1680, le cloître de l’abbaye de Boschaud est encore en état. Elle est partiellement restaurée au XVIIIème siècle. Un logis est aménagé pour l’abbé commendataire384. En 1569, l’abbé Coligny laisse l’abbaye de Peyrouse en ruines. Elle fait l’objet d’une restauration entre 1650 et 1683 par l’abbé dom Barillat385. Un portail du XVIIème siècle est encore conservé au domaine des Moulières. À cette date, les collatéraux de l’abbatiale sont encore voûtés. La nef dévoûtée est couverte d’un lambris. 380 B. BARRIÈRE (dir.), op.cit, p. 167-168 ; G. CLÉMENT-SIMON, « Notice sur le couvent de Derses, paroisse de Saint-Hilaire-Peyrou », BSSHAC, T 11, 1889, p. 546-568. 381 J. B. L. ROY DE PIERREFITTE, Études historiques sur les monastères du Limousin et de la Marche, T I, Guéret, 1857-63, p. 167-192 ; J. VINATIER, « La piété mariale cistercienne à Obazine révélée par l’architecture, la statuaire et la peinture (du XIIème au XVIIIème siècles) », BSSHAC, T 98, 1976, p. 79-96. 382 AD Corrèze, E 768, pièce 107. 383 B. BARRIÈRE, Aubazine en Bas-Limousin, Association Histoire et Archéologie au pays d’Obazine, Limoges, 1991, p. 18 ; B. BARRIÈRE, « L’abbaye d’Obazine. Les enseignements d’un état des lieux de 1672 », BSLSAC, T 79, 1976, p. 53-70 ; J. de RIBIER, « L’abbaye d’Obazine en Bas-Limousin. Étude historique et archéologique », thèse soutenue pour obtenir le diplôme d’archiviste-paléographe, positions, Paris, 1927. 384 C. ANDRAULT-SCHMITT, « L’abbaye de Boschaud », Congrès Archéologique de France, Périgord, 1998, Paris, 1999, T 156, p. 105-117 ; C. DESPORT, Deux abbayes cisterciennes du Périgord : Boschaud et Peyrouse, mémoire de maîtrise d’Histoire médiévale sous la direction de Bernadette BARRIÈRE, Limoges, p. 27. 385 N. BUISSON, « Abbaye de Peyrouse », BSHAP, T 113, 1986, p. 308-323 ; J. SECRET, « Note sur l’abbaye cistercienne de Pérouse au XIXème siècle », BSHAP, T 101, 1974, p. 166-171. - 132 - 4. Période révolutionnaire et extinction des monastères (fin XVIIIème-XIXème siècles). La période révolutionnaire s’accompagne bien souvent de la destruction des titres et archives des abbayes, d’où la difficulté à présent de reconstituer l’histoire et la constitution du patrimoine de ces sites. En 1793, les titres de l’abbaye du Palais-Notre-Dame sont brûlés, excepté le cartulaire. La loi du 2 novembre 1789 vote la mise à la disposition de la Nation des biens ecclésiastiques. Entre l’automne 1790 et le printemps 1791 est estimé l’ensemble du temporel. Puis les abbayes et leurs meubles sont vendus. En 1791, l’abbaye de Bonnaigue est vendue à Bourlin, jacobin d’Ussel, qui transforme l’église en écurie386. À cette date, les deux cloches de l’abbatiale d’Aubepierres sont prises pour fondre des canons. Dès 1820, l’habitat des religieux est détruit et remplacé par des bâtiments d’exploitation agricole387. C’est pourquoi il nous est très difficile aujourd’hui de connaître l’architecture et le décor de ce monastère presque entièrement ruiné. L’abbaye de Valette est quant à elle abandonnée pendant la Révolution. Elle passe entre les mains de JeanAuguste Pénières qui la vend en 1816 après y avoir installé une verrerie. En 1951, les vestiges sont noyés lors de la mise en eau du barrage du Chastang. L’ensemble est dynamité avant relevés, d’où l’impossibilité désormais de mieux connaître les bâtiments monastiques388. À l’aube de la Révolution, l’abbaye de Dalon est déjà bien ruinée. La nef notamment est mise à bas. Le rhabillage des façades de l’ancien bâtiment des moines empêche la lecture des anciennes structures médiévales. En 1811, les bâtiments en calcaire de Saint-Robert sont détruits pour alimenter les proches fours à chaux. Les caves sous la salle des moines sont comblées à la fin du XIXème siècle. Les granges, étables et porterie de l’enceinte monastique sont détruites et remblayées389. Au XIXème siècle, l’abbaye de Boeuil va servir de carrière pour les proches habitants, d’où l’éparpillement de certains éléments sculptés dans un rayon de dix kilomètres autour de l’abbaye390. Le site est vendu dans les années 1800 à Marc Fougère, entrepreneur, qui transporte tout ce qu’il peut comme matériaux de construction à Limoges. En 1837 toutefois, 386 M. LAVEYX, « L’abbaye de Bonnaigue », BSSHAC, T 16, 1894, p. 536-557. A. LECLER, Dictionnaire topographique, archéologique et historique de la Creuse, Marseille, Laffitte reprints, 1902. 388 B. BARRIÈRE (dir.), op.cit, p. 201-205 ; J-L. LEMAITRE, op.cit. 389 B. BARRIÈRE (dir.), Moines en Limousin…, op.cit, p. 163-166 ; C. ANDRAULT-SCHMITT, « Des abbatiales du « désert ». Les églises des successeurs de Géraud de Sales dans les diocèses de Limoges, Poitiers et Saintes (1160-1220) », BSAOMP, 5ème série, T 8, 1994, p. 91-173 ; M. VAN MIEGHEM, L’abbaye cistercienne Notre-Dame de Dalon de 1790 à 1814, Clairvive, 1976. 390 B. BARRIÈRE (dir.), Moines en Limousin…, op. cit, p. 144-147. 387 - 133 - une partie du cloître existe encore391. À cette époque, des religieux sont encore présents dans une maison à la « Grange de Boeuil », nommée « Grange Rouge » à la période moderne392. Le chevet du monastère de Boschaud est encore en état mais la moitié occidentale de la nef s’écroule. En 1892, le château de Beynac est vraisemblablement en partie reconstruit avec des pierres de la chapelle de Peyrouse. Le logis conservé date a priori du XIXème siècle393. Au XIXème siècle, l’abbaye d’Obazine bénéficie d’une restauration par Anatole de Baudot (1887). Les voûtes et dallages font alors l’objet d’une réfection. En 1885, les ossements d’Étienne sont découverts dans le tombeau et déposés dans des châsses modernes. En 1903, un campanile est créé pour recevoir les cloches que le beffroi central ne semblait plus pouvoir porter394. Suite à cette présentation, certes rapide, de l’historique des abbayes cisterciennes du diocèse de Limoges jusqu’aux périodes révolutionnaires et contemporaines, il convient désormais de replacer ces fondations dans un contexte plus vaste, lié à la réforme grégorienne et à sa réception en Aquitaine notamment. Les initiatives de Géraud de Sales ou d’Étienne d’Obazine ne peuvent se comprendre sans une analyse des mentalités religieuses de la fin du XIème siècle et du début du XIIème siècle ayant conduit des ermites à la quête d’un désert souvent inaccessible. En effet, la poignée d’ermites implantés au saltus, qu’il s’agisse des forêts d’Obazine ou de Haute-Marche, sont souvent victimes de leur succès, attirent de plus en plus de disciples, se doivent de s’organiser en monastère, sont l’objet de donations de fervents bienfaiteurs laïcs qui peu à peu les éloignent de leur idéal de pauvreté primitif. Il semble donc nécessaire de faire le point sur le glissement progressif du saltus vers l’ager auquel les monastères cisterciens ne paraissent pouvoir échapper. 391 A. LECLER, « Monographie du canton de Nieul », BSAHLC, 1894, T 42, p. 106-137. G. COUTY, Veyrac : passé, coutumes, Limoges, 1990, p. 13. 393 C. DESPORT, Deux abbayes cisterciennes du Périgord…, op.cit, p. 56. 394 J. QUEYREL, « La rénovation d’une abbatiale au XIXème siècle : l’église d’Aubazine », BSSHAC, T 115, 1995, p. 235-249 ; Abbé BROUSSE, Obazine religieux, archéologique, touristique, Tulle, 1953. 392 - 134 - D. Les cisterciens du saltus à l’ager : Face aux monastères clunisiens implantés dans des zones d’ager, les cisterciens privilégient des salti boisés loin des villes et des compromissions du siècle. Cette volonté d’éloignement et d’isolement n’est pas une nouveauté et correspond à la même impulsion ayant conduit les premiers Pères à se retirer au désert. a. La quête du désert primitif : À la fin du XIème siècle, la réforme grégorienne provoque un certain nombre de réactions dans le monde monastique, notamment un renouveau de l’érémitisme se traduisant par l’émergence d’ordres nouveaux à volonté d’austérité et de retrait au désert. Il convient donc de rappeler brièvement les caractéristiques de cette réforme et son incidence sur la création des ermitages du diocèse de Limoges et sur les initiatives cisterciennes. 1. La recherche du « désert », une préoccupation ravivée par la réforme grégorienne. L’érémitisme est souvent considéré comme un « catalyseur » des aspirations réformatrices insatisfaites par un épiscopat simoniaque et un clergé non réformé. Cette forme radicale de vie retirée du monde connaît un franc succès à la fin du XIème siècle et au début du XIIème siècle devant la lenteur des papes, évêques et moines à réformer profondément la Chrétienté395. • Réforme et ordres nouveaux. Des cisterciens grégoriens ? Le terme de « réforme » est fréquemment employé pour qualifier la volonté de changement, de retour à un idéal apostolique ayant caractérisé le XIème siècle. Néanmoins, ce terme est la plupart du temps trop fort ou mal approprié, alors même que les chartes de l’époque privilégient des termes comme restauratio (renforcement, enrichissement) ou parfois renovatio (renouvellement)396. Ce renouveau est illustré par une multiplication des mouvements à vocation érémitique397, un essor des chanoines réguliers et une réinterprétation de la règle bénédictine. Cette dernière doit en effet être « débarassée » des observances coutumières rajoutées à Cluny notamment. Trop souvent, la réforme grégorienne est réduite à 395 J-H. FOULON, La réforme de l’Église dans la France de l’Ouest de la fin du XIème siècle au milieu du XIIème siècle. Ecclésiologie et mentalités réformatrices, thèse, Paris I Sorbonne, dir. P. TOUBERT, 1998. 396 M. PARISSE, dans J-M. MAYEUR, C. PIÉTRI, A. VAUCHEZ, M. VENARD, Histoire du Christianisme, T V Apogée de la Papauté et expansion de la Chrétienté, Desclée, 1993, p. 141. 397 Ces mouvements érémitiques naissent en Italie dans la première moitié du XIème siècle (Saint Romuald, Jean Gualbert de Vallombreuse), puis irriguent le Limousin et la Bretagne, ainsi que la Lotharingie et la Flandre. - 135 - la seule lutte contre la mainmise de la féodalité sur l’Église, à l’affirmation d’une libertas ecclesia. Certes, la volonté est forte de restaurer la distinction entre spirituel et temporel, largement occultée par l’ordre carolingien. C’est ainsi que les réformateurs souhaitent limiter les prérogatives royales aux affaires temporelles et au maintien de la paix. Mais en réalité, il s’agirait avant tout de construire le royaume de Dieu, de rendre le monde conforme à la volonté divine. Quel rôle vont jouer les moines cisterciens face à ces bouleversements de la Chrétienté occidentale ? Ceux-ci étant plus du côté de la contemplation que de l’action, ont-ils vraiment agi dans ce cadre grégorien ?  Vita Apostolica et règle monastique : La réforme grégorienne est amorcée en réponse à une crise morale généralisée dans les milieux ecclésiastiques à partir du Xème siècle, due en particulier à une profonde féodalisation de l’Église. En effet, dès la fin du IXème siècle, l’atomisation du pouvoir politique des souverains au profit de l’aristocratie aboutit à l’introduction des laïcs dans le gestion des églises, qu’elles soient monastiques ou paroissiales. Les grégoriens ont ainsi voulu rompre les liens entre charges ecclésiastiques et laïcs qui prétendaient pouvoir en disposer. La réforme fait d’ailleurs suite à la fondation de l’abbaye de Cluny par un laïc, Guillaume d’Aquitaine, qui prend par ailleurs soin de préserver son indépendance en la rattachant directement à Rome398. L’Église carolingienne est avant tout séculière, largement dirigée par les souverains et les évêques. Certains princes ont d’ailleurs un poids indéniable dans la nomination des prélats de l’Ouest de la France. Ces derniers vivent comme de grands seigneurs fonciers à la tête de riches exploitations. Les monastères n’échappent pas à cette sécularisation mais seront peut-être les plus prompts à réagir et à se ressaisir : en effet, des sites comme Cluny ou Gorze vont devenir de puissants centres de rénovation, aspirant à une certaine « rénovation spirituelle »399. Cluny revêt une importance primordiale dans le soutien des idées grégoriennes. Les grands abbés bourguignons ont largement travaillé à la « libération de l’Église » et ont été de fermes appuis de l’autorité pontificale400. Michel AUBRUN définit la réforme monastique comme un retour à la libre élection de l’abbé par les moines, gage de la restauration de la vie monastique conforme à la règle, 398 A. ERLANDE-BRANDENBOURG, « Architecture religieuse et fidèles », dans L’architecture religieuse médiévale. Art roman et art gothique. Une nouvelle vision, Dossiers d’Archéologie n°319, janvier-février 2007, p. 24-35. 399 A. VAUCHEZ, La spiritualité du Moyen-Âge occidental, VIIIème-XIIIème siècle, Paris, 1994 (réédition de 1975), p. 33. 400 C. DEREINE, « Les chanoines réguliers au diocèse de Liège avant Saint Norbert », Mémoires de l’Académie Royale de Belgique, T XLVII, Bruxelles, 1952, p. 11. - 136 - laquelle est l’adaptation pour les moines des principes évangéliques. Elle se manifeste notamment par une lutte fervente contre la simonie et le nicolaïsme. Des clercs réformateurs, désireux de lutter contre la simonie dans le clergé et contre le concubinage des prêtres, dénoncent alors une telle pratique comme la racine du mal. Dès 1059, Nicolas II promulgue un décret interdisant cet usage, repris par la suite par Alexandre II et Grégoire VII. Chaque prêtre se doit alors d’être irréprochable, un modèle de pureté. Par la réforme grégorienne, la Papauté s’affranchit de toute tutelle laïque et affirme sur le monde des prétentions supérieures, d’ordre théocratique, en rivalité déclarée avec deux autres puissances à légitimité divine : l’empereur germanique et le basileus byzantin. Dès 1053, c’est le schisme entre chrétienté latine et orthodoxe. Une consolidation du pouvoir pontifical s’amorce à partir de Léon IX (1049-1054). Ce dernier s’attaque entre autres au mariage et au concubinage des clercs, à la simonie, au trafic des biens spirituels et à la subordination des tâches spirituelles aux intérêts laïcs. Au milieu du XIème siècle, la querelle des Investitures s’amorce, Église et Empire entrent en compétition. En effet, le Pape et l’Empereur assistent à la naissance d’un conflit à propos de l’investiture accordée aux évêques par les pouvoirs laïcs. L’empereur Henri IV notamment tient à contrôler la désignation des évêques de l’Empire car il leur délègue des pouvoirs régaliens. En résulte un long conflit marqué par la déposition du Pape par Henri IV. Grégoire VII riposte par l’excommunication et la déposition de l’Empereur (1076). Entre 1088 et 1099, Urbain II reprend la condamnation de l’Investiture. Ainsi, pauvreté, chasteté et célibat sont remis à l’honneur, comme pour imposer à toute une société une « conception monastique de l’obéissance », obéissance prioritairement dévolue au Pape. Le siècle est dès lors compris comme l’univers du démon. Il convient donc de renoncer aux richesses de certaines charges séculières pour vivre « nu comme le Christ nu » et espérer le salut. L’idéal monastique est dès lors considérablement revalorisé, auréolé de sainteté. La vie du moine est exemplaire par le respect de la chasteté, la vie commune et la pratique du service liturgique. La fascination pour les tendances ascétiques est indéniable : le moine cultive l’ascèse comme un instrument de retour à Dieu. Une importance nouvelle est en effet prise par les thèmes ascétiques et moraux, les Actes des Apôtres et les Évangiles sont réinvestis et inspirent largement la quête de la vraie pauvreté et l’importance prise par le travail manuel401. La vita apostolica est cette vie communautaire idéale à Jérusalem, décrite ainsi dans les Actes des Apôtres : 401 J. WIRTH, op. cit., p. 207. - 137 - « Tous ceux qui croyaient vivaient ensemble et ils avaient tout en commun (…). La multitude des fidèles n’avait qu’un cœur et qu’une âme, nul n’appelait sien ce qu’il pouvait avoir, mais tout était en commun entre eux. »402 Les Actes des Apôtres mettent néanmoins en lumière la place importante de la prédication dans la vocation des Apôtres. La cura animarum est essentielle, et sera notamment au cœur de la vie des chanoines réguliers nés de ce mouvement réformateur. Or, le monachisme ferme bien souvent la porte aux affrontements avec le monde, et donc à la prédication, comme ces cisterciens tellement désireux de s’enfermer loin du siècle, et par làmême, des fidèles. De nombreuses réactions ascétiques s’affirment dans le cadre de la réforme comme celles de Robert D’ARBRISSEL qui décide de vivre entouré de femmes au sein du monastère de Fontevrault pour s’exposer directement à la tentation, et pour accroître le mérite d’y résister. Nombre de ces ermites ne mènent pas une vie contemplative, le travail manuel tient bien souvent une place de choix, de même que la prédication populaire. C’est le cas de Robert d’ARBRISSEL ou d’Étienne de MURET en Limousin403. Ces Wanderprediger (prédicateurs itinérants) se multiplient notamment à la fin du XIème siècle et dénoncent avec conviction les vices du clergé, comme Robert de TIRON ou Vital de SAVIGNY404. Jean-Hervé FOULON constate le synchronisme des entrées au désert encadrant le voyage d’Urbain II dans l’Ouest. En effet, Robert d’Arbrissel, Bernard de Tiron et Vital de Mortain se retirent au saltus entre 1095 et 1097405. Ces prédicateurs tentent de concilier monde monastique du silence et monde sacerdotal de la parole, ordre carolingien et son idéal du moine pur et ascète et préceptes grégoriens profondément sacerdotaux. Quant au rejet de la sexualité et à la revalorisation du labeur, ils se retrouvent chez d’autres pauvres du Christ tel Bernard de CLAIRVAUX. Les cisterciens défendent en effet une ascèse rigoureuse, un travail manuel qui sanctifie et un rapprochement de la vie des Apôtres, bien que la cura animarum soit rejetée. Si les moines tendent vers plus de rigueur et d’ascétisme, comme en témoignent de multiples initiatives érémitiques, la réforme grégorienne touche également le monde canonial, 402 Actes des Apôtres, II, 42-47 et IV, 32-35. A. VAUCHEZ, op. cit., p. 83. 404 A. VAUCHEZ dans J-M. MAYEUR, C. PIÉTRI, A. VAUCHEZ, M. VENARD, Histoire du Christianisme…, op. cit., p. 461. 405 J-H. FOULON, op.cit., vol. I. 403 - 138 - dont la restauration s’amorce au milieu du XIème siècle. Le Pape s’appuie ainsi certes sur les moines, notamment clunisiens, mais aussi sur les chanoines réguliers pour appliquer ses décisions, tandis que les rois et princes s’appuient sur un épiscopat simoniaque406. Les chanoines réguliers se multiplient, désireux de mener une vie ascétique, mais contrairement aux moines cisterciens, ceux-ci acceptent la cura animarum. Ils suivent la règle de Saint Augustin et se conforment à son idéal de pauvreté, de célibat, de vie communautaire, tandis que les aspects liturgiques et sacerdotaux sont intégrés, à la différence des moines blancs407. La réforme canoniale des XIème et XIIème siècles adopte ainsi les grandes lignes de la réforme grégorienne, se conformant à la fois à la vie des Apôtres (vie commune, cura animarum) mais aussi aux Épîtres de Paul en accordant une place importante au travail manuel408. En Aquitaine, se sont surtout les Prémontrés qui s’imposent, largement soutenus par l’épiscopat favorable à ces chanoines conciliant vie régulière et charge pastorale409. Outre ces modifications dans la spiritualité monastique et canoniale, des aspects plus économiques sont à prendre en considération. La régularité monastique retrouvée s’accompagne presque nécessairement d’un enrichissement du monastère par la restitution des biens spoliés, des donations ainsi qu’une sage administration410. La société monastique en retire des avantages considérables au niveau du temporel notamment. La réforme se fait au profit des moines, c’est-à-dire de ceux qui étaient déjà vraisembablement les mieux pourvus de l’Église411. En effet, la réforme se caractérise par une volonté de récupération des dîmes usurpées par les laïcs qui sont sommés de restituer les biens de l’Église, sous peine d’excommunication. Ceux-ci préfèrent toutefois céder les dîmes aux moines plus qu’aux prêtres des paroisses et évêques. Nous assistons ainsi à l’augmentation des dîmes perçues par les monastères. Selon Pierre le Vénérable, 1/10ème des revenus de Cluny sont issus des dîmes. La possession de ces revenus est justifiée notamment par Gratien dans son décret publié vers 1140 qui devient une norme officielle412. 406 J-H. FOULON, op. cit., T I, p. 9. M. PARISSE dans J-M. MAYEUR, C. PIÉTRI, A. VAUCHEZ, M. VENARD, Histoire du Christianisme…, op. cit., p. 143. 408 C. DEREINE, « Les chanoines réguliers au diocèse de Liège avant Saint Norbert », Mémoires de l’Académie Royale de Belgique, T XLVII, Bruxelles, 1952, p. 23. 409 J-H. FOULON, op. cit., p. 414. 410 M. AUBRUN, L’ancien diocèse de Limoges des origines au milieu du XIème siècle, Institut d’Études du Massif Central, Clermont-Ferrand, 1970, p. 159. 411 M. AUBRUN, op. cit, p. 184. 412 Dom A. DAVRIL, E. PALAZZO, La vie des moines au temps des grandes abbayes, Paris, Hachette, 2000, p. 269. 407 - 139 - L’étude de Jean-Louis BIGET sur le diocèse d’Albi est une précieuse illustration de ces restitutions de dîmes. Néanmoins, l’auteur relativise l’importance de la réforme grégorienne dans ce processus. En effet, il constate une première vague de restitution dès la fin du Xème siècle, précédant ainsi d’un siècle la réforme grégorienne. Il s’agit en particulier de paroisses rurales dont les déguerpissements anticipent d’un siècle le mouvement réformateur. Il semblerait pour l’historien que l’émancipation des églises soit certes plus précoce, mais aussi plus lent et plus limité que celle des établissements monastiques. Ce mouvement d’émancipation profite en effet prioritairement aux réguliers. Il explique ce phénomène par une nette prédilection des laïcs pour les réguliers qui « effectuent leurs déguerpissements pour la rédemption de leurs péchés et la sauvegarde de leur âme ». Une seconde vague de restitution correspondrait à la Croisade de Simon de Montfort en Albigeois. Il s’agit ici de récupération des dîmes et églises par rachat et confiscation. Ainsi, le rôle de la réforme grégorienne dans la restitution des biens de l’Église serait à nuancer, d’autant plus que dans le diocèse d’Albi à la fin du XIIème siècle, une très large part des dîmes et des églises reste aux mains des laïcs. Les fractionnements des droits ecclésiastiques et des dîmes freinent par ailleurs leur délaissement par les laïcs. Il s’agit donc « d’une entreprise de remembrement complexe et lente », constatation établie pour le diocèse d’Albi mais qui peut certainement être vérifiée dans le diocèse de Limoges413. Si les dîmes doivent être restituées à l’Église, la réforme grégorienne soulève néanmoins le problème de leur perception par des établissements monastiques. Aux Xème et XIème siècles, les églises acquièrent surtout des dîmes par donation. À la fin du XIème siècle et au début du XIIème siècle, les papes réformateurs sont mal disposés à l’égard de la détention, de l’acquisition, de l’aliénation des dîmes et d’autres revenus ecclésiastiques par les monastères. Grégoire VII en particulier les a condamnés, sauf autorisation du Pape ou de l’évêque. Au XIIème siècle néanmoins, la plupart des établissements monastiques, comme nous l’avons observé ci-dessus pour Cluny, touchent des dîmes et beaucoup sont dispensés d’en payer. Le nombre de dîmes appartenant aux monastères augmente même durant ce siècle par donations ou restitutions. Cet enrichissement sensible permet de financer d’ambitieux chantiers de construction et trouve ainsi son illustration dans l’architecture et le décor. Les ordres nouveaux s’opposent toutefois aux revenus ecclésiastiques afin de réaliser plus parfaitement la vie apostolique. C’est le cas des cisterciens, des chartreux, des fontevristes et des grandmontains. La détention des dîmes liée à la cura animarum par les 413 J-L. BIGET, « La restitution des dîmes par les laïcs dans le diocèse d’Albi à la fin du XIIIème siècle », dans « Les évêques, les clercs et le roi (1250-1300) », Cahiers de Fanjeaux, Toulouse, Privat, 7, 1972, p. 211-283. - 140 - moines et les chanoines réguliers trouve toutefois des défenseurs tel Pierre le Vénérable. Dès le second quart du XIIème siècle, Cîteaux accepte de plus en plus d’exceptions à cette règle et tend à se rapprocher d’un modèle clunisien pourtant remis en cause auparavant. S’ils restituent parfois une part importante de ces dîmes à l’évêque, cette part restituée n’est pas forcément totale. En effet, l’ordinaire n’en récupère fréquemment que la moitié ou les deuxtiers. Les cisterciens conservent en particulier la maîtrise des dîmes attachées aux paroisses qu’ils ont contribuées à créer (cas des fondations de bastides notamment). La perception des dîmes est donc problématique et ne sera pas vraiment résolue par la réforme grégorienne qui encourage plutôt aux restitutions de ces revenus à l’Église414.  Les cisterciens, « fer de lance » de la Papauté. Croisade des Albigeois et inquisition : Outre ces aspects économiques liés aux revenus des monastères et à la volonté de retourner à une vie apostolique, la réforme grégorienne a également pour aspiration profonde de protéger les fidèles contre les hérésies, notamment l’hérésie cathare. La réforme grégorienne a certes pour but de promouvoir l’idéal de vie apostolique, mais aussi de développer l’idéologie de la Croisade, sensée défendre l’orthodoxie. L’Église s’immisce régulièrement dans les affaires de siècle, comme en témoigne son combat pour la foi et sa volonté de servir son prochain. C’est donc à la fin du XIème siècle que naît une « spiritualité de la Croisade », assimilée à un opus dei415. Initialement, il semble que la réforme grégorienne touche prioritairement le clergé et les monarques. Elle a pour conséquence une désacralisation des laïcs, interdits de toute immixion dans les affaires de l’Église416. La Première Croisade permet néanmoins d’étendre certains principes réformateurs aux laïcs et aux seigneurs. Pour Yaël KATZIR, en participant activement à la Croisade, les laïcs trouvent ainsi leur place dans la Chrétienté et y jouent un rôle vital. Il existe donc un lien très fort entre Croisade et réforme417. Pour Anne BRENON, il semblerait que l’Église ancienne soit sans doute plus tolérante vis-à-vis de ces mouvements religieux marginaux, y compris cathares, tandis que cette Église réformatrice « nouvelle » et militante de Rome et de Cîteaux condamne et conduit au bûcher. 414 F-L. GANSHOF, « La dîme monastique, du IXème à la fin du XIIème siècle », CCM, T 11, n°3, 1968, p. 413-420. 415 A. VAUCHEZ, op. cit., p. 65. 416 J-H. FOULON, op. cit., p. 392. 417 Y. KATZIR, « The Second Crusade and the redefinition of Ecclesia, Christianas and Papal Coercitive Power », dans M. GERVERS (dir.), The Second Crusade and the Cistercians, Saint Martin’s Press, New York, 1992, p. 3-11. - 141 - En effet, les grégoriens seraient pour bonne part à l’origine du concept et de la dénonciation de l’hérésie, ainsi que du principe de guerre sainte. Pour Anne BRENON, l’Église médiévale utilise peut-être l’hérésie pour justifier ses prétentions à « dominer le monde ». Les ordres nouveaux comme les moines blancs, puis les ordres mendiants vont jouer un rôle indéniable dans cette lutte contre les dissidences, fer de lance de la Papauté réformée. La place des cisterciens est importante, de même qu’ils s’engagent pour la Croisade (prêche de saint Bernard à Vézelay en 1146 pour la seconde Croisade, Croisade des Albigeois de 1209 à 1229)418. L’Église de Rome et Cîteaux fondent le principe de domination sur le monolithe d’un monde créé par Dieu, voulu par lui, vision opposée au dualisme « manichéen » des bonshommes cathares. L’intervention de Bernard de Clairvaux dans le Midi commence ainsi dès 1145. Il participe à une mission en tant que légat du Pape. Il a été alerté sur la montée des dogmes hérétiques deux ans auparavant par une lettre d’Evervin de Steinfeld concernant un groupe d’hérétiques en Allemagne419. À partir du dernier tiers du XIIème siècle se met en place une propagande anti-hérétique, d’abord cistercienne puis dominicaine dans les années 1220. Ceux-ci contribuent à une image dogmatique de l’adversaire cathare. Les cisterciens vont devenir des « prêcheurs itinérants » lors des campagnes anti-hérétiques. Ils seront parfois nommés légats du Pape, allant ainsi à l’encontre de leur idéal de retrait du monde, de l’idée d’un ordre contemplatif. Le prêche devait en effet normalement être réservé au clergé séculier420. Ainsi, dès 1181, Henry de Marcy, abbé de Clairvaux puis cardinal d’Albano et légat du Pape mène en Languedoc une pré croisade. Il lève une armée et conduit une expédition à travers le monde chrétien. Il condamne les hérétiques pour leurs turpitudes sexuelles notamment. Au début du XIIIème siècle, Innocent III, devenu Pape en 1198, dépêche à une vaste mission cistercienne (trente moines et douze abbés, sous autorité de trois légats pontificaux) la charge de ramener à l’orthodoxie les populations occitanes et de disputer en public contre les prédicateurs cathares. Il autorise l’intervention d’une armée en Occitanie. Les cisterciens sont dès lors considérés comme des légats du Pape, garant de l’orthodoxie et des préceptes grégoriens421. Leur mission échoue cependant et conduit à la Croisade des 418 A. BRENON, Le choix hérétique, La Louve, Cahors, 2006, p. 68. B. M. KIENZLE, Cistercians, Heresy and Crusade in Occitania, 1145-1229. Preaching in the Lord’s vineyard, York medieval Press, 2001, p. 82. 420 B. M. KIENZLE, op. cit., p. 1. 421 Plusieurs moines cisterciens vont ainsi devenir légats, tels Pierre de Castelnau, abbé de Fontfroide, Arnaud Amaury, abbé de Grandselve puis archevêque de Narbonne (1212-1225), Guy des Vaux-de-Cernay et Foulque, abbé du Thoronet. 419 - 142 - Albigeois de 1209 à 1229. En 1208, c’est l’assassinat du légat Pierre de Castelnau qui précipite le recours à la violence. Dès lors, les abbayes cisterciennes méridionales constituent de solides points d’appui à cette croisade, excepté le monastère de Boulbonne (com. Cintegabelle, Haute-Garonne), lié depuis sa fondation à la famille comtale de Foix, fervent soutien du catharisme422. Nous pouvons également considérer que les monastères cisterciens constituent de réels fers de lance des Français en Occitanie, comme en témoigne la création de villes nouvelles (bastides) sur les terres cisterciennes423. Pour Beverly KIENZLE, « the Cistercians retained a strong presence in Occitania and continued a course that has been characterized as “anti-merdidionale” and “profrançais” in collaborating with Capetian lords who established the new towns called “bastides” on Cistercian properties (…)”424. Il serait bien sûr réducteur de ne considérer les bastides que comme des “bastions” capétiens mis en oeuvre pour la défense de l’orthodoxie, comme autant de pions placés par le roi pour s’immiscer un peu plus dans des terres non gagnées à sa cause. Elles sont avant tout des centres de peuplement et d’agriculture nées d’une volonté concertée des rois, seigneurs, populations et ordres monastiques présents sur ces terres. Les cisterciens quant à eux semblent trouver dans la création de bastides en paréage avec les rois Capétiens une réponse à certains problèmes économiques. Précisons d’ailleurs que deux bastides sont fondées par les cisterciens du Limousin : le Mont-Sainte-Marie appartenant à Obazine et la bastide de Puybrun (Dalon). La participation du diocèse de Limoges dans la lutte anti-cathare est pour le moins difficile à cerner. Le cartulaire de Bonlieu révèle quelques actes de seigneurs partant pour la Croisade albigeoise. Trois donations de 1221 concernent des marchois partant en croisade : Rainaud VIII vicomte d’Aubusson, Hugues de Mérinchal, chevalier et Géraud prévôt du Puy Malsignat425. Le rôle de Bernard GUI, originaire de Royère à 40 kms au sud-ouest de Limoges peut brièvement être évoqué. En effet, bien connu pour son Manuel de l’Inquisition, ce dernier est né vers 1261-1262 en Limousin. Il fait profession dans l’ordre des Prêcheurs au couvent de Limoges et est nommé inquisiteur de Toulouse dès 1307 426. Quant au rôle tenu par les abbés et moines cisterciens du diocèse de Limoges dans cette lutte anti-hérétique, il est difficile à établir faute de sources textuelles. 422 A. BRENON, op. cit., p. 87. B. M. KIENZLE, op. cit., p. 2. 424 B. M. KIENZLE, op.cit., p. 212. 425 AD Creuse, H 284, fol. 95-96 ; A. GUY, « Voyages et croisades dans le cartulaire de Bonlieu », Bulletin des Amis de Montluçon, n° 43, 1992, p. 4-11. 426 S. LOUIS, « Les relations de Bernard Gui avec le Limousin », dans « Bernard Gui et son monde », Cahiers de Fanjeaux, 16, Toulouse, Privat, 1981, p. 41-53 ; Bernard GUI, Manuel de l’Inquisiteur, trad. G. MOLLAT, « Les Belles Lettres », Paris, 1964, 2 volumes. 423 - 143 - Le rôle des cisterciens dans le Midi va quant à lui décroître à partir des années 1220. En effet, les principales personnalités de la Croisade des Albigeois disparaissent (Innocent III meurt en 1216, Arnaud Amaury en 1225, Guy des Vaux-de-Cernay en 1223). Les prêches d’Hélinand de Froidmont en 1229 sont les derniers engagements des cisterciens en Occitanie. Ils cèdent ensuite la place aux dominicains427.  Rôle de l’image et instruction des fidèles : Outre son rôle de maintien de l’orthodoxie et de développement de l’idéologie de Guerre Sainte, la réforme grégorienne va également réamorcer la question du statut de l’image dans les édifices et de la place des fidèles. Selon Jean WIRTH, « le luxe des églises et les images ne pouvaient être critiquées par la Réforme Grégorienne- du reste largement inspirée par les clunisiens- parce que sa conception de la pauvreté était personnelle et non collective ». Les richesses du monastère ne sauraient empêcher la pauvreté du moine, le dépouillement et l’ascétisme de sa vie428. L’image peut ainsi trouver sa place et sa justification dans l’édifice. Les idées réformatrices contribuent à modifier considérablement la perception et l’agencement des espaces ecclésiaux en canalisant et contrôlant mieux les foules, notamment par ses références à l’Église des temps apostoliques. Les fidèles n’occupent qu’une place réduite à l’époque carolingienne. La réforme grégorienne va tenter de « rendre à l’église sa véritable signification pastorale » et de mieux « intégrer le bouleversement démographique » en réintégrant le laïc dans l’édifice religieux 429. Les grégoriens accordent une attention certaine à la sanctification du peuple. En réformant le clergé, ils permettent de fait le salut des fidèles, passant par le respect des sacrements. Or, la réforme grégorienne conduit par bien d’autres aspects à une dépréciation certaine du laïcat. Les fidèles eux-mêmes ne voient le salut qu’à travers une étroite association avec les religieux, par l’intermédiaire de dons, ou en plaçant les cadets au sein de monastères. Certains laïcs tentent d’assurer leur salut en revêtant l’habit monastique à l’aube de la mort. D’autres se tournent vers l’érémitisme, ou deviennent convers. En effet, souvent illettrés et trop pauvres pour devenir moines de chœur, certains laïcs trouvent néanmoins une place en tant que convers dans les monastères cisterciens. Le pèlerinage trouve également toute son utilité pour ceux désireux d’assurer leur salut430. 427 B. M. KIENZLE, op. cit., p. 212. J. WIRTH, L’image à l’époque romane, Paris, Ed. Cerf, 1999, p. 264. 429 A. ERLANDE-BRANDENBURG, « L’église grégorienne », Hortus Artium Medievaliu, vol. 5, Zagreb, Croatie, 1999, p. 147-166. 430 A. VAUCHEZ, op. cit., p. 48. 428 - 144 - La réforme exprime une volonté forte d’une meilleure prise en compte des laïcs par un meilleur accueil. La nef est libérée, les autels déplacés vers l’est, d’où l’adoption progressive des déambulatoires à chapelles rayonnantes. On assiste ainsi à un abandon de « l’occidentation » et de la double abside (orientale et occidentale) fréquente dans un cadre carolingien. L’image trouve de fait sa place dans l’édifice et va probablement s’immiscer plus franchement dans l’église, se faire peut-être moins discrète par l’acceptation de sa forme tridimensionnelle directement intégrée à l’architecture. Celle-ci suit également le mouvement de complexification du chevet : églises inférieures et supérieures dotées de déambulatoires et, parfois, de chapelles rayonnantes ; aménagement de vastes nefs partagées. Désormais, la figure sculptée, aidée des peintures et des mosaïques de pavement, « encadre ou souligne les autels, les lieux de séparation, de la parole, de réunion, ceux de la procession, voire ceux de l’inhumation. »431 Cette réforme va ainsi bouleverser certains usages liturgiques et les rapports à l’image. Pour Hélène TOUBERT, la réforme grégorienne se traduit dans l’art de cette fin du XIème siècle par une volonté de recréer les volumes architecturaux et le décor des églises du passé paléochrétien. La reprise de programmes et de schémas anciens se fait systématique. Les motifs ornementaux antiques et paléochrétiens sont à l’honneur432. Dans ce contexte, l’image paraît largement revalorisée et tient un rôle dans l’instruction des fidèles et la structuration des espaces. Dans un cadre monastique, l’intrusion de la société civile dans les monastères est facilitée par les liens familiaux unissant clercs et laïcs, ainsi que par les donations multiples des seigneurs. Les abbayes bénédictines souvent à proximité, voire dans les villes, sont moins stricts que les cisterciens avec la clôture monastique et accueillent fréquemment les laïcs. Ainsi, à Saint-Savin-sur-Gartempe, dans la seconde moitié du XIIème siècle, les trois premières travées de la nef sont réservées aux fidèles433. Les cisterciens se montrent quant à eux beaucoup plus « intraitables » quant à l’imperméabilité de la clôture. Ils ne se préoccupent pas de la place du laïc dans l’édifice de culte et peuvent ainsi revenir à un système carolingien d’organisation de l’espace, comme en 431 B. PHALIP, « Les cadres géographiques et chronologiques de l’étude », dans Espaces figurés médiévaux. L’espace ecclésial, les aménagements liturgiques et la question iconographique, Morphogenèse de l’espace ecclésial (dir. A. Baud), UMR 5138, Maison de l’Orient, université Lyon II. Actes du colloque de Nantua de novembre 2007 en cours de publication dans les publications de la Maison de l’Orient ; texte complet en cours de publication sous la direction de Anne Baud. 432 H. TOUBERT, Un art dirigé. Réforme Grégorienne et iconographie, Paris, Cerf, 1990, p. 7-13. 433 A. ERLANDE-BRANDENBURG, « L’église grégorienne »…, op. cit., p. 147-166. - 145 - témoignent la multiplication des autels et l’apparition de chapelles occidentées greffées sur les bras de transept (Dalon)434. Cîteaux ne se targue ainsi pas d’innover, mais s’ancre bien au contraire dans une tradition monastique ancienne, carolingienne. Nous pouvons ainsi d’ores et déjà nous interroger sur la place réelle des mouvements à caractère érémitique dans cette réforme, connaissant les fréquentes réticences à l’image tridimensionnelle, particulièrement sensibles chez les cisterciens. Si Cluny et les monastères urbains et périurbains – relais indéniables des idées réformatrices - paraissent pleinement aller dans le sens de la réforme et recourir abondamment à l’image, la situation est beaucoup moins claire chez les moines blancs ou grandmontains, ordres ruraux n’ayant en effet pas pour vocation première l’accueil de fidèles et donc leur instruction. Les cisterciens, de même que certains seigneurs et nobles lettrés, se montrent ainsi relativement méfiants vis-à-vis de l’image435. La place des mouvements érémitiques tels Cîteaux, Grandmont ou la Chartreuse semble difficile à cerner dans un cadre grégorien. Le renouveau des vocations érémitiques à la fin du XIème siècle, déjà évoqué à travers les figures emblématiques d’Étienne d’Obazine ou de Géraud de Sales, est en effet étroitement lié à la réforme grégorienne et au retour à la pauvreté apostolique, sans toutefois en accepter toutes les avancées et préceptes nouveaux, comme la revalorisation de l’image notamment ou l’attention portée à l’instruction des fidèles. Il existe en effet un paradoxe entre leur volonté ferme de vivre à l’écart du siècle, leur refus de certains aspects de la condition humaine et entre leur souci d’agir sur la société en se plaçant régulièrement comme arbitres de certains conflits politiques (Bernard de Clairvaux notamment). De même, les ermites participent à l’établissement des routes, à des défrichements, assistent les voyageurs et contribuent à évangéliser les populations rurales 436. Il existe une tension inévitable entre amour de Dieu et service du prochain, entre action et contemplation, salut collectif et salut personnel, au cœur des préoccupations grégoriennes. C’est la prédication qui permet de relier ces deux idéaux437. Nous pouvons en effet légitimement nous demander si les ermites, puis les nouveaux ordres monastiques à vocation érémitique comme les cisterciens accompagnent réellement la réforme grégorienne. Quel est leur rôle exact ? Isolés du monde, quel est leur poids dans l’évangélisation des fidèles ? Si la réforme tente de se tenir à l’écart des laïcs, de prendre leur indépendance vis-à-vis des seigneurs, les cisterciens ne sont-ils pas au contraire trop liés au 434 A. ERLANDE-BRANDENBURG, « L’église grégorienne »…, op. cit., p. 147-166. B. PHALIP, op. cit. 436 A. VAUCHEZ, op. cit., p. 47. 437 J-H. FOULON, op. cit., p. 498. 435 - 146 - monde aristocratique, notamment au XIIIème siècle ? Ils en acceptent les donations, accueillent les cadets de famille et deviennent peu à peu des nécropoles funéraires pour les fondateurs. De plus, si la réforme grégorienne semble avoir besoin des images, les nouveaux ordres à vocation érémitique comme Grandmont et Cîteaux tendent toutefois à l’aniconisme. En effet, l’image controversée à l’époque carolingienne est reconnue comme un moyen essentiel de pédagogie auprès des fidèles par les évêques réformateurs. À la fin du XIème siècle, la reconnaissance du statut de l’image permet une véritable invasion de l’édifice de culte, notamment sur les portails d’entrée des cathédrales accueillant les fidèles 438. La place réelle de ces ordres dans la réforme nous semble ainsi à réévaluer.  Réception de la réforme grégorienne en Aquitaine : Une volonté de retourner à l’Église Primitive telle qu’exprimée dans les Actes des Apôtres (2, 44-45 ; 4-32) naît avec ferveur chez grands nombres de prédicateurs et ermites et prend le nom de vita apostolica439. Cette réforme ne pénètre toutefois pas de la même manière et au même moment suivant les diocèses. Les évêques jouent en effet un rôle indéniable dans l’acceptation et la diffusion de la réforme grégorienne et de ses idées. Le diocèse de Besançon par exemple est bien documenté grâce aux études de René LOCATELLI et permet de mettre en lumière certains clivages et différences avec les diocèses aquitains particulièrement intéressants pour cette étude. En effet, le monachisme bénédictin et surtout clunisien est en plein essor dans le diocèse de Besançon au XIème siècle et cette vitalité freine quelque peu les initiatives érémitiques. René LOCATELLI constate le peu de réussite de l’érémitisme dans ce diocèse tandis que s’expriment les influences de SaintClaude, Romainmôtier et Luxeuil dès l’an Mil. La règle augustinienne ne pénètre que tardivement. Les quelques mouvements d’inspiration érémitique ne s’installent pas réellement au désert et privilégient des lieux habités, des lambeaux de forêts qui forment la lisière des villages. Les communautés sont ainsi concentrées dans la vallée de la Saône440. La réforme grégorienne semble triompher tardivement dans l’ouest de la France et témoigne de trente années de décalage environ entre l’espace ligérien et l’Italie. Elle pénètre en Aquitaine dans les années 1100 et est ainsi concomitante de la fondation de Fontevrault 438 A. ERLANDE-BRANDENBOURG, « Architecture religieuse et fidèles », dans L’architecture religieuse médiévale. Art roman et art gothique. Une nouvelle vision, Dossiers d’Archéologie n°319, janvier-février 2007, p. 24-35. 439 « Tous les croyants ensemble mettaient en commun ; ils vendaient leurs propriétés et leurs biens et en partageaient le prix entre tous selon les besoins de chacun ». 440 R. LOCATELLI, Sur les chemins de la perfection. Moines et chanoines dans le diocèse de Besançon vers 1060-1220, CERCOR, Université de Saint-Étienne, 1992, p. 162. - 147 - notamment, née de l’expérience érémitique de Robert d’ARBRISSEL. L’Ouest de la France se caractérise au XIème siècle par un monachisme largement inséré dans l’orbite comtale, très puissant, fermement ancré dans une tradition carolingienne (Marmoutier). Les clunisiens sont quasi absents, de même que les congrégations de chanoines réguliers 441. En effet, il semble que les moines de Marmoutier aient longtemps fait écran à l’influence clunisienne, ainsi que les communautés de Saint-Aubin et Saint-Nicolas d’Angers, la Trinité de Vendôme et Bourgueil. La conception monastique en Aquitaine reste traditionnelle, carolingienne. Ainsi, les idées réformatrices s’adaptent lentement et non sans difficultés en Aquitaine, du fait de l’absence d’un monachisme exempt, de l’inexistence d’institutions de paix et de la puissance d’écoles cathédrales conservatrices des pensées carolingiennes, dans la lignée de Grégoire le Grand. Le diocèse d’Anjou est relativement bien connu par les études de Jean-Marc BIENVENU qui analyse les liens entre réforme et mouvements érémitiques. L’historien explique qu’au XIème siècle, l’épiscopat angevin est largement promu grâce à des procédés simoniaques. De nombreuses églises rurales et collégiales sont entre des mains laïques. Le XIème siècle est néanmoins marqué par le renouveau des pèlerinages et du culte des saints. Vers 1090, des prédicateurs itinérants sont à l’origine d’une flambée évangélique en Anjou. Des apôtres de la pauvreté volontaire comme Robert d’ARBRISSEL et ses émules prêchent le retour de la Vita Apostolica. La réforme pénètre grâce aux prélats tels Renaud (1100-1124) et Ulger (1125-1148). Ceux-ci se montrent sympathiques vis-à-vis des nouvelles formes de vie religieuse. Les restitutions d’églises et de biens ecclésiastiques se font par leur intermédiaire442. Cette réforme s’accompagne en effet d’un renouvellement du corps épiscopal, d’une volonté de rapprochement entre Rome et les églises locales, d’une extension des privilèges d’exemption ainsi que d’une dénonciation vigoureuse des liens féodaux. Un changement net s’opère dans le recrutement ecclésiastique aquitain. Il est fait appel à des hommes de plus humble origine, issus de la petite et moyenne aristocratie. Il s’agit d’hommes nouveaux, à l’écart des lignages baroniaux qui monopolisaient auparavant les charges épiscopales. Hildebrand, futur Grégoire VII (1073-1085), demeure le véritable acteur d’une politique d’intervention romaine dans l’ouest ligérien. Il tente de s’appuyer sur les seigneurs pour soutenir le mouvement réformateur. Guillaume VIII, duc d’Aquitaine (1058-1086), est l’un des rares feudataires sur qui il puisse compter au début de son pontificat. Le duc est de plus un 441 J-H. FOULON, op. cit., p. 11. J-M. BIENVENU, « Les caractères originaux de la Réforme Grégorienne dans le diocèse d’Angers », BPH, 1968, vol. II, p. 545-560. 442 - 148 - partisan résolu de l’expansion clunisienne. Il entreprend ainsi la réforme des monastères aquitains443. La réforme en Aquitaine est préparée par de nombreux conciles qui tiennent lieu à Bordeaux en 1068, 1070 et 1080 ; à Poitiers en 1074, 1075 et 1078 et à Saintes en 1075, 1081 et 1083. En 1088, Eudes de Châtillon accède au siège papal et prend le nom d’Urbain II. C’est un ancien moine clunisien, acteur essentiel de la réforme grégorienne. La plupart des prélats ligériens assistent au concile de Clermont qu’il organise en 1095. Urbain II demande à cette occasion à Robert d’ARBRISSEL de prêcher et lui donne une licence de prédication apostolique qui légitime sa vie érémitique et l’engage dans la lutte réformatrice. Réforme grégorienne et érémitisme sont ainsi très imbriqués. Les ermites peuvent être perçus par les évêques comme le fer de lance de certaines idées réformatrices comme la pauvreté et le retour à une vie apostolique, et pourraient ainsi concourir à leur transmission au cœur des évêchés et des campagnes. À partir de 1095 est engagée une vaste offensive contre les différentes formes de fidélité qui liaient le personnel ecclésiastique aux pouvoirs temporels. Si Hildebrand a ainsi aidé à promouvoir la réforme dans l’espace ligérien, elle se fait toutefois conjointement à une réforme locale active spécialement par le biais de monastères comme Marmoutier444. Nous pouvons affiner ces remarques grâce à une étude plus précise de la pénétration de la réforme grégorienne dans le diocèse de Limoges intéressant directement notre sujet, analyse permise à la faveur des travaux minutieux de Michel AUBRUN. L’historien nous permet de suivre précisément les étapes du mouvement réformateur. Dès 1031, un concile se tient à Limoges en présence d’Aimon de Bourbon, archevêque de Bourges, d’Étienne du Puy, Rencon de Clermont, Raymond de Mende, Émile d’Albi et Dieudonné de Cahors. Sont présents également des évêques de la province de Bordeaux : Isembert de Poitiers, Arnaud de Périgueux, Rohon d’Angoulême. Jordan est alors évêque de Limoges. L’ensemble territorial représenté est plus important qu’au concile de Bourges ayant eu lieu quelques semaines auparavant. Ce concile prend ainsi l’aspect d’une grande réunion aquitaine. Toutefois, il ne provoque pas réellement de donations d’églises. Celles-ci apparaissent en effet en nombre plus tardivement, dans les années 1065-1068. Des conciles réformateurs ont condamné les possessions laïques des biens d’églises, à Bourges et Limoges en 1031, à Reims en 1049, à Toulouse en 1056. Le concile de 1031 à Limoges correspond à 443 E. MAGNOU, « L’introduction de la Réforme Grégorienne à Toulouse (fin XIème-début XIIème siècles) », Cahiers de l’Association Marc Bloch de Toulouse. Etudes d’Histoire Méridionale, n°3, Toulouse, 1958, p. 2. 444 J-H. FOULON, « Les relations entre la Papauté réformatrice et les pays de la Loire jusqu’à la fondation de Fontevraud », dans J. DALARUN (dir.), Robert d’Arbrissel et la vie religieuse dans l’Ouest de la France, Actes du colloque de Fontevraud, 2001, Brépols, Belgique, 2004, p. 25-56. - 149 - une entrée du Limousin et du clergé aquitain dans la zone d’influence capétienne. Elle se réalise grâce à l’action incessante des archevêques de Bourges qui usent de leur droit de métropolitain sur des diocèses qui échappent politiquement au souverain. On profite ainsi des conciles pour prier pour le roi et favoriser son prestige445. En 1050, l’évêque Jordan fait ratifier par le duc d’Aquitaine une convention qui enlève à ce dernier le droit de nommer seul les évêques sur le siège de Limoges. C’est le terme de la tutelle des puissances laïques sur l’Église et l’expression ferme d’une tendance à la cléricalisation (à savoir rendre la direction de l’Église à ses seuls clercs). En 1062, les moines de Cluny s’installent à l’abbaye Saint-Martial de Limoges. Ils sont ainsi à pied d’œuvre en Limousin pour que triomphent partout les réformes romaines. Michel AUBRUN insiste sur le fait que le milieu du XIème siècle marque la fin d’une période de l’histoire ecclésiastique pendant laquelle le rôle principal est tenu par l’évêque. Une orientation nouvelle apparaît vers un impérialisme romain et une omniprésence monastique446. L’Église limousine est entre les mains des moines et des pontifes romains. Les abbayes rivalisent entre elles et leurs réalisations architecturales témoignent de leur « hardiesse et opulence ». La vague de restitutions des années 1068-1075 s’explique par la campagne menée par ces abbayes les plus prospères précédant les textes pontificaux. Elles prennent un nouvel et remarquable essor suite au voyage d’Urbain II en Limousin dans les années 1095-1096. Ce transfert de propriétés se poursuit dans le diocèse de Limoges jusqu’en 1120. La venue d’Urbain II peut aussi expliquer la participation de certaines familles du diocèse de Limoges aux Croisades. Ainsi, Jonathan RILEY-SMITH donne l’exemple des Bernard de Bré qui envoient trois hommes à la Première Croisade, quatre pour la Seconde, témoignant de leur forte implication447. Toutefois, ces apparentes générosités laïques ne sont bien souvent que des ventes déguisées en vue de pourvoir aux frais du voyage en Terre Sainte 448. La plupart des églises offertes aux moines sont des propriétés privées, des chapelles de domaines. Il ne s’agit pas dès lors de véritables usurpations car elles n’ont jamais appartenu à l’Église. À la fin du XIème siècle, une flambée d’évangélisme tente de remettre en cause cette société profondément ecclésiastique. Les chanoines en particulier s’installent dans la rigueur et la règle. Ainsi, la collégiale de Lesterps fondée en 1040 adopte la vie canoniale selon la 445 M. AUBRUN, op. cit, p. 208. M. AUBRUN, op. cit., p. 410. 447 J. RILEY-SMITH, « Family Traditions and Participation in the Second Crusade », dans M. GERVERS (dir.), op. cit., p. 101-108 448 M. AUBRUN, op. cit, p. 186. 446 - 150 - règle de saint Augustin dès 1076-80. Nous pouvons citer également les chapitres influents de Bénévent, d’Aureil, de l’Artige et du Chalard449. Des chanoines sont attestés à Brive dès la fin du XIème siècle. Suite à la réforme grégorienne et aux pressions des évêques de Limoges, Brive est réformé dans les années 1100 et adopte la Règle de Saint-Augustin. C’est dans ce contexte que vont naître les premières expériences érémitiques limousines motivées par une volonté de retrait au désert. Celles-ci contribuent à la diffusion des messages grégoriens jusqu’aux franges les plus marginales de la société et touchent ainsi le peuple des campagnes. • Le désert. Définitions, origines, conceptions. Des difficultés d’approche. L’idée de retrait au désert est exprimée dès les premiers temps du Christianisme, notamment à plusieurs reprises dans la Vulgate. Dans le Cantique de Moïse (Deutéronome 32-10), il est dit : « in locus horroris et vastae solitudinis »450. Au moment de la Chute de Babylone (Isaïe 21-1), il est précisé :« de deserto venit, de terra horribili »451. Ces deux extraits résument bien les caractéristiques attribuées au désert : un espace lugubre et dangereux, bien peu accueillant mais qui attire pourtant nombre de pénitents452. À la fin du XIème siècle, de nombreux ermites se retirent dans des solitudes boisées à l’image des Pères du Désert. Ils sont majoritairement issus de milieux modestes, ont parfois suivi des études dans des écoles cathédrales renommées. D’après saint Benoît, l’érémitisme est un « idéal primitif, essentiel au monachisme chrétien », un modèle de vie héroïque par excellence453. Il décrit ainsi les ermites : « Ils ont appris à combattre de diable, instruits qu’ils sont désormais grâce à l’aide de plusieurs, et bien armés dans les lignes de leurs frères pour le combat singulier du désert, ils sont désormais capables de combattre avec assurance les vices de la chair et des pensées, sans le 449 M. AUBRUN, op. cit, p. 411. « Au pays du désert, il le trouve, dans la solitude lugubre de la steppe ». 451 « Il vient du désert, d’un pays redoutable ». 452 C. H. BERMAN, The Cistercian evolution. The Invention of a religious order in the Twelfth Century Europe, Philadelphia, 2000, p. 6. 453 J-H. FOULON, La réforme de l’Église dans la France de l’Ouest de la fin du XIème siècle au milieu du XIIème siècle. Ecclésiologie et mentalités réformatrices, thèse, Paris I Sorbonne, dir. P. TOUBERT, 1998, p. 549. 450 - 151 - secours d’autrui, par leur seule main et leur seul bras, avec l’aide de Dieu. »454 Se retirer du siècle leur permet de mieux entendre la parole de Dieu. Ceci est parfaitement exprimé par Michel ROUCHE : « Cette obsession de l’eremus, du véritable désert humain n’est pas un cliché littéraire ou un mépris du prochain, mais le seul et unique moyen de rencontrer Dieu »455, en vivant dans la pauvreté à l’exemple du Christ. Il s’agit d’un désir intransigeant de l’âme de quitter tout commerce humain et d’aspirer à un état proche de la vie des anges456. Solitude et silence sont dès lors essentiels, d’où leur rejet d’un cénobitisme clunisien en pleine opulence qui ne peut répondre à leurs attentes d’ascétisme, de rigueur, de pauvreté extrême et d’isolement. Cette aspiration à une vie solitaire revêt plusieurs significations. Elle s’inscrit comme une quête de la Terre Promise, le désert évoquant la vie angélique menée dans les solitudes par le peuple élu. Selon ORIGÈNE, ce retrait du monde est une tentative de purification du corps et de l’âme pour se libérer de ses erreurs et conquérir la Terre Promise457. Le moine s’identifie dès lors à Moïse. Son désir d’autarcie et d’ascèse est motivé par l’aspiration à être instruit de la loi divine, tel le Prophète sur le mont Sinaï. Le moine épouse alors la conduite suggérée à chaque chrétien par TERTULLIEN458 et les auteurs anciens : suivre Moïse et parvenir à la Terre Promise par l’Exode. Cet Exode peut être compris comme une sorte de préparation au baptême, une seconde naissance pour le chrétien qui choisit l’isolement pour mieux recevoir la parole de Dieu. La retraite et le recueillement apparaissent nécessaires pour qui veut se rapprocher du seigneur. Le moine se doit dès lors de renoncer aux plaisirs terrestres. Le désert correspondrait à l’état du chrétien suite à son baptême, purifié et libéré des contraintes de la vie séculière. C’est une anticipation de la vie à proximité immédiate de Dieu. Il cherche ainsi peut-être à se rapprocher des souffrances subies par le Christ. En effet, d’après Damien BOQUET, « derrière l’isolement érémitique semble poindre la réalité d’un corps vivant, doué d’une 454 La Règle de Saint Benoît, trad. A. DE VOGÜE, J. NEUFVILLE, Sources Chrétiennes, Cerf, Paris, 1972, tome I, chap 1- 4, 5. 455 M. ROUCHE, « Saint Anthelme et la spiritualité érémitique de l’action », dans Saint Anthelme, chartreux et évêque de Belley », Le Bugey, n° spécial, 1979, p. 327. 456 L. VEYSSIÈRE, « Représentations du désert cistercien primitif », dans M. AURELL, T. DESWARTE (dir.), Famille, violence et christianisation au Moyen-Âge. Mélanges offerts à Michel Rouche, PUPS, 2005, p. 239-250. 457 Origène est un père de l’Église Grecque du IIIème siècle après JC. 458 Tertullien est l’un des premiers écrivains chrétiens de langue latine (vers 155-222). Il est connu pour son ascétisme et son rigorisme intransigeant. - 152 - puissance de restauration, qui devient l’objet de toutes les attentions – outil de pénitence, le corps propre de l’ermite se transforme en offrande spirituelle, si proche dès lors du corps souffrant de Jésus»459. La définition même du « désert » est toutefois sujette à caution et mérite que l’on s’interroge. Le sens du mot eremus bien présent dans les chartes de fondation notamment peut être interprété de deux manières différentes : la solitude du lieu sauvage non habité ou bien la solitude opposée à la vie communautaire (coenobitus). Concernant les abbayes cisterciennes, la première définition semble la plus exacte étant donné l’impossibilité du maintien des moines dans une vie anachorétique460. Selon Constance BRITTAIN BOUCHARD, le desertum fréquemment utilisé dans les textes médiévaux ne correspond pas à une terre sauvage mais à une aire sans population permanente. Il est appelé ainsi pour être distingué de la « villa », non pour être distingué d’une terre cultivée. Un désert pourrait ainsi comprendre des terres cultes et incultes461. L’auteur remet ainsi en cause l’étude de Gabriel FOURNIER notamment sur la distinction entre un ager cultivé et un saltus inculte mais néanmoins intégré à l’économie. Les campagnes auvergnates de l’époque mérovingienne comprennent de grands domaines appelés villae, gérées par des membres de l’aristocratie. Ces exploitations rurales disposent d’un ager, à savoir des terres cultivables aux sols plus ou moins régulièrement labourés et ensemencés, ceintes d’une auréole de friches nommée saltus, constitué de terres incultes. Il est formé de bois, de forêts, de pacages et d’herbages le plus fréquemment dévolus à la chasse. Le noble s’y exerce dès son adolescence, ce qui constitue également un entraînement à la guerre 462. Selon l’historien, les paysages dévolus au saltus correspondent à des terres en friches inexploitées mais tout de même utilisées. Les territoires « laissés en friche, en particulier les marais, étaient alors étroitement incorporés dans l’économie rurale ». Les forêts pourvoient en gibiers, en produits de cueillette, elles sont une ressource en bois d’œuvre et de chauffe très prisée par les moines463. 459 D. BOQUET, L’ordre de l’affect au Moyen-Âge. Autour de l’anthropologie affective d’Aelred de Rievaulx, CRAHM, Caen, 2005, p. 99. 460 G. PLAISANCE, « Les premiers cisterciens de Bourgogne ont-ils été des défricheurs ? », dans « Le premier demi-siècle des cisterciens à Léoncel, 1137-1188 », Les Cahiers de Léoncel, Colloque d’août 1988, n°5, 1988, p. 30-39. 461 C. B. BOUCHARD, Holy Entrepreneurs. Cistercians, Knights, and economic exchange in Twelfth-Century Burgundy, Cornell University Press, 1991, p. 102. 462 G. FOURNIER, op.cit, p. 208. 463 G. FOURNIER, Le peuplement rural en Basse-Auvergne durant le haut Moyen-Âge, Thèse, Paris, 1962, p. 123. - 153 - Roger DION insiste sur l’idée d’un territoire désert et sauvage en limites de pagi. Si l’ager est propre à l’agriculture, le saltus est voué à la pâture du bétail464. Pour Michel ROUCHE, cette distinction entre saltus et ager paraît être la clef du système de mise en valeur de l’Aquitaine à l’époque mérovingienne. Elle est très présente dans l’hagiographie comme les récits de Grégoire de TOURS. L’historien met en garde toutefois contre ces « clichés hagiographiques stéréotypés » qui considèrent souvent le saltus comme une vaste solitude inutilisée. Pour lui, le saltus « paraît constituer le paysage dominant de l’Aquitaine ». Il comprend des espaces incultes, des bois aux ressources variées, des marécages et eaux courantes. Il est soit intégré à l’ager d’un domaine, soit fait juridiquement partie du domaine public. Il est un legs fondamental du droit public romain que les rois mérovingiens se réapproprient, d’où une continuité entre saltus romain et forêt mérovingienne465. Ainsi, le saltus joue un rôle considérable dans la production des richesses de l’Aquitaine (bois, mines, pêche) tandis que l’ager assure la culture des vignes et des céréales. À partir du XIème siècle, le saltus va être progressivement investi par des groupuscules érémitiques animés par la vocation de se retirer au désert. Humanisé, christianisé, le saltus va tendre à devenir ager tandis que les communautés vont évoluer de l’érémitisme au cénobitisme. Mathieu ARNOUX écrit à ce propos que « l’histoire de la spiritualité n’est pas autonome de l’histoire de l’occupation du sol (…). Il serait simpliste de parler en général d’une quête de la solitude et de la vie sauvage, quand l’implantation ou la réoccupation d’un ermitage est un moment essentiel d’humanisation des espaces, avant la construction d’une communauté stable entourée d’un habitat ou, plus simplement encore, avant la transformation d’un simple oratoire en église paroissiale »466. Dans le même ordre d’idées, l’historien Michel AUBRUN précise : « il est à remarquer, tout d’abord, qu’ils [les ermites] furent le plus souvent en raison de leur popularité et malgré eux, au centre d’une aire de christianisation »467. Il existe donc une tension certaine entre le désir de vivre au désert et l’inévitable humanisation du site choisi par l’ermite. • Solitude et vie communautaire, une incompatibilité ? 464 R. DION, Essai sur la formation du paysage rural français, Paris, 1991 (3ème édition), p. 78-79. M. ROUCHE, L’Aquitaine des Wisigoths aux Arabes (418-781), Lille, 1977, p. 180. 466 M. ARNOUX, « Dynamiques et réseaux de l’Église Régulière dans l’Ouest de la France (fin XIème-XIIème siècles) », dans J. DALARUN (dir.), Robert d’Arbrissel et la vie religieuse dans l’Ouest de la France, Actes du colloque de Fontevraud, 2001, Brépols, Belgique, 2004, p. 57-70. 467 M. AUBRUN, L’ancien diocèse de Limoges des origines au milieu du XIème siècle, Institut d’Études du Massif Central, Clermont-Ferrand, 1970, p. 103. 465 - 154 - L’érémitisme est une forme de vie religieuse relativement bien étudiée, particulièrement concernant les débuts de l’institution en Orient ainsi que son épanouissement en Occident aux XIème et XIIème siècles, en relation étroite avec la réforme grégorienne. L’historiographie traditionnelle laisse souvent dans l’ombre la longue période intermédiaire, comme le constate Michel AUBRUN dans son étude du diocèse de Limoges des origines au milieu du XIème siècle. Concernant ce diocèse en particulier, il insiste sur l’importance d’ermites tels Amand, Marien, Lupicin, Léonard, Vaury dans la christianisation des espaces, ce dès avant le VIIIème siècle et l’époque carolingienne. Certains sont à l’origine de la création de monastères comme saint Yrieix et saint Pardoux (Guéret)468. La fin du XIème siècle est toutefois mieux documentée et nous permet d’appréhender certaines personnalités fortes et influentes caractéristiques des mouvements érémitiques. Cette période témoigne ainsi d’un essor certain d’ordres nouveaux, une dynamique de création de communautés avant même la fondation du Novum Monasterium et la naissance de Cîteaux. Ainsi la réforme grégorienne s’accompagne d’un renouveau certain de l’érémitisme, d’une volonté de retourner au désert, de quitter le siècle à la manière des Pères du Désert. Le succès de ces mouvements, initié par Robert d’Arbrissel, Étienne de Muret ou Géraud de Sales en Aquitaine entraîne un nombre croissant de disciples qui oblige une évolution de ces ermitages vers le cénobitisme. L’adoption d’une règle est nécessaire ainsi que la rédaction de coutumes afin de mieux encadrer ces effectifs grandissants. Ce glissement vers une organisation monastique, nécessaire à la survie des groupuscules érémitiques trahit-elle toutefois l’idéal primitif de retrait au désert ? Les moines peuvent-ils vivre en communauté et avoir tout de même le sentiment de solitude et d’isolement si nécessaire à l’écoute de la parole divine ? Monos en grec signifie « seul ». Comment concilier le désir de solitude et la présence quasi constante des autres frères ? Dès 1084, Bruno tente d’apporter une réponse acceptable à cette apparente contradiction. Il fonde l’ordre des Chartreux ayant pour vocation l’éloignement des affaires séculières, le retrait de la communauté dans un territoire infranchissable pour toute personne étrangère à la communauté, l’isolement de chaque moine dans sa cellule 469. Celui-ci veut faire refleurir le désert selon l’acceptation paléochrétienne du mot, c’est-à-dire un lieu inhospitalier, sis à l’écart de tout bourg. Le moine doit être séparé du siècle d’un point de vue physique, juridique et religieux470. Les limites du désert constituent un espace sacré, un poemerium que nous ne pouvons toutefois comparer avec les bornes posées par certaines 468 M. AUBRUN, op. cit, p. 105. P. BAUD, A. GUINVARC’H, M-E. HENNEAU, T. N. KINDER, La vie cistercienne. Hier et aujourd’hui, Cerf, Zodiaque, 1998, p. 49. 469 - 155 - abbayes cisterciennes qui n’ont pas la même importance dans l’histoire du monastère, dépourvues de la batterie de précisions et de confirmations [Fig. 27]. Pour Guigues II, prieur de la Chartreuse dans la première moitié du XIIème siècle, le moine doit aller au delà de la simple séparation du monde et des préoccupations séculières. Il doit cultiver une solitude intérieure qui prime sur la solitude extérieure471. Ainsi, selon Bernard BLIGNY, « même au cœur d’une ville, le désert intériorisé garde sa vertu, qui est d’être irréductible à ce qu’offre le monde ». Désert et monde périurbain ne sont ainsi pas incompatibles472. Le désert est l’espace de la révélation divine. Ainsi, chez les chartreux, « qui n’est pas solitaire ne peut être silencieux ; qui ne fait pas le silence ne peut entendre celui qui parle»473. Guigues Ier explique que « (…) presque tous les secrets les plus sublimes et les plus profonds ont été révélés aux serviteurs de Dieu, non point dans le tumulte des foules, mais quand ils se trouvaient seuls »474. Silence et solitude intérieure sont nécessaires pour bénéficier des paroles de Dieu et permettent la sensation de vivre au « désert » malgré la présence de la communauté monastique. Le désert revêt également une signification christologique, flagrante dans la patristique latine. L’isolement volontaire peut sembler comme une imitation du Christ en son jeûne de quarante jours, en ses moments de solitude priante, ou encore en l’abandon qu’il dût endurer lors de la Passion. Cette assimilation du moine au Christ est un des fondements de l’ordre chartreux puisque le Christ y est le modèle de la vie solitaire cachée475. L’Aquitaine se révèle particulièrement réceptive aux initiatives érémitiques et reste un lieu d’installation privilégié pour des groupuscules érémitiques soutenus et encouragés par un épiscopat soucieux de la propagation de la réforme. En Anjou un front pionnier entame certaines forêts-frontières dès le Xème siècle. Néanmoins, si les ermites sont bien présents, il n’y a toutefois aucune réforme canoniale significative. Celle-ci ne s’est réalisée en Anjou qu’à la fin du XIème siècle dans le 470 B. BLIGNY, « Saint Bruno et la naissance des Chartreuses », dans le Colloque International d’Histoire et de spiritualité cartusiennes, La naissance des chartreuses, Cahiers de l’Alpe, Grenoble, 1986, p. 7-14. 471 GUIGUES II Le Chartreux, Lettres sur la vie contemplative (l’Échelle des Moines). Douze Méditations, trad. Dom Maurice LAPORTE, Paris, Cerf, 2001, p. 56. 472 B. BLIGNY, Les Chartreux : le désert et le monde (1084-1984), Grenoble, 1984, p. 11. 473 GUIGUES II Le Chartreux, Lettres sur la vie contemplative, (…), op. cit, méditation I, 25-49. 474 GUIGUES Ier Le Chartreux, Coutumes de Chartreuse, Paris, Cerf, 2001, 80, 2-5, p. 289. 475 GUIGUES II Le Chartreux, Lettres sur la vie contemplative (…), op. cit, p. 54. - 156 - mouvement de réforme grégorienne476. Cette période permet aux monastères angevins de devenir progressivement indépendants du pouvoir laïc tout en demeurant respectueux des privilèges épiscopaux et soucieux d’assurer l’encadrement paroissial477. Le succès du mouvement érémitique est concomitant. Il est mis en exergue par Jacques MALLET notamment. L’historien de l’art insiste sur l’importance des fondations de la Roë, Fontevrault et Nyoiseau, relayées par Savigny et les cisterciens au XIIème siècle. Les prêcheurs itinérants à l’origine de ces créations choisissent des sites de déserts forestiers et optent pour des constructions sobres reprenant le plus souvent la formule de la nef unique478. Ainsi, la fondation de la Roë coïncide avec la mise en valeur de la forêt de Craon. Les moines de SaintAubin d’Angers fondent le prieuré de Chillon. Au nord-est, le chapitre de Saint-Laud d’Angers érige une chapelle dans la forêt de Chambiers. Les paroisses de Saint Barthélémy et de Saint Sylvain sont fondées dans les bois de Verrières. Les initiatives érémitiques ponctuent ce XIème siècle en parallèle à la réforme grégorienne. Au XIIème siècle, il subsiste encore d’abondantes formations forestières pour la cueillette, la chasse, la glandée et le bois de chauffe. Quant à l’ermitage de Pontron (com. Le Loroux-Béconnais, Maine-et-Loire), il deviendra cistercien au XIIème siècle. En effet, après 1150, ces groupes d’ermites sont progressivement absorbés par des établissements religieux plus puissants, généralement liés au mouvement canonial479. L’expérience érémitique puis cénobitique de Robert d’Arbrissel et son rayonnement en Anjou mérite que nous nous attardions plus longuement sur sa fondation principale, Fontevrault. Celui-ci commence à prêcher en Aquitaine dès 1095 avec l’aval du pape Urbain II. Il fonde le monastère de Fontevrault en 1101. C’est sous la pression des évêques qu’il établit sa communauté mixte « dans un lieu inculte et âpre, plein d’épines et de buissons ». Les forêts-frontières sont choisies aux limites des provinces pour tenir lieu de désert à la communauté. Robert exprime toutefois sa préférence pour la solitude et ne supporte le poids de l’ordre que par charité. La tradition du lieu désert et inhospitalier est transmise par l’historiographie actuelle. Il s’agit ici d’un choix stratégique : l’abbaye est située à l’extrême sud du comté d’Anjou afin d’éviter la tutelle du duc d’Aquitaine, à l’extrémité nord du diocèse de Poitiers pour bénéficier du support de l’évêque, entre les trois places fortes de 476 J. AVRIL, Le gouvernement des évêques et la vie religieuse dans le diocèse d’Angers (1148-1240), thèse, vol. 1, Paris, Cerf, 1984, p. 132. 477 J. AVRIL, op. cit, p. 123. 478 J. MALLET, L’Art roman de l’Ancien Anjou, Paris, Picard, 1984, p. 109. 479 J. AVRIL, op. cit, p. 269. - 157 - Saumur, Chinon et Loudun480. La recherche d’un désert pour y asseoir une communauté monastique dépend non seulement des qualités topographiques et géographiques du site (absence de populations trop proches, présence de l’eau et de forêts) mais aussi de sa situation géopolitique. Ermitages et monastères choisissent ainsi bien souvent les frontières diocésaines, paroissiales et seigneuriales, terres relativement libres de prétention séculière qui leur assureront une quiétude relative tout au moins durant les premiers temps de l’installation. Pour Jacques DALARUN, « chaque nouvelle fondation ressuscite pour un temps l’Église primitive », l’illusion des temps apostoliques, des fronts pionniers481. Le diocèse de Limoges est particulièrement propice aux expériences érémitiques comme nous avons eu l’occasion de le constater précédemment dans notre étude des fondations d’Étienne d’Obazine et de Géraud de Sales. En 1120, Étienne, jeune prêtre limousin fait le choix de la vie érémitique. Étienne de Mercoeur, abbé de la Chaise-Dieu, lui conseille : « Rejette les soucis du monde pour t’engager d’un pas joyeux sur les traces du Christ ». Étienne s’installe dans la forêt d’Obazine où il sera bientôt à l’origine du monastère cistercien482. De même, la Règle de Grandmont rédigée vers 1124 pour cet autre ordre érémitique né en Limousin sous l’égide d’Étienne de Muret (1044-1125) exprime une spiritualité très similaire. Ce dernier avait pour volonté d’arracher les hommes au Diable, et donc au siècle. Les Grandmontains possèdent autour de leurs ermitages des bornes hors desquelles ils s’interdisaient toute possession483. Ordres cistercien et grandmontain se ressemblent sur de nombreux points et en particulier pour cette volonté de se retirer dans des déserts. Étienne recherche un désert au sens patristique, à savoir une solitude dans laquelle on pénètre pour ne pas la quitter. Les ermites « fuient le siècle, demeurant dans le repos des celles, s’exerçant au silence et à l’oraison ». Le site de la solitude est toujours nommé nemus. Il ne s’agit pas d’une forêt dense (sylva) mais d’un lieu boisé mêlé de pâturages où l’on peut cultiver la terre 484. Le 480 D. PRIGENT, « Fontevraud au début du XIIème siècle : les premiers temps d’une communauté monastique », dans J. DALARUN (dir.), Robert d’Arbrissel et la vie religieuse dans l’Ouest de la France, Actes du colloque de Fontevraud, 2001, Brépols, Belgique, 2004, p. 255-279. 481 J. DALARUN, L’impossible sainteté. La vie retrouvée de Robert d’Arbrissel (1045-1116), fondateur de Fontevraud, Paris, Cerf, 1985, p. 197 ; E. BOURNAZEL, « Étienne et Robert. La tentation des femmes » dans J. HOAREAU-DODINEAU, P. TEXIER (dir.), Anthropologies juridiques. Mélanges Pierre Braun, PULIM, Limoges, 1998, p. 55-65. 482 M. AUBRUN, Vie de Saint Étienne d’Obazine, Institut d’Études du Massif Central, Clermont-Ferrand, 1970, p. 49. 483 S. EXCOFFON, Recherches sur le temporel des Chartreuses Dauphinoises, XIIème-XVème siècle, thèse de Doctorat d’Histoire, vol I., Grenoble, 1997, p. 109-113. 484 J. FOUQUET, Frère PHILIPPE-ETIENNE, Histoire de l’Ordre de Grandmont, CLD, Chambray-lès-Tours, 1986, p. 8. - 158 - chapitre XLVI de la Règle énonce que « ceux qui suivent le Christ cherchent la solitude des bois et l’absence des hommes ». Le chapitre XXX précise que « plus cette terre sera mauvaise, plus Dieu manifestera là son attention ». Les grandmontains s’orientent ainsi également vers des terres « incultes » comme les moines blancs. Ils choisissent des zones boisées mais jamais trop éloignées des itinéraires et des terres ayant quelques potentialités agricoles485. Le diocèse de Limoges connaît encore bien d’autres initiatives à vocation érémitique. La communauté de l’Artige est installée sur une zone de confins à l’extrémité est de la paroisse de Saint-Léonard-de-Noblat, au cœur d’une vaste forêt. Le cartulaire conservé permet de constater que les premières donations concernent des zones de déserts, des forêts et espaces de saltus. Cette communauté canoniale régulière se démarque du radicalisme de Grandmont en acceptant le revenu des dîmes, une clôture moins stricte des clercs. Toutefois, les chanoines persistent dans le refus de l’action pastorale ou de la possession d’églises486. À vingt-deux ans, Gaucher se retire à Aureil où il accueille à la fois hommes et femmes à la manière de Robert d’Arbrissel et d’Étienne d’Obazine. L’évêque de Limoges lui accorde un lieu pour édifier un monastère de chanoines réguliers. « Dans ce bois, une fois trouvé au milieu des arbres un lieu à son gré, ayant appris que la forêt était à Saint Étienne, il alla trouver les chanoines du siège de Limoges pour demander que son désir pût se réaliser »487. Si les mouvements érémitiques apparaissent à la fin du XIème siècle en réponse à la réforme grégorienne, il paraît délicat de les considérer comme des « accompagnateurs » de cette réforme, dans la mesure où ils se retirent du siècle et refusent le plus souvent l’accueil des fidèles. Certes, ils sont animés d’une réelle volonté de retrait au désert, d’isolement et de retrait du monde. Ils souhaitent rétablir la Règle de Saint Benoît dans toute sa pureté, rejettent les dîmes et recherchent une pauvreté volontaire, s’inscrivant en cela bel et bien comme des vicaires de cette réforme religieuse. 485 Extrait cité par I. AUBRÉE, « L’ordre de Grandmont en Bas-Limousin », ouvrage collectif, Les ordres religieux au Moyen-Âge en Limousin, Les Monédières, Brive, 2003, p. 307-334 selon une traduction de R. P. BERNIER. 486 J. DENIS, Prieuré de l’Artige. Rapport d’étude historique et archéologique préalable à la restauration, SRA Limousin, 2003, vol. 1, p. 19. 487 Dom J. BECQUET, « Vie de Saint Gaucher d’Aureil », Revue Mabillon, T 54, 1964, p. 43-55. - 159 - Néanmoins, et le cas des moines cisterciens est en cela exemplaire, leur rôle dans l’éducation des fidèles, un des axes majeurs de cette réforme, est très minime. Ils refusent l’image d’une manière générale et leurs productions artistiques n’ont pas pour but l’évangélisation des foules. De plus, leurs liens avec la noblesse, volontaires ou imposés, sont bien éloignés de la volonté grégorienne de se détacher de toute influence laïque. Les rapports entre les cisterciens et le siècle seront évoqués en détail par la suite mais il semble qu’ils échouent en partie dans leur souhait de quitter le monde laïc et ses préoccupations488. Ainsi, moines blancs, grandmontains et autres ordres à vocation érémitique pourraient être interprétés comme un mouvement parallèle à la réforme grégorienne et non en parfaite adéquation avec elle. 488 I. D. 4. - 160 - 2. Le désert dans la théologie monastique cistercienne : L’ouest de la France est marqué par la persistance du socle bénédictin ancien inentamé et fortement encadré jusque dans le second tiers du XIIème siècle. Il n’existe pas d’alternative cistercienne à l’ordre bénédictin mais de multiples expériences locales, organisées et liées aux structures monastiques ou épiscopales en place489. Ces expériences ont en commun une volonté forte de retrait au désert clairement exprimée dans de nombreux écrits de moines cisterciens. • Le désert dans les premiers textes cisterciens : Robert de Molesmes est le premier à aspirer à la solitude. Il incarne parfaitement le courant du XIème siècle entre érémitisme et cénobitisme. Toutefois, aux yeux des laïcs, la fondation de Molesmes devait avoir un rôle social multiple de prière pour les défunts, d’accueil des candidats nobles à la conversion, de lieu de rencontre des seigneurs et de lieu de tenue de cours féodales. Ceux-ci ne permettent ainsi pas l’aspect érémitique souhaité par Robert, d’où la fondation de Cîteaux en 1098 afin de renouveler l’expérience de retrait du monde. Certains textes fondamentaux de l’ordre cistercien comme l’Exordium Parvum évoquent cet idéal de retrait au désert. Le chapitre III en particulier (2-5) décrit Cîteaux comme un heremus490. « Le groupe ainsi renforcé se dirigea avec ardeur vers un heremus appelé Cîteaux (…). À cause de l’écran formé à cette époque par les bois et les fourrés d’épines, il n’était pas fréquenté par les hommes et n’était habité que par les bêtes sauvages »491. L’expression « endroit horrible et d’une vaste solitude » tirée de la Vulgate est souvent employée. Elle est reprise par l’Exordium Cistercii, Bernard de Clairvaux ou encore Guillaume de Saint-Thierry. L’heremus peut toutefois correspondre à une réalité spirituelle. Il est souvent fait mention de « bêtes sauvages » correspondant à une référence biblique 489 M. ARNOUX, « Dynamiques et réseaux de l’Église Régulière dans l’Ouest de la France (fin XIème-XIIème siècles) », dans J. DALARUN (dir.), Robert d’Arbrissel et la vie religieuse dans l’Ouest de la France, Actes du colloque de Fontevraud, 2001, Brépols, Belgique, 2004, p. 57-70. 490 La racine d’eremus se trouve dans le grec et non dans le latin qui utilisait le mot desertum. 491 Exordium parvum, III 2-5 ; L. VEYSSIÈRE, « Cîteaux et Tart, fondations parallèles“, dans B. BARRIÈRE, M-E. HENNEAU (dir.), Cîteaux et les femmes, Créaphis, Paris, 2001, p. 179-191. - 161 - évoquant l’idéal messianique annoncé par les prophètes d’un retour à la vie paradisiaque. L’utilisation du mot heremus devient dès la fin du XIème siècle une manière déguisée de qualifier les lieux d’implantation des nouveaux moines, à savoir les cisterciens mais aussi les chartreux et les grandmontains qui désirent faire fi des usages clunisiens. Dans la première moitié du XIIème siècle, Guillaume de SAINT-THIERRY492, moine bénédictin proche ami de saint Bernard, décrit ainsi le paysage entourant le monastère de Clairvaux : « (…) la solitude du lieu, situé dans l’épaisseur des forêts, entouré de montagnes, où se cachaient les serviteurs de Dieu, était comme une représentation de la grotte où notre saint Père Benoît fut un jour découvert par des bergers : ils semblaient avoir adopté le genre d’habitation et de solitude de celui dont ils imitaient l’existence »493. Les moines de Clairvaux se seraient donc réfugiés dans une « solitude », un désert par volonté de se conformer à la Règle Bénédictine. Les fondateurs se sont installés sur un terroir ingrat, assez tard dans l’année au point de connaître de graves difficultés alimentaires pendant l’hiver. La vie des moines renvoie dès lors à la passion du Christ. La fondation de Clairvaux devient une entreprise spirituelle renvoyant au Nouveau Testament494. Damien BOQUET précise que pour les cisterciens, « le cloître fonde la conversion, mais il ne délivre pour autant aucun sauf-conduit pour l’esprit. C’est un campement, une base de départ, parfois un refuge dans le cadre de la guerre contre la chair, mais ce n’est sûrement pas une antichambre du paradis. En se retirant du siècle, les cisterciens ne se libèrent pas du monde charnel, ils se donnent simplement les moyens de la combattre plus efficacement ». Ainsi, l’arrivée du moine au désert n’est que le commencement d’un long combat contre des tentations que le seul éloignement du siècle ne suffit pas à faire disparaître495. Saint Bernard souhaite que chaque abbaye soit construite autant que possible à l’image de celle de Clairvaux en respectant cet isolement dans des fonds de vallée boisés. Chaque 492 Guillaume de Saint-Thierry est né à Liège vers 1080. Il devient abbé de Saint-Thierry dans le diocèse de Reims en 1121. Il entre dans le monastère cistercien de Signy en 1135 où il meurt en 1148. J. CHRISTOPHE, « Les premiers auteurs cisterciens », dans La grande aventure des cisterciens. Leur implantation en MidiPyrénées, Actes du colloque de Belleperche, 1998, Montauban, 1999, p. 39-48. 493 G. de SAINT-THIERRY, Vita Prima Bernardi, I, 35, P.L, 185, 248. 494 J. WAQUET, J-M. ROGER, L. VEYSSIÈRE, Recueil des chartes de l’abbaye de Clairvaux au XIIème siècle, CTHS, Paris, 2004, p. 18. 495 D. BOQUET, L’ordre de l’affect au Moyen-Âge. Autour de l’anthropologie affective d’Aelred de Rievaulx, CRAHM, Caen, 2005, p. 120. - 162 - abbaye créée par l’ordre doit ainsi autant que possible rechercher des paysages correspondant à cet idéal exprimé dans les textes. Les salti sont fréquemment investis, des marges boisées aux frontières des diocèses. Les cisterciens optent pour des terres abandonnées qui paraissent de prime abord peu favorables au développement rural ou à la mise en exploitation du sol496. Ils s’attacheraient ainsi à développer une prospérité agricole dans des sites « ingrats » délaissés par les populations497. Les abbayes fondées sur des sols répulsifs et forestiers seraient alors un facteur incontestable de colonisation rurale498. La description livrée dans la Vie de Saint Étienne d’Obazine est en parfaite adéquation avec les volontés de Bernard de Clairvaux. L’arrivée de saint Étienne y est ainsi évoquée : « (…) il arriva enfin dans le pays boisé d’Obazine, appelé ainsi, je crois, à cause de l’opacité des forêts et de la densité des fourrés qui le recouvrait de toute part. Ce lieu, fort boisé, est entouré de tous les côtés par des rochers abrupts, et une rivière, la Corrèze, qui coule plus bas, lui donne un charme certain »499. C’est un monde à reconstruire, un espace intérieur à reconquérir500. Toutefois, la Vita ayant été écrite plusieurs décennies après les faits relatés, elle peut être sujette à caution. Son auteur se contente peut-être de recopier une description fréquente dans l’hagiographie traditionnelle, elle-même inspirée de la Vulgate. Il est délicat de faire la part entre mythe hagiographique et réalité. C’est ainsi que nombre d’abbayes semblent opter pour le même type de site si l’on s’en réfère aux textes et actes de donation. Boeuil est de fait implantée dans un saltus, au milieu des bois, sur des terres marécageuses que les moines, en bons pionniers, doivent défricher et assainir501. Les moines de Boschaud choisissent un vallon entouré de bois en 496 G. DESPY, « À propos de « désert » dans les campagnes au XIIème siècle », dans Campagnes médiévales : l’homme et son espace. Études offertes à Robert Fossier, Paris, 1995, p. 549-562. 497 L. CHAMPIER, « Cîteaux, ultime étape dans l’aménagement agraire de l’Occident », Mélanges Saint Bernard, Dijon, 1953, p. 254-261. 498 C. HIGOUNET, « L’église et la vie rurale pendant le très haut Moyen-Âge », dans Paysages et villages neufs du Moyen-Âge, Bordeaux, 1975, p. 17-35. 499 M. AUBRUN, Vie de saint Étienne d’Obazine (…), op.cit, p. 49. 500 J. HEUCLIN, « La vie quotidienne des ermites en Gaule du Nord durant le haut Moyen-Âge », dans M. DERWICH (dir.), La vie quotidienne des moines et des chanoines au Moyen-Âge et Temps Modernes, Ier colloque international du LARHCOR, 1994, Wroclaw, 1995, vol 1, p. 111-127. 501 I. AUBRÉE, Patrimoine, gestion et vie sociale de l’abbaye cistercienne de Boeuil du XIIème au début du XVIème siècle, mémoire de maîtrise d’Histoire Médiévale, sous la direction de B. BARRIÈRE, Limoges, 1995, p. 36. - 163 - limite de la paroisse de Saint-Martial-de-Villars, sur le plateau de Champagnac, entre les deux cours d’eau de la Dronne et du Trincou502. Ce mythe hagiographique trouve des prolongements dans une historiographie « romantique » du XIXème siècle. Certains érudits livrent des descriptions des sites cisterciens en partie ruinés bien proches de celles des moines cisterciens du XIIème siècle. Par exemple, Jacques BOYER inscrit dans son journal en juin 1711 : « Nous arrivâmes à l’abbaye des Pierres, de l’Ordre de Cîteaux, qui est située dans un lieu bien affreux et presque inabordable »503. Pour BUHOT DE KERSERS en 1885, ce même monastère s’est implanté dans un « Val Horrible »504. En 1902, LECLER décrit l’abbaye d’Aubignac « dans un site désert et sauvage, sous les épines et les ronces (…). Une grosse masse surgit encore sous le lierre»505. Le monastère paraît inaccessible et propre à inspirer les esprits romantiques. Dans la première moitié du XXème siècle, René CROZET écrit encore que l’abbaye des Pierres « s’accroche aux escarpements broussailleux d’un ravin rocheux au fond duquel coule la Joyeuse. De puissantes châtaigneraies environnent le monastère perdu dans une solitude totale à peine troublée par le murmure des eaux qui suintent de partout »506. Les travaux érudits, en fidèle continuateurs des écrits cisterciens médiévaux, contribuent donc encore à perpétrer un mythe du désert qui bien souvent ne correspond guère à la réalité des paysages. • Cénobitisme et solitude : 502 C. DESPORT, Deux abbayes cisterciennes du Périgord : Boschaud et Peyrouse, mémoire de maîtrise d’Histoire médiévale sous la direction de Bernadette BARRIÈRE, Limoges, p. 25. 503 Journal de voyage de dom Jacques Boyer (1710-1714), Clermont-Ferrand, 1886, p. 85. 504 A. BUHOT DE KERSERS, Histoire et statistique monumentale du département du Cher. Canton de Châteaumeillant, Bourges, 1885, p. 253. 505 A. LECLER, Dictionnaire topographique, archéologique et historique de la Creuse, Marseille, Laffitte Reprints, 1902. 506 R. CROZET, L’abbaye de Noirlac et l’architecture cistercienne en Berry, Paris, 1932, p.5. - 164 - Selon Joseph AVRIL, l’adaptation aux modes de vie monastique n’est pas incompatible avec la fidélité à la mystique traditionnelle de l’ordre507. Le cloître serait en effet un équivalent du désert, le monastère une solitude pour tous où le moine, même prisonnier dans l’enclos de l’abbaye, reclus dans une cellule, n’en a pas moins un esprit d’exilé. La vraie solitude du moine est celle qu’il goûte derrière sa clôture monastique, d’où l’incorporation de nombreux ermites à l’ordre de Cîteaux par la suite. D’après Dom Jean LECLERCQ, le monastère est compris comme un désert « artificiel » construit pour qu’une communauté trouve en clôture ce que l’ermite cherche dans l’isolement508. Le désert cistercien est ainsi déjà en décalage avec le mythe originel puisqu’il s’est adapté à la vie communautaire. La solitude relèverait alors plus d’une construction mentale que d’une réalité physique. Les moines ont le sentiment d’être retirés au désert et dans l’isolement le plus complet là où ils sont en réalité insérés dans une communauté, au sein d’un monastère et non dans cette grotte où s’était isolé saint Benoît. Comment parviennent-ils à faire abstraction des autres frères et à reconstruire une solitude intérieure au sein de la communauté monastique ? Pourquoi ce choix de vie cénobitique alors même que l’érémitisme permet un isolement réel ? Aelred de RIEVAULX est l’un des auteurs cisterciens qui exprime avec le plus de clarté le choix de l’érémitisme et de la solitude 509. Cet écrit est destiné à sa sœur ayant choisi la vie de moniale. « Voici donc les motifs qui poussaient les anciens à vivre à l’écart : échapper aux dangers de la vie en société, éviter ses ennuis, ou bien s’en libérer pour soupirer et languir plus à loisir après l’étreinte du Christ. C’est ainsi qu’un certain nombre se tenaient assis, solitaires au désert, y vivant du travail de leurs mains, tandis que d’autres, redoutant la liberté que laisse la solitude et le vagabondage auquel elle expose, jugèrent plus sûr de s’enfermer dans une cellule dont ils faisaient murer 507 J. AVRIL, Le gouvernement des évêques et la vie religieuse dans le diocèse d’Angers (1148-1240), thèse, vol. 1, Paris, Cerf, 1984, p. 450. 508 Dom J. LECLERCQ, Chances de la spiritualité occidentale, Cerf, Paris, 1966, p. 273. 509 Aelred de Rievaulx est né en 1110 à Hexham en Northumbrie. De 1124 à 1134, il vit à la cour du roi d’Écosse avant d’entrer à l’abbaye de Rievaulx. Il devient maître des novices dès 1141, abbé en 1143. Il y meurt en 1167. J. CHRISTOPHE, op. cit, p. 39-48. - 165 - l’entrée. Tel est précisément le motif qui t’a incitée à te vouer à ce genre d’existence. »510 Ainsi, la clôture au sein d’un monastère permet à l’ermite d’éviter les tentations de la vie dans la nature et du « vagabondage ». Selon Isaac de l’ÉTOILE, les moines ne sont pas encore capables de solitude, c’est pourquoi ils choisissent une vie communautaire. Ils éprouvent le besoin d’être aidés les uns par les autres. La communauté est une source de joie, d’aide mutuelle, de force et les auteurs monastiques clament souvent la joie d’habiter ensemble dans l’unanimité511. Il n’en recommande par moins à ses moines de se tenir à l’écart de la foule : « Il est difficile, dans la foule, de voir la foule ; il est inévitable, dans la foule d’éprouver du trouble ; et dans le trouble il n’est jamais possible au regard de voir clairement, de discerner ou de juger (…) Aussi, mon frère, éloigne-toi par la fuite, ne reviens pas à la foule, mais demeure dans la solitude, suis Jésus, gravis la montagne, dis à la foule : « Où je vais, tu ne peux pas venir ». »512 Dans son quatorzième sermon, l’abbé de l’Étoile explique : « Et voilà pourquoi, mes bien-aimés, nous vous avons conduit dans cette solitude retirée, aride et âpre. Dessein astucieux ! il vous est possible d’y être humbles, impossible d’y être riches. Oui, dans cette solitude des solitudes, perdue dans la mer, au large, n’ayant presque rien de commun avec le monde, nous voulons que, privés de toute consolation mondaine, il y ait en vous silence 510 AELRED de RIEVAULX, La vie de recluse. La prière pastorale, trad. C. DUMONT, Cerf, Paris, 1961, p. 45. Dom J. LECLERCQ, « Le travail, ascèse sociale d’après Isaac de l’Étoile », Collectanea O.C.R., 1971, p. 159-166. Isaac de l’ÉTOILE devient abbé de l’Étoile en 1147. Il aurait fondé l’abbaye des Châtelliers sur l’Ilede-Ré vers 1167. Il y est exilé pour avoir soutenu la cause de Thomas Becket, ce qui lui attire l’animosité d’Henri II. Il prononce ces 55 sermons entre 1147 et 1169. 512 Isaac de l’ÉTOILE, Sermons, T I, trad. G. SALET, Sources Chrétiennes n°130, Paris, Cerf, 1967, p. 86-87, sermon 1. 511 - 166 - complet du monde puisque, sauf cet îlot à l’extrémité des terres, pour vous le monde n’existe plus. »513 « Pourquoi à l’écart des hommes ? Parce que « les conversations mauvaises corrompent les bonnes mœurs » ».514 Adam de PERSEIGNE, abbé de Perseigne (fondée au diocèse du Mans en 1145, com. Neufchâtel-en-Saosnois, Sarthe) depuis 1188 prône de même la solitude pour mieux percevoir le message du Christ : « Qui s’adonne à l’amour céleste, fuit la foule, évite le bruit, et avec Marie dédaigne le service trop empressé de Marthe, sachant que plus profonde sera sa retraite, plus sûrement il pourra écouter et voir le Christ »515. La vie monastique serait ainsi peut-être plus apte à répondre aux attentes d’isolement, d’ascétisme et de rigueur des ermites. Même au cœur d’une communauté, le moine peut avoir la sensation de vivre seul et retiré du monde. L’observance d’un silence presque continu permet d’assurer ce sentiment d’isolement. Le cistercien Guerric d’IGNY516 évoque le silence en ces termes : « L’observance du silence nourrit, forme et fortifie l’esprit de l’homme et lui donne de progresser d’autant plus sûrement et sainement que c’est plus secrètement (…). Mais le mystère ne vous est pas inconnu non plus, à vous frères dont l’expérience et la confidence me sont témoins : comment l’esprit paisible et humble, pratiquant le silence, devient fort, puissant, brillant, comment, en revanche, sous le flot des paroles il devient ramolli et flasque, 513 Isaac de l’ÉTOILE, Sermons…, op. cit., p. 277-278, sermon 14. Isaac de l’ÉTOILE, Sermons, T III, trad. G. SALET, G. RACITI, Sources Chrétiennes n°339, Paris, Cerf, 1987, sermon 50, p. 183. 515 Adam de PERSEIGNE, Lettres, trad. Chanoine Jean BOUVET, Paris, Cerf, 1960, Lettre IX- 91, p. 159. 516 Guerric d’Igny est né vers 1087 à Tournai. En 1125, il entre à Clairvaux où il reste pendant 13 ans avant de devenir abbé d’Igny. J. CHRISTOPHE, op. cit, p. 39-48. 514 - 167 - comme paralysé, comment il s’amaigrit, se flétrit et meurt de sécheresse »517. Pour Isaac de l’ÉTOILE, les moines se doivent d’être silencieux « (…) pour être plus habiles et exercés à parler à vous seul, nous sommes forcés, bien forcés de garder entre nous le silence. »518 « Pourquoi en silence ? parce que « abondance de parole ne va pas sans péché » »519. Le silence est donc une nourriture céleste pour le moine lui permettant de devenir meilleur, plus proche de Dieu tout en le mettant à l’abri des futilités de paroles inutiles pouvant brouiller le message divin. Dans sa biographie de Bernard de Clairvaux, Guillaume de SAINT-THIERRY précise que le nombre des moines « (…) ne les empêchait pas d’être seuls avec eux-mêmes. La charité prescrite par la Règle, bien ordonnée, rendait cette vallée solitaire pour chacun. Quand règne l’unité spirituelle, la règle de silence observée par une multitude d’hommes assure à chacun la solitude de son cœur ». Le silence garantit la solitude intérieure. Quelques lignes plus loin, il évoque saint Bernard en prière : « (…) s’il s’offrait une occasion d’être seul pour prier, il la saisissait ; autrement, soit qu’il fût avec lui-même, soit qu’il fût avec la foule, se faisant lui-même une solitude dans son cœur, il était seul partout »520. 517 Guerric d’IGNY, Sermons, II, Troisième sermon pour l’Annonciation, II, p. 156 ; cité dans A. NOBLESSEROCHER, L’expérience de Dieu dans les sermons de Guerric, abbé d’Igny (XIIème siècle), Cerf, Paris, 2005, p. 146. 518 Isaac de l’ÉTOILE, Sermons…, op. cit., p. 278, sermon 14. 519 Isaac de l’ÉTOILE, Sermons, T III, trad. G. SALET, G. RACITI, Sources Chrétiennes n°339, Paris, Cerf, 1987, sermon 50, p. 191. 520 Guillaume de SAINT-THIERRY, Vie de saint Bernard de Clairvaux, 1091-1153, Paléo, Clermont-Ferrand, 2004, p. 45. - 168 - Dans la Vita Prima Bernardi, Guillaume de SAINT-THIERRY décrit ainsi la vie des moines de Clairvaux : « Car tous, en cet endroit, en dépit de la multitude, étaient des solitaires. Cette vallée qui était remplie d’hommes, une charité ordonnée selon l’ordre de la raison la rendait solitaire pour chacun d’eux : de même qu’un seul homme est pour lui-même une foule, alors même qu’il vit isolé, s’il n’y a en lui aucun ordre, ainsi en cet endroit, grâce à l’unité d’esprit et à l’observance d’un silence régulier, l’ordre lui-même garantissait à chacun des membres de cette multitude ordonnée la solitude du cœur. »521 L’observance de la Règle de Saint Benoît et des statuts édictés par l’ordre de Cîteaux garantit la quiétude de la communauté et le silence qui assure le sentiment de solitude. S’ils ne vivent pas matériellement dans un désert, les moines en ont toutefois la perception. Dans son quatrième sermon pour l’Avent, Guerric d’IGNY explique la nécessité de se retirer dans le silence du désert pour entendre la parole divine : « Le désert est grâce et béatitude, sanctifié par JeanBaptiste et les prophètes. Il a été préparé par le jeûne de Jésus qui demeura, lui aussi, au désert (…). Le désert te nourrira, car Jésus y a nourri la foule. Jésus lui-même t’y rassasiera. Alors il fera de ton désert un paradis, grâce à la richesse spirituelle de l’écriture. Nous habitons la paix de la solitude, mais sans manquer de la consolation d’une société de frères. Si notre silence intérieur correspond à notre silence extérieur, alors, dans le silence du milieu de la nuit, la parole Toute-Puissante descendra secrètement en toi. »522 Ainsi le cénobitisme non seulement n’empêcherait pas la solitude et la sensation de vivre isolé, au désert, mais présenterait également l’avantage de regrouper des individus 521 522 Guillaume de SAINT-THIERRY, Vita Prima Bernardi, I, 35, P.L, 185, 248. A. NOBLESSE-ROCHER, op. cit, p. 315. - 169 - motivés par la même quête de la parole divine, ainsi poussés dans une émulation collective. La vie communautaire serait alors, selon Guerric d’IGNY, supérieure à la vie anachorétique. Pour les moines blancs, le désert doit certes accorder la solitude mais aussi assurer la subsistance de la communauté, ce qui correspond déjà aux pensées de CASSIEN dans ses Collationes. Il écrit que « (…) pour acquérir la pureté du cœur, le solitaire devait trouver un endroit qui ne puisse le tenter ni par la fertilité trop grande, ni par une aridité telle qu’elle le conduise à sortir de sa cellule »523. Ils recherchent ainsi le site agraire doté des plus grandes chances de succès, le plus souvent dans une zone montagneuse, en bordure de forêt, dans des vallons resserrés. • Un désert recréé. Des cisterciens depopulatores : Concernant l’abbaye de Cîteaux, Laurent VEYSSIÈRE se demande à juste titre si le désert ne serait pas avant tout une image plus qu’une réalité. En effet, la proximité de voies de communication anciennes et de la route du sel remet quelque peu en cause cette notion de retrait du monde. Néanmoins, le désert physique est à venir : c’est celui que les moines vont créer autour d’eux en prenant progressivement possession des territoires alentours.524. En effet, tous les monastères n’ont pu s’implanter dans des terres vides d’hommes. L’abbaye belge de Villers-en-Brabant est en cela exemplaire et s’est insérée dans une zone déjà habitée. Les cisterciens n’ont alors pas hésité à faire détruire des villages et expulser des paysans pour reconstituer des déserts autour de nouvelles fondations. Ils ne s’implantent pas toujours dans des zones de saltus dévolues aux friches mais recréent artificiellement un désert pour être en correspondance avec les idéaux de l’ordre525. Pour constituer les terroirs de certaines granges dont les terres sont parfois déjà cultivées par des communautés rurales, les cisterciens n’hésitent pas à les chasser. Parfois, ces paysans peuvent également être transformés en convers526. Charles HIGOUNET les nomme 523 J. HEUCLIN, « La vie quotidienne des ermites en Gaule du Nord (…) », op.cit, p. 111-127. L. VEYSSIÈRE, « Représentations du désert cistercien primitif », dans M. AURELL, T. DESWARTE (dir.), Famille, violence et christianisation au Moyen-Âge. Mélanges offerts à Michel Rouche, PUPS, 2005, p. 239-250. 525 A. VAUCHEZ, La spiritualité du Moyen-Âge occidental, VIIIème-XIIIème siècle, Paris, 1994, p. 94. 526 C. H. BERMAN, Medieval agriculture, the Southern French Countryside, and the Early Cistercians. A study of Forty-three Monasteries, Philadelphia, 1986, p. 54. 524 - 170 - alors des cisterciens « depopulatores »527. C’est le cas notamment concernant certaines granges de l’abbaye de Pontigny dans l’Yonne. Celles-ci ne sont pas à l’origine de nouveaux centres d’habitat. Bien au contraire, les moines chassent les habitants installés sur leurs terres. Ils font le vide autour d’eux afin que leur site d’implantation corresponde trait pour trait aux injonctions des textes fondamentaux de l’ordre et à la Règle de saint Benoît. Ils cernent parfois leurs territoires de bornes pour marquer l’étendue du désert cistercien, à la manière du poemerium des chartreux528. Des bornes marquant l’enclos de l’abbaye ont ainsi été retrouvées aux alentours d’Obazine. Ce sont des pierres de grès entre 50 et 70cm de hauteur environ présentant des croix pattées ou à fleurons [Fig. 27]529. La grange de Beaumont appartenant à l’abbaye de Clairvaux a également livré un certain nombre de bornes. Il semblerait, d’après la récente étude de Christophe WISSENBERG que le village de Hesia ait disparu lors de la constitution de cette grange. Certains habitants ont dû être déplacés, d’autres engagés comme convers. Il s’agit du même cas de figure que pour la grange de Sainte-Procaire appartenant aux moines de Pontigny. La disparition du village homonyme est attestée à partir de 1156. Les habitants sont dédommagés mais soumis à une clause de « déguerpissement » et contraints de s’installer plus loin530. Robert FOSSIER cite quant à lui l’exemple des abbayes cisterciennes de France du Nord. Il fait état de difficultés à trouver de vrais déserts. Les cisterciens doivent dès lors expulser des villageois pour récréer artificiellement un îlot d’isolement531. Le désert cistercien correspondrait ainsi plus à un mythe hagiographique, une conception mentale des moines blancs qui ont la sensation de l’isolement au sein même de la communauté monastique. Cette conception peut - dans certains exemples bien précis non majoritaires – être physiquement recréée par l’éviction des habitants présents sur les terres acquises par les moines. Cela ne semble néanmoins pas être la règle dans le diocèse de Limoges. 527 C. HIGOUNET, « Le premier siècle de l’économie rurale cistercienne », dans Villes, sociétés et économies médiévales, Bordeaux, 1992, p. 455- 474. 528 M. GARRIGUES, Le premier cartulaire de l’abbaye cistercienne de Pontigny, Paris, 1981, p. 31. 529 B. BARRIÈRE, Moines en Limousin, l’aventure cistercienne, PULIM, Limoges, 1998, p. 101-102. 530 C. WISSENBERG, Entre Champagne et Bourgogne. Beaumont, ancienne grange de l’abbaye cistercienne de Clairvaux, Paris, Picard, 2007, p. 36. 531 R. FOSSIER, « L’économie cistercienne dans les plaines du nord-ouest de l’Europe », dans l’ouvrage du centre culturel de l’abbaye de Flaran, Économie cistercienne. Géographie, mutations du Moyen-Âge aux temps modernes, 1981, Auch, 1983, p. 53-74. - 171 - 3. Paysages, toponymie et hagiotoponymie : Nous avons étudié dans les textes cisterciens l’importance du choix du site monastique devant correspondre à différents critères précis à l’image de l’abbaye de Clairvaux : isolement, présence d’un cours d’eau, de bois et de terres permettant la polyculture et l’élevage afin d’assurer l’autonomie de la communauté. Les implantations cisterciennes du diocèse de Limoges correspondent-elles à cet idéal ? Dans quel paysage s’implantent les abbayes cisterciennes du diocèse de Limoges ? Choisissent-elles systématiquement des marches forestières dévolues au saltus ? Que peut-on savoir du couvert forestier des XIIème et XIIIème siècles ? La physionomie actuelle des sites peut-elle nous apprendre sur la morphologie des paysages médiévaux ? • Des marches boisées : Une étude de la géographie et de la géologie des sites d’implantation des moines blancs peut nous apprendre beaucoup sur la qualité des sols, données ayant probablement peu changées depuis l’époque médiévale. Nous pouvons également nous interroger sur les similitudes et dissemblances des paysages choisis d’une abbaye à l’autre.  Géographie et géologie des sites cisterciens : Le département actuel de la Haute-Vienne où sont implantées les abbayes de Boeuil et du Palais-Notre-Dame, comprend la partie ouest du Massif Central [Fig. 7]. Les reliefs sont bosselés, fortement ravinés par un réseau hydraulique serré, aux vallées encaissées découpant un ensemble de plateaux inclinés du sud-est au nord-est. La surface est occupée par un massif de roches anciennes. Les granites et granulites y alternent avec des schistes cristallins, gneiss et micaschistes. Le climat est humide, l’altitude moyenne. L’imperméabilité en fait une contrée rude. En 1987, la surface boisée recouvrait encore un quart du territoire, soit 141600ha532. Boeuil est située sur un replat de la rive droite du Glanet, dans la partie ouest de la paroisse de Veyrac. Elle est à 260m d’altitude. Le sol est de granite gneissique533. Quant à l’abbaye du Palais, elle est située sur le plateau granitique de Soubrebost dont les sommets peuvent dépasser 600m. Elle borde la rive droite du Thauron. Le relief accidenté est propre à 532 J. PERRIER, carte archéologique de la Gaule- Haute-Vienne, paris, 1993, p. 30-32. I. AUBRÉE, Patrimoine, gestion et vie sociale de l’abbaye cistercienne de Boeuil du XIIème au début du XVIème siècle, mémoire de maîtrise d’Histoire Médiévale, sous la direction de B. BARRIÈRE, Limoges, 1995, p. 23. 533 - 172 - la Haute-Marche. Au sud, le plateau est fermé par les hauteurs de la Montagne. Le sous-sol est granitique, les sols sont humides, la couverture forestière importante534. Le département de la Corrèze correspond à un relief qui s’abaisse rapidement vers le Bassin Aquitain, facilitant naturellement les relations avec le sud-ouest [Fig. 10]. Au nord, la Montagne correspond au plateau de Millevaches et au Massif des Monédières (plus de 700m). La seule installation cistercienne est l’abbaye de Bonnaigue à l’est d’Ussel. Elle est située dans la vallée de la Dozanne, au cœur de la forêt de Charroux, sur des sols granitiques. Le plateau Corrézien culmine à 600m et accueille notamment l’abbaye de Valette, située à la base du versant rive gauche de la vallée de la Dordogne qui s’encaisse de 300m dans le plateau, au cœur d’une zone forestière. Le Bas-Pays correspond à une pénéplaine entaillée par des vallées profondes. Les moines d’Obazine, Coyroux et Derses s’y sont implantés. La faille d’Argentat partage le département suivant une ligne sensiblement nord/sud. À l’est, une zone granitique présente également des schistes, micaschistes et gneiss. À l’ouest, nous pouvons constater la présence de micaschistes, gneiss, grès et calcaires au sud notamment 535. Derses est ainsi située sur des sols gréseux, à proximité des sources du ruisseau de la Couze. Le site d’Obazine est quant à lui atypique puisqu’il est dépourvu d’eau. Les moines ont dû faire construire un canal d’1.7kms qui capte l’eau du Coyroux. Les moniales de Coyroux sont plus isolées, à quelques centaines de mètres au sud-est d’Obazine, au fond de la gorge escarpée du Coyroux536. Le département de la Dordogne correspond à la bordure nord-est du Bassin Aquitain ainsi qu’aux marges limousines du Massif Central [Fig. 9]. Le Périgord Vert est à l’est d’une ligne Nontron/Excideuil, à la limite sud-ouest du massif cristallin (granites et gneiss) au modelé du relief peu accentué, couvert de châtaigniers et aux vallées étroites et encaissée. L’abbaye de Peyrouse, près de la Côle, est située à la frontière du Périgord Vert et du Ribéracois, sur une ligne de faille géologique délimitant à l’est le massif cristallin, à l’ouest les calcaires jurassiques. Les sols y sont peu fertiles. L’abbaye de Boschaud, à l’est de la Dronne, est implantée dans le Ribéracois, au sud de Nontron, sur une faille géologique. Les terrains sédimentaires présentent des calcaires crétacés tendres. Boschaud est située à la limite 534 S. VITTUARI, Le patrimoine de l’abbaye du Palais-Notre-Dame d’après le cartulaire (1134-12..), mémoire de maîtrise, dir. B. BARRIÈRE, Limoges, 1992, vol II, p. 78. 535 G. LINTZ, Carte archéologique de la Gaule- Corrèze, Paris, 1981, p. 19 ; cartes BRGM 1/50000ème, Tulle n° 761, Brive n° 785. 536 B. BARRIÈRE, Le cartulaire de l’abbaye cistercienne d’Obazine (XIIème-XIIIème siècles), Institut d’Études du Massif Central, Clermont-Ferrand, 1989, p. 23. - 173 - de la paroisse de Saint-Martial de Villars, entourée de bois, à 200m environ d’altitude537. Quant à l’abbaye de Dalon, elle est placée au cœur de la vallée du Dalon entre Vézère et Auvézère, en bordure du bassin de Brive présentant des sols gréseux538. Le département de la Charente regroupe à l’est des sols de la partie nord du Bassin Aquitain où les strates sédimentaires s’appuient sur les contreforts cristallins de la bordure ouest de Massif Central [Fig. 8]. Le Confolentais présente des terres froides et humides. À l’ouest, il s’agit de terrains sédimentaires, de cultures riches. Les contraintes pédologiques expliquent l’importance actuelle de la forêt. L’abbaye de Grosbot se trouve ainsi à la limite de zones de calcaire marneux, de sables et d’argiles539. Les moines se sont installés dans la forêt de l’Horte à l’est d’Angoulême, entre le bassin de la Charente et celui de la Dordogne. Les Combrailles appartiennent aux montagnes cristallines de l’ouest du département du Puy-de-Dôme qui se composent de paysages de pénéplaines dégradées en croupes, creusées de vallées encaissées à méandres (Sioule, Dordogne). Les micaschistes, gneiss et migmatiques sont localement pénétrés de granites540. L’abbaye de Bonlieu fait partie des Combrailles. Elle est située sur un plateau de moyenne altitude (environ 500m) entre la Montagne Limousine et les bassins sédimentaires du Berry. C’est une zone de granites à biotite, dits « granites de Guéret ». Le réseau hydrographique y est relativement important. Depuis le monastère, la Tardes et la Voueize ne sont séparées que par trois kilomètres541. La Haute-Marche s’inscrit de même dans un socle hercynien aux nombreux cours d’eau qui délimitent une série de replats [Fig. 5]542. Elle est formée par les hauteurs des derniers contreforts du Massif Central avec des moyens plateaux d’une altitude de 300 à 500 mètres. Les terrains sont cristallins, les sols légers et acides. Les schistes, micaschistes et gneiss, à l’inverse des formations granitiques, se prêtent mal à la taille à cause de leur structure feuilletée. Les limites nord-ouest de l’ancien diocèse de Limoges forment une frontière géologique avec les pays calcaires du pourtour tel le Berry, le Poitou et l’Angoumois543. 537 C. DESPORT, Deux abbayes cisterciennes du Périgord : Boschaud et Peyrouse, mémoire de maîtrise d’Histoire médiévale sous la direction de Bernadette BARRIÈRE, Limoges, p. 25. 538 H. GAILLARD, Carte archéologique de la Gaule. La Dordogne, Paris, 1997, p. 44. 539 C. VERNOU, Carte archéologique de la Gaule. La Charente, Paris, 1993, p. 21. 540 M. PROVOST, C. MENNESSIER-JOUANNET, Carte archéologique de la Gaule, Clermont-Ferrand, Paris, 1994, p. 55-57. 541 I. BALLET, Archéologie des paysages de la commune de Peyrat-La-Nonière (Creuse), maîtrise de géographie sous la direction de B. BARRIÈRE et M. BERNARD-ALLÉE, Limoges, 1994, p. 5-9. 542 J. M. DESBORDES, « Sitologie des structures agricoles gallo-romaines : l’exemple de la Haute-Marche », MSSNAC, T XI, 1980, p. 503-510. 543 J. M. DESBORDES, L’archéologie du paysage rural en Limousin, Limoges, 1997, p.8. - 174 - L’abbaye de Prébenoît se situe à 290m d’altitude sur le plateau d’Aigurande constitué par un sol de schistes cristallins. Une grande dislocation appelée « faille de la Marche » sépare ce plateau de la chaîne granitique de la Marche. Elle passe notamment par Châtelus-Malvaleix et Jalesches. Une déchirure secondaire orientée nord/sud passe à Moisse, au nord de Prébenoît. Elle délimite un passage brutal des gneiss amygdalaires du massif de Tercillat aux gneiss à deux micas de Genouillac et aux micaschistes de la Cellette. Le Cluzeau suit le tracé d’une faille qui délimite à l’est une zone où le gneiss est fin et se délite en plaques, à l’ouest une zone où le gneiss est plus grossier. Prébenoît s’inscrit ainsi comme une terre de jonction entre des sols schisteux et granitiques544. Le Boischaut englobant le sud de l’actuel département de l’Indre et le sud du département du Cher présente les mêmes terrains cristallins et métamorphiques [Fig. 6]. Il s’agit d’une dépression périphérique qui borde le Massif Central. Le monastère de Varennes est ainsi à la limite du Massif Central et du Bassin Parisien dans un paysage où les roches granitiques affleurent545. Le Boischaut se constitue de bocages, de pâturages et de landes à genêts ou à fougères. Au sud-ouest, dans l’Indre, l’abbaye de la Colombe au bord du ruisseau de l’Allemette s’inscrit à la limite du Boischaut et de la Brenne dont les paysages, longtemps voués aux bois et aux friches se caractérisent par une multitude d’étangs, de landes et de buttons546. La « Brenne de Bélâbre » n’est guère qu’à quelques kilomètres au nord du monastère. Le grès argileux constitue le substratum géologique. Ces monastères de la Haute-Marche et du Boischaut se sont efforcés de se constituer des granges sur les franges du Berry méridional et à l’ouest du Bourbonnais, dans les premières zones sédimentaires bordant le socle cristallin limousin. Les terrains y étaient plus propices à la culture de la vigne et se montraient riches en fer. Les abbayes cisterciennes du diocèse de Limoges choisissent majoritairement des terrains métamorphiques aux sols pauvres, des zones humides où le couvert forestier est encore important aujourd’hui. 544 J. DELORME, E. EMBERGER, « La série cristallophyllienne renversée du plateau d’Aigurande », RSNA, 1949, p. 45-82 ; R. BOINEAU, J. NICAISE, « Les schistes cristallins du plateau d’Aigurande au sud de la Châtre et de Châteaumeillant », RSNA, 1950, p. 9-41 ; L. BOUGNÈRES, « Les granites de l’extrémité orientale de la chaîne de la Marche dans la Creuse et l’Allier », RSNA, 1950, p. 44-72 ; J.P. BÉGUIN, J. ROGER, L’abbaye de Prébenoît, SRA Limousin, 1993-1996. 545 G. WOLKOWITSCH, L’abbaye royale Notre-Dame de Varennes, Lancosme Multimedia, 2004, p. 2. 546 Il s’agit de monticules de grès. Pour les descriptions géologiques et géographiques, voir G. COULON, J. HOLMGREN, Carte archéologique de la Gaule, Indre, Paris, 1992, p. 31 ; D. DUSSOT, Carte archéologique de la Gaule, Creuse, Paris, 1989, p. 29-41 ; J. F. CHEVROT, J. TROADEC, Carte archéologique de la Gaule, Cher, Paris, p. 27-30 ; M. J. BERRY, Belâbre, monographie suivie de notices sur Chaillac, Chalais, Ciron, Concremiers, Le Blanc, Liglet, Lignac, Mauvières, Oulches, Prissac, Ruffec, Saint-Hilaire et Tilly, Royer, 1992. - 175 -  Couvert forestier. Il n’est pas aisé de se faire une idée du couvert forestier des XIIème et XIIIème siècles. Les études les plus complètes concernent l’époque moderne, mieux connue notamment grâce aux cartes de Cassini. Il est toutefois délicat de tenter une étude régressive des forêts médiévales d’après ces seules sources modernes. Après la chute de l’Empire Romain et les invasions s’amorce une reconquête de terres cultivées par des végétations « secondaires », de médiocre allure et plus ou moins denses. De nouvelles cultures apparaissent grâce aux premières abbayes au VIème siècle, puis par les carolingiens. De nouveaux abandons et un développement des accrues sont sensibles aux abords de l’an Mil. C’est une partie de ces accrues que les moines cisterciens vont progressivement attaquer547. Concernant les marges limousines à l’époque mérovingienne, nous bénéficions de l’analyse très minutieuse et indispensable de Michel ROUCHE pour qui « le Limousin est probablement une nappe boisée piquetée de clairières avec la forêt d’Aureix dans le nord ». La silva s’étire le long de la rive droite de la Vézère jusqu’à Uzerche. Le plateau de Millevaches porte dans ses confins auvergnats une silva qui atteignait la Sioule et rejoignait les salti de Pionsat et Vensat548. Gabriel MARTIN fait état au Moyen-Âge d’un massif boisé important qui occupait la région qui forme l’angle nord-ouest du département de la Creuse549. Bernadette BARRIÈRE constate l’existence d’une forêt attestée antérieurement à l’an Mil. Il s’agit de la forêt de Salon qui occupe la longue dorsale d’interfluve séparant le Haut du BasLimousin, le bassin de la Vienne et celui de la Dordogne. Une forêt de Bretagne est citée dans la Chronique d’Étienne Maleu, proche de Saint-Junien. Elle occupe une bonne partie de l’interfluve entre Glane et Vienne, proche de la forêt de la Malaise où s’installe le groupe d’ermites rattachés aux moines cisterciens de Boeuil au milieu du XIIème siècle550. Pour l’époque moderne, Jean-Michel DESBORDES souligne que le couvert végétal du Limousin souffre d’une carence en bois de chauffe et bois d’œuvre. Il se constitue vraisemblablement plus de bois taillis plus que de véritables futaies. Pour David GLOMOT en effet, les petits bois et landes ne manquent pas dans ce relief très vallonné mais ne peuvent 547 G. PLAISANCE, « Les premiers cisterciens de Bourgogne ont-ils été des défricheurs ? », dans « Le premier demi-siècle des cisterciens à Léoncel, 1137-1188 », Les Cahiers de Léoncel, Colloque d’août 1988, n°5, 1988, p. 30-39. 548 M. ROUCHE, L’Aquitaine des Wisigoths aux Arabes (418-781), T I, Lille, 1977, p. 182. 549 G. MARTIN, « La Haute-Marche au XIIème siècle, les moines cisterciens et l’agriculture », MSSNAC, T VIII, 1893, p. 47-127. 550 Chronique d’Étienne Maleu, ed. Abbé ARBELLOT, Paris, 1847, p. 47 ; B. BARRIÈRE, « Villages de défrichement en Haut et Bas-Limousin aux XIème et XIIème siècles », dans J. TRICARD (dir.), Le village des Limousins. Études sur l’habitat et la société rurale du Moyen-Âge à nos jours, PULIM, Limoges, 2003, p. 97117. - 176 - être comparés toutefois aux grandes forêts du Berry et du Bourbonnais. Les beaux massifs forestiers sont rares. À la fin de l’époque Moderne, il apparaît nettement que le paysage et les structures agraires, souvent hérités du Bas Moyen-Âge, ne présentent pas un réel bocage mais plutôt un paysage mixte plus ouvert551. Les réalités de l’époque médiévale sont plus complexes à envisager et ne peuvent prétendre à des résultats probants. La disposition alignée des établissements cisterciens sur les confins de la Marche et du Berry incite à se poser la question de la persistance en ce secteur d’une frontière appuyée sur un massif forestier qui semblerait enfin entamé. Une thèse traditionnelle rappelée par MarieHélène TERRIER consiste à envisager que chaque entité politique comme les cités galloromaines puis les comtés tel le Comté de la Marche devaient être entourés de bois défensifs 552. Ce paysage d’épaisses forêts se justifierait par la position en limite des diocèses de Bourges et de Limoges et à la frontière de plusieurs entités politiques. Pour Bernadette BARRIÈRE, ces bois périphériques seraient plutôt des résidus de défrichements sans réelle intention militaire. De plus, des textes montrent des fréquentes clauses de non défrichement. Les droits d’usage semblent d’ailleurs concerner plutôt de vastes bois que de réelles forêts, ce qui nuancerait l’idée d’une couverture forestière importante maintenue aux frontières diocésaines553. Les moines contribueraient eux aussi au maintien de la couverture boisée par souci de respecter l’idéal de retrait au désert et pour l’intérêt économique représenté par les bois et forêts. Le maintien des forêts permet notamment aux animaux de pâturer. Les moines ont besoin de bois d’œuvre pour les charpentes, de bois de chauffe (fours banaux, tuileries, briqueteries, fours à chaux, forges) ainsi que de petits bois pour les paisseaux de leurs vignes (bois de fente, coudrier), les ateliers de tonnelleries et les instruments agricoles. Ils ne seraient pas les grands défricheurs annoncés par une partie de l’historiographie traditionnelle, mythe déjà largement contesté par Robert FOSSIER et Georges DUBY. Pour Christophe WISSENBERG, la sylviculture avisée menée par les moines blancs participerait de fait à cette relecture et critique de l’image désuète des moines défricheurs554. En effet, les cisterciens cherchent de forts rendements agricoles. Or, les sols forestiers sont souvent les plus médiocres. Les moines leur préfèrent des sols agricoles ou des terres grasses, humides qu’ils ont assainis par l’ouverture de réseaux de fossés. L’iconographie cistercienne est riche en 551 D. GLOMOT, « Les cartes de Cassini et l’histoire du monde rural : l’exemple de la Haute-Marche », Archives en Limousin, n°22, 2003, p. 13-19. 552 M. H. TERRIER, « Les bois et les forêts de l’abbaye d’Aubignac des origines à 1351 », MSSNAC, T XLVI, 1997, p. 269-275. 553 B. BARRIÈRE, « L’économie cistercienne du sud-ouest de la France », Centre culturel de l’abbaye de Flaran, Économie cistercienne. Géographie, mutations du Moyen-Âge aux temps modernes, 1981, Auch, 1983, p. 75-99. 554 C. WISSENBERG, Entre Champagne et Bourgogne. Beaumont, ancienne grange de l’abbaye cistercienne de Clairvaux, Paris, Picard, 2007, p. 139. - 177 - scènes agricoles (Moralia in Job, Cîteaux) [Fig. 28]. Toutefois, il s’agit vraisemblablement plus de scènes de bûcheronnage correspondant à une exploitation normale qu’à de réelles destructions et défrichements. En effet, ce n’est qu’à l’extrême fin du XIIème siècle, au XIIIème siècle mais surtout à l’époque moderne que les cisterciens vont réellement défricher et s’adonner au commerce du bois555. Les actes de donation des XIIème et XIIIème siècles permettent de connaître le nom d’un bois ou d’une forêt existant à l’époque médiévale mais son étendue reste inconnue. Ces archives sont donc précieuses mais insuffisantes pour cette étude qui devra être complétée par une analyse précise de la toponymie et des termes liés aux bois et forêts. Nous tenons à insister sur la disparité des sources dont nous disposons pour cette étude puisque certaines abbayes n’ont pas conservé de cartulaire. Il est dès lors presque impossible de connaître leur patrimoine foncier et les bois dont elles disposaient. C’est le cas entre autres de Prébenoît, La Colombe, Boeuil, Varennes, les Pierres, Valette, Bonnaigue, Boschaud ou encore Peyrouse. La communauté double d’Obazine-Coyroux est sans doute la mieux documentée. Le cartulaire d’Aubepierres conservé aux Archives Départementales de la Creuse permet d’imaginer l’abbaye entourée de bois appartenant parfois aux seigneuries attenantes ou au proche prieuré de Chambon Sainte-Croix, d’où de fréquents conflits d’intérêt qui donnent lieu à de nombreux actes, confirmations de donations, de droits d’usage. Les moines disposaient de la forêt de Féchaud au nord des bâtiments monastiques dont il ne demeure aujourd’hui qu’un lieu-dit, du bois de Fauchart, de Bourliat et d’Estinières ainsi que de la forêt de Parnac plus au sud [Fig. 29]556. Les possessions des Pierres, son abbaye-fille en Berry sont peu connues et difficiles à cerner n’ayant fait l’objet d’aucune étude poussée à ce jour. Les quelques actes conservés aux Archives Départementales du Cher permettent de localiser le bois de la Roche sur la commune de Sidiailles, d’une superficie encore importante aujourd’hui. Il est donné en 1264 par Agnès de la Roche557. En 1197, Ranulphe, seigneur de Culan, donne un droit de pacage dans le bois de Coursier. Depuis 1198, la grange d’Aignerais (commune de Montlevicq) pouvait jouir du bois de Feuilly558. Des cartes établies au XVIIIème siècle montrent que l’abbaye était encore immergée dans les bois tels ceux de Chézelle, de Ranciers, des Pierres, 555 G. PLAISANCE, « Les premiers cisterciens de Bourgogne ont-ils été des défricheurs ? », dans « Le premier demi-siècle des cisterciens à Léoncel, 1137-1188 », Les Cahiers de Léoncel, Colloque d’août 1988, n°5, 1988, p. 30-39 ; R. FOSSIER, « L’économie cistercienne dans les plaines du nord-ouest de l’Europe », dans l’ouvrage du centre culturel de l’abbaye de Flaran, Économie cistercienne. Géographie, mutations du Moyen-Âge aux temps modernes, 1981, Auch, 1983, p. 53-74. 556 G. MARTIN, « La Haute-Marche au XIIème siècle (…) » op. cit, p. 47-127. 557 AD Cher, 10 H 85. 558 É. CHENON, « Le prieuré d’Aignerais, membre de l’abbaye des Pierres », MSAC, 1900, T XVI, p. 35-55. - 178 - de Serer, des Chagnets, de la Grimauderie, de la Forêt Guyon et de Peucheny (bois de Puchent actuel à l’est des Pierres, le long de l’Arnon) dont il ne demeure aujourd’hui dans le meilleur des cas que des lieux-dits [Fig. 30]559. Les bois de l’abbaye de la Colombe sont peu documentés. L’étude des textes aussi bien sur les périodes médiévale et moderne révèle l’emploi quasi systématique du terme nemus, moins dense que la silva qui n’est jamais citée560. L’abbé GAUDON décrit le site comme un lieu « perdu au milieu des bois »561. D’après les textes, nous savons que les moines jouissaient du bois de Péradan depuis 1218 ainsi que du bois de Vauret aujourd’hui totalement disparus [Fig. 31]562. Quant à l’abbaye de Prébenoît, elle a obtenu la forêt Vela, le bois de Montol, le bois du Cluzeau, le bois d’Ecosse au nord du site ainsi que le bois de Drouilles sur la commune de Soumans aux limites du Bourbonnais563. Ne reste actuellement que le « bois de l’abbaye » à quelques kilomètres au sud des ruines du monastère [Fig. 32]. L’abbaye de Bonlieu est l’une des mieux dotée des fondations de Haute-Marche. Elle dispose en effet de treize granges et de nombreux bois connus grâce au cartulaire conservé. Nous connaissons les bois de Foladeau et de Sermansanne aujourd’hui disparus. Le lieu-dit « Sermansanne » apparaît bien sur la carte de Cassini au sud du monastère mais aucun bois n’est matérialisé. De même pour le « bois de la Croix » localisé à l’ouest par un lieu-dit. La « forêt des Landes » au nord du monastère a moins souffert des défrichements et est encore relativement étendue de nos jours564. Les « bois de la Bonnette » (bois d’Estrader à l’époque médiévale) et des « Reboules » existent encore à l’ouest de Bonlieu. Ils appartenaient à la grange de la Porte. Le « bois de Bougnat » dépendait de la grange du même nom sur la commune de Saint-Marien en Berry, à quelques kilomètres au nord de Boussac [Fig. 33] 565. Le fonds du monastère de Bonlieu aux Archives Départementales de la Creuse révèle également des plans des bois de l’abbaye datés des XVIIème et XVIIIème siècles566. Ces trois planches de grand format réalisées à la plume permettent de juger de l’étendue des bois de la Bonnette, de la Croix de la Bonnette et de la Chassagne-aux-Moines. Dans son mémoire de maîtrise de géographie sur le paysage de la commune de Peyrat-La-Nonière, Isabelle BALLET évoque le couvert forestier de l’abbaye de Bonlieu au Moyen-Âge. Elle remarque 559 AD Cher, 10 H 86. J. PICAUD, L’abbaye cistercienne de la Colombe au Moyen-Âge, maîtrise sous la direction de B. BARRIÈRE, Limoges, 1995, p. 70. 561 D. GAUDON, « Histoire de l’abbaye de la Colombe », RC, 1889, T XI, p. 168-175. 562 AD Indre, H 725 et H 728. 563 J. ROGER, P. LOY, L’abbaye cistercienne de Prébenoît, Limoges, 2003, p. 19-20. 564 G. MARTIN, « La Haute-Marche au XIIème siècle (…) » op.cit., p. 47-127. 565 M. NOUGER, Patrimoine et environnement aristocratique de l’abbaye cistercienne de Bonlieu en Creuse aux XIIème et XIIIème siècles, maîtrise, Limoges, 1998, p. 207. 566 AD Creuse, 4 Fi 1300-1307. 560 - 179 - d’après le cartulaire que toutes les parcelles évoquant un boisement semblent correspondre à des parcelles effectivement boisées au Moyen-Âge, avant le grand effort de défrichement médiéval567. L’abbaye d’Aubignac a fait l’objet d’une étude récente de Marie-Hélène TERRIER qui fait le point sur les bois et forêts possédés par les moines cisterciens568. Elle insiste en particulier sur le fait que la majorité des acquisitions d’ensembles forestiers relève des années 1250 jusque dans le milieu du XIVème siècle. L’abbaye aux premiers temps de sa fondation ne dispose guère que du bois de Luzeret ainsi que du bois de Versillat dépendant de la grange de la Réjade au sud d’Aubignac. Il est encore assez étendu de nos jours. À partir du milieu du XIIIème siècle, une réelle politique d’achats se met en place. Les moines engrangent sans doute suffisamment de revenus pour se permettre d’investir dans l’acquisition de biens. Les droits d’usage sont néanmoins fragiles et dépendent du bon vouloir des seigneurs. Aubignac dispose ainsi de communaux sur la paroisse de Mouhet à la frontière de la Marche et de la vicomté de Brosse. Associés au bois du Chapperon et à la Forêt Bâtée, ils forment une écharpe au nord-est du site d’implantation des cisterciens, à la frontière d’entités politiques tels la vicomté de Brosse, la vicomté de Bridiers, le comté de la Marche, la seigneurie de Guierche et la châtellenie d’Argenton. Ils ont presque entièrement disparus aujourd’hui. Les bois de Lalande et de Bellelande sont défrichés de manière systématique par les moines [Fig. 34]. Le sol calcaire permet d’établir des cultures assurant leur autarcie. Les cisterciens implantent stratégiquement des granges au sud du Bassin Parisien qui permettent l’approvisionnement en céréales et en vin tandis que le Massif Central est dévolu au saltus, à l’élevage et aux bois. Le patrimoine foncier de l’abbaye berrichonne de Varennes n’est cerné que par quelques titres des Archives Départementales de l’Indre et du Cher. Les moines obtiennent en 1212 des droits de pacage et d’usage dans les forêts dépendant de la seigneurie de Cluis. Ils disposent ainsi d’une centaine d’hectares. Il est toutefois difficile de retrouver la localisation précise de cette généreuse donation [Fig. 35]569. Les moines de Boeuil entreprennent de nombreux défrichements aux XIIème et XIIIème siècles. Toutefois, ils conservent de grands espaces boisés pour leur intérêt économique (bois d’ouvrage, bois de chauffe, glandée des porcs). Ainsi ils sont entourés de la forêt d’Amberac et d’un bois au nord de l’abbaye. Les actes parlent de nemus, de bois plus que de réelles forêts étendues. Les essences les plus courantes sont les chênes, les châtaigniers 567 I. BALLET, Archéologie des paysages de la commune de Peyrat-La-Nonière (…), op.cit., p. 113. M. H. TERRIER, « Les bois et les forêts de l’abbaye d’Aubignac (…) » op.cit, p. 269-275. 569 A. CHARDON, « L’abbaye de Varennes, 1148-1791 », RB, 1906, p. 201-205. 568 - 180 - et les aulnes comme le prouve la présence du toponyme « vergne » aux abords du monastère [Fig. 36]570. L’abbaye du Palais jouissait de droits sur les bois de Saneuil, d’Arcissas, de la Chaise et de Fontloup. Les moines détenaient également des espaces boisés à Bonnefond, Villefranche, Transet, Redondebesse et la Fayolle dans un rayon de 10 kms autour de l’abbaye571. En 1211, Pierre de Peyrat donne aux moines ses droits sur le bois de Marbos. Les moines obtiennent également le droit de prendre du bois pour les besoins de la construction sur la terre de la Tenella grâce aux générosités de Pierre de Pierrebuffière. Il s’agit d’un bois des donateurs de la seigneurie de Châteauneuf572. Au XIXème siècle, l’abbaye est encore entourée d’importantes zones forestières : le Grand Bois à l’ouest, la forêt de Courson à l’est et au sud [Fig. 37]. Concernant l’abbaye de Grosbot, elle est dès sa fondation décrite au cœur d’une forêt. En effet, en 1147, Étienne d’Obazine reçoit les droits d’usage dans le bois de Grosbot et y installe un petit groupe de frère. L’étymologie même du site, « Gros Bois », symbolise l’implantation dans cette marche boisée [Fig. 38]573. Concernant l’abbaye de Peyrouse, nous savons simplement que les moines jouissaient des bois de Bartolocq, de Chabrolenc, de la forêt de Peyrouse et de Beynac [Fig. 39]574. Le site d’Obazine est décrit comme un lieu « fort boisé » dans la Vita. Il est en effet entouré d’un important couvert forestier. Obazine est citée comme une forêt dans le cartulaire de Tulle (charte datée du début du Xème siècle) 575. Aujourd’hui encore l’abbaye est entourée d’une importante forêt de plus de 500 ha576. Le cartulaire d’Obazine permet de mieux cerner les possessions des moines cisterciens, et tout particulièrement les possessions de bois et de forêts, aussi bien autour de l’abbaye même que pour chaque grange mise en place. Ainsi, avant sa mort en 1137, Archambaud IV de Comborn donne la forêt d’Obazine aux ermites qui y sont déjà installés. Entre 1148 et 1159, Archambaud V de Comborn donne une partie du bois de Sourdain à Étienne. Entre 1142 et 1159, Étienne de Chanac donne la moitié du bois de Charret. En 1162, Ajalbert de Borme donne des garanties pour les défrichements du bois de Rasoll. Sous l’abbatiat de Robert (1164-1188), les donations de bois sont de plus en plus 570 I. AUBRÉE, op. cit, p. 63. S. VITTUARI, op. cit, p. 85. 572 J. CIBOT, Le cartulaire de l’abbaye du Palais-Notre-Dame (XIIème-XIIIème siècles), DES, Poitiers, 1961, p. 13, fol 57 ; AD Creuse, H 524, fol. 78-79. 573 B. BARRIÈRE, Le cartulaire…, op. cit, p. 83. 574 C. DESPORT, op. cit., p. 69. 575 « Hec villa [de Vergonziaco] erat juxta quandam silvam que vocatur Obazina ». Cartulaire des abbayes de Tulle et de Rocamadour, ed J-B. CHAMPEVAL, Brive, 1903, notice n° 289. 576 B. BARRIÈRE, L’abbaye cistercienne d’Obazine en Bas-Limousin, les origines- le patrimoine, Tulle, 1977, p. 19. 571 - 181 - nombreuses et progressivement, chaque grange va disposer d’au moins un espace forestier. Ainsi le bois de Veyrières est donné à la grange de Veyrières, le bois de Veteri Carreria à celle de Couffinier, le bois de Lauzerat à la grange de Saint-Palavy, le bois de la Limargue à Bannières. Quant au groupe de Quercy-Rocamadour, il possède les bois de Naugers et de Mortchabrit. En 1188, Étienne du Bosc donne aux frères de la grange de Graule (Cantal) le droit de coupe dans le bois de Falcimagne. Dès 1170, nous savons que l’abbaye détient l’usage momentané du bois Peironeg à proximité d’Obazine pour le pacage des animaux qui travaillent au chantier de construction du monastère. Une perrière s’y trouve dont les moines peuvent également disposer [Fig. 40]. Certaines de ces donations restent toutefois délicates à localiser [Fig. 41 à 44]. Elles permettent néanmoins de constater l’importance de la forêt dans l’économie cistercienne. La possession de bois était très prisée et objet de convoitises577.  Caractérisation d’une abbaye en marche : Les marches peuvent être définies comme des zones de ressort mal défini où quelques points limites sont déjà fixés. Michel AUBRUN livre une définition très éclairante de la frontière, de la limite et de sa perception. Pour lui, « la limite est toujours la résultante de données naturelles et humaines différentes, révélatrices d’affinités ou bien de dissemblances ressenties et manifestées »578. Pour Christophe WISSENBERG, la frontière médiévale est « un espace mal défini, intermédiaire, une zone tampon plus ou moins large, souvent forestière ou marécageuse, en d’autres termes un espace périphérique que la notion de marche est plus à même d’exprimer ». Il prend pour exemple la grange de Beaumont (Clairvaux, Côte-D’Or, com. Riel-Les-Eaux), « l’archétype d’une clairière culturale cistercienne » située en limite de deux régions et de trois départements, une « marginalité territoriale symptomatique de l’ordre ». Beaumont est en limite de trois communes, aux frontières des archidiaconés du Barrois et du Lassois. Dans les années 1200, trois grands feudataires se partagent l’espace. Le géographe explique que les cisterciens tirent d’ailleurs probablement avantage de cette situation marginale créant un climat concurrentiel entre les seigneurs, garantissant de multiples donations579. Selon Bruno PHALIP, les zones de marges apparaissent comme des territoires mouvants, des « zones frontières qui sont des terres de rencontre, ambiguës dans leurs critères 577 B. BARRIÈRE, Le cartulaire…, op. cit, p. 71-87-155-177 et 327. M. AUBRUN, L’ancien diocèse de Limoges des origines au milieu du XIème siècle, Clermont-Ferrand, 1981, p. 67. 579 C. WISSENBERG, Entre Champagne et Bourgogne…, op. cit., p. 26. 578 - 182 - de définition », difficiles à appréhender et à individualiser580. Ce sont sur ces territoires que les moines cisterciens vont princiapelement s’implanter. Ces abbayes frontières sont susceptibles de porter leur fidélité à l’un ou l’autre des seigneurs dont ces marges séparent les territoires. L’hommage en marche assure en quelque sorte le respect de cette frontière mal précisée581. Les marches sont le plus souvent des bois et des marais. Elles deviennent naturellement un refuge pour les cultes naturistes lors des premiers temps de la Chrétienté. Elles restent de hauts lieux de culte indigène en raison de l’attachement mystique des Gaulois à leurs limites territoriales 582. Albert DUFOURCQ dans son étude du début du XXème siècle sur la christianisation des foules insiste sur la fidélité du peuple aux anciens cultes par rapport aux habitants des cités beaucoup plus réceptifs au message des apôtres. Les marges diocésaines, peu peuplées, sont donc propices au maintien de vieilles pratiques idolâtriques du fait de leur éloignement de la cité épiscopale. Selon l’historien, c’est principalement le culte des martyrs qui accomplit l’œuvre populaire. Les fidèles considèreraient en effet les martyrs comme de petits dieux locaux très actifs. Au XIIème siècle, bien que la christianisation ait fait son œuvre depuis plusieurs siècles, certaines marges forestières peuvent encore témoigner d’une persistance de certains cultes locaux païens (Silvanus). Les ermites de la fin du XIème siècle, puis les cisterciens ne choisiraient-ils pas justement ces frontières afin d’occuper des terres pouvant abriter des réminiscences de cultes païens 583? Au XIIème siècle, les abbayes cisterciennes optent le plus souvent pour ces zones marginales peu peuplées et donc propre à leur assurer une relative solitude. L’abbaye de Molesme est ainsi une abbaye-frontière, voisine de la limite du duché de Bourgogne. Elle est originellement gardée par le comte de Champagne mais réussit en 1240 à passer sous la garde royale, pouvoir plus éloigné et lui permettant ainsi une plus grande autonomie. De même concernant l’abbaye de Pontigny dans l’Yonne, située aux marges des diocèses de Sens, Auxerre et Langres, des comtés d’Auxerre, de Tonnerre et de Champagne584. Les abbayes cisterciennes du sud de la France semblent adhérer à ce même schéma. Ainsi, le monastère de Léoncel en Vercors correspond à une frontière géographique, civile et 580 B. PHALIP, « Étude monumentale et limites culturelles. Les confins de la Basse-Auvergne au XIIème siècle », dans B. PHALIP (dir.), « Frontières médiévales », Revue Siècles, n° 5, PUBP, 1997, p. 29-58. 581 J. RICHARD, Les ducs de Bourgogne et la formation du duché du XIème au XIVème siècles, Paris, 1954, p. 171. 582 M. AUBRUN, L’ancien diocèse de Limoges des origines au milieu du XIème siècle, Institut d’Études du Massif Central, Clermont-Ferrand, 1970, p. 69. 583 A. DUFOURCQ, La christianisation des foules. Étude sur la fin du paganisme populaire et sur les origines du culte des saints, Paris, 1903, p. 35. 584 M. GARRIGUES, Le premier cartulaire de l’abbaye cistercienne de Pontigny, Paris, 1981, p. 11. - 183 - ecclésiastique. Les moines choisissent une marge entre les terres peuplées des plaines et les collines déshumanisées585. Ces monastères en marche attirent les convoitises seigneuriales et royales grâce à leur situation stratégique et privilégiée, aux frontières diocésaines, paroissiales et seigneuriales586. Qu’en est-il pour les abbayes cisterciennes du diocèse de Limoges ? - Attirance pour les limites diocésaines et paroissiales : En 2001, Armelle BONIS et Monique WABONT remarquent concernant la France du nord-ouest que dans 75% des cas, les abbayes sont situées aux marges des diocèses, tandis que dans 90% elles optent pour les confins paroissiaux587. Les abbayes cisterciennes du diocèse de Limoges et de ses marges semblent de même attirées de manière quasi systématique par les frontières du diocèse [Fig. 11]. Seuls deux sites dérogent à cette règle : il s’agit de Boeuil installée à quelques kilomètres à l’ouest de la cité épiscopale et du Palais située entre Pontarion et Bourganeuf. Ainsi, nous pouvons constater que les abbayes d’Obazine, Coyroux et Derses se sont implantées non loin des limites du diocèse de Cahors où Obazine va d’ailleurs réussir de nombreuses incursions (granges du groupe Quercy-Rocamadour, fondations des abbayesfilles de La Garde-Dieu et l’Abbaye-Nouvelle). Les frontières entre le diocèse de Limoges et le diocèse de Clermont sont jalonnées de nombreuses créations cisterciennes : la Valette et Bonnaigue, toutes deux filles d’Obazine, et Bonlieu, fille de Dalon implantée au cœur des Combrailles. À l’est de cette limite, le diocèse de Clermont connaît trois implantations cisterciennes intercalées entre les monastères limousins : l’abbaye de Bellaigue (com. Virlet, Puy-de-Dôme), l’Esclache et Feniers (com. Condat-en-Feniers, Cantal). L’occupation des marges diocésaines apparaît bel et bien comme un enjeu pour les moines blancs qui s’éloignent ainsi d’une autorité épiscopale peut-être indésirable. L’abbaye de Grosbot est quant à elle incluse dans le diocèse d’Angoulême. Elle correspond à une poussée obazinienne qui tente de jalonner la route qui conduit à ces 585 M. WULLSCHLEGER (dir.), “Léoncel, une abbaye cistercienne en Vercors”, Revue Drômoise, n°spécial, Crest, 1991. 586 J. RICHARD, op. cit, p. 25. 587 A. BONIS, M. WABONT, « Cisterciens et Cisterciennes en France du Nord-ouest. Typologie des fondations, typologie des sites », dans B. BARRIÈRE, M-E. HENNEAU (dir.), Cîteaux et les femmes, Créaphis, Paris, 2001, p. 151-176. - 184 - possessions charentaises (salines d’Oléron) par des abbayes-filles (telles La Frénade 588 et Grosbot) ou des greniers à sel (Cognac). Elle est située à la fois à la limite institutionnelle entre vicomté de Limoges, comtés du Périgord et d’Angoulême et à la limite religieuse entre les diocèses de Limoges, Périgueux et Angoulême. Il s’agit donc bien d’une zone de confins susceptible d’être soumise à ces trois influences589. Les marges septentrionales du diocèse de Périgueux connaissent deux installations cisterciennes intéressant notre étude : Peyrouse et Boschaud. Le Périgord méridional est dominé par l’abbaye de Cadouin, ancienne fondation géraldienne influente mais dont « les options réformatrices et l’observance cistercienne dont on s’y réclamait s’y sont progressivement assouplies ». Les cisterciens vont donc tenter de concurrencer cette abbaye notamment par la création de Belleperche par Clairvaux en 1143, en faisant entrer Grandselve dans la filiation de Clairvaux en 1147, en fondant Peyrouse en 1153 puis en agrégeant Boschaud en 1163 dans cette même filiation. L’action des cisterciens est ici exemplaire et caractéristique de leur prise de pouvoir sur les marges diocésaines590. La même omniprésence des cisterciens est constatée aux marges des diocèses de Poitiers, Limoges et Bourges. Ainsi, l’abbaye de la Colombe est située aux marges des diocèses de Poitiers et Bourges. Louis RAYNAL insiste sur sa position équivoque puisque ses bâtiments appartiennent au diocèse de Limoges, les jardins au diocèse de Bourges, ce qui laisse présager des conflits d’intérêt certains591. Cette situation des abbayes cisterciennes marginales doit parfois paraître quelque peu inconfortable et peut susciter de nombreuses convoitises. Elle permet néanmoins aux moines de s’attirer les libéralités de nombreux seigneurs alentours désireux de s’assurer les prières des moines et de « marquer » en quelque sorte leur territoire. Les monastères d’Aubepierres et de Prébenoît dépendent de l’évêque de Limoges mais nombre de leurs terres et granges relèvent du diocèse de Bourges. Cette situation est inversée pour les abbayes des Pierres et de Varennes sises dans le diocèse de Bourges aux frontières de celui de Limoges. 588 Com. Merpins, canton de Cognac, département de la Charente, ancien diocèse de Saintes, fondée entre 1148 et 1150. 589 C. COUSSY, « L’implantation du monde religieux dans le Nontronnais à l’époque médiévale », Archives en Limousin, n°26, 2005, p. 12-15. 590 B. BARRIÈRE, Moines en Limousin, l’aventure cistercienne, PULIM, Limoges, 1998, p. 26-28. 591 L. RAYNAL, Histoire du Berry depuis les temps les plus anciens jusqu’en 1789, T II, p. 421. - 185 - Quant à Aubignac, elle n’est à dix kilomètres à l’intérieur de l’ancien diocèse de Bourges. Aujourd’hui, la limite de la Creuse et de l’Indre passe à quelques mètres de son emplacement. Elle relève du département de la Creuse (com. de Saint-Sébastien)592. La Colombe, Varennes et Aubepierres, créations directes de l’ordre, avaient sans doute pour vocation de barrer la route aux moines daloniens bien présents à Prébenoît, Aubignac et Bonlieu. Ainsi, le choix de ces terres marginales peut correspondre à un intérêt politique, à une stratégie visant à la mainmise de territoires à coloniser. Les cisterciens ne sont d’ailleurs pas les seuls à choisir ces paysages. Julien DENIS précise que les chanoines de l’Artige s’installent de même dans une zone de confins à l’extrémité est de la paroisse de SaintLéonard-de-Noblat correspondant à une vaste forêt. Il ne s’agirait ainsi pas d’une spécificité cistercienne593. Les moines cisterciens semblent également opter pour des zones de confins paroissiaux. Bien souvent, ils s’installent sur des paroisses-frontières fondées tardivement au détriment des plus proches paroisses de l’intérieur et où la christianisation a généralement tardé à pénétrer. Elles sont particulièrement nombreuses dans une Marche Limousine d’abord peu peuplée594. L’abbaye de Prébenoît s’implante ainsi à la jonction des paroisses-frontières de Bétête et de Genouillac. C’est le cas également de l’abbaye du Palais qui bénéficie ainsi du désintéressement relatif pour ces terres faiblement soumises à l’autorité ecclésiastique595. Quant à la paroisse de Chameyrat, dédiée à saint Étienne, elle est connue pour son ancienneté. Une villa royale est citée dès 848. Elle comprend notamment la forêt d’Obazine. Étienne s’installe avec ses frères à l’extrémité sud de cette paroisse596. Le monastère est placé dans la vicomté de Comborn mais aux confins de celles de Turenne. Il dépend ainsi à la fois des vicomtés de Turenne, Comborn et de Ventadour. Concernant les moines de Boeuil, ceuxci choisissent quant à eux les limites des paroisses de Saint-Victurnien et de Veyrac [Fig. 45]. 592 G. DEVAILLY, Le Berry du Xème au milieu du XIIIème siècle, Mouton, Paris, 1973, p. 62. J. DENIS, Prieuré de l’Artige…, op. cit., p. 19. 594 M. AUBRUN, L’Ancien diocèse de Limoges…, op. cit., p. 69. 595 S. VITTUARI, op. cit, p. 81. 596 M. AUBRUN, op. cit, p. 243. 593 - 186 - - Les termes-frontières : Afin de mieux cerner l’emplacement de ces limites difficiles à appréhender, de ces marges boisées qui souvent échappent à une définition et à une individualisation, des analyses toponymiques peuvent être d’une aide précieuse [Fig. 46]. En effet, certains termes, appelés « termes-frontières » dans l’historiographie actuelle, marquent souvent une terre de rencontre entre deux territoires, deux diocèses, et avant cela deux civitas. Ce point de rencontre peut parfois être matérialisé par un mégalithe. Ainsi, des toponymes comme fines, teminus, uxellum, icoranda ou randa sont les plus fréquents marqueurs de limites. La forme icoranda est particulièrement utile pour cerner ces frontières. Elle caractérise une limite de séparation des eaux. Les limites de seigneuries ne peuvent guère quant à elles aider à notre étude étant donné qu’elles s’étendent le plus souvent sur le diocèse voisin. Elles sont de plus trop peu stables pour être prises en considération. Une étude précise de ces termes aux marges du diocèse de Limoges montre un curieux rapprochement avec certains sites cisterciens597. Ainsi, nous pouvons relever de nombreux toponymes aux frontières actuelles de la Creuse, du Cher et de l’Indre, à savoir aux limites nord-est du diocèse de Limoges avec celui de Bourges. Le tracé de cette frontière suit la ligne de séparation des eaux du bassin de l’Indre et de la Petite Creuse. Elle est jalonnée de toponymes tels « Les Fins » à Saint-Pierre-Le-Bost (Creuse) à une quinzaine de kilomètres à l’est de l’abbaye de Prébenoît, Aigurande à deux kilomètres à l’est environ de l’abbaye d’Aubepierres. Ce dernier correspond à une « limite sèche », traduction de icoranda. Les toponymes en rand y sont particulièrement nombreux comme le soulignait Michel AUBRUN à juste titre : La Rondière et le Boirond (com. d’Orsennes), le Poirond (com. de Montchevrier) qui ne sont qu’à quelques kilomètres de l’abbaye d’Aubepierres se trouvant ainsi cernée de termes-frontières 598. À la frontière de la Creuse et de l’Indre, l’abbaye de la Colombe peut également être interprétée comme un terme-frontière. En effet, la Colombe est dérivée de columna qui pourrait signaler une colonne romaine élevée pour rendre apparents les passages de souveraineté599. Un toponyme « Entrefin » (com. Adriers) marque la rencontre des actuels départements de la Vienne et de la Haute-Vienne. De même concernant le nom la Bazeuge au nord du Dorat. Ce terme est issu de basilicae. Il s’agit de bâtiments publics pour les marchés situés sur les frontières des civitates. Nous pouvons également relever le toponyme Eygurande en Haute-Corrèze à 597 P. C. BARRIÈRE, « Les termes-frontière dans la topographie gallo-romaine », Revue des Études Anciennes, T 49, 1947, p. 160-168 ; J. HAVET, « Igoranda ou Icoranda, frontière. Note de toponymie gauloise », Revue Archéologique, 3ème série, T XX, 1892, p. 170-175 ; A. LONGNON, « Le nom de lieu gaulois Ewiranda », Revue Archéologique, 3ème série, T XX, 1892, p. 281-287. 598 M. AUBRUN, L’ancien diocèse de Limoges…, op. cit, p. 70. 599 J. PERRIER, Carte archéologique de la Gaule- Haute-Vienne, Paris, 1993, p. 33. - 187 - quelques kilomètres au nord de l’abbaye de Bonnaigue, Engueyrande à Altillac au sud-est de Beaulieu-sur-Dordogne. Les limites diocésaines sont ainsi plus clairement matérialisées, à la fois par ces termes-frontières et par l’emplacement même des sites cisterciens attirés par les limites. Outre ces toponymes, l’hagiotoponymie peut également aider à mieux cerner les marges diocésaines. En effet, le culte de Sainte-Radegonde est fréquemment associé aux zones marginales, vraisemblablement par rapprochement entre Radegonda et icoranda600. En effet, l’homophonie entre ces deux noms entraîne la substitution à des termes-frontières de saints authentiques, telle sainte Radegonde qui s’inscrit ainsi comme une traduction christianisée de l’ancien rand gaulois601. C’est une reine née vers 520, morte en 587 qui va bénéficier d’un grand renom en Aquitaine et plus particulièrement en Limousin602. Son culte, attiré par les limites, va surtout se manifester aux confins des cités puis aux frontières des diocèses de Limoges et de Clermont où la sainte est titulaire de chapelles et de fontaines qui deviennent lieux de pèlerinage le 13 août603. Toutefois, elle est honorée également aux limites des diocèses de Limoges et de Poitiers. Selon Alain PERRIER, ces lieux de dévotion seraient disposés suivant un itinéraire précis correspondant au voyage de la sainte à Arles. Elle aurait donc suivi les frontières hydronymiques604. Des cultes lui sont rendus à Villeneuve-prèsCrocq (fontaine), les Mars (canton d’Auzances), Saint-Germain-sur-Vienne (chapelle), Montroyer (commune de Saint-Aignan de Versillat), Sérandon (Corrèze) et Budelière (chapelle). L’ensemble de ces sites est invariablement situé aux limites du diocèse. La chapelle du Châtelet sur la commune de Budelière relevait de la cité des Bituriges. Elle a pu revêtir un rôle militaire de part sa position stratégique sur le chemin qui relie Évaux à la vallée du Cher, antique débouché des hauts plateaux creusois sur les plaines du Berry605. Les zones rurales de montagne sont les dernières à pratiquer le gaulois, d’où ces toponymes et hagiotoponymes issus de rand. Ces espaces sont longtemps restés réticents à la christianisation. Le gaulois disparaît plus facilement dans les classes aisées des cités qui 600 J. L. LEMAITRE (dir.), Radegonde, reine, moniale et sainte. Son culte en Limousin, Ussel, De Boccard, 2003 ; A. PERRIER, « Manifestations populaires du culte de sainte Radegonde en Limousin », dans les actes des Journées de Poitiers, Études Mérovingiennes, Paris, Picard, 1953, p. 249-252 ; M. PIBOULE, « Deux sites des confins Lémovice-Bituriges » : Saint-Marien et Sainte-Radegonde », dans les actes du 102ème Congrès National des Sociétés Savantes, Le Limousin, Études archéologiques, Limoges, 1977, Paris, 1979, p. 9-19. 601 P. C. BARRIÈRE, « Les termes-frontières dans la toponymie gallo-romaine », REA, T 49, 1947, p. 160-168. 602 J. L. LEMAITRE (dir.), op. cit., p. 14. 603 M. AUBRUN, op.cit, p. 70. 604 A. PERRIER, « Manifestations populaires du culte de sainte Radegonde en Limousin », Études Mérovingiennes, Actes des journées de Poitiers, 1952, Paris, Picard, 1953, p. 249-252. 605 M. PIBOULE, « Deux sites des confins Lémovice-Biturige : Saint-Marien et Sainte-Radegonde », Le Limousin, études archéologiques, Actes du 102ème Congrès National des Sociétés Savantes, Limoges, 1977, Paris, 1979, p. 9-19. - 188 - veulent se romaniser. À quelques kilomètres seulement de l’abbaye cistercienne de Boschaud, la commune de Villars comprend une chapelle à sainte Radegonde correspondant bien aux frontières des diocèses de Limoges et de Périgueux606. Toutefois, le culte à sainte Radegonde n’est pas systématiquement en limites diocésaines comme en témoignent certaines titulatures repérées dans le diocèse de Périgueux encourageant à nuancer notre propos. Ainsi, l’église de Milhac-D’Auberoche dédiée à sainte Radegonde n’est qu’à 10kms au sud est de Périgueux, loin des marges diocésaines. De même concernant l’église de Cladech, également dédiée à sainte Radegonde située au sud-ouest de Sarlat607. Ainsi, aussi bien les toponymes et hagiotoponymes peuvent nous apprendre sur les marges diocésaines coïncidant bien souvent avec les sites d’implantation des moines cisterciens qui trouvent sans doute un intérêt stratégique à ces emplacements : éloignement de l’autorité de l’évêque, zones déshumanisées encore recouvertes de bois pouvant correspondre au mythe du désert exprimé dans les écrits de l’ordre. Ces terres marginales pourraient ainsi bien correspondre à un saltus propre à répondre aux idéaux de saint Bernard, Guillaume de SAINT-THIERRY et Guerric d’IGNY. • Le désert dans la toponymie : les termes liés au saltus. Outre les actes de donation concernant des droits d’usages dans les bois et forêts environnantes, une analyse toponymique des sites cisterciens peut nous apprendre sur le couvert forestier et la physionomie des paysages. Les termes liés au saltus gardent parfois le souvenir de bois, friches ou marais aujourd’hui disparus et permettent d’envisager ce que pouvait être le paysage médiéval et moderne entourant les abbayes cisterciennes. Ils évoquent des bois, des marais, des friches, et leur maintien dans la toponymie actuelle peut être un indice pour notre tentative de reconstitution du paysage gallo-romain puis médiéval. La majorité des termes est connue des deux périodes, d’où notre difficulté à discerner s’ils se réfèrent à une réalité gauloise ou médiévale. Toutefois, les gaulois et les romains ont peu défriché. Les forêts forment les limites naturelles des cités tandis que les centres s’implantent au cœur de terres cultivables. Une pérennisation des bois et forêts peut être supposée durant le haut Moyen-Âge. Les défrichements n’apparaissent réellement que dans le courant du XIIème siècle sous l’action des nouveaux ordres religieux agraires et de celle plus massive mais 606 J-A. CARLES, Les titulaires et les patrons du diocèse de Périgueux-Sarlat, éditions du Roc-de-Bourzac, Bayac, 1884 (réédition 1986), p. 224. 607 J-A. CARLES, Les titulaires et les patrons du diocèse…, op. cit., p. 59- p. 93. - 189 - moins connue des laïcs608. La multiplication des termes liés au saltus près des sites cisterciens semble corroborer l’idée d’une implantation au désert dans des zones boisées. Pour une telle étude, nous bénéficions des cartes de Cassini et des cartes IGN au 1/25000ème, sources d’informations précieuses permettant non seulement de repérer certains lieux-dits cités dans les actes de donation mais aussi de lister d’autres zones dévolues au saltus aujourd’hui humanisées. Toutefois, cette étude demeure incomplète : certains sites médiévaux n’ont laissé aucune trace dans la toponymie et ne peuvent être cartographiés. De plus, il est souvent délicat, d’après un seul de toponyme, d’attester de source sûr sa datation (époque gallo-romaine, médiévale ou moderne). Cette analyse toponymique reste donc nécessaire mais de fait sujette à caution. Les toponymes les plus fréquents dans ces marges autrefois dévolues au saltus sont les dérivés de bois tels « bost » ou « breuil » qui laissent présager l’environnement très boisé jusqu’à l’époque médiévale avant les premiers défrichements d’envergure au XIIème siècle. « Breuil », du gaulois bragilo, est synonyme de bois taillis, généralement marécageux 609. Gabriel FOURNIER le décrit comme un terrain laissé inculte et occupé par une végétation arbustive610. Les toponymes issus de silva (seauve dans le Croissant linguisque correspondant à une partie de la Marche Limousine et du sud du Berry) appartiennent surtout à l’époque mérovingienne tandis que forestis désigne le domaine du roi ou du seigneur à l’époque carolingienne611. Les alentours proches de l’abbaye d’Aubepierres présentent de nombreux termes liés au saltus tels « Le Feschaud » issu de « silva faya », le hêtre. La carte IGN révèle les toponymes « Brousse » au nord de l’abbaye, « le Bois du Bouchet », « Nouzerolles » (le noyer), « la Jarrige », le « Bois de Parnac », « La Sagne » et la « Bussière » (buis) au sud du site monastique612. « La Sagne », dérivé de l’ancien occitan sanha se rapporte à des lieux où l’eau abonde, à des marais ou des sources [Fig. 47]. La carte de Cassini signale près d’Aubignac un toponyme « La Bétoule » faisant référence au bouleau. La forme bettullu (bouleau) est très fréquente dans cette zone de frontière linguistique appelé le Croissant613. Le Croissant est une zone de parlers 608 G. DEVAILLY, Le Berry du Xème au milieu du XIIIème siècle, Paris/ La Haye, 1973, p. 287. A. DAUZAT, La toponymie française, Paris, 1960, p. 62. 610 G. FOURNIER, Le peuplement rural en Basse-Auvergne durant le haut Moyen-Âge, Thèse de doctorat, Paris, 1962, p. 288. 611 M. VILLOUTREIX, Les noms de lieux de la Creuse : archéologie et toponymie, Limoges, 1989, p. 31 612 IGN Série Bleue, 1/25000ème, Dun-Le-Palestel, 2128 E. 613 G. BRUN-TRIGAUD, « Deux types toponymiques symptomatiques d’une zone intermédiaire : les aboutissements d’oratoriu et de bettulu « bouleau » dans le Croissant », Onomastique et langues en contact, Actes du colloque de Strasbourg, 1991, ABDO, 1992, p. 181-188. 609 - 190 - intermédiaires d’une grande diversité qui s’étend sur 250 kms de long et 50 kms de large au nord de la Haute-Vienne et de la Creuse, au sud de l’Allier de même qu’au nord du Puy-deDôme. Ainsi, aux frontières du Berry et de la Marche, Méasnes, Lourdoueix-saint-Michel et Mortroux relèvent de la langue d’Oc, Saint-Plantaire, Montchevrier et Aigurande de la langue d’Oïl614. « Le Bois » est situé à l’ouest de l’abbaye d’Aubignac. La forêt de Saint-Germain est indiquée au sud-est de l’implantation du site cistercien. La carte IGN permet d’ajouter à cet inventaire « le Grand Bois » au sud de l’abbaye, « Les Bois Chardon », « Le Bois Bertrand », « Le Bois de la Maison seule », « le Bois de la Chaume », « La Forêt Batée » et le « Bois des Gorses ». « La forêt au comte » ne devait pas appartenir aux moines d’Aubignac. Un lieu-dit « Labetoulle » témoigne de la présence de bouleaux au nord du monastère [Fig. 48]615. Le site de l’abbaye de Bonlieu devait être dévolu au saltus si l’on se réfère à la forte présence de termes liés aux bois et aux friches. Nous pouvons citer « le Breuil », « la Jarrige », « le Bétoux », le « Bois » et le « Boix » présents aux alentours du site. La carte IGN permet d’y ajouter le « Bois des Reboules », le « bois de la Bonnette », le « bois Poissin » le « Bois des Souchères » encore très étendu aujourd’hui, le « bois de la Brégère », le « Breuil Coton » [Fig. 49]616. L’abbaye de la Colombe est de même cernée de termes liés aux bois et forêts tels « les taillis » et le « bost » au nord-est du site, « la Jarige » au sud-ouest. La carte IGN permet d’y adjoindre les « chaumes » et les « grandes chaumes » liées à des friches, « le Breuil » et le « bois d’Hôme » [Fig. 50]617. Concernant l’abbaye des Pierres, nous pouvons également inventorier un certain nombre de toponymes pouvant aider à notre tentative de reconstitution du paysage médiéval. Ainsi, nous relevons les termes « les Fougères », « le Châtaignier rond », « le gros buisson », « les trois chênes », « le bois du mas », le « Bois de l’abbaye » et le « bois de la Roche » qui nous renseignent sur l’importance du couvert forestier et sur les essences qui le constituent618. La carte de Cassini nous permet d’y ajouter le « Bois de Puchent », le « Breuil » au nord-est du site, la « Betoulle », le « bois Derondais » et le « Bois des Eguilles » au nord-ouest [Fig. 51]. Quant à l’abbaye de Prébenoît, nous pouvons relever le « Bois Vieux », « les Bracons » (marais), « le Bost », la « Forest », les « Ajoncs », « Les Boissières », les « Fougères » et les « Bétoulles » évoquant des bois, friches et marais. Le terme « bracons » 614 G. MARTIN, Aigurande ou histoire d’une frontière, Guéret, 1896, p. 38. IGN Série Bleue, 1/25000ème, Saint-Sébastien, 2128 O. 616 IGN Série Bleue, 1/25000ème, Gouzon, 2329 O. 617 IGN Série Bleue, 1/25000ème, Lussac-les-Eglises, 2028 O. 618 IGN Série Bleue, 1/25000ème, Châteaumeillant, 2327 O. 615 - 191 - issu du gaulois bracos signifie en effet le marais tandis les « Boissières » désigne un lieu recouvert de buis, souvent révélateur de sites anthropiques et indices de vestiges galloromains. La carte IGN nous permet d’ajouter à cet inventaire le « Bois de l’Abbaye » [Fig. 52]619. L’abbaye de Varennes livre par ailleurs beaucoup moins de termes liés au saltus. Nous pouvons relever « la loge des bois » apparaissant sur la carte IGN au nord-est du site, le « Chassin », « les Chaumes » et « Fougerolles » au nord. La carte de Cassini permet d’y ajouter « la Forest » au nord-ouest, « le Bois du Chassin » au nord-est, le « Bois de Villemort » au niveau de Fougerolles620. L’étymologie de Varennes est également liée au saltus. Elle est issu du latin arena, le sable et de vara, l’eau. Selon l’Encyclopédie, ce terme désigne des fonds plats et marécageux situés entre les deux coteaux d’une rivière, définition qui convient tout à fait au monastère blotti dans la vallée du Gourdon. Le nom même de ce ruisseau renvoie à un point d’eau profond et bourbeux. Les terres une fois drainées ne sont guère destinées à la culture mais constituent de bons pâturages. Il pourrait s’agir également d’une autre forme du mot « garenne » qui s’applique à des sols ingrats, non cultivables, que la noblesse réserve à la chasse. Ainsi, en considérant l’étymologie même de Varennes, il semblerait bien que le monastère se soit implanté dans une zone dévolue au saltus [Fig. 53]621. L’abbaye de Dalon correspond à un îlot de défrichement entre la forêt domaniale de Born et le Bois Noir à l’est. La carte IGN révèle de nombreux toponymes liés au saltus : la « Forêt Basse » au nord, « La Chassagne » et les « Grands Bois » à l’est de Sainte-Trie, « Le Bois Nouveau » et le « Bois Noir » à l’est de Dalon et les « Bois Rosiers » au sud-ouest du site monastique622. Ces toponymes révèlent l’importance du couvert forestier avant les défrichements systématiques [Fig. 54]. L’abbaye de Boschaud apparaît entourée de bois. La carte IGN signale le « Bois de Mousseau », la « Forêt de Lafarge », « Le Bost » prolongés par le « Bois de Coulonges ». « Les Grands Bois » sont situés au sud de la tenure de Jayac appartenant aux moines cisterciens [Fig. 55]. Quant à l’abbaye de Peyrouse, les toponymes liés au saltus sont aussi très nombreux. Nous pouvons relever « Le Châtaignier » au nord de l’abbaye dans la direction de Saint-SaudLacoussière, le « Bos de Neymard » et le « Bos-Brûlat » au nord-ouest du site, « la Forêt » et 619 IGN Série Bleue, 1/25000ème, Châtelus-Malvaleix. IGN Série Bleue, 1/25000ème, Neuvy-Saint-Sépulchre, 2227 O. 621 G. WOLKOWITSCH, L’abbaye royale Notre-Dame de Varennes (…), op.cit., p. 2. 622 IGN Série Bleue, 1/25000ème, Hautefort, 2034 O. 620 - 192 - la « Forêt de Beynac » au nord de l’abbaye ainsi que le « Petit Bos ». « Le Buisson » est indiqué au nord-est du site monastique [Fig. 56]623. Concernant Obazine et Coyroux, les termes liés au saltus sont très fréquents et permettent d’imaginer l’ampleur d’un couvert forestier encore important de nos jours. « Le Bois d’Aillac » est situé au nord des monastères. Il apparaît sur la carte de Cassini sous la graphie « bois d’Alaix ». « La Forêt de Palazinges » est encore très étendue aujourd’hui. « Le Bois Clair », « Le Bois Grand » et le « Bois du Rieux » sont situés au sud de l’abbaye, « Le Breuil » au sud d’Albignac et le « Bos Vieil » au sud-ouest d’Obazine, près de Dampniat [Fig. 57]624. L’abbaye de Derses n’est pas indiquée sur la carte de Cassini. La carte IGN permet de repérer des toponymes tels « Les Chassagnades » au sud, « le Bois l’Aiguille » et le « Bos Franc » au sud-ouest liés au saltus [Fig. 58]625. Sur la carte de Cassini, l’abbaye de Grosbot est signalée « Gros Bois », graphie éclairant sur la signification du nom choisi par les moines. La forêt d’Horte y est représentée relativement étendue, et c’est encore le cas aujourd’hui. La carte IGN présente l’abbaye comme un îlot de défrichement au cœur de cette forêt. Les termes liés au saltus y sont nombreux : « Bois de la Tâche », « La Forêt », le « Chêne Vert » au nord ; le « Bois du Boucheron », « Bois du Lac des Cuves », « Bois du Soulier » à l’est ; la « Petite Forêt » et le « Bois Boureau » à l’ouest [Fig. 59]626. La carte de Cassini signale le toponyme « Le Breuil » au nord-est de l’abbaye de Valette. Les moines se sont implantés dans une zone encore très boisée aujourd’hui : la forêt domaniale de Miers est prolongée à l’ouest par le « bois de Tarrieu », le « Bois de Lagrillère », le « bois de Lachaux », le « Bois de Charel », le « Bois de Brieu » et le « Bois Grand » [Fig. 60]627. D’après les cartes de Cassini et IGN, l’abbaye de Bonnaigue est située au cœur d’un îlot de défrichement entre le « Bois de Pécey » et le « Bois de Bonnaygue ». Au nord, les toponymes « Larfeuille » et « la Jarrige » sont liés au saltus. Le « Bois Bonnet » et le « Bois de la Prade » sont indiqués au sud du site monastique [Fig. 61]628. Concernant l’abbaye du Palais, nous pouvons également constater la présence de nombreux termes liés au saltus comme les « Fayes » à l’ouest de l’abbaye témoignant la 623 IGN Série Bleue, 1/25000ème, Saint-Pardoux-La-Rivière, 1933 O. IGN Série Bleue, 1/25000ème, Beynat-Meyssac, 2135 E. 625 IGN Série Bleue, 1/25000ème, Tulle, 2134 E. 626 IGN Série Bleue, 1/25000ème, Montbron, 1832 O. 627 IGN Série Bleue, 1/25000ème, Mauriac, 2334 O. 628 IGN Série Bleue, 1/25000ème, Eygurande, 2332 E. 624 - 193 - présence de hêtres sur le site ou encore « Les Châtaigniers » à l’est de Quinsat. « Le Bois du Transet », encore assez étendu aujourd’hui, montre l’attirance certaine des moines blancs pour les zones boisées [Fig. 62]629. De même concernant l’abbaye de Boeuil entourée de toponymes liés au saltus tels « Le Buisson », le « Petit Buisson » au sud-est de l’abbaye, « les taillis » au sud-ouest, « La Châtaignerie » et les « Châtaignolles » au sud-ouest nous renseignant sur les essences d’arbre les plus fréquentes [Fig. 63]630. • Hagiotoponymie : Outre cette récurrence des termes liés au saltus laissant présager de l’implantation des moines cisterciens dans un désert relatif, l’hagiotoponymie peut également témoigner de l’importance des zones boisées à l’époque médiévale sur les sites pris en compte dans cette étude. En effet, nous pouvons constater la forte présence d’un culte à saint Silvain notamment en Haute-Marche, phénomène déjà mis en exergue par Michel AUBRUN dans son étude du diocèse de Limoges. Saint Silvain est un saint berrichon étroitement lié aux zones de friches et de saltus et dont la récurrence ne peut que conforter les conclusions énoncées suite à l’étude toponymique [Fig. 64]. Saint Silvain est connu pour être le compagnon de saint Martial, envoyé par saint Pierre pour évangéliser le Poitou, le Limousin, la Marche et le Berry 631. Par la suite il serait devenu un guérisseur connu pour soigner les convulsions infantiles. Il meurt à Levroux et serait inhumé à la Celle-Bruère en Berry. Son culte est attesté dès le dernier tiers du VIIIème siècle dans le martyrologe hiéronymien de Berne632. En Haute-Marche, il est honoré à Bonnat, Saint-Silvain-Bellegarde, Saint-Silvain-Montaigut, Saint-Silvain-Sous-Toulx et Saint-SilvainBas-Le-Roc. Le nord-ouest de la Creuse actuelle reste ainsi fidèle à l’ancienne dévotion, présente également en Poitou et en Loir-et-Cher633. Elle ne connaît cependant qu’une faible expansion634. Jean PERRIER signale un culte à saint Silvain à Verneuil-Moustiers au nordouest du diocèse de Limoges mais sans toutefois préciser s’il s’agit de Silvain de Levroux ou 629 IGN Série Bleue, 1/25000ème, Bourganeuf, 2130 E. IGN Série Bleue, 1/25000ème, Saint-Junien, 1931 E. 631 Nous connaissons également un autre Silvain honoré à Ahun où il fut martyrisé mais dont le culte s’est très peu répandu. 632 Bernensis 289 : « au bourg berrichon de Levroux Saint Silvain et Saint Sylvestre », cité par J. P. SAINTAUBIN, « Le culte de saint Silvain en la collégiale de Levroux, son origine », RAC, 1971, p. 47-52. 633 En Poitou, il existe une fontaine saint Silvain à Mairé et une église Saint-Silvain de la Chaux sur la commune de Genouilly. En Loire-et-Cher, il est honoré à Noyers. 634 M. M. du MURAUD, « Le culte de saint Silvain dans la Creuse », MSSNAC, T XXV, 1932, p. 363-368. 630 - 194 - d’Ahun635. Ce dernier est essentiellement honoré à Ahun, Saint-Laurent-Les-Églises (Ambazac), Château-Chervix (Saint-Germain-Les-Belles) et Guéret636. Le saint peut être rapproché de l’ancienne divinité agraire des Romains, Silvanus, oubliée à l’époque impériale excepté au sein des communautés rurales. Pour VIRGILE, il s’agit du « dieu des troupeaux et des champs », champs obtenus par les défrichements de la forêt primitive silva. C’est une divinité de la classe des éleveurs-agriculteurs, des bois et des vergers, des jardins et des champs, protecteur des troupeaux et des chaumières. Il veillerait ainsi à la fois sur le saltus et l’ager637. Saint Silvain entrerait alors dans le cadre de la christianisation des cultes païens et se serait peu à peu substitué à l’antique Silvanus638. Le Silvanus romain aurait lui-même supplanté le Dis Pater gaulois dont parle César. En effet, nombre de divinités guerrières tendent à être oubliées suite à la longue paix romaine, d’où la moindre faveur accordée au dieu infernal Dis Pater au profit de l’inoffensif saint Silvain639. Celui-ci est ainsi avec les zones de saltus plus réticentes à la christianisation, attachées aux cultes païens liés aux forêts et au monde végétal. La forte présence de ce culte en HauteMarche et au sud du Berry confirme les analyses toponymiques qui visaient à définir ces espaces comme des « déserts », des terres en friches encore relativement dévolues au saltus. Pour Bruno PHALIP, Silvain apparaît indéniablement comme le protecteur des espaces boisés ou du saltus. Il faut selon lui en déduire l’importance prise par ces forêts ponctuées de paroisses dédiées à saint Silvain dans la Marche et le Limousin puisque « ces protections miraculeuses ou ces manifestations d’admiration, liées aux constructions charpentées, sont trop fréquentes, au-delà des conventions littéraires pour ne pas alerter »640. Ainsi l’analyse des actes de donation, les études toponymiques et hagiotoponymiques semblent confirmer l’implantation au désert des moines cisterciens soucieux de se conformer à un idéal largement exprimé dans les textes de l’ordre. Le choix de marges boisées paraît quasi systématique. Si le Palais et Boeuil ne sont pas implantées aux limites des diocèses, la présence d’un important couvert forestier est toutefois attestée. À en juger par ces témoins indéniables, on pourrait croire en la réussite des moines blancs dans leur volonté d’isolement 635 J. PERRIER, Carte archéologique de la Gaule- Haute-Vienne, Paris, 1993, p. 33. M. AUBRUN, L’ancien diocèse de Limoges…, op. cit, p. 281. 637 G. JANICAUD, « Le pays creusois à l’époque gallo-romaine, la religion », MSSNAC, T XXXI, 1953, p. 313351. 638 M. PICHON, « Saint Silvain », MSSNAC, T XXXVI, 1967, p. 431-439. 639 D. JANICAUD, « Les cultes locaux à l’époque romaine dans la Creuse », MSSNAC, T XXVII, 1940, p. 385395. 640 B. PHALIP, Charpentiers et couvreurs. L’Auvergne médiévale et ses marges, DARA, n°26, Lyon, 2004, p. 75. 636 - 195 - au cœur de solitudes boisées impénétrables. Toutefois, une étude précise du cadre de l’occupation gallo-romaine, du réseau paroissial, du peuplement du Haut Moyen-Âge est nécessaire pour juger d’une réelle installation sur des terres déshumanisées. Les cartulaires et actes conservés permettent aussi de prendre la mesure de l’importance des rapports avec l’épiscopat, les seigneurs et les autres communautés religieuses. Après des premiers temps érémitiques et solitaires semblent s’imposer invariablement un glissement du saltus vers l’ager, une économie de surplus et une insertion dans les flux de commerce et d’échange, ce dès la fin du XIIème siècle. 4. Un désert illusoire : Nous avons pu percevoir à travers une étude toponymique, hagiotoponymique et des actes de donation que les moines cisterciens de l’ancien diocèse de Limoges et de ses marges semblent choisir prioritairement des terres dévolues au saltus, des espaces boisés en marge des diocèses. Cette volonté de retrait au désert est exprimée dans les textes des grandes figures de l’ordre dès les premiers temps de l’histoire cistercienne, relayée par l’hagiographie contemporaine (Vita de saint Étienne d’Obazine) et jusqu’au XIXème siècle dans les écrits d’érudits locaux. Ceux-ci décrivent en effet les sites de l’ordre comme de vastes et horribles solitudes. Toutefois, nous devons nous interroger sur le caractère « déshumanisé » des paysages d’implantation de ces moines blancs. Ces terres dites incultes et ingrates n’ont-elles véritablement jamais connu de présence humaine ? Qu’en était-il à l’époque gallo-romaine, au haut Moyen-Âge ? D’autre part, les cisterciens peuvent-ils vraiment vivre en retrait du siècle alors même qu’ils acceptent les libéralités seigneuriales, ayant souvent pour fréquente contrepartie le droit d’inhumation dans l’abbatiale ? Ils bénéficient des bienveillances des évêques, des rois de France ou d’Angleterre qui sont souvent pour beaucoup dans leur choix du site d’implantation et aident financièrement les moines lors de premières années précaires. Les abbayes cisterciennes pourraient ainsi devenir des lieux de pouvoir et d’échanges inattendus, de contacts entre moines et laïcs, des relais mais aussi des enjeux du pouvoir comme le soulignait Anne-Marie FLAMBARD HÉRICHER à propos des abbayes bénédictines normandes641. Les moines blancs tendent de plus à commercialiser certains de leurs produits en surplus et obtiennent pour ce faire des maisons dans les villes environnantes, remettant sérieusement en cause le mythe d’une vie au désert, loin des préoccupations urbaines. René LOCATELLI 641 A-M. FLAMBARD HÉRICHER, « Introduction » dans A-M. FLAMBARD HÉRICHER, Les Lieux de pouvoir au Moyen-Âge en Normandie et sur ses marges, CRAHM, Caen, 2006, p. 1-4. - 196 - met en lumière le fait que les moines blancs recherchent vraisemblablement moins la solitude que des terres propices à la culture, des espaces suffisants pour leur développement. Ils s’insèrent progressivement dans le monde par la détention d’églises, les acquisitions d’immeubles (moulins), de rentes, d’hommes. Il existe donc un décalage sensible entre l’idéal cistercien et la réalité monastique642. • Le cadre de l’occupation gallo-romaine : Une étude précise de l’occupation gallo-romaine sur les communes concernées par notre propos peut permettre de mieux connaître le paysage d’implantation des abbayes cisterciennes et de préciser si ces sites ont déjà connu une humanisation ou si les moines blancs « colonisent » véritablement de nouvelles terres « déshumanisées ». Les moines blancs s’implantent sur des terres où l’installation d’une église paroissiale est relativement tardive, ce qui ne signifie toutefois pas le peuplement tardif de la paroisse. Pour Michel AUBRUN, « Il est des paroisses tardives où l’on relèvera au chef-lieu des traces d’habitat gallo-romain, preuve évidente que le peuplement ancien n’a pas suscité l’installation d’une église »643. Pour cette étude du peuplement gallo-romain, les Cartes Archéologiques de la Gaule ainsi que des réflexions sur la toponymie sont des outils indispensables et précieux sur lesquels nous avons pu appuyer notre analyse644. En Haute-Marche, la commune de Méasnes sur laquelle est établi le monastère d’Aubepierres a livré une trentaine de sépultures à incinération (notamment à Lavaud à quelques centaines de mètres au nord de l’abbaye) ainsi que deux villae. L’une est à la Vacheresse à l’est du monastère. Une voie romaine d’Aigurande à Argenton passe par le hameau de Chézeau-Limousin à quelques kilomètres seulement au nord-est de l’abbaye d’Aubepierres. Ce toponyme « Chézeau » est d’ailleurs d’origine gallo-romaine, dérivé de casa qui désigne une habitation rurale ou un enclos 645. La toponymie est intéressante pour 642 R. LOCATELLI, Sur les chemins de la perfection. Moines et chanoines dans le diocèse de Besançon vers 1060-1220, CERCOR, Université de Saint-Étienne, 1992, p. 419. 643 M. AUBRUN, L’ancien diocèse de Limoges..., op. cit., p. 224. 644 J. F. CHEVROT, J. TROADEC, Carte archéologique de la Gaule, Cher, Paris ; G. COULON, J. HOLMGREN, Carte archéologique de la Gaule, Indre, Paris, 1992 ; D. DUSSOT, Carte archéologique de la Gaule, Creuse, Académie des inscriptions et des Belles Lettres, Paris, 1989 ; H. GAILLARD, Carte archéologique de la Gaule. La Dordogne, Paris, 1997 ; G. LINTZ, Carte archéologique de la Gaule- Corrèze, Paris, 1981 ; J. PERRIER, Carte archéologique de la Gaule- Haute-Vienne, Paris, 1993 ; M. PROVOST, C. MENNESSIER-JOUANNET, Carte archéologique de la Gaule, Clermont-Ferrand, Paris, 1994 ; C. VERNOU, Carte archéologique de la Gaule. La Charente, Paris, 1993. 645 M. VILLOUTREIX, Les noms de lieux de la Creuse : archéologie et toponymie, Association des Antiquités Historiques du Limousin, Limoges, 1989, p. 43. - 197 - mieux cerner l’empreinte gallo-romaine sur ces paysages. Le nom de « Méasnes » est en effet issu de medianas signifiant le domaine du milieu [Fig. 47]. La commune de Peyrat-La-Nonière est riche en vestiges gallo-romains. L’abbaye de Bonlieu n’est ainsi pas réellement implantée dans une solitude n’ayant jamais connu l’implantation humaine. Dans le bourg, à quelques kilomètres à l’ouest du monastère ont été retrouvées des haches, des sépultures ainsi que des lions en granite. Les bourgades proches de l’abbaye ont révélé des amphores vinaires (Chiroux), des sépultures à incinérations (Arcy, Chaux), les ruines d’un sanctuaire (La Chassagne), ainsi que des tessons de sigillées (Voreille). Une étude toponymique peut nous apprendre sur cette ancienne humanisation gallo-romaine. Le toponyme maceria en particulier désigne un mur de clôture en pierres sèches pouvant correspondre à des ruines gallo-romaines ou du haut Moyen-Âge. Ainsi, le mas de Mazerolles donné à l’ermite Géraud de Sales et qui prendra par la suite le nom de Bonlieu n’était pas vraiment un désert et avait sans doute déjà connu la présence des hommes646. De même, les fréquents toponymes « boueix », « bussière », « boissière » mis en évidence lors de notre étude des termes liés au saltus peuvent être également interprétés comme des témoins d’une anthropisation. Nous avions insisté sur leur présence non loin des sites cisterciens, particulièrement en Haute-Marche. Par ailleurs, l’ancienne voie reliant Ahun à Évaux franchit le pont de Bonlieu [Fig. 65]. Il nous paraît dès lors important de relativiser ce terme de désert semblant difficilement compatible avec la réalité des paysages et de l’implantation humaine [Fig. 49]. La commune de Bétête a quant à elle livré une sépulture à incinération au Theix et une pierre d’entablement dans le parc du château de Moisse qui faisait partie des terres relevant des moines de Prébenoît. Une chaussée antique relie Aigurande à Clermont par Évaux : elle traverse Genouillac, Theix et Jalesches au sud de l’abbaye de Prébenoît. Jean-Michel DESBORDES met également en évidence un ancien itinéraire reliant Aigurande et Tercillat tenant lieu de rocade frontalière entre le pagus des Bituriges et celui des Lémovices et pourrait ainsi revêtir une origine politique [Fig. 52]647. L’abbaye d’Aubignac appartient à l’actuelle commune de Saint-Sébastien présentant de même une occupation gallo-romaine certaine puisqu’un fanum a notamment été découvert à Parchimbaud au nord-est du monastère [Fig. 48]. La commune de Thauron dans laquelle est située l’abbaye du Palais est riche en vestiges gallo-romains. Autour du bourg, un vaste camp retranché est signalé comme étant un 646 M. VILLOUTREIX, Les noms de lieux de la Creuse (…), op. cit, p. 26. J. M. DESBORDES, Voies romaines en Limousin, Travaux d’Archéologie Limousine, 3ème supplément, Limoges, 1995, p. 51. 647 - 198 - oppidum. Une première enceinte est en partie détruite tandis qu’une seconde mieux conservée l’entoure. Plusieurs sépultures à incinération ont été recensées dans le bourg de même qu’un autel formé d’un cube couronné d’un entablement. À la « Chaise » où les moines du Palais ont implanté une de leurs granges, un cippe en granite a été mis au jour. Derrière le Palais, dans le bois des Fraulets, de nombreuses ruines ont été repérées. Une ancienne voie longe les vestiges. Au Mont-du-Transet, une villa antique est encore identifiable par de nombreux vestiges. À quelques kilomètres du Palais, à Pontarion, a été découvert un cimetière galloromain témoignant de la présence de population bien avant l’époque médiévale. Il est situé aux Sagnes, à 500m au sud-ouest de l’entrée du bourg de Pontarion. En 1904 sont découverts à l’occasion des labours une quinzaine d’ossaria cylindriques ou cubiques contenant des cendres et des ossements, ainsi que des tuiles romaines et des tessons. La voie romaine de Limoges à Ahun par Bourganeuf passait d’ailleurs à Pontarion où son tracé se trouve actuellement recouvert par la N 141, à 400m de ce cimetière gallo-romain [Fig. 62]648. Il nous semble évident que les cisterciens ont ici opté pour une terre ayant déjà connu une forte humanisation à l’époque gallo-romaine et dont certaines installations étaient peutêtre encore visibles, la voie ancienne sans doute encore utilisée649. La Carte archéologique du Cher révèle sur la commune de Sidiailles le lieu-dit « camp romain » à quelques kilomètres au nord-est de l’abbaye des Pierres signalant la présence d’un oppidum sur un éperon rocheux, délimité au nord et au sud par les vallées de deux ruisseaux et à l’est par les gorges de l’Arnon. Selon Olivier TROTIGNON, ce vaste camp retranché se constitue d’au moins quinze hectares clos de grands murs de terre. Les immenses remparts fossoyés semblent avoir bouleversé un cimetière gallo-romain. Pour lui, la présence de céramique des débuts de l’ère chrétienne dans les remblais expliquerait la confusion de cette forteresse médiévale avec un camp romain [Fig. 51]650. Les sites de Champillet et Néret, non loin de la grange d’Aignerais dépendante de l’abbaye des Pierres ont livré des vestiges de temples octogonaux651. La voie de Châteaumeillant à Néris passe au sud-est de Sidiailles au niveau d’un ancien oppidum gaulois situé non loin de l’abbaye des Pierres. 648 R. CALINAUD, M. CHAUSSADE, « Cimetière gallo-romain des Sagnes de Pontarion », MSSNAC, T 36, 1968, p. 464-467. 649 D. DUSSOT, op. cit. 650 O. TROTIGNON, Les puissances féodales en Berry Aquitain Oriental du XIème au XIIIème siècles. Conquête et organisation de la mouvance de la seigneurie de Déols, DEA d’Histoire Médiévale, dir. Bernard CHEVALIER, Tours, 1988, p. 20. 651 J. P. SURRAULT (dir.), L’Indre, le Bas-Berry de la Préhistoire à nos jours, Saint-Jean d’Angély, 1990, p. 99. - 199 - Néanmoins, les communes de Tilly et de Fougerolles correspondant respectivement aux abbayes de La Colombe et de Varennes n’ont pas livré à ce jour de mobilier gallo-romain. Varennes est toutefois située sur la voie de Châteaumeillant à Argenton [Fig. 66]. Concernant l’abbaye de Boeuil en Haute-Vienne, le canton de Nieul a révélé de nombreuses traces d’occupation gallo-romaine. Trois aurei frappés sous le règne d’Antonin le Pieux sont inventoriés sur la commune de Nieul. La commune de Peyrilhac recense à la « Boisserie » des tuiles à rebords et des tessons, à la « Trachaussade » des vestiges de la voie Limoges-Poitiers révélés par des photographies aériennes. Sur la commune de Veyrac ont été découverts autour de la ferme de Chatrusse des enclos quadrangulaires imbriqués ainsi que des réseaux de fossés, des sépultures gallo-romaines à incinération en urne de terre cuite, des tuiles à rebords à Glane, un aureus d’Antonin le Pieux à Chapelles-du-Queyroux ainsi que des ruines gallo-romaines, des canalisations, des briques et des tegulae à l’ouest de Peury. Ainsi les environs de l’abbaye de Boeuil semblent déjà avoir connu une humanisation. Irène AUBRÉE insiste sur la proximité de voies de communication importantes tel l’itinéraire de Limoges à Saint-Junien, portion de la voie menant de Lyon à Saintes à moins d’un kilomètre de l’abbaye. Les moines blancs ne s’isolent ainsi pas totalement et préfèrent la proximité de voies anciennes652. Ce choix d’installation près d’une voie de communication ancienne n’est pas rare chez les cisterciens puisque l’abbaye de Cîteaux par exemple est bordée de deux anciennes voies romaines quittant Dijon et de la route du sel. Le monastère ne peut être ainsi véritablement qualifié de désert, mais il est perçu comme tel par les arrivants en raison de son important écran forestier653. Une occupation gallo-romaine d’importance est attestée dans l’actuel département de la Corrèze, traversé par d’anciennes voies tel l’itinéraire de Clermont à Périgueux [Fig. 67]. Cette voie aisément observable mesure 7.5m de large et se constitue d’une chaussée bordée de chaque côté par un fossé. Deux couches de pierres sont séparées par une mince couche de terre sableuse. Les communes intéressant notre étude ont révélé : à Beynat (Faure) un coffre contenant une urne cinéraire, à Auriac (Groussac) des tegulae, à Saint-Hilaire-Peyroux (La Glane) des tegulae ainsi qu’un coffre funéraire avec une urne en verre654. La Dordogne révèle un important réseau de voies « préromaines » désignées sous le nom de « pouges », à savoir de chemin de hauteur dont le toponyme est formé sur le latin podium. La liaison Cahors/Limoges traverse Domme, Sarlat, Montignac et Hautefort [Fig. 652 J. PERRIER, op. cit, p. 160. L. VEYSSIÈRE, « Représentations du désert cistercien primitif », dans M. AURELL, T. DESWARTE (dir.), Famille, violence et christianisation au Moyen-Âge. Mélanges offerts à Michel Rouche, PUPS, 2005, p. 239-250. 654 G. LINTZ, op. cit, p. 72. 653 - 200 - 68]. Elle doit sans doute sa promotion à la création de l’évêché de Sarlat au XIVème siècle mais reprend vraisemblablement le tracé d’un itinéraire plus ancien 655. Hervé GAILLARD signale que les secteurs faiblement occupés correspondent aux massifs forestiers, aux reliefs karstiques et granitiques tels les environs de Saint-Pardoux-La-Rivière, de Hautefort et d’Excideuil où s’est justement implantée l’abbaye de Dalon. Des habitats de métallurgistes ont été découverts à Excideuil (Sarconnat), dans un champ à la terre noire, couvert de scories, de tegulae et de tessons de céramiques. Il s’agit d’un bâtiment carré de 16m de côté bâti en petit appareil de pierres sèches dont un angle présentait des assises en épi. Des fragments de moules en mortier réfractaire portant des empreintes de chevilles de fente moulés ont été mis au jour. Le paysage de l’abbaye de Dalon aurait ainsi connu la présence d’artisans dès l’époque gallo-romaine. Sur la commune d’Excideuil a également été repéré un itinéraire d’origine protohistorique joignant Excideuil à Saint-Yrieix-la-Perche par Glandon656. Quant à l’abbaye de Peyrouse, elle se situe à proximité de la « Grande Pouge » reliant le Limousin à Saint-Pardoux657. L’actuel département de la Charente où est implantée l’abbaye de Grosbot est traversé par les voies menant d’Angoulême à Nontron, et d’Angoulême à Périgueux en passant par Charras à quelques kilomètres seulement du site d’implantation des moines blancs [Fig. 69]. L’homme semble avoir privilégié des terrains géologiques secondaires comme le Cognaçais, le Barbezilier, les plateaux calcaires de l’Angoumois et les sols calcaires de Villefagnan. La commune de Charras à proprement parler a révélé au lieu-dit « la Grosse Forge » des monnaies gauloises du type lémovice, du minerai de fer et des scories, des poteries romaines. Il pourrait s’agir d’une ancienne forge comme celle de Sarconnat. Les cisterciens ne peuvent ainsi être pleinement considérés comme des pionniers humanisant des terres jusque là vides d’hommes658. Ces remarques peuvent aisément s’appliquer à d’autres diocèses et d’autres monastères. En 2002, Yves ESQUIEU étudie les anciennes occupations humaines sur le site du Thoronet et témoigne de la présence de tombes en bâtière des IIIème-IVème siècles, d’un four de potier et d’une plaque-boucle de l’époque mérovingienne, de sépultures galloromaines et du VIIIème-Xème siècles. Un atelier de potier de l’Antiquité tardive est 655 H. GAILLARD, op. cit, p. 48. H. GAILLARD, op. cit, p. 116. 657 C. DESPORT, Deux abbayes cisterciennes du Périgord : Boschaud et Peyrouse, mémoire de maîtrise d’Histoire médiévale sous la direction de Bernadette BARRIÈRE, Limoges, p. 51. 658 C. VERNOU, op. cit, p. 150; L. De La BASTIDE, « Les voies romaines et mérovingiennes dans le département de la Charente », BSHAC, T 12, p. 4-81. 656 - 201 - découvert lors des fouilles de l’actuelle porterie en 1996. Le site du Thoronet n’a ainsi pas toujours été un désert659. De même, MAURO LOI a montré que les moines de Morimondo ne se sont pas implantés dans un lieu isolé malgré les préceptes de la Charte de Charité. Le site est bordé d’une ancienne route marchande romaine et d’une voie fluviale. À l’époque romaine, des centuriations avaient rendu la région fertile660. L’étude des cartes archéologiques est alors significative d’une humanisation de ces salti à l’époque gallo-romaine, ce qui permet de relativiser l’idée d’une implantation des moines dans des solitudes ingrates à coloniser. Toutefois, ces territoires ont pu être désertés durant le Haut Moyen-Âge, d’où le sentiment des moines blancs d’occuper des terres vierges et déshumanisées. • Réseau paroissial et peuplement du Haut Moyen-Âge au XIIème siècle : Si les sites cisterciens ont déjà connu une humanisation à l’époque gallo-romaine, reste à déterminer si les populations du haut Moyen-Âge jusqu’au XIIème siècle ont continué à les occuper ou s’ils se sont progressivement déshumanisés jusqu’à l’arrivée des moines blancs. Il n’est par ailleurs pas rare que des abbayes cisterciennes s’implantent sur des terres ayant déjà connu l’occupation ou étant même encore peuplées au XIIème siècle. L’abbaye de Villelongue (com. Saint-Martin-Le-Vieil, Aude) par exemple se rattache à Bonnefond vers 1150 (com. Proupiary, Haute-Garonne). Elle s’installe à l’emplacement d’un village et amorce une lente dépopulation afin de recréer le désert décrit dans les textes de l’ordre 661. L’abbaye de Fontenay (com. Marmagne, Côte-D’Or) s’installe non loin du site de Marmagne (Marcomagna) attesté dès 722, Cîteaux (com. Saint-Nicolas-Lès-Cîteaux, Côte-D’Or) proche d’Izeure (Iciodoro) connu dès 763 tandis que Gilly est connu à partir de 815, Argilly en 858, Bessey en 1050 et Gerland en 1007. Des sites comme la Bussière (com. la Bussière-surOuche, Côte-D’Or) et Acey (com. Vitreux, Jura) s’implantent à l’emplacement d’une ancienne villa gallo-romaine. Le mythe de moines colonisateurs de terres nouvelles, de pionniers s’émousse ainsi face aux réalités historiques662. Le cadre de l’occupation du sol au 659 Y. ESQUIEU, « L’abbaye du Thoronet », Congrès Archéologique de France, Var, Paris, 2002, p. 195-212. P. MAURO LOI, « Origine et développement de l’abbaye de Morimondo. Nouvelles hypothèses et perspectives de recherche », dans G. VIARD (dir.), L’abbaye cistercienne de Morimond. Histoire et rayonnement, colloque international de Langres, 2003, Langres, 2005, p. 267-277. 661 C. H. BERMAN, The Cistercian evolution. The Invention of a religious order in the Twelfth Century Europe, Philadelphia, 2000, p. 141. 662 G. PLAISANCE, « Les premiers cisterciens de Bourgogne ont-ils été des défricheurs ? », dans « Le premier demi-siècle des cisterciens à Léoncel, 1137-1188 », Les Cahiers de Léoncel, Colloque d’août 1988, n°5, 1988, p. 30-39. 660 - 202 - Haut Moyen-Âge semble toutefois de prime abord plus problématique à déterminer n’ayant pas fait l’objet de découvertes archéologiques à l’échelle de celles de la période galloromaine. Concernant l’actuel département de la Corrèze, Guy LINTZ met en évidence l’existence d’une douzaine de pagi au haut Moyen-Âge : Ursencis pagus, Exandonis pagus, Brivensis pagus, Torinensis pagus, Asnacensis pagus, Santria pagus, Bienas pagus, Cambolivensis pagus, Nigermontis pagus et Vallarensis termininus. Les régions les plus densément peuplées correspondent à des sols granitiques dont la décomposition donne des terres légères. Les terres sont en effet plus faciles à travailler mais sont moins fertiles que dans les vallées. Lorsque les moines d’Obazine s’installent, le paysage ne semble pas vraiment correspondre à une solitude. En effet, la forêt d’Obazine s’intercale entre les villages de Vergonzac et de Palazinges, église très ancienne à l’implantation humaine d’importance663. La destruction de Palazinges par les Normands est évoquée par le cartulaire de Tulle (notice 289). Ce même cartulaire évoque une église à Roche à l’orée de la forêt d’Obazine. Elle est détruite par les Normands, reconstruite par Pallo, habitant de Vergonzac et prendra ainsi le nom de Palazinges. C’est une paroisse nouvelle autour d’une église privée, d’une petite superficie. Le lieu-dit « Louradour » rappelle l’ancienne église disparue664. La paroisse de Beynat où s’implantent les moines d’Obazine et la communauté de Coyroux est une vicairie civile où des monnaies d’or étaient frappées à l’époque mérovingienne. Elle est dédiée à saint Pierre665. Les donations concernent le plus souvent des manses et borderies, des terroirs déjà constitués et exploités, rarement des terres incultes ou des espaces forestiers, ce qui remet considérablement en cause la description du désert de la Vita666. L’abbaye de Bonnaigue située sur l’actuelle commune de Saint-Fréjoux est proche d’Ussel, ancien vicus gallo-romain dédié à Martin, au centre d’une paroisse ancienne comme en témoigne son vocable667. L’abbaye de Derses est sur la commune de Saint-Hilaire-Peyroux et appartient à une paroisse relevant d’un groupe martinien daté des Vème-VIIème siècles. Le centre paroissial est au vicus de Brive668. 663 B. BARRIÈRE, L’abbaye cistercienne d’Obazine en Bas-Limousin, les origines- le patrimoine, Tulle, 1977, p. 19. 664 M. AUBRUN, op. cit, p. 157, 171, 62. 665 M. AUBRUN, op. cit, p. 250. 666 B. BARRIÈRE, Le cartulaire de l’abbaye cistercienne d’Obazine (XIIème-XIIIème siècles), Institut d’Études du Massif Central, Clermont-Ferrand, 1989, p. 23. 667 M. AUBRUN, Le diocèse de Limoges…, op. cit, p. 290. 668 M. AUBRUN, op. cit, p. 287. - 203 - L’abbaye de Valette est située sur la commune d’Auriac disposant d’une église dédiée à saint Côme et saint Damien, deux médecins martyrisés en Cilicie au IIIème siècle. Ils sont largement représentés en Gaule dès la fin du IVème siècle et connaissent un regain de ferveur au moment des Croisades. Deux fontaines sont connues sur la paroisse, très anciennement christianisées, l’une à saint Martin, l’autre à saint Georges (Vème-VIIème siècles)669. La fondation de l’église périgourdine s’accompagne de l’apparition d’un réseau paroissial structuré ayant sans doute freiné le développement du monachisme absent avant l’époque carolingienne. Les paroisses matrices de la première génération (VIème-VIIème siècles) sont majoritairement dédiées à saint Pierre, saint Étienne et saint Martin. La deuxième génération à partir du VIIIème siècle accueille des saints « régionaux » tels saint Front, Cybard, sainte Radegonde et sainte Eutrope. Le développement d’un mouvement érémitique introduit l’hagiotoponymie de saint Avit, saint Chamassy, saint Sour, saint Amand et saint Meyme. La paroisse de Jumilhac est ainsi précoce et relèverait du début du VIème siècle. Excidolium est mentionné dans le testament de saint Yrieix en 572. Il est le siège d’un archiprêtré de l’ancien diocèse de Périgueux avant 1317. La paroisse où s’installe Dalon est ainsi ancienne et révèle une humanisation précoce670. En effet, selon Michel AUBRUN, Excideuil est une paroisse assez vaste offrant de fortes présomptions d’ancienneté. Elle est dédiée à saint André (Vème-VIIème siècles). Il s’agit de l’apôtre le plus anciennement vénéré en Gaule après Pierre et Paul. Quant à Sainte-Trie, il s’agit d’un petit prieuré-cure dont le titulaire est saint Trié ou Trojan, vénéré dans le diocèse d’Angoulême le même jour qu’André671. Concernant l’abbaye de Grosbot, nous savons que les chanoines de Fontvive sont attestés sur le site dès le Xème siècle. Il ne s’agit pas alors d’une installation au désert672. La création des paroisses de Haute-Marche est mieux connue grâce à l’étude de Michel AUBRUN sur les origines du diocèse de Limoges. L’historien nous apprend ainsi que la paroisse de Genouillac est dédiée à saint Pierre et dispose de quatre chapelles succursales promues au rang d’églises paroissiales, à savoir La Cellette, Châtelus, Roche et Bétête. Ainsi il existait une occupation humaine probablement dès l’époque mérovingienne dans cette paroisse où s’implantent les moines de Prébenoît673. Au sud de l’abbaye d’Aubignac, l’église de Versillat est dédiée à saint Étienne ce qui atteste l’ancienneté du lieu de culte. La paroisse de Peyrat-La-Nonière où se fixent les ermites 669 M. AUBRUN, op. cit, p. 257. H. GAILLARD, op. cit, p. 60. 671 M. AUBRUN, op. cit, p. 253. 672 B. BARRIÈRE, L’abbaye cistercienne d’Obazine…, op. cit, p. 83. 673 M. AUBRUN, L’ancien diocèse de Limoges (…), op.cit, p. 250. 670 - 204 - de Mazerolles en 1120 est dédiée au Sauveur et relève donc probablement de l’époque mérovingienne. Sa vaste superficie témoigne de son ancienneté. Au nord de Bonlieu, une paroisse est titrée à saint Loup, évêque de Limoges en 614 et jouxte la paroisse de Tardes probablement d’origine carolingienne. Il semblerait que l’abbaye de Bonlieu ne se soit pas réellement implantée au désert puisqu’elle est cernée de paroisses dont l’ancienneté est avérée674. L’église de Thauron est située non loin d’une sorte d’oppidum. L’autel est dédié à Jupiter. La paroisse vaste est amputée à l’époque féodale de celle de Pontarion. Elle est dédiée à Pierre d’après une charte de 1012, ce qui laisse présager de son ancienneté 675. Le cartulaire du Palais révèle l’existence au XIIème siècle d’un village de la Chaussade. La « villa du Transet » est assiégée et détruite par les Anglais. Ce village est à 1000m au nord-est de Quinsat, sur la parcelle E 472 dite Bois-de-Transet. À 600m d’altitude, il est installé à mipente orientée à l’ouest et est ainsi caractéristique de l’habitat rural dans la région. Le toponyme « Chaussade » signale par ailleurs la proximité d’une voie romaine676. Une villa est attestée à Fougerolles au sud de Varennes dès 841. Elle fait l’objet d’une donation à SaintSulpice de Bourges. Les villae sont plutôt rares dans ces zones où les petites propriétés dominent. Cette mention a ainsi un caractère plutôt exceptionnel677. Les moines de Boeuil sont installés sur l’actuelle commune de Veyrac. Il s’agit d’un ensemble martinien appartenant aux grandes paroisses des époques gallo-romaines et mérovingiennes. L’église de Veyrac est ainsi dédiée à saint Martin. Une fontaine SaintMartin-du-Fau est connue au lieu-dit « Boubeau » près de Nieul. « Boubeau » est sans doute issu du Borvo, dieu des sources vénéré des celtes. Martin a d’ailleurs pour attribution de faire reculer les anciennes croyances païennes678. L’étude du réseau paroissial et de l’occupation du haut Moyen-Âge laisse présager de l’ancienneté de la majorité des lieux de culte proche des abbayes cisterciennes implantées au XIIème siècle. Les paysages où ils s’installent ne semblent guère vides d’hommes et ce depuis l’époque gallo-romaine. • Un isolement social et économique impossible : Lorsque les cisterciens s’installent sur des terres afin d’y bâtir un monastère, ils ont besoin des libéralités seigneuriales leur accordant la jouissance de ces parcelles ainsi que des droits d’usage dans les bois alentours. Ils doivent également bénéficier de la bienveillance de 674 J. NADAUD, « Le pouillé historique du diocèse de Limoges », BSAHL, T LIII, 1903, p. 11. M. AUBRUN, op. cit, p. 250. 676 R. CALINAUD, « La villa du Transet. Site médiéval de la Chaussade », MSSNAC, T 37, p. 98-105. 677 J. P. SURRAULT (dir.), L’Indre (…) op.cit, p. 109. 678 M. AUBRUN, op. cit, p. 283. 675 - 205 - l’évêque du diocèse qui officialise la communauté, assiste bien souvent aux donations et consacre l’autel de l’église. Peut-on dès lors réellement parler d’un isolement du siècle des moines cisterciens, d’un retrait dans la solitude alors même qu’ils nécessitent les appuis des seigneurs laïcs et ecclésiastiques ? Ne sont-ils pas eux-mêmes majoritairement issus de milieux aristocratiques ? En effet, saint Bernard ne peut fonder Clairvaux que grâce à l’aide de sa famille fortement implantée dans la région. Les cisterciens s’appuient sur un lignage sans pour autant devenir un monastère à vocation dynastique. Le caractère familial de la fondation vient de la composition du groupe envoyé par Étienne Harding et des bienfaiteurs, tous membres de la même famille. Leur éloignement du siècle paraît ainsi bien difficile étant donné leur imbrication étroite dans les réseaux aristocratiques679. De plus, leur arrivée tardive au XIIème siècle leur laisse peu de choix de terres laissées libres par les autres ordres monastiques tels Cluny ou les autres ordres à vocation érémitique bien présents en Limousin : Aureil, l’Artige et Grandmont. Les moines blancs n’auraient ainsi guère le choix de leur site d’implantation et devraient composer avec d’autres communautés déjà installées. Quelle est la part de choix des cisterciens quant à leur site d’implantation et quelles pressions subissent-ils de la part de leur entourage ?  Choix du site : les cisterciens entre pressions seigneuriales, épiscopales et monastiques : Nous avons vu précédemment à travers l’étude des premiers textes cisterciens la nécessité pour ceux-ci de choisir un site relativement isolé mais permettant la subsistance de la communauté, l’importance de la présence d’un cours d’eau, souvent en fond de vallée, sans toutefois se couper des voies de communication principales. Les cisterciens investissent des terres peu mises en valeur, encore fortement boisées mais dont le potentiel certain leur garantit une expansion non négligeable. Ces terres ne correspondent pas forcément à un choix délibéré des moines blancs mais sont souvent celles laissées par des seigneurs qui espèrent ainsi sans doute la mise en valeur de terroirs jusque là inexploités [Fig. 70]. Les cisterciens sont tributaires de ces donations initiales qui constituent le noyau primitif de leur patrimoine foncier et permettent d’assurer dans un premier temps la survie d’une communauté dont les premières décennies sont souvent bien précaires. Ils ont besoin de l’aval des seigneurs pour s’implanter et commencer l’exploitation de leurs terroirs. Les cisterciens sont ainsi forcément redevables du soutien de cette noblesse bienveillante. Mais quel intérêt ces seigneurs 679 J. WAQUET, J-M. ROGER, L. VEYSSIÈRE, Recueil des chartes de l’abbaye de Clairvaux au XIIème siècle, CTHS, Paris, 2004, p. 17. - 206 - trouvent-ils à léguer une part de leur patrimoine foncier aux frères de Bernard ? Ces donations sont-elles pleinement désintéressées et pieuses ? Pourquoi doter Cîteaux plus qu’un autre ordre religieux ? Il semble en réalité évident que la fondation d’une abbaye cistercienne s’avère plus intéressante pour eux que celle d’une abbaye bénédictine : elle nécessite de moins importantes donations, les moines blancs n’ayant que peu d’exigences concernant la qualité des terres680. Les seigneurs ne laissent ainsi sans doute pas leurs meilleures terres mais des terrains à végétation rabougrie, d’anciennes saussaies ou aulnaies devenues marécageuses après un défrichement ancien681. Doter un monastère cistercien paraît de ce fait plus à la portée de seigneurs locaux682. Ils peuvent céder des terres ingrates et de moindre qualité en comptant sur les moines pour les mettre en valeur et en tirer un maximum de bénéfices. Pour Christopher HARPER-BILL, les seigneurs trouvent également un intérêt « moral » à ces donations : ils expient ainsi lieurs péchés et démontrent une certaine prééminence sociale en fondant ou dotant ces monastères683. Ainsi en 1114, Dalon est fondée par Gérald et Gouffiers de Lastours qui cèdent les premières terres nécessaires à l’ermitage684. Elle est située dans la châtellenie de Génis, appartenant elle-même à la vicomté de Limoges. Elle est cernée par les châteaux d’Excideuil, de Génis, de Salagnac et de Born au nord-ouest, par la forteresse de Hautefort à l’ouest, de Ségonzac à l’est, mais aussi de Badefols, Ayen, Juillac et Fialeix. Gérald, vicomte de Brosse est le premier donateur d’Aubignac ; l’abbaye des Pierres est dotée dès 1149 par les princes de Déols, seigneurs de Châteaumeillant. Au milieu du XIIème siècle, les seigneurs de la Trimouille, vassaux des comtes de Poitiers, font dons de terres à l’abbaye de Preuilly (diocèse de Sens) à condition qu’elle y fonde un monastère. Leur requête sera à l’origine de la création de l’abbaye de la Colombe, située à la frontière orientale de la vicomté de Brosse, à la frontière des fiefs des seigneurs de la Trimouille685. Ceux-ci favorisent l’expansion de l’abbaye vers l’ouest et vers le diocèse de Poitiers. En 1120, Amélius de Chambon donne le mas de Mazerolles à l’ermite Géraud de Sales, aux confins des Combrailles et de la vicomté d’Aubusson. À la mort de ce dernier peu de temps après, ce même seigneur conseille aux 680 Ainsi, en 1209, Hugues Mainfroy donne une pièce de terre inculte aux moines de Bonlieu, un heremus entre la grange de la Croze et les Chadenas. AD Creuse, H 284. 681 G. PLAISANCE, « Les premiers cisterciens de Bourgogne ont-ils été des défricheurs ? », dans « Le premier demi-siècle des cisterciens à Léoncel, 1137-1188 », Les Cahiers de Léoncel, Colloque d’août 1988, n°5, 1988, p. 30-39. 682 Catalogue de l’exposition des Archives Départementales du Cher, Archives et histoire des abbayes bénédictines et cisterciennes du Haut-Berry, Bourges, 1980, p.6. 683 C. HARPER-BILL, R. HARVEY, The ideals and Practice of Medieval Knighthood. Papers from the first and second Strawberry Hill conferences, the Boydell Press, Suffolk, 1986, p. 10 (introduction). 684 Abbé BROUSSE, « Une poignée de documents sur l’abbaye de Dalon », BSSHAC, T 56, 1935, p. 122-171. 685 D. GAUDON, « Histoire de l’abbaye de La Colombe », RC, 1889, T XI, p. 165-175. - 207 - ermites de se confier à l’abbaye de Dalon. Mazerolles sera érigé en monastère en 1140 et prendra le nom de Bonlieu. Roger de Laron, Pierre de Peyrat et Guy de Latour donnent leur consentement à la présence d’une filiale dalonienne, le Palais-Notre-Dame sur leur fief. L’accord des seigneurs est ainsi nécessaire de même que leurs libéralités pour la survie de la communauté dans les premiers temps de l’ordre686. Quant à la fondation de l’abbaye de moniale de Derses, elle est due à la famille de Malemort qui fait venir sur leurs terres des moniales de L’Esclache687. L’action des nobles paraît dès lors déterminante. Étant à l’origine des donations, ce sont eux finalement qui choisiraient le lieu d’implantation des moines blancs. Il nous semble ainsi délicat de parler d’une volonté « délibérée » des cisterciens. Le choix des marges forestières par ces seigneurs pourrait s’expliquer par une volonté de créer une « barrière de prière » à la rencontre de leurs territoires respectifs afin d’éviter les conflits de souveraineté et pour rentabiliser une zone sous-exploitée. Selon Bernadette BARRIÈRE, cette coïncidence du phénomène cistercien et des limites diocésaines pourrait effectivement résulter de la motivation des seigneursfondateurs688. Les puissants trouveraient un intérêt stratégique à céder des terres dans ces secteurs de marges politiques, aux frontières de leurs territoires. Leurs libéralités envers les cisterciens seraient une manière de montrer leur autorité, de marquer leur pouvoir dans des zones marginales où les limites territoriales sont souvent mouvantes et confuses. D’où des conflits d’intérêt entre ces seigneurs et parfois une surenchère de dons aux moines blancs qui profitent de ces générosités intéressées pour constituer un important patrimoine foncier. Les marges s’inscrivent ainsi comme les régions les plus âprement convoitées par les appétits des nobles laïcs tentant de contrôler et de surveiller les implantations monastiques. Les moines paraissent ainsi « instrumentalisés » par une noblesse qui utilise les monastères marginaux pour asseoir leur autorité, se fonder une identité dans des zones où le pouvoir tend à leur échapper689. Les familles aristocrates au XIIIème siècle manifesteraient par ces donations leur conscience lignagère. Pour Bernadette BARRIÈRE, ils établissent leur propre généalogie et cherchent à la faire remonter jusqu’à l’ancêtre réputé fondateur pour légitimer leur pouvoir690. 686 S. VITTUARI, Le patrimoine de l’abbaye du Palais-Notre-Dame d’après le cartulaire (1134-12..), mémoire de maîtrise, dir. B. BARRIÈRE, Limoges, 1992, vol. I, p. 57. 687 G. CLÉMENT-SIMON, « Notice sur le couvent de Derses, paroisse de Saint-Hilaire-Peyrou », BSSHAC, T 11, 1889, p. 546-568. 688 B. BARRIÈRE, « L’économie cistercienne du sud-ouest de la France », Centre culturel de l’abbaye de Flaran, Économie cistercienne. Géographie, mutations du Moyen-Âge aux temps modernes, 1981, Auch, 1983, p. 75-99. 689 C. LAURANSON-ROSAZ, « Réseaux aristocratiques et pouvoir monastique dans le Midi Aquitain du IXème au XIème siècle », dans les actes du Ier colloque international du CERCOR, Naissance et fonctionnement des réseaux monastiques et canoniaux, Saint-Etienne, 1991, p. 353-372. 690 B. BARRIÈRE, « Généalogies et lignages. Un problème de transmission lignagère en Limousin au XIème siècle », dans M. CASSAN (dir.), Croyances, pouvoirs et société. Des Limousins aux Français. Études offertes à Louis Pérouas, Les « Monédières », Treignac, 1988, p. 103-127. - 208 - Le Berry méridional reflète parfaitement cette situation. Il tend à se transformer en un vaste front pionnier animé par des puissances féodales montantes telles les seigneuries de Déols et de Bourbon. Ces militi conquérants élèvent des forteresses et fondent des abbayes comme l’abbaye des Pierres en 1149 à l’initiative des seigneurs de Déols. La famille de la Roche-Guillebaud disposant d’un château à quelques kilomètres de l’abbaye fera partie des plus généreux donateurs, de même que les seigneurs de Culan. Toutefois, les seigneurs du Boischaut sont moins nombreux, établis depuis moins longtemps et par conséquent moins puissants que ceux du Sancerrois par exemple qui dotent bien plus largement les abbayes du nord du Berry (Noirlac, Fontmorigny) tandis que des sites comme Les Pierres et Varennes sont maintenus dans une certaine précarité. Ainsi, si le choix d’implantation est amplement déterminé par les donations initiales, le développement et l’essor des monastères est également dépendant des générosités et richesses de ces nobles fondateurs691. L’exemple de Varennes est lui aussi significatif. Ce monastère du Boischaut bénéficie des donations des seigneurs de Déols, de Cluis, de Chauvigny, de Magnac et de Seuly. Il est situé à la frontière nord-est très sensible de l’Aquitaine et attire donc la convoitise des seigneurs. En 1155 éclate un différend entre Ebbes de Déols et Garnier de Cluis. Les deux seigneurs se proclament fondateurs de l’abbaye. L’affaire est portée devant leur suzerain Henri II. Pour mettre fin à la querelle, il se place en fondateur unique et bienfaiteur de la communauté de Varennes692. De même, Aubignac, en Haute-Marche, est située à la limite de plusieurs entités politiques : la vicomté de Brosse et de Bridiers, le comté de la Marche, la seigneurie de Guierche, la châtellenie d’Argenton dont les limites s’appuient sur d’épaisses forêts693. Il paraît ainsi indéniable que les seigneurs locaux sont pour beaucoup dans le choix du site d’implantation des moines blancs, témoignant un échec certain des cisterciens à se maintenir à l’écart du siècle. Il semble ainsi réellement difficile pour les ordres nouveaux de demeurer en parfaite adéquation avec certains préceptes de la réforme grégorienne, soucieuse de rétablir l’indépendance de l’Église vis-à-vis des pouvoirs laïcs. D’autres bienfaiteurs, plus prestigieux, peuvent parfois également contribuer à la fondation d’une abbaye cistercienne. Les rois Plantagenêts et Capétiens encouragent certaines créations des moines blancs. Ce n’est toutefois pas flagrant dans le diocèse de Limoges, 691 O. TROTIGNON, « Devenir cistercien en Berry du sud au temps des Croisades : filles et fils de saint Bernard à l’épreuve du siècle », dans l’ouvrage collectif, L’ordre cistercien et le Berry, CAHB, 1998, p. 99. 692 A. CHARDON, « L’abbaye de Varennes, 1148-1791 », RB, 1906, p. 201-205 ; L. GRANT, « Le patronage architectural d’Henri II », CCM, n°1-2, janvier-juin 1994, p. 73-84. 693 M. H. TERRIER, « Les bois et les forêts de l’abbaye d’Aubignac des origines à 1351 », MSSNAC, T XLVI, p. 269-275. - 209 - excepté pour l’abbaye de Varennes où les rois Anglais montrent leur intérêt pour l’abbaye marginale et leur volonté de s’en proclamer seuls fondateurs afin de l’ériger en abbaye royale. Sa position stratégique entre terres capétiennes et aquitaines n’a sans doute pas manqué de les attirer. Les Plantagenêts ont sans doute vu dans cette abbaye un moyen de marquer leur territoire, de provoquer la couronne française présente dans certains actes de donation des abbayes du nord du Berry (Noirlac, Fontmorigny694). Cette intervention autoritaire témoigne d’une volonté de laisser dans la mémoire collective une trace de leur patronage et de leur générosité envers les établissements ecclésiastiques. Si l’abbaye de Boeuil n’intéresse pas particulièrement les rois Anglais, sa fille, SaintLéonard-des-Chaumes bénéficie dès les premiers temps des libéralités de Richard-Cœur-deLion puis de Jean-Sans-Terre. Le port de la Rochelle étant en pleine expansion, il devient en effet un objet de conflits entre Plantagenêts et Capétiens et la mainmise sur Saint-Léonard devait être considérée comme un moyen de contrôle et de pouvoir par les Plantagenêts695. D’autres diocèses sont toutefois plus représentatifs de cet intérêt royal pour les sites cisterciens et il n’est pas inintéressant d’en faire état brièvement ici, même si ces remarques éloignent quelque peu du cadre géographique de l’étude. Il semblerait que Louis VI le Gros et Louis VII notamment encouragent particulièrement l’ordre cistercien. Ils exemptent les abbayes icaunaises de péages et coutumes et donnent in perpetuam elemosinam696. En 1127, Louis VI fait appel aux moines de Pontigny pour peupler l’abbaye de Châalis (com. Fontaine-Chaalis, Oise). Il veut en effet fonder une abbaye où on priât pour son cousin Charles Le Bon assassiné à Bruges. En 1135, Louis VI exempte avec l’accord de la reine de tous les péages et coutumes les abbayes de Cîteaux, Pontigny, Clairvaux et d’une manière plus générale toutes les abbayes cisterciennes. Louis VI et Louis VII fondent la Cour-Dieu (com. Ingrannes, Loiret), Chaalis et Barbeau (com. Fontaine-Le-Port, Seine-et-Marne). Entre 1137 et 1154, Louis VII, roi de France et duc d’Aquitaine exempte l’abbaye de Clairvaux de toute coutume à lui due, dans toute sa terre, pour les ventes de leurs biens propres et les achats de marchandises limitées à leur usage697. En 1190, Philippe-Auguste fonde Cercanceaux dans le diocèse de Sens (com. Souppes-sur-le-Loing, Seine-et-Marne). En 694 Louis VII est en effet particulièrement favorable aux moines de Noirlac. R. P. A. DIMIER, Saint Louis et Cîteaux, Letouzey et Ané, Paris, 1954, p. 7. 695 I. AUBRÉE, op. cit, p. 100. 696 C. WISSENBERG, « Granges cisterciennes de l’Yonne : constitution des domaines et aménagement de l’espace », dans T. KINDER (dir.), Les cisterciens dans l’Yonne, « Les Amis de Pontigny », Pontigny, 1999, p. 49-72. 697 J. WAQUET, J-M. ROGER, L. VEYSSIÈRE, Recueil des chartes de l’abbaye de Clairvaux au XIIème siècle, CTHS, Paris, 2004 - 210 - 1207, le pape Honorius III charge l’abbé de Cîteaux et l’abbé de Clairvaux de négocier la paix entre Philippe-Auguste et Henri III, ce qui laisse présager de l’étroitesse des rapports entre cisterciens et pouvoir royal puisque ceux-ci peuvent même revêtir un rôle politique et diplomatique, totalement à l’encontre de leur volonté de retrait des affaires du siècle698. En 1227, Louis IX assiste à la consécration de Longpont, fondée en 1132 par l’évêque de Soissons (com. Longpont, Aisne). Saint Louis gratifie également largement les abbayes du Languedoc telles Fontfroide (com. Narbonne, Aude), Silvanès (com. Silvanès, Aveyron), Villelongue (com. Saint-Martin-Le-Vieil, Aude). En 1236, Maubuisson est créée par Blanche de Castille (com. Saint-Ouen-L’Aumône, Oise)699. Quant aux rois Plantagenêts, leur attachement aux cisterciens est aussi flagrant. Henri Ier, Mathilde et Henri II patronnent les abbayes de Mortemer (com. Lisors, Eure), la Noë (com. Bonneville-sur-Iton, Eure), le Valasse (com. Gruchet-Le-Valasse, Seine-Maritime) et Saint-Saëns (com. Saint-Saëns, Seine-Maritime) dans le nord-ouest de la France 700. Concernant les fondations cisterciennes en Normandie, Annick GOSSE-KISCHINEWSKI explique : « Voulant assurer la suprématie royale sur les fondations religieuses, Henri II s’arroge parfois la place des premiers fondateurs pour des raisons purement politiques, n’hésitant pas à se substituer à des vassaux puissants, voire dangereux, en tant que fondateur et protecteur d’une abbaye. C’est ainsi qu’il a occulté les fondations de Galeran de Meulan à Bordesley (Angleterre) et au Valasse ». Le même cas de figure s’est également produit à l’abbaye de Varennes en Berry où Henri II supplante Ebbes de Déols701. Le confesseur de Richard-Cœur-de-Lion n’est autre que le moine cistercien Adam de Perseigne (1145-1221), ce qui témoigne de la proximité de la cour anglaise avec l’ordre cistercien. Dès 1190, un an après être couronné roi, une charte est donnée par Richard concernant l’abbaye de Charron (com. Charron, Charente-Maritime, fille de Clairvaux par la Grâce-Dieu), fondation confirmée un an auparavant par Aliénor d’Aquitaine. Le lieu d’implantation est toutefois concédé par un seigneur local. Richard fonde aussi Bonport (com. Pont-de-L’Arche, Eure) en 1189. À cette époque, Richard et Philippe-Auguste s’entendent relativement bien, et cette amitié contribue au développement des échanges économiques et culturels entre la Normandie et le Royaume de France. Ils se traduisent par l’aménagement des territoires, des voies de communication terrestres et fluviales. L’organisation et la 698 R. P. A. DIMIER, op. cit, p. 9. R. P. A. DIMIER, op. cit, p. 120. 700 L’abbaye de la Noë est fondée dès 1144, le Valasse en 1156. 701 A. GOSSE-KISCHINEWSKI, « Fondations cisterciennes en Normandie au temps de Richard », dans Richard Cœur de Lion, roi d’Angleterre, duc de Normandie, 1157-1199, Actes du colloque international de Caen, 1999, Condé-sur-Noireau, 2004, p. 189-197. 699 - 211 - surveillance d’un axe de communication stratégique entre Rouen et Paris est confié à des religieux plutôt qu’à des vassaux parfois turbulents et incontrôlables. Cette surveillance repose en partie sur les cisterciens en raison de leur poids non négligeable dans les affaires politiques et de leurs compétences techniques indéniables. Ils jouent ainsi un rôle important dans les politiques économiques capétiennes et anglaises. Vers 1189-1190, l’abbaye de la Fontaine-Guérard (com. Radepont, Eure) est fondée par Robert V de Leicester, ami proche de Richard Cœur de Lion. Ce « mécénat » plantagenêt ne se démentira pas puisqu’en 1203, Jean-Sans-Terre donne le bois nécessaire à la construction702. Richard reconstruit également l’abbaye du Pin (com. Béruges, Vienne), finance le toit en plomb de Pontigny. En 1203, l’abbaye de Beaulieu en Angleterre est fondée par Jean Sans Terre. Toutefois, ces générosités peuvent être parfois nuancées. L’attitude de Geoffroi d’Auxerre, abbé de Clairvaux dans l’affaire Becket en 1166 a beaucoup nuit à la réputation de l’ordre. Le choix des Plantagenêts se porte alors plutôt vers d’autres institutions et Henri II en particulier soutient Grandmont. Pour Martin AURELL, les chartreux et chanoines réguliers « ont davantage le vent en poupe que les moines noirs ou blancs ». Richard ouvre également plusieurs maisons de Prémontrés en Aquitaine. Les rois de France et d’Angleterre sont ainsi présents dans le développement des abbayes cisterciennes et contribuent à de nombreuses fondations, souvent stratégiques. Les moines blancs jouent de plus un rôle diplomatique important en tant que légats pontificaux, ambassadeurs ou arbitres dans l’obtention de trêves entre les rois anglais et français703. Ainsi, ces quelques exemples tendent à montrer l’importance des stratégies seigneuriales et royales dans le choix d’implantation des cisterciens ainsi que dans la constitution de leur patrimoine foncier. Cette générosité révèle plusieurs aspects de la personnalité de l’aristocratie locale. Ils donnent en pure aumône par piété mais aussi et surtout par l’intérêt qu’ils trouvent dans la mise en valeur de terres encore vouées au saltus et à la forêt. Les princes apparaissent soucieux du service de la prière mais aussi de leur réputation et de l’appui diplomatique des moines blancs704. Ils pressent souvent les petits seigneurs et vassaux qui sont sous leur domination de faire des donations. Il existerait ainsi une réelle pression du groupe nobiliaire. Ils utilisent les monastères cisterciens pour concrétiser leur autorité dans des zones marginales où les frontières seigneuriales sont floues et où les 702 A. GOSSE-KISCHINEWSKI, « Fondations cisterciennes en Normandie au temps de Richard… », op. cit, p. 189-197 703 M. AURELL, L’Empire des Plantagenêt, Perrin, Paris, 2004, p. 92-97. 704 C. ANDRAULT-SCHMITT, « Églises cisterciennes en Poitou », RHCO, TI, Société des Antiquaires de l’Ouest, Poitiers, 2004, p. 9-103. - 212 - prétentions s’entremêlent. Les abbayes cisterciennes s’alignent donc sur les marges forestières telle une longue « barrière de prière », frein aux conflits de souveraineté. Il nous semble dès lors inexact de parler d’un choix délibéré des moines cisterciens de s’implanter dans des salti. Il est essentiel de prendre en compte les stratégies des seigneurs fondateurs, des rois Plantagenêts et Capétiens. La volonté de ces bienfaiteurs primerait sur l’aspiration des moines à se retirer dans un désert par ailleurs bien relatif. Si le rôle des seigneurs laïcs est indéniable dans la naissance et le développement de la communauté cistercienne naissante, qu’en est-il des évêques ? Ne voient-ils pas chez les ermites puis les moines blancs un moyen de contrôler des marges échappant à leur autorité, de parfaire l’évangélisation de zones longtemps restées païennes ? Les cisterciens ne seraient-ils pas également des « jouets » au sein des stratégies épiscopales ? Dans l’ancien diocèse de Limoges, nombre d’abbayes cisterciennes étaient auparavant des fondations érémitiques érigées au milieu du XIIème siècle en monastères. C’est le cas des abbayes de Bonlieu, Prébenoît, Boeuil, le Palais et Aubignac nées grâce à l’action de l’ermite périgourdin Géraud de Sales. Son arrivée en Limousin est due pour bonne part à la volonté de l’évêque. Selon l’expression de Bernadette BARRIÈRE, il agit tel un « vicaire épiscopal », grâce à un consensus des évêques aquitains qui sollicitent son intervention auprès de « groupuscules érémitiques » afin de les guider et de les structurer. L’historienne supposerait ainsi l’arrivée d’ermites avant 1120 et la reprise en main de Géraud de Sales 705. Toutefois, l’indigence des textes médiévaux sur les premiers temps des fondations nous incite à la plus grande prudence. La coïncidence des implantations érémitiques et des frontières diocésaines pourrait alors traduire une volonté épiscopale, soucieuse de s’assurer un contrôle des marges forestières par l’intermédiaire d’ermites puissants comme Géraud de Sales. L’attitude des évêques vis-à-vis des ermites aquitains n’est toutefois pas toujours aussi accueillante et favorable. En effet, ils se révèlent parfois méfiants face à des dérives tel que le vagabondage, l’inconstance ou le commerce avec les femmes. Leurs prédications posent aussi problème à l’épiscopat puisque les ermites dénoncent certains abus de l’Église. Ainsi, les prélats jugent nécessaire une normalisation monastique dans des cadres carolingiens, ou cisterciens. Pour l’épiscopat, un bon ermite est un ermite stabilisé dans les cadres monastiques, d’où peut-être l’insistance de l’évêque de Limoges pour le rattachement de Dalon et ses filles à Cîteaux706. 705 706 B. BARRIÈRE, « L’économie cistercienne du sud-ouest de la France (…), op.cit., p. 75-99. J-H. FOULON, op. cit., p. 488. - 213 - Guillaume III, évêque de Périgueux, cautionne l’apparition de Dalon707. À la mort de l’ermite, c’est l’évêque Eustorge qui conseille aux solitaires de Mazerolles (Bonlieu) de se donner à Roger, moine de l’abbaye de Dalon. Grâce à la caution épiscopale, les initiatives de Géraud de Sales sont reprises en main par Dalon. Eustorge et Roger vont ensuite œuvrer pour donner un caractère « cistercien » aux établissements du diocèse708. Quant à l’ermitage de Boeuil, il est érigé en abbaye à l’initiative de Ramnulphe de Nieul, doyen du Dorat et futur évêque schismatique de Limoges (nommé en 1131). Il fait don de l’ermitage à Dalon709. Le milieu épiscopal pousse les ermitages à se rattacher à l’ordre de Cîteaux qui inspire confiance et respect dans la première moitié du XIIème siècle. Ainsi, dès 1117, Amelius, évêque de Toulouse, oriente les ermites géraldiens de Grandselve (com. Bouillas, Tarn-etGaronne) vers l’ordre de saint Bernard. Le rôle de l’épiscopat semble ainsi indéniable même dans ces marges frontières éloignées du centre épiscopal710. L’Église est favorable au renouveau érémitique mais veut et doit assurer le contrôle de toutes les expressions religieuses du diocèse. Les faveurs et soutiens accordés leur permettent de conserver un réel pouvoir sur ces fondations. Les mouvements géraldiens sont tolérés, voire même encouragés mais néanmoins soumis au contrôle étroit de l’évêque711. Les évêques protègent les ordres nouveaux comme les chanoines réguliers et les cisterciens. Toutefois, nous pouvons douter que les moines blancs permettent réellement un meilleur encadrement des fidèles, du fait même de leur volonté de se maintenir à l’écart des préoccupations séculières. L’idée souvent émise que les ordres nouveaux comme Cîteaux agiraient en tant que « troupe d’élite » de la réforme grégorienne doit être nuancée et leur rôle véritable auprès des fidèles reste difficile à cerner, d’autant plus qu’ils semblent refuser l’image comme moyen principal d’éducation des foules. Adrian BREDERO montre néanmoins que certains évêques sont plus réticents que d’autres à la pénétration cistercienne712. Ainsi, ils ne semblent pas réellement les bienvenus dans le diocèse de Poitiers. L’évêque Gilbert de la Porée est longtemps fustigé par Bernard de 707 M-C. PEYRAT, L’abbaye de Dalon et son environnement aux XIIème-XIIIème siècles, mémoire de maîtrise d’histoire médiévale, dir. B. BARRIÈRE et J. VERDON, 1990, vol. 1, p. 12. 708 M. O. LENGLET, « L’implantation cistercienne dans la Marche Limousine de Géraud de Sales à saint Bernard », MSSNAC, T XLVI, 1997, p. 258-268. 709 I. AUBRÉE, Patrimoine, gestion et vie sociale de l’abbaye cistercienne de Boeuil du XIIème au début du XVIème siècle, mémoire de maîtrise d’Histoire Médiévale, sous la direction de B. BARRIÈRE, Limoges, 1995, p. 35. 710 C. ANDRAULT-SCHMITT, « Des abbatiales du « désert ». Les églises des successeurs de Géraud de Sales dans les diocèses de Limoges, Poitiers et Saintes (1160-1220) », BSAOMP, 5ème série, T 8, 1994, p. 91-173. 711 L. MILIS, « Ermites et chanoines réguliers au XIIème siècle », CCM, XXIIème année, n°1, Poitiers, 1979, p. 39-80. 712 A. H. BREDERO, Bernard de Clairvaux. Culte et histoire. De l’impénétrabilité d’une biographie historique, Turnhout, Brépols, 2003, p. 257. - 214 - CLAIRVAUX pour sa théologie monastique et freine dès lors l’implantation des moines blancs dans son diocèse. De même concernant le diocèse de Limoges, certes favorable aux initiatives érémitiques de Géraud de Sales et d’Étienne d’Obazine, mais peut-être plus réservé concernant l’ordre cistercien. En effet, Adrian BREDERO rappelle que le siège épiscopal est vacant suite au décès d’Eustorge en 1137. Le pape souhaite nommer Albéric, abbé de Vézelay et ami de Bernard à la tête de l’épiscopat. Or, Pierre le VÉNÉRABLE empêche cette désignation, souhaitant maintenir un abbé indispensable à sa charge. En 1142, c’est le neveu d’Eustorge qui accède à la charge épiscopale. Les cisterciens ne prennent pied dans le diocèse qu’à partir de 1147. Dans le même temps, en 1146, Preuilly fonde la Colombe grâce au soutien de Pierre de la Châtre, devenu archevêque de Bourges grâce à saint Bernard. Il est ainsi évident que l’expansion cistercienne est facilitée dans certains diocèses par l’accès aux charges les plus hautes d’amis et de proches de Bernard de Clairvaux, tandis que d’autres diocèses renâclent à la poussée cistercienne (Limoges, Poitiers). Étienne d’Obazine est très soutenu par l’évêque de Limoges et bénéficie des mêmes privilèges que Géraud de Sales. Il fonde sa communauté avec la permission d’Eustorge (11061137) qui y met toutefois une condition : le respect des coutumes des pères du monachisme. Eustorge se montre très favorable à ce nouveau groupuscule érémitique. Cette bienveillance est fréquente chez les évêques de l’ouest de la France qui voient dans ces groupes « l’aile marchante de cette réforme »713. C’est Geoffroy de Lèves, évêque de Chartres (1116-1138) qui nomme Étienne prieur. L’importance de l’épiscopat est indéniable dans la reconnaissance de l’ordre cistercien714. Eustorge confère à Étienne le droit de célébrer la messe et de construire un monastère. En 1142, Étienne devient abbé en présence de l’évêque Géraud (1142-1177). C’est ce dernier qui recommande à Étienne le transfère de la Valette aux limites de son diocèse depuis le site de Doumis jugé insalubre. Ce choix est toutefois surtout stratégique et soustrait les moines à l’autorité des évêques de Clermont. Ces épisodes marquent bien la sollicitude de certains évêques envers les ermites puis les cisterciens, leur poids dans le choix du site d’implantation et dans le développement des communautés naissantes715. En Berry cependant, la situation est quelque peu différente. Nous ne connaissons pas d’ermite du renom de Géraud de Sales. Les fondations cisterciennes sont très tôt soutenues 713 B. BARRIÈRE, L’abbaye cistercienne d’Obazine en Bas-Limousin, les origines- le patrimoine, Tulle, 1977, p. 49. Cette idée est toutefois à nuancer. Si les cisterciens respectent en effet la Règle de saint Benoît, rejettent les dîmes dans un premier temps et acceptent en cela les préceptes grégoriens, leur rôle évangélisateur auprès des fidèles et leur attitude indulgente envers les laïcs n’est cependant guère conforme à la réforme. 714 S-M. DURAND, Étienne d’Obazine, 1085-1159, Lyon, 1966, p. 41. 715 M. AUBRUN, Vie de saint Étienne d’Obazine…, op. cit, p. 109. - 215 - par l’archevêque de Bourges. Dans le Boischaut, nous pouvons remarquer un effort net des moines blancs pour s’implanter aux confins diocésains déjà amplement occupés par les établissements daloniens. Est-ce en prévision d’une avancée de Dalon en Berry (qui détient déjà Aubignac depuis 1138) ? Ou bien est-ce pour créer des brèches dans ces confins en vue d’une avancée à l’intérieur du Limousin ? Ainsi, nous constatons que l’abbaye d’Aubignac est encadrée par les monastères d’Aubepierres, création directe de l’ordre cistercien en 1149 et celui de la Colombe en 1146. Concernant l’abbaye de la Colombe, nous ne sommes parvenus à déterminer de manière indéniable s’il existait un ermitage primitif ou s’il s’agit d’une création ex nihilo. Selon Bernadette BARRIÈRE, l’archevêque de Bourges et les vicomtes de Brosse auraient poussé les cisterciens à s’intéresser à l’ermitage716. La fondation d’Aubepierres est acceptée par l’évêque de Limoges sous la pression de l’archevêque Pierre de La Châtre, métropolitain et primat d’Aquitaine717. Celui-ci est redevable de son siège à saint Bernard, d’où peut-être sa générosité envers l’ordre cistercien. N’ayant plus la possibilité d’installer de nouvelles fondations sur son diocèse, il choisit donc d’intervenir auprès de son suffragant de Limoges et obtient son assentiment pour une création par ailleurs bien dotée par les seigneurs de Déols 718. Ces fondations favorisées par l’archevêque de Bourges révèlent sa volonté de réfréner une poussée dalonienne et de contrôler une marche où s’affrontent les prétentions épiscopales et seigneuriales719. Ermites puis cisterciens sont encouragés, protégés et ainsi contrôlés par les évêques. Cette situation n’est pas propre au diocèse de Limoges. Geneviève DURAND constate le même phénomène en Rouergue notamment où de nombreux ermitages sont érigés en monastères à l’initiative des évêques. Beaulieu, fille de Clairvaux (com. Ginals, Tarn-etGaronne), est fondée à l’initiative de l’évêque de Rodez, de même que Bonnecombe (com. Combs-La-Grandville, Aveyron) qui bénéficie de plus des libéralités de Raymond V, comte de Toulouse720. Évêques et archevêques témoignent également de leur mainmise en consacrant les autels des sanctuaires de l’ordre. En 1141, l’évêque de Limoges bénit l’autel de Mazerolles et institutionnalise le monastère en lui donnant le nom de Bonlieu. L’édifice est consacré en 1232 par l’évêque Guy de Clauzel. Nous pouvons supposer que cette cérémonie correspond à 716 B. BARRIÈRE, Moines en Limousin, l’aventure cistercienne, PULIM, Limoges, 1998, p. 161. L’archevêque de Bourges a pour suffragants les évêques de Clermont, Limoges, Le Puy, Mende, Cahors, Rodez et Albi. Si le pouvoir de métropolitain est relativement faible, il a tout de même une certaine influence. 718 M. AUBRUN, Moines, paroisses et paysans, PUBP, Aurillac, 2000, p. 14. 719 B. BARRIÈRE, « Les patrimoines cisterciens : principes et réalités », dans l’ouvrage collectif « L’ordre cistercien et le Berry », CAHB, Bourges, 1998, p. 39. 720 G. DURAND, « Les abbayes cisterciennes de l’ancienne province de Rouergue », Découverte du Rouergue Méridional, 1991, p. 362-371. 717 - 216 - l’achèvement de la construction du monastère721. L’abbaye de Boeuil bénéficie des dons d’Hélie de Nieul, d’Aymeric de Montcocu et d’Aymeric d’Aixe. Ces aumônes sont effectuées avec l’aval d’Eustorge, indispensable également pour consacrer l’église722. En 1200, Arnaud, abbé de Boschaud, prête serment entre les mains de Raymond, évêque de Périgueux. « Ego, frater Arnaldus, abbas de Bosco Cavo, promitto tibi, Domine Raimunde episcope, et huic sedi Petragoricensi omnimodum subjectionem et reverentiam et hobedientiam salvis Cisterciensis Ordinis institutis ».723 En 1174, l’évêque de Limoges Gérard II donne aux moines d’Aubepierres dix sous limousins724. La présence des évêques est fréquente lors des donations. Ils attestent ainsi de leur bienveillance mais aussi d’une mainmise relative exercée sur le monastère et son patrimoine foncier. En 1180, une donation d’Archambaud V, vicomte de Comborn, à Obazine, est effectuée en présence de Sébrand, évêque de Limoges725. En 1194, Sébrand énumère les donations et les revenus faits à Aubepierres 726. Des conflits naissent de la situation des monastères aux confins diocésains qui peuvent ainsi être au centre des prétentions des différents prélats. La Colombe, située aux marges des diocèses de Bourges et de Limoges, devient l’objet de conflits en 1187 entre l’évêque de Limoges Sébrand et l’archevêque de Bourges Henri de Sully, dus en partie à l’indécision des limites des pouvoirs des deux évêques sur les frontières limousines. Les difficultés sont relatives aux droits de prélature sur le monastère à l’occasion de la nomination des abbés. Ceux-ci doivent être ainsi alternativement bénis par chacun des deux évêques. La bénédiction se fait en premier lieu par l’archevêque de Bourges du fait de sa qualité de métropolitain. Les droits à percevoir sont partagés par moitié. Les biens acquis par les religieux dépendent du diocèse sur le territoire duquel ils sont implantés727. 721 C. BRISSAC, « Grisailles romanes des anciennes abbatiales d’Obazine et de Bonlieu », dans les actes du CIIème Congrès National des Sociétés Savantes, Le Limousin, études archéologiques, Limoges, 1977, Paris, 1979, p. 129-143. 722 I. AUBRÉE, op. cit, p. 36. 723 L. GRILLON, M. LEGENDRE, J. SECRET, L’abbaye de Boschaud. Le Château de Puyguilhem. L’église de Villars, Périgueux, 1957, p. 5-24. 724 Dom J. BECQUET, Les actes des évêques de Limoges des origines à 1197, Paris, CNRS, 1999, p. 133 ; AD Creuse, H 147, fol. 102. 725 B. BARRIÈRE, Le cartulaire de l’abbaye cistercienne d’Obazine (XIIème-XIIIème siècles), Institut d’Études du Massif Central, Clermont-Ferrand, 1989, p. 346. 726 Dom J. BECQUET, (…)op. cit, p. 162. 727 D. GAUDON, (…), op. cit, p. 168-175. - 217 - S’il paraît évident que le choix du site d’implantation est en partie déterminé par les pressions seigneuriales et épiscopales, un autre paramètre nous semble indispensable à prendre en compte. Les moines cisterciens arrivant dans le diocèse de Limoges dans le courant du XIIème siècle, ils doivent composer avec les ordres monastiques déjà en place et tentent de s’implanter dans des vides monastiques relatifs. Les cisterciens semblent en effet choisir des zones relativement libres d’implantations bénédictines, de grands monastères influents, sauf peut-être pour l’abbaye de la Colombe qui n’est qu’à une quinzaine de kilomètres au sud-ouest de l’abbaye de moines noirs de Saint-Benoît-du-Sault. Toutefois, les documents d’archives conservés ne révèlent pas de tensions particulières entre les deux ordres. Les abbayes bénédictines les plus influentes sont généralement dans la moitié nord du diocèse de Bourges (Déols, Massay, Vierzon, Bourges). Elles sont également très présentes en Bas-Limousin (Solignac, Uzerche, Meymac, Vigeois, Tulle, Beaulieu) tandis que la HauteMarche ne connaît guère que Châteauponsac et Guéret dont le rayonnement est toutefois bien relatif. D’après la carte de répartition des possessions de Déols, nous pouvons constater qu’elles occupent les vides laissés par les églises paroissiales soumises au patronat d’une abbaye de Bourges ou de Cluny, d’où cette forte présence dans une marche forestière peu attirante pour Cluny et éloignée du centre épiscopal [Fig. 71]728. Les cisterciens expriment-ils une volonté de contrebalancer l’influence de la riche abbaye dans ces confins ? Cette cohabitation révèle-t-elle une relative bonne entente entre les deux ordres ? Nous savons de plus que les seigneurs de Déols sont de généreux donateurs pour les abbayes cisterciennes marchoises, notamment celle de Prébenoît, « patronat » qui n’est probablement pas anodin729. D’après la carte de répartition des établissements grandmontains dans l’ancien diocèse de Limoges, nous constatons un vide correspondant à la Haute-Marche [Fig. 72]730. Les cisterciens ont ici opté pour une zone délaissée par les Grandmontains plutôt que de se risquer à pénétrer plus avant au cœur du diocèse où les initiatives érémitiques foisonnaient déjà. Leur choix d’implantation nous paraît dès lors plutôt contraint et ces nouveaux venus dans la seconde moitié du XIIème siècle sont forcés de tenir compte des réseaux monastiques déjà en place [Fig. 73]. Ils ne paraissent guère libres de leurs choix. Toutefois, en Berry, la situation n’est pas la même. Les celles grandmontaines sont bien présentes et privilégient les confins diocésains comme les cisterciens. D’où la proximité certaine de leurs implantations. Ainsi, Aubignac et Varennes encadrent la celle du 728 G. DEVAILLY, Le Berry du Xème au milieu du XIIIème siècle, Mouton, Paris, 1973, p. 258. Prébenoît est ainsi à quelques kilomètres au sud des deux prieurés déolois de Nouziers et Nouzerines. 730 I. AUBRÉE, « L’Ordre de Grandmont en Bas-Limousin », dans Les ordres religieux au Moyen-Âge en Limousin, Les Monédières, Brive, 2003, p. 307-334. 729 - 218 - Châtaignier, Pentillou est seulement à quelques kilomètres au nord-ouest de l’abbaye des Pierres, La Fontguedon au nord-est de Noirlac, Les Charnes au nord des cisterciens de Chalivoy, Fontblanche au sud d’Olivet et Grandmont à l’est du Landais. Il semblerait que les abbayes cisterciennes soient curieusement couplées à une celle grandmontaine. Peut-être les celles aux effectifs relativement réduits souhaitaient se rapprocher des monastères de Cîteaux pour assurer leur subsistance ? Les lieux choisis devaient être propices à l’érémitisme, tandis que dans le diocèse de Limoges, le chef d’ordre ayant opté pour une situation centrale, rares seront les fondations marginales. Ces zones de confins berrichons voient aussi l’implantation de prieurés fontevristes (Longefond entre Le Blanc et Argenton, Orsan au nord des Pierres). La présence d’autres fondations érémitiques ne semble pas freiner l’élan des créations cisterciennes en Berry. Peut-être l’aura des grandmontains est-elle moins prégnante qu’en Limousin où l’ordre d’Étienne de Muret a pris corps ? Faut-il voir là une stratégie des cisterciens berrichons désireux de contrebalancer une présence malvenue des ermites limousins ? Cette hypothèse séduisante est toutefois difficile à étayer faute de textes mais permettrait d’expliquer ce rapprochement quasi systématique entre celle grandmontaine et monastère cistercien. En Boischaut, nous pouvons évoquer l’exemple de l’abbaye de la Colombe qui ne s’installe pas véritablement dans un désert. En effet, en 1180, Guillaume, prieur de Tilly cède des dîmes sur les terres juste au sud de l’abbaye. Ce prieuré dépendant de Charroux y avait peut-être une charge pastorale. La paroisse de Tilly n’est donc vraisemblablement pas un vide monastique lors de l’arrivée des cisterciens de Preuilly731. Le contexte social de l’abbaye de la Colombe est sensiblement mieux connu grâce à l’étude minutieuse de Jérôme PICAUD qui met en évidence plusieurs actes intéressants. En 1180, Guillaume, abbé de Charroux, donne les terres du chemin de Chaillac jusqu’à la grange de Chabannes aux moines cisterciens, ce qui laisserait présager de relativement bonnes relations entre certaines communautés religieuses. En 1243, un contentieux éclate entre l’abbaye de la Colombe et les frères des hospitaliers de Montmorillon qui disposent d’une commanderie à Chantouan sur l’Allemette à quelques kilomètres au nord de La Colombe. Il s’agit de cerner la limite autorisée pour le pacage de leurs troupeaux respectifs dans les terres entre les deux implantations monastiques732. Un autre acte évoque une transaction entre les moines de la Colombe et ceux de Montmorillon pour le tort causé à la terre de la Charpagne par l’écluse du moulin de Montgenoux dépendant des cisterciens733. Les contentieux devaient être relativement 731 J. PICAUD, L’abbaye cistercienne de la Colombe au Moyen-Âge (…), op.cit, p. 69. J. PICAUD, (…), op. cit, p. 76. 733 AD Indre, H 788. 732 - 219 - fréquents avec les autres communautés monastiques dont l’objet est l’usurpation de la propriété ou l’usufruit d’une terre. Nous savons que les moines de Prébenoît ne sont implantés qu’à quelques kilomètres seulement au sud de la commanderie de Viviers. Cette promiscuité n’a-t-elle pas engendré des conflits ? Les quelques actes de l’abbaye ne conservent aucune trace de relations entre les deux communautés. La carte de Cassini révèle la présence d’un « moulin de la Commanderie » situé sur le Cluzeau déjà bien aménagé par les cisterciens. Il existait sans doute des conflits pour les droits d’usage sur les eaux. La commanderie autrefois située dans le diocèse de Bourges n’a laissé aucun vestige en élévation. Nous savons qu’elle disposait d’une grange, d’un moulin banal, de jardins, de prés, de forêts, possessions qui jouxtaient celles de Prébenoît734. Les différends peuvent parfois conduire à des drames. En 1184, une dispute éclate entre les convers d’Aubepierres et les chanoines de Chambon-Sainte-Croix dépendants d’Aureil. De nombreux convers sont tués735. Ces rapports conflictuels s’expliquent par la proximité des terres des deux communautés qui convoitent toutes deux le champ et les bois des Forges au sud de la grange cistercienne de Lavauvieille. Toutefois, les moines d’Aubepierres ont de bons rapports avec les templiers de la Forêt-au-Temple (com. Bonnat) et leur abandonnent les rentes qu’ils possèdent dans la région 736. De même, ils s’entendent bien avec les « Bonshommes » de Grandmont-Les-Châtaigniers, celle de l’ordre érémitique d’Étienne de Muret (com. d’Orsennes). Les grandmontains se rendent tous les ans en procession à Aubepierres pour vénérer les reliques de saint Gervais et saint Protais, en possession des cisterciens depuis une époque indéterminée. Le « chemin des Moines » joint en ligne directe les deux communautés, témoin de leurs relations suivies737. Concernant les autres sites intéressant notre étude, nous disposons d’un acte daté de 1174 qui évoque un accord entre les chanoines d’Évaux et les religieux de Bonlieu relatif au droit de dîme, de vin et de grain dans les paroisses de Montluçon, Saulx et Domérat738. Un acte de 1194 précise que l’abbé de Varennes échange certains biens avec la communauté de Saint-Sulpice-de-Bourges pour pouvoir regrouper leurs propriétés. Il devait donc y avoir une relativement bonne entente et des possibilités d’accords entre les deux739. En 1210, les 734 A. VAYSSIÈRE, L’ordre de Malte en Limousin, p. 157-160. J. BECQUET, « Clercs et laïcs en Limousin aux XIème et XIIème siècles » dans M. CASSAN (dir.), (…), op. cit, p. 165-171. 736 AD Creuse, H 148. 737 M. AUBRUN, « L’abbaye cistercienne d’Aubepierres dans la Marche limousine (…) », op.cit, p. 15. 738 G. ANDRÉ, op. cit, p. 3-31. 739 G. WOLKOWITSCH, (…), op. cit, p. 13. 735 - 220 - chanoines réguliers de Saint-Augustin de Plaimpied cèdent la moitié du moulin de Montlevic à la grange d’Aignerais dépendant de l’abbaye des Pierres. Moines et chanoines pourraient donc avoir tissé de bonnes relations740. Malgré la densité considérable d’établissements religieux en Bas-Limousin, Obazine semble tout de même être parvenue à occuper un vide monastique. Les possessions des frères d’Étienne doivent s’insinuer dans les quelques places restantes. Elles encerclent les possessions d’Albignac, du prieuré de Saillac, des abbayes comme Tulle et Beaulieu. L’importance des domaines en Quercy/Rocamadour s’explique par une occupation moins grande permettant la constitution de domaines importants d’un seul tenant. Le monastère a ainsi dû nouer une multiplicité de contacts étant donné le nombre élevé de ses possessions enchevêtrées. Il paraît ainsi délicat de parler d’un libre-arbitre des moines blancs quant à leur choix de site. Ils sembleraient plutôt obligés d’occuper les seules terres restantes741. De même concernant l’abbaye du Palais qui parvient à s’insérer dans des terres vides d’occupation monastique. Pourtant, d’autres abbayes et prieurés parsèment les environs de Bourganeuf : l’abbaye du Moutier, les chanoines réguliers de Bénévent, la maison conventuelle de l’Artige, le monastère fontevriste de Blessac, autant de créations issues de la réforme grégorienne. Une concentration exceptionnelle de l’ordre de Saint-Jean de Jérusalem autour de Bourganeuf va également apparaître. Nous pouvons de même constater un regroupement de prieurés d’Aureil sur un bloc compact de paroisses attenantes dans le quart sud-ouest (Saint-Amand-Jatourdeix, La Brégère, Magnat, Fontloup). Le Palais acquiert moyennant contrepartie onéreuse la cession de droits sans trop de difficultés. Il existe une relative bonne entente avec les autres maisons religieuses. Les conciliations sont fréquentes avec les Hospitaliers, les litiges récurrents avec les chanoines auréliens de Fontloup. Le Palais occupe un espace modeste mais permettant la constitution d’un domaine d’un seul tenant742. Quant aux moines de Dalon, nous pouvons constater que la paroisse de Sainte-Trie où ils s’implantent est encerclée par les possessions de l’abbaye Saint-Martial de Limoges avec les prieurés de Coubjours, Ségonzac, Rosiers et Concèze. L’abbaye de Tourtoirac est bien implantée au sud-ouest (paroisses de Sainte-Eulalie, de Granges et de Nailhac). Les abbayes de Solignac, Uzerche et Vigeois sont également bien pourvues dans cette région et les cisterciens se doivent de s’insérer entre leurs terres. Ainsi, les possessions de Solignac s’étendent sur les paroisses de Saint-Bonnet-La-Rivière, Ayen, Saint-Pantaléon de Larche ; 740 É. CHENON, « Le prieuré d’Aignerais, membre de l’abbaye des Pierres », Mémoires de la Société des Antiquaires du Centre, 1900, T XXVI, p. 35-55. 741 B. BARRIÈRE, L’abbaye cistercienne d’Obazine…, op. cit, p. 33-34. 742 S. VITTUARI, op. cit, p. 31. - 221 - celles d’Uzerche sur les paroisses de Saint-Cyr-La-Roche et Saint-Médard-d’Excideuil ; enfin celle de Vigeois sur les paroisses de Beyssac et Saint-Ybard. En 1177, l’abbé de Solignac donne une partie du rivage de l’étang de Fialeix aux moines de Dalon (fol. 83). Quant au moulin de Fialeix, il fait l’objet d’un compromis entre Dalon et Tourtoirac (fol. 470). Des prêtres apparaissent fréquemment au bas de quelques donations (tel celui de Teillots), de même que des représentants de l’abbaye de Tourtoirac, de Solignac, Sarlat, Saint-Yrieix ou Aureil743. Même si les cisterciens arrivent à maintenir une certaine distance avec les autres communautés religieuses dans un rayon restreint autour de leur monastère, les actes conservés permettent de juger des rapports entretenus, des conflits de bornage mais aussi des échanges de biens auxquels les moines blancs doivent se plier. Ainsi, le cartulaire du Palais témoigne bien de cette impossibilité pour les cisterciens de maintenir un isolement social permanent : vers 1140, Géraud, prieur d’Aureil, baille à cens aux moines de Dalon ce qu’il possède sur la borderie d’Archissat qui deviendra une grange de l’abbaye du Palais (fol. 77). Un accord est passé devant Géraud, évêque de Limoges, entre Adhémar, prévôt d’Eymoutiers et Roger de Dalon. Les chanoines peuvent percevoir la dîme dans les limites de la paroisse de Thauron et sur les terres que les religieux cultivent, à charge pour les moines de payer un cens de cinq deniers annuel (fol. 8). En 1158, un accord est conclu entre Adémar, prieur d’Ahun et Roger de Dalon à propos de l’abbaye du Palais, ce devant Géraud, évêque de Limoges (fol. 39). En 1177, Bernard, abbé d’Uzerche, accense au Palais le manse de la Chaussade (fol. 33). Sous l’abbatiat de Bernard (1177-1193), un échange est effectué avec Guillaume de Bramont, maître des Hospitaliers de Bourganeuf. L’abbé cistercien cède le manse Pascales contre la terre des Chasals et le bois des Vergnes (fol. 260). Ces échanges ont probablement pour but le regroupement des territoires de l’un et l’autre parti pour une meilleure et plus facile exploitation. Un accord est également passé sous cet abbatiat avec Géraud de Courson, prieur de Mansat, au sujet d’un partage de terre (fol. 304). En 1200, un accord est signé entre Bernard, abbé du Palais et le maître des Hospitaliers de Bourganeuf au sujet de la donation de Ramnulphe Lebrars (fol. 11)744. Les relations entre Dalon et les autres communautés religieuses peuvent être appréhendées grâce au cartulaire conservé. Ainsi en 1177, l’abbé de Solignac Archambaud donne une partie du rivage de l’étang de Fialeix pour la construction d’un moulin. Les rapports ne sont ainsi pas toujours conflictuels et les moines cisterciens peuvent y trouver 743 M-C. PEYRAT, op. cit., p. 86. AD Creuse, H 524 ; J. CIBOT, Le cartulaire de l’abbaye du Palais-Notre-Dame (XIIème-XIIIème siècles), DES, Poitiers, 1961. 744 - 222 - quelque avantage745. Toutefois en 1190, un différend éclate entre les moines de Dalon et l’église de Tourtoirac au sujet du moulin de Fialeix près du bois de Born746. En 1181, Henri, évêque d’Albano, arbitre un différend avec Sainte-Marie-De-Saintes à propos des dîmes de la grange des Touches. En 1182, le chapitre collégial de Saint-Front-de-Périgueux compose avec Dalon au sujet des dîmes de Sainte-Orse. Les cisterciens peuvent ainsi entretenir des relations avec des communautés plus éloignées ayant des prétentions dans les environs747. Quant aux moines de Bonnaigue, ils semblent entretenir des relations régulières avec les proches communautés de Bort (prieuré clunisien) et de Port-Dieu (prieuré casadéen). Ainsi Arbert, prieur de Bort, donne à Bonnaigue tous les droits qu’il avait à Bay. Pierre de la Chassagne, prieur de Port-Dieu, donne aux moines cisterciens, en la main de l’abbé Gui Gasmar, la ferme de Froidvent et le quart de la dîme de Daillac. En 1204, Gérard de la Roche, prieur de Port-Dieu, donne la mas de Laubard. Les rapports entretenus ne sont toutefois pas toujours cordiaux puisque l’abbé de Meymac doit arbitrer un différend entre l’abbé de Bonnaigue et le prieur de Port-Dieu, les deux communautés ayant des prétentions sur la haute vallée de la Dordogne748. Les moines cisterciens doivent ainsi composer avec les communautés déjà installées lors de leur implantation.  Seigneurs, rois et clercs : donner pour mieux contrôler ? Reprise en main des frontières. Si les seigneurs, rois et évêques sont bien souvent à l’origine d’une fondation d’abbaye cistercienne, s’ils contribuent très largement à la constitution du noyau initial du patrimoine foncier de ces monastères, leur incidence sur les sites cisterciens ne s’arrête pas là. Les mieux lotis continuent durant tout le XIIème siècle et parfois même le XIIIème siècle à doter les abbayes de l’ordre et trouvent ainsi peut-être un moyen de s’assurer la fidélité des moines et donc d’une certaine manière un contrôle, une mainmise sur des terres marginales aux limites des seigneuries [Fig. 70]. De même, les évêques gardent un œil sur les fondations en assistant aux donations. Ils tentent en quelque sorte « l’épiscopalisation » de ces terres frontalières longtemps dévolues au saltus749. L’étude des vocables aux saints évêques pourra peut-être 745 L. GRILLON, Le cartulaire de Dalon (1114-1247), Mémoire de DES sous la direction de C. HIGOUNET, Bordeaux, 1962, fol. 13. 746 L. GRILLON, op. cit, fol. 109. 747 Ibid., fol. 602 et 752. 748 J-L. LEMAITRE, Bonnaigue, une abbaye cistercienne au pays d’Ussel, Ussel, 1993, p. 136. 749 M. AUBRUN, L’ancien diocèse de Limoges des origines au milieu du XIème siècle, Institut d’Études du Massif Central, Clermont-Ferrand, 1970, p. 229. - 223 - nous apprendre sur leur présence et leur volonté de s’implanter au sein même de ses terres frontalières [Fig. 74]. Les liens entretenus entre Cîteaux et la noblesse locale sont très étroits, comme nous avons eu le loisir de le remarquer en étudiant plus précisément les conditions des fondations de sites cisterciens, aussi bien dans le diocèse de Limoges que dans d’autres diocèses. Les moines blancs ne seraient ainsi pas parvenus à maintenir leur indépendance par rapport aux pouvoirs laïcs, à l’encontre de certaines volontés de la réforme grégorienne. Les valeurs spirituelles de Cîteaux mais surtout les qualités de gestionnaires des moines blancs attirent les laïcs les plus hauts placés qui se montrent généreux de donations. Les cisterciens sont euxmêmes issus de milieux aristocratiques. Guillaume de SAINT-THIERRY constate à propos de Clairvaux qu’on « (…) voyait des hommes de vertu, autrefois riches et honorés dans le monde, et maintenant se glorifiant dans la pauvreté du Christ »750. Ils sont souvent des cadets de grandes familles qui trouvent une place au sein des réseaux cisterciens. Ceci explique sans doute leur réussite dans la mise en valeur de leurs biens. Ils ont vraisemblablement l’habitude de la gestion de vastes domaines et agissent en bons entrepreneurs et excellents administrateurs. Selon Michel AUBRUN, « Il n’empêche que le couvent a servi à placer des enfants en surnombre, mal aimés ou illégitimes »751. Nous comprenons ainsi mieux cet élan de générosité des seigneurs envers les cisterciens ; il s’agit peut-être de membres de leur famille qu’ils se doivent de doter largement en échange de prières pour le salut de leur âme. Véronique GAZEAU constate à propos des abbayes bénédictines de la Normandie ducale qu’elles sont des relais du pouvoir aristocratique, hypothèse démontrée par une étude prosopographique minutieuse sur les abbés. Selon l’historienne, la quasi-disparition de l’oblation des enfants de l’aristocratie aux XIème et XIIème siècles n’a pas réellement diminué l’influence des familles sur les établissements. Les jeunes gens qui prennent l’habit monastique font généralement le choix d’entrer dans le monastère fondé par leur propre famille752. 750 Guillaume de SAINT-THIERRY, Vie de Saint Bernard de Clairvaux, 1091-1153, Paleo, Clermont-Ferrand, 2004, p. 60. 751 M. AUBRUN, L’ancien diocèse de Limoges…, op. cit, p. 195. 752 V. GAZEAU, « Les abbayes bénédictines de la Normandie ducale : lieux de pouvoir ou relais du pouvoir ? », dans A-M. FLAMBARD HÉRICHER, Les Lieux de pouvoir au Moyen-Âge en Normandie et sur ses marges, - 224 - Les rapports sont ainsi très étroits entre moines réguliers et monde laïc. Les fondateurs des réseaux sont par ailleurs très fréquemment d’origine aristocratique. N’est-ce pas le cas de saint Bernard, ou de Géraud de Sales753? Les donations sont un moyen de manifester leur conscience lignagère et de légitimer un pouvoir. Ils peuvent ainsi chercher à faire remonter leur généalogie jusqu’à l’ancêtre fondateur de l’abbaye754. D’où les nombreux conflits d’intérêt suscités par les fondations monastiques qui excitent les convoitises seigneuriales. Les nobles se livrent alors à une surenchère dans la générosité pour que leur autorité soit reconnue, particulièrement dans ces zones marginales aux frontières politiques et ecclésiastiques mouvantes. Les dons ne relèvent pas alors exclusivement de leur piété puisqu’ils attendent en échange la prise en charge de l’éducation des cadets et marquent ainsi leur territoire et leur aire d’influence. Leurs donations sont finalement un moyen de contrôle sur la communauté qui aspire pourtant à se détacher des spéculations temporelles. Les moines de Bonlieu bénéficient dès les premiers temps de la fondation des libéralités des seigneurs de Chambon qui peuvent prétendre à la fondation du monastère. Amélius est d’ailleurs à l’origine de l’installation des ermites de Géraud de Sales en 1120 755. L’abbaye de Prébenoît est dotée par les vicomtes de Brosse, les seigneurs de Nouzerines, de Déols756 et de Malval757. Ces derniers s’étaient déjà montrés très généreux envers les moines d’Aubepierres. Les premières donations des seigneurs de Malval qui se revendiquent comme les fondateurs du monastère marchois concernent la zone d’implantation initiale de l’abbaye (Moisse) et ses abords directs (Les Charderies sur la paroisse de Genouillac). Guillaume de Nouzerines, vassal des seigneurs de Boussac, concède notamment des terres à la Villatte et la Fontanelle758. Les donations répétées des vicomtes de Turenne notamment permettent aux moines d’Obazine de constituer un important groupe de granges autour de Rocamadour, lieu de CRAHM, Caen, 2006, p. 91-100. 753 C. LAURANSON-ROSAZ, L’Auvergne et ses marges (Velay, Gévaudan) du VIIIème au XIème siècle, la fin du Monde Antique ? Le Puy, 1987, p. 355. 754 B. BARRIÈRE, « Généalogies et lignages. Un problème de transmission lignagère en Limousin au XIème siècle » dans M. CASSAN (dir.), Croyances, pouvoirs et société. Des Limousins aux Français. Études offertes à Louis Pérouas, « Les Monédières », Treignac, 1988, p. 103-127. 755 Amélius donne ses droits sur le bois d’Estrader (désormais bois de la Bonnette). Les moines peuvent prendre le bois nécessaire pour le chauffage, les constructions, peuvent faire paître les porcs et autres animaux. AD Creuse, H 284. 756 En 1208, les seigneurs de Déols cèdent aux moines le bois de Drouilles (Soumans). AD Creuse, H 528. 757 En 1223, Aubert de Malval récapitule et confirme les donations à titre perpétuel faites par ses ancêtres à l’abbaye. Il donne au monastère tous les hommes de son domaine qui voudraient prendre l’habit monastique. AD Creuse, H 528. 758 Cet acte est daté de 1192. Sébrand Chabot, évêque de Limoges, y appose son sceau. AD Creuse, H 528. - 225 - pèlerinage stratégiquement placé par les abbés de Tulle au XIIème siècle sur la route de SaintJacques de Compostelle759. Ces donations sont loin d’être désintéressées. En effet, elles sont vues comme un moyen d’acquérir des possessions aux abords du lieu de pèlerinage pour épauler l’abbaye de Tulle qui détenait alors les sanctuaires de Rocamadour. L’abbé de Tulle Ebles est d’ailleurs un Turenne (1112-1152). Ces seigneurs désiraient vraisemblablement attirer autour de Rocamadour le plus d’influences limousines possibles et stimuler la production et le commerce. Dans cette volonté de promotion du pèlerinage, les cisterciens apparaissent comme les plus aptes à mettre en place les infrastructures nécessaires à une telle entreprise760. L’approvisionnement de Rocamadour et des nombreux pèlerins posait également problème. Les granges cisterciennes d’Obazine avaient ainsi un rôle indéniable à jouer. Le monastère cistercien trouve son intérêt dans les stratégies des Turenne et obtient des débouchés à ses productions. L’implantation cistercienne autour de Rocamadour n’est ainsi pas un hasard mais correspond à l’essor du pèlerinage. Les donations seigneuriales sont pleinement stratégiques et visent à cerner le lieu de pèlerinage par les possessions des moines d’Obazine. Cet exemple montre clairement que les seigneurs ne se contentent pas d’apporter leur soutien à la fondation d’abbayes : ils utilisent les moines blancs à des fins politiques et stratégiques afin de contrecarrer les prétentions d’autres puissants. Au cœur de ces joutes seigneuriales, les cisterciens ne pouvaient guère assurer leur retrait du siècle761. Ils doivent aussi composer avec les mainmises épiscopales qui tentent d’assurer leur pouvoir au cœur des marges forestières. Ils tendent à utiliser les moines blancs tels des « vicaires épiscopaux », s’immiscent dans les affaires abbatiales afin de mieux les contrôler. Les rois Plantagenêts se montrent également présents dans les actes de donation de certaines abbayes et matérialisent ainsi l’étendue de leur pouvoir. Ces générosités sont bien souvent un moyen de marquer leur présence. Ils utilisent les abbayes cisterciennes comme lieu d’expression de leur pouvoir, relais de leur souveraineté. Ainsi en 1159 Henri II exempte Dalon du péage du sel et de toute taxe sur le vivre ou le vêtement. En 1173, il ajoute à sa précédente donation le forestage de la forêt de Baconnais. Puis Aliénor prend sous sa 759 B. BARRIÈRE, « Routes et échanges entre Limousin et Espagne du XIème au XIIIème siècle », dans P. SÉNAC (dir.), Aquitaine-Espagne (VIIIème-XIIIème siècles), Poitiers, CESCM, 2001, p. 189-202. 760 B. BARRIÈRE, « L’économie cistercienne du sud-ouest de la France », Centre culturel de l’abbaye de Flaran, Économie cistercienne. Géographie, mutations du Moyen-Âge aux temps modernes, 1981, Auch, 1983, p. 75-99. 761 B. BARRIÈRE, L’abbaye cistercienne d’Obazine en Bas-Limousin, les origines- le patrimoine, Tulle, 1977, p. 170 ; J. ROCACHER, Rocamadour et son pèlerinage. Étude historique et archéologique, Toulouse, 1979, vol. I, p. 345. - 226 - protection Dalon et tous ces biens. De même Richard-Cœur-de-Lion prend l’abbaye sous sa protection et exempte ses biens de toute taxe762. Jean-Baptiste MAHN, dans son étude sur l’ordre cistercien et son organisation, précise les rapports entre moines et évêques dans le cadre des statuts et règlements de la communauté. Il insiste sur le fait que la papauté exempte les moines blancs de toute juridiction épiscopale. Le pouvoir unique reconnu est celui de l’abbé. L’évêque ne serait considéré dès lors que comme un gardien de l’observance cistercienne et non un directeur doué d’initiative. Il est d’ailleurs écarté de l’élection abbatiale. Il demeure toutefois le consécrateur de l’abbaye et a la possibilité d’intervenir en cas de désaccord et de se proposer comme arbitre des éventuelles discordes. Les abbés pourraient choisir eux-mêmes l’évêque chargé de leur bénédiction. L’organisation de l’ordre cistercien exclut de fait tout pouvoir externe. Toutefois, nous pouvons nous demander comment ces principes vont s’adapter au fil des siècles aux réalités de la vie communautaire763. Que peut-on constater pour les marges du diocèse de Limoges ? Les moines blancs s’implantent aux confins diocésains, loin des centres épiscopaux et de l’influence directe des évêques de Clermont, de Limoges et de l’archevêque de Bourges. Ces déserts semblent de prime abord relativement libres de toute autorité ecclésiastique forte. En effet, l’étude du Pouillé du diocèse de Limoges révèle que les possessions territoriales de l’évêque sont surtout concentrées autour du centre épiscopal, dans l’archiprêtré de Limoges, tandis que les marches semblent largement convoitées par les seigneuries laïques ou certaines abbayes puissantes comme celle de Déols en Berry, largement possessionée en HauteMarche764. Toutefois, les évêques, de la même manière que les seigneurs laïcs, ne vont-ils pas tenter de prendre le contrôle de ces marches forestières ? Marie CASSET dans son étude sur les évêques normands au Moyen-Âge insiste sur la volonté des prélats de manifester leur présence, leurs pouvoirs tant ecclésiastiques que seigneuriaux sur des sites qui peuvent être éloignés du palais urbain, dans des environnements aptes à exprimer leur puissance. Ils témoignent d’une volonté déterminée d’affirmer les pouvoirs religieux dans des zones éloignées du chef-lieu, voire marginales du diocèse, au sein de territoires où les évêques ne détiennent que d’infimes pouvoirs. N’est-ce pas justement le cas des évêques de Limoges ou 762 L. GRILLON, Le cartulaire de Dalon (1114-1247), Mémoire de DES sous la direction de C. HIGOUNET, Bordeaux, 1962, fol. 731-732-733-736. 763 J. B. MAHN, L’ordre cistercien et son gouvernement des origines au milieu du XIIIème siècle (1098-1265), Paris, 1945, p. 78. 764 J. NADAUD, Pouillé historique du diocèse de Limoges, 1775, BSHAL, T 53, 1903, p. 1-841. - 227 - des archevêques de Bourges qui vont tenter, à travers une « mainmise » relative sur les sites cisterciens marginaux, d’affirmer une présence épiscopale aux limites extrêmes du diocèse765 ? Valérie POKUCINSKI insiste sur le fait que c’est bien l’évêque qui conduit la politique et la religion dans son diocèse et favorise ainsi la venue et l’expansion des mouvements à caractère érémitique. Ceux-ci auraient besoin de l’aval de l’évêque pour s’implanter. Elle donne l’exemple des chanoines réguliers d’Aureil qui s’installent dans l’ancien diocèse de Limoges vers 1086 et sont soumis au contrôle de l’évêque. Il les protège et par là même assure sa mainmise sur cette fondation. Par opposition, les moines de l’Artige, dépendant directement du Pape sont plus ou moins soustraits à l’autorité épiscopale766. L’évêque peut ainsi voir certains mouvements lui échapper. Les fondations d’Aureil et de l’Artige ne sont guère éloignées de la cité épiscopale. La proximité géographique facilite probablement les tentatives de mainmise du pouvoir épiscopal. Qu’en est-il cependant des fondations cisterciennes marginales ? Claude ANDRAULT-SCHMITT évoque la situation très similaire des abbayes cisterciennes du Poitou, elles aussi implantées aux marges diocésaines. Elle insiste sur le rôle des évêques dans la « consolidation du patrimoine cistercien » et la protection d’abbayes qui sont perçues comme des cautions morales et des relais pour obtenir des appuis politiques. Elle met en évidence les liens étroits entre l’abbaye du Pin (com. Béruges, Vienne) et le chapitre de Poitiers, entre Ourscamp (com. Chiry-Ourscamp, Oise) et Noyon, Lorroy (com. Méry-LèsBois, Cher) et Bourges, Longpont (com. Longpont, Aisne) et Soissons767. Il semble donc relativement habituel que les monastères cisterciens soient étroitement liés avec l’épiscopat et la noblesse, soutiens nécessaires à leur implantation et à l’accroissement de leur patrimoine. Toutefois, ils perdent en contrepartie une certaine autonomie et liberté ne serait-ce que dans le choix de leur site d’implantation. Outre ce contrôle exercé sur les abbayes cisterciennes, les évêques tentent de reprendre en main les marges forestières par une « épiscopalisation » des vocables, ce depuis les VIIème et VIIIème siècles [Fig. 74]. Bien que cette constatation ne corresponde pas à la période envisagée dans notre étude, il nous paraît nécessaire d’y faire référence ici afin de montrer les stratégies épiscopales pour maintenir un contrôle sur ces terres marginales, avant une 765 M. CASSET, « Les stratégies d’implantation des châteaux et manoirs des évêques normands au Moyen-Âge (XI-XVème siècles) », dans A-M. FLAMBARD HÉRICHER, Les Lieux de pouvoir au Moyen-Âge en Normandie et sur ses marges, CRAHM, Caen, 2006, p. 37-52. 766 V. POKUCINSKI, Les chanoines d’Aureil et de l’Artige d’après leurs cartulaires, maîtrise sous la direction de M. AUBRUN, Clermont II, 1991, p. 51. 767 C. ANDRAULT-SCHMITT, « Églises cisterciennes en Poitou (…) », op.cit., p. 9-103. - 228 - « l’instrumentalisation » possible des moines blancs. Des concurrences sont sensibles entres évêques de Limoges, archevêques de Bourges tandis que la présence des saints évêques auvergnats n’est pas non plus négligeable dans le diocèse de Limoges. Des interpénétrations sont sensibles grâce à cette étude des vocables des églises. Des cultes à saint Aignan d’Orléans, saint Maurille d’Angers et saint Amand de Rodez sont également présents dans l’ancien diocèse de Limoges mais de manière moins systématique que les saints évêques berrichons et auvergnats. Cette constatation s’explique aisément par la proximité des sièges épiscopaux de Clermont et de Bourges768. De même, les translations de reliques peuvent également nous apprendre sur les liens entre les sièges épiscopaux et leurs tentatives de marquer leur territoire et d’assurer leur présence. En 855 par exemple, les moines de Saint-Martial de Limoges dotent le prieuré de Ruffec en Berry (com. Le Blanc, Indre) des reliques de saint Alpinien. Il s’agit d’un des premiers évêques de Limoges, compagnon de saint Martial. N’est-ce pas là une tentative d’incursion en Berry par l’intermédiaire du culte de ce saint très renommé que l’on voudrait « exporter » au-delà des limites du diocèse de Limoges ?769 Par ailleurs, à la fin du Xème siècle, à l’occasion du Mal des Ardents, de nombreuses reliques sont rassemblées. Vers 1041, les reliques de saint Benoît sont acheminées à Limoges depuis le prieuré du Sault en Berry. En chemin, deux miracles se produisent à Saint-Hilaire-La-Treille et Châteauponsac. Des interpénétrations existent bien entre les deux diocèses par l’intermédiaire de la circulation de reliques entraînant la propagation des cultes de l’autre côté des frontières diocésaine770. Concernant l’analyse des vocables des églises, l’étude de Michel AUBRUN est une fois encore incontournable pour notre propre réflexion. Celui-ci explique que chaque époque a ses préférences quant au choix du patron de l’église, déterminé pour des motifs propres à la piété du moment. Les titulaires sont dans un premier temps d’origine scripturaire, puis des martyrs. Ensuite, c’est le vocable à saint Martin qui prédomine. Plus tard, aux VIIème et VIIIème siècles, les saints évêques gaulois de l’époque mérovingienne font leur apparition, correspondant à une politique « d’épiscopalisation » afin de freiner l’extension du culte martinien. Il pourrait également s’agir d’un souci d’utiliser les corps saints de la région à une époque où il semble difficile de se procurer les reliques de saints d’Orient, la législation romaine règlementant la propagation des reliques des catacombes et interdisant le 768 M. AUBRUN, L’Ancien diocèse de Limoges…, op. cit, p. 311. M. AUBRUN, op. cit, p. 131. 770 M. AUBRUN, op. cit, p. 199. 769 - 229 - fractionnement. Ce n’est que dans le courant du IXème siècle que ces pratiques seront tolérées771. Cette volonté « d’épiscopalisation » est ainsi tangible dès l’époque carolingienne (VIIème-IXème siècles). En Haute-Marche et plus particulièrement aux confins des diocèses de Limoges et de Bourges, les vocables des saints confesseurs tels saint Dizier et saint Sulpice, évêques de Bourges durant l’époque mérovingienne sont très présents 772. Ils révèlent ainsi les liens très étroits entre la Marche et le centre épiscopal berrichon, liens déjà évoqués à travers le culte très fréquent de saint Silvain, martyr de Levroux. Nous disposons de peu de renseignements sur les saints évêques mérovingiens berrichons. Il existait deux Sulpice issus de la haute société gallo-romaine. Le vocable des églises ne précise toutefois pas duquel il s’agit. Par leur imprécision, les dévotions sont attirées sur deux archevêques différents et drainent de nombreux de pèlerins. Sulpice I (584-591) était orateur et poète selon Grégoire de Tours. C’est un homme de haute noblesse appartenant à une famille sénatoriale des Gaules. Il est apprécié pour ses décrets sur la discipline du clergé et les mœurs des fidèles. Sulpice II Le Bon (624-647) est un peu mieux connu grâce au Livre de Miracles de Saint-Sulpice Le Bon composé peu avant sa mort. Des détails sont livrés sur son ascétisme et ses mortifications. Nous sommes moins renseignés sur son activité proprement religieuse. Il a fait de nombreux séjours à la cour du roi et y a occupé des fonctions officielles avant d’accéder à l’épiscopat. Il se montre comme le défenseur temporel des paroissiens et repousse notamment les collecteurs d’impôts envoyés par des rois à Bourges en violation des immunités fiscales de la ville. Il convertit des hérétiques et des juifs, lutte contre la survivance des cultes animistes dans son diocèse, d’où son renom et sa popularité. Le culte qui lui est porté honore toutefois plus ses vertus d’homme que son action d’évêque773. Quant à saint Désiré (538-541), il est relativement peu connu. Il fonde les églises de Saint-Symphorien et Saint-Ursin de Bourges. En 549, il prend part au 5ème concile d’Orléans et au concile de Clermont. Il serait mort à son retour à Saint-Désiré dans l’actuel canton d’Huriel. Il existe en fait un autre saint Dizier à Langres et un à Vienne, fêtés ensemble en Limousin le 23 mai774. Nous pouvons ainsi citer de nombreuses églises titrées à saint Dizier, à savoir SaintDizier-La-Tour, Saint-Dizier-Les-Domaines, Saint-Dizier-Leyrenne situées en Haute-Marche. 771 M. AUBRUN, op. cit, p. 229. M. AUBRUN, p. 310 ; G. DEVAILLY (dir.), Le diocèse de Bourges, Paris, 1973, p. 13 ; abbé J. VILLEPELET, Nos saints berrichons, Bourges, 1931, p. 6-11 et 23-27. 773 Maurice DE LAUGARDIÈRE liste les églises titrées à saint Sulpice en France. La majorité est dans les actuels départements de la Creuse et de l’Indre. Dans L’Église de Bourges avant Charlemagne, Paris, Bourges, 1951, p. 225-231. 774 M. AUBRUN, op. cit, p. 316. 772 - 230 - Celles dédiées à saint Sulpice sont encore plus nombreuses ; nous connaissons Banize, BordSaint-Georges, Le Donzeil, Ladapeyre, Lafat, Saint-Sulpice-Les-Feuilles, Saint-Sulpice-LeDunois, Saint-Sulpice-Le-Guérétois, Saint-Sulpice-Les-Champs, Tercillat (située à la limite de deux diocèses), Trois-Fonds et Viersat. L’église de Leyrat est quant à elle vouée à l’évêque de Bourges saint Désiré775. Faut-il voir dans cette énumération une volonté des archevêques de Bourges de faire valoir une emprise certaine sur la Haute-Marche, de s’insinuer dans cette marche forestière éloignée du pouvoir de l’évêque de Limoges ? Cette concentration de vocables dans le nord du diocèse de Limoges est en effet tout à fait particulière et ne se confirme pas en Bas-Limousin. Elle s’explique par la proximité relative de Bourges. Cette tentative « d’épiscopalisation » des zones de saltus est ainsi tangible en Haute-Marche et dans cette frange forestière en contact direct avec le Boischaut. Les liens avec l’épiscopat de Clermont paraissent plus ténus. Nous pouvons toutefois relever certaines églises dédiées à saint Priest. Il s’agit d’un évêque de Clermont assassiné en 676. Il est connu par une Vita qui liste une succession de miracles accomplis par le saint. Il fonde de nombreux monastères et se démarque par la création d’établissements charitables. Il crée un hospice pouvant accueillir vingt malades avec le personnel médical adéquat « à l’instar des hôpitaux d’Orient ». Huit églises sont placées sous son patronage dans l’ancien diocèse de Clermont, ce qui traduit son grand prestige. Il meurt sauvagement assassiné dans sa propriété de Volvic par un seigneur qui conteste une donation de la Dame Claudia de tous ses biens à l’évêque et aux pauvres. L’Église est riche et puissante et excite forcément les convoitises des nobles locaux. Il est honoré notamment à Saint-Priest-Taurion sur l’ancienne voie romaine de Clermont à Limoges, à Saint-Priest au sud-est de l’abbaye de Bonlieu, non loin de la limite diocésaine776. D’autres églises sont situées au cœur du diocèse et non en marges forestières : Cognac, Saint-Priest-Sous-Aixe, Saint-Priest-Palus, Saint-Priest-LaFeuille, Saint-Priest-La-Plaine, Saint-Priest-Le-Bétoux ou Saint-Priest-Ligoure. Saint Gal, évêque de Clermont mort en 554 n’est honoré qu’à Seilhac. Saint Gal (527553) est installé sur le trône épiscopal avec l’appui du roi. Il est le fils aîné d’un riche sénateur arverne. Il est connu à travers les écrits très laudatifs de son neveu Grégoire de Tours. Par ses mérites, il aurait obtenu la faveur divine que la Peste qui sévissait en Gaule ne frapperait pas son diocèse. Il institue également une procession de Clermont à Brioude. À sa mort, une crise se déclenche qui tourne au schisme. Caton et Cautin prétendent tous les deux à l’épiscopat. 775 L. LACROCQ, Les Églises de France, Creuse, Paris, 1934 ; R. CROZET, L’Art roman en Berry, Paris, 1932 ; abbé J. VILLEPELET, op.cit, p. 68-69. 776 M. AUBRUN, L’Ancien diocèse de Limoges (…), op.cit., p. 312 ; A. POITRINEAU (dir.), Le diocèse de Clermont, Paris, 1979, p. 30. - 231 - Le retour au calme est lié à l’élection de Saint Avit (vers 572). Il est connu pour avoir fait expulser de nombreux juifs, intensifié la politique de conversion. Grégoire de Tours le félicite d’ailleurs d’avoir fait de Clermont le premier diocèse exempt de judaïsme. Il fait preuve d’une grande énergie dans ses relations avec les autorités laïques. Il est probablement le fondateur de Notre-Dame-du-Port. Un second Avit (676-690) est connu pour avoir transféré les reliques de Saint Austremoine à Volvic. Issu d’une riche famille arverne, il est l’un des derniers évêques mérovingiens canonisés avec son frère saint Bonnet. Il est intéressant de constater que le vocable d’une unique église peut ainsi englober les dévotions à plusieurs prélats et rassembler ainsi un plus grand nombre de fidèles par l’ambiguïté intentionnelle de la dédicace. Saint Avit est honoré près d’Aubusson (Saint-Avit-de-Tarde) et près de SaintSulpice-Les-Champs, non loin de la Colombe (Saint-Avit-Le-Pauvre). Saint Genès est relativement méconnu. Sa vie est tardive et peu sûre. Saint Genest, compagnon de saint Austremoine, évangélisateur de l’Auvergne, est titulaire des églises d’Oradour-Saint-Genest (Le Dorat), Saint-Genest (Pierrebuffière) et Saint-Genest-deCuremonte (Meyssac)777. Saint Julien de Brioude est fortement présent aux frontières du diocèse de Limoges. Ce saint auvergnat est célébré à Arnac-La-Poste, Fresselines, Nouhant, Saint-Julien-La-Genête en Haute-Marche, aux franges berrichonnes et bourbonnaises. Les sites de Saint-Julien-aux-Bois, Soursac et Saint-Julien-Le-Pèlerin sont en limites du diocèse de Limoges. Nepouls, Varetz, Louignac apparaissent aux frontières du diocèse de Périgueux. La présence de ce vocable en marge diocésaine s’explique par cette volonté de « colonisation », de mainmise et de reprise en main de zones frontalières par les évêques. Concernant saint Julien, son culte apparaît dès les Vème et VIème siècles, ce qui laisse présager de la précocité de cette volonté d’épiscopalisation des marges diocésaines778. Le saint évêque auvergnat le mieux représenté est vraisemblablement saint Bonnet, très présent dans son diocèse dans les années 720. Ce vocable est surtout fréquent en Corrèze : Saint-Bonnet-La-Rivière (com. Juillac), Saint-Bonnet-L’Enfantier (com. Vigeois), SaintBonnet-Avalouze (com. Tulle), Saint-Bonnet-Elvert (com. Argentat), Saint-Bonnet-LesTours-de-Merle (com. Mercoeur), Saint-Bonnet (com. Bort) à la frontière du diocèse de Clermont, Saint-Bonnet-Briance (com. Pierrebuffière), Vaulry et Saint-Bonnet (com. Bellac) en Haute-Vienne779. 777 A. POITRINEAU, op. cit, p. 23. M. AUBRUN, op. cit, p. 267. 779 M. AUBRUN, op. cit, p. 320. 778 - 232 - Michel AUBRUN fait état de la rareté des dédicaces à saint Denis, l’évêque martyr de Paris. Il l’interprète comme un manque d’ouverture du diocèse de Limoges sur les zones septentrionales780. Toutefois, ce qui est constaté à l’époque carolingienne se confirme-t-il pour les XIIème et XIIIème siècles qui intéressent notre étude ? Ce retrait par rapport aux régions septentrionales perçues à travers les vocables peut-il être extrapolé à d’autres types d’échanges (artistiques par exemple) ? L’étude des vocables des églises de l’ancien diocèse de Bourges est également révélatrice de réseaux de relations, de liens avec d’autres centres épiscopaux. Dès les premiers temps de la chrétienté, saint Yrieix, évangélisateur limousin, vient dans la région d’Argenton pour christianiser certaines populations restées attachées aux croyances païennes. Le culte de saint Martial, premier évêque de Limoges, se propage de manière assez significative en Berry. Les vocables à saint Priest sont également présents en Boischaut, révélant des relations avec l’ancien diocèse de Clermont781. Nous pouvons notamment citer Saint-Priest-La-Marche aux confins des diocèses de Bourges et Limoges, Malicorne et Montvicq actuellement dans le département de l’Allier. Saint Pardoux est titulaire de l’église d’Archignat, Mesples et Domérat aux confins des diocèses de Bourges, Clermont et Limoges 782. Maurice de LAUGARDIÈRE fait état de vingt-deux églises tirées à saint Martin, deux à saint Julien de Brioude, trois à saint Germain d’Auxerre, quatre à saint Martial de Limoges et trois à saint Hilaire de Poitiers, témoignant des ouvertures sur les diocèses limitrophes783. Le Haut-Berry témoigne d’un rattachement à un espace aquitain ; saint Amand, ancien évêque de Bordeaux, est honoré à Saint-Amand-Montrond784. Pour l’abbé J. VILLEPELET, le patron de Saint-Amand-Montrond serait un évêque de Maastricht. Saint Amand serait né en pays Nantais dans une famille noble. Il reçoit la consécration épiscopale, non pas pour gouverner un diocèse particulier mais en tant que missionnaire afin d’évangéliser les fidèles. Il ne restera que trois années sur le trône de Maastricht. Saint Hilaire évêque de Poitiers, est quant à lui honoré à Bourges et Sancerre. Ces échanges ne sont pas unilatéraux ; il suffit de constater le nombre important d’églises vouées à l’archevêque saint Sulpice en Limousin, Poitou et Saintonge. N’était-ce pas un moyen pour le métropolitain de Bourges d’attester de sa présence dans les diocèses de ses suffragants ? 780 M. AUBRUN, op. cit, p. 315. R. CROZET, L’art roman en Berry, Paris, 1932, p. 30. 782 L’histoire de saint Pardoux est relativement bien connue. Il perd la vue très jeune et part s’isoler dans la forêt de Sardent au nord de Bourganeuf. Au VIIIème siècle, il est à l’origine de la fondation du monastère de Guéret. Voir M. PÉNICAUT, Les grands saints Limousins, Paris, 1946, p. 76. 783 M. DE LAUGARDIÈRE, L’Église de Bourges avant Charlemagne, Paris, Bourges, 1951, p. 115. 784 Abbé J. VILLEPELET, op.cit, p. 36-39. 781 - 233 - Le diocèse de Périgueux doit également faire l’objet de quelques remarques. En effet, les abbayes de Boschaud et de Peyrouse sont situées en limites de ce diocèse et les vocables des paroisses les entourant révèlent également des relations avec Clermont, Limoges et Angoulême dès le haut Moyen-Âge. Nous en disposons pas d’étude équivalente à celle de Michel AUBRUN mais l’ouvrage de Jean-Alcide CARLES sur les titulaires et patrons du diocèse permet néanmoins de proposer quelques constatations. Les liens avec Limoges sont attestés par la forte présence des vocables à saint Martial, disséminés dans l’ensemble du diocèse, comme à Saint-Martial d’Albarède (sud-ouest d’Excideuil, non loin de l’abbaye de Dalon) ou Thenon. À Villars, sur la commune où s’implantent les cisterciens de Boschaud, une fontaine dédiée à saint Martial faisait l’objet d’un important pèlerinage785. Les dévotions à saint Victurnien, ermite limousin, d’origine écossaise (VIIème siècle), sont également fréquentes, notamment à Saint-Raphaël au sud-est d’Excideuil786. L’ermite limousin saint Valéry est quant à lui vénéré à Badefols d’Ans et Boisseuilh. À Saint-Pardoux-La-Rivière, c’est l’ermite né à Sardent qui fait l’objet d’une vénération particulière, témoignant du rattachement du Nontronnais au diocèse de Limoges. Une fontaine de Saint-Pardoux était l’objet de processions et cérémonies787. Certaines titulatures se réfèrent également au diocèse de Clermont. En effet, saint Julien de Brioude par exemple est vénéré à Saint-Julien-deBourdeilles, à 30 kms au nord-ouest de Périgueux. Quant à saint Sulpice, ancien évêque de Bourges, il est célébré par exemple à Saint-Sulpice d’Excideuil où une fontaine attire les dévotions et à Saint-Sulpice-de-Mareuil788. Le diocèse de Périgueux est également tourné vers l’Aquitaine et les vocables à saint Cybard, saint Front (évêque de Périgueux, Nanthiat), saint Trojan (évêque de Saintes, à Sainte-Trie notamment) saint Aignan (évêque de Périgueux, successeur de saint Front, célébré à Hautefort), saint Martin (martyr de Tours, à Savignac-les-Eglises et Antonne) ou encore saint Amand (évêque de Bordeaux, Saint-Amand-de-Vergt) sont très fréquents, témoignant là encore du souci « d’épiscopalisation » dans ces zones marginales. Ainsi l’analyse des vocables des paroisses renseigne sur la volonté de reprise en main des marches par l’épiscopat, ce dès la Haut Moyen-Âge. Aux XIIème et XIIIème siècles, les évêques tentent de maintenir sous leur coupe les moines et ermites réformateurs, nouveaux 785 J-A. CARLES, Les titulaires et les patrons du diocèse de Périgueux-Sarlat, éditions du Roc-de-Bourzac, Bayac, 1884 (réédition 1986), p. 224. 786 J-A. CARLES, op. cit., p. 44. 787 J-A. CARLES, op. cit., p. 238. 788 J-A. CARLES, op. cit., p. 231. - 234 - ambassadeurs épiscopaux dans les marges diocésaines. Les cisterciens se doivent de composer avec ces acteurs et « manipulateurs » plus ou moins présents.  Les abbayes comme nécropoles aristocratiques : Si les seigneurs et rois se montrent généreux envers l’ordre cistercien et accordent leurs libéralités pour la fondation et la constitution du patrimoine foncier des monastères, ils n’en exigent pas moins une contrepartie. Ils réclament fréquemment à être enterrés dans l’abbatiale, ce que les premiers statuts de l’ordre refusent avec véhémence, de même que les préceptes grégoriens. Ils tentent de transformer les abbayes cisterciennes en nécropoles aristocratiques et affirment ainsi leurs liens étroits avec la communauté monastique. Les monastères tendent parfois à devenir des « mausolées » pour certaines grandes familles seigneuriales. Les « soldats du Christ » gardent ainsi une place dans leurs prières pour les « guerriers séculiers », garants des pauvres et serviteurs du Christ lors des croisades contre les infidèles789. Ces inhumations seigneuriales dans les monastères permettent dès lors de « cimenter » les liens entre les deux partis. Les moines y trouvent l’assurance que les donations de la famille vont continuer. Le rite funéraire propre à l’ordre de Cîteaux est connu dès les premiers textes cisterciens et les statuts des Chapitres Généraux. Dans un premier temps, seuls les abbés peuvent être inhumés dans l’église. En effet, les abbés de Cîteaux et de Clairvaux sont enterrés au cours du XIIème siècle dans une fosse commune située dans une niche (loculus), pratiquée dans le mur du transept, ouverte sur le cloître, auprès de la porte menant à l’église. Les moines et les convers sont inhumés en pleine terre dans le cimetière souvent placé au nord de l’église, sans aucun monument funéraire. Parfois, des tombes abbatiales sont placées dans un enfeu dans l’aile est du cloître (Morimond, Preuilly, peut-être Dalon d’après l’enfeu conservé au départ de l’aile est). En 1180, les statuts permettent l’aménagement de la nécropole abbatiale dans la salle capitulaire790. Les plates-tombes sont admises mais sans représentation figurative. Dès la seconde moitié du XIIème siècle, les fondateurs et bienfaiteurs, rois et évêques recherchent les inhumations dans les abbayes cisterciennes notamment pour la permanence de la prière. Dans la seconde moitié du XIIIème siècle, la nécropole abbatiale quitte le chapitre envahi par les laïcs et entre dans l’église. Au XIVème 789 B. GOLDING, « Anglo-Norman Knightly burials », dans C. HARPER-BILL, R. HARVEY, The ideals and Practice of Medieval Knighthood. Papers from the first and second Strawberry Hill conferences, the Boydell Press, Suffolk, 1986, p. 35-48. 790 J. M. CANIVEZ, Statuta Capitulorum Generalium Ordinis Cisterciensis ab anno 1116 ad annum 1786, Louvain, 1933, T I, p. 87. - 235 - siècle, les représentations figurées et les épitaphes apparaissent sur les dalles funéraires. Les inhumations se font dans des sarcophages. Il n’y a plus guère de différence avec les inhumations bénédictines791. Concernant les abbayes bénédictines de la Normandie ducale, Véronique GAZEAU explique que la fondation d’un monastère s’apparente à la constitution d’un centre de pouvoir, d’un lieu de pouvoir. Dans la première moitié du XIème siècle, la puissance des familles passe par la possession d’un ou de plusieurs châteaux mais aussi bien souvent par la fondation d’un monastère bénédictin. La salle capitulaire peut d’ailleurs devenir un lieu de rassemblement de la cour féodale du fondateur, ce qui ne semble pas toutefois être le cas des monastères cisterciens mais témoigne néanmoins de l’étroitesse et de l’ambiguïté des rapports entre monde laïc et religieux. L’auteur insiste aussi sur le fait que bien souvent le pouvoir des familles fondatrices passe aussi par l’élection de sépulture à l’abbaye familiale. Il s’agit d’une tendance commune à presque toutes les lignées princières de l’Occident. Les sanctuaires peuvent ainsi devenir de véritables mausolées familiaux. Le choix du lieu de sépulture s’accompagne généralement d’un geste de bienveillance destiné à renforcer les liens entre l’abbaye et la famille. La présence de l’ancêtre fondateur renforce la légitimité et le pouvoir de la famille sur l’abbaye. Les seigneurs laïcs semblent ainsi se servir de leurs ancêtres pour rappeler et légitimer le pouvoir qu’ils exercent. Dans la seconde moitié du XIIème siècle, les seigneurs choisirent les maisons appartenant aux nouveaux ordres comme Cîteaux792. En 1157, les statuts de l’ordre de Cîteaux précisent que les fondateurs peuvent être ensevelis dans l’enceinte monastique. Seuls les rois et évêques ont le droit d’être inhumés dans l’église793. Il est précisé que les évêques, fondateurs de l’abbaye et souverains pouvaient être enterrés dans l’abbaye cistercienne à la condition que leur monument ne dépasse pas un pied de haut. Les cisterciens sont soumis à des pressions de plus en plus importantes au fur et à mesure que la pratique du monument funéraire se répand dans la noblesse et les statuts de l’ordre sont parfois insuffisants à maintenir les règlements. La transgression de l’interdiction d’inhumation traduit le souci des seigneurs de choisir leurs fondations. La première entorse à ces interdictions intervient lorsqu’Alphonse VIII de Castille fonde Las Huelgas de Burgos. La nef devient un cimetière pour les souverains de Castille. Il 791 E. DABROWSKA, « Le rite funéraire propre à l’ordre de Cîteaux. Son développement, sa réception, ses filiations », dans Unanimité et diversités cisterciennes,filiations, réseaux, relectures du XIIème au XVIème siècles, Actes du colloque international du CERCOR, Dijon, 1996, Saint-Étienne, 2000, p. 223-231. 792 V. GAZEAU, op. cit, p. 91-100. 793 R. P. A. DIMIER, op. cit, p. 76. - 236 - semblerait que dans la seconde moitié du XIIème siècle, les seigneurs aient considéré donations et possibilités d’inhumations dans l’abbatiale dotée comme allant de paire. Les seigneurs devaient gagner leur place au sein de l’abbatiale par des dons multiples et généreux, ce qui peut expliquer en partie cette surenchère de donations dans la seconde moitié du XIIème siècle lorsque les moines blancs s’installent dans le diocèse de Limoges. Toutefois, les sites cisterciens pâtissent de leur implantation rurale, souvent isolée, les éloignant de la bourgeoisie alors en pleine ascension et en quête d’espaces funéraires. Ce groupe préfère dès lors se tourner vers les couvents urbains des ordres mendiants (XIIIème siècle). Le succès des abbayes cisterciennes auprès de la noblesse et des rois s’explique facilement à une époque où ceux-ci éprouvent le besoin de se distinguer de la bourgeoisie, d’où le développement considérable des ensembles funéraires dans les abbayes cisterciennes au XIVème siècle notamment794. Les sépultures s’accompagnent fréquemment d’un embellissement des sanctuaires avec adjonction d’éléments de mobilier, de pavements, de vitraux, de tombeaux monumentaux. Ils financent des embellissements développant une iconographie propre. Les moines blancs n’auraient en effet sans doute pu financer seuls ces investissements. Il s’agit donc probablement d’un « art de commande ». En Allemagne et en Espagne, les rois sont ainsi inhumés le plus fréquemment dans les abbayes cisterciennes telles Poblet et Alcobaça795. La reine Adèle, veuve de Louis VII, mère de Philippe-Auguste, reçoit du pape la permission d’avoir sa sépulture dans l’église de Pontigny. Étant bienfaitrice du nouveau chevet à déambulatoire et chapelles rayonnantes, elle obtient le droit d’être inhumée en 1206 dans le sanctuaire796. Pontigny est en effet placée sous la protection des rois de France qui, au XIIIème siècle semblent préférer les monastères cisterciens comme nécropole plus que Saint-Denis. Pontigny devient ainsi un lieu de pèlerinage, une source de profit pourtant rejetée dans les premiers temps de l’ordre permettant d’éviter les difficultés qui touchent les abbayes cisterciennes au XIVème siècle797. Louis VII choisit quant à lui sa sépulture à Barbeau, près de Melun (com. Fontaine-Le-Port, Seine-etMarne). L’abbaye de Royaumont devient elle aussi en quelque sorte un caveau familial. Quant aux ducs de Bourgogne, fondateurs de Cîteaux, ils sont inhumés dans le porche de 794 X. DECTOT, « Abbayes cisterciennes et monuments funéraires », dans Dossiers d’Archéologie, n°311, mars 2006, « Tombeaux royaux et princiers », p. 38-41. 795 M. UNTERMANN, Forma Ordinis. Die mittelalterliche Baukunst des Zisterzienser, Deutscher Kunstverlag, München, Berlin, 2001, p. 85. 796 T. N. KINDER, « Pontigny » dans T. KINDER (dir.), Les cisterciens dans l’Yonne, « Les Amis de Pontigny », Pontigny, 1999, p. 85-96. 797 M. GARRIGUES, Le premier cartulaire de l’abbaye cistercienne de Pontigny, Paris, 1981, p. 12. - 237 - l’abbaye798. En 1228, l’abbaye de femmes de Marquette est créée à l’initiative de Jeanne, fille aînée de Baudouin, comte de Flandre (com. Marquette-lès-Lille, Nord). Elle est inhumée en 1244 d’abord dans le cimetière des moines, la construction de l’église n’étant pas achevée, puis déplacée dans le chœur de l’abbatiale. L’emplacement de son monument funéraire orné d’un gisant a été récemment retrouvé lors d’investigations archéologiques799. Les abbayes cisterciennes de l’ancien diocèse de Limoges n’échappent pas à cette évolution au XIIIème siècle et accueillent elles aussi des sépultures de laïcs, bienfaiteurs et généreux donateurs de l’ordre, malgré les représailles fréquentes du Chapitre Général. C’est ainsi qu’en 1215 notamment l’abbé de Peyrouse est sanctionné pour avoir permis des inhumations dans l’abbaye800. Ces monastères deviennent ainsi peu à peu des « bastions » du pouvoir des familles de l’aristocratie qui les ont dotées. Contrairement à certains sites cisterciens de Bourgogne notamment, nous pouvons remarquer dans le diocèse de Limoges l’absence d’inhumation d’évêques. Ceux-ci ne semblent pas choisir les abbayes comme lieu d’inhumations, par ailleurs déjà bien investies par les réseaux aristocratiques. D’après une étude de René CROZET, les évêques se tournent plutôt vers certaines églises de Limoges. L’église Saint-Augustin particulièrement connaît une série d’inhumations échelonnées du XIème au XIIème siècles801. La première sépulture épiscopale connue à la cathédrale n’intervient que tardivement en 1275 (Aimeri de Malemort)802. En 1365, l’abbé de Varennes est absout par celui d’Aubepierres alors qu’il avait permis l’inhumation de laïcs dans le monastère803. Dès le XIIème siècle, les seigneurs de la Celle et les seigneurs de Puyguillon sont par ailleurs inhumés à Aubepierres. Selon Michel AUBRUN «ces nobles partageaient l’idée simpliste que, de cette manière, ils seront confondus avec les saints moines au jour du Jugement »804. Au début du XIIIème siècle, Gérard Porret choisit Aubignac pour lieu de sépulture. Il lègue divers biens pour la fondation d’un anniversaire805. En 1247, Pierre de Brosse demande dans son testament à être inhumé dans ladite abbaye qu’il avait par ailleurs largement dotée 806. 798 A. ERLANDE-BRANDENBURG, « Cîteaux et la mort des rois », dans Dossiers d’Archéologie, n°311, mars 2006, « Tombeaux royaux et princiers », p. 42-45. 799 B. CHAUVIN, « Études d’histoire et d’archéologie cisterciennes. Abbayes cisterciennes féminines des comté et duché de Bourgogne, travaux 2004-2005 », Bulletin du CEM, n°10, Auxerre, 2006, p. 137-162. 800 J-M. CANIVEZ, op. cit, T I, 1215-46. Gui de Laron († 1086), Eustorge († 1137), Gérauld II († 1170), Sébrand († 1197). 802 R. CROZET, « Les lieux de sépulture des évêques de Limoges, des origines chrétiennes à la fin du XIIème siècle », BSAHL, T 98, 1971, p. 149-152. 803 A. CHARDON, (…), op. cit, p. 201-205. 804 M. AUBRUN, « L’abbaye cistercienne d’Aubepierres dans la Marche limousine (…) », op.cit, p. 30. 805 AD Creuse, H 250. 806 H. DELANNOY, « L’abbaye d’Aubignac (…) op. cit, p. 7-63; AD Indre, H 976. - 238 - Il offre treize deniers à treize moines qui voudront célébrer son anniversaire chaque année. En 1303, Guillaume Chardon demande également à être inhumé dans l’abbatiale, de même qu’Hélie de la Chaume en 1355 qui lègue par testament douze livres de rente à charge de trois messes par semaine pour le salut de son âme807. En 1344, Marguerite et Aliénor de Sulyache présente une requête au Chapitre Général pour que leur père repose à l’abbaye d’Aubignac808. Concernant Bonlieu, nous savons simplement qu’en 1207, Guillaume de Lichiat se donne à l’abbaye pour y avoir sa sépulture809. À notre connaissance, aucun tombeau laïc n’a été découvert à ce jour dans l’abbatiale. L’abbaye de La Colombe va également devenir la nécropole des sires de la Trimouille, principaux bienfaiteurs du monastère. Ils obtiennent un droit de sépulture à l’intérieur de la chapelle de la Vierge, ce qui les différencient des seigneurs de Brosse, autres donateurs importants mais qui privilégient l’abbaye de Prébenoît pour lieu d’inhumation. Guy III est inhumé en 1316, Guy IV en 1360, Guy V en 1350. Dans la cour du cloître repose Alix Huret, épouse de Rémi de la Trimouille 810. Auparavant, dès 1229, Amelius et Audebert, deux chevaliers, obtiennent également des droits de sépulture, ainsi que Maheu, mère de Guillaume de Château-Guillaume en 1240 811. L’abbaye de Prébenoît est aussi choisie comme lieu d’inhumation. En 1250, Marguerite, dame de Châtelus décide de se faire enterrer dans l’enceinte de l’abbaye. En 1286, une clause du testament de Roger de Brosse prévoit son inhumation dans le chœur de l’abbatiale. Il meurt un an plus tard. La famille des De Brosse est intimement liée à la fondation et au développement de l’abbaye puisqu’elle fait partie des donateurs essentiels812. La découverte archéologique de sa sépulture lors des fouilles de 1993 a permis de confirmer un fait uniquement connu dans les textes. Quant aux moines de Boeuil, ils accueillent notamment la sépulture de Ramnulphe de Nieul : « Perlatus est in coenobium quod vocatur Bulos, ubi ipse quondam bona contulerat, quod est non longe de castello de Nioil ». 807 AD Indre, H 977. J-M. CANIVEZ, op. cit, T III, 1344-37. 809 AD Creuse, H 284. 810 D. GAUDON, (…), op. cit, p. 168-175. 811 J. PICAUD, (…), op. cit, p. 60. 812 P. LOY, J. ROGER, L’abbaye cistercienne de Prébenoît (…), op. cit, p. 65 à 73. 808 - 239 - En 1378, les moines de Boeuil acceptent également la sépulture de Jeanne d’Archiac, première femme d’Aymeric de Rochechouart. La famille de Pierrebuffière choisit de même la modeste abbaye limousine comme lieu d’inhumation813. Vers 1211, Pierre Rigaus, prêtre, afin d’avoir sa sépulture dans le cimetière des moines du Palais, donne une rente annuelle d’une émine de froment à prendre sur la dîme de SaintSulpice814. En 1184, Aimeri de Teillots donne sa part de la terre du Mainil à condition d’être enseveli dans le cimetière de Dalon815. En 1180, Guillaume d’Ussel fait élection de sa sépulture dans le cimetière de Bonnaigue. Néanmoins, en 1225, Ebles d’Ussel fait retirer du cimetière de l’abbaye les corps de son père, sa mère et ses frères, son fils Ebles et les fait inhumer dans le cloître, près du chapitre. Cet épisode marque ainsi l’évolution des pratiques funéraires. Si dans la seconde moitié du XIIème siècle, les cisterciens parvenaient à maintenir les inhumations laïques dans le cimetière des moines, elles ne tardent pas à envahir les espaces les plus sacrés comme le cloître, la salle capitulaire, voire le chœur (Roger de Brosse à Prébenoît à la fin du XIIIème siècle) parfois dès le premier tiers du XIIIème siècle. Les pressions seigneuriales parviennent peu à peu à contourner et assouplir les statuts et interdits de l’ordre816. Véronique GAZEAU conclut ainsi son étude des abbayes bénédictines normandes : « force est d’observer que les familles de l’aristocratie normande ont considéré leurs fondations comme des lieux de pouvoir, au même titre que leurs châteaux. Lieux de mémoire, lieux de pouvoir, ces maisons religieuses ont servi les intérêts des familles et réciproquement. Elles en ont attendu en retour des gestes de bienveillance. » Ne pourrait-on imaginer un déplacement du pouvoir du château vers l’abbaye cistercienne dans des zones marginales où l’on constaterait l’absence de forteresse prestigieuse817 ? Cette hypothèse, si elle peut être vérifiée pour des exemples normands ne semble guère pouvoir s’appliquer dans le diocèse de Limoges où un réseau complexe de châteaux s’est établi dès le XIème siècle et plus encore au XIIème siècle [Fig. 75]. Les abbayes ne semblent ainsi pas prendre la place d’une forteresse absente mais s’ajoutent à elles, les côtoient et bénéficient des donations des seigneurs châtelains. Ainsi, l’abbaye de la Colombe 813 I. AUBRÉE, op. cit, p. 105; Abbé J. ARBELLOT, « Abbaye de Boeuil », Semaine religieuse de Limoges, T 3, 1865, p. 542-543. 814 AD Creuse, H 524, fol. 112. 815 L. GRILLON, op. Cit, fol. 106. 816 J-L. LEMAÎTRE, op. cit., p. 87, cart. fol. 51. 817 V. GAZEAU, op. cit, p. 91-100. - 240 - est proche de Châteauguillaume (com. Lignac) aux confins du Berry, du Poitou et du Limousin. Cet édifice construit par Guillaume IX d’Aquitaine entre 1087 et 1127 est ensuite donné à une branche cadette des comtes de Poitiers puis aux seigneurs de la Trémouille au XIIIème siècle, bienfaiteurs des moines cisterciens818. Le monastère est ainsi un second lieu de pouvoir qui permet à la noblesse d’asseoir leur autorité sur les populations et les autres seigneurs, à la fois en démontrant force et puissance par l’intermédiaire du château, mais aussi foi et dévotion par leur bienveillance vis-à-vis d’un ordre populaire. De la même manière, nous pouvons remarquer les liens étroits entre le château d’Huriel, aux mains des seigneurs de Déols puis des de Brosse de Boussac de 1256 à 1512 et l’abbaye de Prébenoît en Creuse qui bénéficie de leurs libéralités 819. L’abbaye de Grosbot est située non loin du château de Marthon dont le premier donjon est édifié dès le XIème siècle et vraisembablement remanié dans le courant du XIIème siècle. L’abbaye de Boschaud est cernée par les châteaux de Richemont, Vaugoubert, de la Renaudie, de Puyguilhem, de Vauvocour tandis que Dalon n’est qu’à quelques kilomètres du donjon des donjons d’Excideuil appartenant aux vicomtes de Limoges et de Saint-Yrieix (édifié par les chanoines au XIIème siècle), et Bonlieu non loin de Sermur et d’Aubusson, donjon des vicomtes du même nom, généreux donateurs du monastère aux XIIème et XIIIème siècles 820. Ce même monastère n’est qu’à deux kilomètres de Saint-Julien-Le-Châtel, fief mouvant de la grande seigneurie de Chambon-Combraille constitué dès le XIème siècle821. Les moines cisterciens du diocèse de Limoges s’insèrent donc dans un maillage serré de forteresses et profitent des générosités de ces seigneurs, font parfois les frais de leurs violences et accueillent leurs dépouilles, devenant ainsi à la fois nécropoles aristocratiques et lieux d’un pouvoir laïc influent au même titre que les châteaux et forteresses.  Insertion dans les flux commerciaux : Dès la fin du XIIème siècle, les moines sont conduits à s’insérer dans de nouveaux systèmes économiques. L’image de l’ordre devient ainsi relativement paradoxale. Quelle crédibilité de cette institution riche qui prêche par ailleurs la pauvreté comme une valeur en soi et le détachement matériel comme voie de salut ? Les cisterciens sont confrontés très rapidement à une rupture entre l’idéal exprimé dans les textes et les réalités de la vie 818 A. CHATELAIN, Donjons romans des pays d’Ouest, étude comparative sur les donjons romans quadrangulaires de la France de l’ouest, Paris, Picard, 1973, p. 144-145. 819 A. CHATELAIN, op.cit, p. 146-147. 820 A. CHATELAIN, op. cit, p. 200-201 ; 205 ; 215-216. 821 B. BARRIÈRE, P. COUANON, « Fortifications du Bas Moyen-Âge en Haute-Marche et Combrailles » dans M. BUR (dir.), La maison forte au Moyen-Âge, CNRS, Paris, 1986, p. 289-306. - 241 - communautaire822. Les conseils et prescriptions du Chapitre Général interdisent formellement aux moines de prendre part dans les spéculations temporelles. Le commerce permet des échanges trop faciles qui confrontent le moine au monde extérieur et à ses tentations. Un statut de 1152 précise que les « revenus des fours et moulins et autres ressources semblables, contraires à l’intégrité de l’observance monastique sont incompatibles avec [la] condition de moines et de cisterciens »823. Pourtant, le commerce n’est pas entièrement rejeté par la Règle de Saint Benoît. Les moines sont en effet autorisés à vendre des objets fabriqués par leurs soins. « Le fléau de l’avarice ne doit pas s’insinuer dans les prix, mais on vendra toujours un peu meilleur marché que ne peuvent le faire les autres producteurs séculiers, pour qu’en tout Dieu soit glorifié. »824 Toutefois, malgré les recommandations de l’ordre de Cîteaux, le superflu engendré par leur bonne gestion des domaines sert à l’acquisition d’immeubles au lieu d’être entièrement employé à des aumônes. Les principes originaux de l’ordre sont trahis dès la fin du XIIème siècle par le métayage, le trafic des vins et des laines, la construction de celliers et d’entrepôts urbains. Ainsi, à une économie de subsistance dans les premiers temps de l’ordre succède une économie de surplus auxquels les moines du diocèse de Limoges et de ses marges n’échappent guère. Dès 1205-1206, les moines d’Aubepierres vendent leur production de vin sur les marchés. Ces opérations commerciales sont favorisées par de nombreux privilèges comme l’exemption de certains droits de péage825. Ils sont de même exemptés de la dîme par le Pape dès 1132. Ils sont donc avantagés pour vendre sur les marchés des nouvelles villes en expansion. Les abbayes d’Aubepierres et Prébenoît ne se livrent pas à l’achat de terres avant 822 M. E. HENNEAU, « Esprit de pauvreté et pauvreté de vie ou les oscillations d’une église entre idéal et réalité », dans les actes du colloque international d’Histoire, Finances et religion, Entre idéal et réalité, Clermont II, 1994, p. 5-11. 823 J. M. CANIVEZ, Statuta capitulorum generalium ordinis cisterciensis, Louvain, 1934-1941, article 23. 824 Règle de Saint Benoît, trad. A. DE VOGÜE, J. NEUFVILLE, Sources Chrétiennes, Cerf, Paris, 1972, T 2, 57, 7-8-9. 825 G. MARTIN, « La Haute-Marche au XIIème siècle, les moines cisterciens et l’agriculture », MSSNAC, T VIII, 1893, p. 47-127. - 242 - 1250826. Nous assistons donc à une évolution de l’esprit cistercien. Au travail de la terre destiné à satisfaire les seuls besoins de la communauté succède une expansion foncière axée sur l’élevage, la production viticole et les activités pré industrielles827. Bienfaisance et richesse sont les résultats de leur exploitation qui les éloigne cependant de l’idéal primitif de retrait au désert. Toutefois, si les statuts interdisent la vente au détail, ils tolèrent la vente de surplus. Les moines peuvent se rendre dans les marchés des proches agglomérations pour acheter les produits manquant et vendre certains excédents de leur exploitation. Ce sont souvent des convers qui participent aux foires tout en restant soumis aux directives de l’abbé et du cellérier. Les achats doivent correspondre aux seuls besoins communautaires. Les richesses apparaissent comme un moyen d’honorer le Seigneur. Le comportement des cisterciens semble alors peu différent de la spiritualité des clunisiens pour lesquels rien n’est trop beau pour la maison de Dieu. Les moines blancs sont ainsi confrontés au monde du commerce. Hildegarde de BINGEN s’adresse à eux en disant « vous voulez posséder à la fois le ciel et la terre : c’est impossible »828. Elle doute ainsi de la crédibilité et de la réussite possible d’un tel ordre dans la quête de Dieu, incompatible avec une compromission dans les spéculations temporelles. Pour écouler leurs surplus, les abbayes cisterciennes du diocèse de Limoges se dotent de maisons de ville qui leur permettent de traiter des affaires dans les bourgs marchands. Ces maisons urbaines servent à la fois à la vente et de lieux de résidence des moines. Les monastères de Haute-Marche semblent privilégier une implantation en Berry. Leur présence est en effet plus difficile à déceler dans les villes marchoises. Peut-être le Berry, plus dynamique, offrait plus de débouchés pour les productions cisterciennes 829? Si les cisterciens obtiennent des possessions urbaines en Boischaut, elles ne s’aventurent toutefois guère en Haut-Berry. En effet, les abbayes comme Fontmorigny, Chalivoy, Noirlac et La Prée disposent déjà de maisons de ville à Nevers, Sancerre, Châteauneuf, Saint-Amand-Montrond, Mareuil et Dun. Elles délaissent le Boischaut qui va devenir le centre d’action des abbayes de Haute-Marche. Ces maisons servent également de lieux d’habitation pour les convers affectés 826 C. HIGOUNET, « Le premier siècle de l’économie rurale (…) op. cit, p. 455- 474. L. CHAMPIER, « Cîteaux, ultime étape dans l’aménagement agraire de l’Occident », Mélanges saint Bernard, Dijon, 1953, p. 254-261. 828 Hildegarde de BINGEN, Patrologie Latine, épist 51, 197, col 265, c, citée par M. AUBRUN, « Les moines cisterciens et l’argent : principes et applications ; l’exemple de Fontmorigny » dans les actes du colloque international d’Histoire, Finances et religion, Entre idéal et réalité, Institut d’Études du Massif Central, Clermont II, 1994, p. 23-32.. 829 B. BARRIÈRE, « Les patrimoines cisterciens : principes et réalités », dans l’ouvrage collectif « L’ordre cistercien et le Berry », CAHB, 1998, p. 40. 827 - 243 - aux vignes du Bas-Berry830. Les moines s’implantent soit au cœur de la cité pour les premiers arrivés, soit dans les faubourgs. Les fonds lacunaires de certains monastères ne nous permettent guère d’envisager ces possessions urbaines. Ainsi, nous n’avons pas d’informations sur les maisons de ville de Varennes et de La Colombe. Concernant l’abbaye des Pierres, nous ne pouvons faire que des suppositions. Les moines bénéficient de nombreuses vignes et terres sur la paroisse de Saint-Fulgent dès la fin du XIIIème siècle et nous pouvons supposer qu’elle y disposait d’une maison pour y écouler les surplus et accueillir les frères convers chargés de l’exploitation vinicole831. En 1216, Guillaume de Chauvigny cède aux moines d’Aubepierres le droit de s’installer dans une maison de Châteauroux832. En 1246, un acte de la même abbaye évoque la reconnaissance d’une rente sur une maison sise à Argenton 833. La présence de nombreuses vignes et terres à Villers laisse également présager l’existence d’une troisième maison. Les moines de Bonlieu obtiennent de nombreuses vignes en Bourbonnais. Il paraît donc logique qu’ils détiennent une maison de ville à Montluçon située dans la rue de la Fontaine conduisant à l’église NotreDame834. Concernant le monastère d’Aubignac, nous disposons de plusieurs actes éclairants. En 1224, un homme libre est donné à l’abbaye d’Aubignac. Il est invité à résider dans une maison de l’abbaye située à Châteauroux et devra être habillé différemment d’un laïc. S’il fait du commerce, il devra suivre les usages du lieu à l’exemple des clunisiens de Déols déjà présents dans la cité835. Cette donation nous permet d’envisager d’éventuels conflits entre les moines des différents ordres, une concurrence certaine puisqu’ils commerçaient dans les mêmes bourgades berrichonnes. La proximité des clunisiens de Déols ne devait pas faciliter les transactions cisterciennes. En 1373, Simon Valeschat, clerc d’Argenton, rédige son testament en faveur des moines d’Aubignac. Une clause porte sur la fondation d’un hôpital dans la cité. Sa mère s’occupera de faire construire ce bâtiment dont les dimensions sont précisées (13 toizes de long pour 5 de large). L’hôpital est placé sous la dépendance des moines cisterciens qui veilleront à y envoyer un ou deux religieux afin d’administrer le service divin836. Un acte plus tardif daté de 1643 évoque l’arrentement de « l’hôtel-Dieu de Saint-Marcel » d’Argenton par Louis Feydeau, abbé d’Aubignac837. En 1204, Eudes de Déols, seigneur de Châteaumeillant, cède dans ce bourg un emplacement pour bâtir une maison de 830 P. GOLDMAN, « Note sur les possessions cisterciennes à Bourges », CAHB, n°99-100, 1989, p. 41-48. P. GOLDMAN, op. cit, p. 41-48. 832 AD Creuse, H 166. 833 AD Creuse, H 160. 834 Elle est citée dans le terrier de 1492 comme la « maison de l’abbé de Bonlieu ». AD Allier, A 107. 835 M. AUBRUN, « Les moines cisterciens et l’argent (…) », op. cit, p. 23-32 ; AD Creuse, H 233. 836 AD Creuse, H 238. 837 AD Creuse, H 242. 831 - 244 - ville aux moines de Prébenoît838. Le terrier de 1621 fait également état d’une maison, de deux moulins et de vignes à la Châtre839. À Limoges est établie une maison commune aux abbayes cisterciennes limousines. En 1239, une querelle oppose les abbayes limousines et Aubepierres à propos de cette maison de la cité épiscopale. Les abbés d’Aubignac et de Peyrouse sont commis pour régler le conflit et rétablir la paix au sein des monastères840. Les abbayes de Haute-Marche développent ainsi des activités commerciales dans les principales agglomérations berrichonnes aptes à offrir des débouchés à leurs productions. D’après les actes, nous pouvons supposer qu’ils se livraient essentiellement au commerce du vin, des laines et peut-être de l’huile puisque les moines de la Colombe notamment disposaient d’un moulin à huile dans l’enceinte monastique. Ils s’adonnaient aussi probablement à la vente du fer. L’abbaye de Boeuil, pourtant modeste, dispose de très nombreuses possessions urbaines. Trente-cinq maisons sont réparties dans de simples villages comme la Barre. Une est à Beaulieu (com. Usson-du-Poitou, Vienne), une à Cougoulhe (com. Antigny, Vienne), à Tussac (com. Leignes-sur-Fontaine, Vienne). Pour cette dernière, il s’agit en fait d’une hôtise, une petite habitation avec cour, jardin et quelques arpents de terre. Les moines de Boeuil disposent également de maisons à Saint-Junien, Limoges, Saint-Victurnien et Montmorillon. Ces pied-à-terre servent au commerce, à la vente des produits. Ils induisent de nécessaires rapports avec les habitants des bourgs où ils s’implantent. Cîteaux ne serait ainsi pas seulement un ordre agraire et ne parvient à maintenir les communautés en autarcie et dans le retrait du siècle. De plus, l’abbaye-fille de Saint-Léonard-des-Chaumes permet la production de vin pour la consommation mais aussi la vente facilitée par la proximité du port de la Rochelle841. L’abbaye d’Obazine développe une activité commerciale par l’intermédiaire de maisons et d’entrepôts dans les gros bourgs comme Martel, Rocamadour, Brive, Angoulême et Cognac disposé sur la route saintongeaise842. Quant à l’abbaye de Dalon, elle dispose d’une maison à Excideuil. En 1219, un acte est en effet passé « in porto domus dalonensis ». Elle en installe une également à Brive. En 1226, une donation a lieu « in domo Dalonis juxta puteum ». En 1184, Raymond II, vicomte 838 AD Creuse, H 528. AD Creuse, 10 F 235. 840 P. LOY, J. ROGER, L’abbaye cistercienne de Prébenoît en Creuse, Limoges, 2003, p. 22 ; J-M. CANIVEZ, op. cit., T II, 1239-47. 841 I. AUBRÉE, op. cit, p. 84. 842 B. BARRIÈRE, Le cartulaire…, op. cit, p. 25. 839 - 245 - de Turenne, exempte de toute taxe les maisons de Dalon sise à Turenne et les hommes qui y habitent, probablement des frères convers843. Outre ces activités de commerce et d’échange, Mireille MOUSNIER attire notre attention sur le rôle joué dans le crédit par certains cisterciens dans la société méridionale aux XIIème et XIIIème siècles. En effet, elle prend en exemple l’abbaye de Berdoues (com. Berdoues, Gers) qui consacre des sommes très importantes dans le prêt avec sûreté (mortgage) et joue un véritable rôle d’établissement de crédit. Le même cas de figure est observable à l’abbaye de Grandselve (com. Bouillas, Tarn-et-Garonne). Cette pratique est méthodique à Berdoues, fréquente, et l’abbaye profite largement des difficultés des débiteurs pour consolider et agrandir son patrimoine foncier. S’ils ne peuvent pas rembourser, ceux-ci doivent en effet fournir un gage foncier dont les moines deviennent propriétaires. Ces exemples permettent ainsi de mettre en lumière l’importance accordée au monde matériel. Les profits ainsi créés financent l’entretien des communautés mais aussi les constructions et aumônes844. Cette activité commerciale les incite à ne pas s’éloigner des principales voies de communication, ce qui remet en cause l’idée de retrait au désert et de volonté d’isolement qui s’adapte nécessairement aux exigences de la vie en communauté et à l’insertion dans des flux d’échanges. Nous avons auparavant eu l’occasion de nous interroger sur le réseau de voies anciennes et leur proximité évidente avec les sites cisterciens. Le réseau routier médiéval est moins bien connu. Une tradition historiographique tient à dire que toute route antérieure aux routes modernes date de l’époque romaine. Les hommes de l’époque médiévale se seraient contentés de réutiliser les voies antiques. Toutefois, pour Franck IMBERDIS, la réutilisation de voies romaines reste une exception. Des routes et sentiers nouveaux sont tracés selon les nouveaux centres de peuplement, les nouvelles relations qui s’établissent entre villes et régions. À partir du XIIème siècle notamment, de chacun des petits centres partent des routes vers les campagnes environnantes. Les routes médiévales relient des agglomérations formées spontanément autour de châteaux, abbayes, lieux de foire ou de pèlerinage. À la fin du 843 L. GRILLON, Le cartulaire…, op. cit, fol. 134-453-746. M. MOUSNIER, « Les abbayes cisterciennes et leur rôle dans l’économie et la société méridionale aux XIIème et XIIIème siècles », dans La grande aventure des cisterciens. Leur implantation en Midi-Pyrénées, Actes du colloque de Belleperche, 1998, Montauban, 1999, p. 105-130. 844 - 246 - XIIIème siècle, le réseau routier est constitué en cette période d’essor démographique et économique. Ces routes médiévales sont globalement peu entretenues845. En 1980 lors du deuxième colloque de Flaran, Jean-Michel DESBORDES et Bernadette BARRIÈRE évoquent les itinéraires médiévaux entre Limousin et Périgord. Deux types d’itinéraires ont pu être distingués, à la fois des pouges suivant au maximum la crête des interfluves ainsi que d’autres chemins qui, par monts et par vaux, se confrontent aux difficultés du relief et de l’hydrographie. Un itinéraire conduisant de Bourges à Bordeaux existe depuis l’Antiquité et est encore utilisé à l’époque médiévale [Fig. 76]. Il passe par Châteaumeillant, Ahun, Saint-Léonard-de-Noblat, Nexon et Saint-Pardoux-La-Rivière. L’utilisation médiévale est attestée par les structures qui le jalonnent : un pont sur le Taurion surveillé par les mottes castrales du Dognon, un autre sur la Vienne surveillé par le château de Noblat, les nécropoles des carrefours de Nexon et Saint-Pardoux-La-Rivière notamment. Les moines de Boschaud notamment, au sud de Saint-Pardoux-La-Rivière, ne s’installent qu’à quelques kilomètres de cette voie, atout considérable pour toute activité commerciale846. En 1990, un article de Bernadette BARRIÈRE se penche sur les itinéraires médiévaux du Limousin à l’Aquitaine qui se révèlent très éclairants pour notre étude847. Elle y évoque les voies commerciales empruntées par les moines blancs [Fig. 77]. Pour elle, certains sites comme les châteaux ou les bourgs tiennent compte du réseau routier préexistant et s’implantent fréquemment le long des routes. Par ailleurs, les établissements religieux à perspective érémitique s’ils ne sont guère éloignés des itinéraires, sont sans contiguïté directe avec eux. Les dessertes économiques sont nécessaires au Moyen-Âge notamment pour ces moines cisterciens qui disposent de vignobles en Bas-Limousin, en Boischaut ou Bourbonnais [Fig. 78]. L’exemple d’Obazine est en cela exemplaire. L’abbaye utilise des voies de communication vers l’Aunis et la Saintonge puisqu’elle dispose de salines sur l’île d’Oléron. Elle place comme jalons des prieurés ou abbayes-filles (Grosbot, La Frénade, grenier à sel à Cognac, maison de ville à Angoulême) sur cette route du sel, destinés à faciliter ces liaisons régulières à longue distance. L’itinéraire passe par Excideuil, Thiviers, Angoulême. De là, soit les moines optent pour la navigation sur la Charente à partir d’Angoulême, soit ils empruntent 845 F. IMBERDIS, « Les routes médiévales coïncident-elles avec les voies romaines ? », BPH, 1, 1960, p. 93-98 ; R-H. BAUTIER, « Recherches sur les routes de l’Europe médiévale. I. De Paris et des foires de Champagne à la Méditerranée par le Massif Central », BPH, 1, 1960, p. 99-143. 846 B. BARRIÈRE, J-M. DESBORDES, « Vieux itinéraires entre Limousin et Périgord », dans L’Homme et la route en Europe Occidentale au Moyen-Âge et aux Temps Modernes, Actes du 2ème colloque de Flaran, 1980, Auch, 1982, p. 231-240. 847 B. BARRIÈRE, « Itinéraires médiévaux du Limousin à l’Aquitaine », dans les Actes du Colloque régional de Limoges, Les Moyens de communication en Limousin de l’Antiquité à nos jours, TAL, supplément 1, Limoges, 1990, p. 121-142. - 247 - le chemin « boisné » connu depuis l’Antiquité et qui passait au sud de la vallée de la Charente. La Frénade est contiguë à ce chemin. Le même itinéraire était choisi par les moines de Dalon pour rejoindre la grange des Touches à l’embouchure de la Seudre [Fig. 79]. C’est le même cas de figure pour l’ordre de Grandmont dont chaque celle ne devait être éloignée de plus de 500m d’une route848. Bernadette BARRIÈRE fait également état d’un « Chemin de la Vinade » qui alimentait vers le nord-est le pays d’Eymoutiers, une partie de la Montagne Limousine, et la Haute-Marche ainsi qu’en témoigne à son extrémité sud le vignoble détenu au Saillant (paroisse de Voutezac) par l’abbaye du Palais849. Ainsi pour l’historienne, ces moines limousins ne sont pas des « (…) solitaires retirés dans le saltus, mais des francs-tireurs de l’évangélisation, opérant en milieu rural, seuls certes, bien qu’en parfait accord avec l’autorité épiscopale, mais en des secteurs particulièrement passagers ». Ces voies peuvent revêtir un intérêt politique. L’archevêque de Bourges entretient d’étroites relations avec son suffragant de Limoges, d’où de nombreuses dessertes entre Bourges et Limoges. Les seigneurs marchois et berrichons sont en contact avec les comtes de Poitiers, d’où cet itinéraire vers Poitiers qui traverse Montmorillon à l’ouest de l’abbaye de la Colombe et qui explique peut-être la concentration d’établissements religieux aux abords de cette cité. Il s’agit d’un important carrefour avec des lieux de culte sous la dépendance de Saint-Martial de Limoges, du Dorat, de Grandmont. Les cisterciens de la Colombe s’implantent relativement près de ce centre ce qui permet de nuancer et de contraster l’idée d’un désert, d’un vide monastique loin du monde séculier. Une autre voie de circulation essentielle est celle des chemins de Saint-Jacques de Compostelle [Fig. 80]. Un itinéraire conduit de Vézelay à Bourges, traverse la Haute-Marche par Châteaumeillant ou Argenton avant de rallier Saint-Martial de Limoges. Le long de cette voie de pèlerinage s’installent stratégiquement des dépendances de Saint-Martial ou des celles grandmontaines qui trahissent ainsi en quelque sorte leur volonté de solitude et d’isolement. Les abbayes cisterciennes semblent donc s’insérer dans un tissu complexe de voies de circulation, de relations et d’échanges. Elles sont essentiellement tournées vers le Bas-Berry et les pays d’Ouest insérés dans une vaste Aquitaine. Isabelle BALLET s’est attachée plus précisément à l’exemple de la paroisse de PeyratLa-Nonière qui révèle de nombreuses dessertes rurales dont bénéficient les moines de 848 J. FOUQUET, Frère PHILIPPE-ETIENNE, Histoire de l’Ordre de Grandmont, CLD, Chambray-lès-Tours, 1986, p. 111. 849 J. CIBOT, Le cartulaire de l’abbaye du Palais-Notre-Dame (XIIème-XIIIème siècles), DES, Poitiers, 1961, fol. 93-313-315. - 248 - Bonlieu850. Ainsi, une pouge (voie rurale) sur la rive droite de la Creuse est toujours exploitée au Moyen-Âge. L’abbaye y installe deux granges, la Chassagne et Grosmont. Des relais parsèment souvent ces itinéraires. Des châteaux veillent à la protection des voies comme ici ceux de Chénerailles et Jarnages. Guy ANDRÉ met en évidence l’existence d’une « route du vin » qui reliait Domérat à Chambon dès l’époque médiévale et permettait de lier les moines de Bonlieu aux convers d’Aubeterre chargés de l’exploitation des vignobles montluçonnais851. Aubepierres n’est elle non plus pas réellement isolée puisque le chemin d’Aigurande à DunLe-Palestel passe dans le domaine des moines et traverse la Petite Creuse au pont de Puylandon au sud de l’abbaye. Le trafic était sans doute important, à d’assez longues distances puisque la région ne dispose pas vraiment d’agglomérations852. Les moines cisterciens ne paraissent guère isolés et suite à ces constatations, le désert semble plus correspondre à une vision littéraire, voire à une perception des moines blancs qu’à une réalité vécue. L’exploitation systématique du saltus, la mise en valeur des terres par la multiplication de granges aux activités diversifiées, de moulins céréaliers ou préindustriels, l’insertion dans des réseaux commerciaux ne permettent guère aux moines l’isolement social prôné par saint Bernard et les chapitres de l’ordre. Leur modèle d’activité économique parfaitement adapté aux nouvelles conditions de production et d’échanges les poussent à sortir du désert853. Ils sont étroitement liés à la noblesse locale, sont redevables à leurs bienfaiteurs qui utilisent les abbatiales comme nécropoles familiales en contrepartie de riches donations. Les cisterciens ont également besoin du soutien des évêques et archevêques, de leur aval et de leur protection. Ils entrent en contact avec les paroissiens par l’intermédiaire des marchés, des possessions urbaines dont ils disposent, mais également parfois sur le chantier de construction proprement dit : Bernadette BARRIÈRE souligne la présence de laborantes, d’ouvriers spécialisés sur le chantier d’Obazine, aides épisodiques aux travaux de construction. Les aménagements auxquels ils procèdent peuvent d’ailleurs profiter aux populations environnantes (assèchement des marais, défrichements, endiguement de rivières, création de moulins et d’étangs). Ceux-ci peuvent solliciter l’intervention cistercienne pour nombre de grands travaux d’aménagements et de valorisation du sol854. 850 I. BALLET, Archéologie des paysages de la commune de Peyrat-La-Nonière (Creuse), maîtrise de géographie sous la direction de B. BARRIÈRE et M. BERNARD-ALLÉE, Limoges, 1994, p. 9. 851 G. ANDRÉ, op. cit, p. 3-31. 852 M. AUBRUN, « L’abbaye cistercienne d’Aubepierres dans la Marche limousine (des origines au XVIème siècle) » dans Moines, paroisses et paysans, PUBP, 2000, p. 15. 853 A. VAUCHEZ, La spiritualité du Moyen-Âge occidental, VIIIème-XIIIème siècle, Paris, Seuil, 1994, p. 102. 854 B. BARRIÈRE, « Le domaine cistercien », dans L. PRESSOUYRE, T.N. KINDER (dir.), Saint Bernard et le monde cistercien, exposition, Paris, Conciergerie, 1990, Paris, Caisse Nationale des Monuments Historiques et des sites, 1990, p. 95-111. - 249 - Les relations avec les paroissiens ne sont toutefois pas toujours pacifiques. Mathieu ARNOUX, dans son étude sur les forges normandes, met en évidence les réticences des populations environnantes face à l’implantation des moines blancs. Il semblerait que le duché de Normandie assiste à un « rejet de la colonisation cistercienne ». Fréquemment, les moines ne parviennent pas à implanter leurs ateliers de manière stable, ni dans la forêt d’Othe, ni dans celle de Dean en Angleterre ou dans les environs de Sienne comme le prouvent les exemples suivants. En 1242, des hommes du village de Chiusdino se dressent contre l’abbaye de San Galgano dans la région de Sienne et coupent certains arbres de la forêt, les emportant malgré les protestations des moines. Dans la forêt de Dean en 1286, des mineurs pénètrent sur les terres de l’abbaye de Flagsley pour en exploiter les mines de fer pour le compte des forestiers royaux, en dépit du mécontentement des cisterciens. Le respect des hommes vis-à-vis des possessions monastiques semble ainsi limité. De même, en 1316, une maison de Pontigny est détruite à Sévy en forêt d’Othe par la population du village voisin de Vénizy. Les moines blancs peinent ainsi parfois à s’insérer dans les campagnes et leur « colonisation » ne s’effectue pas sans réaction. Pour la Normandie, cette hostilité envers les moines blancs paralyse quelque peu leurs entreprises forestières et pré industries855. Il semblerait donc que l’isolement social des moines blancs soit en partie un échec, d’autant plus flagrant au XIIIème siècle avec le passage au faire-valoir indirect 856. Une étude précise de la constitution du patrimoine foncier de ces abbayes est désormais nécessaire afin de mieux cerner les protagonistes des donations, la nature des biens offerts ou échangés, leurs motivations, leurs origines sociales et la géographie de ces possessions. b. La constitution du patrimoine foncier (vers 1120-1200) : La connaissance des abbayes cisterciennes du diocèse de Limoges et de ses marges est en partie assurée par des sources manuscrites et diplomatiques dont la conservation est toutefois inégale. Certains sites peuvent être bien connus et la constitution du patrimoine foncier cernée avec une certaine précision grâce à la conservation des cartulaires. 1. Les sources : Quelques abbayes ont effectivement conservé leur cartulaire, source précieuse pour l’historien désireux de cartographier les possessions cisterciennes. C’est le cas des abbayes de 855 M. ARNOUX, Mineurs, férons et maîtres de forge. Étude sur la production du fer dans la Normandie du Moyen-Âge, XIème-XVème siècles, CTHS, Paris, 1993, p. 282. 856 B. BARRIÈRE, L’abbaye cistercienne d’Obazine en Bas-Limousin, les origines- le patrimoine, Tulle, 1977, p. 132. - 250 - Bonlieu, du Palais-Notre-Dame, de Dalon, d’Aubepierres, d’Aubignac. Seuls les cartulaires d’Obazine et du Palais sont des originaux, les autres correspondent à des copies modernes. Chaque abbaye tenait à disposer des titres pouvant faire foi dans l’avenir face à toutes contestations. Ceux-ci étaient préservés dans un chartrier conservé dans la salle surmontant la sacristie, encore observable à Obazine notamment. Les chartes de privilèges et la charte de fondation y étaient également déposées mais bien peu sont parvenues jusqu’à nous. Les principaux actes de donation sont précieusement recopiés dans des registres faits de cahiers de parchemin, les cartulaires. Ils sont souvent rédigés lors d’une mise en ordre du chartrier, parfois lors d’un changement d’évêque ou de l’acquisition d’une nouvelle grange. Ils sont appréciés pour la commodité d’utilisation de ces grands instruments récapitulatifs 857. Des pancartes sont également souvent conservées. Il s’agit d’un récapitulatif des possessions de l’abbaye que l’autorité impliquée confirme par le biais de l’apposition de son sceau. Ainsi, nous possédons trois pancartes concernant l’abbaye de Prébenoît récapitulant les donations faites par trois des principales familles de bienfaiteurs, à savoir les seigneurs de Nouzerines (1162-1192), de Déols et de Boussac (1208) et les seigneurs de Malval (1224)858. Le cartulaire d’Obazine est un inventaire précieux des acquisitions faites par l’abbaye de 1130 à 1197. Le point de départ est l’installation de la communauté érémitique à Obazine dans les années 1130. Soixante-dix ans peuvent ainsi être suivis par le cartulaire. Toutefois, il reste relativement flou sur la période précédant l’affiliation à Cîteaux en 1147. Il est vraisemblablement composé de la fin du XIIème siècle (vers 1170) au début du XIIIème siècle. Le patrimoine des frères d’Étienne a néanmoins continué de s’accroître au XIIIème siècle859. Ce manuscrit se compose de 354 folios, de 43 cahiers (39 quaternions). Des références onomastiques apparaissent dans 80% des cas. Louis VII et Philippe-Auguste sont fréquemment cités alors que les rois anglais n’apparaissent qu’à cinq reprises860. Le cartulaire de l’abbaye du Palais renseigne sur l’état florissant de l’abbaye aux XIIème et XIIIème siècles. Il est consulté à l’abbaye en 1753, date à laquelle l’abbé Léonard d’Espagnat lui adjoint quelques feuillets contenant un bref historique de l’abbaye et une liste des abbés. Il est vraisemblablement encore conservé à l’abbaye en 1790. Il est acquis en 1854 857 J. WAQUET, J-M. ROGER, L. VEYSSIÈRE, Recueil des chartes de l’abbaye de Clairvaux au XIIème siècle, CTHS, Paris, 2004, p. 77. 858 AD Creuse, H 528. 859 B. BARRIÈRE, « Les granges de l’abbaye cistercienne d’Obazine aux XIIème et XIIIème siècles », dans Le Bas-Limousin, Histoire et Économie, Tulle, 1966, p. 33-51 ; B. BARRIÈRE, L’abbaye cistercienne d’Obazine en Bas-Limousin, les origines- le patrimoine, Tulle, 1977, p. 111. 860 B. BARRIÈRE, Le cartulaire de l’abbaye cistercienne d’Obazine (XIIème-XIIIème siècles), Institut d’Études du Massif Central, Clermont-Ferrand, 1989, p. 48. - 251 - par le British Museum861. En 1877, il est transcrit, et c’est sur cette transcription que M. AUTORDE s’appuie pour sa copie aujourd’hui consultable aux Archives Départementales de la Creuse862. Il se compose de 106 feuillets de parchemin, de trois feuilles de papier de 18.4cm de haut pour 12.4cm de large. Il dispose d’une reliure de cuir brun de 19.5cm de haut pour 14.3cm de large. Les actes ne présentent guère une composition diplomatique puisque les invocations sont rares. Il y a parfois de courts préambules, plus rarement des dates863. Le cartulaire de Dalon, aujourd’hui perdu, a heureusement été étudié de nombreuses fois par des érudits et nous pouvons l’appréhender par des copies. Il comprend 1345 actes de 1114 à 1247, probablement compilés par un moine du couvent864. L’abbaye de Bonlieu conserve son cartulaire parvenu grâce à une copie de l’époque moderne du moine dom Claude Joseph COL permettant une bonne connaissance du patrimoine du monastère et de la constitution de son domaine. L’original est toutefois perdu865. De même concernant les cartulaires d’Aubepierres et Aubignac connus grâce à des copies des XVIIème siècle ou XVIIIème siècle866. Au XVème siècle, l’introduction du système de la commende conduit à un accroissement du nombre de documents liés à la gestion du patrimoine, chaque abbé ayant à cœur d’inventorier ce qui était alors dû à la communauté de religieux, engageant parfois de longues procédures pour faire valoir leurs droits. Les chartriers s’enrichissent dès lors de terriers, censiers, états des lieux, inventaires de titres, plans, etc…867 Tous ces documents sont une mine d’informations pour toute reconstitution des possessions des moines blancs. Ainsi, les sources du XVème siècle sont majeures concernant l’abbaye de Boeuil dont le cartulaire n’est malheureusement pas parvenu jusqu’à nous. Un de ces documents est un cahier de 14 folios concernant la grange de Fay en Poitou. Entre 1474 et 1476, un terrier est composé avec 257 notices classées par paroisses et par « prieurés ». Grâce à ces sources, les granges de l’abbaye ont pu être déterminées : deux granges en Périgord, deux en Poitou et une abbayefille en Aunis (Saint-Léonard-des-Chaumes)868. 861 Cote ms add. 19887. S. VITTUARI, Le patrimoine de l’abbaye du Palais-Notre-Dame d’après le cartulaire (1134-12..), mémoire de maîtrise, dir. B. BARRIÈRE, Limoges, 1992, vol. I, p. 5. 863 J. CIBOT, Le cartulaire de l’abbaye du Palais-Notre-Dame (XIIème-XIIIème siècles), DES, Poitiers, 1961, p. 11 ; AD Creuse, H 524. 864 L. GRILLON, Le cartulaire de Dalon (1114-1247), Mémoire de DES sous la direction de C. HIGOUNET, Bordeaux, 1962, p. 4. 865 AD Creuse, H 284, copie d’Auguste Bosvieux. Voir également les cotes H 137, H 284 à 521, H 939. 866 AD Creuse, H 147-232 ; H 233-283. 867 B. BARRIÈRE (dir.), Moines en Limousin, l’aventure cistercienne, PULIM, Limoges, 1998, p. 114. 868 I. AUBRÉE, B. BARRIÈRE, « L’abbaye cistercienne de Boeuil au Moyen-Âge : le patrimoine et sa gestion, les relations avec l’environnement », Archives en Limousin, n°8, 1996, p. 9-10 ; AD Haute-Vienne, 13 H 8. 862 - 252 - Les archives révolutionnaires sont également riches en enseignements. Les inventaires mobiliers et immobiliers permettent de se faire une idée de la physionomie des sites au lendemain de la Révolution Française. Les dégradations sont souvent importantes et les descriptions tiennent compte des réparations à faire. Outre ces sources manuscrites, certains fonds disposent de cartes, plans relevant bien souvent de l’époque moderne permettant de mieux cerner le patrimoine des abbayes. Ainsi des cartes établies au XVIIIème siècle montrent que l’abbaye des Pierres était encore entourée de bois dont les noms sont soigneusement inscrits : Chézelle, Ranciers, bois des Pierres, de Serer, des Chagnets, de la Grimauderie, la Forêt Guyon et bois de Peucheny (bois de Puchent actuel à l’est des Pierres, le long de l’Arnon). Certains apparaissent encore dans la toponymie actuelle869. De même concernant l’abbaye de Bonlieu dont le fonds des Archives Départementales de la Creuse révèle des plans des bois appartenant aux moines, datés des XVIIème et XVIIIème siècles870. Ces trois planches de grand format réalisées à la plume permettent de juger de l’étendue des bois de la Bonnette, de la Croix de la Bonnette et de la Chassagne-aux-Moines. Bien sûr, cet état moderne a sans doute évolué depuis l’époque médiévale et ne nous permet pas d’évaluer la superficie des zones forestières aux XIIème et XIIIème siècles. L’étude des cartes de Cassini permet également de localiser certaines possessions par des études toponymiques précises. De même que pour les plans modernes, l’étendue des bois et forêts représentés ne peut être extrapolée à la période médiévale. Quant aux cartes IGN au 1/25000ème, elles sont également un outil précieux pour repérer les anciennes possessions monastiques qu’il s’agisse de granges (souvent signalées par un toponyme « Les granges » ou directement par le nom ancien. Certaines ont pu donner naissance à un hameau), de moulins, de tuileries ou de forges (apparaissant souvent sous la forme « la Farge » ou « La Forge »)871. À ces études archivistiques et cartographiques succèdent des prospections directement sur le site repéré afin de déterminer la conservation des structures en élévation. Les aménagements hydrauliques sont souvent conservés (biefs, canaux, digues) et ont laissé des traces dans les paysages actuels qu’il nous convient aujourd’hui d’étudier précisément. Des 869 AD Cher, 10 H 86. AD Creuse, 4 Fi 1300-1307. 871 Pour le détail des cartes IGN utilisées, voir « Cartes et plans », bibliographie. 870 - 253 - photographies aériennes peuvent également permettre de cerner des structures difficilement compréhensibles au sol872. Ces différents outils permettent une meilleure connaissance du patrimoine foncier cistercien dans le diocèse de Limoges et ses marges, son emprise sur les paysages et les modifications que les moines ont apporté à leur environnement. 872 Voir cliché G. CHAPPE dans B. BARRIÈRE (dir.), op. cit,p. 100, vestiges de la grange obazinienne de Graule sur le plateau du Limon (Cantal) [Fig. 560]. Les résultats des prospections menées sur les sites cisterciens du diocèse de Limoges et de ses marges sont présentés et détaillés dans la seconde partie de cette étude (corpus). - 254 - 2. Les donateurs : Martine GARRIGUES constate d’après l’étude du cartulaire de Pontigny que les donateurs sont essentiellement des nobles et ecclésiastiques ainsi que des chevaliers insérés dans le système féodal873. Qu’en est-il pour les abbayes cisterciennes du diocèse de Limoges et de ses marges ? Que peuvent nous apprendre les cartulaires conservés et autres sources diplomatiques ? L’abbaye de Dalon semble largement dotée par les seigneuries et vicomtés alentours et ce dès l’arrivée des ermites de Géraud de Sales, générosités qui perdureront sous l’abbatiat de l’abbé Roger, puis après l’affiliation à Cîteaux. Elles permettront aux moines la constitution d’un solide patrimoine autour de Sainte-Trie ainsi que sur les paroisses de Salagnac, de Teillots et de Boisseuil. La fondation initiale est due à Géraud et Gonfier seigneurs de Lastours, principes, qui cèdent le désert de Dalon et tout ce qu’ils possèdent dans le bois de Dalon874. Au XIème siècle, Gui de Lastours contrôle une bonne partie du Bas-Limousin et du Périgord. Leur forteresse est située sur la commune de Rilhac-Nontron875. Les seigneurs de Born dotent également l’abbaye dès les premiers temps et leur générosité ne se démentira guère comme le prouvent les nombreux actes de donation les concernant. Leurs possessions s’étendent notamment sur les confins du Limousin et du Périgord. L’étang et la forêt de Born marquent la limite des deux provinces. Christian RÉMY constate dans son étude sur les castra et seigneuries limousines que l’ascension de ces seigneurs de Born est rapide. Trois mariages avec des branches des Lastours permettent d’asseoir leur autorité à la tête du castrum. Leur motte féodale est identifiée près de l’étang de Dalon 876. Les biens cédés aux cisterciens sont surtout en faveur des granges de Fougerolas, Puyredon, la Forêt, Lavaysse et Taillepetit. Quant à Bertran de Born, troubadour et poète, il deviendra moine avant sa mort en 1215877. La famille de Flamenc est l’une des plus généreuses et cède notamment le manse de la Ribière (cart. fol. 76-77). Elle est parfois citée parmi les principes de même que les seigneurs de Lastours. Le château familial était peut-être situé à Saint-Paul-La-Roche. Les Flamenc dotent essentiellement les granges de Murs, Chalaumand. Les libéralités vont aussi aux abbayes de Peyrouse, Chancelade, Uzerche878. 873 M. GARRIGUES, Le premier cartulaire de l’abbaye cistercienne de Pontigny, Paris, 1981, p. 21. L. GRILLON, Le cartulaire de Dalon (1114-1247)…, op. cit, fol. 1. 875 M-C. PEYRAT, L’abbaye de Dalon et son environnement aux XIIème-XIIIème siècles, mémoire de maîtrise d’histoire médiévale, dir. B. BARRIÈRE et J. VERDON, 1990, vol. 1, p. 34-43. 876 C. RÉMY, Seigneuries et châteaux forts en Limousin, Tome I Xème-XIVème siècles, Culture et patrimoine en Limousin, Limoges, 2006, p. 63. 877 A. THOMAS, Poésies complètes de Bertran de Born, Toulouse, 1888, p. 1-52 ; M-C. PEYRAT, op. cit., vol. 1, p. 43-50. 878 M-C. PEYRAT, op. cit., p. 51-54. 874 - 255 - Les moines bénéficient également des générosités des vicomtes de Limoges. Adémar III concède à l’ermite Géraud de Sales le plein usage de la forêt de Born dès 1114. Les moines peuvent ainsi prendre du bois de chauffe et de construction et faire paître les porcs 879. Les granges de Bedena (com. Larche) et Goudonnet (com. Chartrier-Ferrières) dépendantes de Dalon bénéficient des donations des vicomtes de Turenne, propriétaires du château de Larche à proximité de la grange de Bedena, ainsi que des seigneurs de Malemort880. Les vicomtes de Turenne font également partie des bienfaiteurs du monastère d’Obazine, ainsi que les Comborn et les Ventadour. Les Comborn sont en particulier à l’origine des granges de la Serre et de Chadebec, prévues au départ pour les moines cisterciens du Sourdain, essaimage avorté depuis l’abbaye berrichonne du Landais (com. Frédillé, Indre, 1148-1159). Ils cèdent le bois du Sourdain et la vigne d’Allassac. Archambaud IV, vicomte de Comborn, est à l’origine de la donation initiale de l’abbaye puisqu’entre 1133 et 1137 il cède la partie de la forêt où s’élève le monastère 881. Les Turenne cèdent le manse de Tersac, les Ventadour les manses de Villières et de Vaculac (1158-59) tandis que les vicomtes de Brassac donnent deux manses près de Rocamadour (1148-49). Les principales grandes vicomtés limousines comptent ainsi au nombre des protectrices des ordres nouveaux et particulièrement des moines blancs bien présents en Bas-Limousin882. En 1233, c’est le seigneur Hugues de Lusignan qui dote généreusement les moines de Grosbot. Il donne 60 sols de rente par muid de sel dans le port saunier de Cognac, confirme l’exemption de coutume pour les besoins de l’abbaye d’Obazine et ses maisons, les 40 muids de sel que Bardon seigneur de Cognac avait donné, les 100 muids de sel par an peuvent transiter sur ses terres sans droit ni péage. Obazine et ses dépendances sont sous sa protection sur ses terres et sur les cours d’eau. Leur circulation est libre de tous droits883. Outre ces donations des grands vicomtes limousins, des seigneurs moins influents mais tout aussi généreux dotent les moines d’Obazine. Entre 1142 et 1159, Hugues de la Roche est à l’origine de la création de la grange de Couffinier tandis qu’Adémar de Ségur cède un jardin et une terre à Martel où les moines construiront un cellier. La grange de la Dame est issue d’une donation de Bertrand de Luzech entre 1150 et 1159 tandis que Baudran est cédée par Gaubert d’Aliac et les Alys par Aymeric de Gourdon du vivant d’Étienne 879 L. GRILLON, op. cit, fol. 93. L. GRILLON, « Deux granges corréziennes de l’abbaye cistercienne de Dalon », dans Le Bas-Limousin, Histoire et Économie, Tulle, 1966, p. 21-32. 881 B. BARRIÈRE, Le cartulaire…, op. cit, p. 65. 882 B. BARRIÈRE, « Les granges de l’abbaye cistercienne d’Obazine aux XIIème et XIIIème siècles », op.cit, p. 33-51. 883 M. LARIGAUDERIE, « Abbaye cistercienne Notre-Dame de Grosbot, Charente : recueil de textes (11211791) », BASEPRC, Angoulême, 1998, n° 8, p. 1-93. 880 - 256 - d’Obazine884. Étienne d’Escorailles, seigneur auvergnat, cède les manses de Croisy. Les rapports entretenus entre les moines d’Obazine et certains seigneurs du diocèse de Clermont peuvent s’expliquer par les origines d’Étienne né à Pleaux en limite des diocèses de Limoges et Clermont (département du Cantal actuel). Escorailles est un bourg du canton de Pleaux. Bégon d’Escorailles est d’ailleurs un disciple d’Étienne et devient le premier abbé de l’abbaye cistercienne de Valette, fille d’Obazine (com. Auriac). Les Escorailles doteront ainsi largement ce modeste monastère des bords de la Dordogne. C’est le seigneur Amblard de Dienne qui cède le manse de Graule, noyau du terroir de la grange de Graule dans le plateau du Cantal (1174-1175). Il cède le droit de pacage sur toute terre inculte du Limon pour les animaux appartenant audit monastère885. Quant à Géraud d’Escorailles, devenu abbé de Tulle, il cède aux moines cisterciens une saline à Oléron, témoignant de ce soutien qui ne se démentira pas après la mort d’Étienne886. Les vicomtes ne sont ainsi pas les seuls protecteurs du monastère mais les seigneurs des environs se montrent aussi soucieux de témoigner de leurs générosités, si bien qu’avant la mort d’Étienne, la plupart des granges d’Obazine sont déjà en partie constituées. Une grande partie du patrimoine d’Obazine trouve son origine dans les dots monastiques. En effet, les femmes prenant le voile à Coyroux étaient souvent accompagnées de donations importantes au monastère. Cette particularité vient de l’originalité du monastèredouble accueillant une communauté féminine et en assurant la gestion. Les vicomtes de Malemort, autres seigneurs importants du diocèse de Limoges aux XIIème et XIIIème siècle, partisans des rois anglais, dotent aussi bien les moines d’Obazine que les moniales de Derses. Ils sont à l’origine de la fondation initiale à la fin du XIIème siècle, voire au début du XIIIème siècle. En 1218, Gérald de Malemort confirme la donation faite par son aïeul du lieu de Derses et de ses dépendances887. L’abbaye du Palais est quant à elle essentiellement dotée par les proches seigneurs de Peyrat et de Laron, toutefois moins importants que les vicomtes bienfaiteurs d’Obazine et de Dalon et ses possessions resteront d’ailleurs bien maigres comparées à ces deux autres monastères888. Silvia VITTUARI insiste sur le peu de bienfaits des grandes familles marchoises. L’environnement aristocratique du Palais est relativement peu fourni. Certains 884 B. BARRIÈRE, Le cartulaire…, op. cit, p. 115. A. de ROCHEMONTEIX, La maison de Graule. Étude sur la vie et les œuvres des convers de Cîteaux en Auvergne au Moyen-Âge, Paris, 1888, p. 273. 886 B. BARRIÈRE, Le cartulaire…, op. cit, p. 346. 887 G. CLÉMENT-SIMON, « Notice sur le couvent de Derses, paroisse de Saint-Hilaire-Peyrou », BSSHAC, T 11, 1889, p. 546-568. 888 M. DAYRAS, « Les abbayes creusoises et le Palais-Notre-Dame », MSSNAC, T 36, 1966, p. 215-220. 885 - 257 - seigneurs dont les origines remontent au XIème siècle accordent toutefois une certaine attention aux moines de Cîteaux tels les Pierrebuffière, les Lastours, les Rochechouart, les seigneurs de Gimel et les vicomtes d’Aubusson mais leurs donations restent rares. Les plus fréquents sont les seigneurs de Laron, de Peyrat et de Courson disposant du castrum de Vidaillat. Ainsi, entre 1134 et 1156, Boson de Courson donne aux moines de Dalon tout ce qu’il possède sur la terre d’Arcissat qui deviendra une des granges de l’abbaye du Palais 889. Celle-ci étant dans la vassalité des Laron et des Peyrat, ce sont Roger de Laron, Pierre de Peyrat et Guy de Lastours qui donnent leur consentement à la présence d’une fille de Dalon sur leur fief entre 1134 et 1158. Ils cèdent leurs droits sur la terre de Quinsat tandis que Pierre de Marbos donne la borderie de la Chaussade890. Quant aux seigneurs de Drouille dont la motte castrale est à quelques kilomètres, ils apparaissent parfois comme témoins891. L’abbaye de Boeuil est quant à elle dotée par des seigneurs relativement modestes comme Hélie de Nieul, Aymeric de Montcocu ou Aymeric d’Aixe. Pas de grands vicomtes influents comme à Obazine mais de petits seigneurs dont les revenus propres ne permettent guère les dons d’importance au monastère qui sort difficilement de sa précarité892. Alors que son abbaye-fille, Saint-Léonard-des-Chaumes, est dotée par les rois Plantagenêts, Boeuil n’attire guère les libéralités des grands personnages. La donation initiale de l’abbaye de Bonnaigue est le fait de Guillaume et Pierre d’Ussel, seigneurs de moyenne importance qui cèdent leurs biens au monastère en 1142. La charte n’est toutefois rédigée qu’en 1157893. L’abbaye de Boschaud est quant à elle dotée essentiellement par les seigneurs de Bourdeille, Agonac et La Tour894. Aubepierres est quant à elle dotée à la fois par les seigneurs de Malval 895, les comtes de la Marche, les nobles de Chauvigny, les Ajasson, seigneurs de Nouzerolles 896, les nobles de Chamborand. Géraud, seigneur de Ladapeyre, fait preuve d’une grande générosité lors de son entrée en religion dans le monastère897. Les comtes de la Marche paraissent très présents pour 889 AD Creuse, H 524, fol. 59. AD Creuse, H 524, fol. 1. 891 S. VITTUARI, op. cit, vol. I, p. 14. 892 I. AUBRÉE, Patrimoine, gestion et vie sociale de l’abbaye cistercienne de Boeuil du XIIème au début du XVIème siècle, mémoire de maîtrise d’Histoire Médiévale, sous la direction de B. BARRIÈRE, Limoges, 1995, p. 35. 893 M. LAVEYX, « L’abbaye de Bonnaigue », BSSHAC, T 16, 1894, p. 536-557. 894 L. GRILLON, M. LEGENDRE, J. SECRET, L’abbaye de Boschaud. Le Château de Puyguilhem. L’église de Villars, Périgueux, 1957, p. 5-24. 895 Donation par Philippe, seigneur de Malval en 1266. AD Creuse, H 147. 896 Pierre Ajasson et ses frères donnent en 1326 les droits de propriété sur les terres de Montgeseau et Feschaud près de Chambon. AD Creuse, H 147. 897 H. DELANNOY, « Notes sur l’abbaye d’Aubepierre », MSSNAC, T XVI, 1907, p. 43-86. 890 - 258 - les abbayes aux marges des diocèses de Limoges et Bourges. Ils dotent en effet Aubignac, Bonlieu et Prébenoît, les couvrant de générosités ayant aussi pour but d’asseoir leur autorité sur des terres aux frontières instables. La situation marginale de l’abbaye d’Aubignac lui vaut les générosités des comtes de la Marche, des vicomtes de Brosse898, des seigneurs du Dognon899 de Bridiers et de SaintSébastien900. En 1203, Giraud, vicomte de Brosse, fait connaître à ses prévôts et fidèles qu’il a pris sous sa protection l’abbaye d’Aubignac. En 1274, Hugues de Brosse concède des droits d’usage dans le Bois Chardon pour les granges de Lauberte et de Beauvais. Dès 1194, Pierre Garnier de Dognon cède une rente sur le moulin de la Chapelle Saint-Gilles et sur les terres de Châteauneuf près d’Argenton. Les moines de Bonlieu bénéficient des libéralités des seigneurs de Chambon qui peuvent prétendre à la fondation du monastère. Amélius est d’ailleurs à l’origine de l’installation des ermites de Géraud de Sales en 1120901. Amélius donne ses droits sur le bois d’Estrader (désormais bois de la Bonnette). Les moines peuvent prendre le bois nécessaire pour le chauffage, les constructions, faire paître les porcs et autres animaux. Ces seigneurs semblent ainsi trouver dans le monastère cistercien un fort référent culturel, un moyen d’affirmer leur conscience d’appartenir à un lignage fort. Les moines comptent d’autres bienfaiteurs comme les seigneurs de Saint-Julien-le-Châtel, de Gouzon902, de Chauchet, de Saint-Domet903, de Saint-Loup, les comtes de Lusignan et les vicomtes d’Aubusson904. Les seigneurs de Saint-Julien-Le-Châtel sont issus, vraisemblablement dès la seconde moitié du XIème siècle, des seigneurs de Chambon-Combrailles et prolifèrent dans les siècles suivants. Leur château n’est qu’à quelques kilomètres de Bonlieu. Ils sont très liés à cette abbaye, comme en témoigne l’accession de Pierre de Saint-Julien au premier abbatiat905. Guillaume de Gouzon autorise en 1217 les moines à établir un réservoir pour arroser leur pré de Fleuraget au nord de l’abbaye. En 1221, Geoffroy de Saint-Domet donne une partie de ses terres que les religieux doivent cultiver eux-mêmes ou faire cultiver par des colons réguliers. Dès 1150, Geoffroy de Preuilly, seigneur de Boussac, donne aux moines de Bonlieu le manse du Péroux ainsi que tout ce qu’il possède à Bonnat. Il est suivi dans sa générosité par les chevaliers de 898 AD Creuse, H 234. AD Creuse, H 236. 900 H. DELANNOY, « L’abbaye d’Aubignac », MSSNAC, T XVII, 1909, p. 7-63. 901 AD Creuse, H 284. 902 AD Creuse, H 288. 903 AD Creuse, H 234. 904 C. PÉRATHON, « L’abbaye de Bonlieu », MSSNAC, T XVI, 1908, p. 13-24. 905 B. BARRIÈRE, G. CANTIÉ, R. LEBLANC, « Fortifications médiévales en Haute-Marche et Combrailles », TAL, T IV, Limoges, 1984, p. 115. 899 - 259 - son entourage habituel qui cherchent peut-être son approbation ou subissent une pression du groupe nobiliaire906. Les seigneurs de Bourbon leur permettent d’acquérir des vignobles en Bourbonnais907. Avant 1159 et la mort de Roger de Dalon, Guillaume de Bourbon, seigneur de Montluçon, donne la grange d’Aubeterre ainsi que des dépendances : les arbres de la Chaume, le pré Jarric, un étang, un moulin ainsi que dix sous de rente sur le four de Montluçon. Les moines cisterciens de la Colombe sont dotés par les seigneurs de Preuilly, de Naillac, par les sires de la Trimouille, de Vouhet, de Chassingrimont et par les vicomtes de Brosse, vassaux des comtes de Poitiers également rencontrés dans les actes de donations des abbayes d’Aubignac et de Prébenoît notamment. Ils semblent désireux d’asseoir durablement leur autorité sur cette marche forestière908. Leurs vassaux, les chevaliers de Chaillac dotent aussi la fondation cistercienne909. En 1213, Guy de Chaillac donne trois moulins près de Chaillac « pour se défendre de toute calomnie ». La respectabilité des moines est ainsi mise en exergue. C’est le vicomte de Brosse qui accorde aux moines le privilège de mouture sur ces moulins. En 1187, Jean, un cadet des vicomtes de Brosse entre au monastère. Ce prénom est fréquent chez les cadets de famille. Les seigneurs de la Trimouille ont également une importance indéniable. Ils possèdent la forteresse de Châteauguillaume au nord-ouest de l’abbaye. Ils dotent La Colombe dès 1214. Ils sont à l’origine d’actes plus nombreux que les seigneurs de Brosse. Ils paraissent plus généreux mais cèdent toutefois moins de droits d’usage et de dons de terre. Il s’agit en effet d’une aristocratie plus récente à emprise territoriale moins importante910. Concernant le Boischaut du sud, Olivier TROTIGNON fait état d’un « terrain aux conquêtes des seigneurs de Déols et de Bourbon ». Les grands féodaux du Berry font acte de générosité envers les abbayes cisterciennes, bien que ces libéralités soient bien souvent à peu de frais. Ils cèdent en effet leurs domaines les plus excentrés et les moins rentables 911. Les seigneurs de la Roche-Guillebaud sont les principaux donateurs de l’abbaye des Pierres. Cette « dynastie régionale » est vassale des seigneurs de Déols. Il dispose d’un château proche du monastère, dans les gorges de l’Arnon, signalée pour la première fois en 1100. Cette seigneurie s’est développée dans l’une des régions les plus vides du Berry et peut ainsi 906 É. CHENON, « Notes archéologiques et historiques sur le Bas-Berry », MSAC, 8ème série, Bourges, 1910, p.119. 907 AD Creuse, H 187, folio 142. 908 D. GAUDON, « Histoire de l’abbaye de la Colombe », RC, 1889, T XI, p. 168-175. 909 AD Indre, H 726. 910 J. PICAUD, L’abbaye cistercienne de la Colombe au Moyen-Âge (…), op.cit, p. 55. 911 O. TROTIGNON, Les puissances féodales en Berry Aquitain Oriental du XIème au XIIIème siècles. Conquête et organisation de la mouvance de la seigneurie de Déols, DEA d’Histoire Médiévale, dir. Bernard CHEVALIER, Tours, 1988, p. 30. - 260 - acquérir une certaine indépendance, notamment par rapport aux seigneurs de Châteauroux 912. Le site de la Roche-Guillebaud est d’ailleurs choisi pour son intérêt stratégique. Il peut en effet devenir une « base avancée » de l’expansion déoloise dans le sud du Boischaut. L’abbaye cistercienne ne joue-t-elle pas le rôle d’une « forteresse de la foi » symbole au même titre que le château de la mainmise et de la puissance de ces nobles ? Elle bénéficie également des dons des seigneurs de Déols, des seigneurs de Culan913, Préveranges et SaintSévère. En 1197, Ranulphe, seigneur de Culan, cède un droit de pacage dans son bois de Coursier. En 1203, les seigneurs de Culan confirment une donation à l’abbaye des Pierres et se dessaisissent de leurs droits sur Néret et Montipouret. Ces terres sont par ailleurs marginales, éloignées et de peu d’intérêt pour les seigneurs de Culan 914. Quant aux seigneurs de Bourbon, ils semblent se désintéresser de l’abbaye cistercienne. S’ils dotent les moines de Bonlieu et semblent vouloir assurer leur présence en Haute-Marche et Combrailles, ils renâclent à empiéter sur les terres des seigneurs de Déols et de leurs vassaux915. Raoul de Déols pourrait d’ailleurs être à l’origine de la fondation des Pierres. Les seigneurs de Déols se montrent généreux à la fois envers Aubepierres et envers sa fille. Une donation de 1256 évoque une remise de cens exigible sur les biens des deux monastères situés dans leurs fiefs916. L’abbaye de Prébenoît est dotée par les vicomtes de Brosse, les seigneurs de Nouzerines, de Déols917 et de Malval918. Ces derniers s’étaient déjà montrés très généreux envers les moines d’Aubepierres. En 1208, les seigneurs de Déols cèdent aux moines le bois de Drouilles (Soumans). Les premières donations des seigneurs de Malval qui se revendiquent comme les fondateurs du monastère marchois concernent la zone d’implantation initiale de l’abbaye (Moisse) et ses abords directs (Les Charderies sur la paroisse de Genouillac). En 1223, Aubert de Malval récapitule et confirme les donations à titre perpétuel faites par ses ancêtres à l’abbaye. Il donne au monastère tous les hommes de son domaine qui voudraient prendre l’habit monastique. Guillaume de Nouzerines, vassal des seigneurs de Boussac, concède notamment des terres à la Villatte et la Fontanelle 919. Cet acte est daté de 1192. Sébrand Chabot, évêque de Limoges, y appose son sceau. Les seigneurs de Verneiges dotent 912 O. TROTIGNON, op. cit., p. 41. AD Cher, 10 H 85. 914 AD Cher, 10 H 4 (n°2). 915 O. TROTIGNON, op. cit., p. 93. 916 AD Creuse, H 166. 917 AD Creuse, H 528. 918 AD Creuse, H 528. 919 AD Creuse, H 528. 913 - 261 - également les moines de Prébenoît920. Le lieu-dit « Le Vieux Château » sur la commune de Verneiges, à 500m au sud-est de l’actuel village de Verneiges est un témoin de l’anien ensemble fortifié où vivaient ces seigneurs, attestés dès le milieu du XIIème siècle921. Enfin, l’abbaye de Varennes bénéficie des dons des seigneurs de Cluis et des seigneurs de Chauvigny qui avaient déjà doté l’abbaye d’Aubepierres922. En 1212, les moines obtiennent des droits de pacage et d’usage dans les forêts dépendant de la seigneurie de Cluis. En 1294, Guillaume de Chauvigny affranchit de tous droits et coutumes les métairies des Bergeries, de Séchet, de Guéchaussiau appartenant aux moines. Ce sont ainsi souvent les mêmes grands seigneurs que nous retrouvons comme donateurs des abbayes cisterciennes en marges des diocèses de Limoges et de Bourges qui jouent véritablement la carte de ces ordres nouveaux pour asseoir une autorité nouvelle, affirmer leur conscience lignagère et créer de nouvelles nécropoles funéraires. Outre ces grandes seigneuries, des familles entières se donnent parfois aux monastères et sont ainsi à l’origine de granges. Ce cas de figure est assez fréquent à Obazine. Le seigneur de Monceau est ainsi à l’origine de la grange de Montredon. Il cède l’ensemble des eaux, moulins, terres, prés et bois en sa possession à son entrée au monastère (1148-1155). De même concernant Pierre de Veyrières à l’origine de la grange du même nom vers 1140 tandis que Pierre Guillaume d’Albussac contribue à la constitution de la grange d’Albussac (115059). Quant au domaine de Saint-Palavy, il est dû à Adémar Bérenger qui entre au monastère avec sa femme et ses enfants entre 1142 et 1143. On peut supposer que sa femme entre à Coyroux tandis que ses enfants sont envoyés au prieuré de Nougein semblant avoir accueilli nombre d’enfants n’étant pas admis à Obazine923. Cette grange sera ensuite dotée par des familles modestes telles les Gluges, la famille de Ferrières, de Dome, de Toucheboeuf, de Foucaud et de Sarrazac. Chaque habitant proche de la grange semble vouloir s’attirer les bonnes grâces des moines et de Dieu par leur intermédiaire. De même, la grange de Banières est dotée par la famille Saint-Miche, d’Arques et de Vayrac ; Baudran par la famille de Faydit ; les Alys par la famille de Gourdon, de Miers, de Borne, de la Popie, de Baussonie, de Mayrignac, de Salgues, d’Artensa, de Mandaval ; la Dame par la famille de Cardaillac, de Belcastel, de Félenon, de Gaulejac, d’Hébrard, d’Auriol, de Golème, de Linars, de Clermont, 920 AD Creuse, H 258. B. BARRIÈRE, G. CANTIÉ, R. LEBLANC, « Fortifications médiévales en Haute-Marche et Combrailles », TAL, T IV, Limoges, 1984, p. 108. 922 A. CHARDON, « L’abbaye de Varennes, 1148-1791 », RB, 1906, p. 201-205. 923 B. BARRIÈRE, L’abbaye cistercienne d’Obazine en Bas-Limousin, les origines- le patrimoine, Tulle, 1977, p. 122-124. 921 - 262 - de Veyrières, de Peyrille, du Bosc, de Saint-Projet, de Ginouillac ; la grange de Calès par la famille de Calès, de Verneuil, de Payrac, de Rouffilhac, de Chaussac, Bonnecoste par la famille d’Espédaillac, de Patras, de Beaumont, de Lagarde de Bonnecoste et de Camy ; Couzou essentiellement par la famille de Séniergues ; la Pannonie (première citation en 1286) par la famille de Charrette, de Gramat, de Castelnau de Gramat, d’Aymeri, de Valette, de Lavergne, de Valon et de la Faye ; Carlucet (première citation en 1287) par la famille de Marcenac, de Baussac et de la Vaysse. Ainsi, cette énumération montre bien la générosité des habitants proches des granges cisterciennes qui contribuent à la constitution de leur patrimoine foncier, dans la mesure de leurs moyens. Les terres et biens cédés sont majoritairement de petites dimensions contrairement aux dons des vicomtes de plus grande importance et il revient aux moines et particulièrement aux abbés d’Obazine de rendre ces terroirs disparates plus cohérentes par des achats et échanges de plus en plus fréquents dès la seconde moitié du XIIème siècle924. Ces familles pourtant moins bien loties que les grands seigneurs sont parfois les plus généreuses envers les moines blancs. Ainsi, l’abbaye du Palais est amplement dotée par la famille Lebrarius dont les biens s’étendent sur les paroisses de Saint-Dizier-Leyrenne et Bosmoreau-Les-Mines. Elle apparaît à 39 reprises dans le cartulaire et cède notamment des biens à Arcissat, Villefranche et Vaurs925. D’autres bienfaiteurs de classe moyenne dotent la modeste abbaye tels les de Royère, de Peyrusse, les familles de Thauron et d’Espagnat. Alaiz de Royère et ses fils donnent par exemple ce qu’ils possèdent à Mairemont en 1209 tandis que Géraud de Las Mollerias cède ce qu’il possède sur la terre de Langladure, noyau du terroir de la grange du même nom926. Ainsi, si certains sites comme Obazine et Dalon attirent les générosités des vicomtes et parfois des rois anglais ou français, d’autres comme le Palais sont dotés par des familles de classe moyenne, d’où la faible extension du patrimoine et les difficultés à sortir d’une inévitable précarité. Quarante-quatre familles dotent les moines de Dalon, comme celles du Burg, de Felez, de Geoffroi, de Garin, du Barri, de Salagnac, de Jau, de la Tour, de Bruzac, de Rasa, de Ribérac, d’Imon, d’Imos, de Verneuil ou encore de Bassignac pour ne citer que les plus récurrentes927. Les familles de Terrasson et d’Ayen dotent quant à eux la grange de 924 Abbé ALBE, « Titres et documents concernant le Limousin et le Quercy. Les possessions de l’abbaye d’Obasine dans le diocèse de Cahors et les familles du Quercy », BSSHAC, 1910, T 32, p. 251-304 ; p. 415-461 ; p. 511-609. 925 S. VITTUARI, op. cit, vol. I, p. 69. 926 AD Creuse, H 524, fol. 129 et 319. 927 M-C. PEYRAT, L’abbaye de Dalon et son environnement aux XIIème-XIIIème siècles, mémoire de maîtrise d’histoire médiévale, dir. B. BARRIÈRE et J. VERDON, 1990, vol. 1, p. 27. - 263 - Masmoutier. Quant aux Pérusse et aux Bouchiat, il s’agit de deux familles de chevaliers respectivement issus de Châtelus-Le-Marcheix et de Saint-Ybard. Ils gratifient les granges du Châtaignier et de Palemanteau. Ils sont bien pourvus à l’est et au sud-est de la vicomté de Limoges, à proximité des châtellenies d’Ayen, de Ségur et de Masseret928. Les donations de personnes de classe inférieure aux grands seigneurs et vicomtes limousins ne sont ainsi pas rares. Des officiers féodaux ou vigiers apparaissent parfois dans les cartulaires929. Après avoir cerné les différentes personnalités bienfaiteurs des moines cisterciens du diocèse de Limoges et de ses marges, reste à comprendre leurs motivations et les raisons de ces générosités. D’après les actes de donation, certaines réponses peuvent être apportées. Les seigneurs souhaitent que les moines veillent à la sauvegarde de leurs terres, notamment lors d’un départ pour la Croisade. Le donateur pourra récupérer ses biens s’il revient vivant de la Terre Sainte. L’abbaye gère ses biens et les protège. Des messes particulières sont parfois célébrées. En effet, certains dons précèdent un départ pour un voyage jugé périlleux outremer, à Jérusalem, mais aussi pour un pèlerinage, à Saint-Jacques-de-Compostelle notamment. Les seigneurs tiennent à s’assurer les bonnes grâces des moines et de Dieu par leur entremise. Ainsi avant 1152, les frères de Jean Judex confirment une donation qu’il a faite pendant que celui-ci est à Jérusalem. Trois donations de 1221 concernent des marchois partant en croisade contre les Albigeois : Rainaud VIII vicomte d’Aubusson, Hugues de Mérinchal, chevalier et Géraud prévôt du Puy Malsignat930. Des prières peuvent être dites à la date de leur anniversaire en contrepartie de leurs libéralités. La donation peut également être considérée comme un engagement familial, une tradition de protection envers l’abbaye transmise de père en fils et exprimant une certaine conscience lignagère931. Ces générosités sont un moyen de racheter leurs péchés, d’assurer le salut de leur âme et le bonheur éternel de leurs proches. Certains dons peuvent également être faits en échange d’une inhumation, très fréquentes en Bourgogne entre 1170 et 1180, tradition se perpétuant jusque dans les années 1200932. Certaines donations accompagnent l’entrée au monastère d’un cadet de famille ou d’un homme désireux de terminer sa vie dans le culte de Dieu. Ainsi, G. de Verget se fait moine à 928 M-C. PEYRAT, op. cit., p. 62-66. L. GUIBERT, « Notice sur le cartulaire de l’abbaye cistercienne d’Obazine », BSLSAC, T 12, 1890, p. 57-74. 930 AD Creuse, H 284, fol. 95-96 ; A. GUY, « Voyages et croisades dans le cartulaire de Bonlieu », Bulletin des Amis de Montluçon, n° 43, 1992, p. 4-11. 931 S. VITTUARI, op. cit, p. 73. 932 C. B. BOUCHARD, Holy Entrepreneurs. Cistercians, Knights, and economic exchange in Twelfth-Century Burgundy, Cornell University Press, 1991, p. 73. 929 - 264 - l’abbaye du Palais entre 1194 et 1211 et donne à l’abbaye la moitié du manse de la Font 933. Le monastère est un moyen de placer un membre d’une famille trop nombreuse dont l’avenir sera assuré et qui ne craindra pas les difficultés financières. Les familles ayant ainsi placé un cadet ne peuvent que se montrer généreuses vis-à-vis de l’abbaye ayant accueilli un membre de leur lignage. Certains interviennent en réparation de dommages causés. La proximité des monastères avec des châteaux ou forteresses et des seigneurs parfois turbulents entraîne souvent des débordements. Ainsi, en 1175, Ebles de Ventadour donne les manses de Crassac, de la Ville et du Moulin en réparation des dégâts faits à certaines granges d’Obazine par ses gens934. Ainsi, qu’il s’agisse de vicomtes, seigneurs ou d’humbles familles proches des moines blancs, les donations affluent dès les premiers temps des communautés et concernent même les premiers temps érémitiques. Ces bienfaiteurs sont à l’origine du noyau foncier des principales granges des abbayes. Les abbés veillent à la cohérence de ces patrimoines en acquérant des terres et biens par achats ou échanges. L’enrichissement et le développement des sites cisterciens dépendent ainsi certes de la nature des sols et de leurs qualités mais aussi de l’environnement aristocratique et de leurs moyens financiers. C’est pourquoi l’abbaye du Palais est maintenue dans une certaine précarité car éloignée des grandes seigneuries et vicomtés tandis que l’abbaye d’Obazine, à la jonction des vicomtés de Turenne, Comborn et Ventadour profite de cette proximité pour acquérir une vingtaine de granges aux activités diversifiées. Ces générosités s’expliquent par des motifs pieux : les seigneurs et familles veulent s’attirer les prières des moines parfois avant un voyage périlleux, pour le salut de leur âme. Ils ont également sans doute à gagner dans la mise en valeur de terres incultes et les activités commerciales des moines dont le dynamisme ressurgit sur les proches vicomtés. Le cas des granges d’Obazine près de Rocamadour en est un exemple édifiant. 933 934 AD Creuse, H 524, fol. 42. L. GUIBERT, op. cit. - 265 - 3. Nature des biens : Les donations accordées aux moines blancs peuvent revêtir plusieurs aspects. Il peut s’agir d’aumônes, à savoir l’aliénation consentie dans un but pieux, à titre gratuit, à un établissement religieux. Au XIIème siècle à Pontigny, les donations sont le plus souvent sans contrepartie, et c’est également le cas le plus fréquent pour les abbayes limousines et marchoises. Mais parfois, les seigneurs réclament la participation aux bienfaits de l’abbaye et notamment le droit d’y établir leur sépulture. Nous avons démontré précédemment la fréquence de ce procédé935. À Pontigny, 62% des actes du cartulaire conservé correspondent à des donations, 26% à des échanges, 6% à des achats. À Obazine, sous l’abbatiat d’Étienne, 78% des actes concernent des dons, 6% des achats, 3.5% des échanges. Sous Géraud Ier (1159-1164), 54% sont des dons pour 46% d’achats. Sous Robert (1164-1188), 36% sont des dons pour 63.5% d’achats. Sous Géraud II (1188-1212), les dons n’atteignent plus que 38.5%936. Au Palais, 376 opérations patrimoniales sont recensées dans le cartulaire, dont 48% correspondent à la période dalonienne. 80% sont cédées en pure aumône par les seigneurs937. La majorité des actes de donations concerne surtout des structures foncières mises en valeur par l’homme, à savoir des manses, des borderies, des terres cultivées et en nombre plus réduit des bois et friches. Cette constatation est particulièrement flagrante concernant l’abbaye du Palais, remettant en cause une fois de plus l’idée d’une installation des moines au désert, de débuts difficiles face à la nécessité de mises en valeur de terres incultes, de défrichements et d’assainissement des terres qui sont loin d’être systématiques938. Bernadette BARRIÈRE fait la même remarque concernant Obazine, dotée essentiellement de manses et de borderies, rarement de terres incultes ou d’espaces forestiers939. Les terres cédées sont parfois cernées de bornes comme Martine GARRIGUES le souligne pour l’abbaye de Pontigny. De nombreuses bornes ont également été découvertes à Obazine (la datation en est malaisée, probablement bas Moyen-Âge), souvent en grès, parfois décorées de croix à fleurons ou du sigle de la Vierge (« S.M ») [Fig. 27]. À Bonlieu, une probable borne est remployée dans un bâtiment moderne [Fig. 165]. Elles permettaient de délimiter l’enclos monastique mais aussi certaines terres pour éviter toute confusion avec les propriétaires environnants940. 935 Voir I. D. a. 4. Les abbayes comme nécropoles aristocratiques. B. BARRIÈRE, L’abbaye cistercienne d’Obazine en Bas-Limousin, les origines- le patrimoine, Tulle, 1977, p. 137. 937 S. VITTUARI, Le patrimoine de l’abbaye du Palais-Notre-Dame d’après le cartulaire (1134-12..), mémoire de maîtrise, dir. B. BARRIÈRE, Limoges, 1992, vol. I, p. 97. 938 S. VITTUARI, op. cit, vol. I, p. 85. 939 B. BARRIÈRE, Le cartulaire…, op. cit, p. 23. 940 B. BARRIÈRE (dir.), op. cit, p. 101. 936 - 266 - • Granges. Vers la polyculture : Les donations permettent aux moines dès la seconde moitié du XIIème siècle de constituer un réseau de granges aux activités diversifiées. Les granges sont des unités d’exploitation agricole, des cellules de productions variées de 10 à 100ha. Elles se composent de bâtiments où sont stockés les céréales, de celliers, caves, d’un bâtiment d’habitation pour les convers avec parfois un oratoire941. La polyculture permet aux moines d’assurer leurs besoins propres tandis qu’ils vendent leurs surplus sur les marchés et distribuent aux pauvres. Le nombre de granges est toutefois assez inégal selon les monastères envisagés et certains ne sortent guère de la précarité des premiers temps. Leur taille varie également. Christophe WISSENBERG constate concernant les granges de Clairvaux qu’il en existe différents types. Les granges primitives (avant 1150) sont les plus opulentes, qualifiées de granges-maîtresses. Elles sont souvent flanquées de fermes-annexes de seconde génération (fin XIIème-XIIIème siècles). Ces fermes-annexes sont de constitution plus lente que les granges (un siècle environ) et ne sont jamais appelées granges pendant les XIIIème et XIVème siècles, mais domus. Elles sont peut-être placées trop près de la grange-maîtresse pour être elles-mêmes érigées en granges. Christophe WISSENBERG précise que ces fermes sont à proximité immédiate des lieux habités par des séculiers. Leur création serait la « seule formule juridique –eu égard à l’Ordre- qui puisse répondre à un compromis inévitable entre l’intégration de la croissance du temporel et la nécessaire composition avec le voisinage séculier interdisant en théorie l’installation de granges, ces dernières étant soumises à une clause d’isolement. (…) Les prescriptions cisterciennes, mises à l’épreuve des lieux (…) semblent bien à l’origine de la hiérarchisation original du temporel claravallien »942. Néanmoins, ces distinctions ne se retrouvent pas forcément aussi précisément et nettement pour les abbayes cisterciennes du diocèse de Limoges. Dalon est l’une des abbayes les mieux dotée avec 27 granges au total, à savoir Lavaysse, Puyredon, la Forêt, Taillepetit, Puyboucher, Tauriac (prolongée par la création de la bastide de Puybrun), les Touches, Bedena, Palemanteau, Chalaumand, Murs, Buxum, le Châtaignier, Jous, Masmoutier, Goudonnet, Fougerolas, Excideuil, Montignac (hospice). Laurière et la Colre sont simplement citées dans les actes [Fig. 81]. Le noyau primitif des donations comprend la forêt de Dalon, le 941 M. MOUSNIER, « Les abbayes cisterciennes et leur rôle dans l’économie et la société méridionale aux XIIème et XIIIème siècles », dans La grande aventure des cisterciens. Leur implantation en Midi-Pyrénées, Actes du colloque de Belleperche, 1998, Montauban, 1999, p. 105-130. 942 C. WISSENBERG, Entre Champagne et Bourgogne. Beaumont, ancienne grange de l’abbaye cistercienne de Clairvaux, Paris, Picard, 2007, p. 56. - 267 - bois de Podio, la borderie de Fougerolas (com. Génis), le manse Britonis (com. Saint-PaulLa-Roche) ainsi que des droits de forestage et droits d’usage dans les forêts de Born et de Coulaures. Certaines exploitations n’ont pu être localisées dans la toponymie actuelle. Il s’agit de Laurière (attestée en 1244, sans doute près de la forêt de Born), Buxum, Châtaignier et la Colre943. Le groupe de l’abbaye comprend la grange de l’abbaye constituée du bois de Dalon, de la borderie de Valcombe, de bois et terres à Cauchas (com. Ségonzac), de manses à Verneuil, de la borderie Rainal, des borderies de Las Ruas, de terres à Pinac, de biens à Coubjours, de pré, borderie et d’un pont à Milande (com. Ségonzac), de manses à Arnac (com. Ségonzac), d’un manse de la Ribière, de l’étang de Fialeix, de l’étang de Born, des manses de Vidaillac, de biens à la Machardie (com. Sainte-Trie), du pré de la Mabode (com. Salagnac), du pré Bobeilum (com. Sainte-Trie), de l’étang de Chantecogul (com. Sainte-Trie) et du moulin de Salagnac. Les possessions de cette première grange sont ainsi diversifiées. Les productions sont essentiellement le seigle, le froment et la vigne. Le groupe de l’abbaye comprend également la grange de Lavaysse sur la paroisse de Ségonzac disposant de vignes, du manse de Bagnac. Elle produit entre autre du froment, de l’avoine, du seigle et du vin. La grange de Puyredon (com. Coubjours) produit de même du seigle, du froment et de l’avoine. Ce groupe intègre la grange de la Forêt (com. Hautefort) et de Fougeroles (com. Génis) comprenant les moulins de Laurière, de Génis, de Rets. Le seigle et le froment sont les productions majoritaires944. Le groupe du nord-ouest se compose de la grange de Chalamand (com. saint-Paul-LaRoche) produisant essentiellement de l’avoine et du seigle. La grange de Murs (com. Thiviers) est dotée d’une chapelle attestée en 1178. Elle produit du seigle et du vin. Les moines possèdent également une maison à Excideuil citée en 1180 à laquelle se rattachent les vignes de Noyer Maurel, La Vilette et Charrières945. Le groupe du nord-est se compose de la grange de Masmoutier (com. Saint-BonnetLa-Rivière) disposant de la borderie de Vasses, du pré Eschales, du manse Polenc, du moulin Culières. La grange de Palemanteau (com. Concèze) produit essentiellement du seigle. Enfin, la grange de Jou est située sur la commune de l’Église-aux-Bois946. 943 L. GRILLON, Le cartulaire de Dalon (1114-1247), Mémoire de DES sous la direction de C. HIGOUNET, Bordeaux, 1962, p. 4. 944 L. GRILLON, Le domaine et la vie économique de l’abbaye cistercienne Notre-Dame de Dalon en BasLimousin, thèse de doctorat, Bordeaux, 1964, p. 38-49. 945 L. GRILLON, Le domaine…, op. cit, p. 50-57. 946 L. GRILLON, Le domaine…, op. cit, p. 58-64. - 268 - Le groupe du sud-est se compose de la grange de Bedena, de Goudonnet et de Tauriac (com. Bretenoux). Goudonnet est située sur la commune de Chartrier-Ferrières. Elle est citée dès 1179 mais existe sans doute depuis 1120. Beaucoup de terres sont en effet cédées entre les mains de Roger, premier abbé de Dalon. La nature des biens qui la compose est assez diverse. Elle se constitue des manses des Masadies, de Marfons, de Meyrignac, d’une vigne à Cousages, du moulin de la Grèze sur la Couze et du moulin de Ladoux. Les possessions de cette grange ne cessent de s’accroître jusqu’en 1205. À cette date, elle dispose de 13 manses, 2 borderies, 5 pièces de terre et une vigne. Bedena est située sur la commune de Larche. Elle est citée pour la première fois en 1190 mais est probablement antérieure. Elle dispose de moins de terres que Goudonnet : les sols sont maigres à cause de l’affleurement de plaques de grès. Elle comprend des moulins sur la Couze et sur la Vézère tel le moulin de Larche947. Le groupe du sud-ouest se compose des granges de Taillepetit (com. Sainte-Orses), de Puyboucher (com. La Boissière-d’Ans) et de Montignac (com. Sarlat) attesté vers 1210. Les moines de Dalon dispose également d’une grange en Charente, les Touches, attestée dès 1172. Elle est appelée « prieuré » à maintes reprises dans les actes et devait disposer de sa chapelle propre pour les offices. Elle se compose de trois marais salants (Friscarnau, Parsac, Palezou), de pêcheries et de terres948. Certaines granges sont postérieures à la rédaction du cartulaire. C’est le cas de la Besse (com. Ségonzac) qui apparaît en 1438, de Chabanes, la Hache (com. Savignac-lesÉglises), Las Rovas (com. saint-Bonnet-la-Rivière) en 1438 et Chantres (com. Milhac) dont la chapelle est conservée949. Les granges de Dalon ont ainsi essentiellement une vocation agricole et artisanale. Les moines produisent du vin, des céréales, du fourrage, du chanvre. L’abbaye d’Obazine est également très bien dotée d’autant plus qu’elle est couplée avec l’abbaye de Coyroux dont elle gère entièrement le patrimoine [Fig. 82]. La majorité des actes relèvent de l’abbatiat de Robert de 1164 à 1187. Avant l’affiliation à Cîteaux, l’abbaye dispose déjà de centres d’exploitation. Ceux situés à proximités sont nommés « granges », les plus éloignés « prieurés »950. À la fin du XIIème siècle, la création de granges spécialisées est 947 L. GRILLON, « Deux granges corréziennes de l’abbaye cistercienne de Dalon », dans Le Bas-Limousin, Histoire et Économie, Tulle, 1966, p. 21-32 ; L. GRILLON, Le domaine…, op. cit, p. 65-70. 948 L. GRILLON, Le domaine…, op. cit, p. 75-85. 949 L. GRILLON, Le domaine…, op. cit, p. 90-98. 950 B. BARRIÈRE, L’abbaye cistercienne d’Obazine en Bas-Limousin, les origines- le patrimoine, Tulle, 1977, p. 150. La grange était sans doute dirigée par un convers tandis que le « prieuré » avait peut-être un moine à sa tête, d’où cette distinction dans le vocabulaire employé. - 269 - achevée (La Graule, La Morinière). L’abbé Robert a œuvré pour l’agrandissement des terroirs des granges quercyniennes, l’amélioration des activités d’élevage (Chabanes, Graule), la plupart des granges disposent de vignes, notamment en Quercy et dans les environs de Donzenac, du sel est produit à la Morinière. Les activités des moines d’Obazine sont ainsi très diverses, permettant l’autonomie mais aussi la vente de certains productions sur les marchés par l’intermédiaire des maisons de ville951. Au XIIIème siècle, les 200 actes inventoriés révèlent surtout la fortification d’un patrimoine déjà acquis plus que de réelles extensions. Sont tout de même créées les granges du Chassaing, de Calès, de Granges (com. Carlucet) et de la Pannonie (com. Couzou). La grange de Chassaing est une dépendance spécialisée dans la culture de la vigne, placée dans le territoire donzenacois. Les cisterciens y possèdent un pressoir952. Le groupe de l’abbaye se constitue des granges d’Obazine, de Rochesseu (com. Aubazine), de Montredon (com. Albignac) et d’Albussac. Les acquisitions interviennent surtout dans les premiers temps de l’abbaye. La grange de Rochesseu, dotée dès 1138, comprend les manses de Villières, du Peuch, de Vaculac, les terroirs de Chastang et de Charret953. Albussac dispose de nombreux moulins sur la Roussanne, à draps ou à céréales. Sous l’abbé Robert, elle est dotée des manses du Verdier et du Borc, de trois borderies et de quelques prés. Le groupe d’exploitations au nord de l’abbaye se compose de la grange de la Montagne (com. Lagraulière) constituée des manses de Maurscham et de Baspeyrat, donnés par Agnès de Mauriac entrant au monastère à la mort de son époux (1133-1159), et la grange de la Serre (com. Chamboulive) disposant du bois de Sourdain et de nombreux moulins. Le troisième abbé d’Obazine, Robert (1164-1188) contribue en particulier à l’extension du patrimoine de la Montagne et y ajoute les manses de la Chanourdie, de Chaumont, du Mazel, de Vedrenne, de Chassagne, de Mantes, de Vinolas, trois borderies et le bois de Las Neboleiras. Il dote la grange de la Serre du manse Arnal. Au nord-est, sur les hauts plateaux limousins, les moines érigent les granges de Chabanes (com. Tarnac), de Chadebec (com. Bonnefond) et de Veyrières (com. Rosiers d’Égletons). Cette dernière dispose des manses de Vaurgas, des Bordes et de Saignac. Sous l’abbé Robert, Chadebec se voit agrandie par les terres de Currières, de Boucheteil, d’Abelos et des Fours tandis que Veyrières est dotée de trois manses à Grassa. 951 B. BARRIÈRE, L’abbaye cistercienne d’Obazine en Bas-Limousin…, op. cit, p. 182. P. GARRIGOU GRANDCHAMP, Y. VERGNE-LABROUSSE, « Donzenac du XIIème au milieu du XVème siècle. Histoire sociale et architecture domestique », dans Monuments de Corrèze, Congrès Archéologique de France, Société Française d’Archéologie, 163ème session, 2005, Paris, 2007, p. 157-205. 953 B. BARRIÈRE, L’abbaye cistercienne d’Obazine en Bas-Limousin…, op. cit, p. 152. 952 - 270 - En Haute Dordogne, les frères d’Étienne disposent de la grange de Nougein (com. Marcillac-La-Croisille), peut-être un prieuré pour les enfants, de Couffinier (com. GrosChastang) et de Croisy (com. Argentat). L’exploitation de Couffinier se compose des manses du Saleix et de la Combe, de Brigoux, de la Chaumette auxquels s’ajoutent sous l’abbé Robert les trois manses de la Brue, du Fraysse et de la Bissière ainsi que les terres de la Grillère et de Pommier. Les moines obtiennent également deux borderies à Couffinier. La grange est dotée d’un oratoire pour les offices religieux. Quant à Croisy, elle comporte les manses de Croisy, de la Farge et des Chèzes. Le manse d’Ouix est adjoint sous l’abbé Robert. En Quercy nous connaissons les granges de Ramière (com. Noaillac), de Baudran (com. Nespouls), de Saint-Palavy (com. Cavagnac) et de Banières (com. Vayrac). SaintPalavy se constitue de nombreux prés, champs, vignes, manses et borderies cédées par Adémar Bérenger à son entrée au monastère. Le groupe des Alys (com. Rocamadour) comprend les granges de la Dame (com. Payrac), de Couzou (com. Gramat) et de Bonnecoste (com. Calès). La grange des Alys est dotée par les seigneurs quercynois de Miers et de Curemonte et obtient les manses de Malecoste, du Pendiz, de Canteloube. Elle se compose en grande partie de terres défrichées, cultivées et habitées954. Ce groupe de Quercy/Rocamadour est augmenté de 30 manses et 8 borderies sous l’abbé Robert qui œuvre à l’extension du patrimoine foncier du monastère. La grange de Bonnecoste est d’ailleurs créée sous son abbatiat en 1173. La faible densité de la population en Quercy et principalement dans les environs de Rocamadour permet la création de vastes domaines d’un seul tenant. Deux exploitations sont plus éloignées : la Graule est située sur la commune de SaintSaturnin sur le plateau du Cantal tandis que la Morinière est en Charente sur la commune de Dolus à Oléron. Vers 1169-1170, Girard, abbé de la Trinité-de-Vendôme confirme la vente à Obazine du marais « Folia Chantarel » ainsi que d’un droit de pêche à la Morinière955. Des grangiers sont attestés à Graule, la Dame, Nougein, Couffinier, Veyrières, Albussac et la Serre et relayaient le pouvoir de l’abbé au sein de granges parfois éloignées. Quant aux productions de ces exploitations agricoles, elles sont relativement variées et témoignent du soin des moines à assurer leur autarcie en produisant tout ce dont ils pouvaient avoir besoin. Nougein, Couffinier et Veyrières produisent du seigle ; Albussac, Ramière, Rochesseu, la Montagne et la Serre de l’avoine et du froment ; une activité vinicole est attestée à Albussac, Saint-Palavy, Obazine, Baudran, Ramière, Nougein, Veyrières ainsi que dans les granges quercynoises. La Graule est spécialisée dans l’élevage, de même que les 954 B. BARRIÈRE, L’abbaye cistercienne d’Obazine en Bas-Limousin…, op. cit, p. 154 ; 156 ; 158-161 ; 163 ; 167. 955 B. BARRIÈRE, Le cartulaire…, op. cit, p. 217. - 271 - granges de Chadebec et Albussac pour les ovins, d’Obazine et La Montagne pour les bovins, de Nougein et Couffinier pour les porcins, tandis que la Morinière est une grange saline956. L’abbaye du Palais-Notre-Dame ne dispose pas d’un patrimoine aussi important et étendu que les monastères de Dalon et Obazine [Fig. 83]. La politique patrimoniale menée révèle plus une volonté de défense pour préserver et maintenir les acquis qu’une volonté d’extension du terroir. L’abbé Roger de Dalon mène une politique timide : de 1120 à 1159, les opérations onéreuses ne concernent que 7% des actes. Il agit toutefois pour la concentration spatiale du patrimoine. À sa suite, Bernard Ier étend les possessions vers la paroisse de Soubrebost et exige de nombreux contrats de confirmation. Entre 1168 et 1177, Hélie affermit le patrimoine mais ne l’élargit pas. Ce n’est que sous Bernard II (1177-1194) et Bernard III (1200-1210) que les opérations onéreuses augmentent (20%). Vers 1210, le patrimoine a atteint son extension maximale957. Ses biens sont répartis en 9 granges : Arcissas (com. Bosmoreau), Le Mont-de-Transet, La Chaise (com. Thauron), Quinsat (com. Mansat), Rapissat (com. saint-Dizier-Leyrenne), Mairemont-Bonnefond (com. Janaillat), Langladure (com. Masbaraud-Mérignat), Beaumont (com. Soubrebost) et le Saillant (com. Voutezac)958. Avant même l’affiliation à Cîteaux, les ermites disciples de Géraud de Sales sont déjà à la tête de petites exploitations agricoles et détiennent des terres au nord-ouest de Quinsat et à la Chaussade. Sept granges sont ainsi issues de l’héritage dalonien. La grange du Mont se compose de deux manses, trois borderies à la Chaussade et des biens à Transet. La Chaise dispose des manses de Fougeras, Poutignat, la Fayolle et Redondebesse. L’exploitation d’Arcissas comporte deux manses, une borderie dans les plaines de Villefranche et Conge, quatre borderies à Arcissas, le manse de Peyroux, le terroir de Fontaneix et les terres de Clapijaud. Mairemont jouit du terroir de Mairemont, de Bonnefond et Bonnefontette, de la borderie de Noger et de la Faye. Rapissat se compose des borderies de Berlas et du Mas-Faraud. La grange de Beaumont, au nord-est de la paroisse de Soubrebost est dotée de la terre de Tenèle, du terroir de Beaumont, des terres de Grandvallée, de Grandvau et de Masmouchard. L’exploitation agricole de Langladure fait surtout l’objet d’attentions après 1177. Elle détient des structures foncières à Saint-Michel, La Faye, Estampel et des droits d’usage à la fontaine de Fontloup. Quant à la grange de Saillant en BasLimousin, elle est vraisemblablement constituée sous l’abbatiat de Bernard II. Elle se 956 B. BARRIÈRE, « Les granges de l’abbaye cistercienne d’Obazine aux XIIème et XIIIème siècles », dans Le Bas-Limousin, Histoire et Économie, Tulle, 1966, p. 33-51. 957 S. VITTUARI, op. cit, vol. I, p. 100. 958 M. DAYRAS, « Les abbayes creusoises et le Palais-Notre-Dame », MSSNAC, T 36, 1966, p. 215-220. - 272 - compose du mas de la Sauvézie, de deux manses, deux borderies, de la terre du Claus Favares, de la borderie dans le vignoble de Vertougit, de quatre manses à la Côte et du moulin du Saillant. Elle est dotée d’une maison pour les convers, d’un cellier, d’une cave, d’un pressoir, d’un jardin, de prés et de vignes. Elle possédait vraisemblablement les chapelles de la Côte et de Bontat, dédiée à Sainte Radegonde selon l’abbé POULBRIÈRE, à la Vierge selon NADAUD. Cette grange a donné son nom à un bourg à côté de Voutezac959. Comme l’abbaye du Palais, le monastère de Boeuil demeure un établissement modeste, peu doté et dont le patrimoine foncier reste méconnu du fait de la perte du cartulaire [Fig. 84]. Les actes conservés permettent de constater que la majorité des acquisitions relèvent des XIIIème et XIVème siècles, mais cette constatation peut être justifiée par la quasi disparition de tous les documents du XIIème siècle. Les ¾ concernent des donations, peu d’achats à titre onéreux sont exécutés. Nous pouvons remarquer une concentration des donations entre 1200 et 1320, et tout particulièrement dans les années 1250-1280, ce qui est plutôt inhabituel. La période d’expansion des abbayes cisterciennes du diocèse de Limoges est plutôt la seconde moitié du XIIème siècle. De 1120 à 1260, les biens acquis concernent prioritairement la paroisse de Saint-Yrieix-sous-Aixe. Dans la seconde moitié du XIIIème siècle, les possessions s’étendent à Saint-Victurnien et Aixe-Sur-Vienne. Après 1320, une chute des donations s’explique par le début de la Guerre de Cent Ans (1337), la Peste Noire (1348) et la renommée montante des ordres Mendiants. À la fin du XIVème siècle, nous pouvons affirmer que le patrimoine de l’abbaye de Boeuil est constitué. Les moines disposent ainsi de la grange de Fay le long de la Clouère et de la Vienne, de Courdieu près de la Gartempe, de Vieillefond près du Vincou au nord de Nantiat, de Mars près de la Dronne et de la Valouse. La grange de Piangaud n’est citée que jusqu’en 1297. Les granges de Chambon, Laborde et Pellechevant disparaissent rapidement. Pellechevant, sujette aux inondations, est remplacée par la grange de Boeuil en 1259960. Cette dernière est rebaptisée « Grange Rouge » en 1454. Elle est vraisemblablement habitée jusqu’en 1800. Au XIIème siècle, la majorité des biens cédés sont des bois et terres de médiocres qualité, dont les parcelles n’excèdent souvent pas un hectare. Aux XIIIème et XIVème siècles, il s’agit la plupart du temps de rentes, cens et droits d’accapte, de biens fonciers agricoles (pré, terres, vignes), de maisons et de sommes d’argent. Les moines disposent de vignobles constitués sur la droite de la Vienne, d’Aixe à 959 S. VITTUARI, op. cit, vol. I, p. 138 ; P. LARBANEIX, « La grange du Saillant », MSSNAC, T 22, 1922-24, p.159-165. 960 I. AUBRÉE, Patrimoine, gestion et vie sociale de l’abbaye cistercienne de Boeuil du XIIème au début du XVIème siècle, mémoire de maîtrise d’Histoire Médiévale, sous la direction de B. BARRIÈRE, Limoges, 1995, p. 57. - 273 - Saint-Junien, principalement concentrés à Saint-Victurnien et Aixe. Une bonne part des productions est céréalière (seigle, froment, avoine, orge et millet). Les moines détiennent également des jardins et vergers (navets, raves, choux, poireaux, châtaignes, noix). La grange de Courdieu s’est particulièrement spécialisée dans l’élevage (volailles, porcins, ovins). Les moines produisent également de la cire et du miel961. Le patrimoine foncier du monastère de Boschaud est méconnu du fait de la perte de la quasi-totalité des titres de l’abbaye [Fig. 85]. Quelques-unes des possessions peuvent toutefois être repérées, telles la tenure de la Côte de la Mort (com. Jayac) acquise au XVIème siècle, dévolue à la production céréalière, la tenure des Fouilliers, de Puyjaloux et de Saint-Pierre de Frugie. Les moines possèdent la grange de Saint-Jean-de-la-Lande et sa chapelle, également spécialisée dans une production céréalière. Les possessions à Rieucaud (diocèse d’Agen) correspondent peut-être à une grange. Les moines y percevaient la dîme. Des biens à la Petite Bruyère n’ont pu être localisés de même que la forêt des Bernardins. Mazeros, sur la commune de Milhac est une grange avortée, finalement agrégée à Dalon. La proximité de la communauté dynamique et fructueuse ne devait en effet guère aider le développement de ce monastère modeste maintenu dans une certaine précarité962. L’abbaye de Peyrouse n’est guère mieux connue [Fig. 86]. Six granges peuvent être repérées : Corbaria (non localisée), Beynac, Vieille Abbaye, Jaladier (paroisse de Saint-Saud), Croze (paroisse de Milhac) et les Bordes (paroisse de Saint-Saud). Un acte de 1254 énumère les granges, borderies et manses en possession des moines, nous permettant de mieux cerner ce patrimoine. Elle semble aussi avoir possédé la grange de Puyharmier (com. Saint-Pantalyd’Ans), très proche de la grange de Dalon de Puyboucher ayant pu conduire à des conflits de possession. Le lieu-dit « Puy Harnier » et la « Grange » existent encore aujourd’hui dans la toponymie963. Les exploitations agricoles de Peyrouse sont à l’origine des hameaux de Peyrouse, de Beynac, de La Veyrière, de Bonnefond, de Faurie Haute, de Gatinelli et des Moulières964. La donation initiale de l’abbaye de Grosbot en 1147 concerne le manse du « Mas Codorz » ainsi que des droits dans la forêt de Grosbot, donation faite directement entre les 961 I. AUBRÉE, op. cit, p. 86. C. DESPORT, Deux abbayes cisterciennes du Périgord : Boschaud et Peyrouse, mémoire de maîtrise d’Histoire médiévale sous la direction de Bernadette BARRIÈRE, Limoges, p. 39-47. 963 C. DESPORT, op. cit, p. 67-72. 964 N. BUISSON, « Abbaye de Peyrouse », BSHAP, T 113, 1986, p. 308-323. 962 - 274 - mains d’Étienne d’Obazine [Fig. 87]965. L’abbaye obtient des possessions à Balzac, BeaulieuCloulas, Chazelles, Dignac, Garat, Saint-Germain, Grassac, Juillé, Lonnes, La RocheFoucauld, Mainzac, Marthon, Montbron, Saint-Paul, Prazac, Salles, Sers, Vouzan, La Rochebeaucourt, Rougnac, Villebois et Rancogne. Elle dispose de la grange d’Arsac. En 1346, Itier Farsete de Garat promet à l’abbé de Grosbot de livrer à ses frais un demi-boisseau de froment à la grange d’Arsac annuellement966. Le monastère de Bonlieu est l’un des monastères les mieux connus de Haute-Marche grâce à son cartulaire [Fig. 88]. Il dispose d’un important domaine avec ses treize granges, visiblement constituées dès les premières années du XIIIème siècle. La grange de la Porte à l’ouest du monastère peut être assimilée sans équivoque à la porterie du monastère destinée à l’accueil des pèlerins et des pauvres. Il s’agit également vraisemblablement d’un lieu de gestion du patrimoine. Elle est citée dès 1118, dès les premiers temps érémitiques. Les exploitations de la Chaudure, La Chassagne, Neyrolles (entre Chénerailles et Gouzon à l’ouest de Bonlieu), Les Barres au nord de l’abbaye sont toutes les cinq situées dans un rayon de cinq kilomètres du monastère. En 1198, Guillaume de la Salle donne ses droits sur le domaine de Neyrolles aux moines de Bonlieu967. Grosmont et Villechenille sont implantées à l’est de Glénic, non loin de certaines possessions des cisterciens d’Aubepierres (moulins de Chibert et Vaumoins). Cette promiscuité a pu susciter des conflits d’intérêt et de bornage. La Villatte, Montmoreau et Modard sont plus avancées dans les Combrailles au nord de Bonlieu. La grange de Bougnat est en Berry, près de Saint-Marien au nord de Boussac. En 1207, les moines de Bonlieu obtiennent de la famille de Déols un droit de pacage pour le bétail de la grange de Bougnat. Aubeterre et la Croze sont en Bourbonnais à quelques kilomètres de Montluçon968. C’est Hugues Mainfroy qui est à l’origine de la fondation de la Croze. Il donne en effet une pièce de terre inculte (heremus) entre la maison de Croze et des Chadenas969. Ces granges développent des activités diversifiées. Bougnat est une forge implantée dans un paysage à forte densité ferreuse. Les lieux-dits « la Forge » et « le Moulin » conservés dans la toponymie actuelle évoquent la probable activité d’une forge hydraulique. La Croze et 965 D. N. BELL, « An eighteenth Century Book-List from the abbey of Grosbot », Cîteaux, Commentarii Cistercienses, T 48, 1997, p. 339-370. 966 A. MONDON, “Notes historiques sur la baronnie de Marthon en Angoumois. Chapitre XIV : abbaye NotreDame de Grosbost », MSAHC, 1895, p. 447-502 ; M. LARIGAUDERIE, « Abbaye cistercienne Notre-Dame de Grosbot, Charente : recueil de textes (1121-1791) », BASEPRC, Angoulême, 1998, n° 8, p. 1-93 ; IGN Série Bleue, 1/25000ème, 1732 E, Angoulême est. 967 AD Creuse, H 284. 968 H. DELANNOY, « Notice sur l’abbaye de Bonlieu », MSSNAC, T 18, 1911, p. 7-52. 969 AD Creuse, H 284. - 275 - Aubeterre sont les réservoirs en vin de l’abbaye, bien connus des historiens puisqu’elles ont fait l’objet d’une étude de Guy ANDRÉ970. Les autres exploitations pratiquent l’élevage et une activité céréalière évidente. La modeste abbaye d’Aubepierres est méconnue [Fig. 89]. Peu d’actes du XIIème siècles sont conservés. Le cartulaire copié à l’époque moderne permet toutefois de connaître un peu le patrimoine foncier du monastère. Les moines disposent d’un certain nombre de granges : la Porte, la Grange, Lavauvieille et Bourliat sont les plus proches de l’abbaye, à moins de 10 kms. Chibert est sur la commune de Glénic plus au sud, Fondenet et Fontgilbert près d’Argenton en Berry. La Porte et Bourliat n’ont pu être localisées sur les cartes de Cassini ou les cartes IGN. En 1165 notamment, une terre est donnée à la communauté à Bourliat971. Puis en 1209, les moines obtiennent d’Eudes de Cluis la promesse de protéger leur grange de Fondenet972. La Porte devait correspondre à la porterie du monastère et revêtait sans doute une fonction d’accueil des pèlerins et des pauvres. Les possessions des cisterciens s’étendaient jusqu’en Boischaut, notamment pour la viticulture (vignes de Marzelle)973. Ces exploitations agricoles pratiquaient essentiellement l’élevage et la céréaliculture. Quant à l’abbaye d’Aubignac, une copie du cartulaire du XVIIème siècle permet d’appréhender son patrimoine foncier mais de manière assez partielle face à la perte de nombreux documents médiévaux [Fig. 90]. Les moines disposaient de granges à l’Auberte (à quelques kilomètres au sud-ouest du monastère), la Rémondière (près de Parnac, non localisée), Chanteloube (au sud de l’abbaye, au-delà d’Azérables), Beauvais (au sud près de Lignac), à la Réjade (au sud est près de Lafat) et à l’abbaye même974. Les cinq autres exploitations agricoles restent proches du monastère dont le territoire ne semble pas très étendu. Bernadette BARRIÈRE insistait bien sur le fait qu’Aubignac était une petite abbaye ne comportant que peu de granges et quelques terres à vignes sur les coteaux des vallées de la Creuse à Argenton et de l’Indre à Châteauroux975. Les vignes d’Argenton (Fonsfurat) 970 G. ANDRÉ, « Aubeterre, grange bourbonnaise de l’abbaye cistercienne de Bonlieu », Bulletin des Amis de Montluçon, 1991, n° 42, p. 3-31. 971 AD Creuse, H 147. 972 AD Creuse, H 147. 973 H. DELANNOY, « Notes sur l’abbaye d’Aubepierre », MSSNAC, T 16, 1907, p. 43-86 ; AD Creuse, H 166. Les vignes de Marzelle sont données par Pierre Vital et sa femme Pétronille. 974 H. DELANNOY, « L’abbaye d’Aubignac », MSSNAC, T 17, 1909, p. 7-63. 975 B. BARRIÈRE, M. H. TERRIER, « Les archives médiévales de l’abbaye cistercienne d’Aubignac : première approche », Archives en Limousin, n°8, 1996, p. 11-12. - 276 - s’accompagnaient d’une tuilerie et d’une maison976. Il est fréquent chez les cisterciens de Haute-Marche d’obtenir des vignobles en Boischaut. Ces possessions sont attestées dès le milieu du XIIème siècle977. Elles sont permises par les donations des vicomtes de Brosse, exceptée la grange de la Réjade à la lisière de la forêt de Saint-Germain dotée par les vicomtes de Bridiers. L’abbaye de la Colombe est relativement bien dotée et dispose de nombreuses exploitations agricoles [Fig. 91]. Douze granges sont attestées à Argenton, la Châtre, Bordessoule (Saint-Maurice-La-Souterraine sur la vicomté de Bridiers), Chabannes, Châteauroux (relais commercial et cellier), Gué-Rossignol (commune de Magnac-Laval, Haute-Vienne), Montgenoux (commune de Prissac), Montmorillon, La Roche-Posay, Tillisset (lieu-dit Thélisset sur la carte IGN) et La Varenne (paroisse de Bazaiges). La Colombe est ainsi aussi prospère que l’abbaye de Bonlieu. Ces exploitations dessinent un rayon de 10 à 35 kms autour de l’abbaye. Elles pratiquent la céréaliculture (surtout le seigle) et l’élevage (essentiellement des porcs). Elles sont majoritairement constituées entre les années 1200 et 1260 correspondant à la plus grande phase d’expansion du monastère. Certaines ne sont plus présentes dans la toponymie actuelle. L’abbaye dispose également de vignobles au Blanc. La plupart des aménagements sont mis en place dès le XIIIème siècle comme le prouvent les actes conservés. En 1190, le moulin de la grange de Varenne existait déjà puisque qu’un contentieux naît entre les moines et le seigneur A. Lepha qui reproche aux religieux d’autoriser les paroissiens à venir moudre leurs grains au moulin de Varenne. Dès 1212, Hugues Brun, comte de la Marche, donne ses droits sur la grange de Montgenoux. L’abbaye des Pierres est difficile à étudier du fait de la perte de la majorité des sources diplomatiques [Fig. 92]. Aucun cartulaire ne peut aider à la reconstitution du patrimoine foncier. Nous connaissons une grange de l’abbaye des Pierres située à Aignerais, entre Champillet et Montlevic à quelques kilomètres à l’est de la Châtre. Elle a été étudiée par Émile CHENON qui livre un court article sur l’exploitation agricole978. En 1160, le moulin d’Aignerais est donné en perpétuelle aumône par Roger V Palesteau. Il est placé sur le petit ruisseau d’Igneraie. La grange dispose donc de moulins, d’étangs, d’une tuilerie et d’une 976 AD Creuse, H 239. En 1394, une sentence de la prévôté d’Issoudun maintient la possession d’une tuilerie et d’immeubles à Argenton sur le territoire de Fonsfurat. 977 M. H. TERRIER, « Les bois et les forêts de l’abbaye d’Aubignac des origines à 1351 », MSSNAC, Tome 46, 1997, p.269-275 et p.477-488. 978 É. CHENON, « Le prieuré d’Aignerais, membre de l’abbaye des Pierres », Mémoires de la Société des Antiquaires du Centre, 1900, T XXVI, p. 35-55. - 277 - chapelle, ce jusqu’en 1791. La chapelle est détruite en 1793. L’étude toponymique ne permet guère de retrouver ces aménagements979. La grange proprement dite apparaît par les lieux-dits « le Petit Igneraie » et le « Grand Igneraie ». Aucun toponyme, aucune prospection n’indique un moulin ou une tuilerie. L’abbaye de Prébenoît ne dispose plus de son cartulaire et la connaissance de ses possessions est ainsi rendue plus difficile et partielle [Fig. 93]. Nous savons d’après les quelques sources médiévales et les actes de donation conservés que l’abbaye de Prébenoît disposait de sept granges : la grange de l’abbaye, de la Villatte (à quelques kilomètres au nord-ouest du monastère), du Chassin (au sud-ouest de Prébenoît), de Bramareix (au sud de l’abbaye au-delà de Châtelus-Malvaleix), de Chissac (à l’est de l’abbaye, non loin de Lavaufranche), de Ligondeix (au sud-est, près de Bramareix) et de Sinaise (à quelques kilomètres au sud de Châteaumeillant) qui ont toutes pu être identifiées. Les possessions de l’abbaye confinaient donc au Berry. Varennes est encore plus méconnue et les fonds conservés aux Archives Départementales de l’Indre et du Cher la concernant sont indigents [Fig. 94]. Les granges de Varennes sont difficilement identifiables. Nous savons qu’elle disposait dès sa fondation en 1148 des exploitations de Séchet (aujourd’hui «le Sachet » à un kilomètre à l’ouest du monastère), des Bergeries (au sud de Varennes), de l’Abbé (à 300m au nord) et de Guéchaussiot (à quelques kilomètres au nord au bord du ruisseau du Gourdon)980. En 1294, Guillaume de Chauvigny affranchit de tous droits et coutumes les métairies des Bergeries (ou Rebergère, com. Fougerolles au sud de l’abbaye), de Séchet (com. Fougerolles, à l’ouest de l’abbaye) et de Guéchaussiot (com. Fougerolles, au nord de l’abbaye) appartenant aux moines. Sont citées également les granges de Beccons, Augère (com. Cluis), Maynilet, Neuvy-Chisset et Fontenelle. En 1194, un acte précise que l’abbé de Varennes échange des biens avec Saint-Sulpice-de-Bourges pour regrouper ses propriétés 981. Ces trois exploitations agricoles sont très proches de l’abbaye même. Nous pouvons supposer que les moines possédaient des terres plus éloignées mais les quelques actes conservés ne nous permettent guère d’en faire état. 979 IGN Série Bleue, 2227 E, La Châtre, 1/25000ème. A. CHARDON, « L’abbaye de Varennes, 1148-1791 », Revue du Berry, 1906, p. 201-205 ; G. WOLKOWITSCH, L’abbaye royale Notre-Dame de Varennes, Lancosme Multimedia, 2004. 981 AD Indre, H 1137. 980 - 278 - • Forêts, bois et défrichements : Les donations de bois et de forêts sont fréquentes mais les seigneurs s’opposent souvent aux défrichements. Les bois constituent en effet pour eux une réserve de gibiers. Lorsqu’ils acceptent les défrichements, ce n’est qu’à condition de toucher une redevance sur les terres nouvellement essartées982. Ces zones forestières sont prisées des moines car permettent le bois de chauffe, le bois de construction et la glandée des porcs. Ainsi, un acte de l’abbaye de Bonlieu daté de 1204 précise qu’Eudes de Déols donne la moitié de son bois de Fosse-Lobert mais les religieux ne peuvent ni le mettre en culture, ni le faire cultiver 983. Les défrichements monastiques sont limités et contrôlés. Leur action ne doit pas non plus masquer celle des seigneurs et des populations rurales, sans doute de plus grande ampleur mais méconnue des sources d’archives. Les artisans essentiels des défrichements sont sans doute plutôt les paysans poussés par des seigneurs laïcs ou ecclésiastiques. Ces moines trouvent peut-être un intérêt dans la persistance d’une certaine « protection » forestière les isolant quelque peu du monde séculier. Les vastes étendues boisées sont de plus nécessaires à leurs troupeaux. L’abbaye de Dalon dispose ainsi de nombreux bois et forêts comme la forêt de Born, de Coulaures (com. Savignac-les-Eglises), de Plagne (com. Excideuil), de Mainzac, de Baconais, de Dalon, le bois Nouveau, le bois du Puy, le bois de Fialeix, de Bagnac, de Ilias, de Charetas, de la Combe, de Robertis, de Gordonenc, de Taillepetit, de Costis, de Sorbole, de Labatut, de Marchac, de Lachaux, de Fouchers, de Bedena, le Bois Barba, de Parigeas, de Villevalet, de Badesac, de Gannac et d’Agornel984. C’est en 1182 que Guillaume Hélie cède des droits d’usage dans les bois de Bagnac et de Fialeix aux moines de l’abbaye de Dalon tandis qu’en 1198, Gui de Jau donne ce qu’il possède dans la forêt de Born 985. Les moines de Peyrouse acquièrent les bois de Bartola, de Chabrolenc, les forêts de Peyrouse et de Beynac [Fig. 54]986. En 1212, les moines de Grosbot obtiennent le droit de prendre dans les bois de Roumagne le bois nécessaire au chauffage [Fig. 59]. La même année, Hugues Jourdain de Pranzac reconnaît que les frères de Grosbot ont le droit de prendre le bois de chauffage et de pacage dans la forêt de Bois-Blanc987. En 1241, les seigneurs de Mareuil leur cèdent des droits 982 M. GARRIGUES, op. cit, p. 28. AD Creuse, H 350. Par ailleurs, en 1245, Geoffroy Martel leur cède les terres de Bougnat avec autorisation d’arracher les arbres et de cultiver la terre. AD Creuse, H 284. 984 L. GRILLON, Le domaine…, op. cit, p. 101. 985 L. GRILLON, le cartulaire…, op. cit, fol. 236 et 324. 986 C. DESPORT, op. cit, p. 67-72. 987 M. LARIGAUDERIE, « Abbaye cistercienne Notre-Dame de Grosbot, Charente : recueil de textes (11211791) », BASEPRC, Angoulême, 1998, n° 8, p. 1-93. IGN Série Bleue, 1/25000ème, 1732 E, Angoulême est. 983 - 279 - de pâturage dans les bois de Broliac ainsi que le droit de prendre du bois de chauffage et de construction. Ils ajoutent le bois mort et les espèces forestières sans valeur (érable, noisetier, charme, osier) pour le chauffage et la construction de cabanes en branchages et parcs pour les animaux. Ils autorisent le prélèvement de branches de chêne et renoncent à tout leur droit sur cette donation. Suivent les interdictions concernant les animaux de l’abbaye dans leur forêt, interdiction de séjourner la nuit avec les animaux sur le trajet de Connezac à Lussas988. En 1315, les personnes qui ont des droits sur la forêt de Rougnac renouvellent le droit d’exploiter cette forêt pour tous les besoins de Grosbot989. En 1274, Hugues de Brosse, seigneur de Dun et de Châteauroux concède des droits d’usage dans le Bois Chardon pour les granges de L’Auberte et Beauvais appartenant à l’abbaye d’Aubignac [Fig. 48]. Les moines d’Aubignac obtiennent également de la famille de Copiac un droit de pâture dans la forêt de Versillat proche de leur grange de la Réjade (com. Lafat) pour le gros comme pour le petit bétail (1245)990. Quant aux cisterciens de Boeuil, ils obtiennent, par jugement de l’official de Limoges, confirmation de leurs droits d’usage dans la forêt de Fraicher pour leur grange de Vieillefont (com. Berneuil) en bois tant mort que vif, pour le chauffage et la construction991. • Hydraulique : Du XIème au XIIIème siècles, une importance nouvelle est accordée à l’hydraulique, due en grande partie à l’émergence d’ordres nouveaux, excellents gestionnaires des patrimoines fonciers. Les moines cisterciens recherchent la possession d’étangs et en créent également parfois. Ils sont tour à tour détenteurs et constructeurs d’étangs. Tous les monastères comptent des viviers et étangs dans leur environnement immédiat dont on peut encore retrouver l’emplacement sur les cadastres napoléoniens, parfois sur les cartes IGN actuelles et dans les paysages992. Ne mangeant pas de viande, ces réservoirs à poissons sont très prisés et leur possession recherchée par les cisterciens. Les étangs apparaissent ainsi fréquemment dans les actes de donation ou seulement en tant que droits d’usage. Nous disposons également de témoignages de construction d’étangs. Ils sont fréquemment associés à une chaussée constituant un barrage de retenue. L’eau, libérée par une pelle en bois tenant le 988 A. MONDON, op. cit. M. LARIGAUDERIE, « Abbaye cistercienne Notre-Dame de Grosbot, Charente : recueil de textes (1121-1791) », BASEPRC, Angoulême, 1998, n° 8, p. 1-93. 989 M. LARIGAUDERIE, « Abbaye cistercienne Notre-Dame de Grosbot… », op. cit., p. 1-93 990 AD Creuse, H 247. 991 AD Haute-Vienne, 13 H 31. 992 B. BARRIÈRE, « Étangs et hydraulique en Limousin : le temps des créations » dans B. BARRIÈRE, Limousin médiéval, le temps des créations, PULIM, Limoges, 2006, p. 157-187. - 280 - rôle d’une bonde, permet l’alimentation d’un moulin, le plus souvent à roues horizontales convenant mieux aux zones montagneuses993. Hervé BARBÉ témoigne en Berry de l’importance des étangs liés à l’abbaye cistercienne de Noirlac et cite un certain nombre de possessions sur les communes de Valleray, Farges-Allichamps, Nozières, Orcenais (Boischaud sud). Il fait état de levées de terre barrant perpendiculairement des talwegs dans lesquels s’inscrivent des ruisseaux convergeants vers le Cher, en majorité attribuable aux cisterciens. Un des étangs sur la paroisse de Nozières dispose encore de sa digue monumentale de 140m de long, 10 à 15m de large et 2m de hauteur. Des moulins sont souvent installés sur des canaux de dérivation994. En matière d’hydraulique, nous pouvons nous demander si des techniciens spécialisés ont été requis, s’ils circulaient d’abbayes en abbayes à l’intérieur de l’Ordre ou si les moines eux-mêmes ont acquis cette expérience. Aucune source ne permet de conclure sur ce point995. Les possessions de moulins sont ainsi systématiques pour chaque abbaye, chaque grange comme en témoignent les actes conservés. Pourtant, dès 1134, une prescription du Chapitre Général de l’Ordre défend l’acquisition de moulins pour ne pas altérer la pureté de la Règle, interdiction réitérée en 1157996. Un statut de 1152 précise que les « (…) revenus des fours et moulins et autres ressources semblables, contraires à l’intégrité de l’observance monastique sont incompatibles avec [la] condition de moines et de cisterciens »997. Une fois encore, les prescriptions de l’ordre ne sont pas systématiquement appliquées et les intérêts économiques priment généralement. Les possessions de moulins peuvent être de deux sortes : les uns sont utilisés pour leur propre production, certains uniquement pour les 993 Y. POURCHER, La trémie et le rouet, moulins, industrie textile et manufactures de Lozère à travers leur histoire, Les Presses du Languedoc, 1989. 994 H. BARBÉ, « L’aménagement des étangs en Berry (XIIIème-XVIIIème siècles) », CAHB, T 101, 1990, p. 4348. 995 B. BARRIÈRE, « Les cisterciens d’Obazine en Bas-Limousin (Corrèze, France) : les transformations du milieu naturel », dans L. PRESSOUYRE, P. BENOÎT (dir.), L’hydraulique monastique : milieux, réseaux, usages, actes du colloque de Royaumont, 1992, Paris, Créaphis, 1996, p. 13-33. 996 « Ecclesias, altaria, sepulturas, decimas alieni laboris vel nutrimenti, villas, villanos, terrarum census, furnorum et molendinorum redditus, et cetera his similia monasticae puritati adversantia, nostri et nominis et ordinis excludit institutio », « Molendinos vel ceteras possessiones quas secundum ordinem tenere non licet ». J. M. CANIVEZ, Statuta capitulorum Generalium Ordinis Cisterciensis ab anno 1116 ad annum 1786, Louvain, 1933, T I, p. 14 et 61. 997 J. M. CANIVEZ, Statuta capitulorum generalium ordinis cisterciensis, Louvain, 1934-1941, article 23. - 281 - ressources économiques, les moines percevant des revenus sur quelques moulins placés sous leur juridiction998. Les cisterciens de Boschaud sont implantés sur un site sans cours d’eau, mais le cadastre napoléonien révèle la proximité d’un étang. Un puits est également mentionné permettant l’approvisionnement en eau du monastère999. Les moines de Dalon disposent ainsi des étangs de Born et de Fialeix. En 1185, Gui de Felez donne ce qu’il possède dans l’étang de Fialeix près de Born. Il n’est donc pas directement construit par les moines1000. Les moines de Boeuil jouissent de deux étangs (« Le Maupas » et « Frère Hague ») et de trois viviers à proximité immédiate des bâtiments monastiques. Le trop-plein des étangs est capté par un canal s’écoulant en direction de Pellechevant1001. Ils installent un moulin et son écluse à la Valette sur la commune de Saint-Victurnien. Ces installations sont essentiellement des moulins à mouture. L’un jouxtait l’étang de l’abbaye. La grange de Fay dispose d’un moulin de la Pochonerie. Celui de Sapnac appartient à la grange de Vieillefond. Le moulin de la Coste est sur la commune de Saint-Victurnien, celui des Bordes près d’Oradour-sur-Glane. Les moines possèdent également des moulins à la Courdieu, Tussac, Soussif (com. Leignessur-Fontaine), un à la grange de Mars, un dépendant de l’exploitation de Piangaud. Ils établissent deux moulins à draps : à Saint-Quentin et au Mas-du-Puy sur la commune d’Oradour. En 1462 est également attesté un moulin à fer, le moulin Rodet sur la chaussée de l’étang du monastère. À cette date, nous disposons d’un bail à Martial d’Estiveau d’un emplacement entre la bonde de l’étang de l’abbaye et le moulin à blé de celle-ci pour y établir un moulin à fer1002. Le minerai de fer a pu être importé de zones sidérolithiques à Fay, de Courdieu ou de Vieillefond1003. Les cisterciens de Dalon jouissent des moulins de Chalamand, de Fougeroles. En 1179, ils acquièrent le moulin de la Grèze, en 1186 le moulin de Ladoux 1004. Pierre de la Porte cède également ses droits sur les moulins de la Couze et de la Vézère à Larche 1005. Un étang et un moulin sont situés à proximité de l’abbaye. La digue subsiste encore en aval des bâtiments 998 C. B. BOUCHARD, Holy Entrepreneurs. Cistercians, Knights, and economic exchange in Twelfth-Century Burgundy, Cornell University Press, 1991, p. 116. 999 C. DESPORT, Deux abbayes cisterciennes du Périgord : Boschaud et Peyrouse, mémoire de maîtrise d’Histoire médiévale sous la direction de Bernadette BARRIÈRE, Limoges, p. 25. 1000 L. GRILLON, Le cartulaire…, op. cit, fol. 81. 1001 G. COUTY, Veyrac : passé, coutumes, Limoges, 1990, p. 3-7. 1002 AD Haute-Vienne, 13 H 27. 1003 I. AUBRÉE, op. cit, p. 91-97. 1004 L. GRILLON, Le domaine…, op. cit, p. 147. 1005 L. GRILLON, Le cartulaire…, op. cit, fol. 785. - 282 - monastiques. Ils acquièrent de plus l’étang de Born déjà existant sur la commune de Salagnac1006. Quant aux moines d’Obazine, les donations concernant des moulins sont nombreuses. Six moulins s’échelonnent sur le Coyroux, alimentés par des biefs et retenues d’eau 1007. Vers 1159-1160, Étienne Belzom donne à titre de dot pour ses filles le moulin de la Peyre dépendant de la grange de Couzou (1159). Le moulin est donc déjà construit et les moines cisterciens en acquièrent simplement les droits. Entre 1164 et 1165, Pierre Aymeric de Mandaval autorise l’établissement d’un moulin à la fontaine de Verve dépendant de la grange de Couzou ainsi que la navigation en amont et en aval du moulin de la Peyre. En 1173, les moines peuvent construire deux moulins dépendants de la grange de Baudran. Certaines installations sont donc mises en œuvre directement par les moines blancs même si la majorité semble ne correspondre qu’à l’acquisition de droits d’usage. En 1179, Pierre de Coursou de Treignac cède l’usage du moulin de Sourdain, à la fois pour moudre le froment et fouler les draps. Les moines jouissent également de l’étang et du moulin de Terrac acquis entre 1164 et 1188 et dépendant de la grange de la Serre 1008. La grange de Montredon dispose du moulin de Rocha Bocheira, celle de la Serre de l’étang de Sourdain. Quant à la grange de Croisy, elle bénéficie d’un moulin sur l’Etze1009. En Quercy, les moines d’Obazine disposent de nombreux moulins sur l’Alzou et l’Ouysse [Fig. 97]. Ils sont construits de pied ferme avec des roues à aubes horizontales, une digue ou payssière. La plupart ne sont toutefois pas construits directement par les moines blancs : le moulin de Cabouy est acquis en 1330, construit par les moines de Saint-Martin-de-Tulle. Caulet, acquis en 1279, est également l’œuvre des Bénédictins de Tulle. Vers 1260, un accord est signé entre les abbés d’Obazine et de Tulle au sujet des eaux et moulins de Caugnaguet, Caulet et Murat1010. Les aménagements hydrauliques des moines du Palais consistent également à l’utilisation d’une source dans le bois du Transet appelée Fontaine des Moines. Un moulin est placé sur le cours du Taurion à quelques mètres en contrebas du site monastique, encore conservé aujourd’hui1011. À Bonnaigue, nous connaissons certains moulins par des actes de donation, mais globalement le patrimoine du monastère reste méconnu [Fig. 95]. Ebles d’Ussel cède aux 1006 B. BARRIÈRE, « Étangs et hydraulique en Limousin… », op. cit., p. 157-187 B. BARRIÈRE, « Étangs et hydraulique en Limousin… », op. cit., p. 157-187. 1008 B. BARRIÈRE, L’abbaye cistercienne d’Obazine en Bas-Limousin…, op. cit, p. 174. 1009 B. BARRIÈRE, L’abbaye cistercienne d’Obazine en Bas-Limousin…, op. cit, p. 178. 1010 B. BARRIÈRE, Le cartulaire…, op. cit, p. 142, 162, 275, 350, 363 et 574 ; J. ROCACHER, Rocamadour et son pèlerinage. Étude historique et archéologique, vol. I, Toulouse, 1979, p. 367-389. 1011 P. LOURADOUR, « L’abbaye du Palais-Notre-Dame », MSSNAC, T 36, 1966, p. 221-227. 1007 - 283 - moines deux setiers de froment sur les moulins d’Ussel. En 1199, Robert d’Ussel donne à son tour cinq setiers de froment sur les moulins d’Ussel et dix sous sur l’église de Saint-Fréjoux. Il existe vraisemblablement un moulin dans l’enceinte même de l’abbaye, au sud-est de l’abbatiale. Une chaussée ferme la vallée, constituant un réservoir alimenté par la Dozanne et l’eau de l’étang de la Fage, comblé au XIXème siècle. Cette retenue d’eau est utilisée à la fois comme vivier et pour l’alimentation d’un moulin disparu1012. Les moines de Bonnaigue ont également acquis des droits sur le lac de Sarliève dans l’ancien diocèse de Clermont (paroisse de Romagnat) dès 1198, accompagnés de la création de la grange de Bonneval occupant la combe qui ouvre sur le lac au sud de Pérignat (attestée au milieu du XIIIème siècle). Ces possessions permettent l’exploitation de roselières et de joncs, des activités de pêche et d’agriculture comme le pacage du bétail et l’aménagement de jardins1013. Les moines de Boschaud disposaient quant à eux des moulins de Laumède et de Chez Nanot sur la Dronne munis de digues encore conservées, bien que révélatrices de constantes modifications aux époques moderne et contemporaine1014. À Peyrouse, si l’abbaye a presque entièrement disparue, des aménagements hydrauliques sont encore perceptibles comme l’étang et sa digue en contrehaut du monastère, ainsi que le moulin de la Scie, existant probablement depuis la fondation de l’abbaye. Un vivier en « L » est alimenté grâce à une capture sur le ruisseau du Palem et sert de réserve de poissons aux moines. Les moines cisterciens disposent du moulin de la Pauze sur la paroisse de Celles, du moulin de Miou en amont du précédent sur la Dronne (moulin céréalier et drapier) et d’un étang à Saint-Amand (paroisse de Milhac)1015. Le moulin de la Pauze (ou Pause) est mieux connu grâce à des documents modernes. En effet, en 1761, un état des réparations à faire dans les dépendances de Peyrouse fait état des chaussées et écluses du moulin de la Pauze, percées de nombreuses brèches, nécessitant des « charettées de pierres pour regarnir les écluses et les rétablir à hauteur suffisante »1016. En 1212, Hugues de Lusignan demande à Robert, abbé de Grosbot et à son monastère, de renoncer au moulin de Voreuil, écluse, île, vigne et pré et dépendances. Ils reçoivent en 1012 J-L. LEMAÎTRE, op. cit., p. 208. G. FOURNIER, « Sarliève. Un lac au Moyen-Âge », Association du site de Gergovie, T 11, 1996, p. 2-34 ; E. GRÉLOIS, “Les logiques concurrentes des populations riveraines des zones humides : rivières, lacs et marais de Basse Auvergne d’après les sources écrites (XIIIème-XVIème siècles)” dans J. BURNOUF, P. LEVEAU, Fleuves et marais, une histoire au croisement de la nature et de la culture. Sociétés préindustrielles et milieux fluviaux, lacustres et palustres : pratiques sociales et hydrosystèmes, Paris, CTHS, 2004, p. 291-298. Lieu-dit Bonneval conservé dans la toponymie actuelle. Voir IGN Série Bleue, 1/25000ème, 2531 E, Clermont-Ferrand. 1014 C. DESPORT, op. cit, p. 39-47. 1015 C. DESPORT, op. cit, p. 54. 1016 AD Dordogne, B 538, pièces 58 et 59. 1013 - 284 - échange la remise des arriérages de rente sur ce moulin1017. En 1356, l’abbé Bernard II accorde à Arnaud de Leygnau, Hugues Richard et Jean Maytal le droit de moudre leur blé au moulin de l’abbé à Arsac, immédiatement après que le blé soit passé à la trémie et non pas après 24 heures. Ils ne peuvent pas moudre leur blé dans un autre moulin1018. En 1476, un bail à rente perpétuel concerne les quatre moulins de Font Palais au nord de l’abbaye. Ceux-ci sont décrits en ruines. Sont évoqués le partage des droits de mouture, le paiement des droits, la reconstruction des moulins et l’aliénation de l’étang. Le bailleur s’engage à fournir les matériaux nécessaires pour la construction des murs, fondations et écluses et tous les bois qui seront employés. En 1719, le prieur Claude de Nougaret demande à la famille Crose et à Pierre Lassort de remettre en état l’étang de Grosbot et les canaux (biefs, évacuation). Il réclame les arrérages de 29 ans sur le droit de pêche. En 1725, un procès-verbal est dressé pour l’abbé de Grosbot. Des fossés d’irrigation gênent le fonctionnement des moulins : « Claude de Nojaret cy devant prieur de ladite abbaye auroit obtenu une sentance au juge presidial d’Angoumois contre Pierre Lassort, marchand, en datte du dix huit mars 1718 portant en outre que ledit lassort seroit tenu de combler toutes les fosses et rigoles qu’il avoit fait dans les prés sittues au dessus de Fons Palais, de nettoyer l’antien canal afin de laisser couler et dessandre ladite eau librement aux moulins de son palais dependant de ladite abbaye (…) »1019 Les granges de l’abbaye d’Aubepierres sont fréquemment associées à un moulin. Ainsi le cartulaire révèle l’existence d’un moulin à l’abbaye même (désormais nommé « Le Moulin Neuf »), à Chibert (« Le Moulin Neuf », com. Glénic), Vaumoins (« le Moulin Noyé », com. Glénic), Rebeyret (com. Roche) ainsi qu’à Lavauvieille (« Le Moulin Neuf » au bord de la Petite Creuse, au sud de l’abbaye). 1020 . En 1247, Hélie de Ladapeyre renonce à tous les droits qu’il pouvait avoir sur le moulin de Vaumoins sur la Creuse dépendant de la grange de 1017 M. LARIGAUDERIE, « Abbaye cistercienne Notre-Dame de Grosbot, Charente : recueil de textes (11211791) », BASEPRC, Angoulême, 1998, n° 8, p. 1-93, archives de l’évêché d’Angoulême. 1018 M. LARIGAUDERIE, « Abbaye cistercienne Notre-Dame de Grosbot… », op. cit., p. 1-93. 1019 M. LARIGAUDERIE, « Abbaye cistercienne Notre-Dame de Grosbot… », op. cit., p. 1-93. AD Charente, 2 E 29 69 ; 2 E 29 71. 1020 AD Creuse, H 147. - 285 - Chibert (Glénic)1021. Nous connaissons en particulier une transaction en 1324 à propos du moulin de Chibert1022. Un acte de 1461 concerne un contrat d’acquisition du Moulin Gayet à Aigurande par les seigneurs de Châteauroux (non localisé)1023. L’abbaye des Pierres, fille d’Aubepierres, jouissait également de nombreux moulins. D’après les sources manuscrites, nous savons que les moines des Pierres disposaient du moulin de Chaumont sur l’Arnon, du moulin Portier et de la Phillipaude1024. Le moulin de l’abbaye était utilisé pour le blanchissage du linge de même que le moulin des Paumes. D’après le cartulaire d’Aubignac, les frères Porret, issus de l’aristocratie laïque, ont cédé aux moines leurs droits de propriété sur le moulin de Malherbe où ils font moudre leurs grains et fouler leurs draps1025. Dès 1194, Pierre Garnier, seigneur du Dognon donne une part du moulin de la chapelle Saint Éloy aux moines cisterciens1026. En 1247, le testament de Pierre de Brosse évoque les moulins de la Châtre et de la Pedière (près d’Azérables) que nous n’avons toutefois pas pu identifier1027. C’est le même cas de figure pour le moulin de Rabois vendu par Guillaume de Villenne en 1303, près d’Argenton1028. À l’abbaye de la Colombe, un moulin à huile dont la meule servait à écraser les noix existe encore en contrebas du monastère. Concernant les aménagements hydrauliques, il est fait état d’un moulin à drap à Chaillac (moulin de « l’Eschimoult »), d’un moulin à grains à La Varenne, du moulin du Pin à l’ouest de l’abbatiale, du moulin de Latus et du moulin à huile de l’abbaye1029. Ils sont parfois éloignés des chefs-lieux des granges. En 1213, Guy de Chaillac donne un moulin près de Chaillac, sans doute le moulin de l’Eschimoult1030. Le moulin du Pin est donné par Guyot du Pin en 12181031. En 1255, une transaction avec les religieux de Montmorillon concerne le moulin de Montgenoux1032. Au milieu du XIIIème siècle, les paysans d’un village proche d’une grange de la Colombe détruisent l’écluse et la chaussée de l’étang construit par les cisterciens car ils étaient préjudiciables à leurs prés1033. 1021 AD Creuse, H 172. AD Creuse, H 147. 1023 AD Creuse, H 147. 1024 AD Cher, 10 H 4. 1025 AD Creuse, H 250. 1026 AD Creuse, H 234. 1027 AD Indre, H 976. 1028 AD Indre, H 977. 1029 J. PICAUD, op.cit, p. 114 ; D. GAUDON, « Histoire de l’abbaye de la Colombe », Revue du Centre, 1889, T XI. 1030 AD Indre, H 726. 1031 AD Indre, H 725. 1032 AD Indre, H 728. 1033 AD Indre, H 728. 1022 - 286 - L’abbaye de Varennes disposait d’un moulin dans l’enclos monastique, du moulin Doué, du moulin des Mares (tous les deux sont situés au nord de Neuvy-Saint-Sépulchre) et du moulin de Guéchaussiot, encore présents dans la toponymie actuelle. Dès 1210, le moulin de Montlevic est cédé par le chapitre de Plaimpied aux cisterciens des Pierres. Le moulin de l’abbaye est encore indiqué sur la carte IGN. De même, le toponyme « Les Paumes », témoin du moulin du même nom est conservé au sud-ouest du monastère au bord de la Joyeuse. Nous n’avons pu retrouver le moulin de Chaumont sur l’Arnon, ni le moulin Portier. À Bonlieu, une donation de 1220 porte sur le moulin et l’aqueduc d’Aubeterre 1034. Concernant les abbayes de Haute-Marche, les textes faisant état des productions sont surtout les arrentements du XIVème siècle. Les moines de Bonlieu arrentent deux moulins en 1331, l’un à blé, l’autre à « mailler », c’est-à-dire à broyer des tiges de chanvre. En 1414, deux moulins, à blé et à foulon, sont cités à côté de l’étang d’Auge1035. Ces moulins sont plus acquis que directement construits par les moines blancs. Ils proviennent de donations des seigneurs ou de familles aristocratiques locales. Les moines bénéficient ainsi de techniques déjà éprouvées par les laïcs. Il nous paraîtrait dès lors exagéré de les qualifier de « moines hydrauliciens ». Leurs aménagements révèlent une certaine maîtrise technique, une mise en œuvre soignée qui est le fruit de contacts et d’échanges avec les techniciens laïcs. Quant à Prébenoît, les moines disposaient du moulin de l’abbaye, de la Côte, de Naucher, de la Fontanelle, de la Porte et des Boissières. Tous n’ont pu être repérés dans la toponymie ou peuvent apparaître sous des dénominations différentes. Ainsi, la carte de Cassini révèle le « moulin des Côtes » au nord de Prébenoît, le moulin du Cluzeau (qui peut être associé au moulin de Naucher des sources écrites) plus au nord-est et le « moulin de Gourby » au sud-est sur la Petite Creuse. Ce dernier correspond vraisemblablement au moulin des Boissières cité dans les actes médiévaux. Le « moulin de la Commanderie » au dessus de Luyat prête à confusion. Il s’agit sans doute d’une installation des Hospitaliers de Viviers implantés à quelques kilomètres au nord de Prébenoît. La proximité des deux communautés a sans doute conduit à des conflits d’intérêt et à des prétentions communes sur les cours d’eau. Le moulin de la Fontanelle est évoqué dans les textes dès la fin du XIIème siècle. En effet, en 1192 est fait mention de la donation d’un moulin en construction dans le mas de la Fontanelle. Il n’a toutefois pas pu être cartographié. Le lieu-dit « la Barrière » au nord de l’abbaye (parcelle n°351 du plan cadastral actuel) peut évoquer une ancienne digue placée sur l’Étang Noir. 1034 1035 AD Creuse, H 284. AD Creuse, H 240. - 287 - Outre ces aménagements de digues, étangs, biefs, viviers ou moulins, les moines blancs peuvent également être amenés à assécher des marais (Saint-Léonard-des-Chaumes). Ils jouent parfois un rôle dans la mise en valeur des étendues marécageuses. Les cisterciens de Léoncel en particulier s’adonnent à la mise en valeur des « vèvres » qu’ils transforment en prairies par l’ouverture de fossés d’assainissement. Ils drainent les terrains trop humides, couverts de joncs et de roseaux et font peu à peu évoluer le saltus vers l’ager1036. • Autres activités préindustrielles et artisanales : Concernant la métallurgie, les actes sont peu prolixes. Nous savons que certains secteurs sont pourvus en fer et vont attirer la convoitise des moines tel le sud du bassin sédimentaire de Brive [Fig. 98]. Obazine y fonde Baudran (com. Nespouls) et Dalon créée Goudonnet (com. Chartrier-Ferrières). Les abbayes cisterciennes trouvent également du fer sur les confins berrichons, d’où l’intérêt porté à ces zones par la Colombe, Aubepierres, Aubignac et Prébenoît1037. Les monastères pouvaient disposer de forges hydrauliques ou forestières. Rares sont les actes qui évoquent cette activité, exceptés pour la grange de Bougnat en Berry relevant de l’abbaye de Bonlieu. Toutefois, de nombreux toponymes du type les « Forges » aux abords des sites laissent présager une telle production. Nous le rencontrons au sud-ouest d’Aubepierres, au sud-est d’Aubignac au bord du ruisseau de la Planche, au nord-est de la Colombe sur l’Allemette et au nord de l’abbaye de Bonlieu sur la Tardes. Concernant ces trois dernières abbayes, les toponymes sont directement placés à proximité d’un cours d’eau, ce qui peut laisser présager l’installation d’une forge hydraulique plutôt que forestière. D’autre part, les toponymes du type « camp romain » sont souvent révélateurs d’exploitations métallifères. En effet, les fosses à ciel ouvert entourées de déblais d’extractions du métal sont souvent confondues dans la tradition orale avec les remparts d’un camp romain1038. Ainsi, le « camp de César » à Aubepierres pourrait révéler l’emplacement d’une ancienne activité métallurgique. Ces forges pouvaient être acquises plus que directement construites par les moines. C’est la cas notamment à Clairvaux : en 1157, Henri Ier, comte de Troyes, notifie sa donation en franche aumône à l’abbaye de Clairvaux d’une 1036 G. PLAISANCE, « Les premiers cisterciens de Bourgogne ont-ils été des défricheurs ? », dans « Le premier demi-siècle des cisterciens à Léoncel, 1137-1188 », Les Cahiers de Léoncel, Colloque d’août 1988, n°5, 1988, p. 30-39. 1037 B. BARRIÈRE, « Le Limousin des XIIème et XIIIème siècles : une région largement ouverte sur l’extérieur », dans D. GABORIT-CHOPIN, E. TABURET-DELAHAYE (dir.), L’œuvre de Limoges : art et histoire au temps des Plantagenêts : actes du colloque organisé au musée du Louvre en novembre 1995, Paris, La Documentation Française, 1997, p. 165-202. 1038 J. M. DESBORDES, L’archéologie du paysage rural en Limousin, Limoges, 1997, p. 9. - 288 - forge de fer à Wassy avec les droits d’usage nécessaires. Cette pratique devait être également courante dans les abbayes cisterciennes du diocèse de Limoges et de ses marges. Des tuileries peuvent être parfois évoquées mais ces installations monastiques sont globalement méconnues. Claude ANDRAULT-SCHMITT constate d’ailleurs que les tuileries médiévales sont globalement peu connues en Limousin, peu évoquées des cartulaires1039. Ainsi à Boeuil, le cadastre napoléonien signale trois parcelles « Des tuileries » à 300m des bâtiments conventuels au sud de la route menant d’Oradour à Limoges. Une « argilière » est d’ailleurs évoquée. Elles ne sont plus citées dans les textes à partir de 17431040. À Dalon, en 1790, un four à chaux et à tuiles est attesté 1041. Concernant Aubignac, la carte de Cassini révèle la présence d’une tuilerie à l’est de la grange de Beauvais pouvant également relever d’une industrie monastique. Le monastère des Pierres possédait une tuilerie et des vignes en Bourbonnais1042. Un toponyme « la tuilerie » près de Fédard à quelques kilomètres à l’ouest du monastère correspond sans doute à l’industrie signalée dans les textes médiévaux. • Possessions urbaines : Comme nous avons eu l’occasion de le remarquer précédemment, les abbayes se dotent de maisons de ville leur permettant de prendre part aux marchés des bourgs environnants et de stocker des denrées. Ainsi, Obazine dispose d’un grenier à Martel (com. Bannières), centre de stockage établit entre le monastère et les granges du Quercy, et d’un grenier à sel à Cognac, le long de la route menant de l’abbaye à ses possessions charentaises1043. Entre 1145 et 1160, Itier III de Cognac donne aux moines d’Obazine un emplacement dans cette ville pour y édifier un grenier à sel1044. Le grenier de Martel est évoqué dans la Vie de saint Étienne d’Obazine : « Dans un magasin près de Martel, nous entreposions les récoltes provenant des granges situées au-delà de la Dordogne (…). 1039 C. ANDRAULT-SCHMITT, « Tulle, ancienne abbaye Saint-Martin (actuelle cathédrale) », dans Monuments de Corrèze, op. cit., p. 363-379. 1040 I. AUBRÉE, op. cit, p. 98. 1041 M. VAN MIEGHEM, L’abbaye cistercienne Notre-Dame de Dalon de 1790 à 1814, Clairvive, 1976, p. 15. 1042 AD Cher, 10 H 8. Nous savons que Pierre de la Chapelaude donne une vigne à Domérat près de la Chapelaude dans l’Allier, à quelques kilomètres de Montluçon. AD Cher 10 H 4. 1043 B. BARRIÈRE, L’abbaye cistercienne d’Obazine en Bas-Limousin…, op. cit, p. 170. Voir I. D. 4. Un isolement social impossible. 1044 B. BARRIÈRE, Le cartulaire…, op. cit, p. 195. - 289 - Près de Martel, dont nous avons déjà parlé se trouve une maison hors des murs destinée à l’usage des frères d’Obazine et utilement aménagée pour l’achat et la vente des marchandises »1045. L’abbaye détient également des entrepôts à Rocamadour, Brive et Angoulême. Les moines de Boeuil disposent quant à eux de maisons à Saint-Junien, Limoges, Saint-Victurnien et Montmorillon dans laquelle ville sont déjà installés des religieux de la Colombe, du Dorat, de Saint-Martial de Limoges et de Grandmont1046. Quant à l’abbaye de Bonnaigue, nous savons que Pierre de Comborn se donne à l’abbaye à la fin du XIIème siècle avec les maisons qu’il possède à Ussel1047. Les moines de Peyrouse détiennent une maison rue du Cornador à Périgueux, du four d’Armagnac près de l’hôtel de cette famille. Ils obtiennent également des biens immobiliers dans l’enceinte de Puy-Saint-Front : une maison et un jardin dans le quartier de Verdont, six maisons rue Neuve, six maisons dans le quartier de la Limogeanne, deux maisons dans le quartier de Saint-Silain1048. En 1216, Guillaume de Chauvigny cède aux moines d’Aubepierres le droit de s’installer dans une maison de Châteauroux1049. En 1246, un acte de la même abbaye évoque la reconnaissance d’une rente sur une maison sise à Argenton1050. La présence de nombreuses vignes et terres à Villers laisse également présager l’existence d’une troisième maison. Les moines de Bonlieu détenant des vignobles sur les coteaux au-dessus de Montluçon obtiennent logiquement une maison dans la cité, située dans la rue de la Fontaine conduisant à l’église Notre-Dame1051. Concernant le monastère d’Aubignac, nous disposons de plusieurs actes éclairants. En 1224, un homme est donné à l’abbaye d’Aubignac qui doit résider dans une maison de l’abbaye située à Châteauroux. Il devra être habillé différemment d’un laïc. S’il fait du commerce, il devra suivre les usages du lieu à l’exemple des clunisiens de Déols déjà présents dans la cité 1052. Cette donation nous permet d’envisager d’éventuels conflits entre les moines des différents ordres, une concurrence certaine puisqu’ils commerçaient dans les mêmes bourgades berrichonnes. La proximité des clunisiens de Déols ne devait pas faciliter les transactions cisterciennes. En 1204, Eudes de Déols, seigneur de Châteaumeillant, cède dans ce bourg un emplacement pour 1045 M. AUBRUN, op. cit., p. 147 et 151. I. AUBRÉE, op. cit, p. 65. 1047 J-L. LEMAÎTRE, op. cit., p. 71. 1048 C. DESPORT, op. cit, p. 74. 1049 AD Creuse, H 166. 1050 AD Creuse, H 160. 1051 Elle est citée dans le terrier de 1492 comme la « maison de l’abbé de Bonlieu ». AD Allier, A 107. 1052 M. AUBRUN, « Les moines cisterciens et l’argent (…) », op. cit, p. 23-32 ; AD Creuse, H 233. 1046 - 290 - bâtir une maison de ville aux moines de Prébenoît1053. Le terrier de 1621 fait également état d’une maison, de deux moulins et de vignes à la Châtre1054. À Limoges est établie une maison commune aux abbayes cisterciennes limousines1055. • Dîmes : Les moines acceptent également très tôt la possession de dîmes et d’églises avec tous les profits ecclésiastiques que cela représente, malgré les interdits de l’ordre souhaitant marquer son antagonisme avec Cluny (statut de 1134 notamment). La dîme peut être définie comme un prélèvement levé par l’Église – église diocésaine d’abord, puis églises paroissiales – sur les revenus de l’agriculture et d’autres activités comme la pêche ou l’exploitation des mines1056. Il semblerait que les moines aient accepté sans trop de réticence ces revenus. Nous pouvons envisager qu’ils perçoivent des dîmes sur les exploitations paysannes pour empêcher qu’une autre institution draine la production des paysans à son profit. L’abbaye reste ainsi seul et unique propriétaire, seule puissance en pleine allodialité1057. Dalon est fortement impliquée dans la perception de dîmes et de cens. Il semblerait que l’ancienne fondation de Géraud de Sales soit moins impliquée qu’Obazine dans l’acceptation des préceptes cisterciens. Les abbayes issues de l’érémitisme en disposent bien souvent avant l’affiliation à Cîteaux et les conservent après. Toutefois, même des créations directes acceptent ces revenus (Silvanès, Flaran, Berdoues)1058. En 1180, Geoffroi Aimerie à Dalon donne tout ce qu’il possède dans les dîmes de Lavaysse et de Puyredon1059. La même année, l’évêque de Limoges Sébrand arbitre un différend entre Dalon et Saint-Martial de Limoges au sujet des dîmes de Coubjours 1060. Aubepierres, pourtant création directe de l’ordre cistercien n’est pas étrangère à la perception de dîmes, ce dès 11741061. En 1203, Raymond de Charrières donne la moitié de la dîme de ses 1053 AD Creuse, H 528. AD Creuse, 10 F 235. 1055 P. LOY, J. ROGER, L’abbaye cistercienne de Prébenoît en Creuse, Limoges, 2003, p. 22. 1056 Dom A. DAVRIL, E. PALAZZO, La vie des moines au temps des grandes abbayes, Paris, Hachette, 2000, p. 267. 1057 M. MOUSNIER, « Les abbayes cisterciennes et leur rôle dans l’économie et la société méridionale aux XIIème et XIIIème siècles », dans La grande aventure des cisterciens. Leur implantation en Midi-Pyrénées, Actes du colloque de Belleperche, 1998, Montauban, 1999, p. 105-130. 1058 M. MOUSNIER, « Les abbayes cisterciennes et leur rôle dans l’économie… », op. cit, p. 105-130. 1059 L. GRILLON, Le cartulaire…, op. cit, fol. 197. 1060 L. GRILLON, Le cartulaire…, op. cit, fol. 749. 1061 B. BARRIÈRE, « L’économie cistercienne du sud-ouest de la France », Centre culturel de l’abbaye de Flaran, Économie cistercienne. Géographie, mutations du Moyen-Âge aux temps modernes, 1981, Auch, 1983, p. 75-99. 1054 - 291 - vignes aux moines du Palais-Notre-Dame pour la grange du Saillant1062. Bonnaigue perçoit les dîmes sur les villages de Saint-Fréjoux, la Chabanne, Bigne, Mas-Girard, la Grange (par. Saint-Bonnet), Dailhat, la Maison-Rouge (par. Veyrières) et Béchabru (par. SaintExupéry)1063. En 1214, Elie Bruschardi donne les dîmes de Piangaud aux moines de Boeuil. En 1265, Pierre Bernard, chevalier de Saint-Paul, donne à l’abbaye de Boeuil tous ses droits sur les dîmes de Piangaud1064. Quant au monastère féminin de Coyroux, il bénéficie des dîmes et rentes détenus au titre des prieurés de Cornac et Albignac1065. Les moines de Peyrouse disposent encore au XVIIIème siècle d’une partie des dîmes des églises de Saint-Saud, SaintJory de Chalais, Milhac-de-Nontron, Saint-Martin-de-Fressengeas, Saint-Romain, Vaunac et Saint-Pantaly-d’Ans1066. • Chapelles et paroisses : La possession d’une église par une communauté monastique bénédictine pose le problème de la gestion spirituelle des fidèles. Les moines ne peuvent en principe assurer le service des paroisses. Ils doivent en priorité s’occuper de la prière perpétuelle de leur monastère. L’église est un ensemble de revenus destinés à subvenir aux besoins de son titulaire. Pour Arlette MAQUET, « on peut donc dissocier l’exercice paroissial et la possession du bénéfice ». Le titulaire du bénéfice peut se faire remplacer par un clerc payé. Un laïc peut même percevoir les revenus du bénéfice. Néanmoins, les cisterciens refusent de prime abord le soin des paroisses dans un esprit de réforme1067. Toutefois, malgré ces interdictions de l’ordre, les moines possèdent parfois des églises, voire des paroisses entières. Vers 1185-1186, Obazine reçoit en Quercy une église et toute sa paroisse à Saint-Médard-deChauzenéjoul1068. En 1345, les frères d’Étienne adressent une supplique au Pape Clément VI sollicitant le rattachement de l’église de Cressensac de telle sorte que la totalité des revenus de celle-ci puissent être affectés à l’augmentation des pensions du monastère de Coyroux. La grange de Baudran étant limitrophe de cette paroisse, les moines d’Obazine en auraient retiré un bénéfice indéniable. Toutefois, le Pape refuse de satisfaire cette requête. Les difficultés 1062 J. CIBOT, Le cartulaire de l’abbaye du Palais-Notre-Dame (XIIème-XIIIème siècles), DES, Poitiers, 1961, fol. 96. 1063 M. LAVEYX, « L’abbaye de Bonnaigue », BSSHAC, T 16, 1894, p. 536-557. 1064 AD Haute-Vienne, 13 H 30. 1065 B. BARRIÈRE, « Les problèmes économiques d’une communauté cistercienne double : le cas d’Obazine/Coyroux (XIIème-XVIIIèle siècles) », Annales du Midi, T 102, 1990, p. 149-159. 1066 AD Dordogne, B 701, pièce 79, 1779. 1067 A. MAQUET, Cluny en Auvergne. 910-1156, thèse, dir. Michel PARISSE, Paris I, 2006, vol. I, p. 265. 1068 B. BARRIÈRE, L’abbaye cistercienne d’Obazine en Bas-Limousin, les origines- le patrimoine, Tulle, 1977, p. 146. - 292 - financières de la communauté double sont ainsi tangibles et les poussent à transgresser les statuts de l’ordre1069. L’abbaye de Peyrouse possède le prieuré de Notre-Dame de la Garde à Périgueux, fondé en 12651070. Quant au monastère de Boschaud, il dispose de l’église Saint-Pierre-deFrugie, d’après Jean-Alcide CARLES1071. Grosbot dispose d’une chapelle à Puymerle en Aussac, une autre à Biée en Souffrignac et des églises Notre-Dame de l’Assomption d’Obesine et Notre-Dame de Broliac en Beaussac (diocèse de Périgueux) 1072. C’est en 1155 que l’abbé Guillaume Ier reçoit l’église Saint-Pierre de Souffrignac d’Hugues Tizon, évêque d’Angoulême. Cette donation est confirmée en 1177 par Pierre de Lomond1073. Ainsi, l’abbaye de Prébenoît détient une chapelle à Sainte-Sévère. Quant aux moines de la Colombe, ils ont sous leur dépendance la chapelle Sainte-Marguerite de Bordessoulle et Sainte-Madeleine de Gué-Rossignol en Basse-Marche1074. Dès le milieu du XIIème siècle, les règlements de l’ordre sont déjà remis en cause, d’autant plus par des communautés affiliées tardivement qui peinent peut-être à s’adapter à tous les statuts cisterciens1075. Les moines cisterciens acquièrent ainsi des biens divers leur permettant des activités complémentaires assurant la plupart du temps leur autarcie. Ils investissent dans l’agriculture, l’élevage, l’hydraulique, mais développent également des granges spécialisées notamment dans la production du sel qui permettent une ouverture vers les régions saintongeaises. Ils gèrent leur patrimoine comme de bons entrepreneurs, en cadets de famille habitués à la prise en charge de vastes domaines. Toutefois, chaque abbaye ne dispose pas du même potentiel et certains moines ne peuvent prétendre à la même volonté d’expansion et de rayonnement sur un large territoire comme les frères d’Étienne d’Obazine ou les moines de Dalon. Reste donc à préciser la géographie des possessions de chaque abbaye, son emprise sur un territoire plus ou moins important selon les sites. 4. Géographie de possessions : 1069 B. BARRIÈRE, « Les problèmes économiques d’une communauté cistercienne double : le cas d’Obazine/Coyroux (XIIème-XVIIIèle siècles) », Annales du Midi, T 102, 1990, p. 149-159. 1070 C. DESPORT, op. cit., p. 84. 1071 J-A. CARLES, Les titulaires et les patrons du diocèse de Périgueux-Sarlat, éditions du Roc-de-Bourzac, Bayac, 1884 (réédition 1986), p. 224. 1072 A. MONDON, op. cit., p. 447-502 1073 J. COUSSY, Occupation du sol aux confines de l’Angoumois et du Périgord (époque médiévale), mémoire de maîtrise d’histoire médiévale, dir. B. BARRIÈRE, 1999, vol. 1, p. 35. 1074 D. GAUDON, « Histoire de l’abbaye de la Colombe », RC, 1889, T XI, p. 165-175. 1075 A. MONDON, op. cit. - 293 - L’abbaye de Dalon est l’une des mieux dotée des abbayes cisterciennes soumises à cette étude [Fig. 81]. Une carte établie par Louis GRILLON en 1964 permet de cerner parfaitement l’extension du patrimoine du monastère sur un large domaine 1076. Les granges se dispersent dans un rayon de 30 kms autour de l’abbaye, majoritairement dans les diocèses de Limoges et de Périgueux, les plus éloignées étant Jeu à une soixantaine de kilomètres au nordest du site, et Tauriac au sud-est. Onze granges sont situées dans la vicomté de Limoges, deux dans celle de Comborn, trois dans la vicomté de Turenne. Montignac est dans le comté du Périgord, Chalaumand dans le domaine des Flamenc, la Colre dans le comté d’Angoulême. Quant au prieuré des Touches, il appartient au domaine du roi d’Angleterre. Les biens s’étendent à la fois à l’est et à l’ouest du monastère, plus timidement au nord de celui-ci. En effet, ces zones plus septentrionales se rapprochant du centre épiscopal de Limoges et des possessions d’Aureil, de l’Artige et de Grandmont devaient se révéler moins intéressants pour les moines blancs. La grange la plus éloignée est bien sûr le « prieuré » des Touches en Charente à une trentaine de kilomètres de Saintes. Elle se situe à plus de cent quatre-vingt kilomètres de Dalon. Les statuts de l’ordre de Cîteaux interdisant la possession de granges éloignées de plus de trente kilomètres sont ainsi loin d’être respectés à la lettre. Les intérêts commerciaux et économiques semblent parfois primer sur les recommandations de l’ordre. Il ne faut pas oublier que Dalon ne s’affilie que tardivement à Cîteaux, en 1162, qu’une grande partie de son patrimoine est déjà constituée et qu’elle a sans doute connu des difficultés à s’adapter (ou qu’elle n’a pas souhaité s’adapter ?) à certains préceptes de l’ordre. L’abbaye d’Obazine dispose également d’un territoire très étendu avec ses vingt-cinq granges constituant un réseau économique assez complet auquel elle associe ses abbayes-filles [Fig. 82]. La majorité de ses possessions s’étendent au sud de l’abbaye dans la région de Rocamadour, dans un rayon de cinquante kilomètres, dans une région de Causse apparemment quelque peu désertifiée, mise en valeur par les moines en réponse aux besoins des pèlerins. Ceux-ci mettent en place un réseau serré de granges et de moulins afin d’assurer l’essentiel des besoins alimentaires du pèlerinage de Rocamadour, avec le soutien des moines bénédictins de Tulle1077. Elle dispose également au nord d’un certain nombre de granges comme la Montagne et la Serre. À l’est, dans les monts du Cantal à 1300m d’altitude, la grange de Graule est spécialisée dans l’élevage bovin laitier, de même que la grange de Brocq dépendant de l’abbaye de Valette. Obazine détient également la grange de La Morinière et ses marais salants sur l’Ile d’Oléron et là encore, comme Dalon, ne respecte guère les préceptes 1076 Carte réactualisée dans B. BARRIÈRE (dir.), Moines en Limousin, l’aventure cistercienne, PULIM, Limoges, 1998, p. 99. 1077 B. BARRIÈRE (dir.), op. cit, p. 107. - 294 - de l’ordre de Cîteaux. La route menant d’Obazine en Saintonge est jalonnée de possessions monastiques, parsemant une route commerciale par l’intermédiaire d’entrepôts urbains (Cognac) ou d’abbayes-filles telles Grosbot ou la Frénade. Les possessions de l’abbaye du Palais-Notre-Dame sont beaucoup moins étendues et sur ses neuf granges, six sont implantées dans un rayon de quatre kilomètres autour de l’abbaye [Fig. 83]. La grange de Beaumont est un peu plus éloignée, au sud de Pontarion, de même que Langladure au sud-ouest de Bourganeuf. Seule la grange viticole de Saillant, sur la commune de Voutezac, est située à cent kilomètres du monastère. Ce sont bien des intérêts économiques et commerciaux qui poussent les moines à se doter de granges plus éloignées, quelque soit les recommandations de l’ordre. Les possessions des moines de Boeuil sont concentrées le long de la Vienne et de la Glane, dans un rayon de 15 kms autour de l’abbaye [Fig. 84]. Nous pouvons constater que l’extension des terres est manifeste vers l’ouest tandis que les possessions sont beaucoup plus timides à l’est, sans doute du fait de la proximité du centre épiscopal et des nombreuses fondations à vocation érémitique qui l’entourent (Aureil, l’Artige, Grandmont)1078. La géographie des biens des moines blancs dépendent de la disponibilité de terres laissées libres par les autres religieux et les cisterciens doivent s’insérer dans un maillage de possessions déjà serré en cette seconde moitié du XIIème siècle. C’est pourquoi ils privilégient majoritairement les zones marginales, excepté Boeuil proche du siège épiscopal et qui peine à étendre ses possessions. Abbaye modeste, elle ne dispose que de peu de granges plutôt tournées vers le Poitou. Son développement semble avoir été freiné par la proximité des moines de Grandmont, des chanoines de l’Aureil et de l’Artige bien implantés dans ces paysages. Quant aux petites abbayes aux marges des diocèses de Limoges, Bourges et Clermont, nous pouvons remarquer que leurs modestes possessions demeurent dans un rayon restreint d’une quinzaine de kilomètres environ autour de l’abbaye [Fig. 93]. Les monastères d’Aubepierres et Prébenoît notamment acquièrent des vignes en Berry dont les terres sont plus propices à ce type de culture. Elles sont maintenues dans une certaine précarité. C’est le cas aussi d’Aubignac qui possède des vignes sur les coteaux de la vallée de la Creuse près d’Argenton et de l’Indre à Châteauroux [Fig. 90]. Les cisterciens de Haute-Marche obtiennent ainsi très souvent des vignes sur les terres berrichonnes tandis que les moines du Boischaut se tournent parfois vers le Poitou telle l’abbaye de la Colombe qui dispose de granges et de vignes à Montmorillon et la Roche1078 I. AUBRÉE, op. cit., p. 56. - 295 - Posay à l’ouest de son site d’implantation [Fig. 91]. La recherche systématique de bonnes terres cultivables peut conduire les monastères à étendre considérablement leurs territoires. Cette expansion est permise par les donations des seigneurs laïcs qui trouvent sans doute un intérêt dans la mise en valeur des terres concédées. Seule l’abbaye de Bonlieu se distingue avec treize granges relativement proches de l’abbaye. Les moines disposent néanmoins d’une grange en Berry à plus de trente kilomètres au nord de l’abbaye. Le domaine de Bougnat est en effet situé sur la commune de SaintMarien, au nord de Boussac, et s’est spécialisée dans l’exploitation du fer. Bonlieu détient également deux granges plus éloignées, La Croze et Aubeterre à quelques kilomètres à l’ouest de Montluçon [Fig. 88]. - 296 - c. Vers l’entreprise (XIIIème-XIVème siècles) : C’est probablement en grande partie en réaction aux moines noirs, et plus particulièrement aux clunisiens, véritables rentiers du sol, que les cisterciens ont ardemment désiré renoncer au faire-valoir indirect et au fermage dans les premiers temps de l’ordre. Ils refusent catégoriquement tout revenu qui n’est pas directement issu du travail de leurs mains, comme les dîmes. Malgré cela, la réussite de l’ordre est assurée par l’apparition d’un corps de convers, main d’œuvre gratuite désireuse de gagner sa place au Paradis. Ceux-ci sont majoritairement recrutés dans la classe moyenne et particulièrement dans la paysannerie. Ceux-ci permettent l’exploitation des terres sans avoir recours au fermage et à des tenanciers. 1. Le faire-valoir indirect. Vers une économie de surplus : Les moines ne devaient en effet s’adonner qu’aux travaux ne les éloignant guère du sanctuaire. Ils sont tenus à respecter les horaires des offices et par là même ne peuvent travailler dans les granges trop éloignées de leur abbaye. Ces convers sont introduits dans l’ordre cistercien dès les années 1100-1101. Il ne s’agit pas d’une innovation puisque déjà des convers existent en 1012 chez les Camaldules de saint Romuald1079. Les convers ne sont pas astreints à une ascèse aussi rigoureuse que les moines et ne suivent pas l’ensemble des offices liturgiques. Ils sont d’abord reçus au monastère comme novices où ils sont instruits de leurs tâches dans la communauté. Ce sont des laïcs au service des moines de chœur, chargés des travaux d’aménagements des sites choisis, de la construction des barrages, du creusement de biefs, de la création de chemins et de défrichements ponctuels. Selon James DONNELLY, « the original Cistercian economy would have been impossible without the lay brothers ». Ils jouent un rôle clé dans le développement économique rapide des cisterciens1080. Les usages liés aux frères convers sont codifiés dans les Usus Conversorum probablement rédigés vers 1120. Ce premier texte est constamment remanié et amélioré pour aboutir à une version plus complète en 1183. En 1202 est rédigé le De conversis combinant les statuts du Chapitre Général relatifs aux convers. Pour Chrysogonus WADDELL, l’institution des frères convers est née d’une volonté d’associer plus étroitement les laïcs à la communauté monastique. L’intégration dans le corps des convers est une solution pour les laïcs de se consacrer à Dieu sans devenir moine ou clerc. Le terme conversus symbolise le changement de vie par l’entrée dans une vie religieuse institutionnalisée, à ne pas confondre 1079 J. S. DONNELLY, The Decline of the Medieval Cistercian Laybrotherhood, Fordham University Press, New York, 1949, P. 62. 1080 J. S. DONNELLY, op. cit., p. 62. - 297 - avec le conversus clunisien, moine entrant dans la vie monastique en tant qu’adulte1081. En échange d’une place au sein du monastère, ces paysans souvent issus des paroisses environnantes transfèrent les droits héréditaires attachés à leurs biens à la communauté. La majorité de ces frères convers est assignée à une grange particulière, parfois éloignée du monastère. Les Usus conversorum définissent les offices des convers travaillant dans ces exploitations agricoles. Ils s’adonnent à la prière de la même manière que les moines de chœur, reçoivent la communion douze fois par an, soit auprès de leur monastère de rattachement, soit dans toute autre communauté religieuse proche si la grange est géographiquement trop éloignée de l’abbaye-mère. Ils sont tenus d’observer le silence en travaillant, de même au réfectoire et au dortoir. Les livres leur sont interdits, ils doivent donc apprendre leurs prières par cœur. Comme les moines, un noviciat est obligatoire durant une année à l’entrée dans la communauté religieuse. Ils renoncent alors à leurs possessions. Ils sont soumis au même régime alimentaire que les moines, excepté pour le pain en plus grande quantité et l’eau remplaçant le vin. Au réfectoire, il n’y a pas de lectures comme pour les repas des moines de chœur, les convers ne comprenant pas le latin. Ils prennent donc leurs repas en silence. Ils assistent aux chapitres des moines lors d’importants jours liturgiques. Lors de fêtes importantes, ils sont présents aux offices dans l’abbatiale. Le chœur des convers est normalement séparé du chœur des moines par un pulpitum le plus souvent en pierre (aucun exemple n’est toutefois attesté en Limousin, excepté pour la séparation de la nef de Coyroux entre les moniales et l’officiant1082). Leur vocation tient peut-être à une aspiration pour le salut spirituel, à leur conviction que le travail en toute humilité est une voie pour atteindre le seigneur. Le Petit Exorde de Cîteaux explique ainsi le recours à cette main d’œuvre particulière : « (…) ils convinrent de prendre des terres éloignées de toute habitation, des vignes, des prairies, des forêts, des cours d’eau pour y placer des moulins au service du monastère et pour pêcher. Ils nourriraient des chevaux et d’autres animaux domestiques pour servir aux exploitations et aux autres nécessités de la vie. Ayant établi des granges au service de l’agriculture, ils décidèrent qu’elles seraient confiées aux convers plutôt 1081 C. WADDELL, Cistercian Lay Brothers. Twelfth-Century usages with related texts, Studia et Documenta, vol. X, Cîteaux : Commentarii cistercienses, 2000, p. 52. 1082 C. WADDELL, op. cit., p. 198. - 298 - qu’aux religieux, car la sainte règle dit : l’habitation du moine, c’est le cloître. (…) Ils décidèrent qu’ils recevraient, avec la permission de leur évêque, des laïques convers portant la barbe, et qu’ils les traiteraient en tout comme eux-mêmes durant leur vie et à leur mort, à l’exception du monachat. Ils emploieraient aussi des mercenaires. Les moines ne pensaient pas pouvoir sans leur soutien observer pleinement le jour et de nuit les préceptes de la Règle.»1083 La Vie d’Étienne d’Obazine évoque la présence de frères convers dès 1142, avant même l’affiliation à Cîteaux cinq ans plus tard : « (…) le vénérable Père Étienne fut fait moine par un abbé qui était venu avec l’évêque. Aussitôt après, promu abbé et béni par l’évêque, il bénit comme moines tous les frères de son monastère qui étaient clercs, et il décida que les autres garderaient leur ancien état. Après cela, précédés de l’évêque et du clergé, le nouvel abbé et les nouveaux moines, ainsi que les frères lais (…) firent la procession des Rameaux (…) »1084 À Coyroux, les moniales étaient accompagnées de converses chargées de la majorité des tâches manuelles. Dans une de ses lettres à Héloïse, Abélard évoque notamment les converses du Paraclet en ces termes : « Quant aux converses, qui ont renoncé au monde pour se vouer au quotidien des moniales, elles occuperont parmi les soldates à pied un rang subalterne, puisqu’elles portent en quelque sorte un saint habit, mais qui n’est pas l’habit monastique »1085 1083 Cité par G. DUBY, Saint Bernard, l’art cistercien, Paris, 1976, p. 93. M. AUBRUN, Vie de Saint Étienne d’Obazine, Institut d’Études du Massif Central, Clermont-Ferrand, 1970, p. 97. 1085 Lettres d’Abélard et Héloïse, trad. E. HICKS, T. MOREAU, « Lettres Gothiques », Paris, 2007, p. 411. 1084 - 299 - Description qui pourrait tout aussi bien convenir aux moniales de Coyroux. En 1147, un des convers de Grosbot est appelé Hugues de Confolens, ce qui confirme l’idée d’un recrutement régional. Ces frères lais, non revêtu de la cléricature, n’ont pas reçu la bénédiction monastique. Quelques pages plus loin, le moine cite le procureur du monastère, chargé du soin des affaires concernant l’extérieur. Il doit pourvoir aux nécessités des moniales de Coyroux et rassemble les provisions entre les deux portes du monastère féminin1086. Les frères convers sont attestés dans les abbayes cisterciennes du diocèse de Limoges et de ses marges dans les statuts des Chapitres Généraux notamment. Dès 1192, un statut concerne les convers de l’abbaye de Prébenoît. Quant aux convers de l’abbaye des Pierres, ils sont cités en 1207 lors d’une révolte contre leur abbé (« manu armata occurrerunt abbatibus venientibus ad Capitulum »). En 1232, il est question de frères lais à Aubepierres 1087. En 1247, les convers de Boschaud ont rudoyé leur abbé, dérobé son sceau. L’abbé de Clairvaux est alors chargé de faire l’enquête1088. En 1278, une rixe est signalée entre les moines et les convers d’Obazine. Il semblerait ainsi que les convers soient encore présents jusque dans la seconde moitié du XIIIème siècle dans certaines abbayes du diocèse de Limoges1089. Toutefois, dès 1208, le Chapitre Général de l’Ordre autorise les abbayes à louer à des séculiers les terres les moins utiles, attestant ainsi des premières difficultés de l’ordre à recruter des convers, ce dès le début du XIIIème siècle pour certains monastères. Le premier pas est ainsi franchi vers le faire-valoir indirect1090. Cette évolution sensible au début du XIIIème siècle se caractérise par l’apparition des dîmes qui augmentent considérablement le patrimoine. La perception de dîmes commence même parfois dès la seconde moitié du XIIème siècle comme nous avons pu le constater pour certaines abbayes du diocèse de Limoges1091. Ces acquisitions foncières permettent à l’abbaye de maintenir son patrimoine dans un contexte difficile où les donations en pure aumône se tarissent pour bon nombre 1086 M. AUBRUN, op. cit., p. 101. J-M. CANIVEZ, op. cit, T I, 1192-53 ; 1207-61 ; T II, 1232-24. 1 1088 L. GRILLON, M. LEGENDRE, J. SECRET, L’abbaye de Boschaud. Le Château de Puyguilhem. L’église de Villars, Périgueux, 1957, p. 5-24. 1089 J-M. CANIVEZ, op. cit, T III, 1278-13. 1090 C. HIGOUNET, La grange de Vaulerent. Structure et exploitation d’un terroir cistercien de la plaine de France, XIIème-XVème siècles, SEVPEN, Paris, 1965, p. 42. 1091 Voir I. D. b. 1087 - 300 - d’établissements1092. Selon Constance Brittain BOUCHARD, le XIIème siècle est ainsi souvent caractérisé comme le passage d’une « gift economy » à une « profit economy », mêmes si les dons ne s’arrêtent pas complètement chez les moines blancs1093. Cette économie de profit n’est pas forcément vue d’un œil bienveillant par les auteurs cisterciens contemporains. Dès le XIIème siècle, Isaac de l’ÉTOILE s’insurge contre cette volonté d’acquérir de plus en plus de terres et de biens, conduisant souvent à des conflits inévitables avec d’autres communautés religieuses. Dans son trente-septième sermon, il compare les moines à des mendiants se battant pour une « grossière jonchée » : « Est-ce là autre chose, dites-moi, que les rivalités, les jalousies, les procès entre les hommes religieux et spécialement les moines de notre temps, pour des terres, des forêts, des pâturages, des troupeaux ? Ils n’ont jamais assez de terres pour les hommes, assez d’hommes pour les terres, assez de pâturages pour les troupeaux, assez de troupeaux pour les pâturages. »1094 Le 19 juillet 1214, le pape Innocent III condamne également ces modifications économiques et spirituelles dans l’ordre cistercien. Il adresse aux abbés une lettre sévère au sujet de comportements à l’encontre des idéaux de l’ordre comme l’acceptation des dîmes. « (…) vous vous êtes relâchés à tel point que – sauf réforme rétablissant au plus vite le statut légal – on peut craindre la disparition prochaine de votre ordre auquel beaucoup refusent maintenant la révérence accoutumée. Nous prions donc instamment Votre dévotion et lui conseillons d’apporter remède, par vous-même et sans retard, à ces maux et à d’autres qui offusquent la pureté de votre ordre, afin que nous ne nous trouvions pas, lors 1092 M. GARRIGUES, Le premier cartulaire de l’abbaye cistercienne de Pontigny, Paris, 1981, p. 31. C. B. BOUCHARD, Holy Entrepreneurs. Cistercians, Knights, and economic exchange in Twelfth-Century Burgundy, Cornell University Press, 1991, p. 67. 1094 Isaac de l’ÉTOILE, Sermons, T II, trad. A. HOSTE, G. SALET, G. RACITI, Sources Chrétiennes n°207, Paris, Cerf, 1974, p. 299. 1093 - 301 - du prochain concile général, dans l’obligation d’intervenir. »1095 Au XIIIème siècle, on ne vend plus désormais simplement pour pouvoir acheter ce que l’on ne peut produire mais on vend pour les profits qui en découlent. Les moines se doivent en effet de penser à des constructions nouvelles, à des reconstructions, à l’acquisition de terres afin de donner une plus grande cohérence aux terroirs issus des donations pieuses souvent dispersées. Ils doivent s’occuper de l’amélioration des équipements existants, de l’entretien des moulins, étangs et chemins. Les monastères s’apparentent ainsi à de véritables « entreprises » et les moines blancs deviennent des rentiers du sol, des entrepreneurs de travaux1096. Souvent, ce glissement vers le faire-valoir indirect est compris comme les prémices d’une décadence et l’ordre de Cîteaux est inscrit dans une logique chronologique où se succèdent débuts prometteurs, apogée et déclin. Néanmoins, pour Michel PARISSE, cette évolution est bien au contraire synonyme de dynamisme et révèle la capacité de l’ordre à s’adapter aux nécessités de la vie quotidienne et aux mutations du contexte politique et social1097. En effet, dans le faire-valoir direct, l’emploi d’une main d’œuvre gratuite assure une gestion bénéficiaire mais la disparition progressive des convers entraîne immanquablement la nécessité d’une nouvelle gestion à laquelle les cisterciens, en bons entrepreneurs, vont se plier. Les convers sont remplacés par des ouvriers salariés qu’il faut rémunérer, d’où un bouleversement dans l’économie des abbayes cisterciennes. Ainsi, au XIVème siècle, l’abbaye de Clairvaux emploie plus de 600 ouvriers mercenaires. Dès 1209, l’abbé d’Aubignac est sanctionné par le Chapitre Général pour avoir employé des serviteurs rémunérés1098. Toutefois, pour James DONNELLY, la diminution du nombre de convers serait une conséquence des mutations économiques et non une cause. Les changements économiques de l’ordre avec l’apparition des dîmes notamment, ainsi que la difficulté à contrôler des convers souvent turbulents et enclins aux problèmes disciplinaires auraient conduit à leur progressif 1095 R. FOREVILLE, Latran I, II, III et Latran IV, Paris, 1965, p. 332-333. B. BARRIÈRE, « La place des monastères cisterciens dans le paysage rural des XIIème et XIIIème siècles », dans l’ouvrage collectif Moines et monastères dans les sociétés de rite grec et latin, Genève, 1996, p. 191-207. 1097 M. PARISSE, « Conclusions » dans Unanimité et diversités cisterciennes,filiations, réseaux, relectures du XIIème au XVIème siècles, Actes du colloque international du CERCOR, Dijon, 1996, Saint-Etienne, 2000, p. 703. 1098 J-M. CANIVEZ, op. cit., T I 364-365. 1096 - 302 - remplacement par des salariés. En effet, les statuts des Chapitres Généraux ont révélé un certain nombre de révoltes dues aux convers, pouvant s’expliquer par la sévérité de leur mode de vie pouvant entraîner des incompréhensions et des soulèvements violents 1099. Il est toutefois difficile d’étayer cette hypothèse à l’échelle du diocèse de Limoges face aux lacunes des sources où les frères convers ne sont qu’épisodiquement cités. Cette diminution du nombre de convers pourrait sans doute s’expliquer en partie par la montée en puissance des ordres mendiants, prêchant directement dans les bourgs et dont le dynamisme, l’esprit d’ascèse et de piété évangélique a su séduire les populations. Pour Christophe WISSENBERG, cette « crise » du recrutement peut se justifier par un « exode » vers les principaux marchés en pleine expansion au XIIIème siècle, par l’attirance des nouveaux ordres mendiants qui occupent les villes volontairement évitées par les moines blancs ainsi que par les conflits fréquents entre moines et convers, ces derniers se pliant de plus en plus mal à un statut « inférieur » et à une vie plus rude que celle des moines de chœur1100. En effet, Robert FAVREAU notamment constate que durant le XIIIème siècle, les ordres monastiques dits contemplatifs, comme les cisterciens, apparaissent « inadaptés » face aux besoins nouveaux induits par le développement constant des villes. Installés au saltus, ils ne s’occupent guère de la direction spirituelle du peuple des villes, à la différence des ordres mendiants. Ainsi, les frères pêcheurs, qu’ils soient dominicains, franciscains, augustins, carmélites ou cordeliers vont être particulièrement bien accueillis par les seigneurs et les simples fidèles, mais beaucoup moins par les ordres traditionnels et curés qui y voient une concurrence. Les cisterciens vont d’ailleurs faire les frais de cette concurrence et voir la diminution progressive de leur corps de convers. La spiritualité des mendiants semble mieux adaptée aux appels du temps et aux mutations du XIIIème siècle. Proches du peuple, ils vivent au sein même des bourgs et se sentent ainsi plus assurés d’y trouver leur subsistance. Dès la fin du XIIIème siècle, la ville de Limoges accueille quatre ordres mendiants. En 1224, elle avait été rattachée à une des huit provinces majeures de l’ordre, celle de Provence1101. Les moines blancs ont néanmoins su s’adapter aux nouvelles difficultés et ainsi assurer le maintien de l’ordre dans un contexte économique et politique plutôt complexe. Ils se 1099 J. DONNELLY, op. cit., p. 65. C. WISSENBERG, Entre Champagne et Bourgogne, op. cit., p. 129. 1101 R. FAVREAU, « Les ordres mendiants dans le Centre-Ouest au XIIIème siècle », MSAOMP, T XIV, 4ème série, Poitiers, 1977, p. 9-36. 1100 - 303 - doivent de s’insérer progressivement dans le monde et s’y insinuent par la détention d’églises, d’immeubles (moulins), de rentes, d’hommes et d’inhumations laïques à l’intérieur du monastère. Ce passage au faire-valoir indirect révèle donc un décalage nécessaire entre l’idéal primitif établi dans les premiers textes de l’ordre et la réalité de la vie monastique. Le Chapitre Général semble reconnaître peu à peu ces nécessités comme en témoignent certains statuts1102. Celui de 1274 énonce : « Puisque dans le moment présent, l’Ordre souffre d’une grande pénurie de convers, et puisqu’il faut réserver aux convers les affaires les plus importantes et les plus honorables, le Chapitre Général autorise ceux qui, parmi les cuisiniers, le souhaiteraient, à se faire aider par des laïcs, irréprochables, de bonne réputation et d’honnête fréquentation ». Ainsi, le recours à une main d’œuvre salariée laïque n’est plus proscrite et montre bien la faculté d’adaptation de l’ordre et de ses institutions aux réalités économiques. Dès la fin du XIIème siècle, cette main d’œuvre salariée prend de l’importance. Les convers sont de plus en plus fréquemment épaulés par des serviteurs et des salariés. Mais c’est surtout dans la seconde moitié du XIIIème siècle que la pénurie des frères convers se fait sentir avec le plus d’acuité. De même en 1315, le Chapitre Général admet : « (…) que des bonnes terres et possessions puissent être confiées à des laïcs à vie ou à ferme perpétuelle, si l’utilité d’une telle location est manifeste. » Le fermage est ainsi accepté et les pratiques courantes depuis la fin du XIIème siècle deviennent enfin officielles1103. Ainsi, les moines se livrent rapidement aux arrentements et albergements. Arrenter signifie donner à ferme, moyennant le paiement d’une rente et selon des conditions variables, un domaine entier, voire un ensemble de domaines à un individu, la plupart du temps laïc, qui s’engage à en assumer la gestion pour une durée généralement 1102 R. LOCATELLI, Sur les chemins de la perfection. Moines et chanoines dans le diocèse de Besançon vers 1060-1220, CERCOR, Université de Saint-Étienne, 1992, p. 401. 1103 B. BARRIÈRE, « Les patrimoines cisterciens en France. Du faire-valoir direct au fermage et à la soustraitance », dans L. PRESSOUYRE (dir.), L’Espace cistercien, colloque de Fontfroide, 1993, Paris, CTHS, 1994, p. 45-69. - 304 - limitée1104. L’albergement est un contrat par lequel le propriétaire qui conserve le « domaine direct », sorte de propriété éminente, cède le « domaine utile » à un albergataire pour une période de longue durée. Accenser, affermer signifie louer un bien contre un loyer (un cens ou une rente) en nature ou en monnaie ; on peut aussi vendre à l’année un droit de justice ou la levée d’un impôt à un fermier qui avance la somme attendue puis se paye sur les administrés1105. Par le biais des cens, les abbayes s’intègrent très tôt dans un système seigneurial. Les cisterciens concèdent des tenures à cens, des fiefs à titre roturier. L’intérêt humain réside dans la possibilité de faire mettre en valeur des régions peu humanisées ou lointaines en les peuplant. L’inféodation se fait surtout par petites tenures dès le début du XIIIème siècle1106. Quelques abbayes parmi les plus dynamiques parviennent toutefois à maintenir le faire-valoir direct dans certaines granges jusqu’au milieu du XIVème siècle. C’est le cas de grands monastères comme Chaalis, Grandselve ou Obazine. Au XIVème siècle néanmoins, la crise s’intensifie et assiste à la poursuite de la politique des arrentements pour de grands domaines et des accensements. À cette période, le corps des convers a pratiquement disparu et s’accompagne de l’abandon progressif de leurs bâtiments dont peu nous sont parvenus aujourd’hui1107. Les abbayes cisterciennes du diocèse de Limoges ne réagissent pas de la même manière à la crise de recrutement des convers et certaines peuvent maintenir plus longtemps une économie en faire-valoir direct. Des difficultés financières se font sentir dès la seconde moitié du XIIème siècle et sont tangibles dans les statuts des Chapitres Généraux. En effet, les abbés des monastères cisterciens limousins font souvent la demande de ne plus subvenir aux besoins des hôtes s’arrêtant à leurs portes. Ainsi, en 1267, l’abbé d’Aubepierres en fait la requête pour une durée de quatre ans. L’abbé de Boeuil présente la même demande en 1281. Quant à l’abbé de Dalon, il ne souhaite plus accueillir d’hôtes durant trois ans à partir de 1293. Les moines ne devaient plus engranger assez de revenus pour nourrir et la communauté, et les pauvres, voyageurs et pèlerins. Les abbés limousins sont également fréquemment dispensés de se rendre au Chapitre Général annuel compte tenu de leurs revenus modestes les 1104 B. BARRIÈRE, « Les patrimoines cisterciens en France… », op. cit, p. 45-69. Définition donnée par C. RÉMY, Seigneuries et châteaux forts en Limousin, Tome II La naissance du château moderne (XIVème-XVIIème siècles), Culture et patrimoine en Limousin, Limoges, 2006 (lexique). 1106 M. MOUSNIER, « Les granges de l’abbaye cistercienne de Grandselve (XIIème-XIVème siècles) », Annales du Midi, T 85, 1983, p.7-27. 1107 B. BARRIÈRE, « Les patrimoines cisterciens en France… », op. cit, p. 45-69. 1105 - 305 - empêchant de financer un tel déplacement. C’est le cas des abbés de Peyrouse et Boschaud en 1268 et 1271 notamment, de Varennes en 1390 et 13911108. Boschaud et Peyrouse, deux abbayes modestes aux marges du diocèse de Périgueux périclitent très tôt, dès le début du XIIIème siècle. Elles sont ainsi encouragées à renoncer précocement au faire-valoir direct. Elles ne disposent que de peu de granges, exploitées rapidement par des laïcs et non plus des convers et sont maintenues longtemps dans la précarité1109. À Boschaud, les possessions de Rieucaud au diocèse d’Agen (Saint-Pierre-deRieucaud, Gironde) sont affermées en 1305 à Bernard de Bouville. En 1343, la grange de Saint-Jean-de-La-Lande est affermée à Guillaum Ségui, un bourgeois de Périgueux, mais les moines se conservent tout de même la chapelle Saint-Jean et les terres joignant celle-ci. Ce prieuré est en plein bois, à l’est de la commune de Celles1110. Dès le XIIIème siècle, il n’y a plus guère que 5 à 10 convers à l’abbaye du Palais, pour environ dix religieux, un abbé et un cellérier. Cette abbaye modeste ne disposait vraisemblablement pas d’assez de convers pour l’entretien des moulins et étangs et l’exploitation de ses neuf granges. Le recours à une main d’œuvre laïque était inévitable1111. Dès le milieu du XIIIème siècle, Dalon se livre aux premiers arrentements, non seulement de terroirs isolés mais aussi de granges entières. Les baux à cens se généralisent dans les exploitations agricoles daloniennes. En effet, celle-ci ne joue pas comme Obazine la carte de la commercialisation et connaît ainsi des difficultés dès le début du XIIIème siècle. À l’inverse, Grandselve (com. Bouillas, Tarn-et-Garonne), autre fondation géraldienne, traverse sans encombre le XIIIème siècle et aborde le XIVème siècle dans les meilleures conditions possibles1112. À Dalon, l’abbatiat de dom Jean de Ongres de 1232 à 1242 marque les premiers accensements. En effet, il arrente plusieurs granges dont celle de Laurière qu’il concède en 1244 à Guillaume Guai1113. La situation économique paraît relativement détériorée et le cartulaire ne comporte que peu d’actes à ces dates1114. 1108 J-M. CANIVEZ, op. cit, T III, 1967-20 ; 1281-39 ; 1293-32 ; 1268-22 ; 1271-23 ; 1271-61 ; 1390-4 ; 1391-3. C. DESPORT, op. cit, p. 67. 1110 L. GRILLON, M. LEGENDRE, J. SECRET, L’abbaye de Boschaud. Le Château de Puyguilhem. L’église de Villars, Périgueux, 1957, p. 5-24. 1111 S. VITTUARI, op. cit, p. 42. 1112 L. GRILLON, « Deux granges corréziennes de l’abbaye cistercienne de Dalon », dans Le Bas-Limousin, Histoire et Économie, Tulle, 1966, p. 21-32. 1113 M-C. PEYRAT, L’abbaye de Dalon et son environnement aux XIIème-XIIIème siècles, mémoire de maîtrise d’histoire médiévale, dir. B. BARRIÈRE et J. VERDON, 1990, p. 17 (cart. fol. 680). 1114 L. GRILLON, Le domaine et la vie économique de l’abbaye cistercienne Notre-Dame de Dalon en BasLimousin, thèse de doctorat, Bordeaux, 1964, p. 22. 1109 - 306 - Dès 1270, les moines de Grosbot commencent la série des arrentements 1115. En 1292, les moines de Boeuil baillent à ferme la maison de Piangaud les rentes et appartenances1116. Quant aux abbayes les plus dynamiques, elles se voient parfois en mesure de créer de nouvelles granges au XIIIème siècle comme Obazine, Cadouin ou Grandselve. Le faire-valoir direct se maintient à Obazine. Si les arrentements apparaissent, il ne s’agit que de petits terroirs (c’est le cas également à Aubepierres). Les granges d’Obazine ne sont arrentées et morcelées en tenure que dans le courant du XIVème siècle pour pallier l’affaiblissement du recrutement des convers. C’est en 1310 que la grange de la Serre notamment commence les arrentements. C’est à peu près à cette période, dans le milieu du XIVème siècle que Coyroux obtient du Pape son autonomie1117. En 1366, Obazine abandonne l’exploitation directe de la grange de Graule pour la donner à bail à des laïcs. En 1377, l’abbé afferme le domaine de Graule pour cinq ans. Dès 1323, cette exploitation vouée à l’élevage est placée entre les mains du roi de France avec ses droits de haute et basse justice. En 1329, une main levée est donnée à l’abbé d’Obazine concernant ses revenus saisis par le roi à Graule en vertu de la preuve faite, par lui, que cette montagne lui appartenait. En 1425, Pierre de Comborn, abbé d’Obazine, cède à bail perpétuel la montagne de Chapgraule1118. Par ailleurs, concernant la grange de Chabanes, le fermage n’est attesté que vers 1609. Il n’y a ainsi pas vraiment de régularité dans la mise en place de cette nouvelle économie et certaines exploitations agricoles maintiennent plus longuement le faire-valoir direct. L’usage d’un gros marché à Rocamadour est un témoin de son dynamisme persistant1119. Au XIVème siècle, les moines se révèlent soucieux d’accenser les terres, étangs et domaines encore exploités en faire-valoir direct. Ainsi en 1331, Bonlieu accense les deux moulins à blé et à foulon de l’étang d’Auge (com. Chambon). Ici aussi le faire-valoir indirect semble s’amorcer plus tardivement que dans la majorité des abbayes de l’ordre. Les abbayes souvent issues d’ermitages primitifs sont affiliés relativement tardivement à Cîteaux (Bonlieu en 1162) d’où un décalage chronologique nécessaire dans le glissement vers le faire-valoir direct et la sous-traitance. En 1554, un nouvel accensement est effectué, prouvant que l’étang 1115 A. MONDON, “Notes historiques sur la baronnie de Marthon en Angoumois. Chapitre XIV : abbaye NotreDame de Grosbost », MSAHC, 1895, p. 447-502. 1116 AD Haute-Vienne, 13 H 30. 1117 B. BARRIÈRE, Le cartulaire…, op. cit, p. 14. 1118 A. de ROCHEMONTEIX, La maison de Graule. Étude sur la vie et les œuvres des convers de Cîteaux en Auvergne au Moyen-Âge, Paris, 1888, p. 166 ; AD Cantal, 1H 1. 1119 B. BARRIÈRE, « Les granges de l’abbaye cistercienne d’Obazine aux XIIème et XIIIème siècles », dans Le Bas-Limousin, Histoire et Économie, Tulle, 1966, p. 33-51. - 307 - a vraisemblablement été rempoissonné. Une rente prévoit en effet une livraison de poissons1120. En 1454, l’abbé d’Aubignac et sa communauté arrentent à une famille paysanne, Clément Gadefay et son épouse Pernelle, une superficie très précisément délimitée de terres céréalières situées à proximité d’Argenton1121. À la fin du XVème siècle, le terrier de Boeuil montre avec quel soin on procède à une restructuration complète des terroirs avec des arrentements systématiques et une redistribution rationnelle des terres et des équipements arrentés. Ainsi, même si le faire-valoir direct constituant l’originalité de l’ordre est révolu, la qualité de l’organisation reste cistercienne1122. Les terriers élaborés au XVème siècle tentent une remise en ordre de certains patrimoines. Ils témoignent généralement d’un intérêt ravivé pour les étangs et moulins. Ainsi en 1474, Boeuil accense des moulins à blé, à draps et à fer. Le moulin à draps notamment est accensé aux habitants de Saint-Quentin1123. Nous savons également qu’un tenancier du village de Pellechevant fait une reconnaissance de rentes pour le moulin banal de Pellechevant, ainsi qu’un cens en argent pour le pacage situé sur la queue de l’étang1124. Un autre tenancier reconnaît devoir un cens en argent « sur un emplacement maintenant aménagé en moulin pour travailler le fer, sis sur la chaussée de l’étang du monastère de Boeuil, à savoir entre la bonde de cet étang, le moulin à blé et le ruisseau. » Ce moulin est baillé à cens à un forgeron dès 14621125. En effet, Martial d’Eytivaux, moyennant le paiement d’un cens annuel et la fourniture d’outillage en fer, obtient un emplacement sous la chaussée de l’étang du monastère pour y construire un moulin à fer1126. Ainsi, les abbayes cisterciennes du diocèse de Limoges et de ses marges n’échappent pas aux difficultés inhérentes à l’ordre de Cîteaux et s’adaptent peu à peu à une nouvelle exploitation en faire-valoir indirect où les tenanciers laïcs occupent de plus en plus de place. Ils se substituent à des convers probablement plus attirés par des ordres mendiants de plus en plus présents et aux prêches séduisants. Certains monastères plus dynamiques, tel Obazine, 1120 AD Creuse, H 340. AD Creuse, H 240. 1122 B. BARRIÈRE, « L’économie cistercienne du sud-ouest de la France », Centre culturel de l’abbaye de Flaran, Économie cistercienne. Géographie, mutations du Moyen-Âge aux temps modernes, 1981, Auch, 1983, p. 75-99. 1123 AD Haute-Vienne, 13 H 5 ; 13 H 27. 1124 AD Haute-Vienne, 13 H 5 ; 13 H 33. 1125 AD Haute-Vienne, 13 H 5 ; 13 H 39 ; 13 H 79 ; B. BARRIÈRE, « Étangs et hydraulique en Limousin : le temps des créations » dans B. BARRIÈRE, Limousin médiéval, le temps des créations, PULIM, Limoges, 2006, p. 157-187. 1126 AD Haute-Vienne, 13 H 25. 1121 - 308 - parviennent plus longtemps à limiter les arrentements, mais ces adaptations nécessaires et inexorables se généralisent au XIVème siècle, accompagnées de modifications des statuts de Chapitres Généraux. 2. De la grange à la bastide (XIVème siècle) : Face à la diminution du nombre de convers, il devient nécessaire pour les moines blancs d’accroître le nombre de salariés. Cette solution est toutefois coûteuse, d’où le recours à des tenanciers pour les terres les plus marginales. Une autre issue consiste à la création de bastides. Ce mouvement de fondation à la fin du XIIIème siècle est intimement lié au développement du pouvoir de l’Église, à l’essor économique et démographique, à la constitution progressive de royaumes unifiés autour d’un pouvoir fort1127. Ces bastides sont des cités nouvelles dont l’acte de fondation est un contrat de paréage associant plusieurs partis (rois, abbés) et visant à la création d’un nouveau centre de population1128. L’abbaye seule ou en paréage avec un prince laïc (dans le cas des bastides du sudouest de la France), lotit le terroir d’une grange ou partie de celui-ci pour créer un village neuf qui va se peupler de tenanciers censitaires. Ces bastides apparaissent à la fin du XIIIème siècle. Elles correspondent à un urbanisme volontaire, à la création de peuplements planifiés. Cette période se caractérise par la fin des défrichements et la protection des forêts par de nombreux seigneurs du Midi, de la Gascogne et parfois de l’Aquitaine. Ainsi s’amorce une diminution de la surface des tenures tandis que la démographie augmente. Les restructurations du paysage par les bastides doivent être comprises comme une réponse à la crise, menant à une refonte des structures foncières et à un redécoupage rationnel de l’espace productif. Il s’agit de peupler, d’augmenter la présence des hommes et de les fixer sur les territoires à cultiver afin de pallier en partie les crises internes de l’ordre de Cîteaux. Or, cette « crise » est généralisée à l’ensemble des abbayes de l’ordre tandis que les bastides ne concernent globalement que la Gascogne, le Gers, le Languedoc et l’Aquitaine. Elles sont également assez fréquentes dans la région de Périgueux et de Sarlat1129. Pierre GARRIGOU GRANDCHAMP constate la rareté des villes neuves dans le diocèse de 1127 F. DIVORNE, B. GENDRE, B. LAVERGNE, P. PANERAI, Les bastides d’Aquitaine, du Bas-Languedoc et du Béarn. Essai sur la régularité, Bruxelles, 1985, p. 8. 1128 A. LAURET, R. MALEBRANCHE, G. SÉRAPHIN, Bastides, villes nouvelles du Moyen-Âge, Milan, Toulouse, 1998, p. 17. 1129 Bastide de Mont-Dome, fondée par Philippe le Hardi en 1280 ; Villefranche-de-Belvès en 1260 par Alphonse de Poitiers ; Molières en 1286 par le roi d’Angleterre Edouard Ier ; Lalinde en 1270 par Jean de La Linde, officier du roi d’Angleterre ; Montpazier en 1284 ; Beauregard en 1268 par Edouerd Ier ; Villefranche-deLongchapt par Philippe le Bel. Les forces semblent bien réparties entre Plantagenêts et Capétiens. Leurs bastides se font face. - 309 - Limoges, en dehors du terroir des bastides. Il cite néanmoins l’exemple de la création de Jugeals-Nazareth par les vicomtes de Turenne, pouvant être considérée comme une étape sur la route de Rocamadour1130. Nous ne connaissons que deux bastides fondées par les moines cisterciens du diocèse de Limoges et de ses marges, à savoir la bastide de Mont-Sainte-Marie fondée en 1330 par Obazine et la bastide de Puybrun fondée par Dalon [Fig. 81 et 82]. Face à la discrétion des sources sur ces deux sites, la connaissance des ces bastides et les caractéristiques de ces fondations particulières seront appréhendées à travers des exemples mieux documentés de Gascogne et Languedoc. En effet, si les bastides sont très nombreuses en Languedoc, Gascogne, Gascogne toulousaine1131, Aquitaine1132, Gers, les abbayes cisterciennes du diocèse de Limoges ne se sont pas vraiment montrés très prolifiques en la matière. En 1330 est édifiée la bastide du Mont-Sainte-Marie en Quercy, dans les limites domaniales de la grange de la Dame, sur la grange de Calès, dans les bois de la Dame (paroisse de Saint-Jacques de Calès). Le lieu-dit « Sainte-Marie » est encore présent dans la toponymie actuelle mais aucun vestige ne demeure de cette fondation. Elle se dresse sur un point naturellement fortifié de la paroisse de Calès et pouvait ainsi permettre de repérer de loin des assaillants éventuels. Cette fondation pouvait ainsi assurer la protection des granges alentours. Elle fait concurrence à la proche bastide de Montfaucon appartenant aux rois anglais, située à 20 kms au sud environ. Un acte de paréage est signé entre l’abbé d’Obazine et le sénéchal du roi de France Philippe IV, attestant de relations fortes entre cisterciens et capétiens, déjà amorcées par de nombreuses donations capétiennes attestées pour les XIIème et XIIIème siècle, ainsi qu’à la fin du XIIIème siècle par la création du tombeau d’Étienne d’Obazine dans des ateliers parisiens, sans doute en lien avec Saint-Louis1133. 1130 P. GARRIGOU GRANDCHAMP, « Introduction à l’architecture domestique urbaine, du XIIème au milieu du XVème siècle, dans le Bas-Limousin », dans Monuments de Corrèze, Congrès Archéologique de France, Société Française d’Archéologie, 163ème session, 2005, Paris, 2007, p. 9-81. 1131 En effet, entre 1250 et 1320, une quarantaine de bastides environ sont fondées en Gascogne par les moines blancs. Elles sont généralement placées à la frontière des terres anglaises et françaises. Les avantages politiques de ces structures sur une limite peu sûre sont indéniables. C. H. BERMAN, “From Cistercian granges to Cistercian Bastides. Using the Order’s Records to date Landscape transformation”, dans L. PRESSOUYRE (dir.), L’Espace cistercien, Paris, CTHS, 1994, p. 204-215. 1132 En 1234, l’abbaye de la Grâce-Dieu par exemple fonde Surgères en Saintonge. B. BARRIÈRE, « La place des monastères cisterciens dans le paysage rural des XIIème et XIIIème siècles », dans l’ouvrage collectif Moines et monastères dans les sociétés de rite grec et latin, Genève, 1996, p. 191-207. 1133 B. BARRIÈRE, « Les granges de l’abbaye cistercienne d’Obazine aux XIIème et XIIIème siècles », dans Le Bas-Limousin, Histoire et Économie, Tulle, 1966, p. 33-51 ; Abbé ALBE, « Titres et documents concernant le Limousin et le Quercy. Les possessions de l’abbaye d’Obasine dans le diocèse de Cahors et les familles du Quercy », BSSHAC, 1910, T 32, p. 251-304 ; J. ROCACHER, Rocamadour et son pèlerinage. Étude historique et archéologique, 2 vols., Toulouse, 1979, p. 349-358. - 310 - La grange de Tauriac fondée par les moines de Dalon au milieu du XIIème siècle sur la commune de Bretenoux (Figeac, Lot) est prolongée par la bastide voisine de Puybrun, créée en 12791134. Une charte de coutumes et de privilèges est édictée en 12821135. Elle va faire concurrence à la bastide d’Orlinde (ou de Bretenoux) fondée deux ou trois ans plus tôt par Guérin de Castelnau. Celui-ci s’oppose d’ailleurs fermement à cette nouvelle fondation de peur qu’elle n’empêche le peuplement de sa propre ville neuve. La grange de Tauriac est relativement méconnue. On ne connaît en effet ni sa date de fondation, ni la nature des premières donations. Son emplacement peut être déduit de l’étude des cadastres. En effet, le cadastre de 1818 présente à l’ouest du domaine de Coustalou, entre Tauriac et Puybrun, une « Métairie de l’Abbé ». Cette grange était destinée à la culture de la vigne. La bastide (villa nova) est en paréage entre l’abbé de Dalon Guillaume IV et le roi de France Philippe III, aux confins du Quercy et du Limousin, aux limites de la Vicomté de Turenne et de la baronnie de Castelnau. Le roi de France est associé pour moitié aux droits de l’abbé sur les hommes de ce territoire et de leurs redevances annuelles, à la haute et basse justice, ainsi qu’aux droits de ban (four notamment). L’abbé de Dalon se réserve par ailleurs les terrains destinés à l’édification des lieux de culte, des bâtiments de stockage et de vente des produits agricoles (vin en particulier)1136. La bastide s’accompagne de la construction d’un prieuré et de l’église Notre-Dame de la Grange, probablement mis à bas au XIVème siècle lors des nombreux pillages des troupes anglaises. Là encore les rapports étroits entretenus avec les rois capétiens sont mis en exergue et il apparaît clairement que les cisterciens sont utilisés comme point d’appui dans des régions marginales difficilement contrôlables. Les moines trouvent bien sûr un intérêt économique, commercial à cette « alliance » qui leur permet de répondre à la crise et de solutionner le problème du recrutement des convers1137. En effet, la fondation de la bastide apporte une main d’œuvre importante qui vient compenser la fin du XIIIème siècle la raréfaction des frères convers. 1134 L. GRILLON, Le cartulaire de Dalon (1114-1247), Mémoire de DES sous la direction de C. HIGOUNET, Bordeaux, 1962 ; L. GRILLON, Le domaine et la vie économique de l’abbaye cistercienne Notre-Dame de Dalon en Bas-Limousin, thèse de doctorat, Bordeaux, 1964, p. 65-70. 1135 E. ALBE, « La bastide de Tauriac Puybrun », BSSHAC, 1923, T XCV, p. 270-295. 1136 J-P. LAUSSAC, L. GRILLON, « Le prieuré Notre-Dame de la grange de Puybrun », Bulletin de la Société des Études du Lot, 2002, T 123, p. 81-96. 1137 C. HIGOUNET, « Nouvelles réflexions sur les bastides… », op. cit, p. 127-137 ; J-P. LAUSSAC, L. GRILLON, « Quelques notes inédites sur le prieuré de Puybrun au XVIème siècle et au XVIIème siècle », BSSHAC, T 127, 2005, p. 123-141. - 311 - C’est le même cas de figure à Grandselve (com. Bouillas, Tarn-et-Garonne), les difficultés à recruter les convers conduit à un fractionnement du domaine en lots homogènes pour les concéder à des paysans. Les moines blancs doivent opérer des remembrements autour de leurs granges. Ce grand effort de réorganisation des campagnes marque les XIIème et XIIIème siècles1138. La démarche de fondation d’une bastide est similaire1139. Le contrat de paréage associe le monastère propriétaire du sol et une autorité politique, royale ou seigneuriale qui assure l’édification, l’administration et la protection du site sur la base d’un partage des revenus à venir. Les tenanciers à qui on garantit des avantages sont recrutés par des agents royaux. Ce contrat modifie le statut juridique des terres afin de permettre l’établissement de la bastide. Il s’accompagne de l’octroi d’une charte de franchises ou de coutumes donnant un statut à la nouvelle population. Le parcellaire est égalitaire afin de ne favoriser personne1140. Les fondateurs des bastides devant réaliser une division égalitaire du sol opte ainsi naturellement pour des formes géométriques simples. Il s’agit de diviser l’espace agraire en lots égaux (cazals) pour les distribuer aux hôtes : ceux-ci disposent d’un jardin, d’une vigne, d’une terre à labourer en plus de la parcelle à bâtir. Cet aménagement rationnel du paysage permet également de gérer de manière précise les revenus de la seigneurie. Cette réorganisation des terroirs semble toutefois limitée à l’espace de la bastide et ne dépasse pas son finage. Elle est réduite aux limites paroissiales et seigneuriales, à l’inverse de certains systèmes antiques beaucoup plus vastes1141. Dans le nord-est de la France, le quadrillage laisse la place aux champs en lanières. Une petite série de villeneuves cisterciennes est connue, fondées en paréage entre 1223 et 1314. Il s’agit notamment de Chantraînes et Boudrons en Bassigny (abbaye de la Crête, en paréage avec le comte de Champagne, com. Bourdons, Haute-Marne), de Prémillieu et Motas (1242-1245) en Bugey, de Gérouville entre l’abbaye d’Orval (com. Villers-devant-Orval, 1138 M. MOUSNIER, « Les abbayes cisterciennes et leur rôle dans l’économie et la société méridionale aux XIIème et XIIIème siècles », dans La grande aventure des cisterciens. Leur implantation en Midi-Pyrénées, Actes du colloque de Belleperche, 1998, Montauban, 1999, p. 105-130 ; M. MOUSNIER, « Bastides de Gascogne Toulousaine, un échec ? » dans Villages et Villageois au Moyen-Âge, Paris, Sorbonne, 1992, p. 101116 ; J-L. ABBÉ, « Permanences et mutations des parcellaires médiévaux », dans G. CHOUQUER (dir.), Les formes du paysage. II, Archéologie des parcellaires, Errance, Paris, 1996, p. 223-233. 1139 C. LAVIGNE, « Recherches sur les systèmes parcellaires de fondation en Gascogne au Moyen-Âge » dans G. CHOUQUER (dir.), Les formes du paysage.I.Études sur les parcellaires, Errance, Paris, 1996, p. 182-198. 1140 A. LAURET, op. cit, p. 44. 1141 J-L. ABBÉ, « La dynamique historique des parcellaires au Moyen-Âge dans le midi de la France. L’exemple de la grange cistercienne d’Hauterive (Aude) », dans l’ouvrage collectif, La dynamique des paysages protohistoriques, antiques, médiévaux et modernes, XVIIèmes Rencontres Internationales d’Archéologie et d’Histoire d’Antibes, Sophia Antipolis, 1997, p. 21-34 ; C. LAVIGNE, « Recherches sur les systèmes parcellaires de fondation en Gascogne… », op. cit, p. 182-198. - 312 - Luxembourg) et le comte de Chimey. Le phénomène paraît toutefois exceptionnel dans le sud-ouest de la France, la densité la plus forte étant en Gascogne occidentale et toulousaine. Il n’y a que peu d’actes de paréage en Allemagne, Espagne, Italie et Angleterre1142. Ces bastides sont à la fois des chefs lieux d’exploitation agricole mais aussi de nouveaux noyaux urbains, un centre de peuplement séduisant pour la population paysanne. Elles revêtent plusieurs fonctions : administrative, judiciaire, militaire, centre agricole et de défrichement, lieu de marché1143. Elles créent un réseau d’étapes sûres pour le développement des relations commerciales et des pèlerinages. Elles offrent aux moines blancs l’opportunité de pallier la disparition progressive du corps des convers et d’éviter à la fois la charge d’un personnel salarié inévitablement croissant. Cette création de bastides ne peut-elle s’expliquer comme un moyen pour maintenir un certain niveau de revenus ainsi que la continuité de l’exploitation par le recours à des arrentements groupés ? Bernadette BARRIÈRE répond à ce questionnement en insistant sur le fait que les monastères créant des bastides sont des établissements dynamiques aux revenus importants (comme Dalon et Obazine), non des abbayes en réelles difficultés financières. Ces villes nouvelles peuvent être plutôt interprétées comme une réponse au dynamisme ambiant et à une organisation économique partiellement inadaptée1144. Les cisterciens contribuent ainsi à la réorganisation des pratiques agricoles. En cela, les domaines cisterciens sont un facteur de dynamisme économique même si les principes originaux de l’ordre (faire-valoir direct) sont abandonnés dès le XIIIème siècle. Les bastides modifient le parcellaire déjà en place pour en imposer un nouveau, quadrillé comme sous l’Antiquité. Il est toutefois difficile de déterminer si les parcellaires anciens sont utilisés ou tout simplement gommés1145. Ces villes neuves constituent des jalons de la pénétration royale dans le Midi de la France ainsi que des symboles de la résistance seigneuriale locale à cette pénétration. Elles prouvent en effet l’emprise d’un pouvoir politique fort, qu’il s’agisse des Capétiens, des Plantagenêts, ou des comtes et seigneurs locaux, tel le comte Raymond VII de Toulouse 1142 C. HIGOUNET, « Nouvelles réflexions sur les bastides… », op. cit, p. 127-137. A. LAURET, op. cit, p. 17. 1144 B. BARRIÈRE, « L’économie cistercienne du sud-ouest de la France », Centre culturel de l’abbaye de Flaran, Économie cistercienne. Géographie, mutations du Moyen-Âge aux temps modernes, 1981, Auch, 1983, p. 75-99 ; B. BARRIÈRE, « Les patrimoines cisterciens en France. Du faire-valoir direct au fermage et à la soustraitance », dans L. PRESSOUYRE (dir.), L’Espace cistercien, colloque de Fontfroide, 1993, Paris, CTHS, 1994, p. 45-69. 1145 J-L. ABBÉ, « La dynamique historique des parcellaires au Moyen-Âge dans le midi de la France… », op. cit, p. 21-34 1143 - 313 - (1222-1249). La Croisade des Albigeois en 1209 est un bon prétexte pour les Capétiens de se montrer plus présents dans le Midi de la France, d’intervenir dans la région afin d’assurer la mainmise de la couronne de France sur les terres de l’influent comte de Toulouse. Cette Croisade masque sous un prétexte religieux de profondes motivations politiques, tel le développement de l’autorité royale par l’affirmation d’une unité nationale. Les contrats de paréage permettent aux souverains français et anglais de phagocyter légalement de nombreux domaines méridionaux et de les intégrer au domaine royal. Ce mouvement de création de bastides ne semble pas correspondre à une irruption brutale et massive de la monarchie capétienne. Des liens existaient déjà par l’intermédiaire de l’ordre de Cîteaux notamment (inhumations, donations, « mécénat »)1146. Les abbayes cisterciennes semblent faire le lit de la pénétration capétienne, dans les pays gascons notamment. Les cisterciens ont répondu positivement à la sollicitation capétienne car la création des bastides résout partiellement le problème économique auquel ils étaient confrontés. Il est toutefois difficile de déterminer quel protagoniste s’est servi de l’autre1147. Les partenaires des cisterciens sont assez divers. Nous pouvons citer Alphonse de Poitiers, sénéchal du roi de France puis comte de Toulouse (1249-1271), Philippe le Bel, Philippe le Hardi, Edouard Ier d’Angleterre (1272-1307) et des seigneurs régionaux comme ceux de Foix, de Comminges, d’Astarac, d’Armagnac ou encore de Montfort. Les bastides permettent au comte de Toulouse d’asseoir son autorité dans les extrêmes cantons de la Gascogne, de l’Agenais et du Rouergue. Il peut également se procurer plus facilement les ressources financières nécessaires à ses projets de Croisades. Eustache de Beaumarchais, sénéchal du roi de France à Toulouse de 1276 à 1294, amplifie cette politique d’association des cisterciens à la création des bastides. Vingt-deux villes nouvelles sont ainsi créées dès 1272-1292 dont dix en paréage avec les moines blancs. Fleurance est fondée en 1274 avec l’abbaye de Bouillas, Beaumont-de-Lomagne en 1279 (Grandselve, com. Bouillas, Tarn-etGaronne), Saint-Lys en 1280 (Aiguebelle, com. Montjoyer, Drôme), Mirande en 1281 (Berdoues, com. Berdoues, Gers), Plaisance-du-Touch en 1285 (Bonnefont, com. Proupiary, Haute-Garonne), Réjaumont en 1285 (L’Escale-Dieu, com. Bonnemazon, Hautes-Pyrénées), Boulogne-sur-Gesse en 1285 (Nizors, com. Boulogne-sur-Gesse, Haute-Garonne), Grenade en 1290 (Grandselve) et Beaufort en 1291 (Feuillant, com. La Bastide-Clermont, HauteGaronne)1148. 1146 Concernant les liens entre monastères cisterciens, Capétiens et Plantagenêts, voir I. B. c. ; I. D. 4. C. HIGOUNET, « Nouvelles réflexions sur les bastides cisterciennes », dans Les cisterciens de Languedoc (XIIIème-XIVème siècles), Cahiers de Fanjeaux, Toulouse, Privat, 1986, p. 127-137. 1148 C. HIGOUNET, « Nouvelles réflexions sur les bastides… », op. cit, p. 127-137. 1147 - 314 - À l’est, les bastides rattachées à la couronne de France concernent 55% des fondations. Elles sont délimitées par la ligne nord/sud du Périgord aux Pyrénées. Ainsi, les bastides de Beaumont-de-Lomagne et de Grenade sont en paréage avec le roi de France et l’abbé de Grandselve. Elles sont implantées sur la périphérie des domaines du monastère, comme pour en protéger les frontières, surveiller des limites incertaines, objet de la convoitise des seigneurs locaux ou des rois Anglais. Les mêmes acteurs fondent en 1272 Labastide-SaintPierre et Gilhac à laquelle le roi impose son paréage en 1275. En 1282, Comberouger absorbe la grange voisine. Ainsi, si Grandselve conserve le faire-valoir direct au centre de ses biens, elle fonde de nouveaux foyers de peuplement, facteurs de concentration de l’habitat dans les parties excentriques et peu développées. Elle choisit ces sites sur de grands axes de communication, les dote d’un marché et s’orient ainsi vers un autre type d’économie que l’autosubsistance agricole1149. À l’ouest, les bastides anglaises représentent 20% du total des fondations. Au sud des Landes et au pied des Pyrénées, les fondations seigneuriales atteignent 25% des créations. L’Agenais et le Périgord sont des terres de conflits entre la France et l’Angleterre et disposent de bastides rattachées aux deux couronnes. Périgueux et Toulouse sont aux mains des Français tandis que Bordeaux est aux Anglais. Chaque bastide française témoigne de l’avancée de son camp, implantée aux nouvelles frontières. Ces villes neuves fournissent des appuis en cas de guerre. Elles se présentent comme un front dense de créations rapprochées. Quant aux fondations anglaises, elles semblent contrer les offensives capétiennes vers Bordeaux. Les places fortes sont implantées le long des rivières pour contrôler les axes naturels convergents vers la cité bordelaise. Un tiers des bastides a ainsi une fonction militaire et contribue à garantir la sécurité de frontières mouvantes. Chacun tente de peupler son territoire dans le double but de disposer d’une population importante pour lever des troupes mais aussi pour le développement du commerce et de l’agriculture1150. Certaines bastides sont ainsi fortifiées et répondent parfois prioritairement à l’insécurité des populations locales. Les enceintes peuvent être de bois ou de pierres1151. Ces bastides présentent les mêmes tracés, qu’il s’agisse d’une fondation anglaise, française ou seigneuriale. La moitié d’entre elles sont établies sur la croisée de deux directions perpendiculaires constituant l’amorce d’un quadrillage. Une place carrée au centre est bordée 1149 M. MOUSNIER, « Les granges de l’abbaye cistercienne de Grandselve (XIIème-XIVème siècles) », Annales du Midi, T 85, 1983, p.7-27. 1150 F. DIVORNE, op. cit, p. 22-37. 1151 A. LAURET, p. 131. - 315 - d’arcades, longée par des rues. Une halle est bâtie sur cette place. Elle est charpentée, munie de piliers maçonnés encore souvent conservés aujourd’hui. La bastide a peu à peu revêtu une image symbolique à travers l’historiographie traditionnelle. L’imagerie populaire la considérait bien souvent comme un rempart protégeant un urbanisme orthogonal où l’égalité des lots annonçait la démocratie des institutions. De VERNEILH, en 1846, affirme que ces bastides sont des villes neuves, créées de toutes pièces dans des déserts. Toutefois, la majorité ne sont pas édifiées sur des lieux inoccupés et incultes et profitent parfois des parcellaires déjà en place des habitants présents. Les cisterciens fondent leurs bastides généralement sur le territoire d’une grange déjà établie depuis plus d’un siècle. La bastide ne correspond ainsi pas réellement à une action de défrichement et de colonisation. De même, on la présente fréquemment comme une ville idéale, espace d’égalité et de liberté mythiques, ce qui est loin d’être le cas, les paysans étant tout de même soumis au cens et au champart. Quant à la régularité du plan, il n’est pas systématique et s’adapte nécessairement à la topographie du site. Les fortifications ne sont pas obligatoires, seul un tiers des bastides ayant une vocation militaire1152. Pour conclure, Charles HIGOUNET a parfaitement cerné l’évolution des systématiques économiques, de l’exploitation des terres et du peuplement à propos de la grange, puis de la bastide de Gimont. Avant 1150, le paysage se constituait de petits habitats dispersés avec une structure généralisée de cazals. L’historien remarque qu’entre 1160 et 1210, les cisterciens ont remanié les terroirs, remembré les terres seigneuriales pour les exploiter directement avec leurs convers dans le cadre de la grange et ainsi évincé les tenanciers primitifs. Cette restructuration agraire est commandée par une exploitation originale en faire-valoir direct. Certains tenanciers deviennent alors convers tandis que d’autres choisissent de partir. La bastide est créée en 1266 par un acte de paréage entre Pierre, abbé de Gimont, en Gascogne (com. Gimont, Gers), et Pierre de Landreville, sénéchal de Toulouse et d’Albigeois. Elle intervient à une période où les convers se font plus rares et où les abbés doivent suppléer à cette pénurie. Ainsi, de 1250 à 1330, on assiste d’une manière générale à une concentration massive des populations dans les bastides, parallèlement à l’éclatement d’une partie des granges en petites et moyennes parcelles et au déclin des anciennes paroisses. 1152 F. PUJOL, « L’élaboration de l’image symbolique de la bastide », Annales du Midi, T 103, 1991, p. 345-367. - 316 - Les cisterciens ont ainsi agi de manière indélébile sur les paysages, constamment remaniés, remembrés et repeuplés1153. Ces bastides ont cependant parfois échoué dans leur tentative de repeuplement et de concentration de l’habitat. En effet, certaines ont des terres plus riches que d’autres, vouées à l’échec. Peu de centres de peuplement de sont maintenus. La bastide de Mont-Sainte-Marie fondée par Obazine a entièrement disparu, tandis que Puybrun, créée par Dalon, s’est maintenue malgré la disparition ou le remaniement d’un certain nombre de bâtiments. En Gascogne toulousaine, seuls Grenade, Gimont, Beaumont, Saint-Lys, Plaisance-du-Touch et Léguevin existent toujours. Le dynamisme des moines blancs n’a parfois pu compenser la faible densité des populations, des terres peu favorables, l’absence d’un réseau urbain préexistant et la faiblesse des comtes de Toulouse à l’ouest de la Garonne1154. La discrétion de ces expériences en Limousin peut s’expliquer par la médiocrité de la plupart des établissements dans cette fin du XIIIème siècle. Peut-être la présence capétienne est-elle également moindre qu’en Gascogne, Gers ou Gascogne Toulousaine ? L’action des sénéchaux du roi de France à Toulouse est effectivement indéniable et a sans doute joué un rôle déterminant pour la multiplication spectaculaire des bastides dans ces régions. Beaucoup de monastères limousins ont de plus déjà périclité et sont bien trop pauvres pour participer à la création d’une bastide. C’est le cas notamment de Prébenoît, Aubepierres, Aubignac, Peyrouse ou encore Boschaud. Seules Obazine et Dalon sont en mesure d’assurer une telle fondation. Les pouvoirs politiques ont bien sûr leur importance et ces deux abbayes ont, depuis leurs débuts, bénéficié du soutien de nombreux seigneurs et comtes, mais aussi des rois Capétiens et Plantagenêts. Leur dynamisme en cette fin de XIIIème siècle est indéniable et justifie de tels investissements. Après cette nécessaire mise en point géographique, historique et économique, il convient désormais de livrer une étude archéologique et stylistique de ces dix-huit monastères, sous forme de monographies détaillées. II. Corpus des abbayes cisterciennes du diocèse de Limoges et de ses marges : Avertissement au lecteur : 1153 C. HIGOUNET, « Sur les transformations de l’habitat et les structures agraires en Gascogne aux XIIème et XIIIème siècles : Gimont avant la bastide », dans Études géogaphiques offertes à Louis Papy, Bordeaux, 1978, p. 369-376. 1154 M. MOUSNIER, « Bastides de Gascogne Toulousaine… », op. cit, p. 101-116 ? - 317 - Les dix-huit monographies présentées ci-dessous sont organisées selon un même plan. Sont évoquées dans un premier temps les sources manuscrites, à savoir les principaux fonds d’archives dépouillés. Certains extraits peuvent être retranscrits quand ils apportent directement à la description archéologique ou aux datations. Des transcriptions complètes sont par ailleurs proposées en annexe. Ensuite, un point historiographique est mené. Quelques références seulement sont citées, le but n’étant pas ici l’exhaustivité mais plutôt de retracer les principaux courants de pensées. L’ensemble des références est consultable en bibliographie à la fin de ce volume. Quelques données historiques sont énoncées, les dates clés et évènements principaux ayant jalonné l’existence du monastère au fil des siècles. Les XIIème et XIIIème siècles ne sont ainsi pas les seuls abordés. Les époques modernes et contemporaines sont également évoquées (troubles des Guerres de Religion, époque révolutionnaire, devenir du site à l’époque actuelle). Les vestiges archéologiques sont ensuite étudiés. Il s’agit de la partie la plus importante de la monographie. Elle est subdivisée selon les différents espaces monastiques pris en compte : abbatiale, bâtiments conventuels, dépôts lapidaires éventuels et éléments erratiques, granges, aménagements hydrauliques. Le monastère dans son ensemble est ainsi envisagé, de même que les possessions. Néanmoins, toutes les granges et moulins ne sont pas systématiquement étudiés et ne font pas toujours l’objet d’une notice descriptive. En effet, certaines possessions avérées dans les textes n’ont pas laissé de traces dans la toponymie actuelle. De plus, certains bâtiments ont pu être considérablement modifiés, voire entièrement remplacés par des structures modernes ou contemporaines, sans qu’aucun vestige médiéval ne puisse être clairement identifié. Quant aux aménagements hydrauliques, une certaine prudence est nécessaire face aux descriptions et investigations menées : en effet, les vestiges conservés sont le plus souvent modernes. Les installations de meunerie nécessitent de constantes réparations, modifications et remaniements au fil des siècles. C’est pourquoi les cadres médiévaux sont parfois difficiles à envisager. Ainsi, les XIIème et XIIIème siècles ne sont pas les seuls à être pris en compte dans cette étude. Des remaniements fréquents interviennent au XVème siècle dans un contexte politique troublé. Certaines abbatiales sont fortifiées, comme Bonlieu et Prébenoît. Les cloîtres médiévaux sont parfois rebâtis, souvent avec des piliers octogonaux comme observé à Bonlieu, Prébenoît ou à l’abbaye des Pierres. Certaines modifications sont nécessaires dans le cadre de la commende. Ainsi, les abbés commendataires se font fréquemment bâtir un logis - 318 - particulier, comme au Palais-Notre-Dame (XVIème siècle) où un bâtiment à tour d’escalier va remplacer l’ancien bâtiment sud du cloître traditionnellement dévolu aux cuisines, réfectoire et chauffoir. Des remaniements interviennent parfois aux XVIIème et XVIIIème siècles, comme c’est le cas à l’abbaye de Bonnaigue, en partie reconstruite suite à un incendie. Quant à Obazine, il paraît nécessaire de faire le point sur les restaurations du XIXème siècle menées par Anatole de BAUDOT, afin de pouvoir cerner ce qui est médiéval de ce qui relève de remaniements et de remontages récents. Ces études sont nécessaires, bien qu’elles soient en dehors du cadre chronologique pris en compte dans cette étude. Les descriptions proposées permettent, selon les édifices, de suggérer des phasages et de différencier certaines étapes de construction et de reconstruction. Des tentatives de datation peuvent être envisagées d’après les élévations et éléments lapidaires conservés. Des comparaisons sont également établies avec d’autres sites cisterciens, mais aussi avec de proches édifices aquitains ou du diocèse de Limoges. Ces comparaisons et essais de datations sont bien souvent redevables des études précises et minutieuses de Bernadette BARRIÈRE, Claude ANDRAULT-SCHMITT et Évelyne PROUST concernant la sculpture1155. À ces descriptions correspondent des photos et plans, généralement de l’auteur sauf mention contraire. Ceux-ci sont régroupés en annexe. Concernant les éléments lapidaires erratiques, les abbayes de Varennes, de Prébenoît et du Palais disposent de dépôts conséquents nécessitant inventaire et descriptions précises. Toutefois, seuls les inventaires de Varennes et du Palais-Notre-Dame sont proposés ici. Concernant Prébenoît, l’étude du dépôt lapidaire a fait l’objet d’un mémoire de maîtrise particulier. Nous n’avons pas jugé utile de le retranscrire intégralement ici. Seuls les éléments les plus représentatifs et les plus probants sont répertoriés. Les inventaires du Palais et de Varennes sont par ailleurs détaillés. Il s’agit de notices descriptives complètes, livrant les dimensions, matériau, provenance probable et datation envisagée pour chaque élément. Ces notices peuvent ainsi paraître rébarbatives au lecteur, mais néanmoins nécessaires pour dégager des systèmes de proportions et déterminer si possible des chronologies et provenances éventuelles dans l’édifice. Ces dépôts lapidaires apprennent ainsi sur les voûtements, les supports, les baies, les portails, soit disparus, soit très remaniés en élévation. Il apparaîtra clairement au lecteur que ces monographies sont très inégales. Ainsi, seules quatre pages sont consacrées à Derses pour près de 80 pages à Varennes. Ces inégalités 1155 C. ANDRAULT-SCHMITT, Les nefs des églises romanes de l’ancien diocèse de Limoges. Rythmes et volumes, Thèse, Poitiers, sous la direction de C. HEITZ, 4 tomes, 1982 ; C. ANDRAULT-SCHMITT, Limousin gothique, Paris, Picard, 1997 ; B. BARRIÈRE, Limousin médiéval, le temps des créations, PULIM, Limoges, 2006 ; É. PROUST, La sculpture romane en Bas-Limousin, un domaine original du grand art languedocien, Picard, Paris, 2004. - 319 - s’expliquent par le hasard de la conservation des vestiges, des fonds d’archives, des travaux d’érudits ou scientifiques plus ou moins prolixes. Certains monastères sont très modestes : ils n’essaiment pas, ne disposent que de peu de possessions et sont parfois très mal conservés (Aubignac, Derses). L’inégalité des sources archéologiques est aussi tangible : ainsi, seules les abbayes de Prébenoît, Obazine, Coyroux, Grosbot et plus récemment le Palais ont fait l’objet d’investigations archéologiques, nécessaires à la connaissance de sites parfois presque entièrement disparus en élévation. Par ailleurs, nous regrettons de n’avoir pu mener d’autres fouilles archéologiques à part celles du Palais-Notre-Dame. En effet, soucieuse de s’adapter à la nouvelle réforme LMD et de faire aboutir ce travail en quatre ans maximum, nous n’avons pas disposé du temps matériel suffisant pour fouiller l’ensemble des sites envisagés. Ces monographies seront suivies d’une partie de synthèse permettant de mettre en évidence cohérences et dissemblances de ces monastères cisterciens, d’établir un certain nombre de constatations et de réflexions liées aux plans, élévations, voûtements, supports, percements et décors, l’ensemble étant replacé dans le cadre d’un art de transition entre époque romane et « premier gothique » aquitain. - 320 - AUBIGNAC - 321 - A. Les fondations de Géraud de Sales : 1. Aubignac (commune de Saint-Sébastien, Creuse) : Aubignac est située sur la commune de Saint-Sébastien (Creuse), à une vingtaine de kilomètres à l’ouest de l’abbaye d’Aubepierres. Elle relève à l’époque médiévale du diocèse de Bourges mais est maintenant incluse dans le département de la Creuse. Le lieu-dit est signalé « Aubeignat » sur la carte IGN au 1/25000ème1156. Il est fléché « Aubégnat » à l’embranchement à quelques centaines de mètres avant d’arriver sur le site et nommé « Aubignac » à l’emplacement proprement dit. Ces variations traduisent l’évolution de la langue au fil des siècles. Seul le lieu de l’abbaye même a gardé l’orthographe originelle. La carte de Cassini précise bien le nom « Aubignac » mais contrairement aux autres sites cisterciens, nous ne retrouvons pas le symbole de l’église et de la crosse, ni la dénomination ABH qui caractérise une abbaye d’hommes, ni O.S.B de l’ordre de saint Benoît, ni O.C désignant une abbaye de l’observance cistercienne. La présence d’une ancienne abbaye médiévale en ce lieu semble ignorée au XVIIIème siècle. Toutefois, en 1790, deux moines habitent encore le monastère [Fig. 99 et 100]. Sources manuscrites et figurées : Les actes médiévaux conservés aux Archives Départementales de l’Indre ainsi qu’aux Archives Départementales de la Creuse ne livrent malheureusement pas d’indications sur les bâtiments monastiques médiévaux1157. Ils permettent toutefois une reconstitution du patrimoine foncier, des granges et moulins appartenant au monastère. Les installations à caractère artisanal ne sont guère connues que par ces sources manuscrites elles-mêmes lacunaires. L’état des lieux de 1643 est dressé à l’abbaye après les destructions des Guerres de Religion [PJ 1]. Quelques indications sont données sur les bâtiments monastiques, très précieuses pour notre connaissance de l’abbatiale. Il est dit : « Nous sommes entrés dans ladite basse-cour dans laquelle nous avons trouvé quantité de pierres de taille et autre provenant de la ruine de l’église ou maison de ladite 1156 1157 IGN série Bleue 2128 O, Saint-Sébastien, 1/25000ème. AD Creuse, H 233 à H 261 ; AD Indre, H 461, H 976 à H 978, H 1151. - 322 - abbaye. Et nous a aussi mené et conduit dans une chapelle persée de laquelle a été de nouveau construite sur le fondement ancien du cœur de l’église ancienne de ladite abbaye, laquelle église est de la longueur de soixante pieds ou environ et de la largeur de vingt-deux pieds entre les quatre murailles qu’il l’affermy à présent ainsi qu’il nous a fait voir. Et sur le pignon de ladite église, de soleil levant, y a un petit clocher de la hauteur de dix à douze pieds dans lequel il y a une petite cloche, et lequel clocher ensemble partie de ladite église est découvert à l’endroit du grand hôtel en sorte qu’il pleut sur ledit hôtel ainsy que ledit sieur prieur nous a déclaré. Et étant sorti de ladite église et tout ce qui composait autrefois la nef est entièrement ruiné et démoli sauf quelques piliers et costiers de ladite église qui sont par interval de la hauteur de dix-douze à quinze pieds d’hauteur1158. Et étant rentrés dans ladite basse-cour, nous a aussy mené et conduit en un petit jardin entouré de murailles à pierre sèche qu’il nous a dit avoir été autrefois le cloistre de ladite abbaye (…)»1159. Nous pouvons donc déduire plusieurs informations capitales d’après ce court extrait. Au XVIIème siècle, l’abbaye est déjà presque entièrement ruinée. Le chœur en particulier est effondré. Une chapelle a été reconstruite sur ses fondations à une époque indéterminée entre le XVIème et le premier tiers du XVIIème siècle. Il ne demeure rien aujourd’hui de cette structure de l’époque moderne. Les dimensions de l’abbatiale sont précisées, mesures essentielles étant donné qu’il ne reste rien aujourd’hui de l’église si ce n’est quelques éléments lapidaires épars. Toutefois, nous pouvons douter de leur exactitude. Le terme « environ » remet en cause la précision des mesures. D’après les tables de conversion mises au point par Pierre CHARBONNIER, elle mesure 19.5m de long par 7.15m de large1160. Il 1158 La hauteur conservée variait donc entre 3.25m et 4.90m environ. AD Creuse, H 268. 1160 P. CHARBONNIER (dir.), Les anciennes mesures locales du Massif Central d’après les tables de conversion, Institut d’Études du Massif Central, Clermont-Ferrand, 1990. En Creuse, un pied mesure 0.365m, une toise équivaut à 1.949m. 1159 - 323 - s’agit donc d’un édifice très modeste. La faible longueur étonne, c’est pourquoi nous pensons que la dimension donnée correspond uniquement à la nef. La largeur de 7.15m suppose l’absence de collatéraux1161. De la nef ne demeure apparemment que quelques éléments de piliers dont les formes et modénatures ne sont pas précisées ainsi que quelques pans de murs. Le chevet se constitue d’un pignon orienté surmonté d’un clocher, ce qui ne correspond guère aux injonctions de l’ordre interdisant la présence de clocher de pierres. La toiture est effondrée, le cloître entièrement ruiné remplacé par un jardin cerné d’une clôture de pierres sèches. Au XVIIème siècle, les aménagements monastiques sont donc d’ores et déjà largement ruinés. Aucun élément de cette courte description ne permet de préciser la datation de l’abbatiale médiévale et les différentes phases de son érection. Dans les années 1768-1769, un inventaire des titres est réalisé par l’abbé de Varennes. Les destructions des Guerres de Religion sont brièvement évoquées. Il est fait état des ruines de l’église, du logis abbatial ainsi que des bâtiments claustraux1162. Nous pouvons imaginer qu’en un siècle, l’état de conservation du monastère s’est encore détérioré. Deux inventaires concernent les objets mobiliers de l’église de 1790 et 1791 [PJ 2] 1163. Ils sont les seuls témoins d’objets et d’embellissements aujourd’hui disparus. Le premier est dressé par les officiers municipaux de Saint-Sébastien en présence de dom Vernière, prieur de l’abbaye. Il est fait état d’un « autel fort mal boisé garni de six chandeliers de cuivre jaune, de la hauteur d’environ deux pieds, un calice non en bon état et une petite custode dont le pied sert à l’ostensoir et une petite custode pour porter le viatique, plus une cloche, deux reliquaires en bois, un mauvais missel à l’usage de l’ordre, un graduel, un antiphonaire, un psautier, un proussionalle à l’usage du droit romain, trois cartons d’autel assez propres, trois vieux, une lampe et un bénitier en étain, un encensoir et une navette en cuivre jaune, une croix processionnale en fer, six vieux tableaux, un mauvais banc pour les chants, deux aubes, trois amy, un cordon, sept chasubles 1161 Des dimensions similaires s’observent pour certaines nefs d’autres abbayes de l’ordre (L’Escale-Dieu et Silvacane : 7.50m, Noirlac : 7.95m). René Crozet fait état d’une nef unique conçue dès le départ à l’inverse de celle de Varennes qui comprenait à l’origine des collatéraux, R. CROZET, L’abbaye de Noirlac et l’architecture cistercienne en Berry, Paris, 1932. 1162 AD Creuse, H 234. 1163 AD Creuse, H 283. - 324 - mauvaises, cinq corporaux, douze purificatoires tant bon que mauvais, six lavabos, trois nappes d’autel propre mais raccommodé et une commune (…). » Un deuxième inventaire est dressé l’année d’après suite à des vols. Le transfert des objets mobiliers est assuré dans l’église paroissiale de Saint-Sébastien par les officiers municipaux. Ceux-ci placent « la petite cloche dans le clocher ainsi que les six tableaux, les chandeliers, deux reliquaires, la balustrade, le tabernacle, le devant d’autel, les livres, la lampe, le bénitier, la navette et l’encensoir, et la croix dans l’église dudit lieu ». Toutefois, les éléments décrits correspondent vraisemblablement à des réalités modernes et il est bien difficile de se faire une idée du mobilier médiéval. Nous pouvons présager que celui-ci a entièrement disparu suite aux guerres de Religion et aux troubles révolutionnaires. Historiographie : Les travaux d’érudits sont très précieux pour notre connaissance de l’abbaye et des aménagements monastiques. L’article d’Henri DELANNOY dans les Mémoires de la Société des Sciences naturelles et Archéologiques de la Creuse n’apporte malheureusement aucune indication sur la mise en œuvre et l’organisation des bâtiments1164. Toutefois, la description d’Émile de BEAUFORT dans la seconde moitié du XIXème siècle est éclairante1165. Il évoque la chapelle du pignon ouest décrite dans l’état des lieux de 1643. Elle est percée d’une porte en plein-cintre sans ornement. Une ouverture identique apparaît dans le mur nord tandis que le mur sud comporte deux fenêtres en plein-cintre. Le profil de ces baies pourrait correspondre à une datation de la seconde moitié du XIIème siècle, avant la généralisation des arcs brisés. L’autel observé en 1643 est encore en place. Il ne livre pas de description plus précise. Nous pouvons supposer qu’il s’agit de l’autel « fort mal 1164 1165 H. DELANNOY, « L’abbaye d’Aubignac », MSSNAC, T 17, 1909, p. 7-63. É. DE BEAUFORT, « Abbaye d’Aubignac », MSAOMP, T 26, 1861, p. 314-321. - 325 - boisé » décrit dans l’inventaire de 1790. Toutefois, il paraît délicat de déterminer s’il existait déjà à l’époque médiévale1166. Il précise que le clocher est charpenté. Les préceptes de l’ordre ne sont alors pas réellement bafoués puisque les moines n’ont pas eu recours à la pierre. Les dimensions qu’il donne de l’église ne correspondent pas à celles citées précédemment : elle mesure 28m de long, 8.40m de large, 9m de haut jusqu’au tailloir des pilastres. Nous serions plutôt tentés d’accréditer ces dimensions qui semblent plus cohérentes. En effet, la largeur de la nef précisée en 1643 nous paraissait quelque peu réduite. Ces divergences peuvent se justifier par la prise de mesure hors ou dans œuvre. La nef est scandée à l’intérieur par des pilastres qui forment quatre travées. Ils sont le point de départ de faisceaux d’arcs et de filets qui laissent supposer l’existence d’ogives plutôt que de voûtes d’arêtes. Ces pilastres correspondent à des contreforts extérieurs irrégulièrement espacés. Entre chaque pilastre est percée une fenêtre en plein-cintre d’1.50m de haut sur 1m de large. Elles sont fortement ébrasées (1.60m de large et 2.30m de haut pour l’embrasure interne) comme souvent dans les édifices religieux de Haute-Marche à la fin du XIIème siècle et dans le premier tiers du XIIIème siècle (Prébenoît, Bonlieu, Gouzon). La façade orientale est en pignon et dispose d’une arrière chapelle éclairée par deux fenêtres en meurtrières. Elle est flanquée de contreforts et percée d’une porte en plein-cintre de 2m de haut par 1.50m de large, surmontée d’une archivolte qui se prolonge en cordon jusqu’aux contreforts. Cette disposition est relativement fréquente. Nous la retrouvons au portail de l’abbaye cistercienne de Bellaigue (com. Virlet, Puy-de-Dôme) [Fig. 832]. La porte et la corniche sont en calcaire blanc à grains fins tandis que l’ensemble de la construction est en granite à gros grains. La façade semble ainsi privilégiée et bénéficie d’un matériau plus délicat et propre à la sculpture. Il a sans doute nécessité un transport depuis des carrières plus éloignées et est donc plus coûteux que le granite présent sur le site. C’est pourquoi le calcaire est cantonné aux éléments remarquables nécessitant plus de soin et n’a pas été utilisé pour l’ensemble de l’édifice. La communauté, peu prospère, ne dispose sans doute pas des moyens financiers nécessaires pour cela. L’érudit constate toutefois la lourdeur des moulures, le dépouillement certain qui n’admet ni modillons sculptés, ni corniches élégantes. Il insiste sur le fait que les murailles sont peu solides et en mauvais mortier, révélant une mise en œuvre modeste à l’image des faibles ressources des moines et qui pourrait expliquer en partie la dégradation inexorable des bâtiments monastiques. Il décrit également un corps de logis scindé en deux parties, l’une médiévale scandée de contreforts, l’autre plus récente qui ne dispose pas de contrebutement. Des 1166 É. DE BEAUFORT, op.cit, p. 314-321. - 326 - pilastres très larges supportent la voûte à l’intérieur. Au nord de cet habitat, un grand espace carré rappelle l’emplacement primitif du cloître. André LECLER livre également une courte description des vestiges d’Aubignac au début du XXème siècle : « C’est l’église abbatiale du XIème siècle transformée en logements par les derniers moines et coupée par eux en deux étages. Les piédestaux des pilastres sont dans la cave, les chapiteaux dans le grenier, où naissent les voûtes. De gros piliers flanquent chaque angle de la façade, dont la porte à plein-cintre allonge sa corniche circulaire jusqu’aux contreforts »1167. Il semble donc que l’abbatiale médiévale ait été très remaniée au fil des siècles et modifiée en maison d’habitation pour les moines avec adjonction d’un étage supérieur. L’abbaye d’Aubignac a été relativement peu étudiée par les historiens et les historiens d’art. Un mémoire de maîtrise était en cours à l’université de Limoges et a abouti à la publication d’articles éclairants mais essentiellement basés sur la constitution du patrimoine foncier de l’abbaye1168. Aucun élément n’est livré sur l’architecture et les créations artistiques du monastère marchois. Un court article de Jean MARCELLOT rappelle le pillage de 1602 et les conséquences sur la conservation des vestiges mais ne livre aucun indice précis sur l’organisation et la mise en œuvre des bâtiments1169. L’ouvrage collectif dirigé par Bernadette BARRIÈRE contient une courte notice sur l’abbaye d’Aubignac1170. Toutefois, les trois pages consacrées à l’édifice nous paraissent insuffisantes à la connaissance des vestiges. D’après l’étude du plan cadastral de 1825, il est précisé que l’abbatiale mesure trente mètres de long. Les contreforts sont encore matérialisés [Fig. 101 et 102]. À l’est de cet édifice, des bâtiments ne semblent pas correspondre à l’organisation originelle. Aujourd’hui il ne reste plus rien de ces aménagements. Bernadette BARRIÈRE faisait état d’un fragment de mur, unique vestige de l’abbatiale recouvert de broussailles et placé sur la lisière d’un bouquet d’arbres. Il a toutefois entièrement disparu aujourd’hui. L’analyse de bâti est donc impossible. 1167 A. LECLER, Dictionnaire topographique, archéologique et historique de la Creuse, Marseille, Laffitte Reprints, 1902. 1168 Ce mémoire était préparé par Marie-Hélène TERRIER à l’université de Limoges sous la direction de B. BARRIÈRE. Voir B. BARRIÈRE, M. H. TERRIER, « Les archives médiévales de l’abbaye cistercienne d’Aubignac : première approche », Archives en Limousin, n°8, 1996, p. 11-12 ainsi que M. H. TERRIER, « Les bois et les forêts de l’abbaye d’Aubignac des origines à 1351 », MSSNAC, Tome 46, 1997, p.269-275 et p.477488. 1169 J. MARCELLOT, « Le pillage de l’abbaye d’Aubignac en 1602 », dans l’ouvrage collectif, Mélanges d’archéologie et d’histoire offerts à M. Hemmer, Guéret, 1979, p. 173-175. 1170 B. BARRIÈRE (dir.), Moines en Limousin (…), op. cit, p. 141-143. - 327 - Les études d’histoire de l’art sont totalement inexistantes concernant Aubignac. Lorsque Claude ANDRAULT-SCHMITT présente son article sur l’architecture des fondations de Géraud de Sales, elle exclut l’abbaye d’Aubignac, sans doute face aux lacunes des vestiges. Elle se penche logiquement sur le cas des abbayes les mieux préservées, à savoir Bonlieu, Prébenoît et le Palais-Notre-Dame1171. C’est pourquoi il nous a semblé nécessaire de proposer une étude précise de ces vestiges se réduisant toutefois à des éléments lapidaires. Historique : De l’ermitage primitif installé sur le site dès le début du XIIème siècle, nous ne savons rien. Le génie administratif de Roger de Dalon est rapidement connu du vicomte de Brosse dont le fief s’étend jusqu’aux frontières du Berry et de la Marche. C’est pourquoi il donne aux moines de Dalon la terre d’Aubignac où ils s’installent dès 1138. Des moines de Dalon reprennent en charge le petit groupe d’ermites. L’affiliation à Cîteaux n’intervient qu’en 1162 dans la lignée de Pontigny. Communauté modeste, elle n’a jamais connu un développement important et une prospérité notable. Les moines disposent de granges à l’Auberte (à quelques kilomètres au sud-ouest du monastère), la Rémondière (près de Parnac), Chanteloube (au sud de l’abbaye, au-delà d’Azérables), Beauvais (au sud près de Lignac), à la Réjade (au sud est près de Lafat) et à l’abbaye même1172. La grange de la Rémondière n’a pu toutefois être identifiée que ce soit sur les cartes de Cassini ou les cartes IGN. Les cinq autres exploitations agricoles restent proches du monastère dont le territoire ne semble pas très étendu [Fig. 90]. Bernadette BARRIÈRE insiste bien sur le fait qu’Aubignac est une petite abbaye ne comportant que peu de granges et quelques terres à vignes sur les coteaux des vallées de la Creuse à Argenton et de l’Indre à Châteauroux1173. Cinq granges sont conservées dans la toponymie actuelle. Les vignes d’Argenton (Fonsfurat) s’accompagnent d’une tuilerie et d’une maison1174. Il est fréquent chez les cisterciens de Haute-Marche d’obtenir des vignobles en Boischaut. Ces possessions sont attestées dès le milieu du XIIème siècle1175. Elles sont permises par les donations des vicomtes de Brosse, exceptée la grange de la Réjade à la lisière 1171 C. ANDRAULT-SCHMITT, op. cit. H. DELANNOY, « L’abbaye d’Aubignac », MSSNAC, T 17, 1909, p. 7-63. 1173 B. BARRIÈRE, M. H. TERRIER, « Les archives médiévales de l’abbaye cistercienne d’Aubignac : première approche », Archives en Limousin, n°8, 1996, p. 11-12. 1174 AD Creuse, H 239. En 1394, une sentence de la prévôté d’Issoudun maintient la possession d’une tuilerie et d’immeubles à Argenton sur le territoire de Fonsfurat. 1175 M. H. TERRIER, « Les bois et les forêts de l’abbaye d’Aubignac des origines à 1351 », MSSNAC, Tome 46, 1997, p.269-275 et p.477-488. 1172 - 328 - de la forêt de Saint-Germain dotée par les vicomtes de Bridiers. C’est Gérald, vicomte de Brosse, qui est à l’origine de la donation initiale au monastère comprenant les terres de l’Auberte, La Rémondière et en partie celles de Chanteloube et de Beauvais. La carte IGN de Saint-Sébastien révèle certains toponymes peut-être liés à d’anciennes installations pré industrielles médiévales1176. Un lieu-dit « les Forges » est repéré à quelques kilomètres au sudest d’Aubignac. Il est probable que les moines disposaient de forges hydrauliques ou forestières. Toutefois, les textes ne permettent pas d’étayer cette hypothèse. La carte de Cassini révèle la présence d’une tuilerie à l’est de la grange de Beauvais. Elle pourrait également relever d’une industrie monastique dont la datation est toutefois malaisée [Fig. 34]. Nous pouvons citer ici quelques actes témoignant de la constitution du patrimoine foncier d’Aubignac. En 1165, Bernard, vicomte de Brosse, confirme les donations de son père Gérald et consent aux religieux de nombreuses libéralités sur l’étendue de son fief. Dès 1194, Pierre Garnier, seigneur du Dognon donne une part du moulin de la chapelle Saint Éloy aux moines cisterciens1177. En 1203, G., vicomte de Brosse, prend sous sa sauvegarde l’abbaye d’Aubignac et tous ses biens. Il cède aux moines blancs les droits d’usage dans ses bois. Au début du XIIIème siècle, les frères Porret cèdent leurs droits de propriété sur le moulin de Malherbe. Leurs hommes pourront continuer d’y faire moudre leurs grains et fouler leurs draps1178. En 1245, Béraud et Aimeric de Copiac, chevaliers, donnent les droits d’usage dans la forêt de Versillat pour les animaux de la grange de la Réjade. En 1247, le testament de Pierre de Brosse évoque les moulins de la Châtre et de la Pedière (près d’Azérables) qui n’ont pu être identifiés1179. C’est le même cas de figure pour le moulin de Rabois vendu par Guillaume de Villenne en 1303, près d’Argenton1180. Notre étude ne peut ainsi prétendre à l’exhaustivité puisque certaines installations n’existent plus dans la toponymie actuelle. En 1257, Géraud de Forges donne tout ce qu’il possède dans la Forêt Bâtée et ses droits sur la dîme de Saint-Sébastien. En 1274, Hugues de Brosse, seigneur de Dun et de Châteauroux concède des droits d’usage dans le Bois Chardon pour les granges de L’Auberte, Beauvais et Aubignac. En 1286, Guillaume Chardon, chevalier, donne ses droits sur le Mas Boysi (paroisse de Mouhet). En 1290, Pierre Porret donne une partie du bois commun d’Aubignac. En 1317, Perrot de Puymorin, damoiseau, donne l’étang de la Goutte. En 1390, Louis de Malval, seigneur de Châtelus, de Châteauclos et d’Éguzon reconnaît devoir aux religieux une rentre de 40 sols sur les tailles franches d’Éguzon. Un an après, Hugues de l’Aigue, 1176 IGN série Bleue, 2128 O, Saint-Sébastien, 1/25000ème. AD Creuse, H 234. 1178 AD Creuse, H 250. 1179 AD Indre, H 976. 1180 AD Indre, H 977. 1177 - 329 - damoiseau, donne tous ses biens dans la paroisse de Parnac. Il paraît notable qu’au XIVème siècle, l’abbaye d’Aubignac a atteint sa propriété territoriale maximale. Les donations ne vont ensuite que se raréfier1181. Le plan cadastral du XIXème siècle ne révèle que peu de choses des installations hydrauliques de l’abbaye d’Aubignac [Fig. 101 et 102]. Une digue est visible, placée sur le ruisseau du Chassepin au nord du monastère le long de la D10, près du hameau de la Jarauderie. Aucun vivier n’est signalé. Marie-Hélène TERRIER montre que la constitution du terroir principal des granges est amorcée dès le milieu du XIIème siècle, avant même le rattachement à Cîteaux qui ne serait ici pas déterminant pour le développement du monastère. Son étude sur les bois de l’abbaye prouve que des années 1165 au milieu du XIIIème siècle, les moines n’acquièrent que peu de bois et forêts. L’affiliation serait alors à relativiser et à nuancer, et n’engendre pas forcément une nouvelle politique d’acquisition, une nouvelle gestion économique et domaniale. Aubignac reste une abbaye modeste ne disposant que de six granges. Ce n’est que de 1248 à 1351 que les moines d’Aubignac se livrent à une véritable politique d’acquisition. Les donations en pure aumône et les libéralités de la noblesse se sont dès lors raréfiées, dès le début du XIIIème siècle. La piété seigneuriale ne concerne que les tous premiers temps de l’affiliation à Cîteaux et ne dure qu’un demi-siècle 1182. Ils aident seulement à la mise en place du terroir principal du monastère qui assure ensuite par lui-même son développement1183. Près d’un siècle après son affiliation à Cîteaux, Aubignac semble ainsi assez prospère pour se livrer à des acquisitions. Toutefois, ces innombrables achats transmis par les sources écrites ne s’expliquent-ils pas simplement par une meilleure représentation d’Aubignac dans les fonds d’archives ? En effet, nous ne disposons que de peu de sources concernant le XIIème siècle et le début du XIIIème siècle. Les fonds d’archives lacunaires ne permettent guère de cerner les premiers temps des fondations et peuvent conduire à des erreurs d’interprétation1184. L’abbaye d’Aubignac devient également un lieu de sépulture pour les nobles laïcs. Nous savons en particulier qu’au début du XIIIème siècle, Gérard Porret choisit le modeste monastère pour lieu de sépulture. De même en 1247, Pierre de Brosse demande dans son 1181 J. MARCELLOT, « L’abbaye d’Aubignac. Pierres de l’oubli », 1990, non publié, 10p. En 1165, Bernard, vicomte de Brosse, confirme ses donations et celles de son père à Aubignac. Cette confirmation montre que la générosité seigneuriale se poursuit au moment de l’affiliation à Cîteaux. La donation elle-même est cependant antérieure et ne dépend pas de l’appartenance ou non du monastère à l’ordre de saint Bernard. AD Creuse, H 234. 1183 H. DELANNOY, « L’abbaye d’Aubignac », MSSNAC, T XVII, 1909, p. 7-63. 1184 M. H. TERRIER, « Les bois et les forêts de l’abbaye d’Aubignac des origines à 1351 », MSSNAC, TXLVI, 1997, p. 269-275. 1182 - 330 - testament à être inhumé dans ladite abbaye qu’il avait par ailleurs largement dotée 1185, ainsi que Guillaume Chardon en 1303 ou encore Hélie de la Chaume en 1355 qui lègue par testament douze livres de rente à charge de trois messes par semaine pour le salut de son âme1186. De ces sépultures, nous n’avons retrouvé aucun vestige et là encore, des fouilles archéologiques seraient nécessaires à une étude approfondie du monastère. Toutefois, H. HUGON évoque dans un article de 1939 une pierre tombale de l’abbaye, dessinée en 1890 par Georges BERTHOMIER. Ce dernier représente une dalle gravée d’un personnage sous des arcatures découverte dans les ruines de l’abbaye. H. HUGON ne reproduit pas le dessin et fait juste état de son existence. Nous n’avons pu retrouver cette dalle à ce jour et ne pouvons déterminer le seigneur auquel elle appartenait1187. À l’époque moderne, l’abbaye d’Aubignac est déjà presque entièrement ruinée. Vers 1720, le prieur de Cressac essaie de relever l’abbaye et érige un nouveau bâtiment d’habitation à l’emplacement de l’ancienne église. Sans doute bâti à la va-vite et à l’économie, il menace rapidement ruines et on envisage de le mettre à bas dès 1739, de même que le logis abbatial. En 1744, l’abbé de Pontigny consent à l’abbé d’Aubignac la démolition de la boulangerie et d’une écurie. À la Révolution, l’abbaye n’est plus habitée que par deux religieux. Les biens du monastère sont vendus en 1791. Le premier lot comprenait le domaine même d’Aubignac, la chapelle, le corps de logis des religieux et l’étang de la Jarauderie, adjugé au comte Silvain de la Marche pour 19000 livres. Le second lot comprenait le domaine de Lanau. Les bâtiments conventuels servent alors d’exploitation agricole avant de devenir carrière de pierres. Les vestiges sont définitivement rasés en 19021188. Vestiges archéologiques : Les vestiges conservés sont aussi dérisoires que ceux des abbayes d’Aubepierres, de Boeuil ou de Derses. Les plans cadastraux peuvent néanmoins apporter quelques éléments de réflexion. Le cadastre de 1825 (section D) révèle l’église, encore scandée de contreforts au sud (parcelle 1162) ainsi que trois bâtiments conventuels (parcelles 1160 et 1159), correspondant peut-être au corps de logis des religieux et à des écuries et granges [Fig. 101 et 102]. Le cadastre actuel n’apporte malheureusement aucune information, l’abbaye ayant 1185 H. DELANNOY, « L’abbaye d’Aubignac (…) op. cit, p. 7-63; AD Indre, H 976. AD Indre, H 977. 1187 H. HUGON, « Dessin d’une pierre tombale de l’abbaye d’Aubignac », MSSNAC, T XXVII, 1939, p. 49. 1188 J. MARCELLOT, « L’abbaye d’Aubignac. Pierres de l’oubli », 1990, non publié, 10 p. 1186 - 331 - entièrement disparue. Elle devait s’étendre sur les actuelles parcelles 1675, 1676, 1677, 1678, 738 et 743. Quelques éléments lapidaires sont conservés dans une propriété privée. L’abbatiale et les bâtiments conventuels sont entièrement détruits et il est bien difficile de se faire une idée de l’organisation du monastère à l’époque médiévale. Toutefois, ces ruines paraissent avoir plus attiré les érudits que les monastères d’Aubepierres ou de Derses, largement délaissés de l’historiographie. Les descriptions sont plus fréquentes et plus précises et permettent une meilleure connaissance de l’abbaye. L’abbaye d’Aubignac n’est qu’à quelques kilomètres à l’ouest du bourg de SaintSébastien. La route qui mène au monastère descend d’abord dans le vallon de l’Abloux, traverse un pont avant de grimper sur un petit plateau. Les vestiges sont situés sur le versant du vallon du Chassepin, petit ruisseau affluent de l’Abloux. Ils sont divisés entre plusieurs propriétés privées. L’arrivée sur le site est plutôt décevante. Aucune élévation n’est encore en place, aucun plan discernable au sol. Sans la toponymie, il serait facile d’ignorer l’existence d’un monastère cistercien en ce lieu. Aucun vestige ne demeure de la description d’Émile de BEAUFORT du milieu du XIXème siècle exceptée une dizaine d’éléments lapidaires de granite qui apportent des indications sur le voûtement, les percements et le décor interne de l’édifice. Concernant l’architecture, nous ne pouvons ainsi que nous fier aux descriptions des érudits ou des procès-verbaux et états des lieux. Le granite était directement présent sur le site d’implantation si l’on se réfère à la Carte archéologique de la Gaule1189. Les moines cisterciens se sont directement servis des matériaux présents sur le site. Il est toutefois difficile de cerner le chantier médiéval étant donné les lacunes des vestiges conservés. 1189 D. DUSSOT, Carte archéologique de la Gaule, Creuse, Paris, 1989. - 332 - - Éléments lapidaires épars : C’est en prospectant dans plusieurs propriétés privées aux abords de l’ancien site monastique que nous avons pu retrouver quelques éléments lapidaires appartenant à l’abbaye. Il ne reste aucun des éléments décorés en calcaire blanc très fin décrits dans la seconde moitié du XIXème siècle par Émile de BEAUFORT (porte, corniches)1190. Les seuls blocs retrouvés sont en granite gris à grains relativement fins que l’érudit qualifie pourtant de grossiers. La plupart sont conservés dans une propriété privée du lieu-dit « Aubignac ». Dix claveaux de nervures d’ogives servent désormais de petite clôture à un parterre de fleurs [Fig. 103]. Les nervures sont relativement simples et se composent d’un tore unique de 13cm de diamètre. La hauteur moyenne est de 25cm. Les modules sont en général d’une longueur de 28cm excepté un élément de 54cm de long. Le socle est de 10cm d’épaisseur. Émile de BEAUFORT faisait état d’une nef unique voûtée d’ogives. Ces éléments pourraient être une preuve tangible d’un tel voûtement. Par rapport aux claveaux de nervures d’ogives retrouvés à Bonlieu ou à Varennes, ceux d’Aubignac ne présentent pas de profil en amande. Ils s’apparentent beaucoup plus à un élément retrouvé à l’abbaye des Pierres disposant d’un simple tore de 12cm de diamètre sur un socle de 10cm d’épaisseur également. Les ogives devaient présenter un profil très similaire. L’aspect massif de ces élements, non amincis en amande, irait plutôt dans le sens d’une datation de la fin du XIIème siècle. Deux fragments de colonnettes en granite sont également conservés. Le matériau utilisé est là encore à grains très fins [Fig. 104]. Pourrait-il s’agir de colonnettes de cloître ? Nous ne savons rien des aménagements claustraux du modeste monastère. Il nous est dès lors très délicat de conclure sur ce point. Un autre élément pourrait correspondre à un piédroit de porte avec une mouluration torique de 10cm de diamètre soulignée d’un cavet de 9cm de large. Il est préservé sur 69cm de haut, 51cm de long et 23cm de large. Émile de BEAUFORT fait effectivement état d’une porte en façade occidentale de 2m de haut sur 1.50m de large. Pourrait-il s’agir d’un piédroit de ce percement ? Un autre fragment peut également se rattacher à un portail à ébrasements. Il est conservé sur 20cm de haut, 41cm de long et 42cm de large. En effet, un bloc présente trois bases de colonnettes au profil en tore, scotie et tore [Fig. 105]. Le tore inférieur est aplati mais ne présente pas de griffes. Les fragments de colonnettes de 15cm de diamètre observés précédemment pourraient correspondre à ce portail et se nicher dans les ébrasements. Nous 1190 É. DE BEAUFORT, « Abbaye d’Aubignac », MSAOMP, T XXVI, 1861, p. 314-321. - 333 - n’avons toutefois pas retrouvé de chapiteaux associés. Ce portail à ébrasements pourrait correspondre à celui de la façade occidentale. Un carreau de granite taillé mesure 47 par 39cm. Il pourrait s’agir du tailloir d’un chapiteau ou d’un élément de base. Un autre élément déposé dans cette propriété privée nous pose des problèmes d’interprétation. Il s’agit d’un bloc de granite de 70cm de haut par 38cm de large. Il pourrait correspondre au bas du drapé d’une statue [Fig. 106]. En effet, les plis des drapés sont encore bien visibles, assez précis malgré l’aspect fruste du granite. Toutefois, n’ayant pas la partie haute de la statue, il nous paraît délicat d’avancer des hypothèses sur cet élément. Les inventaires conservés n’évoquent pas cette statue. Le dernier vestige conservé est dans une propriété en contrebas, au bord de la route à l’arrière d’un jardinet au lieu-dit « Jappeloup ». Il s’agit d’une large vasque en calcaire qui pourrait être rattachée à l’ancien cloître de l’abbaye d’Aubignac [Fig. 107]. Les bords en sont légèrement évasés et soulignés de deux fins listels. Il est néanmoins difficile de proposer une datation pour cet élément totalement extrait de tout contexte. Toutefois, un petit fragment de grès appartenant à la vasque du monastère de Coyroux daté de la fin du XIIème siècle présente à peu près la même modénature avec une double moulure horizontale 1191. Celle d’Aubignac pourrait donc relever de la même époque. Ainsi, ces quelques éléments lapidaires sont précieux pour notre étude et permettent de préciser quelque peu les modes de voûtement, les supports et certains percements (portail à ébrasements). Toutefois, la physionomie des bâtiments médiévaux sont encore très largement méconnus et seules des fouilles archéologiques pourraient permettre de mieux cerner le plan au sol et peut-être de retrouver d’autres vestiges lapidaires. - Aménagements hydrauliques : Nous n’avons pu retrouver beaucoup de vestiges des granges et aménagements hydrauliques d’Aubignac. Les granges sont désormais des maisons d’habitation ne conservant aucun témoin des anciennes installations médiévales. La plupart des moulins cités dans les actes n’ont pas laissé de traces dans la toponymie. La digue visible sur le plan cadastral du XIXème siècle au lieu-dit « La Jarauderie » à un kilomètre au nord du monastère a été détruite. Un pont traverse le ruisseau du Chassepin à cet endroit. Une retenue d’eau est toujours aménagée mais les canalisations et aménagements en sont modernes. 1191 B. BARRIÈRE, op.cit, p. 70. - 334 - Le « Moulin du Bois » appartenant à la grange de la Réjade à la lisière de la forêt de Saint-Germain est encore présente dans la toponymie actuelle. Il est placé à l’extrémité d’un petit étang. Les bâtiments actuels sont modernes. Le mécanisme du moulin occupait la moitié gauche de la demeure. Il n’en reste rien aujourd’hui, les propriétaires ayant détruit les mécanismes et la roue en bois au début du siècle. Toutefois, étant donnée la proximité du château de Saint-Germain, nous ne sommes pas persuadés que ce moulin appartiennent effectivement aux moines cisterciens d’Aubignac. Les actes ne permettent guère d’être plus précis. - 335 - BOEUIL - 336 - 2. Boeuil (commune de Veyrac, Haute-Vienne) : L’abbaye de Boeuil est située sur la commune de Veyrac, entre Limoges et SaintJunien. Elle est signalée sur la carte de Cassini sous cette graphie. Elle apparaît avec le symbole habituel du prieuré, à savoir une petite église surmontée d’une crosse. Sur la carte IGN au 1/25000ème, elle est indiquée par le toponyme « L’Abbaye » [Fig. 108 et 109]1192. Sources manuscrites et figurées : Les Archives Départementales de la Haute-Vienne disposent de fonds sur l’abbaye de Boeuil conservés dans la série 13 H (cotes 1 à 39). Un bref aperçu – non exhaustif – peut être livré dès à présent, regroupant les actes les plus intéressants pour notre propre étude. En effet, ces sources ont déjà fait l’objet d’une analyse complète par Irène AUBRÉE et il n’y a pas ici nécessité de nous adonner au même inventaire1193. - 13 H 1 : bulle d’Eugène III prenant l’abbaye sous sa protection apostolique et lui confirmant ses possessions et ses droits (1151). Bulle de Clément V confirmant les privilèges et immunités concédés par ses prédécesseurs (1307). Vidimus par l’official de Périgueux de la précédente bulle. - 13 H 2 : quittance délivrée à l’abbé de Boeuil par l’abbé de Bonnevaux pour 60 sous, partie de sa contribution au chapitre général (1453). Ordonnance de visite de Mathieu de Mesgrigny, abbé de Pontigny (1648) - 13H 9 : cartulaires (titres de procédures de 1619 à 1692). - 13 H 10 : titres de 1669 à 1692. - 13 H 11 : cahier des investitures dans les fonds de l’abbaye. - 13 H 12 à 27 : titres et procédures concernant l’abbaye, classés par paroisses (Aixe-surVienne, Chabanais, Confolens, Compreignac, Javerdat, Limoges, Oradour, Peyrillac, Saint-Junien, Saint-Martin-Le-Vieux, Saint-Victurnien, Saint-Yrieixsous-Aixe, Sainte-Marie-de-Vaux, Séreilhac, Tarn, Verneuil-sur-Vienne et Veyrac). - 13 H 28 à 31 : Titres et procédures concernant les « prieurés » : Courdieu, Fay, Mars, Vieillefond. 1192 IGN Série Bleue 1/25000ème, Saint-Junien, 1931 E. I. AUBRÉE, Patrimoine, gestion et vie sociale de l’abbaye cistercienne de Boeuil du XIIème siècle au début du XVIème siècle, maîtrise d’histoire médiévale sous la direction de Bernadette BARRIÈRE, Limoges, 1995. 1193 - 337 - - 13 H 32-33 : Titres et procédures non localisés. - 13 H 34 à 38 : Lièves des cens, rentes, fermes et devoirs (1677-1789). - 13 H 39 : documents relatifs aux biens et revenus de l’abbaye à l’époque révolutionnaire (1790-1792). 1790 : attestations délivrées par Heyraud, curé de Veyrac. Bien reçu deux antiphonaires, deux graduels, deux processionnaux. Reconnaissance de jouir d’un « canton » de dîme délaissée à ses prédécesseurs pour la somme de 450 livres. 1790 : état des rentes dues à l’abbaye rédigé par le prieur à l’attention du directoire. 1792 : extrait des registres de la municipalité de Veyrac : procès-verbal d’inventaire des archives de l’abbaye et récolement des objets de la sacristie, certains étant confiés au curé de Veyrac. 1790 : billets émanant des municipalités de Veyrac, Verneuil, Saint-Yrieix, Peyzilhac, Saint-Victurnien, priant le prieur de Boeuil de donner de l’argent à diverses personnes nécessiteuses. Un terrier rédigé dans les années 1474-1476 demeure très précieux pour l’étude du monastère. Il est rédigé par Jean Forgaud. Il se compose de 257 notices classées par paroisses et par « prieurés »1194. D’après l’état des fonds de Veyrac de 1743, nous savons que les bâtiments étaient composés d’une «église, cloître, maison du presbitayre, cour, écurie et jardin à légume ». Un inventaire des objets mobiliers de l’église nous permet de connaître un peu mieux certains biens monastiques à la fin du XVIIIème siècle. Après inventaire, les officiers municipaux confient certains objets de l’église de Boeuil au curé de Veyrac qui livre cette quittance rédigée le 7 janvier 17911195 : « (…) Le soussigné déclare avoir reçu de messieurs les officiers municipaux de la commune de Veyrac les objets ci-dessous énoncés provenant des effets de l’église de Boeuil énumérés dans le présent procès-verbal, mais reconnu et vérifié en l’état tel que s’ensuit, savoir dix-neuf 1194 1195 AD Haute-Vienne, 13 H 8. AD Haute-Vienne, 1 Q 440. - 338 - purificatoires, lavabos et manuterges, six corporaux, dont la plupart n’ont pas été lavés, deux amicts et un cordon de même, le tout à demi usé ; plus un calice dont la seule coupe et la patène sont d’argent doré en dedans, l’argent paroissant à bas titre, ladite coupe soutenue par un pied de cuivre ou de bronze en son entier et blanchi en forme d’argent ; plus un ostensoir ou soleil aussi de la même matière dudit pied du calice et blanchi de même en son total, dont le port-Dieu en forme de croissant paroit être de vermeil fermé entre deux verres ronds dont un est détaché au défaut d’un crochet ou goupille à ce nécessaire, ledit soleil avec une boîte de bois doublée d’étoffe verte ; plus deux bras en cuivre contenant des reliques avec un petit grillage de même matière, à chacun dont les goupilles ou crochets manquent ; plus un petit ciboire d’argent très faiblement doré en dedans, plus une boîte d’argent pour les saintes huiles (…). » Outre ces sources manuscrites, des sources figurées peuvent être également exploitées pour mieux connaître l’abbaye de Boeuil. Un dessin aquarellé de Paul Peyrusson datant des années 1830 est conservé à la mairie de Veyrac [Fig. 112]. Il a été réalisé d’après certains souvenirs et descriptions orales, c’est pourquoi nous devons manier ce document avec la plus grande précaution. À l’arrière plan, une végétation abondante est représentée signifiant l’implantation du monastère à côté d’un bois de feuillus. L’abbatiale est le bâtiment le plus élevé. Elle est couverte de tuiles creuses. Un clocher la surmonte, visiblement couvert d’ardoises. Il semble être de plan octogonal. Il est placé à la croisée du transept. Le bras sud du transept est représenté avec un pignon percé de cinq trous de boulin et une petite fenêtre à meneaux. Sous la corniche de la nef sont également alignés neuf trous de boulins. Contre le mur sud de la nef est accolé un bâtiment également repérable sur le plan cadastral de 1808 [Fig. 110 et 111]. Il s’agit peut-être du logis abbatial. Il se compose d’un corps de logis encadré de deux tourelles rondes percées de larges fenêtres à meneaux. Il pourrait s’agir d’une construction postérieure du XVème siècle. Devant ce bâtiment est représentée une petite cour entourée d’un muret. Un ensemble de structures à l’ouest reste délicat à interpréter. Ils pourraient correspondre aux bâtiments des convers, à des granges, greniers, entrepôts. Deux - 339 - petites tourelles se distinguent. L’édifice le plus à l’ouest, percé d’une vaste porte charretière pourrait être identifié comme une porterie. Ce dessin, issu de la mémoire collective, est un outil précieux mais en tous cas délicat à utiliser. Historiographie : Quelques érudits locaux se sont penchés sur l’histoire de l’abbaye de Boeuil. Dès 1865, l’abbé ARBELLOT consacre un court article sur les moines de Boeuil. Cette étude regroupe quelques textes et actes épars permettant de préciser certains épisodes de l’histoire du site1196. Il faut attendre A. LECLER pour découvrir la première étude véritablement détaillée de l’ensemble du canton de Nieul. Il rappelle brièvement l’historique du monastère cistercien déjà entièrement détruit en cette fin de XIXème siècle1197. C’est une analyse succincte qui a néanmoins le mérite de faire un point sur la fondation du site et son devenir jusqu’au XIXème siècle. En 1990, une habitante de Veyrac livre une petite étude sur son village intégrant des éléments concernant Boeuil. Elle se livre en particulier à un recensement des éléments lapidaires appartenant à l’abbaye et étant désormais disséminés entre plusieurs villages : La Grange de Boeuil, Les Quatre-Vents et Bellegarde de Langouge. Elle décrit également le bâtiment d’habitation des moines (sans doute convers) à la Grange de Boeuil1198. En 1995, Irène AUBRÉE présente une maîtrise sur le patrimoine de l’abbaye de Boeuil. Cette étude est essentielle puisque l’auteur dépouille l’ensemble des fonds d’archives disponibles aux Archives Départementales de la Haute-Vienne (série 13H)1199. Elle revient sur l’historique du site, la fondation de l’abbaye, la constitution de son patrimoine, la géographie de ses possessions, la maîtrise du réseau hydrographique. Elle énumère aussi bien les granges que les possessions urbaines des moines cisterciens et identifie la nature et les donateurs de chacun de ces biens. Elle repère également systématiquement les remplois médiévaux dans les bâtiments de ferme aux alentours de l’ancien site médiéval, derniers témoins des anciennes installations monastiques. Toutefois, l’étude des moulins et autres installations hydrauliques et pré industrielles peut être approfondie. 1196 Abbé J. ARBELLOT, « Abbaye de Boeuil », Semaine Religieuse de Limoges, T 3, 1865, p. 542-543. A. LECLER, « Monographie du canton de Nieul », BSAHL, 1894, T 42, p. 106-137. 1198 G. COUTY, Veyrac : passé, coutumes, Limoges, 1990, p. 3-13. 1199 I. AUBRÉE, Patrimoine, gestion et vie sociale de l’abbaye cistercienne de Boeuil du XIIème siècle au début du XVIème siècle, maîtrise d’histoire médiévale sous la direction de Bernadette BARRIÈRE, Limoges, 1995. 1197 - 340 - En 1996, les résultats de cette étude sont repris par Irène AUBRÉE et Bernadette BARRIÈRE dans un court article publié dans la revue Archives en Limousin1200. Il consiste en un état des lieux des documentations archivistiques disponibles : si les fonds concernant le XIIème siècle sont très incomplets, des documents majeurs du XVème siècle permettent une bonne connaissance des biens fonciers du monastère et notamment de la grange de Fay en Poitou. Le terrier de 1474-1476 est également évoqué ainsi que les plans cadastraux de la seconde moitié du XIXème siècle très précieux pour l’identification de certains lieux cités dans les actes, la restitution de bâtiments disparus et l’interprétation de certains vestiges d’aménagements hydrauliques (viviers, étangs, moulins). En 1998, l’ouvrage dirigé par Bernadette BARRIÈRE sur les moines cisterciens en Limousin évoque l’abbaye de Boeuil. Quatre pages lui sont consacrées et font le point sur les connaissances historiques du site1201. L’auteur évoque les seuls aménagements hydrauliques conservés : un chemin-digue en moellons de pierres, la digue rompue d’un petit étang, les viviers alimentés par des sources captées. Elle fait également référence à une grande tranchée argilière conservée liée à une tuilerie. C’est un état des lieux certes rapide mais nécessaire. Il mérite toutefois d’être amplement approfondi. Des investigations archéologiques seraient nécessaires pour mieux connaître l’organisation du site médiéval. Historique : L’abbaye de Boeuil est le seul monastère cistercien du Haut-Limousin. En effet, les environs de Limoges bénéficient déjà de la présence de nombreuses fondations de type érémitique ou canoniale telles Grandmont, Aureil et l’Artige, d’où la difficulté peut-être des moines blancs à s’insérer sur ces terres bien occupées. Il s’agit au départ d’un ermitage de Géraud de Sales érigé en abbaye en 1123 à l’initiative de Ramnulphe de Nieul, doyen du chapitre du Dorat. Il deviendra par la suite évêque schismatique de Limoges, nommé par Gérard, évêque d’Angoulême, légat de l’antipape Anaclet. Il sera inhumé à Boeuil 1202. Un groupe d’ermites était peut-être présent sur le site dès 1117 1203. Le site choisi est au milieu des bois, sur des terres marécageuses à proximité du ruisseau du Glanet. Il ne s’agit pas toutefois réellement d’un désert inculte propre aux installations érémitiques puisque la voie de 1200 I. AUBRÉE, B. BARRIÈRE, « L’abbaye cistercienne de Boeuil au Moyen-Âge : le patrimoine et sa gestion, les relations avec l’environnement », Archives en Limousin, n°8, 1996, p. 9-10. 1201 B. BARRIÈRE (dir.), Moines en Limousin, l’aventure cistercienne, PULIM, Limoges, 1998, p. 144-147. 1202 « Perlatus est in coenobium quod vocatur Bulos, ubi ipse quondam bona contulerat, quod est non longe de castello de Nioil ». Abbé J. ARBELLOT, « Abbaye de Boeuil …», op. cit, p. 542-543. 1203 A. LECLER, « Monographie du canton de Nieul… », op. cit. - 341 - communication de Limoges à Saint-Junien n’est guère éloignée, à moins d’un kilomètre de l’abbaye. Dès 1123, saint Bernard aurait voulu agréger le site à Cîteaux, mais Roger, abbé de Dalon, l’en dissuade et se charge de constituer le monastère. Pour convaincre Bernard de Clairvaux, il se compare au berger de la parabole de Nathan, n’ayant qu’une brebis tandis que saint Bernard est riche de cent et veut enlever la brebis au pauvre. C’est toutefois l’appréciation que nous livre Bernard GUI1204. Le seigneur de Nieul fait la donation de « Bulio » à Dalon. Irène AUBRÉE signale que dans cet acte, le mot « coenobium » est employé : l’organisation des ermites géraldiens est donc considérée comme cénobitique dès le départ1205. Sont également bienfaiteurs du monastère Hélie de Nieul, Aymeric de Montcocu (paroisse d’Ambazac) et Aymeric d’Aixe. Le quatre octobre 1135, l’abbaye est consacrée avant le décès de Ramnulphe de Nieul. L’église est placée sous le patronage de la sainte Vierge et de saint Mandet. Ce dernier est peut-être un solitaire connu dans le diocèse de Tréguier et qui mourut au VIIème siècle (18 novembre)1206. Les reliques de saint Mandet auraient été déposées à Boeuil. Dès 1151, le pape Eugène III prend l’abbaye sous sa protection. Il confirme toutes les possessions de l’abbaye à la demande de son abbé Bernard. Une bulle retrace le patrimoine acquis dans les diocèses de Poitiers, Périgueux et Saintes. En 1162, Boeuil est agrégée à Cîteaux dans la filiation de Pontigny de même que les autres filles de Dalon. Dès 1163, les proches ermites de la Malaize, considérés comme menant une vie dissolue par l’évêque de Limoges, sont dépossédés de leurs biens et de leurs terres qui échoient aux moines de Boeuil1207. En 1168, l’abbaye cistercienne peut essaimer à Ferrières (Saint-Léonard de Ferrières, diocèse de Saintes). Toutefois, l’absence de mention postérieure de cette fondation laisse présager son échec. Il pourrait également s’agir d’une confusion avec la création de Saint-Léonard-des-Chaumes dans le diocèse de la Rochelle (commune de Dompierre-sur-mer). Cette abbaye-fille aurait pu changer de nom lors de l’affiliation à Pontigny. Nous ne connaissons que peu les relations entre Boeuil et sa fille. Toutefois, nous savons que cette dernière bénéficie des libéralités de Richard-Cœur-de-Lion et Jean-SansTerre. 1204 C. ANDRAULT-SCHMITT, « Des abbatiales du « Désert »…, » op. cit, p. 91-173. « Domnus Rotgerius quiescit apud Dalonem, Cisterciensis ordinis abbatiam. Hic B. Bernardo qui suae Clarevalli abbatiam de Bullo volebat addere, et Daloni, cujus fuerat a principo, subtrahere, parabolam proposuit de illo qui habens centum oves pauperculo homini suam unicam abstulit ». 1205 I. AUBRÉÉ, op. cit, p. 34. 1206 A. LECLER, « Monographie du canton de Nieul… », op. cit. 1207 Le lieu-dit « La Malaise » est encore signalé aujourd’hui. Il s’agit d’un hameau sur la N 141 (commune Oradour-sur-Glane. IGN Série Bleue, 1/25000ème, Oradour-sur-Glane, 1930 E. - 342 - C’est l’une des rares abbayes du Limousin à poursuivre son expansion domaniale jusque dans les années 1320. La concentration des acquisitions s’étend des années 1200 à 1320 avec un pic entre 1250 et 1280, phénomène relativement tardif par rapport aux autres abbayes limousines (expansion plutôt dans la seconde moitié du XIIème siècle). À la fin du XIIIème siècle, la majeure partie de son patrimoine est constituée. Il s’étend plutôt vers l’ouest. Les moines disposent essentiellement de deux granges en Poitou, deux en Périgord et d’une saline en Aunis-Saintonge, à savoir la grange de Fay le long de la Clouère et de la Vienne (com. Bouresse, Vienne), la Courdieu près de la Gartempe (com. Antigny, Vienne), Vieillefond près des rivières de Vincou et Bazine (com. Berneuil, Haute-Vienne), Mars près de la Dronne (com. Quinsac, Dordogne) et de la Valouse [Fig. 120 et 121]1208. Les granges de Chambon, Laborde et Pellechevent disparaissent rapidement. Cette dernière est remplacée par la grange de Boeuil à un kilomètre à l’ouest de Boeuil. Cette exploitation donne naissance à un village qui reste dans la mouvance et la directivité des abbés de Boeuil jusqu’à la Révolution1209. En 1454, elle prend le nom de « Grange Rouge » [Fig. 131]. Les religieux y habitent jusque vers 1800. Le bâtiment d’habitation est encore conservé de nos jours et présente des murs en moellons de granite liés de mortier de terre, une porte charretière à deux battants, un grenier à foin1210. Le domaine de Piangaud apparaît dans les actes dès 1214. Il se constituait vraisemblablement d’un moulin et d’une maison. Un acte de 1297 concerne un bail à ferme de la maison, des rentes et appartenances de Piangaud1211. La majeure partie de la production est céréalière (blé, seigle, froment, avoine, orge et millet). La grange de Courdieu est quant à elle spécialisée dans l’élevage. Des châtaignes sont cultivées à la Grange de Boeuil, des noix dans les granges de la Vienne. La production du vin est permise notamment par Saint-Léonard-des-Chaumes. La proximité du port de la Rochelle facilite le commerce, en particulier avec l’Angleterre. Les moines disposent également de possessions urbaines : trente-cinq maisons dans de simples villages comme la Barre, une maison à Beaulieu (com Usson du Poitou, Vienne), à Cougoulhe (com Antigny, Vienne), à Tussac (com Leignes-sur-Fontaine, Vienne), vingtquatre maisons à Saint-Junien, Limoges et Saint-Victurnien. Ils possèdent également un solare (vaste emplacement à bâtir) dans le château de Limoges (1371) [Fig. 84]. 1208 Mars est un lieu-dit sur la commune de Saint-Pancrace. IGN Série Bleue, 1/25000ème, 1833 E. G. COUTY, Veyrac : passé, coutumes, Limoges, 1990, p. 3-7. 1210 G. COUTY, Veyrac…, op.cit, p. 12-13. 1211 AD Haute-Vienne, 13 H 30. 1209 - 343 - Quant au réseau hydraulique, nous connaissons d’après les actes conservés un étang (associé à un moulin à fer) et trois viviers à proximité de Boeuil dont deux sont encore visibles aujourd’hui, un moulin à la Valette (com Saint-Victurnien), le moulin de Pochonerie (grange de Fay), de Sapnac (Vieillefond), de la Coste (paroisse de Saint-Victurnien), le moulin des Bordes à Oradour-sur-Glane, deux moulins à la Courdieu, un à la grange de Mars, un moulin à drap à Saint-Quentin (com Oradour), un au Mas-du-Puy (com Oradour). L’étude toponymique d’après les cartes IGN et de Cassini de l’environnement de l’abbaye de Boeuil peut nous apprendre sur certaines industries monastiques aujourd’hui disparues en élévation [Fig. 36 et 63]. La carte de Cassini signale ainsi la « Grange de Boeuil », principale exploitation des moines cisterciens ayant donné naissance à un hameau. Concernant le toponyme « Grand Moulin » au nord de Veyrac, il est difficile de conclure si ce pouvait être une industrie liée aux moines blancs ou dépendant des gens de Veyrac. Au sudouest du site, le « moulin de Bellecheraux » est signalé. Il est lié à un petit étang dont la digue est encore en place. Il appartenait vraisemblablement à l’abbaye de Boeuil. Aux alentours de l’abbaye de Boeuil, la carte IGN révèle des toponymes tels « les granges », les « petites granges » qui pourraient correspondre à d’anciennes exploitations. Il est toutefois délicat de savoir si elles étaient médiévales ou plus tardives. La grange de Pellechevent a donné son nom à un hameau à un kilomètre à l’ouest de Boeuil. De nombreuses carrières sont également mentionnées au sud de l’abbaye (« les carrières », « carrière de Pagnac »). Ces gisements étaient-ils déjà connus des moines de Boeuil ? Nous pouvons recenser de nombreux lieu-dit liés à des aménagements hydrauliques : ainsi « l’étang » et « le moulin » à l’est de Veyrac, « le petit moulin » et le « grand moulin » entre Boeuil et Veyrac. Le site de la Valette est également signalé, là où les moines disposent d’un moulin. Nous ne pouvons toutefois pas attester de l’appartenance de chacun de ces moulins aux moines de Cîteaux1212. Une autre carte IGN permet de repérer le « Moulin du Puy Embard » au Mas du Puy, au nord de la grange de Boeuil. Il est placé sur la Glane. Il s’agissait d’un moulin drapier1213. Le patrimoine des moines de Boeuil peut ainsi être mieux appréhendé à travers les actes conservés mais aussi les cartes de Cassini et IGN qui gardent bien souvent des témoignages d’anciennes installations monastiques. L’histoire de l’abbaye de Boeuil au Bas Moyen-Âge et à l’époque Moderne est relativement peu connue. En 1378, Boeuil devient un lieu d’inhumation pour les riches 1212 1213 IGN Série Bleue, 1/25000ème, Saint-Junien, 1931 E. IGN Série Bleue, 1/25000ème, Oradour-Sur-Glane, 1930 E. - 344 - bienfaiteurs : Jeanne d’Archiac, première femme d’Aymeric de Rochechouart y est enterrée. En 1481, nous savons qu’un conflit éclate entre les religieux de Boeuil et le seigneur de SaintVicturnien. Il détruit la chaussée d’un nouvel étang construit par les moines car celui-ci noyait certaines de ses terres. La chaussée est donc reconstruite moins haute. L’étang disparu aujourd’hui peut être localisé au lieu-dit La Vergne1214. En 1742, des arpentements de la commune de Veyrac (n° 2809) signalent que l’abbaye se compose encore d’une église, d’un cloître, d’un presbytère et d’une cour, d’une écurie, d’un jardin à légumes, d’un chaume servant de pacage appelé « jardin de l’abbaye » confrontant à la cour de l’abbaye et aux héritages et dépendances. Tout près de là les moines avaient un petit étang, « le Maupas » et un autre dit de « Frère Hague »1215. L’abbaye sert de carrière au XIXème siècle, c’est pourquoi il ne demeure rien aujourd’hui des bâtiments médiévaux. En effet, dès le début du XIXème siècle, Boeuil est vendu à Marc Fougère, un entrepreneur, qui transporte à Limoges comme matériaux de construction tout ce qu’il peut arracher à l’abbaye. En 1821, Monsieur ALLOU, dans son ouvrage sur les Monuments de la Haute-Vienne, décrit ainsi l’abbaye : « Cet édifice a été démoli en grande partie, et l’on ne voit plus que quelques débris de l’église et du clocher »1216. En 1837, une partie du cloître subsiste encore, mais qui s’écroule à la fin du siècle. Vestiges archéologiques : - Abbaye : L’abbaye est située à 20 kilomètres à l’ouest de Limoges, au niveau d’un replat de la rive droite du Glanet, dans la partie ouest de la paroisse de Veyrac (commune de Veyrac, canton de Nieul, département de la Haute-Vienne). Elle est à 260m d’altitude. Nous accédons à l’ancien site de l’abbaye par la départementale 28 à l’ouest de Veyrac [Fig. 113]. Le chemin conduisant au site est signalé par une croix entre l’Ébourliat et Réjasseville. Le lieu-dit « L’abbaye » apparaît encore sur la carte IGN et demeure le seul témoin de l’emplacement monastique à l’est du chemin, à 200m environ de l’embranchement avec la D28 [Fig. 108 et 109]1217. Ce chemin correspond en fait au « chemin-digue » appelé « chemin des moines » 1214 AD Haute-Vienne, 13 H 4; B. BARRIÈRE, « Étangs et hydraulique en Limousin : le temps des créations » dans B. BARRIÈRE, Limousin médiéval, le temps des créations, PULIM, Limoges, 2006, p. 157-187. 1215 G. COUTY, Veyrac…, op.cit. 1216 p. 302. Cité dans Abbé J. ARBELLOT, « Abbaye de Boeuil », Semaine Religieuse de Limoges, T 3, 1865, p. 542-543. 1217 IGN Série Bleue, 1/25000e, 1931 E, Saint-Junien, - 345 - apparaissant sur le plan cadastral de 18081218. Les murs de rive laissent encore apparaître des moellons de granite assemblés en pierres sèches. Il constitue le chemin d’accès à l’abbaye et permet le passage à sec de cette vallée humide [Fig. 122 et 123]. La carte de Cassini signale également l’abbaye de Boeuil sous cette orthographe. Toutefois, les sigles O.S.B. (ordre de Saint Benoît) ou O.C (ordre cistercien) ne sont pas précisés. Le cadastre permet de deviner l’organisation des bâtiments monastiques autour d’un cloître carré de 12.5m de côté environ (parcelle 460) [Fig. 110 et 111]. Le côté nord est occupé par la nef de l’église dont le chœur est orienté. Le chevet paraît être constitué d’une abside pentagonale. L’église abbatiale n’a pas de transept. Elle mesure 42.5m de long sur 11.5m de large (parcelle 461). Le bâtiment de l’aile sud correspond à la parcelle 459, la cour à l’arrière à la n°462. Trois petits bâtiments sont disposés au niveau du chemin d’accès (459bis). Leur destination est inconnue : porterie ? Hôtellerie ? - Éléments lapidaires et remplois : Des éléments lapidaires épars ont pu être identifiés. Au lieu-dit « les Quatre Vents » sur la N 141, un chapiteau à feuilles lisses est déposé à côté de la porte d’entrée d’une maison. Il est taillé dans un granite à gros grains et à fortes inclusions. Il mesure 58 cm de haut, 42cm pour la seule corbeille. L’astragale est épais de 6cm. Le tailloir carré mesure 44cm de côté [Fig. 119]. De l’autre côté de la N 141, une maison conserve un chapiteau lisse de 33cm de haut en granite fin ainsi qu’un autre fragment difficile à interpréter [Fig. 118]. Un chapiteau à corbeille nu identique est déposé à l’intérieur de l’église de Veyrac. Il est toutefois délicat de savoir s’il appartenait bel et bien à l’abbaye cistercienne ou à la nef primitive de l’église paroissiale tardivement voûtée d’ogives. À la « Grange de Boeuil » au sud-ouest de l’abbaye sur la D 9, de nombreux éléments lapidaires sont conservés et remployés dans des propriétés privées. À l’entrée du village, un chapiteau lisse sert de support à une croix de chemin [Fig. 115]. Il est en granite gris avec de grosses inclusions de quartz. Il mesure 38 cm de haut. L’épannelage ressemble fortement à celui conservé aux Quatre-Vents. Le tailloir est de 35 par 26cm pour 6cm d’épaisseur (celui des Quatre-Vents mesurait par ailleurs 9cm d’épaisseur). Par comparaison avec les chapiteaux lisses similaires des abbayes de Prébenoît et Obazine, une datation de la fin du XIIème siècle au premier tiers du XIIIème siècle peut être envisagée. 1218 AD Haute-Vienne, 3P 212 n°1, section D dite de Saint-Quentin, subdivision 3ème, échelle 1/2500. - 346 - Au n°25 de la route de la Grange de Boeuil, des éléments de baies et de portes moulurés sont remployés dans la façade. La maison située juste en face remploie également des éléments de granite. Une maison de la « cour de la grange de Boeuil » a été baptisée « Maison des religieuses » et pourrait correspondre à la demeure des convers de la grange de Boeuil. De beaux blocs de granite sont mis en oeuvre en parement [Fig. 132]. Nous avons également pu inventorier un fût de colonne de 34cm de diamètre et de 66cm de haut [Fig. 114], une cuve interprétée comme un sarcophage par Germaine COUTY, ce dont nous doutons tout de même face aux dimensions très réduites (137cm par 64cm) [Fig. 117]. Un bénitier est déposé dans un jardin (74cm de circonférence extérieure, 56cm à l’intérieur). Le granite est fin avec peu d’inclusions [Fig. 116]. Une pierre tombale est remployée en linteau au-dessus de la porte d’entrée d’une habitation. Deux petits chapiteaux jumelés, probablement associés à des colonnettes de cloître, ont été transportés de la Grange de Boeuil à Bellegarde de Landouge sur la N 141 peu après Limoges1219. Il est toutefois difficile de replacer ces éléments extraits de leur contexte dans l’édifice. Ces chapiteaux peuvent aussi bien correspondre à des colonnes de cloître qu’à une nef ou un chevet. Nous ne savons en effet presque rien de l’élévation de l’édifice et ces quelques éléments lapidaires épars ne nous éclairent que peu. Ils permettent simplement d’attester du dépouillement certain de l’édifice qui adopte chapiteaux lisses et feuillagés. - Aménagements hydrauliques : La carte IGN signale un étang à l’est de l’abbaye encore conservé aujourd’hui. Il apparaît également sur le plan cadastral de 1808 avec sa digue [Fig. 110 et 111]. Un second étang est repérable au sud de la D28 au niveau de l’Ébourliat. Ce dernier dispose d’une chaussée signalée sur le cadastre de 1808. D’après le propriétaire ayant assisté à la destruction d’une partie de la longue digue pour installer son habitation, elle se constitue de parements de blocs de granite et est emplie de terre [Fig. 126 et 127]. L’étang de Pellechevant à l’ouest de l’abbaye n’est plus en eau [Fig. 130]. Il est présenté sur ce même cadastre et alimenté par le Glanet. Toutefois, la chaussée en est encore conservée. Elle se constitue de parements de blocs de pierres sèches. Trois conduits d’évacuation de l’eau sont percés dans cette digue : au sud, il se présente comme un déversoir dallé. Le second conduit directement à la roue d’un moulin, aujourd’hui maison d’habitation avant de rejoindre l’évacuation d’eau précédente [Fig. 129 et 130]. Ces deux cours d’eau sont 1219 G. COUTY, Veyrac…, op.cit, p. 12-13. - 347 - signalés sur le cadastre de 1808. Un troisième est situé à l’extrémité nord de la digue. Il n’est plus en eau aujourd’hui et n’est pas signalé sur le cadastre. Un vivier en « L » au nord ouest de l’abbaye, indiqué sur le cadastre de 1808 est encore visible de nos jours (parcelle 539) [Fig. 125]. Il n’est toutefois plus en eau. La bonde de bois est conservée. Deux autres viviers sont signalés par le cadastre sur les parcelles 464 et 463 à l’est du site. Il ne reste rien aujourd’hui des bâtiments monastiques et ces aménagements hydrauliques sont le seul souvenir de cette implantation cistercienne [Fig. 124]. Au lieu-dit le « grand Moulin » au sud-est de l’abbaye sur la D 9, aucun vestige de moulin n’est conservé. Un barrage est encore placé en cet endroit sur le Glanet et des réseaux de canalisations conduisent l’eau à l’actuelle habitation, pérennisant peut-être d’anciennes installations médiévales. Le toponyme le « petit Moulin » légèrement en contrebas est plus récent et ne correspond à aucun aménagement hydraulique. De même, aucun vestige ne demeure au « moulin de la Barre » à l’ouest de l’abbaye entre la Barre et Chaumeix, excepté une exploitation agricole moderne. Quant au moulin des Bordes à l’est d’Oradour-Sur-Glane sur la D 101, les mécanismes et la roue du moulin sont encore en activité. Il est placé sur le « ruisseau de l’étang », dérivé du Glanet. Le bâtiment est moderne et sert aujourd’hui d’habitation. - 348 - BONLIEU - 349 - 3. Bonlieu (commune de Peyrat-La-Nonière, Creuse) : Nous accédons à l’abbaye de Bonlieu par la route départementale D 4 depuis le bourg de Peyrat-La-Nonière. La route s’enfonce peu à peu dans un vallon boisé. Le monastère entouré de son enceinte de moellons de granite et de schiste est niché dans une clairière verdoyante où coule la Tardes. Elle est signalée sur la carte de Cassini par le symbole du clocher et de la crosse ainsi que par les initiales réservées aux abbayes d’hommes : AB H. O. B (abbaye d’hommes d’observance bénédictine). La carte IGN matérialise également le monastère et précise l’existence d’une ancienne abbaye, d’un moulin, d’un château (logis abbatial) et d’une chapelle1220. Le panneau de signalisation au niveau de l’embranchement entre la D 4 et le chemin d’accès indique « Le Couvent » [Fig. 133 et 134]. L’abbaye est protégée au titre des Monuments Historiques depuis le 12 décembre 1963 (façades et toitures de l’ensemble des bâtiments). Sources manuscrites et figurées : L’abbaye de Bonlieu est l’un des monastères de Haute-Marche qui conserve le plus d’archives médiévales et modernes. Le fonds des Archives Départementales de la Creuse est en effet relativement important. Le cartulaire nous est parvenu grâce à une copie de l’époque moderne du moine dom Claude Joseph COL et permet une bonne connaissance du patrimoine du monastère et de la constitution de son domaine1221. Malgré cette richesse documentaire, rares sont toutefois les mentions architecturales. La mise en œuvre, l’organisation du chantier médiéval n’apparaissent guère dans les textes. Une mention du cartulaire peut toutefois être relevée. En 1140, Amélius, seigneur de Chambon, donne le bois d’Estrader (aujourd’hui bois de la Bonnette). Les moines ont le droit de prendre le bois nécessaire pour le chauffage mais aussi pour la construction1222. Le chantier médiéval est donc évoqué, même de manière très indirecte. Certains actes sont effectués à l’abbaye même et précisent le lieu de la donation. Ils peuvent ainsi aider à dater les bâtiments monastiques. Comme nous avons déjà eu l’occasion d’en faire état, la Porte de Bonlieu est citée en 1198, l’hôpital en 1207, la cuisine en 1209, le chapitre en 1220, l’infirmerie en 1221 et le parloir en 1231. 1220 IGN Série Bleue 2329 O, Gouzon, 1/25000ème. AD Creuse, H 284, copie d’Auguste Bosvieux. Voir également les cotes H 137, H 284 à 521, H 939. 1222 AD Creuse, H 284. 1221 - 350 - Les sources modernes permettent également une meilleure connaissance des bâtiments et de leur devenir au fil des siècles. En 1647, un état des lieux précise : « (…) les voûtes commençant à se gâter par la pluie qui y tombe faute de couverture, la plupart de laquelle église est escarlée »1223. Les dégâts sont évalués et on estime les réparations à mener. Le monastère a peutêtre subi les guerres de Religion comme ses sœurs marchoises, berrichonnes et limousines, mais surtout une absence d’entretien sans doute tangible dès le XIVème siècle. L’inventaire de 1790 ne concerne principalement que les objets mobiliers et révèle une relative opulence du monastère1224. Il est très précieux pour la connaissance du mobilier de l’abbatiale [PJ 3]. Toutefois, il paraît peu probable que ces éléments relèvent de l’époque médiévale. Il s’agit plus sûrement de mobilier de l’époque moderne. Nous disposons d’une description des moulins de l’abbaye, l’un au nord des bâtiments conventuels, le deuxième sur la Voueize (Moulin du Mazeau avec son canal de dérivation de 750m) datée de 17911225. Il est dit : « (…) deux moulins fariniers, deux mailleries dont l’une pour le chanvre et l’autre pour l’huile et un pressoir à huile, le tout enfermé dans les mêmes bâtiments avec la maison du meunier au-dessus des susdits moulins ». Ainsi, les moulins pouvaient revêtir plusieurs fonctions et produire de la farine, de l’huile ou broyer des tiges de chanvre1226. Outre ces sources manuscrites, nous disposons d’une gravure datée de 1847 qui permet une meilleure connaissance de l’état des bâtiments monastiques dans la première moitié du XIXème siècle [Fig. 149]. Elle est extraite de l’Album Historique et pittoresque de la Creuse de LANGLADE1227. À cette époque, les travées de la nef étaient encore en élévation. Le 1223 AD Creuse, H 513. AD Creuse, H 521. 1225 AD Creuse, Q 117. 1226 I. BALLET, Archéologie des paysages de la commune de Peyrat-La-Nonière (Creuse), maîtrise de géographie sous la direction de B. BARRIÈRE et M. BERNARD-ALLÉE, Limoges, 1994, p. 48. 1227 P. LANGLADE, Album Historique et pittoresque de la Creuse, Aubusson, 1847. 1224 - 351 - voûtement d’origine est remplacé par une charpente couverte de tuiles fines, probablement plates comme pour le reste des bâtiments conventuels. Le chevet n’est quant à lui ni voûté, ni charpenté. Ce document est ainsi précieux et nous apprend que la nef a dû s’écrouler après 1847. Nous disposons également d’une maquette de l’abbaye conservée dans la chapelle nord datant du XIXème siècle et qui peut donner une idée de ce que pouvaient être les bâtiments monastiques avant leur ruine [Fig. 138]. La tour de fortification est représentée et semble bien correspondre à la réalité architecturale. Toutefois, la tour de la croisée du transept semble hypertrophiée. Elle se compose de trois tambours octogonaux superposés de diamètres de plus en plus réduits, terminés par un clocheton qui semble en ardoise. Cette monumentalité ne correspond pas à l’ensemble des bâtiments monastiques qui, s’ils témoignent d’un grand soin, n’en sont pas moins relativement modestes. Nous savons par ailleurs que les clochers de pierres étaient prohibés dans les statuts de l’ordre cistercien, ce qui n’empêcha toutefois pas les moines d’Obazine d’édifier un clocher octogonal massif. Le plan cadastral actuel permet de visualiser l’implantation actuelle de l’abbaye et de son moulin. Il s’agit de la section AP 01 réalisée au 1/2000ème, réactualisée en octobre 2002 et conservée à la mairie de Peyrat-La-Nonière. La grange de la Porte est située sur les parcelles 1 et 2. Le moulin correspond aux parcelles 76 et 78, le bief alimentant la roue à la parcelle 13, l’abbaye les parcelles 16 (cour et bâtiments conventuels) et 17 (abbatiale) [Fig. 135 et 136]. Historiographie : Les travaux d’érudits sont multiples sur l’abbaye des Combrailles. J. B. L. ROY DE PIERREFITTE, dans son étude sur les monastères du Limousin et de la Marche, réserve vingt pages sur l’abbaye de Bonlieu. Toutefois, son analyse ne se base que sur des considérations historiques. L’architecture et les créations artistiques ne sont pas abordées1228. André LECLERC écrit à son propos qu’elle est « la plus belle, la plus vaste, la mieux conservée des abbayes réunies dans notre pays sous l’obéissance de saint Bernard ». Il est vrai que son état de conservation paraît exceptionnel comparé aux monastères creusois de Prébenoît ou du Palais-Notre-Dame. L’auteur évoque en particulier une coupole sur pendentifs au niveau de la croisée du transept. Cette mention est intéressante étant donné qu’il ne demeure du transept que le bras nord transformé en chapelle domestique en 1877. Il fait 1228 J. B. L. ROY DE PIERREFITTE, Études historiques sur les monastères du Limousin et de la Marche, Guéret, 1857-1863, p. 509-526. - 352 - également état du vestige de vitrail placé au niveau de la fenêtre centrale au-dessus de l’autel dans le chœur. C. BRISSAC a livré un court article sur ce précieux témoignage de l’art cistercien en 19771229. Claude PÉRATHON publie une notice sur le monastère en 1908. Son étude porte essentiellement sur l’historique du site, sa fondation, ses principaux donateurs. Il ne décrit que très peu l’église dont il donne les dimensions (65m de long) et précise brièvement le plan (croix latine), l’élévation et le voûtement (coupole sur pendentifs à la croisée) [Fig. 137]. Les bâtiments conventuels sont totalement ignorés de même que les installations hydrauliques1230. La description d’Henri DELANNOY trois ans plus tard n’est guère plus détaillée. Si son étude sur les possessions et les granges du monastère est plus poussée, il reprend point par point la description de Claude PÉRATHON concernant l’architecture. Il fait état de la longue nef, des trois absides à cinq pans du chevet, des cinq baies qui éclairent l’abside principale plus profonde1231. En 1991, André GUY livre une étude complète sur la grange d’Aubeterre (commune de Domérat, Allier) appartenant aux moines de Bonlieu. Son étude est donc très précieuse dans notre tentative de reconstituer l’architecture des bâtiments d’artisanat cisterciens1232. L’année suivante, il consacre un article à l’étude des actes du cartulaire de Bonlieu faisant état de pèlerinages ou de départ pour Jérusalem. Il met ainsi en lumière la participation des nobles limousins à la croisade contre les Albigeois en 1221. Ces départs motivent souvent d’importantes donations au monastère, en échange de quoi les seigneurs pensent bénéficier de la protection divine par l’intermédiaire des prières des moines1233. Des travaux universitaires ont tâché de combler les lacunes des documentations manuscrites et des travaux des érudits locaux qui laissaient dans l’ombre de nombreux aspects du développement économique du monastère. Ainsi, en 1992, Laurent BORDERIE rédige un mémoire sur le cartulaire de Bonlieu essentiel pour la connaissance du patrimoine foncier du monastère1234. 1229 C. BRISSAC, « Grisailles romanes des anciennes abbatiales d’Obazine et de Bonlieu », dans les Actes du 102ème Congrès National des Sociétés Savantes, Le Limousin, Études archéologiques, Limoges, 1977, Paris, 1979, p. 129-143. 1230 C. PERATHON, « L’abbaye de Bonlieu », MSSNAC, T 16, 1908, p. 13-24. 1231 H. DELANNOY, « Notice sur l’abbaye de Bonlieu », MSSNAC, T 18, 1911, p. 7-52. 1232 G. ANDRÉ, « Aubeterre, grange bourbonnaise de l’abbaye cistercienne de Bonlieu », Bulletin des Amis de Montluçon, 1991, n° 42, p. 3-31. 1233 A. GUY, « Voyages et croisades dans le cartulaire de Bonlieu », Bulletin des Amis de Montluçon, n° 43, 1992, p. 4-11. 1234 L. BORDERIE, Le cartulaire de Bonlieu, maîtrise d’histoire, université de Limoges, 1992, 520p. - 353 - En 1998, Michaël NOUGER étudie plus précisément l’environnement aristocratique des moines blancs et retrace avec minutie la constitution des granges. Aucun mot n’est dit de l’architecture et des créations artistiques. Seuls les aspects économiques et sociaux sont pris en compte1235. L’ouvrage sous la direction de Bernadette BARRIÈRE sur les implantations cisterciennes en Limousin accorde cinq pages au monastère marchois. L’historique est brièvement rappelé, de même que les sources manuscrites disponibles à l’étude. Un état des lieux succinct évoque les principaux vestiges du sanctuaire et des aménagements hydrauliques les plus proches de l’abbatiale. Cette étude, certes indispensable, nous semble insuffisante face à la qualité des vestiges conservés qui mériteraient une analyse de bâti complète et détaillée1236. Les études proprement d’histoire de l’art sont rares. En 1978, Bruno PHALIP soutient un mémoire de maîtrise sur les églises fortifiées de Creuse. Il livre une étude de bâti de l’abbaye de Bonlieu et particulièrement de la tour élevée sur les deux premières travées de la nef au XVème siècle. Il propose des datations d’après l’observation du portail occidental qui se révèlent très précieuses. Il est le premier à aborder des questions de parement, de systèmes d’appareillages et de mise en œuvre. Toutefois, sa problématique étant axée sur les étapes de fortification, cette analyse peut être complétée selon d’autres perspectives de recherches1237. Dans son article sur les abbayes du « désert », Claude ANDRAULT-SCHMITT livre une longue description de l’abbatiale de Bonlieu 1238. Elle confronte les textes médiévaux et les informations données par les travaux d’érudits pour une meilleure connaissance des ruines de l’abbaye marchoise. Toutefois, son analyse peut être complétée par d’autres observations des parements. Selon l’historienne de l’art, l’église et le cloître ont été achevés sous l’abbatiat de Jean de Comborn (1174-95). Toutefois, l’étude du portail occidental avec ces chapiteaux ourlés de feuilles lisses recourbées en crochets témoigne d’hésitations avec des formulations gothiques [Fig. 140]. Il nous semblerait plutôt relever du premier tiers du XIIIème siècle. Claude ANDRAULT-SCHMITT ne prend pas en compte les bâtiments conventuels, le dépôt lapidaire déposé dans la chapelle nord ou encore les aménagements hydrauliques pourtant 1235 M. NOUGER, Patrimoine et environnement aristocratique de l’abbaye cistercienne de Bonlieu en Creuse aux XIIème et XIIIème siècles, mémoire de maîtrise sous la direction de B. BARRIÈRE, université de Limoges, 1998. 1236 B. BARRIÈRE, op. cit, p. 148-152. 1237 B. PHALIP, L’église d’Ajain : problème de la construction et de la fortification de quelques églises creusoises entre la fin du XIIème siècle et la fin du XIVème siècle, maîtrise, 1978. 1238 C. ANDRAULT-SCHMITT, Des abbatiales du « désert » (…), op. cit, p.144-151. - 354 - bien conservés. L’histoire de l’art exclut trop souvent ces bâtiments à caractère artisanal qui sont pourtant des témoins essentiels d’un art de bâtir au même titre qu’un sanctuaire. Historique : L’abbaye de Bonlieu est à l’origine un ermitage, Mazerolles, fondé par Géraud de Sales peu avant 1120. De cette installation primitive, nous ne savons presque rien, les frères géraldiens s’accommodant généralement de structures en bois et torchis ne laissant aucun vestiges archéologiques. La mort de Géraud de Sales dès 1120 laisse Mazerolles et les autres créations de l’ermite (Boeuil, Le Palais, Prébenoît, Aubignac et Dalon) sans chef d’ordre, sans règle à laquelle adhérer. Ce manque de cohésion aurait pu conduire à leur dispersion. L’évêque de Limoges Eustorge conseille alors aux ermites de Mazerolles de se donner à Roger, abbé de Dalon1239. Les frères de Dalon avaient choisi dès la mort de leur fondateur une vie « à l’imitation des cisterciens ». Une formation monastique est assurée sur la liturgie et les usages cisterciens, peut-être débutée du vivant même de Géraud de Sales. Roger de Dalon et l’évêque de Limoges souhaitent donner un caractère cistercien aux établissements du diocèse qui sont peu à peu érigés en monastères. Certains ermitages se transforment ainsi en monastères « pré cisterciens » (Bonlieu dès 1121), tandis que d’autres observent plus longtemps les règlements géraldiens (Prébenoît jusqu’en 1140)1240. L’ermitage de Mazerolles n’est ainsi institutionnalisé que vingt ans après la mort de Géraud en 1141. Il prend dès lors le nom de Bonlieu 1241. L’affiliation à l’ordre cistercien n’intervient qu’en 1162 en même temps que Dalon et ses filles (filiation de Pontigny). Le passage de l’érémitisme au cénobitisme semble ainsi être un long processus qui nécessite une mise en conformité des solitaires avec les principes de la vie en communauté réclamant l’obéissance à une règle stricte et à un abbé, en l’occurrence Roger de Dalon1242. Le monastère s’est implanté sur le cours de la Tardes qui a été largement aménagé par les cisterciens. Quelques installations sont préservées, parfois très remaniées au fil des siècles et peuvent nous apprendre beaucoup sur l’hydraulique et l’artisanat des moines blancs. 1239 En 1120, un acte concerne la propre donation que firent d’eux-mêmes les religieux ainsi que du lieu de Mazerolles à l’abbaye de Dalon et son abbé Roger. AD Creuse, H 284. 1240 M. O. LENGLET, « Les fondations de Géraud de Sales et leur évolution », dans le Colloque International du CERCOM, Saint-Étienne, 1985, p. 1-15. 1241 L’acte se fait en présence de l’évêque Géraud du Cher peu de temps après le décès d’Eustorge (1137). Il est dit « benedixit cimiterium ibi, et locum, qui prius vocabatur Mazeyrolas, Bonum Locum nominavit (…) », AD Creuse, H 284. 1242 C. ANDRAULT-SCHMITT, « Des abbatiales du « désert ». Les églises des successeurs de Géraud de Sales dans les diocèses de Limoges, Poitiers et Saintes (1160-1220) », BSAOMP, 5ème série, T 8, 1994, p. 103. - 355 - Bonlieu est l’un des plus prospères des huit monastères pris en compte dans notre analyse. Malgré son dynamisme, il n’a toutefois pas essaimé. Il dispose de treize granges constituées dès le XIIIème siècle et qui conservent une trace dans la toponymie actuelle [Fig. 88]1243 : la grange de la Porte à l’ouest du monastère correspondant à la porterie, à l’accueil des pèlerins et des pauvres, la Chaudure, La Chassagne, Neyrolles (entre Chénerailles et Gouzon à l’ouest de Bonlieu), Les Barres au nord de l’abbaye, toutes les cinq situées très près du monastère. Grosmont et Villechenille sont implantées à l’est de Glénic non loin des granges et moulins d’Aubepierres (Chibert, Vaumoins)1244. Nous pouvons présager de conflits d’intérêt entre les deux monastères dont les territoires se touchent. La Villatte, Montmoreau et Modard sont plus avancées dans les Combrailles au nord de Bonlieu1245. Bougnat est en Berry, près de SaintMarien au nord de Boussac. Aubeterre et la Croze sont en Bourbonnais à quelques kilomètres de Montluçon1246. Ces granges ont des activités diversifiées mieux connues grâce à l’étude de Michaël NOUGER qui n’évoque toutefois pas les réalités architecturales de ces sites 1247. La Porte est l’intermédiaire entre le monde extérieur et le cloître. C’est également le lieu de gestion du patrimoine. Bougnat est une forge implantée dans un paysage à forte densité ferreuse. Les lieux-dits « la Forge » et « le Moulin » conservés dans la toponymie actuelle évoquent l’activité d’une forge hydraulique1248. La Croze et Aubeterre sont les réservoirs en vin de l’abbaye, bien connus des historiens puisqu’elles ont fait l’objet d’une étude de Guy ANDRÉ1249. Les autres exploitations pratiquent l’élevage et une activité céréalière évidente. L’étude des cartes IGN et de la carte de Cassini peut révéler la présence d’autres industries aujourd’hui disparues [Fig. 33 et 49]. Ainsi, un lieu-dit « la Tuilerie » apparaît à quelques kilomètres au nord-ouest du monastère à la lisière du bois de la Bonnette. Il pourrait s’agir d’une ancienne industrie monastique. À quelques kilomètres au nord, le long de la Tardes est placé le hameau des « Farges », peut-être témoin d’une ancienne forge hydraulique utilisant la force du courant de la Tardes. Les toponymes d’anciens moulins sont nombreux : « le Moulin de la Salle », le « Moulin de Luchat », le « moulin du Pradeau » et le « moulin de Lavaud » au nord du monastère sur la Tardes. Au sud de l’abbaye, la Tardes dispose du 1243 IGN Série Bleue, 2329 O, Gouzon, 1/25000ème. IGN Série Bleue, 2229 O, Guéret, 1/25000ème. 1245 IGN, carte des cantons de Boussac, Châtelus-Malvaleix, Jarnages, 1/50000ème. 1246 H. DELANNOY, « Notice sur l’abbaye de Bonlieu », MSSNAC, T 18, 1911, p. 7-52. 1247 M. NOUGER, Patrimoine et environnement aristocratique de l’abbaye cistercienne de Bonlieu en Creuse aux XIIème et XIIIème siècles, mémoire de maîtrise sous la direction de B. BARRIÈRE, université de Limoges, 1998. 1248 IGN Série Bleue, 2328 O, Boussac, 1/25000ème. 1249 G. ANDRÉ, « Aubeterre, grange bourbonnaise de l’abbaye cistercienne de Bonlieu », Bulletin des Amis de Montluçon, 1991, n° 42, p. 3-31. 1244 - 356 - « moulin de Roche » et du « moulin des Côtes ». Le moulin « du Mazeau » est situé à l’ouest sur la Voueize. Ces nombreux toponymes sont révélateurs de la forte présence des moines blancs sur ces terres et de leur volonté d’exploitation systématique des terroirs et des cours d’eau. Ce patrimoine est mis en place relativement rapidement. La Porte est citée dès 1118 dans les textes, alors que l’ermitage n’était pas encore érigé en monastère. En 1198, Guillaume de la Salle donne ses droits sur le domaine de Neyrolles aux moines de Bonlieu 1250. En 1207, les moines de Bonlieu obtiennent de la famille de Déols un droit de pacage pour le bétail de la grange de Bougnat. Hugues Mainfroy donne une pièce de terre inculte (heremus) entre la maison de Croze et des Chadenas1251. En 1220, un acte précise la donation du moulin et de l’aqueduc d’Aubeterre1252. Le patrimoine de l’abbaye est donc mis en place dès le XIIIème siècle grâce aux libéralités des seigneurs. Vestiges archéologiques : C’est la tour de fortification qui surprend au premier regard et impressionne par sa bonne conservation [Fig. 139]. Pour pénétrer dans l’enceinte du monastère, il faut obtenir l’accord des métayers qui veillent sur les ruines de l’abbatiale et les bâtiments conventuels désormais propriété privée [Fig. 158]. Nous entrons donc par une grande cour qui correspond à l’ancien cloître dont il ne reste pas pierre sur pierre. Les bâtiments conventuels forment un « L » [Fig. 159]. Ils ne seront pas pris en compte dans notre étude ne conservant pas de vestiges de l’époque médiévale. Étant habités, leur accès est de plus limité. Ils sont reconstruits à l’emplacement des bâtisses médiévales aux XVIIème et XVIIIème siècles. Nous pouvons toutefois présager qu’ils en suivent l’organisation générale. La nef de l’abbatiale devait être attenante à la galerie sud du cloître. Il n’en reste désormais que deux travées surmontées par la tour de fortification. Au sud des vestiges de l’abbatiale, en contrehaut, un petit jardin pourrait correspondre à l’ancien cimetière des moines. - Abbatiale : Le plan de l’abbatiale comprend une nef de six travées sans collatéraux, un transept peu développé et un chevet à une abside principale pentagonale et deux absidioles de même 1250 AD Creuse, H 284. AD Creuse, H 284. 1252 AD Creuse, H 234. 1251 - 357 - plan [Fig. 137]. L’abbatiale mesure 58m de long et non 65 comme certains érudits locaux ont pu le déduire, soit 40m de la façade occidentale jusqu’au transept1253. Chaque travée mesure 8m de large pour 7m de long. Notre description va procéder de l’ouest jusqu’au chevet ruiné pour plus de commodité. C’est le granite qui est utilisé pour la mise en œuvre des bâtiments monastiques. L’abbaye s’est en effet implantée sur un sol granitique et les moines ont naturellement opté pour le matériau directement présent sur le site1254. La façade occidentale présente deux niveaux de construction bien discernables. La moitié inférieure correspond à la façade originelle de la nef (premier tiers du XIIIème siècle) avant la tour de fortification élevée en 1421 [Fig. 142]. Elle se constitue d’un bel appareil moyen régulier en granite relativement fin, ne comportant que peu d’inclusions. Le carreau de base est de 60 par 32 cm de haut. La rupture franche entre les deux types d’appareillages utilisés (petit appareil irrégulier pour la tour du Bas-Moyen-Âge) laisse percevoir le pente de l’ancien couvrement médiéval. La façade occidentale devait en effet comporter un pignon dont le solin, encore visible dans le parement actuel, permet d’envisager une toiture à pentes fortes (45°) et probablement couvertes de tuiles plates (des remplois sont d’ailleurs visibles au niveau du chevet)1255. Deux contreforts plats à glacis sommital scandent la façade. Ils ont une profondeur de 47cm pour 1.45m de large. Ils sont ainsi relativement discrets contrairement à ceux beaucoup plus profonds de certaines églises templières ou hospitalières (Lamaids par exemple dans l’Allier où les contreforts ont près d’un mètre de saillie). Le portail occidental précédé de deux petits bénitiers en granite suggère quelques réflexions. De forme légèrement brisée, il ne présente pas de tympan et dispose d’une archivolte en sourcil à la modénature simple se prolongeant jusqu’aux contreforts par un cordon de pierre de 15cm de large [Fig. 141 et 142]. Trois tores sont nichés dans les ébrasements. Ils sont d’un diamètre identique aux colonnettes des piédroits qu’elles prolongent visuellement. Ils reposent sur de petits chapiteaux de 24cm de haut dont le tailloir est très peu prononcé. Ils présentent des feuilles se recourbant en crossettes. Les colonnes monolithes se terminent par des bases de 18cm de haut dont le tore inférieur est renflé et dispose de griffes aux angles. Les bases, les chapiteaux nettement séparés vont dans le sens d’une datation du premier tiers du XIIIème siècle. En effet, la disposition des chapiteaux en frise n’apparaît guère que dans le second tiers du XIIIème siècle (Lamaids). Pour Claude 1253 En comparaison, l’église de Fontfroide mesure 51m de long, celle de Noirlac 59m, 108m pour Pontigny, abbaye-mère de Bonlieu par l’entremise de Dalon. 1254 D. DUSSOT, Carte archéologique de la Gaule, Creuse (...), op. cit. 1255 B. PHALIP, Charpentiers et couvreurs (...), op.cit, p. 62. - 358 - ANDRAULT-SCHMITT, ce portail « apparaît intermédiaire entre une interprétation limousine romane et une interprétation limousine gothique ». Une seconde interprétation peut être proposée, légèrement différente de l’hypothèse d’une édification vers 1160-1180 qui paraît précoce1256. La présence de bases au tore inférieur aplati, de griffes et le décor des chapiteaux ne semblent pas correspondre à cette définition. De plus, la destruction massive du monastère en 1171 nous laisse présager une reconstruction plutôt dans les années 1180-1220 entamée par le chevet et le transept (ce qui paraîtrait plus cohérent avec la date de consécration de 1232). Au-dessus du portail, une baie légèrement brisée et très ébrasée est percée. Elle présente un linteau clavé de blocs de granite soigneusement taillés, aux grains très fins. La mise en œuvre de ce tiers inférieur relevant de l’époque médiévale est donc d’une très bonne qualité et montre le recours à des tailleurs de pierre, en plus des maçons [Fig. 143]. Cette mise en œuvre se confirme dans le tiers inférieur du mur gouttereau sud. Il est séparé de la tour de fortification par une corniche qui correspond à l’ancien couvrement. Le moyen appareil régulier est également utilisé (la majeure partie des carreaux sont de 64 par 34cm). L’assise supérieure présente une alternance de carreaux et de boutisses. Nous pouvons supposer qu’il ne s’agit pas de réelles boutisses s’enfonçant dans la maçonnerie mais plutôt de simples bouchons. Les joints de mortier sont très usés et presque inexistants tandis qu’ils sont encore apparents dans les parties inférieures. Trois contreforts délimitent les deux travées de la nef. Ils présentent un glacis sommital comme ceux de la façade occidentale. Là encore, ils témoignent d’une alternance de carreaux et de bouchons que nous n’avions pas constatée pour les contreforts de façade. Deux baies sont percées : celle de la première travée est plus haute et de 65cm de large [Fig. 146]. Elle dispose d’un linteau clavé. Celle de la seconde travée est plus petite, également de 65cm de large [Fig. 147]. Le linteau plein-cintre est monolithe, comme ceux observés aux baies des bas-côtés de l’abbaye de Prébenoît (premier tiers du XIIIème siècle). Une seconde baie est percée dans cette travée, désormais rebouchée. Elle est plus large (89cm). Elle dispose d’un linteau clavé. La présence de deux percements explique sans doute les dimensions relativement modestes de ces ouvertures. Nous ne trouvons pas de disposition équivalente au niveau du gouttereau nord puisque cette partie correspondait à l’aile des convers. Cette seconde travée est montre en son milieu une rupture verticale des assises qui pourrait correspondre à un arrêt dans le chantier de construction. Elle peut également s’apparenter à une reprise ultérieure où les bâtisseurs comblent la seconde baie de la travée. 1256 C. ANDRAULT-SCHMITT dans B. BARRIÈRE (dir.), Moines en Limousin (…), op.cit, p. 40. - 359 - Pour Claude ANDRAULT-SCHMITT, ce type de parement de bonne qualité a un aspect « austère et méridional » comme cela se rencontre notamment à Saint-Pierre de Marnans dans la Drôme ou dans les abbayes cisterciennes du Languedoc (Fontfroide) et de Provence1257. Cette mise en œuvre évoque aussi l’abbaye plus proche de Dalon, mère de Bonlieu. L’intérieur des deux travées est difficile à appréhender. Elles servent désormais de remise pour le bois et les outils agricoles. Elles sont voûtées en berceau brisé qui s’appuie sur une simple corniche de pierre [Fig. 148]. Un doubleau repose sur un puissant tailloir qui aboutit non par un chapiteau ou un culot mais par un simple chanfrein terminé en biseau. Les deux baies observées précédemment présentent un fort ébrasement interne. Les parties inférieures de l’ébrasement sont entièrement dépecées. Le parement est en moyen appareil régulier à joints fins. Des trous d’encastrement de poutres sont observables au-dessus des baies. Ils témoignent de la mise en place d’un plancher qui séparait la tour en deux étages distincts. À l’est, le mur qui vient clore la nef au XVème siècle est de moins bonne qualité. Il est en petit appareil irrégulier noyé dans un mortier où la chaux est importante. La baie rebouchée évoquée précédemment est comblée de ce même blocage de chaux grasse. Elle a donc vraisemblablement été modifiée au XVème siècle lors de la fortification de l’abbatiale. Une cheminée est également aménagée au niveau de cette paroi. Les parties inférieures des deux travées de la nef permettent donc une meilleure connaissance de la mise en œuvre médiévale bien que les remaniements du XVème siècle aient souvent bouleversé les élévations. La tour de fortification se caractérise donc par une mise en œuvre très différente [Fig. 145]. Elle relève du premier tiers du XVème siècle. Elle est édifiée en petit appareil irrégulier à litages marqués. Les moellons sont noyés dans une chaux relativement grasse. Les harpages sont toujours en moyen appareil régulier de granite. Les baies percées sont quadrangulaires. Les linteaux monolithes sont simplement parallélépipédiques. Les parements remploient fréquemment des éléments médiévaux. Ainsi, nous pouvons remarquer le remploi d’un linteau plein-cintre monolithe dans le second tiers de la façade, au sud de la baie ébrasée et qui pourrait correspondre à l’une des baies des gouttereaux évoquées précédemment. Nous trouvons fréquemment ce type de linteau dans les églises de Haute-Marche (Prébenoît, La Cellette). Les dimensions correspondent en effet au second percement de la deuxième travée de la nef. Au niveau du mur gouttereau sud, la baie inférieure ouest est surmontée d’une assise de blocs de granite placés en épis. Les piédroits sont de moyen appareil de granite. Les 1257 C. ANDRAULT-SCHMITT, op. cit, p. 144-155. - 360 - harpages de moyen appareil tendent à se prolonger jusqu’aux baies quadrangulaires. Le tailleur de pierre semble vouloir s’affirmer. Cette tour témoigne des changements dans les modes de construction. Au XVème siècle, la mise en œuvre est alors plus le fait de maçons que de tailleurs de pierre. Ce changement dans les qualifications et la mise en œuvre correspond-il à un amoindrissement des moyens financiers au XVème siècle ? Les abbayes cisterciennes de Haute-Marche entament en fait une période de déclin dès le XIVème siècle et le passage au faire-valoir indirect. Les donations ne sont plus aussi fréquentes et importantes qu’aux premiers temps des fondations. Les moyens accordés pour la construction ne sauraient être les mêmes qu’aux XIIème et XIIIème siècles. D’où ce recours à un petit appareil irrégulier qui remplace le moyen appareil aux pierres de taille de qualité. Ce changement peut également se justifier par une urgence certaine de la construction liée aux nécessités péremptoires d’une fortification [Fig. 150]. La façade est de la tour relève entièrement du XVème siècle. Elle vient fermer l’ancienne nef. Elle se constitue de ce même petit appareil irrégulier. Nous pouvons relever des remplois d’éléments médiévaux comme des claveaux dont le granite aux grains très fins est très reconnaissable. Le moyen appareil des harpages tend à se prolonger jusqu’au quart de la largeur. Deux épais contreforts la contrebutent. Ils sont de moyen appareil régulier (carreaux de 54 par 34cm en moyenne) et remploient probablement des éléments de l’élévation des anciens murs gouttereaux de la nef. Une simple porte quadrangulaire permet l’accès aux deux travées conservées. La tour est aussi flanquée au nord d’une tour d’escalier carrée datant également de la période de fortification. Ce massif est ouvert à l’est par une porte d’entrée de profil brisé à tympan nu. Les claveaux qui constituent l’arc sont simplement chanfreinés. Cette porte date vraisemblablement du XVème siècle [Fig. 144]. La tour est encore couverte de sa charpente moderne à enrayures. Elle dispose de poinçons, de pannes faîtières et de sous faîtage ainsi que de croix de Saint-André 1258. Elle est couverte de petites tuiles plates. Au nord de la façade occidentale est édifiée la maison abbatiale, antérieure au décès de Pierre II de Saint-Avit en 1438 [Fig. 157]. Son tombeau est conservé dans la chapelle de l’abbaye. La maison serait donc contemporaine de la phase de fortification de l’abbatiale. Les propriétaires n’en accordant pas l’accès et étant donné sa mise en œuvre tardive, nous ne l’avons pas inclus à l’étude. Les quatre autres travées de la nef ont donc été détruites et le plan au sol n’en est plus lisible actuellement. Du transept, ne demeure que le bras nord transformé en chapelle en 1877 1258 B. PHALIP, Charpentiers et couvreurs (…), op.cit, p. 62. - 361 - [Fig. 152]. Celle-ci est désormais terminée par une façade en pignon percée de deux baies au profil brisé surmontant une large porte. Un arc brisé en léger méplat est lancé au-dessus de ces percements. Il correspond au profil de l’arc doubleau qui ouvre à l’époque médiévale sur la croisée du transept. Le pignon est souligné d’une corniche avec de simples corbeaux et surmonté d’un petit clocheton et d’une croix. La chapelle dispose d’une abside pentagonale qui ouvre par une baie ébrasée. Les parements en moyen appareil régulier semblent avoir été très remaniés, les joints recimentés. Le berceau est soutenu par un doubleau à double rouleau, reçu par un tailloir à deux tores superposés comme nous avons pu en observer dans le dépôt lapidaire de l’abbaye de Prébenoît1259. Deux chapiteaux lisses sont placés sur les demicolonnes engagées sur dosserets qui reçoivent l’arc doubleau [Fig. 155]. Les bases qui leur sont associées disposent d’une scotie peu prononcée et un tore inférieur relativement aplati. Les chapiteaux sont surmontés de puissants tailloirs dont l’un est orné d’un motif de corde tressée. L’épannelage de la corbeille est souligné par une ligne brisée gravée. Il n’acceptent pas la figuration et révèle des tentations pour l’austérité et le dépouillement décoratif. Les corbeilles massives évoquent celles de la nef de l’abbaye d’Obazine datées de la seconde moitié du XIIème siècle [Fig. 489]. Elles permettraient d’attester une première étape de construction entamée par le chevet et le transept dans le dernier tiers du XIIème siècle. Pour Claude ANDRAULT-SCHMITT, ces chapiteaux révèlent un « savoir-faire moins abouti qu’à Obazine pour une construction sensiblement de la même époque ». Si les chapiteaux d’Obazine présentent des corbeilles plus évasées qui semblent plus délicates, moins trapues, à Bonlieu la présence de fines lignes gravées et de tailloirs décorés atteste toutefois un soin particulier porté à ces éléments1260. Nous pouvons constater le faible développement du transept qui ne permet pas d’alignement de chapelles. Il ne mesure même pas vingt mètres. Selon Claude ANDRAUTSCHMITT, ceci est dû à la fois à une conséquence topographique mais aussi à une « habitude romane limousine »1261. Cette étroitesse du transept se retrouve également dans certaines abbayes cisterciennes telles Fontdouce et la Grenetière en Poitou. D’après les écrits d’érudits précédemment cités, le transept dispose d’une tour de croisée placée sur une coupole sur pendentifs de neuf mètres de côté. Il ne demeure aucun vestige aujourd’hui exceptée cette maquette précédemment évoquée mais dont l’exactitude nous semble difficile à prouver. 1259 I. PIGNOT, L’abbaye cistercienne de Prébenoît en Creuse. Étude lapidaire et architecturale, mémoire de maîtrise sous la direction de B. PHALIP et A. COURTILLÉ, Clermont II, vol I, 2004, p. 152. 1260 C. ANDRAULT-SCHMITT, op.cit, p. 45. 1261 C. ANDRAULT-SCHMITT, op. cit, p. 45. - 362 - Le chevet de l’abbaye de Bonlieu est très ruiné [Fig. 151]. De l’abside axiale pentagonale demeurent trois côtés encore en élévation ainsi que des départs de voûtes [Fig. 153 et 154]. Le couvrement a presque entièrement disparu, de même que la seconde absidiole pentagonale au sud. Le chevet était probablement couvert de tuiles creuses. Certains remplois sont visibles sous les corniches1262. Les tuiles creuses sont toutefois remplacées par des tuiles plates à l’époque moderne, modification correspondant à une surélévation, à une nécessité de combles (tour de fortification). L’abside était précédée d’une travée droite bâtie en moyen appareil régulier. Ce parement de très bonne qualité présente une alternance de carreaux (58 par 37cm environ) et de chandelles (7 par 37cm). Un enfeu au profil brisé est percé avant l’entrée dans le chœur. Il pourrait également s’agir d’un armarium où les moines rangeaient les livres nécessaires aux offices. Il est de 1.12m de large pour 1.48m de hauteur et 0.68m de profondeur. Les parois internes montrent encore des traces d’un enduit peint blanc et ocre, peut-être un ancien appareil à faux-joints. Un cordon simple et épais sans moulure divise le parement aux deux tiers de la hauteur. Il marque le départ du berceau brisé qui voûte la travée droite. L’infime partie conservée de la voûte clavée présente une chaux de bonne qualité. L’abside proprement dite est légèrement plus étroite que la travée droite (36cm) et présente encore un blocage de moellons de granite noyés de mortier de chaux en partie visible. Claude ANDRAULT-SCHMITT s’interroge sur la possibilité d’un voûtement d’ogive1263. Un des éléments lapidaires conservé correspond à un départ d’ogives et attesterait la présence de ce mode de couvrement à Bonlieu [Fig. 164]. De même, un claveau de nervure d’ogives est déposé dans la petite chapelle du XIXème siècle [Fig. 161]. Le profil légèrement en amande attesterait une datation de la fin du XIIème siècle voire du premier tiers du XIIIème siècle. Toutefois, ces éléments peuvent aussi bien appartenir à un bâtiment conventuel (réfectoire, dortoir, salle capitulaire). Le chœur était peut-être doté d’un cul-defour fuselé comme le laisse présager le départ de voûte encore observable. L’abside principale est percée de baies en plein-cintre très ébrasées surmontées d’un oculus clavé pour la partie axiale ou d’une autre baie ébrasée pour le second pan conservé au nord [Fig. 153]. La troisième série de baie n’est pas conservée mais l’ébrasement dépecé encore en place permet la prise de mesure. Ces baies ont en effet un fort ébrasement interne (86cm de large) tandis que l’ébrasement externe est moins important (41cm de large). Elles sont de 58cm de large. Les pierres d’appui-fenêtre d’1.28m de largeur interne ont été largement dépecées. Ce type de 1262 1263 B. PHALIP, Charpentiers et couvreurs (…), op.cit, p. 62. C. ANDRAULT-SCHMITT, op. cit. - 363 - percement est plutôt inhabituel. Les abbayes cisterciennes disposent plus fréquemment d’un triplet de façade (Prébenoît, Palais-Notre-Dame, Noirlac). De l’extérieur, les baies de l’abside axiale et de l’absidiole présentent des encoches régulières sur les piédroits et pierres d’appuifenêtres. Elles pourraient correspondre à l’emplacement de ferrures, vraisemblablement modernes. Les parties externes de l’abside axiale révèlent des soubassements en grand appareil régulier (modules de 58 par 48cm)1264. Elle est scandée de contreforts plats à glacis sommital (31cm de profondeur) dont le soubassement est également plus large, ce qui permet une meilleure stabilité de l’édifice et compense la déclivité du terrain. La mise en oeuvre de cette abside axiale montre une certaine hétérogénéité. En effet, nous constatons que les joints de mortier sont presque entièrement creusés par l’érosion dans le tiers supérieur et n’apparaissent presque plus comme pour les parties inférieures où un mortier relativement fin liait les blocs de moyen appareil. Des cales de schiste permettent parfois la régularisation des assises. Cette distinction pourrait-t-elle également s’expliquer par deux temps dans la construction ? Le tiers inférieur aurait-il fait l’objet d’un remaniement tardif qui expliquerait cette différence ? Nous en doutons toutefois et préférons expliquer cette distinction par la seule action de l’érosion. Les modillons conservés en parties hautes sont nus ou présentent des enroulements avec succession de deux tores. L’absidiole nord est encore en place [Fig. 156]. Elle est attenante à la chapelle remaniée au XIXème siècle. Elle est également de forme pentagonale. Son toit est en ardoise et non en tuiles plates comme la tour occidentale. Ce couvrement correspond à celui de la chapelle nord. Nous pouvons ainsi imaginer un remaniement de cette absidiole au XIXème siècle. Elle ne dispose pas d’assises plus larges, étant édifiée sur un terrain plat. Les parements sont en moyen appareil régulier. Les joints cimentés sont très épais et semblent appartenir à une réfection moderne sans doute liée aux modifications du transept nord en chapelle. L’absidiole est scandée de contreforts plats (29cm de profondeur) mais qui ne présentent pas de glacis sommital. Ils se terminent par de simples tailloirs. - Mobilier et décor peint : Le mobilier et décor peint du chevet de Bonlieu est relativement bien connu et permet de mieux appréhender les créations artistiques de ces moines blancs. Le choeur présente ainsi deux croix de consécration peintes [Fig. 168]. En effet, l’abbaye connaît une phase d’embellissement avec la mise en place de carreaux de pavement, de vitraux et de croix 1264 On parle de grand appareil lorsque les assises mesurent plus de 35cm de hauteur. - 364 - peintes au niveau du chevet de l’édifice. Ces aménagements sont sans doute liés à la consécration de l’édifice en 12321265. La croix de consécration a été déposée et restaurée en 1998. Elle était placée dans l’abside principale et est désormais remplacée par une copie. L’original est conservé dans la chapelle nord. Cette petite peinture mesure 61 par 61cm. Un médaillon circulaire de 37cm de diamètre est inscrit dans un carré. Les branches de la croix à trois pointes sont séparées par des feuilles trilobées tournées vers l’intérieur. Les couleurs vives et délicates sont posées sur un enduit mince. Elle est assez similaire à celles de Paulhac ou de la Croix-au-Bost datées du troisième quart du XIIIème siècle [Fig. 910]. Toutefois, nous pouvons supposer que la peinture de Bonlieu soit liée à la consécration de 1232 et relève de la première moitié du XIIIème siècle1266. Un vitrail en grisaille est également connu et a été largement étudié dès le milieu du XXème siècle par C. BRISSAC [Fig. 167]1267. Il était placé au niveau de la fenêtre centrale de l’abside principale. Il mesure 60cm de haut et 57cm de long. L’auteur propose deux datations qui pourraient correspondre à sa création : celle de 1141, lors de la consécration de l’autel par l’évêque de Limoges avant même l’affiliation à Cîteaux ou celle de 1232 au moment d’une seconde bénédiction. Il pourrait également être le témoin des premiers travaux des cisterciens dans les années 1160-1170. C’est une grisaille qui se constitue d’un tapis de palmettes en forme de cœurs imbriqués les uns dans les autres, liées par des galons ou des nœuds plats. L’auteur rapproche ce motif des transennes islamiques omeyyades ou encore des fenestellae de la région charentaise de Fenioux. Les cisterciens auraient-ils établi le vocabulaire ornemental de leurs premiers vitraux d’après des exemples de pierre ou de stuc ? Ils semblent en tout cas ne pas innover dans le choix des décors et reprennent un vocabulaire ornemental déjà en usage depuis l’Antiquité. En effet, Helen ZAKIN compare ces palmettes à celles de la villa d’Adrien, à des motifs islamiques comme les fenêtres des mosquées et des palais omeyyades du VIIIème siècle, ou encore aux sculptures et ivoires lombards telle la frise du ciborium de Santa Maria en Valle de Cividale (VIIIème siècle)1268. Magali ORGEUR date ce vitrail des années 1200. Il est très semblable à certaines grisailles d’Obazine (1175) ou de Noirlac (1185). Nous pouvons toutefois présager qu’il soit lié à la consécration de 12321269. 1265 C. ANDRAULT-SCHMITT, « Des abbatiales du « désert » (…) », op.cit, p. 91-173. B. BARRIÈRE, Moines en Limousin (…), op.cit, p. 60. 1267 C. BRISSAC, « Grisailles romanes des anciennes abbatiales d’Obazine et de Bonlieu », dans les actes du 102ème Congrès National des Sociétés Savantes, Le Limousin, Études archéologiques, Limoges, 1977, Paris, 1979, p. 129-143. 1268 M. ORGEUR, op.cit, vol I, p. 154. 1269 M. ORGEUR, op.cit, vol I, p. 305. 1266 - 365 - Des carreaux de pavement sont également conservés et pourraient être datés du XIIIème siècle [Fig. 166]. Ils sont déposés au musée de la Sénatorerie de Guéret. Ils mesurent 17 par 17cm. Douze carreaux ont été recensés dont 10 sont exhumés en 1878 lors du déblaiement de l’abside. Le décor est vert et brun sur un fond d’émail blanc. La glaçure plombifère inclue un opacifiant, sans doute de l’étain. Ces carreaux présentent des décors végétaux (fleur-de-lys), des motifs héraldiques ou encore des figures humaines. Les fleur-delys sont un des motifs les plus couramment utilisés dans les mosaïques de pavement. Elles se généralisent surtout dans la seconde moitié du XIIIème siècle. Les figurations humaines peuvent étonner dans un cadre cistercien caractérisé par l’austérité et le dépouillement. L’un d’eux est orné d’un cavalier armé d’une épée affrontant un animal. Un autre est décoré d’un homme aux bras relevés. Un oiseau est posé sur un de ses bras. Nous pouvons supposer qu’il s’agit d’une scène de chasse. Un autre carreau présente une sirène émergeant de vagues ondulées. Patrice CONTE livre une datation imprécise de ses éléments relevant des XIIIème et XIVème siècles1270. Toutefois, le recours à une glaçure plombifère sur certains carreaux nous laisse présager une création plus tardive pour quelques éléments, vraisemblablement du XVIème siècle, en lien avec la phase de réfection du cloître. Le mobilier de l’abbaye de Bonlieu témoigne d’un soin particulier accordé à l’édifice dans la première moitié du XIIIème siècle. La consécration de 1232 s’accompagne de la mise en place de pavements, de vitraux et de croix de consécration peinte. Nous pouvons supposer là encore un financement de ces embellissements par des seigneurs laïcs dont les sépultures n’ont toutefois pas encore été mises à jour. Nous savons toutefois que dès 1207 Guillaume de Lichiat se donne à l’abbaye pour y avoir sa sépulture 1271. Ces aménagements permettent le développement d’une iconographie propre. La figuration y est acceptée plus facilement que pour les éléments sculptés. Les pavements présentent des animaux et des figures humaines. Édouard NORTON insiste d’ailleurs sur le fait que chez les cisterciens, la figuration apparaît dans les espaces marginaux de l’art gothique (pavements, vitraux, manuscrits). Le mobilier permet de nuancer cette hypothèse de tentation au refus de l’image au sein de l’ordre de Cîteaux1272. L’étude des vestiges en place, associée aux indices fournis par les sources d’archives, les inventaires et états des lieux permet ainsi de proposer des datations pour la mise en œuvre des bâtiments médiévaux. Il semblerait que la construction ait débuté par le chœur vers 1170, 1270 P. CONTE dans B. BARRIÈRE, Moines en Limousin (…), op.cit, p. 77. AD Creuse, H 284. 1272 É. NORTON, Carreaux de pavement du Moyen-Âge à la Renaissance. Collections du musée Carnavalet, Paris, 1992, p. 59. 1271 - 366 - suite aux destructions par les « Teutons » évoquées par Hugues, seigneur de Chambon. L’affiliation à Cîteaux en 1162 pourrait constituer une date clé. Le chantier s’achève par la façade ouest entre la fin du XIIème siècle et le début du XIIIème siècle. Selon Claude ANDRAULT-SCHMITT, Jean de Comborn aurait fait achevé la mise en oeuvre avant sa mort en 11951273. Toutefois, le profil des baies et le portail de façade peuvent nous laisser présager une datation jusque dans le premier tiers du XIIIème siècle [Fig. 140]. Les dates mentionnées dans les actes s’étendent de la fin du XIIème siècle jusqu’au premier tiers du XIIIème siècle pour la majorité des bâtiments conventuels. La consécration de 1232 correspond sans doute à une phase d’embellissements (vitraux, pavements, croix de consécration peintes). La tour de fortification est édifiée au XVème siècle (1421 sans doute) ainsi que la maison abbatiale. Le cloître est peut-être remanié à cette époque comme le prouvent certains chapiteaux à profil octogonaux retrouvés en dépôt lapidaire et étudiés ci-dessous, très similaires à ceux du cloître du XVème siècle de Prébenoît et de l’abbaye des Pierres [Fig. 162 et 163]. Ce monastère était sans doute le plus prospère de Haute-Marche avec ses treize granges implantées jusqu’en Berry et Bourbonnais. La mise en œuvre soignée où le moyen appareil régulier s’impose témoigne de moyens financiers certains permettant de recourir à des ouvriers qualifiés, des tailleurs de pierre expérimentés. Les éléments de mobilier attestent de cette prospérité certaine. Malgré son état de ruines, Bonlieu impressionne par sa qualité de construction et la majesté de ces parements qui évoquent les plus grandes abbayes limousines (Dalon) et méridionales (Fontfroide). - Éléments lapidaires : Des éléments déposés dans la chapelle permettent également de mieux connaître l’abbaye creusoise. Nous avons inventorié deux petits chapiteaux jumelés pouvant appartenir à des colonnettes du cloître médiéval de 12cm de diamètre. Le granite est fin et délicat. Ils mesurent 23cm de haut. Le tailloir est de 34 par 22cm. De nombreux fragments de colonnettes sont entreposés. Les diamètres sont de 11, 12, 13 ou 15cm. Certains peuvent donc correspondre aux colonnettes de cloître. Des tambours de colonne présentent des diamètres de 22cm conservés sur 52cm de haut. Trois chapiteaux octogonaux sont soulignés de larges cavets [Fig. 162 et 163]. Ils mesurent 31cm de haut et disposent d’un tailloir de 46 par 28cm. Ces chapiteaux nous évoquent ceux du cloître du XVème siècle de l’abbaye de Prébenoît ou de l’abbaye des Pierres. Il serait tentant d’imaginer une reconstruction du cloître de Bonlieu à 1273 C. ANDRAULT-SCHMITT, op. cit, p. 144-151. - 367 - l’époque moderne dans le même esprit que celui du proche monastère de Prébenoît 1274. Comment pourrait-on justifier ces similitudes ? En 1497, Guillaume de Bonlieu devient abbé commendataire de l’abbaye de Prébenoît. Aurait-il pu être à l’initiative des deux reconstructions ? Aucune source écrite ne nous permet de conclure de manière satisfaisante sur cet aspect. Une base est également déposée dans cette chapelle. Elle présente deux tores peu renflés et une scotie très légèrement prononcée. Elle mesure 27cm de haut pour un diamètre de 40cm [Fig. 160]. Deux claveaux de nervure d’ogives sont taillés dans un granite gris très fin à peu d’inclusions de quartz [Fig. 161]. Le tore de huit centimètres de diamètre est légèrement en amande comme nous avons pu le constater également dans le dépôt lapidaire de l’abbaye de Varennes. Ce type de modénature relève plutôt de la fin du XIIème siècle ou du premier tiers du XIIIème siècle et se révèle relativement fréquent dans les espaces Plantagenêts1275. D’où pouvaient provenir ces ogives ? La nef présente quant à elle un berceau brisé. Les ogives couvraient-elles un des bâtiments conventuels ? Une clé de voûte est décorée d’un blason à trois rayures. Il s’agit des armoiries de l’abbé de saint Avit qui se rattachent donc au XVème siècle. La grange moderne située au nord-ouest de l’abbatiale présente certains éléments médiévaux en remploi, la plupart étant de simples modules de granite taillés. Nous avons pu constater la présence d’une petite borne ornée d’une croix en relief, peut-être ancien bornage délimitant le territoire foncier du monastère [Fig. 165]. - Aménagements hydrauliques : Outre ces créations à vocation religieuse, certains aménagements de la Tardes sont encore bien visibles aujourd’hui dans le paysage de l’abbaye de Bonlieu et permettent une meilleure connaissance de l’art de bâtir cistercien au même titre que les vestiges de la nef, les éléments de mobilier ou les sculptures déposées. Au nord de l’abbatiale, une dérivation est mise en place sur la Tardes. Sur le bras principal le plus au nord, un pont à une seule arche enjambe le cours d’eau. Au-delà du pont, deux déversoirs sont aménagés à angle droit pour augmenter la vitesse du courant [Fig. 170]. Ils se constituent de pierres sèches cernées de 1274 1275 I. PIGNOT, op. cit, p. 238-241. Voir III. B. b. 2. Des décors Plantagenêts ? - 368 - murets de blocs de granite de moyen appareil et de deux caniveaux latéraux. Le matériau utilisé est le même que pour le monastère. Qu’il s’agisse des bâtiments à vocation religieuse ou artisanale, la mise en œuvre semble être la même. Le débit de l’un des déversoirs est rejeté dans le bief placé sur la Tardes en contrebas. Cette dérivation de la Tardes comprend un pont à cinq arches de dimensions inégales, les trois dernières étant beaucoup plus réduites, bâties en granite de moyen appareil régulier de bonne qualité [Fig. 169]. Les joints sont relativement minces, la mise en œuvre est soignée. Un moulin est placé sur ce bief [Fig. 171 et 172]. Celui-ci n’est presque plus en eau aujourd’hui. La canalisation en grosses dalles de granite qui se déversait au-dessus de la roue du moulin est asséchée [Fig. 175]. Le moulin se constitue d’un volume quadrangulaire de deux étages couvert de tuiles plates. Les parements sont de moellons de schiste et de tuiles. Seuls les harpages et les soubassements sont en granite. Le tiers inférieur est entièrement en moyen appareil régulier de granite [Fig. 174]1276. Cette différence d’appareillage pourrait correspondre à deux étapes de construction. Le tiers inférieur s’apparenterait aux réalités médiévales. La façade sud est percée d’une porte à l’arc brisé biseauté. Des meules de granite sont conservées dans un jardin à l’ouest du bâtiment. Au niveau de la paroi nord, une roue en bois est encore en place dans un étroit couloir bâti en moyen appareil régulier de granite, voûté en plein-cintre avec de petites briques [Fig. 173]. Elle date probablement de l’époque moderne. Un bief cerné de blocs de granite de moyen appareil actionnait autrefois la roue. Il est désormais asséché. Ces aménagements témoignent d’une certaine technicité des moines blancs qui accordent beaucoup de soin à ces installations pré industrielles, d’où la qualité du matériau qui a permis la conservation de ce patrimoine dans le paysage de la vallée de la Tardes. À quelques kilomètres au nord de l’abbaye, le « moulin de la Salle » présente encore d’intéressants vestiges [Fig. 179]. Une digue est placée sur la Tardes [Fig. 182]. Elle est de pierres sèches comme celle observée au « Moulin Neuf » de Glénic sur la Creuse appartenant aux moines d’Aubepierres. Elle date probablement du XIXème siècle. Le moulin est un volume quadrangulaire de deux étages. Les parements sont de moellons de schiste excepté les chaînages d’angle de moyen appareil de granite. Un bief longe un temps le cours de la Tardes avant de la rejoindre [Fig. 180 et 181]. Il passe sous le moulin par une arche en anse de panier bâtie en granite. L’axe de la roue est encore en place de même que le mécanisme interne. Il s’agit sans doute d’une installation moderne mais qui reprend l’emplacement d’un moulin médiéval. 1276 Carreaux de 55 par 33cm ou de 40 par 30cm. - 369 - À quelques kilomètres plus au nord, le « moulin de Luchat » est également préservé [Fig. 183]. Il est placé sur la Tardes. Il est désormais transformé en gîte rural. Le bâtiment est moderne et il ne demeure plus rien des parements médiévaux. Toutefois, des blocs de granite sont déposés dans la cour du bâtiment actuel. Ils pourraient correspondre à la destruction du bâtiment médiéval. Un bief encore en eau longe un temps le cours de la Tardes [Fig. 184]. Il est cerné de blocs de granite sur quelques mètres au niveau de la roue du moulin. Les mécanismes sont encore visibles et relèvent probablement du XIXème siècle. Des meules sont conservées dans un champ au-dessus du moulin. Le « moulin du Mazeau » est situé à l’ouest de l’abbaye de Bonlieu, à cinq cent mètres au sud-est de Peyrat-La-Nonière [Fig. 176]. Il est encore présent dans la toponymie actuelle. Il dispose d’un canal de dérivation de 750m placé sur la Voueize. Au-dessus du moulin, une canalisation est visible, couverte de dalles de granite [Fig. 177]. Le moulin est un bâtiment quadrangulaire très remanié. Les parements sont d’un petit appareil de granite irrégulier à litages marqués. Les chaînages, baies et harpages sont en moyen appareil régulier. L’axe est encore en place. Le pignon latéral présentant les vestiges du mécanisme est entièrement en moyen appareil régulier [Fig. 178]. Une baie en plein-cintre est rebouchée. Il pourrait s’agir d’une partie de l’élévation du XIIIème siècle. L’eau s’écoule par un bief maçonné de blocs de granite de moyen appareil. Dans le champ adjacent, une roue et une meule sont conservées. D’autres sites n’ont pas livré de vestiges aussi intéressants. De la grange de Modard, près de Nouhant (Allier) ne demeure que le lieu-dit. Le moulin « de la Sagne » qui en dépendait n’est pas conservé. De même pour les granges de Villechenille et de Grosmont près de Glénic qui ne révèlent aucuns vestiges médiévaux. Le « moulin des Côtes » dépendant de Villechenille n’est plus présent que dans la toponymie. Les propriétaires nous ont signalé sa disparition depuis 1848. La grange de Bougnat sur la commune de Saint-Marien ne conserve pas non plus de bâtiments des XIIème et XIIIème siècles. Seuls les lieux-dits « le Moulin » et les « Forges » témoignent d’anciennes industries médiévales. La grange d’Aubeterre à quelques kilomètres de Montluçon est un grand bâtiment allongé du sud au nord. La façade est présente des fenêtres à ébrasements qui pourraient remonter selon Guy ANDRÉ au Bas Moyen-Âge (XVème siècle). La façade ouest présente - 370 - également des remplois. Des chapiteaux non décorés sont conservés à l’intérieur. L’emplacement d’un étang est encore discernable dans le paysage1277. Les aménagements des moines de Bonlieu ont donc marqué la vallée de la Tardes. Même si les vestiges sont bien souvent de l’époque moderne voire contemporaine, ils pérennisent probablement les anciens sites médiévaux. 1277 G. ANDRÉ, op.cit. - 371 - BOSCHAUD - 372 - 4. Boschaud (commune de Villars, Dordogne) : L’abbaye de Boschaud est située sur la commune de Villars dans le canton de Champagnac en Dordogne. Elle est classée Monument Historique depuis le 12 septembre 1950 (vestiges de l’église et du bâtiment oriental du cloître du XIIème siècle). Elle appartient au Moyen-Âge à l’ancien diocèse de Périgueux. Elle est signalée sur la carte IGN comme abbaye ruinée. Elle n’est qu’à quelques kilomètres de Villars au bord de la D 98. Elle est située dans une zone encore très boisée (Forêt de Lafarge) 1278. Sur la carte de Cassini, elle est signifiée par une église surmontée d’une crosse mais aucun sigle n’indique son rattachement à un ordre [Fig. 185 et 186]. Sources manuscrites : Des procès-verbaux de 1680 et 1682 permettent un état des lieux complet du monastère au XVIIème siècle1279. En effet, le procès-verbal de 1680 précise les fruits et revenus de l’abbaye de Boschaud. Les bâtiments sont brièvement décrits. Nous apprenons ainsi que « (…) Les bâtiments de ladite abbaye sont tout en ruine et en très mauvais état (…). Les titres, papiers et meubles de ladite abbaye ont été emportés dans la maison de la Dame de Saint-Martin située dans le bourg de Champaignat [Champagnac-deBelair ?]. » Il est également fait état de « Trois petites voûtes qui couvraient la nef et une plus basse où est le sanctuaire ». Pour Louis GRILLON, il s’agit ici des coupoles : trois couvrent la nef, une le transept1280. La coupole plus basse pourrait également être assimilée au cul-defour de l’abside centrale. L’église est encore pavée, le cloître couvert de tuiles. Les dépendances de l’abbaye comme celle de Jayat sont également visitées. 1278 IGN série Bleue, Saint-Pardoux-La-Rivière, 1/ 25000ème, 1933O. AD Dordogne, B 166, pièce 21. 1280 L. GRILLON, M. LEGENDRE, J. SECRET, L’abbaye de Boschaud. Le Château de Puyguilhem. L’église de Villars, Périgueux, 1957, p. 5-24. 1279 - 373 - Le procès-verbal de 1682 nous permet de mieux cerner l’organisation des bâtiments monastiques1281. Ainsi, une grange est comprise dans l’enclos monastique, tout de suite à gauche en pénétrant dans l’enceinte. La charpente en est encore en bon état. Puis sont visitées une cuisine, une écurie. Le cloître est pavé et lambrissé. La charpente est à remettre en état. Ainsi, le cloître n’était pas voûté mais disposait d’une charpente sans doute dès les XIIèmeXIIIème siècles. Les appartements du prieur sont en bon état. François Faucher, maître charpentier de Périgueux, monte sur les voûtes de l’église et constate que la charpente de la nef est à refaire car certaines sablières sont pourries. Il est fait état des « Quatre voûtes qui faisaient la nef et celle qui fut le sanctuaire plus basse que les autres ». Il visite ensuite le réfectoire, le chauffoir et le dortoir. Martin Montaltio ( ?), architecte de Périgueux se livre également à la même visite. Il décrit la « muraille » du corps de logis munie d’une vieille tour. Il fait état d’un « arc-boutant » dans la cour, de 17 pieds de long (5.50m) dont les soubassements sont en mauvais état. S’agit-il d’arcs-boutants soutenant le corps de logis ou de simples contreforts ? Quant au cloître, deux piliers sont tombés avec la charpente. Le réfectoire est en partie ruiné. Le chauffoir et son four à pain paraissent encore en relativement bon état. L’architecte signale également que le pignon de la chapelle proche du grand autel menace ruine. L’église paraît en effet très ruinée, les murs sont recouverts de lierres et de broussailles. Deux chapelles sont encore voûtées en berceau. En 1713, Dom BOYER visite l’abbaye de Boschaud et écrit : « L’église était belle, les voûtes étaient en façon de calottes ou de coupe, comme à Saint-Front de Périgueux. Les trois autels sont d’une grande propreté (…). J’ai dit la messe au grand autel où l’on voit le corps d’un saint martyr, dont on ne dit pas le nom. »1282 En 1848, de VERNEILH livre une gravure de l’abbaye, montrant à l’ouest du pilier nord commun aux deux travées, la naissance de grands arcs et d’un pendentif. Les coupoles de la nef devaient être semblables à celle de la croisée du transept. 1281 1282 AD Dordogne, B 176, pièces 57 à 60. Dom BOYER, Journal de Voyage, p. 306. - 374 - Historiographie : En 1955, Louis GRILLON consacre deux articles sur les abbayes cisterciennes de la Dordogne et leurs apparitions dans les chapitres généraux de l’ordre, publiés dans le Bulletin de la Société Historique et Archéologique du Périgord. Il évoque ainsi les rapports entre Boschaud, Cadouin, Dalon, Peyrouse et les autres abbayes de l’ordre. Ces relations consistent essentiellement en litiges à propos de bornage. Cette étude permet de replacer l’abbaye dans le contexte monastique de l’époque1283. En 1957, le même auteur présente une courte monographie de Boschaud avec un historique, une étude du patrimoine foncier et une description de l’abbatiale1284. L’ouvrage dirigé par Bernadette BARRIÈRE en 1998 évoque brièvement ce site autrefois inséré dans le diocèse de Périgueux, aux marges du diocèse de Limoges. L’auteur livre un état des lieux succinct, décrit brièvement les vestiges encore en place et revient sur un court historique de l’abbaye1285. En 1998, l’abbaye fait l’objet d’une étude approfondie par une élève de Bernadette BARRIÈRE, Catherine DESPORT, qui analyse l’ensemble des fonds d’archives des abbayes de Boschaud et Peyrouse. Elle livre une étude incontournable sur le patrimoine foncier de ces deux sites. Toutefois, les vestiges archéologiques ne sont guère évoqués1286. En 1999, l’abbaye fait l’objet d’une étude d’histoire de l’art plus poussée par Claude ANDRAULT-SCHMITT, professeur de l’Université de Poitiers. Après un bref rappel historique, l’auteur étudie minutieusement les vestiges conservés de l’abbaye, qu’il s’agisse du sanctuaire ou des bâtiments conventuels. Les aménagements hydrauliques et agricoles ne sont pas envisagés1287. 1283 L. GRILLON, « Les abbayes cisterciennes de la Dordogne dans les statuts des chapitres généraux de l’Ordre », BSHAP, T 82, 1955, p. 138-148. 1284 L. GRILLON, M. LEGENDRE, J. SECRET, L’abbaye de Boschaud. Le Château de Puyguilhem. L’église de Villars, Périgueux, 1957. 1285 B. BARRIÈRE (dir.), Moines en Limousin, l’aventure cistercienne, PULIM, Limoges, 1998, p. 157-159. 1286 C. DESPORT, Deux abbayes cisterciennes du Périgord : Boschaud et Peyrouse, mémoire de maîtrise sous la direction de B. BARRIÈRE, Limoges, 1998, 217p. 1287 C. ANDRAULT-SCHMITT, « L’abbaye de Boschaud », Congrès Archéologique de France, Périgord, 1998, Paris, 1999, T 156, p. 105-117. - 375 - Historique : Ce monastère est peut-être dans un premier temps un ermitage aquitain de Géraud de Sales. Foulques, le frère de Géraud, aurait pu être le premier ermite du lieu. Boschaud est rattachée à l’abbaye des Châtelliers en Poitou, abbaye fondée en 1120 par Géraud de Sales et où il fut enterré, et non à Cadouin pourtant plus proche géographiquement. Boschaud est érigée en abbaye en 1154, rattachée à Cîteaux en 1163 dans la filiation de Clairvaux en même temps que son abbaye-mère, les Châtelliers. Toutefois, selon la Gallia Christiana, elle aurait été fondée en 1153 par un essaimage depuis Peyrouse. La consécration d’une première église serait intervenue en 1159, ce qui ne signifie toutefois pas la fin du chantier de construction 1288. Un corps saint serait conservé sous l’autel majeur ou dans l’épaisseur du mur derrière cet autel. S’agit-il d’un martyr ? De Foulques lui-même ? La situation de Boschaud paraît contradictoire avec l’idéal formulé par Bernard de Clairvaux et les statuts de l’ordre cistercien : il n’y a que peu d’eau sur le site d’implantation des moines de Boschaud. L’abbaye est implantée en limite de la paroisse de Saint-Martial de Villars, dans un vallon entouré de bois sur le plateau de Champagnac, entre deux cours d’eau : la Dronne et le Trincou. L’altitude est de 180 à 200m. Le terrain est sédimentaire, de calcaire tendre. De même, les choix stylistiques adoptés peuvent étonner dans un cadre cistercien : la nef à file de coupoles est plutôt inhabituelle, ainsi que l’abside décorée d’arcatures externes. L’étude du patrimoine se révèle réellement délicate à mener dans sa totalité étant donné le peu de sources préservées [Fig. 85]. Nous savons que les moines disposent d’une tenure, la côte de la Mort, non loin de Jayac d’après le cadastre, acquise tardivement au XVIème siècle. Elle produit essentiellement des céréales. Boschaud dispose de deux moulins sur la Dronne près de Quinsac : le moulin de « Laumède » et le moulin de « Chez Nanot » [Fig. 242]. Sont également cités le moulin de Villars (1758), le moulin de la Croix sur la paroisse de la Chapelle-Faucher (1758)1289. Les deux possèdent encore leur digue. Les moines détiennent la tenure de Puyjaloux, des Faureillières, la dîme de la Petite Brugière, l’église de Saint-Pierre de Frugie (union prolongée en 1470), la grange de Saint-Jean-de-la-Lande (vouée à la production céréalière ; il subsiste encore aujourd’hui une chapelle de pèlerinage), une possession à Rieucaud dans le diocèse d’Agen où ils perçoivent une dîme, une à la Petite 1288 C. ANDRAULT-SCHMITT, « L’abbaye de Boschaud...“, op.cit, p. 105-117. Gallia Christiana, II, coll. 1506-7. 1289 AD Dordogne, B 659, pièces 26 et 27. Le moulin de la Croix est encore présent dans la toponymie actuelle. IGN Série Bleue, 1/25000ème, 1933 O Saint-Pardoux-La-Rivière. - 376 - Bruyère (non localisée), la forêt des Bernardins (non localisée). Les cisterciens projètent également la création d’une grange à Mazeroux sur la commune de Milhac, canton de Nontron, dessein qui ne pourra être réalisé. Les possessions seront d’ailleurs par la suite agrégées à Dalon1290. Toutefois au XVIIIème siècle, un accord est passé entre l’abbé de Boschaud et le curé de Milhac pour la dîme sur les tènements de la lande de Mazeroux1291. Les quelques sources manuscrites connues nous informent des litiges entre les moines de Boschaud et d’autres abbayes : ainsi en 1209 avec Peyrouse et Cadouin, en 1249 avec Boeuil (sans doute à propos de la grange de Mars qui n’est qu’à six kilomètres de Boschaud) et avec Dalon en 1271 au sujet des possessions de Mazeros. Des litiges et relations avec d’autres abbayes cisterciennes sont évoqués par l’article de Louis GRILLON précédemment cité. Celui-ci base son étude sur les Statuta de CANIVEZ1292. La première mention de Boschaud date de 1209 où elle est effectivement en conflit avec Peyrouse et Cadouin, probablement à propos d’un bornage. En 1233, un abbé de Pontigny est chargé d’enquêter sur la conduite d’un abbé de Boschaud et de le corriger sérieusement. Le motif n’est toutefois pas évoqué. En 1274, Boschaud dépose une plainte contre son abbaye-mère, les Châtelliers, qui n’a pas respecté un accord avec sa fille au sujet des granges dont Boschaud demande la restitution1293. Une étude toponymique des cartes IGN et de Cassini permet de repérer la majorité des granges et moulins cités dans les actes médiévaux [Fig. 42 et 55]. Elles peuvent aussi garder le souvenir d’installations monastiques aujourd’hui disparues en élévation et servent ainsi à la reconstitution du patrimoine et de l’environnement du monastère cistercien. D’après la carte IGN, Boschaud paraît encore entourée de bois : « Bois de Mousseau », « Forêt de Lafarge » et « le Bost » qui sont prolongés par le « Bois de Coulonges ». « Les grands bois » sont signalés au sud de la tenure de Jayac1294. Le moulin de « Chez Nanot » et celui de « Laumède » apparaissent encore dans la toponymie actuelle, le long de la D 83 qui conduit de Quinsac à Saint-Front la Rivière1295. L’abbaye est partiellement restaurée au XVIIème siècle. Un logis est aménagé par l’abbé commendataire. En 1741, les biens de Boschaud sont partagés en trois lots égaux, un 1290 C. DESPORT, Deux abbayes cisterciennes du Périgord…, op.cit, p. 47. AD Dordogne, B 659, pièce 12. 1292 J. M. CANIVEZ, Statuta Capitulorum Generalium Ordinis Cisterciensis ab anno 1116 ad annum 1786, Louvain, 1933. 1293 L. GRILLON, « Les abbayes cisterciennes de la Dordogne dans les statuts des chapitres généraux de l’Ordre », BSHAP, T 82, 1955, p. 138-148. 1294 IGN Série Bleue, 1/25000ème, Saint-Pardoux-La-Rivière, 1933 O. 1295 IGN Série Bleue, 1/25000ème, Nontron, 1833 E. 1291 - 377 - pour l’abbé, un pour la mense conventuelle, un indivis pour l’acquit des charges1296. En 1788, Dom Pérignon est le dernier abbé de Peyrouse. Un inventaire des biens est dressé en 1790. Au XIXème siècle, le chevet est encore en bon état tandis que la moitié occidentale de la nef s’est déjà écroulée. En 1969, la parcelle est rachetée par l’État. Vestiges archéologiques : À la fin du XIXème siècle, Jean-Alcide CARLES présente le monastère de Boschaud comme un « (…) petit bijou byzantin caché dans les bois ; les ruines sont encore belles. On y invoquait un saint martyr dont le corps était sous le grand autel. »1297 Les vestiges encore visibles de nos jours présentent un beau calcaire blanc. L’abbaye est en effet implantée sur un sol de calcaires crétacés tendres. Les moines ont donc opté pour les matériaux directement disponibles sur le site par soucis d’économie (coûts de transport). Nous pouvons encore admirer l’église à coupoles ainsi que le bâtiment des moines datant de la seconde moitié du XIIème siècle. La mise en œuvre est en pierre de taille de moyen appareil soigné. Le cloître est quant à lui entièrement détruit. Le réfectoire et la cuisine disposés au sud de même que le bâtiment des convers à l’ouest ont disparu. Les vestiges sont classés Monuments Historiques depuis le 12 septembre 1950 [Fig. 187 et 188]. - Abbatiale : L’église orientée est placée au nord du carré du cloître [Fig. 189 et 191]. La dernière travée de la nef est conservée, de même que le transept, ses chapelles en hémicycle et le chœur en abside. Les fondations de l’avant-dernière travée de la nef sont encore perceptibles. Elles semblent faire un angle au nord tandis qu’un départ de mur transversal, orienté nord/sud irait dans le sens d’une nef de deux travées. Néanmoins, le mur gouttereau sud semble se prolonger au-delà de cette séparation. Des investigations archéologiques seraient nécessaires afin de préciser le plan de l’abbatiale médiévale. La mise en œuvre est de moyen appareil régulier de calcaire à joints fins. 1296 L. GRILLON, M. LEGENDRE, J. SECRET, L’abbaye de Boschaud…, op.cit., p. 5-24. J-A. CARLES, Les titulaires et les patrons du diocèse de Périgueux-Sarlat, éditions du Roc-de-Bourzac, Bayac, 1884 (réédition 1986), p. 224. 1297 - 378 - La file de coupole choisie pour le voûtement de la nef révèle, selon Claude ANDRAULT-SCHMITT un choix certain de sévérité [Fig. 190]. Elle permet en effet une nef unique dépourvue d’espaces de cheminement. L’historienne de l’art compare ce choix à l’église de la Tenaille en Saintonge du sud, une fondation d’un disciple de Géraud de Sales. À Boschaud, la nef pouvait comprendre cinq coupoles comme à Sablonceaux en Saintonge ou Fontevrault, abbaye née de la vocation érémitique de Robert d’Arbrissel. L’auteur s’interroge aussi sur la possibilité d’une construction entre 1160-1180, ce qui permet de poser le problème du rapport entre la construction et l’affiliation à l’ordre. Les bâtiments sont peut-être remaniés, voire entièrement reconstruits lors de l’affiliation en 1163 afin de satisfaire aux exigences de l’ordre de Cîteaux. Pour comparaison, Obazine est édifiée entre 1156 et le début du XIIIème siècle (dernières travées de la nef et bâtiments conventuels) et dispose également d’une coupole sur pendentif au niveau de la croisée du transept1298. Un encorbellement est appliqué à des dosserets de même qu’à Eberbach et Santes Creus1299. La dernière travée de la nef est incomplète et l’amorce des murs gouttereaux conservés permet d’étudier la mise en œuvre des parements de manière plus complète [Fig. 192 et 193]. Le blocage est ainsi constitué de pierres de tout venant et d’un mortier blanchâtre où les graviers sont très présents [Fig. 194]. Les pierres de parement ne forment pas boutisses. Il s’agit de simples carreaux, non taillés en biseau comme souvent dans les abbayes cisterciennes (Le Thoronet). Du fait des joints minces, cette mise en œuvre a dû poser des problèmes de liaisonnement. Les murs gouttereaux atteignent les 0.92m d’épaisseur, ce qui est bien moindre par rapport aux 1.65m d’épaisseur des murs gouttereaux du chevet de l’abbatiale du Palais-Notre-Dame. La présence d’arcs aveugle interne et externe devait permettre de supporter les poussées des voûtes à coupoles. Le blocage est de 0.37 à 0.48m d’épaisseur. Les blocs de calcaire montrent encore les traces d’outil : piquetage pour les faces internes, réalisé au pic ; traces de marteau taillant obliques et régulières pour les parements externes. Il s’agit donc d’un travail de tailleurs de pierres qualifiés. Les modules utilisés varient : 0.62 par 0.28m ; 0.70 par 0.31m ; 0.40 par 0.29m. La coupole de cette dernière travée de la nef est entièrement appareillée [Fig. 195]. Les assises sont de modules quadrangulaires réguliers, en moyen appareil et à joints minces. L’assemblage se termine par une pierre circulaire, sorte de clé de voûte. La calotte est appareillée de dix-huit assises. Les modules sont de 30 par 35cm ou de 30 par 50cm pour une 1298 Cette datation communément admise dans l’historiographie traditionnelle nous paraît toutefois sujette à caution et sera débattue dans le corpus consacré à Obazine. Nous serions en effet d’avis de prolonger le chantier médiéval jusque dans les années 1200 (bases avachies de la nef, baies largement ébrasées). 1299 C. ANDRAULT-SCHMITT, « L’abbaye de Boschaud...“, op.cit, p. 105-117. - 379 - profondeur de 40 à 30cm. L’intrados est lisse tandis que l’extrados forme comme un « hérisson rugueux » selon l’expression de Jean SECRET1300. Cette calotte repose sur une mouluration simple en quart de rond. Les pendentifs sont aussi appareillés. Ils se constituent de neuf assises en tas-de-charge. Les queues des blocs taillés sont assez longues, noyées dans la maçonnerie. Le blocage en est de tout venant, lié d’un mortier jaune orangé paraissant plus sablonneux que celui utilisé pour les parements des murs gouttereaux. Ces pendentifs sont reçus sur un premier dosseret d’1.40m de large pour une épaisseur de 0.41m. Il est appliqué sur un second dosseret plus large (2m, 0.34m de saillie), recevant l’arc aveugle appliqué sur le mur gouttereau (même système aussi bien pour le mur nord que mur sud) [Fig. 196]. Ces dosserets sont ornés dans leur partie supérieure par une mouluration en quart de rond qui ne se prolonge pas sur le parement du mur gouttereau mais reste cantonné aux supports. L’arc ouvrant sur la croisée du transept est souligné par un arc doubleau au profil légèrement brisé, reposant sur un dosseret s’arrêtant aux deux-tiers de la hauteur. Il se termine par une modénature sobre de deux cavets superposés. Le parement nord, entre les deux piliers, montre une rupture dans la construction à partir de l’extrémité est de la baie ébrasée en plein-cintre. Un chaînage vertical alterne carreaux et boutisses. À l’ouest de ce chaînage, les assises montrent un rattrapage avec des pierres retaillées pour s’adapter aux carreaux et boutisses précédemment montées. Il s’agirait ainsi d’un changement d’équipe lié à la mise en œuvre de la baie, nécessitant d’autres ouvriers, d’autres qualifications, ou d’une reprise du chantier après un temps de pause. La baie en plein-cintre est largement ébrasée à l’intérieur [Fig. 193]. Elle est surmontée d’un linteau monolithe du type de ceux de l’abbaye de Prébenoît (bas-côté nord, fin XIIème, premier tiers du XIIIème siècle) [Fig. 339]. Côté sud, nous ne remarquons pas la même rupture dans la mise en œuvre. La baie est quant à elle rebouchée. La croisée du transept présente la même coupole appareillée reposant sur une modénature en quart-de-rond [Fig. 197 et 198]. La calotte est percée à l’est par un oculus. Elle utilise le même système de pendentifs appareillés, reçus par quatre arcs doubleaux reposant sur des dosserets. La calotte est de cinq mètres de diamètre. Nous pouvons également remarquer que le sol est encore recouvert de grandes dalles de calcaire. L’arc qui précède l’entrée vers le chœur est souligné par un arc doubleau reposant sur un dosseret de trois assises, s’arrêtant aux deux tiers de la hauteur et orné d’une modénature de trois cavets superposés [Fig. 199]. Le dosseret est ensuite décalé vers l’est et se poursuit jusqu’au sol. Ce décalage ne ressemble pas à un ajout postérieur et cette dissymétrie était 1300 AD Dordogne, 2 J 1145 (notes de Jean SECRET). - 380 - vraisemblablement prévue dès le départ. Le dosseret est de 0.65m de large pour une saillie de 0.24m. L’abside principale est voûtée en cul-de-four. Une modénature en quart-de-rond à la retombée de la voûte se poursuit jusqu’au dosseret. L’abside est percée de trois baies ébrasées. Les linteaux en plein-cintre ne sont ici pas monolithes mais se constituent de deux pierres en quart de cercle assemblées. L’ébrasement interne présente un système de gradins et non un glacis comme très souvent dans les abbayes cisterciennes (Le Palais). La baie centrale est soulignée de deux colonnes inscrites dans l’encadrement. Les chapiteaux sont lisses, les bases ont un tore inférieur très renflé, une scotie prononcée et un tore supérieur mince. Au nord-est, une piscine liturgique est inscrite dans une niche en plein-cintre, à 1.22m du sol [Fig. 201 et 202]. Elle mesure 1.35m de largeur interne pour 1.85m de largeur externe. Elle est encadrée de deux petites colonnettes surmontées de chapiteaux lisses et dont les bases ont l’aspect de chapiteaux lisses renversés. Les deux éviers circulaires sont de 0.24m de diamètre tandis que l’orifice central est de 3cm de diamètre. Au nord, deux petits orifices voûtés en berceau très brisé sont percés. Ils mesurent 0.23m de large pour une profondeur identique. Il pourrait s’agir d’emplacements pour des bougies ou des lampes. Au centre, sous la baie centrale, un panneau de 1.40m de long pour 0.40m de haut est inséré dans la maçonnerie, probablement ajouté plus tardivement [Fig. 200]. Il s’agit d’une plaque de calcaire, peut-être un élément d’autel, orné de huit arcatures gothiques trilobées. Il pourrait aussi s’agir d’une niche conservant peut-être les reliques d’un saint. Le bras du transept nord s’ouvre par un arc doubleau reposant sur un dosseret orné de deux séries de deux cavets superposés [Fig. 203]. Ce bras de transept est voûté en berceau très soigneusement appareillé reposant sur une modénature en quart-de-rond. Contre le mur occidental est appliqué un arc aveugle au profil très légèrement brisé, reposant sur une modénature en quart-de-rond. Le mur ouest est percé au sud par une porte ouvrant sur l’extérieur. Elle est surmontée à l’intérieur par un arc en anse de panier et dans son parement extérieur par un linteau droit reposant sur une modénature à deux cavets superposés. Le mur nord dispose également d’un arc aveugle [Fig. 205]. Il est percé d’une baie en plein-cintre plus large que celles observées pour les murs gouttereaux. Ce bras du transept ouvre à l’est sur une abside voûtée en cul-de-four appareillé, moins profonde que l’abside principale [Fig. 204]. Elle est percée de deux baies très étroites, en plein-cintre, dont l’ébrasement interne montre le même système de gradins que les baies de l’abside centrale. Un décor de faux-joints rouge est encore visible, probablement moderne. Le bras du transept sud présente sensiblement les mêmes caractéristiques avec sa voûte en berceau soutenue à l’ouest par un arc aveugle [Fig. 206]. Le mur occidental est percé - 381 - d’une porte au nord ouvrant sur l’extérieur, d’une cavité circulaire difficile à interpréter et d’une cavité quadrangulaire à l’extrémité sud probablement destinée aux livres de culte [Fig. 208]. Le mur sud est percé d’une baie en plein-cintre large et ébrasée, d’une porte rebouchée à l’extrémité ouest dont l’arc est surbaissé (0.99m de large) et d’une porte à arc brisé à l’est (0.97m de large) ouvrant sur un passage étroit muni d’un escalier menant à la sacristie [Fig. 209]. L’abside sud est percée d’une baie en plein-cintre ébrasée et au nord d’une piscine liturgique assez similaire à celle de l’abside principale [Fig. 207]. Elle dispose également de deux éviers circulaires inscrits dans une niche en plein-cintre munie de colonnettes (0.92m interne, 1.26m de largeur externe) [Fig. 210]. À l’extérieur, l’abside centrale montre un système de cinq arcs d’applique tandis que les absides latérales sont lisses. Les piédroits des arcs mesurent 0.81m pour une saillie faible de 0.18m. Les trois arcs au centre sont plus élevés. La corniche est ornée de simples corbeaux. La souche du clocher de croisée est conservée [Fig. 212]1301. Le bras du transept sud est en pignon [Fig. 211]. Il est orné d’une corniche aux motifs en zig-zag. Un cordon simplement mouluré d’un cavet passe aux deux tiers de la hauteur de la baie en plein-cintre. Un premier alignement de trous de boulins est visible au premier tiers de la hauteur du mur pignon, un second au second tiers de la hauteur, juste sous la baie en pleincintre. Ils correspondent aux différents étages du bâtiment est du cloître collé contre le bras du transept sud. Le pignon du transept nord est scandé de deux contreforts plats de 1.41m de large pour 0.24m de profondeur [Fig. 213 et 214]. Un cordon simplement mouluré passe aux deux tiers de la hauteur de la baie en plein-cintre. La corniche présente comme au sud des motifs en zigzag. Le mur occidental montre une corniche ornée de modillons présentant des feuillages et des figures grimaçantes [Fig. 215]. Le mur externe de la dernière travée de la nef est doté d’un arc aveugle correspondant à l’arc aveugle interne. Ces arcs d’applique brisés relient les contreforts à ressaut et compensent la minceur des murs gouttereaux. Dans l’alignement de cette travée, un départ de mur vers le nord est repérable. Il est néanmoins difficile de l’interpréter, la nef ne comportant pas de bas-côtés. Il pourrait s’agir d’une petite chapelle latérale, peut-être postérieure. Des fouilles archéologiques seraient nécessaires pour préciser ce plan. La façade ouest est inconnue. 1301 L. GRILLON, M. LEGENDRE, J. SECRET, L’abbaye de Boschaud. Le Château de Puyguilhem. L’église de Villars, Périgueux, 1957, p. 5-24. - 382 - - Passage de l’escalier : Ce passage étroit est en partie occupé par un escalier descendant à la sacristie ainsi que par l’escalier menant au dortoir des moines au premier étage du bâtiment est [Fig. 216]. Il ouvre sur le cloître situé à l’ouest par une large porte au profil brisé d’1.65m de large pour 1.41m de profondeur [Fig. 217]. Côté cloître, cette ouverture est soulignée d’une archivolte reposant sur un petit motif en pointe de diamant. L’escalier menant au dortoir est bâti sur un massif en moyen appareil régulier de qualité.L’accès en est condamné pour des raisons de sécurité. Il ouvre sur le cloître à l’ouest par une simple porte légèrement brisée, sans décor. Les marches de ces deux escaliers sont de dalles de calcaire. - Sacristie : La façade occidentale de la sacristie est d’un petit appareil irrégulier noyé dans un mortier très orangé [Fig. 218]. Elle semble refaite tardivement comme en témoigne le remploi de certaines pierres taillées en moyen appareil régulier. Elle a peut-être subi des réfections au Bas Moyen-Âge, voire à l’époque moderne. En effet, les parements internes montrent que cette façade occidentale n’est pas liée aux parements des murs gouttereaux. Cette façade est percée par une porte en simple tas-de-charge, sans linteau, surmontée par une petite fenêtre de profil rectangulaire étroite, semblable à une meurtrière [Fig. 219]. La sacristie est précédée par un petit passage ouvrant vers le sud et la salle capitulaire, passage sous l’escalier menant au dortoir des moines. Côté salle capitulaire, ce percement se caractérise comme une simple porte quadrangulaire sans ornement particulier. Les murs gouttereaux de la sacristie présentent un cordon de mi-hauteur sous forme de modénature en quart-de-rond, comme cela avait déjà été observé dans l’abbatiale [Fig. 220 et 221]. Elle soutient une voûte en berceau appareillée. À 1.50m de la porte d’entrée occidentale, une rupture est sensible dans la maçonnerie de la voûte. Il pourrait s’agir d’un arrêt momentané du chantier ou d’un changement d’équipe. Le mur nord est percé de deux cavités quadrangulaires au centre et d’une petite baie à l’est. Le mur nord comporte une cavité quadrangulaire rebouchée d’1.34m de large, une petite baie en meurtrière au large ébrasement interne et une cavité quadrangulaire à l’extrémité est de 0.86m de large dont l’interprétation reste délicate. Il pourrait s’agir de sorte d’armarium où disposer les livres liturgiques. À l’extérieur, ce mur montre une partie inférieure médiévale en moyen appareil régulier de qualité, soutenu par un contrefort plat. La moitié supérieure, au- - 383 - dessus de la sacristie correspond à des réfections modernes : le petit appareil de moellons irréguliers est requis. Il est percé d’une porte et de trois baies quadrangulaires récentes. La présence de ces nombreuses cavités n’a rien d’étonnant dans une sacristie. En effet, la sacristie a vocation de rangement d’où la nécessité d’armoires. Les moines y revêtent leurs attributs de prêtre et se préparent à la célébration de la liturgie. Des niches sont ainsi pratiquées dans les murs. La sacristie de Silvanès présente ainsi trois niches communiquant entre elles. Des armoires en bois sont également fréquemment utilisées. Des ouvrages pouvaient y être conservés lorsque l’armarium était plein1302. Le mur oriental est percé de deux baies en meurtrière ébrasées, surmontées par une petite baie quadrangulaire à fort ébrasement, probablement destinée à l’aération [Fig. 222]. Nous pouvons constater les traces d’un enduit de qualité peint en faux joints (environ 1.50cm de large) à doubles traits verticaux mais aussi horizontaux [Fig. 223]. - Salle capitulaire et parloir : Le mur occidental de la salle capitulaire montre une rupture franche avec les parements du bras du transept sud. Les assises sont collées mais non liées entre elles, en décalage. Un cordon torique aux deux tiers de la hauteur assure la transition visuelle. Il sépare ce premier niveau du dortoir des moines dont le parement est régulièrement percé de baies très fines en meurtrières [Fig. 224]. L’étude des parements extérieurs de cette salle a permis de repérer des trous de boulins régulièrement espacés, tous les 0.80m environ, à 2.65m de haut. Une seconde série est placée à 4.15m environ, pour un espacement plus important, de 2m en moyenne. Il s’agit des vestiges de la galerie est du cloître, probablement charpentée. Nous ne connaissons pas grand-chose de ce cloître médiéval puisque aucun indice n’en a été découvert en avant de ce bâtiment oriental conservé. Seuls ces trous de boulins conservent la mémoire de galeries charpentées. D’après le procès-verbal de 1680, nous savons que chaque galerie reposait sur des piliers d’angle et deux supports intermédiaires au moins. Une base de pilier d’angle est/sud de retombée d’arc des galeries du cloître a été découverte le long de l’aile est du cloître, au niveau de la salle capitulaire. La base d’un lavabo a été mise au jour le long de la galerie sud. Les galeries étaient dallées le long du mur sud de la nef et le long du mur est du cloître 1303. Ce cloître était couvert de tuiles creuses. 1302 1303 T. KINDER, L’Europe cistercienne, Zodiaque, 1997, p. 242. C. DESPORT, Deux abbayes cisterciennes du Périgord…, op. cit, p. 29. - 384 - La salle capitulaire se compose d’une porte encadrée par deux baies de chaque côté. L’extrémité sud est percée d’une seconde porte correspondant vraisemblablement à l’entrée du parloir [Fig. 224]. Les baies sont à profil légèrement brisé, soulignées d’une archivolte qui n’est pas systématiquement conservée. Ces baies d’1.03m de large et d’1.17m de profondeur sont encadrées de colonnettes reposant sur des bases attiques à la scotie très prononcée et aux chapiteaux lisses [Fig. 225 et 226]. Ces bases classiques iraient dans le sens d’une datation de la seconde moitié du XIIème siècle. Ces ouvertures sont encadrées d’une mouluration torique retombant sur un épais tailloir orné d’une superposition de deux cavets. La porte centrale et la porte d’entrée vers le parloir présentent la même ornementation. Elles mesurent par ailleurs 1.57m de large. De l’intérieur, le mur est de la salle capitulaire présente trois baies en plein-cintre ébrasées, soulignées d’un tore. À l’extérieur, ce mur est scandé de cinq contreforts plats de 0.90m de large pour une faible saillie de 0.23m. L’ébrasement interne des baies utilise le même système de gradins déjà observé dans le chœur et les absides des bras du transept. La baie nord présente un tore reposant sur des colonnettes surmontées de chapiteaux lisses et de bases classiques, mais ornées de motifs en dents de scie. Le profil des bases et le décor des chapiteaux iraient dans le sens d’une datation de la seconde moitié du XIIème siècle. La baie centrale est similaire, à part les chapiteaux présentant des feuilles schématiques à très fortes nervures et au tailloir orné de zig-zag. Les bases sont ornées elles aussi de dents de scie [Fig. 230]. Elles présentent un profil avec une scotie très prononcée, un tore supérieur mince, évoquant des réalités post-carolingiennes (fin Xème, début XIème siècle) comme observées à Saint-Hilaire-de-Poitiers notamment. La baie la plus au sud conserve encore son archivolte reçue par un petit motif feuillagé. Les chapiteaux sont lisses mais avec le même système de tailloirs en zig-zag [Fig. 231, 232 et 233]. Le socle des bases présente lui aussi ce motif tandis que le tore inférieur est dentelé. Dans sa partie supérieure, le mur est correspondant au dortoir des moines montre des baies en plein-cintre plus larges que les simples meurtrières du mur occidental. Elles pourraient correspondre à des modifications apparues au XVème siècle avec la mise en place d’ouvertures plus grandes. La salle capitulaire disposait d’une toiture en bois constituant le plancher du dortoir au-dessus [Fig. 227, 228 et 229]. Le parloir présente une porte percée à l’est avec un arc surbaissé. Le mur pignon à l’extrémité sud semble en partie tardivement refait. Contrairement aux autres parements, il est de petit appareil irrégulier. Il est percé d’une porte centrale rectangulaire, d’une petite niche - 385 - en plein-cintre à l’est, sans doute en lien avec des libations car présentant dans la paroi nord un système d’évacuation des eaux, et d’une porte récente à l’ouest, désormais rebouchée. Ce pignon est percé dans sa moitié supérieure par une petite baie quadrangulaire. Au sud du parloir, les fondations d’un autre bâtiment sont préservées dont on peut encore distinguer l’angle sud-est. Il pourrait s’agir de l’ancien chauffoir. - Bâtiments conventuels : Le bâtiment à l’est semble plus tardif [Fig. 234 et 235]. Il comprend quatre salles et un cellier. Le cellier est dans l’alignement de la sacristie [Fig. 240]. Il s’agit d’une petite pièce basse, voûtée d’un berceau en tas-de-charge au profil brisé. L’une des pièces, la plus à l’est, dispose d’une cheminée et d’un évier de pierre. Il pourrait s’agir d’une cuisine1304. Ce bâtiment est généralement bâti en petit appareil irrégulier. Les parements les plus anciens (fin XIIème, début XIIIème siècles), souvent en partie basse, sont de moyen appareil régulier de calcaire [Fig. 236 et 237]. Cet édifice aurait pu être construit sur les bases d’un édifice médiéval, où en remployant de nombreuses pierres de taille plus anciennes [Fig. 239]. La façade sud est de moyen appareil régulier de calcaire. Elle est percée d’une porte moderne à clé d’arc haute ouvrant sur la seconde petite pièce. La façade nord montre encore fréquemment des parements en moyen appareil régulier, alternant avec des parties entièrement refaites en petit appareil. Une tourelle circulaire en moellons irréguliers (XVème siècle ?) est adjointe au niveau de la petite salle suivant le cellier, à l’angle nord-ouest [Fig. 238 et 241]. À l’extrémité de l’enclos monastique, au sud-est, une petite maison semble récente mais les piédroits et harpages utilisent des pierres de taille soignées probablement médiévales. - Granges et aménagements hydrauliques : • Moulin de Laumède : L’abbaye de Boschaud dispose encore de deux moulins bien conservés mais très 1304 C. DESPORT, Deux abbayes cisterciennes du Périgord…, op.cit, p. 31. - 386 - remaniés au fil des siècles [Fig. 242]. Le moulin de Laumède est situé à l’ouest de Villars sur la Dronne1305. Il s’agit d’une propriété privée. Le bâtiment quadrangulaire actuel est presque entièrement enduit ce qui ne permet guère une analyse précise du bâti. Une partie du mécanisme est encore en place avec un axe et une roue très endommagée. Une digue est placée à quelques mètres au-dessus du moulin. Elle est de béton et a sans doute remplacé l’ancienne digue de pierres sèches [Fig. 245]. • Moulin de Chez Nanot : Le moulin de Chez Nanot est également placé sur la Dronne1306. Il s’agit de même d’une propriété privée. Ce bâtiment quadrangulaire disposait de deux roues dont les mécanismes sont encore conservés, de même que la digue permettant l’alimentation des deux dérivations. L’un des biefs passe le long du pignon du moulin, l’autre en dessous [Fig. 243 et 244]. 1305 1306 IGN Série Bleue, 1/25000ème, 1833 E, Nontron. IGN Série Bleue, 1/25000ème, 1833 E, Nontron. - 387 - DALON - 388 - 5. Dalon (commune de Sainte-Trie, Dordogne) : L’abbaye de Dalon est située sur la commune de Sainte-Trie, canton d’Excideuil dans le département de la Dordogne. Elle appartenait auparavant au diocèse de Limoges dans l’archiprêtré de Lubersac. Elle est rattachée à la Dordogne en 1792. Nous accédons au site depuis la D72. L’abbaye est classée Monument Historique depuis le 27 septembre 1948 (chapelles, corps de logis, salle voûtée, pigeonnier). Sur la carte de Cassini, l’abbaye est signalée par les initiales AB. O.C. (abbaye d’ordre cistercien). Elle est symbolisée par une petite église surmontée d’une crosse. Sur la carte IGN au 1/25000ème, le site monastique correspond à un îlot de défrichement entre la forêt domaniale de Born et le Bois Noir à l’est [Fig. 246 et 247]1307. Sources manuscrites : Le cartulaire de l’abbaye de Dalon est aujourd’hui perdu mais a fait l’objet de travaux d’érudits aux XVIIème et XVIIIème siècles sur lesquels nous pouvons aujourd’hui baser notre propre réflexion. Ainsi Vion d’HÉROUVAL, GAIGNIÈRES, BALUZE, Du CANGE, dom Jacques BOYER, le père Anselme DIMIER ou encore l’abbé NADAUD se sont penchés sur ce précieux témoignage. Ces écrits ont été étudiés avec minutie par Louis GRILLON qui publie en 2004 les résultats de ses recherches sur le cartulaire1308. Les Archives Départementales de la Corrèze conservent certains documents concernant Dalon comme des baux à ferme (H 27- 1660-1784), un arpentage des bois de l’abbaye (H 107-1758) ou encore les prises d’habits et décès des moines (H 146- 1769-1790). Le procès-verbal de 1790 montre une abbaye en fort mauvais état [PJ 4 et 5]. Nous pouvons nous demander si ces descriptions n’étaient pas quelque peu exagérées afin de suggérer aux autorités qu’il n’y avait là plus rien d’intéressant. Les livres sont abîmés, les stalles du chœur vétustes. Il est dit également : « (…) Le tabernacle contient une custode de grandeur moyenne avec son voile le tout propre, que sur l’autel se trouvent quatre grands chandeliers et deux petits tous en 1307 IGN Série Bleue, 1/25000ème, Hautefort, 2034 O. L. GRILLON, Le cartulaire de l’abbaye Notre-Dame de Dalon, Archives en Dordogne, Études et Documents n°3, Périgueux, 2004, p. 9. 1308 - 389 - cuivre jaune et qu’une lampe de cuivre argenté est suspendue à la voûte de l’église. » En 1712, Dom BOYER décrit la nef à bas tandis que le procès-verbal la présente encore en élévation. S’agit-il alors d’une exagération de Dom BOYER ou la nef a-t-elle été reconstruite entre 1712 et 1790 ? Cette hypothèse nous paraît plutôt improbable étant donné la diminution du nombre de moines et de moyens financiers à cette période. En 1790 est également évoqué le patrimoine foncier de l’abbaye. Elle dispose encore de terres produisant vignes, céréales, fourrage et chanvre. Les moines détiennent un four à chaux et à tuiles, un pressoir. L’abbaye est encore assez riche à la période révolutionnaire1309. Les plans cadastraux conservés à la mairie de Sainte-Trie peuvent apporter quelques éléments [Fig. 248 et 249]. Le cadastre napoléonien montre deux bâtiments principaux placés à l’équerre correspondant à l’actuel bâtiment conventuel conservé (parcelle 175) et aux anciennes écuries, bâtiment très allongé situé sur la parcelle 180. Les vestiges médiévaux sont occultés (parcelles 179 et 181). Le cadastre actuel témoigne du développement des exploitations agricoles sur l’ancien site cistercien. Les deux bâtiments placés à l’équerre sont toujours présents (parcelle 16), bien que les anciennes écuries paraissent moins longues que sur le cadastre ancien. Deux bâtiments de ferme apparaissent au nord de celles-ci. Les ruines des chapelles occidentales du bras sud du transept sont signalées par des pointillés, les chapelles du bras nord, remployées dans une structure moderne, sont également représentées en trait plein. Deux autres petits bâtiments quadrangulaires ont été ajoutés à l’entrée du site (parcelle 16). Historiographie : L’abbaye de Dalon fait l’objet de recherches d’érudits locaux dès le milieu du XIXème siècle. L’abbé ROY DE PIERREFITTE consacre une étude rapide du site cistercien. Il s’attache toutefois plus à l’historique du site et à la personnalité de Géraud de Sales qu’aux vestiges conservés. Il signale simplement deux chapelles encore visibles1310. En 1955, Louis GRILLON étudie les rapports entre les abbayes cisterciennes de la Dordogne et les autres monastères de l’ordre à travers les statuts des chapitres généraux. Cette 1309 M. VAN MIEGHEM, L’abbaye cistercienne de Notre-Dame du Dalon de 1790 à 1814, Clairvive, 1976, p. 21. 1310 Abbé J-B. L. ROY DE PIERREFITTE, Études historiques sur les monastères du Limousin et de la Marche, T 1, Guéret, Betoulle, 1857-1863, p. 625-648. - 390 - analyse nous permet de replacer Dalon dans le contexte monastique de l’époque, dans le réseau cistercien du XIIIème siècle. Ces relations consistent essentiellement en litiges et conflits de bornage1311. En 1962, il livre un DES sur le cartulaire de Dalon sous la direction de Charles HIGOUNET à Bordeaux. Il étudie précisément les 1345 actes datés entre 1114 et 1247, probablement compilés par un moine du couvent. Ces actes sont classés géographiquement et permettent à l’auteur de distinguer relativement facilement les différentes granges et possessions des moines. Cette étude est ainsi essentielle pour la reconstitution du patrimoine foncier de l’abbaye de Dalon et sera reprise et améliorée en 2004 par l’auteur1312. En 1964, sa thèse de 3ème cycle soutenue à Bordeaux est une analyse précise du domaine et de la vie économique de Dalon, d’après le cartulaire et toutes les sources conservées sur l’abbaye1313. En 1976, Madeleine VAN MIEGHEM consacre une étude approfondie sur l’abbaye de Dalon. C’est la première synthèse réellement complète sur le site. Elle en livre une description minutieuse et évoque les sources disponibles à l’étude de vestiges archéologiques en partie ruinés : procès-verbaux, visite de Dom BOYER ou encore du chanoine POULBRIÈRE1314. En 1994, Claude ANDRAULT-SCHMITT étudie les monastères cisterciens nés de l’initiative de l’ermite Géraud de Sales. Elle fait le point sur les vestiges conservés et mène des comparaisons réellement nécessaires avec d’autres abbayes de l’ordre1315. Bernadette BARRIÈRE consacre une courte analyse du monastère dans son ouvrage Moines en Limousin. Elle recense les sources disponibles à l’étude du site et décrit brièvement les vestiges encore observables de nos jours. C’est un point documentaire essentiel à la connaissance de cette abbaye1316. Historique : Le site est placé dans la vallée du Dalon, un affluent de l’Auvézère. En 1114, Géraud de Sales, ermite périgourdin né vers 1070 à Sales-de-Cadouin, y fonde un ermitage avec l’assentiment de l’évêque de Limoges et de la famille des Lastours à qui appartient cette terre. 1311 L. GRILLON, « Les abbayes cisterciennes de la Dordogne dans les statuts des chapitres généraux de l’Ordre », BSHAP, T 82, 1955, p. 138-148. 1312 L. GRILLON, Le cartulaire de Dalon (1114-1247), Mémoire de DES sous la direction de C. HIGOUNET, Bordeaux, 1962 ; Le cartulaire de l’abbaye Notre-Dame de Dalon, Périgueux, 2004, dactyl. 1313 L. GRILLON, Le domaine et la vie économique de l’abbaye cistercienne Notre-Dame de Dalon en BasLimousin, thèse de doctorat, Bordeaux, 1964. 1314 M. VAN MIEGHEM, op. cit. 1315 C. ANDRAULT-SCHMITT, « Des abbatiales du « Désert ». Les églises des successeurs de Géraud de Sales dans le diocèse de Poitiers, Limoges et Saintes (1160-1220) », BSAOMP, 1994, T8, 5ème série, p. 91-173. 1316 B. BARRIÈRE (dir.), Moines en Limousin, l’aventure cistercienne, PULIM, Limoges, 1998, p. 163-166. - 391 - En effet, à cette date, deux frères seigneurs de Lastours accordent tout ce qu’ils possèdent en forêt de Dalon. La petite communauté œuvre très vite à se constituer un patrimoine foncier. Du vivant de Géraud, les termes « nemus » et « eremus » se rencontrent dans les actes pour désigner le site de l’ermitage. Il semble ainsi bien s’agir d’un désert boisé. Dès les premiers temps et du vivant de Géraud, l’abbaye est dotée par une famille qui, outre les Lastours, se montrera fidèle à l’abbaye de cisterciens. Il s’agit de la famille de Born, seigneurs de Hautefort. Le célèbre troubadour Bertrand de Born né vers 1140 dotera comme ses aïeux le monastère limousin et se fera moine à la fin de sa vie. Il apparaît en effet comme témoin dans certains actes de donation. Il y meurt en 12151317. Vers 1120, après la mort de Géraud, l’ermitage est érigé en abbaye par l’autorité épiscopale et doté d’un abbé, Roger (1120-1159). Celui-ci se voit confier la responsabilité de nombreux ermitages dont certains accédèrent au rang d’abbayes (Prébenoît, Bonlieu, Le Palais-Notre-Dame, Boeuil, Aubignac, Loc-Dieu et Saint-Léonard-des-Chaumes). Dalon devient en quelque sorte un chef d’ordre. L’abbaye adopte les usages cisterciens avant même le rattachement. La charte n°38 du cartulaire stipule : « Regulae beati Benedicti professionem litterariam ad imitationem Cisterciensum tenendam unanimiter decreverant »1318. En 1162, l’affiliation à Cîteaux est favorisée par l’accession à l’abbatiat d’Amel et par les volontés des évêques et seigneurs laïcs. Au XIIIème siècle, l’abbaye dispose de 27 granges dont une saline [Fig. 81]. Le patrimoine foncier du monastère est relativement bien connu grâce aux études de Louis GRILLON, historien scrupuleux et opiniâtre qui a rassemblé une documentation considérable sur les granges de Dalon. Il insiste sur le fait que le faire-valoir direct, l’emploi d’une main d’œuvre bon marché assurent une gestion bénéficiaire. La polyculture est adaptée à la nature des sols. Au milieu du XIIIème siècle, nous assistons aux premières aliénations et à une généralisation des baux à cens. L’étude du cartulaire par Louis GRILLON permet de lister les possessions des moines et les principales granges. Ainsi, le groupe de l’abbaye se constitue de la grange de l’abbaye, de Lavaysse (com. Puy-Lavaysse), de Puyredon (com. 1317 A. THOMAS, Poésies complètes de Bertran de Born, Toulouse, 1888, p. 1-52. J. CIBOT, Le cartulaire de l’abbaye du Palais-Notre-Dame (XIIème-XIIIème siècles), DES, Poitiers, 1961. « D’une voix unanime ils ont décidé de professer littéralement la règle de Saint Benoît à l’imitation des cisterciens ». 1318 - 392 - Coubjours), de la Forêt (com. Hautefort, ancienne paroisse de La Nouaillette) et de Fougeroles (com. Génis). Un second groupe au nord-ouest comprend Chalamand (com. SaintPaul la Roche), Murs (com. Thiviers) ainsi que la maison de ville d’Excideuil. Le groupe du nord-est se constitue de Masmoutier (com. Saint-Bonnet-La-Rivière), de Palemanteau (com. Concèze), et de Jeu (com. Église-aux-Bois) [Fig. 295 et 297]. Le groupe du sud-est comprend Bedena (com. Larche), Goudonnet (com. Chartrier-Ferrières) et Tauriac (com. Bretenoux). Le groupe du sud-ouest se constitue de Taillepetit (com. Sainte-Ores), de Puyboucher (com. La Boissière d’Ans), l’hospice de Montignac (com. Sarlat). La grange de Puyboucher existe encore en 1747 puisqu’à cette date, une transaction est passée entre l’abbaye de Dalon et les tenanciers de Puyboucher [Fig. 298]. La grange arrentée perpétuellement est citée, de même qu’un village du même nom. L’exploitation cistercienne a ainsi sans doute donné naissance à un hameau1319. Le groupe de Charente et Saintonge se constitue de la grange des Touches (com. saint-Just, cant. Marennes, Charente-Maritime) et de la Colre. Certaines granges ne sont pas localisées telles le Buisson et Laurière (même si son nom n’est pas conservé dans la toponymie, nous pouvons l’envisager sur la commune de Génis, en amont du Moulin du Pont, sur la rive droite de l’Auvézère) 1320. D’autres sont postérieures au cartulaire comme la Besse (com. Ségonzac), Chabanes, Hache (com. Savignac-Les-Eglises), Las Royas (com. Saint-Bonnet-La-Rivière) et Chantres (com. Milhacde-Nontron) [Fig. 291]1321. Huit exploitations agricoles appartiennent au département de la Corrèze. Il s’agit de Lavaysse, Palemanteau, Masmoutier, Jeu, la Besse, Las Royas, Bedena et Goudonnet [Fig. 295 et 297]. Ces deux dernières ont fait l’objet d’une étude plus poussée dans un article publié en 19661322. Bedena est située sur la commune de Larche, Goudonnet sur celle de ChartrierFerrières [Fig. 290]. Les vicomtes de Turenne sont alors propriétaires du château de Larche. Le premier acte de donation concernant Goudonnet date de 1179. Toutefois, elle existait sans doute depuis 1120. Beaucoup de terres sont données au premier abbé de Dalon. Elle se constitue des manses de Masadies, de Marfons, de Meyrignac, d’une vigne à Cousages et du manse de la Chassagne cédé par les Malemort. Elle possède le moulin de la Grèze sur la Couze et le moulin de Ladoux. La grange s’accroît jusque dans les années 1200. 1319 AD Dordogne, 1 J 1680. P. DEVAUX, L’occupation médiévale du sol du pays de Hautefort et de la forêt de Born, mémoire de maîtrise sous la direction de B. BARRIÈRE, 1 vol., 2003, p. 54. 1321 L. GRILLON, Le cartulaire…, op. cit, p. 4-5. 1322 L. GRILLON, « Deux granges Corréziennes de l’abbaye cistercienne de Dalon », dans Le Bas-Limousin, Histoire et économie, Tulle, 1966, p. 21-32. 1320 - 393 - Bedena est citée pour la première fois en 1190. Les terres sont concédées par les seigneurs de la Porte, de Belfort, de la Brousse et de Pommier. Elle détient de nombreux moulins sur la Couze et la Vézère. Elle est située en Causse, où le calcaire jurassique moyen donne des sols basiques, maigres et pierreux. Ces sols sont propres à la culture des céréales et de la vigne. Selon Louis GRILLON, Bedena se trouve en « rougier » où l’altération des grès permiens a donné des sols rouges au sable mêlé d’argile, acides, propres aux labours. Le sol est maigre à cause de l’affleurement des plaques de grès. Toutefois, il peut donner de bonnes terres céréalières. De nombreux cours d’eau favorisent les prairies, surtout dans la plaine alluviale de la Vézère. Le cartulaire de Dalon cite la production du seigle, du froment et la vigne. L’étude toponymique des cartes IGN et de Cassini permet généralement de localiser les granges et moulins de l’abbaye [Fig. 43 et 54]. La carte de Cassini signale trois tuileries aux proches abords de Dalon. Il est toutefois délicat de conclure qu’il s’agisse bien ici d’anciennes industries monastiques. Les toponymes « le Petit Moulin », « le Moulin de la Besse » (ouest de Dalon) et le « moulin de Puyval » au sud-est peuvent également évoquer d’anciennes possessions cisterciennes1323. L’acquisition du patrimoine foncier entraîne fréquemment des conflits et litiges entre les abbayes cisterciennes dont les territoires se chevauchent parfois. Dalon et Peyrouse sont ainsi souvent confrontés et leurs litiges apparaissent dans les statuts des chapitres généraux de l’ordre en 1192, 1219, 1220, 1221, 1239, 1241 et 1261. Dès 1190, l’abbé de Dalon est sollicité pour traiter avec d’autres pères quelques affaires de l’ordre dans une grange de Pontigny. En 1201, il aide à décider de la collecte à faire dans les monastères pour la Terre Sainte et la rédemption des captifs. En 1214, il se rend à Prébenoît où l’abbé a été blessé la nuit dans sa couche. En 1399, le Chapitre Général envoie quatre abbés pour réformer le Palais-Notre-Dame. C’est en quelque sorte une honte pour Dalon : abbaye-mère du Palais, elle aurait dû elle-même assurer les visites de sa fille1324. Au milieu du XVème siècle, l’occupation par les Anglais ruine les domaines et le patrimoine. En 1535, François de Las Tours, abbé commendataire, fait refaire le chœur. L’aile appuyée sur le transept est transformée en logis abbatial sur lequel on plaque une façade classique. En 1777, la salle capitulaire est transformée en cuisine. 1323 IGN Série Bleue, 1/25000ème, Hautefort, 2034 O. L. GRILLON, « Les abbayes cisterciennes de la Dordogne dans les statuts des chapitres généraux de l’Ordre », BSHAP, T 82, 1955, p. 138-148. 1324 - 394 - En 1811, la majorité des bâtiments en calcaire est démolie pour alimenter le four à chaux proche. Vestiges archéologiques : - Sources manuscrites : Le cartulaire de Dalon révèle certaines mentions des bâtiments monastiques qui peuvent nous aider à dater leur construction. En 1181, un acte est passé « in portica juxta capitulum ». En 1190, une donation est faite « in communi capitulo », en 1192 « in auditorio juxta capitulum ». Entre 1120 et 1137, une donation a lieu « in ecclesia », ce qui va dans le sens d’une édification après la mort de Géraud de Sales de bâtiments daloniens, remaniés, ou entièrement reconstruits par la suite lors de l’affiliation à Cîteaux. Ces bâtiments étaient-ils encore en matériaux périssables comme l’ermitage ou en pierres de taille ? Sans fouilles archéologiques, il paraît difficile de conclure ici. Il apparaît clairement qu’à la fin du XIIème siècle, le monastère cistercien disposait de sa salle capitulaire et de l’auditoire. Cela ne signifie toutefois pas que l’ensemble du monastère était achevé et l’église cistercienne n’était probablement pas terminée à cette date [Fig. 250]1325. - Abbatiale : Il demeure aujourd’hui les vestiges des chapelles occidentales du transept édifiées en calcaire de Saint-Robert [Fig. 251]. Deux travées du bas-côté droit présentent des colonnes élancées, des voûtes appareillées et des chapiteaux à feuillages1326. Lorsque Nadaud visite l’abbaye en 1628, il raconte que déjà les bâtiments sont en ruines. Des reconstructions seront menées par la suite par les architectes Nicolas Rambourg et Jacques Maigret, travaillant aussi à Hautefort et Boisseuilh. Ces travaux seront toutefois axés sur les bâtiments conventuels1327. Nadaud mentionne dans sa description un tombeau de femme dans une chapelle septentrionale dont le gisant est aujourd’hui conservé dans l’église de Sainte-Trie. La nef n’existe déjà plus au XVIIIème siècle. En effet, en 1712, Dom BOYER écrit que « l’église était grande et belle mais la nef est à bas »1328. Le corps de logis relève du XVIIIème siècle [Fig. 276]. Les façades de l’ancien bâtiment des moines sont rhabillées. On 1325 L. GRILLON, Le cartulaire…, op. cit, fol. 163-39-40-53. Abbé J. BROUSSE, « Une poignée de documents sur l’abbaye de Dalon », BSSHAC, T 56, 1935, p. 122-171. 1327 M. VAN MIEGHEM, op. cit, p. 52. 1328 C. ANDRAULT-SCHMITT, « Des abbatiales du « Désert »…, » op. cit, p. 91-173. 1326 - 395 - conserve néanmoins la salle capitulaire du XIIème siècle [Fig. 279]. En juin 1879, le chanoine POULBRIÈRE livre également une description de l’abbaye de Dalon. Il écrit : « L’église du Dalon, dont j’ai vu ces vacances les déplorables ruines, appartient bien en effet au type cistercien. Toutefois, elle est d’un bon demi-siècle postérieure à celle d’Obazine. Ce n’est plus le pur roman des bords de la Corrèze. C’est la grâce pudique et la fraîcheur première d’un gothique naissant. Vous ne verrez plus, sur ce site dévasté, que les six chapelles carrées qui flanquaient autrefois le transept »1329. Dans cette seconde moitié du XIXème siècle, les six chapelles du transept étaient alors encore observables. Selon Madeleine VAN MIEGHEM, quatre chapelles avaient été ajoutées aux bras du transept (deux chapelles par bras), contre le mur ouest, et ce pour le besoin des offices à la fin du XIIème siècle voire au début du XIIIème siècle. Elles auraient été détruites après 1605 et un ordre du Chapitre Général de supprimer les autels non utilisés. Cette destruction aurait été réalisée à la faveur des travaux de réfection de la façade de la maison abbatiale1330. D’après la Gallia Christiana, l’abbaye disposait à l’origine de trois cloîtres, pour les convers, les moines et les étrangers. « Olim tria claustra : monachorum, conversum, et hospitum »1331. La longueur de la nef est estimée à 56m. Le vaisseau central mesurait 10m de large et était flanqué de collatéraux de 5m de large. Le transept devait mesurer 44.5m de long pour 15m de large. Le chœur était large de 10m. D’après le découpage du parcellaire de l’ancien cadastre, il s’agissait vraisemblablement d’un chevet plat [Fig. 248 et 249]. Selon Claude ANDRAULT-SCHMITT, l’abbatiale de Dalon présente des affinités de plan, de dimensions et d’exécution avec Preuilly, Jouy, la Cour-Dieu, le Landais et Valence en Poitou. On retrouve l’ample développement du volume autour du transept, un plan orthogonal, un 1329 Chanoine POULBRIERE, BSSHAC, T II, 1879-1880. M. VAN MIEGHEM, op. cit, p. 97. 1331 Abbé J. BROUSSE, « Une poignée de documents sur l’abbaye de Dalon… », op. cit, p. 122-171 1330 - 396 - voûtement d’ogives quasi systématique et une longueur totale proche des 80m1332. L’historienne de l’art propose une datation entre 1192 (première mention de l’auditorium « contre le chapitre » terminant l’aile du cloître) et 1223 (difficultés des abbés sanctionnés par Cîteaux) ou 1230 (apparition d’une chambre de l’abbé en complément du programme)1333. Deux absidioles occidentales du transept sont intactes au sud mais semblent beaucoup plus modifiées au nord où elles sont murées [Fig. 270 et 271]. La partie nord a en effet été transformée en maison de métayer. Les voûtes ont disparu. Au sud, les chapelles sont appuyées contre le logis et sont dépourvues de couverture. Ces chapelles sont hautes, de 4.20m de profondeur, 3.95m de large, ouvertes sur un large bras de transept (10m) par un arc brisé à double rouleau, séparées par un mur. • Bras du transept sud. Chapelle nord : La chapelle du bras sud la plus au nord est bâtie en moyen appareil régulier de calcaire de qualité [Fig. 251 et 252]1334. Elle dispose d’un chevet plat. Des vestiges de peinture ocre et rouge sont discernables sur les parements mais restent difficile à dater. L’entrée en est marquée par deux piles engagées sur dosseret [Fig. 255]. Les angles du dosseret présentent des colonnes cantonnées reposant sur des bases au tore inférieur aplati. La scotie est peu prononcée. Elles sont ornées de griffes en forme de feuilles qui s’étalent sur le socle et permettent d’envisager une datation de la première moitié du XIIIème siècle [Fig. 259]. Ces bases disposent d’un haut socle de 18cm reposant lui-même sur un soubassement de 33cm de haut simplement souligné d’un cavet, lui-même reçu par une large assise de 24cm de haut. Ces piles supportent un arc brisé à double rouleau aux claveaux très soignés et belles pierres de taille. Le premier rouleau est reçu par le dosseret de la pile cruciforme tandis que le second est reçu par une colonne engagée dont la base est strictement identique à celles précédemment évoquées. Le dosseret comporte également des colonnes cantonnées dans les angles. Le chapiteau au sud présente un décor de feuilles lisses se terminant chacune par trois boules [Fig. 253, 254 et 256]. Ces feuillages se continuent en frise sur le dosseret et sur la colonne d’angle sud-est. La corbeille est surmontée d’un tailloir en tore/scotie/tore tandis que le fin astragale se poursuit en cordon sur le dosseret. Le chapiteau de la colonne nord présente des feuilles lisses se terminant en boules chacune ornée d’un coquillage. Ce décor se poursuit également en frise sur le dosseret et la colonnette d’angle nord-est. Ces piliers ressemblent 1332 C. ANDRAULT-SCHMITT, « Des abbatiales du « Désert »…, » op. cit, p. 91-173 ; C. ANDRAULTSCHMITT, Limousin gothique, Paris, Picard, 1997, p. 162-167. 1333 C. ANDRAULT-SCHMITT, Limousin gothique…, op. cit. 1334 Carreaux : en moyenne 51 par 24 cm ou 41 par 28cm. - 397 - fortement aux piliers de la croisée du transept de l’abbaye de Villelongue, située entre Castres et Carcassonne, bâtie de même que le chevet plat entre 1180 et 1220. Les tailloirs sont similaires, les chapiteaux présentent le même épannelage, les feuillages se prolongent en frise sur les dosserets. De même pour les astragales se poursuivant en cordon mouluré. Le chevet plat est percé d’une large baie en plein-cintre à double ébrasement. Les claveaux présentent des vestiges de couleur alternant jaune et rouge. Un cordon de mi-hauteur est simplement mouluré en doucine. Il rappelle en particulier celle du chœur de l’église de la Souterraine (premier tiers du XIIIème siècle). Au nord, un passage voûté en plein-cintre de 83cm de long pour 85cm de large ouvrait sur le transept. Le mur sud dispose également d’un passage voûté en plein-cintre ouvrant sur la seconde chapelle sud. Les dimensions sont les mêmes que le précédent. Cette ouverture est aujourd’hui condamnée. Au tiers de la hauteur de la chapelle, des trous de poutres sont visibles et signalent l’établissement d’un plancher à une époque difficile à déterminer. Une porte quadrangulaire est percée dans le mur sud, à l’extrémité est, et témoigne bien de l’existence d’un étage à un moment donné. Des trous de boulin sont également visibles aux 2/3 de la hauteur. Le mur sud dispose d’une piscine liturgique [Fig. 258]. Son encadrement a été entièrement dépecé, les pierres de taille sans doute récupérées pour leurs feuillures et modénatures intéressantes. Elle se constitue de deux lavabos circulaires de 28cm de diamètre avec un orifice central permettant l’évacuation des eaux. Cette installation liturgique confirme une présence d’un autel vers l’est. La voûte est quadripartite, appareillée avec soin, les ogives au tore unique sans amande, dégagé de cavets. Elle est ornée par une clé feuillagée. Les nervures retombent à l’est sur les chapiteaux en position biaise formant frise avec les chapiteaux principaux des colonnes engagées. À l’ouest, les angles sont occupés par de fines colonnettes se terminant au tiers de la hauteur par de petits culots feuillagés [Fig. 257]. Les chapiteaux sont également ornés de végétaux se terminant en boules. Les tailloirs épais présentent un profil en tore/scotie/tore. - 398 - • Bras du transept sud. Chapelle sud : Cette seconde chapelle présente le même plan et les mêmes dispositions générales que la précédente [Fig. 260]. Les sculptures diffèrent toutefois quelque peu. Le chapiteau le plus au sud présente des boules ornées de coquille tandis qu’au nord la corbeille est ornée de simples motifs feuillagés [Fig. 262, 263, 268 et 269]. La baie est aujourd’hui bouchée. Une différence avec la chapelle nord est la présence d’une colonne à l’angle sud-ouest allant jusqu’au sol et non plus reçue par un culot au tiers de la hauteur [Fig. 264 et 265]. Au sud, le parement présente les vestiges d’une petite niche servant sans doute d’armoire liturgique. Elle mesure 1.12m de large. L’arc en plein-cintre en est mouluré d’un tore [Fig. 266]. Nous pouvons également constater la conservation d’une partie du mur du fond du transept sud, présentant deux portes de tracé brisé, l’une pour le dortoir, l’autre pour la sacristie. L’une et l’autre sont aujourd’hui rebouchées. La porte du dortoir est à 2.25m audessus du sol actuel [Fig. 261]. Les parements ouest de ces chapelles septentrionales sont encore observables. Un enfeu est conservé, d’1.02m de profondeur, ouvrant sur la galerie du cloître par un arc brisé souligné d’un tore. La partie inférieure est un parement de moyen appareil régulier [Fig. 274 et 275]1335. Le blocage de la partie supérieure est visible car les pierres de parement en bel appareil ont été arrachées. Il se constitue donc de moellons de grès rose ainsi que de quelques blocs de moyen appareil, liés de mortier de chaux relativement grasse. • Bras du transept nord : Les dispositions des deux chapelles occidentales du bras nord du transept peuvent encore être observées bien qu’elles soient prises dans les maçonneries d’une petite maison d’habitation de volume quadrangulaire [Fig. 270 et 271]. Le parement sud présente une pile quadrangulaire encore visible avec ses colonnes cantonnées ornées de chapiteaux feuillagés. Les départs de voûtes d’ogives sont également observables. Le chapiteau principal de la colonne engagée est sculpté de feuilles lisses qui se poursuivent en frise sur le dosseret. À l’ouest, un chapiteau fin avec des feuilles nervurées enroulées repose sur une colonnette se terminant par un culot avec une succession de feuillages. Nous pouvons également constater la présence d’une ouverture en plein-cintre faisant le pendant de celle de la chapelle nord du bras sud et ouvrant sur le transept. Elle est désormais rebouchée. Le parement occidental 1335 Carreaux de 45 par 32cm ou 62 par 32cm. - 399 - témoigne encore de la présence d’une baie au sud rebouchée de petites pierres de tout venant. À l’extrémité méridionale, nous pouvons observer le départ du mur gouttereau nord. Les pierres de moyen appareil sont de belle qualité et assemblées visiblement sans blocage interne. Ce mur devait atteindre les 1.04m de large. Dans le mur oriental, l’entrée des deux chapelles est encore visible bien que prise dans des maçonneries modernes. Elle présente la même organisation qu’au bras sud du transept avec ses trois piliers cruciformes. Les chapiteaux et bases ont été enlevés, sans doute remployés dans d’autres bâtiments récents [Fig. 272]. Les arcades sont rebouchées avec des pierres dont certaines sont des remplois médiévaux (claveaux de nervure d’ogives). Les petits escaliers conduisant aux deux ouvertures modernes se constituent d’ailleurs de pierres d’entablement délicatement moulurées [Fig. 273]. L’amorce du mur du fond du transept nord est encore visible. La présence de chapelles placées à l’ouest sur les bras du transept n’est pas inhabituelle dans un cadre cistercien, bien que la disposition la plus fréquente soit celle de chapelles orientales. C’est le cas de l’abbaye-mère de Dalon, Pontigny, qui présentait à la fin du XIIème siècle et au début du XIIIème siècle à la fois des chapelles orientales et occidentales, permettant une multiplication des autels pour les prières individuelles des moines. De même à Chaalis, abbaye-fille de Pontigny, vraisemblablement reconstruite dans les années 1200-1219. Le parti adopté est celui d’un vaste transept dont chaque bras se termine par un déambulatoire à quatre chapelles polygonales [Fig. 1006]. Deux chapelles rectangulaires sont placées à l’est, une chapelle à l’ouest. Les possibilités d’autels sont dès lors multipliées. Faut-il voir dans l’adoption de ces chapelles occidentales des liens de filiation forts entre Pontigny et ses abbayes-filles ? Il paraît difficile d’en juger par cette seule ressemblance. Néanmoins, Dalon n’adopte pas le chevet à déambulatoire et à chapelles rayonnantes édifié à Pontigny entre 1186 et 1210 et elle ne semble pas non plus reprendre le parti de voûtes sexpartites présent dans l’abbaye de l’Yonne1336. Par ailleurs, l’adoption de chapelles occidentales de transept n’est pas spécifique à la filiation de Pontigny et se retrouve à Clairvaux III, édifiée vraisemblablement entre 1152 et 1174 (dédicace de l’abbatiale) [Fig. 995]1337 : le transept en forte saillie de plus de cinquante mètres est doté à chaque bras de deux 1336 C. A. BRUZELIUS, « The transept of the abbey church of Châalis and the filiation of Pontigny”, dans B. CHAUVIN (dir.), Mélanges à la mémoire du père Anselme Dimier, T III, 6, Abbayes, Pupillin, Arbois, 1982, p. 447-454. 1337 En 1178, une lettre d’Henri, abbé de Clairvaux à Henri II Plantagenêt mentionne le don par ce même souverain d’une somme ayant permis de doter l’abbatiale d’une couverture en plomb. Ce document confirme ainsi la date de fin de chantier vers 1174. J. HENRIET, « L’abbatiale cistercienne de Cherlieu », dans J. HENRIET, À l’aube de l’architecture gothique, Presses Universitaires de Franche-Comté, Besançon, 2005, p. 301-335. - 400 - chapelles orientales et de deux chapelles occidentales, comme à Dalon. Là encore, ce vaste transept aux multiples autels est associé à un chevet à déambulatoire et chapelles rayonnantes contiguës, enveloppées dans un mur polygonal. Ainsi, la multiplication des autels semble de mise dans le dernier tiers du XIIème siècle et le début du XIIIème siècle. - Bâtiments conventuels : • Logis abbatial : Le logis abbatial est le bâtiment contigu au transept, bâti en 1777 [Fig. 276 et 277]. Il est édifié en grès permien extrait des carrières de Louignac et de Teilhot. La façade orientale est toutefois bâtie en pierre de taille de calcaire importé de Saint-Robert. Il remplace le bâtiment des moines qui comprenait aux XIIème et XIIIème siècles la sacristie, l’armarium, la salle capitulaire, le parloir ainsi que l’escalier conduisant au dortoir des moines à l’étage. Ce dortoir est aménagé en chambres au XVIIIème siècle1338. Il s’agit d’un bâtiment de 35m de long pour 10m de large environ. Le parement occidental permet d’observer les anciens aménagements monastiques liés au cloître. Un cordon mouluré au 2/3 de la hauteur et trois corbeaux conservés permettent d’attester l’existence d’un cloître charpenté. • Sacristie : La sacristie est transformée en salle des archives, encore appelée « salle du trésor ». Il s’agit de la pièce directement contiguë au transept avec lequel elle communiquait par une ouverture en arc brisé où aboutissait l’escalier servant aux moines pour les offices de nuit. • Salle capitulaire : En 1777, sous l’abbatiat de Jean Certain, la cuisine est aménagée dans l’ancienne salle capitulaire qui prolonge le transept [Fig. 279]. Les moines, sans doute très peu nombreux, ne se réunissaient peut-être plus dans le chapitre comme aux premiers temps de l’ordre cistercien. La salle capitulaire est plus modeste que l’abbatiale et ne présente pas la même qualité de mise en œuvre. En effet, elle associe le grès rouge local et le calcaire fin. Ses dimensions réduites n’atteignent que 7.50m de côté. Elle se constitue de quatre travées et d’un unique pilier central circulaire. Elle est donc relativement modeste par rapport à d’autres chapitres connus. À Maubuisson par exemple, le plan quadrangulaire est de 14 par 12.40m et 1338 M. VAN MIEGHEM, op. cit, p. 35. - 401 - se constitue de deux vaisseaux de trois travées voûtées d’ogives (première moitié du XIIIème siècle)1339. Les ogives sont de section polygonale cernées par des nervures transversales de même profil lourd. Celui-ci se rencontre plus habituellement pour les salles moins nobles comme le cellier de Noirlac ou la forge de Fontenay. Claude ANDRAULT-SCHMITT se demande s’il ne pourrait pas s’agir ici d’une volonté de modestie des bâtisseurs1340. Toutefois, un réel souci du décor nous paraît tangible ne serait-ce que dans le choix de clés de voûte feuillagées, toutes différentes [Fig. 281 et 284]. Néanmoins, ce profil d’ogives observé correspond souvent à une datation plus tardive (XIVème-XVème siècles). Une réfection n’est ainsi pas impossible. Cette pièce carrée est ouverte à l’ouest par des baies en plein-cintre. Les nervures des ogives sont reçues par un tailloir monolithe de 0.45m de haut, de forme polygonale et d’un diamètre de 2.40m. La colonne en elle-même mesure 1.03m de haut pour 2.25m de diamètre. Les culots recevant les nervures sont ornés d’un simple bandeau [Fig. 280]. Le sol primitif est décoré d’un carrelage de terre cuite émaillé d’un dessin géométrique. Ce pavement subsiste à 0.40m de profondeur, sous des dalles de grès posées au XVIIIème siècle. Une vaste cheminée à l’angle sud-est est datée de 1777 [Fig. 282]1341. Les murs extérieurs ont été très repris tandis que les ouvertures d’origine sont modifiées. Des vestiges de peinture de faux appareil à joints ocres sont encore visibles par endroit [Fig. 283]. • Autres bâtiments et dépendances : L’ancien parloir communique avec la salle capitulaire par une porte. Il est voûté en berceau, large d’une travée. À l’époque Moderne, il sert d’office. Une prison est prévue sous la première volée de l’escalier. Un salon à manger est aménagé dans les murs d’origine. Le plafond est en plein-cintre. Quant à la salle des moines, elle est très remaniée. Elle est amputée de la moitié de sa longueur. Un mur pignon est construit au sud, percé d’une simple fenêtre rectangulaire. Elle est édifiée sur des caves, comblées à la fin du XIXème siècle1342. Au niveau du transept sud de l’abbatiale, des écuries sont installées. Si la description du procès-verbal de 1790 n’en parle pas, le cadastre de 1811 en fait état. Elles mesurent 41m de long pour 12.5m de large. La mise en œuvre de la façade sud est identique à celle de la maison abbatiale. À l’extrémité est de ce bâtiment, Jean SECRET signale en 1961 la présence de six squelettes, têtes orientées à l’ouest, bras croisés sur la poitrine, à 0.60m de profondeur. 1339 J-Y. LANGLOIS, « Le chapitre des cisterciennes de Maubuisson », dans L’Ile-de-France médiévale, T II, Paris, 2001, p. 44-47. 1340 C. ANDRAULT-SCHMITT, op. cit. 1341 M. VAN MIEGHEM, op. cit, p. 44. 1342 M. VAN MIEGHEM, op. cit, p. 49. - 402 - Des vestiges de cercueil en bois ont été mis au jour, ainsi que des clous en fer forgé. Il pourrait s’agir du cimetière des moines, placé à l’est du chevet de l’abbatiale 1343. Ce cimetière aurait disposé d’une Lanterne des Morts. En effet, d’après le cartulaire, en 1187, un acte de donation évoque l’entretien de la lampe du cimetière (fol. 198). En effet, Guillaume de Tauron offre par testament « six livres pour le maintien d’une lampe pendant la nuit auxquelles s’ajoutent le prix de six setiers de froment promis par le monastère pour que ladite lampe brûle nuit et jour ». Quant au cloître, il n’en demeure rien aujourd’hui. Certaines pierres sont conservées au musée des cloîtres de New-York. Un colombier est placé à l’angle nord ouest de l’enclos et est daté vraisemblablement du Bas Moyen-Âge [Fig. 278]. D’après l’actuel propriétaire du site, il serait daté de 1524. Il remploie des pierres en grès rose du XIIIème siècle de l’abbatiale. Il est toutefois difficile de dater ces structures avec précision puisque l’ensemble a été presque entièrement enduit. Les colombiers sont fréquents dans les abbayes cisterciennes. Selon Marcel AUBERT, « dans chaque abbaye se dressait, au milieu des bâtiments de la ferme, un colombier, grosse tour cylindrique coupée à l’extérieur, aux deux tiers de la hauteur, par un fort cordon mouluré en larmier destiné à arrêter les bêtes puantes cherchant à monter jusqu’à l’entrée réservée au sommet de la tour, et souvent abritée par une lucarne de la toiture. En bas est une porte étroite permettant de pénétrer à l’intérieur où sont creusés, sur toute la surface des murs, des trous de boulins. »1344 Le colombier de Dalon est en effet cylindrique, présente un cordon mouluré en larmier aux deux tiers de la hauteur comme le décrit Marcel AUBERT. Son toit conique est couvert de tuiles plates. Il est placé à l’extrémité ouest de l’enclos monastique. Des colombiers similaires sont connus à Reigny (Yonne, Bourgogne), La Ferté (Saône-et-Loire, Bourgogne) ou encore à Valloires (Somme, Picardie). Les colombiers ne sont pas toujours placés au milieu des bâtiments de ferme mais peuvent se trouver hors de la clôture monastique, à proximité de l’église et de l’entrée du monastère, parfois à côté de bâtiments à vocation agricole. Ils ne sont pas toujours cylindriques à l’image de celui de Dalon. Philippe MANNEVILLE remarque qu’en Normandie, les colombiers des abbayes cisterciennes de Beaubec et Breuil-Benoît (com. Marcilly-Sur-Eure) sont octogonaux1345. De même, le pigeonnier de Gimont est polygonal 1343 AD Dordogne, 2 J 1145 (notes de Jean SECRET). M. AUBERT (avec la collaboration de la marquise de Maillé), L’Architecture cistercienne en France, Vanoest, Paris, 1947 (2ème édition), T II, p. 170. 1345 P. MANNEVILLE, « Colombiers d’abbayes normandes », dans Les abbayes de Normandie, Actes du XIIIème Congrès des Sociétés Historiques et Archéologiques de Normandie, Rouen, 1979, p. 205-221. 1344 - 403 - (Gers, Midi-Pyrénées). Des colombiers carrés se retrouvent à Boulbonne (Haute-Garonne, Midi-Pyrénées), Flaran (Gers, Midi-Pyrénées) ou encore à Villelongue (Aude, LanguedocRoussillon). Les autres bâtiments telles les granges, étables et la porterie sont détruits après 1811 et enterrés sous 1.60m de remblais. La grange de l’abbaye devait être située à 150m à l’ouest de l’abbaye, au-delà du colombier. Il ne reste aujourd’hui que les ruines d’une ferme moderne à peine perceptibles dans le paysage. Le bâtiment des convers à l’ouest est remplacé par un corps de logis en grès rouge. Il est aménagé au cours des siècles de la même manière que la maison abbatiale. L’aile sud est occupée par la maison du prieur1346. Autour des installations monastiques et particulièrement à l’ouest et au sud des bâtiments, un enclos est encore perceptible. Il court tout le long de l’actuelle cour à l’est du logis abbatial. Il est bâti en moyen appareil régulier à l’ouest tandis que les parements conservés au sud sont plus irréguliers, en grès rose. Il pourrait également s’agir ici d’assises appartenant au bâtiment méridional du cloître. - Éléments lapidaires vagabonds et remplois : À l’est des chapelles du bras sud du transept, un bâtiment longiligne moderne orienté est/ouest sert aujourd’hui à remiser le foin. Il présente de nombreux remplois médiévaux comme des éléments de colonne (40cm de diamètre), de colonnettes, de portail à ébrasements ou des claveaux de nervure d’ogives [Fig. 289]. De nombreux éléments lapidaires sont également déposés de loin en loin dans l’enclos monastique mais ne suffisent toutefois pas à mener un réel inventaire et à tirer des conclusions sur les voûtements, supports et dispositions de la nef et du cloître. Des claveaux de nervure d’ogives présentent des profils différents mais généralement sans amande [Fig. 288]. Un tambour de colonne de 45cm de diamètre et de 32cm de haut est déposé dans la cour devant le logis abbatial. Ces colonnes massives pouvaient appartenir à nef aujourd’hui encore méconnue. Des éléments de corniche sont remployés en jardinière devant le logis abbatial. Nous pouvons également recenser une base de pile engagée pentagonale (nef ?), trois fragments de pilastres cannelés [Fig. 285, 286 et 287]. Ces derniers pourraient provenir d’un retable établi 1346 M. VAN MIEGHEM, op. cit, p. 97. - 404 - dans le chœur de l’abbatiale par François de Las Tours en 15351347. Un petit chapiteau feuillagé semble appartenir à une colonne engagée. - Aménagements hydrauliques : Les installations hydrauliques sont peu discernables dans le paysage actuel. À l’ouest du pigeonnier, en contrebas de l’enclos monastique, un cours d’eau entièrement asséché pourrait correspondre à l’ancien bief dérivé du Dalon. Il conduit au sud-ouest à un espace où la végétation plus dense et plus verdoyante fait penser à l’emplacement d’un ancien vivier. Des éléments de canalisation en pierre sont déposés devant le logis abbatial et demeurent les seuls témoins tangibles d’aménagements que seules des investigations archéologiques pourraient révéler [Fig. 286]. - Granges : Des prospections ont été menées sur les sites des anciennes exploitations agricoles appartenant aux moines de Dalon. Néanmoins, les vestiges médiévaux sont rares, ces granges ayant été constamment remaniées, voire détruites. Ainsi, les sites de Lavaysse (actuel VieuxLa-Veysse), La Besse1348, Puyredon et Fougerolas n’ont révélé aucun vestige significatif [Fig. 299]1349. • Grange de Bedena : Cette grange est située à quelques kilomètres à l’est de Larche [Fig. 290]. Elle apparaît dans la toponymie actuelle sous la graphie « Bédénas »1350. Le village actuel est relativement moderne, excepté une maison au volume quadrangulaire cerné de deux pignons présentant encore des pierres de taille. Elle sert actuellement de remise. Il demeure l’amorce d’une porte en plein-cintre. Quant au moulin de Larche lui appartenant, il avait une réelle importance d’après le cartulaire. À sa droite, en amont, un gué que l’on passait en barque est encore repérable dans la toponymie (« le Port » est indiqué). Le moulin est toujours en activité mais est entièrement moderne. • Grange de Chantres : De la grange de Chantres située sur la commune de Milhac-de-Nontron reste 1347 C. ANDRAULT-SCHMITT, Limousin gothique…, op. cit., p. 161. IGN 1/25000ème, Série Bleue, 2034 E, Juillac. 1349 IGN 1/25000ème, Série Bleue, 2034 O, Hautefort. 1350 IGN 1/25000ème, Série Bleue, 2035 E, Terrasson-Lavilledieu. 1348 - 405 - actuellement une chapelle, simple volume quadrangulaire bâti en petit appareil irrégulier. La porte d’entrée latérale est surmontée d’une archivolte au profil en plein-cintre ornée de dents de scie [Fig. 291 et 292]. • Grange du Châtaignier : Cette exploitation agricole est installée par les moines à quelques kilomètres à l’ouest d’Uzerche [Fig. 293]. Le nom est toujours présent dans la toponymie actuelle 1351. Les vestiges consistent en deux corps de bâtiment à l’abandon ayant servi de granges et d’étables. Certaines pierres de taille en harpages pourraient correspondre à un ancien bâtiment médiéval. • Grange de Goudonnet : La grange de Goudonnet appartenant aux moines de Dalon apparaît encore dans la toponymie actuelle sous la graphie « Coudonnet » [Fig. 294]. Elle est située non loin de la grange de Baudran appartenant aux moines d’Obazine, au sud de Chartier-Ferrière1352. Le bourg actuel présente un certain nombre de maisons disposant de belles pierres de taille. L’une d’elle est dotée d’une abside et surmontée d’une flèche. Il pourrait s’agir d’une ancienne chapelle appartenant aux cisterciens de Dalon et servant aux dévotions des convers et moines chargés de l’exploitation. Une des maisons dispose d’une cave voûtée de 8 par 7 m qui pourrait correspondre à l’ancienne grange. Une cheminée de pierre porte l’inscription 1668. • Grange de Laurière : La grange de Laurière est située sur la commune de Génis, en amont du Moulin du Pont, sur la rive droite de l’Auvézère au nord-est de Génis. Le lieu est abandonné après la Révolution, désormais envahi par les broussailles et difficilement lisible. Les vestiges d’un ancien moulin sont néanmoins discernables près d’un petit ruisseau. Le canal d’alimentation se devine encore ainsi que les ruines d’une maison d’habtation en bordure d’un bois1353. • Grange de Palemanteau : La grange de Palemanteau est située au nord de Juillac et a conservé l’ancienne 1351 IGN 1/25000ème, Série Bleue, 2133 O, Uzerche. IGN 1/25000ème, Série Bleue, 2135 O, Brive-la-Gaillarde. 1353 P. DEVAUX, L’occupation médiévale du sol du pays de Hautefort et de la forêt de Born, mémoire de maîtrise sous la direction de B. BARRIÈRE, 1 vol., 2003, p. 54. 1352 - 406 - graphie médiévale [Fig. 295]1354. Elle ne présente guère de vestiges significatifs excepté un grand bâtiment quadrangulaire encadré de deux pignons au sommet abattu présentant de belles pierres de taille en harpage. • Grange de Tauriac : Cette grange n’a laissé aucun vestige significatif. Elle est située entre Tauriac et Puybrun. Concernant la bastide de Puybrun, elle s’est accompagnée de la création d’un prieuré et d’une église Notre-Dame de la Grange, mis à bas lors des conflits avec les Anglais au XIVème siècle. Ce prieuré est situé au cœur de la bastide, près de la Place Grande. L’abbé de Dalon a ainsi plus de facilités à percevoir les rentes dus par les tenanciers de ses terres. Une visite de 1676 fait état d’un fort et de l’église Notre-Dame de la Grange1355. Le « fort » est un vaste bâtiment de 28 toises de long et 4 toises de large (53m par 7.5m environ). C’est la bâtisse la plus imposante du prieuré. Il est également appelé « Maison du Prieur ». Ce fort est dit ruiné depuis 300 ans. Il devait accueillir un certain nombre de frères convers, ainsi que différents locaux (cuisine, réfectoire, dortoir, salle commune, pièces de stockage, celliers). D’après le procès-verbal de 1676, la maison du Prieur communique avec l’église actuelle. Un arc brisé sur le mur gouttereau sud de la nef de l’église pourrait être un témoin de cet ancien prieuré. Si l’église de Saint-Blaise de Puybrun (paroissiale) est réhabilitée suite à cette visite, le fort et l’église Notre-Dame de La Grange ne sont pas rebâtis. En 1676, ne demeure de l’église Notre-Dame de la Grange que des murs en ruines. On ne connaît pas ses dimensions. Est décrit également un four banal, consistant en deux fours jumeaux de 26 pieds de long sur 14.5 pieds de large, couverts de tuiles cruses. Le sol est pavé de carreaux de briques, la voûte est également de briques. L’église Saint-Blaise est située à l’angle de la place principale, emplacement habituel des édifices de culte dans les bastides méridionales. Elle est dotée d’un puissant clocher, auparavant tour carrée massive au XIIIème siècle, utilisé comme beffroi, seule fortification de la bastide [Fig. 300]. Certaines demeures alentours présentent encore de belles pierres de taille comme la « salle des gardes » située à côté de l’église [Fig. 301]. En réalité, il s’agit d’une cave voûtée, vestige de l’ancienne grange cistercienne. Elle mesure 15.65m par 9.35m. Elle est voûtée en berceau brisé à 3.10m de hauteur. La porte nord est surmontée d’un arc ogival, la porte sud 1354 1355 IGN 1/25000ème, Série Bleue, 2034 E, Juillac. H Supplément Limoges B 6. - 407 - d’un arc en anse de panier. Il devait s’agir d’une cave à vin puisqu’on sait que la vigne est la principale richesse de cette bastide. Lorsque le prieuré est détruit, la cave est réutilisée en salle de corps aux soldats du guet, d’où son nom actuel [Fig. 302]1356. 1356 J-P. LAUSSAC, L. GRILLON, « Le prieuré Notre-Dame de la grange de Puybrun », Bulletin de la Société des Études du Lot, 2002, T 123, p. 81-96. - 408 - LE PALAIS-NOTRE-DAME - 409 - 6. Le Palais-Notre-Dame (commune de Thauron, Creuse) : L’abbaye du Palais-Notre-Dame est située sur la commune de Thauron, canton de Pontarion en Creuse. Elle ne fait l’objet d’aucune protection au titre des Monuments Historiques. Elle est signalée sur la carte de Cassini sous l’appellation « le Palais ». L’abbatiale est indiquée par une petite église surmontée d’une crosse. Les initiales AB et O.C (ordre cistercien) ne sont pas précisées. De même, la carte IGN indique l’abbaye par le toponyme « Le Palais » et « château ruiné » qui fait probablement référence au logis abbatial. Le vivier en contrebas à l’ouest de l’abbaye est représenté. L’abbaye est située au-dessus de la D 940a, à quelques kilomètres au nord-est de Bourganeuf [Fig. 303 et 304]1357. Sources manuscrites : Pour la connaissance des premiers temps de la fondation et de la constitution du patrimoine de l’abbaye du Palais-Notre-Dame, nous bénéficions de documents précieux conservés aux Archives Départementales de la Creuse et en particulier du cartulaire1358. Ce manuscrit est resté dans la bibliothèque de l’abbaye jusqu’au XVIIIème siècle. En 1854, le Musée Britannique en fait l’acquisition. Il est désormais déposé à la BNF sous la cote ms. add. 19887. Il s’agit de 106 feuillets de parchemin, de trois feuilles de papier de 18.4cm de haut et de 12.4cm de large. Le volume est recouvert d’une reliure en cuir brun de 19.5cm de haut pour 14.3cm de large. Il permet de connaître le passage de l’ermitage à l’abbaye dalonienne et nous renseigne sur la constitution des granges et l’expansion du patrimoine. Rares sont les mentions concernant la construction des bâtiments monastiques. En 1160, une donation tient lieu dans la salle du chapitre (folio 38). Il devait s’agir des bâtiments daloniens, l’affiliation à Cîteaux n’intervenant qu’en 1162. En 1206, Aimeric de la Ribière donne une rente annuelle d’un setier de froment pour les besoins des bâtiments monastiques : « ud edificium monasterii » (folio 50). La même année, Pierre du Chasan donne une rente annuelle de 6 deniers pour l’entretien des bâtiments du monastère : « ad opera monasterii » (folio 51). Idem pour Pierre du Bois de Saint-Georges qui donne 6 deniers de rente pour les travaux à effectuer aux bâtiments monastiques : « ad opera monasterii » (folio 52). En 1210, Aiceline de Saozet donne une émine de seigle de rente annuelle qu’elle affecte à l’entretien des bâtiments du couvent (folio 127). Les bâtiments daloniens auraient-ils été remaniés, voire 1357 1358 IGN Série Bleue, 1/25000ème, Bourganeuf, 2130 E. AD Creuse, H 524. - 410 - reconstruits suite à l’affiliation à Cîteaux jusque dans le premier tiers du XIIIème siècle ? Ces actes de donation vont dans le sens d’une construction (ou reconstruction) plutôt tardive. Il est toutefois délicat de savoir exactement en quoi consistait ces « travaux » ou « entretien » des bâtiments : réelle construction, simples remaniements ou embellissements de bâtiments déjà édifiés ? Sous la cote H 525, nous trouvons des arrentements, rapports et ventes datés des années 1510 jusqu’au XVIIIème siècle. Ceux-ci n’apportent pas réellement d’informations concernant les bâtiments monastiques proprement dit. Une réduction de la nef est jugée nécessaire et déjà reconnue par un arrêt du Grand Conseil de 1745. Il faut « démolir cette partie inférieure jusqu’aux piliers inférieurs de la croix » et un « mur (est) à construire entre les piliers inférieurs de la croix pour fermer ladite église (…). L’église menace ruine prochaine et imminente par deux vices de construction irréparables d’où il résulte que telles réparations qu’on y fît ne pourraient la faire subsister, au moins dans la partie inférieure, que la reconstruction de cette église, nécessitant une dépense considérable à laquelle on ne pouvait subvenir, il serait plus utile de la réduire». En 1745, l’église est donc réduite à 52 pieds (17.3m). Elle serait ainsi « plus que suffisante tant pour le service divin où il n’y a jamais plus de deux religieux que pour l’assemblée des fidèles ». Un nouveau mur est construit à l’ouest avant la destruction des 2/3 de l’édifice total. Pour ce faire, il est spécifié de remployer le portail d’entrée des fidèles. Ce mur est de 4 pieds d’épaisseur (1.30m), dispose de pierres de traverse (boutisses) et d’un mortier de chaux aux sables lavés. Il ne demeure rien aujourd’hui en élévation de ce mur du XVIIIème siècle qui vient clore la nef tronquée. En 1745, les religieux sont également autorisés par le Grand Conseil à supprimer les cloîtres [Fig. 318]. En 1789, le procès-verbal de visite énonce : « L’église mesure 136 pieds de longueur sur 20 de large (45m par 6.50m). Elle est composée d’une croix de 80 pieds de longueur sur 22 pieds 6 pouces de largeur - 411 - (transept de 26.7m par 7.5m) et encore de bas-côtés qui ont huit pieds neuf pouces de largeur (3m), le tout sans comprendre le chœur qui a 36 pieds (12m) ». La description ne tient pas compte des modifications voulues dès le milieu du XVIIIème siècle. L’érection de la nouvelle façade n’était peut-être pas achevée ? Les réparations jugées nécessaires par l’arrêté du Grand Conseil ont peut-être tardé à être appliquées.1359. Un inventaire des objets mobiliers de l’église (1790-1791)1360 précise que la maison conventuelle est composée « d’une grande salle, d’un salon, d’une boulangerie, et un cellier dans le bas, de quatre chambres dans le dortoir, dont deux servent pour les religieux qui les occupent, les deux autres pour les étrangers et deux greniers au-dessus. (…) Nous sommes allés dans la sacristie où dom Féry nous a représenté un calice avec sa patène, un soleil d’argent et une custode en maille dorée ; un encensoir, une croix et une lampe argentée, trois aubes de linge nécessaire, six chasubles de différentes couleurs en mauvais état et quelques mauvais livres de chant. De là, nous sommes allés dans l’église où il n’y avait autre chose sur l’autel que six chandeliers de cuivre et une nappe avec les cartons. (…) et nous avons trouvé dans ladite église et sacristie une custode en maille dorée un soleil d’argent, un encensoir avec une navette, une lampe argentée, une croix en cuivre avec son manche en bois, six grands chandeliers de cuivre, cinq chasubles de différentes couleurs garnies, deux aubes, sept purificatoires, deux corporaux, six lavabos, deux amis, une bourse avec sa palle, deux reliquaires en forme de bras, cinq mauvais livres de chant 1359 1360 AD Creuse, H 526. AD Creuse, H 527. - 412 - et un missel, une vieille crosse en cuivre manchée en bois, un mauvais pupitre en bois, un chandelier paschal aussi en bois, un porte-chasse presque pourri. Tout quoi a été mis dans la sacristie qui tient au sanctuaire de ladite église (…). Dom Féry a pareillement promis de présenter à la première réquisition un calice avec sa patène d’argent, une chasuble complète en ver presque usée, et une aube avec sa garniture. Nous avons laissé dans laditte église et sur l’autel d’icelle, la représentation de saint marc en bois, une petite croix en cuivre, deux mauvais tableaux attachés à cloux, l’image de la Vierge, quatre autres images en bois, trois nappes et un missel et porte missel, ensemble trois cartons, le tout servant de garniture à l’autel. De tout quoi ledit dom Féry s’est pareillement chargé (…) ». L’abbaye dispose également encore de deux étangs « rompus » (dont on peut supposer que la digue s’est affaissée) ainsi que d’un moulin banal à seigle, à froment et à foulon. Le fonds de l’abbaye du Palais est donc riche en enseignement concernant les débuts de la communauté religieuse, la fondation de son patrimoine et l’évolution des bâtiments à l’époque moderne notamment. Historiographie : L’abbaye du Palais-Notre-Dame a peu fait l’objet d’études archéologiques et d’histoire de l’art. Aucun sondage ou fouilles archéologiques n’ont été menées sur le site jusque en 2007. Quelques érudits locaux ont toutefois fourni des descriptions succinctes du site. Plus récemment, Bernadette BARRIÈRE et Silvia VITTUARI ont proposé une étude du patrimoine foncier du monastère, et Claude ANDRAULT-SCHMITT s’est attachée à une étude des élévations restantes. En 1857, J. B. L. ROY DE PIERREFITTE est le premier à décrire l’abbaye du Palais. Il en parle comme d’un oasis. La maison des moines est décrite comme une tour carrée aux murs épais, un rez-de-chaussée portant la date de 1574. La chapelle romane forme une croix - 413 - latine, présente une ligne parallèle avec ce logis. Il n’en reste qu’une masure de quelques mètres de haut dessinant le sanctuaire et l’un des bras de la croix. Ainsi, nous pouvons en conclure qu’en cette seconde moitié du XIXème siècle, il demeure encore l’un des bras du transept, totalement détruit aujourd’hui. La maison de l’abbé est une gracieuse habitation construite au XVIIIème siècle. Ce sont les seules informations que nous pouvons extraire de ce court article qui pêche par les descriptions « romantiques » et bien peu précises de son auteur1361. En 1906, Gabriel MARTIN s’intéresse au siège de l’abbaye par son propre abbé, chassé par un usurpateur daté de 1451. Cet article reste anecdotique et n’apporte guère à une étude d’histoire de l’art et d’archéologie. Nous apprenons simplement que l’abbaye est fortifiée à cette époque. L’accent est mis sur les dissensions opposant l’abbé légitime Louis Augustin et Jacques du Coudert qui parvient à s’emparer de la direction et des revenus du couvent1362. En 1912, Henri DELANOY revient sur les sources concernant les abbayes du Palais et de Prébenoît. Il énumère les sources d’archives conservées, revient sur les origines, les principaux donateurs et donne une liste des abbés du monastère. Il identifie neuf granges rattachées à l’abbaye [Fig. 83]. Toutefois, il fait une erreur concernant la grange du Saillant qu’il place aux abords de Bujaleuf. Celle-ci est toutefois située en Corrèze, sur la commune de Voutezac (canton de Juillac)1363. En 1922, Pierre LARBANEIX livre une courte étude sur la grange du Saillant, la plus éloignée de l’abbaye marchoise. Le principal donateur en est Raymond Charrièras du proche village d’Objat. Cette grange dispose d’une maison, d’un cellier, d’un pressoir, d’un jardin, d’un pré et de vignes. Elle détient également deux chapelles : celle de la Côte et celle de Bontat. Cette dernière serait dédiée à Sainte Radegonde selon POULBRIÈRE mais à la Vierge selon NADAUD. Elle se situe à côté du moulin du même nom. Elle dispose de 18 pieds de long sur 15 de large (6 par 5m). La maison de religieux à côté porte la date de 1444. La chapelle de la Côte est au sud du village du même nom. Elle mesure 24 pieds de long par 15 pieds de large (8 par 5m). Une fenêtre ouvre sur le côté ouest tandis qu’une porte demi cintrée s’ouvre au nord1364. 1361 J. B. L. ROY DE PIERREFITTE, Études historiques sur les monastères de Limousin et de la Marche, T I, Guéret, 1857-63. 1362 G. MARTIN, « Le siège de l’abbaye du Palais-Notre-Dame en 1451 », MSSNAC, T 15, 1906, p. 483-495. 1363 H. DELANOY, « Abbayes du Palais et de Prébenoît », MSSNAC, T 18, 1912, p. 295-316 ; Le Saillant est actuellement un hameau. IGN Série Bleue, 1/25000ème, 2134 O, Donzenac. 1364 P. LARBANEIX, «La grange du Saillant », MSSNAC, T 22, 1922-24, p. 159-165. - 414 - En 1966, Robert CALINAUD revient sur le pillage de l’abbaye en 1578. En 1584, l’abbaye « était démolie depuis six ans pendant les troubles et guerres civiles et nécessitait 1500 écus de réparation ». L’auteur cite une description de LECLER insistant sur les vestiges conservés malgré les troubles et pillages : « la maison des religieux qui porte la date de 1574, puis la chapelle romane dont il ne reste qu’une masure de quelques mètres de haut, enfin la maison de l’abbé, gracieuse habitation construite au XVIIIème siècle »1365. Le monastère cistercien a donc beaucoup souffert des dégradations lors des guerres de Religion justifiant en partie le peu de vestiges conservés de nos jours. La même année, M. DAYRAS revient lui aussi sur l’histoire mouvementée du Palais1366. Il déplore également les importantes destructions subies au XVIème siècle. De la grande église en croix latine de 136 pieds de long (45m) ne reste que le triplet du chevet [Fig. 307]. En 1745, l’église est réduite alors que la partie inférieure de la nef menace ruines. À cette époque subsiste encore du cloître une enfilade de quinze petites arcades gothiques sans toit ni voûtes. P. LOURADOUR apporte nombre de compléments à l’étude de DAYRAS en citant à l’appui des textes du XVIIIème siècle pour montrer les destructions subies par l’abbatiale1367. En 1961, Jean CIBOT consacre son Diplôme d’Etudes Supérieures (DES) au cartulaire de l’abbaye du Palais. Si certaines datations proposées peuvent être affinées, cette étude permet une bonne connaissance du patrimoine foncier des moines blancs, regroupé en neuf granges. Une liste des abbés est également proposée et paraît relativement cohérente. Rien n’est dit toutefois des vestiges archéologiques1368. En 1992, Silvia VITTUARI consacre un mémoire de maîtrise d’histoire au patrimoine foncier de l’abbaye du Palais-Notre-Dame, reconstitué partiellement d’après le cartulaire conservé aux Archives Départementales de la Creuse1369. Son étude se révèle nécessaire à la connaissance de la naissance de la communauté, de ses principaux bienfaiteurs et de l’organisation de son patrimoine. Les différentes granges sont nettement distinguées : le groupe de l’abbaye (Quinsat, Le Mont, la Chaise), le groupe de Bosmoreau-Les-Mines (Arcissas, Rapissat, Mairemont), la grange de Beaumont, de Langladure et le domaine viticole de Saillant. Les vestiges archéologiques ne sont que brièvement évoqués en annexes. 1365 R. CALINAUD, « Le sac de l’abbaye du Palais-Notre-Dame », MSSNAC, T 36, p. 151-152. M. DAYRAS, « Les abbayes creusoises et le Palais-Notre-Dame », MSSNAC, T 36, 1966, p. 215-220. 1367 P. LOURADOUR, « L’abbaye du Palais-Notre-Dame », MSSNAC, T 36, 1966, p. 221-227. 1368 J. CIBOT, Le cartulaire de l’abbaye du Palais-Notre-Dame (XIIème-XIIIème siècles), DES, Poitiers, 1961. 1369 S. VITTUARI, Le patrimoine de l’abbaye du Palais-Notre-Dame d’après le cartulaire (1134-12..), mémoire de maîtrise d’histoire, Limoges, sous la direction de B. BARRIÈRE, 1992. 1366 - 415 - En 1994, Claude ANDRAULT-SCHMITT livre une étude des élévations de certaines abbatiales issues d’anciens ermitages de Géraud de Sales dont le Palais-Notre-Dame fait partie. L’historienne de l’art fait le point sur les diverses sources modernes et s’adonne à la première réelle étude de fond sur les vestiges conservés1370. En 1998, Bernadette BARRIÈRE consacre une double page à l’abbaye cistercienne1371. Un point rapide est fait sur les vestiges existants : le triplet du chevet (début XIIIème siècle), le logis abbatial du XVIème siècle ayant relayé le réfectoire des moines ainsi qu’un corps de logis du XVIIIème siècle sont les seuls témoins encore en place. Il ne reste aucune élévation du cloître ou du bâtiment des convers. L’auteur livre également un bref historique du site et recense une grande partie des sources manuscrites, imprimées ou publiées. En 2007 est menée une première opération de sondages archéologiques sur le site, sous l’égide de la DRAC du Limousin et grâce au soutien de l’association ArchéA basée à Limoges. Cette courte opération a permis une meilleure connaissance du plan de l’abbatiale médiévale et des remaniements modernes. Des relevés d’élévation du chevet médiéval et un inventaire lapidaire complètent cette étude dont le dossier de synthèse est déposé au SRA Limousin1372. Historique : L’abbaye du Palais est située sur la ligne de partage du Limousin et de la Marche, à une dizaine de kilomètres au sud de Guéret, entre Bourganeuf et Pontarion. Les origines du site ne sont guère documentées. Nous savons que dans les années 1120, il s’agit d’un ermitage fondé par Géraud de SALES et dirigé par Aymeric de QUINSAC. Celui-ci le cède à l’abbaye de Dalon en 1134. Il fait don de sa personne, de ses biens et de ses disciples. Le site actuel est à 100m au nord de l’ancien ermitage. Les possessions de la communauté érémitique sont bien connues grâce à la notice 12 du cartulaire : elles s’étendaient au nord-ouest de Quinsat et de la Chaussade1373. Une fontaine est signalée sur les terres de la Chaussade. L’ermitage n’accède toutefois au rang d’abbaye qu’en 1370 C. ANDRAULT-SCHMITT, « Des abbatiales du « désert ». Les églises des successeurs de Géraud de Sales dans les diocèses de Limoges, Poitiers et Saintes (1160-1220) », BSAOMP, 5ème série, T 8, 1994, p. 91-173. 1371 B. BARRIÈRE (dir.), Moines en Limousin, l’aventure cistercienne, PULIM, Limoges, 1998, p.186-189. 1372 I. PIGNOT, L’abbaye cistercienne du Palais-Notre-Dame (commune de Thauron, Creuse). Préciser le plan de l’abbatiale médiévale et moderne, Document Final d’Opération de sondages archéologiques, CHEC, DRAC/SRA Limousin, 2007, 79 p. non publié. 1373 AD Creuse H 524-527. - 416 - 1160. En 1156, elle prend le nom de Palais-Notre-Dame1374. C’est Roger, abbé de Dalon entre 1120 et 1159 qui assure le passage de l’érémitisme au cénobitisme. Les moines de Dalon tentent de vivre à la « manière des cisterciens » en revenant à une lecture plus stricte de la Règle de Saint Benoît. Roger maintient toutefois ses abbayes sous sa coupe. Il tient son ordre d’une main de fer et ce n’est que trois ans après sa mort que son successeur Amel demande l’affiliation à Cîteaux. En 1162, le Palais-Notre-Dame s’affilie à Pontigny ainsi que l’ensemble des filles de Dalon1375. Les bâtiments daloniens sont totalement inconnus. Les moines s’étaient-ils installés dans des établissements provisoires en matériaux périssables ? Un des intérêts de procéder à des sondages archéologiques serait de préciser ces différentes étapes dans l’occupation du sol et pourquoi pas de retrouver des traces des anciens bâtiments daloniens. À partir de 1162, les structures daloniennes sont-elles détruites ou simplement remaniées pour être en cohérence avec les préceptes de l’Ordre cistercien ? Jusqu’au début du XIIIème siècle, le cartulaire livre de nombreuses notices attestant de bienfaits en vu de ces travaux de construction (notices 50-51-52-127)1376. Nous imaginons ainsi une reconstruction s’échelonnant des années 1170 à 1220 environ. En 1204, le maître d’œuvre est même évoqué : il s’agit d’un laïc originaire de Soubrebost (notice 305). Les matériaux utilisés sont locaux : le manse de Peyroux fournit le granite ainsi que les gisements de Soubrebost (granite beige doré aux grains fins). Ces derniers sont à 6 km au sud-est et permettent un approvisionnement rapide. Le site ne semble pas être un « désert » à proprement parler. Le cartulaire du Palais révèle au XIIème siècle l’existence du village à la Chaussade, à 1000m au nord-est de Quinsat (parcelle E 472 dite « Bois de Transet »). Il se situe à 600m d’altitude, à mi-pente orientée à l’ouest. Le toponyme « Chaussade » signale également la proximité d’une voie romaine1377. Elle reçoit dès ses débuts les dons des familles de Peyrat, de Laron, de Pierrebuffière (possessions surtout à Soubrebost), de Courson (castrum de Vidaillat). Les Lastours, Rochechouart, Gimel et Aubusson n’apparaissent que rarement. Les seigneurs de Drouille ne sont cités que comme témoins. Ses biens se répartissent en neuf granges que l’on peut aisément cerner grâce au cartulaire conservé : Arcissas (com. Bosmoreau), Le Mont de Transet et la Chaise sur la commune de Thauron, Quinsat (com. de Mansat), Rapissat (com. de Saint-Dizier-Leyrenne), Mairemont-Bonnefond (com. Janaillat), Langladure (com. Masbaraud-Mérignat), Beaumont (com. Soubrebost) et le Saillant (com. Voutezac, Bas1374 M. O. LENGLET, « L’implantation cistercienne dans la Marche Limousine de Géraud de Sales à Saint Bernard », MSSNAC, T XLVI, 1997, p. 258-268. 1375 B. BARRIÈRE (dir.), Moines en Limousin…, op. cit., p. 186-189. 1376 AD Creuse H 524-527. 1377 R. CALINAUD, « La villa du Transet. Site médiéval de la Chaussade », MSSNAC, T 37, 1969, p. 98-105. - 417 - Limousin) [Fig. 83]1378. Nous pouvons noter l’absence des Comtes de la Marche aux origines de l’abbaye. Toutefois, Aldebert III est donateur des abbayes de Bonlieu et de Bénévent dans les années 1150. Leurs possessions sont néanmoins modestes au XIIème siècle et ils ne détiennent que de rares biens dans la région de Bourganeuf. Nous savons que sous l’abbatiat de Bernard II (1177-1193), l’abbaye échange des terres avec le frère Guillaume de Bramon de Bourganeuf. Des tensions devaient être fréquentes entre les deux proches communautés 1379. L’abbaye se révèle largement isolée des principaux pôles d’attraction du Comté de la Marche. L’environnement aristocratique est peu fourni et peu favorable au développement économique du site1380. Les moines blancs disposent d’un espace certes modeste mais permettant la constitution d’un domaine d’un seul tenant. La répartition spatiale des possessions révèle une certaine concentration dans un rayon de 12 km. Les zones de confins paroissiaux sont notamment concernées. Vers 1210, l’abbaye connaît l’étendue maximale de son territoire. Une analyse toponymique permet bien souvent de retrouver sur les cartes de Cassini et IGN les traces de ces installations monastiques, qu’il s’agisse de granges ou de moulins [Fig. 37 et 62]. Certains lieux-dits conservent le souvenir d’industries aujourd’hui entièrement disparues. Ainsi, la carte de Cassini nous permet de repérer les granges de la « Chaize », de « Rapissat » et de « Bonnefond ». Un « moulin de la Marque » est indiqué au nord-est de l’abbaye. La carte IGN de Bourganeuf signale un lieu-dit « les tuiles » au nord-est de l’abbaye. Les moines cisterciens disposaient-ils d’une tuilerie en contrebas du Mont de Transet, non loin du Thaurion ? À l’ouest du Palais, une carrière est signalée. L’emplacement était-il déjà connu des moines ? Une seconde est située au nord de l’abbaye, le long du Taurion, très proche de l’abbaye. Une « perrière » apparaît également au nord de Bourganeuf et aurait pu servir aussi bien à l’abbaye qu’à la construction de Bourganeuf1381. Les toponymes peuvent ainsi être révélateurs de l’empreinte de l’abbaye sur son environnement, bien qu’il soit souvent délicat d’attribuer chaque moulin et chaque tuilerie aux cisterciens. En 1399, l’abbé du Palais doit connaître quelques difficultés pour faire appliquer la règle à ses moines. En effet, le Chapitre Général envoie quatre abbés pour réformer l’abbaye. 1378 M. DAYRAS, « Les abbayes creusoises et le Palais-Notre-Dame », MSSNAC, T36, 1966, p. 216-220. C. ANDRAULT-SCHMITT, Limousin gothique, Paris, Picard, 1997, p. 125. 1380 S. VITTUARI, Le patrimoine de l’abbaye du Palais…, op.cit, vol I, p. 13-14. 1381 IGN Série Bleue, 1/25000ème, Bourganeuf, 2130 E. 1379 - 418 - L’abbaye-mère, Dalon, n’a pas dû assurer les visites régulières, pourtant obligatoires, à son abbaye-fille, d’où la décision de chapitre1382. L’abbaye subit beaucoup de destructions à l’époque Moderne. En 1451, Jacques du Coudert s’empare du site. L’abbé Louis-Augustin doit faire le siège de son propre monastère. Il est ensuite mis à sac en 1578 et presque entièrement détruit1383. Ceci dit, dès 1504, le Chapitre Général de l’Ordre déplore la ruine et la désolation du monastère du Palais qui avait sans doute pâtit du siège de Louis-Augustin mais aussi des négligences de certains abbés et du manque d’entretien1384. Suivent des réfections dans les années 1584-1594. La maison de l’abbé commendataire est édifiée au niveau du côté sud du cloître avec des pierres de taille récupérées sur les bâtiments du XIIIème siècle. En 1745, l’église est réduite d’une partie de la nef qui menace ruine. Les religieux sont également autorisés par un arrêté du Grand Conseil à supprimer les vestiges du cloître. Le palais abbatial est édifié à l’emplacement de l’ancienne salle capitulaire. En 1791, l’abbaye est acquise par Louis Aubusson de Soubrebost. En 1793, les titres de l’abbaye sont brûlés, excepté le cartulaire. Au XIXème siècle, les derniers vestiges de l’église s’écroulent. Ne demeure que le triplet de façade. En 1830, les Aubusson de Soubrebost font bâtir une chapelle au nord-ouest de l’ancienne abbatiale. Il s’agirait d’une offrande à Dieu en remerciement des revenus que l’ouverture des mines de Bosmoreau procurait à la famille. En 1900, M. Rousselet devient propriétaire du site. Les actuels propriétaires du site, Martjin et Saskia Sandvliet-Breteler, se sont attachés, ces dix dernières années, à la mise en valeur du bâtiment conventuel oriental – transformé en chambres d’hôtes – et des bâtiments de communs (gîtes). Vestiges archéologiques : - Abbatiale : De l’abbatiale du Palais demeurent le triplet de façade orientale ainsi que les amorces des murs gouttereaux. Le plan cadastral de 1853 et la description de J-B. L ROY DE PIERREFITTE permettent toutefois d’envisager le plan de l’église avant sa ruine [Fig. 305 et 1382 L. GRILLON, « Les abbayes cisterciennes de la Dordogne dans les statuts des chapitres généraux de l’Ordre », BSHAP, T 82, 1955, p. 138-148. 1383 R. CALINAUD, « Le sac de l’abbaye du Palais-Notre-Dame », MSSNAC, T36, 1966, p. 151-152. 1384 J. M. CANIVEZ, Statuta Capitulorum Generalium Ordinis Cisterciensis ab anno 1116 ad annum 1786, Louvain, 1933, T VI, 1504-22. - 419 - 306]. Elle dispose vraisemblablement d’une nef à bas-côtés étroits, d’un transept et d’un chevet plat. Les dimensions sont connues grâce aux descriptions modernes. La nef mesure 6.50m de large et 26m de long, les collatéraux 3m de large, le chœur 11.70m. Il est peut-être accosté par d’étroites chapelles élargissant le transept. Les murs sont épais (1.65m). Selon Claude ANDRAULT-SCHMITT, ce plan rappelle les compositions cisterciennes simplifiées du Londieu ou de la Merci-Dieu. Il évoque également l’abbaye proche de Prébenoît qui présente une même longueur de transept mais des collatéraux plus larges (4m). Selon elle, les premiers bâtiments devaient être en bois (dons de bois d’œuvre en 1160), remplacés à partir de 1200 par des constructions en pierre. En 1204, l’autel principal serait en place et le chantier terminé1385. Une édification en quatre ans semble téméraire. Si l’ermitage primitif est en matériaux périssables, nous imaginons mal les moines daloniens vivre dans des structures en bois de 1134 à 1200. Les dons de bois d’œuvre pourraient correspondre à une nécessité de cintrage et de coffrage et pas forcément à l’édification d’une chapelle. Des bâtiments en pierre ont pu être édifiés à partir des années 1134 et remaniés (ou entièrement reconstruits) lors de l’affiliation à Cîteaux en 1162. La mise en œuvre pourrait s’être effectivement achevée en 1204 lors de la consécration de l’autel principal. Toutefois, comme nous avons pu le constater concernant l’abbaye d’Obazine, la date de consécration d’un autel ne marque pas systématiquement la fin du chantier. Si le chœur et le transept pouvaient être en effet achevés à cette date, la nef, les décors et sculptures n’étaient peut-être pas aboutis. Il semblerait plus prudent de proposer une évolution du chantier jusque dans les années 1220. La mise en œuvre est de granite gris relativement fin avec peu d’inclusions de quartz. Un lieu-dit « La Perrière » à quatre kilomètres environ au sud de l’abbatiale pourrait rappeler une ancienne carrière exploitée par les moines1386. La façade orientale dispose d’un soubassement et de sept assises de carreaux de granite précédant le triplet. Ce dernier est percé à 1.92m de haut [Fig. 307]. La façade est scandée de deux contreforts à glacis sommital relativement plats d’1,80m de long et d’une saillie de 0.43m et d’un contrefort à l’angle nord-est, massif et dont le soubassement s’orne d’un cavet [Fig. 310 et 312]. Ce soubassement de quatre assises est en moyen appareil régulier de granite, sur 1.20m de haut. La saillie est de 1.63m. L’assise de réglage est biseautée. Le contrefort proprement dit est très dépecé et laisse percevoir un blocage de tout 1385 1386 C. ANDRAULT-SCHMITT, « Des abbatiales du « Désert »…, » op. cit, p. 91-173. Carte IGN 1/25000ème, Bourganeuf, 2130 E. - 420 - venant lié par un mortier gras où la chaux est en forte proportion tandis qu’il n’y a que peu de graviers. Le premier contrefort plat au sud de la façade, en moyen appareil régulier, est bien conservé et présente une alternance de carreaux et de boutisses qui s’enfoncent dans la maçonnerie du chevet1387. Le deuxième contrefort plat est presque entièrement dépecé. Le blocage en est visible et laisse apparaître un mortier de chaux relativement gras liant des moellons irréguliers et pierres de tout venant. Le glacis sommital est conservé. L’observation des contreforts de cette façade externe amène plusieurs constatations. Le contrefort d’angle nord-est semble plus récent, vraisemblablement du XVème siècle comme en témoigne le cavet ornant son soubassement en moyen appareil régulier. Il n’est pas lié à la maçonnerie médiévale mais simplement adossé au chevet. Ayant été dépecé en grande partie, l’étude du blocage interne est ainsi possible et montre un mortier blanchâtre liant des pierres de tout venant, sensiblement différent du mortier médiéval plutôt jaune-orangé. Cette adjonction d’un contrefort supplémentaire s’explique aisément par une necessité de renforcement et de consolidation des parements à une époque où les maçonneries devaient déjà travailler sous la pression des voûtes. Il pourrait également se justifier dans le cadre d’une fortification de l’abbatiale à une période troublée, comme à Prébenoît et Bonlieu à la même époque. Le contrefort sud-est, plat et large, est constitué de 25 assises conservées. Il pourrait être légèrement antérieur aux parements du triplet. En effet, les assises à l’angle du contrefort montrent des rattrapages significatifs, un remontage avec un certain nombre de pierres retaillées pour le rattrapage des assises. Le chantier de construction aurait ainsi pu se dérouler du sud vers le nord, débutant par le contrefort puis le triplet de baies, peut-être réalisé par d’autres équipes plus qualifiées pour la pose de pierres de taille complexes (claveaux d’arcs, piédroits, pierres d’appui-fenêtre) et non plus seulement de modules réguliers de moyen appareil. L’assemblage des baies a peut-être nécessité la présence d’ouvriers spécialisés. Ce type de contrefort plat se rencontre dès la seconde moitié du XIIème siècle. Il est encore couramment employé dans les années 1180-1220 dans les églises des ordres militaires. Ainsi, un certain nombre de sites nous livrent des points de comparaisons : à Blaudeix (Creuse), Rimondeix (Creuse), Chambéraud (Creuse), Paulhac (Creuse). D’autres abbayes cisterciennes optent pour le même type de contreforts plats et larges : c’est le cas à Bonnaigue, Bonlieu, Boschaud. Ces formulations sont ainsi fréquentes en Haute- 1387 Plusieurs modules sont utilisés : L 34cm, l 20cm, h 28cm ou L 60cm, l 29cm, h 26cm. - 421 - Marche et Limousin de la fin du XIIème siècle à la première moitié du XIIIème siècle, aussi bien dans un cadre cistercien qu’hospitalier. Au niveau de ce second contrefort nord, un départ de mur est observable. Il marque le départ d’une structure plus récente, un porche collé contre le chevet et non emboîté dans celui-ci. Les assises de cette façade externe montrent par ailleurs l’usage d’un mortier jauneorangé attestant d’une datation du premier tiers du XIIIème siècle. L’ensemble est régulièrement assisé. Les harpages entre les baies du triplet témoignent d’une organisation avec alternance de carreaux et de boutisses [Fig. 807]. Des calages postérieurs peuvent apparaître avec des tuiles creuses. L’alternance de matériaux est sensible. Deux types de granite se distinguent, gris ou rosé, laissant supposer que deux carrières ont pu être exploitées, ou deux bancs différents. Bruno PHALIP a par ailleurs rappelé à propos de certains chantiers romans de l’ancien diocèse de Clermont que la facilité d’extraction détermine le choix et le changement des bancs de carrière. C’est le cas à Saint-Nectaire et Issoire (Puy-de-Dôme) où différentes carrières sont requises durant le chantier de construction1388. D’après Yves ESQUIEU, les cisterciens rechercheraient en priorité les bancs les plus homogènes et aptes à la taille. Ils exploitent néanmoins plusieurs carrières et de nombreux lits1389. Au Palais, cette alternance des matériaux est sensible dans les harpages entre les baies du triplet. D’une manière générale, le granite rosé semble plus utilisé dans les parties hautes, soit dans la phase d’achèvement de la construction. Les mêmes remarques s’appliquent à la façade interne : le granite gris est presque omniprésent au sud tandis que le granite rosé fait peu à peu son apparition au nord, étayant l’idée d’une construction du mur oriental du sud vers le nord. Le triplet comporte une baie centrale plus haute que les baies latérales. Cette formule est assez fréquente (prieuré d’Aureil près de Saint-Léonard-de-Noblat). Les arcs clavés sont en plein-cintre et sont soulignés d’un cordon simplement mouluré. Les baies mesurent 0.80m le large. L’ébrasement interne clavé en est relativement profond sur une largeur d’1.80m. Les pierres d’appui-fenêtre mesurent 22cm de haut. Des murs gouttereaux restent des traces d’arrachement permettant de constater l’usage d’un mortier de chaux grasse ainsi que de moellons irréguliers formant blocage. Au nord, le mur gouttereau très dépecé est observable sur 1.63m de long [Fig. 309]. 1388 B. PHALIP, Des terres médiévales en friche…, op. cit., volume I (synthèse), p. 24. Y. ESQUIEU, V. EGGERT, J. MANSUY, Le Thoronet. Une abbaye cistercienne, Cité de l’Architecture et du Patrimoine, Aristeas/Actes Sud, Arles, 2006, p. 27. 1389 - 422 - L’amorce du mur gouttereau nord du chevet, à l’angle avec le mur oriental a révélé une encoche vraisemblablement destinée à recevoir une structure en bois, à 1.25m du sol actuel. Le mur gouttereau sud présente en vis-à-vis un trou de boulin bouché en correspondance. Ces deux éléments sont par ailleurs surmontés par deux trous de boulin en regard (emplacement d’une poutre ?) à 2m du sol actuel. Il est difficile de préciser la fonction et la datation de cet aménagement. Au sud, une piscine liturgique est conservée [Fig. 308 et 311]. Une double arcature brisée abrite à l’est une simple cavité tenant peut-être lieu d’armarium. Les claveaux de ces deux arcs sont délicatement chanfreinés. La jonction des deux arcs est ornée d’une clé moulurée. La seconde niche présente deux éviers de plan quadrangulaire percé d’un orifice circulaire. Un cordon mouluré court sous cet aménagement liturgique jusqu’à l’angle avec le mur oriental. Ce cordon ne se prolonge toutefois pas sur ce mur. Il n’y a pas de continuité comme observé à La Souterraine notamment. Il s’agissait toutefois d’un cordon plus haut placé, à mi-hauteur, particulièrement fréquent dans les espaces Plantagenêts. Un cordon de mi-hauteur simplement mouluré en doucine est par ailleurs observé au niveau des chapelles occidentales du transept de l’abbatiale de Dalon. Un creusement (fouille « sauvage » d’une époque indéterminée) à l’emplacement de la piscine liturgique permet de constater que le niveau de sol pourrait être à hauteur du glacis, à 0.50m sous le cordon mouluré. Cela supposerait un soubassement très soigné avec des pierres de bel appareil de granite très régulièrement assisées. Néanmoins, après comparaison avec la piscine liturgique de l’abbaye de Boschaud, nous pouvons proposer une autre hypothèse : cette dernière se situe en effet à 1.22m du niveau de sol médiéval. Les assises de moyen appareil régulier surmontées par la piscine au Palais atteignent également 1.20m. Le niveau de sol médiéval pourrait ainsi être à 1.20m du cordon mouluré de la piscine. Le glacis repéré à 0.50m du cordon ne marquerait ainsi pas le niveau du sol mais aurait un simple but décoratif. Des fouilles complémentaires seraient nécessaires à la reconnaissance de ce sol médiéval. Cette piscine fait ensuite un angle vers le sud qui se révèle délicat à interpréter. Il pourrait s’agir d’un élargissement du chœur, d’une ouverture vers des chapelles de transept dont nous n’avons toutefois aucune mention. Elles sont cependant très fréquentes dans le cadre d’abbayes à chevet plat comme à Dalon par exemple. Il semble toutefois impossible qu’il s’agisse du départ du bras du transept qui serait alors en complet décalage avec les données textuelles. Le chœur serait de plus trop restreint (4.50m environ alors que les textes parlent de 12m). Il pourrait ainsi simplement s’agir d’un retrait pour l’installation d’une - 423 - armoire ou d’un autre aménagement liturgique. Seul un sondage pourrait permettre de préciser la nature de cet angle. Nous avons pu constater la présence d’enduits peints sous le cordon mouluré des piscines liturgiques consistant en un appareil à faux joints rouges. Il ne reste toutefois que quelques vestiges épars. Certaines pierres de parement au niveau de la baie nord en gardent quelques traces. Les trois baies formant le triplet de façade sont inégalement conservées. Elles mesurent en moyenne de 0.74 à 0.76m d’ouverture. Les arcs internes des baies se constituent de deux rangées de claveaux longs et étroits, parfois liés par de petites pierres de calage. Les ébrasements internes de ces baies, relativement profonds, comportent un ou deux carreaux finement jointoyés puis d’une pierre de piédroit. Nous avons pu constater le long des piédroits un certain nombre d’encoches régulières correspondant vraisemblablement aux barlotières de vitraux. La pierre d’appui-fenêtre de la baie centrale (la seule conservée) présente également un système de piquetage régulier pour ces mêmes barlotières. Nous pourrions aisément envisager la présence de vitraux en grisaille mis en place dans les premières décennies du XIIIème siècle suite à l’achèvement du chœur, de même qu’à Obazine (vers 1170-1180), Noirlac (vers 1180) ou Bonlieu (dans les années 1200-1220). À Bonlieu en effet, l’installation des vitraux est probablement liée aux embellissements du chœur pour la consécration de 1232 en même temps que la mise en place de pavements et de décors peints (croix de consécration). Une datation sensiblement identique pourrait être envisagée au Palais. La baie centrale est ainsi la mieux conservée puisque la pierre d’appui-fenêtre est encore en place. Des ferronneries modernes sont toujours visibles sur les piédroits. Par ailleurs, l’ébrasement de la baie sud est très perturbé. Il ne subsiste que le blocage de tout venant dont le mortier est très dégradé. Les pierres de parement et la pierre d’appui-fenêtre ont été arrachées et probablement récupérées. Il subsiste néanmoins l’angle du piédroit et de la pierre d’appui-fenêtre au nord permettant de cerner le négatif de l’arrachage de la pierre d’appui-fenêtre. Quant à la baie nord, la pierre d’appui-fenêtre a également été dépecée mais le parement de l’ébrasement est conservé. Les harpages entre les baies se composent d’une alternance d’assises constituées soit de pierres longues (L=0.45m, h= 0.35m) ou de deux carreaux accolés (L=0.225m ; h= 0.32m). Ces deux carreaux nécessitent parfois l’adjonction d’une pierre de calage (10ème assise du harpage entre la baie nord et la baie centrale ; 10ème assise du harpage entre la baie centrale et la baie sud). - 424 - Ce triplet de baies peut être daté du premier tiers du XIIIème siècle en référence aux formules contemporaines de la Souterraine ou du prieuré d’Aureil, de même que les piscines liturgiques et les départs d’ogives observés à l’angle sud-est et à l’angle nord-est du chevet. En effet, la façade interne du mur du chevet présente dans les angles formés par les murs gouttereaux, au deux tiers de la hauteur, des départs de voûtes d’ogives tréflées, caractérisés par trois tores accolés [Fig. 313]. Le départ de l’arc formeret est de même encore visible. Il est de profil brisé et se présente comme une simple modénature torique fine. Les études d’Anne COURTILLÉ sur l’Auvergne et le Bourbonnais gothiques ont permis de préciser quelque peu la datation de ces arcs formerets. Il apparaît clairement que les premières voûtes d’ogives quadripartites sur travées droites n’en disposent pas (seconde moitié du XIIème siècle). Le formeret n’a visiblement pas d’intérêt dans des édifices où les murs étaient encore peu évidés, dans une tradition romane. Son absence permet également la simplification des supports. En Auvergne, le formeret reste exceptionnel dans le cadre du premier gothique et même lorsque l’ogive se répand, à l’inverse de la Bourgogne où il est déjà en usage dans les voûtes d’arêtes romanes. Anne COURTILLÉ remarque néanmoins sa présence à Lamaids dans les années 1200-1220, non loin de la Marche Limousine intéressant notre étude. Pour l’historienne de l’art, il faut se demander si «la tradition romane joua-t-elle son rôle dans le faible usage du formeret dont la fonction n’était pas vraiment structurelle dans les édifices où on n’évidait pas les murs ? » Il est ainsi plutôt surprenant de constater l’usage d’un arc formeret dans cet édifice cistercien du premier gothique limousin, aux murs épais et ayant par ailleurs une volonté d’austérité et de dépouillement affirmé. Si la nef était également voûtée de ces ogives à formerets, les supports devaient alors en être plus complexes1390. D’après ces quelques éléments conservés, nous pouvons tenter de déduire l’organisation spatiale de l’édifice. La présence de voûtes d’ogives quadripartites, probablement de plan carré comme bien souvent dans les espaces Plantagenêts permet quelques réflexions. En effet, le chœur mesure 6.80m du nord au sud, hors mur. Nous pourrions imaginer un chœur de deux travées (6.80m par 2, soit 13.60m, qui ne sont pas très éloignés des 12m donnés dans les textes), une croisée de 6.80m de large (7m d’après les textes) et une nef de quatre travées (4 par 6.80m soit 27.20m contre 26m dans les textes). Bien sûr, ces hypothèses mériteraient d’être vérifiées par de plus amples investigations archéologiques. 1390 Sondages archéologiques. Avril 2007. Premiers résultats : A. COURTILLÉ, Auvergne et Bourbonnais gothiques, Tome I, Les débuts, Créer, Nonette, 1991, p. 332. - 425 - Afin de préciser le plan méconnu de l’abbatiale médiévale et les remaniements intervenus à l’époque moderne, une première opération de sondages archéologiques s’est tenue en avril 2007 sur une période de deux semaines [Fig. 318]1391. Un premier sondage, placé à 45m du chevet afin de vérifier les données textuelles précisant la longueur totale de l’édifice médiéval, a mis au jour une terrasse artificielle, vraisemblablement moderne et destinée à créer une plate-forme suite à la mise à bas d’une grande partie de l’abbatiale et du cloître au XVIIIème siècle [Fig. 314 et 316]. Sous cette terrasse, nous avons pu constater la conservation de l’angle sud-ouest de la façade occidentale de la nef, corroborant la longueur de l’église donnée par les textes modernes (45m). La nef devait ainsi comprendre quatre travées de 6.80 à 7m de large. Cette façade se constitue d’un mur épais d’1.80m de large (MR02) visiblement scandé de contreforts. Le contrefort à l’extrémité sud (MR02) semble néanmoins plus tardif et pourrait correspondre à une adjonction du XVème siècle, de même que le contrefort à l’angle nord du chevet oriental. Un second contrefort (MR04) a été repéré en stratigraphie (coupe nord) et semble bâti de la même manière que MR02. Il pourrait être contemporain. Il nécessiterait toutefois d’être entièrement dégagé afin de vérifier cette hypothèse. L’angle sud-ouest de cette façade est presque dans l’alignement du pignon nord du bâtiment conventuel est, ce qui nous permet de nous interroger sur l’existence d’un transept non saillant ou d’une façade élargie par rapport à la nef. D’autres investigations seraient nécessaires afin de répondre à ces questionnements. Un second sondage placé à l’angle présumé de la nef et du transept médiéval a permis de vérifier certaines données textuelles (arrêté du Grand Conseil de 1745) portant sur une réduction de l’église à 17.30m à partir du chevet oriental [Fig. 315 et 317]. Nous avons en effet mis au jour l’angle sud-ouest de la façade fermant la nouvelle église réduite, à environ 18m du mur oriental du chevet conservé. Ce mur est parementé de belles pierres de granite, sans doute remployées de l’abbatiale médiévale. L’angle est cerné d’un pavement similaire à celui de la cour pavée moderne entre le bâtiment conventuel est et les communs (gîtes actuels). Ce pavement réutilise des colonnettes de cloître tronquées, un certain nombre de claveaux d’arcs ou de piédroits de porte. Dans la seconde moitié du XVIIIème siècle, une grande partie de la nef ainsi que le cloître sont détruits et de nombreux éléments ont dû être réutilisés dans ces pavements. Toutefois, nous n’avons pu, faute de temps, atteindre les 1391 I. PIGNOT, L’abbaye cistercienne du Palais-Notre-Dame (commune de Thauron, Creuse). Préciser le plan de l’abbatiale médiévale et moderne, Document Final d’Opération de sondages archéologiques, CHEC, DRAC/SRA Limousin, 2007, 79 p. non publié. - 426 - niveaux médiévaux sur ce sondage. Cela aurait en effet nécessité la destruction du pavement moderne. Ainsi, ces deux sondages se sont révélés positifs et nous apprennent sur les dispositions médiévales et modernes de l’abbatiale. Ils devraient être poursuivis en 2009 afin de préciser l’existence de collatéraux et des supports séparant nef et bas-côtés. Des investigations pourront également être menées au niveau du cloître. - Logis abbatial : Les bâtiments claustraux sont dressés au sud de l’abbatiale [Fig. 322]. Le logis est édifié au XVIème siècle [Fig. 319 et 320]. Le corps de bâtiment est un quadrilatère de 24m de long et de 10m de large. Les murs sont d’une épaisseur d’1.20m. Il dispose d’une tour principale de plan quadrangulaire (5m par 3.50m) qui s’élève sur quatre étages et abrite un escalier en vis desservant les différents niveaux. L’entrée de la tour se fait par la face ouest percée d’une porte soulignée d’un arc en accolade. Elle est édifiée en petit appareil irrégulier. Les moellons de granite sont noyés dans un mortier de chaux relativement grasse. Toutefois, les zones structurantes de la construction bénéficient d’un moyen appareil régulier de granite de qualité. C’est le cas des harpages d’angles et des piédroits des baies. Les quatre fenêtres sont quadrangulaires et à linteau droit. Le corps de logis présente la même mise en œuvre en appareil mixte. Les anciens planchers peuvent être devinés d’après les trous de poutres encore visibles. Des corbeaux encore en place soutenaient les plafonds. Les murs internes présentent des traces d’un enduit blanc. - Remplois : Des aménagements conventuels demeurent deux longs bâtiments parallèles séparés par une cour pavée [Fig. 323]. Ils ont fait l’objet de constants remaniements, particulièrement aux XVIIIème et XIXème siècles. Le bâtiment plus à l’est dispose de nombreux remplois d’éléments médiévaux. La façade ouest présente trois éléments sculptés superposés : deux tailloirs ou consoles ainsi qu’un fragment d’arc décoré de petites feuilles plates très schématisées. Les tailloirs présentent une tablette de 64cm de long sur 12cm de large et 6cm de haut [Fig. 321]. La façade est remploie huit fragments ornés d’un tore de 11cm de diamètre. Ils pourraient s’apparenter à un portail à voussures toriques comme souvent dans les abbayes cisterciennes limousines et marchoises (portail occidental de l’abbaye de Bonlieu), à un encadrement de - 427 - baie ou de porte, voire à des éléments d’ogives. Nous avons également inventorié un fragment de colonnette pouvant appartenir à des arcades d’un cloître. - Éléments lapidaires « vagabonds » : Outre les vestiges en place ou remployés dans des bâtiments modernes ou contemporains, de nombreux éléments lapidaires parsèment la propriété. Un inventaire précis a été réalisé à l’occasion des sondages archéologiques de 2007 (voir inventaire présenté en annexes, p. 208 à 215). Nous avons pu également accéder aux collections conservées à l’intérieur des bâtiments grâce à la sollicitude et l’amabilité des propriétaires. Nous avons ainsi recensés cinq fragments de colonnettes pouvant appartenir à des galeries de cloître. Le granite en est relativement fin, avec peu d’inclusion et est de la même qualité que le matériau employé pour la mise en œuvre du chevet de l’abbatiale. Une pierre de forme parallélépipédique présente sur sa face supérieure des gravures plutôt délicates à interpréter. Il s’agit d’un quart de cercle gravé formant un écoinçon délimité par deux lignes perpendiculaires. Cette pierre paraît trop épaisse pour correspondre à un fragment de pierre tombale. Il pourrait peut-être s’agir d’un élément de table d’autel. Nous avons également pu étudier un fragment de cadran solaire malheureusement très endommagé. La cavité recevant l’aiguillon est encore visible de même que trois chiffres : IV, V et IIV. Une inscription latine est en partie conservée et surmonte le cadran proprement dit : Proffit prior Anno 1633 Non A Les jardins extérieurs révèlent aussi de nombreux éléments lapidaires intéressant notre étude. Au sud de la propriété, nous avons inventorié un petit bénitier de granite gris devant être placé dans un angle. Il comporte en effet deux faces plates perpendiculaire destinées à être accolées contre un mur. Il mesure 80cm de haut pour 30cm de large. Il se compose d’un tronc quadrangulaire de 48cm de haut. Un tore puis un mince cavet précèdent une partie sommitale quadrangulaire de 20cm de haut dotée d’une cavité de plan carrée (18 par 18cm). Sur une petite terrasse devant l’entrée sud du bâtiment d’habitation, trois bases de piliers identiques sont conservées. Il s’agit visiblement de bases de piliers quadrangulaires disposant de quatre colonnettes engagées, présentant un profil avec tore inférieur évasé, scotie peu profonde et tore supérieur de 16cm de diamètre délicatement renflé. Ces piles recevaient vraisemblablement un voûtement d’ogives. Les bases mesurent 43cm de long, 35cm entre les colonnettes pour une hauteur de 18cm. Le diamètre du tore supérieur ne correspond pas aux - 428 - diamètres des fragments de colonnettes retrouvées lors de nos prospections. Ces dernières devaient donc plutôt se rattacher à des arcades de cloître. Il est toutefois délicat de présumer de l’emplacement de ces piliers quadrangulaires. Ils servaient peut-être de séparation entre la nef et les bas-côtés. Ces bases pourraient aussi appartenir à des bâtiments conventuels, salle capitulaire, dortoir, réfectoire, cellier ou autres. Nous avons également recensé un sarcophage déposé dans la cour pavée entre les deux bâtiments conventuels. Il est de granite gris relativement fin. La base en est brisée. Il mesure 1.44m de long pour 0.66m de large. L’emplacement de la tête du défunt est resserré. Sa datation pose problème. Il pourrait s’agit d’un sarcophage de l’époque romane, voire du Bas Moyen-Âge, quoique la présence de l’encoche céphalique nous interroge1392. Deux fragments d’ogives sont également déposés dans la cour. Le tore est de 11cm de diamètre. La longueur conservée est de 61cm pour une hauteur de 24cm. Le dosseret en est très endommagé. Ces ogives ne présentent pas de profil en amande comme souvent dans les abbayes cisterciennes (Fontmorigny, Varennes) et les espaces Plantagenêts dans les années 1180-1220. Deux bases de colonnette sont également préservées et sont placées le long du chemin d’accès qui mène à l’abbaye. La base mesure 27 par 29cm pour une hauteur de 18cm. Le profil présente un tore inférieur aplati mais ne présentant toutefois pas de griffes, un cavet peu prononcé et un tore supérieur relativement renflé d’un diamètre de 17cm. Le granite employé est de bonne qualité, les grains sont fins et présentent peu d’inclusions de quartz. Ces deux bases pourraient appartenir à des colonnettes de cloître. Au niveau du chevet, trois dalles funéraires sont adossées dont l’une présente une croix pattée. Elle date vraisemblablement de la première moitié du XIIIème siècle1393. Elle mesure 1.67m par 0.67m. Une autre présente un liseré. Plus longue, elle mesure 1.80m par 0.58m. La troisième est de 1.73m par 0.32m. À cent mètres au nord du monastère, une base de colonne de granite gris aux grains très fins est conservée. Elle est de forme attique avec un tore inférieur de 12cm de haut, un tore supérieur de 14cm de haut pour un diamètre de 50cm. La scotie assez prononcée est de 9cm de haut (hauteur totale 36cm). Elle ne présente pas de griffes. Cette base attique pourrait correspondre à des réalités du second tiers du XIIème siècle comme nous avons pu en observer à Bellaigue (com. Virlet, Puy-de-Dôme). Cette base pourrait correspondre à une 1392 Après discussion avec les archéologues de l’INRAP Jacques ROGER et Sophie LIÉGARD, aucune datation satisfaisante et plus précise n’a pu être proposée. 1393 M. DURIER, dans I. PIGNOT, L’abbaye cistercienne du Palais-Notre-Dame…, op. cit., Document Final d’Opération de sondages archéologiques, CHEC, DRAC/SRA Limousin, 2007, non publié, p. 24-25. - 429 - édification entre 1134 et 1160 soit pendant la période dalonienne de l’abbaye, avant son affiliation à Cîteaux. Elle est à mettre en relation avec un fût de colonne monolithe déposé à côté. Celui-ci mesure 1.64m de haut pour un diamètre de 40cm. Ce support pourrait appartenir à une salle capitulaire, petite salle au plafond souvent bas, mais ne saurait s’adapter à une nef dont les colonnes appareillées se doivent de monter plus haut pour recevoir les voûtes. L’étude lapidaire menée a posteriori (juillet 2007), a ainsi livré un certain nombre d’informations complémentaires. Trois bases de piles composées permettent d’envisager la présence de supports complexes, vraisemblablement situés entre la nef et les collatéraux. Il s’agit de bases au noyau circulaire ou quadrangulaire flanqué de colonnettes engagées sans doute destinées à recevoir des ogives. Des claveaux de nervure d’ogives sans amande attestent ce type de voûtement, de même que les deux départs d’ogives toriques observées sur le mur oriental du chevet. La colonne monolithe et la base attique associée découvertes à une cinquantaine de mètres au nord des bâtiments monastiques nous sembleraient plus adaptées au support d’une salle capitulaire, souvent voûtée d’arêtes reçues par un ou deux piliers monolithes de ce type. - Aménagements hydrauliques : À l’ouest des bâtiments monastiques, en léger contrebas du carré du cloître, un vivier est conservé. Il n’est plus en eau aujourd’hui mais le sol en reste très humide [Fig. 324]. Les parois sont bâties en moellons de granite assemblés avec soin. Il est signalé sur le plan cadastral de 1853 [Fig. 305]. Nous pouvons supposer qu’il était relié par un drain au puits du cloître. Au nord-ouest de l’abbaye, à cinquante mètres de l’abbatiale environ, en contrebas, un second vivier est observable [Fig. 325]. Il présente les mêmes parois de moellons de granite, parfois mêlés de pierres de moyen appareil. Il est alimenté par un bief qui semble partir d’un point en contre haut, à vingt mètres au nord-est, où est conservé le départ de murs maçonnés de pierres de taille de granite régulières, dessinant un plan quadrangulaire. Il pourrait s’agir d’une ancienne source. Ces installations n’apparaissent pas sur le plan cadastral napoléonien. Au nord de l’abbaye, un pont est placé sur le Taurion. Un moulin est implanté sur un bief. Il est signalé sur le plan cadastral de 1853 comme « Moulin du Palais » [Fig. 326 et 327]. La digue est récente. Des bâtiments modernes ont remplacé l’ancien moulin médiéval. Il s’agit d’un grand édifice quadrangulaire édifié en moellons de granite. Nous avons toutefois remarqué la présence d’un remploi médiéval dans le parement de la façade ouest du bâtiment. - 430 - Il s’agit d’un fragment avec un tore, peut-être un élément de portail ou d’ogives comme nous en avons observé dans les bâtiments conventuels de l’abbaye. - Granges : • Langladure : La grange de Langladure est aujourd’hui un hameau de quelques maisons à quelques kilomètres au sud-ouest de Bourganeuf dont certaines remploient des pierres de taille de granite. Aucune structure médiévale caractéristique n’a toutefois été repérée. • Le Saillant : La grange du Saillant appartient à l’actuelle commune de Voutezac [Fig. 328, 329 et 330]. Est conservé un pont daté du XIIIème siècle passant sur la Vézère. Une chapelle est également préservée dans le bourg, classée aux Monuments Historiques (élévation et toiture protégés MH, inscription du 25 juin 1979, propriété de la commune, XIVème-XVIIème siècle). Elle se constitue d’une simple nef unique et d’un chevet plat. Elle est entièrement enduite, ce qui empêche toute étude plus précise. - 431 - PRÉBENOIT - 432 - 7. Prébenoît (commune de Bétête, Creuse) : L’abbaye de Prébenoît est située sur la commune de Bétête, canton de ChâtelusMalvaleix en Creuse. Elle est assez bien conservée aujourd’hui grâce à l’intérêt porté par des bénévoles qui ont assuré la protection et la mise en valeur des vestiges ainsi qu’à l’association « Objectif Prébenoît », aujourd’hui dissoute, chargée de faire connaître ce modeste monastère marchois. Elle est inscrite à l’Inventaire Supplémentaire des Monuments Historiques depuis le 30 décembre 1980 (bâtiments, y compris les vestiges des peintures murales). Nous parvenons au monastère par la départementale D3 qui mène au bourg de Saint-Dizier-Les-Domaines. Elle s’enfonce dans le vallon où coule le Cluzeau qui longe les bâtiments monastiques. La carte IGN précise bien l’implantation monastique, de même que la carte de Cassini qui la signale par le clocher et la crosse propre aux prieurés. Les sigles AB H. sont indiqués (abbaye d’hommes) [Fig. 331 et 332]. Sources manuscrites et figurées : Le fonds de l’abbaye de Prébenoît est conservé majoritairement aux Archives Départementales de la Creuse à Guéret. Deux manuscrits essentiels appartiennent aux fonds de la BNF1394. Les sources concernant cette abbaye sont relativement indigentes, les titres et le cartulaire ayant brûlé dans un incendie lors des troubles des guerres de Religion. Il est ainsi parfois délicat de cerner la constitution du patrimoine foncier du monastère. Les mentions architecturales sont particulièrement rares dans les actes médiévaux. Toutefois, dans le cartulaire de Bonlieu, un acte de donation daté de 1180 se déroule dans la cuisine de l’abbaye de Prébenoît. Certains bâtiments conventuels devaient déjà être édifiés à la fin du XIIème siècle1395. Ce sentiment est confirmé par une donation des seigneurs de Déols en 1208 qui tient lieu dans la salle capitulaire du monastère 1396. Il est ainsi possible de glaner quelques informations dans ces sources médiévales. En 1621, un procès-verbal est dressé à la requête de l’abbé commendataire Mathieu de Vertamont suite à des vols, pillages et incendies. Il est réalisé en la présence de deux prêtres, d’un charretier, d’un maçon et de deux laboureurs1397. Il livre des précisions essentielles sur 1394 AD Creuse, H 528, H 529, H 533, 10 F 235. BNF, ms 17049 et ms 12747. AD Creuse, H 284. 1396 AD Creuse, H 528. 1397 Il est intéressant de constater que les gens du peuple servent fréquemment de témoins à ces visites et expertise et sont ainsi impliqués dans la vie religieuse. AD Creuse, H 529. 1395 - 433 - les bâtiments religieux à l’époque moderne et sur le mobilier. L’abbatiale paraît dans un état de délabrement alarmant puisque « les sièges des religieux sont rompus et ruinés et l’entrée du chœur est sans portes ». Quant à la salle capitulaire, la « voûte est soutenue par des piliers ronds en quart de pierres et il n’en reste plus qu’un : la voûte est donc en ruine ». Le mobilier et le décor de l’église sont décrits. Il est précisé que l’abbatiale est sans « aucuns ornements, sinon une ancienne et vieille chasuble de soie avec une aube et quatre nappes, un calice d’étain et quelques vieux livres de chants tous rompus. Nous a aussi été montré dans la dite église la place où était anciennement une horloge, où nous avons vu quelques pierres d’icelui. » Il est également fait mention de certains aménagements hydrauliques1398. Les notaires : « ont visité les deux moulins appelés de la Porte et des Boissières qu’ils ont dit être presque en ruines, leurs murailles et leurs toitures ayant besoin d’être remises à neuf, nécessitant d’être équipés de meules et les chambres de cheminées ». Dès le XVIIème siècle, les installations hydrauliques avaient déjà bien souffert de multiples dégradations. Au XVIIème siècle, un effort de reconstruction semble nécessaire. Ce n’est toutefois qu’au début du XVIIIème que l’abbé Dom Jean de Sayves entreprend des réaménagements de l’abbatiale et des bâtiments conventuels. Nous disposons d’un document figuré qui atteste de cette reconstruction. En effet, une fresque datée de 1715 est conservée dans la salle d’escalier d’un des bâtiments conventuels du monastère et présente l’aspect de celui-ci après la campagne de restauration de l’abbé [Fig. 336]. C’est un document rare et précieux pour notre étude. La représentation de l’abbaye est peinte sur un badigeon de chaux blanche. Ce panneau mesure 1.70m par 4.20m. Le dessin est au trait noir sur un badigeon de chaux blanche. Il est encadré de fleurs et de volutes. Au premier étage, des colonnes ioniques divisent l’espace. Des panneaux à motifs symétriques sont formés de rinceaux et de motifs animaliers. Une 1398 AD Creuse, H 529. - 434 - inscription précise « L’an 1715, Dom Jean de Sayves, religieux de la Ferté, Docteur en Sorbonne et Prieur de cette abbaye de N. D de Prébenoît, a commencé cette maison à la Gloire de Dieu et l’honneur de son nom. » C’est un exemple rare pour la région de peinture ornementale de la période moderne. L’intérêt réside surtout dans la représentation de la façade orientale de l’abbatiale dont rien ne subsiste aujourd’hui. Le chevet plat se caractérise par l’alignement de deux chapelles à chaque bras du transept qui présentent de doubles rangées de fenêtres au sud. Le chevet est percé d’un triplet surmonté d’un oculus. Ce type de percement est fréquent au début du XIIIème siècle dans un cadre cistercien ainsi que dans les espaces Plantagenêts dans les années 1200 (La Souterraine)1399. Un clocher domine l’ensemble avec une flèche qui devait atteindre environ vingt-cinq mètres. En 1790, un inventaire des commissaires de Boussac fait état d’une église « belle et spacieuse mais fort peu décorée », ce qui laisse présager l’effort de reconstruction de certains abbés commendataires suite aux guerres de Religion et aux négligences de l’époque moderne [PJ 6 et 7]. Il dresse une liste des objets mobiliers. Il est écrit : « (…) avons requis M. Le prieur de nous représenter l’argenterie de la maison. Il nous a répondu qu’il n’y en avait d’autre que celle destinée au service divin, déposée dans la sacristie : il en est en effet de notre connaissance que depuis quinze ans il n’en existe pas d’autres dans la maison. L’avons requis de nous représenter les ornements de la sacristie de nous faire connaître les meubles les plus précieux de l’église. Il nous a fait voir sept ornements de toutes les couleurs, dont un assez propre, mais les aubes de peu de valeur, deux autres, deux cordons, quatre amis, douze purificatoires, six lavabos ; ces objets nous ont paru peu conséquents. Il nous a fait voir une croix, un petit bénitier, quatre petits chandeliers, une petite châsse de saint Eutrope, une navette, un encensoir et un mausolée, les premiers objets de cuivre et le dernier partie du même métal, l’autre 1399 Nous le retrouvons à Noirlac, au Palais-Notre-Dame au début du XIIIème siècle et à Mègemont au milieu du XIIIème siècle. - 435 - partie en bois ; il nous a fait voir enfin une main en bois contenant un ossement de saint Bernard et partie de sa robe, et nous a dit qu’il y avait deux cloches assez belles. L’église très belle et spacieuse, mais fort peu décorée : le chœur est simplement boisé ; il y a un tableau de la Vierge au-dessus de l’autel (…). » Le domaine paraît nettement amoindri1400. Outre ces précieuses mentions des sources manuscrites et l’intérêt de la fresque du XVIIIème siècle, de nombreux travaux d’érudits peuvent également aider à la connaissance de cette abbatiale. En 1817, le sous-préfet Rémy écrit que « l’église très vaste est d’une architecture gothique. Ce que l’on voit de plus remarquable est une croisée parfaitement ronde de huit mètres de circonférence dont les pierres, légèrement taillées et sculptées, en divisent agréablement les jours du centre à la circonférence ». Il livre ainsi une belle description de l’oculus du chevet qui devait disposer de remplages dont il est toutefois difficile de se faire une idée précise1401. Historiographie : Dès la seconde moitié du XIXème siècle, J. B. L. ROY DE PIERREFITTE étudie les vestiges de l’abbaye de Prébenoît1402. Il revient sur les conditions de la fondation, les principales donations mais n’aborde que peu l’architecture à proprement parler. Il décrit un édifice simple et austère, précise que l’église est fortifiée au XVème siècle et le monastère ceint d’un fossé. Son analyse est toutefois bien trop succincte pour nous permettre de nous faire une idée de la physionomie du monastère médiéval. 1400 AD Creuse, H 533. A. RÉMY, « Notes sur les monuments antiques qui existent dans l’arrondissement de Boussac », MSSNAC, T XXV, 1934, p. 489. 1402 J. B. L. ROY DE PIERREFITTE, Études historiques sur les monastères du Limousin et de la Marche, Guéret, 1857-1863, p. 311-336. 1401 - 436 - En 1909, Émile CHENON s’intéresse à la modeste abbaye mais du point de vue de ses relations avec les seigneurs de Boussac. Les aménagements monastiques ne sont donc pas abordés1403. Henri DELANNOY, qui avait déjà travaillé à la reconstitution du patrimoine des abbayes de Bonlieu et d’Aubepierres, évoque aussi le monastère de Prébenoît 1404. Là encore, il s’attache plus au patrimoine foncier de l’abbaye qu’à l’architecture et aux créations artistiques. L’abbaye de Prébenoît a fait l’objet d’études récentes menées essentiellement par des historiens, des archivistes et des archéologues. L’archiviste Philippe LOY s’est attelé à l’étude précise des fonds documentaires de l’abbatiale et particulièrement aux manuscrits conservés à la Bibliothèque Nationale de France. Ses analyses sont donc extrêmement précieuses à la reconstitution du patrimoine foncier du monastère et de son environnement aristocratique. Toutefois, l’intérêt pour l’étude de la construction de l’abbaye est limité aux mentions données dans les actes précédemment cités1405. En 1987, Pierre-Valérie ARCHASSAL rédige un article fort intéressant sur les vestiges de l’abbatiale. Il livre une étude de bâti minutieuse en précisant les matériaux utilisés et leur provenance probable. Le granite employé pour les harpages, soubassements, contreforts et éléments sculptés serait issu selon lui des carrières de Marcillat au sud du monastère, à quelques kilomètres de Jalesches1406. Le schiste massivement utilisé pour les réfections modernes serait extrait des proches carrières de Bétête et de la Cellette. Son étude est donc essentielle car c’est l’une des premières à évoquer les réalités d’un chantier de construction. Nous aurons donc l’occasion de nous servir de cette analyse dans notre propre étude de bâti1407. En 1998, l’historienne Bernadette BARRIÈRE livre une notice sur le monastère, toutefois réduite à trois pages succinctes visant à un état des lieux de la recherche actuelle. L’historique de l’abbaye est précisé, de même que les résultats des dernières investigations archéologiques. La description des bâtiments reste néanmoins superficielle1408. 1403 É. CHENON, « Les seigneurs de Boussac et l’abbaye de Prébenoît (1140-1208) », MSAC, T 32, 1909, p. 73106. 1404 H. DELANNOY, « L’abbaye de Prébenoît », MSSNAC, T 18, 1912, p. 317-333. 1405 P. LOY, « Contribution à l’histoire de l’abbaye cistercienne de Prébenoît : les enseignements d’un manuscrit de la Bibliothèque Nationale », MSSNAC, T 41, 1982, p. 288-294. 1406 Deux lieux-dits évoquent cette ancienne carrière, « les pierres en crochet » et la « pierre ébue ». Voir carte IGN 2228 E, Châtelus-Malvaleix, 1/25000ème. 1407 P. V. ARCHASSAL, « L’église de l’abbaye de Prébenoît », Études creusoises, T VIII, 1987, Guéret, p. 162165. 1408 B. BARRIÈRE, Moines en Limousin (…), op. cit, p. 193-195. - 437 - Les rapports de fouilles et de sondages archéologiques constituent une mine de renseignements pour notre étude. L’archéologue Jacques ROGER (SRA Limousin) a conduit de nombreux sondages qui ont permis de préciser le plan au sol de l’abbatiale, du cloître et des bâtiments conventuels ainsi que certains aménagements hydrauliques1409. Des fouilles se sont déroulées depuis 1993, permettant la mise au jour de carreaux de pavements mosaïqués, d’éléments sculptés, de tombeaux qui précisent nos connaissances du monastère à l’époque médiévale. Les étapes de construction ont pu être affinées et attestent une édification de la fin du XIIème siècle jusqu’au premier tiers du XIIIème siècle, une phase d’embellissements dans le seconde moitié du XIIIème siècle et une période de fortification au XVème siècle avec adjonction de tours de fortification et de douves. Le cloître est également reconstruit. Les dossiers de synthèse sont donc riches en enseignements et nous serviront tout au long de notre propre analyse1410. Des précisions sont également apportées par l’étude de l’architecte B. RUEL en 20001411. Il livre ses hypothèses sur le voûtement de l’abbatiale d’après les vestiges encore en place. La nef et le transept devaient être voûtés en berceau brisé, les collatéraux voûtés d’arêtes. Il contredit l’hypothèse longtemps affirmée par des érudits selon laquelle la rose de l’église de Tercillat, à quelques kilomètres au nord de Prébenoît, aurait pu provenir du chevet de l’abbatiale. En effet, elle ne correspond pas à la description du sous-préfet Rémy en 1817. Elle est plus petite et ne présente pas de remplages. Son analyse est donc nécessaire pour lever quelques ambiguïtés et préciser certaines caractéristiques architecturales du monastère. L’ouvrage de Jacques ROGER et de Philippe LOY publié en 2003 fait la synthèse des dernières recherches, aussi bien du point de vue des sources d’archives que des réalités archéologiques1412. Il s’agit donc d’un outil de travail essentiel pour notre propre analyse. Toutefois, toutes ces études relèvent plus d’approches d’historiens, d’archéologues et d’archivistes et nous pouvons déplorer les lacunes des travaux d’historiens d’art sur l’abbaye. Sans doute l’indigence des vestiges conservés, la modestie des décors ont-ils freiné l’intérêt des chercheurs. Claude ANDRAULT-SCHMITT étudie toutefois le monastère dans son article sur les abbayes du « désert »1413. Son analyse paraît nécessaire car elle permet une mise 1409 J. ROGER, Sondages d’évaluation sur le site de l’abbaye cistercienne de Prébenoît, juin 2000, 67 p. (non publié). 1410 J. P. BÉGUIN, J. ROGER, Abbaye de Prébenoît (Creuse), SRA Limousin, 1993-1996 (non publié) ; J. ROGER, Abbaye cistercienne de Prébenoît, fouilles 2001, 2001, 32p. (non publié). 1411 B. RUEL, Abbaye de Prébenoît. Étude préalable à la restauration et au projet d’aménagement, 2000 (non publiée). 1412 J. ROGER, P. LOY, L’abbaye cistercienne de Prébenoît, Culture et patrimoine en Limousin, 2003. 1413 C. ANDRAULT-SCHMITT, op. cit, p. 91-173. - 438 - au point des vestiges encore en place, des comparaisons avec d’autres édifices cisterciens et limousins qui apporteront beaucoup à notre propre étude, des propositions de datation dont nous pourrons discuter. Toutefois, les bâtiments conventuels et les aménagements à vocation artisanale ne sont pas évoqués. C’est pourquoi il semble nécessaire de reprendre l’étude du monastère de Prébenoît, ce qui a déjà été amorcé lors du Master I 1414. Celui-ci a consisté en l’étude du bâti de l’abbatiale mais également des bâtiments conventuels livrant de nombreux remplois médiévaux. Un inventaire des éléments lapidaires issus de la destruction de l’abbatiale permet une meilleure connaissance de la mise en œuvre du monastère et des réalités sculptées. Nous livrerons ici une synthèse de ces investigations. Restait à mener l’étude précise des granges et aménagements hydrauliques du monastère. Historique : Les origines de l’abbaye de Prébenoît sont difficiles à cerner étant donnée l’indigence des sources manuscrites : ni charte de fondation, ni cartulaire n’ont été conservés. Nous pouvons cependant présumer l’existence d’un ermitage peu avant 1120, comme le suggère le manuscrit de Dom Estiennot de la Serre datant du XVIIème siècle. À cette date, il est écrit que « le bienheureux Géraud reçut en aumône le lieu-dit ensuite Le Pré Béni»1415. Nous pourrions également supposer une fondation ex nihilo du monastère par essaimage depuis Dalon. Quelques moines, sous la direction d’un abbé, ont pu être envoyés par Roger, abbé de Dalon pour fonder une nouvelle communauté au Prati Benedicti, se constituant ainsi en abbaye-fille. Une autre théorie expliquerait la création du monastère par un transfert de la communauté de Chatreix, fille de Dalon (monastère près de Saint-Julien-LePetit en Haute-Vienne.). La disparition de ce monastère coïnciderait avec la naissance de l’abbaye de Prébenoît1416. Chatreix n’est en effet plus cité dans aucun texte à partir de 1138. En 1140, l’érection du site du monastère régulier est facilitée par les seigneurs de Malval qui multiplient les donations à l’abbaye1417. Nous pouvons tout de même constater que l’ermitage reste le plus longtemps possible fidèle aux règlements de Géraud de Sales ; il 1414 I. PIGNOT, op. cit. Dom ESTIENNOT DE LA SERRE, BNF 12747, p. 54. Dom Claude Estiennot de la Serre (1639-1699) était sous-prieur de la Congrégation de Saint-Maur (1677-1678). 1416 P. LOY et J. ROGER, L’abbaye cistercienne de Prébenoît, Culture et Patrimoine en Limousin, Limoges, 2003, p. 16. 1417 P.L. JANAUSCHEK, Originum cisterciensium, Vienne, 1877, p. 149. L’auteur précise « Haec abbatia… dominos Malae-Vallis auctores, Dalonam matrem habuit, cujus fratres a 1140 institu sunt. » 1415 - 439 - faudra vingt ans pour qu’il soit érigé en monastère. Cette fondation pose cependant problème : elle a lieu deux ans seulement après celle d’Aubignac. Dalon était-elle en mesure d’effectuer la fondation ? Les ermites n’étaient-ils pas trop âgés pour former la communauté1418 ? Les textes restent muets sur le sujet : seule la Gallia Christiana évoque cette fondation1419. L’histoire de l’abbaye commence donc dans les textes en 1140 lors de son rattachement à Dalon. En 1162, elle est affiliée à l’ordre de Cîteaux de même que ses sœurs marchoises (filiation de Pontigny). De l’église édifiée entre la seconde moitié du XIIème siècle et le début du XIIIème siècle, il reste quelques vestiges. Les granges et aménagements hydrauliques sont relativement bien connus grâce aux quelques sources manuscrites conservées, aux études toponymiques d’après les cartes IGN et les cartes de Cassini et surtout aux investigations archéologiques menées sur le site depuis les années 1990 [Fig. 333, 334 et 335]. Nous savons d’après les sources médiévales et les actes de donation conservés que l’abbaye de Prébenoît disposait de sept granges : la grange de l’abbaye, de la Villatte (à quelques kilomètres au nord-ouest du monastère), du Chassin (au sud-ouest de Prébenoît), de Bramareix (au sud de l’abbaye au-delà de Châtelus-Malvaleix), de Chissac (à l’est de l’abbaye, non loin de Lavaufranche), de Ligondeix (au sud-est, près de Bramareix) et de Sinaise (à quelques kilomètres au sud de Châteaumeillant) qui ont toutes pu être identifiées [Fig. 93]. Les possessions de l’abbaye confinaient donc au Berry. Nous savons qu’elle disposait du moulin de l’abbaye, de la Côte, de Naucher, de la Fontanelle, de la Porte et des Boissières. Tous n’ont pu être repérés dans la toponymie ou peuvent apparaître sous des dénominations différentes [Fig. 32 et 52]. Ainsi, la carte de Cassini révèle le « moulin des Côtes » au nord de Prébenoît, le moulin du Cluzeau (qui peut être associé au moulin de Naucher des sources écrites) plus au nord-est et le « moulin de Gourby » au sud-est sur la Petite Creuse. Ce dernier correspond vraisemblablement au moulin des Boissières cité dans les actes médiévaux. Le « moulin de la Commanderie » au dessus de Luyat prête à confusion. Il s’agit sans doute d’une installation des Hospitaliers de Viviers implantés à quelques kilomètres au nord de Prébenoît. La proximité des deux communautés a sans doute conduit à des conflits d’intérêt et à des prétentions communes sur les cours d’eau. Le moulin de la Fontanelle est évoqué dans les textes dès la fin du XIIème siècle. En effet, en 1192 est fait mention de la donation d’un moulin en construction dans le mas de la Fontanelle. Nous n’avons toutefois pas pu le cartographier. Le lieu-dit « la Barrière » au nord de l’abbaye (parcelle n°351 du plan cadastral actuel) peut évoquer une ancienne digue placée sur l’Étang 1418 1419 M.O. LENGLET, « L’implantation cistercienne dans la Marche Limousine… », p. 265. Gallia Christiana, II, 632. - 440 - Noir [Fig. 376]. La carte IGN révèle également le toponyme « la Perière » qui pourrait correspondre à une ancienne carrière1420. Vestiges archéologiques : L’ermitage primitif des premières années du XIIème siècle est totalement méconnu. Le cloître est de même entièrement ruiné. Les bâtiments conventuels sont quant à eux très remaniés aux XVIIIème et XIXème siècles. Ils ne feront dès lors pas l’objet d’une étude complète et détaillée, excepté concernant certains remplois médiévaux utilisés en façade1421. Un dépôt lapidaire conséquent permet de mieux appréhender l’élévation, les supports et le voûtement du sanctuaire en ruines. Des fouilles archéologiques menées systématiquement depuis les années 1990 sur le site ont heureusement permis une meilleure connaissance des bâtiments médiévaux, des installations hydrauliques qui seront également pris en compte dans notre corpus ainsi que des éléments de mobilier (tombeaux, pavements). Il nous paraît nécessaire ici de livrer une synthèse des sources historiques, archéologiques et des créations artistiques de cette abbaye de Haute-Marche. L’étude des plans cadastraux n’apporte guère de renseignements supplémentaires sur l’organisation des bâtiments monastiques [Fig. 333, 334 et 335]. Le cadastre ancien (section A) montre les vestiges de l’abbatiale sur la parcelle 333, le vivier en L parcelle 334, les bâtiments conventuels parcelle 336 et la grange à l’entrée du monastère parcelle 338. Le cadastre actuel ne montre que peu de changements. L’abbaye comprend les parcelles 666667-671-672 et 700. Ces parcelles forment un trapèze pouvant correspondre à l’ancien enclos monastique se distinguant ainsi relativement bien. - Abbatiale : Les bâtiments d’exploitation modernes placés autour d’une cour sont les premiers que nous rencontrons en pénétrant sur le site. Ils ne feront toutefois pas l’objet d’une analyse particulière étant donné leur mise en œuvre tardive. Les bâtiments conventuels disposés en « L » abritent désormais des expositions temporaires ainsi qu’un musée avec des éléments 1420 IGN Série Bleue, 2228 E, Châtelus-Malvaleix, 1/25000ème. Pour l’étude complète de ces bâtiments, voir I. PIGNOT, L’abbaye cistercienne de Prébenoît en Creuse. Étude lapidaire et architecturale, maîtrise d’Histoire de l’art, Clermont II, dir. B. PHALIP, A. COURTILLÉ, vol I, p. 159. 1421 - 441 - lapidaires remarquables. Les ruines de l’abbatiale sont plus au nord [Fig. 337]. La mise en œuvre recourt à de belles pierres de taille en granite disposées en assises de moyen appareil régulier pour les harpages, les contreforts et les soubassements. Par ailleurs, le petit appareil irrégulier en schiste et moellons de granite est majoritaire. Il est lié d’un mortier relativement gras. La chaux y est en forte proportion. Les sables non tamisés et les petits graviers lui confèrent un aspect plus pâteux. Le choix du granite pour les éléments structurants n’est pas un hasard. L’abbaye est en effet implantée sur un sol schisteux si on se réfère à la Carte archéologique de la Gaule concernant la Creuse [Fig. 5]1422. Toutefois, les bâtisseurs ont préféré recourir à une roche plus résistante pour certains éléments privilégiés, provenant probablement des carrières de Marcillat [Fig. 381]1423. La mise en œuvre est assez modeste, peut-être faute de moyens pour généraliser le moyen appareil régulier à l’ensemble de l’édifice. Elle semble être plus du fait de maçons que de tailleurs de pierres dont le rôle se limite aux harpages et soubassements. Nous ne disposons d’aucune information concernant la façade occidentale de l’église. Aux XVème et XVIème siècles, celle-ci a été détruite tandis que la nef est tronquée vraisemblablement de quatre travées. Il pouvait s’agir d’un mur pignon scandé de contreforts comme souvent pour les églises de Haute-Marche (Lamaids, Clugnat ou Genouillac). Deux tours de fortifications sont érigées, l’une polygonale (au sud), l’autre ronde (au nord). Au sud, la tour polygonale est arasée (depuis les XVIIème et XVIIIème siècles) et peu de vestiges demeurent en élévation. Les fouilles ont révélé la présence probable de deux pièces dont l’une avec un puits. Les murs étaient de 2 à 1.40m d’épaisseur [Fig. 349]1424. La tour de plan circulaire au sud de l’abbatiale se présente comme une construction talutée en schiste. Seuls les piédroits des percements sont de granite [Fig. 349, 350 et 351]. Elle dispose d’une baie étroite avec un petit linteau monolithe en plein-cintre. Deux archères canonnières sont appareillées de blocs de granite et présentent un large ébrasement interne. Nous en observons de semblables au château de Malval (commune de Bonnat à l’ouest de Prébenoît). À l’ouest, une deuxième ouverture rectangulaire est percée, de même qu’une porte avec un harpage de granite. Cette tour mesure 2.50m de diamètre interne et 6.20m de haut 1425. Depuis le bas-côté nord de l’abbatiale, deux percements en permettent l’accès. Le plus haut qui devait correspondre à une porte conduisant à l’ancien corps de logis ajouté au-dessus de l’abbatiale comporte une ouverture légèrement brisée, assez large, avec un ébrasement 1422 D. DUSSOT, Carte archéologique de la Gaule- Creuse (…), op.cit, p. 29 à 43. B. RUEL, op.cit. 1424 J. ROGER, L’abbaye cistercienne de Prébenoît, fouilles 2001(…), op.cit, p. 18. 1425 P. V. ARCHASSAL, op. cit, p. 162-165. 1423 - 442 - relativement important. Elle est surmontée d’une voûte de schiste clavée. Un étage inférieur présente une voûte concrète avec deux paires de corbeaux difficiles à interpréter qui pouvaient soutenir un plancher à l’origine. La nef de l’abbaye de Prébenoît demeure relativement méconnue. Peu de vestiges sont encore en élévation. Nous ne savons quasiment rien du voûtement, des supports ou de l’élévation. Elle se réduit désormais à deux travées. La longueur existante n’est alors plus que de 26m alors qu’elle devait avoisiner les 43m avant la période de fortification. La largeur est de 7.60m et de 18.40m avec les collatéraux. En élévation, il demeure une partie du mur ouest se rattachant à la période moderne de fortification de l’abbatiale [Fig. 343]. L’appareillage est en schiste avec un important blocage comme pour toutes les parties non médiévales de la mise en oeuvre. Nous pouvons remarquer deux corbeaux à double quart-de-rond à 2.90m de hauteur. Au nord de ce mur est percée une porte relevant du XVème siècle avec des feuillures présentant de larges cavets [Fig. 352]. Le linteau rectangulaire possède un arc trilobé. Il est surmonté d’une partie triangulaire avec une niche trilobée où devait s’insérer une statue. Un cul-de-lampe à tête humaine est conservé du côté sud. Les fouilles ont permis de mieux cerner les modes de construction de l’abbatiale. Les murs reposent sur une tranchée de fondation profonde (0.50m) constituée de dalles de schiste posées à plat. La largeur des murs varie de 1.50 à 1.80 mètres. Une seconde technique est toutefois employée lors de la fortification au XVème siècle. Nous pouvons l’observer sur le mur ouest évoqué précédemment. Le schiste local est utilisé, les murs sont moins épais (0.40 à 0.70m), le liant de chaux est plus maigre1426. Il ne subsiste que de minces vestiges des larges collatéraux (4.10m). Les fouilles ont révélé l’existence de piliers en forme de rectangle de 2.20m par 1.20m les séparant de la nef. Ils étaient sans doute surmontés d’impostes recevant les voûtes. Ils devaient être à l’origine en « L » avec un retour vers les collatéraux1427. Nous pouvons observer les vestiges du mur du bas-côté sud dont il reste quelques assises de gros blocs de granite à modules irréguliers1428. Pour les parties hautes, un parement de granite enserre le blocage de schiste. Le granite est relativement fin, avec peu d’inclusions. Le mur sud du bas-côté nord présente un parement de granite sur 2.75m de hauteur1429. Il est ainsi relayé par un petit appareil irrégulier de schiste. Face à la nef, nous remarquons à 3.30m de hauteur deux corbeaux dont l’un est semicirculaire et l’autre présente une succession de deux quarts-de-rond. Ce collatéral conserve le 1426 J. P. BÉGUIN, J. ROGER, L’Abbaye de Prébenoît (…), op. cit, p. 82. J. ROGER, L’abbaye de Prébenoît, sondages dans l’abbatiale (…), op. cit, p. 14. 1428 On note par exemple des modules de 43 par 30cm, de 50 par 52cm et des éléments plus longs de 62 par 34cm. 1429 Les carreaux irréguliers varient de 64 par 39cm à 50 par 33cm. 1427 - 443 - départ d’une voûte d’arêtes de plan carré [Fig. 338]. Le blocage se compose de schiste lié d’un mortier gras. Les voûtes reposent sur de sobres dosserets appareillés à impostes engagés dans le mur gouttereau [Fig. 340 et 344]. Du côté nord, le pilastre d’angle mesure 34cm de profondeur pour une largeur de 86cm. Au sud, la voûte est reçue par deux éléments de corniche disposés en quinconce, reposant sur un pilier aux bases talutées, aujourd’hui lié au mur ouest de l’époque moderne. Depuis le pilastre d’angle semblait partir un arc doubleau renforçant les voûtes d’arêtes [Fig. 345]. Il est cependant entièrement dépecé aujourd’hui. Entre les deux dosserets du mur gouttereau nord, les soubassements et les harpages présentent un bel appareil de granite. Les assises du soubassement sont irrégulières, montrant une rupture dans le chantier. Deux rangées de modules sont d’abord superposées puis se réduisent à un seul module au niveau du deuxième dosseret. Une baie très étroite présente un large ébrasement dont il ne demeure que le blocage en schiste [Fig. 339 et 341]. Les piédroits de granite sont dépecés. De l’extérieur, elle est surmontée d’un linteau monolithe étroit à double ébrasement de 20cm de large. Ce type de baies étroites et étirées en hauteur sont caractéristiques du début du XIIIème siècle1430. Le second dosseret du mur gouttereau est moins débordant que le précédent (32cm de large) [Fig. 342]. Il est toujours constitué d’un appareil de granite soigné. Il est surmonté d’une imposte recevant les voûtes d’arêtes. À 1.18m de ce dosseret, nous observons le départ d’un ébrasement en granite qui correspond vraisemblablement à une seconde baie ébrasée. À l’extérieur, les assises du mur gouttereau se composent de gros blocs de granite et disposent d’une assise de réglage biseautée. Nous pouvons noter les vestiges d’un contrefort en grand appareil (56cm de profondeur pour 118m de large) qui correspond au dosseret interne et dont le glacis sommital est encore en place. Le transept mesurait 25.20m de long pour 7.10m de large [Fig. 346, 347 et 348]1431. La mise en oeuvre relève du même système de blocs de granite pour les harpages et de schiste pour le reste du parement. Nous pouvons remarquer le départ d’une baie au bras nord du transept. Le croisillon sud est accolé à la sacristie. Il est composé de blocs de granite de moyen appareil régulier. Il ouvre sur la sacristie par une porte avec des feuillures soulignées de tores et de cavets discrets. Deux corbeaux soutiennent un tympan nu. Un sondage réalisé à cet endroit en 2001 à permis de révéler la présence de maçonneries en « j », peut-être les vestiges d’un escalier en pierres permettant d’accéder au dortoir. Des sépultures ont 1430 B. PHALIP, L’église d’Ajain, problème de la fortification de quelques églises creusoises entre la fin du XIIème siècle et la fin du XIVème siècle, mémoire de maîtrise, Paris IV, 1978, p. 136. 1431 P. V. ARCHASSAL, op. cit, p. 162-165. - 444 - également été repérées 1432. Le transept dispose d’un décor peint relevant probablement de l’époque médiévale1433. Les murs présentent un décor de faux appareil. La chaux blanche est rehaussée de traits rouges. Ce type de décor est assez fréquent dans un cadre cistercien. À propos des enduits découverts à l’abbaye de Villers en Brabant, Thomas COOMANS rappelle que les enduits à faux-appareil régulier sont courants à la fin du XIIème jusqu’au XIIIème siècle1434. Ils ne correspondent pas à l’appareil maçonné. Il ne reste rien du chevet de l’abbatiale qui ne nous est connu que par la description du sous-préfet Rémy et la fresque du XVIIIème siècle citées précédemment. Les fouilles ont permis de déterminer que les murs mesuraient 0.70m d’épaisseur. Deux contreforts scandaient la façade. La largeur extérieure était de 7.20m1435. Le mobilier en est toutefois bien connu grâce aux investigations archéologiques. - Mobilier liturgique : Le décor de l’abbaye de Prébenoît est en effet mieux cerné grâce à des sources historiques prolifiques et surtout grâce aux campagnes de fouilles archéologiques de ces dix dernières années qui ont permis la mise au jour de tombeaux et de carreaux de pavement. À la fin du XIIIème siècle, Roger de Brosse, l’un des principaux donateurs du monastère marchois, est inhumé devant le grand autel du chevet. Cet évènement détermine une phase d’embellissement du chevet. Le lieu de la sépulture est confirmé par une épitaphe retrouvée à Huriel (Allier). Il s’agit d’une dalle en grès de 1.26m de haut par 0.70m de large. Il y est précisé que « le dit messire Roger enterré en l’abbaye de Prat Benoît et fut frère de messire Hugues de Brosse ». Nous disposons de quelques éléments sur cette sépulture d’après les sources manuscrites. L’inventaire de 1790 fait mention d’un tombeau de cuivre1436. Selon l’abbé de Villeloin « devant le grand autel est une tombe de cuivre eslevée environ de trois pieds sur laquelle est couchée la figure d’un homme, joignant les mains et tenant une croix enscellée. Lescu de ses armes est party au un dragent à 1432 J. ROGER, Bilan scientifique de 2001, SRA Limousin, Ministère de la Culture, p. 34 et 35. J. ROGER, P. LOY, op.cit, p. 51-55. 1434 T. COOMANS, L’abbaye de Villers-en-Brabant. Construction, configuration et signification d’une abbaye cistercienne gothique, Bruxelles, 2000, p. 243. 1435 J. P. BÉGUIN, J. ROGER, L’Abbaye de Prébenoît (…), op.cit, p. 46. 1436 AD Creuse, H 533. 1433 - 445 - trois gerbes dor comme broce, au fassé d’or… Il y a beaucoup d’autres écussons »1437. Le tombeau disposait donc d’un gisant aux armoiries des seigneurs de Brosse. En 1788, le feudiste Duval décrit ainsi le tombeau1438 : « Roger de Brosse est représenté au naturel avec sa cotte d’armes en bronze. L’épaisseur de la tombe qui est environ de quatre pouces [10cm], est couverte d’une lame de cuivre doré sur laquelle étaient peintes en plusieurs médaillons, rangés tout autour, les armoiries de Brosse, de Déols et d’autres ; mais la couleur du métal a trompé ou séduit quelques curieux qui ont arraché partie de ces médaillons et endommagé la figure. » Il précise que le tombeau se trouve du côté de l’évangile du grand autel, c’est-à-dire sur la gauche. En 1791, Degesne, prieur de l’abbaye, s’engage à « veiller jusqu’au moment de leur enlèvement à ce que les cloches, mausolée et grand autel de ladite église de Prébenoît ne soient gâtés et détériorés (…) ». Si le grand autel a lui aussi été enlevé, nous pouvons supposer qu’il était peut-être recouvert de métal comme le mausolée. Les maîtres-autels cisterciens du XIIIème siècle sont relativement rares et peu ont été conservés. Thomas COOMANS fait état d’un autel à Villers consacré entre 1225 et 1250. Un autre est préservé à l’abbaye de Preuilly, abbaye-mère de la Colombe. Il se caractérise par une grande table en pierre portée par des arcatures à décor non figuratif. Nous n’avons aucun vestige de celui de Prébenoît 1439. Les deux chapelles septentrionales disposaient aussi chacune d’un autel. Selon Jacques ROGER, ce tombeau 1437 BNF, ms 12747. Cité par J. P. BÉGUIN, J. ROGER, Abbaye de Prébenoît (Creuse), SRA Limousin, 1993-1996 (non publié), p. 104-107. 1439 T. COOMANS, L’abbaye de Villers-en-Brabant. Construction, configuration et signification d’une abbaye cistercienne gothique, Bruxelles, 2000, p. 247. 1438 - 446 - pourrait être l’œuvre d’un atelier de Limoges. Ce type de sépulture était réalisé entre le milieu du XIIIème et le milieu du XIVème siècle1440. Les fouilles archéologiques de 1994 menées sur le site ont permis la découverte d’un sarcophage de calcaire qui pourrait correspondre à celui de Roger de Brosse. Toutefois, il est découvert à droite du grand autel et non à gauche comme le décrivait le feudiste Duval en 1788. L’ancien ordonnancement aurait-il été bouleversé lors des nombreux réaménagements de l’abbatiale notamment ceux menés en 1715 par Dom Jean de Scayve [Fig. 369]? D’autres éléments de mobilier peuvent être associés à cette inhumation. Une croix de consécration est conservée au Walters Art Museum de Baltimore [Fig. 373]. Elle mesure 51.5cm de haut pour 33.5cm de large. Elle se compose d’un assemblage de plusieurs plaques estampées sur un cœur en bois. Au centre, une plaque émaillée représente un Christ en majesté assis sur un arc-en-ciel et entouré de rosaces. Chaque extrémité de la croix supporte d’autres émaux représentant trois éléments du Tétramorphe. Sur les bras, trois plaquettes losangiques sont ornées de fleurons d’émail polychrome à huit pétales dont quatre sont ondulés. La tige inférieure présente les blasons des de Brosse et des Malemort1441. Un pavement mosaïqué est également à rapprocher de cette inhumation [Fig. 370, 371 et 372]. Il a été mis au jour lors des fouilles archéologiques de 1993. Une analyse au carbone 14 a permis de le dater des années 1253-1297. Il se situe dans le chœur. Il se compose de 23 bandes longitudinales de 4.20m de long. L’une mesure 0.50m de large et dispose de carreaux ovalaires. Deux autres de 0.25m de large sont ornées de carreaux ronds, demi-ronds et losangiques. Le sanctuaire dispose de 19 bandes de 2.70m de long. La régularité est interrompue au niveau de l’axe central par des panneaux de 0.40m de long représentant pour l’un un oiseau aux ailes déployées, pour l’autre un cerf. Les carreaux sont noirs, verts ou à teintes rougeâtres1442. Le motif du cerf est relativement fréquent dans les carreaux de pavement médiévaux. Il est associé au thème de la chasse. Nous le retrouvons à l’ancienne cathédrale de Saint-Omer à la fin du XIIIème siècle 1443. C’est un motif très fréquent dans les édifices bourguignons. Des chasseurs et des chiens poursuivent un cerf sur un pavement du château de Montcenis (fin XIIIème- début XIVème siècle). Un cerf attaqué par un chien est aussi représenté sur un carreau de la chartreuse de Champmol dans le dernier quart du XIVème siècle. Au XVIIème siècle, des têtes de cerfs apparaissent au château de Gilly, la maison de campagne des abbés de Cîteaux. Ce thème n’est ainsi pas cantonné aux édifices 1440 J. P. BÉGUIN, J. ROGER, op.cit, p. 104-107. J. ROGER, P. LOY, L’abbaye de Prébenoît en Creuse, Limoges, 2003, p. 65-73. 1442 J. ROGER, P. LOY, op.cit, p. 44-47. 1443 E. NORTON, Carreaux de pavement du Moyen-Âge à la Renaissance (…), op.cit, p. 59. 1441 - 447 - religieux1444. Magali ORGEUR se livre elle aussi à une étude stylistique du pavement de Prébenoît1445. Elle fait état de six bandes alternées dont trois sont décorées d’arcs sécants. L’opposition entre teintes claires et teintes sombres témoigne de la maîtrise des coefficients de rétractation des deux argiles au cours de la cuisson. Ce pavement relève donc de la fin du contexte d’expérimentations techniques liées à l’obtention du jaune. Elle le date ainsi de la seconde moitié du XIIIème siècle, ce que corroborent les datations proposées par l’archéologue Jacques ROGER, confirmées par les analyses au carbone 14. Le cerf et la colombe peuvent être rapprochés des motifs de l’abbaye cistercienne de Meaux (Angleterre, Yorkshire) datés entre 1249 et 1269. La variante de cercles sécants alternant avec des arcs de cercle sécants est aussi connue à Jumièges, Ligugé, à l’abbaye cistercienne des Châtelliers, à la Sauve-Majeure et à Saint-Samson-Sur-Risle. Ces pavements sont quasiment systématiquement associés aux parties orientales des édifices. C’est le cas à Prébenoît. Ceci pourrait s’expliquer par une volonté de mettre en valeur un espace privilégié et témoigne peut-être d’un lien avec des pratiques liturgiques. Magali ORGEUR met en évidence à ParayLe-Monial un pavement dont les décors sont hiérarchisés en fonction des espaces réservés. Ils conduisent les fidèles jusqu’à l’autel et rehaussent le passage d’une procession1446. Ce n’était néanmoins sans doute pas le cas à Prébenoît puisque les abbayes cisterciennes n’avaient pas de vocation d’accueil des fidèles. Ce pavement étant étroitement lié à l’inhumation de Roger de Brosse, nous pouvons supposer que c’est lui qui en a financé l’exécution avant son décès ou l’un de ses descendants. Il semble peu probable que les moines de cette modeste abbaye marchoise, ne disposant que de peu de revenus, soient à l’origine de la mise en place de ce tombeau luxueux et du mobilier qui l’accompagne. Il s’agirait plutôt d’un art de commande comme à Bellaigue ou Bonlieu. Nous savons que l’abbaye disposait de vitraux en grisaille placés derrière le maîtreautel. Des fragments ont été découverts lors des diverses fouilles archéologiques mais nous ne pouvons toutefois en reconstituer les motifs. Le mobilier de l’abbaye de Prébenoît est ainsi relativement bien connu et témoigne d’embellissements certains dans la seconde moitié du XIIIème siècle liés à l’inhumation d’un seigneur laïc. C’est ce « mécénat » de la noblesse locale qui permet le développement d’une iconographie propre au sein de cette abbaye cistercienne par ailleurs tentée par l’absence d’image. - Cloître médiéval et moderne : 1444 M. PINETTE, Les carreaux de pavage dans la Bourgogne médiévale, Musée Rolin, Autun, 1981. M. ORGEUR, op.cit, vol I, p. 230. 1446 M. ORGEUR, op.cit, vol II, p. 523. 1445 - 448 - Le cloître médiéval, probablement édifié à la fin du XIIème siècle et dans les premières années du XIIIème siècle est aujourd’hui entièrement disparu. Un solin sur le mur sud du bâtiment conventuel sud est l’unique témoin du couvrement des galeries du cloître1447. Celles-ci devaient être charpentées, délimitées par un mur bahut avec des arcatures de pierres1448. Elles sont couvertes de tuiles au XVIIème siècle par l’abbé commendataire Vertamont. Trois galeries ont pu être identifiées lors des fouilles archéologiques. Seule la galerie ouest n’a pas été retrouvée. Elles mesurent 3.50m de large et comportent des murs de soutènement de 0.60m d’épaisseur1449. Les piliers de la fin du XIIème siècle et du début du XIIIème siècle comportent des chapiteaux lisses très évasés et des bases à griffes retrouvés dans le dépôt lapidaire [Fig. 359, 362, 364 et 365]. En effet, une petite base à griffes en granite gris très fin peut être associée à un chapiteau lisse à épannelage fortement évasé. Tous deux sont déposés dans le petit musée du bâtiment conventuel de l’abbaye. Les dimensions coïncident parfaitement (base et tailloir du chapiteau de 40 par 31cm). L’abbatiale ne disposant pas de colonnes, ces éléments appartenaient vraisemblablement au cloître de l’époque médiévale. La corbeille lisse évoque celles des arcades du cloître de Varennes édifié à la même époque, certains chapiteaux d’Obazine (nef) ou encore de Bonlieu (bras du transept). Au XVème siècle, le cloître fait donc l’objet d’une reconstruction avec des piliers octogonaux comme à Bonlieu, Varennes et l’abbaye des Pierres [Fig. 358, 368]. Les éléments lapidaires conservés sur le site sont ici essentiels pour la reconstitution du cloître de Prébenoît. Certains éléments de supports déposés (bases, chapiteaux, tambours) présentent un profil octogonal souligné de larges cavets [Fig. 360 et 363]. Nous en avons inventorié en nombre dans le dépôt lapidaire à l’ouest du bâtiment conventuel ainsi qu’en remploi dans la façade orientale de ce même bâtiment1450. Ils sont de granite plus grossier, matériau typique des phases de réfection du monastère au Bas Moyen-Âge et à l’époque moderne. L’étude des remplois a révélé l’existence de deux modules, l’un souligné de cavets aux angles (26 par 44cm), l’autre aux angles biseautés (33 par 44cm). Nous pourrions ainsi envisager une alternance de piles fortes et de piles faibles pour ces galeries de cloître. Si un support dispose d’une base, d’un chapiteau et de trois tambours, en tenant compte de joints d’1.5cm en moyenne, nous obtenons un pilier d’1.76m environ1451. Nous savons d’après les sources 1447 B. RUEL, op.cit. B. BARRIÈRE (dir.), Moines en Limousin (…), op.cit, p. 70. 1449 P. LOY, J. ROGER, L’abbaye cistercienne de Prébenoît (…), op.cit, p. 48. 1450 130 blocs ont été ainsi inventoriés. Voir I. PIGNOT, op.cit, p. 240. 1451 Nous aboutissons ainsi aux mêmes dimensions que les supports du cloître du XVème siècle de l’abbaye des Pierres. 1448 - 449 - archéologiques que les galeries de ce cloître carré mesuraient ainsi 31.8m de long pour 3.50m de large et le mur-bahut 22.7m. Les murs de soutènement composés de dalles de schiste étaient peu épais (0.60m de large) et laissent présager un mur-bahut relativement étroit pour soutenir une arcature1452. L’écartement des arcs peut être envisagé grâce à deux sommiers inventoriés dans le dépôt lapidaire [Fig. 361]. Leurs dimensions (44cm de long) et la qualité du granite les associent sans aucun doute aux piliers octogonaux. Le diamètre des arcs du cloître peut être extrapolé et mesure environ 0.74m. Cette relative étroitesse s’explique par un amoindrissement des dimensions aux XVème et XVIème siècles. Il devait donc y avoir vingtquatre arcs au mur-bahut. Cette réfection du cloître au XVème siècle est simultanée à celles de Bonlieu, Varennes ou encore du cloître du monastère des Pierres [Fig. 162, 163 et 735]1453. Ces ressemblances troublantes dans la mise en œuvre de ces quatre sites pourraient s’expliquer par une circulation des tailleurs de pierre dans ces sites peu éloignés géographiquement. Nous pouvons associer à cette période de réfection du monastère une vasque de cloître conservée sur le parvis de l’église de Châtelus-Malvaleix à quelques kilomètres à l’ouest de Prébenoît. Elle présente le même type de granite et ces mêmes modénatures soulignées de cavets. Les accès au cloître sont alors modifiés comme en témoigne la condamnation d’ouvertures visible au niveau de l’angle sud-est de la façade occidentale du bâtiment conventuel. - Bâtiments claustraux : sacristie, salle capitulaire. La sacristie présente une ouverture légèrement brisée avec un parement soigné. Le granite employé est fin, avec peu d’inclusions, les feuillures constituées de tores très délicats. L’arc qui marque l’entrée se compose de sommiers dont deux montrent une encoche pour les cintres, typique du début du XIIIème siècle comme nous pouvons notamment en observer au niveau d’une baie en façade occidentale de l’abbatiale de Bonlieu. Les zones internes se constituent d’un soubassement de granite relayé par un petit appareil de schiste qui va former une voûte clavée en berceau brisé. Le seul témoin de l’ancienne salle capitulaire est une amorce de baie présente dans la façade orientale du bâtiment conventuel avec deux claveaux de granite gris très fins [Fig. 353]1454. Une partie du parement de granite médiéval est conservée avec de gros blocs de 1452 J. ROGER, P. LOY, L’abbaye cistercienne de Prébenoît (…), op.cit, p.48-49. Les chapiteaux de Prébenoît sont toutefois de dimensions plus importantes (51 par 34cm et 34cm de haut). La longueur n’est que de 40cm pour les Pierres et 46cm pour Bonlieu. 1454 Leur longueur est de 34cm, les intrados mesurent respectivement 20 et 17cm, les extrados 29 et 26cm. 1453 - 450 - granite rosé à gros grains et à fortes inclusions et qui présentent une alternance de carreaux (de 44 par 30cm) et de bouchons (de 18 par 30cm) plutôt que de véritables boutisses qui s’enfonceraient réellement dans la maçonnerie. Des éléments lapidaires peuvent provenir de cette salle. Une base à griffes de relativement grandes dimensions (socle de 61 par 61cm) est déposée dans le musée du bâtiment conventuel [Fig. 366 et 367]. Elle a été retrouvée lors d’investigation archéologique dans la salle capitulaire. Nous savons que celle-ci disposait de piliers soutenant une voûte. Deux chapiteaux conservés au château de Moisse au nord de Prébenoît peuvent lui être associés. Elle dispose d’un profil en tore, scotie et tore, encore proche du profil attique ce qui attesterait une datation de la fin du XIIème siècle. Le tore inférieur n’est pas encore très aplati. Les griffes sont empâtées. Elles sont soulignées de deux arceaux qui viennent s’étaler sur le tore. Une colonne du chauffoir des moines de Noirlac dispose d’une base très similaire dont les dimensions coïncident exactement1455. Elle relève des années 1170-1190. Cette correspondance avec une abbaye berrichonne pourrait s’expliquer par une circulation des ouvriers spécialisés et des tailleurs de pierres. Toutefois, aucune source écrite ne permet d’étayer cette hypothèse, le chantier médiéval n’étant que rarement évoqué dans les textes. - Éléments lapidaires : Le monastère de Prébenoît est ainsi un édifice difficile à appréhender étant donné les nombreuses reconstructions et réaménagements au fil des siècles. Les vestiges médiévaux se réduisent donc à une partie du bas-côté nord et du transept. Un dépôt lapidaire conséquent issu de la destruction de l’abbatiale est conservé à l’ouest de la ferme de l’abbaye. Il peut aider à notre connaissance de l’abbaye même si ces éléments isolés sont souvent difficiles à replacer dans leur contexte originel. Nous ne les avons ainsi pas directement insérés dans l’étude de bâti face à l’impossibilité de les interpréter de source sûre. Par crainte d’interprétations hâtives et erronées, nous préférons pour certaines sculptures rester prudent et en livrer une notice séparée. Ils ont fait l’objet d’un inventaire complet lors de notre année de Master I1456. Nous ne reprendrons pas ici l’ensemble de l’étude mais ne retiendrons que les éléments médiévaux les plus significatifs, à l’exclusion des nombreux blocs modernes ou de ceux ne présentant pas de modénature particulière. Nous n’évoquerons pas les nombreux fragments de portes, de piédroits, de baies, le plus souvent modernes et difficiles à replacer dans l’édifice. Ces fragments extraits de leur contexte peuvent aider à la compréhension d’une 1455 1456 En effet, le socle est de 62 par 62cm. I. PIGNOT, op.cit. - 451 - abbaye très ruinée et apporter des connaissances sur le voûtement, les supports et le cloître entièrement disparu aujourd’hui. Les vestiges de l’abbatiale conservés en élévation ne présentent pas d’éléments sculptés particuliers. Les dosserets disposent de simples impostes et non de chapiteaux. Notre étude se basera alors uniquement sur des éléments lapidaires isolés. Un chapiteau feuillagé a été découvert lors des fouilles du cloître en 2001 [Fig. 357]. Il pourrait donc se rattacher au cloître médiéval (fin XIIème, début XIIIème siècle). Les dimensions du tailloir (38 par 30cm) sont très semblables à celles des chapiteaux lisses évoqués précédemment. Le granite est identique, très fin et sans inclusion. Nous pourrions dès lors envisager des arcades présentant une alternance de chapiteaux lisses et feuillagés. Les moines de Prébenoît acceptent ainsi la représentation de feuillages, certes discrets, au sein de leur abbaye. Un chapiteau figuré est également conservé dans le dépôt du musée de l’abbaye [Fig. 356]. Il paraît atypique à la fois par son sujet, ces cinq masques humains très schématiques et par l’usage d’un calcaire qui se substitue au granite habituel. Il présente des vestiges de polychromie, ce qui peut surprendre dans un cadre cistercien plutôt enclin à l’austérité et au dépouillement. Les dimensions de son tailloir (37 par 31cm) permettent de l’associer lui aussi aux piliers du cloître médiéval. Les cisterciens de Prébenoît ne rejettent ainsi pas toute forme de figuration, ici très simplifiée et réduite à des visages à peine ébauchés. Les yeux sont de simples fentes, les bouches de petits orifices. Certains fragments peuvent également nous renseigner sur le voûtement de l’abbatiale relativement méconnu face aux vestiges conservés très lacunaires. Nous avons identifié une nervure d’ogive à trois tores qui pourrait relever du XIIIème siècle comme l’atteste la qualité certaine du granite [Fig. 354]. Son profil n’est pas en amande comme souvent à la fin du XIIème siècle et au début du XIIIème siècle dans un cadre Plantagenêt. Cette modénature pourrait être légèrement plus tardive (seconde moitié du XIIIème siècle). De quelle partie de l’édifice pourrait-elle provenir ? L’essentiel de la mise en œuvre de l’abbatiale relève de la fin du XIIème siècle et du premier tiers du XIIIème siècle si on se réfère au triplet de façade, aux baies et aux éléments de portails. La mise en place du voûtement de l’édifice pourrait être légèrement plus tardive et une datation du milieu du XIIIème siècle semblerait cohérente. La nef serait-elle alors voûtée d’ogives ou bien ce type de couvrement s’adaptait-il plutôt aux chapelles du transept ? Au chevet ? Ceux-ci sont cependant le plus souvent voûtés en berceau dans un cadre cistercien. Les ogives pourraient également concerner un bâtiment conventuel, le réfectoire des moines, ou le dortoir. Ils sont cependant probablement mis en place avant l’abbatiale, étant indispensables à la vie communautaire et aux besoins les plus péremptoires - 452 - des moines. Leur édification se rattacherait alors plutôt à la fin du XIIème siècle ou au premiers tiers du XIIIème siècle. Quant au cloître, ses galeries sont charpentées et non voûtées. Il n’est donc pas question de voûtes d’ogives. Ce fragment, isolé dans le dépôt lapidaire reste difficile à interpréter et à replacer dans l’édifice. Un fragment de boudin placé sur un dosseret est également conservé [Fig. 355]. Il pourrait appartenir à un doubleau. Les arêtes des bas-côtés pouvaient en effet en disposer. Nous pourrions également l’interpréter comme un élément d’ogives relativement fruste, qui apparaît plus sous la forme de gros tores que de fines nervures comme souvent dans un cadre Plantagenêt ou dans les édifices de Haute-Marche au XIIIème siècle (Gouzon). Ce voûtement pourrait alors être associé à la salle capitulaire, plus ancienne que l’abbatiale. Il pourrait également s’adapter au cintre d’une porte, à une arcade, et pas obligatoirement à une voûte. Il reste donc lui aussi assez délicat à interpréter. Ainsi, si l’abbaye de Prébenoît est un édifice très ruiné, constamment remanié au fil des siècles, de nombreux éléments sculptés permettent une meilleure connaissance des voûtements, des percements et des différentes étapes de reconstruction du cloître. L’image est discrète et n’apparaît que sur un seul chapiteau. Les chapiteaux lisses sont les plus fréquents, un seul adopte timidement des feuillages. Austérité et sobriété sont de mise dans ce monastère de Haute-Marche. L’inventaire lapidaire nous a également permis de retrouver certains éléments de mobilier liturgique, en particulier deux piscines géminées [Fig. 374 et 375]. Ces cuvettes sont généralement situées à gauche de l’autel, côté épître, et sont creusées dans le mur (Boschaud, Le Palais). Elles sont destinées à recevoir l’eau du lavabo et l’eau des ablutions pendant la messe. Elles révèlent l’existence d’un autel disparu. Elles sont parfois placées sous une niche, d’abord en plein-cintre, puis brisée à la fin du XIIème siècle et au début du XIIIème siècle. Nous pouvons en observer dans le chœur de l’abbaye de Noirlac (vers 1150-1160), à Bellaigue, Loc-Dieu, Beaulieu, Valmagne, ou encore Pontigny. La proche abbaye du PalaisNotre-Dame présente dans le mur sud du chœur des crédences doubles avec deux cuvettes rectangulaires similaires, percées d’un trou, insérées dans une niche voûtée d’un arc brisé (début XIIIème siècle) [Fig. 308]. Les piscines liturgiques de l’abbaye féminine de Mègemont (com. Chassagne, Puy-de-Dôme) présentent des éviers tréflés plus complexes (première moitié du XIIIème siècle). À Prébenoît, deux éviers liturgiques ont pu être identifiés. Ils semblent appartenir à deux piscines géminées différentes. En effet, le biseau qui marque l’arête de chacun de ces deux éléments n’a pas la même largeur (3 ou 5cm). Le granite est identique, avec des grains relativement grossiers. Les cavités sont similaires (20 par 20cm avec un orifice de 2cm de diamètre). Ces deux fragments devaient donc relever du même type - 453 - de structure et de la même époque. Nous pouvons supposer que les piscines étaient géminées telles celles de l’abbaye cistercienne du Palais-Notre-Dame ou du chœur de Clugnat, petite église paroissiale à quelques kilomètres au sud de Prébenoît, dont les dimensions et l’aspect sont très similaires. Sans doute étaient-elles placées au niveau du chevet ou des chapelles du transept. Nous pourrions ainsi supposer l’existence de deux autels ce qui permet d’envisager une communauté non négligeable. Ce type de piscine est très fréquent dans l’art cistercien mais se rencontre également dans un cadre paroissial ou hospitalier (Clugnat, La Croix-auBost dans la première moitié du XIIIème siècle). Nous pourrions proposer une datation du premier tiers du XIIIème siècle comme au Palais-Notre-Dame, ce qui correspond à la phase d’édification du chevet et à la chronologie proposée pour le triplet oriental1457. -Aménagements hydrauliques : Outre les quelques vestiges architecturaux et un dépôt lapidaire conséquent, les aménagements hydrauliques de la Petite Creuse et du Cluzeau ont également largement marqué le paysage de ce petit vallon creusois et constituent encore aujourd’hui un objet d’étude très enrichissant pour la connaissance des installations artisanales cisterciennes [Fig. 379]. Les sondages ont en effet permis la découverte de digues, canaux, biefs essentiels à notre étude et qui témoignent de la technicité des moines blancs en matière d’hydraulique et de leur exploitation systématique des cours d’eau1458. Deux digues peuvent être étudiées. L’une est au sud de la ferme, au sud des ruines de l’abbatiale, près du chemin d’accès au monastère [Fig. 377 et 378]. Elle est conservée sur 10m de long. Elle se constitue de dalles de schiste positionnées en épis, formant ainsi un profil en arcade. Au niveau de la clé de voûte, les blocs de granite sont disposés en quinconce et forment ainsi un harpage. Le cœur de la maçonnerie est composé de sable plus ou moins grossier. Cette digue mesure 0.40m de haut à l’ouest pour 0.70m de haut à l’est. La largeur est inférieure à 1.80m [Fig. 385]. Elle ressemble fortement à la digue des Boissières placée sur la Petite Creuse au sud-est de Prébenoît. Le moulin qui lui était associée à la confluence de la Petite Creuse et du ruisseau de Chez Pendu est aujourd’hui une maison d’habitation qui ne conserve pas de vestiges médiévaux. La digue des Boissières n’est connue et citée dans les textes qu’à partir de 1590 [Fig. 384]. S’agit-il d’une installation moderne ou son absence dans les textes médiévaux n’est-elle due qu’aux lacunes des sources historiques ? Elle pourrait 1457 I. PIGNOT, op.cit, p. 234. J. P. BÉGUIN, J. ROGER, Abbaye de Prébenoît (Creuse), SRA Limousin, 1993-1996 (non publié) ; J. ROGER, Sondages d’évaluation sur le site de l’abbaye cistercienne de Prébenoît, juin 2000, 67 p. (non publié) ; J. ROGER, Abbaye cistercienne de Prébenoît, fouilles 2001, 2001, 32p. (non publié). 1458 - 454 - correspondre à une mise en œuvre relativement tardive de même que la digue au sud du monastère qui présente les mêmes caractéristiques. Le système de harpage de blocs de granite s’apparenterait plutôt à des réalités des XVIIIème ou XIXème siècles. La digue de l’Étang Noir n’est plus présente que dans le toponyme « La Barrière » (parcelle n°351 sur le cadastre actuel). Elle est rompue à la fin des années 1970. Elle était longue de plus de cent mètres. La chaussée se constitue d’une levée de terre parementée de murs de schiste. Elle retenait 1.5ha d’eau. Le conduit de vidange de l’étang est constitué de dalles de schiste. L’étang des Côtes à quelques mètres en amont a été construit de la même manière. À partir de sa digue, un bief d’amenée d’eau prend sa source pour ensuite longer l’étang Noir sur 450m avant de se perdre à moins de 400m du monastère. C’est un travail colossal qui a nécessité soit une taille dans le rocher, soit la construction de murs de soutènement. Il alimentait au moins deux moulins. À 2000m de l’abbaye, une troisième pièce d’eau est suggérée par le toponyme « l’étang rompu » et le nom de la parcelle « de l’étang ». Près du chemin d’accès à l’abbaye, les ruines d’une construction surplombent le Cluzeau. Elles ne sont pas mentionnées sur le cadastre de 1808. C’est un bâtiment de 17m de long pour 7m de large. Il comprenait deux pièces, l’une à l’est de 42m², l’autre à l’ouest de 70m². Les parements présentent des dalles de schiste liées à un mortier de chaux ainsi que des harpages de granite. Elle correspond donc à la même mise en œuvre que les phases de construction médiévales de l’abbaye. Nous pourrions ainsi proposer une datation du début du XIIIème siècle pour ce moulin. Il est délicat de formuler des hypothèses quant à sa fonction. Toutefois, des scories ont été découvertes à proximité lors des sondages archéologiques. Il pourrait ainsi s’agir d’une forge hydraulique. Cette installation est alimentée par un bief maçonné de cinq mètres de large qui canalise le Cluzeau dès le XIIIème siècle, à l’est des bâtiments monastiques. Ce premier canal est abandonné pour un second parallèle, encore visible de nos jours et conservé sur plus de cent mètres. Il est toutefois en partie ensablé1459. Les fouilles de 2001 ont permis la mise au jour d’un drain au niveau de l’ancien cloître médiéval [Fig. 380]1460. Il se compose de dalles de schiste mises à plat dans la partie centrale et de plus petits modules latéralement. Il est étendu sur plus de 4m pour une largeur de 0.70m. Il est orienté selon un axe nord-est/sud-ouest. Il se dirige vers le mur de la douve à l’ouest du monastère. Au contact avec celui-ci, il présente un arc de décharge. Les eaux usées s’écoulent de l’est vers l’ouest et se déversent dans la douve. Cet aménagement est sans doute lié au 1459 1460 J. ROGER, P. LOY, L’abbaye de Prébenoît en Creuse, Limoges, 2003, p. 58-59. J. ROGER, Abbaye cistercienne de Prébenoît, fouilles 2001, 2001, p. 17. - 455 - temps de la fortification au XVème siècle et ainsi à la reconstruction du cloître avec ces piliers octogonaux caractéristiques. Au XVème siècle, des douves encerclent l’ensemble des bâtiments monastiques [Fig. 382 et 386]. Elles mesurent de 13 à 14m de large. Ne demeure aujourd’hui qu’un vivier en « L » de 60 par 20m à l’ouest et le long du bas-côté et du transept nord de l’abbatiale. Il est approvisionné par une dérivation du Cluzeau au nord-est longue de 80m, mentionnée sur le cadastre de 1808. L’évacuation au sud-ouest du mur occidental s’effectue par une canalisation construite en planches de bois, enterrée sur 5m environ. Une pelle en bois à l’entrée du conduit permet d’en déterminer l’ouverture ou la fermeture [Fig. 383]. La vidange se réalise vers le sud-ouest par un fossé ouvert long de 60m puis vers l’ouest sur trente mètres environ pour se déverser dans un second système de bassins au sud et à l’ouest du monastère. Un ensemble de grands fossés à parois non construites sont encore discernables dans les paysages actuels. Ils marquent probablement les limites de l’enclos monastique1461. Les murs internes des douves sont constitués de dalles de schiste. Au niveau du bras du transept, la douve est simplement limitée par un talutage au pied de l’édifice. Les dalles peuvent atteindre jusqu’à 0.65 par 0.45m. Elles sont liées d’un mortier de tuf orangé. Des réseaux de caniveaux ont également été mis au jour. Ils sont bâtis de deux murets parallèles espacés seulement de 0.40m. Ils sont constitués de dalles de schiste régulières de 0.25 par 0.25m mises à plat sur trois ou quatre assises, sur une hauteur de 0.40m. L’évaluation archéologique de 2000 a mis au jour un puits à l’intérieur de la tour quadrangulaire à l’ouest de l’église. Il permet l’adduction en eau potable. Les sondages ont également conduit à la découverte d’un canal d’amenée d’eau taillé dans le rocher au contact du monastère. Il est large de 2m sur une profondeur d’1.20m. Il s’interrompt brutalement une dizaine de mètres plus au sud au contact du mur de clôture. Sa fonction et sa datation ne peuvent être clairement établis. L’abbaye de Prébenoît est ainsi très riche à la connaissance de l’hydraulique cistercienne et livre des réseaux de canalisations, des biefs et canaux, des digues et vestiges de moulins qui montrent la complexité des installations mises en oeuvre au fil des siècles. Les moines ont cherché à mettre en valeur et à contrôler les cours d’eau les plus proches du monastère, en l’occurrence le Cluzeau et la Petite Creuse, ce dès le XIIIème siècle. Toutefois, les témoins retrouvés dans les paysages sont parfois difficiles à dater. La plupart semblent appartenir à la période de fortification du monastère avec la mise en place de douves qui bouleverse l’organisation de l’abbaye marchoise. 1461 J. ROGER, P. LOY, op.cit, p. 58-59. - 456 - - 457 - BONNAIGUE - 458 - B. Les fondations d’Étienne d’Obazine : 1. Bonnaigue (commune de Saint-Fréjoux, Corrèze): Le monastère de Bonnaigue est situé sur la commune de Saint-Fréjoux dans le canton d’Ussel en Corrèze. Nous accédons au site par un chemin depuis la nationale 89 au niveau de Venard. La carte de Cassini l’indique à la lisière d’un petit bois, à côté du ruisseau de la Dozanne. L’abbaye est signalée sous le nom de « la Bonnaygue ». Le sigle AB. O.C est précisé (abbaye de l’ordre cistercien) et l’abbatiale est symbolisée par une petite église surmontée d’une crosse, synonyme d’un prieuré. La carte IGN au 1/25000ème la signale sous la même graphie dans un îlot de défrichement entre le Bois de Perey et le bois de Bonnaygue [Fig. 387 et 388]1462. Sources manuscrites : Le fonds concernant le monastère de Bonnaigue est relativement peu conséquent et ne permet guère une bonne connaissance du patrimoine foncier. Il est pour bonne part déposé aux Archives Départementales de la Corrèze. L’abbaye de Bonnaigue est citée dans la Vie de saint Étienne d’Obazine à de nombreuses reprises, notamment lors de la mort de l’abbé Étienne, venu à Bonnaigue pour y choisir un nouvel abbé en 1159. Une période de disette est également évoquée, de même qu’à l’abbaye de Grosbot : « Un événement semblable s’est produit au monastère de Bonnaigue où le saint homme a quitté ce monde il y a quelques temps. Le jour du Jeudi Saint, il s’y rassembla une foule innombrable de pauvres venus en plus grand nombre que d’habitude. Après que l’on eut distribué tout le pain que l’on put trouver, il resta cependant des pauvres à satisfaire. Contraints par la nécessité, les frères distribuèrent alors celui qui leur était réservé pour le repas. N’ayant plus alors de quoi manger, l’abbé donna l’ordre d’acheter à prix d’argent du pain pour les 1462 IGN Série Bleue, 1/25000ème, Eygurande, 2332 E. - 459 - religieux. C’est alors que l’on trouva le coffre où l’on avait coutume de ranger le pain, plein jusqu’en haut. Ils en eurent pour la journée et le jour suivant »1463. Nous ne disposons que de 58 notices concernant les XIIème et XIIIème siècles, ce qui paraît insuffisant pour cartographier le patrimoine. Le cartulaire du XIIIème siècle est perdu, nous n’en avons plus trace depuis 1790. Des extraits nous sont tout de même parvenus par des copies de dom Estiennot au XVIIème siècle1464. Ce cartulaire est signalé en 1712 par Dom Jacques Boyer lors de sa visite de l’abbaye. Des extraits sont ensuite copiés par Edme Bonnette en 1766 à la demande du marquis Marc-Antoine d’Ussel1465. Le nécrologe est également perdu. Quelques allusions sont données dans la Gallia Christiana par Dom Jacques Boyer1466. Nous connaissons la charte de donation de l’abbaye de Bonnaigue, signée en 1157 par Guillaume d’Ussel et son frère Pierre de Ventadour. « Qu’il soit connu de tous, présents et à venir, que Guillaume d’Ussel, et Pierre, son frère, ont donné à Dieu, et à la bienheureuse Marie, en présence d’Étienne, premier abbé d’Obazine, pour la rémission de leurs péchés et le salut de leurs âmes, le lieu qui est nommé Bonnaigue, pour bâtir une abbaye, à la condition que, dans cet endroit, l’ordre monastique institué selon le précepte du Seigneur, et la Règle du Bienheureux Benoît abbé, soit observé à perpétuité, avec le consentement de Dieu. Et comme des frères y doivent aussi servir Dieu, Guillaume d’Ussel a fourni les quatre manoirs désignés : lo Mas d’Offros, Lo Mas Viscomptat, Lo Mas Benait, Lo Mas de la Porte. L’année mil cent cinquante-sept de l’Incarnation du seigneur, sous le règne du roi Louis, et l’épiscopat de Gérald Hector »1467. 1463 M. AUBRUN, Vie de Saint Étienne d’Obazine…, op. cit., p. 143. BNF, ms lat. 12633, fol. 93 ; ms lat. 12765, p. 235. 1465 J-L. LEMAITRE, op. cit., p. 53. 1466 Gallia Christiana, col. 542 D à 644 C. 1467 S-M DURAND, Étienne d’Obazine, 1085-1159, Lyon, 1966, p. 67. 1464 - 460 - Quelques documents modernes nous sont parvenus et sont conservés aux Archives Départementales de la Corrèze : - H 24 : 1634 copie d’extrait d’arrentement dans le bois de Bonnaigue pour les habitants du village de la Vergne, paroisse de Saint-Fréjoux. Ceux-ci ont le droit de pacage pour le bétail et peuvent emprunter la chaussée de l’étang, prendre du bois mort. 1654 reconnaissance consentie par Jean Chabanes, notaire et les habitants et tenanciers du village de la Chabane sur la paroisse de Saint-Fréjoux à Jean de Peyrissac, abbé de Bonnaigue. De même pour les habitants de Chasses, village de la Grange. 1655 contrat de vente au profit des religieux de Bonnaigue par Louis Charles Maréchal habitant Freschamp sur la paroisse de Saint-Merd-La-Breuille d’une maison située en ce lieu. 1668 vente d’un pré consentie par Blaise Faure du village de Lespinassoue sur la paroisse de Flayac au profit des religieux de Bonnaigue. Il s’agit du « Grand Pré » situé au village de Bissareix. 1664-1673 procédures entre l’abbaye de Bonnaigue et le sieur Bonnet de la Chabanne pour la prise d’eau de son moulin et l’arrosement de son pré. - H 25 : 1719 requête présentée par le cellérier de Bonnaigue souhaitant que défense soit faite que les habitants de la paroisse d’Aix ne coupent du bois dans les forêts voisines de l’abbaye. - H 26 : 1789 mémoire concernant les bois de l’abbaye de Bonnaigue. En 1773, une enquête est menée concernant un fermier de la dîme de Bonnaigue à la requête de François Dulac, abbé de Bonnaigue1468. En 1790, les officiers municipaux de la paroisse de Saint-Fréjoux dressent un inventaire mobilier de l’abbaye de Bonnaigue et répertorient également les titres, papiers, bulles des papes et privilèges accordés aux moines ainsi qu’un volume in folio intitulé « Répertoire des titres et documents des archives de Bonnaigue », fait en 1726, aujourd’hui perdu (454 cotes) [PJ 8]. Les registres sont listés : une série de terriers, une liève de 132 folios, le cartulaire du XIIIème siècle comprenant 125 folios, aujourd’hui perdu, un cahier de 52 folios, un terrier de 1545 de 43 folios et le terrier de la Marche daté de 1580 (127 folios). 1468 AD Creuse, H 522, liasse, 4 pièces papier. - 461 - Est évoquée également une bibliothèque comprenant 850 volumes, ainsi que quelques livres liturgiques dans l’église. Les officiers listent l’argenterie, les chandeliers, crucifix, reliquaire de cuivre, quatre tableaux représentants les évangélistes, des chasubles, chapes et dalmatiques. En 1791, le mobilier de l’abbaye est vendu1469. L’inventaire de 1790 permet de mieux connaître les bâtiments conservés en cette fin de XVIIIème siècle. Le chartrier par exemple occupe une pièce voisine du dortoir des religieux, « au-dessus » de l’abbatiale, sans doute au premier étage du bâtiment est dont il ne demeure aujourd’hui que la sacristie. « En examinant ce qui étoit dans la susdite chambre, nous avons aperçu une porte que MM. les religieux nous ont dit être la porte du chartrier. Et après en avoir demandé l’entrée, Dom Legentil nous a ouvert la porte et nous a cependant fait observer le décret en vertu duquel nous agissons ne nous permétoit pas de faire l’inventaire des tittres qui y sont (…). » Sont citées l’église et la sacristie. La première semble d’ailleurs en assez bon état. Les officiers inventorient les biens de la cuisine, l’office, la cave, la boulangerie, l’appartement de l’abbé, la salle à manger de la communauté, le dortoir, la bibliothèque, le clocher à quatre cloches et son horloge, les quartiers des étrangers avec sept appartements, le chartrier, les greniers, les chambres des domestiques, la menuiserie, le chapitre semblant servir de débarras (lits entreposés…), une cave, un petit salon, l’ancien réfectoire servant à stocker du bois à brûler, l’écurie, les étables, la grange, le moulin et les jardins. « (…) De là accompagné comme dessus sommes entrés dans un appartement qu’on nous a dit être le chapitre, dans lequel nous n’avons rien trouvé qu’un moulin propre à vaner le bled, deux bois de lits, où il y a seulement deux mauvais matellats (…). 1469 AD Corrèze, Q 149- Q 54. - 462 - De là nous ont conduit dans un autre appartement appelé l’ancien réfectoire, que nous avons trouvé plein de bois à bruller (…). » En 1796, une estimation des bâtiments est réalisée par Jean Monlouis, « expert géomètre du lieu de la Chabanne, commune de Saint-Fréjoux ». Il évoque le piteux état des bâtiments1470. « Un bâtiment servant cy devant de couvent auxdits Bernardins lesquels bâtiments forment trois corps de logis, dont les deux latéraux sont en très movais état, tant par raports à la charpente, murs menassant une ruine prochène, que par rapport aux portes et fenêtres, dont ils sont presques dépourvus. Plus la cy-devant église assés bien bâtie, mais démunie de touts les ornements et boiseries, planchers et autres, qui pouvoient être dans icelle, la couverture de laquelle ayant besoin de réparation. Plus l’écurie des chevaux située devant ledict couvent, dont les pignons menassent ruine et la charpente ayant croulé en partie (…) » Ainsi, les charpentes des bâtiments conventuels et de l’église ont l’air particulièrement en mauvais état en cette fin de XVIIIème siècle. Historiographie : En 1896, Jean-Baptiste CHAMPEVAL est l’un des premiers érudits à écrire une courte notice sur l’abbaye de Bonnaigue. Il précise les principales dates de son histoire sans toutefois s’attarder sur son architecture et la disposition des bâtiments conservés1471. 1470 AD Corrèze, Q 127. J-B. CHAMPEVAL, Le Bas-Limousin seigneurial et religieux ou géographie historique abrégée de la Corrèze, Limoges, 1896-97, p. 266. 1471 - 463 - En 1968, Jean-Loup LEMAITRE consacre un article à l’abbaye. Il déplore le manque d’études historiques importantes sur le site. En effet, l’époque médiévale est particulièrement méconnue faute de documents. L’auteur se livre à un inventaire des sources imprimées, essentiel pour toute monographie concernant Bonnaigue1472. En 1993, le même auteur livre la monographie la plus complète à ce jour sur l’abbaye corrézienne1473. Il fait un inventaire des sources disponibles et retranscrit notamment le précieux inventaire des biens de 1790. Il compose un historique précis en s’attardant sur les questionnements liés à la date de fondation, aux premiers temps des moines cisterciens et propose une liste abbatiale. La description des bâtiments reste néanmoins succincte (une dizaine de pages) mais témoigne d’un effort certain d’identification des éléments lapidaires vagabonds (domaine de Beauregard d’Ussel, musée du Pays d’Ussel) et d’étude de l’hydraulique monastique. Cette analyse architecturale semble néanmoins à reprendre et à compléter. L’une des études les plus récentes concernant l’abbaye cistercienne de Bonnaigue est la courte notice de l’ouvrage dirigé par Bernadette BARRIÈRE, publié en 19981474. L’auteur fait un état des lieux des connaissances historiques et archéologiques concernant l’abbaye. Cette double page est certes nécessaire mais insuffisante pour cerner la constitution du patrimoine du monastère, son implantation dans le paysage, son insertion dans les réseaux aristocratiques et ecclésiastiques. Les vestiges sont rapidement décrits mais méritent néanmoins une étude plus approfondie. Bernadette BARRIÈRE soulève la nécessité d’une « lecture archéologique minutieuse » du site, de même que des aménagements du milieu naturel. Historique : L’abbaye de Bonnaigue est une fondation d’Étienne d’Obazine. Elle est placée sur la route d’Ussel à Eygurande, dans la forêt de Charroux. L’abbé POULBRIÈRE la décrit « dans une vallée bordée de bois épais et fécondée par un ruisseau humide »1475. Elle existe d’abord sous forme de celle, « d’ermitage-prieuré » érigé en monastère en même temps qu’Obazine en 1142. 1472 J-L. LEMAITRE, « L’abbaye de Bonnaigue », BSLSAC, T 72, 1968, p. 155-158. J. L. LEMAITRE, Bonnaigue, une abbaye cistercienne au pays d’Ussel, De Boccard, Paris, 1993. 1474 B. BARRIÈRE (dir.), Moines en Limousin…, op. cit., p. 153-156. 1475 Abbé J-B. POULBRIÈRE, Dictionnaire historique et archéologique des paroisses du diocèse de Tulle, Brive, 1964, 2ème édition, T III, p. 130-136. 1473 - 464 - Cette date de fondation pose toutefois problème. En effet, c’est la date de 1143 qui est donnée par les érudits du XVIIème siècle, reprise ensuite par les Mauristes. La Gallia Christiana corrobore cette datation1476. Néanmoins, la charte de fondation présentée dans le même ouvrage est de 11571477. Nous pouvons toutefois constater qu’en 1148-1149, Aymeric de Gourdon, Boson et Ebles de Brassac, Hugues de Belcastel et Géraud de La Vaysse donnent à Étienne d’Obazine les manses de Malecoste et du Pendiz. Jean, abbé de Bonnaigue est témoin de l’acte. Le monastère existait ainsi déjà. De plus, la donation initiale précisée dans la charte de fondation comprend le don de la grange de Chasseix à Saint-Fréjoux « au monastère », ainsi déjà implanté en 11571478. Le prieuré devient abbaye autonome en 1142 ou 1143, lorsque le nombre de moines y est suffisant. Le prieur prend alors le titre d’abbé. Elle garde toutefois des liens de filiation étroits avec l’abbaye-mère qui l’a fondée1479. Elle devient cistercienne en même temps qu’Obazine en 1147. Jean, son premier abbé, est un moine venu d’Obazine (1148). Étienne d’Obazine y meurt en 1159. Elle est principalement dotée par une famille seigneuriale d’Ussel. Guillaume et Pierre d’Ussel sont à l’origine de la donation initiale. Elie et Eble poursuivront les donations, justifiant ainsi le statut de « maison fondatrice ». Les Ussel sont largement possessionnés autour de Saint-Merd-la-Breuille et de Flayat. Les prieurés voisins de Port-Dieu (casadéen) et de Bort (clunisien) font aussi partie des bienfaiteurs. Il existe néanmoins parfois des conflits de bornages et de possessions. En effet, l’abbé de Meymac doit arbitrer un différend entre l’abbé de Bonnaigue et le prieur de Port-Dieu (cartulaire, fol. 40). La volonté d’expansion des cisterciens vers la haute vallée de la Dordogne se heurte à la concurrence des casadéens1480. Les vicomtes d’Aubusson sont également présents dans les actes de donation. Ainsi en 1208, Renaud VI, vicomte d’Aubusson, donne le droit de pacage sur ses terres aux moines de Bonnaigue. Sept ans plus tard, il précise que ce droit vaut pour les terres situées entre la rivière de Roseilles, Felletin et Bonnaigue, auquel il ajoute les droits sur la forêt de Chirouse, Flayat, le Theil, la Nouaille, Daloubeix, la Déjalade, Breuilh, Bosc, Fourfoureix et la dîme de Diosidoux. Quelques possessions sont mieux connues grâce à la copie de certains actes du cartulaire par Edme Bonnotte. Il apparaît ainsi que les biens monastiques s’étendent en quadrilatère de Saint-Merd-La-Breuille à Flayat, du Trucq à Saint-Fréjoux, englobant les 1476 Gallia Christiana, T IV, Paris, 1656, p. 178. Gallia Christiana, T II, col. 203 AB. 1478 J-L. LEMAITRE, op. cit., p. 129. 1479 S. M. DURAND, Étienne d’Obazine, 1085-1159, Lyon, 1966, p. 65. 1480 J-L. LEMAITRE, op. cit., p. 136. 1477 - 465 - forêts de Châteauvert et Mirambel. Nous savons ainsi qu’en 1157-1159, Aimon de Cros et Robert d’Ussel donnent à Bonnaigue la terre de Chaumadou, de Fontaube à Lissaut. En 1159, les moines acquièrent trois manses formant la terre de Bacelor, cédés par Guillaume et Pierre d’Ussel. Concernant les granges de l’abbaye, elles sont difficiles à identifier et localiser. Nous savons que les moines en possédaient un certain nombre dès la fin du XIIème siècle sur la paroisse de Saint-Merd-La-Breuille. En 1159, Étienne de Pérol donne tous ses droits sur la grange de Chasseix. En 1185, Hugues d’Ussel donne une rente sur la grange de Diosidoux (com. Flayat) [Fig. 95]. Une grange est bien identifiée aux abords du lac de Sarliève dans l’ancien diocèse de Clermont, sur la paroisse de Romagnat. Elle occupe une combe qui ouvre sur le lac au sud de Pérignat. En effet, l’installation des cisterciens de Bonnaigue sur les bords du lac de Sarliève, attestée vers 1198, est accompagnée, ou suivie, de la « fondation d’une grange sur la rive occidentale de la cuvette, au nord de Gergovie, à Bonneval ». Elle est mentionnée en 1251. Le lieu-dit Bonneval est toujours présent dans la toponymie actuelle [Fig. 422]1481. Elle se constitue de la grange proprement dite, de terres et de prés s’étendant jusqu’aux terroirs marécageux et aux eaux du lac, et de roselières cédées par le seigneur d’Aubière moyennant redevances1482. Selon Gabriel FOURNIER, cette exploitation agricole « représentait un ensemble foncier aux confins des paroisses de Romagnat, d’Aubière et de Merdogne/La Roche-Donnezat, des seigneuries de Romagnat/Montrognon, de la Roche/Merdogne et de Pérignat. »1483 C’est dès la fin du XIIème siècle que les moines de Bonnaigue, ainsi que les Prémontrés de Saint-André de Clermont prennent pied dans l’angle sud-ouest du lac de Sarliève. En effet, en 1198, le seigneur de Romagnat donne à ces deux abbayes en indivis le terroir de Hauteribe1484. Aux XIVème et XVème siècles, des conflits éclatent entre ces deux communautés monastiques et un nouvel ayant-droit, le duc d’Auvergne, successeur des Capétiens dans l’ancienne Terre royale d’Auvergne. Ils ont pour objet « l’eau claire » dite de Hauteribe (1401), les limites territoriales des eaux et les méthodes de pêche (1462) 1485. Cette présence des moines cisterciens peut s’expliquer par la richesse de ces paysages. En effet, pour Gabriel FOURNIER, « les paysages de la cuvette de Sarliève se partageaient entre des étendues d’eau libre, des terres humides non drainées, occupées par des plantes de marécages, 1481 IGN Série Bleue, 1/25000ème, 2531 E, Clermont-Ferrand. G. FOURNIER, « Sarliève. Un lac au Moyen-Âge », Association du site de Gergovie, T 11, 1996, p. 2-34 ; AD Puy-de-Dôme, 16 H 99 c. 1a (1250-1251). 1483 G. FOURNIER, op cit. 1484 AD Puy-de-Dôme, 16H99 c. 1a (1198-1401). 1485 AD Puy-de-Dôme, 16 H 156, c. 12 (1462). 1482 - 466 - des terroirs hors eau laissés à une végétation herbacée dans lesquels des activités agricoles étaient possibles sous certaines formes. »1486 Ainsi les moines se servent des roselières et des joncs, exercent des droits de pêche, développent des activités agricoles comme le pacage du bétail ou l’aménagement de parcelles de jardins. Ils ont affermé la jouissance de leurs droits sur le lac de Sarliève pour mieux s’assurer la perception de rentes annuelles1487. En 1170, Aiceline, femme d’Hélie d’Ussel, se donne à l’abbaye de Bonnaigue et cède le droit de mettre des ruches et de faire paître dans les bois de Chirouze. En effet, la cire était une production indispensable pour les moines cisterciens afin de produire les cierges et bougies nécessaires, d’où la nécessité de l’obtention de ces droits d’établir des ruches. Les moines étaient également en possession de droits sur des moulins : en 1170, Hélie d’Ussel donne à Bonnaigue une rente de cinq setiers de blé à percevoir sur les moulins Bonnet et Chamboulive. En 1185, Hugues d’Ussel donne la part de la dîme qu’il détient sur la paroisse de Saint-Merd. Il semblerait que la réforme grégorienne n’ait pas entièrement fait son œuvre en cette fin du XIIème siècle au sud du diocèse de Limoges puisque certaines dîmes sont encore détenues par des laïcs. De même, en 1188, G. de Murat donne tout ce qu’il détient en dîmes sur la paroisse de Saint-Merd ainsi que tout ce qu’il revendiquait à Chaumadour, Puy Chabrol et Aubepierre. En 1190, Ebles et Pierre d’Ussel donnent la moitié du Fontchaude ainsi que le droit de pacage sur toutes leurs terres. En 1195, le même Ebles donne pour le salut de son âme le manse de Bay et ses dépendances 1488. Néanmoins, beaucoup de possessions n’ont pas subsisté dans la toponymie actuelle, d’où la difficulté de cartographier le terroir monastique. Ainsi, la terre de Chaumadour, Bacelor, le mas de la Borde et d’Aubepierre n’ont laissé aucune trace. Les religieux percevaient la dîme sur les villages de Saint-Fréjoux, de la Chabanne, de Bigne, du Mas-Girard, de la Grange (paroisse de Saint-Bonnet), de Dailhat, de la MaisonRouge (paroisse de Veyrières), de Béchabru (paroisse de Saint-Exupéry). Les domaines dont les moines de Bonnaigue disposent dans la Montagne sont principalement orientés vers l’élevage du mouton pour la laine, comme dans les paroisses de Saint-Merd-La-Breuille et de Flayat1489. 1486 G. FOURNIER, op. cit. E. GRÉLOIS, “Les logiques concurrentes des populations riveraines des zones humides : rivières, lacs et marais de Basse Auvergne d’après les sources écrites (XIIIème-XVIème siècles)” dans J. BURNOUF, P. LEVEAU, Fleuves et marais, une histoire au croisement de la nature et de la culture. Sociétés préindustrielles et milieux fluviaux, lacustres et palustres : pratiques sociales et hydrosystèmes, Paris, CTHS, 2004, p. 291-298. 1488 Edme Bonnotte, op. cit. 1489 B. BARRIÈRE, « Moines et religieux à la conquête de la Montagne Limousine du XIème au XIIIème siècle », dans l’ouvrage collectif, Les ordres religieux au Moyen-Âge en Limousin, Les Monédières, Brive, 2003, p. 111-134. 1487 - 467 - L’abbaye de Bonnaigue est établie sur un important site minier (fer et plomb argentifère) dont l’exploitation est attestée par la prospection archéologique, à défaut de sources écrites. Des traces anciennes d’exploitation et de traitement du minerai ont en effet été retrouvées tels des forges, fours ou scories. Des fouilles archéologiques seraient toutefois nécessaires en complément. Obazine entretient pour cela d’étroites relations avec elle et trouve ainsi son intérêt à la fondation de cette abbaye-fille1490. Les études toponymiques permettent de repérer certaines anciennes industries monastiques : « la grange » est située à proximité immédiate de Bonnaigue, à l’ouest de celleci1491. La carte de Cassini signale également le proche moulin de Foist Bast [Fig. 41 et 61]. En 1237, les biens, possessions et privilèges des moines de Bonnaigue sont confirmés par une bulle du pape Grégoire IX, connue grâce à une copie de Dom Estiennot en 1676. Au milieu du XVIème siècle, une réfection du cloître est entreprise sous l’abbatiat de Pierre Andrieu. Il met en place le lavabo armorié. Elle connaît une importante réfection sous l’abbatiat de Marc-Philippe de Montroux de Peyrissac de 1657 à 1714 suite à un incendie en 1656. Celui-ci restaure les murs de l’abbatiale jusqu’au cordon des voûtes. Les bâtiments conventuels sont reconstruits. De 1758 à 1765 s’achèvent les travaux de reconstruction de l’église de Bonnaigue. Les voûtes sont refaites en partie. Elle ne conserve qu’un vieux portique qui la décore1492. POULBRIÈRE cite un document du XVIIIème siècle décrivant l’abbaye comme « une des plus riantes et des mieux décorées de cette province »1493. Le monastère est pillé à la Révolution. En 1791, l’abbaye est mise à ferme, puis le domaine est vendu comme bien national. Elle devient une exploitation agricole. En 1843, l’abbaye est transformée en carderie de laine pour le sieur Bourlin, jacobin d’Ussel. En 1849, Langlois la rachète après la faillite de Bourlin. En 1860, elle passe au notaire usselois Pierre MoncourrierBeauregard qui récupère les colonnes servant de support au pigeonnier du domaine familial de Beauregard à Ussel. Elle est ensuite vendue à Sylvio Brunie. Vestiges archéologiques : 1490 B. BARRIÈRE, « Les patrimoines cisterciens en France. Du faire-valoir direct au fermage et à la soustraitance », dans L. PRESSOUYRE (dir.), L’Espace cistercien, colloque de Fontfroide, 1993, Paris, CTHS, 1994, p. 45-69 ; B. BARRIÈRE, « L’économie cistercienne du sud-ouest de la France », Centre culturel de l’abbaye de Flaran, Économie cistercienne. Géographie, mutations du Moyen-Âge aux temps modernes, 1981, Auch, 1983, p. 75-99 ; prospections R. LOMBARD. 1491 IGN Série Bleue, 1/25000ème, Eygurande, 2332 E. 1492 M. LAVEYX, « L’abbaye de Bonnaigue », BSSHAC, T 16, 1894, p. 535-557. 1493 Abbé POULBRIÈRE, op. cit, p. 130-136. - 468 - Le monastère de Bonnaigue a connu de nombreux remaniements qui rendent aujourd’hui la compréhension du site difficile. La physionomie de l’abbaye aux XIIème et XIIIème siècles ne peut guère être qu’ébauchée d’après la Vie d’Étienne D’Obazine, les quelques actes du cartulaire conservés et le journal de Simon de Beaulieu, archevêque de Bourges, visitant l’abbaye en 1285. Sont alors cités mais sans description précise l’église, une chapelle du portail où Simon de Beaulieu célèbre la messe, la sacristie, le chapitre, le cloître, l’infirmerie, le cimetière, des dépendances et des viviers [Fig. 389, 390 et 391]1494. Suite à un incendie en 1656, l’abbatiale placée au nord du cloître est remontée aux XVIIème et XVIIIème siècles. De cette époque datent les baies à clé saillante, les voûtes d’arêtes de la nef et le pignon du chevet plat. Sont réutilisés les fondations, les contreforts ainsi que les supports intérieurs de la nef relevant vraisemblablement de la fin du XIIème siècle voire du début du XIIIème siècle1495. L’ancien réfectoire est également conservé au sud du cloître, transformé aujourd’hui en bâtiment d’habitation. Le bâtiment oriental devait être encore conservé au XIXème siècle puisqu’il apparaît toujours sur le plan cadastral de 1811 [Fig. 389]. Du cloître ne demeure qu’une des deux vasques en granite, aménagée sur quatre piliers du cloître. - Abbatiale :  Élévations externes : L’église est devenue un bâtiment de ferme [Fig. 392]. Un plancher la sépare en deux étages. Le niveau inférieur sert d’étable tandis que le niveau supérieur permet le stockage du foin et du matériel agricole. Cette réutilisation a permis la conservation de l’église contrairement à de nombreux sites cisterciens ayant servi de carrières de pierres mais ne permet guère l’étude exhaustive des élévations. L’église médiévale se constitue d’une nef unique de trois travées, de 36m de long pour 14m de large et d’un chevet plat. Ce plan extrêmement simple évoque plus un modeste monastère de moniales comme celui de Coyroux qu’une abbaye d’hommes, et les dimensions sont bien moindres par rapport aux abbatiales d’Obazine ou de Dalon. La communauté de moines ne devait pas être très importante dès l’époque médiévale. La vie de saint Étienne d’Obazine ne nous livre aucune donnée approximative sur le nombre de cisterciens. Selon Jean-Loup LEMAITRE, il n’existait pas de transept1496. Cette hypothèse mériterait d’être 1494 J-L. LEMAITRE, op. cit., p. 143. C. ANDRAULT-SCHMITT dans B. BARRIÈRE (dir.), Moines en Limousin…, op. cit., p. 53. 1496 J-L. LEMAITRE, op. cit., p. 200. 1495 - 469 - vérifiée par des investigations archéologiques, les parements actuels, très remaniés, ne révélant en effet aucune trace d’un éventuel transept. Ce dernier souligne la comparaison de ce plan simple à celui de Coyroux, ou aux celles grandmontaines. L’abbatiale de Coyroux est en effet de plan rectangulaire de 33m par 8m (dimensions internes), 35m par 10m hors œuvre. Bonnaigue est ainsi sensiblement plus large. Quant aux celles de Grandmont, elles comportent néanmoins le plus souvent une abside en hémicycle et non un chevet plat [Fig. 1030]. La façade occidentale en pignon est presque entièrement enduite, ce qui ne facilite guère une étude de bâti précise et empêche de préciser les chronologies des différentes étapes d’édification. Les harpages sont toutefois encore visibles. Il s’agit de beaux blocs de granite gris de moyen appareil régulier1497. Ils devaient être assemblés par un mortier à joints peu épais aujourd’hui presque disparu. Quelques pierres de calage ont été nécessaires par endroit. Les parties non enduites tendent à montrer que seuls les harpages, encadrements de baies et de porte sont de moyen appareil régulier [Fig. 393]. La mise en œuvre montre en effet une alternance avec un appareil irrégulier mêlant moellons, pierres de tout venant et quelques éléments en moyen appareil, noyés dans un épais mortier de chaux grasse. Toutefois, les harpages en moyen appareil régulier tendent à se prolonger horizontalement, montrant un essai d’organisation des assises. Ce type de mise en œuvre évoque les parements de Prébenoît ou des Pierres pour la fin du XIIème siècle et le début du XIIIème siècle. Un cordon à mihauteur marque un très léger renfoncement de la façade dans sa partie supérieure. L’entrée se fait par un portail mouluré d’un simple tore de 8cm de diamètre [Fig. 393]. Selon Jean-Loup LEMAITRE, cette façade occidentale serait en grande partie médiévale, excepté les nouveaux percements effectués en partie au XIXème siècle. Cette hypothèse est toutefois difficile à vérifier étant donné les enduits masquant les parements. À gauche de ce portail, une fenêtre en anse de panier est effectivement plus récente et date vraisemblablement des réfections du XVIIIème ou du XIXème siècles. Elle devait correspondre à une porte à l’origine dont la partie basse a été rebouchée de moellons irréguliers. La partie supérieure de la façade occidentale est percée d’une petite baie en plein-cintre et quatre ouvertures de pigeonnier, quadrangulaires et récentes. Nous pouvons également observer les vestiges d’une large baie en plein-cintre bouchée, sous la plus petite baie en plein-cintre. Nous ne pouvons dire si la façade médiévale comprenait deux ouvertures ainsi superposées ou si la plus grande baie a été rebouchée au moment du percement de la plus petite. Un blason moderne est sculpté entre les deux ouvertures, témoignant des réfections multiples d’une façade désormais 1497 Module : L=54cm; h=36cm; l=20cm. - 470 - complexe à cerner. Il s’agit d’un blason orné d’une clé en pal, timbrée d’une couronne, sans doute un ajout du XIXème siècle. Le mur gouttereau nord est également très remanié et presque entièrement recouvert d’un enduit [Fig. 394]. Les parties inférieures sont de moyen appareil régulier tandis que le tiers supérieur présente un appareil très irrégulier, sans doute suite aux remaniements des XVIIème et XVIIIème siècles, reconstructions s’appuyant sur les fondations médiévales. Le soubassement est souligné d’un cordon qui se prolonge sur le contrefort conservé à l’ouest. Celui-ci est entièrement constitué d’un moyen appareil régulier de granite. Il dispose d’un glacis sommital. Son soubassement est plus large, souligné d’un cordon mouluré d’un simple cavet. Au niveau du sol, il fait une saillie d’1.53m. Il nous paraît probable que les soubassements du mur gouttereau ainsi que ce contrefort soient les seules parties médiévales conservées, relevant probablement de la seconde moitié du XIIème siècle, voire du début du XIIIème siècle. La première baie la plus à l’ouest est en plein-cintre [Fig. 395]. Elle présente une clé saillante. Elle mesure 80cm de large environ. Elle est surmontée de la date 1758 qui témoigne des réfections tardives des percements de l’édifice sous l’abbatiat de François Dulac. Cette baie a pu être en meurtrière à l’origine mais toute sa partie inférieure est rebouchée de pierres de tout venant. Toutefois, la pierre d’appui-fenêtre originelle est conservée et témoigne de sa forme primitive. La clé du linteau ainsi que les sommiers les plus hauts paraissent plus récents. Un seconde baie centrale est modifiée par l’ouverture récente d’une porte à deux battants permettant l’accès au premier étage de la grange [Fig. 396 et 397]. Elle est également en plein-cintre et présente des harpages en moyen appareil régulier de granite. Une troisième baie, la plus à l’est est conservée, également bouchée dans sa partie inférieure. Elles présentent toutes les trois un fort ébrasement intérieur et témoignent de la relative épaisseur des murs (environ 1.50m). Entre ces baies nous pouvons observer les traces de l’arrachement probable de deux contreforts dont nous voyons encore les harpages de granite. Ils devaient mesurer 1.40m de large, ce qui correspond aux dimensions observées pour les contreforts du mur gouttereaux sud mieux préservés. À l’extrémité est du mur gouttereau, une partie en saillie (sur 1.50m environ) est observable et correspond à un élargissement du chœur au nord et au sud [Fig. 398]. Le parement occidental de cette saillie est en moyen appareil régulier de granite tandis que la partie sud est en appareil irrégulier mêlant des moellons et des blocs de moyen appareil. Le - 471 - cordon observé précédemment le long du mur gouttereau se poursuit également ici. Cette avancée est couverte d’une toiture très en pente. La partie ouest présente en son sommet un corbeau ainsi qu’un modillon sculpté d’une petite tête humaine aux joues rebondies qui pourraient correspondre à l’ancienne corniche médiévale [Fig. 399]. Le mur gouttereau sud est lui aussi très remanié et presque entièrement enduit, notamment le tiers supérieur presque illisible, mais les contreforts sont ici préservés et permettent une meilleure lecture des trois travées [Fig. 400 et 401]. L’appareil irrégulier est de mise excepté pour les harpages des baies et les contreforts. Le tiers inférieur, dont l’enduit est presque entièrement tombé, permet d’observer l’usage de blocs de petit et moyen appareil noyés dans un épais mortier de chaux grasse. Les baies présentent le même profil que celles du bas-côté nord mais sont néanmoins plus larges (environ 1.50m au lieu de 0.80m) [Fig. 402]. Elles sont en plein-cintre et disposent d’un large ébrasement interne. La baie centrale est surmontée d’un blason avec la date de 1758 qui témoigne une fois encore des profondes réfections du XVIIIème siècle par François Dulac. Les contreforts présentent un moyen appareil régulier de granite de qualité1498. Ils se constituent d’un glacis sommital, d’un cordon de mi-hauteur qui se prolongeait sans doute jusqu’aux baies mais a été en partie arraché. Ces contreforts sont plus larges en partie basse et atteignent 1.53m au sol. La saillie est de 0.48m. Ces dimensions ne sont ainsi pas très éloignées du contrefort plat du chevet de l’abbatiale du Palais (début du XIIIème siècle) d’1,77m de large et d’une saillie de 0.43m. L’extérieur du chevet plat témoigne également de remaniements successifs brouillant la lecture actuelle [Fig. 404]. Il est bâti en moyen appareil régulier de qualité excepté l’extrémité nord qui présente un appareil irrégulier. Le chevet est percé de deux baies en plein-cintre similaires à celles des gouttereaux et donc probablement modernes, surmontées d’un oculus. Cette partie médiane entièrement en moyen appareil est clairement un rajout, comme en témoignent les ruptures bien nettes avec les extrémités sud et nord du chevet. Les joints cimentés sont récents. Il est difficile de cerner ce qui appartient ici encore aux XIIème et XIIIème siècles et le remaniement de la façade orientale nous paraît presque total. Seuls les harpages en moyen appareil régulier au sud et à l’extrémité nord sont peut-être médiévaux. Le tiers inférieur en moyen appareil régulier de granite paraît également plus ancien. Il est malheureusement percé par deux ouvertures récentes (sans doute XIXème siècle) aux arcs en plate-bande permettant l’accès aux étables et compliquant encore un peu l’analyse. La rupture entre ce moyen 1498 Module : L=45cm; h=32cm; l=21cm. - 472 - appareil régulier vraisemblablement médiéval est toutefois très sensible avec l’appareil régulier moderne repéré au niveau des percements. Le clivage entre les deux est tangible au niveau de l’assise directement sous les pierres d’appui-fenêtre des larges baies en plein-cintre. Les assises modernes sont beaucoup moins hautes que les assises médiévales. Le pignon sommital, délimité par un cordon simplement mouluré, est percé de deux baies en plein-cintre. Il est totalement enduit, ce qui empêche toute interprétation sur sa datation. Nous pensons toutefois qu’il relève de la période de réfection de l’abbatiale, ce que semble également attester Claude ANDRAULT-SCHMITT1499.  Élévations internes : L’intérieur de l’abbatiale est délicat à étudier. Le niveau inférieur transformé en étable est impossible à prendre en compte face aux remaniements antérieurs et à son utilisation actuelle qui empêche l’accès aux parements médiévaux. Sa transformation en étable a conduit l’adjonction d’un plancher au quart de sa hauteur, reposant sur des poutres maîtresses probablement récupérées dans les démolitions des ailes est et ouest du cloître. Ces modifications ont impliqué des percements d’ouvertures nouvelles, complexifiant l’étude des parements (mur nord, sous la fenêtre médiane ; mur nord, sous la fenêtre de la troisième travée ; mur sud à l’angle de la nef et de la sacristie). Le niveau supérieur est toutefois envisageable. Les trois travées de la nef présentent donc de larges baies ébrasées en plein-cintre, appareillées en moyen appareil régulier, avec une clé en saillie. La baie médiane du mur nord est bouchée au XIXème siècle [Fig. 406]. Ces travées sont voûtées d’arêtes bâties en tas-de-charge relevant vraisemblablement de la phase de réfection du XVIIIème siècle. Elles sont soulignées d’arcs doubleaux aux angles abattus. Les doubleaux et arêtes reposent sur des piliers constitués de trois colonnes engagées juxtaposées [Fig. 407 et 408]. Ces piliers sont apparemment ceux de l’abbatiale médiévale de la fin du XIIème voire du début du XIIIème siècle, probablement remontés lors des réfections du XVIIIème siècle. L’arc doubleau est reçu par un chapiteau au tailloir et à la simple corbeille pentagonale dont les arêtes correspondent aux lignes des chanfreins du doubleau [Fig. 409]. L’astragale est large et plate et surmonte une frise de feuillages. Des vestiges de peinture ocre-rouge sont encore visibles par endroit. L’amorce de la quatrième travée de choeur est visible mais rebouchée à l’époque moderne afin de séparer nettement la nef et le chevet. 1499 C. ANDRAULT-SCHMITT, op. cit, p. 53. - 473 - La travée correspondant au chevet est un peu plus large que celles de la nef, comme observé lors de l’étude des parties externes, et est scindée en deux par un mur parallèle aux murs gouttereaux [Fig. 410]. Il est donc percé de deux baies dont on distingue mieux le large ébrasement en moyen appareil régulier. Le chœur a subi des modifications dans la seconde moitié du XVIIème siècle, comme en témoigne la présence d’un claveau armorié, aux armes difficilement lisibles, probablement modernes. Le chevet est voûté d’ogives à listel soulignées de deux cavets surmontées d’une clef de voûte ornée de feuillages, probablement en lien avec les réfections modernes [Fig. 412 et 413]. La voûte est édifiée en tas-de-charge. Ce profil d’ogive est généralement daté des XIVème-XVème siècles et ne correspond ainsi pas aux réalités du XIIIème siècle. Cette voûte d’ogives est reçue par des culots complexes aux motifs feuillagés, loin de l’austérité prônée par saint Bernard. Ils se composent d’une corbeille ornée de feuilles plates et de crosses d’angle, d’un demi-tambour sous lequel se superposent deux volumes renflés. Selon Claude ANDRAULT-SCHMITT, ces éléments pourraient être médiévaux et se rencontrent parfois dans un cadre cistercien à l’époque médiévale (nef de Pontigny en 1160)1500. Ainsi, si les voûtes d’ogives ne semblent pas correspondre à des réalités des XIIème et XIIIème siècles, les culots les recevant sont peut-être des témoins de l’ancien voûtement médiéval (voûtes d’ogives ?) [Fig. 411]. Au sud, l’arcade de l’ouverture vers le bras du transept est encore visible et se constitue de larges claveaux reposant sur une corniche moulurée d’une scotie profonde et d’un tore. Selon Jean-Baptiste CHAMPEVAL, l’église médiévale aurait été rebâtie vers 1700, élevée jusqu’à la naissance des voûtes et laissée telle en 1732, sans doute faute de financements suffisants1501. Toutefois, nous ne pouvons attester cette hypothèse alors que certains cartouches donnent les dates de 1738 et 1758. L’abbatiale est couverte d’un toit à deux versants sur charpente, beaucoup plus élevé sur les deux premières travées que sur la troisième et le chœur. Ceci pourrait s’expliquer « par un manque de ressources lors de l’achèvement de la reconstruction au milieu du XVIIIème siècle ou par une reprise avec réduction au XIXème siècle »1502. Au XVIIIème siècle, l’église était couverte de bardeaux de bois. Elle est désormais recouverte d’ardoises. - Sacristie : 1500 C. ANDRAULT-SCHMITT dans B. BARRIÈRE (dir.), op. cit, p. 53. J-B. CHAMPEVAL, op. cit, p. 266. 1502 J-L. LEMAITRE, op. cit., p. 202. 1501 - 474 - La sacristie est elle aussi fortement remaniée [Fig. 403 et 405]. Elle est le seul vestige du bâtiment oriental qui devait correspondre au dortoir des moines à l’étage. Elle conserve un dallage grossier en granite. L’entrée à l’ouest se fait par une porte moderne en pierre de taille, refaite au XVIIIème siècle, surmontée d’une baie portant un cartouche accompagné d’une palmette daté de 1765. Cette baie en plein-cintre est largement ébrasée. Elle est sans doute moderne puisqu’elle coupe les assises de moyen appareil régulier dans lesquelles elle s’est insérée. Elle est surmontée d’un linteau monolithe en anse de panier correspondant à une ouverture plus ancienne. L’angle à la jonction avec le mur gouttereau sud présente un appareil irrégulier associant moellons et blocs de moyen appareil, auquel succède un moyen appareil régulier de qualité, vraisemblablement lié aux réfections du XVIIIème siècle. Le mur sud est édifié en appareil irrégulier de tout venant sauf pour les harpages et les piédroits de baies en moyen appareil régulier. Il dispose d’une porte ainsi que de trois percements dans la partie supérieure. Les deux fenêtres latérales sont modernes et datent probablement du XIXème siècle. En effet, en 1811, le bâtiment est est encore en élévation et ces baies n’avaient donc pas de raison d’être. L’ouverture médiane en plein-cintre pourrait être plus ancienne et correspondre à une porte conduisant au premier étage du bâtiment conventuel. La sacristie était peut-être accolée à la salle capitulaire. Un petit muret vient fermer le carré du cloître à l’est. Il pourrait réutiliser certaines assises du bâtiment conventuel. L’intérieur de la sacristie témoigne aussi de remaniements successifs. Le mur nord présente deux arcs en plein-cintre qui ouvraient sur l’église, reposant sur un pilier au tailloir simplement mouluré [Fig. 414]. Cette arcade est rebouchée aujourd’hui et enduite avec un décor de faux appareil à joints ocre. À l’angle nord-est, une pile quadrangulaire est conservée avec une colonne engagée surmontée d’un chapiteau lisse [Fig. 415]. Il devait recevoir la voûte primitive du chœur (fin XIIème, premier tiers du XIIIème siècle). Le mur oriental présente à son extrémité sud une ouverture en plein-cintre rebouchée qui pouvait correspondre à une baie dont la datation reste malaisée. L’abbatiale reste donc très difficile à appréhender face à ces remaniements successifs. Il serait nécessaire pour une étude plus complète d’enlever les enduits qui empêchent une bonne compréhension des constructions et reconstructions. - Bâtiments conventuels : Les quelques sources manuscrites conservées permettent de préciser la datation de certains bâtiments conventuels. Ainsi, en 1185, Hugues d’Ussel et son épouse Constance autorisent les moines de Bonnaigue à construire des granges en sus de celles qu’ils ont sur la - 475 - paroisse de Saint-Merd. La donation a lieu dans le chapitre de Bonnaigne, « in capitulo Bone Aqua ». Ainsi, dans le dernier quart du XIIème siècle, les bâtiments conventuels les plus usités devaient être achevés. La salle capitulaire est de nouveau citée en 1216 et 1225. En 1218, Guillaume d’Ussel donne deux mas avec leurs dépendances et Montbouzon aux moines de Bonnaigue. L’acte est passé à l’infirmerie. Ce sont néanmoins les seuls indices sur les bâtiments conventuels donnés par les actes du cartulaire1503. Le dernier corps de logis subsistant est édifié dans la seconde moitié du XVIIème siècle à l’emplacement du réfectoire primitif [Fig. 416 et 417]. Il a servi de résidence aux abbés commendataires. Il est très sobre excepté la porte d’entrée délicatement moulurée, encadrée de pierres de taille. Il s’agit d’un bâtiment rectangulaire, épaulé à l’est et à l’ouest par deux tours de plan rectangulaire. La tour occidentale apparaît en retrait sur la façade. La tour orientale est quant à elle englobée dans une aile quadrangulaire prolongeant le corps de logis dans l’alignement de la façade. Le couvrement est une toiture à deux versants avec croupes. Les salles médianes du rez-de-chaussée sont voûtées d’arêtes retombant sur un pilier central carré. L’extrémité occidentale est occupée par une cuisine sur caves. À l’étage, le dortoir est composé de sept appartements dont l’un servait de bibliothèque1504. Le cadastre napoléonien présente le « château de Bonnaigue » sur la parcelle 92 [Fig. 389]. Le bâtiment est est alors encore présent. Le bâtiment sud est prolongé par une structure en retour d’équerre à l’ouest. Néanmoins, le cadastre actuel (1969) montre que le bâtiment oriental a disparu de même que ce petit bâtiment en retour d’équerre (parcelle 103). Est ajoutée une grange orientée nord-sud au nord de l’abbatiale (parcelle 102) [Fig. 390]. Du cloître ne demeure que le lavabo, vasque reposant sur des piliers de l’ancien cloître [Fig. 418]. En effet, il ne reste aucune trace de trous d’encastrement de poutres sur les murs de l’église et de la sacristie, attestant ainsi de reconstructions tardives alors que le cloître était déjà à bas. Ces piliers soutenant la vasque se présentent comme un noyau quadrangulaire sur lequel se greffent quatre colonnettes d’angles. Le lavabo est désormais utilisé comme fontaine. Il est posé sur un dallage concentrique de granite. La vasque de 2m de diamètre est décorée de quinze arcatures aveugles parfois séparées de crosses végétales. Des orifices servent à l’évacuation de l’eau dans la seconde vasque. Ils sont aujourd’hui bouchés. Cet aménagement correspond aux réfections du cloître au début du XVIème siècle par Pierre Andrieu. En effet, sur un des piliers, les armes de l’abbé sont représentées. Il est à la tête de l’abbaye de 1522 à 1559. Selon l’abbé POULBRIÈRE, les angles du cloître devaient être 1503 J-L. LEMAITRE, op. cit., p. 61 et suivantes, extraits de Edme Bonnotte, Archives du comte d’Ussel, Neuvic d’Ussel. 1504 J-L. LEMAITRE, op. cit., p. 204. - 476 - soutenus par de quadruples colonnes en pierre de Volvic surmontées de chapiteaux. Il s’agit vraisemblablement d’une confusion avec les éléments lapidaires assemblés arbitrairement au domaine de Beauregard d’Ussel où d’anciens piliers du cloître de Bonnaigue sont surmontés de chapiteaux en pierre de Volvic1505. - Éléments lapidaires « vagabonds » : Les prospections menées dans les propriétés alentours ont révélé certains éléments appartenant à l’abbaye. Ainsi, au village « La Grange », une base de colonnette pouvant appartenir à l’ancien cloître est déposée au seuil de la maison du maire de Saint-Fréjoux. Son socle mesure 26 par 31cm pour 19cm de haut et 25cm de diamètre. Elle ne présente pas de griffes (fin XIIème siècle ?). La scotie est relativement peu prononcée [Fig. 424 et 420]. Au domaine de Beauregard d’Ussel subsistent des éléments de piliers de cloître, remployés dans un pigeonnier [Fig. 419]. Il s’agit de quatre piliers cantonnés de quatre colonnes, en granite gris (H : 0.80m, 0.39m de côté ; base carrée de 0.54m, H : 0.20m). L’espace entre-colonne est orné d’un simple cavet. Ces piles se composent de deux tronçons de 0.74m à 0.81m de hauteur. Elles sont surmontées de chapiteaux en pierre de Volvic sans doute rajoutés au XIXème siècle. Chaque pile est surmontée de quatre petits chapiteaux à boules, regroupés par paire sous deux tailloirs. L’astragale est de 3cm d’épaisseur, la corbeille de 15cm de hauteur et le tailloir épais de 5cm. Les piles se terminent par un socle de 20cm de haut, surmonté de petites bases de 12cm de hauteur. La scotie en est relativement peu prononcée, le tore inférieur est avachi, sans griffe (fin XIIème siècle ?). Sur un des murets du pigeonnier, au-dessus d’une fontaine, un tronçon de pilier à colonnes d’angle est déposé, surmonté de quatre chapiteaux feuillagés en granite regroupés sous un tailloir unique (0.55m×0.55m). Entre les quatre corbeilles, de petites têtes humaines sont sculptées, très bûchées et érodées. Cet élément est posé sur quatre autres chapiteaux retournés à l’envers, de même facture mais ne présentant pas de visages humains. Le musée du Pays d’Ussel révèle un chapiteau en granite gris à décors à entrelacs (H : 0.335m ; 0.26 par 0.30m), trouvé dans les bois à proximité de l’abbaye [Fig. 421]. - Aménagements hydrauliques : À 50 m à l’est du site, en léger contrebas est conservé le vivier (parcelle 86 du cadastre 1505 Abbé POULBRIÈRE, op. cit, p. 130-136. - 477 - ancien), alimenté par la Dozanne et l’eau de l’étang de la Fage comblé au XIXème siècle [Fig. 425]. Il n’est plus en eau actuellement mais ses parois bâties sont encore bien visibles par endroit. La digue qui le fermait au sud et laissait s’échapper le ruisseau de Bonnaigue est encore discernable et sert de chemin aujourd’hui. Cette retenue d’eau était associée à un moulin disparu. Plus à l’est, à 500m environ de l’abbaye, un étang est aménagé dont la digue est rompue. Il est représenté sur le cadastre napoléonien de 1811 (section A). Il ne porte pas de dénomination. À l’ouest, l’étang de Vénard existe toujours avec en amont sa digue empierrée [Fig. 426]1506. Il est représenté sur la section C du cadastre ancien. Il était alors encore relié au vivier à l’est du monastère par le « ruisseau de l’étang de Vénard ». Cet étang est encore indiqué sur le cadastre actuel (section AB, 1969). L’abbaye de Bonnaigue possède l’exploitation agricole de Diosidoux située à quelques kilomètres au sud de Flayat [Fig. 423]. Elle est encore présente dans la toponymie actuelle sous la graphie « Diozidoux »1507. Le hameau se compose de quelques maisons dont certaines pierres taillées pourraient provenir d’un édifice plus ancien, sans qu’une datation de ces simples éléments puisse être établie. Par ailleurs, à cinq cent mètres au nord de Diosidoux, le « moulin des Chevilles » pourrait également correspondre à une ancienne exploitation monastique [Fig. 427]. Le moulin se constitue d’un simple volume quadrangulaire accolé à l’actuelle maison d’habitation. Les parements sont de moyen appareil de granite gris relativement irrégulier. Les harpages d’angle sont néanmoins en moyen appareil régulier, voire en grand appareil puisque certains modules sont de 0.80m×0.42m×0.32m. Les mécanismes du moulin ne sont pas conservés et il sert désormais de débarras et de remise de bois. Une dérivation passe sous le moulin par une conduite bâtie en moyen appareil régulier de granite, voûtée en berceau en plein-cintre. Elle ouvre par un arc en plein-cintre constitué de claveaux relativement courts (0.32m de longueur, intrados de 0.14m de large, extrados de 0.23m de large). Une seconde ouverture en plein-cintre d’1.10m de large est percée sous le moulin mais est désormais rebouchée. Peut-être existait-il deux dérivations et deux mécanismes différents ? Des vestiges des anciens mécanismes sont néanmoins observables. Deux roues sont remployées dans le dallage à l’entrée de la maison d’habitation actuelle. 1506 1507 B. BARRIÈRE, Moines en Limousin, l’aventure cistercienne, PULIM, Limoges, 1998, p. 153. IGN Série Bleue, 1/25000ème, 2331 E, Crocq. - 478 - À un kilomètre au nord du moulin des Chevilles, à l’intersection de la RN et de la D 30, un étang est conservé ainsi que sa digue qui semble néanmoins largement moderne. Nous pourrions toutefois envisager qu’elle reprenne le tracé d’une ancienne installation monastique. - 479 - GROSBOT - 480 - 2. Grosbot (commune de Charras, Charente) : L’abbaye de Grosbot est située sur la commune de Charras, canton de Montbron dans le département de la Charente. Nous accédons au site par la D 25 depuis Charras. Elle appartenait à l’ancien diocèse d’Angoulême. Elle est classée Monument Historique depuis le 5 juillet 1993, en totalité. Elle est signalée sur la carte de Cassini sous l’appellation de « Gros Bois ». Les initiales AB sont précisées de même que le symbole du prieuré (église surmontée d’une crosse). La carte IGN au 1/25000ème indique Grosbot comme un petit hameau. Au sud de celui-ci, les lieux-dits « L’abbaye » et « L’abbatiale » signalent l’emplacement de l’abbaye cistercienne [Fig. 428 et 429]1508. Sources manuscrites : La Vie de saint Étienne d’Obazine fait état des filles fondées par Étienne et l’abbaye de Grosbot est citée. Ainsi, il est fait état d’une disette quelques temps après l’affiliation à Cîteaux : « Une semblable affaire [disette] s’est produite autrefois au monastère de Grosbot qui, depuis longtemps est sous notre juridiction.(…) Pendant que les frères chantaient à l’église l’office du moment, le seigneur de la région [un La Rochefoucauld, seigneur de Marthon] qui était aussi le fondateur du monastère arriva sans être attendu. Selon son habitude, il pénétra dans le cloître et, comme d’ordinaire, se mit à visiter les différentes salles sans que personne n’osât l’en empêcher. Entrant au réfectoire, il vit seulement des plats de nourriture et pas de pain ». Cet extrait nous permet donc de savoir que Grosbot est fondée par Obazine avant l’affiliation à Cîteaux grâce aux libéralités du seigneur de Marthon1509. Les archives de l’évêché d’Angoulême permettent de mieux cerner l’histoire et le patrimoine foncier de l’abbaye de Grosbot, dépouillement effectué en partie par Martine 1508 1509 IGN Série Bleue, 1/25000ème, Montbron, 1832 O. M. AUBRUN, Vie de Saint Étienne d’Obazine…, op. cit., livre II, p. 141. - 481 - LARIGAUDERIE1510. En 1376, une lettre de Charles V (1364-1380) évoque les religieux ruinés par les guerres. « (…) on grant dommage et prejudice d’eux, considéré que ilz sont de present pour le fait des guerres à tres grant poureté et misere et en voye de laissier le service divin à touz les temps mais, si comme ilz dient, supplians à eulx être pourveu de remesde gracieux et convenable. » Au XVIIème siècle (1632 et 1673) sont dressés un procès-verbal de l’état de l’abbaye de Grosbot ainsi qu’un inventaire des meubles qui n’apportent malheureusement que peu de renseignements utiles. En 1632, François de Vapy, prieur, constate l’état d’abandon de Grosbot, document précieux permettant d’envisager la physionomie de l’abbatiale et des bâtiments conventuels au XVIIème siècle [PJ 10]1511. « (…) et c’estant retyré dans ladicte abbaye pour y fere sa continuelle rezidance, auroit icelle trouvée en tres mauvais estat, descouverte et ruynée (…). Nous sommes entrés premierement dans l’églize de ladite abeye ou estans et dans laquelle c’est trouvé deux chappelles vouthées, l’une desquelles a les murailles et vouthes fendues depuis la syme jusques au pied de l’ouverture d’un grand pied, lesdictes chapelles estans couvertes au dessus des vouthes de fort vielhe couverture et sur lesquelles vouthes, nonobstant ladicte couverture il tombe de l’eau l’hors qu’il en dessant du ciel, qui prejudissie grandemant lesdictes vouthes et en danger de les fere tomber. Avons aussi trouvé le cœur de ladicte églize sur lequel est assis le clocher vouthé et couvert aussy, le tout d’une vielhe couverture ayant grand besoin d’être recouvert et pour cet effet est necessere d’avoir de la latte et thuille. Avons aussy trouvé une arcade de la nef 1510 M. LARIGAUDERIE, « Abbaye cistercienne Notre-Dame de Grosbot, Charente : recueil de textes (11211791) », BASEPRC, Angoulême, 1998, n° 8, p. 1-93. 1511 M. LARIGAUDERIE, « Abbaye cistercienne Notre-Dame de Grosbot… », op. cit., p. 1-93. - 482 - de ladicte eglize vouthée sur laquelle vouthe n’y a aulcune couverture, comme parelhement sur le surplus de ladicte nef d’églize, y ayant seullement la charpante montée sans aulcune latte ni thuisle ; et ladicte nef d’eglize qui n’est couverte est de la longueur de cinquante pieds ou environ et de la largeur de trante pieds en œuvre (…). Et d’illecq sommes allés dans le dortoir de ladicte abeye, lequel s’est trouvé la moytié desmolly ou environ, couvert d’une vielhe cherpante et couverture ayant besoing de latte et thuisle et l’autre moytié sans murallhe ne couverture ; et dans le lieu qui est couvert y a seullement une chambre basse et deux chambres hautes desnuhées de vitres, grislhes, portes et fenestres. De plus nous avons trouvé les antien reffectoir, cuizine, despance, sommelherye, boullangerye, buhanderye, cave, guernier, grange et escurye tous ruynés et desmollys, ensamble les muralhes de l’anclos de ladicte abeye (…) ». De la même manière, un inventaire mobilier est dressé en 1673 [PJ 11]. Il est précisé : « (…) Premierement, dans l’eglize nous avons trouvé dans le tabernacle une custode a mettre le Saint Sacremant et ung soleil d’argent, plus deulx qualisses d’argent avecq leurs patenes, plus ung seul devant d’hostel de toille peinte, plus 4 chasubles de camelot noir et blanc à fleurs rouges et viollettes, plus les aubbes, dont il y en a trois bonnes et les aultres fort médiocres, plus une nappe d’hostel médiocre et uzée, plus deulx bourses a corporaulx, une verte et une blanche, avecq quatre corporaulx et quatre voilles de calisse (…) »1512 Les sources conservées aux Archives Départementales de la Charente sont nombreuses, conservées sous la cote H V 1 à 56. Les actes conservés concernent 1512 M. LARIGAUDERIE, « Abbaye cistercienne Notre-Dame de Grosbot… », op. cit., p. 1-93. - 483 - essentiellement des donations sur la grange de Brouillac, en limite des paroisses de Hautefaye et de Beaussac. Le cartulaire est conservé en partie et étudié par Martine LARIGAUDERIE1513. En 1691, un concordat est passé entre l’abbé Roze et le prieur Bernard Guichardet. Ce dernier peut jouir des revenus temporels de l’abbaye à condition qu’il en assume les réparations nécessaires en contrepartie (bâtiments et église abbatiale). À la fin du XVIIème siècle, l’abbaye devait être ainsi en mauvais état1514. En 1719, un procès-verbal des biens et domaines de l’abbaye est dressé et reprend en grande partie les données du procès-verbal de 16321515. « Premierement, estant dans l’esglise et austres bastimants de ladite abbaye de Grosbos, nous avons trouvé le tout dans le mesme etat que les choses sont contenues dans ledit procès-verbal de visitte, excepte le corps de la maison qui joint ladite eglise et qui a son aspect sur le jardin dont la charpente a été refaite a neuf et en mansarde (…). » Les moulins de Font Palais au nord de l’abbaye font également l’objet de cette visite. « Et dudit moulin nous nous sommes transportes au moulin de Font Pelaix situé dans la mesme paroisse ou estant entrés nous avons tropuvé la roue rouet et cable, en bon estat et le gond de la roue qui est cassotte, elle est vielle et vole aussi bien que la chenau le coin pouvant servir encore plus de dix années. Plus nous nous sommes transportes dans un autre moullin appellé de Font Palaix sittué dans la mesme paroisse ou estant nous y sommes entres et l’avons trouvé en bon estat. Dans lequel moulin il y a un moulin a huisle dont la roue a besoin d’estre racommodé, le restant estant en bon estat (…) ». 1513 M. LARIGAUDERIE, Abbaye de Grosbost, première approche du cartulaire, s.d. AD Charente, H V 2. 1515 AD Charente, 2 E 454. 1514 - 484 - Nous connaissons une liste d’ouvrages issue de la déclaration des biens de Grosbot réalisée entre 1790 et 1791 et découverte par Ann EVANS, actuelle propriétaire du site, dans les Archives Municipales d’Angoulême (AD Charente, Q VI 13) [PJ 9]. Il s’agit de huit pages de 20 par 32cm, datées du 9 février 1791. La bibliothèque de l’abbaye se constituait essentiellement de huit manuscrits et d’ouvrages de Bernard de Clairvaux. Il y est également fait état des meubles à vendre, des titres, papiers et affaires conservés à l’abbaye, de l’argenterie, des recettes des revenus de l’abbaye, des sommes à recevoir. Nous apprenons que l’église disposait alors de deux tableaux : une Assomption et une Descente de Croix. Les chambres des hôtes sont ornées de tapisseries à personnages. Les visiteurs montent également au clocher de l’église encore pourvu d’une cloche. Il s’agit vraisemblablement du clocher de la croisée du transept. 1516. Des documents figurés tels les plans cadastraux peuvent également apprendre sur la disposition des bâtiments monastiques et révèlent certains aménagements hydrauliques [Fig. 430, 431 et 432]. Le cadastre ancien, dressé en 1833, montre quatre bâtiments disposés autour d’un cloître carré. Trois petits bâtiments sont placés au niveau des sources captées à l’ouest des bâtiments monastiques, disparus aujourd’hui et dont la fonction reste difficile à appréhender. Les deux viviers allongés placés à l’est du monastère sont représentés (parcelle 1), tandis que le canal qui les relie au proche cours d’eau est omis (parcelle du « Pré des Serves »). Le cadastre actuel (section A, feuille n°1, Charras) présente trois bâtiments délimitant la cour du cloître (parcelle 77). L’église n’est pas intégralement représentée. Seul le chœur en abside et le transept apparaissent tandis que la nef, en partie ruinée, n’est pas dessinée. Les parcelles 73 et 74 correspondent au « Pré de la Fontaine » là où sont captées les sources permettant l’alimentation en eau du monastère. Les deux grands viviers à l’est du site sont indiqués (parcelle 79), de même que le canal en partie maçonné (parcelle 83). La physionomie actuelle des bâtiments est relativement proche de ce plan récent. Historiographie : 1516 AD Charente, Q VI 13. D. N. BELL, “An eighteenth Century Book-list from the abbey of Grosbot”, Cîteaux, Commentarii Cistercienses, T 48, 1997, p. 339-370. - 485 - Dès 1895, A. MONDON s’intéresse à l’abbaye de Grosbot dans son article très documenté sur la baronnie de Marthon1517. Il livre une liste des granges de l’abbaye, décrit très sommairement l’abbatiale et cite les abbés qui s’y sont succédés jusqu’à l’époque moderne. Cette étude permet donc de faire un point sur l’historique du site relativement précis. Nous regrettons toutefois le peu d’intérêt porté aux vestiges proprement dits. En 1962, René CROZET consacre un court article de trois pages sur l’abbaye de Grosbot. Il fait un point rapide sur les conditions de la fondation puis décrit les vestiges conservés. Néanmoins, seule l’abbatiale est étudiée tandis que les bâtiments conventuels et aménagements hydrauliques ne sont pas pris en compte. Rien n’est dit sur le patrimoine foncier. Cette étude reste ainsi purement stylistique1518. L’ouvrage dirigé par Bernadette BARRIÈRE en 1998 contient une courte notice concernant l’abbaye de Grosbot. L’auteur fait un point sur l’histoire du site et les vestiges archéologiques encore présents en élévation. Cette étude succincte est néanmoins nécessaire comme point de départ à toute étude des moines de Grosbot1519. Martine LARIGAUDERIE, particulièrement intéressée par l’ordre de Grandmont, a également publié deux articles permettant une meilleure connaissance de l’histoire de Grosbot. En 1995, elle propose quelques hypothèses quant aux premiers temps de l’abbaye, sa fondation et les rapports entretenus avec Fontvive et l’ordre canonial1520. Trois ans après, elle s’attache à la transcription de certains actes du cartulaire conservés en majorité aux archives de l’évêché d’Angoulême, éclairant notre compréhension du patrimoine foncier et des liens sociaux de l’abbaye avec son environnement laïc et religieux1521. L’abbaye fait l’objet d’investigations archéologiques de 1996 à 2002 par une équipe de l’université de Bristol en Grande-Bretagne qui apportent de nombreux renseignements sur divers aménagements monastiques. Ces campagnes font suite à de premiers sondages dans le cadre d’une fouille de sauvetage par C. HUTCHISON en 1994, 1995 et 1996. Ces premières recherches ont donné lieu à des rapports qui n’apportent malheureusement que peu d’informations directement utilisables dans cette étude. Ces dossiers sont déposés au Service Régional de l’Archéologie Poitou-Charentes1522. 1517 A. MONDON, “Notes historiques sur la baronnie de Marthon en Angoumois. Chapitre XIV : abbaye NotreDame de Grosbost », MSAHC, 1895, p. 447-502. 1518 R. CROZET, “L’ancienne abbatiale cistercienne Notre-Dame de Grosbot”, BSAHC, 1962-1963, p. 155-158. 1519 B. BARRIÈRE (dir.), Moines en Limousin, l’aventure cistercienne, PULIM, Limoges, 1998, p. 172-175. 1520 M. LARIGAUDERIE, “Propos sur l’abbaye de Grosbot”, BASEPRC, Angoulême, n°6, 1995, p. 6-15. 1521 M. LARIGAUDERIE, « Abbaye cistercienne Notre-Dame de Grosbot, Charente : recueil de textes (11211791) », BASEPRC, Angoulême, 1998, n° 8, p. 1-93. 1522 C. HUTCHISON, L’abbaye de Grosbot XIIème siècle. Ordre de Cîteaux. Rapport de fouilles de sauvetage, 1994- 1995- 1996. M. HORTON, Abbaye de Grosbot. Commune de Charras, Charente. Rapport de fouilles, SRA Poitou-Charentes, 1998 à 2001. Rapports de fouilles concernant l’abbaye de Grosbot, cotes 00093, 00094, - 486 - Historique : L’abbaye est située dans la forêt de l’Horte à l’est d’Angoulême, entre le bassin de la Charente et celui de la Dordogne. Elle est à deux kilomètres du bourg de Charras. Elle est fondée entre 1147 et 1166 grâce à l’action durable des abbés d’Obazine. En effet, dès 1147, le manse de « mas Codorz » ainsi que des droits dans la forêt de Grosbot sont donnés aux moines d’Obazine1523. Grosbot absorbe une communauté religieuse préexistante, de type canonial, appelée Fontvive. Fontvive est un monastère augustinien vraisemblablement fondé vers 975, par un seigneur de Marthon. Vers 1060, un acte précise qu’Audoin Borel et Hugues de Marthon, frères de l’évêque de Périgueux, Guillaume de Montbron, donnent aux chanoines de SaintPierre d’Angoulême le droit de glandage, de chasse et le bois de construction « in foresta de Grosboc ». Le toponyme « Grosbot » est ainsi utilisé bien avant l’apparition des cisterciens. Une installation canoniale est permise, sous le patronage épiscopal, dans une zone frontière entre deux évêchés1524. Dès 1121, Jean I, abbé de Fontvive reçoit de l’évêque Girard II la permission d’ouvrir une chapelle à Luget (Luquet). Il remet à Fontvive la dîme sur les terres qu’ils exploitent, les autorise à exercer les droits paroissiaux ; clercs ou laïcs qui y vivent peuvent y avoir leur sépulture [Fig. 467]1525. Le monastère s’est probablement laissé gagner par le mode de vie du jeune monastère cistercien voisin. La réunion de ces deux communautés pose toutefois problème. D’après la Gallia Christiana, l’abbaye de Grosbot est dès l’origine aux mains des chanoines réguliers de Saint-Augustin1526. Y-a-t’il eu transfert de l’un des sites vers l’autre ou transfert des deux communautés vers un nouveau site ? Où se trouvait Fontvive ? Pourrait-il s’agir du village « L’Hermite » conservé dans la toponymie actuelle à l’ouest de Grosbot [Fig. 38 et 59] 1527 ? La communauté canoniale était-elle déjà implantée sur l’actuel site de Grosbot ? Les 00095, 00096, 00887, 01701, 02611. 1523 D. N. BELL, “An eighteenth Century Book-list from the abbey of Grosbot”, Cîteaux, Commentarii Cistercienses, T 48, 1997, p. 339-370. 1524 M. LARIGAUDERIE, “Propos sur l’abbaye de Grosbot”, BASEPRC, Angoulême, n°6, 1995, p. 6-15 ; « Cartulaire de l’Eglise d’Angoulême », p. 180, charte CCXVI, p. 109, chap. XCVI. 1525 IGN Série Bleue, 1/25000ème, 1732 E, Angoulême (est). M. LARIGAUDERIE, « Abbaye cistercienne NotreDame de Grosbot, Charente : recueil de textes (1121-1791) », BASEPRC, Angoulême, 1998, n° 8, p. 1-93. Charte publié par Eusège CASTAIGNE, « Essai d’une bibliothèque historique de l’Angoumois », BSAHC, 1846, p. 121 et 197-198. 1526 Gallia Christiana, T II, col. 1048-1049. 1527 IGN Série Bleue, 1/25000ème, 1832 O, Montbron. - 487 - bâtiments connus sont-ils canoniaux ou cisterciens ? Martine LARIGAUDERIE alerte sur la similitude de construction de Grosbot et certaines abbayes augustiniennes telle Châtres qui disposait d’une nef à trois coupoles, primitivement voûtée en berceau et d’une croisée également à coupoles. Des ressemblances sont sensibles avec Sablonceaux (CharenteMaritime) et Fontaine-Le-Comte (Vienne). Ces églises à coupoles sont en lien avec les coupoles de la cathédrale d’Angoulême terminées vers 1125 sous l’épiscopat de Girard. C’est lui-même qui autorise la construction d’une chapelle sur ses terres au Luget (Luquet). D’après les fouilles menées par Mark HORTON, il semblerait toutefois que les bâtiments canoniaux primitifs aient été disposés à quelques dizaines de mètres seulement à l’est du monastère actuel. Ils auraient d’ailleurs été en partie réutilisés par les cisterciens, intégrés dans leur clôture monastique. Les fouilles se sont en effet concentrées sur la partie est des bâtiments claustraux et ont révélé un bâtiment de 10.25m de long et 4.85m de large (mesures internes). Les murs sont de 1.10m de large. Cet édifice pourrait relever des XIèmeXIIème siècles. De nombreuses inhumations ont été repérées, d’où l’interprétation de Mark HORTON qui y voit une sorte de « mausolée », lieu d’ensevelissement des donateurs laïcs de l’abbaye, à savoir des seigneurs de La Rochefoucault et de Marthon1528. Martine LARIGAUDERIE signale également un précédent d’une installation cistercienne près d’un chapitre canonial. C’est le cas de l’abbaye d’Echoisy près de SaintAmant-de-Boixe1529. La distinction entre les deux communautés n’est pas évidente : Pierre, premier abbé de Grosbot, est contemporain de Guillaume, abbé de Fontvive qui reçoit de l’évêque l’église de Souffrignac en 1155. En 1169-1172 et 1177, l’abbé Bernard est tour à tour désigné comme abbé de Grosbot et de Fontvive. Les dates de fondation de l’ermitage puis d’affiliation sont sujettes à discussion. D’après l’abbé MICHON, Grosbot est fondée en 1150 par un La Rochefoucauld, seigneur de Marthon. Pierre I, profès d’Obazine, devient abbé. Il ne justifie toutefois pas cette date1530. Quant à MONDON, il date l’affiliation à Cîteaux de 1142, ce qui ne peut être possible puisqu’Obazine n’est elle-même affiliée que cinq ans plus tard. Pour Martine LARIGAUDERIE, l’absorption a pu être réalisée après 1155, peut-être en 1169, confirmée en 1177. En 1169 en effet, l’abbé Bernard se rend à Obazine, peut-être pour demander l’affiliation. Nous ne disposons toutefois guère de preuves suffisantes pour étayer cette 1528 M. HORTON, Abbaye de Grosbot. Commune de Charras, Charente. Rapport de fouilles, SRA PoitouCharentes, 1999. 1529 M. LARIGAUDERIE, “Propos sur l’abbaye de Grosbot… », op. cit., p. 6-15 1530 Abbé J-H. MICHON, Statistique monumentale de la Charente, Paris, 1844, p. 98. - 488 - hypothèse1531. Pour NANGLARD, elle est cistercienne à partir de 1166 et cette date nous semble la plus sûre1532. En 1166, elle serait donc érigée en abbaye cistercienne sous le nom de « Grosbot » dans la filiation d’Obazine. Selon NANGLARD, son nom ne lui serait donné qu’en 1180. C’est l’unique abbaye cistercienne de l’Angoumois. Elle témoigne des efforts réalisés par l’ordre cistercien pour s’implanter dans le diocèse d’Angoulême, que ce soit par création directe ou affiliation d’ermitages et de communautés préexistantes. Dès 1147 et l’affiliation d’Obazine à Cîteaux, l’abbaye va tenter de s’implanter en Angoumois, à faible distance de l’itinéraire menant du Bas-Limousin vers la Saintonge. C’est une région dans laquelle elle a déjà établi une « celle », la Frénade, érigée en abbaye vers 1148 (commune de Merpins, Charente). S’exprime alors une volonté de créer une autre dépendance en Angoumois, étape sur la route saintongeaise. Grosbot est dotée dès les premiers temps par les seigneurs de Marthon qui y reçoivent d’ailleurs leur sépulture. La lenteur de l’érection de Grosbot en abbaye peut s’expliquer par les réticences de l’abbé d’Obazine qui ne concède le titre d’abbaye qu’à des maisons pouvant survivre économiquement. L’abbaye dispose d’une dizaine de granges en Angoumois [Fig. 87]. Le noyau primitif des possessions comprend les terres et la forêt de Charras, ainsi qu’une chapelle à Luget (Luquet) en Pranzac. Ses biens fonciers s’échelonnent du Bandiat de Varaignes au Luquet, tout proche d’Arsac [Fig. 468]. La donation initiale est datée de 1147-1148. Elle est connue grâce au cartulaire d’Obazine. Robert de Marthon et ses deux fils donnent à Étienne d’Obazine le manse de Mas Codorz. Ils exemptent les moines de péage sur leurs terres et donnent dans le bois de Grosbot le droit de pacage pour les porcs et l’usage du bois tant pour le chauffage que pour les autres besoins1533. MONDON dresse une liste de ces principales possessions comprenant entre autre la grange d’Arsac et sa chapelle1534, Puymerle en Aussac où les moines édifient une chapelle dédiée à sainte Quitterie (les moines n’y habitent plus après 1568), Notre-Dame de l’Assomption d’Obesine à Angoulême (fin XIIème siècle), un hôpital à Mainzac, Biée en Souffrignac où une chapelle est bâtie, Notre-Dame de Broliac (Brouillac ?) en Beaussac (diocèse de Périgueux), Luget en Pranzac (chapelle bâtie en 1121) ainsi que des biens à Combiers, arrentés par l’abbé Hélie de Trion [Fig. 469 ; PJ 12]. 1531 M. LARIGAUDERIE, “Propos sur l’abbaye de Grosbot… », op. cit., p. 6-15 J. NANGLARD, Pouillé historique du diocèse d’Angoulême, T I, Angoulême, 1894, p. 566. 1533 B. BARRIÈRE, op. cit., p. 271, fol. 400. 1534 Les moines la quittent en 1460. La chapelle est transformée en grange vers 1700. J. NANGLARD, op. cit., p. 566-577. 1532 - 489 - La grange de Brouillac est située aux limites des paroisses de Hautefaye et de Beaussac (com. Beaussac, canton de Mareuil). En 1229, le chevalier Hélie de Hautefaye donne aux moines cinq sols de rente sur la borderie de Granfont près de cette grange. Cette dernière se compose également du mas d’Auzou, du mas de Léraudie, de droits de pacage dans les forêts de Mareuil1535. Il ne reste désormais aucun vestige de cette grange. Dès 1430, elle est dite en ruines. Elle est placée sous la dépendance de la seigneurie de Mareuil1536. Les moines possèdent également des biens à Balzac, Beaulieu-Cloulas, Chazelles, Dignac, Garat, Saint-Germain, Grassac, Juillé, Lonnes, La Rochefoucauld, Mainzac, Marthon, Montbron, Saint-Paul, Pranzac, Salles-Sers, Vouzan, Edon, La Rochebeaucourt, Rougnac, Villebois, Rancogne1537. En 1172, l’abbaye de Nanteuil-en-Vallée cède à Grosbot des terres sur les paroisses de Juillé et de Lonnes, aux lieux-dits La Chaussée, les Deffends, les Essarts, à condition qu’elle n’y établisse ni église, ni cimetière. En 1215, l’évêque d’Angoulême Guillaume III confirme les droits et privilèges de Grosbot à l’abbé Guillaume II. En 1265, les moines de Grosbot cèdent un domaine à la Jarne, près de la Rochelle, à l’abbaye de la Frénade. En 1267 est effectuée une transaction entre l’abbé Robert et le comte Hugues II de Lusignan au sujet du moulin de Voreuil, du bois des Brosses et des terres de la vallée de Charmeau. En 1274, ceux-ci échangent avec les chanoines de La Rochefoucauld la cure d’Olérac pour celle de Notre-Dame de Charves, près de Chastelars. Les moines disposent également d’une petite chapelle sans revenus à La Rochefoucauld, dédiée à Sainte Quiterie. Sur la paroisse de Grassac, les moines bénéficient de moulins et d’un étang à Font Palais, attestés au XVème siècle (1494). En 1640 est mené un procès-verbal de visite des moulins de Font Palais1538. Grosbot possédait des droits sur la paroisse de Souffrignac et dans le village des Balloteries1539. Les études toponymiques permettent dans une certaine mesure de connaître l’emplacement des granges et moulins de l’abbaye [Fig. 38 et 59]. De nombreux lieux-dits liés à des aménagements hydrauliques sont repérables : la « Fontaine de l’Hermite », l’étang 1535 AD Charente, H V 21. C. COUSSY, Implantation du monde religieux dans le Nontronnais à l’époque médiévale (Vème-XVIème siècles), mémoire de maîtrise d’histoire médiévale, dir. B. BARRIÈRE, S. CASSAGNES-BROUQUET, 2003, vol. 1, p. 105-107. 1537 A. MONDON, op. cit, p. 447-502. 1538 AD Charente, H V 33-34. 1539 AD Charente, H V 50 ; J. COUSSY, Occupation du sol aux confines de l’ANgoumois et du Périgord (époque médiévale), mémoire de maîtrise d’histoire médiévale, dir. B. BARRIÈRE, 1999, vol. 1, p. 35. 1536 - 490 - « Dudo » à l’ouest de Grosbot, l’étang de Font Palais au nord avec sa digue, ainsi qu’un étang signalé au nord-est de l’abbaye avec le bief et les viviers qui lui sont associés1540. Dans la première moitié du XVIème siècle, l’abbaye souffre des incursions des seigneurs de Marthon ainsi que des Huguenots. Ils doivent soutenir de longs et ruineux procès contre les seigneurs de Marthon au sujet de leurs droits respectifs, particulièrement de 1540 à 1555 contre Hubert de La Rochefoucauld1541. Quant aux Huguenots, ils enlèvent les bois de charpente de l’église dont elle est encore dépourvue en 1630. Les moines sont chassés de l’abbaye en 1568 et ne peuvent revenir sur le site qu’en 1580. En effet, l’abbaye est alors prise par Vincent de Villars, de la maison de Mainzac. Il s’approprie les revenus de la communauté. Au XVIIème siècle, le cloître, les murs de clôture de la basse-cour située devant l’abbaye et ceux du jardin sont à refaire tandis que le réfectoire est en ruines. De 1641 à 1673, l’abbaye est en partie reconstruite par l’abbé Jean de la Font. Toutefois, ces successeurs laisseront l’abbaye décliner de nouveau1542. En 1701, l’abbé Toussaint Rose et le prieur Bernard Guichardet se mettent d’accord sur l’achat d’une maison et de domaines pour servir de maison abbatiale au village de Grosbot. Il est alors question d’un nouvel étang, d’une chènevière et d’une garenne, d’un moulin nouvellement construit par le prieur1543. En 1722, Claude-François Léoutre commence à reconstruire en majeure partie l’édifice. En 1744, il fait édifier un mur de séparation entre la nef et le transept1544. Entre 1755 et 1760, l’abbaye subit deux incendies qui contribuent à sa ruine. Une restauration de l’abbatiale s’impose alors, entreprise en 1770 par l’abbé François Coupdelance (1767-1779). Après la Révolution, elle est transformée en ferme. Vestiges archéologiques : De l’abbaye demeure quatre corps de bâtiments entourant l’ancien cloître. Une première installation, vraisemblablement canoniale, a été identifiée à l’est de ces bâtiments actuels. - Installation primitive : 1540 IGN Série Bleue, 1/25000ème, Montbron, 1832 O. J. NANGLARD, Pouillé historique du diocèse d’Angoulême, T I, Angoulême, 1894, p. 566-577. 1542 D. N. BELL, “An eighteenth Century Book-list from the abbey of Grosbot”, Cîteaux, Commentarii Cistercienses, T 48, 1997, p. 339-370. 1543 M. LARIGAUDERIE, « Abbaye cistercienne Notre-Dame de Grosbot… », op. cit., p. 1-93. 1544 A. MONDON, op. cit, p. 447-502. 1541 - 491 - Les fouilles menées par Mark HORTON ont permis de révéler un certain nombre d’éléments essentiels. Une aire de 26 par 25m est sondée à l’est des bâtiments actuels. Un petit bâtiment a été repéré, de plan rectangulaire de 10.25m de long pour 4.85m de large (mesures internes), correspondant vraisemblablement à la période canoniale du site. Les murs sont de 1.10m de large. Ce petit bâtiment augustinien est scandé de contreforts. Deux dosserets internes se font face et devaient recevoir les voûtes (arc doubleau soutenant un berceau ? arêtes ?). Des sépultures d’hommes, de femmes et d’enfants sont découvertes qui pourraient correspondre à l’occupation cistercienne du site. Au centre de cette structure est découverte une tombe construite en dalles de calcaire oolithique avec agrafes de fer et réserve céphalique ayant pu appartenir à un des donateurs du site (seigneurs de Marthon ou de La Rochefoucault). L’édifice est encore utilisé au XIIIème siècle, d’après le mobilier découvert, mais est détruit dans les années 1300 lors de l’érection d’un nouveau bâtiment. En effet, le mur septentrional a servi de fondation pour le mur sud d’une seconde contruction plus tardive, vraisemblablement un bâtiment datant de l’époque cistercienne (infirmerie ? hôtellerie pour accueil des pèlerins ?). Ce bâtiment est de 18.50m de long pour 6.40m de large. Selon Mark HORTON, cet édifice daterait des années 1300. Il est divisé en deux parties égales par une cloison en bois. Le sol est un épandage de sable et de mortier1545. - Abbatiale : L’église au sud du cloître est bâtie entre la seconde moitié du XIIème siècle et le début du XIIIème siècle en moellons de calcaire bien taillés et appareillés. Le plan est en croix latine avec une nef unique de trois travées, un transept et un chœur en abside précédé d’une travée droite. L’église est de 28.10m de long pour 7.95m de large. La façade occidentale se présente comme un pignon surmonté d’un clocher vraisemblablement plus récent [Fig. 433]. La moitié inférieure est de moyen appareil régulier de calcaire alternant carreaux (0.71m×0.31 ; 0.37×0.27) et bouchons (0.29×0.12). La façade est scandée par des contreforts plats à glacis sommital. Le larmier se prolonge en cordon de mi-hauteur sur la façade. Des vestiges de corbeaux signalent la présence probable d’un ancien auvent au-dessus du portail occidental. Cette porte d’1.38m de large dispose d’un profil légèrement brisé dont l’archivolte est simplement chanfreinée [Fig. 434]. Ce portail ne dispose que d’un seul ressaut dans lequel ne s’inscrit aucune colonnette. Les claveaux de l’arc de la porte sont soulignés d’un cavet. Ils portent des traces de marteau taillant [Fig. 435]. Un 1545 M. HORTON, Abbaye de Grosbot. Commune de Charras, Charente. Rapport de fouilles, SRA PoitouCharentes, 1999, 23 p. - 492 - second arc brisé correspond au ressaut. Les claveaux sont ici soulignés d’un tore se poursuivant sur les piédroits. Le profil brisé, la présence de fines modénatures toriques, les outils utilisés iraient dans le sens d’une chronologie de la fin du XIIème siècle au premier tiers du XIIIème siècle. La moitié supérieure de la façade occidentale dispose de parements de plus petits modules, irréguliers, remplaçant le moyen appareil régulier de la partie basse. Il pourrait s’agir d’un remaniement tardif (XVIIIème siècle ?). Cette partie supérieure est percée d’une baie en plein-cintre à double ébrasement, relativement large. La nef de trois travées est voûtée en berceau brisé, démolie aux deux tiers depuis le passage des protestants [Fig. 436 et 437]. Une autre partie s’est effondrée en 1991. Il ne reste en effet plus que l’amorce de ce berceau bien appareillé en pierres calcaires. La voûte est reçue sur un cordon simplement mouluré d’un cavet courant le long des murs gouttereaux. Le berceau est souligné d’arcs doubleaux reçus par des chapiteaux lisses surmontés d’un épais tailloir et à l’astragale délicatement renflé. Ces chapiteaux surmontent une colonne engagée appareillée, se terminant au tiers de la hauteur du mur par des culots coniques à décors géométriques [Fig. 440, 441 et 442]. Toutefois, la première travée nord ne dispose pas de culot, son support ayant été en partie démonté lors du percement d’une porte moderne [Fig. 438]. Une baie moderne est également percée, disposant d’un arc surbaissé. Ces supports ne sont observables que sur le mur gouttereau nord et le mur gouttereau sud de la dernière travée de la nef. Le support de cette dernière travée est par ailleurs surmonté d’un chapiteau dont le tailloir est orné d’un zig-zag assez proche des réalités observées à Boschaud (seconde moitié XIIème siècle). Le mur gouttereau sud semble particulièrement remanié. Si les supports ont disparu de même que le cordon et le départ de la voûte en berceau, des baies ont par ailleurs été percée à chaque travée, à l’inverse du mur gouttereau nord resté aveugle. Ces baies sont largement ébrasées à l’intérieur et à l’extérieur (1.08m de largeur externe). La dernière travée de la nef présente dans son mur sud une porte d’1.22m de large percée sous la baie, moderne, comme un témoigne la présence d’un arc surbaissé. Un enduit blanc est conservé sur la majorité des parements internes. Des faux joints rouges sont encore discernables à certains endroits, relevant probablement du XIIIème ou du XIVème siècle [Fig. 439]. Les culots présentent de même des vestiges de peinture ocre. Entre la nef et le transept, des vestiges du mur de séparation édifié en 1744 sont encore observables. Deux alcôves se dessinent de part et d’autre, flanquées de colonnes cannelées surmontées de chapiteaux corinthiens. Les piles à l’entrée de la croisée sont presque entièrement dépecées et difficiles d’accès face à l’accumulation des gravats et pierres effondrés des voûtes de la croisée. Ces - 493 - piles présentent deux dosserets successifs puis une colonne engagée montant de fond. Le bras du transept nord est condamné par un mur récent (XVIIème-XVIIIème siècle) bâti en petit appareil irrégulier noyé dans un mortier orangé. Le bras sud est entièrement échafaudé pour réfection. Il est voûté en berceau brisé. Les absides des bras du transept sont ruinées, remplacées par un mur où sont encore adossés les autels. Cette modification a vraisemblablement eu lieu après les Guerres de Religion. Le mur oriental du bras sud présente encore les traces de l’entrée de l’absidiole. Il dispose d’un arc aveugle en plein-cintre, surmonté d’un cordon simplement chanfreiné et d’une baie étroite et ébrasée. Le croisillon sud présente dans son mur occidental une porte des morts, en pleincintre, dotée de claveaux courts et surmontée d’une archivolte ornée de pointes de diamant [Fig. 449 et 450]. Le pignon sud est doté d’une baie en plein-cintre surmontée d’un linteau monolithe en plein-cintre. Il est scandé de deux contreforts d’1.30m de large et de 0.35m de saillie. Un simple cordon aux deux tiers de la hauteur est soutenu par des corbeaux. Le mur oriental remplace au XVIIème siècle l’absidiole médiévale. Une ouverture récente est percée, dotée d’un arc surbaissé. La croisée du transept est voûtée d’une coupole appareillée sur pendentifs ajourée au sommet par un oculus, présentant à sa base un cordon « en tête de diamant » cernant les contours des pendentifs et le cercle de base de la calotte hémisphérique [Fig. 443, seconde moitié du XIIème siècle]1546. Cette calotte est délimitée par un simple cordon chanfreiné. Quatre arcs brisés à double rouleau sont portés par des colonnes couplées surmontées de chapiteaux nus. Ces arcs relativement massifs se composent de deux rangées de pierres en largeur. Quant aux colonnes, certaines partent de fond, tandis que d’autres retombent sur de simples culots. Ces arcs encadrent la coupole. Elle soutenait un clocher à huit pans aujourd’hui entièrement effondré. Le bras nord du transept a été modifié lors de la reconstruction des bâtiments conventuels. Il ouvre à l’est par une large porte récente, datée d’après la Révolution française, destinée à accueillir de gros engins de ferme. Elle est surmontée d’un arc doubleau en pleincintre orné de faux joints pouvant correspondre à l’ancien arc médiéval ouvrant sur l’absidiole. Le croisillon nord communique par une porte latérale moderne (XVIIèmeXVIIIème siècle) avec le cloître, et par une seconde ouverture avec la sacristie [Fig. 452]. Un escalier permettait la communication entre le dortoir des moines au premier étage et le bras nord du transept dont il reste aujourd’hui le vestige d’une porte rebouchée, ouverture moderne 1546 A. MONDON, op. cit, p. 447-502. - 494 - (fin XVIIème- début XVIIIème siècles) remplaçant l’ancien percement médiéval. La façade sur le cloître présente une corniche à modillons nus et est percée d’une baie étroite en pleincintre. L’entrée du chœur est marquée par la présence de supports composés : les piles sont dotées de dosserets sur lesquels s’engagent des colonnes couplées [Fig. 444 et 445]. Ces colonnes de 0.34m de diamètre présentent encore des vestiges de faux joints ocre. Elles sont surmontées de simples chapiteaux lisses. L’abside est ouverte par trois grandes baies en pleincintre [Fig. 451]. La voûte en cul-de-four est soulignée par un cordon mouluré d’un simple biseau. Seule l’amorce de ce cul-de-four est encore perceptible, la majeure partie de la voûte s’étant effondrée. La travée droite est quant à elle voûtée en berceau brisé, les murs gouttereaux sont animés d’arcs aveugles en plein-cintre reposant sur de larges tailloirs [Fig. 446]. L’arc doubleau précédant le cul-de-four repose sur un dosseret et une colonne engagée surmontée d’un chapiteau lisse. Les parements externes du mur gouttereau nord montrent un certain nombre d’ouvertures et d’aménagements divers. Une porte d’1.23m de large, rebouchée, reliait l’église et le cloître [Fig. 463 et 464]. Elle dispose d’une archivolte brisée ornée d’un cordon de billettes, évoquant des réalités de la seconde moitié du XIIème siècle. Deux ressauts se composent de claveaux moulurés de tores, ornés de pointes de diamant [Fig. 465 et 466]. Les arcs reposent sur des tailloirs sculptés de feuillages délicats. Les bases sont munies de tore inférieur avachi et de scotie peu prononcée évoquant plutôt le premier tiers du XIIIème siècle. Une seconde ouverture est à l’ouest de cette première porte. Il s’agit d’une seconde porte de 0.76m de large, en plein-cintre, munie de claveaux courts. Enfin, un armarium devait disposer de deux placards de 0.71m de large pour une profondeur identique, surmontés d’arcs en plein-cintre aux claveaux courts. Le mur gouttereau nord est scandé de deux contreforts plats à glacis sommital (1.72m de large pour une saillie de 0.32m). Le mur gouttereau sud dispose de trois contreforts à glacis sommital et larmier1547. La corniche est surmontée de simples corbeaux. La dernière travée, à la rencontre avec le bras sud du transept, montre un certain nombre de rattrapages d’assises, témoignant vraisemblablement d’un temps d’arrêt dans la construction, ou d’un changement 1547 D’ouest en est : 1.62m de large, saillie 0.31m ; 1.54m de large, saillie 0.22m ; 1.65m de large, saillie de 0.32m. - 495 - d’équipe. Nous pouvons également observer un départ d’arc aveugle (en retrait de 0.20m) [Fig. 447 et 448]. - Bâtiments conventuels : Les trois autres bâtiments correspondent à des reconstructions des XVIIème et XVIIIème siècles. Les bâtiments est et nord sont en partie remaniés par l’abbé Jean de la Font (1641-1673 †). Les ailes sud et nord sont reconstruites au cours du XVIIème siècle, la disposition des pièces en est entièrement changée. Ces bâtiments s’adossent au nord de l’abbatiale, intercalés entre elle et le ruisseau. Le carré du cloître est doté d’un puits placé en son centre. Les parements du bâtiment conventuel nord et de l’église présentent encore des vestiges de corbeaux, de trous d’encastrement de poutres et de larmiers attestant l’existence d’un cloître charpenté. Un élément lapidaire découvert lors des fouilles de Mark HORTON pourrait être rattaché au cloître : il s’agit d’une base octogonale de colonne, correspondant a priori à une arcade de cloître. Elle pourrait relever du XVème siècle d’après son profil très similaire aux éléments octogonaux des cloîtres de Prébenoît, Bonlieu ou des Pierres remaniés au XVème siècle [Fig. 162, 163, 358, 360, 735 et 736]1548. Le bâtiment est, très remanié au cours du XVIIème siècle, est restauré entre 1998 et 2003. Il conserve la sacristie et les anciennes baies de la salle capitulaire ouvrant sur le cloître. La sacristie communique directement avec le bras nord du transept [Fig. 453 et 454]. Il s’agit d’une salle exiguë, voûtée d’arêtes au XVIIème siècle. Elle est dotée d’un sol pavé de petits carreaux, à l’imitation d’une mosaïque. Les parements internes, presque entièrement enduits, ne permettent guère une observation minutieuse des différentes phases de construction et de réfection. Les remaniements sont identifiables par l’utilisation d’un petit appareil irrégulier noyé dans un mortier de chaux grasse. Les ouvertures de la salle capitulaire sont conservées, bien que le volume interne ne corresponde plus aux anciennes dispositions médiévales [Fig. 455, 456]. Deux baies géminées (1.57m de large) encadrent une large porte (1.43m de large). Les profils en sont légèrement brisés. Les baies géminées sont séparées par des colonnettes (0.64m de haut) réunies par un tailloir commun (0.68m de long, 0.18m de haut), orné de motifs en dents de scie. Les chapiteaux sont dotés de coquilles ou de motifs géométriques (0.23m de haut). Les bases (0.14m de haut) disposent d’un tore inférieur relativement massif, d’une scotie prononcée et 1548 M. HORTON, Abbaye de Grosbot, commune de Charras, Charente, SRA Poitou-Charentes, 2001, 57 p. - 496 - d’un tore supérieur renflé. Ces décors pourraient se rattacher à la seconde moitié du XIIème siècle [Fig. 457 et 458]. La salle capitulaire a fait l’objet des premières investigations archéologiques menées sur le site par Carole HUTCHISON. Celles-ci ont permis de constater les destructions liées à un incendie lors des guerres de Religion et du passage des Huguenots. Lors de cette période particulièrement mouvementée, le mur nord de la salle capitulaire est mis à bas (fin XVIème siècle). La partie sud du chapitre est isolée par un mur de cloison, probablement au XVIIème siècle, et est pavée de petits carreaux de terre cuite, posés en série de cercles, traditionnellement appelés « pichards ». Des sépultures ont été mises au jour, probablement d’abbés comme en témoigne une dalle funéraire ornée d’une crosse (2.07m par 0.67m). Des éléments lapidaires sont également extraits des remblais : deux chapiteaux, un linteau en plein-cintre, des tambours de colonne ainsi qu’un fragment mouluré pouvant appartenir à un banc de pierre1549. Ce bâtiment oriental dispose d’un toit inhabituel composé en partie de tuiles et en partie d’ardoises. L’étage présente des fenêtres mansardées alternativement arrondies et pointues. L’aile nord abritait à l’origine le réfectoire, la cuisine et les caves [Fig. 459 et 460]. La cuisine datée du XVIIème siècle est voûtée d’arêtes. À l’entrée du bâtiment, un placard peut correspondre à l’ancien armarium du réfectoire médiéval [Fig. 461]. L’aile ouest est reconstruite au début du XVIIIème siècle. Elle est laissée à l’abandon et brûle en 1990. C’est le premier bâtiment restauré par les propriétaires en 1991 [Fig. 462]. À l’est de l’abbatiale, une petite structure de pierres est conservée, très ruinée et difficilement lisible. Il s’agit d’une ancienne chapelle dédiée à sainte Quitterie datant du XVIIème siècle. Sainte Quitterie était très appréciée pour son aide aux accouchements. - L’hôtellerie : Quant au bâtiment (infirmerie ou hôtellerie) découvert lors des fouilles archéologiques de Mark HORTON à l’est des structures actuelles, cette pièce a fait l’objet de plus amples investigations archéologiques en 2001 et 2002 qui ont permis la mise au jour des vestiges de cavités liées à la fonte d’une cloche probablement dans les années 1300 comme en témoignent les céramiques retrouvées (fin XIIIème, début XIVème siècles). La fonte avait lieu au centre de la structure, à cheval entre les deux pièces. La cavité de fonte est de 3.05m de long par 1.10m de large. Le diamètre de la cloche était de 0.70m et a été réalisée par la technique de la cire perdue. La salle de fonte devait d’abord être vide. On place donc le foyer en son centre. 1549 C. HUTCHISON, L’abbaye de Grosbot. XIIème siècle. Ordre de Cîteaux. Charras. Rapport de fouilles de sauvetage, 1994-1995 et 1996, SRA Poitou-Charentes. - 497 - Puis elle est réutilisée et scindée en deux à une date postérieure. Cette découverte est peu commune dans un cadre cistercien puisque les cloches étaient prohibées dans les statuts de l’ordre. D’autres exemples sont connus à Tintern et Kirkstall. À titre de comparaison, nous pouvons également citer les traces de la fabrication d’une cloche découverte dans la forge du Thoronet lors des fouilles de 1996, relevant de la fin de l’occupation du site (XVème-XVIème siècles)1550. Au-dessus des niveaux de destruction de l’hôtellerie, une structure octogonale a été mise au jour. Il s’agit vraisemblablement des fondations d’un bassin en pierre alimenté par une adduction en pierre dans laquelle est installé un tuyau de fer. Cet élément relève des XVIIème et XVIIIème siècles. Il est lié à un second bassin octogonal, tous deux mis à bas dans le courant du XVIIIème siècle1551. - Aménagements hydrauliques : Deux sources captées sont acheminées par tout un réseau de canalisations souterraines et desservent à la fois les viviers à l’est du monastère, mais aussi la cour du cloître et la salle capitulaire. Les deux viviers sont maçonnés, et semblent avoir été largement remaniés à l’époque moderne [Fig. 470 et 471]. Le moulin de Biée, à quelques kilomètres au nord de Souffrignac, semble entièrement moderne bien que les enduits ne permettent guère une étude précise des parements. Les mécanismes du moulin sont encore en place, de même que la digue et dérivation placées sur le Bandiat [Fig. 472]. - Granges : Nos prospections n’ont guère été fructueuses concernant les granges de l’abbaye de Grosbot. Le domaine du Grand Nadaud, à 500m au sud-est de l’abbaye pourrait correspondre à la grange de l’abbaye. Les deux bâtiments actuels sont très remaniés comme l’attestent les parements modernes en moellons. Néanmoins, des poutres en bois plus anciennes sont conservées, datées par dendrochronologie des années 1485 et 15391552. À Biée, aucun vestige de chapelle n’a été identifié. 1550 Y. ESQUIEU, « L’abbaye du Thoronet », Congrès Archéologique de France, Var, Paris, 2002, p. 195-212. M. HORTON, « A bell-founders Pit at the Cistercian Abbey of Grosbot (Charente)”, dans T. N. KINDER (dir.), Perspectives for an Architecture of solitude. Essays on Cistercians, Art and Architecture in honour of Peter Fergusson, Brépols, Cîteaux, 2004, p. 253-260. 1552 M. HORTON, Abbaye de Grosbot, commune de Charras, Charente, SRA Poitou-Charentes, 2000, 27 p. 1551 - 498 - OBAZINE - 499 - 3. Obazine (commune d’Aubazine, Corrèze) : L’abbaye d’Obazine est située sur la commune d’Aubazine, canton de Beynat en Corrèze. « Obazine » correspond à la graphie ancienne, « Aubazine » à la graphie administrative récente. Elle est classée Monument Historique depuis le 13 octobre 1988 (bâtiments et enclos en totalité). La carte de Cassini la signale sous la graphie « Aubazine » suivie des initiales AB. Le symbole du prieuré surmonté d’une crosse est indiqué. La carte IGN au 1/25000ème indique « Aubazines » [Fig. 473 et 474]1553. Sources manuscrites et figurées : L’une des sources manuscrites les plus précieuses est la Vie de Saint Étienne d’Obazine publiée en 1970 par Michel AUBRUN1554. Le livre I est rédigé sous Géraud, successeur d’Étienne en 1159, dans les années 1166. Le troisième livre est écrit vers 1180. Michel AUBRUN insiste sur le fait que ce document est précieux quant à l’histoire de l’Église puisque plusieurs ordres monastiques contemporains sont évoqués. Toutefois, seuls les cisterciens de Dalon semblent trouver crédit aux yeux de l’auteur tandis que Grandmont n’est même pas évoqué. Cette source est très précieuse quant aux premiers temps de la communauté double d’Obazine-Coyroux. Nous y voyons naître et se développer un mouvement érémitique qui s’agrègera en 1147 à Cîteaux après avoir sollicité les Chartreux. Ce document est également essentiel pour l’histoire de la société. Le monde paysan apparaît avec une assez nette distinction entre les riches et les pauvres. Des ouvriers salariés employés dans la construction de l’église sont cités. La classe noble est également présentée à travers des évocations de la chasse et de la guerre. Enfin, la Vita sert aussi à une étude des mentalités. Les sentiments religieux de l’époque comme le culte des reliques y tiennent une place importante. Le salut n’est assuré que dans le cloître et l’éducation des enfants est entourée d’un grand souci d’isolement du monde. La piété des laïcs est montrée à maintes reprises, dominée par l’attachement à Étienne d’Obazine qui ne ménage pas ses interventions miraculeuses. À travers elle, c’est « le défilé des misères » de ce temps qui est illustré1555. La Vita a fait l’objet d’un récent article d’Alexis GRÉLOIS qui en réévalue les apports. Selon lui, une certaine rivalité apparaît entre les deux fondateurs de la communauté, 1553 IGN Série Bleue, 1/25000ème, Beynat, 2135 E. M. AUBRUN, Vie de Saint Étienne d’Obazine, Institut d’Études du Massif Central, Clermont-Ferrand, 1970. 1555 M. AUBRUN, « Intérêt historique de la vie d’Étienne d’Obazine », BSAHL, T 97, 1970, p. 203. 1554 - 500 - Étienne et Pierre. Ce dernier défendait une vie canoniale plus qu’érémitique et a été progressivement évincé en faveur d’Étienne. La Vita insiste sur les originalités et atypismes d’Obazine par rapport à l’ordre cistercien, sur les résistances du « local » au « global » : la communauté accueille dans un premier temps hommes, femmes et enfants, tous les pénitents sans distinction. Les règles de vie y sont souvent plus strictes qu’à Cîteaux (refus de manger de la viande, par exemple). La Vita témoigne ainsi de la résistance de certaines maisons réformées aux normes cisterciennes, affirmant avec véhémence leur identité propre. À la fin du XIIème siècle, c’est donc une version remaniée qui est envoyée à l’abbaye-mère, les originalités d’Obazine sont prudemment atténuées pour faire d’Étienne un saint cistercien comme les autres1556. Nous bénéficions également du cartulaire de l’abbaye, mine d’informations concernant le patrimoine foncier acquis par les moines blancs. Il est rédigé à partir des années 1170 et reste donc relativement flou sur les origines du patrimoine avant l’affiliation à Cîteaux. Il s’agit d’un volume de 354 folios répartis en 43 cahiers. Nous en devons la publication à Bernadette BARRIÈRE1557. L’étude des Statuts des Chapitres Généraux de l’Ordre de Cîteaux a révélé un article de 1504 mettant en lumière l’état de conservation de l’abbaye à cette date et les réparations nécessaires. Ce texte est éclairant pour une étude archéologique des vestiges et leur datation1558. « Et premièrement a été dit et accordé que ledit abbé d’Obazine fera faire en son monastère d’Obazine les arcsboutants pour garder les fentes de la voûte dudit monastère, à son regard et ainsi qu’il cognoistra à faire que ne se ouvrent, et ce dedans six ans prochainement venans. Item, aussi sera tenu de pourvoir et appliquer la maison où est commencé une viz de pierre laquelle est près du cloître devers le soleil couchant, et icelle garnir de lits et utenciles pour l’infirmerie pour mettre les religieux qui deviendront malades, ou seront viels ou valitudinaires, qui ne pourront dormir au dortoir 1556 A. GRÉLOIS, « Les origines contre la réforme : nouvelles considérations sur la Vie de Saint Étienne d’Obazine », dans Écrire son histoire. Les communautés régulières face à leur passé, Actes du Vème colloque International du CERCOR, Saint-Étienne, 2005, p. 369-388. 1557 B. BARRIÈRE, Le cartulaire de l’abbaye cistercienne d’Obazine, XIIème-XIIIème siècles, Institut d’Études du Massif Central, Clermont-Ferrand, 1989. 1558 J. M. CANIVEZ, Statuta…, op. cit., T VI, 1504-30. - 501 - regulariter, dedans deux ans prochains venans. Item, et quant au nombre de religieux, ledit abbé sera tenu d’entretenir en ladite abbaye d’Aubazine dix-huit religieux, tant pères que novices, et à ceux faire pourvoir de victu et vestitu selon les statuts de l’Ordre et faculté dudit monastère. Item, tant que bouche ladite abbaye nouvelle, ledit abbé sera tenu de faire bâtir le bout dudit monastère et couvrir la voûte de ladite église, et faire les autres réparations audit monastère, ainsi qu’il cognoistra estre le plus expédiant selon la faculté deladite abbaye dedans six ans prochains venans (…). » Un état des lieux de 1672 permet de connaître l’état de délabrement des bâtiments religieux. Il s’agit d’une lettre de sommation par Dom Dumas, religieux d’Obazine, adressée à l’abbé commendataire François d’Escoubleaux de Sourdis. Celui-ci néglige visiblement l’abbaye et les bâtiments qui sont en état d’extrême délabrement. L’église est dépavée, les voûtes des trois nefs « crevées ». Il est fait état des « pierres qui se détachent et tombent des voûtes ». La plupart des fenêtres sont sans vitres. Le clocher de croisée a la charpente pourrie ; de même concernant les charpentes du dortoir et du réfectoire. Il est également fait état des dégradations des moulins, chaussées et du canal. Pour procéder aux réparations, l’abbé fait venir Maguet, architecte de Paris, des maçons de la paroisse de Chambeyrac, un charpentier de Vergonzac1559. Un extrait du journal de Dom Boyer nous permet de connaître l’état de l’abbaye en 1712. Celui-ci parvient à Obazine le 14 août où il rencontre également l’abbé de la Colombe. Il décrit : « L’abbaye est belle, le cloître est long et vaste. Le réfectoire est grand et ancien, de même que le chapitre où est le tombeau des seigneurs de Comborn (…) »1560. En 1754, des arpentements d’Obazine font état du cimetière jouxtant l’abbaye, du château abbatial confrontant au couvent, du jardin des religieux, des cours, du cloître, d’un moulin composé de deux roues, une à froment et une à seigle1561. 1559 AD Corrèze, E 758, pièce 107 ; B. BARRIÈRE, “L’abbaye d’Obazine. Les enseignements d’un état des lieux de 1672 », BSLSAC, T 79, 1976, p. 53-70. 1560 R. FAGE, « Une visite à Obazine en 1712 », BSSHAC, T 8, 1886, p. 85-92. 1561 AD Corrèze, C 258. - 502 - L’une des granges de l’abbaye d’Obazine est dotée d’un fonds particulier. Il s’agit de la grange de Graule située aux confins des territoires communaux de Cheylade, Collandres et Apchon. Ce fonds spécifique distinct de celui de l’abbaye elle-même provient selon toute vraisemblance de l’administrateur et du fermier qui avaient succédé aux grangiers. Il est déposé aux Archives Départementales du Cantal à Aurillac sous la cote 1 H. Il se compose principalement de quelques titres de propriété médiévaux ainsi qu’un terrier et ses lièves de 1584-1585. Des dossiers d’estimation des biens sont également conservés [PJ 14 et 15]1562. Le fonds conservé aux Archives Départementales de la Corrèze comprend de nombreux documents révolutionnaires, en particulier un inventaire du mobilier dressé le 9 septembre 1790 par Joseph Parjadis, administrateur du district de Tulle. Il décrit le mobilier contenu dans les nombreuses chambres du monastère, la sacristie et ses chasubles, dalmatiques, aubes, encensoirs…, le réfectoire, la cuisine et tous les ustensiles. Il étudie également les documents conservés dans le chartrier et dresse les noms des diverses paroisses sur lesquelles Obazine a des droits. Il remarque la présence d’un cartulaire en vélin contenant 343 pages et un terrier [PJ 13]1563. Un autre document révolutionnaire concerne l’état des revenus de l’abbaye commendataire d’Obazine. Les domaines affermés sont cités de même que les noms des tenanciers. L’état des charges est dressé1564. Historiographie : L’abbaye d’Obazine a donné lieu à de nombreux travaux d’érudition dont l’un des plus précieux est le témoignage de ROY DE PIERREFITTE qui décrit le site lors d’une de ses visites au milieu du XIXème siècle. Bien qu’imprécise et souvent entachée de propos pittoresques et romantiques, son étude demeure un état des lieux précieux pour la connaissance du site1565. À la fin du XIXème siècle, Jean-Baptiste CHAMPEVAL cite dans son étude du BasLimousin certaines granges de l’abbaye d’Obazine, premier inventaire des biens des moines cisterciens. Il nomme la Serre, La Montagne, Veyrières, Nougein, Couffinier, Crauzy, Albussac, Chadebec et Chabanes. Il cite également Malbuisson et Grange qui sont toutefois 1562 AD Cantal, 1 Q 561, 1 Q 655, 1 Q 746. AD Corrèze, Q 148. 1564 AD Corrèze, Q 9. 1565 J-B. L. ROY DE PIERREFITTE, Études historiques…, op. cit., p. 167-192. 1563 - 503 - fondées postérieurement au cartulaire. Son étude permet ainsi un premier repérage des granges actuellement toutes identifiées avec certitude et localisées1566. En 1910, l’abbé ALBE rédige un article conséquent sur les possessions de l’abbaye d’Obazine en Quercy. Il répertorie les granges, les principales étapes de leur développement et cite les donateurs à l’origine de leur patrimoine. Cette analyse est donc éclairante pour la constitution du patrimoine foncier des moines d’Obazine et leur politique d’acquisition dans la région de Rocamadour1567. Dès 1927, l’abbaye d’Obazine a fait l’objet des attentions d’historiens et archivistes. C’est le cas de Jean-Jérôme de RIBIER qui consacre à l’abbaye cistercienne sa thèse soutenue en vue de l’obtention du diplôme d’archiviste-paléographe. Il fait tout d’abord un état des sources narratives et diplomatiques (cartulaire, terrier) puis il consacre une partie à l’historique du site et enfin à son étude archéologique. C’est la première synthèse complète sur les frères d’Étienne1568. Les publications concernant le monastère sont nombreuses : il a en effet attiré très tôt l’intérêt d’érudits corréziens et à partir des années 1960 à fait l’objet d’études opiniâtres et passionnées de Bernadette BARRIÈRE, étayées de données archéologiques nouvelles. Nous ne ferons pas ici un inventaire complet de chaque article publié qui seront toutefois cités de manière la plus exhaustive possible en bibliographie. Ne seront retenues ici que les principales études, les plus complètes et synthétiques pour notre propre investigation. En 1977, Bernadette BARRIÈRE livre une étude minutieuse sur le patrimoine d’Obazine issue du dépouillement précis et détaillé du cartulaire de l’abbaye. Cette analyse permet une connaissance relativement exhaustive des possessions cisterciennes, de leur emplacement, de leur nature et de leur évolution au fil des siècles1569. En 1989, Bernadette BARRIÈRE publie le cartulaire de l’abbaye d’Obazine, étude majeure permettant de retracer la constitution du patrimoine des moines blancs. Les notices renseignent sur l’emplacement, la nature des biens acquis par les moines mais également sur les donateurs et le passage du faire-valoir direct à indirect. De rares actes apportent des indices quant à la construction et au chantier médiéval. Apparaissent aussi en filigrane les 1566 J-B. CHAMPEVAL, Le Bas-Limousin seigneurial…, op. cit., 1896-97. Abbé ALBE, « Titres et documents concernant le Limousin et le Quercy. Les possessions de l’abbaye d’Obasine dans le diocèse de Cahors et les familles du Quercy », BSSHAC, 1910, T 32, p. 251-304 ; p. 415-461 ; p. 511-609. 1568 J-J De RIBIER, « L’abbaye d’Obazine en Bas-Limousin. Étude historique et archéologique », Thèse soutenue pour obtenir le diplôme d’archiviste-paléographe (positions), Paris, 1927. 1569 B. BARRIÈRE, L’abbaye cistercienne d’Obazine en Bas-Limousin. Les origines, le patrimoine, Tulle, 1977. 1567 - 504 - rapports de ces moines avec les autres filiales cisterciennes (Valette, La Garde-Dieu) ainsi qu’avec les autres ordres religieux (Aureil, Solignac, Uzerche), les laïcs et les évêques1570. En 1998, une courte notice de l’ouvrage dirigé par Bernadette BARRIÈRE reprend certaines connaissances concernant le monastère double d’Obazine-Coyroux. Le point est fait sur les sources manuscrites et sur l’historique du site, de la fondation érémitique d’Étienne jusqu’à la Révolution. L’auteur insiste sur l’importance de deux sources en particulier : la Vie d’Étienne d’Obazine et le cartulaire conservé, mines d’informations pour les historiens et archivistes permettant une bonne connaissance des débuts de la fondation et de la constitution de sont patrimoine foncier. Plus de vingt granges peuvent ainsi être inventoriées1571. Des opérations archéologiques ont eu lieu très récemment sur le site d’Obazine. Le Canal des Moines a en effet fait l’objet d’une étude du bureau d’investigations archéologiques d’Hadès d’avril à juin 2004 qui a abouti à une meilleure connaissance des techniques de construction hydraulique des cisterciens. Cette étude très scientifique et poussée est primordiale pour la compréhension des technicités monastiques médiévales1572. Des sondages ont également été menés place de l’église afin de vérifier si les fondations de la partie occidentale de l’abbatiale réduite au XVIIIème siècle avaient été conservées1573. La publication la plus récente sur Obazine est un article dans le Congrès Archéologique de France consacré à la Corrèze, édité en 2007. Geneviève CANTIÉ et Éric SPARHUBERT reviennent rapidement sur l’historique du site, mais surtout sur la chronologie du chantier, relativement bien cernée grâce aux sources écrites précises et à une étude de bâti minutieuse. Les bâtiments conventuels ainsi que l’abbatiale font l’objet d’une description et d’un phasage relativement précis, base essentielle à la présente étude1574. Historique : Il paraît délicat d’étudier séparément les histoires des monastères d’Obazine et de Coyroux, si étroitement entremêlées du moins jusqu’au XIVème siècle. Ainsi, les données que nous présentons ici concernent bien souvent les deux sites. La monographie concernant Coyroux reprendra certains faits et insistera sur les épisodes plus propres à la communauté féminine. 1570 B. BARRIÈRE, Le cartulaire de l’abbaye cistercienne d’Obazine…, op.cit. B. BARRIÈRE (dir.), Moines en Limousin…, op. cit., p. 178-185. 1572 P. STÉPHANT, B. LEPRETRE, Le « Canal des Moines » de l’abbaye d’Aubazine, 2 vols. Hadès, SRA Limousin, avril/juin 2004. 1573 S. LEVEQUE, « Aubazine, Place de l’église », Bilan scientifique, DRAC/SRA Limousin, 2006, p. 10. 1574 G. CANTIÉ, É. SPARHUBERT, « Obazine, abbaye » dans Monuments de Corrèze…, op. cit., p. 251-270. 1571 - 505 - - La fondation, première moitié du XIIème siècle : La vie d’Étienne, ermite à l’origine d’Obazine et de ses filles est mieux connue grâce à sa Vita. Nous savons ainsi qu’Étienne serait né au hameau de Vielzot sur la commune de Bassignac-Le-Haut près de Tulle. Dans sa première expérience érémitique, il est accompagné de Pierre. Son arrivée au pays d’Obazine est ainsi décrite : « (…) appelé ainsi, je crois, à cause de l’opacité des forêts et de la densité des fourrés qui le recouvrait de toute part. Ce lieu, fort boisé est entouré de tous côtés par des rochers abrupts, et une rivière, la Corrèze, qui coule plus bas, lui donne un charme certain (…) ». Obazine est déjà connu des textes depuis le Xème siècle où le site est évoqué dans une charte1575. Elle appartient dès lors à un important manteau forestier. L’ermitage primitif créé par Étienne est décrit dans sa Vita comme un site presque inaccessible est sauvage. L’habitat de ces deux solitaires apparaît comme une simple cabane de bois couverte de chaume 1576. Toutefois, il ne s’agit pas réellement d’un désert puisque la forêt d’Obazine s’intercale entre les villages de Vergonzac et de Palazinges. Concernant ce dernier, il dispose d’une église ancienne et d’une implantation humaine relativement importante. Cet ermitage est officialisé entre 1125 et 1127 d’après un inventaire du XVIIIème siècle qui précise [Fig. 477] que « L’abbaye d’Obazine fut fondée en l’an 1127 à titre d’ermitage ». Cet ermitage comprend alors des lieux réguliers (« interiores partes ») et des dépendances (« exteriores partes ») avec une maison d’hôtes (« hospitium »), destinés à accueillir des ermites de plus en plus nombreux. La simple cabane de bois ne pouvait plus suffire1577. Ce premier « monastère » est toutefois réduit au minimum : un réfectoire, une cuisine, un dortoir. La salle capitulaire n’est pas mentionnée 1578. Excepté le temps nécessaire à la lecture et à la récitation de l’office canonial, la journée de ces ermites est alors consacrée aux travaux des champs. 1575 CHAMPEVAL, Cartulaire de l’abbaye Saint-Martin de Tulle, 1903, p. 170. S. M. DURAND, Étienne d’Obazine, 1085-1159, Lyon, 1966, p. 33. 1577 B. BARRIÈRE, L’abbaye cistercienne d’Obazine en Bas-Limousin…, op. cit., p. 54. 1578 S. M. DURAND, Étienne d’Obazine, 1085-1159, Lyon, 1966, p. 37. 1576 - 506 - Entre 1130 et 1134, les ermites se déplacent sur le site actuel du monastère, situé à 2 km au sud de l’ermitage primitif, à 300m d’altitude. C’est un site ouvert, dominant et salubre qui n’a rien de réellement « cistercien » et de désertique. C’est Geoffroy de Lèves, évêque de Chartres de passage en Limousin (1116-1138) et ami de Bernard de Clairvaux qui nomme Étienne prieur de cette communauté, et non pas Pierre, son plus fidèle disciple et compagnon des premiers temps érémitiques. En 1135, Étienne se rend à la Grande Chartreuse. Il décrit un monastère « entouré de montagnes glaciales »1579. Il peut observer à loisir les canalisations de pierre qui amènent l’eau dans la cellule de chaque chartreux. Son admiration pour ces pauvres du Christ est sans borne et il espère pouvoir rattacher sa petite communauté à cette règle qu’il approuve et à laquelle il aspire. Toutefois, on lui conseille plutôt d’adopter un modèle cistercien, plus adapté au nombre important de pénitents attirés à Obazine. Pour le prieur de la Chartreuse, Guigues Ier, Cîteaux détient la voie royale surtout pour les groupes aussi importants et disposant de nombreuses possessions. Il convainc Étienne de la nécessité de rechercher des institutions cénobitiques qui conviennent à la multitude. Ce dernier se rend ainsi plusieurs fois à Dalon afin de se familiariser avec les coutumes de ces moines. Étienne décide d’adopter l’observance de Cîteaux sans toutefois s’affilier à l’ordre dans un premier temps. Des moines venus de Dalon tentent alors de convertir les pauvres d’Obazine à leurs règles. C’est selon le conseil d’Aimeric, alors évêque de Clermont qu’Étienne réclame la venue de ces frères de Dalon. En 1142, l’évêque de Limoges Géraud (1142-1177) procède à l’installation officielle des deux communautés, féminine et masculine. Étienne devient dès lors abbé. Il avait obtenu auparavant la permission de l’évêque Eustorge (1106-1137) de fonder une communauté à la condition qu’il respecte les coutumes des Pères du Monachisme1580. Cet évêque lui avait conféré le pouvoir de célébrer la messe et de construire un monastère. Obazine s’organise toutefois de manière autonome, il n’y a pas de rattachement à Dalon. En 1147, Étienne se rend au chapitre de Cîteaux et obtient enfin l’affiliation à Cîteaux. Il bénéficie pour cela du soutien du Pape Eugène III. Il est présenté devant le Chapitre Général par Raynard, abbé de Cîteaux, qui le décrit comme « corpore modicum, statura brevem, habitu despectabilem, vultu deformen ». Cette démarche d’affiliation faillit toutefois être compromise par la présence de la communauté féminine de Coyroux. Elle se fait d’ailleurs à la condition que « tout ce qui était contraire aux institutions de l’ordre serait supprimé peu à peu ». Étienne cesse d’être le supérieur de Coyroux qui aura sa propre 1579 1580 M. AUBRUN, op. cit, p. 81. M. AUBRUN, op. cit, p. 22. - 507 - prieure1581. De sa visite au chapitre de Cîteaux, Étienne aurait ramené deux moines et deux frères lais1582. À partir de cette date, le monastère d’Obazine aurait été entièrement reconstruit suivant les normes cisterciennes tandis que celui de Coyroux ne recevrait que quelques améliorations1583. Entre 1142 et 1147, Étienne fonde la Valette et Bonnaigue qui se rattachent à Cîteaux en même temps qu’Obazine et Coyroux. Étienne y envoie des groupes de moines d’Obazine afin de constituer le premier noyau de ces nouvelles communautés. Jean est le premier abbé de Bonnaigue tandis que Begon d’Escorailles, chevalier, devient abbé de la Valette1584. Après 1147, Obazine essaime à la Garde-Dieu au diocèse de Cahors, à la Frénade au diocèse de Saintes ainsi qu’à Grosbot au diocèse d’Angoulême. Les deux premières créations correspondent à des endroits déjà construits et ne sauraient être considérés comme des « déserts ». Elles marquent pour Michel AUBRUN la fin d’un esprit pionnier1585. Le troisième livre de la Vita de saint Étienne évoque sa mort le 8 mars 1159. Il se trouvait alors à Bonnaigue et son corps doit être transporté jusqu’à Obazine où il est inhumé. De nombreux miracles surviennent alors sur sa dépouille1586. Ses ossements, découverts sous son tombeau en 1885 sont désormais contenus dans deux reliquaires modernes. En 1176, l’église d’Obazine est achevée. Un autel est consacré dans une des chapelles du croisillon nord du transept par Guérin, archevêque de Bourges. Une inscription est encore visible sur la voûte de la chapelle ouvrant sur la sacristie : « Anno ab Incarnatione Domini MCLXXVI consecratum est hoc altare »1587. - Constitution du patrimoine au XIIème et XIIIème siècles : D’après le cartulaire conservé de l’abbaye, nous pouvons retracer assez précisément la constitution du patrimoine foncier de celle-ci [Fig. 82]. Nous disposons également d’inventaires des acquisitions faites par l’abbaye de 1147 à 1197. Le patrimoine paraît composé à la fin du XIIème siècle et dans les premières années du XIIIème siècle. Il est dû en partie aux donations issues de trois grandes seigneuries limousines : Turenne, Comborn et Ventadour. D’autres bienfaiteurs sont également connus comme la famille de Chanac, les Roffignac, les Malemort, la famille de la Borne, des Escorailles, de Gourdon, les Secot 1581 B. BARRIÈRE, L’abbaye cistercienne d’Obazine…, op. cit, p. 71. J-B. L. ROY DE PIERREFITTE, Études historiques sur les monastères du Limousin et de la Marche, T 1, Guéret, Betoulle, 1857-1863, p. 167-192. 1583 B. BARRIÈRE, « Les cloîtres d’Obazine et Coyroux, en Corrèze », TAL, T 1, 1981, p. 83-89. 1584 M. AUBRUN, op. cit, p. 107. 1585 M. AUBRUN, op.cit, p. 24. 1586 M. AUBRUN, op. cit, p. 197. 1587 H. J. ZAKIN, French Cistercian Grisaille Glass, Garland, New-York/ London, 1979, p. 19. 1582 - 508 - Lansat. Il s’agit souvent de dons à la veille d’un départ à la Croisade ou pour un pèlerinage. Il peut également s’agir de dot à l’occasion de l’entrée d’un frère dans la communauté. Parfois ces dons interviennent en réparation de dommages causés. En 1175, Ebles de Ventadour donne les manses de Crassac, de la Ville et du Moulin en réparation des dégâts faits à leurs granges1588. Le souci de subvenir aux besoins des moniales explique la fondation d’un certain nombre de granges. Il rappelle le rôle primordial de la femme dans le salut chrétien1589. La plupart des actes sont concentrés lors de l’abbatiat de Robert de 1164 à 1187. Considérant la densité importante d’établissements religieux en Bas-Limousin, les possessions acquises par les moines d’Obazine doivent s’insinuer dans les quelques places restantes. Elles encerclent les territoires d’Albignac, du prieuré de Saillac ou d’abbayes comme Tulle et Beaulieu. Les domaines d’Obazine seront plus conséquents en Quercy et dans les environs de Rocamadour étant donné le vide relatif d’établissements religieux et une plus faible densité de population. Les moines peuvent constituer des domaines d’un seul tenant1590. Concernant la nature des biens acquis par le monastère, nous savons que les moines détiennent beaucoup plus de terroirs agricoles déjà constitués et mis en valeur (manses, borderies, jardins, champs, prés) que de forêts et d’espaces à défricher. Les droits de pacage concernant surtout le Quercy, l’Auvergne et le Haut-Limousin. La donation initiale revient à Archambaud IV de Comborn avant son décès en 1137. Il cède la forêt où les ermites d’Étienne sont déjà installés. Il donne également le manse de Maurschams où Étienne va constituer la grange de la Montagne. Un groupe est situé près d’Obazine : il s’agit des granges d’Obazine, de Rochesseu (com. Aubazine) et de Monredon (com. Albignac). Cette dernière est issue d’une donation du seigneur de Monceau, chevalier, qui se donne au monastère et dont l’ensemble des domaines sont transformés en grange1591. Ce groupe bénéficie d’acquisitions surtout dans les premiers temps. Plus au nord, nous trouvons les exploitations de la Montagne (com. Lagraulière) et de la Serre (com. de Chamboulive). Elles semblent spécialisées dans la production de seigle, d’avoine, de froment de même que le groupe d’Obazine. La Montagne est probablement antérieure à 1147 puisqu’elle fait partie de la donation initiale d’Archambaud IV de Comborn. 1588 L. GUIBERT, « Notice sur le cartulaire de l’abbaye cistercienne d’Obazine », BSLSAC, T 12, 1890, p. 57-74. J. VINATIER, « La piété mariale cistercienne à Obazine révélée par l’architecture, la statuaire et la peinture (du XIIème au XVIIIème siècles) », BSSHAC, T 18, 1976, p. 79-96. 1590 B. BARRIÈRE, L’abbaye cistercienne d’Obazine en Bas-Limousin. Les origines, le patrimoine, Tulle, 1977, p. 84. 1591 B. BARRIÈRE, L’abbaye cistercienne d’Obazine, op. cit, p. 124 et 146. 1589 - 509 - Trois granges au Nord-est sont situées sur les hauts plateaux limousins. Il s’agit de Chabanes (com. de Tarnac), de Chadebec (com. de Bonnefond) et de Veyrières (com. de Rosiers d’Egletons) [Fig. 555]. Concernant les granges de la Serre et de Chadebec, nous savons qu’à l’origine ces terres étaient destinées pour un petit groupe de moines sis au Sourdain [Fig. 567]. Il s’agissait d’un essaimage de l’abbaye cistercienne berrichonne du Landais qui a toutefois échoué. Ce sont donc les pauvres d’Obazine qui récupèrent ces donations. Vers 1180, la grange de la Serre possédait deux étangs à moulins sur deux cours d’eau. Les moines y créèrent l’étang du Sourdain1592. Un autre groupe comprend les exploitations de Nougein (com. de Marcillac-LaCroisille), Couffinier (com. de Gros-Chastang) et Croisy (com. Argentat) [Fig. 557]. Ces granges produisent essentiellement du seigle. Concernant Nougein, elle dispose d’une église dédiée à Saint-Jean qui correspondait à un prieuré destiné à l’accueil des enfants d’Obazine1593. Quant à Croisy, elle est dotée dès 1142 par la famille Escorailles de HauteAuvergne. En terre quercynoise, Obazine détient des possessions à Ramière (com. de Noailhac), Baudran (com. de Nespouls)1594, Saint-Palavy (com. de Cavagnac), et Banières (com. de Vayrac). Les prétentions des moines d’Obazine s’étendent jusque vers Rocamadour où ils installent les granges des Alis (com. de Rocamadour), de la Dame (com. de Payrac), de Couzou (com. de Gramat) et de Bonnecoste (com. de Calès). La grange des Alis est à la tête de ces exploitations. Une agglomération va se constituer autour d’elle. La création de ces granges non loin de Rocamadour peut s’expliquer par les stratégies politiques des seigneurs donateurs. Rocamadour est en effet un lieu de pèlerinage en expansion, cerné par les possessions des moines d’Obazine. À cette époque, les sanctuaires de la cité du Quercy appartiennent à l’abbaye de Tulle. L’abbé de Tulle étant un Turenne (Ebles, 1112-1152), famille favorable aux pauvres d’Étienne, Obazine est alors considéré comme un moyen d’acquérir les possessions alentours pour épauler l’abbaye de Tulle1595. Ces granges proches de Rocamadour sont relativement bien documentées en partie grâce à l’étude de Jean ROCACHER sur Rocamadour et son pèlerinage1596. L’auteur explique 1592 B. BARRIÈRE, « Étangs et hydraulique en Limousin : le temps des créations » dans B. BARRIÈRE, Limousin médiéval, le temps des créations, PULIM, Limoges, 2006, p. 157-187. 1593 B. BARRIÈRE, L’abbaye cistercienne d’Obazine, op.cit, p. 158. 1594 IGN Série Bleue, 1/25000ème, Brive-La-Gaillarde, 2135 O. 1595 B. BARRIÈRE, L’abbaye cistercienne d’Obazine, op.cit, p. 170. 1596 J. ROCACHER, Rocamadour et son pèlerinage. Étude historique et archéologique, 2 vols., Toulouse, 1979. - 510 - la multiplication des granges par la nécessité de nourrir de nombreux pèlerins. Le monastère cistercien aurait trouvé ici des débouchés pour ses productions. Ces granges sont vouées à l’élevage ovin, ainsi qu’au froment, seigle, avoine. La région de Rocamadour n’ayant qu’une faible densité de population, les moines blancs peuvent constituer des domaines d’un seul tenant. L’abbé ALBE étudie également précisément les titres et documents concernant ces granges du Quercy et nous apprend beaucoup sur leur constitution. Il distingue un groupe des environs de Turenne comprenant Saint-Palavy, Banières et Baudran, un second groupe autour de Rocamadour avec la bastide du Mont-Sainte-Marie, les Alis, la Dame, Couzou, Calès, Bonnecoste, Carlucet et la Pannonie. Contrairement à Jean ROCACHER, il n’étudie pas précisément les vestiges archéologiques mais s’attache plutôt à retrouver les donateurs de ces granges et à retracer leur évolution lors du passage au faire-valoir indirect1597. Nombre de ces granges se spécialisent dans la production vinicole : il s’agit d’Obazine, Saint-Palavy, Baudran, Ramière, Nougein et Veyrières, de même que les granges quercynoises [Fig. 568]. Deux granges sont très éloignées de l’abbaye, contrairement à la règle cistercienne qui encourage les monastères à ne pas disperser leur patrimoine trop loin du monastère. La grange de Graule est dans le département du Cantal sur la commune de Saint-Saturnin [Fig. 558]. Elle est mieux connue grâce à l’étude d’Adolphe de ROCHEMONTEIX qui, en 1888, retrace la création de cette grange, cite les principaux actes la concernant conservés aux Archives Départementales du Cantal et évoque les vestiges archéologiques1598. Le fonds conservé, bien que peu important, apporte à l’histoire de cette grange du Limon. Sa donation est faite vers 1147 par Léon II de Dienne partant pour la Croisade (la seconde Croisade débute en effet en 1147). En 1296, un acte de partage fixe la limite entre les biens d’Amblard, seigneur de Dienne et ceux d’Étienne de Gorsse, grangier de l’abbaye1599. L’élevage de moutons est l’activité principale de l’abbaye. En 1327, une mainlevée est donnée aux assises royales de Bredons en faveur de l’abbé d’Obazine pour ses revenus saisis par le roi à Graule, en vertu de la preuve faite que la grange de Graule lui appartient1600. 1597 Abbé ALBE, « Titres et documents concernant le Limousin et le Quercy. Les possessions de l’abbaye d’Obasine dans le diocèse de Cahors et les familles du Quercy », BSSHAC, 1910, T 32, p. 251-304 ; p. 415-461 ; p. 511-609. 1598 A. de ROCHEMONTEIX, La maison de Graule. Étude sur la vie et les œuvres des convers de Cîteaux en Auvergne au Moyen-Âge, Paris, 1888. 1599 B. BARRIÈRE, « Les granges de l’abbaye cistercienne d’Obazine aux XIIème et XIIIème siècles », dans Le Bas-Limousin, Histoire et Économie, Tulle, 1966, p. 33-51. AD Cantal, 1 H 1. 1600 AD Cantal, 1 H 1. - 511 - Un terrier et ses lièves de 1584-1585 nous apprennent sur les possessions des moines d’Obazine à Graule. Un certain nombre de terres sont citées comme les montagnes de la Fagette (Cheylade et confins), de Graule et Chapgraule (Saint-Saturnin et confins), de Ventalhac (Cheylade et confins) et le bailliage de Nouix (Saint-Saturnin) 1601. L’estimation des biens nationaux en 1790 précise ces possessions et énumère : Nouix, les Chareaux, la Grosvière, Lavergne, Saint-Saturnin, la Chaumette, les montagnes de la Fagette, de Graule, de Chapgraule, de Ventalbrou, de la Barre et d’Angrave ( ?)1602. Quant à la Morinière, elle est placée sur l’île d’Oléron (com. de Dolus), soit à 250 kms du monastère d’Obazine. Elle y détient trois marais salants. La création de ces granges spécialisées s’achève à la fin du XIIème siècle. En effet, dès 1169, Girard, abbé de la Trinitéde-Vendôme, avec le consentement de son chapitre, confirme la vente à Obazine du marais dit de « Folia Chantarel » ainsi que du droit de pêche à Saint-Georges d’Oléron1603. La création de cette grange saline apparaît assez tôt dans l’acquisition du patrimoine d’Obazine. Elle est fréquemment considérée comme un prieuré à part entière. À la période révolutionnaire, l’état des revenus de l’abbaye cite le revenu temporel du prieuré de la Morinière affermé 1800 livres1604. Les moines d’Obazine disposent également de greniers à Martel, à l’ouest de Bannières. Il s’agit d’un centre de stockage établi entre le monastère et ses granges du Quercy/Rocamadour. Il existe également un grenier à sel en Saintonge, à Cognac 1605. Les cisterciens détiennent de même des maisons dans certains gros bourgs comme Rocamadour, Brive ou Angoulême1606. Au XIIIème siècle, nous pouvons constater une fortification du patrimoine monastique avec la création de quatre nouvelles granges : le Chassaing, Calès, Granges (com. Carlucet) et la Pannonie (com. Couzou). Il ne demeure que peu de vestiges archéologiques de ces granges (sauf à Bonnecoste, les Alis et la Panonnie), mais chacune porte un village, une ferme ou un hameau1607. L’étude des cartes IGN ou de Cassini permet le plus souvent de localiser ces sites d’anciennes granges ou moulins [Fig. 40 et 57]. Certains toponymes peuvent conserver le souvenir d’installations monastiques aujourd’hui entièrement disparues et nous renseignent 1601 AD Cantal, 1 H 2-3. AD Cantal, 1 Q 561, 1 Q 655, 1 Q 746. 1603 B. BARRIÈRE, Le cartulaire de l’abbaye cistercienne d’Obazine…, op.cit, p. 217. 1604 AD Corrèze, Q 9. 1605 B. BARRIÈRE, L’abbaye cistercienne d’Obazine, op.cit, p. 172. 1606 B. BARRIÈRE, Le cartulaire de l’abbaye cistercienne d’Obazine…, op. cit., p. 25. 1607 B. BARRIÈRE, « Les granges de l’abbaye cistercienne d’Obazine aux XIIème et XIIIème siècles », dans Le Bas-Limousin, Histoire et Économie, Tulle, 1966, p. 33-51. 1602 - 512 - ainsi sur le patrimoine et l’environnement de ces moines. La carte de Cassini révèle une « Périère », peut-être emplacement d’une ancienne carrière. Était-elle toutefois connue des moines cisterciens ? La difficulté d’une étude toponymique réside bien souvent sur ces problèmes de datation des termes rencontrés. « Le moulin rouge » est signalé au sud de l’abbaye et dépendait peut-être d’Obazine. La carte IGN révèle de nombreux termes liés à des aménagements hydrauliques : « le moulin du Pré » à l’ouest d’Obazine, le « moulin du Sapinier » au sud-ouest, « la Rivière » au sud-ouest, le « moulin du Prieur » et le « moulin de la Roche » pouvant dépendre de la grange de Montredon au sud de l’abbaye ainsi que le « moulin à papier » en direction de Beynat1608. - Le Bas-Moyen-Âge et l’époque Moderne : La communauté féminine est entièrement prise en charge par la communauté masculine. Les acquisitions des femmes (par donations des seigneurs et grandes familles par exemple) sont reversées directement aux hommes qui gèrent ainsi le patrimoine foncier des deux monastères. Obazine dispose de 25 granges polyvalentes (sel, vin, fromage, céréales, élevage) destinées ainsi à subvenir aux besoins des deux communautés. Toutefois, au XIVème siècle, les premiers disfonctionnements se font sentir. Les moniales adressent des suppliques au Pape pour que de nouveaux revenus leurs soient directement attribués. Elles semblent soucieuses d’acquérir une nouvelle autonomie. Ainsi, dès 1355, Coyroux commence à acquérir des revenus propres sans passer par l’intermédiaire d’Obazine (on peut citer en exemple la cession de l’église de Cornac en Quercy). Les moniales récupèrent également le patrimoine d’Albignac1609. Au XIVème siècle, c’est l’abandon du faire-valoir direct par les moines d’Obazine. Certaines granges commencent les arrentements, dès 1310 à la Serre notamment. Ceci permet entre autre de pallier l’affaiblissement du recrutement des convers. En 1332 est fondée la bastide du Mont-Sainte-Marie dans les limites domaniales de la grange de la Dame. En demeure aujourd’hui le lieu-dit « Sainte-Marie »1610. Le Château de l’Abbé issu de la commende est édifié dans la seconde moitié du XVème siècle comme en témoigne un écusson retrouvé par l’Abbé POULBRIÈRE dans les décombres de cet édifice (1476, abbé Jean de Ventadour)1611. 1608 IGN Série Bleue, 1/25000ème, Beynat, 2135 E. B. BARRIÈRE, “Les problèmes économiques d’une communauté cistercienne double : le cas d’ObazineCoyroux (XIIème-XVIIIème siècles)”, Annales du Midi, T 102, 1990, p. 149-159. 1610 B. BARRIÈRE, « Les granges de l’abbaye cistercienne d’Obazine… », op.cit, p. 33-51. 1611 Abbé J-B. POULBRIÈRE, Dictionnaire historique et archéologique des paroisses du diocèse de Tulle, Brive, 1964, 2ème édition, T II, p. 339-357. 1609 - 513 - En 1580, Edme de Hautefort, gouverneur et sénéchal du Limousin possédait l’abbaye d’Obazine. Il la reprend aux protestants le 5 mars 1589. Henri de la Tour, son parent, vicomte de Turenne, prend l’engagement de protéger en sa faveur cette possession et de la mettre sous la sauvegarde du roi de Navarre1612. En 1667, Obazine est choisie pour abriter le noviciat des cisterciens de la commune Observance pour les provinces de Bordeaux et de Poitiers1613. Quant au cloître, il est dévasté au XIXème siècle et l’abbé TEXIER en observe les derniers arcs en 1845. À la fin du XIXème siècle, un orphelinat s’installe à Obazine de même que la congrégation du SaintCœur de Marie en 18871614. - Les restaurations du XIXème siècle : L’abbatiale a connu des restaurations par l’architecte Anatole de BAUDOT dans la seconde moitié du XIXème siècle1615. En 1852, ABADIE est mandaté à Obazine. Le projet reste sans suite, et c’est finalement Anatole de BAUDOT qui reprend le dossier de 1876 à 1907. Des sommes considérables vont ainsi être dépensées en 25 ans pour la rénovation de l’abbatiale. Avant cette campagne, l’abbaye est décrite par ROY DE PIERREFITTE qui constate la ruine de certains bâtiments. Le réfectoire en particulier est démoli mais « on aperçoit encore des nervures gothiques »1616. L’intervention de l’architecte permet que l’église soit classée au rang des Monuments Historiques. En 1876, Anatole de BAUDOT constate que l’église d’Obazine est dans un état alarmant : les piliers du transept et les voûtes de la nef menacent ruines, les charpentes et couvertures sont en très mauvais état, les murs pignons sont lézardés, les contreforts des collatéraux ne sont pas suffisants pour résister à la poussée des voûtes, les arcs doubleaux de la nef sont prêts à céder [Fig. 479]. En 1877, il remet ses projets concernant Arnac et Obazine. Dès son arrivée, il étaye la coupole et la nef pour éviter l’effondrement. Puis il démonte les voûtes affaissées et les rebâtit, ce qui sera d’ailleurs fortement critiqué par Léon PALUSTRE qui lui reproche de ne pas avoir conservé les voûtes tel quel. Il refait deux piles de la croisée de la nef qui ne pouvaient plus porter la coupole et remonte des contreforts plus épais pour stabiliser l’ensemble. En effet, dès 1863, celles-ci étaient sur le point de crouler et commençaient à s’incliner en dedans. 1612 J-B. L. ROY DE PIERREFITTE, Études historiques sur les monastères du Limousin…, op. cit, p. 167-192. J. VINATIER, « La piété mariale cistercienne à Obazine révélée par l’architecture, la statuaire et la peinture (du XIIème au XVIIIème siècles) », BSSHAC, T 18, 1976, p. 79-96. 1614 Abbé J-B. POULBRIÈRE, Dictionnaire historique et archéologique…, op. cit., p. 339-357. 1615 A. de BAUDOT, Restaurations de l’abbatiale, Paris, Médiathèque de l’Architecture et du Patrimoine, dossier 0081/019/0003. 1616 J-B. L. ROY DE PIERREFITTE, Études historiques…, op. cit., T 1, p. 167-192. 1613 - 514 - Quant au clocher, on reproche à BAUDOT d’avoir inventé de toutes pièces la disposition des glacis à la base du clocher. Pour preuve, le relevé effectué auparavant par l’architecte Abadie comporte l’indication d’une couverture envahie par la végétation avec un décor de petits frontons. En fait, ce relevé paraît sujet à caution dans la mesure où la couverture de la nef par exemple apparaît beaucoup moins haute par rapport au clocher que ne l’indique Abadie. Des clichés anciens témoignent des dispositions avant restauration : deux faces présentent des frontons manifestement postérieurs à la construction de l’édifice, les deux autres faces n’en présentent pas. L’ensemble est protégé par une couverture dont le mauvais état laisse apparaître le glacis de pierre que BAUDOT s’est contenté de restaurer sans modification. Ainsi, de 1877 à 1884, les voûtes du transept et de la nef, ainsi que la couverture de l’ensemble de l’édifice sont refaites. Cette campagne se caractérise également par une réfection du dallage, une réparation du clocher et de sa couverture, une restauration de la grande rose du transept et des verrières. De 1906 à 1907, il fait construire un campanile sur le pignon de la façade pour abriter les cloches qui ébranlaient le lanternon de la croisée1617. Des nouvelles réparations du clocher ont toutefois été nécessaires en 1992, 1993 et 19941618. Vestiges archéologiques : - Apport des sources manuscrites : Le chantier médiéval du monastère d’Obazine est évoqué dans la Vita de Saint Étienne, de manière certes épisodique mais toujours éclairante pour toute étude architecturale. Un problème de levage des blocs par exemple est évoqué dans le livre I : « (…) On en était au plus haut de la construction et les religieux s’employaient à soulever une pierre d’une grande taille à l’aide des machines qui cédant sous le poids, se mirent à craquer et à s’incliner jusqu’à toucher terre. »1619 1617 P. LEBOUTEUX, « Quelques restaurations d’Anatole de Baudot », Les Monuments Historiques de la France, 1965, n°3, p. 139-145 ; Anatole de Baudot et l’architecture en Corrèze, Catalogue d’Exposition, Tulle 1987, p. 12. 1618 J. QUEYREL, « La rénovation d’une abbatiale au XIXème siècle : l’église d’Aubazine », BSSHAC, T 115, 1995, p. 235-249. 1619 M. AUBRUN, Vie de Saint Étienne d’Obazine…, op. cit, p. 83. - 515 - Les travaux de construction du premier monastère semblent intensifs entre 1136 et 1142. Les bâtiments existants de la période érémitique sont réaménagés, d’autres sont construits selon ce que le mode de vie cénobitique exige. L’oratorium est ainsi remplacé par une ecclesia dédiée à la Vierge, à l’image des Chartreux. Suite à l’affiliation à Cîteaux en 1147, une nouvelle église va être bâtie dont la mise en œuvre débute en 1156. La première pierre est en effet posée le 6 avril, en présence de l’évêque de Limoges Géraud, d’Étienne d’Obazine et du maître d’œuvre (electus operis magister)1620. Cette date est confirmée par la Gallia Christiana1621. L’embauche d’ouvriers est de même évoquée, sous prétexte de lutter contre la disette. En réalité, ce recrutement correspond sans doute plus à un besoin de main d’œuvre pour un chantier important. Outre la Vita d’Étienne, le cartulaire apporte aussi quelques indices concernant la construction et les bâtiments médiévaux. En 1159, Pierre Raynaud fait une donation au monastère qui tient lieu dans le chapitre : « Hoc donum fecit in capitulo ». S’agit-il d’un chapitre réédifié suite à l’affiliation à Cîteaux ou d’une salle servant déjà à la communauté non cistercienne ? La même année, Bertrand de la Porte cède des biens dans ce même chapitre : « Hoc idem concessit in capitulo Obazine ». Le chapitre est encore cité en 1160 pour une donation de Hugues de Mayrignac et en 1161 pour un don d’Armand Liapec. En 1169, une donation de Géraud de Murat tient lieu dans la salle capitulaire : « concessit illud idem in Obazinensi capitulo ». Vers 1179-1180, des actes ont lieu « in capitule Obazine novo ». La reconstruction de l’aile orientale est alors avérée (acte 580)1622. Il semblerait que la construction ait débuté par l’abbatiale et l’aile est du cloître, pour se poursuivre par les ailes nord et ouest à la fin du XIIème siècle et dans les premières années du XIIIème siècle. Le chantier médiéval est évoqué de manière plus directe en 1171. Géraud de Cornil autorise les moines à utiliser sa pierrière sise près du Bois Peironeg (com. Dampniat, cant. Brive) jusqu’à l’achèvement du monastère en construction et de tous les bâtiments nécessaires. Il cède également un droit de pacage pour les animaux travaillant au chantier. Cette donation irait dans le sens d’une poursuite de la construction dans les années 117011751623. La clôture du chantier médiéval ne peut toutefois être déduite des actes de donation ou de la Vita, et la seule date de consécration de l’autel d’une chapelle ne nous semble pas suffisante pour conclure à la date de 1176. L’autel de la chapelle sud du bras sud du transept 1620 M. AUBRUN, op. cit., p. 127-129. Gallia Christiana, T II, col. 524. 1622 G. CANTIÉ, É. SPARHUBERT, « Obazine, abbaye », op. cit., p. 251-270. 1623 B. BARRIÈRE, Le cartulaire de l’abbaye cistercienne d’Obazine…, op.cit, p.78, 124 et 245. 1621 - 516 - est également dédicacée par Guérin, archevêque de Bourges de 1174 à 1179, autre indice utile à la datation de la fin du chantier. - Abbatiale : Il semblerait que les nouveaux aménagements visant à remplacer le premier monastère - devenu trop exigu - aient débuté vers 1156. La reconstruction tiendrait lieu au nord des anciens bâtiments. Ceux-ci sont encore utilisés durant le temps que dure la construction 1624. Les lieux réguliers se développent au nord de l’abbatiale, à l’inverse du monastère de Coyroux [Fig. 475]. La construction de l’abbatiale s’échelonnerait entre 1156 et 1176. L’année 1176 correspond toutefois à la consécration d’une chapelle de transept et n’atteste pas forcément de la fin du chantier médiéval. Si le chœur et le transept ont pu être bâtis dans ce laps de temps, certains indices vont en effet dans le sens d’une nef édifiée sans doute jusque dans le premier tiers du XIIIème siècle [Fig. 478 et 480]. Dans l’article récent publié sur Obazine par Geneviève CANTIÉ et Éric SPARHUBERT, les auteurs s’interrogent d’ailleurs sur la possibilité d’une partie occidentale de la nef « sans doute à rapprocher plutôt des phases ultimes du chantier monastique, vers 1180-1200, phases au cours desquelles furent édifiés le réfectoire puis le bâtiment des convers »1625. En effet, la première travée de la nef actuelle montre des raccords et rattrapage d’assises dans les murs gouttereaux, témoignant d’un arrêt du chantier. Claude ANDRAULT-SCHMITT relève par ailleurs des différences discrètes de moulurations à listel entre deux quart-de-rond amincis, légèrement dissemblables par rapport aux autres travées. Les baies ne sont en effet pas tout à fait identiques. Cette hypothèse pourrait toutefois être contredite par la Vie d’Étienne d’Obazine. Le second livre, rédigé avant 1180 d’après Michel AUBRUN, décrit une église parfaite, vraisemblablement achevée, ce qui irait à l’encontre d’un achèvement du chantier dans les années 1180-1200. Cette source hagiographique reste cependant à manier avec précautions1626. Par ailleurs, il semblerait que le chevet, le transept et les deux travées orientales de la nef correspondent à une même phase de construction, ainsi que la sacristie. Nous avons toutefois constaté un léger décalage dans les assises juste avant la salle capitulaire marquant vraisemblablement une pause dans le chantier de construction. Jacques BOUSQUET se penche en particulier sur la crédibilité de ces dates de consécration. Celles-ci interviennent souvent avant la fin du chantier de construction. Le 1624 B. BARRIÈRE, « Les cisterciens d’Obazine en Bas-Limousin (Corrèze, France) : les transformations du milieu naturel », dans L. PRESSOUYRE, P. BENOÎT (dir.), L’hydraulique monastique…, op. cit., p. 13-33. 1625 G. CANTIÉ, É. SPARHUBERT, op. cit. 1626 C. ANDRAULT-SCHMITT, Les nefs des églises romanes…, op. cit., T I, 1982, p. 162. - 517 - terme même de construction régulièrement employé dans les actes de donation prête également à confusion : on a pu parler de construction par le simple fait de développer et d’enrichir les bases matérielles d’une œuvre par des donations. La cérémonie de consécration est essentiellement symbolique et centrée sur l’autel. Elle marque le retour à un esprit neuf et purifié en faisant table rase des « errements antérieurs ». L’achèvement du chantier de construction n’est pas une condition nécessaire à la célébration de l’autel, d’où notre méfiance par rapport à cette datation pourtant fréquemment admise de 11761627. L’abbatiale est orientée suivant un axe nord/ nord-est, décalage certainement dû à une importante longueur du bâtiment d’origine et à la topographie du terrain [Fig. 476]. Les fondations de l’abbatiale sont de moellons de gneiss grossièrement équarris extraits directement du site monastique. Des sondages au niveau du mur nord de la nef ont permis de mieux en connaître les assises de fondation. L’édifice repose sur le substrat rocheux débarrassé des éclats issus de l’altération qui affecte normalement en surface cette zone. Le gneiss est dur, les moellons de taille moyenne et de découpe irrégulière. L’élévation des fondations est de 3 à 4 rangées d’assises de 90cm à 1m avec des petites pierres de calage. Il existe également des massifs de renforts pour les contreforts peut-être datés des réfections d’Anatole de BAUDOT au XIXème siècle1628. Par ailleurs, il semblerait que ces restaurations aient peu concerné l’élévation des travées de la nef. Les parements sont de pierres de grès gris-ocre taillées provenant d’une carrière peu éloignée, située à deux kilomètres au sud, vers Lanteuil (toponyme « la Peyrière »)1629. Les coûts de transport devaient donc être limités, le gneiss étant extrait sur place, le grès à proximité immédiate du chantier de construction. Les parements sont de moyen appareil régulier de qualité, à joints vifs enserrant un blocage dur à mortier riche. La couverture originelle était probablement de lauzes de schiste, remplacées aujourd’hui par de l’ardoise. Il semblerait que les bâtisseurs aient édifié l’abbatiale d’est en ouest en commençant par le chœur, le transept et ses chapelles ayant fait l’objet de la consécration de 1176. Le chœur est une abside à cinq pans [Fig. 482]. Elle est voûtée d’un cul-de-four à trois pans et percée de trois baies en plein-cintre largement ébrasées et soulignées d’un tore. À l’extérieur, 1627 J. BOUSQUET, « La dédicace ou consécration des églises et ses rapports avec leur construction. L’exemple d’Oliba », CSMC, 3, 1972, p. 51-71. 1628 B. BARRIÈRE, Monastère cistercien d’hommes d’Aubazine (Corrèze). Rapport des campagnes de sondages de juillet 1977, de sauvetage de septembre-octobre 1977, Université de Limoges, 1977, p. 24. A. de BAUDOT, restaurations de l’abbatiale, Paris, Médiathèque de l’Architecture et du Patrimoine, dossier 0081/019/0003. 1629 Le toponyme « La Peyrière » au nord-ouest de Lanteuil et à deux kilomètres environ au sud d’Obazine sur la N 121 est sans doute un témoin de cette ancienne exploitation monastique. - 518 - ces baies sont soulignées d’un cordon simplement mouluré [Fig. 498]. La corniche est soutenue par des corbeaux nus et n’acceptant aucun ornement. Cette abside est surmontée par le pignon correspondant à la travée droite du chœur. Il est percé par un triplet de baies allongées et étroites [Fig. 486]. La baie centrale est plus haute que les deux autres et évoque ainsi des formules comme celle du chevet du Palais-Notre-Dame bien daté des premières années du XIIIème siècle [Fig. 307]. Cet élément pourrait aller dans le sens d’une datation plus tardive que celle supposée par la simple date de consécration. En 1176, les parties hautes du chœur et du transept n’étaient peut-être pas achevées ? Les boiseries du chœur sont datées de 1720 et correspondent à des aménagements modernes. Cette abside principale est encadrée par six chapelles à chevet plat [Fig. 493]. Chacune d’elle présente des piscines liturgiques à un évier simple ainsi que des autels de pierres. Les piédroits des arcs à l’entrée de chaque chapelle des bras sud et nord du transept sont ornés d’amortissements en volutes ou en feuillages [Fig. 490]. La base des tailloirs présente également le même type de petites sculptures délicates sur lesquelles demeurent des vestiges de peinture ocre. Au bras nord, les tailloirs épais soutenant les arcs en plein-cintre se composent de trois tores superposés [Fig. 487]. Pour le bras sud, le même système est reproduit sauf pour la chapelle la plus au sud qui présente un tailloir à deux tores superposés. La chapelle médiane du bras du transept sud est couverte de peintures modernes. L’extrados de l’arc en plein-cintre à l’entrée est orné de feuillages rouges. Les arcs ouvrant sur les chapelles de transept, aussi bien au nord qu’au sud, sont soulignés d’un cordon mouluré à deux tores superposés. Le transept est largement saillant [Fig. 484 et 485]. Les bras sont voûtés en berceau brisé souligné de doubleaux [Fig. 491]. Ceux-ci retombent sur des colonnes engagées surmontées de chapiteaux lisses et se terminant à mi hauteur par des culots tronconiques ornés de pétales s’étalant en corolles [Fig. 492]. Cette solution est également connue à Eberbach, Santes Creus, Alcobaça ou encore Pontigny. Ces culots n’ont pas de réelle valeur fonctionnelle puisqu’il n’y a pas de nécessité d’installer des stalles dans ces croisillons. Depuis le tailloir des chapiteaux part un cordon mouluré de deux tores superposés qui court le long des bras du transept. Le tombeau d’Étienne d’Obazine est déposé au niveau du bras sud du transept [Fig. 992]. Le pignon du bras nord est percé d’un oculus. Un escalier majestueux permettait l’entrée au dortoir. Il dispose d’une rampe torique de 13cm de diamètre. Deux portes encadrant deux petites fenêtres en bois donnaient accès à la sacristie. Ces ouvertures sont surmontées d’arcs en plein-cintre clavés. À l’extérieur, le bras du transept sud est scandé de contreforts à glacis sommital et disposant d’un soubassement plus large. Le contrefort le - 519 - plus à l’est du pignon du bras sud du transept est de 0.84m de large pour une saillie de 0.52m de profondeur. Le soubassement est de 1.29m de large pour 0.59m de saillie. Il s’agit d’un contrebutement massif destiné à compenser les poussées des voûtes. La croisée du transept est surmontée d’une coupole appareillée sur pendentifs soutenant le clocher [Fig. 488]. Elle s’appuie sur des piles cruciformes à colonnes engagées montant de fond. Ces colonnes sont surmontées de chapiteaux dont deux présentent des feuillages. Il s’agit des chapiteaux des deux colonnes à l’entrée du chœur. Quant aux bases des piles de la croisée, elles ne présentent pas toutes le même profil [Fig. 494]. Pour la pile du sud-est, le socle épais (37cm de haut) est surmonté d’une base au tore inférieur puissant (14cm de haut) souligné de légers arceaux. Le tore supérieur est plus discret mais bien renflé. La scotie est très peu prononcée. Au nord-est, la base présente exactement le même profil mais est dépourvue d’arceaux. Au nord-ouest, les bases des quatre colonnes engagées de la pile cruciforme présentent un tore inférieur avachi, sans griffe (13cm de haut). La scotie est peu prononcée, surmontée d’un tore discret de 7cm de haut, l’ensemble reposant sur un socle épais de 47cm de haut. Au sud-ouest, les bases de la pile cruciforme sont assez différentes. Elles reposent sur un socle de 41cm de haut. La scotie est cette fois beaucoup plus prononcée. Le tore inférieur n’est pas avachi (12cm de haut) mais bien renflé, tandis que le tore supérieur est discret (6cm de haut) et galbé. Le vaisseau central est voûté en berceau brisé à doubleaux [Fig. 482]. Les départs assisés des berceaux évoquent ceux de Bonlieu datés du premier tiers du XIIIème siècle. Les arcades reposent sur des piles carrées ornées de colonnes engagées 1630. Le berceau est percé au niveau de la deuxième travée de la nef, au nord et au sud, par une petite baie en plein-cintre ouvrant sur les combles des bas-côtés. Cette particularité se retrouve également au Dorat vers 1130, à Bénévent et La Souterraine. Concernant les piles des deux premières travées conservées de la nef, les colonnes engagées face à la nef se terminent par des culots à mihauteur. Ce sont des culots simples, sans ornement, de forme tronconique. Selon Claude ANDRAULT-SCHMITT, ce choix d’interrompre les colonnes de la nef à l’approche du sol est un « caractère cistercien », ainsi que l’alignement de six chapelles carrées sur un transept largement débordant. À l’inverse, d’autres caractères seraient proprement « limousins » comme les collatéraux étroits, la coupole sur pendentifs courbes à la croisée, la tour de croisée octogonale et l’abside principale de plan pentagonal. Toutefois, nous pouvons constater que la présence d’une abside à pans n’est pas inconnue du cadre cistercien (Léoncel) et ne se 1630 Abbé F. BROUSSE, Obazine religieux, archéologique, touristique, Tulle, 1953, p. 10. - 520 - cantonne pas au seul Limousin. Quant aux voûtes en coupoles sur pendentifs, l’usage n’est pas une prérogative « limousine » mais bien plus largement aquitaine1631. Les autres travées disposent de colonnes engagées reposant sur des bases se constituant d’un tore inférieur aplati sans griffe, d’une scotie peu prononcée et d’un tore supérieur peu renflé [Fig. 495]. Ce profil est assez éloigné de la base attique fréquente au XIIème siècle et se rapproche de formulations de la fin du XIIème siècle et du premier tiers du XIIIème siècle. Nous pouvons ainsi supposer que la construction de la nef s’est échelonnée jusque dans les années 1200. Ces colonnes engagées sont surmontées de chapiteaux lisses très similaires à ceux de Prébenoît ou de Bonlieu datés de la fin du XIIème siècle ou du premier tiers du XIIIème siècle [Fig. 489]. Les collatéraux sont quant à eux voûtés d’arêtes. Des doubleaux retombent sur des colonnes engagées elles aussi surmontées de chapiteaux lisses. Un deuxième rouleau correspond à la retombée sur la pile cruciforme. Les chapiteaux présentent de puissants tailloirs composés de deux tores superposés se prolongeant en cordon sur la pile cruciforme. Des colonnes sont engagées contre le mur gouttereau et reçoivent elles aussi les doubleaux. Elles sont surmontées de chapiteaux dont les tailloirs se prolongent en cordon sur une quinzaine de centimètres. Quant aux bases de colonnes des piles cruciformes, elles sont similaires à celles de la croisée du transept (orientées sud-ouest). La scotie en est en effet peu prononcée. Ce n’est toutefois pas le cas pour les piliers cruciformes de la première travée. Le tore inférieur est avachi, la scotie est quasiment inexistante comme nous l’avions constaté pour certaines bases de la croisée du transept (orientées nord-ouest). Pour le collatéral nord, seule la pile cruciforme médiane est munie de bases non avachies à la scotie prononcée. Ces bas-côtés sont percés de baies largement ébrasées en plein-cintre. De l’extérieur, nous pouvons constater que le mur gouttereau sud dispose à mi hauteur de corbeaux vraisemblablement liés à la charpente d’une ancienne galerie couverte [Fig. 483 et 496]. Ils sont placés à 4.20m du sol actuel. Il est toutefois délicat d’en connaître la fonction exacte. Stéphane LÉVEQUE, lors de ses sondages en 2006, a établi la présence d’une galerie le long du mur méridional de l’église (fondation du mur servant de soutènement à cette galerie), ce qui permet de justifier la présence de ces corbeaux le long du gouttereau sud [Fig. 500 et 501]1632. La fondation de ce mur est très arasée. Elle est conservée sur deux ou trois assises. L’assise inférieure est liée par de l’argile orangée provenant du substrat tandis que les 1631 C. ANDRAULT-SCHMITT, Les nefs des églises romanes…, op. cit., T I, p. 162. S. LEVEQUE, « Aubazine, Place de l’église », Bilan scientifique, DRAC/SRA Limousin, 2006, p. 10. S. LEVEQUE, Aubazine, place de l’église. Rapport de diagnostic, DRAC/SRA Limousin, INRAP GSO, mai 2006, p. 18, non publié. 1632 - 521 - assises supérieures sont liées d’un mortier de chaux. Cette galerie placée à 3.20m du mur de l’église, parfaitement parallèle à celui-ci, ne longeait pas toute l’église puisque d’autres sondages au niveau du mur gouttereau sud de la nef n’ont pas permis d’en établir la continuité. Il pourrait s’agir d’un mur bahut formant ainsi une galerie simplement couverte ou d’un mur plein formant une galerie fermée sur ses côtés. Ce mur gouttereau sud est scandé de contreforts munis de glacis sommital et larmier de 1.10m de large et de 0.84m de saillie. La dernière travée du bas-côté nord est percée d’une ouverture sur le cloître. L’ouverture en est légèrement brisée. Le nombre de travées de la nef a posé beaucoup de questions et soulevé quelques polémiques auprès des chercheurs et érudits. Il n’en reste que trois aujourd’hui [Fig. 481]. En 1757, sous l’abbatiat de Guillaume Mathurin de Sers, un certain nombre de travées est supprimé. Selon Marcel AUBERT, trois travées seulement ont été détruites. La nef originelle disposait donc de six travées. Cet avis semble partagé dans l’ouvrage L’Art cistercien des éditions Zodiaque. Toutefois, pour le chanoine POULBRIÈRE, se sont bien six travées qui auraient été détruites. L’abbatiale en avait donc neuf au total, ce qui reste assez impressionnant dans un cadre cistercien, d’autant plus dans le diocèse de Limoges où la majorité des abbatiales restent de dimensions modestes (Prébenoît, Aubepierres, Bonlieu). Le chanoine se base ici sur une tradition orale. Des sondages sont alors pratiqués par J. DE RIBIER et R. LAJUGIE dans les années 1970 pour vérifier ou infirmer cette hypothèse. Il s’avère que l’abbatiale disposait bel et bien de neuf travées d’après les murs de fondation mis au jour. Comme chaque travée mesurait 6.50m (sauf la dernière travée conservée de 6m, amputée du fait de l’érection de la nouvelle façade occidentale), l’abbatiale s’étendait sur 80.5m au total1633. De nouveaux sondages ont été réalisés en 2006 sous la direction de Stéphane LÉVEQUE sur la place de l’église [Fig. 499]. Cette opération entre dans le cadre d’un projet d’aménagement de la place par la municipalité. Les sondages ont ainsi permis de vérifier la conservation des fondations de la partie occidentale détruite au XVIIIème siècle. Le mur gouttereau sud-est et le mur de façade occidental ont été positionnés avec précision. Le mur de fondation du mur gouttereau sud est de 1.70m de large. Les pierres de fondation ne sont pas taillées mais simplement équarries et emploient le granite de Palazinges. Les parements enserrent un blocage désorganisé, noyé dans un mortier très sablonneux avec 1633 J. DE RIBIER, R. LAJUGIE, « Sur les travées de l’église d’Obazine », BSLSAC, T 74, 1970, p. 215-219. - 522 - parfois la présence d’un mortier de chaux compact1634. Le dallage médiéval est partiellement conservé le long du mur du collatéral. Il se constitue de dalles très inégales en granite de Palazinges, épaisses de 6 à 8cm1635. Ainsi, la longueur de l’église avant destruction était de 79.60m pour une largeur de 20.80m. L’abbatiale d’Obazine dispose donc d’une des plus longue nef de la région. Selon Éric SPARHUBERT, le rythme serré des travées la distingue des espaces aux volumes unifiés, aux bas-côtés étroits ouverts sur la nef comme à Uzerche, Saint-Junien, Le Dorat ou encore Lesterps1636. Ce rythme des travées pourrait correspondre à des « préoccupations cisterciennes » : les travées orientales sont intégrées au chœur liturgique, celles des bas-côtés sont utilisées comme oratoires. Comment justifier toutefois une si longue nef ? Le nombre de moines et de convers justifiait-il une telle ampleur ? Le chœur des moines ne concerne en effet que les dernières travées de la nef, près de la croisée. Quant aux laïcs, leur présence n’est que très occasionnelle, voire proscrite. Pour Claude ANDRAULT-SCHMITT, cette longueur « ne tient pas exclusivement à des considérations utilitaires ou fonctionnelles » mais pourrait correspondre à une volonté plus « spirituelle » en cohérence avec l’importance particulière d’une abbaye chef d’ordre, à la tête d’une communauté nombreuse portée par une figure charismatique1637. Le clocher d’Obazine est connu pour son passage du plan carré au plan octogonal par un système de gradins de pierre réalisant une figure géométrique dite « paraboloïde hyperbolique » [Fig. 497]. Le recours à des gradins a également été tenté à Beaulieu et SaintLéonard de Noblat, mais sans réel succès [Fig. 1046]1638. Cette tourelle octogonale surmontant la coupole de la croisée du transept prend appui sur une souche carrée. Chaque face de la tour est percée d’une baie en plein-cintre avec deux fenêtres géminées. Ces baies ont un profil en plein-cintre et reposent sur une colonnette centrale surmontée d’un chapiteau lisse. Le clocher dispose d’une corniche s’appuyant sur de simples corbeaux n’acceptant aucun ornement. Cette tour de croisée ne dispense pas d’éclairage direct. En effet, les fenêtres donnent sur les reins de la coupole. Ce mariage entre l’octogone et le carré se retrouve également à la cathédrale de Tulle. Le raccordement du clocher avec la souche porteuse s’effectue par ces fameux « redans de 1634 S. LEVEQUE, Aubazine, place de l’église…, op. cit., p. 20. S. LEVEQUE, « Aubazine, Place de l’église », Bilan scientifique, DRAC/SRA Limousin, 2006, p. 10. S. LEVEQUE, Aubazine, place de l’église. Rapport de diagnostic, DRAC/SRA Limousin, INRAP GSO, mai 2006, 28p., non publié. 1636 G. CANTIÉ, É. SPARHUBERT, op. cit.. 1637 C. ANDRAULT-SCHMITT, Les nefs des églises romanes…, op. cit., T I, p. 220. 1638 B. BARRIÈRE, Aubazine en Bas-Limousin, Association Histoire et Archéologie au pays d’Obazine, Limoges, 1991, p. 12. 1635 - 523 - pierre », parfois appelés « triangles dallés à ressauts ». Comme Anatole de BAUDOT a restauré cette partie dans les années 1875, beaucoup lui attribue l’invention de ce glacis. Toutefois, des photos anciennes prouvent qu’il l’aurait simplement réparé à l’identique, sans modification. Le glacis était auparavant recouvert par une couverture en mauvais état supprimée par l’architecte1639. Nous savons qu’au milieu du XVIIIème siècle, l’église est amputée de la partie ouest de la nef : ne demeurent dès lors que trois travées sur les neuf initiales1640. - Cloître : L’emplacement du site d’Obazine étant en pente (orientée est-ouest), des travaux de remblaiement se sont employés à créer une plate-forme pour asseoir le cloître. Les remblais sont plus importants en allant vers l’ouest et vers le nord. Ainsi, à l’angle nord-est du cloître, une dénivellation de 2m de haut a dû être rattrapée tandis qu’au nord-ouest elle atteint 3.40m1641. Le cloître est un carré de 43m de côté. Les galeries en étaient charpentées comme le prouvent les vestiges de corbeaux observables le long du mur gouttereau nord de l’église, du bâtiment est et de l’extrémité ouest du bâtiment conventuel nord (cuisine). Les trous d’encastrement des poutres de la charpente du cloître sont de même encore visibles. Le faîte du toit atteignait 6.70m. Il est surmonté d’un larmier chanfreiné protégeant les murs des infiltrations d’eau. Il était probablement couvert de lauzes comme en témoignent les nombreux éléments mis au jour lors des diverses campagnes de fouilles archéologiques. La largeur intérieure des galeries était de 3.70m et de 4m de hauteur. Ces galeries étaient pavées de tomettes carrées. Ces carreaux de céramique mesuraient 12 à 13 cm de côté. Ils étaient séparés par des interstices d’1cm environ. Ils reposaient sur une couche de mortier jaunâtre et léger de 4cm d’épaisseur1642. La galerie sud prend appui sur le mur gouttereau de l’église [Fig. 506]. La « porte de jour » au profil légèrement brisé assurait le passage entre le cloître et l’abbatiale. Cette galerie disposait de carreaux décorés rouges à incrustations de dessins blancs jaunâtres [Fig. 529]. Des sépultures du XIIIème siècle, bâties ou en fosses, ont été découvertes sous le pavement de cette galerie1643. 1639 J. DE RIBIER, R. LAJUGIE, « Le clocher d’Obazine », BSLSAC, T 75, 1971, p. 77-82. B. BARRIÈRE, Aubazine en Bas-Limousin…, op. cit, p. 7. 1641 B. BARRIÈRE, « Les cloîtres des monastères d’Obazine et de Coyroux en Bas-Limousin », Mélanges à la mémoire du père A. DIMIER, Pupillin, tome III, 1982, p. 177-193. 1642 B. BARRIÈRE, Monastère cistercien d’hommes d’Aubazine (Corrèze)…, op.cit,, p. 36. 1643 B. BARRIÈRE, « Les cloîtres des monastères d’Obazine…, op. cit. 1640 - 524 - La galerie ouest ne s’appuie sur aucun bâtiment mais court le long d’un puissant mur nu servant également de soutènement à la plate-forme du cloître. De l’autre côté s’étendait la cour des convers, puis le bâtiment des convers. Au centre du cloître actuel est conservé le lavabo médiéval [Fig. 523]. Il s’agit d’une vasque de grès de 2.40m de diamètre. Elle dispose de vingt orifices permettant l’écoulement des eaux dans une seconde vasque aujourd’hui disparue. De simples moulures horizontales ornent le pourtour de la vasque. D’après la Vita, cette vasque semble correspondre à celle du premier monastère (vers 1140). « Étienne fit également bâtir un cloître et, tout autour, des habitations régulières. Au centre, il fit faire une élégante fontaine. On amena, pour cela, une pierre d’un poids énorme, que trente paires de bœufs avaient peine à mouvoir (…) »1644. Des piliers de section carrée cantonnés de quatre colonnettes aux angles ont été retrouvés et devaient appartenir au cloître. Ils présentent des similitudes avec ceux des salles capitulaires de Sénanque et de Fontenay. Le mur du transept garde le vestige de l’armarium où les moines rangeaient les livres [Fig. 507]1645. Il s’agit de deux cavités rectangulaires surmontées d’arcs en plein-cintre. Selon Jean-Jérôme de RIBIER, le cloître primitif est ruiné (il ne précise toutefois pas à quelle époque) et reconstruit au XVIème siècle 1646. Le cloître est encore conservé lors de l’état des lieux de 16721647. - Bâtiments conventuels : • Bâtiment est : À l’est, le bâtiment des moines a été fortement remanié dès la fin du XVIIème siècle et au XVIIIème siècle [Fig. 503]. En effet, le bâtiment originel ne disposait que d’un étage. Un second étage ainsi que des combles sont ajoutés tardivement. Cette surélévation est en lien avec la transformation d’Obazine en noviciat pour les abbayes cisterciennes d’Aquitaine. Le dortoir primitif est alors arasé. Les baies du dortoir des moines sont modifiées et agrandies par 1644 M. AUBRUN, Vie de saint Étienne d’Obazine…, op. cit., I, 29 ; B. BARRIÈRE (dir.), Moines en Limousin…, op. cit., p. 69. 1645 B. BARRIÈRE, Aubazine en Bas-Limousin…, op.cit, p. 13. 1646 J-J De RIBIER, « L’abbaye d’Obazine en Bas-Limousin… », op. cit. 1647 B. BARRIÈRE, “L’abbaye d’Obazine. Les enseignements d’un état des lieux…, op. cit., p. 53-70. - 525 - rapports aux réalités médiévales [Fig. 513]. Le bâtiment à l’angle nord-est est également tardivement remanié comme en témoigne la mise en œuvre différente en petit appareil irrégulier employant le grès rouge local et non plus le gneiss blond caractéristique de la mise en œuvre médiévale. Il s’agit du Château de l’Abbé édifié au XVème siècle [Fig. 522]. De plan quadrangulaire (20m de long, 15m de haut), il est placé perpendiculairement à l’aile est. La médiocrité de la mise en œuvre a conduit à son écroulement partiel sur l’extrémité du bâtiment est, amputé de 15 mètres environ. En progressant du sud vers le nord, nous trouvons la sacristie, bâtie comme une petite chapelle dotée d’une abside à trois pans faisant saillie dans le mur oriental de ce bâtiment est. Ce type de sacristie, servant parfois de chapelle, placée contre un bras du transept et visible de l’extérieur uniquement par la saillie de l’abside est fréquent dans un cadre cistercien (Cadouin, Noirlac), et s’observe également à l’église du Chalard au milieu du XIIème siècle1648. La sacristie est voûtée en berceau brisé. Elle est ornée de décors peints à faux joints dont le liseré rouge est assorti d’un bandeau aux motifs d’entrelacs. Ensuite, la bibliothèque s’ouvre sur la galerie du cloître par une porte et une baie en plein-cintre. Une rupture verticale est visible dans la mise en œuvre juste avant la salle capitulaire. Des rattrapages d’assises sont effectivement bien visibles et pourraient correspondre à un arrêt temporaire du chantier ou à un changement d’équipe d’ouvriers. Une seconde rupture similaire est observable à cinq ou six mètres de l’angle nord-est, au niveau de la porte menant au dortoir des moines. La salle capitulaire est entièrement bâtie en moyen appareil régulier [Fig. 508]. Elle est ouverte sur la galerie du cloître par quatre baies encadrant une porte au profil très légèrement brisé [Fig. 514]. La porte est soulignée par une archivolte se prolongeant en cordon jusqu’aux premières baies latérales. Les arcades des baies reposent sur des colonnettes surmontées de chapiteaux lisses et dotées de bases au tore inférieur légèrement avachi. L’embrasure des baies est dotée de deux colonnettes adossées elles aussi surmontées de simples chapiteaux lisses. La salle capitulaire est orientée. Elle dispose de six travées voûtées d’arêtes. Ce type de voûtement peut étonner alors même que les ogives sont souvent requises dans les salles capitulaires contemporaines (Noirlac, Sénanque, Fontfroide) 1649. Les arêtes retombent sur deux colonnes cylindriques [Fig. 509]. Ces colonnes de 1.90m de hauteur sont monolithiques. Elles sont coiffées de corbeilles lisses évasées surmontées de puissants tailloirs [Fig. 510]. 1648 X. LHERMITE, « Le prieuré du Chalard. Étude architecturale », BSAHL, T 131, 2003, p. 37-71. G. CANTIÉ, É. SPARHUBERT, « Obazine, abbaye » dans Monuments de Corrèze, Congrès Archéologique de France, Société Française d’Archéologie, 163ème session, 2005, Paris, 2007, p. 251-270. 1649 - 526 - Ceux-ci recueillent les tas-de-charge sur lesquels se rejoignent les arêtes des voûtes. Les bases ont un tore inférieur avachi mais sans griffes. La scotie est peu prononcée. Un des trois côtés de la salle présente trois étages de bancs. Le mur est est percé de trois baies en plein-cintre largement ébrasées, témoignant de la relative épaisseur des murs. Cette salle capitulaire est vraisemblablement achevée avant 11791650. Elle sert actuellement de chapelle à la communauté. Nous remarquons ensuite un passage voûté en berceau faisant communiquer le cloître avec certaines dépendances. La voûte présente encore des traces de cintrage. Ce passage est dévolu aux frères lors des travaux à l’extérieur du cloître [Fig. 511 et 512]. Une autre porte précédée d’un emmarchement correspond à un escalier reliant le cloître au dortoir des moines. Il s’agit d’une porte au profil légèrement en plein-cintre et dont les claveaux longs correspondraient à une datation postérieure aux percements de la salle capitulaire notamment (XIIIème siècle). Ensuite, une autre porte au profil brisé, soulignée d’un simple tore et aux claveaux longs et larges (comme dans l’ensemble des percements des bâtiments conventuels, attestant d’une certaine homogénéité de la mise en œuvre) ouvre sur la salle de travail des moines, le scriptorium, également voûté d’arêtes, à la manière de la salle capitulaire. Cette salle se compose de deux vaisseaux de trois travées séparés par deux piliers carrés maçonnés. L’étude des parements est de ce bâtiment oriental du cloître permet un certain nombre de remarques. La porte de la galerie reliant le cloître à l’extérieur est dotée d’un profil brisé et dispose de claveaux longs et larges. Le premier sommier montre un rattrapage avec les parements de la salle capitulaire, attestant de l’antériorité de celle-ci sur l’extrémité nord du bâtiment, sans doute achevée dans la première moitié du XIIIème siècle. Par comparaison, les trois baies en plein-cintre de la salle capitulaire ont des claveaux plus courts, tandis que les baies des étages supérieurs, quadrangulaires et larges, datent des XVIIème et XVIIIème siècles. L’état des lieux de 1672 évoque un « ancien noviciat » à l’extrémité nord de ce corps de bâtiment, entièrement inconnu de nos jours. Il a sans doute disparu lors d’une démolition systématique en 1780. Le bâtiment amputé reçoit le mur pignon qui ferme aujourd’hui la salle des moines au nord1651. 1650 J-J De RIBIER, « L’abbaye d’Obazine en Bas-Limousin. Étude historique et archéologique », Thèse soutenue pour obtenir le diplôme d’archiviste-paléographe (positions), Paris, 1927. 1651 AD Corrèze, E 758, pièce 107 ; B. BARRIÈRE, “L’abbaye d’Obazine. Les enseignements d’un état des lieux de 1672 », BSLSAC, T 79, 1976, p. 53-70. - 527 - L’étage est occupé par le dortoir. Il se composait à l’origine d’une vaste salle recouverte de terre battue. Une porte au profil brisé soulignée d’un tore discret mène à l’escalier monumental le reliant à l’église. À gauche de cette porte, un petit escalier conduit à une pièce exiguë dévolue au veilleur. À la fin du Moyen-Âge, ce sont des cellules qui succèdent au dortoir. Au XVIIème siècle, des appartements riches en boiseries remplacent le vaste dortoir nu et dépouillé de l’époque médiévale. Un nouveau dallage est mis en place avec de petits galets de la Corrèze formant des dessins telle la Croix de Malte [Fig. 513]. D’une manière générale cette aile est montre une certaine homogénéité avec le traitement architectural de l’abbatiale et a sans doute été édifiée pour bonne part de manière concomitante (en particulier les parements jusqu’à la salle capitulaire). • Bâtiment nord : Le bâtiment nord regroupe le chauffoir (appelé « archives » lors de l’état des lieux de 1672), la cuisine et le réfectoire, ensemble presque entièrement démoli aujourd’hui [Fig. 504 et 521]. Il connaît une période de remaniements modernes en même temps que l’aile est, notamment par la création d’un nouveau bâtiment des hôtes. Un imposant bâtiment quadrangulaire conservé à l’angle nord-ouest est couvert d’un dôme. Il est daté du XVIIIème siècle et bâti en petit appareil irrégulier. Seuls les piédroits des baies et les harpages sont de moyen appareil régulier. La pierre utilisée est le grès rouge local. Il abrite une cage d’escalier desservant les anciens étages [Fig. 505]. Le parement nord est particulièrement intéressant. Son élévation massive est renforcée par d’épais contreforts saillants. L’ensemble est installé sur un réseau de caves. Quant au réfectoire, il est presque entièrement détruit aujourd’hui [Fig. 517 et 519]. Il occupe à l’origine l’essentiel de l’aile nord par ces dimensions imposantes : 26m de long pour 8.50m de large et 16m de haut. Il se compose de quatre travées voûtées d’ogives [Fig. 515 et 516]. Demeure la porte ouvrant sur la galerie nord du cloître au profil brisé et aux tores nichés dans les ébrasements reposant sur de petites bases attiques. Les départs d’ogives et les formerets montrent un profil en amande dégagé de deux cavets attestant d’une datation des dernières décennies du XIIème siècle (après 1180), voire du premier tiers du XIIIème siècle, comme l’attestent les exemples contemporains de Trois-Fontaines ou de Preuilly 1652. Les voûtes étaient de plan carré, assez plates, formées d’un blocage massif, de voûtains lourds, d’ogives non pénétrantes reposant sur des culots feuillagés. Le pignon ouest est percé d’un armarium constitué de deux placards. Il devait accueillir les ouvrages destinés à la lecture lors 1652 G. CANTIÉ, É. SPARHUBERT, « Obazine, abbaye », op. cit., p. 251-270. - 528 - des repas. La porte conduisant aux cuisines est très remaniée et présentait un profil en pleincintre. Le réfectoire devait être scandé de puissants contreforts dont ne demeure aujourd’hui que celui de l’angle nord-ouest encore doté de son glacis sommital. La cuisine se compose de deux vastes travées carrées voûtées d’arêtes soulignées de doubleaux. Elle mesure 15m de long pour 8.50m de large. Nous pénétrons par une porte percée au XVème siècle surmontée d’un arc en accolade reposant sur de petites têtes sculptées. Une cheminée lui est adjointe au XVIIIème siècle [Fig. 518 et 520]. • Bâtiment ouest : Le bâtiment ouest correspond au bâtiment des convers, vraisemblablement mis en œuvre dans la dernière phase d’édification du monastère. Il n’est pas évoqué dans l’état des lieux de 1672 et a dû être progressivement abandonné suite à la diminution du nombre de convers. Il abritait un réfectoire, un dortoir, des caves, des celliers, greniers et écuries. Il s’agissait d’une puissante bâtisse de 18m de large dont l’ampleur nord/sud n’a pas pu être déterminée. Il se situe à trois mètres en contrebas de l’espace monastique et a nécessité un second terrassement. Le mur gouttereau ouest servait de mur d’enceinte à l’enclos monastique. Ce bâtiment était divisé en deux parties inégales par un mur de refend. Il est entièrement détruit aujourd’hui1653. Il communiquait avec un grand vivier à poissons maçonné et un ensemble de trois moulins dont l’un fonctionnait encore il y a 60 ans [Fig. 531 et 533]1654. Le secteur ouest des convers a fait l’objet d’une investigation archéologique en juillet 1977 par Bernadette BARRIÈRE et son équipe de l’Université de Limoges1655. Un sondage atteste l’existence d’une ruelle des convers de 12.5m de large dont l’extrémité sud butait sur les deux dernières travées ouest de la nef de l’église, détruites depuis 1757. Le report du bâtiment des convers à l’ouest de la ruelle est ainsi délimité, au niveau de l’actuel jardinterrasse. - Mobilier liturgique : • Le tombeau d’Étienne d’Obazine : Ce tombeau est l’une des plus précieuses réalisations détenues par les moines cisterciens d’Obazine [Fig. 992]. Il est classé au titre d’immeuble en 1840. Il est réalisé en calcaire oolithique dans la seconde moitié du XIIIème siècle. Étienne étant mort en 1159 1653 B. BARRIÈRE, « Les cloîtres d’Obazine et Coyroux, en Corrèze », TAL, T 1, 1981, p. 83-89. B. BARRIÈRE, Aubazine en Bas-Limousin…, op.cit, p. 18. 1655 B. BARRIÈRE, Monastère cistercien d’hommes d’Aubazine (Corrèze). Rapport des campagnes de sondages de juillet 1977, de sauvetage de septembre-octobre 1977, Université de Limoges, 1977. 1654 - 529 - avant l’achèvement de la construction de l’église, son tombeau est tout d’abord placé dans la salle capitulaire avant d’être déplacé dans le croisillon sud de l’église. Le monument funéraire dressé à la fin du XIIIème siècle prend l’aspect d’une châsse reliquaire ajourée. Un gisant d’1.85m, sans doute un peu plus grand que nature est placé sur un socle mouluré. Étienne est revêtu des ornements sacerdotaux, couché dans l’attitude du sommeil1656. L’ensemble mesure 2.30m de long, 1.25m de large et 1.70m de haut. Une sobre arcature décore le pourtour du tombeau. Les écoinçons sont ornés d’un décor végétal. Le gisant est abrité par un toit en bâtière dont les versants mesurent 1.90m de long par 0.80m de large. Ces versants sont compartimentés par des arcs trilobés qui rythment la composition. Des personnages sont sculptés en haut-relief. Il s’agit de cortèges de moines et de moniales, d’abbés, d’anges sous le regard bienveillant de la Vierge Marie et du Christ. Les deux pignons portent une décoration végétale. D’après le décor architectural, végétal et la physionomie des personnages, ce tombeau peut être daté des années 1250-1260. Plusieurs indices permettent d’étayer cette hypothèse : en effet, six abbés sont sculptés sur les versants du tombeau. Il s’agit vraisemblablement d’une représentation d’Obazine et de ses cinq filles. Toutefois, une sixième fille est fondée en 1260 : il s’agit de Notre-Dame La Nouvelle. Le tombeau est donc antérieur à cette fondation. Louis IX implante des sépultures familiales à Royaumont et Maubuisson entre 1228 et 1244 qui présentent de fortes similitudes avec le tombeau d’Étienne d’Obazine (notamment avec celui de Philippe d’Agobert). Celui-ci proviendrait-il d’ateliers parisiens ? Saint Louis étant très généreux avec l’ordre cistercien, nous pouvons aisément l’imaginer à l’origine de cette création1657. • Les vitraux : Le monastère masculin d’Obazine est l’un des seuls à conserver des vitraux in situ. Quatre panneaux ont fait l’objet de restaurations partielles [Fig. 530]. En effet, ils sont classés MH en 1842 et sont restaurés entre 1877 et 1884 par Anatole de Baudot. En 1842, Violet-LeDuc en retrouve de semblables à Pontigny. En 1850, l’abbé Texier, curé du Dorat, les avait présenté aux archéologues ainsi que ceux de Bonlieu1658. Nous pouvons supposer qu’ils ont été placés dans l’abbatiale peu avant l’inauguration de l’édifice en 1176. À cette date, l’autel est consacré comme l’atteste une inscription sur les voûtes de la chapelle ouvrant sur la sacristie : 1656 M. FAUCHER, « Tombeau de saint Étienne d’Obazine », BSLSAC, T 2, 1880, p. 179-186. B. BARRIÈRE, “Le tombeau de saint Étienne d’Obazine. Une œuvre française du XIIIème siècle », I. DULAC-ROORYCK (dir.), L’Art religieux en Bas-Limousin, Toulouse, 1997, p. 72-85. 1658 L. BONNAY, “Église d’Obazine. Vitraux du XIIème siècle”, BSSHAC, T 2, 1879, p. 199-211. 1657 - 530 - « Anno ab Incarnatione Domini MCLXXVI consecratum est hoc altare ». Trois panneaux sont placés dans le bas-côté nord, un au niveau du côté ouest du transept nord. Les quatre motifs représentés diffèrent : un décor de croix placées en diagonale, des entrelacs bordés de losanges, des palmettes similaires à celles du vitrail de l’abbaye de Bonlieu (toutefois, celles d’Obazine pointent toutes dans la même direction), ainsi que des cercles entrelacés [Fig. 167]1659. Des vitraux ont également été découverts à l’abbaye de Noirlac dans les années 1970, l’un appartenant au transept (vers 1180), l’autre à la nef ( ?) dont le décor de palmettes est très proche des vitraux d’Obazine et de Bonlieu1660. • L’armoire liturgique : L’abbaye conserve également une armoire liturgique en chêne datée de la fin du XIIème siècle [Fig. 527]. Elle mesure 2.30m de large, 2.25m de haut, et 0.84m de profondeur. Les montants et traverses de 10cm d’épais sont grossièrement travaillés et reliés à la base de la face par une plate-bande en fer. Deux vantaux sont retenus chacun par deux pentures de fer terminées par des fleur-de-lys. Les faces latérales sont ornées d’arcatures géminées. Des traces de peinture rouge sont encore perceptibles1661. • Le petit mobilier de culte : Une petite croix en vermeil fait partie des objets de culte précieux découverts à Obazine [Fig. 526]. Il s’agit d’une croix à double traverse comme on en rencontre fréquemment à Constantinople, dans l’Attique, en Morée et au Mont Athos. Elle mesure 320mm de haut, la traverse la plus grande 160mm et la seconde 100mm. Le métal en est très mince, en feuilles et cloué sur du bois recouvert d’une étoffe de couleur rougeâtre. La figure du Christ est placée au centre de la croix, à la rencontre des branches inférieures. Le Christ est cloué par les mains et les pieds. Les pieds sont attachés séparément, ce qui irait dans le sens d’une datation du XIIème siècle. En effet, dès le XIIIème siècle, les pieds sont superposés et fixés par un seul clou. La tête est inclinée à droite, nimbée, mais sans la couronne d’épines. Un petit médaillon est placé à la rencontre des branches supérieures. Était-il destiné à recevoir des reliques ? Les montants sont ornés d’émaux, taillés en cabochons ou en tablettes. Selon 1659 H. J. ZAKIN, French Cistercian Grisaille Glass, Garland, New-York/London, 1979, p. 19. J. HAYWARD, « Glazed Cloisters and their Development in the Houses of the Cistercian Order”, Gesta, vol. XII, 1973, p. 93-109. 1661 Abbé F. BROUSSE, Obazine religieux, archéologique, touristique, Tulle, 1953, p. 14-15. 1660 - 531 - Ernest RUPIN, cet objet aurait pu être ramené de Constantinople suite à la prise de 1204. Ne pourrait-il pas également s’agir d’une œuvre des ateliers de Limoges1662 ? Un pied de croix ou de reliquaire en cuivre doré et émaillé est aussi conservé à Obazine. C’est un petit objet de 31cm de haut. Il se compose d’un cône tronqué, légèrement aplati et terminé dans sa partie supérieure par un magnifique nœud ressemblant à un fruit. Le cône ayant à sa base 17cm de diamètre repose sur trois pieds. Il est divisé en trois sections égales par trois petits animaux étranges en cuivre doré et ciselé. Ceux-ci ressemblent à des caméléons. Leurs têtes sont armées de longues cornes. L’échine est figurée par des gouttelettes d’émail bleu turquoise. Les yeux sont recouverts d’un émail plus foncé. La queue est enroulée en volute et terminée par une tête de serpent. L’intervalle entre les animaux est occupé par des rinceaux réservés en taille d’épargne, se détachant par l’éclat de la dorure sur un fond d’émail de couleur bleu lapis. Le fruit qui surmonte le cône ressemble à une grenade enrichie de huit côtes nervées et séparées entre elles par un nombre similaire de sillons richement gravés. Il prend naissance au-dessus de la queue des animaux. À son extrémité s’épanouit une double rangée de feuilles d’où surgit une douille destinée à recevoir un objet. Il s’agit probablement d’une œuvre de Limoges du XIIIème siècle, assez similaire à une œuvre de Grandmont. En effet, un support à une statue d’Étienne de Muret reprend la même composition1663. Appartient également aux moines d’Obazine un reliquaire en cuivre doré et émaillé daté vraisemblablement du XIIIème siècle. Il s’agit d’un petit édifice rectangulaire reposant sur quatre pieds, surmonté d’une couverture à double versant incliné. Il mesure 22cm de long pour 8cm de large et 18cm de haut. Il se compose d’une âme en bois de chêne forte et épaisse. Cinq plaques de cuivre rouge, doré et émaillé y sont appliquées au moyen de petits clous à tête ronde. Il manque toutefois une plaque au niveau d’une façade. L’émail du fond est champlevé, de couleur bleu lapis. La façade principale et le toit sont ornés de huit statues en cuivre doré et repoussé en relief très saillant. Elles sont disposées en deux rangs, les unes au dessus des autres. Cinq d’entres elles tiennent un livre dans les plis de leurs manteaux. Le costume est riche, largement drapé, la tête appliquée sur un nimbe formé d’un émail vert liseré de jaune, tacheté de points rouges et inscrit dans un petit cercle de métal doré. Chacune des statues a une 1662 É. RUPIN, « Croix byzantine (fin XIIème siècle). Église d’Aubazine (Corrèze) », BSSHAC, T 1, 1879, p. 275-279. 1663 É. RUPIN, « Pied de croix ou de reliquaire en cuivre doré et émaillé, XIIIème siècle, église d’Aubazine (Corrèze) », BSSAHC, T 1, 1879, p. 147-150. - 532 - physionomie propre. La façade est divisée dans le sens de la longueur en deux parties égales par une large bande turquoise enrichie de petits losanges de différentes couleurs. L’autre façade est mutilée et probablement remaniée au XIVème siècle. Les pignons présentent deux saints personnages gravés au trait sur un fond de cuivre doré. Ils sont figurés pieds nus, nimbés, dans une mandorle bordée d’un filet doré qui se détache sur un fond bleu lapis. Il s’agit probablement d’apôtres. L’un d’eux semble être Jean avec ses cheveux longs et tenant un livre. Cette châsse évoque fortement celle de l’église de Malval. Créations monastique et paroissiale peuvent adopter les mêmes formules1664. • Les représentations de la Vierge : La Vierge fait l’objet d’une dévotion particulière chez les moines cisterciens et leurs églises sont quasi systématiquement dévolues à Marie. Elle est représentée plusieurs fois à Obazine. Nous connaissons une Vierge en pierre couronnée qui rappelle certaines Vierges du diocèse de Clermont. L’attitude est toutefois assouplie par rapport aux vierges romanes. Une Vierge à l’Oiseau en pierre présente encore une riche polychromie. C’est un thème rare en Limousin qui révèle un goût certain du détail. Elle évoque une sculpture conservée à Notre-Dame du Marturet à Riom (Puy-de-Dôme). Une peinture murale du milieu du XVème siècle représente une Piéta. Elle est accompagnée d’une inscription en langue vernaculaire, relativement rare. Il est dit : « L’an 1466 le dernier jour de mars fut exécutée cette histoire et la fit peindre le frère P. Chabanas ». Selon Jean VINATIER, ce peintre pourrait être un convers de la grange de Chabanes1665. - Le canal des Moines : Une capture sur le Coyroux est réalisée à 1.5 km du site monastique d’Obazine [Fig. 532]. L’eau est acheminée jusqu’en contrehaut du monastère par une canalisation aménagée à flanc de montagne. Cette canalisation est bâtie contre le versant, retenue par une digue maçonnée et talutée servant en outre de cheminement 1666. Ce canal est classé Monument Historique par arrêté du 12 avril 1965. La fonction de ce canal est avant tout l’alimentation des moulins. Trois édifices sont placés en cascade en aval du vivier et flanquent l’abbaye au nord. L’un est céréalier, un autre drapier. Un seul subsiste encore aujourd’hui. Il s’agit du 1664 É. RUPIN, « Reliquaire en cuivre doré et émaillé, XIIIème siècle, église d’Obazine (Corrèze) », BSAHSC, T 2, 1880, p. 461-469. 1665 J. VINATIER, « La piété mariale cistercienne à Obazine… », op. cit, p. 79-96. 1666 B. BARRIÈRE, Aubazine en Bas-Limousin…, op.cit, p. 28. - 533 - moulin du Barry-Bas, aujourd’hui propriété privée [Fig. 533]. Le canal permettait l’adduction en eau nécessaire à l’hygiène, l’élevage ou l’artisanat de l’abbaye. Il irriguait le terroir aux abords et en aval de l’abbaye. Deux retenues placées en verrou sur le haut bassin aquifère assuraient la régulation du cours d’eau : il s’agit de la retenue de Bordebrune, ouvrage puissant de 8m d’épaisseur pour 4m de haut et de la retenue des « Grenailles » à l’est de Rochesseux1667. Or, l’étude des cartes de Cassini a permis de révéler la présence de deux étangs à Bordebrune, l’Étang Grand et l’Étang Petit. De plus, une carte de département de la Corrèze de 1837 signale une troisième retenue d’eau, « Le Chastang », appartenant aux moines de Conques puis cédé aux moniales de Coyroux1668. Les sources manuscrites sont quasiment muettes sur cet aménagement. La Vita en particulier ne le signale pas. Seul l’aqueduc destiné aux besoins du monastère des femmes est mentionné. Le canal n’existait ainsi peut-être pas dans les aménagements originels du monastère1669. Un inventaire des actes concernant l’abbaye d’Obazine édité par la Société de Brive évoque toutefois cette installation hydraulique. En 1463 (n°432) il est fait état d’une « vigne aux appartenances du courtal de la Levade d’Obazine » et de la « levée qui conduit l’eau vers les moulins de l’abbaye ». C’est la première mention écrite du Canal des Moines. En 1465 (n°54), en 1470 (n°52) et en 1562 (n°414-415) est citée la « levée par laquelle l’eau va au moulin d’Obazine », « la levade », « la levée qui descend des étangs de Bordebrune au château d’Obazine »1670. Ces sources éparses ne permettent pas une datation du canal. L’étude de Pierrick STÉPHANT et de Bernard LEPRETRE nous permet une meilleure connaissance des modes de construction du canal. Ils définissent en particulier les différentes étapes de construction de l’œuvre1671. Tout d’abord, le sol est nivelé. Ensuite, les maçonneries de parement sont réalisées avec des blocs de dimensions hétérogènes sur 60cm d’épaisseur environ, avec un blocage de blocs et d’éclats de leptynite et de sable. Puis est réalisé le comblement de fond de la tranchée et du pavement formant le fond du canal. Les murs de rive du canal sont ensuite mis en place. Pour ce faire, des dalles de leptynite sont placées de chant (40-60cm de haut par 40 à 50cm de large pour une épaisseur de 15 à 25cm). Puis est effectuée la pose d’une à deux assises de blocs prolongeant l’élévation des parois en dalles de chant. 1667 P. STÉPHANT, B. LEPRETRE, Le « Canal des Moines » de l’abbaye d’Aubazine, vol. 1, Hadès, SRA Limousin, avril/juin 2004, p. 49. 1668 Je remercie ici Pierrick STÉPHANT pour avoir signalé l’existence de ces étangs lors du séminaire du 8 février 2008 à Toulouse, séminaire « Espaces monastiques » (coordination Nelly POUSTHOMIS- UTMTRACES- TERRAE) tenu le 8 février 2008 à l’université Toulouse Le Mirail, « L’hydraulique de l’abbaye d’Aubazine : état des lieux et perspectives de recherches ». 1669 La question est notamment posée lors de l’intervention de Pierrick STÉPHANT dans le séminaire « Espaces monastiques » tenu le 8 février 2008 à l’université Toulouse Le Mirail. 1670 P. STÉPHANT, B. LEPRETRE, Le « Canal des Moines »…, op.cit, p. 11. 1671 P. STÉPHANT, B. LEPRETRE, Le « Canal des Moines »…, op. cit, p. 30. - 534 - Concernant les parties basses et médianes du mur de soutènement, des éléments de fortes dimensions sont employés. Certains de ces murs peuvent être datés de la fin du XIIème au début du XIIIème siècle. Les blocs peuvent parfois être cyclopéens et atteindre 2m de long pour 50 à 60cm de haut. Ce sont des blocs de leptynite rose grossièrement débités. La maçonnerie est non talutée, parfois en encorbellement et épouse les irrégularités du rocher. L’appareil est hétérogène. Lorsque ce mur de soutènement atteint des hauteurs de 2 à 6m, nous pouvons observer une succession de 3 à 5 assises en grand appareil de blocs bruts (70cm à 1m) séparés par un bloc pénétrant de 80 à 120cm. Les éléments de blocage sont disposés soigneusement et probablement damés mais aucun soin particulier n’est apporté au conglomérat accompagnant ce blocage. Concernant les zones à faible ou moyenne pente du versant, le mur de soutènement se rapproche d’un empierrement de digue plus que d’un mur appareillé avec soin. Des réfections postérieures présentent un petit module, parfois très soigné, taluté et calé. Pour les murs de rive, l’appareil est alors assisé. Il ne s’agit plus de dalles posées de chant. La technique du « mur-barrage » surmonté par le canal est visiblement étanche sans le recours à un liant spécifique comme la chaux ou l’argile. Un équilibre d’étanchéité s’établit dans le rapport débit/absorption par l’intermédiaire des dalles en pavement et le remblai sableux. La hauteur des soutènements de la terrasse va jusqu’à huit mètres. Dans la zone de faible pente, les hauteurs vont de 2 à 3.50m. L’analyse des maçonneries a montré qu’il ne subsiste plus que 10.5% des murs de soutènement originels1672. Cinq sections peuvent être déterminées pour cette construction. La première correspond à 1430m d’un tracé sinueux ancré sur la falaise et la pente de la vallée (dont 7% seulement des maçonneries peuvent être identifiées comme médiévales), puis 250m d’une chute avec un tracé plus ou moins rectiligne, 75m d’un parcours du canal dans l’enceinte monastique jusqu’au vivier, 110m d’une succession de chutes permettant l’alimentation des différents moulins, enfin 1200m où le canal rejoint le lit de la Corrèze1673. À ce canal principal s’ajoutent 54 canaux secondaires, greffés à lui et permettant d’irriguer les terres en amont de l’abbaye et jusqu’au débouché de la Corrèze. - Les granges, moulins et viviers : Un vivier est directement présent dans l’enclos monastique. Il mesure 33m sur 14.30m 1672 1673 P. STÉPHANT, B. LEPRETRE, Le « Canal des Moines »…, op.cit, p. 4. P. STÉPHANT, B. LEPRETRE, Le « Canal des Moines »…, op.cit, p.22. - 535 - pour 3m de profondeur [Fig. 531]. À l’angle nord-ouest de ce vivier, l’eau canalisée est jalonnée de deux moulins : un céréalier et un drapier pour lequel des vestiges sont encore observables. Un troisième moulin est repérable grâce au cadastre du XIXème siècle1674. • Grange des Alys : Cette grange est particulièrement bien connue grâce à l’étude de Jean ROCACHER qui en livre une description complète et détaillée [Fig. 546 et 547] 1675. La construction principale dispose d’un corps de bâtiment de 27.40m par 9.50m orienté nord/sud, prolongé à l’ouest par deux ailes. Une maison rectangulaire de 9.60m par 8.40m est bâtie en moyen appareil. Elle se compose de deux salles voûtées superposées. La salle supérieure est munie d’une large cheminée au nord ainsi que d’une fenêtre ébrasée dont les montants chanfreinés sont décorés de nervures prismatiques épanouies en fleurons [Fig. 548 et 549]. Une grosse tour de petit appareil irrégulier est accolée à la face orientale de cette maison [Fig. 550]. Elle mesure 16.50m de haut pour 6.50m de diamètre. Elle dispose de trois salles voûtées superposées. Le rez-de-chaussée est voûté d’arêtes. Le blocage en est relativement grossier, noyé dans un épais mortier. Le premier étage est voûté en plein-cintre, le second de voûtes d’arêtes dont les angles descendent jusqu’au bas des murs. Le troisième étage est une salle de 6 par 5m pavée de briquettes. Selon Jean ROCACHER, ces vestiges pourraient correspondre à un « bureau de contrôle » des granges du groupe Quercy/Rocamadour édifié au début du XIIIème siècle. • Grange de Baudran : L’ancienne grange de Baudran est située à quelques kilomètres au sud-ouest de Nespouls [Fig. 551]. Le nom en est conservé dans la toponymie actuelle et un hameau s’est installé sur les anciennes terres des moines1676. Certaines maisons d’habitation actuelles présentent des pierres de taille pouvant provenir d’anciens bâtiments médiévaux. L’une d’elle est dotée d’une fenêtre en accolade [Fig. 552]. À l’entrée du hameau, une petite maison à volume quadrangulaire est terminée par une abside. Il pourrait s’agir d’une ancienne chapelle. • Grange de Bonnecoste : 1674 B. BARRIÈRE, « Les cisterciens d’Obazine en Bas-Limousin (Corrèze, France) : les transformations du milieu naturel », dans L. PRESSOUYRE, P. BENOÎT (dir.), L’hydraulique monastique : milieux, réseaux, usages, actes du colloque de Royaumont, 1992, Paris, Créaphis, 1996, p. 13-33. 1675 J. ROCACHER, Rocamadour et son pèlerinage…, op. cit, vol I, p. 349-358. 1676 IGN Série Bleue, 1/25000ème, 2135 0, Brive-La-Gaillarde. - 536 - Cette grange est encore présente dans la toponymie au lieu-dit le « château de Bonnecoste » et non aux « granges de Bonnecoste » [Fig. 553]. Elle est aussi bien connue grâce aux observations de Jean ROCACHER1677. La construction formant l’angle nord-ouest du château est vraisemblablement médiévale. Les parties hautes semblent toutefois avoir fait l’objet d’une réfection aux XVIIIème et XIXème siècles. La porte d’entrée est couverte d’un arc en tiers-point d’1.50m de large. L’édification est en moyen appareil. Des colonnes à consoles soutiennent les poutres et la charpente. • Grange de Chabannes : Le lieu-dit Chabannes est un hameau dont de nombreuses demeures présentent de belles pierres de taille de granite [Fig. 554]. À l’entrée (n°12), deux grands bâtiments de plan rectangulaire pourraient remployer des éléments de l’ancienne exploitation médiévale ou moderne. L’un de ces bâtiments est entièrement bâti en moyen appareil régulier de qualité. Le second est de petit appareil régulier aux litages bien marqués. Le moyen appareil régulier est réservé aux zones structurantes de la construction comme les harpages d’angle et les piédroits des baies. Ces deux bâtiments servent aujourd’hui d’étables et de granges. Un troisième bâtiment, plus petit, de plan rectangulaire et relativement mal préservé dispose d’un appareil en moyen voire grand appareil régulier de granite. Certains blocs présentent des traces de marteau taillant et pourraient éventuellement correspondre à des réalités médiévales. • Grange de Chadebec : La grange de Chadebec conserve certains de ses aménagements hydrauliques encore discernables dans le paysage, tel un étang dont la digue talutée est bien bâtie en gros moellons [Fig. 555 et 556]. L’étang n’est actuellement plus en eau mais son emplacement est encore tangible dans le paysage. La digue n’a pas trop souffert de modifications au fil des siècles. Elle se constitue de gradins de gros blocs de granite irréguliers. Un conduit traverse cette digue de part en part et conduit à un petit moulin directement enchâssé dans la digue. Il s’agit d’un moulin à meule unique. À chacune de ses extrémités, des « levades » permettaient l’irrigation des près d’aval1678. Ce moulin est bâti en moellons de granite irréguliers avec de multiples pierres de calage, excepté pour les harpages d’angle en moyen appareil. Celui-ci est recouvert d’un toit de chaume. L’accès à l’intérieur n’est pas autorisé. 1677 J. ROCACHER, Rocamadour et son pèlerinage…, op. cit, vol I, p. 358-360. B. BARRIÈRE, « Étangs et hydraulique en Limousin : le temps des créations » dans B. BARRIÈRE, Limousin médiéval, le temps des créations, PULIM, Limoges, 2006, p. 157-187. 1678 - 537 - Le hameau de Chadebec conserve quant à lui une petite croix en granite, peut-être d’origine médiévale et un puits à bascule. • Grange de Couffinier : Le hameau de Couffinier ne révèle pas de vestiges médiévaux caractéristiques [Fig. 557]. Quelques demeures présentent toutefois de belles pierres de taille sans que nous puissions attester de remplois médiévaux. • Grange de La Pannonie : Il ne demeure pas de vestiges médiévaux de cette exploitation agricole. Les vestiges conservés relèvent au mieux du XVème siècle mais plus vraisemblablement de l’époque moderne [Fig. 565]. • Grange de Graule (commune de Saint-Saturnin, Cantal) : Graule est située à 1200m d’altitude, au nord-est du Puy-Mary, sur le plateau du Limon [Fig. 558 et 559]. Elle domine la vallée de la Devezoune. Les vestiges actuels sont essentiellement constitués de moellons et pierres de taille épars, recouverts en partie de végétation, dont l’ensemble est saisissable par photographies aériennes [Fig. 560]. Cette grange est située à trois jours de marche d’Obazine. Il reste un mur d’enceinte de moellons encore bien perceptible dans le paysage, relié à un épaulement en terre précédé d’un large fossé [Fig. 562]. La porte d’entrée se trouve au sud. Cette enceinte mesure 120m de long pour 60m de large1679. L’ensemble se compose à l’origine de deux grands bâtiments, d’une tour, d’une « porterie », d’une chapelle et d’un vivier1680. La vallée étant relativement marécageuse, les moines et convers ont dû la drainer afin d’obtenir des pâturages de bonne qualité. De même concernant la vallée du Lemmet. Ainsi, un long canal d’un kilomètre est bâti à flanc de coteau dont les murs de soutènement sont encore visibles par endroit (lieu-dit « La Bussinie »). Un premier bâtiment à droite de la tour sert de carrière aux XIXème et XXème siècles [Fig. 563]. Il est de 29.60m de long pour 8.50m de large. Il pourrait s’agir d’une étable. Toutefois, seules des suppositions sont possibles et des fouilles archéologiques seraient nécessaires pour préciser les fonctions de ce bâtiment. Le second bâtiment est de 33.80m par 6.20m. Il pourrait 1679 A. de ROCHEMONTEIX, La maison de Graule. Étude sur la vie et les œuvres des convers de Cîteaux en Auvergne au Moyen-Âge, Paris, 1888, p. 39. 1680 C. CHAPPE-GAUTHIER, Granges fromagères d’Auvergne. La vie des moines fromagers dans les montagnes de Haute-Auvergne du XIIème au XVIIIème siècles, éditions Cheminements, Bron, 2007, p. 14, 53 et 58. - 538 - s’agir du logement des convers comprenant également laiterie et cave à fromages. Quant à la tour, il est délicat de préciser s’il s’agissait d’une tour de défense ou d’un simple pigeonnier. Enfin, le vivier est de 25m par 5m pour une profondeur d’1.50m. À cent mètres en aval des bâtiments de Graule, un groupement d’une dizaine de fonds de cabanes sous talus pourrait correspondre à un premier établissement des frères convers. À ces éléments s’ajoutent des bâtiments modernes, placés en contrehaut à l’est de l’enceinte. Un bâtiment longitudinal dispose d’un plan rectangulaire encadré de deux pignons, bâti en moyen appareil irrégulier pris dans un mortier à forte proportion de chaux. Les parements sont encore en partie enduits [Fig. 561]. Un second petit bâtiment édifié en moellons irréguliers très en ruines montre deux vestiges de voûtes en berceau appareillées. À la Bussinie, un moulin est bâti, en prise directe sur le canal. Il est de 12.60 par 4.60m de large [Fig. 564]. L’étage et le rez-de-chaussée disposent de deux voûtes surbaissées en pierres posées de chant. La toiture est de lauzes. Le premier étage sert de logis au meunier. Un rouet horizontal muni de godets en bois était actionné directement par l’eau venue d’une conduite forcée, entraînant la meule placée au-dessus. L’eau libérée passe sous le moulin et est évacuée par le ruisseau du Lemmet. Il dispose d’un vaste réservoir en bordure du canal. Les bondes libèrent l’eau du canal, augmentant ainsi sensiblement le débit. Il s’agit d’un moulin à roue horizontale dont le rendement reste néanmoins relativement médiocre. Un petit étang est lié à ce canal et servait probablement de réserve de poissons. • Grange de Nougein : Le bourg de Nougein ne présente pas de vestiges médiévaux caractéristiques. La chapelle actuelle est récente [Fig. 566]. • Grange de Rochesseux : La grange de Rochesseux est désormais un hameau de maisons modernes et contemporaines où aucun vestige médiéval caractéristique n’a pu être repéré. Néanmoins, à la Roche Bergère (Puy de Pauliat), des ruines composent un ensemble pouvant peut-être être considéré comme une annexe à la grange d’Obazine (parcelle 498, B3, cadastre actuel). Il s’agit de bâtiments très ruinés construits en gneiss, directement extrait sur place ou dans les proches environs. Les maçonneries sont de pierres sèches. L’un des bâtiments, très allongés, pourrait être selon Jean-Lucien COUCHARD un ancien élèvage de pigeons. Un bâtiment d’habitation est également repérable, de même qu’une fontaine au nord de l’ensemble. La - 539 - désignation locale « Ermitage » est trompeuse et correspond à une appellation moderne et non médiévale. La datation de ces structures est néanmoins malaisée1681. • Grange de la Serre : Il ne reste aucun vestige médiéval de cette grange ayant donné naissance à un petit hameau près de Chamboulive. Par ailleurs, des moulins sont encore observables. Le moulin du Terrac est ainsi conservé [Fig. 545]. Il s’agit maintenant d’une maison d’habitation présentant encore de belles pierres de taille. Il est associé à un bief et à un étang. Néanmoins, aucun mécanisme de l’ancien moulin n’est préservé (axe, roue, meules). Le proche moulin de Chaillac est entièrement détruit, mis à bas récemment par les actuels propriétaires. Des pierres de taille ont néanmoins été réutilisées dans une grange. Reste une digue maçonnée recouverte de végétation au lieu-dit « Le Sucquet ». • Moulin de Barry-Bas : Il est situé juste en contrebas des bâtiments monastiques et est alimenté par le Canal des Moines [Fig. 533 et 534]. Il s’agit d’un haut bâtiment quadrangulaire bâti en appareil irrégulier de grès rose mêlant pierres de taille de moyen appareil et simples moellons. Les piédroits sont de moyen appareil régulier de gneiss1682. Les ouvertures sont modernes. Les mécanismes sont en partie conservés dans une salle voûtée d’arêtes reçues par un pilier central quadrangulaire. La conduite forcée dispose d’un arc surbaissé composé de dalles. • Moulin de Bordebrune : Il dispose d’une retenue d’eau consistant en un étang de 3 à 4 ha de superficie qui n’est plus en eau [Fig. 535 et 536]. Une digue de pierres sèches de 70m de long est conservée. Elle se compose de dalles et de gros moellons de pierres superposés. Sous cette chaussée s’était implanté un moulin primitif attesté depuis 14801683. Le moulin actuel est moderne, accolé à une maison d’habitation bâtie en petit appareil irrégulier. Les mécanismes ne sont pas conservés. • Moulin de Lagier : 1681 J-L et J-S. COUCHARD, « Roche Bergère (Puy de Pauliat), commune d’Aubazine (Corrèze) », BSSHAC, T 128, 2006, p. 41-57. 1682 Les carreaux sont de 0.75m par 0.40m et 0.38 par 0.32m en moyenne. 1683 B. BARRIÈRE, « Les cisterciens d’Obazine en Bas-Limousin… », op. cit, p. 13-33. - 540 - Ce bâtiment presque entièrement moderne se distingue par la présence de deux mécanismes [Fig. 543]. Deux déversoirs du XIIIème siècle sont bâtis en pierre de taille et voûtés en plein-cintre1684. • Moulin de Cabouy : Ce moulin est construit par les moines de Saint-Martin de Tulle [Fig. 537]. Les cisterciens en obtiennent les droits en 1630. Il est bâti sur la rive droite de l’Ouysse. Deux meules sont placées dans une salle de 7.60m par 9.70m. Un étage correspond au logement du meunier. La construction actuelle relève de réfections fin XVème début XVIème siècles1685. • Moulins de Caoulet : Un moulin fut construit par les bénédictins de Tulle au XIIIème siècle. Il devient propriété des moines blancs d’Obazine en 1279. Il est restauré dans ses parties hautes au XIXème siècle mais les douves qui l’entourent relèvent du XVème siècle. Il est muni de quatre meules. Il dispose encore d’une digue maçonnée de plusieurs mètres de long [Fig. 538]. Un second moulin plus modeste est bâti à quelques mètres de celui-ci. Il s’agit d’un volume quadrangulaire encadré de deux pignons. Il est édifié en petit appareil irrégulier, excepté pour les harpages et piédroits de baies. Deux arches au profil brisé laissent passer l’eau sous le moulin et permettent d’actionner deux roues. • Moulin de la Peyre : Il est mentionné pour la première fois dans le cartulaire d’Obazine en 1159. Il fait donc partie des premières acquisitions du temps de saint Étienne. Au XVIème siècle, un moulin à foulon lui est adjoint. Il demeure aujourd’hui les douves de l’un des moulins ainsi qu’une chaussée formée de trois énormes assises disposées en arc-boutant [Fig. 544]. • Moulin de Cougnaguet : C’est le moulin le mieux connu des installations hydrauliques des moines d’Obazine. Il est bâti sur la rive droite de l’Ouysse, à 1.550 km du pont de la Peyre. Il se compose d’un corps de bâtiment quadrangulaire de 17.40 m par 9.60m. La salle des meules est à cheval sur les douves. L’étage supérieur correspond à une habitation. Le grenier est couvert d’une toiture 1684 1685 B. BARRIÈRE, « Les cisterciens d’Obazine en Bas-Limousin… », op.cit, p. 13-33. J. ROCACHER, Rocamadour et son pèlerinage…, op. cit, vol I, p. 367-389. - 541 - à coyaux à trois versants. L’ensemble s’élève à 14m [Fig. 539 à 542]. Le mur est ainsi que les parements du rez-de-chaussée sont en moyen appareil régulier (carreaux de 40 par 50cm en moyenne). Le mur est mesure 1.90m d’épaisseur, le mur nord 1.30m et les deux autres 1.20m. La digue se termine au sud du moulin par un canal de 7m de large et d’1.50m de profondeur, soigneusement dallé. L’eau pénètre par quatre conduites forcées étranglées : elles se rétrécissent de 1.50m à 0.20m sur une longueur de 4m. Ce moulin dispose de quatre meules dormantes d’1.60m de diamètre au-dessus des quatre cuves. L’accès à la salle des meules est permis par une porte d’1.90m de large dans le mur méridional. Les parties hautes des murs sont en partie reconstruites notamment au niveau de l’étage d’habitation. La majeure partie des parements relève toutefois de la première moitié du XIIIème siècle. Une restauration partielle est sans doute intervenue dans la seconde moitié du XVème siècle. Des baies en accolade sont en effet percées dans les murs gouttereaux. • Le moulin de la Treille : Cette installation apparaît à partir de 1249 dans les actes passés par les cisterciens. Il est équipé de trois meules. Reconstruit à trois reprises, les douves actuelles relèvent du XVème ou du XVIIème siècle. • Moulin de Regardet : Celui-ci est placé sur l’Alzou. Il n’est que très peu documenté. Le cours d’eau étant relativement pauvre, il n’est que peu usité par les moines. - 542 - COYROUX - 543 - 4. Coyroux (commune d’Aubazine, Corrèze) : L’abbaye de Coyroux est située sur la commune d’Aubazine (canton de Beynat) en Corrèze. Elle est classée aux Monuments Historiques depuis le 13 octobre 1988 (vestiges en totalité). La carte de Cassini la signale selon la graphie « Coiroux », suivie des initiales AB. L’abbatiale est symbolisée par une église surmontée d’une crosse. Sur la carte IGN au 1/25000ème, elle est nommée « Au Coiroux », abbaye ruinée. Elle est située au milieu de bois encore importants aujourd’hui [Fig. 569 et 570]1686. Sources manuscrites : La Vita d’Étienne d’Obazine est une source précieuse pour la connaissance de la communauté féminine d’Obazine. Les femmes y sont présentées comme des pécheresses, voire des prostituées. Le biographe en présente les turpitudes « habituelles » de la gent féminine pour mieux leur opposer la qualité de la conversion obtenue par Étienne d’Obazine. Elles sont lascives, tentatrices, sensuelles, voluptueuses. La construction du monastère du Coyroux intervient alors autant pour les couper du monde que pour préserver les hommes1687. L’église y est assez précisément décrite : « Leur église est assez étendue en longueur. Un mur sépare du haut en bas la partie orientale, si bien qu’il divise l’intérieur en deux parties entièrement indépendantes, tout en laissant à l’extérieur l’aspect d’un seul édifice. La partie supérieure, celle qui est tournée à l’Est, est la plus petite. On y entre par une porte ouverte au Nord par laquelle les frères et ceux qui sont désignés pour célébrer les vigiles nocturnes et la messe solennelle entrent toujours. Dans le mur qui sépare l’église en deux parties, il a été aménagé un guichet carré, garni de barreaux de fer et fermé d’un voile du côté des religieuses. Vers le bas, il a 1686 IGN Série Bleue, 1/25000ème, Beynat, 2135 E. É. BOURNAZEL, « Étienne et Robert : la tentation des femmes », dans J. HOAREAU-DODINEAU, P. TEXIER (dir.), Anthropologie juridique. Mélanges Pierre Braun, PULIM, Limoges, 1998, p. 55-65. 1687 - 544 - été laissé un espace libre pour permettre à la main du prêtre de distribuer la sainte Eucharistie. Quand les religieuses veulent communier, toutes ensemble ou spécialement les malades, après avoir communié à l’autel, apporte avec grand respect le corps du Seigneur en cet endroit. Une fois le voile retiré, toutes celles qui s’approchent communient ainsi de la main du prêtre avec respect et crainte. »1688 En 1759, un état des revenus du monastère de Coyroux et de ses charges est dressé. Les moniales jouissent alors des revenus du prieuré de Cornac (diocèse de Cahors), des revenus du prieuré d’Albignac, de la rente sur le moulin du prieuré d’Albignac. Les lieux réguliers sont alors décrits en très bon état. Le chœur est « parqueté et lambrissé ». Le logement des étrangers est également bien entretenu1689. Nous disposons d’un document précieux concernant le mobilier de la sacristie de l’église de Coyroux rédigé en 1790. Il se compose de 7 feuillets écrits de papier (33 par 21 cm). Il est dressé par Joseph Parjadis, administrateur du district, en présence de la majeure partie des religieuses de la communauté1690. « (…) Nous nous sommes transportés dans la tribune où sont les armoires de la sacristie et ayant été ouvertes par Madame Lamothe et madame Dalme sacristaine, y avons trouvé un calice avec sa patène, la coupe et la patène d’un autre calice et un ostensoir ny eyant qu’un pied commun pour le second calice et l’ostensoir ; une piscine en argent, une paire de burette avec le plat, un encensoir avec sa navette, un ciboire, le tout en argent, six chandeliers avec la croix et une lampe argentée, dix chandeliers grands ou petits en cuivre avec deux lampes aussi en cuivre, quatre chandeliers et un pot à eau 1688 M. AUBRUN, Vie de Saint Étienne d’Obazine…, op. cit., p. 99. AD Corrèze, 6 F 109. 1690 AD Corrèze, Q 148. 1689 - 545 - d’étain, une patène de cuivre dorée, deux bénitiers l’un d’étain et l’autre de plomb. Dix aubes bonnes ou mauvaises dont quelques unes garnies, vingt quatre nappes d’autel usées, quinze amicts, vingt quatre serviettes très usées, huit corporeaux, soixante purificatoires dont partie usés, cinq cordons, deux garnitures pour l’autel en dentelle, deux surplis, deux tapis de soie fort usés, deux rideaux d’indienne pour les autels, trois chappes dont une en glacis en or, l’autre noire ; et la troisième d’étoffe sans galon très vieille et très usée, une écharpe avec une crépine en or, trois ornements de plusieurs couleurs en sistheme en or avec les galons du même métal, cinq ornements aussi de plusieurs couleurs avec leurs galons en argent, un autre ornement avec un galon en or faux et un autre avec un galon en argent aussi faux, deux autres ornements dont l’un en soie et l’autre en laine avec leurs galons en soie très usés, quatre dalmatiques dont deux noires avec des galons à sistheme en argent, les autres deux de damas avec des galons en soie ; dix huit devant l’autel, deux draps l’un en pâne et l’autre en laine, deux missel, six chaises garnies en étoffe verte avec un fauteuil (…) ». Historiographie : Concernant le monastère de Coyroux, nous disposons d’une courte description livrée par le moine bénédictin dom BOYER lors de sa visite du 14 août 1712. Il dit : « La situation de Coiroux est telle qu’elle est représentée dans la Vie de Saint Étienne, excepté la muraille, qui séparait l’église en deux, que l’on a abattue depuis peu pour y faire une grille et placer le chœur en bas »1691. 1691 R. FAGE, « Une visite à Obazine en 1712 », BSSHAC, T 8, 1886, p. 85-92. - 546 - ROY DE PIERREFITTE livre également une courte étude du monastère, bien succincte comparée à sa description d’Obazine. Les vestiges archéologiques ne sont presque pas évoqués1692. En 1908, J-B. ESPEREY reproduit un acte de 1749 signé par la supérieure et les religieuses de Coyroux. Il s’agit d’une quittance consentie par les religieuses en faveur de Jacques Fournet de Beauclair de la somme de 300 livres en « cancellation » d’une rente constituée au capital de pareille somme. Les noms des religieuses sont cités et nous apprennent qu’elles appartiennent majoritairement à la noblesse du pays1693. Dans l’ouvrage Moines en Limousin dirigé par Bernadette BARRIÈRE, une notice concerne le monastère double d’Obazine-Coyroux qui fait le point sur les documentations exploitées pour ces deux sites. L’auteur insiste sur l’importance des sources concernant les deux monastères : le cartulaire d’Obazine et la Vie de Saint Étienne sont des documents très précieux pour retracer l’histoire et la formation du patrimoine de ces sites1694. Historique : Dans un premier temps, moines et moniales vivent ensemble à Obazine. Gauberte, la mère d’Étienne, est l’une des premières à suivre son fils sur la voie de l’érémitisme. Elle entraîne de nombreuses femmes à sa suite. Les sœurs sont occupées par les soins de l’intérieur tandis que les frères cultivent les terres. Ces femmes ne sont pas de simples converses. Elles reçoivent une direction spirituelle de la part des frères. Le recrutement est essentiellement nobiliaire. Hommes et femmes n’ont toutefois pas le droit de s’adresser la parole sans autorisation du prieur. Cependant, Étienne constate que ces précautions sont insuffisantes et décide alors l’érection d’un nouveau monastère où les femmes seraient définitivement closes. Celui-ci est établi à Coyroux entre 1141 et 1143. Lors des offices, les moniales sont même séparées du prêtre par un grand mur percé d’une fenêtre munie d’une grille de fer et d’un rideau. À l’extrémité du cloître s’ouvrent deux portes reliées par un sas. C’est par cette voie qu’arrivent les provisions. La prieure de Coyroux conserve la clé de l’une des portes, l’autre appartient à Obazine1695. L’entrée de nouvelles moniales s’accompagne de donations au 1692 Abbé J-B. L. ROY DE PIERREFITT, Études historiques sur les monastères…, op. cit., T I, p. 195-198. J-B. ESPEREY, « Le monastère de Coiroux », BSSHAC, T 30, 1908, p. 121-122. 1694 B. BARRIÈRE (dir.), Moines en Limousin…, op. cit., p. 178-185. 1695 A. VAYSSIÈRE, « Les dames de Coyroux », BSSHAC, T 5, 1883, p. 365-379. 1693 - 547 - monastère. Coyroux participe ainsi à la constitution du patrimoine d’Obazine. Le monastère féminin est en effet entièrement placé sous la dépendance économique d’Obazine1696. Au XIIème siècle, certaines moniales quittent le monastère après l’annonce d’une suspension momentanée dans le recrutement. Elles vont s’installer dans un prieuré féminin dans la dépendance de la Garde-Dieu, Fontmourlhes. Cette hypothèse, formulée par Bernadette BARRIÈRE est toutefois récemment remise en cause par Alexis GRÉLOIS. En effet, ce dernier est d’avis que la distance importante entre Coyroux et Fontmourlhes (90 km) ainsi que l’existence « éphémère de l’établissement fondé par les transfuges de Coyroux semblent contredire cette identification »1697. Cette initiative se solde en tout cas par un échec et les moniales doivent retourner à Coyroux. Au XVème siècle, des transformations sont sensibles au monastère de Coyroux qui seront développées plus minutieusement dans les descriptions archéologiques ci-dessous. Le dortoir est transféré à l’ouest suite aux crues. Au XVIIème siècle, ce bâtiment est doublé en largeur et accueille la cuisine, le réfectoire, le parloir et les caves. Le cloître se réduit alors à deux galeries [Fig. 575 et 576]. À cette époque, les moniales de Coyroux sont encore au nombre de quarante. En 1622, une partie des moniales (une vingtaine) s’installe à Tulle, au couvent des Bernardines, durant l’abbatiat de Jeanne de Badefol [Fig. 578]. À partir de 1650, les sépultures des moniales prennent place dans l’église de Coyroux et non plus dans le cimetière d’Obazine, marquant la prise d’indépendance flagrante de la communauté féminine. En 1700, on supprime la clôture entre la nef et le chœur. Le chœur est déplacé d’est en ouest afin de le rapprocher du bâtiment d’habitation. Une nouvelle sacristie est installée sous la tribune. Un escalier en bois la relie au choeur1698. Le lieu est déserté depuis la Révolution. Dès la première moitié du XXème siècle, des pierres de taille sont arrachées à l’édifice. De 1976 à 1990, des interventions archéologiques menées par Bernadette BARRIÈRE permettent une meilleure connaissance de ce site très ruiné [Fig. 577]. Vestiges archéologiques : 1696 B. BARRIÈRE, L’abbaye cistercienne d’Obazine en Bas-Limousin. Les origines, le patrimoine, Tulle, 1977, p. 103. 1697 A. GRÉLOIS, « Les origines contre la réforme : nouvelles considérations sur la Vie de Saint Étienne d’Obazine », dans Écrire son histoire. Les communautés régulières face à leur passé, Actes du Vème colloque International du CERCOR, Saint-Étienne, 2005, p. 369-388. 1698 B. BARRIÈRE, « L’organisation de l’espace monastique aux XVIIème et XVIIIème siècles. Le cas des moniales de Coyroux et de Tulle en Limousin », dans B. BARRIÈRE et M-E. HENNEAU (dir.), Cîteaux et les femmes, actes du colloque de Royaumont, novembre 1998, Paris, Créaphis, 2001, p. 134-150. - 548 - En 1883, A. VAYSSIÈRE évoque les ruines de Coyroux en disant qu’au « point de vue archéologique, leur importance est très mince » [Fig. 572]1699. Toutefois, les études archéologiques entreprises à Coyroux sont très nombreuses et riches en enseignements et méritent ici d’être reprises et synthétisées pour une meilleure compréhension du site. L’abbaye a en effet fait l’objet de fouilles archéologiques de 1976 à 1990 par une équipe dirigée par Bernadette BARRIÈRE. Nous ajouterons aux résultats de ces fouilles nos propres investigations et observations. L’étude du cadastre actuel n’a guère apporté d’enseignements. L’église n’est pas représentée. L’emplacement de l’ancien monastère correspond aux parcelles 2109 et 1616 (section B, feuille n°3, cadastre d’Aubazine) [Fig. 571]. Le monastère est édifié selon trois grandes périodes d’aménagement : mi XIIème-mi XIIIème siècles ; fin XVème siècle ; fin XVIIème-XVIIIème siècles [Fig. 573 et 574]. Nous pouvons constater la qualité médiocre de la plupart des constructions, sauf concernant l’église1700. Les bâtiments monastiques sont en effet érigés en moellons irréguliers de gneiss rose ocré extraits du versant même de la vallée. Ce matériau est certes résistant mais il ne permet qu’un appareil irrégulier et grossier à l’inverse des parements de l’abbaye d’hommes d’Obazine. Les maçonneries sont jointoyées à la terre sauf pour l’église où les joints sont de mortier de chaux. Les bâtisseurs ont ainsi tenté de minimiser les coûts de transport et la mise en oeuvre des matériaux pour une édification plus rapide et moins onéreuse. Le lieu choisi pour l’implantation des moniales n’est pas réellement aménageable et Étienne doit le créer de toute pièce. Pour installer ce monastère, la rivière du Coyroux est repoussée vers le sud, contre le versant rive gauche de la vallée. Une terrasse artificielle peut dès lors être édifiée contre le versant nord afin de recevoir l’église et les lieux réguliers, bâtie aux dépens de l’ancien lit [Fig. 579]1701. - La terrasse artificielle : L’abbaye de femmes de Coyroux est en effet édifiée sur une terrasse artificielle haute 1699 A. VAYSSIÈRE, « Les dames de Coyroux… », op.cit, p. 365-379. B. BARRIÈRE, « Monastère de Coyroux », Archéologie Médiévale, T X, 1980, p. 390. 1701 B. BARRIÈRE, « Les cloîtres des monastères d’Obazine et de Coyroux en Bas-Limousin », Mélanges à la mémoire du père A. DIMIER, Pupillin, tome III, 1982 ; B. BARRIÈRE, « Coyroux, doublet féminin de l’abbaye d’Obazine (Limousin, XIIème-XIIIème siècles) » dans N. BOUTER (dir.), Les religieuses dans le cloître et dans le monde des origines à nos jours, actes du deuxième colloque international du CERCOR, Poitiers, 1988, SaintÉtienne, 1994, p. 131-138. 1700 - 549 - de 4m et d’une superficie d’un demi hectare. Les bâtisseurs y implantent les fondations des futurs bâtiments monastiques1702. Les blocs qui constituent la terrasse sont pris sur place et utilisés comme assises. Ils sont recouverts d’un remblai de sable mêlé de galets puis d’une couche constituée d’une accumulation de tessons de céramique. Enfin, un dernier remblai est composé de terre et de pierres. Il s’agit du niveau de préparation du chantier de construction des bâtiments monastiques1703. Cette terrasse est dotée à l’ouest d’un mur de soutènement de 4m de haut mais également d’un véritable bâtiment disposant d’un sous-sol destiné à rattraper une importante différence de niveau. Un réseau de caissons maçonnés en constitue l’infrastructure. Les étages supérieurs ont toutefois disparu et sont arasés1704. Au XVIIème siècle, une crue violente détruit partiellement la terrasse artificielle dans sa partie est ainsi que les bâtiments est et la galerie du cloître. Les moniales durent ainsi faire des réparations du mur de soutènement de leur terrasse comme en témoigne le minutier de Me Eschapasse à Brive en 17561705. - L’église : L’église est bâtie sur un plan rectangulaire de 33m par 8m (dimensions internes), 35m par 10m hors œuvre. Les murs sont maçonnés au mortier de chaux. Le mur gouttereau nord d’1.10m d’épaisseur est renforcé de contreforts (trois contreforts et deux contreforts d’angle) tandis que le mur sud (1.60m d’épais) n’en a pas [Fig. 587]. Ces contreforts nord correspondent à l’emplacement des retombées des nervures des voûtes intérieures1706. La nef unique, surmontée d’une toiture à deux pans et peut-être charpentée à l’origine (seconde moitié du XIIème siècle), dispose désormais de quatre travées voûtées d’ogives quadripartites mises en œuvre au milieu du XIIIème siècle, aujourd’hui effondrées 1707. Les décombres ont permis d’observer des voûtains soit de briques, soit de pierres tandis que les nervures sont taillées dans le grès [Fig. 599]. La présence de briques dans les voûtes pourrait remettre en cause leur authenticité, comme cela a été le cas pour les voûtes en grande partie en briques de 1702 B. BARRIÈRE, Aubazine en Bas-Limousin, Association Histoire et Archéologie au pas d’Obazine, Limoges, 1991, p. 18. 1703 B. BARRIÈRE, Monastère de moniales cisterciennes de Coyroux (Aubazine, Corrèze). Rapport de la campagne de sondages de juillet 1976, p. 40. 1704 B. BARRIÈRE, Monastère de moniales cisterciennes de Coyroux (Aubazine, Corrèze). Rapport de la campagne de sondages-sauvetages de juillet 1977, Université de Limoges. 1705 B. BARRIÈRE, « Les cloîtres des monastères d’Obazine… », op. cit. 1706 B. BARRIÈRE, « Monastère de Coyroux », Archéologie Médiévale, T XVII, 1987, p. 188-189. 1707 La charpente primitive est supposée pour la première fois dans les rapports de fouilles de Bernadette Barrière, hypothèse reprise dans G. CANTIÉ, É. SPARHUBERT, « Obazine, abbaye » dans Monuments de Corrèze, Congrès Archéologique de France, Société Française d’Archéologie, 163 ème session, 2005, Paris, 2007, p. 251-270. - 550 - la nef de Saint-Martin de Tulle. Or ce procédé est souvent utilisé pour des galeries de cloître ou salles cisterciennes du sud-ouest de la France (XIIIème siècle)1708. Dans les angles nord-ouest et sud-ouest, les voûtes retombent sur des triples colonnettes montant de fond reposant sur de petites bases (7cm de haut seulement) au tore inférieur avachi, sans griffes. Elles prennent place sur un socle de 15cm de hauteur [Fig. 584 et 585]. La nef sert probablement également de salle capitulaire aux moniales. Nous pouvons constater une dénivellation d’1.30m environ du seuil au chœur rattrapée par plusieurs paliers. L’église n’a pas de transept, à la manière des simples « églises-granges » de Haute-Marche. D’après les sources écrites (Vita, la nef devait être coupée en deux par un mur isolant dont aucune trace n’a cependant été retrouvée. Peut-être s’agissait-il d’une simple cloison en bois ? L’accès au chœur est ménagé par une porte percée dans le mur nord, réservée aux seuls moines desservants. Ce mur de séparation est doté d’une petite baie centrale permettant aux moniales de recevoir la communion et de se confesser. Cette séparation aurait été abattue peu avant la visite de Dom BOYER en 17121709. Le chœur est un chevet plat [Fig. 580]. Sa voûte retombe sur une triple colonnette de grès s’achevant en encorbellement à 0.90m du sol. Ces fondations sont talutées à la manière d’une digue et destinées à résister aux crues fréquentes du torrent. Le choeur dispose d’un sol de dalles de calcaire disposées en losange. Les empreintes en sont encore visibles. Un niveau de circulation dallé en grès a été de même mis en évidence dans la partie est, à 2.50m en contrehaut du seuil de la porte primitive de communication avec le cloître. Treize mètres à l’ouest du mur du fond du chœur, les fondations d’un mur transversal ont été observées. Elles sont implantées sur et dans les remblais de terre compacts sous-jacents au niveau de circulation définitif. Il pourrait s’agir des soubassements d’un mur de clôture1710. Le gouttereau sud est percé à l’est par une porte ouvrant sur le cloître, d’un profil légèrement brisé [Fig. 588]. Le mur pignon ouest est percé d’une porte et d’une baie en arc brisé à 8m de haut. La toiture à deux versants était couverte de grandes lauzes de schiste [Fig. 581, 582 et 583]1711. 1708 C. ANDRAULT-SCHMITT, « Tulle, ancienne abbaye Saint-Martin (actuelle cathédrale) », dans Monuments de Corrèze, …, op. cit., p. 363-379. 1709 R. FAGE, « Une visite à Obazine en 1712… », op. cit ; G. CANTIÉ, É. SPARHUBERT, « Obazine, abbaye », op. cit., p. 251-270 1710 B. BARRIÈRE, « Monastère de Coyroux », Archéologie Médiévale, T XVII, 1987, p. 188-189. 1711 B. BARRIÈRE, Monastère de moniales cisterciennes de Coyroux (Aubazine, Corrèze). 1986-1988. Rapport de synthèse, 1988, Université de Limoges, p. 12. - 551 - Au XVIIème siècle, le chœur est déplacé à l’ouest et est surmonté d’une tribune à usage de sacristie. - Bâtiments conventuels : Les bâtiments monastiques étaient disposés autour d’un cloître charpenté de 22m de côté, pavé de dalles de grès et de gneiss [Fig. 589]. Les trous de boulins et quelques corbeaux encore observables sur le mur sud de l’abbatiale témoignent de la présence de charpente et non de voûtes. L’église en occupe le côté nord1712. La galerie nord du cloître est repérée lors des investigations archéologiques de 1977. Elle mesure 2.70m de large pour 35m de long. Le mur bahut conservé mesure 0.63m de large pour 0.56m de hauteur environ [Fig. 591]. La galerie ouest est de 2.70m de large pour 22.90 de long et 3.50m de haut. Elle présente un décrochement par rapport à l’angle sud-ouest de l’église. Il pourrait s’agir d’un accès direct au bâtiment qui, dans le prolongement de l’église, pouvait constituer l’habitation des converses, comme à l’abbaye des Blanches à Mortain (Manche)1713. La galerie sud mesure également 2.70m de large1714. Le pavement de ces galeries sud et ouest sont de gneiss. Au XVème siècle, la galerie nord du cloître est prolongée vers l’est où est aménagée une sacristie, petite salle dont on peut encore observer les dalles au sol. Elle est prolongée par une petite pièce abritant des latrines dont le conduit d’évacuation des eaux est encore visible [Fig. 590]. Cela correspond à une période de prise d’indépendance des moniales par rapport à Obazine. Cette sacristie est toutefois abandonnée au XVIIème siècle lorsqu’une seconde sacristie est aménagée dans une tribune dans la partie ouest de l’église. La galerie est du cloître est détruite au XVIIème siècle par une crue. L’église et le cloître étaient reliés par une ouverture voûtée obstruée. La terrasse ayant été rapidement rehaussée de 0.60m environ, cet accès est vite bouché et abandonné1715. Le réfectoire mesurait 8.80m de largeur interne et était organisé en deux nefs longitudinales, séparées par un alignement de piliers portant la charpente1716. Sous les fondations du mur gouttereau sud de ce réfectoire ont été découvertes trois assises d’un mur en moellons bien équarris qui pourraient correspondre à des fondations encore antérieure aux XIIème et XIIIème siècles. 1712 B. BARRIÈRE, Aubazine en Bas-Limousin…, op.cit. B. BARRIÈRE, « Les cloîtres d’Obazine et Coyroux, en Corrèze », TAL, T 1, 1981, p. 83-89. 1714 B. BARRIÈRE, Monastère de moniales cisterciennes de Coyroux (Aubazine, Corrèze). Rapport de la campagne de sondages-sauvetages de juillet 1978, Université de Limoges. 1715 B. BARRIÈRE, « Monastère de Coyroux », Archéologie Médiévale, T XIII, 1983, p. 258. 1716 B. BARRIÈRE, « Monastère de Coyroux… », op.cit, T XII, 1982, p. 318. 1713 - 552 - À l’est du site, le bâtiment d’habitation des moniales est rapidement détruit par les crues et remplacé au XVème siècle par un bâtiment d’entrepôt qui bordait le cloître du côté opposé. Le nouveau bâtiment occidental – édifié au XVIIème siècle sur les fondations de l’ancienne structure médiévale – dispose en son extrémité sud d’une bâtisse tardive probablement à usage de fournil1717. Cet édifice moderne est élargi vers l’ouest par rapport à l’édifice médiéval et va ainsi au-delà du soutènement de la terasse artificielle, d’où la possiblité de créer des sous-sols à usage de caves. Ainsi, ce bâtiment se compose de plusieurs niveaux desservis par un bel escalier en vis. L’étage est occupé par un dortoir, une lingerie ainsi qu’un certain nombre de cellules. Les différentes salles sont desservies par un couloir interne dallé. Les fouilles archéologiques ont permis de repérer une pièce en sous-sol dont la fonction est inconnue (stockage ?) et une salle voûtée (probablement une cave). La porte d’entrée du bâtiment est précédé par un couloir extérieur dallé et tournant [Fig. 592 à 594]1718. Cette structure recoupe des aménagements antérieurs et notamment un large couloir voûté partiellement effondré. En effet, à l’ouest de l’enclos, une porterie voûtée était aménagée à la manière d’un sas. Il s’agissait d’une sorte de souterrain voûté de quelques mètres de long où les convers d’Obazine déposaient régulièrement les denrées nécessaires à la survie des moniales qui ne pouvaient sortir de la clôture. Lors des investigations archéologiques, il a été constaté qu’il mesurait 3.80m de large. Il était voûté d’un berceau bloqué sans mortier, recouvert d’un talus de terre1719. Au XVIIème siècle, une partie de la communauté d’installe à Tulle, les activités sont alors regroupées dans un bâtiment unique (bâtiment ouest). Le bâtiment regroupant chauffoir et réfectoire est alors détruit. Les investigations au niveau du secteur sud, au-delà de l’angle sud-est du cloître ont révélé des fondations de murs gouttereaux d’1.20m d’épaisseur édifiés en même temps que la terrasse soit au XIIème siècle. Un mur de refend mesure 0.45m d’épaisseur. Il pourrait s’agir de la cuisine médiévale [Fig. 595]1720. En contrebas de cet aménagement, une salle dallée a été identifiée. Elle est située à 0.60m au-dessous du niveau de la cuisine, à 10m au sud-ouest. Elle mesure 3.65m par 2.60m. Elle dispose de la base d’un four en arc de cercle. Sept portes de communication ont pu être identifiées entre l’église et les bâtiments conventuels et le cloître, marquant les différentes phases de remaniements et de 1717 B. BARRIÈRE, « Monastère de Coyroux… », op.cit, T XI, 1981, p. 274. B. BARRIÈRE, « Monastère de Coyroux… », op.cit, T XV, 1985, p. 231. 1719 B. BARRIÈRE, « Monastère de Coyroux », Archéologie Médiévale, T XVI, 1986, p. 179. 1720 B. BARRIÈRE, « Monastère de Coyroux », Archéologie Médiévale, T XIII, 1983, p. 258. 1718 - 553 - transformations successives du monastère. Deux portes initiales de communication avec le dortoir et le cloître ont été abandonnées dès l’origine à la suite d’un repentir dans la construction. Une porte reliant l’église et le dortoir est transformée au XVème siècle en la vaste niche destinée à recevoir la Mise au Tombeau. À l’ouest, une porte reliant l’église au cloître demeure en usage jusqu’à l’abandon du site au XVIIIème siècle. Une porte est ménagée dans le mur du chœur au XVème siècle pour relier directement celui-ci à la sacristie édifiée dans l’enclos monastique et appuyée au mur sud de l’église. Une porte dans le mur pignon ouest est percée au XVIIème siècle pour relier l’étage du bâtiment monastique nouvellement construit à l’ouest du site à la tribune aménagée dans la partie occidentale de l’église, en liaison avec le chœur déplacé d’est en ouest et réimplanté au-dessous d’elle. Enfin, une porte fait communiquer l’église avec l’extérieur dans le mur nord1721. - Aménagements hydrauliques : Afin d’aménager les bâtiments monastiques, le ruisseau du Coyroux est repoussé vers le sud hors de son lit naturel. L’alimentation en eau est assurée par le captage d’une source dans le versant opposé du vallon, à 30m en contrehaut de la terrasse du monastère. L’arrivée sur le site est permise grâce à des canalisations de bois qui franchissent le torrent, puis au moyen d’un aqueduc de pierres qui conduit l’eau, sous légère pression, jusqu’au milieu du jardin du cloître. Ce dernier disposait de deux petits bassins juxtaposés, liés par un conduit, encore visibles aujourd’hui [Fig. 596]. La redistribution s’effectue en direction de la cuisine1722. Un conduit souterrain est mis au jour lors de la campagne d’intervention de juillet 1979. Il est étudié sur 13m de long. Les parois atteignent 30 à 40cm de haut et entre 35 et 45cm de large. Elles se constituent de moellons de gneiss assez réguliers1723. Il passe notamment sous le réfectoire et est probablement construit en même temps que lui. Il est en effet protégé par des dalles de couverture qui sont prises dans les maçonneries. Il est utilisé du XIIème au XVIIème siècles si on en juge par le mobilier découvert. Il atteste ainsi les bouleversements de l’organisation primitive des bâtiments au XVIIème siècle1724. Un grand bassin dallé, circulaire, est repéré au sud, il paraît également tardif. Il est cerné d’un « promenoir » et dispose d’une conduite d’eau. - Décor intérieur : 1721 B. BARRIÈRE, « Aubazine, Coyroux. Monastère de moniales cisterciennes », TAL, T 9, 1989, p. 133-134. B. BARRIÈRE, Aubazine en Bas-Limousin…, op.cit, p. 22. 1723 B. BARRIÈRE, Monastère de moniales cisterciennes de Coyroux (Aubazine, Corrèze). Rapport de la campagne d’intervention de juillet 1979, université de Limoges, p. 46. 1724 B. BARRIÈRE, « Monastère de Coyroux », Archéologie Médiévale, T XIV, 1984, p. 311-312. 1722 - 554 - Nous ne savons que peu de choses du décor intérieur du monastère. L’église était revêtue d’un enduit blanc à faux joints ocre rouge recouvrant les moellons irréguliers (XIIIème siècle), le sol pavé de dalles de gneiss ou de grès [Fig. 586]. Du décor intérieur de l’abbatiale féminine de Coyroux, nous connaissons un groupe sculpté représentant une Mise au Tombeau. Elle était placée dans une niche dans la troisième travée de la nef. Elle est datée des années 1500 par comparaison avec celles de Carennac (Lot) ou de Reygade (Beaulieu, Corrèze). Elle devait se composer de sept personnes mais seuls quatre ont été mis au jour lors des fouilles archéologiques menées sur le site par Bernadette BARRIÈRE. Il s’agit visiblement de Nicodème, Jean, Marie et Marie-Madeleine. L’une des Saintes Femmes a été retrouvée intacte chez des particuliers. Ces statues sont réalisées en calcaire oolithique du Quercy. Les personnages placés à l’arrière mesurent 0.90m tandis que Joseph et Nicodème mesurent 1.35m. Des traces de polychromie rouge, verte et bleue sont visibles et ont été appliquées sur un apprêt ocre-rouge. Bernadette BARRIÈRE remarque le souci du détail vestimentaire et ornemental et rapproche ainsi l’œuvre de la Vierge de Piété d’Obazine1725. Nous connaissons également une clef de voûte provenant de l’abbaye, portant sculpté en relief le monogramme du Christ (IHS) tel qu’il est figuré dans nombre d’églises du BasLimousin. Le monogramme de la Vierge est placé au centre1726. Selon l’auteur, elle daterait probablement du XVème siècle [Fig. 598]. L’église aurait-elle été revoûtée à cette époque ? Bernadette BARRIÈRE évoque aussi certaines clefs de voûtes sculptées qu’elle date toutefois plutôt du début du XIIIème siècle1727. Trois sur quatre ont été retrouvées. L’une est scellée au pied de la croix placée devant le pignon sud du transept d’Obazine. L’une représente un canard aux ailes déployées, inscrit dans un cercle délimité par un bourrelet sculpté de feuilles tréflées stylisées. Une autre représente une sorte de mouton. Ces clefs montrent le départ de huit nervures : elles correspondraient ainsi à des voûtes gothiques à liernes, probablement datées du premiers tiers du XIIIème siècle selon les études de Claude ANDRAULT-SCHMITT. 1725 B. BARRIÈRE, « Éléments de statuaire retrouvés à Coyroux », TAL, vol. 6, p. 121-122. P. LALANDE, « Clef de voûte provenant de l’abbaye de Coyroux (Corrèze), XVème siècle », BSSHAC, T 9, 1887, p. 679-680. 1727 B. BARRIÈRE, « Note d’archéologie monumentale. L’église de Coyroux à Obazine », BSLSAC, T 98, 1995, p. 370-372. 1726 - 555 - VALETTE - 556 - 5. Valette (commune d’Auriac, Corrèze) : L’abbaye de Valette est située sur la commune d’Auriac, canton de Saint-Privat dans le département de la Corrèze. Elle appartient primitivement au diocèse de Limoges, puis à celui de Tulle depuis 1317. Elle est aujourd’hui recouverte par les eaux du barrage du Chastang et ne fait l’objet d’aucune protection au titre des Monuments Historiques. La carte de Cassini signale l’abbaye à la lisière d’un bois au bord de la Dordogne. Aucun sigle ne précise son appartenance à un ordre religieux. Le symbole du prieuré est représenté, petite église surmontée d’une crosse. La carte IGN au 1/25000ème la signale dans un méandre de la Dordogne. Nous y accédons par un sentier depuis la D 75 provenant d’Auriac. Elle est située dans une zone très boisée encore aujourd’hui, à l’ouest de la forêt domaniale de Miers, prolongée à l’ouest par les bois de Tarrieu, de Lagrillière, de Lachaux, de Charel, de Brieu et le Bois Grand [Fig. 600 et 601]1728. Sources manuscrites : L’abbaye de Valette est citée dans La Vie de saint Étienne d’Obazine ainsi que les autres fondations de l’ermite. Le moine rédacteur de la Vita nous apprend sur la fondation et le premier abbé du site, Bégon d’Escorailles : « L’autre, dans le siècle, était d’une haute noblesse et illustre par son rang dans la chevalerie. Il entre en religion et, de chevalier, devint moine ; ensuite, les mérites de sa vie le firent choisir comme abbé. Le monastère dont il avait la charge souffrait d’être situé dans une région inhospitalière et manquait de ressources. À la suggestion et sur les pressantes recommandations de Géraud, évêque de Limoges, le seigneur Étienne le transféra, après quelques années, aux limites du diocèse de ce prélat. Pendant toute sa vie, le saint homme fut toujours plein de sollicitude envers les monastères qu’il avait fondés comme s’il s’était agi du sien propre ».1729 1728 1729 IGN Série Bleue, 1/25000ème, Mauriac, 2334 O. M. AUBRUN, Vie de Saint Étienne d’Obazine…, op. cit., p. 109 ; Gallia Christiana, II, 682. - 557 - Un petit fonds de l’abbaye de Valette est conservé aux Archives Départementales du Cantal à Aurillac. La sous-série 23 H lui est consacrée mais ne comporte qu’un état des biens, cens et rentes de la mense conventuelle de l’abbaye à Tourniac, Chaussenac et Brageac (après 1786). Ces possessions sont donc dans le Cantal et forment un triangle autour de Brageac. Sont évoqués le « moulinot de la Valette » et la « grange de la Valette » sur la paroisse de Chaussenat, aujourd’hui village d’Escladines [Fig. 619]1730. L’abbaye désormais disparue est mieux connue grâce à un état des lieux dressé en 1711 à la demande de François Delort, abbé commendataire, également conservé aux Archives Départementales du Cantal [PJ 16]. Un rapport d’expert est rendu. Il se présente sous la forme d’un cahier de 10 feuillets et décrit avec une certaine précision les bâtiments monastiques1731. Ils apparaissent très négligés, en ruines pour la plupart. Entre le 17 août 1780 et le 22 mars 1781, un conflit oppose les abbayes de Valette et de Brageac dont les termes nous sont parvenus et sont conservés sous la cote 1 B 751-3. Les biens des deux sites sont énumérés et clairement distingués, une carte avec la répartition des possessions est même dressée pour éviter toute confusion. Un inventaire établi à l’abbaye de Valette vers 1590 après le passage des Huguenots permet de mieux connaître les possessions mobilières des moines blancs. Ainsi ont été inventoriées treize chasubles de diverses couleurs, deux pluvials, deux dalmatiques, trois nappes pour le grand autel dont une en dentelle, quatorze aubes, quatorze amis, trois grands psautiers, un reliquaire usé, une croix de procession en bois usé, une suspense en bois argenté1732. C’est monsieur CHAMPEVAL qui a découvert ce document précieux aux archives de la préfecture de Tulle. Dans les années 1780, un inventaire des ornements, titres et papiers de Valette et de Broc permet de dresser un état des lieux des bâtiments et des réparations à y faire. Le bâtiment des religieux est décrit comme un corps de logis à deux étages avec une terrasse sur le devant, le long de la Dordogne. L’église est dite ornée avec beaucoup de simplicité. Un logement pour les étrangers comporte deux étages. Sont citées une boulangerie, trois écuries et une grange. L’ancienne maison abbatiale est presque ruinée. Un jardin potager est placé côté sud. Quant au domaine de Valette qui doit correspondre à la grange de l’abbaye, il se compose d’une maison, d’un jardin potager, de bois en deçà de la Dordogne (chênes, hêtres, 1730 AD Cantal, 23 H 1. AD Cantal, 14 B 94 1 ; T. PATAKI, « État des lieux de l’abbaye Notre-Dame de Valette en 1711 », Lemouzi, n°35, 1970, p. 313-316. 1732 X. BARBIER DE MONTAULT, « Abbaye de Valette (1639) », BSLSAC, T 17, 1895, p. 353-354. 1731 - 558 - châtaigniers). Ce document très précieux nous apprend que les moines disposaient d’une exploitation à Peysidière sur la paroisse de Tourniac [Fig. 618]. Il correspond au lieu-dit actuel « Péridières » à deux kilomètres au sud de Tourniac1733. Ce domaine se compose en cette fin de XVIIIème siècle d’une maison, une grange, une cour, un jardin et un bois. Le domaine de Broc dépendant de l’abbaye de Valette est mieux connu grâce à un inventaire des ornements, titres et papiers de l’abbaye de Valette et de la chapelle de Broc, dressé dans les années 1780 [Fig. 609]. Nous savons ainsi que le domaine de Broc se compose d’un château formant un corps de logis avec deux pavillons sur le derrière, dans l’un desquels est la chapelle, le tout à deux étages. Il est également fait état d’une boulangerie joignant le château, une terrasse sur le devant, un jardin potager clos d’une muraille, un pavillon au fond du jardin, trois granges couvertes de paille. Le château est reconstruit à neuf par le seigneur abbé. Les murs sont décrits en pierres de taille de qualité. Le domaine est entouré d’une muraille en pierres sèches. L’ensemble est en bon état, de même que les burons des montagnes de Marlhoux et de Chartaix1734. Il est dit « L’inventaire des meubles qui sont dans ladite cuisine ainsi que ceux qui sont dans le salon y attenant, caves aussi attenantes, la fournial qui est à côté du salon. Dans la chambre qui est au-dessus du salon (chambre de l’abbé), cabinet y attenant, ni dans le corridor et deux petites chambres qui sont au-dessus de ladite cuisine (…). Attendu que ce qui y est lui appartient (au fermier Pougheol) et après avoir parcouru tous les dits appartements, sommes montés dans les greniers qui sont au-dessus de ladite maison (…). Ledit Pougheol nous a dit qu’un grand tas de blé noir qui est dans le grenier qui est au-dessus de la chapelle lui appartient. Ledit Me Chabrier, fermier des cens et rentes de la seigneurie de Broc nous a déclaré que ce qui appartient à l’abbé se trouve dans sa chambre, à savoir une petite table, un lit garni d’un matelas, couette et coussins de plume, deux couvertures de laine, pente et rideaux en serge grise, le tout fort usé. Quant à la chapelle, y étant entrés par la 1733 1734 IGN Série Bleue, 1/25000ème, 2334 O Mauriac. AD Corrèze, H 52. - 559 - porte du côté du cabinet, avons observé que la porte donnant au dehors vers le midi est sans serrure et fermée en dedans par une barre de fer. » Un inventaire de 1790 conservé aux Archives Départementales de la Corrèze permet également une meilleure connaissance du mobilier de l’abbaye [PJ 17]. Ce sont des officiers municipaux de la paroisse d’Auriac qui font cette visite à Valette et étudient les registres de compte, inventorient les dîmes perçues. L’église dispose d’un maître-autel avec un Christ en bois, des chandeliers, un reliquaire, un encensoir et sa navette, des chasubles et dalmatiques… Les ustensiles de la cuisine sont décrits. Les chambres des religieux de même que le pavillon en face de l’abbaye ne révèlent rien de précieux à part de vieux meubles. L’abbaye paraît relativement pauvre1735. Un autre document intitulé « Estimation des revenus et du capital de Valette » apporte quelques précisions sur l’état des bâtiments. Le corps de logis est couvert de tuiles en bon état et mesure 180 pieds de long sur 40 pieds de large (59.5 par 13.2m). Le premier étage est occupé par des chambres. L’église est de même couverte de tuiles et mesure 90 pieds de long sur 40 de large (29.7 par 13.2m). Un grillage de fer à feuillage sépare le chœur. Il mesure 24 pieds de large sur 7 pieds de haut (8 par 2.31m). Un autre bâtiment appelé « Le vieux Couvent » est destiné aux étrangers. Il est aussi couvert de tuiles, en assez mauvais état. Il mesure 200 pieds de long pour 26 de large (66 par 8.5m). Une mauvaise grange est couverte de paille. Elle mesure 60 pieds de long par 30 pieds de large (19.8 par 10). Enfin, une maison de métayer est citée, de 37 par 22 pieds (12.2 par 7.3m)1736. La même année sont estimés les biens nationaux. La liste des fonds dépendants du monastère est établie. Les moines disposent d’un pré de 12500 pieds de superficie, de 55 livres de revenu net ; du bois des Vignes situé contre la forêt de Freytine appartenant au village du Pont, de 40 livres de revenu1737. Les plans cadastraux peuvent également apprendre sur la physionomie des bâtiments monastiques de l’abbaye de Valette au XIXème siècle. Le cadastre de 1840 (section B) révèle trois bâtiments rectangulaires placés autour d’une parcelle carrée définissant le cloître. L’emprise du monastère correspond aux parcelles 116, 119, 121, 125, 126 et 129 [Fig. 602]. Le cadastre actuel (section B, feuille n°5, Auriac) est très différent puisque les bâtiments monastiques ont disparu suite à la mise en eaux du barrage du Chastang. Ils se 1735 AD Corrèze, Q 149. AD Corrèze, Q 127. 1737 AD Corrèze, Q 36. 1736 - 560 - situaient à l’origine sur la parcelle n°456. Par rapport au cadastre ancien, un nouveau bâtiment est édifié sur la parcelle n°457 [Fig. 603 et 604]. Historiographie : Jean-Baptiste CHAMPEVAL livre une petite étude de l’abbaye de Valette dans son ouvrage sur le Bas-Limousin seigneurial et religieux. Il reprend les principales dates de son histoire mais ne fait nullement état des vestiges encore conservés1738. Bernadette BARRIÈRE consacre une courte notice à l’abbaye noyée depuis la mise en eau du barrage du Chastang en 1951. Elle livre un état des lieux succinct concernant le peu de données pouvant être rassemblées sur le site1739. Historique : L’abbaye occupe la base du versant rive gauche de la vallée de la Dordogne qui s’encaisse de 300m dans le plateau, au cœur d’une zone forestière et sauvage. Cette « celle » est d’abord créée à l’initiative d’Étienne d’Obazine puis érigée en abbaye en 1143. En 1145, la communauté est transférée depuis Doumis-Le-Pestre (commune de Tourniac, Cantal). Le site primitif est en effet jugé trop inhospitalier par l’évêque et devient le siège d’une grange1740. En 1147, l’abbaye est affiliée à Cîteaux. Elle fait l’objet de nombreuses donations des seigneurs d’Escorailles, également bienfaiteurs d’Obazine. Bégon d’Escorailles en est le fondateur. Il est également un ancien disciple d’Étienne d’Obazine1741. Elle dispose en particulier d’un domaine important au Brocq (commune de Menet, Cantal) consacré à l’élevage bovin laitier. En 1187, Odon Ier, comptour de Saignes, cède sa villa du Monteil. En 1239, Guillaume d’Apchon donne la montagne de Marlhioux au-dessus de Brocq. En 1260, Aymeric de Claviers, seigneur de Murat-la-Rabbe donne l’affar de Faussanges et en 1284, par suite d’accord avec Bertrand de la Tour, les villages de Dijon et du Cheyrier. En 1302, l’abbaye échange le mas de la Condamine et l’affar de Lavergne contre le fief de la Fosse, au sud des terres de Brocq. En 1318, Bertrand VIII de la Tour cède à Astorg de Conroc, abbé de 1738 J-B. CHAMPEVAL, Le Bas-Limousin seigneurial et religieux ou géographie historique abrégée de la Corrèze, Limoges, 1896-97, p. 222. 1739 B. BARRIÈRE (dir.), Moines en Limousin…, op. cit., p. 201-205. 1740 « Suggestu ac precepto domni Geraldi Lemovicensis episcopi ». 1741 J-L. LEMAITRE, La Dordogne avant les barrages, Ussel, 1979, p. 9. - 561 - Valette, les rentes de Jalaniac dans la paroisse de Chastel-Marlhac, moyennant le prix de deux cens sols clermontois1742. Nous ne connaissons presque rien des autres possessions de Valette. Outre le domaine du Brocq, nous savons que l’abbaye disposait d’une grange dans l’enclos monastique et du domaine de la Péridière (com. Tourniac)1743. La carte IGN révèle un lieu-dit « moulin d’Auze » au sud-est de l’abbaye qui pourrait correspondre à une ancienne installation monastique [Fig. 44 et 60]1744. En 1304, le roi de France doit protéger l’abbaye contre les convoitises par des lettres de privilèges et de sauvegarde. Un article de A. VAYSSIÈRE nous permet de connaître un peu mieux l’un des abbés de Valette, Claude de Doyac. Celui-ci est sans doute le premier abbé commendataire de Valette en 1481. Il succède à Louis Valmier. Toutefois, Jean de Marsan est choisi par les moines comme abbé. Il gouverne l’abbaye quand Claude de Doyac arrive aux portes du monastère avec une troupe d’hommes. Jean de Marsan s’esquive et va demander asile à un seigneur en Auvergne. Claude de Doyac reste ainsi à l’abbaye jusqu’en 1493. Cet épisode est connu grâce à une bulle du pape Sixte IV pour Jean de Marsan, abbé élu de Valette le 22 juin 14831745. L’abbaye est dévastée par les protestants vers 1574. Elle perd alors une partie de ses titres qui sont brûlés. Elle est restaurée à la fin du XVIIème siècle, sans doute de 1675 à 1704. D’après l’abbé POULBRIÈRE, le rez-de-chaussée du bâtiment régulier est voûté de tout son long. Il ouvre à l’est par une belle terrasse qui longe la Dordogne 1746. Abandonnée pendant la Révolution Française, elle passe alors entre les mains de Jean-Auguste Pénières qui la vend en 1816 après y avoir installé une verrerie. En 1951, la mise en eau du barrage du Chastang empêche toute étude du site, dynamité avant relevés. Les barrages sur la Dordogne ont ainsi fait disparaître les prieurés de Port-Dieu, de Val-Beneyte, de Saint-Projet et l’abbaye de Valette. Vestiges archéologiques : 1742 C. CHAPPE-GAUTHIER, Granges fromagères d’Auvergne. La vie des moines fromagers dans les montagnes de Haute-Auvergne du XIIème au XVIIIème siècles, éditions Cheminements, Bron, 2007, p. 147. 1743 AD Corrèze, H 52. 1744 IGN Série Bleue, 1/25000ème, Mauriac, 2334 O. 1745 AN K 1179 ; A. VAYSSIÈRE, « Les malheurs d’un abbé de Valette », BSSHAC, T 7, 1885, p. 35-41. 1746 Abbé J-B. POULBRIÈRE, Dictionnaire historique et archéologique…, op. cit., 2ème édition, T I, p. 78-79. - 562 - À Doumis-Le-Pestre où seule une grange a pu subsister, nous pouvons encore observer quelques pierres de remplois dans une grange de construction récente ainsi qu’une source aménagée dont la datation est malaisée. Nous savons qu’il demeurait à Valette dans la première moitié du XXème siècle un petit escalier de pierres, un puits comblé, des caves voûtées, un cellier avec une voûte en pierres posées de chant, une petite pièce d’eau, des murs de soutènement délimitant la terrasse monastique du côté de la rivière ainsi que des éléments architecturaux vagabonds. Une porte romane est remontée à Auriac [Fig. 605]. L’abbaye est mieux connue grâce à un état des lieux dressé en 17111747. L’église mesurait 12 toises de long (environ 23.50m) pour 3.5 toises de large (environ 7m, mesures dans oeuvre)1748. Ces mesures semblent néanmoins douteuses et il semble préferable de se baser sur celles plus cohérentes de l’estimation des biens de Valette établie à l’époque révolutionnaire (église de 29.7m par 13.20m)1749. Le chœur mesure 6 toises de long (environ 11.50m), ce qui semble de même curieux car il occuperait la moitié de l’édifice. Les dimensions sont donc modestes. La largeur de la nef de 13.20m donnée à l’époque révolutionnaire permet d’imaginer la présence d’une nef à bas-côtés (nef de 7m de large, bascôtés de 3m de large par exemple). Le choeur est séparé de la nef par une muraille de sept pieds de haut avec une grande porte grillée au milieu. L’église est voûtée d’aix ( planches de boies ?), enduite et blanchie. S’agit-il d’une charpente ? Elle dispose d’un clocher carré à l’entrée, couvert de tuiles « blanches ». Ce clocher est rétabli depuis les années 1680. Un corps de logis est placé du côté de la rivière de la Dourdounie. Il mesure 28 toises de long pour 3.5 toises de large (environ 54.50m par 7m de large). Il dispose de deux caves, d’une sacristie avec une porte de communication avec l’église, d’un dortoir à l’étage de 28 toises par 7.5 pieds de large (54.50m par 2.50m). Le rez-de-chaussée est occupé par un réfectoire avec sa cheminée de 5.5 toises de long par 3.5 toises de large (11m par 7m), pavé de grands carreaux de pierres de taille. La cuisine est pavée de petites pierres de granite. Les angles du corps de logis ainsi que les piédroits des portes et des fenêtres sont en pierres de taille. Un autre bâtiment au nord joint le nouveau bâtiment au-dessus. Il s’agit du logis abbatial, en partie en ruines [Fig. 606]. 1747 AD Cantal, B 621 ; T. PATAKI, « État des lieux de l’abbaye Notre-Dame de Valette en 1711 », Lemouzi, n°35, 1970, p. 313-316. 1748 En Corrèze, la toise est de 1.948m, le pied de 0.325m. P. CHARBONNIER (dir.), Les anciennes mesures locales du Massif Central d’après les tables de conversion, Institut d’Études du Massif Central, ClermontFerrand, 1990, p. 112. 1749 AD Corrèze, Q 127. - 563 - Le cadastre de 1840 informe sur la disposition des bâtiments monastiques au XIXème siècle. Le carré du cloître est encore discernable bien que le bâtiment au niveau de la galerie sud ait entièrement disparu. Le côté est est occupé par un bâtiment allongé, sans doute le corps de logis cité dans l’état des lieux de 1711. Le logis abbatial au nord est également encore représenté en 1840. Le bâtiment à l’ouest est de forme trapézoïdale. S’agissait-il de l’ancien bâtiment des convers comme souvent dans les abbayes cisterciennes ? Un puits est signalé au sud des bâtiments monastiques. Un petit bâtiment longiligne est situé au nord du corps de logis. Un autre est placé à l’ouest, au niveau du chemin d’accès. Il pourrait s’agir de la porterie ou du « Vieux couvent » évoqué dans la description moderne, accueillant les étrangers1750. Le nom des parcelles du plan cadastral conserve les traces de certains aménagements monastiques : le Champ de l’Abbé au nord des bâtiments, Le Verger, La Péchière et le Bois du Prieur à l’ouest [Fig. 602, 603 et 604]. Des vestiges archéologiques proprement dit ne demeure guère que la porte de l’abbatiale, remontée à Auriac près du monument aux morts de la commune [Fig. 605]. Cette porte bâtie en moyen appareil de granite gris relativement grossier 1751, à fortes inclusions de mica et quartz, se constitue d’un arc en plein-cintre. L’ouverture est de 1.34m de large pour une profondeur de 0.91m. L’arc est composé de claveaux biseautés. Il est souligné d’un tore unique, reçu par deux puissants tailloirs de 0.19m de haut pour 0.31m de large, simplement moulurés d’une gorge. Les chapiteaux, colonnettes et bases ont disparu. L’arc est surmonté d’une archivolte ornée de motifs en damiers. Elle est prolongée par des cordons qui devaient courir le long de la façade. Cette porte pourrait correspondre à la porte d’entrée ouest, souvent de dimensions modestes et peu ornée ou à la porte sud rejoignant l’église et le cloître. Il est difficile de se prononcer face à la perte totale des vestiges de l’abbatiale médiévale. - Granges, moulins et viviers : Les investigations menées sur le site de l’ancienne grange d’Escladines à côté de Pleaux (Cantal) n’a révélé aucun vestige intéressant notre étude. Le domaine de Brocq présente des bâtiments quelque peu modifiés au XIXème siècle. Un ensemble de caves, de soues à cochons, un vaste four à pain, une laiterie sont encore observables dans la vallée du Violon, à proximité du bourg de Menet. Le site est à 600m 1750 1751 AD Corrèze, Q 127. Modules : L 0.42m ; l 0.23m ; h 0.22m ou L 0.47m ; l 0.24m ; h 0.36m. - 564 - d’altitude, entouré des montagnes de Charleix et de Marlhioux (1300m alt, com. Trizac)1752. Ce domaine est fondé grâce aux libéralités des seigneurs de Saignes, d’Apchon, de Murat-LaRabbe et des seigneurs de la Tour. Le cadastre napoléonien révèle la présence du « moulin de Broc » et de l’abbaye de Broc [Fig. 609]. La grange de Brocq va servir de logis à certains abbés commendataires, tel Joseph de Gontaud-Biron au XVIIème siècle. Elle se constitue d’une maison, d’une chapelle aujourd’hui détruite suite à un incendie et remplacée par un jardin en terrasse, ainsi qu’une vaste grange étable. À proximité, sur une butte au sud était un pigeonnier aujourd’hui disparu. Les terres et les prairies étant inondables, c’est un chemin-digue maçonné qui permettait l’accès au proche moulin [Fig. 614]. La demeure principale comporte un salon doté d’un dallage bicolore en galets1753. Cette maison d’habitation dispose au-dessus de sa porte d’entrée d’un linteau portant la date de 1841 [Fig. 610]. Elle est bâtie en moyen et grand appareil de tuf taillé avec soin. Le grand appareil concerne essentiellement les harpages et les soubassements. Un petit bâtiment rectangulaire en léger contrebas de cette demeure est daté de 1840 d’après le linteau au-dessus de l’une des portes. Il semble avoir servi de clapiers à lapins. La grange proprement dite, aujourd’hui transformée en étable, est un long bâtiment à pentes accusées, datée de 17.9 ( ?), d’après l’inscription gravée au-dessus d’une porte percée dans un des murs-pignons (nord) [Fig. 611]. Elle se constitue d’un arc surbaissé surmonté d’un arc de décharge en bâtière. Cette grange est bâtie sur de puissants fondements constitués de gros blocs non taillés1754. Les parements de moyen et grand appareil régulier montrent des traces de piquetage. Les murs gouttereaux sont percés de simples fenêtres allongées, étroites, rectangulaires. L’entrée principale au sud est une porte charretière à arc surbaissé, surmontée d’un arc de décharge en mitre. Des éléments lapidaires erratiques sont conservés sur la propriété dont une petite main bénissante sculptée et une base de colonnette octogonale [Fig. 612 et 613]. Le moulin englobe également une grange et une maison d’habitation, probablement demeure des convers [Fig. 615]. Il s’agit de constructions soignées en tuf. La maison des convers est de 17 par 15m. Elle est adossée au rocher, en partie enterrée. Le rez-de-chaussée comprend une salle voûtée surbaissée en pierres taillées et appareillées, ainsi que deux caves à fromage voûtées en plein-cintre1755. Un four circulaire est voûté en pierre de taille formant une coupole surbaissée de 2.37m de diamètre. Quatre loges à cochons sont voûtées. À l’étage, une 1752 C. CHAPPE-GAUTHIER, op. cit., p. 15. C. CHAPPE-GAUTHIER, op. cit., p. 178. 1754 Modules : 0.90 par 0.48 et 0.27m; 1.10 par 0.48 par 0.30m. 1755 C. CHAPPE-GAUTHIER, op. cit., p. 153. 1753 - 565 - vaste pièce dispose d’un sol couvert de grandes dalles de pierres. Il peut s’agir du dortoir. Puis une salle commune à laquelle succède une laiterie, petite pièce voûtée de 2 par 3.50m. Le moulin proprement dit est placé sur une dérivation du Violon. Il s’agit d’un bâtiment quadrangulaire dont le pignon sud est conservé. Les parements, en grande partie éboulés, sont de grand appareil pour les harpages et moyen appareil régulier [Fig. 615]1756. Certaines pierres de taille présentent des traces de pic marquées. En amont du moulin, un vivier maçonné servait de réservoir et permettait l’alimentation contrôlée en eau du moulin [Fig. 616]. Il était lui-même alimenté par un bief placé sur le cours du ruisseau de Brocq, aujourd’hui asséché mais bien perceptible dans le paysage car entièrement maçonné en pierres sèches. Ce moulin employait vraisemblablement une roue horizontale, entraînant une meule placée au rez-de-chaussée. Il ne demeure aujourd’hui des mécanismes que l’axe en bois. Le canal de fuite passant sous le moulin est bâti en belles pierres de taille. Il ouvre sur l’extérieur par un arc légèrement surbaissé composé de claveaux courts. D’autres aménagements sont perceptibles : un four et une cheminée sont installés dans le pignon sud du moulin. Un second moulin est placé en amont sur le bief, bâti en petit appareil irrégulier tandis que les harpages se constituent de moellons massifs [Fig. 617]. 1756 Module : 0.73 par 0.46 par 0.27m. - 566 - AUBEPIERRES - 567 - C. Les créations directes de l’Ordre de Cîteaux : 1. Aubepierres (commune de Méasnes, Creuse) : L’abbaye d’Aubepierres est située sur la commune de Méasnes, canton de Bonnat dans le département de la Creuse. Nous abordons le site monastique par la D5 qui s’enfonce en serpentant dans un vallon où coule le ruisseau de Lavaud. La carte IGN au 1/25000 ème ne la signale que par le lieu-dit « l’Abbaye »1757. Le nom d’Aubepierres n’apparaît même plus dans la toponymie actuelle, tandis que la carte de Cassini signale bien « Aubepierre » accompagnée du symbole représentant une église et une crosse attestant la présence d’un prieuré. Le sigle AB O. C. est précisé (abbaye d’observance cistercienne). Le site est désormais divisé entre plusieurs propriétés privées et ne bénéficie d’aucune protection au titre des Monuments Historiques [Fig. 620 et 621]. Il n’en reste actuellement quasiment aucun vestige en place, aucune élévation nous permettant de connaître les bâtiments monastiques médiévaux. Notre étude doit donc se baser sur les documents d’archives et l’historiographie contemporaine. Toutefois, les actes médiévaux ne font que très peu référence au bâti et les descriptions d’érudits sont souvent délicates à utiliser, parfois faussées par une forte imagerie romantique. Il est néanmoins nécessaire de faire le point sur l’ensemble des documentations concernant l’abbaye d’Aubepierres. Sources manuscrites et figurées : L’abbaye d’Aubepierres comporte un fonds aux Archives Départementales de la Creuse sous les cotes H 147 à H 196. Son patrimoine foncier est ainsi relativement bien connu grâce à ces actes médiévaux et modernes conservés. Toutefois, les dates ne sont pas systématiquement précisées. Nous pouvons également déplorer que les actes conservés ne comprennent pas de mentions architecturales. Le chantier médiéval, la mise en œuvre, l’approvisionnement des matériaux ne sont pas évoqués. Les sources de l’époque moderne peuvent alors parfois pallier les lacunes des documentations médiévales. Elles sont les plus importantes dans les fonds d’archives des abbayes cisterciennes du diocèse de Limoges. Les procès-verbaux de visite et d’expertise, les inventaires dressés à la Révolution sont des sources inépuisables d’informations pour l’historien et dans une certaine mesure pour 1757 IGN série Bleue 2128 E, Dun-le Palestel, 1/25000ème. - 568 - l’historien d’art. Suite aux destructions des guerres de Religion et aux négligences de certains abbés, les états de lieux se multiplient et inventorient avec précision les éléments mobilier et immobilier. Claude ANDRAULT-SCHMITT insiste sur l’importance de cette documentation : « la notion de paysage artistique disparu est intéressante en soi pour mettre l’accent sur le poids du hasard dans la connaissance de la réalité médiévale. Les procèsverbaux de visite de l’époque moderne pourront soutenir un effort d’imagination, à condition de ne pas commettre de contresens dans le vocabulaire de l’époque »1758. L’inventaire révolutionnaire de l’abbaye d’Aubepierres daté de 1790 est surtout basé sur la description des éléments de mobilier [PJ 18]1759. Il est précisé : « (…) l’église est un grand vaisseau pavé en carreau cuit dont il y en a la moitié de mauvais, éclairée par vingt-six croisées. Le sanctuaire est carlé en petit carreau cuit et éclairé par quatre croisées ». Les croisées désignent des baies. Le chevet plat était donc percé de quatre fenêtres. Nous pourrions imaginer un triplet surmonté d’un oculus comme il est fréquent dans un cadre cistercien (Prébenoît, Noirlac). La nef était donc éclairée par vingt-six baies, soit treize de chaque côté, un percement tous les quatre mètres si l’on n’en croit les dimensions relevées au XIXème siècle avant la disparition des fondations de l’abbatiale (50m de long environ). Quant au profil des baies, nous n’avons aucun indice. Étaient-elles brisées et à fort ébrasement comme dans la plupart des abbayes de Haute-Marche conservées (Bonlieu, Bellaigue, Prébenoît)? Ce type de baie est fréquent dans le premier tiers du XIIIème siècle au sein d’édifices paroissiaux (Gouzon en Creuse, Lamaids dans l’Allier) ou militaires (donjon de la Toque à Huriel, Allier). Si l’historien dispose ainsi de sources manuscrites pour appuyer ses recherches, rares sont les vestiges qui permettent une étude des créations artistiques de cette modeste abbaye marchoise. Concernant le mobilier, aucun élément n’est conservé. Pourtant, nous savons d’après les textes que les seigneurs de la Celle et les seigneurs de Puyguillon sont inhumés à Aubepierres dès le XIIème siècle. Ces inhumations ont-elles conduit à des embellissements du monastère ? Aucun vestige n’en demeure aujourd’hui. L’inventaire des objets mobiliers de l’église daté de 1790 nous permet d’imaginer le décor d’Aubepierres à l’époque moderne. 1758 C. ANDRAULT-SCHMITT, « Églises cisterciennes du Poitou », Revue Historique du Centre Ouest, T I, Société des Antiquaires de l’Ouest, Poitiers, 2004, p. 9-103. 1759 AD Creuse, H 232. - 569 - Nous tenions ici à en retranscrire un extrait puisqu’il s’agit de l’un des seuls documents que nous ayons à notre disposition1760. « Nous nous sommes transportés dans la sacristie où nous avons trouvé deux calices dont un en vermeil et l’autre en argent, un soleil qu’on pose sur le pied du calice d’argent, une boîtes de saintes huiles en argent, un vieux dais d’indienne dont les pentes sont en soie, franges d’argent faux, une chape en soie, neuf chasubles dont quatre en laine et cinq en soie, dix-neuf amicts, cinq aubes et deux surplis, trois corporaux, quarante-cinq lavabos ou purificatoire, deux mauvais devant l’autel et une table couverte d’une grosse toile (…). Le maître-autel est soutenu par quatre grandes colonnes en bois surmonté d’ornements au milieu duquel est une niche ou est une statue représentant la Sainte Vierge et l’enfant Jésus, dans lequel encadrement est un tableau représentant l’Assomption avec les apôtres, sous lequel est un vieux tabernacle peint, en petit gris, où sont quatre statues dorées saint Silvain, saint Paul apôtre, saint JeanBaptiste et saint Bernard, deux bras où sont les reliques de saint Denis, saint Gervais, saint Gilles, saint Denis, sept cadres dorés représentant saint Pierre, saint Paul, l’Annonciation, la Nativité de saint Jean-Baptiste, sainte Barbe, et notre seigneur à table avec deux pèlerins, une croix argentée, six chandeliers d’étain et deux petits de cuivre, six fiches pour poser les cierges, les cartons vitrés pour la messe, une vieille chaise tapissée, un missel, un antiphonaire gothique, deux psautiers et un graduel de l’ordre, un antiphonaire et graduel romain, deux processionnaux, un pupitre avec un mauvais tapis. 1760 AD Creuse, H 232. - 570 - L’autel est couvert de deux grosses nappes et d’une fine de dentelle et d’un tapis d’indienne. Deux petites cloches. Le chœur est planchée avec six stalles de chaque côté ». Cette description est donc très précise et très complète. Nous pouvons toutefois supposer que la majorité des éléments cités relèvent de l’époque moderne et ne correspondent pas à des réalités médiévales. Nous pouvons constater que le culte à saint Silvain, protecteur du saltus et des bois a perduré jusqu’à la fin du XVIIIème siècle dans ces zones de marches forestières et ne s’est donc pas démenti depuis l’époque médiévale. Une statue lui est réservée, placée à côté des saints apôtres et de saint Bernard, chef d’ordre, ce qui prouve bien son importance dans les dévotions. Le chœur est décrit avec douze stalles, ce qui laisse présager un nombre de moines relativement réduit à la période révolutionnaire. Ce seul document semble bien insuffisant à la connaissance du mobilier de l’abbaye d’Aubepierres particulièrement méconnu pour la période médiévale. Notre étude trouve ainsi ses limites face à l’indigence des vestiges archéologiques. Seules des fouilles permettraient peut-être de mettre au jour certains éléments intéressants. Historiographie : Au début du XXème siècle, l’érudit Henri DELANNOY rédige un court article concernant le monastère mais qui ne concerne toutefois que les conditions de la fondation et des informations sur le patrimoine foncier déduites d’après les actes conservés. Bâtiments et mise en oeuvre ne sont là encore pas mentionnés1761. Le dictionnaire d’André LECLER fait état du monastère marchois mais se borne à décrire les principaux évènements historiques ayant marqué la communauté cistercienne comme les Guerres de Religion et les troubles révolutionnaires. Aucune indication n’est toutefois livrée concernant les étapes de construction1762. C’est J. B. L ROY DE PIERREFITTE qui nous laisse percevoir le premier la physionomie du modeste monastère marchois dans la seconde moitié du XIXème siècle. Il décrit l’abbaye sur un plateau artificiel entouré d’un fossé. Le plan de l’abbatiale est évoqué, information très précieuse étant donné qu’aucun vestige ne nous est parvenu de cette 1761 H. DELANNOY, « Notes sur l’abbaye d’Aubepierre », MSSNAC, T 16, 1907, p. 43-86. A. LECLER, Dictionnaire topographique, archéologique et historique de la Creuse, Marseille, Laffitte Reprints, 1902. 1762 - 571 - architecture. Elle est disposée en croix latine, mesure 50m de long, 10m de long pour le bras du transept, 13.80m de large pour la nef1763. Il ne reste rien aujourd’hui de ce sanctuaire encore observable dans les années 1850. Le plan cadastral de 1836 n’atteste guère cette description puisque l’abbatiale apparaît comme un simple bâtiment rectangulaire sans transept [Fig. 622 et 624]. À l’est, un bâtiment conventuel est préservé, totalement disparu aujourd’hui. En effet, l’abbaye sert au XIXème siècle de carrière où les proches habitants viennent se pourvoir en matériaux de construction. L’auteur précise également les dimensions d’un bâtiment conventuel de l’aile sud du cloître qui mesure 54 par 13.80m. Il est aussi large que la nef. Outre ces quelques dimensions, nous ne possédons aucune autre information concernant le monastère dans les sources manuscrites ou dans les travaux d’érudits, données qui semblent bien ténues pour comprendre l’architecture et l’ordonnance du monastère. Nous disposons de quelques travaux historiques récents qui peuvent aider à la connaissance du monastère marchois. En 1956 et 1957, Michel AUBRUN livre une étude sur l’abbaye publiée dans les Mémoires de la Société des Sciences naturelles et archéologiques de la Creuse1764. Il présente un état des lieux précis des sources manuscrites disponibles aux chercheurs, revient sur les origines de l’abbaye et la constitution de son patrimoine. Il évoque rapidement l’organisation des bâtiments monastiques. D’après le plan grossier dressé au début du cartulaire et les mesures prises au XIXème siècle avant que les fondations n’aient disparu, il remarque que l’église est normalement orientée, bordée au Midi du cloître qu’entourent les autres constructions. Le chevet est plat, la nef bordée de collatéraux à la différence des Pierres, son abbaye-fille qui ne présente qu’une nef unique. Pour l’historien, ceci s’expliquerait par le fait que le monastère des Pierres ne dispose pas des mêmes revenus et de la même importance qu’Aubepierres. La communauté berrichonne était peut-être plus restreinte. Nous pourrions également voir ici un choix esthétique pouvant s’expliquer par la proximité de celles grandmontaines aux abords des Pierres, caractérisées par un parti très dépouillé et simplifié dépourvu de bas-côtés. La communauté des Pierres n’est en effet qu’à quelques kilomètres au sud des « Bonshommes » de Pentillou. La publication la plus récente concernant l’abbaye d’Aubepierres est une notice dans l’ouvrage réalisé sous la direction de Bernadette BARRIÈRE sur les implantations cisterciennes en Limousin1765. Le monastère ne fait toutefois l’objet que d’une double page qui récapitule les principaux actes et sources érudites la concernant. Les indications sur 1763 Nous pouvons supposer que cette dernière dimension inclut les bas-côtés. L’édifice n’est pas très large si on le compare à l’Escale-Dieu (14.50m avec collatéraux) ou Obazine (15.45m avec collatéraux). Par ailleurs, sa longueur totale permet de ma comparer à Silvanès (47.60m de long) ou encore Fontfroide (51m de long). 1764 Ces deux articles ont été réédités dans Moines, paroisses et paysans, PUBP, 2000, p. 9-53. 1765 B. BARRIÈRE (dir.), Moines en Limousin…, op. cit., p. 138-139. - 572 - l’architecture et l’organisation des bâtiments monastiques restent là encore relativement ténues. Le cadastre de 1836 permet toutefois de préciser l’emplacement de l’église et des bâtiments monastiques. Le carré des lieux réguliers est placé sur la partie ouest d’une vaste plate-forme de près de 200m de long, partiellement cernée par des fossés naguère en eau dont parlait déjà J. B. L. ROY DE PIERREFITTE. Seul un arc en pierre demeure, vestige d’une porte d’entrée de l’ancien enclos daté du XVIIIème siècle. Un mémoire de maîtrise d’histoire sur la constitution du patrimoine et les aménagements hydrauliques d’Aubepierres était en cours lors de la publication de 1998 mais n’a apparemment pas abouti1766. Ces études succinctes témoignent des difficultés à retracer l’architecture de l’abbaye d’Aubepierres. Le plan au sol est connu mais par ailleurs nous ne savons rien de l’élévation du sanctuaire et des bâtiments conventuels. Si les études d’historiens sont rares concernant l’abbaye d’Aubepierres, elles sont totalement inexistantes en histoire de l’art. Claude ANDRAULT-SCHMITT est l’une des seules à avoir abordé l’architecture et les créations artistiques des abbayes cisterciennes de Haute-Marche. Toutefois, son article s’attache aux monographies des monastères de Bonlieu, de Prébenoît et du Palais-NotreDame. En effet, elle base son étude sur les fondations à l’initiative de Géraud de Sales, ce qui exclut Aubepierres, création directe de l’ordre de Cîteaux1767. Historique : Dès la première moitié du XIIème siècle, le diocèse de Bourges connaît la présence cistercienne. La Prée est fondée dès 1128, Lorroy en 1135 et Barzelle en 1137. La Colombe est érigée en abbaye en 1146. L’abbaye d’Aubepierres, sise au sud du bourg de Méasnes, est fondée en 1149 dans le diocèse de Limoges par des moines venus de Clairvaux selon la volonté de l’archevêque de Bourges Pierre de la Châtre et avec l’approbation de l’évêque de Limoges. Nous n’avons aucune source attestant l’existence d’un ermitage primitif sur ces terres. Claude ANDRAULT-SCHMITT interprète cette création comme une volonté des claravalliens de s’implanter dans les marges du diocèse de Limoges pour bloquer le développement d’établissements concurrents tel Dalon. En s’attachant à l’exemple des fondations du diocèse de Poitiers, elle constate que les filiales de Clairvaux sont rares ; l’abbaye-mère opte pour des « filles stériles » afin de mieux tenir en main son réseau, ce qui 1766 Mémoire de Cyrille DURAND à l’université de Limoges sous la direction de B. BARRIÈRE. C. ANDRAULT-SCHMITT, « Des abbatiales du « désert ». Les églises des successeurs de Géraud de Sales dans les diocèses de Limoges, Poitiers et Saintes (1160-1220) », BSAOMP, 5ème série, T 8, 1994, p. 91-173. 1767 - 573 - n’est toutefois pas le cas d’Aubepierres qui essaime au monastère des Pierres. Dans le diocèse de Poitiers, les processus d’affiliation se réalisent indépendamment des groupes de pression de l’abbé de Clairvaux, à la différence du Berry pour qui l’action de Pierre de La Châtre, ami de saint Bernard, est primordiale1768. Aubepierres sera donc à l’origine de la fondation de l’abbaye des Pierres. La Gallia Christiana est toutefois très obscure quant aux liens de filiation des deux monastères. À propos d’Aubepierres, il est stipulé : « Albae Petrae, ord. Cisterciensis abbatia, filia Claraevallis et Petrarum, in finibus hujus diocesis fundatur III id junii 1149 »1769. Les Pierres est présentée comme la mère d’Aubepierres. Toutefois, à propos de l’abbaye des Pierres, elle atteste une fondation en 1149 par Aubepierres dont elle semble cette fois être la fille : « Beata Maria de Petris, ordinis Cisterciensis, filia monasterii de Albis Petris sub Clara-Valle in parochia S. Pauli de Sidialles et in archidiaconatu de Castra. Sita prope Culentum in valle horrida. Fundature anno 1149, benficio praesertim Radulfi et Ebonis Dolensium principum »1770. Les abbayes de la Colombe, Aubepierres, Les Pierres et Varennes ne sont pas solidaires des deux grandes mouvances cisterciennes du diocèse de Limoges issues d’Obazine et de Dalon. Les moines disposent d’un certain nombre de granges : la Porte, la Grange, Lavauvieille et Bourliat sont les plus proches de l’abbaye, à moins de 10 km, tandis que Chibert est sur la commune de Glénic plus au sud, Fondenet et Fontgilbert près d’Argenton en Berry [Fig. 89, 632]. Nous n’avons toutefois pas retrouvé « La Porte » et « Bourliat » sur les cartes de Cassini ou les cartes IGN. Leur existence est néanmoins bien attestée dans les textes. 1768 C. ANDRAULT-SCHMITT, « Les églises cisterciennes en Poitou », RHCO, T I, Société des Antiquaires de l’Ouest, Poitiers, 2004, p. 9-103. 1769 Gallia Christiana, T II, coll 644. 1770 Gallia Christiana, T II, coll 215. - 574 - « La Porte » devait correspondre à la porterie du monastère et revêtait sans doute une fonction d’accueil des pèlerins et des pauvres. Les possessions des cisterciens s’étendent jusqu’en Boischaut, notamment pour la viticulture (vignes de Marzelle)1771. Les moines de Haute-Marche pratiquent également l’élevage et la céréaliculture. La création de ces granges s’est souvent accompagnée de défrichements1772. Ces unités d’exploitation agricole sont fréquemment associées à un moulin. Ainsi, les textes médiévaux révèlent l’existence d’un moulin à l’abbaye même (désormais nommé « Le Moulin Neuf »), à Chibert (« Le Moulin Neuf », Glénic), Vaumoins (« le Moulin Noyé », Glénic), Rebeyret (Roche) ainsi qu’à Lavauvieille (« Le Moulin Neuf » au bord de la Petite Creuse, au sud de l’abbaye). L’étude des cartes IGN au 1/25000 ème permet de cartographier la majorité de ces installations [Fig. 29 et 47]1773. La carte de Dun-Le-Palestel révèle à 500m au nord-est de l’abbaye un lieu-dit « la Tuilerie » qui peut évoquer une ancienne installation monastique, à moins qu’il ne s’agisse d’un bâtiment artisanal moderne ou contemporain1774. Les moines produisent peut-être leurs propres briques et tuiles. Sans l’appui des textes, nous ne pouvons toutefois dater cette structure. À 1 km au nord d’Aubepierres, le toponyme « La Bergerie » peut également faire référence à une ancienne exploitation cistercienne. Ceci est d’autant plus plausible que nous savons que les moines pratiquent l’élevage. Au sud-ouest d’Aubepierres, le lieu-dit « les Forges » pourrait également s’apparenter à une ancienne industrie mais nous ne nous déterminer si elle relève de l’époque médiévale. Dès le XIIIème siècle, le patrimoine de l’abbaye devait être constitué. Quelques actes attestent de l’existence relativement précoce de ces granges et moulins. En 1165 une terre est donnée à la communauté à Bourliat1775. Certaines granges cisterciennes disposent de leurs propres chapelles qui appartenaient parfois aux terres données aux abbayes. Elles sont fréquentes lorsque les granges sont trop éloignées de l’abbaye pour permettre aux convers de rentrer pour les offices. C’est le cas notamment à Aubepierres qui aurait huit chapelles 1771 H. DELANNOY, « Notes sur l’abbaye d’Aubepierre », MSSNAC, T 16, 1907, p. 43-86 ; AD Creuse, H 166. Les vignes de Marzelle sont données par Pierre Vital et sa femme Pétronille. 1772 C. HIGOUNET, « Les types d’exploitations cisterciennes et prémontrés du XIIème siècle et leur rôle dans l’édification de l’habitat et des paysages ruraux », dans les Actes du Colloque International de l’Université de Nancy, Géographie et histoire agraires, 1957, Nancy, 1959, p. 266-271. 1773 Les moulins et granges de la commune de Glénic apparaissent sur la carte IGN série Bleue 2229 O de Guéret, 1/ 25000ème. 1774 IGN série Bleue, 2128 E, Dun-Le-Palestel, 1/25000ème. 1775 AD Creuse, H 147. - 575 - associées à des granges. Bourliat étant à neuf kilomètres de l’abbaye, elle jouissait ainsi de son propre sanctuaire1776. En 1209, les moines obtiennent d’Eudes de Cluis la promesse de protéger leur grange de Fontenay. En 1247, Hélie de Ladapeyre renonce à tous les droits qu’il pouvait avoir sur le moulin de Vaumoins sur la Creuse dépendant de la grange de Chibert (Glénic). D’autres actes sont plus récents. Nous connaissons en particulier une transaction en 1324 à propos du moulin de Chibert1777. D’après les statuts de l’ordre cistercien, il semblerait qu’une grange de « Broulhac » soit vendue par l’abbé d’Aubepierres. Il pourrait s’agir de la grange de Bourliat1778. Un acte de 1461 concerne un contrat d’acquisition du Moulin Gayet à Aigurande par les seigneurs de Châteauroux1779. Nous n’avons toutefois pas trouvé traces de ce moulin dans la toponymie actuelle. L’abbaye d’Aubepierres est en mesure de développer une activité commerciale dès les années 12001780. Les actes conservés montrent un essor des donations depuis la fondation en 1149 jusqu’au milieu du XIIIème siècle à un rythme relativement soutenu. Le cartulaire révèle en particulier une concentration de donations dans les années 1163-11651781. Les seigneurs de Malval, les comtes de la Marche, les nobles de Chauvigny, Ajasson et Chamborand soutiennent de leurs générosités les moines blancs nouvellement installés 1782. Nous pouvons envisager le début de la mise en œuvre d’Aubepierres dès les années 1150. Au Bas Moyen-Âge, l’abbaye semble très ruinée puisque même le Chapitre Général annuel de l’ordre de Cîteaux déplore la « désolation » de l’abbaye d’Aubepierres. Il est décidé de céder au modeste monastère trois florins par an pendant cinq ans pour aider à son redressement1783. Vestiges archéologiques : - Abbatiale, bâtiments conventuels et remplois : 1776 D. H. WILLIAMS, « Cistercian Grange Chapels », dans T. N. KINDER, (dir.), Perspectives for an Architecture of solitude…, op. cit., p.213-221. 1777 AD Creuse, H 147 et 172. 1778 J-M. CANIVEZ, Statuta…, op. cit., T IV, 1430-31. 1779 AD Creuse, H 147. 1780 C. HIGOUNET, « Le premier siècle de l’économie rurale cistercienne », dans Villes, sociétés et économies médiévales, Bordeaux, 1992, p. 455-474. 1781 AD Creuse, H 147. 1782 H. DELANNOY, « Notes sur l’abbaye d’Aubepierre », MSSNAC, T XVI, 1907, p. 43-86. 1783 J-M. CANIVEZ, op. cit, T IV, 1453-56. - 576 - Il ne reste que quelques vestiges des aménagements monastiques de l’abbaye d’Aubepierres, si bien qu’il semble difficile aujourd’hui de se faire une idée de l’organisation du monastère médiéval. Le plan cadastral de 1836 (section E) permet toutefois de mieux la cerner [Fig. 622]. Le carré du cloître est encore discernable (parcelle 285). L’église est placée au niveau de la galerie nord (parcelle 286), le long du chemin de l’abbaye. Seule son emprise au sol est représentée comme un simple vaisseau longiligne. Le bâtiment est est entièrement détruit. Les bâtiments ouest sont en partie conservés. Deux petites constructions quadrangulaires sont en effet représentées (parcelles 281 et 284). Un vivier (parcelle 275) est conservé au nord de l’abbaye, relié au « ruisseau de l’Abbé ». Deux bâtiments de ferme longitudinaux sont disposés au nord du site (parcelle 276). Les noms de parcelle conservent le souvenir d’anciennes installations comme l’Étang à l’est, désormais asséché, La Garenne ou la Vigne. Le chemin-digue de l’étang est encore conservé. Il longe le côté nord de l’emplacement de l’abbaye. Le cadastre actuel (section BD) permet de constater la conservation des deux bâtiments longitudinaux au nord du site (parcelles 62, 63 et 65), réunis par un porche moderne [Fig. 623]. Les deux petits édifices quadrangulaires présents sur le cadastre napoléonien sont remplacés par des habitations (parcelle 66). L’église et le carré du cloître correspondent à la parcelle 69. Le chemin de l’abbaye d’Aubepierres est encore signalé. Le vivier correspond à la parcelle 67. Nous entrons sur le site par une arche en plein cintre de 2.80m de large, vestige d’une porte de l’enclos du monastère et qui relie désormais deux bâtiments d’habitations contemporaines [Fig. 625 et 626]. Elle est en granite gris à grains moyens avec peu d’inclusions de quartz. Le matériau est ainsi d’une relativement bonne qualité et le grain permet une taille assez précise. En effet, la grosseur des grains entraîne des imperfections et éclats à la taille. Or ici le rendu est lisse et sans aspérité. Nous pouvons nous interroger sur la provenance de ce matériau. Aubepierres est implantée sur un sol granitique comme le prouve la Carte archéologique de la Gaule1784. Les bâtisseurs n’ont donc pas eu besoin d’importer les blocs depuis des carrières éloignées. La toponymie peut peut-être aider à préciser l’emplacement de la carrière. En effet, à quelques kilomètres au nord-est de l’abbaye, un lieudit « La Perrière » pourrait évoquer une ancienne exploitation. Les textes médiévaux ne faisant aucune référence à la mise en œuvre et au déroulement du chantier médiéval, il nous est toutefois délicat d’attester cette hypothèse de source sûre. 1784 D. DUSSOT, Carte archéologique de la Gaule, Creuse, Paris, 1989. - 577 - L’arche ne présente aucune modénature complexe, excepté un chanfrein de 10cm de large qui se prolonge sur les angles des montants de la porte. Les piédroits mesurent 68cm de large pour une profondeur de 48cm. Ils font alterner des carreaux longs de 29 par 68cm et des carreaux larges de 46 par 43cm. L’arche proprement dite se compose de claveaux de taille irrégulière liés de mortier de chaux relativement épais. Cette structure est surmontée d’écoinçons constitués de moellons irréguliers liés d’un épais mortier de chaux. La différence d’appareillage nous laisse supposer qu’ils relèvent d’une époque postérieure. Une toiture de tuiles à deux versants vient couronner l’arche. L’ensemble des bâtiments d’exploitation actuels ne conserve malheureusement pas de vestiges médiévaux. L’abbatiale a totalement disparu ainsi que ses fondations encore discernables au XIXème siècle. Ne demeurent que des chapiteaux remployés dans une maison d’habitation et un vivier. Face à cet état de ruines, il est très difficile pour l’historien et l’historien d’art d’appréhender le monastère d’Aubepierres. Les aménagements hydrauliques ont finalement marqué les paysages beaucoup plus sûrement que les architectures aujourd’hui disparues. Ce ne sont pas toujours les formes artistiques pourtant largement privilégiées des érudits et chercheurs qui sont les mieux préservées. Deux éléments lapidaires intéressants ont toutefois été conservés. Ils apparaissent en remploi à l’angle sud-ouest du bâtiment agricole placé au nord de l’ancien emplacement de l’abbatiale. Il s’agit de deux fragments de chapiteaux de granite gris très foncé disposés en frise [Fig. 627]. Ils sont superposés dans la paroi à plusieurs mètres du sol, intercalés entre les gros blocs de granite formant chaînages d’angle, disposition qui ne facilite pas leur lecture. L’élément supérieur est particulièrement bûché et érodé. Les grains sont très fins, permettant une taille délicate sans éclatement de la roche. Ces deux éléments comprennent les départs de deux fines colonnettes surmontées d’une frise de petits chapiteaux à crochets formant boules. Les tailloirs ne sont presque plus lisibles et se réduisent à un mince bourrelet très usé. La présence des boules pourrait attester une datation de la première moitié du XIIIème siècle. En effet, le même type de chapiteau se retrouve dans l’une des chapelles du transept de l’abbatiale de Dalon (1220-1250) [Fig. 253-254]. Les boules sont toutefois plus ouvragées à Dalon, recouvertes de coquilles. Peut-être le calcaire de Saint-Robert permet une finition plus « précise et élégante des motifs »1785. Le granite employé à Aubepierres ne se prête guère à ce genre de motifs très fins. Un chapiteau en calcaire de l’abbaye de la Colombe dispose 1785 C. ANDRAULT-SCHMITT, dans B. BARRIÈRE (dir.), op.cit, p. 42. - 578 - également de boules d’angle qui émergent de crosses végétales (années 1200) [Fig. 680]. Le motif d’Aubepierres n’est pas si élaboré et les crosses ne sont pas présentes1786. Les chapiteaux d’Aubepierres paraissent plus frustes du fait même du choix du matériau qui favorise peut-être moins une sculpture délicate comme le calcaire. Quant à sa provenance, il paraît délicat de se prononcer étant donné nos lacunes concernant l’architecture et le décor de l’abbaye d’Aubepierres. Ces éléments pourraient appartenir à un portail à ébrasements comme nous en connaissons à Bonlieu dans le premier tiers du XIIIème siècle. Toutefois, la disposition en frises des chapiteaux attesterait d’une datation légèrement plus tardive. En effet, elle se retrouve plutôt dans le second tiers du XIIIème siècle (Lamaids). Il pourrait également s’agir du couronnement d’un pilier quadrangulaire à colonnettes cantonnées dans les angles comme nous avons pu en rencontrer au XVème siècle au niveau d’une arcade du cloître de l’abbaye de Varennes. Nous ne disposons toutefois d’aucun élément pouvant étayer l’une ou l’autre de nos hypothèses. Michel AUBRUN fait également état d’un bassin rectangulaire conservé dans une propriété privée aux Buis (commune de Lourdoueix-Saint-Michel au nord-ouest de l’abbaye). Il pourrait correspondre au lavatorium du cloître de l’ancien monastère1787. Nous ne l’avons toutefois pas retrouvé lors de nos propres prospections. Ces seuls éléments paraissent encore bien indigents à la connaissance de l’abbaye marchoise. Cette sculpture relativement délicate atteste toutefois du soin porté au décor même au sein d’un monastère aux revenus modestes. - Aménagements hydrauliques : Des installations hydrauliques sont encore discernables dans le paysage et semblent avoir plus marqué la physionomie de ce petit vallon creusois que les créations à vocation religieuse. Le site même de l’abbaye conserve un vivier pour lequel il est cependant difficile de donner une datation précise [Fig. 628 et 629]. Il devait servir de réserve de poissons pour la communauté cistercienne qui ne pouvait manger de viande. Il apparaît sur le cadastre de 1836 [Fig. 622]. En 1998, lors de la parution de l’ouvrage dirigé par Bernadette BARRIÈRE, celuici était encore en eau. Il est aujourd’hui asséché et totalement laissé à l’abandon. C’est un grand bassin oblong cerné de murets mêlant granites et schistes. Nous pouvons présager qu’il recourrait aux mêmes matériaux que ceux de l’abbatiale. Les éléments lapidaires préservés sont en effet en granite gris relativement fin. Les moines utilisaient souvent les matériaux directement présents sur le site. La bonde est encore conservée au niveau de la paroi ouest et 1786 1787 C. ANDRAULT-SCHMITT, op.cit, p. 73. M. AUBRUN, op.cit, p. 16-17. - 579 - permettait à l’eau de se déverser en contrebas et de rejoindre le ruisseau de Lavaud qui serpente à l’ouest des bâtiments monastiques. Le vivier est relié à son extrémité nord au « ruisseau de l’Abbé » qui coulait sur trois kilomètres en amont du monastère. Il n’est plus entretenu aujourd’hui et est totalement envahi de friches (environ 50m de long pour 15m de large). En 1998 déjà, Bernadette BARRIÈRE constate que « l’entretien du Ruisseau de l’Abbé serait souhaitable pour aider à la préservation de ce patrimoine en voie de disparition ». Dix ans plus tard, la situation nous paraît encore plus alarmante1788. Le moulin le plus proche de l’abbaye est « le moulin Neuf » placé sur le ruisseau de Lavaud à cinq cent mètres au sud-ouest de l’abbaye d’Aubepierres. Il apparaît encore dans la toponymie actuelle. Toutefois, la maison d’habitation ne conserve aujourd’hui aucun vestige de l’ancienne installation. Par ailleurs, une pierre tombale du monastère sert de linteau audessus d’une porte tandis que des piédroits de porte en granite gris aux grains fins semblent également provenir du site cistercien [Fig. 630 et 631]. À l’intérieur de la propriété, un petit chapiteau est encastré dans un mur. Il est de granite gris foncé très similaire à celui utilisé pour les chapiteaux en frise remployés dans un bâtiment de l’abbaye. Nous ne voyons que la partie supérieure du tailloir qui comporte l’inscription 1618. Il pourrait s’agir d’un petit chapiteau de colonnette de cloître médiéval retravaillé au XVIIème siècle. Toutefois, ne pouvant l’observer sous toutes ses faces, il nous paraît délicat de proposer une interprétation et une datation certaine pour cet élément. À quelques kilomètres au nord-ouest d’Aubepierres est située la grange de Lavauvieille, au-dessus de la Petite Creuse. Des installations médiévales, il ne reste rien, les trois bâtiments d’exploitation ayant été détruits au début du siècle selon l’actuelle propriétaire des lieux. Au bord de la Petite Creuse, le moulin a entièrement disparu et la digue qui barrait le cours d’eau est réduite à quelques dalles de schiste. Tous deux ont été emportés dans les années 1960. Toutefois, nous pouvons supposer que la digue et le moulin présentaient des caractéristiques similaires au « Moulin Neuf » près de Glénic, évoqué ci-dessous. Le « Moulin Noyé » sur la commune de Glénic correspond peut-être au moulin de Vaumoins cité dans les actes médiévaux. Il est placé sur la Creuse en contrebas de la D 940 à quelques kilomètres au nord-ouest du bourg de Glénic, près du hameau de Vaumoins. Il est aujourd’hui réaménagé en hôtel-restaurant. Ne demeure désormais qu’une digue en pierres assemblées à sec relevant sans doute du XVIIIème ou XIXème siècle, prolongée aux 1788 B. BARRIÈRE (dir.), Moines en Limousin (…), op.cit, p. 138-139. - 580 - extrémités par un petit muret moderne. Une meule de granite est conservée sur la rive droite de la Creuse [Fig. 636 et 637]1789. Le « Moulin Neuf » est placé sur la Creuse presque au niveau de Glénic [Fig. 633, 634 et 635]. Il s’agit désormais d’une propriété privée. Le moulin proprement dit a été très restauré par les propriétaires. Les mécanismes internes de l’époque moderne sont encore visibles. Un bief longe la maison et actionne la roue du moulin. Une digue en pierres sèches est placée sur le cours de la Creuse. À quelques mètres sur la gauche du moulin moderne, un petit muret de 80cm de haut environ est conservé. Il est néanmoins très ruiné. Il s’agit de l’angle d’un ancien bâtiment. Des blocs de granite à grains fins et aux carreaux relativement importants assemblés en pierres sèches composent un chaînage d’angle soigné1790. Le blocage interne est de schiste. Il pourrait s’agir d’un vestige de l’ancienne installation médiévale du début du XIIIème siècle. Il est toutefois délicat d’attester cette hypothèse face à un vestige si ruiné. Ainsi, les installations hydrauliques correspondent bien souvent à des réalités modernes et rares sont les témoins des aménagements médiévaux. Toutefois, il nous paraît probable que les moulins et digues modernes pérennisent les anciennes implantations médiévales. L’exemple du « Moulin Neuf » permet d’étayer cette hypothèse puisque le moulin actuel ne devait être qu’à quelques mètres de celui du XIIIème siècle. Ainsi, même si les vestiges pris en compte n’appartiennent pas directement à la période étudiée dans notre analyse, ils sont néanmoins une source d’informations essentielle à notre connaissance des pré industries cisterciennes du Moyen-Âge. 1789 1790 IGN Série Bleue 2229 O, Guéret, 1/25000ème. Les carreaux sont environ de 40 par 30cm. - 581 - DERSES - 582 - 2. Derses (commune de Saint-Hilaire-Peyroux, Corrèze) : L’abbaye de Derses est située sur la commune de Saint-Hilaire-Peyroux dans le canton de Tulle en Corrèze. Elle n’est pas signalée sur la carte de Cassini. La carte IGN indique le lieu-dit « Derses » sur la D 141, au cœur d’un îlot boisé1791. Il ne reste toutefois presque aucun vestige en élévation de cette ancienne abbaye féminine [Fig. 638]. Sources manuscrites : Les Archives Départementales de la Corrèze n’ont conservé que très peu de documents concernant Derses, ce qui ne facilite guère notre tentative de reconstitution du monastère. Nous disposons d’un procès-verbal d’évaluation d’après le bail daté de 1791 qui ne nous donne toutefois que peu d’informations directement utiles à notre étude1792. Historiographie : En 1889, G. CLÉMENT-SIMON livre une courte notice sur l’abbaye de Derses. Il s’agit de l’une des seules études historiques que nous ayons à notre disposition1793. En 1896, Jean-Baptiste CHAMPEVAL décrit très brièvement l’historique de l’abbaye de Derses dans son ouvrage sur le Bas-Limousin seigneurial et religieux1794. Une double page est consacrée à ce monastère féminin dans l’ouvrage de Bernadette BARRIÈRE publié en 1998. Un rappel est fait sur l’historique du site. Les connaissances sont toutefois limitées face à la disparition des archives et des vestiges archéologiques1795. Historique : Cet établissement féminin est implanté à proximité des sources du ruisseau de la Couze. Il est placé sous le vocable de Saint Jean-Baptiste et Notre Dame. Il s’agit d’un essaimage de l’abbaye auvergnate de l’Esclache (com. Prondines, Puy-de-Dôme, ancien 1791 IGN Série Bleue, 1/25000ème, Tulle, 2134 E. AD Corrèze, Q 46. 1793 G. CLÉMENT-SIMON, « Notice sur le couvent de Derses, paroisse de Saint-Hilaire-Peyrou », BSSHAC, T 11, 1889, p. 546-568. 1794 J-B. CHAMPEVAL, Le Bas-Limousin seigneurial et religieux…, op. cit., p. 11. 1795 B. BARRIÈRE (dir.), Moines en Limousin…, op. cit., p. 167-168. 1792 - 583 - diocèse de Clermont) dans les années 1200, à la demande de la famille de Malemort. En 1218, une donation de Gérald de Malemort du lieu de Derses et de ses dépendances confirme la donation faite par son aïeul1796. Les moniales bénéficient également des libéralités de Guillaume de Chartoule, de Sainte-Féréole1797. L’abbaye de L’Esclache était déjà florissante au milieu du XIIème siècle. En 1159, elle fonde l’abbaye de Bussières près de Culan dans le diocèse de Bourges (com. Bourges, Cher). Les liens sont étroits entre l’Esclache et Derses puisque les prieures viennent souvent du monastère auvergnat. Les études toponymiques menées sur les cartes IGN et de Cassini permettent de connaître un peu mieux le patrimoine de l’abbaye de Derses et certaines installations monastiques aujourd’hui disparues [Fig. 58]. Le « Moulin du Sacquet » sur la Couze au sudouest de l’abbaye est peut-être un souvenir d’une ancienne meunerie médiévale. De même concernant le moulin du « Bourquet ». Toutefois, il est difficile de savoir s’il dépendait des moniales de Derses ou des paroissiens de Saint-Hilaire-Peyroux1798. En 1670, elle est donnée au couvent des Bernardines de Tulle. Jean-Baptiste CHAMPEVAL date toutefois cette donation de 16731799. Il est question de la prieure de « Saint-Bernard de Tulle et de Saint-Jean de Derses ». Nous pouvons nous interroger sur les motivations de cette fondation si proche d’Obazine (à 12 km seulement), confiée à une abbaye si éloignée. En 1691, l’afferme de ses revenus ne donne plus que 250 livres, témoin de la pauvreté et de la modestie de ce monastère. L’obligation est faite au fermier de faire dire chaque semaine une messe dans la chapelle. Lui étaient confiés pour cela des vases sacrés et ornements. Au XIXème siècle, il existait toujours une dévotion à la fontaine Saint-Jean le dimanche avant le 24 juin pour y faire laver la tête de jeunes enfants comme préservation du mal [Fig. 648]1800. Vestiges archéologiques : Les plans cadastraux peuvent apporter quelques informations sur l’abbaye de moniales de Derses, aujourd’hui disparue [Fig. 639, 640 et 641]. Le cadastre ancien de 1824 (section de Femblat) présente un bâtiment au sud terminé en abside pouvant correspondre à une chapelle et trois petits édifices de plans quadrangulaires, dépendances ou granges (parcelles 479-480). 1796 G. CLÉMENT-SIMON, « Notice sur le couvent de Derses… », op.cit, p. 546-568. Abbé J-B. POULBRIÈRE, Dictionnaire historique et archéologique…, op. cit., 2ème édition, T III, p. 167168. 1798 IGN Série Bleue, 1/25000ème, Tulle, 2134 E. 1799 J-B. CHAMPEVAL, op. cit, p. 11. 1800 Abbé J-B. POULBRIÈRE, op. cit, p. 167-168. 1797 - 584 - L’église était ainsi encore discernable au XIXème siècle. Elle mesurait environ 20m de long. L’une des parcelles à l’ouest de ces bâtiments est de forme rectangulaire (parcelle 481), légèrement allongée, et pourrait être rattachée à un ancien vivier, ce qui semble confirmé par les prospections menées sur le terrain. Le cadastre actuel (section AD, 1969) montre encore une partie de ce qui pourrait être un enclos monastique englobant les parcelles 42, 43, 44 et 48. Des vestiges de muret en pierres sèches sont conservés tout au long de ces parcelles. La parcelle 45 correspond à un bois. En contrebas y coule une dérivation du ruisseau de la Couze. Sur la parcelle 43, un bâtiment de ferme remploie des pierres de taille de l’ancienne abbaye [Fig. 643]. Sur la parcelle 42 devait être l’ancienne église, aujourd’hui remplacée par un bâtiment d’habitation, terminé à l’est par un four à pain. On peut encore observer des pierres taillées en biseau ainsi que quelques fragments grossiers de sculpture. La face nord présente une ouverture sur une cave surmontée d’un linteau gravé, sans doute une dalle funéraire retaillée. À l’intérieur, une cheminée présente un linteau gravé de 1711 [Fig. 642, 644 et 647]1801. Une adjonction prolonge le bâtiment vers le sud. Quant à la parcelle 48, elle révèle la présence de structures bâties pouvant correspondre au pourtour d’un vivier [Fig. 645]. En léger contrebas, au nord, les vestiges d’une petite structure de plan quadrangulaire se discernent encore. Un angle de ce bâtiment est conservé et présente des pierres de taille [Fig. 646]. Il est néanmoins difficile d’en préciser la fonction et la datation. Un toponyme « Font de la Chapelle », en contrebas, là où coule la dérivation du ruisseau de la Couze, rappelle une pratique de dévotion perdue. Les vestiges d’une fontaine y sont repérables. À quelques kilomètres au nord-ouest de l’abbaye, le moulin de Sacquet est placé le long de la Couze. Il pourrait s’agir d’une ancienne dépendance des moniales (cadastre actuel, parcelle 24, propriété de M. Emile Goudat). Le bâtiment, aujourd’hui très bien entretenu, conserve des vestiges de mécanismes, de roues et de meules. 1801 G. CLÉMENT-SIMON, « Notice sur le couvent de Derses… », op.cit, p. 546-568. - 585 - LA COLOMBE - 586 - 3. La Colombe (commune de Tilly, Indre) : L’abbaye de la Colombe est située sur la commune de Tilly, canton de Belâbre dans le département de l’Indre. Elle appartient à l’ancien diocèse de Limoges, à la charnière des trois régions : le Limousin, le Poitou et le Berry. L’abbaye est signalée sur la carte IGN au lieu-dit « La Colombe » sur la départementale D 441802. Elle apparaît également sur la carte de Cassini qui la matérialise par un clocher ainsi qu’une crosse et les initiales réservées aux abbayes d’hommes AB. R. H. O.C (abbaye d’hommes d’observance cistercienne). Nous ne savons toutefois pas à quoi le « R » peut correspondre [Fig. 649 et 650]. Sources manuscrites et figurées : Les fonds d’archives concernant l’abbaye de la Colombe sont dispersés entre Guéret, Châteauroux et la Bibliothèque Municipale de Poitiers1803. Ces fonds ont par ailleurs fait l’objet d’un dépouillement exhaustif effectué par Jérôme PICAUD en 19951804. Pour la connaissance des bâtiments monastiques et du mobilier dont disposaient les moines, les écrits du moine bénédictin Dom FONTENEAU datant du XVIIIème siècle sont particulièrement précieux. Nous pouvons glaner certaines descriptions du monastère. Il écrit : «(…) en la croisée de l’église de la Colombe, du côté droit de l’épître1805, est une fort petite chapelle voûtée où il y a un autel proportionné au-dessus duquel est un tableau de saint Jean-Baptiste. Cette chapelle était autrefois ornée de peinture briquetée et de feuillages. Un cintre en arcade ou ogive forme l’entrée de cette chapelle ». Il s’agit probablement de la chapelle sépulcrale édifiée pour les seigneurs de la Trimouille au XIVème siècle qui disposait donc d’une architecture gothique. Elle est vraisemblablement enduite d’un appareil à faux-joints. Elle devait être placée au niveau du 1802 IGN série Bleue 2028 0, Lussac-Les-Eglises, 1/25000ème. AD Creuse, H 523 ; AD Indre, H 725 à 739, F 1107 (travaux d’érudits des XIXème et XXème siècles). 1804 J. PICAUD, L’abbaye cistercienne de la Colombe au Moyen-Âge, maîtrise sous la direction de Bernadette BARRIÈRE, université de Limoges, 1995, 213 p. 1805 L’épître se trouve traditionnellement à droite de l’autel dans le sanctuaire. 1803 - 587 - bras sud du transept1806. Concernant le mobilier, nos connaissances ne sont guère plus précises et les sources historiques ne sont pas d’un grand secours. Dom FONTENEAU est le seul à livrer cette courte description citée précédemment1807. Excepté ces maigres indices, les mentions architecturales sont quasiment inexistantes. Un inventaire des titres de 1629 permet simplement une meilleure connaissance du patrimoine foncier des moines blancs1808. Historiographie : Quelques travaux d’érudits permettent heureusement de mieux connaître cette modeste abbaye berrichonne tandis que les sources d’archives médiévales et modernes restent indigentes. En 1861, Émile de BEAUFORT, un érudit qui a énormément travaillé au Berry et particulièrement aux environs de Saint-Benoît-du-Sault décrit l’abbaye de la Colombe1809. Il évoque le grand corps de logis encore observable aujourd’hui, disposant d’un premier étage d’habitation. Du côté du chapitre (à l’est), le cloître offre encore une rangée de colonnes accouplées. La cour du cloître est remplie de tombes. Face aux lacunes des sources manuscrites et à l’indigence des vestiges archéologiques, nous tenons à citer entièrement ce passage très éclairant pour notre étude, seul témoignage précis de l’organisation des bâtiments du monastère de la Colombe. « Je suis arrivé près d’un siècle trop tard pour traiter ce sujet : la salle du chapitre, l’église, une partie des cloîtres, les bâtiments principaux de l’abbaye n’existent plus (…). Un canal bordait le monastère du côté du bas. Sur le chemin qui descend au ruisseau, de grandes étables formaient le côté d’une vaste cour où on entrait par deux portes garnies de créneaux à mâchicoulis (…). Le côté le plus élevé était fermé encore par des bâtiments de service tels que granges, hangars, bergeries, établis avec goût, ayant presque l’apparence d’un château, que leur donnait un pavillon plus élevé placé au milieu. Le fond de la cour était occupé par le monastère proprement dit. Il consistait en un grand corps de logis avec premier étage, une assez grande porte au centre et des fenêtres grandes et carrées. Cette façade n’annonçait pas une haute antiquité et datait probablement du 1806 Dom FONTENEAU, Manuscrits, vol V, chap. IV, p. 357-489 ; J. PICAUD, op. cit, p. 60. Dom FONTENEAU, op. cit, p. 357-489. 1808 AD Indre, H 735. 1809 É. DE BEAUFORT, « Abbaye de la Colombe », MSAOMP, T 26, 1861, p. 307-310. 1807 - 588 - temps de Louis XIV. Un intervalle qui restait entre ce bâtiment et les granges permettait de s’avancer jusqu’à l’entrée de l’église. Une cour plus petite était établie, pour le cloître, derrière le monastère, et était close par l’église en haut, par une grande aile en retour du monastère en bas, et de l’autre côté par le chapitre. Cinq ou six grandes arcades à plein-cintre formaient le côté nord ou du bas et fermaient le devant d’une galerie couverte adossée à l’aile en retour parallèle au ruisseau (…). Du côté du chapitre, le cloître offrait une rangée de colonnes accouplées dont nous avons retrouvé des chapiteaux (…). Le mur de l’église formait sous arcade le côté du midi (…). À en juger par quelques débris bien travaillés et qui avaient appartenu à l’église, elle devait être d’une belle architecture. » Ainsi, dans la seconde moitié du XIXème siècle, il ne reste déjà plus beaucoup de vestiges de l’abbaye de la Colombe. La description des galeries nord et est du cloître sont intéressantes étant donné qu’il n’en reste rien aujourd’hui. Les arcades étaient en plein-cintre et reposaient sur des colonnes jumelées. Nous n’avons retrouvé qu’un seul chapiteau qui pourrait s’apparenter à cette structure. Il livre une datation de la façade du corps de logis qui remonte selon lui à l’époque de Louis XIV et a ainsi été déjà bien remanié depuis l’époque médiévale. En 1889, GAUDON publie également une étude sur l’histoire de l’abbaye de la Colombe. Il reprend en grande partie la description d’Émile de BEAUFORT. Il précise que le sanctuaire disposait d’une chapelle dédiée à Marie qui deviendra sépulcrale par la suite en acceptant l’inhumation de trois sires de la Trimouille au XIVème siècle. Il fait état de tombes dans la cour du cloître1810. L’épitaphe d’Alix de Huret, la femme de Rémi de la Trimouille est encore lisible lorsque l’auteur se rend sur le site en 1889. En effet, l’abbaye de la Colombe devient la nécropole des sires de la Trimouille, principaux bienfaiteurs du monastère. Ils obtiennent un droit de sépulture à l’intérieur de la chapelle de la Vierge. C’est ainsi que Guy III est inhumé en 1316, Guy IV en 1360, Guy V en 1350. Dès 1229, Amelius et Audebert, deux chevaliers, obtiennent également des droits de sépulture, ainsi que Maheu, mère de Guillaume de Château-Guillaume en 12401811. GAUDON fait également état d’une pierre audessus d’un fourneau présentant des figures d’anges. Elle est également citée par MaximeJules BERRY qui évoque la représentation d’anges aux ailes dessinées en creux et de lettres 1810 1811 D. GAUDON, « Histoire de l’abbaye de la Colombe », Revue du Centre, 1889, T XI, p. 168-175. J. PICAUD, L’abbaye cistercienne de la Colombe (…), op. cit, p. 60. - 589 - gravées1812. De quelle époque date cette sculpture ? Henri LANDAIS écrit que l’abbaye de la Colombe aurait disposé d’un bas-relief historié1813. S’agit-il d’un fragment de cet élément ? Henri LANDAIS fait référence à une description de Gilliebertus au XIIIème siècle dans la Disputatio Ecclesiae et Synagogae éditée dans le tome V du Thesaurus Novus Anecdotorum des mauristes de MARTÈNE et DURAND (vol. 1457-1506). Ce relief comprenait une Descente de Croix, un Christ en gloire, une Mise au tombeau, le Couronnement d’épines, la Résurrection, le Portement de Croix et la représentation de l’Église et la Synagogue. La description de Gilliebertus peut prêter à confusion et pourrait convenir également à un vitrail ou à un ivoire sculpté. Toutefois, les vitraux cisterciens n’adoptent majoritairement que des motifs géométriques. Il serait ainsi plus probable qu’il s’agisse d’un bas-relief. L’étude d’Henri LANDAIS nous paraît néanmoins sujette à caution. Il se base sur l’article de BLUMENKRANZ, publié deux ans auparavant, en 1955. Celui-ci retranscrit des extraits du manuscrit de Gilliebertus sur l’Église et la Synagogue. Il explique alors que l’agencement de ce texte semble correspondre à la description d’un tableau, d’une œuvre directement placée sous les yeux d’un auditoire. Les thématiques décrites sont d’ailleurs fréquentes sur les ivoires et bibles moralisées. BLUMENKRANZ suppose alors que le manuscrit correspond à un vitrail ou un bas-relief de l’abbaye de la Colombe d’où provient le texte de Gilliebertus. Cette hypothèse paraît toutefois quelque peu hasardeuse, et Henri LANDAIS l’a simplement reprise à son compte sans justification supplémentaire1814. Lors de nos propres prospections, nous avons découvert dans le jardin attenant au corps de logis un fragment de dalle en calcaire marquée de très fines inscriptions pouvant correspondre aux lettres évoquées par Maxime-Jules BERRY. Le bas d’un drapé est visible. Il pourrait également s’agir des ailes d’un ange comme les décrivaient GAUDON. Cette pierre pourrait s’apparenter à un fragment de bas-relief mais il semble délicat de le mettre en corrélation avec les suppositions de LANDAIS et BLUMENKRANZ [Fig. 671]. GAUDON fait lui aussi état de deux portes d’entrée dans l’enceinte monastique qui disposaient de créneaux et de mâchicoulis. Ces aménagements pourraient correspondre à une phase de fortification comme les abbayes de Bonlieu et de Prébenoît ont pu en connaître. L’auteur précise que la salle du chapitre présentait de petites arcades à minces colonnes. Il décrit également les aménagements hydrauliques du site1815. 1812 M. J. BERRY, Belâbre…, op. cit., Royer, 1992, p. 272-274. H. LANDAIS, « À propos d’une étude récente. Un vitrail ou bas-relief historié de l’abbaye de la Colombe ? » BM, T CXV, 1957, p. 42-46. 1814 B. BLUMENKRANZ, « Un vitrail ou un bas-relief historié de l’abbaye de la Colombe », Revue des Sciences Religieuses, T 29, 1955, p. 239-249. 1815 D. GAUDON, « Histoire de l’abbaye de la Colombe », Revue du Centre, 1889, T XI. 1813 - 590 - En 1969, M. GIRARD rédige une petite étude sur l’abbaye où il revient rapidement sur les conditions de la fondation. Il mentionne le vestige d’une porte portant l’inscription 1434 dans un bâtiment à l’ouest de la cour, seul vestige d’un bâtiment conventuel. L’abbaye aurait donc connu une importante réfection au XVème siècle1816. Maxime-Jules BERRY s’attache lui aussi à décrire les vestiges du monastère du Boischaut1817. Il le considère comme une abbaye bénédictine, renommée pour ses terres fertiles et ses grasses prairies. Il propose un plan très rationalisé des bâtiments monastiques, présenté en annexe [Fig. 652]. Toutefois, ce document reste délicat à exploiter, l’auteur ne livrant pas d’échelle. Le chevet de l’église est représenté avec une abside. Nous n’avons néanmoins aucune preuve aussi bien dans les textes que sur le terrain d’un tel choix de plan. Des fouilles archéologiques seraient nécessaires pour espérer retrouver les fondations et le plan au sol du sanctuaire. Maxime-Jules BERRY ne justifie d’ailleurs pas son choix. Il représente des tombes au niveau de la galerie ouest du cloître, de l’abside de l’église. Le logement du prieur occupe la galerie nord, le chapitre la galerie est. À l’ouest, une étable et des granges sont disposées autour d’une vaste cour. Nous pouvons douter de la précision d’un tel plan très rationalisé. Les attributions qu’il propose pour les emplacements des bâtiments conventuels ne sont pas justifiées. L’abbaye de la Colombe est quelque peu délaissée par l’historiographie contemporaine. En 1932, dans son étude sur l’architecture cistercienne en Berry, René CROZET n’en fait que très peu mention. Il précise simplement que les lieux réguliers sont disposés au nord de l’abbatiale dont il ne reste plus aucun vestige1818. C’est la disposition inverse de celle adoptée par l’abbaye des Pierres et de Varennes. L’ouvrage de Bernadette BARRIÈRE réserve une courte notice à l’abbaye de la Colombe. Elle fait un résumé des principales sources disponibles pour l’étude et livre un état des lieux très succinct. Elle évoque quelques éléments lapidaires encore conservés sur le site. Elle ne consacre que trois pages au monastère1819. L’étude la plus récente et la plus complète est le mémoire de maîtrise de Jérôme PICAUD1820. Il analyse très précisément le patrimoine foncier de l’abbaye qui dispose de douze granges en Boischaut et en Poitou. Il retrace l’environnement aristocratique de l’abbaye, l’évolution des possessions au fil des siècles. Son approche est celle d’un historien 1816 M. GIRARD, « Sur les traces de la Colombe », Vie catholique du Berry, 1969, p. 322-324. M. J. BERRY, Belâbre (...), op.cit, p. 272-274. 1818 R. CROZET, L’abbaye de Noirlac et l’architecture cistercienne en Berry, Paris, 1932. 1819 B. BARRIÈRE, op. cit, p. 160-162. 1820 J. PICAUD, op. cit. 1817 - 591 - et se base exclusivement sur des sources manuscrites et érudites. Il ne donne alors que très peu de renseignements concernant l’architecture [Fig. 653]. Il insiste sur le fait que les descriptions du XIXème siècle sont relativement peu fiables étant donné que les érudits ont toujours la volonté d’imaginer ce que pouvaient être les bâtiments. Il fait état d’une mise en œuvre qui s’échelonnerait de la seconde moitié du XIIème siècle jusqu’au début du XIIIème siècle. Les bâtiments auraient été extrêmement remaniés au XVème siècle comme le prouve la date inscrite sur le linteau d’un bâtiment conventuel. Le seul édifice encore en place est le logis abbatial au niveau de l’aile occidentale du cloître qui conserve une fenêtre gothique ainsi qu’un corbeau qui devait soutenir la toiture du cloître primitif1821. L’abbaye de la Colombe n’a donc jamais fait l’objet d’une étude d’histoire de l’art à proprement parler, ce qui s’explique aisément par le peu de vestiges conservés. Toutefois, si les élévations sont quasi inexistantes, certains éléments lapidaires nécessitent une étude plus poussée. Historique : Il reste quelques vestiges du monastère de la Colombe, érigé en abbaye en 1146. Un ermitage préexistait probablement au début du XIIème siècle. L’archevêque de Bourges et les vicomtes de Brosse auraient poussé les cisterciens à s’intéresser à l’ermitage. En 1138, les moines de Preuilly, cinquième fille de Cîteaux, forment une communauté trop vaste. Un groupe de moines se détache et est envoyé sur les terres de la Colombe concédée par les seigneurs de Brosse. Les donations constantes des seigneurs de la Trimouille permettent par la suite l’agrandissement et la survie de la communauté nouvellement installée 1822. Nous ne connaissons pas de charte de fondation pour le monastère. La Gallia Christiana nous permet alors de proposer une datation : « Columba Beata Mariae sacra, ordinis cisterciensis, filia Pruliaci, diocesis olim Bituricensis, in utrisque finibus ad fluvium Caldereti, inchoata legitur anno 1146, in territorio vicecomitis Bruciae (…) ». 1821 1822 J. PICAUD, op. cit, p. 24. M. GIRARD, « Sur les traces de La Colombe », Vie catholique du Berry, 1969, p. 322-324. - 592 - Jérôme PICAUD constate que les catalogues de l’ordre cistercien donnent quant à eux la date de 1138 qui correspond à l’arrivée des moines de Preuilly. L’abbaye était-elle déjà cistercienne avant son rattachement à Preuilly ? Existait-il bien un ermitage primitif ? Les moines de l’abbaye du diocèse de Sens ont-ils été appelés par les vicomtes de Brosse ou par une première communauté soucieuse de se conformer à la Règle ? Les sources écrites sont insuffisantes pour nous permettre de répondre1823. Les sources manuscrites concernant la naissance de l’abbaye de la Colombe sont restreintes et les étapes de construction et de constitution du patrimoine du monastère ne sont guère déductibles des quelques actes conservés. Les donations répétées des sires de la Trimouille permettent un essor rapide de l’abbaye qui compte douze granges rurales et périurbaines [Fig. 91]. Elle semble ainsi aussi prospère que l’abbaye de Bonlieu dans les Combrailles. D’après une étude précise des sources manuscrites, Jérôme PICAUD constate que la plus forte expansion de la Colombe relèverait des années 1208-1260. Des années 1260 à 1350, les acquisitions de rente se multiplient et s’imposent comme les éléments majeurs de la constitution du patrimoine. L’affiliation à Cîteaux ne serait pas dès lors déterminante à l’expansion des territoires cisterciens1824. La construction relèverait selon Jérôme PICAUD de la seconde moitié du XIIème siècle jusqu’au début du XIIIème siècle comme le confirment les deux baies conservées dans le logis abbatial (galerie ouest de l’ancien cloître) ou encore le chapiteau de calcaire à boules remployé en façade d’une propriété privée (années 1200) [Fig. 680]. L’extension des possessions de l’abbaye de la Colombe est relativement bien cernée grâce aux études érudites et surtout grâce à ce mémoire compilant l’ensemble des sources manuscrites et faisant le point sur la constitution du patrimoine foncier de l’abbaye. Douze granges sont attestées à Argenton, la Châtre, Bordessoule (Saint-Maurice-La-Souterraine sur la vicomté de Bridiers), Chabannes, Châteauroux (relais commercial et cellier), GuéRossignol (commune de Magnac-Laval, Haute-Vienne), Montgenoux (commune de Prissac), Montmorillon, La Roche-Posay, Tillisset (Thélisset sur la carte IGN) et La Varenne (paroisse de Bazaiges). Ces exploitations agricoles et possessions urbaines sont dans un rayon de 10 à 35 km de l’abbaye. Elles pratiquent la céréaliculture (surtout le seigle) et l’élevage (essentiellement des porcs). Elles sont majoritairement constituées entre les années 1200 et 1260 qui correspondent à la plus grande phase d’expansion du monastère. Certaines ne sont plus présentes dans la toponymie actuelle [Fig. 31 et 50]. C’est le cas du Gué-Rossignol qui 1823 1824 J. PICAUD, op. cit., p. 34. J. PICAUD, op. cit, p. 92. - 593 - n’apparaît plus depuis le XIXème siècle. L’abbaye dispose également de vignobles au Blanc. Comme la plupart des sites cisterciens de Haute-Marche, les activités vinicoles sont déplacées en Berry pour une meilleure qualité des terres. Concernant les aménagements hydrauliques, il est fait état d’un moulin à drap à Chaillac (moulin de « l’Eschimoult »), d’un moulin à grains à La Varenne, du moulin du Pin à l’ouest de l’abbatiale, du moulin de Latus et du moulin à huile de l’abbaye1825. Ils sont parfois éloignés des chefs-lieux des granges, les cours d’eau pouvant être jugés « insalubres ». La plupart des aménagements sont mis en place dès le XIIIème siècle comme le prouvent les actes conservés. En 1190, le moulin de la grange de Varenne existe déjà puisque qu’un contentieux naît entre les moines et le seigneur A. Lepha qui reproche aux religieux d’autoriser les paroissiens à venir moudre leurs grains au moulin de Varenne. Dès 1212, Hugues Brun, comte de la Marche, donne ses droits sur la grange de Montgenoux. En 1213, Guy de Chaillac donne un moulin près de Chaillac, sans doute le moulin de l’Eschimoult1826. Le moulin du Pin est donné par Guyot du Pin en 1218 1827. En 1255, une transaction avec les religieux de Montmorillon concerne le moulin de Montgenoux1828. La toponymie actuelle conserve des témoins de certaines installations, peut-être médiévales [Fig. 31 et 50]1829. La carte de Cassini révèle un lieu-dit « La Perrière » au nordouest de la Colombe qui correspond probablement à un gisement exploitable de pierres de construction. À quelques kilomètres au nord-est, le toponyme « Les Forges » évoque une ancienne exploitation peut-être d’origine monastique. « Le Moulin du Pin » apparaît encore dans la toponymie. « Le Conduit » au sud de l’abbatiale se réfère à la Fontaine du Conduit qui fournissait de l’eau à l’abbatiale. Trois lieux-dits évoquent des tuileries : « La Tuilerie de Loissière », « La Tuilerie » et « La Tuilerie de Gué-Martin » toutes situées dans un rayon de cinq kilomètres au sud de La Colombe. Nous ne savons toutefois si elles appartenaient aux moines cisterciens. Vestiges archéologiques : Les quelques vestiges de l’époque médiévale sont divisés entre plusieurs propriétés privées, au bord du ruisseau du Vavret. Cette dispersion n’a guère facilité la prospection et il n’a pas toujours été aisé d’accéder aux sites face aux réticences de certains propriétaires. Un 1825 J. PICAUD, op.cit, p. 114 ; D. GAUDON, « Histoire de l’abbaye de la Colombe », Revue du Centre, 1889, T XI. 1826 AD Indre, H 726. 1827 AD Indre, H 725. 1828 AD Indre, H 728. 1829 IGN Série Bleue, 2028 0, Lussac-Les-Eglises, 1/25000ème. - 594 - seul bâtiment est encore en élévation ; le corps de logis s’est substitué au bâtiment des convers. Il longe la galerie ouest du cloître aujourd’hui entièrement disparue et dont il ne reste effectivement que le puits. Il a été très remanié à l’époque moderne et contemporaine et ne dispose que de rares éléments encore médiévaux [Fig. 663]. L’église est entièrement détruite avant 1833 si on se réfère au plan cadastral [Fig. 651 et 654]. De même pour le bâtiment à l’est du cloître (salle capitulaire et dortoir). Le bâtiment au nord correspondant au réfectoire est détruit au milieu du siècle. Ne demeurent que quelques pierres taillées rassemblées dans la cour de l’ancien cloître et un autel qui évoquent encore l’ancien sanctuaire. En contrebas de la terrasse qui portait le carré du cloître se perçoivent deux grands viviers allongés alimentés par une dérivation du Vavret. Une propriété à l’ouest des bâtiments claustraux conserve également certains éléments lapidaires médiévaux ainsi que des poutres remployées pouvant appartenir à d’anciens bâtiments conventuels. Une autre habitation conserve l’ancien moulin à huile de l’abbaye ainsi que certains fragments de linteau et de chapiteaux. Tous ces éléments « vagabonds » seront étudiés précisément. Il est cependant très difficile de connaître le plan, l’élévation et les principales étapes de construction de ce monastère berrichon. Nous ne savons à l’heure actuelle s’il fut précédé d’un établissement à vocation érémitique. En effet, les structures érémitiques sont généralement de petites cellules en matériaux périssables ne laissant aucune trace en élévation. L’arrivée sur le site est plutôt déstabilisante puisqu’on ne reconnaît de prime abord aucun vestige médiéval, aucune physionomie qui puisse rappeler une abbaye cistercienne. La propriété en contrebas, près du Vavret, ne présente que des éléments lapidaires en remplois ainsi que des vestiges du moulin à huile. Un petit chapiteau en calcaire a été retrouvé en remploi dans la façade nord d’une propriété privée en contrebas au nord-ouest des anciens aménagements monastiques [Fig. 680]. La corbeille présente un profil polygonal et devait s’adapter à une colonne de même forme. Elle dispose de feuilles simplifiées, de crosses végétales et de boules d’angle. L’astragale est délicatement renflé. Ce type de corbeille est comparable à certains chapiteaux de Saint-Yrieix, Grandmont ou encore Dalon, bien que les chapiteaux y soient plus travaillés, les boules recouvertes de coquilles. Les boules simples de La Colombe pourrait correspondre à une datation des années 1200, caractéristiques d’un « premier gothique » qui va tendre à plus de raffinement dans les années 1220-1250 (Dalon, corbeilles disposées en frise)1830. La provenance d’un tel élément paraît très délicate à 1830 C. ANDRAULT-SCHMITT dans B. BARRIÈRE, op.cit, p. 73. - 595 - déterminer. Comme il est inséré dans une façade, nous ne pouvons l’observer sous tous les angles et constater s’il correspondait à une colonne engagée ou isolée. Il pourrait s’agir du chapiteau d’une colonnette de cloître de forme polygonale ou d’un élément de portail à ébrasements. Nous savons en effet que le cloître dispose de rangées de colonnes accouplées du côté du chapitre. Ce chapiteau pourrait parfaitement s’adapter à ce type de support 1831. D. GAUDON décrit également une salle capitulaire qui dispose de petites arcades à minces colonnes auxquelles ce chapiteau pourrait appartenir1832. Nous en observons en effet d’assez semblables au niveau de la salle capitulaire de Noirlac qui ouvre sur la galerie du cloître par de petites colonnes aux chapiteaux à feuilles lisses délicats. Dans la même façade de cette propriété privée, sous le chapiteau, est également remployé un fragment de bases de colonnes appartenant vraisemblablement à un portail à ébrasement [Fig. 680]. Cet élément étant quasiment entièrement encastré dans la paroi, il est toutefois délicat de l’étudier. Trois bases sont conservées. Elles reposent sur un socle dont la partie supérieure est soulignée d’un léger biseau. Les tores inférieurs sont aplatis mais ne disposent pas encore de griffes aux angles, ce qui pourrait correspondre à une datation de la seconde moitié du XIIème siècle. Les scoties sont assez profondes, surmontées par un tore qui n’est presque plus lisible. Cet élément emploie le même calcaire très fin que le chapiteau précité et nous pourrions imaginer qu’ils soient associés. Il pourrait s’agir d’un fragment de portail à ébrasements ou de supports à l’entrée d’une salle capitulaire comme à Noirlac. Toutefois, il paraît délicat de privilégier une hypothèse face à un bloc totalement extrait de son contexte. Un autre élément erratique est déposé dans la cour de cette propriété privée. Il s’agit vraisemblablement d’un linteau de baie de 82cm de long conservé sur 30cm de haut et 32cm de large [Fig. 682]. L’ouverture est de 40cm et ne saurait donc convenir à une porte. Il est toutefois difficile de se prononcer sur la provenance et la datation d’un tel élément. Il ne relève probablement pas des XIIème et XIIIème siècles où les baies adoptent un profil plutôt brisé ou en plein-cintre. Ce fragment pourrait se rattacher à une période moderne de réaménagement des bâtiments conventuels. La première maison d’habitation à l’ouest du logis abbatial conserve des éléments médiévaux auxquels nous avons pu avoir accès grâce à la sollicitude du propriétaire [Fig. 655]. Ce long bâtiment quadrangulaire est divisé en deux étages. L’étage supérieur remploie huit entraits chanfreinés ayant probablement appartenu à l’église abbatiale reconstruite au 1831 1832 E. De BEAUFORT, « Abbaye de la Colombe », MSAOMP, T XXVI, 1861, p. 307-310. D. GAUDON, « Histoire de l’abbaye de la Colombe », Revue du Centre, 1889, T XI, p. 168-175. - 596 - XVème siècle ou à un bâtiment conventuel. D’autres éléments lapidaires sont réutilisés en façade ou en décoration dans les parois internes de l’habitation très bien restaurée. Elle remploie dans sa façade orientale des claveaux de nervure d’ogives que le propriétaire a soigneusement nettoyé et assemblé pour recréer la courbure de l’arc [Fig. 657]. Cinq éléments sont ainsi présentés. Ils sont en calcaire fin, de très bonne qualité comme celui observé pour le petit chapiteau. Le tore de 17cm de diamètre ne dispose pas d’un profil en amande. Les dimensions sont plus massives que pour les claveaux observés à Bonlieu, Les Pierres ou Aubignac1833. Le dosseret sur lequel repose l’ogive est de 28cm de large pour 12cm d’épaisseur. Les modules sont conservés sur 46cm de haut. Quelle partie de l’édifice médiéval pouvait adopter un voûtement d’ogives ? Nous ne savons rien du voûtement de l’abbatiale et des bâtiments conventuels. Des ogives pouvaient aussi bien couvrir la nef que le chevet ou encore la chapelle sépulcrale des sires de la Trimouille au XIVème siècle. Un claveau d’arc biseauté est également préservé par le propriétaire, taillé dans ce même calcaire fin. Il devait appartenir à l’arc d’une porte. Nous en avons observé de tels dans le dépôt lapidaire de Prébenoît pour lesquels une datation du premier tiers du XIIIème siècle semble plausible1834. L’une des portes de la propriété dispose d’un linteau de calcaire plus grossier qui présente une inscription que nous n’avons pu déchiffrer face à l’usure de la pierre [Fig. 660]. Toutefois, GIRARD avait pu la lire lors de sa visite en 1969. Il s’agit de la date de 1434 qui pourrait donc correspondre à la phase de réfection des bâtiments monastiques au XVème siècle. Quant à sa provenance, il paraît délicat de se prononcer face à cet élément totalement extrait de son contexte1835. Le propriétaire Pierre Mercier ayant permis l’accès à l’intérieur de son habitation, nous avons pu étudier deux autres éléments lapidaires remployés au premier étage [Fig. 658 et 659]. Un second claveau biseauté en calcaire est très similaire au premier et peut appartenir à un arc en plein-cintre du début du XIIIème siècle. Un petit fragment en calcaire très délicat présente une moulure torique soulignée d’un cavet, un second tore plus épais, un cavet plus mince puis un replat. Cette modénature pourrait correspondre à un fragment de portail à ébrasement ou au décor surmontant une baie. Son état de conservation ne permet toutefois pas d’interprétation plus précise. Le même type d’élément a été inventorié dans le dépôt lapidaire 1833 Respectivement 8cm, 12cm et 13cm de diamètre. I. PIGNOT, op.cit, p. 95. 1835 M. GIRARD, « Sur les traces de la Colombe », Vie catholique du Berry, 1969, p. 322-324. 1834 - 597 - de Prébenoît et daté d’après la qualité du granite (granite à grains fins employé dans la phase d’édification médiévale) du début du XIIIème siècle1836. Au sud de ce logis, un petit bâtiment quadrangulaire attenant est presque totalement ruiné. Il présente un ébrasement de porte en granite en partie dépecé dont le profil biseauté semble plutôt relever de l’époque moderne. Le même type de percements est observable dans les bâtiments d’exploitation des XVIIIème et XIXème siècles de l’abbaye de Prébenoît 1837. Du côté occidental de ce bâtiment, les vestiges d’un four très ruiné sont préservés. Sa voûte se compose d’un tas-de-charge de tuiles fines. Il relève certainement de l’époque moderne [Fig. 656 et 661]. Au sud de cette propriété et perpendiculairement à celle-ci, deux longues étables sont transformées en maisons d’habitations auxquelles nous n’avons pu avoir accès. Une étude des Monuments Historiques a révélé des charpentes datées par dendrochronologie de 1732 1838. Elles présentent des toits à croupes couvertes de tuiles plates. Ces bâtiments d’exploitation ont donc été très remaniés au XVIIIème siècle. Le logis abbatial se présente comme un bâtiment quadrangulaire couvert de tuiles plates, avec un pignon au sud constitué d’un petit appareil irrégulier à litages marqués [Fig. 662 et 663]. De petites baies quadrangulaires sont percées. Deux contreforts cimentés renforcent les parements. Le logis est très remanié et les murs gouttereaux présentent de larges ouvertures relevant sans doute pour la majeure partie du XIXème siècle [Fig. 664 et 665]. Les parements sont enduits, empêchant une bonne lecture des appareillages. Seule la moitié nord de la façade occidentale laisse apparaître un petit appareil irrégulier de calcaire à litages marqués. La rupture entre les deux types de parements est nette. Le logis était peut-être divisé en deux au Moyen-Âge ou au début de l’époque moderne. Les harpages des fenêtres et les chaînages d’angle sont en moyen appareil régulier de calcaire laissé apparent. La façade occidentale présente trois fenêtres à meneaux. Deux ont des linteaux nus. Selon les Monuments Historiques, elles pourraient relever des XIIème et XIIIème siècles. Toutefois, il nous semble plus probable qu’elles datent de l’époque moderne étant donné la présence même de meneaux. Les linteaux ne sont pas en plein-cintre comme nous en rencontrons fréquemment dans les édifices cisterciens et paroissiaux à la fin du XIIème siècle et surtout dans le premier tiers du XIIIème siècle (Prébenoît, Bonlieu, Boschaud). Le linteau de la baie 1836 I. PIGNOT, op.cit, p. 143. Ce petit fragment d’une grande finesse dispose d’un tore de 5cm de diamètre environ en léger arrondi comme pour s’insérer dans un arc de cercle. Lui succède un méplat de 6cm de long. Il s’agissait peut-être de la partie inférieure du linteau d’une baie très étroite, soulignée d’une voussure torique, ou d’un élément de portail. 1837 I. PIGNOT, op.cit, vol I, p. 105. 1838 Inventaire topographique réalisé par Christian TRÉZIN en 1999 (numéro de notice IA36001121). - 598 - centrale présente des modénatures plus recherchées avec une gorge surmontée d’un listel finement sculpté. Il s’agit probablement d’un remploi : il est en effet beaucoup plus large que la fenêtre à laquelle il est associé. Une large porte est percée dans la moitié nord. Les piédroits sont soulignés de bossages quadrangulaires. La façade nord du logis ne présente quant à elle pas de pignon [Fig. 667]. Le parement est en moyen appareil irrégulier, les harpages des baies en briques. À l’est, un petit puits circulaire est accolé à la façade et relève sans doute du XIXème ou XXème siècles. La façade orientale est totalement enduite, excepté les harpages des baies en briques et les chaînages d’angle en moyen appareil régulier de calcaire. Deux larges portes disposent d’une ouverture avec un arc en anse de panier. L’arc est composé de briques, les piédroits de modules de calcaire. Au tiers de la hauteur, six corbeaux nus devaient soutenir l’ancien toit du cloître médiéval dont il ne reste que le puits à l’angle de l’ancienne galerie ouest et de la galerie septentrionale [Fig. 666 et 669]. Nous pouvons encore deviner ses limites qui forment une vaste plate-forme quadrangulaire avec une bordure très légèrement surhaussée [Fig. 668 et 670]. Un inventaire réalisé par les Monuments Historiques permet de mieux connaître les modifications subies par ce logis qui s’est substitué au bâtiment des convers 1839. Le premier étage révèle des solives datées de 1414 par dendrochronologie, un linteau de cheminée en remploi de 1434, ce qui attesterait bien d’un remaniement au XVème siècle comme l’évoquait Jérôme PICAUD précédemment cité. Certaines solives datent de 1525. Un linteau placé audessus de la porte d’entrée du premier étage porte l’inscription de 1734. Des modifications relèvent donc du XVIIIème siècle. Il est également fait état de peintures et d’éléments de mobilier. L’inventaire fait état d’une armoire-crédence, d’une sculpture de saint Christophe, d’une ornementation peinte de faux joints et de végétaux sur le calcaire enduit. Ces éléments de mobilier sont difficiles à dater mais n’appartiennent probablement pas à l’époque médiévale1840. À l’intérieur de ce bâtiment, un escalier dans œuvre est entièrement charpenté. Les vestiges architecturaux de l’abbaye de la Colombe ont donc été très remaniés au fil des siècles et particulièrement aux XVème et XVIIIème siècles. Il reste de l’époque médiévale quelques éléments lapidaires épars ainsi que des descriptions érudites parfois insuffisantes pour imaginer le monastère berrichon aux XIIème et XIIIème siècles. 1839 1840 Christian TRÉZIN, op.cit. Christian TRÉZIN, op.cit. - 599 - Quelques éléments lapidaires sont conservés dans l’ancienne cour du cloître. Ils se constituent d’une vingtaine de blocs recouverts de mousse, totalement laissés à l’abandon et sans entretien [Fig. 673]. Nous ne connaissons pas la provenance de ces pierres mais leur emplacement au niveau de la galerie sud jouxtant l’abbatiale laisse présager qu’ils proviennent soit du sanctuaire, soit du cloître. La majorité ne présente pas forcément de modénatures intéressantes. Ils sont en granite et non en calcaire. La présence de ces deux matériaux s’explique par l’implantation de la Colombe à la limite entre le socle hercynien et les terrains sédimentaires. Diverses pierres sont ainsi utilisées. Le calcaire est en particulier plus propice à la sculpture, d’où son emploi pour des chapiteaux médiévaux. Nous pourrions ainsi envisager une mise en oeuvre en granite tandis que le calcaire serait réservé aux éléments remarquables et nécessitant une taille plus délicate (chapiteaux, bases). Nous avons remarqué en particulier un élément de porte à ébrasement torique taillé dans un granite gris aux grains relativement fins. Il pourrait correspondre à une simple porte ou entrer dans la composition d’un portail plus complexe à multiples ébrasements [Fig. 674]. Il paraît toutefois difficile de se prononcer face à cet élément très érodé et isolé de tout contexte. Un second fragment en granite semble correspondre à un piédroit de porte moderne du type de ceux observés dans les bâtiments d’exploitation du XVIIIème siècle de l’abbaye de Prébenoît [Fig. 672]1841. Les éléments lapidaires conservés sont ainsi très précieux pour notre étude et permettent de mieux connaître les supports et modes de voûtement des bâtiments ruinés. Toutefois ces fragments extraits de tout contexte sont parfois délicats à interpréter [Fig. 675]. Ils témoignent d’une certaine sobriété (ogives avec simple tore, piédroits de granite fruste, corbeaux nus du logis abbatial) mais pour certain d’un soin particulier, taillés dans un calcaire fin (chapiteau, bases de colonnes). L’austérité tangible chez ces moines cisterciens du diocèse de Limoges n’empêche pas un soin et une qualité d’exécution certaine. L’image n’est pas admise dans les éléments évoqués ici. Néanmoins, ces quelques rares témoins conservés ne sauraient être pleinement représentatifs des créations de ces moines de la Colombe. À l’emplacement de l’ancien chevet de l’abbatiale demeure un autel de granite difficilement datable [Fig. 679]. Il se présente sous la forme d’une table moulurée d’une gorge soulignée d’un listel. Elle est percée en surface d’une cavité rectangulaire sans doute destinée aux ablutions. Elle est surmontée d’une statue de la Vierge abritée dans une petite niche. L’autel est encadré à gauche par un petit bénitier de granite, à droite par un mortier de 22cm de haut, de 34cm de long par 34cm de large [Fig. 676 et 678]. Sous la table est déposée une petite plaque de granite gravée d’une croix [Fig. 677]. En 1969, GIRARD fait état d’une 1841 I. PIGNOT, op.cit, p. 108. - 600 - grande pierre d’autel avec cinq croix sculptées. Il pourrait s’agir de l’une d’elle1842. Nous pourrions également l’assimiler à une pierre de bornage ornée d’une croix. En effet, ce type de borne est assez fréquent dès le XIIIème siècle dans les abbayes cisterciennes. À Obazine en particulier, une borne de grès du XIIIème siècle est marquée d’une croix à fleurons. Une autre présente une croix pattée. Elles servaient à délimiter l’enclos monastique [Fig. 27]1843. Il pourrait s’agir du même type de borne à la Colombe. La Colombe dispose ainsi d’éléments de mobilier très intéressants mais dont la chronologie et la fonction exacte est parfois délicate à établir. C’est pourquoi il est nécessaire de croiser les informations des sources manuscrites et érudites pour tenter de mieux comprendre le décor de cette abbatiale entièrement disparue. - Aménagements hydrauliques : Peu d’aménagements hydrauliques et de granges sont conservés. Les bâtiments artisanaux sont essentiellement connus par les sources historiques et certains toponymes maintenus dans les paysages actuels. Les vestiges d’installations à vocation pré industrielle sont relativement lacunaires comparativement aux sources historiques prolifiques. Deux viviers sont encore discernables au nord de l’abbaye. Les talus en sont visibles en contrebas depuis le fond de vallée où coule le Vavret. Ils sont alimentés par un canal d’amenée d’environ 400m dérivé du Vavret. À la sortie du second bassin, le canal actionne la roue du moulin à huile. Le moulin à huile est désormais une propriété privée appartenant à des hollandais [Fig. 683]. Il est utilisé jusqu’en 1860, date à laquelle le cadastre indique sa destruction. Il n’est transformé que tardivement en habitation et remploie alors des éléments provenant de l’abbaye (chapiteau à boules). Il conserve une partie de son mécanisme et une meule déposée près du bief [Fig. 684 et 685]. Le gros œuvre est de moellons de grès. La couverture est de tuiles plates. Le toit est à longs pans. Par ailleurs, un pressoir à huile appartenant peut-être à la Colombe est exposé au Musée du machinisme agricole de Prissac1844. Le moulin du Pin à l’ouest de l’abbaye conserve également des vestiges [Fig. 686 et 687]. Il se situe en contrebas du château du Pin (commune de Collonges-Les-Hérolles), résidence aux confins du Poitou, du Berry et du Limousin édifiée dès le XIIIème siècle et largement réaménagée au Bas Moyen-Âge1845. Le moulin dispose encore d’un bief asséché 1842 M. GIRARD, « Sur les traces de la Colombe », Vie catholique du Berry, 1969, p. 322-324. B. BARRIÈRE, Moines en Limousin (…), op.cit, p. 101-102. 1844 Christian TRÉZIN, op.cit. 1845 M. P. BAUDRY, Les fortifications des Plantagenêts en Poitou, 1154-1242, CTHS, Paris, p. 296. 1843 - 601 - dérivé d’un ruisseau provenant de l’étang des Chaumes [Fig. 688]. Ce canal conduit à une petite retenue d’eau d’environ un mètre de profondeur, cernée de talus en moellons de grès [Fig. 691]. Un déversoir désormais asséché permettait d’alimenter la roue du moulin légèrement en contrebas puis s’échappait par le bief encore visible dans les paysages [Fig. 689 et 690]. Le moulin se constitue d’un bâtiment de deux étages en moyen appareil régulier, encore partiellement enduit. Le couvrement est entièrement effondré. La mise en œuvre paraît relever pour bonne part de l’époque moderne. En effet, les encadrements de fenêtre de l’étage supérieur sont de briques. Les parements sont de moellons de grès excepté les soubassements et chaînages en moyen appareil régulier1846. Nous pourrions envisager que le tiers inférieur corresponde à des réalités médiévales, comme envisagé pour le moulin de l’abbaye de Bonlieu. Ainsi il est parfois délicat de faire la part des vestiges médiévaux et modernes pour des réalités ruinées et constamment remaniées comme les moulins des moines cisterciens de Haute-Marche et du Limousin. 1846 Carreaux de 50 par 30cm en moyenne. - 602 - PEYROUSE - 603 - 4. Peyrouse (commune de Saint-Saud-Lacoussière, Dordogne) : L’abbaye de Peyrouse est située sur la commune de Saint-Saud, canton de SaintPardoux-La-Rivière dans le département de la Dordogne. Elle relève de l’ancien diocèse de Périgueux, à quelques kilomètres seulement des limites du diocèse de Limoges. Les vestiges ne disposent d’aucune protection au titre des Monuments Historiques. Elle est signalée sur la carte de Cassini par les sigles AB. La carte IGN conserve le lieu-dit « Peyrouse » au bord du ruisseau du Palin [Fig. 692 et 693]1847. Sources manuscrites : Pour connaître l’abbaye aujourd’hui presque entièrement disparue, nous disposons d’une description de Dom Jean Perron datée de 1684 [PJ 19]1848. Le fonds des Archives Départementales de la Dordogne dispose d’un certain nombre de documents pouvant intéresser cette étude, bien qu’aucun texte médiéval ne soit conservé. En 1761, une estimation des réparations à faire aux lieux dépendants de l’abbaye de Peyrouse nous apprend sur les aménagements hydrauliques du domaine de la Pause (paroisse de Celles). En effet, des réparations doivent être faites aux chaussées et écluses du moulin de la Pause, ces dernières présentant de nombreuses brèches à colmater, nécessitant des « charettes de pierres pour regarnir les écluses et les rétablir à hauteur suffisante »1849. Un procès-verbal descriptif de 1774-1775 permet de mieux connaître l’organisation des bâtiments monastiques et dépendances de l’abbaye1850. L’église Notre-Dame de la Garde à Périgueux est la première à être décrite. La charpente paraît en mauvais état, de même que la couverture de tuiles creuses. L’intérieur semble en bon état, ainsi que le mobilier de la sacristie, décrit avec précision. Quant aux bâtiments monastiques de Peyrouse, il est fait état d’un bâtiment comprenant une boulangerie dont la cheminée et la couverture de tuiles creuses sont à refaire, une cuisine, des appartements à l’étage, d’une grange, d’un moulin des Mesles (des Merles ?) dans l’enclos monastique, ainsi que de la forêt dépendant de l’abbaye. Sont ensuite évalués les biens de certaines dépendances au village de la Pause (paroisse de Celles), dont le moulin de la Pause. La trémie est en bon état, tandis que la meule dormante pourrait être remplacée. L’église du bourg de Saint-Méard est décrite, son mobilier inventorié. Elle est 1847 IGN Série Bleue, 1/25000ème, Saint-Pardoux-La-Rivière, 1933 O. AD Aube, 3 H 228. Voir transcription en annexe. PJ 19. 1849 AD Dordogne, B 538, pièces 58 et 59. 1850 AD Dordogne, 36 H 1 ; B 651 (pièce 75). 1848 - 604 - à la charge de l’abbaye. Nous savons donc à cette date que les moines étaient encore en possession de leurs domaines de la Pause, de l’église Notre-Dame de la Garde et de celle de Saint-Méard. Historiographie : L’abbaye de Peyrouse a intéressé certains érudits locaux dès le XIXème siècle. En 1885, Louis GUIBERT retranscrit un acensement pour trois ans de l’abbaye de Peyrouse, daté de 1490 [PJ 20]1851. Louis GRILLON livre en 1955 deux articles concernant les mentions des abbayes cisterciennes de la Dordogne dans les statuts des chapitres généraux de l’ordre. Il se réfère pour cela à l’étude de CANIVEZ1852. Il met donc en lumière les liens entre Peyrouse, Boschaud, Cadouin, Dalon et les autres abbayes de l’ordre, ce qui nous permet de replacer cette modeste abbaye dans un contexte monastique plus général. Elle n’est ainsi plus simplement considérée comme une entité isolée1853. Jean SECRET s’est également penché sur l’histoire de Peyrouse et livre un article en 1974 axé sur l’analyse d’un procès-verbal de 1822. Il tente de préciser le plan de l’abbaye d’après cette source et un plan conservé aux archives Départementales de l’Aube (sous la cote 3 H 228). Cette courte étude nous permet une meilleure connaissance des vestiges de ce site aujourd’hui presque entièrement ruiné1854. En 1986, Nelly BUISSON publie un article sur Peyrouse dans le Bulletin de la Société Historique et Archéologique du Périgord. C’est la première synthèse consacrée au monastère. Bien que succincte, elle livre toutefois un état des lieux minutieux des connaissances historiques et archéologiques [Fig. 696]1855. Bernadette BARRIÈRE consacre en 1998 une courte notice sur l’abbaye, néanmoins nécessaire pour la connaissance des sources disponibles à l’étude et des vestiges archéologiques discernables1856. Face à l’indigence des sources manuscrites et des vestiges encore en élévation, cette analyse bien que succincte demeure un document précieux à la connaissance des moines de Peyrouse. 1851 L. GUIBERT, « Acensement pour trois ans de l’abbaye de Peyrouse », BSHAP, T 12, 1885, p. 192-193. J. M. CANIVEZ, Statuta…, op. cit., 1933. 1853 L. GRILLON, « Les abbayes cisterciennes de la Dordogne dans les statuts des chapitres généraux de l’Ordre », BSHAP, T 82, 1955, p. 138-148. 1854 J. SECRET, « Note sur l’abbaye cistercienne de Peyrouse au XIXème siècle », BSHAP, T 101, 1974, p. 166171. 1855 N. BUISSON, « Abbaye Notre-Dame de Peyrouse », BSHAP, T 113, 1986, p. 308-323. 1856 B. BARRIÈRE (dir.), Moines en Limousin…, op. cit., p. 190-192. 1852 - 605 - En 1998, l’abbaye de Peyrouse fait l’objet d’un mémoire de maîtrise d’histoire réalisé à l’université de Limoges. Catherine DESPORT revient sur l’histoire de l’abbaye et la constitution de son patrimoine. Les données propres à l’archéologie et l’histoire de l’art sont toutefois ignorées1857. Historique : L’abbaye aujourd’hui disparue est située dans la vallée du Palin. Il s’agit d’une fondation ex nihilo de l’abbaye de Clairvaux. Elle est créée en 1153 par saint Bernard. Le premier abbé, Roger, est d’ailleurs un moine venu de Clairvaux. Saint Bernard aurait peut-être visité le chantier en 1153 en revenant de Sarlat. Pour Nelly BUISSON, la construction de Peyrouse aurait été décidée en 1147 et le chantier se serait échelonné jusqu’à la consécration le 15 octobre 1153. Six années nous paraissent toutefois bien courtes pour mener à bien la construction d’une abbaye1858. C’est la première installation directe dans le diocèse de Périgueux, à une quinzaine de kilomètres de l’ermitage géraldien de Boschaud. Son nom est dérivé de petrosa qui signifie la « pierreuse » et évoque ainsi la stérilité du sol. Les terrains sont cristallophylliens et livrent ainsi du gneiss pour les constructions. À 500m du site d’implantation actuelle, le lieu-dit « vieille abbaye » évoque peut-être un ancien site choisi au préalable. Selon Nelly BUISSON, ce toponyme correspondrait à une ancienne abbaye bénédictine dévastée par les Normands au IXème siècle. Peyrouse aurait profité de cette carrière de pierres. Toutefois, elle ne cite pas ses sources et il est ainsi difficile d’accorder beaucoup de crédit à cette hypothèse1859. Peyrouse se trouve à proximité de la « Grande Pouge » allant du Limousin à SaintPardoux. Elle ne correspond alors pas véritablement à un désert puisqu’elle s’installe non loin de voies de communication importantes. Le patrimoine foncier de l’abbaye n’est pas très bien connu. Un acte de 1254 énumère une partie des granges, borderies et manses détenus par les moines [Fig. 86]. Ils possèdent au moins six granges : Corbaria (non localisée), Beynac, Vieille-Abbaye et Jaladier sur la paroisse de Saint-Saud, Croze sur la paroisse de Milhac et les Bordes sur la commune de Saint-Saud. Au milieu du XIIIème siècle, ces granges sont exploitées par des laïcs et non plus des convers. Les moines disposent également de droits sur les bois de Bartolala, de 1857 C. DESPORT, Deux abbayes cisterciennes du Périgord : Boschaud et Peyrouse, mémoire de maîtrise sous la direction de B. BARRIÈRE, Université de Limoges, 1998, 217 p. 1858 N. BUISSON, « Abbaye Notre-Dame de Peyrouse… », op. cit, p. 308-323. 1859 N. BUISSON, « Abbaye Notre-Dame de Peyrouse… », op. cit, p. 308-323. - 606 - Chabrolenc, les forêts de Peyrouse et de Beynac. La forêt de Peyrouse est d’ailleurs vendue en 17931860. Ils possèdent des arrentements sur les communes de Saint-Méard de Dronne et Perduz ainsi que deux maisons et un jardin. Le domaine de la Pause est doté d’un moulin à grains (paroisse de Celles), jugé en bon état en 1773 même si la meule dormante pourrait être changée. Outre ce moulin, le domaine comporte une maison de métayers, une fontaine, une forêt, un pré, et un pont1861. Le moulin de Miou est en amont du précédent sur la Dronne. Il est à la fois à grains et à draps. Le moulin de la Scie ou de Peyrouse existe sans doute depuis la fondation du monastère. Un conflit éclate à son propos dès 1247. Les moines détiennent une maison à Périgueux, rue du Cornador ainsi qu’un four d’Armagnac. Ils possèdent de même des biens immobiliers dans l’enceinte de Puy-Saint-Front : une maison et un jardin dans le quartier de Verdun, six maisons rue Neuve, six maisons dans le quartier de la Limogeanne et deux maisons dans le quartier de Saint-Silain. Ils détiennent également l’étang de SaintAmand sur la paroisse de Milhac et possèdent peut-être le prieuré Notre-Dame de la Garde. Les biens détenus sur la paroisse de Saint-Pantaly d’Ans (grange de Puyharmier) font l’objet de litiges avec l’abbaye de Dalon qui possède non loin la grange de Puyboucher sur la commune de Brouchaud [Fig. 714]1862. Ces granges sont à l’origine des actuels villages de Peyrouse, Beynac, La Veyrière, Bonnefond, Faurie-Haute, Gatinelli et Les Moulières. Certains documents modernes aident à mieux cerner ce patrimoine foncier. Ainsi, des lièves de rentes permettent de lister les tènements possédés par les moines au XVIIIème siècle : sur la paroisse de Vaunac (à une dizaine de kilomètres au sud du monastère), les tènements de Verzinas, de Puyssezeix, de Las Cambas (tous localisés, hameaux repérés sur la carte IGN de Saint-Pardoux-La-Rivière1863) ; la tenance de Mazeroux sur la paroisse de Milhac-de-Nontron, projet de grange avortée de l’abbaye de Boschaud. Les moines perçoivent également des rentes foncières sur les paroisses de Thiviers, de Saint-Romain, Saint-Clément et Beaulieu1864. L’étude toponymique menée d’après les cartes IGN et de Cassini permet de repérer les granges et moulins cités dans les actes médiévaux [Fig. 39 et 56]. Certains termes peuvent également évoquer des installations monastiques disparues. Ainsi, la carte de Cassini indique un lieu-dit « l’étang » au sud de Peyrouse qui correspond peut-être à une possession des moines blancs. L’analyse de la carte IGN de Saint-Pardoux-La-Rivière est assez fructueuse. Au nord de l’abbaye, dans la direction de Saint-Saud-Lacoussière, nous pouvons relever les 1860 AD Dordogne, Q 122. AD Dordogne, B 651 ; B 701 (1779). 1862 C. DESPORT, Deux abbayes cisterciennes du Périgord…, op.cit, p. 84. 1863 IGN Série Bleue, 1/25000ème, 1933 O, Saint-Pardoux-la-Rivière. 1864 AD Dordogne, 36 H 4, 1740-1789 ; 36 H 5 (1743). 1861 - 607 - lieux-dits « Étang de la Garenne », « Moulin du Pont » sur la Dronne et les « Farges » audessus de la grange des Bordes qui peuvent s’avérer être des installations monastiques. Le toponyme « farge » est en effet souvent associé à une ancienne forge. Près de Mazeroux à quelques kilomètres à l’ouest de l’abbaye, le lieu « la grange » fait peut-être référence à une exploitation de Peyrouse, mais pourrait également évoquer le projet de grange de Boschaud à Mazeroux. Au nord-ouest, nous rencontrons les lieux « la tuilerie de Veyrières », « l’étang de Bonnefond », « l’étang des Merles » et « l’étang » qui sont peut-être le souvenir d’anciennes possessions monastiques1865. La toponymie peut ainsi suppléer aux lacunes des sources et nous apprendre sur de possibles industries monastiques, bien qu’il soit difficile d’en préciser la datation. Les relations entretenues par les abbés de Peyrouse avec les autres abbayes cisterciennes sont évoquées par Louis GRILLON dans son article pour la Société Historique et Archéologique du Périgord. On y apprend que l’abbaye est en litige avec Dalon en 1192, avec Cadouin en 1209. En 1260, les abbés du Palais-Notre-Dame et de Peyrouse vont inspecter le lieu où Obazine veut installer une nouvelle fondation1866. En 1265, Peyrouse fonde le prieuré Notre-Dame de la Garde à Périgueux. Elle devait donc être relativement opulente à l’époque pour disposer d’assez de fonds pour la création d’une filiale. Le nombre de moines devait également être important pour permettre un essaimage. Toutefois, l’étude de Jean-Alcide CARLES sur les titulaires et patrons du diocèse de Périgueux présente une datation différente. Selon lui, la communauté de femmes de NotreDame de la Garde ne serait réunie à Peyrouse qu’en 14091867. En 1569, l’abbé commendataire Coligny laisse l’abbaye de Peyrouse en ruines. Les bâtiments sont en partie restaurés entre 1650 et 1683, travaux achevés par l’abbé dom Barillat. En 1683, le domaine de l’abbaye comprend encore des tenances à Saint-Saud, SaintMartin, Saint-Jaury, Saint-Pantaly d’Ans, Saint-Romain ainsi que le moulin de Verneuil, le moulin de la Pause, le Moulin Neuf et le prieuré Notre-Dame de la Garde 1868. En 1791, les biens de l’abbaye sont vendus, de même que la forêt de Peyrouse (1793)1869. En 1892, les vestiges de l’abbaye sont incendiés. 1865 IGN Série Bleue, 1/25000ème, Saint-Pardoux-La-Rivière, 1933 O. L. GRILLON, « Les abbayes cisterciennes de la Dordogne dans les statuts des chapitres généraux de l’Ordre », BSHAP, T 82, 1955, p. 138-148. 1867 J-A. CARLES, Les titulaires et les patrons du diocèse de Périgueux-Sarlat, éditions du Roc-de-Bourzac, Bayac, 1884 (réédition 1986), p. 30. 1868 N. BUISSON, « Abbaye Notre-Dame de Peyrouse… », op. cit, p. 308-323. 1869 AD Dordogne, Q 122. 1866 - 608 - Vestiges archéologiques : - Abbaye : Il reste peu de vestiges de cette ancienne installation cistercienne [Fig. 697]. Selon Nelly BUISSON, il devait s’agir d’une église à coupoles. Elle ne justifie toutefois pas cette affirmation et nous ne disposons d’aucun document figuré ou manuscrit nous permettant de la confirmer1870. Seul Jean-Alcide CARLES présente l’abbaye de Peyrouse à la fin du XIXème siècle comme une église « byzantine », bâtie selon la tradition, sur le modèle de Saint-Front de Périgueux. Peyrouse, comme la proche abbaye de Boschaud, pourrait donc présenter une église à file de coupoles, en liens avec des formules aquitaines (Angoulême, Périgueux). Les vestiges archéologiques actuels ne peuvent néanmoins confirmer ou infirmer cette hypothèse1871. Jean SECRET a tenté une reconstitution du plan de Peyrouse d’après l’état des lieux de 1774. Il présente une église à chevet plat, encadré de deux chapelles par bras du transept, également à chevet plat. La nef est flanquée de bas-côtés, ce qui irait à l’encontre de la présence de coupoles dans la nef. En effet, l’emploi de files de coupoles est généralement associé à une nef unique, comme à Boschaud, Fontevrault ou Solignac. L’abbatiale dispose peut-être simplement d’une coupole à la croisée du transept (comme à l’abbatiale de Grosbot ou de Bonlieu), ce qui paraît toutefois difficile à attester face aux vestiges conservés. L’aile est comprendrait l’ancienne sacristie, la salle capitulaire, un escalier menant au dortoir à l’étage, un noviciat. L’aile sud présenterait une cuisine, le chauffoir, un four, un réfectoire de 70 par 28 pieds (22.7 par 9m), une ancienne cuisine, une boulangerie avec son four. Aucun cellier n’est toutefois indiqué. Le bâtiment ouest, ancien dortoir des convers, est remplacé par le logis abbatial du XVIIème siècle. Enfin, l’auteur représente le vivier à l’ouest et les latrines au sud-ouest1872. Le plan de l’église, son élévation et son mobilier peuvent être mieux connus grâce à un autre article de Jean SECRET qui fait le point sur un procès-verbal de 1822. Celui-ci décrit des murs entièrement dégradés tombant en ruines. À droite et à gauche, deux chapelles sont encore bien voûtées même si les toitures sont enlevées. Celle de droite est restaurée et présente un autel boisé et un tabernacle. Selon Jean SECRET, ces deux chapelles pourraient 1870 N. BUISSON, « Abbaye Notre-Dame de Peyrouse… », op. cit, p. 308-323. J-A. CARLES, Les titulaires et les patrons du diocèse de Périgueux-Sarlat…, op. cit., p. 241. 1872 AD Dordogne, 2 J 1145 (notes de Jean SECRET). 1871 - 609 - être plutôt deux travées du collatéral sud de l’église ou encore des chapelles quadrangulaires donnant à l’est du croisillon sud du transept. Au XVIème siècle, l’abbaye a connu quelques réfections grâce à l’abbé commendataire de Pompadour qui répare et couvre l’abbaye. Une chapelle consacrée à SaintMéé est évoquée1873. Au XVIIème siècle, nous savons que les collatéraux étaient encore voûtés de « voustes rondes ». Pourrait-il s’agir de voûtes en berceau ? La nef dévoûtée était couverte d’un lambris de planches de faîne1874. Les croisillons (bras du transept) étaient également voûtés de « voustes rondes », comme les quatre chapelles rectangulaires qui y débouchaient. Au XVIIème siècle, on ne peut relever complètement l’église des ruines causées par les Protestants. On ampute dès lors la nef d’environ un tiers de sa longueur à l’ouest. Le plan cadastral du XIXème siècle peut nous apprendre un peu plus sur la disposition des bâtiments monastiques [Fig. 694 et 695]. Le carré du cloître est bien discernable. Le bâtiment est a complètement disparu. À l’ouest du carré du cloître, trois petits bâtiments de plan quadrangulaire sont signalés. Il est toutefois difficile d’en déterminer la fonction : grange, porterie ? Un vivier en « L » est représenté au sud de l’abbaye. Un pont sur le Palin est signalé de même qu’une digue sur un étang au nord du site. Le plan cadastral de SaintSaud (section F 6) redessiné par Jean SECRET permet d’envisager une abbatiale à chevet plat1875. Catherine DESPORT avait repéré un pan de mur de l’église (mur sud) révélant encore des traces d’enduits et de joints de couleur rouge que nous n’avons toutefois pas identifié lors de nos propres prospections. Bernadette BARRIÈRE reprend se description et parle d’un pan de mur de l’église « à la base du versant de rive gauche et dans la broussaille »1876. Il s’agirait en fait plutôt d’un mur appartenant à l’un des bâtiments modernes. En effet, les deux structures les mieux conservées sont deux petits bâtiments modernes bâtis près du Palin. Le bâtiment le plus à l’ouest est presque entièrement ruiné. Reste l’angle nord-ouest, le mur ouest, le départ du mur est et le mur nord conservé sur quelques assises uniquement [Fig. 1873 J. SECRET, « Notes historiques et archéologiques. Le plan de l’abbaye de Peyrouse », En famille, n°16, 1952, 3 p. 1874 J. SECRET, « Note sur l’abbaye cistercienne de Peyrouse au XIXème siècle », BSHAP, T 101, 1974, p. 166171 ; J. SECRET, « Notes historiques et archéologiques. Le plan de l’abbaye de Peyrouse », En famille, n°16, 1952, 3 p. 1875 AD Dordogne, 2 J 1145 (notes de Jean SECRET). 1876 B. BARRIÈRE, op. cit., p. 190. - 610 - 708]. Ces murs sont bâtis en petit appareil irrégulier. Quelques blocs de moyen appareil régulier taillés peuvent provenir des anciens bâtiments médiévaux. Le second bâtiment conservé, daté de la fin du XIXème siècle et nommé le « logis », est encore couvert de sa toiture [Fig. 702]. Il se compose d’un volume quadrangulaire encadré de deux pignons [Fig. 706 et 707]. Il est bâti en petites pierres de tout venant, liées par un mortier très orangé et sablonneux. Les piédroits et chaînages sont de moyen appareil régulier pouvant également appartenir aux anciens bâtiments médiévaux [Fig. 705]. Il dispose d’une porte monumentale du XVIIème siècle remployée, encadrée de deux pilastres et surmontée par un masque grimaçant [Fig. 703]. Ce petit édifice fut bâti suite à l’incendie de 1892 [Fig. 704]. La porte remployée provient vraisemblablement de la partie nord-est du dortoir donnant sur le potager qui s’étendait à l’est de l’abbaye. Une pierre d’autel sert de banc devant ce bâtiment [Fig. 712]1877. Il est longé par une sorte d’allée bordée de deux parements dont le plus au sud pourrait correspondre à d’anciennes fondations médiévales, difficiles à identifier. Un portail devait marquer l’entrée de cette allée comme en témoigne un piédroit moderne en granite encore en place. - Aménagements hydrauliques : Nous pouvons encore observer le pont de pierre enjambant le Palin, entièrement recouvert de mousse et de lierres, une fontaine de dévotion à Saint Jacques abritée par une petite construction à coupole [Fig. 698 et 701]. Cette coupole désormais presque entièrement mise à bas est appareillée de pierres de tout venant de grosseurs inégales. Quatre trous de boulins creusés à l’amorce de la calotte, placés par paire et en vis-à-vis, évoquent la mise en place d’une structure en bois au-dessus de la source. Un conduit profond de 4 à 5m se compose d’un berceau très brisé lui aussi soigneusement appareillé. L’eau suinte encore au niveau d’une cavité ovale creusée dans le sol au pied du conduit. Sur le versant de rive droite, à quelques mètres au sud de la fontaine, l’angle d’un mur en petit appareil irrégulier est conservé, ainsi qu’une sorte de cave voûtée en tas-de-charge et dont l’intérieur utilise des pierres de moyen appareil régulier très bien taillées. Il pourrait s’agir de l’emplacement d’un ancien moulin [Fig. 699 et 700]. Demeurent également des murs d’endiguement d’un à deux mètres de large et de hauteur variable entre lesquels coule le ruisseau [Fig. 709]. Ils sont bâtis en petit appareil de moellons. Leur lecture est actuellement difficile étant donné le lierre qui les recouvre. Un 1877 J. SECRET, « Notes historiques et archéologiques… », op. cit., 3 p. - 611 - grand vivier en « L » est alimenté par une capture sur le Palin. Ce vivier mesure 76 sur 56m pour 6m de large. Un déversoir permettait l’évacuation de l’eau dans le pré. Un étang en amont est retenu par une digue en gros appareil de sept mètres de haut. L’eau s’échappait de l’étang grâce à trois écluses [Fig. 715]. Elle se regroupait ensuite pour former le Palin. Elle faisait tourner la roue du « moulin de la scie », également appelé moulin de la Peyrouse, dont il ne reste aujourd’hui que les fondations en friches, difficilement reconnaissables. Il a appartenu aux moines jusqu’en 1750. - Éléments lapidaires « vagabonds » : Des éléments vagabonds appartiennent à l’abbaye comme cette vasque de pierre déposée à la « Coutille ». Cinq statues modernes sont également conservées au niveau du transept sud de l’église de Saint-Saud Lacoussière : il s’agit de quatre évangélistes et d’un Christ en bois. En 1892, le château de Beynac est reconstruit avec des pierres de la chapelle de Peyrouse. Les arcades qui ceinturent les façades du château proviennent peut-être des colonnes de la galerie du cloître. Toutefois, leur diamètre paraît trop important. Ces colonnes pourraient provenir d’une autre partie du monastère (dortoir ? église ?) [Fig. 713]. Certaines colonnes de cloître sont dites être conservées à Bonnefond et à Saint-Martin de Fressengeas. Nos prospections n’ont toutefois pas révélées d’éléments médiévaux. À SaintMartin-de-Fressengeas, une halle couverte est placée devant l’entrée ouest de l’église [Fig. 710]. La charpente repose sur quatre massives colonnes dont le diamètre des fûts ne pourrait correspondre à des colonnettes de cloître. De plus, le profil des chapiteaux et bases associées, très géométrique, nous permet d’envisager une création plutôt moderne. Les chapiteaux sont nus, à la corbeille très écrasée, les bases non classiques constituées d’un seul tore posé sur un socle massif. Au domaine des Moulières, à quelques kilomètres au sud-est de Peyrouse, une grille en fer forgée moderne placée au portail d’entrée aurait pu appartenir aux moines de Peyrouse [Fig. 711]. Par ailleurs, Cécile DESPORT signale deux chapiteaux déposés dans une ferme voisine que nous n’avons toutefois pu retrouver1878. - 1878 Granges : C. DESPORT, Deux abbayes cisterciennes du Périgord…, op. cit, p. 56. - 612 - Nos prospections au lieu-dit actuel « La Croze », ancien site d’implantation d’une grange de Peyrouse n’ont révélé aucun élément médiéval significatif. - 613 - LES PIERRES - 614 - 5. Les Pierres (commune de Sidiailles, Cher) : L’abbaye des Pierres est située sur la commune de Sidiailles dans le département du Cher. Elle appartient à l’ancien diocèse de Bourges, aux marges de la Haute-Marche. Nous accédons à l’abbaye des Pierres par la départementale D3 depuis le petit village de SaintSaturnin. Le monastère est à quelques kilomètres au sud-ouest de Sidiailles dans le vallon encore très boisé de la Joyeuse. La carte IGN la signale par le lieu-dit « L’abbaye des Pierres », au creux d’un îlot boisé1879. La carte de Cassini indique également avec précision le site de l’abbaye par le clocher et la crosse. Le sigle AB O.C est précisé (abbaye d’observance cistercienne) [Fig. 716 et 717]. Les vestiges appartiennent désormais à une propriété privée sise en contre-haut du ruisseau de la Joyeuse et n’ont jamais fait l’objet d’un classement aux Monuments Historiques. Sources manuscrites et figurées : Le fonds de l’abbaye des Pierres est conservé aux Archives Départementales du Cher à Bourges1880. Les informations glanées dans les actes médiévaux, les travaux d’érudits et les cartes IGN et de Cassini restent lacunaires et insuffisantes pour retranscrire la constitution du patrimoine foncier de cette modeste abbaye berrichonne. Rares sont les mentions architecturales. Le chantier médiéval semble systématiquement oublié des actes médiévaux et il est bien difficile de mener une étude de bâti face à des vestiges aussi ruinés, d’où vraisemblablement le peu d’études sur le monastère berrichon, qu’il s’agisse d’histoire de l’art ou d’archéologie. De prime abord, seuls les historiens semblent pouvoir apporter des connaissances sur la fondation, le patrimoine foncier et le devenir des cisterciens des Pierres. En 1650, un procès-verbal fait état de vols, de pillages et d’incendies systématiques à l’abbaye depuis le XVIème siècle. Les titres et papiers sont brûlés, les ornements de l’église volés, mais les vestiges du monastère à proprement parler ne sont guère évoqués1881. En 1789, une déclaration des biens et des revenus de l’abbaye évoque également ces pillages de 1575 à 1650. L’église entièrement consumée par les flammes à cette époque a été 1879 IGN série Bleue 2327 O, Châteaumeillant, 1/25000ème. 1880 AD Cher, 8 G 1819, 8 H 1862, 10 H 1 à 10 H 143. 1881 AD Cher, 10 H 6. - 615 - reconstruite sur une étendue suffisante pour assurer l’office divin. Nous pouvons donc imaginer une période de reconstruction de la fin du XVIIème au début du XVIIIème siècle essentiellement axée sur le sanctuaire. En effet, les chapelles et le chœur sont ornés d’une « menuiserie » récente. Nous n’avons aucun renseignement sur le mobilier de l’abbaye, que ce soit dans les sources manuscrites ou les travaux d’érudits du XIXème siècle. Nous pouvons supposer que la majorité des éléments de mobilier ont été détruits lors de ces périodes troublées. Les bâtiments sont reconstruits plus simplement, sans cimetière. L’aile ouest correspond au logis abbatial encore en place, totalement disparu aujourd’hui [Fig. 720]. Il est évoqué le « degré qui monte au dortoir des religieux ». Une grange est mentionnée dans la basse-cour, avec des jardins et des vergers. Elle correspond peut-être au bâtiment d’exploitation au-dessus de la propriété privée qui conserve les ruines de l’abbaye, daté de 1778. Les principales possessions du monastère sont énumérées (bois, moulins, tuilerie, vignes), ce qui laisse présager encore une certaine activité de l’abbaye berrichonne malgré les nombreux pillages subis1882. Historiographie : Les sources historiques ne permettent guère de se faire une idée de l’architecture du monastère et de l’organisation des bâtiments conventuels. Quelques travaux d’érudits ont heureusement décrits le site avant sa disparition quasi totale. Abbaye presque ignorée des travaux contemporains et des universitaires, il paraît essentiel de faire un point précis sur les connaissances à notre disposition pour l’étude de cette implantation cistercienne du Boischaut. Les érudits ayant travaillés au Berry évoquent le monastère des Pierres. G. THAUMAS DE LA THAUMASSIÈRE livre quelques lignes sur l’abbaye des Pierres. Il décrit un vallon environné de précipices, de pierres, de rochers et de bois. Pour ces auteurs, c’est la description « romantique » qui prime, les impressions d’abandon suscitées par les ruines du monastère, mais aucune analyse précise n’est menée pouvant aider à notre propre recherche1883. 1882 1883 AD Cher, 10 H 8. G. THAUMAS DE LA THAUMASSIÈRE, Histoire du Berry, Bourges, 1868, livre X, chap. XXXV, p. 807. - 616 - Louis RAYNAL en fait également mention quelques années plus tard. Il évoque le site sauvage où il s’est implanté, nommé le « val horrible ». Il rappelle les conditions de l’affiliation en 1149 mais rien n’est dit de l’architecture1884. La même année, BUHOT DE KERSERS publie une histoire du canton de Châteaumeillant. Trois pages sont consacrées à l’abbaye des Pierres 1885. Il revient sur les conditions de la fondation, les principaux donateurs et bienfaiteurs de l’abbaye, évoque les troubles des guerres de Religion, de la Fronde, et de la Révolution qui ont conduit à la ruine quasi-totale du monastère. Il livre pour la première fois une description des vestiges, très précieuse étant donné qu’il ne demeure presque plus rien aujourd’hui des ruines observées à la fin du XIXème siècle. L’église dispose d’un chevet plat voûté d’un berceau dont on voit encore la naissance. Chaque bras du transept dispose d’une chapelle. Le mur gouttereau sud présente encore une fenêtre au linteau clavé. À l’angle sud-ouest, une tour carrée est conservée. Elle était divisée en quatre étages, comprenait la cuisine, l’infirmerie et la bibliothèque. Les bâtiments sont disposés en carré autour du cloître. Ils sont portés à l’est sur des caves voûtées qui compensent la déclivité du terrain. Le bâtiment est correspondait au dortoir, le bâtiment sud au réfectoire et à l’accueil des hôtes. Le parloir et les écuries étaient au niveau de la galerie ouest. Ces aménagements claustraux ont servi de carrière dès le XIXème siècle. Il n’en demeure plus rien aujourd’hui. Il évoque également un moulin, un jardin et un réservoir à poissons appartenant au monastère. Si l’étude de BUHOT DE KERSERS est succincte, elle est essentielle à notre compréhension de l’organisation des bâtiments monastiques. En 1900, Émile CHENON se préoccupe du prieuré d’Aignerais entre Champillet et Montlevic dans l’Indre, dépendant de l’abbaye des Pierres [Fig. 92]1886. Il évoque de nouveau la fondation et la constitution du patrimoine du monastère berrichon. Rien n’est dit toutefois de l’architecture de l’abbaye. Nous ne disposons que de très rares études récentes sur l’abbaye des Pierres. Elle n’a pas fait l’objet d’une monographie particulière et est seulement mentionnée dans plusieurs études générales sur le Berry. Guy DEVAILLY, dans sa synthèse sur le Berry à l’époque médiévale, fait à plusieurs reprises mention des fondations cisterciennes berrichonnes mais son point de vue reste celui d’un historien qui tente de cerner les rapports des moines avec les 1884 L. RAYNAL, Histoire du Berry depuis les temps les plus anciens jusqu’en 1789, Bourges, 1885, T II, p. 136. A. BUHOT DE KERSERS, Histoire et statistique monumentale du département du Cher. Canton de Châteaumeillant, Bourges, 1885, p. 253-256. 1886 É. CHENON, « Le prieuré d’Aignerais, membre de l’abbaye des Pierres », Mémoires de la Société des Antiquaires du Centre, 1900, T XXVI, p. 35-55. 1885 - 617 - nobles locaux, les rois Plantagenêts et Capétiens 1887. Son analyse est donc précieuse pour le contexte dans lequel l’abbaye est fondée mais le chantier médiéval est ignoré. P. GOLDMAN étudie également les possessions des moines cisterciens à Bourges. L’abbaye des Pierres est citée. L’auteur constate la difficulté pour connaître le patrimoine foncier de la modeste abbatiale et particulièrement les maisons de ville dont les moines pouvaient être propriétaires. Rien n’est dit de l’architecture et de l’organisation du chantier médiéval1888. P. POULLE, dans un article des Cahiers d’Archéologie et d’Histoire du Berry étudie très précisément l’état des lieux suite au pillage de 1650 et livre ainsi de précieuses informations sur la conservation des aménagements monastiques 1889. Les bâtiments conventuels sont précédés par une cour entourée d’un palis. L’aile ouest correspond à un grand pavillon. L’église au nord est pourvue d’un chevet plat et flanquée de deux chapelles. Un escalier conduit au dortoir qui jouxte la chapelle sud. Le bâtiment est est édifié sur des caves. La salle basse sert de cellier et de fruiterie. L’étage est occupé par un dortoir. L’angle sud-est de l’abbaye est occupé par une tour à quatre niveaux comprenant les cuisines, la boulangerie, l’office, l’infirmerie et la bibliothèque. L’aile sud sert à accueillir les étrangers de passage. Cette analyse étant basée sur les mêmes sources que BUHOT DE KERSERS, sa description n’est guère plus complète mais apporte tout de même à la connaissance de l’aménagement des bâtiments conventuels. Les études d’histoire de l’art sont très rares et le modeste monastère n’a guère attiré l’intérêt du fait du peu de vestiges encore en place. Les analyses de bâti et des créations artistiques sont forcément restreintes. René CROZET livre toutefois quelques éléments sur l’architecture du monastère1890. Selon lui, l’abbaye des Pierres aurait pu rivaliser en splendeur avec Noirlac. En effet, sa tour de quatre étages évoquée précédemment devait lui conférer une certaine monumentalité. Les bâtiments conventuels sont groupés au sud de l’abbatiale. Le dortoir des moines communique avec l’église par un escalier. Il donne quelques précisions sur le plan de l’église qui présente une nef unique, un chevet plat couvert d’un berceau brisé, une chapelle rectangulaire sur chaque bras du transept, disposition assez rare au sein des créations cisterciennes. Ce plan évoque plutôt celui des celles grandmontaines. Nous avons déjà eu l’occasion de remarquer la proximité de l’abbaye des Pierres et de la celle de Pentillou, 1887 G. DEVAILLY, Le Berry du Xème au milieu du XIIIème siècle, Mouton, Paris, 1973, p. 290-292. P. GOLDMAN, « Note sur les possessions cisterciennes à Bourges », CAHB, n°99-100, 1989, p. 41-48. 1889 P. POULLE, « Un patrimoine menacé : l’abbaye des Pierres et le pillage du 9 juillet 1650 », dans l’ouvrage collectif, L’ordre cistercien et le Berry, CAHB, 1998. 1890 R. CROZET, L’abbaye de Noirlac et l’architecture cistercienne en Berry, Paris, 1932. 1888 - 618 - rapprochement qui pourrait expliquer ce choix architectural. Le cloître est charpenté comme en témoignent des corbeaux conservés dans l’élévation des murs gouttereaux de la nef destinés à porter des pièces de charpente. L’abbaye semble ainsi largement mise à l’écart des études d’histoire de l’art face aux lacunes des vestiges conservés. Des investigations archéologiques seraient nécessaires pour retrouver les fondations des bâtiments claustraux et du sanctuaire que nous ne pouvons que présager d’après des documents d’archives ou des travaux érudits dont la crédibilité peut être remise en cause. En effet, ils semblent attacher plus d’importance à l’imagerie romantique de ruines couvertes de lierres qu’à une description précise et minutieuse des vestiges encore en place. Il nous paraît nécessaire de faire le point sur les élévations observables aujourd’hui. Historique : La date de fondation de l’abbaye des Pierres reste sujette à caution et est délicate à étayer de source sûre. Elle a peut-être été précédée par une communauté d’origine érémitique mais celui-ci n’a toutefois laissé aucune trace dans les archives. Les sources diffèrent quant aux circonstances de sa création. La Gallia Christiana en particulier reste très confuse. Elle l’atteste en 1149 : « Beata Maria de Petris, ordinis Cisterciensis, filia monasterii de Albis Petris sub Clara-Valle in parochia S. Pauli de Sidialles et in archidiaconatu de Castra. Sita prope Culentum in valle horrida. Fundature anno 1149, benficio praesertim Radulfi et Ebonis Dolensium principum »1891. À propos d’Aubepierres, il est toutefois stipulé « Albae Petrae, ord. Cisterciensis abbatia, filia Claraevallis et Petrarum, in finibus hujus diocesis fundatur III id junii 1149 »1892. Les Pierres est présentée tour à tour comme fille ou mère d’Aubepierres. Nous savons qu’Amblard Guillebaud, fondateur du château de la Roche est attesté comme l’un des 1891 1892 Gallia Christiana, T II, coll 215. Gallia Christiana, T II, coll 644. - 619 - premiers donateurs. Or son activité diplomatique s’étend de 1075 à 1133, année de son décès. Durant cette période, il se livre à de nombreuses générosités envers Uzerche notamment. Il devait donc y avoir des religieux sur le site dès le premier tiers du XIIème siècle. De même, Raoul de Déols et son fils dotent le monastère primitif, peut-être d’origine érémitique1893. Raoul meurt en 1135, ce qui atteste l’idée d’une installation avant le rattachement à Cîteaux. En 1149, elle devient fille d’Aubepierres à l’initiative des seigneurs de Déols, dans la lignée de Clairvaux. Aubepierres a-t-elle pu prendre l’abbaye des Pierres sous son égide pour lui redonner un second souffle ? Les textes sont trop succincts pour nous permettre de répondre1894. D’après les sources manuscrites, nous savons que les moines des Pierres disposent du moulin de Chaumont sur l’Arnon, du moulin Portier et de la Phillipaude1895. Le moulin de l’abbaye est utilisé pour le blanchissage du linge de même que le moulin des Paumes. Le monastère possède également une tuilerie et des vignes en Bourbonnais1896. Dès 1210, le moulin de Montlevic est cédé par le chapitre de Plaimpied aux cisterciens des Pierres. Il est toutefois difficile de localiser ces installations puisque les actes ne précisent guère que le lieudit parfois impossible à identifier dans la toponymie moderne. Le moulin de l’abbaye est encore indiqué sur la carte IGN, ainsi que le lieu-dit la Phillipaude à cinq cent mètres au sud du monastère, à la lisière du bois de l’abbaye [Fig. 30 et 51]. De même, le toponyme « Les Paumes » est conservé au sud-ouest du monastère au bord de la Joyeuse. Nous n’avons pu retrouver le moulin de Chaumont sur l’Arnon, ni le moulin Portier 1897. Un toponyme « le Carroir » à l’est de l’abbaye pourrait correspondre à une ancienne carrière de pierres utilisée par les moines. La carte de Cassini révèle d’autres installations qui ne se sont pas pérennisées au XXème siècle : le « moulin de la Varenne » est placé au nord de l’abbaye, près du hameau de Chézelle et pouvait appartenir au monastère. Le hameau de Chaumont (« Chaudmont ») est signalé au bord de l’Arnon au nord-est de l’abbaye mais aucun moulin ne lui est associé. Un toponyme « la tuilerie » près de Fédard à quelques kilomètres à l’ouest du monastère correspond sans doute à l’industrie signalée dans les textes médiévaux mais qui n’apparaît plus dans la toponymie actuelle. 1893 O. TROTIGNON, « Devenir cistercien en Berry du sud au temps des Croisades, filles et fils de saint Bernard à l’épreuve du siècle », dans « L’ordre cistercien et le Berry », CAHB, Bourges, 1998, p. 97 ; É. CHENON, « Le prieuré d’Aignerais, membre de l’abbaye des Pierres », MSAC, 1900, T XXVI, p. 35-55. 1894 M. AUBRUN, « L’abbaye cistercienne d’Aubepierres dans la Marche Limousine des origines au XVIème siècle » dans Moines, paroisses et paysans, PUBP, 2000, p. 35-37. 1895 AD Cher, 10 H 4. 1896 AD Cher, 10 H 8. Nous savons que Pierre de la Chapelaude donne une vigne à Domérat près de la Chapelaude dans l’Allier, à quelques kilomètres de Montluçon. AD Cher 10 H 4. 1897 IGN Série Bleue, 2327 O, Châteaumeillant, 1/25000ème. - 620 - Nous connaissons une grange de l’abbaye des Pierres située à Aignerais, entre Champillet et Montlevic à quelques kilomètres à l’est de la Châtre. Elle a été étudiée par Émile CHENON qui livre un court article sur l’exploitation agricole1898. En 1160, le moulin d’Aignerais est donné en perpétuelle aumône par Roger V Palesteau. Il est placé sur le petit ruisseau d’Igneraie. La grange dispose donc de moulins, d’étangs, d’une tuilerie et d’une chapelle, ce jusqu’en 1791. La chapelle est détruite en 1793. L’étude toponymique ne permet guère de retrouver ces aménagements1899. La grange proprement dite apparaît par les lieux-dits « le Petit Igneraie » et le « Grand Igneraie ». Aucun toponyme n’indique un moulin ou une tuilerie. En 1464, un statut du Chapitre Général de l’ordre de Cîteaux permet la connaissance d’une grange de Veillet, simplement citée sans aucune précision supplémentaire1900. L’actuel hameau de Villers pourrait correspondre à cette exploitation, à quelques kilomètres au nordest des Pierres, mais sans autre indication ou texte à l’appui, il paraît difficile de l’attester. De même en 1628, un statut fait état d’une transaction entre l’abbé des Pierres et Gilbert le Groin à propos de la grange de la Bergerie. Les études toponymiques des cartes IGN et de Cassini n’ont permis de localiser cette exploitation. La même année, l’abbé des Pierres est en contrat avec Sylvain de Doussat à propos des terres et manses des Bourdans et de la Perousse, également non localisés1901. Le patrimoine foncier de l’abbaye des Pierres demeure très délicat à retracer et à cartographier. Vestiges archéologiques : - Abbatiale et bâtiments claustraux : De l’abbatiale, il reste quelques pans de mur. Le site n’est plus du tout entretenu et nous ne serions guère étonné si ces seuls témoins venaient à disparaître dans les années à venir. Une vingtaine d’éléments lapidaires cernent la terrasse de la petite maison, derniers indices sur le voûtement et les supports du monastère cistercien. Quant aux aménagements hydrauliques et aux granges, quelques lieux-dits évoquent encore les anciennes installations agricoles et moulins. 1898 É. CHENON, « Le prieuré d’Aignerais, membre de l’abbaye des Pierres », Mémoires de la Société des Antiquaires du Centre, 1900, T XXVI, p. 35-55. 1899 IGN Série Bleue, 2227 E, La Châtre, 1/25000ème. 1900 J. M. CANIVEZ, Statuta…, op. cit., T V, 1464-65. 1901 J-M. CANIVEZ, op. cit, T VII, 1628- 103, 112. - 621 - Les plans cadastraux peuvent nous apprendre sur l’organisation du monastère [Fig. 718 et 719]. Le cadastre napoléonien (section D) montre quatre bâtiments autour d’un cloître (carré du cloître parcelle 479, bâtiment nord parcelle 497, bâtiment ouest parcelle 496, bâtiment sud parcelle 472). Néanmoins, le cadastre actuel ne permet plus d’observer ces structures dont il ne reste que quelques assises en élévation. Le nom de « L’abbaye des Pierres » est cependant maintenu (section AN). Les vestiges de l’abbatiale ne se remarquent pas de prime abord. Les ruines appartiennent à une propriété privée. Nous pénétrons par une vaste arche en plein-cintre aux beaux claveaux de granite qui remploient peut-être des éléments de l’abbaye médiévale. Quelques éléments lapidaires sont disposés autour d’une terrasse. Un inventaire en est présenté ci-dessous. En contre-bas de cette terrasse, un petit portillon permet l’accès à un champ en friches au milieu duquel est conservé un pan de mur, seul vestige du sanctuaire médiéval correspondant au mur gouttereau sud [Fig. 721]. Il est quasiment inaccessible et délicat à photographier. Le parement nord se compose de moellons de schiste liés d’un mortier relativement gras avec beaucoup de chaux. Des chaînages horizontaux sont de pierres de taille en grès. Un percement est encore discernable mais les piédroits en sont très dépecés et ne permettent pas de connaître le profil de la baie [Fig. 722 à 724]. Ils comprennent des vestiges de briques, témoignant de remaniements certains de cette ouverture. BUHOT DE KERSERS décrivait ici une baie au linteau clavé. Une pierre d’appui-fenêtre retrouvée dans l’ancienne cour du cloître laisserait effectivement présager l’existence de baies ébrasées. Nous avons en effet déjà eu l’occasion d’observer ce type d’éléments lapidaires à l’abbaye de Prébenoît. Nous les avions datés du premier tiers du XIIIème siècle en comparaison avec la baie en plein-cintre conservée dans le mur gouttereau nord de l’abbatiale marchoise1902. La mise en œuvre est modeste et semble plus correspondre à des qualifications de maçons que de tailleurs de pierre. Le parement du côté sud est en grande partie enduit et ainsi difficile à étudier. Il présente trois corbeaux de grès, nus et très érodés qui devaient correspondre au couvrement de la galerie nord du cloître médiéval charpenté [Fig. 725]. Le plan au sol a été observé lors d’une investigation des Monuments Historiques1903. La nef unique mesure 6.50m de large, ce qui correspond à peu près aux dimensions de la majorité des celles grandmontaines. Le chevet plat voûté en berceau est flanqué de part et d’autre d’une chapelle, confirmant les descriptions érudites. 1902 I. PIGNOT, op.cit, p. 129. Le piédroit de la baie des Pierres mesure 11cm de large et est conservé sur 24cm de haut et 42cm de large. 1903 Inventaire topographique réalisé en 1995 par Annie CHAZELLE (numéro de notice IA18000204). - 622 - À l’ouest, à un mètre environ du mur de la nef, un pan de mur est sans doute un vestige du logis abbatial décrit en 1789. Il se constitue de moellons de schiste. Un corbeau nu devait appartenir de même au couvrement du cloître. La tour à l’angle sud-ouest est encore observable [Fig. 726 à 728]. Deux murs parallèles sont conservés. Les parements sont là encore de schiste. Des chaînages horizontaux présentent de beaux blocs de grès taillés en moyen appareil régulier. Des trous d’encastrement de poutres quadrangulaires réguliers marquent les divisions en plusieurs étages 1904. Sur les quatre étages décrits dans les travaux érudits, n’en demeurent que deux aujourd’hui. Nous pouvons observer le départ d’un mur vers l’est en moyen appareil régulier de grès qui correspond peut-être au bâtiment sud du cloître [Fig. 729]. D’après les textes, il s’agirait du réfectoire et d’un lieu d’accueil pour les voyageurs. L’intérieur de la tour est presque entièrement enduit. Les chaînages horizontaux sont là encore très visibles. Dans la paroi ouest, à l’extrémité sud, une petite cavité moulurée peut correspondre à la niche d’une statuette. À l’angle opposé, au sud-est de l’abbatiale, un pan de mur très ruiné surplombe la vallée de la Joyeuse. Il pourrait s’agir d’une petite pièce placée à l’extrémité du bâtiment sud du cloître. Les parements sont de schiste exceptés les chaînages en moyen appareil de grès 1905. La paroi est conserve les traces d’une baie très dépecée. Au sud, une cavité voûtée en pleincintre ouvre sur une baie étroite à fort ébrasement interne. Nous ne connaissons pas à l’heure actuelle la fonction de cette petite salle. Il s’agissait peut-être d’un lieu d’accueil pour les gens de passage. Au niveau du bâtiment est, les trois caves voûtées évoquées par les érudits locaux sont encore observables, presque entièrement comblées aujourd’hui. Selon BUHOT DE KERSERS, elles permettaient de compenser la déclivité du terrain. La plus au sud présente encore des marches d’escalier et un vestige de voûte concrète en schiste [Fig. 732]. Du bâtiment est qui devait correspondre au dortoir des moines demeure un mur en « L » présentant encore des vestiges de cheminée, ce qui attesterait de la destination de cette salle comme lieu de repos des moines. Le foyer circulaire irait dans le sens d’une datation des années 1180-1220 [Fig. 730, 731 et 733]. À quelques mètres du mur gouttereau de la nef, un muret très ruiné pourrait être un vestige de l’escalier évoqué dans les textes, jouxtant la chapelle sud de l’abbatiale. La mise en œuvre est toujours la même et recourt à un parement de schiste et des chaînages de grès. 1904 1905 Ces trous de boulins mesurent 29 par 20cm. Les carreaux sont généralement de 51 par 32 cm. - 623 - - Éléments lapidaires : Ces témoins sont bien ruinés pour permettre de comprendre l’organisation des bâtiments conventuels et ce n’est qu’en associant études de bâti, sources historiques et érudites que nous pouvons mieux identifier les élévations observées. Les vestiges paraissent toutefois pauvres pour connaître la mise en œuvre et les différentes étapes de construction et de reconstruction du monastère berrichon. Toutefois, les éléments lapidaires en granite présents sur le site peuvent aider à une tentative de reconstitution de l’abbaye des Pierres. L’usage du granite s’explique par l’implantation de l’abbaye sur un sol hercynien. Le lieu-dit « Le Carroir » à quelques kilomètres à l’est de l’abbatiale pourrait évoquer une ancienne carrière. Des tambours de colonnes, des chapiteaux, des bases livrent des indices sur le cloître sans doute reconstruit au XVème siècle comme celui de Prébenoît, Bonlieu et Varennes. En effet, de nombreux éléments lapidaires sont conservés sur la terrasse ou remployés dans un petit muret de la propriété privée englobant l’ancien site monastique. Ils sont de granite fin avec relativement peu d’inclusions. Si les parements de l’abbatiale sont majoritairement de moellons de schiste, les éléments de supports (bases, chapiteaux) et d’ogives utilisent un matériau plus résistant, se prêtant mieux à la taille que le schiste qui éclate sous le ciseau du sculpteur. Deux claveaux de nervure d’ogives sont préservés au bas d’un petit escalier de pierres [Fig. 734]. Le tore de 12cm de diamètre ne dispose pas d’amande. Il est simplement souligné par un très léger cavet. Ce type de modénature pourrait correspondre à une datation de la fin du XIIème au début du XIIIème siècle. Un autre claveau est conservé au niveau de la porte d’entrée de la propriété. Il est mieux conservé sur 34cm de long. Le tore est également de 12cm de haut et peut donc être associé aux deux éléments précédemment cités. Certains fragments conservés à l’abbaye de Prébenoît présentent des dimensions très similaires1906. Quelle partie de l’édifice était voûtée d’ogives ? René CROZET précise que le chevet plat et la chapelle méridionale du transept disposaient d’un berceau brisé. Le cloître était charpenté comme le signalent les corbeaux destinés à porter des pièces de charpente conservés dans le mur de la nef, aujourd’hui en partie disparus1907. Les ogives couvraient alors peut-être plutôt un bâtiment conventuel, l’ancienne salle capitulaire ou autres aménagements monastiques. 1906 1907 Des claveaux de nervure d’ogives disposent d’un tore de 15cm de diamètre conservés sur 32cm de long. R. CROZET, L’abbaye de Noirlac et l’architecture cistercienne en Berry, Paris, 1932. - 624 - Toutefois, nos minces connaissances sur l’organisation de l’abbaye ne peuvent nous permettre de conclure. Les éléments de supports sont très nombreux. Neuf bases de colonnes sont soulignées de cavets de 8cm de large qui permettent des jeux de lumière [Fig. 736]. Elles mesurent 34cm de haut pour une longueur de 40cm. Leur profil évoque les piliers octogonaux des cloîtres de Prébenoît et de Bonlieu1908. Elles pourraient ainsi également correspondre à une réfection du cloître au XVème siècle. Elles recourent au même granite gris relativement fin. Elles sont associées à des chapiteaux de profil identique [Fig. 735]. Ils se divisent en trois niveaux successifs horizontaux de moins en moins larges, individualisés par d’épais cordons. Six sont conservés à l’abbaye même, un autre est déposé dans une propriété privée de Rancier à quelques kilomètres au nord. Ils mesurent 32cm de haut, 40cm de long et 31cm de large1909. Certains sont très érodés. En considérant qu’un pilier dispose d’une base, de trois tronçons de la même hauteur que les bases et d’un chapiteau, auxquels s’ajoutent des joints d’1.5cm d’épaisseur, nous pouvons envisager des piliers d’1.76m de haut. Ce sont les mêmes dimensions que pour les piliers du cloître de Prébenoît. Toutefois, ne connaissant pas les dimensions des galeries du cloître des Pierres, il nous est impossible de savoir combien de piliers étaient nécessaires. Un élément de nervure peut être associé à ces piliers de cloître [Fig. 740]. En effet, sa largeur est de 32cm. Elle correspond à celles des bases étudiées. Les cavets qui le soulignent mesurent 8cm de large comme ceux des piliers de cloître. Il pourrait s’agir du départ d’une des arcatures du cloître. Un fragment de linteau de baie est également préservé. Il dispose d’un double ébrasement. L’écoinçon est conservé, souligné d’une bordure légèrement surhaussée. Cet élément est trop lacunaire pour pouvoir déterminer s’il s’agissait d’une baie brisée ou en plein-cintre. Une datation serait également hasardeuse [Fig. 738 et 739]. Un modillon à figure humaine est conservé [Fig. 737]. Il est très érodé, c’est pourquoi il nous est impossible de préciser l’identité du personnage. Les cheveux sont représentés par de fines gravures. Nous distinguons les plissés d’un vêtement. Les ciselures sont marquées et profondes. Cette figure déroge à la Règle cistercienne d’austérité et de dépouillement. Il n’y aurait pas de refus total de l’image, même si elle n’apparaît que timidement, aux marges de l’édifice (modillons). Quant à sa provenance, nous savons que les pièces de charpente du cloître reposaient sur des corbeaux. Il pourrait peut-être s’agir de l’un de ces éléments. 1908 Les modules de Prébenoît sont cependant plus importants (55cm de long). En comparaison, les chapiteaux octogonaux de Prébenoît mesurent 34cm de haut, 51cm de long et 34cm de large. I. PIGNOT, op.cit, p. 94. 1909 - 625 - Un petit muret remploie trois éléments intéressants pour notre étude, un fragment de borne [Fig. 743], un claveau d’arc [Fig. 742] et une pierre longitudinale présentant une inscription sous une frise de losanges que nous n’avons toutefois pas pu déchiffrer face à son très mauvais état de conservation. Il pourrait s’agir du linteau d’une porte (67cm de long, 20cm de haut pour 13cm de large) ou plus sûrement d’une plate-tombe relevant sans doute du XIVème siècle [Fig. 741]. Toutefois, nous ne saurions envisager une datation pour cet élément totalement extrait de son contexte. Ainsi, l’abbaye des Pierres peut être mieux appréhendée grâce à ces éléments lapidaires épars dont les conditions de conservation ne sont pas toujours optimales. Nous connaissons mieux les types de supports utilisés ainsi que le mode de voûtement. Un modillon permet d’envisager la présence d’une figuration dans un cadre cistercien pourtant souvent caractérisé par des tentations au refus de l’image (prédilection pour les corbeilles lisses, les culots nus). - Aménagements hydrauliques et granges : Nos prospections n’ont malheureusement guère révélé de vestiges des aménagements agricoles et artisanaux des moines cisterciens des Pierres. Les plans cadastraux restent de plus relativement muets quant aux biefs et canaux et ne feront donc pas l’objet d’une analyse particulière. La grange d’Aignerais est désormais une exploitation agricole moderne qui ne présente pas de témoins de l’époque médiévale. Le moulin et la tuilerie n’ont pas laissé de traces. Le moulin de l’abbaye était en contrebas du site, sur le ruisseau de la Joyeuse. Ne demeure aujourd’hui qu’un petit muret aux parements de schiste et harpages de grès presque entièrement ruiné. Le mécanisme a complètement disparu. Ce maigre vestige nous permet simplement de constater que la mise en œuvre est la même que pour l’abbatiale. Quant au moulin des Paumes, il a également disparu. Son emplacement peut toutefois être envisagé d’après une canalisation moderne qui conduit sur quelques mètres à la Joyeuse. Il nous est ainsi bien difficile de connaître les aménagements pré industriels de cette modeste abbaye face à la disparition inexorable de vestiges laissés à l’abandon. - 626 - VARENNES - 627 - 6. Varennes (commune de Fougerolles, Indre) : Nous accédons à l’abbaye de Varennes par une route nationale qui traverse la commune de Fougerolles, à quelques kilomètres à l’est de Neuvy-Saint-Sépulchre. L’ancien monastère est indiqué par la carte IGN dans un petit vallon sur les rives du Gourdon 1910. La carte de Cassini matérialise l’implantation cistercienne par le clocher et la crosse habituelle. Le sigle AB H. SB O.C. est précisé (abbaye d’hommes, saint Benoît, ordre cistercien). Les vestiges en place peuvent surprendre de prime abord par leur hétérogénéité due aux multiples reconstructions et réaménagements au fil des siècles [Fig. 744 et 745]. De cette abbaye royale placée sous la protection des rois Plantagenêts en 1155 demeure l’église tronquée de plusieurs travées, quelques arcades du cloître, des bâtiments conventuels très remaniés et un dépôt lapidaire relativement conséquent. Elle est aujourd’hui divisée entre deux propriétaires grâce auxquels il nous a été permis de visiter l’ensemble des vestiges. Sources manuscrites et figurées : Les vestiges médiévaux concernant l’abbaye de Varennes, les aménagements hydrauliques, granges et tuileries ne se sont guère préservés et les sources historiques étant par ailleurs indigentes, nous sommes confrontés à des difficultés pour tenter de reconstituer le patrimoine foncier du monastère berrichon. Le peu de sources connues sur l’abbaye de Varennes est essentiellement déposé aux Archives Départementales du Cher à Bourges pour les périodes médiévale et moderne1911 et aux Archives Départementales de l’Indre à Châteauroux pour la période moderne1912. En 1790 est dressé un « état par détail des bâtiments, cours, enclos, près, terres, bois, vignes et revenus non fonciers du couvent de Varennes ». Les dimensions des bâtiments monastiques sont données, indications très précieuses pour notre étude même si nous nous devons de rester prudents face à des mesures prises à la fin du XVIIIème siècle et dont l’exactitude peut être remise ne cause. Le couvent est alors fermé de murailles. L’église a 65 pieds de long (21m), 30 pieds de large (10m) et 28 pieds de haut (9m). La sacristie mesure 15 pieds de long (5m), 12 de large (4m) et 7 de haut (2m) tandis que le colombier et son petit 1910 IGN série Bleue 2227 O, Neuvy-Saint-Sépulchre, 1/25000ème. AD Cher, C 761, B 148, E 912, B 3355, E 1860, D 729, Q 639, Q 265, H 739 (n°5). 1912 AD Indre : H 1137. 1911 - 628 - jardin attenant disposent de 15 pieds carré (5 par 5m) [Fig. 748 et 749] 1913. C’est l’unique document d’archives qui permet de connaître l’abbatiale à une époque déjà tardive. Les informations sont limitées concernant le mobilier de l’abbaye de Varennes. Nous ne savons si elle a bénéficié elle aussi d’une période d’embellissement durant le XIIIème siècle comme les sites de Bonlieu ou Prébenoît (adjonction de vitraux, pavements, décors peints). Les lacunes des sources historiques ne permettent guère de combler les manques des vestiges archéologiques. Un procès-verbal de 1789 fait état du mobilier et des effets de la sacristie comprenant de l’argenterie, des chasubles, des chapes, des ciboires, un calice, un encensoir, une lampe de cuivre argentée, des chandeliers en étain ainsi que trois tableaux représentant la Vierge, saint Benoît et saint Bernard1914. Deux pierres tombales sont découvertes en 1875 à l’emplacement de la salle du chapitre. Elles sont désormais déposées dans le chœur de l’église de Fougerolles. L’une est illisible, l’autre porte une inscription à l’abbé Jean VI : « Ci-gît Jean VI, abbé de Varennes, dont la sage administration dura cinquante-sept ans et qui mourut le jour du bienheureux Vincent martyr, le 22 janvier de l’an du seigneur 1328. » Historiographie : Les érudits locaux ne se sont pas révélés très prolifiques vis-à-vis de l’abbaye berrichonne. Seul CHARDON évoque le monastère dans un très court article de quatre pages1915. Il décrit brièvement une église datant du XIIIème siècle ayant subi de nombreux remaniements au cours du temps. Il cite LA THAUMASSIÈRE évoquant « les vitres qui étaient derrière le grand autel du côté de l’épître ». De cet autel et des vitraux, il ne reste rien aujourd’hui. Au nord, une maison abbatiale relève du XVIIIème siècle (1698-1699). Au sud demeure un corps de bâtiment jugé antérieur à l’abbatiale et qui sert de logis aux religieux. Nous pouvons d’ores et déjà douter de l’exactitude de ces datations, ce bâtiment relevant plutôt de l’époque moderne comme nous aurons l’occasion de le démontrer ci-dessous. 1913 Il est délicat de comparer ces dimensions avec celles d’autres abbatiales étant donné l’amputation de la nef et la suppression des collatéraux dès le XIIIème siècle qui ont profondément réduit l’édifice. 1914 AD Indre, H 1137. 1915 A. CHARDON, « L’abbaye de Varennes, 1148-1791 », Revue du Berry, 1906, p. 201-205. - 629 - CHARDON propose des datations sans toutefois les justifier et qui restent difficiles à accréditer. Rares sont les auteurs récents à s’être penchés sur l’abbatiale, sans doute du fait des sources historiques lacunaires et de vestiges archéologiques délicats à appréhender. Dans son étude sur Noirlac et les cisterciens en Berry, René CROZET livre néanmoins quelques indications sur l’architecture de l’abbaye1916. Il ne prend toutefois pas en compte les bâtiments conventuels disposés au sud de l’abbatiale. Le plan a subi des remaniements certains. La nef primitive de la fin du XIIème siècle présente d’étroits collatéraux. Pour René CROZET, ceuxci sont probablement voûtés de berceaux brisés transversaux comme à l’abbatiale de Fontenay (com. Marmagne, Côte-D’Or). Toutefois, cette hypothèse ne s’appuie sur aucune preuve tangible. Elle repose sur l’idée d’un plan et d’une élévation cistercienne typique reproduite d’abbayes en abbayes et qui conduirait à une unité des créations artistiques. Nous pouvons aisément remettre cette théorie en cause face à la diversité des plans cisterciens. Concernant les collatéraux, Bonlieu par exemple n’en dispose pas, ni l’abbaye des Pierres, ni Boschaud ou Grosbot, tandis que Prébenoît et Dalon en présentent d’assez larges. Les bas-côtés du monastère de Varennes sont détruits à une époque difficile à déterminer (époque moderne, en même temps que la mise à bas du chœur et d’une partie de la nef ?). Ne demeure qu’une nef unique peut-être plus en correspondance avec une communauté de moines peu nombreuse à l’époque moderne. Suite à cette destruction, les grandes arcades à profil brisé sont obstruées. Le vaisseau unique est couvert de voûtes d’ogives sans se soucier des dispositions antérieures. Les travées actuelles ne correspondent en effet pas aux travées primitives. La nef est raccourcie à l’ouest en 1777 par décision de l’abbé Barlien. L’éclairage est assuré par des baies légèrement brisées ébrasées. La description de René CROZET est ainsi précieuse. Toutefois, nous pouvons douter parfois de sa crédibilité et nombre d’hypothèses émises ne sont pas étayées de démonstrations et de faits archéologiques. En 1998, un ouvrage collectif sur les abbayes cisterciennes berrichonnes évoque Varennes1917. L’organisation des bâtiments est précisée. Le réfectoire est parallèle à la galerie du cloître, à l’inverse de la disposition adoptée à Noirlac. Le logis abbatial, simplement cité par René CROZET, est construit par François de Castagnière (ou de Chateauneuf), un familier de la cour de Louis XIV, parrain de Voltaire. Le bâtiment des convers, à l’ouest, borde la cour du cloître dont le niveau a été surélevé par de multiples remblais. Il conserve dans sa façade 1916 1917 R. CROZET, L’abbaye de Noirlac et l’architecture cistercienne en Berry, Paris, 1932, p. 103. Abbayes cisterciennes en Berry. Cher, Indre, Itinéraires du Patrimoine, Orléans, 1998, p. 41-43. - 630 - une partie des arcades du cloître du XIIIème siècle. Le volume de l’ancien réfectoire est conservé tandis qu’il ne subsiste rien du chauffoir et de la salle capitulaire. L’église enfin est décrite avec beaucoup plus de précisions que ne l’avait fait René CROZET. La façade occidentale dispose d’une porte de facture classique datée de 1741. À droite du pignon, une porte du XVème siècle donne accès à un bâtiment en appentis. La façade nord présente les vestiges de trois arcades brisées qui ouvraient sur un bas-côté. Le mur sud dispose des mêmes traces. Pour l’auteur, cette amputation des collatéraux est sans doute due au fait que l’église était devenue trop grande pour la communauté, ce dès le XIIIème siècle. Nous n’avons toutefois aucune preuve que cette mise à bas des collatéraux ait pu intervenir dès le XIIIème siècle. La nef est voûtée d’ogives et de doubleaux au début du XIIIème siècle. Au XVIIIème siècle, l’abbé commendataire fait démolir le chœur et le transept en ruines et édifie le pignon pour refermer la nef amputée. Ne demeurent aujourd’hui de ces aménagements que des éléments lapidaires épars. La même année, les Cahiers d’Archéologie et d’Histoire du Berry publient un numéro spécial sur les moines cisterciens berrichons. Toutefois, les auteurs déplorent que la Colombe, Aubignac et Varennes n’y soient pas évoquées du fait de leur proximité avec le diocèse de Limoges. L’étude est axée sur les abbayes plus prestigieuses et mieux conservées du HautBerry1918. De même, l’ouvrage dirigé par Bernadette BARRIÈRE ne prend pas en compte le monastère alors que la Colombe et Aubignac font toutes les deux l’objet d’une notice bien qu’elles relèvent du diocèse de Bourges1919. Les historiens semblent réticents à prendre en compte le monastère du Boischaut face à l’indigence des sources manuscrites et à la difficulté d’étude des vestiges encore en élévation. Gilles WOLKOWITSCH livre la synthèse la plus récente sur l’abbaye1920. Il est luimême propriétaire d’une partie des bâtiments (église et logis abbatial), d’où sa passion et son désir de connaissance tenace. Il insiste sur la difficulté de son analyse puisque les bâtiments ont subi des transformations multiples. Il précise de nouveau les dimensions de l’église qui ne coïncident pas tout à fait à celles données en 1790. À l’origine, elle mesurait 40m de long par 16m de large et 14m sous les voûtes1921. Aujourd’hui, elle ne dispose plus que de 20m de long, 7.50m de large et 9m de haut. Ces dimensions l’apparentent plus à une celle grandmontaine. Les collatéraux sont supprimés après l’achèvement du cloître puisque le plan de celui-ci tient 1918 « L’Ordre cistercien et le Berry », CAHB, n°136, 1998, p. 218. B. BARRIÈRE, op. cit. 1920 G. WOLKOWITSCH, L’abbaye royale Notre-Dame de Varennes, Lancosme Multimedia, 2004. 1921 Ces dimensions évoquent celles de l’Escale-Dieu (44 par 14.50m) ou encore Sénanque (38.50 par 17.80m). 1919 - 631 - compte de la présence de bas-côtés. Le cloître médiéval relève vraisemblablement du premier tiers du XIIIème siècle (chapiteaux lisses, profil des bases). En 1741, la façade occidentale est remaniée, le chœur abattu en 1777. Peut-être les collatéraux sont-ils mis à bas à cette même époque ? La communauté très restreinte et des revenus moindres ne permettant pas l’entretien coûteux des bâtiments ont sans doute conduit les moines à ces modifications. En 1777, les voûtes abaissées de la nef sont reconstruites, remployant des claveaux de nervure d’ogives médiévaux. Il précise qu’en 1790, lors de l’inventaire révolutionnaire, deux chapelles latérales et le transept sont encore debout. Le transept et le chevet ayant été détruits, il paraît difficile d’étayer cette hypothèse par l’analyse de vestiges trop ruinés. Des fouilles archéologiques seraient nécessaires afin de préciser le plan de cette abbatiale. L’auteur étudie ensuite les bâtiments conventuels. La salle capitulaire et le dortoir ont disparu. Le réfectoire disposait au nord d’une porte d’accès sur le cloître, au sud de quatre baies à profil brisé. L’aile des convers est transformée en maison du prieur. La façade sur le cloître dispose selon lui de fenêtres romanes à l’étage qui correspondait au dortoir. Toutefois, étant donné les remaniements du bâtiment en 1725, nous pouvons douter que ces fenêtres relèvent des XIIème et XIIIème siècles. Il ne reste plus beaucoup de vestiges du cloître médiéval édifié au début du XIIIème siècle. Trois galeries sont abattues au début du XVIIIème siècle. Les pierres sont laissées directement sur place d’où le rehaussement du sol. Un puits est encore conservé au centre de la cour actuelle. La galerie ouest est transformée en couloir en 1725. Les arcades sont comblées pour servir de mur extérieur à la maison du prieur. En 1698, la maison de l’abbé est construite. Elle récupère des pierres des collatéraux. Les communs sont sans doute réalisés dans la foulée. L’étude de Gilles WOLKOWITSCH est donc réellement essentielle pour notre propre analyse. Elle fait le point des connaissances sur le monastère aussi bien d’un point de vue historique que sur les vestiges encore en place. Toutefois, il semble nécessaire d’affiner certaines datations et de discuter de certaines hypothèses émises par l’auteur. En octobre 2006 est menée une étude sur les décors peints des parties hautes de l’abbatiale. Elle est dirigée par Mme Edwige BRIDA, restauratrice de peintures monumentales (maîtrise d’œuvre Laurent DELFOUR, Architecte des Bâtiments de France, maîtrise d’ouvrage M. WOLKOWITSCH). Ce rapport livre l’analyse des enduits et badigeons anciens avant crépi. Grâce à cette étude, nous pouvons ainsi distinguer les enduits anciens des - 632 - apports du XVIIIème siècle lors de la réfection des voûtes. Des photos de détail permettent également d’envisager le décor des clés de voûtes particulièrement intéressant car figuré1922. Historique : En 1148, l’abbaye de Varennes est fondée par Ebbes de Déols qui incite des moines de Vauluisant (com. Courgenay, Yonne) à s’installer sur ses terres. Nous ne connaissons pas de mentions textuelles d’un ermitage primitif sur le site. En 1155, un différend éclate entre Ebbes de Déols et Garnier de Cluis. Les deux seigneurs se proclament fondateurs de l’abbaye. L’affaire est portée devant leur suzerain Henri II. Pour mettre fin aux tergiversations, celui-ci se proclame seul fondateur et protecteur1923. Outre cet épisode lié à la fondation, nous ne savons que très peu de choses concernant les premiers temps de l’abbaye de Varennes étant donné l’indigence des fonds documentaires. Sa fondation en 1148 détermine probablement le début de la constitution de son patrimoine ainsi que l’amorce de la mise en œuvre du monastère. Les vestiges conservés au niveau de la galerie du cloître laissent présager que les bas-côtés ont été supprimés après l’achèvement du cloître, édifié dans le premier tiers du XIIIème siècle comme l’atteste la présence de chapiteaux lisses1924. Selon René CROZET, la mise à bas des collatéraux et l’obstruction des grandes arcades auraient pu intervenir dès le XIIIème siècle. Cette hypothèse est toutefois difficile à justifier. Pourquoi cette restriction dans le parti architectural si peu de temps après la fondation ? Le projet prévu au moment de la création cistercienne était-il démesuré pour une communauté ne bénéficiant que de peu de revenus, trop modeste et insuffisamment dotée pour financer une construction ambitieuse1925 ? Nous penchons plutôt pour une destruction des collatéraux à l’époque moderne, en même temps que les réfections de la nef. Les granges de Varennes sont relativement méconnues. Nous savons qu’elle dispose dès sa fondation en 1148 des exploitations de Séchet (aujourd’hui «le Sachet » à un kilomètre à l’ouest du monastère), des Bergeries (au sud de Varennes), de l’Abbé (à 300m au nord), de l’Augère (à quelques kilomètres au nord-est de Cluis) et de Guéchaussiot (à quelques kilomètres au nord au bord du ruisseau du Gourdon) [Fig. 94]1926. 1922 E. BRIDA, Indre, Fougerolles, abbaye de Varennes, étude des décors peints, octobre 2006, 28p. (non publié). 1923 A. CHARDON, « L’abbaye de Varennes, 1148-1791 », RB, 1906, p. 201-205. 1924 G. WOLKOWITSCH, op. cit, p. 8. 1925 R. CROZET, L’abbaye de Noirlac et l’architecture cistercienne du Berry, Paris, 1932, p. 111. 1926 A. CHARDON, op. cit, p. 201-205 ; G. WOLKOWITSCH, op. cit. Pour l’Augère, voir carte IGN Série Bleue 1/25000ème, 2127 E, Cluis. - 633 - En 1294, Guillaume de Chauvigny affranchit de tous droits et coutumes les métairies des Bergeries, de Séchet et de Guéchaussiot appartenant aux moines. Au sud-est de l’abbaye, à quelques kilomètres au-delà du bourg de Fougerolles, un lieu-dit « les granges » pourrait aussi évoquer une exploitation monastique [Fig. 35 et 53]. La carte de Cassini révèle également un toponyme « les granges » à quelques kilomètres au nord de Varennes à proximité d’un lieu-dit « le Quaroi » qui correspondrait peut-être à une ancienne carrière. Il est vraisemblable que ces cisterciens pratiquent l’élevage du fait de la proximité de cette bergerie. En 1194, un acte précise que l’abbé de Varennes échange des biens avec SaintSulpice-de-Bourges pour regrouper ses propriétés1927. Ces trois exploitations agricoles sont très proches de l’abbaye même. Nous pouvons supposer que les moines possèdent des terres plus éloignées mais les quelques actes conservés ne nous permettent guère d’en faire état. L’abbaye dispose d’un moulin sur le site même de Varennes, du moulin Doué, du moulin des Mares (tous les deux sont situés au nord de Neuvy-Saint-Sépulchre) et du moulin de Guéchaussiot qui sont encore présents dans la toponymie actuelle1928. Toutefois, il est vain d’espérer reconstituer le patrimoine de l’abbaye berrichonne uniquement sur une étude toponymique et des quelques actes disponibles. Vestiges archéologiques : Les bâtiments aujourd’hui préservés en élévation méritent une étude approfondie, qu’il s’agisse des élévations, des supports, voûtements, des matériaux de construction afin de proposer des datations plausibles pour la construction et les remaniements successifs. Cette tâche est toutefois malaisée face aux bouleversements subis par le monastère. De plus, une restauration récente (octobre 2006) a permis le badigeonnage des parements et voûtements internes de l’église, avant que des relevés d’élévation aient pu être entrepris. Une grande partie de l’information est ainsi perdue et nous établirons donc notre étude sur les observations et photographies menées avant restauration. De nombreux éléments lapidaires issus de l’abbatiale et du cloître médiéval sont conservés sur le site mais n’avaient jamais fait l’objet à ce jour d’un inventaire complet. Nous avons donc tenté ici d’inventorier un certain nombre d’éléments pouvant aider à la 1927 1928 AD Indre, H 1137. IGN Série Bleue, 2227 O, Neuvy-Saint-Sépulchre, 1/25000ème. - 634 - compréhension et la connaissance des voûtements, supports et décors méconnus de l’abbatiale et du cloître notamment1929. Les aménagements hydrauliques n’ont été que peu conservés et nos prospections auprès des divers moulins possédés par les moines et indentifiables sur les cartes IGN actuelles se sont révélées décevantes. Les plans cadastraux n’apportent que de minces éléments de réflexion. Il y a en effet peu d’évolution entre le cadastre ancien1930 et le cadastre actuel [Fig. 746 et 747]1931. - Abbatiale : Le plan de l’église comporte une nef, deux collatéraux, un transept saillant présentant vraisemblablement deux chapelles latérales (une par bras du transept ?) et un chevet plat. Ne demeurent aujourd’hui que trois travées de la nef sur les quatre originelles. La façade occidentale est entièrement remaniée au XVIIIème siècle [Fig. 750]. Elle se caractérise par un haut pignon. La pente de la toiture à deux versants est fortement prononcée. Elle est couverte de petites tuiles plates. Cette façade est scandée de deux contreforts très saillants aux soubassements plus larges. Les parements sont en moyen appareil régulier de calcaire assemblés pratiquement sans mortier. Le monastère est implanté à la limite entre un sol de granites, d’argiles et de grès si on se réfère à la Carte Archéologique de la Gaule1932. Le calcaire a donc pu être importé d’une carrière plus éloignée. La porte d’entrée actuelle dispose d’un arc en anse de panier datée de 1741. Elle ne correspond pas à la réalité médiévale comme en témoignent les nombreux rattrapages des assises au niveau des piédroits. La baie percée dans le pignon présente un profil légèrement brisé. Elle remplace une baie beaucoup plus large et haute comme le prouve le comblement de petit appareil irrégulier encore observable. Les murs gouttereaux de l’abbatiale témoignent des réaménagements successifs. Le mur gouttereau nord présente à son extrémité ouest une section entièrement remaniée, au niveau du contrefort de la façade occidentale [Fig. 751]. Le moyen appareil régulier de calcaire gris se constitue de modules ne semblant guère correspondre à des réalités médiévales1933. À cette partie succède à l’est sur un mètre de large une section de moellons de 1929 99 éléments ont ainsi été inventoriés et seront présentés à la fin de cette étude. Section A. Les bâtiments monastiques occupent les parcelles 380, 381, 382, 383, 385. 1931 Section A. L’église et le logis de l’abbé occupent la parcelle 693, le cloître parcelle 696. 1932 G. COULON, J. HOLMGREN, Carte archéologique de la Gaule, Indre, Paris, 1992. 1933 Module : L 35cm ; l 6cm ; h 15cm. 1930 - 635 - tout venant en grande partie enduite ne correspondant vraisemblablement pas à la mise en œuvre médiévale mais à une réfection moderne. Les vestiges de trois grandes arcades sont ensuite visibles. Elles séparaient les anciens bas-côtés de la nef et sont désormais rebouchées. Elles se constituent d’une alternance de claveaux larges et étroits qui paraissent en partie refaits. La première arcade est comblée de petits moellons irréguliers, presque entièrement enduits, ce qui ne facilite pas la compréhension des remaniements successifs. Elle est percée dans son tiers inférieur par deux portes aux arcs surbaissés. Les arcs de ces deux ouvertures sont clavés en plate-bande. Les clés en sont saillantes, attestant une réfection tardive (des baies similaires ont été observées à Bonnaigue et correspondent aux réfections du XVIIIème siècle). La présence de ces clés saillantes attesterait ainsi l’hypothèse de collatéraux mis à bas dans la seconde moitié du XVIIIème siècle en même temps qu’une partie de la nef et le chevet. Les piédroits sont en belles pierres de taille réutilisant sans doute des éléments médiévaux. La clé de la deuxième ouverture porte la date de 1741, comme pour la façade occidentale et prouve donc certains aménagements et reconstructions menées par les abbés commendataires de Varennes. Ces deux portes sont désormais comblées en petit, voire moyen appareil régulier. Le parement entre les deux premiers arcs brisés est en moyen appareil régulier de qualité vraisemblablement médiéval. Cet espace mesure deux mètres de long environ. Au centre de cette section, nous pouvons observer les vestiges d’un harpage pouvant correspondre à l’arrachement d’un ancien contrefort faisant le pendant des deux contreforts conservés au mur gouttereau sud. Cet arrachement est aujourd’hui comblé par de petits moellons. Le deuxième arc brisé ouvrant originellement sur le bas-côté nord est interrompu aujourd’hui par une baie en plein-cintre largement ébrasée, sans doute percée lors de l’abattement des collatéraux. La nef devait dès lors comporter un éclairage direct permis par ces nouveaux percements. Cette baie présente un arc clavé dont la clé est saillante. Cet élément ferait pencher pour une datation moderne de la baie (XVIIème-XVIIIème siècles), témoignant de remaniements concomitants de la réfection de la façade et des portes du mur gouttereau sud1934. Nous retrouvons en effet les mêmes baies en plein-cintre et à clé saillante à l’abbatiale de Bonnaigue, datées de 1738. Ce deuxième arc est comme le précédent comblé de pierres en petit appareil témoignant d’une tendance à la régularité. Dans son tiers inférieur, le parement est percé 1934 Voir C. ANDRAULT-SCHMITT dans B. BARRIÈRE (dir.), Moines en Limousin…, op. cit., p. 53 pour la datation des clés saillantes. - 636 - d’une porte moderne disposant d’un arc en plate-bande. Certains claveaux et piédroits présentent des traces de boucharde attestant de la datation tardive de cette ouverture relevant elle aussi probablement du XVIIIème siècle. Entre le deuxième et le troisième arc, une section de deux mètres environ bâtie en moyen appareil régulier présente des traces d’arrachement de blocs pouvant correspondre soit à un second contrefort, soit au grand portail édifié au début du XIXème siècle dans l’écartement de la troisième arcade lors de la transformation de l’église en grange. Ce portail charpenté est détruit depuis 1980. Le troisième arc n’est presque plus discernable aujourd’hui du fait de l’enduit qui le recouvre. Il est entièrement comblé d’un parement de petit appareil régulier. Il est surmonté d’une baie en plein-cintre sans clé saillante. Les parements recevant l’arc à l’est sont de moyen appareil régulier dont les carreaux semblent médiévaux1935. L’extrémité est du gouttereau nord se constitue d’un petit appareil excepté pour le harpage d’angle et le contrefort d’angle en moyen appareil régulier. Les deux contreforts de la façade orientale ainsi que ceux de la façade occidentale correspondent vraisemblablement à des réfections modernes peut-être datées du XVIIIème siècle en même temps que les remaniements de la façade et de percements du gouttereau nord. Les parties supérieures du gouttereau nord (quart supérieur) présentent des tentatives d’organisation du parement avec certaines assises en moyen appareil régulier, alternant avec des moellons et blocs de petit appareil. Ces harpages horizontaux de bel appareil sont surtout visibles entre les deux baies en plein-cintre. Ce parement est surmonté d’une corniche aux corbeaux nus. Un seul présente une mouluration torique. Au-dessus du premier arc ouvrant sur les anciens collatéraux, deux corbeaux sont conservés, appartenant peut-être à une ancienne charpente. La couverture actuelle aurait donc pu être rehaussée. Le mur gouttereau sud est beaucoup plus difficile à appréhender puisqu’un bâtiment en appentis s’est greffé sur sa partie occidentale, tandis que de petits bâtiments agricoles servant de remise occupent son extrémité orientale. Nous pouvons toutefois observer la présence de baies identiques à celles du gouttereau nord ainsi que deux contreforts en moyen appareil régulier [Fig. 757]. Le pignon oriental remplace le chevet abattu à la fin du XVIIIème siècle, suite à la destruction des bras du transept [Fig. 755]. Ceux-ci sont encore cités lors de l’inventaire du 1935 47 par 41cm. - 637 - monastère en 1790 ainsi que les « deux chapelles latérales de l’église »1936. Il se compose d’un moyen appareil irrégulier scandé de deux gros contreforts. Il est percé d’une petite baie ébrasée au profil légèrement brisé qui pourrait constituer un remploi de l’époque médiévale. Une partie du chevet médiéval est préservée, très ruinée et entièrement prise dans la végétation [Fig. 754]. L’emprise du chevet plat est encore discernable dans le paysage. Nous pouvons observer la présence d’une pile cruciforme renforcée de dosserets à l’angle du chevet et du bras sud du transept. Elle est bâtie en moyen appareil régulier de qualité1937. Elle est conservée sur quatre assises et repose sur un soubassement. La présence de cette pile cruciforme nous ferait plutôt pencher pour un simple voûtement du chœur en berceau, les ogives nécessitant généralement des supports plus complexes avec colonnes engagées. Le parement sud du chevet est par ailleurs en petit appareil régulier. Les parties internes sont également très bouleversées. Nous avons heureusement eu la chance de pouvoir les observer avant la pose du badigeon en octobre 2006. Toute étude de bâti est aujourd’hui de fait impossible. Les parements sont en moyen appareil régulier. Nous distinguons encore les vestiges d’arcatures au profil brisé qui ouvraient sur les collatéraux. La nef est désormais voûtée d’ogives présentant un profil en amande. En 1777, les voûtes sont en grande partie remontées, d’où les discordances actuelles visibles au niveau des peintures des nervures. La composition des décors est en effet souvent dissociée. Des décalages nets sont visibles dans les décors peints, observables en lumière rasante. Certains claveaux d’arcs ont également été retaillés (travées 1 et 2). La maçonnerie des voûtes est couverte d’un enduit de terre marquée par des lattes correspondant au banchage des voûtes lors de leur construction. Cet enduit est recouvert d’un second enduit gris à granulométrie variable de 2 à 3cm d’épaisseur, puis de deux badigeons de chaux superposés. À la rencontre des ogives, des clés de voûtes sont ornées de feuillages ou de figures humaines schématiques, soulignées de peintures noires et vertes [Fig. 753] 1938. L’étude d’Edwige BRIDA permet de mettre en évidence la présence de décors peints médiévaux (fin XIIème-début XIIIème siècles), encore conservés sur certains arcs (arc nord) et constitués d’une polissure de chaux puis de faux joints sur filets blancs, sur un fond jaune. Les nervures et les clés témoignent également de cette polissure de chaux puis d’un décor jaune et rouge vif. Les voûtes sont scandées de doubleaux ornés d’ogives à listel. Les nervures reposent sur quatre culots en encorbellement surmontés de chapiteaux finement gravés [Fig. 752]. Ils 1936 G. WOLKOWITSCH, op. cit, p. 8. Module : L 61cm, h 40cm, l 39cm. 1938 E. BRIDA, Indre, Fougerolles, abbaye de Varennes, étude des décors peints, octobre 2006, p. 6. 1937 - 638 - ne sont pas nus comme souvent dans les sites cisterciens (travée droite du chœur du monastère de Bellaigue, com. Virlet, Puy-de-Dôme ; nef de l’abbatiale d’Obazine). Les culots proprement dits présentent des motifs géométriques discrets gravés dans un calcaire très fin et délicat (coquille, pointes de diamants). Les chapiteaux se caractérisent par un astragale très peu prononcé, un tailloir épais à double ressaut. Les quatre corbeilles présentent des motifs variés. L’une est couverte de croisillons décorés de demi-cercles. L’une très endommagée dispose de crosses d’angles et de feuilles de chêne entremêlées. Les deux dernières adoptent des feuilles plates nervurées, très géométrisées et qui semblent bien peu naturelles. Si les décors sont admis dans cet édifice, ils sont soit géométriques, soit feuillagés, très simplifiés, mais la figure n’apparaît que sur les clés de voûtes. Ce voûtement correspond-il au projet initial ou à des remaniements tardifs ? La présence d’ogives à listel irait dans le sens d’une datation des XIVème-XVème siècles tandis que les amandes pérennisent des réalités des années 1200. Les traces de peinture similaire à celles des réfections du cloître aux XIVème-XVème siècles corroborent cette datation du bas Moyen-Âge. Des clés de voûtes ornées de végétaux ne correspondent guère aux premiers temps austères de l’ordre cistercien dans les années 1180-1220. Il nous paraît ainsi clairement que ces voûtes ont été entièrement refaites. Elles remplacent le voûtement primitif à un niveau moins élevé de cinq mètres environ. Nous pouvions encore observer dans les combles de l’église, au-dessus des voûtes actuelles, les chapiteaux qui supportaient les voûtes initiales1939. De nombreux éléments lapidaires conservés dans l’abbatiale présentent des claveaux de nervure d’ogives au profil en amande. Dans le dépôt lapidaire qui jouxte l’abbatiale, nous avons également inventorié des claveaux de nervures d’ogives très érodés. Les tores ont un profil en amande, élément commun aux espaces Plantagenêt et cistercien. Nous l’observons à Dalon où les claveaux se caractérisent par un tore en amande avec deux moulurations latérales. Une variante de ce profil existe déjà à Pontigny (com. Pontigny, Yonne). À Fontmorigny également (com. Ménétou-Couture, Cher), un claveau isolé déposé dans le réfectoire des convers dispose d’une amande très prononcée. Ce type de modénature semblerait plutôt relever de la fin du XIIème siècle. Il se pérennise cependant au XIIIème siècle comme à l’Abbaye-Nouvelle à la fin du XIIIème siècle (com. Léobard, Lot). Ces éléments découverts à Varennes devaient correspondre au voûtement des travées détruites de la nef1940. 1939 Nous n’avons toutefois pu y avoir accès et nous réferons ici à l’étude de Gilles WOLKOWITSCH, op. cit, p. 8. 1940 Voir étude du dépôt lapidaire ci-après. - 639 - Ainsi, les éléments sculptés du monastère berrichon peuvent nous permettre de mieux connaître les aménagements monastiques et le mode de voûtement de l’abbatiale. Toutefois, une étude lapidaire plus complète est nécessaire avec l’inventaire exhaustif des différents dépôts conservés sur le site. - Bâtiments claustraux : Outre ces deux travées conservées de l’abbatiale, quelques éléments du cloître sont les derniers témoins des aménagements médiévaux. Trois galeries ont été entièrement détruites et ne subsistent qu’à travers quelques éléments lapidaires. Des arcatures sont conservées dans le bâtiment conventuel ouest, ancien dortoir des convers transformé en maison du prieur en 1725 [Fig. 761]. Ce bâtiment dispose d’un parement enduit difficile à analyser. Les contreforts sont en moyen appareil régulier, de même que les piédroits des baies. Les linteaux sont clavés en plate-bande ce qui nous semble incompatible avec la datation du XIIIème siècle proposée par Gilles WOLKOWITSCH. Elles relèveraient plutôt des réaménagements du XVIIIème siècle. Elles présentent le même profil que les portes déjà observées dans les murs gouttereaux de l’abbatiale. Toutefois, l’une des baies présente un linteau en plein-cintre monolithe qui pourrait correspondre à un remploi du XIIIème siècle. Les arcades peuvent être observées depuis le couloir de la maison d’habitation. Les claveaux sont de calcaire fin permettant une taille précise. Certains présentent des marques de marteaux taillants et conservent parfois des vestiges de peinture ocre sur l’extrados. Les arcs sont séparés de 0.90m et disposent de 0.45m de profondeur. Les piliers témoignent des remaniements successifs du cloître. Les claveaux de 24cm de long sont irrégulièrement assemblés selon les diverses reprises. Deux colonnes accouplées de 16cm de diamètre sont surmontées de chapiteaux lisses de 16cm de haut. Le tailloir a une épaisseur de 9cm. Les corbeilles présentent un épannelage fortement évasé qui rappelle les chapiteaux du cloître de Prébenoît datés du premier tiers du XIIIème siècle 1941. Ils sont très endommagés, si bien que l’astragale n’est plus visible. La présence de ces chapiteaux attesterait une datation du premier tiers du XIIIème siècle pour ce cloître médiéval [Fig. 762]. Toutefois, l’arc en plein-cintre repose sur un deuxième pilier bien différent qui ne semble pas correspondre à la même période de construction. Les claveaux de l’arc sont d’ailleurs parfois bien décalés, témoignant de reprises certaines. Il s’agit d’une pile quadrangulaire simple qui pourrait attester d’un remaniement au début du XVIIIème siècle lorsque la galerie ouest du cloître est transformée 1941 I. PIGNOT, op.cit, p. 91. - 640 - en couloir (1725). Les arcades sont alors comblées pour servir de mur extérieur à la maison du prieur1942. Le troisième pilier ne semble pas non plus de l’époque médiévale. En effet, il s’agit d’une pile quadrangulaire avec des colonnettes cantonnées aux angles de 12cm de diamètre. Elle est surmontée de chapiteaux en frise ornés de feuilles de trèfles [Fig. 763]. Des vestiges de polychromie sont discernables. Les feuilles devaient être entièrement recouvertes d’une couleur ocre tandis que le fond était peint en bleu. La présence d’enduits peints dans un monastère cistercien pourrait étonner par rapport à leur volonté de dépouillement et d’austérité. Toutefois, ces chapiteaux sont déjà tardifs, à une époque où les statuts de l’ordre ce sont largement assouplis. La frise est surmontée d’un épais tailloir de sept centimètres de large. La présence de ces feuilles de trèfles attesterait une datation de la fin du XIVème siècle voire du XVème siècle. Le cloître aurait donc était remanié sensiblement à la même période que ceux de Bonlieu, Prébenoît et de la proche abbaye des Pierres. Nous pouvons également observer l’arc en plein-cintre clavé qui ouvre sur la galerie sud du cloître, arc préservé dans la maçonnerie de l’extrémité sud du bâtiment ouest du cloître. Il mesure 3.13m de large et permet la circulation vers le cloître. Il repose au nord sur une pile quadrangulaire massive de 1.16m de long avec des colonnettes cantonnées aux angles. Cette pile repose sur un support quadrangulaire puis sur un soubassement chanfreiné constituant le mur bahut du cloître. Les colonnettes sont surmontées de chapiteaux feuillagés. Les tailloirs en sont simplement moulurés d’un tore. Les feuillages se poursuivent en frise sur le pourtour de la pile quadrangulaire. Des traces de peinture ocre et rouge sont toujours perceptibles. Les bases de ces colonnettes présentent un tore inférieur aplati. Ces arcades de cloître sont ainsi riches en enseignement et l’étude des piliers permet de préciser des datations et différentes étapes de construction. Les corbeaux qui soutenaient la charpente du cloître, conservés dans le mur du bâtiment d’exploitation moderne au sud sont simplement nus et n’admettent aucun motif [Fig. 758 à 760]. Ces corbeaux de 30 cm de haut sont placés à 2.60m de hauteur. La galerie sud du cloître présente encore un pavement de simples dalles bien envahies d’herbe aujourd’hui. Le mur-bahut de cette galerie est encore conservé. Il se constitue de blocs de petit appareil régulier [Fig. 768]. Il mesure 82cm de large pour 71cm de haut. Au nord, des pierres affleurantes témoignent également de sa présence. L’angle sud-est du cloître est encore discernable aujourd’hui avec son ouverture sur le bâtiment conventuel sud correspondant au réfectoire. Cette ouverture est matérialisée par de belles pierres de taille aux feuillures soignées [Fig. 765]. 1942 G. WOLKOWITSCH, Abbaye royale Notre-Dame de Varennes, Lanscome Multimedia, 2004. - 641 - Le cloître édifié dans le premier tiers du XIIIème siècle aurait donc été remanié au XVème siècle avant sa destruction au début du XVIIIème siècle et ne conserve que quelques éléments d’arcatures très remaniés au niveau du mur est de la maison du prieur. Dans la cour du cloître sont conservés un puits et de nombreux éléments lapidaires (bases, colonnes, chapiteaux) étudiés ci-après. Le bâtiment sud est très remanié. Il présente encore deux corbeaux correspondant au couvrement du cloître. Nous pouvons remarquer le départ d’une porte d’accès au cloître (ou d’un armarium) avec un amortissement décoré de volutes. Cet élément est néanmoins difficilement datable étant donné sa destruction presque totale. Toutefois, le même type d’amortissement a été observé en remploi dans une ferme de l’abbaye de Prébenoît datable du premier tiers du XIIIème siècle. Il pourrait ainsi s’agir d’un élément médiéval [Fig. 759]1943. Les parements sont de moyen appareil régulier. En 2004, ce bâtiment est aménagé en maison d’habitation après avoir servi d’écurie et de grange au XVIIIème siècle. Il s’agit de l’ancien réfectoire aujourd’hui entièrement enduit dans ses parties internes et donc difficile à appréhender [Fig. 764]. Les percements actuels présentent des piédroits et linteaux de belles pierres de taille pouvant correspondre à des remplois médiévaux. Il est charpenté mais a pu être voûté au XIIIème siècle. À l’est, il était jouxté par une cuisine aujourd’hui ruinée dont nous connaissons toutefois une cheminée [Fig. 766 et 767]. Les montants et les deux conduits sont encore visibles dans le pignon bâti en moyen appareil régulier. Nous pouvons présumer que ce bâtiment comportait un étage également pourvu d’un foyer, peut-être une infirmerie. Il ne reste rien aujourd’hui de la salle capitulaire et du dortoir des moines occupant le bâtiment est, complètement disparu dès avant la Révolution. Sur l’emplacement de l’ancien chapitre est édifiée en 1890 une grange orientée est/ouest. Elle dispose d’un sioutre central pour battre le grain, de même que la grange bâtie à la même période au sud du bâtiment ouest, également orientée est/ouest. Au nord du site est bâtie la maison de l’abbé, construite en 1698-1699, aujourd’hui maison d’habitation de M. et Mme Wolkowitsch. Elle est édifiée avec des remplois appartenant à l’église médiévale et particulièrement aux collatéraux. Elle se compose de trois « appartements » disposant chacun d’une antichambre, d’une garde-robe et pour deux d’entre eux d’une chambre pour un domestique. Le sol de l’entrée remploie d’anciennes pierres tombales retournées pour former un dallage homogène. Initialement dotée de tuiles, cette demeure est couverte d’ardoises en 1901. Dans le même temps s’est édifié à l’est de la maison de l’abbé le bâtiment des communs. 1943 I. PIGNOT, op. cit, p. 202. - 642 - L’abbaye cistercienne de Varennes apparaît ainsi comme un édifice relativement bien conservé et de nombreux bâtiments monastiques sont encore en place de nos jours, divisés entre plusieurs propriétés privées. Toutefois, ces témoins concernent majoritairement l’époque moderne et les vestiges médiévaux sont bien minces comparativement. Restent trois travées de l’abbatiale et quelques arcades de l’ancien cloître conservées dans le mur gouttereau d’une maison d’habitation. Néanmoins, des éléments lapidaires déposés ou encore en place peuvent nous aider à envisager la physionomie des aménagements monastiques et à préciser les étapes de construction. Plusieurs dépôts conséquents sont ainsi conservés sur le site, au niveau de l’abbatiale et de l’ancien cloître. - Aménagements hydrauliques : Les prospections réalisées sur le site de Varennes même et aux alentours visant à retrouver les aménagements hydrauliques et artisanaux se sont révélées plutôt décevantes et peu d’installations sont encore observables [Fig. 769 et 770]. À 300m environ du monastère, le bief de l’ancien moulin est discernable dans le paysage tandis que le moulin a lui-même entièrement disparu. Le moulin de Guéchaussiot au bord du Gourdon est désormais une maison d’habitation qui ne conserve pas de vestiges médiévaux. Elle est entièrement remaniée et le mécanisme n’est plus en place. Un vivier est préservé au nord de la demeure. Au nord-est de Neuvy-Saint-Sépulchre, un lieu-dit « le Moulin Neuf » pourrait correspondre à une ancienne installation monastique. Toutefois, le propriétaire des lieux nous a attesté la destruction progressive des mécanismes du moulin depuis le XIXème siècle. Un peu plus au nord sur le Gourdon sont placés « le moulin des Mares » et « le moulin Doué ». Ils correspondent à des bâtiments d’exploitation modernes. Des mécanismes ne restent guère que des roues en bois très détériorées et des meules en granite. Ainsi, nous n’avons pu retrouver beaucoup d’installations artisanales liées à l’abbaye de Varennes. Ces lacunes ne correspondent pas forcément à une destruction systématique des aménagements au fil des siècles mais peuvent aussi se justifier par l’indigence des sources historiques qui ne nous permettent guère de cerner le patrimoine de l’abbaye berrichonne. - 643 - - Étude lapidaire : Dans son étude sur le monastère cistercien de Varennes, Gilles WOLKOWITSCH ne fait aucune mention du dépôt lapidaire conservé le long du gouttereau nord de l’abbatiale. Les dépôts lapidaires sont encore bien souvent rejetés des études historiques et parfois archéologiques. Le travail d’inventaire paraît en effet souvent ingrat et fastidieux comparé à des résultats jugés peu productifs. L’intérêt d’une telle étude est toutefois indéniable face à la destruction d’une partie de la nef, des bas-côtés, du chevet et du cloître du monastère. Ces pierres restent un témoignage précieux de structures disparues. Lors de l’étude de Master II sur les abbayes cisterciennes en marge des diocèses de Limoges, Bourges et Clermont, l’abbaye de Varennes avait déjà été évoquée mais d’un point de vue architectural uniquement1944. Faute de temps, le dépôt lapidaire n’avait pu être étudié. • Avertissement : Le but de cette étude lapidaire est essentiellement de comprendre les modes de voûtement de structures disparues comme le chevet, le transept ou la nef primitive, de retrouver la physionomie des supports comme ceux du cloître ou encore de mieux connaître le profil des bases ou les décors des chapiteaux. Cette étude ne peut répondre à tous ces questionnements. De nombreux éléments sont désormais inaccessibles, en remploi dans des parements modernes de l’enclos monastique ou dans les fermes environnantes. Une grande partie des pierres du cloître ont été laissées sur place et ont servi au rehaussement du niveau du sol à cet emplacement ; ils sont désormais remblayés et des fouilles archéologiques seraient nécessaires pour en apprendre plus. D’après cet inventaire, nous espérons pouvoir proposer des hypothèses sur leur place présumée dans l’édifice ainsi que des datations d’après des analyses stylistiques, des comparaisons avec des éléments similaires en place, d’autres édifices mieux datés, cisterciens ou non, d’autres régions ou à proximité. Il nous paraît nécessaire de multiplier les références pour mettre au point un répertoire de formes permettant d’affiner les datations du mieux possible. Des comparaisons pourront être établies avec l’étude du dépôt lapidaire de l’abbaye de Prébenoît menée en Master I1945. Le dépôt lapidaire conservé dans l’enclos monastique de Varennes se compose de deux parties. Un premier dépôt est situé contre le mur gouttereau nord de l’abbatiale et fait donc partie de la propriété de Maurice et Micheline WOLKOWITSCH. Il se constitue de 300 1944 I. PIGNOT, Les abbayes cisterciennes en marge des diocèses de Limoges, Bourges et Clermont. Architecture, créations artistiques, occupation du sol et peuplement, mémoire de Master II sous la direction de Bruno PHALIP, Clermont II, juin 2005, 3 vols. 1945 I. PIGNOT, L’abbaye cistercienne de Prébenoît en Creuse. Étude lapidaire et architecturale, maîtrise d’Histoire de l’art, Clermont II, dir. B. PHALIP, A. COURTILLÉ, 2 vols, 2004. - 644 - éléments environ dont 60 ont été inventoriés. Ils proviennent majoritairement de la destruction des collatéraux, du chevet plat, d’une partie de la nef, mais aussi de bâtiments de ferme modernes. D’autres blocs sont conservés sur la propriété de Mme Annie HOFFMAN comprenant les bâtiments ouest et sud du cloître. Environ 200 éléments correspondent essentiellement de la destruction du cloître. 39 sont désormais inventoriés. Il ne s’agit pas d’un inventaire systématique mais d’un choix de certains éléments directement intéressants pour notre étude. Ce choix est bien sûr subjectif et constitue une limite de cette analyse qui reste partielle. Ont été inventoriés les seuls éléments présentant des modénatures. Les éléments non taillés ne sont pas pris en compte. De même concernant les blocs présentant de simples faces taillées, de simples modules de calcaire sans feuillures ou sculptures particulières, difficiles à dater ou à prendre en compte dans une étude lapidaire. Leur intérêt est en effet limité pour toute tentative de reconstitution du décor et des structures disparues de l’abbaye. Un certain nombre d’éléments lapidaires sont ainsi volontairement écartés de l’inventaire. Concernant les blocs inventoriés, certains présentant des modénatures rigoureusement identiques ne seront pas systématiquement dessinés. Ils seront inventoriés, numérotés, photographiés mais un seul de ces éléments, le plus représentatif et le moins érodé ou bûché sera dessiné. C’est le cas de nombreux fragments de colonnettes présentant un même diamètre ne nécessitant pas de représentation graphique systématique. D’autre part, certains éléments lapidaires trop érodés et fragmentaires n’ont pu être dessinés et bénéficient uniquement d’une couverture photographique. Cette étude ne prétend ainsi pas à l’exhaustivité, ce qui constitue une première limite à notre analyse. Seuls les éléments pouvant aider à la compréhension des voûtements, supports, décors aujourd’hui disparus sont pris en compte. L’archéologie tend pourtant souvent à l’exhaustivité et multiplie les méthodes d’enregistrement pour tout répertorier, tout ficher et inventorier. Toutefois, il nous semble une perte de temps de s’attarder à des éléments lapidaires inexploitables pour une étude de bâti. Tous les éléments ne pourront non plus être identifiés face à l’érosion. Certains blocs sont très fragmentaires et le fait qu’ils soient complètement extraits de leur contexte ne facilite pas les interprétations. De plus, les datations sont malaisées et des confusions sont possibles avec des éléments modernes. Les hypothèses proposées seront ainsi toujours sujettes à caution. Malgré ces limites inévitables, il nous paraît nécessaire de livrer ici le bilan de recherches apportant quelques éléments de réflexion complémentaires sur l’abbaye de Varennes. - 645 - • Méthodes : Pour chaque élément répertorié selon les critères évoqués ci-dessus, une fiche d’identification est dressée. Elle décrit le matériau, sa couleur, le grain de la pierre, la qualité apportée par le sculpteur à la taille, les traces d’outils éventuelles ainsi que les vestiges de peinture, le cas échéant. Les dimensions en sont également précisées en cm (longueur, largeur, hauteur, diamètre des tores, des colonnettes). Une partie interprétation comprend l’identification de l’élément lapidaire, sa place présumée dans l’édifice ainsi qu’une datation plausible. Des rapprochements, comparaisons avec d’autres éléments du dépôt, des structures conservées en élévation et d’autres abbayes et sites sont envisagés. Des références bibliographiques peuvent être précisées si nécessaire. Chaque notice ainsi dressée est regroupée dans une « famille » : nous distinguons ainsi les supports (bases, fûts), les voûtements (claveaux de nervure d’ogives), les percements (piédroits, éléments de portails), les éléments de couverture (corbeaux). Certains blocs n’ont pu être identifiés et sont regroupés dans une dernière catégorie. Chaque élément répertorié dispose d’un numéro d’inventaire, donné arbitrairement durant l’étude sur le terrain et correspondant aux numéros des photos, ainsi qu’un numéro de notice, fonction de la « famille » de classement. Le numéro d’inventaire est simplement indiqué entre parenthèses pour permettre de se repérer plus facilement à la photo et au dessin correspondant. Outre ces fiches d’indentification, des dessins permettent l’analyse des éléments lapidaires. Ils sont réalisés dans un premier temps sur papier millimétré (échelle 1/5e). Les modénatures sont généralement prises à l’aide d’un conformateur. Les dessins sont ensuite retracés sur papier calque, puis scannés et retravaillés grâce au logiciel Adobe Illustrator. Certains dessins ont également pu être réalisés directement sous Adobe Illustrator d’après photos numériques. Cette technique est très pratique pour les profils de claveaux d’ogive et permet des comparaisons rapides. Chaque élément inventorié est en effet systématiquement photographié, même ceux qui ne disposent pas d’une notice propre. Des clichés de face et de profil avec une échelle photographique permettent une meilleure analyse des éléments lapidaires. • Notices :  Supports : - Bases : - 646 - IDENTIFICATION : - Notice n°1 (N° d’inventaire : 63). [Fig. 771] - Matériau : calcaire gris à grains fins, taille délicate. - Dimensions : L 58cm l 27cm h 17.5cm DESCRIPTION : Il s’agit de bases de colonnettes accouplées très érodées. Elles reposent sur un socle commun de 8.5cm de haut sur une longueur totale de 58cm. Leur profil est relativement simple et présente un tore inférieur aplati muni de griffes triangulaires aux angles. La scotie est peu prononcée. Le tore supérieur renflé est de 18cm de diamètre. INTERPRÉTATION : Ces bases appartenaient vraisemblablement à des colonnettes du cloître. Le socle de 58cm de long s’adapte parfaitement à la largeur du mur bahut (82cm). De nombreux fragments de colonnettes de 16cm de diamètre devaient s’associer à ces bases (voir les n° d’inventaire de 70 à 75). Le profil observé avec la présence de griffes aux angles ferait plutôt pencher pour une datation des années 1200-1220. Une base similaire est conservée dans le musée lapidaire de l’abbaye de Prébenoît et présente également de simples griffes aux angles, un tore inférieur aplati et une scotie peu prononcée. Elle est datée des années 1200 et de l’édification du cloître, alors que les griffes se généralisent peu à peu sur les bases. BIBLIOGRAPHIE : - C. ANDRAULT-SCHMITT, Limousin gothique, Paris, Picard, 1997, p. 23-35. - I. PIGNOT, L’abbaye cistercienne de Prébenoît en Creuse. Étude lapidaire et architecturale, maîtrise d’Histoire de l’art, Clermont II, dir. B. PHALIP, A. COURTILLÉ, 2004, vol. I, p. 74. - 647 - IDENTIFICATION : - Notice n°2 (N° d’inventaire : 68). [Fig. 772] - Matériau : calcaire gris à grains fins taillé avec soin. - Dimensions : L 30cm l 27cm h 18cm DESCRIPTION : Cette base présente les mêmes caractéristiques que celle étudiée précédemment (notice n°1, n° d’inventaire : 63). Elle est isolée mais peut avoir été accouplée à une autre base similaire. Elle est très érodée et son socle entièrement bûché sur un côté. Elle présente un tore inférieur aplati, une scotie discrète et un tore supérieur renflé de 18cm de diamètre. Elle est également munie de simples griffes aux angles. INTERPRÉTATION : Comme la base étudiée précédemment, celle-ci appartient vraisemblablement au cloître médiéval et pourrait être datée des années 1200-1220. BIBLIOGRAPHIE : - C. ANDRAULT-SCHMITT, Limousin gothique, Paris, Picard, 1997, p. 23-35. - I. PIGNOT, L’abbaye cistercienne de Prébenoît en Creuse. Étude lapidaire et architecturale, maîtrise d’Histoire de l’art, Clermont II, dir. B. PHALIP, A. COURTILLÉ, 2004, vol. I, p. 74. - 648 - IDENTIFICATION : - Notice n°3 (N° d’inventaire : 69). [Fig. 773] - Matériau : calcaire gris à grains fins soigneusement taillé. - Dimensions : L 30cm l 27cm h 16cm DESCRIPTION : Il s’agit d’une base de colonnette présentant un socle de 7cm de haut surmonté d’un tambour de 7cm de hauteur également, orné d’un tore enroulé en zigzag. Le tore supérieur de 21cm de diamètre pour 2cm de hauteur est délicatement renflé. L’ensemble est très abîmé et les angles en particulier sont bûchés et ne permettent guère d’observer la présence ou l’absence de griffes. INTERPRÉTATION : Cette base se révèle plus trapue que les deux bases précédemment observées (notices 1 et 2, n° d’inventaire 63 et 68). Elle pourrait également appartenir à des colonnettes de cloître et s’adapter aux colonnettes de 16cm de diamètre retrouvées lors de l’inventaire (n° d’inventaire de 70 à 75). Nous pourrions imaginer une alternance de bases à griffes simples et de bases plus ornementées avec des motifs géométriques. Elle est la seule de l’inventaire à présenter ce motif. Si l’on admet son appartenance aux supports du cloître, elle peut être datée des années 1200-1220. - 649 - IDENTIFICATION : - Notice n°4 (N° d’inventaire : 76). - Matériau : calcaire gris à grains fins, taille appliquée. - Dimensions : L 31cm l 27cm h 12.5cm DESCRIPTION : Il s’agit d’une base de colonnette très abîmée et difficile à décrire. Il ne reste plus en effet que le tore inférieur de 2.5cm de hauteur pour 28cm de diamètre, sur son socle quadrangulaire. Les angles bûchés empêchent de distinguer la présence de griffes. INTERPRÉTATION : Cet élément appartenait vraisemblablement au cloître et ses dimensions le rapprochent des autres bases présentées précédemment (notices 1 et 2, n° d’inventaire 63 et 68). Il pourrait donc être daté lui aussi des années 1200-1220 mais son mauvais état de conservation nous incite à la prudence. - 650 - IDENTIFICATION : - Notice n°5 (N° d’inventaire : 77). [Fig. 774] - Matériau : calcaire gris aux grains fins, taillé finement. - Dimensions : L 25cm l 24cm h 19cm DESCRIPTION : Cette base de colonnette est très abîmée, amputée de moitié. Elle présente un socle de 9cm de haut sur lequel s’étale un tore épais de 5cm de haut, muni de griffes triangulaires aux angles. La scotie peu prononcée est surmontée d’un tore plus fin dont nous ne pouvons guère déduire le diamètre. INTERPRÉTATION : Cet élément si bûché reste difficile à interpréter. Il s’agit vraisemblablement d’une base de colonnette de cloître dont le profil est assez identique à celle de la notice 1(n° d’inventaire 63). Les griffes triangulaires sont très semblables mais le tore inférieur est plus trapu. Une datation des années 1200-1220 peut être envisagée grâce à la présence de ces griffes. BIBLIOGRAPHIE : - C. ANDRAULT-SCHMITT, Limousin gothique, Paris, Picard, 1997, p. 23-35. - I. PIGNOT, L’abbaye cistercienne de Prébenoît en Creuse. Étude lapidaire et architecturale, maîtrise d’Histoire de l’art, Clermont II, dir. B. PHALIP, A. COURTILLÉ, 2004, vol. I, p. 74. - 651 - IDENTIFICATION : - Notice n°6 (N° d’inventaire : 96). [Fig. 775] - Matériau : calcaire gris à grains fins et à la taille délicate. - Dimensions : L 27cm l 17cm h 13cm DESCRIPTION : Cette base de colonnette est très érodée, ce qui ne facilite pas sa description. Elle se compose d’un socle de 8cm de hauteur surmonté d’un premier tore aplati de 27cm de diamètre environ et de 4cm de hauteur. Nous pouvons observer par endroit le départ de la scotie et du tore supérieur presque entièrement bûché, de 20cm de diamètre environ. L’érosion ne nous permet pas de constater la présence de griffes aux angles INTERPRÉTATION : Il pourrait s’agir d’une base appartenant au cloître médiéval. Le diamètre du tore supérieur correspondrait aux colonnettes de cloître de 16cm de diamètre prises en compte dans l’inventaire (n° d’inventaire de 70 à 75). Sa datation peut ainsi être envisagée entre 1200 et 1220 comme les bases précédemment inventoriées (notices 1 et 2, n° d’inventaire 63 et 68). - 652 - - Fûts : IDENTIFICATION : - Notice n°7 (N° d’inventaire : 36). [Fig. 776] - Matériau : calcaire gris fin ayant tendance à être cassant, taille délicate. - Dimensions : L 30cm l 25cm h 26cm DESCRIPTION : Il s’agit vraisemblablement d’un tambour de colonne engagée. Le diamètre est de 22cm. La demi colonne est fixée sur un socle de 15cm de large souligné de deux fines doucines. D’autres éléments inventoriés présentent le même profil et les mêmes dimensions et ne feront donc pas l’objet d’une notice particulière. Il s’agit des numéros d’inventaire 41, 54, 55, 56, 57 et 58. Certains présentent parfois des vestiges de lait de chaux blanc ainsi que de peinture ocre conservés sur les cavets, ou des traces de marteau taillant. INTERPRÉTATION : Si la fonction de cet élément est aisée à déterminer, il semble plus difficile de retrouver sa place dans l’édifice. La nef actuelle ne présente pas de supports. Les voûtes d’ogives reposent sur des culots placés à mihauteur ornés de feuillages et motifs géométriques. Toutefois, ces ogives à listel sont mises en place au XIVème siècle, voire au XVème siècle. Peutêtre le voûtement mis en place entre 1180 et 1220 prévoyait une réception des voûtes par des colonnes engagées ? Elles pourraient également correspondre à des supports des collatéraux mis à bas vraisemblablement à l’époque moderne, ou au chevet plat presque entièrement ruiné ou encore aux bras du transept détruits après 1790. Toutefois, nous pouvons encore observer le pilier d’angle du chevet et du bras du transept sud, de plan cruciforme sans colonnes engagées. Nous pourrions également imaginer l’appartenance de cet élément à un - 653 - bâtiment conventuel. Il a toutefois été déposé dans l’abbatiale même et même s’il a pu être déplacé, il paraît plus probable qu’il appartienne à l’église. Sa datation reste malaisée. Si ce tambour appartient à l’abbatiale primitive, il pourrait relever des années 1180-1220. La peinture présente sur certains tambours de colonnes engagées a peut-être été ajoutée au XIVème-XVème siècles en même temps que celle appliquée sur les piliers de cloître datés du Bas Moyen-Âge. Les colonnes engagées ont peut-être été maintenues dans un premier temps pour recevoir les nouvelles voûtes d’ogives au XIVème siècle, peintes en même temps qu’elles (elles présentaient en effet des vestiges de couleurs ocre et rouge avant la pose du badigeon actuel en octobre 2006). Ces demi colonnes auraient pu être dépecées par la suite lors de réaménagements modernes (vers 1747 en même temps que les modifications de la façade). - 654 - IDENTIFICATION : - Notice n°8 (N° d’inventaire : 61). [Fig. 777] - Matériau : calcaire gris assez fin, taille soignée. - Dimensions : L 20cm l 23cm h 20cm DESCRIPTION : Cet élément très érodé peut être assimilé à un fragment de colonnette d’angle d’une pile quadrangulaire appartenant au cloître. Ce bloc de forme quadrangulaire présente un effet un tore de 11.5cm de diamètre, souligné d’un discret cavet. Ce tore ne présente pas d’amande. Il est rigoureusement identique au numéro d’inventaire 62 qui ne fera ainsi pas l’objet d’une notice particulière. INTERPRÉTATION : L’angle sud-ouest du cloître dispose d’un pilier massif de plan quadrangulaire d’1.16m de long avec des colonnes nichées dans les angles. Il est surmonté de chapiteaux feuillagés se prolongeant en frise le long du pilier. Des vestiges de polychromie sont visibles, dans les tons d’ocre et de rouge. Ce pilier pourrait appartenir à la réfection du cloître dans le courant des XIVème-XVème siècles. Ce pilier est toutefois dépecé dans sa moitié orientale. Les tores des deux fragments inventoriés présentent le même diamètre que les colonnettes d’angle de cette pile et semblerait y correspondre parfaitement. Si cette interprétation est exacte, nous pouvons proposer une datation du XIVème siècle, voir du XVème siècle pour ces deux éléments. En effet, les frises de feuilles de trèfles et la présence de polychromie sur ce pilier vont dans le sens de cette datation du Bas Moyen-Âge et des réfections des arcades du cloître dont témoignent en particulier des décalages sensibles dans les claveaux des arcs. - 655 - IDENTIFICATION : - notice n° 9 (N° d’inventaire 64) [Fig. 778] - matériau : calcaire gris à grains fins, taille délicate. - dimensions : L 25.5cm Ø13cm DESCRIPTION : Il s’agit d’un tambour de colonnette engagée très érodée et en partie bûché, ce qui ne facilite guère une étude précise de cet élément. Son diamètre est de 13cm environ. INTERPRÉTATION : Il est difficile de savoir quelle était la place de ce fragment dans l’édifice et d’en déduire une datation. Comme cette colonne engagée appartient au dépôt lapidaire issu de la destruction des trois galeries de cloître, il nous semble plus plausible de la rattacher aux aménagements claustraux. Elle pourrait aussi bien appartenir aux piles complexes des galeries elles-mêmes ou à un bâtiment conventuel (salle capitulaire, dortoir, réfectoire). Nous ne pouvons guère affiner nos hypothèses face à un élément en mauvais état, extrait de son contexte. Il pourrait être rapproché de l’élément de la notice 11 (n° d’inventaire 80). - 656 - IDENTIFICATION : - notice n° 10 (N° d’inventaire 67) [Fig. 779] - matériau : calcaire gris à grains relativement fin, taillé avec soin. - dimensions : h 32cm Ø 16cm DESCRIPTION : Il s’agit d’un tambour de colonnette de 16cm de diamètre. De nombreux éléments similaires sont conservés dans le dépôt lapidaire qui ne feront pas l’objet d’une notice particulière. Ils portent les numéros d’inventaire 70, 71, 72, 73, 74 et 75. Les diamètres sont rigoureusement identiques. Seule la hauteur varie d’un élément à l’autre, de 32 à 40cm selon la bonne conservation des tambours. INTERPRÉTATION : Ces tambours appartiennent vraisemblablement aux colonnettes du cloître qui ornaient le mur-bahut et recevaient la charpente des galeries. Elles étaient probablement jumelées comme le suggèrent les bases inventoriées précédemment (notice 1, n° d’inventaire 63). Nous n’avons toutefois pas retrouvé de chapiteaux correspondants. Le profil des bases au tore inférieur aplati muni de griffes permet de proposer une datation des années 1200-1220. Ces colonnettes appartiennent donc de fait au premier cloître médiéval de l’abbaye de Varennes. - 657 - IDENTIFICATION : - notice n° 11 (N° d’inventaire 80) [Fig. 780] - matériau : calcaire fin légèrement doré, taille délicate. - dimensions : L 27cm Ø 12cm DESCRIPTION : Ce fragment de colonne engagée est relativement bien conservé. La différence de couleur de calcaire avec les éléments précédemment évoqués peut s’expliquer par la conservation de cet élément dans une galerie couverte, limitant son exposition aux pluies et aux mousses. INTERPRÉTATION : Cet élément peut être associé au tambour de colonne engagée étudié précédemment (notice 9, n° d’inventaire 64). Le diamètre est presque identique, de même que la longueur conservée. Il est vraisemblable que les tambours de colonnette disposent d’une même longueur afin d’en faciliter la pose et l’assemblage pour les ouvriers. Ce tambour étant bûché en partie, nous pourrions imaginer une longueur originelle de 30cm environ. Sa place dans l’édifice ainsi que sa datation restent difficiles à déterminer. - 658 - IDENTIFICATION : - notice n° 12 (N° d’inventaire 85) [Fig. 781] - matériau : calcaire doré aux grains très fins, taille délicate. - dimensions : L 15cm Ø 8cm DESCRIPTION : Il s’agit d’un fragment de colonnette ronde très délicate. Nous n’avons trouvé aucun élément similaire d’un diamètre de 8cm. INTERPRÉTATION : Il n’est pas aisé de retrouver la provenance de cet élément. Aucune base ou chapiteau ne correspond à ce diamètre de colonnette. Elle vient probablement au cloître ou aux bâtiments conventuels puisqu’elle appartient au dépôt lapidaire issu de la destruction des aménagements claustraux. Elle peut être liée à des installations liturgiques, à des baies géminées ou des piles complexes. Quant à sa datation, il n’est guère possible de proposer une hypothèse quelconque. - 659 - IDENTIFICATION : - notice n° 13 (N° d’inventaire 98) [Fig. 782] - matériau : calcaire gris très fin, taille relativement soignée. - dimensions : L 36cm l 27cm h 55cm DESCRIPTION : Il s’agit vraisemblablement d’un fragment de colonne engagée, sans doute placée dans un angle. Cet élément se compose d’un dosseret trapézoïdal sur lequel se greffe une colonne de 20cm de diamètre. Elle est soulignée de deux fins cavets discrets. INTERPRÉTATION : Il est difficile de connaître la place de cet élément dans l’édifice. Comme il appartient au dépôt lapidaire issu de la destruction du cloître, nous pouvons en déduire son appartenance aux bâtiments claustraux. Aucun vestige en place ne témoigne de l’usage de colonnes engagées. Il pourrait s’agir d’un support de la salle capitulaire ou du réfectoire dont nous ne connaissons rien aujourd’hui. Le diamètre de la colonne engagée permet de l’associer à l’élément de la notice 14 (n° d’inventaire 99). Il est beaucoup trop important pour appartenir aux piles complexes de l’angle du cloître (colonnettes engagées de 11.5cm de diamètre). Quant aux éléments de colonnes engagées retrouvées en nombre dans le dépôt lapidaire de l’abbatiale, le diamètre est de 22cm et les demi colonnes soulignées de doucines (notice 7, n° d’inventaire 36) ne correspondent pas à celle-ci. - 660 - IDENTIFICATION : - notice n° 14 (N° d’inventaire 99) [Fig. 783] - matériau : calcaire gris à grains fins, taille délicate. - dimensions : L 35cm l 20cm h 36cm DESCRIPTION : Cet élément très érodé et en partie bûché est certainement un fragment de colonne engagée. Son diamètre est de 20cm. Elle est greffée sur un des angles d’un bloc de forme quadrangulaire. Elle est soulignée par deux bandeaux latéraux de 2cm d’épaisseur en léger renfoncement (2cm de profondeur). Il ne s’agit toutefois pas de cavets puisqu’ils ne sont pas arrondis. INTERPRÉTATION : Comme la colonne engagée de la notice 13 (n° d’inventaire 98), il est difficile de retrouver la place de cet élément dans l’édifice bien que nous puissions envisager son appartenance aux aménagements claustraux pour les mêmes raisons que celles évoquées dans la notice 13. Elle présente un diamètre identique. Cette colonne engagée ne semble toutefois pas correspondre à un angle. Quant à sa datation, il est délicat de proposer une hypothèse face à sa mauvaise conservation. - 661 -  Percements : - Piédroits de porte : IDENTIFICATION : - notice n° 15 (n° d’inventaire 10) [Fig. 784] - matériau : calcaire gris aux grains fins, taille soignée. - dimensions : L 48cm l 26cm h 24cm DESCRIPTION : Il s’agit d’un piédroit de porte. L’un des angles est abattu par un biseau de 11.5cm auquel succède un méplat de 11.5cm puis un autre biseau de 15cm de large. INTERPRÉTATION : Le profil de cette feuillure atteste d’une datation moderne. Cet élément pourrait appartenir à la réutilisation de l’abbaye en grange au début du XIXème siècle. Une grande porte est percée dans le mur nord de l’abbatiale pour permettre le passage des charrettes. Ce piédroit pourrait également s’apparenter au pigeonnier établi aux XVIIème ou XVIIIème siècles à l’emplacement du bras du transept sud, abattu en 1962 car menaçant ruines. Des éléments similaires ont été inventoriés à l’abbaye de Prébenoît appartenant aux granges édifiées aux XVIIIème et XIXème siècles. Certains sont encore en place et ne laissent que peu de doutes à leur interprétation et leur datation. BIBLIOGRAPHIE : - I. PIGNOT, L’abbaye cistercienne de Prébenoît en Creuse. Étude lapidaire et architecturale, maîtrise d’Histoire de l’art, Clermont II, dir. B. PHALIP, A. COURTILLÉ, 2004, vol. I, p. 108 à 118, notices 34 à 44. - 662 - IDENTIFICATION : - notice n° 16 (n° d’inventaire 26). [Fig. 785] - matériau : calcaire gris, grains fins, taille délicate. - dimensions : L 36cm l 21.5cm h 16cm DESCRIPTION : Ce piédroit de porte n’est conservé que sur 16cm de hauteur. La feuillure comprend un biseau de 18cm de large puis un méplat de 9cm auquel succède un second biseau de 19cm de large. INTERPRÉTATION : Comme l’élément de la notice 15 (n° d’inventaire 10), il s’agit vraisemblablement d’une feuillure de porte moderne liée à la réutilisation de l’abbaye de Varennes en grange au XIXème siècle ou aux aménagements agricoles (pigeonnier) mis en place dès le XVIIIème siècle. La même comparaison avec les percements des bâtiments de ferme de l’abbaye de Prébenoît peuvent être établis et attestent cette datation des XVIIIème-XIXème siècles. BIBLIOGRAPHIE : - I. PIGNOT, L’abbaye cistercienne de Prébenoît en Creuse. Étude lapidaire et architecturale, maîtrise d’Histoire de l’art, Clermont II, dir. B. PHALIP, A. COURTILLÉ, 2004, vol. I, p. 108 à 118, notices 34 à 44. - 663 - IDENTIFICATION : - notice n°17 (n° d’inventaire 47). [Fig. 786] - matériau : calcaire doré, grains fins et taille plutôt soignée. - dimensions : L 28cm l 22cm h 20cm DESCRIPTION : Ce piédroit de porte est très bûché et seule la feuillure est encore en relativement bon état. Elle se compose d’un premier biseau de 11.5cm de large, d’un large méplat de 15cm, de deux biseaux successifs formant un angle saillant, puis un dernier biseau de 5cm de large. INTERPRÉTATION : Comme les deux piédroits inventoriés précédemment (notice 15, n° d’inventaire 10 ; notice 16, n° d’inventaire 26), nous pouvons supposer que cet élément appartenait à un bâtiment de ferme ou au pigeonnier moderne (XVIIIème-XIXème siècles). - 664 - - Portails : IDENTIFICATION : - notice n°18 (n° d’inventaire 2). [Fig. 787] - matériau : calcaire gris à grains fins, taille délicate. - dimensions : L 21cm l 13cm h 11.5cm. DESCRIPTION : Ce petit élément délicatement sculpté est toutefois très fragmentaire et endommagé d’où la difficulté à le décrire et à l’interpréter. Il se compose d’une sorte de pied de 18cm de haut, dégagé de deux cavets. Il est surmonté d’une partie de forme quadrangulaire de 12 par 13.5cm percée en son centre d’une petite cavité quadrangulaire de 5 par 5cm. Elle-même présente un orifice circulaire d’1cm de diamètre. INTERPRÉTATION : Cet élément étant très érodé et bûché, il est difficile de proposer une interprétation qui ne puisse être contestée. Il pourrait s’agir d’un élément de modénature, peut-être liée à un portail polylobé ou à un remplage, comme le suggèrent les fins cavets et la forme particulière de la partie verticale. L’orifice pourrait corresponde à une cavité recueillant un goujon, c’est-à-dire une cheville en fer servant à relier deux pièces de bois, de pierre, ou de métal. S’il s’agit bel et bien d’un élément de portail polylobé, il pourrait correspondre au portail occidental de l’église remplacé au XVIIIème siècle par la simple porte actuel. Sont encore visibles certains piédroits de porte présentant des tores laissant présager un portail à ébrasements multiples. Était-il surmonté d’un tympan orné de lobes ? Ceci n’est toutefois pas courant dans un cadre cistercien mais est fréquent dans de nombreux édifices de la seconde moitié du XIIème siècle au début du XIIIème siècle. Les dessins polylobés sont en effet très présents dans l’ancien diocèse de - 665 - Limoges dès le XIème siècle. La tour-porche de l’église de Meymac est ainsi percée d’un portail polylobé. De même, le portail occidental de l’église de la Souterraine présente par exemple un très beau portail polylobé daté par Claude ANDRAULT-SCHMITT du milieu du XIIème siècle. Plus proche du monastère de Varennes, l’abbaye de Déols disposait également au milieu du XIIème siècle d’un portail polylobé ornant la porte sud de communication avec le cloître. Il présente des ressauts polylobés dont les redents se poursuivent sur les jambages, comme à la Souterraine. Toutefois, nous ne pouvons affirmer cette hypothèse face à la mauvaise conservation de cet élément ainsi qu’à son isolement dans le dépôt lapidaire. Aucun autre bloc inventorié ne lui ressemble. Il pourrait tout aussi bien s’agir d’un fragment de rose (pignon d’un transept ?) ou de remplage de baie. BIBLIOGRAPHIE : - C. ANDRAULT-SCHMITT, Limousin gothique, Paris, Picard, 1997, p. 366. - C. ANDRAULT-SCHMITT, « Le succès des tours-porches occidentales en Limousin (XIème-XIIème siècles) », dans C. SAPIN (dir.), Avant-nefs et espaces d’accueil dans l’église entre le IVème et le XIIème siècle, CTHS, Paris, 2002, p. 233-250. - J. HUBERT, « L’abbatiale Notre-Dame de Déols », dans J. HUBERT, Nouveau recueil d’études d’archéologie et d’histoire. De la fin du monde antique au Moyen-Âge, Droz, Paris, Genève, 1985, p. 361-424. - 666 - IDENTIFICATION : - notice n°19 (n° d’inventaire 11) [Fig. 788] - matériau : calcaire gris à grains fins, taille relativement fine. - dimensions : L 70cm l 25cm h 21cm DESCRIPTION : Ce fragment très érodé et amputé d’une grande partie peut être identifié comme un élément de porte ou de portail. De forme quadrangulaire, il est orné d’un tore fin de 5cm de diamètre, dégagé de deux cavets discrets. Lui succède une large gorge qui devait peut-être précéder un second tore dans le cas d’un portail à multiples ébrasements. Seule la face présentant cette modénature est relativement bien conservée tandis que les autres faces sont très dégradées. INTERPRÉTATION : Il s’agit vraisemblablement d’un élément de portail, peut-être à ébrasements multiples comme il est fréquent dans le diocèse de Limoges dans les années 1180-1220, particulièrement chez les ordres militaires (Pontarion, Lavaufranche, Blaudeix et Lamaids vers 1250) et cisterciens (Bonlieu notamment vers 1220). Le dépôt lapidaire de l’abbaye de Prébenoît a également révélé de nombreux fragments similaires à celui-ci avec des modénatures toriques laissant présager l’existence d’un portail complexe. Il est difficile de retrouver la place de cet élément dans l’édifice. Le portail occidental dont il reste aujourd’hui une partie des piédroits témoigne de la présence d’au moins une voussure torique mais le diamètre (7cm environ) ne correspond pas au présent piédroit. Il pourrait donc s’adapter à un second portail, peut-être celui du collatéral nord de l’abbatial ou à une ouverture sur le cloître depuis l’ancien bas-côté sud. Notre ignorance de ces structures détruites à l’époque moderne nous empêche d’étayer une hypothèse en particulier. - 667 - Quant à la datation de cet élément, nous pouvons remarquer que ces portails à voussures toriques sont fréquents dans les années 11801220. Aux chapiteaux isolés des années 1220 succèdent les chapiteaux en frise dans les années 1250. Il est difficile de déterminer ici de quelle forme il pouvait s’agir. Nous pencherions plutôt pour une datation identique au portail de Bonlieu (1200-1220). BIBLIOGRAPHIE : - C. ANDRAULT-SCHMITT, « Les églises des Templiers de la Creuse et l’architecture religieuse du XIIIème siècle en Limousin. », MSAOMP, 1996, 5ème série, T 10, p. 73-143. - C. ANDRAULT-SCHMITT, Limousin gothique, Paris, Picard, 1997, p. 3547. - I. PIGNOT, L’abbaye cistercienne de Prébenoît en Creuse. Étude lapidaire et architecturale, maîtrise d’Histoire de l’art, Clermont II, dir. B. PHALIP, A. COURTILLÉ, 2004, vol. I, p. 119-120, notices n° 45 et 46. - 668 - IDENTIFICATION : - notice n°20 (n° d’inventaire 44) [Fig. 789] - matériau : calcaire gris à grains fins, taille fine. - dimensions : L 30cm l 29cm h 7cm DESCRIPTION : Il s’agit d’un fragment de portail, de porte ou de baie disposant d’un tore fin de 3cm de diamètre dégagé par un fin cavet. L’ensemble est très bûche et érodé. INTERPRÉTATION : Comme pour l’élément de la notice 19 (n° d’inventaire 11), il peut appartenir à un portail à voussures toriques. Toutefois, le tore est ici plus discret et le diamètre moindre de 2cm. Ils ne peuvent donc appartenir au même percement. Il pourrait également s’agir d’un simple piédroit de porte ou de baie mouluré d’un tore unique. Il est difficile de savoir où ce percement pouvait être dans l’édifice. Il peut appartenir à des structures entièrement disparues aujourd’hui comme les portes percées dans les collatéraux ouvrant sur le cloître, la porte des morts ou la porte des convers dont nous ne savons rien aujourd’hui. Sa datation est tout aussi malaisée. Si ce fragment est lié aux aménagements des collatéraux, nous pourrions le dater des années 1180-1220. - 669 - IDENTIFICATION : - notice n°21 (n° d’inventaire 59) [Fig. 790] - matériau : calcaire légèrement rosé aux grains fins et taillé avec soin. - dimensions : L 41cm l 24cm h 23cm DESCRIPTION : Ce fragment de portail présente deux faces presque entièrement bûchées. Il devait auparavant être de forme quadrangulaire. Une face témoigne encore de modénatures finement taillées. Un tore de 7cm de diamètre, sans amande, est dégagé de deux cavets de 6cm de large. Lui succède une partie en méplat de 14.5cm. Des vestiges de peinture ocre sont préservés sur le tore. Des traces de marteau taillant sont également visibles et témoignent du soin apporté à la taille de cet élément. INTERPRÉTATION : Il s’agit apparemment d’un élément de portail à voussures toriques. D’après le diamètre du tore et le profil des modénatures, nous pouvons admettre qu’il appartient à l’ancien portail occidental de l’abbatiale daté des années 1180-1220. Il paraît probable que ce portail ait été peint au cours des réfections des voûtes de l’abbatiale, elles-mêmes peintes dans ces tonalités, et en même temps que les peintures du cloître, à savoir dans le courant du XIVème siècle, voire au XVème siècle. - 670 -  Voûtements : De nombreux éléments inventoriés sont des claveaux de nervure d’ogive dont les profils diffèrent, témoignant de différences selon les espaces voûtés et les phases de construction et de reconstruction. Cinq profils ont pu être distingués et les notices seront regroupées en fonction afin de faciliter la compréhension du lecteur. Ce sont bien souvent les diamètres des tores qui permettent d’établir ces distinctions. Le profil 1 est une voûte d’ogive fine. Le tore en amande est dégagé de larges cavets et ses dimensions varient de 10 à 12cm de long pour 10 à 11cm de large environ. 35 éléments peuvent être classés dans cette catégorie. Le profil 2 est assez ressemblant mais le tore en amande est de 10cm de long pour 8-9cm de large. Il est plus petit et encore plus fin. 4 éléments présentent ce profil. Le profil 3 se distingue par un tore sans amande de 9cm de diamètre. Seul un élément correspond à cette description (n° d’inventaire 12). Le profil 4 dispose d’un tore sans amande de 12cm de diamètre qui n’est pas souligné de cavets. L’aspect en est ainsi relativement massif. Deux éléments sont classés dans cette catégorie. Le profil 5 correspond à des claveaux de nervure d’ogives à listel. Le tore massif de 14cm par 16cm est surmonté d’un petit bandeau. L’ensemble est assez trapu. 12 éléments correspondent à cette description. Tous les éléments inventoriés ne feront ainsi pas l’objet d’une notice particulière puisque beaucoup présentent un même profil et n’apportent pas forcément de précisions essentielles à la connaissance des divers types d’ogives. - 671 - - Profil 1 : IDENTIFICATION : - notice n°22 (n° d’inventaire 1) [Fig. 791] - matériau : calcaire doré à grains fins, taille soignée. - dimensions : L 27cm l 21cm h 29cm DESCRIPTION : Il s’agit d’un claveau de nervure d’ogive. Il se compose d’un tore en amande de 12cm de long au profil effilé très fin, dégagé de deux cavets prononcés, reposant sur un socle de 21cm de large pour 1cm de hauteur. Il n’est conservé que sur 27cm et est sévèrement bûché. La face la mieux préservée présente encore des traces de mortier permettant l’adhésion avec un autre claveau de nervure d’ogive. De nombreux autres éléments inventoriés disposent des mêmes caractéristiques, des mêmes dimensions et ne feront ainsi pas l’objet d’une notice particulière. Les seules différences relevées peuvent être des vestiges de lait de chaux blanc, de peintures ocre ou rouge parfois encore observables sur les cavets. Certains présentent un tore bûché mais le profil est généralement reconnaissable grâce aux larges cavets préservés permettant l’association au type 1. Les numéros d’inventaire suivant peuvent être regroupés dans cette catégorie : 13 (conservé sur 32cm de longueur, 31cm de haut), 14, 15, 20 (conservés sur 17cm de long), 31 (conservé sur 22cm de long), 33 (conservé sur 23cm), 35 (conservé sur 23cm de long), 38 (le tore est toutefois très endommagé, conservé sur 24cm de long, 17cm de haut), 40 (tore en amande bûché, 24cm de longueur conservée), 42 (conservé sur 34cm de long, tore bûché), 43 (conservé sur 30cm de long, 18cm de haut, tore bûché), 45 (tore bûché, conservé sur 26cm de long, 22cm de haut), 46 (conservé sur 26cm de long, 21cm de haut), 49 (tore bûché, 39cm de long, 21cm de haut), 51 (l’un des mieux conservé, 48cm de long, 30cm de haut), 52 (24cm de - 672 - long), 91 (tore bûché, 21cm de long, 10cm de haut), 92 (tore bûché, 30cm de long, 21cm de haut), 93 (bien conservé, 28.5cm long, 32cm haut), et 94 (17cm de long, 32cm de haut). - 673 - INTERPRÉTATION : Ce claveau de nervure d’ogive semble correspondre à ceux observables actuellement dans la nef de l’église. Il provient peut-être du voûtement de la quatrième travée de la nef aujourd’hui détruite et être associé aux remaniements de la voûte aux XIVème-XVème siècles (d’où les traces de peinture sur certains éléments). Il pourrait également s’agir d’un élément du premier voûtement médiéval, plus haut de quelques mètres par rapport aux voûtes actuelles et ayant également pu se constituer de voûtes d’ogives au profil en amande. La voûte du Bas Moyen-Âge aurait pu remployer des éléments médiévaux par souci d’économie ou les copier. Ce voûtement d’ogives en amande pourrait également appartenir au chevet ou aux collatéraux détruits. Les voûtes d’ogives en amande sont fréquentes dans un cadre cistercien et particulièrement dans les espaces Plantagenêts, dès le XIIème siècle et se généralisent dans les années 1180-1220. Des claveaux de nervure d’ogive en amande ont été inventoriés à l’abbaye d’Obazine et datés par Claude ANDRAULT-SCHMITT des années 1180. Le profil en est toutefois beaucoup plus trapu que celui de la présente notice, simplement dégagé de deux cavets. Ils proviennent du réfectoire des moines. L’abbaye de Dalon témoigne de profils plus complexes. Un claveau de nervure d’ogive provenant vraisemblablement de l’église presque entièrement détruite se compose d’un tore principal en amande, de deux tores latéraux plus petits, et de deux larges cavets. Les deux modénatures latérales donnent un aspect tréflé au claveau. Des variantes de ce profil sont datées des années 1160-1170 à Pontigny (com. Pontigny, Yonne), abbaye-mère de Dalon, à Trois-Fontaines (com. Trois-Fontaines, Marne) ou à Foigny (com. La Bouteille, Aisne), à savoir les premières abbatiales de l’ordre voûtées d’ogives. D’autres claveaux similaires sont observables à l’Abbaye-Nouvelle (com. Léobard, Lot) à la fin du XIIIème siècle. Le profil en amande perdure ainsi durant tout le XIIIème siècle dans les abbayes de l’ordre. Les claveaux de nervure d’ogive en amande retrouvés à Coyroux sont quant à eux datés du milieu du XIIIème siècle. Les tores sont simplement dégagés - 674 - de deux cavets. Ce profil très simple s’observe également dans le dépôt lapidaire de l’abbaye de Villelongue (com. Saint-Martin-Le-Vieil, Aude ; nef ?). BIBLIOGRAPHIE : - C. ANDRAULT-SCHMITT dans B. BARRIÈRE (dir.), Moines en Limousin, l’aventure cistercienne, PULIM, Limoges, 1998, p. 47-48. - 675 - IDENTIFICATION : - notice n°23 (n° d’inventaire 3) [Fig. 792] - matériau : calcaire gris, grains fins, taille délicate. - dimensions : L 10.5cm l 12cm h 13cm DESCRIPTION : Il s’agit d’un fragment de claveau de nervure d’ogive très abîmé. Seul le tore en amande est conservé ainsi que l’amorce du socle sur lequel il reposait, conservé sur 3cm. Le tore est de 10 par 10.5cm. Son profil effilé semble bien correspondre à la première catégorie distinguée, mais l’absence de socle ne facilite pas l’identification. Des vestiges de lait de chaux blanc sont visibles, témoins d’anciennes peintures. De nombreux fragments de tore en amande présentent les mêmes caractéristiques que cet élément. Ils ne feront dès lors pas l’objet de notices particulières. Il s’agit des numéros d’inventaire 4, 5, 16, 81, 82, 83, 84, 86, 87, 88, 89, 90 et 95. Les tores ont des dimensions légèrement variables (10 par 10.5cm ; 12 par 11cm ; 11 par 11cm, 11.5 par 10.5cm). Certains présentent encore des vestiges de peinture ocre ou rouge, des traces de lait de chaux blanche. INTERPRÉTATION : Bien que ces éléments se réduisent à un simple tore et ne disposent plus de leur socle, ni des cavets les soulignant, nous pouvons les associer au claveau de nervure d’ogive de la notice n°22 (n° d’inventaire 1). Ils peuvent ainsi appartenir au voûtement de la travée détruite de la nef, au voûtement primitif des années 1180-1220, ou même à des structures inconnues comme les collatéraux ou le chevet. La majorité de ces fragments ont été retrouvés dans le dépôt lapidaire côté cloître, le long du mur gouttereau sud, à l’emplacement des anciens bas-côtés. Ils ont toutefois pu être déplacés et il serait audacieux de les rattacher aux collatéraux par cette seule constatation. - 676 - - Profil 2 : IDENTIFICATION : - notice n°24 (n° d’inventaire 6) [Fig. 793] - matériau : calcaire blanchâtre à grains fins, taille soignée - dimensions : L 20cm l 8cm h 11cm DESCRIPTION : Cet élément est très détérioré. Il s’agit d’un fragment de tore en amande appartenant vraisemblablement à un claveau de nervure d’ogive. Le socle n’est plus conservé que sur 4.5cm de long sur 0.7cm de haut. Le tore est plus petit que celui du profil 1 et mesure 10cm par 8cm de large. Des traces de peinture rouge sont conservées. INTERPRÉTATION : Il est difficile d’interpréter cet élément très fragmentaire, visiblement apparenté à un claveau de nervure d’ogive d’un profil plus fin que celui précédemment envisagé. Il pourrait appartenir aux voûtes du chevet inconnues, aux collatéraux, voire à un bâtiment conventuel. Le profil en amande nous ferait plutôt pencher pour une datation de la fin du XIIème siècle au premier tiers du XIIIème siècle. - 677 - IDENTIFICATION : - notice n°25 (n° d’inventaire 8) [Fig. 794] - matériau : calcaire doré à grains fins, taille délicate. - dimensions : L 35cm l 18cm h 26cm DESCRIPTION : Il s’agit d’un fragment de claveau de nervure d’ogive. Le tore est en amande et mesure 10 par 9cm. Il peut être associé à l’élément de la notice 24 (n° d’inventaire 6). Il conserve des traces de peinture ocre et de lait de chaux blanc. Il est très endommagé. Deux autres fragments inventoriés dans cette étude présentent le même profil et ne feront donc pas l’objet d’une notice particulière. Le n° d’inventaire 9 ne conserve que le tore de mêmes dimensions que celui de la notice n°25. Il est préservé sur 8cm de large. Le n° d’inventaire 27 présente le même tore en amande ainsi qu’une petite partie du socle bûché de 3cm de haut. Il est conservé sur 13cm de large. Une face témoigne encore de la présence du mortier ayant permis sa fixation. INTERPRÉTATION : Comme le claveau de nervure d’ogive de la notice 24, il pourrait correspondre au voûtement de chevet, des bas-côtés ou encore des bâtiments conventuels aujourd’hui disparus. Quant à sa datation, le profil en amande nous permet d’envisager une fourchette chronologique des années 1180-1220. - 678 - - Profil 3 : IDENTIFICATION : - notice n° 26 (n° d’inventaire 12) [Fig. 795] - matériau : calcaire doré, grains fins, taille précise. - dimensions : L 33cm l 21cm h 32cm DESCRIPTION : Il s’agit d’un claveau de nervure d’ogive dont le profil est très différent de ceux observés jusqu’à maintenant. Le tore ne présente pas d’amande et mesure 9cm de diamètre. Il repose sur un socle massif de 23cm de haut pour 21cm de large. Il n’est pas dégagé de cavets mais seulement souligné par deux biseaux. L’aspect en est assez massif. Des vestiges de peinture apparaissent ainsi qu’un fin lait de chaux blanc. C’est le seul claveau de ce type inventorié. INTERPRÉTATION : Il paraît difficile de retrouver la place de cet élément dans l’édifice étant donné son isolement dans le dépôt lapidaire et son mauvais état de conservation. D’après son aspect trapu, nous pourrions imaginer une datation antérieure aux voûtes d’ogives en amande fines. Il pourrait correspondre au voûtement d’un espace plus ancien. Si le chantier médiéval a été mené comme souvent d’est en ouest, les voûtes du chœur pourraient avoir adopté ce profil plus massif. Elles pourraient également correspondre au voûtement d’un bâtiment conventuel comme la salle capitulaire, souvent dans les premières salles construites car essentielle à - 679 - la communauté monastique. Il est toutefois difficile d’étayer de source sûre l’une ou l’autre de ces hypothèses. Concernant le chevet, la présence d’une pile cruciforme sans colonne engagée nous ferait de plus plutôt pencher pour une simple voûte en berceau plutôt que des ogives nécessitant des supports complexes. - 680 - - Profil 4 : IDENTIFICATION : - notice n° 27 (n° d’inventaire 25) [Fig. 796] - matériau : calcaire gris, grains fins, taille délicate. - dimensions : L 36cm l 21cm h 7.5cm. DESCRIPTION : Il s’agit d’un claveau de nervure d’ogive très fragmentaire. Il présente un tore sans amande de 12cm de diamètre. Il n’est pas dégagé de cavets mais d’une modénature composée d’un petit méplat de 6cm de large puis d’un biseau de 6.5cm de large. L’aspect en est assez trapu. Un second élément présente les mêmes caractéristiques : le numéro d’inventaire 39 ne bénéficiera ainsi pas d’une notice particulière. La seule différence avec le claveau de nervure d’ogive n°27 est la présence de peinture ocre sur le tore. INTERPRÉTATION : Comme l’élément de la notice n°26 (n° d’inventaire 12), il est délicat de retrouver la place de ce fragment dans l’édifice bien que son profil massif et l’absence d’amande nous fassent pencher pour un type de voûtement plus ancien, appartenant peut-être à un bâtiment conventuel. - 681 - - Profil 5 : IDENTIFICATION : - notice n° 28 (n° d’inventaire 17) [Fig. 797] - matériau : calcaire gris à grains fins, taille délicate. - dimensions : L 20cm l 34cm h 29cm DESCRIPTION : Cet élément présente un profil très différent de ce que nous avons eu l’occasion d’observer jusqu’à présent. Il se compose d’un tore massif de 16cm de diamètre surmonté d’un listel de 3.5cm de large et 0.5cm de hauteur. Ce tore n’est pas dégagé de cavets mais simplement encadré de deux biseaux. Il repose sur un socle de 20cm de long pour 10cm de hauteur. Le claveau est ici conservé sur 34cm de large. Ce profil bien particulier est reconnaissable à plusieurs reprises dans le dépôt lapidaire de l’abbatiale. Les numéros d’inventaire suivants ne feront ainsi pas l’objet d’une notice particulière, disposant des mêmes caractéristiques que le claveau de la notice 28 : 18 (conservé sur 26cm, présente des vestiges de peinture rouge sur les biseaux), 19 (conservé sur 31cm de large), 21, 22 (traces de peinture ocre sur le tore), 23 (traces de lait de chaux blanc et de peinture rouge sur les biseaux), 29 (conservé sur 42cm de large, traces de lait de chaux et de peinture rouge sur les biseaux), 30 (conservé sur 18cm, très détérioré), 32 (conservé sur 18cm de large, vestiges de peinture rouge et ocre sur les biseaux), 34 (conservé sur 42cm de long, vestiges de peinture rouge sur les biseaux), 37 (vestiges de lait de chaux blanc et de peinture rouge, conservé sur 25cm de long) et 48 (tore entièrement recouvert d’un lait de chaux blanc, conservé sur 21cm). INTERPRÉTATION : D’après les voûtes d’ogives encore en place dans l’abbatiale, nous pouvons constater que si les nervures diagonales disposent de tores en - 682 - amande, les nervures transversales présentent des tores à listel du type du claveau de la notice 28. Ce profil relève plutôt des XIVème-XVème siècles. Il se rencontre dans d’autres édifices du diocèse de Limoges. Ainsi, l’église de Mourioux en Creuse, non loin de Bénévent et du Grand-Bourg, est voûtée d’ogives à méplat dégagé de cavets. Ce voûtement est une reprise du XVème siècle. À Varennes, ces ogives correspondent vraisemblablement à la réfection des voûtes de l’abbatiale au Bas MoyenÂge. En témoignent les fréquents vestiges de peinture. Ces nombreux fragments de claveaux de nervure d’ogives à listel peuvent ainsi appartenir à la voûte de la quatrième travée de la nef. BIBLIOGRAPHIE : - C. ANDRAULT-SCHMITT, Limousin gothique, Paris, Picard, 1997, p. 287288. - 683 -  Couverture : IDENTIFICATION : - notice n° 29 (n° d’inventaire 78) [Fig. 798] - matériau : calcaire gris, grains fins, taille soignée. - dimensions : L 16cm h 32cm DESCRIPTION : Cet élément très érodé semble être un corbeau dont plusieurs ressauts successifs forment la modénature très simplifiée. Un second fragment similaire est conservé dans le dépôt lapidaire du cloître. Il mesure 23cm de long pour 27cm de hauteur mais ne fera pas l’objet d’une notice particulière (n° d’inventaire 79). INTERPRÉTATION : Ce corbeau très érodé pourrait appartenir à la couverture des anciens collatéraux mis à bas au milieu du XIIIème siècle. Nous pourrions également envisager un lien avec une galerie charpentée de cloître, mais les deux corbeaux conservés au niveau du bâtiment sud du cloître ne présentent pas le même profil avec des ressauts successifs. Il s’agit simplement de quart de rond sans modénature. Ces éléments pourraient être datés des années 1180-1220 s’ils appartiennent bien aux anciens bas-côtés. - 684 -  Éléments avec modénatures non classés : IDENTIFICATION : - notice n° 30 (n° d’inventaire 7) [Fig. 799] - matériau : calcaire gris très fin, taille délicate - dimensions : L 11cm l 3cm h 9cm DESCRIPTION : Ce fragment très partiel reste difficile à appréhender. Il est presque entièrement bûché. Une face présente encore une modénature disposant de trois ressauts successifs. Le biseau le plus haut mesure 6cm de large. Il est succédé d’une partie verticale de 0.7cm de haut. Puis une seconde partie biseautée mesure 0.4cm de large, suivie d’un pan vertical de 2cm. Le dernier biseau de 0.7cm de large est suivi d’une partie verticale de 5cm de haut. INTERPRÉTATION : Il est malaisé d’interpréter un élément aussi fragmentaire. Il pourrait s’agir d’un petit fragment de plinthe ou de base. - 685 - IDENTIFICATION : - notice n° 31 (n° d’inventaire 24) [Fig. 800] - matériau : calcaire gris à grains fins - dimensions : L 34cm l 20cm h 21cm DESCRIPTION : Cet élément de forme quadrangulaire est orné d’une gorge dans son tiers supérieur. INTERPRÉTATION : Il pourrait vraisemblablement s’agir d’un fragment de corniche, d’entablement. Sa place dans l’édifice de même que sa datation ne peuvent toutefois être déduites de si peu d’éléments. Le dépôt lapidaire de l’abbaye de Prébenoît a révélé le même type d’éléments à mettre en rapport avec la corniche simplement ornée d’une gorge recevant les voûtes d’arêtes du collatéral nord de l’abbatiale. Ce dernier pouvait être daté du premier tiers du XIIIème siècle. À Varennes, cette corniche recevait-elle les voûtes des bas-côtés ? Les voûtes de la nef primitive ? Il paraît audacieux de conclure sur ce point. BIBLIOGRAHIE : - I. PIGNOT, L’abbaye cistercienne de Prébenoît en Creuse. Étude lapidaire et architecturale, maîtrise d’Histoire de l’art, Clermont II, dir. B. PHALIP, A. COURTILLÉ, 2004, vol. I, p. 198, notice n°37. - 686 - IDENTIFICATION : - notice n° 32 (n°d’inventaire 28). [Fig. 801] - matériau : calcaire gris à grains fins, taille soignée. - dimensions : L 18cm l 17cm h 17cm DESCRIPTION : Cet élément de forme cubique présente un angle chanfreiné. INTERPRÉTATION : Il est difficile de retrouver la fonction de ce fragment dans l’édifice et plus encore sa datation. Il peut s’agir d’un élément de soubassement, probablement lié à l’abbatiale d’après sa place dans le dépôt lapidaire du mur gouttereau nord. - 687 - IDENTIFICATION : - notice n° 33 (n° d’inventaire 50) [Fig. 802] - matériau : calcaire doré à grains fins, taille soignée. - dimensions : L 43cm l 26cm h 3.5cm DESCRIPTION : Cet élément est brisé en deux fragments. Il est de forme quadrangulaire. Il est entouré d’une moulure torique fine (2.5cm de diamètre) soulignée d’un liseré qui n’est plus observable que sur deux des quatre côtés. En effet, cet élément est amputé de deux de ses extrémités. INTERPRÉTATION : Les interprétations peuvent être multiples pour cet élément. Il pourrait s’agir d’un fragment de dalle funéraire, de plaque d’autel ou d’un aménagement liturgique quelconque (armarium, piscines…). Quant à sa datation, il est malaisé de proposer une quelconque hypothèse tant cet élément est fragmentaire. - 688 - IDENTIFICATION : - notice n° 34 (n° d’inventaire 53) [Fig. 803] - matériau : calcaire gris, grains fins, taille plutôt grossière. - dimensions : L 27cm DESCRIPTION : Ce bloc de forme ovale est divisé par de profondes rainures régulières, taillées de manière assez grossière. INTERPRÉTATION : Il pourrait s’agir d’un fragment de culot comme ceux conservés à l’angle sud et nord-ouest de la nef actuelle, recevant les voûtes d’ogives, auquel cas nous pourrions dater cet élément des réfections des voûtes aux XIVème-XVème siècles. Néanmoins, d’après Gilles WOLKOWITSCH, cet élément pourrait provenir de l’ancienne abbaye de Déols, et aurait été apporté en 2001 par un habitant de Déols qui le conservait dans son jardin, afin de ne pas le laisser à l’acheteur de sa propriété. - 689 - IDENTIFICATION : - notice n° 35 (n° d’inventaire 60) [Fig. 804] - matériau : calcaire doré à grains fins, taille délicate. - dimensions : L 35cm l 20cm h 28cm DESCRIPTION : Ce bloc quadrangulaire présente dans sa partie supérieure deux cavets latéraux très fins auxquels succèdent deux biseaux formant un angle rentrant. INTERPRÉTATION : Il pourrait s’agir d’un élément de pilier ou de soubassement. Quant à sa place dans l’édifice et sa datation, il est difficile de formuler une hypothèse convaincante, d’autant plus que cet élément est isolé dans le dépôt lapidaire. - 690 - IDENTIFICATION : - notice n° 36 (n° d’inventaire 65) [Fig. 805] - matériau : calcaire jaune aux grains très fins, taille soignée. - dimensions : L 20cm l 11cm h 31 DESCRIPTION : Ce petit élément très endommagé dispose sur une face de deux gorges superposées respectivement de 12 et 16cm. Elles sont séparées horizontalement et verticalement par une petite saignée très fine. Un second fragment présente la même modénature et ne disposera pas d’une notice particulière : il s’agit du numéro d’inventaire 66. INTERPRÉTATION : Considérant le mauvais état de conservation de ces deux fragments, il paraît délicat d’en proposer une interprétation et d’envisager leur place dans l’édifice ainsi qu’une datation probable. Leur place dans le dépôt lapidaire du cloître ne suffit à elle seule à proposer leur rattachement aux bâtiments claustraux. D’après la saignée, nous pourrions imaginer qu’il s’agisse de piédroits de baies destinées à recevoir des vitraux. L’abbaye médiévale disposait-elle de vitraux en grisaille comme à Bonlieu ou Obazine ? Il est difficile de l’attester d’après ces deux seuls éléments. Nous pourrions également envisager que ces deux éléments appartiennent à un cloître vitré. Ce type de cloître est connu dans le nord de la France à Saint-Jean-des-Vignes, Saint-Léger de Soissons, à la cathédrale de Laon (début XIIIème siècle), de Langres. Plus proche, le cloître de l’abbaye cistercienne de Noirlac disposait également de vitres (dernier quart du XIIIème siècle). En effet, les oculi surmontant les arcades des galeries nord et ouest présentent des saignées témoignant de la présence d’anciens vitraux, peut-être en grisaille. Les vitraux dans les cloîtres cisterciens sont attestés depuis le second quart du XIIIème siècle. Huit abbayes cisterciennes disposaient ainsi de cloîtres vitrés comme - 691 - Haina (vers 1240), Heiligenkreuz (1220-1250) ou Altenberg (XVIème siècle). Le même cas de figure pourrait être envisagé à Varennes dans la première moitié du XIIIème siècle. C’est également le cas à Saint-Martial de Limoges dans le second quart du XIIIème siècle, témoignant de l’introduction d’une architecture septentrionale. - 692 - BIBLIOGRAPHIE : - J. HAYWARD, « Glazed Cloisters and their Development in the Houses of the Cistercian Order”, Gesta, vol. XII, 1973, p. 93-109. - X. LHERMITE, « L’invention architecturale au XIIIème siècle à SaintMartial. De la plus ancienne voûte d’ogives de Limoges à l’introduction de l’architecture gothique rayonnante », dans C. ANDRAULT-SCHMITT (dir.), Saint-Martial de Limoges. Ambition politique et production culturelle (Xème-XIIIème siècles), PULIM, Limoges, 2006, p. 309-326. - 693 - IDENTIFICATION : - notice n° 37 (n° d’inventaire 97) [Fig. 807] - matériau : calcaire jaune à grains fins, taille délicate. - dimensions : L 20cm l 9cm DESCRIPTION : Ce fragment très érodé et bûché présente deux beaux motifs floraux ressemblant à des marguerites avec d’épais pétales. INTERPRÉTATION : Ce fragment pourrait correspondre à un élément de chapiteau et évoque en particulier les chapiteaux se prolongeant en frise sur les piles quadrangulaires massives du cloître. Il pourrait ainsi être daté des XIVème-XVème siècles, avec toute la prudence qui s’impose face à un élément si abîmé. - 694 - • Synthèse. Apports et hypothèses de l’étude lapidaire : Cet inventaire lapidaire recense 99 éléments présentant des modénatures dont 37 ont fait l’objet d’une notice particulière. Les premiers constats soulignent la simplicité des modénatures et des profils d’ogives pris en compte. La réticence à l’image sculptée semble bien présente. Aucune figure n’est représentée dans l’échantillon envisagé et seul un élément très fragmentaire est orné de feuillages (notice n°37, n° d’inventaire 97). Sobriété et simplicité sont de mises au sein du modeste monastère cistercien. Toutefois, aucun chapiteau n’a été retrouvé et peut-être les éléments sculptés les plus intéressants ont été pillés et remployés dans les demeures alentours. Les prospections menées sur la commune de Fougerolles n’ont guère été fructueuses quant à ces probables éléments vagabonds. Suite à la description et l’analyse de ces divers éléments, il revient à présent de cerner leurs apports pour la connaissance des bâtiments disparus et des premières dispositions de l’abbatiale (1180-1220).  Pour une approche du chantier médiéval : Ces quelques éléments fragmentaires, souvent érodés et extraits de leur contexte permettent néanmoins de formuler quelques modestes hypothèses sur le déroulement du chantier de construction. Le matériau utilisé est un calcaire à grains fins, de bonne qualité et de couleur dorée. Les variations de couleur observées s’expliquent par la conservation de quelques éléments à l’abri tandis que d’autres sont exposés à l’extérieur et prennent souvent une teinte plus grise. Il permet une taille précise sans aspérité et est souvent privilégié des sculpteurs pour ses qualités. Les bâtisseurs de Varennes ne semblent toutefois pas avoir profité des potentialités de cette pierre et la sculpture est discrète aux XIIème et XIIIème siècles. Seules les modénatures toriques semblent admises. Est-ce dû à une volonté de conformité avec les préceptes cisterciens d’austérité ou à la pénurie de sculpteurs qualifiés sur le chantier de construction ? L’édification de l’abbaye de Varennes relève-t-elle plus du travail de maçons que de tailleurs de pierre ? Cette question sera débattue et évaluée par la suite à la lumière de l’ensemble des abbayes cisterciennes étudiées et de comparaisons avec d’autres sites monastiques et paroissiaux de l’ancien diocèse de Limoges et de ses marges1946. Toutefois, ce matériau n’est pas choisi par hasard. L’abbaye est implantée sur un sol de granites, micaschistes et gneiss. Les bâtisseurs sont donc allés chercher plus loin ce matériau de qualité. L’étude de la Carte archéologique de l’Indre révèle la présence non loin du site monastique de deux langues de sols calcaires : l’une à 7 km au nord-est dans les environs de 1946 Voir III. A. - 695 - Lourouer-Saint-Laurent, l’autre à 10 km à l’ouest autour de Mouhers et Cluis. Les blocs de pierre auraient pu être acheminés depuis ces zones peu éloignées1947. Cette recherche d’un matériau plus fin et plus propice à la sculpture que le granite directement présent sur place témoigne d’une certaine recherche esthétique de la part des bâtisseurs. Ce choix plus onéreux pourrait être justifié par le statut d’abbaye royale de Varennes et l’intérêt porté au site par Henri II qui aurait pu déterminer certains choix architecturaux. La taille des matériaux est quoi qu’il en soit particulièrement soignée et des traces de marteaux taillants sont visibles sur certains blocs, témoignant du travail tout en régularité des tailleurs de pierre. Les marques sont en effet obliques et régulières (notices 7 et 21). Nous pouvons également constater une volonté de rationalisation du chantier, témoin d’une réflexion certaine du maître d’œuvre pour réduire les coûts d’édification et surtout le temps de réalisation. En effet, une standardisation de nombreux éléments est sensible et s’observe pour les tambours de colonnette du cloître présentant la même longueur (notice 10). La taille de ces éléments, leur pose et leur assemblage sont ainsi facilités et l’exécution en est plus rapide. Cette standardisation de certains éléments produits en atelier à l’identique et assemblés sur place est une des caractéristiques de la mise en œuvre gothique et confirme la précocité des moines blancs à évaluer ces méthodes dès les années 1200 (mise en œuvre probable du cloître de l’abbaye de Varennes). Ces quelques constations témoignent de l’apport non négligeable d’une étude lapidaire pour la compréhension de certaines particularités d’un chantier de construction cistercien. Elles seront étayées et discutées plus avant dans la suite de notre étude (synthèse sur le chantier médiéval cistercien dans le diocèse de Limoges et ses marges)1948.  Les supports : L’analyse de nombreux éléments lapidaires nous a conduit à les assimiler à des fragments de supports liés aux bâtiments conventuels ou à l’abbatiale. Ainsi, des tambours de colonnettes de cloître de 16cm de diamètre ont été inventoriés, associés à de petites bases, parfois à griffes, permettant une datation de la fin du XIIème siècle au premier tiers du XIIIème siècle [Fig. 771]. Une base similaire est conservée à l’abbaye de Prébenoît (18cm de haut, L 40 par 36cm), datée des années 1180-1220. Elle présente les mêmes griffes triangulaires simples. Ces éléments nous permettent de mieux imaginer la physionomie du 1947 1948 G. COULON, J. HOLMGREN, Carte archéologique de la Gaule, Indre, Paris, 1992. Voir III. A. - 696 - cloître médiéval avant les remaniements partiels du Bas Moyen-Âge. Ces colonnettes appartenaient vraisemblablement au mur-bahut et devaient être jumelées comme l’atteste la présence de bases accouplées (notice 1, n° d’inventaire 63). Nous n’avons toutefois pas retrouvé de chapiteaux associés à ces colonnettes. Il est relativement aisé de déduire de ces éléments la dimension de ces piliers de cloître, par comparaison avec les études menées sur les cloîtres d’Obazine et de Prébenoît. Les bases retrouvées mesurent 20cm de haut environ, les tambours des colonnes 40cm de haut. En prenant pour référence le chapiteau de colonnette de cloître de l’abbaye de Prébenoît daté des années 1200, dont le profil et les dimensions sont assez fréquents dans un cadre cistercien, nous pourrions imaginer un chapiteau à Varennes de 24cm environ. À Obazine, les chapiteaux lisses du cloître mesurent entre 22 et 25cm de hauteur. Si on suppose la succession de trois tambours de colonnette de 40cm de hauteur, des joins de 1.50cm de large, nous parvenons ainsi à une hauteur de pilier d’1.71m, ce qui paraît plausible face aux dimensions données à Prébenoît (1.76m) et à Obazine (1.80m)1949. Nous avons également inventorié deux tambours de colonnette liés aux colonnettes d’angles de la pile quadrangulaire complexe située à l’angle sud-ouest du cloître. Ce pilier massif est vraisemblablement lié aux réfections du bas Moyen-Âge comme en témoignent les chapiteaux ornés de feuilles de trèfles se prolongeant sur le pourtour du pilier et les vestiges de peinture ocre-rouge (notice n°8, n° d’inventaire 61 et 62). L’étude lapidaire a révélé des fragments de colonnes engagées dont il est difficile de connaître la provenance dans l’édifice et plus encore une datation plausible. Ils présentent un diamètre de 20cm (notices 13 et 14 ; n° d’inventaire 98 et 99). Ils pourraient correspondre à des supports de la nef recevant les ogives primitives mises en place dans les années 1200, reprises aux XIVème-XVème siècles, aux collatéraux mis à bas au milieu du XIIIème siècle ou aux bâtiments conventuels. La présence de peinture probablement ajoutée au XIVème siècle en même temps que celle du cloître et des voûtes de la nef nous ferait plutôt pencher pour une appartenance au vaisseau principal et non aux bas-côtés déjà détruits à cette date. Un autre tambour de colonnette engagée de 13cm de diamètre pourrait être lié aux aménagements claustraux (notice 9, n° d’inventaire 64). La présence de ces fragments de colonnes engagées va dans le sens de supports complexes, accueillant probablement des voûtes d’ogives, 1949 I. PIGNOT, L’abbaye cistercienne de Prébenoît en Creuse. Étude lapidaire et architecturale, maîtrise d’Histoire de l’art, Clermont II, dir. B. PHALIP, A. COURTILLÉ, vol. 1, 2004, p. 74 et 91 ; B. BARRIÈRE, « Les cloîtres d’Obazine et Coyroux, en Corrèze », TAL, T 1, 1981, p. 83-89 ; B. BARRIÈRE, « Les cloîtres des monastères d’Obazine et de Coyroux en Bas-Limousin », Mélanges à la mémoire du père A. DIMIER, Pupillin, tome III, 1982, B. BARRIÈRE (dir.), Moines en Limousin, l’aventure cistercienne, PULIM, Limoges, 1998, p. 72. - 697 - inscrivant ainsi l’abbaye de Varennes au cœur d’expériences gothiques comme en témoignent les nombreux claveaux de nervures d’ogives découverts sur le site.  Les percements : Les éléments liés à des percements (baies, portes, portails) ne sont guère nombreux dans l’inventaire réalisé. Des piédroits modernes ont été identifiés, vraisemblablement liés aux réaménagements agricoles de l’abbaye aux XVIIIème et XIXème siècles. Certains fragments peuvent être rattachés à des portails à voussures toriques comme on en trouve fréquemment dans le diocèse de Limoges dans les années 1200 (Bonlieu en 1220, chapiteaux isolés recevant les tores ou Lamaids en 1250 avec chapiteaux en frise, de même à SaintLéonard-de-Noblat, Pontarion, Gouzon). Trois éléments ont été inventoriés et dont les diamètres des tores diffèrent : 5cm (notice 19, n° d’inventaire 11), 3cm (notice 20, n’°d’inventaire 44), et 7cm (notice n° 21, n°d’inventaire 59). Ce dernier correspond au portail occidental de l’abbatiale édifié dans les années 1200-1220 et dont il reste le départ des piédroits en place. Nous n’avons toutefois pas retrouvé de chapiteaux associés ou de fragments d’archivolte. Les deux autres fragments inventoriés pourraient correspondre à d’autres ouvertures comme la porte des moines, la porte des convers ou encore la porte de communication vers le cloître. Enfin, un petit fragment mouluré muni d’un goujon pourrait s’adapter à un portail polylobé (notice n°18, n° d’inventaire 2) [Fig. 787]. Toutefois, ce type de portail est plutôt rare dans un cadre cistercien mais est connu dans le diocèse de Limoges au milieu du XIIème siècle à la Souterraine (portail occidental), à Meymac, Allassac ou encore à la proche abbatiale de Déols à la même période. Il peut aussi bien s’agir d’un fragment de remplage.  Le voûtement : L’étude des nombreux claveaux de nervure d’ogive a permis le classement en cinq profils différents. Le profil 1 dispose d’un tore en amande souligné de deux cavets, relativement fin. Il correspond au profil observé sur les croisées d’ogives des travées restantes de la nef. Les éléments inventoriés sembleraient appartenir au voûtement de la travée détruite de la nef. Cette voûte a toutefois été remontée aux XIVème et XVème siècles puis repeinte. Ce profil en amande est pourtant courant dans les premières expériences gothiques, particulièrement dans les espaces Plantagenêts. Il apparaît dès la fin du XIIème siècle à Pontigny, sous une forme plus complexe, tréflée, et perdure jusqu’à la fin du XIIIème siècle (L’Abbaye-Nouvelle). Nous pourrions imaginer l’usage de ce profil durant le bas Moyen-Âge - 698 - à Varennes. Les bâtisseurs auraient également pu réutiliser les claveaux de l’ancienne voûte d’ogives mise en place dans les années 1200. Le deuxième profil témoigne également d’un tore en amande, plus fin que le précédent, datable des années 1180-1220. Il pourrait appartenir au voûtement des collatéraux, des bâtiments conventuels ou encore aux premières voûtes de la nef. Quant au chevet, la présence du pilier cruciforme avec des dosserets, sans colonne engagée nous laisse supposer un voûtement plus simple, en berceau brisé par exemple, plus que l’usage d’ogives qui auraient nécessité des supports complexes. Le profil 3 est plus massif. Le tore de 9cm de diamètre ne dispose pas d’amande. Il pourrait convenir à un voûtement plus ancien, appartenant peut-être à un bâtiment conventuel tel la salle capitulaire, souvent édifiée dans les premières étant donné son importance pour la communauté monastique. Le profil 4 est également trapu et son tore sans amande mesure 12cm de diamètre. Les mêmes hypothèses peuvent être proposées que pour le profil précédent. Quant au dernier profil, il est massif. Le tore est surmonté d’un listel. Ce type d’ogive est caractéristique du bas Moyen-Âge (XIVème-XVème siècles). Il est encore observable dans les trois travées de la nef conservées et orne les nervures longitudinales. Les nombreux claveaux retrouvés lors du recensement correspondent donc assurément aux voûtes de la travée détruite de la nef. L’étude des claveaux de nervure d’ogive nous permet donc quelques hypothèses sur le voûtement encore méconnu de l’abbaye de Varennes. Face au nombre important de claveaux ornés de tores en amande, nous pouvons supposer que la voûte primitive de la nef, sans doute édifiée dans les années 1200 disposait d’un tel profil, simple, comme on en rencontre à la même époque à Fontmorigny. Ce type d’ogive apparaît en fait dès 1170 dans certaines abbayes de la moitié nord de la France comme à l’abbaye de Cherlieu en Haute-Saône, concomitamment à la cathédrale de Langres1950. L’abbaye de Villelongue près de Carcassonne révèle également le même type d’ogive au tore aminci en amande entre deux cavets, daté de la première moitié du XIIIème siècle1951. Cette voûte est remplacée au bas Moyen-Âge par une autre voûte d’ogives dont les profils alternent listel (nervures longitudinales) et amande (nervures diagonales). Elle est revêtue d’une peinture ocre-rouge. 1950 D’après É. VERGNOLLE, visite de l’abbaye de Cherlieu lors du colloque de Vesoul en juin 2006 sur les granges cisterciennes de Franche-Comté. 1951 B. CHAUVIN, Pierres… pour l’abbaye de Villelongue, histoire et architecture, T II, Pupillin, Arbois, 1992, p. 250-251 ; J-L. BIGET, H. PRADALIER, M. PRADALIER-SCHLUMBERGER, « L’art cistercien dans le Midi Toulousain », dans Les cisterciens de Languedoc (XIIIème-XIVème siècles), Cahiers de Fanjeaux, Toulouse, Privat, 1986, p. 313-370. - 699 - Le voûtement des collatéraux n’est pas connu et la diversité des types de voûtement employés pour ces espaces dans les sites cisterciens ne nous aident guère à affiner nos hypothèses. Nous serions tenté d’imaginer là encore des voûtes d’ogives au profil en amande face au nombre conséquent de ces éléments retrouvés en inventaire. L’importance d’Henri II Plantagenêt sur la fondation du site pourrait corroborer cette hypothèse, ce profil étant fréquent dans les espaces aquitains dévolus au roi anglais1952. Il n’est pas rare de rencontrer une nef voûtée d’ogives, contrebutée par des collatéraux également voûtés d’ogives dans un cadre cistercien. Cette solution est adoptée à Aiguebelle pour ne citer que cet exemple (com. Montjoyer, Drôme). D’autres solutions peuvent être admises. À Mazan (com. MazanL’Abbaye, Ardèche) et Léoncel (com. Léoncel, Drôme), les bas-côtés sont voûtés en berceaux rampants1953. Quant au chevet, d’après le pilier cruciforme sans colonne engagée conservé, il paraîtrait plus plausible d’imaginer une voûte en berceau brisé ne nécessitant pas d’être reçue par des piles complexes comme les ogives. Ces propositions ne sont bien sûr que des suppositions d’après les éléments retrouvés en inventaire. Face à l’absence de textes et de descriptions éclairantes, il nous paraît délicat d’affirmer l’une ou l’autre de ces hypothèses. Cette étude lapidaire permet néanmoins de mieux connaître certains aménagements du cloître et notamment les colonnes géminées reposant sur le mur-bahut. Ce cloître était peut-être vitré comme celui de la proche abbaye de Noirlac (1230). En témoignent deux probables éléments de remplages de baies dont la saignée servait à la pose de vitres, découverts dans le dépôt lapidaire lié à la destruction des bâtiments claustraux. Ces cloîtres vitrés sont fréquents en France septentrionale et pénètrent dans le diocèse de Limoges par l’abbatiale Saint-Martial dans le second quart du XIIIème siècle. Le voûtement est de même mieux perçu et permet de constater le recours fréquent à l’ogive adoptée dans l’église de Varennes mais aussi sans doute dans certains bâtiments conventuels. Le profil en amande est à la fois le reflet d’un premier gothique bien intégré, d’une insertion dans des espaces Plantagenêts et de l’appartenance à un ordre religieux prônant la sobriété, au fait des innovations de la construction et de la mise en œuvre. 1952 L. GRANT, « Le patronage architectural d’Henri II », CCM, n°1-2, janvier-juin 1994, p. 73-84 ; J. L. LOZINSKI, « Henri II, Aliénor d’Aquitaine et la cathédrale de Poitiers », CCM, n°1-2, janvier-juin 1994, p. 91100. 1953 M. WULLSCHLEGER (dir.), « Léoncel, une abbaye cistercienne en Vercors », Revue Drômoise, n° spécial, Crest, 1991. - 700 - III. Réalités cisterciennes du diocèse de Limoges. Entre spécificité discutée et tendance à une « universalité » des formes. A. Chantier médiéval cistercien : Les dix-huit monographies proposées précédemment ont permis une mise au point des connaissances historiques, archivistiques, archéologiques et stylistiques des sites cisterciens de l’ancien diocèse de Limoges et de ses marges. Mise au point néanmoins partielle face à certains édifices presque entièrement ruinés (Boeuil et Derses), d’autres très remaniés (Varennes, Bonnaigue) et des fonds d’archives parfois indigents (Varennes, Les Pierres). Suite à ces descriptions monographiques, il semble nécessaire de proposer une vision plus synthétique, thématique afin de dégager un certain nombre de cohérences ou de différences entre ces divers monastères de l’ordre. Des constatations doivent faire l’objet de développements plus précis. Certaines formulations artistiques, certains choix des bâtisseurs témoignent de ressemblances indéniables pouvant se justifier par un faisceau de facteurs : une incidence géographique et géologique (forte présence de sols métamorphiques, granite souvent privilégié, couvert forestier), une incidence de la géographie politique (appartenance du diocèse de Limoges à une vaste Aquitaine ; des moines cisterciens qui semblent tournés vers les pays d’Ouest comme en témoigne le fréquent recours à la nef unique, au chevet plat, aux coupoles de croisée ou files de coupoles), une cohérence chronologique (périodes proches de construction pour une majorité d’édifices bâtis dans la seconde moitié du XIIème siècle et le premier tiers du XIIIème siècle) et enfin une volonté commune d’austérité, de simplicité et de dépouillement à replacer dans le cadre de mouvements érémitiques ascétiques (communautés daloniennes ou fondations d’Obazine), de choix cisterciens, cohérents avec les goûts des rois Plantagenêts présents en Limousin dans la seconde moitié du XIIème siècle. À ces ressemblances pouvant de prime abord faire croire à une certaine unité, une uniformité des créations cisterciennes de l’ancien diocèse de Limoges, s’opposent un certain nombre de dissemblances, de disparités pouvant être en partie liées au contexte économique de ces sites monastiques. En effet, certains monastères sont peu dotés, éloignés de seigneuries dominantes et riches (c’est le cas du Palais-Notre-Dame, relativement isolé des principales seigneuries marchoises et limousines), d’autres éprouvent des difficultés à constituer des domaines agricoles d’un seul tenant, à multiplier les granges et à diversifier leurs activités. - 701 - Ainsi, les sites de Prébenoît, d’Aubignac ou de Varennes restent des abbayes modestes, dotées de peu de possessions, de six ou sept granges maximum, à l’inverse de monastères opulents comme Obazine ou Dalon (entre vingt et trente exploitations agricoles). Ces abbayes disposent souvent de communautés restreintes (le Palais accueille seize moines au XIIIème siècle, cinq ou six convers) et périclitent relativement tôt après le passage au faire-valoir indirect. Cette situation précaire caractérisée par une faiblesse notoire des revenus se ressent sur la mise en œuvre, souvent faite à l’économie. Les parements sont ainsi fréquemment en petit appareil de moellons tandis que seuls les éléments structurants (soubassements, harpages, contreforts, piédroits de baies) sont de moyen appareil régulier de qualité (Prébenoît, Les Pierres). À l’inverse, des abbayes telles Bonlieu, Dalon ou Obazine parviennent à « tirer leur épingle du jeu ». En effet, elles sont largement dotées dès les premiers temps des fondations, jouent la carte des activités commerciales et parviennent à diversifier leurs activités : vignes, élevage, productions céréalières, possessions urbaines (greniers, maisons de ville), salines (Dalon et Obazine). Certaines disparités peuvent être liées au statut même des abbayes. Ainsi, les monastères de Derses et Coyroux accueillent des communautés féminines, souvent moins nombreuses que les communautés masculines (néanmoins, nous savons que Coyroux disposait d’une centaine de moniales peu après sa fondation.). Ces femmes sont fréquemment sous la dépendance d’une abbaye d’hommes et ne peuvent dans un premier temps gérer leur patrimoine elles-mêmes. Ainsi, Derses est fondée par le monastère relativement éloigné de l’Esclache dans le diocèse de Clermont tandis que Coyroux est étroitement liée au monastère d’Obazine et ne pourra acquérir son indépendance que tardivement (XIVème siècle). Il s’agit d’édifices modestes, aux dimensions réduites s’apparentant plus à une celle grandmontaine. La nef unique sans transept et le chevet plat sont requis, la mise en œuvre est à moindre coût. Ce même plan simplifié est adopté à Bonnaigue, choix qui pourrait être justifié par les origines érémitiques de son abbaye-mère Obazine, ou par son statut même de fille d’Obazine, de même que Valette dont nous ne connaissons malheureusement pas le plan. D’autres distinctions et différences peuvent être liées à la personnalité des donateurs, seigneurs ou grandes familles plus ou moins impliqués dans la vie et les modifications du monastère. Au XIIIème siècle, certaines abbayes connaissent une période d’embellissements souvent due aux seigneurs donateurs, comme à Prébenoît où l’inhumation de Roger de Brosse conduit à de profonds bouleversements dans le décor du chevet (mise en place d’un pavement glaçuré, d’un gisant) [Fig. 372], tandis que l’abbaye de Bonlieu se dote de pavements, de - 702 - vitraux et de croix de consécration [Fig. 166 à 168]. À Obazine, la sépulture d’Étienne est déplacée dans le bras sud de transept et a pour écrin un tombeau de calcaire en forme de châsse-reliquaire (seconde moitié du XIIIème siècle) . De même, nous pouvons nous demander si la différence entre abbayes affiliées tardivement et créations directes a pu avoir des conséquences sur les partis architecturaux et les choix artistiques. En effet, un certain nombre de monastères ne sont pas cisterciens au départ : il s’agit des ermitages géraldiens (vers 1120), érigés en monastères daloniens dans les années 1140, tardivement affiliés à Cîteaux en 1162 (Le Palais, Prébenoît) ou des créations d’Étienne d’Obazine, affiliées en 1147 (Bonnaigue, Valette). Concernant le Palais et Prébenoît, nous pouvons nous demander si nous sommes en présence des réalités daloniennes, remaniées lors de l’affiliation à Cîteaux ou si ces monastères ont entièrement été reconstruits suite au rattachement à l’ordre de saint Bernard. Seules des fouilles archéologiques plus poussées pourraient nous permettre la connaissance d’éventuels bâtiments plus anciens. Néanmoins, nous doutons fortement de la possibilité d’une reconstruction totale de ces deux monastères. En effet, le Palais et Prébenoît sont des communautés modestes n’ayant sans doute pas pu financer une reconstruction d’une telle ampleur après l’affiliation. Des réaménagements pour être en cohérence avec les idéaux de l’ordre paraissent plus plausibles. Il ne faut pas non plus oublier que Dalon et ses filles vivent avant même l’affiliation à la manière des cisterciens et disposent déjà d’un chapitre quotidien. De profonds réaménagements n’ont ainsi peut-être pas eu lieu d’être. Quant aux créations directes de l’ordre cistercien dans le diocèse de Limoges, elles sont malheureusement mal préservées aujourd’hui. En effet, les sites d’Aubepierres, Derses, La Colombe et Peyrouse ont presque entièrement disparu. De l’abbaye des Pierres restent néanmoins quelques pans de murs et éléments lapidaires permettant une connaissance partielle du site. Le monastère de Varennes est quant à lui très remanié mais dispose de suffisamment de vestiges pour la présente étude. Quant à définir un plan « type » propre aux créations directes, il nous semble hasardeux face à la disparité des partis architecturaux (nef unique à l’abbaye des Pierres, chevet plat et nef à bas-côtés à Varennes, Aubepierres, plans inconnus à la Colombe et Peyrouse). Ainsi, il paraît nécessaire de faire la part des cohérences et dissemblances repérées pour ces dix-huit sites cisterciens du diocèse de Limoges et de ses marges. Certaines ressemblances sont-elles suffisantes pour pouvoir parler d’un « art cistercien » propre au diocèse de Limoges ou les différences identifiées prennent-elles le pas ? - 703 - Nous ne souhaitons pas ici parler d’un art cistercien « Limousin », les limites régionales actuelles ne correspondant pas aux limites diocésaines de l’époque. De plus, cette idée d’un art propre lié à une région correspond à une hypothèse surannée (les « écoles régionales ») développée par les érudits du XIXème siècle et battue en brèche depuis une trentaine d’années dans l’historiographie. Nous préférons envisager le diocèse de Limoges comme une zone frontière, aux marges septentrionales de l’Aquitaine, au carrefour des réalités artistiques des pays d’Ouest et des terres capétiennes ; une zone de rencontre, d’échanges et d’interpénétrations de formes artistiques et de techniques architecturales plutôt qu’un espace fermé doté d’une individualité artistique. Quant à l’existence d’un « art cistercien » à part entière, il fera l’objet d’une discussion dans la suite de cette synthèse1954. a. Mise en œuvre : Avant de proposer une synthèse sur la mise en œuvre des bâtiments cisterciens du diocèse de Limoges et de ses marges, il convient d’avertir le lecteur qu’une telle étude ne peut être que lacunaire face à la destruction d’un certain nombre de sites. Quelques abbayes ne disposent plus d’élévation médiévale : c’est le cas d’Aubignac, Boeuil, Valette, Aubepierres, Derses et la Colombe. Un tiers des édifices pris en compte dans notre étude demeure donc difficile à analyser, et principalement connu par des éléments lapidaires erratiques (porte romane conservée à Auriac, témoin de l’abbaye de Valette [Fig. 822]), par de précieuses descriptions dans les inventaires révolutionnaires ou dans des articles d’érudits locaux (cas d’Aubignac). Cette étude est donc parcellaire et ne peut prétendre à prendre en compte l’ensemble du paysage artistique médiéval. 1. Carrières, matériaux de construction, acheminement : Les carrières et moyens de transports sont rarement évoqués dans les textes médiévaux propres au diocèse de Limoges. La Vie de Saint Étienne d’Obazine en fait toutefois rapidement état : « Il [Étienne] fît également bâtir un cloître et, tout autour, des habitations régulières. Au centre, fut taillée une élégante fontaine. On amena, pour cela, une pierre d’un poids énorme, que trente paires de bœufs avaient peine à mouvoir et l’on compléta le chargement avec une très grande table d’autel. 1954 Voir III. C. 2. Une tentative d’uniformisation. L’échec de la diffusion du modèle « bernardin ». - 704 - (…) Ces pierres, enfin arrivées à destination, furent convenablement taillées, creusées et placées aux endroits qu’il fallait1955. L’étude des carrières utilisées par les bâtisseurs lors de la construction des abbayes cisterciennes du diocèse de Limoges révèle que ceux-ci choisissent bien souvent la proximité afin de pouvoir bâtir à moindre coût. À Prébenoît, les bâtisseurs utilisent la carrière de granite de Marcillat, à quatre kilomètres environ au sud-est du monastère [Fig. 381]. Les toponymes « la pierre ébue » et les « pierres en crochet » situés autour de l’actuel hameau peuvent d’ailleurs être un souvenir de cette ancienne exploitation1956. Le granite est une roche grenue et microgrenue. Son comportement à la taille varie en fonction du volume des cristaux et de leur cohésion. En effet, plus les cristaux sont fins et solidaires, plus l’homogénéité globale augmente et facilite la taille1957. C’est ainsi que les éléments sculptés découverts dans le dépôt lapidaire de l’abbaye de Prébenoît recourent à un granite à grains très fins permettant une taille relativement précise, tandis que les parements (harpages, soubassements, contreforts) ne nécessitent pas la même qualité et la même précision. Les grains du granite sont alors moyens. C’est donc le granite gris qui est extrait de cette carrière tandis que le schiste, autre matériau utilisé pour la mise en œuvre est directement présent sur le site. Cette roche très clivable est surtout prisée pour les petits appareillages et les dallages. Les moines cisterciens semblent ainsi s’adapter aux ressources du sol et limitent de fait les coûts de transport de pierres. Les cisterciens semblent aller à l’économie. Les matériaux sont soit directement extraits du site, soit issus des proches environs afin de réduire au maximum les investissements. Pour la réalisation du mortier de chaux, le calcaire devait être acheminé depuis le Berry. En effet, la Haute-Marche dispose d’un sol granitique, tandis que les zones calcaires les plus proches devaient être celles de l’extrémité nord-ouest de la Brenne et de la Champagne Berrichonne au nord-est du Berry [Fig. 5 et 6]. La proximité des bois entourant l’abbaye de Prébenoît en facilite la production. Plusieurs types de mortiers peuvent être requis par les bâtisseurs. Le mortier de terre est simplement constitué de sable argileux. Il est le plus souvent usité pour les bâtiments de communs. C’est le cas pour les bâtiments conventuels de l’abbaye de Coyroux1958. Le mortier 1955 M. AUBRUN, op. cit., p. 87. IGN Série Bleue 1/25000ème, Châtelus-Malvaleix, 2228 E. 1957 J-C. BESSAC, « L’archéologie de la pierre de taille », dans La construction. Les matériaux durs : pierre et terre cuite, Collection « Archéologiques », éditions Errance, Paris, 2004, p. 7-49. 1958 D. PRIGENT, C. SAPIN, op. cit. 1956 - 705 - de chaux est toutefois le plus fréquemment employé. Il est constitué de chaux éteinte et d’un agrégat délayé dans l’eau. La chaux est obtenue par calcination du calcaire à 950° dans des fours. L’agrégat se compose de sable siliceux ou de calcaire provenant généralement des alluvions de proches cours d’eau (Le Cluzeau à Prébenoît). Il est plus ou moins grossier. En effet, les sables des cours d’eau sont soit lavés pour les débarrasser des impuretés (brindilles, terres, feuilles) soit tamisés, ce qui intervient sans doute plus rarement. À ces mortiers peuvent aussi se mêler des chutes de taille, particulièrement dans les zones de blocage. C’est le cas pour le blocage des murs gouttereaux du chevet de l’abbaye du Palais-Notre-Dame. Nous pouvons distinguer un mortier gras, doté d’une faible teneur en eau et à la prise plus rapide. Sa composition entraîne la création d’alvéoles entre les pierres permettant des respirations, et par conséquent un séchage plus rapide et une meilleure conservation des parements1959. La réalisation de parements en petit appareil se caractérise par des joints épais, de 2 à 3 cm. Le mortier est généralement gras, les sables ne sont pas tamisés (parements de l’abbaye de Prébenoît). Dans une mise en œuvre en moyen appareil (Dalon, Boschaud), les joints sont minces (0.5 à 1cm), les mortiers humides, les sables tamisés. Dans ce système, les alvéoles entre les pierres disparaissent1960. L’abbaye de Dalon, implantée en bordure du bassin de Brive, est bâtie en calcaire blond, issu des carrières de Saint-Robert à une dizaine de kilomètres environ au sud du monastère. Le calcaire est une pierre compacte dont le grain est indécelable à l’œil nu car inférieur à ½ mm. Il est polissable et très prisé pour les œuvres soignées1961. Les pierres ainsi polies peuvent dès lors réfléchir la lumière de même que les enduits de chaux recouvrant les parements1962. Néanmoins, ce matériau n’est employé que pour l’abbatiale proprement dite. Pour les bâtiments conventuels, c’est le grès rouge local qui est directement utilisé. Ce matériau peut être issu d’une proche carrière à un kilomètre à l’ouest de Dalon et dont le toponyme « Le Perrier » serait un témoin1963. La salle capitulaire associe le grès et le calcaire. Cette recherche d’un beau matériau pour bâtir un espace privilégié peut s’expliquer par la prospérité indéniable des moines de Dalon. Chef d’ordre, communauté plus opulente que les modestes monastères de Prébenoît ou du Palais comme en témoignent les innombrables actes de donation du cartulaire, Dalon comprend plus d’une vingtaine de granges et crée plus de revenus que la plupart de ses abbayes-filles. Certaines disparités dans la mise en œuvre des 1959 B. PHALIP, Des terres médiévales en friches..., op. cit., p. 26 et 27. B. PHALIP, op. cit., p. 44. 1961 J-C. BESSAC, op. cit., p. 7-49. 1962 B. PHALIP, « Voir, sentir et toucher. Un espace vu. La lumière, vitreries, luminaires », dans « Morphogénèse de l’espace ecclesial », dir. A. BAUD, Maisons de l’Orient Méditerranéen, Lyon II, à paraître. 1963 IGN Série Bleue, 1/25000ème, 2034 O Hautefort. 1960 - 706 - monastères cisterciens limousins et marchois pourraient ainsi se comprendre par l’importance économique et spirituelle variable d’édifices diversement dotés. L’abbaye du Palais-Notre-Dame nous paraît plutôt à rapprocher du cas de figure de Prébenoît. Les carrières exploitées sont relativement proches, qu’il s’agisse de celle du manse de Peyroux (non localisée précisément) ou du gisement de Soubrebost livrant un granite beige doré aux grains relativement fins. Ce dernier n’est qu’à six kilomètres au sud-est, permettant ainsi un approvisionnement rapide. En effet, le toponyme « Les Carrières » à 500m au sud du bourg actuel de Soubrebost est vraisemblablement une preuve de cette ancienne exploitation1964. Un toponyme « La Perrière » est également repérable au nord de Bourganeuf. Les bâtisseurs semblent là encore aller vers la facilité. Une étude plus précise des élévations du triplet de façade oriental conservé a permis de distinguer l’usage de deux granites différents [Fig. 807]. Dans les parties hautes (tiers supérieur) et surtout dans la moitié septentrionale, un granite rose-saumoné fait son apparition. Il pourrait s’expliquer par l’exploitation de ces deux carrières différentes ou simplement d’un nouveau banc de carrière1965. Une construction du sud vers le nord semble ainsi probable. Quant à la chaux nécessaire à l’élaboration du mortier liant les maçonneries, elle peut soit provenir du Berry, soit des environs de Beaulieu-sur-Dordogne. La proximité du Bois-du-Transet permet l’approvisionnement en bois nécessaire à la chauffe. Les mortiers sont lavés, non tamisés et présentent dans les blocages des murs gouttereaux du chevet des éclats de taille de granite. Pour la construction de l’abbaye d’Obazine, ce sont les carrières de Lanteuil qui sont exploitées. Le lieu-dit « la Peyrière » au nord-ouest du bourg de Lanteuil est vraisemblablement un témoin de cette ancienne exploitation, à deux ou trois kilomètres du monastère cistercien [Fig. 40 et 57]1966. Le cartulaire d’Obazine renseigne également sur ces carrières. En effet, en 1171-1172, une donation de Géraud de Cornil a lieu dans la salle du chapitre. Elle concerne l’autorisation d’user de la pierrière sise près du bois de Peironeg sur la paroisse de Dampniat, ce jusqu’à l’achèvement du monastère en construction et de tous les bâtiments nécessaires. De même, des droits de pacage sont cédés pour les animaux travaillant au chantier de construction1967. Pour la mise en œuvre du monastère, deux matériaux sont requis : les fondations sont érigées en moellons de gneiss local, grossièrement équarris, tandis 1964 IGN Série Bleue, 1/25000ème, Pontarion, 2230 O. Le banc de carrière est une strate de roche assez résistante et compacte pour que l’on puisse en extraire de la pierre de taille. J-C. BESSAC, R. SABLAYROLLES (dir.), « Carrières antiques de la Gaule. Une recherche polymorphe », Gallia, T 59, Paris, CNRS, 2002, p. 189. 1966 IGN Série Bleue 1/25000ème, Beynat, 2135 E. 1967 B. BARRIÈRE, Le cartulaire de l’abbaye cistercienne d’Obazine (XIIème-XIIIème siècles), Institut d’Études du Massif Central, Clermont-Ferrand, 1989, p. 245. 1965 - 707 - que les parements sont bâtis de pierres de grès taillées provenant de Lanteuil. Les fondations sont généralement « l’occasion de réaliser un large socle de maçonneries en principe invisible » 1968. Les blocs sont donc à peine équarris, dégrossis au pic ou au marteau têtu, liés par un épais mortier. Quant au calcaire utilisé pour la production du mortier de chaux, il est sans doute issu des environs de Beaulieu-sur-Dordogne à quelques dizaines de kilomètres au sud de l’abbaye. À Coyroux néanmoins, la construction semble faite à l’économie. Les pierres et le bois d’œuvre sont pris directement sur le site, le calcaire nécessaire à la chaux probablement acheminé depuis Beaulieu. En effet, les bâtiments sont édifiés en moellons irréguliers de gneiss rose-ocre extraits du versant même de la vallée. Les bâtisseurs sont allés au plus économique et au plus facile pour ériger le monastère. Son statut d’abbaye féminine sous la dépendance d’Obazine peut expliquer cette différence de mise en œuvre entre les deux proches monastères. À Bonnaigue, c’est là encore la pierre locale qui est privilégiée puisque le granite gris d’Ussel (à quelques kilomètres à l’ouest du monastère) est employé pour la mise en œuvre. Les éléments lapidaires conservés de l’abbaye de Boeuil témoignent de l’usage du granite. Les études toponymiques révèlent une concentration de termes liés à d’anciennes carrières près de l’abbaye : « Les carrières » à trois reprises au sud du site et la « carrière de Pagnac », sans qu’il soit possible de déterminer s’il s’agissait d’exploitations médiévales ou modernes [Fig. 63]1969. Les tailleurs de pierres restent discrets dans la mise en œuvre de ces abbayes cisterciennes puisqu’aucun signe lapidaire n’a pu être observé. Ces marques ne sont toutefois pas inconnues des sites cisterciens et apparaissent à Silvanès, Cherlieu ou encore Sénanque [Fig. 808]. À l’abbaye de Rievaulx en Angleterre, des marques de taille peuvent être observées sur certains claveaux et bases de colonnes, correspondant non pas à une volonté d’identification du tailleur de pierre, mais à un moyen de quantifier les pierres, témoignant ainsi d’un haut degré d’organisation du chantier1970. Les sites cisterciens du diocèse de Limoges n’ont cependant pas livré de telles marques. Certains parements peuvent néanmoins conserver des traces d’outils. Ainsi, à Boschaud, l’arrachement des murs gouttereaux de la nef bâtis en moyen appareil régulier de 1968 B. PHALIP, op. cit., p. 25. IGN Série Bleue 1/25000ème, 1931 E. 1970 P. FERGUSSON, S. HARRISSON, Rievaulx Abbey. Community, Architecture, Memory, Yale University Press, 1999, p. 77. 1969 - 708 - calcaire permet l’étude du parement et du blocage [Fig. 809]. Un piquetage organisé est ainsi observable sur les faces internes des blocs, non destinées à être vues (percussion posée, usage du pic). Le parement externe présente quant à lui des traces de tailles obliques et régulières, peu profondes, vraisemblablement dues à l’usage du marteau taillant (percussion lancée). Ces traces témoignent de la présence d’ouvriers qualifiés, de tailleurs de pierres soit recrutés dans les paroisses environnantes, soit appelés de paroisses plus lointaines ou d’autres abbayes cisterciennes. Face aux lacunes des textes quant au déroulement des chantiers médiévaux, ces hypothèses ne pourront sans doute jamais être plus affirmées. De même à l’abbatiale de Grosbot en Charente, nous avons pu constater l’usage du marteau taillant sur les claveaux des arcs du portail de façade occidentale. Les marques obliques sont régulières [Fig. 810]. Les carrières du Moyen-Âge ont fait l’objet d’études récentes de Jean-Claude BESSAC ou de Paul BENOIT, alors même que les analyses les plus fréquentes relèvent généralement la période antique1971. Les considérations générales énoncées par Jean-Claude BESSAC ainsi que les exemples précis ne concernent certes pas directement notre objet d’étude mais peuvent néanmoins apporter des éléments de réflexion concernant les sites cisterciens du diocèse de Limoges. Il semblerait que les bâtisseurs médiévaux s’orientent le plus souvent vers l’extraction souterraine, mais n’en abandonne pas pour autant les carrières à ciel ouvert. Pour Jean-Claude BESSAC, « l’extraction en galerie, commencée à partir d’un front antérieur à ciel ouvert ou d’un flanc de coteau, prédomine alors nettement ». Pour ces carrières souterraines, il «s’agit toujours de cerner un bloc de tranchées et d’obtenir une fracture sur sa face rattachée au substrat. Seules les stratégies d’extraction diffèrent un peu par rapport à celles des carrières à ciel ouvert »1972. L’extraction du calcaire, présent à Boschaud ou à Dalon, se fait le plus souvent en carrière souterraine « afin de limiter les contraintes de terrassement et d’évacuation des matériaux impropres à l’utilisation »1973. Par ailleurs, l’extraction du granite est généralement effectuée dès la période antique par la méthode de tranchées verticales creusées à 1971 J. LORENZ, P. BENOIT, Carrières et constructions en France et dans les pays limitrophes, Paris, 1991, T I ; J-P. DEROIN, « Le choix de la pierre dans l’architecture cistercienne au XIIème siècle : principaux résultats sur les filiations de Cîteaux et Clairvaux », dans J. LORENZ, P. BENOIT, op. cit., p. 21-39 ; J-C. BESSAC, R. SABLAYROLLES (dir.), « Carrières antiques de la Gaule. Une recherche polymorphe », Gallia, T 59, Paris, CNRS, 2002, p. 1-204. 1972 J-C. BESSAC, « L’archéologie de la pierre de taille », dans La construction. Les matériaux durs : pierre et terre cuite, Collection « Archéologiques », éditions Errance, Paris, 2004, p. 7-49. 1973 D. PRIGENT, C. SAPIN, « La construction en pierre au Moyen-Âge », dans La construction…, p. 117-148. - 709 - l’escoude1974. Les tranchées verticales sont creusées autour du volume de pierre qui doit être extrait. Puis le bloc est arraché au substrat à l’aide de coins fichés dans une série d’emboîtures horizontales1975. Le dégrossissage des blocs est fréquemment effectué sur place en vue du transport avec pic et broche. Les matériaux sont le plus souvent extraits à proximité des chantiers, les quantités transportées par des véhicules terrestres restent faibles. Pour Bruno PHALIP, une carrière ne peut guère être ouverte au-delà d’une vingtaine de kilomètres pour permettre un acheminement sans trop de coûts1976. Selon Daniel PRIGENT, un véhicule à simple essieu en bois peut transporter une demie tonne, un chariot à deux essieux une tonne, soit environ 25 pierres de taille. De plus, les transports par voie terrestre sont malaisés du fait de la mauvaise qualité des routes, d’où la volonté de les réduire au maximum1977. Les charretiers transportent à la fois la pierre, le bois et le sable de rivière nécessaires à la réalisation du mortier. Dans le cadre d’abbayes cisterciennes, ce sable est sans doute directement extrait des méandres des rivières à côté desquelles les moines choisissent quasi systématiquement de s’installer (Le Coyroux, le Dalon, Le Cluzeau…). Concernant la chaux, nous pouvons toutefois nous interroger sur son transport direct ou sur l’acheminement de pierres à chaux qui seront amenées près des fours du chantier1978. Ce transport est assuré par des mulets, des ânes ou des bœufs. Un certain nombre de sources figurées permettent également d’envisager ces aspects. En effet, à partir du XIème siècle, les miniatures médiévales mettent en scènes des chantiers de construction. Les détails techniques les plus réalistes interviennent vers les XIVème et XVème siècles. Dans un cadre cistercien, un dessin à la plume représente la construction du monastère de Schönau [Fig. 811]1979. Différentes étapes de la construction sont représentées sur un même plan. Plusieurs corps de métiers apparaissent : les carriers, les gâcheurs de mortier, les tailleurs de pierres. La carrière est à ciel ouvert. Des convers barbus sont occupés au dégrossissage des blocs au pic, effectué sur place avant transport. Ce dégauchissage 1974 Outil de carrier dont les extrémités actives peuvent être forgées d’une pointe, d’une double dent ou d’un tranchant. Définition dans J-C. BESSAC, R. SABLAYROLLES (dir.), « Carrières antiques de la Gaule… », op. cit. p. 191. Y. MALIGORNE, J-Y. ÉVEILLARD, L. CHAURIS, « Extraction et utilisation des granites en Armorique romaine : l’exemple de la carrière de Locuon en Ploërdut (Morbihan) », dans J-C. BESSAC, R. SABLAYROLLES (dir.), « Carrières antiques de la Gaule… », op. cit., p. 133-143. 1975 Les emboîtures sont des trous creusés spécialement dans la roche pour qu’un coin puisse y être placé et forcé à la masse de manière à provoquer une fracture. Définition dans J-C. BESSAC, R. SABLAYROLLES (dir.), « Carrières antiques de la Gaule… », op. cit. p. 191. 1976 B. PHALIP, Des terres médiévales en friche…, op. cit., vol. I, p. 21. 1977 D. PRIGENT, C. SAPIN, op. cit., p. 117-148. 1978 B. PHALIP, op. cit., p. 44. 1979 Dessin à la plume, K 1532 H 2196 fol. 196, Germanisches Nationalmuseum, Nüremberg. - 710 - consiste à amener tous les points d’une face brute dans un même plan. L’acheminement des matériaux sur le chantier de construction est assuré par des chariots tirés par quatre bœufs, représentés avec beaucoup de réalisme. 2. Moyens de levage et échafaudages : Les engins de levage employés à l’époque médiévale sont divers. Le plus fréquent est sans doute la chèvre à treuil, simple grue en bois, ou encore la roue à écureuil, legs de l’Antiquité. De rares sources textuelles envisagent ces aspects techniques pour le diocèse de Limoges. La Vie D’Étienne d’Obazine est là encore un document précieux pour l’étude du chantier médiéval cistercien puisque même les engins de levage sont évoqués : « On en était au plus haut de la construction et les religieux s’employaient à soulever une pierre d’une grande taille à l’aide de machines qui, cédant sous le poids, se mirent à craquer et à s’incliner jusqu’à toucher la terre. Le saint homme, voyant cela de loin, accourut à la hâte, traça un signe de la croix et, comme s’il soutenait la charge, apporta soudain un tel secours que tout se redressa en moins de temps qu’il ne faut pour le dire. Les frères ainsi secondés se remirent à la tâche, comme si le poids avait disparu. Ainsi le saint homme, de tout le poids de ses vertus, allégea leur fardeau si bien que, de cette manière, ils durent être chargés davantage.1980» La Vie de saint Étienne d’Obazine est ainsi un document précieux et rare dans la connaissance du déroulement d’un chantier médiéval cistercien. Les échafaudages sont connus par plusieurs sources : textuelles, iconographiques et archéologiques. Ils laissent en effet des négatifs dans les parements étudiés sous la forme de trous de boulins servant à l’encastrement de poutres en bois entrant dans la composition des 1980 M. AUBRUN, op. cit., p. 87. - 711 - échafaudages1981. Après démontage des échafaudages, ces trous de boulins peuvent également faciliter le séchage des maçonneries et trouvent ici une seconde utilité. À l’époque romane, il semblerait que ce soit les échafaudages semi solidaires les plus fréquents. Chaque travée est alors munie de deux perches, les boulins sont espacés tous les 80cm environ. L’installation de l’échafaudage se déroule en trois étapes : le montage des perches, l’ancrage des boulins et la pose des platelages. L’usage de montants verticaux nécessite par ailleurs un contreventement par l’adjonction de perches obliques1982. L’observation des parements de l’abbaye cistercienne de Bellaigue (seconde moitié du XIIème siècle) a révélé l’usage probable d’un échafaudage encastré à une rangée de perches. Les trous de boulins sont assez régulièrement alignés. Les trous ont une entrée maçonnée de granite même dans les parements en petit appareil irrégulier (murs gouttereaux notamment ; la façade occidentale est en moyen appareil régulier) [Fig. 812]. À l’époque gothique, nous assistons à une raréfaction des trous de boulins qui sont peu à peu cantonnés aux parties les plus élevées des nefs ou des chœurs. Cette évolution est d’autant plus nette dans le second quart du XIIIème siècle alors même que l’échafaudage indépendant à double rangée de perches se répand1983. Ce dernier est encore utilisé aujourd’hui. « L’assemblage est dressé indépendamment du mur. Il utilise deux perches plantées deux à deux, une proche de la construction, l’autre sur la même perpendiculaire à la face du mur, mais à une certaine distance, de manière à aménager entre elles la largeur du plan de travail ». Nous avons eu l’occasion d’observer des trous de boulin à l’abbaye du Palais lors de l’étude de bâti menée en avril 2007 [Fig. 309 et 310]. La façade interne du mur du chevet oriental a révélé un seul trou de boulin encore observable, situé entre la baie centrale et la baie la plus au sud. Il mesure environ 0.15cm par 0.20cm. Il est placé à 9m de hauteur environ. Il s’agit ici d’une ouverture maçonnée, comme généralement dans le cadre du moyen et du 1981 Le boulin est une « pièce de bois horizontale fixée sur la perche et/ou encastrée dans la maçonnerie pour échafauder et maintenue à l’autre extrémité par des pièces de bois verticales (perches, échasses). Il est disposé au même niveau que les moises pour supporter le plan de travail. L’écartement entre les boulins doit être en rapport avec les charges supportées et la nature du platelage, en sachant que le bois travaille aisément à la compression, mais mal à la flexion. Les moises, longerons, longrines ou filières relient entre eux les montants d’une même rangée et soutiennent les boulins» dans L’échafaudage dans le chantier médiéval, DARA n°13, Ministère de la Culture, DRAC/SRA, Lyon, 1996, p. 19. 1982 Le contreventement peut-être défini comme « (…) l’ensemble des dispositifs adoptés pour qu’un ouvrage résiste aux efforts horizontaux. Dans un échafaudage, cet assemblage de pièces diagonales, normalement de sens contrarié, est destiné à assurer la rigidité et la stabilité de l’ossature, et à la garantir des déformations du système perches-moises. Il est donc formé de pièces secondaires, qui ne composent pas directement la structure et, de ce fait, ne participent pas proprement à ses fonctions, mais mises en place uniquement pour la renforcer. Il est constitué de petits liens disposés obliquement entre les montants verticaux » dans L’échafaudage dans le chantier médiéval…, op. cit., p. 19. 1983 B. PHALIP, op. cit., p. 31-32. - 712 - grand appareil régulier. Le trou de boulin est créé par un décalage d’un bloc dans l’assise. Dans le cas d’une ouverture façonnée, le trou de boulin est taillé dans un angle ou dans une face du parement. La faible présence de trous de boulin est sans doute due aux impossibilités de lecture de certaines parties des parements du fait du lierre. Ceci peut aussi s’expliquer par l’utilisation de l’ouverture des trois baies comme ancrage. En effet, le boulin n’est pas la seule forme d’ancrage des échafaudages encastrés. L’ouverture des baies est également utilisée1984. Cette méthode permet de limiter les opérations de taille de pierre et d’épargner les surfaces murales. Nous avons également pu constater en étudiant les départs conservés des murs gouttereaux nord et sud du chevet, la présence d’une encoche de cintre en bois taillée dans le granite (angle nord-est), surmontée d’un trou de boulin (environ 80cm plus haut) [Fig. 813]. En regard, à l’angle du mur gouttereau nord et du mur oriental, deux trous de boulins rebouchés sont observables, également espacés de 80cm environ. Il s’agit sans doute de témoins d’une ancienne structure en bois difficile à interpréter et plus encore à dater1985. La façade externe révèle un trou de boulin à la même hauteur que celui observé en façade interne : il pourrait s’agir d’un boulin traversant. Ces boulins particuliers peuvent servir à supporter, de part et d’autre des murs des échafaudages dépourvus de tout support vertical. Ils permettent au boulin de dépasser de chaque côté du mur et de recevoir deux platelages qui s’équilibreraient1986. Ils peuvent également correspondre à un « système de fixation de coffrage et correspondre aux emplacements des tirants inférieurs ayant permis de maintenir les banches en position pendant le travail »1987. Trois autres trous de boulin ont pu être repérés sur la façade, ce qui reste insuffisant pour mieux apprécier le type d’échafaudage utilisé. Nos investigations sur les types d’échafaudages employés dans les abbayes cisterciennes du diocèse de Limoges sont restées peu fructueuses du fait d’un certain nombre de handicaps : bien souvent les enduits (Bonnaigue, Grosbot) et le lierre recouvrant les parements (Le Palais, Les Pierres) empêchent une lecture correcte des élévations conservées. Les observations faites sont donc parcellaires. Certaines élévations sont par ailleurs très remaniées aux époques moderne et contemporaine, d’où les difficultés d’études des vestiges 1984 L’échafaudage dans le chantier médiéval…, op. cit., p. 19, 27 et 47. I. PIGNOT, L’abbaye cistercienne du Palais-Notre-Dame (commune de Thauron, Creuse). Préciser le plan de l’abbatiale médiévale et moderne, DRAC/SRA Limousin, 2007, non publié, p. 44. 1986 « Le platelage est une surface de circulation et de travail constituée par l’assemblage de plusieurs planches ou claies posées sur les boulins et sur les moises. Il faut avant tout prévenir leur soulèvement et assurer leur continuité. La pose d’une plinthe empêche un homme de glisser, et les outils de tomber. » L’échafaudage dans le chantier médiéval…, op. cit., p. 19. 1987 D. PRIGENT, C. SAPIN, op. cit., p. 117-148. 1985 - 713 - médiévaux (Varennes, Obazine). D’autres enfin ont entièrement disparu (Boeuil, Derses, Valette, Aubignac, Aubepierres). De nombreux trous d’encastrement de poutres observés correspondent en fait à des vestiges des cloîtres charpentés et non à des témoins d’échafaudages. C’est le cas pour les trous de boulin relevés à Boschaud (mur extérieur de la salle capitulaire). Ceux-ci sont très régulièrement espacés, à environ 80cm les uns des autres [Fig. 814]. De même concernant le mur gouttereau de l’abbatiale de Coyroux donnant sur le cloître [Fig. 815]. Au Coyroux, le pignon ouest (façade interne) révèle quelques trous de boulin disposés autour de la baie. D’autres sont repérables sur les murs gouttereaux, bien que ces élévations aient été largement dépecées, les pierres de tailles encadrant les baies systématiquement arrachées. L’entrée du trou de boulin est ici maçonnée, comme généralement dans le cadre d’un appareil de moellons. « C’est la pierre de l’assise supérieure qui constitue le linteau, et qui porte sur les deux moellons latéraux, parfois disposés en boutisse pour fermer les piédroits. »1988 À Dalon, seuls quelques trous de boulin concernent essentiellement les parties hautes des chapelles occidentales du bras sud du transept (parties internes). Les élévations externes étant en partie dépecées, elles demeurent délicates à étudier de manière exhaustive. À Grosbot, les enduits masquant les parements nous ont seulement laissé voir deux trous de boulins parfaitement alignés en hauteur au niveau de la première travée de la nef (façade interne, parement nord). D’autres apparaissent au niveau du cul-de-four de l’abside du chœur. Ces observations, incomplètes, ne nous permettent guère d’apprendre plus sur les échafaudages utilisés. L’absence de trous de boulin pour certaines élévations pourrait s’expliquer par l’utilisation d’échafaudages indépendants, ne laissant ainsi aucune trace dans l’élévation. Il semblerait en effet qu’à la fin du XIIème siècle et surtout au XIIIème siècle, l’utilisation de l’échafaudage à double rang de perches, indépendant du mur se développe. L’arase du mur sert alors de lieu de circulation. C’est souvent le cas des églises des ordres nouveaux, à savoir les cisterciens, les chartreux et les templiers1989. Les sources iconographiques médiévales peuvent également nous apprendre sur les engins de levage et échafaudages utilisés. Les carreaux du poêle en faïence de l’abbaye cistercienne de Salem en Allemagne présentent un engin de levage en bois, 1988 1989 L’échafaudage dans le chantier médiéval…, op. cit., p. 48. L’échafaudage dans le chantier médiéval…, op. cit., p. 108. - 714 - vraisemblablement une chèvre à treuil actionné par des frères convers [Fig. 816]. Aucune roue à écureuil n’est visible. Ces carreaux présentent aussi des échafaudages en bois avec des perches aboutées et un système de rampes et d’échelles en bois pour acheminer les matériaux jusqu’à l’arase des murs. Les moyens d’accès au platelage sont en effet généralement les plans inclinés, escaliers et échelles. Les frères convers transportent les matériaux dans des auges à bras (sorte de brancards), des brouettes ou encore des hottes d’osier. Il s’agit d’échafaudages encastrés à un rang de perches et non d’échafaudages à bascule fréquemment usités à l’époque médiévale et faisant l’économie de supports verticaux1990. La représentation de ces échafaudages témoigne des difficultés à traduire la perspective et présente de nombreuses anomalies. Sur le dessin de la construction du monastère de Schönau1991, c’est une potence pivotante en bois qui est représentée [Fig. 811]. Un bloc taillé est accroché par une griffe. D’autres dispositifs d’accrochage sont néanmoins connus comme les tenons à bardage et les louves. Les louves et griffes sont des pinces métalliques formées de deux crochets qui se resserrent avec le poids de la charge à soulever. Dans le diocèse de Limoges, les trous de louves et de griffes son attestés pour des blocs antiques, parfois remployés dans des structures romanes ou gothiques comme la cathédrale Saint-Étienne et l’église Saint-Michel des Lions à Limoges. Les trous de louves sont plus larges et se positionnent au centre de gravité du plan supérieur des blocs. Les trous de griffes sont de section plus réduite et se situent « symétriquement sur les deux faces opposées verticales du bloc, assez près de l’arête supérieure »1992. Il n’existe pas à notre connaissance d’exemple cistercien de ces deux systèmes dans le diocèse de Limoges. 3. Des mises en œuvre soignées : Certains édifices cisterciens du diocèse de Limoges semblent disposer de moyens financiers suffisants pour envisager des mises en œuvre soignées, caractérisées par le recours à des parements en moyen appareil régulier de qualité dont les joints minces ne nécessitent que peu de mortier de chaux. Les modules sont réguliers comme en témoignent les parements de Dalon, Boschaud et du Palais-Notre-Dame. À Dalon, les carreaux des chapelles ouest du bras sud du transept mesurent entre 0.51m×0.24m et 0.45m×0.28m [Fig. 255]. Les parements externes de ces 1990 L’échafaudage est dit en bascule lorsque les boulins sont confortés seulement par des équerres. Dessin à la plume, K 1532 H 2196 fol. 196, Germanisches Nationalmuseum, Nüremberg. 1992 J-P. LOUSTAUD, « À la recherche des composantes architectoniques de grand d’Augustoritum/Limoges », TAL, T 27, Limoges, 2007, p. 63-102. 1991 - 715 - appareil chapelles présentent des carreaux de 0.45m×0.32m et de 0.62m×0.32m. À Boschaud, les carreaux atteignent des dimensions proches : 0.62m×0.28m, 0.70m×0.31m ou encore 0.40×0.29m. À l’abbaye du Palais-Notre-Dame, les modules sont de 0.34m×0.28m×0.20m ou de 0.60m×0.26m×0.29m. Des harpages verticaux entre les baies du triplet de façade orientale présentent une alternance de carreaux de 0.68m×0.20m et de chandelles de 0.10m×0.20m [Fig. 807]. Les mêmes constatations peuvent s’observer dans la mise en œuvre de l’église Saint-Martin de Donzenac notamment. Le clocher est édifié en moyen appareil régulier de qualité. Le porche occidental présente, de part et d’autre du portail d’entrée, des harpages alternant carreaux et chandelles. Ce clocher est néanmoins plus tardif que les parements du Palais (seconde moitié du XIVème siècle). Pour ces édifices, le moyen appareil régulier n’est pas seulement réservé aux parties structurantes de la construction mais est généralisé à l’ensemble de l’édifice. À Obazine, un appareil régulier en grès gris-ocre enserre un blocage dur à mortier riche. Cet appareil surmonte de solides assises de moellons de gneiss local dur prenant appui sur la roche en place [Fig. 496]1993. À Bonlieu également, probablement la mieux dotée des abbayes marchoises, le moyen appareil régulier est de mise pour les deux premières travées de la nef conservées et pour le chevet en partie préservé. Les carreaux de la façade occidentale sont majoritairement de 0.60m×0.32m. La partie droite du chœur précédant l’abside pentagonale présente une alternance de carreaux (0.58m×0.37m) et de chandelles (0.07m×0.37m). Les soubassements extérieurs de l’abside pentagonale utilisent de forts modules (carreaux de 0.58×0.48m) destinés à assurer la stabilité de l’édifice. Le moulin de l’abbaye, directement inséré dans l’enclos monastique, opte également pour des soubassements et harpages de moyen appareil régulier dont les carreaux de granite gris atteignent 0.55m×0.33m et 0.40m×0.30m, soit des réalités assez similaires à celles de l’abbatiale proprement dite. Ces parements de qualité requièrent des ouvriers spécialisés, des tailleurs de pierres plus que des maçons affectés au montage. Néanmoins, nous pouvons constater que la tour de fortification adjointe sur les deux premières travées de la nef de Bonlieu au XVème siècle (1421) témoigne d’un net changement d’appareillage [Fig. 817]. Des moellons irréguliers sont liés d’un mortier de chaux relativement grasse. Le calcaire est sans doute acheminé depuis le Berry (Champagne Berrichonne ou extrémité nord-ouest de la Brenne). Seuls les harpages d’angle sont encore de moyen appareil régulier de granite de qualité. Ces modifications dans la mise en œuvre peuvent s’expliquer par la diminution des moyens financiers au Bas Moyen-Âge 1993 B. BARRIÈRE, « Les cloîtres d’Obazine et Coyroux, en Corrèze », TAL, T 1, 1981, p. 83-89. - 716 - (essoufflement des donations notamment) et par l’urgence d’une construction liée à un contexte d’insécurité. Les mêmes observations peuvent être faites à l’église templière de Paulhac (1220-1250). En effet, elle est bâtie en moyen appareil régulier de granite tandis que les parties hautes de la tour de façade sont plus tardives et optent pour un appareil de moellons mêlés d’un important mortier de chaux [Fig. 818]. À Blaudeix (1180-1220), l’église est entièrement bâtie en moyen appareil régulier. Les murs gouttereaux ne présentent aucun trou de boulins, laissant présager l’usage d’échafaudages indépendants, sans doute comme pour la majorité des sites cisterciens envisagés. L’usage du moyen appareil régulier de granite de qualité n’est pas propre aux abbatiales cisterciennes les mieux dotées mais est aussi fréquemment adopté pour des édifices civils, comme la tour de Sermur près d’Aubusson [Fig. 819] ou encore la Tour Colin à Crozant (XIIIème siècle) [Fig. 820]. Le donjon d’Huriel permet également d’envisager des cohérences sensibles avec une architecture castrale [Fig. 821]. En effet, cette tour élevée en plusieurs temps de 1180 à 1220 témoigne d’une mise en œuvre proche de certaines abbayes cisterciennes avec un moyen appareil régulier de granite aux joints fins. Elle présente une baie ébrasée très similaire à celles de l’abbaye de Prébenoît ou de celle de Bonlieu. L’arc en étant clavé, elle semble en effet plus proche de cette dernière. Certains sites très remaniés ne permettent guère une connaissance exhaustive des parements. Ainsi, reste de l’abbaye de Valette une porte remontée à Auriac dont les modules de moyen appareil régulier de granite témoignent de similitudes avec les autres édifices précédemment cités : 0.42m×0.22m×0.23m ou 0.47m×0.36m×0.24m [Fig. 822]. Il est toutefois impossible de dire si l’ensemble de l’église était bâti en moyen appareil régulier similaire ou seulement si celui-ci était réservé aux parties structurantes de la mise en œuvre. À Bonnaigue, une grande partie des élévations actuelles est enduite tandis que les parties supérieures de l’édifice relèvent de modifications modernes (XVIème-XVIIIème siècles). Néanmoins, la façade occidentale présente des harpages en moyen appareil régulier dont le module de base est de 0.54m×0.36m×0.20m. Le contrefort à l’angle du mur gouttereau nord dispose de modules de 0.45m×0.32m×0.21m correspondant à des réalités médiévales [Fig. 823]. À l’abbaye de Varennes, l’église actuelle révèle de constantes modifications au fil des siècles (suppression des bas-côtés, d’une partie de la nef, du chevet, réfections des voûtes). Certains modules sont ainsi caractéristiques de ces réfections : la nouvelle façade occidentale dispose par exemple de modules de 0.35m×0.15m×0.06m ne correspondant pas aux - 717 - proportions médiévales habituelles [Fig. 824]. Les carreaux des parties les plus anciennes (murs gouttereaux) sont de 0.47m×0.41m en moyenne. Des vestiges du chevet oriental sont encore perceptibles dans le paysage, comme un dosseret d’angle à l’entrée du chevet dont les modules sont de 0.61m×0.40m×0.39m. Il est toutefois difficile de déterminer si l’ensemble de l’église médiévale était de moyen appareil régulier. 4. Des chantiers à l’économie : Des disparités sont tangibles dans la mise en œuvre selon les moyens économiques et financiers des monastères, certains étant mieux dotés que d’autres. En effet, des abbayes comme Dalon ou Obazine essaiment, engrangent de forts revenus, disposent de terroirs vastes, parfois éloignés, tandis que de petits monastères comme Aubignac, Prébenoît ou le Palais ne fondent que six ou sept granges proches (neuf pour le Palais) et sont maintenus dans une certaine précarité. Les terres dont ils disposent sur les franges berrichonnes ou en HauteMarche sont souvent marécageuses, nécessitant de profonds travaux d’assainissement, les seigneurs étant relativement modestes et ne pouvant les doter suffisamment pour assurer leur autarcie. De plus, ces donateurs semblent préférer se départir de mauvaises terres, souvent éloignées et ne leur étant que peu utiles. Ainsi, ces moines des petites abbayes recourent fréquemment aux maçons plutôt qu’aux ouvriers qualifiés comme les tailleurs de pierres. Les appareillages de moellons sont le plus souvent requis. En effet, ils ne nécessitent pas la même qualité de pierre que pour le grand ou le moyen appareil régulier. D’autres avantages sont tangibles, telle la perte de matériau réduite lors de l’extraction : la qualité de pierre n’étant pas la même que pour le moyen ou grand appareil, les matériaux fracturés ne sont de fait pas rejetés. Daniel PRIGENT cite l’exemple de l’édification de Saint-Pierre-de-Montmartre au VIIIème siècle où les moellons ne proviennent pas de carrières mais directement de l’épierrage des champs alentours. Dans le cas d’une construction en moellons, le coût en carrière est sensiblement moins élevé que celui observé pour la pierre de taille. Ces moellons peuvent être bruts (non taillés), simplement ébauchés ou équarris (l’équarrissement consiste à la mise d’équerre des faces d’un bloc). Les temps de séchage dus à la forte utilisation de mortier de chaux sont plus élevés1994. Ainsi à Prébenoît, le moyen appareil régulier de granite est cantonné aux soubassements de l’église, aux harpages, contreforts et piédroits des baies, c’est-à-dire aux 1994 D. PRIGENT, C. SAPIN, « La construction en pierre au Moyen-Âge », dans La construction. Les matériaux durs : pierre et terre cuite, Collection « Archéologiques », éditions Errance, Paris, 2004, p. 117-148. - 718 - zones structurantes de la construction [Fig. 825]. Sinon, c’est un petit appareil irrégulier à litages marqués noyé dans un mortier de chaux qui est mis en œuvre. La chaux est ainsi largement requise, sa conception étant permise par une forte présence de bois autour du monastère, ne nécessitant pas son économie. Il s’agirait ici donc plus d’un travail de maçons que de tailleurs de pierres. La même constatation peut s’appliquer à l’abbaye des Pierres [Fig. 826]. Le mur de l’église conservé est bâti en appareil irrégulier, témoignant toutefois de tentatives d’organisation du parement par la présence de harpages horizontaux en moyen appareil régulier. Le calcaire est de plus largement présent dans des zones peu éloignées du site (Champagne Berrichonne, Brenne). Cette mise en œuvre ayant recourt à des parements mixtes n’est pas caractéristique de ces fondations cisterciennes modestes. Ainsi l’église templière de Chambéraud (1180-1220) présente un moyen appareil régulier de qualité pour la mise en œuvre de la façade occidentale, des contreforts, des harpages, des soubassements, des piédroits des baies et des portes [Fig. 827]. Par ailleurs, les parements des murs gouttereaux sont de simples moellons noyés dans un mortier de chaux relativement grasse. Ces caractéristiques se retrouvent également dans un cadre civil : ainsi le château de Malval (XIIIème siècle), près de Prébenoît (com. Bonnat) est bâti en petit appareil irrégulier sauf pour les harpages et piédroits édifiés en moyen appareil de granite [Fig. 828]. Quant au château de Crocq (XIIIème siècle) dont il demeure deux tours, l’appareil est également mixte. Les parements sont de moyen appareil irrégulier mêlant de simples moellons, tandis que les harpages, piédroits et soubassements sont de moyen appareil régulier [Fig. 829]. À Peyrouse, les fondations repérées le long du Palin sont bâties dans un petit appareil de moellons irréguliers, envahis de lierres et donc difficilement lisibles [Fig. 830]. Nous ne pouvons nous prononcer sur une datation de ces structures face à l’état de ruines actuel de l’ancienne fondation cistercienne. Le bâtiment moderne partiellement conservé est édifié en petit appareil irrégulier de moellons et de pierres de tout venant. Les piédroits et chaînages sont néanmoins en moyen appareil régulier. Il pourrait s’agir de remplois médiévaux. Le blocage recourt à un mortier orangé très sablonneux, de mauvaise qualité, d’où probablement l’état de ruine actuel. L’abbaye est placée aux limites d’un Périgord Vert caractérisé par des sols granitiques (nord-est) et d’une zone calcaire jurassique au sud-ouest, solutionnant la question de la production de chaux nécessaire au mortier. À Coyroux, un gneiss dur est mis en oeuvre, débité en moellons de taille moyenne et de découpe irrégulière pour les fondations (fondations de trois ou quatre assises, environ 1m de hauteur). À l’inverse des parements de moyen appareil régulier de grès à Obazine, le gneiss - 719 - utilisé à Coyroux ne permet guère qu’un appareil irrégulier [Fig. 831]. Les maçonneries sont simplement jointoyées à la terre sauf pour l’église qui bénéficie d’un mortier de chaux. Le calcaire est probablement acheminé depuis les environs de Beaulieu. D’après la Vita de saint Étienne d’Obazine, il aurait fallu seulement deux ans pour l’érection du monastère. En effet, il est écrit : « Les frères requis se mirent aussitôt à débroussailler, à arracher les pierres et à s’emparer des lieux selon les directives de leur maître spirituel, devenu sous l’inspiration du Saint-Esprit, architecte averti. Ils aménagèrent des aqueducs pour les nombreux besoins du monastère : l’eau coulait ainsi d’elle-même et en quantité suffisante dans toutes les dépendances. Mais pourquoi insister plus longuement ? On travailla avec tant de zèle, on s’acharna avec tant de ténacité qu’en deux ans ou guère plus, la totalité du monastère avec tous ses bâtiments fut terminée ». Il s’agirait ainsi d’une construction à la « va vite » et à l’économie, d’où peut-être sa mauvaise conservation actuelle1995. Ce type de mise en œuvre à l’économie est souvent caractéristique des réfections modernes comme nous l’avons précédemment constaté à Bonlieu. C’est le cas également à l’abbaye de Varennes où les murs gouttereaux de l’église présentent encore des parties en moyen appareil régulier médiévales tandis que les remaniements modernes en parties supérieures sont d’un petit appareil irrégulier pris dans un important mortier de chaux. Ainsi, ces abbayes modestes ne disposant que de maigres revenus bâtissent souvent à l’économie, les appareils sont de médiocre qualité, d’où peut-être leur mauvaise conservation ne permettant guère une étude exhaustive et plus précise des procédés de mise en œuvre. b. Plans : L’étude des dix-huit abbayes cisterciennes du diocèse de Limoges et de ses marges révèle une certaine diversité des plans, une disparité des solutions allant à l’encontre de l’idée d’un plan-type repris d’abbayes en abbayes, d’un « plan cistercien », « bernardin » reproduit 1995 M. AUBRUN, Vie de Saint Étienne d’Obazine, op. cit., p. 91. - 720 - sur chaque site. En effet, le plan à chevet plat et nef à bas-côtés concerne seulement quelques sites. 1. Plan « bernardin » : L’abbaye de Prébenoît dispose d’une nef à bas-côtés (4m de large) de cinq ou six travées, d’un transept saillant sur lequel étaient greffés trois chapelles à mur plat au sud et deux chapelles sur le bras nord [Fig. 337]. Le chœur aujourd’hui entièrement détruit était un chevet plat. Ce plan médiéval primitif est néanmoins très bouleversé par la mise en place d’aménagements défensifs au XVème siècle (douves, tourelles de façade occidentale, mise à bas d’une partie de la nef). Le monastère dispose ainsi à l’origine d’un plan « bernardin ». L’abbaye de Dalon présente le même plan, de plus grande ampleur cependant [Fig. 250]. Elle est dotée d’une nef à bas-côtés, d’un chevet plat, de chapelles orientales et occidentales de transept ayant ainsi permis la multiplication des autels. Il ne demeure plus actuellement que les chapelles occidentales du bras sud du transept. La présence de multiples chapelles peut se justifier par l’accueil d’une communauté monastique nombreuse et l’opulence d’une abbaye, chef d’ordre, bien dotée et en constante expansion jusqu’au XIIIème siècle. Le plan de l’abbaye cistercienne du Palais-Notre-Dame est encore méconnu malgré les descriptions de textes modernes, d’érudits locaux et les résultats récents de l’archéologie [Fig. 318]. Le monastère dispose d’un chevet plat dont il demeure encore le mur oriental percé d’un triplet. Nous savons que la nef dispose de bas-côtés de 3m de large. Quant au transept, il est décrit comme mesurant 26m de long pour 7m de large dans les textes modernes. Néanmoins, les sondages archéologiques n’ont pas encore permis d’en retrouver la trace. De plus, l’emplacement de l’angle sud-ouest du mur de la façade occidentale laisserait présager soit l’existence d’un transept non saillant, soit une façade élargie par rapport à la nef. D’après la description de ROY DE PIERREFITTE au milieu du XIXème siècle, l’église est bien en croix latine. Il demeure un bras du transept en élévation à cette époque1996. Nous ne savons pas si ce transept dispose de chapelles greffées sur ses bras comme à Prébenoît ou à Dalon. Cette problématique n’a pu faire l’objet d’une investigation archéologique puisque des arbres empêchent la fouille au niveau du bras du transept nord tandis que des constructions modernes bloquent l’accès à l’emplacement d’éventuelles chapelles au sud. L’abbatiale médiévale a par ailleurs subi un certain nombre de remaniements modernes. En effet, dans la 1996 J. B. L. ROY DE PIERREFITTE, Études historiques sur les monastères du Limousin et de la Marche, T I, Guéret, 1857-63. - 721 - seconde moitié du XVIIIème siècle, la nef est réduite aux trois quarts et le cloître est mis à bas. Une nouvelle façade est dès lors érigée pour fermer le nouvel édifice de 17m de long environ. Rien n’est toutefois précisé quant à d’éventuelles chapelles orientales de transept. Il semblerait que l’abbaye de Varennes ait elle aussi disposé d’un plan à chevet plat et nef à bas-côtés [Fig. 748 et 749]. Il reste encore aujourd’hui des vestiges du chevet plat dont nous distinguons l’une des piles à dosseret à l’entrée du chœur. Les bas-côtés ont quant à eux été mis à bas (vraisemblablement à l’époque moderne) mais leur existence à la fin du XIIème siècle est avérée par le décalage de la galerie du cloître tenant compte de la présence d’un collatéral. Quant à d’éventuelles chapelles de transept, elles sont citées dans un inventaire de 17901997. Des sondages seraient toutefois nécessaires afin de confirmer ou infirmer leur existence. Ces quatre édifices sont ainsi les seuls dont on peut présumer l’existence d’un plan à chevet plat et nef à bas-côtés. L’abbaye d’Obazine témoigne certes d’un plan ressemblant, mais la forme du chœur la distingue de ses homologues [Fig. 480]. Il s’agit en effet d’une abside pentagonale. Le choix d’un simple chevet plat peut se justifier par de multiples facteurs comme une volonté affirmée d’austérité et d’économie de la mise en œuvre ou le nombre réduit de moines-prêtres rendant superflu la multiplication des autels dans les premiers temps de l’ordre. Ce plan est d’autant plus apprécié à l’époque gothique qu’il s’adapte facilement à un voûtement d’ogives (Le Palais), tandis que les absides induisent un cul-de-four1998. Pierre HÉLIOT note en effet la prédilection du chevet plat gothique en Aquitaine de la fin du XIIème siècle au XVème siècle, comme en témoignent les sites de Saint-Seurin de Bordeaux, des abbatiales de Bassac, de la Couronne, de Sablonceaux, de Saint-Amand-de-Boixe, des prieurales de Châteauneuf-sur-Charente et de Saint-Léger de Cognac. Toutefois, certains édifices cisterciens limousins sont méconnus et nous ne pouvons conclure sur leur plan. C’est le cas d’Aubepierres qui a entièrement disparu aujourd’hui, excepté quelques aménagements hydrauliques (vivier, bief). Néanmoins, les fondations en sont encore observables au XIXème siècle. Le monastère dispose ainsi vraisemblablement d’un chevet plat et d’une nef à bas-côtés de 13.80m de large. Des chapelles de transept ne sont pas évoquées1999. Toutefois, il est délicat de ne baser nos hypothèses que sur ce seul constat 1997 AD Indre, H 1137. P. HÉLIOT, « Origines et extension du chevet plat dans l’architecture religieuse de l’Aquitaine », Cahiers Techniques de l’Art, T III, 1955, p. 23-49. 1999 J. B. L. ROY DE PIERREFITTE, Études historiques sur les monastères du Limousin et de la Marche, T I, Guéret, 1857-63. 1998 - 722 - d’un érudit. Des fouilles archéologiques seraient nécessaires afin de préciser le plan exact du monastère. Quant à l’abbaye de la Colombe, nos informations sont également très restreintes [Fig. 652 et 653]. Nous savons qu’elle dispose d’un transept sur les bras duquel se greffent des chapelles. Une chapelle au sud est d’ailleurs chapelle sépulcrale des seigneurs-donateurs de la Trimouille (XIVème siècle). Concernant la nef, nous ne savons si elle dispose de bas-côtés ou non. De même, nous ne connaissons pas le plan du chevet (chevet plat ? en abside ?). L’abbaye de Valette a quant à elle été dynamitée avant relevés lors de la mise en eau du barrage du Chastang. Son plan est méconnu. Seuls des documents anciens permettent quelques précisions. Une « Estimation des revenus et du capital de Valette » nous apprend que l’église mesure 90 pieds de long sur 40 de large (soit 29.7m par 13.2m). Cette largeur permet d’envisager la présence de bas-côtés. Néanmoins, le chevet demeure inconnu. Souvent, il a été affirmé dans une historiographie traditionnelle que le plan à chevet plat et nef à bas-côtés était caractéristique de la filiation claravalienne, ce qui ne semble pas être le cas dans le diocèse de Limoges. En effet, Prébenoît, Dalon et le Palais-Notre-Dame sont filles de Pontigny, Varennes de Vauluisant. Ce plan ne paraît ainsi pas être l’apanage des filles de Clairvaux, ni encore un plan « privilégié » « typique » de l’architecture cistercienne puisqu’il ne concerne pas la moitié des sites cisterciens du diocèse de Limoges et de ses marges. 2. Parti de la nef unique : Le plan à chevet plat et nef à bas-côtés ne fait ainsi pas l’unanimité dans un cadre cistercien limousin. La nef unique est en effet largement requise et convient bien à des communautés modestes, peu dotées, souvent issues de mouvements érémitiques à vocation de dépouillement et de simplicité. La nef unique est également presque systématiquement choisie par les moniales cisterciennes, que l’on prenne en compte le diocèse de Limoges mais également l’ensemble des fondations françaises et européennes.  Choix des moniales : Le diocèse de Limoges et ses marges connaissent deux fondations cisterciennes féminines, à savoir Coyroux et Derses, vraisemblablement édifiées tardivement. L’abbatiale de Coyroux est certes ruinée mais son plan est néanmoins bien connu. Elle dispose d’une nef unique de 8m de large et d’un chevet plat, sans transept [Fig. 574 et 575]. Simple vaisseau, elle se rapproche plus des réalités grandmontaines ou des « églises-granges » du cadre - 723 - gothique que des monastères masculins du diocèse. Il semblerait que le voûtement de l’église de Coyroux soit assez tardif comme en témoigne la découverte de clés de voûtes sculptées pouvant être datées des années 1250-1300 [Fig. 598]2000. Celles-ci sont adaptées à des voûtes à liernes. Les feuillages naturalistes plaident pour cette chronologie, de même que des comparaisons avec les voûtes à liernes des églises de Paulhac ou de Blaudeix en Creuse. Le choix de ce plan modeste, simple halle callée entre deux pignons ne peut toutefois s’expliquer par une moindre communauté que leurs homologues masculins d’Obazine puisque le monastère accueillait tout de même presque cent moniales à la fin du XIIème siècle. Son patrimoine est néanmoins géré par Obazine jusqu’au XIVème siècle où Coyroux obtient peu à peu son indépendance. L’abbaye féminine de Derses est cependant moins bien connue et n’a laissé aucune trace dans le paysage actuel. Les anciens bâtiments monastiques ont servi de carrière et seuls quelques remplois sont visibles dans les demeures actuelles. Il est dès lors difficile d’envisager son plan à l’époque médiévale, bien qu’il serait logique de le rapprocher de celui de Coyroux.  Des moines tournés vers des partis aquitains : La nef unique peut également être adoptée par des abbayes masculines. Ainsi, le monastère de Boschaud opte pour un plan atypique dans un cadre cistercien, caractérisé par une nef unique couverte d’une file de coupoles [Fig. 189]. Ce parti n’est toutefois pas inhabituel dans un cadre aquitain puisque de nombreux édifices romans opte pour ce plan : c’est le cas de Fontevrault, Sablonceaux, les cathédrales de Périgueux et d’Angoulême2001. De même, l’abbatiale de Bonlieu opte pour un parti simplifié avec une nef unique terminée par un chevet pentagonal [Fig. 137]. Ce type de chevet à pans coupés se diffuse tout particulièrement dans le diocèse de Limoges à partir des années 1130. Il s’observe notamment au milieu du XIIème siècle à l’église du Chalard2002. L’abbatiale de Bonnaigue est également un vaisseau simple terminé par un chevet plat. Ce choix de simplicité pourrait se justifier par les origines érémitiques de Bonnaigue, au départ simple celle d’Obazine. L’abbaye des Pierres opte de même pour une nef unique et un chevet plat bordé de chapelles de transept à fond plat. Chaque bras ne dispose que d’une seule chapelle, plan relativement rare dans un cadre cistercien [Fig. 720]. 2000 C. ANDRAULT-SCHMITT dans B. BARRIÈRE, Moines en Limousin..., op. cit., p. 49. Voir III. B. a. 1. Des solutions architecturales éprouvées et pérennisées. L’exemple de la coupole : croisée du transept et solution de voûtement des vaisseaux larges. 2002 X. LHERMITE, « Le prieuré du Chalard. Étude architecturale », BSAHL, T 131, 2003, p. 37-71. 2001 - 724 - À Grosbot, le plan est en croix latine avec une nef unique de trois travées, un transept et un chœur en abside précédé d’une travée droite. Face à ces réalités, un certain nombre d’édifices nous échappent encore. L’abbatiale de Boeuil par exemple est méconnue. Aucun mur n’est conservé en élévation. Une aquarelle de Paul Peyrusson donne une vision imaginée de l’abbaye mais ne peut en aucun cas être considérée comme un témoignage réel [Fig. 112]2003. L’abbaye de Peyrouse est également difficile à cerner face aux ruines actuelles. Cette synthèse sur les plans des abbatiales cisterciennes du diocèse de Limoges et de ses marges a permis de constater l’inexistence d’un plan « type » reproduit d’abbayes en abbayes. Le plan « bernardin » ne fait pas l’unanimité et souvent les choix des moines blancs se tournent vers plus de simplicité, comme ce fréquent parti de la nef unique. La diversité des solutions est tangible et peut s’expliquer en partie par le statut des abbayes (féminines ou masculines) ou leur développement économique. Nous n’avons toutefois guère pu distinguer de choix marqués différenciant créations directes de l’ordre et monastères affiliés, anciens ermitages rattachés à Dalon ou à Obazine. La question d’un plan « type » sera réévaluée dans la suite de notre étude et étayée de comparaisons avec d’autres diocèses et d’autres pays2004. c. Élévation : supports, percements, contrebutements : 1. Élévation dans le cas d’un éclairage direct : À Aubignac, nous savons d’après les textes modernes que la nef ne dispose pas de collatéraux2005. L’éclairage est donc direct. D’après Émile de BEAUFORT, des « pilastres » adossés aux murs gouttereaux séparent les quatre travées de la nef. Ces dosserets sont sans doute surmontés d’impostes recevant les voûtes de la nef, supports simples ne nécessitant aucune base ou chapiteau sculptés, comme nous l’avons constaté pour la nef de Boschaud ou pour le collatéral nord de l’abbaye de Prébenoît. Entre chaque dosseret, une fenêtre en pleincintre est percée, d’1.50m de haut pour 1m de large. Ces baies sont fortement ébrasées (embrasure interne d’1.60m de large pour 2.30m de haut). Nous ne savons pas si ces baies étaient surmontées d’un arc composé d’un linteau monolithe comme pour le bas-côté nord de l’abbatiale de Prébenoît ou si le linteau était clavé comme à Bonlieu (nef et chœur). La largeur de 1m nous laisserait plutôt supposer l’usage d’un linteau clavé. Les linteaux monolithes 2003 Vue d’ensemble des bâtiments constituant l’abbaye. Dessin aquarellé de Paul Peyrusson, maire de Veyrac, vers 1830, conservé à la mairie de Veyrac [Fig. 112]. 2004 Voir III. C. 2. Une tentative d’uniformisation. L’échec de la diffusion du modèle « bernardin ». 2005 AD Creuse, H 268, état des lieux de 1643. - 725 - paraissent en effet plus souvent requis pour des baies plus étroites (30-50cm large). Lors de nos prospections et de l’inventaire lapidaire établi sur l’ancien site d’Aubignac, aucun élément de baie n’a pu être inventorié. Les textes modernes décrivent également une arrière-chapelle à la façade orientale. Celle-ci est dotée d’une porte en plein-cintre surmontée d’une archivolte se prolongeant jusqu’aux contreforts. Ce portail est bâti en calcaire et non en granite pourtant utilisé pour le reste de la mise en œuvre. Nous n’avons toutefois retrouvé aucun élément de calcaire lors de nos investigations. Néanmoins, un des éléments lapidaires conservé sur une propriété privée est un fragment de base de portail à ébrasements multiples [Fig. 105]. Il est de granite gris. Il pourrait s’agir de la porte occidentale de l’église. Ce type de portail est très fréquent dans le diocèse de Limoges dès le premier tiers du XIIIème siècle pour des sites non cisterciens et cisterciens également, et trouve ses origines dès l’époque romane. Aux débuts de la période romane, les portails sont simples, traités comme des baies. Dans la seconde moitié du XIème siècle apparaissent néanmoins de profonds ébrasements à ressauts abritant de fines colonnettes, tel à Saint-Étienne de Nevers ou à Sainte-Foy de Conques. Ces premiers exemples vont trouver des prolongements et un net essor dans le cadre du premier gothique2006. Trois types de portails à ébrasements peuvent être envisagés et distingués : dans les années 1130-1180, il semble se mettre en place des portails au profil en plein-cintre, au nombre d’ébrasements relativement réduits, et dont les colonnes et chapiteaux sont très nettement individualisés. Le système décoratif est roman : bases attiques, fréquents cordons de billettes ou motifs en damiers. C’est le cas à l’abbaye cistercienne de Bellaigue (com. Virlet, Puy-de-Dôme), édifiée pour grande part dès l’époque romane (second tiers du XIIème siècle pour les parties basses). Le portail occidental en plein-cintre (vers 1130-1150) est orné de colonnettes placées dans les ébrasements dotés de ressauts [Fig. 832]. Celles-ci sont isolées, surmontées de chapiteaux à décors géométriques. Les bases adoptent un profil classique en tore, scotie et tore. L’archivolte est décorée de motifs en dents-de-scie. De même à Veyrac, église paroissiale non loin de l’abbaye cistercienne de Boeuil, le portail en pleincintre dispose de trois ébrasements dans lesquels se nichent des colonnes aux chapiteaux bien isolés, lisses [Fig. 833]. Les bases et chapiteaux des parties internes (nef et chœur) évoquent une stylistique proche de celle de Bellaigue (corbeilles massives lisses ou aux décors géométriques) et pouvant relever des années 1130-1180. L’étude sur les portails de Haute2006 É. VERGNOLLE, L’art roman en France…, op. cit., p. 190. - 726 - Auvergne de Caroline ROUX va dans le sens de ces chronologies. Elle constate la fréquence de ce type de portail dans la seconde moitié du XIIème siècle. Le portail sud de l’église de Bredons (vers 1180) présente ainsi une archivolte encore en plein-cintre, ornée de damiers et des chapiteaux isolés surmontés de puissants tailloirs, également décorés de motifs en damiers2007. Pour l’historienne de l’art, un type de portail simple, au profil en plein-cintre, doté de fines colonnettes nichées dans les ébrasements, de chapiteaux souvent sans tailloir et d’un simple tore dans les voussures (de même diamètre que les colonnettes) est fréquent dans la seconde moitié du XIIème siècle et se retrouve en Haute-Auvergne (chapelle Sainte-Croix de Saignes, portail occidental) ainsi que dans le proche diocèse de Limoges ou encore l’ancien diocèse de Cahors. Concernant le Limousin, nous pouvons donc encore affiner ces datations entre 1130 et 1180 puisque après cette date, le profil brisé tend à s’imposer. Un second type de portail présente donc un profil légèrement brisé, un nombre d’ébrasements encore modestes et des chapiteaux le plus souvent lisses ou aux feuillages simples isolés. Ces réalités semblent s’apparenter à une datation des années 1180-1220, période définie par Claude ANDRAULT-SCHMITT comme l’éclosion d’un « premier gothique » dans le diocèse de Limoges2008. À Bonlieu, les ébrasements accueillent des colonnes surmontées de chapiteaux isolés [Fig. 834]. Le portail opte pour un profil légèrement brisé. Les chapiteaux aux corbeilles évasées sont nus, les bases non classiques au tore inférieur avachi disposant de griffes aux angles, s’éloignant des dispositions « classiques » romanes de la base attique observées à Bellaigue. Des édifices templiers semblent adopter des portails relativement similaires et pouvant correspondre au même cadre chronologique. Ainsi, le portail de Blaudeix (Creuse) ne dispose que de deux ébrasements [Fig. 835]. Les chapiteaux feuillagés sont bien isolés. Les feuilles lisses se terminent par des boules lisses simples, assez similaires au chapiteau à boules de La Colombe (années 1200) [Fig. 680]. La présence en chevet d’un triplet triangulé assez proche de celui du Palais-NotreDame (premier tiers du XIIIème siècle) irait dans le sens d’une datation des années 12001220. Par ailleurs, la mise en oeuvre de voûtes d’ogives à liernes, formerets et doubleaux couvrant la nef suggèrerait l’intervention d’un voûtement légèrement postérieur (mi XIIIème siècle). De même pour l’église templière de Chambéraud (Creuse). Son portail adopte un profil légèrement brisé, à deux ébrasements seulement [Fig. 836]. Les chapiteaux là encore isolés sont surmontés de puissants tailloirs. Les corbeilles lisses sont peu évasées, les bases 2007 C. ROUX, Les portails romans des églises de Haute-Auvergne. Architecture, sculpture et orientations, thèse de doctorat, dir. A. COURTILLÉ, Clermont II, 3 vol., 2001 ; C. ROUX, La pierre et le seuil. Portails romans en Haute-Auvergne, PUBP, 2004, p. 117. 2008 C. ANDRAULT-SCHMITT, Limousin gothique, op. cit., p. 23. - 727 - sont classiques, placées sur un haut socle. Comme à Blaudeix, la présence d’un triplet triangulé irait dans le sens d’une datation des années 1200-1220. Les voûtes à liernes pourraient intervenir dans le milieu du XIIIème siècle2009. Un troisième type de portail émerge dans les années 1220-1250 et trouve des prolongements jusqu’à la fin du XIIIème siècle (Chénerailles notamment) [Fig. 837]. Le profil du portail est plus nettement brisé, les ébrasements se multiplient considérablement, les chapiteaux s’organisent en frise. Le portail occidental de l’église Notre-Dame de Gouzon en Creuse est doté de multiples ébrasements dans lesquels se nichent de fines colonnettes surmontées de chapiteaux en frise ornés de boutons et crochets végétaux [Fig. 838]. Selon Claude ANDRAULT-SCHMITT, ces frises végétales sont à rapprocher des portails de SaintYrieix et Saint-Léonard de Noblat et « inviteraient à ne pas trop s’éloigner du début du XIIIème siècle », bien que les tailloirs et la présence d’un contrefort escalier incitent à une chronologie plus tardive. Une datation des années 1220-1250 nous semblerait ainsi prudente2010. De même, la collégiale de Brive en partie reconstruite au cours du XIIIème siècle (nef) dispose d’un portail latéral nord à multiples ébrasements ornés de chapiteaux aux feuillages naturalistes disposés en frise pouvant être daté du milieu du XIIIème siècle [Fig. 839]2011. L’église templière de Paulhac (Creuse) opte également pour un portail à multiples ébrasements et chapiteaux disposés en frise s’inscrivant dans une chronologie similaire [Fig. 840]. À Mourioux en Creuse, le portail occidental est doté d’ébrasements et de chapiteaux en frise à crochets végétaux allant dans le sens de cette datation des années 1220-1250 [Fig. 841]. À Bonlieu, le système d’éclairage est mieux connu qu’à Aubignac puisque deux travées de la nef unique ont été conservées, de même qu’une partie du chevet et du transept. L’éclairage direct est assuré par des baies différentes : la baie de la première travée de la nef est surmontée d’un linteau clavé [Fig. 842]. La seconde travée dispose de deux baies. L’une est plus étroite et opte pour un linteau monolithe mieux adapté tandis que la seconde, bouchée, est surmontée d’un linteau clavé. Les claveaux en sont plutôt courts. Ces trois baies se caractérisent par un fort ébrasement interne. Au-dessus de ces baies, un cordon simplement mouluré reçoit la voûte en berceau brisé souligné d’arcs doubleaux. Ces derniers reposent sur un tailloir surmontant un simple chanfrein. Les chapiteaux et culots, supports traditionnels de sculptures, sont inexistants pour ces deux travées de la nef de fait très dépouillées. 2009 C. ANDRAULT-SCHMITT, « Les églises des Templiers de la Creuse et l’architecture religieuse du XIIIème siècle en Limousin. », BSAOMP, 1996, 5ème série, T 10, p. 73-143. 2010 C. ANDRAULT-SCHMITT, op. cit., p. 197. 2011 É. PROUST, op. cit., p. 243-254 ; C. ANDRAULT-SCHMITT, op. cit., p. 140. - 728 - Le chevet dispose de baies en plein-cintre très ébrasées, surmontées d’un oculus clavé [Fig. 843]. L’ébrasement interne de ces baies est de 0.86m de large, l’ébrasement externe de 0.41m. Elles sont surmontées de linteaux aux claveaux courts, attestant une datation des années 1180-1220. Le chœur n’est ainsi pas percé par le fréquent triplet de façade (Prébenoît, Le Palais). Néanmoins, cette superposition d’une baie longue et d’un oculus est assez fréquent en Aquitaine dès l’époque romane et se retrouve au chevet d’Uzerche ou encore à SainteEutrope de Saintes [Fig. 844]. Ces formulations correspondent à des habitudes carolingiennes comme à Saint-Riquier ou encore Corvey. Saint-Riquier, édifiée à la fin du VIIIème siècle, présente une façade occidentale flanquée de deux tours rondes. La partie centrale se décompose en trois niveaux horizontaux. Le second est percé de trois baies en plein-cintre surmontées chacune d’un oculus. Les baies sont toutefois moins allongées qu’à Bonlieu ou Uzerche2012. Corvey est mise en œuvre dans la seconde moitié du IXème siècle. En façade occidentale, au-dessus de la porte principale, une baie en plein-cintre est percée, là encore surmontée d’un oculus. La tour centrale du Westwerk dispose dans son dernier étage de trois baies surmontées de trois oculi2013. Par ailleurs, les triplets des abbayes cisterciennes du diocèse de Limoges (Prébenoît, Le Palais) peuvent également être liés à des réalités carolingiennes : en effet, un dessin du XVIIIème siècle de l’abbatiale Saint-Sauveur et SainteMarie de Fulda montrant son état dans le second quart du IXème siècle témoigne de la présence d’un triplet au mur pignon du bras du transept occidental2014. Quant au portail de façade occidentale de Bonlieu, comme nous l’avons précisé cidessus, il correspond à la « mode » fréquente en Aquitaine du portail à ébrasements multiples [Fig. 834]. Les chapiteaux lisses sont par ailleurs isolés, allant dans le sens d’une datation des années 1180-1220. L’abbaye de Boschaud opte également pour un plan à nef unique voûtée d’une file de coupoles. L’éclairage est assuré par des baies en plein-cintre au fort ébrasement interne, relativement étroites et surmontées d’un linteau monolithe en plein-cintre similaire à ceux observés à Prébenoît (collatéral nord) [Fig. 845]. L’abside principale est percée de trois baies ébrasées. Les linteaux en plein-cintre sont néanmoins quelque peu différents puisqu’ils se constituent de deux pierres en arc-de-cercle assemblées. La baie centrale est par ailleurs soulignée de deux colonnettes placées dans l’encadrement. 2012 C. HEITZ, Recherches sur les rapports entre architecture et liturgie à l’époque carolingienne, thèse, École Pratique des Hautes Études, Paris, 1963, p. 26. 2013 C. HEITZ, op. cit., p. 33. 2014 J-P. CAILLET, L’art carolingien, Paris, Flammarion, 2005, p. 44. - 729 - Les moines de Bonnaigue choisissent une simple nef unique dotée d’un chevet plat. Ce vaisseau a subi des remaniements aux XVIIème et XVIIIème siècles et il est délicat d’envisager le profil des baies médiévales. En effet, les percements actuels sont modernes comme en témoignent les linteaux clavés dotés d’une clé saillante [Fig. 846]. Ils présentent un fort ébrasement interne. Les baies médiévales pouvaient être du type de celles de Prébenoît, étroites, à fort ébrasement interne et externe et surmontées d’un linteau monolithe, ou bien du type de celles de Bonlieu, plus larges et avec un linteau clavé. La façade occidentale est dotée d’un portail mouluré d’un simple tore, sans ébrasement multiple comme souvent dans un cadre cistercien (Bonlieu) et aquitain. La simplicité et le dépouillement sont ici privilégiés. L’abbatiale de Coyroux opte elle aussi pour le plan à nef unique, ce qui se justifie aisément par le statut d’abbaye féminine. Les monastères de moniales choisissent en effet majoritairement ce simple vaisseau évoquant plus une celle de Grandmont. L’éclairage est assuré par des baies aujourd’hui dépecées et dont il est par conséquent difficile d’envisager la physionomie [Fig. 847]. Quant aux portes, celle du mur gouttereau sud ouvre à l’est sur le cloître et présente un profil simple, légèrement brisé. Le mur pignon ouest est percé d’une porte et d’une baie en arc brisé à 8m de haut. Cette dernière dispose d’un fort ébrasement interne et est surmontée d’un linteau clavé du type des baies de Bonlieu. À Grosbot, la nef unique est percée dans le mur gouttereau sud de baies relativement récentes, absentes au nord. Le bras du transept sud, bien que très remanié, conserve dans son mur sud une petite baie ébrasée surmontée d’un linteau monolithe en plein-cintre du type de ceux de l’abbatiale de Prébenoît. D’après ce que nous savons de l’abbaye des Pierres, aujourd’hui très ruinée, elle dispose d’une nef unique et donc d’un éclairage direct. Comme à Coyroux, les baies sont néanmoins entièrement dépecées. Alors que les parements sont de petit appareil irrégulier, les baies et harpages sont en moyen appareil régulier de qualité. Ces pierres taillées ont ainsi été systématiquement pillées lorsque l’abbaye est devenue carrière de pierres. Au XIXème siècle, BUHOT DE KERSERS décrit les baies de la nef avec des linteaux clavés. Elles sont ainsi probablement assez larges, avec un fort ébrasement interne, du type de celles de la nef de Bonlieu. Un des éléments lapidaires conservé et déposé près des vestiges de la nef est un fragment de pierre d’appui-fenêtre. Nous avons également pu inventorier un élément de linteau de baie à double ébrasement. Cet élément très lacunaire ne permet pas de conclure si son profil est en plein-cintre ou brisé [Fig. 738 et 739]. Les autres éléments lapidaires découverts se rattachent majoritairement au cloître moderne (bases, chapiteaux octogonaux) et - 730 - ne nous apprennent guère sur les percements, l’élévation et le contrebutement de l’abbatiale médiévale. Comme Coyroux, l’abbaye féminine de Derses est dotée d’une nef unique. Cependant, il ne reste aujourd’hui aucun vestige permettant de préciser son élévation, le contrebutement et les percements. 2. Élévation dans le cas d’un éclairage indirect : La nef de l’abbaye de Dalon peut être appréhendée grâce à certaines descriptions modernes et d’érudits du XIXème siècle. Nous apprenons ainsi que la nef dispose de bascôtés, sans que l’éclairage, le profil des baies ou des portails ne puissent être envisagés. Seules les chapelles occidentales du transept, encore préservées, permettent une connaissance des percements de l’abbatiale médiévale [Fig. 848]. Ainsi, les chapelles à chevet plat sont percées chacune d’une baie en plein-cintre ébrasée, relativement large. Les linteaux en pleincintre se composent de claveaux relativement courts, se rapprochant ainsi des réalités observées à l’abbaye de Bonlieu. Quant aux supports, les piles à l’entrée des chapelles sont des piles engagées sur dosseret. Des colonnettes sont cantonnées dans les angles de ces dosserets. Elles sont surmontées de chapiteaux disposés en frise et dont les feuillages se terminent en boules, permettant d’envisager une datation des années 1220-1250, caractérisée par l’acceptation progressive de formulations gothiques, de feuillages systématisés, schématiques et fréquemment organisés en frise (portails). La qualité de la taille, la précision des détails feuillagés et des coquilles ornant les boules laisseraient supposer une datation plus proche des années 1250, à l’inverse du petit chapiteau à boules lisses de l’abbaye de la Colombe, beaucoup plus simple, relevant vraisemblablement du premier tiers du XIIIème siècle. D’après les textes modernes, nous savons que l’abbaye du Palais-Notre-Dame dispose d’une nef à bas-côtés de 3m de large environ, dont il ne reste plus rien en élévation. Les sondages archéologiques menés en avril 2007 ont mis en évidence la relative bonne conservation des structures enterrées (angle sud-ouest de la façade occidentale), laissant présager la possibilité de vérifier l’exactitude de ces données textuelles2015. Néanmoins, les textes modernes renseignent peu sur les élévations, supports et percements de l’abbatiale médiévale. Des remaniements sont de plus envisagés dans la seconde moitié du XVIIIème siècle, tel le raccourcissement de la nef aux trois quarts. Le portail de la façade occidentale est 2015 I. PIGNOT, L’abbaye cistercienne du Palais-Notre-Dame (commune de Thauron, Creuse). Préciser le plan de l’abbatiale médiévale et moderne, DRAC/SRA Limousin, 2007, non publié. - 731 - dès lors remonté dans la nouvelle façade moderne. Nous ne savons toutefois pas de quel type de portail il s’agissait : portail à ébrasements multiples type Bonlieu, ou simple porte moulurée d’un tore unique comme à Bonnaigue. Les percements connus sont ceux du chevet de l’abbatiale. Un triplet de baies triangulé est mis en œuvre [Fig. 849]. Ces baies sont hautes et étroites (entre 0.70 et 0.80m de large) et disposent d’un double ébrasement, interne et externe. Les linteaux, légèrement brisés, sont clavés. Ils sont surmontés par une archivolte simplement moulurée. Cette disposition en triangulation apparaît essentiellement dans les années 1200 dans un cadre cistercien (abbaye cistercienne de Rieunette, com. Ladern-surLauquet) mais aussi hospitalier (Blaudeix). Les chevets plats percés de triplet non triangulé interviennent plutôt dans la seconde moitié du XIIème siècle. C’est le cas de l’abbatiale de Montpeyroux (com. Chassagne, Puy-de-Dôme) dans les années 1170, de l’église de Noirlac (com. Saint-Amand-Montrond, Cher) [Fig. 850] et du prieuré d’Azat-Le-Ris en Haute-Vienne (fin XIIème siècle). L’étude lapidaire menée sur le site du Palais (juillet 2007) a permis d’inventorier un certain nombre d’éléments de supports très éclairants pour la présente étude. En effet, trois bases de piles complexes sont déposées dans la propriété [Fig. 851]. Elles disposent d’un noyau circulaire ou quadrangulaire encadré de colonnettes engagées. Il s’agit peut-être des bases des piles séparant la nef des collatéraux, sans doute destinées à recevoir un voûtement d’ogives (attesté dans le chevet). De même, l’abbatiale cistercienne de Prébenoît est mieux connue grâce aux fouilles archéologiques menées à partir des années 19902016. Une partie du bas-côté nord est conservée ainsi que des réaménagements modernes (tours de fortification, système de douves). La nef dispose ainsi de bas-côtés larges (4m). Le collatéral nord est doté d’une petite baie en pleincintre, étroite, à double ébrasement [Fig. 852]. Elle est surmontée d’un linteau monolithe simple de 20cm de large seulement. La fresque moderne datée de 1715 et conservée dans l’un des bâtiments conventuels est une source précieuse pour la connaissance de l’abbatiale [Fig. 336]. Le chevet entièrement disparu en élévation est représenté et dispose d’un triplet de baies surmonté d’un oculus. Ce triplet n’est pas triangulé comme au Palais-Notre-Dame. Les baies sont hautes et étroites, au profil en plein-cintre, probablement largement ébrasées (seconde moitié XIIème siècle). L’étude du dépôt lapidaire de l’abbaye de Prébenoît a permis d’inventorier un linteau monolithe à double ébrasement. Les supports du bas-côté nord 2016 J. P. BÉGUIN, J. ROGER, Abbaye de Prébenoît (Creuse), SRA Limousin, 1993-1996 (non publié) ; J. ROGER, Sondages d’évaluation sur le site de l’abbaye cistercienne de Prébenoît, juin 2000, 67 p. (non publié) ; J. ROGER, Abbaye cistercienne de Prébenoît, fouilles 2001, 2001, 32p. (non publié) ; J. ROGER, P. LOY, L’abbaye cistercienne de Prébenoît, Culture et patrimoine en Limousin, 2003. - 732 - recevant les voûtes d’arêtes sont de simples dosserets à imposte bâtis en moyen appareil régulier de granite, permettant de faire l’économie des chapiteaux et des bases. Quant aux supports séparant la nef des bas-côtés, ils sont connus grâce aux sondages archéologiques menés dans l’abbatiale. Il s’agit de piliers de plan rectangulaire de 2.20m par 1.20m, probablement en « L » à l’origine avec retour vers les collatéraux. Ils sont vraisemblablement surmontés d’impostes recevant les voûtes. Les arcs doubleaux soutenant les voûtes d’arêtes des bas-côtés sont d’ailleurs reçus par de simples dosserets à impostes. L’étude lapidaire a également permis de reconnaître un certain nombre d’éléments de portail et de porte. Certains piédroits sont munis de moulurations toriques, sans que nous puissions attester la présence d’un portail à ébrasements multiples comme à Bonlieu. L’abbatiale d’Obazine dispose d’une nef à bas-côtés. L’éclairage indirect est assuré par les collatéraux. Les baies sont en plein-cintre et présentent de larges ébrasements internes et externes [Fig. 853]. Les linteaux sont clavés, les claveaux courts. Ce type de linteau peut se justifier par la largeur conséquente des baies comparées à celles de Prébenoît beaucoup plus étroites (0.20m de large seulement contre 0.80m de large environ à Obazine). La façade actuelle est récente, mise en place suite à une réduction de la nef. Les portes des bâtiments conventuels sont simples, au profil légèrement brisé. Les claveaux en sont longs et étroits (premier tiers du XIIIème siècle ?) [Fig. 513 et 514]. L’abbaye de Valette est méconnue puisque dynamitée avant relevés lors de la mise en eau du barrage du Chastang. Son élévation, ses percements et contrebutements sont inconnus. Nous disposons par ailleurs d’une porte remontée dans le proche bourg d’Auriac [Fig. 822]. Il s’agit d’une porte en plein-cintre, sans ébrasements multiples. Elle est ornée d’un tore unique reçu sur un tailloir surmontant autrefois des colonnes et chapiteaux désormais disparus. L’arc en plein-cintre est souligné d’une moulure d’archivolte. Nous ne savons toutefois pas quelle place elle occupait dans l’abbaye. Il pourrait s’agir du portail occidental de l’église, d’une porte latérale ou du percement d’un des bâtiments conventuels. De même concernant l’abbatiale d’Aubepierres : l’élévation, les percements et contrebutements sont méconnus face à la lente disparition du monastère au fil des siècles. Des chapiteaux feuillagés en frise sont néanmoins remployés dans un bâtiment de ferme moderne [Fig. 854]. Ils permettent de supposer la présence d’un portail à ébrasements multiples. Les chapiteaux disposés en frise attestent une datation des années 1220-1250 (porte latérale de Saint-Léonard de Noblat, tour-porche de Chambon-sur-Voueize). Le plan et l’élévation de l’abbaye de la Colombe sont inconnus aujourd’hui. Quelques éléments lapidaires remployés dans les propriétés environnantes permettent toutefois - 733 - d’appréhender certains percements. En effet, un fragment de bases de portail à multiples ébrasements est remployé dans la façade du moulin en contrebas de l’ancien monastère [Fig. 855]. Les trois petites bases taillées dans un calcaire fin sont écrasées et ne présentent pas de griffes aux angles. Nous avons également inventorié un élément de piédroit à modénature torique simple pouvant correspondre à une porte ou à un éventuel portail à ébrasements multiples. Concernant Peyrouse, nous ne pouvons malheureusement guère apporter de certitudes quant à l’élévation, les supports et contrebutements face au manque de vestiges et de sources textuelles pour appréhender le site. À Varennes, la nef désormais unique dispose à l’origine de bas-côtés, détruits à une date difficile à préciser (époque moderne ?). La nef est alors percée de baies destinées à assurer un éclairage direct suite à la destruction des collatéraux [Fig. 856]. Ces baies sont très légèrement brisées, les linteaux clavés. Elles disposent d’une clé saillante allant dans le sens de réfections modernes. Au XVIIIème siècle, la nef est également raccourcie, le chevet plat mis à bas. La nouvelle façade occidentale édifiée à l’époque moderne remploie quelques piédroits d’un ancien portail à ébrasements multiples. L’étude lapidaire menée l’été 2006 a permis de recenser un certain nombre d’éléments de piédroits de porte ou de portail, dont certains peuvent être associés à ce portail occidental. Quant aux supports, ceux du chevet sont en partie préservés. En effet, quelques assises de la pile à l’entrée du chevet sont conservées et permettent d’envisager une pile cruciforme munie de simples dosserets [Fig. 857]. 3. Contrebutement : L’étude de ces dix-huit abbayes cisterciennes du diocèse de Limoges et de ses marges témoigne de traditions romanes maintenues, telle la persistance de volumes trapus, souvent sombres, contrebutés de simples contreforts, le plus souvent plats et larges. L’arc-boutant n’est jamais requis, contrairement à certaines abbatiales cisterciennes proches tournées vers les espaces capétiens, comme le monastère de Noirlac. La datation de ces contreforts reste toutefois problématique et il paraît délicat de mettre en place une typo chronologie de ces éléments. Claude ANDRAULT-SCHMITT fait remarquer dans sa thèse de doctorat qu’au XIème siècle, certains édifices se dotent de pilastres minces en guise de contreforts (0.60 par 0.45m). C’est le cas en particulier à l’église - 734 - Saint-Oradoux de Lupersat (Creuse)2017. Les contreforts étroits et plats sont ainsi souvent un marqueur du milieu du XIème siècle (Sagnat, Saint-Benoît-du-Sault par exemple). Anne COURTILLÉ fait état d’une tradition romane au XIIème siècle de contreforts relativement épais, avec parfois un ou deux ressauts, dotés d’un glacis terminal léger (pérennisés dans des édifices comme à Saint-Éloi de Vaux vers 1150-1170, Saint-Étienne de Luzillat et Saint-Martin de Magnet vers 1170-1220, diocèse de Clermont)2018. Vers 11501170, l’église d’Herment, qualifiée d’édifice de transition entre roman et gothique est dotée de contreforts d’épaisseur variable, généralement munis de larmiers et de talus. Quant à l’église de Ronnet en Combrailles, des contreforts épais terminés en talus encadrent un portail occidental à ébrasements multiples et chapiteaux en frise (première moitié du XIIIème siècle). Enfin, à l’église hospitalière de Lamaids (Allier), les contreforts sont particulièrement épais, munis de larmiers et de longs talus (1/3 de leur hauteur), dans les années 1220-1250. Des contreforts similaires sont observables à Blaudeix en Creuse. Cette forte épaisseur pourrait s’expliquer par la présence d’un voûtement complexe (ogives à liernes) nécessitant la compensation de fortes poussées2019. De manière générale, Anne COURTILLÉ constate le refus des arcs-boutants, de même que dans le diocèse de Limoges. À l’abbaye de Prébenoît, les contreforts correspondent aux dosserets recevant les arcs doubleaux des voûtes du bas-côté nord. Il s’agit de contrebutements de 1.18m de large pour une saillie de 0.56m (collatéral nord). On ne peut guère parler de contreforts plats et ils sont moins larges que ceux observés au Palais (premier tiers du XIIIème siècle). Ils peuvent correspondre à des réalités de la seconde moitié du XIIème siècle, également présentes dans un cadre paroissial proche. À Nouzerines en Haute-Marche, non loin des abbayes de Prébenoît, Aubepierres et Aubignac, l’abside principale, vraisemblablement édifiée au XIIème siècle (décors de cordon de billettes) dispose de contreforts de 0.64m de large pour une très faible saillie de 0.21m. La largeur restreinte irait dans le sens d’une datation de la seconde moitié du XIIème siècle [Fig. 858]. De même à Auriac (Corrèze), à quelques kilomètres de l’abbaye de Valette, l’église dispose d’un transept dont les bras se terminent en pignon [Fig. 859]. Ils sont scandés de deux contreforts à glacis sommital, sans ressauts, de 0.86m de large pour une saillie de 0.47m. Moins larges et plus saillants que les contreforts plats des années 1180-1220, ces éléments 2017 C. ANDRAULT-SCHMITT, Les nefs des églises romanes de l’ancien diocèse de Limoges. Rythmes et volumes, Thèse, Poitiers, sous la direction de C. HEITZ, 4 tomes, 1982, T I, p. 49. 2018 A. COURTILLÉ, Auvergne et Bourbonnais gothiques. I. Les débuts, Créer, Nonette, 1990, p. 262. 2019 A. COURTILLÉ, op. cit., p. 584. - 735 - semblent relever de l’époque romane, vraisemblablement de la seconde moitié du XIIème siècle. Au Moutier-Rozeille (Creuse), l’abside principale est scandée de petits contreforts de 0.30m de saillie et de 0.63m de large, se rapprochant ainsi des réalités romanes de la seconde moitié du XIIème siècle [Fig. 860]. L’abside axiale de Bonlieu est scandée de contreforts plats de très faible saillie (0.29m seulement), ne disposant pas de glacis sommital [Fig. 861]. Quant à la façade occidentale, deux contreforts plats à glacis sommital flanquent le portail à ébrasements multiples. La saillie est légèrement plus importante (0.47m) pour une largeur de 1.45m. Ces contreforts plats, datés des années 1180-1220 diffèrent des formules plus tardives des proches édifices hospitaliers et templiers, comme à Lamaids où les contreforts atteignent quasiment un mètre de saillie (vers 1250 [Fig. 862]). Ces deux derniers types de contreforts se retrouvent d’ailleurs à l’église templière de Chambéraud (Creuse) [Fig. 863]. En effet, les contreforts de la façade occidentale sont larges et plats : 1.60m de large pour une saillie faible de 0.33m correspondant à des formulations des années 1180-1220 comme en témoigne la présence d’un portail à ébrasements et chapiteaux isolés du type de celui de Bonlieu. Néanmoins, les contreforts des murs gouttereaux sont très différents et massifs : 3.30m de large pour 2.35m de saillie, s’approchant plus des réalités hospitalières et templières des années 1250 (Lamaids). À Paulhac, les contreforts relativement plats sont dotés d’un glacis sommital (1.84m pour 0.28m de profondeur) [Fig. 864]. Nous pouvons ainsi relever des cohérences significatives entre certains choix cisterciens et ordres militaires. À l’abbaye du Palais-Notre-Dame, deux types de contreforts sont observables au niveau de la façade orientale. L’extrémité sud est dotée d’un contrefort plat d’1.80m de large pour une profondeur de 0.43m, relevant vraisemblablement des années 1180-1220, en cohérence avec la datation du triplet de façade (début XIIIème siècle), des modénatures de la piscine liturgique et de la présence du voûtement d’ogives à formeret [Fig. 865]. Un second contrefort est placé à l’angle nord-est. Le soubassement est souligné d’un cavet, ce qui nous ferait penser à une réfection plus tardive, vraisemblablement du XVème siècle [Fig. 866]. Les XIVème et XVème siècles sont des périodes ayant donné lieu à des fortifications dans les abbatiales cisterciennes (à Prébenoît avec un système de tours et de douves, tour de Bonlieu) ainsi qu’à des premières restaurations et consolidations. L’adjonction de contreforts pourrait entrer de ce cadre de renforcement de parements fragilisés par les poussées des voûtes. Les sondages archéologiques ont permis la découverte de l’angle sud-ouest de la nef, vraisemblablement munie d’un contrefort d’angle peut-être également adjoint au XVème - 736 - siècle. Sa mise en œuvre est en effet différente (mortier orangé) et il n’est de plus pas lié à la maçonnerie de la façade occidentale mais vient seulement s’appuyer contre elle. Sa saillie est de 1.10m [Fig. 316]. À Grosbot, les contreforts plats disposent de même d’un glacis sommital [Fig. 867]. Les dimensions en sont légèrement variables, qu’il s’agisse des contreforts du mur gouttereau nord (1.71m de large pour une saillie de 0.32m), sud (1.62m de large, 0.31m de saillie) ou du bras du transept sud (1.30m de large pour 0.32m de saillie). L’abbaye de Boschaud met également en œuvre des contreforts plats. La salle capitulaire est scandée à l’extérieur de cinq contreforts plats de 0.90m de large pour une saillie de 0.23m, encore plus faible qu’à l’abside axiale de Bonlieu [Fig. 868]. De même, le pignon du transept nord est doté de deux contreforts plats d’1.41m de large et de faible saillie (0.24m), allant dans le sens d’une datation des années 1180-1220. L’abbaye de Bonnaigue a connu de nombreux remaniements, particulièrement durant les XVIIIème et XIXème siècles. Néanmoins, les contreforts médiévaux sont encore observables [Fig. 869]. Ainsi, un contrefort massif est conservé à l’angle nord-ouest de la façade. Il dispose d’un soubassement plus large. La saillie est de 1.53m, ce qui ne correspond guère aux dimensions habituelles relevées sur les précédents sites. Il ne s’agit pas ici d’un simple contrefort plat. A-t-il été remanié lors des nombreuses réfections de l’abbatiale ? Toutefois, les contreforts observés le long du mur gouttereau sud, côté cloître sont quelque peu différents. Ils disposent d’un glacis sommital. La largeur maximale est de 1.53m pour une faible saillie de 0.48m. Nous sommes ici plus proches des réalités observées à Bonlieu, datées des années 1180-1220. À l’abbaye d’Aubignac, le système de contrebutement peut être saisi d’après la précieuse description d’Émile de BEAUFORT2020. Nous apprenons ainsi qu’aux dosserets séparant les quatre travées de la nef correspondent des contreforts extérieurs. Néanmoins, leur physionomie et dimensions ne peuvent guère être envisagées. Le cadastre napoléonien représente l’église abbatiale encore munie sur un de ses murs gouttereaux de contreforts qui semblent relativement saillants, pouvant être assimilés à un remaniement tardif (contrefort saillant à l’angle nord-est du chevet du Palais relevant du XVème siècle) [Fig. 102]. Il est toutefois difficile de se prononcer face aux lacunes des sources archéologiques. Ainsi, il semblerait que les abbayes cisterciennes du diocèse de Limoges et de ses marges optent majoritairement pour des contreforts plats, le plus souvent larges, surmontés 2020 É. DE BEAUFORT, « Abbaye d’Aubignac », MSAOMP, T 26, 1861, p. 314-321. - 737 - d’un glacis sommital. Ces réalités ne sont pas propres à cet ordre monastique et des contrebutements similaires se retrouvent fréquemment dans un cadre paroissial proche. d. Voûtements et charpentes : L’étude des voûtements, comme les plans et les élévations, révèle là encore la diversité des partis architecturaux cisterciens. Il ne semble pas exister de voûtement « type » repris d’abbayes en abbayes. Néanmoins, nos connaissances de certains sites ne peuvent qu’être partielles puisque les voûtes ont parfois entièrement disparu : c’est le cas d’Aubignac, Boeuil, Valette, Aubepierres, Derses, La Colombe, Peyrouse et les Pierres. Toutefois, d’éventuels dépôts lapidaires permettent des analyses et hypothèses. À Aubignac, certains blocs sculptés erratiques renseignent sur le voûtement. Ainsi, dix claveaux de nervure d’ogives ont été inventoriés. Le tore est simple, sans amande [Fig. 103]. Émile de BEAUFORT évoque dans sa description une nef unique voûtée d’ogives dont nous avons ici peut-être un témoignage. À Boeuil, les éléments inventoriés lors de nos prospections n’ont révélé aucun vestige de voûtement. Il est dès lors difficile d’envisager le couvrement sans investigations archéologiques plus poussées. À Bonlieu, la nef unique est voûtée en berceau brisé souligné de doubleaux reçus sur de simples tailloirs. Le chœur était peut-être doté d’un cul-de-four fuselé comme le laisse présager le départ de voûte encore observable [Fig. 870]. C’est souvent le cas des voûtes de chevets polygonaux. Ainsi, l’abbatiale de Bonlieu dans la Drôme (com. Bonlieu-sur-Roubion) dispose d’un cul-de-four fuselé daté du début du XIIIème siècle. Par ailleurs, un certain nombre d’éléments lapidaires déposés dans le bras du transept nord (claveau de nervure d’ogive en amande, départ de nervure d’ogives) laissent présager le recours à l’ogives, concernant vraisemblablement les bâtiments conventuels (réfectoire ? dortoir ? salle capitulaire ?) [Fig. 164]. La travée droite est couverte d’un berceau brisé dont le départ est encore visible. Une coupole de croisée est de plus probable. L’abbaye de Boschaud offre le couvrement le plus original pour une abbaye cistercienne, bien que relativement fréquent dans un cadre aquitain roman [Fig. 871]. En effet, la nef unique est voûtée d’une file de coupoles sur pendentifs. Nous reviendrons sur ce choix de voûtement dans une partie ci-dessous consacrée à un probable héritage roman aquitain2021. 2021 Voir III. B. a. 1. Des solutions architecturales éprouvées et pérennisées. L’exemple de la coupole : croisée du transept et solution de voûtement des vaisseaux larges. - 738 - L’abbaye de Grosbot dispose d’une nef unique voûtée d’un berceau dont il ne demeure aujourd’hui que l’amorce. La croisée du transept est par ailleurs voûtée d’une coupole sur pendentifs assez similaire à celles de Boschaud, soutenue par des grands arcs à doubles rouleaux [Fig. 443]. Les vestiges de l’abbaye de Dalon permettent d’envisager l’acceptation progressive des voûtements gothiques. En effet, la salle capitulaire, vraisemblablement achevée dans la seconde moitié du XIIème siècle est voûtée d’ogives polygonales massives correspondant plus aux voûtements d’espaces moins nobles dévolus au corps (cellier, cuisine) [Fig. 872]. Néanmoins, ce profil d’ogives observé correspondrait plutôt à une datation tardive (XIVèmeXVème siècles). Une réfection n’est ainsi pas impossible. Les clés de voûtes sont feuillagées. Les chapelles de transept, vraisemblablement achevées dans la première moitié du XIIIème siècle comme en témoigne la présence de chapiteaux à boules finement sculptés dont la disposition en frise suggère une datation des années 1220-1250, présentent un voûtement relativement différent [Fig. 873]. Les voûtes d’ogives sont beaucoup moins massives, dégagées de cavets, sans amande. Les clés de voûtes sont là encore feuillagées. L’étude des éléments lapidaires déposés sur le site permet de distinguer un certain nombre de profils différents, souvent plus complexes et plus élaborés, pouvant correspondre aux voûtements du chevet, de la nef, ou d’autres bâtiments conventuels (réfectoire par exemple) [Fig. 874]. L’un des claveaux de nervure d’ogives dispose d’un tore principal en amande dégagé de deux cavets latéraux. Il est accompagné de deux autres fines moulures toriques plus petites, lui donnant un aspect tréflé. Un autre élément présente un tore principal sans amande dégagé de deux cavets. Deux tores latéraux sont greffés sur le socle. Ces modénatures plus complexes et plus délicates témoignent des tentatives, des expériences et des recherches progressives dans le domaine du voûtement d’ogives dès la fin du XIIème siècle et plus particulièrement dans le premier tiers du XIIIème siècle. Concernant l’abbaye cistercienne du Palais, seul le voûtement du chevet est connu de source sûre. En effet, deux amorces de voûtes d’ogives sont encore en place aux angles sud et nord de la paroi interne du triplet de façade oriental [Fig. 875]. Il s’agit d’ogives toriques, sans amande. L’étude des éléments lapidaires déposés ou découverts lors des sondages archéologiques a permis d’inventorier des claveaux de nervure d’ogives pouvant appartenir aux voûtes du chevet [Fig. 876]. Nous ne savons toutefois pas si la nef et les bas-côtés disposaient également d’ogives, de même concernant les bâtiments conventuels médiévaux. Les descriptions érudites et textes modernes ne permettent guère de répondre à ces questionnements. Les bases de piles complexes inventoriées, correspondant peut-être à la - 739 - séparation entre nef et collatéraux, laisseraient présager la présence d’un voûtement complexe avec ogives et formerets comme observé au niveau du chevet. À Prébenoît, le voûtement du bas-côté nord est encore observable. Il s’agit de voûtes d’arêtes soulignées d’arcs doubleaux [Fig. 877]. Il est néanmoins délicat d’envisager le couvrement de la nef, du chevet et des bâtiments conventuels soit détruits (bâtiment des convers), soit entièrement remaniés (bâtiments est et sud). L’étude du dépôt lapidaire peut tout de même livrer quelques indices2022. Ainsi nous avons inventorié un claveau de nervure d’ogives à trois tores (aspect tréflé) [Fig. 354]. Les tores ne sont pas amincis en amande. Il est toutefois difficile d’envisager sa provenance. De même, un fragment de boudin torique sur dosseret est inventorié [Fig. 355]. Il est relativement massif et pourrait provenir d’un des premiers bâtiments mis en œuvre telle la salle capitulaire, peut-être édifiée dès la période dalonienne (entre 1140 et 1162). Nous ne pouvons toutefois étayer ces hypothèses faute de sources textuelles et descriptions modernes éloquentes. La nef unique de Bonnaigue est voûtée d’arêtes bâties en tas-de-charge, soulignées d’arcs doubleaux chanfreinés [Fig. 878]. Cette voûte est peut-être remaniée en partie aux XVIIème et XVIIIème siècles, probablement remontée comme à l’origine. Le chevet est voûté d’ogives dont les tores à bandeau sont soulignés de deux cavets [Fig. 879]. Les ogives sont reçues sur des culots et se rejoignent en une clé de voûte feuillagée. Concernant les bâtiments conventuels, le voûtement est inconnu et n’est pas décrit par les sources textuelles. La nef d’Obazine est voûtée d’un berceau brisé soigneusement appareillé, souligné de puissants arcs doubleaux. Ce vaisseau principal est contrebuté par des collatéraux voûtés d’arêtes, eux-mêmes soulignés d’arcs doubleaux. La croisée du transept est voûtée d’une coupole tandis que les bras sont voûtés en berceau brisé souligné d’arcs doubleaux retombant sur des culots. Quant aux chapelles, elles sont simplement voûtées en cul-de-four. Ainsi, le voûtement requis est assez fréquent dans un cadre cistercien, particulièrement dans les abbatiales édifiées dans la seconde moitié du XIIème siècle. Les bâtiments conventuels adoptent largement les voûtes d’arêtes, qu’il s’agisse de la salle capitulaire, recevant les voûtes sur deux piles circulaires massives [Fig. 880], ou de la cuisine, très remaniée à l’époque moderne. L’ogive n’est pas encore de mise dans cette abbatiale probablement mise en œuvre pour bonne part dans la seconde moitié du XIIème siècle (chœur, transept et premières travées de la nef). L’ogive fait néanmoins son apparition dans certains bâtiments conventuels comme 2022 I. PIGNOT, L’abbaye cistercienne de Prébenoît en Creuse. Étude lapidaire et architecturale, maîtrise d’Histoire de l’art, Clermont II, dir. B. PHALIP, A. COURTILLÉ, 2 vols, 2004. - 740 - le réfectoire vraisemblablement mis en œuvre entre les dernières décennies du XIIème siècle et le premier tiers du XIIIème siècle [Fig. 881]. Les nervures ont un profil en amande, dégagées de deux cavets, allant dans le sens d’une datation des années 1180-1220. Selon Claude ANDRAULT-SCHMITT, ce voûtement pourrait en effet intervenir dès les années 1180 et s’inscrire ainsi comme l’une des premières voûtes d’ogives du diocèse de Limoges2023. Concernant l’abbatiale de moniales de Coyroux, le voûtement est plus tardif et relève vraisemblablement du milieu du XIIIème siècle. Il s’agit de voûtes à liernes. Les voûtains sont relativement légers, bâtis en briques. Les campagnes de fouilles successives menées par Bernadette BARRIÈRE ont permis la découverte d’un certain nombre de claveaux de nervure d’ogives à rattacher à ce voûtement de la nef [Fig. 882]. De même, des clés de voûtes sculptées ont été inventoriées, dotées de huit amorces de nervures, attestant ainsi la présence de voûtes à liernes [Fig. 598]2024. L’abbaye de Varennes dispose d’une nef couverte d’ogives, remontées tardivement en remployant néanmoins les éléments de voûtements médiévaux. Le projet de voûtement initial devait ainsi être un voûtement d’ogives. Nous ne connaissons toutefois pas le voûtement des collatéraux, sans doute mis à bas lors de réfections modernes en même temps que la réduction de la nef et la destruction du chevet. Quant au chevet, la présence à l’entrée de piles quadrangulaires dotées de dosserets irait plutôt dans le sens d’un voûtement simple en berceau, souligné d’un doubleau reçu sur ce dosseret. Nous ne pouvons toutefois qu’émettre des hypothèses. L’étude du dépôt lapidaire (été 2006) a permis de recenser un grand nombre d’éléments de voûtement [Fig. 791 à 797]2025. Cinq profils ont ainsi été distingués pouvant appartenir à des ogives, formerets ou nervures diagonales. Certaines ogives présentent un tore aminci en amande pouvant relever de la fin du XIIème siècle et du premier tiers du XIIIème siècle. Des ogives à listel correspondent néanmoins à des réfections des XIVème-XVème siècles. Le voûtement d’ogives a ainsi pu concerner certes l’abbatiale mais également des bâtiments conventuels. Les textes et descriptions n’apportent pas d’informations sur les voûtements. Le voûtement de certaines abbatiales reste néanmoins plus complexe à saisir. Ainsi, l’abbaye de Valette est entièrement détruite et les fonds conservés enseignent peu sur la physionomie du monastère médiéval. Les prospections menées n’ont de plus pas permis de découvrir d’éléments lapidaires significatifs ayant appartenu à l’ancienne abbatiale. 2023 2024 C. ANDRAULT-SCHMITT dans B. BARRIÈRE (dir.), Moines en Limousin…, op. cit., p. 47. B. BARRIÈRE et C. ANDRAULT-SCHMITT, dans B. BARRIÈRE (dir.), Moines en Limousin…, op. cit., p. 49. 2025 Voir la monographie de Varennes dans le corpus II pour le détail des éléments inventoriés. - 741 - Concernant l’abbaye d’Aubepierres, certains aménagements hydrauliques subsistants attestent encore de la présence des moines sur ces terres. L’église a entièrement disparu. Les textes modernes et inventaires révolutionnaires ne livrent par ailleurs aucun indice sur le voûtement. L’abbaye de moniales de Derses est également détruite et des bâtiments de ferme et d’habitation ont remplacé l’ancien site monastique. Nous ne disposons à ce jour d’aucune information concernant le voûtement de l’abbatiale ou des bâtiments conventuels autour du cloître. À la Colombe, quelques éléments lapidaires inventoriés et déposés dans une propriété privée permettent d’envisager certaines hypothèses de voûtement. En effet, cinq claveaux de nervure d’ogives sont recensés [Fig. 883]. Le tore est simple, sans amande, pouvant correspondre à des réalités de la fin du XIIème siècle ou du premier tiers du XIIIème siècle. Ce voûtement d’ogives pourrait convenir à une nef, au chevet plat, aux chapelles de transept ou même aux bâtiments conventuels, sans que nous puissions affiner plus ces suppositions. L’abbaye de Peyrouse est de même relativement difficile à étudier face à la disparition progressive des vestiges du monastère. Restent aujourd’hui quelques pans de murs, murs de soutènement le long du Palin et un petit bâtiment moderne remployant une ancienne porte du monastère. Les documents d’archives permettent néanmoins de récolter quelques informations concernant le voûtement. En effet, un texte moderne des Archives Départementales de l’Aube cite les « voûtes rondes » de la nef et des chapelles de transept2026. Nelly BUISSON a interprété cette expression comme la présence de coupoles à la manière de l’abbaye de Boschaud. Toutefois, il paraît impossible d’imaginer des coupoles couvrant de petites chapelles de transept2027. Ne pourrait-il s’agir plutôt de voûte en berceau pour la nef et de voûtes en cul-de-four pour les chapelles de transept ? Il est difficile de se prononcer sur cette seule source moderne. Le voûtement de l’abbaye des Pierres est essentiellement connu grâce aux descriptions érudites de la fin du XIXème siècle puisqu’aucun couvrement n’est conservé. Ainsi BUHOT DE KERSERS, lors de sa visite du site, constate l’amorce d’une voûte en berceau encore discernable au niveau de l’ancien chevet plat. L’étude lapidaire a permis la découverte de trois claveaux de nervure d’ogives [Fig. 884]. Les tores sont simples, sans amande, allant dans le sens d’une datation de la fin du XIIème siècle, voire du premier tiers du XIIIème siècle. Il est toutefois délicat d’envisager leur provenance (église ? bâtiments conventuels ?). 2026 2027 AD Aube, 3 H 228. N. BUISSON, « Abbaye de Peyrouse », BSHAP, T 113, 1986, p. 308-323. - 742 - Ce recensement permet ainsi de constater la disparité des voûtements choisis par ces monastères cisterciens. Le berceau est encore de mise (nef d’Obazine), de même que les fréquentes voûtes d’arêtes (collatéraux d’Obazine et de Prébenoît). Des pérennités romanes sont également sensibles à Boschaud dans le maintien de la traditionnelle nef unique voûtée d’une file de coupoles, très fréquente en Aquitaine. Les moines blancs semblent ainsi s’adapter parfaitement à certaines formules artistiques de leurs territoires d’implantation, absorbent certaines solutions architecturales des pays d’Ouest en cohérence avec les principes d’austérité et de dépouillement de leur ordre. Ces abbayes témoignent également des recherches et expériences dans le domaine de l’ogive et la variété des profils requis en est une parfaite illustration (Dalon, Varennes). Ainsi, les voûtes d’ogives tendent à se généraliser à la fin du XIIème siècle et jusqu’au milieu du XIIIème siècle, qu’il s’agisse des chevets (Le Palais), des nefs (Coyroux) ou des bâtiments conventuels (réfectoire d’Obazine). Héritiers de formules romanes aquitaines, les moines cisterciens savent également se montrer perméables aux novations d’un premier gothique caractérisé notamment par le recours fréquent à l’ogive. Concernant les charpentes cisterciennes, notre corpus est incomplet face à la disparition déjà évoquée de nombreuses élévations. Nous pouvons toutefois établir quelques remarques d’après les sites de Bonlieu et Obazine2028. Tout d’abord, il convient de préciser que les charpentes conservées du diocèse de Limoges appartiennent toutes soit au XVème siècle, soit à l’époque moderne. À Bonlieu, comme à Obazine, il existe des combles bas audessus des voûtes2029. La façade de l’abbatiale de Bonlieu conserve les vestiges d’un ancien pignon d’une pente marquée de 45°. Il semblerait que la Marche adopte plus nettement les pentes fortes au XIIIème siècle. Ainsi, la nef à toiture pentue (berceau brisé) est couverte de tuiles plates dont certaines sont remployées dans les parements du chevet. Par ailleurs, le chevet devait être couvert de tuiles creuses (remplois sous corniches)2030. La forêt semble largement reconstituée aux XIVème et XVème siècles. Le Limousin adopte alors des structures charpentées plus que voûtées. En Marche, les pentes passent de 45° à 60°, facilitant dès lors l’évacuation des eaux de pluie. C’est au XVème siècle que la tour de Bonlieu est édifiée (1421) sur les deux premières travées de la nef, en lien avec un contexte 2028 B. PHALIP, Charpentiers et couvreurs. L’Auvergne médiévale et ses marges, DARA, n°26, Lyon, 2004. Le comble peut être défini comme le « (…) volume dégagé par le biais d’une charpente entre l’extrados d’une voûte (ou d’un plancher) et la couverture (ou toiture). Ces combles sont essentiels pour l’aération et le séchage des parties hautes d’un édifice ». B. PHALIP, op. cit., p. 132. 2030 B. PHALIP, op. cit., p. 62. 2029 - 743 - d’insécurité. Elle dispose d’une charpente à enrayures, poinçons, pannes faîtières et de sous faîtage, croix de Saint-André, pannes entre fermes principales. Concernant les entraits, l’élancement important est « tempéré par la courbure des troncs »2031. À ces constatations, nous pouvons ajouter que les cloîtres cisterciens sont vraisemblablement charpentés mais aucun ne nous est parvenu en élévation. Les charpentes en sont toutefois envisageables par leurs négatifs : corbeaux, larmiers et trous d’encastrement des poutres comme observés à Obazine, Boschaud ou Grosbot. Nous pouvons également présager l’existence de structures légères de type auvent, fréquentes dans un cadre gothique. À Grosbot, la façade occidentale révèle la présence de corbeaux et de larmier au-dessus du portail à ébrasements [Fig. 433]. e. Décors : L’étude des dix-huit monastères cisterciens du diocèse de Limoges et de ses marges a clairement révélé un goût certain pour la simplicité et l’austérité, et une timidité flagrante à la représentation figurée. L’idée d’un « aniconisme » cistercien sera par ailleurs abordée cidessous2032. Ne seront ici évoqués que les seules sculptures, éventuels décors peints, vitraux et pavements, du point de vue d’une culture matérielle plus qu’artistique. Les sols seront ainsi envisagés selon des critères de production, de techniques tandis que les motifs à proprement parler et leur symbolique seront abordés ultérieurement2033. Concernant les décors cisterciens de l’ouest de la France, Stéphanie FOUCHER précise qu’ils se concentrent essentiellement sur les chapiteaux, les culots et les clés de voûtes. Aux XIIème et XIIIème siècles, les tailloirs cisterciens adoptent des formes simples comme des bandeaux ou des cavets. Les corbeaux, modillons sont généralement nus ou simplement moulurés. Elle constate que les motifs sont presque exclusivement d’inspiration végétale. Les décors géométriques, animaux, personnes et scènes historiées sont marginalisés. Les motifs foliaires sont prédominants, tandis que les fleurs et fruits sont minoritaires. Selon 2031 B. PHALIP, op. cit., p. 47. L’élancement d’un tronc « correspond à la hauteur moyenne du fût de l’arbre. Celle-ci peut être déduite grâce à l’observation des pièces les plus longues d’une charpente. L’élancement correspond au bois utile en charpenterie. Le houppier ou la ramure basse sont repérés par observation du positionnement des nœuds » (p. 133). 2032 Voir III. C. Aniconisme ou austérité. Des choix esthétiques délibérés. 2033 Voir III. B. b. 2. Gothique Plantagenêt, gothique Capétien ? Symbolique du pouvoir et pouvoir du symbole. Les abbayes cisterciennes comme lieu de pouvoir. - 744 - elle, il n’y a que peu de différence entre la flore sculptée des édifices cisterciens et des édifices contemporains non cisterciens2034. Les abbayes cisterciennes étudiées ont révélé un certain nombre de chapiteaux, culots, bases, archivoltes, modillons, clés de voûtes, autant de supports qui sont souvent prétextes à sculptures. Néanmoins, dans l’ordre cistercien, le dépouillement est de mise et rares sont les éléments acceptant des décors sculptés et peints. Les chapiteaux sont souvent nus ou dotés de feuillages simplifiés. Quand l’image est admise, timidement, elle est fréquemment rejetée à l’extérieur des édifices, au niveau des modillons. Les dix-huit édifices pris en compte permettent de préciser ces premières considérations générales. 1. Bases : Les bases de colonnes ou de piles complexes n’adoptent généralement aucun décor particulier. Ainsi à Obazine, nous avons recensé un certain nombre de bases attiques simples dans la nef [Fig. 494 et 495]. À Prébenoît, le musée lapidaire conserve deux bases munies de griffes simples sans ornement ou tentative d’embellissement [Fig. 365]. Les seules bases décorées inventoriées dans notre corpus sont celles de la salle capitulaire de Boschaud ainsi qu’une base du dépôt lapidaire de Varennes. À Boschaud, les baies sont en effet encadrées de colonnettes dont les bases au profil classique sont ornementées de motifs en dents de scie, relativement inhabituels dans un cadre cistercien [Fig. 885]. Le tore inférieur est parfois muni de zigzags ou de dentelures. Une base du dépôt lapidaire de Varennes (dépôt du cloître) présente un tore supérieur enroulé en zig-zag (notice 3) [Fig. 773]. Ces formulations existent néanmoins dans un cadre roman aquitain (SaintHilaire de Poitiers). Notre-Dame des Miracles de Mauriac (ancien diocèse de Clermont) présente également des bases sculptées. Caroline ROUX précise que les sculptures réalisées sur les scoties des bases du portail occidental « s’inscrivent dans une aire culturelle aquitaine » d’après le « programme iconographique et la monumentalité de la structure qui l’intègre ». Les scoties s’ornent en effet de lions, de griffons au vase, de rinceaux. Le cordon d’archivolte surmontant le portail est doté de scènes de chasse et de zodiaque 2035. L’usage d’un portail encadré par des arcs aveugles paraît commun à de nombreuses églises d’Aquitaine, ce dès le XIIème siècle et durant le XIIIème siècle. Le diocèse de Limoges est parfaitement représentatif de ces tendances (Le Dorat, Saint-Junien, Arnac, Gouzon, Saint2034 S. FOUCHER, « Le décor sculpté cistercien médiéval d’inspiration végétale au travers d’exemples normands », Mémoires de la Société des Antiquaires de Normandie, T XXXVIII, 2006, p. 51-63. 2035 C. ROUX, « Mauriac et l’Auvergne » dans UMR 5138, « Morphogénèse de l’espace ecclésial », dir. A. BAUD, Maison de l’Orient Méditerranéen, Lyon II, à paraître. - 745 - Léonard de Noblat, Saint-Yrieix, La Souterraine). Les bases sculptées se retrouvent également dans la nef de Mauriac, mais aussi dans d’autres églises de l’archiprêtré de Mauriac tel Brageac, Roc-Vignon ou Ydes. Elles s’ornent d’entrelacs, de palmettes, de motifs cordés ou de quadrupèdes2036. Des bases ornées sont connues dans l’église de Beaulieu-sur-Dordogne [Fig. 886]. Cet édifice semble avoir été bâti d’est en ouest à partir de la première décennie du XIIème siècle. En effet, pour Évelyne PROUST, les références des sculptures du chevet aux décors des manuscrits de Saint-Junien et de Saint-Martial permettraient de placer la mise en œuvre vers 1110-1115. Néanmoins, certaines bases du chœur évoquent plutôt des réalités du milieu du XIème siècle. En effet, des bases sont ornées de billettes, de damiers ou de motifs cordés encadrés de deux tores renflés. Pour Évelyne PROUST, ce « caractère archaïque » pourrait s’expliquer par un chantier débuté dès le milieu du XIème siècle, ou par le remploi de bases plus anciennes lors de la reconstruction du XIIème siècle 2037. L’église d’Albignac, non loin d’Obazine, révèle également une base ornée dont la scotie est sculptée de deux serpents se rencontrant en son centre [Fig. 887]. Ainsi les cadres cisterciens et paroissiaux montrent des cohérences et des interpénétrations. 2. Chapiteaux : Les chapiteaux ne seront ici que rapidement évoqués et seront analysés plus précisément dans notre discussion sur un aniconisme cistercien. Il apparaît clairement que les chapiteaux lisses sont les plus fréquents dans les abbatiales de l’ordre. Nous les retrouvons dans la nef d’Obazine ou déposés dans le musée lapidaire de Prébenoît [Fig. 888]. Les chapiteaux nus du bras du transept de Bonlieu sont plus complexes. Le tailloir est en effet orné d’un motif cordé. L’épannelage est par ailleurs souligné d’une ligne en dent de scie gravée [Fig. 889]. Bien que ces décors soient discrets, ils attestent d’une volonté esthétique certaine. Un certain nombre de sites excluent le recours aux chapiteaux. Les voûtes sont reçues par de simples impostes moulurées. C’est le cas dans la nef de Boschaud et également pour le bas-côté nord de l’abbatiale de Prébenoît. Ainsi, il n’est pas nécessaire de recourir à des sculpteurs qualifiés. Les éléments à sculpter sont réduits au maximum. Le musée lapidaire de Prébenoît a révélé un chapiteau nu, à l’épannelage très évasé, à rattacher au cloître médiéval 2036 B. PHALIP, Des terres médiévales en friche…, op. cit., T 5-1, p. 192-194. É. PROUST, op. cit., p. 226-239 ; A-M. PECHEUR, É. PROUST, « Beaulieu-sur-Dordogne, abbatiale SaintPierre », dans Monuments de Corrèze, Congrès Archéologique de France, Société Française d’Archéologie, 163ème session, 2005, Paris, 2007, p. 86-103. 2037 - 746 - [Fig. 359]. Un chapiteau figuré est également déposé. Il est orné de petits visages très schématiques [Fig. 356]. À Bonnaigue, des éléments du cloître médiéval sont désormais remployés dans un pigeonnier d’Ussel (domaine de Beauregard), telles quatre petites corbeilles rassemblées sous un tailloir unique d’un demi mètre de large [Fig. 890]. Entre ces corbeilles, l’espace est occupé par de petites têtes humaines schématiques, bûchées, semblant à peine plus élaborées que les masques du chapiteau de Prébenoît. Lorsque la figure est acceptée, ce n’est que dans une forme très schématique et restrictive : la bouche, les yeux et le nez sont ébauchés mais sans plus de détails ou de réalisme. À Boschaud, les baies de la salle capitulaire sont ornées de chapiteaux dotés de feuilles simplifiées [Fig. 891]. Les tailloirs sont sculptés de zigzags à la manière des bases évoquées ci-dessus, caractéristiques d’un répertoire sculpté roman. Les mêmes décors se retrouvent à Grosbot. En effet, les baies de la salle capitulaire sont ornées de petits chapiteaux réunis sous un même tailloir doté de motifs en dents de scie (seconde moitié du XIIème siècle) [Fig. 892]. Certaines abbatiales témoignent également de l’apparition de formules gothiques. Ainsi, les chapiteaux à boules ne sont pas rares. Nous les retrouvons à l’entrée des chapelles de transept occidentales de l’abbaye de Dalon [Fig. 893]. Ils sont finement sculptés en calcaire et évoquent une datation des années 1220-1250 par la finesse de la sculpture et la disposition en frise. Par ailleurs, un chapiteau à boules lisses appartenant à l’ancienne abbaye de la Colombe, également taillé en calcaire, semble légèrement antérieur (années 1200) [Fig. 894]. La même datation peut être proposée pour les chapiteaux à boules de l’abbaye de Bonnaigue, conservés dans le pigeonnier de Beauregard d’Ussel. Les supports sont surmontés de chapiteaux ornés de feuilles lisses se terminant en boules simples [Fig. 895]. Ces chapiteaux témoignent de l’acceptation de nouvelles formes gothiques mais aussi de l’apparition progressive d’un art de série chez les cisterciens. Les corbeilles sont souvent similaires, les feuillages peu variés et surtout peu réalistes. Cette « rationalisation » a été mise en lumière à Royaumont où il a été remarqué une grande standardisation de la construction mais aussi des pièces décoratives acceptant un répertoire floral très simple facile à reproduire de corbeilles en corbeilles2038. 3. Culots : 2038 J-L. BERNARD, « L’abbaye cistercienne de Royaumont, son cloître et sa fontaine », dans L’Ile-de-France médiévale, T II, Paris, 2001, p. 32-35. - 747 - Les voûtes peuvent parfois être reçues par de simples culots, le plus souvent lisses. C’est le cas de l’abbaye cistercienne d’Obazine [Fig. 896]. En effet, les voûtes en berceau brisé de la nef et des bras du transept sont soulignées d’arcs doubleaux retombant sur de simples culots lisses. Ce système permet de faire l’économie d’un support montant de fond reposant sur une base et un socle. Par ailleurs, le réfectoire d’Obazine est également doté d’une console plus complexe, ornée de feuilles nervurées, correspondant à des formulations gothiques du premier tiers du XIIIème siècle [Fig. 516]. À Valette, un élément lapidaire vagabond peut être interprété comme une console tronconique lisse, très simple, dont la provenance est difficile à établir [Fig. 608]. À Varennes, les voûtes d’ogives remaniées en partie au Bas Moyen-Âge reposent sur des culots aux feuillages schématiques ou décors d’entrelacs [Fig. 897]. La nef de Grosbot est scandée de colonnes engagées reposant sur des culots acceptant de simples motifs géométriques [Fig. 898]. Ainsi les culots semblent le plus souvent nus ou adoptent des décors sobres, feuillagés ou schématiques, à la manière des chapiteaux. Ces formules sont assez différentes des décors des culots gothiques observés par Anne COURTILLÉ dans l’ancien diocèse de Clermont. Cette dernière constate que le culot en encorbellement est une solution récurrente depuis l’époque romane, revivifiée par l’usage de l’ogive. Leur « disposition oblique paraît en effet adoptée plus facilement pour le culot que pour le chapiteau, et le rôle du culot dans l’évolution des formes architecturales du début du gothique pourrait être mis en évidence ». Ces culots sont très fréquents au cours de la première moitié du XIIIème siècle dans les régions de l’ouest, particulièrement en Anjou et constitue ainsi une des originalités du « style gothique »2039. Le culot est soit directement associé à l’ogive, sans transition, soit un chapiteau peut servir d’intermédiaire, comme observé à Bonnaigue ou à Saint-Vincent-de-Tronget dans l’ancien diocèse de Clermont. L’historienne de l’art constate que « le visage reste l’ornement primordial du culot où le sculpteur retrouvait un support comparable au modillon ». Ainsi, des sites comme Saint-Amable de Riom, Saint-Cerneuf de Billom ou Sainte-Croix de Gannat au XIIIème siècle présentent des culots ornés de visages témoignant d’une « esthétique naturaliste »2040. Dans un cadre cistercien en Limousin, les culots restent à l’inverse majoritairement nus, et le support privilégié acceptant les figures sous forme de masque reste le modillon. 4. Archivoltes : 2039 2040 A. COURTILLÉ, Auvergne et Bourbonnais gothiques…, op. cit., p. 340. A. COURTILLÉ, op. cit., p. 155. - 748 - Les archivoltes peuvent également être un support à la sculpture. Néanmoins, les dixhuit sites étudiés n’ont guère révélés d’archivoltes décorées, mais cette carence peut sans doute s’expliquer à la fois par la volonté d’austérité affirmée de cet ordre, mais aussi par la perte d’un certain nombre de bâtiments monastiques nuisant à l’exhaustivité de l’étude. La porte de l’abbaye de Valette, remontée dans le bourg d’Auriac, présente néanmoins une archivolte décorée de billettes, décors bien présents dans un cadre roman (cordons de billettes au-dessus des baies en plein-cintre des murs gouttereaux, des bras du transept et des absides de l’église de Beaulieu-sur-Dordogne) et qui laisserait supposer une datation de cette porte en plein-cintre de la seconde moitié du XIIème siècle [Fig. 899]. À Boschaud, la salle capitulaire, ornée de bases et de chapiteaux décorés, présente également des archivoltes simplement moulurées lancées au-dessus des baies. Ces archivoltes sont reçues par de petits motifs feuillagés. De même, la porte ouvrant sur le passage de l’escalier est soulignée d’une archivolte reposant sur de délicates pointes de diamant [Fig. 900]. Il semblerait ainsi que l’abbaye de Boschaud ait accepté un décor, certes discret, mais plus proche des réalités romanes aquitaines que des préceptes cisterciens. De même à Grosbot, la porte des Morts percée dans le croisillon sud du transept est soulignée d’une archivolte ornée de pointes de diamant [Fig. 901]. 5. Clés de voûtes : Certaines clés de voûtes gothiques peuvent admettre des sculptures. C’est le cas à Bonnaigue, Coyroux et Varennes. Elles correspondent cependant en général à des réalités plus tardives. À Coyroux, les voûtes d’ogives à liernes sont vraisemblablement mises en place dans la seconde moitié du XIIIème siècle [Fig. 902]. Une autre clé de voûte peut être datée des XVème-XVIème siècles. Elle est ornée d’un médaillon circulaire avec le monogramme de la Vierge (SM). Elle est désormais scellée dans le socle d’une croix en pierre au pied du mur pignon sud du transept d’Obazine2041. 6. Modillons : Les modillons sculptés sont rares dans un cadre cistercien. Nous en avons toutefois recensé quelques uns lors de nos prospections. Ils acceptent souvent la figuration, comme les modillons de la corniche du bras du transept de Boschaud, le modillon de la nef de Bonnaigue ou le personnage sculpté déposé à l’abbaye des Pierres [Fig. 903 et 904]. Il s’agit toutefois le 2041 B. BARRIÈRE et C. ANDRAULT-SCHMITT, dans B. BARRIÈRE (dir.), Moines en Limousin…, op. cit., p. 49. - 749 - plus souvent de corbeaux nus, sans décor, comme à Prébenoît (façade occidentale moderne) [Fig. 343], à l’abbaye des Pierres (mur gouttereau de la nef conservé) [Fig. 725] ou à Obazine. 7. Décors peints : Les abbayes cisterciennes présentent fréquemment des décors peints dont la datation n’est pas aisée et relève sans doute bien souvent de la période moderne. Thomas COOMANS a récemment montré l’existence de décors peints à l’abbaye de Villers en Brabant2042. Il atteste que les enduits à faux appareil régulier sont courants à la fin du XIIème siècle et au XIIIème siècle, ce qui correspond bien à la période d’édification des monastères pris en compte dans la présente étude. Les joints dessinés ne correspondent généralement pas à l’appareil maçonné. Il s’agit de décors à faux joints rouge ou brun. Nous avons pu en observer à la sacristie de l’abbaye de Boschaud. C’est un vestige d’un enduit peint de qualité dont les faux joints sont à doubles traits verticaux et horizontaux2043. À Grosbot, la nef devait être enduite de blanc et de faux joints rouges comme en témoignent quelques vestiges épars. Les culots sur lesquels reposent les colonnes engagées soutenant la voûte s’ornent également d’ocre et de rouge [Fig. 905]. La sacristie de l’abbaye d’Obazine montre des vestiges de faux joints, un liseré rouge assorti d’un bandeau aux motifs d’entrelacs. Dans l’abside principale de l’abbatiale, deux croix sont peintes, en lien avec la consécration de 1176. Chaque croix latine est inscrite dans un médaillon cerné d’une bordure ornementée. Ces croix sont dotées de branches aux extrémités fleuronnées2044. À Coyroux, l’église abbatiale est revêtue d’un enduit blanc à faux joints ocre-rouge. Non seulement les parements sont peints, mais les investigations archéologiques ont révélé que les voûtes disposent également d’un enduit à faux joints ocre et jaune [Fig. 906]2045. Le bras nord du transept de l’abbaye de Prébenoît, en partie préservé, a révélé des vestiges d’un enduit peint à faux appareil. La chaux blanche est rehaussée de traits rouges. Au Palais, les récentes études de bâti menées en avril 2007 ont permis de constater la conservation de quelques vestiges d’enduit peint à faux joints rouge, à la fois sur les 2042 T. COOMANS, L’abbaye de Villers-en-Brabant…, op. cit., p. 243. C. ANDRAULT-SCHMITT, « L’abbaye de Boschaud », Congrès Archéologique de France, Périgord, 1998, Paris, 1999, T 156, p. 105-117. 2044 G. CANTIÉ, É. SPARHUBERT, « Obazine, abbaye » dans Monuments de Corrèze, Congrès Archéologique de France, Société Française d’Archéologie, 163ème session, 2005, Paris, 2007, p. 251-270. 2045 B. BARRIÈRE, « Monastère de Coyroux », Archéologie Médiévale, Caen, Centre de Recherches Archéologiques Médiévales, tome XVI, 1986, p. 179. 2043 - 750 - parements de la piscine liturgique (mur gouttereau sud du chœur) et sur les parements internes du mur du chevet oriental. Les joints sont décalés par rapport aux véritables joints de la maçonnerie [Fig. 907]. Les vestiges de peinture ne sont pas rares sur les voûtes. Nos observations à l’abbaye de Dalon ont révélé que les claveaux des baies présentent une alternance de peinture jaune et rouge. Des traces d’un enduit peint à faux joints sont visibles dans la salle capitulaire [Fig. 908]. L’abbaye de Bonlieu est dotée dans le premier tiers du XIIIème siècle de deux croix sans doute liées à la consécration du chœur en 1232 (mise en place d’un dallage dans le chœur et peut-être également de vitraux en grisaille) [Fig. 909]. Ces deux fresques de 61 par 61cm présentent des croix de couleurs vives posées sur un mince enduit, assez proches des croix de consécration peintes de Paulhac (Creuse, 1220-1250) et de la Croix-au-Bost (Creuse, vers 1250), attestant là encore de liens étroits entre créations cisterciennes et hospitalières [Fig. 910]2046. Ainsi, certaines abbatiales ont pu recevoir un décor peint dès l’époque médiévale, décor certes sobre et géométrique, dont les faux joints imitent la maçonnerie, mais qui s’éloigne toutefois des préceptes cisterciens réticents à la couleur et à la peinture. 8. Vitraux : Peu de vitraux cisterciens médiévaux sont parvenus jusqu’à nous. Fort heureusement dans le diocèse de Limoges, deux édifices, Bonlieu et Obazine, permettent d’en envisager la réalité [Fig. 911]. Celui découvert à Bonlieu occupait vraisemblablement la baie centrale de l’abside axiale (premier tiers du XIIIème siècle, en lien avec la consécration de 1232). D’une hauteur de 60cm et de 50cm de large, il se compose de verre incolore, de nuance verdâtre, mise en plomb. Il est déposé au laboratoire de recherche des Monuments Historiques. À Obazine, quatre vitraux en grisaille sont préservés (seconde moitié du XIIème siècle ?). Il s’agit de verre incolore de nuance gris-verdâtre mis en plomb. Trois se trouvent aux trois baies subsistantes dans le mur gouttereau nord de la nef, le dernier au niveau de la baie occidentale du bras nord du transept. Ils représentent des palmettes et entrelacs2047. 2046 Les originaux sont désormais mis en place dans la chapelle aménagée dans le bras nord du transept, tandis que des copies les remplacent dans le chœur. C. ANDRAULT-SCHMITT dans B. BARRIÈRE (dir.), Moines en Limousin…, op.cit., p. 60. 2047 B. BARRIÈRE (dir.), Moines en Limousin…, op. cit., p. 46. - 751 - À Prébenoît, les fouilles du chevet ont également révélé la présence de fragments de grisailles. Au Palais-Notre-Dame, des piquetages sur les piédroits et pierres d’appui-fenêtres des trois baies du chevet témoignent de la présence de barlotières liées à des vitraux, probablement en grisaille. Ce goût pour la grisaille peut s’expliquer par un souci d’économie puisque les vitraux blancs sont de fait moins coûteux que les vitraux colorés. Les jeux de la lumière naturelle sont seuls recherchés. Les motifs reproduits ne sont toutefois pas des créations cisterciennes. Même si la technique de la grisaille est relativement novatrice par rapport aux créations contemporaines, les motifs se rapprochent de décors islamiques, des sculptures et ivoires lombards tandis que certaines formes géométriques sont communes avec les carreaux de pavement (fleurons, treillages). Les vitraux d’Obazine se dotent ainsi de palmettes, d’entrelacs de cercles ou de croisillons. À Bonlieu, le vitrail se constitue de fleurons reliés entre eux par des entrelacs. Seules les formes géométriques sont admises dans ces vitraux. Toutefois, dans la seconde moitié du XIIIème siècle, au sein d’abbayes étroitement liées aux milieux aristocratiques, des vitraux historiés peuvent apparaître en réponse à une commande de seigneurs laïcs. C’est ainsi qu’un vitrail de l’abbaye de Royaumont fondée par saint Louis et sa mère Blanche de Castille dans le premier tiers du XIIIème siècle représente ses deux fils enterrés là. 9. Pavements : Les abbayes cisterciennes du diocèse de Limoges révèlent majoritairement la présence de carreaux de pavement, qu’il s’agisse d’éléments isolés retrouvés le plus fréquemment hors contexte lors d’investigations archéologiques ou de pavements organisés en place, comme c’est le cas à Prébenoît. Il convient ici de préciser brièvement les modes de fabrication de ces carreaux de céramique et d’en étudier l’emplacement et la datation présumée. L’analyse stylistique des motifs représentés sera précisée ultérieurement2048. La thèse de doctorat récemment soutenue par Magali ORGEUR livre un certain nombre de définitions ainsi qu’une description des procédés techniques de fabrication des carreaux de pavement très éclairante2049. Le terme de pavement sert à décrire selon elle un espace dont la décoration au sol est réalisée en carreaux de terre cuite. Ces carreaux sont des 2048 III. B. b. 2. Gothique Plantagenêt, Gothique Capétien ? M. ORGEUR, Les carreaux de pavement des abbayes cisterciennes en Bourgogne (fin XIIème-fin XIVème siècle), thèse de doctorat en histoire de l’art médiéval sous la direction de D. RUSSO, université de Bourgogne, 2004, vol I, p. 27-35 ; M. ORGEUR, « Les carreaux de pavement décorés dans les abbayes cisterciennes de l’Yonne », dans T. N. KINDER (dir.), Les cisterciens dans l’Yonne, « Les Amis de Pontigny », Pontigny, 1999, p. 41-47. 2049 - 752 - tablettes de pierre, de marbre ou de terres cuites qui servent à paver l’intérieur des édifices. Ils disposent souvent d’une glaçure, c’est-à-dire d’un enduit vitrifié recouvrant les carreaux pour les imperméabiliser. Ce terme est également employé pour la poterie. L’auteur distingue des carreaux unis, incisés avec un décor réalisé à la main (dès la fin du XIIème siècle dans un cadre cistercien), des carreaux imprimés dont le motif est imprimé en creux grâce à une matrice sculptée en relief, des carreaux bicolores, à engobe, incrustés ou de faïence2050. Elle décrit ensuite les procédés de cuisson dans des fours horizontaux ou verticaux généralement maçonnés, dont aucun n’a pu être identifié dans les abbayes cisterciennes du diocèse de Limoges et de ses marges. La base du four est enterrée à un mètre de profondeur. Les murs s’élèvent de deux ou trois mètres au-dessus du niveau du sol. Le toit peut être en dur (four de Commelles, domaine de Chaalis, Ile-de-France) ou temporaire. L’argile est mélangée à du sable qui fait office de dégraissant. Elle est moulée dans un cadre le plus souvent de forme carrée. La durée de cuisson varie de deux à trois jours. La température est élevée jusqu’à 1000° pour permettre la fusion de la glaçure. Concernant les abbayes cisterciennes du diocèse de Limoges, les carreaux découverts sont le plus souvent « vagabonds ». Ils apparaissent prioritairement dans les sanctuaires. Il est par ailleurs difficile de déterminer si ces carreaux de terre cuite ont été produits localement, au sein de tuileries dans l’enclos monastique ou à proximité, ou s’ils ont été importés d’autres sites cisterciens ou non, du diocèse de Limoges ou d’autres régions plus éloignées (nord de la France ?). Aucun texte ne permet de nous apprendre sur cette production particulière. Les études toponymiques peuvent néanmoins apporter des éléments de réflexion. Les toponymes « Les tuileries » ne sont en effet pas rares, sans que nous puissions affirmer le caractère médiéval de l’ancienne installation désignée. Ainsi, le toponyme « la tuilerie » est repéré au nord-est de l’abbaye d’Aubepierres d’après la carte IGN, tandis que la carte de Cassini révèle deux toponymes « tuilerie » au nord-ouest et à quelques kilomètres à l’est des bâtiments monastiques [Fig. 29 et 47]2051. Concernant Aubignac, une tuilerie est signalée sur la carte de Cassini non loin de la grange cistercienne de Beauvais [Fig. 34]. Près de la Colombe, à quelques kilomètres au sud des bâtiments monastiques, trois tuileries sont repérées : « la Tuilerie », « La Tuilerie de Loissière » et la « Tuilerie du Gué Martin » [Fig. 31 et 50]2052. Concernant l’abbaye des Pierres, la carte de Cassini révèle la présence d’une « tuilerie » à l’ouest des bâtiments monastiques, à l’orée du bois entourant l’abbaye [Fig. 30]. 2050 M. ORGEUR, op.cit, vol I, p. 49. IGN Série Bleue 1/25000ème, 2128 E. 2052 IGN Série Bleue 1/25000ème, 2028 O. 2051 - 753 - L’étude de la carte de Cassini concernant l’abbaye de Dalon a signalé trois toponymes liés à des tuileries à quelques centaines de mètres au nord, nord-est et sud-ouest de l’abbaye [Fig. 43]. Non loin de l’abbaye de Peyrouse, le toponyme « la tuilerie de Veyrières » au nord-est du site pourrait être lié à une ancienne exploitation monastique [Fig. 39 et 56]2053. Au PalaisNotre-Dame, un toponyme « Les Tuiles » est repérable au nord-est de l’abbaye, en contrebas du site à côté du Taurion [Fig. 37 et 62]. Il est toutefois difficile de déduire de ces seuls toponymes l’existence d’une installation monastique. La proximité de ces termes et des sites cisterciens ne semble toutefois pas hasardeuse. Quarante-six pièces et fragments de carreaux de pavement proviennent d’Obazine sans que l’on puisse déterminer leur emplacement exact dans l’édifice [Fig. 912]. Il s’agit de carreaux de terre cuite bicolores décorés de petit format (8 par 8cm) ou grand format (16 par 16cm). La technique décorative employée est celle du décor estampé obtenu par l’impression d’une matrice portant un motif sur le carreau de terre crue. La dépression en surface de la pièce est alors remplie d’argile liquide appelée engobe, de couleur blanche. La surface est ensuite recouverte d’une glaçure jaune ou légèrement verdâtre. La datation précise de ces éléments hors contexte est malaisée. Cette technique est certes adoptée dès le milieu du XIIIème siècle mais trouve ses prolongements jusqu’au XVème siècle. Les motifs représentés sont essentiellement géométriques ou floraux (fleur-de-lys, acanthes), répertoire ne permettant guère de préciser une chronologie2054. Les carreaux de pavement de l’abbaye de Bonlieu ont été découverts en 1878 en « avant de l’autel, sous un carrelage de vulgaires carreaux en terre rouge »2055. Ils proviennent donc du chœur, espace magnifié accueillant le plus souvent ce type de dallage luxueux. Il s’agit de carreaux de terre cuite décorée de 17 par 17cm [Fig. 913]. La technique employée est celle d’un décor vert et brun sur un fond d’émail blanc, recouvert par une glaçure plombifère évoquant plutôt une datation tardive des XVème-XVIème siècles. Le décor est peint par la suite à l’aide de glaçures plombifères vertes ou brun-gris sur le fond blanc. Ces carreaux témoignent par ailleurs d’une grande variété des décors (motifs végétaux, fleur-de-lys, figures anthropomorphes)2056. Un autre exemple de pavement décoré dans le chœur d’une abbatiale est le pavement découvert lors des fouilles de l’abbaye de Prébenoît [Fig. 914]. Il est de type « opus sectile », 2053 IGN Série Bleue 1/25000ème, 1933 O. P. CONTE dans B. BARRIÈRE (dir.), op. cit., p. 76. 2055 P. DE CESSAC, « Note sur les carreaux provenant de l’abbaye de Bonlieu », Bulletin de la Société Nationale des Antiquaires de France, 1880, p. 210-214. Ces carreaux sont conservés pour partie au musée de la Sénatorerie de Guéret ou à l’abbaye même. 2056 P. CONTE dans B. BARRIÈRE (dir.), op. cit., p. 77. 2054 - 754 - en terre cuite glaçurée, et recouvre 50m² autour du maître autel. Sa composition est « fondée sur l’agencement de carreaux monochromes de formes simples disposés en séries géométriques et en compartiments délimités par des bordures »2057. L’assemblage de carreaux se compose de 23 bandes longitudinales de 4.20m de longueur. Ce pavement est complété par quatre panneaux figuratifs (colombe, cerf) de 0.40m de côté. Les couleurs utilisées sont essentiellement le noir, le vert, clair ou foncé, le rouge et le brun. Son contexte en stratigraphie permet une datation plus aisée : il est recoupé par des sépultures, telle celle de Roger de Brosse inhumé à l’extrême fin du XIIIème siècle et pourrait ainsi dater de la seconde moitié du XIIIème siècle (datation C 14 1253-1297). La similitude des techniques utilisées et de l’organisation des carreaux avec le pavement découvert à Fontmorigny, probablement mis en place vers 1225 étaie cette hypothèse. Les bâtiments conventuels et granges ne sont pas exemptes de pavages, bien que les exemples identifiés soient modernes (XVIIème-XVIIIème siècles). Ils se constituent de petites pierres locales ou de galets. C’est le cas à Brocq, grange de l’abbaye de Valette (rezde-chaussée du bâtiment d’habitation), à Obazine (couloir du premier étage du bâtiment des moines, ancien dortoir) et de Grosbot (rez-de-chaussée du corps de logis nord) [Fig. 915 et 916]2058. Les carreaux de pavement sont relativement fréquents dans un cadre cistercien, ce dès le XIIème siècle. Cet artisanat est relativement bien connu grâce au nombre important de pièces retrouvées au sein des abbayes cisterciennes de France du Nord. Au XIIème siècle, ces carreaux sont surtout monochromes. Toutefois, à partir du XIIIème siècle, les carreaux décorés sont privilégiés. En effet, des décors incisés à la main apparaissent dès la fin du XIIème siècle à Cîteaux. Au milieu du XIIIème siècle, les carreaux bicolores sont prédominants avec un motif en argile blanche sur fond rouge. Des carreaux incrustés existent également, fabriqués à l’aide d’une matrice en bois sur laquelle est sculpté un motif en relief. L’empreinte peut atteindre jusqu’à cinq millimètres. Apparaissent à la même période des carreaux à décor en engobe. L’impression ne dépasse pas 1mm. L’argile blanche est déposée à l’état plus ou moins liquide2059. Ces carreaux proviennent majoritairement des abbayes de France du Nord : Bourgogne (premières fondations de l’ordre), Ile-de-France, Haut-Berry (Fontmorigny), si bien que cette 2057 J. ROGER dans B. BARRIÈRE (dir.), op. cit., p. 78 ; J. ROGER, P. LOY, L’abbaye cistercienne de Prébenoît en Creuse, PULIM, Limoges, 2003, p. 44-45. 2058 P. CONTE dans B. BARRIÈRE (dir.), op. cit., p. 79. 2059 C. NORTON, Carreaux de pavement du Moyen-Âge à la Renaissance. Collections du musée Carnavalet, Paris, 1992, p. 35-37. - 755 - production apparaît d’abord septentrionale. Au XIIème siècle, une production en masse de briques et de tuiles est connue dans le nord de l’Europe. Edouard NORTON met d’ailleurs en évidence l’existence d’un atelier parisien dans la réalisation de carreaux de céramique qui aurait déterminé l’art des carreaux de pavements dans le sud de la Bourgogne, le Midi, le sud de l’Angleterre à la fin du XIIIème siècle. Le caractère international et centralisé de l’ordre cistercien aurait joué un rôle indéniable dans la diffusion des carreaux décorés non seulement en France mais aussi en Irlande, en Ecosse, en Hongrie et en Espagne, peut-être par la circulation de carnets de modèles2060. Ainsi, des carreaux décorés sont recensés dès le début du XIIème siècle en Bourgogne : plus de 300 ont été découverts à l’abbaye de Cîteaux. Ils développent un répertoire ornemental étendu2061. Les couleurs vont du jaune au brun-rouge, au vert et au noir. Toutefois, contrairement aux motifs découverts sur les pavements plus tardifs (seconde moitié du XIIIème siècle à Prébenoît) des abbayes du diocèse de Limoges, seuls les végétaux et formes géométriques sont tolérés. Aucune figure n’est représentée. Certains carreaux gravés de Cîteaux sont très similaires à ceux de la Bénisson-Dieu en Bourgogne (com. La Bénisson-Dieu, Loire) ou de Fontmorigny en Haut-Berry (com. MénétouCouture)2062. Cette dernière abbaye dispose de pavements au niveau des chapelles des bras du transept disparues. Ils sont probablement mis en place en 1225 lors de la dédicace de l’édifice par Simon de Beaulieu. La technique d’assemblage de pièces monochromes forme des motifs géométriques avec alternance de couleurs. Les motifs de dodécagones imbriqués se retrouvent à Maubuisson (com. Saint-Ouen l’Aumône, Val D’Oise), aux Châtelliers (com. Fomperron, Deux-Sèvres), à Byland et Rievaulx dans le Yorkshire. Toutefois les motifs figurés ne sont là encore pas admis. Des sondages d’évaluation réalisés en 2004 par Daniel Parent (INRAP) ont permis une meilleure connaissance du pavement mis en place dans le chœur de l’abbaye de Bellaigue (com. Virlet, Puy-de-Dôme)2063. Le pavement est situé au niveau des absides du choeur. Le négatif d’un sol en terre cuite est encore observable et certains carreaux sont en place contre les murs2064. Ils ont laissé une empreinte en relief très marquée dans le mortier. Le pavement recouvrait ainsi toute la partie avant du chevet. Le panneau central se composait d’un carré de 2.50m de côté dans lequel s’insère un cercle de 2.20m de diamètre. Les panneaux latéraux 2060 C. NORTON, op.cit, p. 59. M. PLOUVIER, A. SAINT-DENIS, Pour une histoire monumentale de l’abbaye de Cîteaux, 1098-1998, Dijon, 1998, p. 106. 2062 N. VANBRUGGHE, B. CHAUVIN, « Abbatiale cistercienne de Fontmorigny, pavements des chapelles latérales, relevés commentés », CAHB, mars 1998, p. 3-33. 2063 D. PARENT, Abbaye de Bellaigue, rapport de diagnostic, INRAP Rhône-Alpes/Auvergne, 2004, p. 103. 2064 D. PARENT, op.cit, p. 25-28. 2061 - 756 - disposent de ronds de 13cm de diamètre, de carrés à faces concaves de 7cm séparés par des quarts de cercle et des cabochons circulaires. Le panneau le plus au sud présente un bandeau périphérique avec des résilles de petits rectangles. Des fragments de carreaux vernissés ont également été mis au jour. Ils sont ornés de décors colorés représentant un griffon en or sur fond rouge, une croix de Saint-André ou encore une roue avec des rayons rouges sur fond or. Ces motifs sont relativement fréquents dans les carreaux de pavement cisterciens. Les motifs animaliers ne sont pas rares malgré la volonté de dépouillement et d’austérité et procèdent bien souvent des bestiaires romans des XIème et XIIème siècles 2065. Les thèmes de la chasse sont relativement fréquents (Bonlieu, Prébenoît). Des griffons représentés de profil existent aussi à Pontigny. Ils sont datés de la seconde moitié du XIIIème siècle, ce qui pourrait attester d’une mise en œuvre du pavement de Bellaigue suite à l’inhumation d’Archambaud VIII. Ce thème est également récurrent en Angleterre à la même époque. Les roues architecturées sont de même très fréquentes. Nous les retrouvons à la Bénisson-Dieu, dans les carreaux incisés de Cîteaux et sur un carreau bicolore d’Obazine daté du milieu du XIIIème siècle. Ces motifs évoquent les grandes roues des cathédrales gothiques2066. Pour Daniel PARENT, la répétition des motifs dans les carreaux de Bellaigue laisserait supposer qu’ils soient apposés au tampon, puis rehaussés de glaçure pour protéger et aviver les couleurs. Il rapproche les coloris et motifs des pavements cisterciens de Fontenay (com. Marmagne, Côte-D’Or), de Val-Richer (com. Saint-Ouen le Pin, Calvados), Byland (Angleterre) et Buildwas (pays de Galles). La qualité des pavements correspond à la maîtrise des terres cuites dans cette seconde moitié du XIIIème siècle. Nous savons d’après les textes que l’abbaye de Bellaigue disposait d’une tuilerie. Fabriquait-elle ses propres pavements ou se contentait-elle de la création de briques et de tuiles ? Il est délicat de se prononcer sur cet aspect2067. Ces tuileries sont placées à proximité de gisement d’argile, non loin de réserves de combustibles et d’une source d’eau2068. Les pavements cisterciens ne constituent néanmoins pas une prérogative de l’ordre puisque ce type de dallage se rencontre aussi bien au sein d’édifices laïques qu’épiscopaux ou clunisiens. Edouard NORTON remarque à juste titre que ces sols décorés coûtent très chers. 2065 M. ORGEUR, op.cit, p. 305. M. ORGEUR, op. cit, vol I, p. 261 et 293. 2067 Les tuileries ne servaient pas forcément à la création de carreaux de pavement. La tuilerie des Fosses de l’abbaye cistercienne de Chaalis ne produit que des briques et des tuiles. C’est le four de Commelles qui met en œuvre les carreaux. Voir M. ORGEUR, op.cit, vol II, p. 444. 2068 E. NORTON, Carreaux de pavement du Moyen-Âge à la Renaissance. Collections du musée Carnavalet, Paris, 1992, p. 26. 2066 - 757 - Ainsi, ce sont surtout les cathédrales, les abbayes et communautés religieuses qui ont les moyens de les faire exécuter2069. Jusqu’au milieu du XIIIème siècle, les pavements sont surtout cantonnés aux cathédrales et grandes abbatiales puis se propagent peu à peu vers les bâtiments conventuels, les églises paroissiales ainsi que les bâtiments civils (châteaux, hôtels particuliers)2070. Pour l’auteur, c’est la présence des abbayes cisterciennes en milieu rural qui donnerait des modèles aux églises et constructions laïques des environs. Il serait toutefois plus juste de parler d’interactions, d’échanges, et d’interpénétrations des cadres civils et monastiques que d’une « influence cistercienne » sur les productions laïques. Les abbayes cisterciennes montrent d’ailleurs parfaitement comment les laïcs parviennent à introduire leurs motifs et goûts artistiques au sein des sanctuaires de l’ordre de Cîteaux (scènes de chasse, financement des embellissements à Prébenoît par Roger de Brosse). Il ne semble ainsi pas exister de spécificité des carreaux de pavements cisterciens, par ailleurs largement tributaires d’un héritage roman. La période romane voit en effet le développement de mosaïques en opus sectile ou en opus tessellatum. Elles présentent fréquemment des scènes de l’Ancien Testament, des signes du Zodiaque, des monstres. Certains motifs comme les losanges récurrents dans l’art cistercien se retrouvent sur certains tympans romans tel celui de Saint-Jouin de Marnes au milieu du XIIème siècle2071. Les écailles de poissons fréquents sur les vitraux et les carreaux cisterciens apparaissaient déjà sur un chapiteau de Saint-Martin de Celles à Maubourguet à la fin du XIème siècle, sur un pilier du cloître de Moissac en 11002072. Les motifs animaliers procèdent des bestiaires romans des XIème et XIIème siècles. Des dalles décorées à incrustations se rencontrent également à Cluny, Conques ou Saint-Omer au XIIème siècle2073. Toutefois, les mosaïques sont de moins en moins utilisées au XIIème siècle. En effet, le marbre et les pierres semi-précieuses coûtent chers et sont peut-être devenus introuvables. De plus, les mosaïques et dalles incrustées permettent le développement d’une iconographie riche et suggestive qui n’est pas cohérente avec les préceptes de l’art cistercien ou les manifestations artistiques du gothique rayonnant. Edouard NORTON fait ainsi état d’une adaptation des techniques à l’évolution des goûts artistiques. Aux XIIème et XIIIème siècles, les carreaux de pavements ne sont ainsi pas réservés aux seuls monastères cisterciens. Les moines clunisiens recourent eux aussi à cette technique 2069 E. NORTON, op.cit, p. 35-45. E. NORTON, « Les carreaux de pavage en France au Moyen-Âge », Revue de l’Art, n°63, 1984, p. 59-72. 2071 M. ORGEUR, op.cit, vol I, p. 202. 2072 M. ORGEUR, op.cit, vol I, p. 244. 2073 E. NORTON, « Les carreaux de pavage (…) », op.cit, p. 59-72. 2070 - 758 - de revêtement des sols. Nous retrouvons le même type de pavements mosaïqués à l’abbaye bénédictine de Ligugé à la fin du XIIème siècle. L’assemblage est très similaire à celui du pavement de l’abbaye cistercienne des Châtelliers au milieu du XIIIème siècle. Les moines cisterciens ne seraient-ils pas dès lors des héritiers de techniques artisanales clunisiennes, elles mêmes issues de réalités antiques ou carolingiennes 2074 ? Nous retrouvons les mêmes dispositions à Saint-Denis vers 1240, à Saint-Ouen de Rouen, au niveau du cloître de SaintBenoît-sur-Loire (motifs de chevrons vers 1030, également très fréquents dans un cadre cistercien) ou encore à Paray-Le-Monial. Ces pavements ne sont dès lors pas une prérogative des moines blancs. Les motifs des carreaux cisterciens puisent ainsi dans un fond ornemental utilisé du XIème au XIIème siècles en sculpture, peinture murale, mosaïque de pavement. Ces décors ne sont pas typiquement cisterciens mais s’inscrivent en continuité de créations antiques, romanes, qu’elles soient religieuses (clunisiennes) ou civiles. Ils permettent de hiérarchiser des espaces, des aires privilégiées qui ne correspondent toutefois pas à un itinéraire liturgique comme à Paray-Le-Monial mais à l’espace d’inhumation d’un seigneur laïc. Ces seigneurs favorisent l’introduction de la figure dans des monastères comme Bellaigue, Bonlieu ou Prébenoît qui tendent pourtant à l’austérité, voire à un refus de l’image. Ils développent une iconographie propre toutefois éloignée des préceptes cisterciens de sobriété et de dépouillement. Cette étude des créations architecturales et sculptées des abbayes cisterciennes du diocèse de Limoges et de ses marges peut sembler ingrate de prime abord face à la disparition d’un certain nombre d’élévations (Boeuil, Derses, Valette, Aubignac, Aubepierres). Néanmoins, les premiers résultats présentés ci-dessus témoignent de la possibilité de travailler à des sites ruinés et d’en extraire des problématiques, hypothèses et analyses diverses, ce grâce à la prise en compte des vestiges en élévation (Dalon, Obazine, Bonlieu) ou en sous-sol (Le Palais), au recensement systématique d’éléments lapidaires épars (Boeuil) ou regroupés en dépôt (Varennes, Prébenoît), et grâce aux prospections menées sur les anciens sites de granges ou de moulins. Ces derniers sont identifiés au préalable lors du dépouillement des fonds d’archives, puis repérés grâce aux cartes de Cassini et IGN. Une fois encore, l’importance de méthodes interdisciplinaires peut être réaffirmée et semble indispensable à la prise en compte d’abbayes mal conservées et dont les sources sont bien souvent lacunaires. Cette analyse révèle des cohérences et dissemblances. La qualité de la mise en œuvre est tributaire pour bonne part des capacités économiques et financières de ces monastères. Certains sites peu dotés optent pour de proches carrières, des mises en œuvre à l’économie, un 2074 M. ORGEUR, op.cit, vol I., p. 89. - 759 - travail de maçons plus que de tailleurs de pierres. Il n’existe pas de plan privilégié par les bâtisseurs et la diversité prime sur l’unanimité. Les chevets plats ou en absides sont liés à des nefs uniques ou triples tandis que les bras de transept acceptent des nombres variables de chapelles orientales, voire occidentales. À cette diversité des plans correspond une diversité des voûtements entre traditions romanes (berceau, arêtes, file de coupoles, coupoles de croisée) et novations gothiques (voûtes d’ogives, ogives à liernes). Quant aux décors, si le dépouillement semble commun à la majorité des monastères, certains témoignent d’une volonté esthétique particulière (Boschaud), tandis que les décors peints sont fréquents (Boschaud, le Palais, Prébenoît, Bonlieu) et que la figure humaine tente de timides apparitions (Bonnaigue, Prébenoît, Les Pierres). Il paraît ainsi délicat de parler d’une unanimité des créations artistiques cisterciennes dans le cadre du diocèse de Limoges et de ses marges. De plus, certaines cohérences établies avec des productions paroissiales proches, romanes ou gothiques, nous incitent à nous interroger d’ores et déjà sur l’existence réelle de particularités artistiques cisterciennes. - 760 - B. Des cisterciens fidèles aux formes romanes ou pionniers d’un nouvel art gothique ? Les dix-huit monographies présentées ci-dessus ont révélé une certaine diversité des partis architecturaux choisis. Il n’existe pas de plan unique, ni de voûtement privilégié pour ces abbatiales cisterciennes du diocèse de Limoges, mais des hésitations entre voûtes en berceau, voûtes d’arêtes bien maîtrisées depuis l’époque romane et premiers voûtements d’ogives, expériences tentées à Obazine (réfectoire), plus abouties à Dalon et Coyroux. Les cisterciens du Limousin semblent puiser un certain nombre de références au sein d’édifices romans bien connus et proches de leur site d’implantation, tels Beaulieu, Solignac, Uzerche, Saint-Martial de Limoges, Chambon, comme en témoignent certaines ressemblances, cohérences et permanences brièvement relevées ci-dessus (murs épais, volumes amples, coupoles de croisée ou file de coupoles, élévation simple). Il convient désormais de faire la part des formes romanes maîtrisées et des novations gothiques expérimentées au sein de ces édifices, souvent qualifiées comme appartenant à un art de « transition », entre roman et gothique, entre tradition et novation, entre héritage et autonomie. Lorsque Étienne d’Obazine se rend au Chapitre Général de l’Ordre à Cîteaux en 1147 afin de requérir l’affiliation de sa jeune communauté double, peut-être a-t-il eu l’occasion sur son parcours de s’arrêter et de prier dans un certain nombre de sanctuaires romans tels les édifices bourguignons de Cluny ou de Beaune. À cette date, le paysage limousin est parsemé d’églises romanes. Vers 1130-1140, le porche de l’abbaye de Beaulieu est orné de sculptures à l’image de celles de Souillac ou de Moissac. Les sites d’Uzerche et de Collonges ne sont guère éloignés d’Obazine et de Coyroux, Saint-Junien est à quelques kilomètres seulement de Boeuil, tandis que l’abbaye de Déols étend ses possessions et rayonne sur la Haute-Marche où les moines de Prébenoît, Aubepierres et Aubignac tentent de s’implanter [Fig. 71]. L’abbaye Saint-Martial de Limoges tient une place particulière dans le diocèse. Elle atteint son apogée au début du XIIème siècle tandis que les manuscrits enluminés dans son scriptorium se diffusent jusqu’à Angoulême et Saintes. Les moines cisterciens évoluent ainsi non loin de ces édifices romans qui constituent immanquablement une source d’inspiration pour les maîtres d’œuvres, un répertoire de motifs, alors même que Cîteaux, le chef de l’ordre, est né en Bourgogne non loin de Vézelay, Autun, Cluny ou Beaune. Certaines techniques de construction et de décoration ont pu être transmises, évaluées, modifiées par les bâtisseurs des monastères cisterciens. Néanmoins, pour appréhender ces formes romanes, un certain nombre de lacunes n’ont pu être contournées. Il manque en effet à ce panorama les édifices majeurs tel Saint-Martial - 761 - de Limoges, abbatiale connue par des anciens plans, gravures, descriptions lacunaires et quelques éléments lapidaires préservés (chapiteaux) ; et Déols, presque entièrement ruinée dont il demeure une partie de l’avant-nef. Il est ainsi difficile d’imaginer le paysage monumental dans lequel évoluent les moines cisterciens du diocèse de Limoges. Toutefois, un certain nombre de cohérences, de permanences et d’héritages peuvent être mis en lumière à l’étude des vestiges romans limousins, bourguignons et aquitains. a. Des réalités romanes préexistantes : L’art roman recouvre traditionnellement les œuvres produites de l’an mil jusqu’au XIIème siècle. Il est peu à peu supplanté par les formes gothiques apparues dès le milieu du XIIème siècle en Angleterre et en Ile-de-de-France, tandis que l’art de bâtir roman perdure jusqu’à l’aube du XIIIème siècle dans les régions méridionales. Dans le diocèse de Limoges, l’apparition des premières novations gothiques relève des années 1180 (réfectoire d’Obazine, cathédrale de Tulle). Les moines cisterciens, implantés dans la seconde moitié du XIIème siècle et bâtissant leurs monastères jusque dans les années 1220 s’inscrivent ainsi à la jonction entre deux arts de bâtir, entre voûtes romanes et premières ogives. 1. Des solutions architecturales éprouvées et pérennisées : Lorsque les cisterciens s’implantent dans le diocèse de Limoges, le tissu paroissial, monastique et canonial est déjà largement constitué, et les plateaux et vallées du Limousin sont parsemés d’églises et de chapelles romanes. Les bâtisseurs de leurs abbatiales ont sans doute déjà travaillé à d’autres églises paroissiales, à d’autres chantiers et sont héritiers d’un certain nombre de techniques de construction largement éprouvées. Leur savoir-faire ne peut que transparaître dans les fondations cisterciennes. Certains ouvriers proviennent peut-être d’autres régions de France, ou circulent d’un site cistercien à un autre. Aucune source historique ne vient toutefois témoigner de l’existence de ces circulations d’ouvriers internes à l’ordre de Cîteaux, mais cette hypothèse séduisante ne peut toutefois être définitivement balayée car elle pourrait expliquer certaines ressemblances entre divers sites cisterciens géographiquement éloignés. • Héritages bourguignons et aquitains : Les premières abbayes cisterciennes sont nées en Bourgogne à la fin du XIème siècle et dans le premier tiers du XIIème siècle, alors même que Cluny est à son apogée et que ses prieurés et dépendances fleurissent partout en France. Les cisterciens vont hériter d’un certain - 762 - nombre de formules architecturales et sculptées romanes, puisées dans l’observation des proches édifices de Bourgogne. Quant aux moines cisterciens du diocèse de Limoges, ils semblent s’inspirer de formulations romanes plus proches géographiquement que la Bourgogne, comme en témoignent les plans choisis, les élévations et les voûtements. En effet les monastères du diocèse de Limoges et de ses marges semblent tournés de manière assez caractéristique vers les pays d’Ouest, une vaste Aquitaine dont le Limousin constitue la marge nord-est. Une première partie historique a montré les liens étroits dans ce territoire avec les princes angevins puis les rois Plantagenêts jusque dans les années 1200. Ainsi, il semblerait qu’un certain nombre de partis architecturaux relayés par les cisterciens dans la seconde moitié du XIIème siècle trouvent une origine dans certaines créations romanes du Poitou, de l’Anjou ou de la Saintonge. Le parti de la nef unique, choisi dès la seconde moitié du XIIème siècle dans les abbayes cisterciennes de Bonnaigue, Bonlieu, Boschaud, Aubignac et Grosbot, ainsi que par certaines abbatiales de moniales telles Coyroux et Derses (soit environ 40% des édifices pris en compte dans cette étude), est connu et largement diffusé dès l’époque romane, privilégié dans un certain nombre de territoires comme en Anjou, mais également en Normandie où les églises à nef unique et chevet plat sont requises depuis le XIème siècle (Saint-Martin-de-laLieue, Vieux-Pont-en-Auge, Saint-André d’Hébertot, Marigny, Chambois)2075. Ces nefs simples du XIème siècle sont directement héritées des schémas carolingiens. André MUSSAT se penche sur l’héritage roman des édifices gothiques de l’ouest de la France. Il insiste tout particulièrement sur le fait que la nef unique est l’un des partis les plus fréquents à la fin du XIème siècle et dans la première moitié du XIIème siècle, soit durant le second art roman. La nef unique angevine est un vaisseau large, définissant un espace ample. Dès le Xème siècle, cette formule est connue à Savennières, datation haute attestée par un appareil en arases de briques. La nef unique est dotée de baies largement ébrasées, permettant un éclairage abondant. Dans la première moitié du XIème siècle, l’église du Lion d’Angers est dotée d’une nef unique de 10.50m de large pour 23.50m de long. La hauteur est relativement modeste (10m). Les dimensions de ces nefs uniques sont généralement plus larges que les nefs cisterciennes du diocèse de Limoges : celles de Bonlieu et de Coyroux par exemple atteignent 2075 A. GOSSE-KISCHINEWSKI, « Fondations cisterciennes en Normandie au temps de Richard », dans Richard Cœur de Lion, roi d’Angleterre, duc de Normandie, 1157-1199, Actes du colloque international de Caen, 1999, Condé-sur-Noireau, 2004, p. 189-197. - 763 - 8m de large. Par ailleurs, ces abbatiales cisterciennes sont souvent plus longues : 35m pour Coyroux, 58m pour Bonlieu. La cathédrale d’Angers est dotée d’une nef unique dès les années 1025-1032, une grande et large salle pouvant accueillir un nombre important de fidèles. Cette nef est scandée de contreforts plats de 1.20m de large pour une saillie de 0.60m. Ces contrebutements ne sont ainsi guère éloignés des réalités cisterciennes limousines où les contreforts plats et larges sont fréquents (Bonnaigue, Le Palais) dans les années 1180-12202076. Les établissements monastiques d’Anjou semblent avoir adopté moins facilement ce parti de la nef unique qui est rejeté à Saint-Aubin et Saint-Martin d’Angers, à l’abbaye du Ronceray [Fig. 917]. Il semblerait que cette préférence pour la nef unique s’applique essentiellement aux milieux épiscopaux et comtaux angevins. Nous avons déjà eu l’occasion de constater que les édifices monastiques de vieille fondation privilégient le parti de la novation, les bas-côtés plus que la traditionnelle nef unique. C’est le cas à Saint-Florent de Saumur, consacrée une première fois en 956, dotée d’une nef à trois vaisseaux, d’un chevet en abside et d’un probable Westwerk [Fig. 918]. Quant aux édifices modestes, petites églises paroissiales et prieurales, elles optent le plus souvent pour une nef unique. La longueur est double de la largeur. Ces édifices se distinguent souvent par l’usage du petit appareil, parfois animé par des jeux d’appareil et arases de briques (Saint-Eusèbe de Gennes)2077. Au XIIème siècle, la nef unique triomphe, souvent associée à un chœur bas, une croisée rétrécie et élevée parfois flanquée de « passages berrichons». Elle est particulièrement reprise par le mouvement érémitique dans la première moitié du XIIème siècle, ainsi à Nyoiseau, Saint-Sulpice-La-Forêt, Fontevrault, La Roë, ces deux dernières étant des fondations de Robert d’Arbrissel [Fig. 1029]. Cette nef permet de disposer d’un vaste espace pour les prêches tandis que les chevets restent modestes, en cohérence avec « l’exercice serein de la liturgie conventuelle ». Ce n’est toutefois pas systématiquement le cas puisque l’abbatiale de Fontevrault associe la nef unique large (14m) et un déambulatoire à chapelles rayonnantes. Ce chœur est alors magnifié, développé à la manière de certaines grandes abbatiales bénédictines romanes (Vézelay, Cluny). La nef est parfois associée à des passages latéraux entre elle et les croisillons afin de créer un grand espace public favorable à la prédication. L’abbaye de la Roë est dédicacée en 1138. Le chœur réédifié au XVème siècle est désormais détruit. Elle est dotée d’une nef unique de 11.35m de large pour une longueur de 34.35m. Jacques MALLET y pressent la rencontre de solutions « archaïsantes » comme 2076 2077 J. MALLET, L’Art roman de l’Ancien Anjou, Paris, Picard, 1984, p. 16. J. MALLET, op. cit., p. 35 et 79. - 764 - l’usage de moellons mal équarris, d’arcs fourrés connus dès le XIème siècle et de solutions « traditionnelles » comme ces volumes fondés sur le cube, la nef unique dotée de passages berrichons. Ainsi, les ordres érémitiques semblent bien souvent faire le choix de la « tradition » plus que des novations de leur temps. Cette remarque semble s’appliquer à nombre d’abbayes cisterciennes du diocèse de Limoges, privilégiant une nef unique prisée dès le XIème siècle en Aquitaine, et qui leur permet de se rattacher, de s’ancrer à un passé commun, angevin, tout en s’adaptant à leur volonté d’austérité, de simplicité [Fig. 919]2078. Les largeurs des nefs uniques cisterciennes sont généralement restreintes par rapport aux réalités romanes angevines. Elles sont de l’ordre de 8m de large contre 10 à 14m de large pour certaines églises telle Fontevrault. Les abbayes cisterciennes d’Anjou montrent d’ailleurs très nettement cette préférence pour la nef unique. Elle est adoptée au Loroux (com. Vernantes, Maine-et-Loire), associée à des passages latéraux. Quant à Chaloché (com. Chaumont-d’Anjou, Maine-et-Loire) et La Boissière (com. Dénézé-sous-le-Lude, Maine-et-Loire), il s’agit de nefs uniques charpentées, comme c’est peut-être le cas à Coyroux au XIIème siècle. Elle reçoit son voûtement d’ogives au milieu du XIIIème siècle sans que nous puissions déterminer de source sûre le mode de voûtement primitif, la Vita n’en faisant pas état. Pourtant, d’une manière plus générale, considérant la majorité des abbayes cisterciennes françaises et européennes, elles semblent opter le plus souvent pour une nef à bas-côtés. La nef unique est bien souvent l’apanage des abbatiales de moniales, ou de nombreuses abbayes d’hommes aquitaines. Certains monastères du Midi de la France choisissent aussi ce parti en accord avec des créations de l’époque romane. C’est le cas à Silvanès (com. Silvanès, Aveyron) ou à Léoncel (com. Léoncel, Drôme). Outre le parti de la nef unique, les chevets cisterciens peuvent parfois relever d’habitudes et d’expériences romanes [Fig. 920]. L’abbaye de Boschaud associe une nef unique à file de coupoles avec un chevet en « trident », à savoir un chœur doté d’une abside principale flanquée de deux absidioles greffées sur les bras du transept [Fig. 189]. Ce type de plan est relativement ancien et se retrouve dès les années 980-1020 à l’abbatiale Saint-André de Sorède (Pyrénées-Orientales). Le chevet est associé comme à Boschaud à une nef unique large. L’abside principale est de la même largeur que la nef. Cette disposition est relativement 2078 J. MALLET, op. cit., p. 113. - 765 - répandue depuis l’époque carolingienne, surtout pour des édifices de dimensions moyennes2079. Cette formule est connue en Anjou comme à Notre-Dame du Fougeray à Cormery, édifice pourvu d’une croisée voûtée d’une coupole sur pendentifs et d’une nef à berceau brisé scandé de doubleaux, autant de partis architecturaux largement repris par les abbayes cisterciennes du diocèse de Limoges et de ses marges 2080. Ce plan en trident est également celui de la crypte de l’abbaye du Ronceray, de l’église d’Echemiré au début XIIème siècle, soit un demi siècle avant le début de la mise en œuvre de Boschaud. Des continuités avec des créations romanes antérieures sont sensibles dans d’autres diocèses, et particulièrement dans le sud de la France. Ainsi, à Sénanque (com. Gordes, Vaucluse) et au Thoronet (com. Le Thoronet, Var) est préservée l’habitude fréquente à l’époque romane de l’abside arrondie prise dans un mur droit. Quant au plan à déambulatoire et chapelles rayonnantes, il ne semble pas avoir la faveur des abbayes cisterciennes dans un premier temps et le chevet plat ou l’abside sont privilégiés [Fig. 921]. Il est pourtant fréquent dans certaines grandes abbatiales bénédictines romanes, sans doute bien connues des bâtisseurs cisterciens. Les nefs à collatéraux et chevet à déambulatoire et chapelles rayonnantes semblent nécessaires au bon déroulement de la liturgie conventuelle et au déploiement des processions. Ce type de chœur développé est privilégié pour les édifices clunisiens. En effet, Cluny accorde une place prépondérante à l’Opus dei, d’où une multiplication des offices, des messes et des messes propres célébrées par des moines-prêtres pour qui on multiplie les autels, et donc les chapelles latérales autour du déambulatoire. L’abbatiale de Vézelay par exemple est dotée d’un chevet à déambulatoire et chapelles rayonnantes, plan que les cisterciens vont rejeter dans la première moitié du XIIème siècle, sans doute par souci de simplicité. À Vézelay, ce choix est lié à la célébration eucharistique vers l’est (changement dans la liturgie apparu à la fin du IXème siècle et au début du Xème siècle). Le déambulatoire permet également la circulation des fidèles et des pèlerins autour des reliques, ce dont les cisterciens n’ont pas à se préoccuper. Ceux-ci n’ont effectivement pas pour vocation l’accueil des reliques et des fidèles. Les églises cisterciennes ne sont qu’exceptionnellement ouvertes aux laïcs, n’abritent pas de reliques, et les processions sont proscrites de la liturgie. Par ailleurs, les autels sont multipliés pour que les moines-prêtres 2079 2080 É. VERGNOLLE, L’art roman en France, Flammarion, Paris, 1994, p. 53. A. MUSSAT, op. cit., p. 35. - 766 - puissent dire leur messe privée. L’église est réservée aux seuls membres de la communauté2081. Néanmoins, le déambulatoire tend à faire son apparition dans la reconstruction des grandes abbatiales de l’ordre dès la seconde moitié du XIIème siècle (Clairvaux, Cîteaux, Pontigny, Valmagne…), au moment où certains principes d’austérité tombent en désuétude. Dans le diocèse de Limoges, de nombreux édifices romans de la fin du XIème siècle et des premières décennies du XIIème siècle choisissent ce plan. Les exemples ne manquent donc pas dans le paysage architectural où s’implantent les moines blancs dans la seconde moitié du XIIème siècle. Le déambulatoire est requis à Beaulieu, à Uzerche, deux abbayes rattachées à Cluny à la fin du XIème siècle. À Uzerche, le chœur est consacré en 1097 [Fig. 922]. Le sanctuaire dispose d’absidioles au plan légèrement outrepassé2082. Les piles du déambulatoire sont surmontées d’impostes chanfreinées, attestant cette datation de la fin du XIème siècle. Néanmoins, les voûtes à pénétration sembleraient plutôt du début du XIIème siècle. À Beaulieu, le chœur à déambulatoire présente trois niveaux d’élévation : les grandes arcades, les tribunes, ainsi que des fenêtres en plein-cintre. La datation de ce chœur est malaisée et pourrait relever des années 1110-1115 d’après Évelyne PROUST. En effet, certaines sculptures du chœur évoquent de manière troublante des motifs des manuscrits de Saint-Junien et de Saint-Martial, d’où cette proposition de datation2083. Les bases attiques épaisses sont difficilement datables. Elles présentent des motifs de cordages, feuillages et damiers atypiques évoquant plutôt des réalités de la seconde moitié du XIème siècle [Fig. 886]. C’est également le parti des églises romanes de Saint-Pierre de Lesterps, Saint-Robert, Tulle, Bénévent, Chambon-sur-Voueize, Le Dorat, Saint-Étienne de Limoges ou encore Saint-Léonard de Noblat. Le déambulatoire de Saint-Martial de Limoges est vraisemblablement antérieur et relève sans doute du premier tiers du XIème siècle. Il pourrait ainsi constituer un précédent de ce type de plan dans le diocèse de Limoges. La date de consécration est de 1095, soit en même temps que la cathédrale romane, sans que nous puissions déterminer si le chantier était achevé à cette date. L’abbatiale ayant disparue, il est difficile de proposer des datations 2081 A. ERLANDE-BRANDENBOURG, « Architecture religieuse et fidèles », dans L’architecture religieuse médiévale. Art roman et art gothique. Une nouvelle vision, Dossiers d’Archéologie n°319, janvier-février 2007, p. 24-35. 2082 C. ANDRAULT-SCHMITT, Les nefs des églises romanes…, op. cit., T I, p. 36. 2083 A-M. PECHEUR, É. PROUST, « Beaulieu-sur-Dordogne, abbatiale Saint-Pierre », dans Monuments de Corrèze, Congrès Archéologique de France, Société Française d’Archéologie, 163 ème session, 2005, Paris, 2007, p. 86-103. - 767 - précises sur le déroulement de la construction. Cinq chapelles sont greffées sur le déambulatoire, la chapelle axiale présente un plan légèrement outrepassé. Ce plan est en lien avec la vocation de pèlerinage affirmée par une communauté monastique drainant ainsi de nombreux fidèles, nécessitant un espace approprié qui permet la circulation et le bon déroulement des processions2084. C’est pourquoi sans doute les bas-côtés sont larges, de 4.80m, caractéristique relativement rare en Limousin et cohérente avec un cadre clunisien et de pèlerinage2085. L’abbaye de Déols en Berry, à côté de Châteauroux, opte également pour ce type de chevet [Fig. 923]. À la fin du XIème siècle, une troisième abbatiale est construite sur le site clunisien fondé en 917 par Ebbe de Déols, vassal de Guillaume d’Aquitaine. Elle est consacrée en 1107 par le pape Pascal II. Elle est dotée d’un chœur à déambulatoire, d’une nef à bas-côtés, d’une avant-nef, le tout ceint par une enceinte fortifiée. Il est toutefois difficile aujourd’hui de connaître le plan et l’élévation exacts de cet édifice presque entièrement ruiné2086. En Anjou, le déambulatoire à chapelles rayonnantes reste rare en comparaison des multiples exemples septentrionaux, bourguignons et même limousins. Il apparaît à SaintAubin d’Angers entre 1130 et 1150 [Fig. 917]. À l’abbatiale du Ronceray, bâtie entre 1028 et 1119 suite à la fondation de Foulques Nerra et de sa femme Hildegarde, le chœur adopte un plan bénédictin avec des absidioles jointives communiquant entre elles. André MUSSAT constate néanmoins qu’il ne trouve guère de prolongements dans les édifices du gothique de l’ouest2087. Si les plans choisis révèlent des liens étroits, des continuités et permanences avec certaines habitudes romanes aquitaines, que dire des élévations et des voûtements ? Les élévations des abbayes cisterciennes du diocèse de Limoges sont méconnues du fait de l’état de ruines de la majorité des édifices. Certaines constatations peuvent toutefois être esquissées, évoquant cette continuité avec l’art roman sensible à travers l’étude des proches réalités romanes aquitaines. Certains édifices optent pour une élévation simple à un seul niveau comme à Obazine où les grandes arcades sont seulement surmontées de deux 2084 C. ANDRAULT-SCHMITT, « L’architecture de la grande église en questions », dans C. ANDRAULTSCHMITT (dir.), Saint-Martial de Limoges…, op. cit., p. 219-239. 2085 C. ANDRAULT-SCHMITT, Les nefs des églises romanes …, op. cit., T I, p. 18. 2086 J. HUBERT, « L’abbatiale Notre-Dame de Déols », dans J. HUBERT, Nouveau recueil d’études d’archéologie et d’histoire. De la fin du monde antique au Moyen-Âge, Droz, Paris, Genève, 1985, p. 361-424 ; J. HUBERT, « L’abbaye de Déols et les constructions monastiques » dans J. HUBERT, Arts et vie sociale de la fin du monde antique au Moyen-Âge. Étude d’archéologie et d’histoire, Genève, 1977, p. 449-458. 2087 A. MUSSAT, op. cit., p. 33 ; J. MALLET, op. cit., p. 56-71. - 768 - baies en plein-cintre ouvrant sur les combles [Fig. 482]. Certaines abbatiales romanes du diocèse de Limoges privilégient déjà ce type d’élévation. C’est le cas à Saint-Junien où les grandes arcades reposent sur de simples piles cruciformes à impostes. Cet édifice du tournant du XIIème siècle, bâti vraisemblablement entre 1075 et 1100 se caractérise par une certaine ampleur des formes, une généralisation des supports à demi-colonnes et un éclairage par la croisée. La puissance et l’articulation des piles va dans le sens d’une datation du dernier quart du XIème siècle, comme l’attestent l’épaisseur des murs gouttereaux et l’implantation des contreforts [Fig. 924]2088. De même au Dorat, le seul niveau requis est celui des grandes arcades. Cet édifice pourrait être construit entre 1115 et 1145 tandis que le dernier étage de la croisée relève plutôt de la fin du XIIème siècle2089. Les élévations tripartites semblent plus rares dans le diocèse de Limoges. À Beaulieu toutefois, si la nef ne dispose que de deux niveaux (grandes arcades surmontées de petites baies géminées), le chœur se dote de grandes arcades au profil légèrement brisé, de tribunes (certes atrophiées) et de baies. Ces tribunes, traitées comme de simples galeries obscures, sont voûtées en quart-de-cercle2090. Dans un cadre cistercien, les tribunes disparaissent et généralement les élévations n’acceptent qu’un seul niveau. Quant aux baies observées, elles sont le plus souvent en plein-cintre, avec de larges ébrasements internes et surmontées d’un linteau monolithe. C’est le cas à Prébenoît (bas-côté nord et dépôt lapidaire) [Fig. 339], et Boschaud (dernière travée de la nef) [Fig. 193]. Ces baies sont étroites et atteignent souvent 20cm de large. Les baies peuvent également être plus larges (entre 50 et 80cm de large) et surmontées de linteaux clavés, très ébrasées comme à Obazine et Bonlieu [Fig. 146]. Nous ne sommes alors guère éloigné des percements de certaines églises angevines antérieures : à Saint-Aubin d’Angers par exemple, les baies présentent un profil en plein-cintre dès le XIème siècle. Les claveaux qui la constituent sont étroits et allongés. Ces caractéristiques sont proches des réalités cisterciennes, bien que les claveaux soient généralement plus larges comme observés pour les portes et percements des bâtiments conventuels d’Obazine (fin XIIème, premier tiers du XIIIème siècle) [Fig. 513]. Les voûtements des abbatiales cisterciennes du diocèse de Limoges sont mieux connus que leurs élévations et mettent en lumière des liens avec des abbatiales de Bourgogne, paraissant dès lors évidents et ayant pu être établis par l’intermédiaire des premières abbayes2088 C. ANDRAULT-SCHMITT, Les nefs des églises romanes …, op. cit., T I, p. 14 et 37. C. ANDRAULT-SCHMITT, Les nefs des églises romanes…, op. cit., T I, p. 151. 2090 É. VERGNOLLE, op. cit., p. 200. 2089 - 769 - mères de l’ordre. En Bourgogne, dans le premier tiers du XIIème siècle, le voûtement de nefs larges est résolu par un couvrement en berceau plein-cintre ou brisé, souvent souligné d’arcs doubleaux à double rouleaux. Au Bois-Sainte-Marie par exemple, berceau en plein-cintre et berceau brisé cohabitent harmonieusement. L’église prieurale de Paray-Le-Monial dispose d’une nef bordée de bas-côtés, voûtée d’un berceau scandé de puissants arcs doubleaux brisés. Le berceau brisé va être très prisé dans un cadre cistercien et s’inscrit comme le système de voûtement privilégié. Il semble apparaître dès le début du XIIème siècle dans divers monuments de Bourgogne (Bois-Sainte-Marie) mais aussi de l’Ouest de la France (Saint-Pierre de Chauvigny, Saint-Eutrope de Saintes). Selon Éliane VERGNOLLE, ce succès s’explique par « les avantages d’une voûte qui, engendrée par deux segments de cercle s’affrontant à la clé, pousse moins au vide et s’avère, de ce fait, plus facile à contrebuter que le berceau pleincintre ». Il est ainsi possible de percer des fenêtres sous les retombées des voûtes. L’historienne de l’art constate que la Bourgogne, l’Auvergne et le Limousin semblent avoir précocement adopté le berceau brisé, ce qui a entraîné la disparition des tribunes de contrebutement, ou leur atrophie progressive comme observé à Beaulieu 2091. L’adoption du tracé brisé est tangible dès le XIème siècle et assure « une meilleure diffusion des poussées, soulage la clé de l’arc tout en l’exhaussant ». Quant à la combinaison classique d’un voûtement en berceau contrebuté d’arêtes dans les bas-côtés (Obazine), elle s’accompagne au XIIème siècle de l’usage du profil brisé2092. Les cisterciens vont également largement recourir à ce type de voûtes. Ainsi, à Fontenay, le berceau brisé de la nef est scandé d’arcs doubleaux [Fig. 1]. Les bas-côtés sont élevés afin de contrebuter la voûte du vaisseau central. Ces collatéraux sont couverts de berceaux brisés placés transversalement, selon une technique initiée à SaintPhilibert de Tournus au XIème siècle (consécration du chevet en 1019) [Fig. 925]. En effet, à Tournus, les bas-côtés sont couverts de berceaux transversaux reposant sur des arcs diaphragmes. Les berceaux transversaux ne sont pas inconnus en Limousin. Ainsi, l’église de Toulx-Sainte-Croix édifiée au XIème siècle présente une nef à bas-côtés et un seul niveau d’élévation constitué d’arcades en plein-cintre. Le vaisseau principal est couvert d’un berceau en plein-cintre souligné d’arcs doubleaux. Les collatéraux permettent un éclairage indirect par l’intermédiaire de petites baies. Ils sont voûtés de berceaux longitudinaux en plein-cintre, 2091 2092 É. VERGNOLLE, op. cit., p. 200. C. ANDRAULT-SCHMITT, Les nefs des églises romanes..., op. cit., T I, p. 193. - 770 - soulignés d’arcs doubleaux. Nous ne sommes ici pas très éloignés du parti cistercien de Fontenay ou des formules choisies à Tournus2093. Le même système est choisi à l’abbatiale du Ronceray (entre 1028 et 1119). La nef est voûtée d’un berceau longitudinal de 30m de long pour 7.60m de large. Elle est scandée d’arcs doubleaux légèrement outrepassés. Les bas-côtés sont quant à eux couverts de berceaux transversaux supportés par des arcs diaphragmes relevant de la fin du XIème siècle, voire de la première décennie du XIIème siècle. Ce type de voûtement est également celui choisi à Cunault dans la première moitié du XIIème siècle. Les collatéraux élevés voûtés d’arêtes parviennent peu en dessous des sommiers de la voûte en berceau principale [Fig. 926]2094. À Fontfroide, la nef voûtée en berceau brisé est contrebutée par des bas-côtés voûtés en demi-berceau. Les solutions semblent ainsi multiples [Fig. 927]. À Grosbot, les vestiges de la nef laissent percevoir la naissance d’un berceau, probablement brisé, choisi pour couvrir la nef unique [Fig. 437]. Ce choix du berceau brisé lancé au-dessus d’une simple nef est très fréquent à partir des années 1130, mais surtout dans la seconde moitié du XIIème siècle pour des vaisseaux de proportions mesurées, et Grosbot s’inscrit ainsi comme un exemple significatif [Fig. 430 bis]. Cette solution est une alternative au choix de voûtement d’un vaisseau large par des files de coupoles, choix permettant néanmoins de conserver une unité de l’espace. Les poussées de la voûte sont uniquement reçues par les gouttereaux devant être renforcés, d’où la présence de contreforts relativement massifs à Grosbot. Ce type architectural est également choisi à Notre-Dame de Nantilly de Saumur où le vaisseau est scandé de contreforts massifs, mais aussi et surtout en Languedoc et Provence, tel à Maguelone où les murs atteignent 2.50m d’épaisseur [Fig. 928]2095. À Obazine, la nef est voûtée d’un berceau brisé à doubleaux tandis que les bas-côtés sont cette fois voûtés d’arêtes [Fig. 482 et 483]. Les grandes arcades conservent par ailleurs un profil en plein-cintre. Certains choix cisterciens semblent ainsi tributaires de formules romanes déjà éprouvées en Bourgogne2096. Le même parti est peut-être choisi à l’abbaye de Prébenoît. Le bas-côté nord permet d’envisager des voûtes d’arêtes soulignées de doubleaux tandis que le voûtement de la nef est inconnu [Fig. 338]. Nous savons toutefois d’après un sondage archéologique que les piliers séparant nef et collatéraux sont très simples, quadrangulaires, et correspondraient sans doute plus à un voûtement simple, de type berceau, qu’à des ogives nécessitant des piles complexes 2093 P. MARTIN, « L’église Saint-Martial à Toulx-Sainte-Croix », dans C. ANDRAULT-SCHMITT (dir.), SaintMartial de Limoges…, op. cit., p. 281-293 2094 J. MALLET, op. cit., p. 126. 2095 É. VERGNOLLE, op. cit., p. 314. 2096 R. OURSEL, Bourgogne romane, Zodiaque, « La Nuit des Temps », 1968 (5ème édition). - 771 - avec colonnes engagées. Par ailleurs, l’étude du dépôt lapidaire issu de la destruction de l’abbatiale a révélé peu de claveaux de nervure d’ogives. L’utilisation de l’ogive ne semble pas systématique dans cette abbatiale. Ainsi, la nef est peut-être couverte d’un berceau brisé souligné de doubleaux comme à Obazine. C’est un parti architectural souvent employé dans les abbayes clunisiennes. Selon Raymond OURSEL, l’élévation « clunisienne » comprend des arcs brisés à double rouleau, une nef voûtée en berceau brisé et des bas-côtés voûtés d’arêtes. C’est le cas à Autun, et peutêtre aussi à Saint-Martial de Limoges. L’abbatiale est connue grâce aux gravures et plans conservés. Nous pouvons constater que la nef est voûtée en berceau, contrebuté par un étage de tribunes surmontant les collatéraux. Le berceau est renforcé de doubleaux2097. Le berceau brisé est fréquent dès le XIème siècle dans le diocèse de Limoges. À SaintJunien, dès les années 1075-1100, la nef est couverte d’un berceau légèrement brisé souligné de doubleaux tandis que les collatéraux étroits se dotent de berceaux brisés sur doubleaux, montrant bien la précocité de ce recours aux tracés brisés. Le berceau brisé est également la solution choisie pour l’abbatiale clunisienne de Beaulieu-sur-Dordogne, reconstruite depuis la première décennie du XIIème siècle (chœur et transept) jusque dans les années 1130-1140 (nef et porche), soit quelque peu avant la mise en œuvre d’Obazine (seconde moitié du XIIème siècle jusque dans les années 1200 pour les bâtiments conventuels, réfectoire et bâtiment des convers). Les dons les plus fréquents aux moines de Beaulieu correspondent par ailleurs aux années 1050-11202098. L’avant dernière travée de la nef de Beaulieu montre toutefois un décalage chronologique comme en témoignent les bases de colonne au tore inférieur aplati, les chapiteaux à feuilles engainantes et bourgeons terminaux, attestant d’une datation plus tardive des années 1190-1200. À Beaulieu, la nef de quatre travées est en effet voûtée en berceau sur doubleaux et les collatéraux voûtés d’arêtes. Les similitudes de cette nef avec Obazine sont confirmées par un décor sobre où le chapiteau nu prédomine [Fig. 929]. Les collatéraux de Beaulieu montrent par ailleurs des corbeilles à grandes feuilles se terminant par des boules aux angles, assez identiques à des modèles cisterciens méridionaux2099. Au Dorat, bâtie entre 1115 et 1145, la nef est voûtée d’un berceau brisé sur doubleaux à doubles rouleaux. Les bas-côtés sont couverts de voûtes d’arêtes soulignées de doubleaux comme à Obazine. 2097 É. VERGNOLLE, « L’abbatiale romane : bilan documentaire », dans C. ANDRAULT-SCHMITT (dir.), Saint-Martial de Limoges…, op. cit., p. 189-218. 2098 C. ANDRAULT-SCHMITT, Les nefs des églises romanes..., op. cit., T I, p. 167. 2099 A-M. PECHEUR, É. PROUST, op. cit., p. 86-103. - 772 - Les deux premières travées de la nef et des bas-côtés de l’église de la Souterraine sont édifiées dans le milieu du XIIème siècle. Le vaisseau central est couvert d’un berceau brisé flanqué de hauts et étroits bas-côtés voûtés d’arêtes. Le chœur, la crypte et les dernières travées de la nef correspondent par ailleurs à une phase de construction gothique comme en témoignent l’apparition de chapiteaux à crochets ou encore le chevet plat percé d’un triplet2100. Ainsi, les moines cisterciens limousins paraissent maîtriser parfaitement les solutions de voûtement romanes, qu’elles soient celles de Bourgogne, du Poitou, de l’Anjou ou de plus proches édifices du diocèse de Limoges (Beaulieu, Saint-Martial, La Souterraine), permettant le contrebutement des nefs sans avoir recours aux arcs-boutants gothiques ou à d’épais contreforts. Les moines cisterciens paraissent souvent tributaires de nombreuses formulations romanes et s’inspirent largement des créations bourguignonnes mais surtout des proches édifices aquitains. Néanmoins, il n’y a pas de servitude vis-à-vis de cet héritage roman, et Matthias UNTERMANN en particulier s’attache à témoigner de différences essentielles entre les productions cisterciennes et les créations antérieures, de résistances, de parentés refusées, non intégrées. C’est ainsi que le déambulatoire à chapelles rayonnantes peine à être accepté dans un premier temps, et ne sera jamais mis en œuvre dans les abbatiales cisterciennes du diocèse de Limoges, alors qu’il est par ailleurs bien présent dans certaines églises proches comme Saint-Martial, Lesterps, Uzerche, Beaulieu. En effet, les abbayes cisterciennes, dans leur recherche de sobriété, de dépouillement et de simplicité, vont se débarrasser d’un certain nombre d’éléments jugés superflus, qu’il s’agisse de chevets développés ou d’élévations tripartites. Ils renoncent en particulier au triforium aveugle placé entre les grandes arcades et les fenêtres hautes munies de vitraux, ainsi qu’aux tribunes, ignorées des abbayes cisterciennes du diocèse de Limoges. Une autre distinction fondamentale est la proportion même des édifices. Il existe un écart sensible entre un monastère cistercien et une cathédrale septentrionale. Ainsi, la nef de Pontigny atteint 19m de haut pour 12.50m de large, celle de Cluny 29.50m de haut pour 14.80m de large, ou encore celle de la cathédrale de Sens 24.40m de haut pour 15.30m de large. Nous avons déjà constaté ci-dessus la faible largeur des nefs uniques des abbayes cisterciennes limousines comparées aux larges vaisseaux romans aquitains comme Fontevrault. À cette relative modestie des dimensions correspond une simplicité, une discrétion des ornements sculptés et peints. Pas de 2100 C. ANDRAULT-SCHMITT, Les nefs des églises romanes..., op. cit., T I, p. 157. - 773 - grands portails sculptés, aux tympans et trumeaux envahis de figures (tels à Autun, Vézelay ou Beaulieu), pas de chapiteaux historiés aux thèmes bibliques complexes (Cluny, Vézelay), ni de programmes peints (Berzé-la-Ville)2101. Ainsi, il existe bien des hésitations entre adoption de formes romanes, des permanences et un refus de certaines dispositions contraires aux principes d’austérité, de dépouillement et de simplicité des volumes. Des considérations liturgiques peuvent également entrer en ligne de compte : les cisterciens n’ayant pas pour vocation première l’accueil des fidèles et le culte autour des reliques, le choix d’un déambulatoire à chapelles rayonnantes ne trouve ainsi pas de justification. Un témoin du maintien de formules romanes dans cette seconde moitié du XIIème siècle est le recours à la coupole, voire à la file de coupoles associée à une nef unique (monastère de Boschaud). C’est en effet l’exemple le plus flagrant de ces passerelles entre créations cisterciennes et réalités aquitaines préexistantes. • L’exemple de la coupole : croisée du transept et solution de voûtement des vaisseaux larges. Les bâtisseurs de l’époque romane ont initié un mode de voûtement convenant tout particulièrement aux larges vaisseaux, aux nefs uniques dont les dimensions importantes ne facilitent guère la mise en œuvre d’un berceau en plein-cintre ou de voûtes d’arêtes. En effet, le remplacement de charpentes adaptées à de larges vaisseaux a posé la question du type de voûte pouvant être édifié, de sorte à ce que les gouttereaux résistent à de fortes poussées. Si vers 1130-1140, les voûtes en berceau brisé sont fréquemment choisies comme solution, dès le début du XIIème siècle, le voûtement en file de coupoles est initié dans l’Ouest de la France. Ces voûtes sont certes plus lourdes, jusque là réservées aux croisées, mais poussent peu au vide et apportent donc ici une solution innovante. Elles conduisent toutefois à briser l’unité caractérisant les nefs uniques charpentées2102. Ainsi, les files de coupoles apparaissent en Aquitaine et vont se développer jusque dans l’ancien diocèse de Limoges, où les choix des cisterciens de Boschaud nous invitent à nous attarder sur ce voûtement plutôt inhabituel dans un cadre cistercien [Fig. 930]. Une soixantaine d’édifices sont ainsi construits dans la première moitié du XIIème siècle en Aquitaine. 2101 2102 M. UNTERMANN, Forma Ordinis..., op. cit., p. 142. É. VERGNOLLE, op. cit., p. 217. - 774 - René CROZET remarque que ces édifices bien particuliers se répartissent majoritairement sur un axe reliant Cahors à Saintes, sur des terrains géologiques généralement privés de ressources forestières, dotés de roches calcaires légères, faciles à débiter et à tailler, se délitant naturellement en petite hauteur de banc. L’abbaye de Boschaud est justement édifiée en calcaire. Ces églises sont souvent bâties dans le voisinage des carrières, le long de voies de circulation pour faciliter le charroi des pierres. Les coupoles supposent un tas-decharge soigné en pendentifs. Toutes les assises sont montées en porte-à-faux ou en encorbellement. Ainsi, la pénurie de bois d’œuvre peut expliquer le choix de la coupole face aux voûtes2103. Nous ne sommes toutefois pas entièrement d’accord avec cette définition qui semble souffrir des exceptions : ainsi l’abbaye de Solignac dans le diocèse de Limoges se situe en pays granitique relativement boisé tandis que Fontevrault semble isolée de l’axe défini, à plus de 200 km au nord d’Angoulême, et dispose elle aussi d’importantes ressources forestières2104. À Solignac, il semblerait que la nef, la croisée et le chœur aient été édifiés simultanément dans le second quart du XIIème siècle. La tour-porche, hors-œuvre, est plus tardive. La nef est large (17.70m) et est voûtée de coupoles sur pendentifs appareillés, reçues par des massives piles cruciformes. Les murs gouttereaux sont animés à l’extérieur et à l’intérieur d’arcades aveugles surmontées d’une baie large par travée [Fig. 932 et 933].2105 Un certain nombre d’historiens de l’art se sont attachés à déterminer quel était le modèle de ces édifices à file de coupoles, le premier a avoir initié cette formule, qu’il s’agisse de René CROZET, Charles DARAS ou Pierre DUBOURG-NOVES. Selon René CROZET, Géraud III de Cardaillac, évêque de Cahors (1090-1113), à la suite d’un voyage à Chypre et en Terre Sainte en 1109, aurait décidé de doter sa cathédrale d’une file de coupoles de 16m de diamètre (dans les années 1115). La cathédrale de Cahors présente une nef unique très large (20m) et la mise en œuvre de coupoles est une solution efficace pour le voûtement d’un vaisseau de telles dimensions. L’édifice est consacré en 1119, ce qui ne signifie toutefois pas que le chantier était achevé à cette date. Saint-Étienne de Périgueux et Souillac en Quercy seraient postérieures et leurs coupoles semblent gagner en légèreté2106. Néanmoins, pour Edmond-René LABANDE, la file 2103 B. PHALIP, Charpentiers et couvreurs…, op. cit., p. 54. R. CROZET, « Remarques sur la répartition des églises à file de coupoles. Déterminisme ou méthode historique », CCM, IVème année, n°2, avril-juin 1961, p. 175-178. 2105 C. ANDRAULT-SCHMITT, Les nefs des églises romanes..., op. cit., T II, p. 277. 2106 R. CROZET, op. cit. ; R. CROZET, « L’église abbatiale de Fontevrault. Ses rapports avec les églises à coupoles d’Aquitaine », Annales du Midi, n° 190, 1936, p. 113-151 ; C. DARAS, « Les églises à file de coupoles dérivées de la cathédrale d’Angoulême en Aquitaine », CCM, VIème année, n°1, janvier/mars 1963, p. 55-60. 2104 - 775 - de coupole de Saint-Étienne de Périgueux serait la première au début du XIIème siècle et Girard d’Angoulême s’en serait inspiré pour sa cathédrale. Il est toutefois délicat d’attester l’une ou l’autre de ces hypothèses. Les coupoles de Périgueux semblent néanmoins plus abouties, la mise en œuvre plus soignée qu’à Cahors [Fig. 934]2107. La file de coupoles édifiée à Périgueux aurait pu inspirer un certain nombre d’édifices proches comme l’abbaye cistercienne de Boschaud (com. Villars) ou les églises de Cherval, Saint-Martial de Viveyrol et Vieux-Mareuil en Périgord. Selon Charles DARAS, la voie ancienne reliant Périgueux à Angoulême pourrait avoir une incidence sur cette répartition et aurait facilité les échanges2108. À Boschaud, la nef unique de deux ou trois travées et la croisée du transept sont couvertes de coupoles sur pendentifs appareillées en modules réguliers de calcaire [Fig. 195]. Les calottes reposent sur un cordon simplement mouluré. C’est le seul édifice cistercien à file de coupoles du diocèse de Limoges et de ses marges. Ces choix architecturaux paraissent ainsi exceptionnels dans un cadre cistercien. Les moines se sont probablement inspirés des proches édifices aquitains comme Saint-Étienne de Périgueux. D’après Nelly BUISSON, l’abbaye de Peyrouse dispose peut-être également d’une nef voûtée d’une file de coupoles. Elle ne justifie toutefois pas cette hypothèse. Les vestiges conservés ne permettent pas d’attester ce voûtement2109. Boschaud pourrait être une exception, étroitement liée à son paysage d’implantation, héritière de techniques romanes privilégiées pour le voûtement de vaisseaux uniques larges. La cathédrale d’Angoulême serait quant à elle bâtie entre 1110 et 1130 [Fig. 935]. Elle est consacrée en 1128, soit dix ans après la cathédrale de Cahors. L’appareillage des coupoles de 11m de diamètre paraît plus soigné et elles sont ornées de colonnes. Pour Charles DARAS, elle est vraisemblablement à l’origine des files de coupoles de nombre d’édifices charentais mais a peut-être aussi incité le développement des coupoles de croisée (Grosbot en Charente, Bonlieu, Obazine). Charles DARAS constate que les églises à file de coupoles sont souvent situées dans les pays d’Ouest, se concentrant au voisinage de la Charente. En effet, la vallée de la Charente possède de nombreuses carrières de pierres tendres d’une exploitation aisée (Saint-Même, Séreuil) et permettant des structures légères pouvant couvrir de larges vaisseaux. Ainsi, de nombreuses églises paroissiales ou prieurales charentaises sont bâties en bel appareil régulier, souvent de pierres calcaires comme à Fléac, Champmillon, Châtres (quatre coupoles dont une de croisée), Bourg-Charente, Cherves (trois coupoles sur pendentifs), Gensac-La-Pallue [Fig. 936]. Ces églises sont regroupées par Pierre DUBOURG2107 E-R. LABANDE, Histoire du Poitou, du Limousin et des payes charentais…, op. cit., p. 170. C. DARAS, op. cit. 2109 N. BUISSON, « Abbaye de Peyrouse », BSHAP, T 113, 1986, p. 308-323. 2108 - 776 - NOVES sous le nom de « groupe de Cognac », édifices à file de coupoles situés autour de Cognac en Angoumois, bourg bien connu des moines cisterciens d’Obazine qui y détiennent des biens immobiliers (grenier). Ainsi, la prieurale Saint-Léger de Cognac dispose d’une nef de deux travées voûtées de coupoles, remplaçant une charpente dans les années 1115-1130. Une fois encore, c’est ce parti de la coupole qui est choisi pour le couvrement d’un vaisseau large auparavant charpenté. De nombreuses églises adoptant ce parti sont par ailleurs étroitement liées à la cathédrale d’Angoulême. Fléac passe avant 1110 au chapitre cathédral d’Angoulême tandis que Champmillon appartient à la manse de l’évêque. Ces deux édifices sont charpentés à l’origine. Le voûtement à file de coupoles peut ainsi intervenir comme une alternative à la charpente, une novation permettant le voûtement de larges vaisseaux uniques autrefois charpentés. De même, Sainte-Marie de Douzat en Angoumois est dévolue en 1110 au chapitre d’Angoulême. Elle se constitue d’un long vaisseau unique bientôt doté d’une file de coupoles, probablement édifiée du vivant de l’évêque Girard († 1136)2110. Quant aux liens avec l’abbatiale de Fontevrault, ils paraissent plus évidents à établir. Robert d’Arbrissel, fondateur de l’ordre, connaît Girard de Blaye, évêque d’Angoulême initiateur de la file de coupoles de sa cathédrale. La construction de la nef unique large (14m) commence en effet en 1117. L’édifice est dédicacé en 1119 par Calixte II, sans doute avant l’achèvement des travaux. Il est probable que vers 1120, les parties orientales de l’édifice soient utilisables, mais l’achèvement n’est sans doute pas intervenu avant 1130. Robert d’Arbrissel est peut-être mort avant l’érection de la nef. Il aurait pu évoquer un projet de file de coupoles à l’image de la cathédrale avant son décès. Les quatre coupoles sur pendentifs reproduisent exactement les dimensions de celles d’Angoulême [Fig. 937]. Les seules différences tiennent à la réception des formerets par des colonnes jumelées. Les coupoles sont appareillées, à l’inverse des coupoles de Saint-Martin d’Angers ou du Ronceray qui sont encore en blocage. Les pendentifs sont formés d’assises horizontales posées en encorbellement. Un bandeau souligne le départ de la calotte2111. Peut-être Girard, évêque d’Angoulême, a-t-il envoyé son maître d’œuvre sur le chantier de Fontevrault ? Il est également probable que le prieuré d’Orsan en Berry, fils de Fontevrault, ait disposé d’une file de coupoles similaire [Fig. 938]. En effet, en 1711, Jacques 2110 P. DUBOURG-NOVES, « Quelques réflexions sur les églises à coupoles des diocèses d’Angoulême et de Saintes », BSAOMP, T 15, 2ème trimestre 1980, p. 435-477. 2111 A. MUSSAT, Le style gothique de l’Ouest de la France…, op. cit., p. 62 ; J. MALLET, op. cit., p. 113. - 777 - BOYER compare les voûtes d’Orsan à celles d’Angoulême et de Solignac. De même concernant le prieuré fontevriste de Tusson (1112)2112. L’abbatiale saintongeaise de Sablonceaux opte également pour ce voûtement [Fig. 939]. Cette communauté augustinienne est fondée en 1136 et les coupoles couvrant les quatre travées de la nef interviennent ainsi sans doute dans la seconde moitié du XIIème siècle. Des liens de filiation expliquent aussi parfois ce choix : ainsi, Saint-Romain de Benet, prieuré fille de Sablonceaux, se dote également d’une file de coupoles de 9.60m de diamètre. Ce parti adopté en Saintonge peut peut-être s’expliquer par le voûtement initial de la cathédrale de Saintes. La nef devait en effet être couverte de deux grandes coupoles sur pendentifs. Nous pouvons aujourd’hui observer des coupoles sur pendentifs sur les bras et la croisée du transept, créant ainsi une file transversale de coupoles. La coupole du croisillon sud est de 9m de diamètre. Quant à l’abbaye aux Dames de Saintes, elle se dote également d’une file de coupoles (1135-1148). Elles mesurent 12.5m de diamètre et sont soutenues par les rouleaux des grandes arcades. Il s’agit des plus larges calottes du nord de l’Aquitaine. En Saintonge, d’autres exemples similaires sont connus à Nouillers (trois coupoles de 5.70m de diamètre), à l’église bénédictine de la Tenaille (sans doute trois coupoles dans la nef) ou encore à Marestay où les larges coupoles sur pendentifs atteignent 12.50m de diamètre. Ainsi, les pays d’Ouest semblent particulièrement sensibles à ce type de voûtement, spécialement dans les années 1100-1130. Ces coupoles nécessitent une main d’œuvre qualifiée, circulant peut-être d’un chantier à l’autre, d’où les ressemblances flagrantes entre certains édifices comme la cathédrale d’Angoulême et la nef de Fontevrault. Néanmoins en Bordelais, il semblerait que le voûtement à file de coupoles demeure exceptionnel. Seules Saint-Philippe d’Aiguille, Sainte-Geneviève de Fronsac et Saint-Emilion de Pleineselve optent pour cette formule, assez tardivement. À la fin du XIIème siècle, ce type de voûtement se fait de plus en plus rare tandis que les voûtes d’ogives priment peu à peu. La coupole est fréquemment choisie pour le voûtement de la croisée du transept, espace souvent magnifié par la mise en place d’une tour, d’un clocher nécessitant d’être soutenu par un voûtement puissant. Concernant l’abbatiale clunisienne de Déols en Berry, cœur de la principauté de Déols, marche avancée de l’Aquitaine tournée vers les pays d’Ouest et le sud, il existe probablement une coupole à la croisée du transept dont il ne reste malheureusement aucun vestige2113. Dans le diocèse de Limoges, cette solution est fréquente et montre une alternance entre des coupoles sur trompes et sur pendentifs [Fig. 930]. Les 2112 A. MUSSAT, op. cit., p. 40. J. HUBERT, « L’abbatiale Notre-Dame de Déols », dans J. HUBERT, Nouveau recueil d’études d’archéologie et d’histoire. De la fin du monde antique au Moyen-Âge, Droz, Paris, Genève, 1985, p. 361-424. 2113 - 778 - pendentifs sont néanmoins nettement plus nombreux (environ 70% des coupoles). Certaines coupoles peuvent également adopter une forme octogonale. C’est le cas au Chalard, à SaintRobert et à Dournazac où la coupole octogonale présente des pendentifs [Fig. 940]. À Uzerche, la travée sous clocher dispose également d’une coupole octogonale sur pendentifs (second quart XIIème siècle). La coupole de croisée de Saint-Junien est à pans coupés et repose sur des pendentifs. À Lesterps et Sagnat, la coupole octogonale de croisée est sur trompes. Nous pouvons remarquer la présence de coupoles sur pendentifs à Maisonfeyne, les Salles-Lavauguyon, Chambon-sur-Voueize, Brive et le Dorat. À Saint-Léonard de Noblat, la croisée est voûtée d’une coupole sur pendentifs, de même que les bras du transept. À Collonges, la travée sous clocher est voûtée d’une coupole sur pendentifs [Fig. 941]. Cette travée est limitée par quatre arcs outrepassés aux claveaux étroits, reposant sur des piédroits rectangulaires surmontés d’impostes à cartouche. Ces éléments ainsi que des chapiteaux au tailloir large et ornementés d’entrelacs vont dans le sens d’une datation du milieu du XIème siècle2114. Au Moutier d’Ahun, la coupole de croisée est sur trompes. Ce goût pour la coupole se prolonge aux prémices du gothique. À la fin du XIIème siècle, l’église d’Azat-Le-Ris se dote d’une tour de croisée octogonale reçue par une coupole sur pendentifs. La nef voûtée en berceau est un témoin supplémentaire de la persistance de certaines formules romanes dans le cadre du premier gothique. Les coupoles correspondent souvent au voûtement d’une tour-porche. Ainsi, la salle haute des tours-porches du diocèse de Limoges disparaît fréquemment « au profit d’un voûtement par une coupole que le berceau principal prolonge sans grande rupture ». C’est le cas au Dorat (vers 1140-1160), à Bénévent (vers 1165), Saint-Junien (vers 1160-1170) ou encore la Souterraine (vers 1170). Le système de la tour-porche, très fréquent en Limousin, ne trouve cependant pas de pérennité chez les moines cisterciens. Sa présence dans un grand nombre d’édifices s’explique par des raisons liturgiques et politiques (volonté de surenchère, expression d’un prestige), une nécessité d’assurer le succès des pèlerinages, préoccupation qui n’existe pas chez les cisterciens. La tour-porche de Tulle est ainsi à mettre en relation avec les ambitions et la volonté hégémonique de son abbé Géraud d’Escorailles, à l’origine des sanctuaires de Rocamadour. Claude ANDRAULT-SCHMITT fait remarquer la similitude des modes de construction avec ceux d’Obazine, témoignant « d’échanges mutuels » autour des années 11802115. 2114 É. PROUST, La sculpture romane en Bas-Limousin…, op. cit., p. 258-263. C. ANDRAULT-SCHMITT, « Le succès des tours-porches occidentales en Limousin (XIème-XIIème siècles) », dans C. SAPIN (dir.), Avant-nefs et espaces d’accueil…, op. cit., p. 233-250. 2115 - 779 - Dans l’actuel département de la Dordogne, sur les cantons appartenant anciennement au diocèse de Limoges (Nontron, Bussière-Badil, Excideuil, Lanouaille) là où s’implantent les moines de Dalon, un certain nombre d’édifices présente des coupoles, parfois situées sur la travée droite du chœur : c’est le cas à Saint-Paul de Reilhac, Saint-Étienne de Javerlhac, Saint-Étienne de Lussas, Saint-Martin-Le-Pin et Saint-Cyr-Les-Champagnes. Au début du XIIème siècle, l’église de Bussière-Badil se dote également d’une coupole sur trompes à la croisée du transept. Ainsi, le paysage où s’implantent les moines de Dalon, Boschaud et Peyrouse est parsemé d’églises à coupoles, qu’elles soient de croisée, de chœur ou sur les nefs uniques2116. La coupole n’est pas un voûtement rare pour les croisées des abbayes cisterciennes. La carte établie sur l’ensemble de la France permet de remarquer la concentration des coupoles de croisée dans la moitié sud et plus particulièrement en Aquitaine [Fig. 931]. C’est le cas des abbayes de Bonlieu, Obazine, Boschaud, Grosbot, Cadouin, Bonnevaux et Beaulieu en Aquitaine, Mazan, Léoncel et Sénanque au sud-est. Nous pouvons constater que nombre de ces édifices sont d’anciennes fondations érémitiques de Géraud de Sales telles Bonlieu, Boschaud, Cadouin et Bonnevaux. Géraud est l’initiateur d’un des plus importants mouvements érémitiques aquitains. Nous avons déjà eu l’occasion de constater que ces mouvements sont plutôt tournés vers des formules romanes traditionnelles comme la nef unique et le chevet plat que vers des novations comme le déambulatoire à chapelles rayonnantes. Le goût pour les coupoles peut entrer dans cette dynamique, cette volonté d’ancrer de nouvelles fondations dans une tradition architecturale afin d’asseoir une légitimité qui ne va peut-être pas de soi. 2. Répertoire de motifs et éléments de décors sculptés : Plus que réellement novateurs, les cisterciens savent puiser leur inspiration dans les créations antérieures et s’ancrent ainsi dans une tradition monastique ancienne, souvent carolingienne. Par bien des aspects – et il semblerait que leur choix de décor en soit une illustration supplémentaire – l’ordre de Cîteaux se montre conservateur et trouve peut-être une certaine légitimité dans ces citations d’un passé monastique glorieux. • Manuscrits romans. De Saint-Martial aux vitraux et pavements cisterciens : Dans son ouvrage sur les vitraux en grisaille cisterciens, Helen ZAKIN fait état des inspirations des maîtres verriers et des héritages ayant conduit à l’élaboration de motifs 2116 J. SECRET, « Les églises de Dordogne de l’ancien diocèse de Limoges », BAHP, T 79, 1952, p. 220-259. - 780 - spécifiques. Pour l’historienne de l’art, les motifs des vitraux sont pour grande part inspirés de la sculpture romane et des manuscrits des grandes abbayes, des entrelacs et feuillages ornant les corbeilles aquitaines. Les entrelacs, largement repris dans les vitraux et pavements cisterciens, sont très répandus au cours du haut Moyen-Âge, tant dans les manuscrits que dans la sculpture mobilière. L’essor de ce décor sur les corbeilles sculptées est caractéristique des années 1060-1070, particulièrement dans le sud du Massif Central mais trouve visiblement des prolongements jusqu’aux frontières du gothique2117. Elle distingue deux types de motifs, géométrique ou végétal. Ainsi, les vitraux de l’abbatiale d’Obazine, qu’elle date de 1175 environ, présentent un décor de croix placées en diagonale, des entrelacs bordés de losanges, des cercles entrelacés, ou encore des palmettes, relativement similaires à celles du vitrail conservé de l’abbatiale de Bonlieu, même si à Obazine les palmettes pointent toutes dans la même direction [Fig. 530]. À Bonlieu, dans les années 1200, des vitraux sont installés dans le chœur, vraisemblablement en lien avec la date de consécration (1232) [Fig. 167]. Un vitrail a été découvert, orné de cinq palmettes orientées dans différentes directions. Des vitraux similaires ont été découverts à la Bénissons-Dieu (com. La Bénissons-Dieu, Loire), Pontigny (com. Pontigny, Yonne, vers 1210), Noirlac (com. Saint-Amand-Montrond, Cher, vers 1185) et la Chalade (com. Lachalade, Meuse). Helen ZAKIN constate par ailleurs que les motifs représentés sont également fréquemment utilisés pour les lettres enluminées des manuscrits ou les carreaux de pavement. Ainsi, un même motif peut apparaître plusieurs fois dans le même édifice. À Pontigny, les vitraux en grisaille sont ornés d’entrelacs ou de végétaux très similaires aux motifs des carreaux de pavement2118. Cette unification du décor pourrait s’expliquer par l’existence d’un répertoire de motifs circulant d’abbayes en abbayes, ou par la mobilité d’artisans spécialisés. Par ailleurs, l’usage de pavements dans les édifices monastiques est fréquent dès l’époque romane. Magali ORGEUR précise que les sols décorés se rencontrent principalement dans les espaces magnifiés (chœur) de riches abbayes bénédictines, et surtout clunisiennes. C’est le cas à Paray-Le-Monial2119. Les motifs cisterciens peuvent être issus de plusieurs sources relativement aisément identifiables. Certaines mosaïques romaines témoignent de décors similaires, telles les palmettes et croix mêlées de la mosaïque de la Villa Hadriana à Tivoli, relativement proches 2117 É. VERGNOLLE, op. cit., p. 133. H. J. ZAKIN, French Cistercian Grisaille Glass, Garland, New-York/London, 1979, p.2 ; T. N. KINDER, « Pontigny » dans T. KINDER (dir.), Les cisterciens dans l’Yonne, « Les Amis de Pontigny », Pontigny, 1999, p. 85-96. 2119 M. ORGEUR, « Les carreaux de pavement décorés dans les abbayes cisterciennes de l’Yonne », dans T. N. KINDER (dir.), Les cisterciens dans l’Yonne, op. cit., p. 41-47. 2118 - 781 - des décors d’Obazine. Il existe également des similitudes avec les entrelacs celtiques, tels ceux du Livre de Kells, peut-être connus grâce à l’abbé Étienne Harding, anglo-saxon d’origine. Le Livre de Kells, ou Grand Évangéliaire de Saint-Colomba, est un manuscrit illustré de motifs essentiellement ornementaux, réalisé vers l’an 800, contenant les quatre évangiles du Nouveau Testament2120. Néanmoins, les motifs cisterciens sont simplifiés et moins confus que ces enluminures. Des références à la sculpture lombarde peuvent également expliquer la récurrence des entrelacs et des palmettes. L’auteur évoque des références aux motifs mérovingiens des mosaïques, ivoires et manuscrits, aux motifs carolingiens de cercles entrelacés. Enfin, elle met en lumière le recours à des créations romanes. Les cercles entrelacés peuvent évoquer certains bas-reliefs de Saint-Guilhem-le-Désert, comme l’autel de saint Guilhem et ses entrelacs floraux. Les losanges sont de même très présents sur les carreaux de pavement de Saint-Benoît-sur-Loire. D’autres motifs peuvent rappeler la mosaïque de Saint-Sever (Landes, XIème siècle). Pour Helen ZAKIN, la forte présence de motifs floraux pourrait se justifier par des références bibliques au printemps et à la Résurrection, ou encore à l’Arbre de Jessé2121. À Obazine, les carreaux de pavement découverts révèlent des feuilles grasses pouvant évoquer certains manuscrits ou même certaines corbeilles sculptées fréquentes en Aquitaine [Fig. 529]. Les palmettes sont aussi un motif récurrent et ressemblent bien à celles des vitraux de grisaille mis en place dans l’abbatiale. Les motifs d’entrelacs et de treillis ne sont pas rares et rappellent certaines enluminures de Saint-Martial, ou même des décors de chancels. Ce sont ces motifs floraux et géométriques qui dominent. Les manuscrits de l’époque romane sont aussi une source d’inspiration privilégiée. Ainsi, les Bibles de Saint-Martial de Limoges peuvent être à l’origine d’un certain nombre de motifs. La proximité du centre épiscopal et de certains monastères cisterciens du diocèse de Limoges (Boeuil, Le Palais) a pu faciliter les échanges et interpénétrations. Le rayonnement de Saint-Martial s’étend de plus jusqu’en Angoumois et Saintonge. Des liens spirituels existent avec divers monastères comme Saint-Denis et Cluny, de même qu’avec certains scriptoria de la vallée de la Loire (Tours). Les relations avec l’art ottonien et l’Espagne sont accentuées suite à l’affiliation à Cluny2122. Les thèmes romans de la première Bible de SaintMartial, datés du dernier tiers du IXème siècle sont mis en exergue par Denise GABORIT2120 L’abbaye de Kells est située dans le comté de Meath en Irlande. Ce manuscrit est conservé au Trinity College de Dublin (ms 58). 2121 H. J. ZAKIN, op. cit., p. 93 et 155. 2122 D. GABORIT-CHOPIN, La décoration des manuscrits à Saint-Martial de Limoges et en Limousin du IXème au XIIème siècles, Droz, Paris, Genève, 1969, p. 24. - 782 - CHOPIN. Elle relève la présence fréquente de rinceaux de vigne à gros fleuron central, de rinceaux habités, de grecques, de feuilles d’acanthe. Les lettrines révèlent une tendance aniconique. Elles sont simplement décorées de motifs ornementaux et la figure est quasi inexistante. Au début du XIème siècle, l’auteur fait état d’un « style aquitain » se développant à Limoges, consistant en des « entrelacs très déliés, groupés par paquets, réservés presque toujours sur des fonds de couleurs et terminés par de larges palmettes aux feuilles lancéolées, peu ou point nervées, dont les extrémités donnent naissance à de nouvelles branches d’entrelacs ». La seconde Bible est illustrée dans la seconde moitié du XIème siècle et le début du XIIème siècle. Son succès en Aquitaine ne se dément pas jusque dans le début du XIIème siècle, particulièrement sous l’abbatiat d’Adémar, premier abbé clunisien. Les enluminures se dotent alors de palmettes, d’un bestiaire varié, de lettrines historiées 2123. Ce sont surtout ces palmettes que les moines cisterciens vont reprendre à leur compte dans leurs vitraux en grisaille. Le décor de palmettes doit de fait beaucoup à l’enluminure et va trouver des prolongements sur certains carreaux de pavement et vitraux d’Obazine et de Bonlieu, mais aussi en sculpture. Nous le retrouvons sur les chapiteaux conservés de l’abbatiale SaintMartial, avec une alternance de palmettes trilobées et de hautes feuilles d’acanthe, similaires aux décors des grands chantiers poitevins du XIème siècle comme Notre-Dame La Grande et Sainte-Radegonde de Poitiers ou Saint-Savin2124. Évelyne PROUST fait état dans les années 1110-1115 d’une relation entre des corbeilles du chœur de Beaulieu et certains motifs feuillagés des manuscrits de Saint-Junien et de Saint-Martial. Il n’est ainsi pas rare que les sculpteurs puisent dans un répertoire de motifs issus des enluminures des grandes Bibles illustrées. Nous pouvons interpréter les inspirations cisterciennes de la même manière : les artisans ayant produit les vitraux et carreaux de pavements de certaines abbatiales cisterciennes connaissent vraisemblablement les manuscrits de Saint-Martial par exemple, et ont pu y puiser leur inspiration. Ainsi, les cisterciens semblent trouver leurs motifs dans un passé commun, qu’il soit mérovingien, carolingien ou roman, parfois même issu d’OutreManche par l’intermédiaire du troisième abbé de Cîteaux, Étienne Harding. • Décors sculptés romans : chapiteaux, tailloirs et bases : 2123 D. GABORIT-CHOPIN, op. cit., p. 61. É. PROUST, « Les chapiteaux de l’abbatiale : épaves d’un décor sculpté », dans C. ANDRAULT-SCHMITT (dir.), Saint-Martial de Limoges…, op. cit., p. 241-279. 2124 - 783 - Outre les vitraux et carreaux de pavement, les chapiteaux feuillagés peuvent également trouver leur origine dans un répertoire roman. Si la figure semble presque complètement bannie des édifices cisterciens, les feuillages sont par ailleurs fréquents chez les moines blancs. Ce succès du décor végétal n’est pas une nouveauté et est très présent dès le XIème siècle en Normandie (simplicité des corbeilles, schématisation du décor végétal) et dans les pays d’Ouest. Pour Éliane VERGNOLLE, cette fortune du chapiteau ornemental est particulièrement remarquable dans les années 1060-1090 et prend la forme de palmettes, de feuilles lisses et de rinceaux2125. Le recours fréquent aux feuilles lisses peut être interprété comme un souci d’économie dans l’exécution – comparé aux complexes corbeilles corinthiennes – mais aussi comme une recherche certaine de monumentalité. Quant aux palmettes et entrelacs, l’engouement dont ils sont l’objet tient peut-être à l’essor d’un répertoire ornemental similaire dans l’enluminure aquitaine. Marie-Thérèse CAMUS remarque dès 1070-1090 à Sainte-Croix de Loudon une sculpture très dépouillée, des feuilles lisses qui sont peut-être les prémices de l’ornementation qu’adopteront Robert d’Arbrissel et les cisterciens. En effet, le décor végétal semble trouver son plein épanouissement dans le chœur de Fontevrault et l’art cistercien [Fig. 1031 et 1032]. Jacques MALLET constate en Anjou une sobriété générale de la sculpture au début du XIIème siècle avec la présence de feuilles d’eau, puis une évolution dans le second quart de ce même siècle vers plus de richesse. Ce contraste est sensible entre le chœur et la nef plus récente de Fontevrault, beaucoup plus ornée. Les décors sont rythmés, parfois confus, très fleuris et témoignent d’emprunts aux espaces méridionaux. Ainsi, entre 1125 et 1150, Fontevrault, La Roë, Saint-Florent de Saumur, Cunault ou encore Saint-Aubin d’Angers adoptent une décoration plus chargée2126. Ce dernier exemple est particulièrement intéressant car il allie les deux tendances. En effet, Jacques MALLET explique que les arcades entre le cloître et la salle capitulaire présentent des disparités décoratives. Les supports les moins visibles sont ornés de simples chapiteaux à feuilles d’eau tandis que les plus accessibles témoignent d’une certaine « fantaisie végétale », d’une surcharge décorative. La porte de la salle capitulaire dispose par ailleurs de voussures et de colonnes ornées de chevrons et de spirales. La porte du réfectoire emploie des chapiteaux à palmettes grasses (vers 1180)2127. Outre la présence de feuilles lisses, la sculpture romane des pays d’Ouest adopte également très fréquemment des corbeilles ornées de feuilles grasses. Marie-Thérèse CAMUS décrit « des tiges épaisses et souples », des « feuilles à folioles arrondies », comme « gonflées 2125 É. VERGNOLLE, op. cit., p. 185. M- T. CAMUS, op. cit., p. 249 ; J. MALLET, op. cit., p. 139 et 159. 2127 J. MALLET, op. cit., p. 139. 2126 - 784 - de sève », parfois associées aux volutes du chapiteau corinthien, à des masques, lions ou figures monstrueuses, ou à des fréquents entrelacs. Ainsi en Poitou se distinguent des corbeilles corinthiennes reprenant l’épannelage antique avec plus ou moins de libertés, des chapiteaux à feuilles grasses, des corbeilles à feuilles lisses ou des chapiteaux nus. Ces feuillages luxuriants sont pour bonne part issus des enluminures ou de plaques d’ivoire, tels les ivoires carolingiens d’ateliers de Lotharingie (seconde école de Metz). Les manuscrits de Saint-Martial de Limoges peuvent également constituer une source d’inspiration, avec un décalage toutefois puisque certaines enluminures sont réalisées dès le dernier tiers du IXème siècle. L’historienne de l’art insiste sur la transmission de ces corbeilles vers le Limousin et l’Auvergne, au sein d’édifices tels Menat, Évaux, Gannat ou Royat2128. À Beaulieu-sur-Dordogne, les chapiteaux de la nef présentent généralement une imbrication d’un volume conique et pyramidal, assez similaire aux chapiteaux du chœur de la cathédrale de Cahors ou de certaines églises du Haut-Quercy [Fig. 929]. Pour Évelyne PROUST, la nef de Beaulieu peut relever des années 1120-1130, après l’achèvement du chœur de la cathédrale de Cahors2129. D’autres chapiteaux se dotent de palmettes et de feuilles grasses, évoquant parfois les modèles corinthiens par l’adjonction de crosses angulaires et d’hélices. Des corbeilles similaires se retrouvent à Uzerche. À Brive, les chapiteaux des chapelles latérales sont ornés de feuilles d’acanthe et de palmettes, assez similaires aux corbeilles de Saint-Sernin de Toulouse ou de Conques pour la fin du XIème siècle2130. Le prieuré casadéen de Saint-Robert est doté d’un chœur à déambulatoire et chapelles rayonnantes. Les colonnes du rond-point sont surmontées de chapiteaux à feuilles grasses tandis que les scènes historiées couvrent les corbeilles à l’entrée des chapelles. Les monastères cisterciens étudiés n’ont guère révélé de chapiteaux semblables, mais notre corpus reste cependant incomplet face à la disparition partielle de certains sites (Valette, Derses, Aubepierres, Aubignac, Boeuil). Concernant l’étude des chapiteaux feuillagés cisterciens dans les pays d’Ouest, la thèse de Stéphanie FOUCHER est une base de travail riche et enthousiasmante. Celle-ci déplore le peu d’études sur le répertoire sculpté cistercien d’inspiration végétale n’ayant guère suscité les débats et analyses chez les historiens de l’art2131. 2128 M -T. CAMUS, op. cit., p. 150 et 256. A-M. PECHEUR, É. PROUST, « Beaulieu-sur-Dordogne, abbatiale Saint-Pierre », dans Monuments de Corrèze, op. cit., p. 86-103. 2130 É. PROUST, La sculpture romane en Bas-Limousin…, op. cit., p. 48 ; p. 243-254. 2131 S. FOUCHER, Le décor sculpté cistercien dans l’ouest de la France, XIIème-XIVème siècles, Thèse sous la direction de C. ANDRAULT-SCHMITT, CESCM, Poitiers, 2003, vol I, p. 16. 2129 - 785 - Elle constate la diversité de l’ornementation végétale, des types de composition qui ne sont pas stéréotypés, remettant en cause l’idée souvent avancée de formes cisterciennes « types » reproduites telles quelles d’abbayes en abbayes. Toutefois, elle évoque un point commun qui semble caractériser le décor sculpté cistercien. Il s’agit d’une retenue, d’une réserve certaine dans le choix et le traitement des feuillages. La sobriété de motifs qui n’acceptent pas la figure est en rapport avec la vocation utilitaire des salles qui les renferment. Nous les rencontrons en effet souvent dans les réfectoires (Obazine), les salles capitulaires (clés de voûte de la salle capitulaire de Dalon) et celliers. Pour l’auteur, les cisterciens se placent à la transition entre une flore romane où l’influence du chapiteau corinthien est encore tangible et où les feuilles d’eau s’épanouissent et une flore gothique qui tend à la monumentalité, à une flore « générale » qui admet parfois des crochets, des fruits ou des boutons floraux (chapelles occidentales du transept de Dalon, vers 1220-1250 [Fig. 253-254]). Ces feuillages gothiques correspondent parfois à un art de série et se réduisent à des sculptures rudimentaires, stéréotypées. La taille est ainsi relativement rapide, le travail répétitif et simplifié au maximum. Là encore, le souci d’économie et de simplicité est présent. Les cisterciens s’inscrivent ainsi dans un mouvement de simplification amorcé dès la période romane. Les abbayes cisterciennes des pays d’Ouest ne seraient alors pas vraiment novatrices, mais plutôt héritières de formules sculptées romanes. La flore cistercienne serait le plus souvent en « retard » par rapport aux créations contemporaines non cisterciennes. Les moines blancs copient des répertoires sculptés antérieurs, ce qui peut être interprété comme une « recherche de la facilité », ou peut-être aussi une volonté de s’ancrer dans un paysage artistique aquitain, un choix délibéré de formes largement connues de leur aire d’implantation. Trouvent-ils une légitimité dans ces motifs récurrents ? Pour l’historienne de l’art, les moines cisterciens semblent identifier le conservatisme de ces formes romanes à la sobriété et la mode au luxe2132. Cette démarche serait ainsi cohérente avec une volonté fortement exprimée d’austérité dans les premiers temps de l’ordre. Cette prédominance des motifs végétaux peut revêtir une symbolique forte, au même titre que les scènes historiées, ce qui permettrait de revaloriser des corbeilles souvent ignorées des études stylistiques cisterciennes. Ce thème n’a été que peu abordé par l’historiographie contemporaine. Un article de K. BIALOSKORSKA s’attache toutefois à l’analyse des motifs végétaux des abbayes cisterciennes polonaises et peut apporter quelques éléments de 2132 S. FOUCHER, op.cit, vol I, p. 91. - 786 - réflexion2133. L’auteur constate que le monde végétal domine dans les nefs comme celle de Wachock, qu’il s’agisse de feuilles lisses, de palmettes, d’acanthes. Pour elle, la flore et les arbres ont un sens symbolique et correspondent à une évocation du Paradis. Les salles capitulaires en particulier sont considérées comme un espace où tout doit rappeler et certifier la promesse de la vie éternelle. L’Éden est donné en récompense à tous ceux qui restent fidèles à l’évangile du Christ. Les motifs feuillagés y sont donc fréquents. C’est le cas également dans nombre d’abbayes des pays d’Ouest comme le monastère de l’Étoile dans le diocèse de Poitiers, fondé en 1145 et affilié à Pontigny. La salle capitulaire édifiée au début du XIIIème siècle dispose de chapiteaux à feuilles plates 2134. Toutefois, les programmes iconographiques semblent plus complexes dans ces monastères de Pologne et acceptent également des motifs zoomorphes et des représentations figurées. Les salles capitulaires en particulier se dotent d’un bestiaire fantastique. À Sénanque, un diable grimaçant est sculpté en face du chapitre et doit être compris comme une sorte de mise en garde aux moines turbulents. Pour l’auteur, les créateurs de ces programmes iconographiques appartenaient sans doute au monde monastique et devaient disposer de bonnes connaissances théologiques. Cette prédominance des motifs végétaux dans les abbayes cisterciennes du diocèse de Limoges et de ses marges ne pourrait-elle pas symboliser une victoire sur le saltus dans lequel les moines cisterciens s’insèrent ? Le fait de représenter ces végétaux étalés sur des corbeilles et les culots pourrait être une manière de montrer leur mainmise sur les mondes végétaux, sur les friches et les marais qui recouvrent leurs terres et qu’ils apprennent peu à peu à maîtriser. Ces corbeilles pourraient évoquer la mise en valeur d’un saltus qui bientôt pourra devenir ager comme en témoigne une enluminure des Moralia in Job présentant deux moines cisterciens coupant un arbre [Fig. 28]2135. Ils apparaissent tels des défricheurs maîtrisant les forces de la nature. Outre la représentation d’un paradis, d’un Éden Céleste, les feuillages qui décorent les corbeilles feraient peut-être directement référence aux paysages dans lesquels s’installent les moines aux premiers temps de l’ordre, ces terres souvent incultes et parfois encore recouvertes de friches et de marais. Nous avons abordé dans une première partie l’idéal « pionnier » de cisterciens déterminés à faire reculer le saltus et ainsi les dernières 2133 K. BIALOSKORSKA, « Le caractère et les idées du décor sculpté architectonique des monastères cisterciens polonais du XIIIème siècle et sa position en regard des traditions et de la spiritualité de l’Ordre », dans M. DERWICH (dir.), La vie quotidienne des moines et chanoines réguliers au Moyen-Âge et Temps Modernes, LARHCOR, Ier colloque international de Wroclaw, 1994, Wroclaw, 1995, vol 2, p. 615-649. 2134 C. ANDRAULT-SCHMITT, « Églises cisterciennes du Poitou », Revue Historique du Centre Ouest, T I, Société des Antiquaires de l’Ouest, Poitiers, 2004, p. 9-103. 2135 Saint-Grégoire le Grand, Moralia in Job, Cîteaux, début XIIème siècle, ms 170, fol. 59, Dijon, Bibliothèque Municipale. - 787 - terres où certains cultes profanes (Saint Sylvain) tendent à persister. L’acte de défricher 2136 peut être compris comme une victoire du christianisme, une « humanisation » de terres en friches qui peut trouver son expression au sein de ces végétaux sculptés, coupés et donc maîtrisés. Mireille MOUSNIER appuie cette interprétation dans son étude de l’abbaye de Grandselve présentant des corbeilles ornées de feuilles de fougères, de feuilles disposées en arêtes de poisson le long d’une tige droite, de feuilles lisses et nervées à limbe découpé [Fig. 942]. Elle rappelle que ces terres en friches sont tout de même utilisées pour une économie de cueillette. Les cisterciens ne négligent pas cet aspect agreste de la nature et l’un des signes de leur intérêt est justement la décoration des chapiteaux. Dans un style sobre et dépouillé, ce ne sont pas les travaux de tous les jours qui sont représentés mais les végétaux témoignant d’un certain sens de l’observation s’alliant à une connaissance profonde de leur environnement. Saint Bernard écrivait d’ailleurs : « les arbres t’apprendront davantage que les livres »2137. À Cîteaux, les sculpteurs tendent alors naturellement à l’abandon des thèmes historiés au profit de motifs végétaux souvent répétitifs, issus d’un vocabulaire déjà largement maîtrisé à l’époque romane. Le dépôt lapidaire de Prébenoît a livré un chapiteau feuillagé pouvant appartenir au cloître médiéval du premier tiers du XIIIème siècle [Fig. 357]. Sa corbeille peu évasée est ornée de motifs végétaux, au niveau des arêtes et au centre de chaque face de celle-ci. Les feuilles peuvent être couplées, excepté celle de la face principale qui est triple. Les feuilles très fines et délicates sont stylisées, simplifiées. À l’abbaye de la Colombe, un petit chapiteau de calcaire est remployé dans la façade d’une maison d’habitation, présentant des feuilles simplifiées ainsi que des crosses végétales aux angles qui donnent naissance à des boules [Fig. 680]. Là encore, les feuilles sont bien peu naturalistes (vers 1200-1220). À Bonnaigue, des chapiteaux à boules sont observables au pigeonnier de Beauregard d’Ussel. Des feuilles lisses se recourbent en simples boules lisses et semblent correspondre à une datation des années 1200-1220 [Fig. 419]. Le même type de corbeille est conservé à Aubepierres où des chapiteaux en frise ornés de boules sont remployés dans la façade d’un bâtiment d’exploitation moderne [Fig. 627]. Le granite ne permet toutefois pas la même délicatesse que le calcaire fin requis à la Colombe. La présence des boules s’inscrit bien dans ces nouvelles formulations gothiques qui pénètrent dès la fin du XIIème siècle dans ces zones de marges 2136 Même s’il reste bien souvent restreint au futur emplacement des bâtiments monastiques et ne prend pas l’ampleur des défrichements laïcs du XIIIème siècle. 2137 M. MOUSNIER, L’abbaye de Grandselve et sa place dans la société et l’économie méridionales, XIIèmedébut XIVème siècles, thèse de doctorat sous la direction de Pierre Bonnassie, université de Toulouse Le Mirail, 1982, p. 184. - 788 - forestières. La disposition en frise de ces feuillages irait dans le sens d’une datation des années 1220-1250. Nous retrouvons ces chapiteaux à boules à Grandmont, Dalon ou encore Saint-Yrieix à la même époque. Un chapiteau à boules de la celle de Grandmont est conservé au musée municipal de Limoges. L’astragale est bien renflé, les feuilles lisses séparées par une nervure médiane se recourbent en boules (vers 1200). Le tailloir épais ne présente pas de modénatures. À Dalon, les chapelles occidentales du bras du transept conservé présentent de très beaux chapiteaux dont les feuilles se terminent en boules, elles-mêmes recouvertes de coquilles [Fig. 263]. Certaines feuilles lisses sont prolongées par trois boules dont les tiges épaisses sont parfaitement moulurées. Les feuillages sont disposés en frise (1220-1250). Les cisterciens ne sont ainsi pas étrangers à ce mouvement de renouvellement des créations artistiques et contribuent peut-être à faciliter la pénétration de ces formes gothiques. Toutefois, ces chapiteaux à boules sont redevables d’un répertoire sculpté roman. En effet, les chapiteaux à « feuilles engainantes et bourgeons terminaux » de Beaulieu-sur-Dordogne préfigurent ces crochets et boules gothiques (vers 1190-1200)2138. Les feuillages cisterciens sont souvent réduits à l’essentiel et peuvent être appréhendés comme des simplifications de l’acanthe corinthienne ou des feuilles grasses poitevines romanes. Les formulations sont plus sobres et dépouillées, épurées, mais sont bel et bien redevables des créations romanes. Outre ces chapiteaux, d’autres choix décoratifs cisterciens témoignent d’héritages romans aquitains. Là encore, l’abbatiale de Boschaud aux marges du diocèse de Périgueux est l’exemple le plus flagrant de ce maintien des décors romans. Dans la salle capitulaire conservée, les baies ouvrant à l’est sont encadrées de colonnettes reposant sur des bases sculptées et surmontées de tailloirs également ornementés [Fig. 230 et 231]. La baie la plus au nord présente en effet une mouluration torique reposant sur des colonnettes surmontées de chapiteaux lisses et de bases au profil classique, mais ornées de motifs en dents de scie. La baie centrale similaire présente des chapiteaux au tailloir orné de zig-zag. Les bases sont quant à elles soulignées de dents de scie. La baie la plus au sud est surmontée d’une archivolte reçue par un petit motif feuillagé. Les chapiteaux lisses disposent également de tailloirs en zig-zag. Le socle des bases présente lui aussi ce motif tandis que le tore inférieur est dentelé. Ce type de décor est plutôt inhabituel dans un cadre cistercien limousin habitué à plus de 2138 A. PECHEUR, É. PROUST, op. cit. - 789 - sobriété, qu’il s’agisse des bases découvertes dans le dépôt lapidaire de Prébenoît ou des supports de la nef d’Obazine. Toutefois, le portail de l’abbatiale cistercienne de Valette, remonté à Auriac, dispose d’une archivolte ornée de damiers et devant se prolonger en cordon le long de la façade [Fig. 605]. Ce motif n’est pas rare dans un cadre cistercien aquitain. La porte occidentale de l’abbatiale de Flaran (Gers) datée de la seconde moitié du XIIème siècle dispose d’une archivolte en plein-cintre également ornée de damiers similaires à ceux de Valette. À Bellaigue dans le Puy-de-Dôme (com. Virlet), l’archivolte en plein-cintre est quant à elle soulignée de dents de scie [Fig. 832]. À Valmagne (com. Villeveyrac, Hérault), la porte de la sacristie communiquant avec la galerie est du cloître (seconde moitié du XIIème siècle) présente un arc au profil en plein-cintre orné d’un décor soigné en dents-de-scie. Ce type de motifs n’est ainsi pas exceptionnel et semble plutôt se rencontrer en Aquitaine et dans le sud de la France. Ces motifs de dents-de-scie, de zig-zag ou de damiers trouvent leur origine dans un répertoire roman aquitain. Ainsi, l’abbaye du Pré présente des chapiteaux ornés d’entrelacs dont les tailloirs sont sculptés de dents-de-scie similaires aux motifs de Boschaud. Les bandeaux d’ogives du chœur de Saint-Martin d’Angers sont décorés de dents-de-scie. À la Trinité de Laval, certains chapiteaux sont surmontés d’un tailloir orné de dents-de-scie. De même pour les chapiteaux à feuilles lisses de Saint-Pierre de Saumur dans la seconde moitié du XIIème siècle. La Maison-Dieu de Coeffort édifiée sous le règne d’Henri II dispose d’un portail d’entrée orné de chapiteaux dont les tailloirs épais sont décorés de dents-de-scie. André MUSSAT affirme que cette ornementation issue de la Loire Moyenne « prospère à Angers entre 1140 et 1180 » et devient habituelle en Anjou. Il semblerait qu’elle se soit prolongée jusque dans le diocèse de Périgueux et aux marges limousines2139. En effet, un certain nombre d’édifices du Périgord, proches de l’abbatiale de Boschaud s’ornent de motifs similaires. Ainsi, le portail occidental de Saint-Martial-de-Valette, à quelques kilomètres au sud-ouest de Nontron, présente une archivolte décorée de dents-de-scie. Les tailloirs des chapiteaux sont entièrement sculptés et les voussures couvertes d’un bestiaire. De même à Saint-Sulpice de Mareuil en Haut Périgord, au sud-ouest de Nontron, où l’archivolte du portail sud est dotée de dents-de-scie. Le portail méridional de Saint-Martin-Le-Pin, au nordouest de Nontron, accepte les mêmes sculptures ornementales. Ces décors sont également communs à la Saintonge où se multiplient les larges bandeaux ornés, les tailloirs sculptés de 2139 A. MUSSAT, op. cit., p. 205. - 790 - damiers ou de dents d’engrenage. Ainsi, à Doumeray (Anjou) au milieu du XIIème siècle, les arcs de la nef sont ornés de dents-de-scie et de billettes2140. Dans le diocèse de Limoges, de tels motifs existent comme à l’abbatiale de Beaulieu. Le chœur présente des bases relativement atypiques ornées de billettes, de motifs cordés ou de damiers, encadrées de deux tores (mi XIème siècle) [Fig. 886]. Néanmoins, les bases de la salle capitulaire, plus récentes (fin XIIème siècle, premier tiers du XIIIème siècle), sont aplaties et se révèlent plus proches des réalités cisterciennes contemporaines. À Collonges, certains chapiteaux sont surmontés de tailloirs très débordants présentant un décor géométrique sculpté sur le chanfrein droit (fin XIème siècle ?). À Uzerche, les chapiteaux de la croisée du transept sont vraisemblablement les plus anciens encore en place. Ils sont surmontés de tailloirs à chanfrein droit sous une gorge comme à Beaulieu, Saint-Junien ou Chambon (fin XIème-début XIIème siècle). Ainsi, les cisterciens de Boschaud et de Valette témoignent dans cette seconde moitié du XIIème siècle du maintien de certains motifs sculptés romans comme les damiers, dents-de-scie, tailloirs et bases ornés, arcs d’applique animant les parements. Certains éléments évoquent des habitudes romanes communes à une vaste Aquitaine dans laquelle s’insèrent les monastères pris en compte dans notre étude, qu’il s’agisse des plans (nef unique), des voûtements (coupoles) ou de certaines sculptures (chapiteaux, bases, tailloirs, moulures d’archivolte). Des passerelles peuvent ainsi être établies entre créations cisterciennes, édifices limousins et pays d’Ouest. • Animation des parements : arcs d’applique et profils polylobés : Un autre témoin de la présence des formes décoratives romanes dans un cadre cistercien limousin est la volonté d’animer des parements lisses et sans décors par des arcs aveugles. Le recours à des arcatures murales pour scander des parements est déjà connu de l’Antiquité Tardive et du haut Moyen-Âge, et trouve des permanences durant le XIème siècle. Ainsi, les murs de la Daurade de Toulouse ou encore de Saint-Pierre de Vienne sont déjà recouverts d’arcatures superposées2141. Des continuités existent également au sein d’architectures plus tardives dans la seconde moitié du XIIème siècle comme en témoigne l’abbatiale cistercienne de Boschaud. 2140 2141 J. MALLET, op. cit., p. 229. É. VERGNOLLE, op. cit., p. 105. - 791 - Cette église présente en effet des décors d’arcs d’applique, à la fois sur l’abside principale du chevet et sur la dernière travée de la nef, la seule conservée (parements internes et externes) [Fig. 196 et 212]. Ces arcs en plein-cintre reposent sur de simples dosserets. Cette animation des parois est assez exceptionnelle dans un cadre cistercien limousin. Ces choix décoratifs s’expliquent néanmoins par la proximité d’édifices du diocèse de Périgueux ou d’Angoumois adoptant de telles arcatures aveugles. C’est le cas de la proche église paroissiale de Reilhac (com. Champniers-et-Reilhac, Dordogne). Celle-ci se dote d’une abside décorée à l’extérieur et à l’intérieur d’arcs d’applique. Elle présente également une avant-nef couverte d’une coupole sur pendentifs, autre disposition romane reprise à Boschaud pour l’ensemble de la nef et la croisée du transept. Les décors d’arcs aveugles sont très fréquents dès le XIème siècle en Aquitaine et vont ainsi trouver des prolongements dans certains édifices cisterciens tel Boschaud. Ainsi, l’église de Lesterps dans l’ancien diocèse de Limoges est consacrée en 1091. Sa construction s’est toutefois probablement prolongée jusque dans les années 1140 par l’édification d’un chœur à déambulatoire et chapelles rayonnantes sous l’abbatiat de Ramnulphe (1110-1140). Des arcs d’applique sont inscrits sur les murs gouttereaux et scandent les travées2142. De même, la tour-porche d’Évaux, datée du milieu du XIème siècle, est animée d’arcades aveugles externes. Ce type de décor est pérennisé au XIIème siècle. L’abbaye de Saint-Aubin d’Angers est ornée d’arcatures aveugles au-dessus des grandes arcades de la nef (XIIème siècle). À Saint-Pierre de Saumur (seconde moitié du XIIème siècle), la nef unique présente dans sa partie inférieure trois hautes arcatures plaquées en plein-cintre. Ces dispositions se retrouvent au transept d’Asnières ou encore au Puy-Notre-Dame2143. Jacques MALLET insiste sur le fait que les chœurs romans angevins sont fréquemment ornés d’arcatures permettant souvent une certaine luxuriance décorative au milieu du XIIème siècle. Il cite Saint-Charles du Thoureil et ses arcs d’applique entre des colonnes de fort diamètre. De même, les arcatures aveugles décoratives de la nef de Notre-Dame de Trèves sont colossales (mi XIIème siècle). Elles n’ont généralement pas de but structurel mais permettent l’animation des façades et deviennent un lieu de décor supplémentaire. Les façades à arcatures aveugles n’ont quant à elles que peu de succès excepté à la Roë, Notre-Dame de Nantilly, Trèves et Chigné2144. Toutefois à Boschaud, ces arcs d’applique sont nus et ne deviennent pas un prétexte à la sculpture. L’avant-nef de Déols en Berry, non loin des abbayes de la Haute-Marche intéressant notre étude, dispose 2142 C. ANDRAULT-SCHMITT, Les nefs des églises romanes..., op. cit., T I, p. 32. A. MUSSAT, op. cit., p. 281. 2144 J. MALLET, op. cit., p. 229 et 249. 2143 - 792 - d’une chapelle haute ouvrant sur la nef, ornée d’arcatures aveugles reposant sur des piliers ornementés [Fig. 943]2145. De nombreux édifices du XIIème siècle dans le diocèse de Limoges présentent ce décor d’arcades aveugles. Dans son étude sur les chevets des petites églises romanes du Limousin, Thomas CRESSEIN constate que sur un échantillon de 200 édifices, 50 présentent des arcades aveugles au niveau du chevet. Les supports sont soit des colonnettes, soit des pilastres, reposant sur des stylobates, sortes de murs-bahuts supportant les arcatures. Il explique ce décor par une possible volonté de souligner l’importance du chevet par rapport à la nef, mais aussi pour des questions architectoniques. En effet, ces arcades permettent de soutenir efficacement les voûtes du chevet tout en réduisant l’épaisseur des murs2146. À Solignac, la nef unique est scandée d’arcs aveugles reposant sur une alternance de colonnes engagées ou de simples culots. Huit arcs par travée supportent une coursière de mihauteur. À l’extérieur, le chevet est composé d’une abside principale pentagonale dont le niveau supérieur est orné d’arcatures aveugles [Fig. 944]. De même, l’église du Chalard, pouvant être datée du milieu du XIIème siècle, présente des arcatures murales au niveau de l’abside principale du chœur et des absidioles2147. Ces arcs peuvent parfois revêtir une importance structurelle, et pas seulement décorative. Ainsi, l’église de Saint-Léonard de Noblat conserve d’un premier édifice du XIème siècle des murs minces, des fenêtres larges aux claveaux étroits. Il devait s’agir à l’origine d’une vaste nef charpentée. Néanmoins, pour canaliser une foule de pèlerins toujours plus nombreux, des réaménagements sont nécessaires, telle la construction de collatéraux à l’approche du sanctuaire. Ainsi, l’église est dotée d’une nef successivement simple puis tripartite, et d’un chœur à chapelles rayonnantes probablement bâti au milieu du XIIème siècle. Les travées orientales de la nef relèvent de la fin du XIème siècle, les travées occidentales des années 1150. Les travées orientales ne peuvent se doter que d’étroits passages plus que de réels collatéraux. De multiples renforts viennent compenser la minceur initiale des murs gouttereaux et montrent une parfaite adaptation au monument en place au XIème siècle. Ainsi, des systèmes d’arcs inscrits et d’étrésillons sont mis en place, tenant lieu de véritables arcs-boutants intérieurs. Il ne s’agit plus ici d’arcs d’applique simplement décoratifs, destinés à rompre la monotonie des parements. Les travées occidentales sont donc dotées d’un système de formerets plaqués contre la paroi, une formule qui se retrouve par 2145 2146 J. HUBERT, « L’abbatiale Notre-Dame de Déols », dans J. HUBERT…, op. cit., p. 361-424. T. CRESSEIN, « Les chevets plats des petites églises romanes du Limousin », BSAHL, T 127, 1999, p. 51- 78. 2147 X. LHERMITE, « Le prieuré du Chalard. Étude architecturale », BSAHL, T 131, 2003, p. 37-71. - 793 - ailleurs à l’église d’Aureil ou encore à Maisonfeyne2148. À Saint-Angel dans les années 1200, le chœur à sept pans se dote d’un jeu d’arcades plaquées servant à la fois de système décoratif et de contrebutement. Ainsi, les arcs inscrits constituent parfois plus qu’un décor plaqué. Cette suite d’arcades peut être considérée comme un réel substitut de bas-côté et permet de libérer au maximum un espace central restreint ne permettant guère l’adjonction de collatéraux. Ces arcs d’applique sont pérennisés dans certains édifices gothiques du diocèse de Limoges, dans les années 1180-1220. C’est le cas à Azat-Le-Ris et à Bellac où la nef unique de trois travées est articulée par des pilastres et des arcs d’applique. De même à Saint-Yrieix, des arcs latéraux aveugles annoncent la présence de bas-côtés pour la première travée de la tour-porche2149. Ainsi, certaines formules décoratives romanes aquitaines trouvent des prolongements dans ce « premier gothique » du diocèse de Limoges, et parfois même au sein des édifices cisterciens comme en témoigne l’abbatiale de Boschaud, visiblement cohérente avec des réalités romanes préexistantes dans les pays d’Ouest dès la fin du XIème siècle et la première moitié du XIIème siècle (nef à file de coupoles sur pendentifs, chœur en trident, arcs d’applique). Nous pouvons également constater la persistance de profils polylobés, fréquents à l’époque romane et semblant se perpétuer dans le « premier art gothique » du Limousin. Il est néanmoins délicat d’attester leur présence dans un cadre cistercien face à la disparition de la majorité des portails. Ainsi, certains édifices romans proches des sites cisterciens pris en compte optent pour des portails polylobés. C’est le cas de l’abbaye de Déols qui dispose d’un portail polylobé ornant la porte sud de communication avec le cloître. Il est doté de ressauts polylobés dont les redents se poursuivent sur les jambages [Fig. 945]. L’église de Lubersac en Corrèze dispose également d’un portail latéral au profil polylobé [Fig. 946]. Concernant les tours-porches limousines gothiques, Claude ANDRAULT-SCHMITT souligne la récurrence de chapiteaux modestes, de baies soulignées d’un tore et de dessins polylobés. En effet, la tour-porche de l’église de Meymac est percée d’un portail polylobé au profil brisé. De même, la tour-porche de l’église de la Souterraine ouvre par un portail polylobé. Idem concernant Saint-Jean-Baptiste d’Allassac. 2148 C. ANDRAULT-SCHMITT, Les nefs des églises romanes..., op. cit., T II, p. 261. C. ANDRAULT-SCHMITT, « Le succès des tours-porches occidentales en Limousin (XIème-XIIème siècles) », dans C. SAPIN (dir.), Avant-nefs et espaces d’accueil…, op. cit., p. 233-250. 2149 - 794 - Dans un cadre cistercien, les portails polylobés semblent relativement rares. Le dépôt lapidaire de l’abbaye de Varennes a livré un petit élément de modénature pouvant être liée à un portail polylobé comme le suggèrent les fins cavets et la forme particulière de la partie verticale. Un orifice pourrait correspondre à une cavité recueillant un goujon, à savoir une cheville en fer servant à relier deux pièces de bois, de pierre, ou de métal. Toutefois, aucun autre fragment semblable n’a été inventorié. Il pourrait aussi bien s’agir d’un élément de remplage (cloître ?) ou de rose de façade. La proximité de Déols pourrait néanmoins expliquer ce recours à un profil polylobé dans ce monastère, mais ne suffit pas à attester de source sûre cette hypothèse [Fig. 787]. Ainsi, il semblerait que les moines cisterciens du diocèse de Limoges et de ses marges se placent comme les héritiers de nombreuses formules architecturales et décoratives romanes. Ils s’inscrivent dans une certaine continuité avec l’art roman aquitain alors même que les formes gothiques s’affirment de plus en plus dans les zones septentrionales dans cette seconde moitié du XIIème siècle. Le choix fréquent de la nef unique, le recours aux coupoles de croisée (Grosbot, Bonlieu, Obazine) ou aux files de coupoles (Boschaud), la présence de certains motifs ornant vitraux et carreaux de pavements (entrelacs, palmettes), la préférence pour les chapiteaux feuillagés, l’adoption d’arcs plaqués, l’usage de damiers ou de décors en dents-de-scie montrent la continuité des créations cisterciennes avec des réalités romanes aquitaines (Saintonge, Poitou, Anjou). Des cohérences sont également sensibles avec certains édifices du « premier gothique » du Limousin (La Souterraine, Azat-Le-Ris, Saint-Yrieix, Bellac), montrant des persistances de certaines formulations romanes jusque dans les années 1180-1220. Abbayes cisterciennes, édifices paroissiaux ou monastiques du diocèse de Limoges apparaissent parfois comme héritiers d’un passé roman commun, et l’on peut d’ores et déjà se demander quelle sera l’acceptation des formes gothiques dans un diocèse paraissant fortement ancré dans des réalités romanes. b. Le tournant des années 1180-1220. « Églises-granges », créations hospitalières et grandmontaines, choix cisterciens. Le « premier gothique » du diocèse de Limoges émerge dans les années 1180 et se prolonge jusque dans les années 1220. Il se caractérise par une certaine ferveur dans la construction puisque de multiples églises paroissiales, des petites chapelles, des commanderies et des abbatiales cisterciennes sont édifiées. Cette période s’accompagne en - 795 - effet d’une poussée démographique non négligeable ayant pour conséquence la multiplication des lieux de culte. Quant aux cisterciens en Limousin, les années 1180-1220 correspondent aux dernières phases de construction ainsi qu’à une période d’embellissements due à des revenus plus importants (acceptation des dîmes, donations encore importantes, domaines constitués de plus en plus productifs, activités commerciales) et à une plus nette compromission avec de généreux seigneurs donateurs. 1. Des cisterciens pionniers du gothique ? Si les cisterciens restent largement tributaires de formules romanes, et ce qu’il s’agisse du plan choisi (nef unique), du voûtement (coupoles, berceau brisé), de certains décors (vitraux, pavements, chapiteaux feuillagés, bases, tailloirs, arcs d’applique), nombreux historiens et historiens de l’art les considèrent néanmoins comme des « pionniers du gothique ». Ainsi, dans un article récent, Philippe PLAGNIEUX parle d’une « architecture innovante et hors du temps » et nomme une partie de sa réflexion « Les pionniers de l’architecture gothique ». Jacques GARDELLES soutient quant à lui que « l’importance des cisterciens comme initiateurs de l’art gothique méridional a été comprise depuis longtemps »2150. Quelles sont les réelles innovations apportées par les moines blancs ? Des cathédrales gothiques ou des abbatiales cisterciennes, qui est à l’origine du nouvel art de bâtir ? L’étude des monastères limousins permet-elle de révéler des interpénétrations, d’étroites relations avec les proches édifices du « premier gothique » ? Sont-ils simplement des « passeurs » permettant la diffusion d’un certain nombre de formulations innovantes sur l’ensemble du territoire et à l’étranger2151 ? • Cathédrales gothiques et abbatiales cisterciennes. Émulations, créations, novations : Les premières voûtes d’ogives semblent apparaître vers 1100 dans le domaine anglonormand, particulièrement à la cathédrale de Durham et à l’abbatiale de Lessay (Manche), mais aussi en Lombardie à Saint-Ambroise de Milan sous forme de voûtes renforcées par des nervures massives. Elles apportent une nouvelle solution au problème du voûtement de vaisseaux de grandes dimensions. Ces premières expériences se caractérisent par des nervures 2150 J. GARDELLES, Aquitaine gothique, Paris, Picard, 1992, p. 22. P. PLAGNIEUX, « L’architecture cistercienne » dans L’Architecture religieuse médiévale. Art roman et art gothique, une nouvelle vision, Dossiers d’Archéologie, n°319, janvier-février 2007, p. 81-91. 2151 - 796 - lourdes, le recours à des murs épais pour résister aux importantes poussées induites par le tracé surbaissé des croisées d’ogives2152. Dans le royaume de France, elles font leur apparition vers 1140. Elles sont relativement différentes des croisées anglo-normandes : le tracé surbaissé disparaît, le profil brisé est généralisé aux ogives, doubleaux et formerets (Saint-Germer-de-Fly, cathédrale de Sens). Le contrebutement est assuré par le recours à des contreforts à glacis ou à des arcsboutants. Les ogives s’adaptent alors à la fois aux travées quadrangulaires, mais aussi aux absides ou aux déambulatoires. Le domaine Plantagenêt adopte le voûtement d’ogive dans les années 1140 et se révèle quelque peu différent des réalités du royaume de France. Entre 1140 et 1160 est édifiée la nef de la cathédrale Saint-Julien du Mans (Sarthe). La nef est voûtée d’ogives de plan carré dont le bombement est très marqué. De même à la cathédrale Saint-Maurice d’Angers dont la nef est reconstruite à partir des années 1148. La nef unique de 16m de large, primitivement charpentée, est revoûtée d’ogives de plan carré, domicales. Des arcs formerets à double rouleau et des contreforts massifs assurent la stabilité de l’édifice. Dans le sud de la France, l’ogive reste souvent cantonnée à un seul espace (croisée du transept par exemple). Les premières expériences concernent la cathédrale de Maguelone dans les années 1130 (transept). Selon Éliane VERGNOLLE, il s’agit encore d’essais « épisodiques qui n’affectent pas la conception d’ensemble des édifices »2153. Ainsi vers 1130-1140, l’adoption de l’ogive se fait plus systématique, au moment où l’on pense à rebâtir les premières abbatiales de l’ordre cistercien jugées trop modestes pour l’accueil de communautés monastiques toujours plus nombreuses. Des chantiers s’ouvrent en parallèle pour de grandes cathédrales ou des abbatiales cisterciennes et vont devenir des creusets pour les nouvelles expériences de voûtement, de contrebutement et de décor. Cette étude conduit à interroger de prime abord des exemples septentrionaux, bien souvent les premiers à initier ces nouvelles techniques liées à l’ogive. Toutefois, nous n’ignorerons pas pour autant des exemples méridionaux riches en enseignements. Concernant le diocèse de Limoges, il paraît plus délicat d’établir des comparaisons entre une cathédrale édifiée relativement tardivement, à partir des années 1273 et des expériences cisterciennes plus précoces, dès les années 1180 pour le voûtement du réfectoire d’Obazine. Il n’y a pas eu comme pour de nombreux exemples septentrionaux de réelles émulations entre évêques et moines blancs, d’où cette nécessité de nous éloigner quelque peu de notre champ 2152 2153 É. VERGNOLLE, L’art roman en France..., op. cit., p. 216-217. É. VERGNOLLE, op. cit., p. 288 et 298. - 797 - d’investigations de départ. Cette digression sur des réalités septentrionales et méridionales semble néanmoins nécessaire afin de mieux cerner les débuts des formes gothiques et d’en comprendre ainsi l’apparition et le développement dans le diocèse de Limoges. Cette analyse est l’occasion de discuter de cette fréquente appellation de cisterciens « pionniers du gothique ». L’étude de certaines abbatiales cisterciennes du nord de la France met en exergue l’amorce d’un premier gothique cistercien qui semble parfois concomitant de l’érection de certaines grandes cathédrales gothiques (Pontigny dès 1136), et parfois s’en inspire (Longpont). L’exemple de l’abbaye de Pontigny (Yonne) paraît relativement édifiant en ce qui concerne l’apparition des formes gothiques en lien avec la reconstruction d’un monastère jugé trop modeste face à des effectifs croissants [Fig. 1006 et 1007]. Matthias UNTERMANN la compare à un premier gothique dans la droite ligne de la cathédrale de Sens, comme en témoignent les grandes baies au profil brisé, les voûtes d’ogives de la nef édifiées vers 1136 d’après Terryl KINDER, soit près de trente ans avant l’apparition de l’ogive dans les abbayes cisterciennes du Midi toulousain, bien avant l’érection de la voûte d’ogives du réfectoire d’Obazine (vers 1180). Il existe ainsi des disparités nettes entre le nord et le sud de la France, un décalage chronologique indéniable. Le diocèse de Limoges paraît en cela plus « méridional », « aquitain » que septentrional. La façade occidentale de Pontigny serait quant à elle achevée plus tardivement, vers 1170. L’abbatiale se dote dans le premier tiers du XIIIème siècle d’un chœur à déambulatoire et chapelles rayonnantes voûtées d’ogives. Nous ne sommes pas loin des choix des grandes cathédrales gothiques2154. Le chevet dispose d’une élévation à deux niveaux : des grandes arcades séparées des fenêtres hautes étroites par une importante surface murale se substituant aux habituels triforiums et tribunes. Ce nouveau sanctuaire rappelle de manière flagrante la proche cathédrale de Sens, commencée vers 1135, quasiment au même moment que l’abbatiale de Pontigny. Quant aux chapelles polygonales, elles prennent modèles sur la Madeleine de Vézelay, Saint-Denis (chœur achevé vers 1144) ou encore Saint-Germain-des-Prés (chœur consacré en 1163). L’abbatiale de Longpont (com. Longpont, Aisne) est quant à elle réédifiée dans le premier quart du XIIIème siècle [Fig. 947]. Elle est très proche de la cathédrale de Soissons (chœur achevé vers 1212), témoignant de la perméabilité des édifices cisterciens envers les édifices gothiques, et particulièrement les cathédrales proches géographiquement. Ici, c’est la cathédrale qui sert de « modèle » à une abbatiale tardivement rebâtie. Longpont se distingue 2154 M. UNTERMANN, Forma Ordinis..., op. cit., p. 150-152. - 798 - toutefois de Soissons par son élévation. À Soissons, les grandes arcades et les larges fenêtres hautes sont séparées par le triforium, tandis qu’à Longpont, une certaine muralité est affirmée. Un système d’arcatures aveugles remplace le triforium. Quant aux fenêtres, elles sont de taille plus modeste. Comme à Pontigny, le triforium n’est pas intégré et est remplacé par un espace mural, ici néanmoins animé d’arcs d’applique. L’évidement des parois n’est pas de mise, la muralité encore recherchée, à l’inverse des principes généraux du gothique septentrional, aquitain. L’abbatiale de Royaumont (com. Asnières-sur-Oise, Val D’Oise) opte pour un chevet à déambulatoire et sept chapelles rayonnantes polygonales et se dote d’une élévation à trois niveaux [Fig. 948]. Elle est fondée en 1228 et est donc plus tardive que Pontigny et Longpont. Nous ne sommes guère éloignés des réalités architecturales des cathédrales du nord de la France. Néanmoins, une forte présence murale est encore de mise2155. D’autres monastères cisterciens adoptent certaines formules architecturales similaires aux cathédrales gothiques. C’est le cas de l’abbatiale de Roche en Angleterre, contemporaine de Laon et de Paris qui présente un transept à trois niveaux d’élévation et se couvre d’ogives. De même, l’abbatiale de Chaalis (com. Fontaine-Chaalis, Oise) tend à s’éloigner quelque peu des préceptes bernardins d’austérité pour s’approcher des créations gothiques contemporaines [Fig. 1004 et 1005]. Les bras du transept se dotent de déambulatoires polygonaux (12001219). Elle s’inscrit alors dans la lignée d’un groupe d’églises du nord de la France à déambulatoire circulaire ou polygonal comme Tournai, Cambrai, Valenciennes et SaintLucien de Beauvais, de même que le transept sud de la cathédrale de Soissons. La nef de Chaalis est voûtée d’ogives sexpartites reposant sur une alternance de supports2156. À Fontaine-Guérard en Normandie (com. Radepont, Eure), abbaye fondée en 1189 et affiliée à Cîteaux en 1207, la nef unique est voûtée d’ogives sexpartites reposant sur des consoles ornées de feuilles similaires aux culots de la coursière du bas-côté sud de la proche cathédrale de Rouen. Le chœur, consacré en 1218 est quant à lui voûté d’ogives rondes. La salle capitulaire est voûtée d’ogives à tore aminci entre deux cavets, reposant sur de fines colonnes monolithes surmontées de chapiteaux à grosses feuilles nervurées se terminant en boule [Fig. 949]. Des interpénétrations sont tangibles entre monastères cisterciens et cathédrales gothiques2157. Les ogives ne sont pas réservées à la seule abbatiale mais tendent à 2155 P. PLAGNIEUX, op. cit., p. 81-91. C. A. BRUZELIUS, « The transept of the abbey church of Châalis and the filiation of Pontigny”, dans B. CHAUVIN (dir.), Mélanges à la mémoire du père Anselme Dimier, T III, 6, Abbayes, Pupillin, Arbois, 1982, p. 447-454. 2157 A. GOSSE-KISCHINEWSKI, « Fondations cisterciennes en Normandie au temps de Richard », dans Richard Cœur de Lion…, op. cit., 189-197. 2156 - 799 - se généraliser aux bâtiments conventuels : salle capitulaire à Fontaine-Guérard, réfectoire d’Obazine, salle capitulaire de Dalon (ogives toutefois probablement remaniées d’après le profil des ogives polygonales, plutôt XIVème siècle). Jacques HENRIET livre quant à lui une comparaison minutieuse entre l’abbaye de Cherlieu et la proche cathédrale de Langres [Fig. 990]. L’abbatiale de Cherlieu (com. Montigny-lès-Cherlieu, Haute-Saône), fondée en 1131, édifiée pour bonne part dans la seconde moitié du XIIème siècle, aujourd’hui très ruinée, ne dispose plus que d’une partie du bras du transept nord [Fig. 950]. Elle est bâtie en moyen appareil régulier de calcaire jaune de belle qualité. Les parements enserrent un blocage de moellons et de mortier relativement gras. Les éléments structurants sont en grand appareil, à joints minces, finement layés. Son plan et son élévation sont en partie connus grâce aux textes et visites d’expert. Les bas-côtés de la nef devaient sans doute être voûtés d’ogives comme en témoigne le départ d’un arc formeret encore visible. Des arcs-boutants étayaient vraisemblablement les collatéraux comme en attestent les visites. D’après les descriptions connues, ils seraient relativement similaires à ceux de Langres et de Clairvaux II (ces deux édifices ont été mis en chantier sensiblement en même temps, probablement vers 1150-1163). Le chevet est également perçu grâce aux visites : il s’agissait d’un déambulatoire à sept chapelles rayonnantes rectangulaires ou trapézoïdales, ceintes dans une même enveloppe. L’élévation est à trois niveaux comme dans la nef. Nous savons de plus que le même maître d’ouvrage, Godefroy de La Roche-Vanneau, a travaillé à Langres et à Clairvaux, ce qui peut expliquer certaines correspondances. Les élévations de Clairvaux, Cherlieu et Langres sont ainsi édifiées de manière très similaire. Toutefois, les pilastres et arcatures encadrant les baies du niveau médian ne sont pas repris dans les deux abbatiales cisterciennes, peut-être dans un souci de simplification de ces élévations. Nous pouvons également constater que les piles cruciformes de la nef de Cherlieu, avec ces pilastres en forte saillie et les colonnes d’angles de 0.24m de diamètre sont très similaires aux piles du vaisseau de la cathédrale de Langres [Fig. 951]. Les seules différences relevées entre les supports de deux édifices sont des détails de modénatures, plus sobres à Cherlieu puisque les colonnettes d’angle ne disposent pas de bases. Les piles de la nef de Langres sont également reprises à Morimond, abbatiale cistercienne appartenant au diocèse de Langres (com. Fresnoy-en-Bassigny, Haute-Marne, consacrée en 1253) ou encore à SainteBénigne de Dijon (avant-nef). Nous pourrions imaginer une circulation des artistes et ouvriers - 800 - entre les chantiers de Langres, Clairvaux et Cherlieu. Il ne serait pas impossible qu’une partie de son équipe ait suivi les déplacements de l’architecte Godefroy de La Roche-Vanneau2158. Wilhelm SCHLINK est l’un des premiers à constater les ressemblances fortes entre Clairvaux et la cathédrale de Langres. Il établit également des correspondances indéniables avec le plan et l’élévation de Cluny III. Ainsi, Cluny comme Langres optent pour des travées courtes et oblongues [Fig. 952]. Les bras du transept sont peu saillants (une travée seulement). L’élévation se caractérise par la présence d’un triforium aveugle. Des pilastres cannelés sont présents sur les deux sites. La cathédrale de Langres, comme Clairvaux, présente des absides polygonales greffées sur le déambulatoire. Les deux nefs sont voûtées d’ogives, les absides couvertes des mêmes voûtes en cul-de-four. Pour Wilhelm SCHLINK, le chœur de Langres est bâti à l’image de celui de Clairvaux II, lui-même issu du schéma de Cluny III2159. Créations cisterciennes, clunisiennes et art des cathédrales sont ainsi très imbriqués dans le Nord de la France. Ces constatations peuvent également s’appliquer au sud de la France bien que les exemples soient moins nombreux et peut-être moins parlants. Pour Henri PRADALIER et Jean-Louis BIGET, deux chantiers contemporains seraient à l’origine de l’élaboration du gothique méridional : il s’agit de l’abbatiale de Grandselve et de la cathédrale de Toulouse. Il semblerait que le gothique méridional doive beaucoup à l’art cistercien comme en témoignent les ogives en biseau de Saint-Étienne de Toulouse, la simplicité de la nef et l’absence de décor sculpté évoquant un cadre cistercien sobre. Des interpénétrations existent ainsi entre architecture cistercienne et art des cathédrales. Des emprunts directs au gothique capétien sont également tangibles. L’installation des Capétiens en Languedoc, facilitée par l’action des évêques, permet l’introduction du gothique rayonnant Le voûtement d’ogives n’est toutefois pas inconnu dans le Midi avant l’arrivée des moines blancs comme en témoignent le croisillon du transept de la cathédrale de Maguelone (vers 1130) ou encore le porche de Moissac. Il s’agit d’ogives larges, sans clé de voûtes. Il semblerait que l’initiative des premières novations gothiques revienne ici plus aux cathédrales qu’aux moines blancs. De plus, les cisterciens arrivent relativement tardivement dans le sud de la France et les premiers bâtiments en pierres tardent parfois à être édifiés. En effet les premiers investissements, permis grâce aux donations initiales souvent importantes et 2158 J. HENRIET, « L’abbatiale cistercienne de Cherlieu », dans J. HENRIET, À l’aube de l’architecture gothique, Presses Universitaires de Franche-Comté, Besançon, 2005, p. 301-335 ; visite à Cherlieu par Éliane VERGNOLLE lors du colloque de Vesoul, juin 2006. 2159 W. SCHLINK, Zwischen Cluny und Clairvaux. Die Kathedrale von Langres und die burgundische Architektur des 12. Jahrhunderts, Berlin, 1970, p. 115. - 801 - généreuses, sont utilisés prioritairement pour la constitution et la cohérence du patrimoine foncier, prioritaire afin d’assurer la relative autarcie des moines, ce qui peut prendre entre 40 et 50 ans. Les constructions en pierres n’interviennent qu’après ce délai nécessaire à la survie de la communauté naissante, souvent dans la seconde moitié du XIIème siècle, remplaçant ainsi des édifices provisoires en matériaux périssables (bois, torchis, chaume). Des reprises partielles ou reconstructions peuvent ensuite intervenir à la fin du XIIIème siècle, comme nous avons pu l’observer pour les abbatiales cisterciennes du diocèse de Limoges et de ses marges (Bonlieu, Prébenoît, en lien avec des inhumations laïques), correspondant à une certaine apogée des monastères, à une période faste permettant des investissements dans le mobilier ou dans des partis architecturaux plus prestigieux (Le Vignogoul, Valmagne). Le premier essai de voûtement gothique est sans doute celui de la nef de Silvanès (com. Silvanès, Aveyron) [Fig. 953]. L’abbatiale est dotée d’une nef unique de plus de 14m de large, scandée de puissants contreforts. Les questions de contrebutement sont par ailleurs en partie réglées par l’élargissement du berceau brisé de la nef et par un système de voûtes perpendiculaires unissant la tête des contreforts. Ce même système est utilisé à Fontenay en Bourgogne (com. Marmagne, Côte-D’Or), l’Escaledieu (Hautes-Pyrénées) et Bonneval (com. Le Cayrol, Aveyron). Il sera également repris ultérieurement au chevet des Cordeliers de Toulouse ou à la cathédrale d’Albi, ce qui permet de s’interroger sur le rôle des cisterciens dans l’élaboration du gothique toulousain. Le voûtement d’ogives est relativement discret, limité à des espaces cloisonnés dans ce cadre cistercien du sud de la France. Il apparaît souvent à la croisée du transept (Silvanès, Flaran, Fontfroide) et peine à se diffuser à l’ensemble de l’édifice. À Fontfroide, le voûtement d’ogives concerne également la travée droite du chœur. La croisée du transept est couverte de boudins toriques, de même que les croisillons. Ce voûtement bien particulier est également adopté pour la salle capitulaire. À Silvanès, le projet d’ogives dans la nef est rapidement abandonné. La nef unique est voûtée en berceau brisé souligné de doubleaux. La dernière travée montre le départ de boudins toriques signifiant cet essai de voûtement d’ogives. La croisée du transept est par ailleurs soulignée de ces boudins toriques n’ayant toutefois aucune réelle fonction structurelle. Toutefois, malgré la discrétion de l’ogive dans un cadre cistercien méditerranéen, les moines cisterciens semblent contribuer au développement d’un certain nombre d’aspects tels la clé de voûte, les ogives à section torique constituées de claveaux dont les queues s’enfoncent dans la maçonnerie, les retombées adoptant un profil en fuseau, les voûtes en tas- - 802 - de-charge. Ce procédé est par ailleurs redevable à la cathédrale de Langres, puis transmise à l’abbatiale de Morimond. Les similitudes entre gothique cistercien et gothique des cathédrales septentrionales, parfois méridionales, sont très étroites. Une certaine émulation a pu naître entre abbés et évêques, une volonté de surenchère ayant trouvé son expression en architecture, un climat propice à la création et à la novation. Les architectes et ouvriers ont également pu circuler d’un chantier à un autre, expliquant les fortes similitudes dans la mise en œuvre. Benoît CHAUVIN évoque dès lors un « plan-type perverti » par l’apparition de « cathédrales cisterciennes », édifiées en même temps que les cathédrales voisines. Beaucoup de monastères romans sont rebâtis ou édifiés dans la seconde moitié du XIIème siècle et le premier tiers du XIIIème siècle tels Longpont, Ourscamp (com. Chiry-Ourscamp, Oise), Royaumont (com. Asnières-sur-Oise, Val D’Oise), Vauclair (com. Bouconville-Vauclair, Aisne) et Valmagne. Valmagne montre de fortes affinités architecturales avec le chœur de la cathédrale de Toulouse tandis qu’Ourscamp témoigne de similitudes avec la cathédrale de Noyon [Fig. 954]. Les bâtisseurs adaptent alors certaines formules gothiques absentes des édifices primitifs2160. Néanmoins, Matthias UNTERMANN met en exergue le refus de certaines innovations propres aux cathédrales gothiques : le triforium est en effet relativement rare dans un cadre cistercien et nous avons vu comment il peut être remplacé par une simple surface murale (Pontigny) parfois animée d’arcs aveugles (Longpont). Il n’est presque jamais fait usage de piliers en faisceaux. Les arcs-boutants sont de même fréquemment exclus, excepté pour quelques exemples septentrionaux (Pontigny, Noirlac) et les murs restent bien souvent épais et nus [Fig. 955]2161. Il semblerait ainsi que certaines caractéristiques d’un premier art gothique soient apparues de manière concomitante chez les cisterciens et les cathédrales, cohérences particulièrement tangibles dans le nord de la France. Même si les moines blancs se montrent réticents à un certain nombre de formulations (triforium, arcs-boutants) et si certaines habitudes romanes sont encore bien ancrées dans les techniques de construction et de voûtement, ils se montrent relativement perméables aux novations gothiques. Toutefois, il paraît difficile de parler de « pionniers » alors même que les comparaisons entre cathédrales et abbatiales cisterciennes ont révélé la possible antériorité de certaines initiatives épiscopales 2160 2161 B. CHAUVIN, « Autour du plan cistercien », dans La grande aventure des cisterciens…, op. cit., p. 65-85. M. UNTERMANN, op. cit., p. 639. - 803 - (Maguelone), tandis que les mises en œuvre de Langres et Clairvaux paraissent simultanées. Il est par exemple évident que les cisterciens ne sont pas à l’origine du déambulatoire à chapelles rayonnantes, présent antérieurement à Saint-Denis ou Saint-Germain-des-Prés, mais peut-être ont-ils néanmoins contribué à la diffusion de ce plan vers l’Aquitaine et le sud de la France, voire dans d’autres pays comme l’Allemagne. • Le « premier gothique » Limousin. Apports cisterciens : Concernant les abbayes cisterciennes du diocèse de Limoges et de ses marges, Claude ANDRAULT-SCHMITT évoque une modernité, une innovation transmise par les cisterciens dans le cadre d’un « premier gothique » à placer dans les années 1180-1220. Pour l’historienne de l’art, le « premier gothique » est fortement marqué par le voûtement angevin (voûtes à liernes adoptées à l’abbatiale de Coyroux au milieu du XIIIème siècle, relayées dans les églises templières et hospitalières). Les églises romanes du diocèse de Limoges optent fréquemment pour une élévation simplifiée, sans tribune ni clair-étage pour évider les murs relativement épais et peu décorés, comme c’est le cas par exemple dans les nefs de SaintJunien et du Dorat. À Beaulieu, si les tribunes sont encore présentes, elles sont atrophiées et réduites à une simple galerie. Cette tendance à la simplification des élévations se confirme parfois dans un cadre gothique et notamment au sein de certains édifices cisterciens limousins. L’élévation d’Obazine en témoigne avec ces grandes arcades en plein-cintre seulement surmontées de deux petites baies ouvrant sur les combles [Fig. 482]. Toutefois, l’abbatiale de Saint-Martial apporte une originalité à l’époque romane en acceptant les tribunes, voûtées en quart-de-cercle, et prépare ainsi en quelque sorte certaines novations préfigurant le gothique. De plus, les tracés brisés y sont relativement précoces, inscrivant l’abbaye comme un des ferments du « premier gothique » du diocèse de Limoges. Les piles sont constituées d’un noyau carré cantonné de demi-colonnes, choix relativement inhabituel en Limousin. Les collatéraux sont par ailleurs exceptionnellement larges (4.80m ; 4m à Prébenoît), rompant avec une tradition fermement ancrée de vaisseaux uniques (Solignac) ou de collatéraux étroits (Beaulieu, Saint-Junien, Le Dorat). La place de SaintMartial dans l’élaboration de certaines formules gothiques est indéniable 2162. Quant au clairétage, il semble redevable aux édifices cisterciens. L’historienne de l’art constate « que ce sont les cisterciens, et eux seuls, qui ont implanté en Berry, Poitou et Limousin, le système 2162 C. ANDRAULT-SCHMITT, « L’architecture de la grande église en questions », dans C. ANDRAULTSCHMITT (dir.), Saint-Martial de Limoges…, op. cit., p. 219-239 ; C. ANDRAULT-SCHMITT, Les nefs des églises..., op. cit., T I, p. 18. - 804 - des bas-côtés et donc celui du clair-étage, inusité alors dans ce territoire »2163. En effet, les bas-côtés ne sont pas rares dans un cadre cistercien limousin et se retrouvent à Prébenoît, au Palais-Notre-Dame (3m de large), à Aubepierres, Obazine (3.80m de large) et Dalon (5m de large). Claude ANDRAULT-SCHMITT explique également que « les vestiges du transept de l’abbatiale de Dalon témoignent d’un savoir-faire cistercien qui a certainement constitué l’un des moteurs de l’évolution en matière de techniques de construction »2164. En effet, les établissements daloniens illustrent certaines avancées techniques dans la taille de la pierre (Dalon, Bonlieu, Le Palais). Le moyen appareil régulier est souvent de mise, les joints sont fins, la taille soignée [Fig. 274]. Cette constatation n’est néanmoins pas systématique chez les filles de Dalon : à Prébenoît, le moyen appareil régulier de qualité est cantonné aux éléments structurants (harpages, piédroits, soubassements) tandis que le petit appareil irrégulier domine [Fig. 340]. La mise en œuvre des sites d’Aubignac et Boeuil, entièrement détruits, ne peuvent par ailleurs pas être envisagés. Il semblerait que cette qualité de la mise en œuvre soit à mettre en relation avec l’importance économique du monastère. Dalon dispose d’une vingtaine de granges, de même qu’Obazine, Bonlieu de treize granges, le Palais neuf et acquièrent ainsi peut-être suffisamment de revenus pour investir dans une mise en œuvre soignée. À l’inverse, Prébenoît, ou les Pierres restent modestes, peu dotées, d’où une discrétion certaine de la pierre de taille, un effacement progressif du tailleur de pierre au profit du maçon. Les petits appareils irréguliers sont privilégiés. Une formule va connaître un certain rayonnement dans le cadre d’un « premier gothique » grâce aux monastères cisterciens limousins. Il s’agit du triplet de baies triangulé du chevet de l’abbatiale du Palais-Notre-Dame qui bénéficie d’une large diffusion dans le diocèse de Limoges, qu’il s’agisse de prieurés ou de paroissiales [Fig. 307] 2165. Un triplet est également envisagé au chevet de l’abbatiale de Prébenoît, non triangulé, connu d’après une fresque moderne conservée dans un bâtiment conventuel [Fig. 336]. Il semblerait que les triplets ne soient pas triangulés dans la seconde moitié du XIIème siècle (Noirlac, Fig. 958). Dans les années 1200, le chevet de la chapelle de Cinturat est percé d’un triplet d’égale hauteur doté de vastes ébrasements2166. 2163 C. ANDRAULT-SCHMITT, « L’architecture cistercienne, une forteresse historiographique », Perspective, INHA, Paris, n°1, 2006, p. 124-128. 2164 C. ANDRAULT-SCHMITT, Limousin gothique, Paris, Picard, 1997, p. 19. 2165 C. ANDRAULT-SCHMITT, op. cit., p. 32. 2166 C. ANDRAULT-SCHMITT, Les nefs des églises romanes..., op. cit., T II, p. 333. - 805 - Le changement interviendrait dans le premier tiers du XIIIème siècle avec le recours à une triangulation permettant peut-être de rompre une certaine monotonie (Le Palais, Rieunette, Silvanès, Villelongue) [Fig. 307, 959, 960 et 961]. Cette organisation en triplet est symbolique chez les cisterciens et peut-être appréhendée comme une référence à la Trinité2167. On le retrouve presque à l’identique à Blaudeix, église hospitalière caractéristique du « premier gothique » limousin, ou au chevet de Chambéraud (Creuse) [Fig. 956, 957 et 962]. De même pour l’église d’Ussel, à quelques kilomètres de l’abbaye de Bonnaigue et dont le chevet plat s’orne d’un triplet. L’église d’Aureil propose le même type de percement à son chevet oriental. À Biennac, le chevet monumental est percé d’un triplet sans triangulation. L’église de Saint-Paxent de Cluis est située à quelques kilomètres au sud de l’abbaye de Varennes dont nous savons qu’elle disposait à l’origine d’un chevet plat dont il ne reste plus que le plan au sol aujourd’hui [Fig. 964]. Les seigneurs de Cluis faisaient d’ailleurs partie des plus généreux donateurs de l’abbaye berrichonne, attestant de liens forts entre les deux sites. L’église paroissiale, dépendance de Déols édifiée à la fin du XIIème et dans les premières années du XIIIème siècle dispose d’un chevet plat voûté en berceau brisé et de chapelles rectangulaires placées sur les bras du transept à la manière de certains sites cisterciens limousins (Dalon, Obazine). Ce parti austère est ainsi très similaire aux choix architecturaux des cisterciens. Le chevet plat de Cluis dispose d’un triplet et d’un oculus comparable au triplet de baies du Palais-Notre-Dame, de la Souterraine ainsi que de celui représenté sur la fresque moderne de l’abbaye de Prébenoît. La proximité de l’abbaye de Varennes peut justifier le choix d’un tel parti. Outre le triplet, un autre élément de percement fréquent dans l’art cistercien a été repris par d’autres édifices contemporains. C’est le cas des oculi fréquents dans le cadre d’un « premier gothique ». Anne COURTILLÉ distingue bien en Auvergne et Bourbonnais des exemples romans d’oculus, simples ouvertures circulaires, abondantes à l’ouest du diocèse de Clermont (Notre-Dame des Miracles de Mauriac, Brageac) dès le second quart du XIIème siècle, et des oculi gothiques munis d’une armature à lobes ou à rayons (Escurolles, Fleuriel)2168. À Malemort, le transept ample est percé d’un grand oculus au nord dans un « goût cistercien » évoquant par exemple l’oculus de l’abbatiale de Mègemont (fondée en 1206, com. Chassagne, Puy-de-Dôme) ou de Prébenoît, connu grâce à la peinture murale 2167 2168 H. J. ZAKIN, op. cit., p. 150. A. COURTILLÉ, Auvergne et Bourbonnais gothiques..., op. cit., p. 241. - 806 - conservée dans le bâtiment conventuel principal2169. De même, le bras nord du transept de l’église de Brive est percé d’un oculus très ressemblant aux réalités cisterciennes2170. Concernant Obazine, Claude ANDRAULT-SCHMITT évoque un transept dont les modernités sont « étonnantes dans la région », qu’il s’agisse des piédroits ornés de chanfreins à congés [Fig. 490], des cintres légèrement brisés obtenus par un clavage savant à clé imposante. La salle capitulaire et la salle des moines, relevant vraisemblablement du troisième quart du XIIème siècle étaient dès l’origine voûtés d’arêtes dans une tradition romane [Fig. 509]. Le réfectoire, aujourd’hui presque entièrement ruiné, présente des départs d’ogives pouvant correspondre à une seconde campagne de construction admettant certains éléments gothiques vers 1180-1200 [Fig. 515]. Ces ogives ont un fort diamètre en amande, dégagées de deux cavets. Selon Claude ANDRAULT-SCHMITT, ce voûtement pourrait s’inscrire ainsi comme l’une des premières voûtes d’ogives du diocèse de Limoges2171. L’abbaye d’Obazine pourrait avoir une incidence sur les choix architecturaux adoptés lors de la construction de Saint-Martin de Tulle. En effet, des parentés troublantes peuvent être établies entre les deux abbatiales. Comme la nef d’Obazine, celle de Tulle dispose de piliers cruciformes sur lesquels se greffent des colonnes engagées. Les chapiteaux lisses sont également similaires à ceux de l’église cistercienne bâtie entre 1156 et 1176 pour le chevet, le transept et les deux premières travées de la nef. La nef de Tulle pourrait être légèrement postérieure, édifiée entre 1176 et 1190. La date souvent citée de 1103 pour le début de la construction paraît très précoce. Elle est avancée d’après une charte citée par BALUZE, aujourd’hui disparue et donc invérifiable. Les contreforts plats, sans ressauts, à larmiers pourraient aller dans le sens d’une datation plus tardive (mi XIIème ?), de même que les grandes arcades doubles et brisées, les fins astragales, les bases au tore inférieur aplati mais sans griffes évoquant celles d’Obazine (troisième quart XIIème siècle ?). Des éléments gothiques sont tangibles, comme le recours aux voûtes d’ogives pour couvrir le vaisseau central et la présence d’une coursière surmontant les grandes arcades. Quant à la tour-porche, elle témoigne des différentes campagnes romane, gothique et flamboyante2172. Claude ANDRAULT-SCHMITT évoque même la possibilité de recrutement de spécialistes cisterciens sur le chantier de Tulle. Il est toutefois délicat d’étayer cette hypothèse en l’absence de sources écrites. Nous ne pouvons pas non plus savoir si des ouvriers propres à 2169 C. ANDRAULT-SCHMITT, op. cit., p. 266. G. CANTIÉ, X. LHERMITTE, É. PROUST, « Brive-La-Gaillarde, église Saint-Martin. De la memoria mérovingienne à la collégiale », dans Monuments de Corrèze…, op. cit., p. 105-123. 2171 C. ANDRAULT-SCHMITT dans B. BARRIÈRE (dir.), Moines en Limousin…, op. cit., p. 47. 2172 C. ANDRAULT-SCHMITT, Les nefs des églises romanes..., op. cit., T I, p. 159. 2170 - 807 - l’ordre circulent d’abbayes en abbayes2173. L’élévation de l’abbatiale de Tulle est toutefois plus audacieuse qu’à Obazine avec l’adjonction d’un clair-étage, en lien avec l’utilisation de la voûte d’ogives se substituant au berceau d’Obazine. Selon l’historienne de l’art, les voûtes d’ogives de la nef de Tulle constituent l’une des premières expériences de ce type de voûtement, après le réfectoire d’Obazine et avant la voûte angevine de Saint-Yrieix. Par ailleurs, l’association d’une voûte d’ogives dans la nef et de voûtes d’arêtes couvrant les bascôtés est fréquente chez les cisterciens (Pontigny, Noirlac ou encore Preuilly). Les arêtes sont montées en pierre de taille pour les premières assises comme dans la salle capitulaire et la salle des moines d’Obazine. Il est difficile d’envisager l’adoption du voûtement d’ogives chez les cisterciens du Limousin face à la disparition partielle ou totale d’un certain nombre d’édifices. Ainsi, nous savons que les bas-côtés de l’abbaye de Prébenoît sont voûtés d’arêtes [Fig. 338]. Quant à la nef, il est délicat de se prononcer. L’absence de claveaux de nervure d’ogives dans le dépôt lapidaire issu de la destruction de l’abbatiale laisserait supposer que la nef était plutôt en berceau brisé. L’abbaye d’Aubignac est connue par quelques éléments lapidaires épars conservés dans les jardins des propriétés voisines. Des claveaux de nervures d’ogives toriques ont été inventoriés, sans que l’on puisse toutefois envisager leur provenance dans l’édifice [Fig. 103]. La modénature est simple, un tore relativement massif, sans amande, pouvant correspondre à des réalités de la seconde moitié du XIIème siècle. À Varennes, la nef désormais unique suite à la mise à bas des collatéraux au XIIIème siècle est voûtée d’ogives au profil en amande ou à listel, témoignant de réfections probables au bas Moyen-Âge (XIVème siècle ?). Le dépôt lapidaire a livré un certain nombre de claveaux de nervures d’ogives – le plus souvent en amande – permettant d’envisager le voûtement primitif et attestant de sa probable généralisation à l’ensemble du monastère [Fig. 791 à 797]. Les ogives concernent peut-être aussi les bâtiments conventuels. Quant au chevet plat, aujourd’hui détruit, il est délicat d’en imaginer le voûtement. Néanmoins, au vu de la simplicité du support conservé sur quelques assises, simple pile cruciforme à dosserets, nous pencherions plutôt pour une voûte plus simple, en berceau, ne nécessitant pas une complexité des supports. Toutefois, si Varennes accepte l’ogive, elle refuse l’arc-boutant à l’inverse de sa proche sœur de Noirlac à l’allure largement septentrionale, capétienne (remplages rayonnants). L’implication des rois Plantagenêts dans l’histoire de Varennes explique-t-elle cette réticence à l’acceptation de certaines formes du gothique du Nord ? 2173 C. ANDRAULT-SCHMITT, « Tulle, ancienne abbaye Saint-Martin (actuelle cathédrale », dans Monuments de Corrèze, op. cit., p. 363-379. - 808 - L’abbatiale de Dalon est en partie préservée. Les deux chapelles occidentales du bras du transept sud en particulier sont conservées et optent pour le voûtement d’ogives [Fig. 260]. Ces voûtes sont quadripartites, appareillées avec soin, les ogives au tore unique sans amande, dégagé de cavets. Elles sont ornées par une clé feuillagée. Ces chapelles occidentales de transept peuvent être datées des années 1220-1250 si on se réfère aux chapiteaux feuillagés ornés de boules se disposant en frise. Des claveaux de nervure d’ogives sont également déposés dans le jardin devant le bâtiment conventuel principal. Ils présentent des profils différents mais le plus souvent sans amande. Ces profils pourraient correspondre à une datation de la fin du XIIème siècle et du premier tiers du XIIIème siècle [Fig. 288]. L’apparition de l’ogive dans un cadre cistercien limousin serait ainsi relativement tardive par rapport aux abbatiales du nord de la France et se rapprocherait ainsi plutôt des datations précédemment évoquées pour le Midi toulousain (seconde moitié du XIIème siècle). La nef unique de l’abbatiale de moniale de Coyroux adopte un voûtement d’ogives vraisemblablement au milieu du XIIIème siècle [Fig. 584]. Il remplace ainsi une possible charpente. Les quatre travées sont voûtées d’ogives à liernes. Les voûtains sont soit de briques, soit de pierres tandis que les nervures sont taillées dans le grès directement présent sur le site. Dans les angles nord-ouest et sud-ouest, les voûtes retombent sur de triples colonnettes montant de fond reposant sur de petites bases au tore inférieur avachi, sans griffes. Le dépôt lapidaire issu des fouilles réalisées dans l’abbatiale par Bernadette BARRIÈRE a révélé un certain nombre de claveaux de nervure d’ogives amincies en amande [Fig. 599]. Il a été constaté que « le profil des nervures a été prévu de telle sorte que leur découpe permette un emboîtage des différents éléments : la partie convexe (la moulure) d’un claveau trouvant parfaitement sa place dans la réunion des parties concaves (les cavets) de deux autres ». Le stockage de ces éléments est ainsi plus aisé en attendant leur pose2174. Des clés de voûte ont également été découvertes lors des fouilles archéologiques [Fig. 598]. Deux d’entre elles sont de grès, de 70cm de diamètre et relèvent a priori de la seconde moitié du XIIIème siècle. Elles sont adaptées à des ogives à liernes (huit départs d’ogives sont visibles). Les feuillages naturalistes attestent cette datation. Sont également représentés à l’intérieur de médaillons un agneau et un aigle. L’adoption d’ogives à liernes n’a rien d’inhabituel dans le diocèse de Limoges et ce type de voûtes est largement investi par les ordres militaires dans les années 1220-1250 (Paulhac). Les cisterciens ne sont ici pas novateurs. Au Palais Notre-Dame, le chevet plat est voûté d’ogives comme en témoignent les deux amorces d’ogives constituées de trois moulurations toriques [Fig. 313]. Il s’agit d’ogives 2174 B. BARRIÈRE (dir.), Moines en Limousin…, op. cit., p.48. - 809 - quadripartites. Un arc formeret au profil brisé est également visible contre la paroi orientale. Ce voûtement est vraisemblablement mis en place dans le premier tiers du XIIIème siècle. Concernant les voûtes d’ogives avec formeret, l’étude d’Anne COURTILLÉ sur l’Auvergne et le Bourbonnais est exemplaire et permet d’affiner les datations2175. L’historienne de l’art constate que les premières voûtes d’ogives en Auvergne et Bourbonnais sont quadripartites sur travées droites. Les formerets sont alors presque toujours absents. En effet, il semblerait que le formeret n’ait pas d’intérêt dans des édifices où les murs sont peu évidés. L’absence de ces arcs simplifie ainsi les supports. Il est alors plutôt curieux de retrouver ce type de voûtement au Palais où les murs épais sont peu évidés. De plus, les moines cisterciens optent le plus souvent pour la simplicité des supports. L’abbaye du Palais montre ainsi une précoce adoption de certaines novations gothiques au détriment de l’habituel dépouillement de l’ordre. Des voûtes d’ogives similaires sont également connues à Chambonsur-Voueize et datées du premier tiers du XIIIème siècle. En Auvergne et Bourbonnais, le formeret reste épisodique. Il se retrouve à Entraigues, Saint-Menoux, Saint-Germain de Brenat ou encore au bas-côté sud de la cathédrale du Puy. Néanmoins, Anne COURTILLÉ constate qu’en Bourgogne, le formeret est déjà usité pour les voûtes d’arêtes de la période romane. Il va être logiquement réutilisé dans les voûtes gothiques. Peut-être s’est-il ainsi plus facilement diffusé dans les abbayes cisterciennes par l’intermédiaire des sites bourguignons romans, alors même qu’il reste exceptionnel dans le cadre d’un premier gothique. Pour l’historienne de l’art, « l’armature ogivale est rarement complétée de formerets ». En Auvergne, l’absence de formeret peut être interprétée comme un prétexte supplémentaire à la simplification des supports. Même lorsque le voûtement d’ogive tend à se systématiser durant ce premier gothique, le formeret reste bien souvent absent. Il est néanmoins présent à Lamaids, église hospitalière à la frontière de la Marche Limousine, proche de l’abbaye de Prébenoît. L’auteur s’interroge alors : « la tradition romane joua-t-elle son rôle dans le faible usage du formeret dont la fonction n’était pas vraiment structurelle dans les édifices où on n’évidait pas les murs ? ». Les moines blancs étant très attachés à certaines traditions romanes de voûtement (arêtes, berceaux, coupoles), il est plutôt surprenant de constater l’usage de formerets au chevet de l’abbatiale du Palais. 2175 A. COURTILLÉ, Auvergne et Bourbonnais gothiques. I. Les débuts, Créer, Nonette, 1990, p. 328, 332 et 615. - 810 - Quant aux plans cisterciens, certaines constatations peuvent être évoquées quant à leur diffusion et réception dans le diocèse de Limoges. Il semble que la disposition de chapelles à fond plat sur les bras du transept, bien connue à Dalon et Prébenoît, va trouver des prolongements dans certains sites paroissiaux ou militaires. Les bras du transept sont ainsi dotés de chapelles rectangulaires à Ussel non loin de Bonnaigue et à Biennac, à la manière des abbatiales de l’ordre (Dalon, Obazine)2176. L’église d’Azat-Le-Ris semble exemplaire de cette austérité caractéristique des années 1200 [Fig. 965]. Elle se dote elle aussi de chapelles de transept à fond plat. Quant au chevet droit, il est percé d’un triplet. Une piste de recherche que nous souhaitions succinctement aborder ici est l’apparition du type de « l’église-grange » dans le diocèse de Limoges dans les années 1180-1220. Le « premier gothique » du Limousin voit en effet l’apparition d’un type architectural caractéristique surnommé « église-grange » par Claude ANDRAULT-SCHMITT. Ce terme apparaît en premier lieu dans son doctorat en 1982. Ce type se présente comme un simple volume quadrangulaire, une nef unique encadrée par deux pignons souvent en moyen appareil régulier. Les dimensions en sont modestes, la hauteur restreinte. Il apparaît en germe à la fin du XIIème siècle dans un certain nombre de petits édifices modestes, à nef unique et à l’ordonnance simple, comme les églises sobres de Reilhac ou de la Chapelle-Saint-Robert au contact avec le Périgord. De petites églises à chevet plat se multiplient dans le diocèse de Limoges (Albussac dès le milieu du XIème siècle, Rosiers-Saint-Georges et Saint-HilaireLastours vers 1110, Azat-Le-Ris, Razès à la fin du XIIème siècle, exemples donnés par Claude ANDRAULT-SCHMITT)2177. Le chevet plat est simple, il ne s’illustre pas par la même monumentalité qu’à Saint-Junien notamment, et évolue vers une « absolue austérité » à l’origine des églises-granges des années 1200. Dès 1955, Pierre HÉLIOT constate que ce chevet plat convient plus particulièrement aux petites chapelles et églises modestes, tandis que les grandes abbatiales privilégient les absides ou chœurs à déambulatoire2178. Ce plan largement adopté par les églises paroissiales et de petites chapelles comme La Plaigne (com. Tersannes) ou Cinturat perdure dans les années 1220-1250 à travers certaines fondations hospitalières. Les voûtes d’ogives y sont alors introduites et complexifiées par des liernes (Paulhac) et des clés de voûtes feuillagées. L’historienne de l’art constate qu’«autour de 1200, les aspirations à la sévérité sont plus excessives que conservatrices. De nombreux oratoires qui surgissent alors, surtout à l’ouest du diocèse, représentent une architecture 2176 C. ANDRAULT-SCHMITT, op. cit., p. 37. C. ANDRAULT-SCHMITT, Les nefs des églises romanes..., op. cit., T II, p. 316 et 323. 2178 P. HÉLIOT, « Origines et extension du chevet plat dans l’architecture religieuse de l’Aquitaine », Cahiers Techniques de l’Art, T III, 1955, p. 23-49. 2177 - 811 - minimum, au point que les plus petits ont pu être regroupés sous le terme « églisesgranges ». 2179» Face au développement de ce type architectural et à sa diffusion en Haute-Marche, non loin des domaines cisterciens intéressant notre étude, des questions se posent nécessairement. Ne pourrions-nous imaginer une « incidence cistercienne » sur les choix architecturaux des petites églises rurales ? La large présence de granges cisterciennes sur les paysages limousins n’aurait-elle pu influer sur les architectures des plus proches édifices paroissiaux ? Bien sûr, la grange cistercienne est tant que telle n’est pas un modèle architectural nouveau – elle est en effet peu éloignée des doyennés clunisiens, par exemple – mais les moines blancs ont peutêtre contribué à sa rationalisation et à son développement. La connaissance architecturale des granges cisterciennes limousines est malheureusement limitée face à la disparition ou aux remaniements presque complet des exploitations agricoles. La grange de Brocq, certes remaniée à l’époque moderne, se présente comme un volume quadrangulaire simple, relativement large, encadré de deux pignons [Fig. 611]. L’aspect en est trapu, l’édifice étant plus large et moins haut que certaines granges septentrionales (Vaulerent). Cet exemple peut donner ainsi des indices et éléments de réflexion. Nous savons qu’en France septentrionale, les granges de l’ordre adoptent un plan basilical encadré de deux pignons, comme pour les granges de Vaulerent ou de Fourcheret, dépendant de l’abbaye de Chaalis [Fig. 1061 et 1062]. Les granges limousines ont-elles un plan similaire, bien que sans doute moins monumental à l’image du domaine de Brocq ? Ont-elles pu alors servir de modèles appliqués et réduits pour s’adapter aux petites « églises-granges » limousines ? Ces églises sont souvent des dépendances d’ordres à vocation érémitique tel Fontevrault ou le Chalard. Nous pouvons ainsi citer les « églises-granges » de Beauvais à Saint-Laurent-sur-Gorre (géraldienne), Pont-Cholet à Saint-Germain (Fontevrault), Beaubreuil à Saint-Cyr (Le Chalard), Bost-Las-Mongeas (équivalent féminin du prieuré d’Aureil). Claude ANDRAULT-SCHMITT cite également des chapelles à dévotion particulière telles la Chapelle de Cieux et la Plaigne à Tersannes, des églises paroissiales comme Sauviat-sur-Vige, Saint-Georges-Les-Landes, Eybouleuf, Saint-Bonnet-Briance et enfin des églises templières comme le Masdieu (Charente Limousine) et la Bussière-Rapy en Basse-Marche2180. La chapelle de la Plaigne est ainsi un simple rectangle voûté d’un berceau brisé, scandé de contreforts larges et solides. 2179 2180 C. ANDRAULT-SCHMITT, Limousin gothique, op. cit., p. 29. C. ANDRAULT-SCHMITT, op. cit., p. 31. - 812 - Ce type de « l’église-grange » paraît donc en cohérence avec une volonté affirmée d’austérité de certains ordres à vocation érémitique comme Grandmont, l’Aureil ou l’Artige. En effet, les grandmontains ou les chartreux développent des architectures dépouillées, réduites à l’essentiel. Le nombre de moines est d’ailleurs limité (14 chartreux, 12 grandmontains). Il n’est pas nécessaire de bâtir des édifices amples et à grande capacité d’accueil. La nef unique est alors requise, terminée en abside. Le vaisseau est couvert d’un berceau en plein-cintre ou brisé. À Grandmont, c’est la vouta plana qui est prisée, un berceau lisse sans doubleau, comme c’est le cas du prieuré Saint-Michel de Grandmont présentant une nef de 6.70m de large, un sanctuaire en abside éclairé de trois baies largement ébrasées. Il est indubitable que la présence du chef d’ordre grandmontain dans les monts d’Ambazac a aidé à la diffusion du plan simple de ces celles [Fig. 1030]. Ainsi, la chapelle d’Étricor en Charente Limousine, une des seules prieurales intactes et la seule en Limousin, propose cette même architecture dépouillée : murs épais bâtis en moyen appareil régulier, nef unique couverte d’un berceau lisse, abside du chœur percée de trois baies2181. Elle est vraisemblablement fondée entre 1148 et 1157. Elle mesure 21.70m de long pour 6m de large et 7m de haut. L’abside est plus large que la nef. Cette dilatation montre bien le caractère privilégié de cette partie sacrée de l’édifice2182. L’ordre de Chalais, concernant surtout la Provence et le Dauphiné adopte les mêmes principes. Vers 1140-1170, l’église Notre-Dame de Boscodon se dote d’une nef unique voûtée d’un berceau en plein-cintre. Elle est associée à un transept et un chevet plat percé de trois baies2183. Ces « églises-granges » sont très présentes en Haute-Marche aux abords des monastères de Prébenoît et Bonlieu. Nous pouvons ainsi citer les églises de Bonnat, Pionnat, Saint-Laurent, Ambazac près du monastère de Boeuil ou Soubrebost aux abords du PalaisNotre-Dame. Dans la Marche Limousine, ces églises sont fréquemment voûtées d’ogives, qu’il s’agisse de voûtes à liernes pour les fondations templières ou de voûtes quadripartites simples. L’église de Chambéraud en Creuse opte également pour le principe de « l’églisegrange » [Fig. 966]. La nef unique étroite de quatre travées est voûtée d’ogives sexpartites dont les clés de voûtes sont feuillagées ou étoilées. Les ogives sont reçues par de fines colonnettes s’arrêtant au tiers de la hauteur sur des culots feuillagés ou à décors géométriques. C’est le même cas de figure à Ladapeyre en Haute-Marche [Fig. 967]. Cette petite église paroissiale édifiée dans le voisinage des possessions de Bonlieu, Prébenoît et Blaudeix, se 2181 C. ANDRAULT-SCHMITT, op. cit., p. 29. C. ANDRAULT-SCHMITT, Les nefs des églises romanes..., op. cit., T II, p. 335. 2183 É. VERGNOLLE, op. cit., p. 310. 2182 - 813 - compose d’un volume quadrangulaire encadré de deux pignons. Les baies sont en meurtrière, très étirées et étroites. L’église hospitalière de Paulhac présente de même un volume quadrangulaire encadré de deux pignons [Fig. 968]. Elle est scandée de contreforts plats surmontés d’un glacis (1.84m de large pour une faible saillie de 0.28m). Ces contreforts sont relativement proches du contrefort sud du chevet plat de l’abbatiale du Palais-Notre-Dame (premier tiers XIIIème siècle, 1.77m de large, saillie de 0.43m). Les baies en meurtrières sont soulignées d’un tore se poursuivant sur les pierres d’appui-fenêtre. De même à l’église d’Ajain située à proximité de la grange cistercienne de Grosmont dépendant des moines de Bonlieu et qui adopte au XIIIème siècle ce parti « d’église-grange » caractéristique de ces zones de saltus [Fig. 1071]. Certaines dispositions architecturales se diffusent ainsi au sein de la moindre église rurale et peut-être la proximité de moines cisterciens couvrant leurs terres de granges aux vastes volumes prend une part dans cette diffusion de modèles par ailleurs déjà largement éprouvés dans un cadre Plantagenêt. L’église de Soubrebost présente une nef unique encadrée de deux pignons bâtie en moyen appareil régulier de granite. Les baies sont percées en meurtrière comme souvent pour ces édifices d’un « premier gothique » en Limousin (Blaudeix). Les voûtes d’ogives couvrant la nef retombent sur des culots lisses proches des réalités cisterciennes, affirmant cette volonté de sobriété fréquente dans les églises rurales de Haute-Marche. À Gouzon, à quelques kilomètres de l’abbaye de Bonlieu, la nef unique est voûtée d’ogives à liernes taillées en amande assez similaires à celles observées à Coyroux. Par ailleurs, l’abbatiale de Coyroux peut être qualifiée « d’église-grange » : il s’agit là encore d’un simple volume encadré de deux pignons, couvert de voûtes à liernes à la manière des églises hospitalières des années 1220-1250. Les relations entre « églises-granges », créations hospitalières et sites cisterciens semblent ainsi relativement étroites, qu’il s’agisse des plans, de la volonté de simplicité et d’austérité (nef unique, chevet plat, sobriété des décors) ou des voûtements (ogives à liernes fréquentes similaires à celles de Coyroux). Ces similitudes attestent de passerelles entre créations monastiques cisterciennes, hospitalières, templières et paroissiales. Les cisterciens semblent ainsi avoir une réelle place dans la création de ce « premier gothique » du diocèse de Limoges et semblent transmettre un certain nombre d’éléments novateurs, qu’il s’agisse des ogives (Coyroux, Dalon), parfois à formerets (Palais-Notre-Dame), des triplets de façade triangulés (Le Palais), des oculi, des portails à ébrasements multiples et chapiteaux isolés (Bonlieu). - 814 - • Entre réelles novations et transmissions : Les moines cisterciens, s’ils ne sont pas toujours à l’origine des novations gothiques, semblent néanmoins jouer un rôle majeur dans la transmission des formes nouvelles, qu’il s’agisse des plans, élévations, voûtes d’ogives ou d’éléments sculptés. Philippe PLAGNIEUX fait remarquer que par l’intermédiaire de l’abbatiale de Morimond, le chevet à déambulatoire et chapelles rayonnantes s’est propagé dans les pays d’Empire. Le déambulatoire droit est en particulier choisi à Walkenried en Allemagne sous l’abbatiat de Guido II, par ailleurs ancien abbé de Morimond [Fig. 1002 et 1003]2184. Les abbayes cisterciennes méditerranéennes sont essentielles dans la transmission de certaines formes architecturales et sculptées en Espagne. En effet, les moines blancs emploient fréquemment des colonnes jumelles adossées aux supports de la nef comme à Flaran, Fontfroide, Villelongue ou Silvanès, pratique qui va être diffusée aux abbayes cisterciennes d’Espagne puis aux cathédrales et collégiales espagnoles. Ce procédé n’est toutefois pas une novation cistercienne et existe déjà dans certaines églises du nord du Languedoc, du Rouergue, du Velay et du Forez. Par ailleurs, Bruno PHALIP constate la fréquente utilisation de colonnes jumelées à l’entrée de certains déambulatoires d’édifices romans d’Auvergne (Notre-Dame du Port à Clermont), « trait d’union entre l’Antiquité, les basiliques mérovingiennes, les redécouvertes carolingiennes et les réalités romanes en Auvergne ». Ces colonnes sont fréquemment installées sur des piédestaux et les chapiteaux les surmontant sont reliés par de puissants tailloirs. Ce principe des colonnes jumelées adossées se rencontre ainsi à Saint-Pierre de Vienne, aux cryptes de Jouarre, de Saint-Laurent de Grenoble et de Saint-Martin d’Auxerre2185. Les moines blancs puisent ainsi une fois encore dans un répertoire largement connu des époques pré-romanes et romanes et semblent avoir aidé à sa diffusion par l’intermédiaire de leurs fondations espagnoles. Nous aurions ainsi plutôt tendance à considérer les moines blancs comme des « passeurs » permettant une large diffusion des premières formes gothiques en France et en Europe par l’intermédiaire d’abbayes-filles implantées en Angleterre, en Allemagne, en Italie, et en Espagne dans la seconde moitié du XIIème siècle. Pour Philippe PLAGNIEUX, c’est la centralisation de l’ordre qui aurait permis de porter « le ferment du nouvel art de bâtir dans l’ensemble de l’Occident chrétien et jusque dans l’Orient latin ». L’étude de Robert STALLEY sur les monastères cisterciens d’Irlande a permis de distinguer ce rôle de relais joué par les moines blancs dans la transmission de certaines formes 2184 2185 P. PLAGNIEUX, op. cit., p. 81-91. B. PHALIP, Des terres médiévales en friches…, op. cit., vol. I, p. 54. - 815 - gothiques. L’implantation cistercienne en Irlande date des années 1140 et se caractérise par sa relative simplicité. Les cisterciens permettent entre autre l’introduction du cloître carré ou rectangulaire, inconnu jusque là en Irlande. De même, les absides semi-circulaires ne sont guère usitées. À l’abbatiale de Mellifont, fondée en 1142 et consacrée en 1157, elles alternent avec des absides quadrangulaires [Fig. 969]. Les façades orientales sont percées de triplets inhabituels chez les bâtisseurs irlandais mais très fréquents en France à la fois dans un cadre cistercien et dans les espaces Plantagenêts [Fig. 970]2186. Les moines blancs semblent faciliter la transmission du voûtement d’ogives en Europe. En effet, elles apparaissent vers 1170 à l’abbatiale de Roche en Angleterre, en 1207 en Allemagne à la chapelle Saint-Michel d’Eberbach, dès 1166 en Espagne où les bas-côtés de l’abbatiale de Poblet sont voûtés d’ogives, vers 1170 en Italie à Fossanova, au début du XIIIème siècle à Casamari et San Galgano2187. En Angleterre, l’introduction du gothique français est permise par l’édification de l’abbatiale de Canterbury, mais aussi par les cisterciens qui fondent de nombreux établissements dans les provinces du nord (Yorkshire). La construction de l’abbatiale de Roche est ainsi amorcée vers 1175 et se dote d’une élévation à trois étages avec un triforium aveugle, plutôt rare dans un cadre cistercien. Au sud-ouest de l’Angleterre, un premier art gothique est introduit à la cathédrale de Worcester, peut-être encore grâce aux intermédiaires cisterciens2188. Les moines cisterciens peuvent également avoir une incidence sur d’autres ordres monastiques. Ainsi, A. GIRARD évoque l’importance des cisterciens dans l’apparition du gothique chez les hospitaliers. Il cite l’exemple de l’hôpital de Pont-Saint-Esprit et distingue un certain nombre de similitudes avec les créations cisterciennes tel le principe d’isolement des fonctions, nouveau dans cet ordre militaire. L’hôpital est bâti à l’image d’une abbatiale cistercienne. L’architecte emprunte par ailleurs beaucoup au plan du dortoir cistercien tandis que la cheminée fait référence au dortoir de Sénanque (com. Gordes, Vaucluse). La sculpture demeure très sobre, dépouillée, avec des chapiteaux ornés de deux rangées de feuilles stylisées. Ces interpénétrations avec un cadre cistercien s’observent dès la fin du XIIème siècle dans le sud de la France. A. GIRARD insiste sur le fait que « le milieu cistercien adopte précocement l’ogive », il est dès lors normal de retrouver « son influence dans les premières expériences d’adaptation des principes gothiques dans le domaine méridional »2189. 2186 R. STALLEY, The cistercian monasteries of Ireland, Yale University Press, 1987, p. 55 et 81. Des triplets de baies s’observent à Dunbrody, Grey, Hore, Abbey Knockmoy, Buildwas et Boyle notamment. 2187 P. PLAGNIEUX, op. cit., p. 81-91. 2188 L. GRODECKI, Architecture gothique, Paris, 1979, p. 192-250. 2189 A. GIRARD, « Les origines du plan de la salle des pauvres de l’hôpital de Pont-Saint-Esprit », dans F-O. TOUATI (dir.), Archéologie et architecture hospitalières de l’Antiquité tardive à l’aube des temps modernes, - 816 - Ainsi, les cisterciens semblent adopter avec beaucoup d’aisance certaines novations gothiques comme les voûtes d’ogives apparaissant de manière relativement précoce dans l’ordre. Les moines cisterciens du diocèse de Limoges ne sont pas en reste et les voûtes d’ogives du réfectoire d’Obazine comptent vraisemblablement dans les premières mises en œuvre, vers 1180. Ils vont dès lors jouer un rôle précieux dans la transmission de certaines de ces novations. Or, durant cette période de transition et d’émergence progressive des formes gothiques dans les années 1180-1220, nous avons vu que le diocèse de Limoges est tenaillé entre rois anglais et couronne de France, deux royautés tentant de s’affirmer certes par des offensives guerrières, mais aussi par la mise en œuvre d’architectures aisément reconnaissables destinées à marquer les territoires conquis. Les châteaux philippiens sont en cela exemplaires, auxquelles répondent des forteresses Plantagenêts à tours de flanquement en amande et mâchicoulis sur arcs. Peut-on dès lors définir un art gothique plantagenêt et un art gothique capétien ? Quelles en sont les expressions dans le diocèse de Limoges ? À quelles formes artistiques gothiques les moines cisterciens vont-ils se référer ? 2. Gothique Plantagenêt, gothique capétien ? Symbolique du pouvoir et pouvoir du symbole. Les abbayes cisterciennes comme lieu de pouvoir. Certaines études récentes tendent à mettre en évidence les liens étroits entre monastères cisterciens et pouvoirs politiques, qu’il s’agisse des seigneurs donateurs choisissant les sites cisterciens comme nécropoles familiales, ou des bienfaiteurs plus prestigieux encore tels les rois de France et d’Angleterre. Dès 1968, Carol HEITZ écrivait que « mieux que les autres arts, l’architecture exprime les aspirations les plus hautes et la volonté politique des maîtres du royaume.2190 » Un exemple flagrant de l’empreinte royale sur l’architecture est sans doute le château. L’architecture castrale est en effet peut-être la plus révélatrice de la présence des rois Plantagenêts et Capétiens sur leurs territoires respectifs, témoins des avancées et victoires des uns et des autres. Chacun développe un certain nombre d’éléments reconnaissables permettant d’identifier relativement facilement l’obédience de la forteresse. Philippe DURAND fait état en particulier d’une « recherche d’identité à travers l’architecture castrale »2191. Dans les années 1190, Philippe-Auguste impose en effet des tours maîtresses circulaires symboles de la puissance royale tandis que les forteresses Plantagenêts se distinguent par des enceintes Paris, 2004, p. 197-198. 2190 C. HEITZ, « Nouvelles interprétations de l’art carolingien », Revue de l’Art, 1-2, 1968, p. 105-113. 2191 P. DURAND dans Les fortifications dans les domaines Plantagenêts…, op. cit., p. 135. - 817 - flanquées de tours hémicirculaires pleines, renforcées parfois de grands arcs de décharge, des tours en amande ou encore des archères à étriers. Les pratiques culturelles et artistiques semblent étroitement liées aux pouvoirs politiques. Sont ainsi mises en œuvre un certain nombre de tours circulaires « philippiennes » telles la Tour du Louvre (1202), Dun-Le-Roy, les tours-maîtresses d’Orléans, de Villeneuvesur-Yonne, de Laon et de Péronne (1205-1212), la tour du Prisonnier à Gisors, Falaise, Rouen, Verneuil, Lillebonne, Verneuil et Chinon. Toutes ces tours disposent du même aspect extérieur et de mesures comparables. Ainsi, celles d’Orléans, Villeneuve-sur-Yonne, Laon et Péronne mesurent 27.28m de haut, 4.95m d’épaisseur de mur pour un diamètre de 16.50m (interne) et 18.48m (externe). Ce modèle atteint son apogée à Coucy entre 1230 et 1240. Philippe-Auguste semble ainsi avoir mis au point un programme de construction « concerté et unifié ». Le recours à des ingénieurs spécialisés, suivant à la lettre des plans standardisés, permet de construire rapidement et à moindre coût ces tours cylindriques qui parsèment le territoire capétien. Dans le diocèse de Limoges, le type de la tour-maîtresse circulaire s’est développé dans le cadre de l’affirmation progressive du pouvoir capétien. Ainsi nous pouvons citer les exemples de la tour de Châlus, la tour d’Isabelle d’Angoulême à Crozant, la tour de César à Allassac et la tour de César à Turenne. Pour Crozant, des hésitations sont sensibles entre une maîtrise d’œuvre capétienne suite à la saisie du château entre 1242 et 1250 ou les comtes de la Marche, ces derniers ayant oscillé entre couronnes française et anglaise au XIIIème siècle 2192. Au XIIIème siècle, un plan raisonné, géométrique et rationnel est introduit à l’imitation des fondations de Philippe-Auguste. C’est le cas à Châlucet vers 1272-1280 où le plan quadrangulaire se développe autour d’une tour-maîtresse, de même qu’à Châlus-Chabrol et Courbefy. Les logis y sont ornés de voûtes à nervures. Des pavements ont également été mis au jour, ornés de motifs animaliers, fleurdelisés ou héraldiques2193. Par ailleurs, dans le diocèse de Limoges, certains châteaux témoignent de choix Plantagenêts. Ainsi, à Rochechouart, une tour présente un profil en amande (XIIIème siècle). En effet, son front arrondi est doté d’une légère arête caractéristique de formules propres aux espaces Plantagenêts dans la première moitié du XIIIème siècle. Le même type de tour se rencontre à Chabanais ou à la Roche-Aymon. À Ségur, une partie de l’enceinte est renforcée de deux tourelles pleines, conformes à certains procédés de mise en œuvre de la défense caractéristiques des fortifications Plantagenêts2194. Le développement des tours en amande est 2192 C. RÉMY, Seigneuries et châteaux forts en Limousin…, op. cit., p. 95. C. RÉMY, op. cit., p. 108. 2194 Les fortifications dans les domaines Plantagenêt. XIIème-XIVème siècles…, op. cit. 2193 - 818 - ainsi « symptomatique » de la présence des rois Plantagenêts dans le diocèse de Limoges. Plusieurs tours en amande flanquaient en effet l’enceinte du château de Limoges tandis que des investigations à Saint-Léonard de Noblat ont également révélé trois tours d’enceinte similaires. Limoges et Saint-Léonard sont par ailleurs deux villes prises par les Plantagenêts dans les années 12002195. L’instrumentalisation des créations artistiques et architecturales à des fins politiques et symboliques est ainsi tangible. Si les châteaux sont peut-être l’expression la plus flagrante des ambitions royales, certaines abbayes peuvent de même devenir des symboles d’un pouvoir fort et opulent. Les moines cisterciens du diocèse de Limoges paraissent ainsi refléter les hésitations et tiraillements entre pouvoirs Plantagenêt et Capétien, particulièrement dans les années 1200. Cette « instrumentalisation » des monastères par les pouvoirs politiques n’est pas une nouveauté des XIIème et XIIIème siècles. En effet, Charlemagne et Louis le Pieux par exemple ont utilisé les monastères comme « agents de romanisation » et d’unification pour l’Empire d’Occident. Les abbayes deviennent des points d’appui pour l’autorité publique en Germanie, France et Italie septentrionale. À la fin du Xème siècle et au début du XIème siècle, les abbayes de Saint-Denis et Saint-Benoît-sur-Loire sont ralliées au pouvoir royal et permettent l’affermissement de la dynastie d’Hugues Capet et de son fils Robert Le Pieux2196. C’est ainsi qu’Amelle BONIS s’interroge sur les liens entre créations monastiques cisterciennes et réseaux politiques dans lesquelles les moines blancs sont obligés de s’insérer : « Quels sont les rythmes de la diffusion savignienne et cistercienne de part de d’autres de la frontière interne séparant espaces Capétiens et Plantagenêts ? 2197». Elle suppose ainsi que la répartition des sites cisterciens n’est pas anodine et pourrait dépendre des pouvoirs politiques y gouvernant. Les moines blancs du diocèse de Limoges prennent d’ailleurs place au cœur des conflits entre Plantagenêts et Capétiens par le biais de donations (Obazine, Dalon) ou de fondations royales (Varennes). Pour Matthias UNTERMANN, l’art cistercien doit être appréhendé comme un art « politique » dès la seconde moitié du XIIème siècle et plus particulièrement dans le courant du XIIIème siècle. Les moines blancs paraissent en effet investis d’un nouveau « devoir » : montrer les politiques victorieuses à travers des fondations royales. C’est pourquoi Richard 2195 C. RÉMY, op. cit., p. 104. Dom A. DAVRIL, E. PALAZZO, La vie des moines au temps des grandes abbayes, Paris, Hachette, 2000. 2197 A. BONIS, M. WABONT, « Cisterciens et Cisterciennes en France du Nord-ouest. Typologie des fondations, typologie des sites », dans B. BARRIÈRE, M-E. HENNEAU (dir.), Cîteaux et les femmes…, op. cit. p. 151-176. 2196 - 819 - Cœur-de-Lion aide au financement de la couverture en plomb de l’abbatiale de Pontigny, après que son père Henri II ait financé celle de Clairvaux en 1178. En 1205, Adèle de Champagne choisit Pontigny comme lieu d’inhumation. Son père Thibaud III (†1201) avait d’ailleurs financé le nouveau sanctuaire à déambulatoire et chapelles rayonnantes. En 1226, l’abbaye de Royaumont est fondée par saint Louis, témoignant des liens étroits entre la couronne française et les monastères cisterciens2198. Véronique GAZEAU atteste parfaitement cette vision des abbayes cisterciennes normandes comme des relais du pouvoir royal, qu’il soit Plantagenêt ou Capétien. Pour l’historienne, les abbayes peuvent en effet devenir des « bastions » du pouvoir pour les familles de l’aristocratie qui les ont dotées. Les monastères constituent également des relais du pouvoir ducal par l’intermédiaire d’abbés souvent issus de réseaux aristocratiques, ce qui est également le cas des abbés cisterciens du diocèse de Limoges. Étienne d’Obazine est issu de la noblesse, le premier abbé de Bonlieu est un seigneur de Saint-Julien-Le-Château. Les élections abbatiales fournissent au prince l’occasion de placer un candidat de son choix et de jouer alors de son influence. Ainsi, l’auteur affirme que les ducs normands s’appuient non seulement sur les évêques mais aussi sur les abbés pour mener à bien leurs desseins en matière religieuse2199. Cet exemple normand nous permet de nous interroger sur les réalités présentes dans les pays d’Ouest, souvent tiraillés entre Plantagenêts et Capétiens. Quel va être alors le rôle joué par les moines blancs et leur implication dans la politique royale ? Les Plantagenêts et Capétiens vont-il en retour avoir un quelconque poids sur les choix artistiques aquitains, et plus particulièrement cisterciens ? • Un « goût Plantagenêt » en Aquitaine ? 1150-1200 : L’idée d’un « mécénat » Plantagenêt est relativement délicate à établir en dehors des sites castraux, qu’il s’agisse d’architecture cistercienne ou des choix des principaux mouvements à vocation érémitique aquitains. Armelle BONIS constate qu’au tournant des XIème et XIIème siècles, les espaces capétiens, angevin et normand ont connu le développement de mouvements érémitiques vite transformés en mouvement cénobitique. Néanmoins, il semblerait que les terres capétiennes soient moins prolifiques en nouveaux ordres. Ils vont ainsi plus naturellement jouer la carte 2198 M. UNTERMANN, op. cit., p. 60. V. GAZEAU, « Les abbayes bénédictines de la Normandie ducale : lieux de pouvoir ou relais du pouvoir ? », dans A-M. FLAMBARD HÉRICHER, Les lieux de pouvoir au Moyen-Âge en Normandie et sur ses marges, CRAHM, Caen, 2006, p. 91-100. 2199 - 820 - des ordres bénédictins solidement implantés et se tourner vers Cluny. Toutefois, Cîteaux essaime largement dans l’espace capétien, tandis que la congrégation de Savigny se tourne plus vers les espaces Plantagenêts2200. Savigny est née de la réforme grégorienne en Normandie, de même que Tiron. Elle est affiliée à Cîteaux en 1147. L’abbatiale est commencée grâce au mécénat d’Henri II et achevée dans les années 1200. Les abbayes normandes paraissent très liées à la politique ducale, d’où une méfiance certaine vis-à-vis de Cluny (deux prieurés seulement). Le « mécénat » des Plantagenêts envers certains sites cisterciens est bien attesté. D’après Lindy GRANT, il semblerait que les rois Plantagenêts aient laissé les cathédrales aux évêques choisis dans leur proche entourage, tandis qu’ils préfèrent exercer leur patronage sur les monastères. Cette idée peut toutefois être nuancée par l’intérêt particulier porté à la cathédrale du Mans où est inhumé le père d’Henri II. Les rois anglais témoignent également de générosités envers Fontevrault et Grandmont comme nous avons déjà eu l’occasion de le signaler, deux ordres privilégiant nef unique et sobriété affirmée. Henri II fournit les maçons royaux nécessaires à la reconstruction de l’abbatiale de Grandmont. Richard Cœur-de-Lion dote en particulier le cloître de Fontevrault de nouvelles arcades. Quant aux cuisines, elles appartiennent à une série de cuisines circulaires ou octogonales dont la plupart sont situées dans la vallée de la Loire (Marmoutier vers 1155, Saumur entre 1160 et 1203, Bourgueil entre 1185 et 1207, La Trinité de Vendôme, Pontlevoy, Thiron, Saint-Aubin d’Angers) et étroitement liées à la maison d’Anjou. Elles vont également se diffuser en Angleterre (cuisines du logis abbatial de Glastonbury au début du XIVème siècle). Celles de Fontevrault sont bâties entre 1144 et 1189 grâce aux dons d’Henri II. Cette forme inhabituelle ne pourrait-elle ainsi revêtir une connotation princière dans l’ouest de la France 2201? Les rois Plantagenêts font bâtir des léproseries à Caen (1161), Bayeux et près de Quevilly (1180). Dans cette seconde moitié du XIIème siècle, l’aide aux lépreux, de même que le patronage des monastères cisterciens sont à la mode. La partie est de l’abbaye du Bec est ainsi reconstruite afin d’accueillir l’impératrice Mathilde2202. Bérengère de Navarre, veuve de Richard Cœur-de-Lion, fonde l’abbaye cistercienne de L’Épau (com. Yvré-L’Evêque, Sarthe) où elle meurt en 12302203. L’abbaye de la Fontaine-Guérard (com. Radepont, Eure) est créée en 1189 par Robert IV de Leicester, ami proche de Richard Cœur-de-Lion. Elle opte 2200 A. BONIS, M. WABONT, « Cisterciens et Cisterciennes en France du Nord-ouest. Typologie des fondations, typologie des sites », dans B. BARRIÈRE, M-E. HENNEAU (dir.), Cîteaux et les femmes…, op. cit., p. 151-176. 2201 M. MELOT, « Les cuisines circulaires de Fontevrault et des abbayes de la Loire », Congrès National des Sociétés Savantes, Tours, XCIII, p. 339-364. 2202 L. GRANT, « Le patronage architectural d’Henri II », CCM, n°1-2, janvier-juin 1994, p. 73-84. - 821 - pour la traditionnelle nef unique terminée par un sobre chevet plat. À Bonport (com. Pont-deL’Arche, Eure), le chœur à déambulatoire dispose de chapelles rayonnantes de plan quadrangulaire ne formant pas saillie sur le mur du chevet, définissant ainsi un simple mur à pans coupés. Cette formule avait déjà été choisie à Savigny (1173-1220, com. Savigny-leVieux, Manche) et Breuil-Benoît (1224, com. Marcilly-sur-Eure, Eure), parti fréquent en Angleterre, intermédiaire entre le chevet capétien et le déambulatoire droit2204. Ainsi, des liens paraissent se tisser entre rois Anglais et sites cisterciens, d’où la nécessité de faire un point rapide sur les relations entre l’Angleterre et Cîteaux.  Rapports Cîteaux/Angleterre : Les pays d’Ouest et plus particulièrement l’Anjou semblent étroitement liés à des réalités artistiques anglaises et la présence des Plantagenêts jusque dans les années 1210 n’est plus à démontrer. Jean GLÉNISSON tend à montrer comment au XIIème siècle les ducs d’Aquitaine anciennement implantés sur les territoires angevins vont chercher à renforcer leur emprise sur leur zone d’influence traditionnelle (Aunis) par un « mécénat » artistique. Les comtes d’Anjou espèrent quant à eux, grâce à leurs fondations, asseoir leur position sur les terres où ils viennent de pénétrer2205. Un certain nombre de formules romanes et gothiques anglaises vont tendre à s’adapter en Aquitaine par l’intermédiaire de ces rois Plantagenêts, désireux de marquer leur présence sur les territoires conquis. Afin de distinguer ces interpénétrations et éventuels apports anglais, il semble nécessaire de faire un point rapide sur l’architecture et le décor anglais. Même si cette digression semble s’éloigner quelque peu de notre objet d’étude, elle n’en est pas moins nécessaire pour discerner l’existence ou non d’un « mécénat » artistique Plantagenêt, et donc anglais. L’architecture gothique anglaise – dont les balbutiements s’expriment à Durham – emprunte certains aspects au royaume de France par l’intermédiaire de l’architecte Guillaume de Sens au chœur de Canterbury en 1174. Il adapte certains procédés de construction français aux murs épais privilégiés par les bâtisseurs anglais. Certaines formules françaises ne sont toutefois pas reprises comme les arcs-boutants, inutiles avec cette présence de murs épais, d’autant plus que l’étage supérieur n’est que de faible hauteur. Nous avions déjà pu faire cette constatation pour les sites cisterciens aquitains qui semblent ainsi se rapprocher par certains 2203 D-M. DAUZET, « Les abbayes normandes à la fin du XIIème siècle », dans Richard Cœur de Lion…, op. cit., p. 179-187. 2204 A. GOSSE-KISCHINEWSKI, « Fondations cisterciennes en Normandie au temps de Richard », dans Richard Cœur de Lion…, op. cit., p. 189-197. 2205 J. GLÉNISSON, « Le Moyen-Âge » dans J-N. LUC (dir.), La Charente-Maritime. L’Aunis et la Saintonge des origines à nos jours, ed Bordessoules, Saint-Jean-d’Angély, 1981, p. 104-186. - 822 - aspects des formulations du gothique anglais en privilégiant les murs massifs et en se montrant réticents à adopter l’arc-boutant et le triforium2206. Toutefois, bien avant l’érection de Canterbury et l’apparition de formes rayonnantes en Angleterre, les bâtisseurs ont initié un certain nombre de formes artistiques gothiques. Il semblerait que les architectes anglais aient généralisé l’emploi de l’ogive précocement dès la fin du XIème siècle, comme pour les sites de Peterborough, Gloucester et Southwell. Cette novation est adaptée à des formes architecturales plutôt trapues, les bâtisseurs tendant à rester fidèles à une conception architecturale romane imposée par les Normands dans le dernier tiers du XIème siècle. Malgré le voûtement d’ogives, les murs restent ainsi massifs, les arcsboutants rares. Des passages anglo-normands au niveau des fenêtres hautes impliquent la continuité horizontale de l’élévation. La fidélité à certains caractères romans est de fait tangible, témoignant d’un « conservatisme », d’une continuité similaire à celle observée chez les moines blancs. Le gothique anglais opte souvent pour le plan à double transept imité de celui de Cluny III, le chevet plat se généralise dès 1100, de même qu’une élévation à trois niveaux, l’alternance des supports, l’insistance sur les tours occidentales ou de croisée. Le chevet plat est par ailleurs largement présent en Angleterre dès le VIIème siècle. Pierre HÉLIOT constate sa généralisation jusqu’à la conquête de 1066, avant de connaître un formidable renouveau à l’époque gothique, car particulièrement adapté au voûtement d’ogives2207. Dès l’époque romane, les baies en plein-cintre ou brisées se dotent d’un tore en soulignant le profil, tels certains percements fréquents dans le diocèse de Limoges (église Saint-Nicholas, Barfreston, Kent). Elles vont trouver des prolongements dans un cadre gothique. Dans les années 1150-1190, le nombre de fondations monastiques augmente considérablement, qu’il s’agisse de créations cisterciennes ou augustiniennes. En 1154, l’avènement d’Henri II est une date clé, ce dernier ayant un rôle important en tant que commanditaire2208. Presque tous les édifices sont bâtis sur un plan rectangulaire. Les chœurs sont de plan barlong, très rarement polygonaux. Les déambulatoires à chapelles rayonnantes sont rares tandis que les chœurs à déambulatoires rectangulaires sont privilégiés. Les édifices sont relativement bas par rapport aux cathédrales françaises capétiennes. Ainsi, Salisbury mesure 25.60m de haut contre 43.50m de haut pour la cathédrale d’Amiens par exemple. Nous avons 2206 L. GRODECKI, Architecture gothique, Paris, 1979, p. 192-250. P. HÉLIOT, « Origines et extension du chevet plat dans l’architecture religieuse de l’Aquitaine », Cahiers Techniques de l’Art, T III, 1955, p. 23-49. 2208 P. DRAPER, « Recherches récentes sur l’architecture dans les îles britanniques à la fin de l’époque romane et au début du gothique », BM, 1986, p. 395-328. 2207 - 823 - eu l’occasion par ailleurs de constater la relative modestie de la hauteur des abbatiales cisterciennes par rapport à celles des cathédrales gothiques capétiennes. Les volumes cisterciens semblent ainsi plus proches des réalités gothiques anglaises. Sont donc édifiées à la fin du XIème siècle les cathédrales de Wells (1185) et de Lincoln (1192) présentant la même élévation à trois niveaux. Tandis que l’horizontalité prime à Wells, de même que le cloisonnement du volume central, la cathédrale de Lincoln témoigne d’une certaine verticalité et d’une diminution de l’épaisseur des murs. Salisbury opte quant à elle pour l’habituel plan à chevet plat. L’abbaye de Westminster est l’un des seuls édifices bâtis selon des formules capétiennes. Celle-ci essayait en effet de concurrencer les plus grandes cathédrales françaises. Certains éléments du gothique capétien sont ainsi adaptés aux traditions anglaises. L’Angleterre semble donc très attachée aux formules romanes. Les bâtisseurs ne paraissent « pas vraiment entraînés dans les recherches spatiales, la définition de la travée et le rôle de la lumière qui agitent les maîtres d’œuvre du Nord de la France». Certaines sculptures, dès l’époque romane, évoquent également des créations artistiques communes aux cadres aquitains et cisterciens. À la cathédrale de Winchester (Hampshire), la nef et les arcades de la tribune présentent des chapiteaux cubiques pénétrés d’un volume pyramidal (Beaulieu, Cahors). Le bras nord du transept appartient à la cathédrale romane édifiée vers 1079-1098. Il est contourné par des collatéraux, solution reprise à l’abbaye cistercienne de Chaalis. Les chapiteaux cubiques y sont déjà largement présents. Nous pouvons également noter la présence de piles circulaires appareillées massives, comme à la nef gothique de Brive. À la cathédrale de Durham (1093-1133), des piles circulaires massives alternent dans la nef avec des piles cruciformes à colonnes engagées surmontées de chapiteaux cubiques. De même qu’à Winchester, le transept saillant est pourvu de collatéraux2209. Le double transept et le chevet droit sont ainsi fréquents en Angleterre (Salisbury). Les sanctuaires sont généralement dépourvus d’arcs-boutants. Semble ainsi se distinguer un art gothique du Nord de la France, bien différent des réalités anglaises et aquitaines2210. Les cisterciens entretiennent des liens particuliers avec l’Angleterre, tissés dès les premiers temps de l’Ordre. En effet, Étienne Harding, troisième abbé de Cîteaux, est un moine anglais ayant suivi sa formation dans la communauté de Sherbone au sud-ouest de l’Angleterre avant de partir en France. Il est issu d’un noble lignage anglo-saxon. C’est lui qui 2209 R. STOLL, L’Art roman en Grande-Bretagne, Paris, 1966 ; A. PRACHE, Cathédrales d’Europe, Citadelles et Mazenod, 1999, p. 116. 2210 A. ERLANDE-BRANDENBURG, L’art gothique, Mazenod, Paris, 1983, p. 61 et 547. - 824 - met au point la Charte de Charité en 1114, établissant les principales institutions de l’Ordre et définissant les liens de filiation entre les différents sites. Sa présence et son influence sur l’ordre cistercien peuvent peut-être justifier un certain nombre de ressemblances entre l’art anglais et les créations cisterciennes : murs trapus, horizontalité, prédilection pour le chevet plat, hauteurs modestes des édifices2211. Quant aux abbatiales cisterciennes anglaises, elles sont essentiellement des filles du monastère de Clairvaux, excepté les fondations de l’extrémité sud rattachées à Morimond. L’art cistercien anglais et irlandais se caractérise par la fréquence du parti de la nef unique. Elle se retrouve en effet en Irlande à Grey, Kilcooly, Corcomroe et Abbeydorney [Fig. 971]. Les voûtes d’ogives complexes sont souvent de mise. À Jerpoint, la croisée du transept est couverte de voûtes à liernes et tiercerons. Quant aux décors et éléments de mobilier, ils ne sont guère éloignés des réalités françaises. Les sols de carreaux émaillés sont ainsi fréquents et se retrouvent pour les abbatiales de Boxley, Warden et Waverley [Fig. 1040]. Les plus anciens relèvent de la fin du XIIème siècle. Leur production se prolonge jusque dans les années 1225. Dans le second quart du XIIIème siècle, les sols de mosaïques se concentrent surtout au nord de l’Angleterre, tel à Byland, Fountains, Jervaulx, Louth Park, Meaux, Newbattle, Newminster, Rielvaux et Sawley2212. Il semblerait ainsi que les techniques de constructions et de décors anglaises ne soient guère éloignées des réalités cisterciennes comme en témoignent un certain nombre d’aspirations communes : le dépouillement, les plans simples (chevet plat, nef unique dans un cadre cistercien), les murs épais, la résistance à un gothique capétien optant pour les plans complexes, les piles fasciculées, l’évidement des murs et le contrebutement par des arcsboutants. Les cisterciens ont ainsi pu apparaître aux rois Plantagenêts comme des relais naturels étant donné des goûts artistiques partagés. Une de ces tendances communes aux abbayes cisterciennes, à certains sites aquitains des espaces Plantagenêts et aux créations anglaises est la fréquente monumentalisation des chevets plats qui va aboutir à l’élaboration d’un chevet à déambulatoire droit, réponse aux chevets à déambulatoire et chapelles rayonnantes des Capétiens.  Vers une monumentalisation des chevets plats. Le déambulatoire droit : 2211 2212 T. KINDER, L’Europe cistercienne, Zodiaque, 1997, p. 30. T. KINDER, op. cit., p. 169. - 825 - Le déambulatoire droit est considéré par Matthias UNTERMANN comme une « solution cistercienne originale ». Il permet de conserver le plan de base rectangulaire et de lui adapter une couronne fermée de chapelles, transformation « consciente et programmée » du déambulatoire circulaire2213. Néanmoins, des précédents sont connus, en Angleterre mais aussi en Aquitaine. Ce plan pourrait tirer son origine des cryptes extérieures ottoniennes ainsi que des dispositifs des cryptes carolingiennes comme à Saint-Michel-de-Cuxa ou encore Corvey. Ce plan est en effet très fréquent en Angleterre et est connu pour des édifices non cisterciens antérieurs ou contemporains (cathédrale de York par exemple). Dès le XIIème siècle, il est choisi à Old Sarum et Romsey. Il est ensuite relayé par des exemples cisterciens dans la seconde moitié du XIIème siècle. Ainsi, l’abbaye cistercienne de Roche, entreprise vers 1175 se dote d’un chevet plat à déambulatoire rectangulaire. De même, l’église cistercienne de Tintern dispose d’un chœur à déambulatoire droit ample [Fig. 972]. Ce chevet monumentalisé est assez similaire à certains exemples aquitains comme ceux de Saint-Junien [Fig. 924] ou de la cathédrale de Poitiers [Fig. 973]. Il est associé à un transept à bas-côtés et à un triple vaisseau ample. Ce plan correspond par ailleurs au plan d’une église cistercienne levé par Villard de HONNECOURT dans ses carnets au début du XIIIème siècle2214. Il est le même que celui adopté à Cîteaux, un chœur rectiligne muni de chapelles sur les trois côtés, consacré en 1193 [Fig. 974]2215. Ces choix architecturaux sont repris à Byland [Fig. 975]. Le choeur à déambulatoire droit est associé à une nef et un vaste transept à bas-côtés. À Rievaulx, le chevet plat primitif édifié vers 1135 est remplacé dans la seconde moitié du XIIème siècle par un choeur plus vaste à déambulatoire droit de la même largeur que la nef, créant un immense espace, une vaste halle pouvant accueillir un très grand nombre de moines. À Lincoln, le déambulatoire droit est associé à une triple nef et un double transept2216. Ces choix anglais ne semblent guère éloignés des chevets monumentaux de SaintJunien ou de la cathédrale de Poitiers. Jacques MALLET constate, dans son ouvrage sur l’Anjou roman, que les trois grandes abbatiales bénédictines d’Angers (telle Saint-Serge) adoptent un chevet où les chapelles orientées viennent élargir le déambulatoire avec lequel elles communiquent largement [Fig. 976]. L’allègement des supports entre le chœur et le 2213 M. UNTERMANN, op. cit., p. 164. Vers 1225, Paris, BNF, ms Fr. 19093, fol. 14 verso. 2215 T. N. KINDER, L’Europe cistercienne, Zodiaque, 1997, p. 169. 2216 L. GRODECKI, Architecture gothique, Paris, 1979, p. 192-250. 2214 - 826 - déambulatoire ainsi créé permet la réalisation d’un vaste espace horizontal et unitaire d’un mur gouttereau à l’autre. Ce plan peut être à l’origine du chœur-halle rectangulaire adaptant le déambulatoire à chapelles rayonnantes2217. La cathédrale de Poitiers opte pour un chevet plat monumentalisé assez similaire aux choix cisterciens et pouvant s’expliquer par un « mécénat » Plantagenêt [Fig. 973]. Entre 1162 et 1170, Aliénor d’Aquitaine réside néanmoins le plus souvent en Angleterre. Il est ainsi difficile d’attester son « mécénat » à Poitiers. La cathédrale est édifiée alors que l’évêque Jean Belmain est sur le siège épiscopal2218. Le mur du chevet plat massif est bâti sur un puissant remblai de 2m. Il présente un caractère austère proche de certaines réalités cisterciennes. Ce monumental chevet plat de 40m de large et 48m de haut est dénué de tout contrefort extérieur. La mise en œuvre et les procédés de construction évoquent ainsi plus l’architecture castrale tel le château d’Orford édifié par les architectes militaires d’Henri II. Par ailleurs, le contrefort en pyramide renversée de la base du clocher du chevet évoque la tour de Douvres et la tour du Moulin de Chinon, permettant de lancer des passerelles entres créations religieuses et militaires2219. L’ornementation reste de plus toute en sobriété. Le chœur met l’accent sur la luminosité et l’espace. Les trois vaisseaux sont de même hauteur, l’éclairage vient uniquement des bas-côtés. Ils se terminent par de grandes niches en abside surmontées de voûtes d’ogives, inscrites dans un mur plat. Ce type de grands chevets plats n’est pas inconnu, même pour de vastes monuments comme la cathédrale de Bourges dont le chevet plat est réalisé entre 1145 et 1160. Le chevet plat monumentalisé est très répandu en Angleterre, comme à la cathédrale de York dont l’évêque Jean Belmain a par ailleurs été le trésorier. Cette dernière est édifiée entre 1154 et 1181 et comporte des chapelles latérales en guise de croisillons comme à Poitiers. De 1190 à 1250, nous pouvons constater une prédilection des maçons anglais et du clergé pour les chevets rectangulaires à déambulatoire. En Poitou, dans la première moitié du XIIIème siècle, la cathédrale Notre-Dame de Luçon opte également pour un chevet plat monumental peut-être inspiré par celui de la cathédrale de Poitiers2220. Ce chevet monumental est par ailleurs repris à Saint-Pierre de Saumur. Il s’agit en effet d’un chœur-halle, d’une vaste salle dégagée par de grandes colonnes. Il est percé d’un 2217 J. MALLET, op. cit., p. 159. Celui-ci est consacré en 1162. De 1174 à 1182, il porte le titre de légat pontifical, avant de devenir archevêque de Narbonne puis de Lyon en 1182. A. MUSSAT, Le style gothique de l’Ouest…, op. cit. p. 244-267. 2219 J. L. LOZINSKI, « Henri II, Aliénor d’Aquitaine et la cathédrale de Poitiers », CCM, n°1-2, janvier-juin 1994, p. 91-100. 2220 Y. BLOMME, Poitou gothique, Paris, Picard, 1993, p. 183. 2218 - 827 - triplet et couvert de nervures multiples, attestant de liens étroits avec un cadre Plantagenêt. D’autres grands chœurs rectangulaires sont bâtis à l’imitation de Saint-Serge d’Angers comme les prieurés de Loché et de Précigné, le chœur d’Asnières ou encore le chœur de l’église paroissiale de Saint-Germain de Bourgueil couvert de neuf voûtes bombées à nervures multiples2221. À Saint-Junien dans le diocèse de Limoges, le chœur monumental atteint 28.40m de long pour une hauteur de 17m [Fig. 924]. Il est vraisemblablement édifié entre 1190 et 1220. Ce choeur magnifié est significatif de la mainmise du clergé sur un vaste espace oriental désormais aussi long que celui de la nef2222. L’église de Biennac (1180-1220) adopte un chevet monumental du type de celui de Saint-Junien, percé d’un triplet de baies et couvert de voûtes d’ogives bombées à nervures et liernes composées de trois tores inégaux [Fig. 977]. Les murs sont épais, autant de témoins d’un goût proche des réalités anglaises et donc Plantagenêt2223. Ainsi, les cisterciens ne semblent pas être les initiateurs de ce chevet à déambulatoire droit. Ils vont néanmoins probablement contribuer à son développement en France et en Europe. Après le mort de saint Bernard en 1153, un certain nombre d’abbatiales de l’ordre sont reconstruites avec un chevet magnifié disposant d’un déambulatoire à chapelles rayonnantes, sur le modèle de certaines cathédrales gothiques françaises. C’est le cas de Clairvaux entre 1148 et 1174. Ces modifications sont attestées d’après la biographie de saint Bernard par Guillaume de SAINT-THIERRY. Le projet avait donc déjà été amorcé avant même la mort de Bernard. Peut-être était-il à l’origine de ce projet ? L’initiative revient peutêtre également au Pape Eugène III qui donne l’ordre de cette reconstruction au Chapitre Général de 1147. En 1154, des donations sont délivrées pour la construction de la nouvelle abbatiale. Cette date ne marque toutefois vraisemblablement pas le début de la mise en œuvre, amorcée quelques années auparavant. Ce nouveau chœur est parfois interprété comme un « mausolée » à saint Bernard2224. Pontigny adopte ensuite le même plan vers 1205 [Fig. 1006]. En parallèle se met en place un autre type de chevet monumentalisé avec un déambulatoire droit. 2221 A. MUSSAT, op. cit., p. 334. C. ANDRAULT-SCHMITT, Limousin gothique, Paris, Picard, 1997, p. 24. 2223 C. ANDRAULT-SCHMITT, op. cit., p. 115. 2224 A. GAJEWSKI, « The architecture of the choir at Clairvaux Abbey : saint Bernard and the Cistercian Principle of Conspicuous Poverty », dans T. N. KINDER, (dir.), Perspectives for an Architecture of solitude. Essays on Cistercians, Art and Architecture in Honour of Peter Fergusson, Brépols, Cîteaux, 2004, p. 71-80. 2222 - 828 - Cîteaux est ainsi reconstruite vers 1165-1170, Morimond vers 1253 (date de la dédicace du nouvel édifice, attestée en chantier en 1204 et remplaçant un premier monument du XIIème siècle. La nef et les collatéraux sont vraisemblablement édifiés dans les années 12302225). La datation des réfections de Cîteaux pose problème [Fig. 974]. L’abbatiale est en effet consacrée en 1193, mais il semblerait que la mise en œuvre soit bien antérieure. En effet, un premier autel est consacré dès 1178 par Geoffroi, évêque de Sorres en Sardaigne (chapelle Saint-Matthieu), ce qui permettrait d’envisager une date de reconstruction à partir des années 11652226. Aussi bien Cîteaux que Morimond optent pour un plan différent de Clairvaux, avec un déambulatoire droit, associant l’ancien chevet plat à un déambulatoire permettant l’accueil de communautés de moines toujours plus nombreuses et la multiplication d’autels pour les messes des moines-prêtres. Cîteaux se distingue ainsi volontairement de Clairvaux par ce déambulatoire coudé ouvrant sur une série de chapelles jointives. L’ensemble est couvert d’ogives, attestant de la parfaite perméabilité des moines cisterciens aux réalités gothiques contemporaines. De même à Morimond, le chevet est entièrement voûté d’ogives et flanqué d’arcs-boutants, rares dans un cadre cistercien parfois réticent à l’adoption systématique d’un gothique capétien [Fig. 1002]2227. Selon Benoît CHAUVIN, d’après les textes conservés, l’abbatiale de Morimond II est probablement amorcée entre la dédicace de Cîteaux II en 1193 et l’entrée en fonction d’Heidenreich à Morimond vers 1202-12042228. Les plans à déambulatoire et chapelles rayonnantes ont par ailleurs souvent été considérés comme contradictoires avec la volonté d’austérité exprimée par Bernard de CLAIRVAUX. Or il s’est imposé comme une nécessité pour ces abbatiales accueillant toujours plus de moines. Ces reconstructions concernent ainsi essentiellement les premières filles de Cîteaux et correspondent sans doute à une volonté de monumentalisation en rapport avec leur statut particulier et privilégié de représentantes de l’ordre, de son pouvoir et de sa magnificence 2229. Benoît CHAUVIN distingue plusieurs types de modification à la fin du XIIème siècle et au début du XIIIème siècle : un allongement des nefs permettant de s’adapter à une augmentation des effectifs (Clairvaux, Foigny, Ourscamp), une adoption progressive de la croisée d’ogives avec un bâti surélevé (Noirlac, Fontmorigny). L’accroissement du nombre de 2225 B. CHAUVIN, « Morimond : une ou deux abbatiales ? Les fouilles d’Henri-Paul Eydoux : écrits publics et lettres privées (1953-1982) » dans G. VIARD (dir.), L’abbaye cistercienne de Morimond…, op. cit., p. 115-156. 2226 B. CHAUVIN, « La reconstruction du monastère de Cîteaux (vers 1160-vers 1240) », BM, T 165-2, 2007, p. 143-173. 2227 P. PLAGNIEUX, « L’architecture cistercienne » dans L’Architecture religieuse médiévale. Art roman et art gothique, une nouvelle vision, Dossiers d’Archéologie, n°319, janvier-février 2007, p. 81-91. 2228 B. CHAUVIN, « La seconde abbatiale de Morimond, à la lumière de Walkenried II. Hypothèses et précisions nouvelles (1990-2003) », dans G. VIARD (dir.), op. cit., p. 157-178. 2229 M. UNTERMANN, op. cit., p. 144 et 163. - 829 - moines prêtres conduit de plus à une multiplication des autels. Les parties orientales romanes sont ainsi fréquemment détruites et remplacées par des chevets à chapelles multiples greffées sur un déambulatoire2230. Alors que les chevets de Clairvaux et Pontigny puisent leur inspiration dans des formules connues et usitées à Cluny ou à Vézelay, Cîteaux et Morimond semblent se tourner vers l’Angleterre (cathédrale d’York). Outre certaines grandes abbatiales de l’ordre, le déambulatoire droit est repris tardivement en France, Espagne et Italie. Il est choisi à l’abbatiale des Châtelliers en Poitou (1277, com. Fomperron, Deux-Sèvres), associé à une nef basilicale, et ce n’est certainement pas une coïncidence s’il s’agit d’une fondation géraldienne, ancrée en Aquitaine et par là même tournée vers les espaces Plantagenêts2231. En Allemagne, l’abbatiale féminine de SaintJacob-Saint-Burchard d’Halberstadt opte elle aussi pour un chevet ample à déambulatoire droit. Cette abbaye est fondée tardivement en 1199. Sa construction s’échelonne de 1208 à 1214 environ et prend visiblement son inspiration dans la reconstruction de Cîteaux achevée à la fin du XIIème siècle. Ce choix architectural est plutôt inhabituel pour un monastère de moniales, le plus souvent de plan simple et sobre2232. Ainsi, il semblerait que les chevets à déambulatoire droit soient issus d’une tradition anglaise (York), transmise en France par l’intermédiaire des rois Plantagenêts et adoptée par certaines abbatiales cisterciennes en réaction à un gothique capétien privilégiant les déambulatoires à chapelles rayonnantes. Si les abbayes cisterciennes limousines ne semblent pas avoir adopté ce chevet monumentalisé, le plus souvent choisi par des communautés nombreuses et mieux dotées que les modestes sites limousins, ce type de plan est connu en Limousin à Saint-Junien et dans une moindre mesure à Biennac [Fig. 924 et 977]. Le diocèse de Limoges semble ainsi tourné vers les pays d’Ouest, vers Poitiers et certaines formulations propres à un premier gothique Plantagenêt.  La nef unique gothique : dans la tradition érémitique aquitaine, le choix des abbayes féminines : D’autres choix cisterciens semblent ancrés dans des traditions aquitaines, relayées par les rois Plantagenêts dans les années 1150-1220. Le maintien de la nef unique est flagrant pour les abbatiales cisterciennes du diocèse de Limoges (Bonlieu, Boschaud, Bonnaigue, 2230 B. CHAUVIN, « La reconstruction du monastère de Cîteaux… », op. cit., p. 143-173 M. UNTERMANN, op. cit., p. 427. 2232 C. OEFELEIN, « Typiquement atypique, l’abbatiale Saint-Jacob-Saint-Burchard d’Halberstadt », dans B. BARRIÈRE, M-E. HENNEAU (dir.), Cîteaux et les femmes, Créaphis, Paris, 2001, p. 41-54. 2231 - 830 - Coyroux, Aubignac, Grosbot) mais ne correspond pas pour autant à une idée « d’archaïsme », de « conservatisme » dans un sens péjoratif. Il s’agit plutôt d’une tradition volontairement maintenue, idéologique, en correspondance avec un idéal fort de simplicité et de sobriété cistercienne. De la même manière, d’autres ordres à vocation érémitique optent pour la nef unique : c’est le cas des celles grandmontaines ou des chartreuses [Fig. 1030]. Des raisons économiques sont également à prendre en considération. Des communautés comme celles d’Aubignac sont modestes, peu dotées. La priorité à la naissance de l’abbaye est d’assurer l’autarcie relative des moines par une mise en valeur des terres à disposition de la communauté. Les premiers investissements sont ainsi destinés à la constitution d’un patrimoine foncier cohérent. Les premiers bâtiments sont sans doute en matériaux périssables, et lorsque les moyens sont suffisants pour bâtir en pierre, la taille de l’édifice reste modeste, la nef unique simple privilégiée. Le système économique de cette seconde moitié du XIIème siècle est ainsi étroitement lié aux choix de mise en œuvre. Les revenus engrangés par le travail des frères convers dans le cadre du faire-valoir direct sont prioritairement réinvestis dans la constitution des exploitations agricoles et des aménagements hydrauliques (moulins, biefs, viviers) permettant la survie immédiate des moines et le dégagement progressif de surplus. Alors que les ordres nouveaux à vocation érémitique comme Cîteaux choisissent la simplicité et la tradition dans la seconde moitié du XIIème siècle (nef unique, chevet plat, absence d’images), les ordres anciens comme Cluny paraissent choisir des architectures plus amples et plus novatrices : nef à bas-côtés, chevet à déambulatoire et chapelles rayonnantes, programmes iconographiques sculptés complexes. Ceux-ci engrangent beaucoup plus de revenus que leurs homologues cisterciens du fait de l’acceptation des dîmes et d’une économie différente basée sur le fermage. Ils s’implantent dans des sites d’ager et non des salti incultes à mettre en valeur. Les investissements d’assainissement et de défrichements sont dès lors moins importants et relégués à des tenanciers. Ils peuvent sans doute plus se permettre d’investir dans l’architecture et la sculpture. Les rois capétiens vont ainsi trouver chez les clunisiens de puissants relais partageant leurs goûts architecturaux pour les chevets complexes, les piles composées, les sculptures, tandis que les Plantagenêts trouvent peut-être une légitimité dans la tradition et le maintien de la nef unique, du chevet plat, d’une timidité vis-à-vis de l’image et d’une sobriété relayée par Cîteaux. Les historiens insistent toutefois traditionnellement plus sur les liens étroits entre cisterciens et capétiens, particulièrement dans la moitié nord de la France (Longpont, Maubuisson), mais moins sur les rapports avec les rois Plantagenêts, pourtant essentiels en Aquitaine. - 831 - L’observation de la carte des plans cisterciens en France révèle que le parti de la nef unique est plus fréquent en Aquitaine et dans le Midi de la France, en particulier dans les espaces Plantagenêts [Fig. 1027]. Elle concerne surtout les abbayes de moniales, communautés généralement moins nombreuses et moins bien dotées que leurs homologues masculines (telles Coyroux et Derses). À Coyroux, le vaisseau unique sans transept et à chevet plat évoque les plus simples celles grandmontaines [Fig. 579]. Cette abbatiale féminine est peut-être primitivement couverte d’une charpente. Ce n’est que dans la seconde moitié du XIIIème siècle qu’elle se dote de voûtes d’ogives complexes, atténuant quelque peu cette austérité flagrante d’un vaisseau unique bâti à l’économie. La nef unique correspond à une tradition romane bien ancrée en Aquitaine et reprise à leur compte par certains mouvements à vocation érémitique (Grandmont, Cîteaux, Fontevrault). Elle est même choisie pour des édifices prestigieux comme la cathédrale SaintMaurice d’Angers et n’est ainsi pas cantonnée aux seuls édifices ruraux paroissiaux. Le caractère économique de ce choix n’est ainsi pas le seul à prendre en considération. La nef unique n’est pas un pis-aller mais bien un choix concerté et affirmé. La cathédrale est ainsi dotée d’une nef unique romane de 18.25m de large éclairée par des fenêtres hautes. Les voûtes sont reconstruites dans la première moitié du XIIIème siècle. Il s’agit de voûtes barlongues d’Ile-de-France adaptées à une large nef unique. Cette nef s’inspire des nefs uniques à file de coupoles sur pendentifs telle Fontevrault et la cathédrale d’Angoulême. Il s’agit d’un édifice modeste qui, selon André MUSSAT, n’a pas « tenu le même rôle politique auprès des Plantagenêts que la cathédrale du Mans ». La nef unique est également choisie à Sainte-Radegonde de Poitiers [Fig. 978]. La large nef de quatre grandes travées gothiques (début XIIIème siècle) est juxtaposée au chevet à déambulatoire et chapelles rayonnantes roman. Le parti de la nef unique est remis à l’honneur par la cathédrale angevine et se maintient dans le cadre du premier gothique aquitain, plus particulièrement du dernier quart du XIIème siècle au milieu du XIIIème siècle2233. Le parti de la nef unique est ainsi choisi à Notre-Dame de Bressuire où elle est associée à un chœur flamboyant, à Brion (dernier quart XIIème siècle), à Saint-Epain (Touraine, plateau de Sainte-Maure). Dans le diocèse de Limoges, il semble exister dès l’époque romane un « dilemme entre nef unique et trois nefs ». Le système des trois nefs est largement choisi par de grands édifices comme Beaulieu, Chambon, Tulle, Le Dorat, La Souterraine, Bénévent ou encore Obazine. Au XIIème siècle, il semblerait que la nef à trois vaisseaux soit la plus prisée dans le 2233 A. MUSSAT, op. cit., p. 177,190 et 265. - 832 - diocèse de Limoges. Le choix peut dépendre alors des moyens financiers et techniques mis en œuvre. Nous pouvons toutefois également envisager cette décision comme un choix réel, concerté, consenti dans un cadre érémitique, et pas seulement un pis-aller2234. À l’époque gothique, il n’est pas rare qu’un simple vaisseau soit choisi, même pour des églises largement dotées comme Saint-Yrieix, édifiée à la fin du XIIème siècle [Fig. 979]. Ce choix est ici peut-être à relier à une forte présence des rois Plantagenêts, et ainsi à une volonté d’attester de liens étroits avec l’Aquitaine. En effet, la nef unique connaît un succès certain dans les pays d’Ouest, expansion indéniable que ne connaîtra pas le diocèse de Limoges. La nef unique gothique est par ailleurs choisie à Bellac, Malemort, Meymac, Neuville, Saint-Quentin et Coussac-Bonneval où elle est associée à une abside à pans comme à l’abbatiale cistercienne de Bonlieu2235. Le vaisseau unique de Saint-Yrieix est entrepris en 1181. Il s’agit d’un vaste espace de 15m de large. Les murs sont épais, les voûtes domicales à liernes comme souvent dans les espaces Plantagenêts. La présence de coursières, le dessin des bases et le profil des voûtes sont caractéristiques d’un premier gothique du début du XIIIème siècle, et d’un gothique « Plantagenêt », affirmé entre 1150 et 1220, aussi bien dans de grands monuments que dans de petits édifices. À Arnac, la nef unique voûtée d’ogives est associée à un chœur triconque similaire à celui de l’abbatiale de Boschaud. Les murs sont relativement minces. La plupart des nefs uniques correspondent à un chevet plat tel à Ajain, Azat-Le-Ris, Bersac, Beyssac, Biennac, Blaudeix, Bourganeuf, La Croix-au-Bost, Gouzon, Le Grand-Bourg, Ladapeyre, Lavaufranche, Mourioux, Naves, Paulhac, Pontarion, La Roche L’Abeille, Saint-SulpiceLaurière ou encore Ussel. Saint-Augustin de Limoges est quant à elle reconstruite vers 1171 par Richard et Aliénor d’Aquitaine. Elle opte pour l’austère nef unique et un chevet plat, associés à un ample transept dont la croisée est surmontée d’une tour. Le « premier gothique » du diocèse de Limoges semble ainsi s’inscrire dans le cadre d’une inspiration anglaise résistant au gothique français par un goût prononcé pour l’austérité et certaines traditions romanes2236. Le gothique de l’Ouest paraît ignorer volontairement l’architecture gothique d’Ile-de-France. Selon André MUSSAT, le premier art gothique des pays d’Ouest est caractérisé par la «netteté des grands volumes intérieurs, la simplicité générale du plan, l’aspect massif et nu des extérieurs », description qui pourrait aussi s’appliquer à la majorité 2234 C. ANDRAULT-SCHMITT, Les nefs des églises romanes..., op. cit., T I, p. 15. C. ANDRAULT-SCHMITT, Les nefs des églises romanes..., op. cit., T II, p. 337 à 340. 2236 C. ANDRAULT-SCHMITT, op. cit., p. 34. 2235 - 833 - des exemples cisterciens aquitains. Ceci coïncide en effet avec la volonté de sévérité exprimée par les mouvements érémitiques et l’ordre cistercien en particulier2237. Le parti du chevet plat et de la nef unique est lié à la recherche de la lux continua. Le chevet plat est issu des premières générations romanes et perdure dans les petites églises d’Albussac, de Saint-Hilaire-près-Lastours ou encore de Roziers-Saint-Georges. Cette solution semble privilégiée dans le cadre du « premier gothique » limousin (1180-1220) car permet la « conjonction entre une ancienne habitude aquitaine et un désir de sobriété ». Quant au recours au pignon oriental, il n’est plus réservé aux petites églises mais est lié à l’essor de certains ordres religieux comme les cisterciens. Il est déjà adopté chez les chanoines réguliers de La Réau en Poitou, Sablonceaux en Saintonge, la Couronne en Angoumois ou encore Saint-Amand de Coly en Périgord. Le pignon est souvent percé d’un triplet de baies dont la lancette centrale n’est dans un premier temps pas plus haute que les autres (comme à Azat-LeRis). Au début du XIIIème siècle et suite à l’impulsion de l’abbatiale du Palais, le chevet triangulé va se diffuser dans le diocèse de Limoges comme nous avons pu le constater précédemment2238. Ainsi, les cisterciens choisissent le parti de la tradition en optant pour la nef unique et le chevet plat, choix en adéquation avec leur volonté d’austérité, de dépouillement et d’économie partagée par les rois Plantagenêts. Le « mécénat » Plantagenêt concerne essentiellement les années 1150-1200 correspondant aux gros œuvres des abbatiales cisterciennes aquitaines et à une économie en faire-valoir direct plutôt tournée vers la mise en valeur des terres, l’agriculture, l’hydraulique. Les investissements portent peut-être plus sur la gestion du patrimoine foncier que sur une mise en œuvre demeurant ainsi sobre et sans décor. Les Plantagenêts paraissent dès lors trouver chez les abbayes cisterciennes d’Aquitaine de puissants relais de leur pouvoir.  La place de l’église-halle en Aquitaine : Outre le parti de la nef unique, héritée de traditions carolingiennes, romanes et reprises par les ordres à vocation érémitique, le parti de l’église-halle semble également fréquent en Aquitaine [Fig. 980]. Selon Pierre SESMAT, l’église-halle triomphe surtout dans une large moitié septentrionale de la France au Moyen-Âge mais pénètre également un vaste sud-ouest dès les premières décennies du XIIème siècle. Elle se retrouve effectivement aussi bien à Saint-Savin-Sur-Gartempe, Cunault, Le Dorat, Aulnay qu’en Languedoc à Saint-Nazaire de 2237 2238 A. MUSSAT, op. cit., p. 27. C. ANDRAULT-SCHMITT, op. cit., p. 28. - 834 - Carcassonne pour ne citer que ces quelques exemples les plus connus. Au milieu du XIIIème siècle, elle s’impose à Billom (Puy-de-Dôme), Candes, au Puy-Notre-Dame ou à la collégiale Saint-Martin-de-Brive [Fig. 981, 982 et 983]2239. L’église-halle est une solution architecturale très prisée dans les pays d’Empire, et particulièrement en Allemagne (Hallenkirche). Cette constatation peut peut-être se justifier par le manque d’études sur les églises-halles en France, à l’inverse des fréquentes analyses allemandes, alors même que ce type d’architecture existe dans les espaces Plantagenêts. L’église-halle n’a cependant guère attiré l’intérêt des chercheurs. Elle n’est pas non plus ignorée des cisterciens et se rencontre à Haina en Allemagne, Vyssi Brod (ou Hohenfurt) en Bohême, Alcobaça au Portugal et Fontfroide en France (com. Narbonne, Aude) [Fig. 927]2240. En Aquitaine, l’église-halle est requise dès l’époque romane comme à Notre-Dame de Cunault, Saint-Pierre d’Aulnay ou au Dorat (vers 1115-1145) dans le diocèse de Limoges où l’accent est mis sur la verticalité. À Cunault, la nef aveugle est couverte par un berceau brisé. Ce sont les collatéraux qui assurent l’éclairage. Ils sont voûtés d’arêtes et permettent le contrebutement du vaisseau central. L’église du Puy-Notre-Dame en Maine-et-Loire relevait de l’ancien diocèse de Poitiers. Elle est sous la coupe des comtes de Poitiers qui décident de la bâtir à l’image de la cathédrale de Poitiers comme le prouve sa triple nef 2241. De même à Candes où la nef est inspirée du vaisseau triple de Poitiers. La puissance murale, les fenêtres longues et étroites en plein-cintre évoquent certaines caractéristiques des espaces Plantagenêts. André MUSSAT constate que le Poitou à l’époque romane est marqué par un nombre important d’églises à trois nefs de hauteur presque égale, comme à Saint-Maixent par exemple au début du XIIème siècle. La nef centrale est le plus souvent aveugle, l’éclairage étant alors assuré par les bas-côtés. C’est le cas à Saint-Savin-sur-Gartempe où l’effort porte sur la luminosité et la cohérence des trois vaisseaux. Les fenêtres latérales sont placées très haut dans le mur. La largeur totale est de 17m pour 17m de hauteur2242. Ce parti est également présent dans le Midi de la France tel à Carcassonne dans l’Aude où les trois vaisseaux de même hauteur sont séparés par une alternance de piles comme pour les édifices charpentés du XIème siècle2243. La cathédrale de Poitiers, reconstruite à partir de 1162 grâce au soutien d’Aliénor d’Aquitaine est une église-halle à trois vaisseaux portés à une hauteur presque similaire [Fig. 2239 P. SESMAT, « Les « églises-halles », histoire d’un espace sacré (XIIème-XVIIIème siècle) », BM, T 163-1, 2005, Paris, p. 3-77. 2240 T. N. KINDER, L’Europe cistercienne, Zodiaque, 1997, p. 194. 2241 Y. BLOMME, Poitou gothique, Paris, Picard, 1993, p. 289. 2242 A. MUSSAT, op. cit., p. 49. 2243 É. VERGNOLLE, L’art roman en France, Flammarion, Paris, 1994, p. 202-203. - 835 - 973]. Les voûtes des collatéraux sont en effet placées seulement 5m plus bas que celles de la nef, permettant un meilleur contrebutement. Il n’y a ainsi pas nécessité d’arcs-boutants. L’église-halle pourrait être une alternative aux cathédrales capétiennes dont les volumes hiérarchisés aux murs minces, évidés, sont contrebutés d’arcs-boutants. Dans le cas de l’église-halle, les murs restent épais et les collatéraux hauts évitent le recours aux contrebutements extérieurs. Son élévation est inspirée des églises à files de coupoles aquitaines comme la cathédrale d’Angoulême ou l’abbatiale de Fontevrault2244. Il s’agit d’un vaisseau basilical traditionnel sans tribunes. Les hautes arcades brisées sont reçues par des piles composées et surmontées par les fenêtres hautes. Ces choix architecturaux permettent ainsi une grande homogénéité de l’édifice et de l’espace. La nef de l’église de Brive est rebâtie dans le courant du XIIIème siècle. Elle est édifiée selon le principe de l’église-halle. Les supports séparant la nef des collatéraux sont des piles circulaires massives. Ces piles ne sont pas inconnues en Aquitaine. L’église Saint-Seurin de Bordeaux, reconstruite à la fin du XIIème siècle et jusque dans les premières années du XIVème siècle dispose d’une nef centrale de 12m de large flanquée de collatéraux étroits voûtés de berceaux transversaux. Les trois vaisseaux sont séparés de colonnes cylindriques massives appareillées. Des grandes piles rondes divisaient également le réfectoire de l’abbaye de Saint-Martial de Limoges2245. Ce type de supports est très présent pour les églises-halles anglaises. Dès l’époque romane, les piles circulaires massives sont utilisées en Angleterre pour séparer les trois vaisseaux, tel à la cathédrale de Gloucester (Gloucestershire) où les piles entre nef et bascôtés sont circulaires, très massives, appareillées et surmontées de chapiteaux réduits à une bague moulurée d’un tore. Les grandes arcades sont surmontées de tribunes et de fenêtres hautes. Les liens entre Angleterre et Aquitaine semblent ainsi une fois encore mis en exergue et sont sans doute dus à la présence des rois Plantagenêts. Le même système est requis à l’abbaye de Dumferline (Fife) où les piles séparant la nef et les collatéraux sont circulaires et massives, surmontées de tribunes et de fenêtres hautes. De même à la cathédrale de Durham, au prieuré de Worksop et à Southwell (Nottinghamshire)2246. C’est le cas également pour les abbayes cisterciennes irlandaises de Baltinglass et de Buildwas2247. À Brive, une coursière de mi-hauteur est aménagée, comme à la Souterraine, sans réelle signification architecturale. Ces coursières de circulation se retrouvent dans certains 2244 J. L. LOZINSKI, « Henri II, Aliénor d’Aquitaine et la cathédrale de Poitiers », CCM, n°1-2, janvier-juin 1994, p. 91-100 ; E. R. LABANDE, op. cit., p. 175. 2245 J. GARDELLES, Aquitaine gothique, Paris, Picard, 1992, p. 167. 2246 R. STOLL, L’art roman en Grande-Bretagne, Paris, 1966. 2247 R. STALLEY, op. cit., p. 84. - 836 - édifices à file de coupoles, dans des édifices de l’Ouest telles Solignac dès l’époque romane ou encore à la cathédrale d’Angers ou Saint-Yrieix [Fig. 932 et 933]. Des églises-halles telles la cathédrale de Poitiers ou l’église San Fortunato de Todi présentent également des coursières de mi-hauteur2248. L’église de la Souterraine dispose de volumes à la même hauteur comme à la cathédrale de Poitiers [Fig. 984]. Le chevet plat percé d’un triplet de baies évoque également les cadres Plantagenêts et cisterciens. D’autres églises, même modestes de ce « premier gothique » du Limousin choisissent le parti de l’église-halle telle Saint-Pierre de Fursac par exemple (XIIIème siècle) dont les trois vaisseaux de même hauteur sont là encore associés à un chevet plat. Ce principe de l’église-halle perdure jusque dans le Bas Moyen-Âge. Ainsi, l’église de Saint-Michel-des-Lions à Limoges est édifiée entre 1363 et 1455 selon ce principe, parfaitement adapté à la fonction paroissiale de l’édifice. Cette vaste salle permet en effet d’accueillir un grand nombre de fidèles pour assister au prêche. Les trois vaisseaux de même hauteur sont associés à un chevet plat2249.  Les voûtes : Les espaces Plantagenêts tendent à développer des voûtes d’ogives particulières à distinguer des réalités présentes en France capétienne. Ces voûtes sont conçues pour s’adapter à des nefs uniques amples et larges ou aux églises-halles fréquentes en Aquitaine. Il s’agit de voûtes d’ogives bombées de plan carré, bien différentes des voûtes plates barlongues du domaine royal. Ces voûtes pèsent sur les murs gouttereaux des édifices qui se dotent ainsi de murs épais percés de fenêtres à larges ébrasements. Les murs ne peuvent être évidés et amincis à la manière des sites gothiques capétiens. Par ailleurs, ces murs massifs ne nécessitent pas le recours aux arcs-boutants si fréquents dans le domaine capétien. Ainsi, la nef unique divisée « en grandes travées carrées couvertes de voûtes d’ogives bombées résiste longtemps au type articulé à bas-côtés » caractéristique de l’Ile-de-France. Dans la seconde moitié du XIIème siècle, les bâtisseurs expérimentent des recherches à partir de la voûte d’ogives sur plan carré et à profil bombé. Au début du XIIIème siècle, ces voûtes se complexifient avec l’apparition de liernes, nervures pénétrantes, nervures multiples sensiblement différentes des créations du nord de la France2250. 2248 É. PROUST, op. cit., p. 243-254 ; G. CANTIÉ, X. LHERMITTE, É. PROUST, « Brive-La-Gaillarde, église Saint-Martin. De la memoria mérovingienne à la collégiale », op. cit., p. 105-123 2249 C. ANDRAULT-SCHMITT, Limousin gothique…, op. cit., p. 247. 2250 A. MUSSAT, op. cit., p. 291, 402-403. - 837 - En Anjou, les premières voûtes gothiques doivent s’adapter à des structures architecturales encore romanes, des murs épais, des volumes simples (nef unique, chevet plat). Il s’agit majoritairement de coupoles nervées, de voûtes à nervures et voûtains indépendants ou de voûtes sexpartites2251. Les voûtes à nervures se rencontrent au chœur de Passavant au milieu du XIIème siècle ou au croisillon sud de l’église de Mouliherne. À Mouliherne, les voûtes d’ogives bombées se rencontrent à la croisée et au bras du transept nord. Le bras nord est couvert de deux grands arcs diagonaux « montés en larges moellons rectangulaires ». Il n’y a pas de clé à la rencontre des deux arcs. L’un traverse l’autre. Les coupoles nervées témoignent de la perfection de l’appareillage, tel à Saumur ou à Brion. Saint-Pierre de Saumur est édifiée dans la seconde moitié du XIIème siècle. Sa croisée est couverte d’une coupole nervée dont les nervures pénètrent les voûtains. Le chœur et les bras du transept sont par ailleurs couverts d’ogives bombées de plan carré. À la cathédrale d’Angers, dans les années 1150, des voûtes fortement bombées sont mises en place, reposant sur des arcs doubleaux et des formerets. Pour André MUSSAT, le voûtement d’Angers « tend au poids vertical beaucoup plus qu’aux poussées obliques ». La largeur et la puissance des ogives rappellent les « nervures-ponts » de certains édifices méridionaux. À la Trinité d’Angers, les voûtes sexpartites sur travées rectangulaires sont dotées de liernes. Elles se réfèrent aux créations de Saint-Étienne de Caen ou encore à la voûte sexpartite primitive du chœur de Saint-Martin d’Angers, composé de deux travées droites carrées couvertes de voûtes fortement bombées à liernes. L’hôpital Saint-Jean d’Angers est édifié grâce au mécénat d’Henri II à partir des années 11812252. Les voûtes sont par ailleurs peu bombées, sans liernes, à l’inverse des autres édifices d’Angers. Les ogives, doubleaux et formerets sont simplement moulurés comme pour la plupart des voûtes cisterciennes. Les bases sont ornées de griffes décorées de volutes ou de pommes de pin. Pour André MUSSAT, il s’agit d’une « grande halle aux effets simples et puissants » comme de nombreux vaisseaux cisterciens. À Saint-Serge d’Angers au XIIIème siècle, le chœur est couvert de voûtes d’ogives bombées appareillées à huit nervures. Les chapelles de commanderie adoptent fréquemment ces voûtes bombées à nervures multiples. C’est le cas à Saint-Jean de Saumur. Trois travées carrées sont couvertes de voûtes bombées à huit nervures dont les poussées sont reçues par des murs d’1.40m d’épaisseur. De même à Saulgé-L’Hôpital en Luigné. 2251 2252 J. MALLET, op. cit., p. 264. A. MUSSAT, op. cit., p. 41, p. 177-190, p. 205, p. 213-221, p. 301. - 838 - En Touraine également, les voûtes adoptent fréquemment un profil bombé. De nombreuses nefs uniques romanes sont « reprises afin de les voûter en grandes travées carrées et bombées ». C’est le cas pour la nef de Saint-Martin de Tours dans la seconde moitié du XIIème siècle. Les voûtes bombées de plan carré reposent sur une alternance de supports2253. Concernant la cathédrale de Poitiers, Edmond-René LABANDE constate que le maître d’œuvre s’inspire des voûtes de la cathédrale d’Angers et non des créations du nord de la France ; ce qui n’est guère étonnant puisque Poitiers est étroitement liée aux rois Plantagenêts vraisemblablement désireux de marquer leur différence et leurs oppositions aux Capétiens dans l’architecture des bâtiments des territoires conquis. L’architecture castrale en est d’ailleurs une illustration exemplaire. À la cathédrale de Poitiers, ce sont six grandes voûtes d’ogives carrées et bombées qui couvrent les trois nefs2254. Au Puy-Notre-Dame, le chœur quadrangulaire est couvert d’une voûte angevine à nervures multiples. Les voûtes de la nef sont de plan carré, bombées et dotées de huit nervures. La cathédrale de Saint-Malo également se dote au XIIème siècle d’une nef unique de trois travées carrées couvertes de voûtes très bombées sur croisées d’ogives simples. Elle est associée au XIIIème siècle à un chevet plat2255. Dans le diocèse de Limoges, les architectes de Saint-Yrieix, Tulle et la Souterraine font des propositions de voûtement d’ogives vers 1180 et se tournent naturellement vers des exemples connus en Anjou, Touraine ou Poitou. À Saint-Martin de Tulle, la nef est voûtée d’ogives reposant sur deux niveaux d’élévation séparés par une coursière. La nef centrale est surhaussée pour permettre l’établissement d’un clair-étage. L’éclairage direct est par ailleurs assez peu fréquent en Limousin. C’est le cloître édifié dans les années 1200-1230 qui montre plus nettement des dispositions aquitaines puisqu’il est bâti selon des techniques angevines et Plantagenêts de voûtement2256. Les voûtes d’ogives associent en effet les nervures multiples et un profil bombé. Les clés de voûtes sont de fait nettement plus hautes que les clés des arcs. La Souterraine introduit deux de ces nouveautés : le voûtement d’ogives et le registre de baies hautes. À Malemort, la nef voûtée d’ogives est quelque peu postérieure à la Souterraine et à Tulle. Elle est associée à un chevet polygonal. À Biennac au début du 2253 A. MUSSAT, op. cit., p. 154; p. 298; p. 337-341. E-R. LABANDE, op. cit., p. 175. 2255 A. MUSSAT, op. cit., p. 286. 2256 C. ANDRAULT-SCHMITT, « Tulle, ancienne abbaye Saint-Martin (actuelle cathédrale », dans Monuments de Corrèze, op. cit., p. 363-379 2254 - 839 - XIIIème siècle, la partie orientale est couverte de voûtes à liernes domicales. Les nervures et liernes sont composés de trois tores inégaux. Les murs sont relativement épais, la tour de croisée octogonale repose sur une coupole sur pendentifs. Cette église est ainsi très proche de celle de La Réau en Poitou dans les années 1200 : la croisée est voûtée d’une coupole sur pendentifs, le sanctuaire d’ogives à liernes. L’église d’Azat-Le-Ris accepte le voûtement d’ogives. La voûte du chœur est pourvue de formerets comme à l’abbaye du Palais-Notre-Dame. Elle est bombée à la manière des voûtes Plantagenêts et se compose d’un dôme de maçonnerie en granite. Elle est très similaire au couvrement du chœur de Biennac. À Blaudeix, les voûtes à liernes forment baldaquins, de même qu’au Grand-Bourg au début du XIIIème siècle. L’église hospitalière de Paulhac présente des ogives à liernes à effet de baldaquins. Néanmoins, les combles ne révèlent pas de bombement de type Plantagenêt2257. Dans les années 1250, Coyroux se dote de voûtes d’ogives complexes, sexpartites, munies de liernes. Elles se rejoignent en des clés de voûtes aux feuillages naturalistes [Fig. 598]. Le cadre cistercien ne reste ainsi pas indifférent à ces expériences de voûtement. À Limoges, les voûtes de la chapelle Saint-Michel permettent d’appréhender les réalités du « premier gothique ». Celle-ci est édifiée vers 1204. Les voûtes d’ogives sont sans formeret. Les voûtains retombent largement sur chaque pilier surmonté d’une imposte simplement chanfreinée. Ces piliers sobres sont caractéristiques de la simplicité des années 1200 en Limousin, stimulée par les mouvements à vocation érémitique comme Grandmont et Cîteaux2258. Le berceau brisé est par ailleurs maintenu pour un certain nombre de sites. Il permet le voûtement de vaisseaux larges et reste privilégié par certains ordres nouveaux comme Grandmont. Claude ANDRAULT-SCHMITT rappelle que ce type de voûte est très prisé dans les pays de la Loire (Notre-Dame de Nantilly à Saumur) ou dans le sud de la France (SaintPons-de-Thomières). Dans le diocèse de Limoges, il est requis à Aureil (fin XIème siècle) ou encore à Saint-Sulpice-Laurière (berceau sur corniche à l’image des celles grandmontaines)2259. Ainsi, le diocèse de Limoges semble s’insérer dans une vaste Aquitaine marquée par la présence des rois Plantagenêts. Les voûtes bombées à liernes fréquentes en Limousin, Anjou, 2257 C. ANDRAULT-SCHMITT, op. cit., p. 25 à 27, 81, 115 et 297. X. LHERMITE, « L’invention architecturale au XIIIème siècle à Saint-Martial. De la plus ancienne voûte d’ogives de Limoges à l’introduction de l’architecture gothique rayonnante », dans C. ANDRAULT-SCHMITT (dir.), Saint-Martial de Limoges…, op. cit., p. 309-326. 2259 C. ANDRAULT-SCHMITT, op. cit., p. 29. 2258 - 840 - Poitou et Touraine sont révélatrices des résistances à un gothique du Nord de la France privilégiant les voûtes plates sur travées barlongues. Ces voûtes tendent à se complexifier dès le début du XIIIème siècle avec adjonction de liernes et de nervures multiples, relayées par les fondations hospitalières. Ce voûtement « Plantagenêt » est associé le plus souvent à une nef unique aux murs épais percés de baies aux larges ébrasements internes. Certains éléments de décors peuvent également permettre de reconnaître l’empreinte des rois Plantagenêts en Aquitaine et dans le diocèse de Limoges.  Des décors Plantagenêts ? Les décors cisterciens se caractérisent par une sobriété affirmée et volontaire en lien avec une économie en faire-valoir direct. Les moines cisterciens engrangent probablement moins de revenus que leurs homologues clunisiens acceptant les dîmes. Les profits dégagés sont prioritairement réinvestis dans la mise en valeur des terres, de salti nécessitant parfois des assainissements et défrichements. La mise en œuvre est ainsi faite à l’économie (d’abord structures périssables) et l’accent n’est guère mis sur la décoration interne des édifices dans la seconde moitié du XIIème siècle. Les chapiteaux sont le plus souvent nus ou à feuilles lisses, les murs nus, les vitraux incolores. L’image est quasiment bannie du sanctuaire, sans doute par choix aniconique, mais aussi peut-être par manque de revenus à attribuer à des sculpteurs qualifiés à même de réaliser de vastes programmes iconographiques comme dans les abbatiales clunisiennes. Cette volonté de dépouillement est commune à certaines créations des rois Plantagenêts qui trouvent de puissants relais auprès des ordres à vocation érémitique réticents à l’image comme Grandmont, Cîteaux et Prémontrés. Certains décors sobres fréquents dans les espaces Plantagenêts vont être diffusés dans un cadre cistercien aquitain. La place jouée par les rois Anglais dans les créations artistiques des pays d’Ouest n’est pas aisée à déterminer, moins tangible que pour les sites castraux, forteresses avérées contre le pouvoir capétien. Leur « mécénat » est toutefois envisageable pour un certain nombre d’édifices aquitains. Le « mécénat » des rois Plantagenêts est particulièrement sensible en Aquitaine pour quelques programmes décoratifs. Ainsi, Nurith KENAAN-KEDAR atteste un probable patronage d’Aliénor d’Aquitaine sur les portails des cathédrales du Mans et d’Angers et la collégiale de Saint-Martin de Candes, témoignant à la fois d’une conscience dynastique forte et de ses intentions christologiques. La cathédrale du Mans est édifiée comme un « SaintDenis » pour les rois Anglais. Les Plantagenêts prennent ici pour référence le portail de la - 841 - façade occidentale de la cathédrale de Chartres. Cette adaptation de décors d’Ile-de-France n’est probablement pas anodine. Pour l’auteur, ces formulations artistiques sont utilisées en tant que « déclarations politiques et dynastiques », d’où les thèmes représentés comme le Christ-roi, les rois de l’Ancien Testament afin « d’exalter la légitimité monarchique de la maison d’Anjou »2260. Aliénor d’Aquitaine connaît de plus parfaitement les cathédrales capétiennes, ayant d’abord été reine de France. Elle assiste ainsi aux débuts du premier gothique d’Ile-de-France entre 1137 et 1152. Son impact est de fait indéniable en tant que duchesse d’Aquitaine dans la transmission de certaines formulations artistiques aux pays d’Ouest. Le mécénat des Plantagenêts est de plus attesté à la cathédrale de Poitiers comme en témoigne la présence d’un vitrail représentant la reine, Henri II et leurs quatre enfants. Ils apparaissent comme les donateurs de la Crucifixion de saint Pierre. Les largesses royales s’expriment ainsi dans l’iconographie. Entre 1189 et 1204, les rois Anglais jouent un rôle dans la réalisation des peintures murales de Chinon et du palais ducal de Poitiers2261. Outre ces exemples marquants, la présence des rois Anglais en Aquitaine est sensible de façon plus ténue et épisodique par certains éléments de décors qui s’inscrivent comme des « marqueurs » de leur présence. C’est le cas des ogives ou colonnes au profil en amande. Elles se rencontrent dans une multitude de sites aquitains et cisterciens. Ainsi, l’abbaye de la Couture (Vendée) dispose de voûtes d’ogives dans la nef dont le profil est un tore massif en amande2262. En Normandie également ce profil de nervure est fréquent. La salle capitulaire de l’abbaye de Bonport édifiée dans le premier quart du XIIIème siècle dispose d’ogives au profil en amande dégagé de deux cavets. Les voûtes sont reçues par des chapiteaux dont les feuilles sont nervées ou recourbées en boules2263. L’abbaye cistercienne Notre-Dame d’Élan (com. Élan, Ardennes, près de Sedan, fondée par l’abbaye de Lorroy, diocèse de Bourges) témoigne de la pénétration de certains décors Plantagenêts dans un cadre capétien. En effet, le réfectoire de ce monastère est voûté d’ogives dont le tore est en amande (début XIIIème siècle). Ces ogives sont reçues par des tailloirs à cinq pans surmontant des chapiteaux à feuilles lancéolées en faible relief2264. L’abbaye cistercienne de Cherlieu près de Besançon 2260 M. AURELL, L’Empire des Plantagenêt, Perrin, Paris, 2004, p. 97. N. KENAAN-KEDAR, « The impact of Eleanor of Aquitaine on the Visual Arts in France », dans M. AURELL (dir.), Culture politique des Plantagenêt (1154-1224), Actes du Colloque tenu à Poitiers du 2 au 5 mai 2002, Poitiers, 2003, p. 39-60. 2262 A. MUSSAT, op. cit., p. 113. 2263 A. GOSSE-KISCHINEWSKI, « Fondations cisterciennes en Normandie au temps de Richard », dans Richard Cœur de Lion…, op. cit., p. 189-197. 2264 A. SARTELET, « L’abbaye cistercienne de Notre-Dame d’Élan », Archéologia, n°139, 1980, p. 62-65. 2261 - 842 - adopte également des voûtes d’ogives au profil en amande caractéristique d’un premier art gothique. Seul le départ de ces ogives est conservé au niveau du bras du transept nord. Le Midi de la France est largement perméable à ces décors. À Villelongue dans l’Aude, le dépôt lapidaire correspondant à la destruction d’une partie de la nef et du cloître a révélé un certain nombre de claveaux de nervure d’ogive dont le tore est aminci en amande, entre deux cavets [Fig. 985]. Les voûtes d’ogives de la nef sont édifiées dans la seconde moitié du XIIIème siècle, témoignant de la permanence de ce type de nervures tout au long du XIIIème siècle. L’abbatiale de moniales des Olieux, à quelques kilomètres de Narbonne dispose de voûtes d’ogives au profil aminci en amande [Fig. 986]. À l’abbaye du Thoronet, la salle capitulaire est couverte de six travées voûtées d’ogives au profil en amande reposant sur des chapiteaux ornés de fleurs ou de pommes de pin. Le diocèse de Limoges se révèle réceptif aux formulations artistiques propres aux espaces Plantagenêts. Des résistances à un premier gothique capétien venu d’Ile-de-France peuvent être constatées (refus des arcs-boutants, de l’élévation tripartite, des murs évidés, des déambulatoires à chapelles rayonnantes), comme en témoignent la perméabilité à certains décors issus du premier art gothique Plantagenêt. De forts particularismes sont ainsi observables dans les modénatures des baies (baies en plein-cintre aux larges ébrasements internes, parfois étirées en meurtrière), des portails (à voussures multiples et chapiteaux isolés ou en frise) et des clochers (clochers octogonaux, à gâbles issus de créations romanes, tourporche comme à Chambon-sur-Voueize et Mourioux)2265. Les profils en amande sont fréquents, qu’il s’agisse de nervures d’ogives ou de supports. Ainsi, à Ladapeyre, ce sont des demi-colonnes en amande qui reçoivent les arcs doubleaux. L’église de Naves est couverte de voûtes d’ogives à nervures toriques au profil aminci en amande. De même à l’église de Pontarion où les ogives quadripartites disposent de tores en amande. Les colonnettes des faisceaux séparant les différentes travées optent également pour un profil en amande. Les ogives sont en amande à Tarnac. L’église de Chambon-sur-Voueize dispose d’une tour-porche ornée d’un portail à profil brisé. De fines colonnes sont nichées dans les ébrasements multiples dont les plus à l’extérieur ont un profil en amande souvent adopté dans ces espaces Plantagenêts [Fig. 987]. Les abbayes cisterciennes du diocèse de Limoges et de ses marges optent fréquemment pour des voûtes d’ogives au profil en amande. Selon Claude ANDRAULTSCHMITT, « les nervures en amande existent dès le XIIème siècle dans deux domaines du 2265 C. ANDRAUL-SCHMITT, op. cit., p. 56. - 843 - premier gothique particulièrement importants pour nos régions : le domaine cistercien et le domaine angevin Plantagenêt »2266. Ainsi, les ruines du réfectoire du monastère d’Obazine présentent un départ de voûtes d’ogives au tore aminci en amande vraisemblablement mises en œuvre dans les années 1180-1220 [Fig. 515]. À Dalon, certains éléments lapidaires déposés devant le bâtiment d’habitation permettent d’envisager un voûtement d’ogives dont le profil est en amande (fin XIIèmepremier tiers XIIIème siècle) [Fig. 288]. En effet, certains claveaux de nervure d’ogives présentent un tore en amande flanqué de deux petites moulurations toriques latérales dégagées de cavets. Il est difficile d’envisager la provenance de ces éléments ayant pu couvrir la nef, le transept, le chevet de l’abbatiale ou même un bâtiment conventuel (dortoir, réfectoire). Quant à l’abbatiale de Bonlieu, si la nef est voûtée d’un berceau brisé soutenu d’arcs doubleaux, le chevet d’un éventuel cul-de-four nervé, certains bâtiments conventuels acceptent peut-être l’ogive (salle capitulaire comme à Dalon ?). Cette hypothèse peut être étayée par certains éléments lapidaires déposés dans le bras du transept nord. Des claveaux de nervure d’ogives présentent un tore au profil légèrement en amande [Fig. 161]. La nef de Varennes est voûtée d’ogives. Le dépôt lapidaire a révélé des claveaux de nervure d’ogives en amande dont le profil évoque des créations artistiques des espaces Plantagenêts, probablement datés de la fin du XIIème siècle et du premier tiers du XIIIème siècle. Leur présence n’a rien d’étonnant quand on sait qu’Henri II se proclame fondateur de l’abbaye de Varennes en 1155 [Fig. 792, 793 et 794]. Les fouilles de l’abbatiale de Coyroux par Bernadette BARRIÈRE ont révélé un certain nombre de claveaux de nervure d’ogives, retrouvés dans les remblais d’écroulement des voûtes de l’église [Fig. 599]. La stéréotomie est de qualité, les profils standardisés et produits en série en atelier. Les voûtes de la nef de Coyroux relèvent vraisemblablement du milieu du XIIIème siècle, comme l’attestent la standardisation des gabarits et les clés de voûtes aux feuillages naturalistes. Ces claveaux constituent quatre voûtes d’ogives à liernes formant baldaquins, peut-être inspirées du voûtement du cloître de Tulle (premier tiers du XIIIème siècle)2267. Ainsi, les abbayes cisterciennes du diocèse de Limoges semblent insérées dans une vaste Aquitaine où la présence des rois Plantagenêts est palpable par un certain nombre d’indices. La récurrence de la nef unique, du chevet plat percé d’un triplet de baies, les chevets à déambulatoire droit, la fréquence des églises-halles, les murs épais percés de baies 2266 2267 C. ANDRAULT-SCHMITT, dans B. BARRIÈRE (dir.), Moines en Limousin..., op. cit., p. 47. C. ANDRAULT-SCHMITT, dans B. BARRIÈRE (dir.), Moines en Limousin..., op. cit., p. 48. - 844 - fortement ébrasées, les portails et baies à multiples ressauts, les coursières de mi-hauteur, les voûtes d’ogives bombées à liernes et à nervures multiples, les nervures aux tores amincis en amande sont autant de « marqueurs » des espaces Plantagenêts, parfois importés d’Angleterre. Les moines cisterciens s’inscrivent comme d’évidents relais pour des rois en quête de légitimité et d’un appui par un ordre religieux fort, influent et présent en Aquitaine. La sobriété propre à l’ordre, le dépouillement architectural, les volumes amples sont par ailleurs en parfaite adéquation avec les goûts Plantagenêts, de même que la réticence à l’image sculptée. Ainsi, dans les années 1150-1200, alors que le gros œuvre des abbatiales cisterciennes limousines est amorcé, le choix de volumes simples paraît en cohérence avec les statuts de l’ordre, les goûts Plantagenêts et une économie en faire-valoir direct ne permettant guère d’investir dans des constructions monumentales, coûteuses, aux programmes décoratifs développés. La priorité de petites communautés peu dotées telles Aubepierres, Prébenoît, Aubignac, Bonnaigue ou Derses est le défrichage, l’assainissement des salti, la constitution d’un patrimoine foncier cohérent permettant l’autonomie relative des frères. Nous verrons cidessous que les années 1200-1220 vont néanmoins initier un certain nombre de changements prolongés jusqu’à la fin du XIIIème siècle. Le passage au faire-valoir indirect, la présence de plus en forte des rois capétiens vont en effet conduire à des modifications et embellissements des monastères pris en compte dans cette étude. Si les plans et élévations révèlent un profond attachement dans la seconde moitié du XIIème siècle aux réalités romanes aquitaines et à un « goût Plantagenêt » (profil en amande), que dire toutefois des embellissements des années 1200-1220, de la mise en place de pavements luxueux, de la présence de tombeaux monumentaux ? Il semblerait que dès le premier tiers du XIIIème siècle, la poussée capétienne, concomitante au glissement vers une économie en faire-valoir indirect, ait conduit à certain nombre de changement et à la pénétration progressive d’un art du Nord. Dans le courant du XIIIème siècle, le diocèse de Limoges voit l’apparition du gothique rayonnant, tel à la cathédrale. • La « poussée capétienne » des années 1200. Changements de partis architecturaux, embellissements et faire-valoir indirect. À partir de 1215, l’empire Plantagenêt n’existe plus. Les pays d’Ouest comme le Maine, l’Anjou et la Touraine, de même que la Normandie, entrent dans la mouvance capétienne. Seul le sud-ouest reste anglais. Ces troubles politiques vont connaître une expression en architecture et les créations cisterciennes sont révélatrices de ces mutations. - 845 - Certaines caractéristiques architecturales et décoratives capétiennes vont progressivement se diffuser dans l’ordre par l’intermédiaire des abbatiales et cathédrales du Nord de la France. Les liens entre moines cisterciens et rois capétiens sont relativement étroits, ce dès le XIIème siècle. En effet, les familles royales de France dotent certaines abbayes cisterciennes et peuvent être à l’origine d’un grand nombre de fondations. Louis VI par exemple fonde Chaalis tandis que Louis VII favorise les cisterciens de Noirlac. Les moines blancs implantés sur les terres capétiennes peuvent ainsi constituer des relais pour les rois français et contribuer à la diffusion de pratiques architecturales et décoratives. Concernant le diocèse de Limoges, en marge septentrionale de l’Aquitaine, des hésitations sont tangibles entre rois Plantagenêts et couronne française. Les textes ne nous permettent guère d’attester d’un « mécénat » royal clair, excepté pour l’abbaye de Varennes dont Henri II s’est proclamé seul fondateur. Nous avons pu recenser précédemment certains « marqueurs » d’un « goût » Plantagenêt, profondément cohérent avec les statuts de l’ordre, comme la volonté de sobriété, la préférence pour le chevet plat percé d’un triplet de baies, la récurrence des nefs uniques, les profils en amande. Il semblerait que les partis architecturaux choisis dans les années 1150-1200 soient plutôt en référence à des solutions aquitaines et anglaises, en lien avec une économie en faire-valoir direct ne permettant guère les investissements dans de somptueux décors. Néanmoins, qu’en est-il du XIIIème siècle, accompagné du glissement vers le faire-valoir indirect et l’économie de surplus, alors même que le pouvoir des rois Plantagenêts cède peu à peu la place à une poussée capétienne de plus en plus tangible ? N’existe-t-il pas également des liens étroits avec la couronne de France, renforcés à partir du XIIIème siècle ? Les abbayes cisterciennes du diocèse de Limoges sont par ailleurs filles d’abbatiales inscrites dans une mouvance capétienne. Il ne faut en effet pas oublier que Pontigny, mère de Dalon, Prébenoît, Aubignac, Boeuil, le Palais et Bonlieu est largement dotée par les rois de France tandis qu’Aubepierres et les Pierres entrent dans la filiation de Clairvaux dont le chœur est reconstruit dès la seconde moitié du XIIème siècle avec un déambulatoire à chapelles rayonnantes [Fig. 995]. La Colombe est fille de Preuilly et Varennes de Vauluisant, toutes fondées en terres capétiennes, de même que la filiation d’Obazine est rattachée à Cîteaux en 1147 [Fig. 11]. Ainsi au XIIIème siècle, le gothique français va progressivement pénétrer en Aquitaine, par le biais des abbayes cisterciennes, mais également des cathédrales, les évêques constituant fréquemment de puissants relais et alliés de la couronne de France. André - 846 - MUSSAT constate dans le dernier quart du XIIIème siècle la pénétration dans tout le sudouest du pays de l’art des portails du Nord, témoignant de l’effacement progressif des particularismes des provinces de l’ouest. Dès les années 1225-1230, il avait constaté l’adoption de certaines nouveautés venues du Nord en Aquitaine telles les statues aux volumes monumentaux, les roses de façade et les thèmes iconographiques proches de ceux développés dans le domaine royal2268. Ainsi, le déambulatoire ceinturé de chapelles, les baies rayonnantes se multiplient et le diocèse de Limoges ne va pas rester étranger à ces transformations. En réalité, une césure est sensible dès les années 1170-1190, coïncidant avec l’avènement de Philippe-Auguste et de Richard Cœur-de-Lion. Cette période correspond à une expansion économique de l’ordre et à l’amorce des campagnes de reconstruction des principaux monastères masculins. Nous assistons également à un affaiblissement des châtellenies au profit d’un pouvoir royal de plus en plus fort. L’expansion des abbayes féminines est de même caractéristique de l’opulence et de la popularité croissante de l’ordre de Cîteaux. Cette période faste va ainsi s’exprimer par des choix architecturaux et décoratifs différents, de même que par le développement du mobilier.  Le déambulatoire à chapelles rayonnantes : L’une des caractéristiques du gothique capétien est la préférence pour un chœur magnifié à déambulatoire et couronne de chapelles rayonnantes, choisi à la fois dans les grandes cathédrales d’Ile-de-France mais aussi dans un certain nombre d’abbayes cisterciennes reconstruites dans la seconde moitié du XIIème siècle et au XIIIème siècle. Ce type de chœur n’est pas une novation capétienne mais correspond à une tradition romane bien ancrée depuis le XIème siècle. Il est privilégié pour des raisons liturgiques puisqu’il facilite la circulation des fidèles autour des reliques d’un saint. Il est également l’expression du pouvoir fort des commanditaires de l’édifice. Les chœurs en abside munie d’un déambulatoire à chapelles rayonnantes se multiplient à partir du XIème siècle en Poitou et surtout dans le courant du XIIème siècle en Anjou. Dès 1040 à la Trinité de Vendôme, le pouvoir comtal de Geoffroy Martel se manifeste par les volumes magnifiés du chœur à déambulatoire et chapelles rayonnantes2269. En 1174, le nouveau chœur de Clairvaux est achevé [Fig. 995]. Il s’agit d’un chœur à déambulatoire circulaire et neuf chapelles rayonnantes non saillantes, prises dans une enveloppe polygonale, comme Cherlieu, Bonport et Heisterbach [Fig. 994 et 2268 2269 A. MUSSAT, op. cit., p. 262. J. MALLET, op. cit., p. 52. - 847 - 988]. La nef est alors contrebutée d’arcs-boutants. L’abbatiale d’Alcobaça au Portugal se dote vers 1200 d’un chevet similaire à neuf chapelles rayonnantes. Le déambulatoire est voûté d’ogives. Le tout est contrebuté par des arcs-boutants [Fig. 989]2270. L’abbatiale de Pontigny dans l’Yonne se dote d’un nouveau chœur édifié dès la fin du XIIème siècle [Fig. 1006]. Le nouveau chevet à sept chapelles rayonnantes non saillantes, comprises dans un mur polygonal, est voûté d’ogives, contrebuté d’arcs-boutants (1180-1208 ou 1212). Il est en partie financé par Adèle, veuve de Louis VII et mère de Philippe-Auguste. Elle est par ailleurs inhumée dans le chœur en 1206. L’abbaye cistercienne devient ainsi nécropole pour la reine capétienne. Les arcs-boutants témoignent de l’introduction d’un gothique capétien dans l’abbatiale. De récents travaux de restauration de 2004 à 2006 ont permis de constater que ce contrebutement du chevet et de la nef est postérieur à l’édification du vaisseau et du chevet à déambulatoire, comme en témoignent la technique de taille de pierre et la nature géologique des matériaux employés. Cette réalisation a posteriori est confirmée par l’incrustation des volées dans les contreforts au moyen d’une incision en biais. Ces liaisons sont relativement peu soignées par rapport à l’ensemble de la mise en œuvre. La taille ciselée irait dans le sens d’une datation peu éloignée du XIIIème siècle, cette technique de taille disparaissant au XIVème siècle. C’est le goût « capétien » qui est de mise et s’impose progressivement à l’ensemble de l’édifice. Ces reconstructions et modifications se justifient souvent par un mécénat royal. Louis IX et Blanche de Castille jouent un rôle majeur, particulièrement pour les sites de Longpont et de Royaumont (déambulatoire à chapelles rayonnantes saillantes) [Fig. 947 et 948]. L’abbatiale de Savigny fait également l’objet d’une reconstruction à partir de 1173. Le chœur est achevé dans les années 1200 et consacré en 1220. Il s’agit d’un chevet ample dont l’abside est munie d’un déambulatoire à chapelles rayonnantes, inspiré du nouveau chœur de Clairvaux. Ce type de plan convient parfaitement aux abbayes acceptant des reliques (ce qui n’est généralement pas le cas à Cîteaux) mais aussi aux monastères dont le nombre de moines augmente considérablement, nécessitant ainsi une multiplication des autels. Ces choix peuvent aussi s’expliquer par une volonté de surenchère, une émulation collective entre les filles de Cîteaux. Pour Lindy GRANT « it is impossible to believe that there was no element of deliberate emulation, of competition, however amicable, behind this artburst of construction »2271. 2270 P. PLAGNIEUX, « L’architecture cistercienne » dans L’Architecture religieuse médiévale. Art roman et art gothique, une nouvelle vision, Dossiers d’Archéologie, n°319, janvier-février 2007, p. 81-91. 2271 L. GRANT, « Savigny and its Saints », dans T. N. KINDER, (dir.), Perspectives for an Architecture of solitude. Essays on Cistercians, Art and Architecture in Honour of Peter Fergusson, Brépols, Cîteaux, 2004, p. 109-114. - 848 - Les formes du gothique rayonnant s’introduisent progressivement dans les abbatiales cisterciennes du Nord de la France tel à Longpont (com. Longpont, Aisne)2272. Le déambulatoire à chapelles rayonnantes n’est cependant pas propre aux abbatiales du nord de la France. En effet, l’abbaye de Valmagne (com. Villeveyrac, Hérault) est dotée dans les années 1250 d’un chœur à déambulatoire et chapelles rayonnantes [Fig. 954]. Le plan et l’élévation évoquent la cathédrale de Clermont (1248) qui aurait pu servir de modèle, ainsi que Longpont et Royaumont. Certaines abbatiales anglaises optent aussi pour le déambulatoire à chapelles rayonnantes. C’est le cas de l’abbaye de Westminster dont l’abside principale à pans est ceinte de cinq chapelles rayonnantes. En Angleterre, il n’existe alors qu’un seul précédent de ce type de plan au XIIIème siècle : il s’agit de l’abbaye cistercienne de Beaulieu2273. Le diocèse de Limoges ne reste pas étranger à ces mutations. Dès le XIème siècle est expérimentée à Uzerche une « formule d’avenir ». Un chœur en abside, ceinte d’un déambulatoire à cinq chapelles rayonnantes de plan légèrement outrepassé, est mis en œuvre. Dès le premier tiers du XIIème siècle, le déambulatoire à chapelles rayonnantes est choisi à Beaulieu, à Saint-Léonard de Noblat probablement au milieu du XIIème siècle. L’abbatiale de Déols en Berry, proche des abbayes cisterciennes des Pierres ou de Varennes opte également pour un chœur dont l’abside est munie d’un déambulatoire à sept chapelles rayonnantes [Fig. 923]. Le chevet à déambulatoire et chapelles rayonnantes est choisi à Saint-Martial de Limoges. Un certain nombre d’éléments rapprochent Saint-Martial d’autres églises de pèlerinage telles Saint-Sernin de Toulouse, Saint-Jacques de Compostelle, Saint-Martin de Tours et Sainte-Foy de Conques : la présence de cinq chapelles rayonnantes desservies par un déambulatoire, une chapelle axiale aux dimensions amplifiées, des tribunes continues entre nef et transept, le recours à des tracés en plein-cintre et enfin la présence d’une puissante tour de croisée. Pour Claude ANDRAULT-SCHMITT, ce choix architectural est bien l’expression d’un pouvoir fort mais pas systématiquement capétien. Il peut être comtal ou ducal, comme nous l’avions signalé concernant la Trinité de Vendôme fondée par Geoffroy Martel. Ainsi il ne faudrait pas « associer la forme [déambulatoire] au caractère « capétien » de ces chantiers (Clermont, Chartres) sous le prétexte que l’abbaye est « royale » : elle l’est depuis les souverains carolingiens et c’est ensuite le duc qui détient la puissance tutélaire invoquée »2274. 2272 M. UNTERMANN, op. cit., p. 164. L. GRODECKI, Architecture gothique, Paris, 1979, p. 192-250. 2274 C. ANDRAULT-SCHMITT, « L’architecture de la grande église en questions », dans C. ANDRAULTSCHMITT (dir.), Saint-Martial de Limoges…, op. cit., p. 219-239. 2273 - 849 - Claude ANDRAULT-SCHMITT constate au XIIIème siècle un « effacement relatif du rôle des évêques dans la mode « capétienne » du gothique au profit d’un engagement des commanditaires monastiques » tels les cisterciens en Poitou ou les clunisiens en Limousin2275. Les cisterciens en Limousin semblent en effet beaucoup plus sensibles à un gothique Plantagenêt. L’abside cernée d’un déambulatoire à chapelles rayonnantes est toutefois peu choisie au XIIIème siècle puisqu’elle n’est jamais requise pour les églises rurales, « églisesgranges » et chapelles hospitalières qui constituent majoritairement le paysage architectural des années 1200. La cathédrale Saint-Étienne de Limoges opte également pour un chevet en abside dotée d’un déambulatoire à cinq chapelles rayonnantes polygonales. Cette cathédrale « à la française » est amorcée en 1272 à l’initiative d’Aimeric de la Serre. L’évêque est alors étroitement lié à la couronne de France, bien que le Traité de Paris ait restitué le Limousin aux Plantagenêts2276. Le chevet de Saint-Étienne présente un étagement à triforium aveugle et clair-étage comme à la cathédrale de Chartres. Les chapelles sont jointives. Des contreforts servent de points d’appui aux arcs-boutants, disposition adoptée dès les années 1200 dans le nord de la France. Les moines cisterciens du diocèse de Limoges et de ses marges ne choisissent pas le déambulatoire à chapelles rayonnantes et semblent ainsi réticents à certaines caractéristiques du gothique français. La même constatation peut s’appliquer au proche diocèse de Clermont où seule l’abbaye de Montpeyroux (com. Puyguillaume, Puy-de-Dôme) opte pour ce type de plan et se rattache ainsi aux espaces capétiens. Les moines blancs semblent opter pour des plans et élévation « Plantagenêts » : nef unique sobre, chevet plat, triplet de baies, murs épais et nus sont de mise. Toutefois, qu’en est-il des décors et éléments de mobilier ?  Décors et formulations « à la Française » : Outre le choix de chevet à déambulatoire et chapelles rayonnantes, d’autres indices sont révélateurs de la présence capétienne et de l’introduction progressive d’un gothique français dans les espaces Plantagenêts suite à l’affaiblissement du pouvoir des rois anglais. L’introduction d’une architecture septentrionale dans le second quart du XIIIème siècle se caractérise par le recours à des baies rayonnantes en Aquitaine. C’est le cas plus particulièrement de l’abbaye cistercienne de Valence en Poitou (com. Couhé, Vienne) entièrement construite « à la Française ». Claude ANDRAULT-SCHMITT fait état de traits 2275 C. ANDRAULT-SCHMITT, « Les heures de gloire de l’abbaye médiévale », dans C. ANDRAULTSCHMITT (dir.), Saint-Martial de Limoges…, op. cit., p. 13-22. 2276 C. ANDRAULT-SCHMITT, Limousin gothique…, op. cit., p. 21 et 47 à 51. - 850 - communs entre le chantier de Royaumont contemporain de celui de l’abbaye cistercienne de Valence fondée en 12272277. Elle constate que le réfectoire voûté d’ogives quadripartites ne dispose pas de liernes comme dans les espaces Plantagenêts. Les ogives retombent sur des tailloirs polygonaux et des chapiteaux à crochets végétaux. Les clés de voûtes sont formées de roues de feuillages et s’apparentent ainsi étroitement à celles du réfectoire de Royaumont. De même, les annexes occidentales du transept, également présentes à l’abbatiale de Dalon, sont relativement rares et font référence aux formulations des édifices les plus vastes de l’ordre cistercien, surtout situés en France septentrionale. Ces créations artistiques traduisent l’ambition du fondateur, Hugues de Lusignan. Ce « goût septentrional » pourrait être interprété comme une preuve de son rattachement à la France capétienne dans ce second tiers du XIIIème siècle et montre d’étroites parentés avec la cathédrale de Laon. Dans le second quart du XIIIème siècle, des motifs rayonnants sont adoptés à la cathédrale de Poitiers et Saint-Jean d’Angély. De même concernant l’abbatiale cistercienne du Vignogoul (com. Pignan, Hérault). Dans le diocèse de Limoges, Saint-Martial peut être envisagée comme l’un des principaux témoins de l’introduction du gothique français dans les régions de l’ouest et du sud de la France, bien que les baies rayonnantes y restent relativement rares, excepté à la cathédrale Saint-Étienne de Limoges. En effet, Limoges pourrait être un relais dans la diffusion de certaines novations gothiques en direction du sud de la France. De même concernant les abbayes cisterciennes acceptant des formules capétiennes comme aux salles capitulaires de Flaran, L’Escale-Dieu et Berdoues (com. Berdoues, Gers). À la fin des années 1220, l’abbaye Saint-Martial prête serment d’allégeance au roi de France, ce qui ne manquera pas de trouver des échos en architecture. Les partis privilégiés à Saint-Martial peuvent certes se justifier par ce rapprochement de la couronne française mais aussi peut-être par la diffusion de modèles au sein des monastères clunisiens (similitudes avec Saint-Martin-des-Champs), ce qui paraîtrait toutefois étonnant à propos de Saint-Martial au vu des réticences exprimées lors du rattachement à l’ordre clunisien. L’abbatiale clunisienne de Déols tisse également des liens particuliers avec la couronne française et adopte un certain nombre de formulations capétiennes. C’est ainsi qu’au début du XIIIème siècle, des arcs-boutants sont ajoutés le long de la façade nord. L’élévation est à trois niveaux comme dans la plupart des cathédrales gothiques du nord de la France. Se succèdent ainsi de grandes arcades à profil brisé, un triforium et des fenêtres hautes. La nef 2277 C. ANDRAULT-SCHMITT, « L’abbaye de Valence et le style gothique des cisterciens » dans Isabelle d’Angoulême, comtesse-reine et son temps (1186-1246), Actes du colloque de Lusignan, 1996, Civilisation Médiévale V, 1999, p. 97-111. - 851 - est voûtée d’ogives, contrebutée par des collatéraux voûtés d’arêtes. Les voûtes retombent sur des piles cruciformes avec des colonnes engagées sur dosserets dont les chapiteaux sont ornés de palmettes, de feuillages ou d’animaux fantastiques [Fig. 991]2278. La cathédrale Saint-Étienne de Limoges est édifiée dans un « goût » capétien. Les voûtes quadripartites aplaties assurent la continuité du vaisseau central. Une des clés de voûte présence une roue de feuillages flanquée de deux têtes, décor déjà usité à Saint-Denis, à la Sainte-Chapelle, à Tours et à Meaux. Les baies présentent des réseaux de lancettes et de roses. Nous pouvons constater la généralisation du filet sur les ogives et les arcs. La scotie disparaît progressivement des bases qui s’éloignent peu à peu du profil classique. Les dimensions de l’édifice restent toutefois modestes par rapport à d’autres cathédrales telle Saint-Just de Narbonne qui s’élève deux fois plus haut. Des points communs peuvent par ailleurs être établis entre les plans et élévations de la cathédrale de Clermont, Limoges et Narbonne édifiées par les Deschamps2279. Outre le choix de déambulatoire à chapelles rayonnantes, les élévations à trois niveaux ou l’introduction des baies rayonnantes, la présence de cloîtres vitrés peut également témoigner de la présence capétienne. Le dépôt lapidaire du cloître de l’abbaye de Varennes a révélé la présence de deux éléments très endommagés disposant sur une face de deux gorges superposées, séparées horizontalement et verticalement par une petite saignée très fine. D’après la saignée, il paraît probable qu’il s’agisse de piédroits de baies destinés à recevoir des vitraux [Fig. 805]. Ce type de cloître est connu dans le nord de la France à Saint-Jean-des-Vignes, SaintLéger de Soissons, à la cathédrale de Laon (début XIIIème siècle), de Langres [Fig. 990]. De même en Berry, le cloître de l’abbaye cistercienne de Noirlac dispose de vitres (dernier quart du XIIIème siècle) comme l’attestent les oculi surmontant les arcades des galeries nord et ouest. En effet, ils présentent des saignées témoignant de la présence d’anciens vitraux, peutêtre en grisaille. Nous avons déjà constaté l’attachement de Noirlac à des formes capétiennes tels les remplages rayonnant du cloître et les arcs-boutants scandant la nef. Les vitraux dans les cloîtres cisterciens sont attestés depuis le second quart du XIIIème siècle, même s’ils restent assez rares. Seules huit abbayes cisterciennes en disposent comme Haina (vers 1240), Heiligenkreuz (1220-1250) ou Altenberg (XVIème siècle). Le même cas de figure pourrait être envisagé à Varennes dans la première moitié du XIIIème siècle. C’est le cas à Saint- 2278 J. HUBERT, « L’abbatiale Notre-Dame de Déols », dans J. HUBERT, Nouveau recueil d’études d’archéologie et d’histoire. De la fin du monde antique au Moyen-Âge, Droz, Paris, Genève, 1985, p. 361-424. 2279 C. ANDRAULT-SCHMITT, Limousin gothique…, op. cit., p. 47-51. - 852 - Martial de Limoges dans le second quart du XIIIème siècle, témoignant de l’introduction d’une architecture septentrionale en Aquitaine.  Le mobilier funéraire en lien avec l’Ile-de-France : Le XIIIème siècle est marqué chez les moines blancs par l’introduction dans les abbatiales de sépultures laïques, souvent les donateurs-fondateurs, qui tendent à transformer les abbatiales cisterciennes en nécropoles familiales. La mise en place de ces tombeaux est l’occasion de doter le monastère d’un certain nombre d’embellissements tels des pavements glaçurés (Prébenoît, Bonlieu) ou des vitraux (Bonlieu). Ainsi, le tombeau d’Étienne d’Obazine est réalisé dans la seconde moitié du XIIIème siècle, vraisemblablement dans les années 1250-1260 [Fig. 992]. Il est placé dans le bras du transept sud. Il est traité à la manière d’une châsse reliquaire. Un gisant repose sur un socle mouluré massif et est surmonté par un toit à deux versants entièrement sculptés2280. Bernadette BARRIÈRE suppose que ce tombeau a été exécuté dans des ateliers d’Ile-de-France. En effet, des ressemblances sont flagrantes avec certaines sépultures du nord de la France. Nous pouvons établir des comparaisons avec les sépultures de la famille de Louis IX à Royaumont et à Maubuisson (1228-1244). Peut-être sont-elles issues des mêmes ateliers parisiens 2281? C’est également le cas du tombeau de Philippe d’Agobert. Il s’agit du premier monument de la famille royale mis en place à Royaumont. Philippe dit d’Agobert est le fils de Louis VIII et le frère cadet de Louis IX (1222-1234). Ce tombeau associe deux formes de sépultures : le gisant et la tombe en forme de coffre. Le coffre est orné d’arcatures en mitre dans lesquelles s’insèrent des ancêtres pleurants, représentés sous la forme de moines et d’anges. Cette œuvre, sans doute réalisée par un sculpteur parisien de la cour est ainsi très proche du tombeau d’Étienne d’Obazine. Dans le courant du XIIIème siècle, les abbayes cisterciennes du diocèse de Limoges se dotent de pavements, parfois en lien avec des inhumations comme dans le chœur de l’abbatiale de Prébenoît (fin XIIIème siècle). Cette constatation vaut pour l’ensemble de l’ordre cistercien où les carreaux de pavement se développent considérablement durant le XIIIème siècle et constituent un exemple flagrant des apports de l’art du nord de la France. Nous pouvons ainsi nuancer l’hypothèse de monastères limousins insérés dans des espaces Plantagenêts au XIIIème siècle par certaines créations artistiques faisant référence aux abbayes septentrionales capétiennes. En effet, les carreaux de pavement retrouvés à Bonlieu, 2280 Pour une description complète, se référer au corpus concernant Obazine. B. BARRIÈRE, « Le tombeau de saint Étienne d’Obazine. Une œuvre française du XIIIème siècle », dans I. DULAC-ROORYCK (dir.), L’Art religieux en Bas-Limousin, Toulouse, 1997, p. 72-85. 2281 - 853 - Bellaigue et Prébenoît font plutôt référence à des artisanats de France du Nord. Ainsi, les carreaux de pavement découverts à Obazine présentent parfois des motifs géométriques simples à lignes brisées ou entrelacs, décors similaires à ceux des carreaux de pavement du château du Louvre (mi XIIIème siècle) [Fig. 529]2282. Les abbayes de Cîteaux, Pontigny, Maubuisson en disposent et Magali ORGEUR atteste à ce propos l’existence d’ateliers « parisiens » circulant dans la moitié sud de la France, d’où la pénétration de certains motifs décoratifs et de techniques dans les monastères aquitains et méridionaux2283. En effet, des carreaux de faïence ont ainsi été découverts dans des sites cisterciens du sud de la France tels Flaran (com. Valence-sur-Baïse, Gers), L’Escaledieu (com. Bonnemazon, Hautes-Pyrénées) et Bonnefont-en-Comminges (com. Proupiary, HauteGaronne). Des réalisations similaires se rencontrent dans un cadre civil comme au château de l’archevêque d’Auch à Mazères. Pour Edouard NORTON, ces réalisations relèveraient d’un même atelier ayant produit à la fin du XIIIème siècle et au début du XIVème siècle. Il met en lumière l’alliance étroite « d’une conception artistique audacieuse, calculée à l’avance et de techniques rares d’exécution » permettant d’exalter le propriétaire des lieux. Ce dernier fait systématiquement représenter ses armoiries et emblèmes. Les pavements peuvent ainsi être considérés comme une forme d’expression du pouvoir. Pour l’auteur « La simple présence de la faïence en tant que nouveauté rare et matériau de luxe a pu suffire à la manifestation du pouvoir »2284. Le motif de la fleur-de-lys est souvent considéré comme le symbole de la dynastie capétienne. Il se développe surtout au milieu du XIIème siècle et trouve également sa place au sein des créations cisterciennes aquitaines. Certains carreaux de pavement découverts à Obazine et datés des XIIIème-XIVème siècles en présentent. Un carreau de l’abbatiale de Bonlieu est orné d’une double fleur-de-lys florencée [Fig. 166]2285. Les échanges entre le diocèse de Limoges et l’Ile-de-France se sont toutefois développés dans les deux sens. Ainsi, l’œuvre de Limoges s’est particulièrement diffusée en France du nord. Cette production d’émaux correspond à une demande accrue de mobilier liturgique dès le milieu du XIIème siècle. En 1215, lors du concile de Latran IV, le Pape Innocent III recommande officiellement le recours à l’œuvre de Limoges pour les vases sacrés 2282 2283 P. CONTE dans B. BARRIÈRE (dir.), Moines en Limousin…, op. cit., p. 76. M. ORGEUR, Les carreaux de pavement des abbayes cisterciennes en Bourgogne…, op. cit., vol I, 2004, p. 89. 2284 C. NORTON, « De l’Aquitaine à l’Artois : carreaux stannifères et carreaux plombifères des XIIIème et XIVème siècles en France », dans Images du pouvoir…, op. cit., p. 34-48. 2285 P. CONTE, op. cit., p. 77. - 854 - contenant l’eucharistie. Se met alors en place une réelle production en série de croix, chandeliers, burettes, encensoirs, navettes et reliquaires, de même qu’un mobilier funéraire à décor héraldique, des sépultures de laïques et d’ecclésiastiques. Cette diffusion de l’œuvre de Limoges se fait principalement par le biais des ordres monastiques. En effet, aux XIIème et XIIIème siècles, les commanditaires ayant les moyens de financer de tels objets sont les chanoines augustins, les cisterciens, templiers et grandmontains. Ainsi, quatre abbayes cisterciennes de fondation capétienne se dotent d’émaux limousins remarquables dans la première moitié du XIIIème siècle. Il s’agit des abbayes du Lys (com. Dammarie-lès-Lys, Seine-et-Marne), de Chaalis (com. Fontaine-Chaalis, Oise), de Preuilly (com. Égligny, Seineet-Marne) et de Royaumont (com. Asnières-sur-Oise, Val D’Oise). Nous pouvons ainsi citer à titre d’exemples un coffret reliquaire de saint Louis offert aux moines du Lys, une crosse découverte à Chaalis, la crosse de l’évêque Jean de Chanlay († 1294) déposée dans le chœur de Preuilly ou encore les deux tombeaux des enfants de saint Louis, Jean († 1243) et Blanche († 1248) à Royaumont (aujourd’hui conservés à Saint-Denis). Nous pouvons également supposer que des émaux avaient été commandés pour la celle grandmontaine de Vincennes2286. Ainsi, les abbayes cisterciennes du diocèse de Limoges et de ses marges semblent hésiter entre Plantagenêts et Capétiens. Entre les années 1150 et 1200, elles paraissent se tourner vers des solutions aquitaines et anglaises comme en témoignent les partis architecturaux et la mise en œuvre. Certaines traditions romanes des pays d’Ouest sont tenaces (coupoles, nef unique) tandis que les novations gothiques introduites sont souvent issues d’un gothique Plantagenêt (voûtes à liernes à Coyroux, ogives au profil aminci en amande). La mise en œuvre de ces abbatiales du saltus est souvent faite à l’économie, qu’il s’agisse du choix de volumes simples et trapus, de murs épais et nus, de décors sobres et dépouillés. Ces choix peuvent être en lien avec un système économique particulier tourné vers l’assainissement des sols, l’hydraulique, l’élevage et la culture céréalière nécessaire à l’autonomie des moines, priorité absolue pour le développement et la subsistance de la communauté naissante. La majorité des revenus des moines devait être engloutie dans cette mise en valeur des terres. Ce n’est que dans le courant du XIIIème siècle que les mutations économiques et le passage à une économie de surplus va permettre l’introduction de créations artistiques nouvelles : carreaux de pavement décorés (Dalon, Bonlieu, Obazine, Prébenoît), tombeaux monumentaux (Prébenoît, Obazine), cloîtres vitrés (Varennes ?) en référence à un 2286 G. FRANÇOIS, « La diffusion de l’œuvre de Limoges en Ile-de-France », dans L’Ile-de-France médiévale, T II, Paris, 2001, p. 70-75. - 855 - art d’Ile-de-France. Ces embellissements interviennent parallèlement à la mainmise progressive des capétiens sur l’Aquitaine et le Limousin en particulier. Ainsi, les chantiers de Saint-Martial, de la cathédrale Saint-Étienne et les abbatiales cisterciennes ont pu constituer des relais pour les rois français vers l’Aquitaine et le sud de la France. La présence de ces carreaux de pavements décorés, de ces embellissements va faire naître un certain nombre de réprimandes de la part du Chapitre Général de l’ordre de Cîteaux, et nombre d’abbés seront régulièrement sanctionnés pour leurs manquements à la Règle, qu’il s’agisse des décors trop somptueux, mais aussi des inhumations de seigneurs laïcs, de plus en plus fréquentes malgré les interdits de l’ordre. L’austérité est définie comme règle depuis Bernard de CLAIRVAUX mais ne semble pas être appliquée par tous les monastères et subit immanquablement des adaptations et entorses, souvent encouragées par des relations étroites avec les communautés laïques. Il semble nécessaire ici de faire un point sur les rapports entre Cîteaux et l’image, de mettre en lumière les oscillations entre austérité revendiquée et décors progressivement intégrés, et les abbayes du diocèse de Limoges constituent là encore un témoin essentiel de ces hésitations. Malgré la ruine d’un certain nombre d’édifices, l’historien de l’art et l’archéologue peuvent appréhender quelques sculptures – en place ou déposées –, des carreaux de pavement retrouvés lors de fouilles archéologiques ou de prospections, des vestiges de peintures encore observables sur les parements ou sur certains éléments lapidaires, autant de témoins des décors cisterciens qui posent la question de choix artistiques austères où la figure, certes timide, s’accorde toutefois quelques incursions. Si des études stylistiques ont pu être proposées sur ces décors sculptés et peints des abbatiales cisterciennes du diocèse de Limoges2287, ils sont plus rarement replacés dans le cadre général du débat sur l’image – certes ravivé par Bernard de CLAIRVAUX au XIIème siècle – mais qui remonte bien au-delà, dès les premiers temps de la Chrétienté. 2287 Nous renvoyons ici aux nombreux articles et ouvrages publiés par Claude ANDRAULT-SCHMITT, listés en bibliographie en fin de volume. - 856 - C. Aniconisme ou austérité : des choix esthétiques délibérés : Dans un cadre grégorien, la question de l’image peinte et sculptée est de nouveau posée. Elle est largement investie par les moines clunisiens qui y voient un moyen d’honorer Dieu. Les églises richement ornées se doivent d’être un reflet de la Jérusalem Céleste. Quant aux évêques, ils prônent l’image comme vecteur d’émotion chez le fidèle, souvent illettré. Les nouveaux ordres nés du mouvement de réforme monastique et canoniale du XIème siècle réagissent différemment face à l’image. Les cisterciens, désireux de marquer leur différence face aux clunisiens, rejettent tout luxe, qu’il s’agisse de peintures, de sculptures historiées et figurées, de vitraux ou enluminures trop colorés. L’image fait donc de nouveau débat, quatre siècles après le fameux concile de Nicée II. a. Les cisterciens face à l’art : L’image est très présente dans les écrits cisterciens, même si la vision des moines blancs est bien souvent négative, voire dévalorisante. Elle est fréquemment au cœur des débats opposant clunisiens et cisterciens, moines grégoriens et ordres austères. Décriée par saint Bernard, héritier de pensées carolingiennes aniconiques, acceptée à Fontevrault et Prémontré, l’image ne fait pas l’unanimité au sein des mouvements à vocation érémitique, ni auprès des moines blancs. 1. L’Apologie. Émules et controverses : L’Apologie à Guillaume de Saint-Thierry, même s’il s’agit d’un texte essentiel à l’étude de l’ordre de Cîteaux, ne doit pas conduire à l’affirmation d’un « iconoclasme » cistercien généralisé. Il paraît nécessaire pour l’étude des créations artistiques des moines cisterciens en Limousin de préciser la place de l’image dans ce cadre monastique sensiblement proche des carolingiens, étroitement lié à un milieu aristocratique tendant à l’aniconisme. Pour ce faire, il est important de s’attarder sur un certain nombre d’écrits carolingiens ou grégoriens permettant de mieux comprendre la vision de Bernard de CLAIRVAUX, de ses émules et détracteurs, qui ne saurait être appréhendée et approfondie sans une connaissance sérieuse des théories de l’image l’ayant précédé. Cette analyse est bien sûr redevable à de nombreuses études sur l’image et le culte publiées pour l’essentiel à partir des années 80, dans lesquelles les moines cisterciens ont souvent leur place. Le statut de l’image sculptée et peinte dans les édifices religieux de la Chrétienté a fait l’objet de fervents débats chez les historiens et les historiens de l’art. À la fin - 857 - des années 1980, François BOESPFLUG codirige avec Nicolas LOSSKY un ouvrage sur le concile de Nicée II, permettant de souligner l’impact du concile sur les créations artistiques byzantines ou occidentales, de mesurer le retentissement de cette réhabilitation de l’image suite à la première crise iconoclaste, de réévaluer les difficultés à imposer l’image dans un contexte carolingien. Ils précisent par ailleurs que les milieux aristocratiques et impériaux sont sensiblement plus iconoclastes que des évêques ayant en charge l’éducation des foules, quelques moines et les fidèles majoritairement attachés aux icônes2288. Ces questionnements sont en partie repris et réévalués concernant l’ancien diocèse de Clermont par Bruno PHALIP dans son ouvrage Art roman, culture et société en Auvergne, puis plus récemment dans son mémoire d’Habilitation à Diriger des Recherches. Il s’interroge sur la persistance de pensées iconoclastes dans certains milieux aristocratiques, nobles (familles comtales) et lettrés, tandis que les sanctuaires proches de l’évêque, ouverts aux fidèles illettrés, développent la figure. En Orient également, ce sont les empereurs et leurs proches, les évêques et certains hauts fonctionnaires de l’armée qui rejettent l’image. Seuls les fidèles, quelques moines et évêques recourent à la figure2289. L’image reste suspecte pour un public exigeant et lettré. Les émotions que font naître certaines sculptures ou peintures sont jugées superflues, voire dangereuse et suscitent la méfiance des milieux aristocratiques et conservateurs, proches des traditions carolingiennes de refus de l’image. À l’inverse, le clergé loin des cours serait plutôt favorable à l’image car proche du peuple et soumis à des nécessités pastorales. Nous avons eu par ailleurs l’occasion de démontrer les liens étroits entre cisterciens et aristocratie, qu’il s’agisse du recrutement, des donations et inhumations. Les moines blancs pourraient être assimilés à ces marginaux choisissant une foi « expurgée », retirés au désert pour mieux approcher Dieu et n’ayant nul besoin des images des humbles. Les nobles à tendance aniconique trouvent ainsi de puissants relais dans ces monastères dépouillés et où l’image tridimensionnelle peine à s’épanouir. Des tentatives de synthèse vont succéder à l’étude majeure de François BOESPFLUG et Nicolas LOSSKY, tels les ouvrages d’Hélène TOUBERT s’attachant plus particulièrement à l’impact de la réforme grégorienne sur les productions artistiques du XIème siècle à travers un certain nombre d’analyses de programmes iconographiques, de Jean WIRTH reprenant très précisément les principaux textes sur l’image, de la Bible des Illettrés de Grégoire le GRAND aux Libri Carolini jusqu’à la réforme grégorienne et aux ordres ascétiques du XIIème et du 2288 F. BOESPFLUG, N. LOSSKY, Nicée II, 787-1987, douze siècles d’images religieuses, Paris, 1987. B. PHALIP, Des terres médiévales en friche…, op. cit., volume I (synthèse), p. 65 ; B. PHALIP, Art roman, culture et société en Auvergne. La sculpture à l’épreuve de la dévotion populaire et des interprétations savantes, publications de la Faculté des Lettres et Sciences humaines de Clermont-Ferrand, 1997, p. 138 et 141. 2289 - 858 - XIIIème siècles. À cela s’ajoute l’analyse magistrale d’Hans BELTING sur les images et les icônes où d’autres textes sont savamment décortiqués afin de mieux comprendre le rôle joué par l’image dans les cultes chrétiens2290. Plus récemment s’est formé un groupe de recherche travaillant à la Morphogenèse de l’espace ecclésial (ACR regroupant des chercheurs des universités de Clermont II, Lyon II Genève, Paris I, des archéologues de l’INRAP). Cette ACR est dirigée par Anne BAUD, professeur à l’université de Lyon II, rattachée à l’UMR 5138. Une première conclusion de ces recherches a été exposée lors d’un colloque international tenu à Nantua (Ain) les 23, 24 et 25 novembre 2006. Une publication est en préparation dans les Documents de la Maison de l’Orient. Sous l’intitulé « Espace et liturgie. Organisation de l’espace ecclésial au MoyenÂge » se sont ainsi regroupés historiens, historiens d’art, archéologues se proposant d’intégrer plus clairement la liturgie à leurs études, où bien sûr le statut de l’image fait débat. La connaissance de certaines pratiques liturgiques (barrières de chœur, chancel) peut permettre d’améliorer, de préciser la compréhension de nombreux programmes iconographiques. D’où la nécessité de ces recherches ayant donné naissance à l’ouvrage Espaces figurés médiévaux. L’espace ecclésial, les aménagements liturgiques et la question iconographique. Une partie entière est d’ailleurs consacrée aux clercs, aux laïcs et à la réception de l’image dans l’Église, source d’inspiration indéniable à la présente étude2291. Le rôle de l’image au sein de l’Église chrétienne se révèle problématique et fait l’objet de nombreux débats, ravivés dans le cadre de la réforme grégorienne dans la seconde moitié du XIème siècle. Ces difficultés liées à la représentation sculptée et peinte ne sont pas une nouveauté et trouvent leurs origines dès la période antique. Le culte chrétien n’était pas centré sur une image mais sur la mensa, la table du sacrifice. L’image cultuelle est alors réprouvée car considérée comme l’expression du culte païen des idoles 2292. L’iconoclasme peut être défini comme la réplique quasi spontanée des monothéismes à la matérialisation du sacré et à ses compromissions avec le vocabulaire visuel du polythéisme. L’Islam orthodoxe maintient l’aniconisme dans ses mosquées, de même dans les synagogues juives. La reconnaissance du caractère sacré de l’image de l’empereur est intégrée dans l’État au IVème siècle. Elle 2290 H. TOUBERT, Un art dirigé. Réforme Grégorienne et iconographie, Paris, Cerf, 1990 ; J. WIRTH, L’image à l’époque romane, Paris, Ed. Cerf, 1999 ; C. DUPEUX, P. JEZLER, J. WIRTH (dir.), Iconoclasme. Vie et mort de l’image médiévale, Berne, 2001 ; H. BELTING, Image et culte. Une histoire de l’art avant l’époque de l’art, Paris, 1998. 2291 UMR 5138, « Morphogénèse de l’espace ecclésial », dir. A. BAUD, Maison de l’Orient Méditerranéen, Lyon II, à paraître. La partie « Espaces figurés » est sous la direction de Bruno PHALIP. 2292 H. BELTING, Image et culte…, op. cit., p. 193. - 859 - familiarise l’Église avec la notion de portrait de culte, de l’icône du Christ ou des saints. De plus, la survivance de comportements païens conduit à l’acceptation progressive de l’image. Au VIIème siècle, l’icône est entrée dans les mœurs chrétiennes de Byzance 2293. Plusieurs « crises iconoclastes » se sont amorcées, tel en Orient en 727, à laquelle répond le concile de Nicée II en 787 visant à réhabiliter l’image. Il semblerait que cette résistance à l’art provienne de milieux exigeants, lettrés, tandis que l’image est acceptée par la communauté, le « peuple charnel » cité par Bernard de CLAIRVAUX. Les principaux acteurs de ce refus catégorique de l’image sont les cours comme celle de Charlemagne, puis certains ordres nouveaux tels les cisterciens – principalement recrutés dans la noblesse – et les ordres mendiants au XIIIème siècle2294. Nous verrons toutefois que le rapport à l’image chez les cisterciens n’est pas aussi radical et uniforme qu’il n’y paraît et certains auteurs se montrent en réalité plus modérés que Bernard de CLAIRVAUX. Suite à la réforme grégorienne, l’image tend à être revalorisée par des évêques soucieux de l’éducation des fidèles, comme en témoignent les complexes programmes iconographiques sculptés et peints de nombreuses cathédrales ou églises liées à l’évêque. Dans le diocèse de Clermont, le Val d’Allier illustre parfaitement cette tendance à l’invasion de l’image (chapiteaux du chœur et portail d’entrée de Notre-Dame du Port, chœurs de SaintNectaire et Saint-Austremoine d’Issoire). Cette réhabilitation de l’image est relayée par les moines clunisiens, fervents soutiens de la réforme grégorienne, qui livrent dans le diocèse de Limoges le portail d’entrée de l’abbatiale de Beaulieu ou les sculptures exubérantes de Vigeois, pour ne citer que ces deux exemples édifiants. Les mouvements à vocation érémitique tels Cîteaux, Grandmont ou la Chartreuse se montrent par ailleurs plus réticents face au recours à l’image sculptée ou peinte, et réactivent ainsi avec verve les interrogations suscitées par Nicée II. Pour réfuter l’image, ils s’appuient généralement sur des textes bibliques, issus de l’Ancien Testament, dont l’interdit du Décalogue est le plus fréquemment invoqué « Tu ne feras point d’image taillée, ni de représentation quelconque des choses qui sont en haut dans les cieux, qui sont en bas sur la terre, et qui sont dans les eaux plus bas que la terre. Tu ne te prosterneras point devant elles, et tu ne les serviras point2295. » Les Psaumes réitèrent à maintes reprises cette méfiance envers l’image sculptée, les 2293 Encyclopedia Universalis, corpus 9. H. TOUBERT, Un art dirigé…, op. cit., p. 20. 2295 Exode, 20 § 3-5, Décalogue. 2294 - 860 - idoles païennes qui ne sauraient être une représentation de Dieu sur terre, ne peuvent écouter et sauver. « Honte aux servants des idoles, eux qui se vantent de vanités ; prosternez-vous devant lui, tous les dieux2296. (…) Les idoles des païens, en or et argent, une œuvre de la main de l’homme ; elles ont une bouche et ne parlent pas, elles ont des yeux et ne voient pas. Elles ont des oreilles et n’entendent pas, pas le moindre souffle en leur bouche. Comme elles seront ceux qui les firent, quiconque met en elles sa foi2297. (…)N’allez pas prévariquer et vous faire une image sculptée représentant quoique ce soit : figure d’homme ou de femme2298 ». L’interdit de représenter des images n’aura de cesse d’être rappelé et les crises « iconoclastes » sont fréquentes dans la Chrétienté. Dès 306 a lieu le synode d’Elvire dont le canon 36 proclame : « Ne picturae in ecclesia fiant. Placuit pictures in ecclesia esse non debere, ne quod colitur et adoratur in parietibus depingatur”.2299 Cette interdiction correspond presque mot pour mot aux formulations employées dans les statuts des chapitres généraux de Cîteaux au XIIème siècle proscrivant les images sculptées et peintes. Dans son Histoire des Francs, Grégoire de TOURS (vers 538-594) se montre également très réticent à l’image et n’a de cesse de rappeler les interdits bibliques. Il tourne en dérision ces cultes idolâtres qu’il exècre : « Que sert la statue qu’ils ont sculptée? Ils l’ont fabriquée en la fondant, fantôme mensonger ! Or ce n’est qu’un produit fait d’argent et d’or et dans eux il n’y a aucune âme ; mais le 2296 Psaume 97 § 7. Psaume 134 § 15-19. 2298 Deutéronome, 4 § 16-17. 2299 C. RUDOLPH, “Communal Identity and the earliest Christian Legislation on Art : canon 36 of the Synod of Elvira”, dans T. N. KINDER, (dir.), Perspectives for an Architecture of solitude…, op. cit., p. 1-7. 2297 - 861 - Seigneur habite dans son temple saint ; que toute la terre tremble devant sa face. (...) C’est avec des charbons brûlants et des marteaux qu’un les a forgés et c’est à la force du bras qu’un autre a travaillé. De même l’artisan menuisier a esquissé son idole avec un compas et a fait la statue d’un personnage ressemblant à un bel homme habitant dans une maison. Il l’a façonné, et il a fait une statue et l’a adorée comme un dieu, il l’a consolidée avec des clous et des marteaux pour qu’elle ne se brise pas en morceaux. Il faut les soulever et les porter parce qu’elles sont incapables de marcher.»2300 À cette vision très négative de l’image, relayant l’interdit du Décalogue, s’oppose certains iconophiles, défenseurs de l’image sculptée et peinte qui y voient un moyen d’éducation des fidèles illettrés, idée que les papes, évêques et moines grégoriens reprendront fréquemment à leur compte. Le pape Grégoire le GRAND s’oppose ainsi avec verve aux commandements du Décalogue lorsqu’il écrit à son évêque Sérénus de Marseille (600-602). En effet, ce dernier avait brisé et jeté des images, suscitant l’opprobre du pape qui lui envoie deux lettres. Il s’exprime en ces termes : « Nous te louons d’avoir empêché qu’on adore les images. Nous te blâmons de les avoir détruites. Autre chose est d’adorer une peinture. Autre chose d’enseigner par la peinture ce qu’il faut adorer (...). L’art de la peinture est utilisé dans les églises pour que ceux qui ne savent pas lire apprennent sur les murs ce qu’ils ne peuvent apprendre dans les livres. »2301 L’image ne devrait donc pas être détruite puisqu’elle sert aux fidèles qui ne savent pas lire. Ce « pamphlet » de Grégoire le GRAND va nourrir et inspirer les thèses iconophiles, relayées par les moines clunisiens aux XIIème et XIIIème siècles, couvrant leurs édifices de programmes iconographiques complexes à la fois destinés aux foules de fidèles (portails 2300 Grégoire de TOURS, Histoire des Francs, trad. R. Latouche, Les Belles Lettres, Paris, 2 vols, 1975. « Pictura in ecclesiis adhibitur ut hi qui litteras nesciunt saltem in parietibus videndo legant quae legere in codicibus non valent ». Grégoire I, « Registri », IX, 208, M.G.H., Epistolae, T II, p. 195. 2301 - 862 - occidentaux) et aux moines lettrés (cloîtres). La Bible présente d’ailleurs sans équivoque le décor figuratif du Temple de Salomon. Il faudrait ainsi distinguer adoration d’une image et enseignement par l’image, ce qui ne saurait être répréhensible. Cette idée d’une Bible des Illettrés représentée sur les murs des églises et sur les chapiteaux recevant les voûtes est relayée par Bède Le VÉNÉRABLE (673-735). Celui-ci est un moine anglais de l’abbaye de Jarrow, auteur du De Templo Salomis Liber. Pour lui, il est salutaire d’accepter un art bidimensionnel aux vertus thaumaturgiques. Il accepte les peintures mais ne fait pas état des sculptures. Il semblerait que l’image sculptée soit souvent plus difficile à accepter, ce que nous pouvons également constater à Cîteaux. En effet, si les chapiteaux y sont le plus souvent nus ou feuillagés, les culots ornés de motifs géométriques, les carreaux de pavement acceptent parfois l’image, particulièrement dans la seconde moitié du XIIIème siècle2302. Grâce à l’image, la mémoire des évènements bibliques telle la Passion du Christ est conservée. Elle permet aux illettrés la connaissance de la Bible et suscite ainsi la conversion. À l’inverse, pour Jean DAMASCÈNE, théoricien des images (680-749), il est nécessaire de se préoccuper du pouvoir de l’image sur le spectateur inculte puisque celui-ci peut être amené à confondre le contenu et le contenant. Pour lui, « L’image est une similitude reproduisant le prototype de façon à ce qu’il reste toujours une différence entre eux. » C’est cette incontournable différence qui pose problème aux iconoclastes2303. En 726, l’empereur Léon III fait détruire l’image du Christ ornant les portes de son palais, donnant le signale d’une nouvelle poussée d’iconoclasme, proclamé doctrine officielle en 7302304. Quarante ans plus tard, le concile de Nicée II tente de défendre les images à la suite de Grégoire le GRAND, ce en réponse à la crise iconoclaste amorcée en Orient en 727. Le pouvoir thaumaturge des œuvres peintes est mis en lumière tandis que la possibilité de représenter le Christ ainsi que les saints est affirmée. La pratique d’offrir un culte aux icônes remonte d’ailleurs aux origines du christianisme. Un nouvel essor est ainsi donné au culte des saints2305. Les représentations peuvent aider à la conversion, à se rapprocher des « modèles 2302 J. WIRTH, L’image à l’époque romane, Paris, Cerf, 1999, p. 28 et 30. H. BELTING, Image et culte…, op. cit., p. 195. 2304 J. WIRTH, « Faut-il adorer les images ? La théorie du culte des images jusqu’au Concile de Trente », dans C. DUPEUX, P. JEZLER, J. WIRTH (dir.), Iconoclasme. Vie et mort de l’image médiévale, Berne, 2001, p. 28-37. 2305 C. WALTER, « Le souvenir du IIème concile de Nicée dans l’iconographie byzantine », dans F. BOESPFLUG, N. LOSSKY, Nicée II, 787-1987, douze siècles d’images religieuses, Paris, 1987, p. 167-183. 2303 - 863 - originaux » et à leur témoigner une dévotion plus fervente puisque s’appuyant sur une image concrète. Sont ainsi défendues à la fois les peintures, mais aussi les mosaïques et toute autre représentation sculptée ou peinte, bidimensionnelle ou tridimensionnelle. Il est écrit : « Nous définissons en toute certitude et justesse que, comme les représentations de la Croix précieuse et vivifiante, aussi les vénérables et saintes images qu’elles soient peintes, en mosaïque ou de quelque autre matière appropriées, doivent être placées dans les saintes églises de Dieu. (…) plus on regardera ces représentations imagées, plus ceux qui les contempleront seront amenés à se souvenir des modèles originaux, à se porter vers eux, à leur témoigner, en les baisant, une vénération respectueuse sans que ce soit une adoration véritable (…).»2306 L’image conserve ainsi la mémoire des évènements bibliques, suscite le respect du peuple de croyants pour le saint représenté, non pour l’image en tant que telle, et ce sans forcément conduire à une idolâtrie fautive. Les réactions au concile de Nicée ne se font pas attendre de la part des artisans de la réforme carolingienne. Les carolingiens, et particulièrement l’entourage de Charlemagne, issus d’un milieu lettré, tendent à rejeter toute œuvre tridimensionnelle. Certains de leurs arguments consistant à affirmer que les lettrés n’ont nullement besoin d’icônes pour la conversion, vont être relayés au XIIème siècle par des cisterciens réticents à l’image, pour le moins soucieux de se rattacher à l’Église de Rome en se rapprochant d’un cadre carolingien lettré et aniconique. Ainsi en 787, THÉODULPHE, un des protagonistes de cette réforme, écrit : « Si l’on vénère une image avec plus de piété qu’une autre, simplement parce qu’elle est plus belle, on juge de son caractère sacré en fonction du talent de l’artiste. Ceux qui croient vénérer quelque chose de sacré parce qu’ils sont émus par la beauté, se trompent pour ainsi dire sans le savoir, mais ceux qui adorent les tableaux dont la 2306 H. BELTING, Image et culte…, op. cit., p. 677-679. - 864 - difformité offusquent l’art sont inexcusables comme si leur erreur était consciente et volontaire. (...) L’homme peut se sauver sans avoir d’images, il ne le peut sans la connaissance de Dieu. De plus, il est bien malheureux, l’esprit qui, pour se souvenir de la vie du Christ, a besoin du secours des tableaux, de la peinture et qui est incapable de prendre son élan dans sa propre puissance. »2307 Nous ne sommes pas loin des idées de Bernard de CLAIRVAUX affirmant que le moine lettré n’a que faire d’une image qui contribuerait à tromper et distraire son esprit, l’entravant alors dans la connaissance de Dieu. Les moines n’ont nullement besoin d’un intermédiaire avec la divinité qui ne peut être qu’une source de confusion. De même, ALCUIN (735-804), conseiller de Charlemagne, atteste la supériorité de l’écriture sur la représentation peinte. L’image ne permettrait qu’une compréhension superficielle de la divinité, et en cela trompe et trahit la pensée divine tandis que l’écriture peut en envisager le sens profond. Les cisterciens ne privilégient-ils pas également l’écrit, comme le prouvent l’activité et le dynamisme des scriptoria de l’ordre ainsi que les heures de lecture prévues dans le cloître ? « Toi vénère les couleurs superficielles, nous, qui préférons l’écriture, nous pénétrons jusqu’au sens caché. Tu te laisses charmer par des surfaces peintes, nous nous émouvons devant la parole divine. Arrête-toi à l’image trompeuse, sans vie et sans âme, des choses, nous nous élevons à la réalité des valeurs morales et religieuses. Et si, toi, amateur et adorateur d’images, tu nous reproches en murmurant au fond de ton coeur de nous délecter de figures et de tropes, sache qu’en effet, nous éprouvons un plaisir plus vif à nous rassasier de la douceur des lettres que tu ne peux en ressentir en regardant les images. »2308 2307 2308 P. RICHÉ, Les carolingiens, Paris, 1983, p. 331. E. DE BRUYNE, Étude d’esthétique médiévale, vol. I., Bruges, 1946, Paris, 1998, p. 268-269. - 865 - Au concile de Nicée II de 787 répond en 794 le concile de Francfort prenant parti contre les images. Charlemagne réunit ses évêques en synode et fait rédiger sous son contrôle personnel les Libri Carolini, quatre livres probablement rédigés par ALCUIN et THÉODULPHE dont nous avons déjà pu constater ci-dessus les réticences à l’image. Cette théologie carolingienne refuse l’adoration de la chair du Christ2309. Les Libri Carolini condamnent toute pratique de vénération envers une représentation plastique quelle qu’elle soit. Ils admettent toutefois l’utilisation des images dans l’église pour des rôles auxiliaires et excluent ainsi les iconoclastes. Ils envisagent l’usage religieux légitime des images uniquement dans l’édifice cultuel. La vénération des icônes est perçue comme un risque d’extension du culte hors de son lieu propre. Cette position médiane est finalement assez proche de celle adoptée par la suite par Bernard de CLAIRVAUX. Les Libri Carolini affirment la nature purement spirituelle de la foi chrétienne et de la communication avec Dieu. L’idée de la médiation matérielle est contraire à la vraie dévotion chrétienne. Ce qui est spirituel ne saurait transiter par des objets concrets. La médiation par l’image est facteur de confusion et doit être évitée. En effet, il est fait état des risques d’erreurs générés par l’image ne permettant pas systématiquement de reconnaître la scène et les personnages représentés. L’image pourrait être tolérée si elle s’accompagne d’une inscription permettant l’identification de la scène. Là encore, l’écriture est indispensable et supérieure à l’image confuse et trompeuse2310. Il est également précisé que ce n’est pas l’image en tant que telle qui est rejetée, mais plutôt l’adoration des images par des illettrés ne pouvant comprendre ce qui est suggéré. « À l’endroit des images, nous ne blâmons rien, si ce n’est leur adoration ; aussi nous permettrons-nous qu’il y ait des images dans les basiliques des saints, non dans un but d’adoration, mais pour rappeler leurs actions et embellir les murs.»2311 Pour montrer que cette adoration des images est illégitime, les Libri Carolini remarquent qu’on ne les consacre ni en Orient, ni en Occident. D’où leur viendrait dès lors leur sainteté2312? Les Libri Carolini ont aussi des conséquences en architecture. L’édifice n’est 2309 J. WIRTH, « Faut-il adorer les images… », op. cit., p. 28-37. D. IOGNA-PRAT, La maison Dieu, Une histoire monumentale de l’Église au Moyen Âge, Paris, Seuil, 2006, p. 238. 2311 D. MENOZZI, Les images. L’Église et les arts visuels, Paris, 1991, p. 107. 2312 J. WIRTH, L’image à l’époque romane…, op. cit., p. 44. 2310 - 866 - pas conçu comme le lieu d’une présence particulière de Dieu. Il n’est pas spécialement le lieu de la rencontre. Comme tout élément matériel, l’édifice n’est pas saint par nature. L’établissement du lieu de culte dans sa fonction religieuse doit bénéficier d’une autorité spirituelle incontestable2313. Dans le premier tiers du IXème siècle, les réactions aniconiques se poursuivent, comme sous la plume de Claude de TURIN, dit « l’Iconoclaste », chapelain du roi d’Aquitaine Louis le Pieux, qui n’hésite pas à faire détruire les images et les croix dans son diocèse. Il écrit, reprenant l’interdit du Décalogue (vers 825) : « Si le culte des saints est légitime, il l’était bien plus de leur vivant, quand ils étaient à l’image de Dieu, et non pas lorsqu’ils ressemblent à des animaux, ou plutôt à des pierres, ou à du bois, sans vie, sensibilité ni raison. »2314 Vers 1026, un épisode témoigne à la fois de réticences persistantes à l’image, mais aussi de l’impact des Libri Carolini sur certains esprits acceptant timidement une représentation dans la mesure où elle est commentée. En effet, un moine de Marmoutier brise les têtes et les membres de statues du monastère Saint-Florent de Saumur à coups de marteau, réalisées à la demande de l’abbé Robert (985-1011). Ces sculptures étaient peintes, accompagnées de légendes en vers pour une meilleure compréhension et pour éviter toute confusion selon les vœux des Libri Carolini2315. Il s’agissait vraisemblablement de chapiteaux historiés. Ce témoignage montre les dissensions au sein du monde monastique quant au statut de l’image. Décriée par les uns, acceptée par les autres (souvent clunisiens), l’image ne fait pas l’unanimité et la réforme grégorienne à la fin du XIème siècle ne parvient pas à apporter une réponse au conflit. À la même période, entre 1025 et 1027, le synode d’Arras tend à l’acceptation de l’image, capable de conversion. L’idée d’une Bible des Illettrés est une fois de plus défendue. « Ce que les illettrés ne peuvent voir grâce aux signes de l’écriture, ils le regardent grâce aux tracés de la peinture (…). Ce n’est ni la statue ni le démon que j’adore, mais je 2313 X. PAYET, « L’image des lieux de culte dans les Livres Carolins. La question des idées directrices à travers la Renaissance carolingienne en architecture », dans P. BERNARDI, A. HARTMANN-VIRNICH, D. VINGTAIN (dir.), Texte et archéologie monumentale. Approches de l’architecture médiévale, Montagnac, 2005. 2314 F. BOESPFLUG, N. LOSSKY, Nicée II…, op. cit., p. 247. 2315 J. MALLET, L’Art roman de l’ancien Anjou, Paris, Picard, 1984, p. 13 ; 35-36. - 867 - vois dans cette forme corporelle le signe de la réalité que j’adore ». L’adoration des images est ainsi justifiée en théorie. On n’adore pas une image mais ce qu’elle représente2316. Toutefois, nous pouvons apporter une nuance à cette volonté d’éducation des foules. En effet, si l’image a cette vocation pédagogique, comme expliquer la prolifération de l’image dans les cloîtres, pourtant réservés à la communauté monastique ? Les exemples des cloîtres de Moissac et de la Daurade de Toulouse sont en cela significatifs [Fig. 993]. La sculpture figurée n’aurait ainsi pas toujours été en rapport avec une volonté d’enseigner le peuple chrétien. Selon Jean HUBERT, il y aurait en fait deux degrés d’enseignement : un réservé au peuple, un plus savant pour les lettrés. Toutefois, à Moissac, les thèmes les plus simples sont dans le cloître, infirmant cette hypothèse, tandis que le portail d’entrée ouvert aux fidèles témoigne d’intentions théologiques profondes, dépassant largement le contenu d’une prédication ordinaire2317. Avec l’émergence de nouveaux ordres à vocation érémitique, la représentation figurée est de nouveau réévaluée, critiquée, voire rejetée. Pour Jean WIRTH néanmoins, l’ascétisme ne s’accompagne pas nécessairement d’un refus massif des pratiques artistiques. Saint Bernard par exemple doit faire des concessions au luxe ecclésiastique2318. Dans les années 1124-1125, il écrit une Apologie à Guillaume de SAINT-THIERRY, abbé bénédictin proche du cistercien. Il prend clairement position vis-à-vis de l’image. Il n’a de cesse de stigmatiser le luxe des objets cultuels. Les sculptures et peintures sont ainsi prohibées dans les abbatiales cisterciennes. Si l’image est tolérée pour des édifices épiscopaux ayant vocation à l’accueil de fidèles illettrés, les moines lettrés, n’ont aucun besoin de ce support visuel pouvant bien au contraire les entraver dans leur concentration et leur zèle à la prière intérieure. Toutefois, Adrian BREDERO nous alerte sur un certain nombre de clichés concernant l’Apologie. Saint Bernard est en effet fréquemment considéré comme « insensible à la beauté », pouvant être assimilé à un iconoclaste. Or, celui-ci ne réclame néanmoins que la retenue dans l’architecture et le décor des seuls monastères2319. L’art constitue en effet une distraction inutile et dommageable pour les moines. Il peut les empêcher de lire, de méditer sur la loi divine. Son influence fait d’ailleurs cesser la 2316 J. WIRTH, L’image à l’époque romane…, op. cit., p. 41. J. HUBERT, « Le caractère et le but du décor sculpté des églises, d’après les clercs du Moyen-Âge », dans J. HUBERT, Arts et vie…, op. cit., p. 449-510. 2318 J. WIRTH, op. cit., p. 261. 2319 A. H. BREDERO, Bernard de Clairvaux. Culte et histoire. De l’impénétrabilité d’une biographie historique, Turnhout, Brépols, 2003, p. 142. 2317 - 868 - production de manuscrits enluminés dans l’ordre. Il ne condamne toutefois pas l’art en luimême, ni l’image dont il reconnaît la nécessité pour évangéliser les foules, mais refuse son utilisation dans les sanctuaires et cloîtres monastiques par définition fermés aux fidèles. Ainsi, l’image ne pose vraiment problème que dans le cloître ou dans la cellule du moine. Dans les églises accessibles aux laïcs, l’exubérance du décor serait justifiée par la nécessité de les séduire. Il suggère ainsi une foi différente pour les humbles et les savants. L’une a besoin du support des images, l’autre non. La foi du peuple, plus instinctive, nécessite des « ornements sensibles pour exciter la dévotion », à savoir tout ce qui touche aux cinq sens. Il reconnaît néanmoins l’efficacité de la foi des humbles lorsqu’il dit à l’évêque de Havelberg, souffrant (1146-1147), « Si tu as la même foi que les pauvres femmes, elle pourra peut-être te servir ». Selon Bernard de Clairvaux, la foi des gens du peuple est essentielle, sa simplicité et son humilité peuvent obtenir un miracle2320. Même si la « réforme » cistercienne est souvent considérée comme l’une des plus radicales manifestations d’abstinence, et particulièrement dans le domaine artistique, saint Bernard ne peut toutefois être assimilé à un « iconoclaste » puisqu’il reconnaît les vertus de l’image pour les fidèles2321. Il paraît de même très exagéré de considérer les cisterciens comme les initiateurs d’une nouvelle « crise iconoclaste » face aux propos somme toute assez mesurés de Bernard de CLAIRVAUX et d’autres auteurs comme Aelred de RIEVAULX et Guillaume de SAINT-THIERRY. « Vous donnez à vos églises des proportions gigantesques, les décorez avec somptuosité, les faîtes revêtir de peintures qui détournent irrésistiblement sur elles l’attention des fidèles, et n’ont pour effet que d’empêcher le recueillement (...). Un abbé dans son monastère ne peut se permettre d’imiter un évêque. Ce dernier par la nature de sa charge, règne sur un troupeau où tous n’ont pas l’intelligence des choses spirituelles et il est juste qu’il use de moyens aussi matériels pour provoquer la piété d’un peuple charnel (...) tout cela n’a pas plus de valeur que du fumier (...). 2320 B. PHALIP, Art roman, culture et société en Auvergne…, op. cit., p. 67. P. REUTERSWARD, « An overlooked reserve in cistercian iconoclasm », dans S. MICHALSKI (dir.), L’Art et les révolutions. Section 4 : les iconoclasmes, XXVIIème Congrès International d’Histoire de l’Art, Strasbourg, 1989, Strasbourg, 1992, p. 25-35. 2321 - 869 - Que gagnons-nous à la splendeur de nos églises, sinon l’admiration des sots ou les offrandes des simples ? Parce que nous vivons au milieu des peuples, allons-nous les imiter dans toutes leurs oeuvres et, pour parler comme le psaume, nous faire les esclaves de leurs statues? (...). Vous montrez aux ignorants une image resplendissante de saint ou de sainte, et les voilà qui croient d’une foi d’autant plus vive que les couleurs les ont plus frappés! (...) Et que signifient dans les cloîtres, sous les yeux des frères lisant leur bréviaire, ces monstres ridicules, toute cette beauté informe, cette trop belle hideur, ces singes immondes, ces lions féroces, ces centaures, ces êtres à demi humains, ces tigres tachetés, ces scènes de combat et de chasse? On voit ici plusieurs corps pour une seule tête, ailleurs plusieurs têtes sur un même corps ; un quadrupède s’achève en queue de serpent, un poisson dresse une queue de quadrupède... De toute part une luxuriance de formes extraordinaires attire notre attention, nous nous prenons à aimer mieux lire sur le marbre que dans nos livres, nous passons le jour à nous étonner de ces merveilles plutôt qu’à méditer la loi de Dieu (...). Les murs de l’église sont étincelants de richesses et les pauvres sont dans le dénuement! Ses pierres sont couvertes de dorures et ses enfants sont privés de vêtements ; on fait servir le bien des pauvres à des embellissements qui charment le regard des riches. Les dilettantes trouvent à l’église de quoi satisfaire leur curiosité, mais les pauvres n’y trouvent pas de quoi sustenter leur misère (...). Je passe sous silence la hauteur immense des oratoires, la longueur démesurée, les surfaces inutilement vastes, les polissages somptueux, les peintures curieuses qui, en - 870 - détournant vers elles le regard des fidèles en prière, font obstacle à la piété et, en quelque façon, me rappellent l’ancien rite des juifs (...). On offre à la vue quelque très belle image d’un saint ou d’une sainte, et le saint est estimé d’autant plus saint qu’il est mieux colorié. »2322 Cette Apologie est en partie adressée aux moines clunisiens dont l’opulence en ce premier tiers du XIIème siècle se reflète dans certains monuments de grande ampleur (Cluny, Paray-Le-Monial, Souvigny) développant de complexes programmes sculptés, s’étalant à la fois aux portails des églises et sur les chapiteaux des cloîtres (Moissac) pourtant uniquement dévolus aux moines. Il critique ces êtres hybrides qui attirent l’attention et attisent la curiosité, les scènes de chasse et de guerre qui n’ont pour lui rien à faire dans un espace entièrement réservé aux moines (cloître de Moissac, manuscrits de Saint-Martial de Limoges). Il convient toutefois de préciser que toutes les dépendances clunisiennes ne présentent pas de tels programmes et luxes décoratifs. Pour Adrian BREDERO, cette Apologie peut également être envisagée comme une critique sous-jacente des enluminures et miniatures des manuscrits recopiés à Cîteaux sous l’abbatiat d’Étienne Harding. Les plus anciens manuscrits de Cîteaux sont antérieurs à 1113 et à l’arrivée de Bernard à l’abbaye2323. Saint Bernard rappelle aussi aux moines noirs la Règle de Saint Benoît que ceux-ci se devaient de respecter. Le chapitre 66 évoque de manière diffuse et indirecte l’organisation du monastère, décrit comme un organisme autarcique. Il est clairement précisé que tout ce qui n’est pas directement lié à l’oraison et au culte doit être supprimé de l’oratoire2324. Cette idée est réitérée par Benoît d’ANIANE dès le IXème siècle. Ce dernier se montre dans un premier temps très rigoriste, presque « cistercien » avant la Règle. Il décrète qu’il n’y aura dans ses constructions : « (…) ni les murailles ornementées, ni peinture aux voûtes, ni tuiles écarlates, mais bien plutôt, murs en torchis et toits de chaume. Pour consacrer le corps du Christ il ne voulait pas de vases d’argent. Il repoussait de 2322 G. BRUNEL, E. LALOU, Sources d’histoire médiévale (IXe-milieu XIVe s.), Paris, 1992, p. 654-655 ; Bernard de CLAIRVAUX, Apologie, 28-29, Migne, col. 914, traduction de AUBER, 1871, T III, p. 594 et suivantes ; Bernard de CLAIRVAUX, Écrits sur l’art, Paléo, Clermont-Ferrand, 2001. 2323 A. H. BREDERO, Bernard de Clairvaux..., op. cit., p. 201. 2324 M. COCHERIL dans G. LEBRAS (dir.), Les ordres religieux. La vie et l’art, T I, Flammarion, 1979, p. 501. - 871 - même les chasubles de soie, s’empressant, lorsqu’on lui en offrait, d’en faire cadeau à autrui. » Saint Bernard s’inscrit ainsi dans une tradition monastique carolingienne réticente à l’image. C’est toutefois un art excessif qu’il condamne, et non toute forme d’art. Il s’insurge contre un art utilisé pour attirer des donations (« Que gagnons-nous à la splendeur de nos églises, sinon l’admiration des sots ou les offrandes des simples »). Selon Conrad RUDOLPH, c’est peut-être un art de « pèlerinage » qui est ainsi visé où de précieux reliquaires sont placés au cœur d’édifices majestueux et aux dimensions de plus en plus ambitieuses afin de drainer des pèlerins toujours plus nombreux. Mais ceux-ci ne sont-ils alors pas plus émus par les beautés décoratives, les dorures, les programmes peints liés aux itinéraires liturgiques et le luxe des pierres précieuses que par la vie du martyr ou du saint enterré là2325 ? Le pèlerin n’accorde-t-il pas plus d’importance à la représentation artistique qu’aux reliques elles-mêmes, au saint et à ses miracles ? L’art entraîne des donations exceptionnelles, des revenus particuliers dont les monastères ne devraient avoir que faire. Pour Bernard de CLAIRVAUX, la pauvreté matérielle est la nécessaire expression d’un retour au « désert » auquel les ordres nouveaux comme Grandmont, Cîteaux ou la Chartreuse aspirent. Il mentionne cinq exemples d’art excessif à ses yeux : les reliquaires, les images de saints, les chandeliers en couronne, les candélabres et les pavements figurés, autant d’éléments liés à la liturgie et à l’exercice du culte dont il condamne la force d’attraction issue des métaux précieux et des bijoux2326. Plus le sanctuaire est orné, plus la foule croit en le pouvoir spirituel du saint, plus les donations affluent. L’art deviendrait alors en quelque sorte la preuve de l’efficacité des reliques du saint patron2327. D’où une surenchère entre les différents monuments de pèlerinage dans la décoration et le luxe que ne peut que condamner saint Bernard. Cette « débauche » de luxe est d’ailleurs pour lui réellement indécente face aux pauvres à qui l’on devrait prodiguer plus de soins plutôt que de couvrir les églises de décors somptueux. L’impact réel de ce texte sur l’architecture et le décor cistercien est toutefois plutôt délicat à déterminer. L’Apologie est-elle respectée par les monastères affiliés, par ailleurs majoritaires dans le diocèse de Limoges ? Bernard de CLAIRVAUX insiste en effet surtout sur ce qu’il ne faut pas faire, parle de manière négative, mais aucune directive réelle n’est donnée aux maîtres d’œuvres et bâtisseurs2328. 2325 C. RUDOLPH, The « Things of greater importance ». Bernard of Clairvaux’s Apologia and the Medieval attitude toward Art, University of Pennsylvania Press, 1990, p. 19. 2326 C. RUDOLPH, op. cit., p. 54-57. 2327 C. RUDOLPH, op. cit., p. 78. 2328 M. UNTERMANN, Forma Ordinis..., op. cit., p. 99. - 872 - Ce « pamphlet » de Bernard de CLAIRVAUX est quelques années après relayé par les statuts de l’ordre de Cîteaux. En effet, il n’existe jusqu’alors aucun texte édictant certaines directives architecturales artistiques dans les écrits fondateurs de l’ordre. Ni l’Exordium Coenobii Cisterciensis, ni la Carta Caritatis ne font état de ces préoccupations. Ainsi, dès 1134, les sculptures et peintures sont officiellement interdites. Seules les croix en bois sont tolérées dans les abbatiales2329. Les croix d’or et d’argent de grand format sont prohibées, de même que les tableaux peints (tabulae pictae). Les statuts du Chapitre Général de 1150 précisent : «Nous interdisons que l’on fasse des sculptures ou des peintures dans nos églises et dans les autres lieux du monastère parce que, lorsqu’on les regarde, on néglige souvent l’utilité d’une bonne méditation et la discipline de la gravité religieuse. »2330 D’autres auteurs, cisterciens ou non, vont prendre la suite de l’Apologie et appuyer les idées de saint Bernard. Guillaume de SAINT-THIERRY engage les frères chartreux de MontDieu à rejeter les œuvres d’art, les belles façades aux décors exubérants. Il perçoit les images de manière très négative, l’imagination étant pour lui une fonction inférieure de l’âme. Les cellules se doivent d’être des « tentes de soldats aux camps du seigneur ». Les chartreux vivent absorbés par les réalités intérieures, méprisent et dédaignent les choses extérieures. L’esprit ne doit pas être distrait par des décorations superflues. En effet, selon Guillaume de SAINT-THIERRY, la beauté « ralentit la détermination qui est propre à l’homme et tend à efféminer l’esprit masculin ». Quiconque s’attache à la beauté sensible redescend de l’état d’homme spirituel à celui d’homme animal2331. Outre les milieux monastiques, l’ordre canonial n’est pas resté à l’écart des ces discours sur l’image. Hugues de FOUILLOY est un chanoine régulier de Saint-Augustin, prieur de Saint-Laurent d’Heilly. Vers 1153, dans l’un de ses écrits de théologie morale, le De Claustro animae, il exprime sensiblement les mêmes remarques que Bernard de 2329 J. KUTHAN, « Die zisterzienserklöster in den Böhmischen Ländern und die Hussitischen Bilderstürme“, dans S. MICHALSKI (dir.), L’Art et les révolutions. Section 4 : les iconoclasmes, XXVIIème Congrès International d’Histoire de l’Art, Strasbourg, 1989, Strasbourg, 1992, p. 45-56. 2330 J. M. CANIVEZ, Statuta…, op. cit., T I, 1150 ; T I 1157-12, 61, 15 ; T II 218, 12 ; G. DUBY, Saint Bernard et l’art cistercien, Paris, 1979, p. 12 ; L. PRESSOUYRE, Le rêve cistercien, Paris, 1991, p. 112-113. 2331 D. LE BLÉVEC, « Les chartreux et l’art » dans D. LE BLÉVEC, A. GIRARD (dir.), Les Chartreux et l’art, XIVème-XVIIIème siècles, Actes du colloque de Villeneuve-Lès-Avignon, Paris, Cerf, 1989, p. 12-16 ; Guillaume de SAINT-THIERRY, Lettre aux frères du Mont-Dieu, traduction de J. DÉCHANET, Paris, Cerf, 1975, p. 31. - 873 - CLAIRVAUX en rappelant la simplicité que devait avoir l’architecture de leurs édifices religieux. Il blâme tout particulièrement le luxe des demeures épiscopales de son temps, invective les moines de Cluny, les accuse de s’occuper plus de soucis temporels que du soin spirituel de leurs âmes. « Que cela [l’emploi des images] soit permis – s’il faut le permettre à quelqu’un – aux clercs qui demeurent dans les villes ou dans les bourgs, où afflue un grand concours de peuple, afin que ces gens simples soient attirés par la beauté des peintures, eux qui ne peuvent être charmés par la subtilité d’un écrit (…). La pierre est utile pour la sculpture de l’édifice, mais à quoi sert de la sculpter ? Et l’on doit lire la Genèse dans la Bible, non sur un mur. On y voit Ève toute habillée, alors qu’un pauvre homme couche tout nu contre lui. Adam y a droit à une tunique fourrée, alors que la communauté des frères est assaillie par les rigueurs de l’hiver. »2332 À son tour il atteste la nécessité des images pour des fondations urbaines, tandis que les monastères ruraux comme les abbayes cisterciennes, grandmontaines, chartreuses ne devraient pas en faire usage. Il y aurait donc une dichotomie entre un monde urbain adoptant l’image par nécessité, pour l’éducation d’un peuple illettré ayant besoin en quelque sorte d’illustrations pour comprendre sermons et prédications, tandis que le monde rural où se retirent des moines lettrés en quête de solitude et de méditation rejetterait ces décors inutiles, superflus et coûteux. Il critique également sévèrement les mœurs de certains évêques se faisant bâtir de luxueuses demeures où rien ne justifie plus pourtant le recours à l’image et aux décors. « Les évêques se font construire des palais dont la dimension ne le cède pas à celle des églises ! Ils ont un 2332 Hugues de FOUILLOY, Le cloître de l’âme, II, 4. Cet ouvrage est souvent présent dans les scriptoria des monastères (Clairvaux, Les Dunes). Il s’agit d’un texte où « la construction de l’âme est figurée sur le schéma spirituel d’un chantier pour la construction d’une église ». S. BANDERA, « Les premiers manuscrits de l’abbaye de Morimondo et leurs relations avec la région d’origine. L’histoire des filles aide à construire l’histoire des maisons mères », dans G. VIARD (dir.), L’abbaye cistercienne de Morimond…, op. cit., p. 279-309. - 874 - véritable plaisir à occuper des chambres aux parois recouvertes de peintures, où l’on voit des personnages revêtus de couleurs éclatantes et d’ornements précieux, alors que le pauvre, lui, manque de vêtements, et que, l’estomac vide, il crie à la porte !»2333 Le luxe des demeures laïques et religieuses est également dénoncé par Pierre Le CHANTRE. Ce dernier appartient au chapitre de la cathédrale de Paris. Il écrit la Somme Ecclésiastique vers 1180 où il blâme le luxe déployé en architecture et s’attaque aux moyens pécuniaires dont on se sert pour bâtir. S’il conteste lui aussi la somptuosité de certains édifices monastiques, il critique de même les châteaux, donjons et palais laïcs, les évêques dépensant trop d’argent pour édifier et décorer cathédrales et palais épiscopaux. « Les palais des princes construits avec les larmes des pauvres qu’on a rançonnés font maudire cette rage de bâtir. Mais les édifices monastiques ou ecclésiastiques, élevés grâce aux prêts à intérêt et aux gains illicites des usuriers, grâce aux mensonges des fourbes et aux fourberies des menteurs, des faux prêcheurs, des stipendiés, s’effondrent souvent, bâtis qu’ils sont avec des biens mal acquis, puisque le « mauvais butin n’engendre pas d’heureuses fins ». Voyez aussi l’exemple de saint Bernard qui pleurait ayant vu les cabanes de berger couvertes de chaume, semblables aux anciennes masures des cisterciens qui commençaient alors à habiter dans des palais étincelants et fortifiés. Mais, atteints souvent eux aussi par la maladie de la construction, ces religieux sont punis tout comme les autres justement pas l’intermédiaire de leur vice. Car la construction de maisons si belles et si vastes est comme un appel aux hôtes arrogants ». Pierre le CHANTRE s’insurge ici aussi contre les moines blancs dont les mœurs relâchées auraient conduit à des constructions plus ambitieuses bien éloignées des premières 2333 Hugues de FOUILLOY, op. cit., I. 1. - 875 - constructions en bois. Peut-être l’auteur fait-il référence à la reconstruction de nombreuses abbatiales cisterciennes dans la seconde moitié du XIIème siècle, comme Clairvaux et Cîteaux qui se dotent de chevet à déambulatoire et chapelles rayonnantes et de vaisseaux aux dimensions imposantes. Cette idée est reprise dans le premier tiers du XIIIème siècle par Hélinand de FROIDMONT, vers 1200-1220. Celui-ci, issu d’une famille seigneuriale de Flandres, s’insurge contre les excès de l’enrichissement de l’ordre de Cîteaux et s’adresse ainsi aux moines blancs : « Pourquoi vous, Cisterciens, bien que vous ayez tout abandonné et fait profession de sobriété et de pauvreté, pourquoi construisez-vous des édifices aussi somptueux et aussi vastes ? »2334 Pour Aelred de RIEVAULX, les images sont impropres à la vie ascétique choisie par les moines cisterciens et autres ordres à vocation érémitique et de retour à la pureté évangélique. Il réitère certaines idées développées dans l’Apologie telle la mise en cause des décors dans les espaces claustraux : « Ainsi, jusque dans les cloîtres des moines, on trouve des grues et des lièvres, des daims et des cerfs, des pies et des corbeaux, c’est-à-dire certainement pas les instruments d’Antoine et de Macaire, mais des plaisirs de femme. Toutes choses qui peuvent satisfaire les yeux de curieux, mais sûrement pas satisfaire à la pauvreté monastique. »2335 Dans son écrit La vie de recluse où il s’adresse directement à sa sœur ayant choisi la vie monastique, son attitude envers les images apparaît toutefois plus nuancée puisqu’il admet les ornements sous forme d’images peintes dans l’oratoire personnel de la moniale : 2334 MIGNE, Patrologie Latine, T CCXII, coll. 676 ; V. MORTET, « Hugues de Fouilloi, Pierre Le Chantre, Alexandre Neckam et les critiques dirigées au XIIème siècle contre le luxe des constructions », dans Mélanges d’Histoire offerts à M. Charles BÉMONT, Paris, 1913, p. 105-137 ; Pierre le CHANTRE, Verbum abbreviatum, LXXXVI. 2335 Aelred de RIEVAULX, Le miroir de la charité, II, 24, 70. - 876 - « Il y a même une sorte de vanité à se complaire jusque dans la cellule à rechercher de la beauté, à orner ses murs de peinture ou d’objets orfévrés de toute sorte, à décorer son oratoire de tentures ou d’images diverses. Garde-toi de tout cela comme contraire à ta profession. Je t’en prie, ne recherche pas, sous couvert de dévotion, la gloriole par les peintures ou les sculptures, par des tentures couvertes d’oiseaux ou de bestiaux ou par des figures variées représentant diverses fleurs. Ce sont là des occupations dignes de gens qui, n’ayant rien dans leur cœur dont ils puissent se glorifier, doivent chercher ailleurs des motifs de contentement. Trouve ta gloire, trouve ton contentement dans ton cœur et non à l’extérieur, dans les vraies vertus et non dans les peintures ou les images. Que les ornements de ton oratoire représentent les choses suivantes – ainsi tes yeux ne se repaîtront pas d’images saugrenues. Sur ton autel, il te suffira d’avoir l’image du Sauveur supplicié sur la croix. Qu’elle t’incite à imiter sa passion, que ses bras étendus t’invitent à les embrasser ; jouis de ces embrassements et, de sa poitrine découverte, il fera couler sur toi le doux lait qui te consolera. Et, si tu veux, tu pourras placer aussi les images de la Vierge Mère et du disciple vierge à côté de la croix afin de te rappeler en les voyant l’excellence de la virginité.»2336 Ainsi, s’il condamne le luxe décoratif de certaines représentations peintes, il autorise tout de même quelques images comme le Christ en Croix et Marie et se montre ainsi moins sévère que Bernard de CLAIRVAUX. Ces seules représentations dépouillées auraient pour but d’aider la moniale à la charité et à la contemplation. Certains moines cisterciens semblent ainsi plus mesurés et moins sévères dans leurs propos que saint Bernard. C’est le cas de Galand de REIGNY, à l’origine de l’ermitage de 2336 Aelred de RIEVAULX, La vie de recluse. La prière pastorale, traduction C. DUMONT, Cerf, Paris, 1961, § 24 et 26. - 877 - Fontesmes en 1104, devenu cistercien en 1128. L’ermitage prend dès lors le nom de Reigny (com. Vermenton, Auxerre). Il écrit une série de proverbes vers 1146-1147. Alors que Bernard réserve les images aux laïcs, dont la pastorale revient à l’évêque et non aux moines, et que le chapitre 26 de la codification cistercienne de 1134 interdit formellement les sculptures et n’admet de peinture que sur les croix, Galand ne dédaigne pas d’utiliser des « représentations sensibles pour sa prédication ». Il s’éloigne fortement de la prohibition de images dans les cloîtres et les églises, inventant selon Alexis GRÉLOIS, la théorie du « dessin animé par l’imagination de celui qui le contemple »2337. « Il y a trois jours, je suis entré dans une église décorée de haut en bas de peintures et de statues. Sous mes yeux, voici que s’animaient les peintures et que les statues vivaient. Tels personnages causaient entre eux, tels autres s’entre-tuaient.»2338 « Préfères-tu revoir le spectacle des prodiges d’antan ? Viens à l’église avec moi. Là, de tes yeux, tu verras les fils d’Israël traverser la Mer Rouge sains et saufs, et les Egyptiens étouffés sous les eaux. »2339 Ainsi, le débat sur l’image est ouvert au sein même de l’ordre cistercien et l’Apologie de Bernard de CLAIRVAUX a certes suscité beaucoup d’émules mais aussi fait réagir un certain nombre de moines plus tolérants face à l’image. Après la mort de saint Bernard, l’austérité et le refus de l’image tendent d’ailleurs souvent à s’assouplir et certaines formes d’art comme les pavements, les monuments funéraires parviennent à imposer une iconographie propre. La même évolution est sensible chez les Prémontrés. Aux débuts de cet ordre fondé en 1120 par saint Norbert, la nudité des églises est préconisée. Toutefois, ceux-ci participent à la vie paroissiale. Peut-être le contact avec les fidèles les entraînera à orner richement leurs églises. Dans le cas d’une église paroissiale en effet, l’image est comprise comme une prédication. 2337 A. GRÉLOIS, « Galand de Reigny et le problème de l’unité institutionnelle et spirituelle de l’ordre aux premiers temps de la branche de Clairvaux”, dans Unanimité et diversités cisterciennes, filiations, réseaux, relectures du XIIème au XVIème siècles, Actes du colloque international du CERCOR, Dijon, 1996, SaintÉtienne, 2000, p. 149-159. 2338 Galand DE REIGNY, Petit livre de Proverbes, traduction de J. CHÂTILLON, M. DUMONTIER, A. GRÉLOIS, Sources Chrétiennes n°436, Paris, 1998, 92. 2339 Galand DE REIGNY, op. cit., 64. - 878 - Tandis que certains expriment leurs réticences à l’image, d’autres la défendent encore et répondent avec verve à ces ordres austères. C’est le cas de SUGER qui soutient ce recours aux images et au luxe. Dans son texte De la Consécration, il écrit : « Que chacun suive sa propre opinion. Pour moi, je le déclare, ce qui m’a paru juste avant tout, c’est que tout ce qu’il y a de plus précieux doit servir d’abord à la célébration de la sainte eucharistie. Si, selon la parole de Dieu, selon l’ordonnance des Prophètes, les coupes d’or, les fioles d’or, les petits mortiers d’or devaient servir à recueillir le sang des boucs, des veaux et d’une génisse rouge, combien davantage, pour recevoir le sang de Jésus-Christ, convient-il de disposer les vases d’or, les pierres précieuses, et tout ce que l’on tient pour précieux dans la création. Ceux qui nous critiquent objectent qu’il suffit, pour cette célébration, d’une âme sainte, d’un esprit pur, d’une intention de foi. Je l’admets : c’est bien cela qui importe avant tout. Mais j’affirme aussi que l’on doit servir par les ornements extérieurs des vases sacrés, et plus qu’en toute autre chose dans le saint sacrifice, en toute pureté intérieure, en toute noblesse extérieure. 2340» L’art est comme une aide spirituelle, une manière d’honorer Dieu. Suger justifie la beauté dans les églises par un psaume de l’Ancien Testament, déjà invoqué lors du concile de Nicée II, précisant : « Domini, dilexi decorem domus tuae, et locum habitationis gloriae tuae »2341. Pour SUGER, la richesse des abbayes bénédictines est due aux faveurs divines. L’embellissement des églises serait finalement un signe de remerciement adressé à Dieu, un juste retour des choses2342. Néanmoins, Aelred de RIEVAULX interprète différemment ce psaume. Pour lui, la beauté de la maison de Dieu est fondée sur l’équité entre amour et unité. La vraie beauté de la maison de Dieu n’est pas matérielle mais existe en réalité dans la pauvreté volontaire et la sainte simplicité. 2340 SUGER, Œuvres, Tome I, « Les Belles Lettres », Paris, 1996, p. 20. « Yahvé, j’aime la beauté de ta maison et le lieu du séjour de ta gloire ». Psaume 25-8. 2342 C. RUDOLPH, op. cit., p. 35. 2341 - 879 - De même pour Gui de BAZOCHES, chroniqueur champenois, chanoine et chantre de la cathédrale de Châlons, qui semble conserver certains goûts de sa famille aisée. Il orne d’ailleurs allègrement sa maison de Châlons. « L’art est un luxe, il est vrai ; c’est le luxe de l’esprit, le superflu du cœur ; mais c’est, il faut l’avouer, un luxe bien nécessaire. Et s’il fallait attendre, pour oser en jouir, que la pauvreté eût disparu de la terre, il y aurait lieu de craindre que l’esprit humain ne fût à jamais privé de l’un de ses aliments les plus délicats. »2343 Ainsi, les différents conciles qui se sont succédés depuis les premiers temps de la Chrétienté ne sont guère parvenus à régler la question de la représentation figurée. Suite à la réforme grégorienne à la fin du XIème siècle, les débats sont réamorcés et certains auteurs cisterciens à l’image de saint Bernard semblent bien souvent s’inscrire dans la droite ligne des carolingiens et des moines les plus rigoristes. Toutefois, cet aniconisme n’est pas unanime dans l’ordre comme en témoignent certains textes d’Aelred de RIEVAULX et Galand de REIGNY. Ces dissensions au sein même des plus lettrés de l’ordre expliquent peut-être en partie les entorses faites aux statuts des chapitres généraux dès la fin du XIIème siècle concernant les pavements décorés, les vitraux, les clochers, les chœurs de plus en plus ambitieux ou encore les monuments funéraires délicatement ornés, financés par une noblesse soucieuse de s’assurer des nécropoles familiales toujours plus imposantes et remarquables. Entre idéal d’austérité et acceptations progressives de l’image, les moines blancs hésitent, tandis que textes rigoristes, aniconiques ou tolérants se répondent avec toujours plus de verve et d’arguments, sans parvenir à une solution acceptable pour chacun. 2. Une tentative d’uniformisation : Si les productions artistiques cisterciennes se caractérisent par une certaine austérité dans les premiers temps de l’ordre, par une timidité face aux images sculptées et peintes, une autre caractéristique pourrait être cette volonté d’unité et d’uniformité dans le choix du plan des abbatiales de l’ordre, souvent invoquée par une historiographie traditionnelle. L’idée d’un plan « type » reproduit d’abbayes en abbayes, sorte de « marque de fabrique » de l’ordre cistercien est exprimée dès les années 1950, à travers les travaux de Marcel AUBERT ou 2343 É. VACANDARD, Vie de saint Bernard, T I, p. 120. - 880 - Anselme DIMIER et serait le résultat de la politique cistercienne d’uniformité et d’unanimité exprimée dès la rédaction de la Charte de Charité en 1114. Ce plan consisterait en une reproduction de celui de l’abbatiale de Fontenay avec un chevet plat, une nef à bas-côtés relativement obscure, un transept saillant avec des chapelles disposées sur chaque bras, également à fond plat. Les liens forts existant entre abbayes-mères et abbayes-filles auraient conduit à des similitudes architecturales, visibles dans la filiation de Clairvaux, à la diffusion de ce « modèle » en France et en Europe. Cette idée de plan stéréotypé est exprimée par Benoît CHAUVIN : « Il n’est pour ainsi dire aucun ouvrage, aucune monographie, aucun article sur le bâti de l’une ou l’autre des abbayes de Cîteaux qui n’expliquent ou ne mentionnent pas la notion de « plan cistercien ». Avec les évidentes ressemblances entre les partis architecturaux adoptés et le dépouillement stylistique recherché qu’offrent en élévation les constructions de l’ordre, on tient les deux principales raisons ayant autorisé à parler d’architecture, voire d’art cistercien ». L’historien parle de « spécificités cisterciennes affirmées ». Pour lui, la « découverte de la notion de « plan bernardin » constitue l’une des principales avancées de l’histoire de l’architecture cistercienne ». Ne s’agirait-il pas plutôt d’un carcan étroit et inadapté aux diversités architecturales de l’ordre, une chape de plomb faussant notre vision et obligeant presque chaque chercheur à retrouver à tout prix dans les sites étudiés l’expression de ce « plan bernardin » sans quoi il ne saurait y avoir d’art cistercien ? L’austérité cistercienne invoquée par Benoît CHAUVIN suffit-elle à définir un art à part entière, alors même que les XIIème et XIIIème siècles voient naître bien d’autres expériences similaires tel à Grandmont ? Grandmont ainsi que l’architecture des ordres à vocation érémitique (augustins, fontevristes) ne constituent-elles pas également une source importante d’inspiration ? Ces « évidentes ressemblances » des abbayes cisterciennes sont-elles d’ailleurs si systématiques que cela ? Résistent-elles à des comparaisons dans toutes les régions, sur une longue période ou ne correspondent-elles qu’à une réalité à un moment donné, cloisonnée à la filiation de Clairvaux ? Il apparaît clairement que les cisterciens suivent les innovations de leurs temps et revêtent un rôle de transmission des formes du premier gothique (ogives), tout en témoignant de permanences pour certaines formes romanes (coupoles de croisée et files de coupoles en Aquitaine)2344. Pour Peter FERGUSSON et Stuart HARRISSON, il paraît évident que l’évolution des « modèles » dans l’historiographie, les remises en cause successives montrent les impasses de ces modes de pensée. Il n’existe pas de modèle, de plan type, mais 2344 T. KINDER, L’Europe cistercienne, Zodiaque, 1997, p. 386. - 881 - une multitude de sources d’inspiration, d’interpénétrations, de dialogues avec des héritages romans, des édifices paroissiaux, canoniaux et monastiques contemporains2345. Cette idée d’un modèle en architecture nous semble à réévaluer à la lumière des créations artistiques cisterciennes limousines et marchoises, à rediscuter grâce à des publications récentes remettant en cause ce qui ne serait qu’une « invention historiographique » uniquement justifiée pour la filiation claravalienne. • La Charte de Charité : La volonté d’unité et d’uniformisation de l’ordre et de ses institutions est exprimée dès les premiers temps à travers la rédaction de la Charte de Charité – probablement vers 1114 – conçue en partie par Étienne HARDING, troisième abbé du Nouveau Monastère. Cette charte est approuvée par une bulle du pape Calixte II en 1119. Elle préconise le dépouillement de tous les biens terrestres, la pauvreté même dans la célébration du culte divin, une austérité rigoureuse dans les mœurs, la soumission aux évêques. Même si art et architecture ne sont pas directement cités, ces préceptes peuvent aisément leur être appliqués. La Charte organise les filiations et institue le Chapitre Général. Elle précise : « L’Église de Cîteaux, mère de toutes les autres, s’est réservée spécialement ceci : une fois par an, les abbés viendront tous ensemble chez elle pour se visiter, rétablir la discipline, affermir la paix et conserver la charité. Quand des déviations devront être corrigées, chacun obéira à l’abbé de Cîteaux et à cette sainte assemblée avec respect et humilité (…). Voici un autre bienfait attendu de l’institution de cette assemblée : si l’on apprend que l’un des abbés se trouve d’aventure dans une extrême pauvreté, tous s’emploieront à soulager l’indigence d’un frère, chacun selon ce que lui dictera la charité et compte tenu de ses ressources. Aucune raison ne sera valable pour s’absenter du chapitre annuel, excepté ces deux motifs : une raison de santé et la bénédiction d’un novice. Celui à qui cela arrivera enverra son prieur pour le remplacer. Mais si 2345 P. FERGUSSON, S. HARRISSON, Rievaulx Abbey…, op. cit., p. 78. - 882 - quelqu’un ose un jour rester chez lui pour quelque autre raison, il demandera pardon de sa faute au chapitre suivant, et, au jugement des abbés, il fera une satisfaction sous forme de coulpe légère. »2346 Les rapports entre abbayes-mères et abbayes-filles sont ainsi organisés, planifiés, tandis que l’institution du Chapitre Général permet de maintenir une cohérence dans l’ordre et une surveillance du maintien de la Règle et de la stricte observance. Dans son étude sur la diplomatique cistercienne au XIIème siècle, Marlène HÉLIAS BARON s’interroge sur l’existence d’une unanimité diplomatique cistercienne, permise par la Charte de Charité et les Chapitres Généraux. Dans le cadre d’une thèse de doctorat, elle analyse les fonds des quatre premières filles de Cîteaux et convient que les documents cisterciens ne présentent guère d’originalité dans le dictamen et la scriptio. Les moines blancs semblent plutôt se conformer aux usages locaux. Les Chapitres Généraux ne semblent pas avoir édicté de règles précises concernant la diplomatique. Les cisterciens témoignent dès lors d’une grande capacité d’adaptation à des pratiques locales. La diversité est de mise dans les pratiques diplomatiques, bien souvent communes aux ordres nouveaux et non spécifique à Cîteaux2347. Les mêmes constatations peuvent-elles s’appliquer en architecture et sculpture ? Quel est l’impact réel de la Charte de Charité et des statuts de l’ordre ? Les liens spirituels entre une abbaye et ses filles ont-ils une traduction dans les productions artistiques, caractérisées par des ressemblances de plan et d’élévation ? Pour Matthias UNTERMANN, l’idée d’un « style cistercien », d’un art de bâtir propre à Cîteaux serait né de cette volonté de l’ordre d’unité et d’uniformité dans ses coutumes. Cette volonté se traduirait dans le Charte de Charité ou l’Exorde de Cîteaux. Ces écrits s’appliqueraient en architecture par la mise au point de modèles, d’un « style » né en Bourgogne2348. Cette unité, cette unanimité cistercienne peut se définir comme l’adhésion aux principes exposés dans la Charte de Charité, l’observance des usages contenus dans ce document fondamental, la mise en application et le respect de statuts promulgués par le Chapitre Général, la participation régulière des abbés à cette assemblée à Cîteaux une fois par 2346 G. GHISLAIN, J-C. CHRISTOPHE, Cîteaux. Documents primitifs, Cîteaux, 1988. M. HÉLIAS-BARON, « Recherches sur la diplomatique cistercienne au XIIème siècle. La Ferté, Pontigny, Clairvaux, Morimond », thèse de doctorat, Paris I, sous la direction de Michel PARISSE, 2005, résumé, CEM, Auxerre, 11, 2007, p. 279-281. 2348 M. UNTERMANN, Forma Ordinis..., op. cit., p. 19. 2347 - 883 - an, et les visites annuelles aux abbayes-filles par leur abbé-père2349. Les Chapitres Généraux de l’ordre auraient pu jouer un rôle dans la diffusion de certaines formules architecturales, les abbés de toute la France et même de toute l’Europe s’y rendant régulièrement. L’abbatiale de Cîteaux devait ainsi être connue de tous. De même concernant la diffusion de certains motifs décoratifs : une unité cistercienne est sensible dans le choix de motifs des vitraux en grisaille unifiés se retrouvant à la Bénissons-Dieu (, com. La Bénisson-Dieu, Loire), Bonlieu, Obazine, La Chalade (com. Lachalade, Meuse), Noirlac (com. saint-Amand-Montrond, Cher) et Pontigny (com. Pontigny, Yonne)2350. Pour Constance BERMAN néanmoins, la Charte de Charité n’aurait été rédigée que plus tardivement, dans les années 1160. Le mot « ordre » n’est lui-même que rarement utilisé dans les textes cisterciens du XIIème siècle. Jusqu’au milieu du XIIème siècle, les moines blancs ne semblent pas se considérer comme un ordre religieux. Dans ces conditions, auraient-ils vraiment eu la volonté de créer un « modèle » architectural propre à l’ordre ? Selon l’historienne, l’ordre serait vraisemblablement né dans le troisième quart du XIIème siècle, une période où se multiplient les affiliations de communautés préexistantes (comme celle de Dalon et de toute sa filiation en 1162)2351. Cette théorie nous permettrait de nuancer l’idée d’un « modèle » architectural établi dès les premiers temps de l’ordre en réponse à la Charte de Charité. Pour Philippe PLAGNIEUX, « l’uniformisation » des plans cisterciens se serait imposée dans le troisième quart du XIIème siècle, avec pour référence le plan de l’abbaye de Fontenay (com. Marmagne, Côte-D’Or), consacrée en 1147 par le Pape Eugène III [Fig. 1]. Pour lui, c’est la centralisation de l’ordre qui est à l’origine de cette communion des formes, des plans et des élévations, à la fois dans les abbayes occidentales et orientales2352. Une circulation de documents graphiques aurait permis la diffusion du plan « bernardin » caractérisé par son chevet plat. L’unité architecturale pourrait aussi s’expliquer par la venue de religieux issus de Clairvaux, comme Achard, formé à l’architecture sur des chantiers à l’étranger, tel en Allemagne. De même Geoffroi d’Aignay est chargé de la construction de plusieurs abbatiales en Angleterre et en Flandres. Néanmoins, les élévations et les voûtements 2349 Unanimité et diversités cisterciennes,filiations, réseaux, relectures du XIIème au XVIème siècles, Actes du colloque international du CERCOR, Dijon, 1996, Saint-Étienne, 2000. 2350 H. J. ZAKIN, French Cistercian Grisaille Glass, Garland, New-York/London, 1979, p. 2. 2351 C. H. BERMAN, The Cistercian evolution…, op. cit., p. 49; p. 142. 2352 Pour l’étude du rôle des cisterciens dans la transmission des formes gothiques, voir III. B. - 884 - étant difficiles à représenter sur les plans, ils seraient davantage tributaires des « savoir-faire locaux » dont le pragmatisme cistercien aurait fait bon usage2353. Certains auteurs ont mis en lumière des ressemblances au sein des filiations de l’ordre cistercien. La filiation claravalienne est souvent prise en exemple et aurait contribué à la diffusion du chevet plat. Ainsi, l’étude de Jacques HENRIET témoigne des relations étroites entre Clairvaux III et l’abbaye de Cherlieu en Franche-Comté (com. Montigny-lès-Cherlieu, Haute-Saône) [Fig. 994 et 995]. Celle-ci est la première fille de Clairvaux fondée dans le comté de Bourgogne en 1131. Cherlieu adopte en effet le plan et l’élévation de la troisième abbatiale de Clairvaux mise en chantier vers 1152-1153, peut-être juste avant la mort de saint Bernard. Dès 1158, des autels du déambulatoire de Clairvaux sont consacrés, tandis qu’une dédicace intervient vers 1174, ne marquant toutefois pas forcément la fin du chantier de construction de l’abbatiale, mais un bon avancement du gros œuvre. Quant à Cherlieu, elle est consacrée vers 1204-1205. Les deux abbayes présentent ainsi trois niveaux d’élévation rythmés par des cordons moulurés, de grandes arcades, des baies donnant sur les combles des bas-côtés de la nef, puis des fenêtres en plein-cintre. À Cherlieu, des arcs-boutants similaires à ceux de Clairvaux sont attestés dans les différentes visites et expertises. Elle présente un chevet à déambulatoire et chapelles rayonnantes comme à Clairvaux, même si cette dernière en possède neuf au lieu de sept à Cherlieu2354. Si l’historiographie traditionnelle fait le plus souvent référence à la filiation de Clairvaux, d’autres abbayes semblent avoir joué un rôle dans les choix architecturaux de leurs filles. En effet, Marc THIBOUT par exemple remarque des liens étroits entre Sénanque, Le Thoronet (com. Le Thoronet, Var) et Mazan (com. Mazan-L’Abbaye, Ardéche), leur abbayemère. Sénanque est un essaimage depuis Mazan en 1148 (com. Gordes, Vaucluse). Elle présente une nef voûtée d’un berceau brisé lisse, contrebutée par des collatéraux à berceaux rampants [Fig. 996]. Cette formule est fréquemment usitée dans le sud-est et se retrouve tout particulièrement au Thoronet, à Silvacane (com. La Roque d’Anthéron, Bouches-du-Rhône) et à Mazan [Fig. 997, 998 et 999]. Mazan est, de même que Léoncel (com. Léoncel, Drôme), fille de Bonnevaux, présentant elle aussi des bas-côtés à berceaux rampants [Fig. 1000]. Sénanque opte pour une coupole sur trompes à la croisée du transept, de même qu’à Mazan. Son clocher est proche de celui de Silvacane. Quant à la rose polylobée en façade, elle est 2353 P. PLAGNIEUX, « L’architecture cistercienne » dans L’Architecture religieuse…, op. cit., p. 81-91. J. HENRIET, À l’aube de l’architecture gothique, Presses Universitaires de Franche-Comté, Besançon, 2005, p. 301-335. 2354 - 885 - également très similaire à celle de son abbaye-mère2355. Pour Philippe PLAGNIEUX, le Thoronet, Sénanque et Silvacane présenteraient un « plan cistercien » tandis que des traits « caractéristiques de la Provence romane » s’exprimeraient à travers le choix d’un vaste vaisseau central contrebuté de collatéraux voûtés en demi berceaux [Fig. 1001] 2356 . Ce parti ne nous semble toutefois pas uniquement provençal puisqu’il pourrait découler des choix architecturaux de l’abbaye de Mazan. L’idée d’écoles régionales est de plus régulièrement battue en brèche dans l’historiographie la plus récente, le concept de région étant très contemporain et ne correspondant pas aux réalités médiévales. L’étude de l’abbatiale de Morimond et de ses abbayes-filles a également permis de relever un certain nombre de cohérences. La première abbatiale de Morimond édifiée au XIIème siècle est encore inconnue. Une nouvelle abbatiale est consacrée en 1253 et opte pour un chevet à déambulatoire droit. Ce plan est par la suite repris pour la seconde abbatiale de Walkenried, fille de Morimond (avant 1209). Le grand chœur rectangulaire est de même choisi par certaines abbatiales germaniques de sa filiation dans la première moitié du XIIIème siècle comme Lilienfeld (vers 1206) et Hradist (vers 1230)2357. Il semblerait ainsi que les liens de filiation puissent trouver une expression dans certains choix architecturaux [Fig. 1002 et 1003]. Selon Caroline BRUZELIUS, des ressemblances s’observeraient également dans certaines abbayes de la filiation de Pontigny à la fin du XIIème siècle et au début du XIIIème siècle. Elle cite pour cela l’exemple de Chaalis (com. Fontaine-Chaalis, Oise), vraisemblablement édifiée entre 1200 et 1219 [Fig. 1004 et 1005]. Celle-ci présente un chœur en abside, une nef à bas-côtés et un transept dont chaque bras se termine par un déambulatoire. Pour Caroline BRUZELIUS, ce plan serait adapté de celui de Pontigny [Fig. 1006 et 1007]. Cette dernière est réédifiée entre 1186 et 1210. Elle présente un chœur à déambulatoire et chapelles rayonnantes dont le rond-point est voûté de voûtes sexpartites, comme l’abside de Chaalis. Les bras du transept n’adoptent toutefois pas de déambulatoires. Quincy (com. Commissey, Yonne), autre fille de Pontigny, reconstruite à la fin du XIIème siècle, opte elle aussi par des bras de transept à déambulatoires, selon la description de MARTÈNE et DURAND. Quant au recours à des voûtes sexpartites, d’autres filles de Pontigny en font l’usage comme Fontainejean dans le Loiret (com. Saint-Maurice-sur2355 M. THIBOUT, “L’abbaye de Sénanque”, Congrès Archéologique de France. Comtat-Venaissin, Paris, 1963, p. 365-376. 2356 P. PLAGNIEUX, « L’architecture cistercienne… », op. cit., p. 81-91 2357 B. CHAUVIN, « La seconde abbatiale de Morimond, à la lumière de Walkenried II. Hypothèses et précisions nouvelles (1990-2003) », dans G. VIARD (dir.), L’abbaye cistercienne de Morimond…, op. cit., p. 157-178. - 886 - Aveyron), Jouy en Seine-et-Marne (com. Chenoise). L’élévation est similaire à Chaalis et Pontigny : de grandes arcades brisées surmontées par un mur, séparé des fenêtres hautes par un cordon horizontal. Le choix de deux niveaux d’élévation serait une caractéristique de la filiation de Pontigny tandis que celle de Clairvaux privilégie trois niveaux (Clairvaux, Cherlieu). Toutefois, l’auteur ne se réfère qu’à des exemples proches géographiquement de Pontigny et les caractéristiques relevées ne se retrouvent pas concernant Dalon et ses filles, pourtant dans la filiation de Pontigny. Celles-ci sont toutefois des ermitages primitifs, érigés en monastère vingt ans avant une affiliation à l’ordre cistercien plutôt tardive. Peut-être ontelles conservé une relative indépendance par rapport à leur lointaine abbaye-mère2358. Ainsi, si certains exemples attestent de relations architecturales entre un monastère et ses filles, ceci ne semble guère s’appliquer à l’ensemble des fondations, et particulièrement aux affiliations d’ermitages ou de communautés préexistantes. Bien souvent, ces monastères affiliés sont déjà construits lors du rattachement et l’affiliation n’entraîne pas systématiquement une reconstruction. C’est probablement le cas pour les abbayes daloniennes, souvent modestes et peu dotées, si bien qu’on imagine mal une reconstruction coûteuse et peu utile. Or, comme la plupart des fondations cisterciennes à partir de la seconde moitié du XIIème siècle sont des affiliations, nous pouvons douter de la réussite de la diffusion d’un modèle « bernardin ». Ces communautés tendent de plus fréquemment à conserver une certaine autonomie par rapport à l’ordre (Dalon, Obazine, Savigny). • Échec de la diffusion du modèle « bernardin » ? Le plan d’une abbaye cistercienne répond à une tradition longtemps éprouvée dans la Chrétienté, et en cela ne témoigne guère d’originalité. Les cisterciens ne se targuent pas d’être des novateurs, mais bien au contraire des conservateurs de formes souvent héritées des temps carolingiens. Les bâtiments réguliers s’organisent autour d’un cloître carré ou trapézoïdal, voûté ou charpenté. En son centre ou à proximité de la porte d’entrée du réfectoire, est souvent placé un lavabo, enfermé ou non dans un pavillon comme à Valmagne (Aude, Languedoc-Roussillon). L’une des galeries est accolée à l’abbatiale tandis que les trois autres abritent le réfectoire, le dortoir, le chauffoir, la salle capitulaire, le parloir2359, parfois un scriptorium, le cellier, la cuisine et toute autre salle destinée à assurer la vie en autarcie de la 2358 C. A. BRUZELIUS, « The transept of the abbey church of Châalis and the filiation of Pontigny”, dans B. CHAUVIN (dir.), Mélanges à la mémoire du père Anselme Dimier, T III, 6, Abbayes, Pupillin, Arbois, 1982, p. 447-454. 2359 Sont conservés les parloirs de Fontenay (Côte-d’Or, Bourgogne, fin XIIème siècle), de Valmagne (Aude, Langudoc-Roussillon, seconde moitié du XIIème siècle) ou encore de Vaucelles (Nord, Nord-Pas-de-Calais, fin XIIème siècle). - 887 - communauté. L’enclos monastique inclut souvent un moulin, parfois une grange, une porterie2360 et une hôtellerie pour accueillir les pèlerins de passage. La porterie subsiste rarement. Celle de l’abbaye des Écharlis (com. Villefranche, Yonne) est conservée et présente deux passages voûtés caractéristiques : un pour les piétons, l’autre pour les charrettes. Quant à l’hôtellerie, elle est généralement placée à proximité de la porte du monastère. À Vauluisant (com. Courgenay, Yonne), elle se présente comme un volume quadrangulaire encadré de deux pignons. L’espace sacré du monastère peut être clos par un mur d’enceinte à partir du XIIIème siècle. Il est parfois renforcé de tourelles aux XIVème et XVème siècles comme à l’abbaye de Vauluisant2361. En cela, les monastères cisterciens ne dérogent pas à la règle et s’inscrivent dans la droite ligne des abbayes bénédictines depuis le haut Moyen-Âge. L’oratoire est présent dès l’origine dans les monastères bénédictins et se pare du terme ecclesia au tournant des VI-VIIème siècles avec Colomban. Le premier cellier est mentionné dès le début du Vème siècle (précepte d’Augustin). Le réfectoire existe à la fin du IVème siècle à Marmoutier. Le dortoir commun apparaît vers 500 à Saint-Claude dans le Jura et rompt avec les traditions orientales de cellules isolées. La salle capitulaire apparaît en même temps que les usages more romano et la réforme carolingienne. Au milieu du VIIIème siècle, la réunion en chapitre est définie par la règle canoniale de Chrodegang, s’inspirant des usages bénédictins de la même époque au Mont-Cassin. La salle des moines se généralise surtout en imitation à celle de Cluny. Quant au noviciat, il est de plus en plus fréquent au XIIème siècle. La formation du carré claustral serait ainsi établie entre le VIIème et le VIIIème siècles, à Landévennec notamment. Pour Jean-Pierre CAILLET, la tendance à ce regroupement des bâtiments utilitaires et cultuels autour d’une cour s’observe dès les années 745-748 à Herrenchiemsee en Germanie. Il explique cette disposition par une éventuelle dérivation du système de l’atrium paléochrétien. En effet, l’édifice des Saints-Marcellin-et-Pierre de Rome, ou encore le groupe épiscopal primitif de Genève présentent un atrium non pas en façade mais au flanc de l’église, préfigurant ainsi des schémas carolingiens. De même, la cour à péristyle des grandes villae pourrait entrer dans la genèse des cloîtres. Il cite d’ailleurs les exemples de Fraga au nord-ouest de l’Espagne ou de Mienne-Masboué (Centre de la Gaule) où une chapelle est installée le long d’une des galeries du péristyle (Vème-VIème siècles)2362. Les cisterciens apparaissent ainsi bien implantés dans l’art et les formules carolingiennes, romaines, ancrés dans une tradition de l’Église de Rome. 2360 Celle de Fontenay par exemple (Côte-d’Or, Bourgogne) se constitue d’un unique passage charretier. Si certains éléments sont datés du XIIème siècle, elle a été remaniée au XVème siècle. 2361 D. BORLÉE, « L’architecture des abbayes cisterciennes de l’Yonne : état des lieux et hypothèses », dans T. KINDER (dir.), Les cisterciens dans l’Yonne, « Les Amis de Pontigny », Pontigny, 1999, p. 29-39. 2362 J-P. CAILLET, L’art carolingien, Paris, Flammarion, 2005, p. 81 et 82. - 888 - Ce type de plan est à mettre en relation avec le plan de Saint-Gall, perçu comme la représentation d’une abbaye idéale [Fig. 1008]. Ce plan, dit « plan de Bâle », correspond à certains principes définis au concile d’Inden en 816. Ce concile avait pour but de mener une réflexion sur la nécessité de proposer un modèle pour l’organisation des monastères. Toutefois, selon GILLON, le plan de Saint-Gall serait plutôt d’un projet isolé qui ne serait pas réellement issu de ce concile mais d’une longue tradition monastique 2363. Il est réalisé par Heito, évêque de Bâle et abbé de Reichenau. Il comporte une dédicace à Gozbert, abbé de Saint-Gall de 816 à 837. Il exprime la conception des Carolingiens de l’espace théorique du monastère2364. L’abbaye s’organise en îlots clairement répartis, évoquant les plans quadrillés autour du cardo et du decumanus de la tradition antique. Les lieux de culte sont réduits à un seul édifice destiné à rassembler l’ensemble de la communauté. La répartition des autels à l’intérieur de l’édifice est également évoquée. Les fidèles, seulement tolérés, disposaient d’un emplacement précis2365. Le plan de Saint-Gall est plutôt éloigné de la modestie réformatrice de Benoît d’Aniane et témoigne d’un retour à l’architecture de représentation de l’époque de Charlemagne après l’échec de la réforme de Benoît. L’ampleur de l’église, la résidence isolée de l’abbé, les deux écoles sont plutôt en contradiction avec certaines décisions du concile d’Inden. Si les cisterciens s’inscrivent dans une tradition carolingienne dans la conception des espaces claustraux, ils montrent toutefois quelques originalités propres à leur ordre. Par exemple, ils suppriment complètement l’usage d’une avant-nef ou d’un massif occidental, étant donné le refus d’accueil des fidèles. De même, les cryptes sont bannies, les monastères cisterciens n’accueillant que rarement des reliques, et en aucun cas le pèlerinage qui pourrait s’y rattacher. L’abbaye est généralement fermée aux foules de fidèles. Ainsi, s’ils reprennent l’essentiel de l’organisation topographique des monastères depuis le haut Moyen-Âge, ils modifient toutefois la disposition de la galerie ouest. L’apparition des frères convers les conduit à leur destiner une galerie entière comprenant un réfectoire, un dortoir différents de ceux des moines, ces derniers ne pouvant être mélangés aux frères lais. Les convers disposent de leur propre cellier. Parfois, une ruelle sépare leur bâtiment de la galerie ouest du cloître et conduit directement à l’église par une porte discrète. 2363 P. GILLON, « Notions d’architecture et de topographie monastique. État de quelques questions » dans P. RACINET, J. SCHWERDROFFER (dir.), Méthodes et initiations d’histoire et d’archéologie, Editions du Temps, Nantes, 2004, p. 265-300. 2364 Dom A. DAVRIL, E. PALAZZO, La vie des moines au temps des grandes abbayes, Paris, Hachette, 2000, p. 198. 2365 A. ERLANDE-BRANDENBURG, « Architecture religieuse et fidèles », dans L’architecture religieuse médiévale. Art roman et art gothique. Une nouvelle vision, Dossiers d’Archéologie n°319, janvier-février 2007, p. 24-35. - 889 - C’est le cas à l’abbaye de Fontfroide (com. Narbonne, Aude) où l’étroite galerie est voûtée d’un berceau rampant, ou encore à Aiguebelle (com. Montjoyer, Drôme) à la fin du XIIème siècle [Fig. 1009]2366. Cette galerie ouest remplace une organisation originelle comprenant un cellier et d’autres structures d’abri et de stockage. Néanmoins, au XIVème siècle, la crise de recrutement des convers conduit bien souvent à l’inutilité de cette galerie qui retrouve alors sa fonction originelle de cellier, avec parfois une hôtellerie à l’étage. À long terme, ce bâtiment ouest est fréquemment détruit et il est rare d’en retrouver un parfaitement conservé 2367. Celui de Pontigny néanmoins est conservé et dispose d’un cellier et d’un réfectoire voûtés d’ogives. À l’étage, le dortoir est voûté d’arêtes 2368. Autre particularité cistercienne, le réfectoire des moines est souvent placé perpendiculairement à la galerie de cloître, disposition peut-être inspirée de Sainte-Bénigne de Dijon. Comme les moines blancs tendent à rétablir la part quotidienne du travail, plus particulièrement la copie des manuscrits, il est fréquemment ajouté une salle de travail à la suite de la salle capitulaire. Cette salle est conservée à Silvanès (com. Silvanès, Aveyron, fin XIIème siècle), vaste espace divisé en deux nefs par une file de piliers circulaires recevant les ogives toriques relativement massives. À Noirlac (com. Saint-Amand-Montrond, Cher, fin XIIème siècle), la salle des moines est chauffée par une belle cheminée, repérable à l’extérieur par un lanterneau [Fig. 1010]. L’enclos monastique se dote également de bâtiments agricoles et d’ateliers. Ainsi, à Fontenay, une forge hydraulique est adjointe aux bâtiments claustraux. Le système économique en faire-valoir direct et la création du corps de convers détermine ainsi une nouvelle organisation des bâtiments religieux. Les monastères cisterciens se différencient des prieurés grandmontains concomitants dont le plan totalement standardisé est disposé autour d’un petit cloître carré de 14m de long environ [Fig. 1030]. Quant aux chartreuses, elles se distinguent par des galeries de cloître entourées de cellules individuelles2369. Toutefois, cette organisation n’est pas stéréotypée, malgré la volonté d’unité et d’uniformisation exprimée dans la Charte de Charité. La topographie religieuse cistercienne n’est pas immuable mais s’adapte aux conditions d’implantation de chaque communauté2370. 2366 P. PLAGNIEUX, « L’architecture cistercienne » dans L’Architecture religieuse médiévale…, op. cit., p. 81- 91. 2367 À Prébenoît et au Palais-Notre-Dame, le bâtiment des convers a entièrement disparu. Les sondages menés à Prébenoît n’ont pas permis d’en retrouver les fondations. 2368 D. BORLÉE, op. cit., p. 29-39 2369 P. GILLON, op. cit., p. 265-300. 2370 P. PLAGNIEUX, op. cit., p. 81-91. - 890 - Ainsi, des contraintes topographiques sont à prendre en compte, remettant en cause l’idée d’un plan « type », d’un modèle calqué d’abbayes en abbayes. Marc THIBOUT remarque qu’à Sénanque, l’étroitesse de la vallée impose une construction de l’église suivant un axe sud-nord, tandis que les lieux réguliers sont disposés à l’ouest de l’abbatiale, ce qui est somme toute assez inhabituel. La sacristie est rejetée hors œuvre faute de place. Le parloir est supprimé. Quant au chauffoir il fait également fonction de salle des moines. Les cuisines sont reportées dans le réfectoire, à cheval sur la rivière. Il paraît ainsi difficile de faire état d’un modèle immuable et les contre-exemples semblent fréquents. Les moines blancs ont su adapter leurs besoins aux contraintes des paysages d’implantation. Le réfectoire est généralement placé perpendiculairement au cloître afin de dégager un espace pour installer le chauffoir et la cuisine. Or, des contraintes topographiques ont obligé certaines abbayes à le placer parallèlement. C’est le cas de Fontfroide, Silvacane, Sénanque et le Thoronet. Le chauffoir et la salle des moines deviennent alors une seule et même pièce 2371. À Grosbot, l’abbatiale est disposée au sud du cloître et non au nord. Là encore, les bâtisseurs répondent aux nécessités d’un terrain en pente et tiennent compte de l’écoulement des eaux. Cette constatation peut s’appliquer aussi bien à l’organisation générale des bâtiments autour du cloître qu’aux dispositions choisies pour l’abbatiale proprement dite. L’idée d’un plan « bernardin » à chevet plat commun aux abbayes de l’ordre ne résiste guère à une étude précise des choix architecturaux en France et en Europe [Fig. 920]. L’étude précédente sur les liens de filiation entre les abbayes a d’ailleurs montré les différences entre certaines dispositions claravaliennes (élévation à trois niveaux par exemple) et des choix de Pontigny et de quelques unes de ses filles (élévation à deux niveaux). La simplicité à laquelle aspire les moines blancs n’est pas synonyme de pauvreté de moyens, ni d’unité. Les statuts du Chapitre Général de Cîteaux étant relativement flous sur l’architecture et le décor, les bâtisseurs disposent d’une certaine liberté de choix, qu’il s’agisse des plans ou des élévations. En effet, les statuts, de même que les textes de saint Bernard ne citent que les interdits, les dérives et les excès. Aucune directive positive, aucun modèle architectural n’est clairement donné2372. Les partis mis en œuvre semblent ainsi beaucoup plus diversifiés que certains études contribuent à le faire croire (Marcel AUBERT, Anselme DIMIER, Benoît CHAUVIN), ce 2371 Y. ESQUIEU, V. EGGERT, J. MANSUY, Le Thoronet…, op. cit., p. 53. C. ANDRAULT-SCHMITT, « L’architecture cistercienne, une forteresse historiographique », Perspective, INHA, Paris, n°1, 2006, p. 124-128. 2372 - 891 - que confirme vraisemblablement l’étude des monastères du diocèse de Limoges et de ses marges. En effet, l’échec de la diffusion d’un modèle « bernardin » peut être évoqué à travers les exemples de Boschaud et de Peyrouse. Pourtant, ces deux sites font partie de la lignée claravalienne, traditionnellement associée au plan à chevet plat. Boschaud est affiliée à Clairvaux par l’intermédiaire de son abbaye-mère, les Châtelliers en 1163. Elle présente une nef unique voûtée d’une file de coupoles, un transept avec deux absides semi-circulaire encadrant une abside principale voûtée en cul-de-four, soulignée d’arcs aveugles. La file de coupoles de Boschaud révèle un choix d’austérité et permet le voûtement d’une nef unique sans espace de cheminement. Ce parti est proche de ceux adoptés à la Tenaille en Saintonge du sud, également fondation géraldienne, à Sablonceaux en Saintonge ou encore à Fontevrault [Fig. 189]2373. Ces dispositions paraissent plutôt éloignées du plan « type » cistercien avec sa nef voûtée en berceau brisé, son transept aux chapelles rectangulaires encadrant le chevet à fond plat. Est-ce simplement parce que Boschaud est un ancien ermitage affilié ? Dans ce caslà, comme la majorité des abbayes cisterciennes dans la seconde moitié du XIIème siècle sont des affiliations d’ermitages primitifs ou d’abbayes réformées (tel Dalon, Obazine ou encore Savigny), la diffusion du plan « bernardin » a pu connaître beaucoup de difficultés à s’imposer. Quant à Peyrouse, pourtant création directe de l’ordre, fondée en 1153, son plan est plus difficile à connaître face à la disparition presque complète de l’abbatiale. Nombre d’auteurs font toutefois état d’une église à coupoles comme celle de Boschaud, à l’image de Saint-Front-de-Périgueux2374. Matthias UNTERMANN, dans son étude très complète sur les productions artistiques cisterciennes, tente de répondre à un certain nombre de questionnements : « Comment les architectes, moines et fondateurs ont réalisé et exposé des besoins liturgiques avec les formes architecturales de leurs églises ? (…) Comment se sont-ils référés à des modèles de l’ordre ? (…) Comment mettent-il en place des éléments particuliers significatifs et un style approprié ? »2375 Il reconnaît l’existence de différents types de plans et d’organisation, 2373 C. ANDRAULT-SCHMITT, « L’abbaye de Boschaud »..., op. cit., p. 105-117. Selon Nelly BUISSON, il devait en effet s’agir d’une église à coupoles. Elle ne justifie toutefois pas cette affirmation et nous ne disposons d’aucun document figuré ou manuscrit nous permettant de la confirmer. Seul Jean-Alcide CARLES présente l’abbaye de Peyrouse à la fin du XIXème siècle comme une église « byzantine ». Peyrouse pourrait donc présenter une église à file de coupoles, en liens avec des formules aquitaines (Angoulême, Périgueux). Les vestiges archéologiques actuels ne peuvent néanmoins confirmer cette hypothèse. N. BUISSON, « Abbaye de Peyrouse », BSHAP, T 113, 1986, p. 308-323 ; J-A. CARLES, Les titulaires et les patrons du diocèse de Périgueux-Sarlat, éditions du Roc-de-Bourzac, Bayac, 1884 (réédition 1986), p. 241. 2375 M. UNTERMANN, Forma Ordinis..., op. cit., p. 225, traduction Josette PIGNOT. 2374 - 892 - variables selon les régions et les époques, dont nous souhaitons reprendre ici en partie la typologie. Il ne dénie toutefois pas l’existence d’une volonté commune de simplification technique, fonctionnelle et artistique en plein accord avec les idéaux cisterciens. Il fait ainsi état d’une tradition bénédictine du chevet en abside dans les années 11001140, très présent dans le Centre et le Sud de la France, globalement assez réticents au chevet plat. À Reigny dans l’Yonne (com. Vermenton), c’est un chevet échelonné qui est choisi, conservant ainsi le modèle de Cluny qui se retrouve dans certaines abbayes de l’est de l’Europe (terres d’Empire) [Fig. 1011]2376. En Allemagne, le chevet en abside correspond généralement à la filiation de Morimond (com. Fresnoy-en-Bassigny, Haute-Marne), fille de Cîteaux la plus présente dans les terres d’Empire, comme à Kamp par exemple. Dans le Centre et le Sud de la France, l’abside principale est flanquée de deux absides sur les bras du transept comme les filles de Bonnevaux en témoignent, à savoir Mazan, Tamié (com. Plancherine, Savoie) et Léoncel. Certaines églises présentent des absides échelonnées comme à Reigny (Yonne), Berdoues (com. Berdoues, Gers) et Valbuena en Espagne [Fig. 1012]. Toutefois, contrairement au plan bénédictin, les chapelles latérales sont ici fermées au sanctuaire et ne présentent pas de communication avec lui. Il fait ensuite état du fameux « plan bernardin » de la filiation de Clairvaux, « type bourguignon » avec des voûtes en berceau et une nef relativement obscure. Pour Philippe PLAGNIEUX, l’abbaye de Fontenay serait l’un des prototypes de l’architecture cistercienne [Fig. 1]. Elle est consacrée en 1147 par le Pape Eugène III (la construction n’était toutefois peut-être pas achevée à cette date). Le chantier se serait ouvert vers 1130. En effet, les techniques de construction sont proches de celles de Cluny alors tout juste achevée. Pour Philippe PLAGNIEUX, le chevet plat s’explique par la non nécessité de déambulation des fidèles autour des reliques de même que par la suppression des processions. D’où un chevet simplifié à fond plat en parfait accord avec les préceptes d’austérité et de simplicité de saint Bernard2377. Matthias UNTERMANN distingue ensuite les abbatiales d’une seconde génération, édifiées entre 1140 et 1180. Les églises à chevet en abside sont plus fréquentes. Après 1150, le plan « bernardin » est remplacé dans le sud de la France et en Espagne par une abside principale flanquée d’absidioles. Le plus souvent, quatre absidioles encadrent l’abside principale. C’est le cas à Bellaigue (com. Virlet, Puy-de-Dôme), Flaran (com. Valence-surBaïse, Gers), Montheron (com. Lausanne) et Faleri (Latium) [Fig. 1013, 1014 et 1015]. 2376 2377 N. CETRE, « Reigny », dans T. KINDER (dir.), Les cisterciens dans l’Yonne…, op. cit., p. 117-136. P. PLAGNIEUX, op. cit., p. 81-91. - 893 - L’abbaye du Thoronet se compose d’un chevet en abside encadré de deux chapelles également en abside sur chaque bras du transept [Fig. 1001]. Pour Yves ESQUIEU, il s’agirait d’une « variante du « plan bernardin » ». Il nous semble toutefois délicat de parler ici de plan « bernardin » alors même que sa spécificité, le recours à un chevet plat sobre, n’est pas respectée2378. Un type « plein d’avenir » selon Matthias UNTERMANN est le chevet composé d’une abside principale et de chapelles du transept fermées comme à Obazine, la Oliva (Navarre) et Huerta [Fig. 480, 1016 et 1017]. Fréquemment, les bras du transept se dotent de chapelles occidentales adjointes aux traditionnelles chapelles orientales, comme à Dalon ou à Vauluisant (com. Courgenay, Yonne). L’auteur insiste sur une particularité en Europe du Nord-ouest où les églises sont encore souvent charpentées, comme à Baltinglass en Irlande 2379. Plus rarement, certaines abbatiales présentent une seule chapelle par bras du transept encadrant le chevet. Cette disposition est adoptée à l’abbaye des Pierres. Deux chapelles de plan rectangulaire encadrent le chevet plat. De même à Tiglieto (Ligurie) [Fig. 720 et 1018]. Les chevets plats sont encore présents. Dans son étude sur les monastères cisterciens d’Irlande, Roger STALLEY fait état de la fortune de cette formule architecturale dérivée du plan de Fontenay, repris à Mellifont, Hore et Holycross [Fig. 1019, 1020 et 1021]. Selon lui, la construction de Mellifont ne fait référence à aucun modèle irlandais, les cisterciens sont ici libres d’établir leurs idées propres. Entre 1140 et 1180, des efforts sont menés pour correspondre à l’esprit ascétique voulu par saint Bernard. Les décors gravés sur les chapiteaux sont tolérés, mais uniquement géométriques. Les décors de chevrons en particulier sont très populaires. Néanmoins, l’auteur remarque un certain relâchement dans les années 1200, de même qu’en France et dans le reste de l’Europe. La figure fait son apparition, plus particulièrement dans les cloîtres2380. Cette seconde génération d’édifices se caractérise par le choix fréquent de chevets à déambulatoire et chapelles rayonnantes, formule assez éloignée de la volonté de simplicité et d’austérité formulée par saint Bernard. Le chevet plat ne semble guère être la référence pour les bâtisseurs de cette époque et est supplanté par de nombreuses formules moins austères. Le parti d’un déambulatoire peut étonner dans la mesure où les moines blancs n’accueillent pas de pèlerins ayant besoin de circuler aisément autour des reliques d’un saint. Ce type de plan s’est multiplié au XIème siècle dans le centre et le sud de la France mais essentiellement dans l’ordre bénédictin. Les abbayes cisterciennes d’Espagne adoptent relativement rapidement 2378 Y. ESQUIEU, « L’abbaye du Thoronet », Congrès Archéologique de France, Var, Paris, 2002, p. 195-212. M. UNTERMANN, op. cit., p. 285 à 393. 2380 R. STALLEY, op. cit., p. 183. 2379 - 894 - cette formulation. En effet, Veruela, fondée en Aragon en 1150 dans la filiation de Morimond présente ce type de chevet, probablement achevé vers 1173 [Fig. 1022]. De même à Fitero (Navarre), Moreruela et Poblet (Catalogne) [Fig. 1023 et 1024]. L’une des particularités cisterciennes semble être l’usage d’un chevet à déambulatoire droit. Selon Matthias UNTERMANN, il s’agirait d’une synthèse entre le plan « bernardin », le chevet plat et le chevet à déambulatoire et chapelles rayonnantes des cathédrales et églises de pèlerinage. La majorité est dans la filiation de Clairvaux (Les Châtelliers). La dimension des déambulatoires est néanmoins réduite par rapport à ceux des cathédrales françaises. Entre 1180 et 1240, les églises à abside polygonale se multiplient comme à Obazine, Meira (Galice), Matallana (Vieille Castille), Villers ou encore Ter Duinen (Flandres) [Fig. 1025]. Le chevet en abside est fréquent dans la France de l’Ouest après 1180. Nous le retrouvons en effet à Boschaud et à Bonlieu (date de consécration en 1232) [Fig. 137 et 189]. Ce plan est également fréquent pour les abbatiales cisterciennes fondées près de Jérusalem. Les moines blancs ne s’y installent que tardivement (pas avant 1157) et n’optent pas pour le plan à chevet plat et nef à bas-côtés. Qu’il s’agisse de Saint-Jean-des-Bois, de Belmont ou de Salvatio, la nef est unique, le chœur en abside parfois inséré dans un mur droit. Saint-Jeandes-Bois dispose par ailleurs d’une crypte, rareté dans un cadre cistercien2381. Enfin, les fondations tardives entre 1240 et 1320 présentent fréquemment des déambulatoires polygonaux, tel à Altenberg près de Cologne [Fig. 1026]. Les églises à abside sont toujours très répandues en Savoie, Dauphiné, Provence, Languedoc, Massif-Central, Aquitaine, Catalogne, Aragon, Castille, Galice et Portugal2382. Cette étude témoigne ainsi de la diversité des plans cisterciens, de la fortune du chevet en abside qui supplante bien souvent le chevet plat, remettant en cause l’idée d’un plan stéréotypé appliqué à chaque fondation. Il existe donc une multiplicité de possibilités correspondant à une simplicité et aux besoins des communautés 2383. Pour Philippe PLAGNIEUX, les abbayes cisterciennes adoptent également certaines particularités architecturales du lieu où elles s’implantent. La perméabilité des chantiers cisterciens aux constructions extérieures à leur ordre semble indéniable. Ainsi, Boschaud opte pour une nef unique voûtée d’une file de coupoles, solution peu usitée chez les cisterciens mais à l’image de Saint-Front de Périgueux, Saint-Cybard-d’Angoulême ou Fontevrault. Buildwas et Fontains en Angleterre font appel à l’architecture anglo-normande, Eberbach à l’art de 2381 D. PRINGLE, « Cistercian Houses in the Kingdom of Jerusalem » dans M. GERVERS (dir.), The Second Crusade and the Cistercians, Saint Martin’s Press, New York, 1992, p. 183-198. 2382 M. UNTERMANN, op. cit., p. 603. 2383 A. GAJEWSKI, « The architecture of the choir at Clairvaux Abbey : saint Bernard and the Cistercian Principle of Conspicuous Poverty », dans T. N. KINDER, (dir.), Perspectives…, op. cit., p. 71-80. - 895 - l’Empire, d’où les difficultés à parler d’un plan cistercien. Une sobriété commune aux premiers édifices de l’ordre ne semble guère suffisante à définir une architecture, un art propre aux cisterciens2384. Pour Grosbot, l’église est sobre, le décor est minimum, les arcs reposent sur des culots simples comme le souhaite saint Bernard. Toutefois, le plan n’a rien de celui de Fontenay [Fig. 430, 430 bis]. Le chevet est en abside, la croisée voûtée d’une coupole sur pendentif soulignée de cordons ornés de pointes de diamant [Fig. 443]. Peut-être la proximité de la cathédrale d’Angoulême a-t-elle eu plus de répercussion que l’affiliation tardive à Cîteaux en 1166, alors même que la construction de l’abbatiale devait être en passe d’être achevée. Pour Marcel AUBERT, Grosbot peut-être prise comme un exemple d’attachement aux « traditions locales ». Quant à René CROZET, il voit dans le choix d’une coupole sur pendentifs, de colonnes couplées recevant les arcs brisés, les liens avec la communauté augustinienne de Fontvive rattachée à Grosbot. Il met en évidence des parentés avec d’autres sites augustiniens comme Sablonceaux (Charente-Maritime), Saint-Émilion (Gironde) et Fontaine-Le-Comte (Vienne)2385. Le parti d’une nef unique étirée et étroite est fréquent en Aquitaine et dans le Midi, et est parfaitement illustrée par les abbayes cisterciennes du Pin, de Trisay, de Bonlieu et de Boschaud [Fig. 1027]. Cette étroitesse des vaisseaux est fréquente dans les églises monastiques d’Aquitaine comme Fontdouce en Saintonge et d’autres fondations de Géraud de Sales. C’est le cas également à l’abbaye de Faise en Gironde qui se caractérise également par la tripartition de sa façade occidentale, dite « poitevine ». Deux registres d’arcs en plein-cintre superposés rappellent certaines réalités saintongeaises, mais sont très rares dans un cadre cistercien. Une disposition similaire est adoptée pour deux fondations géraldiennes : Cadouin, affiliée par la suite à Cîteaux, et la Tenaille, abbaye devenue augustinienne. Il semble ainsi exister des liens étroits entre les abbayes cisterciennes et certains mouvements réformateurs aquitains2386. b. Mouvements érémitiques aquitains. La pauvreté volontaire au « goût du jour » : La réforme grégorienne trouve ses relais chez les moines clunisiens et les évêques conscients de l’importance de l’image et du décor dans l’initiation des fidèles aux préceptes 2384 P. PLAGNIEUX, op. cit., p. 81-91. R. CROZET, “L’ancienne abbatiale cistercienne Notre-Dame de Grosbot”, BSAHC, 1962-1963, p. 155-158 ; M. AUBERT (avec la collaboration de la marquise de Maillé), L’Architecture cistercienne en France, Vanoest, Paris, 1947 (2ème édition), T I, p. 154 et 205. 2386 J. GARDELLES, « L’abbaye cistercienne de Faise (Gironde) », BM, T 141, p. 7-19. 2385 - 896 - chrétiens. L’image est revalorisée et tient pour bonne part dans les dévotions et les pratiques liturgiques. À cette indulgence envers la figure s’oppose la rigueur et l’ascétisme de certains ordres nouveaux, réticents à l’image et souvent profondément aniconiques. Ceux-ci, tels les cisterciens et les grandmontains, forment une sorte de second mouvement conservateur qui, pour prouver sa légitimité face à d’anciens monastères à la réputation bien assurée, doit s’ancrer dans des traditions artistiques anciennes, souvent carolingiennes. Leur refus de l’image est ainsi en corrélation avec un monde carolingien, et particulièrement avec l’entourage de Charlemagne, souvent aniconique et réagissant violemment aux idées du concile de Nicée II. 1. Monastères réformés et nouvelles fondations ascétiques. Choix artistiques contrastés. Suite à la réforme se distinguent ainsi deux tendances contradictoires s’exprimant nettement dans les productions artistiques, architecturales et sculptées. Un parti de la « modernité » est représenté par des édifices de milieu « urbain », souvent clunisiens et épiscopaux. Les abbatiales aux vastes dimensions présentent une nef et des bas-côtés, des chevets développés optant pour le déambulatoire à chapelles rayonnantes. Certains bas-côtés étroits peuvent être associés à des « passages berrichons ». S’ils sont larges, ils correspondent bien souvent à un chevet développé avec chapelles rayonnantes. Il s’agit d’édifices bien dotés, opulents, drainant de nombreux pèlerins (Cluny, Souvigny, Paray-Le-Monial, sièges épiscopaux, églises de pèlerinage comme Saint-Martial-de-Limoges). En Poitou, MarieThérèse CAMUS constate la forte présence de déambulatoires à chapelles rayonnantes comme à Saint-Hilaire-de-Poitiers, Notre-Dame la Grande ou encore Sainte-Radegonde. Il s’agit de lieux de pèlerinage très fréquentés ayant ainsi opté pour des chevets ambitieux et développés. Ils correspondent à des fondations ou des protections ducales et de puissants seigneurs ecclésiastiques et laïques2387. L’historienne de l’art constate aussi que le passage de l’église charpentée à l’église voûtée a conduit à l’abandon du concept de nefs basilicales, larges et bien éclairées pour celui de longs volumes, plus étroits (comme à l’abbaye cistercienne de Bonlieu). L’adoption de la voûte a conduit à la multiplication des supports et donc des espaces à sculpter. À cela s’oppose la résistance d’édifices « ruraux », fréquemment placés en marges diocésaines (sites cisterciens), fermés aux fidèles et aux pèlerins. Ceux-ci optent pour un parti 2387 M. T. CAMUS, Sculpture romane du Poitou. Les grands chantiers du XIème siècle, Paris, Picard, 1992, p. 42. - 897 - architectural plus simple, souvent une nef unique. Celle-ci est large et modeste, reprenant les tracés modulaires carolingiens. Quand l’édifice est doté de collatéraux, il est alors charpenté et non pas voûté, selon un schéma carolingien. Jacques MALLET constate ainsi en Anjou l’adoption puis la « constante utilisation » du plan à nef unique large, croisée étroite souvent flanquée de passages latéraux, dès 1025 à la cathédrale d’Angers. Ce plan est ensuite accepté par les ordres de prédicateurs itinérants2388. Dans les années 1100 en effet, les fontevristes, grandmontains et cisterciens se montrent respectueux de certaines traditions de l’Antiquité tardive et s’apparentent à un cadre carolingien parfois aux limites de l’aniconisme. Ils développent une architecture de prédicateurs réformateurs avec une nef unique. Ils semblent privilégier l’oral aux images toujours rejetées et suspectes. Nous pouvons constater que les pays d’Ouest sont traditionnellement plutôt favorables à l’image, coïncidant ainsi avec une forte présence de l’autorité épiscopale. Les rois capétiens les utilisent comme leviers systématiques pour asseoir leur lente pénétration aux XIIème et XIIIème siècles, apprécient les chevets complexes, les piles composées permettant la multiplication des sculptures (Saint-Denis), tandis que les Plantagenêts proposent la continuité, le maintien de certaines traditions (parti de la nef unique, du chevet plat, tendance à l’aniconisme), relayées par les monastères cisterciens. Ainsi, les ordres anciens tenteraient le parti de la novation (nef à collatéraux, chevets à déambulatoire et chapelles rayonnantes), n’ayant plus de légitimité à asseoir, tandis que les ordres nouveaux ont besoin de recourir à certaines traditions architecturales pour asseoir leur légitimité, de même que les rois Anglais qui les choisissent comme relais du pouvoir. Ainsi, Jacques MALLET écrit que les « anciens monastères sont détenteurs d’une tradition contraire à la nef unique »2389. Les Plantagenêts semblent quant à eux animés par la même quête de légitimité que les cisterciens dans la mesure où leur tentative de mainmise en Aquitaine n’est pas évidente et suscite les révoltes, notamment limousines. Ces deux tendances opposées s’observent dans la vallée de la Loire. Les abbayes bénédictines s’illustrent par des réalisations architecturales et sculpturales souvent chargées tandis que les ordres austères, dans un climat favorable à l’austérité, aux volumes simples, aux sculptures sobres, optent pour un « goût archaïsant » selon les termes de Jacques MALLET. Nous préférons toutefois parler d’une austérité volontaire, de choix esthétiques affirmés plutôt que de formules « archaïques ». Ainsi, les cisterciens reprennent le parti de la nef unique 2388 2389 J. MALLET, L’Art roman de l’Ancien Anjou, Paris, Picard, 1984, p. 276. J. MALLET, op. cit., p. 126. - 898 - angevine donnant l’impression d’un espace ample [Fig. 1027 et 1028]. Elle est connue en Anjou depuis la première moitié du XIème siècle (Savennières, Le Lion d’Angers). C’est dans ce XIème siècle que surgit une lutte entre deux tendances : le refus de l’image à Marmoutier et son acceptation à Saint-Florent de Saumur où les représentations sont commentées par des textes selon le souhait des Libri Carolini. Vers 1050 apparaissent des traits nouveaux comme l’utilisation de la coupole de croisée. Ainsi se développe particulièrement autour de ChâteauGontier un groupe d’édifices optant pour un plan basilical et une coupole de croisée, plan qui sera d’ailleurs relayé dans certains sites cisterciens aquitains tel Obazine. La nef basilicale est également choisie dans certains sites majeurs des pays charentais comme Saint-Amant-deBoixe ou Châteauneuf. Les moines blancs du diocèse de Limoges semblent ainsi se tourner vers les pays d’Ouest comme l’illustrent bon nombre de leurs partis architecturaux. Quant aux églises paroissiales angevines, elles tendent à privilégier une nef unique qui conserve la faveur. Au XIIème siècle, cette formule est reprise par les prêcheurs itinérants. Elle est connue pour des édifices épiscopaux comme à la cathédrale d’Angers. La nef unique d’Angers est reproduite à la Trinité de Vendôme, à la collégiale de Toussaints, à l’abbatiale Saint-Nicolas. Parfois, la nef unique est associée à des passages latéraux entre elle et les croisillons : c’est le cas à l’abbaye de la Roë2390. Celle-ci est le premier établissement canonial de l’Anjou, fondé par Robert d’ARBRISSEL et en étroites relations avec Fontevrault [Fig. 1029]. Le parti de la nef unique est fréquemment associé à un chevet plat, sobre, ce qui n’est pas sans nous rappeler le plan dit « bernardin », jugé « caractéristique » de l’ordre cistercien2391. À la fin du XIIème siècle et au début du XIIIème siècle est adopté le grand chœur rectangulaire sur le modèle de l’hôpital Saint-Jean d’Angers. Ces espaces (nef unique, chevet plat) permettent la multiplication en Anjou des voûtes à nervures2392. Jacques MALLET constate qu’en Anjou vers 1130-1140, la sculpture et le décor évoluent vers moins de sobriété. Les feuilles grasses et opulentes couvrent les corbeilles et sont communes à un large domaine aquitain. Si le goût persistant pour les formes architecturales sobres paraît avoir retardé le développement de la sculpture (seuls les chapiteaux corinthiens et les feuilles d’eau dans les années 1100 sont acceptés), le milieu du XIIème siècle est marqué par la recherche d’une exubérance sculptée opposée à l’austérité cistercienne2393. 2390 J. MALLET, L’Art roman de l’Ancien Anjou, Paris, Picard, 1984, p. 109. La nef unique est choisie en Anjou à Bocé, Notre-Dame-d’Alençon, Genneteil, Brion, Meignié-sous-Doué, Mouliherne, Echemiré, Trèves, Gouis, Fontaine-Guérin, Brissarthe, Blou... Elle est associée à un chevet plat à Dénezé-sous-Doué, La Roë, Sermaise, Beauvau et Rou. 2392 J. AVRIL, Le gouvernement des évêques…, op. cit., vol. I, p. 422. 2393 J. MALLET, op. cit., p. 253. 2391 - 899 - Ainsi émerge une scission entre édifices de procession acceptant l’image (Cluny, édifices épiscopaux, églises de pèlerinage) et des édifices de parole, sans image, comme Cîteaux. Chez les moines blancs, les rapports avec les évêques sont restreints, de même que les contacts avec les fidèles. Par ailleurs, la proximité comtale, royale et de réseaux aristocratiques souvent résistants à l’image est indéniable et les conduit peut-être à des choix plus austères, telle la nef unique ou l’église-halle. Ce parti de la tradition choisi par les ordres à vocation érémitique est toutefois volontairement maintenu. Il correspond à une idéologie carolingienne et ne peut être compris comme un archaïsme, ou un retard accusé par rapport aux édifices clunisiens ou épiscopaux osant les chevets à déambulatoire et les vastes programmes sculptés. Il s’agit bel et bien d’une pauvreté volontaire, d’un ascétisme choisi, voulu et assumé pour les prédicants et les ermites. Comme les cisterciens, les grandmontains se montrent ainsi réticents à l’image. Ils rejettent les ornements superflus. Un des statuts de 1260 précise : « Omnis pictura et omnis sculptura inutilis et superflua a nostris penitus absit aedificiis ». Par certains aspects, et notamment dans les choix architecturaux, les grandmontains se montrent même plus austères, plus rigoureux dans l’expression de la pauvreté que les moines blancs. Les celles sont de simples nefs uniques terminées en abside [Fig. 1030]. Ce chœur en hémicycle est généralement percé de trois baies orientales à ébrasements internes [Fig. 963]. La nef est voûtée en berceau. Les dimensions sont réduites, les murs épais. L’appareil est le plus souvent de belles pierres de taille. Cette définition se retrouve aussi bien en Charente Limousine (Étricor) qu’en Poitou, Anjou, Berry, Bourgogne, Rouergue et Languedoc. Le chevet plat n’est ainsi pas la seule définition possible des églises austères, comme en témoignent en Limousin de nombreuses églises modestes à chevet à trois pans (Javerdat, Saint-Nicolas-de-Courbefy, Champconteau)2394. Les Chartreux s’inscrivent dans ce mouvement de sobriété. Les statuts précisent en 1261 « picturae curiosae de ecclesiis et hospitiis deleantur ». Les Chartreux mettent en place un ordre austère, séparé du monde, pénétré de l’esprit de pauvreté. Néanmoins, les interdictions concernant l’opulence artistique sont moins strictes que dans l’ordre cistercien et rapidement, les monastères sont construits avec faste, tout particulièrement durant le bas Moyen-Âge et la Renaissance. C’est ainsi que les chartreuses de Naples (1323), de Florence 2394 C. ANDRAULT-SCHMITT, Limousin gothique, op. cit., p. 29. - 900 - (1341), de Dijon (1383) et de Pavie (1398) sont très décorées et apparaissent plus comme des « maisons de prière de caractère palatin »2395. Dans l’ancien diocèse de Limoges, le parti de l’austérité et de la pauvreté volontaire est aussi adopté au prieuré de l’Artige. L’église médiévale mesure 10.60m de large pour 48m de long. Le chœur en abside est flanqué de deux chapelles latérales elles aussi absidales, voûtées en berceau brisé. Des traces de décor peint en faux-appareil sont observables, mais pas de figure ni de scènes historiées représentées sur les murs. Le portail nord présente des voussures au profil brisé reposant sur de sobres chapiteaux nus. Là encore, pas de figures ni même de feuillages. Quant aux baies éclairant timidement la nef, ce sont de simples ouvertures encadrées de granite, surmontées d’un arc brisé, à l’embrasure interne profonde de 50cm de large. Aucune fioriture n’est acceptée2396. Cette volonté d’austérité, cette pauvreté volontaire est relayée à partir du XIIIème siècle par les ordres mendiants. Leurs bâtiments sont souvent pauvres et humbles, les églises de 10m de hauteur environ sont couvertes d’une charpente, excepté le chevet (d’après le chapitre dominicain de 1228). Selon les franciscains, il ne doit pas y avoir de clocher en forme de tour. Le décor est limité, sans vitraux historiés ou décorés, sauf pour les grandes baies derrière l’autel majeur du chœur (1260). Si l’on prend l’exemple précis de l’église des dominicains de Colmar (Haut-Rhin), la nef charpentée est divisée par deux files de grêles colonnes lisses dépourvues de chapiteaux. La nef est conçue comme un volume unique essentiel pour associer tous les fidèles aux célébrations religieuses2397. La fortune de la nef unique ne se dément pas même durant le bas Moyen-Âge et est parfois reprise par les ordres hospitaliers. Ainsi elle est utilisée pour la salle des pauvres de l’hôpital du Pont-Saint-Esprit dont la construction débute en 1310. La nef unique est choisie pour couvrir l’espace d’un seul tenant. Elle n’est plus seulement réservée aux petites chapelles rurales de l’époque romane et permet de voûter un vaste espace, le plus souvent d’ogives2398. La nef unique est également fréquemment requise pour les églises des bastides, cisterciennes ou non. Selon Alain LAURET, l’église « salle » avec sa nef large, son clocher latéral et parfois des chapelles latérales entre les contreforts est largement diffusée des Pyrénées au 2395 J. HUBERT, « L’érémitisme et l’archéologie », dans J. HUBERT, Arts et vie sociale…, op. cit., p. 193-231. J. DENIS, Prieuré de l’Artige. Rapport d’étude historique et archéologique préalable à la restauration, SRA Limousin, 2003, vol. I, p. 5 (non publié, consultable au SRA Limousin). 2397 T. SOULARD, « Une spiritualité renouvelée dans la pierre. L’architecture des ordres mendiants », dans L’architecture religieuse médiévale. Art roman et art gothique. Une nouvelle vision, Dossiers d’Archéologie n°319, janvier-février 2007, p. 92-99. 2398 A. GIRARD, « Les origines du plan de la salle des pauvres de l’hôpital de Pont-Saint-Esprit », dans F-O. TOUATI (dir.), Archéologie et architecture hospitalières de l’Antiquité tardive à l’aube des temps modernes, Paris, 2004, p. 194. 2396 - 901 - Périgord du XIIIème au XVIème siècles (à Beaumont-de-Lomagne par exemple). Elle relève d’une inspiration des ordres mendiants mais s’inscrit aussi dans cette tradition d’un volume ample et unifié chers aux ordres ascétiques et prédicateurs. L’église sert alors à la fois de lieu de culte et d’assemblée du fait des vastes dimensions de la nef unique. C’est également un lieu de refuge pour les populations assiégées. La hauteur du clocher permet le guet2399. Les ordres à vocation érémitique semblent ainsi se placer en marge de certains aspects de la réforme grégorienne soutenue et diffusée par Cluny, préférant l’oral, la prédication, à l’instruction par l’image. Aux chevets développés permettant la circulation autour des reliques est préféré un chevet simplifié associé à une nef ample et unifiée pour faciliter les prêches. Toutefois, il ne semble pas y avoir au sein de ces mouvements ascétiques d’unanimité quant au statut de l’image et au parti architectural à adopter. Ainsi, les Prémontrés par exemple rivalisent avec Cluny pour la richesse de leurs églises et de leurs ornementations. Ils s’adonnent également à l’enluminure des manuscrits et se montrent favorables aux images. La présence d’artistes est même permise dans le cloître. Bernard de TIRON encourage l’art, les sculpteurs, artistes et peintres. Nous pouvons ainsi constater le rapprochement entre Cluny et certains ordres ascétiques tel les Prémontrés. Pierre le Vénérable évoque également son admiration envers les Chartreux. Entre 1211 et 1229 se créent ainsi des tensions entre les cisterciens et les Prémontrés à propos du rapport à l’art. Quant au monastère de la Chaise-Dieu, il y est fait la promotion de la production artistique2400. De même, Fontevrault apparaît comme un exemple atypique entre austérité et opulence affichée, peut-être en rapport avec son statut particulier de nécropole royale. Dès sa fondation (1101), Fontevrault bénéficie des libéralités du comte d’Anjou ainsi que de celles de Louis VI. La partie orientale de l’église est probablement amorcée du temps de Robert d’ARBRISSEL. En 1119, l’édifice cultuel est dédicacé par le pape Calixte II. Vers 1125, l’essentiel du grand monastère de moniales est réalisé. Le chevet est dépouillé, à l’inverse de la nef très ornementée édifiée sous l’abbatiat de Pétronille de Chemillé [Fig. 1031 et 1032]. La nef unique est ici couplée à un déambulatoire à trois chapelles rayonnantes, associant de fait continuité (nef unique angevine) et novation (chœur développé des espaces capétiens). Les bras du transept sont réservés pour les assistants privilégiés d’une société très hiérarchisée. Fontevrault associe le caractère ligérien du chevet à une nef unique aquitaine, large de 14m. Celle-ci est dotée de passages latéraux permettant un vaste espace pour les prêches. La nef, charpentée à l’origine, du fait de son ampleur et de la préférence méridionale 2399 A. LAURET, R. MALEBRANCHE, G. SÉRAPHIN, Bastides, villes nouvelles du Moyen-Âge, Milan, Toulouse, 1998, p. 123. 2400 C. RUDOLPH, The « Things of greater importance…, op. cit., p. 178. - 902 - pour les volumes bas, a une hauteur inférieure ou égale à sa largeur. Ce plan est favorable à la construction d’un clocher de croisée. Jacques MALLET signale que ce type de plan se retrouve en deux bandes, du Morbihan à l’Ain et de la Charente au Quercy. En Anjou, il est initié à la cathédrale en 1025. Robert d’ARBRISSEL est par ailleurs ami de Giraud qui a élevé la cathédrale d’Angoulême, voûtée de coupoles, d’où peut-être le projet d’une nef à file de coupoles, adoptée néanmoins assez tard à Fontevrault. Les murs sont renforcés au moment de l’établissement de ces coupoles2401. Fontevrault devient ainsi le témoin le plus septentrional des édifices à file de coupoles, caractérisés par une nef large de moyenne hauteur sans collatéraux. Elle est néanmoins la seule à associer file de coupoles et chœur à déambulatoire et chapelles rayonnantes, ce qui constitue sa profonde originalité, entre austérité et ambition. L’austérité élancée du chevet, isolé par une croisée étroite pour les offices, s’oppose aux proportions plus basses, carrées de la nef et de la richesse de sa décoration. Ce chœur évoque ceux de Saint-Benoît-sur-Loire, de Fontgombauld ou encore de Saint-Étienne de Nevers. Mais à l’inverse des abbayes cisterciennes, aussi bien à la Roë qu’à Fontevrault, il est rapidement fait adoption d’un décor opulent. Si le chœur de Fontevrault privilégie les grands chapiteaux à corbeille nue, la nef présente des oiseaux, des quadrupèdes assez similaires aux décors de Sainte-Eutrope de Saintes2402. Les décors des chapiteaux sont peu variés mais notablement plus exubérants que les chapiteaux nus et les feuilles d’eau cisterciennes : ici, les feuilles d’eau se terminent par une volute ou un bouton, des rinceaux et des palmettes couvrent les corbeilles tandis que des animaux (oiseaux affrontés) apparaissent parfois. Cette évolution vers une sculpture chargée est facilitée par la richesse des abbayes, bien dotées, placées sous la protection des rois anglais. De plus, les principales dirigeantes de Fontevrault sont recrutés dans le groupe nobiliaire et suscitent ainsi les libéralités. C’est ainsi que dès 1120, « certains seigneurs s’adressent aux moines de Savigny ou de Cîteaux restés fidèles à l’idéal austère »2403. Suite à la réforme grégorienne, deux productions artistiques se font face : les ordres nouveaux tendent au respect de certaines formules carolingiennes, optent pour des chevets simplifiés et des nefs uniques larges. L’image est suspecte, souvent rejetée, réactivant ainsi les tentations aniconiques de l’entourage de Charlemagne et des milieux aristocratiques. L’aniconisme ne fait cependant pas l’unanimité au sein des mouvements à vocation ascétique 2401 J. MALLET, « Fontevraud dans l’art roman et gothique angevin », dans 303…, op. cit., p. 61-72. R. CROZET, « L’église abbatiale de Fontevrault. Ses rapports avec les églises à coupoles d’Aquitaine », Annales du Midi, n° 190, 1936, p. 113-151. 2403 J. MALLET, L’Art roman de l’Ancien Anjou, Paris, Picard, 1984, p. 123. 2402 - 903 - et certains comme les Prémontrés se montrent plus indulgents. Les ordres anciens réformés comme Cluny font quant à eux le choix de la novation, développent des chevets à déambulatoire et chapelles rayonnantes relayés dans les espaces capétiens. L’image est requise pour l’éducation des fidèles et de vastes programmes iconographiques sont développés au sein des édifices clunisiens, des sites de pèlerinage et des sièges épiscopaux. Quant à Fontevrault, elle réussit à synthétiser les deux approches dans un édifice à la fois novateur et austère. Si l’image est toujours timide, l’opulence des feuillages et de certains décors est bien éloignée de l’austérité des premiers temps cisterciens. 2. Goût pour l’austérité ou volonté d’économie ? Cette sobriété dans l’art de bâtir et le décor a pu parfois être interprétée comme un souci d’économie, un manque de moyens financiers pour attirer sculpteurs et ouvriers qualifiés. Il est vrai que les moines blancs sont souvent dotés de terres incultes et l’une de leur priorité est ainsi nécessairement de mettre en valeur leurs territoires, regrouper les donations afin de constituer de vastes domaines d’un seul tenant. Ils investissent peut-être en premier lieu dans la mise en place de granges ou dans l’hydraulique, travaux indispensables afin d’assurer leur autarcie et la viabilité des exploitations. La simplicité des constructions découle-t-elle d’une nécessité économique face à une implantation au saltus ou d’un choix affirmé ? • Des constructions à l’économie : Lors de l’arrivée des moines blancs sur un nouveau site d’implantation, les premières structures bâties sont en matériaux périssables (bois, pisée) dans l’attente de la rentabilité de leurs terres et de l’avancement des chantiers de construction en pierres. C’est le cas à Obazine ou à Clairvaux où les moines vivent pendant une dizaine d’année dans des bâtiments en bois. Ces sortes de « huttes » sont attestées à Zwettl (1137), Villers (1150) et Stams au Tyrol (1273)2404. Ne percevant pas les dîmes dans un premier temps, à l’inverse de leurs homologues clunisiens, certains monastères souffrent de la précarité, comme l’abbaye des Pierres ou les modestes sites de Boschaud et Peyrouse. Il a pu effectivement être problématique pour certains abbés de bâtir en faisant appel à des ouvriers qualifiés, d’où la médiocrité de certaines constructions. De plus, le déroulement du chantier de construction peut s’étaler sur une période relativement longue, faute de moyens financiers suffisants. C’est le cas à l’abbaye du Thoronet. Si la construction de l’église débute vers 1160, le cloître et l’aile des moines sont bâtis vers 1175 tandis que l’aile des convers n’est achevée qu’au milieu du XIIIème siècle. 2404 M. UNTERMANN, Forma Ordinis..., op.cit, p. 171. - 904 - Selon Yves ESQUIEU, cet étalement de la construction sur un siècle peut s’expliquer par les saisons, les matériaux, l’argent et les hommes qui impulsent un rythme au chantier. En effet, l’hiver ralentit tous les travaux des champs mais aussi de construction. Seul le travail en atelier est possible (taille de pierre, préparation des outils) ainsi que la coupe du bois d’œuvre. Ce n’est qu’aux beaux jours que le chantier peut vraiment reprendre2405. Ainsi, l’abbaye des Pierres dispose de faibles revenus, d’où sa mise en œuvre de moellons irréguliers noyés dans un épais mortier de chaux [Fig. 723]. Il n’est en effet pas nécessaire d’économiser la chaux, le bois étant présent autour du site en forte proportion. Quant au calcaire, il peut être acheminé de la proche Champagne Berrichonne ou de la Brenne. Les bâtisseurs privilégient dès lors l’usage de moellons nécessitant un mortier de chaux épais plus que de pierres de taille assemblées en moyen appareil à joints minces. Il y a donc une adaptation nécessaire des techniques de construction aux ressources directement disponibles sur le site. La taille de pierres nécessite d’autres qualifications, des ouvriers spécialisés. L’abbaye des Pierres semble ainsi plutôt révéler un travail de maçons. Seuls les harpages, piédroits de baies et les éléments sculptés sont soignés. Les mêmes remarques peuvent être appliquées à l’abbaye de Prébenoît où seuls les éléments structurants de la maçonnerie et les soubassements bénéficient d’un soin particulier [Fig. 344]. Les chapiteaux et bases sont également taillés dans un granite fin. De même, l’abbaye de femmes de Coyroux ne bénéficie pas de la même qualité de mise en œuvre que le monastère d’Obazine. Les bâtiments conventuels, en moellons de gneiss irréguliers et grossièrement équarris sont liés d’un mortier médiocre et ont ainsi presque entièrement disparus. Le cloître est deux fois moindre qu’à Obazine. À Coyroux, la construction est nettement faite à l’économie [Fig. 579]2406. Par ailleurs, les sites les mieux dotés, tels Bonlieu, Dalon ou Obazine peuvent s’enorgueillir de parements soignés, en moyen appareil régulier de qualité qui n’est pas uniquement réservé aux parties structurantes de la construction. À Bonlieu, les deux travées de la nef subsistantes et le chevet sont d’un bel appareil régulier aux joints minces [Fig. 142]. Seule la tour de fortification ajoutée en 1421 sur les vestiges de la nef est en petit appareil irrégulier [Fig. 139]. Les parements de la nef et du chevet conservés nécessitent des qualifications de tailleurs de pierre plus que de maçons, à l’inverse d’autres sites proches comme Prébenoît ou les Pierres. Cette distinction peut s’expliquer par la plus grande richesse de Bonlieu, à la tête de treize exploitations, bien dotée jusque dans le XIIIème siècle, à 2405 Y. ESQUIEU, V. EGGERT, J. MANSUY, Le Thoronet…, op. cit., p. 27. B. BARRIÈRE, « Coyroux, doublet féminin de l’abbaye d’Obazine (Limousin, XIIème-XIIIème siècles) » dans N. BOUTER (dir.), Les religieuses dans le cloître…, op. cit., p. 131-138. 2406 - 905 - l’inverse de deux autres monastères plus modestes et qui n’ont jamais vraiment quitté la précarité des premiers temps. Un des moyens d’économie peut être de faire travailler directement les moines et les convers à la construction des monastères. Ceux-ci pouvaient-ils être les maçons et tailleurs de pierre nécessaires à la mise en œuvre de leurs propres bâtiments ? C’est ce que suggère par exemple la Vie de saint Étienne d’Obazine. Nous pouvons toutefois douter que les moines, astreints à des offices réguliers, aient pu réellement participer de manière régulière à l’édification des bâtiments. Il est par ailleurs tout à fait plausible que certains convers aient eu les capacités de participer au gros œuvre. Quant aux sculptures et décors, il n’est pas impossible que certains moines aient pu s’y adonner selon leurs compétences. De fréquents passages de la Vita évoquent ainsi la construction d’Obazine et de Coyroux : « Ils [les moines]construisaient eux-mêmes leurs bâtiments, brisaient avec des masses les pierres arrachées de la montagne et les portaient sur leurs épaules pour construire la maison. C’était un spectacle admirable que de voir ces énormes pierres que de nombreux hommes ensemble ne pouvaient déplacer, portées par quatre frères avec autant d’agilité que si rien n’était. Bien que chacun dût participer à ce travail selon ses forces, c’était surtout aux religieux forts et habiles que revenaient ces tâches et les autres du même genre. Les plus faibles et ceux qui n’entendaient rien à ce genre de travail étaient occupés à copier des livres ou à des travaux moins pénibles. Pendant toutes ces rudes occupations qui les fatiguaient sans cesse, il n’était porté aucune atténuation au jeûne : la nourriture n’était pas augmentée et leur corps travaillait sans être soutenu par une alimentation meilleure et plus abondante. Pharaon accablait ainsi les fils d’Israël et ne voulait pas les secourir. Le maître des frères n’agissait pas autrement, bien que ses intentions ne fussent pas les mêmes : il voulait qu’ils se contentassent d’une nourriture médiocre tout en leur commandant beaucoup de travail, afin d’affliger leur corps et de - 906 - fortifier leur âme. Au contraire, Pharaon nourrissait la chair figurée par les filles tandis qu’il mettait à mort l’esprit, figuré par les fils »2407. La construction du monastère d’Obazine prend ici une allure épique et miraculeuse. Les moines semblent doués de pouvoirs « surnaturels », puisés dans une foi inébranlable et une ascèse sans faille. Ils peuvent porter des poids colossaux malgré les jeûnes perpétuels. Les allusions à l’Ancien Testament et à l’Exode les placent en opposition aux fils d’Israël. Si ces derniers sont asservis, les moines sont au contraire libérés, fortifiés et édifiés par leur tâche. « À son retour de la Grande Chartreuse, l’homme de Dieu décida d’agrandir les bâtiments du monastère qui étaient devenus trop petits en raison du nombre croissant des religieux. Il commença par le sanctuaire et entreprit la construction d’une église en l’honneur, comme celle des Chartreux, de Marie, la sainte mère de Dieu. Tandis que les frères la construisaient, l’un des seigneurs de la région, craignant que l’édifice ne devînt un refuge pour ses ennemis, et la cause de sa perte, s’en vint, accompagné d’un grand déploiement de force, interdire aux frères de continuer leur travail. Ceux-ci, terrorisés par ces menaces, continuèrent à bâtir, moins solidement qu’ils n’avaient commencé, pendant près de deux jours, sans utiliser un mortier convenable. L’homme de Dieu se trouvait alors absent. À son retour, il s’aperçut que les pierres étaient mal taillées et surtout entassées sans solidité. Il réprimanda les frères et fit changer, pour les constructions à venir, le choix des matériaux et la façon de les employer. 2408» 2407 2408 M. AUBRUN, Vie de Saint Étienne d’Obazine…, op. cit., livre I, p. 69. M. AUBRUN, op. cit., p. 85. - 907 - Il est rare à l’époque médiévale d’avoir une description aussi précise des procédés de construction jusqu'au mortier utilisé. Ce sont chaque fois les moines qui sont présentés comme les bâtisseurs. Par ailleurs, certaines inscriptions nous permettent d’attester de la participation des frères convers à la construction et au décor des édifices. Ainsi à l’abbaye d’Haina (12501260) une signature « Lupuldus Frater » est apposée sur un vitrail. À Ebrach est indiqué sur le tympan à l’entrée d’une chapelle « Fratris Iohanis Lapicide Mementote » (1276)2409. Pour Yves ESQUIEU, il est tout à fait probable que les moines et les convers de l’abbaye du Thoronet aient assuré la taille des blocs ordinaires et leur pose, tandis que la taille des éléments les plus délicats pouvait être réservée aux professionnels. L’encadrement des baies en particulier n’a pas été produit sur le chantier mais préfabriqué en atelier ou en carrière par des ouvriers qualifiés 2410. Il écrit néanmoins que malgré leur fervent désir d’autonomie, il devait être nécessaire de faire appel ponctuellement à des ouvriers qualifiés, salariés, et spécialisés pour certaines tâches particulières, mais aussi pour prendre la tête d’équipes composées de moines et convers devant être formés au préalable2411. Il distingue une mise en œuvre propre aux monastères de l’ordre cistercien, diffusée par la circulation d’équipes d’ouvriers formés au sein des abbayes. Ainsi, il remarque au Thoronet que les fondations sont assises sur une large semelle faite de pierres soigneusement appareillées, technique que les cisterciens auraient contribué à répandre. Si cette technique de construction est effectivement observable pour les abbayes cisterciennes du Midi de la France (Sénanque, Silvacane), elle ne nous semble pas généralisée et ne se confirme guère pour l’ancien diocèse de Limoges. Yves ESQUIEU met également en lumière l’usage fréquent d’assises de pierres taillées en biseau dans les monastères de l’ordre « dégageant un volume que le mortier pouvait occuper, liant plus sûrement les pierres entre elles sans que l’aspect extérieur s’en trouvât modifié ». En effet, le rétrécissement des joints observé dans de nombreuses abbayes (le Thoronet, Silvacane, Bonlieu) pose le problème de la dissociation du blocage interne et du parement du mur, d’où cette technique de la taille en biseau. Nous n’avons toutefois pu l’observer en Limousin et Marche2412. Outre les moines et les convers, des ouvriers spécialisés sont donc également évoqués. Ceux-ci sont vraisemblablement rémunérés à la tâche. À Obazine, un maître d’œuvre est mentionné dans la Vita et est probablement laïc2413. Par ailleurs, le maître d’œuvre de Silvanès 2409 M. UNTERMANN, op. cit., p. 225. Y. ESQUIEU, « L’abbaye du Thoronet », Congrès Archéologique de France, Var, Paris, 2002, p. 195-212. 2411 Y. ESQUIEU, V. EGGERT, J. MANSUY, Le Thoronet…, op. cit., p. 26. 2412 Y. ESQUIEU, op. cit., p. 27. 2413 “Electo operio magistro”, II-18. 2410 - 908 - semble appartenir au monastère. Il est cité en 1150 et 1153 : « Sicardus operarius ecclesie ». Selon Jean-Louis BIGET, les moines blancs peuvent avoir parfois recours à une équipe de maîtres d’œuvre envoyés par l’ordre. L’abbé de Pontigny délègue ainsi un maçon à l’abbaye de Loc-Dieu (com. Martiel, Aveyron). Néanmoins, la majorité des abbés font appel à une main d’œuvre locale, laïque, possédant ses techniques propres2414. Nous n’avons toutefois pas repéré de signes lapidaires à Obazine ou à Coyroux. Il en existe cependant dans certaines abbayes cisterciennes comme à Silvanès (cloître), Flaran, Cherlieu (transept) ou à Sénanque [Fig. 808]. À l’abbaye de l’Escale-Dieu aussi, des marques de tailleurs de pierre témoignent du recours à des ouvriers salariés. Leur nombre était peutêtre limité afin d’économiser les coûts de construction. Les rapports avec l’abbé d’Obazine paraissent de plus conflictuels et les ouvriers contestent en particulier les jeûnes auxquels ils sont soumis. « Les ouvriers salariés ne pouvant supporter une si longue privation de viande, achetèrent un porc. (…) Lorsque les ouvriers déjà à l’ouvrage apprirent la nouvelle, ils entrèrent dans une grande colère, jetèrent à terre leurs outils et abandonnèrent leur travail. (…) Il [Étienne d’Obazine] embaucha de toute part tant d’ouvriers des campagnes pour le charroi des matériaux, qu’à les voir, on aurait pu penser qu’il s’agissait d’une paroisse réunie2415 ». Le nombre de ces ouvriers salariés ne devait donc pas être aussi insignifiant que cela. Ils sont sans doute majoritairement recrutés dans les paroisses environnantes, mais pourraient également circuler à l’intérieur de l’ordre de Cîteaux. Outre la Vie de saint Étienne d’Obazine, nous disposons d’autres sources médiévales afin de mieux connaître le déroulement du chantier et ses acteurs. En effet, certaines enluminures ou autres supports iconographiques représentent des scènes de moines bâtisseurs. Même si ces documents ne sont pas limousins et sont souvent tardifs, ils peuvent apporter à notre connaissance du chantier médiéval cistercien. Ainsi, l’abbaye cistercienne de Salem en Allemagne conserve des carreaux de poêle en faïence illustrant un chantier de construction 2414 J-L. BIGET, H. PRADALIER, M. PRADALIER-SCHLUMBERGER, « L’art cistercien dans le Midi Toulousain », dans Les cisterciens de Languedoc (XIIIème-XIVème siècles), Cahiers de Fanjeaux, Toulouse, Privat, 1986, p. 313-370. 2415 M. AUBRUN, op. cit., p. 133. - 909 - [Fig. 816]. Ce sont clairement les moines qui sont au travail. Une des scènes les montrent sur un échafaudage, avec des machines de levage. Au premier plan, certains taillent des pierres. La robe de bure et la tonsure permettent de les identifier. Sur une seconde vue, un moine gâche du mortier sous un appentis (peut-être une loge ?). Même si ces petites scènes relèvent souvent plus du mythe que de la réalité, certains moines ont pu prendre une part active dans les travaux de construction selon leurs compétences. Néanmoins, si l’on en croit la couleur de la robe de bure marron portée par ces ouvriers, il s’agirait plutôt de frères convers que de moines de chœur. Une des enluminures les plus connue est celle de la construction du monastère de Schönau [Fig. 811]2416. Les différentes phases de la construction sont représentées. Des moines sont représentés montant sur une échelle servant de rampe d’accès. Au premier plan, un homme pouvant être l’architecte tient une équerre et une canne, unité de mesure. Des moines gâchent le mortier. D’autres, dans une loge, taillent des pierres, les dégrossissent au marteau têtu et au pic. Ces moines sont représentés barbus. Il pourrait donc s’agir là aussi de frères convers. Ainsi, il est vraisemblable que les frères convers aient participé à la construction de monastères. Main d’œuvre gratuite, elle permettait aux moines blancs de réduire certains coûts de construction. Néanmoins, il était nécessaire de recourir à des ouvriers spécialisés bien attestés dans certains actes et dans la Vie de saint Étienne d’Obazine. Maçons et tailleurs de pierres pourraient être recrutés au plus près, directement dans les paroisses environnantes, ou parfois au sein même de l’ordre cistercien, circulant d’abbayes en abbayes. Il est toutefois difficile d’étayer cette hypothèse face aux lacunes des sources sur l’origine des ouvriers bâtisseurs. Afin de limiter les coûts de construction, les matériaux utilisés sont pris directement sur place ou dans de proches carrières. Ainsi, les abbayes de la Marche Limousine, installées sur des sols métamorphiques, sont bâties de granite et de schiste. À Prébenoît en particulier, la carrière de Marcillat exploitée est à quelques kilomètres à peine au sud-est de l’abbatiale [Fig. 381]. La carte géologique du Boischaut présente une « langue » de sols calcaires entre la Colombe et Varennes [Fig. 6]. De nombreux éléments sculptés de ces sites sont ainsi taillés dans un calcaire fin (chapiteau à boules de La Colombe, dépôt lapidaire de Varennes). La mise en œuvre de l’abbaye du Palais est de granite gris relativement fin avec peu d’inclusions de quartz correspondant au matériau présent en sous-sol. Toutefois, l’abbaye de Dalon 2416 Dessin à la plume, K 1532 H 2196, fol. 196, Germanisches Nationalmuseum, Nüremberg. - 910 - bénéficiant de revenus supérieurs et de multiples générosités seigneuriales fait venir du calcaire tendre de Saint-Robert alors que les bâtisseurs disposaient sur place d’un grès rouge. Ce matériau est d’ailleurs requis pour la salle capitulaire. Une certaine recherche du beau matériau n’est pas rare pour les sites les mieux dotés, bien que les abbayes cisterciennes limousines soient d’une manière générale plus enclines à l’économie et au pragmatisme. Yves ESQUIEU constate également que l’abbaye du Thoronet est bâtie en calcaire froid directement extrait à proximité immédiate du monastère2417. Les bâtisseurs s’adaptent ainsi aux matériaux présents sur place. À l’Escale-Dieu, l’emploi d’une pierre dure difficile à travailler entraîne la suppression des formes arrondies. Il n’y a ni colonnes engagées, ni chapiteaux2418. Les moines semblent ainsi aller à l’économie et exploitent les ressources du saltus où ils s’implantent. Ils ne recherchent donc pas forcément de matériaux plus aptes à la sculpture que le granite présent sur les sites. Nous constatons ainsi une économie certaine de moyens, une recherche de rentabilité maximale. Les fonds engagés sont réduits. Néanmoins, certains indices témoignent d’une réelle recherche esthétique et d’une qualité indéniable de la taille de pierre pour les sites les plus aisés. Au Thoronet, les parements réguliers présentent des pierres calcaires débitées en blocs, retouchées au moment de la pose pour que le joint soit le plus mince possible. Les colonnes du cloître et les parements extérieurs du chevet font l’objet d’un traitement particulier : l’aspect poli et lisse est surprenant. Le sanctuaire semble ainsi valorisé par la noblesse des matériaux, la régularité des assemblages, la finesse des joints, le rendu lisse des parements2419. Malgré une volonté d’économie certaine, il n’est pas rare de constater une réelle recherche esthétique et un intérêt flagrant pour la mise en œuvre des matériaux. De nombreuses astuces architecturales sont également déployées pour limiter les coûts de la construction. Ainsi, à l’abbaye de Sénanque, les mêmes cintres sont utilisés pour édifier les voûtes de la nef, les bras du transept et le dortoir, limitant ainsi la nécessité de se procurer du bois et de le travailler2420. Les techniques de voûtement tendent à limiter les dépenses inutiles et superflues. À Fontenay par exemple, on reprend le système des arcs brisés des grandes arcades et la voûte en berceau brisé déjà apparus à Cluny dans les années 1100. Toutefois, à Cluny, l’utilisation de ces éléments servait à faire monter le vaisseau à trente mètres de hauteur et à augmenter la luminosité. À l’inverse, à Fontenay, cette technique est 2417 Y. ESQUIEU, « L’abbaye du Thoronet », op. cit., p. 195-212. J-L. BIGET, H. PRADALIER, M. PRADALIER-SCHLUMBERGER, op. cit., p. 313-370. 2419 Y. ESQUIEU, op. cit., p. 27. 2420 É. MUHEIM, Une architecture cistercienne, l’abbaye de Sénanque, Monaco, 1989, p. 21. 2418 - 911 - liée aux préceptes de simplicité de l’ordre. La nef de 17m de haut (moitié moins qu’à Cluny) pour 8m de large ne dispose que d’un seul niveau d’élévation, les grandes arcades [Fig. 1]. Il n’y a pas d’éclairage direct et l’ensemble demeure assez sombre. Quant aux collatéraux, ils sont assez élevés afin de contrebuter la voûte du vaisseau central. Ils sont couverts de voûtes en berceaux brisés placés transversalement, système déjà présent dans l’architecture du XIème siècle. Les cisterciens apparaissent ainsi une fois encore du parti de la tradition. Pour Philippe PLAGNIEUX, ils synthétisent des éléments techniques de pointes (voûtes d’ogives) et des éléments probablement jugés « archaïques » (nef unique), en fait peut-être destinés à les ancrer dans l’Église de Rome, à asseoir leur légitimité face à des ordres anciens et renommés2421. Les techniques architecturales, les choix de voûtement et d’élévation vont dans le sens de la fonctionnalité, de l’austérité et de l’économie, en partie hérités de l’époque carolingienne. De même, un procédé fréquemment requis est celui du culot recevant des arcs doubleaux ou des voûtes d’ogives. Des culots sont utilisés à Obazine : ils reçoivent les arcs doubleaux renforçant les berceaux brisés des bras du transept et de la nef. Ils sont de forme conique, le plus souvent nus, parfois avec de légers décors géométriques ou feuillagés [Fig. 1033]. Le culot permet d’épargner de la pierre et de la main d’œuvre en remplaçant une colonne engagée appareillée montant de fond. Ce système permet également d’appuyer aux supports les stalles des moines et les bancs des convers. Là encore, il s’agit d’une architecture fonctionnelle, utilitaire qui va vers l’économie de moyens. Les culots sont également requis à l’abbatiale du Thoronet. Les arcs doubleaux de la nef sont reçus par de simples chapiteaux cubiques, puis se prolongent par des colonnes engagées arrêtées par des culots en quart-derond. • Les décors. Chapiteaux nus et vitraux dépouillés : Ce souci d’économie pourrait expliquer la forte présence de chapiteaux nus, sans aucun décor, dans les abbayes cisterciennes. Pas de vaste programme iconographique avec des scènes historiées complexes comme dans certaines abbayes clunisiennes. Au Thoronet, le décor sculpté est quasiment absent de l’édifice, exprimant un refus certain de tout luxe. Pour Yves ESQUIEU, la perfection de l’architecture serait un luxe en elle-même, de part la qualité des matériaux employés. Les chapiteaux cubiques présents dans l’édifice sont peu fréquents en Provence mais se multiplient non loin, en Italie du Nord. Dans la nef, certains chapiteaux sont ornés de discrètes croix en faible relief2422. 2421 P. PLAGNIEUX, « L’architecture cistercienne » dans L’Architecture religieuse médiévale..., op. cit.,p. 81- 91. 2422 Y. ESQUIEU, « L’abbaye du Thoronet », Congrès Archéologique de France, Var, Paris, 2002, p. 195-212. - 912 - La corbeille lisse prédomine dans les abbayes cisterciennes limousines et marchoises [Fig. 1034]: chapiteaux du cloître de l’abbaye de Prébenoît (début XIIIème siècle) [Fig. 359], chapiteaux de la nef d’Obazine (fin XIIème siècle) [Fig. 489], chapiteaux du bras du transept nord de Bonlieu (fin XIIème-début XIIIème siècles) [Fig. 155], chapiteaux déposés de l’abbaye de Boeuil (lieu-dit « Les Quatre-Vents »)[Fig. 118]. Ne pourrait-on justifier la forte présence de ces chapiteaux par le manque de sculpteurs qualifiés sur les chantiers de construction ? Par un manque de moyens financiers ? Par un inachèvement des corbeilles ? Ou s’agit-il d’un choix esthétique délibéré en rapport avec les préceptes d’austérité de Bernard de CLAIRVAUX ? Concernant les corbeilles lisses de Saint-Hilaire de Poitiers, Marie-Thérèse CAMUS propose une autre hypothèse séduisante. Cet édifice majeur présente un déambulatoire à chapelles rayonnantes lié à de grandes familles locales, tel le comte duc du Poitou, ayant prêté hommage aux rois de France avant 1150 et le mariage d’Aliénor d’Aquitaine. Cette mainmise aristocratique peut peut-être expliquer une réticence à l’image et la présence de chapiteaux nus. Selon l’historienne de l’art, les corbeilles devaient cependant être peintes, non seulement les chapiteaux lisses (enduit plus épais) mais aussi les corbeilles ouvragées. Sur les chapiteaux nus sont ainsi représentés des acanthes, palmettes, rinceaux, tiges, pointes de feuilles, masques, volutes ou griffons, à savoir les mêmes motifs que sur les chapiteaux sculptés. Des ocres et rouges subsistent encore aujourd’hui. La réticence pour la tridimension n’est toutefois pas dépassée, et l’aniconisme n’est pas réellement remis en cause 2423. Ces constatations semblent trouver un écho en Normandie. Ainsi, Maylis BAYLÉ envisage l’existence de décors peints sur les chapiteaux à feuilles lisses très schématiques de Bernay et de Bayeux (Normandie) dès le XIème siècle2424. Les chapiteaux de Notre-Dame de Saintes et de la Trinité-de-Vendôme étaient également destinés à être peints. Nous pouvons aussi constater que certaines corbeilles nues du cloître de la cathédrale de Périgueux présentent des traces de peinture. Il en est de même à Saint-Savin-Sur-Gartempe dans les années 1050. Les chapiteaux du rond-point du chœur de type corinthien étaient à l’origine peints de tons clairs. Ils imitaient les chapiteaux de marbre. Ce type de décors évoque les premiers temps de la Chrétienté et est peut-être compris comme un moyen de se rattacher à l’Église latine2425. Le Poitou aurait engendré un courant d’exploration vers le diocèse de Limoges. 2423 M- T. CAMUS, Sculpture romane du Poitou…, op. cit., p. 167. M. BAYLÉ, « Les chapiteaux dérivés du corinthien dans la France du Nord », dans l’ouvrage collectif, L’acanthe dans la sculpture monumentale de l’Antiquité à la Renaissance, Paris, CTHS, 1993, p. 269-280. 2425 Saint-Savin. L’abbaye et ses peintures murales, Poitiers, 1999, p. 73-83. 2424 - 913 - Évelyne PROUST signale également que sur les trente-sept chapiteaux témoins du décor de l’abbatiale de Saint-Martial de Limoges, certains présentent des vestiges de peintures en trompe l’œil. Des restes d’enduits préalables et de pigments demeurent sur certaines pièces, souvent caractérisées par leur « lourdeur et l’imprécision du modelé ». La peinture permettait ainsi peut-être de mieux cerner des contours imprécis et d’animer les corbeilles massives2426. Évelyne PROUST constate que les corbeilles lisses du rond-point du déambulatoire de Beaulieu (Dordogne) présentant une pénétration d’un volume conique et pyramidal étaient également destinés à être peints, tels ceux très similaires de la cathédrale de Cahors [Fig. 1035]. Cependant, à notre connaissance, aucune trace d’enduit ou de pigmentation n’étaye son propos de façon tangible2427. De même, nous n’avons aucune trace de peintures sur les chapiteaux nus des abbayes cisterciennes du diocèse de Limoges et cette hypothèse est difficile à vérifier pour les édifices intéressant notre étude. D’autres monastères cisterciens permettent néanmoins d’envisager cette théorie. Thomas COOMANS, dans son étude de l’abbaye cistercienne de Villers-en-Brabant 2428, décrit avec précision les chapiteaux taillés dans le fin calcaire mosan. Il évoque les chapiteaux lisses ou à feuilles très stylisées de la Porte des Moines ou de la Porte des Convers qui rappellent les feuillages observés au sein des monastères limousins. Il constate que les corbeilles de l’église datées du début du XIIIème siècle reflètent une très grande simplicité. Certaines présentent des feuillages témoignant d’une grande variété de formes et de décors stylisés. D’autres sont entièrement lisses, rehaussés de couleurs et portent un décor végétal peint. Lorsque les végétaux ne sont pas sculptés, ils apparaissent sous forme de peintures sur les corbeilles aux volumes simples. Les badigeons sont de calcaire blanc. Les arêtes des feuilles représentées sont soulignées de traits rouges. De même, quelques culots sont rehaussés de rouge cinabre. Selon Marie-Thérèse CAMUS, la présence de certaines corbeilles nues pourrait s’expliquer par un manque de temps, d’argent et d’artistes. Néanmoins, nous pouvons constater que les chapiteaux nus sont présents à Obazine ou à Bonlieu, édifices bien dotés et relativement opulents qui auraient sans doute eu les financements nécessaires à une équipe de sculpteurs2429. Il s’agirait donc d’un choix esthétique délibéré plus que d’une nécessité imposée par de faibles moyens financiers. 2426 É. PROUST, « Les chapiteaux de l’abbatiale : épaves d’un décor sculpté », dans C. ANDRAULT-SCHMITT (dir.), Saint-Martial de Limoges…, op. cit., p. 241-279. 2427 É. PROUST, La sculpture romane en Bas-Limousin…, op. cit., p. 49. 2428 T. COOMANS, L’abbaye de Villers-en-Brabant…, op. cit., p. 158 et 240. 2429 M- T. CAMUS, op. cit., p. 245. - 914 - Helen ZAKIN fait état de cette volonté de construire à l’économie, dans un but nettement utilitaire. Cette constatation s’applique également pour d’autres éléments de décors tels les vitraux. En effet, les statuts des Chapitres Généraux témoignent de leur préférence pour les grisailles. Or, ces vitraux sont de fait moins onéreux que ceux en couleur et demandent moins de travail par leurs motifs simples et répétitifs. Ils entrent dans le cadre de l’utilisation subtile de la lumière. Les cisterciens aspirent en effet à un environnement unifié, simple et ordonné qui ne puisse les distraire de leur méditation 2430. Ce rejet de la couleur est parfois justifié par une certaine « chromophobie » de saint Bernard de Clairvaux. Pour Michel PASTOUREAU, la méfiance vis-à-vis de la couleur s’explique en particulier par l’étymologie : couleur se rattache au latin celare, signifiant cacher. La couleur dissimule et trompe. Ainsi, les couleurs trop vives sont bannies, tandis que des camaïeux, des déclinaisons de nuances peu saturées sont parfois acceptés. Quant aux manuscrits enluminés de Cîteaux, leur recours à la couleur peut s’expliquer par un ressenti différent de l’abbé Étienne Harding qui ne semble pas éprouver le même rejet de la couleur2431. Si certains choix artistiques semblent répondre à une volonté d’économie, comme la mise en œuvre souvent médiocre de certains sites modestes du diocèse de Limoges (abbaye des Pierres, Prébenoît, Coyroux), d’autres paraissent répondre à un réel choix esthétique comme la forte présence de chapiteaux nus. Ceux-ci répondent aux goûts aniconiques des premiers temps de l’ordre, des réseaux aristocratiques auxquels les moines blancs sont étroitement liés et les rattachent à des réalités carolingiennes. Les rares décors admis sont bien souvent les seuls feuillages, simplifiés et réduits à l’essentiel, les motifs géométriques des vitraux incolores, témoins d’une production de série proche du stéréotype. c. Acceptations timides de l’image et du décor : Si du vivant de saint Bernard les principes d’austérité, de sobriété et de refus de l’image semblent relativement bien respectés, des transgressions apparaissent assez rapidement et peuvent être appréhendées grâce aux statuts des chapitres généraux faisant état des réprimandes aux abbés fautifs. De plus, dans la seconde moitié du XIIème siècle, l’expansion de l’ordre de Cîteaux se fait essentiellement par l’affiliation de communautés préexistantes comme Savigny, Obazine ou Dalon qui tendent à conserver certaines originalités, une autonomie particulière qui rend plus difficile leur contrôle, facilitant de fait les entorses aux statuts. Il est aussi délicat de maintenir les préceptes hors de France, pour des 2430 2431 H. J. ZAKIN, French Cistercian Grisaille Glass, Garland, New-York/London, 1979, p. 145. M. PASTOUREAU, « Les cisterciens et la couleur au XIIème siècle », CAHB, T 136, 1998, p. 21-30. - 915 - abbayes éloignées dont les représentants ne peuvent que rarement se rendre aux chapitres et sont de fait régulièrement exemptés. 1. Entorses aux statuts : Au XIIIème siècle, les abbayes limousines et marchoises connaissent une période d’embellissements, contemporaine du passage à une économie en faire-valoir indirect. Les sanctuaires se dotent de pavements (Prébenoît, Bonlieu), de vitraux (Bonlieu, Obazine) et parfois de tombeaux luxueux (Obazine, Prébenoît). Les mutations économiques, de même que la présence plus forte de la noblesse locale jouent vraisemblablement un rôle dans l’apparition progressive de la figure, d’éléments de mobilier plus riche et de la transgression de certaines règles d’austérité chères aux premiers temps de l’ordre. Les abbayes cisterciennes du diocèse de Limoges et de ses marges ne dérogent ainsi pas à cette évolution sensible dans d’autres sites cisterciens de France et d’Europe. Bien que certains sites mal conservés ne nous permettent guère de connaître les sculptures, décors et éléments de mobiliers mis en place (comme Aubepierres, Aubignac, Valette ou Derses), certains exemples confirment ces tendances à la transgression des préceptes de saint Bernard et des Chapitres Généraux. La figure apparaît en effet timidement dans certaines abbayes du diocèse de Limoges. Ainsi, un chapiteau de l’abbaye de Prébenoît dispose de cinq têtes humaines très schématiques, apparentées à des masques dont la bouche est réduite à une simple fente [Fig. 1036]. Cette corbeille est déposée dans le musée lapidaire de l’abbaye et sa provenance est inconnue. L’usage du calcaire privilégié au granite habituel étonne et pose la question de sa réelle appartenance au monastère. Il n’est toutefois pas rare qu’un matériau plus noble soit privilégié pour les éléments sculptés. À Dalon, le calcaire est requis de préférence au grès rouge local et permet la création de corbeilles feuillagées, à boules et à crochets d’une grande finesse. Il n’est pas impossible que les sculpteurs de Prébenoît aient utilisé ponctuellement le calcaire. L’étude du dépôt lapidaire issu de la ruine de l’abbatiale et du cloître n’a toutefois pas révélé d’autres éléments de calcaire2432. À l’abbaye des Pierres, un modillon sculpté d’une petite tête humaine est déposé et conservé sur la propriété à quelques mètres des vestiges du monastère [Fig. 1037]. Elle est relativement bien détaillée malgré le recours à un granite se prêtant peu à une taille précise. Les cheveux sont représentés par de fines ciselures tandis que les plis d’un drapé enveloppent 2432 I. PIGNOT, L’abbaye cistercienne de Prébenoît en Creuse. Étude lapidaire et architecturale, maîtrise d’Histoire de l’art, Clermont II, dir. B. PHALIP, A. COURTILLÉ, 2 vols, 2004. - 916 - le personnage. Il s’agissait peut-être d’un élément soutenant la charpente du cloître comme ces corbeaux nus retrouvés en élévation dans le mur sud de la nef. L’abbaye de Varennes présente certains éléments figurés. L’étude récente des peintures des voûtes de l’abbatiale a permis l’analyse précise des clés ayant révélé la présence de visages humains schématiques [Fig. 1038]. Si la clé de la première travée représente une simple croix tréflée sculptée, celle de la deuxième travée est ornée de visages et feuillages entremêlés, finement taillés dans un beau calcaire jaune. Celle de la troisième travée est dotée d’un visage humain schématique et souriant. Bien qu’invisibles depuis le sol, ces petits visages témoignent néanmoins de l’adoption progressive et encore timide de la figure dans certains monastères cisterciens2433. À l’abbaye de Bonnaigue, un modillon présente la tête d’un personnage très joufflu, au visage allongé, le nez long, les yeux et les sourcils nettement dessinés [Fig. 399]. Il apparaît au niveau d’un décrochement correspondant à l’élargissement du choeur. Certains éléments lapidaires vagabonds peuvent également révéler la présence de visages humains. Ainsi, des fragments de l’ancien cloître médiéval sont conservés dans le domaine de Beauregard à Ussel et remployés dans un pigeonnier. Est déposé, au-dessus d’une fontaine, un tronçon de pilier à colonnes d’angle surmonté de quatre chapiteaux feuillagés. Entre les quatre corbeilles, de petites têtes humaines sont sculptées, très bûchées et érodées [Fig. 1039]. À Boschaud, le croisillon nord du transept présente une corniche ornée de modillons sculptés [Fig. 215]. Les thèmes sont soit feuillagés, soit figurés. Une tête grimaçante est représentée, attestant de l’adoption progressive de la figure tridimensionnelle dans ces monastères, bien que souvent reléguée dans des espaces marginaux (corniches, modillons). Outre ces figures sculptées, certes discrètes, parfois peu visibles (clés de voûte de Varennes), la présence de carreaux de pavement, de peintures et de vitraux colorés semble être la faute la plus fréquemment réprimandée dans les chapitres généraux. En 1205, l’abbé de Pontigny est même sanctionné pour avoir autorisé un pavement dans son église « qui exhibe une certaine légèreté et qui, par son excès et par son éclat, attire la curiosité des spectateurs, s’écarte de la pauvreté qui est la nourrice du saint ordre cistercien ». 2433 E. BRIDA, Indre, Fougerolles, abbaye de Varennes, étude des décors peints, octobre 2006, p. 6. - 917 - Si les carreaux de céramique à motifs non figuratifs et géométriques sont tolérés, les excès de couleurs sont rejetés. Toutefois, malgré les interdictions et remontrances, les motifs figurés, animaliers, les dessins héraldiques et figures humaines ne sont pas rares2434. Les abbayes cisterciennes du diocèse de Limoges ne font pas exception et certaines se dotent de pavements luxueux au XIIIème siècle. C’est le cas dans le chœur du monastère de Prébenoît, en lien avec l’inhumation du seigneur donateur Roger de Brosse à l’extrême fin du XIIIème siècle [Fig. 369 et 370]. Certains sont figurés. Il s’agit de panneaux de 0.40m de côté représentant des animaux traités en mosaïque ; un cerf, une colombe sont figurés, évoquant peut-être des scènes de chasse. Ces motifs, curieux dans un cadre cistercien austère et sobre sont vraisemblablement à mettre en rapport avec un « mécénat » des seigneurs laïcs qui dotent le modeste monastère et permettent ainsi l’introduction de la figure. Roger de Brosse, lors de son testament, avait lui-même exigé son inhumation dans le chœur. Peut-être avait-il également évoqué certains embellissements et décors liés à sa sépulture. Cette iconographie propre témoigne de certains goûts artistiques de la noblesse, d’où les motifs en rapport avec la chasse à cour2435. Certains carreaux de terre cuite décorée de 17 par 17cm retrouvés à Bonlieu pourraient être liés à la consécration de l’édifice en 1225. Patrice CONTE les date en effet entre le XIIIème et le XIVème siècles [Fig. 166]. Toutefois, la présence d’une glaçure plombifère ferait plutôt pencher pour une datation plus tardive, peut-être du XVIème siècle2436. La comparaison avec d’autres sites permet d’étayer cette proposition. En effet, le site de l’hôpital Notre-Dame de Seclin (Nord), a révélé des carreaux de terre cuite de petit module (10 par 10cm) également à glaçure plombifère unie monochrome ou bicolore vert et jaune datés du XVIème siècle. Ce pavement est en effet attesté en 15332437. Ceux de Bonlieu s’illustrent de figures humaines telles une sirène ou un personnage présentant un oiseau sur son bras. Il s’agit là aussi probablement d’une scène de chasse apparemment très fréquente au sein des abbayes cisterciennes2438. Des carreaux de terre cuite ont également été découverts à Obazine lors de travaux des XIXème et XXème siècles [Fig. 529]. La technique utilisée est celle du décor estampé obtenu 2434 C. NORTON, « Les carreaux de pavage de la Bourgogne médiévale », Archéologia, 1982, n°165, p. 35-45. J. ROGER, P. LOY, L’abbaye cistercienne de Prébenoît…, op. cit., p. 45. 2436 Information donnée par Mme Pascale CHEVALIER, maître de conférence en histoire de l’art médiéval, Clermont II. 2437 S. RÉVILLION, « L’architecture hospitalière en milieu rural dans le nord de la France du XIIIème au XVIème siècles : l’exemple de l’hôpital Notre-Dame de Seclin (Nord) », dans F-O. TOUATI (dir.), Archéologie et architecture hospitalières de l’Antiquité tardive à l’aube des temps modernes, Paris, 2004, p. 164. 2438 P. CONTE dans B. BARRIÈRE (dir.), Moines en Limousin…, op. cit., p. 77. Conservés à l’abbaye de Bonlieu et au musée de la Sénatorerie de Guéret. 2435 - 918 - par l’application d’une matrice portant un motif sur le carreau de terre crue. Elle est connue à partir du milieu du XIIIème siècle jusqu’au XVème siècle. Ensuite est effectué le remplissage par un engobe blanc. Puis le carreau est recouvert d’une glaçure de couleur jaune ou verdâtre. On obtient ainsi des carreaux bicolores au décor contrasté sur fond orange, rouge ou brun. Les figures géométriques (lignes brisées, entrelacs), les feuillages (fleur de lys, palmettes, feuilles d’acanthes) déjà employés à Cîteaux (com. Saint-Nicolas-lès-Cîteaux, Côte-D’Or) ou à la Bénissons-Dieu (com. La Bénisson-Dieu, Loire) sont très présents à Obazine, mais quelques pièces présentent néanmoins un aigle et un cerf2439. Un seul carreau a été découvert à Dalon dans la salle capitulaire. Il s’agit d’un élément de terre cuite décorée de 8 par 6cm présentant un décor vert et brun sur fond d’émail blanc. Il est orné de lignes obliques sinueuses. Il pourrait dater du XIIIème siècle. De nombreux autres sites se dotent de pavements à motifs géométriques ou parfois figurés, et il convient désormais de livrer un bref aperçu d’autres productions cisterciennes françaises et européennes. Ainsi, il existe des carreaux de pavement à l’abbaye Notre-Dame d’Élan en terre cuite vernissée rouge à motifs jaunes, datés des XIIIème-XIVème siècles2440. À Eberbach en Allemagne, l’acceptation de l’image est sensible sur différents supports. Les piles de la nef et du transept conservent des traces de motifs en « V » colorés. P. REUTERSWÄRD pense que les vitraux et motifs des pavements développés ne sont pas dépourvus de signification profonde, révélant un goût certain des moines blancs pour le décor, malgré les réticences émises par Bernard de CLAIRVAUX. Selon lui, les fleurs de lys, très fréquentes, peuvent être interprétées comme l’essence de Dieu. Sont souvent représentés des motifs de croix de consécration, à la fois sur les vitraux et les pavements. Ce motif est également connu à Bonlieu par exemple où deux croix de consécration sont peintes, datées du premier tiers du XIIIème siècle en lien sans doute avec la consécration de 1232. Les branches de la croix comportent chacune trois pointes tournées vers l’intérieur. Pour P. REUTERSWÄRD, même les motifs les plus simples peuvent revêtir un sens profond, parfois « emblèmes cosmiques ». Les arbres souvent représentés peuvent avoir une signification christologique. Difficile alors de parler encore d’aniconisme durant le XIIIème siècle cistercien2441. 2439 P. CONTE dans B. BARRIÈRE (dir.), op. cit., p. 76. A. SARTELET, « L’abbaye cistercienne de Notre-Dame d’Élan », Archéologia, n°139, 1980, p. 62-65. 2441 P. REUTERSWARD, « An overlooked reserve in cistercian iconoclasm », dans S. MICHALSKI (dir.), L’Art et les révolutions…, op. cit., p. 25-35. 2440 - 919 - Quant aux vitraux, une ordonnance de 1150 prône l’usage de vitraux blancs, sans croix ni peinture2442. Les quelques éléments découverts dans les abbayes cisterciennes limousines et marchoises semblent correspondre aux goûts de saint Bernard. En effet, ceux découverts à Bonlieu (un vitrail), à Obazine (quatre sont conservés) ainsi que les fragments retrouvés durant les fouilles de l’abbaye de Prébenoît attestent du seul recours à la grisaille avec des motifs géométriques d’entrelacs et de palmettes. Ils peuvent être datés de la fin du XIIème siècle [Fig. 167 et 530]. Néanmoins, certaines abbayes acceptent dès le milieu du XIIIème siècle des vitraux historiés pouvant apparaître en réponse à une commande de seigneurs laïcs. C’est ainsi qu’un vitrail de l’abbaye de Royaumont (com. Asnières-sur-Oise, Val D’Oise) fondée par saint Louis et sa mère Blanche de Castille dans le premier tiers du XIIIème siècle représente ses deux fils enterrés là. Ces deux riches « mécènes » sont par ailleurs à l’origine de la commande de la rose nord de la cathédrale de Chartres (vers 1230). Les abbayes cisterciennes peuvent alors devenir – comme les cathédrales – des « laboratoires d’expériences » des nouvelles formes décoratives gothiques. D’autres abbatiales adoptent des vitraux figurés telles Lindena, Pforta (Allemagne), Heiligenkreuz (Autriche) et Haina (Allemagne, Hesse, entre 1240 et la fin du XIIIème siècle). Ainsi à Heiligenkreuz dans la dernière décennie du XIIIème siècle, se sont des saints et des prophètes qui sont représentés sur les vitraux du cloître, édifié entre 1220 et 1250. Ils alternent avec certains vitraux en grisaille proches de ceux d’Obazine, avec des tapis de palmettes et d’entrelacs inspirés des manuscrits enluminés de l’ordre. À Wienhausen (Allemagne du Nord, abbaye de femmes), un véritable programme iconographique se développe dans le cloître autour de la Passion du Christ. Enfin, à Altenberg (Cologne) au XVIème siècle, quatre-vingt seize vitraux évoquent la vie de saint Bernard et ses miracles après sa mort2443. Autant d’exemples illustrant bien l’assouplissement de l’ordre vis-à-vis de la figure, qui d’une réticence austère évolue vers une acceptation progressive tout au long du XIIIème siècle, bien que souvent réduite à la bidimension. L’apparition de la peinture n’est de même pas rare dans certains sites cisterciens, et même si les scènes historiées sont très anecdotiques, les motifs montrent un goût nouveau pour le décor et l’ornement dès le début du XIIIème siècle, à l’encontre des premiers préceptes cisterciens. Ainsi des décors de faux appareils sont relativement fréquents et se retrouvent à Prébenoît (transept), Le Palais-Notre-Dame (chevet et piscines liturgiques) [Fig. 311], à Boschaud (absidiole nord et sacristie), au chevet du monastère de Bellaigue (com. 2442 « vitrae albae fiant, et sine crucibus et picturis » ; J- M. CANIVEZ, Statuta…, op. cit., T I. J. HAYWARD, « Glazed Cloisters and their Development in the Houses of the Cistercian Order”, Gesta, vol. XII, 1973, p. 93-109. 2443 - 920 - Virlet, Puy-de-Dôme), à l’abbaye de Mègemont (com. Chassagne, Puy-de-Dôme) ou encore dans celle plus éloignée de Villers-en-Brabant. L’abbaye de Bonlieu se dote également dans la première moitié du XIIIème siècle de croix de consécration comme nous avons déjà eu l’occasion de le signaler [Fig. 168]. Elles sont proches de créations templières ou hospitalières de la même époque (Paulhac et la Croix-au-Bost, première moitié du XIIIème siècle). À Paulhac en effet, les croix pattées sont cernées d’ocre rouge sur fond bleu foncé. Les palmettes présentent des pointes tournées vers l’intérieur2444. Certaines monographies permettent d’appréhender les caractéristiques de l’implantation cistercienne hors de France et la réception des préceptes bernardins. Robert STALLEY livre une analyse précise des monastères cisterciens irlandais et leurs rapports spécifiques à l’image sculptée. Ainsi en Irlande, l’interdiction de construire des clochers en pierre, édictée en 1157, est quasiment ignorée comme à l’abbatiale de Grey (1193) par exemple. Ce statut est d’ailleurs particulièrement mal respecté par les bâtisseurs de l’ordre, en France également, comme en témoigne le clocher de l’abbatiale cistercienne d’Obazine. En Irlande, seule la filiation de Mellifont semble suivre la règle à la lettre, en tous cas dans un premier temps. Après 1200, les entorses à la règle cistercienne se multiplient et les sanctions promulguées par le chapitre annuel ne parviennent guère à rétablir l’austérité première. Les figures humaines apparaissent de même que des animaux affrontés ou ces dragons issus de l’imagination de sculpteurs s’exprimant tout particulièrement sur les piliers des cloîtres. Alors que le cloître est le lieu de méditation du moine où rien ne doit le troubler, les supports et chapiteaux se couvrent de figures de saints, de moines, de seigneurs, de bêtes, d’apôtres et d’évangiles. C’est toute la vie quotidienne du moine qui envahit les espaces claustraux. Les seigneurs laïcs sont eux aussi souvent représentés et peuvent être identifiés comme les bienfaiteurs des abbayes. Ils devaient éprouver une certaine fierté à marquer ainsi de leur empreinte le monument, démarche liée à leur conscience lignagère et une volonté certaine de reconnaissance. Au XIIIème siècle apparaissent également des carreaux de pavement couvrant les sols et des décors de faux appareils [Fig. 1040]2445. Ainsi, l’abbatiale de Mellifont a livré un certain nombre de carreaux de pavements dont les motifs feuillagés alternent avec de nombreuses représentations de lions, ailés ou non. En France, les mêmes dérives apparaissent et un certain nombre d’exemples peuvent aider à mieux cerner ce lent détachement de l’idéal originel cistercien de sobriété et de 2444 C. ANDRAULT-SCHMITT dans B. BARRIÈRE (dir.), Moines en Limousin..., op. cit., p. 60 ; C. ANDRAULT-SCHMITT, Limousin gothique…, op. cit., p. 295-301. 2445 R. STALLEY, The cistercian monasteries of Ireland, Yale University Press, 1987, p. 141. - 921 - dépouillement décoratif. À l’abbatiale de Villelongue près de Carcassonne (com. SaintMartin-le-Viel, Aude), le voûtement d’ogives intervient dans la seconde moitié du XIIIème siècle. Comme à l’abbatiale de Varennes, elles sont le prétexte à développer la sculpture. En effet, la clé de voûte du chœur présente un agneau pascal. Le plus étrange et quelque peu incongru dans un cadre cistercien tendant à l’aniconisme au XIIème siècle est la présence de personnages grotesques sur chaque culot de la nef, qui pour Benoît CHAUVIN montrent « le lent déclin de la spécificité cistercienne et la montée continue de l’art local dans les constructions les plus récentes » [Fig. 1041]. Les culots de la nef se présentent ainsi comme des corbeilles d’où jaillissent des personnages surmontés d’un tailloir pentagonal. Les joues sont rebondies, les lèvres charnues, la chevelure abondante. À l’angle sud-ouest du bras sud, un diablotin sourit de toutes ses dents taillées en pointes. Autant de figures qui ne correspondent pas à un idéal cistercien d’austérité et de réticence à l’image tridimensionnelle. Dans le cloître, des masques sont également présents sur un culot au niveau de l’arc sud-ouest de la galerie sud. Des oiseaux et des têtes sont dissimulés dans les feuillages des chapiteaux des colonnettes géminées du murbahut. Une des curiosités de ce cloître est également la présence de visages entre corbeilles, parfois avec des tiges de feuillages jaillissant de la bouche. Enfin, des modillons figurés appartenant à l’église de Villelongue sont conservés au proche village de Saissac (maison Leduc). S’exhibent ainsi des têtes bovines, des béliers, des têtes humaines aux bouches hilares ou aux rictus moqueurs. Pour Villelongue, ces sculptures sont probablement à mettre en relation avec des aspects financiers. Au début du XIIIème siècle, l’abbaye s’enrichit avec un afflux de moyens financiers nouveaux à la suite de la croisade contre les Albigeois. Les moines avaient-ils alors suffisamment de moyens pour faire appel à des sculpteurs ? Les mutations économiques comme le passage au faire-valoir indirect, les activités commerciales de plus en plus fréquentes, l’étroitesse croissante des liens avec l’aristocratie ont-ils facilité ces changements artistiques ? La perte du système d’exploitation qui faisait l’originalité des cisterciens a-t-elle eu des conséquences pour les productions artistiques ? Nous pourrions imaginer que l’acceptation des dîmes, les activités commerciales aient permis à certains monastères de s’enrichir et ainsi d’attirer sculpteurs et ouvriers qualifiés. La production de surplus, de bénéfices aurait pu permettre de réinvestir dans un décor plus abondant que dans les premiers temps de l’ordre, s’éloignant ainsi des principes originels de dépouillement2446. 2446 B. CHAUVIN, Pierres… pour l’abbaye de Villelongue, histoire et architecture, T II, Pupillin, Arbois, 1992, p. 265. - 922 - L’abbatiale cistercienne de moniales des Olieux (com. Narbonne, Aude), témoigne également de l’acceptation de la figure [Fig. 1042]. En effet, un des chapiteaux conservés aux retombées des voûtes d’ogives de la nef présente un personnage en pied à l’angle de la corbeille ainsi qu’une feuille au premier plan. Il s’agit d’un homme portant vraisemblablement une robe de bure, sans doute un moine au visage schématique. À Sénanque, une tête de démon est sculptée sur un corbeau de la galerie nord du cloître [Fig. 1043]. Il faisait face au père abbé assis dans la salle du chapitre. Cette figure grimaçante plutôt inhabituelle est dotée de petites oreilles pointues, d’yeux globuleux, d’une bouche ouverte sur des dents de scie. L’abbaye de Noirlac en Berry (com. Saint-Amand-Montrond, Cher) non loin de l’abbaye des Pierres révèle cette acceptation progressive mais timide de la figure [Fig. 1044]. En effet, si l’abbatiale et les bâtiments conventuels restent très sobres, le cloître présente quelques éléments figurés. Un chapiteau de la galerie nord, situé à la retombée d’une arcature, est orné d’un petit personnage aux mains jointes. Son visage est disproportionné par rapport au corps. Sa tête massive est traitée comme un masque schématique aux yeux mi-clos. Il pourrait s’agir d’un moine en prière. Dans cette même galerie, une autre tête humaine est sculptée sur un méplat tenant lieu de chapiteau à la retombée des voûtes d’ogives. Il s’agit d’un visage schématique à la bouche ouverte percée d’un orifice. Il représente un moine tonsuré aux yeux grand ouverts. L’étude des chapiteaux des galeries nord et ouest a révélé de petits visages cachés dans les crochets des chapiteaux feuillagés. Ces petites têtes schématiques sont des moines tonsurés aux visages parfois grimaçants. Ces décors sont plutôt inhabituels dans un cadre cistercien souvent réticent à l’image et montrent les assouplissements progressifs de la règle, bien que ces visages soient schématiques et discrets. Ces entorses à la Règle touchent particulièrement les fondations les plus récentes de la première moitié du XIIIème siècle. Ainsi, l’abbaye royale de Royaumont fondée par les rois capétiens, puissants et influents « mécènes », consacrée en 1236, choque par la richesse de la décoration et des aménagements liturgiques, sévèrement condamnés au chapitre général de 1253. Il semblerait que les moines blancs tendent à investir progressivement dans les éléments de mobilier, sans doute pour bonne part grâce aux fonds mis à leur disposition par les fondateurs royaux. Le projet architectural de Royaumont est par ailleurs ambitieux avec son chevet à déambulatoire et chapelles rayonnantes, les trois niveaux d’élévation évoquant les choix artistiques d’une cathédrale française plus que d’une sobre abbatiale cistercienne des premiers temps de l’ordre2447. 2447 P. PLAGNIEUX, « L’architecture cistercienne » dans L’Architecture religieuse médiévale…,op. cit.,p. 81-91. - 923 - Cette évolution vers moins de rigueur et d’austérité n’est pas propre à Cîteaux et d’autres ordres à vocation érémitique voient également leur discipline se relâcher, particulièrement concernant les productions artistiques et la place de l’image, se rapprochant ainsi des modèles clunisiens pourtant décriés. Ainsi, dans la seconde moitié du XIIIème siècle, des changements interviennent au prieuré limousin de l’Artige. Une alcôve est adjointe dans le chœur pour accueillir le tombeau des fondateurs. Un pavage de carreaux décorés a été retrouvé lors des fouilles archéologiques menées par Julien DENIS dans le chœur et les chapelles latérales. Les carreaux de 13 par 13cm adoptent soit une couleur uniforme, soit bicolore jaune et rouge. Certains sont incisés, bicolores estampés. Le thème floral est à l’honneur avec des rosaces, des quatre-feuilles. Sont aussi représentés des croix pattées, deux oiseaux adossés à un fleuron, un aigle bicéphale (chapelle nord). Ces décors de plus grande qualité interviennent en parallèle aux évolutions des principes de l’ordre vers une moindre austérité2448. Ainsi, dès le XIIIème siècle, certaines interdictions de l’ordre de Cîteaux sont bafouées et l’image pénètre peu à peu dans les cloîtres et dans les églises, sous forme de pavements, parfois de vitraux, de chapiteaux ou de modillons. En parallèle, les mutations économiques comme l’abandon du faire-valoir direct, l’acceptation des dîmes, l’insertion dans les flux commerciaux permettent à certains sites d’engranger plus de revenus que les abbés peuvent réinjecter dans les productions artistiques. Les pressions aristocratiques doivent également jouer dans l’introduction de certains éléments de mobilier, ceux-ci choisissant de plus en plus fréquemment les sites cisterciens comme lieu d’inhumation et nécropole familiale. Le cas de Prébenoît est en cela exemplaire et l’inhumation de Roger de Brosse s’accompagne de profonds embellissements (tombeau, pavement, mobilier). Ainsi, le XIIIème siècle marque la fin de nombreuses « spécificités cisterciennes » comme le faire-valoir direct, accompagné de la disparition progressive du corps des convers, et l’aniconisme cistercien est également considérablement adouci. Insensiblement, les moines blancs se rapprochent peu à peu du modèle clunisien pourtant tant décrié dans les premiers temps de l’ordre. Leur attitude nouvelle, plus indulgente face à l’image, les conduit bien souvent à adopter des productions artistiques similaires à celles de Cluny (pavements). Qu’en est-il alors réellement au XIIIème siècle de la fameuse controverse entre Cluny et Cîteaux ? 2. Rapprochement Cluny/Cîteaux au XIIIème siècle : 2448 J. DENIS, op. cit., vol. II, p. 9-12. - 924 - Les rapports entre Cluny et Cîteaux sont souvent présentés par le biais de la controverse les ayant opposés au XIIème siècle2449. Les textes de Bernard de CLAIRVAUX, de Pierre le VÉNÉRABLE ou de SUGER ont permis d’étayer l’idée d’une opposition entre des clunisiens profondément grégoriens et un Nouveau Monastère prônant l’austérité, le rejet du monde laïc et des images trompeuses et superflues. Ces précieux documents permettent de mieux cerner comment d’une même règle, celle de Saint Benoît, deux ordres apparemment si différents au XIIème siècle ont pu émerger. Les productions artistiques semblent un reflet de ces différences : chevet à déambulatoire et chapelles rayonnantes, chapiteaux historiés, vastes programmes iconographiques pour les uns ; chevet simplifié, volumes unifiés et sculptures discrètes pour les autres. Toutefois, l’étude de ces textes fondateurs du XIIème siècle ne doit pas masquer les réalités de la vie en communauté, la gestion de l’économie au quotidien, témoignant d’un rapprochement sensible des deux ordres dans le courant du XIIIème siècle. Un siècle après la rédaction de l’Apologie, que reste-t-il concrètement des idéaux de saint Bernard ? Il paraît nécessaire de revenir sur certains points de cette « controverse » et de la nuancer par une étude succincte des institutions et des créations artistiques clunisiennes et cisterciennes étroitement liées à leur paysage d’implantation, le saltus ou l’ager. Auparavant, il convient de préciser la place des moines clunisiens dans le diocèse de Limoges intéressant plus particulièrement notre étude. • Présence clunisienne dans le diocèse de Limoges : Quelle est la présence clunisienne dans le diocèse de Limoges et existe-t-il des interpénétrations entre productions cisterciennes et clunisiennes ? L’étude de POECK fait état des difficultés de Cluny de s’implanter dans le diocèse de Limoges et évoque pour cela le cas de l’abbaye de Saint-Martial. Concernant Vézelay, SaintMartial ou Saint-Bertin, elles semblent soumises à contre-cœur à Cluny, ne font partie de l’ordre que de manière nominale sans être jamais réellement mêlées à l’existence de la communauté des maisons clunisiennes. Dès 930, les moines de Saint-Martial tissent des liens étroits avec Cluny. À la même époque, des émissaires clunisiens sont accueillis à Tulle. Dès le temps d’Odon, Saint-Martial et Solignac concluent des pactes d’amitié avec Cluny. Bernadette BARRIÈRE met en évidence une imprégnation de la spiritualité et de l’observance clunisiennes pour les monastères limousins de 930 à 950. À partir de l’an Mil, Saint-Martial 2449 A. H. BREDERO, Cluny et Cîteaux au XIIème siècle. L’histoire d’une controverse monastique, Presses Universitaires de Lille, 1985 ; Sous la règle de Saint Benoît, École Pratique des Hautes Études, Genève, Paris, 1982 ; É. GILSON, La théologie mystique de saint Bernard, Paris, 1947 ; Z. OLDENBURG, Saint Bernard, « Le mémorial des Siècles », Paris, 1970. - 925 - revêt une dimension aquitaine, Aquitaine par ailleurs profondément romanisée et dont l’aristocratie gallo-romaine s’est en partie perpétuée et dispose encore de vastes domaines jusqu’au VIIIème siècle. Or, les relations entre Cluny et l’Aquitaine sont constantes depuis la fondation par Guillaume d’Aquitaine. L’évêque, l’abbé de Saint-Martial et le vicomte de Limoges sont dans la mouvance de Guillaume V le Grand, comte de Poitiers et duc d’Aquitaine. Les ducs d’Aquitaine fondent leur politique religieuse sur Cluny, ce qui semble particulièrement sensible au XIème siècle. En 1018, Saint-Jean-D’Angély est réunie à Cluny, cédée par les ducs. En 1082, les moines clunisiens s’installent à Montierneuf de Poitiers. Les moines noirs sont alors les principaux bénéficiaires des créations et donations. Pour Jean GLÉNISSON, il ne reste au XIIème siècle pour les cisterciens des pays charentais que les « marécages d’un Aunis aux rivages incertains » où s’implanteront tant bien que mal les moines de la Grâce-Dieu, Saint-Léonard-des-Chaumes, Notre-Dame de Ré, Notre-Dame de Charron et la Frénade. Ni Grandmont, ni Fontevrault n’y essaimeront2450. En 1031 est reconnue l’Apostolicité de saint Martial. Saint-Martial devient clunisienne en 1063 suite aux pressions exercées par Cluny sur le vicomte de Limoges. L’abbé Pierre Escauser tente de convaincre les vicomtes de Limoges des bienfaits de l’affiliation après la mort de l’abbé Mainard en 1062. Pour Bernard ITIER, adoptant une attitude fortement réprobatrice envers les moines noirs au début du XIIIème siècle, les clunisiens auraient pris l’abbaye de force. Geoffroy de VIGEOIS, moine de 1178 à 1184 se montre par ailleurs plus positif. C’est le vicomte de Limoges qui remet Saint-Martial à l’abbaye de Cluny, à l’abbé Hugues et ses successeurs, sans toutefois justifier de ses droits. Les moines de Cluny vont d’ailleurs parfaitement se servir de ses prétentions sur Saint-Martial pour le pousser à leur léguer l’abbaye. Face aux réticences des moines de Saint-Martial, désireux de maintenir et de préserver leur autonomie, le légat papal Pierre Damiani doit intervenir et obliger les moines à accepter l’ordre clunisien sous peine d’excommunication. Saint-Martial conservera néanmoins une certaine autonomie dans l’ordre clunisien2451. Elle deviendra cependant un pôle de diffusion de l’influence clunisienne en Limousin. L’abbaye d’Uzerche va également passer dans l’observance clunisienne, de même que Vigeois réformée en 1082 par SaintMartial. L’abbaye est alors reconstruite entre 1096 et 1124 selon les chartes du monastère mentionnant des donations ad opus monasterii. En 1096, Guillaume, moine clunisien de Saint-Martial monte sur le siège épiscopal. Adémar, abbé de 1063 à 1114 obtient du Pape que l’élection épiscopale de Limoges se fasse sous la présidence et avec la voix prépondérante de 2450 2451 J. GLÉNISSON, « Le Moyen-Âge » dans J-N. LUC (dir.), La Charente-Maritime…, op. cit., p. 104-186. D. W. POECK, Cluniacensis Ecclesia…, op. cit., p. 117. - 926 - l’abbé de Saint-Martial. La victoire d’Adémar et de Cluny semble complète sur les usages ecclésiastiques locaux2452. Ce n’est qu’au milieu du XIIIème siècle que Saint-Martial retrouvera une réelle indépendance vis-à-vis de Cluny. L’étude de Denise GABORIT-CHOPIN sur les manuscrits de Saint-Martial est édifiante afin de cerner les rapports artistiques avec Cluny. En effet, le scriptorium de l’abbaye limousine va se rapprocher de celui de Cluny suite au rattachement en 1062. Les manuscrits de Cluny témoignent de l’utilisation d’une gouache épaisse avec des rehauts d’or et d’argent. À Limoges avant l’affiliation, les dessins étaient rehaussés d’encre rouge ou de peintures légères. Après 1062, l’abbatiale Saint-Martial s’enrichit et prospère, influençant indéniablement l’évolution de l’enluminure. Les manuscrits chers sont favorisés. L’abbé clunisien Adémar fait dès lors travailler à Limoges des enlumineurs de l’abbaye-mère. Des relations avec la Bourgogne se manifestent par l’usage de lettrines à encre rouge. Les enlumineurs limousins retiennent l’emploi de l’or et de l’argent, les couleurs des gouaches sont à dominantes de rose, mauve et bleu comme en témoigne l’iconographie de peintures en pleine page2453. L’abbaye de Beaulieu (Corrèze) est fondée au milieu du XIème siècle par les moines de Solignac. Elle est donnée à Cluny en 1076, ce qui peut justifier la place importante accordée à la sculpture (porche occidental, Fig. 1045). C’est l’abbé laïc Hugues de Castelnau qui en fait don à Cluny. S’amorce dès lors une période de stabilité marquée par la reconstruction de l’église. Le chantier progresse vraisemblablement d’est en ouest à partir de la première décennie du XIIème siècle2454. L’abbaye est dotée d’un chevet à déambulatoire et chapelles rayonnantes. La nef est flanquée de collatéraux plus larges qu’à Saint-Junien, le Dorat, la Souterraine ou Uzerche. Ils atteignent la moitié de la largeur de la nef. Le porche occidental en particulier multiplie les reliefs et les figures. Les programmes sculptés entrent parfaitement dans le cadre de la réforme grégorienne soutenue par Cluny et tendant à l’éducation des fidèles par l’image. Les chapiteaux de la nef présentent des lions crachant des feuillages, des hommes attaqués par des monstres, des Atlantes, tout un panel de formes et de figures rejetées quasi systématiquement dans un cadre cistercien. Les motifs végétaux sont néanmoins majoritaires et les corbeilles s’ornent de palmettes et d’acanthes. Toutefois, nous pouvons également constater la présence de corbeilles lisses dont le volume conique pénétrant un volume pyramidal évoque certaines productions cisterciennes [Fig. 1035]. Ces chapiteaux 2452 B. BARRIÈRE, « L’abbaye Saint-Martial de Limoges au Moyen-Âge », dans Les Limousins en quête de leur passé, Limoges, L. Souny, 1986, p. 25-38. 2453 D. GABORIT-CHOPIN, La décoration des manuscrits à Saint-Martial de Limoges…, op. cit., p. 111. 2454 É. PROUST, op. cit., p. 226. - 927 - « géométriques » sont de même fréquents dans l’archiprêtré de Mauriac. La présence de linteaux en bâtière en remplois dans certains parements va dans le sens de cette volonté de rapprochement d’un cadre antique et carolingien. En effet, les linteaux en bâtière font référence à une tradition antique visiblement en lien avec la tranche pentagonale des couvercles de sarcophages antiques et paléochrétiens. Ces linteaux sont repris dans un cadre carolingien et ottonien (Germigny-des-Prés, Corvey, Saint-Riquier, Jumièges, Aix-LaChapelle, Saint-Michel-de-Hildesheim)2455. La croisée du transept de l’abbatiale de Beaulieu est couverte d’une coupole sur pendentifs surmontée d’un clocher [Fig. 1046]. Celui-ci dispose d’un premier étage quadrangulaire puis d’une section octogonale percée de baies en plein-cintre. Un système tournant de gradins assure la transition entre les deux plans. La ressemblance avec le clocher d’Obazine, certes remanié au XIXème siècle, est troublante [Fig. 1047]. Ce dernier est surtout connu pour son passage du plan carré au plan octogonal par un système de gradins de pierre, système également tenté à Beaulieu et Saint-Léonard de Noblat, mais sans réel succès 2456. La galerie du cloître conservée, datée du début du XIIIème siècle, présente des bases au tore inférieur avachi tandis que les chapiteaux sont ornés de feuillages schématiques proches des créations cisterciennes contemporaines. La salle capitulaire est aussi ornée de chapiteaux nus [Fig. 1048]. Les piliers disposent d’un noyau central orné de motifs géométriques qui n’est pas sans rappeler les piliers du cloître d’Obazine, certains élements provenant des galeries de cloître du Chalard (années 1200) ou encore un pilier-porche de Paray-Le-Monial [Fig. 1049]2457. Des interpénétrations sont ainsi possibles entre les deux ordres religieux et la proximité d’Obazine et de Beaulieu a sans doute pu faciliter des échanges. L’abbaye d’Uzerche est érigée en monastère en 977, dédiée à saint Pierre. En 1068, la discipline clunisienne est instaurée par Adémar, abbé de Saint-Martial. L’autel majeur est consacré par Gui, évêque de Limoges de 1073 à 1086. Elle présente un chevet à déambulatoire et cinq chapelles rayonnantes, associé à une nef à bas-côtés [Fig. 1050]. Les chapelles adoptent un système de baies en plein-cintre surmontées d’un oculus assez similaire aux percements du chevet pentagonal de l’abbaye cistercienne de Bonlieu. Cette formulation est connue dès la fin du XIème siècle en Poitou et en Saintonge mais aussi à Saint-Sernin de Toulouse. À Uzerche, le chœur est consacré en 1097. Cette datation de la fin du XIème siècle correspond au profil des bases observées dans le chœur. Quant aux voûtes à pénétration du 2455 B. PHALIP, Des terres médiévales en friche…, op. cit., volume I (synthèse), p. 55 ; W. FOLKESTAD, J. NILSSON, « Les linteaux en batière romans d’Auvergne. Recherche sur la typologie et les origines », CCM, 28ème année, n°3, 1995, p. 227-238. 2456 B. BARRIÈRE, Aubazine en Bas-Limousin…, op. cit., p. 12. 2457 X. LHERMITE, « Le prieuré du Chalard. Étude architecturale », BSAHL, T 131, 2003, p. 37-71. - 928 - déambulatoire, elles relèvent vraisemblablement du début du XIIème siècle. À la fin du XIIème siècle, les moines de Bonlieu reprennent ainsi des formules déjà éprouvées dans certains sites clunisiens. Des interpénétrations entre deux ordres souvent jugés artistiquement opposés ne sont ainsi pas impossibles 2458. L’austérité du décor n’est pas sans rappeler certaines formules cisterciennes. La nef, le bras nord du transept, les chapelles rayonnantes sont dépourvues de sculptures. Les autres espaces acceptent des chapiteaux feuillagés aux feuilles simples ou palmettes. Décors cisterciens et clunisiens se rejoignent ainsi parfois. Quant à Vigeois, il s’agit d’un des plus anciens monastères limousins, fondé par saint Yrieix au VIème siècle. Il est donné à Saint-Martial de Limoges en 1082. L’abbé de Vigeois est alors toujours choisi par celui de Saint-Martial parmi les moines de son abbaye. Une reconstruction est amorcée qui s’étend jusque dans le premier tiers du XIIème siècle. Le monastère n’adopte pas le plan à déambulatoire selon cette « tradition maintenue » carolingienne déjà évoquée précédemment. Le chevet très large rappelle celui de Solignac (13m). Il dispose de trois chapelles rayonnantes directement ouvertes sur le rond-point du chœur. Ce type de chevet sans déambulatoire connaît des prolongements dans certains édifices de l’ouest de la France où le chœur à chapelles rayonnantes fait l’économie du déambulatoire. C’est le cas à Arnac, Solignac, Cahors et Souillac. Selon Marcel DURLIAT, les absides de Vigeois et de Souillac seraient postérieures à celles de Cahors (achevée vraisemblablement vers 1119). Au Vigeois, la nef unique rappelle les formules chères aux ordres à vocation érémitique. Les chapiteaux sont tour à tour feuillagés ou historiés, les modillons adoptent des têtes grimaçantes tandis que le portail nord, polylobé, est encadré de niches contenant des figures de saints mutilés. Les thèmes abordés sont riches comme souvent dans les monastères clunisiens et témoignent d’un goût certain pour la glorification et les mandorles. La mise en scène de ces représentations est simplifiée à l’extrême : seuls les éléments jugés indispensables à la compréhension sont sculptés. Les personnages se détachent sur un fond nu, les détails inutiles sont systématiquement éliminés. Les scènes de la Tentation au Désert jouent un rôle privilégié, placées dans l’axe de l’église, juste derrière l’autel. La résistance du Christ à la Tentation est une invitation à repousser les séductions du Diable. Le Christ acquiert ainsi un rôle d’exemple pour les moines et leur donne une possibilité de l’imiter2459. Même si les fondations ou affiliations clunisiennes adoptent le plus souvent de vastes programmes iconographiques sculptés, peuplés de scènes bibliques, de monstres ou d’un 2458 É. PROUST, La sculpture romane en Bas-Limousin…, op. cit. p. 327-334. É. PROUST, op. cit., p. 114-116, p. 335-344 ; J. MAURY, M. M. GAUTHIER, J. PORCHER, Limousin roman, Zodiaque, « La Nuit des temps », 1960, p. 37. 2459 - 929 - bestiaire exubérant, les corbeilles lisses, les feuillages sobres ne sont pas exclus et rappellent certaines corbeilles cisterciennes. Ceux-ci privilégient les feuillages sobres, de plus en plus simples et schématiques selon les goûts d’une première sculpture gothique. Les nefs clunisiennes semblent souvent vouées au saltus et s’ornent de feuillages parfois proches des réalisations cisterciennes ou plus directement issus de l’acanthe corinthienne. Par ailleurs, les chœurs sont magnifiés, dévolus à l’ager et optent pour des décors savants réservés aux seuls lettrés. Les abbatiales cisterciennes sont quant à elles entièrement réservées au saltus, sans distinction entre dévotion savante et populaire puisqu’elles ne revêtent pas de fonction d’accueil. Ces différences entre les deux ordres tiennent à diverses interprétations de la Règle de saint Benoît ainsi qu’à deux systèmes économiques divergents, deux modes d’exploitation des terres et de gestion des ressources. Toutefois, ces différences tendent à s’estomper dans le courant du XIIIème siècle et des rapprochements entre les deux ordres permettent de nuancer quelque peu la controverse. • Modèles économiques et institutions : Les différences paraissent néanmoins multiples lors de la naissance de l’ordre cistercien refusant les dîmes, l’accueil des enfants (admis et protégés chez les moines noirs en tant qu’oblats) et une économie en faire-valoir indirect. À Cluny, la prolixité de la prière vocale correspond à une participation à la mission d’intercesseurs dont les moines se sentent socialement investis. À Cîteaux, le labeur a autant de place et de valeur que la prière2460. Le traitement des conversions laïques est contrasté. Les cisterciens insistent sur le nécessaire passage de la superbia à l’humilitas. Les fastes de Cluny sont ainsi considérés comme une imposture. Les deux pôles laïque et ecclésiastique constitutifs de l’aristocratie s’interpénètrent2461. Les clunisiens tendent à choisir des vallées comme lieu d’implantation pour leurs monastères, près d’axes de circulation. Dans le diocèse de Clermont, ils optent prioritairement – et ce dès l’an Mil – pour les Limagnes à l’est du diocèse, tandis que l’ouest et ses montagnes est difficilement pénétré, difficultés confirmées jusqu’au début du XIIème siècle. L’Allier semble constituer une barrière de l’expansion clunisienne. Les meilleures qualités du sol entrent en considération dans le choix des sites d’implantation2462. Tandis que Cluny investit prioritairement l’ager, il ne resterait plus à Cîteaux que les zones de saltus laissées 2460 Sur la place du travail, voir III. D. P. BAUD, A. GUINVARC’H, M-E. HENNEAU, T. N. KINDER, La vie cistercienne. Hier et aujourd’hui, Cerf, Zodiaque, 1998, p. 45. 2461 D. IOGNA-PRAT, « La place idéale du laïc à Cluny (vers 930-1150). D’une morale statutaire à une éthique absolue ? », dans M. LAUWERS (dir.), Guerriers et moines…, op. cit., p. 291-316. 2462 A. MAQUET, Cluny en Auvergne, 910-1156, thèse, Paris I, dir. Michel PARISSE, vol. I, p. 94. - 930 - libres d’implantation. Les clunisiens optent généralement pour les lieux privilégiés de l’occupation humaine, tandis que les moines blancs tendent parfois à s’en éloigner, même si les voies de communication ne sont jamais très loin. Les prieurés clunisiens sont parfois attirés par les pôles de commandement que sont les châteaux. Ainsi, Philippe RACINET donne l’exemple du prieuré de Beaumont qui s’installe à l’intérieur de l’enceinte castrale de Montlhéry2463. Kristina KRÜGER met en évidence quelques différences fondamentales entre les deux ordres et certaines de leurs conséquences pour l’architecture : « Les cisterciens, qui observent attentivement les difficultés des clunisiens, adoptent une solution radicalement différente. Ils réduisent fortement le nombre des anniversaires à célébrer en limitant les entrées dans les nécrologes aux seuls abbés. Ils remplacent également le trentain, auquel a droit un défunt clunisien, par une obligation fixe pour chaque moine-prêtre de chanter trois messes des morts pour un confrère nouvellement décédé et vingt messes annuelles pour les défunts de l’ordre. Ces célébrations se déroulent à l’est de l’église et chaque prêtre est assigné à un autel particulier. Sur le plan architectural les conséquences de ce changement sont manifestes. Aucune église cistercienne n’est précédée d’une avant-nef à deux niveaux de type bourguignon et les porches accolés aux façades occidentales des églises cisterciennes ne comprennent plus de chapelle à l’étage »2464. Toutefois, la position des cisterciens envers les moines noirs n’est pas toujours aussi tranchée et radicale qu’il n’y paraît. Ainsi, Conrad d’EBERBACH écrit dans le Grand Exorde de Cîteaux à propos de la réforme clunisienne : « Nous voyons en effet que le bienheureux Odon, chef éminent du très noble monastère de Cluny, parvient à une si haute sainteté qu’il restaura l’Ordre monastique qui, à son époque, courait à sa ruine, et selon la grâce qu’il avait reçue de Dieu, il lui rendit toute la sainte vigueur de l’ancienne religion »2465. Dès le début du XIIIème siècle, les monastères cisterciens perdent une partie de leur originalité en renonçant à une exploitation en faire-valoir direct. Leur participation aux 2463 P. RACINET, « L’espace clunisien en Ile-de-France », dans L’Ile-de-France médiévale, T II, Paris, 2001, p. 18-23. 2464 K. KRÜGER, « Tournus et la fonction des galilées en Bourgogne », dans C. SAPIN (dir.), Avant-nefs et espaces d’accueil dans l’église entre le IVème et le XIIème siècle, CTHS, Paris, 2002, p. 414-423. 2465 Conrad D’EBERBACH, Le Grand Exorde de Cîteaux…, op. cit., I-6, 1-3. - 931 - marchés locaux, aux flux de commerce et d’échange, l’acceptation des dîmes, leurs compromissions de plus en plus fréquentes dans les affaires du siècle, le rapprochement avec une aristocratie laïque choisissant les sites cisterciens comme nécropole les conduit peu à peu à un modèle clunisien pourtant décrié du vivant de saint Bernard. En effet, comme à Cluny, les inhumations laïques se multiplient dans les sanctuaires. Les moines y trouvent ainsi peutêtre un moyen de promouvoir leurs églises. Les récits de moniage2466 sont de plus en plus fréquents, valorisant la conversion tardive de chevaliers à l’état monastique. C’est le cas aussi bien à Cluny qu’à Cîteaux comme en témoignent certains passages de la Vie de saint Étienne d’Obazine, telle la conversion de Bégon d’Escorailles2467. En outre, certaines novations cisterciennes sont adoptées à Cluny. Ainsi, le IVème concile de Latran crée un chapitre général pour les moines noirs à l’image de celui des cisterciens (1215)2468. Cluny tend aussi à se rapprocher de certaines institutions cisterciennes ayant fait leurs preuves. Dès le milieu du XIIème, des efforts sont faits pour redresser l’économie et certains dysfonctionnements clunisiens, auxquels les pamphlets de Bernard de CLAIRVAUX ne sont peut-être pas étrangers. Sous l’abbatiat de Pierre le VÉNÉRABLE, certaines mesures sont prises visant à un retour à plus d’ascèse. Il prône la restauration de l’austérité et de l’autosuffisance, réorganise les doyennés et renforce le pouvoir des cellériers et des régisseurs laïcs2469. De nouveaux statuts édictés en 1146-1147 témoignent d’un souci d’économie et de réaménagements liturgiques. Il réforme certaines coutumes trop laxistes et va même jusqu’à réduire la variété et la qualité des plats. Certaines différences entre Cluny et Cîteaux tendent ainsi à s’estomper, quelques institutions vont se rapprocher. Saint Bernard lui-même appréciera cet effort de retour à la Règle Bénédictine. Pierre prétend ainsi défendre la légitimité de l’idéal de son ordre, l’orthodoxie clunisienne face aux prétentions de Cîteaux2470. La baisse des revenus des monastères clunisiens, la diminution des revenus paroissiaux due à des conflits avec les évêques, les dîmes impayées poussent les abbés à mener des transformations économiques pour résorber cette crise intérieure. La nouvelle génération de donateurs semble en effet moins disposée à s’acquitter d’une obligation imposée par un bail à terme indéfini. De plus, Cluny ayant bénéficié de nombreux dons jusque dans la première moitié du XIIème siècle a engagé d’importantes dépenses pour la 2466 Le moniage est la conversion tardive d’un laïc à l’état monastique. C. de MIRAMON, « La guerre des récits : autour des moniages du XIIème siècles », dans M. LAUWERS (dir.), Guerriers et moines…, op. cit., p. 589-636. 2468 J. AVRIL, Le gouvernement des évêques…, op. cit., p. 786. 2469 D. VINGTAIN, L’abbaye de Cluny, CNRS, Paris, 1998, p. 78. 2470 J. P. TORRELL, D. BOUTHILLIER, Pierre le Vénérable…, op. cit., p. 164 ; A. BREDERO, op. cit, p. 187. 2467 - 932 - construction de Cluny III fondée par Hugues de Semur et poursuivie par Pierre le Vénérable. Des réformes sont ainsi nécessaires pour redresser l’économie clunisienne. • Quête d’un passé commun. Formules artistiques romaines et carolingiennes : Outre ces considérations rapides sur des rapprochements d’ordre économique et institutionnel, Cluny et Cîteaux semblent par ailleurs animés par une même recherche de formules artistiques tendant à une certaine « universalité », de formes « généralisées » pouvant les rattacher à l’Église de Rome, les inscrire dans une tradition monastique savante connue et respectée de tous, légitime. L’exemption de Cluny et de Cîteaux les soustrait d’ailleurs à la juridiction épiscopale et les soumet directement au Pape. Les liens avec l’Église de Rome sont donc étroits. Certaines références artistiques à un passé religieux commun semblent ainsi rapprocher moines noirs et moines blancs plutôt que de les différencier. Ils puisent parfois dans un même répertoire de motifs, souvent carolingiens, d’où des ressemblances sensibles, concernant par exemple les carreaux de pavements et vitraux. Ainsi, Dominique IOGNAPRAT insiste particulièrement sur le fort mimétisme romain exprimé par des clunisiens réellement soucieux de s’identifier à l’Église latine, préoccupation aussi sensible à Cîteaux 2471. Ainsi à Cluny, les cinq vaisseaux de la nef rappellent l’existence de liens privilégiés entre l’abbaye et la Papauté [Fig. 1051]. La référence à la nef de la basilique paléochrétienne de Saint-Pierre de Rome est indéniable, cette dernière comportant le même nombre de vaisseaux. De même concernant l’emploi des ordres superposés et des pilastres cannelés, l’usage du grand appareil pour certaines parties de la construction, les emprunts à la modénature et décors architecturaux romains (bases attiques, frises d’oves et de rais-de-cœur, rosaces d’acanthes et prédominance des chapiteaux dérivés du corinthien) [Fig. 1052]2472. Arlette MAQUET précise à propos de l’abbatiale clunisienne de Souvigny dans l’Allier que la romanité est évoquée par un certain nombre de citations architecturales et sculptées comme le système de plaques et enduits peints largement inspirés de l’Antiquité tardive. Ceci relève du même processus que la réutilisation de sarcophages antiques. Pour l’abbaye clunisienne de Mozac, de nombreux remplois antiques sont à remarquer, procédé fréquent dans l’ancien diocèse de Clermont et correspondant également aux habitudes clunisiennes. En effet, le caractère antique de ces blocs antiques pourrait être un élément de 2471 2472 D. IOGNA-PRAT, « La place idéale du laïc à Cluny (vers 930-1150)…, op. cit., p. 291-316. É. VERGNOLLE, L’art roman en France, Paris, 1994, p. 213. - 933 - « légitimation » du pouvoir. Pour Laura FOULQUIER, ces « reliques architecturales » sont conservées avec un dessein de vénération. Elle cite l’exemple du portail sud de Saint-Martin d’Artonne (Puy-de-Dôme) remployant deux colonnes cannelées couronnées de chapiteaux feuillagés antiques, célébrant « l’ancienneté et le prestige des édifices »2473. Les remplois antiques, le goût pour un système décoratif caractéristique des premiers temps chrétiens est ainsi tangible et témoigne d’une volonté forte de s’inscrire dans une tradition artistique de l’Église de Rome. Les clunisiens intègrent parfaitement l’attachement à l’Antiquité, à la romanité, au culte des saints, pratiques ferventes dans certaines régions d’implantation (Auvergne, sud de la France). L’antiquité des pierres remployées confère au monastère une plus grande valeur symbolique et constitue une forme de « légitimation des prétentions »2474. Helen ZAKIN met en évidence certains motifs communs aux ordres clunisiens et cisterciens, souvent issus d’un passé carolingien. Les cercles entrelacés représentés sur les vitraux sont issus d’un répertoire carolingien connu à Saint-Rémi de Reims et Saint-Maur-deGlanfeuil. Elle insiste sur la correspondance avec des motifs d’abbayes clunisiennes de Bourgogne comme Paray-Le-Monial, permettant de nuancer l’idée d’une controverse, adoucie sensiblement au XIIIème siècle. Les moines blancs témoignent en effet de moindres réticences aux décors et optent pour un répertoire de motifs commun aux moines noirs, souvent carolingiens. Les motifs des pavements sont plus aisés à étudier car mieux conservés d’une manière générale que les vitraux, eux aussi règlementés par les Chapitres Généraux 2475. Le recours aux carreaux de pavement dans les édifices clunisiens évoque également les mosaïques antiques et se placent dans une certaine continuité avec une tradition décorative ancienne. À Paray-Le-Monial en particulier, un pavement daté du XIIIème siècle se compose de carreaux de terre cuite jaune et noir glaçurés qui couvrent la nef et le transept. Ils évoquent la mosaïque en opus sectile de Saint-Benoît-sur-Loire. Le pavement de carreaux glaçurés découvert dans le choeur de l’abbaye cistercienne de Prébenoît n’est guère différent et relève d’un même héritage artistique [Fig. 369]2476. Outre les pavements et les vitraux – déjà longuement évoqués précédemment – d’autres décors et procédés architecturaux témoignent d’inspirations communes à Cluny et 2473 L. FOULQUIER, « Bonae memoriae : des remplois comme reliques dans l’espace ecclésial », dans UMR 5138, « Morphogénèse de l’espace ecclésial », dir. A. BAUD, Maison de l’Orient Méditerranéen, Lyon II, à paraître. 2474 A. MAQUET, Cluny en Auvergne, 910-1156, thèse, dir. Michel PARISSE, Paris I, vol. II, p. 373, 491 et 581 ; A. MAQUET, « Tertia d’Austremoine, les remplois et Cluny », dans UMR 5138, « Morphogénèse de l’espace ecclésial », dir. A. BAUD, Maison de l’Orient Méditerranéen, Lyon II, à paraître. 2475 H. ZAKIN, op. cit., p. 101 ; 120. 2476 J. ROGER dans B. BARRIÈRE (dir.), op. cit., p. 78. - 934 - Cîteaux, en lien avec des réalités antiques, paléochrétiennes ou carolingiennes. Ainsi, la disposition d’arcatures aveugles au niveau du transept de Cluny est relativement fréquente et nous pouvons l’observer à Autun, Beaune ou Langres2477. Ainsi, l’église Saint-Lazare d’Autun présente une élévation dérivée de modèles antiques avec une superposition d’arcades en pleincintre évoquant sans aucun doute la proche porte antique d’Aroux. Quant au portail sculpté présentant le Christ en majesté, il fait également référence aux proches vestiges antiques : le Christ est assis sur une architecture évoquant sans équivoque des arènes. Outre ces copies directes, des blocs antiques peuvent également être réinsérés dans la construction. C’est le cas en soubassement à Autun. Ces éléments ne sont ainsi pas mis en scène et ne sont pas exposés de manière ostensible. Cette politique de remplois est par ailleurs absente dans les abbayes cisterciennes du diocèse de Limoges, peut-être du fait même de leur implantation au saltus, loin des anciens grands centres antiques. À Paray-Le-Monial, une élévation « antiquisante » est mise en œuvre avec une superposition des ordres dorique, ionique et corinthien au niveau des grandes arcades, tel au Colisée de Rome. Le déambulatoire présente des pilastres cannelés à l’entrée des absides. Des décors d’arcs à damiers ouvrent sur les chapelles. Ces références multiples à l’Antique témoignent bien de cette volonté de se rattacher à l’Église de Rome. À Souvigny, la dernière travée du collatéral avant le transept ne dispose pas de colonnes engagées sur une pile cruciforme comme dans l’ensemble de la nef mais de pilastres cannelés qui font directement référence à l’Antique [Fig. 1053]. Ils sont datés du troisième quart du XIIème siècle. Ils sont surmontés de chapiteaux à entrelacs feuillagés et de treillages. Les chapiteaux corinthiens ornent la première travée de la nef. Les pilastres cannelés sont ainsi relativement fréquents dans un cadre clunisien, rappelant certaines formules antiques. Ils sont présents à la cathédrale de Langres, édifiée entre 1160-1180 pour la première campagne (chœur) et 1180-1240 (nef et transept) [Fig. 990]. Wilhelm SCHLINK insiste sur la forte présence de ces pilastres en Bourgogne, Champagne et Provence, témoignant d’un goût fervent pour l’Antiquité2478. La référence aux édifices carolingiens monumentaux est également omniprésente et constitue un second repère, un second modèle, d’autres formulations à reproduire dans cette volonté de tendre à une certaine « universalité ». Nous pouvons constater à maintes reprises les permanences de certaines formules carolingiennes dans l’ancien diocèse de Clermont, particulièrement en Val d’Allier. Un certain nombre de continuités apparaissent tel l’usage du 2477 2478 A. BAUD, N. REVEYRON, G. ROLLIER, Paray-Le-Monial, Paris, Zodiaque, 2004, p. 134. W. SCHLINK, Zwischen Cluny und Clairvaux..., op. cit., p. 73. - 935 - berceau lisse, du massif occidental, de linteaux en bâtière, d’arcs en mitre, d’arcs diaphragmes, d’une importante muralité, de supports à impostes, de baies à claires-voies, de marqueteries de pierres (mondes antique et carolingien) ou encore de tours lanternes. La présence de chevets à déambulatoire sans chapelles rayonnantes témoigne d’une « tradition maintenue » tandis que la « tradition rénovée », c’est-à-dire le chevet à déambulatoire et chapelles rayonnantes s’exprime à Tours, Limoges, Nevers ou Conques2479. Les clunisiens puisent ainsi dans un répertoire de formes romaines, carolingiennes visant à asseoir leur légitimité et à les rapprocher de l’Église de Rome tandis qu’un certain nombre de formules les ancrent dans la novation, tel l’usage du chevet à déambulatoire et chapelles rayonnantes. Ainsi, Cluny II se dote d’une galilée qui trouve son origine dans les églises-porches carolingiennes. L’abbaye de Déols en Berry, à côté de Châteauroux, en possédait aussi une, aujourd’hui entièrement disparue [Fig. 1054]2480. Les cisterciens n’ont néanmoins jamais eu recours à cet élément architectural étant donné leur refus d’accueillir des fidèles. Selon Nicolas REVEYRON, le souhait de Cluny est alors de « créer un paysage monumental reflétant l’unité et la spiritualité d’une ecclesia conçue à l’échelle de l’Europe »2481. Cette recherche explique la multiplication des corbeilles corinthiennes au sein des monastères de l’ordre. Les sculpteurs s’efforcent d’imiter les modèles antiques, de reproduire et d’adapter l’acanthe aux volumes des chapiteaux romans2482. Cette recherche esthétique clunisienne est immédiatement tangible à travers les références à l’Antique ou à l’art carolingien. Les moines noirs cherchent leurs modèles dans un passé jugé prestigieux et tentent ainsi de se rattacher plus étroitement à l’Église de Rome. Ils trouvent ainsi peut-être une certaine légitimité. Concernant les abbayes cisterciennes, la volonté de s’inscrire dans la lignée de l’Église de Rome est sans doute moins évidente de prime abord. Le choix d’un plan traditionnel depuis l’époque carolingienne est tangible. La salle capitulaire en particulier, si importante dans un cadre cistercien grâce à la tenue d’un chapitre journalier, est née en même temps que la volonté d’usages more romano, ravivés lors de la création du plan de Saint-Gall [Fig. 1008]. La volonté de retrait au désert peut d’ailleurs apparaître comme un « avatar du monachisme carolingien, dispersé dans la nature ». Il existe une continuité forte entre 2479 B. PHALIP, Des terres médiévales en friche…, op. cit., volume I (synthèse), p. 97 et 115. C. HEITZ, op.cit, p. 81-94. 2481 N. REVEYRON dans l’ouvrage collectif, op.cit, p. 209. 2482 M. ANGHEBEN, « La sculpture clunisienne », dans « Cluny ou la puissance des moines… », op.cit.,p. 6871. 2480 - 936 - érémitisme, cisterciens et un cadre carolingien animé par une volonté de paix et de perfection2483. Les cisterciens ne se préoccupant pas de la place du laïc dans l’édifice de culte, ils peuvent revenir à un système architectural carolingien, avant la revalorisation de la place du laïc lors de la réforme grégorienne. En effet, dans un cadre carolingien, une séparation nette est faite entre clergé et fidèles. Dans certaines cathédrales, les chanoines regroupés dans le chœur liturgique sont isolés par une clôture et des tentures. C’est peut-être pourquoi les autels se multiplient dans les abbayes cisterciennes pour les messes des moines-prêtres, caractéristique manifeste dans les abbatiales réservées aux religieux2484. L’un de ces usages carolingiens consiste également à faire coexister des absides occidentées avec un sanctuaire oriental, prenant dès lors le nom de contre-absides. Cette formule emblématique est reprise aux sources carolingiennes. Ces chevets occidentés carolingiens correspondent à des cérémonies contra populum2485. Les cisterciens paraissent fermement ancrés dans certaines formules romaines puis carolingiennes. Ils multiplient par exemple la présence de chapelles occidentées sur les bras du transept (Dalon, Pontigny, Chaalis). Pontigny présente à la fin du XIIème siècle et au début du XIIIème siècle à la fois des chapelles orientales et occidentales, permettant une multiplication des autels pour les prières individuelles des moines. Ces chapelles de transept sont parfois destinées à la célébration de messes privées, à la mémoire des donateurs par exemple2486. Ces autels correspondent en effet vraisemblablement à une dévotion individuelle, privée, en total désaccord avec les principes grégoriens d’un culte et d’une liturgie ouverte aux fidèles et accessible à tous. Une inspiration de formules carolingiennes est tangible à l’abbatiale de Bonlieu. En effet, le chœur montre une superposition de baies et d’oculi, solutions employées à Corvey ou encore à Saint-Riquier dès la fin du VIIIème siècle. Les baies carolingiennes sont simplement moins allongées [Fig. 154]2487. Les édifices carolingiens sont aussi marqués par l’apparition 2483 J-H. FOULON, op. cit., p. 567. A. PRACHE, Cathédrales d’Europe, Citadelles et Mazenod, 1999, p. 33 ; A. ERLANDE-BRANDENBURG, « L’église grégorienne », Hortus Artium Medievaliu, vol. 5, Zagreb, Croatie, 1999, p. 147-166. 2485 X. PAYET, « L’image des lieux de culte dans les Livres Carolins. La question des idées directrices à travers la Renaissance carolingienne en architecture », dans P. BERNARDI, A. HARTMANN-VIRNICH, D. VINGTAIN (dir.), Texte et archéologie monumentale. Approches de l’architecture médiévale, Montagnac, 2005. 2486 C. A. BRUZELIUS, « The transept of the abbey church of Châalis and the filiation of Pontigny”, dans B. CHAUVIN (dir.), Mélanges à la mémoire du père Anselme Dimier, T III, 6, Abbayes, Pupillin, Arbois, 1982, p. 447-454. 2487 C. HEITZ, op. cit., p. 33. 2484 - 937 - du pilier carré à tailloir ou à impostes, supports largement requis par les cisterciens du diocèse de Limoges (Prébenoît, Boschaud)2488. La mise en œuvre peut également rappeler certains usages antiques ou carolingiens. Michel WULLSCHLEGER remarque concernant Léoncel (com. Léoncel, Drôme) que la stéréotomie pourrait relever d’une inspiration antique, comme en témoignent l’emploi généralisé de la pierre de taille, le levage des blocs à l’aide de pinces, les moellons taillés au ciseau et aux arêtes marquées, la finesse des joints au mortier de chaux, l’utilisation d’agrafes en plomb coulé, la technique du blocage entre deux parements appareillés [Fig. 1055]2489. L’importante muralité observée sur la majorité des sites, le manque d’éclairage, souvent indirect, peut faire penser à certaines formules carolingiennes. Les constructions modestes à l’ornementation simple, l’usage de petits appareils de moellons (Les Pierres, Prébenoît) à l’exemple de certains édifices de l’époque carolingienne (Montherault ou Saint-Thomas de Conac dans les pays charentais) sont autant de ressemblances pour le moins troublantes de cet héritage. En effet, Jean-Pierre CAILLET constate que la grande majorité des parements des édifices carolingiens présente de petits moellons jointoyés au mortier de chaux avec ou non insertion d’assises de briques. Le grand appareil est restreint, le plus souvent réservé aux chaînages d’angle ou aux supports (chapelle palatine d’Aix, Torhalle de Lorsch)2490. Les parements sont ainsi relativement proches de ceux de Prébenoît ou des Pierres où les pierres de taille sont réservées aux zones structurantes de la construction majoritairement en moellons. Nous avions déjà eu l’occasion d’aborder ces similitudes avec un cadre carolingien lors de réflexions sur l’aniconisme2491. Les simples piles à impostes sont fréquentes dans l’architecture cistercienne (bas-côté nord de l’abbatiale de Prébenoît, nef d’Aubignac, abbatiale de Boschaud) comme carolingienne2492. Néanmoins, les pilastres cannelés, les corbeilles corinthiennes aux larges feuilles d’acanthes ainsi que l’élévation présentant une succession des ordres demeurent relativement rares. À Dalon, les fragments de pilastres cannelés déposés à l’abbaye semblent plutôt correspondre à un ancien retable mis en place tardivement plus qu’à un élément d’élévation. La présence de linteaux en bâtière est plutôt 2488 A. PRACHE, Cathédrales d’Europe, Citadelles et Mazenod, 1999, p. 33. M. WULLSCHLEGER (dir.), « Léoncel, une abbaye cistercienne en Vercors », Revue Drômoise, n° spécial, Crest, 1991, p. 68. 2490 J-P. CAILLET, L’art carolingien, Paris, p. 59. 2491 Sur ces questions, voir III. C. a ; P. GILLON, « Notions d’architecture et de topographie monastique. État de quelques questions » dans P. RACINET, J. SCHWERDROFFER (dir.), Méthodes et initiations d’histoire et d’archéologie, Éditions du Temps, Nantes, 2004, p. 265-300. 2492 À Bonlieu par exemple, les deux travées de la nef conservées présentent une voûte en berceau souligné de doubleaux retombant sur de simples impostes. La nef de l’abbaye de Sénanque ne dispose que de simples piles à impostes (commune de Gordes, Vaucluse, vers 1180). Dans la nef de l’abbatiale de Fontenay (Côte-D’Or), se sont également des impostes qui reçoivent les arcs doubleaux soutenant le berceau brisé. 2489 - 938 - rare mais s’observe toutefois dans certains sites comme au Thoronet. L’armarium situé dans l’aile des moines se distingue par son entrée marquée par une fine colonnette soutenant un linteau monolithique en bâtière. Les références à l’art carolingien ne sont pas rares2493. Les chapiteaux lisses si fréquents au sein des monastères cisterciens trouvent leurs origines dans certains monuments antiques et carolingiens (chapiteaux cubiques de SaintMichel d’Hildesheim, tribune des anges, transept oriental). Les moines blancs n’innovent ainsi pas réellement et reprennent des formes déjà connues dans l’Antiquité, les simplifient et les systématisent [Fig. 1034]. De même concernant les carreaux de pavement précédemment évoqués, hérités des mosaïques romaines (Prébenoît, Bonlieu, Obazine). Les tesselles de marbre étant trop coûteux, les cisterciens optent pour des carreaux de terre cuite dont les couleurs restreintes sont en accord avec les statuts de l’ordre et leur volonté d’austérité. Les techniques antiques sont adaptées aux nouveaux goûts artistiques d’une première architecture gothique. Ainsi, de cette quête d’un passé commun lié à l’Église de Rome naissent certaines parentés architecturales pouvant être relevées entre monastères cisterciens et clunisiens, particulièrement sensibles lors des reconstructions de certaines grandes abbatiales de l’ordre de Cîteaux, dès la seconde moitié du XIIème siècle. Clairvaux est par exemple reconstruite vers 1148 d’après la biographie de saint Bernard par Guillaume de SAINT-THIERRY. Le maître d’œuvre opte pour un déambulatoire voûté d’arêtes, ceint de chapelles rayonnantes évoquant le chantier de Cluny III plus que les cathédrales gothiques contemporaines2494. Le plan et l’élévation évoquent les abbayes bénédictines du nord de la France comme SaintMartin-des-Champs, Saint-Denis et Saint-Germain-des-Prés. Le triforium surmontant les grandes arcades est très proche de celui mis en œuvre à Autun ou de l’élévation tripartite de Cluny III. Le décor intérieur de Clairvaux demeure néanmoins méconnu. Clairvaux, mais aussi Pontigny paraissent s’inspirer des chantiers contemporains de Cluny et de Vézelay. SCHLINK en particulier évoque vers 1970 le peu de distance architectonique entre Clairvaux et Cluny2495. Ces rapprochements entre Cluny et Cîteaux au XIIIème siècle permettent de nous interroger sur une réelle spécificité de l’ordre cistercien. L’austérité de mise dans les premiers temps de l’ordre ne suffit vraisemblablement pas à définir un art cistercien à part entière, 2493 Y. ESQUIEU, V. EGGERT, J. MANSUY, Le Thoronet…, op. cit., p. 53. A. GAJEWSKI, « The architecture of the choir at Clairvaux Abbey : saint Bernard and the Cistercian Principle of Conspicuous Poverty », dans T. N. KINDER, (dir.), Perspectives…, op. cit., p. 71-80. 2495 M. UNTERMANN, op. cit., p. 147. 2494 - 939 - austérité par ailleurs partagée par de nombreux ordres à vocation érémitique nés de la réforme grégorienne. Outre les productions artistiques, reste à évaluer l’existence d’une spécificité dans les créations artisanales et pré industries. Une des caractéristiques de l’ordre pourrait relever d’une revalorisation nette du travail manuel, une économie basée sur l’exploitation des terres, la création de granges spécialisées, la mise en place d’aménagements hydrauliques systématiques. De nombreux exemples sont conservés sur les sites cisterciens du Limousin. Bien souvent, alors que les abbatiales tendent à servir de carrière de pierres aux XIXème et XXème siècles, les aménagements hydrauliques marquent encore les paysages, les moulins sont parfois encore en activité. Les biefs, digues et canaux sont discernables sur de nombreux sites (Boeuil, Peyrouse, Prébenoît, Obazine). Pourtant, ces témoins d’un art de bâtir et d’une technicité monastique sont souvent mis de côté par l’histoire de l’art qui se penche plus assidûment sur les bâtiments religieux à proprement parler ou les vestiges les plus remarquables, tel le Canal des Moines ayant donné lieu à de multiples études. La revalorisation de ces aménagements hydrauliques, agricoles et artisanaux sont néanmoins nécessaires à une connaissance plus globale des architectures et décors cisterciens. - 940 - D. Le saltus, espace de dévotion magnifié : Le maillage resserré des réseaux monastiques aquitains oblige les ermites et moines cisterciens à s’implanter aux marges diocésaines, dans les forêts et déserts, échappant ainsi à la tutelle d’un seigneur ecclésiastique ou laïc. Ces terres laissées libres ont l’inconvénient d’être souvent incultes (marais, friches, bois) et leur mise en valeur occupe généralement les premiers investissements cisterciens. Le labeur manuel, et particulièrement les travaux des champs sont ainsi nécessaires à la survie de la communauté, et de fait revalorisés. a. Équilibre entre travail revalorisé et prière : Si le travail est une nécessité pour les cisterciens aspirant à l’autarcie et l’autonomie, il a toutefois régulièrement été déprécié par certaines communautés monastiques, notamment clunisiennes. 1. Le travail aux premiers temps du monachisme : un remède contre l’oisiveté : Dès les premières expériences monastiques, il semblerait que le travail ait suscité des réflexions au même titre que l’exercice de la prière et de la dévotion. Ainsi, les préceptes de Pacôme2496 sont repris dès le Vème siècle dans la Règle de Macaire où il est énoncé « Ne hais pas le travail pénible, ne recherche pas non plus l’oisiveté. » Selon la Règle du Maître, principale source à l’origine de la Règle de Saint Benoît, l’office divin occupe la première place dans la vie du moine. Le travail est alors uniquement une occupation visant à combler les moments de liberté, non consacrés à la liturgie. Il n’est pas recherché pour lui-même, apprécié en tant que tel. Le labeur n’est guère considéré comme une activité bénéfique à part entière, mais plus comme un remède à l’oisiveté et à la paresse. Ainsi, le Maître conseille : « Quand les offices divins cessent au cours de la journée, nous ne voulons pas que les intervalles, où l’on cesse de psalmodier les heures, se passent dans l’oisiveté, de 2496 Vers 320, à Tabennisi, en Thébäïde, Pacôme fonde le premier monastère, appelé Iaure. Les moines obéissent à l’abbé et aux Règle instituées par celui-ci. - 941 - crainte que l’oisiveté du moment n’engendre une perte par les siècles (…). Au contraire, lorsqu’un frère travaille en fixant les yeux sur son travail manuel, il occupe son esprit à ce qu’il fait, il n’a pas le temps de songer à rien et il ne sombre pas dans les flots du désir »2497. Le travail empêche ainsi la paresse du moine et le met également à l’abri du désir et de l’envie qu’il pourrait ressentir lors de moments d’inactivité, le « détourne de sa volonté propre ». Cependant, dès le début du VIème siècle, le Maître écarte l’idée de domaines exploités par les moines en faire-valoir direct. Ces travaux les éloigneraient en effet du cloître et les compromettraient dans les affaires du siècle, contrairement à la volonté ferme d’isolement au cœur de la vocation monastique. Le travail est accepté dans la mesure où il ne remet pas en cause la clôture. Il est intégré à la vie monastique quand il se déroule dans l’enceinte monastique et n’empêche pas le moine d’assister aux offices. Qu’il s’agisse du Maître ou plus tard de saint Benoît, ils ne condamnent pas les activités commerciales des moines, et suggèrent simplement à ceux-ci de ne pas céder à l’appât du gain et de vendre moins cher que les séculiers. « Les domaines du monastère doivent être affermés, afin que tout le travail des champs, le soin du domaine, les cris des tenanciers, les disputes avec les voisins, retombent sur un fermier séculier (…). Car si nous voulons les exploiter par les soins de frères spirituels, nous leur imposons de rudes travaux et ils perdent l’habitude de jeûner (…). Aussi se contentera-t-on, en fait de travaux au monastère, des seuls métiers et du jardin ». Les travaux manuels trop réguliers et trop soutenus remettent en cause le régime alimentaire du moine et empêchent les jeûnes et l’ascèse alimentaire. Seuls les travaux les moins pénibles leur sont donc confiés. Le travail doit être modéré, ménager les malades et les faibles, et surtout ne pas éloigner le moine de la clôture monastique. 2497 Dom. J. DUBOIS, « Le travail des moines au Moyen-Âge », dans Le travail au Moyen-Âge…, op. cit. p. 61100. - 942 - Pour saint Ferréol, évêque d’Uzès au VIème siècle, « le moine qui passerait la journée sans travailler doit être exclu de la table commune, selon la prescription de l’Apôtre : Celui qui ne travaille pas, qu’il ne mange pas ». L’acceptation du moine au sein de la communauté est donc soumise à la condition que celui-ci participe aux travaux réguliers du monastère, bien souvent cantonnés à l’entretien du jardin ou des plus proches exploitations. Un équilibre doit être établi entre labeur et prière, comme évoqué par saint Benoît : « L’oisiveté est l’ennemie de l’âme. Les frères doivent donc consacrer certaines heures au travail des mains et d’autres à la lecture des choses divines (…). Si les frères se trouvent obligés, par la nécessité ou la pauvreté, à travailler eux-mêmes aux récoltes, ils ne s’en affligeront point, c’est alors qu’ils seront vraiment moines, lorsqu’ils vivront du travail de leurs mains, à l’exemple de nos pères et des Apôtres »2498. Il semblerait que seules les communautés les plus pauvres soient obligées de travailler elles-mêmes leurs exploitations, tandis que les mieux loties recourent aux tenanciers laïcs. Cette différence se retrouve par la suite entre communautés clunisiennes implantées dans des zones d’ager et premières créations cisterciennes situées dans des salti et prônant le faire-valoir direct jusqu’à la fin du XIIème siècle. Cette pauvreté permet toutefois aux moines de s’accomplir pleinement car ce travail manuel les rapproche un peu plus de l’idéal de leurs Pères et des Apôtres. La spiritualité bénédictine tente ainsi de réunir ora et labora. Le moine doit se livrer à un travail-pénitence. C’est parce qu’il est un pénitent pour soi-même et pour les autres que le moine travaille. Pour saint Benoît, comme pour le maître, le travail manuel est néanmoins réduit aux proches activités dans l’enceinte même du monastère, au moulin, aux jardins ou aux ateliers mais ne doivent pas conduire à éloigner le moine de l’église et de la prière. 2498 Règle de Saint Benoît, trad. A. DE VOGÜE, J. NEUFVILLE, Sources Chrétiennes, Cerf, Paris, 1972, chap. 48. - 943 - 2. Réforme carolingienne, fondations clunisiennes. Le travail pénitentiel dévalorisé : Au Xème siècle, le travail n’est généralement plus représenté dans la vie du moine bénédictin que sous la forme des services indispensables à une vie communautaire. Ce labeur est dès lors entièrement ritualisé et s’accomplit tout en récitant des psaumes. La subsistance de la communauté doit être assurée par le labeur paysan, comme le sous-entend le système féodal. Les moines clunisiens s’inscrivent dans la continuité de la réforme carolingienne initiée par Benoît d’Aniane, pour qui la liturgie et la contemplation devait correspondre à la majeure partie de la journée monastique2499. Benoît d’Aniane († 821) révise en effet la Règle de Saint Benoît à la demande de Louis Le Pieux (814-840). Il ne suggère aucun gros travail à l’extérieur. Seule l’exception des récoltes est prévue. Il met par ailleurs un fort accent sur la liturgie. Le travail manuel est de fait relégué au second plan, de même que la lectio divina2500. Bien souvent, lorsqu’il est question de travail, c’est celui de copiste qui est privilégié. Dans la réforme carolingienne, l’office divin est allongé, privilégié à la lectio divina et aux travaux des champs. La journée du moine est scandée par une suite de sept offices comprenant des psaumes, des prières, des méditations, des exercices contemplatifs et la célébration de l’Eucharistie. Les monastères sont avant tout des lieux de prière. La charte de fondation de Cluny (909) reprend d’ailleurs les prescriptions de Benoît d’Aniane et annonce les trois éléments qui composeront la spécificité de Cluny : l’office divin, l’aide aux pauvres et le culte des morts2501. Les clunisiens sont dès lors tenus à une somme importante de prestations liturgiques. Les offices paraissent d’une longueur démesurée. En effet, les bienfaiteurs des monastères, en contrepartie de leurs donations, réclament souvent des prières aux moines pour le salut de leur âme, d’où une surcharge certaine du culte. Adrian BREDERO insiste sur le fait que pour les clunisiens, la vita activa est moins importante que la vita contemplativa, rapport modifié par les cisterciens un siècle et demi plus tard2502. Les moines noirs abandonnent ainsi progressivement les travaux de la terre et les œuvres serviles du fait de l’enrichissement des monastères, de la plus grande importance accordée à la culture intellectuelle et à la prière perpétuelle. Des serviteurs laïcs doivent être introduits au sein des monastères pour effectuer les tâches jugées ingrates. À Cluny, c’est donc un système d’exploitation en faire-valoir 2499 A. VAUCHEZ, La spiritualité du Moyen-Âge occidental, VIIIème-XIIIème siècle, Seuil, Paris, 1994, p. 37. P. BAUD, A. GUINVARC’H, M-E. HENNEAU, T. N. KINDER, La vie cistercienne…, op. cit., p. 42. 2501 D. VINGTAIN, L’abbaye de Cluny, CNRS, Paris, 1998, p. 25. 2502 A. H. BREDERO, Cluny et Cîteaux au XIIème siècle…, op. cit., p. 201. 2500 - 944 - indirect qui est choisi, les exploitations sont confiées à des tenanciers afin de laisser les moines au plein exercice de la prière. Dès le Xème siècle, le nom de doyen est utilisé pour désigner l’intendant d’une seigneurie rurale. Il peut être laïc, clerc ou moine. Le plus souvent, il s’agit d’un moine appartenant à l’unique communauté de son monastère, à la différence du maître de grange cistercien, souvent convers, membre de la seconde communauté de l’abbaye. Les clunisiens semblent considérer l’œuvre des mains comme contraire à l’idéal du moine. En effet, Pierre le VÉNÉRABLE écrit que la culture de la terre est contraire au recueillement. La copie de manuscrits est selon lui préférable et correspond mieux à l’activité monastique. La conception du travail est négative. Il est déprécié, tout juste bon pour les serfs. Le labeur physique est de fait compris comme un châtiment qui ne doit être effectué que par ces serfs que Dieu a d’ailleurs créés dans ce seul but2503. Jacques LE GOFF constate que les hommes du Moyen-Âge ont d’abord vu le travail comme un châtiment du péché originel, une pénitence. Selon l’historien, il faut attendre l’apparition d’ordres érémitiques au XIème siècle pour assister à une revalorisation du travail. Le labeur devient dès lors un instrument de rachat, de dignité et de salut. Il est un moyen de collaborer à l’œuvre du créateur qui après avoir travaillé s’est reposé le dernier jour. Le travail peut donc devenir une voie difficile vers la libération2504. Les travaux serviles sont néanmoins indispensables à certains monastères de l’ordre clunisien les plus pauvres, ou manquant d’ouvriers laïques, exceptions s’appliquant à certains prieurés ruraux. La richesse de certains moines clunisiens rend inutile le travail de chaque jour pour subvenir à leurs besoins. Ils accumulent les biens : terres cultes et incultes, prés, champs, vergers, vignes. Les églises constituent un élément important de leur propriété. Les clunisiens reçoivent des paroisses et engrangent beaucoup de profits en acceptant les dîmes2505. Pour les moines noirs, le travail manuel est alors réduit à un simple remède contre l’oisiveté. Il n’est considéré que comme un moyen secondaire de sanctification et non comme une œuvre essentielle. Georges DUBY constate qu’au XIème siècle, Cluny développe une économie domaniale. La production du domaine satisfait à la plupart des besoins. Toutefois, leur rayonnement entraîne de nombreuses aumônes en numéraire qui accroissent de manière indéniable leurs richesses. Les moines noirs bénéficient des libéralités des fidèles qui 2503 M. J. MOLINIER, Pierre le Vénérable…, op. cit., p. 32. J. LE GOFF, La bourse et la vie. Économie et religion au Moyen-Âge, Paris, 1986, p. 84. 2505 D. MÉHU, Paix et communautés autour de l’abbaye de Cluny, Xème-XVème siècles, Presses Universitaires de Lyon, 2001, p. 47. 2504 - 945 - constituent le premier noyau des possessions. La célébration d’anniversaires en mémoire des bienfaiteurs est un excellent moyen pour faire affluer les dons des laïcs et les moines en bénéficient largement2506. Les clunisiens enrichis peuvent dès lors s’appliquer avec plus de soin et de fastes à l’Opus Dei. En vivant plus confortablement, ils libèrent leur esprit des soucis matériels. Ils choisissent ainsi souvent d’embellir les sanctuaires et embauchent pour ce faire de nombreux ouvriers qualifiés rémunérés à la tâche. Jusqu’en 1080 environ, l’exploitation du vaste domaine foncier est directe, comme dans les premiers temps de l’ordre cistercien. À la fin du XIème siècle toutefois, l’apport d’aumônes et de redevances modifie l’économie. La communauté vit de ses revenus en espèces et plus seulement de l’exploitation des terres. Après 1125, la dépréciation de la monnaie et l’augmentation des dépenses (due aux multiples chantiers de construction et de reconstruction engagés) conduisent dès lors les moines à revenir à l’exploitation du domaine. Georges DUBY souligne le fait que le même cas de figure s’applique à Cîteaux avec un décalage d’un siècle et demi. Les premiers temps des monastères cisterciens correspondent à une véritable ascèse et à une exploitation en fairevaloir direct. Toutefois, dès le XIIIème siècle, le faire-valoir indirect s’impose et les moines blancs acceptent les dîmes2507. 3. Ordres érémitiques et cisterciens. Entre Marthe et Marie : Comment le travail est-il perçu à travers les écrits des moines cisterciens et de leurs contemporains ? Un certain nombre de sources témoignent, montrant les hésitations et tâtonnements de moines cherchant un équilibre entre prière et travail, entre contemplation et action, entre Marthe et Marie, Marthe représentant l’abnégation, Marie la virginité, l’humilité ou l’obéissance. Pour GUIGUES Ier, prieur de la Chartreuse, le travail est important mais doit être accompagné de prières et ne se suffit pas à lui-même. Dans les Coutumes, il prescrit « De Tierce à Sexte en hiver, et de Prime à Tierce en été, le temps est député à des travaux manuels ; nous voulons toutefois que ces travaux soient coupés de brèves oraisons. L’espace qui sépare None de Vêpres est occupé par des travaux manuels. Et toujours, en travaillant, il est 2506 G. DE VALOUS, Le temporel et la situation financière des établissements de l’ordre de Cluny du XIIème au XIVème siècle, Picard, Paris, 1935, p. 14. 2507 G. DUBY, « Économie domaniale et économie monétaire. Le budget de l’abbaye de Cluny entre 1080 et 1155 », dans Annales économies- Sociétés- Civilisations, Paris, 7ème année, 1952, p. 155-171. - 946 - permis de recourir à de brèves prières, comme jaculatoires. »2508 Plus loin, il évoque un passage de la Genèse où « Isaac s’en va seul aux champs pour méditer » (Genèse, 24-63). Ainsi, les champs peuvent devenir un lieu de méditation au même titre que le sanctuaire2509. Chez Robert d’Arbrissel, fondateur de Fontevrault, il semble exister deux conceptions de la femme, selon l’équilibre établi entre activité et contemplation. Pétronille de Chémillé, placée à la tête de l’abbaye, est comparée à Marthe. Elle est en effet une bonne gestionnaire du temporel monastique, une « maîtresse de maison » hors pair, mais manquerait toutefois des vertus acquises par le renoncement au monde. Selon Robert d’Arbrissel, il existerait un intérêt à placer les femmes issues de milieux aristocratiques aux postes de responsabilités pour des raisons de compétence, d’intérêt matériel pour l’ordre, de non-remise en cause des hiérarchies et peut-être des pressions extérieures. Les cisterciens semblent également avoir adhéré à cette idée puisque les abbés sont très majoritairement issus de la noblesse et ont de fait l’habitude de la gestion de vastes domaines. Par ailleurs, les simples moniales de Fontevrault ou des prieurés filles peuvent être assimilées à Marie, sœur de Lazare, privilégiant la contemplation. Toutefois, on ne peut leur confier les soins d’une maison. Marthe et Marie seraient ainsi complémentaires et ne pourraient vivre l’une sans l’autre2510. Suivant ce raisonnement, Robert d’Arbrissel, Bernard de Clairvaux ou Étienne d’Obazine pourraient être considérés comme Marthe, obligés de s’occuper des affaires du siècle afin d’assurer la survie de leurs communautés, très sollicités et éloignés à regret de la vie contemplative. Ceux-ci préfèrent le désert, la contemplation, mais se doivent de supporter le poids de l’ordre par charité. Les moines semblent embrasser une vie à la fois proche de celle de Marthe et de Marie. Ils prient avec leur cœur et travaillent avec leurs mains2511. Ces deux vies tendent à se combiner chez Bernard de Clairvaux. Action et contemplation sont alternées, comparées au jour et à la nuit. Pour Bernard, l’action doit précéder la contemplation. L’idéal cistercien tente d’allier les deux. Saint Bernard se considère ainsi lui-même comme la « chimère de son temps », tiraillé entre contemplation et action, entre Marthe et Marie, aspirant à la vie calme 2508 GUIGUES Ier Le Chartreux, Coutumes de Chartreuse, Sources Chrétiennes n° 313, Paris, Cerf, 2001, 29-3. GUIGUES Ier Le Chartreux, op. cit., 80-5. 2510 J. DALARUN, L’impossible sainteté…, op. cit., p. 183. 2511 G. CONSTABLE, Three studies in Medieval religious and social thought. The interpretation of Mary and Martha. The ideal of the imitation of Christ. The orders of society, Cambridge, University Press, 1995, p. 31. 2509 - 947 - de son monastère, et pourtant souvent projeté dans les affaires du siècle, parfois contre son gré. « Je ne vis ni comme un clerc, ni comme un laïc. Je porte encore l’habit d’un moine, mais il y a longtemps que je ne mène plus la vie d’un moine. Vous savez bien au milieu de quels périls je me trouve, ou plutôt de quel précipice j’ai été jeté ». Il paraît ainsi compromis dans le siècle contre sa volonté et est confronté à des difficultés auxquelles un moine ne devrait pas avoir affaire2512. Il paraît difficile de passer outre les tensions entre l’attrait de la vie contemplative qui pousse les ermites et cisterciens vers la solitude et la nécessité du troupeau qui les en éloigne. Étienne d’Obazine déclare quant à lui avoir été occupé comme Marthe pour nourrir ses moines. Pour Walter MAP, les moines noirs paraissent plus proches de Marie tandis que les cisterciens sont plus occupés par le travail manuel et seraient ainsi plus proches de Marthe. Guillaume de SAINT-THIERRY approuve d’ailleurs cette mixité dans la lettre aux moines de Mont-Dieu2513. Le travail manuel fait partie de l’ascèse, il se doit donc d’être bien fait et s’inscrit comme un gage de qualité. Le travail n’est pas une malédiction divine mais peut participer au même titre que la prière à l’ascèse spirituelle. Les moines tendent ainsi à associer travail et contemplation dans un équilibre bien particulier. Les travaux dans les granges éloignées sont néanmoins confiés à des convers. Ce statut de convers est considéré comme une promotion sociale pour la paysannerie environnante qui est ainsi mise à l’abri de la misère et de la famine2514. Quant aux tâches spécialisées, elles sont parfois confiées à une main d’œuvre salariée. Aelred de RIEVAULX compare les recluses à Marie et non à Marthe qui se disperse en tâches futiles. Marthe semble en effet plus soucieuse du service du prochain que de sa propre élévation spirituelle2515. 2512 Sancti Bernardi Opera, trad. J. LECLERCQ, H.M. ROCHAIS, C-H. TALBOT, Editiones Cistercienses, Rome, 1957-77, T VIII, Ep. 250-4, 147, l. 2-5 ; Bernard de CLAIRVAUX, L’amour de Dieu. La grâce et le libre arbitre, Sources Chrétiennes n° 393, trad. F. CALLEROT, J. CHRISTOPHE, M. I. HUILLE, P. VERDEYEN, Paris, Cerf, 1993, p. 49 ; J-H. FOULON, op. cit., p. 463. 2513 Guillaume de SAINT-THIERRY, Lettre aux frères du Mont-Dieu, traduction de J. DÉCHANET, Paris, Cerf, 1975. 2514 M. MOUSNIER, « Les abbayes cisterciennes et leur rôle dans l’économie et la société méridionale aux XIIème et XIIIème siècles », dans La grande aventure des cisterciens…, op. cit., p. 105-130. 2515 Aelred de RIEVAULX, La vie de recluse…, op. cit., p. 109. - 948 - Isaac de l’ÉTOILE, abbé de l’Étoile mort dans les années 1168-1169, rédige cinquante-cinq sermons entre 1147 et son décès. Ceux-ci sont prononcés soit à l’abbaye de l’Étoile, soit aux Châtelliers en Ré où il est envoyé en exil pour avoir soutenu Thomas Becket, s’attirant ainsi les foudres d’Henri II. Il accorde la priorité au travail manuel, qu’il s’agisse de jardinage ou d’agriculture. Pour lui, il convient de travailler comme Adam après avoir été chassé du Paradis. Le labeur permet à la fois d’assurer l’autonomie de la communauté mais aussi de donner aux indigents, et ainsi peut-être de racheter le péché originel. Le moine pose également le problème des rapports entre consommation et production : pourquoi se donner tant de peine à travailler, à acquérir pour si peu en profiter puisque les moines cisterciens tendent à vivre dans le plus grand dénuement ? Ce ne peut être que pour venir en aide aux plus démunis. Les moines ne travaillent pas pour eux mais bien pour ceux qui sont dans le besoin. C’est aussi un moyen d’initier les autres au travail, de les rendre capables de travailler « avec nous, après nous ». Cependant, Isaac de l’ÉTOILE met en garde contre les déviances de ce système. Si l’on produit trop, au détriment du but de la vie monastique, si le travail et les affaires obligent à sortir trop fréquemment de l’enceinte monastique, il y a dès lors déviation. Le moine se doit de travailler beaucoup pour donner beaucoup2516. Dans le sermon 14, Isaac de l’ÉTOILE évoque Marthe et Marie. Pour lui, c’est dans le repos et non dans la paresse qu’on apprend la sagesse. Il conseille dès lors d’atteindre la dévotion de Marie plutôt que l’activité inquiète de Marthe. Les cisterciens se doivent d’être plus proches de Marie, tandis que les convers s’adonnent aux activités comme Marthe 2517. Dans le sermon 50, le travail est associé à la pénitence d’Adam. « Puisque pêcheurs et fils de pêcheurs selon la chair, nous sommes encore dans la chair, nous ne répugnons donc pas à la sentence de condamnation de la chair, et nous mangeons notre pain à la sueur de notre front. D’autre part, afin que tout le travail de l’homme n’aille pas à sa bouche, nous travaillons de nos mains plus activement pour avoir de quoi secourir le nécessiteux. » 2516 Dom J. LECLERCQ, « Le travail, ascèse sociale d’après Isaac de l’Étoile », Collectanea O.C.R., 1971, p. 159-166. 2517 Isaac de l’ÉTOILE, Sermons, T II, trad. A. HOSTE, G. SALET, G. RACITI, Sources Chrétiennes n°207, Paris, Cerf, 1974, p. 271. - 949 - À Cîteaux, la vie quotidienne des moines s’articule ainsi entre deux grands pôles : le travail et la prière. Le travail s’inscrit en effet comme un élément important de la vie monastique, inhérent à la condition du moine. Il collabore à l’œuvre de la création et s’inscrit comme un facteur d’équilibre dans la vie quotidienne. Ce labeur obtient une dimension spirituelle puisque les moines continuent à prier en travaillant2518. Cluny étant fondé un siècle et demi plus tôt que Cîteaux, il semble naturel qu’aux XIIème et XIIIème siècles cet ordre ait engendré suffisamment de revenus pour se permettre d’investir dans la liturgie, le culte et les créations artistiques, tandis que l’ordre de Cîteaux né à la fin du XIème siècle doit en priorité mettre en valeur les terroirs dont il dispose avant de penser à orner ses monuments de décors jugés superflus. Dans la seconde moitié du XIème siècle, une stabilisation et un fort ralentissement de l’accroissement du domaine clunisien est sensible. C’est la fin du processus de mise en culture de terres nouvelles. Ce ralentissement ne signifie pas nécessairement un tarissement puisque le domaine clunisien ne cesse de s’agrandir jusqu’au début du XIVème siècle2519. À Cîteaux au XIIème siècle, les besoins les plus péremptoires des moines sont au cœur des préoccupations et retiennent les principaux investissements. Le travail manuel est ainsi valorisé, sans doute du fait même de la nécessité de mettre en valeur le saltus. Les cisterciens réinstaurent le travail manuel systématique, poussés par la nécessité. L’office liturgique est alors abrégé et simplifié. Les activités manuelles occupent entre quatre et six heures de la journée d’un moine2520. Cette activité laborieuse est considérée comme un remède à l’oisiveté, une activité pénitentielle revêtant même un aspect social. En effet, le travail est considéré comme un phénomène social plutôt que comme une activité uniquement économique. L’accent est porté sur le travail manuel, agricole ou artisanal non pas dans sa finalité économique mais en tant qu’élément d’ascèse. La pauvreté est recherchée dans une motivation spirituelle qui est toutefois très relative en pratique. La pauvreté consisterait en effet sans doute davantage en absence de superflu qu’en manque de nécessaire2521. Les moines blancs cherchent ainsi à être en accord avec les textes bibliques. Le Nouveau Testament en particulier encourage à mépriser les richesses. L’Évangile contient également deux exhortations. La charité est tout d’abord nécessaire, le royaume de Dieu étant promis à ceux qui partagent avec les pauvres. Ensuite, le renoncement est recommandé puisque nul n’entre 2518 P. BAUD, op. cit., p. 51. P. GARRIGOU-GRANDCHAMP, A. GUERREAU, J. D. SALVÈQUE, « Doyennés et granges de l’abbaye de Cluny. Exploitations domaniales et résidences seigneuriales monastiques en clunisois du XIème au XIVème siècle », BM, T CLVII, n°1, 1999, p. 71-113. 2520 A. VAUCHEZ, op. cit, p. 93. 2521 M. MOUSNIER, L’abbaye de Grandselve…, op. cit., p. 61. 2519 - 950 - dans le royaume divin s’il ne choisit de vivre comme un pauvre. Les Actes des Apôtres ajoutent qu’il est bon de travailler de ses mains2522. Ainsi Paul, s’adressant aux anciens d’Éphèse, explique « Argent, or, vêtements, je n’en ai convoité de personne : vous savez vous-mêmes qu’à mes besoins et à ceux de mes compagnons ont pourvu les mains que voilà. De toutes manières je vous l’ai montré : c’est en peinant ainsi qu’il faut venir en aide aux faibles et se souvenir des paroles du Seigneur Jésus, qui a dit lui-même : il y a plus de bonheur à donner qu’à recevoir. »2523 Le système économique cistercien accroît la production tout en restreignant la consommation. Le travail n’a donc pas pour vocation première de produire. Il revêt une nécessité sociale en créant des richesses légitimes car il provient du travail des mains ou de libéralités. L’obligation pour les moines et les convers de travailler rend inutile la présence de tenanciers sur les terres qu’ils ont obtenues. L’abbé NADAUD écrit à ce propos que « Le travail dévoué d’hommes qui y voyaient un moyen de servir Dieu et de gagner le ciel fertilisa les solitudes les plus arides »2524. L’opiniâtreté des moines blancs et leur investissement humain et financier dans la mise en valeur des terres vont permettre au fil des siècles de transformer le saltus en ager. Le travail est d’autant plus nécessaire aux moines blancs qu’ils refusent au XIIème siècle tout ce qui pourrait constituer une fortune monétaire : églises, bénéfices, dîmes, possessions de villages ou de serfs2525. Ces deux conceptions différentes du travail révèlent donc deux systèmes économiques divergents, l’un monétaire et l’autre domanial ainsi que deux modes d’exploitation des territoires. Il serait alors tentant d’assimiler les moines cisterciens à Marthe et les clunisiens à Marie ayant choisi une vie contemplative. Cette dernière est ainsi peut-être plus réceptive à la parole divine. Marthe privilégie quant à elle le travail manuel, les tâches ingrates et lutte de fait contre l’oisiveté. Pour Anselme de HAVELBERG, c’est Marthe qui a fait le bon choix. Si le Christ a fait l’éloge de Marie, c’est par pure charité, pour éviter que Marthe, qui est dans le vrai, ne soit trop triomphante 2526. Ce 2522 G. DUBY, Saint Bernard, l’art cistercien, Paris, 1976, p. 35. Actes de Apôtres, 20, 33-35. 2524 J. NADAUD, « Le pouillé historique du diocèse de Limoges », BSAHL, T LIII, 1903, p. 28. 2525 M. COCHERIL dans G. LEBRAS (dir.), Les ordres religieux. La vie et l’art, T I, Flammarion, 1979, p. 508. 2526 A. VAUCHEZ, op. cit., p. 113. 2523 - 951 - sont deux voies divergentes sensées conduire à Dieu et ouvrir les portes du Paradis. Cisterciens et Clunisiens ont ainsi opté pour deux chemins différents, les uns en s’implantant dans des zones d’ager déjà en partie mises en valeur, les autres au cœur de salti à cultiver et assainir. Ces deux types de paysages s’accompagnent de deux systèmes économiques différents, deux modes d’exploitation des terres, deux conceptions du travail et de la liturgie qui trouveront vraisemblablement une expression au sein des créations artistiques. Toutefois, cette opposition qui semble transparaître entre les deux ordres n’est peutêtre pas aussi tranchée. Si les cisterciens se refusent à solliciter des tenanciers aux premiers temps de l’ordre, ils n’en ont pas moins recours à la paysannerie environnante en recrutant les convers sur les terres où ils s’implantent. Ceux-ci sont essentiellement chargés de s’occuper des travaux des champs. Contraints aux offices liturgiques réguliers, les moines de chœur ne peuvent en effet s’éloigner de l’église et s’occuper des exploitations agricoles hors de la clôture. Ce sont donc les frères convers qui se chargent des tâches les plus éloignées. De plus, les moines embauchent fréquemment des « mercenaires » chargés des activités les plus spécialisées. En effet, à Cîteaux, la participation d’une main d’œuvre salariée est admise pour des travaux réclamant des compétences particulières comme les chantiers de construction ou bien la mise en œuvre de certains ouvrages hydrauliques2527. Pour Jacques DUBOIS, il y aurait ainsi peu de différences entre Cluny et Cîteaux. Les convers remplacent dans un premier temps les tenanciers laïcs clunisiens, mais cette originalité ne tient bien souvent que jusque dans la première moitié du XIIIème siècle. Les moines de chœur ne sont véritablement chargés que des tâches les moins lourdes (jardinage, entretien du monastère, toutes activités dans l’enceinte monastique), à l’image de leurs homologues clunisiens. L’auteur insiste aussi sur le fait que le travail des moines est souvent victime de sa réussite : « Parce qu’ils exploitent savamment leurs domaines, les moines eurent de vastes cultures de céréales, d’immenses troupeaux, des vignes donnant d’excellents vins, des forêts aux futaies splendides, ils y ajoutèrent de véritables industries comme la fabrication de la bière ou du fromage. Les moines n’étaient plus de simples cultivateurs ou artisans mais des gestionnaires de grandes entreprises. » Le travail est là encore souvent perçu comme une pénitence, laissée de préférence aux non moines (frères lais ou ouvriers spécialisés recrutés pour des tâches particulières et ponctuelles). Les moines de chœur s’inscrivent ainsi comme des « chefs d’entreprises », 2527 C. WISSENBERG, « Granges cisterciennes de l’Yonne : constitution des domaines et aménagement de l’espace », dans T. KINDER (dir.), Les cisterciens dans l’Yonne…, op. cit., p. 49-72. - 952 - gestionnaires de vastes exploitations plutôt que comme de réels cultivateurs, éleveurs, vignerons. La seule forme valorisée du travail serait, comme à Cluny, le scriptorium2528. b. Granges et moulins. Une mise en œuvre soignée semblable à celle des sanctuaires : L’ordre de Cîteaux s’implante relativement tardivement en Aquitaine et doit ainsi se satisfaire des dernières terres libres d’occupation monastique, souvent des zones de saltus aux marges des diocèses. Ces paysages nécessitent bien souvent une mise en valeur systématique lors de l’arrivée des moines, d’où des activités de drainage, de dérivations (sur le Coyroux), d’assainissement de terres cultivables. Les cours d’eau sont investis par des séries d’aménagements à vocation préindustrielle : biefs, viviers, digues, ponts, moulins sont mis en œuvre, des droits d’usage sont systématiquement acquis. Il est délicat de savoir si ces ouvrages artisanaux sont l’œuvre de moines initiés à ces techniques, venant peut-être d’autres abbayes (Pontigny ?) ou si des ouvriers spécialisés sont recrutés pour ces tâches particulières. L’étude de granges, moulins et installations hydrauliques des cisterciens du diocèse de Limoges et de ses marges révèle des mises en œuvre généralement soignées, une technicité évidente témoignant de l’intérêt porté par cet ordre monastique à ces préindustries. Cette impressionnante gestion des ressources et la qualité des ouvrages mis en œuvre constituent-telles pour autant une spécificité cistercienne ? 1. Hydraulique et activités préindustrielles. Une spécificité cistercienne ? Depuis 1990, il semblerait que les études sur l’hydraulique, essentiellement monastique, a attiré un certain nombre de chercheurs et donné naissance à des groupes de recherches, PCR, colloques et publications multiples dont il convient ici de présenter les dernières évolutions et problématiques2529. • Jalons historiographiques récents : En 1993 est fondé à l’Université Paris I Panthéon/Sorbonne un PCR sur « l’hydraulique monastique en Bourgogne, Champagne et Franche-Comté », dirigé par l’Équipe d’Histoire des Techniques dont Paul BENOIT, Karine BERTHIER ou encore Joséphine ROUILLARD font partie. Ce PCR a suscité l’élaboration de multiples mémoires de maîtrise, DEA et actuellement de Master, incluant non seulement l’hydraulique des sites cisterciens mais aussi d’autres ordres monastiques peut-être moins investis par 2528 J. DUBOIS, op. cit., p. 61-100. Des considérations plus générales et chronologiquement plus larges sont présentées dans la partie historiographie. Voir I. A. 2529 - 953 - l’historiographie contemporaine2530. L’ouvrage de référence publié en 1996 sur l’hydraulique monastique par Paul BENOIT et Léon PRESSOUYRE montre d’ailleurs des ouvertures vers d’autres ordres monastiques, même si les cisterciens restent à l’honneur et si les laïcs sont quelque peu oubliés2531. Dans la publication dirigée par Paolo SQUATRITI sur les techniques hydrauliques en Europe, le rôle des cisterciens dans le développement des technologies liées à la domestication de l’eau est une fois encore souligné. Pour l’auteur, ils ont des affinités particulières avec les techniques hydrauliques, sont impliqués dans des opérations de drainage, utilisent l’eau aussi bien pour l’énergie et l’hygiène2532. Par ailleurs, un PCR devrait voir le jour en 2009 sur l’hydraulique des cisterciens en Limousin (sous la direction de Pierrick STÉPHANT, archéologue HADÈS), témoignant de l’intérêt encore prégnant pour ces aménagements monastiques. La fascination des historiens pour les réseaux cisterciens en particulier peut se justifier par la conservation d’archives exceptionnelles tenues par les moines en bons gestionnaires. Les cartulaires, actes, terriers permettent de mieux cerner les exploitations agricoles et les possessions de moulins détenues par les moines blancs. Les cartulaires de Dalon, du Palais, de Bonlieu et d’Obazine sont une mine d’informations pour les possessions des moines cisterciens du diocèse de Limoges, même si les caractéristiques techniques et architecturales de ces installations ne sont jamais abordées. Selon Karine BERTHIER, la priorité souvent donnée aux moines blancs concernant l’hydraulique tient d’abord à cette richesse de la documentation disponible, et particulièrement aux vestiges conservés, aux marques encore bien discernables dans les paysages, qu’il s’agisse de biefs, de viviers, de canaux ou de moulins2533. C’est peut-être du fait même de leur implantation au saltus, au cœur de zones rurales, que les réseaux hydrauliques cisterciens se sont mieux préservés, à l’inverse des structures urbaines (aménagements clunisiens). Les cisterciens dotés de terres marginales peut-être moins favorables que celles appartenant aux fondations des siècles précédents doivent les améliorer, les rendre productives par des aménagements hydrauliques systématiques (dérivations, assainissements, drainages). La même constatation s’applique aux ordres tardifs comme les Prémontrés ou les Chartreux2534. Ainsi, à Boeuil ou encore à 2530 C. TRANCHANT, Les aménagements hydrauliques des abbayes et prieurés fondés par la famille de Montfort, Master I, Université Paris I Panthéon-Sorbonne, dir. J. BURNOUF, 2007, 2 volumes. 2531 L. PRESSOUYRE, P. BENOIT, L’hydraulique monastique, milieux, réseaux, usages, Grône, 1995. 2532 P. SQUATRITI, Working with water in Medieval Europe. Technology and Resource-Use, Brill, London, 2000, p. 19 (introduction). 2533 K. BERTHIER, J. ROUILLARD, « Nouvelles recherches sur l’hydraulique cistercienne… », op. cit., p. 121148. 2534 R. HOLT, « Medieval England’s Water-Related technologies », dans P. SQUATRITI, …, op. cit., p. 51-100. - 954 - Aubepierres, alors même que les bâtiments monastiques médiévaux ont disparu, les biefs, viviers, étangs, digues et moulins (bien que constamment remaniés jusqu’à nos jours) témoignent des modifications apportées par les moines à leur paysage d’implantation. Il convient cependant de se méfier d’une illusion des sources. Si leur politique d’exploitation des ressources est bien connue, elle ne doit pas masquer l’intérêt sans doute équivalent des laïcs. En Creuse, des études archéologiques menées sur le site seigneurial de Drouilles (com. Saint-Éloi, Creuse) ont révélé deux mottes féodales accompagnées d’aménagements hydrauliques complexes sous forme de fossés et d’étangs2535. D’autres communautés, peut-être moins connues et moins documentées ont donc certainement contribué à l’essor des techniques hydrauliques. À ce titre, les cisterciens seraient plutôt d’excellents entrepreneurs aptes à mettre en œuvre des techniques bien connues des laïcs que de réels innovateurs. La majorité des moulins dont ils disposent sont par ailleurs le plus souvent des acquisitions de structures existantes plus que de fondations nouvelles. Les moines blancs bénéficient de techniques déjà éprouvées par les communautés rurales et qu’ils réutilisent à leur profit. En 2004 est fondé le Groupe d’Histoire des Zones Humides – sous la présidence de JM. DEREX – montrant un intérêt renouvelé pour tous les espaces humides et leur mise en valeur, leur utilisation par les hommes au fil des siècles, qu’il s’agisse de religieux ou de laïcs, dans une perspective beaucoup plus vaste et englobante que les études spécifiques sur l’hydraulique cistercienne. Ainsi, il ne s’agit plus de considérer les marais, les salti comme des zones incultes, inutiles, rebelles à la culture, mais bien comme des espaces liés à l’économie, essentiels, recherchés, voir convoités par les hommes2536. En 2004 est publié dans la droite ligne de ces travaux l’ouvrage dirigé par Joëlle BURNOUF et Philippe LEVEAU sur les sociétés préindustrielles et les milieux fluviaux 2537. Ce recueil d’articles tend à montrer une exploitation optimisée des ressources liées aux fleuves et marais. Ainsi, la végétation aquafile de saules, osiers, joncs entretenue aux bords des étangs fournit aux moines les produits nécessaires à la vannerie ou à la couverture des habitations2538. C’est le cas particulièrement 2535 S. GADY, « Fouille sur le site médiéval de Drouilles », MSSNAC, T XLVII, 2000, 2ème fasc, p. 268-280. J-M. DEREX (dir.), Les étangs : espaces de production hier et aujourd’hui, Actes de la Journée d’Étude, Paris, 2004, p. 4. 2537 J. BURNOUF, P. LEVEAU, Fleuves et marais, une histoire au croisement de la nature et de la culture. Sociétés préindustrielles et milieux fluviaux, lacustres et palustres : pratiques sociales et hydrosystèmes, Paris, CTHS, 2004. 2538 P. BENOIT, K. BERTHIER, G. BILLEN, J. GARNIER, « Agriculture et aménagement du paysage hydrologique dans le bassin de la Seine aux XIVème et XVème siècles », dans J. BURNOUF, P. LEVEAU, op. cit., p. 235-244 2536 - 955 - pour les moines de Bonnaigue qui vont jouir de droits sur le lac de Sarliève (com. Romagnat, Puy-de-Dôme), à la fois utile pour la pêche mais aussi pour les roselières et joncs2539. Selon Jean-Louis ABBÉ, ces étangs sont souvent situés aux confins des finages, comme c’est le cas pour Sarliève, impliquant le partage des droits de seigneurie ou d’usage2540. De la même manière, Emmanuel GRÉLOIS insiste sur le haut rendement économique des zones humides, en cela très prisées par les communautés religieuses et laïques. Les pacages humides sont en effet des aires de parcours pour les troupeaux. La couverture végétale des marais et les lits majeurs assurent des productions spécifiques comme les chenevières, les roselières, le bois, à la fois de chauffage et de construction2541. C’est dans cette même perspective que s’inscrit l’ouvrage de Jean-Loup ABBÉ publié en 2006 sur la gestion des étangs en Languedoc méditerranéen du XIIème au XVème siècles. Ce dernier insiste sur l’illusion des sources conduisant souvent à considérer les cisterciens comme ayant la prérogative des aménagements hydrauliques et assèchements, alors même que les laïcs en sont bien souvent à l’origine, tandis que d’autres communautés religieuses ont été actives. Il constate qu’en Languedoc, les comtes et rois interviennent peu. La gestion des zones humides est avant tout l’affaire des exploitants et des seigneurs fonciers2542. Ainsi, les études récentes tendent à montrer l’intérêt porté aux zones humides par tout type de propriétaires fonciers, qu’il s’agisse des cisterciens, mieux connus des archives, d’autres communautés religieuses (ordres militaires, clunisiens) et de laïcs peu documentés par des sources très lacunaires, mais néanmoins bien présents. La spécificité cistercienne dans la mise en valeur et l’exploitation des zones humides semble difficile à établir. • Typologie des aménagements artisanaux monastiques : Les moines cisterciens ont fréquemment été présentés comme des agriculteurs hors pair, de grands défricheurs, parfois même qualifiés de moines « hydrauliciens », images d’Épinal relayées par une historiographie romantique et par certaines documentations médiévales, telles les célèbres initiales du Moralia in Job de Cîteaux [Fig. 28]2543. Les convers y sont tour à tour représentés coupant du bois ou cultivant les terres de leurs propres mains. Les historiens semblent considérer les sites cisterciens comme un domaine d’étude privilégié 2539 G. FOURNIER, « Sarliève. Un lac au Moyen-Âge », Association du site de Gergovie, T 11, 1996, p. 2-34. J-L. ABBÉ, À la conquête des étangs. L’aménagement de l’espace en Languedoc méditerranéen (XIIèmeXVème siècles), Presses Universitaires du Mirail, Toulouse, 2006, p. 109. 2541 É. GRÉLOIS, “Les logiques concurrentes des populations riveraines des zones humides : rivières, lacs et marais de Basse Auvergne d’après les sources écrites (XIIIème-XVIème siècles)” dans J. BURNOUF, P. LEVEAU, op. cit., p. 291-298. 2542 J-L. ABBÉ, À la conquête des étangs…, op. cit., p. 48. 2543 Manuscrit du début du XIIème siècle, 170, Dijon, Bibliothèque Municipale. 2540 - 956 - quant à l’hydraulique ou l’exploitation agricole, comme en témoigne la multiplication d’ouvrages universitaires ou de vulgarisation sur ces thèmes2544. Toutefois, cette prolixité d’ouvrages est-elle révélatrice d’une spécificité des exploitations cisterciennes justifiant un tel engouement, ou est-elle au contraire trompeuse ? La mise en place d’exploitations agricoles ne semble pas être une prérogative cistercienne. Chaque communauté monastique régulière ne saurait se contenter des libéralités seigneuriales pour survivre et se doit de cultiver les terres alentours pour assurer une certaine autonomie et répondre aux besoins les plus péremptoires des moines. Les clunisiens disposent de doyennés, globalement peu différents des granges cisterciennes. Les installations agricoles clunisiennes ont toutefois moins attiré l’attention que celles de Cîteaux. Les dénominations même de ces exploitations sont plus floues puisqu’on parle tour à tour de grange, de prieuré rural ou de doyenné. Pour Denis CAILLEAUX, cette prééminence des études sur les granges cisterciennes pourrait s’expliquer par une réussite économique quasi systématique (du moins pour les plus grandes abbayes de l’ordre), tenant pour grande part à l’abondance d’une main d’œuvre gratuite et qualifiée, à l’organisation rationnelle de l’exploitation des ressources locales et au développement de techniques nouvelles telle l’énergie hydraulique. Nous ne sommes toutefois pas entièrement en accord avec cette dernière explication puisque, comme démontré cidessus, les cisterciens ne semblent pas être les seuls novateurs en matière d’hydraulique. Ils contribuent toutefois certainement à la propagation d’un certain nombre de techniques et technologies2545. Les doyennés clunisiens doivent s’occuper des champs, des vignes et du bétail à l’exclusion de toute autre activité. Les doyens ne disposent que de peu d’autonomie. Ce sont les sièges de l’administration d’un domaine agricole. Ils revêtent parfois une fonction d’accueil ou de défense. Ce sont des centres de production, des lieux de perceptions et de rassemblement. Les moines y prélèvent les rentes et rendent la justice. Ce sont souvent de grosses fermes à l’allure de forteresses ou de monastères en réduction. La majorité est créée sous l’abbatiat d’Hugues de Sermur entre 1049 et 1109. Chacun participe à 2544 L. PRESSOUYRE, P. BENOIT, L’hydraulique monastique…, op. cit., 1995 ; G. de COMMINES (dir.), « Les abbayes cisterciennes et leurs granges », Cahiers de la Ligue Urbaine et rurale, n° 109, 1990, Paris ; F. BLARY, Le domaine de Chaalis…, op. cit.; K. BERTHIER, J. ROUILLARD, « Nouvelles recherches sur l’hydraulique cistercienne en Bourgogne, Champagne et Franche-Comté », Archéologie Médiévale, T 28, 1998, CNRS, Paris, p. 121-148 ; C. WISSENBERG, Entre Champagne et Bourgogne…, op. cit. 2545 D. CAILLEAUX, « Enquête sur les bâtiments industriels cisterciens, l’exemple de Preuilly », Bulletin de la Société Nationale des Antiquaires de France, 1991, p. 151-164. - 957 - l’approvisionnement de Cluny par un versement en somme d’argent ou de produits en nature. Les doyennés s’implantent le plus souvent dans des sites de plaine, sur des lieux de passage (voies de Saint-Jacques de Compostelle) et près de cours d’eau, d’anciennes voies romaines, de croisée de chemins et de routes commerciales, ce qui n’est guère différent des installations cisterciennes2546. La maîtrise des cours d’eau n’est visiblement pas non plus une prérogative cistercienne puisque saint Benoît, dans le chapitre 66 de sa règle, impose à toute communauté monastique de disposer d’un moulin pour assurer son autarcie. Qu’il s’agisse d’un monastère clunisien, d’une celle grandmontaine, d’une chartreuse, l’eau est indispensable à la survie de la communauté et d’innombrables exemples en témoignent. Dès le XIème siècle, des puits sont creusés et recreusés à Saint-Florent-Le-Vieil. À Fontevrault, un égout collecteur souterrain entièrement voûté desservait les latrines et pouvait servir de régulateur en cas d’orage et de fortes précipitations. La qualité de sa mise en œuvre n’a rien à envier aux créations cisterciennes. Les lavabos ne sont pas non plus une prérogative des cloîtres cisterciens. Le plan de Saint-Gall indique une vasque dans le réfectoire même [Fig. 1008]. Dès 840, nous savons qu’il existait une fontaine dans le cloître de Notre-Dame du Mans. D’autres sont connues au Xème siècle à Saint-Florent-de-Saumur, Lobbes, Saint-Benoît-sur-Loire. Les ouvrages liés à l’eau sont indispensables à chaque communauté monastique quelque soit son obédience, et ce dès les premières expériences cénobitiques2547. Gilles ROLLIER a largement étudié l’hydraulique clunisienne et la juge, à juste titre, aussi remarquable que les réseaux hydrauliques cisterciens2548. Il analyse les installations de l’abbaye de Cluny même. Dès 910, les moines noirs détournent la Grosne et prouvent ainsi leur maîtrise des cours d’eau et leur intérêt pour des techniques hydrauliques, trois siècles avant le détournement de la Sansfond par les moines de Cîteaux 2549. Les fouilles archéologiques menées à diverses reprises sur le site monastique ont révélé la présence de drains se présentant sous la forme de canaux maçonnés couverts de dalles. Au niveau de l’avant-nef, le système de drainage permet l’assainissement des fondations du portail. Ces 2546 D. MÉHU, « Le domaine de l’abbaye de Cluny », dans l’ouvrage collectif, « Cluny ou la puissance des moines. Histoire de l’abbaye et de son ordre. 910-1790 », Dossiers d’Archéologie, n° 269, 2002, p. 114-119. 2547 P. GILLON, « Notions d’architecture et de topographie monastique. État de quelques questions » dans P. RACINET, J. SCHWERDROFFER (dir.), Méthodes …, op. cit., p. 265-300. 2548 G. ROLLIER, Cluny. Documentation d’évaluation du patrimoine archéologique urbain, AFAN, 1994 ; G. ROLLIER, « De l’eau et des moines », dans « Cluny ou la puissance des moines… », op. cit., p. 106-109. 2549 D. LOHRMANN, « Monachisme et techniques hydrauliques » dans C. HELTZEN, R. DE VOS (dir.), Monachisme et technologie dans la société médiévale du Xème au XIIIème siècles, Cluny, 1991, p. 349-362. - 958 - aménagements révèlent ainsi une parfaite maîtrise de l’hydraulique en relation avec des questions d’assainissement2550. C’est le cas également du monastère de Lewes, premier établissement clunisien fondé en Angleterre entre 1078 et 1082 et dont le réseau hydraulique est relativement bien connu. Les moines prennent exemple sur Cluny II pour les travaux d’assainissement. Des canalisations alimentent ainsi deux latrines dès le XIème siècle. Un lavabo est édifié en marbre de Tournai vers 1160 et deux puits sont percés dans le cloître2551. Les moines clunisiens sont peut-être plus confrontés à des problèmes d’évacuation des eaux usées, d’adduction en eau potable que les cisterciens mettant les biefs, canaux, digues et moulins au service de la production, de l’artisanat, voire des préindustries. Toutefois, les moines clunisiens disposent également de moulins. Cluny acquiert en effet un réseau de rivières canalisées pour les besoins de trois gros moulins. Ils sont associés à une digue appelée « chaussée du grand Étang » jouant également un rôle de protection. Un système de différents biefs s’amorce à ce niveau de 370m de long pour 42m de large. Le ruisseau est canalisé dans la ville soit dans un large fossé, soit dans des conduites souterraines. L’eau se déverse dans l’Étang Vieux. Le plan d’eau est créé par une digue barrant la vallée sur près de 400m de long. La datation en est malaisée. Les moulins relevaient sans doute du XIIIème siècle. D’autre part, Arlette MAQUET, dans sa récente thèse sur les clunisiens en Auvergne, précise que beaucoup de communautés clunisiennes possèdent des moulins. Il s’agit de structures simples, généralement placées sur de petits cours d’eau. Ces moulins s’accompagnent de droits sur les rivières, sur des ponts par des péages ou des bacs (SaintGermain-des-Fossés, Sauxillanges)2552. Dans son étude sur les étangs en Languedoc méditerranéen, Jean-Loup ABBÉ relativise également le rôle des cisterciens dans l’assèchement de l’assainissement des marais et étangs. L’assèchement du marais poitevin est souvent pris en exemple de la prééminence des moines blancs pour des questions d’hydraulique. En effet, vers 1180-1190, six abbayes cisterciennes interviennent : La Grâce-Dieu (com. Benon, Charente-Maritime), La GrâceNotre-Dame-de-Charron (com. Charron, Charente-Maritime), Saint-Léonard-des-Chaumes (fille de l’abbaye de Boeuil, com. Dompierre-sur-Mer, Charente-Maritime), Moreilles (com. Moreilles, Vendée), Trizay (com. saint-Vincent-Puymaufrais, Vendée) et Bois-Grolland (com. 2550 G. ROLLIER, « Une hydraulique a-t-elle existé à l’abbaye de Cluny ? », dans C. HELTZEN, R. DE VOS (dir.), op.cit, p. 407-421. 2551 F. ANDERSON, « Le système hydraulique et le lavabo du prieuré de Lewes », dans L. PRESSOUYRE, P. BENOÎT (dir.), L’hydraulique monastique…, op. cit., p. 55-63. 2552 A. MAQUET, Cluny en Auvergne. 910-1156, thèse, dir. Michel PARISSE, Paris I, 2006, vol. II, p. 580-581. - 959 - Le Poiroux, Vendée). Elles passent pour cela des accords avec les seigneurs laïcs. Jean-Loup ABBÉ émet deux réserves quant aux interventions cisterciennes. Elles masquent en effet fréquemment les actions d’autres communautés, religieuses ou non, ayant peut-être laissé moins de sources archivistiques : c’est le cas des chanoines de Coïmbra pour le Bas Mondego, des bénédictins de Laach dans l’Eifel ou des ordres militaires dans le contexte de la Reconquista ibérique. D’autre part, l’auteur est très réservé quant à la nature de leur intervention : les cisterciens semblent plutôt développer à leur profit des initiatives antérieures prises par d’autres, en concertation avec les communautés rurales présentes. Ils ne seraient ainsi pas les initiateurs de ces travaux d’assainissement et d’assèchement mais prendraient bien souvent « le train en marche »2553. Cette analyse est confirmée par Élisabeth ZADORARIO qui atteste de trois temps dans les opérations de drainage du Marais Poitevin : un premier temps correspondant aux initiatives locales de paysans aisés, suivi vers 1180-1190 par une intervention non coordonnée des six abbayes cisterciennes précédemment citées, qui ont totalement évincé les premiers entrepreneurs. De 1180 à 1220, ce sont donc les moines cisterciens qui modifient le marais. Un troisième temps correspond enfin à une tardive intervention du pouvoir royal2554. Armelle BONIS et Monique WABONT ont contribué à mettre en place une typologie des aménagements hydrauliques des sites cisterciens, certes éprouvée en France du Nord, mais pouvant s’appliquer à d’autres réalités aquitaines ou méridionales2555. Les monastères cisterciens peuvent ainsi être alimentés par des biefs, telles les abbayes de Foigny (com. La Bouteille, Aisne), l’Eau (com. Ver-lès-Chartres, Eure-et-Loir) et les Blanches (com. Mortain, Manche) [Fig. 1056]; par un chapelet d’étangs comme à Maubuisson (com. Saint-Ouen l’Aumône, Val d’Oise), Longpont (com. Longpont, Aisne), Le Paraclet (com. Boves, Somme), Les Clairets (com. Mâle, Orne) et l’Abbaye-aux-Bois (com. Paris, Paris) [Fig. 1057]. C’est le cas également à Morimond. Un système d’étangs est mis en place pour assurer l’alimentation en eau du monastère. Ils s’organisent en chapelet : une chaussée est en contact avec deux étendues d’eau, une en amont, l’autre en aval. Ces retenues d’eau permettent la pisciculture. Les chaussées sont principalement en terre avec des parties 2553 J-L. ABBÉ, À la conquête des étangs…, op. cit., p. 48. É. ZADORA-RIO, « Aménagements hydrauliques et inférences socio-politiques : études de cas au MoyenÂge », dans J. BURNOUF, P. LEVEAU, op. cit., p. 387-393 2555 A. BONIS, M. WABONT, « Cisterciens et Cisterciennes en France du Nord-ouest. Typologie des fondations, typologie des sites », dans B. BARRIÈRE, M-E. HENNEAU (dir.), Cîteaux et les femmes, Créaphis, Paris, 2001, p. 151-176 ; A. BONIS, M. WABONT, « Les abbayes cisterciennes en Ile-de-France », dans L’Ile-de-France médiévale, T II, Paris, 2001, p. 24-27. 2554 - 960 - maçonnées. Des vannes de vidange et des déversoirs permettent d’éliminer les surplus. En plus de ce système d’étangs, cinq sources sont repérées dans l’enclos monastique. Des captages permettent l’alimentation en eau potable ainsi que le fonctionnement d’installations cultuelles, fonctionnelles et ornementales comme le lavabo devant les cuisines, le petit bassin au centre du cloître et le bassin de la porterie2556. Les monastères peuvent être bâtis dans une vallée étroite et occuper le lit même de la rivière qui est dès lors rejeté sur un flanc de la vallée (Mortemer, com. Lisors, Eure ; Barbeau, com. Fontaine-Le-Port, Seine-et-Marne) [Fig. 1058]. Ils s’installent parfois en tête de vallée, établis près de sources abondantes (Le Trésor, com. Bus-Saint-Rémy, Eure ; l’Aumône, com. La Colombe, Loir-et-Cher) [Fig. 1059]. Enfin, certaines abbayes sont bâties au cœur de marécages comme Cercanceaux (com. Souppes-sur-le-Loing, Seine-et-Marne) et Lieudieu (com. Beauchamps, Somme) [Fig. 1060]. Cercanceaux est alimentée par un bief de deux kilomètres reliant deux rivières. Pour Armelle BONIS, cette ingratitude des lieux est acceptée, mais jamais recherchée pour elle-même comme le prouvent un certain nombre de transferts dus au manque d’eau (cas de Valette, originellement prévue sur la commune de Doumis-Le-Pestre, Cantal). D’après les deux historiennes, ce sont les deux premiers types qui sont majoritaires. Quels sont les choix des moines cisterciens du diocèse de Limoges ? Certains édifices cisterciens s’installent directement aux bords d’un cours d’eau, ce qui supprime la question de l’acheminement en eau courante, mais pose par ailleurs le problème des crues et inondations. C’est le cas à Coyroux où le monastère de moniales est en contiguïté directe avec le ruisseau du même nom, d’où de fréquents remaniements des bâtiments conventuels, régulièrement détruits par les crues. Le même parti est adopté à Peyrouse. Le monastère occupe le fond plat et inondable de la vallée étroite et encaissée du ruisseau du Palin. À 250m en amont, un étang est créé par les moines, barré par une digue massive. Il tient ainsi le rôle de régulateur, de tampon en cas de crues. En aval, un grand vivier en « L » alimenté par le Palin sert de fossé à l’enclos monastique [Fig. 694]. Chaque abbaye semble créer son propre système d’alimentation en eau courante par dérivation à partir d’un cours d’eau, mais la plupart du temps à l’écart de celui-ci. L’abbaye est généralement construite sur le versant ou à son pied. Chacun des cours d’eau associé à une 2556 B. ROUZEAU, E. MADIGAND, « L’hydraulique dans l’enclos de l’abbaye de Morimond. Approvisionnement, réseaux et fonctions, de la fondation à nos jours », dans G. VIARD (dir.), L’abbaye cistercienne de Morimond. Histoire et rayonnement, colloque international de Langres, 2003, Langres, 2005, p. 179-204. - 961 - abbaye a fait l’objet d’aménagements, qu’il s’agisse du Coyroux, du Cluzeau à Prébenoît ou de la Tardes à Bonlieu. Chaque abbaye s’équipe de viviers, d’étangs servant de réserve de poissons, mais aussi de moulins, de pressoirs ou de forges. Les étangs peuvent également permettre de protéger le site abbatial, notamment pour les sites de fond de vallée. En effet, ces étangs évitent les crues en servant de réservoir. Ils sont dotés de digues imposantes (Peyrouse) [Fig. 715]. Les granges utilisent généralement les mêmes équipements (grange de Brocq dépendant de Valette avec son chemin-digue) [Fig. 614]2557. L’abbaye de Boschaud toutefois pose problème et ne semble pas entrer dans l’un des types définis par Armelle BONIS et Monique WABONT. En effet, aucun vestige d’adduction en eau n’a été retrouvé à ce jour. Il semblerait que les moines se soient contentés d’un ou plusieurs puits. Des investigations archéologiques plus poussées seraient nécessaires afin de préciser l’alimentation en eau du monastère [Fig. 188]. Beaucoup de monastères cisterciens du diocèse de Limoges semblent choisir l’alimentation par dérivation, permise par un bief. C’est le cas à Prébenoît où les douvesviviers sont alimentées par une dérivation du Cluzeau longue de 80m environ. Le Cluzeau est barré à deux reprises par l’Étang des Côtes et l’Étang Noir munis de digues aujourd’hui disparues [Fig. 376]. À Aubepierres, située en contrehaut de la confluence de deux ruisseaux, l’alimentation en eau est là aussi assurée par une dérivation. Le « Ruisseau de l’Abbé » résulte de la capture de plusieurs sources situées à plus de deux kilomètres en amont des bâtiments monastiques [Fig. 624]. Ce ruisseau vient se jeter dans un vivier encore perceptible aujourd’hui dans le paysage, même s’il n’est plus en eau [Fig. 629]. De même à La Colombe, monastère implanté à mi-versant de la vallée du Vavret, l’adduction en eau est permise par une capture sur le Vavret. Ce bief alimente deux grands viviers allongés en contre bas de l’abbaye [Fig. 651]. Certains monastères ont bénéficié de la présence de sources proches. L’abbaye de Bonnaigue, implantée près du ruisseau de la Dozanne, est placée à la tête d’un vallon alimentée par plusieurs sources. À 50m à l’est du chevet de l’abbatiale, un vivier est aménagé sur le ruisseau de Bonnaigue [Fig. 391 et 425]. Les moines ont également mis en place deux proches étangs dont celui de Vénard est encore perceptible, ainsi que sa digue. L’abbaye de Grosbot s’est implantée sur un site riche en sources qui, captées et domestiquées, sont acheminées par un réseau de canalisations souterraines [Fig. 470 et 471]. 2557 B. BARRIÈRE (dir.), Moines en Limousin…, op. cit., p. 103. - 962 - Au Palais-Notre-Dame, une source est captée à l’est, en contrehaut des bâtiments monastiques [Fig. 305]. De nouveaux sondages archéologiques devraient permettre de mieux cerner l’alimentation en eau, particulièrement au niveau du cloître encore méconnu. Le monastère d’Aubignac occupe le bas du versant du vallon du Chassepin. Il est alimenté en eau par une source aménagée près de l’abbaye. De même à Boeuil, les différents viviers ainsi que les bâtiments monastiques sont alimentés par des sources captées [Fig. 122 à 125]. Ce versant de la vallée du Glanet est par ailleurs très humide, d’où la nécessité d’établir un chemin-digue pour la franchir, bâti de gros moellons de granite. Le cours du Glanet est quant à lui barré en plusieurs points pour aménager étangs et moulins, tels l’étang et le moulin de Pellechevant encore conservés aujourd’hui [Fig. 129]. À Bonlieu, les moines se sont directement installés sur le bord de la Tardes [Fig. 136]. Ils ont repoussé son cours contre sa rive droite en contrebas du chevet. Est ainsi créée une dénivellation accentuée ayant donné lieu à des aménagements particuliers (digue, déversoirs, réservoir, vivier). La rivière est domestiquée, jalonnée d’installations comme cette dérivation en direction du moulin directement bâti dans l’enclos monastique2558. L’abbaye d’Obazine fait quelque peu figure d’exception. Les moines se sont installés sur un replat bien exposé, et non dans un fond de vallée comme souvent dans un cadre cistercien [Fig. 532]. N’ayant pas d’alimentation en eau directement sur le site, les moines ont dû capter l’eau du Coyroux et l’acheminer jusqu’aux bâtiments monastiques par le « Canal des Moines », aboutissant directement dans le vivier attenant à l’abbaye. Un cas de figure similaire peut être celui de l’abbaye de Cîteaux. En effet, les moines ne disposent pas d’une alimentation en eau suffisante pour la survie d’une communauté de plus en plus nombreuse. En 1212, ils décident donc de détourner la Sansfond. Elle est canalisée jusqu’au monastère par un canal de 10 km, large de 2 à 8m, profond de 1.50m environ. Ils doivent pour cela mettre en œuvre un pont aqueduc, le pont des Arvaux, permettant de franchir à cinq mètres de hauteur un cours d’eau. Cette dérivation va conduire au façonnage progressif du paysage autour de Cîteaux et la création de multiples étangs et moulins dans le vallon du Coindon2559. Les acquisitions de moulins sont très fréquentes chez les cisterciens. Les moulins à roue horizontale prédominent apparemment dans les zones méridionales. Ils correspondent souvent à de petites communautés, à des zones de montagne aux réseaux hydrauliques 2558 B. BARRIÈRE, op. cit., p. 108. K. BERTHIER, J. ROUILLARD, « Nouvelles recherches sur l’hydraulique cistercienne en Bourgogne, Champagne et Franche-Comté », Archéologie Médiévale, T 28, 1998, CNRS, Paris, p. 121-148. 2559 - 963 - restreints. Le rendement est modeste, le broyage irrégulier, la farine assez grossière mais ces installations simples sont peu coûteuses par rapport aux moulins à roue verticale. Plus complexes, ils nécessitent un débit constant et important. Ils dominent dans les pays septentrionaux, dans les zones de plaine avec des cours d’eau plus puissants. Ils bénéficient d’une plus grande efficacité potentielle mais nécessitent des techniciens qualifiés2560. D’après des statistiques d’Yves POURCHER en 1809 les installations creusoises adoptent majoritairement la roue verticale. En Haute-Vienne, elle concerne 80% des moulins tandis que 20% adoptent la roue horizontale. La Corrèze, plus nettement tournée vers le Midi, opte pour la roue horizontale2561. Dans le diocèse de Limoges, il y a donc hésitation et adoption partagée. Néanmoins, considérant ces faits, ne peut-on pas aussi envisager l’hypothèse d’une continuité des techniques médiévales à l’époque moderne ? Nos informations concernant le moulin médiéval sont trop ténues pour conclure. Une spécificité des moulins cisterciens pourrait être liée à leur vocation industrielle : si les moulins céréaliers prédominent, des moulins à foulon et à tan sont évoqués dans les actes. C’est le cas pour certaines abbayes du diocèse de Limoges. D’après le cartulaire d’Aubignac, les frères Porret ont cédé aux moines leurs droits de propriété sur le moulin de Malherbe où ils font moudre leurs grains et fouler leurs draps2562. À l’abbaye de la Colombe, un moulin à huile dont la meule servait à écraser les noix existe encore en contrebas du monastère. Les moines de Bonlieu arrentent deux moulins en 1331, l’un à blé, l’autre à « mailler », c’est-à-dire à broyer des tiges de chanvre. En 1414, deux moulins, à blé et à foulon, sont cités à côté de l’étang d’Auge2563. Toutefois, s’agit-il vraiment d’une originalité de l’ordre ? Certaines études sur Cluny permettent d’en douter. Lors de son doctorat sur l’implantation clunisienne en Auvergne, Arlette MAQUET constate que si les moulins céréaliers sont les plus fréquents d’après les censiers, il existe néanmoins des moulins à foulons pour battre draps et écorce. Cette pratique semble se développer au XIIème siècle grâce à l’usage de l’arbre à cames permettant de transformer le mouvement rotatif en mouvement alternatif. Un usage préindustriel est donc également avéré pour certains moulins clunisiens (Sauxillanges notamment)2564. B. PHALIP, « Le moulin à eau médiéval. Problème et apport de la documentation languedocienne », Archéologie du Midi Médiéval, T X, 1992, p. 63-96. 2560 2561 Y. POURCHER, La trémie et le rouet, moulins, industrie textile et manufactures de Lozère à travers leur histoire, Les Presses du Languedoc, 1989, p. 17. 2562 AD Creuse, H 250. 2563 AD Creuse, H 240. 2564 A. MAQUET, op. cit., vol. I, p. 178. - 964 - Pour Karine BERTHIER et Joséphine ROUILLARD, la spécificité cistercienne tiendrait à la présence de bâtiments industriels utilisant l’énergie hydraulique. Ces bâtiments sont d’ailleurs fréquemment réutilisés en tant que tel jusqu’au siècle dernier, qu’il s’agisse de moulins industriels à vocation textile ou de forges hydrauliques2565. Les forges les mieux préservées sont celles de Bourgogne, telles Fontenay, La Bussière, Fontaine-Jean, Jouy et Preuilly2566. Ces forges hydrauliques peuvent être envisagées pour les abbayes du diocèse de Limoges, structures surtout mises en place à la fin du XIIème siècle et usitées durant le XIIIème siècle. La force hydraulique sert à mouvoir de lourds marteaux à l’aide d’un système de cames2567. Ces installations, fragiles, sont toutefois rarement conservées. Des sondages archéologiques révèlent parfois des amoncellements de scories comme à Prébenoît. Malheureusement, les archives sont muettes sur ce type d’exploitation. Nous savons que la grange de Bougnat dépendant de l’abbaye de Bonlieu (com. Saint-Marien) dispose de forges. Cette région bénéficie en effet d’une forte densité de matière ferreuse. La densité du réseau hydraulique laisse à penser qu’il s’agissait probablement de forges hydrauliques2568. Les forges cisterciennes les mieux connues et les mieux documentées sont celles de Bourgogne et du nord de la France. Une forge est identifiée à l’abbaye de Morimond. Le ferrier a été daté au C 14 après 1665 et jusqu’à l’époque contemporaine. Il est donc à associer à des ateliers modernes. Pour Benoît ROUZEAU, il s’agissait vraisemblablement d’une forge maréchale pour façonner et retraiter les objets tordus ou cassés. Dans le cas de Fontenay, la forge est directement située dans l’enclos monastique. Le puits d’exploitation du minerai est situé dans le plateau tout proche. À Morimond, deux bâtiments avec leurs dépendances sont bâtis le long du cours du Flambart canalisé. Il a pu actionner une roue hydraulique comme dans le bâtiment industriel de la forge de Fontenay. Les structures de Morimond disposent d’un appentis pour le stockage comme on le perçoit dans l’iconographie minière et métallurgique des XIVème et XVème siècles. Il existe peut-être d’autres activités que la métallurgie (foulon, tannerie, meunerie)2569. 2565 K. BERTHIER, J. ROUILLARD, op. cit. D. CAILLEAUX, « Enquête sur les bâtiments industriels cisterciens…», op. cit., p. 151-164. 2567 C. VERNA, Les mines et les forges des cisterciens…, op. cit., p. 22. 2568 M. NOUGER, Patrimoine et environnement aristocratique de l’abbaye cistercienne de Bonlieu en Creuse aux XIIème et XIIIème siècles, maîtrise, Limoges, 1998, p. 207. 2569 B. ROUZEAU, « L’activité industrielle des moines blancs à Morimond aux époques médiévale et moderne d’après les sources écrites et archéologiques : métallurgie et bâtiment industriel cistercien dans l’enclos », dans G. VIARD (dir.), L’abbaye cistercienne de Morimond…, op. cit., p. 205-240. 2566 - 965 - Néanmoins, les études récentes de Mathieu ARNOUX tendent à remettre en question l’idée d’une « sidérurgie cistercienne » que le seul exemple monumental de la forge de Fontenay ne peut suffire à justifier. Prenant l’exemple de la Normandie, il constate que les moines blancs restent plutôt discrets quant à la métallurgie. Leur puissance commerciale se perçoit bien plus dans leur forte présence aux foires de Champagne. Il n’y a pas de réelle originalité cistercienne par rapport aux autres établissements du duché concernant la production sidérurgique. Mathieu ARNOUX fait état d’une relative indifférence à l’égard de la production du fer, de même que les bénédictins et chanoines réguliers. La production est avant tout seigneuriale2570. Il cite les exemples des abbayes de Savigny et de Beaubec, implantées dans une région minière, mais ne profitant pourtant pas de cette production. De même dans la province de Rouen où les moines de La Valasse et La Noe ne possèdent pas de forges malgré une activité minière très présente. Le seul contre-exemple avéré est celui de Mortemer, fondée par Clairvaux en 1130 dans la forêt de Lyons. Celle-ci est amplement dotée de droits d’usage forestiers, à tel point que le monopole des férons locaux est quelque peu mis en danger par la vente du fer produit par les moines blancs. L’historien met également en évidence les réussites plutôt modestes des abbayes de l’Éstrée, des Vaux-de-Cernay et de la Trappe. En effet, l’Éstrée parvient à exploiter timidement le minerai du pays d’Ouche avec une forge attestée, celle de la Ferrière. Concernant la Trappe, une activité sidérurgique peut être déduite de la présence de proches gisements de minerai. Deux granges détenues dans le pays d’Ouche sont accompagnées de droits d’usage dans la forêt de Breteuil, ce qui ne veut toutefois pas dire que celui-ci était à usage sidérurgique. Il pourrait s’agir de bois de chauffe ou de bois d’œuvre. Toutefois, la Trappe a acquis des terres sur des sites d’extraction et dispose ainsi de la mine du « Val aux Moines ». Pour Mathieu ARNOUX, les cisterciens ont la volonté de s’insérer par le biais du commerce du bois dans le marché de la sidérurgie, en se « créant des ressources forestières d’autant plus intéressantes que leur statut légal les soustrait aux prélèvements de la fiscalité royale, et en rétablissant des terres sans doute pauvres, que leur vocation céréalière soumettait à la servitude supplémentaire des pratiques communautaires ». La finalité commerciale semble caractéristique de la gestion des cisterciens. En Normandie, ils se heurtent toutefois au manque de ressources forestières, le patrimoine forestier étant largement laissé à l’économie seigneuriale2571. 2570 2571 M. ARNOUX, Mineurs, férons et maîtres de forge…, op. cit., p. 278. M. ARNOUX, op. cit., p. 287 et 295. - 966 - • Une « originalité » cistercienne. Cohérences entre lieux de prière et lieux de labeur : Les textes cisterciens révèlent une tendance à revaloriser le travail manuel, considéré comme un chemin vers Dieu de même que les prières et offices liturgiques. Cette vision très positive du labeur pourrait expliquer certaines cohérences affirmées entre la mise en œuvre des abbatiales, des bâtiments conventuels et artisanaux. Qu’il s’agisse des aménagements des convers, des granges, moulins ou sanctuaires, les formulations architecturales et sculptées sont souvent similaires, ce qui pourrait constituer une des spécificités, une originalité des exploitations cisterciennes. Si les bâtiments utilitaires clunisiens, les doyennés, sont peu différents de ceux des cisterciens et d’autres ordres religieux, la différence est toutefois nette avec l’architecture et le décor des sanctuaires et édifices religieux de l’ordre clunisien. Nous ne retrouvons pas cette cohérence entre doyennés et églises de Cluny comme au sein de l’ordre cistercien. Le travail est pour eux déprécié. Prière et liturgie ont la primauté et bénéficient d’investissements importants, de soins particuliers tandis que les granges, prieurés, doyennés et moulins ne sont pas l’objet d’attentions aussi marquées que les sanctuaires. À Cluny, ces bâtiments utilitaires sont séparés par la topographie du groupe religieux mais également par le mode de construction. Philippe RACINET constate que les lieux réguliers sont souvent couverts de tuiles et d’ardoises tandis que les édifices à vocation artisanale utilisent fréquemment un toit de chaume. Ils adoptent un plan de masse, une construction en pierres de bonne qualité mais dont les décors sont sans commune mesure avec ceux des églises clunisiennes2572. Avant d’évoquer les granges et bâtiments artisanaux cisterciens, certaines similitudes entre les sanctuaires et les bâtiments des convers parfois simplement utilitaires (réfectoire, dortoir, cuisines) peuvent être établies. Guy de COMMINES précise qu’il n’y a en effet que peu de différences entre les bâtiments destinés aux simples convers et les bâtiments réservés aux moines de chœur. Ce sont les mêmes formulations pour les ouvrages laïcs et ceux des clercs. Les frontières liturgiques ne semblent pas trouver d’expression tangible au sein des créations artistiques et de l’art de bâtir2573. 2572 P. GARRIGOU-GRANDCHAMP, A. GUERREAU, J. D. SALVÈQUE, « Doyennés et granges de l’abbaye de Cluny (…), » op.cit, p. 71-113. 2573 G. de COMMINES (dir.), « Les abbayes cisterciennes et leurs granges », Cahiers de la Ligue Urbaine et rurale, n° 109, 1990, Paris, p. 2. - 967 - À la « Grange de Boeuil », le bâtiment des convers conservé, appelé « Maison des Religieuses », est aujourd’hui très remanié et en très mauvais état de conservation. La charpente est très dégradée, l’enduit blanc recouvrant les parements est presque entièrement tombé [Fig. 132]. Le bâtiment est visiblement à l’abandon et ne bénéficie d’aucun entretien. Cette dégradation n’empêche toutefois pas certaines constatations. Il est bâti en appareil mixte : les parements mêlent de belles pierres de taille en moyen appareil régulier de granite, des moellons, de petites pierres de calage, des tuiles, le tout pris dans un mortier à forte proportion de chaux. L’ensemble est assez désorganisé. Par ailleurs, les piédroits de baies et de portes, les harpages sont de moyen appareil régulier soigné. Parfois des blocs massifs en grand appareil sont utilisés, provenant peut-être du bâtiment médiéval originel, sans doute édifié avec un soin manifeste si l’on en juge par la qualité des matériaux et de la taille de ces éléments primitifs remployés. Il ne devait y avoir que peu de différences entre la mise en œuvre de ce bâtiment des convers et celle de l’église abbatiale, aujourd’hui connue par des éléments lapidaires où la qualité de la taille est indéniable. La disparition (Prébenoît, Le Palais, Boeuil) ou les profonds remaniements successifs (Varennes, Obazine) subis par les bâtiments des convers dans un cadre cistercien limousin nous conduit à nous tourner vers d’autres régions, d’autres abbayes mieux documentées pouvant étayer ce propos. La monographie de Thomas COOMANS sur l’abbaye cistercienne de Villers (com. Villers-La-Ville, Brabant) est ainsi exemplaire pour cette analyse2574. L’auteur décrit en effet le réfectoire comme un vaste volume quadrangulaire calé entre deux pignons assez similaire aux « églises-granges » de Haute-Marche. Il est voûté d’ogives reposant sur des culots. Le profil de nervures et les décors des culots sont très semblables à ceux de l’église. Le chauffoir est voûté d’arêtes et présente des chapiteaux à corbeilles lisses proches de ceux observés dans la nef. Qu’il s’agisse d’un sanctuaire ou d’un lieu simplement lié au bien-être corporel, le même vocabulaire stylistique et décoratif peut être requis. L’hôtellerie se compose de même d’un volume quadrangulaire encadré de deux pignons. Elle se divise en deux nefs de sept travées. Elle se rapproche ainsi de l’architecture des granges type Vaulerent et Fourcheret [Fig. 1061 et 1062]. Michel FIXOT livre quant à lui une étude archéologique des bâtiments conventuels de Silvacane (com. La-Roque-d’Anthéron, Bouches-du-Rhône) et du Thoronet (com. le Thoronet, Var). Il constate en particulier que l’hôtellerie de Silvacane dispose d’une 2574 T. COOMANS, L’abbaye de Villers-en-Brabant…, op. cit., p. 357. - 968 - architecture aussi soignée que celle de l’abbatiale. Une recherche décorative est certaine. Les moines blancs semblent ainsi accorder autant de soin au sanctuaire, lieu de prières et d’offices liturgiques, qu’à un simple lieu d’accueil ou même à un réfectoire pourtant destiné à satisfaire des besoins corporels largement dépréciés par des moines contemplatifs plus proches des méditations de Marie que de l’affairement de Marthe2575. Yves ESQUIEU constate dans sa récente étude sur les installations monastiques du Thoronet que le bâtiment des convers est de grande qualité pouvant être comparée à la mise en œuvre des bâtiments des moines de chœur. Les convers disposent d’un réfectoire voûté d’ogives, à la pointe des initiatives gothiques. Le dortoir est quant à lui en berceau brisé. Les frères lais disposent également de latrines, à la manière des moines de chœur. Quant à « l’hôtellerie » en ruines, il s’agit d’après Yves ESQUIEU plutôt d’une grange ou d’une cave à vin. Les pierres sont plus sommairement équarries que pour les bâtiments claustraux. Il s’agit d’un volume rectangulaire encadré de deux pignons, ouvert de jours ébrasés, assez similaire aux granges septentrionales ou aux « églises-granges » de Haute-Marche2576. À Clairvaux, le bâtiment des convers est vraisemblablement achevé dans la seconde moitié du XIIème siècle. Il s’agit d’un vaste bâtiment de 80m de long pour 17.70m de large. Il se compose de deux étages chacune divisé en trois nefs de 14 travées par deux files de colonnes. Le rez-de-chaussée est voûté d’ogives, l’étage d’arêtes. À l’extérieur, les murs gouttereaux sont rythmés en travées par « des contreforts que réunissent, à leur tête, des arcs de décharge en plein-cintre ». Les baies percées sont en plein-cintre. Des vestiges d’enduits peints sont observables sur les voûtes et ébrasements internes des baies, représentant un appareil à faux-joints, comme dans certaines abbatiales cisterciennes (Villers, Coyroux, Prébenoît, Le Palais). Ainsi, qu’il s’agisse du voûtement, des percements, des peintures ou de la qualité de la mise en œuvre, il n’y a que peu de différences avec les réalités abbatiales2577. Edouard NORTON souligne quant à lui à propos des décorations intérieures que les carreaux de pavements, s’ils sont cantonnés aux cathédrales et grandes abbatiales jusqu’au milieu du XIIIème siècle, s’étendent rapidement aux bâtiments conventuels. Il n’y aurait ainsi pas de décor propre aux abbatiales, aux sanctuaires, valorisés par rapport à des bâtiments à vocation domestique. Ainsi, à Brocq (com. Menet, Cantal), grange cistercienne de l’abbaye de 2575 M. FIXOT, « Porteries, bâtiments d’accueil et métallurgie aux abbayes de Silvacane et du Thoronet », Archéologie Médiévale, T XX, 1990, CNRS, Paris, p. 181-252. 2576 Y. ESQUIEU, V. EGGERT, J. MANSUY, Le Thoronet …, op. cit., p. 62 et 65. 2577 J-M. MUSSO, M. MIGUET, « Le bâtiment des convers de l’abbaye de Clairvaux : Histoire, archéologie, restauration », Les cahiers de la Ligue Urbaine et Rurale : Patrimoine et cadre de Vie, T 109, 1990, p. 224-232. - 969 - Valette, un petit pavement de galets bicolores est mis en place à l’étage du bâtiment d’habitation [Fig. 610]. Des cohérences sont également tangibles entre sanctuaires et bâtiments d’exploitations agricoles et préindustrielles (granges, moulins, forges). Yves ESQUIEU constate à ce propos que « les moines cisterciens manifestèrent le même souci de perfection, d’efficacité dans la mise en valeur du domaine agricole que dans l’art de s’élever à Dieu »2578, volonté qui s’exprime visiblement à travers la mise en œuvre des bâtiments de ces exploitations agricoles ou des ouvrages d’hydraulique. Ces édifices à vocation artisanale sont toutefois globalement moins connus que les églises et les cloîtres, rarement pris en compte par l’histoire de l’art. Les analyses cisterciennes sont souvent réduites à celles de la spiritualité et de l’esthétique. L’architecture rurale est d’ailleurs rarement inscrite à l’Inventaire ou classée et reste par conséquent fréquemment à l’écart des protections officielles. Les prospections menées sur les sites cisterciens du diocèse de Limoges et de ses marges ont malheureusement peu livré de vestiges de granges médiévales. Elles ont souvent été soit très remaniées au fil des siècles, soit détruites. Néanmoins, le domaine de Brocq, dépendant de l’abbaye cistercienne de Valette conserve suffisamment de vestiges pour constater la qualité certaine de la mise en œuvre [Fig. 609]. Des remaniements modernes sont toutefois indéniables comme en témoignent les inscriptions sur les linteaux de la porte de la grange à proprement parler et du bâtiment d’habitation [Fig. 610]. Les percements ont vraisemblablement subi des modifications, tandis que les parties basses des parements semblent cohérentes et peuvent correspondre à des réalités médiévales. Les soubassements du bâtiment d’habitation sont de grand appareil régulier de tuf de très bonne qualité, taillé avec soin. Des traces de piquetage sont encore visibles sur certains blocs. Les joints sont très minces. La grange proprement dite est un vaste bâtiment longitudinal calé entre deux pignons [Fig. 611]. Elle est fondée sur des blocs massifs non taillés. Les premières assises sont de grand appareil à la manière de la maison d’habitation2579. Là encore, le tuf est taillé avec beaucoup de précision et l’ensemble est assemblé avec soin. La qualité de la mise en œuvre n’a ici rien à envier à celle d’une abbatiale. Face à la quasi disparition (ou aux profonds remaniements) des granges cisterciennes médiévales du diocèse de Limoges, dont il ne demeure généralement que le toponyme, 2578 2579 Y. ESQUIEU…, op. cit., p. 59. Modules : 0.90 par 0.48 et 0.27m; 1.10 par 0.48 par 0.30m. - 970 - révélant bien souvent un hameau avec parfois quelques belles pierres de taille en remploi, il semble nécessaire de se tourner vers d’autres diocèses, d’autres réalités pouvant se révéler éclairantes pour notre propre cadre d’étude. Pour Guy de COMMINES, il est évident que les cisterciens veulent que leurs granges soient bâties avec autant de soin et de rigueur que les édifices religieux 2580. Elles représentent des monuments dressés pour la célébration du travail désintéressé de l’homme, d’où le caractère monumental de certaines granges, vastes halles destinées à abriter les récoltes. Son analyse se base essentiellement sur des bâtiments d’exploitation de France septentrionale, relativement bien conservés par rapport aux données envisagées pour le diocèse de Limoges. Les pierres sont de bonne qualité, parfaitement taillées. Il cite l’exemple des granges de Pontigny (com. Pontigny, Yonne). Sur les quinze exploitations des XIIème et XIIIème siècles, seuls quatre bâtiments médiévaux sont actuellement conservés. Les murs sont épais, les pierres de taille soigneusement équarries. Le voûtement est assez similaire à celui des sanctuaires. La grange de Sainte-Procaire en particulier adopte un voûtement d’arêtes reposant sur des chapiteaux à feuilles d’eau très similaires à ceux observés dans l’abbatiale. Terryl KINDER s’est également penchée sur le domaine de Pontigny et met en lumière ces cohérences entre bâtiments religieux et agricoles. La grange de Villiers par exemple (com. Grimault, Yonne), propriété de Pontigny attestée vers 1145, est bâtie de belles pierres de taille [Fig. 1063]. Elle est scandée de contreforts de la même manière qu’une église. Les baies percées sont surmontées d’un arc brisé2581. Le bâtiment des convers est un volume rectangulaire de 20 par 10m, entièrement en pierres de taille, encore utilisé aujourd’hui pour le stockage du blé2582. L’étage servait de dortoir. Villiers disposait de sa propre chapelle du fait de l’éloignement de Pontigny (environ trente-cinq km). La nef se présente comme un simple rectangle sans autel, couvert d’une voûte en berceau brisé. Une abside flamboyante est bâtie en 1479 lorsque la grange est mise à bail. À ces bâtiments s’ajoute une citerne de 8 par 16m, vaste espace souterrain de 4.15m de haut, divisé en deux nefs par une arcade de neuf piliers chanfreinés. La mise en œuvre en est très soignée, les pierres taillées assemblées en moyen appareil régulier, les joints sont minces2583. 2580 G. de COMMINES (dir.), « Les abbayes cisterciennes et leurs granges », op.cit, p. 2. T. N. KINDER, « Pontigny et ses domaines. Richesse et précarité d’un patrimoine agricole », dans L. PRESSOUYRE (dir.), L’Espace cistercien, Paris, CTHS, 1994, p. 441-450. 2582 Il semblerait que le goût prononcé des bâtisseurs cisterciens pour de vastes halles aux amples volumes ait séduit les agriculteurs des XIXème et XXème siècles qui ont souvent réutilisé ces bâtiments comme aires de stockage. Cette réutilisation a bien souvent permis leur conservation. 2583 T. N. KINDER, « La grange de Villiers », dans Cîteaux, à la découverte de 64 sites en France, Dossiers d’Archéologie, n°234, juin-juillet 1998, p. 104-105. 2581 - 971 - Non loin de Villiers, la grange de Oudun, dépendant de Reigny (com. Joux-La-Ville, Yonne) présente des caractéristiques similaires. Le bâtiment conservé est de 20 par 10m. Le rez-de-chaussée est voûté d’ogives, le premier étage couvert d’un berceau. La présence de chapiteaux à crochets pourrait aller dans le sens d’une datation du premier tiers du XIIIème siècle2584. La grange de Vaulerent (com. Villeron, Val d’Oise) dépendant de Chaalis est largement étudiée par Charles HIGOUNET [Fig. 1062]2585. Le plan basilical est choisi, répondant aux besoins de stockage engendrés par de nouvelles pratiques agricoles (assolement triennal). Avant le XIIème siècle en effet, les techniques de conservation des grains étaient bien différentes : des greniers sur pieux isolés du sol étaient usités, de même que des silos, simples fosses creusées à même le sol. Les capacités de stockage étaient limitées mais correspondaient à la production de l’époque. La grange de Vaulerent est donc un vaste rectangle de 72 par 23m. Le vaisseau central est encadré de collatéraux élevés. Les arcades brisées en tiers-point reçoivent la charpente. Elles sont soutenues par des piles quadrangulaires. La mise en œuvre est en moyen appareil régulier de calcaire. Des contreforts extérieurs contrebutent les murs gouttereaux et les deux façades en pignon. Elle était primitivement couverte d’une grande toiture en bâtière. Elle n’est ornée d’aucun décor particulier. La grange de Fourcheret (com. Fontaine-Chaalis, Oise) datée du premier tiers du XIIIème siècle appartenant aussi au domaine de Chaalis dispose d’un plan basilical similaire [Fig. 1061]. Elle comporte un lieu de remisage des récoltes, le logis des frères convers, le tout ceint dans un mur d’enceinte. La grange est de 20 par 52m de long, soit 1000m². Les trois vaisseaux sont divisés par deux rangées de piliers surmontés de tailloirs supportant des arcs en tiers-point. Selon Christophe WISSENBERG, les granges du Nord de la France comme celle bien connue de Vaulerent emploient la pierre de taille de manière systématique, celle-ci prévalant largement sur l’usage du bois. La charpente est réduite, l’édifice haut mais moins large. À Clairvaux en Bourgogne (com. Ville-sous-Laferté, Aube), le contexte est inversé. L’abondance et la qualité des ressources en bois d’œuvre est déterminante. Les granges peuvent se doter de charpentes denses et complexes prenant directement appui au sol sur des dés de pierre. L’auteur constate que l’emploi de poutres en chêne à la place de piliers appareillés a contraint les charpentiers à compenser la perte d’espace en hauteur (longueur 2584 D. BORLÉE, « L’architecture des abbayes cisterciennes de l’Yonne : état des lieux et hypothèses », dans T. KINDER (dir.), Les cisterciens dans l’Yonne, « Les Amis de Pontigny », Pontigny, 1999, p. 29-39. 2585 C. HIGOUNET, La grange de Vaulerent…, op. cit., p. 8. - 972 - limitée des fûts) par une extension en largeur (multiplication du nombre des nefs). Ainsi, les granges de Clairvaux présentent généralement un aspect plus ramassé et moins altier qu’à Vaulerent. Est-ce le même cas de figure dans le diocèse de Limoges ? La présence de bois a-telle conduit à la mise en œuvre de granges similaires ? La grange de Brocq, certes en partie remaniée en parties hautes, présente toutefois un aspect similaire aux granges de Clairvaux avec une halle relativement large pour une hauteur plus réduite que les hauts pignons de Vaulerent ou Fourcheret. L’absence d’autres vestiges médiévaux significatifs ne nous permet guère de mieux étayer cette hypothèse2586. Christophe WISSENBERG précise que les granges de Clairvaux se caractérisent par une indéniable homogénéité architecturale. La capacité intérieure de stockage du bâtiment correspond strictement à la quantité estimée des récoltes, comme observé pour la grange de Vaulerent. Les pignons sont bâtis en petit appareil calcaire local. Des pierres de taille de belle qualité sont utilisées pour l’encadrement des baies et des deux portes charretières. La partie sommitale des pignons est tronquée par les demi-croupes de la toiture. La charpente de la grange de Beaumont est en chêne, et est de 12m au faîte. Elle a subi de constantes modifications au fil des siècles. Cette grange comprend également une tuilerie et un bâtiment des convers daté de 1604 regroupant un lieu de repos, d’alimentation, d’accueil et de culte. Une chapelle Saint-Gauthier, probablement existante dès le XIIIème siècle, n’est toutefois mentionnée dans les textes qu’à l’époque moderne. Quant à la tuilerie, elle est bâtie de manière identique à la grange proprement dite et se dote également d’une charpente. Elle se constitue d’un four et d’une grande halle pour le séchage des tuiles, briques et carreaux de pavement avant cuisson. La halle est conservée, amputée néanmoins de ses travées orientales2587. Les granges de Maubuisson, de Preuilly, de Clairvaux sont bâties avec les mêmes matériaux que l’abbatiale et certaines formulations artistiques s’appliquent indifféremment aux bâtiments agricoles, aux églises et aux bâtiments conventuels. La grange de la Borde dépendant de Clairvaux adopte par exemple une porte avec un linteau en bâtière monolithe similaire à celui du bâtiment conventuel2588. L’ancienne grange de l’abbaye de Vauclair (com. Bouconville-Vauclair), bien connue par l’intermédiaire de cartes postales et photographies anciennes, témoigne également d’un 2586 C. WISSENBERG, Entre Champagne et Bourgogne…, op. cit., p. 66-67. C. WISSENBERG, op. cit., p. 113. 2588 J. L. ADAINE, « Le domaine de Maubuisson », dans L. PRESSOUYRE (dir.), op.cit, p. 554-567 ; N. PICART, « Le domaine de Preuilly », dans L. PRESSOUYRE (dir.), op.cit, p. 569-580 ; G. VILLAIN, « Trois granges de l’ancienne abbaye de Clairvaux protégées au titre des monuments historiques », dans L. PRESSOUYRE (dir.), op.cit, p. 581-588. 2587 - 973 - soin réel accordé à la mise en œuvre [Fig. 1064]. Il s’agit d’un vaste bâtiment rectangulaire (68m de long, 13m de large) encadré de deux hauts pignons, entièrement édifié en moyen appareil régulier à joints minces et couvert d’une charpente. L’édifice comprend deux étages ainsi que des combles. De multiples baies sont percées sur les murs gouttereaux et les pignons permettant un éclairage idéal. En effet, chaque travée du premier étage est percée de deux baies en plein-cintre, surmontées d’une troisième fenêtre de même profil. Elles sont largement ébrasées. Les parements sont scandés de puissants contreforts à ressauts, individualisant fortement les différentes travées. Les percements, le système de travées, la présence de contreforts à ressauts, le moyen appareil régulier sont autant de témoins des perméabilités entre abbatiale et grange, entre cadre religieux et artisanal. Ces cohérences entre bâtiments religieux et granges sont également observables pour des monastères méridionaux. La grange de Fontcalvy (com. Ouveillan, Aude) par exemple, dépendant de l’abbaye de Fontfroide et datée de la fin du XIIIème siècle présente un module de conception identique à celui de l’église abbatiale. Il existe une unité et une cohérence dans la construction. Un soin et une qualité certaine sont portés à la mise en œuvre. La nef se compose de quatre travées voûtées d’ogives peu différentes des formulations des bâtiments religieux2589. La grange de Lassalle dépendant de l’abbaye cistercienne de Grandselve (com. Bouillas, Tarn-et-Garonne) opte elle aussi pour le plan basilical de la halle. La nef centrale est réservée au passage des chariots. Les bas-côtés servent au stockage. Le plan est donc choisi pour son côté pratique et utilitaire2590. Au Thoronet, la grange est placée le long de l’enclos monastique. Elle dispose de deux niveaux de stockage. La vaste pièce du rez-de-chaussée est voûtée d’arêtes retombant sur deux piliers. Les murs sont de moellons grossièrement équarris. Des baies en archère sont percées. L’étage est une pièce voûtée en berceau brisé2591. Ces quelques exemples concernent des régions différentes, aussi bien septentrionales que méridionales, révélant à chaque fois une mise en œuvre soignée, comme s’il s’agissait d’un sanctuaire. D’ailleurs, pour le liturgiste et chanoine parisien Jean BELETH, l’oratoire se définit par l’acte de prière que l’on y pratique. Ainsi, le statut d’oratoire peut être conféré à 2589 G. LARGUIER, « Fontfroide et l’espace cistercien en Narbonnais », dans L. PRESSOUYRE (dir.), op.cit, p. 70-114. 2590 M. MOUSNIER, op.cit, p. 198. 2591 Y. ESQUIEU, op. cit., p. 64. - 974 - n’importe quel lieu du monastère, comme une grange, pourvu que l’on s’y adonne de temps en temps à la prière2592. Ces cohérences significatives semblent uniquement s’appliquer au cadre cistercien. Les différentes conceptions du travail manuel pour les cisterciens et les clunisiens trouvent ainsi peut-être une expression directe au sein des créations artistiques et d’une architecture utilitaire qui s’apparente aux édifices religieux pour les premiers et s’en distinguent nettement chez les moines noirs. L’originalité de l’ordre de Cîteaux tiendrait à cette cohérence forte entre la mise en œuvre des bâtiments artisanaux et celle des sanctuaires, similitudes que nous ne retrouvons pas au sein de l’ordre clunisien où les différences sont très marquées entre l’architecture des doyennés et des édifices religieux. À Cîteaux, travail et prière sont rééquilibrés et cette symbiose trouve une expression dans les créations artistiques. La conception de l’art, de l’architecture et du décor sont par ailleurs un autre sujet de discorde entre les deux ordres. Les textes de saint Bernard et de Pierre le Vénérable en témoignent et reflètent des divergences fondamentales entre l’ager des clunisiens et le saltus des cisterciens. Outre les granges, d’autres bâtiments à vocation agricole ou préindustrielle comme les moulins peuvent témoigner de cohérences de mise en œuvre avec les églises abbatiales. Dans le diocèse de Limoges et ses marges, si les prospections menées sur les sites des anciennes exploitations agricoles ou vinicoles cisterciennes n’ont guère révélé de vestiges médiévaux signifiants, à part sous forme de remplois épars dans des bâtiments modernes, les moulins et autres aménagements hydrauliques sont par ailleurs mieux préservés. À l’abbaye de Prébenoît, les installations hydrauliques médiévales sont révélées par le cadastre napoléonien de 1808 et les sondages archéologiques effectués entre 1991 et 2001. Un bief maçonné ainsi que des réseaux de drains constitués de dalles de schiste sont datés du début du XIIIème siècle, soit en même temps que l’érection du cloître du monastère. Une digue est placée au niveau de l’Étang Noir en amont de l’abbaye. Longue de 100m environ, sa chaussée se constitue d’une levée de terre parementée de schiste [Fig. 385]. Le conduit de vidange de l’étang recourt à des dalles de granite. La roche utilisée pour la mise en œuvre est extraite dans les proches environs pour minimiser les coûts2593. L’alternance de schiste et de granite caractérise aussi les parements du modeste monastère marchois. Ces mêmes matériaux sont employés pour une construction de 17m de long et 7m de large, très ruinée, qui surplombe le Cluzeau non loin du chemin d’accès de l’abbaye. Il s’agit très probablement 2592 2593 Dom A. DAVRIL, E. PALAZZO, La vie des moines…, op. cit., p. 198. J. ROGER, P. LOY, op. cit., p. 58-59. - 975 - d’un moulin dont la mise en œuvre se rattache aux phases anciennes de construction du monastère. À Bonlieu, la Tardes est aménagée grâce à un pont à cinq déversoirs voûtés édifié en granite gris de moyen appareil régulier [Fig. 169]. Les joints sont minces, la mise en œuvre soignée comme celle de l’abbatiale et sans doute comme celle des nombreux moulins qui dépendaient du monastère, ce qui laisse supposer une simultanéité des constructions. Le moulin de l’abbaye dispose dans ses parties inférieures de beaux blocs de moyen appareil de granite correspondant vraisemblablement à des réalités médiévales, cohérentes avec les parements de l’église abbatiale [Fig. 171]. Les moines d’Aubepierres disposent d’au moins trois moulins sur la Creuse dépendant de la grange de Chibert (com. de Glénic, Creuse). Au lieu-dit « le moulin Neuf », une digue de pierres sèches est encore en place de même qu’un moulin dont la roue est toujours en activité. À quelques mètres de cette installation moderne, un angle de mur (80cm de haut) constitué de blocs de granite assemblés en pierres sèches rappelle l’ancien emplacement médiéval. Les matériaux employés sont les mêmes que ceux des ruines du monastère [Fig. 634]. L’abbaye cistercienne de Boeuil a aujourd’hui disparu en élévation. Il est ainsi difficile d’établir des comparaisons entre la mise en œuvre du sanctuaire et celle des moulins conservés. Le « moulin des Barres » est un bâtiment moderne bâti en petit appareil irrégulier. Toutefois, les piédroits des baies, des portes et les harpages d’angle sont en moyen voire grand appareil de granite de qualité [Fig. 128]. Ces belles pierres de taille proviennent peutêtre de l’ancien bâtiment médiéval. Le moulin est placé sur un bief maçonné de moellons de granite assemblés en pierres sèches. Le moulin de Pellechevant dispose encore de ses mécanismes et d’une digue maçonnée en gros moellons de granite (environ 4-5m de hauteur). Le petit bâtiment conservé est vraisemblablement remanié à l’époque moderne. Il est édifié en petit appareil noyé dans un mortier de chaux grasse [Fig. 129 et 130]. L’abbaye de Bonnaigue dispose d’une proche grange à Diosidoux dont le moulin est encore préservé aujourd’hui (« Moulin des Chevilles »). Il est accolé à une maison d’habitation récente. Il s’agit d’un bâtiment quadrangulaire édifié avec soin [Fig. 427]. Les parements sont de petit et moyen appareil mêlés avec tentatives d’assisage et d’organisation régulière. Le mortier employé montre une forte proportion de chaux. Les harpages d’angle sont de moyen voire grand appareil régulier de granite gris (modules de 0.80×0.42×0.32m). Il s’agit vraisemblablement du granite gris d’Ussel, le même qui est utilisé pour l’abbaye de Bonnaigue. Le bief passe par une conduite sous le moulin. Elle est couverte d’une voûte en - 976 - berceau, bien appareillée en moyen appareil régulier. Les joints sont minces, témoignant de la qualité de la mise en œuvre. Cette conduite s’ouvre par un bel arc en plein-cintre aux claveaux courts et larges pouvant correspondre à des réalités médiévales (0.32m de hauteur, corde de 0.23m). L’axe en bois est encore en place mais la roue a disparu. L’abbaye de Boschaud dispose de deux moulins bien conservés placés sur le cours de la Dronne. Néanmoins, ils ont subi de constants remaniements au fil des siècles et il est difficile d’identifier des vestiges médiévaux. Le « Moulin de Chez Nanot » est une maison d’habitation moderne entièrement enduite [Fig. 243]. C’est un long bâtiment rectangulaire doté d’une tour quadrangulaire au centre correspondant aux deux étages du moulin. Une conduite forcée passe sous le moulin. Elle se compose d’un arc surbaissé aux claveaux courts et larges en granite, probablement médiéval. La Dronne passe le long du mur pignon doté d’une roue. Quant au « Moulin de Laumède », il s’agit d’un bâtiment quadrangulaire moderne enduit, associé à une digue cimentée remplaçant l’ancienne installation médiévale, sans doute originellement en gros moellons de granite assemblés en pierres sèches [Fig. 245]. À Grosbot, le « Moulin de Biée » n’est de même pas évident à étudier. Le bâtiment quadrangulaire est entièrement enduit. Les mécanismes sont encore en place avec une grande roue en bois [Fig. 472]. Au Palais, le moulin en contrebas des bâtiments monastiques, sur le Taurion, est moderne, de même que sa digue et son écluse. Il remploie néanmoins des éléments médiévaux [Fig. 326 et 327]. L’abbaye de Valette dispose de la grange de Brocq sur la commune de Menet dans le Cantal. Deux moulins sont placés le long d’une dérivation sur le ruisseau de Brocq [Fig. 615 à 617]. L’un des deux moulins est bâti de pierres de taille de moyen et grand appareil pour les harpages et les soubassements, assemblées avec soin. Les joints sont minces, les pierres montrent encore les traces d’un piquetage régulier et soigné. La conduite passant sous le moulin se constitue d’une voûte soigneusement appareillée. Elle ouvre sur l’extérieur par un arc légèrement surbaissé constitué de claveaux courts pouvant correspondre à des réalités de la fin du XIIème siècle et du premier tiers du XIIIème siècle. Cette qualité de la mise en œuvre n’a rien à envier à des constructions plus « nobles » comme les abbatiales à vocation cultuelle et non artisanale. De nombreux aménagements hydrauliques des moines d’Obazine sont encore bien préservés et apportent un certain nombre d’éléments de réflexion. Le moulin de Cougnaguet construit sur l’Ouysse au XIIIème siècle utilise des roues horizontales à pales placées dans quatre cuves maçonnées [Fig. 539 à 541]. C’est un bâtiment rectangulaire de 17 par 10m qui - 977 - s’élève sur quatre niveaux, calé entre deux pignons. Il est couvert de tuiles plates, les pentes de la charpente sont accusées. Le parement est constitué d’un moyen appareil régulier de granite aussi soigné que les bâtiments conventuels du monastère. Certaines baies sont surmontées d’arcs en accolade témoignant de modifications probablement intervenues au Bas Moyen-Âge. Dans le parement nord, une ouverture dispose d’un arc au profil brisé, constitué de claveaux longs. Elle est identique aux arcs des ouvertures du bâtiment conventuel oriental de l’abbaye d’Obazine et peut relever de la première moitié du XIIIème siècle. Le moulin est doté d’une digue de 6m de large, permettant une réserve d’eau d’1 km 600. L’eau est déviée vers le moulin et arrive par une chute d’eau d’1.50m actionnant les roues. L’eau est ensuite évacuée par quatre déversoirs voûtés en plein-cintre2594. Le « Moulin du Terrac » est un bâtiment moderne. Les parements sont de petit appareil irrégulier, les harpages d’angle en moyen appareil régulier de qualité [Fig. 545]. Le « Moulin de Caoulet » est un simple volume quadrangulaire encadré de deux pignons, bâti en petit appareil irrégulier, sauf les harpages et piédroits de moyen appareil [Fig. 538]. Une conduite forcée passe sous le bâtiment pour actionner les mécanismes. Elle est surmontée d’un arc au profil légèrement brisé se composant de claveaux longs à la manière de ceux des bâtiments conventuels d’Obazine. Il est associé à une digue de moellons massifs grossièrement équarris. Le « Moulin de Lagier » à Obazine est particulièrement intéressant par son canal de fuite, constitué d’une belle voûte en berceau (probablement XIIIème siècle), bien appareillée en moyen appareil régulier. Les joints sont minces. Cette mise en œuvre de qualité, très soignée, évoque les bâtiments monastiques de l’abbaye d’Obazine. Il n’y aurait ainsi pas vraiment de distinction nette entre la mise en œuvre des bâtiments religieux et des édifices à vocation artisanale et préindustrielle [Fig. 543]. Le « canal des moines » est lui-même construit en gros blocs de gneiss équarris et talutés comme ceux qui constituent les assises des bâtiments monastiques d’Obazine. Du fait de la grande unité des techniques de construction, elles ont sans doute été mises en place selon un projet d’ensemble cohérent entre les années 1150-1180 et le XIIIème siècle. Cette cohérence entre moulins et sanctuaires peut également être éprouvée à l’échelle nationale et européenne afin d’étayer notre propos. Le moulin boulangerie de l’abbaye de Villers-en-Brabant dispose d’une façade en pignon tout à fait identique au pignon nord du 2594 B. BARRIÈRE, « Le moulin de Cougnaguet », Dossiers d’Archéologie, Cîteaux- À la découverte de 64 sites en France, n°234, juin/juillet 1998, p.92-93. - 978 - bâtiment conventuel ou du pignon sud de l’hôtellerie. Il est monté sur des caves voûtées d’arêtes retombant sur des colonnes ornées de chapiteaux lisses pouvant être datées des années 12002595. Le moulin d’Estrées dépendant de l’abbaye de Preuilly (com. Égligny, Seine-etMarne) est un bâtiment oblong dont les murs gouttereaux sont contrefortés de la même manière que l’église abbatiale. Il est longé par un bief et est surmonté d’un toit en bâtière. Les forges hydrauliques peuvent également témoigner de ce soin accordé aux bâtiments à vocation préindustrielle. Aucun bâtiment en élévation lié à ce type d’exploitation n’a toutefois été observé dans le diocèse de Limoges et de ses marges, d’où la nécessité d’élargir notre cadre d’étude à d’autres exemples français. La forge de Fontenay (com. Marmagne, Côte d’Or) est l’exemple le plus souvent étudié et reste le plus prestigieux des bâtiments industriels cisterciens. Elle est située à 50m au sud du carré claustral. Il s’agit d’un vaste bâtiment de 53.30 par 13.50m. Il se compose d’un magasin, d’une salle des fourneaux, d’une salle de travail et d’un moulin. Cette disposition se retrouve à plusieurs endroits et particulièrement à Preuilly comme Denis CAILLEAUX l’a récemment mis en lumière2596. Ainsi, la forge de Preuilly, appelée à tort « grange des Beauvais », est à 130m à l’ouest du carré claustral. C’est un bâtiment de plan rectangulaire, de 60 par 11m de large. Il n’adopte pas les mêmes dispositions que les granges céréalières habituelles mais semble plus proche des caractéristiques de la forge de Fontenay. Il dispose de trois salles, plus deux nouvelles salles adjointes au milieu du XIIIème siècle. Des hottes sont présentes comme à Fontenay. Pour Denis CAILLEAUX, le « principe d’une construction normative se retrouve dans l’aménagement des réseaux hydrauliques et dans la construction des canalisations souterraines ». À Preuilly, comme à Fontenay, le bâtiment industriel est localisé dans la zone périphérique du carré claustral, au contact du réseau hydraulique. Il est divisé en plusieurs salles combinant un espace de travail, une salle haute pourvue de cheminées. La forge associe une salle des fourneaux et un moulin. Ces deux forges hydrauliques conservées peuvent être datées des premières années du XIIIème siècle. De simples ouvrages d’hydraulique peuvent également bénéficier d’une mise en œuvre de qualité, quoi que leur destination soit pour le moins modeste. C’est le cas des fontaines et 2595 T. COOMANS, op.cit, p. 495-502. D. CAILLEAUX, « Enquête sur les bâtiments industriels cisterciens, l’exemple de Preuilly », Bulletin de la Société Nationale des Antiquaires de France, 1991, p. 151-164. 2596 - 979 - lavabos qui font souvent l’objet de soins particuliers, bien qu’ils soient prioritairement destinés au lavement des mains des moines avant les repas. Les lavabos, dont deux exemples nous sont parvenus dans le diocèse de Limoges (Obazine et Bonnaigue) sont généralement constitués de deux vasques superposées. La vasque supérieure est percée d’orifices circulaires régulièrement espacés sur le pourtour. Ils laissent se déverser l’eau dans une vasque inférieure au diamètre moins important. À Obazine et Bonnaigue, se sont deux vasques à orifices, donc supérieures qui sont conservées [Fig. 418 et 523]. À Bonnaigue, il s’agit d’une vasque monolithe de granite gris d’Ussel, de 2m de diamètre, placée au centre du carré du cloître. Elle est ornée de quinze arcs sculptés, en pleincintre, séparés par de petites crosses végétales. La vasque est surmontée d’un cippe carré sur lequel est fixée une sphère. À Obazine, la vasque monolithe est en grès et est de 2.40m de diamètre (vers 1140). Elle est placée au centre du cloître. Elle est ornée de simples moulures horizontales. Son transport est évoqué dans la Vita : « Étienne fit également bâtir un cloître et, tout autour, des habitations régulières. Au centre, il fit faire une élégante fontaine. On amena, pour cela, une pierre d’un poids énorme, que trente paires de bœufs avaient peine à mouvoir (…). Ces pierres, enfin arrivées à destination, furent convenablement taillées, creusées et placées aux endroits convenables. Jusqu’à ce jour, elles donnent à ce lieu beaucoup d’agrément et de commodité.2597» D’autres exemples font également état du soin apporté à ce type de structures. La fontaine de l’abbaye de Royaumont (com. Asnières-sur-Oise, Val d’Oise) va ainsi prendre un caractère monumental pouvant se justifier par son caractère particulier de fondation royale. La fontaine est abritée sous une rotonde accolée à la galerie sud du cloître, au niveau de l’entrée du réfectoire [Fig. 1065]. L’espace libre autour de la vasque (4.60m de diamètre) crée un couloir annulaire d’1.20m de large ouvrant directement sur la galerie. L’élévation se présente sous la forme d’un socle de fondation circulaire supportant une paroi à pans coupés large de 70cm, compatible avec les murs-bahuts des galeries. Vient ensuite un réseau de deux 2597 M. AUBRUN, op. cit., I, 29. B. BARRIÈRE (dir.), Moines en Limousin…, op. cit., p. 69. - 980 - arcatures trilobées soutenant un grand oculus et reposant sur des colonnettes doubles. Il est vraisemblable que les arcades du cloître de Royaumont reprenaient la même disposition2598. D’autres bâtiments à vocation préindustrielle (caves, celliers, tuilerie) se caractérisent également par une mise en œuvre soignée témoignant de l’importance accordée aux travaux manuels aussi nécessaires que les prières et offices religieux. Aucun bâtiment de ce type n’a cependant été identifié dans le diocèse de Limoges et de ses marges. Les exemples cités cidessous sont essentiellement du Nord de la France. Le site de Commelles (com. Orry-LaVille, Oise) dépendant de l’abbaye de Chaalis (com. Fontaine-Chaalis, Oise) est exemplaire de ce soin accordé à des bâtiments utilitaires, telle la tuilerie bâtie en moyen appareil régulier soigné [Fig. 1066]. Sa cheminée est préservée. Il s’agit d’une structure pyramidale en belles pierres de taille montée sur arcades. Elle est dotée de deux arcades par face, au profil très brisé et dont les claveaux sont relativement courts. La porterie est également édifiée en belles pierres de taille régulières. Elle est renforcée de contreforts. Un corps de logis se compose d’un volume quadrangulaire encadré de deux pignons de moyen appareil régulier. Les baies en tiers point sont surmontées de remplages à feuilles de trèfles. Les caves de Vaulerent disposent de voûtes sur croisée d’ogives retombant sur des culots soignés. Les nervures sont décorées d’arêtes plates. Une colonne centrale dispose d’un chapiteau lisse au tailloir peu saillant comme nous en avons fréquemment observé dans les sanctuaires cisterciens. Le cellier de Torigny (com. Torigni-sur-Vire, Manche) présente également une voûte sur croisée d’ogives reposant sur des chapiteaux lisses ou des culots massifs2599. Ces quelques exemples visent ainsi à mettre en évidence une cohérence forte entre les bâtiments artisanaux, les granges et les sanctuaires cisterciens. Le travail est revalorisé par nécessité. Les moines se doivent de mettre en valeur le saltus par une exploitation systématique des terroirs, par la mise en place de granges aux activités diversifiées, de celliers et de moulins. Le travail manuel est aussi important que la prière et est considéré comme une autre voie possible pour atteindre Dieu. C’est peut-être pourquoi les bâtiments utilitaires sont bien souvent traités avec le même soin, la même qualité que les sanctuaires ou bâtiments conventuels. Toutefois, Michel FIXOT insiste bien sur le fait que ces cohérences fortes et similitudes indéniables ne s’appliquent pas systématiquement et quelques contre-exemples nuancent cette hypothèse. Il cite le bâtiment lié à une activité métallurgique au Thoronet dont 2598 J-L. BERNARD, « L’abbaye cistercienne de Royaumont, son cloître et sa fontaine », dans L’Ile-de-France médiévale, T II, Paris, 2001, p. 32-35. 2599 F. BLARY, p. 47-71; p. 105-123; p. 313. - 981 - la mise en œuvre est nettement distincte des autres bâtiments monastiques. L’installation paraît plus fruste, plus proche de la forme d’ateliers rustiques que de l’édifice monumental de la forge de Fontenay par exemple. Nous ne devons ainsi pas généraliser ces constatations à l’ensemble des sites cisterciens. Aux grandes tendances qui ont pu être dégagées, des exemples contradictoires apparaissent nécessairement2600. Le soin particulier porté à un bâtiment religieux non noble peut s’observer de manière épisodique au sein d’autres ordres religieux. Il suffit de citer l’exemple des cuisines de l’abbaye de Fontevrault, bâties en pierres appareillées. Une dizaine d’autres exemples sont connus dans le bassin de la Loire Moyenne mais concernent essentiellement des abbayes bénédictines (Marmoutier, Saumur). Selon Michel MELOT, c’est sans doute la rigueur des autres ordres qui interdisent qu’on accorde une telle place à l’architecture de bâtiments utilitaires. Nous ne sommes toutefois pas entièrement d’accord avec cette idée puisque Fontevrault en particulier appartient à ces ordres à vocation d’austérité liés aux préceptes grégoriens. De même concernant Cîteaux, caractérisé par le dépouillement et le dénuement mais accordant pourtant autant de soin à une simple grange qu’au sanctuaire proprement dit2601. 2. Vers une « universalité » des formes. Interpénétrations des cadres religieux, civils et militaires. Nous avons eu l’occasion ci-dessus de remettre en cause et de nous interroger sur une réelle spécificité des créations cisterciennes, qu’il s’agisse de leurs choix architecturaux, stylistiques mais aussi de leurs activités artisanales, hydrauliques et préindustrielles. Il est fréquemment apparu qu’il n’existe que peu de différences entre certaines créations cisterciennes et réalités clunisiennes (similitudes des granges et des doyennés), paroissiales, templières, hospitalières ou civils. Ainsi, des formules comme le triplet de façade, les portails à ébrasements multiples, les baies ébrasées semblent s’adapter aux cadres civils, militaires ou religieux et mettent ainsi en évidence des passerelles existantes, des dialogues, des interpénétrations entre différents types architecturaux pourtant souvent cloisonnés en histoire de l’art. Nous souhaiterions, à titre de piste de recherche, d’ouverture, et avec la plus grande prudence, évoquer l’idée d’une « universalité » de certaines formes, d’adaptations de 2600 M. FIXOT, op. cit, p. 181-252. M. MELOT, « Les cuisines circulaires de Fontevrault et des abbayes de la Loire », Congrès National des Sociétés Savantes, Tours, XCIII, p. 339-364. 2601 - 982 - créations artistiques au-delà des clivages souvent bien présents dans les études stylistiques entre des cadres civils et religieux. De fortes similitudes ont été mises en évidence entre les abbatiales cisterciennes et les bâtiments artisanaux tels les granges et moulins, souvent bâtis avec le même soin que les sanctuaires. Certaines formules seraient ainsi susceptibles de tendre à « l’universalité » en s’appliquant aussi bien à une abbatiale, une maison seigneuriale, une demeure patricienne, une petite église paroissiale ou une grange. Le diocèse de Limoges et ses marges semblent un cadre d’étude intéressant, permettant de sonder monastères cisterciens, commanderies, châteaux, édifices civils, églises paroissiales, abbayes clunisiennes. • Cîteaux et les références à l’Église de Rome : Un certain nombre de formes architecturales et artistiques choisies par les cisterciens semblent montrer une volonté ferme de se rattacher à l’Église de Rome. Ces formes identifiables et aisément reconnaissables font partie d’une culture artistique commune et revêtent ainsi un caractère « universel ». Elles sont déclinées de bâtiments civils antiques romains aux églises paléochrétiennes, puis aux abbatiales carolingiennes, clunisiennes jusqu’aux sites cisterciens aux XIIème et XIIIème siècles. Le premier exemple pouvant être évoqué est celui des granges cisterciennes bâties comme de grands espaces aux volumes amples pouvant évoquer les halles romaines. Malcolm KIRK aborde dans son ouvrage sur les granges de tous ordres religieux l’origine architecturale de ces vastes halles. Il pense qu’elles sont directement issues de la basilica romaine du IIème siècle avant J. C2602. Celle-ci connaît des usages variés. Elle peut en effet servir de salle d’audience, de cour de justice mais également de marché et de halle. Elle se caractérise par une nef encadrée ou non de bas-côtés. En raison de son statut officiel, les premiers chrétiens vont faire de cette basilica un lieu de culte. Certaines granges cisterciennes reprennent ainsi le plan basilical paléochrétien (Vaulerent, Fourcheret) [Fig. 1061 et 1062]. Le plan de Saint-Gall présente déjà une basilique à trois nefs [Fig. 1008]. Ces formes se rattachent à un passé romain, réinvesti aux tous premiers temps de la Chrétienté. Cette formulation architecturale, adaptée aux lieux publics et aux églises, quelque soit l’époque envisagée, tendrait ainsi à une certaine « universalité ». Ce plan rappelle également les horrea. Ils peuvent disposer ou non de bas-côtés. Pour les Romains, il s’agit de granges, de greniers dans lesquels ils stockent des outils agricoles ou le matériel militaire des troupes en campagne. Ce plan s’applique ainsi surtout aux granges septentrionales, telles Vaulerent et Fourcheret par exemple dépendant de l’abbaye cistercienne 2602 M. KIRK, L’art des granges, Paris, 1994, p. 24. - 983 - de Chaalis2603. Concernant les granges cisterciennes des abbayes du diocèse de Limoges, nous connaissons peu les plans adoptés. La grange de Brocq, certes remaniée à l’époque moderne, présente un plan similaire aux granges de Clairvaux : moins hautes que les granges septentrionales, plus trapues mais à un large vaisseau permettant de grandes capacités de stockage2604. Nous avons eu l’occasion de constater la présence forte d’églises-granges en HauteMarche et Limousin, souvent proches des exploitations agricoles cisterciennes. Ne pourrionsnous imaginer une interpénétration entre les bâtiments artisanaux cisterciens, aujourd’hui en grande partie disparus et ces églises traitées comme de simples halles rectangulaires calées entre deux pignons, à la manière des granges du Nord de la France ? Le terme d’églisesgranges choisi par Claude ANDRAULT-SCHMITT paraît en tout cas particulièrement bien choisi et nous incite à nous interroger sur des parentés possibles, des échanges et interactions entre ces églises et les exploitations agricoles cisterciennes géographiquement proches2605. Le caractère « universel » de ce plan peut s’expliquer par son côté fonctionnel. Vaste halle, il permet une grande capacité de stockage séduisante pour les bâtisseurs, quelque soit l’époque prise en compte et la finalité du bâtiment : accueil de fidèles, cour de justice, grenier, grange ; elle s’adapte à de nombreuses fonctions. Les techniques de construction même pérennisent l’art de bâtir romain : les piliers en maçonnerie supportant les arcs (Maubuisson, Fourcheret, Troussures, Vaulerent), la charpente complexe avec des fermes triangulaires ne pouvant être déformées latéralement, les poinçons soutenant la panne faîtière, les contrefiches empêchant les arbalétriers de ployer, les contreventements longitudinaux, autant de techniques déjà éprouvées dans l’Antiquité et reprises par les moines cisterciens pour leurs granges en France septentrionale et en Bourgogne. Cette tradition d’une architecture en bois s’inscrit également dans des racines germaniques ou celtiques. Les horrea étaient quant à eux bâtis en bois jusqu’au IIème siècle après J. C2606. Cette caractéristique semble s’appliquer aussi bien à des exploitations cisterciennes, prémontrées ou d’ordres militaires. Malcolm KIRK constate que la grange dispose d’une même ordonnance quelque soit le pays, l’ordre religieux et s’oriente ainsi vers une certaine « uniformité » des dispositions et des formules. Par sa capacité de stockage, la grange offre une utilisation optimale de l’espace qui sied à nombre d’ordres religieux. Il n’y a ainsi que peu de différences entre une grange cistercienne, clunisienne ou prémontrée. Le prieuré 2603 C. HIGOUNET, La grange de Vaulerent…, op. cit.; F. BLARY, op. cit., 1989. C. WISSENBERG, Entre Champagne et Bourgogne…, op. cit., 2007. 2605 C. ANDRAULT-SCHMITT, Les nefs des églises romanes de l’ancien diocèse de Limoges…, op. cit., T II, p. 333 ; C. ANDRAULT-SCHMITT, Limousin gothique…, op. cit., p. 37. 2606 M. KIRK, op. cit, p. 127. 2604 - 984 - bénédictin de Perrières (Calvados) dépendant de Marmoutier et daté du début du XIIIème siècle présente comme les granges cisterciennes une façade en pignon, une nef à collatéraux séparés par des piliers ornés de chapiteaux à feuilles lisses schématiques. Au XIIIème siècle, la grange de l’abbaye prémontrée Notre-Dame d’Ardenne (Calvados) se constitue elle aussi d’une façade en pignon et d’une nef à bas-côtés. De même pour la grange de la commanderie de Templiers de Saint-Vaubourg (Val-de-la-Haye, Seine Maritime). Cette architecture n’est de même pas cantonnée à la France. La grange de Great Coxwell dépendant de Beaulieu en Angleterre présente cette ordonnance. De même à Glastonbury Abbey (Somerset) ou encore à Ter Doest (Lissewege, Belgique) où le pignon de façade se constitue de parements de briques et est orné d’arcs brisés. Ces granges aux volumes amples fonctionnels sont souvent réutilisées aux périodes moderne, voire contemporaine, le plus souvent pour une utilisation agricole (stockage, remisage). Les exploitants et agriculteurs modernes ont parfaitement compris l’intérêt des vastes volumes et ont été séduits par une fonctionnalité indéniable quelque soit la destination de l’ouvrage de départ. Ces réutilisations, malgré des remaniements, ont bien souvent permis la conservation de granges, forges et moulins, et montrent bien « l’universalité » de certaines formes artistiques. Un second exemple que nous souhaitions brièvement aborder, outre les granges, est celui des bastides. Les bastides cisterciennes, essentiellement édifiées dans la seconde moitié du XIIIème siècle et au XIVème siècle dans le sud de la France et en Aquitaine, en paréage avec les souverains anglais et français, révèlent également une volonté de s’inscrire dans une certaine « universalité ». En effet, ces villes nouvelles sont héritières de l’expérience des villes antiques aux tracés réguliers. Depuis l’Antiquité, la grille représente le schéma géométrique le plus efficace pour l’organisation des territoires coloniaux. Outre l’urbanisme romain, la grille a été utilisée à Tell-el-Amarna en Egypte, nouvelle capitale fondée par le pharaon Akhénaton sous la XVIIIème dynastie. Dans son étude sur les bastides du Périgord (non cisterciennes), Pierre GARRIGOU-GRANDCHAMP relève cette tendance à une « universalité », une unité des formes avec un proche cadre religieux gothique. Ainsi, il constate que ces bastides optent généralement pour des percements stéréotypées, à savoir des arcades ogivales. Les fenêtres géminées sont fréquentes, elles sont surmontées de linteaux aux arcs brisés clavés. Les remplages sont toutefois relativement rares. Les maçonneries sont de très bonne qualité, soit de pierres de tailles, soit de moellons régulièrement assemblés. Les parements sont liés d’excellents mortiers de chaux et de sable. Les formes artistiques, l’art de - 985 - bâtir sont finalement peu différents qu’il s’agisse d’un édifice civil, urbain, ou d’une abbatiale cistercienne rurale2607. • Cîteaux et l’intégration dans le paysage artistique du site d’implantation : Outre cette volonté de se rattacher à l’Église de Rome, les cisterciens semblent témoigner d’une curiosité vis-à-vis de formes largement connues en Aquitaine. L’analyse des dix-huit sites cisterciens du diocèse de Limoges et de ses marges illustre le recours aux coupoles de croisée, aux files de coupoles, aux décors romans aquitains (motifs en damiers, arcs d’applique), à une mise en œuvre commune aux proches édifices paroissiaux, civils et militaires. Ces dialogues et interpénétrations montrent une volonté de s’intégrer dans l’aire géographique d’implantation, de s’ancrer dans un paysage artistique environnant en optant pour des formes artistiques s’adaptant aussi bien à l’abbatiale cistercienne, aux moulins et granges, aux tours seigneuriales, aux commanderies. Dans un article récent sur l’abbaye cistercienne d’Obazine, Éric SPARHUBERT fait d’ailleurs état de la « dualité de l’intégration au paysage monumental régional et des préoccupations spécifiques à l’ordre », dualité dont il convient désormais de discuter2608. Cîteaux en Limousin semble hésiter, allier, équilibrer références romaines antiques et références aquitaines, tente à la fois de montrer une filiation ténue avec l’Église de Rome par l’usage d’un vocabulaire antique mais aussi avec son aire géographique d’implantation par des procédés, mises en œuvre et repères stylistiques bien présents dans les édifices proches. Cette aire géographique ne saurait être réduite au Limousin comme nous avons déjà eu l’occasion de le souligner. Face aux réticences à parler d’un art « limousin », et plus encore d’un art « cistercien limousin » (nous avons en effet constaté la difficulté à établir la présence de créations réellement cisterciennes qui ne sauraient se justifier par la seule volonté d’austérité et de dépouillement commune à bien d’autres ordres à vocation érémitique), nous préférons envisager un cadre aquitain plus vaste et semblant mieux englober les réalités de ses abbayes en marge des diocèses de Limoges, Bourges, Clermont, Périgueux et Angoulême. Ainsi, un certain nombre de cohérences artistiques témoignent de passerelles lancées entre cadres monastique, civil et militaire. Les portails à multiples ébrasements par exemple peuvent s’observer aussi bien à l’entrée d’une abbaye cistercienne (Bonlieu, Bellaigue) qu’au 2607 P. GARRIGOU-GRANDCHAMP, « L’architecture domestique des bastides périgourdines aux XIIIème et XIVème siècles », Congrès Archéologique de France, 1998, Périgord, p. 47-71. 2608 G. CANTIÉ, É. SPARHUBERT, « Obazine, abbaye » dans Monuments de Corrèze, Congrès Archéologique de France, Société Française d’Archéologie, 163ème session, 2005, Paris, 2007, p. 251-270, note 60. - 986 - sein d’édifices paroissiaux (Saint-Léonard-de-Noblat) ou de commanderies hospitalières (Blaudeix, Chambéraud). Ces portes sobres, le plus souvent sans ornement ou à simples chapiteaux feuillagés, évoquent celles des édifices carolingiens dépouillés, avant l’apparition des grands portails historiés de l’époque romane. De même, les baies largement ébrasées, surmontées d’un linteau monolithe en plein-cintre comme celles du bas-côté nord de l’abbatiale de Prébenoît s’observent dans un cadre paroissial (Tercillat) ; les baies au linteau clavé du type de celles de la nef de Bonlieu s’adaptent aussi bien à un cadre civil comme le donjon de la Toque d’Huriel, tour seigneuriale témoin du pouvoir des de Brosse. Les triplets de façade orientale s’observent pour des sites cisterciens (Le Palais, Prébenoît), pour des églises paroissiales (La Souterraine, Cluis) ou pour des canoniales (Aureil). Le principe de l’église-grange, à savoir un simple volume quadrangulaire encadré de deux pignons, est requis pour certaines abbatiales cisterciennes comme à Coyroux, pour de simples exploitations agricoles (domaine de Brocq) ou des commanderies (Lamaids, Paulhac). Les moines-soldats ont probablement « assuré la pérennité du type, en inventant une traduction luxueuse et parfaitement gothique »2609. En effet, les voûtes se font plus complexes (voûtes d’ogives à liernes ornées de clés) et les parements se dotent souvent d’enduits peints (croix de consécration à la Croix-au-Bost, relativement similaires à celles du chevet de Bonlieu, 1232). Il semble important de mener également une enquête quant au cadre civil, à une architecturale vernaculaire qui peut sans doute illustrer ces passerelles entre créations artistiques religieuses, civiles et militaires. Le domaine vernaculaire semble encore trop souvent laissé de côté au sein des études d’histoire de l’art. Il est fréquemment éclipsé par une architecture religieuse largement mieux connue. Les études récentes de Pierre GARRIGOUGRANDCHAMP tendent toutefois à réhabiliter des maisons patriciennes médiévales méconnues, à travers des exemples du Périgord, de l’Auvergne ou du Limousin2610. Certains témoignages architecturaux civils paraissent relever de formes tendant à « l’universalité », communes aux cadres religieux. 2609 C. ANDRAULT-SCHMITT, op. cit., p. 31. P. GARRIGOU-GRANDCHAMP, « Introduction à l’architecture domestique en Périgord aux XIIIème et XIVème siècles », Congrès Archéologique de France, 1998, Périgord, p. 17-45 ; P. GARRIGOUGRANDCHAMP, « L’architecture domestique des bastides périgourdines aux XIIIème et XIVème siècles », Congrès Archéologique de France, 1998, Périgord, p. 47-71 ; P. GARRIGOU-GRANDCHAMP, « L’architecture domestique du XIIème au XIVème siècles dans les agglomérations du Puy-de-Dôme. État des questions », Congrès Archéologique de France, Clermont, 2000-2003, p. 241-278 ; P. GARRIGOUGRANDCHAMP, « Les maisons de l’Éléphant, de la Chantrerie et d’Adam et Ève, trois demeures des XIIème et XIIIème siècles à Montferrand », Congrès Archéologique de France, Clermont, 2000-2003, p. 279-311. 2610 - 987 - L’étude récente menée sur l’architecture civile en Bas-Limousin par Pierre GARRIGOU GRANDCHAMP et Yasmine LABROUSSE (Donzenac) témoigne de ces cohérences entre cadre civil et cadre religieux, monastique2611. Quelques exemples peuvent être intégrés à notre étude. Certaines maisons patriciennes de Brive montrent une qualité certaine de la mise en œuvre : le moyen appareil régulier est de mise. Les percements recourent parfois aux chapiteaux ou bases disposés en frise, à la manière des portails gothiques des années 1220-1250. Les baies optent généralement pour une forme ogivale (Beaulieu, Brive). Certains parements de Jugeals-Nazareth (maison n°2 d’après la classification établie par Pierre GARRIGOU GRANDCHAMP) se dotent d’animaux sculptés, de chapiteaux en frise, de piédroits soulignés de moulures raffinées (fin XIIIème siècle). L’ancien couvent de Sainte-Claire de Brive présente des arcs brisés ornés de cordons de billettes et réinvestit ainsi des motifs décoratifs empruntés aux édifices religieux. Il existe de réelles passerelles, des échanges indéniables entre cadres civils et religieux. Certaines formules artistiques tendent à s’adapter aussi bien à une église qu’à une maison patricienne. De la même manière, la maison Treilhard à Brive est percée de baies clavées. Les piédroits sont décorés et se dotent de colonnettes surmontées de chapiteaux végétaux dont les tailloirs s’ornent de dents de scie comme nous avions pu en observer dans la salle capitulaire de Boschaud. À Donzenac, des maisons se dotent de baies aux linteaux clavés brisés relativement similaires à celles de l’abbatiale de Bonlieu et sont datées de la première moitié du XIIIème siècle. La maison du château de Donzenac au 3, passage Catherine de Médicis dispose également d’éléments similaires aux édifices religieux. En effet, deux oculi ont été découverts, réinsérés dans les pans de bois, un oculus quadrilobe et un oculus quatre-feuilles. Ils peuvent être datés du XIIIème ou du XIVème siècle. Ils sont taillés dans des blocs monolithes de grès de 80cm de haut, 64cm de large et 15cm de large. Ils étaient munis de vitraux. Il pourrait s’agir d’une récupération sur les ruines de la nef de l’église de Donzenac, ou bien d’une inspiration de formes artistiques existantes dans le bâtiment religieux2612. Outre ces exemples limousins intéressant directement notre cadre d’étude, d’autres cohérences peuvent être établies en sondant d’autres régions, d’autres espaces. 2611 P. GARRIGOU GRANDCHAMP, « Introduction à l’architecture domestique urbaine, du XIIème au milieu du XVème siècle, dans le Bas-Limousin », dans Monuments de Corrèze, Congrès Archéologique de France, Société Française d’Archéologie, 163ème session, 2005, Paris, 2007, p. 9-81 ; P. GARRIGOU GRANDCHAMP, Y. VERGNE-LABROUSSE, « Donzenac du XIIème au milieu du XVème siècle. Histoire sociale et architecture domestique », op. cit., p. 157-205. 2612 D. ROCHER, Y. VERGNE-LABROUSSE, « Une maison du château de Donzenac : l’exemple du 3, passage Catherine de Médicis », BSSHAC, T 128, 2006, p. 29-39. - 988 - Bruno PHALIP met en évidence certaines de ces cohérences lors de son étude du cadre civil de l’Auvergne et du Bourbonnais2613. L’exemple du château de Saint-Hérent dans le Puy-de-Dôme, aux marges du Val d’Allier nous semble particulièrement intéressant. Il présente un four banal dont la porte est couverte d’un arc brisé aux épais claveaux ornés d’un large chanfrein peu différent des réalités architecturales castrales, cisterciennes et paroissiales. La salle en est voûtée en berceau. L’ensemble est encore en partie couvert de lauzes. Des dialogues sont ainsi tangibles entre édifices civils et religieux. De même, dans les années 1200, le donjon de plan rectangulaire de Saugues présentant deux niveaux voûtés en berceau brisé évoque directement le sanctuaire à deux chapelles superposées et chevet plat de Rivière-L’Evêque (Ardes-sur-Couze). La tour circulaire d’Arches au milieu du XIIIème siècle (canton de Mauriac) présente au deuxième niveau une baie au profil légèrement brisé. L’arc en est clavé [Fig. 1067] 2614. Elle ressemble fortement aux percements observés à Huriel et à l’abbatiale de Bonlieu (nef). À la fin du XIIème siècle, la cheminée en tribunes de transept de Saint-Julien de Brioude est proche de celles des maisons-tours contemporaines. L’église est fortifiée, ce qui ajoute à la confusion entre cadres religieux et civil. Les tribunes sont éclairées de vastes baies géminées aux arcs de décharge brisés. Ces formulations sont courantes dans une architecture civile mais relativement rares en architecture religieuse. Les échanges d’idées ne se font ainsi pas uniquement dans le sens de créations religieuses vers des édifices civils. L’inverse est tout aussi plausible, remettant en cause l’idée d’une architecture religieuse plus précoce, animée par des dynamiques de créations servant de modèles à l’architecture civile. Nous pouvons également citer les exemples peu connus des sources de saint Martial et de saint Julien à Nohanent et Brioude qui possèdent des arcs en plein-cintre reçus par des chapiteaux datables de la fin du XIIème siècle. Quant au logis gothique de Mirefleurs dans le Puy-de-Dôme, il est orné d’une baie avec un oculus tréflé. Certains éléments du décor architectural des sanctuaires sont ainsi aisément transposés dans le cadre civil. Toutes ces formulations sont insérées dans une même société médiévale malgré quelques nuances2615. Les références aux édifices religieux sont claires et rapidement intelligibles. Certaines formulations s’appliquent ainsi aussi bien à une source, un donjon, à une église paroissiale ou une abbatiale cistercienne. D’autres exemples du Puy-de-Dôme sont abordés par Pierre GARRIGOUGRANDCHAMP. Selon lui, les décors observés dans une architecture domestique (Volvic, 2613 B. PHALIP, Auvergne et Bourbonnais gothiques. Le cadre civil, Paris, Picard, 2003, p. 61. B. PHALIP, Seigneurs et bâtisseurs en Haute-Auvergne…, op. cit., p. 182. 2615 B. PHALIP, op. cit, p. 62. 2614 - 989 - Montferrand, Clermont) témoignent de la présence d’une sculpture décorative puissante et raffinée, d’un goût certain pour la représentation humaine (corbeaux de la rue du Séminaire à Montferrand). Les baies en plein-cintre sont clavées, les fenêtres géminées fréquentes tandis que les claires-voies, observées en nombre à Cluny sont ici peu présentes. À Volvic, le pignon est de l’École d’Architecture se dote d’une fenêtre triple dont les arcatures reposent sur de petits chapiteaux ornés de pommes de pin, tandis que les bases présentent un profil non classique à la scotie très prononcée (XIIème siècle). À Montferrand, les trois baies en façade de la Maison de l’Éléphant sont soulignées d’archivoltes dont les retombées centrales sont ornées de petites têtes de rois. Les bases sont dotées de griffes aux angles. Certains chapiteaux sont décorés de feuilles plates s’enroulant en boutons. Ces sculptures sont ainsi peu différentes des réalités observées dans la première moitié du XIIIème siècle à Dalon (chapelles occidentales du transept). Le premier gothique apparaît dans les années 1200 dans le cadre civil de BasseAuvergne comme en témoigne le recours fréquent à des chapiteaux à crochets. Le plein-cintre reste toutefois de mise. Les colonnettes des baies géminées sont généralement lisses, sans cannelures et enroulements de rinceaux comme à Cluny. Le répertoire sculpté est ainsi souvent plus sobre que dans la ville de Bourgogne2616. Dans un article concernant l’architecture domestique en Périgord, Pierre GARRIOUGRANDCHAMP établit un certain nombre de ressemblances entre bâti civil et religieux 2617. Ainsi à Beynac, au sud-ouest de Sarlat, la demeure dite « Prieuré d’Abrillac » (XIVème siècle) présente une façade ouest percée d’une porte surmontée d’un linteau clavé au profil brisé et chanfreiné. Les baies sont à larges ébrasements. Des fenêtres géminées attestent d’un certain luxe décoratif, autant de formes artistiques largement éprouvées dans un cadre religieux. Non loin de l’abbaye de Dalon, le logis de Montmège à Terrasson (XIVème siècle) est doté de fenêtres à remplages, créations qui correspondent aux « aspirations des élites laïques », s’exprimant finalement de manière relativement similaire à celle des « élites » religieuses. Ces deux demeures sont bâties en moyen appareil régulier de qualité, avec de belles pierres de taille. Pour Pierre GARRIGOU-GRANDCHAMP, ce soin révèle un souci certain de « mise en scène des extérieurs », une recherche esthétique, un enrichissement par le 2616 P. GARRIGOU-GRANDCHAMP, « L’architecture domestique du XIIème au XIVème siècles dans les agglomérations du Puy-de-Dôme. État des questions », Congrès Archéologique de France, Clermont, 20002003, p. 241-278 ; P. GARRIGOU-GRANDCHAMP, « Les maisons de l’Éléphant, de la Chantrerie et d’Adam et Ève, trois demeures des XIIème et XIIIème siècles à Montferrand », Congrès Archéologique de France, Clermont, 2000-2003, p. 279-311. 2617 P. GARRIGOU-GRANDCHAMP, « Introduction à l’architecture domestique en Périgord aux XIIIème et XIVème siècles », Congrès Archéologique de France, 1998, Périgord, p. 17-45. - 990 - biais de sculptures ornementales, une « fascination pour les réseaux élaborés des remplages des monuments religieux ». L’adoption de ces formes gothiques est plus tardive que dans un cadre religieux et intervient pour le cadre civil périgourdin dans la seconde moitié du XIIIème siècle. Ainsi, si l’église abbatiale de Brantôme opte précocement pour un gothique angevin, le proche château de Bourdeilles se dote de chapiteaux à crochets, de fenêtres à linteaux évidés de trilobes dans les années 1283-1289. Les études de Pierre GARRIGOU-GRANDCHAMP sur les maisons de la ville de Cluny constituent une source d’exemples intéressants, d’autant plus précieuses que rares sont les synthèses abordant des maisons particulières, des créations architecturales civiles et non religieuses [Fig. 1068]. Nombre d’édifices pris en compte par l’auteur relèvent en effet de la fin du XIIème siècle et du début du XIIIème siècle et s’insèrent ainsi parfaitement dans notre cadre chronologique. L’auteur met en évidence par des relevés précis de logis aristocratiques des cohérences fortes entre un bâti civil et certaines formulations de la proche abbatiale aux XIIème et XIIIème siècles. Il s’attache en particulier à l’étude des claires-voies. Ces ouvertures délicatement sculptées donnent sur la rue. Elles peuvent être interprétées comme une expression monumentale du rang, un signe social ostentatoire et correspondent également à une recherche certaine de luminosité. Les arcs sont bâtis sans tailloir sous le sommier. Des supports faibles séparent les baies géminées. Les colonnettes peuvent être cannelées ou enveloppées d’un décor couvrant. Les chapiteaux sont soit de composition simple avec des feuilles nues ou s’ornent de motifs et feuillages exubérants. Au XIIIème siècle, les chapiteaux à crochets se multiplient. Les arcs non clavés sont taillés dans des linteaux monolithes. Ceuxci sont parés de rosaces, de bandes de fleurettes et d’oves enrubannés, dans un cadre chargé de besants. L’exécution est d’une grande qualité. La réalisation est confiée à la main d’œuvre la plus qualifiée2618. Les sculptures sont surtout réservées aux façades tandis que les intérieurs s’ornent plutôt de peintures murales. Pour l’auteur, les claires-voies s’expliquent par une « émulation monumentale ». L’ordonnance des façades trouve une inspiration monumentale dans la quotidienne observation des monuments abbatiaux. Pour lui, « la parenté avec les modèles religieux est particulièrement probante ». C’est ainsi que plusieurs maisons peuvent se doter de façades en pignon comme les églises et grands édifices, comme les abbatiales cisterciennes ou les granges agricoles. Elles sont parfois ornées de lésènes, de pilastres. Les claires-voies sont un exemple représentatif de ces interpénétrations entre bâti civil et religieux2619. Pierre GARRIGOU-GRANDCHAMP formule alors l’hypothèse de bâtisseurs 2618 2619 P. GARRIGOU-GRANDCHAMP (…), op. cit, p. 141. P. GARRIGOU-GRANDCHAMP (…), op. cit, p. 163. - 991 - ayant travaillé à la fois sur les chantiers de l’abbatiale de Cluny et sur ces demeures aristocratiques, ce qui pourrait expliquer cette forte inspiration de l’architecture monumentale religieuse. Les emprunts au vocabulaire religieux sont tangibles dans l’usage de cannelures (sur les piliers et pilastres comme à Cluny III), à travers l’omniprésence de l’arcature comme pour les élévations de l’abbatiale ou encore dans la fréquence de l’acanthe ornant les chapiteaux. À Belleville en Bourgogne du sud, entre Lyon et Mâcon, dans la rue du Canon Braqué, il relève une porte ornée d’un modillon sculpté d’une tête humaine, datée de la fin du XIIème siècle et du début du XIIIème siècle. Le modelé est très précis et très soigné. Les détails des cheveux ondulés sont délicatement sculptés2620. De même dans la ville de Cluny, une maison au 10, rue de la Barre présente un modillon gothique décoré d’une tête de bélier très réaliste. Des éléments de décors comme les modillons peuvent ainsi concerner aussi bien une abbatiale cistercienne, une église paroissiale ou un logis aristocratique. Les cadres civils et religieux tendent parfois à s’entremêler. Les modillons sculptés, bien présents dans un cadre religieux, et même cistercien (Bonnaigue, Boschaud, les Pierres) peuvent ainsi également pénétrer le cadre civil. Le château de Crozant édifié au-dessus de la Sédelle au nord de Dun-Le-Palestel présente une tour circulaire, la « Tour Colin », dont les parements de moyen appareil régulier de granite semblent relever du XIIIème siècle. À droite de la petite porte d’entrée, un modillon délicatement sculpté représente une petite tête léonine de granite [Fig. 1069]. Elle n’est guère différente des animaux ornant les modillons du chevet de Saint-Désiré près de l’abbaye des Pierres [Fig. 1070] ou de l’église de Malval. Le premier étage de la « Tour du Renard », également datée du XIIIème siècle, dispose d’une cheminée ornée de deux modillons aux têtes porcines. D’autres exemples peuvent être cités hors des marges forestières intéressant notre analyse. Marie-Pierre BAUDRY évoque un décor sculpté bien présent dans les fortifications des Plantagenêts en Poitou entre 1154 et 12422621. Elle cite en particulier l’exemple du château de Coudray-Salbart dont la Grosse Tour aux étages voûtés d’ogives s’orne de culots souvent figurés. Pour l’auteur, les personnages représentés peuvent être rattachés au milieu des donateurs, des commanditaires ou des constructeurs. Certaines têtes sont couronnées et pourraient être des portraits de la famille royale anglaise. Ces motifs correspondraient dès lors à une volonté ostentatoire. 2620 P. GARRIGOU-GRANDCHAMP (…), La ville de Cluny et ses maisons, XIème-XVème siècle, Paris, Picard, 1997, p. 66. 2621 M. P. BAUDRY, Les fortifications des Plantagenêts en Poitou, 1154-1242, CTHS, Paris, 2001, p. 84. - 992 - Le bâti civil témoigne ainsi de formulations proches des édifices religieux. Le recours fréquent à l’ogive, la présence de chapiteaux feuillagés, de culots aux têtes humaines grimaçantes, les parements soignés, les claires-voies évoquent les créations artistiques des abbayes cisterciennes et clunisiennes ainsi que des églises paroissiales. Cet échange de procédés architecturaux et décoratifs ne s’effectue pas uniquement dans le sens d’un bâti religieux vers des édifices civils. En effet, nombre d’abbayes, de granges cisterciennes et d’églises paroissiales ont pu être fortifiées. Des interpénétrations sont patentes entre bâti religieux et édifices à vocation militaire. Une question se pose d’emblée face à ces ressemblances architecturales : peut-on envisager la circulation d’ouvriers d’un chantier à un autre, indépendamment de la destination de l’œuvre (civile, religieuse, militaire) ? Les charpentiers, maçons, sculpteurs pourraient-ils être à l’origine de ces interactions ? L’absence de sources ne permet guère d’étayer cette hypothèse. Nous ne pouvons toutefois écarter l’idée de techniciens propres à l’ordre cistercien pouvant circuler d’abbayes en abbayes, notamment pour des œuvres spécifiques (hydraulique, vitraux en grisaille, pavements) ne relevant peut-être pas systématiquement des compétences des ouvriers présents sur place. Le tombeau d’Étienne d’Obazine, pour ne citer que cet exemple, a par ailleurs sans doute été réalisé dans des ateliers parisiens, et non par des artistes limousins. L’interpénétration des cadres civils, religieux et militaire se prolonge aux XIVème et XVème siècles lorsqu’un certain nombre d’églises paroissiales, d’abbayes cisterciennes et de granges sont fortifiées en réponse à un contexte d’insécurité. Ces constatations sont certes éloignées du cadre chronologique envisagé mais constituent ici une ouverture et des éléments de réflexion complémentaires. Des sites religieux peuvent dès lors adapter un vocabulaire spécifique aux châteaux et fortifications, montrant bien ainsi les limites de cloisonnements fréquents en histoire de l’art, souvent caduques. Les conflits de la Guerre de Cent Ans conduisent en effet nombre d’églises à se pourvoir de systèmes de défense dans l’espoir d’éviter les pillages. Aux XIVème et XVème siècles s’amorce un mouvement de fortifications des églises paroissiales tentant d’assurer leur protection en se dotant de créneaux, de mâchicoulis et de tours de défense 2622. Les cadres religieux et civils sont de fait étroitement liés. 2622 C. COMBROUZE-LAFAYE, Les églises fortifiées en Limousin, Culture et Patrimoine en Limousin, 1999 ; B. PHALIP, L’église d’Ajain…, op. cit. - 993 - L’église de Bonnat, à quelques kilomètres à l’ouest de l’abbaye de Prébenoît adjoint à sa façade en pignon deux échauguettes ainsi que des créneaux et mâchicoulis. À Genouillac également la façade occidentale dispose d’une bretèche soutenue par trois corbeaux. L’église d’Ajain au nord de Guéret connaît une étape de fortification à la fin du XIVème siècle [Fig. 1071]. Le pignon oriental est abattu, la façade surélevée et flanquée de deux tourelles en encorbellement2623. Elle dispose d’une échauguette, d’un chemin de ronde et d’un crénelage aujourd’hui disparu comme à la Souterraine et Bonnat. Ces modifications sont en petit appareil irrégulier. La mise en œuvre est donc la même que pour la tour de défense de l’abbaye cistercienne de Bonlieu (1421) et se distingue des parements de la façade et du chevet bâtis en moyen appareil régulier de granite. Cette différence d’appareillage peut s’expliquer par l’urgence de la fortification ainsi que par une baisse des moyens financiers disponibles. À Glénic, l’église paroissiale est fortifiée au XIVème siècle et agrandie au XVème siècle [Fig. 1072]. La dernière travée de la nef et le chœur sont alors surélevés. Le chevet est flanqué de tours. La façade occidentale dispose de tourelles en encorbellement. Même les églises les plus modestes et n’ayant que peu de moyens financiers n’hésitent guère à se doter d’éléments de fortifications. Les clercs considéraient-ils que les seigneurs laïcs étaient incapables de les défendre ? Ces systèmes de défense appliqués aux églises témoignent-ils de l’inutilité ou tout au moins de l’insuffisance des châteaux pour assurer la sécurité dans ces régions troublées lors des guerres franco-anglaise et des guerres de Religion ? Ils reflètent quoi qu’il en soit un climat d’insécurité et de peur latent qui s’exprime au sein de la moindre église paroissiale. Les abbayes cisterciennes participent elles aussi à ce mouvement de fortifications. Le monastère de Bonlieu est fortifié en 1421. Une tour est construite sur les deux premières travées de la nef en petit appareil irrégulier à litages marqués [Fig. 139]. Elle est pourvue à l’origine de quatre mâchicoulis de pierre disparus aujourd’hui2624. Cette fortification peut étonner dans un cadre monastique. Les moines bénéficient en effet de la protection des seigneurs des environs mais cette garantie ne semble pas avoir suffi et ils ont ainsi exprimé leur volonté d’assurer leur défense par leurs propres moyens. Toutefois, cette tour s’est révélée insuffisante et n’a pas empêché les pillages aux XVème et XVIème siècles. L’abbaye de Prébenoît est également fortifiée au XVème siècle et ces exemples montrent bien le climat d’insécurité qui règne en Haute-Marche et Combrailles à cette 2623 2624 C. ANDRAULT-SCHMITT, op. cit., p. 73-75. C. ANDRAULT-SCHMITT, « Des abbatiales du « désert » (…) », op.cit, p. 144-151. - 994 - époque. La nef est dès lors tronquée de quatre travées. À la place de la façade occidentale, deux tours de fortifications sont érigées en moellons de schiste et harpages de granite. L’une est polygonale, aujourd’hui entièrement arasée, l’autre ronde au nord est préservée. Elle dispose d’archères canonnières très similaires à celles du proche château de Malval (com. Bonnat). La base en est talutée. Des douves sont également creusées tout autour de l’enceinte monastique et devaient ainsi assurer la protection du monastère marchois. Il n’en demeure aujourd’hui qu’un vivier en « L ». Cette fortification là encore ne suffit pas et en 1590, l’abbaye de Prébenoît est pillée et incendiée par les Huguenots [Fig. 349]. D’après les sources érudites, nous pouvons également supposer que le monastère de la Colombe est de même fortifié. En 1861, Émile de Beaufort décrit deux portes d’entrée « garnies de créneaux et de mâchicoulis »2625. Il ne reste rien aujourd’hui de ces aménagements mais il serait logique d’envisager une période de fortifications au XVème siècle en même temps qu’à Bonlieu ou Prébenoît. Ces modifications du Bas Moyen-Âge reflètent une interpénétration des cadres religieux et militaires et il paraît ainsi très délicat pour l’historien de l’art de maintenir des distinctions strictes entre les divers types de bâti. D’autres exemples de fortifications de sites cisterciens sont connus en France méridionale et septentrionale. Des granges fortifiées sont bien documentées dans le Midi de la France grâce aux études de Mireille MOUSNIER sur l’abbaye de Grandselve (com. Bouillas, Tarn-et-Garonne). Ainsi, l’exploitation agricole de Lassale est fortifiée dès le XIIIème siècle, peut-être en lien avec les troubles dus à la Croisade des Albigeois et à la montée des hérésies dès le milieu du XIIème siècle. Elle est construite en briques et ne s’orne d’aucune décoration. Elle est détruite depuis les années 1960, d’où nos difficultés à livrer une description précise des bâtiments. Quant à la grange de Terride, également dépendante de Grandselve, elle se compose aujourd’hui de bâtiments modernes, mais conserve une entrée monumentale dont le porche voûté est surmonté d’une tour de deux étages percées de petites fenêtres et dotée de mâchicoulis surplombant l’entrée2626. Certains exemples septentrionaux sont également envisageables, prouvant que ces fortifications ne sont pas l’apanage des zones méridionales. En effet, la grange de Duchy, appartenant aux moines de Pontigny dans l’Yonne est fortifiée au XVIIème siècle et se dote de créneaux et de mâchicoulis. Même si ces aménagements sont tardifs, ils montrent bien toutefois l’intérêt porté à ces installations agricoles protégées de la même manière et parfois 2625 É. DE BEAUFORT, « Abbaye de la Colombe », MSAOMP, T XXVI, 1861, p. 307-310. M. MOUSNIER, « Les granges de l’abbaye cistercienne de Grandselve (XIIème-XIVème siècles) », Annales du Midi, T 85, 1983, p.7-27. 2626 - 995 - avec plus de soin que les églises et autres bâtiments religieux2627. La grange de Maubuisson dans le Val d’Oise présente une façade en pignon dotée d’une échauguette. Ainsi il existe de réelles interpénétrations entre cadres religieux, civil et militaire bien illustrées par le recours à certaines formes artistiques et architecturales tendant à « l’universalité », comme les portails à ébrasements multiples, les baies ébrasées, le type de l’église-grange ou les éléments de fortifications au Bas Moyen-Âge. Cîteaux en Limousin s’ancre à la fois dans une filiation avec l’Église de Rome mais aussi dans une aire géographique aquitaine en optant pour des formes largement connues des proches églises paroissiales (Ajain, Bonnat), des commanderies (Blaudeix, Paulhac, Lamaids) ou tours seigneuriales environnantes (Huriel, Aubusson, Sermur). 2627 T. N. KINDER, « Les granges de l’abbaye de Pontigny », dans G. de COMMINES (dir.), op.cit, p. 33-39. - 996 - Conclusion : Proposer une nouvelle étude sur les abbayes cisterciennes du diocèse de Limoges et de ses marges – après les travaux fondateurs de Bernadette BARRIÈRE et de Claude ANDRAULT-SCHMITT2628 – peut sembler une gageure, et ce à double titre. Il paraît difficile de prime abord de trouver une démarche originale, de nouveaux axes de recherche sur un sujet largement investi par les historiens et les historiens de l’art. Ce doctorat est ainsi redevable des nombreux articles et ouvrages de Bernadette BARRIÈRE, des travaux universitaires réalisés par ses étudiants de l’université de Limoges, socle incontournable sur lequel s’est appuyée cette analyse. Quant aux premières études stylistiques menées par Claude ANDRAULT-SCHMITT, elles permettent de caler de nombreux jalons chronologiques, d’établir des points de comparaison essentiels à la compréhension des sites encore partiellement en élévation. La seconde difficulté relève sans doute de l’impossibilité apparente d’appréhender certaines abbayes en grande partie disparues en élévation, comme Boeuil, Aubepierres, Aubignac ou Derses qui en sont les exemples les plus flagrants. Seuls les historiens ont pu alors apporter quelques éléments de réflexion grâce à des fonds d’archives, certes lacunaires, mais existants. L’historien de l’art tend cependant ici à s’effacer. Il nous a donc semblé particulièrement intéressant de nous confronter à ces difficultés et probables impossibilités, de rechercher d’autres outils et d’autres méthodes pour appréhender ces sites. Dans un premier temps, les études toponymiques et l’analyse des cadastres napoléoniens ont permis de répondre à un certain nombre de questionnements sur ces monastères. La présence d’installations monastiques disparues peut apparaître à travers un certain nombre de lieux-dits (le moulin, la grange, les tuileries…), tandis que les plans conservent parfois le souvenir de bâtiments claustraux ruinés, comme c’est le cas pour l’abbaye des Pierres, Boeuil ou Aubignac. Il devient alors possible d’imaginer la physionomie de ces anciens monastères, même si elle correspond bien souvent à des réalités modernes. Des méthodes archéologiques ont également été investies, et apportent de multiples enseignements. Des études lapidaires sont menées au Palais-Notre-Dame, à Varennes et à Prébenoît. Ces témoins issus de la destruction des sites sont le plus souvent écartés par l’historien de l’art qui voit dans le recensement et l’inventaire une tâche ingrate, fastidieuse et peu productive. Sur trois cent ou quatre cent éléments, combien vont véritablement nourrir la réflexion ? Sans doute une minorité, mais les informations apportées justifient à notre sens le 2628 Leurs nombreuses publications sont présentées ci-dessous en bibliographie. - 997 - temps passé à inventorier, dessiner, déplacer, photographier ces blocs souvent lourds, informes, mais parfois décorés ou peints. Ainsi, les dépôts lapidaires peuvent apprendre sur les supports de voûtes disparues (piles complexes au Palais), sur le recours à l’ogive (claveaux de nervure en amande au Palais, à Varennes), sur des portails, des baies, sur des cloîtres mis à bas (cloîtres médiéval et moderne de Prébenoît), parfois même sur des aménagements liturgiques (piscines géminées de Prébenoît) et des inhumations (sarcophage et dalles funéraires au Palais). Ces éléments lapidaires apportent une multitude de renseignements sur des élévations disparues et permettent même parfois des essais de datation. Par exemple, les multiples éléments de supports octogonaux recensés à Prébenoît – au sein du dépôt lapidaire et en remploi dans un bâtiment conventuel moderne – permettent de supposer la reconstruction du cloître au XVème siècle, tandis que deux sommiers d’arc conservés ont aidé à la reconstitution des arcades et galeries de ce nouveau cloître. Ainsi, l’archéologie pallie parfois les lacunes de l’histoire ou de l’histoire de l’art, comme en témoignent les sondages menés à l’abbaye du Palais ayant permis une meilleure connaissance du plan de l’abbatiale médiévale et des réaménagements modernes. Il semblerait qu’il soit possible d’envisager le cadre cistercien du Limousin à travers des édifices certes ruinés, mais dont un certain nombre d’informations peuvent être dégagées en faisant appel à des méthodologies empruntées à l’histoire, l’histoire de l’art et l’archéologie, ainsi qu’en réintégrant un certain nombre de structures laissées pour compte, tels les dépôts lapidaires, les aménagements hydrauliques et les granges. En effet, l’histoire de l’art met souvent à l’écart ces témoins de « l’industrie » cistercienne, pourtant bien présents encore aujourd’hui dans les paysages. C’est le cas du monastère de Boeuil, entièrement disparu en élévation, mais qui livre encore des viviers, étangs, moulins, digues, certes souvent remaniés à l’époque moderne, mais pérennisant sans doute une installation médiévale. L’historien lui s’attache plus souvent au patrimoine foncier, tandis que seuls les aménagements hydrauliques les plus prestigieux sont appréhendés d’un point de vue archéologique, comme pour le Canal des Moines à Obazine ou le moulin de Cougnaguet. De nombreuses prospections ont donc été menées sur les différents sites pour tenter de retrouver d’anciens biefs, viviers, digues, moulins, souvent recouverts de lierres et de mousses (moulin du Pin de la Colombe) mais bien présents. En s’appuyant sur les précédents travaux de Bernadette BARRIÈRE et du CRHAM, sur les études stylistiques de Claude ANDRAULT-SCHMITT, nous avons tenté de répondre à d’autres questionnements, en appréhendant le monastère comme une « entreprise », en lien avec des réseaux aristocratiques, ecclésiastiques et paroissiaux, marquant durablement les - 998 - paysages par leurs activités agricoles, hydrauliques et par des architectures à la fois intégrées au paysage existant, mais aussi « rationalisées », et par là même tendant à l’universalité. Les abbayes cisterciennes ne peuvent être réduites à un simple « microcosme » autarcique, un « désert » isolé du siècle. Ce n’est pas tant le phénomène cistercien en tant que tel qui attire l’attention, mais ce qui l’entoure et le justifie. Ces abbayes sont des « barrières de prière » aux marges diocésaines, des nécropoles aristocratiques pour de riches donateurs tel Roger de Brosse à Prébenoît ; elles sont des entreprises aux activités commerciales insérées dans les proches bourgs par l’intermédiaire de maisons, de celliers. Elles deviennent un enjeu de pouvoir pour les rois Plantagenêts ou Capétiens qui les dotent largement, et s’en proclament parfois fondateurs (Henri II à Varennes). Toutes ces données politiques, géopolitiques, économiques et sociales doivent être intégrées pour une meilleure compréhension des données stylistiques et archéologiques, d’architectures certes dépouillées, mais ô combien symboliquement riches, entre roman et gothique, entre art français et goût capétien, entre aniconisme et acceptation progressive de l’image, entre Cîteaux et domaine aquitain. Cette quête « autour de Cîteaux » a ainsi suscité interrogations, hypothèses, pistes de recherche et premiers résultats. Cette étude témoigne des difficultés à pouvoir parler d’un art cistercien, et plus encore d’un art cistercien du Limousin. En effet, l’originalité de l’ordre cistercien souvent revendiquée dans une historiographie même récente n’est pas aisément justifiable. Le parti d’austérité largement prôné par les moines blancs n’a rien de réellement original au XIIème siècle, et s’inscrit en cohérence avec les multiples mouvements érémitiques nés de la réforme grégorienne. La volonté de retour au désert, de pauvreté est partagée par les chanoines réguliers de Saint Augustin, ou encore par les ordres de Grandmont, Fontevrault, Prémontré, par ailleurs bien représentés dans le diocèse de Limoges. L’austérité cistercienne ne s’explique pas uniquement par la précarité de certaines fondations se contentant des terres délaissées par les autres ordres religieux. Il est vrai que les moines blancs doivent s’insérer dans un maillage serré de fondations monastiques, canoniales et épiscopales et n’ont finalement que peu de choix de leur site d’implantation. Ils s’implantent sur les premières terres cédées par de proches seigneurs désireux d’attirer les cisterciens sur leurs domaines, pour des raisons économiques de mise en valeur des sites, mais aussi peut-être pour s’assurer le salut dans l’au-delà ou encore affirmer une conscience lignagère. Le dépouillement dont ils font preuve n’est pas la seule conséquence de la pauvreté des premières décennies des communautés. Il s’agit avant tout d’un réel choix esthétique, bien plus qu’un pis-aller. Dans ce cadre réformateur, l’image fait débat. Si elle est nécessaire à - 999 - l’éducation des fidèles, elle attire néanmoins la méfiance d’ordres religieux conservateurs d’idées carolingiennes comme les cisterciens, refusant la cura animarum et l’accueil des foules. Les moines blancs sont en effet proches des mondes carolingiens réticents à l’image sculptée et peinte. Ils s’inscrivent bien souvent comme les garants d’une certaine tradition monastique ancienne, dans la lignée des préceptes de Grégoire de Tours, à l’inverse de leurs homologues clunisiens du parti de la novation, de l’image, du luxe pour Dieu. Les édifices cisterciens sont sombres, les volumes sont amples et simples, la muralité y est importante, le décor est réduit à sa plus simple expression comme en témoignent les culots lisses, les chapiteaux nus, autant de formules largement éprouvées en Limousin et Aquitaine où la présence de mouvements à vocation érémitique est forte. Ces derniers tentent de rétablir une concorde entre contemplation et action, entre vie au désert et prédications aux fidèles. Les moines cisterciens ne semblent pas avoir réussi à préserver le silence et la solitude du cloître. En effet, les compromissions avec le siècle sont inévitables : les moines sont issus de proches milieux nobles, reçoivent des donations de généreux bienfaiteurs, côtoient régulièrement des laïcs (convers) et développent des activités commerciales dès le XIIIème siècle (maisons de ville, greniers). Ils illustrent ainsi parfaitement les tensions inévitables entre monde du silence et monde de la parole. Le saltus peu à peu devient ager en même temps que les moines blancs passent du faire-valoir direct à une économie de fermage, à l’image des moines clunisiens. Ces changements économiques trouvent une expression dans leurs créations artistiques comme en témoigne cette phase d’embellissements des monastères au XIIIème siècle (vitraux, décors peints, carreaux de pavement avec scènes liées à la chasse), développant une iconographie propre proches des réseaux aristocratiques de plus en plus présents, choisissant les abbayes comme nécropole. Les relations avec le monde extérieur sont ainsi tangibles dans leurs choix architecturaux et décoratifs. Les moines blancs maintiennent par bien des aspects des traditions architecturales romanes bourguignonnes et aquitaines, témoignant de leur parfaite connaissance des édifices proches et de leur volonté de se fondre dans le paysage architectural existant. Nous pourrions également supposer une circulation des ouvriers, issus soit des paroisses environnantes, soit circulant à l’intérieur même de l’ordre de Cîteaux. Les références à un art de bâtir et à des techniques aquitaines apparaissent dans le choix d’un voûtement à file de coupoles à Boschaud, dans le recours fréquent à une coupole de croisée (Obazine, Bonlieu, Grosbot), dans un certain nombre de décors de bases et de chapiteaux à damiers, dents de scie, billettes… Les cisterciens expriment ainsi sans doute une volonté ferme d’intégration à un paysage monumental aquitain, à leur lieu d’implantation. Cette - 1000 - volonté se double d’une nécessité de se rattacher à l’Église de Rome, d’en revendiquer la filiation par la mise en œuvre d’un certain nombre de formules architecturales caractéristiques attestant d’une légitimité qui ne va pas de soi. Il s’agit d’un ordre neuf, issu des idées réformatrices, mais profondément ancré dans la tradition. En héritiers d’un monachisme traditionnel, les cisterciens privilégient une organisation classique des bâtiments monastiques autour d’un cloître, le maintien de la nef unique et du chevet plat, la présence de chapelles occidentées pour les messes des moines-prêtres, des baies larges et ébrasées souvent organisées en triplet ou surmontées d’un oculus, des portails sobres sans scènes historiées. Certaines formes artistiques « rationalisées » semblent tendre à une « universalité », s’appliquant aussi bien à une abbatiale cistercienne, une commanderie ou une église paroissiale. Il y a peu de différence dans la mise en œuvre d’une simple grange cistercienne et d’une abbatiale. Le travail est en effet pour eux aussi important que la prière, d’où une revalorisation des bâtiments agricoles et artisanaux. Les activités pré industrielles, l’hydraulique et l’exploitation des terres restent prioritaires pour un ordre installé au saltus, sur des terres à mettre en valeur. Les premiers investissements sont ainsi dévolus à ces tâches primordiales pour assurer l’autarcie d’une communauté, tandis que les constructions restent souvent modestes, à l’économie, et le décor timide. Les constructions édifiées dans la seconde moitié du XIIème siècle restent ainsi sobres, romanes dans l’esprit, proches des goûts Plantagenêts, rois présents en Aquitaine et apparaissant à maintes reprises dans les cartulaires cisterciens limousins. Une mutation intervient toutefois au tournant du XIIIème siècle. Des essais de voûtement d’ogives interviennent, qu’il s’agisse du voûtement de bâtiments conventuels (réfectoire d’Obazine, vers 1180-1200), de chevet (Le Palais, premier tiers du XIIIème siècle), puis plus tardivement de l’ensemble d’une nef (Coyroux, mi XIIIème siècle). Cette émergence d’un premier gothique semble plus Plantagenêt que Capétien, comme en témoignent le refus du déambulatoire couronné de chapelles, de l’arc-boutant, des baies à remplages, le goût pour le chevet plat, les baies ébrasées en triplet, les profils en amande (ogives, colonnes), les portails à ébrasements multiples. Les rois Capétiens ne s’imposent réellement en Aquitaine que dans le premier quart du XIIIème siècle, comme l’illustrent la mise en place de carreaux de pavement sur les sols des églises, des cloîtres et des bâtiments conventuels. Le tombeau d’Étienne d’Obazine est aussi caractéristique d’un art parisien s’exportant peu à peu dans les régions aquitaines et méridionales, symptomatique des poussées capétiennes. Les liens de plus en plus étroits avec les rois de France sont illustrés par la fondation de deux bastides en paréage avec les abbés d’Obazine (Mont-Sainte-Marie) et de Dalon (Puybrun), nouveaux - 1001 - centres de peuplement permettant de répondre en partie à la crise de recrutement des frères convers. Ces quelques éléments de conclusion ne répondent certes pas pleinement à l’ensemble des questionnements posés en introduction. Ils ne peuvent qu’être partiels, incomplets face aux lacunes des sources historiques et archéologiques, mais prouvent néanmoins que l’étude de sites en partie ruinés peut apporter de multiples réponses sur les implantations cisterciennes dans le diocèse de Limoges et de ses marges, mais aussi sur le contexte plus général d’un diocèse aux marges de l’Aquitaine, tiraillé entre couronne de France et Empire Plantagenêt et dans lequel va émerger un premier art gothique singulier mêlant sobriété des élévations et audacieuses voûtes d’ogives. Ces abbayes du « désert » nous ont parfois éloigné des cloîtres silencieux pour deviner le brouhaha des bourgs et des marchés urbains, le tumulte des eaux jaillissant d’un moulin farinier ou le martèlement des outils sur la forge, mais c’est probablement dans ce pèlerinage autour de Cîteaux que nous avons pu le mieux percevoir les multiples facettes du phénomène cistercien en Limousin. - 1002 - SOURCES ET BIBLIOGRAPHIE SOURCES Sources manuscrites : AUBEPIERRES : AD Creuse : H 147 à H 196. H 147 : copie des titres de l’abbaye royale Notre-Dame d’Aubepierres par Jean-Baptiste Annet de la Celle (1767). H 160 : reconnaissance à l’abbaye d’Aubepierres d’une rente sur une maison sise à Argenton (1246). arrentement par l’abbé commendataire d’Aubepierres d’une vigne et d’une terre situées au clos de Fontgilbert (1567). Bail du champ d’Angilbert (XVIIème siècle). H 166 : donation à Aubepierres par Guillaume de Chauvigny, seigneur de Châteauroux. Donne le droit de s’installer dans sa maison de Châteauroux (1216). Donation de Raoul de Déols aux abbayes d’Aubepierres et des Pierres. Remise de tout cens exigible sur les biens des abbayes situés dans ses fiefs. Concession d’une maison à Châteauroux (1256). Concession à Aubepierres par Pierre Vital et sa femme Pétronille de vignes à Marzelle (1209). Accord entre Geoffroy de Chauvigny et l’abbaye d’Aubepierres (1224). Vente par Geoffroy d’Azay d’une terre sise dans les Sablonnières (12.?) H 172 : actes concernant le moulin de Chibert, commune de Glénic (12471785). H 196 : actes concernant Villers, Indre (1210-1274). AUBIGNAC : AD Creuse : H 233 à H 261. H 234 : inventaire des titres de l’abbaye (1768-1769). H 236 : Pierre Garnier de Dognon cède une rente d’un setier de froment sur le moulin de la chapelle Saint-Gilles (1194). Donation de Molin Panetier de sa maison et dépendances avant son départ pour la croisade (1218). Vente par Giraud Jocelin du Champ de la Couture (1229). H 237 : L’épouse de Jean de Prissac cède des vignes (1290). Donation par Raoul Bocheneire de vignes à Prégalet (1229). H 238 : testament de Simon Valeschat portant la fondation d’un hôpital à Argenton, placé sous la dépendance d’Aubignac (1373). Donation d’Isabelle Reynaud de terres au mas de Montflery (1294). Donation d’une vigne à Chipret par Molin Panetier (1218). H 239 : donations, cessions, ventes (1218-XVIIème siècle). H 242 : arrentements (1633-1643). H 243 : le damoiseau Monvoisier de Villegenêt donne un jardin à Châteauroux - 1003 - (1268). Geoffroy Deret renonce à ses prétentions sur une vigne et reçoit en retour une vigne sous la maison de l’abbaye de la Colombe à Châteauroux (1234). H 245 : ventes (1257-XVIIème siècle). H 250 : Les frères Porret abandonnent aux religieux d’Aubignac différents droits litigieux (vers 1200). Droit de propriété sur le moulin de Malherbe. Reconnaissent le droit à leurs hommes de faire moudre leurs grains et fouler leurs draps au moulin des religieux. Testament de Gérard Porret qui choisit Aubignac pour lieu de sépulture (XIIIème siècle). AD Indre : H 461 : état des revenus de l’abbaye (1690). H 976 : testament de Pierre de Brosse par lequel il choisit sa sépulture dans l’abbaye d’Aubignac (1247). Arrentement (1491). H 977 : copie (XVIIème siècle) d’un contrat passé par Pétronille par lequel elle donne part de biens et de revenus dans la paroisse de Parnac. Testament de Guillaume Chardon souhaitant être enterré à Aubignac (1303). Testament d’Hélie de la Chaulme qui élit sa sépulture à Aubignac (1355). H 978 : arrentements et baux à rente (1532-1778). H 1151 : procès pour un bois dans la métairie des Crasseaux (1778-1791). BOEUIL: AD Haute-Vienne : 13 H 1-39 L 1226 (compte de l’abbaye de Boeuil de 1789 à 1791). 1 Q 419 (fol. 48) 1 Q 440 (inventaire des objets mobiliers de l’abbaye de Boeuil, 17901791) 1 Q 441 3 P 212 1 (section D, subdivision 3ème) BONLIEU : AD Creuse : H 137 : procès entre les religieux du Moutier d’Ahun et ceux de l’abbaye de Bonlieu (176.). H 284 à 521 : cartulaire de l’abbaye de Bonlieu (1141-1377). H 513 : procès-verbal de visite (1647). H 939 : quittances (1679-1758). 5 Fi 59, 5 Fi 754 : cartes postales anciennes. BONNAIGUE : AD Creuse : H 522 : liasse, 4 pièces, 1773, enquête concernant un fermier de la dîme de Bonnaigue. AD Corrèze : Q 149 : 1790 inventaire mobilier de l’abbaye de Bonnaigue, inventaire des titres - 1004 - et papiers, inventaire mobilier. 1791 vente du mobilier de l’abbaye de Bonnaigue. Q 54 : 1791 vente des biens de l’abbaye et recollement par rapport à l’inventaire de 1790. H 24 à H 26 : reconnaissances, fermes, procès, plaintes (1624-1789). AD Puy-de-Dôme : 16 H fonds des Prémontrés Saint-André de Clermont 16 H 99 c. 1a (1198-1401) Le seigneur de Romagnat donne aux cisterciens de Bonnaigue et aux Prémontrés de SaintAndré en indivis le terroir d’Hauteribe (1198). 16 H 156 c. 12 (1462) conflit entre le duc d’Auvergne et les religieux de Saint-André et de Bonnaigue au sujet de leurs droits respectifs sur le lac. BOSCHAUD : AD Haute-Vienne : 13 H 3 AD Dordogne : 33 H 1 : gestion du temporel et des dîmes (1704-1748). B 166 : pièce 21, procès-verbaux (1680). B 176 : pièces 57 à 60, procès-verbaux (1682), visite par François Faucher, maître charpentier de Périgueux et Martin Montaltio ( ?) architecte de Périgueux. Q 122 : vente des biens situés dans les paroisses de Villars et de Quinsac dépendant de l’abbaye de Boschaud (1791). B 659 : pièces 1 à 29, inventaire de pièces produites en appel (17601774). Q 194 : reconnaissance de l’argenterie provenant de la maison religieuse de Boschaud (1792). 2 J 1145 : notes de Jean SECRET. Un texte intitulé « Anatomie d’une coupole ». LA COLOMBE : AD Creuse : H 523 : Baux. État des revenus de la ferme de Bordessoule dépendant de l’abbaye de la Colombe. AD Indre : H 725 à 739. H 725 : donation de la vigne de Belena par Blanche Fleur (1211). Don de Pierre Ribotiaus des bois et terres de Péradau (1218). Don de Guiot du Pin du moulin du Pin (1218). H 726 : Guy de Chaillac donne moulins près du pont de Chaillac. Le vicomte de Brosse accorde le privilège de mouture sur ses moulins (1213). - 1005 - H 727 : Passavanz donne la quatrième part de récolte de vignes à Babic et au clos Mulart (1230). Étienne dit Syret donne une vigne à la Forêt près du Blanc (1292). H 728 : accord entre les moines et Géraudus vicomte de Brosse au sujet du bois de Vauret (1231). Transaction avec les religieux de Montmorillon (1255). H 729 : Guillaume Gruel donne le moulin près de la maison des lépreux de Chaillac (1245). Arrentement du moulin du pré près de l’Anglin. H 730 : déclarations des héritages rendues à la Colombe (1366-1779). H 731 : échanges, ventes (1454-1773). H 732 : ferme du moulin de L’Eschinault sur la rivière de Chaillac dépendant de la Colombe (1554-1783). H 735 : inventaire des titres de l’abbaye de la Colombe (1629). H 736 à H 739 : terriers, cens, rentes, recettes et dépenses (1634-1789). F 1107 (travaux d’érudits des XIXème et XXème siècles.) DALON : AD Haute-Vienne : 1 J 247 5 F/K 86 AD Corrèze : H 27 1660-1784 baux à ferme. H 107 1758 arpentage des bois de l’abbaye de Dalon. H 134 1200-1472 transactions. H 146 1769-1790 prises d’habits et décès. AD Dordogne : 35 H 1 : rentres foncières (1474-1751). 1 J 1680 : documents relatifs aux abbayes de Dalon et de Tourtoirac (1639-1747). Copie de la transaction passée entre l’abbaye de Dalon et les tenanciers de Puyboucher (1747). 2 J 1145 : notes de Jean SECRET. Un croquis de l’abbaye de Dalon (1961). DERSES : AD Corrèze : Q 46 : 1791 procès-verbal d’évaluation d’après le bail. GROSBOT : AD Charente : H V 1 personnel, affaires intérieures, visites (1641-1738). H V 2 concordats entre abbés et prieurs (1691-1712). H V 3 correspondance d’affaires des abbés (1599-1657). H V 4 idem (1727-1779). H V 5 arrentements (XVIème siècle). H V 6-7 censifs (XVème-XVIIIème siècles). H V 8 compte des recettes et des dépenses (1534-1638). H V 9 ferme des revenus (1571-1715). - 1006 - H V 10 procès-verbal des bâtiments et du mobilier (1632). H V 11 créances et dettes (1641-1742). H V 12 quittances et impôts (1640-1790). H V 13 procès contre le seigneur de Larochebeaucourt. Incendie de forêt (1761-63). H V 14-20 : contre les seigneurs de Marthon au sujet des forêts (1540-1576). Possessions : H V 21 Beaussac, Hautefaye, donations, achats, transactions (1229-1455). H V 22-23 : arpentements, reconnaissances (1468-1789). H V 24 procès au sujet de la tenure dite de la Chapelle de Brouillac (1637-47). H V 25 ferme des revenus (1648-1753). H V 26-27 Charras. Arpentements (1553-1753). H V 28 baillettes (1461-1725). H V 29 actes particuliers de la mouvance (1537-1639). H V 30 prise du Soulier (1461-1724). H V 31 ferme des revenus (1620-1732). H V 32 procès contre les seigneurs de Charras (1638-41). H V 33-34 Grassac. Prise de Fontpalais, moulin et étang (1494-1725). H V 35 La Tâche (1474-1751). H V 36 Domérac ou Ribérou (1517-1748). H V 37 Prises diverses (1265-1778). H V 38 Garat. Acquisitions (1267-1346). H V 39 Baillettes et reconnaissances (1325-1471). H V 40 Fermes, procurations (1649-1778). H V 41-42 Grand et Bas Arsac (1598-1777). H V 43 arpentements et déclarations (1538-1789). H V 44 prés de l’Échelle (1330-1675). H V 45 Mainzac, Souffrignac (1290- XVIIIème siècle). H V 46 Rougnac (1231-1763). H V 47 Edon, Gardes, Villebois (1335-1768). H V 48 Sers, Vouzan (1565-1725). H V 49 Marthon, procès pour la Tour de Birac (1613-1777). H V 50 Marthon, Pranzac, Varaigne (1478-1777). H V 51 Chazelle (1485-1759). H V 52 Aussac, Coulgens (1546-1742). H V 53 Juillé, Salles (1475-1774). H V 54 Angoulême (1376-1778). H V 55 rentes diverses (1262-1744). H V 56 procédures (1643-1771). OBAZINE et COYROUX : AD Haute-Vienne : 5 F/K 78 (analyse d’actes) AD Cantal (grange de Graule) : 1H 1 : Titres de propriété, acensements anciens (1296-1425). 1H 2 : Gestion des cens et rentes (1543-1585) : lièves des cens et rentes dus à la seigneurie de Graule ; terrier des cens et rentes dus à l’abbaye d’Obazine sur les - 1007 - montagnes de la Fagette, de Graule et Chapgraule, de Ventalhac et au bailliage de Nouix. 1 H 3 : Terrier des cens et rentes dus à l’abbaye d’Obazine (fragments, 1585-1774) : reconnaissances isolées de tenanciers de l’abbaye de Graule (1585) ; extraits informes du terrier de 1584-1585 (début XVIIIème siècle) ; liève des cens et rentes dressée d’après le terrier de 1584-1585 ; poursuite de censitaires débiteurs et procès entre deux anciens associés à la ferme des revenus de l’abbaye d’Obazine à Graule (1762-1774) 1 Q 561 ; 1 Q 655 ; 1Q 746 : estimation des biens nationaux (1790). AD Corrèze : C 225 : état général de tous les établissements, fondations, revenus de la généralité de Limoges (1784). C 258 : arpentements d’Obazine (1754). E 758 : 1672, fol. 107, état des lieux, bâtiments et aménagements hydrauliques. 1 F 4 : 4 liasses concernant Obazine (1301-1682), archives de François Bonnélye, arpentements, reconnaissances de rente. 6 F 109 : mémoire pour l’histoire de l’abbaye d’Obazine d’après un manuscrit de l’abbé Nadaud, depuis 1159. H 31 : 1484-1789 : tènements, baux à ferme. H 81 : 1610, exploit. H 109 : table alphabétique de tous les tenanciers du tènement et village de Crousché (1709). Quittances (1784-1785). H 135 : 1444-1782, contrats de vente, rentes, arrentements, ventes. Q 148 : 1790 inventaire du mobilier des abbayes d’Obazine et de Coyroux. Q 9 : état de revenus de l’abbaye d’Obazine et état des charges. 8 Fi 6 : Fonds Lapie, commune d’Aubazine, vues de l’abbatiale. 5 Fi 13 : commune d’Aubazine, cartes postales de petit format. Médiathèque du Patrimoine, Paris : - Plans de Paul ABADIE, 1852, cote 669 : plan de l’église, états actuel et restauré, coupes longitudinale et transversale, élévations des façades, élévations du meuble roman. Plans d’Anatole de BAUDOT, 1879, cote 8848 : plan du rez-de-chaussée, détails es fenêtres OO et de l’angle Y du réfectoire et des corbeaux ZZ, coupes KL, IJ et MN, état actuel. - 1008 - - Plans d’Anatole de BAUDOT, 1876, cote 32551 : étaiement des piliers A et B du transept, élévation et plan. Cote 34152 : élévation du meuble roman. Cote 83598 : établissement d’un campanile sur le mur de la façade, élévations, plan et coupe. Cote 83599 : Projet de presbytère, élévations, plan et coupe. Cote 83600 : plan coté de l’église avec indication, coupe sur la nef et les bas-côtés, état restauré. Cote 83601 : élévation de la façade principale, état actuel. Coupe longitudinale, état restauré. Cote 83602 : élévation de la façade absidiale restaurée. Coupe longitudinale, état restauré. Plans d’Henri CHAINE, 1918, cote 83603 : plan de masse, coupe, état actuel. Plans d’Albert MAYEUX, 1918, cote 83604 : Plan général avec indication de classement. Cote 83605 : Élévations de la plaque commémorative. Cote 83893 : Plan d’ensemble, coupes longitudinale et transversale, élévations des façades. Plans d’Anatole de BAUDOT, 1898, cote 83894 : établissement d’un campanile sur le mur de la façade, élévations principale et latérale, coupe, plans de la façade et du campanile. Cote 83895 : étude des glacis du clocher, élévation, plan, coupe et détails. Cote 83598 (2) : établissement d’un campanile sur le mur de la façade. Élévations, plan et coupe. Plan du campanile. Cote 83598 (3) : Établissement d’un campanile, élévations, plan et détails, minute. Cote 83598 (4) : Établissement d’un campanile, élévation et coupe, minute. Cote 83598 (5) : Établissement d’un campanile, détails de la couverture, minute. LE PALAIS-NOTRE-DAME : AD Creuse : H 524 cartulaire (copie) H 525 : liasse, 8 pièces, 1510-XVIIIème siècle, arrentement, rapport, vente. H 526 : liasse, 7 pièces, 1780-1789, procès-verbal d’expertise des lieux et bâtiments dépendants de l’abbaye du Palais. H 527 : liasse, 5 pièces, 1790-1792, inventaire des titres et meubles de l’abbaye du Palais. 6 H 51 : 1377-1776, commanderie de Bourganeuf, rentes dues à l’abbaye du Palais entre autres. AD Haute-Vienne : 7 F 23 (procès-verbal de la remise des titres de l’abbaye du Palais, 1785) PEYROUSE : AD de l’Aube : 3 H 228 (description de l’abbaye de Peyrouse au XVIIème siècle). - 1009 - AD Dordogne : 36 H 1 : procès-verbal descriptif des bâtiments et dépendances de Peyrouse (1774-1775). 36 H 2 : lettre de terrier et son sceau (1738). 36 H 3 : extraits de titres du terrier (1614-1627). 36 H 4 : lièves de rentes (1740-1789). 36 H 5 : rentes foncières à Beaulieu (1743). 36 H 6 : rentes et dîmes de Milhac-de-Nontron et Saint-Martin de Fressengeas ; moulin à Saint-Martin-de-Fressengeas (1550-1743). 36 H 7 : rentes foncières dans la ville et banlieue de Périgueux (1451-1758). 36 H 8 : lods et ventes sur une maison à Périgueux, paroisse de Saint-Silain (16271771). 36 H 9 : rentes foncières à Saint-Jory-de-Chalais (1451-1743). 36 H 10 : rentes foncières de Saint-Laurent-de-Gogabaud, Saint-Saud et Sorges (15981759). 36 H 11 : rentes et dîmes de Vaunac et Thiviers (1738-1786). 36 H 12 : rentes foncières diverses (1482-1748). 36 H 13 : décimes dus au roi (1739). 36 H 14 : procédure contre Jean Ségui et Jacques Desfarges (1788-1789). Q 122 : vente de biens ayant appartenu aux religieux de Peyrouse (1791). vente de la forêt dite de Peyrouse appartenant à la communauté (1793). Q 123 : vente des biens situés à Notre-Dame de La Garde (Périgueux). 1791. Q 194 : reconnaissance du ballot contenant l’argenterie de l’abbaye de Peyrouse. État et pesage (1792). B 532 : pièces 42-49-71, procès-verbaux civiles (1759-1760). B 538 : pièces 58-59, procédures civiles (1761). État des réparations à faire dans les dépendances de l’abbaye de Peyrouse. B 651 : pièce 75, procédures civiles (1773-1774). Procès-verbal d’expertise pour Charles Eutrope De La Laurence de Villeneuve, abbé commendataire de Peyrouse. B 701 : pièces 79-80-88, verbaux civils (1779) B 712 : pièces 50-51-62-104, experts nommés pour dresser un procès-verbal des objets dépendants de l’abbaye de Peyrouse (1780) ; l’abbé de Peyrouse donne pouvoir à Roger de la Feuillade notaire royal pour choisir les experts pour la visite des réparations à Peyrouse (1780) ; procès-verbal d’expertise, mobilier et ornements (1780). B 725 : pièces 18 à 21, procès-verbaux civils, constatation des réparations faites par rapport au procès-verbal (1781). - 1010 - 2 J 1145 : notes de Jean SECRET. Plan de l’abbaye de Peyrouse d’après le procès-verbal et l’état des lieux des bâtiments de 1774. Copie du plan cadastral de Saint-Saud. LES PIERRES : AD Cher : 8 G 1819 : censier de Saint-Fulgent (XIVème siècle). 8 H 1862, 10 H 1 à 10 H 143. 10 H 1 à 10 H 3 : inventaire des titres (XVIIème-XVIIIème siècles). 10H 4 : donations, fondations, cessions, échanges (1163-1711) 10 H 5 : acte de décès. 10 H 6 : procès verbaux de vols, pillages et incendies (1609-1650). 10 H 7 : rentes. 10 H 8 : état des revenus et historique des bâtiments (1789). 10 H 10 à 10 H 14 : terriers et actes notariés. 10 H 15 à 10 H 29 : registres d’actes notariés et de reconnaissances (moderne). 10 H 30 à 10 H 52 : lièves (moderne). 10 H 53 à 10 H 81 : comptes d’exploitation des fermes, bois, métairies. 10 H 85 : bois de l’abbaye. Titres de propriétés, droits d’usage et de pacage (1197-1264). 10 H 86 : plans des bois de l’abbaye (XVIIIème siècle). 10 H 87 : procès (XVIIIème siècle). 10 H 88 : métairie et moulin de Bonnefond (fin XIIème jusqu’à 1789). 10 H 89 à 10 H 143 : biens dans diverses paroisses (Boussac, La Cellette, La Chapelette, Châteaumeillant, Huriel, Marçais, Mesples, Montlevic, Pérassay, Préveranges, Sidiailles, Saint-Christophe, Saint-Désiré, Saint-Martinien, SaintMaur, Saint-Palais, Saint-Priest-La-Marche, Saint-Saturnin, Saint-Sauvier, Viplaix). PRÉBENOIT : AD Creuse : H 528 -533 : donations, testament, bail, procédures, documents comptables, procès-verbal de visite de l’abbaye, inventaires du mobilier, des titres et des objets du culte (1162-1811). H 528 : récapitulation des donations faites par trois des principales familles de bienfaiteurs en faveur de l’abbaye de Prébenoît au début du XIIIème siècle. H 533 : inventaire du mobilier et des titres de l’abbaye de Prébenoît (1790). 10 F 235. BNF, ms 17049 et ms 12747 (extraits de titres, XVIIIème siècle). VARENNES : AD Cher : H 739 (n°5) : Prieuré de Fougerolles. Donation de 1207 par Garnier de Cluis aux religieux de Saint-Sulpice d’un chezal situé près de l’église de Fougerolles. B 148 : Acte d’hôtel portant nomination d’expert dans le litige existant entre Louis d’Hugues, abbé commendataire de Varennes et le marquis de Chavignac (1735). - 1011 - B 3355 : Déclaration par Louis Duménil Simon de Beaujeu, chevalier, seigneur de la Tour, comme quoi il accepte la succession de son oncle Jean Duménil Simon de Beaujeu, décédé abbé de Varennes et doyen de l’église de Bourges (1654-1669). C 761 :Liève du duché de Châteauroux. Le sixte de Laage, paroisse de Jeu-lesBois, petite dîme se levant sur tous les laboureurs du village de Laage, en ladite paroisse, où le duché de Châteauroux prend le 6ème, le seigneur du Magné la moitié, Varennes et le vicaire de Pérote le surplus, affermé 28 livres. E 912 :Procuration donnée par Louis Pot de Rhodes, abbé de Varennes, à ladite veuve Gabriele Pot, sa mère, pour lui confier l’administration, en son lieu et place, des revenus de ladite abbaye de Varennes (1636-1672). E 1860 : Minutes de Maître Cormier, notaire à Bourges (1661). Transaction entre le chapitre de Saint-Étienne de Bourges et Louis Duménil Simon de Beaujeu, sieur de la Tour de Vèvre. Par son testament, Jean Duménil Simon, abbé de Varennes et doyen de l’église de Bourges, avait légué en sa faveur une somme de 1800 livres pour un obit solennel qui devait être dit, chaque année, le jour de son décès. Mais, à sa mort, le passif de sa succession ayant dépassé l’actif, son neveu obtint du chapitre une réduction à 950 livres de la somme de 1800 livres portée au testament de son oncle comme chiffre de sa fondation. Q 265 : District de Bourges. État des objets envoyés à différentes églises pour le service du culte (1791-1792). Q 639 : Sommiers de comptes ouverts avec les acquéreurs de domaines nationaux de première origine (biens situés dans le district de Bourges). 1791. AD Indre : H 1137 : biens et rentes (1137). État estimatif des biens ecclésiastiques situés dans la paroisse et la municipalité de Fougerolles (1782-1785). État des bâtiments, cours, enclos, terres et revenus non fonciers du couvent de Varennes (1790). Bail de la dîme du Chassin (1795). Bail de la basse-cour (1785). VALETTE : AD Cantal : 23 H 1 : état des biens, cens et rentes de la mense conventuelle de l’abbaye de Valette à Tourniac, Chaussenac et Brageac (après 1786). 14 B 94-1 : état des bâtiments de Valette (1711). 1 B 751-3 : conflit entre l’abbaye de Valette et l’abbaye de Brageac (17 août 1780-22 mars 1781). - 1012 - AD Corrèze : H 52 : partage en trois lots des biens, domaines et revenus de l’abbaye de Valette (1774). H 158 : diminution de rente pour les tenanciers, pour raison de délaissement de certains fonds qui composent partie des prés clôturés de la Valette ; lettre du prieur de Valette de 1781 demandant aide financière à M. Druilhes, chirurgien de Pleaux. H 159 : justice de l’abbaye de Valette (1678-1780). Q 149 : 1790 état des biens et revenus de l’abbaye de Valette. Inventaire mobilier. Q 36 : 1790 estimation des biens nationaux (n°288). Liste des fonds dépendants du monastère. Q 127 : estimation des revenus et du capital de Valette (n°222). - 1013 - Sources imprimées : Cartulaires : - B. BARRIÈRE, Le cartulaire de l’abbaye cistercienne d’Obazine (XIIème-XIIIème siècles), Institut d’Études du Massif Central, Clermont-Ferrand, 1989. Cartulaire des abbayes de Tulle et de Rocamadour, ed J-B. CHAMPEVAL, Brive, 1903. J. CIBOT, Le cartulaire de l’abbaye du Palais-Notre-Dame (XIIème-XIIIème siècles), DES, Poitiers, 1961. L. 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BM : Bulletin Monumental BPH : Bulletin Philologique et Historique BSAF : Bulletin de la Société des Antiquaires de France BSAHL : Bulletin de la Société Archéologique et Historique du Limousin BSAOMP : Bulletin de la Société des Antiquaires de l’Ouest et des Musées de Poitiers BSLSAC : Bulletin de la Société des Lettres, Sciences et Arts de la Corrèze BSHAC : Bulletin de la Société Historique et Archéologique de la Charente BSHAP : Bulletin de la Société Historique et Archéologique du Périgord BSSHAC : Bulletin de la Société Scientifique, Historique et Archéologique de la Corrèze CAHB : Cahiers d’Archéologie et d’Histoire du Berry CCM : Cahiers de Civilisation Médiévale CEM : Centre d’Études Médiévales CERCOM : Centre Européen de Recherche sur les Congrégations et les Ordres Monastiques CERCOR : Centre Européen de Recherche sur les Congrégations et les Ordres Religieux CESCM : Centre d’Études et de Civilisation Médiévale CNMHS : Caisse Nationale des Monuments Historiques et des Sites CNRS : Centre National de la Recherche Scientifique CRAHM : Centre de Recherche d’Archéologie et d’Histoire Médiévale CSMC : Cahiers de Saint-Michel de Cuxa CTHS : Comité des Travaux Historiques et Scientifiques DARA : Documents d’Archéologie en Rhônes-Alpes et en Auvergne DFS : Dossier Final de Synthèse DRAC : Direction Régionale des Affaire Culturelles LARHCOR : Laboratoire de Recherches sur l’Histoire des Congrégations et Ordres Religieux MSSNAC : Mémoires de la Société des Sciences Naturelles et Archéologiques de la Creuse PUBP : Presses Universitaires Blaise Pascal PUF : Presses Universitaires de France PULIM : Presses Universitaires de Limoges PUPS : Presses Universitaires de Paris Sorbonne RMN : Réunion des Musées Nationaux SRA : Service Régional de l’Archéologie TAL : Travaux d’Archéologie Limousine - 1017 - PUBLICATIONS : GÉNÉRALITÉS : - - - - Les abbayes de Normandie, Actes du XIIIème Congrès des Sociétés Historiques et Archéologiques de Normandie, Rouen, 1979. 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Boeuil : IGN Série Bleue 1/25000ème, 1931 E (abbaye) - IGN Série Bleue 1/25000 ème, 2030 O (Pellechevant, Vieillefont) - IGN Série Bleue 1/25000ème, 1930 E (grange de Boeuil, moulin des Bordes, La Malaise) - IGN Série Bleue 1/25000ème, 2031 E (éléments lapidaires vagabonds, « Les Quatre Vents ») ; IGN Série Bleue, 1/25000ème, 1833 E (grange de Mars). Bonlieu : IGN Série Bleue 1/25000ème, 2329 O (abbaye, grange de la Porte) - IGN Série Bleue 1/25000ème, 2328 O (grange de Bougnat). Bonnaigue : IGN Série Bleue 1/25000ème, 2332 E (abbaye) ; IGN Série Bleue 1/25000ème, 2331 E (grange de Diosidoux) ; IGN Série Bleue 1/25000ème, 2531 E (grange de Bonneval). Boschaud : IGN Série Bleue 1/25000ème, 1933 O (abbaye) - IGN Série Bleue 1/25000ème, 1833 E (abbaye, moulins de Laumède et Chez Nanot). La Colombe : IGN Série Bleue 1/25000ème, 2028 O (abbaye, granges de Théllisset, Chabanne, moulin du Pin). Grobost : IGN Série Bleue 1/25000ème, 1832 O (abbaye) ; IGN Série Bleue 1/25000ème, 1732 E (Bois Blanc, grange d’Arsac, Le Luquet, Puymerle) ; IGN Série Bleue 1/25000ème, 1833 O (grange de Brouillac) ; IGN Série Bleue 1/25000ème, 1831 O (possessions autour de La Rochefoucauld) ; IGN Série Bleue 1/25000ème, 1733 E (Gardes). Dalon : IGN Série Bleue 1/25000ème, 2034 O (abbaye, granges de Tailleptit, Fougeroles, Puyredon) - IGN Série Bleue 1/25000ème, 1934 E (granges de Puyboucher) - IGN Série Bleue 1/25000ème, 2034 E (granges de Masmoutier, Palemanteau, La Besse, Lavaysse) - IGN Série Bleue 1/25000ème, 2035 O (hospice de Montignac) - IGN Série Bleue 1/25000ème, 2135 O (grange de Goudonnet) - IGN Série Bleue 1/25000ème, 1933 O (chapelle de Chantres) – IGN Série Bleue 1/25000ème, 1933 E (grange de Chalamand)- IGN Série Bleue 1/25000ème, 2035 E (grange de Bedena) ; IGN Série Bleue 1/25000ème, 2133 O (grange de Châtaignier). Derses : IGN Série Bleue 1/25000ème, 2134 E (abbaye). Obazine et Coyroux : IGN Série Bleue 1/25000ème, 2135 E (abbayes) - IGN Série Bleue 1/25000ème, 2133 E (grange de la Serre) - IGN Série Bleue 1/25000ème, 2534 OT (grange de Graule) - IGN Série Bleue 1/25000ème, 2233 E (granges de Chadebec et de Veyrières) - IGN Série Bleue 1/25000ème, 2134 E (grange de la Montagne) - IGN Série Bleue 1/25000ème, 2135 O (grange de Baudran). - 1059 - Le Palais : IGN Série Bleue 1/25000ème, 2130 E (abbaye, granges de Bonnefond, Rapissat, Arcissat, Le Mont, Quinsat, Langladure) - IGN Série Bleue 1/25000ème, 2230 O (Beaumont, La Chaise) ; IGN Série Bleue, 1/25000ème, 2134 O (grange du Saillant). Peyrouse : IGN Série Bleue 1/25000ème, 1933 O (abbaye) - IGN Série Bleue 1/25000 ème, 1934 E (grange de Puyharmier). Les Pierres : IGN Série Bleue 1/25000ème, 2327 O (abbaye) - IGN Série Bleue 1/25000 ème, 2227 E (grange d’Ignerais). Prébenoît : IGN Série Bleue 1/25000ème, 2228 E (abbaye, granges du Chassain, La Villatte, Ligondeix, Bramareix, Molles). Valette : IGN Série Bleue 1/25000ème, 2334 O (abbaye) - IGN Série Bleue 1/25000ème, 2335 O (grange d’Escladines). Varennes : IGN Série Bleue 1/25000ème, 2227 O (abbaye, Guéchaussiot)- IGN Série Bleue 1/25000ème, 2127 E (grange de l’Augère). - 1060 -