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1 Scolies autour du Code des relations entre le public et l'administration Vida AZIMI, Directrice de recherche au CNRS, Centre d'études et de recherche en science administrative et politique (CERSA-UMR CNRS 7106 / Université Paris II) in : Lectures critiques du Code des relations entre le public et l’administration (sous la direction de Geneviève Koubi, Lucie Cluzel-Métayer, Wafa Tamzini), LGDJ/LEXTENSO, Paris, 2018, pp.17-34 « Quand des forces agissent dans des sens opposés et que, suivant les périodes, l'une et l'autre l'emporte, quand elles se coalisent ou se séparent pour les motifs les plus variés ; les lois se succèdent sans dessein et sans ordre, et le Droit roule alors, comme le bateau ivre de Rimbaud, entre des rives peuplées d'ennemis, vers un Océan inconnu » Georges Ripert1 Enfin vint le code des relations entre le public et les administrations2, « étape majeure du droit administratif français ». La réalisation même tardive d'un projet est toujours de bon augure mais elle suscite incontinent un regard critique des juristes. Elle incite à inscrire le code dans la facture historique du système administratif sans laquelle il ne serait qu'un épiphénomène sans grande pertinence ni conséquence, à le considérer également dans une perspective comparatiste. Par la maturation longue de sa confection, par les écueils rencontrés sur sa route, ce Code est révélateur des difficultés de la codification en général et en matière administrative en particulier. Les raisons de sa réussite tiennent à la modestie d'ambition du texte car un programme de codification exhaustive était prévu à l'origine3. Après des tentatives avortées4, on en est venu à opter pour de petits codes, plus appropriés pour la lisibilité du droit, « à laisser en blanc certaines pages » qui « restent à compléter », à vouloir « un code vivant », plus encore peut-être qu'un autre, à « re-former pour ensuite réformer »5. 1 2 Georges Ripert, Les forces créatrices du droit, LGDJ, 2e éd. 1955, reprint, p. 94. Ord. n° 2015-1341, 23 oct. 2015 et D. n° 2015-1342 de même date, JO 25 oct. 2015. 3 Circ. Prem. min., 30 mai 1996 relative à la codification des textes législatifs et réglementaires, JO 5 juin 1996. 4 Ainsi, parut un Code de l'administration, sous la dir. B. Stirn et S. Forney (Litec/Juris-Code, 2004), dépourvu de validation légale. 5 D. Labetoulle, « Le Code des relations entre le public et l'administration, AvantPropos », RFDA 2016, p. 1-3. 2 Le choc de simplification exerça un effet stimulant dans « une conduite du projet agile ». On simplifia tant et si bien qu'on parvint à édifier en dix-huit mois6 « un manuel pratique pour les citoyens dans leurs rapports avec les administrations (et réciproquement) ». Le langage est devenu « volontairement simple », l'objectif ne fut « plus seulement la qualité du droit conçue comme une exigence formelle mais, tout autant sinon plus, son efficacité concrète »7. Une lex generalis, mais non un jus communis, ayant « pour vocation (l'insertion) des dispositions ‘suiveuses' », donc « un code-pilote », supplétif par ailleurs, « lisible et maniable », « un guide général à l'usage du public » au périmètre sciemment réduit, dans « un souci de simplicité » où le contexte est celui de « relations apaisées »8, ce que suppose la nature non contentieuse de la procédure et dénote une dose d'optimisme minorant les rapports conflictuels entre le public et les administrations. Voilà un code dont l'enthousiasme des auteurs cache mal l'indigence de l'esprit et du produit, répondant aux mutations de la codistique 9 , une manière de recueil à l'intention des nuls qui se targue d'être sui generis10, à droit non constant qui élude le reproche fait à droit constant - « un droit du pauvre » -, sans énoncé de principes fondamentaux, à part ceux de la liberté, de l'égalité, de la légalité et de la laïcité ; un code au demeurant original par sa prise en compte de la jurisprudence, en plus des lois et des règlements. Mais il ne vise ni le droit européen applicable en France, ni les circulaires qui gouvernent la vie quotidienne des administrations, ni la doctrine des bureaux qui fluctue d'une direction à une autre et partant n'assure pas toute sécurité juridique aux usagers. Force est de constater que la volonté politique qui a accéléré le processus souhaitait que ce code a minima existât. Et il existe ... comme effet de vitrine quelque peu éphémère ! Deux maîtres de requêtes au Conseil d'État, associés à l'ouvrage le soulignent, trois mois après son entrée en vigueur, dans « un ultime étonnement », avec une candeur désarmante : « Comment se fait-il que le travail considérable mené et - surtout - que son résultat n'aient pas fait l'objet, au titre de la politique de simplification affichée, d'une valorisation, d'une "com" plus importante auprès du grand public et qu'on ait, jusqu'à présent, préféré mettre l'accent sur le principe largement factice selon lequel le silence gardé par l'administration vaut désormais acceptation ?11» Le Code une fois abouti passe pour « un des beaux exemples » de success story sur la voie de la réforme administrative. Fait pour les usagers et non pour les juristes, « il témoigne ainsi de ce qu'on pourrait appeler, en singeant les spécialistes du management, l'"orientation client" d'une politique publique désormais construite autour des besoins du citoyen et des 6 Une performance qui laisse dubitatif. « On ne peut pas faire un code sérieusement en moins de trois à quatre ans » : G. Braibant, « La problématique de la codification », RFDA 1997, p.169. 7 M.-A. Levêque, C. Verot, « Comment réussir à simplifier ? Un témoignage à propos du code », RFDA 2016, p. 12-16. Souligné par moi. 8 C.-A. Dubreuil, « Le champ d'application des dispositions du code », RFDA 2016, p. 17-22. 9 M. Vialattes C. de Barrois de Sarigny, « La fabrique d'un code », RFDA 2016, p. 4. 10 Voire « atypique » : R. Schwartz, « Le code de l'administration », AJDA 2004, p. 1860. 11 M. Vialettes, C. Barrois de Sarigny, « La fabrique ... », op.cit., p.11. Souligné par moi. 3 entreprises.12» L'emprunt fait au vocabulaire managérial signe l'aveu de la faiblesse de la marchandise juridique qui n'a guère attiré les chalands d'un monde administratif idéal où le public ne verrait plus l'administration comme source de tracasseries mais aurait des échanges aimables avec des fonctionnaires bien disposés à son égard. On prétend au pragmatisme et on baigne là dans l'irénisme administratif radical, ô combien futile ! Il s'agit d'un modèle de codification13 ni « cornélienne » (le droit tel qu'il devrait être, de lege ferenda), ni « racinienne » (le droit tel qu'il est, de lege lata), reprenant les catégories d'analyse chères au président Braibant14, au risque de tomber en plein dans une soupe poquelinesque. Par une ironie de l'histoire, les auteurs du Code, dans sa philosophie, ont suivi le conseil d'un adversaire de la codification de la procédure administrative, Raymond Odent, qui promouvait en 1975 l'idée d'une « sorte de guide-formulaire, dont les dispositions n'auraient pas un caractère réglementaire », qui serait continûment mis à jour, grâce auquel « on bénéficierait ainsi des avantages de l'écrit statique sans se priver de ceux de la dynamique jurisprudentielle.15» Par un détour tenant d'un tour de force, à la fois facile et tortueux, les auteurs de l'ouvrage ont pu baptiser leur guide du beau nom de « code », ce avec la bénédiction du pouvoir politique. L'interrogation saillante qui vient à l'esprit est celle de savoir s'il est suffisant d'être appelé code pour l'être, si produire un recueil de textes même muni des garanties extérieures de légalité suffit pour désigner l'opération du nom de codification. Ce Code rappelle l'entreprise de vulgarisation du Code Napoléon « tentée par une pléthore de manuels à l'usage des propriétaires, des ecclésiastiques ou des femmes. "Pour presque rien, sachez comment ce qui est vôtre est vôtre" promettait l'un de ses petits codes "mis à la portée de tous".16» L'on souhaite édifier le profane, mais si le but de toute codification est la simplification, jusqu'à quelles limites peut-on simplifier17 sans tomber dans le simplisme, sans épuiser la substance du droit, sans atteindre une faible normativité ? La doctrine a été critique, voire perplexe, qualifiant la simplification de « dernier credo des crédules »18 ou d'« illusion dangereuse », même d'« une croyance un peu naïve »19, car « tout n'est pas simplifiable », la simplification des textes n'entraîne pas forcément « la simplification des pratiques »20. La langue du droit est un technolecte ; plus elle est 12 A.-M. Levêque, C. Verot, « Comment réussir à simplifier ?... », op.cit., p. 1. Souligné par moi. 13 M. Vialettes, C. Barrois de Sarigny, « La fabrique ... », op.cit., p. 8. 14 G. Braibant, « Utilités et difficultés de la codification », Droits 1996, n°24, p. 63. 15 Cit. C. Wiener, Vers une codification de la procédure administrative, PUF, 1975, p. 7 et s. 16 J.-L. Halpérin, « Code Napoléon », in D. Alland, S. Rials (dir.), Dictionnaire de la culture juridique, Lamy/PUF, 1ère éd. 2003, p. 206. 17 B. Seiller, « Les limites de la simplification », LPA 2007, n° 104, p. 28. 18 V., entre autres, P.-Y. Monjal, « Simplifiez, simplifiez, il en restera toujours quelque chose… », Rev. dr. UE, 2003, 2, p. 343. 19 J.-M. Pontier, « La simplification, illusion dangereuse », AJDA 2005, p. 345. 20 Comité d'enquête sur le coût et le rendement des services publics, La simplification du droit par ordonnances : effets de la loi du 2 juillet 2003, La Doc. fr, 4 précise, plus elle sert les intérêts du justiciable. Même limpide et concise, elle n'empêche point des interprétations divergentes. Paradoxalement, la traduction qui voudrait la rendre familière au tout venant pourrait atteindre le contraire du résultat recherché, devenir pour comble, source de complications, le public et l'administration n'entendant ni le même signifiant ni pareil signifié ! En écartant de leur chemin ce qui faisait problème, en fondant sur le minimum l'unité et la cohérence du code, nos codificateurs sont parvenus à un résultat au rabais qui satisfait l'affichage tout politique d'une réponse au besoin de démocratie administrative 21 , concept au demeurant incertain. Laissons là ce code et sa généalogie propre. En tant que tel, il marque un petit moment, sur la trajectoire heurtée de la codification administrative en France. Cette codification part de loin et demeure problématique tout au long de son histoire, déjà largement exploitée par d'éminents et savants juristes et historiens du droit. Il s'agit ici de contribuer à apporter un éclairage quelque peu différent. L'histoire administrative a la codification pour obsession, or l'Arlésienne codificatrice22 lui a échappé avec constance, entre séduction et désir contrarié. Les raisons de cet attrait permanent sont les mêmes que pour toutes les codifications : remédier à « la luxure des lois »23, à leur dispersion et à leur chaos, rendre effectif l'adage « nul n'est censé ignorer la loi ». Là elles se conjuguent à la spécificité de la matière administrative. Le droit administratif a tout du judge-made law, à l'instar du droit anglo-saxon rétif à la codification. Nul n'a jamais douté de l'existence du droit civil ou du droit pénal. Mais le droit administratif comme branche autonome du droit est d'émergence tardive d'où l'enjeu de la codification comme fiction pour le consolider, entre nécessité et infaisabilité, entre solennité et banalité. I.- La codification entre solennité et banalité La codification n'a jamais été anodine malgré son utilité pratique évidente. Elle a toujours participé à un moment d'exaltation de l'État ou du Prince. Le prologue du Code d'Hammourabi 24 (c.1750 av. J.C.), le premier code unique casuistique de l'espèce, à droit constant, comprenant les lois et la jurisprudence25 en cunéiforme, commémore les réalisations du grand roi mésopotamien à la fin de son 2006. Cit. J.-L. Warsmann, Simplifions nos lois pour guérir un mal français, La Doc. fr., 2009, Rapport, p. 58. 21 S. Lamouroux, « La codification ou la démocratisation du droit », RFDC 2001, p. 801. 22 M. Touzeil-Divina, La doctrine publiciste 1800-1880, La Mémoire du Droit, 2009, p. 34. 23 G. Braibant, « La problématique de la codification », RFDA 1997, p. 167. Cette « expression pittoresque » rappelant à la fois « la débauche » et « la végétation luxuriante » a été empruntée à un ancien ambassadeur de Colombie en France, juriste, auteur d'un article sur la codification à la française. 24 Le nom d'Hammourabi venant de l'amorrite et de l'akkadien signifie « l'aïeul est un guérisseur ». Le mot codex en latin désigne aussi un recueil de médecine et de pharmacopée. 25 Le Code d'Hammourabi ne traite pas de l'administration en dépit de maximes de bon gouvernement. 5 règne, et fixe l'effigie d'un souverain bienfaisant, préférant mettre en avant ses qualités de justice plutôt que ses exploits guerriers : « C'est moi Hammourabi, prince zélé qui craint les dieux que, pour faire apparaître la justice dans le pays, pour anéantir le méchant et le mauvais, pour que le fort n'opprime le faible, (…) et éclairer le pays, Anu et Enlil ont appelé par mon nom pour procurer du bien-être aux gens ». Une gravure au sommet de la stèle représente Hammourabi recevant les lois des mains du dieu Marduk, marquant une élection divine. Des historiens ont fait le rapprochement avec Moïse au Sinaï dans la tradition juive. Last but not least, il existe au Congrès des États-Unis, un bas-relief d'Hammourabi, comme l'ancêtre commun de tous les législateurs, liant la tradition antique à l'expérience moderne. Le Code de Justinien26 (529, 2e éd. 534) et un recueil de Décrétales (1290) de Grégoire IX ont été immortalisés dans la chambre de Raphaël au musée du Vatican. Le panneau, élément d'un quadriptyque, œuvre d'un élève de Raphaël, Guillaume de Marcillac, représente Tribonien remettant le Code à Justinien et l'évêque espagnol Raymond de Penafort offrant la Décrétale dont il est l'auteur au pape. Cette mythe-histoire est intéressante comme symbolisation du droit par des codes27. Le Code Napoléon n'a pas manqué à cette scénographie magnificente, décrite par Gilles Guglielmi en une promenade muséale : « Un juriste visitant l'Église du Dôme des Invalides, s'il descend dans la crypte où repose Napoléon Ier, peut découvrir parmi les bas-reliefs hagiographiques deux scènes proches d'à peine quelques mètres mais séparées par un abîme de sens. La première, analogie à peine voilée de Moïse au mont Sinaï, décrit l'Empereur remettant le Code civil, Tables de la Loi laïque, aux Français reconnaissants. Gravée dans le marbre, l'explication vient ainsi : 'Mon seul Code par sa simplicité a fait plus de bien en France que la masse de toutes les lois qui l'ont précédé'. La seconde représente un groupe de vieillards vénérables et barbus, dans des postures studieuses ou actives, tournés vers Napoléon. Un cartouche porte l'inscription : 'Conseil d'État, 3 nivôse An VIII, Coopérez aux desseins que je forme pour la prospérité des peuples' »28. Or l'Empire si riche de son œuvre juridique « n'a pas donné au peuple français les Tables de la loi administrative ou du droit public »29, même si la doctrine a été hantée par l'idée d'une codification administrative durant tout le XIXe s. L'élan des codifications napoléoniennes s'est essoufflé. On voit mal les micro-codes30 contemporains, en l'espèce le Code des relations entre le public et l'administration, bénéficier d'une semblable dramaturgie destinée à une « légende des siècles » ! L’idée même de codification a été vue comme un défi de civilisation. Selon le Dictionnaire de la conversation et de la lecture, « C'est la réunion des lois en codes. 26 Ses livres X à XII sont consacrés au « Droit administratif et fiscal » renforçant la puissance de l'État et son organisation hiérarchique. Auparavant, les livres VI à XV du Code Théodosien portaient sur le « droit administratif ». V. J. Gaudemet, « Codes, collections, compilations. Les leçons de l'histoire. De Grégorius à Jean Chappuis », Droits 1996, p. 6 et 8. 27 Pour G. Braibant, « ce symbole garde aujourd'hui encore, toute sa valeur » : « La problématique de la codification », RFAP 1997, n° 82, p. 165-166. 28 G. J. Guglielmi, « L'idée de codification dans la construction du droit … », op.cit., p. 109. 29 Ibid. 30 J.-L. Warsmann, Simplifions nos lois ..., 2009, op. cit., p. 85. Dans les sphères non encore codifiées, il préconise la micro-codification. Le CRPA s'inscrit dans cette tendance légistique. 6 Faire de véritables codes, c'est l'œuvre de civilisation et du génie, car il ne suffit pas de donner le nom de code à une réunion de lois ou de décisions compilées sans ordre ni méthode : pour qu'un code puisse mérite ce nom, il faut qu'il soit complet, qu'il réunisse toutes les dispositions de loi relatives à une même matière, qu'il ordonne de manière à présenter les principes généraux, puis leur application aux cas les plus usuels qui peuvent être facilement prévus, en laissant aux juges, le soin de tirer toutes les conséquences que peuvent réclamer les contestations imprévues. Voilà ce qui fait de notre code civil une oeuvre immortelle.31» La codification refait surface au XVIIIe s. grâce aux Lumières, à l'Encyclopédie et surtout à la Révolution française et son culte hégémonique de la loi, puis au XIXe s. par les doctrines administratives et par la philosophie de Hegel avec sa théorie de la systématisation universelle du droit. Montesquieu était hostile à la création d'un corpus général : « Faire une coutume générale de toutes les coutumes particulières serait une chose inconsidérée » ; il ajoutait : « Il y a certaines idées d'uniformité qui saisissent quelquefois les grands esprits (...), mais qui frappent infailliblement les petits »32. Portalis, l'artisan principal du Code civil a d'abord suivi la leçon de Montesquieu. Alors que Cambacérès travaillait à l'unification du droit sous le Directoire, Portalis avait déclaré en 1797 : « Renonçons à la dangereuse ambition de faire un Code civil !» Ce que Philippe Malaurie appelle sa « volte-face », remarquant que les « adversaires » d'hier sont devenus les « artisans » des lendemains. Ce n'est pas le propre de la France : la controverse allemande pour (Thibaut) et contre (Savigny) la codification a retardé de cent ans l'adoption d'un Code civil en Allemagne. Friedrich von Hayek s'est trouvé un « ennemi » farouche et « tenace » de la codification et un apologiste du Common Law, la première étant la marque de l'autocratie napoléonienne qu'il condamne au nom des libertés publiques et privées, estimant par là que « le droit codifié anesthésie les libertés.33» À vrai dire, on peut aligner autant d'avantages que d'inconvénients de la codification que de la non codification. Il n'y a pas une bonté consubstantielle au code que ce soit sur la forme ou sur le contenu34. Si le droit administratif a tant tardé dans la voie de la codification, cela tient en grande partie à sa formation particulière. II.- Le droit administratif : un judge-made Law En 1975, le président de la section du contentieux du Conseil d'État, Raymond Odent, faisait des objections « plus pragmatiques que doctrinales » à la codification de la procédure administrative, fondées sur le degré d'évolution des règles et l'absence 31 Dictionnaire de la Conversation et de la lecture, Tome XV, Paris, BelinMandar Librairie, 1834, art. « Codification » par Teulet (p. 82-84) - « code » en italique dans le texte. Souligné par moi. 32 Esprit des lois, XXVIII, 37 et XXIX, 18. 33 F. von Hayek, Droit, Législation et liberté, t. I, Règles et ordres, trad. fr., PUF, 1980, p.113. Cit. P. Malaurie, « Les enjeux de la codification », AJDA 1997, p. 645646. 34 Il a pu même exister des codes scélérats. Ex. : Ordonnance touchant la police des îles d l'Amérique (1685) connue sous l'appellation de Code noir réglementant l'esclavage ; lois de Nuremberg (1935) constituant le code ou le cadre juridique de l'antisémitisme nazi. 7 d'une méthodologie de la codification. Il estimait cette codification « contestable » dans son « principe même », opposant « la rigidité du droit écrit » à la plasticité de la norme jurisprudentielle, « facteur de progrès »35. « À quoi servirait de remplacer cet artisan discret, habile et agissant qu'est le juge, par cet amateur, bien intentionné, mais parfois mal informé et maladroit qu'est le législateur ?36 » Telle était la question-réfutation que se posait le doyen Vedel, il y a près de quarante ans. Ces dires faisaient écho aux propos d'Édouard Laferrière qui constatait que « le droit administratif n'est pas codifié », qu'il serait « douteux qu'il puisse l'être » eu égard à « l'abondance des textes, la diversité de leurs origines, le peu d'harmonie qu'ils ont souvent entre eux » et que « la jurisprudence seule peut faire la part entre les principes permanents et les dispositions contingentes, établir une hiérarchie entre les textes, remédier à leur silence, à leur obscurité, à leur insuffisance en s'inspirant des principes généraux du droit et de l'équité37. » C'est moins vrai de nos jours, peu de grands arrêts de la jurisprudence administrative faisant autorité par les principes qu'ils portent. Reste que, par sa qualité de case law, notre droit administratif se rapproche du droit anglo-saxon, marqué par l'esprit de non-codification38. Michel Villey a observé que « l'humanisme aboutit aux codifications modernes », que ces « idéologies de l'humanisme juridique, du rationalisme moderne, n'ont guère affecté la méthode de ces praticiens anglais39. » Essentiellement procédural en Angleterre, le droit « en tant que discipline, n'a jamais reçu le statut de science et par conséquence est demeuré entre les mains des juges et des praticiens40 ». Un code se justifie par un mode de raisonnement, absent en Angleterre où les praticiens du droit sont « allergiques à l'idée de codification ». L'on a ainsi comparé les codes aux jardins, à la française admirables dans leur ordonnancement, à l'anglaise rebelles à la domestication de la nature41. Plusieurs raisons expliquent cette différence : la complexité du savoir juridique en Angleterre, l'absence de facultés de droit pendant longtemps, une écriture tout empirique des lois, les sources prétoriennes du Common law, le refus de la norme abstraite. Depuis le Law Commission Act de 1965, est instituée une Commission pour l'examen du droit dans le but de son « développement systématique et de sa réforme, y compris la codification » (art. 3-1). Le Livre blanc antérieur à la loi, rédigé dans des termes analogues à ceux de la Commission supérieure de la codification en France, n'a 35 C. Wiener, Vers une codification…, op. cit., p.7. G. Vedel, « Le droit administratif peut-il rester indéfiniment jurisprudentiel ? », EDCE 1979, n° 31, p. 31. 37 É. Laferrière, Traité de la juridiction administrative et des recours contentieux, ère 1 éd. 1887-1888, p. 7-8. Cit. P. Gonod, « La codification de la procédure administrative », AJDA 2006, p. 489. 38 G. Samuel, « L'esprit de non-codification : le Common Law face au Code Napoléon », Droits 2005, n° 41, p. 123. 39 M. Villey, La formation de la pensée juridique moderne, 4e éd. Montchrestien, 1975, p. 540 et 700. 40 P. Stein, Legal evolution : The story of an idea, Cambridge University Press, Cambridge, 1980, p. 78-79. Cit. G. Samuel, « L'esprit de non-codification... », p. 126127. 41 P. Malaurie, « Les enjeux ... », op. cit., p. 645. 36 8 rien changé à l'aversion profonde des juristes anglais vis-à-vis de la codification qu'ils jugent impraticable au Royaume-Uni42. Cet esprit de non codification fait qu'« en Angleterre on pense en images »43 : Ex imagine jus oritur ! Ou on raisonne par les faits, à l'exemple du droit romain classique : Ex facto ius oritur ! En somme, au « code (qui) clôt l'espace du droit » 44 en le structurant, les juristes anglais opposent leur pragmatisme mais aussi « une autre facette », la part du rêve de justice, « mélange assez intuitif d'idéalisme et de réalisme, un grain d'utopie à la clé »45, évitant la perte de poésie que déplorait Guy Braibant46. Pourtant, c'est sous la plume du philosophe anglais Jeremy Bentham, que paraît la première fois en 1815 le terme « codification » (codicem facere). Bentham est un « nomophile » comme les penseurs du siècle des Lumières, voyant dans le code un instrument du progrès utile et perfectible, embrassant l'ensemble du droit, doté d'« une fonction de propositions d'améliorations » accordée aux fonctionnaires comme aux citoyens. On voit là percer la notion de démocratie administrative et l'intervention souhaitée du public dans les affaires qui le concernent. Bentham a commencé à développer ses idées à partir de 1776 avec A Fragment on government, suivi de Of Laws in General au début des années 1780, du Codification Proposal de 1822, pour aboutir au Constitutional Code de 183047. Pour remarquable que soit cette œuvre théorique, elle a attiré de justes critiques : « Le code et le temps juridique de Bentham sont prométhéens, assurément… mais d'un Prométhée enchaîné, dont l'action, faute d'inscription dans le temps réel de l'histoire, semble avoir bien du mal à la transformer.48 » Une des erreurs de Bentham fut « son ambition de la tabula rasa. Une codification selon lui, ne devait pas tenir compte du droit existant, mais constituer un renouvellement radical, complet et universel des règles, des méthodes, des concepts, du langage et des classifications : une œuvre totalement scientifique ». Bentham se révèle être un anti-Portalis, d'où l'échec de son entreprise49. À tort ou à raison, l'on a imputé au corporatisme des techniciens du droit l'esprit ou le non esprit de codification. Tocqueville l'a observé pour les États-Unis, dans Journey to America (1835) : « Les légistes américains (...) s'opposent de toutes leurs forces à la codification, ce qui s'explique de cette manière : si la codification avait lieu, 42 Sur ces questions, v. G. Samuel, « Existe-t-il une procédure de codification en droit anglais ? », RFDA 1997, p. 209. 43 K. Zweigert, H. Köetz, An introduction to comparative law, trad. T. Weir, 3e éd., Oxford University press, 1998, p. 69. Cit. G. Samuel, « Existe-t-il une procédure…? », op. cit., p. 138. 44 D. de Béchillon, « Imaginaire d'un code », Droits, 1996, n° 24, p. 175. 45 G. Cornu, « L'élaboration du code de procédure civile », Rev. hist. des facultés de droit et de la science juridique, 1995, n° 16, p. 253. Souligné par moi. 46 G. Braibant, « Comment codifier ? La méthode », (https://www.senat.fr/colloques/colloque_codification/colloque_codification_mono.htm l#toc43), L'avenir de la codification en France et en Amérique latine, (colloque 2-3 avr. 2004, Sénat). Souligné par moi. 47 E. De Champs, « Loi et progrès dans le Code Constitutionnel de Jeremy Bentham », Les Cahiers du C.R.E.AA.C.T.I.F, 2000, p. 14. 48 F. Ost, Le temps du droit, Odile Jacob, 1999, p. 230. 49 P. Malaurie, « Les enjeux ... », op. cit., p. 645. 9 il leur faudrait recommencer leurs études ; la loi devenant accessible au vulgaire, ils perdraient une partie de leur importance. Ils ne seraient plus comme les prêtres de l'Égypte, les seuls interprètes d'une science occulte. 50 » L'observation n'est que partiellement vraie pour l'époque. Après la revente de la Louisiane par Napoléon aux États-Unis en 1803, est promulgué un Digeste de la Loi Civile (1808), calqué dans sa structure en partie sur le Code Napoléon, en partie sur le droit espagnol. Au Digeste succédera le Civil Code of Louisiana, bilingue français-anglais, révisé en 1870 en anglais, puis en 1960 et 1992. Le souci d'une codification dans un sens de compilation et de consolidation du droit a poussé le Congrès des États-Unis à promulguer à partir de 1874 The United States Code (USC). Le USC, sorte de collage juridique qu'un professeur de droit, Tobias Dorsey, avait appelé « a Frankstein's monster of session laws », ne porte que « ‘prima facie' evidence of law ». Pour trouver le droit, il convient de se rapporter aux Statutes at Large, classés dans un ordre chronologique et mis à jour tous les six ans. Le USC est une sorte de version non officielle du droit, un digest, un guide néanmoins utile et pratique. Souhaitée par certains, la codification générale du droit américain par le Congrès semble improbable. N'empêche, beaucoup d'États américains se sont déjà dotés de codes. Quel que soit le système juridique, l'impasse ne peut être faite sur la compréhension du droit. Dans son premier message au Congrès des États-Unis, en 1861, Abraham Lincoln déclarait : « It seems to me very important that the statutes laws should be made as plain and intelligible as possible, and be reduced to as small a compass as may consist with the fullness and precision of the will of the Legislature and the perspiculty of its language (in order to) facilitate the labour of administration », « benefit to the people », « their interests and their duties. » L'administration, bras exécutif du gouvernement, est le premier destinataire des lois puisque leur application lui incombe. L'ésotérisme juridique, pointé par Tocqueville, était déjà dénoncé par Montaigne pour les lois civiles51, les matières administratives n'y échappent pas, d'autant plus que les bureaux ont longtemps cultivé le goût du secret, signe de l'arbitraire. À la fin de l'Ancien Régime, Prost de Royer, lieutenant général de la police de Lyon, auteur d'un Traité de science administrative, le considérait comme un « des abus destructeurs » de l'administration52, il en appelait à la conscience des administrateurs : « Humanité, vérité, instruction, justice ! Voilà quatre mots qu'il faudrait graver en lettres d'or dans tous les bureaux des administrations et en caractère de feu dans les cœurs de ceux qui osent y prendre place. » Les mots transparence et déontologie n'étaient pas encore nés. Au XXe s., Pierre Bourdieu a pu voir dans l'unification et la codification, le triomphe des clercs et des lettrés, accréditant son idée de « noblesse d'État ». Or l'assertion est erronée : en simplifiant le droit, en l'inscrivant dans une certaine économie, « le nombre des marchands du droit », autrement dit « des intermédiaires », de « la basoche », s'est beaucoup réduit53. La codification est à la fois tributaire d'une mentalité juridique et 50 Cit. D. Bureau, « Codification », in : Dictionnaire de la culture juridique, op. cit. p.227. Souligné par moi. 51 « Pourquoi notre langage commun, si aisé à tout usage, devient-il obscur et inintelligible en contrat et en testament ? ». 52 M. Boulet-Sautel, « Un traité de science administrative à la fin de l'Ancien Régime », in Hommage à Robert Besnier, Société d'histoire du droit, 1980, p. 64. 53 P. Malaurie, « Les enjeux… », op. cit., p. 643-644. 10 créatrice d'un type de juriste que Louis Liard qualifiait de géomètre54. Pierre Legendre renchérit : « Pour nous Français, les codifications avaient (...) essoré les traditions, supplanté les anciennes méthodologies, fabriqué une espèce nouvelle de juriste plus logicien, moins historien ; l'exigence des légistes révolutionnaires - (j'entends ici) ceux de la Constituante - stipulait l'unique législation rationnelle et nationale, fixée sur des principes stables et garantie par l'État centraliste.55» Or, « un code est un phénomène national, lié à une identité et à une culture nationales »56. À telle enseigne que « la France aura abandonné le franc et avec lui, une souveraineté monétaire bien plus ancienne que le franc germinal, avant d'avoir renoncé, au Code civil. 57 » Encore faudrait-il savoir ce qui navigue sous le pavillon de complaisance du code. III.- Le mot et la chose Dès qu'on écrit sur les codes, on se trouve confronté à leur définition et à la qualification de l'opération qui y mène. De l'antiquité à nos jours, il y a un je-ne-saisquoi et un presque-rien58 qui manquent aux œuvres réalisées et la rigueur sémantique dont se targuent les juristes est singulièrement mise à mal. La confusion et l'incertitude règnent sur ces « sources majeures » du droit. À se demander s'il n'y a qu'une unité formelle de l'objet. Jean Gaudemet l'exprime malicieusement : « Sont 'Codes', les petits livres à la couverture rouge, qu'une maison d'édition met à la portée de tous »59. Si le critère était physique, les juristes seraient presque soulagés, même si l'informatisation contemporaine procède à la virtualisation des codes. L'on pourrait alors s'interroger sur la révolution numérique avec l'emploi de logiciels, tel Magicode, par le Code des relations entre le public et l'administration et la construction de portails sur Internet comme celui de Légifrance. Code, Loi (Loi des XII Tables ; Loi salique), Compilation, Collection, Bréviaire (Bréviaire d'Alaric), Digesta (Code de Justinien), Corpus (Corpus iuris civilis ; Corpus iuri canonici), Édit (Édit de Théodoric, roi des Wisigoths), Institutes (de Gaïus ; de Gérando), Traité, Dictionnaire 60 , autant de mots qui ont enrichi et opacifié le vocabulaire juridique. Dans tous les cas, il est question de colliger, de réunir les textes dans un moule normatif tantôt en embrassant tout le droit, tantôt une branche du droit, en récapitulant les anciennes dispositions et leur donnant force légale et officielle. Toute codification suppose une part de tri, de suppression ou d'adjonction, même de dérégulation. Elle commande des choix, par exemple, placer telle ou telle mesure dans tel code ou un autre ou dans telle ou telle partie d'un même code. Le hasard est étranger à la construction codificatrice. 54 L. Liard, L'Enseignement supérieur en France de 1789 à 1893, Paris, 1894. Cit. D. Bureau, « Codification », op. cit., p. 227. 55 P. Legendre, « La facture historique des systèmes », RIDC 1971, p. 5. Souligné par moi. 56 P. Malaurie, « Les enjeux… », op. cit. p. 643. 57 J.-L. Halpérin, « Code Napoléon », op. cit., p. 208. 58 Expressions empruntées à V. Jankélévitch, Le Je-ne-sais-quoi et le Presquerien, 2 vol., PUF, 1957. 59 J. Gaudemet, « Codes, collections, compilations… », op. cit. 60 Ex. : Dictionnaire de l'administration française, de Maurice Block, 1877-1885. 11 Certains codes témoignent de la personnalisation de l'entreprise, du nom de leur maître d'œuvre (pour l'Ancien Régime, le Code de Henri III, rédigé par Brisson ; le Code Louis portant des ordonnances de Louis XIV ; à partir de 1807, le Code civil des Français devenu le Code Napoléon). La codification totale et unique relève de l'imaginaire et n'a pas été tentée, même si on s'est complu dans l'idée d'un « tout » code. La codification peut être partielle ou partiale, chronologique et/ou thématique, à droit constant le plus souvent. Elle peut procéder par refonte et réécriture des textes, supprimer un matériau devenu obsolète, enfin innover et réformer. À côté des codifications officielles peuvent exister des codes privés. De 1701 à 1789, il y en eut une cinquantaine : des codes militaires, un code des fabricants, un code hospitalier proche des codes actuels61, enfin des codes administratifs afin de divulguer les règles et d'assurer la sécurité juridique des relations entre l'administration et les administrés. Certains de ces codes ont reçu le soutien des personnages officiels, à l'exemple du Traité de la Police de Nicolas Delamare62 protégé ou encouragé (-à ton choix) par le premier président du Parlement de Paris, Lamoignon, lui ouvrant bibliothèques et dépôts d'archives. À partir de là, la codification administrative trouve sa fonction spécifique de constater le droit administratif et de le construire, sans pour autant aboutir à un code général et unique, lequel tient d'ailleurs de l'utopie. Elle est avant tout l'œuvre de théoriciens du droit, de la doctrine administrative. IV.- Nécessité et impossibilité d'un code administratif Si LE droit administratif comme branche autonome du droit était à naître, UN droit administratif a toujours existé. Des tentatives de sa divulgation, des essais de codification privée, semi-publique ou officielle le mettent en évidence. L'enjeu principal de la codification administrative à partir du XIXe s. était de marquer l'avènement d'une branche notable du droit et de consolider « ce droit qu'on dit administratif »63. Sous l'Ancien Régime, s'est affirmée « une pensée administrative »64. Cette genèse historique liée à l'apparition de la notion équivoque de « police », dérivée du grec polis, longtemps occultée ne fait plus de doute. Elle est le thème exclusif des répertoires éponymes au XVIIIe s., à commencer par le Traité de Delamare65 qui en relate les origines, en distinguant le droit public du droit privé, en soulignant la singularité des lois administratives, en dénombrant les « onze parties » dans lesquelles « la Police est toute refermée » (entre autres, sûreté, tranquillité publique, voirie). Son ouvrage se veut « une espèce de Code politique », fondé sur le droit naturel et les lois des Républiques. Ce travail mettra en vogue dans la deuxième moitié du XVIIIe s. d'autres Codes ou Dictionnaires, palliatifs de la codification officielle qui se fait attendre. 61 M. Suel, « Codes et compilations privés et publics », in Dictionnaire de la culture juridique, op. cit., p. 225. 62 N. Delamare, Traité de la police, 4 vol. 1722-1738. V. B. Plessix, « Nicolas Delamare ou les fondations du droit administratif français », Droits 2003, n° 38, p. 113. 63 G. Bigot, Ce droit qu'on dit administratif..., La Mémoire du droit, 2015. 64 P. Legendre, « Histoire de la pensée administrative française », in : Traité de science administrative, éd. Mouton, Paris, p. 5. 65 N. Delamare, Traité de la police, op. cit. 12 Le Code de la police ou analyse des règlements de police (1757) de François-Nicolas Duchesne, lieutenant-général de police, dont l'exposé vise « l'état actuel des officiers de police, et de rappeler à leur sujet, de même que sur chaque matière, les règlements qui doivent avoir encore leur exécution », connut un vif succès et de nombreuses rééditions. Dans la même veine, Edme La Poix de Fréminville publie un Dictionnaire ou Traité de la police générale des villes, bourgs, paroisses et seigneuries de la campagne (1758), dans le but de faire connaître aux officiers les règlements dispersés et mélangés. Le principe d'une légalité de l'action administrative commence à poindre. Rousseau le proclame dans De l'économie politique (1755), paru dans l'Encyclopédie, exigeant que « l'administration soit en tout conforme aux loix »66. Les principes révélés par la Révolution française sont en gestation. Si la Constitution de 1791 annonce qu'un Code général des lois sera fait, la tourmente de la période ne permet point sa réalisation. Au XIXème s., un net glissement s'opère des matières administratives au droit administratif. Les Principes d'administration publique (1808, rééd. en 3 vol., 1812) de Charles-Jean Bonnin compte comme LA référence en matière de rationalisation de la puissance publique. Le troisième volume rassemble des analyses sur un code administratif destinées à la formation des futurs administrateurs, préoccupation majeure de l'auteur. L'entreprise va au-delà de la simple compilation. Ce code comprend 708 articles répartis en trois livres consacrés aux Personnes dans l'Etat (Liv. I), aux Propriétés de l'Etat (Liv. II), à L'instruction administrative (Liv. III). Le texte est suivi d'un index et précédé d'explications sur la nécessité et le contenu du code, sur la méthode de rédaction et sur la démarche scientifique à adopter. « Le Code administratif doit être la réunion dans un système législatif, de tous les principes fondamentaux en matière d'administration publique. Il ne faut pas confondre, en effet, les dispositions législatives qui sont la matière d'un tel Code, avec les lois rendues sur les objets particuliers en administration et les simples règlements d'administration publique. Les premières doivent avoir un caractère d'invariabilité qui tient à leur nature, comme dispositions fondamentales ». Il y a urgence à codifier en raison des embarras quotidiens vécus par l'administration et par les administrés. Ce code est un bienfait civique, « aussi utile au gouvernement qu'aux citoyens ». Le plan de ce code fut soumis au Conseil d'État qui lui réserva un accueil médiocre67. En 1817, Lalouette fait paraître la Classification des lois administratives depuis 1789, visant une science de l'administration. Le premier titulaire de la chaire de droit administratif à la faculté de droit de Paris (1819), le baron de Gérando, conseiller d'État, produit un recueil monumental, méthodique et ordonné, de 80.000 textes de lois et de règlements, baptisé Institutes68, sous-titré Éléments du Code administratif. Son objectif était d'éviter « l'apprentissage de l'art difficile de l'administration aux risques et périls 66 V. pour ce sujet et la période, J.-L. Mestre, Introduction historique au droit administratif français, PUF, 1985, p. 8-19. 67 P. Escoube, « Charles-Jean Bonnin, précurseur de la science administrative », Rev. adm. 1958, n° 61, p. 15 ; G. Thuillier, « Les Principes d'administration publique de Charles-Jean Bonnin (1812) », Rev. adm., 1992, n° 267, p. 204. 68 J.-M. de Gérando, Institutes du droit administratif français, 5 vol., éd. Nève, Paris, 1829-1830. 13 des administrés » 69 , en reliant la connaissance des maximes de l'administrationn l'enseignement du droit administratif et la formation des agents. La problématique codeenseignement-école d'administration a traversé le XIXe s., sans parvenir à créer une telle école, ni à faire un code. Les doctrines administratives sont utilitaires. Gérando l'affirme d'entrée de jeu : « Nous ne nous engagerons point ici dans la discussion des raisonnements que les jurisconsultes éclairés ont opposés aux systèmes de codification. Quelle que soit l'opinion qu'on adopte sur l'utilité de refondre la législation entière par la création d'un code nouveau et systématique, on ne saurait mettre en question la nécessité de composer du moins, pour la science, un recueil coordonné et méthodique des lois en vigueur. C'est par ce genre de service que Domat et Pothier ont acquis tant de droits à notre reconnaissance.70» Son successeur à la faculté, Macarel, aussi conseiller d'État, réunit des Éléments de jurisprudence administrative (1818), tirés du dépouillement de 4000 dossiers contentieux depuis 1806. Jean-Baptiste Sirey publie le texte même des arrêts étudiés par Macarel. Il couronne son travail de divulgation en fondant en 1821 le Recueil des arrêts du Conseil d'État. Gérando, Macarel et Cormenin passent pour les pères fondateurs du droit administratif71. Cormenin, quant à lui, démode Macarel, en comprenant « l'inéluctabilité du pouvoir normatif du Conseil d'État » : « La matière administrative est encore régie par une foule de lois sanglantes, monstrueuses, indigestes, confusément entassées dans le réceptacle du Bulletin [des lois]. Plusieurs sont tombées en désuétude. Les unes sont noyées dans des détails fastidieux. Les autres sont trop brèves. La jurisprudence a partout expliqué, commenté, remplacé la loi.72» Cormenin a aussi étudié la centralisation administrative, comme critère principal de l'État libéral émané de la Révolution73. Le besoin de code est ressenti comme urgent mais n'est pas imminent. Après l'énumération des divers codes de droit privé, le Dictionnaire de la Conversation et de la Lecture insiste in fine : « Puis viendrait enfin celui de tous les codes dont nous sentons le plus le besoin, le code administratif, embrassant toutes les branches de l'administration générale, dans toutes leurs ramifications ; établissant la division administrative, qui doit être invariable, ou qui ne pourrait être changée par une loi ; assurant de manière irrévocable le sort de tous les employés et de tous les fonctionnaires administratifs ; réglant les principes et la marche intérieure de chaque administration particulière, et surtout les rapports avec les citoyens : là se trouveraient le livre de la loi consacré au domaine public (...), le livre de la loi consacré aux affaires des communes, le livre de la loi consacré aux affaires du fisc, le livre de la loi consacré 69 J.-M. de Gérando, « Discours d'ouverture du Cours de droit public et administratif », Thémis, 1819, p. 83. 70 J.-M. de Gérando, Institutes, op. cit. t. I, p. 2-3. Souligné par moi. 71 V. G. J. Guglielmi, « Vu par ses pères fondateurs, le droit administratif », CURAPP, Le droit administratif en mutation, PUF, 1993, p. 41. 72 L.-M. de Lahaye de Cormenin, Questions de droit administratif, 2 vol. éd. Guyot-Goblet, Paris, 1822. Cit. F. Burdeau, Histoire du droit administratif, PUF/Thémis, 1995, p. 114-115. 73 L. de Cormenin, Droit administratif, éd. Pagnerre et Thorel, Paris, 5e éd. 1840, t. I. 14 aux affaires de religion : puis tous les titres secondaires qu'une classification raisonnable pourrait rendre nécessaires.74 » Exposés juridiques et monographies se multiplient pour créer une sphère administrative dotée de normes propres. Sous la Restauration et la Monarchie de juillet, une quinzaine de Codes officieux portent sur des matières diverses (dessèchement, ponts-et-chaussées, contributions, hôpitaux, théâtres, chemins vicinaux, etc.). À cette époque, BouchenéLefer présente son Droit public et administratif français, restreint à l'ambition d'un Code administratif75. Dépourvus de code officiel, les administrativistes français du XIXe s. tiennent les Annales du droit administratif76. La grande littérature a génialement remédié au manque : Les Employés (1838) de Balzac constitue « un véritable traité de science administrative »77. Le XXIe s. renverse la courbe historique en donnant vie à une multitude de codes administratifs thématiques ou sectoriels. Chaque ministère réclamant son code, on en est venu à mettre en garde contre des codes superflus78, à combattre la codification à outrance, bref à éviter à ajouter à l'inflation législative une dilatation codificatrice. Le défaut de code dans un système juridique ne signifie pas pour autant un néant juridique ou une jungle législative impossible à débroussailler. Il a bien existé une constitution administrative qui réglait les rapports des particuliers avec l'administration et révélait « l'identité administrative de notre pays »79. Tocqueville l'a observé avec sagacité : « C'est que depuis 89, la constitution administrative est toujours restée debout au milieu des ruines des constitutions politiques. On changeait la personne du prince ou les formes du pouvoir central, mais le cours régulier des affaires n'était ni interrompu ni troublé ; chacun continuait à être soumis dans les petites affaires qui l'intéressait, aux règles et usages qu'il connaissait ; il dépendait des pouvoirs secondaires auxquels il avait toujours eu l'habitude de s'adresser, et d'ordinaire il avait affaire aux mêmes agents ; car, si à chaque révolution l'administration était décapitée, son corps restait intact et vivant80. » Bien plus, « une grande révolution administrative avait précédé la révolution politique81. » Quant au sort des codes, en particulier du Code des relations entre le public et l'administration, laissons le mot de la fin à Portalis : « C'est à l'expérience à combler 74 Dictionnaire de la Conversation et de la Lecture, Tome XV, art. « Codification », p. 84 (« code administratif » en italique dans le texte). Souligné par moi. 75 V. F. Burdeau, Histoire du droit administratif, op. cit., p. 112-113. 76 P. Legendre, Histoire de l'administration de 1750 à nos jours, PUF/Thémis, 1968 p. 467. 77 R. Drago, Cours de Science administrative, Cours de droit, 1968-1969, p. 39. 78 N. Molfessis, « Combattre l’insécurité juridique ou la lutte du système juridique contre lui-même », EDCE 2006, p. 397. 79 J.-J. Bienvenu et al. (dir.), La Constitution administrative de la France, LGDJ, coll. Thèmes & commentaires, 2012. 80 A. de Tocqueville, L'Ancien Régime et la Révolution, Le Club fr. du livre, 1964, Livre III, chap. 7, p. 202. Souligné par moi. 81 Ibid. Souligné par moi. 15 successivement les vides que nous laissons. Les codes des peuples se font avec le temps ; mais à proprement parler, on ne les fait pas82 »... 82 « Discours préliminaire du premier projet de Code civil », in : Recueil complet des discours prononcés lors de la préparation du Code civil par les divers orateurs du Conseil d'Etat et du Tribunat, t. I, Paris, éd. Firmin-Didot Frères, 1838, p. 6. Souligné par moi.