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La main de Néandertal et la peinture rupestre. Laurence Anne Rougier 1 Introduction. Etudiez l’aptitude de Néandertal à la peinture rupestre se heurte à deux problèmes. En premier lieu, l’existence de peintures pariétales incontestables. Ce manque de documents, incite à abimer des parois peintes par Sapiens, sous prétexte que des manifestations se trouveraient enchâssées, voire visibles à l’œil nu. De plus, contrairement à Sapiens, aucune grammaire des formes propre à l’espèce n’existe. Pour éviter le carnage (10 grottes cantabriques ont déjà été abimées), la lecture des relevés effectués par des archéologues spécialistes, et ce depuis des décennies, est possible. Cette méthode implique une parfaite connaissance de l’art du Paléolithique récent, ainsi qu’une grande familiarité avec l’espèce néandertalienne. En attendant une découverte extraordinaire qui ferait l’unanimité de la communauté des préhistoriens, jusqu’au grand public enfin éclairé, la démarche de l’auteure n’est pas de démontrer à tout prix que Néandertal était peintre, mais plutôt de comprendre pourquoi il ne l’était pas. Dans cet article, cette interrogation passe par l’observation de sa main et de son avant-bras en mouvement, afin d’en discerner quelques conséquences sur l’art de peindre. 2 La main du peintre. Contrairement à Sapiens, l’avant-bras de Néandertal est plus court et plus courbé, avec un fléchissement du coude plus accentué. L’extrême souplesse de l’avant-bras dans la flexion-extension, est confrontée à une masse musculaire importante. Cette musculature est caractérisée par des insertions musculaires, positionnées sur les articulations osseuses de manière très différente de Sapiens. Cette différence conditionne la liberté du bras dans l’acte de peindre. Chez Néandertal, force dans la statique et mouvements de pronosupination vont de pair. Cette association, exacerbée par la puissance de préhension de la main due à une paume plus large que Sapiens, est très efficace pour tenir une lance, beaucoup moins pour animer un pinceau sur une paroi. Une première phalange plus courte, encourage une flexion métacarpo-phalangienne tout aussi puissante, contredite par la souplesse du pouce en opposition. Cette souplesse autorise une grande liberté des autres doigts dans la finesse de préhension. Visualisons le mouvement d’une main bien articulée, voire hyperlaxe, mais plus massive et plus lente dans l’action, notamment quand il est question d’enduire une paroi d’un aplat de pigments. Sapiens, quant à lui, possède un poignet relativement moins souple mais plus rapide pour mobiliser son pinceau. Rien de rédhibitoire en ce qui concerne Néandertal, si ce n’est une approche différente dans le choix de l’épaisseur des contours et dans la précision du trait. À priori, le geste abstrait à la main ou au pinceau ne lui est pas interdit. 3 Discussion. Un portrait-robot du comportement de l’espèce face à la fabrique de l’art mobilier, avec des implications évidentes pour l’art pariétal, peut être d’ores et déjà établi : 1-Néandertal possède un savoir-faire et il nous le montre. Il fabrique des « parures » en serres d’aigle. Comportement symbolique évident et documenté, mais pas d’innovation technologique spectaculaire. Néandertal découpe les tendons, incise la chair du rapace pour la détacher. Il reproduit une pratique bouchère de son quotidien, à la nuance prêt que l’acte de découper, abraser, polir, exige que les doigts de la main soient nécessairement plus souples et mobiles. Néandertal est donc capable d’ajuster sa main en fonction de ses besoins. Un bon point quand on veut s’exercer à la peinture. 2-Néandertal est parfaitement capable de travailler l’ivoire de Mammouth. Il ne le fait pas, alors qu’il n’a pas de problème d’approvisionnement. Goût ou tabou ? De même que sa culture ne l’attire pas à cette matière première qui va passionner Sapiens, peut-être que la peinture n’était pas sa tasse de thé. Une hypothèse soutenue par des experts d’outre-Manche prétend que Néandertal, du fait de son organisation cérébrale et oculaire, voyait mieux la réalité de son monde que Sapiens. Cela expliquerait qu’il n’ait pas éprouvé le besoin de l’immortaliser sur les parois. 4 A contrario, Sapiens aurait inventé un mode de communication pictural et graphique avec ses congénères, pour contempler son monde. 3-De toute évidence, il n’est pas spécialiste de l’art pariétal. Nous remarquons que Néandertal est moins habile que Sapiens avec sa main et son avant-bras, mais pas complétement disqualifié. Cette observation peut permettre une discrimination raisonnable d’un art rupestre, allant de l’expression la plus rudimentaire à la quasiperfection du geste (problèmes de perspective et de proportions). Perfection, dont il pourrait bien être exclu. Conclusion. Si l’on veut comprendre les aspirations artistiques des sociétés néandertaliennes, il nous faut rechercher l’intimité avec l’espèce, c’est-à-dire avec la Paléoanthropologie, la Paléoneurologie, et la technologie lithique et osseuse. 5 Bibliographie. Calais-Germain Blandine (2013). Anatomie pour le mouvement. Editions Désiris. Hambücken Anne (1998). Morphologie et fonction du coude et de l’avant-bras des Néandertaliens in Bulletins et Mémoires de la Société d’anthropologie de Paris. https://www.persee.fr/doc/bmsap_00378984_1998_num_10_3_2516 Romandini Matteo et coauteurs (es) (2014). Convergent Evidence of Eagle Talons Used by Late Neanderthals in Europe: A Further Assessment on Symbolism.(PDF) Convergent Evidence of Eagle Talons Used by Late Neanderthals in Europe: A Further Assessment on Symbolism (researchgate.net) Villemeur Isabelle (1991). Résumé de la thèse : Étude morphologique et biomécanique du squelette de la main des Néandertaliens : comparaisons avec la main des hommes actuels. 6