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Institut Louis Favoreu Groupe d'Études et de Recherches comparées sur la Justice Constitutionnelle Équipe associée au CNRS (UMR 7318) Aix-en-Provence Annuaire International de Justice Constitutionnelle XXXII 2016 (extraits) ECONOMICA 49, rue Héricart 75015 Paris PRESSES UNIVERSITAIRES D'AIX-MARSEILLE 3, Avenue R. Schuman 13628 Aix-en-Provence cedex 01 2017 TABLE RONDE MIGRATIONS INTERNATIONALES ET JUSTICE CONSTITUTIONNELLE GRÈCE par Ioannis STRIBIS* La migration est un phénomène itératif dans le temps qui affecte, de façon et d’intensité sans doute différentes, toutes les régions géographiques et tous les États. La Grèce fut longtemps un État principalement d’émigration pour des raisons économiques. Toutefois des événements survenant à la fin du XIXe et au XXe siècles dans la région de la Méditerranée orientale et des Balkans ont amené des vagues d’immigration vers la Grèce, que le pays a dû accueillir1 et – tant bien que mal – intégrer. Les migrants de ces périodes étaient dans leur très grande majorité des personnes éthiquement et culturellement grecques. Ce n’est qu’après la fin de la Guerre froide que la Grèce est devenue un pays d’accueil de migrants, après l’ouverture des frontières des pays des Balkans, de l’ex-Union soviétique ainsi que de l’Europe centrale et également suite aux conflits qui ont marqué la dissolution des États multiethniques, tels que la Yougoslavie ou l’Union soviétique. Les autorités grecques ont dû par conséquent improviser, dans l’urgence, au début de la dernière décennie du XXe siècle un cadre réglementaire pour faire face à l’entrée et l’établissement sur le territoire grec d’un grand nombre d’étrangers2. Depuis, les flux migratoires vers le continent européen tendent à devenir un phénomène persistant. De nombreux bouleversements de grande envergure dans le Moyen-Orient, le continent africain ou l’Asie amènent un grand nombre de personnes à migrer vers l’Europe pour éviter la guerre, les persécutions, la famine, la * 1 2 Professeur agrégé, Université d’Égée. Cf. Convention entre la Grèce et la Turquie concernant l’échange des populations grecques et turques et Protocole, Lausanne, 30 janvier 1923, Série de traités de la Société des Nations, 1925, n° 807. Cf. Loi n° 1975/1991 sur l’entrée, la sortie, le séjour, l’emploi, l’expulsion d’étrangers et la procédure de reconnaissance d’étrangers comme réfugiés [Journal officiel du Gouvernement de la République hellénique (JOGRH), fascicule A, n° 184, 4 décembre 1991] ; Loi n° 2452/1996 sur la réglementation des questions de réfugiés et l’amendement de la Loi n° 1975/1991 (JOGRH, fascicule A, n° 283, 31 décembre 1996) ; décret présidentiel n° 61/1999 portant sur la procédure de reconnaissance d’un étranger en tant que réfugié, la révocation de cette reconnaissance et l’expulsion, l’approbation de l’entrée des membres de la famille ainsi que la coopération avec le représentant en Grèce de l’Agence des NU pour les réfugiés (JOGRH, fascicule A, n° 63, 6 avril 1999). Annuaire international de justice constitutionnelle, XXXII-2016 366 MIGRATIONS INTERNATIONALES ET JUSTICE CONSTITUTIONNELLE pauvreté ou pour y chercher un meilleur avenir. L’enracinement du fondamentalisme et du terrorisme dans certaines régions et l’usage de la force armée par des acteurs locaux et étrangers pour essayer de les juguler ou encore les protestations et révoltes dans le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord, qualifiées alors de « printemps arabe », les guerres civiles, les conflits ethniques et sectaires et les interventions militaires des puissances étrangères qui les ont suivies ont aggravé les pressions migratoires vers l’Europe. Le phénomène concerne certes la totalité des pays du continent. Il n’en reste pas moins que certains États sont confrontés à ces pressions de façon plus directe et massive. Il s’agit des États dits « de première entrée », c’est-à-dire ceux qui ont des frontières terrestres et/ou maritimes avec les pays d’origine ou de transit des migrants et qui de ce fait se trouvent sur les routes empruntées par la grande majorité de personnes souhaitant venir en Europe. Parmi ces États, compte évidemment la Grèce par sa position géographique. La pression migratoire et son intensité, principalement depuis trois ou quatre ans, ont profondément marqué la vie sociale en Grèce ; le droit ne pouvait pas y échapper. Le législateur a dû essayer de mettre à jour le cadre réglementaire existant des années 1990 pour faire face aux défis actuels et les juridictions, en premier lieu administratives ont été saisies de nombreux recours relatifs au statut des migrants, y compris des réfugiés (e.g. entrée et séjour irréguliers, reconnaissance du statut de réfugié, regroupement familial, expulsion ou autres formes d’éloignement du territoire). I.- DISTINCTIONS Le cadre normatif applicable aux migrations est fondé sur la distinction entre migrants et réfugiés et sur la différenciation de statuts appliqués à diverses catégories de personnes. Dans l’ordre juridique grec, le terme « migrant » est un terme général qui ne reçoit pas de définition spécifique (v. Article 1er de la loi n° 4251/2014). Il s’agit par conséquent de tout étranger, qui n’a pas la nationalité de l’un des États membres de l’Union européenne, qui pour quelque raison que ce soit abandonne son pays d’origine ou de résidence habituelle (pour des apatrides3) pour aller dans un autre lieu. Le réfugié, au contraire est défini en droit interne grec (Article 1er, paragraphe 1er, litt. (f) de la loi n° 4251/2014) comme le citoyen de tout État tiers (c’est-à-dire, non-membre de l’Union européenne) ou l’apatride qui remplit les conditions de l’application de l’article 1er, section A de la convention relative au statut des réfugiés (Genève, 28 juillet 1951), à savoir qui craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, s’il n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner. La législation hellénique prévoit une autre catégorie de migrants, les personnes titulaires de protection subsidiaire (Article 1er, paragraphe 1er, litt. (g) de la loi n° 4251/2014). Il s’agit des personnes qui ne remplissent pas les conditions requises pour obtenir le statut de réfugié mais pour lesquelles il y a des motifs sérieux de croire que, si elles étaient renvoyées dans leur pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courraient 3 Convention de 1954 relative au statut des apatrides, New York, 28 septembre 1954, ratifiée par la Loi n°139/1975, JOGRH, fascicule A, n° 176, 25 août 1976. GRÈCE 367 un risque réel de subir les atteintes graves, et ne pouvaient pas ou, compte tenu de ce risque, n’étaient pas disposées à se prévaloir de la protection de ce pays (Article 1er, paragraphe 1er, litt. (g) de la loi n° 4251/2014)4. Les atteintes graves que les personnes bénéficiant de la protection subsidiaire risquent de subir sont définies dans l’article 15 du décret présidentiel n° 141/2013 sur l’adaptation de la législation hellénique aux dispositions de la directive 2011/95/UE du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 2011 concernant les normes relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir bénéficier d’une protection internationale, à un statut uniforme pour les réfugiés ou les personnes pouvant bénéficier de la protection subsidiaire, et au contenu de cette protection (refonte)5. La définition en question reprend l’article 15 de la directive 2011/95/UE en prévoyant que les titulaires de protection subsidiaire doivent être menacés dans leur pays d’origine ou dans le pays de leur résidence habituelle (en cas d’apatrides) de a) la peine de mort ou l’exécution ; ou b) la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine ; ou, c) des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international. Une troisième catégorie distincte des migrants reconnue par la législation hellénique est celle des titulaires de titre de séjour pour des raisons humanitaires (« statut humanitaire »). Il s’agit d’un statut de protection alternatif dans la mesure où pour en être titulaire, il faut que la demande d’asile de la personne concernée ait été rejetée en dernier ressort. Ce statut a été instauré dans les années 1990 pour assurer une protection analogue (bien que non équivalente) à celle prévue pour les réfugiés, pour des personnes qui, quoique ne remplissant pas les conditions formelles requises par la convention de 1951 relative au statut des réfugiés, étaient considérées par les autorités helléniques trop vulnérables dans les conditions de leur pays d’origine (ou de résidence habituelle) et de ce fait nécessitaient une protection particulière. Le « statut humanitaire », accordé à titre à la fois discrétionnaire et provisoire, fut introduit dans l’ordre juridique hellénique en 19966, et visait principalement des personnes ayant fui les conflits dans l’ex-Yougoslavie. La plus récente formulation de ce statut se trouve dans la loi n° 4375/20167. Lors de son introduction, le « statut humanitaire » était pensé de manière à accorder à l’administration une marge d’appréciation quasi absolue : « Dans des circonstances exceptionnelles le ministre de l’Ordre public peut, notamment pour des raisons humanitaires, approuver le séjour provisoire d’un étranger, dont la demande de statut de réfugié a été rejetée, jusqu’à ce que son départ du pays devienne possible » (Article 2, paragraphe 4 de la loi n° 2452/1996). Le législateur a depuis précisé le « statut humanitaire » et élargi sa portée, notamment en énumérant les critères qui doivent être remplis pour qu’un demandeur d’asile puisse en bénéficier8. Actuellement le titre de séjour pour des raisons humanitaires peut être délivré par l’administration aux victimes de la traite des êtres humains ; aux victimes ou témoins essentiels des crimes contre la vie, la santé, l’intégrité physique, les biens, la propriété et la liberté personnelle et sexuelle ; aux victimes des violences 4 5 6 7 8 Cf. Article 2, litt. (f) de la Directive 2011/95/UE du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 2011 concernant les normes relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir bénéficier d’une protection internationale, à un statut uniforme pour les réfugiés ou les personnes pouvant bénéficier de la protection subsidiaire, et au contenu de cette protection (refonte), JOUE L 337, 20 décembre 2011. JOGRH, fascicule A, n° 226, 21 octobre 2013. Article 2, paragraphe 4 de la loi n° 2452/1996, JOGRH, fascicule A, n° 283, 31 décembre 1996. Article 67, JOGRH, fascicule A, n° 51, 3 avril 2016. Article 44 de la loi n° 3386/2005, JOGRH, fascicule A, n° 212, 23 août 2005. 368 MIGRATIONS INTERNATIONALES ET JUSTICE CONSTITUTIONNELLE domestiques ; aux victimes des conditions d’emploi abusives, ayant des incidences graves sur leur santé et leur sécurité et portant atteinte à leur dignité ; aux personnes suivant un traitement de santé mentale ; en cas d’impossibilité objective d’éloignement du territoire hellénique ou de départ au pays d’origine ou de résidence habituelle dus à des raisons de force majeure, telles les conditions sérieuses de la santé du requérant ou d’un membre de sa famille, l’embargo international du pays d’origine ou de résidence habituelle ou bien l’interdiction d’expulsion, le refoulement ou l’extradition vers un État où il y a des motifs sérieux de croire que le requérant risque d’être soumis à la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants en contravention des obligations assumées par la Grèce au titre de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme et de l’article 3 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (New York, 10 décembre 1984)9 ; ainsi qu’aux parents étrangers d’enfants grecs10. Par conséquent, la notion de migrant est une notion de genre, désignant toute personne qui quitte son pays pour s’installer dans un autre et comprenant plusieurs espèces, en premier lieu les réfugiés, qui bénéficient d’une protection internationale spécifique, ainsi que d’autres catégories de personnes auxquelles est reconnu un degré de protection particulière en raison des circonstances. Une autre catégorie de migrants est enfin constituée par ceux qui ont obtenu un titre de séjour valable (étrangers titulaires de titre de séjour). II.- CADRE NORMATIF 1. La Constitution grecque ne garantit pas le droit d’entrer ou de rester sur le territoire national. Elle ne garantit pas non plus le droit d’asile. Toutefois la Constitution prévoit des règles en ce qui concerne la nationalité. Article 4 paragraphe 3 : 3. « Sont citoyens hellènes tous ceux qui réunissent les conditions fixées par la loi. Le retrait de la nationalité hellénique n’est permis que dans les cas d’acquisition volontaire d’une autre nationalité ou d’acceptation auprès d’un pays étranger de services contraires aux intérêts nationaux, et cela dans les conditions et suivant la procédure spécialement prévue par la loi ». Par ailleurs, la Constitution garantit pour tous ceux qui se trouvent sur le territoire hellénique la jouissance d’une protection absolue de leur vie, de leur honneur et de leur liberté. Dans le cadre de cette recherche, il faut également citer le paragraphe 2 de l’article 5 de la Constitution, dont le premier alinéa a la teneur suivante : « Tous ceux qui se trouvent sur le territoire hellénique jouissent de la protection absolue de leur vie, de leur honneur et de leur liberté sans distinction de nationalité, de race, de langue, de convictions religieuses ou politiques. Des exceptions sont permises dans les cas prévus par le droit international. »11 Quant au second alinéa de ce paragraphe, 9 10 11 Ratifiées respectivement par le Décret-loi n° 53/1974, JOGRH, fascicule A, n° 256, 20 septembre 1974, et la loi n° 1782/1988, JOGRH, fascicule A, n° 116, 3 juin 1988. V. Julia IliopoulosStrangas, « Expulsion, refoulement, extradition des étrangers et la Conventions des Nations Unies contre la torture », revue La Constitution, 1996 (22), p. 3-72 (en grec). Article 19A de la loi n° 4251/2014, ajouté par l’article 8, paragraphe 25 de la loi n° 4332/2015, JOGRH, fascicule A, n° 76, 9 juillet 2015. V. Jean VOULGARIS, « La protection constitutionnelle de l’étranger », in Cinq années d’application de la Constitution de 1975, 1981, p. 125-148 (en grec) ; I. KATRAS, « Contribution à l’interprétation de l’Article 5, paragraphe 2 de la Constitution », Journal des juristes grecs, 1981, p. 239-243 (en GRÈCE 369 il prévoit que « L’extradition d’un étranger persécuté en raison de son action en faveur de la liberté est interdite ». 2. Le cadre normatif principal qui régit le statut des réfugiés dans l’ordre interne hellénique est la Convention relative au statut des réfugiés (Genève, 28 juillet 1951) ainsi que son Protocole (New York, 31 janvier 1967), qui ont été ratifiés par la Grèce respectivement par le décret-loi n° 3989/1959 12et la loi d’exception13 n° 389/196814. La prééminence de la règle conventionnelle internationale trouve sa racine dans la Constitution elle-même qui dispose que « les règles du droit international généralement reconnues, ainsi que les conventions internationales dès leur ratification par la loi et leur entrée en vigueur conformément aux dispositions de chacune d’elles, font partie intégrante du droit hellénique interne et priment toute disposition de loi contraire » (Article 28 de la Constitution). De cette façon, les réfugiés sont, en droit hellénique, des destinataires directs des règles conventionnelles internationales et peuvent les invoquer devant l’autorité publique (pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire). Les autres migrants par contre ne peuvent se prévaloir d’une protection internationale spécifique. Néanmoins leur sont applicables, comme à tout sujet de droit sans distinction, les règles internationales relatives à la protection des droits de l’homme, en temps de paix, ainsi que du droit international humanitaire, s’ils se trouvent dans des situations de conflit armé. Dans ces limites chaque État peut régler le statut des migrants se trouvant dans son territoire. 3. D’application plus générale sont les règles qui émanent de l’Union européenne et font partie intégrante de l’ordre juridique hellénique. Comme on l’a déjà dit, les flux migratoires constituent un phénomène touchant l’ensemble de l’Europe. La Communauté puis l’Union européenne se sont attelées à la tâche de mettre en place un cadre normatif permettant de régler les divers aspects des migrations vers les États membres. Ce cadre comprend, à côté des dispositions d’application générale des traités de base (traité sur l’Union européenne, traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, tels qu’issus du traité de Lisbonne de 2007) et de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, les textes normatifs qui forment ce que l’on appelle le régime d’asile européen commun (RAEC). Deux règlements et trois directives constituent à titre principal le RAEC, dont le but est d’établir un statut uniforme dans les États membres de l’Union européenne pour les réfugiés et autres personnes nécessitant une protection. Le cadre normatif du RAEC se compose de règles de fond et de procédure et s’articule en cinq piliers. Le premier pilier du RAEC (appelé souvent « qualification ») est la Directive 2011/95/UE du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 2011 concernant les normes relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir bénéficier d’une protection internationale, à un statut uniforme pour les réfugiés ou les personnes pouvant bénéficier de la protection subsidiaire, et au contenu de cette protection (refonte). Ses dispositions précisent les motifs pour lesquels une protection internationale peut être octroyée, précise les critères d’application communs pour 12 13 14 grec) ; pour la période antérieure à 1975 ; cf. Emile BEDERMACHER-GEROUSIS, « La position juridique de l’étranger en Grèce », Harmenopoulos, 1973, p. 157 et s. (en grec). JOGRH, fascicule A, n° 201, 26 septembre 1959. Loi adoptée par le gouvernement issu du coup d’État du 21 avril 1967, le parlement ayant été dissout. JOGRH, fascicule A, n° 125, 4 juin 1968. 370 MIGRATIONS INTERNATIONALES ET JUSTICE CONSTITUTIONNELLE l’identification des personnes qui ont besoin de protection internationale (statut de réfugié, conformément à la Convention de 1951 relative au statut de réfugié ou la protection subsidiaire, dans le sens susmentionné) et vise à leur garantir un traitement uniforme et équitable et à leur assurer un niveau minimal d’avantages, facilitant l’accès de titulaires de la protection aux droits sociaux et aux mesures d’intégration. Elle a été transposée dans l’ordre juridique interne par le décret présidentiel n° 141/2013 précité15. Vient ensuite la Directive 2013/33/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l’accueil des personnes demandant la protection internationale (refonte) (qualifié de directive « accueil ») qui a comme objectif d’améliorer et d’harmoniser davantage les normes d’accueil des demandeurs de protection internationale dans l’ensemble de l’Union européenne. Ses dispositions visent à garantir aux personnes en attente d’une réponse à leur demande de protection internationale des conditions matérielles d’accueil humaines dans l’ensemble de l’UE (par exemple, un hébergement, des conditions de vie et une assistance sociale comparables d’un État membre à l’autre) et le respect total de leurs droits fondamentaux. Elle assure également que le placement en rétention n’est appliqué qu’à titre de mesure de dernier ressort. À l’heure actuelle cette directive n’est que partiellement transposée (ses articles 8-11) par la loi n° 4375/2016 (article 46). Pour la transposition des autres dispositions de cette directive, le ministère de l’Intérieur et de la Reconstruction administrative a soumis pour consultation ouverte un projet de décret présidentiel. Ce décret présidentiel n’a pas été encore adopté16. Le même jour de l’adoption de la directive 2013/33/UE sur les conditions d’accueil, le Parlement européen et le Conseil adoptent également la Directive 2013/32/UE relative à des procédures communes pour l’octroi et le retrait de la protection internationale (refonte) (directive « procédure ») visant à rendre plus rapidement des décisions plus équitables et de meilleure qualité en matière de protection internationale des demandeurs d’asile. La directive instaure un système cohérent pour que les décisions en matière d’asile soient adoptées de manière plus efficace et plus équitable, et pour que tous les États membres de l’UE examinent les demandes selon une procédure identique (fixation des délais pour que les autorités compétentes des États membres répondent aux demandes de protection internationale et garanties procédurales : entretien systématique avant la décision administrative, présence d’un tiers aux côtés du demandeur, enregistrement de l’entretien, etc. Cette directive a été transposée dans l’ordre juridique hellénique par la loi n° 4375/201617. Le quatrième pilier du RAEC concerne la détermination de l’État membre de l’UE responsable pour l’examen des demandes de protection internationale (système dit « Dublin »). Ce système en est à sa troisième révision par le Règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride (refonte). Ce règlement repose sur le principe central selon lequel la responsabilité de l’examen d’une demande incombe en premier lieu à l’État membre qui a joué le rôle principal dans l’entrée ou le séjour du demandeur sur le territoire de l’Union. D’autres États membres peuvent être appelés à assumer la responsabilité de l’examen d’une demande en vertu des critères allant 15 16 17 JOGRH, fascicule A, n° 226, 21 octobre 2013. Accessible sur le site du Gouvernement : http://www.opengov.gr/ypes/wp-content/uploads/ downloads/2015/11/asylo.pdf. JOGRH, section A, n° 51, 3 avril 2016. GRÈCE 371 des considérations familiales à la possession récente d’un visa ou d’un titre de séjour dans un État membre, en passant par la question de savoir si le demandeur est entré dans l’UE d’une manière irrégulière ou régulière. Une des innovations du Règlement (UE) n° 604/2013 est l’effort de mettre en place un système de détection précoce des problèmes pouvant désorganiser les régimes nationaux d’octroi de protection internationale, afin d’éviter des crises ou l’effondrement de ces régimes. Le cadre normatif du RAEC est complété par le Règlement (UE) n° 603/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relatif à la création d’Eurodac pour la comparaison des empreintes digitales aux fins de l’application efficace du règlement (UE) n° 604/2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride et relatif aux demandes de comparaison avec les données d’Eurodac présentées par les autorités répressives des États membres et Europol à des fins répressives, et modifiant le règlement (UE) n° 1077/2011 portant création d’une agence européenne pour la gestion opérationnelle des systèmes d’information à grande échelle au sein de l’espace de liberté, de sécurité et de justice (refonte) (règlement Eurodac). Ce règlement organise un système informatisé d’empreintes digitales des personnes déposant une demande de protection internationale et de celles appréhendées lors du franchissement irrégulier d’une frontière extérieure de l’UE et précise les conditions sous lesquelles les autorités des États membres peuvent avoir accès aux bases de données de ce système, afin de déterminer l’État membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale et de prévenir et détecter des actes criminels ou d’enquêter sur ceux-ci. Au niveau interne, le cadre législatif régissant les questions d’immigration, d’asile et de protection internationales est principalement composé de deux lois, adoptées en mars 2014 et 2016 respectivement. La première est la loi n° 4251/2014 sur le Code d’immigration et d’insertion sociale18, et la seconde, la loi n° 4375/2016 sur l’organisation et le fonctionnement du Service d’asile, de l’Autorité de demandes, du Service d’accueil et d’identification, l’établissement du Secrétariat général d’accueil, l’adaptation de la législation hellénique aux dispositions de la Directive 2013/32/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 « relative à des procédures communes pour l’octroi et le retrait de la protection internationale (refonte) » (L 180/29.6.2013) et relative aux dispositions sur l’emploi des titulaires de protection internationale19. Enfin, l’application des dispositions relatives à l’immigration et l’asile est en Grèce, comme pour toute partie contractante de la Convention européenne des droits de l’homme, soumise aux obligations contenues dans celle-ci. Il s’agit de l’obligation d’éviter toute action ou omission susceptible d’exposer une personne sous leur juridiction à un risque réel de peine de mort, de torture, peines ou traitements inhumains ou dégradants, de persécutions ou de toute violation grave d’autres droits fondamentaux. Cela vaut également pour le renvoi d’une personne dans un pays de transit (pouvant être classé parmi les « pays tiers sûrs ») qui lui-même n’offre pas de garanties suffisantes contre le refoulement20 ; l’interdiction des « refoulements » ou des expulsions collectives21 ; l’obligation que les migrants, y compris les demandeurs de protection internationale, ne soient pas soumis à des mauvais traitements, des traitements inhumains ou dégradants, des violences disproportionnées, des entraves physiques, des fouilles corporelles inutiles ou inadaptées22 ; l’interdiction de toute 18 19 20 21 22 JOGRH, section A, n° 80, 1er avril 2014. JOGRH, section A, n° 51, 3 avril 2016. Cf. CourEDH, Hirsi Jamaa et autres c. Italie Cf. CourEDH, Hirsi Jamaa et autres c. Italie. Cf. CourEDH, Solomou et autres c. Turquie. 372 MIGRATIONS INTERNATIONALES ET JUSTICE CONSTITUTIONNELLE discrimination fondée sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l’origine nationale ou sociale, l’appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation lors des contrôles relatifs à l’immigration et dans les décisions d’autoriser l’entrée sur le territoire23 ; ainsi qu’à l’obligation de garantir des conditions adéquates et un accès satisfaisant à des soins de santé et à une nourriture suffisante pour les migrants qui sont retenus dans des centres d’accueil ou autres24. III.- STATUT DES MIGRANTS A.- Catégories Le statut des migrants dépend de leur qualification en droit interne. Ainsi la législation hellénique prévoit quatre catégories de migrants : les migrants irréguliers, les migrants réguliers, les demandeurs d’asile et les titulaires de protection internationale. Comme on l’a dit, la législation hellénique ne garantit pas pour les étrangers un droit d’entrer ou de rester en Grèce. La première catégorie de migrants comprend, par conséquent, tous ceux qui ne remplissent pas les conditions d’entrée sur le territoire hellénique prévues dans l’article 5 du Règlement n° 562/2005 (« Code frontières Schengen »25) ou les autres critères de la législation interne sur l’entrée et le séjour en Grèce (art. 1, par. 1, point 13, loi 4251/2014). La catégorie de migrants réguliers est composée de migrants titulaires d’un titre de séjour (migrants résidents) et de ceux titulaires d’un visa d’entrée en Grèce. La législation prévoit un certain nombre de types de carte de séjour : carte de séjour de longue durée ; carte de séjour pour des raisons professionnelles ; carte de séjour provisoire ; carte de séjour pour des raisons humanitaires ou exceptionnelles ; carte de séjour pour les victimes de traite des êtres humains ou de trafic de migrants ; et carte de séjour pour les membres de la famille de ressortissants grecs (art. 7, loi 4251/2014). Chacun de ces types de titre de séjour est (ou peut-être) subordonné à des conditions spécifiques. En outre la loi n° 4251/2014 prévoit des conditions d’application générale. En règle générale est requise la possession de titre valable de voyage et de visa d’entrée en Grèce. Il est également indispensable pour la délivrance de titre de séjour de tous types que le requérant ne constitue pas une menace pour l’ordre public, la sécurité interne ou les relations internationales de la Grèce ni pour la santé publique (art. 6, loi 4251/2014). Se trouvent également de manière légale sur le territoire grec les titulaires de visa Schengen (visa C), jusqu’à 180 jours ; les titulaires de visa national (visa D) entre 181 et 365 jours (art. 5, loi 4251/2014). La législation ne prévoit pas de quotas pour les personnes appartenant à l’un ou l’autre des deux groupes de migrants réguliers. La troisième catégorie distincte de migrants comprend les demandeurs d’asile. Répétons ici que la Constitution ne reconnaît pas un droit à l’asile. La disposition constitutionnelle prévoyant que « L’extradition d’un étranger persécuté en raison de son action en faveur de la liberté est interdite » (Article 5, paragraphe 2, second alinéa, à laquelle nous reviendrons infra dans le contexte de l’éloignement 23 24 25 Cf. Comm.EDH, East African Asians c. Royaume-Uni ; CourEDH, Abdulaziz, Cabales et Balkandali c. Royaume-Uni ; CourEDH, Kiyutin c. Russie. Cf. CourEDH, M.S.S. c. Belgique et Grèce. Règlement (CE) n° 562/2006 du Parlement européen et du Conseil du 15 mars 2006 établissant un Code communautaire relatif au régime de franchissement des frontières par les personnes (Version consolidée au 24/4/2012), JOUE n° L 105 du 13 avril 2006. GRÈCE 373 forcé) a un caractère négatif et n’oblige pas à une action positive ; le refus d’extradition peut être accompagné de mesures comme l’autorisation de départ de la personne concernée de la Grèce vers une destination de son choix, l’octroi de titre de séjour, etc. Il n’en reste pas moins que la réalité qu’un étranger persécuté en raison de son action en faveur de la liberté est un argument de poids lors de l’examen d’une demande d’asile déposée par celui-ci. Les dispositions qui sont applicables aux demandeurs d’asile sont celles de la convention de 1951 relative au statut de réfugié, ainsi que celles de la législation interne qui ne sont pas contraires à cette convention (cf. supra, art. 28 paragraphe 1er de la Constitution : prééminence des conventions internationales ratifiées sur toute disposition de loi contraire). Les conditions de fond pour bénéficier de la protection internationale sont celles de la convention susmentionnée, telles que précisées dans la législation, en premier lieu la directive 2011/95 et la loi n° 4375/2016. Les instances chargées de l’examen des demandes d’asile et la procédure sont spécifiées par le droit interne (principalement la directive 2013/33 et la loi n° 4375/2016). Les demandeurs d’asile reçoivent une carte de demandeur de protection internationale (art. 1, par. 1, point 9, de la loi n° 4251/2014), qui leur donne une série de droits, que nous allons présenter infra. La quatrième catégorie de migrants comprend les titulaires de protection internationale (réfugiés et titulaires de protection subsidiaire). Ces personnes bénéficient des dispositions de la convention de Genève relative au statut de réfugié ou de la législation interne, en ce qui concerne les titulaires de protection subsidiaire. Elles ont droit à un titre de séjour spécial et à des titres de voyage reconnus sur un plan international. B.- Contenu du statut La disposition fondamentale à cet égard est l’article 5, paragraphe 2, premier alinéa de la Constitution, selon laquelle « Tous ceux qui se trouvent sur le territoire hellénique jouissent de la protection absolue de leur vie, de leur honneur et de leur liberté sans distinction de nationalité, de race, de langue, de convictions religieuses ou politiques. Des exceptions sont permises dans les cas prévus par le droit international ». Par conséquent, en ce qui concerne le droit à la vie, à la dignité et à la liberté, tous les migrants, quelle que soit la catégorie susmentionnée à laquelle ils appartiennent, sont en principe traités sans distinction avec les ressortissants grecs et les ressortissants des autres États membres de l’Union européenne26. Il en va de même pour les droits garantis par le système de la Convention européenne des droits de l’homme (art. 1er, « toute personne relevant de leur juridiction »). En ce qui concerne enfin les droits de caractère civil, le Code civil hellénique prévoit l’égalité entre nationaux grecs et étrangers, sans distinction (art. 4 du Code civil). Se penchant de plus près sur les droits subjectifs individuels, l’on peut se concentrer sur certains qui présentent un intérêt particulier pour les migrants ou qui reçoivent un traitement particulier. Dans ce contexte et tenant compte de l’afflux massif des migrants, que les événements des années 2013 et suivantes ont montré accablants, en particulier pour les autorités et la société grecques, les questions de l’accueil et de l’hébergement des migrants peuvent être appréciées également au regard du respect des droits des 26 V. Jean VOULGARIS, « La protection constitutionnelle de l’étranger », in Cinq années d’application de la Constitution de 1975, 1981, p. 125-148 (en grec) ; I. KATRAS, « Contribution à l’interprétation de l’Article 5, paragraphe 2 de la Constitution », Journal des juristes grecs, 1981, p. 239-243 (en grec). 374 MIGRATIONS INTERNATIONALES ET JUSTICE CONSTITUTIONNELLE migrants. Ainsi, la législation hellénique (loi n° 4375/2016), tout comme les directives 2013/32/UE et 2013/33/UE, pose comme règle générale que les demandeurs d’asile ne sont pas en principe privés de leur liberté au seul motif qu’ils sont demandeurs d’asile. Cela est très important, car l’entrée en Grèce sans titre ou visa valables constitue une infraction justifiant la détention du migrant irrégulier. Or le dépôt d’une demande d’asile exclut, en principe, la privation de la liberté personnelle du demandeur. Celle-là n’est autorisée qu’en cas de nécessité (si d’autres mesures moins coercitives ne peuvent être efficacement appliquées) et pour des raisons spécifiées dans la loi : établissement ou vérification de l’identité du demandeur ; détermination des éléments sur lesquels se fonde la demande de protection internationale qui ne pourrait pas être obtenue sans un placement en rétention, en particulier lorsqu’il y a un risque de fuite du demandeur ; protection de la sécurité nationale ou de l’ordre public ; détermination du droit du demandeur d’entrer sur le territoire national ; préparation du retour et de l’éloignement du demandeur, lorsqu’il existe des motifs raisonnables de penser que le demandeur a présenté la demande de protection internationale à seule fin de retarder ou d’empêcher l’exécution de la décision de retour ; et pour le transfert dans un autre État membre de l’UE responsable de l’examen de la demande d’asile, en application du règlement (UE) n° 604/2013. Une série de garanties pour les demandeurs d’asile lorsqu’ils sont en rétention est prévue également dans la loi n° 4375/2016, qui reprend et précise les dispositions des articles 9 à 11 de la directive 2013/13/UE : courte durée de la rétention, centres de rétention spécialisés, rétention exceptionnelle dans des établissements pénitentiaires, séparation des demandeurs d’asile des autres détenus, voies de recours juridictionnels, assistance judiciaire, mesures spéciales pour les mineurs et les familles, e.a. La législation prévoit la mise en place de structures pour faire face à l’arrivée de grand nombre de migrants. Les articles 14 à 16 de la loi n° 4375/2016 prévoient que les migrants qui arrivent en Grèce doivent être transmis dans des centres d’accueil et d’identification, gérés par la police ou les gardes-côtes, pour y être enregistrés. Ils prévoient ensuite la création de structures ouvertes d’hébergement provisoire. Le droit d’hébergement dans ces structures et dans d’autres établissements gérés par le Centre national de solidarité sociale est reconnu aux demandeurs d’asile. Toutefois, malgré un effort considérable des autorités et l’assistance des services et fonds de l’UE, les établissements existants à ces fins ne semblent pas couvrir tous les besoins. Un tel droit à l’hébergement n’existe pas au profit des autres catégories de migrants (y compris les titulaires de protection internationale). La délivrance de la carte de demandeur de protection internationale, après le dépôt de la demande, autorise à ses titulaires le séjour et la libre circulation en Grèce (art. 1, par. 1, point 9, loi 4251/2014 et art. 37, loi 4375/2016). En ce qui concerne la liberté d’expression il n’existe pas de règles particulières qui s’appliquent exclusivement aux migrants. Relativement à la liberté d’association, il existe une disposition législative prévoyant que les membres des instances dirigeantes d’associations doivent être des nationaux et que le nombre d’étrangers participant à une association ne doit pas dépasser celui des membres grecs (Art. 107 de la Loi sur l’introduction du Code civil27). L’application de cette 27 Décret présidentiel n° 456/1984, JOGRH, fascicule A, n°164 (initialement Loi d’exception n° 2783/1941). GRÈCE 375 disposition a donné lieu à une controverse,28 mais depuis les années quatre-vingt-dix il est généralement admis que la disposition susmentionnée de la loi sur l’introduction du Code civil ne s’applique pas car elle est contraire à la Convention européenne des droits de l’homme (art. 11)29 et ainsi il n’existe plus de limitations quant à l’exercice du droit à l’association par les étrangers en général. En ce qui concerne l’acquisition de la propriété mobilière et immobilière et autres droits s’y rapportant, il est accordé aux titulaires de protection internationale, en vertu de l’art. 13 de la convention de 1951 relative au statut des réfugiés « un traitement aussi favorable que possible et de toute façon un traitement qui ne soit pas moins favorable que celui qui est accordé, dans les mêmes circonstances, aux étrangers en général ». En matière, par contre, de protection de la propriété industrielle (e.g. inventions, dessins, modèles, marques de fabrique, nom commercial) et de la propriété littéraire, artistique et scientifique, les titulaires de protection internationale ont droit au traitement national (identique à celui des ressortissants grecs, cf. art. 14 ; convention de 1951 relative au statut des réfugiés). L’accès à l’emploi est réglementé par les articles 68 à 71 de la loi n° 4375/2016, qui ont aboli la condition de la possession d’une autorisation d’accès au marché du travail pour les demandeurs d’asile et les titulaires de protection internationale. Désormais, la carte de demandeur d’asile ou la carte de protection internationale suffisent pour que leurs titulaires puissent exercer en Grèce une activité salariée ou une profession libérale, sous les mêmes conditions que les ressortissants grecs. Les mêmes possibilités sont reconnues aux personnes qui sont en Grèce dans le cadre de l’exercice du droit au regroupement familial avec un demandeur d’asile ou un titulaire de protection internationale. En ce qui concerne les soins de santé, les titulaires de protection internationale ont les mêmes droits que les ressortissants depuis la ratification de la convention de 1951 relative au statut de réfugiés (v. art. 23, 24 du Décret-loi n° 3989/1959). Il en va de même pour les demandeurs d’asile, en vertu de la loi 4375/2016. Le droit d’instruction est garanti aux demandeurs d’asile et aux titulaires de protection internationale et à leurs enfants aux mêmes termes que pour les citoyens grecs. Aucune catégorie de migrants ne bénéficie du droit de vote ou d’être élu en Grèce. En 2013, le Conseil d’État, en Assemblée plénière a déclaré contraire à la Constitution la disposition de la loi n° 3838/2010 (art. 14) qui accordait le droit de vote aux élections municipales aux étrangers titulaires de titre de séjour en Grèce30. En ce qui concerne la sortie ou l’éloignement du territoire, il est entendu que si une demande d’asile a été rejetée, et son rejet est définitif (après l’exercice des voies de recours prévus), la personne concernée est soumise, en principe, à une obligation de quitter le territoire national (retour dans son pays d’origine ou de transit). La même obligation incombe à un titulaire de protection internationale lorsque celle-ci est révoquée, ainsi qu’à tout titulaire d’un des titres de séjour, après l’expiration, la révocation ou l’annulation du titre concerné. La sortie du territoire national dans ces cas peut prendre la forme du départ volontaire ou de l’éloignement forcé. Dans le premier cas, la loi n° 3907/2011 (art. 22, transposant en droit interne l’art. 7 de la directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008 28 29 30 Tribunal de première instance d’Athènes, Jugement n° 4311/1984, Tribune juridique, 1985, p. 1222. Tribunal de première instance de Théssalonique, Jugement n° 6297/1993, Harmenopoulos, 1993, p. 1131 ; Tribunal de première instance d’Athènes, Jugement n° 4300/1996, Tribune juridique, 1996, p. 253-254. Conseil d’État, arrêt n° 460/2013. 376 MIGRATIONS INTERNATIONALES ET JUSTICE CONSTITUTIONNELLE relatif aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier) accorde à la personne concernée un délai de 7 à 30 jours après notification de l’ordre de quitter le territoire31, pour qu’elle quitte volontairement la Grèce. Passé ce délai, les autorités peuvent procéder à son éloignement par la force policière (art. 23, loi n° 3907/2011 et art. 8 de la directive 2008/115/CE). L’emploi de la force et de moyens de contrainte par les agents de l’État doit être limité à ce qui est raisonnable et nécessaire32. La Constitution prescrit une limite à l’éloignement d’un étranger : il s’agit de l’interdiction de l’extradition d’un étranger persécuté en raison de son action en faveur de la liberté (art. 5, par. 2, second alinéa de la Constitution)33. Cette disposition, introduite dans la Constitution hellénique en 1975, concerne explicitement l’extradition ; elle est toutefois applicable par analogie à tout éloignement du territoire. Dans ce sens, elle constitue une expression du principe de non-refoulement, tel que prévu dans la convention de 1951 relative au statut des réfugiés (art. 33). Cette interdiction s’est trouvée et se trouve sous la pression des interprétations parfois très larges de la notion du terrorisme. La jurisprudence tente d’établir un équilibre entre les objectifs légitimes de la répression des crimes terroristes et la protection des individus subissant des persécutions déguisées, par une approche casuistique de la notion de l’action en faveur de liberté et de crime politique34. Il est à signaler que lors de la signature et la ratification par la Grèce de la convention européenne pour la répression du terrorisme (Strasbourg, 27 janvier 1977), le gouvernement a émis la réserve « qu’elle (la Grèce) se réserve le droit, aux termes du paragraphe 1er de cet article [art. 13 de la convention], de refuser l’extradition pour n’importe quelle infraction parmi celles qui sont énumérées à l’article 1er de cette Convention, si l’auteur soupçonné de l’infraction est poursuivi pour son action en faveur de la liberté ». IV.- CONTRÔLE JURIDICTIONNEL Les décisions et mesures prises et exécutées par les organes de l’État en relation avec le statut et les droits des migrants sont soumises au contrôle de légalité opéré par les juridictions. Comme la Constitution ne contient que très peu de dispositions qui y sont relatives, le contrôle de légalité se fait en premier lieu par rapport aux dispositions du droit international, du droit de l’UE et de la législation interne. La jurisprudence récente du Conseil d’État abonde en décisions qui concernent les actions de l’administration en matière de droit d’asile et de protection internationale. La Haute juridiction administrative s’est prononcée sur presque tout aspect de fond et de procédure relatif à l’examen d’une demande d’asile, à la motivation des décisions administratives35, sur le principe de l’audition préalable36, les critères et conditions pour la reconnaissance du statut de réfugié37, la motivation 31 32 33 34 35 36 37 Ce délai peut être sous certaines conditions prolongé, v. art. 24 loi n° 3907/2011. Cour EDH, M.S.S. c. Belgique et Grèce. La Cour EDH, Dzhurayev c. Russie, prescrit par ailleurs que les personnes faisant l’objet d’une mesure d’éloignement ne doivent pas subir d’agression physique destinée à les persuader de monter à bord d’un moyen de transport ou à les punir de ne pas l’avoir fait et que tout acte illégal de cette nature doit faire l’objet d’une enquête en bonne et due forme ou faire l’objet d’autres mesures de réparation de la part des autorités. « L’extradition d’un étranger persécuté en raison de son action en faveur de la liberté est interdite. » Cf. Conseil d’État, arrêt n° 1661/2012 ; Aéropage (Cour de cassation), arrêt n° 890/1976 ; Cour d’appel d’Athènes, arrêts nos 12-13/1976. E.g. Conseil d’État, arrêt n° 2763/2012. E.g. Conseil d’État, arrêt n° 2763/2012. E.g. Conseil d’État, arrêt n° 694/2012 ; n° 1379/2011. GRÈCE 377 insuffisante de l’action administrative38, l’étendue du pouvoir discrétionnaire de l’administration39, etc. Dans toutes ces instances, le juge administratif a contrôlé la légalité de l’action administrative au regard, en premier lieu, de la convention de 1951 relative au statut de réfugiés et ensuite des dispositions législatives du droit interne. Un nouveau contentieux qui occupe une place grandissante de l’activité de la justice relative aux questions posées par les migrations internationales est celui relatif à l’interprétation et l’application de la qualification « pays tiers sûr » contenue dans l’article 56 de la loi n° 4375/2016 (transposant en droit interne l’art. 38 de la directive 2013/32/UE). Ces contestations sont liées à l’application de l’accord entre l’UE et la Turquie, articulé en neuf points contenus dans la déclaration commune UE-Turquie du 18 mars 201640. Dans cet accord41, les parties ont convenu, inter alia, le renvoi à la Turquie de tous les nouveaux migrants en situation irrégulière qui partent de la Turquie pour gagner les îles grecques à partir du 20 mars 2016, qui ne demandent pas l’asile ou dont la demande d’asile a été jugée infondée ou irrecevable conformément à la directive 2013/32/UE (point d’action 1 de la Déclaration commune UE-Turquie du 18 mars 2016). Les parties ont beau convenir que le renvoi des migrants à la Turquie sera « une mesure temporaire et extraordinaire » et « se fera en totale conformité avec le droit de l’UE et le droit international, excluant ainsi toute forme d’expulsion collective », ainsi que « tous les migrants seront protégés conformément aux normes internationales applicables et dans le respect du principe de non-refoulement », cette mesure ne manqua pas de susciter des réactions de la part des migrants demandeurs d’asile et des autres acteurs impliqués. La grosse pierre d’achoppement est la qualification de la Turquie de « pays tiers sûr » permettant ainsi le renvoi des migrants en conformité « avec le droit de l’UE et le droit international », ainsi que précisé dans la Déclaration commune susmentionnée42. 38 39 40 41 42 Conseil d’État, arrêt n° 3023/2012 ; n°1303/2012. E.g. Conseil d’État, arrêt n° 886/2011. Communiqué de presse 144/16, http://www.consilium.europa.eu/fr/press/press-releases/2016 /03/18-eu-turkey-statement/ ; v. France, Sénat, Accord UE-Turquie du 18 mars 2016 : une réponse fragile, ambiguë et partielle à la question migratoire, Rapport d’information n° 38 (2016-2017) de M. Michel Billout, fait au nom de la mission d’information, déposé le 14 octobre 2016. La forme de l’accord (incorporation/inclusion dans la Déclaration commune du 18 mars 2016) ne correspond pas exactement à la forme typique d’un accord bilatéral ; toutefois le droit international est une branche du droit très peu (ou pas du tout) empreinte de formalisme. Des critiques ont été adressées également à l’égard de la validité de l’accord contenu dans la Déclaration commune du 18 mars 2016 du point de vue du droit de l’UE, cf. Ruma MANDAL, « EU−Turkey Refugee Deal Is Vulnerable to Legal Challenge », Chatham House, 23 March 2016, https://www.chathamhouse.org/expert/comment/eu-turkey-refugee-deal-vulnerable-legalchallenge ; Mauro GATTI, « The EU-Turkey Statement: A Treaty That Violates Democracy », EJIL Analysis, April 18, 2016, https://www.ejiltalk.org/the-eu-turkey-statement-a-treaty-that-violatesdemocracy-part-1-of-2/ ; Henri LABAYLE et Ph. DE BRUYCKER, « L’accord Union européenne – Turquie : faux semblant ou marché de dupes ? », Réseau Universitaire européen dédié à l’étude du droit de l’Espace de liberté, sécurité et justice (ELSJ), 23 Mars 2016, http://www.gdrelsj.eu/2016/03/23/asile/laccord-union-europeenne-turquie-faux-semblant-ou-marche-de-dupes/ ; la question a été portée également devant le Tribunal de l’UE : Affaire T‑192/16, NF c. Conseil européen, Ordonnance (première chambre élargie), 28 février 2017. Cf. UNHCR, « Legal considerations on the return of asylum-seekers and refugees from Greece to Turkey as part of the EU-Turkey Cooperation in Tackling the Migration Crisis under the safe third country and first country of asylum concept », 2016, http://www.unhcr.org/56f3ec5a9.pdf ; Amnesty International, « EU-Turkey Refugee Deal a Historic Blow to Rights », 18 March 2016, https://www.amnesty.org/en/latest/news/2016/03/eu-turkey-refugee-deal-a-historic-blow-torights/ ; Kenneth ROTH, Salil SHETTY & Catherine WOOLLARD, « Say No to a Bad Deal With Turkey », March 2016, Human Rights Watch, https://www.hrw.org/news/2016/03/17/say-no-baddeal-turkey ; Médecins Sans Frontières, « Migration: Why the EU’s Deal With Turkey is No 378 MIGRATIONS INTERNATIONALES ET JUSTICE CONSTITUTIONNELLE Suite aux premiers ordres de renvoi des migrants de Grèce à la Turquie en application de l’accord contenu dans la Déclaration commune UE-Turquie du 18 mars 2016, le Conseil d’État grec a été saisi, dès septembre 2016, des recours contre des décisions administratives de rejet d’octroi d’asile ou de protection subsidiaire ou temporaire qui étaient à l’origine des procédures de renvoi. Les requérants (ressortissant syriens et l’association « Conseil hellénique pour les réfugiés ») demandaient l’annulation des décisions de la Commission d’asile qui avait considéré leurs demandes de statut de réfugié irrecevables au motif que la Turquie était un pays tiers sûr. Par une décision rendue le 15 février 2017, la quatrième section du Conseil d’État (en formation de sept membres à cause de l’importance de l’espèce) a rejeté le grief des requérants et déclaré que la Turquie est un « pays tiers sûr » au sens de l’article 56 de la loi n° 4375/2016 (transposant en droit interne l’art. 38 de la directive 2013/32/UE), et cela même si ce dernier a ratifié la convention relative au statut des réfugiés de 1951 avec une limitation géographique, à savoir que ladite convention ne s’applique en Turquie qu’à l’égard des personnes venues d’Europe. Pour la quatrième section du Conseil d’État un pays tiers peut être qualifié de « sûr » même si celui-ci n’a pas ratifié la convention de 1951 ; il suffit pour cela que la protection des réfugiés dans ce pays tiers soit équivalente à la protection accordée par la convention de Genève relative au statut des réfugiés43. Cependant, tenant compte de l’importance de cette détermination, la quatrième section a renvoyé l’affaire à l’assemblée du Conseil d’État pour son règlement définitif. Cet incident montre le potentiel de dispute et de contestation d’autres concepts de la directive 2013/32/UE, tels celui de « premier pays d’asile » (art. 54 de la loi n° 4375/2016 transposant l’art. 33 de la directive 2013/32/UE), de « pays d’origine sûr » (art. 57 de la loi n° 4375/2016 transposant les art. 36 et 37 de la directive 2013/32/UE) ou encore de « pays tiers européen sûr » (art. 39 de la directive 2013/32/UE, non encore transposé). D’autres contentieux ne sont sans doute pas à exclure. Dans le corpus susmentionné de jurisprudence administrative, l’on ne trouve pas d’arrêt qui apprécie la conformité de l’action des organes étatiques par rapport à la Constitution. Cela est dû sans doute au nombre très limité, déjà relevé, de dispositions constitutionnelles relatives aux migrants. À l’heure actuelle la constitutionnalité d’une loi relative au statut des migrants n’a pas été mise en cause. Cette constatation n’exclut pas, à l’évidence, la possibilité d’invoquer à l’avenir la constitutionnalité d’une loi ou d’un autre acte normatif, tenant compte en particulier du caractère diffus du contrôle de constitutionnalité dans l’ordre juridique grec44. Pour l’instant les problèmes auxquels sont confrontées les autorités et la société grecques en matière de migrations sont localisés plutôt sur le terrain politique qu’au prétoire. Mais la distance qui les sépare n’est pas infranchissable et la prolongation de la crise liée aux flux migratoires amènera sans doute son lot de contestations juridiques. 43 44 Solution to the “Crisis” Affecting Europe », Interview with Aurélie PONTHIEU, MSF Humanitarian Adviser on Displacement, Brussels, 18 March 2016, http://www.msf.org/en/article/migration-whyeu%E2%80%99s-deal-turkey-no-solution-%E2%80%9Ccrisis%E2%80%9D-affecting-europe ; Emanuela ROMAN, Theodore BAIRD and Talia RADCLIFFE, « Why Turkey is Not a “Safe Country” », State Watch Analysis, February 2016. Conseil d’État, arrêt n° 445/2017. V. Article 93, paragraphe 4 de la Constitution : « Les tribunaux sont tenus de ne pas appliquer une loi dont le contenu est contraire à la Constitution. »