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1 Vida AZIMI, Historienne du droit, Directrice de recherche au CNRS-Centre d’études et de recherches en Science administrative et politique/Université Paris II Du « discordat » et du concordat, gallicaniser l’islam Paru sur le site de Huffington Post France le 1er août 2016-08-02 http://www.huffingtonpost.fr/vida-azimi/islam-de-Franceconcordat_b_112942.html?utm_hp_ref=france «Discordat», le mot est de Clémenceau. Il a été prononcé à l’époque où la question laïque portait à l’ébullition les esprits. Il est de mise au moment où le «concordat» s’invite dans l’actualité. Le vocable aurait été évoqué par le ministre de l’Intérieur Bernard Cazeneuve, lors du séminaire gouvernemental du 23 juillet dernier, en commentaire des propos inqualifiables de l’imam de Nice pour qui, «c’est la faute de la laïcité des Français s’il y a des attentats». Le ministre aurait dit : « Ce genre de propos intolérables réclament une réponse ! C’est pourquoi, tout en gardant mes principes républicains, je m’interroge sur l’usage vis-à-vis de l’islam d’un concordat tel que celui qui est en vigueur en Alsace-Moselle» (Le Canard Enchaîné, 27 juillet 2016). La loi de 1905 n’autorise aucune réplique sinon verbale, là où un concordat aurait assorti la protection des cultes de sanctions appropriées. De plus, le républicanisme du ministre n’a rien à souffrir. Faut-il lui rappeler que le Concordat du 15 juillet 1801, ratifié (18 mars 1802) avec des articles organiques non reconnus par la papauté, était passé entre Pie VII et la République française et que jusqu’en 1804, nous sommes toujours en République ? Interpellé par Laurence Marchand Taillade, présidente de l’Observatoire de la laïcité du Val d’Oise et secrétaire national du PRG qui craint l’ouverture de «la boîte de Pandore», le ministre a adressé une lettre le 29 juillet 2016, publiée sur Facebook, portant un démenti au palmipède : «une telle visée serait inconstitutionnelle» ; «elle est de surcroît parfaitement contraire à mes convictions profondes». Et le ministre de réaffirmer son attachement à la loi de 1905 et sa volonté de régler les problèmes avec l’islam, «deuxième religion de France», par la formation des imams en France. Nos oreilles sont habituées aux rétropédalages de ce quinquennat. Mais une réaction s’impose. En quoi un concordat est-il inconstitutionnel puisque le régime concordataire s’applique en AlsaceMoselle ? Le Conseil constitutionnel, dans sa décision n°2012-297, QPC du 21 février 2013, a validé ce concordat. Il a même été souligné que si le régime concordataire renvoyait au temps d’«une emprise» de l’Eglise catholique sur la société, il assurait autant le contrôle des pouvoirs publics, appelant à la rescousse, le grand juriste gallican Portalis, auteur des articles organiques : «Le bon ordre et la sûreté publique ne permettent pas que l’on abandonne pour ainsi dire ces institutions 2 (religieuses) à elles-mêmes. L’Etat ne pourrait avoir aucune prise sur des établissements et des hommes que l’on trouverait comme étrangers à l’Etat : le système d’une surveillance raisonnable des cultes ne peut être garanti que par le plan connu d’une organisation légale des cultes» (discours au Corps législatif, 5 avril 1802). Le Concordat a apporté à la France la paix religieuse, dans le respect des cultes et dans l’exigence de leur soumission aux lois civiles. Dans son discours du 4 mai 1877, dont on n’a retenu que «le cléricalisme, voilà l’ennemi», Gambetta fait juste mention de la séparation, mais réclame de «restituer dans toute son intégrité» la législation concordataire : «Retenez bien ceci : le Concordat est la loi du pays». Ce faisant, il «reprend la tradition des juristes gallicans» et surtout Portalis, «l’Eglise est dans l’Etat». Jules Ferry regardait le Concordat comme «la meilleure solution empirique des rapports de l’Eglise et de l’Etat» (J.-M. Mayeur, «La Question laïque XIXe-XXe siècle», Fayard, Paris, 1977, p.50 et s.). Ne pourrait-on pas dire : « l’islam est dans l’Etat», que le système concordataire offre une plus grande souplesse des relations, qu’un concordat donnerait aux autorités républicaines des instruments autrement efficaces pour surveiller, contraindre et punir toutes dérives islamistes, liées ou non à des attentats? Le candidat François Hollande avait promis de constitutionnaliser la séparation Eglises/Etat pour mettre fin au régime d’exception d’Alsace-Moselle. Le droit comparé nous instruit que séparation et concordat peuvent coexister. La Constitution portugaise de 1976 proclame le principe de la séparation des Eglises et de l’Etat, sans mettre fin au concordat de 1940, remplacé par un nouveau concordat en 2004. Après le ministre, le gouvernement, par la voix du premier ministre Manuel Valls, rouvre le débat : Après avoir pointé du doigt «le financement des mosquées» par des fonds étrangers, il juge nécessaire «une remise à plat» des structures et des procédures afin d’ «inventer une nouvelle relation avec l’islam de France» ( Le Monde, 29 juillet 2016) ; il appelle à «bâtir un véritable pacte avec la deuxième religion de France», enfin estime que l’idée d’ «un néo-concordat» avec l’islam est une «insulte à la laïcité» (JDD, tribune 31 juillet 2016). Manuel Valls a pourtant été crédité d’une intervention forte mais discrète pour la nomination de l’évêque de Metz, «imposant» un candidat moins traditionaliste, moins complaisant avec les opposants au mariage pour tous, au lieu de celui voulu par l’Eglise (Le Républicain lorrain, 07/11/2013). Il a bien profité du «jeu concordataire». D’ailleurs, la loi de 1905 donne elle-même un «droit de regard» sur les nominations. Pourquoi ne s’en sert-on pas pour les imams ? Si «insulte» il y aurait, hypocrisie, il y a. Manuel Valls dont 3 certaines propositions sont intéressantes (-utiliser la Fondation pour l’islam de France) est hélas ! coutumier des formules frappées au coin du non-sens. Prenons n’importe quel bon dictionnaire (-le Trésor de la langue française, par ex.), «concordat» a pour synonyme, «protocole, traité, convention, pacte, charte, bail, compromis». En dehors de son sens spécifique de traité entre un Etat et le Saint-Siège, il est un acte de conciliation (ex. en droit commercial, pour le règlement à l’amiable des dettes). Dans le mot «concordat», il y a l’idée de concorde, de paix, d’harmonie. Aux jours obscurs où nous vivons, «nous devons nous diriger vers une concorde nationale» (ancien député-maire PCF de Vénissieux, André Gérin, Marianne 27/07/2016). Rien ne nous interdit d’y voir aussi, un acte fait avec le « cœur » («cor, cordis» en latin), ce qui revêt toute son importance vis-à-vis de l’islam qui autorise la dissimulation au musulman, la fameuse «Taqqia’». Ces interventions sont faites à quelques mois de l’élection présidentielle et les enjeux partisans ont toute leur importance. A droite comme à gauche, nos politiciens «font de Dieu un agent électoral», pendant que certains musulmans «lève(nt) la tête au ciel et ne voi(ent) que les araignées au plafond»(Jules Renard, «Journal», 19 août 1903 et 10 avril 1894). Quelle que soit la qualification de l’acte ou du processus qui nous mènera à des rapports sains et apaisés avec l’islam, abstraction faite même du contexte terroriste faisant de l’islam une religion «armée», il nous faut retrouver l’esprit gallican –du latin médiéval, «gallicus», «français»- qui a empreint la tradition catholique (-et aussi protestante) française, de l’Ancien Régime à la Constitution civile du clergé (12 juillet 1790), jusqu’au Concordat considéré surtout dans ses articles organiques. Le gallicanisme, au cours de notre histoire, a donné la primauté aux libertés de l’Eglise gallicane et au pouvoir du souverain de France, au temporel, face à une puissance étrangère, hier le Souverain Pontife, aujourd‘hui, en République, face aux doctrines et sensibilités musulmanes étrangères et surtout étrangères à nos mœurs et à nos lois. Ce vieux fonds gallican, on le retrouve encore dans des déclarations contemporaines. Le 15 décembre 1992, devant l’Association des journalistes de l’information religieuse (AJIR) Paul Quilès, alors ministre de l’Intérieur, estimait «inacceptable que la mosquée de Paris soit inféodée à une puissance extérieure». Le gallicanisme est bien « cette doctrine, nécessaire, pour la tranquillité publique, et non moins avantageuse à l’Eglise qu’à l’Etat » (Bossuet, 19 mars 1682). Couper l’Islam français de ses allégeances extérieures, le gallicaniser, voilà le défi qui nous attend ! 4