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DICTIONNAIRE DE LA MÉDITERR ANÉE sous la direction de Dionigi Albera, Maryline Crivello et Mohamed Tozy en collaboration avec Gisèle Seimandi ACTES SUD 249103ILB_MEDITER_cs6_pc.indd 3 28/07/2016 11:27:01 Transhumance 249103ILB_MEDITER_cs6_pc.indd 1479 1479 TR ANSHUMANCE La transhumance est pratiquée dans l’ensemble du bassin méditerranéen, au nord comme au sud. Le verbe « transhumer » est emprunté à l’espagnol trashumar qui dérive du latin trans, « à travers », et humus, « la terre ». Étymologiquement, transhumer, c’est aller au-delà de la terre où l’on vit, ce qui suppose un dédoublement de l’habitat – l’un, principal, dans les villages de sédentarisation et l’autre, secondaire, dans les campements de transhumance – ainsi que du groupe et de la famille – ceux qui accompagnent les troupeaux et ceux qui restent sur les terres de culture. Sont concernés des troupeaux ovins, caprins, bovins, camelins, équins et même parfois porcins, certaines de ces espèces étant parfois mélangées à cette occasion : on parle alors de troupeaux « mixtes ». L’élevage méditerranéen présente une spéciicité par rapport à celui pratiqué dans d’autres régions : la prédominance d’un mode de conduite extensive, à dominante pastorale, qui s’exerce sur un territoire ou plutôt des territoires plus ou moins éloignés, écologiquement complémentaires et reliés entre eux par le « voyage de transhumance ». Cette forme de mobilité produit des paysages remarquables, entretenus par le parcours de troupeaux le plus souvent composés d’animaux de race locale et conduits par des bergers exerçant un métier de tradition fondé sur des savoirs et savoir-faire multiples. Véritable « culture de l’herbe » en milieu défavorisé ou contraignant, cette activité pastorale qui maintient et favorise une lore et une faune très riches est un facteur de biodiversité. Elle s’articule avec d’autres secteurs de l’activité rurale telle l’agriculture (par exemple, échange pâturage contre fumier) mais aussi, depuis quelques décennies, avec le « tourisme vert », qu’elle attire en maintenant ouverts de vastes espaces appréciés des randonneurs. 28/07/2016 11:34:04 Diversité des transhumances TR ANSHUMANCE 1480 Les géographes distinguent trois grands types de transhumances : la plus répandue, la transhumance « normale » ou « directe », conduit l’été les grands troupeaux venus des plaines jusque sur les alpages d’altitude ; la transhumance « inverse » ou « indirecte » fait descendre en hiver les bestiaux des villages montagnards vers les plaines ; la transhumance « double » ou « pendulaire », la moins fréquente actuellement, combine successivement ces deux mouvements. Autrefois efectué à pied par des chemins réservés aux troupeaux, drayes, carreras, vias pecuarias (Vidal Gonzales et Burgos, 2006), le voyage pouvait durer plusieurs semaines. La transhumance est aujourd’hui très souvent motorisée, au Nord comme au Sud : en Europe, dès la in du xixe siècle, des trains spéciaux conduisaient les troupeaux jusqu’au pied des alpages, avant que les bétaillères ne les remplacent. Jusqu’à la in de la période coloniale, entre le Sud et le Nord du bassin méditerranéen, il existait une transhumance dite « commerciale » : des troupeaux ovins d’Afrique du Nord, achetés par des négociants et des bouchers, étaient transportés dans des cargos jusqu’à Marseille, puis envoyés sur des pâturages des Alpes du Sud pour un rapide engraissement avant d’être vendus pour l’approvisionnement en viande des grandes villes (Lebaudy, 2003). Le nomadisme méditerranéen, forme très ancienne de mobilité caractérisée par la recherche permanente de parcours et le déplacement avec le troupeau de l’ensemble du groupe humain s’abritant dans un habitat mobile (tente ou yourte), est parfois associé à la transhumance : ainsi, certains nomades sahariens accomplissent une transhumance pour passer d’une zone de nomadisme à une autre, en particulier lorsque ces territoires sont séparés par des espaces dont ils ne peuvent s’approprier les pâturages. Pâturages et droits d’usage La transhumance est souvent l’afaire de la collectivité, qu’il s’agisse de l’organisation du voyage, du regroupement des bêtes, de la désignation ou du recrutement des bergers (entrepreneurs de transhumance, bergers salariés, propriétaires gardant à tour de rôle…), ou de la gestion des parcours. Les pâturages sur lesquels les troupeaux devront se nourrir pendant plusieurs mois sont encore souvent des terres collectives dont l’accès est soumis à des règles d’usage. Ainsi, au Maroc, les troupeaux estivent sur des espaces montagnards sylvo-pastoraux de statut collectif dont le nom berbère, agdal (pluriel : igoudlane), désigne à la fois 249103ILB_MEDITER_cs6_pc.indd 1480 28/07/2016 11:34:04 le parcours et les règles qui le régissent. Au printemps, des mises en défens sont décidées d’un commun accord, permettant un repos de la végétation, l’établissement des jeunes semis et la pérennité de l’écosystème. De même, les dates d’ouverture du parcours sont ixées par la collectivité (Auclair et al., 2007). Dans le Sud de la France, le statut foncier des alpages peut être collectif (domanial, communal ou sectionnal) ou privé : dans des hameaux de la montagne cévenole, des pâturages « indivis » existent encore et relèvent de la propriété privée à usage collectif, dont la part de chaque propriétaire est comptabilisée en termes de « nuits de fumature », correspondant au nombre de nuits pendant lesquelles le parc où couche le troupeau transhumant venu du bas pays est placé sur les terres de culture (Brisebarre, 1992). Transhumance et sacré 1481 TR ANSHUMANCE Le voyage de transhumance et le séjour dans des espaces éloignés des habitats humains s’accompagnent souvent de pratiques rituelles destinées à protéger les hommes et les bêtes de dangers potentiels. Au Nord comme au Sud, en milieu catholique ou musulman, on demande aux « saints » de veiller sur les transhumants : bénédictions lors du départ des troupeaux décorés pour la circonstance, prières prononcées au passage dans des lieux sacrés et porteurs de légendes (chapelles, croix, cairns…), pèlerinages et fêtes (moussem), sacriices (tombeaux des saints, sources sacrées…), dons animaux ou végétaux aux esprits des lieux (Brisebarre, 2013 ; Mahdi, 1999). À l’Oukaïmeden, dans le HautAtlas marocain, un cycle rituel de quinze jours débute la veille de l’ouverture du parcours. Cette nuit est appelée la nuit d’Oukaïmeden, Id n’Oukaïmeden, ou encore A’arafa n’Oukaïmeden, en référence au stationnement des pèlerins à La Mecque. Le cycle prend in par une collecte de mottes de beurre ofertes par les transhumants aux descendants du saint Sidi Fares. Tout au long de ce cycle sont célébrés des rites individuels et collectifs, masculins et féminins. Une activité patrimonialisée ? Dans les pays du Nord de la Méditerranée, dans un contexte d’interrogations sur l’avenir et de promotion d’une agriculture respectueuse de l’environnement et porteuse de développement durable, l’élevage transhumant jusqu’alors considéré comme archaïque se voit revalorisé en tant que mode de vie générateur de produits « naturels » et « authentiques » (Fabre et al., 2002). Des associations, des écoles, des musées et des maisons de la transhumance ont été créés. 249103ILB_MEDITER_cs6_pc.indd 1481 28/07/2016 11:34:04 En juin 2011, après examen du dossier déposé à l’Unesco par des experts de l’agropastoralisme, de l’environnement et des sciences sociales, associés à des éleveurs (Chassany, 2008), les « paysages culturels de l’agropastoralisme méditerranéen », en premier ceux de la région des Causses et des Cévennes, ont été inscrits au patrimoine de l’humanité. Des expositions, des fêtes, des foires, des concours sont organisés et soutenus par les administrations et les collectivités locales. L’objectif est de promouvoir de nouveaux modèles de relations hommes/animaux/espace, par l’implication des jeunes ruraux, des citadins, des touristes et des consommateurs de manière générale, non dans une rationalité de « conservatoire » des pratiques sociales traditionnelles, mais dans un projet de revitalisation d’une culture et d’un métier menacés (Mahdi et Dominguez, 2009a et 2009b). Mohammed Mahdi et Anne-Marie Brisebarre ➤ TR ANSHUMANCE 1482 Biodiversité, développement durable, écosystèmes, fête, montagne, pastoralisme, patrimoine, paysage, pèlerinage, ruralité, tourisme MOTS-CLÉS Biodiversité, droits d’usage, pastoralisme, patrimoine culturel, pratiques rituelles, relations homme/animal RÉFÉRENCES Auclair, Laurent et Al Ifriqui, Mohamed (éd.), Les Agdals de l’Atlas marocain : savoirs locaux, droits d’accès et gestion de la biodiversité, Colloque 10-13 mai 2007, Marrakech, IRCAM-IRD, UCAM, Rabat. Brisebarre, Anne-Marie, « Pratiche pastorali collettive in Lozere : proprieta indivise e notti di concimazione », Quaderni storici, 81, numéro spécial « Risorse collettive », anno xxvii, fasc. 3, 1992, p. 873-884. Brisebarre, Anne-Marie, Chemins de transhumance. Histoire des bêtes et bergers du voyage, Delachaux et Niestlé, Paris, 2013. Chassany, Jean-Paul (éd.), Les Paysages culturels de l’agropastoralisme méditerranéen, AVECCMEEDDAT (Actes de la réunion thématique d’experts de Meyrueis, 20-22 sept. 2007), 2008. Fabre, Patrick et al. (éd.), Transhumance. Relique du passé ou pratique d’avenir ?, Maison de la Transhumance – Cheminements, Saint-Martin-de-Crau – Coudray-Macouard, 2002. Lebaudy, Guillaume et Pourcel, Franck, « Sur les lots. Transhumances méditerranéennes », L’Alpe, 20, juin-août 2003, p. 92-98. Mahdi, Mohammed, Pasteurs de l’Atlas. Production pastorale, droit et rituel, Fondation Adenauer, Casablanca, 1999. 249103ILB_MEDITER_cs6_pc.indd 1482 28/07/2016 11:34:05 Mahdi, Mohammed et Dominguez, Pablo, « Regard anthropologique sur transhumance et modernité au Maroc », AGER. Revista de Estudios sobre Despoblación y Desarrollo Rural, 8, 2009a, p. 45-74. Mahdi, Mohammed et Dominguez, Pablo, « Les Agdal de l’Atlas marocain : un patrimoine culturel en danger ! », Bulletin économique et social du Maroc, Rabat, 2009b. Vidal Gonzales, Pablo et Burgos, Francisco Javier Anton, Trashumancia de los pastores turolenses à la Sierra de Espadan, Castellon, Universidad catolica de Valencia et Universidad complutense de Madrid, Valence (Espagne), 2006. TR ANSHUMANCE 1483 249103ILB_MEDITER_cs6_pc.indd 1483 28/07/2016 11:34:05