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Bull. Soc. Hist. nat. Toulouse 155, 2019, 89-109
Le Lynx boréal, Lynx lynx (Linnaeus, 1758) dans le sud-ouest de la France ?
Complément à l’Atlas des Mammifères de Midi-Pyrénées et nouvelles données
par Henri Cap1
1. Muséum d’Histoire Naturelle de Toulouse, 35 allées Jules Guesde, 31000 Toulouse. E-mail : henri.cap@toulouse-metropole.fr
Résumé
La présence du Lynx boréal, Lynx lynx, dans le sud-ouest de la France a toujours fait l’objet de controverses. La première interrogation concerne
la date de sa disparition, puisque des indices de présence récents posent la question de sa survivance. La seconde question concerne l’espèce
qui aurait disparu (ou qui serait encore présente) dans les Pyrénées. En effet, en plus du Lynx boréal dont la présence est attestée depuis près
de 40 000 ans, il existe deux autres taxa qui auraient également vécu dans la région : le Lynx pardelle, Lynx pardinus, actuellement endémique
du sud de l’Espagne, mais qui était présent dans la région jusqu’à l’âge des métaux, et peut-être même jusqu’à très récemment et son ancêtre le
Lynx des cavernes, Lynx spelaeus, dont les derniers fossiles remonteraient localement à 30 000 ans. Une dernière espèce, le Lynx d’Issoire, Lynx
issiodorensis, considéré comme l’ancêtre des quatre espèces actuelles de lynx a également été présent dans la région, il y a plus de 2,5 Ma. Afin
d’établir un scénario évolutif régional pour ces espèces, un bilan des données anatomiques, éthologiques, paléontologiques et historiques a été
réalisé, qui sera complété ultérieurement par une série de datations, d’études anatomiques et génétiques du matériel conservé dans divers muséums
d’Aquitaine et d’Occitanie. Enfin la question de la survivance de lynx dans les Pyrénées sera également discutée à partir de l’analyse des indices
de présence les plus récents qui pourraient indiquer l’existence possible d’hybrides entre les deux espèces actuelles.
Mots-clés : Lynx lynx, Lynx pardinus, Lynx spelaeus, Lynx issiodorensis, Sud-Ouest, Pyrénées, Survivance ?
The Eurasian lynx, Lynx lynx (Linnaeus, 1758) in south-western France ?
Addition to the Atlas of Midi-Pyrenees mammals and new data
AbstRAct
The presence of the Eurasian lynx, Lynx lynx, in south-western France has always been debated. The first question is: what is the date of its
extinction since recent data suggest its occurrence. The second question is: which species was (or is still) present in the Pyrenees. In addition
to the Eurasian lynx, which has been present for nearly 40,000 years, two other taxa were reported in the area: the Iberian lynx, Lynx pardinus,
currently endemic of southern Spain, which was present in south-western France until Metal Age and perhaps very recently and its ancestor the
cave lynx, Lynx spelaeus, whose last fossils in the area go back to 30,000 years. A last species, the Issoire lynx, Lynx issiodorensis, considered to
be the ancestor of the four current lynx species was also present in the region more than 2.5 million years ago. In order to establish an evolutionary
scenario for these species in the area, we carried out a review of anatomical, ethological, paleontological and historical data, which will be
supplemented later by a series of dating, anatomical and genetic studies of the material preserved in various museums of Aquitaine and Occitania.
Finally the question of the survival of lynx in the Pyrenees will also be discussed from the analysis of the most recent presence indices which could
indicate the possible existence of hybrids between the two European species of lynx.
Keywords: Lynx lynx, Lynx pardinus, Lynx spelaeus, Lynx issiodorensis, south-western France, Pyrenees, Occurrence?
Introduction
Présent de la Chine à la Sibérie jusqu’en Europe occidentale
(WozencRAft 1993), le Lynx boréal, Lynx lynx (Linnaeus,
1758) est considéré comme ayant disparu du territoire français
au milieu du XXe siècle à cause de la chasse, du déboisement
et de la raréfaction de ses proies (stAhl & VAndel 1998).
Depuis 1983 l’espèce a été réintroduite dans les Vosges,
alors qu’elle avait colonisé spontanément le Jura et le nord
des Alpes dès 1974, à partir de la population helvétique,
elle même réintroduite en 1971 (stAhl et Al. 2006). Dans
les Pyrénées, il subsiste plusieurs incertitudes concernant la
disparition de cette espèce. En premier lieu, la date exacte de
sa vraisemblable extinction est estimée entre 1917 et 1930
dans les Pyrénées-Orientales (lAVAuden 1930, sAint-GiRons
1973, oliVieR 1976, cAp 2011, ARthuR 2014), alors qu’elle
90
HENRI CAP
se situerait entre les années 1960 à 1990 pour les PyrénéesOccidentales (de beAufoRt 1968, nAVARRe 1976b, stAhl
et Al. 2006, cAp 2011, ARthuR 2014). Malgré ces estimations,
il n’existe aucune preuve matérielle (dépouille, squelette,
animal naturalisé) de lynx provenant des Pyrénées qui soit
datée (hormis un fossile) et conservée dans un muséum,
une université ou une autre institution publique, permettant
d’établir une date de disparition, si tel est le cas. Une autre
incertitude concerne l’espèce qui a été présente dans les
Pyrénées et plus généralement dans le Sud-Ouest. En effet,
hormis le Lynx boréal, Lynx lynx, auquel se rapporterait la
majorité des indices de présence essentiellement fossiles
ou historiques, le Lynx pardelle, Lynx pardinus (temminck,
1827), plus gracile et vivant actuellement dans le sud de
l’Espagne, a subsisté jusqu’aux années 1960 sur le versant
sud de la chaîne pyrénéenne selon VAlVeRde 1963. Sur le
versant nord des Pyrénées, en France, le Lynx pardelle se
serait aussi éteint vers le milieu du XXe siècle (ViGne &
pAscAl 2006). Malgré la rareté des restes osseux collectés et
la difficulté de les rapporter à une des deux espèces, le Lynx
pardelle serait l’espèce autochtone de notre région depuis
la fin du Pléistocène en considérant le Lynx des cavernes,
Lynx spelaeus (boule, 1906) ou Lynx pardinus spelaeus
(boule, 1906) comme son probable ancêtre (WeRdelin 1981,
kuRten & GRAnqVist 1987, ViGne & pAscAl 2006, GARRido
& ARRibAs 2008, RodRiGuez-VARelA et Al. 2015, boscAini
et Al. 2016). Au-delà du problème que poserait cette nouvelle
nomenclature, les deux incertitudes qui entourent la présence
de lynx dans les Pyrénées convergent vers une question qui
concerne davantage les paléontologues et les systématiciens :
quelles espèces de lynx ont vécu dans notre région et depuis
quand ?
Afin de répondre à cette question, nous avons établi une
première liste du matériel fossile ou supposé, ainsi que
des données historiques les plus significatives. Ce premier
inventaire des données anciennes aura pour but, à terme,
d’estimer l’ancienneté de la présence ainsi que la répartition
des lynx qui ont vécu dans notre région, et de programmer un
ensemble de datations et analyses ADN du matériel afin d’en
déterminer l’ancienneté, l’espèce et le sexe.
Enfin, concernant la possible survivance de lynx dans les
Pyrénées, des données récentes seront présentées et feront
l’objet d’analyses ultérieures au moyen de nouvelles méthodes
qui permettront, peut-être, de répondre à cette question qui est
la plus sensible.
1. Systématique et phylogénie des lynx actuels
Les premières mentions de lynx remontent à l’Antiquité
avec ARistote dans son Histoire des animaux qu’il nomme
λύγξ (beRtieR 1994), puis à pline l’Ancien, au premier siècle
avant notre ère, qui décrit l’animal, qu’il appelle chama
(rufius ou loup-cervier pour les Gaulois) dans son Naturalis
Historia, Liber VIII, comme étant un loup avec des taches de
léopard (eRnout 1952). Le terme Lynx n’apparaîtrait qu’au
second siècle après notre ère avec elien dans son De Natura
animalium (cAllou 2011). Cependant certains auteurs font
(2)
remarquer que le lynx a été décrit encore plus tôt au premier
siècle après notre ère, et qu’il a été alternativement cité au
féminin par ViRGile ou au masculin par hoRAce, ce qui a
donné lieu à des changements taxonomiques récurrents pour
les espèces du genre (GARRido & ARRibAs 2008).
Actuellement, il existe quatre espèces de lynx parmi les
37 espèces de Félidés (sunquist & sunquist 2009). Le
Lynx roux, Lynx rufus (schRebeR, 1777) vit actuellement en
Amérique du Nord jusqu’au Mexique. Le Lynx du Canada,
Lynx canadensis keRR, 1792, est présent au Canada et au nord
des États-Unis. Le Lynx boréal vit de l’Europe de l’Ouest
jusqu’en Sibérie alors que le Lynx pardelle, endémique du sud
de l’Espagne, est l’espèce de félin la plus menacée au monde
avec des effectifs de 156 individus adultes en 2015 (RodRiGuez
& cAlzAdA 2015). Bien que leurs relations de parenté soient
encore débattues du fait des lacunes du registre fossile, d’un
point de vue moléculaire, le Lynx roux serait le premier taxon
à s’être séparé de la lignée commune des lynx bien après le
premier passage de la Béringie par les faunes carnivores de
la fin du Miocène il y a environ huit Ma, et le retour de cette
même lignée par cette même voie jusqu’en Chine vers six Ma
(Johnson et Al. 2006). En effet, les premiers lynx semblent
avoir une origine africaine puisqu’ils apparaissent en Afrique
australe il y a quatre Ma, puis en Eurasie vers 3,5 Ma et enfin
en Amérique du Nord voilà 2,5 Ma, et c’est à partir de cette
dernière lignée que le Lynx roux serait apparu (GARRido &
ARRibAs 2008, testu 2011).
Le Lynx du Canada se serait ensuite séparé de la lignée
conduisant au Lynx pardelle et au Lynx boréal, ce que ne
révèlent pas forcément les fossiles collectés jusqu’à présent,
mais davantage les analyses génétiques (Rueness et Al. 2014).
D’après ces auteurs, il faudrait d’ailleurs remettre en question
le statut des sept sous-espèces classiquement reconnues pour le
Lynx boréal (noWell & JAckson 1996) pour ne conserver que
trois taxa suffisamment isolés génétiquement, correspondant
aux populations d’Europe de l’Ouest et de Scandinavie, du
sud de l’Asie centrale près du Caucase, qui serait la population
la plus ancestrale de l’espèce, et du nord-est de l’Asie. Ces
trois régions géographiques auraient constitué des refuges
ou des zones d’expansion lors des épisodes glaciaires et
interglaciaires du Pléistocène (Rueness et Al. 2014). Enfin,
il existe une incertitude concernant l’âge de séparation
entre les deux lignées conduisant au Lynx boréal et au Lynx
pardelle. En effet, si l’analyse de leur génome plaide en faveur
d’une séparation voilà 1,5 Ma (AbAscAl et Al. 2016), cette
estimation n’est pas forcément congruente avec les données
fossiles.
2. Les lynx fossiles
2.1. Le Lynx d’Issoire et le Lynx des cavernes
Le Lynx d’Issoire, Lynx issiodorensis (cRoizet & JobeRt,
1828), découvert pour la première fois en Auvergne dans les
gisements villafranchiens de Perrier, apparaît dès le Pliocène
(3,5 Ma) en Eurasie et il est présent jusqu’au Pléistocène
inférieur (1,2 Ma) (GARRido & ARRibAs 2008). Ce qui le
(3)
LE LYNX BORÉAL DANS LE SUD-OUEST DE LA FRANCE
caractérise est sa grande taille, ainsi qu’un crâne plus large
et allongé, un cou plus long et des pattes plus courtes que
les lynx actuels (testu 2006). Il constitue l’ancêtre le plus
probable des quatre espèces actuelles de lynx. En Occitanie,
cette espèce est représentée par un fragment de mandibule
droite et par une prémolaire supérieure figurés (beRthet com.
pers.). Conservé au Muséum de Lyon, ce matériel fossile
de la collection donnezAn proviendrait du Pliocène final de
Perpignan, soit d’un gisement de plus de 2,5 Ma.
Ce serait à partir d’une sous-espèce méridionale du Lynx
d’Issoire qu’apparaît vers 1,7 Ma au nord-est de la péninsule
ibérique, le Lynx des cavernes, Lynx spelaeus (boule,
1906), qui correspond à la plus ancienne trace de la lignée
conduisant au Lynx pardelle actuel (boscAini et Al. 2015).
Apparu également en Italie à la même période, cette espèce
a été décrite pour la première fois dans la grotte de Grimaldi
en Italie, puis dans celle de l’observatoire à Monaco en 1927
(clot & duRAnthon 1990). Cette espèce a longtemps été
considérée comme l’ancêtre des lynx actuels d’Europe (boréal
et pardelle) car possédant des caractéristiques intermédiaires,
notamment une taille des carnassières proche de celle du Lynx
boréal, mais avec une forme tranchante plus proche de celle du
Lynx pardelle. Cependant les plus récentes analyses génétiques
et morphologiques indiquent que cette espèce fossile, dont
la taille générale pourrait également être intermédiaire entre
celle des deux espèces actuelles, serait la forme préhistorique
du seul Lynx pardelle (boscAini et Al. 2016). Ceci a conduit
la plupart des auteurs à adopter la nomenclature Lynx pardinus
spelaeus (boule, 1906) pour le Lynx des cavernes.
Présent en Espagne et dans le Sud-Ouest, mais aussi dans
le sud-est de la France et en Italie, son aire de répartition
était maximale au Pléistocène moyen (bonifAy 1971, testu
2006, Ghezzo et Al. 2015, boscAini et Al. 2016). Dans le
Sud-Ouest, le lynx des cavernes est classiquement considéré
comme présent de la fin du Mindel (350 000 ans) jusqu’au
début de l’Holocène (clot & duRAnthon 1990). Cependant
certaines estimations, comme au gisement de la Caune de
l’Arago dans les Pyrénées-Orientales, indiquent une présence
supposée depuis près de 550 000 ans (moiGne et Al. 2006). Ce
taxon était également présent en Ardèche il y a 300 000 ans
sur le site d’Orgnac 3 alors sous climat tempéré méditerranéen
caractérisant l’interglaciaire Mindel-Riss de cette région
(moiGne et Al. 2006, testu 2006), mais aussi à la même
période sur les causses du Lot (site de Coudoulous II, bRuGAl
& JAubeRt 1991).
Plus près des Pyrénées, le gisement de la grotte des
Ramandils à Port-La-Nouvelle (Aude), daté entre 77 000 et
94 000 ans (SIM 5), a révélé une longue fréquentation par
l’espèce (Rusch et Al. 2019) sous un climat tempéré plutôt
sec, comme le site de La Crouzade à Gruissan (Aude), estimé
entre 30 000 et 50 000 ans, sous un climat beaucoup plus froid,
bien que la détermination spécifique (Lynx boréal ?) ne soit
pas certaine (testu com. pers.). Enfin, de nombreux restes
osseux ont également été estimés de la même période avant le
maximum glaciaire pour les Pyrénées, dont un crâne découvert
à Montoussé (Hautes-Pyrénées) serait conservé au Muséum
91
d’Histoire naturelle de Bordeaux, ainsi que des canines,
provenant de la grotte de Lherm et de la grotte inférieure de
Massat en Ariège qui sont conservées au Muséum d’Histoire
naturelle de Toulouse (clot & duRAnthon 1990).
La présence de cette espèce est également avérée pour
le Paléolithique inférieur et moyen du Lot et de l’Aveyron,
notamment à Nant, gisement estimé du Moustérien supérieur
(meiGnen 1993). Enfin, la datation la plus tardive de présence
avérée de Lynx des cavernes dans la région, remonterait à
30 000 ans dans la grotte Marie dans l’Hérault (cRochet
et Al. 2007). Mais sa disparition en tant que taxon distinct
du Lynx pardelle reste floue, en effet l’hétérogénéité de taille
du matériel attribué au Lynx des cavernes ne permet pas en
l’état de dater sa disparition, ou plutôt sa transformation en
Lynx pardelle (fosse & fouRVel com. pers.). L’ensemble des
données, non exhaustives, concernant le Lynx des cavernes
sont, comme pour le Lynx d’Issoire, présentées dans le tableau
1 et la figure 1.
2.2. Origine du Lynx boréal et présence fossile dans le
Sud-Ouest
Parallèlement à cette lignée méditerranéenne issue du Lynx
d’Issoire qui conduit au Lynx des cavernes vers 1,7 Ma, puis
au Lynx pardelle suivant une évolution de type anagénétique
(RodRiGuez-VARelA et Al. 2015, boscAini et Al. 2016),
apparaissent en Asie les premiers spécimens de Lynx boréal,
Lynx lynx, vers 1 Ma. Ils seraient issus d’une sous-espèce
de Lynx d’Issoire, Lynx issiodorensis shansius teilhARd de
chARdin, 1945, présente en Chine et en Asie centrale près
du Caucase dès le Pléistocène inférieur (WeRdelin 1981,
Rueness et Al. 2014). D’après les registres fossiles, c’est à
partir du Lynx boréal que serait apparu le Lynx du Canada,
Lynx canadensis, après le passage du détroit de Béring il y
a 200 000 ans. Puis, lors du dernier épisode interglaciaire,
il y a 125 000 ans, des populations de Lynx boréal auraient
migré d’Asie en Europe pour donner la sous-espèce actuelle
d’Europe de l’Ouest, Lynx lynx lynx (boscAini et Al. 2016).
Le Lynx boréal est présent en France à partir du Pléistocène
final où il reste assez rare et confiné à l’est du pays (stAhl
et Al. 2006). Il est connu depuis plus de 36 000 ans dans la
partie française des Pyrénées d’après la seule datation effectuée
sur des os fossiles provenant du gouffre des Moustayous à
Saint-Pé-de-Bigorre dans les Hautes-Pyrénées (Clot 1988).
C’est non loin de là, dans le puits Schatzi à Asson (PyrénéesAtlantiques) qu’en 1973 a été découvert le dernier crâne d’un
Lynx boréal dans les Pyrénées (clot & besson 1974). Ce
spécimen non daté (Fig. 2) est conservé au Muséum d’Histoire
naturelle de Toulouse (CAp 2011). D’autres sites ont également
révélé la présence de cette espèce comme au Portel-Ouest à
Loubens en Ariège estimé autour de 35 000 ans, ainsi qu’à
la grotte Gazel dans l’Aude, au pied de la Montagne Noire,
dont le gisement serait estimé à près de 15 000 ans (tissoux
2004). Sachant qu’une mandibule estimée du Gravettien
(25 000 ans) a également été trouvée à Isturitz aux confins
des Pyrénées-Atlantiques (clot & duRAnthon 1990), le Lynx
boréal était surtout présent dans la partie ouest et centrale des
Pyrénées, mais absent ou très rare dans les Corbières et les
92
HENRI CAP
parties audoises et catalanes des Pyrénées (tableau 1). Il est
toutefois connu dans la partie nord de l’Aude jusqu’en plaine
au Chasséen à Toulouse sur le site du Cluzel, il y a plus de
6 000 ans (clot & duRAnthon 1990).
La seule mention de Lynx boréal pour les PyrénéesOrientales correspondrait au site de la fin du Pléistocène de
la grotte d’Estagel (beRthet com. pers.). Par ailleurs, une
canine percée de Lynx boréal ayant servi de pendentif et
estimée à 25 000 ans (Gravettien), a été trouvée dans la grotte
de Gargas dans les Hautes-Pyrénées, ce qui laisse supposer
des rapports étroits qu’entretenaient nos ancêtres avec cette
espèce (sAn JuAn-fouchet et Al. 2012). Du côté espagnol,
la présence du Lynx boréal a récemment été attestée par des
crânes retrouvés en Navarre et dans les Cantabriques. Ils ont
été datés d’environ 12 000 ans pour les plus anciens (3 000 ans
au Pays basque) jusqu’au XVIe siècle pour les plus récents
en Navarre (RodRiGuez-VARelA et Al. 2016). Cette présence
tardive du Lynx boréal dans le Sud-Ouest serait à confirmer en
datant tout le matériel fossile dont une première synthèse est
résumée dans le tableau 1.
2.3. Données fossiles de Lynx pardelle
De la même façon, il serait indispensable d’analyser l’ADN
du matériel attribué soit au Lynx des cavernes, Lynx pardinus
spelaeus, soit au Lynx pardelle, Lynx pardinus pardinus. En
effet, à la fin du Pléistocène, alors que le Lynx boréal fait
son apparition dans le registre fossile en France, le Lynx
des cavernes, puis le Lynx pardelle, se retrouvent cantonnés
à la Péninsule ibérique et au sud de la France, notamment
au niveau des Pyrénées, comme en attestent les quelques
découvertes fossiles (tableau 1). Le taxon Lynx pardinus serait
autochtone du sud de l’Europe, d’abord sous la forme de
Lynx des cavernes, depuis 1,7 Ma (RodRiGuez-VARelA et Al.
2015). Il aurait survécu dans la région méditerranéenne qui a
servi de refuge à de nombreuses espèces lors des différentes
périodes glaciaires et plus précisément dans la Péninsule
ibérique où il s’est spécialisé dans la prédation du Lapin de
garenne, Oryctolagus cuniculus. Ce lagomorphe est originaire
d’Espagne depuis le Pléistocène moyen, et ne remontera au
nord de la France qu’à partir du Moyen Âge (cAllou 2003).
Plusieurs auteurs pensent qu’entre la fin du Pléistocène et le
début de l’Holocène, le Lynx boréal et le Lynx pardelle, ont
pu coexister de part et d’autre des Pyrénées et aurait même
pu s’hybrider (RodRiGuez-VARelA et Al. 2016, Jimenez et Al.
2018).
Pourtant, il n’existe aucune mention certaine de Lynx pardelle
en France à la fin du Pléistocène et notamment au moment
du maximum glaciaire, il y a plus de 20 000 ans (RodRiGuezVARelA et Al. 2015). Les seules données rapportées à cette
espèce seraient de l’avant-dernier épisode interglaciaire du
Mindel-Riss, voilà 300 000 ans, à Lunel-Viel dans l’Hérault
(bonifAy 1971) puis de 12 000 ans à la Balma de l’Abeurador
(Félines-Minervois) dans l’Hérault également (VAqueR com.
pers.). Malgré la découverte de restes de lynx pardelle estimés
du Moustérien tardif, soit autour de 35 000 ans, à Ermitons
en Catalogne espagnole (tissoux 2004), il reste à confirmer
que ces deux données correspondent bien au même taxon,
(4)
Lynx pardinus pardinus. En effet, le lynx pardelle n’est
retrouvé ensuite qu’à l’Holocène à partir de l’âge des métaux,
notamment dans l’Aude, l’Hérault et les Pyrénées-Orientales,
il y a 3 500 ans (GuilAine et Al. 1986, ViGne 1996, ViGne &
pAscAl 2006, cAllou 2011).
3. Éléments de biologie des lynx
3.1. Anatomie et morphologie
Anatomiquement, les lynx sont caractérisés par 28 dents,
soit une paire de prémolaires supérieures, la deuxième, en
moins par rapport aux autres Félidés, un corps ramassé mais
haut sur pattes, une queue courte et un pinceau de poils
aux oreilles. Ces deux derniers caractères morphologiques
facilement reconnaissables, ainsi que la taille, évitent à
priori toute confusion avec le Chat forestier, Felis silvestris
silvestris, ce qui pourrait renforcer la fiabilité des observations
rapportées, même par des néophytes. De même la forme et
la taille des empreintes relevées dans la neige discriminent
clairement les lynx du Chat forestier (de beAufoRt 1968) ou
de tout autre carnivore sauvage : 8-12 cm de diamètre avec
40 cm d’écartement de trace à trace pour 20 cm de largeur de
voie pour le Lynx boréal (de beAufoRt 1968), contre cinq cm
de diamètre pour le Lynx pardelle (delibes 1980).
Enfin, au-delà de son allure beaucoup plus gracile (poids :
9-13 kg vs 14-28 kg), une taille légèrement moins importante
(longueur tête + corps : 80-107 cm vs 80-130 cm) et un pelage
en général plus tacheté que le Lynx boréal, bien que ce caractère
varie avec l’âge et selon les populations (stAhl & VAndel
1998), le Lynx pardelle se distingue par un dimorphisme sexuel
beaucoup moins marqué. Chez le Lynx boréal, les mâles pèsent
25 % de plus que les femelles. Le crâne du Lynx pardelle est
de plus petite taille par rapport au Lynx boréal (longueur
du crâne : 123-137 mm vs 130-160 mm, longueur condylobasale : 111-126 mm vs 120-145 mm), de plus le crâne du
Lynx pardelle présente des crêtes pariétales lyriformes (clot
& duRAnthon 1990, GARciA-peReA 1996), une convexité au
niveau interorbital et une crête sagittale courte qui débute
derrière l’intersection des lignes temporales par opposition au
Lynx boréal qui présente une crête sagittale plus développée et
une forme d’arc dentaire dérivée (de beAufoRt 1965, clot &
besson 1974, beltRAn & delibes 1993, testu 2006).
Le caractère actuellement utilisé pour discriminer la lignée
du Lynx pardelle du Lynx boréal serait la présence d’un seul
foramen réunissant les foramens jugulaires et de l’hypoglosse
(condyle antérieur) alors que ce foramen serait séparé en deux
chez le Lynx boréal (boscAini et Al. 2015). Enfin, chez la
majorité des individus de Lynx pardelle (83 %) le métaconide
ou talonide est absent sur la première molaire inférieure
(carnassière inférieure) (GARciA-peReA et Al. 1985, boscAini
et Al. 2016). Cet état de caractère plésiomorphe, du fait que
le Lynx d’Issoire et le Lynx des cavernes présentaient déjà cet
état de caractère (kuRten & GRAnqVist 1987), permet, au delà
des prises de mesures sur les crânes, de distinguer les deux
espèces actuelles de lynx européens quand ce caractère est
présent (fosse & fouRVel com. pers.).
(5)
LE LYNX BORÉAL DANS LE SUD-OUEST DE LA FRANCE
93
Tableau 1 : Datations et estimations des restes osseux de Lynx d’Issoire, Lynx issiodorensis, Lynx des cavernes, Lynx spelaeus, Lynx pardelle
Lynx pardinus et Lynx boréal, Lynx lynx, collectés dans le sud-ouest de la France.
Datation
Taxon
Plus de 2,5 Ma
Lynx issiodorensis
Plus de 860 000 ans
550 000 ans
350 000 ans
300 000 ans
300 000 ans
Plus de 77 000 ans
Plus de 60 000 ans
Lynx spelaeus
Lynx spelaeus
Lynx spelaeus
Lynx spelaeus
Lynx spelaeus
Lynx spelaeus
Lynx spelaeus
Plus de 60 000 ans
Lynx spelaeus
Plus de 60 000 ans
Lynx spelaeus
Plus de 50 000 ans
Plus de 30 000 ans
30 000 BP
35 000 ans
12 000 ans
6 800 BP
3 500 ans
3 500 ans
2 500 ans
Plus de 60 ans
Lynx spelaeus
Lynx spelaeus
Lynx spelaeus
Lynx pardinus
Lynx pardinus
Lynx pardinus
Lynx pardinus
Lynx pardinus
Lynx pardinus
Lynx pardinus
40 000 BP
Lynx lynx
Plus de 35 000 ans
Lynx lynx
Plus de 35 000 ans
Plus de 33 000 ans
25 000 ans
25 000 ans
Lynx lynx
Lynx lynx
Lynx lynx
Lynx lynx
Plus de 15 000 ans
Lynx lynx
Plus de 15 000 ans
Plus de 15 000 ans
Plus de 15 000 ans
Lynx lynx
Lynx lynx
Lynx lynx
Plus de 15 000 ans
Lynx lynx
15 000 ans
15 000 ans
Lynx lynx
Lynx lynx
Plus de 12 000 ans
Lynx lynx
Plus de 12 000 ans
Lynx lynx
12 000 BP
11 000 BP
Plus de 6 000 ans
4 500 BP
3 000 BP
1 750 BP
Plus de 1 000 ans
Lynx lynx
Lynx lynx
Lynx lynx
Lynx lynx
Lynx lynx
Lynx lynx
Lynx lynx
Plus de 100 ans
Lynx lynx
Plus de 10 ans
Lynx lynx
Description
Perpignan (Pyrénées-Orientales). Prémolaire et fragment mandibule conservés au muséum de Lyon
(philippe & bouRGAt 1985)
Vallparadis (Catalogne espagnole) (boscAini et Al. 2016).
Caune de l’Arago (Pyrénées-Orientales) (moiGne et Al. 2006, testu 2006).
Lunel-Viel (Hérault) (bonifAy 1971, fosse 1996)
Orgnac 3 (Ardèche). Interglaciaire Mindel Riss avec climat tempéré mediterranéen (moiGne et Al. 2006)
Grotte de Coudoulous II, Tour de Faure (Lot). Restes osseux du début du Riss (bRuGAl & JAubeRt 1991)
Grotte des Ramandils à Port-La Nouvelle (Aude). Dents et post- crânien du SIM 5 (Rush et Al. 2019)
Nant (Aveyron). Restes osseux du Moustérien (meiGnen 1994)
Montoussé (Hautes-Pyrénées). Crâne conservé au muséum de Bordeaux
(hARlé 1892, clot & duRAnthon 1990)
Grotte de Lherm et de Massat (Ariège). Canines conservées au muséum de Toulouse
(clot & duRAnthon 1990).
Gabasa (Huesca, Espagne). Restes osseux du Moustérien (blAsco 1997)
La Crouzade à Gruissan (Aude). Fin du Pléistocène (testu 2006)
Grotte Marie (Hérault) (cRochet et Al. 2007)
Ermitons (Catalogne espagnole) Moustérien tardif (mARoto et Al. 2002)
Balma de l’Abeurador à Félines minervois (Hérault) (VAqueR com. pers.)
Chaves (Huesca, Espagne) (RodRiGuez-VARelA et Al. 2015)
Montferrer (Pyrénées-Orientales) de l’âge du bronze (cAllou 2011)
Floure (Aude) de l’âge du bronze (cAllou 2011)
Carcassonne (Aude) de l’âge du Fer (cAllou 2011)
Sierra Santo Domingo (Huesca, Espagne) crâne découvert en 1951 (Gil-sAnchez & mccAin 2011)
Gouffre des Moustayous à Saint-Pé de Bigorre (Pyrénées Atlantiques). Squelette incomplet d’un jeune lynx
trouvé en 1980, daté du Magdalénien supérieur par C14, conservé au musée pyrénéen de Lourdes (clot 1988)
Ker de Riverenert (Ariège). Canine du moustérien (de 35 000 à 100 000 ans)
(méRoc 1954, clot & duRAnthon 1990)
Le Portel-ouest à Loubens (Ariège). Fin du pléistocène (GARdeisen 1999, RiVAls et Al. 2009)
Caniac du Causse (Lot). Restes osseux du Paléolithique supérieur (VilleneuVe et Al. 2019)
Isturitz (Pyrénées-Atlantiques). Mandibule du Gravettien (pAssemARd 1924, clot & duRAnthon 1990)
Grotte de Gargas (Hautes-Pyrénées). Canine perforée du Gravettien (sAn JuAn-fouchet et Al. 2012).
Grotte de Labastide et du diable rouge à Banios (Hautes-Pyrénées) Pléistocène supérieur
(clot & eVin 1986)
Grotte de la Vache (Ariège). Dents du Magdalénien (koby 1959 clot & duRAnthon 1990)
Grotte d’Espèche (Hautes-Pyrénées). Phalange du Magdalénien (clot 1984, clot & duRAnthon 1990)
Grotte de la Salpétrière (Gard). Mandibule conservée au muséum de Lyon (beRthet com. Pers.)
Grotte d’Ornessant (Hautes-Pyrénées). Dents du Pléistocène supérieur conservées au muséum de Lyon
(beRthet com. pers.)
Gazel (Aude). Près de la montagne noire (fontAnA 1999)
Arancou (Pyrénées-Atlantiques) 4e PM inf du magdalénien moyen (fosse 1999)
Cagnac les Mines (Tarn). Post-crânien de la collection Michel conservée au muséum de Lyon
(beRthet com. pers.)
Grotte d’Estagel (Pyrénées-Orientales). Tibia de la collection Donnezan conservée au muséum de Lyon
(beRthet com.pers.)
Cantabriques (Espagne) (RodRiGuez-VARelA et Al. 2015)
Serpenteko en Navarre (Espagne). Crâne (RodRiGuez VARelA et Al. 2015)
Site du Cluzel à Toulouse (Haute-Garonne). Estimé du chasséen (clot & duRAnthon 1990)
Cantabriques (Espagne) (RodRiGuez-VARelA et Al. 2015)
Pagolucieta au Pays Basque Espagnol (RodRiGuez-VARelA et Al. 2015)
Cantabriques (Espagne) (RodRiGuez-VARelA et Al. 2015)
Gouffre de Pène à Montégut (Hautes-Pyrénées). Squelette incomplet (clot 1970, clot & duRAnthon 1990)
Puits Schatzi à Asson (Pyrénées-Atlantiques). Squelette incomplet découvert en 1973 et conservé au
Muséum de Toulouse (clot & besson 1974)
Gouffre du col d’Aran à Bielle (Pyrénées-Atlantiques). Squelette complet découvert en 1962, conservé
au musée d’Arudy (de beAufoRt 1965)
94
HENRI CAP
Figure 1. Restes osseux de Lynx d’Issoire, Lynx issiodorensis (-2,5 Ma), Lynx des cavernes, Lynx spelaeus (550 000 à 30 000 ans), Lynx
pardelle, Lynx pardinus (35 000 à 2 500 ans), et de Lynx boréal, Lynx lynx (40 000 à 100 ans) collectés dans le sud-ouest de la France.
(6)
(7)
LE LYNX BORÉAL DANS LE SUD-OUEST DE LA FRANCE
95
Figure 2. Crâne de Lynx boréal conservé au muséum d’Histoire naturelle de Toulouse (MHNT.ZOO.2011.0.1) découvert en 1973 au puits
Schatzi à Asson (Pyrénées-Atlantiques), non daté (clot & besson 1974). © RoGeR culos/Muséum d’Histoire naturelle de Toulouse.
Le Lynx boréal est très dérivé par rapport aux autres lynx
actuels et fossiles, puisqu’en plus de la présence du métaconide
sur la M1 chez la majorité des individus, 10 à 20 % présentent
une ré-émergence de la M2 (WeRdelin 1981). Cependant la
plus grande prudence s’impose avec ces caractères dentaires
« distinctifs » qui ne s’expriment pas chez tous les individus
actuels ou fossiles (testu 2006, Ghezzo et Al. 2015).
3.2. Comportements et écologie
Le Lynx boréal est une espèce essentiellement nocturne,
bien qu’il puisse également évoluer en pleine journée (stAhl
& VAndel 1998). Le rut s’étend de la fin du mois de février
jusqu’en avril (RAydelet 2006). Les cris d’appel entre mâles
et femelles durant cette période peuvent être entendus à
plusieurs centaines de mètres et ressemblent à l’aboiement du
Chevreuil européen, Capreolus capreolus (cAp 2011). Leur
fréquence fondamentale est de 0,8 kHz (peteRs & peteRs
2010). Les naissances ont lieu de fin mai à début juin, après
70 jours de gestation. Les portées (une tous les deux ans)
comptent de deux à quatre petits qui seront allaités par la mère
pendant deux à trois mois, période durant laquelle les jeunes
peuvent également apprendre les techniques de chasse. À dix
mois certains individus peuvent s’émanciper bien avant leur
maturité sexuelle qui se situe autour de deux ans pour les
femelles et de deux ans et demi pour les mâles.
Comme la majorité des Félidés, le Lynx boréal vit
essentiellement en forêt (noWell & JAckson 1996, stAhl
& VAndel 1998). Même si le Lynx boréal préfère les forêts
denses et peu fréquentées par l’homme ce qui correspond à un
habitat fermé, il fréquente également les forêts claires lorsque
celles-ci comportent des zones rupestres d’où il peut émettre
son cri d’appel et où les femelles peuvent trouver des cavités
pour mettre bas, lorsque ce n’est pas sous une souche d’arbre.
Le Lynx boréal occupe également les steppes en Mongolie,
ainsi que les zones montagneuses au-dessus de la limite des
arbres dans les Alpes et sur les contreforts de l’Himalaya. En
France, avant d’être repoussé dans les montagnes au début du
XIXe siècle, l’espèce était présente en plaine, comme le Lynx
pardelle en Espagne aujourd’hui.
Ce dernier, qui se nourrit principalement de lapins, de faons
de Cerf élaphe, Cervus elaphus, ou de daims, Dama dama, de
rongeurs et d’oiseaux (VAlVeRde 1957), vit dans un habitat
plus hétérogène de type méditerranéen. Il est actuellement
présent au sud de l’Espagne de la Sierra Morena comportant
des éboulis rocheux, des pelouses et des bois clairs avec des
96
HENRI CAP
chênes verts et des résineux, à la zone côtière de la réserve
de Doñana en Andalousie caractérisée par des dunes de sable
herbeuses et un maquis de chêne liège (VAlVeRde 1957). La
fréquence fondamentale de ses cris d’appel est de 0,95 kHz
(peteRs & peteRs 2010), plus élevée que celle du Lynx boréal,
qui est plus gros, alors que le milieu de vie plus fermé de ce
dernier devrait contraindre cette fréquence à la hausse (cAp
et Al. 2008).
Le territoire d’un mâle Lynx boréal peut chevaucher ceux
de plusieurs femelles. La surface moyenne est, en fonction
du nombre de proies disponibles, de 200 km² (stAhl &
VAndel 1998). Bien que sédentaire et ne se déplaçant pas
régulièrement sur de grandes distances, le Lynx boréal peut
parcourir, en suivant les mêmes itinéraires, jusqu’à 30 km par
nuit. Il se nourrit principalement d’ongulés sauvages tels que
le Chamois, Rupicapra rupicapra, ou le Chevreuil européen,
de faons de Cerf élaphe, de Renard roux, Vulpes vulpes, et dans
une moindre mesure de rongeurs tels que les campagnols, de
Lièvre européen, Lepus europaeus, ainsi que de Tétraonidés
(Grand tétras, Tetrao urogallus, Lagopèdes, Lagopus sp. et
Perdrix grise Perdix perdix). Une fois sa proie égorgée, le
Lynx boréal peut la recouvrir de feuilles, pour y revenir plus
tard. Le régime alimentaire des lynx réintroduits en France est
assez congruent avec ce modèle, auquel il faudrait rajouter une
centaine de brebis par an, selon les chiffres du Réseau Lynx,
correspondant au nombre estimé de Lynx boréal en France. Il
est par ailleurs intéressant de noter la concordance entre les
trois noyaux historiques supposés de Lynx boréal dans les
Pyrénées avec la répartition de l’Isard, Rupicapra pyrenaica,
qui aurait été à haute altitude, avec le Chevreuil à basse
altitude, ses principales sources de nourriture dans le massif
avec les lagomorphes (cAp 2011, beRducou com. pers.). Par
ailleurs, l’absence du Renard roux de la vallée d’Aspe serait
liée à la longue présence du Lynx boréal, comme il est établi
sur le versant espagnol des Pyrénées (chimits 1984). Enfin la
réintroduction du Cerf élaphe dans les années 1960 dans les
zones des Pyrénées-Orientales où le lynx était historiquement
présent est un élément à prendre en considération dans son
hypothétique survivance.
4. Données historiques de lynx dans le Sud-Ouest
Sans remonter jusqu’à Gaston Phébus au XIVe siècle qui
considérait l’espèce comme commune et connue de tous
(lAVAuden 1930, cAlou 2011), la population de lynx dans
la chaîne pyrénéenne a largement fluctué dans le temps, et
semblait relativement importante d’après les nombreuses
primes versées aux chasseurs jusqu’au milieu du XIXe siècle
(bouchet 1988). La réduction de la couverture forestière
pendant près d’un siècle et la raréfaction de ses proies (stAhl
& VAndel 1998), pressions auxquelles s’ajoutèrent le piégeage
et la chasse, accélérèrent le déclin de l’espèce. Mais de quelle
espèce s’agissait-il ?
Dans sa thèse de doctorat sur les grands carnivores des
Pyrénées, bouchet (1988) qualifie le lynx d’éternel survivant
et écrit à son sujet : « l’intérêt de l’histoire du lynx réside dans
la survie, jusqu’à aujourd’hui, d’une population aussi faible et
(8)
dispersée ». Bien que la disparition du lynx dans notre région
remonte officiellement au XXe siècle, comment expliquer cet
espoir tenace d’une survivance tardive de cette espèce, voire
contemporaine, autrement que de considérer et d’étudier
toutes les données disponibles ? Pour cela, nous avons repris
les données de différents auteurs en les complétant et en les
compilant sous la forme d’un tableau qui vient compléter celui
des données fossiles ou issues de la littérature archéologique.
L’ensemble de ces indices de présence historique de lynx dans
le Sud-Ouest (squelette, capture, dépouille, empreintes ou
observations) est présenté dans le tableau 2.
4.1. Lynx pardelle
Depuis l’Antiquité jusqu’au XVIIIe siècle au moins, le
Lynx boréal et le Lynx pardelle auraient pu coexister dans
les Pyrénées (kRAtochVil 1968, ViGne 1996, ViGne & pAscAl
2006, cAllou 2011) ainsi qu’au nord de la Péninsule ibérique
(clAVeRo & delibes 2013, Jimenez et Al. 2018). Pourtant
la seule mention historique de Lynx pardelle est celle de
lAVAuden 1930 qui signale un lynx tué près de Saint-Gaudens
en 1787 et identifié du fait de ses nombreuses taches sur le
dos et les flancs ; mais ce critère n’est pas suffisant pour
discriminer l’espèce, la présence de taches variant grandement
avec l’âge et les populations chez le Lynx boréal (stAhl &
VAndel 1998). Une autre mention de Lynx pardelle correspond
à une empreinte collectée dans la neige dans le Carlit dans les
années 1950 (oliVieR 1976). Une dernière mention est celle
d’un individu naturalisé provenant des Pyrénées aragonaises
qui serait conservé depuis 1973 par un particulier près de
Pau (stAhl & VAndel 1998). Ainsi, en dehors des données
archéologiques (GuilAine et Al. 1986, ViGne 1996, ViGne &
pAscAl 2006, cAllou 2011), il n’existe aucune autre mention
explicite de Lynx pardelle au delà de l’âge des métaux, ce qui
laisserait supposer que le Lynx pardelle a disparu du versant
français des Pyrénées depuis plus de 2000 ans (ARthuR com.
pers.).
4.2. Histoires de noms
Pourtant les données analysées par nos collègues espagnols
indiquent que dans la Péninsule ibérique les deux espèces sont
bien distinguées, chacune ayant son appellation suivant les
régions : gatos cerval ou gatos clavo pour le Lynx pardelle au
sud de l’Espagne et lobo cerval ou Tigre pour le Lynx boréal
au nord (clAVeRo & delibes 2013). Peut-être cette distinction
vient-elle d’une traduction espagnole de l’Histoire naturelle
de Pline l’Ancien du XVIe siècle, décrivant plusieurs sortes de
lynx (Jimenez et Al. 2018).
Dans le sud-ouest de la France, où la langue autochtone
est l’occitan, le lynx porte également plusieurs noms depuis
le Moyen Âge, puisqu’il est appelé tantôt Cervier ou Loupcervier, tantôt Chat-loup par Gaston Phébus (lAVAuden 1930,
cAlou 2011). Les noms donnés au lynx ont aussi varié suivant
les régions : Chat-cervier à Gèdre (Hautes-Pyrénées) en 1749
et Loup-cervier à Luz-Saint-Sauveur (Hautes-Pyrénées) en
1762, deux communes du massif du Néouvielle, Chat-loup à
Lée en 1762 et Gatloup à Borce en 1719 dans les PyrénéesAtlantiques (bouchet 1988). Mais ces noms vernaculaires
(9)
LE LYNX BORÉAL DANS LE SUD-OUEST DE LA FRANCE
97
Tableau 2 : Indices de présences historiques et récents de Lynx boréal, Lynx lynx, ou de Lynx pardelle, Lynx pardinus dans le sud-ouest de la France.
En rouge, les preuves absolues (captures, dépouilles) et en jaune les preuves vérifiables et invérifiables (empreintes, observations, attaques sur bétail).
Date
1387
1500 à 1900
1520 à 1749
1664
1717 à 1786
1762 à 1786
1776
1787
1819
1821
1823
1829
1830
1837
1840
1857
1857 à 1876
1875
1883
1886
1890
1897
1912 à 1914
1917
1918
1930
1930
1930
1936
1940
1945
1951
1957
1960
1963
1966
1967
1972
1973
1973
1975 et 1976
1975 et 1976
1980
1980
1982
1982
1982
1985
1990
2003 et 2004
2004 et 2005
2007
2007
Description
Plus ancienne citation du lynx pour les Pyrénées décrit comme bête commune par Gaston Phébus (« Livre de la chasse » 1389)
Présence de Lynx boréal des cantabriques jusqu’en Catalogne (clAVeRo & delibes 2013, Jimenez et Al. 2018)
Dernier lynx tué en Andorre en 1749 après 11 autres depuis 1520 (bouchet 1988)
Capture de lynx en vallée d’Ossau (Pyrénées-Atlantiques) par Louvie-Juzon avec prime (bouchet 1988)
Treize lynx abattus en vallée d’Aspe (Pyrénées-Atlantiques) commune de Lée (bouchet 1988)
Cinq lynx tués en vallée d’Aspe (Pyrénées-Atlantiques) par famille Casaux (bouchet 1988)
Jeune lynx capturé à Luz-Saint-Sauveur (Hautes-Pyrénées), envoyé en 1777 pour la Ménagerie du Roi à Versailles (bouchet 1988)
Capture d’un lynx très tacheté (pardelle?) près de Saint-Gaudens (Haute-Garonne) (lAVAuden 1930, stAhl & VAndel 1998)
Capture en Ariège identifiée par De Lapeyrouse (bouchet 1988)
Capture dans la forêt de Formiguères (Pyrénées-Orientales) (lAVAuden 1930) qui fût envoyé à Cuvier (bouchet 1988)
Squelette de lynx acheté par l’Université de Montpellier (Hérault) (Jiquel com.pers.)
Capture d’un lynx à Ax-les-Thermes (Ariège), naturalisé et acheté par le musée de Foix (bouchet 1988)
Capture à Juzet près de Luchon (Haute-Garonne), naturalisé et mis dans la vitrine du pharmacien Doré à Luchon (bouchet 1988)
Attaques au cou sur moutons attribués au lynx au val d’Azun (Hautes-Pyrénées) à Arrens Marsous (bouchet 1988)
Capture en forêt de Salvanère (Aude). Naturalisé (?) au Muséum de Perpignan puis aurait disparu (tRutAt 1878, lAVAuden 1930)
Attaque mortelle au cou d’un tailleur de pierre de Bagnères-de-Bigorre (Hautes-Pyrénées) (bouchet 1988)
Capture de trois lynx autour de Formiguères (Pyrénées-Orientales) (lAVAuden 1930)
Spécimen naturalisé capturé à Génolhac (Gard/Lozère) conservé au muséum de Nîmes (beAumes com. pers.)
Observations en vallée d’Ossau aux mondeillous (Pyrénées-Atlantiques) par Rippert (bouchet 1988)
Nombreuses peaux vendues d’animaux capturés en forêt d’Urdos en vallée d’Aspe (bouchet 1988)
Capture en Forêt de la Malte (Pyrénées-Orientales) (lAVAuden 1930)
Capture dans le Néouvielle (Hautes-Pyrénées) du dernier lynx de la région selon Rondou (1910) (ARthuR com. pers)
Observations à la belle saison de lynx suivant la transhumance des troupeaux espagnol dans le Néouvielle (lAVAuden 1930)
Empoisonnement de deux lynx mâle et femelle à Vernet-les-Bains au Canigou (Pyrénées-Orientales) (sAlVAt 1925, lAVAuden 1930)
Attaques au cou sur moutons attribués au lynx (loup cervier) à Montory (Pyrénées-Atlantiques) (bouchet 1988)
Capture du « dernier » lynx de France, entre Prades (Pyrénées-Orientales) et le Canigou (lAVAuden 1930, oliVieR 1976)
Capture du dernier lynx boréal pour les Pyrénées catalanes espagnoles au Vall de Ribes (Ruiz-olmo com. pers.)
Dépouilles, crânes et poils collectés en Sierra del Cadi, Pyrénées centrales et Huesca (Ruiz-olmo 2001)
Capture de quatre lynx en vallée d’Ossau (Pyrénées-Atlantiques) par Toussaint Saint-Martin (coutuRieR 1954)
Capture de plusieurs lynx en vallée d’Ossau par Toussaint Saint-Martin (dendAletche 1974)
Capture de plusieurs lynx dans le massif du Lurien (Pyrénées-Atlantiques) (chAzel 1991)
Crâne de Lynx pardelle trouvé en 1951 dans la Sierra Santo Domingo (Huesca) (Gil-sAnchez & mccAin 2011)
Capture par bergers d’un lynx au flanc du Lurien en vallée d’Ossau à Artouste, authentifiée par un garde chasse (de beAufoRt 1968)
Observation de deux lynx dont une petite empreinte (pardelle?) au Carlit (Pyrénées-Orientales) (oliVieR 1977)
Capture au piège en été suite à des attaques sur troupeau au Bager, massif du Lurien (Pyrénées-atlantiques) (ARthuR com. pers.)
Observation d’un individu au Pic du Midi d’Ossau (Pyrénées-Atlantiques) (de beAufoRt 1968)
Observation et empreintes au Pic du Midi d’Ossau, col de Pombie, et Pic de Cherue, validées par de beAufoRt (1968)
Empreintes dans la neige (et poils) trouvés en vallée d’Aspe et Ossau attribué au lynx par clAude beRducou (besson 1979)
Lynx pardelle? piégé entre Biescas et Sierra de Guara (Pyrénées aragonaises), naturalisé près de Pau (stAhl & VAndel 1998)
Cris et hurlements en hiver au col d’Aran (Pyrénées-Atlantiques) (chimits 1984)
Empreintes en vallée d’Aspe et Ossau (nAVARRe 1976)
Capture en basse vallée d’Aspe et Ossau (Pyrénées-Atlantiques), crête de Lazerque, après attaques sur troupeaux (nAVARRe 1976)
Cris et hurlement à Couflens (Ariège) (chAzel 1984, ARthuR com. pers.)
Empreintes et griffades trouvés par Chaumeil et JJ Camara en vallée d’Ossau (64) (bois de Lusque) (ARthuR com. pers.)
Empreinte à Couflens (Ariège) non montré ni validée par le Réseau Lynx (chAzel 1984, ARthuR com. pers.)
Crotte au col de Sesques (Pyrénées-Atlantiques), transmise par Klein du Réseau avec poils à l’ENVT (Pr fAliu) (ARthuR com. pers)
Poils trouvés par Berducou au Pic du Midi d’Ossau (Pyrénées-Atlantiques) jamais analysé par l’ENSAT (ARthuR com.pers.)
Observation d’un individu en Haute vallée d’Aspe (Pyrénées-Atlantiques) par sAlinGue (ARthuR com. pers)
Photo d’empreintes dans le Madrès Coronat (Pyrénées-Orientales) (chAzel et Al. 1996)
Empreintes vues par agent PNP au col d’Aran (vallée d’Ossau) non validée par le Réseau Lynx (ARthuR com. pers.)
Attaques au cou sur chevreuils attribués au lynx dans le Néouvielle par agent du PNP (ARthuR com. pers.)
Observation d’un individu sur la commune d’Espezel (Aude) sur le plateau de Sault dans la forêt de Belesta (koëss com. pers.)
Photo prise en juillet dans le massif du Canigou (Pyrénées-Orientales) non validée par le Réseau Lynx (Canis lynx?)
98
HENRI CAP
(10)
(suite du tableau 2)
2011
2012
2012
2012
2014
2015
2015
2017
2018
Attaque sur bétail attribuée au lynx dans le Pays Basque (Pyrénées-Atlantiques), poils collectés par l’ONCFS (Sud-Ouest)
Photo de Fontjoncouse (Aude) issue d’un arrêt sur image d’un lynx pardelle en Espagne validée puis rejetée par le Réseau Lynx
Observation en juin d’un individu à Caudeval (Aude) validée par le Réseau Lynx
Observation en août d’un individu à Lairière (Aude) non validé par le Réseau Lynx
Observation d’individus en Cerdagne (Pyrénées-Orientales) par Riols, non validé par le Réseau Lynx (Le Monde)
Empreintes de Lynx boréal dans le massif du Madrès (Ariège) non validées par le Réseau Lynx (sAlGues et pompidoR com. pers.)
Observation d’un individu dans les Baronnies (Hautes-Pyrénées) (visiteur muséum de Toulouse)
Observation d’un individu près d’une habitation dans le Vallespir (Pyrénées-Orientales) (JAnssens com.pers.)
Capture le 29 mai d’un Lynx pardelle près de Barcelone provenant du sud du Portugal (Ruiz-olmo com.pers)
correspondaient-ils, comme en Espagne, à deux espèces
différentes ? La forme plutôt gracile et très tachetée pourrait
correspondre au Chat-loup, ou Lynx pardelle ; la forme plus
imposante et moins tachetée se rattacherait plutôt alors au
Loup-cervier, ou Lynx boréal.
Ainsi, l’une des illustrations du livre de la chasse de Gaston
Phébus traite du Loup-cervier en restituant parfaitement ses
gîtes rupestres, en revanche elle représente des lynx tachetés
et d’autres rayés, ce qui pourrait correspondre à deux espèces,
mais les deux types sont représentés avec une longue queue,
qui serait une autre confusion avec le Chat-forestier. À propos
du Loup-cervier, buffon (1769) écrit : « il n’a rien du Loup
qu’une espèce de hurlement, qui, se faisant entendre de loin, a
dû tromper les chasseurs et leur faire croire qu’ils entendaient
un Loup… les chasseurs auront ajouté l’épithète de cervier
parce qu’il attaque les cerfs, ou plutôt parce que sa peau est
variée de taches à peu près comme celle des jeunes cerfs ».
Le lien que fait buffon avec les Cervidés n’est pas dénué
d’intérêt car les faons de Cerf élaphe ou de Chevreuil sont des
proies pour le Lynx boréal.
4.3. Déclin de la population pyrénéenne jusqu’au
XIXe siècle
bouchet (1988) rapporte qu’entre 1520 et 1855, une assez
forte population de lynx semble avoir occupé certaines régions
des Pyrénées, comme la vallée d’Aspe, où de très nombreuses
primes versées aux chasseurs de lynx ont été recensées sur
les comptes communaux. Ces primes n’apparaissent plus
dans les registres dès 1750 pour l’Andorre, et deviennent
rares au XIXe siècle sur l’ensemble du massif, notamment
dans les Pyrénées centrales mais aussi dans la haute vallée
de la Massane, qui s’avère être la zone la plus riche en lynx
(bouchet 1988). Selon le même auteur, les primes de capture
pour des lynx vont disparaître avant la fin du XIXe siècle
en même temps que s’accélère le déboisement du massif
pyrénéen (Fig. 3), avant que ne débute la reprise forestière
à partir des années 1950 signifiant la fin de captures de lynx
officiellement reconnues.
Dans les Pyrénées occidentales, il est à signaler que du
côté espagnol, la présence de Lynx boréal a été attestée par
des datations de crânes jusqu’au XVIe siècle en Navarre
(RodRiGuez-VARelA et Al. 2015), et probablement jusqu’au
XIXe siècle des Asturies aux Cantabriques jusqu’au Pays
Basque, en Navarre et au delà jusqu’en Catalogne, d’après
les indices de présence historiques (clAVeRo & delibes 2013,
Jimenez et Al. 2018). Pour la partie française des Pyrénées
centrales, bouchet (1988) livre également deux anecdotes :
« l’animal tué en Ariège en 1819 amena le ministre lui-même
à demander qu’on essaie de prendre vivant le mâle, pour le
Jardin du Roi, alors que celui abattu en 1829 à Ax fut acheté
par le musée de Foix ».
Pour les Pyrénées-Orientales, dans son Histoire naturelle
des Pyrénées-Orientales, compAnyo 1863 déclare qu’il donna
à cuVieR les renseignements qu’il demandait au sujet d’un
lynx tué dans la forêt de Formiguères en 1821 et sur un autre
sujet tué à Salvanère en 1840. En aucun cas il ne signale leur
présence dans les collections du Muséum d’Histoire naturelle
de Perpignan dont il fut le premier conservateur de 1840 à 1871.
Ces lynx ne figurent ni dans le premier inventaire du muséum
dressé par compAnyo en 1841, ni dans la liste des objets acquis
par la Société Agricole Scientifique et Littéraire des PyrénéesOrientales (SASL), et donnés au Muséum d’Histoire naturelle
de Perpignan. Aucun lynx n’est mentionné dans le catalogue
des collections locales de 1910, ni dans l’inventaire des
collections locales de 1922 (mARy com. pers.). Pourtant la
capture de 1840 est mentionnée comme ayant figuré dans
les collections du Muséum d’Histoire naturelle de Perpignan
(lAVAuden 1930), d’où il aurait depuis disparu selon tRutAt
1878. L’erreur proviendrait peut-être de la confusion avec
un Caracal naturalisé, Caracal caracal, provenant d’Algérie,
qui fut nommé Lynx dans l’inventaire de compAnyo de 1845
ainsi que dans le « Guide du visiteur » de 1910 (mARy com.
pers.). Cette même erreur a fait aussi écrire à lAVAuden 1930
que le Muséum d’Histoire naturelle de Perpignan conservait
jusqu’en 1900 un spécimen naturalisé de lynx, provenant de la
forêt de Salvanère (oliVieR 1976).
Enfin, dans le Massif Central, distant d’une centaine de
kilomètres des Pyrénées-Orientales, la dernière capture
concerne un lynx tué en 1875, au pied du mont Lozère, dans
le Gard à Génolhac (sAint-GiRons 1973). Il a été naturalisé
et exposé au Muséum d’Histoire naturelle de Nîmes (nAppé
2008, beAumes com. pers.). Il existe également un autre Lynx
boréal naturalisé au musée Crozatier du Puy-en-Velay, animal
tué dans le Velay en 1822 (moussieR 1853, cAntuel 1949).
4.4. Présence relictuelle au début du XXe siècle
En Espagne la dernière capture de Lynx boréal au Vall de
Ribes en Catalogne remonte à 1930 (Ruiz-olmo com. pers.).
VAlVeRde 1963 estime que deux petites populations de Lynx
pardelle ont pu subsister jusque dans les années 1960 dans le
(11)
LE LYNX BORÉAL DANS LE SUD-OUEST DE LA FRANCE
Figure 3. Indices de présence historiques et récents de Lynx boréal, Lynx lynx, ou de Lynx pardelle, Lynx pardinus, dans le sud-ouest de la
France, en fonction de l’évolution de la couverture forestière dans les Pyrénées du XVIIIe au XXIe siècle.
99
100
HENRI CAP
Parc Naturel de Cadi (au Sud de l’Andorre) ainsi que dans la
province de Huesca entre le Parc National d’Ordessa à l’est et
celui de Valles à l’ouest. Mais s’agissait-il de Lynx pardelle
ou de Lynx boréal ? La même incertitude concernant l’espèce
présente dans la partie orientale des Pyrénées se retrouve dans
l’inventaire des grands mammifères de Catalogne de 1990 où
les deux espèces figurent jusque dans la seconde moitié du
XXe siècle, lorsque plus aucune dépouille, ni crâne, ni poils ne
sont retrouvés (Ruiz-olmo 1990).
(12)
restes seraient à ré-analyser (beRthet com. pers.). Une étude
anatomique sera donc menée à la suite de cet article, qui sera
complétée par des prélèvements pour obtenir une datation,
ainsi qu’une identification génétique des crânes.
La deuxième carte de la figure 3 montre trois zones de la
chaîne pyrénéenne avec des « indices de présence de lynx »
(dépouilles, crânes, empreintes) : la première de la Sierra del
Cadi (alto de Ripollès) jusqu’au Canigou et aux PyrénéesOrientales, la seconde dans les Pyrénées centrales, la troisième
du nord-est de la province de Huesca jusqu’au nord de
Saragosse (Ruiz-olmo 2001).
Dans son article sur la présence historique du lynx dans
les Pyrénées, Ruiz-olmo signale l’existence d’un spécimen
disséqué et inventorié dans les collections du Muséum
d’Histoire naturelle de Perpignan avant 1900. Ironie de
l’histoire, en 1917, dans la même zone, deux lynx, mâle et
femelle, auraient été empoisonnés à la strychnine près du
Canigou, dans les rochers de la Pena, sur la commune de
Vernet-les-Bains, et identifiés comme Lynx boréal, mais dont
les peaux auraient été vendues à des touristes (sAlVAt 1925,
lAVAuden 1930). Officiellement, c’est dans cette région
qu’aurait été abattu en 1930 le dernier lynx français. Pourtant
entre 1950 et 1960, deux observations de lynx dans le massif
du Carlit sont encore rapportées, dont une empreinte qui serait
attribuée au Lynx pardelle (oliVieR 1976).
Ces derniers indices de présence de lynx pour la Catalogne
française se sont transformés en découverte au cours de la
rédaction de cet article puisque le Muséum d’Histoire naturelle
de Perpignan possédait deux crânes de lynx, sans provenance
ni datation (Fig. 4). S’agissait-il des deux lynx empoisonnés
en 1917 ? Dans tous les cas, ces deux crânes d’adultes de
taille similaire présentent pour l’un une longueur du crâne
de 130 mm et une longueur condylobasale de 121 mm, soit
des longueurs moyennes de Lynx pardelle mâle (beltRAn
& delibes 1993) ou de très petites femelles de Lynx boréal.
Or, la crête sagittale semble assez développée et de type
lyriforme ce qui exclurait un individu femelle et confirmerait
la détermination d’un Lynx pardelle (fosse com. pers.). La
forme du front plus haut que celui d’un Lynx boréal tendrait
à appuyer cette détermination (VAlVeRde 1963). Toutefois,
la morphologie des lignes temporales évoque davantage un
Lynx boréal (testu com. pers.), comme l’existence de deux
foramens séparés, bien que très proches, du jugulaire et du
canal de l’hypoglosse (boscAini et Al. 2015). De plus, même
si la bosse sur le front et la taille du crâne indiquent clairement
du Lynx pardelle, les dimensions des dents semblent trop
grandes pour cette espèce, l’hypothèse d’un individu hybride
ne peut donc être écartée (delibes com. pers.). Cependant il
n’existe que très peu de mentions explicites de Lynx boréal
pour les Pyrénées-Orientales, hormis les quelques captures
sans distinction d’espèce, et un seul gisement fossile dont les
Figures 4a et 4b. Crâne de Lynx pardinus ou Lynx lynx x L.
pardinus conservé au Muséum d’Histoire naturelle de Perpignan
(MHNP.2008.0.123) sans date ni provenance. © didieR mARy/
Muséum d’Histoire naturelle de Perpignan.
D’après lAVAuden (1930) les deux autres régions qui auraient
abrité le lynx jusqu’au début du XXe siècle sont les Pyrénées
centrales au sud de Saint-Girons en Ariège et le massif du
Néouvielle, dont les nombreuses cavités auraient pu servir
de refuge au Lynx boréal, et plus à l’ouest les montagnes du
Béarn entre les vallées d’Aspe et d’Ossau (stAhl & VAndel
1998, cAp 2011, ARthuR 2014). D’après coutuRieR, c’est dans
cette dernière région que quatre lynx auraient été piégés par
toussAint sAint-mARtin entre 1920 et 1936, et qu’un individu
aurait été abattu au fusil par des bergers sur les flancs du Lurien
en vallée d’Ossau à Artouste en septembre 1957 (de beAufoRt
1968, stAhl & VAndel 1998). Le cadavre de cet autre
« dernier » lynx français aurait été identifié par un garde chasse
local de la fédération des chasseurs (sAint-GiRons 1968).
4.5. Indices de la fin du XXe siècle
Cinq ans plus tard, en septembre 1962, un squelette complet
de Lynx boréal est découvert dans le gouffre du col d’Aran entre
la vallée d’Aspe et d’Ossau par deux spéléologues, besson et
beRGez. Le squelette sera étudié par de beAufoRt (1965) qui
(13)
LE LYNX BORÉAL DANS LE SUD-OUEST DE LA FRANCE
conclut d’après l’état de conservation du spécimen qu’il s’agit
d’un squelette actuel de Lynx boréal qui ne remonterait pas à plus
de dix ans, contrairement à clot & eVin (1986) qui l’estiment
à plusieurs centaines d’années. Ce squelette, d’abord déposé
au Muséum d’Histoire Naturelle de Toulouse, a été transféré
par besson au début des années 2000 au musée d’Arudy où il
est toujours conservé dans une caisse (cAp 2011). Une analyse
génétique ainsi qu’une datation à partir de prélèvements
effectués sur ce squelette permettrait de confirmer ou infirmer
ce qui serait le dernier Lynx boréal autochtone de France.
D’autres signalements de lynx seront rapportés par la suite
(dendAletche 1976) tel qu’un individu aperçu hurlant au col
d’Aran au mois de janvier 1973 (chimits 1984), ainsi que des
photographies d’empreintes en vallées d’Aspe et d’Ossau entre
1967 et 1976 (Navarre 1976a). L’empreinte photographiée en
1967 sur un névé du Pic du Midi d’Ossau sera identifiée, d’après
les dimensions, comme celle d’un Lynx boréal par de beAufoRt
(1968). Durant la même période, d’autres restes osseux
sont découverts, avec un squelette incomplet, probablement
subfossile, dans le gouffre de Pène à Montégut dans les HautesPyrénées (clot 1970, clot & duRAnthon 1990) et un autre
en 1973 dans le puits Schatzi sur la commune d’Asson dans
les Pyrénées-Atlantiques (clot & besson 1974). Ce dernier
spécimen, au crâne complet attribué à du Lynx boréal, est
toujours conservé au Muséum d’Histoire naturelle de Toulouse
(Fig. 2) et nécessiterait une datation.
À partir des années 1980, les noyaux de population de lynx
supposés par Lavauden 1930 seront confirmés par le travail
de terrain et de compilation des témoignages de chAzel 1983,
1984, 1989, 1992. Cependant, en l’absence de preuves absolues,
chAzel reconnaît la disparition du lynx dans les Pyrénées
occidentales à partir de 1985 (chAzel 1991). Dans le même
article, l’auteur affirme que la population centrale ariégeoise
s’étendrait en Haute-Garonne par des observations indirectes
de plusieurs individus durant les années 1991 et 1992, or cette
région s’avère la plus largement prospectée par le Réseau Ours
(stAhl & VAndel 1998) et aucune trace indiquant la présence
de lynx n’y a jamais été trouvée (quenette et beRtRAnd com.
pers.), ni apportée par chAzel lui-même, notamment en ce qui
concerne le noyau oriental, qui fait figure de dernier refuge
pour le lynx dans les Pyrénées (chAzel et Al. 1996). En 1979,
au second colloque sur la grande faune pyrénéenne, JeAnpieRRe besson (1979) a présenté l’ensemble des 107 indices de
présence du lynx dans les Pyrénées rapportés entre 1750 à 1978
(ARthuR com. pers.), dont les plus significatifs sont listés dans
le tableau 2. Bien que sa survie reste encore débattue dans les
Pyrénées, et en l’absence de preuves, le Lynx (boréal et pardelle)
est considéré comme ayant disparu de notre région à la fin du
XXe siècle (stAhl et Al. 2006).
4.6. Le Réseau Lynx
Pour clore ce chapitre, il est nécessaire de rappeler que la
gestion du Lynx boréal en France a débuté par l’arrêté de
1972, qui protège l’espèce au niveau national. Du fait de la
colonisation naturelle du Jura français par quelques individus
réintroduits en Suisse et de la réintroduction dans les Vosges,
un Réseau Lynx a été créé en 1988. En 2001 il a fusionné
101
avec le Réseau Loup en réponse au recoupement des aires de
présence actuelle et potentielle de ces deux espèces et gagner
en efficacité. Les correspondants couvrent une moitié de la
France au sud d’une ligne allant des Vosges aux PyrénéesAtlantiques et appliquent une procédure commune de collecte
d’indices par le biais de fiches techniques. Ces dernières
sont centralisées et analysées ensuite de façon standardisée
par l’Office National de la Chasse et de la Faune Sauvage
(ONCFS). La synthèse réalisée en 2003 sur la répartition du
Lynx en France indique de façon certaine sa présence dans
les massifs du Jura, des Vosges et des Alpes (VAndel et Al.
2006). En 2010, des données ont également été collectées
dans les Monts du Lyonnais au nord-est du Massif Central.
En 2015, la population de Lynx boréal en Europe était estimée
à 10 000 individus, ce qui ne nécessite pas de protection
particulière selon l’UICN (bReitenmoseR et Al. 2015).
En 2017, la population de Lynx boréal était estimée à une
centaine d’individus en France, l’espèce a donc été classée
« en danger » sur la liste rouge des mammifères de France
métropolitaine, comme en 2009 (UICN France et al. 2017).
Puis en 2018, l’unité mixte Patrimoine naturel constituée de
l’Agence Française pour la Biodiversité, du Muséum National
d’Histoire Naturelle et du Centre National de la Recherche
Scientifique a actualisé la liste des espèces prioritaires pour
l’action publique en France, en corrigeant la tendance de la
population française de lynx passant de « en augmentation » à
« en diminution » en prenant en compte l’ensemble de son aire
de répartition française estimée à 8 700 km2 par le Réseau Lynx
en 2017 (dRouilly 2019b). Par comparaison avec le travail de
besson (1979) qui recense une centaine de données pour les
Pyrénées en plus de deux cent ans, stAhl et VAndel (1998)
en comptabilisent 1 200 pour le seul Jura entre 1974 et 1994,
et le réseau Lynx 1 084, entre 2014 et 2017 pour l’ensemble de
l’aire de répartition, ce qui ne plaide vraiment pas en faveur de
la survie du lynx dans les Pyrénées, et pourtant...
5. Données récentes de lynx en Occitanie
5.1. Des indices
Depuis la parution de l’Atlas des Mammifères de MidiPyrénées (cAp 2011), plusieurs observations de lynx ont été
recensées dans la région Occitanie. La plus retentissante est
celle de Fontjoncouse (Aude), où des photos effectuées de nuit
avec un téléphone portable ont été transmises le 6 avril par un
membre de la Fédération des chasseurs de l’Aude au Réseau
Loup-Lynx pour authentification (bAtAille 2013). Le verdict
fut dans un premier temps de valider l’observation, puisqu’il
s’agissait bien d’un lynx mais la localisation précise du cliché
restait incertaine, ainsi que l’espèce photographiée (Lynx
boréal ou pardelle). D’autres observations furent enregistrées
cette année 2012 dans l’Aude. Une première le 15 juin sur la
commune de Caudeval fut retenue par le Réseau, alors qu’une
deuxième le 8 août sur la commune de Lairière n’était pas
retenue en raison de divergences sur les critères distinctifs
de l’espèce (bAtAille 2013).Parallèlement en 2013 et 2014,
des articles parus dans Le Monde, La Dépêche du Midi,
L’Indépendant et Pyrénées Magazine recueillent les propos
102
HENRI CAP
de chRistiAn Riols, vice-président de la LPO Aude, qui fait
état de centaines d’observations de lynx dans l’Aude et les
Pyrénées-Orientales notamment par des habitants de ces deux
départements. Il explique que le lynx n’a jamais disparu et qu’il
aurait dû sa survie à la déprise agricole et à l’augmentation
de la surface forestière ces cinquante dernières années. Selon
lui des traces non validées ou non soumises au Réseau Lynx
auraient été découvertes dans la garrigue des Corbières à
partir de 300 m d’altitude jusque dans la neige à 2 000 m. Ces
déclarations sont relancées en 2013 par la parution sur le site
internet de L’Indépendant d’une photographie prise à plus de
2 000 m d’altitude dans une réserve naturelle des PyrénéesOrientales, qui montre un petit félin au pelage sombre et sans
taches, ni pinceaux de poils aux oreilles, assis sur un rocher et
sur sa queue, ou à la queue tronquée, la qualité de l’image ne
permettant pas de distinguer avec certitude entre un probable
Chat-forestier et un hypothétique Lynx pardelle. Après
vérification, cette photo était bien celle d’un Chat- forestier,
posé sur un rocher au milieu d’une lande à genêts purgatifs et le
site correspond à une crête d’un massif en Conflent (pompidoR
com. pers.). Cette photo a été réalisée par un randonneur
qui passait à proximité et qui l’a ensuite communiquée pour
détermination.
(14)
Figures 5a et 5b. Lynx pardinus. Cliché envoyé au Réseau Lynx en
2012 provenant de Fontjoncouse (Aude). Validé dans un premier
temps, il s’agit en fait d’une image arrêtée d’un documentaire
tourné en Espagne sur le Lynx pardelle
(© ONCFS Réseau Loup Lynx).
En 2014, la seule preuve concrète de la présence supposée de
lynx dans notre région correspondant à la photo de Fontjoncouse
de 2012, fut rejetée par le Réseau, car il s’agissait d’un canular
(Figs 5a et 5b), issu de l’arrêt sur image d’un documentaire sur
le Lynx pardelle filmé en Espagne (bAtAille 2014). Toujours
en 2014, d’autres observations localisées autour de la Cerdagne
(photographies) ont été soumises au Réseau mais non retenues.
Entre 2015 et 2018, plusieurs témoignages recueillis au
Muséum d’Histoire naturelle de Toulouse indiquent des
observations de lynx dans les Baronnies (Hautes-Pyrénées)
sans que la commune ne soit révélée, ainsi que des empreintes
incontestables observées dans la neige dans le massif du
Madrès au mois de mars 2015 (Figs 6a, 6b, 6c). Ces empreintes
de 8,5 cm de diamètre correspondent à celles d’un Lynx boréal
selon la littérature (de beAufoRt 1968) et de naturalistes
chevronnés (dAufResne & pompidoR com. pers.). D’après le
témoignage que j’ai pu recueillir, l’animal serait sorti de la
forêt, aurait cheminé longuement pour de nouveau, entrer en
forêt par un ravin. Dans le ravin, un deuxième individu de
taille plus petite l’a rejoint (empreintes de 7,5 cm de diamètre,
un juvénile ou une femelle adulte). Il se serait d’abord déplacé
par bonds de 1,50 m puis aurait marché et de nouveau fait un
bon mais cette fois-ci de 2,65 m. La voie supérieure à 1,15 m,
avec une empreinte ronde, sans griffe avec une dissymétrie sur
les pelotes avant n’est pas celle d’un Loup et encore moins
d’un Lièvre (sAlGues com. pers.). Même si ces traces évoquent
fortement un jeu amoureux entre un mâle et une femelle
(pompidoR com. pers.), il s’agit d’une preuve invérifiable
aujourd’hui, malheureusement.
En décembre 2018, de nouveaux clichés d’empreintes sont
effectués dans les Pyrénées-Orientales au Capcir. Il s’agit
d’empreintes plus petites mais dont la forme est identique
à la précédente. La seule échelle de taille est la main du
photographe, ce qui laisse supposer un diamètre compris
entre 5 et 6 cm, correspondant à la taille et à la forme du Lynx
pardelle (delibes 1980) qui serait à plus de 500 km de son
aire de répartition et dans un environnement qui n’est pas
méditerranéen. Dans tous les cas il ne peut s’agir de Lynx
boréal, mais vraisemblablement d’un Renard roux qui aurait
fait du trot en 2-2 décalé sans laisser de traces de ses griffes
dans la poudreuse (dAufResne com. pers.). Si l’on écarte cette
dernière fausse piste ainsi que celles présentées précédemment,
et que l’on se focalise sur la série de traces indéniables de Lynx
boréal de 2015 et l’observation de 2012 validée par le Réseau,
auxquelles s’ajoutent les centaines d’observations recueillies
depuis 30 ans par le naturaliste JeAn-pieRRe pompidoR, auprès
de chasseurs, éleveurs et pêcheurs du Languedoc-Roussillon,
dont celle d’un lynx adulte surpris devant une habitation dans
le Vallespir en 2017 (JAnssens com. pers.), il y a matière à
interrogation.
5.2. Une photographie troublante
Parmi tous ces indices, la photographie d’un individu adulte,
observé en plein jour dans le massif du Canigou en juillet 2007
(15)
LE LYNX BORÉAL DANS LE SUD-OUEST DE LA FRANCE
103
est de loin la plus troublante. Recueillie auprès d’un garde
forestier belge par fRedeRic sAlGues et JeAn-pieRRe pompidoR,
qui ont photographié le premier Loup observé au Madrès et le
premier Ours au Carlit, ce cliché n’a pas été retenu, mais qualifié
de « Canis lynx » par le Réseau Lynx du fait que l’image était
floue (Fig. 7) et que l’allure de l’animal ne correspondait pas
à celle d’un lynx, mais plutôt à celle d’un canidé. Pourtant, il
ne s’agit pas d’un autre canular puisque le lieu a été vérifié
(sAlGues com. pers.) et ce cliché trahit des mouchetures sur le
pelage, une queue courte ainsi que des oreilles triangulaires,
les pinceaux de poils étant peu visibles. Le problème est que
le morphotype général de cet animal (longueur des pattes, avec
une tête et un corps robuste) ne correspond pas à celui d’un
Lynx boréal ou pardelle actuel, mais plutôt à celui d’un chien,
ou à celui d’un Lynx d’Issoire reconstitué par kuRten 1978 en
plus ramassé, ou encore d’un Lynx des cavernes, ancêtre du
Lynx pardelle, qui aurait disparu dans la région il y a près de
30 000 ans. Dernière hypothèse s’il ne s’agit pas d’un chien,
et non des moins plausibles, ce pourrait être un hybride Lynx
pardinus x L. lynx, qui exprimerait un phénotype archaïque,
avec une couleur de pelage de type Lynx boréal, et le dessous
des pattes noires comme le Lynx pardelle. Ceci reste invérifiable
malheureusement à moins d’aller prospecter dans la zone, ce
qui a déjà été fait, ou de disposer d’un logiciel de correction
d’image (GonzAlez com. pers.). En attendant de disposer d’un
tel outil, ce potentiel indice de présence s’ajoute à tous les
autres listées dans le tableau 2, et à d’autres encore qui feront
l’objet d’une prochaine publication (pompidoR com. pers).
5.3. Absence ou présence ?
Dans tous les cas, il faut rester prudent, car aucune
preuve absolue n’atteste d’une présence certaine de lynx en
Occitanie. Nous adopterons d’ailleurs au sujet des indices de
présence le modèle développé en Suisse, avec trois catégories
de données (Bulletin n°16 du Réseau Lynx 2010) : les preuves
absolues (cadavre, poils analysés génétiquement, photo
interprétable), les preuves vérifiables qui sont vérifiées sur
le terrain (empreinte, attaque) par des personnes formées
comme les correspondants du Réseau Lynx, et les preuves
invérifiables (observations visuelles). Ainsi, malgré toutes
Figure 6a, 6b, 6c. Empreintes de Lynx boréal, Lynx
lynx, photographiées dans le massif du Madrès
(Ariège) en mars 2015 (© fRedeRic sAlGues & JeAnpieRRe pompidoR). Non retenues par le Réseau Lynx.
Figure 7. Lynx sp. (L. lynx, L. pardinus, ou hybride) ou Canis sp. dans
le massif du Canigou (Pyrénées-Orientales) en juillet 2007 (source
sAlGues & pompidoR). Non retenu par le Réseau Lynx.
104
HENRI CAP
ces « observations », aucun indice de présence matériel
(empreintes, poils, crotte, dépouille, squelette, attaque
imputable au lynx, piège photographique) n’a été retenu par le
Réseau Lynx pour les Pyrénées à ce jour. Le Réseau ne fournit
d’ailleurs dans son bulletin que les observations pour le Jura,
les Vosges ou les Alpes, endroits où la présence du Lynx
boréal est effective. Les seules exceptions auront été celles de
2012 avec la photo truquée de Fontjoncouse et l’observation
de Caudeval dans l’Aude.
Cette absence récurrente d’indice de présence de lynx
dans le Sud-Ouest, en comparaison des nombreuses données
collectées dans l’est de la France, laisse toujours supposer
qu’en 2019, le Lynx boréal (ou pardelle) est absent de la
chaîne pyrénéenne comme le suggère le dernier flash info du
bulletin d’information du Réseau Lynx du 31 juillet 2018, qui
montre une augmentation de la surface occupée par l’espèce
dans l’est de la France. Toutefois, la végétation ainsi que la
densité d’occupation humaine ne sont pas comparables, le
chêne kermès, Quercus coccifera, par exemple, qui est présent
dans les Corbières, rend impossible la découverte de dépouille
en dehors des sentiers du fait de son caractère impénétrable
et, bien que la présence du Loup gris, Canis lupus, dans
les Pyrénées soit avérée depuis vingt ans, aucune dépouille
n’a encore été découverte, hormis un vieil individu trouvé
mourant dans les Pyrénées-Orientales en 2019 (Gillodes
com. pers.). Face à ces incertitudes et tant que les témoignages
resteront nombreux, il est impossible d’exclure définitivement
la présence de lynx dans les Pyrénées.
6. Discussion
6.1. L’expansion du Lynx boréal
D’après l’ensemble des données rassemblées, il semble
évident que le lynx n’a pas livré tout ses secrets dans le sudouest de la France. Afin de progresser, il est indispensable de
mener une campagne de datations et d’analyses ADN sur les
restes de tous les lynx de notre région. Plusieurs muséums
d’histoire naturelle, comme celui de Toulouse conservent du
matériel qu’il serait temps d’étudier. Ces analyses confirmeront
ou infirmeront ce qui est supposé sur la date d’arrivée et de
possible extinction du Lynx boréal dans les Pyrénées.
Selon la seule datation effectuée à ce jour (clot 1988),
cette espèce adaptée aux forêts de résineux ou mixtes et aux
environnements rupestres de l’Eurasie est arrivée dans le
Sud-Ouest lors de la dernière glaciation du Würm, il y a près
de 40 000 ans, au moment du maximum glaciaire pour les
Pyrénées (AndRieu et Al. 1988). À cette époque l’arrivée de
nouvelles populations humaines aux techniques de chasse de
plus en plus perfectionnées a pu gêner son implantation, mais
pas au point de la faire disparaître, puisqu’elle a survécu au
moins jusqu’au XXe siècle.
Elle a aussi probablement dû sa survie au déclin de l’autre
taxon, Lynx pardinus, correspondant aux descendants des Lynx
des cavernes, qui occupaient déjà la région méditerranéenne
des Pyrénées-Orientales depuis près de 550 000 ans (moiGne
et Al. 2006). Au moment de leur première rencontre, si elle a eu
(16)
lieu autour de 40 000 ans, le Lynx pardelle archaïque ou Lynx
des cavernes avait déjà subi des transformations au niveau
de sa dentition, puisque tous les individus avaient évolué en
passant d’une dentition adaptée essentiellement à de grosses
proies de type Cervidés, au type trancheur « lagomorphile ».
Ils avaient subi parallèlement des transformations au niveau
de leur ossature, plus gracile, et probablement aussi de leur
comportement (cAp 2015).
Au nord de l’Espagne, et plus précisément dans les
Cantabriques, le Lynx boréal, dont l’aire de répartition était
en expansion, va rencontrer beaucoup plus tardivement
le Lynx pardelle, et le supplanter, il y a plus de 12 000 ans
(RodRiGuez-VARelA et Al. 2016). À cette époque, le Lynx
pardelle n’avait plus sa forme archaïque robuste comme une
partie de ses ancêtres mais une forme gracile spécialisée dans
la prédation de lagomorphes. En France, les fossiles de cette
forme moderne de Lynx pardelle ont tous été trouvés dans les
départements méditerranéens (Pyrénées-Orientales, Aude et
Hérault), alors que le Lynx boréal n’a jamais été retrouvé sous
forme fossile dans les Pyrénées à l’ouest de l’Ariège, mis à
part des restes du Pléistocène final de la grotte d’Estagel, dont
la détermination serait à confirmer (beRthet com. pers.). Ces
aires de répartitions qui épousent les aires biogéographiques
indiquent que les deux espèces ne se sont peut-être jamais
rencontrées, que ce soit dans les zones méditerranéennes qui
constituent le biotope du Lynx pardelle, ou dans les zones
atlantiques et alpines du nord-ouest de la Péninsule ibérique,
comme les Cantabriques, les Pyrénées atlantiques et centrales,
qui constituent le biotope du Lynx boréal. Pourtant, à la fin du
Pléistocène, avant l’arrivée du Lynx boréal, des populations
de Lynx pardelle occupaient déjà les Cantabriques et le
versant sud des Pyrénées ; elles ont donc été repoussées vers
le sud et remplacées par le Lynx boréal à l’Holocène (clAVeRo
& delibes 2013, RodRiGuez-VARelA et Al. 2016), alors qu’il
existait encore jusqu’à la fin du Pléistocène deux taxa rattachés
à Lynx pardinus, avec notamment la forme archaïque, ou Lynx
des cavernes, Lynx pardinus spelaeus, que le Lynx boréal a
peut-être aussi supplanté, en récupérant ses gîtes par exemple,
comme semble indiquer la figure 1 pour le Massif Central
ou les Pyrénées, à l’instar de ce qui s’est passé à la même
époque et au même endroit entre les Hommes modernes et les
Néandertaliens.
6.2. Devenir des Lynx des cavernes
Mais si en Espagne, le scénario évolutif de type anagénétique,
menant du Lynx des cavernes au Lynx pardelle, semble
plausible (RodRiGuez-VARelA et Al. 2015, boscAini et Al.
2016), il faut bien reconnaître que parmi les Lynx des cavernes
du sud de la France, certaines populations apparaissent
davantage comme un cul de sac évolutif (testu 2011). Ces
dernières n’ont probablement pas eu le même devenir que
dans la Péninsule ibérique, du fait de plusieurs facteurs,
comme la moins grande abondance du Lapin sur le versant
nord des Pyrénées, l’arrivée plus précoce du Lynx boréal et
une aire biogéographique méditerranéenne très réduite. De
plus, même si aucune donnée ne permet de l’affirmer, le Lynx
boréal et le Lynx des cavernes auraient pu s’hybrider lors
(17)
LE LYNX BORÉAL DANS LE SUD-OUEST DE LA FRANCE
du maximum glaciaire dans les Pyrénées et dans les régions
méditerranéennes, comme cela fut le cas entre les deux lignées
humaines.
6.3. Présence du Lynx pardelle
Que ce soit pour le sud-ouest de la France ou l’Espagne, et
bien que les principales populations de Lynx pardelle semblent
cantonnées au sud de la péninsule ibérique depuis le Moyen Âge,
les seules hybridations possibles avec le Lynx boréal auraient
été dans de petites populations de Lynx pardelle qui auraient
subsisté jusqu’à l’âge des métaux, et exceptionnellement
jusqu’au XXe siècle (clAVeRo & delibes 2013).
Dans tous les cas, l’histoire démographique du Lynx pardelle
semble caractérisée par quatre goulots d’étranglements révélés
par l’étude génétique des populations reliques actuelles du sud
de l’Espagne, dont la baisse de diversité génétique associée à
un déclin drastique des populations originelles, a accentué la
dérive génétique (AbAscAl et Al. 2016).
Le premier goulot d’étranglement se situerait durant le
Pléistocène moyen, entre 700 000 et 100 000 ans, lorsque
l’interglaciaire Mindel-Riss autour de 400 000 ans a pu créer de
nouvelles niches écologiques méditerranéennes exploitées par
une partie de la population de Lynx des cavernes ; les individus
ont alors développé une dentition plus simple et plus tranchante
adaptée à la prédation des lagomorphes (clAVeRo & delibes
2013).
La présence en abondance pendant le Pléistocène moyen
et final en Espagne et dans une moindre mesure sur la côte
méditerranéenne française jusqu’en Italie, de la principale
proie du Lynx pardelle, le Lapin de garenne (mARchAndeAu
et Al. 2006), explique la survie mais aussi l’évolution de Lynx
pardinus.
En effet, cette première sélection naturelle du prédateur
et de sa proie est suivie d’une deuxième chute majeure des
effectifs de populations des ancêtres du Lynx pardelle actuel
il y a 47 000 ans, au moment du maximum glaciaire pour les
Pyrénées, faisant passer la population ancestrale estimée à
27 000 individus à dix fois moins, soit 2 400 individus (AbAscAl
et Al. 2016). Cette baisse drastique du nombre d’individus
pourrait être lié au retour d’une période glaciaire, à la présence
croissante de l’espèce humaine, ainsi que l’arrivée du Lynx
boréal, ce qui cumulé a bien failli anéantir l’espèce. Absente
des registres fossiles dans le Sud-Ouest, elle n’apparaît (ou ne
réapparaît) qu’à l’Holocène à l’âge des métaux, au cours duquel
sa population n’a cessé de chuter, car elle était notamment
consommée par l’homme (ViGne & pAscAl 2006, cAllou
2011).
Enfin il y a 315 ans, la population se serait une troisième fois
fortement réduite pour atteindre 277 individus. La principale
cause serait la déforestation massive qui s’accentua jusqu’au
début du XXe siècle, pour atteindre moins de 100 individus il
y a quelques décennies (AbAscAl et Al. 2016). La raréfaction
de ses proies après l’introduction inconsciente du virus de la
myxomatose au milieu du XXe siècle a peut-être contribué
au dernier goulot d’étranglement pour l’espèce et pourrait
105
également expliquer la dernière diminution de son aire de
répartition, confinée aujourd’hui au sud de l’Espagne.
Ainsi la coexistence furtive des deux espèces actuelles
de lynx dans le sud-ouest de la France n’aurait pu avoir lieu
qu’à la fin du Pléistocène dans les Pyrénées-Orientales, et à
l’Holocène également dans l’Aude et l’Hérault, comme elle a
probablement eu lieu au nord de l’Espagne, des Cantabriques
jusqu’au versant sud des Pyrénées (clAVeRo & delibes 2013,
Jimenez et Al. 2018).
6.4. Des analyses complémentaires ?
Durant l’Holocène, il apparaît donc clairement que le
Lynx boréal est resté essentiellement cantonné aux régions
biogéographiques alpines et atlantiques ibériques et françaises
(Cantabriques et Pyrénées) et aurait quasiment déserté la
région méditerranéenne en France. Et inversement, le Lynx
pardelle se serait maintenu dans les régions biogéographiques
méditerranéennes où vivait sa principale proie, le Lapin de
garenne, ces deux contraintes biogéographiques et trophiques
expliquant la répartition actuelle et passée des deux espèces
de lynx pour la Péninsule ibérique et le sud-ouest de la France
(clAVeRo & delibes 2013).
Il reste à établir si les populations de Lynx pardelle qui
étaient présentes pendant l’âge des métaux dans les PyrénéesOrientales, l’Aude et l’Hérault, provenaient d’une expansion
des populations ibériques présentes depuis 35 000 ans en
Catalogne espagnole comme à Ermitons (tissoux 2004), ou
si elles correspondaient à des populations plus archaïques qui
auraient survécu au-delà de l’Espagne (RodRiGuez-VARelA et
Al. 2015). Cette dernière hypothèse pourrait expliquer la chute
conjointe des effectifs de Lynx pardelle et de leur diversité
génétique entre la fin du Pléistocène et le XVIe siècle (AbAscAl
et Al. 2016). L’isolement avec d’autres populations françaises
et italiennes aurait, au fil du temps, entraîné une interruption
du flux génique, du fait de l’éloignement ou de la disparition
de ces populations.
C’est en cela que l’analyse des deux crânes de lynx conservés
au Muséum d’Histoire naturelle de Perpignan est capitale. Si
leur détermination indique qu’il s’agit bien de Lynx pardelle
(ou d’hybrides) il s’agirait des spécimens les plus récents
trouvés pour cette espèce en France depuis près de 3 000 ans
(sommeR & benecke 2006, cAllou 2011).
De même il serait intéressant de dater et d’analyser
génétiquement le matériel attribué au Lynx pardelle dans le
gisement archéologique de la Balma de l’Abeurador à FélinesMinervois estimé à 12 000 ans (VAqueR com. pers.). D’autres
analyses pourraient déterminer l’ancienneté de la présence des
deux autres taxa de lynx de notre région, le Lynx des cavernes
et le Lynx boréal, avec la datation du matériel disponible, dont
le crâne conservé au Muséum d’Histoire naturelle de Toulouse
trouvé en 1973 à Asson dans les Pyrénées-Atlantiques (clot
& besson 1974).
Ces analyses permettraient aussi de dater la survivance de
ces espèces dans le Sud-Ouest. Pour le Lynx des cavernes, cela
concerne les restes osseux et des dents provenant de la grotte
106
HENRI CAP
de Ramandils à Port-la-Nouvelle (Aude), daté entre 77 000 et
94 000 ans (Rusch et Al. 2019), le crâne de Montoussé (HautesPyrénées), ou les canines provenant des grottes de Lherm et de
Massat en Ariège (clot & duRAnthon 1990). La détermination
spécifique du matériel d’autres sites, comme celui de la Crouzade
à Gruissan dans l’Aude, qui pourrait être du Lynx boréal (testu
2006), voire un hybride, est aussi nécessaire. Enfin, pour le
Lynx boréal, la datation du seul squelette complet découvert en
1962 dans le gouffre du col d’Aran s’avère prioritaire.
Les dernières analyses à mener concerneraient l’hypothétique
survivance de lynx dans notre région avec l’étude des poils
trouvés en 1982 par clAude beRducou en vallées d’Aspe et
d’Ossau qui seraient conservés à l’école nationale supérieure
d’agronomie de Toulouse et, la même année, par fRAnçois
klein au col de Sesques (ARthuR com. pers.), qui ont été donné
en 2005 au Muséum d’Histoire naturelle de Toulouse.
Pour les autres données troublantes (photographies et
empreintes) commentées dans cet article, plusieurs nouveaux
moyens devront être déployés pour vérifier ou analyser
ces indices de présence telles des techniques numériques
d’atténuation de divers types de flou sur des clichés
opportunistes, ou encore un recours aux analyses d’ADN
environnemental permettant d’identifier du matériel génétique
par simple prélèvement de substrat de traces supposées sur de
la neige ou de la boue (dAufResne & thebAud com. pers.), sans
omettre la prospection sur le terrain, malgré la grande étendue
de la zone, couvrant l’Ariège et les Pyrénées-Orientales. Ce
dernier département étant le moins prospecté par les réseaux
Ours et Loup Lynx qui se concentrent davantage sur les
Pyrénées centrales et occidentales (Gillodes com. pers.). Enfin,
même si la pose de pièges photographiques échoue jusqu’à
présent à révéler la présence du lynx, cette méthode de suivi des
populations demeure intéressante puisqu’elle a fait ses preuves
dans le nord-est de la France avec le Lynx boréal, et dans le
sud de l’Espagne avec le Lynx pardelle. Peut-être les pièges
photographiques ne sont-ils pas assez nombreux ou installés
aux mauvais endroits ? Faut-il compléter l’investigation
par une autre méthode, comme la repasse de cris d’appel au
moment du rut, qui s’est montré plus efficace que les pièges
photographiques dans le suivi des populations de Cervidés et
de Primates au Japon (enARi et Al. 2019) ? Seul l’avenir le dira.
(18)
pour l’Étude et la Protection des Mammifères et le WWF
France ont proposé à l’État qu’il mette en place un Plan National
d’Actions pour la conservation du Lynx boréal en France, dont
le but serait à court terme de renforcer les populations de Lynx
boréal du nord-est de la France jugées en déclin, mais aussi
d’envisager une réintroduction à moyen ou long terme dans
les Pyrénées et le Massif Central (dRouilly 2019a). Cependant
avant même d’envisager une réintroduction, et les difficultés
qu’elle engendrerait, la disparition du lynx (lequel ?) doit être
confirmée, ce qui n’est pas le cas, et conditionne l’identité de
l’espèce à réintroduire.
En effet, l’autre statut que pourrait avoir le lynx dans le
sud-ouest de la France tiendrait à la survivance de rares et très
discrets individus de Lynx boréal et/ou pardelle ou hybrides, ce
qui ne pourra être établi de manière certaine que le jour où une
dépouille, des poils, des excréments, ou un animal vivant seront
découverts. Car même si la disparition officielle de lynx dans
les Pyrénées remonte à près d’un siècle, le fait de passer aussi
longtemps inaperçu a été le cas en Italie, où après avoir « disparu »
depuis aussi longtemps que dans les Pyrénées, il serait réapparu
dans le nord du pays en 1982 à partir de populations de Suisse et
de Slovénie (loy et Al. 2019), mais aussi au centre de l’Italie,
dans les Abruzzes, situés dans la partie centrale des Apennins,
où sa survivance était supposée (tAssi & cAppiello 2003)
avant qu’il ne soit redécouvert en 2007 puis photographié en
2015. Cette réapparition fait d’ailleurs l’objet d’une polémique
reposant sur l’hypothèse d’une réintroduction clandestine. Plus
près des Pyrénées, comme un signe d’un possible renouveau, un
Lynx pardelle provenant du sud du Portugal a été capturé près de
Barcelone le 29 mai 2018 (Fig. 8), alors que la dernière capture
d’un Lynx boréal, en Catalogne espagnole, remontait à 90 ans.
Ainsi, bien que l’hypothèse de la survivance du lynx dans les
Pyrénées semble à priori peu crédible, celui à qui aurait profité
le plus cet anonymat s’avérerait être le lynx lui-même, quelle
que soit l’espèce, car il n’aurait eu que faire des législations
humaines ou des chercheurs de vérité, sa disparition officielle
ayant constitué pour lui sa plus grande protection...
Pour vivre heureux, restons cachés ?
Conclusion
Au-delà de la recherche d’un scénario évolutif pour les espèces
fossiles, que conclure si ce n’est d’envisager les deux statuts
possibles pour le Lynx boréal dans le sud-ouest de la France ?
Le statut officiel selon lequel l’espèce a disparu implique qu’une
réintroduction pourrait être envisageable. Une telle opération est
évoquée depuis quelques années en Espagne, où trois individus
stérilisés et munis de collier GPS seraient susceptibles d’être
relâchés dans le Val d’Aran, mais cela a été différée sous la
pression des éleveurs (Ruiz-olmo com. pers.). En France, Il est
évident qu’une telle décision devrait se faire en concertation
avec la population locale et notamment les éleveurs pour savoir
à quel endroit une réintroduction aurait le plus faible impact sur
leurs activités (ARthuR 2014). En 2019, la Société Française
Figure 8. Lynx pardelle, Lynx pardinus, âgé de 4 ans, venant du
sud du Portugal et suivi grâce à son collier GPS, capturé dans la
banlieue de Barcelone le 29 mai 2018 (© Agents rurals).
(19)
LE LYNX BORÉAL DANS LE SUD-OUEST DE LA FRANCE
RemeRciements
À GeoRGes GonzAlez et stephAne AulAGnieR (CEFS/INRA et UPS)
pour avoir relu et amélioré ce texte, à didieR mARy et AlexAndRe
mille (MHNP) pour leur aide concernant leurs collections, à JoRdi
Ruiz-olmo (Generalitat y Universitat de Catalunya) pour les données
espagnoles, ainsi qu’à miGuel delibes (Estacion Biologica de
Doñana) pour son expertise anatomique sur le crâne de Perpignan, à
AGnes testu (UPVD UMR 7194 HNHP) pour les données fossiles, à
fRedeRic sAlGues et JeAn-pieRRe pompidoR pour les photos d’indices
de présences actuels et à tAnGuy dAufResne (INRA) pour son aide
dans leur interprétation.
RéfeRénces
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J.l. RodRiGuez-Ales, J. Ruiz-oReRA, f. ReVeRteR, m. cAsAsmARce, l. soRiAno, J.l. ARAnGo, s. deRdAk, b. GAlAn, J. blAnc,
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