Cahiers de la Méditerranée
95 | 2017
La culture fasciste entre latinité et méditerranéité (1880-1940)
Latinité et antisémitisme latin au service du
fascisme : culture et propagande chez Paolo Orano
et Camille Mallarmé, entre France et Italie
Nina Valbousquet
Édition électronique
URL : http://journals.openedition.org/cdlm/9329
ISSN : 1773-0201
Éditeur
Centre de la Méditerranée moderne et contemporaine
Édition imprimée
Date de publication : 15 décembre 2017
Pagination : 191-208
ISSN : 0395-9317
Référence électronique
Nina Valbousquet, « Latinité et antisémitisme latin au service du fascisme : culture et propagande
chez Paolo Orano et Camille Mallarmé, entre France et Italie », Cahiers de la Méditerranée [En ligne],
95 | 2017, mis en ligne le 15 juin 2018, consulté le 20 septembre 2018. URL : http://
journals.openedition.org/cdlm/9329
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Latinité et antisémitisme latin au service du fascisme : culture et propagand...
Latinité et antisémitisme latin au
service du fascisme : culture et
propagande chez Paolo Orano et
Camille Mallarmé, entre France et
Italie
Nina Valbousquet
1
En mars 1937, la maison d’édition italienne Pinciana publie Gli ebrei in Italia (Les Juifs en
Italie), pamphlet antisémite de Paolo Orano attaquant directement les Juifs italiens même
les plus fascistes. Le retentissement de ce pamphlet constitue le point de départ d’une
campagne de presse antisémite au printemps 1937, elle-même prélude au lancement
officiel d’un antisémitisme d’État à l’été 1938. De l’autre côté des Alpes, un article signé
Camille Mallarmé présente aux lecteurs de Je suis partout , célèbre hebdomadaire
d’extrême droite, le pamphlet d’Orano sous le titre : « L’Italie fasciste découvre l’existence
des Juifs » (22 mai 1937). Orano y est présenté comme un véritable prophète de
l’antisémitisme, au même titre qu’Édouard Drumont, ouvrant les yeux de la hiérarchie
fasciste et de l’opinion italienne face à la « question juive »1. Cet exemple ponctuel de
circulation de l’antisémitisme entre Italie et France s’inscrit en réalité dans une longue
action de médiation entre fascisme italien et extrême droite française animée par le
couple d’intellectuels Camille Mallarmé et Paolo Orano. Partageant, depuis leur rencontre
en 1912, une lutte commune contre l’héritage révolutionnaire et les démocraties
libérales, les trajectoires d’Orano et Mallarmé convergent autour une défense de la nation
et des hiérarchies traditionnelles. Le couple interprète l’histoire et le présent en fonction
d’une clé de lecture particulière, transformée en valeur mobilisatrice : la latinité. Âge d’or
de la civilisation, la latinité romaine et catholique est construite comme un type ethnique
ayant sa psychologie propre et se situant aux antipodes des mentalités orientale,
germanique et juive.
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Latinité et antisémitisme latin au service du fascisme : culture et propagand...
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L’intérêt est ici d’examiner non seulement la formation du concept de latinité et ses liens
avec l’antisémitisme, l’antigermanisme et le nationalisme catholique, mais aussi le rôle
concret de ce concept en tant que moteur d’engagements politiques, durant la Grande
Guerre, puis tout au long des différentes « batailles » du fascisme. Pour reprendre une
catégorie utilisée par Robert Paxton, la latinité constitue en effet une « passion
mobilisatrice » du fascisme tel qu’il est perçu et vécu par Mallarmé et Orano2. La défense
de la latinité est un leitmotiv de l’engagement de Paolo Orano (1875-1945). Syndicaliste
révolutionnaire, puis interventionniste durant la guerre, Orano devient un notable bien
installé du régime fasciste, député et journaliste, professeur et recteur de l’université de
Pérouse3. Camille Mallarmé (1886-1960) investit quant à elle son idéal de latinité dans la
promotion de l’entente franco-italienne4. Née à Alger dans une famille alsacienne
apparentée au poète Stéphane Mallarmé, femme de lettres de sympathie monarchiste et
viscéralement germanophobe, elle s’installe en 1914 en Italie avec Orano et ne cesse dès
lors de défendre le point de vue italien, puis fasciste, dans la presse française. Mallarmé
définit son activité de journaliste comme une fonction d’intermédiaire entre les deux
sœurs latines, ainsi qu’elle l’explique dans le contexte de la guerre civile espagnole : « La
belle lutte latine que vous avez entreprise est justement celle que le destin me fait
combattre depuis vingt ans, vivant en Italie, femme du député Paolo Orano et surnommée
par Gabriele D’Annunzio l’Italiana di Francia »5.
3
Mobilisant les apports de l’approche transnationale et du renouveau biographique,
l’étude de la trajectoire croisée de ces deux médiateurs se situe à l’intersection de deux
débats historiographiques majeurs : les origines et la nature du fascisme, d’une part, et
l’antisémitisme fasciste, d’autre part. Si Camille Mallarmé illustre une certaine attraction
française pour le fascisme mussolinien présente dans des cercles politiques et
intellectuels plus larges, Paolo Orano est quant à lui fortement influencé par les antiLumières françaises. Cité par Zeev Sternhell comme exemple d’une ascendance française
dans les origines du fascisme italien, Orano est l’un des principaux traducteurs italiens de
la tentative française de synthèse entre nationalisme maurrassien et syndicalisme
révolutionnaire dans les années 19106. En outre, Orano professe un antisémitisme précoce
qui, s’il ne correspond pas à la définition traditionnellement donnée au fascisme italien,
permet cependant d’illustrer sa profonde hétérogénéité. Promoteur de l’antisémitisme au
sein du régime fasciste, Orano se réfère davantage à une tradition française
d’antisémitisme qu’au racisme biologique du nazisme. Ainsi, la médiation opérée par
Orano et Mallarmé démontre l’existence de circulations de l’antisémitisme qui, dans le
cas de l’Italie fasciste, ne peuvent pas être réduites à de simples transferts unilatéraux de
l’Allemagne nazie au régime de Mussolini7. Elle conduit à repenser la relation plus
complexe entre antisémitisme, latinité et opposition au nazisme.
Latinité et origines politico-culturelles du fascisme
entre France et Italie
4
Paolo Orano naît en 1875 à Rome d’un père d’origine sarde, Giuseppe Orano, professeur de
droit et opposé à l’école de Cesare Lombroso. D’origine piémontaise, la mère de Paolo
Orano, Maria Fiorito Berti, est la nièce de Domenico Berti, ministre de l’instruction
publique sous Cavour. Sous l’influence du philosophe marxiste Antonio Labriola, Orano
sort diplômé de l’université de Rome (1899) avec une thèse dédiée à Giambattista Vico
dont la philosophie historiciste et vitaliste façonne durablement ses écrits. Professeur de
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Latinité et antisémitisme latin au service du fascisme : culture et propagand...
lycée, initialement proche des milieux libres-penseurs, anticléricaux et francs-maçons,
Orano ne manque pas de tempérament dans ses écrits valorisant l’instinct et l’action audessus des dogmes abstraits. Inspiré par l’anthropologue Giuseppe Sergi, le premier
ouvrage d’Orano, Psicologia della Sardegna (1896), se fonde sur l’observation des
« généralités physio-psychologiques » des Sardes constatant la « dégénérescence » de la
« race » sarde ; les structures sociales et les coutumes sont décrites comme « absolument
barbares et immorales au sens scientifique du mot »8. Orano fait ainsi preuve d’un
traitement biologique du social et de la criminalité. Mais les solutions qu’il avance restent
d’ordre politique : l’interventionnisme d’un État fort pour ramener les Sardes vers la
« civilisation ». De fait, Orano utilise le terme de race comme un « concept relatif » 9
reflétant les positions des nationalistes italiens du premier quart de siècle, proches des
conceptions de Barrès et de Maurras selon Renzo de Felice10. En ce sens, Orano est plus
influencé par la psychologie des peuples et la psychologie sociale – de son ami Gabriel
Tarde11 et Gustave le Bon – que par des théories raciales pseudo-scientifiques. Il
développe une conception ethnique de l’italianité, liée à l’environnement et à une
histoire façonnée par la latinité : « nous avons de notre patrie une sensation tellurique,
presque paléontologique »12. Selon Orano, la latinité se serait développée par un
processus historique de lutte pour l’existence entre les peuples italiques dont les
populations autour du Latium auraient prévalu en absorbant les autres : « La lignée qui
sait mieux résister est celle qui prévaut. Et ce fut la latine »13.
5
La latinité émerge très tôt chez Orano comme concept historique et psychologique. Dès
1897, il prend part au débat animé autour de l’essai L’Europa giovane de Guglielmo Ferrero,
sociologue et historien proche de Lombroso. Alors que Ferrero érige en modèle la sobriété
et l’efficacité des peuples du Nord qu’il oppose à la lascivité des peuples latins, Orano
s’insurge contre le mythe d’une décadence latine et contre le discours matérialiste des
« fossoyeurs de la latinité »14. Orano développe ensuite le concept de latinité en relation
avec la Rome chrétienne dans un ouvrage érudit, Il Problema del cristianesimo, publié en
1898 (réédité en 1900, 1908 et 1928). Orano s’attache à démontrer que le christianisme n’a
acquis son caractère universel et social que dans le cadre latin de Rome car la latinité
aurait offert des prédispositions psychologiques plus aptes à développer les potentialités
du christianisme, à l’opposé des religions orientales. Le vrai christianisme, ou
« christianisme réussi », ne serait donc pas né en Palestine et il n’y aurait aucune filiation
entre judaïsme et christianisme, selon Orano. Il en résulte une dichotomie profonde entre
Orient-judaïsme et Occident-latinité qu’Orano nomme « deux résultats mentaux
différents »15. Face à la vitalité latine et à son ordre social, l’Orient serait devenu la « nonhistoire » expliquant, selon Orano, la prédisposition de la mentalité juive pour le
ressentiment haineux, le messianisme ainsi que pour les raisonnements abstraits et
spéculations théoriques :
Le Juif finit par regarder la vie avec les yeux de la mort, et le fait d’exister lui
apparut, à travers un voile apeuré, presque comme une sinistre sanction éthique
qui s’introduisit par une expérience de vie accrue par une tristesse primitive féroce
16
.
6
En parallèle, le parcours politique d’Orano, passant du socialisme au syndicalisme
révolutionnaire, puis au nationalisme et à l’interventionnisme, est emblématique des
origines hétéroclites du fascisme. Cette trajectoire est dans une large mesure similaire à
celle de Mussolini. Professeur militant dans les rangs socialistes depuis 1902, Orano est
rédacteur au quotidien Avanti ! entre 1903 et 1905, tout en exprimant une préférence
marquée pour l’aile révolutionnaire du parti. Orano collabore ainsi à la revue
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Latinité et antisémitisme latin au service du fascisme : culture et propagand...
révolutionnaire d’Arturo Labriola, Avanguardia socialista , où son nom côtoie celui de
Mussolini. La rupture est consommée en juillet 1907 lors du congrès de Ferrare, lorsque le
groupe des syndicalistes révolutionnaires quitte officiellement le parti socialiste. Sensible
à la cause irrédentiste et à l’héritage de la latinité – « la voix suave du sang parla, le cri de
la maison latine sortit »17 – Orano abandonne son antimilitarisme initial et embrasse la
cause nationaliste en 1910, s’engageant en faveur de la guerre en Libye18. Si Orano accepte
le diagnostic marxiste de critique du libéralisme et du capitalisme, il en rejette désormais
les conclusions : l’histoire est une lutte entre des hommes inégaux, la nation produit de
cette lutte en est la finalité. Révision du marxisme, synthèse du syndicalisme et du
nationalisme, valorisation de la force instinctive, et philosophie historiciste : ces positions
d’Orano correspondent aux origines intellectuelles du fascisme décrites par Zeev
Sternhell19.
7
En outre, l’exemple d’Orano est emblématique d’une certaine influence française sur ce
protofascisme italien d’avant 1914, et en particulier de l’influence de Georges Sorel sur le
syndicalisme révolutionnaire italien. Multipliant les contacts transalpins, Orano publie
entre 1907 et 1909, et sur les encouragements de Sorel, trois articles pour la revue du
syndicalisme révolutionnaire dirigée par Hubert Lagardelle, Le Mouvement socialiste 20.
Orano fonde sa propre revue, La Lupa, à Florence, en 1910, inspirée directement des
initiatives de collaboration antirépublicaine en France entre syndicalistes
révolutionnaires soréliens et nationalistes de tendance maurrassienne (le Cercle
Proudhon et la revue Cité française)21. Placée sous le patronage de Sorel, La Louve milite
pour une régénération de la grandeur latine des Italiens grâce à une alliance de toutes les
tendances révolutionnaires visant à détruire la morale bourgeoise. Le premier numéro de
La Lupa, du 16 octobre 1910, réunit ainsi en couverture un article du syndicaliste
révolutionnaire Arturo Labriola et un article du nationaliste Enrico Corradini, tous deux
concordant sur la nécessité vitale d’une lutte violente faisant prévaloir les droits de
l’Italie comme « nation prolétaire »22. En dépit de sa brièveté (le dernier numéro est
publié le 8 octobre 1911), La Lupa est une expérience matricielle de convergence autour
d’un socialisme national, véritable jalon dans l’ « incubation intellectuelle du fascisme »
selon Sternhell23, et citée par Mussolini lui-même comme un terreau précurseur de
l’idéologie fasciste24.
8
La Lupa est également singulière dans le paysage intellectuel italien de l’époque en raison
de son discours antisémite prononcé. En juillet 1911, dans le contexte de l’affaire Beilis, la
revue n’hésite pas à spéculer sur l’accusation de crimes rituels25. Un mois seulement après
le lancement de la revue, Orano signe un article dans lequel il accuse Luigi Luzzatti,
Ernesto Nathan et Claudio Treves d’implanter en Italie un plan judéo-maçonnique
menaçant la vitalité de la latinité :
Je constate que la prétention juive et franc-maçonne disperse et éteint en Italie les
caractères propres à l’esprit latin que moi, syndicaliste, je sens, j’alimente, je veille
en moi. […] C’est une Italie en proie à la démagogie, au giolittisme, au luzzattisme,
une Italie faible26.
9
L’amalgame entre judaïsme et franc-maçonnerie ainsi que la fonction anti-libérale et
antiparlementaire de l’antisémitisme d’Orano se manifeste de nouveau dans un petit
livret publié en 1913, ainsi que dans un article dans la revue nationaliste L’Idea nazionale
en 1912 et reproduit dans un recueil de 1925 dans le contexte de la répression fasciste de
la franc-maçonnerie27.
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Latinité et antisémitisme latin au service du fascisme : culture et propagand...
La Grande Guerre et l’après-guerre : passions et
désillusions de la latinité franco-italienne
10
Cette reconstruction du cheminement d’Orano et de l’émergence d’un mythe de la latinité
dans les origines du fascisme serait incomplète sans l’expérience de la première guerre
mondiale28. Aux côtés de Camille Mallarmé, la Grande Guerre est pour Orano une étape
décisive de mobilisation, au nom de la défense de la civilisation latine contre la « barbarie
germanique ». Le couple se rencontre en novembre 1912 à Sienne où Orano enseigne et
Mallarmé rédige son premier roman consacré à la ville toscane, Le Ressac, publié chez
Grasset. Encore apprentie écrivaine, la jeune italophile est depuis 1907 bien introduite
dans les sociabilités littéraires parisiennes et les réseaux diplomatiques grâce à son amitié
avec Philippe et Hélène Berthelot. Provenant de deux matrices nationales, culturelles et
générationnelles différentes, les trajectoires d’Orano et de Mallarmé convergent pourtant
dans la campagne interventionniste. Orano et Mallarmé militent publiquement en faveur
de l’alliance des sœurs latines dès la fin de l’année 1914, par une série d’articles et de
conférences et par un rôle de médiation ; par exemple, en mai 1915, à Florence, Mallarmé
sert de guide à Paul Claudel, envoyé par Philippe Berthelot pour y tenir plusieurs
conférences pro-françaises. De son côté, Orano tient plusieurs conférences en févriermars 1915, projetant un rêve irrédentiste de « Grande Italie » dominant l’Adriatique aux
dépens de populations Slaves jugées arriérées29. La guerre annonce un réveil du « soleil
latin » pour Orano qui plaide pour l’alliance naturelle, car latine, entre France et Italie 30.
Après la signature du traité de Londres (26 avril 1915), le couple participe aux
manifestations de rue du « Mai radieux » (1915) aux côtés de ses amis, le poète Gabriel
d’Annunzio et le fondateur du futurisme Filippo Tommaso Marinetti31. La campagne
interventionniste est un moment crucial dans la formation du fascisme, dans la mesure
où elle agrège et radicalise diverses tendances antiparlementaires : nationalistes,
futuristes, syndicalistes révolutionnaires et anarchistes. Orano et Mallarmé adhèrent de
même à cette vive opposition contre le système libéral giolittien et prône l’avènement
d’un État fort par la guerre. Orano a ainsi une conception de la guerre inspirée du
darwinisme social :
Un organisme est vivant ou mieux vital et capable et digne de vivre quand ses
globules rouges expulsent les éléments infectieux. Par la lutte et après la lutte,
justement parce qu’il a vaincu, il sera meilleur32.
11
Avec l’entrée en guerre de l’Italie, le couple poursuit ses activités de propagande visant à
légitimer l’alliance franco-italienne. Orano multiplie ses interventions au service de la
propagande de guerre entre la France, où il témoigne de la bataille de la Somme pour le
quotidien Il Messaggero, et l’Italie où, à partir de mai 1917, il devient chargé de propagande
politique auprès des troupes italiennes33. De son côté, Mallarmé est remarquée par Henri
Gonse, chargé par l’ambassade de la coordination de la propagande pro-française en
Italie, qui lui confie plusieurs conférences visant à renforcer l’alliance des sœurs latines.
Relayées par la presse interventionniste, ces conférences sont dédiées à la violation de la
neutralité belge, à l’Alsace-Lorraine française, ou encore à la « vermine du monde »
(expression de Léon Daudet désignant l’Allemagne), par exemple lors d’une conférence de
Mallarmé organisée par l’Alliance française de Florence, le 28 février 1918. L’expérience
de la propagande de guerre est ainsi décisive car elle forge les contours et les usages du
concept de latinité. Si, au début du siècle, la latinité restait limitée à un débat entre
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intellectuels, elle n’est désormais plus un simple concept de salon et devient avec la
guerre une véritable passion mobilisatrice et un facteur d’engagement politique34. Devant
l’urgence de la situation, Mallarmé et Orano adaptent leurs discours, effaçant différends
et différences entre les sœurs latines et grossissant à outrance les traits d’une Allemagne
« barbare » décrite par Mallarmé comme « l’ennemi commun de notre race » dans un
article publié pour Le Mercure de France 35. L’idéal de latinité devient une arme de combat
appelant à une entente franco-italienne durable car, ainsi que le présente Orano dans une
conférence donnée le 20 mai 1916 à Rome, « le sang entre nous est comme du ciment » et
la guerre appelle à une victoire de « l’immortelle latinité »36.
12
En outre, la latinité est renforcée par la construction d’un ennemi héréditaire,
essentialisé et diabolisé. Dans un article qu’il publie en décembre 1917, après la défaite de
Caporetto, pour le quotidien dirigé par Mussolini, Il Popolo d’Italia, Orano s’attaque aux
femmes allemandes qui se seraient infiltrées dans la société italienne ; une présence qui
« envenima l’âme nationale » par un « barbare abâtardissement ». Ce discours est
prescriptif, appelant les lecteurs à une action concrète : la délation et l’internement des
femmes allemandes37. Le même registre biologisant est présent chez Mallarmé, par
exemple dans une lettre à Guillaume Apollinaire où il assimile le caractère allemand à une
maladie incurable : « on naît boche comme on naît bossu ; c’est une affliction de nature » 38
. Les difficultés de l’année 1917 et la révolution bolchevique accentuent la virulence du
couple, leur antigermanisme, mais également la stigmatisation d’un ennemi de
l’intérieur : neutralistes, socialistes et Juifs. Dans un texte du 13 février 1916, Orano
stigmatise ainsi les Juifs internationalistes, « qui épousent la cause allemande parce qu’ils
pensent qu’une Allemagne victorieuse constitue une dépression du monde latin et par
conséquent du christianisme »39. Antigermanisme et antisémitisme convergent,
notamment autour de la figure de Karl Marx, dénoncé par Orano comme inspirateur d’un
plan de domination à la fois de la « race prolétaire allemande » et de « l’israélisme
subversif » destiné à abattre la latinité catholique. À la figure de Marx, Orano oppose
Pierre-Joseph Proudhon comme véritable penseur « latin »40. Orano publie également un
long article dans le quotidien nationaliste Il Giornale d’Italia, le 10 mars 1918, commentant
le suicide de son ancien ami, l’intellectuel d’origine juive Raffaele Ottolenghi. Orano
interprète ce geste comme emblématique d’une psychologie juive indélébile et enfermée
dans un pessimisme haineux :
L’ancienne inquiétude biblique avait fermenté de nouveau dans cette âme et la
condamnation tragique de la lignée avait émergé de nouveau. […] L’expédition de
Libye avait aggravé la plaie et l’intervention de l’Italie dans la guerre avait
enflammé de nouveau la haine asiatique d’Israël qui peut être dissimulée, déformée,
apaisée éventuellement, mais abolie jamais41.
13
Dans l’après-guerre, les espoirs d’Orano et de Mallarmé placés dans « notre guerre
rédemptrice » annonçant une « nouvelle renaissance latine » sont rapidement contrariés
42. Au moment où le conflit s’achève, Orano est officier de liaison à Paris et devient après
l’armistice directeur de l’Institut Italien pour la Haute culture à Paris jusqu’en 1920. Cette
présence à Paris lui permet de suivre la conférence de Versailles à partir de janvier 1919
et d’en témoigner dans des articles fustigeant la démocratie et le wilsonisme. Très vite
déçu par l’attitude française, Orano se replie sur la vie politique italienne, dans le
contexte de crise du régime parlementaire et du libéralisme giolittien. En novembre 1919,
Orano est élu député sur la liste du Parti sarde d’Action et siège au sein du groupe
parlementaire Rinnovamento nazionale, porteur des revendications d’anciens combattants
et s’opposant aux présidents du conseil, Nitti, puis Giolitti ; Orano soutient par exemple
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l’expédition de Fiume menée par D’Annunzio. Par ses articles comme par ses discours à la
Chambre, Orano encourage dès mars 1919 les faisceaux de combat de Mussolini qu’il
perçoit comme les héritiers de la romanité43. Le 13 mai 1921, Mallarmé publie en première
page du quotidien parisien Le Matin un article ouvertement politique commentant les
élections italiennes. Elle y stigmatise alors la « mentalité de vaincu » des partis
neutralistes (Parti socialiste et Parti populaire italien) ainsi que le « pus bolchevik » du
biennio rosso qu’elle oppose au « restaurateur merveilleux de la santé nationale » : le parti
national fasciste44.
Foi politique et projet totalitaire : la latinité au service
du régime fasciste
14
Percevant le fascisme comme une régénération de « l’âme latine », Orano et Mallarmé se
font les apôtres des réalisations du nouveau régime. Orano soutient l’instauration de la
dictature fasciste par son rôle de député : après la marche sur Rome, le Parti sarde
d’action fusionne avec le PNF, et Orano est ensuite membre de la Commission chargée du
nouveau projet de loi électorale (1923-1924). Nommé par Mussolini directeur de la
première édition romaine du Popolo d’Italia, à partir du 18 septembre 1924, Orano soutient
fermement le dictateur durant l’affaire Matteotti, tandis que dans un article pour Le
Gaulois, Mallarmé salue le discours de Mussolini du 3 janvier 1925 assumant la dictature 45.
Elle n’hésite également pas à saluer le ralliement de Luigi Pirandello (dont elle traduit la
pièce La volupté de l’honneur) en citant la lettre de soutien de l’écrivain au régime fasciste 46
. Proche de Mussolini, Orano est reçu fréquemment en audience et se voit accorder
plusieurs financements pour la maison d’édition romaine Pinciana, où il publie
régulièrement, ainsi que pour son enseignement d’histoire du journalisme à l’université
de Pérouse à partir de 192847. La même année, Orano publie une biographie de Mussolini
dans laquelle il loue « la volonté de vouloir » du Duce, seul capable de discipliner le
peuple italien afin de régénérer la grandeur de l’ « italianité »48. Dans une lettre envoyée à
Mussolini en 1926, Mallarmé célèbre quant à elle le Duce comme modèle pour l’union des
sœurs latines contre l’Allemagne :
Vous êtes le Suscitateur de toutes les forces saines de la France, Vous êtes la borne
contre laquelle se brisera la menace millénaire du teuton, Vous êtes le Duce de la
Latinité. Demain des millions de Français vous crieront ce que je sens avec certitude
aujourd’hui : Nos deux pays ne forment qu’un empire. La Rome du passé renaît dans
l’avenir49.
15
Avec les accords du Latran du 11 février 1929, le fascisme est salué par le couple comme
protecteur de la latinité. Les conceptions religieuses de Mussolini sont de fait inspirées
des thèses d’Orano dans Il Problema del cristianesimo. Ainsi, dans son discours du 13 mai
1929 sur les accords du Latran à la Chambre des députés, Mussolini cite l’ouvrage du
député Orano pour affirmer au sujet du christianisme que « cette religion est née en
Palestine, mais est devenue catholique à Rome »50. De son côté, Orano assimile le régime
de Mussolini à une véritable révolution spirituelle : « Le fascisme représente ce que
représente saint Paul dans l’histoire du passage du judaïsme au christianisme »51. À partir
des années 1930, les positions d’Orano s’infléchissent vers l’affirmation d’une véritable
« religion politique » selon l’expression de l’historien Emilio Gentile, érigeant l’État
fasciste en entité totalitaire et englobante, au-dessus même de l’Église. La « foi » fasciste
devient un leitmotiv de la production éditoriale d’Orano et s’oppose au relativisme des
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Latinité et antisémitisme latin au service du fascisme : culture et propagand...
opinions démocratiques. C’est ainsi qu’à l’université de Pérouse, il théorise un
enseignement justifiant une presse disciplinée par un État fort à même de transformer
l’opinion publique52. L’université de Pérouse est ainsi présentée, dans une lettre à
Mussolini, comme « le lieu où se prépare l’authentique vivier de l’apostolat et de la
propagande du verbe de notre révolution »53.
16
C’est au nom de la défense de la latinité que, tout au long du ventennio fasciste, le couple
Orano-Mallarmé joue un rôle actif de médiation dans un espace transnational francoitalien54. Par ses articles pour le quotidien conservateur Le Gaulois (de 1923 à 1926), pour
l’hebdomadaire germanophobe Aux Écoutes (de 1922 à 1933), puis dans Je suis partout (de
mai 1931 à 1940)55, Camille Mallarmé dispose d’une tribune à partir de laquelle elle défend
le point de vue de l’Italie fasciste et les réalisations du régime. Parmi les politiques
fascistes, les grands travaux de Rome permettent à Mallarmé de relier latinité du passé et
latinité du présent : « la volonté active du duce fait jaillir du sol les temples, les
amphithéâtres […] cœur du cœur de l’Italie éternelle »56. Aux côtés d’Orano, elle signe
également des articles pour L’Italie nouvelle, l’hebdomadaire du fascio italien en France.
Mallarmé y appelle la « France saine » à une alliance avec l’Italie de Mussolini inaugurant
un âge d’or de la latinité qui « pourrait renaître lorsqu’un bloc de 80 millions de Latins,
dominant de nouveau, d’accord, la Méditerranée, déciderait de ce qui s’appellera
éternellement le cœur de l’Histoire »57. Dans Le Gaulois, Mallarmé affirme de même que le
fascisme italien montre l’exemple à suivre en France contre la démocratie parlementaire :
J’avoue que je les regarde avec sympathie ces Latins décidés à célébrer la fondation
de Rome en ressuscitant la puissance latine, ces alliés naturels qu’il ne dépend que
de nous de rendre et de conserver amis, ces affranchis du culte à la fausse déesse
Démocratie, laquelle n’a jamais conduit les peuples qu’à la ruine 58.
17
À partir de l’été 1925, le couple quitte Rome pour s’installer à Florence où il accueille
intellectuels, hommes politiques, et diplomates en voyage dans l’Italie fasciste : Philippe
et Hélène Berthelot, le latiniste Pierre de Nolhac – « notre pur latin » tel que Mallarmé le
présente dans La Tribuna 59 –, Pierre Gaxotte, Gabriel Faure, André Suarès, ou encore
André Mallarmé, le frère de Camille et député d’Alger. Le couple promeut le régime
fasciste auprès de ses visiteurs français. Par exemple, en janvier 1925, André Maurois
rend visite à Mallarmé, laquelle arrange un entretien avec Mussolini grâce à
l’intermédiaire d’Orano60. Cela n’empêche pas Orano, dix ans plus tard, de stigmatiser
Maurois « écrivain français israélite […] Herzog de naissance » pour son affinité
britannique61. Bien vue des réseaux diplomatiques français, Mallarmé reçoit, pour son
rôle d’intermédiaire, la croix de Chevalier de la Légion d’honneur des mains de
l’ambassadeur Beaumarchais, le 9 mars 1928, à Florence. À partir de la collaboration de
Mallarmé à Je suis partout en 1931, Orano promeut l’hebdomadaire antisémite et demande
à Mussolini d’en encourager la diffusion, soulignant le philofascisme de Pierre Gaxotte et
« l’importance qu’a pour la bonne et sincère connaissance de l’Italie l’hebdomadaire
parisien Je suis partout. […] Je crois qu’il faudrait favoriser de manière spéciale l’entrée en
Italie de l’hebdomadaire courageux et ami », ajoute-t-il62. Les années 1930 sont marquées
chez Orano et Mallarmé par une radicalisation de la défense du totalitarisme fasciste sur
la scène internationale. Au moment où l’arrestation d’un groupe d’antifascistes turinois
d’origine juive donne lieu à une campagne de presse antisémite en 1934, Orano publie un
essai antisémite dénonçant le culte de l’argent chez les Juifs, tout en érigeant l’Inquisition
espagnole comme modèle historique antijuif63. Inquiétée par la situation internationale,
Mallarmé se donne pour mission de dénoncer aux yeux du public français le « complot »
des ennemis du fascisme : exilés antifascistes, socialistes, Juifs et francs-maçons 64. Dans la
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Latinité et antisémitisme latin au service du fascisme : culture et propagand...
seconde moitié des années 1930, l’idéal d’entente latine s’effrite à mesure que la politique
internationale italienne se fait plus agressive. De plus, si la position germanophobe de
Mallarmé s’accordait bien avec le nationalisme français des années 1920, elle était après
1933 en décalage avec une nouvelle génération d’extrême droite française plus favorable
à l’Allemagne nazie. Proche de Pierre Gaxotte en raison de leurs communes positions
anti-allemandes, Mallarmé se querelle avec Robert Brasillach, lequel a succédé à Gaxotte
en tant que rédacteur en chef de Je suis partout en 1937.
18
Le couple Orano-Mallarmé salue la conquête italienne de l’Éthiopie comme manifestation
de « l’Italien nouveau », tout en omettant les répercussions du conflit sur la dégradation
des relations franco-italiennes65. De même, l’intervention de l’Allemagne nazie dans la
guerre civile espagnole est occultée dans les écrits du couple ; Mallarmé présente le camp
franquiste comme un mouvement de sursaut proprement latin, notamment dans La
Phalange, revue fondée par le poète symboliste Jean Royère :
L’admiration de tout Latin conscient accompagne les libérateurs de la patrie
espagnole […]. Le bolchévisme est la lèpre de l’Europe moderne. Que la résurrection
latine de l’Italie et de l’Espagne éclaire la France !66
19
Mise à l’épreuve par les incertitudes des relations franco-italiennes et par le
rapprochement entre Italie fasciste et Allemagne nazie, la latinité devient un concept
nostalgique.
Antisémitisme fasciste et latinité
20
Alors que l’alliance entre fascisme et nazisme menace l’idéal de latinité franco-italienne,
la carrière d’Orano connaît un second souffle avec la publication de Gli ebrei in Italia en
mars 1937, en plein « tournant totalitaire » du régime mussolinien selon l’expression de
Renzo De Felice. Ce pamphlet, ainsi que les nombreux commentaires parus à la fois dans
les titres antisémites du régime comme dans la grande presse plus modérée, sont suivis
de près par Mussolini dans la perspective d’une « campagne de presse en roue libre »
– l’expression est de Marie-Anne Matard-Bonucci – visant à tester le potentiel de
mobilisation antisémite autour du régime. La publication d’Orano constitue une étape
décisive dans la nationalisation de l’antisémitisme et marque une rupture dans la manière
dont la « question juive » était auparavant posée par le régime67. Recyclant des thèmes de
ses précédents écrits – l’opposition entre latinité et judaïsme et la dénonciation d’une
mentalité juive sur des bases psychologiques – ce volume est le premier qu’Orano
consacre exclusivement aux Juifs, avec un registre plus agressif et accusateur. Le
« pouvoir juif » est désormais érigé en force mondiale animant tous les mouvements
antifascistes, le communisme, les démocraties, le capitalisme et le conservatisme angloaméricain. Orano est particulièrement virulent dans sa dénonciation du sionisme car cela
lui permet de glisser vers une mise en doute du sentiment patriotique des Juifs italiens.
En effet, Orano attaque directement les Juifs italiens, même fascistes et assimilationnistes,
et non plus seulement les Juifs étrangers socialistes, communistes ou antifascistes. Ainsi,
il interpelle Dante Lattes et la Federazione sionistica italiana, mais aussi Ettore Ovazza et son
journal nationaliste La Nostra Bandiera.
21
Orano fonde ses accusations contre les Juifs italiens sur une opposition irréductible entre
latinité et judaïsme. En premier lieu, il s’attache à présenter quel traitement la
« romanité » accordait aux Juifs, affirmant à l’aide de citations de Cicéron, Ovide et Tacite
que ces derniers étaient déjà subversifs et source de troubles socio-politiques. Ce détour
Cahiers de la Méditerranée, 95 | 2017
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Latinité et antisémitisme latin au service du fascisme : culture et propagand...
historique introduisant le pamphlet permet à Orano d’établir un parallèle entre Rome
antique et Rome fasciste. Extrapolant la thèse d’Il problema del cristianesimo, Orano
réaffirme ensuite une dichotomie stricte entre judaïsme et christianisme :
Le long du périple de Paul de la Palestine à Rome, les éléments asiatiques, c’est-àdire juifs, de la prédication, tombent et se perdent. […] Le judaïsme n’intéresse plus
Paul et dans les Actes des Apôtres la synagogue est dépassée et sa mission
s’atrophie, réduite dans les limites d’une race. […] Jésus n’est pas juif, parce qu’il est
fils de Dieu, du Seigneur de tous les hommes68.
22
Mêlant accusation de déicide et théologie de la substitution, Orano inscrit le judaïsme
parmi les « religions de race » qui, à partir de l’ère chrétienne, serait resté en dehors du
cours de l’histoire : « Un refus orgueilleux séparait pour toujours Israël du destin des gens
humains »69. Dès lors, selon Orano la « mentalité » juive aurait été enfermée dans les
contradictions de ses ambitions millénaristes et la réalité de ses contributions historiques
face à une latinité triomphante :
L’esprit israélite tiraillé implacablement entre l’orgueilleuse prétention de la
supériorité du judaïsme et de son droit à prévaloir dans les consciences et dans les
institutions sociales, et la réalité de l’État, de l’Église, de la Latinité, de l’Empire » 70.
23
Excluant les Juifs de l’histoire italienne, Orano affirme que l’Italie du XIXe siècle aurait été
envahie par des influences à la fois juives et allemandes dans une « double action
antilatine et anticatholique »71. Dans le contexte de l’entre-deux-guerres, le judaïsme
italien, à cause d’un prétendu « loyalisme de race » le rapprochant inévitablement des
forces antilatines (britannique, sionistes, et communistes), deviendrait même un ennemi
intérieur :
Réfugiés juifs allemands et sionisme sont le lien direct entre tous les Juifs judaïsants
d’Europe et du monde […] dont l’activité s’exerce aux dépens surtout de l’Italie
totalitaire, de la Latinité, du Fascisme72.
24
Parce qu’ils ne ressentiraient que rancœur et désir de vengeance envers l’Italie fasciste
depuis les Accords du Latran, les Juifs italiens auraient selon Orano pris part à une
« activité souterraine » internationale juive visant à détruire « l’universalité latine »73.
25
La fonction de ce pamphlet s’explique bien au regard du tournant totalitaire du régime
fasciste, les prescriptions d’Orano visant à annihiler toute spécificité juive en faveur d’une
identité latine exclusive. La conclusion de l’ouvrage prend la forme d’un avertissement
exhortant les Juifs italiens à renoncer à tout projet sioniste, à dénoncer publiquement et
collectivement leurs coreligionnaires européens, à ne manifester aucun particularisme
identitaire, et à reconnaître la supériorité du catholicisme en Italie en se « laissant
absorber » dans cette identité catholique et italienne74. Les Juifs italiens n’ont ainsi qu’une
seule option : « faire le fasciste et rien d’autre »75. Le retentissement de son pamphlet
antisémite conduit Orano à publier une seconde édition augmentée en décembre 1937.
Dans sa nouvelle conclusion, le ton se fait encore plus menaçant envers la « conspiration
de la race » agissant contre Rome76.
26
Si le dessein du pamphlet d’Orano reflète les ambitions totalitaires du fascisme, il s’inscrit
également dans le transfert d’une tradition française. Orano multiplie les allusions à
l’histoire française et les emprunts aux références typiques de l’antisémitisme français
fin-de-siècle notamment Édouard Drumont et Bernard Lazare77. L’origine même du
pamphlet est façonnée par le contexte politique français puisque la rédaction est achevée
à Paris à l’automne 1936. Orano mentionne les célébrations de Yom Kippour dans les
synagogues parisiennes alors que le Front populaire, le « gouvernement juif de France »,
est au pouvoir. Le Front populaire est érigé en contre-modèle répulsif pour le fascisme
Cahiers de la Méditerranée, 95 | 2017
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Latinité et antisémitisme latin au service du fascisme : culture et propagand...
italien et, dans un effet miroir, la dénonciation d’une France décadente et enjuivée est
utilisée par Orano pour avertir les Italiens contre un développement similaire du péril juif
en Italie. Orano partage avec Mallarmé une focalisation antisémite contre Léon Blum,
incarnation d’une France asservie aux doctrines matérialistes étrangères, en particulier
allemandes, qui, depuis la Révolution française aurait renoncé à sa nature de peuple latin.
27
Mallarmé couvre la campagne antisémite fasciste pour Je suis partout avec son compterendu élogieux du pamphlet d’Orano, ainsi que deux articles dédiés à la mise en place de
l’antisémitisme d’État, le 12 août 1938 et le 23 septembre 1938. La journaliste se fait
l’interprète fidèle de la vulgate fasciste de légitimation de la campagne antisémite en
soulignant l’autonomie de la décision italienne. Elle prend soin ainsi de distinguer les
mesures de « défense » italiennes (« mesures prophylactiques indispensables ») des
« exagérations » du nazisme allemand. Mais, en dépit de ce transfert de la propagande
fasciste en France, Mallarmé réinterprète l’antisémitisme italien en fonction du contexte
français, rendant les Juifs français responsables des mesures antisémites italiennes. Dans
le contexte de Munich, Mallarmé affirme que la « judaïsation » de la France avec Blum
aurait ouvert les yeux de Mussolini :
Le spectacle que donne la France depuis vingt ans, avec ses scandales financiers
juifs à chaîne continue, les convulsions sociales où l’a jetée le super-Juif Blum, la
politique étrangère démente que soutiennent tous les Juifs du gouvernement et de
la presse […], a une éloquence incomparablement plus terrible pour le chef de l’État
attentif, chargé de la responsabilité d’un autre peuple latin, si proche 78.
28
En dépit du retentissement de l’ouvrage Gli ebrei in italia en 1937, l’antisémitisme politique
d’Orano est rapidement critiqué par les tenants d’un antisémitisme plus racial,
prééminents lors de la campagne de l’été 1938 ; Orano est même accusé de « piétisme »
par ses concurrents à l’université de Pérouse79. Soucieux de revenir sur le devant de la
scène et de prouver son conformisme fasciste, Orano publie des ouvrages saluant la
démographie raciale du fascisme, ainsi qu’un recueil intitulé Inchiesta sulla razza en
janvier 193980. Ce recueil rassemble les registres antisémites les plus divers, notamment
une contribution de son ami Alfredo De Dono sur latinité et antisémitisme, des articles de
Giorgio Pini publiés dans Il Popolo d’Italia et même une traduction d’Alfred Rosenberg 81.
L’ouvrage est particulièrement apprécié par Mussolini qui salue une nouvelle fois
l’expertise d’Orano en matière religieuse, « trouvant particulièrement significatif le
rapport entre peuple élu et christianisme »82. De fait, suivant avec zèle le cours officiel de
l’antisémitisme fasciste, Orano est nommé sénateur en avril 193983.
Épilogue : la seconde guerre mondiale, ou le naufrage
de l’idéal de latinité
29
Ce conformisme d’Orano vis-à-vis du régime s’opère aux dépens de l’idéal de latinité
partagé avec Mallarmé. Pour maintenir son statut dans la compétition entre notables et
intellectuels du régime, Orano n’hésite pas à publier un ouvrage célébrant l’Axe RomeBerlin, un retournement opportuniste qui mécontente fortement Mallarmé84. Les idéaux
du couple sont de plus en plus pris en tenailles entre nationalisme, latinité et fascisme.
Désapprouvant l’orientation pro-nazie de Je suis partout, Mallarmé signe sa dernière
contribution pour la revue le 19 avril 1940, avec un article célébrant l’exposition
universelle prévue à Rome en 1942 ainsi que « L’Italie dans la paix »85. Ce faisant,
Mallarmé peine à concevoir la probabilité d’une entrée en guerre de l’Italie alors même
Cahiers de la Méditerranée, 95 | 2017
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Latinité et antisémitisme latin au service du fascisme : culture et propagand...
que le régime mussolinien revendique haut et fort des terres françaises. Elle tente
d’obtenir un entretien avec Mussolini afin de le dissuader d’entrer en guerre contre la
France au nom de l’entente latine de la Grande Guerre, les 29 et 30 avril 1940 ; mais en
vain, elle n’obtient pas d’entrevue et attribue cet échec à la mauvaise volonté d’Orano86.
Au-delà de l’opportunisme politique, ce dernier fait pourtant preuve de réserves une fois
la guerre déclarée contre la France (10 juin). C’est au rôle de médiation du couple et à la
prégnance d’un cadre de référence francophile, que Giuseppe Bottai attribue les causes du
défaitisme et du manque d’enthousiasme d’Orano face à l’Allemagne, tel que le ministre
de l’éducation le note dans son journal le 12 septembre 1942 :
Son esprit est-il influencé par l’élément français, représenté dans sa famille par sa
femme, Camille Mallarmé, descendante du poète et parente de nombreux hommes
politiques de la République ? Certainement. Du reste toute sa formation est
française. On le sent surtout dans la fureur anti-allemande qui éclate de temps en
temps dans sa conversation volubile87.
30
Replié à Florence, le couple tente de se détacher du régime fasciste et se rallie au
gouvernement Badoglio après le 25 juillet 194388. Alors que dès le 17 juin 1940, Mallarmé
exprime des opinions anti-pétainistes, Orano est arrêté à Florence par les Anglais, le
11 août 1944, et transféré au camp de prisonniers de Padula (province de Salerne), où il
décède d’une péritonite, le 7 avril 1945. Durant la dernière phase de la guerre et jusqu’en
1948, Mallarmé tente de réhabiliter la carrière et la mémoire d’Orano en omettant sa
production antisémite89. Pourtant, Orano attribue son arrestation aux Juifs dans un
message qu’il transmet à son épouse : « j’ai été arrêté par l’Int. Service sur ordre des Juifs
par un moyen clandestin. […] Là est toute la clé de l’affaire. Et ils ont voulu la torture
infâme des premiers trois mois »90 ; une accusation réitérée par Mallarmé, même dans
l’immédiat après-guerre :
Ce sont les Juifs qui le firent arrêter, avec la complicité de l’Intelligence Service, qui
en est plein. Il me le dit lui-même, sur son lit d’infirmerie. Il me l’écrivit au crayon
sur un morceau de papier qui m’est parvenu par miracle […]. Les Judas d’Italie qui
l’ont fait arrêter sont encore en vie91.
31
Les déceptions du couple vis-à-vis du régime fasciste n’empêchent ainsi pas la persistance
d’un antisémitisme latin tenace.
NOTES
1. Paolo Orano, Gli ebrei in Italia, Rome, Pinciana, 1937. Camille Mallarmé, « L’Italie fasciste
découvre l’existence des Juifs », Je suis partout, 22 mai 1937.
2. Robert Paxton, Le fascisme en action, Paris, Fayard, 2004, p. 374-375.
3. Sur Orano, Francesco Germinario, Fascismo e antisemitismo. Progetto razziale e ideologia totalitaria,
Rome-Bari, Laterza, 2009 ; Michele Battini, Il Socialismo degli imbecilli. Propaganda, falsificazione,
persecuzione degli ebrei, Turin, Bollati Boringhieri, 2010.
4. Sur Mallarmé, voir la thèse de Jean-Louis Courtault-Deslandes, Les « Témoignages inédits » de
Camille Mallarmé, 1914-1924. Un essai de médiation culturelle et politique entre la France et l’Italie,
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Latinité et antisémitisme latin au service du fascisme : culture et propagand...
Université de Paris IV, 1991. La thèse comprend en annexe les trois volumes non publiés des
mémoires de Mallarmé, rédigés après 1945.
5. Camille Mallarmé, « Message » (adressé au directeur Jean Royère), La Phalange, mai 1936.
6. Zeev Sternhell, Mario Sznajder et Maia Asheri, Naissance de l’idéologie fasciste, Paris, Gallimard,
1994 ; sur le rôle de l’antisémitisme dans l’idéologie fasciste, voir précisément p. 20-21.
Également Giorgio Fabre, Mussolini razzista. Dal socialismo al fascismo : la formazione di un antisemita,
Milan, Garzanti, 2005.
7. Pour une comparaison France-Italie, voir Michele Battini et Marie-Anne Matard-Bonucci
(dir.), Antisemitismi a confronto. Francia e Italia : ideologie, retoriche, politiche, Pise, Pisa University
Press, 2010.
8. Paolo Orano, Psicologia della Sardegna , Rome, Casa editrice italiana, 1896, p. 14, « Generalità
fisiopsicologiche », « barbare assolutamente ed immorali nel senso scientifico della parola ». Ces citations,
comme toutes les suivantes, ont été traduites par nos soins.
9. Francesco Germinario, « Latinità, antimeridionalismo e antisemitismo negli scritti giovanili di
Paolo Orano (1895-1911) », dans Alberto Burgio (dir.), Nel nome della razza. Il razzismo nella storia
d’Italia, 1870-1945, Bologne, Il Mulino, 1990, p. 108.
10. Renzo De Felice, Storia degli ebrei sotto il fascismo [1961], Turin, Einaudi, 1988, p. 27-28 ; ainsi
que Pierre Guiral, « Charles Maurras et l’idée de races latines », dans Jean-Baptiste Duroselle et
Enrico Serra (dir.), Italia, Francia e Mediterraneo, Milan, Franco Angeli, 1990, p. 171-183.
11. Gabriel Tarde, « Paolo Orano. Saggi critici », Revue philosophique de la France et de l’étranger,
novembre 1899, p. 551-552, et dans la même revue, « P. Orano, Il problema del cristianesimo »,
novembre 1901, p. 697.
12. Paolo Orano, L’Italia e gli altri alla Conferenza della pace, Bologne, éd. Nicola Zanichelli, 1919,
p. 7, « Noi abbiamo della nostra patria una sensazione tellurica, direi quasi paleontologica ».
13. Id., Psicologia sociale, Bari, Laterza, 1901, réédité en 1942, p. 91, « La stirpe che sa resistere meglio
è la stirpe che prevale. E fu la latina ». Voir le chapitre « Gabriel Tarde. La politica come scienza »,
p. 165-182.
14. Orano publie sa critique dans la revue de Giuseppe Sergi : « Pessimismo nelle sociologia »,
Pensiero Moderno, juillet-octobre 1897 ; republié dans le recueil d’Orano, Lode al mio tempo,
Bologne, Apollo, 1926.
15. Id., Il problema del cristianesimo, Rome, éd. Bernardo Lux, 1898, p. 44, « cristianesimo riuscito »,
p. 35 « due diversi risultati mentali ».
16. Ibid., p. 140-141, « L’ebreo finì’ per guardare la vita con gli occhi della morte, e l’esistere gli apparve,
attraverso il velo pauroso, una quasi sinistra sanzione etica, la quale si venne immittendo per aumentata
esperienza del vivere da una primitiva feroce tristezza ».
17. Orano fait référence à une conférence qu’il donne en 1905 à Split, expérience dont il se
souvient dans la revue nationaliste : « Nostalgie dalmate. Come fui vinto a Spalato », L’Idea
nazionale, avril 1915, « Parlò la voce soave del sangue, uscì il grido della casa latina ».
18. Archivio centrale dello stato (désormais ACS), Casellario Politico Centrale, b. 3597, fasc. Paolo
Orano, rapport du préfet de Sienne, 15 mai 1913.
19. Zeev Sternhell, La droite révolutionnaire. 1885-1914, les origines françaises du fascisme, Paris,
Gallimard, 1997. Également, Jack J. Roth, « The Roots of Italian Fascism : Sorel and Sorelismo »,
The Journal of Modern History, no 39-1, mars 1967, p. 30-45. Shlomo Sand, « Sorel, les Juifs et
l’antisémitisme », Cahiers Georges Sorel, no 2-2, 1984, p. 7-36.
20. Lettre de Sorel à Orano, 16 août 1918, reproduite dans Paolo Orano, Il fascismo, I. La Vigilia
sindacalista dello Stato corporativo, Rome, Pinciana, 1939, p. 86.
21. Voir les lettres de Sorel à Mario Missiroli, 23 septembre 1910 et 16 octobre 1910, dans
Georges Sorel, Lettere ad un amico italiano, Rocca San Casciano, Cappelli, 1963, p. 81-82.
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Latinité et antisémitisme latin au service du fascisme : culture et propagand...
22. La Lupa du 16 octobre 1910 : Paolo Orano, « La Lupa » ; Bernard Fabre, « Monarchici e
sindacalisti contro la Repubblica. La Cité française » ; Arturo Labriola, « I due nazionalismi » ;
Enrico Corradini « Nazionalismo e sindacalismo ».
23. Zeev Sternhell, Naissance…, op. cit., p. 66. Également Enzo Santarelli, « Le socialisme national
en Italie », Le mouvement social, no 50, janvier 1965, en particulier p. 50-51.
24. Définition de l’idéologie fasciste dans l’Encyclopédie Treccani (1929), reproduite par Orano
dans son histoire du fascisme, Il Fascismo, op. cit., p. 53 et p. XVI.
25. Y, La Lupa, 16 juillet 1911. Réponse de Raffaele Ottolenghi, « Sindicalismo antisemita », La
Lupa, 30 juillet 1911.
26. Paolo Orano, « Per la salvezza del principio », La Lupa, 13 novembre 1910, « Io constato che la
pretesa ebraica e massonica disperde e spegne in Italia i caratteri medesimi dello spirito latino che io,
sindacalista sento, alimento, vigilo in me », « è un Italia preda della demagogia, del giolittismo, del
luzzattismo, un Italia debole ».
27. Id., La Massoneria dinanzi al socialismo, Macerata, 1913, et contribution dans Emilio
Bodrero (dir.), Inchiesta sulla massoneria, Milan, Mondadori, 1925, p. 172 sqq.
28. Sur l’influence de la Grande Guerre dans la gestation du fascisme italien, voir Nicola
Tranfaglia, La prima guerra mondiale e il fascismo, Turin, Utet, 1995 ; Emilio Gentile, Il mito dello Stato
nuovo, dall’antigiolittismo al fascismo, Rome-Bari, Laterza, 1982 ; id., Le origini dell’ideologia fascista,
1918-1925, Bologne, Il Mulino, 1996 ; Paul Corner, « La mémoire de la guerre et le fascisme
italien », Vingtième siècle, no 41, 1994, p. 60-66.
29. Conférences de Paolo Orano, Roma imperiale sul mare (Naples, 28 février 1915) et L’Adriatico
(Milan, 7 mars 1915), publiées dans L’Eloquenza, 15 mai 1915. Voir Emilio Gentile, La Grande Italia. Il
mito della nazione nel XX secolo, Rome-Bari, Laterza, 2009.
30. Paolo Orano, Nel solco della guerra, Milan, Treves, 1915, p. 7 « sole latino », et chapitre « Per
un’intesa con la Francia » (décembre 1914), p. 169-181.
31. Voir « La Dalmazia è italiana, sarà italiana. Manifesto futurista di Paolo Orano », publié le
9 septembre 1917 dans L’Italia futurista.
32. Paolo Orano, La spada sulla bilancia, Milan, Treves, 1917, p. 216, « Un organismo è vivo anzi vitale
e capace e degno di vivere quando i suoi globuli rossi espellano gli elementi infettivi. Per la lotta e dopo la
lotta, appunto perchè ha prevalso, esso sarà milgliore ».
33. ACS, PNF, b. 22, fasc. 69, curriculum d’Orano, 1929 ; et Ministero Pubblica Istruzione, Dir.
Gen. Istruzione universitaria, Prof. Universitari, Terza Serie, 1940-1970, b. 344, lettre du
Troisième régiment de génie au ministère de l’Instruction publique, 3 juillet 1917.
34. Voir Salvo Mastellone, « L’idea di latinità (1914-1922) », dans Jean-Baptiste Duroselle et
Enrico Serra (dir.), Italia e Francia, dal 1919 al 1939, Milan, Angeli, 1981, p. 13-19.
35. Camille Mallarmé, « Italia, Cara ! », Le Mercure de France, 1 er juin 1919, p. 415 (ces articles
correspondent à la réécriture des lettres envoyées par Mallarmé à sa mère et à Hélène Berthelot
durant la guerre).
36. Paolo Orano, « La Francia che noi amiamo », reproduit dans L’Eloquenza du 15 août 1916 ainsi
que dans le recueil, La spada, op. cit., p. 220 « è cemento il sangue tra noi » et p. 246 « l’immortale
Latinità ».
37. Paolo Orano, « Le moglie tedesche », Il Popolo d’Italia, 26 décembre 1917, « avvelenò l’anima
nazionale », « barbarico imbastardimento ».
38. Bibliothèque nationale de France, Manuscrits, Correspondance de Guillaume Apollinaire,
lettre de Mallarmé du 18 février 1916.
39. Paolo Orano, La spada, op. cit., p. 104-105, « che sposano la causa tedesca perchè pensano che una
Germania vittoriosa costituisca una depressione del mondo latino ed in conseguenza del cristianesimo ».
40. Ibid., « La Francia che noi amiamo », p. 206, « razza proletaria tedesca », p. 213 « israelismo
sovversivo ».
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Latinité et antisémitisme latin au service du fascisme : culture et propagand...
41. Paolo Orano, « Israele italiana e la guerra », Il Giornale d’Italia, 10 mars 1918, « L’antica
irrequietudine biblica avaeva rifermentato in quell’anima e la condanna tragica della Stirpe era riemersa
[…] e la spedizione in Libia aveva rincrudito la piaga e l’intervento dell’Italia nella guerra di tutto aveva
fatto rifiammeggiare l’ira asiatica d’Israele che puo’ essere dissimulata, distornata, sopita magari, ma
abolita mai ».
42. Paolo Orano, La spada, op. cit. , p. 240, « nuova rinascenza latina », « questa guerra nostra
redentrice ».
43. Id., « L’agguato del Ciompo », Il Popolo d’Italia, 23 mars 1919 (réunion de la place San Sepolcro
à Milan).
44. Camille Mallarmé, « L’Italie va élire dimanche sa nouvelle Chambre », Le Matin, 13 mai 1921.
45. Paolo Orano, Mussolini da vicino, Rome, Pinciana, 1928. Camille Mallarmé « La politique de
Mussolini », Le Gaulois, 27 janvier 1925.
46. Camille Mallarmé, « Pirandello et Mussolini », Le journal littéraire, 20 décembre 1924.
47. ACS, Segreteria Particolare del Duce, Corrispondenza Ordinaria (SPD CO), b. 1184, fasc. Orano
Paolo, b. 1158, fasc. Regia Università di Perugia, et b. 1796, fasc. Zuccucci Umberto (directeur de
la Pinciana). Sur la Pinciana : Gabriele Rigano, « Editoria e fascismo : il caso dell’editrice Pinciana,
tra affarismo e ideologia », Annali della Fondazione Ugo La Malfa, vol. XXI, 2006, p. 211-249.
48. Paolo Orano, Mussolini, op. cit. Camille Mallarmé, « Au pays natal de Mussolini », Je suis partout
, 19 mars 1932. Sur les tentatives fascistes de remodeler le caractère italien : Silvana Patriarca,
Italianità, la costruzione del carattere nazionale, Roma, Bari, Laterza, 2010.
49. ACS, SPD CO, b. 1184, fasc. Orano, lettre de Mallarmé à Mussolini, 11 février 1926.
50. Benito Mussolini, Opera omnia, Florence, La Fenice, vol. 24, 1959 p. 45 « questa religione è nata
nella Palestina, ma è diventata cattolica a Roma ». Renzo De Felice souligne l’influence d’Orano sur les
conceptions religieuses de Mussolini, dans Mussolini, il duce, t. II : Lo Stato totalitario, Turin,
Einaudi, 1981, p. 144.
51. Paolo Orano, Il fascismo, II. Rivoluzione delle Camicie Nere. Lo Stato totalitario, Rome, Princiana,
1940, p. 38-39, « Il fascismo rappresenta quello che rappresenta San Paolo nella storia del passaggio
dall’ebraismo al cristianesimo ». Également Camille Mallarmé, « La religion catholique et la
nation », Je suis partout, 9 mai 1931.
52. Paolo Orano, Verso una dottrina storica del giornalismo, Rome, Il lavoro d’Italia, 1928, p. 31.
Emilio Gentile souligne bien ce vocabulaire de la foi, dans Qu’est-ce que le fascisme ? Histoire et
interprétation, Paris, Gallimard, 2004, p. 336 et p. 320-321 ; ainsi que dans La religion fasciste. La
sacralisation de la politique dans l’Italie fasciste, [1993] Paris, Perrin, 2000.
53. ACS, SPD CO, b. 1158, fasc. Università di Perugia, lettres d’Orano à Mussolini, 15 mars et
25 décembre 1934.
54. D’autres exemples de médiation : Christophe Poupault, « Les voyages d’homme de lettres en
Italie fasciste : essai du rapprochement franco-italien et culture de la latinité », Vingtième siècle, n o
104, janvier-mars 2009, p. 67-79.
55. Sur la revue, Pierre-Marie Dioudonnat, Je suis partout, 1930-1944. Les maurrassiens devant la
tentation fasciste, Paris, La Table ronde, 1973 ; Valeria Galimi, « Une internationale antisémite des
images ? Je suis partout et le cas des caricatures », dans Marie-Anne Matard-Bonucci (dir.),
Antisémythes. L’image des juifs entre culture et politique (1848-1939), Paris, Nouveau monde éditions,
2003, p. 427-437.
56. Camille Mallarmé, « Le jardin de Michel-Ange, cœur de Rome », Je suis partout, 5 décembre
1931. Sur l’urbanisme fasciste à Rome : Emilio Gentile, Fascismo di pietra, Rome-Bari, Laterza, 2007.
57. Camille Mallarmé, « Réflexions », L’Italie Nouvelle, 23 septembre 1923, et dans la même revue,
Paolo Orano, « Agli Italiani fuori d’Italia », 4 novembre 1923. Sur le fascio de Paris : Catherine
Wiegandt-Sakoun, « Le fascisme italien en France », dans Pierre Milza (dir.), Les Italiens en France
de 1914 à 1940, Rome, École française de Rome, 2001, p. 431-469.
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Latinité et antisémitisme latin au service du fascisme : culture et propagand...
58. Camille Mallarmé, « Lettre d’Italie. L’œuvre de Mussolini » et « Lettre d’Italie. La fête
impériale du 21 avril 1923 », Le Gaulois, 6 février 1923 et 2 mai 1923.
59. Id., « Pierre de Nolhac a Roma », La Tribuna, 15 mai 1925 ; Pierre de Nolhac, Souvenirs d’un
vieux Romain, Paris, Plon, 1930.
60. André Maurois, Mémoires, 1885-1967, Paris, Flammarion, 1978, p. 169 ; Paolo Orano, Mussolini,
op. cit., p. 83 ; Camille Mallarmé, « André Maurois en Italie », Le journal littéraire, 7 février 1925.
61. Paolo Orano, Gli ebrei…, op. cit., p. 150, « spiega anche come più di uno scrittore francese israelita,
cito il caso di André Maurois – Herzog di nascita – manifesti con i suoi scritti simpatia affinità
attaccamento all’Inghilterra ».
62. ACS, SPD CO, b. 1184, lettre de Orano à Mussolini, 25 juillet 1931, depuis Paris.
63. Paolo Orano, Sulle vie dell’oro, Rome, Pinciana, 1934.
64. Camille Mallarmé, « Avertissement », Aux Écoutes, 6 février 1932.
65. Id., « La nouvelle littérature de guerre en Italie. La campagne d’Éthiopie racontée par les
combattants », Je suis partout, 13 février 1937. Paolo Orano, préface de Benito Mussolini,
L’espansione coloniale, Rome, Pinciana, 1936, p. 13.
66. Camille Mallarmé, « En Province », « La Patrie latine », et « Viva la Muerte ! », La Phalange,
mai, août, et 15 octobre 1936
67. Marie-Anne Matard-Bonucci, L’Italie fasciste et la persécution des Juifs, Paris, Perrin, 2007,
p. 110.
68. Paolo Orano, Gli ebrei…, op. cit., p. 34 et 40, « Lungo il periplo di Paolo dalla Palestina a Roma
cadono e si perdono gli elementi asiatici e cioè ebraici della predicazione. […] A Paolo l’ebraismo non
interessa più e negli Atti degli Apostoli la sinagoga è superata ed è atrofizzata la sua missione ridotta nei
limiti di una razza. […] Gesu’ non è ebreo, perchè figlio di Dio, del Signore di tutti gli uomini ».
69. Ibid., p. 52 et 34, « Un orgoglioso rifiuto separava per sempre Israele dal destino progressivo delle
genti umane ».
70. Ibid., p. 56, « mente israelitica sbattuta implacabilmente tra l’orgogliosa presunzione della superiorità
dell’ebraismo e del suo diritto a prevalere nella coscienza e negli istituti sociali, e la realtà dello Stato, della
Chiesa, della Latinità, dell’Impero ».
71. Ibid., p. 66, « duplice azione antilatina ed anticattolica ».
72. Ibid., p. 188-189, « nemico », « Profughi ebrei tedeschi e sionismo sono il legame diretto tra tutti gli
ebrei ebraizzanti d’Europa e del mondo […] l’attività della quale si svolge ai danni soprattutto dell’Italia
totalitaria, della Latinità, del Fascismo », p. 112, « lealismo di razza ».
73. Ibid., p. 194-195, « sotteranea attività », « universalità latina ».
74. Ibid., p. 127 « lasciarsi assorbire ».
75. Ibid., p. 167, « fare il fascista e nient’altro ».
76. Paolo Orano, Gli ebrei in Italia, Rome, Pinciana, Seconde édition, 1938, p. 233, « cospirazione
della razza », « lo spirito infernale del sionismo ».
77. Grégoire Kauffmann, Édouard Drumont, Paris, Perrin, 2008.
78. Camille Mallarmé, « Au pied du mur », Je suis partout, 23 septembre 1938.
79. ACS, PNF, b. 22, fasc. 69, note anonyme du 17 novembre 1938.
80. Tous les ouvrages sont publiés par Pinciana, notamment Paolo Orano, Mussolini fondatore
dell’impero fascista, 1940, ainsi que son introduction au recueil de Benito Mussolini, Demografia
Razzismo, Ordini consegne direttive del duce sui problemi della vita italiana ed internazionale, 1937
(republié en 1940). Parmi les conférences d’Orano : La scienza italiana per la salvezza della razza,
octobre 1938, exemplaire conservé dans les archives de la SPD.
81. ACS, Fondo Giorgio Pini, b. 19, lettre d’Orano à Pini, 13 décembre 1938.
82. ACS, SPD CO, b. 1796, fasc. Zuccucci Umberto, télégramme d’Alfieri à Orano, janvier 1939, «
trovando molto significativo il rapporto tra popolo eletto e cristianesimo ».
83. ACS, SPD CO, b. 1184, fasc. Orano, lettre d’Orano à Mussolini, 4 avril 1939.
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Latinité et antisémitisme latin au service du fascisme : culture et propagand...
84. Paolo Orano, L’asse nel pensiero dei due popoli, edition bilingue italien-allemand, Rome, Pinciana,
1938.
85. Camille Mallarmé, « L’Italie dans la paix : l’exposition de 1942 se prépare activement », Je suis
partout, 19 avril 1940.
86. Jean-louis Courtault-Deslandes, Les « Témoignages inédits »…, op. cit., p. 329 ; voir p. 332 pour
ses critiques contre Pétain.
87. Giuseppe Bottai, Diario, 1935-1944, Milan, Rizzoli, 1982, p. 323-324, « Agisce sul suo animo
l’elemento francese, rappresentato in famiglia dalla moglie, Camilla Mallarmé, discendente del poeta,
imparentata con molti uomini politici della repubblica ? Di certo ; e tutta la sua formazione è francese. Lo
senti, soprattutto nel furore antitedesco che di tanto in tanto scoppia nella sua volubile conversazione ».
88. ACS, Presidenza Consiglio dei Ministri, 1944-1947, b. 322, fasc. Camille Mallarmé Vedova prof.
Paolo Orano, Pro-memoria de Paolo Orano, mai 1944
89. Ibid., lettre de Mallarmé à Ivanoe Bonomi, 8 avril 1945, et Alta Corte di guerra per le sanzioni
contro il fascismo, Rome, 3 février 1945 (Orano destitué de ses fonctions de sénateur).
90. Ibid., note manuscrite de Paolo Orano depuis le camp de Padula « sono stato preso dall’Int.
Service per ordine degli ebrei con un mezzo clandestino […] Qui è la chiave di tutta la faccenda ».
91. Camille Mallarmé, « Un pensatore geniale, Paolo Orano », L’Eloquenza, mars-avril 1948, n o 3-4,
p. 153-154, « Furono gli ebrei a farlo arrestare, complice l’Intelligence Service, che ne è piena. Me lo disse
lui, sul suo lettuccio d’infermeria. Me lo scrisse a lapis su un pezzo di carta che per miracolo m’è giunto. […
] i Giuda italiani che l’hanno fatto prendere sono vivi ».
RÉSUMÉS
À partir de la biographie croisée de deux intellectuels, cet article approfondit l’étude des
circulations d’une culture antisémite et latine entre fascisme italien et extrême droite française.
L’article met ainsi en lumière un antisémitisme latin, formé dans un cadre de référence
intellectuel et politique franco-italien, en exhumant deux figures de médiateurs : le couple formé
par Paolo Orano et Camille Mallarmé, du syndicalisme révolutionnaire au nationalisme
interventionniste de la Grande Guerre jusqu’au soutien au projet totalitaire fasciste. Professeur et
député fasciste, Orano se distingue en publiant en 1937 Les Juifs en Italie, l’un des premiers
pamphlets annonçant la propagande antisémite du régime fasciste, alors que sa femme relaie la
campagne en tant que correspondante pour l’hebdomadaire français d’extrême droite Je Suis
Partout. Avec une volonté de distinction vis-à-vis de l’antisémitisme nazi, cet antisémitisme latin
repose sur une hostilité anti-allemande et sur une instrumentalisation politique de la tradition
catholique. Il est en outre révélateur des tensions inhérentes entre fascisme transnational et
nationalismes français et italien.
Drawing upon the entangled biographies of two intellectuals, this article delves deeper into the
circulations of a Latin anti-Semitic culture between Italian Fascism and the French right wing.
The article sheds light on a Latin type of antisemitism, shaped in a French-Italian political and
intellectual context, by uncovering two figures of intermediaries: the couple formed by Paolo
Orano and Camille Mallarmé, as they evolved from revolutionary syndicalism to nationalistic
interventionism during WWI and until they supported the Fascist totalitarian project. A
professor and Fascist deputy, Orano is noteworthy for his 1937 Gli Ebrei in Italia, one of the first
pamphlets anticipating the anti-Semitic propaganda of the Fascist regime, while his wife
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Latinité et antisémitisme latin au service du fascisme : culture et propagand...
promoted this campaign as the correspondent for the French right wing weekly Je Suis Partout.
Claiming to be distinct from Nazi antisemitism, Latin antisemitism relied upon an anti-German
hostility and a political instrumentalization of the Catholic tradition. Furthermore, it is
emblematic of the inherent tensions between transnational Fascism and French and Italian
nationalisms.
INDEX
Mots-clés : antisémitisme, fascisme, latinité, nationalisme, intellectuels transnationaux
Keywords : anti-semitism, fascism, Latin identity, nationalism, transnational intellectuals
AUTEUR
NINA VALBOUSQUET
Nina Valbousquet est actuellement chercheuse postdoctorale au Center for Jewish History et à
New York University. Soutenue à Sciences Po Paris en 2016, sa thèse sera publiée en 2018 chez
CNRS éditions sous le titre Catholiques et antisémites : le réseau transnational de Mgr Benigni
(1918-1934). Intitulé Rome, Zion, and the Fasces. Italian Catholics and Antisemitism in Europe (1918-1946),
son projet de second livre a reçu le prix 2017 de la Peter Lang Young Scholars Competition in
Modern Italian Studies, pour une publication prévue en 2019. Lauréate 2015 de la bourse de la
ville de Paris de recherche sur la xénophobie et l’antisémitisme, elle a également reçu des
bourses de l’École française de Rome et de la Fondation pour la Mémoire de la Shoah, et
récemment de l’United States Holocaust Memorial Museum de Washington.
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