Catherine Miller, Alexandrine Barontini, Marie-Aimée Germanos, Jairo
Guerrero and Christophe Pereira (dir.)
Studies on Arabic Dialectology and Sociolinguistics
Proceedings of the 12th International Conference of AIDA held in
Marseille from May 30th to June 2nd 2017
Institut de recherches et d’études sur les mondes arabes et musulmans
De la mise en mots de la masculinité et de la
féminité en arabe marocain
Karima Ziamari et Alexandrine Barontini
DOI : 10.4000/books.iremam.4223
Éditeur : Institut de recherches et d’études sur les mondes arabes et musulmans
Lieu d'édition : Aix-en-Provence
Année d'édition : 2019
Date de mise en ligne : 24 janvier 2019
Collection : Livres de l’IREMAM
ISBN électronique : 9791036533891
http://books.openedition.org
Référence électronique
ZIAMARI, Karima ; BARONTINI, Alexandrine. De la mise en mots de la masculinité et de la féminité en
arabe marocain In : Studies on Arabic Dialectology and Sociolinguistics : Proceedings of the 12th
International Conference of AIDA held in Marseille from May 30th to June 2nd 2017 [en ligne]. Aix-enProvence : Institut de recherches et d’études sur les mondes arabes et musulmans, 2019 (généré le
20 avril 2019). Disponible sur Internet : <http://books.openedition.org/iremam/4223>. ISBN :
9791036533891. DOI : 10.4000/books.iremam.4223.
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De la mise en mots de la masculinité et de la féminité en arabe marocain
De la mise en mots de la masculinité
et de la féminité en arabe marocain
Karima Ziamari et Alexandrine Barontini
1. Cadrage
1
C’est d’abord à travers des études dialectologiques corrélées à des fins variationnistes que
la variable sexe/genre a été prise en compte, aussi bien au Maroc que dans le monde
arabe (Miller & Caubet 2010 ; Vicente 2009a, 2009b ; Bassiouney 2009 ; Al-Wer 2014 ;
Boucherit & Lentin 1989). La dimension phonologique est largement étudiée comme
pouvant amener un changement linguistique. Dans ces recherches, les femmes peuvent
apparaître comme celles qui initient cette dynamique de changement (par exemple : AlWer ibid. en Jordanie, Bassiouney ibid. en Égypte), ou bien, à l’inverse, elles peuvent se
révéler plus conservatrices (Sadiqi au Maroc).
1.1. Multilinguisme et statut des langues
2
Dans d’autres travaux, aborder le genre, c’est situer les pratiques dans un cadre
glottopolitique général exigé par la spécificité de la situation linguistique marocaine.
Selon Ennaji (2009 : 75) « Une étude du phénomène du genre au Maroc nécessite une
compréhension de la situation linguistique, et de la hiérarchie des langues en fonction
des sexes ».
3
Sadiqi est pionnière en la matière, son livre Women, Gender and Language in Morocco (2003),
présente une étude du genre en relation avec les langues au Maroc. Selon Sadiqi, le
multilinguisme génère des variations au niveau du genre. Les langues vernaculaires du
Maroc étaient (à l’époque) strictement orales et marginalisées, tandis que les langues
écrites avaient un pouvoir normatif considérable dans la société marocaine. Les femmes
analphabètes, plus souvent en milieu rural, maîtriseraient plus les langues dites orales (
Ibid. : 198). Alors que les femmes éduquées, plus souvent citadines, auraient plus de choix
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De la mise en mots de la masculinité et de la féminité en arabe marocain
et donc un répertoire linguistique multilingue qui les exposerait moins à la
discrimination que les femmes de milieu rural.
4
Dans cette perspective, l’amazighe, langue minorée et discriminée, serait une langue
féminine. De l’autre côté, le prestigieux standard arabe qui synthétise toute une culture
religieuse et lettrée serait une langue masculine. L’arabe marocain et le français seraient
des langues à la fois masculines et féminines.
1.2. Parlers masculins versus parlers féminins
5
L’approche « existentialiste » (cf. Dorlin 2008 ; Cameron 2005 ; Cameron & Kulick 2006)
considère la différence sexuelle binaire homme vs femme comme déterminante de façons
de parler féminines vs masculines.
Dans ce cadre, les hommes et les femmes ayant participé dès leur enfance à des
processus de socialisation différents et différenciés n’interpréteraient pas de la
même façon les ressources linguistiques dans l’interaction et seraient destiné-e-s à
un éternel malentendu dans la conversation. (Greco 2014 : 19).
6
Les études partant de ce postulat sont les plus importantes et les plus visibles au Maroc
(hormis les travaux essentiellement dialectologiques, on pourrait citer Sadiqi 2003 ;
Mouhcine 1997 ; Kharraki 2001 ; Hachimi 2001 ; Ziamari & Meskine 2014).
7
Ainsi, selon Mouhcine (1997 : 27), « le parler masculin » est considéré comme « la norme »
et :
Le parler féminin est considéré comme une “déviance”, un “défaut”.
L'appartenance à un groupe social “femmes” reconnu, le fait de parler dans un style
qualifié par la société de “spécifiquement féminin”, et de faire l'objet de stéréotypes
reconnus par la communauté comme étant des défauts, nous amène à dire que le
parler féminin est stigmatisé. (Ibid.).
8
Pour les linguistes qui ont travaillé sur cet axe, on isole certaines expressions ou certains
mots qui sont utilisés seulement par les femmes (Ibid. : 28). Elles seraient polies dans leur
discours, moins agressives que les hommes, et plus sensibles aux relations sociales
positives (Ennaji 2009 : 59). Bien sûr la plupart des linguistes insistent sur le fait que l’on
ne peut généraliser ces variantes féminines à toutes les femmes (marocaines en
l’occurrence).
1.3. Quand dire c’est être
9
Selon le paradigme de la performance, le genre n’est pas vu comme quelque chose que
nous sommes, c’est plutôt quelque chose que nous incorporons/que nous mettons en
œuvre et surtout qui est performé (Eckert & Mc Connell-Ginet 2003 : 10 ; Butler 2004,
2005).
Le paradigme de la performance est très influencé d’une part, par le féminisme de
la troisième vague de Butler (1990), De Lauretis (1991) et Kosofsky Sedgwick (1990)
dont les travaux ont radicalement questionné la dimension essentialiste et binaire
des catégories, et, d’autre part, par un ensemble de recherches issues du poststructuralisme et du postmodernisme ayant mis le langage au centre des processus
de construction du social. (Greco 2014 : 20-21).
10
Le genre pris dans sa dimension performative a été rarement pris en compte par les
travaux sociolinguistiques concernant le Maroc.
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De la mise en mots de la masculinité et de la féminité en arabe marocain
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Hors de la vision binaire, il ne s’agit donc pas de toujours associer sexe biologique et
construction du genre : le genre s’accomplit et s’affirme en discours (Barontini & Ziamari
2009). Compte tenu des diversités de répertoires à la disposition d’une personne et des
diversités de situations d’interaction, nous considérons que le genre est fluide. Une
femme peut se présenter discursivement comme homme, et vice versa.
2. Le corpus et les informateurs
12
Il s’agit d’environ quatre heures d’enregistrement (recueillis par Karima Ziamari de
janvier à mars 2017) auprès de trois hommes et huit femmes, âgés de 14 ans à environ 55
ans.
Tableau 1. Participant-e-s aux interviews.
3. Ce qui constitue la masculinité (ṛožōliyya)
13
Les interviewé-e-s ont été interrogé-e-s sur ce que signifie pour eux/elles la masculinité,
être un homme, la féminité, être une femme. Sans surprise, on retrouve une distribution
des représentations telle que le montre le tableau 2.
Tableau 2. Distribution des représentations.
Représentations positives / ṛāžəl
qualités
homme
ka-yxdəm ṛāžəl
mṛa u nəṣṣ
ṛožūla/ṛožōliyya
il se conduit en une femme et virilité,
homme
demie
masculinité
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De la mise en mots de la masculinité et de la féminité en arabe marocain
Représentations négatives / mṛa
défauts
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femme
māši ṛāžəl
ce n’est pas un
homme
ɛnība/ṣəlgōṭa
zāmal/qaḥba
minet / salope
pédé/pute
Les termes ṛāžəl, ṛožōla, ṛožōliyya, etc., ne renvoient pas seulement à la dimension
proprement masculine, mais également, dans un sens figuré, à des qualités qui se
trouvent associées à la virilité, telles le courage et la droiture (cf. Caubet 2016). Par
exemple, le dictionnaire Colin (Iraqui-Sinaceur 1993 : 606) indique pour le nom ṛāžəl : « 1.
avec pl. ržāl (…) homme (par opposition à femme) ; mari, époux. (…) 2. avec pl. ṛəžžāla.
homme digne de ce nom, homme de cœur, sur qui l’on peut compter, courageux, viril,
entreprenant. »
3.1. Un homme, c’est la parole
15
Avoir une parole et la tenir est indéniablement la principale caractéristique masculine
mentionnée chez tous les informateurs, tous sexes et tous âges confondus.
[1] Jamila : yəxdəm ṛāžəl « īh lla » əṛ-ṛāžəl məˤṛūf b « īh lla » mma « hādi ṣāfi waxxa »
Qu’il soit homme ! Oui, non ! L’homme est connu pour ça (sa parole), mais pas qu’il
dise oui d’accord
[2] Halima : « īh » nətqəbbəl-ha mən mṛa, ka-tkūn bḥāl dāba məšġūla ka-tkūn ma
msālya š lī-k ˀaṣlan f ḍāṛ-ha mgābla wlād-ha ma msālya š lī-k ntīya walākin ma nətqəbbəlha š mən ṛāžl-ək tgūli l-u l-ḥāža žīb lī-ya hādīk-əl-ḥāža u ma yžīb-ha lī-k š, lla
Oui, je l’accepte de la part d’une femme, elle peut par exemple être occupée elle
peut être prise, s’occuper de sa maison et de ses enfants, elle n’a pas le temps pour
toi mais je ne l’accepte pas de ton mari tu lui dis ramène-moi ce truc et il le fait pas
non.
[3] Karima : fūqāš əṛ-ṛāžəl ma ka-ykūn š ˤənd-u mawāqif rižāliya ?
Quand est-ce que l’homme perd ses postures masculines ?
Hakim : ˀīla kān kəddāb, ˀīla kān yəˤni matalan ma ˤənd-u š matalan əl-kəlma
S’il est menteur, si par exemple il n’a pas de parole
16
Un homme qui ne tient pas parole n’est pas un « homme » complet, il ressemble alors à
une femme. Or si l’on ne s’attend pas à ce qu’une femme tienne parole, ce serait, selon les
informatrices, à cause de ses nombreuses occupations et responsabilités (qui n’incombent
pas aux hommes). L’homme ne semble pas bénéficier des mêmes circonstances
atténuantes. S’il ne tient pas sa promesse, il peut même être comparé à une prostituée,
parce que celle-ci ne dit jamais non, figure ultime de stigmatisation. Et, selon cette
logique, la prostitution est réservée aux femmes.
3.2. Un homme a une forte personnalité
17
Tenir parole va avec l’affirmation de soi : avoir une forte personnalité est une autre
qualité masculine indispensable. Pour les adolescentes, avoir une forte personnalité pour
un garçon revient à éviter toutes les activités considérées comme féminines.
[4] Saida : ykūn ˤənd-u əš-šəxṣiyya ma ykūn š ka-ydīr dāk-əš-ši dyāl lə-bnāt
Qu’il ait une forte personnalité, il ne doit pas faire les trucs des filles
[5] Saida : ma yəbqa š ytəbbəˤ lli dāru əd-dərriyāt ydīr lli dāru əd-drāri
Il ne doit pas faire comme font les filles, il doit faire ce que font les garçons
Ines : ma ydīr š l’imitation
Qu’il évite d’imiter (les filles)
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De la mise en mots de la masculinité et de la féminité en arabe marocain
Saida : ykūn qādd ˤla ṛāṣ-u, ma ykūn š xəwwāf
Qu’il soit capable, et ne soit pas lâche
18
Pour Yasin, un homme doit faire preuve de générosité et doit aider les autres, sa ṛožōliyya
se manifeste dans son comportement social. C’est l’homme de cœur, sur qui on peut
compter.
[6] Yasin : əṛ-ṛužūla (rire) ta-yˤāwən ən-nās ṣāfi
La masculinité c’est aider les gens, c’est tout
[7] Karima : īla kānət mṛa ka-tˤāwən tkūn ṛāžəl
Si c’est une femme qui aide, on pourrait dire que c’est un homme ?
Yasin : māši ṛāžəl, ṛāžəl zəˤma, əṛ-ṛožūla f əl-qəlb
Ce n’est pas un homme, homme genre, la masculinité elle est dans le cœur.
3.3. Ce sont des postures (mawāqif) : être digne de confiance, être
responsable
19
Ainsi, la masculinité se caractériserait par des postures, des façons de se comporter, des
prises de positions : être digne de confiance (ce qui rejoint le fait de tenir parole), être
responsable, prendre ses responsabilités.
[8] Bilal : b ən-nisba l-i hiyya mawāqif, mawāqif, əṛ-ṛožūla hiyya l-mawāqif (…) hād-əšši lli kāyən tkūn šəxṣiyyt-ək qwiyya təfṛəḍ-ha ˤla ən-nās māši ḍˤīf
Pour moi, c’est des postures, des postures, la masculinité c’est les postures (…) C’est
tout, avoir une forte personnalité que tu peux imposer aux gens, tu n’es pas faible
[9] Loubna : əṛ-ṛužūla b ən-nisba l-i ər-ṛāžəl lli ma mkəlləf š b əl-məsˀūliyya d əḍ-ḍāṛ
ma mkəlləf š b əl-məsˀūliyya dyāl lə-mṛa ma mkəlləf š b əl-məsˀūliyya d əl-xədma b ənnisba lī-ya māši ṛāžəl ma xəddām ma rəddām ṛā-h māši ṛāžəl b ən-nisba l-i āna
La masculinité pour moi, l’homme qui ne s’occupe pas des responsabilités de la
maison, ne s’occupe pas des responsabilités de la femme, ne s’occupe pas des
responsabilités du travail, pour moi, l’homme qui ne travaille pas, ce n’est pas un
homme pour moi
Karima : w īla kān zwīn, u mḅōgəss u mbūdər ?
Et s’il est charmant, beau gosse et bien fait ?
Loubna : bla xədma bla wālu ?
Sans travail, sans rien ?
Karima : ih
Oui
Loubna : yəmši ˤənd ṃṃ-u yəgləs māši ṛāžəl (…) ṛožūlt-u hiyya yəwqəf mˤā-k b ˀayy
ṭarīqa kimma ka-ngūlu f əl-xāyba u əz-zwīna, māši yəwqəf mˤā-k ġēṛ f əz-zwīna u ygūl lək āna ṛāžəl lla xāṣṣ-u yəwqəf mˤā-k f əl-xāyba w əz-zwīna ka-yətsəmma hakkāk ṛāžəl.
yəxrəž yəxdəm ykāfəḥ u yžīb lī-k māši yəṣdəq nāˤəs f əḍ-ḍāṛ u tžīb lī-h u təmši təxdəm
u tgūl l-u āži ṛāžəl u nəṣṣ hāk bāš təmši tətqəhwa yəˤni māši ṛāžəl hādāk b ən-nisba lī-ya
māši ṛāžəl waxxa ddāy dāk-əl-ˀīsm əṛ-ṛožūla anna-hu ṛāžəl b ən-nisba lī-ya māši ṛāžəl
Qu’il reste chez sa maman, ce n’est pas un homme (…) Sa masculinité ça implique
qu’il t’aide de n’importe quelle façon comme on dit pour le meilleur et pour le pire,
qu’il ne soit pas là que pour le meilleur et te dise moi je suis un homme, non il doit
être avec toi pour le pire et pour le meilleur, comme ça c’est un homme. Il sort
travailler, il lutte et il t’aide, c’est pas qu’il reste endormi à la maison, et c’est toi qui
l’assistes, tu pars travailler et tu lui dis viens mon vrai homme, tiens de l’argent
pour aller prendre un café, donc ce n’est pas un homme ça pour moi, ce n’est pas un
homme même s’il porte ce nom, la virilité, qui fait que c’est un homme, pour moi il
ne l’est pas.
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De la mise en mots de la masculinité et de la féminité en arabe marocain
4. Ce qui ne constitue pas la rožōliyya : le concept de
ˤnība
20
21
Les adolescents avancent un autre concept et champ sémantique, plus difficile à traduire :
ˤnība, təˤnāb, tˤənnəb, mˤənnəb.
Il semble que ce soit une dérivation de ˤnəb, raisin, dans l’idée qu’il est sucré et se
présente toujours en grappe. Le terme est employé en rapport à la drague, pour désigner
un garçon doux, mou (féminin), flatteur, qui fait de la lèche, passe la pommade, efféminé
ou en tout cas toujours avec les filles/femmes, toujours entouré et beau parleur.
[10] Ines : min bayni əl-muṣṭalaḥāt əš-šabābiyya li ˤadam ər-rožūla hiyya t-təˤnāb
Parmi les concepts de la jeunesse de la non-masculinité (absence de masculinité)
c’est le fait de faire le minet
[11] Saida : bḥāl dāba wəld ma ka-yəhdəṛ š gāˤ mˤa əd-drāri aktariyya ka-yəhdəṛ mˤa
lə-bnāt wəld mˤənnəb
Par exemple un gars qui parle pas du tout aux garçons, il parle aux filles la plupart
du temps, c’est un garçon qui fait le minet
Ines : ˤnība
une petite minette
Karima : šnū yətˤənnəb ?
C’est quoi faire le minet ?
Ines : mˤəllək mˤəssəl
être « visqueux », mielleux
[12] Ines : ši-wāḥəd ka-yəbqa yətˤənnəb ˤla ši-bənt ka-yətləḥsəs ˤlī-ha ka-ywəlli bḥāl
ši-bnīta qəddām-ha ka-yəbqa yəhdəṛ mˤā-ha b wāhəd-əṭ-ṭarīqa māši dokūṛiya b wāḥədəṭ-ṭaṛīqa d əl-ˀināt ka-yəbqa ka-yətˤənnəb
Quelqu’un qui fait le minet vis-à-vis d’une fille, il commence à lui passer la
pommade, il devient comme une nana devant elle, il lui parle d’une façon qui n’est
pas virile, d’une façon efféminée il est en train de faire le minet.
Karima : a::h ka-yəbqa yətˀənnət ?
Ah d’accord, il est efféminé ?
Saida : lla māši muˀannat
Non, il n’est pas efféminé
Ines : wa lla ā ṣāḥəbt-i əṛ-ṛāžəl ka-yətˤənnəb ma ka-yəbqa š ykūn ˤənd-u əš-šəxṣiyya
« ḥbība » u kda ayy wəḥda ygūl l-ha hād-əl-həḍṛa !
Mais non mon amie, l’homme qui fait le minet il n’a pas de personnalité, « mon
amour » (prononcé d’une façon féminine exagérée) et tout à n’importe quelle fille il
lui dit ça comme ça !
[13] Ines : l-wəld huwwa lli ka-ngūlu l-u ka-yətˤənnəb
C’est le garçon dont on dit qu’il fait le minet
Karima : ˤlāš əl-bənt ma ngūlu l-ha ka-tətˤənnəb ?
Pourquoi on dit pas de la fille qu’elle fait la minette ?
Saida : əl-bənt ġādi təbqa tətbəˤ əd-drāri u tgūl l hāda nta beau gosse ?
La fille va suivre les garçons, les draguer, et dire toi tu es un beau gosse ?
Karima : īla dārət hākka?
Si elle faisait ça ?
Ines : māši t-təˤnāb ġīṛ t-tṣəḷgēṭ (rires)
C’est pas faire la minette, c’est seulement faire la pétasse
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De la mise en mots de la masculinité et de la féminité en arabe marocain
5. Ce qui constitue la féminité, représentations
associées aux femmes
22
Dans son article de 2011, Sadiqi fait une corrélation entre les expressions qualifiant une
femme et les stéréotypes socio-culturels propres au Maroc : la femme est associée à la
faiblesse, n’inspire pas confiance (2011 : 226). Ainsi qu’on l’a vu dans les extraits du
corpus relatifs à la parole tenue, les stéréotypes associés aux femmes restent très négatifs
et constituent une certaine forme de violence contre elles (Ziamari & Meskine 2014).
23
Toutefois, les représentations exprimées par les interviewé-e-s se révèlent à la fois plus
pragmatiques et plus complexes que la vision binaire courante.
24
Asmae insiste sur les capacités propres des femmes et refuse de leur reconnaître un côté
masculin, surtout quand il s’agit de qualités que, par conséquent, on ne pourrait pas
mettre du côté féminin. Elle exprime aussi ici une vision bien différenciée des deux sexes.
[14] Asmae : mə-qbīla u huwwa ka-yəḍṛəb l-mṛa məskīna l-mṛa ˀīla fī-ha əl-ḥāža
məzyāna ka-ttənsəb l əṛ-ṛāžəl, əṛ-ṛožūla u l-mṛa rā-ha mṛa fī-ha kull-ši
Depuis tout à l’heure il critique la femme, la pauvre, on attribue les points positifs
de la femme à l’homme, à la masculinité, alors que la femme, la femme elle a tout
Karima : kīfāš ?
Comment ?
Asmae : l-mṛa fī-ha əl-ˀunta fī-ha žānib ˀuntawi fī-ha əl-mawāqif fī-ha əl-məsˀūliyya fīha u ṛā-h mṛa lla mazāl bāš nsəllṭu ˤlī-ha u ngūlu fī-ha wāḥəd-əl-žānib d əṛ-ṛožūla kīfāš
hāda tanāqod ˤlāš li-ˀanna hiyya mṛa ˤlāš ndəxxlu fī-ha əṛ-ṛāžəl ? ka-ngūlu hād-əlmawāqif īdan xdāt-u mən əṛ-ṛāžəl yəqdər ykūn rəbbā-ha ṛāžəl u ˤəlləm-ha dāk-əš-ši bāš
tkūn f əl-mawāqif walākin…
La femme a tout, un côté féminin, une femme dans ses postures, la responsabilité et
elle reste une femme, pour la dominer on dit qu’elle a un côté masculin, comment ?
C’est une contradiction. Pourquoi ? Parce que c’est une femme, pourquoi l’associer
à l’homme ? On parle de postures qu’elle prend de l’homme, possible qu’elle soit
élevée par un homme qui lui a appris ça, pour qu’elle ait des postures mais…
Karima : les valeurs hūma ?
Les valeurs, c’est ?
Asmae : təbqa mṛa f mawāqif-ha mṛa f ˀunūt-ha mṛa āna lli ma məttāfqa š mˤā-h ˤlāš ka
yədxəl əṛ-ṛāžəl f əl-mṛa l-mṛa b qrāyət-ha l-mṛa b ˤamal-ha l-mṛa b ˀunūt-ha
Elle reste femme dans ses postures, une femme quand elle est féminine, c’est une
femme, moi, je ne suis pas d’accord sur le fait qu’on associe toujours le masculin à la
femme, c’est une femme avec ses études, femme avec son boulot, femme avec sa
féminité
25
Certaines informatrices insistent aussi sur les capacités, le fait d’être capable, et
respectable.
[15] Loubna : mṛa hiyya ka-tkūn qādda b ṛāṣ-ha qādda b ḍāṛ-ha qādda b wlād-ha qādda b
xdəmt-ha qādda b kull-ši ka-ttsəmma mṛa u nəṣṣ
Une femme, elle s’occupe d’elle-même, s’occupe de sa maison, elle est capable de
s’occuper de ses enfants, de son travail, capable de tout, c’est celle qu’on appelle
une femme et demie
[16] Rabia : lə-mṛa məskīna mḥəmmla kull-ši l-mṛa kull-ši ˤlī-ha ˤlāš ka-ygūl hādi mṛa::::
wa ṛā-ha mṛa ! ṛā-h xāṣṣ-hum ygūlu l-ha əṛ-ṛāžəl amma əṛ-ṛāžəl ygūlu l-u l-mṛa li-ˀanna
lə-mṛa ˤənd-ha əl-kəlma ˤənd-ha ˀayy ṭaṛīqa ˤənd-ha
La femme la pauvre, elle supporte tout, tout repose sur la femme, pourquoi on dit,
ça c’est une vraie femme ! C’est une femme évidemment, on doit la surnommer
homme, or l’homme doit être surnommé femme parce que la femme tient sa parole,
elle l’a (la parole) quoi qu’il en soit
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7
De la mise en mots de la masculinité et de la féminité en arabe marocain
[17] Karima : walākin ˤlāš hūma ka-ygūlu əṛ-ṛāžəl hūwa kull-ši ?
Mais pourquoi on dit que l’homme c’est tout ?
Rabia : ma kāyən š əṛ-ṛāžəl huwwa kull-ši ki ṛ-ṛāžəl ki lə-mṛa u dāba wəlla əd-dərk ˤla
l-mṛa ktəṛ mən əṛ-ṛāžəl
Ce n’est pas vrai, l’homme ce n’est pas tout, l’homme est comme la femme, et
maintenant la femme est plus sollicitée que l’homme
Karima : bḥālāš ?
Comment ?
Rabia : b ˀayy ṭarīqa, b əl məṣṛūf, b əl xədma, b ət-tˤəb d əḍ-ḍāṛ
De n’importe quelle façon, côté ménage, côté travail, côté corvées de la maison
26
Rabia va plus loin encore, pour elle, de par les responsabilités qu’elle assume (Rabia le vit
ainsi elle-même), une femme vaut plus qu’un homme.
[18] Rabia : wərrīw-na bāš ṛāžəl ? bāš ṛāžəl ? wəḷḷāh īla wəllāw lə-ˤyālāt ḥsən mən əṛṛāžəl ma ˤənd-hum š msākən qīma walāyənni ḥsən mən əṛ-ṛžāl hūma ma ˤənd-hum š
msākən qīma u ḥəqq-hum ḍāyəˤ ˤənd ḷḷāh ma ḍāyəˤ š waxxa yəddī-h əl-ˤəbd ḷḷāh ma
yḍəyyəˤ-hum š ḷḷāh ˤāṭī-hum əš-šožāˤa məšḥāl mən məṛṛa dāk-ən-nhāṛ āna žāya žibba
ˤāmṛa ġīṛ b əž-žadārmiyyāt yžəbd-u əṣ-ṣlāḥ hādu ġa ˤyālāt wa fīn ā huwwa əṛ-ṛāžəl ?
Montre-nous comment tu es un homme ? Homme comment ? Je te jure que les
femmes sont devenues meilleures que les hommes, certes on ne leur reconnaît pas
de valeur les pauvres mais elles sont mieux que les hommes. Elles n’ont pas de
valeur les pauvres et leurs droits sont perdus, pas perdus pour Dieu, mais perdus
avec les humains, Dieu leur a donné de la bravoure, combien de femmes sont
braves, l’autre fois j’ai vu une jeep pleine de femmes gendarmes avec des armes et
tout, celles-là ne sont que des femmes, alors où est l’homme ?
6. La masculinité ou la féminité ne sont pas
biologiques
27
Enfin, certains interviewé-e-s formulent des définitions de la masculinité/féminité non
pas biologiques et essentialisantes mais bien fluides, performatives, interactionnelles,
sociales. Tel que Yasin l’exprime dans l’extrait [7] : « əṛ-ṛožūla f əl-qəlb », la masculinité
est dans le cœur, ce dernier compris comme le siège symbolique (et non organique) du
comportement et la « masculinité » comme une qualité exprimable par chacun-e, le
terme étant à comprendre avec les sens de courage, civilité.
[19] Bilal : b ən-nisba l-i hiyya mawāqif, mawāqif, əṛ-ṛožūla hiyya l-mawāqif
Pour moi, c’est des postures, des postures, la masculinté c’est une question de
postures
Karima : yəˤni ykūn l-mṛa ṛāžəl ?
Donc la femme peut être un homme ?
Bilal : īh, ši-bəˤḍ-əl-xəṭṛāt tkūn lə-mṛa ṛāžəl īla kān ˤənd-ha l-mawqif dyāl-ha u əššəxṣiyya dyāl-ha
Oui, des fois, la femme est un homme si elle a des postures et une forte personnalité
[20] Rabia : əṛ-ṛožūliyya hādi u əṛ-ṛožūliyya wəḷḷāh īla ṛā-ha mṛa u ṛāžəl hādīk māši mṛa
āna ka-ygūlu ˤlī-ya mṛa u ṛāžəl dāba ka-nˤərfū-k māši mṛa b əl-kəlma ˤənd-ək əl-kəlma
d əṛ-ṛožūla li-ˀanna nti ḥsən mən əṛ-ṛāžəl ka-nṣēftū-k l əl-bḥāyər ka-tˤəṛfi šnū ta-tdīri,
ka-nṣēftū-k l əl-kīlōyāt ka-tˤəṛfi šnu tdīri, āna l-bṭāṭā f l-āṛḍ ka-nəˤṛəf məšḥāl ka-nəˤṭē-h
əl-qadār məšḥāl ġādi təˤṭē-h
La masculinité celle-là, la masculinité je te jure que c’est une femme et un homme,
ce n’est pas seulement une femme, on dit que je suis à la fois une femme et un
homme, on me dit on te connaît, tu n’es pas une femme parce que tu tiens ta parole,
tu as la parole d’un homme, toi tu es mieux qu’un homme, on t’envoie dans des
endroits tu sais ce que tu fais, on t’envoie peser la marchandise, tu maîtrises, tu es
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De la mise en mots de la masculinité et de la féminité en arabe marocain
compétente, moi la pomme de terre est encore dans la terre, je peux lui donner une
idée de combien ça va donner.
7. Synthèse
28
Avec ces entretiens et les extraits présentés, nous n’avons pas cherché l’exhaustivité. Ces
discours situés nous renseignent néanmoins sur une part des représentations et des
termes associés au masculin et au féminin au Maroc, aujourd’hui.
29
On note une certaine continuité avec des sens et des réalités sociales déjà recensés dans
d’autres travaux, mais également de nouveaux termes et concepts comme ˤnība et ses
dérivés.
30
Les visions essentialisantes autant que fluides traversent les discours de tous les
interviewé-e-s : jeunes et moins jeunes, femmes et hommes. Cela étant, les
représentations globales restent partagées entre un pôle positif du côté du masculin et un
pôle négatif du côté du féminin – mais les deux pôles interagissent entre eux –, tout en
nous confirmant les transgressions possibles de l’ordre social sexué.
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RÉSUMÉS
Au Maroc, les gender studies en sociolinguistique sont jeunes. Les paradigmes de la domination et
de la différence, selon lesquels les femmes ne parleraient pas comme les hommes et
respectivement, ont largement orienté les études linguistiques (dialectologiques) des gender
studies. Une autre perspective est celle de la performance, plus fluide et interactive. Le genre
n’est pas vu comme quelque chose que nous sommes, c’est surtout quelque chose que nous
incorporons/que nous mettons en œuvre et surtout qui est performé (Eckert and Mc ConnellGinet, 2003 : 10). C’est dans ce cadre que nous nous situons. Notre objectif consiste à interroger
« la performance de genre » (Butler 2004) – dans la mesure où les énoncés performatifs ne sont
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De la mise en mots de la masculinité et de la féminité en arabe marocain
pas les seuls à pouvoir signifier et agir, les actes du corps et le discours, aussi, deviennent
performatifs – à travers la mise en mots et en discours de la masculinité et de la féminité.
A partir d’entretiens menés, en arabe marocain, avec des femmes et des hommes marocains, nous
analyserons, d’un point de vue linguistique et sociolinguistique, comment ces deux concepts sont
nommés, définis, reconnus, identifiés, faits et défaits, par les locuteurs/locutrices.
INDEX
Mots-clés : Gender studies, sociolinguistique, performativité, masculinités, féminités, arabe
marocain
AUTEURS
KARIMA ZIAMARI
Faculté des Lettres de Meknès (Maroc), GRAL / Inalco (Paris), LaCNAD
karima_ziamari@yahoo.fr
ALEXANDRINE BARONTINI
Inalco (Institut National des Langues et Civilisations Orientales), LaCNAD
alexandrine.barontini@inalco.fr
Inalco, 65 rue des Grands Moulins, 75013 Paris
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