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UNIVERSITÉ DE STRASBOURG FACULTÉ DE GÉOGRAPHIE Master Géographie Environnementale – spécialité Systèmes géographiques et environnements Espaces bâtis et bâtisseurs de lieux Usages de l'espace urbain en une unité paysagère de grands ensembles. Le cas du centre-ville de Saint-Priest. Mémoire de Master 2 Directrice : Christiane Weber Co-directrice : Laurence Florentino-Granchamp Tutrice de stage : Léa Marchand Étudiant : Matteo Del Fabbro A.A. 2011/2012 UNIVERSITÉ DE STRASBOURG FACULTÉ DE GÉOGRAPHIE Master Géographie Environnementale – spécialité Systèmes géographiques et environnements Espaces bâtis et bâtisseurs de lieux Usages de l'espace urbain en une unité paysagère de grands ensembles. Le cas du centre-ville de Saint-Priest. Mémoire de Master 2 Directrice : Christiane Weber Co-directrice : Laurence Florentino-Granchamp Tutrice de stage : Léa Marchand Étudiant : Matteo Del Fabbro A.A 2011/2012 Image de couverture En arrière-plan, des balayeurs sont en train de terminer le nettoyage après le marché et le camion vert derrière l'arbre est là pour la même raison. Sur la droite, le fourgon « Yamaha » est en train de livrer des nouveaux exemplaires au magasin de motos qui se trouve en dehors du cadre, à droite. Après le départ des forains, les premières voitures sont venues se garer sur le parking, qui reste toutefois relativement dégagé. Les hommes en premier plan, en train de discuter autour d'un banc et sous l'ombre d'un arbre, profitent de cet espace temporairement libéré des voitures. La discussion sous un arbre est une scène universelle. L'arbre est un symbole du rattachement des personnes au lieu, de l'enracinement des hommes dans un espace. Un arbre a, en effet, besoin de temps pour croître et s'épanouir, il est donc le signe vivant que des personnes ont investi ce lieu, dans la durée. En échange, avec son feuillage il offre aux hommes la possibilité de se poser et parler à l'abri du soleil et donc de se sentir un peu plus « chez soi ». Place Salengro à Saint-Priest, mardi 15 mai 2012 à 14h environ. Auteur : Matteo Del Fabbro. Document placé sous licence Creative Commons 3.0 Vous pouvez le diffuser en citant l’auteur, vous ne pouvez pas avoir une utilisation commerciale de ce document et vous n’avez pas le droit de le modifier. Pour contacter l'auteur : ledteo@yahoo.it À ma grand-mère Vincenza Remerciements à Christiane Weber et Laurence Florentino-Granchamp, pour avoir accepté de diriger mon travail et pour leurs indications ; à Léa Marchand et Fabien Bressan, pour leur disponibilité et aux Robins des Villes sous toutes leurs formes : salarié(e)s, bénévoles, stagiaires, adhérent(e)s ; à Stefano Allovio et Marie-Pierre Gibert, pour les précieuses indications ; au personnel des bibliothèques et centres de documentation auxquels je me suis adressé pendant mes recherches, en particulier à celui des Bibliothèques de la Faculté de Géographie de l'Université de Strasbourg, de la Maison Rhodanienne de l'Environnement et de la Manufacture – Université Lyon 3 ; à Stéphane Collacciani et Nicolas Rochette, pour leur disponibilité ; à Thierry Ramadier et Christophe Enaux, pour avoir accepté de faire partie du jury ; à mes ami(e)s qui, sans le savoir, m'ont donné les meilleures idées. Un remerciement spécial à toutes les personnes qui ont accepté de se faire interviewer. Sommaire Introduction..............................................................................................5 1. Le cadre théorique..............................................................................9 1.1 Le projet suivi pendant stage : « Visions de ville ».....................................................9 1.2 La problématique : l'amélioration des conditions de vie en milieu urbain...........11 1.3 Les apports de l'anthropologie à un urbanisme nouveau........................................17 2. La zone d'étude.................................................................................23 2.1 Cadre historique-géographique : trajectoire d'un quartier......................................23 2.2 Cadre social.....................................................................................................................30 2.3 Unités paysagères urbaines..........................................................................................34 3. La méthodologie...............................................................................40 3.1 3.2 3.3 3.4 3.5 Les contraintes de notre recherche..............................................................................40 Définition de l'objet d'étude..........................................................................................40 Formulation des hypothèses.........................................................................................44 Les techniques d'enquête .............................................................................................46 L'échantillonnage ..........................................................................................................52 4. Le terrain............................................................................................55 4.1 4.2 4.3 4.4 Place Molière ..................................................................................................................55 Square Monnet ...............................................................................................................56 Place Ottina (Hôtel de Ville) ........................................................................................58 La promenade du samedi après-midi ........................................................................58 5. Les résultats.......................................................................................59 5.1 5.2 5.3 5.4 Grille d’analyse des données d'observation...............................................................59 Tableaux récapitulatifs de la relation entre individus et lieux observés................64 Cartographie des relations entre individus et lieux observés.................................65 Interprétation des résultats obtenus............................................................................66 Conclusion..............................................................................................69 Sources.....................................................................................................73 Bibliographie .........................................................................................................................73 Autres sources........................................................................................................................76 Annexes...................................................................................................77 How many roads must a man walk down Before you call him a man ? [Bob Dylan, Blowin' in the wind, 1962] Introduction « Toute ville est – ou devrait être – organisée, structurée pour ses habitants. En effet, ces derniers sont sans cesse confrontés à des problèmes spatiaux ; ils doivent se déplacer, se repérer, localiser des lieux comme le précise G. Hewes. La ville doit donc être lisible; elle doit répondre aux besoins spatiaux de ses usagers; mais les décideurs, les acteurs de la ville connaissentils les besoins réels, appréhendent-ils aisément ce que « ressentent » ces usagers qui pratiquent la ville quotidiennement? Il semble qu'il existe très souvent un « écart », une « distance » entre les propositions techniques, les réalisations concrètes des ingénieurs et la manière dont les citadins vivent ces constructions, ces installations ». Colette Cauvin1 Le droit à la ville se manifeste comme forme supérieure des droits : droit à la liberté, à l'individualisation dans la socialisation, à l'habitat et à l'habiter. Le droit à l'œuvre (à l'activité participante) et le droit à l'appropriation (bien distinct du droit à la propriété) s'impliquent dans le droit à la ville. Henri Lefebvre2 Le cadre de recherche dans lequel se pose ce travail est celui du droit à la ville. Avec « droit à la ville », nous entendons la possibilité effective d'accès, de part de tout citadin, à un cadre de vie de qualité, en termes matériels et spirituels. Dire droit à la ville, par ailleurs, c'est dire droit de citoyenneté. Cela nous est éclairci par l'analyse étymologique des termes « ville » et « cité ». Si le premier vient du latin « villa », c'est-à-dire l'habitation de campagne avec ses annexes, le deuxième est issu de « civitas » qui, au sens propre, indique l'ensemble des « cives », soit les individus jouissant des droits civiques et politiques. Cela nous montre la profondeur des liens entre dimension urbaine et démocratie. Les enjeux liés à la qualité de vie en ville sont aujourd'hui sur le devant de la scène pour 1 2 Pour une approche de la cognition spatiale intra-urbaine , Cybergeo : European Journal of Geography, mis en ligne le 27 janvier 1999. URL : http://cybergeo.revues.org/5043. Le droit à la ville, Anthropos, Paris, 1968, p. 155. 5 Espaces bâtis et bâtisseurs de lieux Introduction des millions de personnes sur toute la planète. Le questionnement théorique et pratique des moyens mis en place pour répondre aux besoins de ces populations se renouvelle et se décline suivant les formes urbaines locales. Les conflits urbains nous évoquent une difficulté croissante des outils traditionnels de gestion urbaine. Nous n'avons pas encore de nouveaux outils pour les remplacer, toutefois les efforts pour aller dans cette direction créative et novatrice ne manquent pas et ce travail a l'ambition de s'inscrire dans cette direction. La voie tracée, depuis au moins deux décennies, pour reformer les pratiques traditionnelles d'aménagement, est double. D'un côté, on propose qu'une véritable « science de la ville » se définisse à la hauteur des habitants. L'hypothèse sous-jacente est que les habitants sont doués de connaissances et compétences 3 qui leur permettent d'aménager l'espace selon leurs besoins. Il s'agit de la capacité d'une communauté à façonner son espace de vie selon une logique précise et efficace, ce qui engendre à la fois la production physique de bâtiments et une identité urbaine partagée. D'un autre coté, l'innovation est liée au concept de « participation ». Se positionner du point de vue des habitants, cela veut dire leur donner la possibilité de choisir le futur de leur quartier ou leur ville. Cette idée s'est traduite par la mise en œuvre de nombreux outils de « démocratie participative », qui doivent toutefois faire face à un risque majeur: celui de l'échec dû à l'arbitrage final des élus. Même si cette considération restera dans l'arrière-plan de notre travail, car elle relève plutôt des sciences politiques, nous partageons l'idée qu'un travail d'ingénierie politique est nécessaire, pour rééquilibrer les pouvoirs entre élus, techniciens et population 4. Ce double positionnement attribue donc aux habitants d'un lieu la capacité d'apporter des solutions pour l'aménagement de leur territoire et également la capacité de donner une plus grande légitimité aux choix, grâce à un partage du processus décisionnel. Les moyens aptes à saisir ces connaissances et compétences « habitantes » revêtent ainsi un rôle central dans le développement de pratiques novatrices. L'idée que nous voulons développer est qu'une approche anthropologique du phénomène urbain puisse améliorer la compréhension des besoins et des attentes des habitants/usagers/citoyens. Cette idée est issue du constat que l'anthropologie se base sur les représentations et le point de vue des groupes enquêtés pour construire son savoir. Cette attitude méthodologique nous semblait approchable à celle des pratiques de « participation », qui visent à saisir les attentes, exigences, besoins des habitants/usagers par rapport aux projets urbains. Comment ces deux démarches – celle de la recherche ethnographique et celle de la participation – peuvent-elles dialoguer? La visée de ce travail est de répondre à cette question, à travers l’expérimentation sur un cas concret. L'hypothèse est qu'une approche ethnographique peut améliorer les démarches de participation. L'anthropologie a été définie « science de l'écoute et de la traduction » et en tant que telle, ne peut-elle pas avoir un rôle actif dans les procès d'aménagement urbain, où la pluralité des acteurs, des points de vue et des voix est l'une des caractéristiques principales ? Quel espace peut-elle trouver ? Quels avantages peut-elle amener ? C'est ce type de questions que nous nous sommes posé au début de notre étude. Une piste pour préciser ultérieurement notre problème de recherche nous a été fournie par l'article cité en exergue, où Colette Cauvin décrit une recherche menée sur la ville de 3 4 On fait référence aux concepts de « expertise habitante » ou de « mente locale », ce dernier proposé par l'anthropologue italien Franco La Cecla. Voir à ce sujet Michel Callon, Yannick Barthes et Pierre Lascoumes, Agir dans un monde incertain. Essai sur la démocratie technique, Seuil, Paris, 2001. 6 Espaces bâtis et bâtisseurs de lieux Introduction Strasbourg. Une fois indiquées les trois opérations (identification, localisation et description) nécessaires à se former une « image de la ville », elle explique comme les deux premières opérations peuvent être efficacement analysées par des techniques quantitatives 5, mais lorsqu'il s'agit de traiter les données de description Cauvin se trouve face à « une foule d'informations », difficilement traitables avec des procédés statistiques. Dans un article successif 6, elle confirme ses difficultés : « it is quite difficult to propose a precise protocol to study the descriptions ». Nous pouvons affirmer que le moteur principal de ce mémoire, pourrait être vu comme une tentative de contribuer à dépasser cet obstacle. Autrement dit, est-ce que l'anthropologie peut fournir des techniques et des méthodes de recherche capables d'offrir un traitement scientifique des « pratiques habitantes » et de la « parole habitante » ? Il s'agit de combiner des questions déjà largement abordées, mais d'une façon originale. L'anthropologie urbaine d'un coté possède une tradition non négligeable. Les démarches dites « participatives », elles, comptent une bibliographie immense et un nombre également important d'exemples concrets. Mais une combinaison de ces deux champs est assez rare et ici demeure l'intérêt de notre travail. Concernant les travaux de recherche en anthropologie, nous avons deux références principales : la première, un ouvrage paru en 2008 et coordonné par Amalia Signorelli et Costanza Caniglia Rispoli, respectivement professeure d'anthropologie culturelle et urbaniste de l'Université de Naples « Federico II », résume et met au point le travail mené pendant dix ans dans un séminaire interdisciplinaire. L'autre, publié en 2011 et coordonné par Federico Scarpelli et Angelo Romano, chercheurs en anthropologie urbaine à l'Université de Rome « La Sapienza », est un ouvrage collectif comprenant des contributions de anthropologues, urbanistes et géographes. Concernant les démarches participatives, nous avons fait référence à celles mises en place par Robins des Villes, l'organisme auprès duquel nous avons effectué notre stage de fin d'études. Pour cette raison nous présenterons dans la suite la méthodologie utilisée par l'association et les principes sur lesquels elle s'appuie. Les apports de l'approche ethnographique aux démarches Robins des Villes ont pris deux formes différentes. D'une part, nous avons proposé et développé avec les collègues des outils de recueil de la parole habitante issus de travaux de recherche. Notamment, il s'agit des cartes mentales et de l'usage de la photographie comme support pour mener une interview. Ces outils ont été appliqués directement, lors d'un des ateliers avec les habitants 7. Mais nous nous sommes concentrés davantage sur la réalisation d'une étude d'ethnographie de l'espace du territoire concerné par la mission de stage. Ainsi, à la fin de notre étude, nous avons pu envisager les contributions que notre approche pourrait apporter aux démarches Robins des Villes. Le mémoire se développe ainsi sur deux niveaux, méthodologique et thématique, car pour répondre à cette question méthodologique, nous sommes passés à travers un cas particulier, où nous avons dû préciser une méthodologie, une problématique et une hypothèse. Les chapitres qui suivent illustrent les étapes de cette étude de cas, tandis que les réponses aux questions méthodologiques sont contenues dans la conclusion générale, en symétrie avec l'introduction générale. 5 6 7 Notamment un traitement statistique pour l'identification et un procédé cartographique de régression bidimensionnelle pour la localisation. Colette Cauvin, Cognitive and cartographic representations : towards a comprehensive approach , Cybergeo : European Journal of Geography, mis en ligne le 15 janvier 2002. URL : http://cybergeo.revues.org/194. Le développement de ces outils ne rentre pas dans notre sujet de recherche, c'est pourquoi nous nous limitons à fournir un exemple en annexe. 7 Espaces bâtis et bâtisseurs de lieux Introduction Dans le chapitre 1 nous présentons les enjeux du projet suivi pendant le stage et procédons à sa problématisation, en fournissant un cadre théorique de référence. Le chapitre 2 est consacré à la présentation du territoire étudié, d'un point de vue historico-géographique, social et paysager, afin d'éclaircir le contexte spécifique de la recherche. Cette approche préalable au terrain nous a permis aussi de délimiter le périmètre d'étude. La partie méthodologique est contenue dans le chapitre 3, où nous définissons l'objet d'étude, formulons les hypothèses, présentons les techniques et outils de recueil des données et les critères d’échantillonnage. Le chapitre 4 contient un extrait des séances de terrain, l'intégralité des données exploitées étant fournie en annexe. L'analyse des résultats obtenus et leur interprétation, par rapport aux hypothèses, concluent notre étude d'ethnographie de l'espace, dans le chapitre 5. Dans la conclusion générale, nous reprenons les hypothèses méthodologiques formulées dans l'introduction et procédons à indiquer des pistes de réponse, en faisant référence à notre recherche de terrain. Nous sommes conscients que la démarche relative à ces hypothèses méthodologiques est incomplète, car il manque une comparaison analytique entre l'approche ethnographique et la méthodologie Robins des Villes, ce qui n'a pas été possible vu le temps et les ressources à notre disposition. Nous croyons, par contre, que l'étude de cas des chapitres 1-5 possède la rigueur scientifique qui est demandée pour un mémoire de fin d'études. Nous aurions pu, donc, limiter notre travail à cette partie, en ne considérant que les aspects « thématiques ». Cependant, nous avons choisi de maintenir les questions méthodologiques, en début et fin de mémoire, comme cadre élargi de cette étude de cas. En premier lieu, parce que l'effort de mettre au point une approche ethnographique et de construire des références théoriques (qui ont mis en dialogues des productions académiques italiennes et françaises 8), était motivé à la base par ces questions méthodologiques. En conséquence, maintenir ce cadre plus vaste offre des pistes de recherche ou d'application ultérieures, pour l'organisme de stage, qui a la possibilité de prendre en compte les conclusions de notre travail pour expérimenter des nouvelles méthodologies d'actions. 8 Toutes les traductions de l'italien d'ouvrages non publiés en France sont de l'auteur. 8 1. Le cadre théorique 1.1 Le projet suivi pendant stage : « Visions de ville » La recherche est menée en même temps qu'un stage de six mois (9 janvier-29 juin 2012) chez Robins des Villes, une association basée à Lyon qui s'occupe de démarches participatives en milieu urbain. Elle est née en 1997 d'un groupe d'étudiants en architecture, se définit comme un « relais citoyen » entre la population des quartiers touchés par des transformations urbaines, et les pouvoirs publics qui mettent en œuvre ces opérations. Elle comptait à l'époque du stage huit salariés, dont une responsable d'une antenne à Marseille. Une antenne parisienne a été inaugurée pendant notre stage. L'association fonctionne par réponse à appels d'offres publics ou par proposition de projets à des partenaires divers. La mission de stage portait sur un projet situé dans la ville de Saint-Priest, commune de 40.000 habitants environ, de la deuxième couronne lyonnaise. Dans le cadre de la Politique de la Ville, la Ville de Saint-Priest et la Communauté Urbaine de Lyon (Grand Lyon) ont décroché un financement de l'Agence Nationale de la Rénovation Urbaine (Anru) pour démarrer une Opération de Renouvellement Urbain (ORU), concernant le centre ville. Six barres de logements, un groupe scolaire et d'autres édifices mineurs ont été ou vont être démolis. A leur place, sont prévus une nouvelle et plus importante offre de logements, la reconstruction de l'école et un « mail », élément de voirie structurant et visant à mieux relier les différents parties du quartier entre elles et le quartier même avec le reste de la ville. Concernant le calendrier de l'opération, le démarrage de la concertation a eu lieu en 2003-2004, aujourd'hui on aborde la phase de démolition, tandis que l'horizon temporel de livraison des nouvelles réalisations est situé à 2020. En ce cadre, Robins des Villes a été appelée par l'équipe DSU (Développement Social Urbain) centre-ville pour mener des actions d'« accompagnement à la transformation », avec deux classes de l'école Joseph Brenier et auprès de divers habitants. Cela signifie recueillir la parole habitante, afin de saisir le rattachement aux lieux que les riverains ont pu développer. Concrètement, les actions cherchent à repérer des lieux qui symbolisent et synthétisent le rapport des habitants avec leur quartier. Ces lieux seront utilisés ensuite pour construire un parcours urbain dans le quartier, qui montre les lieux les plus chargés de sens pour les habitants , 9 Espaces bâtis et bâtisseurs de lieux 1. Le cadre théorique qu'ils soient amenés à changer ou pas dans le cadre de l'ORU. La commande de la ville consiste en faire émerger et garder des mémoires de ces lieux par les gens qui les ont habités. L'enjeu regarde la construction d'une mémoire et à la limite d'une identité collective liée au territoire. Il n'est pas question d'utiliser cette parole pour apporter des propositions aux aménagements en cours, la démarche de l'ORU n'étant pas en lien direct avec celle de « Visions de ville », même si il est évident que ce travail de recueil de mémoire est fait en ce moment particulier, juste avant que le quartier change complètement. Un autre but de l'action est de favoriser et dynamiser le lien social et l'interconnaissance entre habitants de différents sous-quartiers, qui semblent partiellement fermés sur eux-mêmes. L'enjeu, pour la ville, est donc de recueillir des paroles de populations qui manquent d'une identité clairement affichée et reconnue au sein des représentations collectives. Autrement dit, ce type de quartier et de population, dans la représentation publique (médias, politiques urbaines, production savante...) est souvent marqué comme « anonyme » ou « problématique ». La partielle classification en Zone Urbaine Sensible contribue à la construction de cette image. De plus, il manque des mouvements organisés en opposition à la rénovation urbaine, comme ce fut le cas dans d'autres moments et d'autres milieux sociaux, par exemple lors des rénovations urbaines des années '50. Il n'y aurait pas, en somme, un mouvement d’émancipation collective chez cette population, lequel aurait produit tout seul des mémoires, aurait valorisé des vécus et formé une identité territoriale ; pensons par contre au mouvement ouvrier, qui a pu se construire une identité collective, liée aussi aux lieux de vie et travail. La motivation de l'action par l'équipe DSU réside, donc, dans la conviction que aussi dans ce type de quartier, les habitants aient développé des formes de rattachement au territoire, et qu'il soit important de les saisir et les garder. Certes, on peut apercevoir une contradiction dans les actions des pouvoirs publics, qui d'un côté relogent des centaines de personnes et changent radicalement l'aspect du quartier, et de l'autre côté essaient de comprendre ce que cela signifie pour les gens. C'est sous cette lumière qu'il faut comprendre l'appel à Robins des Villes : l'association est considérée en tant que « professionnel du recueil de la parole habitante ». Ce dont a besoin la ville, est de toucher des publics qui restent souvent en dehors des canaux de la communication institutionnelle, et pour faire cela il est jugé nécessaire de les approcher d'une façon novatrice. Pour problématiser le projet sur lequel nous avons été investis pendant le stage et le rendre ainsi un sujet de recherche, nous allons développer dans les pages suivantes un cadrage théorique sur les enjeux de la participation et un état des lieux sur les apports de l'anthropologie à l'urbanisme. 10 Espaces bâtis et bâtisseurs de lieux 1. Le cadre théorique 1.2 La problématique : l'amélioration des conditions de vie en milieu urbain Ce n'est que depuis un siècle et demi environ, que la conscience d'un changement radical dans les villes européennes et puis américaines s'est développée. Cette conscience correspond à l'essor de l'urbanisation, commencé dans la deuxième moitié du XIX s. en Europe occidental et poursuivi au début du XX s. aux Etats-Unis, qui constitue l'un des effets les plus remarquables de la révolution industrielle. Paris, Londres dans un premier temps, Chicago dans un second, constituent les lieux-symboles de ce bouleversement. Ce changement radical dans l'aspect et les caractéristiques des villes (croissance urbaine, rationalisation du développement urbain, nouveaux enjeux de qualité de vie), a trouvé sa représentation artistique chez les grands romanciers français et anglais et ensuite dans la littérature américaine de début XX siècle. En même temps, il s'est traduit par l'essor de l'urbanisme et des tentatives de maîtriser cette croissance urbaine, inédite dans l'histoire de l'homme, et les problèmes qu'elle posait. 1.2.1 Les solutions traditionnelles : le couple élu/professionnel Dans les pays occidentaux, les solutions trouvées et pratiquées pour améliorer les conditions de vie urbaine, reposent sur deux principes : la légitimité politique, attribuée aux élus et la légitimité technique, attribuée aux scientifiques dont la compétence est reconnue par un diplôme qui attesterait leur capacité à analyser et résoudre les problèmes de la planification et de l'aménagement urbain. « Une approche de l’exercice du pouvoir et des relations avec les citoyens basée sur le principe d’une double délégation, politique et scientifique-technique », selon Jodelle Zetlaoui-Léger, professeur à l'ENSA Paris la Villette 1. Questionner les pratiques d'aménagement signifie donc questionner les pratiques politiques de gestion de la ville. Le rôle central recouvert par les professionnels de l'aménagement représente, en effet, le moyen grâce auquel le pouvoir politique a pu contrôler les territoires urbains, surtout dans les deux derniers siècles : « Une constante de l’exercice du pouvoir politique sur le territoire est la nécessité qu'il a de faire recours à la médiation du savoir technique. […] Du début de l'âge industriel ces professionnels ont géré une sorte de monopole du savoir-faire »2. 1.2.2 Des nouvelles solutions envisagées : la légitimité technique et politique de l'habitant/usager Néanmoins, dans certaines réflexions théoriques et certaines pratiques, depuis une vingtaine d'années, ces deux principes sont remis en cause, par l'introduction d'un nouveau principe de légitimité, à la fois technique et politique, attribuée directement aux habitants ou usagers. Selon ce postulat, l'amélioration des conditions de vie urbaine ne pourrait plus renoncer aux compétences dont les habitants seuls disposent. Il s'agit de « reconnaître aux habitants et usagers d’un territoire leur compétence d’expert en usage. En effet, ce sont qui le 1 2 Jodelle Zetlaoui-Léger, Fondements historiques et sociologiques de la concertation , texte de la conférence tenue à la formation Robins des Villes, Lyon, 19 mars 2012. Costanza Caniglia Rispoli, Amalia Signorelli (sous la dir. de), La ricerca interdisciplinare tra antropolgia urbana e urbanistica, Guerini, Milano, 2008, pp. 11-12. 11 Espaces bâtis et bâtisseurs de lieux 1. Le cadre théorique pratiquent, le vivent et l’animent. Bien que souvent non formulée, cette expertise semble essentielle à l’aménageur, afin que les transformations apportées par les projets urbains soient le mieux à même d’intégrer les réalités du territoire et de répondre aux attentes et besoins de ses habitants »3. Le deuxième volet de ce postulat porte sur les processus politiques de prise de décision, où l'on suppose l'existence de « ce que les auteurs appellent une « crise de la représentativité », qui nécessite de trouver des formes de partage du pouvoir »4. Il est nécessaire d'expliciter quelques concepts cachés derrière l'expression « expertise habitante ». Le premier porte sur l'opposition de ce terme avec la façon des professionnels de regarder la ville. L'approche de l'urbanisme traditionnel est en effet surtout quantitatif, visé à apporter des solutions standardisées à un public plus ou moins standardisé. L'approche basé sur l'expertise habitante valorise au contraire une connaissance de la ville qualitative et sensible, qui prend en compte les perceptions, les expériences, les valeurs personnelles ou collectives. Le second point à clarifier est relatif au type d'expertise que l'on peut avoir d'un espace : celle-ci peut être au moins cognitive (reconnaissance d'un lieu et capacité de s'orienter), fonctionnelle (connaissance des différentes activités que l'on peut mener dans différents lieux) ou émotionnelle (connaissance d'un lieu selon les sensations qu'il suscite). La « révolution copernicienne » d'une approche intégrant l'expertise habitante consiste justement dans la valorisation aux fins de l'aménagement de ce type de connaissances, traditionnellement retenues comme incapables de donner des indications à l'aménagement car « non scientifiques ». Selon ce postulat, la question « comment les conditions de vie en milieu urbain peuvent être améliorées ? » peut se traduire donc de la façon suivante : « comment peut-on faire émerger l'expertise habitante relative aux lieux et comment peut-on efficacement partager les prises de décision ? ». La deuxième partie de la question (« comment partager les prises de décision ») introduit le sujet de la démocratie participative, qui a fait couler beaucoup d'encre et où il n'est point facile de s'orienter parmi les définitions, les expériences et les théorisations. Nous avons choisi d'adopter les références théoriques et la méthodologie utilisées par Robins des Villes. Nous allons donc les présenter, en proposant deux documents. 3 4 Fabien Bressan, La concertation dans les projets d'aménagement , Vad. Centre d'échanges et de ressources pour la qualité environnementale des bâtiments et des aménagements en Rhône-Alpes, juin 2007. Ibidem. 12 Espaces bâtis et bâtisseurs de lieux 1. Le cadre théorique 1.2.2.1 DOC 1. Les différents niveaux d'implication des habitants dans les projets urbains5 L’information Porter à la connaissance de tous les différentes données et décisions relatives à un projet. L’information peut prendre différentes formes et supports (diffusion par la presse locale, expositions, site Internet etc.). Elle peut être diffusée par tout type d’acteur impliqué dans un projet. L’information est à distinguer de la « communication » qui relève d’une stratégie de diffusion de l’information. La consultation Ayant arrêté tout ou partie d’un projet, le maître d'ouvrage demande un avis aux habitants. Le citoyen peut ainsi éclairer le décideur avant une décision. Ce dernier n'est toutefois pas obligé de suivre cet avis. Ainsi, certaines consultations, sous la forme d'enquêtes publiques, ont été rendues obligatoires par la loi, mais elles interviennent généralement alors que le projet est déjà très avancé ; c'est pourquoi, le seul recours pour les citoyens de remettre en question un projet, devient de type juridique. Les réunions publiques sont souvent des moments d’information, de communication et de consultation. Les référendums d’initiative municipale ou populaire mais sous certaines conditions : ce sont des modes de consultation, ils n’ont pas une valeur exécutoire en France. La concertation La concertation est un processus de discussion organisé entre un ou des groupes de personnes qui produisent des propositions contribuant directement à la définition d’un point de vue et d’une action. L’autorité administrativement ‐ politiquement compétente choisit en général ses interlocuteurs, et garde le monopole de la décision. Pendant longtemps, dans le cadre de la planification urbaine la concertation s'est caractérisée par l'examen de projets entre représentants d'institutions, d’organismes officiels (élus, décideurs économiques, techniciens, experts) : il s'agissait donc d'une concertation politico‐ administrative et technique. Un degré d'ouverture supplémentaire est aujourd'hui atteint lorsque des habitants, membres ou non d'associations, sont associés à ces groupes de réflexion. Ce]e implication peut leur donner la possibilité d'influencer les caractéristiques du projet, en amont voire tout au long du processus, avant que les éléments de projet ne soient définis par les techniciens et que des décisions ne soient prises par la maîtrise d'ouvrage. Lorsque des groupes d'habitants travaillent directement avec des techniciens, à la définition du projet, on peut dire que la concertation s'apparente à une forme de "coproduction faible". La participation Terme générique pour désigner l’implication des habitants dans la gestion des affaires de la Cité. Acception forte : permettre l'implication de tous les habitants concernés et qui en expriment le souhait ‐ quitte à ce qu’il y ait un tirage au sort si le nombre de personnes concernées est important ‐ , à tous les stades d'élaboration d'un projet, pour en définir le contenu et‐ou prendre des décisions qui concernent l'évolution de celui‐ci, et‐ou en assurer la gestion. 5 Jodelle Zetlaoui-Léger, op. cit. 13 Espaces bâtis et bâtisseurs de lieux 1. Le cadre théorique La coproduction Les habitants contribuent à la réalisation des projets. Ils ne se contentent pas de faire des propositions dont disposent ensuite les techniciens (programmistes, concepteurs) pour définir les éléments de projet, mais ils collaborent plus directement avec ces derniers. Codécision, cogestion Les élus partagent une partie de leur pouvoir de décision avec les habitants. Ils acceptent de négocier avec ces derniers pour prendre une décision. La pratique des "enveloppes "budgétaires de quartier" permet à des instances participatives de quartier de décider librement de l'utilisation d'une partie modeste de l'argent public, au profit de petits aménagements ou de travaux de voisinage. Les élus s'engagent à légaliser le choix des habitants, en acceptant sans modification, les dépenses décidées par l'instance de quartier. Démocratie directe, autogestion autoconstruction Les habitants, utilisateurs, usagers décident eux‐mêmes des projets, voire les réalisent également. Ils s'auto‐administrent directement. 1.2.2.2 DOC 2. La méthodologie de concertation Robins des Villes6 Cette méthodologie se décompose en trois grandes phases : une de diagnostic, une de sensibilisation et une de propositions opérationnelles. Elle se veut pédagogique car miroir du déroulement d’un processus de projet, afin que les participants comprennent comment fonctionne un projet urbain. Le diagnostic partagé des usages La première phase consiste à construire un diagnostic partagé des espaces extérieurs (publics et/ou collectifs), par la vision qu’en ont ceux qui les vivent et les pratiquent, à savoir les habitants, les usagers et / ou les citoyens. L’objectif est double : enrichir l’analyse du territoire des professionnels par une approche sensible et identifier les secteurs à enjeux du quotidien. Deux étapes s’enchaînent, les rencontres et déambulations suivies de la mise en dialogue. La première étape de « Rencontres et déambulations », est une phase de lecture et de compréhension du territoire. Pour ceci, plusieurs outils sont proposés : - Une lecture complète des documents produits sur le territoire : projets antérieurs, diagnostics, historiques, productions artistiques… - Une reconnaissance du site et de ses usages sur plusieurs périodes (jour/nuit, saisons différentes, jours de semaine et de week-end) opérée par plusieurs profils professionnels, cette pluridisciplinarité assurant un riche croisement de regards. - Une rencontre des acteurs (institutionnels, techniciens, associations, structures socioculturelles, habitants) sous forme d’entretiens formels, d’interventions auprès de groupes constitués (réunions, évènements sur l’espace public, …) ou de discussions informelles avec des personnes rencontrées sur l’espace public. Cette étape débouche sur une analyse sensible du territoire sous forme de cartographies sommaires des lieux de concertation, des usages, des perceptions…. appelée « pré-diagnostic ». 6 Fabien Bressan, La participation des habitants dans les projets urbains , revue de l'école d'architecture de Bruxelles La Cambre, en cours de publication. 14 Espaces bâtis et bâtisseurs de lieux 1. Le cadre théorique La deuxième étape consiste à mettre en dialogue du pré-diagnostic, c’est-à-dire de le confronter aux groupes mobilisés pendant les rencontres-déambulations. Des ateliers sont donc organisés afin de faciliter l’échange et le débat avec les participants. […] Ces deux étapes débouchent donc sur la production d’un diagnostic partagé des usages, présenté à la maîtrise d’ouvrage sous la forme de cartographies commentées (voir exemples ci-dessous). L’outil cartographique a pour avantage de permettre le dialogue entre les différents acteurs. En effet, les professionnels appréhendent une parole habitante subjective grâce à un outil qu’ils utilisent au quotidien. Pour les habitants, dont la grande majorité comprend un plan ou une carte avec un minimum d’explications, c’est une valorisation de leur expertise : ils ont l’impression d’être au même niveau que les autres. La phase de sensibilisation : les ateliers thématiques Le diagnostic partagé des usages va permettre de dégager des grandes thématiques sur lesquelles un travail plus poussé va être engagé. Très souvent, le choix se porte sur celles qui ont le potentiel conflictuel le plus élevé, qui relèvent du plus grand intérêt ou celles qui sont le moins maîtrisées par le grand public. [...] La forme est diverse : présentation en salle, visite de sites, expositions, alternant travaux en petits groupes et séances plénières. Ces ateliers ont trois objectifs : -Donner des clés de compréhension de la thématique aux participants, par l’apport de connaissances théoriques, d’interventions de spécialistes extérieurs, de visites de site. -Permettre un premier niveau général d’expression de propositions. Cette étape est d’autant plus importante et intéressante en amont du projet, par exemple pendant la définition de la programmation. Elle permet également un premier débat, puisque ces ateliers sont « ouverts », et donc que les différents acteurs s’y rencontrent et confrontent leurs opinions parfois divergentes. -Proposer au concepteur de prendre le temps d'écouter les arguments des usagers. La phase opérationnelle : les ateliers de coproduction Enfin, la troisième phase est plus opérationnelle. Il ne s’agit plus de récolter des avis sur des thématiques mais bien de passer à des propositions d’aménagement d’un micro-espace. Le choix de lieu se fait par la maîtrise d’ouvrage, qui en est le propriétaire et qui financera les réalisations. Ce choix s’effectue en fonction d’une identification de tous les espaces à enjeux (issue des résultats des deux premières étapes) mais également des potentialités du projet urbain général. Ainsi, on ne partira pas sur un espace public dont le devenir est d’être remplacé par un bâtiment. Là encore, les groupes sont « mélangés » pour confronter les opinions et forcer l’argumentation. Par contre, les ateliers sont successifs et évoluent chronologiquement. Par exemple, sur un square, on va choisir de faire trois ateliers : - Le premier permettra de se rendre sur place, afin que chacun en partage une même vision. Puis on donnera l’ensemble des informations sur le projet urbain et ses avancées (temporalités, acteurs, budgets…), sur les règles des ateliers (durée, écoute, rôle de chacun, etc.), sur les limites fixées (marges de manœuvre, résultat attendu, etc.) et sur l’objet même de l’atelier (lois, normes, enjeux…). Enfin ce premier atelier se terminera par un temps d’expression libre sur toutes les propositions d’aménagement possibles. 15 Espaces bâtis et bâtisseurs de lieux 1. Le cadre théorique - Le deuxième atelier repartira sur la base de ces propositions. Mises par écrit par Robins des Villes entre les deux ateliers, il s’agira de les traduire spatialement. On va donc utiliser les outils de représentation dont se servent les professionnels : plans et / ou maquettes. Chaque proposition va être positionnée, argumentée, débattue, afin d’aboutir à une proposition d’aménagement commune. Néanmoins, le but n’est pas d’arriver à tout prix au consensus. Si une proposition unique n’émerge pas, il pourra être proposé plusieurs scénarii, la seule règle étant que les participants acceptent alors que la maîtrise d’ouvrage fasse un choix et que celui-ci devra être respecté. - Le troisième atelier consistera à finaliser et valider le ou les documents. Par exemple, des photos de références seront adjointes au plan. C'est également un dernier temps de débat entre les participants, qui peut se finir par un temps convivial et l’annonce du calendrier de validation. Le résultat fourni se présente sous la forme de documents écrits descriptifs, illustrés de visuels réalisés avec les participants (plans, maquettes, photos…) et qui contribuent à l’établissement du cahier des charges technique d’aménagement. Ce dernier document est ensuite validé politiquement et techniquement par la maîtrise d’ouvrage avant d’être présenté sous sa forme finale (explication des choix retenus ou non, chiffrage exact, échéancier de réalisation…) aux habitants pour une dernière validation. 16 Espaces bâtis et bâtisseurs de lieux 1.3 Les apports de l'anthropologie à un urbanisme nouveau Après cette aperçue des méthodes pratiquées par Robins des Villes, nous allons présenter une panoramique des auteurs qui ont eu un positionnement critique envers la manière traditionnelle de projeter la ville et nous allons positionner ces courants dans le débat scientifique plus général. 1.3.1 Le paradigme scientifique Comme on le verra par la suite, la méthode appliquée dans notre étude intègre la notion que l'observateur influence la réalité observée et donc les résultats. Cela constitue une négation d'un des principes fondamentaux de la méthode scientifique « traditionnelle », dont les racines remontent à la Révolution scientifique et à la philosophie du XVII siècle, notamment à Galileo Galilei, René Descartes et ensuite Isaac Newton ; approche reprise et développée par le positivisme au XIX siècle. Ce paradigme scientifique est encore diffusé dans la mentalité collective, dans la mesure où lorsqu'on dit « scientifique », cela est synonyme de « objectif et auto-évident ». Cependant, ses bases ont été mises en crise à partir du début du XX siècle, entre autres par la théorie de la relativité de Einstein et le principe d’indétermination de Heisenberg. Ces découvertes ont contribué à construire un nouveau paradigme scientifique, accepté aujourd'hui par la plupart des chercheurs, celui de la complexité1. Nous assistons donc, dans le domaine de l'aménagement du territoire, à la confrontation plus générale entre ces deux paradigmes – le cartesianisme/positivisme et la complexité – qui sont porteurs de croyances, généralisations, valeurs et théories différentes. D'après Kuhn 2, en effet, la communauté et la pratique scientifique se construisent sur la reconnaissance et le partage d'un paradigme scientifique commun, qui permet de définir les procédures dites « scientifiques », les données « pertinentes » et les problèmes de recherche à développer. Cette question n'est pas purement théorique, car le paradigme dominant influence les applications pratiques de découvertes scientifiques, notamment les formes politiques et techniques de gestion du territoire. A contrario, lors d'un conflit entre deux paradigmes opposés, ce n'est pas que pour des raisons univoques et « objectives » que l'un prévaut sur l'autre, puisque les paradigmes scientifiques se forment toujours dans un contexte historique et social, dont ils sont partiellement le reflet. En ce qui concerne l'aménagement du territoire, le système traditionnel de gestion, caractérisé par le couple élu/professionnel, peut être considéré comme la traduction d'un paradigme scientifique positiviste, qui considère le territoire comme un système simple, où à un problème correspond une action pour le résoudre. Cette vision de la gestion du territoire est changée depuis quelques décennies, lorsqu'on ne parle plus de « gouvernement du territoire » mais de « gouvernance ». Cette expression indique que les décisions ne sont plus exclusivement sous la responsabilité des organismes institutionnellement prévus à cet effet, mais sont partagées avec les nombreux acteurs qui agissent dans un territoire, économiques, sociaux, culturels etc. Aujourd'hui on assiste à une ultérieure évolution: « d’une gouvernance dite représentative, où d’abord les élus puis les associations, syndicats, « représentants des citoyens », participaient à 1 2 Pour un exemple dans le domaine géographique, voir Alexandre Moine, Le territoire comme un système complexe : un concept opératoire pour l'aménagement et la géographie , L'Espace géographique 2/2006 (Tome 35), p. 115-132. URL : www.cairn.info/revue-espace-geographique-2006-2-page-115.htm. Cité par F. Brioschi, C. Di Girolamo, M. Fusillo, Introduzione alla letteratura, Carocci, Roma, 2003, pp. 11-12. 17 Espaces bâtis et bâtisseurs de lieux l’élaboration et à la mise en œuvre des aménagements urbains dans les instances administratives, la fin du vingtième siècle voit se développer la notion de gouvernance participative, où le citoyen/habitant/usager lui-même s’implique dans la production voire la gestion de son environnement »3. Toutefois l'affirmation de cette nouvelle façon de gérer le territoire ne dépend pas que de son efficacité, mais aussi de l'acceptation du paradigme scientifique sousjacent ; et cela dépend en partie du contexte général de la société, des pouvoirs économiques et politiques en jeu. Nous précisons que nous considérons ces éléments de contexte comme des conditions nécessaires et non suffisantes à l'affirmation d'un nouveau modèle de gestion du territoire. Nous allons donc détailler comment le paradigme « complexe » s'est décliné dans la pensée urbanistiques, en présentant certains auteurs qui ont proposé une approche alternative au couple élu/professionnel. 1.3.2 Approches alternatives à l'urbanisme traditionnel Un pionnier dans la définition de ce champ de recherche fut l'écossais Patrick Geddes, auteur de l'ouvrage Cities in evolution publié en 1915. Selon l'anthropologue Françoise Choay, Geddes fut le promoteur d'un urbanisme qui « veut réintégrer le problème urbain dans son contexte global, en se basant sur les informations de l'anthropologie descriptive »4. Mais c'est à l'américain Kevin Lynch qui appartient une place de premier plan dans ce domaine. Avec son ouvrage de 1960, Image of the city, il put mettre des bases très solides à la compréhension de la perception cognitive de l'environnement urbain. Il arriva à indiquer cinq éléments structurants de la perception de la ville : les voies, les limites, les quartiers, les nœuds et les points de repère. Lynch a été repris, entre autres, par la géographe française Colette Cauvin, qui, dans un article de 19995, reprend de l'auteur américain les trois « opérations » nécessaires à un individu pour construire son image de l'espace urbain: l'identification, la localisation et la description. L'identification consiste en la reconnaissance de certains endroits ou éléments de l'espace; la localisation comporte de placer ces éléments en un rapport spatial entre eux; la description regarde les caractéristiques attribuées par les personnes aux lieux. Une ultérieure référence est celle de Henri Lefebvre et son ouvrage de 1968, Le droit à la ville : « Le caractère novateur de Lefebvre réside aussi dans son opposition, par sa critique, aux outils traditionnels d’analyse de l’urbanisation, à l’emprise de la technocratie qui faisait de la ville son terrain privilégié d’intervention, à l’approche parcellaire de la recherche. Pour saisir et agir sur cette nouvelle réalité il propose une démarche globale qui s’appuie principalement sur le matérialisme historique de Marx »6. Lefebvre est celui qui a parlé en premier de la « disparition de l'urbain », suite à l'éclatement des périphéries industrielles et résidentielles : Si l'on définit la réalité urbaine par la dépendance vis à vis du centre, les banlieues sont urbaines. Si on définit l'ordre urbain par un rapport perceptibles (lisible) entre la centralité et la périphérie, les banlieues sont désurbanisées. Et l'on peut dire que la 3 4 5 6 Fabien Bressan (2007), op. cit. Citée par Alberto Sobrero, I'll teach you differences , in Federico Scarpelli et Angelo Romano (sous la dir. de), Voci della città, Carocci, Roma, 2011, p. 42. Colette Cauvin (1999), op. cit. Laurence Costes, Le Droit à la ville de Henri Lefebvre : quel héritage politique et scientifique ? , Espaces et sociétés, 2010/1 n° 140-141, p. 177-191. DOI : 10.3917/esp.140.0177. 18 Espaces bâtis et bâtisseurs de lieux « pensée urbanistiques » des grands ensembles s'est littéralement acharnée sur la ville et l'urbain pour les extirper. Toute la réalité urbaine perceptible (lisible) a disparu : rues, places, monuments, espaces de rencontre7. Ces mots s'adaptent extrêmement bien à notre cas d'étude et pour cette raison nous nous permettons une brève divagation, en anticipant le contenu des prochains chapitres 8. Notre hypothèse est que ce n'est pas l'urbain tout court à être disparu, mais plutôt une forme de l'urbain, notamment celle historiquement développée en Europe de l'antiquité jusqu'à la révolution industrielle. La forme des villes modernes, qui n'est plus lisible selon le regard traditionnel, ne constituerait pas la fin de l'urbain, et donc de l'urbanité, mais plutôt une nouvelle forme de l'urbain , qui est en train de se former, en un rapport interactif avec ses citadins. On a vu donc la contribution d'un psychologue, d'un urbaniste et d'une géographe à la question posée. L'article de Colette Cauvin notamment, nous paraît riche d'intérêt, pour trois raisons principales. La première est que l'ancienne chercheuse de l'Université de Strasbourg indique la motivation de cet axe de recherche dans son application pratique, dans sa capacité d'améliorer la réalité urbaine: « ces recherches […] n'ont de sens que si elles permettent de comprendre les réalités pratiques de groupes d'individus, de personnes, qui utiliseront ces espaces que l'on aménage pour nous, pour eux ». Une deuxième raison est qu'elle exprime sa conscience qu'il s'agit d'une recherche « pluri-, trans- ou interdisciplinaires, au gré de l'évolution des termes ». Enfin, nous ne cachons pas un besoin de légitimité: on choisit l'approche d'une géographe, afin de pouvoir plus légitimement traiter ces sujets en tant que problématique géographique. Comme dit au départ, notre hypothèse est que l'anthropologie puisse s'ajouter à ces approches alternatives à l'aménagement urbain. Nous allons donc présenter les traditions scientifiques dans lesquelles le dialogue entre anthropologie et ville a déjà pris forme. 1.3.3 L'anthropologie urbaine Cette branche de la discipline trouve traditionnellement ses fondateurs dans l'école de Chicago aux États-Unis et dans l'école de Manchester au Royaume-Uni. En France une tradition importante s'est également développée, liée au Laboratoire d'Anthropologie Urbaine de l'Université Paris X – Nanterre. En générale, c'est à partir des années soixante, soixante-dix que les travaux d'anthropologie urbaine ont gagné une présence constante dans la littérature scientifique. Pour un traitement approfondi de ses fondements théoriques, notre référence a été Alberto Sobrero et son ouvrage Antropologia della città, paru en 1992. Les questions auxquelles il essaie de répondre sont: est-ce possible une anthropologie urbaine? Si oui, avec quelles contraintes et quelles limites? Le point de départ de sa réflexion est le constat que les outils développés autrefois par l'ethnographie des sociétés dites « traditionnelles » ne sont pas applicables avec profit dans les contextes urbains complexes. Notamment, c'est le concept de « culture », comme vision totalisant du monde et partagée par tous les membres d'une communauté, qui montre des fortes limites en ce nouveau milieu de recherche. La réponse à ce 7 8 Henri Lefebvre, op. cit., p. 23. Notamment le paragraphe 3.3 « Formulation des hypothèses ». 19 Espaces bâtis et bâtisseurs de lieux problème donnée par les auteurs majeurs est opposée: d'un côté Claude Lévi-Strauss, considère que l'anthropologie ne peut s'occuper que des sociétés dites « froides » ou « simples »; de l'autre Clifford Geertz, redéfini le concept de culture de manière qu'il puisse être adapté à l'étude des sociétés urbaines, et amener en même temps un nouveau regard sur celles traditionnelles. Il s'agit du courant connu comme « anthropologie interprétative ». Dans l'ouvrage de Anne Raulin, Anthropologie urbaine, paru en 2007, on trouve par contre une panoramique très complète des avancées plus récentes et des thématiques principales abordées par cette sous-discipline. Les auteurs font référence aussi à l'existence de deux courants principaux dans le champ de l'anthropologie urbaine : celui de l'anthropologie de la ville et celui de l'anthropologie dans la ville. Le premier se traduit par une « anthropologie de l'espace », c'est-à-dire une étude de comment l'espace physique (urbain, en ce cas) est utilisé par les différents groupes humains pour accomplir les différents fonctions et besoins individuels et collectifs 9. La seconde tend à une étude de groupes sociaux particuliers, dont l'environnement de vie est un environnement urbain10. Bien que l'anthropologie urbaine soit désormais un domaine de recherche consolidé, les échanges entre une approche anthropologique et la planification urbaine restent rares. D'après nos recherches bibliographiques, les auteurs qui ont abordé directement cette piste de recherche ne sont pas nombreux et nous allons donc présenter ceux que nous avons pu repérer. 1.3.4 Contributions de l'anthropologie à l'urbanisme. État des lieux C'est sur les deux ouvrages cités en Introduction, La ricerca interdisciplinare tra antropologia urbana e urbanistica et Voci della città11, que nous nous appuyons pour éclaircir l'apport potentiel que l'anthropologie peut amener à l'urbanisme. Voyons dans la suite les différentes formulations de cette idée chez les auteurs qu'on vient de citer. Signorelli et Rispoli affirment : « Les anthropologues n'ont pas, eux non plus, aucune compétence pour établir a priori ce que les habitants d'un quartier ou d'une ville désirent, apprécient ou apprécieraient : mais, s'ils sont capables, les anthropologues ont une compétence disciplinaire qui leur permet d'aller chez les habitants, présents ou futurs, et se le faire dire par eux. L'habitude avec la recherche sur le terrain, la conséquente capacité d'observer et écouter, la capacité de se faire dire les choses et de savoir les « traduire » critiquement dans d'autres langages, l'entraînement à garder sous contrôle critique son point de vue sont les compétences spécifiques des anthropologues »12. Alberto Sobrero écrit: « faire de l'ethnographie, pour observer la ville comme espace vécu, 9 10 11 12 Voir aussi à ce propos Jean-Charles Depaule, L'anthropologie de l'espace, in J.Castex, JL.Cohen, JC. Depaule, Histoire urbaine, anthropologie de l'espace, CNRS Éditions, Paris, 1995. La tradition de l'anthropologie urbaine française nous semble plutôt associée à cette deuxième tendance. Pour les lecteurs italiens, voir par exemple Sara Roncaglia, Nutrire la città, Bruno Mondadori, Milano, 2010. La traduction des titres est la suivante : « La recherche interdisciplinaire entre anthropologie urbaine et urbanisme » et « Voix de la ville ». En sachant que la langue italienne ne possède pas deux termes comme « ville » et « cité », qui sont traduits avec « città », donc dans la traduction de l'italien au français le choix entre « ville » et « cité » reste un peu arbitraire. Rispoli, Signorelli, op. cit., p. 67. 20 Espaces bâtis et bâtisseurs de lieux comme ensemble de « lieux » et pas simplement extension spatiale. […] Nous pouvons offrir une façon différente d'observer, mais principalement, et grâce à cela, nous pouvons offrir une façon différente de penser la ville »13. Angela Giglia, anthropologue qui travail en équipe avec des urbanistes à l'Université de Mexico, soutient que l'anthropologie peut offrir un apport aux démarches urbanistiques, « en nous fournissant horizons de compréhension réciproque […]. Les anthropologues devraient être donc les spécialistes de la traduction interculturelle dans un monde de plus en plus interconnecté mais de moins en moins homogène et intelligible. Et ils devraient réclamer ce rôle dans tous les champs dans lesquels il est nécessaire de mettre en œuvre cette capacité de traduction »14. Y compris, évidemment, le champ de l'aménagement urbain. Ces affirmations semblent avoir un premier point de convergence: plutôt que la discipline anthropologique en entier, ce qui importe est l'ethnographie, la méthode d'enquête privilégiée de l'anthropologie. La caractéristique majeure de cette méthode, ne se trouve pas dans ses outils, ni dans la présence sur le terrain en tant que telle: « C'est plus une question de centre de gravité que de boîte à outils », selon Federico Scarpelli, qui précise: « nous mettons la recherche sur le terrain à la base non seulement des pratiques de documentation, mais de l'entier projet de connaissance »15. 1.3.5 La nécessaire interdisciplinarité Angela Giglia rappelle que la contribution de l'anthropologie n'est qu'une contribution aux études urbains, pas plus et pas moins que cela. Les résultats obtenus avec la méthode ethnographique doivent s'intégrer réciproquement avec ceux obtenus par les méthodes utilisées traditionnellement par d'autres disciplines (géographie, urbanisme, sociologie, psychologie, science politique...): « [l'anthropologue] se trouve dans la position la plus indiquée pour offrir une contribution d'enrichissement des problématiques générales de la réalité urbaine à partir de l'étude de réalités urbaines locales »16. La façon dont cette interdisciplinarité est mise en œuvre n'est pas univoque : nous avons dégagé à ce propos au moins deux tendances principales. La première est exprimée par la précédente citation de Sobrero et par l'ouvrage de Rispoli et Signorelli et se concrétise en une « anthropologie de l'espace ». Angela Giglia, parle explicitement de « anthropologie des espaces urbains ». Sur le plan du rapport avec les autres disciplines, nous pouvons indiquer que cette première piste vise à une approche intégrée, comme on peut le lire clairement dans l'ouvrage de Rispoli et Signorelli. En ce cas, ethnographie et urbanisme visent à construire une connaissance partagée de la réalité étudiée, capable de fournir des indication d'aménagement assez précises et ponctuelles. Une deuxième piste, est celle décrite par Andrea Filpa et Federico Scarpelli, urbaniste l'un, anthropologue l'autre, qui figurent parmi les membres de l'équipe multi-disciplinaire qui a rédigé le Plan communal d'urbanisme de la ville de Pienza, en Toscane. En ce cas, les compétences des différents spécialistes sont restées plus séparées: « professionnels et traditions disciplinaires différentes travaillent ensemble et sont confrontés réciproquement, tout en 13 14 15 16 Alberto Sobrero, op. cit., p. 43. Angela Giglia, Studiare la città, in Scarpelli, Romano, op. cit., p. 78. Italic de l'auteur. Federico Scarpelli, Place-telling, in Scarpelli, Romano, op. cit., p. 110. Angela Giglia, op. cit., p. 76. 21 Espaces bâtis et bâtisseurs de lieux gardant bien distingués profils et responsabilités »17. Les anthropologues n'ont pas abordé directement l'usage de l'espace, mais ils se sont concentrés plutôt sur le concept de nostalgie (« ce qui est émergé est un passé qui a sens dans le présent et, plus ou moins explicitement, en relation au futur »18) et sur la représentation des habitants des deux centres urbains qui composent la ville de Pienza. « Se faire raconter les transformations du lieu – souligne Scarpelli – me semble donc une possibilité importante – même si pas forcement la seule – pour montrer la voie à connaissances et évaluations actuelles et complexes, mais relativement marginalisées ou incomprises au sein du débat public . Une voie d'accès au lieu ». Il précise que « utiliser la clef du passé sert à empêcher que l'attraction d'un discours directement « fonctionnel » (il faudrait plus de parkings, plus d'éboueurs, plus de police) réduise sur soi l'espace de narration »19. En ce cas donc l'anthropologue n'enquête pas directement l'espace et ses usages, plutôt il recueil des « voix » fournissant des « représentations » de l’espace, afin qu'elles soient valorisées pour saisir les ambitions, les attentes, les craintes des habitants, et en un éventuel deuxième temps, qu'elles trouvent une traduction « spatiale », ouvrée par les spécialistes d'autres domaines20. 17 18 19 20 Scarpelli, op. cit., p. 104. Ibi, p. 115. Ibi, p. 114. Un exemple concret très intéressant est fourni par Andrea Filpa, Il contributo dell'antropologia nel piano di Pienza, in Scarpelli, Romano, op. cit., pp. 89-90: « Les interviews avaient mis en évidence la nette préférence des habitants de Pienza pour le paysage traditionnel mais […] en même temps il avait été signalé par les anthropologues la limite culturelle – et donc non seulement opérationnelle – liée à la possibilité de proposer dans le plan des politiques et actions visées à récupérer et si possible étendre un paysage du métayage sans métayers. Cet élément de préoccupation n'a pas constitué un point de blocage, mais en revanche il a stimulé une réflexion plus large et transversale. Les écologues végétaux ont souligné la meilleure performance du paysage agricole traditionnel en termes de sauvegarde de la biodiversité, l'urbaniste/paysagiste en a argumenté les plus grandes qualités perceptives et son accumulation d'héritage culturel (il s'agit du paysage qui a contribué le plus à la reconnaissance de la Vallée d'Orcia comme patrimoine mondial Unesco), les géologues en ont mis en évidence la plus grande efficacité afin de la protection des sols de l'érosion. Les économistes du territoire, enfin, ont rappelé le stricte lien entre paysage traditionnel et productions de qualité. […] Le plan de Pienza a donc assumé en pleine conscience le choix de viser à la réaffirmation du paysage traditionnel, […] avec la certitude de ne pas proposer une opération anti-historique ». 22 2. La zone d'étude Avant de commencer la véritable phase de terrain, nous avons essayé de saisir les caractéristiques historiques, urbaines, sociales de la zone d'étude, afin de préparer mieux le recueil des données. Nous avons effectué à cette fin des déambulations sur le terrain, des interviews documentaires, des recherches documentaires, outre que profiter des présences que nous avons assurées dans le cadre du stage1. 2.1 Cadre historique-géographique : trajectoire d'un quartier Nous étions intéressés à une reconstruction historique pour comprendre les dynamiques de peuplement de la ville et du quartier. Ceci est un facteur toujours relevant et d'autant plus dans notre cas puisque par une simple fréquentation de la ville on s'aperçoit qu'y vivent des populations d'origines très variées. Un autre point d'intérêt, résidait dans la reconstruction des dynamiques d'urbanisation, dans le but de comprendre les origines des divers types d'habitat présents. La période sur laquelle nous nous sommes concentrés est donc le XX siècle, où les transformations majeures concernant Saint-Priest se sont produites. 2.1.1 Saint-Priest avant 1922, un bourg agricol Saint-Priest était un bourg agricole dans la plaine du Dauphiné, avec un noyau central autour du Château et deux hameaux, Manissieux et La Fouillouse. Nous pouvons le constater d'un extrait de la Carte de Cassini de 1758. 1 Voir le chapitre « Sources » pour le détail. 23 Espaces bâtis et bâtisseurs de lieux 2. La zone d'étude Saint-Priest se situe au pieds de la moraine glaciale, bien représentée ici, et entre deux routes : celle qui va de La Guillotière (porte d'entrée à Lyon) à Heyrieux au Sud, et celle de Lyon à Grenoble au Nord, où l'on trouve aussi une halte de poste. Trois chemins avec des édifices partent du centre, symbolisé par le dessin du château. Un quatrième chemin en Extrait de la carte de Cassini. Source: http://loisirs.ign.fr pointillé traverse le centre de Ouest à Est. Le pointillé pourrait indiquer une allée arborée ou un chemin mal défini. Le morceau Ouest, du château à la route d'Heyrieux, correspond à l'actuelle avenue Jean Jaurès ; tandis que le chemin en direction Sud-Ouest correspond à l'actuelle rue Henri Maréchal. Ces deux voies, avec la route d'Heyrieux, définissent déjà le périmètre de l'actuelle Opération de Renouvellement Urbain ! En 1831, grâce au cadastre napoléonien, nous pouvons constater que la réalité n'a pas changé remarquablement, mais nous possédons une représentation du territoire beaucoup plus fine et précise. Nous observons que le périmètre triangulaire Extrait du cadastre napoléonien. Source: archives municipales de l'actuelle Oru est très bien défini ; l'avenue Jean Jaurès est nommé « chemin de Vénissieux à St. Priest », rue Henri Maréchal correspond au « chemin de St. Symphorien à St. Priest », tandis que rue Anatole France est la « route de Lyon à Heyrieux ». Aussi l'actuelle rue Diderot est bien visible, nommée « chemin de Corbas à St. Priest ». Deux toponymes sont affichés : « Guigue » pour le quart SudEst, et « La Carnière et les Ronces » pour le quart Nord-Est. En ce qui concerne le bâti, nous trouvons une grande maison avec des annexes sur l'actuelle place Salengro, au coin entre la route d'Heyrieux et rue Henri Maréchal, dénommée « Maison Reymond » ; un autre regroupement à moitié de rue Henri Maréchal, au niveau de l'actuelle Esplanade des Arts ; et enfin quatre maisons le long d'avenue Jean Jaurès, à partir du croisement avec rue Diderot en direction du château. 24 Espaces bâtis et bâtisseurs de lieux 2. La zone d'étude La carte de 1898, nous propose le premier changement important : l'arrivée de la voie ferrée. Mais à cette époque la gare de Saint-Priest est au milieu de la campagne, éloignée du centre de vie. Aucune usine ne s'est encore implantée et Saint-Priest reste un bourg agricole dont le territoire est traversé par le chemin de fer LyonGrenoble. Nous Carte de Saint-Priest en 1898, détail de l'actuel centre-ville. remarquons toutefois la Source : archives municipales. création d'une autre infrastructure : le doublement de la voie pour Heyrieux. À l'ancien chemin (dénommé maintenant « Ancienne route d'Heyrieux ») une nouvelle « Route départementale » a été ajoutée. Le chemin de Vénissieux a changé de nom et maintenant il est indiqué comme « Avenue de l'Allée », une dénomination moins anonyme et valorisant l'axe en direction du château. Nous voyons apparaître « Le Bessay », « Ferrachat » et le « Quartier de la Route d'Heyrieux ». Des nouvelles maisons sont indiquées, le long des chemins: entre la nouvelle route départementale (aujourd'hui rue Aristide Briand) et l'ancienne route d'Heyrieux (aujourd'hui rue Anatole France), sur les rues Diderot et Henri Maréchal. La population a augmenté doucement : de 1718 habitants en 1831 à 2584 en 1896. 2.1.2 Entre 1922 et 1944, le développement industriel Le premier aprèsguerre marque l'entrée de Saint-Priest dans l'industrialisation. À partir de 1922 deux établissements productifs s'implantent sur la commune : d'abord Berliet, usine d'automobiles et camions, en un endroit excentré par rapport au village, à la limite avec la commune de Vénissieux ; ensuite les usines textiles Maréchal, Plan de Saint-Priest 25en 1935. Source: archives municipales Espaces bâtis et bâtisseurs de lieux 2. La zone d'étude sur un terrain compris entre la route d'Heyrieux et la gare. Les dynamiques d'urbanisation typiques de l'âge industriel se vérifièrent bien à SaintPriest, où les premières vagues d'immigration venant travailler dans ces industries arrivèrent. Il s'agissait pour la plupart d'italiens et d'espagnols. Le besoin de logements pour cette population ouvrière poussa les patrons des industries à construire des nouveaux quartiers à coté des établissements, appelés justement « Cité Maréchal » et « Cité Berliet ». Les immigrés déménagèrent ici avec la famille dès qu'il leur fut possible. C'est dans ces années là qu'on enregistre aussi la première intervention publique pour satisfaire les nouveaux besoins de logements : 64 appartements Hbm (habitat à bon marché) furent édifiés en 1938, près de l'actuelle place Salengro. Le premier essor démographique et urbain de Saint-Priest vit ainsi le jour : les 2704 habitants que la commune comptait encore en 1921 étaient devenus 5336 quinze ans après, en 1936. Cette croissance fut évidemment arrêtée par la guerre. Le plan communal de 1935 témoigne des changements en cours en cette période. Nous pouvons remarquer que la morphologie urbaine émergeant est polarisée sur « Le Bourg » d'une part, et sur les abords des usines Maréchal d'autre part. Saint-Priest à cette époque est divisée entre une activité agricole encore très répandue et la nouvelle activité manufacturière. Les toponymes « La Carnière et les Ronces » et « Guigue » sont également maintenus. Le développement du bâti dans le triangle de l'actuelle Oru suit toujours les voies de communication, en particulier sur l'axe de l'ancienne et de la nouvelle route d'Heyrieux. 2.1.3 Entre 1945 et 1961, une croissance modérée Les besoins de logement sont loin d'être satisfaits et à cette époque c'est l'Office Public d'Habitat, créé en 1931 par le maire Charles Ottina, qui intervient en ce sens-là. Des nouveaux bâtiments d'Hlm sont construits, cette fois bien plus imposants que les quatre édifices Hbm réalisés en l'avant-guerre : six ensembles pour un total de 267 logements. La population double une deuxième fois, atteignant Plan de Saint-Priest en 1962. Détail. Source: archives les 10681 habitants en municipales. 1962, juste avant de la plus grande et rapide transformation urbaine, qui va donner à la ville son aspect actuel. Nous pouvons constater la progression de l'urbanisation en cette période sur le plan communal de 1962. 26 Espaces bâtis et bâtisseurs de lieux 2. La zone d'étude Entre autres, nous pouvons remarquer la naissance de deux zones de maisons pavillonnaires, à l'intérieur du triangle Oru. Les toponymes « La Carnière et les Ronces » et « Guigue » sont encore présents. 2.1.4 Entre 1962 et 1977, l'explosion urbaine Celle-ci est la période décisive de l'urbanisation sanpriote : la population double deux fois en 15 ans, atteignant les 36734 unités en 1975, ce qui restera a peu près le niveau de population jusqu'à nos jours (actuellement autour de 41000 habitants). Notre zone d'étude est investie par le développement urbain, avec l'idée de rapprocher les deux pôles urbains existants ; la mairie y est transférée, de l'ancien siège au cœur du Plan de Saint-Priest en 1975, détail. Source: archives municipales. bourg. À l'intérieur de ce périmètre, en cette période, 45 bâtiments d'habitat collectif abritant environ 1875 logements surgissent. De ce total, les trois quarts environ sont des copropriétés et le restant des Hlm. Voyons le plan de 1975 pour comprendre la transformation. Mais pour qui ces ensembles d'habitat ont-ils été bâtis, à cette vitesse stupéfiante ? L'urgence première fut entre 1962 et 1965 pour les Pieds-Noirs, les rapatriés d'Algérie. Ensuite des nouvelles vagues d'immigration arrivèrent, des pays du Maghreb, du Portugal, de la Turquie. La croissance économique de cette époque attirait les nouveaux arrivants dans les agglomérations urbaines : Dans l'histoire de l'urbanisation accélérée qui suivit la fin de la Seconde Guerre Mondiale en France, Saint-Priest ne représente évidemment pas un cas unique: il suffit de regarder ses proches voisines, Vénissieux, Vaulx-en-Velin, Rillieux, Villeurbanne pour constater partout une même frénésie de construction. Tout autour de la métropole lyonnaise, les mêmes besoins urgents de logements se sont fait sentir pour combler les insuffisances de l'avant-guerre […], apporter un toit aux populations nées du baby-boom et à celles que l'on est allé chercher à l'étranger pour pallier l'absence de travailleurs dans certains secteurs clés de l'économie2. 2 Christiane Roussé, Saint-Priest ville mosaïque : populations, identités, interculturalité : 1945-1980 , Presses universitaires de Lyon, Lyon, 2000, p. 16. 27 Espaces bâtis et bâtisseurs de lieux 2. La zone d'étude 2.1.5 De 1978 à nos jours, la consolidation d'un tissu urbain « Le développement ultérieur après 1980, assez modéré d'ailleurs, ne fera que corriger, diversifier l'œuvre accomplie de 1962 à 1977 ; il ne pourra plus changer de façon radicale ce qui a été réalisé à l'époque »3. Pour constater cela, nous pouvons observer le plan cadastral correspondant à 2008. Plan cadastral en 2008. Source: géoportail.fr Revenons ainsi au cadre initial de cette reconstruction historique, celui de la carte de Cassini qui comprenait la plaine du Dauphiné à l'Est de Lyon, aujourd'hui correspondant plutôt au secteur Sud-Est de l'agglomération lyonnaise. Témoignage de ce glissement d'identité territoriale, en soit le passage de la Commune de Saint-Priest du Département de l'Isère à celui du Rhône, en occasion de l'adhésion à la Communauté Urbaine de Lyon, en 1968. Ci-dessous nous pouvons observer l'occupation du sol actuelle en cette aire. En rouge et rouge foncé sont affichées les « zones de tissu urbain continu et discontinu » ; en violet les « zones industrielles ou commerciales » ; en jaune les « territoires agricoles ». Nous pouvons remarquer que Saint-Priest constitue un noyau détaché des centres urbains environnants. Son Occupation du sol (Corine Land Cover) du quart Sud-Est de territoire est délimité à l'agglomération lyonnaise. Source: notre élaboration sur image l'Ouest et au Sud par des Géoportail. zones d'activité productive, au Nord par un axe routier majeur (héritier de l'ancienne « route de Lyon à Grenoble ») et à l'Est par des zones agricoles. 3 Ibidem. 28 Espaces bâtis et bâtisseurs de lieux Enfin, nous proposons un graphique représentant la croissance de la population sanpriote en la période considérée : Nous remarquons que l'allure de la courbe est très irrégulière, avec un moment de hausse, entre 1962 et 1977, beaucoup plus marqué que le reste. 2. La zone d'étude Population de Saint-Priest 50000 40000 30000 20000 10000 0 1831184618611876189119061921193619461962197519902006 La structure urbaine de Saint-Priest avait donc été fixée et avec elle les défauts que aujourd'hui on aborde de manière radicale, par cette opération de rénovation urbaine, poussée par le Programme Nationale de Rénovation Urbaine (Pnru), dont l'Anru est l'organisme opérationnel. 2.1.6 Saint-Priest d'ici 2020, l'ambition de connecter les quartiers L'Opération de Renouvellement Urbain a été lancée en 2003 et son horizon s'étale jusqu'à 2020, date prévue de livraison des dernières habitations. Elle prévoit une restructuration profonde de la morphologie urbaine du territoire délimité par les rues Aristide Briand, Jean Jaurès et Henri Maréchal. Ce périmètre est le centre Avant/après de l'ORU. Auteur: M. Del Fabbro géographique de la ville, par contre il ne recouvre que certaines des fonctions d'un vrai centreville, notamment la fonction administrative mais il manque d'un rôle attractif pour les habitants des autres quartiers. Dans les intentions de ses promoteurs, l'Oru devrait donner une plus grande cohérence urbaine et favoriser l'attractivité de ce territoire. Dans le cadre de l'Oru, six barres de logements (deux en copropriété, quatre en Hlm) sont destinées à la démolition, fonctionnelle à la création d'un « mail », sorte d'allée tous modes qui reliera la zone des services publiques (mairie, poste, médiathèque) aux autres sous-quartiers. Environ 400 ménages sont donc concernés par un relogement définitif, tandis que environ 600 autres ménages sont touchés par la réhabilitation de leur immeuble, dont a peu près la moitié habitant en copropriété. 29 Espaces bâtis et bâtisseurs de lieux 2. La zone d'étude 2.2 Cadre social La zone en question contient environ 7000 habitants ( ante démolitions), soit 17 % de la population de la ville, sur une surface d'environ 50 ha. La densité s’élève donc à 1400 hab/km 2. Nous allons présenter quelques indicateurs socio-démographiques. 2.2.1 Données socio-démographiques4 Part des personnes non scolarisées de 15 ans ou plus sans diplôme en 2006 Taux de chômage des 15-64 ans en 2006. Part des personnes étrangères en 2006 Part des personnes de moins de 25 ans en 2006 4 Source : http://sig.ville.gouv.fr/, site du Système d'information géographique de la Politique de la ville. 30 Espaces bâtis et bâtisseurs de lieux 2. La zone d'étude Rapport entre le revenu fiscal médian 2006 des IRIS et de l'Unité Urbaine de Lyon Part de résidences principales Hlm en 2006 Part des familles monoparentales 2.2.2 Caractérisation sociale de la zone d'étude D'après les données affichées, deux observations majeures s'imposent : la première, à l'échelle inter-quartiers, est que une ligne de fracture entre le Nord et le Sud de la Commune apparaît, qui suit l'axe de avenue Jean Jaurès – rue du Grisard. Les auteurs du diagnostic du territoire en Oru réalisé en 2003 décrivent ainsi cette réalité : « on trouve au Nord un habitat individuel dominant (tissu pavillonnaire récent ou maisons de village), avec une population plus favorisée [...]. Au Sud par contre, on a une part importante d'habitat collectif (centre-ville et Bel-Air), et des indicateurs qui signalent une plus grande précarité de la population. C'est dans cette moitié Sud que se trouve le centre-ville, périmètre de l'ORU ». 31 Espaces bâtis et bâtisseurs de lieux 2. La zone d'étude La deuxième observation regarde l'échelle intra-quartier : on remarque en effet qu'à l'intérieur du triangle de l'Oru un secteur cumule plusieurs indices de faiblesse sociale, celui de Bellevue-Mozart, correspondant à la copropriété « Bellevue ». Cette aire, en effet, avec les copropriétés « Alpes » et « AlpesAzur », compose l'étendue de la Zone Urbaine Sensible (Zus) « AlpesBellevue », qui en 2006 contenait Îlots cumulant les indices de fragilité. Source: diagnostic Oru. 2621 habitants. Les auteurs du diagnostic repèrent trois secteurs particulièrement sensibles : Jaurès, Alpes LOPOFA et Bellevue. Il s'agit des sous-secteurs où les interventions les plus fortes se sont déroulées ou bien sont envisagées : les secteurs Jaurès et Alpes-Lopofa sont ceux investis par les démolitions, alors que Bellevue n'est pas touché par le projet urbain en cours mais des interventions y sont envisagées dans Part des logements dont l'occupant est propriétaire. l'avenir. Deux de ces trois secteurs Source: diagnostic Oru. (Bellevue et Alpes) sont compris dans le périmètre Zus ; il est intéressant de pointer le regard sur l'autre secteur de la Zus, celui de la copropriété Alpes-Azur. Il affiche en effet moins de valeurs indiquant une faiblesse sociale et au contraire on y trouve des indicateurs de stabilité. 2.2.3 Une approche ethnographique pour une nouvelle représentation des « quartiers difficiles » ? Les données présentes sur le site de la Politique de la Ville représentent incontestablement des réalités : on sait qu'il y a plus de familles monoparentales, plus d'étrangers, plus de jeunes de moins de 25 ans, plus de chômeurs et plus de non diplômé(e)s que dans d'autres parts de SaintPriest et que chez la moyenne de l'agglomération lyonnaise. Mais pourquoi et comment ces données devraient-elles nous fournir une image, une représentation globale du quartier ? Cela arrive lorsqu'on lie ces données dans un cadre unique et pour cela faire nous avons besoin d'une clé de lecture, capable de connecter ces données entre elles et faire en sorte qu'elles se valorisent l'une l'autre. Nous avons besoin donc d'une « machine à significations », d'un système de valeurs et de savoirs qui puisse nous guider dans la transformations de données brutes en connaissance d'une 32 Espaces bâtis et bâtisseurs de lieux 2. La zone d'étude certaine réalité, soit une rhétorique. La « hétorique » consiste, dans son sens premier, en l' art de la persuasion en utilisant des argumentations et une certaine façon d'utiliser les paroles, c'est-àdire de présenter les faits. En ce sens là, elle constitue une puissante « machine à significations » car elle exprime, organise et connecte les faits « réels », les données de l'expérience. Quelle rhétorique est donc demandée, pour connecter et donner du sens aux données brutes présentées sur le site de la Politique de la Ville ? Il s'agit d'une rhétorique que nous pourrions définir « de l'écart à la moyenne », dans le sens où la qualité de vie d'un quartier est compréhensible par des comparaisons avec des autres zones, et où cette comparaison est faisable par des méthodes quantitatives et statistiques. Il est évident qu'en utilisant cette rhétorique, un territoire comme celui-ci ne peut être défini que comme « problématique ». Et à partir de cette définition, les politiques de rénovation urbaine trouvent leur justification et les médias trouvent l'empreinte de leurs représentations. Cette rhétorique, ne prend pas en compte des facteurs endogènes, indépendant de l'extérieur, tels que la dignité des personnes qui habitent ces quartiers et leur rattachement aux lieux. Il s'agit de phénomènes quantifiables avec moins de précision et qui demandent aussi une approche qualitative ; toutefois, les méthodes restent des méthodes, des outils, et nulle chose n'empêche d'aborder le rattachement au quartier ou la solidarité de voisinage avec des méthodes quantitatives. La rhétorique de « l'écart à la moyenne », de plus, a une vision plutôt synchronique, elle prend une instantanée du territoire ; elle n'évalue pas l'état actuel du territoire par rapport à une trajectoire douée d'une certaine direction. Le cas en étude est exemplaire, car ce territoire est d'un point de vue urbain un « bébé », en ayant été été peuplé il n'y a que 50 ans. Ses habitants sont en train de s'enraciner dans ce lieu ou, plus anthropologiquement, ils sont en train de transformer cet « espace » en un « lieu »5. Tout cela échappe à la rhétorique dont nous avons parlé, et il pourrait être l'apport de l'anthropologie, de saisir toutes ces réalités, qui existent et influencent la dynamique urbaine. 5 Voir ci-dessous, p.47. 33 Espaces bâtis et bâtisseurs de lieux 2. La zone d'étude 2.3 Unités paysagères urbaines Lors de nos déplacements sur le terrain, nous avons été frappés par la variété et la diversité des typologies d'habitat présentes à l'intérieur de la zone d'étude. Voici nos impressions suite à la déambulation de mercredi 7 mars : Se sentir perdus, dépaysés, ne pas savoir où regarder, parce qu'il y a des typologies urbaines trop différentes l'une de l'autre, un rapprochement dérangeant. Ne pas savoir s'orienter. Impression de passage, de choses qui se passent à côté sans communiquer. Nous avons essayé donc d'analyser cette variété, afin de s'approprier plus en profondeur la zone d'étude. En un premier temps, nous avons retenu la différence la plus évidente parmi les formes d'habitat visibles : d'un coté les grands ensembles et de l'autre les maisons individuelles. À leur fois, nous avions l'impression que les grands ensembles ne constituaient pas un ensemble homogène, mais qu'on trouvait des immeubles plus dégradés et d'autres réfléchissant un niveau de revenues plus élevé de ses occupants. Le premier critère de classification dont nous avons fait l'hypothèse est donc un critère architectonique, relatif aux dimensions et à la forme des bâtiments. En effet, le contraste entre grands ensembles et petites maisons individuelles était vraiment frappant. Ensuite, nous nous sommes aperçu que la catégorie des « maisons individuelles » n'était pas homogène non plus, puisque dans les alentours de place Salengro nous avions une sensation différente qu'en rue Anatole France. Il est vrai que du point de vue architectonique, les bâtiments se ressemblaient, toutefois nous avions l'impression de franchir une frontière, lorsqu'on passait de place Salengro à rue Anatole France. En cherchant d'expliquer cette sensation, nous avons trouvé que les maisons de place Salengro et de ses alentours possédaient une caractéristique qui les différenciaient des autres : elles formaient une continuité de bâti. Ce deuxième est un critère de texture urbaine. En deuxième lieu, nous avons remarqué que cette continuité bâtie était alignée dans le même sens que la voie publique et donc les éléments privés (les maisons) et publics (la voie) formaient ensemble un paysage unitaire. Cette deuxième caractéristique, l'alignement des bâtiments d'habitat avec la voie publique, était partagé avec les zones de maisons individuelles, mais permettait de distinguer ultérieurement maisons individuelles et bâti continu d'un coté, grands ensemble de l'autre coté. Enfin, nous avons pu observer très attentivement les grands ensembles, lorsqu'on a effectué le comptage des appartements dans chaque immeuble. Cela nous intéressait pour mesurer la densité d'habitat dans les différentes sous-zones, mais finalement a été un moyen pour dégager un autre élément qui contribue à caractériser le paysage urbain : la technique de construction. En effet, tous ces grands ensembles sont construits par modules de cinq niveaux et dix appartements chacun, qui se répètent de deux à neuf d'une façon linéaire, et forment ainsi ces « barres » qui marquent le paysage des quartiers construits dans cette période d'expansion urbaine. Cela est relevable même des photos aériennes de Géoportail.fr, où il est encore possible de compter les modules des deux bâtiments du quartier Diderot rasés en 2008. En effet, plus que les choix architecturaux, c'est les techniques de construction adoptées qui déterminent l'apparence extérieure de ces grands ensembles. Notamment, il s'agit de techniques industrielles et standardisées, qui permirent de répondre à l'urgente demande de logements, tout en gardant une faisabilité économique pour les promoteurs, publics ou privés. Par ailleurs, il s'agit de 34 Espaces bâtis et bâtisseurs de lieux 2. La zone d'étude l'application sur vaste échelle des idées architecturales « modernistes », prônées en premier par Le Corbusier : des logements avant tout fonctionnels et rationnels, pour une société de masse. En utilisant ces critères, nous avons pu classifier l'ensemble des bâtiments d'habitat présents dans la zone d'étude, en trois unités paysagères urbaines : tissu urbain continu ; tissu discontinu en maisons individuelles (pavillonnaire) ; tissu discontinu en habitat collectif (grands ensembles). 35 Espaces bâtis et bâtisseurs de lieux 2. La zone d'étude 2.3.1 Tableau des critères de classification paysagère dans le centre-ville de Saint-Priest Tissu urbain discontinu Tissu urbain continu Maisons individuelles (pavillonnaire) Habitat collectif (grands ensembles) Typologie architecturale Pour la plupart, maisons à un étage, avec cour intérieure, toit en pente. Quelques immeubles de plusieurs étages et toit horizontal. Maisons à un étage, toit en pente, entourées par un jardin avec éventuellement petits annexes. Barres ou tours de grandes dimensions, formes et décor des façades uniquement carrés, toits horizontaux. Esthétique rationaliste. Technique de construction Entreprises de bâtiment petites ou moyennes ; Entreprises de bâtiment parfois techniques petites ou moyennes. traditionnelles locales (pisé). Techniques de construction industrielle, grands promoteurs publics ou privés. Alignement à la voie publique Oui Oui Non Continuité du bâti Oui Non Non 2.3.2 Cartographie des unités paysagères urbaines Note méthodologique6 6 Nous aurions envisagé d'utiliser un Sig et nous avions préparé une bases de données relatives aux unités 36 Espaces bâtis et bâtisseurs de lieux 2. La zone d'étude 2.3.3 Illustrations des unités paysagères urbaines7 Tissu urbain continu : Tissu discontinu en habitat collectif (grands ensembles) : Tissu discontinu en maisons individuelles (pavillonnaire) : 7 paysagères . Toutefois, nous n'avons pas pu récupérer le fond de carte en shapefile. Ni le service Urbanisme ni le Dsu de la Ville de Saint-Priest disposaient de cet outil. Nous avons donc évalué de faire les cartes à la main, du moment où la quantité et le type de données pouvaient être gérés sans l'aide d'un outil informatique. Photos de l'auteur. 37 Espaces bâtis et bâtisseurs de lieux 2. La zone d'étude La catégorie de l'habitat collectif, qui est la plus représentée, gardait une certaine hétérogénéité à son intérieur. Cette variété relève surtout de l'état d'entretien extérieur des immeubles. Ce critère peut être considéré comme un critère anthropologique, car le soin – collectif – de l'environnement physique où l'on vie fait partie des action de « valorisation » qui ne sont pas fonctionnelles mais sont plutôt explicables par le besoin de « rendre et maintenir chez-soi » un lieu. Nous allons comparer cette analyse paysagère avec d'autres découpages relatifs à la zone d'étude, afin de comprendre quels autres éléments sont associés aux différentes formes urbaines repérées. Nous prenons en considération trois autres critères d'analyse territoriale : 1. L'époque d'urbanisation: 2. La forme juridique de gestion des immeubles : Source: diagnostic Oru 38 Espaces bâtis et bâtisseurs de lieux 3. 2. La zone d'étude les indicateurs de faiblesse sociale : Périmètre de la Zus Alpes-Bellevue. Source: sig.ville.gouv.fr Nous constatons, en comparant ces trois dernières cartes avec celle des unités paysagères urbaines, qu'il y a des correspondances entre celles-ci et les époques d'urbanisation, tandis que les autres périmètres (celui qui distingue Hlm et copropriétés, et celui qui regroupe les population en faiblesse sociale), ne sont pas superposables aux unités paysagères urbaines. Nous en concluons que les formes urbaines sont révélatrices des différentes vagues d'urbanisation et de peuplement, et non d'une situation sociale ni d'un statuts résidentiel (propriétaire ou locatif social). Notamment, nous pouvons remarquer que les zones de maisons individuelles et de tissu urbain continu remontent globalement à la période 1831-1962, avec une prévalence des maisons individuelles en 1831-1935 et une prévalence du tissu urbain continu en 1935-1962. La période 1962-1975 est caractérisée uniquement par la construction du paysage d'habitat collectif, tandis que entre 1975 et 1997 nous assistons au complètement de l'urbanisation du centre-ville, avec des immeubles et des maisons individuelles. Cette classification nous sera utile pour choisir le périmètre retenu pour notre étude, car nous aurons à disposition différents découpages, exprimant différents critères d'analyse du territoire. Nous choisirons celui qui nous semblera le plus adapté, ce que nous allons détailler dans le prochain chapitre. 39 3. La méthodologie 3.1 Les contraintes de notre recherche Toute recherche se déroule dans un contexte administratif et social donné. Ce contexte, souvent négligé, mérite d'être rappelé, car il détermine l'envergure et les objectifs et influence aussi les résultats du travail. Dans notre cas, nous avons repéré quatre contraintes principales. Une contrainte administrative et temporelle, selon laquelle le rendu du travail devait se faire avant le 13 juin 2012, la durée de la recherche atteignant ainsi cinq mois, car le début du stage fut le 9 janvier 2012. Une contrainte éthique, envers trois sujets : l'organisme de stage, les personnes impliquées dans la recherche et le chercheur même. Envers l'organisme de stage, le travail de recherche est censé apporter quelque chose ; envers les « informateurs » ou ceux qui ont aidé le travail de recherche, nous considérons correcte de leur pouvoir rendre un aboutissement du travail ; envers nous-mêmes, il est juste qu'on puisse tirer du travail une satisfaction personnelle. Une contrainte économique, relative au montant financé par la mairie de Saint-Priest à Robins des Villes pour mener le projet. Ce chiffre déterminait la quantité d'heures que l'équipe Robins consacrait au projet. Une contrainte personnelle, dans le sens où nous n'étions pas motivés à poursuivre le travail de recherche après la soutenance. Ces facteurs ont influencé les objectifs de la recherche et les méthodes adoptées, car cellesci peuvent se déployer sur un espace et un temps plus ou moins étendus. 3.2 Définition de l'objet d'étude1 Nous ouvrons cette partie avec une citation de l'ouvrage de Rispoli et Signorelli car nous en avons adopté la définition de l'objet de recherche, tout en ajoutant des précisions qui nous paraissaient pertinentes. 1 Ce sous-chapitre reprend le chapitre 3 de l'ouvrage cité de Rispoli et Signorelli. 40 Espaces bâtis et bâtisseurs de lieux 3. La méthodologie La prémisse théorique sur laquelle se fonde cette définition de notre objet d'étude est la suivante : les sujets humains individuels ou collectifs sont toujours sujets localisé ; de manière complémentaire les lieux de la vie humaine sont lieux subjectivés. Ce qui veut dire : il n'existe pas d'être humains qui ne soient pas dans un certain endroit ; et il n'existe pas d'endroit qui ne soit pas humanisé, si ce n'était que pour avoir été pensé par des êtres humains. Donc, nous considérons extrêmement réducteur et dangereusement détournant de penser les êtres humains comme s'ils n'étaient pas localisé, comme des pures entités abstraites dont le placement dans les lieux est insignifiant ; mais également réducteur et détournant il nous semble de penser les lieux comme pur espace abstrait, euclidien, à remplir par des objets bâtis aussi bien abstraitement dessinés en fonction de pas moins abstraits et génériques besoins humains2. C'est donc les rapports entre sujets et lieux, ou mieux, « sujets localisés en relation avec espaces subjectivés » qui sont pris en compte comme objet d'étude. 3.2.1 La structure des rapports entre sujets et lieux Rispoli et Signorelli proposent une classification de la structure du rapport entre individus et lieux basée sur trois possibilités : rapports entre un sujet (individuel et/ou collectif) et les lieux ; rapports entre sujets (individuels et/ou collectifs) dans les lieux ; rapports entre lieux dans l'expérience et les représentations mentales des sujets (individuels et/ou collectifs). 3.2.1.1 Rapports entre un sujet et les lieux Ce type de rapport est le plus enquêté dans la recherche et la planification ; il comprend deux aspects principaux : les rapports fonctionnels, où la relation entre lieux et sujets est caractérisée par les différentes activités que l'on peut mener dans les différents lieux, on peut parler donc de satisfaction des besoins ; les rapports affectifs, où le lien entre lieux et individu n'est pas fonctionnel mais au contraire formé par des souvenirs, des sentiments, des sensations. 3.2.1.1.1 Rapport fonctionnel Champ de la nécessité ◦ satisfaire les besoins de survie matérielle et sociale: se nourrir, se soigner, se loger, se déplacer, faire des démarches administratives, communiquer; ◦ travailler ou activités économiques informelles; ◦ faire partie d'une famille; ◦ études, formation ; Champ du temps libre: ◦ activités identitaires ou festives: religieuses, politiques, associatives, sportives (support d'une équipe); ◦ activités récréatives: soin de soi, culture, shopping, pratique sportive, se promener; ◦ sociabilité: amitiés, amours, rencontres. 2 Rispoli, Signorelli, op. cit., p. 43. 41 Espaces bâtis et bâtisseurs de lieux 3. La méthodologie Une relation de type esthétique entre individus et lieux est transversale à toutes les précédentes (si on a le choix, on préfère un lieu « plus beau » pour faire n'importe quelle activité). 3.2.1.1.2 Rapport affectif Un espace peut mettre à l'aise ou mal à l'aise selon plusieurs facteurs : organisation physique de l'espace ; type de gens et d'activité ; connu/inconnu ; sens de sécurité/insécurité ; souvenirs positifs ou négatifs. 3.2.1.2 Rapports entre sujets dans les lieux Les rapports qui s'établissent entre sujets individuels et/ou collectifs dans les lieux nous intéressent pour comprendre le conditionnement que les rapports entre sujets exercent sur les lieux et, vice versa, celui que les lieux exercent sur les rapports entre sujets3. À partir des rapports de type fonctionnel établis ci-dessus, nous avons procédé à une classification des différents types de relations que l'on peut rencontrer dans l'espace :  à la première catégorie (besoins de survie), correspondent des relations aléatoires, de trafique (dans les transports en commun, les bureaux publics) ou de courtoisie (dans les magasins);  à la deuxième, troisième et quatrième catégorie (activité économiques, famille, études) correspondent des relations d'obligation, formalisée (travail, études) ou non (famille);  aux trois dernières catégories (activités identitaires et festives, activité de loisir, sociabilité) correspondent des relations de choix, formalisé (activité identitaires) ou non (activités récréatives et sociabilité). 3.2.1.3 Rapports entre les lieux dans l'expérience et les représentations des sujets Cet aspect semble rejoindre partiellement la théorisation de Lynch sur les images de l'espace urbain, puisque Rispoli et Signorelli affirment que « Tout sujet est porteur d'un plan mental du monde qui lui permet de s'orienter dans les rapports avec les lieux et les autres sujets et, par les représentations, d'être mentalement en rapport avec d'autres lieux et des sujets eloignés. D'où l'importance de ce plan, qui a pour nous en tant que sujets une fonction cognitive et une fonction d'évaluation du monde ». 3.2.2 Les modalités des rapports entre sujets et lieux Les auteures passent ici à considérer les modalités selon lesquelles les sujets établissent le rapport avec les lieux et vivent ce rapport. Trois modalités de rapport entre sujets et lieux sont indiquées : l'affectation des sujets aux lieux ; l'appropriation des lieux par les sujets ; la valorisation des lieux par les sujets. 3 Ibi, p. 47. 42 Espaces bâtis et bâtisseurs de lieux 3. La méthodologie 3.2.2.1 Affectation Nous considérons un rapport d'affectation celui qu'un sujet (individuel et/ou collectif) a avec un ou plusieurs lieux donnés en un temps donné, lorsque ce même sujet n'a pas les capacités et/ou les ressources pour modifier remarquablement les caractéristiques des lieux et donc les conditions que ces lieux imposent à son action4. L'exemple classique de cette modalité est l'affectation, justement, de logements sociaux aux locataires. L'affectation exprime la modalité du Ensemble Hlm dans le centre-ville de Saint-Priest, pouvoir dans le rapport entre sujets et exemple d'affectation à l'espace. Photo: M. Del Fabbro lieux. 3.2.2.2 Appropriation On s'approprie un lieu en le conquérant par la force, en l'occupant illégalement, ou encore, plus simplement, en l'utilisant. Les processus d'appropriations peuvent varier beaucoup par leurs entité et dimensions ; ils peuvent être individuels ou collectifs, concerner lieux privés, publics ou semi-publics, être réversible ou non, nuisibles ou inoffensifs, mais ils ont tous cela en commun, d'être utiles pour ceux qui les réalisent . Des exemples peuvent être les bâtiments abusifs, les commerces ambulants, les terrasses des bars, ou encore des passages piétons informels... L'appropriation constitue la modalité de l'usage pratique des lieux par les individus. Le magasin de motos, pendant les horaires d'ouvertures, occupe une partie de la chaussée avec des motos d'occasion. Cette action, comme il nous a été expliqué par le patron du magasin, a une finalité commerciale, car les exemplaires d'occasion sont exposés à l'extérieur et une fonction pratique, car elle offre aux clients un parking en face du magasin et surveillé. En plus, cette action a un effet esthétique sur l'ensemble de la place, car les motos exposées à 4 Ibi, p. 51. Exemple d'appropriation de l'espace en place Salengro à Saint-Priest. Photo : M. Del Fabbro. 43 Espaces bâtis et bâtisseurs de lieux 3. La méthodologie l'extérieur constituent un élément caractéristique. 3.2.2.3 Valorisation (« appaesamento »)5 « Appaesamento », signifie « faire d'un lieu un chez soi », c'est « le processus par lequel un sujet humain individuel ou collectif investit de valeur une portion d'espace, en la transformant ainsi en lieu-symbole de cette même valeur »6. La variété des processus de valorisation des lieux est aussi large que celle de l'appropriation : on la voit ouvrer chaque fois qu'on aperçoit un signe matériel posé sur ou dans un lieu, dont la présence ne peut pas être expliquée par la fonction ou la satisfaction d'un besoin. La couleur d'un mur, un fresque, un édicule, ou bien des objets posés dans sa chambre, sa cour, son bureau, ou encore, les scénographies architecturales dans les grandes villes du monde... La valorisation est la modalité de la valeur dans les rapports entre sujets et lieux. Un « tag » sur un mur dans un ensemble résidentiel, dans le centre-ville de SaintPriest, est un exemple de valorisation d'un lieu. En effet, ce mur se trouve en marge d'un espace de jeu en bas d'un groupe de bâtiments, où les enfants se retrouvent jouer. La décoration du mur n'a aucune utilité pratique, au contraire, elle marque l'investissement affectif et esthétique de cet espace de part de certains de ses Exemple de valorisation de l'espace dans un espace usagers. résidentiel du centre-ville de Saint-Priest. Photo: David Desaleux. 3.3 Formulation des hypothèses Le long de nos permanences à Saint-Priest, nous avons pu repérer certaines caractéristiques marquantes de l'espace urbain. Notamment, nous avons eu l'impression que certains espaces étaient plus chargés de sens que d'autres, c'est-à-dire qu'ils étaient plus investis par l'usage des habitants. Il s'agit de trois catégories d'espaces : dans l'unité paysagère de « tissu urbain continu » c'est la grande place ; dans l'unité de « maisons individuelles » la rue à laquelle les maisons font face ; dans l'unité de « habitat collectif » ce sont les espaces annexes aux 5 6 Le mot « appaesamento » est formé à partir de la racine « paese », qui dans la langue italienne indique soit la nation, soit ce qu'en français on indique par « village », c'est-à-dire un bourg de campagne. L'usage de « pays » au sens de « région autour d'un petit centre urbain » correspond plutôt à « provincia » ou « contrada ». C'est donc en ce deuxième sens que le mot « paese » est pris ici, un sens qui est généralement connoté d'une façon positive, car il évoque souvent le lieu d'origine par rapport à une émigration, où l'on retrouve les personnes et les signes qu'on a dû (ou voulu) quitter. Nous n'avons pas trouvé de correspondant en français du mot italien « appaesamento », sauf qu'en inventant un mot tel que « enpaysement » ou « chez-soisisation ». Ibi, p. 55. 44 Espaces bâtis et bâtisseurs de lieux 3. La méthodologie immeubles d'habitation. Comme on l'a vu, l'urbanisation dans l'unité paysagère d'habitat collectif s'est faite par des grands ensembles, souvent regroupés de manière cohérente vers l'intérieur (entre eux) et de manière incohérente vers l'extérieur (envers le tissu urbain environnant). En effet, l'espace dans le centre-ville est organisé beaucoup plus autour de ces ensembles résidentiels que de rues ou places publiques. En plus, ces grands ensembles disposent toujours de surfaces plus ou moins importantes en bas ou entre les bâtiments, parfois équipées avec jeux d'enfants, bancs, etc. En effet, ces « cours d'immeubles », dont place Molière et square Monnet constituent deux exemples, sont presque les seuls endroits où un aménagement de l'espace apparaît clairement. Au contraire, en ce qui concerne les espaces publics, nous avons remarqué que les éléments morphologiques qui composent l'espace urbain traditionnel des villes européennes sont de fait manquants. Parmi ceux-ci, nous trouvons que le principal est la rue, au sens qu'on trouve dans l'édition 2006 du dictionnaire « Le petit Robert » : « Voie bordée, au moins en partie, de maisons, dans une agglomération ». Cette définition exprime très bien la dimension de la rue comme lieu typiquement urbain, dans le sens où elle est à la fois lieu de passage, d'activité économique et de rencontre. Pour avoir une confirmation de l'importance que cet élément physique a dans les relations et le style de vie « urbain » dans l'histoire de la société européenne, nous pouvons même faire référence à la littérature7 : c'est « passando per una via »8, que Dante Alighieri, au XIII siècle, place son deuxième rencontre avec Beatrice, la femme qui incarne l'Amour terrain et puis divin. Ou encore, et à l'envers, c'est dans les rues pleines de foule de Paris au XIX siècle, que le regard de Charles Baudelaire peut se croiser avec celui d'une inconnue, dont il peut tomber amoureux et pourtant ne plus jamais la revoir. Selon Jane Jacobs, rues et trottoirs font partie des « organes vitaux » d'une ville9. Cet élément morphologique principal est ensuite articulé avec d'autres : les places, lieux ouverts où les rassemblement formels ou informels sont possibles ; et puis les boulevards, les squares... Ces éléments définissent des rapports entre pleins et vides, qui constituent l'environnement physique d'une ville et, en même temps, rendent possible ce sens d' urbanité qui concerne le type d'activités et de relations urbaines. Or, dans l'unité paysagère urbaine de grands ensembles on ne trouve pas ces éléments : il n'y a pas de rues au sens qu'on vient de préciser, ni de places. Celle-ci est une caractéristique commune des grands ensembles, comme le précise Anne Raulin : « L'image de la barre demeure l'horizon de ces réalisations, et l' absence de rues signe la volonté de s’affranchir de l'ancien quartier ouvrier et de ses sociabilités publiques »10. On ne trouve pas dans ce secteur les éléments morphologiques qui ont favori le développement d'une urbanité au sens traditionnel, comme il est indiqué par Henri Lefebvre : « La vie urbaine, la société urbaine, en un mot 7 8 9 10 Sur l'usage de sources littéraires ou artistiques, quelques précisions sont nécessaires. Ces témoignages peuvent être considérés fiables, dans la mesure où on s'en sert correctement. L'usage d'éléments paysagers par les poètes peut révéler comment cet élément était considéré à l'époque et dans la société de l'auteur, car afin de communiquer avec le lecteur, il a besoin d'utiliser des images et des sens partagés. Au contraire, il peut arriver que un élément du paysage (la mer, la levée et le coucher du soleil à titre d'exemple) soit chargé d'un sens symbolique ou personnel qui ne concerne pas l'image de cet élément dans la société donnée. Il s'agit donc de cerner en amont cela, avant de se servir de sources artistiques comme témoignages d'une époque. « En passant par une rue », Vita Nova, II. Cité par Anne Raulin, op. cit., p. 96. Ibidem. 45 Espaces bâtis et bâtisseurs de lieux 3. La méthodologie l'urbain […] ne peuvent se passer d'une base pratico-sensible, d'une morphologie. […] L' urbain n'est pas une âme, un esprit, une entité philosophique »11. L'espace public dans cette unité paysagère est très faiblement structuré : on a la possibilité de passer à pieds par une infinité de chemins, que ce soient des trottoirs, des parkings, des passages résidentiels ou autres passages informels. Par contre, les habitants disposent de ces espaces semi-publics ou semi-privés, au milieu et autour des bâtiments d'habitat. Ces espaces ont été conçus comme lieux de convivialité pour les occupants des résidences et plut ôt fermés vers l'extérieur. La structuration de ces espaces favorise ainsi le développement de rapports et relations entre voisins d'un même ensemble de bâtiments. D'ailleurs, le manque d'espaces publics accueillants est un facteur qui renforce la formation de sous-secteurs au sein du centreville (Diderot, Les Alpes, Bellevue, Mozart sont les principaux). Notre hypothèse est donc que ces espaces annexes aux résidences recouvrent un rôle majeur dans la pratique de l'espace urbain des habitants et que cela se fait au détriment des espaces traditionnellement investis par les usages des citadins, c'est-à-dire les espaces publics. Cet usage des espaces urbains constituerait ainsi un nouveau type d'urbanité, lié à la nouvelle morphologie urbaine dont nous avons parlé. 3.4 Les techniques d'enquête Comme on a pu le voir, la caractéristique de la méthode ethnographique, est d'expliquer les phénomènes sociaux de l'intérieur, c'est-à-dire, en utilisant les catégories et les points de vue des sujets qui vivent ces phénomènes. Les outils classiques de l'ethnographie sont l'interview et l'observation participante12. Nous allons proposer une rapide aperçue de ces techniques dans la tradition ethnographique et ensuite nous allons détailler comment nous nous en sommes servis. 3.4.1 La tradition ethnographique L'interview n'est pas exclusive de la méthode ethnographique, elle est utilisée au contraire par sociologues, géographes, urbanistes... Ce qui différencie l'interview ethnographique des autres, est qu'elle recouvre le rôle central dans la construction de la connaissance scientifique. Les autres informations relatives à la zone d'étude, de type historique, sociologique, architectural etc forment le contexte de cette matière centrale, constituée par les interviews. Souvent, chez les autres disciplines, il arrive le contraire, c'est-à-dire l'interview est d'appui à d'autres analyses, statistiques, d'archive, etc. Une autre caractéristique de l'interview ethnographique, est que le vrai centre d'intérêt ne repose pas sur les informations que l'interviewé(e) communique au chercheur, mais plutôt sur les façons de lire et d'expliquer la réalité, sur la « vision du monde » sous-jacente aux affirmations de l'informateur. La recherche historique, par exemple, conçoit les informateurs en premier lieu comme des sources documentaires alternatives ou complémentaires aux sources écrites ; l'anthropologue est intéressé plutôt à la façon dont les informateurs conçoivent une 11 12 Henri Lefebvre, op. cit., p. 56. Le texte de référence pour la méthodologie de recherche a été Mariano Pavanello, Fare antropologia, Zanichelli, Bologna, 2010. 46 Espaces bâtis et bâtisseurs de lieux 3. La méthodologie certaine pratique sociale ou un certain phénomène. Il peut utiliser, bien sûr, les informateurs comme des sources d'histoire locale, mais cela fera partie des recherches de contexte, finalisées à la compréhension préalable de la population étudiée. L'observation participante est l'autre technique principale de la recherche ethnographique, ou peut-être la technique principale. En effet, elle est beaucoup plus liée à la tradition anthropologique, car elle a été formalisée et utilisée pour la première fois par les anthropologues, notamment le père de l'observation participante est considéré Bronislaw Malinowski, auteur polonais naturalisé britannique qui publia en 1922 « Argonautes du Pacifique occidental », où il reporta son expérience de terrain entre 1914 et 1916 aux îles Trobriand, en Mélanesie. À la base de cette technique est l'idée que le chercheur doit participer à la vie quotidienne de la population objet d'étude, pour qu'il puisse « s’imprégner » des façons de concevoir le monde propres aux indigènes. Cela peut s'appliquer à tout objet de la vie sociale, que ce soient les formes du pouvoir, l'organisation familiale, les rites d'échanges (comme le fameux kula décrit par Malinowski), les formes d'éducation, la conception du temps, ou bien, l'organisation de l'espace. Les phénomènes sociaux sont conçus en anthropologie comme des actes de « anthropopoïesis », c'est-à-dire comme des moyens par lesquels les sociétés « construisent » les hommes, dans le sens où les individus deviennent véritables membres de la société après avoir incorporé déterminées façons de régler la vie sociale qui ne sont pas naturellement données mais au contraire culturellement déterminées13. En ce sens là, on parle aussi de « koino-poïesis », là où ce n'est pas l'individu qui est « construit » mais la société. En notre cas, nous pourrions parler de « topo-poïesis », car les « espaces » sont construits et transformés en « lieux », selon des pratiques et des usages précis, qui sont appris par les membres du groupe social. Barbara Kirshenblatt-Gimblett parle par exemple « des moyens grâce auxquels les habitants d'un espace donné transforment ce dernier en un lieu palpable, créent un réseau relationnel, donnent forme à des valeurs et découvrent des possibilités d'action »14. Le débat théorique sur l'observation participante a depuis Malinowski accompagné la pratique anthropologique. Nous ne pouvons pas le résumer exhaustivement, toutefois, il est nécessaire d'en rappeler au moins deux points principaux, car si le principe à la base de l'observation participante est encore valide, sa formulation théorique a sensiblement évoluée. Une première question regarde la distance que le chercheur doit maintenir entre soi et la population étudiée. En effet, si le principe de l'observation participante est que le chercheur doit s'intégrer au groupe étudié, en participant à la vie quotidienne de ses membres, cela ne peut pas se traduire en une identification totale du point de vue du chercheur avec celui des indigènes. Et cela, en deux sens. En premier lieu, cette « identification » ne serait point possible, car le chercheur est porteur de sa propre vision du monde qui lui dérive de ses origines, sa culture, ses expériences... Il serait illusoire de penser que par une permanence, même prolongée, sur le terrain, le chercheur puisse se dépouiller de ses pré-convictions et adopter intégralement le point de vue des locaux. En deuxième lieu, cela ne serait souhaitable aux fins de la recherche, 13 14 Voir Stefano Allovio, La foresta di alleanze, Laterza, Roma-Bari, 1999, pp. 108-136. Cahiers de litterature orale, 1988, n° 24, p. 17, cit. in Anne Raulin, Anthropologie urbaine, Armand Colin, Paris, 2007. 47 Espaces bâtis et bâtisseurs de lieux 3. La méthodologie puisque l'observation et la description de visions du monde « autres » n'est possible que si ces visions du monde restent différenciées et différentiables de celles du chercheur. Cela signifie – voici la deuxième question – que le chercheur ne se limite à utiliser des techniques et outils de recherche, mais lui même est une technique de recherche, car sa simple présence dans un contexte « autre » provoque des interactions qui font émerger des objets de recherche. Son travail sur le terrain, consistera, entre autres, en la tentative de gérer ces interactions. Cela ne signifie pas qu'il doit faire semblant ou se construire une masque fausse vis-à-vis des locaux, toutefois il doit apprendre à porter sa masque, réciter son rôle pour pouvoir être accepté dans les dynamiques de la population locale. L'observation de pratiques et rites sociaux ne se fera qu'après cette phase de « catégorisation » et acceptation du chercheur par la population locale. Dans la recherche ethnographique, il y a donc une double observation, celle du chercheur sur la population locale, et celle des locaux sur le chercheur. La façon dont les phénomènes étudiés se manifesteront au chercheur sera influencée par ce système complexe d'interactions. Autrement dit, les phénomènes observés sont influencés par l'observateur. 3.4.2 Les techniques d'enquête utilisées pour notre étude Nous avons adoptés les deux grandes techniques décrites : l'observation et l'interview. Ces deux techniques sont complémentaires et permettent d'approfondir différents aspects de l'objet d'étude. En effet l'observation est une technique où les données sont relevées par le chercheur, tandis que dans l'interview les données sont déclarées par les sujets. L'observation est donc plus adaptée à enquêter la relation fonctionnelle entre individus et lieux et la relation entre individus dans les lieux, alors que pour aborder la relation affective entre individus et lieux et la relation entre lieux dans les cartes mentales des individus, l'interview semble être plus indiquée. Toutefois, le temps et les ressources à notre disposition nous ont permis de mener rigoureusement seulement la première phase, celle des observations, que nous allons donc exploiter pour confirmer ou démentir l'hypothèse émise. Nous avons commencé la deuxième phase, celle des interviews, mais nous n'avons pas pu constituer un échantillon significatif, donc nous nous sommes appuyés surtout sur les observations pour tirer nos conclusions. 3.4.2.1 Observation Il n'a pas été possible de pratiquer une observation participante au sens classique du terme, car la période d'observation n'a pas pu être constante et prolongée dans le temps. Toutefois, comme on l'a vu plus haut, il n'y a pas une durée minimale du séjour sur le terrain, à partir de laquelle on peut définir une méthode comme « ethnographique » ; une approche est définie ethnographique plutôt par le choix de l'objet d'étude et de l'attitude du chercheur envers le terrain. Le type d'observation que nous avons mené peut être définie comme « externe » et non « participante », car nous avons plutôt essayé d'observer les usages d'un lieu de part des habitants, sans interagir forcement avec eux. Il s'agit donc d'un travail d'observation et d’interprétation. Nous avons donc préparé un outil, une grille d'observation, afin d'obtenir des données plus facilement formalisables. La grille d'observation a été inspirée, encore une fois, aux indications contenues dans 48 Espaces bâtis et bâtisseurs de lieux 3. La méthodologie l'ouvrage de Rispoli et Signorelli et prévoyait donc quatre types d'informations à collecter : relatives au poste d'observation ; relatives au lieu dans ses caractéristiques physiques ; relatives aux personnes présentes dans le lieu et aux activités qu'elles y mènent ; relatives aux relations entre personnes qu'y se développent. Ces informations sont à structurer sur un axe temporal, couvrant la plupart de la journée (du matin au soir). Lorsqu'on a débuté la transcription des notes de terrain, nous nous sommes rendus compte qu'il fallait ajouter des lignes, en dehors des tranches horaires, pour pouvoir donner la juste place à d'autres catégories d'information recueillies pendant la permanence sur le terrain. La version définitive de la grille est donc la suivante : Poste d'observation Lieu Personnes Interactions entre personnes 9h-12h 12h-14h 14h-18h 18h-22h Réflexions Rencontres Autres lieux En effet, les séances d'observation se sont déroulées partiellement en dehors du lieu principal de la séance : pour diverses raisons, il est apparu pertinent d'effectuer des brèves déambulations ou de se déplacer momentanément du lieu d'observation choisi. En outre, il est arrivé de faire des rencontres, d'avoir des échanges avec les individus présents dans les lieux et il nous est apparu préférable de décrire ces interactions comme une catégorie à part, car structurellement différente des observations « externes » des individus. En plus de cela, souvent il nous est arrivé de formuler des généralisations, à partir des faits observés et nous avons essayé de garder ce type de réflexion détaché du reste, bien que nous sachions qu'il n'existe pas d'observation « pure », « objective », car toute description porte déjà en soi des éléments d'interprétation. 3.4.2.2 Rencontres de terrain Pendant nos permanences sur le terrain, il nous est arrivé de rencontrer et échanger avec certaines personnes. Ces rencontres n'ont pas été cherchés, au contraire ils ont été imprévus et nous nous sommes adaptés à la situation à chaque fois. Nous pouvons les considérer comme une partie de l'activité d'observation du lieu, car nous sommes rentrés en contact avec des personnes qui fréquentent stablement les lieux observés. Dans un certain sens, on pourrait dire qu'elles font partie du paysage urbain, car elles peuplent stablement ces lieux. Ces échanges ne sont pas tout à fait considérables comme des interviews ethnographiques, car le sujet de conversation ne regarde pas les liens des sujets avec les lieux et nous n'avons essayé non plus d'amener les dialogues en cette direction. La richesse de ces échanges en effet réside plutôt dans un approfondissement de la connaissance du lieu, à travers la connaissance des personnes qui le fréquentent et utilisent. À partir de ces rencontres toutefois, nous avons pu demander ensuite à certaines de ces personnes une vraie interview. 49 Espaces bâtis et bâtisseurs de lieux 3. La méthodologie Comme dit, nous avons rencontrés des usagers des lieux observés : en place Salengro et rue Aristide Briand, les gardiens des salles municipales et deux commerçants ; au square Monnet et en place Molière, les jeunes et les enfants qu'y passent leur temps ; à la mairie et à la médiathèque les employé(e)s. Un autre point d'intérêt, en suivant toujours une approche ethnographique, réside dans l'auto-observation de notre comportement lors des interactions avec ces personnes. Recouvrir un rôle ethnographique sur le terrain n'est pas facile, car les indigènes sont considérés comme une source potentielle de connaissance à tout moment et toute situation : cela crée un intérêt constant vers eux, une curiosité de les connaître qui est soumise à un double risque. D'une part, le risque de résulter envahissant, en posant des questions trop directes, et donc d' « artificialiser » la situation. Il est donc nécessaire une certaine spontanéité de part du chercheur lors de ces échanges, comme s'il s'agissait de n'importe quelle rencontre de sa vie quotidienne. Cela implique de rester sincères, de dire ce que l'on dirait dans n'importe quel contexte, tout en essayant de mettre à l'aise l'interlocuteur pour qu'il s'exprime le plus possible. D'autre part, cette spontanéité ne doit pas se traduire par un rapprochement excessif, où l'intérêt de recherche passerait en deuxième plan. La curiosité pour les systèmes de représentation et pour les visions du monde des indigènes doit bien rester la finalité de l'échange pour le chercheur. En voie générale, nous avons remarqué qu'en ces moments tout le mieux et tout le pire d'une personnalité émerge, car comme nous l'avons expliqué le chercheur se trouve à gérer des interactions complexes, qui sont à la fois des normaux échanges interpersonnels et des moments de recherche. Il fait donc appel à toutes ses ressources relationnelles et parfois il s'en découvre dépourvu. 3.4.2.3 L'interview Comme dit, l'interview aurait été nécessaire pour approfondir les éléments observés pendant les observations et pour aborder d'autres aspects de la relation entre individus et lieux, qui ne pouvaient pas être révélés par les observations, notamment l'investissement affectif aux lieux et les « cartes mentales » des lieux vécus. 3.4.2.3.1 L'interview ethnographique La caractéristique d'une approche ethnographique, comme on l'a rappelé, est de considérer tout moment, toute situation comme potentiellement révélatrice d'une façon de voir le monde ; y compris le moment de l'interview. L'interview ethnographique est donc, en même temps qu'un échange verbale, une interaction entre sujets, qui prend en compte la globalité des modalités communicatives qui peuvent s'instaurer entre eux. Et les paroles, les récits seront évidemment influencés par les autres aspects de l'interaction entre interviewé(e) et intervieweur. En conséquence, nous avons opté pour des interviews semi-directives, où les thématiques à aborder sont fixées en avance mais la formulation des questions, les liens entre thématiques, et l'ordre des questions est laissé au déroulement de l'interview. Pour chaque macro-thème, des sous-thèmes sont également préparés, afin de faire avancer l'interview, au cas où les questions résultent en un premier temps non efficaces ; la proposition de ces sous-thèmes n'est pas toutefois forcement à prévoir. Une question introductive, visée à une présentation réciproque par l'interviewé(e) et l'intervieweur est également importante et pas à considérer comme un élément accessoire, car ce moment établit la relation entre les deux sujets et donc 50 Espaces bâtis et bâtisseurs de lieux 3. La méthodologie influence toute la suite. La grille de l'interview est donc structurée de la façon suivante: 1. Pre-interview. Présentation réciproque par l'interviewé(e) et l'intervieweur, raisons et modalités de l'arrivée à Saint-Priest, durée de la résidence ici (en nombre de générations); 2. questions relatives à l'investissement affectif des lieux du quartier : a) organisation physique de l'espace ; b) type de gens et d'activité ; c) connu/inconnu ; d) sécurité/insécurité ; e) souvenirs positifs ou négatifs ; 3. questions relatives aux liens que l'interviewé(e) estime d'avoir avec des lieux externes au quartier, construction de la carte mentale du sujet; 4. questions visées à vérifier les hypothèses formulées suite à la première phase de terrain (observation) sur certains lieux qui nous semblent être chargés de significations particulières. 5. Post-interview. L'intervieweur laisse un contact (adresse e-mail ou téléphone), pour que l'interviewé(e) puisse, si intéressé(e) prendre vision de l'usage qui aura été fait de ses paroles. 3.4.2.3.2 Micro-trottoirs Un autre type d'interview que nous avons pratiqué est celui dénommé « micros-trottoirs », du jargon journalistique. Cette technique consiste en aborder les passants dans la rue, en leur posant le même type de questions que pour l'interview ethnographique, mais d'une manière adaptée à la situation communicative. L'intérêt de cette technique, où le chercheur se présente le dictaphone à la main, réside dans le type d'interaction que s'établit. En effet, souvent la personne interrogée refuse de s'arrêter et répondre, mais si elle accepte, elle est souvent très sincère et directe et elle fera un effort de synthèse pour répondre à une question imprévue. Ce type d'interaction très dynamique fait que les réponses données sont souvent très vivaces et brillantes. Le majeur défaut de cette technique, l'absence totale d'échantillonnage, peut se transformer en un avantage, tant qu'on cherche des données de type qualitatif. En se confiant au hasard, on tombe souvent sur des histoires et des personnages spéciaux, qu'on aurait difficilement rencontrés autrement. Cette technique, mutualisée des enquêtes journalistiques, offre des aspects intéressants si elle est intégrée dans une méthode de recherche plus vaste et rigoureuse. 3.4.3 L'influence de l'observateur sur les phénomènes observés Les journées de terrain nous ont permis d'auto-réfléchir sur les caractéristiques dont nous étions porteurs inconsciemment ou implicitement. Comme nous l'avons rappelé, les données de l'approche ethnographique consistent en les pratiques et les mentalités des êtres humains, et la seule façon de recueillir ce type de données est d'observer et de parler avec les individus. Mais 51 Espaces bâtis et bâtisseurs de lieux 3. La méthodologie lorsqu'il mène ces activités, le chercheur ne peut pas s'abstraire des caractéristiques sociales, physiques, culturelles dont il est inévitablement porteur, en tant qu'individu. Ces caractéristiques vont influencer le recueil des données car elles permettront d’accéder plus facilement à certains milieux et moins à d'autres. Ces considérations s'ouvrent sur la question générale de la rigueur scientifique de toute approche qualitative et de la fiabilité des résultats obtenus. En effet ceux-ci pourraient apparaître arbitraires, lorsqu'on remarque qu'ils sont lourdement influencés par des éléments subjectifs, tels que les origines, les convictions, voir le caractère et l'apparence physique du chercheur. Toutefois, nous retenons que la différence entre méthodes qualitatives et quantitatives (qui sont censées amener à une connaissance plus « objective ») soit une différence de degré et non pas de nature. En clair, à notre avis la connaissance produite par des méthodes qualitatives se distingue de celle produite par des méthodes quantitatives non pas pour être objective ou subjective ; mais plutôt pour le niveau de contrôle que le chercheur peut avoir sur les techniques de recherche et sur les résultats. La démarche scientifique est donc la même, mais déclinée différemment : elle comprend toujours une partie arbitraire et cependant elle possède toujours un caractère scientifique. Scientifique, dans le sens où le chercheur a conscience des limites de ses outils et donc de ses résultats. Il a conscience justement du fait que la modélisation de la réalité – que ce soit par un logarithme, une philosophie ou une représentation artistique – reste toujours une modélisation, qui ne pourra pas rendre compte intégralement de la complexité du réel et ne sera jamais la seule possible. En cela demeure le caractère arbitraire de toute recherche scientifique. Nous allons donc indiquer les caractéristiques qui – à notre avis – ont influencé le recueil des données, pendant les journées de terrain. Connaître ces caractéristiques est un peu comme connaître l'épaisseur de la loupe d'un microscope, cela nous permet de prévoir quels limites peuvent avoir les données que nous avons recueillies et analysées. Être étudiant nous a souvent facilité la tâche, car les personnes se sont montrées disponibles à aider la recherche ; ou, au moins, cela nous donnait une certaine « neutralité » qui n’empêchait pas les relations. Être de sexe masculin était une autre caractéristique importante ; nous supposons qu'elle nous a permis de rapprocher plus rapidement des sujets également masculins (la plupart de nos rencontres de terrain). Notre accent a été une clé formidable pour établir des relations, car il nous rendait un objet de curiosité pour les indigènes ; le même vaut pour la « tête d'italien ou d'espagnol » qui nous a été évoquée plusieurs fois. L'être effectivement italien favorisait finalement la conversation, à Saint-Priest en particulier parce que certaines personnes avaient des origines italiennes ou des amis d'origine italienne, vu que la ville a accueilli dans la première moitié du XX siècle une immigration italienne importante. Notre age a été également un facteur relevant. Notre code de vêtements, plutôt casual, communiquait aussi beaucoup, et surtout notre manière de porter ces habits. Les outils du métier pouvaient être révélateurs de notre activité : stylo, bloc-notes, éventuellement dictaphone. Enfin, la teint claire de notre peau était sûrement un facteur à non négliger même si, au final, nous est semblé moins marquant que les autres cités. 3.5 L'échantillonnage Il reste un dernier élément à aborder pour illustrer la méthodologie suivie : les critères d'échantillonnage appliqués. En notre cas, nous devons faire un choix de lieux, où mener les 52 Espaces bâtis et bâtisseurs de lieux 3. La méthodologie observations, et un choix de population, à interviewer. Deux grandes voies existent pour cette opération : échantillonnage quantitatif ou qualitatif. Le premier considère les variables sociodemographique classiques, telles que l'age, le sexe, la catégorie socio-professionnelle etc ; le deuxième prend en considération des éléments qualitatifs qui apparaissent significatifs aux yeux du chercheur pour caractériser la zone d'étude. Vu que nous avons adopté des méthodes qualitatives jusque-là, nous avons choisi cette deuxième option. Une possibilité d'échantillonnage à écarter – à notre avis – serait celle basée sur l'« ethnicisation » de la réalité. En effet, Saint-Priest et en particulier le centre-ville pourrait se prêter à une telle opération, puisque la ville s'est agrandie à partir du début du XX siècle par des vagues successives d'immigration – italiens, espagnols, Pieds Noirs, maghrébins, portugais, turcs, africains. Mais un échantillonnage de ce type supposerait un postulat que nous ne partageons pas : que l'intégration dans une société et un espace urbain passe en premier par la provenance nationale ou ethnique ; et en particulier dans notre cas, que l'usage de l'espace est influencé par ces facteurs. Comme nous le savons, au contraire, la ségrégation ethnique ou l'intégration sont souvent l'effet final de conditions socio-économiques plus ou moins favorables. Le critère d'échantillonnage que nous avons formulé, suite à la caractérisation de la zone d'étude, porte plutôt sur les conditions de vie matérielle des habitants de ce quartier. En notre cas, nous nous référons aux conditions d'habitat et donc nous avons adopté comme critère d'échantillonnage les trois unités paysagères urbaines que nous avons repérées à l'intérieur de la zone d'étude. Ce critère met en relief le fait que les différents paysages urbains sont le reflet des différentes périodes d'urbanisation et de peuplement de la ville ; de l'autre coté, il se base sur l'hypothèse que « l'habitat fait l'habitant », c'est-à-dire que l'environnement physique de vie influence les pratiques de l'espace des individus. Concernant les lieux, il nous est paru pertinent de choisir au moins un lieu pour chaque unité paysagère urbaine. Pour le paysage de maisons pavillonnaires, nous avons choisi rue Anatole France, où elles se concentrent le plus. Pour le paysage de tissu urbain continu, nous avons choisi place Salengro, le centre de vie de cette zone. Pour le paysage de grands ensembles, nous avons choisi deux lieux annexes aux résidences, place Molière et square Monnet, et un lieu public, place Ottina (la place de l'hôtel de ville). En plus, nous avons fait un échantillonnage sur le temps : on a décidé donc d'observer certains endroits pendant le week-end, notamment la place Salengro le dimanche, lors du marché, place Ottina le samedi après-midi, moment de détente et temps libre, et les équipements sportifs du centre-ville le dimanche, en occasion d'événements sportifs. Nous avons ainsi mené huit séances d'observation : 1. mercredi 28 mars, 10h30-22h30, place Salengro ; 2. vendredi 30 mars, 10h30-16h30, place Molière ; 3. dimanche 1er avril, 11h00-15h00, marché du dimanche en place Salengro et événements sportifs au stade Jacques Joly ; 4. mardi 3 avril, 10h00-14h00, rue Anatole France ; 5. jeudi 5 avril, 14h00-22h00, place Molière ; 6. samedi 7 avril, 15h00-19h00, place Ottina ; 7. mercredi 11 avril, 9h45-13h00 et 14h00-19h00, square Monnet et place Ottina ; 53 Espaces bâtis et bâtisseurs de lieux 3. La méthodologie 8. jeudi 12 avril, 9h45-13h00 et 16h00-16h30, place Ottina et square Monnet. Concernant les personnes, nous aurions envisagé de interviewer au moins un habitant de chaque unité paysagère mais cela n'a pas été possible pour les limites de temps et ressources. Nous avons néanmoins mené cinq interviews ethnographiques avec des personnes rencontrés sur le terrain lors des observations. Cette matière est pertinente pour notre étude car toutes ces personnes ont un lien fort avec le centre-ville mais nous retenons qu'il serait nécessaire d'élargir l'échantillon. Nous avons mené au total cinq interviews et une séance de micros-trottoirs 15 : 1. mardi 17 avril, Danielle Torres, présidente du Centre culturel récréatif hispano-français de Saint-Priest, rapatriée d'Algérie et ancienne habitante du centre-ville ; 2. vendredi 11 mai, Guy Laurent, ancien patron du magasin « Laurent motos » en place Salengro, grandi et vécu à Saint-Priest jusqu'à l'age de trente ans, travaillant encore au magasin ; 3. vendredi 11 mai, Omar Askratni16, gardien de la salle municipale Le Concorde et du groupe scolaire Edouard Herriot (place Salengro), né à Saint-Priest et habitant le centreville ; 4. vendredi 11 mai, séance de micros-trottoirs au quartier Diderot et à la sortie d'école du groupe scolaire Jospeh Brenier ; 5. dimanche 13 mai, Moustafa, employé aux services techniques de la ville de Saint-Priest, grandi à Saint-Priest et habitant le centre-ville ; 6. mardi 15 mai, Eric Laellée, gardien de la salle municipale Mosaïque, grandi et vécu à Saint-Priest pendant 43 ans. Notre hypothèse ne concerne que l'unité paysagère de grands ensembles : la vérification n'aura besoin donc que de certaines parmi les observations effectuées. Notamment, nous allons vérifier l'hypothèse en analysant les usages de place Molière et square Monnet d'un coté, en tant que lieux annexes aux résidences, de place Ottina de l'autre coté, en tant que principal lieu public du secteur considéré. 15 16 Le texte des interviews est disponible en annexe. Nous nous excusons avec l'intéressé pour le mauvais orthographe. 54 4. Le terrain Pour raisons de lisibilité, nous fournissons ici seulement certains éléments. L'intégralité de la matière recueillie est disponible en annexe. 4.1 Place Molière Date: vendredi 30 mars et jeudi 5 avril Déambulations: oui, rue Gambetta, village, square Monnet, Blv Edouard Herriot, rue Maréchal Leclerc (30 mars); jardins publics et place Salengro (5 avril). Pérmanence sur le terrain: 10h30-16h30 (30 mars), 14h-22h (5 avril). Météo: ensoleillé et venteux (30 mars), ensoleillé et frais (5 avril). 4.1.1 Rencontre : les enfants en place Molière et au square Monnet Date : 30 mars En place Molière, à l'après-midi, terminée l'école, des enfants viennent jouer. L'un d'entre eux me reconnaît en tant que Robins des Villes et ils commencent ainsi à me poser des questions sur ce que je fais là, ce que j'écris, quelle age j'ai, ils me demandent de leur lire des mots en italien de mon carnet et ils s'amusent à en déviner la signification. Ils sont d'origine turque. Je leur pose des questions, ils définissent l'aire de jeux comme « c'est pour les bébés ». Ensuite, ils m'invitent à jouer au foot avec eux, j'accepte et donc je m'intègre avec eux en jouant. Ortophoto de place Molière. Source: géoportail.fr. Ensuite, en traversant le square Monnet, je passe devant l'entrée d'un immeuble, où il y a un groupe 55 Espaces bâtis et bâtisseurs de lieux 4. Le terrain d'enfants, de 10 ans environ. Je les regarde en passant, puis je m'arrête sur un d'entre eux car il me semble de le reconnaître des ateliers à l'école. Il me regarde un instant et puis me dit quelque chose dont je ne saisie que les mots « sœur » et « dire » mais non la signification globale de la phrase. Instinctivement et irrationnellement, je suppose qu'il me dise quelque chose comme « Que veux-tu, pourquoi tu regardes ? ». Alors je répond, « Je veux rien dire », en faisant un signe comme pour dire « c'est bon », et je m'en vais. Derrière l'angle, je comprend, il avait dit « Tu veux lui dire de rendre à ma sœur... ? ». En effet, apparemment un enfant avait pris quelque chose à la sœur de cet enfant et il ne voulait pas lui rendre. En me reconnaissant, il m'avait demandé d'utiliser mon autorité de grand pour réparer à ce tort. Ce rencontre me donna en tout premier de la honte, car un enfant demanda mon aide et je pris peur d'une manière irrationnelle. En conséquence, je donnai la pire réponse, avec laquelle je m'en fichai de sa demande d'utiliser l'autorité qu'il m'attribuait. Cette autorité resta ainsi confinée derrière les parois de l'institution scolaire. En un deuxième temps, cela me fit réfléchir sur le fait que en cet espace, assez renfermé, n'importe quel grand présent dans l'espace public peut être considéré comme doué de la légitimité pour intervenir lors d'une dispute entre petits. Ce fait semble impliquer d'ailleurs, que les parents ou les frères aînés ne sont pas près des enfants pour recouvrir ce rôle. 4.2 Square Monnet Date: mercredi 11 et jeudi 12 avril Déambulations: non. Pérmanence sur le terrain: 9h45-13h00 (11 avril), 16h00-16h30 (12 avril). Météo: variable avec averses. 4.2.1 Rencontre : les jeunes en square Monnet Date : 11 avril Au bout de deux heures et demi d'observation, lorsque la présence de jeunes dans l'espace central du square avait atteint les trois-quatre unités, l'un d'eux se dirigea vers moi et d'une manière assez agressive il m'adressa la parole : « Qu'est-ce que tu fais ici ? Ça fait combien de temps que tu es là ? Qui t'a envoyé ici ? ». Je me levai et en m'approchant à lui, j'essayais de le rassurer. Quand je fus près de lui, il me dit « On est des travailleurs ici, on travaille ». Celui qui était assis sur la table de ping-pong, au milieu du square, il me fis signe de m'approcher et je fis ainsi. Arrivé devant lui, je dis « Je suis un étudiant, je fais une recherche sur Saint-Priest, je fais des observations de l’espace public ». Je sous-lignai « espace public » pour Ortophoto du square Monnet. Source: géoportail.fr. marquer qu'on se trouvait dans un espace qui était censé être accessible à tous. Il me répondit d'aller faire ça ailleurs et ainsi il fit, en un souffle, la liste des quartiers qu'il connaissait de Saint-Priest : « Village, Ménival, Bel Air 1, Bel Air 2, Bel Air 3.... ». Je lui dis que j'avais été aussi dans d'autres 56 Espaces bâtis et bâtisseurs de lieux 4. Le terrain endroits. Une espèce de perquisition suivit : il me demanda qu'est-ce que j'avais dans mon sac et je lui montrai ; le fait d'avoir un billet de train pour Milan comme marque-page m'aida beaucoup. Il demanda puis de soulever ma veste au niveau du ventre pour voir si je cachais quelque chose (éventuellement un pistolet si j'avais étais un flic ? mais d'ailleurs il est évident qu'en ce cas je ne me serais pas autant rapproché). Une fois vérifié que j'étais « clean », ils essayèrent presque d'expliquer leur attitude agressive : il me dit : « ici c'est comme à Rome, à Naples ». « C'est-à-dire, que c'est dangereux ? ». « Non, mais c'est contrôlé ». Et il ajouta : « ça nous fait bizarre... », en sous-entendant « que quelqu'un qu'on ne connaît pas reste nous observer ». Dans cette phase de connaissance, où ils essayaient de me cadrer, ils demandèrent si j'étais gay et je fis une blague un peu homophobe. Comme quoi, si on est sous pression on peut dire n'importe quoi. [...] À ce moment-là, j'étais donc installé à coté d'eux. Ils commencèrent à me poser des questions sur mon cursus d'études et sur mes perspectives de travail : j'expliquai que j'étais en géographie à l'Université de Strasbourg et que j'étais à Lyon pour mon stage obligatoire de fin d'études : « Tu es Bac plus... ? » « Bac plus 5 » « Quelle age as-tu ? » « 25 ans » « Et quand tu commences à travailler ? » « Là, en septembre » « Et on gagne bien avec ton travail ? » « ça dépend... » « Et alors tu as fait tout ça pour rien ? » « Il y a quand même beaucoup de diplômés qui galèrent à trouver un bon travail ». Au bout d'un moment, celui qui m'avait parlé au début et « fouillé », dit : « géographie... j'ai une question géographique pour toi. Mais c'est une question piège ! » Il me dit d'observer l'alignement des arbres autour du square et il me demanda, si je remarquais quelque chose. Je dis, non. Alors il m'emmena dans un endroit et il me montra qu'il y avait deux arbres manquants, un dans la rangée intérieure et un dans celle extérieure du square. « ça nous fait un trou! » il affirma. « ça vous dérange? » « Non, mais on est curieux, on veut savoir ». Et il me dit que, si je parlerais avec les gens de la mairie et je découvrirais pourquoi ces deux arbres manquaient, de passer le leur dire. Cet échange montrait qu'il avait compris très vite et assez précisément ce que je faisais, au moins quel était mon rôle, que je pouvais être en contact avec la mairie. Il écoutait de la musique rap, en même temps. Ces deux échanges ont montré une forte curiosité de leur part envers moi, qui étais un objet inhabituel peut- être pour leurs fréquentations. En restant un peu avec eux, environ de 12h30 à 13h00, j'ai pu assister à la dynamique de sociabilité qui se développe en ce contexte : en effet, tous les jeunes résidents du square peuvent passer échanger quelque mot, selon l'envie de chacun. Un jeune par exemple arriva en voiture, habillé avec une tenue de travail, il fit signe en souriant et monta chez lui. Un autre vint, salua tous y compris moi, et s'arr êta parler d'actualité. Ils abordèrent trois sujets de conversation, tous caractérisés par une dimension symbolique en rapport aux questions identitaires : les faits de Mohammed Merah, la mort de bin Laden et le 11/9. Je pus entendre dans la façon dont ils parlaient de la rage ; en plus, ils affirmaient que les médias mystifient la réalité et ne sont pas du tout fiables. 57 Espaces bâtis et bâtisseurs de lieux 4. Le terrain 4.3 Place Ottina (Hôtel de Ville) Date: mercredi 11 et jeudi 12 avril Déambulations: non. Pérmanence sur le terrain: 14h00-19h00 (12 avril), 9h45-13h00 (11 avril). Météo: variable avec averses. Ortophoto de place Ottina. Source: géoportail.fr. 4.4 La promenade du samedi après-midi Date: samedi 7 avril. Déambulations: oui, à vélo aux hameaux de Manissieux et La Fouillouse. Pérmanence sur le terrain: 15h00-19h00. Météo: nuageux. Ortophoto de place Ottina et boulevard Edouard Herriot. Source: géoportail.fr. 58 5. Les résultats 5.1 Grille d’analyse des données d'observation Nous utilisons la conceptualisation des relations entre sujets et lieux faites au chapitre 3, pour construire une grille qui nous aide à formaliser les données des observations. Activité Type de relation fonctionnelle entre individu et lieu Type de relation entre individus dans le lieu Besoins Se nourrir, se loger, se soigner, se déplacer, faire des démarches administratives, communiquer. Nécessaire. Travailler, activités économiques informelles. Économique. Étudier, se former. Formative. Faire partie d'une famille ou d'une communauté de vie. trafic : relations avec inconnus formalisées par des codes de comportement partagés (distance des corps, formules pour adresser la parole...). Exemple : sur les transports en commun. Courtoisie : échanges d'informations, renseignements réciproques relativement rapides. Exemple : clients habituels dans un magasin, rencontre casuelle dans la rue. Obligation formalisée : les sujets en relation ont des obligations réciproques, fixées par des contrats ou des accords informels. Obligation non formalisée : les sujets en relation doivent accomplir à certaines obligations non choisies pour continuer à être acceptés dans la famille ou communauté. Familiale. Temps libre Pratique religieuse, support d'une Identitaire ou festive. équipe sportive, militance politique ou associative, participation à événements 59 Choix formalisé : les individus se choisissent l'un l'autre, par le biais d'une appartenance commune à un projet, Espaces bâtis et bâtisseurs de lieux 5. Les résultats collectifs (défilées, fêtes), création d'une famille ou d'une communauté. une foi, un rite reconnu publiquement. Entretenir des amitiés, des relations d'amour, des liens sociaux. Sociable. Soin de soi, shopping, pratique sportive, activités culturelles, de loisir. Récréative. Choix non formalisé : les individus se choisissent pour le plaisir réciproque, sans que ce lien soit reconnu publiquement. 5.1.1 Place Molière Relations entre individus et le lieu Relations entre individus dans le lieu Au matin : très peu de passage, uniquement personnes qui rentrent chez elles : relation nécessaire (se loger, se nourrir). Courtoisie : entre voisins, lorsqu'on se croise dans les allées de l'espace commun. Obligation non formalisée (rapports familiaux.) Relation entre lieux pour les individus Les joueurs de boules parlent en espagnol, cela indique un lien encore fort avec les régions d'origine. À l'après-midi : retraités jouent aux boules ; enfants de toute age, des bébés aux adolescents, se retrouvent pour jouer et discuter. Choix non formalisé* . Les petits sont accompagnés par les mamans. Relation familiale, sociable et récréative. * Il est à remarquer que les enfants avec qui nous avons parlé nous ont dit d'habiter aussi dans d'autres lieux de résidence, donc on peut considérer ces relations vraiment issues du champ du choix et non contraintes par le lieu de vie commun. Cela caractérise donc cet espace comme semi-public, car ils s'y passent des relations à l'échelle inter-quartiers. Espaces bâtis et bâtisseurs de lieux En cet environnement nous n'avons pas remarqué des conflits évidents entre différents usagers de l'espace. Les dimensions de cet environnement font que différentes catégories de personnes peuvent se partager les différents endroits sans problème. Au contraire, il est à sousligner, à notre avis, plutôt un sous-usage de cet espace, qui semble être sur-dimensionné pour les activités qu'y se déroulent. Surtout au matin, quand cette étendue reste pratiquement vide. Nous avons de même observé des pratiques intéressantes : le jeu de boules se passe en effet sur le terrain de basket, en raison de la couverture en graviers et cailloux de ce terrain, inadapté et dangereuse pour le basket mais qui se prête très bien aux boules. Ensuite, nous avons observé plusieurs vélo sur les balcons et aucun dans l'espace commun, où d'ailleurs il n'y a pas de structures aptes à garer les vélos. Cela est probablement une règle imposée par la copropriété, qui fait que au niveau du sol, autour des bâtiments il n'y a que une série innombrable de place de stationnement pour voitures. 60 Espaces bâtis et bâtisseurs de lieux 5. Les résultats 5.1.2 Square Monnet Relations entre individus et le lieu Personnes qui rentrent chez elles : relation nécessaire et familiale. Relations entre individus dans le lieu Relation entre lieux pour les individus Courtoisie : entre voisins, mais il prédomine des relations de véritable connaissance. Obligation non formalisée : rapports familiaux. Auto-comparaison du square à « Rome ou Naples », faite par les jeunes rencontrés, du fait que c'est un endroit « contrôlé ». Récit d'un voyage en bateau de Gênes ; donc vers la rive Sud de la Méditerranée. Nous avons observé que les habitants sortent souvent à pied pour ses courses, cela est un signe de proximité de cet ensemble résidentiel aux services de la vie quotidienne. Personnes qui réparent et lavent les voitures : relation Obligation formalisée* . économique (activité informelle d'auto-réparation) et sociable. Personnes de différentes ages en bas des immeubles à discuter : relation sociable. Choix non formalisé**. Enfants qui roulent en vélo : relation récréative. * Malgré que ce soient des activités économiques informelles, nous considérons que l'entraide forme des relations de donner-recevoir qui peuvent se considérer formalisées, du moment où un service non rendu brise la règle implicite et peut donner lieu à une reproche de(s) l'autre(s) sujets concernés par l'échange de biens ou services. ** En ce cas, il est légitime de s'interroger sur le degré de vrai choix plutôt que de contrainte dans les relations sociales observées, car la plupart des personnes stationnant dans cet endroit habitent ici même. On reviendrait donc sur des relations plutôt aléatoires, dans le sens où ces personnes ne se sont pas choisies en tant que voisins. Mais il est vrai aussi que tous les résidents ne participent pas à cette sociabilité, donc on retrouve une composante de choix. Espaces bâtis et bâtisseurs de lieux La présence constante de jeunes à l'entrée du square (coin rue Maréchal Leclerc) décourage l'entrée des passants par le square. Nous avons également remarqué que, à l'envers de place Salengro, il y a très peu de véhicules qui transitent par le square, bien qu'il soit ouvert des deux cotés avec des voies publiques. Ce fait rend l'endroit assez sécurisé et favorise une appropriation de l'espace par les résidents : les enfants peuvent rouler sans soucis en vélo dans la rue, il est possible de mener des activités autour des voitures (lavage, réparation). Ils manquent du tout des éléments de mobilier urbain, les seuls endroit pour s'asseoir étant des niches aux entrées des cages des immeubles, la table de ping-pong, les trottoirs et les jeux d'enfants. Cela rend fort improbable le stationnement de personnes « extérieures » à ce lieu (non résidant ou sans liens avec les résidents), et donc augmente la sensation que ces espaces sont utilisés uniquement par des personnes qui s'entre-connaissent. Nous avons observés que les jeunes se sifflent dans la rue et d'en bas aux fenêtres pour se faire signe, communiquer, se saluer. Également, il arrive qu'ils se parlent de loin, d'un coté du jardin à l'autre, et en conséquence ils font cela à voix haute. Ces façons de faire, de communiquer, caractérisent l'environnement sonore de cet endroit. En même temps, le fait de se siffler n'est possible que grâce à la structure physique de cet espace, où les bâtiments sont 61 Espaces bâtis et bâtisseurs de lieux 5. Les résultats relativement rapprochés les uns aux autres et l'espace public est assez restreint par les édifices. Ceci ne serait point possible à place Molière, pour ses dimensions. 5.1.3 Place Ottina (Hôtel de Ville) Relations entre individus et le lieu Relations entre individus dans le lieu Relation entre lieux pour les individus Semaine Internet point ; camionnette annonçant le cirque : activité de communication, relation nécessaire. Trafic. Arrêt du tram, passage véhiculaire : relation nécessaire (se déplacer). Personnes arrivent, garent la voiture et font des Courtoisie. commissions à la mairie, à la poste, dans un magasin... : relation nécessaire (existence administrative ou besoin). Groupes d'employé(e)s de la poste, de la mairie, de la médiathèque viennent manger à la brasserie : relation économique et nécessaire. Un clochard reste devant la vitrine du bar/tabac : relation économique (informelle). Livreurs chez les magasins : relation économique. Courtoisie (clochard) ; obligation formalisée. Quelqu'un s’assoit sur les bancs ; à l'intérieur de la brasserie le comptoir est tout rempli par des hommes buvant un demi ou un petit verre de vin : relation sociable. Choix non formalisé. Deux jeunes debout à l'entrée de la galerie marchande : relation sociable. Une famille se promène, puis un groupe d'adolescents en trottinette1 ; un groupe d'enfants va au cinéma : relation récréative. Weekend Les magasins sont ouverts, il y a des clients : relation économique et récréative. Obligation formalisé, choix non formalisé. Gens se promènent et parfois se rencontrent dans la rue, Courtoisie (rencontres quelqu'un est assis au café : relation récréative et sociable. dans la rue) et choix non formalisé. Il y a un mariage un cours : activité festive. Choix formalisé. Diverses personnes, dont des adolescentes, attendent le bus communal qui traverse les autres quartiers à l'Est du centre-ville et termine au hameau de La Fouillouse. Espaces bâtis et bâtisseurs de lieux Nous n'avons pas remarqué des conflits entre usagers de l'espace ; plutôt sont visibles dans cet endroit deux tendances opposées au niveau de l'aménagement urbain, qui favorisent ou moins l'usage de cet espace comme « centre-ville ». En effet on peut rappeler que l'implantation de la mairie ici (anciennement hébergée dans le vieux village), a été un acte assez volontariste, 1 La journée d'observation était en une période de vacances scolaires. 62 Espaces bâtis et bâtisseurs de lieux 5. Les résultats visé à valoriser la nouvelle zone d'expansion urbaine, aux années '60-'70, comme on l'a vu. À partir de là, au fil des années d'autres mesures d'aménagement se sont succédées, toujours finalisées à créer un espace de centralité et d'activité au milieu des nouvelles barres et tours de logements. Aujourd'hui on voit à l'œuvre, sur les usages de cet espace, les effets plus ou moins réussi de ces tentatives de valorisation. Il y a en effet des éléments de l'espace physique qui favorisent l'usage du lieu comme lieu central et poussent les personnes à s'y rendre et d'autres éléments qui rendent cet endroit peu attirant. La route traversant place Ottina est à deux voies avec des places de stationnement sur les abords. Comme on peut le voir encore aujourd'hui sur un plan de l'agglomération lyonnaise, cette rue (Boulevard Edouard Herriot) est marqué comme une voie de communication inter-communale. Aujourd'hui, elle ne l'est plus, grâce à des aménagements routiers, dont la surélévation de la chaussée en correspondance de la mairie, qui ont visiblement essayé de rendre cette rue plus apaisée. Toutefois, elle reste moyennement bruyante et sa traversée demande un certain degré d'attention. En particulier, nous avons observé que les voitures provenant de la descente de rue Edmond Rostand, roulent parfois à une vitesse remarquable. En plus de cela, il nous est arrivé d'observer diverses fois des conducteurs faisant des manœuvres sportives (inversions, coups de frein violents) pour divertissement, ce qui rend l'endroit encore moins attirant pour un passage apaisé. En ce qui concerne l'environnement sonore, le passage du tram est aussi une source de bruit, car il fait une courbe à hauteur de l’îlot de la mairie. Pendant la pause midi, la majorité des commerçants baisse son rideau et globalement cela donne une image de désertification pendant cet horaire, où le passage piéton s'intensifie car les employé(e)s du coin (de la mairie principalement) sortent pour acheter son repas. Il serait intéressant de savoir pourquoi les commerçants adoptent cette pratique, s'il y a eu des épisodes particuliers qui les ont poussés à cela. Au contraire, quand les magasins sont ouverts, ils donnent un sens d'ouverture et de vivacité à l'endroit, en constituant une continuité au rez-de-chaussée du coté Sud de la place. Les deux bâtiments d'angle de rue Gallavardin ont une forme arrondie avec des grandes vitrines, qui donne une allure de zone commerciale. De l'autre coté, ce sont les services publics et culturels qui se concentrent : mairie, centre communale d'action sociale (Ccas), médiathèque, cinéma, artothèque et brasserie sur la pointe de l'îlot, d'où on peut jouir d'une vue agréable derrière une paroi vitrée. Ces services génèrent un passage et une attraction importants, qui se fait à pied ou en voiture. Par contre, en ce qui concerne le cadre bâti, les deux édifices qui font face à la mairie ont un aspect assez opprimant et laid, ils nous évoquent la périphérie d'une grande ville ex-soviétique et gâchent un peu l'ambiance de centre-ville. 63 Espaces bâtis et bâtisseurs de lieux 5. Les résultats 5.2 Tableaux récapitulatifs de la relation entre individus et lieux observés Relation entre individus et lieu Nécessaire Place Molière Square Monnet Se loger, se nourrir Se loger, se nourrir Économique Activités informelles Formative Place Ottina – semaine Place Ottina – weekend Démarches administratives, achats, se déplacer, communiquer, se nourrir Commerces, livraisons, quête Shopping Médiathèque Familiale Identitaire/festive Sociable Récréative Relations entre les individus Mariage Enfants, adolescents, retraités, mamans Jeunes, personnes de toute age Brasserie, kebab Brasserie, kebab Jeu d'enfants, boules Jeu d'enfants Cinéma Promenade, shopping Place Molière Square Monnet Place Ottina – semaine Place Ottina – weekend trafic Courtoisie Obligation formalisée Obligation non formalisée Choix formalisé Choix non formalisé 64 Espaces bâtis et bâtisseurs de lieux 5. Les résultats 5.3 Cartographie des relations entre individus et lieux observés 5.3.1 Relation fonctionnelle entre individus et lieux 5.3.2 Relations entre individus dans les lieux 65 Espaces bâtis et bâtisseurs de lieux 5. Les résultats Commentaire des cartes Nous remarquons que dans les deux espaces « résidentiels » se développent des relations de « choix non formalisé », issues des usages comme lieu de loisir. Ceci est déjà un premier élément non forcement attendu dans un espace résidentiel : cela donne à ces lieux une importance au sein du quartier qui dépasse les simples fonctions d'habitat et de foyer familial. En plus, nous voyons que dans un de ces espaces, square Monnet, il y a encore un autre type de relations qui s'y développent : celles de « obligation formalisée », issues des activités économiques. Si nous comparons donc les relations présentes au square Monnet – plutôt un espace résidentiel – avec celles de place Ottina – un espace public –, nous constatons que les différences sont limitées aux relations de « trafic », issues du passage véhiculaire et piéton, et de « obligation non formalisée », issues des relations familiales. Pour le reste, ces deux lieux se ressemblent et ceci confirme que le rôle de ces espaces publics et ces espaces privés se différencie de celui qu'on trouve dans la tradition des villes européennes. D'autre part, nous remarquons qu'au weekend, les espaces publics reprennent une distinction plus marquées avec les espaces résidentiels : c'est le seul cas où on ne repère pas des usages liés à la nécessité et le seul cas où l'on observe des usages festifs des lieux (mariage). Cela indique que le rôle traditionnel de l'espace public, comme espace d'événements collectifs et espace de liberté, est vivant, même si en une moindre mesure que dans le centre des agglomérations ou des cités historiques. 5.4 Interprétation des résultats obtenus D'abord, nous remarquons que les espaces semi-résidentiels (place Molière et square Monnet) ne se limitent pas à recouvrir des fonctions de nécessité primaire (se loger, se nourrir) et de vie privé mais ils sont des lieux de détente, de rencontre voire de petite activité économique. Cela confirme notre hypothèse que ce type de lieux sont investis par des usages importants des habitants. Ces espaces résidentiels présentent des dynamiques remarquables : en place Molière, un espace sur-dimensionné, un accès public à un espace formellement privé et des usages non correspondants à la fonction originaire (terrain de basket utilisé pour jouer aux boules) ; au square Monnet, des phénomènes très marqués d'appropriation de l'espace public, qui est converti en aire de jeu et lieu d'activités variées. Ces espaces semblent recouvrir une double fonction : d'un coté ils permettent le développement d'un réseau de voisinage, de connaissance et de solidarité ; de l'autre ils risquent de constituer le seul horizon de sociabilité de ses habitants. L'attachement qui s'est produit au fil du temps à ces sous-quartiers est témoigné par exemple par la publication éditée par la Maison de quartier Diderot, où les récits de vie de plusieurs résidents ont été recueillis en 2008, lors de la démolition des deux premiers bâtiments. Nous pouvons donc nous interroger sur quelles pratiques sont mises en place par les habitants pour contre-agir à cette organisation de leur espace de vie, c'est-à-dire quelles relations ils entretiennent en dehors de son espace de résidence, si cela se fait à l'échelle du centre-ville, à l'échelle de Saint-Priest ou de l'agglomération. La comparaison entre place Molière et square Monnet nous permet aussi de faire une autre considération : la plus grande vivacité qu'on trouve dans le deuxième est liée à la structure physique de l'espace. Comme on l'a dit, place Molière est sur-dimensionnée pour les usages 66 Espaces bâtis et bâtisseurs de lieux 5. Les résultats qu'elle est censée avoir ; au contraire les dimensions, les rapports entre hauteur des bâtiments, espace libre, rue et trottoir en square Monnet favorisent un usage intense de cet espace, jusqu'au point de pouvoir s'appeler à la fenêtre en sifflant, ce qui serait physiquement impossible en place Molière. Finalement, on peut remarquer que les dimensions de l'espace favorisant un usage intense sont mieux proportionnées aux dimensions du corps humain. On a pu vérifier cela aussi au Village, où la rue étroite crée un environnement sonore agréable et permet des rencontres, des salutations dans l'espace public ; ou encore en rue Anatole France, avec l'épisode du clac-sonnage vers une fenêtre pour saluer quelqu'un. Au contraire, la place de la mairie répond surtout à des fonctions de nécessité et besoin ; les activité de sociabilité et récréatives ne sont pas absent mais semblent avoir un rôle secondaire dans les usages de ce lieu. Pendant la semaine, ce lieu est fréquenté surtout pour y faire des commissions, et les usages de loisir ou de rencontre restent minoritaires. L'observation du samedi après-midi a permis de relever que effectivement les activités typiques d'un centreville y sont présentes ; toutefois avec une intensité qui nous est semblé assez réduite. Pour évaluer cet aspect, il serait nécessaire une approche quantitative, afin de comparer le nombre de personnes, le volume d'affaires du centre-ville de Saint-Priest avec celui d'autres communes de couronne des agglomérations urbaines. Nous remarquons également que dans le week-end les relations de nécessité ont disparu et par contre nous sommes tombés sur le seul usage festif relevée. Ceci est un autre indicateur de « centralité » : la présence de moments spéciaux, symboliques. Notre hypothèse est donc confirmée partiellement : d'un coté, nous avons vérifié que les espaces annexes aux résidences recouvrent un rôle très important pour les habitants du centre-ville, qui va au-delà des fonctions traditionnelle des espaces résidentiels ; de l'autre, nous avons trouvé une réalité nuancée dans l'espace public. C'est vrai que celui-ci est surtout un lieu de passage, un lieu utilisé pour les services qu'y se concentrent, et cela confirme notre hypothèse, car il ne s'agit pas d'un espace public traditionnel, où les relations sociales et la symbologie publique se mettent en scène. Par ailleurs, ce lieu n'est pas que un lieu de service : une certaine sociabilité y est, il est choisi par certains habitants pour y passer leur temps libre, notamment le samedi aprèsmidi en faisant du shopping, et il devient un lieu d'événements publics, lors des mariages. Comme nous le disions déjà, il bénéficie des choix volontaristes faites par les aménageurs et les décideurs mais il n'est que partiellement investi par les habitants comme vrai lieu « central » de l'espace urbain. Nous constatons donc que une nouvelle forme d'urbanité est à l'œuvre ici, une urbanité que les gens venus habiter Saint-Priest ont développée autour des bâtiments organisant cet espace. Il s'agit d'une urbanité où les lieux privés et les lieux publics n'ont plus les m êmes fonctions et caractéristiques que dans la ville européenne traditionnelle, la ville « dense ». À ce sujet sont très claires les mots de Cécile Gouy-Gilbert, à propos de Saint-Martind'Hères, ville de l'agglomération grenobloise : 67 Espaces bâtis et bâtisseurs de lieux 5. Les résultats « Penser une ville » à partir de l'existant, définir quelle pourrait être sa place au sein de l'agglomération peut sembler difficile hors des références à la ville traditionnelle, attachées à une certaine théâtralité et à une immédiate visibilité, ou à celles des petites villes rurales. C'est beaucoup moins vrai si, au-delà de ces images spontanées et un peu naïves, on conçoit la ville comme un réseau, ou un assemblage à la fois unifié et diversifié […] ayant vocation à se relier à d'autres réseaux dans le cadre d'une agglomération. Saint-Martin-d'Hères, avec sa propre histoire, ses politiques, ses propres contraintes, s'est peut-être déjà engagée dans l'expérimentation de cette nouvelle forme d'urbanité2. Le rôle des pouvoirs publics en ces dynamiques est remarquable, mais il n'est pas le seul : ils peuvent adresser ou adapter des pratiques de l'espace déjà existantes, liées plutôt à la structuration de l'espace et aux choix des groupes et des individus. Certes, la rénovation urbaine promue au sein de la Politique de la ville à Saint-Priest aura des impacts très relevants, toutefois elle ne pourra pas se suffire pour façonner cette urbanité, avant tout parce que la plupart des ensembles résidentiels qui structurent l'espace du centre-ville resteront. Et d'autre part, il est légitime de s'interroger sur quelle urbanité est proposée, par le biais de projets de rénovation urbaine comme celui-ci. Il nous paraît qu'il ne s'agisse pas de l'urbanité « traditionnelle », du type qu'on trouve au « Village » à Saint-Priest. En effet, bien qu'aux apparences assez différentes que les barres construites dans les années '60, il s'agit toujours de grands immeubles, bâtis selon des techniques industrielles, qui n'intègrent pas une continuité bâtie mais qui vont plutôt la créer. Le type d'urbanité sous-jacent à ces réalisations ne nous semble pas plus loin de l'urbanité de grands ensembles, que de l'urbanité de la ville dense. Pour cette raison, il demeure important d'analyser l'urbanité des grands ensembles, car avec des apparences différentes – plus ou moins de standing – elle est destinée à être reproposée dans la construction et la reconstruction des villes de demain. 2 Cécile Gouy-Gilbert, De la mémoire et de ses usages: politique culturelle d'une ville périphérique , in AA VV, Villes, patrimoines, mémoires. Action culturelle et patrimoines urbains en Rhône-Alpes , Direction régionale des affaires culturelles de Rhône-Alpes et Délégation régionale du Fonds d'action sociale, 2000, p. 42. 68 Conclusion Nous avons terminé l'étude d'ethnographie de l'espace. Nous sommes partis du principe que pour une analyse satisfaisante d'une réalité complexe, telle que la ville, les approches « techniciennes » traditionnelles ne sont pas suffisantes et doivent être intégrées par des apports des sciences dites « souples ». Parmi celles-ci, nous avons approfondi les contributions potentielles de l'anthropologie, car son attitude méthodologique nous semblait rejoindre la nécessité ou l'exigence d'impliquer davantage les citadins dans les décisions relatives à l'aménagement urbain. L'anthropologie, et plus précisément l'ethnographie, semblait disposer de méthodes et techniques d'enquêtes utiles à recueillir, traiter et interpréter la matière issue de récits verbaux ou de pratiques de l'espace. Nous avons donc élaboré une approche ethnographique au territoire concerné par notre étude. Cela s'est traduit premièrement par une attitude envers les phénomènes observés, les personnes rencontrées et la façon de recueillir les données ; et aussi par les techniques d'enquête choisies, notamment l'observation et les interviews. Notre objet d'étude ont été les relations entre individus et lieux et nous nous sommes servis à cette fin de la théorisation de deux chercheuses italiennes. L'analyse du territoire étudié s'est basée sur l'analyse des formes et de la morphologie urbaine. Nous avons ainsi repéré trois unités paysagères urbaines à l'intérieur de ce territoire, caractérisées par une homogénéité des formes urbaines : le « tissu urbain continu », les « grands ensembles » et le « pavillonnaire ». Nous nous sommes concentrés sur l'unité de grands ensemble, car nous y avons repéré un élément intéressant : l'absence de rues au sens traditionnel du terme, comme lieu de vie publique d'un milieu urbain. Nous avons donc fait l'hypothèse que les activités qui caractérisent traditionnellement l'espace public, avaient lieu dans des espaces de statut différent, notamment les espaces qu'on trouve en bas et autour des ensembles résidentiels. Nous avons observé les relations entre individus et lieu en trois espaces, dont deux annexes aux résidences et un public, pour vérifier cette hypothèse. L'espace public a été observé à deux moments différents, pendant la semaine et dans le weekend, ce qui a révélé des phénomènes sensiblement différents. 69 Espaces bâtis et bâtisseurs de lieux Conclusion Nous avons vérifié que les espaces résidentiels sont effectivement investis, par certains habitants, par des activités qui traditionnellement trouvent place à l'extérieur du lieu de vie, dans l'espace public. Au contraire, nous avons aussi vérifié que l'espace public observé (la place de la mairie) revêt pendant la semaine surtout un rôle de service, et moins de lieu de vie publique. Ce constat change dans le weekend, où on a repéré des relations entre individus et lieu non dictées par la nécessité et où cet espace recouvre certaines des caractéristiques traditionnelles des espaces publics. L'analyse morphologique a permis d'un coté d'éviter toute classification basée sur la provenance ethnique, de l'autre coté de développer une réflexion sur le concept d' urbanité. En effet, la forme physique de l'environnement urbain est ce qui crée les conditions pour le développement des relations et des activités qu'on attribue traditionnellement à la ville, en opposition à la campagne. L'absence des éléments morphologiques urbains traditionnels fait surgir des questions sur les nouveaux types d'urbanité qui se développent en ces milieux. Cela est d'autant plus intéressant, lorsqu'on considère que la zone d'étude a été urbanisée il n'y a que 50 ans, donc nous pouvons supposer que les pratiques urbaines de ces citadins, face à ces formes urbaines inédites, sont douées d'une très grande dose de créativité. L'approche adoptée prend en considération des dynamiques de long terme, voire très long terme. En effet cette nouvelle forme urbaine, qui a été interprétée par certains comme la fin de l'urbain, vient remplacer la forme « traditionnelle », définie « modèle urbain européen » par Anne Raulin1 et dont l'étendue temporelle va de l'antiquité jusqu'à la révolution industrielle. Anne Raulin a raison, lorsqu'elle rappelle que les premières villes, se développèrent suite à des conditions économiques favorables, notamment l'apparition de l'agriculture. Cela nous fait comprendre que la réalité urbaine est liée à un certain type de système économique. Il devient beaucoup plus compréhensible alors que, suite à un autre changement de système économique, dû à l'apparition et le développement de l'industrie, la réalité urbaine est amenée à se transformer en profondeur. Ce qui nous apparaît comme l'apparition de nouvelles formes urbaines et d'urbanité, serait plutôt une partie du processus global de ré-organisation du territoire. Nous sommes tellement habitués à la ville, au type traditionnel de ville, que nous oublions qu'elle aussi, elle est un phénomène historiquement situé et, en tant que tel, soumis à la transformation. L'approche adoptée est de type purement qualitatif. Nous avons pu vérifier l'existence d'un certain type de relation entre individus, ou son absence. C'est pourquoi, il serait fort intéressant d'essayer de quantifier ces phénomènes, pour pouvoir comparer différentes situations locales et ainsi préciser mieux comment l'urbanité d'un lieu est en train d'évoluer. Maintenant, nous essayons de répondre aux questions posées dans l'introduction, c'est-àdire quelle contribution une approche ethnographique peut amener aux démarches participatives, et plus en particulier à celles que nous avons connues directement, soit celles portées par Robins des Villes. Il faut faire référence aux deux documents reportés aux pages 131 Op. cit. 70 Espaces bâtis et bâtisseurs de lieux Conclusion 16, pour saisir correctement ce que nous allons exposer. Nous souhaitons ainsi donner notre petite contribution à la construction du « droit à la ville ». Un diagnostic partagé 2.0 ? L'analyse territoriale que nous avons proposée prend en compte la relation globale entre individus et lieux. Comme nous l'avons vu, cette relation se compose de plusieurs éléments, dont l'usage du lieu est un parmi d'autres. La relation affective entre individus et lieux ; la relation entre individus dans les lieux ; la relation entre lieux dans la représentation des individus sont les autres composantes de la relation entre individus et lieux. Nous n'avons pas pu aborder l'analyse de tous ces aspects, faute de temps et de ressources, mais nous avons analysé la relation entre individus dans les lieux. En effet, l'exploration des deux autres types de relation, demande surtout de réaliser des interviews, ce que nous avons pu juste commencer. Le rendu de ces analyses, comme Robins des Villes le fait déjà dans le « Diagnostic partagé des usages », serait cartographique, comme nous l'avons fait pour les relations entre individus dans les lieux. Il s'agit en effet d'informations toujours spatialisées. L'avantage d'un diagnostic considérant globalement les relations entre individus et lieux, est qu'il pourrait être appliqués tant dans les missions de « concertation » que dans celles de « sensibilisation ». En effet, aujourd'hui le diagnostic partagé des usages est utilisé dans les projets de « concertation », où l'avis des habitants est demandé pour être pris en compte dans les aménagements. Dans les projets de sensibilisation, par contre, la parole des habitants n'est pas recherchée pour contribuer à la définition des nouveaux espaces, mais « seulement » pour dynamiser le lien social, valoriser des vécus, créer des mémoires et des identités partagées. Comme c’est le cas à Saint-Priest. Enquêter sur les relations non fonctionnelles entre individus et lieux, peut fournir des éléments très importants même dans une démarche de concertation, à partir du moment où l'aménagement d'un lieu ne se limite pas à satisfaire les besoins matériels des individus. Au contraire, comprendre les usages des lieux est fondamental dans une démarche de sensibilisation, car les liens affectifs, sociaux, cognitifs entre individus et lieux passent forcement aussi par l'usage qui des lieux est fait. Ce serait donc un outil d'analyse plus vaste et applicables à plus de projets qu'il ne l'est aujourd'hui. D'ailleurs, l'analyse que nous proposons présente aussi un manque : elle n'a pas été « partagée » avec les habitants et usagers concernés. En effet, l'atout du diagnostic partagé des usages est double, il réside dans le contenu et dans la méthode. Proposer une innovation au niveau du contenu, comme nous le faisons, ne doit pas entraîner un oubli de l'autre volet, celui de la méthode partagée avec les habitants ou usagers. En conséquence, il faut que le contenu du diagnostic reste accessible à une population non spécialisée et de tout niveau scolaire. Ici nous voyons une possible limite de notre proposition, peut-être excessivement abstraite pour un public générique. D'ailleurs, la seule façon pour le découvrir, serait de la tester dans la réalité. Et il ne faut pas oublier l'importance de la façon dont un outil est proposé au public, en effet une approche spécialisée peut toujours être traduit de sorte qu'il soit plus facilement accessible et que, en même temps, il ne soit pas banalisée. 71 Espaces bâtis et bâtisseurs de lieux Conclusion Un saut d'échelle ? L'analyse territoriale que nous avons proposée permettrait aussi d'aborder des territoires de plus grandes dimensions que ceux investis d'habitude par les démarches de concertation Robins des Villes. L'étendue de notre zone d'étude, correspondant au triangle ORU, était d'environ 50 ha. Le choix de Robins des Villes au contraire est d'intervenir sur des microespaces, parce que c'est surtout à cette échelle que l' expertise habitante, c'est-à-dire la compétence et la connaissance spatiale des habitants/usagers, se dégage. Notre proposition pour aborder des espaces plus vastes ne dément pas ce principe, au contraire elle le confirme encore plus. En effet, nous avons pu analyser et caractériser un territoire plus vaste en prenant en considération plusieurs micro-espaces compris dans ce territoire. Le type d'analyse porte toujours sur les espaces dont on peut faire une expérience directe, autrement dit, les espaces dont les dimensions physiques sont mesurables aux dimensions du corps humain. Nous avons constaté que c'est ce type d'espaces qui est investi davantage par les habitants/usagers. Par exemple, place Molière est sur-dimensionnée, alors que square Monnet offre des conditions physiques plus favorables pour y développer des activités, des relations. Ou encore, la largeur, le revêtement de sol et la présence d'édifices longeant la Grand'Rue au Village, permettent même d'entendre le bruit de la marche des passants, quand il n'y a pas de voitures. C'est bien à partir de micro-espaces que nous avons aussi mené notre étude. La caractérisation d'un territoire plus vaste est possible alors lorsqu'on met en dialogue plusieurs micro-espaces, chacun avec ses caractéristiques. La question est alors : comment choisir les espaces à observer ? Quels critères utiliser ? Nous avons proposé une analyse paysagère urbaine. Ce type d'analyse permet de caractériser un territoire relativement vaste et ensuite de choisir, à l'intérieur de chaque zone repérée, un ou plusieurs espaces qui paraissent importants, publics ou privés, à différents moments de la journée et de la semaine. Ce type d'analyse se base sur la classification des formes urbaines, l'apparence des bâtiments et sur l'ambiance globale ressentie. Le « ressenti » de l'observateur est un important indicateur : une homogénéité de paysage comporte une homogénéité de ressenti, à partir du moment où le concept de « paysage » prend en compte à la fois les aspects physiques et perçus. Une expertise « sensible » ? Enfin, à la lumière des considérations faites, nous revenons sur les principes à la base de la méthodologie Robins des Villes. Un des postulats, est que les usagers d'un lieu sont des « experts en usage ». Nous proposons d'élargir ce concept et de considérer les habitants/usagers aussi comme des « experts sensibles ». Si on accepte en effet que la globalité des relations individu/lieu dépasse les relations strictement fonctionnelles, il s'en suit que les habitants/usagers d'un lieu ont des compétences et connaissances aussi dans les autres types de relations individu/lieu. Et si on part du principe que l'aménagement d'un espace est bien plus qu'une réponse à des nécessités matérielles, ces compétences « sensibles » peuvent être mobilisées pour aménager et améliorer un espace en fonction des attentes de ceux et celles qui l'utilisent. 72 Sources Bibliographie Anthropologie urbaine et de l'espace Stefano ALLOVIO, La foresta di alleanze, Laterza, Roma-Bari, 1999 ; Id. 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Interviews documentaires 28 février, Léa Marchand, responsable pôle sensibilisation à Robins des Villes ; 29 février, Nicolas Rochette, agent de développement social de l'équipe Dsu/Oru centreville de Saint-Priest ; 7 mars, Jean-Louis Sackur, ancien directeur du Centre culturel Théo Argence ; 15 mai, Stéphane Collacciani, chef de l'équipe Dsu/Oru centre-ville de Saint-Priest. Déambulations 15 février, 11h-12h15 ; 7 mars, 10h30-12h30, avec David Desaleux, photographe professionnel qui collabore avec Robins des Villes. Recherches documentaires  http://sig.ville.gouv.fr/, site du Système d'information géographique de la Politique de la ville ;  http://www.geoportail.fr/, Le portail des territoires et des citoyens ;  archives municipales de la Ville de Saint-Priest ;  presse locale: Couleurs (magazine municipal), Le Progrès (édition Est Lyonnais) ;  fonds Robins des Villes ;  fonds Dsu centre-ville de Saint-Priest. 76 Annexes a) Grilles d'observation b) Interviews ethnographiques c) Micro-trottoirs d) Outils développés pour les ateliers Robins des Villes e) Carte du centre-ville de Saint-Priest (détachable) 77 a) Grilles d'observation Place Molière Horaire Poste d'observation Lieu Personnes 9-12 Banc au croisement des deux chemins près des tours. Voir dessins: plan de situation, façades des tours, modules constructifs des immeubles. Terrain de basket : gravier et cailloux, dangereux. Vélos sur les balcons : il n'y a pas de place dans la cour [malgré l'espace libre à disposition]. Comptage des places de stationnement (effectué entre 11h30 et 12h30) : 282 voitures sur 445 places prévues (NB 410 appartement dans l'ensemble) = 59%. Places libres : 183*. 11h30 2 mamans rentrent avec enfants et une poussette dans une tour : ont-elles pris les petits à l'école Brenier ? Dehors, quelqu'un qui a fait es courses, quelqu'un qui promène son chien. Personne dans l'espace ouvert. Banc au croisement des deux chemins près des tours. Une camionnette de la police passe, ils avaient fait le tour de la viabilité interne. Dans le terrain de basket des personnes âgées jouent aux boules, aussi grâce au revêtement du terrain. Retraité promène son chien. 15H00 un retraité s'assied sur une banc, un autre descend avec les boules. Ça y est, 3 personnes sur un banc, une dame avec son chien. 15h30 les équipes se montent. 15H45 ils commencent à être nombreux : 8. Portugais ? Non, espagnols. Dame avec son chien. 16h45 2 petites avec 2 femmes voilées dans l'aire de jeux. 2 gamins avec papa (patron de la boîte 2T3M, dont il prend le furgon). 12-14 14-18 Interactions entre personnes Quelques enfants arrivent à mon babc. Des mamans aussi (3) avec poussettes. 17H30 je m'en vais 18-22 Merles viennent se baigner dans une flaque. Je recompte les places de stationnement, places libres : 62. 19h00 Retraités sont partis, des adolescents sont arrivés sur un banc, les enfants qui ont joué au foot (10 ans) sont autour d'une table de ping-pong, un couple d'ados arrive sur un banc et 2 petits enfants dans l'aire de jeux. 2 jeunes s'installent sur une table. 19h30-40 Partent les enfants et les filles adolescentes. 20h00 je me lève, il y a 6 garçons 16-17 ans et encore 2 petites filles dans l'aire de jeux. * le total est supérieur au nombre de places prévues parce que il y a des nombreuses places de stationnement hors les cases. Tableau du comptage des places de stationnement comptage entre 11h30 et 12h30 comptage à 12h30 comptage entre 20h et 20h30 variation cases cases cases cases cases cases libres taux de cases cases taux de cases libres disponibles occupées informelles effectives remplissage occupées informelles remplissage libres informelles effectives 25 8 2 15 40 10 4 56 16 13 2 11 21 4 17 19 1 1 0 40 16 24 40 23 0 23 30 50 15 20 6 14 30 16 0 16 21 10 3 8 62 3 4 -1 12 6 2 4 67 5 4 1 39 19 20 49 8 5 3 7 3 5 -1 114 1 8 -7 13 6 7 0 100 3 3 0 24 12 12 50 12 0 12 5 2 3 40 12 0 12 14 5 9 0 100 3 4 -1 26 10 16 38 6 6 0 9 4 1 4 56 0 3 -3 30 9 7 14 53 5 0 5 12 10 2 0 100 6 8 -2 18 8 10 44 0 6 -6 18 12 6 0 100 3 5 -2 23 13 5 5 78 6 4 2 9 7 2 78 4 9 -5 21 19 2 90 4 3 1 4 3 1 75 0 4 -4 10 6 4 60 4 4 0 24 7 8 9 63 5 3 2 445 170 92 183 59 2 6 -4 5 6 -1 18 8 10 62 Square Monnet Notes de terrain antérieures et postérieures: 28 mars, midi 5+2 jeunes, 20 ans environ, arabes à l'apparence, à l'entrée du square assis ou debout. Ils me regardent. Enfants jouent dans l'aire de jeux. 30 mars, midi L'appropriation est plus claire : un monsieur m'a carrément salué, comme pour dire « bienvenue chez nous ». auparavant il m'avait observé attentivement, lors de mon entrée, pendant qu'ils réparait une voiture avec deux autres. Prédominance de personnes à l'apparence maghrébines. Groupe de jeunes toujours là ; ils semblent inoffensifs, ils semblent tout simplement traîner. Cris et sifflements de la cour aux fenêtres pour communiquer. 7 avril, après-midi Mort par rapport à l'habituel, un seul homme à la place habituelle. Les autres : traînent à Lyon le samedi après-midi ? Poste d'observation 9-12 Difficulté à trouver un poste d'observation. Seule place pour s'asseoir sont petites niches à coté des cages des immeubles. Poste : inconfortable. Le mur est froid parce que la façade est exposée au Nord. Lieu Personnes Interactions entre personnes Il n'y a pas de bancs, pauvreté du mobilier urbain. Il n'y a pas encore quelqu'un à stationner au coin vers le centre social. Très tranquille : gens sont déjà partis au travail ; les places de stationnement libres restent peu de toute façon. Taux de remplacement des parkings très rapide. Passage des personnes qui sont allés faire des petites courses (à pied). En plus, des autres qui arrivent, repartent. 12h00 bon odeur de nourriture, ça semble des pâtes à l'ail. Personnes qui sortent ne Une dame âgée discute assise avec un homme à une des cages d'immeuble. Jeunes se sifflent pour se saluer, se faire signe, communiquer. 2 messieurs, un âgé, travaillent sur le moteur d'une voiture. (Les jeunes qui stationnent ne peuvent faire rien de mal, il y a un tel passage. Ceux dans l'autre parc si par contre). Monsieur turc était en train de laver et nettoyer une voiture, maintenant une autre : elles sont à lui toutes les deux ou il fait ce service aux voisins ? 2 Audi, de toute façon. 11h00 2 jeunes s'installent en bas à discuter. 11h40 un jeune descend avec de la musique du téléphone, il semble chercher quelqu'un, un autre passe par là avec les courses, il lui dit bonjour mais celui avec les courses semble ne pas avoir envie de s'arrêter. Une deuxième postière passe, après le premier passé à 11h. 2 enfants jouent en vélo*. Les deux jeunes sortis il y a quelque temps, rentrent. Un enfant parle à l'interphone pour demander si l'ami peut Première personne qui m'a demandé que je fais « ici ». Saine curiosité (il me semble). Il doit être turc. Il a une fille aux yeux bleues et la peau claire. « C'est quoi, arpentage ? », il me demande. Tout le monde me regarde de toute façon, je suis objet de curiosité. Rapports de voisinage : les grands avaient demandé aux petits si un leur ami était passé... prennent pas forcement la voiture. Le square est ensoleillé, quand il y a du soleil. Le périmètre est une très bonne piste pour le vélo ; espace partagé par enfants et voitures qui circulent lentement ; pour le 99% ce sont des voitures qui arrivent ou repartent, non pas qui passent par le square, qui circulent vraiment, bien que le square soit un espace public ouvert des deux cotés sur la rue. Un seul vélo accrohé sur le trottoir. 12h30 gens continuent à arriver pour la pause midi. Le commissariat de Police est à l'autre bout de la rue. descendre. 2 gamins, ils doivent avoir 12 ans, sur un scooter avec le casque passent en cabrant . 2 enfants arrivent dans l'aire de jeux. Un monsieur qui attendait depuis 20-30 minutes et avait appelé à l'interphone, finalement trouve la personne qui lui ouvre : une jeune femme voilée qui porte un pli de papiers sous le bras. 2 jeunes sont devant une cage à parler de footbal ; en français intercalé de « Uallah » [= « je te jure »] ; ils se sont rencontrés sur le trottoir, un est arrivé en voiture. Avec ou sans rendez-vous ? Quelqu'un rentre du travail pour dejeuner. Les jeunes attendent. Ils s'asseoint aux cages ou sur la table de ping-pong et attendent que quelqu'un d'autre arrive. Un est sorti e a sifflé deux fois pour communiquer avec un autre. Ils se parlent aussi à distance, donc à voix haute. 12h30 les jeunes commencent à être plus nombreux : 3, 4 en nombre variable. 12-14 14-18 Debout, trottoir Nord personne ne passe, c'est un peu une zone off-limits, que les résidents ; même avec pluie il y a deux sentinelles aux deux coins/entrées. Sifflements ; lorsqu'il arrête de pleuvoir, une dame sort son chien. Ce que les résidents pensent de moi : un monsieur sort et en me voyant debout observer la place, c'est-à-dire la même activité des jeunes, il m'identifie comme un d'eux, donc comme si le contrôle sur la place étaient augmenté ; je prend position par rapport aux autres deux : je prend véritablement les distances, je ne peux pas rester trop proche, donc j'occupe un espace intermédiaire entre les deux. * c'était une période de vacances scolaires. Place Ottina (Hôtel de Ville) 9-12 Poste d'observation Lieu Personnes Banc à coté du kiosque de journaux. 11h15 change de poste, je vais en terrasse à la brasserie, la vue ouverte sur trois cotés : en face rue Gallavardin ; Bd Herriot dans les autres deux sens, avec le profil d'un hauteur en direction des bâtiments des Alpes. Gens arrivent et repartent en voiture, c'est une zone pour faire les commissions : services publics, commerces. Assez bruyante quand-même, route à deux voies, ce n'est pas apaisé. Voitures parfois arrivent vite de la descente. Un jeune s'amuse à faire Schumacher dans la rue (et il n'est pas le pre,ier que j'ai vu). Certains magasins baissent le rideau à la pause midi. Ça fait un mauvais effet, de désolation. Est-ce normal ? Ou y a-t-il une raison particulière ? La boulangerie s'est remplie, gens en pause midi comme Nicolas [Rochette]. Passage continu de gens en toutes les directions. Diversi livreurs, soprattutto alla farmacia. Divers livreurs, surtout à la pharmacie. La présence du phone center est aussi significative : contact avec l'extérieur, avec le monde. À 10h30 un monsieur âgé s'est assis sur les bancs en face de moi, il y est resté 15-20 minutes. “Cet après-midi le cirque avec tous les animaux et les clowns”, une camionnette passe faire cet annonce. 3 hommes discutent à coté de la brasserie quand je suis arrivé. C'est à l'intérieur qui se passe quelque chose en réalité, la grande vitre qui donne sur l'extérieur fait un très bel effet ; le comptoir est bourré d'hommes qui boivent un demi ou un verre de vin. Personnes aux tables également. Le serveur dresse les tables. Il y a aussi le journal en libre lecture. Le sifflement est vraiment l'appel entre les jeunes, habillés en tenue de jogging. Interactions entre personnes Deux restent à l'entrée du portique (Central Place) [le passage couvert qui amène en square Monnet], parce qu'il pleut, mais ils donnent l'impression d'un limite, ils ne s'aventurent pas dans l'espace public et protègent quelque chose derrière eux. Le clochard est toujours là. Groupe de femmes arrivé à dejeuner. Collègues ? Où travaillent-elles ? À la mairie ! 5 jeunes sont venus prendre un café. 12-14 14-18 16H00 ils me demandent de me déplacer de l'autre coté de la terrasse pour débarrasser : ici il y a moins de vent, la vue est plus belle, plus vaste, sur la montée vers Bel Air avec les rails de tram. 17h00 cambio postazione: panchine sullo spiazzo je change de poste : bancs sur l'esplanade devant le cinéma. Arboré. 17h30 je vais en bibliothèque. Centre : de toute façon lieu de rencontres, quoi que rapides : salut ça va et chacun poursuit son chemin, mais c'est bien ce type de rencontre qu'on s'attend d'avoir en centre et qui determinent en notre sensation que nous nous trouvons en « centre ». Il y a eu un averse maintenant il est redevenu variable. Toutes les vitrines sont ouvertes. C'est chouette. Arrivé de l'autre coté [de la terrasse] un commis de la brasserie refait les jardinières (il met de la terre), il me fait remarquer qu'ici c'est plus tranquille, « il y a moins de bruit, c'èst plus silencieux ». Mais il y a le bruit du tram qui passe. Deux coins de la rue arrondis avec commerces au rez-de-chaussée, c'est agréable, ça donne un sens d'ouverture, vivacité et la haute tour audessus du coin de gauche « fait ville », Clochard du centre-ville : tout le monde l'aime bien, il est connu par les passants. Après tout il est aussi toléré par le patron du bar/tabac sur lequel il est appuyé (arménien). Lui, il fait bien une observation intense ! Il y a trois hommes qui parlent en face de la porte. Une famille entière se promène avec poussette incluse. 15h30 deux hommes s'asseoint à la petite table à coté de la mienne. Cordialité entre clients et serveuse de la brasserie. Il y a du monde assis sur les bancs vers la médiathèque. Aux autres 3 tables, 3 hommes seuls, dont 2 parlent maintenant au téléphone, 1 parle de travail. 2 femmes noires en habits typiques de l'Afrique de l'Ouest. L'autre n'est ici pour travail non plu : il a une bière et il est allé au tabac acheter un jeu à gratter. 5 jeunes, 19-20 peut-être, stationnent sous le toit du gymnase qui est derrière moi. 15h35-48: tempo al tavolino dei due, hanno avuto il tempo di parlare con un amico che passa: calcio, Lione-Ajaccio, e lavoro. Lui è lavoratore a chiamata. Uno degli altri due (il grande e il piccolo) dice: a me 1800€ al mese vanno bene. Tra di loro parlano di lavoro, è la preoccupazione maggiore, non ce n'è. Passa una signorina in lacrime, che piange e questo signore si alza e le chiede che succede signorina? “j'ai perdu un enfant”. Si prende appuntamento in questo bar. C'è gentilezza nell'aria: un client del bar aiuta a svolgere i nodi che la pompa ha fatto, mentre il signore del bar cura le c'est-à-dire lieu où les édifices sont élevés = artificiels, imposants, voulus fortement par l'homme, type de bâtiment qui marque son être artificiel. Au final, le princip des magasins arrondis est le même que celui des animations en Trafalgar Square. Médiathèque et cinéma créent passage, vivacité, services culturels de la ville qui s'ajoutent à la mairie. Fonctions de centre-ville. Puis il y a la poste et une banque. Gros bâtiments à gauche sont vraiment horribles, opprimants, de périphérie du bloque soviétique, Prague ou Bucarest. C'est la vue qu'on a aussi de certaines fenêtres de la médiathèque ; c'est angoissant. 17h30 il fait un autre averse qui à 18h00 est déjà terminé, 18h30 bancs déjà secs le soleil est sorti. Belle journée de printemps. Groupe de jeunes se promène en fioriere. trottinette, ce sont les vacances. Gens s'arrêtent parler du coté du magasin de chaussures. Il y a du monde assis sur ces bancs. 17h0017h30: 2 femmes âgées sur les bancs. 18h20 employées de la poste et de la bibliothèque sortent. Ah, la journée est terminée, on perçoit un air plus detendu. Groupes de personnes stationnent temps en temps parler. À 14h00 il y avait une projection avec enfants au cinéma. La promenade du samedi après-midi Poste d'observation 14-18 Promenade entre Esplanade des Arts et la mairie. Lieu Commerces sont ouverts, d'habits beaucoup, plusieurs opticiens. Personnes Interactions entre personnes Il y a quelques promeneurs ; il y a aussi échange de mots, socialité (dans la rue ou dans les magasins) et il y a bars ouverts avec personnes assises. Il y a un mariage : grosses voitures (louées probablement, certaines ont targue allemande) qui font carrousel plusieurs fois. Croquis: L'entrée du cinéma. Vue depuis la terrasse de la brasserie. En face rue Gallavardin, des deux cotés Boulevard Herriot b) Interviews ethnographiques Danielle Torres Mardi 17 avril, au Centre culturel récréatif hispano-français, rue Aristide Briand. Comment est-ce que vous voyez le futur de l'association et du centre culturel, comme d'après ce que vous dites il y a eu ces vagues d'immigration et aujourd'hui... ...aujourd'hui il y en a de moins en moins, c'est vrai que en 2008 si je ne m'étais pas présentée comme présidente, peut-être que le centre n'existerait plus. Pour mois ça fait quand-même depuis 2004 que je suis dans le bureau et que fin 2007, lorsque l'arrière président a démissionné, ce n'était pas question qu'on laisse tomber ce centre, donc je me suis présentée. C'est vrai que je n'ai peut-être pas une continuité, si vous voulez. C'est vrai que ce qu'ont fait les anciens c'est pas du tout pareil, parce que les jeunes ne s'intéressent plus réellement... à l'histoire de l'Espagne, je ne vais pas dire ça, mais dans la mesure où ils sont nés en France c'est un petit peu... c'est oublié. C'est vraiment une suite de personnes qui sont depuis X années qu'on a au centre... Les jeunes, ils n'ont pas de raisons pour... voilà, ils n'ont pas de raisons. Pour la bonne cause, c'est que ben, ils sont nés en France, si vous voulez, même si nos parents nous ont inculqué la culture espagnole... Vous voyez plutôt positivement ou négativement ? Je m'explique : positivement dans le sens où c'est le signe que une vraie intégration est désormais faite, ou négativement parce que peut-être on perd quelque chose ? Disons que... alors, moi si vous voulez, le fait de continuer à faire des cours de flamenco ; le fait d'instaurer la langue espagnole, pour mois c'est du positif parce que je veux justement que la culture espagnole continue. Maintenant c'est vrai que ben, les jeunes ne s'intéressent plus comme avant. Moi je peux vous dire que je fais partie peut-être de la dernière génération qui encore a ce... cette nostalgie de la culture espagnole. Mais que nos jeunes, sauf s'ils ont vraiment des parents... parce qu'il y a souvent des espagnols qui ont fini pour devenir français et qu'automatiquement les enfants sont français... Je crois que il n'y a plus de jeunes qui s'investissent. C'est pour ça que j'essaye de maintenir encore la culture espagnole par les cours de flamenco, par les cours de langue espagnole, par le repas familial typiquement espagnol qu'on fait... Et ces activités elles sont pour les français aussi ? Ah oui, parce que nous sommes un centre espagnol-français ! Et c'est vrai que les français aiment beaucoup la culture espagnole parce que c'est une culture vivante, joyeuse, toujours de bon humeur, et c'est latin quoi, c'est une langue latine donc automatiquement... c'est un peu comme l'italien. Et donc elles ne s’adressent pas que, disons, aux descendants... non, non, non, elles s'adressent à tout le monde. Et vous avez parmi les gens qui fréquentent les activités des personnes d'origines différentes ? Oui. On a même deux adhérentes d'origine musulmane... Nous de toute façon on a la porte ouverte à tout le monde, c'est un centre qui ouvre la porte, celui qui veut venir, il est bien accueilli. Par contre, quelle est l'histoire de la communauté espagnole à Saint-Priest ? Et l'histoire de votre famille ? C'est plutôt les anciens qui peuvent vous renseigner sur l'histoire de l'Espagne, parce que je vais vous dire honnêtement, même si je suis d'origine espagnole, ma mère était de la Provencia d'Almeria, elle avait six ans quand elle est partie en Algérie. Pour éviter que mon grand-père... parce que tout ce qui était du coté de la Provencia d'Almeria était beaucoup plus proche de l'Afrique du Nord, et pour éviter la pauvreté. Donc moi, ma mère quand elle est arrivée en Algérie elle avait six ans. Et c'était dans les années 30 ? Non, non, ma mère était né en 1907 donc elle est arrivée en Algérie en 1913. Et pourquoi ils sont partis pour l'Algérie ? Parce que à cette époque là il n'y avait pas de travail. C'est pour ça qu'en Algérie, Oran parlait beaucoup espagnol, parce que la plupart des immigrés c'était des espagnols. Et du coup votre famille faisait partie des rapatriés d'Algérie. Voilà. Ils sont des Pieds-noirs, moi je suis une pieds-noir. Mais c'est vrai que mois je suis d'origine espagnole mais ben, on est français d'origine espagnole. On est arrivé à l'indépendance, pendant la guerre d'Algérie. Et votre famille du coup habitait... Saint-Priest ! Oui. Mais dans quel quartier ? Attendez, quand j'étais jeune, donc moi j'ai fréquenté l'école de la gare, puisque quand je suis arrivée d'Algérie j'avais douze ans, et que je suis rentrée au collège, à la gare, et puis au moment où j'ai perdu papa j'avais dix ans. Mon père est resté en Algérie, avec ma mère et mes neuf frères sommes venus en France, on habitait rue Maréchal Leclerc Et c'était une maison ou un grand bâtiment ? Ah non, non, c'était un Hlm ! Mais à cette époque la plupart de mes frères était mariée, donc je suis restée avec mon frère qui est au-dessus que moi, autrement tous les autres frères ils étaient mariée et ils habitaient Saint-Priest. Est-ce qu'il y a des lieux symboliques pour la communauté espagnole à Saint-Priest ? Des lieux symboliques... à part le centre espagnolfrançais... ...il n'y avaient pas de lieux où il y avait des rencontres, des événements sportifs... ? Ici ! Toujours, à l'époque des fondateurs, ils avaient une équipe de football, les majorettes... ah oui oui oui oui oui ! Il y avait des cours de guitare, des cours de flamenco, ils avaient... je vous ai dit des majorettes ? Oui. Ah oui oui oui. Mais c'était à l'époque où en 1976 tous les espagnols sont rentrés en France, où un lieu de rencontre c'était avoir un local et pouvoir se retrouver entre eux et pouvoir discuter de la nostalgie de l'Espagne quoi ! D'ailleurs c'était très important pour eux, à cette époque là. Et d'avoir un lieu où ils pouvaient se rencontrer, voilà. Et par contre, sur Saint-Priest il y avait déjà des espagnols qui s'étaient installés, non ? Il y avait eu des vagues d'immigration d'Espagne. Les rapports entre les espagnols qui venaient d'Algérie et les espagnols qui étaient à SaintPriest mais qui étaient venus d'Espagne, ça s'est passé comment ? Alors là, là je serais pas vous dire, parce que si vous voulez, on ne considère pas les espagnols qui sont partis en Algérie, à l'heure actuelle on ne les considère pas comme des espagnols. C'est comme un espagnol qui va en Espagne, on ne le considère pas maintenant comme un espagnol. D'ailleurs ils se disent eux-mêmes « en Espagne nous sommes des français, et en France nous sommes des espagnols ». Donc, moi qui suis Pieds-noir c'est vrai que, je suis peut-être encore autre chose, vu mon age malgré tout, je suis pas jeune, je suis pas vieille non plus, mais à cette époque là je sais pas comment les « vrais » espagnols acceptaient les Pieds-noirs, parce que après tout on était français aussi. Maman était espagnole mais après s'est fait naturaliser française. Donc, je pense que... c'est dur parce que vous m'enregistrez. Je peux arrêter. J'ai arrêté l'enregistrement et je l'ai repris ensuite. Depuis que je suis au centre espagnol, je me sens espagnol-française. Et j'aime ce centre. Et puis j'aime que les personnes qui viennent se sentent à l'aise et ils sont très heureux. Ils sont très heureux qu'ils viennent et puis on a de plus en plus d'adhérents qui s'inscrivent. Parce que c'est la joie de vivre. Parce que il y a des gens ici qui viennent passer un petit moment parce qu'ils sont des personnes, soit ils sont veuves, sont leurs femmes sont en maladie et que venir ici passer un petit moment, après ils rentrent chez eux et ils sont heureux. Et c'est ce qui me fait moi, que je suis contente de faire plaisir à ces gens là. Il y a combien d'adhérents en ce moment ? Ça dépend, si je prend en familles, actuellement on en a 195. Maintenant si on parle en hommes, si vous multipliez par deux, ça fait presque 400. Et c'est vrai que de plus en plus quand les gens qui ne connaissent pas, c'est une ambiance bonne famille, c'est la famille ! Qui se réunit autour d'une paella, d'une salsuela et puis on fait des repas francoespagnols. Aussi bien espagnols que français. Comment vous avez vécu le déménagement1 ? Et est-ce que celui-ci est un emplacement définitif ? Oui, moi j’espère ! C'est-à-dire que là où nous étions avant, c'est un bâtiment qui va être détruit, et c'est vrai que Mme le Maire nous avait promis, elle a maintenu sa promesse, on est bien, on est content, c'est tout beau c'est tout neuf. Et là on va recréer des activités, on va essayer de faire venir un enseignant d'espagnol pour le mois de septembre, et on fait des expositions, des conférences. Vous ne vous sentez pas un peu éloignés de la ville ? Non, parce qu'on a pris l'habitude. Et puis ben c'est vrai qu'au début il faut s'adapter. Mais attendez, on va pas rechigner devant un local dont beaucoup d'associations nous envient. On est chez nous ici. Regardez, vous avez le drapeau français et le drapeau espagnol. Et le drapeau européen aussi, il faudrait que je le mette. Est-ce qu'il y a des adhérents qui ont été relogés ? C'est vrai que je ne rentre pas dans la vie intime de mes adhérents. Il y a de la confidentialité hein, les adhérents viennent là, ils me racontent leurs peines, leurs joies mais ils vont pas... c'est un peu normal, chacun a sa vie privée. 1 Le centre hispano-français s'est transferé de son siège historique, en centre-ville, car le préfabriqué qui l'hébérgeait sera démoli dans le cadre de l'Oru, à un nouveau préfabriqué au-délà de la rue Aristide Briand (route d'Heyrieux). Mais vous en tant qu'association vous êtes contents du nouvel emplacement. Oui, bien sûr. Écoutez, c'est bien simple, quand on va au vieux centre et qu'on revient ici, on a dit mais comment on a fait pour être resté aussi longtemps dans ce centre là. Il n'y a rien de comparable. C'est déjà plus grand, c'était trop petit. C'est vrai que là c'est l'idéal... on est chez nous. Maintenant pour ce qui est de l'histoire de l'Espagne, je ne saurais pas d'une grande utilité... Je parlais plutôt de l'histoire des espagnols à Saint-Priest. Là, il aurait fallu rencontrer des personnes... Ils sont très bien intégrés en France, d'ailleurs quand vous leur dites « ça vous dirait pas de repartir en Espagne », ils vous répondent « c'est la France qui m'a accueilli ». Donc ils ont reconnaissance envers la France. L'enregistrement est coupé de nouveau et repris ensuite. Quand nous sommes arrivés d'Algérie il y avait que les Bellevues et encore, c'était même pas des Hlm, c'était des copropriétés. Après nous on est allé rue Maréchal Leclerc mais c'était des Hlm 2. Après il y a eu Diderot. Les Alpes c'était des copropriétés, c'était pas pour les Pieds-noirs, par contre il y a eu les Diderot, et il y a eu avenue Jean Jaurès aussi, les barres qu'ils ont détruites d'ailleurs. Et Diderot c'était des Hlm. Oui. Pour... les Pieds-noirs. Oui. Nous, c'était Bellevue et tout ce qui est Diderot. C'est des bâtiments qui ont été construits quand les Pieds-noirs sont arrivés. Parce que nous quand on est arrivé d'Algérie, on n'a pas été bien reçus dans les appartements non plus, hein. Moi j'ai dormi à la Cordière, on était parqué dans des grandes salles, chaque famille séparée avec des paravents et tout ça... Ça a duré combien de temps ? Deux ou trois mois... nous quand on est arrivé on est atterri à Toulouse on était quinze dans une pièce. Après on est arrivé à Saint-Priest, donc c'est là où mon frère a eu un appartement après il nous a fait venir... c'était les Bellevue. Les premiers, ça a été les Bellevues, après il y a eu le bâtiment du stade, il y a eu les Diderot, et puis après SaintPriest s'est agrandie. Il y a eu plus d'écoles, plus de collèges... Vous voulez commencer par vous présenter, dire comment vous êtes arrivé à Saint-Priest... Je m'appelle Guy Laurent et mes parents sont arrivés en 1947 à Saint-Priest, après la guerre, mon père était ancien prisonnier et il a monté un commerce de cycles. Il n'y avait pas le motos, dans ces années là il n'y avait plus rien, après la guerre et il a commencé à assembler et fabriquer des châssis de bicyclette, assembler des bicyclettes pour les vendre, il était installé route d'Heyrieux avec un petit magasin il était très ambitieux mon père, il a acheté le terrain où on se trouve ici place Roger Salengro en 1950 et il a construit le magasin où on est en ce moment en 1952 et à ce moment là commençait des cyclomoteurs vendus par SaintEtienne. Saint-Etienne était le berceau du deux roues tout un tas de fabricants français qui se trouvaient à Saint-Etienne issus de la manufacture de Saint-Etienne armes et cycles et donc la région lyonnaise et stéphanoise étaient des gros faiseurs des gros fabricants, plein de petites entreprises qui fabriquaient des deux roues, cycles, cyclomoteurs voir motos des petites marques qui ont disparu. Et votre père les revendait. Il vendait ça. Pour qui en fait ? Les ouvriers ? Justement, c'était un petit peu l'engin de l'ouvrier parce que la mobylette, comme on l'appelle vulgairement, c'était l'engin pour aller travailler aux usines Berliet avant que ce soit Renault industriel et donc les gens allaient en bicyclette voire en petit cyclomoteur qu'on appelait la mobylette à l'époque, qui n'était pas très chère et avant ça, j'ai brûlé une étape. Il y avait aussi les motos, [dans les années] 52, 54 et après la moto s'est arrêtée dans les années 57-58 parce que il y avait pas mal d'accidents, des tués, des blessés parce que le casque n'était pas obligatoire sur les deux roues. Dès qu'ils ont mis le casque obligatoire ça c'était pas un gros problème mais ils ont mis assurance obligatoire et l'assurance coûtait plus chère que la moto ! Donc à l'époque la moto coûtait 500 Francs et l'assurance coûtait 600 Francs. Donc la moto a été anéantie en deux-trois ans dans les années 54-55-56 et tous les petits fabricants français Peugeot Motobécane Folis ont basculé. Après ça a repris. Et peut-être c'est vous qui arrivez ? Alors, la voiture est arrivée, la quatre chevaux les voitures françaises, la deux chevaux tout ça. Les Guy Laurent gens, les jeunes roulaient la-dessus, donc il y a eu, Vendredi 11 mai, au magasin de motos en pour reparler encore de notre profession, la place Salengro. mobylette. C'était le petit cyclomoteur à pédales qu'on vendait pour les gens pour aller au travail, 2 Il s'agit des Logements Populaires pour les Familles pas de besoin de permis, ça allait très bien. Et dans les années 67-68 les japonais commençaient à (Lopofa). arriver en Europe avec des motos exceptionnelles, les japonais étaient très innovants dans leur fabrication, ils sont arrivés aux marchés européens et moi j'ai commencé donc à travailler en 67-68, j'étais déjà dans l'entreprise mais commencer à rouler avec ce genre de motos, avec une Yamaha déjà à l'époque. On a pris la marque Suzuki au départ après on a pris la marque Yamaha, maintenant on est exclusif Yamaha depuis quinze ans, on a un secteur pour distribuer la marque. Et du coup vous avez pris la place de votre père dans la gestion du magasin. J'ai pris la succession de mes parents et maintenant depuis quatre ans mes enfants, ma fille et mon garçon ont pris la succession de moi, c'est troisième génération qui vendons des deux roues. Moi je suis là encore un peu pour les aider pour des conseils de commande mais c'est plus moi qui suis le patron ! Et du coup si vos fils ont pris le relais cette activité a de l'avenir. Exactement. Vous habitez Saint-Priest ? Non. J'habite Saint-Pierre de Chandieu. Mes parents habitaient au-dessus du magasin, j'ai perdu ma maman il y a six mois. Et donc moi j'ai vécu longtemps ici ma jeunesse et maintenant j'habite Saint-Pierre de Chandieu ainsi que mes enfants. Donc vous avez habité Saint-Priest pour combien de temps ? Pendant 25 ans. Puis je me suis marié... mettons 30 ans. Entre quelles années ? 1950 et 1980. Est-ce qu'il y a des lieux auxquels vous êtes rattaché de façon affective ? Oui, on va parler de l'école. J'ai été écolier au groupe scolaire des Quatre Chemins comment on l'appelle, j'ai vu construire ce groupe scolaire dans les années 50-52 et j'ai fait toute mon école la maternelle, jusqu'avant d'aller en sixième, après mes parents m'ont mis en pensionnat à la Tour du Pin parce qu'ils n'avaient pas le temps de s'occuper de moi mais j'ai encore un grand souvenir de l'école qui est encore le groupe scolaire Edouard Herriot, qui était le maire de Lyon qui avait inauguré cette école que j'ai vue construire. On était deux-trois cents enfants qui étaient à l'école, il y avait beaucoup d'ouvriers des usines Berliet et des usines Maréchal et tous ces gens étaient souvent des familles nombreuses, on va dire trois, quatre, cinq enfants et j'ai encore des contacts avec des vieilles familles de Saint-Priest qui étaient à l'école avec moi et que je revois ces gens là et que on relate un peu les souvenirs d'école d'ici, qu'on avait un maître d'école Monsieur Renault et qui nous tapait sur les doigts en mettant les doigts serrés avec sa règle ou sur la tête, il nous tapait avec sa règle en bois, et qu'on disait surtout rien aux parents parce que si on disait aux parents il nous mettait encore une correction aux parents que... voilà. Est-ce qu'il y a des endroits de Saint-Priest où vous vous sentez plutôt à l'aise ou mal à l'aise ? À l'aise, c'est ces endroits publics comme ça, où il y a la maison du peuple, qui maintenant s'appelle la salle Théo Argence je crois, que là quand on avait 16-17-18 ans il y avait un bal, il y avait au moins deux, trois bals et là ça se finissait toujours en bagarre parce que s'il y avait à l'époque des blousons noirs... ça me rappelle des très bons souvenirs. Par contre, ça me fait un peu mal au cœur mais j'ai connu... on va citer le groupe Bellevue qui était avant la campagne et tout ça au début il y a eu des ouvriers, immigrés entre portugais, italiens, espagnols, des gens très bien. Ben, maintenant il y a d'autres occupants que ils ont un peu dénaturé cet endroit, qui était assez convivial, par leur façon de faire. Dénaturé, dans quel sens ? L'environnement est malsain... ils font des groupes de rencontre comme ça, puis ils s’accaparent un petit peu des lieux que nous on a... on est mal à l'aise quand on traverse ces lieux là et puis c'est mal entretenu, les allées sont sales des fois, les allées, les portes en fer sont déglinguées... Vous parlez du quartier Bellevue. Bellevue, qui va être rénové, je crois. Voilà, ça aurait pu être un... Heureusement que la mairie au milieu de tout ça qui relève un peu le ton, mais ben, j'en doute que la mairie va faire peut-être quelque chose pour rénover, qu'on puisse un peu se balader tranquillement. Du coup vous ne fréquentez pas beaucoup... ...pas beaucoup, parce que, j'ai rien contre tous ces gens là, mais quand je vais à la poste3, avec ma moto, j'ai peur qu'on vole la moto devant la poste. Vous voyez ce que je veux dire ? Je suis pas comme dans un village, qu'on se baladerait comme ça, « hop, bonjour, mâchant »... non, moi personnellement je suis mal à l'aise. J'aimerais avoir un esprit de balade tranquille sur le trottoir pour flâner comme ça et je pense qu'il y a une coupure entre ce quartier qui est pas loin et là-bas, il y a une espèce de frontière... hop, on arrive on est dans un quartier où il faut faire attention à ne pas se faire voler quelque chose. C'est une impression, ben. 3 La poste se trouve dans le même îlot que la mairie, place Ottina. Si vous deviez identifier des éléments qui font cette barrière là, qu'est-ce que ce serait ? C'est-à-dire. Il faudrait des bancs. Des bancs, des choses comme ça, de la végétation qui, entre cette place qui va être rénovée et là-bas, qu'il y ait pas cette barrière que cette place [place Salengro], qu'ils vont refaire, elle continue jusqu'au centre, qu'il y ait pas au milieu cette espèce de quartier... voilà. Avec quelques commerces, pourquoi pas, qu'il y ait pas que du bâtiment locatif, qu'il y ait un peu de commerces et puis... là [il indique la place], c'est un coin tranquille, on est bien il y a des commerces et tout ça, les gens sont sur la place et dès qu'on passe... ah. Il y a 500 mètres, après on arrive à un endroit... vous avez vu quand-même. Quand vous dites « on passe quelque chose », est-ce qu'il y a un magasin, une rue, un élément physique que vous identifiez pour dire : ah, ... ...à partir de la cordonnerie, à partir de là, il y a Century 21, le marchand de biens et là hop, il y a une espèce de barrière et ça dure, ça dure pas longtemps, ça dure deux-cent mètres, et là... puis si on s’enfile un peu dans les petites impasses... voilà. C'est dommage, parce qu'il y a ce centre ville et la place là et il y a cet endroit qui dure pas très longtemps qui... ce serait pas grand chose, de modifier tout ça. Est-ce que vous vous baladez jamais à SaintPriest, vous venez passer votre temps libre ? Non, je suis au travail. Honnêtement, ma femme va au cinéma, elle me le dit : « le cinéma, est très peu fréquenté ». Elle est allée voir un très beau film qui sortait, en première, il y avait deux personnes dans la salle. C'est quand-même incroyable, elle a dit, l'ambiance était très froide. Et vous parliez avant, vous aimeriez avoir des trottoirs, des endroits où on peut peut-être dire bonjour à quelqu'un dans la rue. Est-ce que vous reconnaissez ce type d'endroit à SaintPriest ? Au village. On y est bien. Et pourquoi on y est bien ? Ça fait plus village, il y a des commerces anciens, des petites boutiques tout ça, c'est vivant c'est familial. Il y a une petite ambiance sympa, c'est bien fréquenté, tout ça. À la fin de l'interview, il a ajouté : « c'est bien de demander aux gens pour donner des idées, ça va faire avancer la ville dans le bon sens ». Le magasin en 1947 en rue Aristide Briand. Source : Guy Laurent. Omar Askratni4 Pour commencer je te demanderais de te présenter. Vendredi 11 mai, à la salle municipale Le Omar Askratni, 35 ans, j'habite à Saint-Priest et j'ai Concorde, avenue de la gare. toujours habité à Saint-Priest. Je suis né à SaintPriest. 4 Nous nous excusons avec l'intéressé pour le mauvais Et ta famille ça fait longtemps qu'elle est à Saint-Priest ? ortographe. Oui. Depuis toujours en fait. Excuse-moi, est-ce que tu as des origines françaises ou... ...algériennes. D'accord, donc ils se sont installés à SaintPriest. Oui, en quelle année je sais pas trop, en 67 ou 68. Et ta famille ils étaient des Pieds-noirs ? Non, non des algériens. Donc tu as grandi ici, tu as fait l'école à SaintPriest. J'ai grandi à la clinique Pasteur, à Bel Air, maintenant elle est détruite. Ils ont construit la nouvelle clinique vers le Parc Technologique. J'étais à l'école Hector Berlioz en maternelle, puisque j'habitais l'avenue de la Gare. Après on a déménagé et j'étais à l'école Edouard Herriot, j'ai fait ma primaire ici, maintenant je suis gardien dans cette école. Et après le collège, j'étais au collège Colette. Donc tu travailles comme gardien de cette salle. De la salle Concorde, en même temps je suis gardien du groupe scolaire Edouard Herriot. Tu as fait un grand souris quand tu as dit que tu es gardien, parce que... ...parce que j'y étais à l'école quand j'étais petit. Et donc ça te fait plaisir d'y travailler. C'est marrant. Tu habites où ? Rue Louis Loucheur, à coté de la place du marché [place Salengro]. Dans les Hbm ? C'est Hlm, c'est juste derrière ce dont tu parles, les Hbm. C'est une grande barre. Est-ce qu'il y a des lieux auxquels tu es rattaché d'une manière affective, positive, à Saint-Priest ? La rue de l'industrie, le quartier où j'ai grandi. Les lieux où tu as des bons souvenirs... ...bons souvenirs, il y a le Fort de Saint-Priest. Puis surtout l'endroit où j'ai grandi. Ou des mauvais souvenirs, peut-être ? Le feu d'artifices au château. J'ai ramassé un pétard dans l'oreille et depuis j'y suis jamais retourné. Tu avais quelle age ? Je devais avoir quatorze ans. Est-ce qu'il y a des lieux où tu te sens à l'aise ou mal à l'aise, à Saint-Priest ? Des lieux où tu aimes bien y aller, peut-être pour te promener, faire des activités, où tu as le plaisir d'y aller ? Oui, j'aime bien aller au Fort. Et dans le centre ville ? Il n'y a pas vraiment de parcs ou de loisirs au centre-ville. C'est pour prendre à la rigueur le tramway pour aller sur Lyon. Et au contraire, des endroits où tu ne te sens pas bien, où tu n'aime pas trop rester... Non. Et tu habites dans une barre. Est-ce qu'il y a des espaces communs ? Il y a un terrain de boules, un petit parc avec des bancs, il y a de la verdure. Et est-ce que tu fréquentes ces lieux là ? Non, parce que je travaille, c'est plus les gens qui ont des enfants, ou ceux sortent leur chien. Et les personnes que tu fréquentes c'est plutôt de Saint-Priest ou pas ? C'est des gens avec qui j'étais à l'école, que j'ai fréquenté à l'école, on était dans les mêmes classes et on est resté en contact jusqu'à maintenant. Et ils habitent le même quartier que toi, ils ont bougé... ? Non, il y en a qui ont déménagé, il y en a qui n'habitent plus sur Saint-Priest, qui sont restés sur Lyon, mais sont partis de Saint-Priest. Et puis il y en a beaucoup qui sont restés sur Saint-Priest. Est-ce qu'ils habitent au même endroit plus ou moins ? Maintenant c'est tous des gens qui ont pris un logement, donc forcement ils ont déménagé, ils ont quitté la maison familiale, ils habitent plus avec les parents, donc il y a des célibataires qui vivent tous seuls qui ont pris un appartement et puis il y en a qui se sont mariés. Et quand on dit centre-ville à Saint-Priest, pour toi qu'est-ce que c'est ? Centre-ville, la mairie, la médiathèque, le cinéma, le tramway. À la fin de l'interview, il nous a fait visiter la « loge du gardien », une petite salle de détente aménagée avec canapé, télé, kitchenette, au-dessus de la salle de fêtes. Moustafa Dimanche 13 mai, à salle municipale Mosaïque, rue Aristide Briand, lors d'un videgrenier. Tu veux commencer par te présenter ? Dire ton nom, ton age, comment tu es arrivé à Saint-Priest... Je suis né à Lyon IIème mais je suis de Saint-Priest. T'as vécu... ...toute ma vie à Saint-Priest. Depuis que je suis né. Et ta famille par contre... ...de Saint-Priest aussi. Enfin, mes parents que sont vénus sont vénus vers Oullins mais autrement aux années 65 qu'ils monté les Alpes, ils étaient là-bas. Moi je suis né en 71, dix janvier 71. Et ta famille a des origines françaises ou d'un autre pays ? Algériennes. De Batna, la région de Batna. N'Gaous exactement. D'accord, je connais pas la géographie de l'Algérie. C'est pas la Kabylie ? Non. C'est dans l'Est algérien. Et alors, tu as habité aux Alpes. Toute ma jeunesse. Jusqu'à quelle age ? 14 ans. Et après tu as vécus dans quels quartiers ? Après je suis parti vers la gare. Après je suis parti à Diderot. Après je suis parti à Bel Air. T'as bougé. Oui, j'ai fait beaucoup de quartiers. Et pourquoi ? Jusqu'à 14 les Alpes, puis on est parti avec la famille, on a eu un appartement à la gare, un peu meilleur et après... la famille s'est agrandie donc on est parti à Diderot. Après j'étais grand et après... je suis parti me marier ! Donc je suis parti à Bel Air et après Bel Air je suis atterri dans une maison ici, j'ai trouvé une maison ici. Donc tu n'as pas été touché par les relogements qu'il y a eu. Non, moi non. Et cette nouvelle maison est une maison plutôt individuelle. Exactement. Comment tu as découvert cette maison ? Après Bel Air, avec ma famille on habitait à Bellevue. Donc, j'ai acheté à Bellevue. Après quand je venais de Bellevue jusqu'ici, la salle Mosaïque, au travail, sur ma route il y a la maison. Et tu passais à coté tous les jours. Je passe tous les jours à coté, j'ai vu, elle était en travaux, ceci, cela... et puis un jour elle était en vente. Et tu l'as achetée ? Et après m'intéressait, en plus elle était sur internet, et puis après j'ai pu l'acheter. J'ai vu qu'il y a des travaux maintenant, tu fais des travaux. Je finie les travaux que la personne avait déjà commencés. Donc elle était déjà bâtie la maison. Oui. Et donc c'est des travaux de... ...finition. Parce que la personne en fait elle a agrandie la maison. Moi je finie ce qu'elle a fait. Par contre, c'est une maison individuelle et toi, d'après ce que j'ai compris, avant tu as vécu dans de l'habitat collectif. Donc pour toi, pour ta famille ça va être un changement d'habitat. Pourquoi vous avez choisi d'aller dans une maison individuelle, plutôt que... Mon rêve à moi, c'était d'habiter dans une maison. Et pourquoi ? Dans une maison on fait ce qu'on veut, c'est plus libre. Tu fais un barbecue tranquille, les enfants sont dehors, sont tranquilles, il y a beaucoup de circonstances qui ont fait que... ...tu préférais ce type de... ...je préfère ce type de... de vie, voilà. Ce type de vie, c'est meilleur. Est-ce que tu connais les nouveaux voisins que tu vas avoir ? Oui, je connais les voisins, oui. Un voisin je le connaissais avant, et à coté, je l'ai connu comme ça. Et donc pour vous, ça va changer un peu, au niveau des voisins, des connaissances que vous avez. Voilà. En plus, même on peut faire jardinage. Tu aimes bien. J'aime bien planter les fleurs, les légumes, tout ça. J'aime bien... bricoler, c'est sympa. Donc avoir de l'espace... Voilà, avoir ma petite maisonnette pour poser tous mes outils, que j'avais pas dans l'appartement. L'appartement tu peux pas poser tous les outils, c'est pas grand grand. Et ta famille aussi, ils étaient d'accord avec ce changement. Ah, oui. Et tu as des enfants ? Oui, quatre enfants. Et eux ils sont contents d'aller dans une maison ? Oui, il sont contents. Même s'ils vont peut-être quitter les amis qu'ils ont ? Mais les amis viennent à la maison, dorment à la maison, c'est pas loin. Parce que en ce moment tu habites encore à Bel Air ? Non, non j'habite à la maison maintenant ! Ça fait un moment. Depuis ? Ça fait deux ans. Ah. Et donc tu as commencé à faire ces activités, jardinage, bricolage... ? Oui, oui, l'année dernière j'avais les tomates, j'avais les oignons, j'avais tout. C'est pas mal ça. Là, j'ai encore cultivé... Puis j'ai des questions sur les lieux de SaintPriest. Est-ce qu'il y a des lieux auxquels tu es rattaché au niveau affectif ? Si tu as des souvenirs peut-être... C'est les Alpes. Et quel type de rattachement tu as aux Alpes ? Avant, les Alpes, ça n'a rien à voir avec comment c'était après, quand je suis parti. C'est-à-dire ? L'ambiance. L'ambiance famille, tout le monde là, c'était la famille. Très sympathique. Très familial. Il y avait beaucoup de connaissances entre voisins ? Avec les voisins, c'était une vie... une vie ! Une grande vie familiale, c'était une grande famille. Tu vois, c'est comme dans les villages, ils se connaissent tous. Il y avait aussi de la solidarité ? Voilà, aussi, solidarité tout ça. Et après ça a changé ? Après ça a changé ! Il y avait des parkings à l'intérieur des Alpes, ils ont coupé les parkings ils ont fait juste des jeux... tu sais, ça a tout changé. C'était pas pareil avant. Ça a changé en mieux ou en pire ? Moi, franchement c'est en pire, moi j'étais mieux avant. Et pourquoi ? L'ambiance, c'était pas pareil. Il n'y avait plus cette ambiance familiale ? Plus, c'était terminé. Après c'était chacun pour soi. Même quand j'ai déménagé après, j'ai vu, c'était chacun pour soi. Et cela, après des travaux de réhabilitation ? Non non non, ça est venu après. Mais quand tu dis, avant il y avait cette ambiance positive, et après plus, c'est avant quoi et après quoi ? Qu'est-ce qu'il est arrivé qui a fait changer cette ambiance ? Quand moi je suis parti, il y a eu aussi d'autres personnes qui sont parties. Commençaient à partir déjà. Il y a d'autres qui sont venus qu'on ne connaissait pas, qui n'avaient pas cette mentalité. Parce que au début, quand tes parents ont emménagé là-bas, tous, ils avaient emménagé au même moment, c'est ça ? Voilà, donc ils ont appris à se connaître tous au même moment. Après, à un moment donné, au bout d'une dizaine d'années, diz-quinze, il y en a qui veulent acheter une maison là-bas, l'autre veut ça, donc après ça s'éparpille, donc il y a plus les gens que tu connaissais, que t'as tissé des liens avec eux, c'est terminé. Ils sont partis loin, c'est plus pareil avec les nouveaux qui arrivent, c'est plus pareil l'ambiance. Et dans les autres quartier où tu as vécus, estce que tu as retrouvé cette ambiance là ? Non non. Après quand t'arrives, le temps il avance il avance il avance, c'est fini la solidarité. Même maintenant. Et aujourd'hui, si tu devais dire... ...il n'y a pas de solidarité. Chacun pour soi. Chacun est chez lui il s'occupe même pas du voisin. Celui qui dit le contraire est un menteur. Tu peux faire des exemples, quand tu dis chacun pour soi, pour expliquer ça ? Je sais pas, moi j'ai des amis les personnes habitent quatrième étage, le voisin habite à coté il se fait cambrioler il n'y a personne... pourtant quand on cambriole, on entend le bruit. Il n'y a personne qui voit à coté qu'ils cambriolent, en pleine journée ! Les gens se font agresser, il n'y a personne qui vient, donne un coup de main. Ils laissent faire, chacun est pour soi. Tant que ce n'est pas moi qu'on m'a touché... À Saint-Priest, est-ce qu'il y a des lieux, des endroits où tu te sens à l'aise ? Des endroits particuliers où tu te sens bien, que tu aimes y aller, passer ton temps ? Je vais à des snacks, j'aime bien où il y a des amis que je connais. Est-ce qu'il y a des endroits qui te mettent mal à l'aise ? Où tu n'aimes pas passer, tu n'aimes pas rester ? Non. À Saint-Priest c'est sympa, c'est une ville sympa. Il n'y a plus la même solidarité mais ben, c'est sympathique la ville. Dans te connaissances, les personnes que tu fréquentes, est-ce qu'il y a une majorité qui habite un quartier précis ? De partout moi, c'est mélangé. Ils sont tous éparpillés, ils sont tous partis à droite et à gauche, à Oullins à Lyon, un peu partout. Donc on se revoit dans les kebabs à droite à gauche. Eric Laellée Mardi 15 mai, à la salle municipale Mosaïque. La première fois qu'on s'est connu, quand je me suis présenté, il a dit par rapport à mon travail : « tu fais remonter des trucs positifs ». Tu peux commencer à te présenter. Je suis Laellée Eric, je suis né en 1966 j'ai 46 ans et ça fait quand-même 43 ans de Saint-Priest. Je suis arrivé à l'âge de trois ans ici. Et ta famille pourquoi ils ont déménagé à Saint-Priest ? Je suis natif du Tarn, le 81, mon père a été mineur et comme la mine avait fermé il a cherché autre chose il est venu là en tant que cheminots. Il a trouvé le travail de train là à Venissieux, on appelle ça un roulant, il conduisait des trains. En 1969 on est venu habiter, on habitait rue Diderot. Dans les Hlm ? lycée, Bel Air 3 parce que c'est un centre où Oui, tout à fait. C'est une des barres qu'ils justement il y a la piscine, il y a les terrains, le Fort, ont pas détruit, qui tombent pas, qui restent en ça fait un peu campagne, c'est pas que du béton, place5. J'ai passé mon enfance là-bas, c'était génial. on voit beaucoup de verdure. Donc tu passais ton temps libre ? Du coup t'as grandi à Saint-Priest... Oui oui oui, toute mon enfance, grandi, appris. Après plus tard on a déménagé sur la Croix Rousse à Lyon. Pas longtemps, après on est revenu parce que les parents ont acheté une maison à Saint-Priest encore, après ils ont divorcé et puis ma maman s'est retrouvée avenue Jean Jaurès, à coté de Diderot, on est revenu dans le quartier et voilà, j'ai fait carrément toute ma vie à Saint-Priest. On allait là-bas, avec les copains, on jouait au ballon dans le fort, c'était génial. Et l'avenue Jean Jaurès, que j'adore, qu'on faisait à pied, j'ai dû faire des millions de kilomètres, allée retour parce que rien que pour promener sur cette avenue, qui montait directement au château, et ça faisait princier. Et, il y a le village. Le vieux village de Saint-Priest, qui fait partie de mon enfance aussi. Parce que tu avais des copains dans cet Et entre temps tu étais sorti de la endroit ? maison ? Oui, on avait fait un petit groupe, on était Non, je suis sorti tard, très tard. On est bien dans les jupes de maman [rie]. J'ai fait mon armée à cinq six, on allait boire un petit coup là-bas, on Toulon, à l'âge de 18 ans, je suis revenu, je suis festoyait on buvait une petit bière en terrasse, on se resté un petit peu et puis je me suis mis en ménage racontait notre journée... les copines, on avec une copine, je suis parti de la maison, j'avais rencontrait des copines. Quartier des Ormes aussi, 19-20 ans. On a eu un petit bébé et puis voilà, j'ai qui est juste là, où comme c'était beaucoup de bâtiment, donc obligatoirement : beaucoup de quatre enfants. bâtiment, beaucoup de gens, donc beaucoup de Toujours à Saint-Priest. gens beaucoup de filles, beaucoup de filles Non non, là je suis à Saint-Pierre de beaucoup de garçons [rie]. C'est des endroits Chandieu. Mais avec ma femme on a été à Miribel. comme ça qui me marquent, après centre-ville, j'y Moi je suis revenu après, on a attrapé un étais pas trop attaché, puisque c'est plus rural quoi, appartement à Saint-Priest, on est revenu, parce moi je suis plus proche de campagne, que de... qu'on vivait chez son frère, le temps de se mettre... Et quand tu dis centre-ville, qu'est-ce quand on a pu se prendre un appartement à Saint- que tu entend ? Priest, on est revenu. Ça s'appelle Le Petit Bois, Là. L'Hôtel de ville. C'était pas intéressant. Avenue de la Gare et là je suis resté très longtemps. Tu passais pas par là. D'accord. Moi j'ai des questions sur les lieux et un peu ta connaissance de Saint-priest, non pas les rues et le sens de l'orientation mais plutôt, par exemple, si tu as des liens affectifs avec certains lieux, des lieux auxquels tu es rattaché particulièrement. On y passait, on y allait, mais pour traverser pour aller au marché, parce que le marché, la place du marché [place Salengro] j'aimais bien. Là c'était génial, on voit du monde, connaissances, commerçants. Oui oui. Il y a toujours cette rue Diderot, qui fait partie de mon enfance ; j'ai du coté des Garennes, qui est plus vers Gérard Philippe là-bas, c'est là où ils ont fait toutes les nouvelles maisons, j'aime bien cet endroit, Bel Air 3, c'est plutôt vers la piscine, j'ai fait des bons trucs là-bas, le château. Donc si tu devais dire un lieu qui te met à l'aise à Saint-Priest, un lieu où tu aimes bien rester. Et pourquoi tu es lié à ces lieux ? Je vois le château de Saint-Priest, mais en même temps je suis plus pour le Fort de SaintPriest. Et pourquoi ? Alors Diderot, c'est pour mon enfance, tout Parce que il y a énormément de verdure, il y petit, les Garennes c'est parce que j'ai fait mon a un parcours de petit cross qui est intéressant même à pieds, on n'est pas obligé de courir, on 5 L'interviewé n'était pas au courant que aussi le bâtiment de rue Diderot, où il avait habité, va être démoli. Quand peut marcher. Moi je trouvais ça super, et puis dans je lui ai dit cela, il a réagi en disant « Déjà pour les le même truc tu te rend comptes qu'il n'y a pas bâtiments d'avenue Jean Jaurès, ça a été un chagrin, mais tellement de gens qui font... il y a beaucoup, mais là, tu m'as blessé ». on n'est pas surpeuplé, on n'est pas débordé, on Je dirais pas ça, parce que j'ai jamais eu n'est pas embêté, c'est la tranquillité qu'on d'altercations avec qui que ce soit mais... plus recherche quand on veut se balader et mâchant, souriant, oui. quand tu as plein de monde autour de toi c'est pas Tu as quand-même cette sensation. possible. Tout à fait, oui. En plus c'est plus ou moins Et quand tu habitais à Saint-Priest, tu logique, parce que le centre-ville c'est plus pour allais jamais te promener, le samedi après- aller à la mairie, pour des papiers... faire certaines midi, le dimanche ? choses quotidiennes donc t'as jamais bien le Si, au Parc de la Tête d'Or, à Lyon, où mes sourire. C'est pas du plaisir. Quand on monte au parents m'amenaient, on allait au bord de l'eau. village, on sait on va se mettre sur le bord d'une C'est vrai qu'on sortait souvent de Saint-Priest. terrasse, même sur un banc, sans aller à un bar ou Et par contre au centre-ville, où il y a un quoi que ce soit et là, tu respires quoi, voilà. Mais le mot village, « age » c'est très important. peu les magasins aussi ? Non. Il n'y avait rien de spécial en fait. À part si t'avais un objectif fixe, je vais acheter des lunettes, t'avais le marchand de lunettes ; un costume, je me souviens d'un bagage, le bar tabac, les petites brasseries mais sans plus, parce qu'on n'était pas consommateurs... on n'était pas bien riche non plus. Mais tu peux expliquer mieux, pourquoi c'est très important ? peux t'arrêter t'asseoir mais ben, pour quoi faire. Moi j'aime bien m'arrêter, c'est pour faire quelque chose, pour respirer... tu peux respirer bien sûr, j'ai pas dit que c'est étouffant mais... il n'y a pas de choses qui t'arrêtent. Tu vois, que tu t’assoit sur un pont, par exemple, avec un fleuve, tu t'assoit là, tu sais que tu as devant les yeux, c'est excellent. Et là, à part les voitures... C'est pareil, je mettrais dans le village. Bellecour c'est là où les gens se promènent on voit que les gens ils sourient, de toute façon tu vois ça au climat des gens, c'est sur leur visage tu vois tout de suite s'ils sont pas bien, ou si tout est bien. Donc tu t'arrêtes, parce que tu vois les gens sourire, parce que tu vois les filles, elles sont belles... tu vois, je veux dire, c'est une balade Déjà ma ville natale, qui était un village qui est devenu une grande ville, Carmaux, qui était une des villes minières de France, c'était pareil, tu me parles de ma ville, je t'en ferais un village, parce qu'on avait toujours un endroit où aller, une grande Est-ce qu'il y a un endroit à Saint-Priest place où les gens, on avait cette sensation qu'on qui te met mal à l'aise, où tu n'aimes pas venait se... se vider. Sortir tout le mauvais qu'on avait en nous. Que la ville non, la ville ça stresse. passer ou rester, que tu préfères éviter ? Et donc Lyon aussi, le centre-ville de Un endroit où j'ai jamais vraiment mis les Lyon, je pense à Bellecour... pieds, j'ai encore envie de dire centre-ville. Si, tu Et par contre au village... Par contre, c'est sur-dimensionné. On peut pas mettre Saint-Priest, village, et puis Bellecour. ... ah, voilà, par contre... Mais voilà, c'est ça. Lyon pareil, il y a certains trucs ...au village, ce n'est pas comme le Fort, à Lyon que je n'irais pas. Et là c'est pareil. C'est parce que le Fort c'est à contact avec la nature, grand Saint-Priest hein, c'est immense. Mais ben c'est là où j'ai atterri, j'ai fait tous mes copains, tout à fait toutes mes copines... le village, ce n'est pas à contact avec la Et dans tes connaissances, tes verdure et tout ça, et par contre tu dis que tu fréquentations, ils sont originaires... aimes bien te balader, te promener, pourquoi ? ...de tout. Arméniens, algériens, Fatih il était Parce que c'est confiné, c'est moins vaste. du Maroc. Il n'y a pas de différences là. C'est le vieux village. Le mot village il a une importance dans ce que je dis. Village. Après Mais ils habitent plutôt Saint-Priest. quand tu dis ville, c'est autre chose. Mais quand tu À l'époque je te parle. Mes copains d'avant dis village, oh, tu respires. La gentillesse, les c'était de toute nationalité et c'était vraiment génial. promenades, les gens qui marchent... Je voulais dire, l'endroit où ils habitaient. Au village les gens sont plus gentilles qu'au centre-ville ? Saint-Priest. Et dans Saint-Priest, est-ce habitaient un quartier particulier ? qu'ils je me souviens on jetait des cailloux pour que les noix tombent, on mangeait les noix blanches. C'est Là où j'habitais, Diderot, Jean Jaurès, c'était un bon quartier là, pour moi. toujours confiné, j'avais des copains extérieurs qui Et tu restais beaucoup dans les alentours de la venaient... j'en avait mais on allait plus à Bourgoin, maison ? à l'extérieur. Vraiment amis, ceux dont je te parle il Non non, on partait au château, on montait y a deux arméniens, un espagnol, un italien, Sidali l'avenue Jean Jaurès, cette avenue elle est mythique, et Fatih, donc ça fait six, c'était fabuleux. Et ce qui j'ai vécu des trucs formidables, sur cette avenue. faisait notre force, parce que dans toutes les On bloquait les rues et des copains en moto ils situations où on était, le rire c'était primordial, puis faisaient des courses ! Oh là là c'était merveilleux. chacun avait son comique spécial, on rigolait bien. C'était chez nous, notre rue. Mais on le faisait toujours avec... attention. Pas d'accidents, pas de Et t'es encore en contact avec ces bêtises, on cassait rien, tu vois ? On a plus personnes là ? l'impression maintenant qu'ils se foutent de tout, Par téléphone. Moins par visu, parce que alors que avec un petit peu de clairvoyance de ce chacun fait sa vie en fait. Les enfants, il y en a qui qui va se passer après, tu arriveras mieux à se sont éloignés, quand je dis loin je parle à peu respecter ton alentours. Quand ils voient quelque près soixante kilomètres. Il est resté sur le Rhône- chose de neuf, c'est toute de suite cassé. Ce qui est dommage. Le château c'était bien, t'arrivais au Alpes. Mais j'ai toujours contact, oui. château, donc on avait ce grand parc, était Et quand tu habitais à Diderot, est-ce magnifique, on se posait, on se marrait, il y avait un qu'il y avait des espaces communs, dans la magasin, on y passait on s'achetait une bière, une cour, avec les autres bâtiments ? limonade on se faisait des panachés et après on Oui. Ça faisait trois bâtiments, et au milieu il y avait montait au village, parce qu'on pouvait pas se payer ce terrain de jeu et ce qui était bien est qu'on les boissons à l'intérieur et puis on était trop pouvait basculer derrière l'autre bâtiment et là on jeunes. On n'a jamais été virés, jamais engueulés, avait une grande pelouse où il y avait un grand jamais eu de la police, et ça faisait des balades, par transformateur où on jouait au football, pour les contre on était à pied, alors, après avec les poteaux. En face de Diderot, il y avait encore un mobylettes c'était autre chose. Là on se faisait espace d'herbe où on jouait puis il y avait un noyer, engueuler parce que on faisait trop de bruit. c) Micros-trottoirs Vendredi 11 mai. Diderot 1. madame 40 ans avec enfants Vous habitez ici ? Oui. Depuis combien de temps ? Quatre ans. Est-ce qu'il y a des endroits particuliers de Saint-Priest, où vous vous sentez à l'aise ? Non, je me sens bien partout. Parce que j'aime bien Saint-Priest. Et pourquoi ? On a grandi là. Dans ces immeubles ? Non, à la Pointe-joie, c'est un quartier. Et vous n'êtes pas concernée par les relogement. Si, si. Et comment vous vivez cette situation ? Plutôt pas mal, parce qu'on voulait déménager. Je sais que la mairie a fait des enquêtes auprès des locataires, est-ce que vos envies ont trouvé une solution ? Oui, on a trouvé ce qu'il nous fallait. Si ce n'est pas indiscret, vous allez habiter où ? En centre-ville. Ça veut dire... Les bâtiments qu'ils sont en train de construire. 2. Monsieur 50 ans avec sa petite fille Vous habitez en ce quartier là, Diderot ? Non, je suis venu voir ma fille. Et vous habitez Saint-Priest ? Oui. Quel quartier ? Centre-ville. Et quand vous dites centre ville de SaintPriest, qu'est-ce que vous entendez ? Pratiquement, c'est près de la mairie. Et ça fait longtemps que vous habitez à SaintPriest ? Oui. Est-ce qu'il y a des endroits que vous aimez bien de Saint-Priest, spécialement ? Spécialement, non. Et vous allez jamais vous promener... ? Non, je vais jamais. Et vous allez où alors ? Moi je vais à Lyon, je vais voir ma fille, chez moi, mais pas spécialement à Saint-Priest. Pourquoi ? Ça m'intéresse pas. Par contre est-ce qu'il y a des endroits où vous êtes mal à l'aise, où vous n'aimez pas rester... ? Non, non pas du tout. Peut-être vous avez des souvenirs particuliers dans quelque endroits de Saint-Priest... Non, non, non, c'est vague. Moi, ça me plaît SaintPriest, parce que moi j'habite ici, mes parents ma mère habite ici, c'est pour ça que j'y reste... Je suis bien là ! Et vous êtes concerné par les relogements ? Vous savez, il y a... [la fille intervient] : ce bâtiment et l'autre parallèle. Non, je ne suis pas concerné. 3. Monsieur 50 ans, avec les deux petites filles. Vous habitez à Saint-Priest. À saint-Priest, depuis 22 ans. Dans ce bâtiment là ? Ce bâtiment là, qui va être démoli, et c'est dommage. Pourquoi ? Parce que on est bien là. Vous allez déménager où ? Je sais pas. Moi j'aime bien rester par là. Et la mairie, ils sont venus vous chercher, pour demander... Oui oui, bien sûr. Et le relogement, comment vous le vivez ? Ça fait mal. C'est obligé, mais ça fait mal. Et pourquoi ça fait mal ? Parce que on a l'habitude, on connaît tout le monde, personne ne casse la tête, tu vois, c'est impeccable. Avec les voisins, ça se passe bien. Avec les voisins, tous par là, jusqu'à là-bas [il indique les bâtiments], beaucoup de respect, quelqu'un il voit une femme qui a à porter, va lui donner un coup de main pour trois quatre étages... C'est comme de la famille, ce sont des quartiers, familials ! Vous aimeriez aller où ? Moi j'aimerais bien rester ici ! Oui mais, il faut partir... ...à Saint-Priest ! Et vos voisins, ils ont déjà décidé ? Il y en a qui sont partis à Mions, à Corbas... Est-ce qu'il y a des endroits à Saint-Priest que vous aimez bien ? À Bel Air, je n'aime pas trop. Et votre lieu préféré à Saint-Priest, c'est lequel ? Normalement, ici. Pour moi, mes enfants, le respect... 4. jeune femme Depuis combien de temps tu habites ici ? Saint-Priest depuis 86, le quartier depuis 2003. Est-ce qu'il y a des endroits que tu aimes bien à Saint-Priest ? Auxquels tu es rattachée ? Le centre-ville. Qu'est-ce que c'est le centre-ville pour toi ? J'ai grandi là-bas. Oui, mais qu'est-ce que tu entends avec centre-ville de Saint-Priest ? Bellevue, Les Alpes. D'accord. Parce que tu as des souvenirs liés à cet endroit. Oui d’enfance. Des choses qui m'ont marquée aussi. T'ont marquée comment ? Des soucis familiaux. Et du coup c'est à la fois des souvenirs positifs et negatifs. Oui. C'est tout concentré dans cet endroit là. Oui, voilà. Tu habites le quartier Diderot, du coup tu es concernée par les relogements aussi. Voilà, c'est ça. Et tu sais déjà où tu vas aller ? Non, je sais pas encore. J'ai déménagé d'un quartier qui vont démolir. Lequel ? Les Alpes. Tu as déménagé des Alpes, ici. Ici, et je dois encore déménager. Et comment ça se fait que tu as déménagé... ...ils savaient pas encore qu'ils allaient démolir. Comment tu vie le fait que tu dois déménager encore ? J'espère qu'ils vont pas me mettre dans un bâtiment qui vont encore démolir, c'est tout. Tu aurais des préférences de quartiers où aller ? Non, mais pas Bel Air. Et pourquoi ? Je sais pas, j'aime pas. Tu voudrais rester sur Saint-Priest ? Oui. Et si tu vas te promener, tu vas à Saint-Priest, quand tu as du temps libre ? À Saint-Priest, mais aussi ailleurs. Et à Saint-Priest, tu vas où ? À Auchan. 5. 3 adolescents Ils habitent Diderot, Les Alpes, Bellevue. Ils présentent eux-mêmes et Saint-Priest comme un lieu où il n'est pas facile d'entrer, dangereux ; pas pour moi parce que je suis étranger, mais pour quelqu'un d'un autre quartier, d'une autre bande oui, « il y a des histoires ». Ils ont affirmé que à Saint-Priest il y a « la racaille », à ma demande de m'expliquer ce terme, ils ont répondu en citant la délinquance, la mafia, le shit. J'ai demandé, où ils amèneraient un ami qui n'est pas de Saint-Priest qui vient leur rendre visite : « il reste avec nous », ils fumeraient la chicha ensemble. 6. Dame voilée Elle déménage dans du neuf et reste dans le quartier, donc c'est bien. Elle cite les voisins actuels comme élément positif. Elle voulait rester à Saint-Priest. Il n'y a pas de lieux où elle se sent mal à l'aise, c'est 20 ans qu'elle habite ici, « il y a l'habitude ». Comme lieu qu'elle aime bien, le centre-ville, il y a les magasins, tout est à « proximité ». Pour elle, c'est bien de changer. Sortie d'école J.Brenier 1. dame 50 ans qui s'occupe de la traversée piétonne en face de l'école Vous habitez Saint-Priest, depuis combien de temps ? Depuis 78 Quel quartier ? Là, Bellevue, Georges Sand, en face de la mairie. Est-ce qu'il y a des endroits que vous aimez bien à Saint-Priest ? Vos endroits préférés ? J'aime tout. Il n'y a pas d'endroits que vous aimez plus que d'autres ? C'est l'école. Et pourquoi ? Je suis tout le temps là. 32 ans je suis là. Mes enfants étaient là, je m'habitue à l'école. Est-ce qu'il y a des endroits qui vous mettent un peu mal à l'aise à Saint-Priest ? Non non non. Et qui vous mettent à l'aise, par contre ? Vous pouvez faire un exemple ? Par exemple, le château c'est bien. [une autre femme intervient] : les petits jeux, les petits parcs aussi... Les petits parcs... ? Pour les enfants. Là. [l'autre femme] : les petits jardins. Vous amenez vos enfants ? Oui. Et vous rencontrez des gens ? [l'autre femme] : Oui, les mamans et tout, avec les petits enfants, et on joue ensemble... c'est bien. [la première femme] : il y a l'ambiance. 2. Adolescente Vous habitez Saint-Priest ? Oui. Depuis combien de temps ? Dix ans. Est-ce que tu as un endroit préféré à SaintPriest ? Non. Et des endroits qui te mettent à l'aise ou mal à l'aise ? Non. Et tu es bien ou pas à Saint-Priest ? Je l'aime bien, mais... sans plus. Si il y a un ami ou une amie qui vient te visiter à Saint-Priest, tu l'amènerais où ? Vers les Portes des Alpes. Faire du shopping ? Oui, vers Auchan. 3. Dame 50 ans Vous habitez à Saint-Priest depuis combien de temps ? Vingt ans. Quel quartier ? Le centre. Qu'est-ce que vous entendez avec centre ? Mairie. Est-ce qu'il y a un endroit qui vous met à l'aise ou mal à l'aise à Saint-Priest ? Où vous aimez bien rester, passer votre temps... Non, non. Il n'y a pas d'endroits où vous allez vous promener... ? Au centre, non. Sur Saint-Priest ? Non, non plus. Et vous êtes plutôt mal à l'aise à Saint-Priest ? Il n' y a pas d'endroits où on se trouve bien. Et pourquoi à votre avis ? Parce que c'est sale. Est-ce que vous avez des endroits auxquels vous rattachée au niveau affectif ? Si vous avez des souvenirs peut-être. L'ancien centre. Le village. Et pourquoi ? Parce que c'était plus intime. Et vous avez habité là-bas ? Non. J'ai connu ce centre, avant c'était le centre, parce qu'on avait la mairie, on avait tout. C'était plus agréable. Pourquoi à votre avis c'était mieux ? C'était moins grand. C'était plus rural. Maintenant c'est la ville. Vous êtes concernée par les relogements ? Non. 4. Dame 62 ans. Vous habitez à Saint-Priest ? Oui, je suis née à Saint-Priest. Ça fait 62 ans. Et mes parents sont italiens naturalisés en France, mais ils sont morts. Pourquoi ils étaient venus à Saint-Priest ? Pour travail aussi, à l'époque. De quelle région de l'Italie ? Ma mère était de Venise et mon père était de Parme. Est-ce que vous aimez Saint-Priest comme ville ? Parce que mes parents sont venus là et puis ben, je suis née là, donc je suis habituée à Saint-Priest et puis c'est une ville qui est quand-même agréable. Il y a tout, magasins, les transports et tout. Quand vous avez du temps libre vous le passez à Saint-Priest ou plutôt à Lyon ou plutôt dans d'autres... ...des fois, l'hiver je vais sur Lyon faire un peu les magasins, Saint-Priest ben il y a les piscines tout ça, sinon je pars au camping, vous voyez... Vous habitez quel quartier à Saint-Priest ? Quartier de la gare. Est-ce qu'il y a un endroit particulier que vous aimez à Saint-Priest ? Non, pas particulier. J'aime bien tous les endroits mais particulier non, pas spécialement. Vous n'avez pas un souvenir, peut-être. Où je suis née, la Cité Maréchal, mais qui n'existe plus maintenant. C'est un quartier où je vie quandmême encore, mais c'est des bâtiments maintenant. Avant c'était des grandes maisons et tout. Par contre, est-ce qu'il y a des endroits qui vous mettent plutôt mal à l'aise, où vous n'aimez pas passer ou rester ? Le quartier Bel Air j'aime pas trop passer. Si, vers la mairie, si j'aime bien. Le village est bien aussi. Et pourquoi ? Parce que c'est animé, on se sent en sécurité, on est bien. C'est bien animé et tout. 5. Jeune dame Vous habitez Saint-Priest ? Oui. Quel quartier ? Place Molière. C'est juste à coté. Le square, vous parlez de quel square ? Le square qui est juste là [elle indique], le jardin d'enfants. Est-ce qu'il y a des endroits, outre celui-ci, qui vous mettent à l'aise à Saint-Priest, où vous aimez passer votre temps libre par exemple ? En bas de chez moi. Pareil. La place Molière. Au contraire, est-ce qu'il y a des endroits où vous n'aimez pas beaucoup passer ou rester ? Le centre-ville. C'est-à-dire ? Il n'y a pas de place pour se garer et... quand j'y vais c'est un peu embêtant. Quand vous dites centre-ville, vous entendez... ...la mairie. Vous n'aimez pas parce qu'il n'y a pas de place pour se garer et... d'autres raisons aussi ou pas ? Non, juste ça en fait. Et vous habitez Saint-Priest depuis combien de temps ? Six ans. Du coup vous n'avez pas tellement de souvenirs, j'imagine. Non. 6. Couple sur la quarantaine Vous venez d'arriver à Saint-Priest. Oui Et comment la ville vous paraît ? On vient de la campagne, donc ça nous fait bizarre Dans le sens, où ? Où on était, il n'y avait personne. Et du coup pour le moment, vous devez vous habituer encore ? On s'y fait pas ici. On va déménager. On repart à la campagne. Qu'est-ce qu'il y a de Saint-Priest, de la ville, qui vous plaît pas ? Trop de monde, trop de monde. Et vous êtes venus ici pour travail ? Non, non. On était à Meyzieu, puis on est allé en Saône-et-Loire, la région était jolie mais moi je voyais pas ma famille la semaine, on a décidé de revenir sur Lyon, là on repart, soit dans l'Ain, soit dans l'Isère. En maison. Là, là on a un appartement et on s'y fait pas ! Qu'est que vous appréciez de vivre dans une maison plutôt que dans un appartement ? Jardinage, être dehors, manger dehors, voilà. [sa femme] : le voisin qui passe. [lui] : t'as le voisin... d) Outils développés pour les ateliers Robins des Villes Carte mentale Dessine-moi ton centre-ville... Les Robins de Villes cherchent à construire une balade urbaine qui traverse le centre-ville. Pour cela, nous cherchons l'avis des habitants, pour repérer les lieux les plus aimés, les plus détestés ; les lieux où, selon vous, il faut passer et s'arrêter, pour représenter le centre-ville. Nous vous proposons de dessiner une carte mentale. Il s'agit d'une carte spéciale où on n'affiche pas les distances et les toponymes officiels, mais votre image du centre-ville de Saint-Priest. Nous vous proposons de suivre les 3 étapes suivantes : 1. CONSTRUCTION D'UN MAILLAGE DE FOND quels sont les limites du centre-ville ? quels sont les voies et les chemins principaux ? Quels sont tes points de repère ? Cela permet de fixer un maillage de fond. Outils à utiliser : feutre et marquer noir. 2. REPERAGE ET PLACEMENT DES LIEUX DE « TON » CENTRE-VILLE On te propose de faire une liste de tous les lieux que tu aimerais afficher : où tu passes ton temps libre, où tu rencontres tes ami(e)s, les lieux que tu connais ou connais pas, qui te mettent à l'aise ou mal à l'aise... tous ceux que tu veux ! Une fois que tu as complété cette liste, tu peux commencer à positionner ces lieux dans le fond de carte (le « maillage ») que tu as déjà dessiné. Cela permet de personnaliser la carte, en plaçant les lieux qui forment ton image de centre-ville. Outils à utiliser : stylo. 3. HABILLAGE DE LA CARTE Maintenant il s'agit de trouver un code pour communiquer les raisons du choix : qu'est-ce qui représentent ces lieux pour vous ? Vous devez essayer de faire comprendre le sens de votre carte à un lecteur quelconque. Vous pouvez utiliser : des textes, qui indiquent le nom des endroits et les activités que tu y fais ; des couleurs, correspondant aux différentes activités ou pour embellir la carte ; des photos, des collages, des petits objets ... Outils à utiliser : tout le matos de bricolage ! Carte mentale du centre-ville de Saint-Priest, dessinée par un adolescent lors de l'atelier au centre social L'Olivier le 30 mai 2012 Photo-interview Cet outil consiste à proposer des images du quartier, réalisées par le photographe David Desaleux, aux participants et à leur demander de réagir, en faisant des commentaires ou en exprimant l'appréciation par des « pouces facebook » : Photo-interview du groupe d'adolescents rencontrés lors de l'atelier du 30 mai 2012 au centre social L'Olivier Résumé L'amélioration des conditions de vie en milieu urbain représente un défi de plus en plus complexe pour les administrateurs et les experts des villes. Les approches traditionnelles, basées sur le couple élu/professionnel, sont remises en cause par des approches qui valorisent la légitimité technique et politique des habitants et usagers de la ville. Ces derniers sont considérés comme porteurs d'une capacité à améliorer les aménagements et à donner une plus grande légitimité aux choix, grâce à un partage du processus décisionnel. Ce travail étudie les apports d'une approche ethnographique aux démarches d'urbanisme participatif, par le biais d'une étude de cas sur les usages de l'espace urbain en une unité paysagère de grands ensembles, à Saint-Priest, ville de l'agglomération lyonnaise. Après une caractérisation de la zone d'étude selon des critères paysagers, sont analysées les relations entre individus et lieux en deux espaces résidentiels et un espace public. Les résultats montrent qu'une urbanité différente de celle des villes traditionnelles est à l'œuvre. L'application d'une approche ethnographique à l'espace urbain permet enfin de formuler des préconisations pour l'amélioration des méthodes d'urbanisme participatif. Mots-clés : ethnographie de l'espace urbain ; paysage urbain ; urbanité ; Saint-Priest ; Robins des Villes ; droit à la ville. Riassunto Il miglioramento delle condizioni di vita in ambito urbano rappresenta una sfida sempre più complessa per gli amministratori e gli esperti della città. Gli approcci tradizionali, basati sul binomio rappresentanti politici/professionisti, sono messi in questione da approcci che valorizzano la legittimità tecnica e politica degli abitanti e utenti dello spazio urbano. Questi ultimi sono considerati come portatori di una capacità a migliorare i progetti urbani e a fornire maggiore legittimità alle scelte, grazie a una condivisione del processo decisionale. Questo lavoro indaga gli apporti di un approccio etnografico alle pratiche di urbanistica partecipata, per mezzo di uno studio sugli usi dello spazio urbano in un'unità paesaggistica di grandi edifici residenziali, a Saint-Priest, città dell'area metropolitana lionese. Dopo una caratterizzazione dell'area di studio secondo criteri paesaggistici, vengono analizzate le relazioni tra individui e luoghi, in due spazi residenziali e uno spazio pubblico. I risultati mostrano che un' urbanità diversa da quella delle città tradizionali è presente. L'applicazione di un approccio etnografico allo spazio urbano permette infine di formulare delle proposte di miglioramento dei metodi di urbanistica partecipata. Parole chiave : etnografia dello spazio urbano ; paesaggio urbano ; urbanità ; Saint-Priest ; Robins des Villes ; diritto alla città. Abstract The improvement of living conditions in the urban context represents a more and more complex challenge for cities' decision makers and experts. Traditional approaches, based on the alliance of political representatives and technical professionals, are questioned by approaches developing technical and political legitimacy of urban space inhabitants and users. The latter are considered as holders of a capability to improve urban plans and give greater legitimacy to decisions, thanks to a shared process. This work studies the contributions of an ethnographic approach to participative town planning processes, by means of a study case on urban space practices in a large housing estate landscape unit , in the town of SaintPriest, in the urban area of Lyon. Having characterized the study zone by an urban landscape classification, relations between individuals and places are analysed, in two residential spaces and one public space. Results show that an urban life different from that of traditional cities is developing. The ethnographic approach of urban space applied here, finally allows us to make some propositions in order to improve participative town planning methods. Key-words: urban space ethnography; urban landscape; urban life; Saint-Priest; Robins des Villes; urban rights.