Le nouveau
national-populisme
Pierre-André Taguieff
Le nouveau
national-populisme
CNRS ÉDITIONS
15, rue Malebranche - 75005 Paris
© CNRS ÉDITIONS, Paris, 2012
ISBN : 978-2-271-07270-2
Ce qu’on appelle « le populisme » n’appartient pas
aux conseillers en communication ni aux commentateurs spécialisés, journalistes ou politologues médiatiques, voués à commenter les enquêtes d’opinion et les
résultats électoraux. Depuis le début des années 1990,
lancé en France par la mise en scène spectaculaire de
l’affrontement Tapie-Le Pen, le mot « populisme » scintille. Il séduit toujours les amateurs de notions floues
applicables à un ensemble indéfini de phénomènes. Et il
comble les « terribles simplificateurs » qui emploient les
mots politiques comme des massues. C’est pourquoi ses
utilisateurs n’éprouvent jamais le besoin de le définir,
encore moins de le construire comme un concept opératoire ou un modèle d’intelligibilité des phénomènes
politiques. Le mot n’appartient pas non plus seulement
aux historiens ou aux sociologues spécialisés dans
5
Pierre-André Taguieff
Le nouveau national-populisme
l’étude des partis ou des mouvements dits populistes,
s’efforçant de jeter des ponts entre leurs analyses des
formes culturelles et politiques du populisme. Comme
le mot « fascisme » naguère, « populisme » a conservé
dans les travaux savants qui l’utilisent pour désigner
leur objet la charge polémique et la fonction accusatoire caractérisant ses emplois dans le langage politique
et médiatique courant. L’historien Maurice Agulhon,
s’interrogeant en 1997 sur le succès alors récent du mot
« populisme », formulait comme une hypothèse qu’« il
faut bien un mot pour désigner la famille des démagogues dangereux ». Dangereux bien sûr pour « la démocratie » C’est là supposer qu’au « bon » usage du peuple
par les « démocrates » authentiques s’oppose un « mauvais » usage du peuple par les « faux » démocrates qui
sont de vrais démagogues. Les premiers sont censés
défendre les libertés démocratiques, les seconds être
mus par des pulsions ou des projets autoritaires. Dans
un cas, l’amour du peuple est une vertu, dans l’autre un
vice, un simulacre, une ruse plus ou moins perverse. La
démophilie apparaît dès lors comme ambivalente : jugée
« bonne » lorsqu’elle « monte » vers l’idéal démocratique
(ou républicain), « mauvaise » lorsqu’elle « descend » ou
« dévie » vers la dictature. Quoi qu’il en soit, il apparaît
d’entrée de jeu qu’on n’échappe pas aux jugements de
valeur ni aux représentations manichéennes lorsqu’on
emploie aujourd’hui le mot « populisme ».
Dans ses usages ordinaires, qui renvoient à des phénomènes n’ayant plus rien à voir avec le populisme des
intellectuels que fut le « populisme russe », le terme
évoque aujourd’hui deux ensembles de représentations
distincts : d’une part, ce qu’il est convenu d’appeler,
en éprouvant ou en affectant la crainte et le tremblement requis, « l’extrême droite », dans ses manifestations avérées ou supposées en Europe, et, d’autre part,
les questions posées par « la démocratie », questions de
philosophie politique, de théorie politique et d’anthropologie politique, ouvrant un espace de discussions où
l’idée de « démocratie directe » est revenue à l’ordre du
jour, notamment à propos du recours aux procédures
référendaires ou des pratiques de démocratie délibérative ou participative, notamment au plan local. Mais il
faut reconnaître que les philosophes, à quelques rares
exceptions près (dont Chantal Delsol), se sont gardés
d’aborder sérieusement cet objet de pensée aux contours
mal définis, présentant le désavantage de ne pas faire
partie des notions classiquement discutées par les philosophes politiques. On passera charitablement sur les
philosophes de comptoir qui assènent avec le plus grand
sérieux que le populisme, c’est l’émotion, alors que la
6
7
Pierre-André Taguieff
démocratie, c’est la raison. Comme on devrait le savoir,
le recours à l’émotion, ou plus exactement à l’affectivoimaginaire, se rencontre partout dans la communication politique.
Il en va de même pour l’opposition entre opinion et
savoir, entre doxa et connaissance vraie (ou rationnelle) :
à l’exception des doux utopistes qui pensent qu’une politique scientifique est possible, totalement indépendante
du champ des opinions, tous les démocrates raisonnables
savent que les populistes et leurs ennemis sont voués à
rivaliser de séduction et de persuasion au sein du règne
de l’opinion. Les populistes ne sont pas plus du côté de
l’opinion que leurs concurrents et adversaires, qui fabriquent leurs programmes l’œil rivé sur les résultats des
sondages. Mais le mot « populisme » a pris le pli de ses
usages péjoratifs qui, depuis les années 1980, ont chassé
ses autres et anciens usages non dépréciatifs (désignant
un mouvement vers le peuple, un intérêt culturel pour
les « petites gens », etc.). On connaît les jeux d’étiquetage soumis aux lois non écrites du subjectivisme, qui
font désormais valser les qualificatifs « populaires » et
« populistes », comme l’a souligné le politiste Jean Leca :
« Quand je suis d’accord avec les opinions “raisonnables”
du peuple, celles-ci sont populaires. Quand je ne suis pas
d’accord, elles sont populistes et je tiens qu’elles lui sont
Le nouveau national-populisme
inculquées par de mauvais bergers, analogues aux démagogues retournant les foules antiques, qu’il est, hélas !,
prédisposé à écouter dans certaines circonstances. »
Ceux qui prétendent étudier « le populisme » ou « les
populismes » sont principalement les spécialistes, chercheurs avérés, journalistes ou experts de plateaux télévisés, de « l’extrême droite », catégorie floue à l’extension variant suivant les figures d’ennemis qu’il s’agit de
stigmatiser. Pour la plupart d’entre eux, ils sont passés
d’un objet à l’autre, sans modifier le moins du monde
leurs instruments d’analyse, ni leur point de vue militant, qui les conduit à diaboliser, avant toute enquête, ou
malgré les résultats de leurs enquêtes, tout ce qui leur
paraît mériter d’être baptisé « populiste ». Ils visent en
priorité les « mauvais guides » ou les « mauvais bergers »
que seraient les leaders populistes, dénoncés comme
des démagogues sans scrupules. Comme si tous les
leaders déclarés non populistes étaient de bons guides
ou des gouvernants sages, compétents et responsables.
Chez les élites arrogantes et émancipées vivant dans
un espace sans territoires ni frontières, l’usage accusatoire du terme « populisme » va souvent de pair avec
un mépris du peuple, un mépris affiché doublé d’une
crainte des mauvais penchants prêtés à ceux qui restent
attachés à leur patrie, se sentent enracinés et héritiers
9
Pierre-André Taguieff
d’une longue histoire, et veulent conserver leur identité
culturelle.
Les élites dirigeantes de droite et de gauche ont abandonné le peuple, ou plus exactement le « petit peuple »,
la plèbe ou la « partie basse » du peuple (ouvriers,
employés, etc.), qui ne les intéresse plus. La « démophobie » des élites, par-delà la distinction gauche/droite, est
allée de pair avec leur conversion à la néo-religion de « la
diversité ». Le mépris du peuple s’est traduit par la diffusion d’une nouvelle figure située à l’intersection de la
« foule dangereuse » et des inquiétants « petits Blancs »
lyncheurs par nature : le « prolo » de souche, le « beauf »,
supposé brutal, « réac » et raciste. En France, il est censé
voter pour le Front national. Ce qui est confirmé par
les enquêtes d’opinion et les résultats électoraux depuis
le début des années 1990. Les classes populaires ont
été poussées vers le Font national, puis accusées d’être
tendanciellement lepénistes. Dans le monde ouvrier, la
perte de confiance et l’extension de la défiance vis-àvis des grands partis se sont traduites par l’abstention
ou le vote Front national : fin novembre 2011, les résultats d’un sondage sur les intentions de vote des ouvriers
au premier tour de l’élection présidentielle plaçaient
Marine Le Pen en tête avec 43%, devant Nicolas Sarkozy
(22%) et François Hollande (20%). Le phénomène a été
10
Le nouveau national-populisme
analysé et catégorisé par certains politistes entre 1995
et 1999 : « gaucho-lepénisme » (Pascal Perrineau), voire
« ouvriéro-lepénisme » (Nonna Mayer). Dès lors, être
antiraciste, c’était être antilepéniste. C’était postuler que
le « racisme populaire » était en quelque sorte monopolisé, exprimé et exploité politiquement par un seul parti,
le Front national, le type même du parti d’extrême droite.
Les choses se sont compliquées lorsque la caractérisation
de son leader comme « populiste » s’est diffusée comme
une nouvelle évidence dans l’espace médiatique. Être
antilepéniste signifiait désormais être antipopuliste.
« Extrême droite » et « populisme » :
idées reçues et fausses évidences
Lorsqu’on explore la littérature contemporaine sur
« le populisme » ou « les mouvements populistes », on
tombe inévitablement en effet sur des analyses portant
sur « l’extrême droite » ou « l’extrémisme de droite ».
L’expression « extrême droite », longtemps employée
comme simple équivalent de « fascisme » ou de « néofascisme », ne relève pas de l’histoire des idées ou des
doctrines politiques, mais de l’histoire des discours de
propagande et de contre-propagande. Elle appartient à
l’espace des écrits polémiques et pamphlétaires, où sa
signification devenue courante a été fixée dans l’entredeux-guerres, pour qualifier et stigmatiser les mouvements nationalistes autoritaires qui, assimilés au fascisme
italien ou au nazisme, ont été baptisés « fascistes », sans
13
Pierre-André Taguieff
Le nouveau national-populisme
faire de détails. Cette grosse catégorie polémique de
« fascisme » n’avait guère d’autre contenu idéologique
qu’un anticommunisme inconditionnel. Du côté antifasciste, on reconnaissait principalement les « fascistes »
à leur anticommunisme fanatique, plutôt qu’à leur rejet
méprisant de la démocratie libérale/pluraliste. Cette
caractéristique s’est transformée en trait définitionnel
de « l’extrême droite », dans un contexte où, en France,
se multipliaient les ligues opposées aux partis de gauche,
puis au Front populaire.
Dans la période post-nazie, l’anticommunisme est
resté le principal dénominateur commun des groupements politiques identifiés comme d’« extrême droite »,
jusque dans les années 1980. Au cours des deux dernières
décennies du xxe siècle, cette désignation politique
courante, « extrême droite », est devenue un synonyme approximatif de « droite radicale », expression
plus récente et plus élégante, mais à la signification tout
aussi floue. Empruntée aux sociologues américains qui,
tel Daniel Bell, l’ont appliquée à la droite anticommuniste illustrée par le maccarthysme, elle constitue elle
aussi une étiquette polémique plutôt qu’une catégorie conceptuellement élaborée ou un modèle d’intelligibilité utilisable dans les travaux savants, relevant
de l’historiographie ou de la science politique. Cette
catégorisation péjorante est pourtant utilisée dans le
discours médiatique et dans certains écrits savants
comme si elle constituait une notion claire, capable de
conceptualiser correctement son objet. La fausse clarté
de la catégorie « extrême droite », relayée par celle de
« droite radicale », aura constitué le principal obstacle
devant les tentatives d’analyser les formes émergentes
d’une contestation globale non marxisante des sociétés contemporaines. Elle conduit à postuler que les néopopulismes de droite européens, réduits à des rejetons
de la vieille extrême droite, sont une « menace pour la
démocratie », alors qu’ils sont d’abord un symptôme
du malaise démocratique, une expression de la crise
de confiance dans les démocraties pluralistes ou de la
crise de la démocratie représentative, dans le double
contexte d’une Europe elle-même saisie par une grave
crise multidimensionnelle et d’une globalisation incontrôlée dévoilant ses effets négatifs. Alors que l’extrême
droite classique, mue par un anticommunisme démonologique, représentait une « pathologie normale »
des démocraties occidentales modernes, les nouveaux
populismes identitaires européens expriment plutôt
une « normalité pathologique » (Cas Mudde), en ce
qu’ils radicalisent les valeurs majoritaires ou dominantes dans une Europe droitisée.
14
15
Pierre-André Taguieff
Le nouveau national-populisme
On ne clarifie pas en effet la question en substituant « droite radicale » à « extrême droite » ou « droite
extrême », ni « radicalisme de droite » à « extrémisme de
droite ». En quoi la « droite radicale » est-elle radicale ?
Les utilisateurs ordinaires de l’expression sont incapables de répondre clairement à cette question simple.
Ils hésitent entre quatre positions, qu’ils peuvent aussi
mélanger : 1° la « droite radicale » serait radicalement
de droite, elle réaliserait le concept pur de « la droite »,
elle serait donc la vraie droite (c’est-à-dire, du point de
vue de ses ennemis : xénophobe, nationaliste, raciste,
antisémite, passéiste ou archaïque, conservatrice, réactionnaire, etc.) ; 2° elle serait une droite aussi intransigeante que sectaire et intolérante (donc non libérale,
hostile à la discussion et au compromis) ; 3° elle serait
une droite autoritaire et violente, capable de faire appel
à la violence pour s’imposer ou se conserver au pouvoir
(donc non respectueuse, sinon, tactiquement, des procédures de l’élection démocratique) ; 4° elle serait une
droite populiste (donc démagogique, flattant l’opinion
et multipliant cyniquement les promesses intenables ou
irréalisables). Mais la xénophobie (anti-immigrés avant
tout), la judéophobie (le vieil antisémitisme et l’antisionisme radical), l’islamophobie, le sectarisme et l’autoritarisme sont loin d’être des attributs propres aux indi-
vidus et aux formations de droite, attributs négatifs que
les extrémistes de droite dévoileraient. D’où la fausse
évidence d’expressions journalistiques comme « droite
radicale populiste » ou « droite radicale, xénophobe
et populiste », dont se contentent certains politistes
contemporains. L’adjonction de l’adjectif « populiste »,
en particulier, n’est qu’une concession à l’esprit du temps
ou l’effet banal d’une mode langagière. La dimension ou
le style « populiste » (l’appel au peuple, sur fond de culte
du peuple) a bien plutôt permis de renouveler l’offre
politique des partis de droite, mi libéraux mi conservateurs, notamment en France et en Italie, comme l’a
noté le politiste Pietro Ignazi. La question est à poser
dans un cadre plus large, transpolitique, en prenant
en considération les expérimentations faites, à droite
comme à gauche, dans les milieux conservateurs (s’inspirant du phénomène « Tea Party ») comme chez les
« progressistes » (le « Parti pirate »), d’une démocratie directe, délibérative, participative ou protestataire,
privilégiant la transparence et l’immédiateté, et recourant massivement aux moyens d’Internet. Le « populisme digital » fonctionne de mieux en mieux à l’écart
du système des partis traditionnels, dans les marges des
droites et des gauches institutionnelles. Il fait surgir
des communautés militantes virtuelles qui, par des
16
17
Pierre-André Taguieff
réseaux sociaux comme Facebook, peuvent mobiliser
à grande vitesse sur des questions d’actualité. Selon
Jamie Bartlett, l’un des auteurs de l’enquête sur la droitisation des jeunes hommes de moins de trente dans
onze pays européens, publiée le 7 novembre 2011 par
le think-tank britannique Demos, les réseaux sociaux
constituent « un outil d’organisation, de recrutement
et de prosélytisme » qui accompagne la montée de la
droite populiste en Europe. L’historien et sociologue
allemand Paul Nolte rappelait à l’automne 2011 que
« l’évolution vers une démocratie participative et protestataire constitue vraisemblablement l’évolution la
plus importante de l’histoire de la démocratie de ces
dernières décennies ».
Il est devenu nécessaire aujourd’hui de rappeler que
le populisme n’est nullement une caractéristique des
droites : l’appel au peuple est la chose du monde politique la mieux partagée, dans les démocraties comme
dans les dictatures modernes et contemporaines. C’est
au nom du peuple que les nations démocratiques sont
gouvernées et qu’on exige toujours plus de démocratie, mais c’est aussi au nom du peuple que les dictatures
s’installent et perdurent... et qu’elles sont contestées.
À ces usages naïfs et précritiques des étiquettes
polémiques s’ajoute une fâcheuse tendance à imagi18
Le nouveau national-populisme
ner une « extrême droite » ou une « droite radicale »
substantielle, dotée d’une identité permanente, dont
on rencontrerait des expressions ou des manifestations dans toutes les variétés de la quasi-espèce politique ainsi nommée. Comme si un type humain bien
défini, intrinsèquement répulsif, correspondait à l’appellation « extrême droite ». Une nature particulière,
une essence déterminée, vouant l’individu « extrêmedroitier » la manifestant à un terrible destin : celui
d’appartenir à une catégorie maudite et d’être ainsi
prisonnier d’une réputation détestable, provoquant
la crainte, l’évitement, la dénonciation, le rejet. Si le
repérage par l’étiquette « extrême droite » est commode, notamment pour les politologues spécialisés
dans l’interprétation des sondages et des résultats
électoraux, il s’avère trompeur lorsqu’il est pris pour
une définition ou une conceptualisation. Si donc un
strict usage situationnel du label se justifie par sa
commodité, ses usages typologiques, lorsqu’ils dérivent vers une certaine forme d’essentialisme, relèvent
du discours polémique.
Démocratie, démagogie,
néopopulismes européens
Disons d’entrée de jeu que, par le mot « populisme », je désigne la forme prise par la démagogie dans
les sociétés contemporaines dont la culture politique
est fondée sur les valeurs et les normes démocratiques
traitées comme des absolus. Il s’agit d’une forme spécifique de la démagogie, présupposant le principe de la
souveraineté du peuple et la norme de son rassemblement dans la nation unie. En un sens, rien n’est moins
nouveau en Europe que cette « pathologie normale » des
régimes démocratiques. La démagogie suit la démocratie comme son ombre depuis la Grèce ancienne, où, à
suivre Platon, la démocratie n’était qu’un type de régime
irrémédiablement instable, ouvrant la porte à la tyrannie.
Aujourd’hui, à l’âge des médias, des sondages d’opinion
21
Pierre-André Taguieff
Le nouveau national-populisme
et de l’information en temps réel par Internet, qui fait
dériver les démocraties représentatives vers la démocratie d’opinion, la démagogie ne peut plus être distinguée
de la publicité et de la propagande, et, lorsqu’elle est
efficace, opère un endoctrinement de masse. Par le mot
ambigu « populisme », je désigne donc globalement les
démagogies de l’âge démocratique. Encore faut-il, pour
aller plus loin, redescendre de la théorie politique vers
les réalités politiques observables. Lorsqu’on dit s’inquiéter de la « montée du populisme » ou « des populismes » dans les sociétés européennes, balayées par une
vague de droitisation, on vise deux phénomènes distincts dont le croisement ou la fusion est perçu comme
une menace : d’une part, l’accroissement de la démagogie dans le jeu sérieux qu’est la compétition politique, et,
d’autre part, l’émergence de nouvelles formes de nationalisme liées aux peurs déclenchées par la globalisation,
la construction européenne ou l’immigration de masse.
Les raisons de ces peurs sont loin d’être réductibles à
des fantasmes : elles concernent à la fois le niveau de
vie (chômage, baisse des salaires, menace d’une érosion
des patrimoines) et la qualité de la vie (sécurité, environnement non pollué, accès aux biens culturels), menacés par la désindustrialisation et les délocalisations, les
défaillances de l’État-providence, le vieillissement des
populations et l’accroissement de flux migratoires qui
semblent immaîtrisables non moins qu’inassimilables.
Les inquiétudes touchent les classes moyennes comme
les classes populaires, et se traduisent politiquement
par des mobilisations en faveur de la restauration des
souverainetés nationales, souvent liées à une volonté
de défendre certaines caractéristiques « culturelles » de
l’identité collective constituant le patrimoine immatériel de la nation. Les réactions dites populistes mêlent
ainsi, selon divers dosages, des motifs souverainistes et
des motifs identitaires, qui sont largement partagés dans
tout l’espace politique. Elles diffusent des interprétations
relevant du récit mythique qu’elles mélangent à des descriptions de faits observables engendrant l’inquiétude.
Elles appliquent systématiquement aux événements
une grille de décodage d’inspiration manichéenne, qui
constitue le cœur de la rhétorique populiste : l’opposition
entre les puissants (prédateurs et coupables) et le peuple
(innocent et vertueux, mais victime).
Ces nouveaux mouvements « populistes », loin
de s’opposer à la démocratie libérale, prétendent au
contraire vouloir défendre les valeurs de cette dernière :
liberté d’opinion, tolérance, laïcité (ou sécularisation),
égalité hommes/femmes, respect des minorités et des
droits des homosexuels, etc., contre la menace incarnée
22
23
Pierre-André Taguieff
Le nouveau national-populisme
par une immigration de culture musulmane accusée de
vouloir imposer ses propres valeurs et normes, à travers un multiculturalisme institutionnel ou quasi-institutionnel qui les soustrait à toute critique – au nom du
droit à la différence légalement protégé. Le rejet de « l’islamisation » n’est plus fondé sur la vision xénophobe ou
raciste du monde qu’on rencontrait dans tous les mouvements d’extrême droite de la deuxième moitié du xxe
siècle. Il se fonde d’une part sur le désir des citoyens de
défendre une identité culturelle dont dépend le mode de
vie auquel ils sont attachés, et, d’autre part, sur le rejet
absolu d’une importation en Europe de la charia et, a
fortiori, du jihad qui, comme on le sait, joue le rôle d’un
« sixième pilier de l’islam » chez les islamistes radicaux.
La récusation de « l’islamisation » s’opère donc sur
le registre des valeurs et des normes, en fonction de
préférences collectives défendues avec des arguments
étrangers à la xénophobie et au racisme – rejet du
mépris de la femme, du sexisme, de l’homophobie, de
la persécution des minorités religieuses, etc. Telle est la
grande nouveauté des néopopulismes de droite européens : ils récusent l’influence politique et culturelle de
l’islam en raison de la menace que celle-ci ferait peser
sur les droits individuels post-matérialistes et la laïcité. À cet égard, comme le suggère le politiste Laurent
Bouvet, leurs leaders pourraient être rebaptisés « islamophobes libertariens » en lutte contre les sexistes
et les « anti-homosexuels de toutes religions ». Il en
va ainsi des populistes néerlandais du Parti pour la
Liberté dont la principale figure est Geert Wilders, de
l’UDC suisse à laquelle Oskar Freysinger a donné un
nouveau visage, et de certains partis populistes scandinaves, tel le Parti du Progrès norvégien. La refonte du
Front national qui s’opère autour de son nouveau leader, Marine Le Pen, va dans le même sens, opérant une
rupture spectaculaire avec certaines positions doctrinales du vieux Front national, issu de l’extrême droite
classique. Loin de déclarer la guerre à la République,
« la gueuse » – que les royalistes d’Action française
voulaient « pendre au réverbère » –, Marine Le Pen
se présente en garante de la pérennité des « valeurs
de notre République », et promet un « État fort » qui
« régule » les échanges et protège les citoyens (Nice, 11
septembre 2011). Qu’elle défende le principe de laïcité
et le service public ou qu’elle récuse le multiculturalisme, tout en dénonçant les « puissances d’argent » ou
« les banques et les marchés » qui sont « les nouveaux
maîtres », son argumentation est fort proche de celles
des Républicains de gauche ou de droite. À prendre à
la lettre certains de ses discours de l’année 2011, où elle
24
25
Pierre-André Taguieff
Le nouveau national-populisme
ose prêcher pour plus d’égalité et de justice, on pourrait en conclure qu’elle procède à une nationalisation
d’une partie de l’argumentaire altermondialiste. On
peut y voir une sortie de la vieille extrême droite, une
rupture avec sa mythologie, une tentative de tourner
définitivement et sans équivoque la page du néofascisme. Pour Marine Le Pen comme pour tout leader
politique, dire, c’est faire.
Si l’on met entre parenthèses les différences entre
les mouvements et les partis néopopulistes en cours de
rupture avec le modèle de la vieille extrême droite (en
Europe du Nord, du Sud et de l’Ouest) et les autres (dans
les sociétés postcommunistes d’Europe de l’Est), le diagnostic d’une « montée des populismes » en Europe
paraît fort justifié. Ces mobilisations se sont traduites
sur la scène politique par une percée électorale significative dont témoignent les résultats aux élections européennes de 2009 : dans sept États membres de l’Union
européenne (Pays-Bas, Belgique, Danemark, Hongrie,
Autriche, Bulgarie et Italie), les partis néopopulistes de
droite (désextrémisés ou non) ont obtenu plus de 10 %
des suffrages. Dessinons brièvement, sans complaisance, le contexte européen de ces mobilisations néopopulistes de droite, qui sont en grande partie le prix à
payer pour une construction de l’Europe qui s’est faite
sans tenir compte des peuples et de leurs aspirations, et
souvent contre eux. Dans un monde où son importance
n’a cessé de décroître, l’Europe bouge encore, certes,
mais pas dans le sens désiré par ses concepteurs et ses
constructeurs. Elle bouge sur place, et semble prise de
convulsions. Les chants joyeux sur la « dernière utopie » en cours de réalisation ont fait place aux chants
funèbres, aux déplorations et aux imprécations. Dans
cette Europe affolée et affalée, l’optimisme historique
s’est retourné en pessimisme sombre. L’Europe élargie
à l’âge des promesses de bonheur s’est transformée en
un empire obèse sans direction impériale, où de pâles
professionnels de la « gouvernance » ont installé un
régime d’experts dénués de perspectives, fragile couvercle posé sur le bouillonnement des conflits d’intérêts
et des rivalités mimétiques. Une expertocratie juridicofinancière maniant les formules creuses de la langue
diplomatique gouverne de plus en plus ouvertement
les destinées de cette Europe avachie et déchirée, dont
l’unité se réduit à des peurs communes et à des ressentiments nourris par le seul désir de sombrer moins vite
que le voisin. L’horizon est peint en gris : ne saute plus
aux yeux que la triste couleur des plans de rigueur et
des politiques d’austérité, dont les maîtres d’œuvre sont
issus de la classe administrative et financière. Comme
26
27
Pierre-André Taguieff
Le nouveau national-populisme
s’il fallait faire payer les peuples, et le peuple en chaque
État-nation, pour les fautes des élites dirigeantes. Le
slogan populiste prend dès lors tout son sens : la démocratie est bien « confisquée ». Déjà, en 2009, 40 % des
citoyens européens déclaraient ne pas avoir confiance
en l’Union. Selon un sondage réalisé début novembre
2011, alors que le mot « nation » est perçu comme positif par 81 % des citoyens français, l’expression « Union
européenne » ne l’est que par 60 % d’entre eux. D’où une
profonde transformation du régime des passions collectives dans les classes populaires et moyennes : la crainte
a chassé l’espoir, la méfiance a remplacé la confiance, et
les résurgences du passé ont muré les portes de l’avenir.
La crise de la zone euro et de sa « gouvernance » a provoqué une érosion de la confiance entre les États membres.
Le « vivre ensemble exemplaire » dans le « partage des
souverainetés nationales » qui devait s’y épanouir selon
Jacques Delors s’est transformé en spectacle involontaire
d’une déroute commune, où les flots de bavardage sur la
« bonne gouvernance » ne cachent plus le « sauve-quipeut » généralisé. La crise de la dette a fait resurgir les
passions germanophobes, qui pourraient entraîner par
contagion une xénophobie intra-européenne généralisée. Le reproche fait à l’Allemagne de vouloir dominer
l’Union constitue un argument répertorié de la vieille
xénophobie, celle qui se déploie entre nations voisines et
rivales. Si cette vague xénophobe prend de l’ampleur, elle
peut produire une décomposition de l’Union, non sans
rappeler que les nations supposées « intégrées » continuent de défendre leurs intérêts propres. Disons qu’elles
ne veulent pas mourir pour sauver une entité abstraite.
Et l’Allemagne exerce de fait une hégémonie en Europe.
L’intérêt des nations riches du Nord et de l’Ouest de
l’Europe, à commencer par l’Allemagne, est de « se
débarrasser » des nations nécessiteuses du Sud : Grèce,
Espagne, Portugal. Le ver est dans le fruit qui commence
à se gâter.
Comme l’Occident tout entier, dont le déclin depuis
longtemps annoncé est désormais confirmé, l’Europe
réduite à elle-même et fragilisée par le vieillissement
démographique est entrée dans une sombre époque
marquée par l’accroissement des incertitudes et du
désarroi qu’elles engendrent, mais aussi par la montée
du double sentiment de l’ambivalence et de l’équivalence, qui affecte les programmes et les positions politiques non moins que les figures de leaders. Ces derniers
sont devenus des suspects : on les tient volontiers pour
des incompétents, des carriéristes sans scrupules et des
corrompus, au moins en puissance. Ils sont désignés
comme co-responsables, avec l’élite des voyous de la
28
29
Pierre-André Taguieff
Le nouveau national-populisme
spéculation financière, de la dernière grande crise. Il
s’ensuit que la distinction entre droite et gauche non seulement s’efface, mais paraît relever de l’imposture – « Ils
sont tous les mêmes », « tous pareils », dit le bon sens
populaire. Le sentiment que « tout se vaut » provoque
ce mélange d’indifférence et d’angoisse qui tient lieu de
vision du monde à de nombreux Européens. Une vision
du monde imposée, comme si la logique de la « force des
choses » était exclusive de toute autre. Le sens unique de
l’Histoire semble finalisé désormais par la marche vers
le bas, sinon vers le pire. L’idéal résiduel n’est plus que
de retarder la descente vers la fin d’une grande aventure
historique. Hors d’Europe, l’Union européenne est de
moins en moins perçue comme un acteur international porteur d’avenir. Une nouvelle critique globale de
l’Occident, s’accompagnant du diagnostic de son déclin,
vient des grandes puissances émergentes ralliées au capitalisme, telle l’Inde et surtout la Chine. Cette critique
externe s’ajoute à la critique interne des adversaires ou
des ennemis gauchistes, écologistes et altermondialistes
d’un Occident accusé d’être à l’origine de tous les maux.
Alors qu’ils venaient à peine de se délivrer des mirages
de « l’avenir radieux », les Européens ont aussitôt sombré dans un état de léthargie où aucun avenir désirable
n’est plus imaginable. Il ne s’agit plus que de survivre.
Plus profondément, indice de déclin, l’avenir échappe
au rêve, à la prévision enthousiasmante ou consolante,
à la volonté de transformer le monde pour le « rendre
meilleur ». Cette Europe réelle et morne ne ressemble
pas à l’Europe transfigurée par l’armée des fonctionnaires européens, des leaders politiques en place, des
journalistes, des intellectuels et des politologues ralliés à
la vulgate européiste depuis les années 1980. Il n’est dès
lors nullement surprenant de voir les appels à la défense
de l’Occident revenir à l’ordre du jour. Ces appels recèlent de fortes aspirations à une renaissance de l’Occident
condamné par les autres au déclin. Dans les mouvements
néo-nationalistes qu’on appelle populistes, en Europe,
tous les thèmes privilégiés tournent autour d’une attente
fondamentale, celle de la réaffirmation de soi de l’Occident, qui présuppose le réveil de l’Europe. Une Europe
dans laquelle les citoyens de l’Union se reconnaîtraient
et à laquelle ils accorderaient leur confiance.
C’est sur la base de ce diagnostic et dans ce cadre
qu’on doit s’interroger sur le fait « populiste », sur ses
origines, ses caractéristiques et sa signification. Et bien
sûr aussi sur ce qu’il convient de faire face aux défis ou
aux menaces qu’il incarne pour les libertés démocratiques. Sans écarter a priori les promesses qu’il affirme
porter, celles d’un renouveau des pratiques démocra-
30
31
Pierre-André Taguieff
tiques (à travers, par exemple, l’extension des pratiques
référendaires) ou celles d’une redéfinition et d’une
renaissance de l’Europe. Toutes les réflexions sur le
populisme politique contemporain nous ramènent à
la question de la démocratie. Car l’imaginaire populiste oscille entre des idéaux hyperdémocratiques et
une méfiance de principe à l’égard des systèmes démocratiques institués, susceptible de se radicaliser en
position antidémocratique explicite, s’accompagnant
de l’inévitable appel au Sauveur. En outre, l’histoire
du xxe siècle et du xxie commençant donne de nombreux exemples d’élections libres ou démocratiques
gagnée par des partis de style populiste professant des
idées antidémocratiques. Rappelons simplement la
victoire du NSDAP aux élections législatives de mars
1933 (43,9 % des suffrages), celle du FIS algérien aux
élections de décembre 1991 (près de 82 % des sièges),
et celles des partis islamistes aux élections d’octobre
2011 en Tunisie (41,47 % des suffrages) et de novembre/
décembre 2011 en Égypte (1er tour : 36,6 % pour les
Frères musulmans, 24,3 % pour les salafistes du parti
al-Nour ; 113 sièges sur 168 à l’issue des deux tours).
Rien n’empêche un antidémocrate convaincu de se
présenter à des élections libres, en espérant s’installer
au sein d’un régime démocratique pour le détruire ou
Le nouveau national-populisme
le vider de son sens. C’est là ce qu’on peut légitimement
craindre de certains leaders néopopulistes européens.
Dans les démocraties pluralistes, les groupements
politiques ou politico-religieux intolérants exigent de
bénéficier du pluralisme lorsqu’ils sont minoritaires,
mais bloquent le fonctionnement du système pluraliste lorsqu’ils acquièrent du pouvoir ou parviennent
au pouvoir.
Ce qu’on appelle toujours « démocratie », d’une façon
rituellement révérencieuse, dissimule mal les doutes qui
visent non seulement son fonctionnement observable
en tant que régime politique, mais, plus profondément,
la possibilité même que ses idéaux déclarés lui servent
de principes effectifs. Objet de soupçon grandissant
en même temps qu’elle reste un objet d’éloge quasiconsensuel, « la démocratie » semble pour la plupart des
citoyens être devenue indéfinissable. C’est pourquoi elle
est vouée à être interprétée dans tous les sens possibles.
Les définitions qu’on en donne vont des plus simples
aux plus sophistiquées. Elles apparaissent toutes comme
peu convaincantes, voire décevantes. Les défenseurs les
plus passionnés de « la démocratie » sont ceux qui sont
à la recherche de son vrai sens et de sa pratique la plus
authentique. Un qualificatif attrayant court depuis la fin
des années 1980 les ateliers politiques de gauche et de
33
Pierre-André Taguieff
droite, d’un extrême à l’autre : « direct(e) ». Le salut de
la démocratie tiendrait-il dans la formule « démocratie
directe » ? C’est ce que beaucoup croient. Mais ce n’est
là qu’une croyance. Une croyance ayant pour contenu
une promesse. Et vraisemblablement une illusion. La
critique du populisme comme promesse politique ne
peut qu’être une critique des promesses de la « démocratie directe ». C’est là un nouveau grand récit de libération et d’épanouissement, dont le cœur est une grande
promesse. Cette dernière a pour contenu la totale réalisation des idéaux de liberté, d’égalité, de fraternité et
de solidarité entre les citoyens d’une communauté politique. L’envers de cette utopie exaltante, c’est l’idolâtrie
du « peuple » qu’elle présuppose. Être populiste, c’est
d’abord désirer que le peuple, source de toute vérité et
de toute bonté, soit le seul principe ou le seul fondement
du politique. Le « peuple » est ainsi érigé en principe
salvateur. Il incarne le Sauveur, le collectif providentiel. Mais il n’échappe pas lui-même à l’ambiguïté, ni à
l’ambivalence. Quoi qu’il en soit, le populisme est une
promesse de rédemption. C’est à ce titre qu’il doit être
pris au sérieux. Il s’agit de soumettre à un libre examen
cette aspiration au salut par le Peuple constituant l’une
des composantes fondamentales de l’idéologie moderne,
ou de la religion des Modernes. Une religion politique
34
Le nouveau national-populisme
ou séculière, dont l’autre composante est la religion du
Progrès. Le fait nouveau, qui justifie qu’on puisse parler de postmodernité en un sens non conventionnel,
est que ces deux figures constitutives de la religion des
Modernes se sont dissociées, jusqu’à s’opposer. Entre
le peuple capté par le populisme et le progrès monopolisé par la vision techno-marchande du monde, il existe
désormais la même tension qu’entre la plèbe et les élites,
les majorités localisées et les minorités déterritorialisées,
les peuples et la construction d’une « société mondiale »
ou d’une démocratie postnationale. Dans le ciel déchiré
des idéaux l’on aperçoit deux constellations qui se font
face et/ou écho : le progrès contre le peuple/le peuple
contre le progrès.
Définir le populisme
Le populisme peut être sommairement défini comme
l’acte de prendre publiquement le parti du peuple contre
les élites, ou encore par le « culte du peuple », avec
diverses connotations (souveraineté populaire, culture
populaire, etc.). Sa signification oscille entre l’appel
au peuple et le culte du peuple. L’appel au peuple vise
à se passer de médiations et de dimension programmatique : il se veut direct, sans être filtré par des instances
représentatives. En quoi le style populiste rejoint l’idéal
de la démocratie directe. Appel personnel au peuple, il
présuppose l’existence d’un leader charismatique, qui
peut prendre la figure d’un simple démagogue ou celle
d’un dictateur populaire. C’est pourquoi populisme
rime souvent avec bonapartisme ou avec autoritarisme,
37
Pierre-André Taguieff
Le nouveau national-populisme
comme dans les populismes latino-américains classiques (Getúlio Vargas au Brésil ou Juan Domingo Perón
en Argentine).
Le populisme politique implique la valorisation du
peuple, opposé soit aux élites, soit aux étrangers, ou
encore aux élites et aux étrangers. L’appel au peuple est
un « appel contre » : il incite à réagir contre des catégories
sociales jugées inquiétantes ou menaçantes. Si le peuple
fait l’objet d’un culte, c’est parce qu’il est censé incarner certaines vertus (celles qui sont prêtées aux « gens
simples »), des vertus d’authenticité ou d’honnêteté qui
le distinguent face aux élites supposées illégitimes et
corrompues. Le peuple auquel le leader lance un appel
direct est assimilable aux classes populaires, au peuple
tout entier ou à la communauté nationale. Le peuple se
confond avec « ceux d’en bas », en lutte contre « ceux
d’en haut », ou bien avec les représentants du « nous »,
opposés à « eux » (« les autres »).
Enfin, l’appel direct au peuple contre ceux d’en haut
ou ceux d’en face est orienté par la double prescription
de rompre avec le système politique existant et de le
changer : « en finir » avec la « bureaucratie », la « partitocratie », la « ploutocratie », etc. Cet appel au changement prend souvent la forme d’un « coup de balai », d’un
grand « nettoyage ». Lorsqu’il fait prévaloir la fonction
tribunicienne, exprimant politiquement la protestation
sociale, le populisme peut être dit protestataire (poujadisme). Lorsque la dimension nationaliste ou ethnonationaliste est centrale dans une mobilisation populiste,
on y verra à l’œuvre une forme de national-populisme
ou de populisme identitaire (le Front national sous la
conduite de Jean-Marie Le Pen).
Il convient d’analyser plus précisément la dimension protestataire qu’on peut reconnaître à un vote, à
un parti, à une mobilisation, et qu’on peut identifier en
tant que style ou fonction idéologico-politique. Un comportement politique est de type protestataire lorsqu’il
s’incarne dans une mobilisation dont les motivations
sont avant tout l’insatisfaction et le mécontentement,
exprimant l’écart perçu par les acteurs sociaux entre
leur champ d’expérience et leur horizon d’attente. Il
peut se traduire par des manifestations plus ou moins
violentes, par l’engagement dans un mouvement contestataire ou révolutionnaire, par des votes de rejet ou par
l’abstentionnisme. Un vote protestataire est un vote
contre quelqu’un ou quelque chose. Ce vote peut être
dirigé contre un leader politique, une politique, voire
le système politique tout entier. La dimension protestataire d’un vote tient donc au fait qu’y prédomine le rejet
ou l’opposition. Les choix en faveur de tel programme
38
39
Pierre-André Taguieff
ou de tel leader, définissant le vote positif, sont suspendus en même temps que le clivage droite/gauche. C’est
pourquoi le vote protestataire, exprimant une crise de
confiance ou une crise de la représentation, se porte souvent vers les extrêmes, ou prend la figure du « ni droite
ni gauche ».
En France, le poujadisme a illustré, au milieu des
années 1950, la dimension protestataire d’un mouvement politique exprimant la colère et la révolte d’un
groupe social qui se sentait menacé (commerçants et
artisans). Cette révolte des « petits » s’est traduite par un
vote anti-système et l’apparition d’un leader caractérisé
par ses aptitudes démagogiques. Le style protestataire
dans l’intervention politique, fondé sur la dénonciation
du « système », du « régime » ou des « élites » par un
démagogue se présentant comme un sauveur, peut être
illustré dans l’histoire politique française par le général Boulanger, Pierre Poujade ou Jean-Marie Le Pen.
La catégorie de « partis protestataires » ou « à fonction
protestataire » s’applique aussi bien au Parti communiste français avant son déclin qu’aux Partis du progrès
scandinaves (danois ou norvégien). Ces partis protestataires rassemblent des mécontents et des révoltés, et ont
longtemps servi de troupes aux courants antiparlementaires, dénonçant la corruption des dirigeants (« tous
40
Le nouveau national-populisme
pourris ! »). Ils prennent souvent la figure de « partis
anti-partis » en Europe, depuis la fin des années 1980.
La « fonction tribunitienne », définie par Georges Lavau
dans ses travaux sur le Parti communiste français,
permet de mieux caractériser les formes politiques de la
protestation exprimant le malaise social, qu’il s’agisse de
la « révolte des exclus », du fonctionnement d’un parti
« porte-parole » ou de la démagogie anti-système. On
suppose que les partis à fonction tribunitienne expriment et organisent la colère de « catégories sociales plébéiennes » qui se sentent exclues du système de participation politique et privées des bénéfices du système
économique et du système culturel. Ces partis peuvent
être dits populistes.
Variétés de populisme
On peut distinguer trois grandes catégories de populismes : les populismes respectivement politiques, agraires
et culturels.
Les populismes politiques se présentent comme des
mobilisations ou des régimes compatibles avec n’importe
quelle grande idéologie (socialisme, communisme, nationalisme, fascisme, anarchisme, libéralisme, etc.). Ainsi, les
césarismes populistes latino-américains constituent des
formes de nationalisme. Il est des populismes réactionnaires,
voire racistes, mais l’on ne doit négliger ni les réalisations
partielles de la démocratie populiste (en Suisse par exemple),
ni le « populisme des politiciens » qu’on peut définir, à la
suite de Margaret Canovan, comme l’appel au rassemblement du peuple par-delà les clivages idéologico-politiques.
43
Pierre-André Taguieff
Le nouveau national-populisme
Les populismes agraires, fondés sur l’idéalisation
du peuple-paysan ou sur la stricte défense de ses intérêts, peuvent être liés à une forme de messianisme
(le populisme russe), à une réaction anti-urbaine et
anti-étatique (le radicalisme des fermiers de certains
États nord-américains à la fin du xixe siècle) ou à une
variante du nationalisme ethnique, comme en Pologne
ou en Roumanie dans l’entre-deux-guerres, ou encore
dans l’Allemagne de la fin du xixe siècle et du début du
xxe (le mouvement « völkisch »).
Quant au populisme culturel, il se manifeste dans la
littérature, la peinture, la musique ou le cinéma, toutes les
fois qu’y prédominent des thèmes se référant à la vie des
gens ordinaires ou des « petites gens », parfois avec une
tonalité patriotique (les « vrais » Français sont les Français
« d’en bas »). La sensibilité populiste se confond souvent
avec la sensibilité misérabiliste, et le style populiste avec
le style « prolétarien » ou plébéien. On doit enfin relever
un usage extensif du terme « populisme » pour désigner
le « mythe du peuple » dans telle ou telle société moderne,
par exemple dans la France d’après la Révolution française.
En Europe, depuis la fin du xixe siècle, le populisme comme rhétorique a trouvé dans le nationalisme
à base ethnique ou ethnoraciale son principal véhicule.
Il convient de rappeler à cet égard que le démagogue
Hitler puisait nombre de ses thèmes dans le répertoire
d’un populisme « völkisch » plus proche du discours révolutionnaire d’extrême gauche que du discours des droites
conservatrices. Il associait ainsi le culte du peuple et le
recours à la démagogie anticapitaliste (visant plus particulièrement le capitalisme financier), s’affirmant contre
le système qui, selon lui, consiste à « favoriser la richesse
du petit nombre et la pauvreté du grand nombre ». Dans
un discours prononcé à Berlin le 10 décembre 1940 dans
une usine d’armements, devant des dizaines de milliers
d’ouvriers1, Hitler présentait son combat comme une
lutte entre « deux Mondes » : d’une part, l’Allemagne
national-socialiste et, d’autre part, l’alliance du capital
et de la « juiverie » avec ses alliés, à commencer par la
Grande-Bretagne. À la démolâtrie nationaliste s’articulait
ainsi la dénonciation hyperbolique de la ploutocratie
cosmopolite :
« On a combattu le national-socialisme parce qu’il
prône le principe que le capital doit être mis être service
de l’économie, et l’économie au service du peuple. C’est
le contraire en Angleterre. L’or, et l’exemple allemand l’a
prouvé, a perdu sa puissance. Les valeurs sur lesquelles
44
45
1. Versions françaises : La France au travail, 11 décembre 1940, p. 1
(extraits) ; Adolf Hitler, Discours, Paris, Denoël, 1941, pp. 293-324
(traduction intégrale).
Pierre-André Taguieff
Le nouveau national-populisme
l’Allemagne travaille, c’est l’intelligence, le talent d’organisation et la puissance de production de ses ouvriers.
(…) Avec notre puissance de travail comme capital,
je battrai toutes les autres puissances du monde. (…)
L’idéal allemand a pour principe et pour but de placer
chaque homme à la place qui lui revient, selon les qualités à l’aide desquelles il peut servir la communauté. »
La rhétorique hitlérienne, dans ce domaine, ne diffère guère de celle de la plupart des dirigeants politiques
des grandes démocraties, qui en viennent souvent, sans
nécessairement y croire, à pratiquer la dénonciation de
la puissance démoniaque de la finance ou de l’Argent, en
opposant à cette dernière le travail et son sujet privilégié, le peuple. Certains thèmes du discours démagogique
moderne apparaissent ainsi communs aux régimes
démocratiques et aux dictatures totalitaires. Voilà qui
montre les limites d’une approche du nazisme strictement fondée sur l’analyse des textes et des déclarations.
On peut même trouver dans ce discours du Führer un
moment de haute démagogie où une déclaration de
facture « antiraciste » et d’inspiration méritocratique
ouvre un prêche anticapitaliste ressemblant à ceux des
démagogues communistes et gauchistes :
« L’origine ou la naissance ne sont rien. C’est l’œuvre
et le savoir qui sont tout. Dans ce sens, nous nous adon-
nons à un travail de construction de grand style, qui est
naturellement opposé au système du capitalisme mondial
de l’or. Nous combattons l’or, par lequel les ploutocrates
gouvernent les masses et les dupent, selon leur point de
vue et les profits que cette petite clique cherche à réaliser
pour atteindre un maximum de bien-être et assouvir
son désir de puissance. »
Le thème dominant d’un tel type de discours, c’est
la dénonciation des imposteurs d’en haut, assimilés aux
exploiteurs du « peuple ». Cette dénonciation peut se
faire au nom de la démocratie (dont on exige un accomplissement radical) non moins qu’au nom d’une vision
expressément antidémocratique. Dans tous les cas de
figure, c’est par le peuple et pour le peuple que les démagogues opèrent leur offre idéologique de salut. C’est
ainsi que s’opère la marche vers la dictature, autoritaire,
totalitaire ou semi-totalitaire.
Les nouvelles formes de populisme, en Europe tout
particulièrement, se caractérisent par leur orientation
anti-politique, qu’atteste l’émergence de paradoxaux
partis anti-partis, dans des contextes marqués par une
crise de la représentation politique, voire une crise de
confiance dans les démocraties représentatives. D’où le
rejet de la classe politique, impliquant celui des clivages
idéologico-politiques institutionnalisés. Le malaise tend
46
47
Pierre-André Taguieff
Le nouveau national-populisme
à se traduire par un désenchantement politique, tant sont
fortes les inquiétudes et les angoisses provoquées par la
globalisation des échanges, perçue à travers ses effets
déstructurants. D’où la montée des formes de populisme
« antimondialisation », dans les mouvances de l’extrême
gauche. Lorsqu’ils se situent à l’extrême droite, les partis populistes exploitent en outre les ressources de la
xénophobie anti-immigrés, désormais fortement colorée
d’islamophobie (la « lutte contre l’islamisation » étant
devenue un thème fondamental), et celles du « chauvinisme du bien-être » ou « d’État-providence », oscillant
entre la défense conservatrice du statu quo et la volonté
de préserver certains héritages supposés former le socle
des identités nationales. Les classes populaires sont surtout mobilisables par la xénophobie anti-immigrés, les
classes moyennes par la défense des avantages acquis
et des héritages matériels ou immatériels. Mais tous
les citoyens, à l’exception des élites déterritorialisées,
sont tentés, voire hantés par la défense d’une solidarité
sociale réservée aux nationaux, qui prennent souvent le
visage de « natifs ». Cette ethnicisation de la citoyenneté nationale n’est certes pas nouvelle, mais elle prend
un sens nouveau par son articulation avec le rejet de la
mondialisation perçue comme menace d’une baisse du
niveau de vie comme de la qualité de vie.
L’antiaméricanisme, souvent lié à un « antisionisme »
équivoque, se rencontre dans la plupart des formes,
de gauche et de droite, du nouveau populisme. Il peut
être plus ou moins virulent, variant avec les fantasmes
antiaméricains, dont l’éventail est fort large. Mais l’antisionisme tend à disparaître du stock des positions officielles de certains mouvements nationaux-populistes
récents, aux Pays-Bas comme en Suisse ou dans les pays
scandinaves. Depuis le 11-Septembre, la redéfinition de
l’ennemi principal des démocraties occidentales en tant
qu’islamiste ou islamo-terroriste a provoqué un véritable
retournement en faveur d’Israël. Les ennemis déclarés de
« l’islamisation de l’Europe » s’affirment souvent amis
d’Israël. Dans un discours prononcé le 3 septembre 2011
à Berlin, le leader populiste Geert Wilders, rappelant que
sa formation, le Parti pour la Liberté, a obtenu 24 sièges
sur les 150 sièges du Parlement et qu’il soutient le gouvernement actuel (libéraux et démocrates-chrétiens), a
théorisé clairement ce pro-israélisme caractéristique de
l’après-11-Septembre : « Nous avons (…) obtenu que les
activités anti-israéliennes ne soient plus financées par
des impôts néerlandais. Les soi-disant Organisations
d’aide humanitaire qui soutiennent directement ou indirectement les boycotts anti-israéliens, les désinvestissements et sanctions, et qui nient le droit d’Israël à exister
48
49
Pierre-André Taguieff
ne recevront plus de financement gouvernemental. Le
gouvernement néerlandais va boycotter l’Assemblée
des Nations Unies Durban III contre la discrimination
raciale, car elle a été transformée en un tribunal d’accusations contre Israël. Le gouvernement va renforcer
nos relations politiques et économiques avec Israël.
Investissement plutôt que désinvestissement sera notre
politique envers Israël. Nous sommes avec Israël. Nous
aimons Israël. Israël est la seule démocratie au MoyenOrient. Israël fait partie de notre civilisation. »
Quant à l’anti-élitisme, il y prend ordinairement la
forme classique de la « théorie du complot » (« On nous
ment ; on nous trompe ; on nous mène en bateau »), sur
la base de la conviction que le peuple est la victime d’une
trahison des élites, voire d’une conspiration organisée
contre lui par « ceux d’en haut » ou « ceux d’ailleurs » (ou
de nulle part), les élites transnationales ou cosmopolites,
censées incarner le mal politique. D’autant qu’elles sont
dénoncées comme « corrompues », dans un contexte où
la corruption de « ceux d’en haut » est une réalité perçue
à travers la multiplication de « scandales » dont la presse
est grande consommatrice.
Il importe de reconnaître l’ambivalence des néopopulismes européens contemporains, en ce qu’ils
constituent d’une part l’illustration d’une orientation
50
Le nouveau national-populisme
anti-politique, impolitique ou pseudo-politique liée à un
engagement identitaire plus ou moins affirmé, et, d’autre
part, l’indice d’une aspiration diffuse visant à démocratiser la démocratie instituée, par exemple par recours
au référendum d’initiative populaire, donc à élargir le
champ du politique ou à inventer de nouvelles pratiques
politiques, mettant l’accent sur la délibération et la participation. En quoi ils rejoignent certains mouvements
sociaux classés à l’extrême gauche, dont les origines ne
sont pas marxistes ou léninistes, mais anarchistes. Au
cours des années 1990, ces mouvements sociaux se sont
donnés des idéaux où la démocratie directe se mêle à un
militantisme de type altermondialiste. Ce qui distingue fondamentalement ces deux manières de concevoir
une démocratie directe et participative est l’engagement
internationaliste des uns, incompatible avec l’engagement identitaire des autres.
Des populismes
protestataires et identitaires
aux néopopulismes de droite
J’ai introduit en 1983-1984 l’expression « nationalpopulisme » – ou plus exactement celle de « nationalpopulisme autoritaire » –, pour caractériser la spécificité
d’un parti comme le Front national en France, dans un
contexte où ce dernier était perçu soit comme un rassemblement de nostalgiques du pétainisme ou de l’Algérie
française, soit comme une formation néofasciste, voire
néonazie, et, en conséquence, réduite à une manifestation haïssable de l’idéologie raciste. La catégorie de
« national-populisme », construite en tant que modèle
d’intelligibilité d’un certain type de mouvements ou de
programmes autoritaires, s’est imposée dans les travaux
savants sur les métamorphoses des extrêmes droites
en Europe dans la deuxième moitié des années 1980.
53
Pierre-André Taguieff
Le nouveau national-populisme
Dans les années 1990, j’ai proposé de distinguer analytiquement les populismes protestataires des populismes
identitaires, tout en soulignant le fait que, dans les mouvements populistes observables, les orientations respectivement protestataire et identitaire entrent toujours en
composition. Relativisée, cette distinction a permis et
permet toujours d’étudier l’évolution des partis ou de
mouvements politiques selon l’orientation dominante
qu’ils prennent dans des contextes variables. Dans les
populismes identitaires, où l’appel au peuple se fixe sur
la nation supposée menacée, la contestation du « système » et la dénonciation des élites sont mises au service
du grand récit sur l’origine du mal : « l’immigration ». La
catégorie de « national-populisme » recouvre ainsi celle
de « populisme identitaire ».
Si la conceptualisation était nouvelle, l’expression
avait été employée auparavant dans d’autres contextes,
à propos des mouvements ou des régimes latinoaméricains. On doit au sociologue argentin Gino Germani
d’avoir caractérisé comme « nationaux-populaires »,
puis « nationaux-populistes » certains régimes politiques latino-américains des années 1930 aux années
1950, incarnés par leurs leaders charismatiques respectifs :
Perón en Argentine et Vargas au Brésil, qu’on peut classer parmi les grands démagogues du xxe siècle. Dans le
péronisme comme dans le gétulisme sont identifiables un
certain nombre de caractéristiques : une forte personnalisation du mouvement et du régime, l’appel permanent
au « peuple » (geste populiste par excellence), l’existence
d’un lien direct et personnel entre le leader charismatique et les masses mobilisées, une propension à l’autoritarisme inséparable d’un dirigisme étatique (l’État étant
censé conduire la modernisation du pays), un important
appui populaire (venant surtout des couches populaires
urbaines), une mobilisation interclassiste (attestée par la
composition de l’électorat comme par celle du parti à
vocation majoritaire), une orientation nationaliste (liée,
dans le péronisme, à un anticapitalisme de style xénophobe dénonçant le « capitalisme étranger »).
La spécificité du national-populisme, en tant que
régime et mouvement, est de combiner les dimensions
charismatique et autoritaire avec les dimensions nationaliste et « populiste », combinaison donnant à la catégorie de « national-populisme » un sens voisin de celui
donné classiquement par les historiens au terme de
« bonapartisme ». Ces régimes autoritaires, ne visant pas
la nationalisation des masses, ne pratiquant pas l’endoctrinement de masse et ne s’appuyant pas sur un partiarmée à vocation hégémonique, s’avéraient à l’analyse
irréductibles au paradigme du « fascisme ». L’analyse
54
55
Pierre-André Taguieff
Le nouveau national-populisme
comparée du péronisme et du gétulisme a ainsi permis
d’élaborer un modèle descriptif qui, dans les années
1980 et 1990, en référence à d’autres réalités sociopolitiques, observables cette fois en Europe, s’avérera éclairant, moyennant certaines transformations.
La typologie des populismes construite par Margaret
Canovan (1981) a fortement contribué à relancer l’intérêt des spécialistes de science politique pour ce phénomène polymorphe et insaisissable, dans un contexte où
le thatchérisme paraissait illustrer un singulier mélange
de « populisme réactionnaire » et de « populisme des
politiciens », mais où la dimension nationaliste n’était
pas absente (comme l’atteste l’épisode de la guerre des
Malouines). Le Front national a ensuite été analysé
par moi-même, à partir de 1984, comme un mouvement national-populiste autoritaire. En Allemagne et
en Autriche, la question du populisme a commencé
à se poser en 1986. C’est précisément en septembre
1986 que Jörg Haider s’impose comme le leader du
Parti autrichien de la Liberté (FPÖ), pour en faire un
parti populiste d’abord protestataire (à dominante
« anti-establishment »), puis de plus en plus nettement
identitaire, à travers une centration progressive sur la
xénophobie anti-immigrés. Aux élections législatives
d’octobre 1999, le FPÖ recueille 27 % des suffrages, ce
qui lui permet d’entrer dans une coalition gouvernementale avec le parti conservateur (ÖVP). Aux élections
législatives de 2008, le FPÖ obtient 18 % des suffrages
tandis que le BZÖ (l’Alliance pour l’avenir de l’Autriche,
fondée par Haider en 2005) en recueille 11 % : ces deux
partis nationaux-populistes rassemblent ainsi 29 % des
suffrages en Autriche. Cette dynamique s’est confirmée avec le score élevé du FPÖ aux élections municipales à Vienne : avec 27 % des suffrages, jouant sur la
dénonciation de « l’islamisation » et de l’immigration
d’origine non européenne, cette formation néopopuliste de droite s’est imposée dans la capitale autrichienne
comme la deuxième force politique. Dans la plupart des
pays d’Europe de l’Ouest et du Nord, la xénophobie antiimmigrés, au cours des années 2000, s’est reformulée
autour de deux thèmes polémiques : la dénonciation de
l’« islamisation » de l’Europe et la récusation du multiculturalisme (institutionnalisé), censé disloquer l’unité
de la nation en s’attaquant à ses présupposés culturels.
Ce dernier thème polémique est loin d’appartenir
en propre aux néopopulistes de droite. À gauche et à
droite, chez les libéraux comme chez les conservateurs,
le multiculturalisme, expérimenté d’une façon négative
notamment en Grande-Bretagne et aux Pays-Bas, a fait
l’objet de critiques approfondies et d’un rejet largement
56
57
Pierre-André Taguieff
Le nouveau national-populisme
partagé, sur la base de deux arguments fondamentaux,
que je ne ferai ici qu’indiquer : en premier lieu, la thèse
selon laquelle les politiques de « la diversité » et des
identités culturelles tendent à chasser et à remplacer
l’exigence de l’égalité entre les citoyens, comme l’a bien
montré Walter Benn Michaels (2009) ; en deuxième lieu,
la thèse, défendue notamment par Robert D. Putnam
(2007), selon laquelle une trop grande hétérogénéité
ethnoculturelle, dans une nation, fait obstacle à la solidarité sociale et à la vie civique en érodant les rapports
de confiance entre les citoyens.
Le tournant identitaire du FPÖ autorise à rapprocher
ce parti national-populiste du Vlaams Blok (Belgique) ou
du Leefbaar Nederland (lancé par Pim Fortuyn aux PaysBas), dont l’héritage a été repris par Geert Wilders à la
tête du Parti pour la Liberté (devenu en 2010 la troisième
force politique du pays, avec 15,4 % des suffrages aux
élections élgislatives), du Parti de la Grande Roumanie
(créé en 1991 et dirigé par Corneliu V. Tudor), de l’UDC
(Union démocratique du Centre) longtemps incarnée
par Christoph Blocher (22,5 % des suffrages aux élections législatives de 1999, et 27,7 % à celle de 2003), avant
de l’être par le plus médiatique de ses conseillers nationaux, Oskar Freysinger (Suisse), de la Lega Nord d’Umberto Bossi (Italie), d’Ataka en Bulgarie (Union nationale
Attaque, créée en avril 2005 par Volen Nikolov Siderov),
du Jobbik hongrois (L’Alliance des Jeunes de DroiteMouvement pour une meilleure Hongrie, parti créé en
2003), ou encore de certains partis scandinaves – le Parti
du progrès norvégien (dirigé par Siv Jensen depuis 2006,
qui a recueilli 22,9 % des suffrages aux élections législatives de 2009), le Parti du peuple danois (créé en 1995 et
présidé par Pia Kjærsgaard, qui a obtenu 12,3 % des suffrages aux élections législatives de 2011), les Démocrates
suédois (parti créé en février 1988, qui a recueilli 5,7 %
aux élections générales de 2010), les Vrais Finlandais
(parti fondé en 1995 et dirigé par Timo Soini, qui a
recueilli 19,1 % des suffrages aux élections législatives
de 2011) – et bien sûr du Front national, qui demeure
le paradigme de ce nouveau type de parti-mouvement.
Marine Le Pen, son nouveau leader, était créditée entre
octobre et décembre 2011 de 19 % des intentions de vote
au 1er tour de l’élection présidentielle de 2012.
Il s’agit de partis caractérisés par leur orientation
« anti-partis » ou « anti-politique » – contradictoire en
principe avec leur participation à la compétition politique –, leur nationalisme xénophobe (à dominante
anti-immigrés), leur appel au peuple lancé par tel ou tel
démagogue doué, leur exploitation du malaise provoqué
par la construction de l’Europe et la globalisation des
58
59
Pierre-André Taguieff
Le nouveau national-populisme
échanges (la « mondialisation » étant perçue à travers les
délocalisations et les destructions d’emplois). Ils présentent tous, avec telle ou telle inflexion, les principaux
traits du national-populisme lepéniste : 1° l’appel personnel au peuple lancé par le leader ; 2° l’appel au peuple
tout entier contre les élites illégitimes ; 3° l’appel direct
au peuple authentique, resté « sain », « simple », et « luimême » ; 4° l’appel au changement, impliquant une rupture purificatrice avec le présent (« le système », supposé
« corrompu »), inséparable d’une protestation antifiscale (parfois liée à l’exigence de référendums d’initiative
populaire) ; 5° l’appel à « nettoyer » le pays des éléments
supposés « inassimilables » (nationalisme d’exclusion, à
dominante anti-immigrationniste).
L’exacerbation de ce dernier trait est au principe
d’une dérive vers une forme de racisme, plus différentialiste-culturel qu’inégalitariste-biologisant. Les quatre
premiers traits distingués permettent de définir les
populismes protestataires, alors que les populismes
identitaires supposent la coprésence des cinq traits. On
peut voir dans la multiplication de ces nouveaux partismouvements l’indice de l’émergence d’une nouvelle
extrême droite, qualifiée de « post-industrielle » par
Piero Ignazi. Ces partis nationaux-populistes incarnent
des formations postfascistes plutôt que néofascistes,
postnazies plutôt que néonazies. Au cours des années
1984-2011, la nouvelle extrême droite « défascisée » ou
« dénazifiée » a pris le visage des populismes identitaires
devenus une force politique non négligeable en Europe.
Elle s’est en même temps désextrémisée, notamment en
participant à des coalitions gouvernementales. L’exemple
italien est ici le plus probant : Gianfranco Fini a conduit
la transformation du MSI, parti néofasciste, en un parti
de droite libéral/conservateur. Le cas allemand constitue
une exception : comme en Europe de l’Est, et en Russie
plus que partout ailleurs, les organisations néonazies s’y
sont reproduites, sans participer au mouvement général
de rupture avec le modèle nazi/fasciste. On observe enfin
qu’à la différence des populismes européens des années
1950 et 1960, les néopopulismes ne visent pas à mobiliser
une couche sociale particulière contre les autres. Leurs
leaders privilégient l’appel au rassemblement national,
sur la base de menaces supposées communes. Il est vrai
cependant que les de l’argent, dénoncées comme cosmopolites, sont exclues du peuple qu’il s’agit de rassembler.
Les partis dits populistes, en Europe de l’Ouest, sont
soit des partis plutôt protestataires, anti-partis (« droite
antipolitique ») et anti-élites (anti-establishment), soit
des partis plutôt identitaires, anti-immigrés, anti-islam
et anti-islamisation, anti-Union européenne (euro-
60
61
Pierre-André Taguieff
phobie) et antimondialisation (antimondialisme). En
Europe de l’Est, la xénophobie anti-Roms, comme un
anticommunisme coloré d’antisémitisme, fait partie de
l’offre idéologique de la plupart des partis nationauxpopulistes. S’ils ne sont pas des partis « à enjeu unique »,
ils se présentent comme des partis à enjeu principal ou
fondamental : ils mobilisent en effet avant tout sur l’enjeu de l’immigration, avec ses représentations négatives
associées (délinquance, terrorisme, communautarisme,
islamisation, chômage, faillite de l’État providence, etc.).
La question centrale de l’immigration peut être posée
directement et explicitement, ou bien indirectement et
implicitement, par exemple à travers la dénonciation de
« l’islamisation » ou l’exigence de réserver les bénéfices
de l’État providence aux nationaux ou aux « natifs ».
Tous les mouvements populistes contemporains
récusent, avec une virulence plus ou moins grande,
l’immigration, perçue comme une menace. Ils la rejettent d’abord au nom de la défense de l’identité ethnoculturelle de la nation (dimension identitaire ou « nativiste » de la « préférence nationale »), ce qui les conduit
à percevoir l’islam comme une force conquérante et
l’islamisation comme un processus de colonisation
culturelle ou de dénaturation. Ils la rejettent ensuite en
vue de réserver les ressources de l’État providence et
62
Le nouveau national-populisme
les mécanismes de redistribution aux nationaux. C’est
le « chauvinisme du bien-être », soit la dimension protestataire de la « préférence nationale », théorisation de
l’égoïsme national. Ils rassemblent ainsi les déçus, les
vaincus et les exclus de la construction européenne et de
l’entrée dans un monde globalisé, mais aussi tous ceux
qui pensent pouvoir eux-mêmes, dans un avenir proche,
être mis à l’écart ou socialement marginalisés. La crise
économico-financière de 2008 a fortement alimenté ces
inquiétudes diffuses, en élargissant le cercle des citoyens
fragilisés et/ou se percevant comme tels. Ces derniers
viennent grossir les rangs des sympathisants potentiels
de tel ou tel démagogue.
Populismes de droite et
populismes de gauche
Le populisme, étant un style politique idéologiquement non fixé, n’est ni de gauche, ni de droite. Il y a
des leaders populistes à droite et à gauche, et aux deux
extrêmes. Le propre du populisme est précisément de
neutraliser la différence droite/gauche : le « ni droite ni
gauche » illustre la dimension « anti-partis » ou « antipolitique » des nouveaux mouvements populistes. Est
également neutralisée la différence entre position révolutionnaire et position conservatrice, l’une et l’autre
étant intégrées dans les thèmes idéologiques selon divers
dosages. Tout leader populiste s’adressant au peuple prétend lui désigner ses véritables ennemis, ceux d’en haut
(les élites illégitimes), ceux d’alentour (« le système ») ou
ceux d’ailleurs ou venant d’ailleurs (les étrangers hostiles,
65
Pierre-André Taguieff
Le nouveau national-populisme
les immigrés envahisseurs), et plus particulièrement les
ennemis cachés à l’intérieur du corps national – d’où
la vision conspirationniste, illustrée par telle ou telle
« théorie du complot », qu’on rencontre ordinairement
dans les discours ou les écrits des leaders populistes. On
notera que le modèle historique du complot antinational est le complot juif ou judéomaçonnique (ou encore
judéo-bolchevique), qu’on ne trouve plus que marginalement chez les leaders nationaux-populistes en Europe
de l’Ouest – où il a été en partie remplacé par le complot islamo-immigrationniste -, ce qui n’est pas le cas à
l’Est : Hongrie, Pologne, Roumanie, etc., où les ethnopopulismes continuent d’être idéologiquement structurés par la mythologie de l’ennemi « judéo-maçon » et
« judéo-communiste », combinée avec une xénophobie
anti-Roms dont l’intensité n’est pas observable à l’Ouest.
En France, à l’époque du mouvement poujadiste,
les « perdants de la modernisation » qui s’y reconnaissaient étaient avant tout les petits commerçants.
Aujourd’hui, on trouve des perdants de la mondialisation dans toutes les catégories sociales qui, exposées à la
concurrence internationale, demeurent nationalement
localisées, donc à l’exception de la super-élite transnationale. Ces nouveaux perdants au profil mal défini sont
des électeurs ou des militants potentiels des nouveaux
partis populistes ou des vieux mouvements nationauxpopulistes ayant su s’adapter à la demande sociale – tel
le Front national dirigé et incarné par Marine Le Pen
depuis le 16 janvier 2011, qui met en œuvre une stratégie
de respectabilisation, en rompant avec les provocations
judéophobes de son père et en sur-affirmant sa défense
de la laïcité républicaine. Mais il peuvent tout autant se
laisser séduire par la nouvelle figure du marxo-populisme qu’est l’ex-socialiste Jean-Luc Mélenchon, qui pratique avec talent une démagogie anti-élites en se donnant
pour le porte-parole des « gueux », ce qui, au demeurant,
le situe plus dans la filiation d’un chansonnier populiste
– à touche « populacière » – comme Aristide Bruant que
dans celle de Jaurès.
Aujourd’hui, dans l’actuel contexte européen, où
la montée des populismes plus ou moins ethnicisés est
liée à la crise du libéralisme politique (qui s’étend à la
social-démocratie) et à une pathologie de la démocratie
représentative (pervertie par les manipulations médiatiques utilisant des outils de plus en plus sophistiqués),
sur fond de grande peur d’une invasion musulmane de
l’Europe ainsi que d’une débâcle du système économicofinancier international, on peut identifier grossièrement
deux manières d’être populiste, recouvrant approximativement le clivage droite/gauche :
66
67
Pierre-André Taguieff
Le nouveau national-populisme
1° Le populisme « de droite », situé comme tel ou se
présentant comme tel, exagère les menaces réelles (par
exemple, la délinquance, l’insécurité, le terrorisme ou
la fragmentation ethnique) et en ajoute d’imaginaires
ou de fantasmées, même si elles prennent appui sur des
données observables (l’immigration comme invasion,
le complot « islamisateur » ou la conquête islamique de
l’Europe, la décadence). La droite « pop » tend à provoquer des peurs non justifiées ou des inquiétudes excessives, pour les exploiter politiquement.
2° Le populisme « de gauche », identifié comme tel
ou s’assumant comme tel, minimise ou nie les menaces
réelles (par exemple, celles qui sont liées à la délinquance,
au terrorisme, à une immigration non maîtrisée) et les
remplace par des menaces plus ou moins imaginaires, toujours liées aux méfaits du « capitalisme prédateur » ou de
la « mondialisation libérale », ainsi qu’à un « racisme », un
« fascisme » ou un « pétainisme » supposés perpétuellement « résurgents », attribués exclusivement à l’adversaire
politique. C’est là pêcher par aveuglement, déni du réel
et diversion. La gauche « pop » ne cesse d’éviter de poser
les problèmes gênants et d’affronter les défis réels, tout
en pratiquant la fuite en avant dans la commémoration
ostentatoire des combats du passé et l’offre provocatrice
de subversion des liens sociaux traditionnels. Elle rem-
place la question sociale par certains « problèmes sociétaux » (sexe/genre, homoparentalité, mariages homos,
etc.), posés et résolus à la manière des intellectuels marginaux ou « prolétaroïdes » les plus extrémistes.
L’offre néopopuliste vise ainsi toutes les classes sociales.
La droite xénophobe adapte son discours à la demande
des citoyens des classes populaires accusant l’immigration d’être la cause de la perte de leurs emplois. La
droite autoritaire s’efforce de répondre aux inquiétudes
des classes moyennes et populaires : insécurité, augmentation des prélèvements obligatoires perçus comme
injustes, etc. La gauche et la droite républicaines, par
principe hostiles à toutes les formes de multiculturalisme, sont portées à s’inquiéter du communautarisme
musulman et des atteintes à la laïcité. La vision miangélique mi-utilitariste de l’immigration (les bons
immigrés viennent « nous enrichir de leurs différences »
et garantir un taux de natalité suffisant pour le paiement
de nos retraites), cette vision médiatiquement dominante
n’est plus crédible. Car l’on ne saurait nier que, en France
comme dans plusieurs pays voisins, l’intégration des immigrés se fait plutôt mal et que, parmi les facteurs expliquant
ces difficultés, la culture musulmane, qui joue le rôle d’un
marqueur identitaire favorisant le repli communautaire,
apparaît en première ligne. En outre, la vision intrinsè-
68
69
Pierre-André Taguieff
quement positive et optimiste de l’immigration s’articule avec une présentation naïvement irénique de l’islam
comme « religion de paix », alors que les citoyens, même
médiocrement informés, apprennent par les médias que
partout dans le monde, la présence de l’islam politisé – au
pouvoir ou dans l’opposition – est liée à des formes d’intolérance, à la persécution des minorités et à des violences
meurtrières (les chrétiens étant aujourd’hui les premiers
visés). La réalité mondiale répulsive de l’islam politisé ne
peut être complètement gommée par le discours politiquement correct des experts, des journalistes ou des intellectuels bien-pensants. Et pourtant, un discours unique sur
la question se fait entendre dans l’espace médiatique. Déni
du réel et transfiguration d’une réalité pourtant inquiétante. La rhétorique des élites gouvernantes ne diffère
guère sur ce point du discours populiste contemporain de
gauche et d’extrême gauche. Mécaniquement, la position
des problèmes gênants est monopolisée par les leaders
populistes de droite plus ou moins xénophobes, qui cherchent à exploiter les inquiétudes sociétales sans se soucier
de trouver des solutions politiques réalistes et acceptables.
Ce que ces populismes politiquement concurrents
ont en commun, c’est l’irresponsabilité. Il faut les traiter
comme des symptômes, et non comme des solutions.
L’illusion populiste
L’expression « illusion populiste », que j’ai choisie pour
titrer l’un de mes livres précisément pour son ambiguïté
qui donne à réfléchir, doit être comprise dans ses deux
sens distincts, suivant qu’on aborde le « populisme »
comme phénomène sociopolitique supposé observable
(un ensemble de mouvements et de partis politiques) ou
comme catégorie d’analyse supposée éclairante, modèle
théorique bien construit doté d’une valeur descriptive.
Dans cette perspective, il faut distinguer, d’une part,
l’illusion propre au populisme (ou les illusions véhiculées par les leaders populistes), et, d’autre part, le
populisme-catégorie comme illusion ou mirage conceptuel. L’illusion est double : d’abord, l’illusion idéologique
centrale des « populismes », relevant de l’aspiration à
71
Pierre-André Taguieff
Le nouveau national-populisme
l’unité parfaite et à l’identité pure du corps national,
et ensuite, l’illusion qui, rassemblant journalistes et
politologues-experts, consiste à croire à une pseudoréalité politique, qu’on la diabolise ou qu’on la célèbre.
Précisons la distinction :
1° Le populisme, en tant que réalité floue plus ou
moins observable, est une forme contemporaine de
l’illusion politique, dans la mesure où il se réduit à un
mélange de démagogie et de pensée magique, récusant
en principe les médiations et la temporisation, centré
sur l’impossible coïncidence du peuple-un et de ses dirigeants ou de son leader suprême, impliquant un imaginaire de la fusion comme voie de la rédemption. Ce qui
présuppose un rejet du conflit intra-national, donc un
déni du politique.
2° Le populisme est une invention fictionnelle ou
une construction mythique des historiens, politistes et
sociologues qui s’appliquent soit à réunir sous une catégorie négative divers phénomènes à leurs yeux répulsifs
qu’ils veulent dénoncer ou condamner (nationalisme,
xénophobie, etc.), soit à célébrer comme un phénomène
identifiable la réalisation imaginaire de leurs idéaux
politiques (la « démocratie directe », par exemple, ce qui
revient à prendre naïvement à la lettre ce que disent les
leaders populistes).
La défiance et la désaffection des citoyens vis-à-vis
du système politique et des choix politiques offerts, dont
témoigne notamment l’abstentionnisme, se manifeste en
même temps qu’un ressentiment croissant dirigé contre
les élites gouvernantes et discutantes (intellectuels et
journalistes), perçues comme impuissantes, incompétentes et corrompues, et, à ce titre, rejetées comme
illégitimes. Alors que, dans les démocraties pluralistes
apaisées et bien gouvernées, la politique suppose des
médiations et des temporisations – la participation
aux débats et aux délibérations requérant du temps ou
de la disponibilité non moins que des lieux d’accueil –,
l’imaginaire antipolitique du populisme est tout entier
centré sur un rejet des médiations, jugées inutiles, voire
nuisibles. Les leaders populistes se proposent d’abolir
la barrière ou la distance, voire toute différence, entre
gouvernants et gouvernés, ou bien suggèrent qu’ils ont le
pouvoir d’effacer tout écart entre les désirs et leurs réalisations, de suspendre cet aspect du principe de réalité
que constitue l’inscription dans la durée, le respect des
délais, la temporisation. Ils se transforment ce faisant
en magiciens pour qui « tout est possible », substituant
des recettes magiques aux programmes politiques qui
doivent, quant à eux, tenir compte de la différence entre
le réel et le possible, non sans chercher à évaluer d’une
72
73
Pierre-André Taguieff
façon rationnelle les frontières du possible et de l’impossible. S’il est une tentation populiste, elle ressemble
à une fuite en avant dans la protestation et la dénonciation, accompagnées de récits mythiques sur les causes
des malheurs du « peuple ». Quant aux solutions, elles
s’avèrent inconsistantes à l’analyse, et, pour autant qu’on
puisse prévoir les conséquences de leur mise en œuvre,
inopérantes ou dangereuses. Il reste à s’interroger à la
fois sur les facteurs contextuels du surgissement des
néopopulismes européens et sur les raisons de la séduction qu’ils exercent dans plusieurs pays.
« Vraies questions,
mauvaises réponses » ?
On peut se demander légitimement si cette formule
lancée par Laurent Fabius à propos du Front national,
en 1985, peut s’appliquer aux formes actuelles du populisme en Europe. Rappelons tout d’abord que l’intention
– louable – de Laurent Fabius était alors, face à la montée du FN, de sortir de la paresseuse diabolisation antifasciste de Le Pen, d’ailleurs parfaitement inopérante
(la rhétorique de la « résurgence » du « fascisme », face
auquel il fallait riposter par un « front antifasciste » à
l’ancienne), et d’ouvrir la voie à une discussion critique
nuancée impliquant la volonté de comprendre un phénomène politique émergent, afin de le combattre avec
efficacité. Sa visée était de comprendre pour mieux combattre. Mais, en politique, les intentions comptent peu,
75
Pierre-André Taguieff
et l’on n’a pas à juger un leader sur ses bons sentiments.
C’est le résultat effectif qui permet de formuler un jugement rétrospectif.
Il convient de distinguer deux niveaux ou deux registres
fort différents où cette « réaction » peut être interprétée, et
donc, pour nous aujourd’hui, évaluée en tant que caractérisation des populismes européens contemporains.
1° Le premier registre est celui de l’analyse politique :
on vise à éclairer et à comprendre ou faire comprendre un
phénomène dont on perçoit la relative nouveauté. D’où la
caractérisation proposée par Laurent Fabius, alors Premier
ministre. Celui-ci se situe par là dans le cadre d’une discussion académique, il parle en politologue formulant une
hypothèse de travail sur son objet de recherche. Or, sur ce
terrain, la formule est loin d’être satisfaisante. Elle commence en effet par une demi-vérité : les questions posées
par Le Pen n’étaient pas toutes justifiées ni correctement
formulées. Elles n’étaient donc pas toutes « vraies ». On
tombe ensuite sur un énoncé polémique douteux : pourquoi suggérer que les réponses aux « vraies questions »
seraient toutes et toujours « mauvaises » ? C’est là postuler que la « mauvaise » nature de Le Pen le conduit à
formuler de « mauvaises » réponses : on retombe dans
la diabolisation, c’est-à-dire dans la pensée magique.
Par exemple, on ne saurait juger en elles-mêmes « mau-
Le nouveau national-populisme
vaises » la demande d’une régulation plus rigoureuse des
flux migratoires ou celle d’une lutte plus efficace contre la
petite délinquance dans les « quartiers sensibles », qu’on
rencontre sous diverses formes dans les programmes de la
plupart des partis non gauchistes. Ce qui est vrai, c’est que
les questions sont souvent mal posées : la question de l’immigration est ainsi posée en postulant l’inassimilabilité
de certaines catégories d’immigrés, ou l’incompatibilité
radicale de leurs traditions culturelles avec les manières
de vivre en Europe. Il en va de même pour le vrai problème qui se pose à l’État providence à l’européenne, dont
le bon fonctionnement suppose une certaine homogénéité
ethno-culturelle des populations nationales, fondatrice
de la confiance entre citoyens : les leaders populistes se
contentent de donner dans la démagogie du « chauvinisme du welfare ». Quant aux réponses, en raison de leur
radicalité irréaliste, elles ne peuvent pas être traduites par
des mesures politiques.
2° Le deuxième registre est celui de l’action politique ou
de la communication politique, régie par le principe « dire,
c’est faire », et plus précisément, faire croire, faire faire,
faire agir. Bref, produire des effets. On se situe dès lors
dans le champ de la « performance » et de l’éthique de la
responsabilité : il ne s’agit plus prioritairement de dire le
vrai ou ce qu’on croit être tel, mais de réaliser des objectifs
77
Pierre-André Taguieff
pratiques définis. La déclaration fabiusienne visait aussi
(et, pour l’acteur politique Fabius, visait d’abord) à s’inscrire dans la lutte politique contre le FN. Or, cette déclaration a contribué à légitimer le FN, en tant que parti posant
de « vraies questions ». Effet pervers s’il en est : la concession faite à l’adversaire, geste tactique qui se voulait habile,
finit par profiter à l’adversaire, dont le discours public ne
cesse de dénoncer précisément les « questions interdites »
par « l’establishment » ou « le Système », « la bande des
Quatre » ou « l’UMPS ». Et, de fait, de nombreuses questions étaient réellement interdites, en raison d’une tyrannie douce du système médiatique consistant à postuler
que certains questions étaient de fausses questions.
Je propose donc la formule corrigée : le FN (ou tout
autre mouvement populiste du même type) pose parfois
de « vraies questions », mais il les pose mal le plus souvent, et il y apporte en conséquence, le plus souvent, de
« mauvaises réponses ».
Bref, la formule de Fabius est trompeuse en tant que
définition critique d’un programme politique de type
populiste, et dangereuse par ses effets de légitimation ou
de respectabilisation. Mais il reste à considérer les vraies
questions rejetées par le système médiatique, et à les poser
correctement, sans démagogie, en vue de leur apporter des
réponses échappant aux fantasmes.
Indignation, misérabilisme
et populisme
Commençons par distinguer le plus clairement possible populisme et misérabilisme, non sans montrer qu’ils
peuvent fusionner sous certaines conditions. J’entends
par « populisme », sans considérer ses variantes de droite
et de gauche, une idéalisation ou une transfiguration du
« peuple » - pris dans sa partie « basse » (latin plebs) plutôt que dans sa totalité (populus) - en tant qu’il serait
seul porteur de qualités humaines et de vertus natives.
Il s’ensuit que les représentants du « peuple » (plébéiens,
prolétaires, classes populaires, ouvriers et employés,
etc.), celui-ci étant naturellement et intrinsèquement
bon, sont jugés par définition meilleurs que n’importe
quel membre d’une catégorie sociale non populaire, et
cela, bien souvent, par la voix de ceux qui n’appartien79
Pierre-André Taguieff
Le nouveau national-populisme
nent pas à ces couches sociales. La conviction populiste
peut se résumer ainsi : « Ils (ceux d’en bas) sont meilleurs
que nous. » Quant au « misérabilisme », il implique de
célébrer un groupe social en tant qu’il serait seul ou particulièrement « souffrant », « pauvre », « misérable » ou
« désespéré », donc digne de compassion, de l’exalter à
travers les privations, les « exclusions », les déficiences
et les misères qui autorisent à l’instituer en « victime ».
Lorsque la catégorie de « victime » est illustrée, que la
« victime » est désignée, le parti pris en sa faveur suit
automatiquement. En France, depuis les années 1990,
la catégorie victimaire par excellence a été incarnée par
les « sans-papiers ». Populisme et misérabilisme peuvent cependant entrer en synthèse dans divers discours
militants. Les démagogues néogauchistes sont passés
maîtres dans le recours sloganique aux évidences toutes
faites du populisme misérabiliste, dont l’axiome central
est ainsi formulable : « Ils sont meilleurs que nous (que
tous les autres) parce qu’ils souffrent plus que nous (que
tous). » Telle est la logique normative qui dicte le choix
inconditionnel en faveur des « pauvres », des « faibles »,
des « démunis » ou des « opprimés ». Mais les néogauchistes ne s’intéressent plus à la plèbe « de souche », leur
nouveau prolétariat vient nécessairement de l’étranger,
il est fabriqué sur la base d’une transfiguration de « l’im-
migré ». Les militants néogauchistes communient eux
aussi, à leur manière, dans le culte de « la diversité », célébré par les élites de gauche et de droite. Les tenants de
la logique normative de la souffrance maximale distinguent leurs élus non pas parmi les plus démunis en général, mais parmi les immigrés les plus démunis, excluant
a priori les plus démunis « de souche ». Cette logique se
croise souvent avec celle de la discrimination positive,
dont la formule populaire est de « donner le plus à ceux
qui ont le moins ». Car la plupart des partisans de l’affirmative action réservent le traitement préférentiel qu’ils
préconisent aux « personnes issues de la diversité », ce
qui implique d’exclure les autres, les malheureux ultrapauvres « de souche » qui n’intéressent personne dans
le monde des élites visibles. Le résultat de ce système de
choix préférentiels est de mettre en concurrence immigrés et nationaux « de souche », en provoquant chez ces
derniers un profond sentiment d’injustice doublé d’un
fort ressentiment à l’égard des immigrés. Il y a là une
dangereuse fabrique d’exclus et de vaincus désireux de
prendre d’une manière ou d’une autre leur revanche.
Notamment à travers un vote xénophobe. L’effet pervers
de la « préférence immigrée », étudiée en France par
Hervé Algalarrondo (2011), est de fabriquer des nationaux-populistes très motivés.
80
81
Pierre-André Taguieff
Le nouveau national-populisme
L’indignation et la révolte contre l’injustice font partie des motivations fondamentales des militants et des
sympathisants des mouvements populistes, qu’ils soient
de gauche ou de droite, conservateurs ou révolutionnaires. Les mobilisations spectaculaires qui, se couvrant
du mot « indignés », se sont produites au printemps et à
l’été 2011 en Espagne ou en Grèce, avant d’être exportées aux États-Unis et en Israël (où elles ont pris un tout
autre sens), présentent certains caractères qui les rapprochent des formes d’action populistes, situées hors de tout
encadrement partisan. Il ne semble pas qu’elles puissent
être considérées comme purement « spontanées », c’està-dire motivées par les traits spécifiques des situations
nationales où elles ont surgi. La mondialisation de l’information a provoqué une « dénationalisation » des facteurs déterminants des mouvements protestataires, qui
s’étendent par imitation et contagion. On attend de voir
des anthropologues contribuer à une épidémiologie des
mobilisations protestataires internationales.
Dans le cas des « indignés » grecs ou espagnols, l’indignation exprimée porte sur les systèmes politiques
« corrompus » ou sur l’« oligarchie » incompétente
et prédatrice censée avoir confisqué la démocratie et
exploité pour son propre compte les ressources étatiques.
Le sentiment comme tel est loin d’être nouveau. C’est la
conjoncture qui lui donne ce parfum de nouveauté. Ces
mobilisations confinées à l’Europe du Sud ont trouvé
leur modèle dans les manifestations de masse qui, dans
certains pays du Maghreb et du Machrek, ont abouti à
des révoltes ou à des révolutions. C’est cet ensemble de
manifestations de masse et de révoltes populaires plus
ou moins violentes que le monde médiatique et politique
occidental, dans une flambée d’illusion lyrique, a baptisé le « printemps arabe », avant de découvrir qu’elles
n’avaient fait que remplacer les régimes autoritaires ou
les dictatures en place par de nouvelles oligarchies militaires alliées aux islamistes, en attendant l’apparition de
gouvernements dominés par les islamistes ayant gagné
les élections – comme en Tunisie et en Égypte, et, portés
par la vague, au Maroc. Dans le cas des manifestations
d’indignés, en Grèce et en Espagne, il s’agit d’un phénomène d’imitation, où la mode médiatique a joué un rôle
déterminant, s’ajoutant à la situation économico-financière critique dans laquelle certains pays se sont trouvés
plongés. La seule originalité de ces mobilisations européennes a été de s’emparer du vocable mis à la mode par
le libelle de Stéphane Hessel, Indignez-vous ! (octobre
2010), dont le succès témoigne surtout du désarroi des
citoyens français et de leur quête éperdue de réconfort,
à travers une commémoration indéfinie et nostalgique
82
83
Pierre-André Taguieff
Le nouveau national-populisme
du légendaire Programme du Conseil national de la
Résistance (C. N. R., mars 1944) – joliment intitulé « Les
jours heureux » –, dont l’essentiel a pourtant été réalisé
entre 1944 et 1946.
Le mot « indignation » est un mot attrape-tout. Il
peut être mis à toutes les sauces idéologico-politiques.
Qui n’est pas « indigné » pour telle ou telle raison ? En
tout mouvement politique, comme le recommandait
Walther Rathenau, il faut distinguer la formule oratoire
des visées ou des intentions réelles. La formule oratoire des « révoltes arabes » a privilégié les motifs de la
« liberté », de la « démocratie » et de la « justice », ainsi
que la dénonciation de la « corruption ». Leur visée réelle
était de chasser l’équipe dirigeante en place (« Dégage ! »)
: le degré zéro du programme politique, expression d’un
rejet accompagné de mouvements d’humeur et d’affrontements sanglants. Ces prétendues « révolutions » n’ont
guère été que des coups d’État accomplis par diverses
factions elles-mêmes rivales (comme en Libye), et plus
précisément des coups d’État militaires déguisés en victoires du « peuple » ou de la « démocratie ». Elles ont très
vite débouché sur l’accession au pouvoir des islamistes,
dits « modérés » pour l’occasion électorale ainsi que
pour la galerie diplomatique. Jusqu’au prochain coup
d’État militaire. Dans les démocraties européennes,
pour les « indignés » et les mouvements politiques qui
les soutiennent ou s’en inspirent, il s’agit également, sans
l’affirmer clairement, de rêver d’une prise du pouvoir
sans vouloir l’assumer, en s’en tenant au moment négatif :
chasser du pouvoir les « corrompus » ou les « voleurs ».
En Espagne et en Grèce, ces mouvements contestataires
ont contribué à chasser la gauche, rapidement remplacée par des coalitions dominées par la droite libérale/
conservatrice et des experts financiers. Le renversement
des fins en leurs contraires, soit le paradoxe des conséquences, est ici visible en clair, comme pour illustrer une
leçon de sociologie sur l’effet pervers ou l’hétérotélie.
Les « combattants de la liberté » ont favorisé l’arrivée au
pouvoir des islamistes dans les pays arabo-musulmans
tandis que les « indignés » à l’européenne, contenus aux
portes de la cage de fer climatisée qu’est l’Union, assistaient à l’installation de gouvernements d’experts financiers. Ce ne sont pas les intentions bonnes qui font l’histoire, ce sont les effets ni voulus ni prévus des décisions
prises au nom de l’idéal.
Dans ces mobilisations informelles, l’ennemi n’est
pas clairement désigné, ni le groupe contestataire bien
identifié. Les leaders refusent d’assumer leur rôle ou
ne sont pas politiquement crédibles. Le programme est
ici encore ultra-minimaliste et tout négatif : contre les
84
85
Pierre-André Taguieff
Le nouveau national-populisme
« corrompus », etc. Lesquels se confondent approximativement avec les « puissants » et les « incompétents ».
Le marxo-populiste français Jean-Luc Mélenchon en a
formulé le slogan : « Qu’ils s’en aillent tous ! » La diabolisation de l’ennemi remplace l’analyse de la situation
et la réflexion sur les objectifs politiques. Rien n’est plus
pitoyable que le recours des « indignés » grecs aux amalgames de propagande les plus éculés, du type « NaziNazi/Merkel-Sarkozy ». C’est la version gauchisante et
pseudo-antifasciste du « Tous pourris ! » Ici, la germanophobie est jumelée avec la francophobie. Ailleurs, par
exemple en France, elle n’est qu’une résurgence d’une
vieille tradition nationale, où les figures répulsives de
Bismarck et d’Hitler n’ont cessé d’alimenter les stéréotypes négatifs sur « l’impérialisme germanique ». La
nazification de l’adversaire est le nouveau socialisme
des imbéciles. Quant aux « indignés » en colère à l’américaine, les membres du mouvement « Occupy Wall
Street » (OWS), après du tapage et des violences, ils ont
réussi à formuler le slogan marketing qui résume leurs
phobies, leurs prétentions et leurs fantasmes : « Nous
sommes les 99% ». Manière de désigner les suppôts du
mal : les « 1% » qui se concentrent à Wall Street. Ultraminoritaires, riches, puissants, corrompus et voleurs :
tels sont les attributs de l’ennemi « d’en haut ». On reste
affligé devant la misère intellectuelle d’une telle contestation politique, sombrant dans le plus sommaire des
manichéismes. Le chancelier Bismarck voyait juste,
lorsqu’il posait que « l’indignation n’est pas un sentiment politique ». L’indignation n’est pas une politique,
elle illustre la tendance contemporaine à l’impolitique,
qui remplace la réflexion politique par un moralisme
sans perspectives ou par des imprécations anticapitalistes relevant du rituel magique. Quant à la stratégie,
elle se réduit à cette forme d’expression politique primaire qu’est la manifestation mi-carnavalesque, mivandalisante. Une fois de plus, la « colère » du peuple ou
des masses est sacralisée. La réalité politique est ailleurs :
dans le nouveau gouvernement grec né de la crise, formé
d’experts financiers et de représentants d’une extrême
droite nationaliste et antisémite qui aurait pu rester résiduelle. L’histoire, dont le moteur est l’hétérotélie, s’écrit
souvent sur le mode du tragi-comique.
Les démagogues de la nouvelle droite populiste européenne n’ont pas manqué, de leur côté, de prendre le
parti du peuple en colère contre les élites corrompues,
incompétentes ou démissionnaires. L’horreur du présent est l’expression d’un profond malaise des citoyens
que nourrit leur impuissance à se projeter dans l’avenir.
Du côté des extrêmes gauches, l’indignation colorée de
86
87
Pierre-André Taguieff
Le nouveau national-populisme
haine ou de ressentiment vise au premier chef les responsables présumés de la crise financière, donc les élites
en place. Du côté des néopopulistes de droite et d’une
partie de l’extrême droite résiduelle, l’indignation mêlée
d’inquiétude et de colère porte avant tout sur « l’islamisation » des sociétés européennes, dont les élites au pouvoir seraient les facilitateurs ou les complices.
Le succès, dans nombre de sociétés occidentales,
du libelle indigent de Stéphane Hessel, Indignez-vous !,
permet de mesurer l’impuissance de la caste politique
à définir une offre politique crédible pour lutter contre
la crise économico-financière, ses causes et ses conséquences. À ceux qui, dans les classes moyennes en particulier, perçoivent la gravité de la situation en même
temps que l’impuissance programmatique des élites,
et ressentent en conséquence un profond malaise, il ne
reste plus que l’indignation, expression d’un sentiment
d’injustice, d’une révolte contre les excès en tous genres
des classes dirigeantes, d’un dégoût devant la corruption
des élites politiques dévoilée par les « scandales ». Une
indignation qui, pouvant prendre pour objet ou prétexte n’importe quel événement, mène à tout et à rien.
Elle se réduit à une position contre : contre les dirigeants
politiques, contre les puissances financières, contre la
droite au pouvoir, contre la gauche et la droite, contre les
« riches », contre les étrangers qui nous font concurrence
ou nous colonisent, contre l’islam et les musulmans,
contre Israël et le « sionisme ».
Les « indignés » représentent la variante moralisante
et impolitique du populisme de dénonciation : s’il faut
s’indigner, c’est parce qu’il sont « tous pourris », sauf
nous qui nous indignons. Le philosophe André Senik a
parfaitement défini le problème posé par la vague « indignationniste » : « “Indignez-vous !” – le comble de l’antisagesse philosophique – est la version noble de “tous
pourris !” relevée par la sauce “on a raison de se révolter !” Face à cette déferlante, la riposte ne peut être que
“Osez penser, et osez proposer!” » Ce genre de riposte est
assurément moins facile à pratiquer que le confortable
et conformiste abandon à « la Voie » proposée par les
gérontes de l’indignation salvatrice.
Mais, plus profondément, on peut formuler l’hypothèse que ces mobilisations expriment une peur de
l’avenir, devenu totalement opaque. C’est là le noyau
rationnel de réactions irrationnelles obéissant aux
règles de la magie défensive. Le grand message qu’on
entend dans ces rassemblements de victimes réelles ou
potentielles de la crise financière, c’est la question sans
réponse : « Qu’allons-nous devenir ? ». Soit la question
qu’on pose lorsqu’on est pétrifié par le sentiment de
88
89
Pierre-André Taguieff
vivre une décadence finale, perçue comme irréversible
et irrémédiable. Il s’agit donc moins de revendications
que de lamentations, éventuellement accompagnées de
violences. On y trouve aussi des cris de haine. Dans les
mobilisations d’« indignés », du misérabilisme plutôt
que du populisme. Des plaintes de « victimes », plus ou
moins rageuses, plutôt que de véritables révoltes. Les
déçus du présent y apparaissent en même temps comme
des exclus de l’avenir. La vérité de ces mobilisations, c’est
le sentiment d’une impuissance totale des dirigeants
politiques, emportés par les turbulences immaîtrisables
d’une économie financiarisée. Ce qu’on appelle la globalisation, nouvelle figure du destin, sans visage et impitoyable. Aucune réponse n’est plus crédible à la question
« Que faire ? ». Ce qui est en progrès, c’est le désespoir,
soit la passion impolitique par excellence. Et le désespoir
est particulièrement dangereux lorsqu’il passe au politique. Ceux qui n’attendent plus rien sont prêts à tout.
Comme la haine des « immigrés » en tant qu’immmigrés
(bestialisés ou diabolisés), la haine des « pourris » ou des
« voleurs » peut mener à tout. Y compris à une nouvelle
forme de dictature, une dictature post-libérale.
Europe populiste ou
Europe de l’extrême droite ?
Dans les années 2000, on a assisté à la disparition des
éléments constitutifs du paysage de l’extrême droite tel
qu’il s’était reconfiguré après la Seconde Guerre mondiale. Les « néo-» à l’ancienne ont disparu à quelques rares
exceptions près, pour laisser la place à des mouvements
ou des partis émergents ne se présentant pas comme
des héritiers d’une tradition bien définie. « Néonazis» et
« néofascistes » ne sont plus que de folkloriques survivances reléguées aux marges du système politique, ayant
plus à voir avec la culture « Underground » des années
soixante et soixante-dix qu’avec le Troisième Reich. Ce
qu’on appelle encore aujourd’hui « l’extrême droite », par
une vieille habitude de langage, rassemble et amalgame
d’une façon abusive toutes les réactions identitaires ou
Pierre-André Taguieff
Le nouveau national-populisme
ethnonationalistes plus ou moins convulsives contre la
globalisation financière et l’européisation dans un sens
postnational. La catégorie polémique « extrême droite »
est appliquée autant aux partis populistes d’orientation
identitaire, visant à s’intégrer dans le jeu démocratique,
qu’aux groupuscules extrémistes racistes ou religieux
fondamentalistes (chrétiens), voués à la marginalité.
Or, ces réactions antimondialistes et europhobes
vont dans tous les sens : elles peuvent être interprétées
comme des « progrès » ou comme des « régressions », des
« résistances » légitimes ou non, des formes émergentes
de xénophobie ou des réaffirmations identitaires restant
dans le cadre du pluralisme démocratique. Elles oscillent
entre l’extrême droite et l’extrême gauche, révélant par là
nombre de leurs thèmes communs. Leur fond affectivoimaginaire est la peur, qui se fixe soit sur le présent (peur
de perdre des avantages acquis), soit sur l’avenir (peur de
guerres civiles ethnicisées). Une peur aussi d’être privé
d’un passé fournissant un ancrage à l’identité personnelle,
indissociable d’une identité collective privilégiée – représentée, dans la vieille Europe, par telle ou telle nation.
Toutes ces craintes et ces inquiétudes sont en elles-mêmes
légitimes. Seules leurs exploitations politiques par des
démagogues sont condamnables, bien que compréhensibles. Car il n’y a pas à diaboliser le sentiment national,
le besoin de se défendre contre la menace ou le désir de
conserver des traditions ou de préserver des héritages.
La paresse intellectuelle conduit à interpréter négativement toutes ces réactions de masse, à les diaboliser en
les réduisant à des expressions d’une « extrême droite »
fantomatique, qui serait condamnée par le Sens de l’Histoire. Telle est la grande illusion, héritage du xixe siècle
hégéliano-marxiste. Car il n’y a pas de Sens de l’Histoire :
la globalisation va dans tous les sens, et engendre des
réactions allant elles-mêmes dans tous les sens. Le renforcement de l’Europe n’est pas plus probable que son
effondrement après disparition de l’euro, accompagnée
d’une réethnicisation et d’une reparticularisation généralisées, qui peut jouer en faveur des vieux États-nations
mais aussi bien favoriser leur éclatement. Le nouveau
Front national dirigé par Marine Le Pen illustre bien
les ambiguïtés des nouveaux mouvements nationauxpopulistes : dans leur discours idéologique, on trouve
autant d’emprunts à l’antimondialisme d’extrême
gauche que d’éléments issus des traditions nationalistes.
C’est ce qui fait à la fois leur inclassabilité et leur attractivité. Mais c’est précisément ce qui doit nous conduire à
les intégrer dans le jeu politique « normal ».
Encore faut-il pointer un effet pervers dont le massacre commis par l’illuminé Anders Behring Breivik sur
92
93
Pierre-André Taguieff
Le nouveau national-populisme
l’île d’Utoya en Norvège, le 22 juillet 2011, constitue une
illustration. Breivik est le premier terroriste d’extrême
droite depuis 1945 qui ne se situe plus dans la filiation
explicite ou revendiquée du nazisme. Le fait que de
nombreuses formations populistes européennes, désireuses de se normaliser ou de se respectabiliser, aient
choisi d’exclure leurs adhérents les plus radicaux, a favorisé l’apparition d’individus isolés, palliant l’absence
d’intégration dans une communauté militante par une
fuite en avant dans les fantasmes de revanche ou de vengeance dont Internet autorise la libre expression. L’effet
pervers de l’épuration interne des partis d’extrême
droite peut être caractérisé comme une fabrication involontaire de l’extrémisme incontrôlable. Un extrémisme
idéologique et pratique qui débouche sur une forme de
« guerre sainte » individualisée, conduite contre l’immigration de culture musulmane en Europe et ses supposés
« alliés » ou « complices » (appelés « marxistes culturels » ou « multiculturalistes » par Breivik). En Norvège,
le « loup solitaire » nommé Breivik, devenu terroriste
à la suite d’une longue phase d’auto-endoctrinement,
est aussi le produit d’une non-intégration dans l’un des
partis nationaux-populistes qui pouvait sembler proche
de ses convictions, le Parti du progrès, qui l’a exclu en
2006. Le nouveau terrorisme d’extrême droite n’est pas
lié à une appartenance partisane classique, serait-elle
extrémiste, mais au contraire à une désaffiliation. D’où
l’individualisation extrême des projets de massacres
vengeurs que rend possible l’activisme sur Internet, où
se forment des communautés militantes aussi virtuelles
que furtives. Deux experts-psychiatres norvégiens ont
cru pouvoir tourner la page et en finir avec le monstre
inclassable en prononçant à son propos le diagnostic
de « schizophrénie paranoïaque », diagnostic aussitôt
récusé par Breivik, refusant d’être jugé irresponsable.
On peut voir dans cette psychiatrisation du cas Breivik
une tentative de réduire la contestation extrémiste, dès
lors qu’elle passe à l’acte, à une « simple » maladie mentale. Comme si, dans un État-providence en état de bon
fonctionnement, l’on ne pouvait être un « ennemi du
Système » sans être fou.
On ne trouve pas non plus chez les « loups solitaires »
une adhésion idéologique classique : chacun d’entre eux
se fabrique sa doctrine à partir d’un bricolage intellectuel puisant à diverses traditions politiques et s’inspirant
d’auteurs appartenant à tous les bords politiques. Ce n’est
plus dans la culture nazie ou fasciste que ces nouveaux
extrémistes trouvent leurs principales références. Ainsi,
Breivik pouvait citer positivement le « progressiste » John
Stuart Mill, Winston Churchill, Alain Finkielkraut,
94
95
Pierre-André Taguieff
Bernard Lewis, le Pape, Robert Spencer, Geert Wilders,
Vladimir Poutine, Bat Ye’or, etc., et dénoncer autant les
« marxistes culturels » et les « multiculturalistes » que
Hitler (« le Grand Satan ») et le « capitalisme mondialisé ». Ces activistes solitaires ne se rallient pas à une
ligne idéologique répertoriée, ni à une orthodoxie (telle
ou telle grande idéologie politique). Les liens virtuels
n’exercent pas un contrôle de groupe semblable à celui
d’un parti politique. Ils ne fournissent pas d’équivalents
des freins moraux que l’individu trouve en toute communauté de convictions. En d’autres termes, Internet
favorise l’individualisation de l’activisme extrémiste et
du passage au terrorisme. C’est en quoi l’un des modèles
de ce nouveau terrorisme d’extrême droite n’est autre
que le jihadisme mondialisé utilisant Internet comme
substitut d’une communauté militante et d’un groupe
armé (tels que le Hamas ou le Jihad islamique) : chacun,
aussi isolé soit-il, peut se former à l’action guerrière et
décider de passer à l’acte, sans encadrement. Il s’ensuit
que l’imprévisibilité du passage à l’acte s’accroît. Voilà
qui vient alimenter les inquiétudes des citoyens européens. À la peur de l’islamisme vient s’ajouter la peur
de l’anti-islamisme. Comme si le seul avenir imaginable
était à base de terreur.
Face à la montée des nouvelles
droites populistes en Europe,
que faire ?
Alors que le discours de l’extrême droite classique
était structuré par l’anticommunisme et l’antisémitisme, celui de la nouvelle droite populiste l’est par
l’antimondialisation et l’anti-islamisation. Le choc du
11-Septembre et le désarroi provoqué par la grande crise
économico-financière auront joué le rôle de puissants
facteurs d’accélération de cette réinvention du nationalisme. Au sein des vieilles nations européennes qui pratiquent la politique de l’autruche en refusant, à l’instar de
l’Union européenne, de se reconnaître des ennemis, des
mouvements politiques sont apparus hors du système
représentatif qui ont clairement désigné leurs ennemis : l’islamisme et l’islamisation, la globalisation économique sans règles et l’immigration incontrôlée. Ces
97
Pierre-André Taguieff
Le nouveau national-populisme
mobilisations populistes sont de droite parce qu’elles
sont explicitement anti-gauche, mais leurs rejets fondamentaux se rencontrent aussi à gauche et plus largement
dans la plupart des secteurs des opinions nationales.
Mis au premier plan par les nouvelles droites populistes, deux grands refus font l’objet d’un très large
consensus potentiel : le refus, en premier lieu, de voir
l’Europe devenir un territoire dévasté par la spéculation
financière, la corruption et l’endettement des États ; le
refus, en deuxième lieu, de voir les vieilles nations européennes se transformer lentement en terres d’islam, par
l’effet de la dénatalité « de souche » et d’une immigration massive incontrôlée. L’immigration reste ainsi un
enjeu politique fondamental, comme dans l’extrême
droite des années 1970 et 1980, mais la perception de la
menace se concentre sur l’islam, culture religieuse dont
les immigrés venant du Maghreb et d’Afrique subsaharienne sont, en majorité, supposés porteurs. Si l’islam
inquiète, c’est parce qu’il est perçu comme un obstacle
insurmontable rendant impossible l’intégration véritable de la majorité des immigrés musulmans, dans un
contexte international marqué par la montée de l’islamisme, avec l’intolérance et la violence qu’il déchaîne
partout. La question qui reste débattue, même au sein
des droites populistes, c’est celle de la continuité entre
l’islam, l’islam politique et l’islamisme, qu’il soit fondamentaliste ou jihadiste. Les leaders les plus « radicaux »
des nouvelles droites populistes se reconnaissent à leur
refus de distinguer l’islam comme religion, susceptible
d’être vécue paisiblement pas ses croyants, et l’islamisme
dans ses multiples variantes, oscillant entre les Frères
musulmans habillés en « islamistes modérés » (avec costume-cravate et absence de barbe, sur le modèle turc) et
les salafistes prônant le jihad contre l’Occident et « les
Juifs ». La thèse de la continuité entre islam et islamisme
présuppose que le « véritable islam » est l’islam fondamentaliste, ou « l’islam des origines », comme disent
les salafistes. Tel est le postulat des « islamophobes » au
sens strict du terme, postulat qu’ils partagent avec les
salafistes : les premiers diabolisent globalement l’islam
que ces derniers célèbrent les yeux fermés. Il convient
de distinguer la position des « islamophobes » ainsi
définis, susceptible de rencontrer de fortes résistances
dans l’opinion, de celle des « islamismophobes », qui
réservent leurs critiques ou leurs rejets aux différentes
formes d’islamisme, sans confondre ces dernières avec
l’islam. La question est celle de l’essentialisation : ceux
qui essentialisent l’islam sont voués à pratiquer face à ce
dernier soit la démonisation (cas des « islamophobes »
stricto sensu qui assimilent le Coran à Mein Kampf en
98
99
Pierre-André Taguieff
Le nouveau national-populisme
exigeant son interdiction), soit la célébration inconditionnelle (cas des islamistes affirmant « le Coran est
notre Constitution » ou « l’Islam est la solution »). La
position qui me paraît la plus rationnelle en même temps
que la plus raisonnable consiste à désimpliquer en principe islam et islamisme(s), à refuser l’« islamophobie »
(au sens strict du terme) tout en s’engageant clairement
dans une critique sans complaisance de toutes les formes
de l’islamisme.
Les tentatives des élites gouvernantes occidentales
de présenter les islamistes au pouvoir comme des « islamistes modérés » ou de paisibles « musulmans-démocrates » (comme on dit « chrétiens-démocrates ») ne
sauraient convaincre personne. La stratégie de l’euphémisation systématique de la menace islamiste relève
d’une volonté de camoufler les réalités gênantes ou
inquiétantes. Elles feraient sourire par leur côté infantile, si elles n’exprimaient pas une scandaleuse complicité des acteurs diplomatiques avec les ennemis déclarés des démocraties libérales occidentales. En désignant
clairement leurs ennemis, les nouvelles droites populistes gagnent en crédibilité, elles peuvent même capitaliser la confiance et le respect qui ne se portent plus
sur les acteurs politiques classiques. Mais il ne suffit pas
de s’indigner et de dénoncer, d’attirer la sympathie ou
la confiance, pour pouvoir gouverner avec l’efficacité
et la légitimité requises dans un monde chaotique où,
démentant les prophéties des théoriciens de la démocratie cosmopolite, la conflictualité reste le principal facteur
des évolutions.
Face au dynamisme des nouveaux mouvements populistes d’Europe de l’Ouest, qui représentent des symptômes inquiétants du malaise affectant les vieux Étatsnations démocratiques et l’Union européenne en tant
qu’acteur international, il s’agit aujourd’hui de définir la
meilleure manière, variable selon les pays, de favoriser
leur intégration dans le jeu politique « normal », sur le
modèle danois ou le néerlandais – l’Italie et l’Autriche ont
expérimenté également cette stratégie de l’alliance. Car
leur dynamisme tient beaucoup à la force de séduction
d’une opposition perçue comme maximale, qu’ils ont
réussi à incarner. Il faut cesser de fabriquer et d’alimenter des « diables » pour les instrumentaliser. En politique,
même les « diables » peuvent être apprivoisés et intégrés
dans l’humanité commune. Il faut parier, en considérant
les partis nationaux-populistes comme des minorités
rebelles à assimiler. La stratégie d’une intégration de la
contestation néopopuliste est probablement la moins mauvaise des stratégies face à cette expression d’une « pathologie normale » des démocraties européennes confron-
100
101
Pierre-André Taguieff
Le nouveau national-populisme
tées à des crises multidimensionnelles. À la condition
que soient pleinement reconnus et correctement posés
certains problèmes difficiles ou gênants jusque-là démagogiquement exploités, le phénomène néopopuliste peut
être au moins partiellement résorbé par des accords et des
alliances, alors que la diabolisation ne saurait que l’entretenir. L’alternative est simple : la nuisance ou l’alliance.
Ce serait aussi une façon pour la classe politique, en
telle ou telle nation (et tout particulièrement en France),
de renouer des liens avec le peuple (la communauté des
citoyens) qu’elle a négligé au profit des « personnes issues
de la diversité » ou des préoccupations « nobles » de politique internationale, et ainsi abandonné aux démagogues.
L’Europe s’est faite sans les peuples et souvent malgré eux,
elle pourrait devenir une Europe des peuples en s’ouvrant
aux porte-paroles provisoires des exclus d’une Europe des
élites arrogantes. On sait cependant que certains stratèges
cyniques préfèrent jouer la carte de la nuisance pour s’en
servir dans la poursuite de leurs objectifs, qui n’ont rien à
voir avec le bien commun. L’instrumentalisation du Front
national par François Mitterrand, dans les années 1980,
relevait de cette stratégie électoralement fructueuse pour
la gauche mais globalement dangereuse. Les monstres se
retournent fatalement contre leurs créateurs, comme on
l’a vu le 21 avril 2002.
En rendant crédible le fantasme d’une démocratie
directe, pure ou transparente, ou en absolutisant les
identités ethnonationales, ce qui favorise l’ethnicisation
des menaces (incarnées principalement par les immigrés
non européens de culture musulmane), ces nouveaux
populismes minent le consensus de base sur lequel
reposent les démocraties pluralistes. Ils ne nourrissent
pas le libre débat, ils installent des idées fausses et des
stéréotypes dans l’espace des débats, qu’ils contribuent
ainsi à détruire. Ils propagent la défiance et le soupçon
dans l’opinion, à l’égard des élites comme à l’égard des
étrangers, et participent à la banalisation des représentations conspirationnistes des processus politiques, permettant de théoriser le ressentiment (« C’est la faute de
X si… »). Transformé en passion politique dominante, et
par là en motivation forte de l’engagement politique, le
ressentiment risque de chasser l’espoir, et les peurs irrationnelles de remplacer les projets. Mais la stratégie du
cordon sanitaire et de la démonisation ne peut être efficace que pour contenir une formation groupusculaire à
la thématique non partagée par l’opinion. Ce n’est plus
le cas avec le Front national en France, l’UDC en Suisse,
le Parti pour la Liberté aux Pays-Bas, le FPÖ en Autriche
et divers partis populistes de droite dans les pays scandinaves (Danemark, Norvège, Suède, Finlande). Lorsque,
102
103
Pierre-André Taguieff
Le nouveau national-populisme
par exemple, Marine Le Pen dénonce le comportement
irresponsable des élites financières, elle est loin d’être
la seule à le faire. Le 22 novembre 2011, Jean-Pierre
Chevènement répliquait aux journalistes qui l’interrogeaient : « Il y a un rejet des élites financières. Vous appelez ça populisme, moi je l’appelle réaction populaire.
Peut-on faire confiance à ceux qui nous ont fourvoyés
pour nous sortir de l’ornière ? » Lorsque la nouvelle présidente du Front national défend la laïcité ou la nation,
s’inquiète de l’insécurité et dénonce le communautarisme musulman ou l’immigration massive, elle semble
se faire l’écho de l’opinion française. Une enquête de
l’Ifop réalisée début novembre 2011 établit en effet que
76 % des Français jugent qu’en France l’islam progresse
trop (ils sont seulement 14 % à penser que l’État devrait
aider à financer la construction de mosquées), 66 % qu’« il
y a trop d’immigrés en France », 56 % qu’« on ne se sent
en sécurité nulle part », alors qu’ils sont 81 % à affirmer
leur attachement à la laïcité et à la nation. Si 80 % d’entre
eux se disent attachés à la solidarité, on peut en induire
qu’ils sont enclins à réserver les bénéfices de la solidarité
nationale aux nationaux. Ce qui consonne avec le principe de la « préférence nationale ». Cette même enquête
permet aussi d’évaluer le haut niveau atteint dans l’opinion par la défiance à l’égard des médias (76 %) et des
partis politiques (85%). La dénonciation néopopuliste
des grands partis installés va donc aussi dans le sens de
l’opinion.
Tenus à l’écart du pouvoir politique par une stratégie
défensive recourant à la diabolisation et au verrouillage
des questions gênantes par le « politiquement correct »,
les nouveaux populismes identitaires ou protestataires
sont voués à corrompre les démocraties représentatives
de l’intérieur. Ils représentent pour elles un défi qu’elles
doivent relever avec lucidité et courage. Comme y invite
Laurent Bouvet, s’adressant en priorité à la gauche, il
faut apprendre à « apprivoiser » le néopopulisme en
le « dialectisant » plutôt qu’en le diabolisant. Face aux
nouveaux mouvements populistes, la bonne question
n’est pas « D’où viennent-ils ? », mais « Où vont-ils ? ».
L’erreur la plus dangereuse serait de transformer tous
leurs thèmes en objets de phobie, au lieu de chercher
des solutions efficaces et acceptables aux problèmes
de société qu’ils ne posent à leur manière que pour les
exploiter démagogiquement. La condamnation morale
et la dénonciation édifiante sont ici impuissantes : elles
contribuent même à entretenir la séduction exercée par
le parti diabolisé, ainsi placé en position de persécuté, de
victime, voire de martyr de la liberté d’expression. Si la
« normalisation » des mouvements populistes ne s’opère
104
105
Pierre-André Taguieff
Le nouveau national-populisme
pas, les vieux partis de gauche et de droite risquent de
perdre ce qui reste de leur attractivité, et de finir par
se confondre dans un centre indistinct composé de
gestionnaires douteux conseillés par des experts irresponsables, face auquel s’affirmerait le nouveau camp du
« changement », ce mot magique aujourd’hui privilégié
par tous les démagogues en âge de gouverner.
La mise en place de gouvernements technocratiques
en Europe ne peut provoquer de l’enthousiasme que chez
ses dénonciateurs, s’érigeant en défenseurs de la souveraineté des peuples et de l’indépendance des nations.
La « technocratisation » de l’Union européenne revient
à abandonner le puissant moteur de l’enthousiasme et
l’espoir d’un « changement » aux démagogues « antimondialisation » ou « démondialisateurs », de droite
ou de gauche. Devenus crédibles, ces derniers auront
beau jeu de dénoncer, au nom du peuple et des droits
des peuples, la «ploutocratie» internationale ou les oligarchies financières, la « bureaucratie » européiste, les
élites corrompues, etc., en appelant les peuples à se libérer du « monstre doux » qui les trompe et les opprime.
Ce sont là les éléments du nouveau discours de révolte
des « damnés de la terre », réels ou imaginaires, prenant
appui sur l’une des passions politiques les plus répandues : la haine des « puissants ». Face aux appels néopo-
pulistes à la résistance et à la libération, les défenseurs
du passage à l’âge technocratique et postnational n’ont
qu’une piteuse réponse : telle ou telle version du principe
fataliste « Il n’y a pas d’alternative ». Mais la démocratie,
c’est la possibilité de faire des choix non moins que la
liberté d’espérer. L’abandon au Destin signe la démission et la résignation, la sacralisation du Sens unique
revient à faire défiler les Européens dans une impasse,
au rythme d’une fanfare dirigée par des agences de notation sans visage. La faute majeure des eurotechnocrates,
c’est d’abandonner aux agitateurs populistes les aspirations démocratiques fondamentales.
Que la crise se généralise en se radicalisant, et les
nouveaux imprécateurs, les faux prophètes et les démagogues sans scrupules qui ne manqueront pas de surgir
– la nature politique ayant horreur du vide –, se présentant comme des sauveurs, risquent de séduire les foules
désemparées. Or, ces démagogues, recourant à la rhétorique populiste, n’auront d’autre légitimité que celle
qu’ils tiendront de leurs chasses aux responsables présumés des malheurs de leurs « peuples » respectifs, chasses
aux sorcières prenant la forme d’appels à la vengeance
et à la guerre civile, ou d’engagements dans des guerres
régionales. À la fuite en avant dans l’utopisme technocratique s’opposerait la fuite en avant dans le chaos, dont
106
107
Pierre-André Taguieff
la présence latente se dévoilerait, une fois brisé le carcan procédural qui étouffait les nations. Des émeutes
pourraient balayer l’espace européen, exprimant le ressentiment et la volonté de vengeance des peuples abandonnés, mis à l’écart et méprisés. L’ironie de l’Histoire
pourrait alors prendre le visage du tragique. Mais qui
pouvait croire que la marche de l’Histoire ressemblait à
celle d’un long fleuve tranquille ?
Bibliographie sommaire
Agulhon (Maurice), « Le peuple à l’inconditionnel », Vingtième siècle. Revue d’histoire, n° 56, octobredécembre 1997, pp. 225-226.
Algalarrondo (Hervé), La Gauche et la préférence
immigrée, Paris, Plon, 2011.
Balent (Magali), « L’Union européenne face aux
défis de l’extrémisme identitaire », Questions d’Europe,
n° 117, Fondation Robert Schuman, 12 juillet 2010, http://
www.robert-schuman.eu/print_qe.php?num=qe-177.
Bartlett (Jamie), Birdwell (Jonathan), Littler
(Mark), The New Face of Digital Populism, Londres,
Demos, novembre 2011.
Bauer (Werner T.), Populisme de droite en Europe :
phénomène passager ou transition vers un courant
109
Pierre-André Taguieff
Le nouveau national-populisme
politique dominant ?, Paris, Friedrich-Ebert-Stiftung,
Analyses et documents, avril 2011.
Bell (Daniel) (ed.), The Radical Right [1955], Garden
City, Doubleday, 1963.
Berlin (Isaiah), « Le populisme russe » (1960), in I.
Berlin, Les Penseurs russes, tr. fr. D. Olivier, Paris, Albin
Michel, 1984, pp. 265-293.
Betz (Hans-Georg), Right-Wing Populism in Western
Europe, New York, St. Martin’s Press, 1994.
Betz (H.-G.), La Droite populiste en Europe. Extrême
et démocrate ?, tr. fr. G. Brzustowski, préface de Pascal
Perrineau, Paris, Éditions Autrement, 2004.
Birnbaum (Pierre), Le Peuple et les Gros. Histoire
d’un mythe [1979], nouvelle édition, Paris, Hachette,
coll. « Pluriel », 1995.
Blaise (Pierre) et Moreau (Patrick) (dir.), Extrême
droite et national-populisme en Europe de l’Ouest. Analyse
par pays et approches transversales, Bruxelles, Centre de
recherche et d’information socio-politiques (CRISP), 2004
Bouvet (Laurent), « Le sens du peuple », Le Débat, n°
164, mars-avril 2011, pp. 136-143.
Canovan (Margaret), Populism, New York et
Londres, Harcourt Brace Jovanovich, 1981.
Canovan (M.), « Talking Politics to the People :
Populism as the Ideology of Democracy », in Yves Mény,
Yves Surel (eds), Democracies and the Populist Challenge,
Basingstoke et New York, Palgrave, 2002, pp. 25-44.
Decker (Frank), Der neue Rechtspopulismus,
Opladen, Leske + Budrich, 2004.
Decker (F.) (Hrsg.), Populismus. Gefahr für die
Demokratie oder nützliches Korrektiv ?, Wiesbaden, VS
Verlag für Sozialwissenschaften, 2006.
Delsol (Chantal), La Nature du populisme ou les
figures de l’idiot, Nice, Les éditions Ovadia, 2008.
Eismann (Wolfgang) (Hrsg.), Rechtspopulismus.
Österreichische
Krankheit
oder
europäische
Normalität ?, Vienne, Czernin Verlag, 2002.
Germani (Gino), Authoritarianism, Fascism and
National Populism, New Brunswick, NJ, Transactions
Books, 1978.
Guillemoles (Alain), « Le populisme se lève à
l’Est », Politique internationale, n° 114, hiver 2006-2007,
pp. 329-342.
Hainsworth (Paul), The Extreme Right in Western
Europe, Londres et New York, Routledge, 2008.
Hermet (Guy), Les Populismes dans le monde. Une
histoire sociologique, xixe-xxe siècle, Paris, Fayard, 2001.
Ignazi (Piero), « Les partis d’extrême droite : les
fruits inachevés de la société postindustrielle », in Pascal
Perrineau (dir.), Les Croisés de la société fermée. L’Europe
110
111
Pierre-André Taguieff
des extrêmes droites, La Tour d’Aigues, Éditions de l’Aube,
2001, pp. 369-384.
Ignazi (P.), Extreme Right Parties in Western Europe,
Oxford et New York, Oxford University Press, 2003; 2e éd.
augm. (Paperback Edition), 2006.
Ignazi (P.), « La droite italienne entre populisme, xénophobie et conservatisme modéré », La Revue socialiste, n°
41, 1er trimestre 2011, pp. 19-24.
Ihl (Olivier), Chêne (Janine), Vial (Éric), Waterlot
(Ghislain) (dir.), La Tentation populiste au cœur de l’Europe,
Paris, La Découverte, 2003.
Ionescu (Ghita), Gellner (Ernest) (eds), Populism :
Its Meanings and National Characteristics, Londres,
Weidenfeld and Nicolson, 1969.
Ivaldi (Gilles), Droites populistes et extrêmes en Europe
occidentale, La Documentation française, coll. « Les
Études », 2004.
Jacob (Antoine), « L’Europe du Nord gagnée par le
populisme de droite », Politique internationale, n° 127, printemps 2010, pp. 221-238.
Laruelle (Marlène), Le Nouveau nationalisme russe,
Paris, Éditions de l’Œuvre, 2010.
Lavau (Georges), « Le Parti communiste dans le système
politique français », in Frédéric Bon et al., Le Communisme
en France, Paris, Armand Colin, 1969, pp. 7-81.
112
Le nouveau national-populisme
Leca (Jean), « Justice pour les renards ! Comment le pluralisme peut permettre de comprendre le populisme aujourd’hui »,
Critique, n° 776-777, février 2012, pp. 85-95.
Mayer (Nonna), Ces Français qui votent Le Pen (1999), 2e éd.
augm., Paris, Flammarion, 2002.
Mény (Yves) et Surel (Yves), Par le peuple, pour le peuple. Le
populisme et les démocraties, Paris, Fayard, 2000.
Mény (Y.) et Surel (Y.) (eds), Democracies and the Populist
Challenge, Basingstoke et New York, Palgrave, 2002.
Michaels (Walter Benn), La Diversité contre l’égalité [2006 ; éd.
mise à jour], tr. fr. F. Junqua, Paris, Éditions Raisons d’agir, 2009.
Milza (P.), « Le Front national : droite extrême … ou nationalpopulisme ? », in Jean-François Sirinelli (dir.), Histoire des droites en
France, t. 1 : Politique, Paris, Gallimard, 1992, pp. 691-732, 762-766.
Mudde (Cas), « The Populist Zeitgeist », Government and
Opposition, 39 (4), 2004, pp. 541–563.
Mudde (C.), « The War of Words : Defining the Extreme
Right Party Family », West European Politics, 19 (2), avril 1996,
pp. 225-248.
Mudde (C.), Populist Radical Right Parties in Europe,
Cambridge et New York, Cambridge University Press, 2007.
Mudde (C.), « The Populist Radical Right : A Pathological
Normalcy », West European Politics, 33 (6), 2010, pp. 1167-1186.
Putnam (Robert D.), « E Pluribus Unum : Diversity and
Community in the Twenty-first Century », Scandinavian
113
Pierre-André Taguieff
Political Studies, 30 (2), juin 2007, pp. 137-174.
Reynié (Dominique), Populismes : la pente fatale, Paris,
Plon, 2011.
Reynié (D.), « Le tournant ethno-socialiste du Front
national », Études, n° 4155, novembre 2011, pp. 463-472.
Rioux (Jean-Pierre) (dir.), « Les populismes », Vingtième
siècle. Revue d’histoire, n° 56, octobre-décembre 1997.
Rydgren (Jens) (ed.), Movements of Exclusion : Radical
Right-Wing Populism in the Western World, New York, Nova
Science Publishers, 2005.
Taggart (Paul A.), Populism, Buckingham et
Philadelphie, Open University Press, 2000.
Taguieff (Pierre-André), « La rhétorique du nationalpopulisme », Mots, n° 9, octobre 1984, pp. 113-139.
Taguieff (P.-A.), « Le populisme et la science politique :
du mirage conceptuel aux vrais problèmes », Vingtième siècle.
Revue d’histoire, n° 56, octobre-décembre 1997, pp. 4-33.
Taguieff (P.-A.), L’Illusion populiste. De l’archaïque au
médiatique, Paris, Berg International, 2002 ; nouvelle édition
augmentée : L’Illusion populiste. Essai sur les démagogies de
l’âge démocratique, Paris, Flammarion, coll. « Champs »,
2007.
Taguieff (P.-A.) (dir.), Le Retour du populisme. Un défi
pour les démocraties européennes, Paris, Universalis, coll.
« Le tour du sujet », 2004.
Du même auteur
La Force du préjugé. Essai sur le racisme et ses doubles,
Paris, La Découverte, 1988 ; 2e éd. corrigée, Paris, Gallimard,
coll. « Tel », 1990.
Face au racisme (dir.), Paris, La Découverte, 1991, 2 vol. ;
nouvelle édition corrigée, Paris, Le Seuil, coll. « PointsEssais », 1993.
Théories du nationalisme. Nation, nationalité, ethnicité
(en codirection avec Gil Delannoi), Paris, Kimé, 1991.
Pourquoi nous ne sommes pas nietzschéens (en collaboration avec Vincent Descombes, Luc Ferry et al.), Paris,
Grasset, 1991.
Les Protocoles des Sages de Sion. Faux et usages d’un faux,
Paris, Berg International, 1992, t. I : Introduction à l’étude
des Protocoles. Un faux et ses usages dans le siècle (nouvelle
115
Pierre-André Taguieff
édition refondue et augmentée, en coédition avec Fayard,
2004) ; t. II : Études et documents (dir.). [Prix Bernard
Lecache décerné en 1992].
Sur la Nouvelle droite. Jalons d’une analyse critique,
Paris, Descartes et Cie, 1994.
Les Fins de l’antiracisme, Paris, Michalon, 1995.
La République menacée, Paris, Textuel, 1996.
Le Racisme, Paris, Flammarion, 1997.
La Couleur et le Sang. Doctrines racistes à la française,
Paris, Mille et une nuits, 1998 ; nouvelle édition refondue
et augmentée, 2002.
Face au Front national (en collaboration avec Michèle
Tribalat), Paris, La Découverte, 1998.
L’Antisémitisme de plume 1940-1944 (dir.), Paris, Berg
International, 1999. [Prix étudiant du livre politique,
1999].
L’Effacement de l’avenir, Paris, Galilée, 2000. [Prix
Philippe Habert de science politique, décerné en 2001].
Du progrès. Biographie d’une utopie moderne, Paris,
Librio, 2001.
Résister au « bougisme ». Démocratie forte contre mondialisation techno-marchande, Paris, Mille et une nuits,
2001.
Nationalismes en perspective (en codirection avec Gil
Delannoi), Paris, Berg International, 2001.
Le nouveau national-populisme
La Nouvelle Judéophobie, Paris, Mille et une nuits, 2002.
L’Illusion populiste. De l’archaïque au médiatique, Paris,
Berg International, 2002 ; nouvelle édition refondue et augmentée : L’Illusion populiste. Essai sur les démagogies de
l’âge démocratique, Paris, Flammarion, coll. « Champs »,
2007.
Le Retour du populisme. Un défi pour les démocraties européennes (dir.), Paris Universalis, coll. « le tour du
sujet », 2004.
Le Sens du progrès. Une approche historique et philosophique, Paris, Flammarion, 2004.
Prêcheurs de haine. Traversée de la judéophobie planétaire, Paris, Mille et une nuits, 2004.
La République enlisée. Pluralisme, « communautarisme »
et citoyenneté, Paris, Éditions des Syrtes, 2005.
La Foire aux « Illuminés ». Ésotérisme, théorie du complot, extrémisme, Paris, Mille et une nuits, 2005.
L’Imaginaire du complot mondial. Aspects d’un mythe
moderne, Paris, Mille et une nuits, 2006.
Les Contre-Réactionnaires. Le progressisme entre illusion
et imposture, Paris, Denoël, 2007.
La Bioéthique ou le juste milieu. Une quête de sens à l’âge
du nihilisme technicien, Paris, Fayard, 2007.
Julien Freund. Au cœur du politique, Paris, La Table
Ronde, 2008.
117
Pierre-André Taguieff
La Judéophobie des Modernes. Des Lumières au Jihad
mondial, Paris, Odile Jacob, 2008.
La Nouvelle Propagande antijuive. Du symbole alDura aux rumeurs de Gaza, Paris, PUF, 2010.
Julien Freund. La dynamique conflictuelle (en codir.),
Paris, Berg International, 2011.
Israël et la question juive, St-Victor-de-Mor, Les provinciales, 2011.
Wagner contre les Juifs. Aux origines de l’antisémitisme culturel moderne, Paris, Berg International, 2012.
dans la même collection :
Régis Debray, Le Dialogue des civilisations : un mythe contemporain, 2007
Jean Malaurie, Terre mère, 2008
Pierre Nora et Françoise Chandernagor, Liberté pour l’Histoire, 2008
Michel Maffesoli, Apocalypse , 2009
Maurice Godelier, Communauté, Société, Culture. Trois clefs pour
comprendre les identités en conflits, 2009
Henri Tincq, Catholicisme : le retour des intégristes, 2009
Dominique Wolton, Informer n’est pas communiquer, 2009
Alain Bauer, Xavier Raufer, La face noire de la mondialisation, 2009
Esther Benbassa, Être juif après Gaza, 2009
Michel Maffesoli, Matrimonium, 2010
Jean-Robert Pitte, Le génie des lieux, 2010
119
Hervé Gaymard, Nation et engagement, 2010
Maurice Godelier, Les tribus dans l’Histoire et face aux États, 2010
Philippe de Saint Robert, Juin 40 ou les paradoxes de l’honneur,
2010
Jean-François Sabouret, Japon. La fabrique des futurs, 2011
François Jost, De quoi les séries américaines sont-elles le symptôme ?,
2011
Jean-François Sirinelli, L’Histoire est-elle encore française ?, 2011
Emmanuel Pierrat, Faut-il rendre les œuvres d’art ?, 2011
DFKHYpG¶LPSULPHU