La critique de l’Etat-Nation des Juifs: le potentiel génocidaire d’une fausse bienveillance
Yana Grinshpun, Roland Assaraf
La loi israélienne faisant de l’Etat d’Israël l’état Nation du peuple juif a été le sujet de
nombreux articles, tribunes unanimes dans la condamnation, affirmant que cette loi serait
discriminatoire à l’égard des minorités non juives.
Ces articles sont intéressants, car ils révèlent qu’Israël est perçu, probablement de manière
inconsciente par leurs auteurs, comme une anomalie transitoire de l’Histoire, une
transgression de l’état du monde, non pas tant du fait de ses actions, mais du fait de sa nature.
Le leitmotiv de ces discours consiste à pointer l’illégitimité fondamentale de cet état. Il existe
cependant une différence importante entre ce discours délégitimant et le discours clairement
antisioniste : Israël n’apparaît pas ici comme un problème à résoudre par son élimination
physique ou par la déportation de la population juive, mais comme un problème qu’il faut
tolérer, un problème avec lequel il faut vivre, une verrue de l’Histoire qui a de toutes les
manières la vocation d’être passagère.
Ces textes s’inscrivent aussi dans le cadre d’un rejet par les élites intellectuelles politiques et
médiatiques du modèle de l’Etat-Nation. Un rejet qui n’inclut pourtant pas des états, comme
la Russie, l’Iran, l’Arabie Saoudite, la Chine, ou le Pakistan, mais celui de l’Etat Nation
démocratique occidental traditionnel. Ce rejet est d’ailleurs compatible avec l’abandon d’une
partie de la souveraineté des états européens au profit d’instances supranationales, par
exemple, l’Union européenne. (A ce propos, voir S.Trigano 2012 La nouvelle idéologie
dominante)
Un certain nombre de tribunes qui critiquent la loi de la souveraineté nationale votée par la
Knesset (Parlement Israélien) invoquent son caractère « discriminatoire ». Or, il apparaît
qu’aucun des textes de presse, tribunes, protestations que nous avons analysés, n’expliquent
en quoi consiste cette discrimination. La plupart des auteurs et signataires de ces tribunes
n’ont probablement jamais mis leurs pieds en Israël et n’en ont connaissance que par le biais
des discours médiatiques francophones. Certains affichent leur origine juive ou israélienne,
semblant considérer que l’affichage de l’origine ethnique et nationale est un argument
intellectuellement suffisant pour dénoncer cette loi, et qu’à ce titre, il remplace toute analyse
et argumentation basée sur des faits.
Tous ces textes partagent le même invariant d’une dénonciation morale ne reposant sur
aucune analyse de faits réels ou de « crimes » imputés à Israël, mais sur le récit anti-israélien
diffusé par les médias et par les « penseurs » antisionistes depuis des décennies. Ils opèrent
par une sloganisation de la pensée, avec l’exploitation massive de l’histoire coloniale
européenne plaquée sur Israël comme une évidence. Parmi les mots-clés qui provoquent le
réflexe pavlovien de l’indignation sont par exemple: « colonisation » et « occupation ».
Prenons, par exemple, le mot « colonisation » que l’on retrouve dans l’une de ces tribunes
« … elle encourage la colonisation juive, présentée comme valeur nationale, et confirme
l’annexion de Jérusalem déclarée unilatéralement capitale d’Israël … » (voir ici)
Quel est le rapport avec la loi israélienne dénoncée ? Cette tribune qui évoque 12 articles au
lieu de 11 et ne se fonde sur aucun texte, aucune citation, ne juge pas nécessaire de
l’expliciter. Quant à l’utilisation du mot « colonisation », est-t-il approprié ? La « politique de
colonisation » renvoie à celle de l’impérialisme, à l’envahissement du territoire, à
l’exploitation de cette dernière à des fins économiques. Voici ce qu’en dit le TLF
A. [En parlant de l’action de pers.] Occupation, exploitation, mise en tutelle d’un territoire
sous-développé et sous-peuplé par les ressortissants d’une métropole. Jamais colonisation n’a
été plus heureuse, n’a porté de plus beaux fruits, que celle des Romains en
Gaule (BAINVILLE, Histoire de France, t. 1, 1924, p. 15) :
Colon est selon le TLF Celui qui a quitté son pays pour aller occuper, défricher, cultiver une
terre de colonisation :
ex : La Russie plus tard puisa à son tour dans l’Europe centrale des contingents
de colons pour reconstituer son Ukraine, sa frontière des steppes.
VIDAL DE LA BLACHE, Princ. de géogr. hum., 1921, p. 99.
Ces définitions coïncident en effet avec la colonisation européenne des pays africains ou
américaine ou espagnole des terres appartenant aux indiens. Or, l’Etat d’Israël n’est pas une
métropole qui tient sous sa tutelle les territoires d’outre-mer sans aucun lien historique
et à des fins économiques, n’impose pas sa culture à d’autres peuples.Les familles juives
vivant en Judée-Samarie, ou à « Jérusalem-Est » ne sont pas des « colons » au sens de la
colonisation de l’Amérique, par exemple. A part de rares exceptions, ils y ont acheté leurs
biens ou en ont hérité. Des Juifs vivaient sur ces terres avant qu’ils n’en aient été expulsés en
1948 après le partage de ces territoires par la France et la Grande Bretagne. De plus, la JudéeSamarie et Jérusalem sont les lieux de l’Histoire plurimillénaire du peuple juif, à ce titre ils
n’ont pas le même statut historique et symbolique que Madagascar, l’Algérie, le Mali ou la
Guyane (colonies passées ou présentes), pour un français.
On peut se demander légitimement pourquoi on désigne les habitants juifs de Jérusalem et de
Judée comme des « colons ». Est-ce parce-que la Judée ou Jérusalem n’ont aucun lien
symbolique et historique avec le peuple juif ? Ou est-ce l’utilisation de ce vocabulaire par
l’AFP qui fait classer ces territoires comme devant être Judenrein (libres de toute présence
juive) ? C’est une drôle d’exigence « morale », demandée au seul peuple juif que celle d’être
absent même en minorité infime, quelque part, et de surcroît, sur leur terre ancestrale.
Le matraquage par les médias des termes « colons », « colonisation », « occupation », ne sont
pas fondés sur une réalité objective. Ce sont ces mots et leur répétition incessante qui fondent
les représentations collectives, en particulier, la croyance qu’un habitant juif est en infraction
de règles morales et légales, par le simple fait de s’être installé ou d’être né dans la vieille
ville de Jérusalem ou en Judée.
Décontextualiser les causes existentielles du conflit entre les Israéliens, régimes arabes,
Autorité Palestinienne et le Hamas, comme le font de nombreux journalistes, intellectuels et
politiques en traitant la politique israélienne comme la politique coloniale française ou
anglaise, permet, en réalité, de délégitimer la présence de populations juives sur ce territoire,
sans avoir à justifier cette délégitimation. Car si cette dernière ne se justifie pas par les
arguments rationnels, elle peut s’expliquer par l’histoire de la culture européenne chrétienne
dont sont nourries les « élites » qui produisent ces textes.
Comme l’avait montré Jules Isaac, cette culture véhicule déjà depuis près de deux millénaires,
l’idée de l’illégitimité du peuple juif sur la terre de son histoire ancienne.
Dans son livre Jésus et Israël, paru en 1948, Jules Isaac cite ce passage d’un manuel de
certificat d’études publié en 1947 (destinés aux jeunes de 13-14 ans) fait sur « le ton
coutumier du mépris à l’égard des Juifs » : « « [Après la Crucifixion], le châtiment des juifs
déicides ne se fit pas attendre. Trente-six ans après la mort du Sauveur, l’empereur romain
Titus s’empara de Jérusalem… Les Juifs, dispersés à travers le monde, n’ont jamais pu
réformer une nation » (1948, proclamation de l’indépendance de l’État d’Israël). « Ils ont erré
partout, considérés comme une race maudite, objet du mépris des autres peuples. »
La perception n’est pas étrangère au conditionnement culturel. Par conséquent, les gens élevés
au sein de la culture chrétienne perçoivent l’absence de légitimité sur la terre qui appartenait
historiquement aux Juifs comme une donnée culturelle: « ils ont erré partout », « considérés
comme une race maudite ». Où qu’ils soient, ils sont perçus comme des intrus. D’où la
prolifération des formules comme « l’occupation » ou « la colonisation ».
D’autres formules, qui peuvent apparaître dans l’espace idéologico-médiatique, « territoires
occupés », « violation du droit international », pour véhiculer cette perception d’illégitimité de
toute présence juive dans la vieille ville de Jérusalem, ou en Judée-Samarie, sont tout autant
des slogans, qui révèlent la même perception mais d’une manière décalée.
Est-ce encore parce qu’il est affirmé que la présence juive en Judée est contraire au « droit
international », que ces territoires doivent être sans Juifs, ou est-ce parce qu’on considère que
cette présence constitue une transgression de mode d’existence auquel la culture européenne
et chrétienne a assigné le peuple juif depuis Titus (qui a expulsé des Juifs de leur patrie en 70
de notre ère), qu’on invoque le droit international ?
Bref, « le droit international » est-ce la cause ou le prétexte de la négation à la fois du droit
du sang et du droit du sol des Juifs à Jérusalem, y compris dans le quartier juif, ou dans le
Goush Etzion, en Judée (Cisjordanie) ?
Nous savions que cette légitimité juive en Judée/Cisjordanie, à « Jérusalem-Est » et plus
généralement au-delà de la ligne verte (ligne de cessez-le feu entre Israël et la Jordanie en
1948), était contestée. Les textes de ces tribunes révèlent que cette légitimité est contestée
également sur le territoire à l’intérieur des lignes de cessez-le feu de 1949, c’est-à-dire ; dans
les frontières reconnues officiellement par les chancelleries européennes.
Entendons-nous bien, presqu’aucune personnalité politique ou médiatique ne nie le droit
d’Israël à l’existence ouvertement. La notion de légitimité, n’est pas juridique mais morale.
La délégitimation ne consiste pas en une réprobation ou une critique, elle touche à l’essence
même de cet état, à sa nature. Cette délégitimation peut prendre des allures faussement
bienveillantes à l’égard de la population juive, comme dans le texte écrit par l’ancien Ministre
de l’Intérieur Français, Hervé de Charrette dont nous citons ici la tribune à titre d’exemple. Ce
texte est représentatif d’un grand nombre de discours tenus dans les médias français au sujet
d’Israël, ses fondements, ses lois et ses frontières. On peut le consulter sur le site
de Libérationhttps://www.liberation.fr/debats/2018/07/31/israel-l-etat-nation-dupeuplejuif_1669995
L’auteur, Hervé de Charrette, y concède d’un ton détaché :
« B. Netanayahou a donc convaincu sans peine les Américains de transférer le siège de leur
ambassade de Tel-Aviv à Jérusalem, foulant au pied les résolutions du Conseil de sécurité et
le droit international. […]Tous les juifs du monde sont peut-être peu ou prou d’accord avec
cette définition d’Israël, laquelle se rattache d’ailleurs directement à la déclaration Balfour d’il
y a cent ans.
Oui bien sûr, conformément à ce qui avait été promis par lord Balfour en 1917, l’Etat d’Israël
a été créé après la seconde Guerre Mondiale pour donner aux Juifs une terre et un Etat où
vivre enfin en sécurité après le martyr de la Shoah. Il n’y a rien à redire à cela. Mais le
problème palestinien demeure, et cette déclaration ne fait que le compliquer un peu ».
L’opinion de De Charrette relève non seulement de ses connaissances mais surtout de
croyances. En premier lieu, ce passage constitue un contresens anachronique révélateur.
La déclaration Balfour a eu lieu avant la Shoah. Contrairement à ce que H. de Charette
prétend, la motivation derrière Balfour ou, en réalité, le traité de San Remo (1920), ne pouvait
pas être un remède à ce «martyr» de la Shoah, qui a lieu 20 ans plus tard.
De surcroît, l’auteur semble confondre donner un état, et donner la légalité internationale
à un état, légalité qui a été donnée à San-Remo, un traité qui n’a pas été respecté de facto par
les britanniques. Cet état n’a pas été « donné », il s’est construit malgré l’hostilité de la
puissance mandataire avec l’application de son fameux « Livre Blanc », qui limitait toute
immigration juive et autorisait l’immigration arabe vers la Palestine.
Pour qu’un état puisse exister avec sa population, il faut déjà que cette population y vive.
L’Union soviétique a essayé de donner un état aux Juifs au Birobidjan : peu de Juifs y sont
allés, ce n’est pas un Etat et encore moins juif. Un Etat Juif en Palestine, n’est pas la
conséquence d’un traité, mais la conséquence d’une forte présence juive déjà sur place avant
même l’apparition de discours politiques contemporains. Ce qui a été fait à San Remo, c’est
d’inciter la Grande Bretagne à ne pas poser d’obstacles pour qu’un Etat Juif puisse émerger en
Palestine, obstacles, qui ont été, de facto appliqués par la puissance mandataire (la Grande
Bretagne), en créant la dynastie Hashémite sur la rive Est de Jourdain et surtout par
l’instauration et l’application de trois volets du Livre Blanc (publiés en 1922, en 1930 et en
1939) qui interdisait l’immigration des Juifs de l’Europe en Palestine, remettant en cause
l’implantation juive.
Et si la seule fonction d’un tel état c’est la sécurité du peuple juif, comme le prétend le texte
de l’ancien Ministre des Affaires Etrangères, alors pourquoi cet état, pourquoi pas un autre,
ailleurs, au Groenland, au Birobidjan ou en Ouganda? La question de la légitimité historique,
-c’est à dire le fait que pour le peuple juif, la terre des ancêtres éloignés n’est pas au
Groenland ou en Ouganda, mais bel et bien en Israël, n’est pas prise en compte. Au lieu de
cela, c’est la seule question de la sécurité en relation avec la Shoah, qui est évoquée, c’est à
dire une question ponctuelle dans le temps, qui ne garantit pas la pérennité d’Israël. De
Charette ne remet pas en question l’existence « d’un état ». Il remet en question de
manière implicite l’existence de CET état, dans sa géographie actuelle, dans le temps présent
et futur.
D’ailleurs Hervé de Charette n’utilise pas le «martyre de la Shoah» comme un argument
légitimant la présence du peuple juif en Israël (et à juste titre, un génocide ne légitime pas la
présence d’un peuple quelque part) mais comme un argument délégitimant toute critique de
l’existence de l’état d’Israël. « Il n’y a rien à dire à cela ». C’est une censure qu’il prône : s’il
faut se taire sur l’existence de cet état, c’est qu’il n’y a rien à redire contre cette existence.
Mais qui doit se taire, sinon ceux qui peuvent se sentir héritiers de la culpabilité de crimes
génocidaires ? les Européens ?
Implicitement, selon H. de Charette, toute personne non liée par la culpabilité de la Shoah,
peut et même doit rejeter la réalité de cet état, que ce soit au Moyen-Orient, avec Mahmoud
Abbas, l’Iran, le Hamas, le Jihad Islamique ou des populations d’origine extra-européennes en
Europe.
L’Iran ou le Hezbollah et d’autres organisations antisionistes, semblent avoir bien compris ce
qui inhibe l’Europe politique, et particulièrement, la diplomatie française, ce qui la freine pour
s’investir plus ouvertement contre l’existence de cet état : la culpabilité vis-à-vis de la Shoah.
En l’absence de perception de sa légitimité historique, Israël apparaît comme un territoire
d’accueil de rescapés ou de réfugiés de massacres européens, comme aurait pu l’être
n’importe quel autre territoire au monde qui subirait une sorte d’épiphénomène
démographique.
Si en croit le Nouvel Obs, https://www.nouvelobs.com/monde/20060427.OBS5675/nouvelledeclaration-antisemite-d-ahmadinejad.html, « le président iranien avait aussi invité les
Européens à accueillir l’Etat Juif sur leur territoire s’ils se jugeaient responsable du génocide
juif ».
Le propos du président iranien est cohérent avec le discours dominant dont H. de Charette se
fait l’écho, il en est l’implication logique. En effet, H. de Charette est tout à fait cohérent : si
un état juif est nécessaire pour que les juifs puissent être en sécurité après la Shoah, alors cet
état n’a de sens que comme un territoire accueillant des rescapés ou des victimes potentielles
d’un génocide, c’est à dire sur un temps limité.
On assiste ainsi à une forme d’inversion logique : selon de Charrette, les Juifs doivent
être tolérés par les européens en Israël à cause de la Shoah. Or, ce n’est pas parce que la
Shoah a eu lieu, que les Juifs peuvent être tolérés, par la suite en Israël, c’est parce que les
Juifs n’étaient tolérés nulle part, qu’il y a eu la Shoah. Le Shoah est la cause d’un tabou a
posteriori, un sentiment de culpabilité et de honte, celui de la (ou des) personne (s) qui sont
passées à l’acte, et qui ne recommenceront pas tout de suite. L’état d’Israël, s’est construit
non grâce mais malgré la Shoah. Car si des persécutions ponctuelles, peuvent favoriser des
migrations, ce n’est pas le cas d’une extermination méthodique, les morts ne migrent pas et
ne construisent pas un pays.
Le déni de la réalité historique et de la logique est propre à ce type de textes. Il révèle que la
perception du peuple juif résumé dans le passage d’un manuel de certificat d’étude cité cidessus, reste d’actualité.
La Shoah n’a pas modifié la perception d’une population « en trop », mais a créé une
autocensure en Europe. « Donner un état aux Juifs, ou à quiconque », ne veut rien dire au sens
strict, cette formule ne fait que poser l’acceptation et la reconnaissance de cet état comme un
cadeau fait au peuple juif. Autrement dit, cette formule ne dit rien d’autre que « cet état existe
grâce à nous, les Européens », elle renverse la dette morale : celle issue de la Shoah, en
plaçant symboliquement la victime en position de dette vis-à-vis du bourreau, du fait que ce
dernier aurait concédé de laisser la vie à la victime en n’entraverait pas son existence dans un
Etat-Nation. Si ne pas entraver l’existence d’un tiers (population, état) est considéré comme
un cadeau, c’est qu’on estime implicitement avoir le droit d’entraver cette existence. Ainsi,
l’acceptation de l’état d’Israël et de sa majorité juive, présentée comme un don ou un cadeau
ne peut-être que l’acceptation d’un fait transitoire, afin que «le problème palestinien », ne
« demeure pas ».
Il en ressort que cette bienveillance est celle du maître qui décide de laisser la vie sauve à son
esclave, celle de l’empereur Romain levant le pouce dans l’arène en concédant la grâce à ses
sujets.
Etat-Nation vu comme menace pour les minorités non-juives
Prenons pour autre exemple cette autre tribune, signée par des universitaires.
https://www.liberation.fr/debats/2018/10/16/pour-l-egalite-de-tous-les-citoyens-enisrael_1685513
« Le 19 juillet, le Parlement israélien adoptait la loi définissant Israël comme Etat-nation du
peuple juif. Cette loi est le concentré, l’aboutissement, de la politique de la droite et de
l’extrême droite israélienne. En une douzaine de points : elle affirme la prédominance
ethnique juive en Israël ; elle précise explicitement que le peuple juif est le seul à exercer le
droit à l’autodétermination en Israël sans en préciser les frontières ; elle retire même à la
langue arabe le statut de langue officielle, désormais réservé exclusivement à la langue
hébraïque… »
Comme évoqué précédemment, les auteurs de cette tribune font semblant de connaître la loi
votée mais ne l’explicitent jamais, ils ne donnent pas de références au texte de la loi (comme
on l’attendrait des universitaires), et prétendent discuter des douze articles d’une loi qui n’en a
que onze. Or si les lois votées en Israël sont rédigées en hébreu, leur traduction en anglais est
disponible sur le site du Ministère de l’Intérieur d’Israël (voir ici), ainsi que dans
la presse israélienne en anglais ou en français. Or, les auteurs se contentent de proposer une
interprétation dont on peut dire que nous ne savons pas sur quel texte elle est fondée.
L’incrimination du texte de la loi découle uniquement de son association à des qualificatifs
véhiculant un contenu émotionnel négatif impliqué par le champ lexical « extrême droite »,
« colonisation juive », « unilatéralement », « annexion », « prédominance ethnique » etc. Ce
champ lexical est en usage dans les médias français, notamment dans les dépêches de l’AFP,
source principale de la désinformation systématique. Il n’est jamais questionné par les auteurs
des textes critiques. Et cela pose un grand problème, très bien formulé par R. Dawkins (Le
Gène égoïste1996) :
« Le malheur des humains vient de ce que trop d’entre eux n’ont jamais compris que les mots
ne sont que des outils à leur disposition, et que la seule présence d’un mot dans le dictionnaire
ne se rapporte pas forcément à quelque chose de défini dans le monde réel. » I
Les signataires reprochent à cette loi d’affirmer une « prédominance juive » en Israël, ce qui
est en effet une réalité démographique: 75 % de la population israélienne est juive. Pourquoi
l’affirmation de cette réalité serait-elle condamnable du point de vue des signataires ? Et
d’ailleurs pourquoi le législateur israélien a jugé utile d’énoncer cette réalité ? Ne serait-ce
pas parce que la légitimité de cette réalité est régulièrement contestée depuis 1948 ? C’est
précisément ce que confirment ces textes dénonciateurs.
Qui, par exemple, reproche à la Russie d’être l’Etat-Nation du peuple russe ou la Grèce du
peuple Grec ? Qui reproche aux Grecs aux Russes ou aux Finlandais, d’être majoritaires sur
leur territoire ? Après de longues recherches sur le net, nous n’avons pas trouvé de textes
allant dans ce sens.
Tous ces textes qui prétendent défendre une minorité arabe en Israël ne font état d’aucune
persécution de ces minorité ni présentes, ni passées. Les « inquiétudes » quant au fait que les
citoyens arabes deviendraient « les citoyens de seconde zone » ne sont fondées sur aucun fait
concret, ni étayées par aucun exemple qui pourrait confirmer la crainte de la ségrégation cidessous exprimée :
« Ainsi le postulat d’une inégalité fondamentale, inscrite dans le droit et pas seulement dans
les faits, est établi entre les citoyens d’un même pays, d’un côté les citoyens juifs ou d’origine
juive et de l’autre côté les citoyens arabes et non juifs qui deviendraient juridiquement des
citoyens de seconde catégorie ».
Combien de textes de journalistes ou intellectuels s’indignent de persécutions réelles dans le
monde, en particulier au Moyen-Orient, massacres des chrétiens, massacres des palestiniens
désobéissants par le Hamas, chiites, sunnites, coptes ? Cependant, l’essentiel pour notre
raisonnement, n’est pas le nombre de tels textes, c’est qu’aucun de ces textes, ne dénonce
l’ethnicité d’une majorité ou d’une minorité, comme la cause de la souffrance et de ces
persécutions, persécutions, qui de surcroît ne sont pas des «inquiétudes », ce sont des faits
réels.
Où lit-on dans le discours médiatique, intellectuel et diplomatique qu’il y aurait trop d’arabes
en Irak, trop de Sunnites en Arabie Saoudite, trop de Shiites en Iran ? Même lorsque des
meurtres génocidaires ont été pratiqués, au Rwanda, ou en Europe, a-t-on lu qu’il y aurait trop
de Hutus au Rwanda, trop d’Allemands dans l’Allemagne nazie, trop de Lithuaniens en
Lituanie, trop d’Ukrainiens en Ukraine ? Nous posons cette question afin d’illustrer
l’hypothèse implicite sur laquelle se fondent ces textes : les minorités non-juives risquent de
« souffrir » de discriminations parce que la population juive risque de demeurer majoritaire en
Israël.
Il ne s’agit pas de mettre en cause la bonne foi de ces auteurs. Pour leur décharge, ils baignent
dans un environnement culturel, médiatique et diplomatique qui ne dit pas autre chose que ce
qu’ils répètent. Par exemple, sur le site du Quai d’Orsay, on peut lire :
« la colonisation … menace la viabilité de la solution des deux États et constitue un obstacle à
une paix juste et durable »
https://www.diplomatie.gouv.fr/fr/dossiers-pays/israel-territoires-palestiniens/processus-depaix/
Cette phrase est révélatrice. Une lecture au premier degré, fait apparaître l’affichage de
préoccupations consensuelles, contre la colonisation, associée, dans l’histoire de l’Europe, à
des injustices et à des crimes, préoccupations pour la paix. Cependant, l’affichage de bonnes
intentions est une constante universelle, elle n’a aucune valeur informative. Personne ne
revendique ouvertement l’injustice ; même l’Allemagne nazie prônait la paix et la justice, les
Belges ont massacré des millions de Congolais en parlant d’entreprise civilisatrice. S’arrêter à
ce niveau de lecture, comme le font probablement les signataires de ces textes est d’une
naïveté déconcertante.
La « colonisation » signifiant la présence de Juifs, en Judée et à Jérusalem, ce slogan présente
l’absence de juifs comme une condition nécessaire pour la paix et la justice.
Cela implique que la présence de juifs sur ce territoire, est considérée elle seule comme une
injustice, et comme cause de guerre. Ainsi ce n’est pas l’intolérance à la présence juive, qui
est problématique selon la diplomatie française, mais la présence juive, dont seule l’absence
peut mener à une « paix durable ».
Ce n’est pas seulement un état « palestinien » qui est prôné par le Quai d’Orsay, mais un état
« palestinien » sans Juifs. Il est à noter, que personne, et on peut s’en réjouir ne prône un état
israélien sans arabe, y compris B. Netanyahu (c’est pourtant lui qui est accusé d’être
à l’extrême droite).
La prise de ces territoires par Israël à la Jordanie qui les occupait entre 1948 et 1967, puis le
retour de Juifs sur ces terres après leur expulsion en 1948, ne sont pas la cause de la guerre. Ils
en sont la conséquence, de même que l’expulsion des juifs de ces territoires en 1948.
Cette guerre n’a pas cessé en 1948, et n’a pas débuté en 1967. La cause de la guerre, c’est le
refus de l’existence de l’état d’Israël, c’est à dire l’idée que les juifs ne sont pas à leur place,
c’est cette idée que prône le Quai d’Orsay, en contradiction flagrante avec sa déclaration
d’intention de favoriser la paix.
Prétendre être l’ami des Palestiniens et des Israéliens, vouloir « une paix durable » etc. ne sont
que des phrases destinées à promouvoir l’ethos universaliste de la diplomatie française, et
susciter l’adhésion des lecteurs à cet ethos, il ne sert qu’à endormir ceux qui ne savent ou ne
veulent pas lire, comme ces « intellectuels », en réalité des « idiots utiles » qui produisent de
tels textes et qui les signent.
Ces tribunes, tout comme ce slogan du Quai d’Orsay, valident le discours antisémite. Il y
aurait « trop de juifs » en Judée, ou en Israël n’est qu’une variante de la même idée « Les juifs
semblent décidément trop nombreux : dans la banque, dans la politique, dans la finance, en
Europe, en Judée, à Jérusalem et aujourd’hui en Israël ». Le nombre trop élevé des Juifs est
une constante du discours antisémite, conséquence logique de la représentation, d’un peuple
illégitime partout. Un peuple illégitime partout ne peut être majoritaire nulle part, une vision
qui n’est pas uniquement celle d’organisations explicitement antisionistes et antisémites ou
des médias clairement anti-israéliens (voir ici), mais qui existe, comble du paradoxe, aussi au
sein d’organisations antiracistes comme la LICRA qui a publié un texte, dans la revue Droit
de Vivre Numéro 674 Octobre 2018, page 28, sous le titre :
« Au sujet de l’article « Israël, Etat-nation du peuple juif » : un tournant historique ? »
Cet article promeut la même idée de « discrimination » : « le texte … n’est pas que
virtuellement dangereux. Il ostracise bel et bien une partie de la population », et ce sans
aucune référence au texte de la loi « critiquée ». Si une organisation antiraciste qui lutte
traditionnellement contre l’antisémitisme laisse passer cette idée d’un Etat Nation juif, par
essence discriminatoire (parce que juif) s’il subsistait sous cette forme, on peut juger de la
gravité de l’antisémitisme en France. Si avoir le caractère juif est une discrimination de fait,
les Juifs français ne sont pas hors de danger, car ils sont par leur être même les agents de
discrimination. C’est cela l’idée promue et défendue par les discours analysés.
Lorsqu’on se dit contre « l’extrême droite », contre le « racisme », et pour la « défense des
minorités » (en particulier celles qui n’ont rien demandé), comme se positionnent d’emblée
les signataires des tribunes et des textes cités, on peut tout dire, tout faire, même ce genre de
tribune, qui en toute innocence remet sur la sellette la « question juive », mais ailleurs, en
Israël. Car si le « problème palestinien », et maintenant le « problème des minorités » en
Israël c’est « trop de juifs », alors pour ceux qui écrivent ces slogans, le « problème
palestinien », le problème des minorités, c’est bien la question juive déplacée en « Palestine »
ou en « Israël ».
Ceci explique d’ailleurs pourquoi, nous ne voyons aucune tribune dénonçant Mahmoud
Abbas qui prône lui aussi un état palestinien sans aucun juif. Au Caire, en juillet 2013: “In a
final resolution, we would not see the presence of a single Israeli – civilian or soldier – on our
lands.” (http://www.foxnews.com/opinion/2016/09/14/all-jews-out-palestine-is-not-peaceplan.html) (trad. Dans la résolution finale, nous ne verrions aucune présence israélienne dans
nos terres). En arabe, Abbas emploie indifféremment « juif » et « israélien ».
Passons à l’indignation des pétitionnaires que seul l’hébreu est dorénavant la langue officielle
de l’Etat. L’Etat-Nation, telle qu’est la France (pour le moment) n’a-t-elle pas comme langue
officielle le français, la langue de la culture nationale ? Si on suit la logique des signatairescritiques, pourquoi la France n’a-t-elle pas le corse, le basque, le breton ou l’arabe comme
langues officielles, ne s’agit-il pas de minorités culturelles qui souffriraient la discrimination
du fait de la non-reconnaissance de leur statut ? La reconnaissance du statut officiel d’une
langue n’abolit pas l’utilisation d’autres langues. En outre, dans la plupart des pays du monde,
à côté des langues officielles, il existe des langues nationales : le tamazight en Algérie (langue
officielle : arabe), le sango en République Centrafricaine (langue officielle : français), quatre
langues nationales en Kongo : lingala, kikiongo, kiswahili, tshiluba (langue officielle :
français), etc. Ces langues sont en usage sans avoir le statut officiel : ce qui ne provoque pas
de foudres des défenseurs des minorités. L’arabe est aussi en usage en Israël comme langue
de minorité nationale, usage qui n’a pas été interdit par la loi incriminée.
L’alibi de la bienveillance à l’égard de fausses minorités :
Il ne devrait pas échapper à quiconque que la population arabe que l’on présente dans ces
textes comme une minorité, si on regarde à la loupe un territoire grand comme deux fois la
Dordogne, correspond, en réalité, à une écrasante majorité sur un territoire grand comme 3.5
fois l’Union Européenne, comprenant 22 états arabes créés de toutes pièces par la France et
La Grande Bretagne en 1917. Les arabes-musulmans sont une population majoritaire au
Proche Orient
La défense des minorités « opprimées » est le prétexte qui permet de prôner exactement le
contraire : inciter des régimes et des populations dont le poids démographique est
considérable contre une petite minorité juive, existant en Israël et dans le monde, et en
particulier, en France, où les meurtres des Juifs commis au nom de la « cause palestinienne »
sont déjà les plus importants en Europe.
Car les attentats antisémites commis en France, ne sont pas une « importation du conflit
israélo-palestinien », comme on peut le lire dans les médias. Ce conflit n’est connu que par
des discours en France, des discours médiatiques et politiques. Ces attentats sont la
conséquence de la construction du récit d’un conflit, une construction qui désigne une
population juive, qui poserait un problème à une population arabe et musulmane par le simple
fait d’être, là où une partie de l’Europe occidentale, celle des élites dites cultivées, ne le tolère
pas.
Le rôle des idiots utiles Juifs et Israéliens.
L’adhésion plus ou moins consciente de certains intellectuels juifs et israéliens eux-mêmes
influencés par cette culture d’origine chrétienne à l’idée d’une population juive trop
nombreuse , en particulier sur la terre de leurs ancêtres, n’a pour seul effet que de nourrir
l’idée d’une population juive trop nombreuse partout, une idée au potentiel génocidaire qui ne
date pourtant pas d’hier. L’adhésion de la victime potentielle à l’idéologie meurtrière, ne
permet pas d’éviter le passage à l’acte, elle ne permet pas à la victime d’être aimée. Car au
fond, c’est ce que recherchent ces intellectuels juifs : la reconnaissance par le discours
dominant, celui qui est tenu au nom de la morale et des valeurs universelles, contradictoires,
selon eux, avec l’idée de la particularité culturelle, historique et identitaire de la nation. Sans
voir la place qui leur est assignée par les détracteurs de la légitimité d’Israël, ils servent de
caution à tous les discours qui mettent en cause la légitimité de l’Etat d’Israël et la place des
Juifs au sein de cet Etat et dans le monde.
Ces demandes de cautionner le discours délégitimant, qui sont de factodes ordres mal
déguisés des politiciens, visent à créer un clivage au sein des Juifs de la diaspora. On
demande aux Juifs d’utiliser le vocabulaire élaboré par le récit antisioniste. Et quand ces
derniers se plient aux ordres ou à la doxa communément admise, ce vocabulaire n’a plus
besoin d’être justifié rationnellement. Le fait que les Juifs l’utilisent justifie a
posterioril’utilisation de ces slogans non pas par les arguments rationnels, mais par l’essence
ethnique des locuteurs. Leur servitude renforce le prédateur dans sa perception que la victime
potentielle est une proie.
L’erreur suicidaire de ces Juifs ou Israéliens qui signent ces textes, mais aussi d’organisations
comme Jcall ou même d’intellectuels bien intentionnés comme Alain Finkelkraut consiste à
reprendre le vocabulaire médiatique et à cautionner implicitement le postulat que les Juifs
sont en trop en Judée, à travers la promotion d’un état palestinien sans Juifs.
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Yana Grinshpun
Maître de Conférences
Or ce n’est pas en acceptant que la terre des Hébreux
soit vidée de ses héritiers culturels que ses héritiers seront considérés comme légitimes
ailleurs, c’est tout le contraire.
On ne sauve pas sa peau et on n’aide pas celui qui a un regard avilissant sur vous en le
confirmant dans son regard avilissant. On lui fait plaisir, mais on ne gagne pas le respect, et
encore moins l’amour. Se faire caution d’une représentation au potentiel génocidaire est, par
définition, une forme de suicide vers lequel vont ces Juifs intellectuels imbibés de cette même
culture qui a produit la Shoah.
La Shoah, est une des conséquences de cette idée d’une population en trop, légitime nulle
part, l’idée que le peuple juif doit toujours s’effacer, partir, qu’il est responsable par sa
présence de la haine qu’il subit.
Cette idée au potentiel génocidaire, ce « mépris » suivant la terminologie de Jules Isaac est
enseigné par près de deux mille ans de théologie chrétienne.
La Shoah aurait pu être l’occasion d’une révolution mentale contre cette idée, qui a eu lieu
dans le monde chrétien et surtout catholique après Vatican II (cf. l’excellente synthèse de J.M.
Delmaire https://www.persee.fr/doc/efr_0000-0000_1989_act_113_1_3392).
La culture européenne séculaire, a échappé à cette révolution, et perpétue l’héritage culturel
d’un enseignement catholique aujourd’hui périmé, celui du «mépris ».
C’est ce qu’illustrent ces textes. Cette fenêtre ouverte par les actes de l’église catholique
risque de se refermer, avec la caution de nombreux acteurs juifs et israéliens, qui par leur
statut d’intellectuels, baignent dans cette culture européenne pré-Vatican II, et s’en imbibent
comme des éponges. Des Juifs et des Israéliens participent ainsi au renouveau de
l’antisémitisme, sans même s’en rendre compte.
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Yana Grinshpun
Maître de Conférences en Sciences du Lang...