Annuaire de l’École pratique des hautes
études. Section des sciences historiques et
philologiques
155 | 2024
Annuaire de l'EPHE, section des Sciences historiques
et philologiques (2022-2023)
Mondes élamites et achéménides
Wouter F. M. Henkelman
Édition électronique
URL : https://journals.openedition.org/ashp/6766
DOI : 10.4000/11t37
ISSN : 1969-6310
Éditeur
Publications de l’École Pratique des Hautes Études
Édition imprimée
Date de publication : 1 septembre 2024
Pagination : 21-26
ISSN : 0292-0980
Référence électronique
Wouter F. M. Henkelman, « Mondes élamites et achéménides », Annuaire de l'École pratique des hautes
études (EPHE), Section des sciences historiques et philologiques [En ligne], 155 | 2024, mis en ligne le
13 juin 2024, consulté le 22 juin 2024. URL : http://journals.openedition.org/ashp/6766 ; DOI : https://
doi.org/10.4000/11t37
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Résumés des conférences
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MONDES ÉLAMITES ET ACHÉMÉNIDES
Maître de conférences : M. Wouter F. M. Henkelman
Programme de l’année 2022-2023 : I. L’animal dans l’empire achéménide (suite). — II. Les inscriptions des Achéménides.
1. En raison de l’abondance des données et de leur pertinence pour la culture achéménide, il a été décidé de poursuivre le séminaire de 2021-2022, « L’animal dans l’empire
achéménide », pendant l’année qui fait l’objet du présent rapport. Les sources discutées étaient, typiquement pour les études achéménides, d’une grande diversité, incluant
les documents administratifs araméens de Bactriane et d’Égypte, les archives élamites
de Persépolis, l’iconographie royale et la glyptique persépolitaine et, particulièrement
importantes dans ce cas, les sources gréco-romaines.
L’étude du monde achéménide a mis du temps à se constituer en discipline indépendante et à s’émanciper de la trop grande dépendance à l’égard de l’historiographie grécoromaine. Cette évolution, accélérée depuis les années 1980, a conduit à un focus plus
fort sur une « perspective perse », d’où une relecture critique, par exemple, des œuvres
d’Hérodote ou de Xénophon, et une insistance sur les sources primaires (vieux-perses,
élamites, babyloniens, démotiques…). Ce tournant a parfois été perçu – à tort – comme
une position hostile ou « révisionniste » à l’égard de la tradition classique. Il n’est pas
nécessaire de répéter les détails de cette discussion inutile : il sufÏt de dire que l’historiographie achéménide a évolué vers une approche globale qui considère sérieusement les
auteurs gréco-romains, mais comme faisant partie d’une mosaïque de sources beaucoup
plus large et variée et dans un contexte proprement achéménide 1. Le thème de L’animal
dans l’empire achéménide ajoute une autre dimension à cette approche, étant donné que
de nombreuses sources grecques et latines pertinentes n’ont été étudiées qu’occasionnellement dans le contexte du monde achéménide. En d’autres termes, même dans une
perspective qui défend la primauté de la tradition classique dans les études achéménides,
le choix des sources et donc la définition de ce qui constitue l’« histoire » ont souvent été
très sélectifs.
Le corpus des sources documentaires primaires, toujours croissant, provenant notamment de l’Égypte achéménide, de la Babylonie et du Fârs, offrent une vision de plus en
plus granulaire de la vie dans l’empire. Il a fait de l’élevage, de l’utilisation et de la
consommation des animaux au quotidien et par les élites, ou encore de la domestication
et de la diffusion de nouvelles espèces, des sujets devenus centraux dans les études achéménides. Cet état de fait impose logiquement de revisiter les sources gréco-romaines à
la recherche d’informations similaires ou complémentaires : non pas sous la forme d’une
nouvelle exégèse d’Hérodote, mais en parcourant systématiquement, par exemple, De la
1. Pour une tentative récente de montrer comment cette approche peut rendre les sources grecques
plus fertiles dans la confrontation avec les sources élamites, voir W. F. M. Henkelman, « Daurises’
last years: Administrative profile and narrative historiography », dans G. P. Basello, P. Callieri et
A. V. Rossi (éd.), Achaemenid studies today, Naples, 2023 (Università di Napoli l’Orientale, Diperatimento Asia, Africa e Mediterraneo, Serie Minor 102 = Serie Orientale Roma 36), p. 161-188.
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nature des animaux de Claude Élien (cf. infra) ou l’Histoire des Animaux d’Aristote. La
deuxième était rédigée dans les dernières décennies de l’époque achéménide et comporte
des observations zoologiques et des savoir-faire de l’élevage et de traitement des animaux
qui dérivent probablement des contextes achéménides.
Le sujet de l’animal dans l’empire achéménide permet donc une approche corrective
qui active des sources rarement évoquées dans les études achéménides. Mais il permet
aussi de porter un regard utile sur le monde perse en tant que tel : à travers les mythes
figurant des animaux, les rapports sur les bêtes exotiques des confins de l’univers achéménide, les expériences quotidiennes avec les capridés ou les équidés, ou encore l’importance
transformatrice des camélidés : le sous-titre du séminaire, « Vers une anthropozoologie
perse », était évidemment programmatique.
2. Dans le dernier et dix-septième livre de son De la Nature des animaux (NA),
Élien résume un passage de l’ouvrage perdu Les étapes de l’Asie d’Amyntas – bématiste
d’Alexandre et auteur actif dans la fin du ive siècle av. J.-C. – sur les bovins, chevaux,
rats et renards de la région caspienne (NA XVII.17). Dans le reste du livre XVII, plusieurs rapports anonymes sur les animaux de la Caspienne sont donnés (XVII.32-34, 38)
et comme Élien avait l’habitude d’éviter de mentionner explicitement ses sources à plusieurs reprises, il se pourrait bien que ces rapports dérivent également d’Amyntas. C’est
possible pour la description de trois oiseaux de la Caspienne (deux membres possibles
de la famille des Phasianidae en XVII.33, le flamant rose en XVII.38) et pour le rapport
détaillé sur l’esturgeon de la Caspienne (XVII.32, cf. infra), qui, de manière typiquement
évasive, commence par ἀκούω, « j’entends que ». Même la note sur la laine précieuse
des chameaux (de Bactriane) dans la région de la Caspienne et les vêtements socialement distinctifs fabriqués à partir de cette laine (XVII.34) peuvent avoir été adoptés par
Amyntas, bien que la source ultime soit certainement Ctésias (F10b ; cf. Apollonius
Paradoxographus, Hist.Mir. 20 = Ctés. F10a). Plus généralement, un examen des « fragments » restants d’Amyntas dans les œuvres d’Élien et d’Athénée (les seuls auteurs à le
citer explicitement) suggère moins un géographe novateur de l’âge d’Alexandre qu’un
auteur se positionnant consciemment dans la tradition ctésiasienne (voir notamment
Athen. Deipn. X/442b).
Dans NA XVII.32, qu’il dérive ou non d’Amyntas, Élien rapporte sur l’ὀξύρυγχος,
un poisson atteignant jusqu’à huit coudées et trouvé « dans un grand lac de la région
caspienne » (la mer Caspienne), donc ici probablement un grand esturgeon caspien
(Acipenser persicus ou bien Huso huso, le béluga) :
Les Caspiens les chassent et, après les avoir saupoudrés de sel, salaisés et séchés, les
chargent sur des chameaux et les transportent à Ecbatane. Après avoir enlevé la graisse, ils
font de la farine de ces poissons (séchés) ; ils vendent le poisson salaisé ; ils s’oignent avec
l’huile, très riche et sans mauvaise odeur ; ils extraient les entrailles et les font bouillir, et
ils en tirent une colle très utile qui tient fermement tous les objets ensemble, elle adhère
à ce à quoi elle a été attachée, et elle est très claire. Elle tient tout ce qu’elle tient et unit,
si bien que même si elle est trempée dans l’eau pendant dix jours, elle ne se dissout pas et
ne se détache pas. De plus, les ivoiriers l’utilisent et en produisent de très belles pièces 2.
2. Traduction d’après le texte grec de M. García Valdés, L. A. Llera Fueyo et L. Rodríguez-Noriega
Guillén, Claudius Aelianus: De Natura Animalium, Berlin, 2009 (dans leur édition de NA XVII.32
quelques passages supprimés par Hercher sont rétablis). Pour la colle à poisson, voir J. Scarborough,
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Le passage témoigne de compétences techniques développées dans un cadre naturel
spécifique : la pêche aux grands esturgeons, la préparation de leur viande comme, apparemment, un produit de base (farine de poisson), en plus de l’utilisation plus spécialisée
des parties de l’animal pour l’huile et la colle (également comme matériau de sculpture).
La consommation et l’utilisation de l’esturgeon ne se limitent pas aux rives de la mer Caspienne, mais les poissons sont en fait transportés sur l’Elbourz, puis plus au sud (environ
300 km) jusqu’à la ville d’Ecbatane, centre administratif de la satrapie de la Médie, où ils
sont traités et commercialisés. Pour ce faire, des caravanes de chameaux ont été organisées, attestant de l’intérêt économique de l’entreprise, mais aussi de l’ampleur de l’opération logistique. Aussi bref soit-il, ce témoignage négligé, peut-être d’Amyntas, évoque la
pêche organisée, le rôle de la Caspienne en tant qu’arrière-pays économique d’Ecbatane
et la position de cette ville en tant que plaque tournante et centre administratif d’un vaste
réseau régional. Si cela concorde avec d’autres sources sur Ecbatane à l’époque achéménide, aucune autre source ne parle de l’importance de l’esturgeon pour les Achéménides 3.
3. Les chameaux porte-esturgeons de la région caspienne ne sont pas les seuls camélidés à figurer dans De la Nature des Animaux: Élien mentionne, entre autres, leur laine
fine réservée à l’élite de la même région (NA XVII.34, cf. supra), la coutume bactrienne
de les castrer pour tempérer leur humeur (NA IV.55), et les courses de chameaux (ici :
dromadaires) organisées par les Sagaréens (Σαγαραῖοι, peut-être pour Σαγάρτιοι, Sagartéens, en Iran central) en l’honneur de la déesse « Athéna » (NA XII.34). Toutes ces
informations sont anecdotiques, comme on peut s’y attendre dans un ouvrage destiné
à plaire plus qu’à instruire. Des descriptions plus systématiques ont cependant existé,
notamment sous la plume d’Aristote. Dans son Histoire des Animaux, il introduit les
termes « Bactriane » et « Arabe » pour désigner les deux espèces, Camelus bactrianus et
C. dromedarius (Linné). En outre, il décrit leur mouvement, leurs mamelles, leur queue,
leur(s) bosse(s), leur sexe et surtout leurs pieds. Il sait que les chameaux qui ont mal
aux pieds reçoivent des chaussures en cuir ; que la copulation chez les chameaux (dromadaires) en Arabie commence en octobre et que les femelles ne sont pas réceptives pendant douze mois après la naissance ; que le lait de chamelle est nourrissant et qu’il est
meilleur lorsqu’il est mélangé à de l’eau dans une proportion de 1:2 ou 1:3 4.
Comme nous l’avons dit, Aristote a recueilli ses informations et composé l’Histoire
des animaux au cours des dernières décennies de la période achéménide. Il a vécu une
partie de sa vie en Mysie, au sein de l’empire, et en Macédoine, depuis longtemps dans
la zone de rayonnement culturel et politique achéménide. Que ces contextes aient été
ou non déterminants pour son récit, il s’est certainement basé (même indirectement)
sur des sources provenant du monde achéménide. Ses remarques détaillées sur le chameau reflètent non seulement une étude zoologique systématique, mais aussi l’accès à
« Fish glue (Gr. ἰχθυοκόλλα) in Hellenistic and Roman medicine and pharmacology », Classical
Philology, 110 (2015), p. 54-65.
3. Les notes d’Élien sur la Perse se rapportent toutes à la période achéménide et au règne d’Alexandre.
Je ne vois aucune raison de dater l’épisode de l’époque hellénistique ou parthe comme le fait
M.-L. Chaumont, s. v. Aelianus, Claudius, Encyclopaedia Iranica, I, Londres, Boston, 1983, p. 478479.
4. Arist. HA II.1/498b (αἱ κάμηλοι ἀμφότεραι, αἵ τε Βακτριαναὶ καὶ αἱ Ἀράβιαι), II.1/499a (description zoologique et chaussures de chameau), V.14/546b (copulation), et VI.26/578a (lait).
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un savoir-faire en matière d’élevage, de traitement et d’utilisation des chameaux qui
n’existait pas dans la Grèce continentale de son époque. Ce cas illustre donc l’importance d’Aristote en tant que source sur le monde achéménide ; en plus, sa dichotomie
entre chameaux bactriens et arabes semble refléter un point de vue perse. L’empire achéménide a émergé en partie grâce au nouveau réseau commercial méridional (Afrique du
Nord-Est, sud du Levant, péninsule Arabique, sud de la Babylonie, sud de l’Iran, Inde)
rendu possible par la domestication du dromadaire vers la fin du deuxième millénaire
avant J.-C. ; les tribus arabes ont joué un rôle déterminant dans ce processus et sont
restés essentiels dans l’élevage du dromadaire même à l’époque hellénistique (cf. infra).
Le chameau de Bactriane, en revanche, a joué un rôle majeur dans l’ancien réseau commercial du nord (nord du Levant, nord de la Mésopotamie, nord de l’Iran, Asie centrale), dominé auparavant par l’empire néo-assyrien. Son origine n’était probablement
pas la Bactriane proprement dite : le nom de « bactrien » dérive plutôt des élévateurs et
des marchands de Bactriane qui ont joué un rôle majeur dans la diffusion de l’animal
(la description de l’autre camélidé comme « arabe » peut également refléter une donnée
culturelle plutôt que bio-géographique). Les Achéménides furent les premiers à réunir
et à monopoliser les deux réseaux commerciaux, double épine dorsale de ce qui fut véritablement « l’empire des deux camélidés » 5.
La terminologie camélide néo-assyrienne reflète déjà cette dichotomie ethnozoologique. Le mot générique pour chameau (gammalu) et les termes spécifiques pour dromadaire (ibilu), chamelle de dromadaire (attesté en pl. : anaqātu), et chamelon de dromadaire
(bakru) sont des emprunts arabes, tandis que le mot pour chameau de Bactriane, *udru
(attesté comme pl. masc. udurū, udrū et pl. fem. udrāti) trahit probablement son origine
iranienne (cf. l’avestique uštra, vieux-perse uša°- et *ušça-). La familiarité des Iraniens
avec le chameau de Bactriane remonte peut-être à loin : outre les découvertes zooarchéologiques du début du troisième millénaire sur les bords du plateau iranien, deux textes
administratifs de Puzrish-Dagan (sud de la Mésopotamie) de la période d’Ur III (fin du
troisième millénaire) pourraient faire référence à une livraison de chameaux (bactriens)
en provenance de Šimaški et d’Anšan, régions élamites du centre et du sud de l’Iran 6.
Les ostraca démotiques et grecs du Bi’r Samut (Égypte, désert Oriental) du début
de l’époque hellénistique fournissent des informations détaillées sur le dromadaire. Les
textes montrent que des personnes portant des noms grecs et égyptiens étaient impliquées dans l’intendance et le contrôle général des caravanes, tandis que des personnes
5. Voir W. F. M. Henkelman, « Imperial signature and imperial paradigm: Achaemenid administrative
structure and system across and beyond the Iranian plateau », dans B. Jacobs, W. F. M. Henkelman
et M. W. Stolper (éd.), Administration in the Achaemenid Empire: Tracing the imperial signature,
Wiesbaden, 2017 (Classica et Orientalia 17), p. 45-256 (ici p. 59-61). La thèse originale de double
réseau commercial et ses conséquences provient de M. Gibson, « Duplicate systems of trade: A key
element in Mesopotamian history », dans K. R. Haellquist (éd.), Asian trade routes, Londres, 1991
(Studies on Asian Topics 13), p. 27-37, 254-256, 281.
6. La terminologie akkadienne relative aux chameaux est présentée dans L. Cousin, « Le dromadaire
(Camelus dromedarius) dans le Proche-Orient ancien au Ier millénaire av. J.-C. », dans D. AgutLabordère et B. Redon (éd.), Les vaisseaux du désert et des steppes : les camélidés dans l’Antiquité
(Camelus dromedarius et Camelus bactrianus), Lyon, 2020, p. 65-79 (ici p. 65-66) ; voir aussi les
autres contributions au même volume. Pour les textes d’Ur III, voir P. Steinkeller, « Camels in Ur III
Babylonia? », dans J. D. Schloen (éd.), Exploring the longue durée, Winona Lake, 2009, p. 415-418.
Résumés des conférences
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portant des noms arabes, parfois appelées « l’Arabe du désert » (τῶι ὀρεινῶι Ἄραβι,
dat.), étaient chargées de l’entretien et de la conduite des animaux, poursuivant ainsi une
situation qui existait déjà à la fin du deuxième millénaire 7.
Quant au chameau de Bactriane, il est représenté de façon détaillée et évidement bien
informée sur les reliefs de l’Apadana de Persépolis, où il fait partie du tribut de quatre
délégations du nord-est de l’Iran. La connaissance de l’animal apparaît également dans
les textes élamites de l’« Archive des Fortifications de Persépolis » (Persepolis Fortification
Archive) datant des années 509-493 av. J.-C. Ils apparaissent dans le contexte du réseau
de routes royales, par exemple dans Fort. 1255-101:46'-53', qui mentionne un voyage
d’environ 200 hommes, 18 chevaux et 31 chameaux d’un certain Addada, un chef Saka,
vers Darius Ier. Bien que l’élamite s’exprime ici par un logogramme (anše.a.ab.baMEŠ,
génériquement utilisé pour les deux camélidés), le contexte suggère fortement des chameaux de Bactriane. Il est possible, mais incertain, que spécifiquement des Bactriens
sont aussi l’objet des quelques comptes de bétail concernant les camélidés. Bien que leur
nombre soit limité, ces textes font état de centaines d’animaux élevés localement, classés
par sexe et par catégorie d’âge, y compris des chamelons de moins d’un an. Ces jeunes
animaux sont appelés duttila, terme technique composé de duddu, « poulain », et de tila,
« veau » et réservé pour les chamelons. Les comptes supposent un accroissement idéal du
troupeau d’un tiers de toutes les femelles fertiles, ce qui est inférieur à ce qui est prévu
pour les autres animaux, mais correspond au cycle de reproduction des camélidés 8.
Les comptes de bétail sont des instruments administratifs complexes qui n’offrent
pas une vision directe des troupeaux réels. Néanmoins, les archives offrent sufÏsamment
d’indicateurs pour établir que l’élevage de camélidés n’était pas quelque chose d’extérieur
à la société perse propre, géré par des spécialistes comme les Arabes de Bi’r Samut hellénistique. Prenons par exemple le texte PF 0331, qui parle de l’important Persan Dayurisa,
probablement identique à Daurise, le commandant des contre-opérations achéménides
dans la première phase de la révolte ionienne. Ce gendre du roi Darius Ier possédait un
domaine à partir duquel un certain nombre de chameaux, principalement des femelles,
ont été transférés, peut-être pour satisfaire à des obligations fiscales ou de tribut. Le
document implique probablement un élevage de chameaux encore plus important :
PF 0331
01
2 mâles de 1 an ; 02 36 femelles, adultes 03 3 femelles de 5? ans. 04 3 femelles de 3 ans ;
05
1 femelle de 1 an ; 06 total : 8 chamelons, femelles. 07 16 chamelons, mâles. 08-09 Total 54
(62 !) chameaux, vivant, 09-10 (pour) allocation de Battiš, 10-11 …, 22e année, 10 sous la responsabilité de Takmašbada, 10 dans le domaine de Dayurisa (Daurise) 9.
7. M.-P. Chaufray, « Les chameaux dans les ostraca démotiques de Bi’r Samut (Égypte, désert
Oriental) », dans D. Agut-Labordère et B. Redon (éd.), Les vaisseaux du désert et des steppes, p. 135170.
8. Pour une traduction et une discussion de Fort. 1255-101:46'-53' voir W. F. M. Henkelman,
« Nakhtḥor in Persepolis », dans W. F. M. Henkelman, M. B. Garrison et D. Kaptan, Bullae and
seals, Oxford, 2020 (Aršāma and his world: The Bodleian letters in context 2), p. 193-223 (ici
p. 193-196). Pour l’élevage et l’utilisation de chameaux à Persépolis et dans l’Iran achéménide, voir
pour l’instant W. F. M. Henkelman, « Imperial signature », p. 55-63, avec références ; les comptes
de bétail sont traités en détail par M. W. Stolper, Accounting for animals in the Persepolis Fortification
archive (en préparation).
9. Pour une discussion de PF 0331, y compris la collation sous-jacente à la traduction donnée ici, voir
W. F. M. Henkelman, « Daurises », p. 174-178.
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Annuaire – EPHE, SHP — 155e année (2022-2023)
D’autres contextes sont encore plus explicites quant au savoir-faire en matière de
traitement des chameaux tel qu’il existait au sein de la société persane. Trois textes
font référence au même groupe de 200 chameaux en pâturage, décrits comme étant en
convalescence ou nécessitant un traitement spécial. Ils documentent l’approvisionnement
de 2 000 l. de vin (NN 1058), d’une quantité inconnue de nukdu (une sorte ou une partie
particulière de grain ; NN 1109), et de 50 l. de zali (cresson ; Fort. 3546), tous émis
pour la même période. La combinaison de trois denrées inhabituelles reflète un traitement spécial, la nature ou le but duquel reste inconnu, mais qui reflète clairement une
connaissance intime de la physiologie des animaux.
Bien que des recherches supplémentaires soient nécessaires pour déterminer si l’institution de Persépolis se concentrait principalement sur les chameaux de Bactriane ou
si elle s’occupait également de l’élevage de dromadaires (et d’hybrides), cette dernière
hypothèse est tout à fait envisageable. Un texte fait référence à 33 « chameaux de la
route » (anše.a.ab.baMEŠ AŠkaskalMEŠ-na ; NN 2371:03-05), donc plausiblement de
dromadaires, recevant du fourrage pour une période de neuf mois, dans ce qui semble
être un contexte interne. Un autre document parle d’un nombre inconnu de « chameaux
tapant la route » (anše.a.ab.baMEŠ kaskalMEŠ tuk-ki-na ; Fort. 2041-101:11'-13'), une
référence plus explicite à des animaux express, donc des dromadaires.
4. Comme l’ont montré les dossiers sur l’esturgeon et le chameau achéménides, il
reste encore beaucoup à apprendre des sources disponibles, y compris des auteurs grecs
et romains qui ne sont pas souvent invoqués dans l’étude de l’empire. Le séminaire de
2022-2023 (et de 2021-2022) a abordé une richesse animale, y compris des bêtes sauvages, comme le tigre et le loup, dans l’imagination achéménide ; des animaux récemment domestiqués et répandus par l’intermédiaire de l’empire, comme le poulet, le paon
et le perroquet ; l’élevage spécialisé, comme de la mule ou le moutons à queue grasse ;
ou encore l’inventaire des poissons et autres animaux du golfe Persique rapporté par les
biographes d’Alexandre sur la base de sources locales. Tous ces dossiers nécessitent un
traitement détaillé pour devenir pleinement productifs, mais ils méritent certainement
l’effort car ils peuvent jeter une lumière entièrement nouvelle sur la vie dans le monde
achéménide.