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Via Sapientiae: The Institutional Repository at DePaul University 1668 French edition Abelly, Louis 1-1-1668 Livre 1 Recommended Citation Abelly, Louis. La Vie du Venerable Serviteur de Dieu Vincent de Paul. Livre 1. 1667 edition. http://via.library.depaul.edu/ abelly_1667/2 This Article is brought to you for free and open access by the Abelly, Louis at Via Sapientiae. It has been accepted for inclusion in 1668 French edition by an authorized administrator of Via Sapientiae. For more information, please contact mbernal2@depaul.edu. LA VIE DU VENERABLE SERVITEUR DE DIEU VINCENT DE PAUL INSTITUTEUR ET PREMIER SUPERIEUR GENERAL De la Congrégation de la Mission DIVISEE EN DEUX LIVRES Par Messire Louys Abelly evesque de Rodez SECONDE EDITION A PARIS, Chez FLORENTIN LAMBERT, ruë S. Jacques, Devant S.Yves, à l’Image S. Paul. _________________________ M.DC.LXVII. Avec Approbation & Privilèges. A LA REINE MERE DU ROY. MADAME, L’accueil favorable que Vostre Majesté a toujours fait à Monsieur Vincent, pendant qu’il vivoit sur la terre, & les témoignages A ij EPISTRE de bien-veillance, dont elle a honoré sa memoire, après sa mort, m’ont donné sujet d’esperer qu’elle agréoit cét Ouvrage, qui n’est qu’un crayon de la Vie & des Vertus de ce grand Serviteur de Dieu, que je me suis étudié de tracer, avec toute la fidelité qui m’a eté possible. Il est vray qu’on n’y trouvera pas les ornemens qui sembleroient convenables, pour le rendre digne d’etre presenté à une si grande Princesse : mais j’ay pensé, que plus cette copie seroit simple & naïve, plus aussi seroit-elle conforme à son original, & plus favorablement receuë de V. M. qui reconnoïtroit mieux M.Vincent, lors-qu’elle le verroit paraître dans son équipage ordinaire ; c’est a dire, avec son humilité, sa simplicité & sa candeur accoûtumée. Et pour y reüssir plus heureusement, quoy que ce saint Homme pendant sa vie ait toujours retenu, autant qu’il a esté en son pouvoir, sous le voile du silence, les excellentes grâces qu’il recevoit de Dieu, j’ay fait néanmoins ce que j’ay pû pour l’obliger de parler après sa mort, & de nous en déclarer quelque partie ; ayant soigneusement recüeilly ce qu’il a dit sur ce sujet en diverses rencontres, lors-que sa charité l’a contraint de découvrir,` ce que son humilité eust voulu cacher. Si V. M. daigne luy donner quelque Audience, il aura l’honneur de l’entretenir de plusieurs sujets, qui sans doute contenteront sa pieté, & tout en- EPISTRE semble luy donneront beaucoup de consolation, reconnaissant combien de grandes choses ont esté faites pour la gloire de Dieu, & l’accroisment du Royaume de JESUS-CHRIST, durant le temps de sa Regence, non seulement par sa permission & sous l’appuy de son authorité, mais encore par la cooperation de son zele, & par l’application de ses soins & de ses liberalitez. Et ce qui doit combler de joye V. M. est que toutes ces grandes Œuvres subsistent encore, s’augmentent & se perfectionnent toujours à la faveur de la très-sage conduite de notre Incomparable Monarque, qui eclaire comme un Soleil, & vivifie en meme temps toutes les parties de son Royaume, & qui parmy les plus importantes affaires, ausquelles il s’applique pour le bien de son Etat, avec une force d’esprit infatigable, ne laisse pas d’étendre ses soins, & d’employer son zele, pour maintenir en tout lieu la veritable Religion, & la solide Pieté. C’est MADAME, ce qui obligera encore plus particulièrement celuy duquel nous ecrivons la Vie, & dont l’innocence & la sainteté nous donnent tout sujet de le croire dans le Ciel avec Dieu, d’employer incessamment ses prières pour obtenir de son infinie Bonté, toutes sortes de bénédictions sur la personne de ce grand Prince, sur celle de V. M. & sur toute la Maison Royale, en reconnaissance des gra- EPISTRE ces & faveurs qu’il en a recuë, & qu’il continuë d’en recevoir en la personne des siens. Pendant qu’il a vécu sur la terre, & mesme dans les temps les plus périlleux & diffici- les, il a toujours fait profession d’une confiante fidélité envers le Roy, & d’une affection sincere pour tout ce qui concernait le bien de son service : Et puisque les vertus des Saints ne meurent point, & que leur charité esty toüjours vivante ; il y a grande raison de croire que M. Vincent conserve dans le Ciel cette mesme affection, & ce mesme zele, pour procurer auprès de Dieu toutes sortes de biens à la personne du Roy, à V.M. & à tout ce qu’el le a de p)lus cher. Ce ne luy est pas un petit sujet de consolation, d’être assurée d’avoir un fidèle Serviteur, ou bien, pour parler plus conformément aux sentiments de votre Pieté, un Intercesseur & un Protecteur, qui luy est parfaitement acquis auprès de Dieu, lequel, comme un autre Jeremi, est cointinüellement prosterné devant le Trône de cette adorable Majesté, pour luy demander tout ce qu’il voit dans ce grand jour de gloire, estre salutaire à V. M. & favorable à l’accomplissement de ses justes désirs. Pour moy, MADAME, ayant esté prévenu & c omblé des grâces du Roy, & ayant ressenty les effets de v ostre bienveillance, sans jamais les av oir méritez ; & d’ailleurs me EPISTRE Jugeant incapable d’en rendre à V.M. une Reconnaissance telle que je luy dois, je la supPlie de souffrir que j’emprunte de celuy dont J’écis la Vie, ce qui me manque pour m’acQuitter de ce devoir, & qu’à son exemple, & sous la faveur des mérites qu’il s’est acquis par ses fidèles services, je me dise avec tout le respect qui m’est possible, MADAME, De votres Majesté Le tres-humble, tres obéissant, & tres fidèle Serviteur & Sujet, LOUYS Evesque de Rodez. VIII AVIS AU LECTEUR . M On cher Lecteur, j’ay à vous avertir en peu de mots , de trois choses auxquelles je vous prie de faire attention, avant que de vous engager dans la lecture de ce Livre. La première, que la verité estant comme l’âme de l’ Histoire, je m’y suis tres étroitement attaché en cet Ouvrage, dans lequel je n’ay rapporté aucune chose qui ne soit appuyée sur le témoignage de personnes tres-sages & tres vertueuses, ou qui ne soit` publiquement connuë, ou que je n’aye veuë moy-mesme, ayant eu le bien de frequenter M.Vincent durant plusieurs années, d’écouter ses Discours publics & particuliers, & d’estre present à une partie des choses que j’ay mises par écrit, & mesme d’avoir visité le lieu de sa naissance,& ses proches parens dans un voyage que je fis en Guienne, il y a plusieurs années. Que si parmy les témoignages des autres j’ay inséré des ex- IX AVIS AU LECTEUR traits de ses lettres & de ses entretiens, c’est que j’ay crû ne pouvoir faire une expression plus sincère n’y plus certaine de ses dispositions intérieures, qu’en rapportant ce qu’il en a dit luy-mesme en quelques occasions, où son humilité estoit contrainte de ceder à sa charité. En quoy son témoignage est d’autant plus digne de creance, que ceux qui l’ont connu çavent qu’il estoit tres-eloigné de tout esprit de vanité, & qu’une de ses plus fréquentes pratiques estoit de rechercher toujours l’abbaissement & le mépris de soy-mesme. La seconde, que cet Ouvrage se trouvant un peu étendu, quelques-uns pourroient penser qu’il n’eust pas esté necessaire de s’arrester à déduire beaucoup de choses particulières, & qu’il eust suffy de rapporter en général les principales & les plus dignes de l’attentention du Lecteur. Mais comme l’on ne peut bien juger des choses si on ne les voit que superficiellement, ou en gros, l’on a crû que pour faire connaistre la grandeur & l’untilité des Œuvres que Dieu a faites par M. Vincent, ce n’estoit pas assez d’en parler en général, mais qu’il falloit descenddre au particulier, & les faire voir en détail, ce qui n’a pû estre renfermé dans un moindre volume. La troisième & derniere chose est, que X AVIS AU LECTEUR pour me conformer aux ordres tres-sagement établis par le S. Siege Apostolique,je déclare que ce qui est rapporté en ce Livre n’estant appuyé que sur le témoignage des Hommes, quoy que sages & vertueux, mon intention n’est pas qu’on y ajoûte la mesme foy qu’à celles qui sont proposées par l’authorité de l’Eglise ; & que s’il m’arrive quelque fois d’appeler M. Vincent un Saint Homme, ou un Saint Prestre, je ne prens ce mot que dans le mesme sens que S. Paul l’a donné aux Fidèles de son temps, & ne veux signifier par ce titre honorable, sinon que ce grand Serviteur de Dieu a esté doüé d’une rare & excellente vertu. XI AVERTISSEMENTS Touchant cette seconde Edition Dans la première Edition de cet Ouvrage on avoit amplement rapporté les principales Œuvres de M. Vincent, & mesme on y avoit inséré un peu au long quelques-uns de ses Discours spirituels, pour la satisfaction de quantité de personnes vertueuses qui estoient bien-aises dee savoir en détail toute la conduite qu’il avoit suivie dans ces mesmes Œuvres, & les pieux sentimens qu’il avoit témoignez en diverses occasions. Mais comme toutes ces choses avoient tellement grossi le Livre, qu’il ne se trouvoit pas commode à diverses personnes, l’on a crû qu’il estoit expedient de le rendre plus court en cette seconde Edition, en laquelle on s’est contenté de rapporter simplement ce qui avoit esté mis dans la première touchant la Vie & les Vertus de ce grand Serviteur de Dieu. Pour cét effet on a laissé le second Livre de la première Edition, où ses Œuvres principales sont rapportées au long, & on a mesme retranché la plus-part de ses discours qui avoient XII esté insérez dans le troisieme ; de sorte que cette seconde Edition a esté réduite en deux parties d’une mediocre grandeur, afin que l’utilité en soit renduë commune à toutes sortes de personnes, & que ceux qui n’ont pas le loisir de s’appliquer à la lecture des gros Livres, ou le moyen de les acheter, puissent participer au fruit que plusieurs ont desja tiré de cét Ouvrage, & profiter de ce qui est rapporté de la vie & les actions vertueuses de ce fidèle Serviteur de Dieu. APPROBATION DE MONSEIGNEUR L’Archevesque d’Auch. NOUS Henry de la Mothe, Docteur de Paris & Archevesque d’Auch, déclarons avoir lue le Livre intitulé : La Vie du vénérable Serviteur de Dieu Vincent de Paul, composé par Messire Louys Abelly, Evesque de Rodés, dans lequel nous n’avons rien trouvé qui ne soit plein d’édification, & qui ne puisse servir d’exemple à toutes sortes de personnes, pour imiter un sujet dont les actions & la vie y sont décrites par l’Auteur avec tant de force, de sincerité, & des couleurs si vives, qu’il ne faut qu’avoir eu le bon-heur que nous avons possedé de l’amitié particulière & conversation familière de cét admirable Homme, pour le retrouver dans ce Livre avec plus davantages pour le Public, qu’on n’eust pas fait dans luy-mesme durant sa vie, qu’il tenoit cachée aux yeux des hommes, pour ne la découvrir qu’à Dieu seul : c’est pourquoi nous le jugeons tres-digne d’estre imprimé & lû par tout le monde. Fait à Paris ce 30. Aoust 1664. HENRY DE LA MOTHE, Arc.D’Auch. ________________________________________ APPROBATION DE MONSEIGNEUR L ‘Evesque d’Evreux. L’Eglise à long-temps soupiré, non seulement sous la cruauté des tyrans, mais encore sous la honte des reproches que les Prophetes ont faits à ses Ministres, plusieurs siècles avant sa naissance, Ezechiel s’est plaint de ce que les oüailles du Seigneur ont esté dispersées, pour n’avoir point eu de Pasteur ; APPROBATIONS ou si le Pasteur a été négligent, Zacharie l’appelle une Idole, puis-qu’il est inutile à la garde de son troupeau, dont il a si lachement quitté la conduite. Les Peres de la mesme Eglise ont gemy sous la consideration d’un mal-heur si deplorable : & Saint Gregoire de Naziance, entre les autres, s’afflige & s’etonne de voir un Berger qui souffre les injures des saisons avec tant de persévérance, pour la seureté du bercail dont il est la gardien, & qu’en mesme temps on trouve dans la Bergerie du Sauveur du monde, des Ames qu’il appelle, A Janees Spéuuat, des oüailles raisonnables, exposées à la gueule des Loups, parce qu’il se trouve des mercenaires, au lieu de Pasteurs, qui abandonnent leur salut dans l’excès de leur oisiveté. Mais enfin la bonté du Souverain Pasteur, qui veille sur son Eglise, nous a suscité en la personne de Monsieur Vincent de Paul un Ministre fidèle, tout rempli du zele de sa gloire, & tout brûlant d’amour pour le salut des Ames. Il ne faut que lire cette agreable Histoire de sa Vie, dont Monseigneur de Rodés est le digne Escrivain, pour en estre persuadé. J’avouë que j’ay leu & releu plusieurs fois une partie des Ouvrages tous remplis de doctrine & de pieté, que ce grand Prelat a donnez au public, & que je les ay étudiez avec admiration ; mais je dois exciter les Fidèles à méditer ce dernier Livre, qui ne peut estre que tres-utile pour imprimer dans les cœurs les sentimens d’une solide & veritable devotions. Donné à Evreux le jour de Saint Bernard 20.Aoust 1664. HENRY E. d’Evreux. PRIVILEGE DU ROY, LOUIS par la grace de Dieu Roy de France & de Navarre. A nos amez & feaux Conseillers, les Gens tenans nos Cours de parlement, Maistres des Requettes ordinaires de notre Hostel, Preuost de Paris, Baillifs, Seneschaux, leurs Lieutenans, & autres Justiciers qu’il appartiendra, Salut : Notre bien aimé FLORENT LAMBERT, marchand Libraire Imprimeur à Paris, Nous a fait remonter que notre amé & feal Conseiller en nos Conseils le Sieur Abelly par Nous nommé à L’Evesché de Rodés, luy a mis és mains un Livre inTitulé :La Vie du vénérable Serviteur de Dieu Vincent de Paul, Instituteur & premier Superieur general de la Congregation de la Mission, qu’il desiroit faire imprimer tant en langue Françoise que Latine, pour l’utilité de nos Sujets & Etrangers : mais il craint qu’après en avoir fait la dépense qui sera tres-considerable, d’autres le voulussent faire imprimer à son préjudice, s’il ne luy estoit sur ce pourveu de nos Lettres de permission & privilege particulier qu’il nous a tres-humblement fait supplier luy octroyer. A CES CAUSES, voulant contribuer de tout notre pouvoir à per$etuer la memoire d’une personne de si hautre vertu & merites, & duquel la vie & les actions doivent servir de modèle à la postéerité, Nouys avons favorablement permis & accordé, permettons & accordons par ces presentes audit Lambert, d’imprimer ou faire imprimer ledit Livre, tant en François qu’en Latin, en tel volume, marge, caractères, & autant de fois que bon luy semblera, pendant le temps de vingt années prochaines & consécutives, à commencer du jour qu’il sera achevé d’imprimer de l’une & l’autre Langue, icelui vendre &distribuer par tout notre Royaume : Faisons défenses à tous Libra,ires, Imprimeurs & autres d’imprimer, faire imprimer, vendre & distribuer ledit Livre, sous quelque pretexte que ce soit, mesme d’impression etrangere & autrement, sans le consentement du dit Lambert, ou de ses ayant cause, sur peine de confiscation des Exemplaires contrefaits, trois mille livres d’amende, dépens, dommages & interests : à la charge d’en mettre deux Exemplaires en notre Bibliothecque publique, un autre en notre Cabinet des Livres de notre Chasteau du Louvre, & une en celle de notre tres-cher & feal Chevalier Chancelier de France le Sieur Seguier, à peine de nullité des Presentes, du contenu desquelles vous mandons & enjoignons faire jouïr l’Exposant & les ayant cause,pleinement & paisiblement, cessant & faisant celler tous troubles & empeschemens contraires. Voulons qu’en mettant au commencement ou à la fin dudit Livre l’Extrait, elles soient tenuës pour deüement signifiées, & qu’aux copies collationnées par l’un de nos amez & feaux Conseillers Secretaires, foy soit ajoûtée, comme au present Original, MANDONS au premier notre Huissier ou Sergent, faire pour l’execution des Presentes, toutes significations, défenses, saisies, & autres actes requis & nécessaires, sans demander autre permission : Car tel est notre plaisir. Donné à Paris le 19, jour de May, l’an de grace 1664.& de notre Regne le vingt-deuxieme. Signé, par le Roy en son Conseil, BARDON. Enregistré sur le Livre de la Communauté des Marchands Libraires & Imprimeurs. LA VIE DU VENERABLE SERVITEUR DE DIEU VINCENT DE PAUL INSTITUTEUR ET PREMIER SUPERIEUR GENERAL De la Congregation de la Mission. LIVRE PREMIER ___________________________________ CHAPITRE PREMIER . L’estat de l’Eglise en France, lors-que le venerable Serviteur de Dieu Vincent de Paul vint au monde. LA Sagesse & la puissance de Dieu ne paroissent jamais plus admirables dans la conduite de l’Eglise, que lors qu’il prend sujet des miseres qui l’affligent d’exercer envers elle ses plus grandes miséricordes ; & qu’il tire son avantage des pertes qui luy arrivent, sa gloire de ses humiliations, 2 LA VIE DU VENERABLE VINCENT Ad punCtum in Modico Dereliqui Te,& in Mise ratioN bus maGnis con Gregabo Te. In momentoire DignatioNisabsôDi faciem Meam Parumper A te, & in `misericordiâ sépiteux miserus sum tui. Isa.54. Hoc EcClatie pro Prium est Ut tùm Vint cû Lazeditur ; Tùm inTelligatur Cùm arGuitare ; tù Obtint, Cùm deFeritur. Hilar. Dib.7. de Trinit. & son abondance de la sterilité : En sorte que, suivant ce qu’il a dit par la bouche d’un Prophete, quand il semble l’avoir delaissé pour un temps, ce n’est que pour luy faire mieux ressentir après, les effets de son amour ; & quand il en détourne sa face, comme s’il l’avoit mise en oubly, ce n’est que pour la combler de nouvelles bénédictions & la favoriser de grâces plus particulieres. C’est ce qui a fait dire à S.Hilaire écrivant contre Les Arriens : Que c’est le propre de l’Eglise de JESUS-CHRIST, de vaincre quand elle est blessée ; de se faire mieux connoistre, quand elle est défigurée par les calomnies de ses adversaires ; & d’obtenir un plus pûissant secours de Dieu, quand elle semble estre plus destituée de sa protection. Cela se pourroit vérifier par la suite de toute l’Histoire Ecclesiastique, laquelle nous représente le mystique vaisseau de l’Eglise, voguant sur la mer orageuse de ce siecle, parmy une infinité de périlleuses rencontres, qui semblent la menacer souvent d’un naufrage inévitable, & la porter quelquefois à deux doigts de sa perte ; d’où néanmoins la main de Dieu la retire toujours avec avantage, se servant mesme des tempestes les plus violentes & des vents les plus contraires pour la faire avancer heureusement vers le terme de sa navigation. Mais Sans nous étendre sur une matiere si vaste, il suffit de jetter les yeux sur l’état déplorable où l’Eglise estoit reduite en France vers la fin du dernier siecle, pour connoistre les soins paternels que Dieu a pris de sa conservation & de son accroissement, lors-qu’il semblait l’avoir presque abandonnée ; & pour remarquer à mesme temps les desseins particuliers de sa Providence sur son fidéle serviteur Vincent de Paul, & les grandes choses qu’il vouloit opérer par son moyen pour le secours & l’avan- DE PAUL, LIV.I. CHAP.I. 3 tage de son Eglise. Ce fut sur la fin du seiziéme siecle que Dieu fit naistre ce sien Serviteur, dans un temps où la France agitée d’horribles tempestes au sujet des nouvelles hérésies de Luther & De Calvin, lesquelles après avoir separé une partie des François du Chef de l’Eglise, les porterent bien-tost à une rebellion ouverte contre leur Roy ; car c’est le propre des Heretiques, comme a remarqué un saint Apôtre, de mépriser toute domination, & de fouler aux pieds le respect qu’ils doivent a leurs Souverains. Il ne se peut dire combien ces deux fleaux de la guerre civile & de l’heresie joints ensemble, causèrent de maux pendant une longue suited’années. La France qui avoit esté jusqu’alors une des plus florissantes Monarchies de la terre, devint comme Un théâtre d’horreur, où la violence & l’impieté Firent jouër d’étranges tragédies. On voyait en tous Lieux les Temples détruits, les Autels abattus, les Prestres massacrez, & les choses les plus saintes` profanées. Mais le plus grand & le plus funeste de tous ces maux, estoit un renversement presque universel de tout l’ordre & de toute discipline Ecclesiastique ; d’où venait qu’en la plus part des Provinces de ce Royaume, les peuples estoient sans Sacremens, sans instruction,& presque sans aucun secours exterieur pour leur salut. Il est vray que Dieu ayant depuis rendu le calme & la paix à la France par le courage invincible, & par la sage conduite de Henry le Grand de tres-glorieuse memoire, les Prelats appuyez de son authorité employèrent divers moyens pour remédier à toutes ces confusions, & pour remetre la Religion` en sa premiere splandeur. On assembla des Conciles Provinciaux, où l’on fit de tres-saintes Ordonnances ; & les Evesques ne manquerent pas de fai- 4 LA VIE DU VENERABLE VINCENT Lac co-medebaTis, & la Nis ope-`richamiNi.Ezech. 34 re dans leurs Synodes particuliers tout ce qui dependoit d’eux, afin qu’elles fussent observées dans leurs Dioceses. Mais les maux que la contagion de L’heresie & la licence de la guerre avoient causez Estoient si grands & si fort enracinez, que les remedes quoy-que Souverains, n’eurent pas tout le sucez qu’on avoit espéré ; & nonobstant tous les soins que les Superieurs Ecclesiastiques employerent à l’acquit de leurs charges, on ne laissa pas de voir encor de grands défauts dans le Clergé. Ce qui estoit la cause que le sacerdoce estoit sans honneur, & mesme dans un tel mépris en certains lieux, que les personnes de condition auraient crû s’avilir de recevoir les Saints Ordres, à moins que d’avoir quelque bénéfice considerable qui en couvrit la honte, & c’estoit alors une espece d’injure, selon la commune opinion du monde, de dire à un Ecclesiastique de qualité, qu’il estoit un Prestre. De ce defaut de vertu & de discipline dans le Clergé procedoit un autre grand mal, qui estoit l’ignorance du peuple , & particulièrement de celuy de la campagne, qui n’estoit point instruit n’y assisté dans ses besoins spirituels. L’usage des Caschismes estoit presque inconnû ; la plupart des Curez de village estoient comme ces Pasteurs dont parle le Prophete, qui se contentoient de prendre la laine & de tirer le lait de leurs brebis, sans se mettre en peine de leur donner la pasture necessaire pour la vie de leurs ames. On voyait de tous costez des Chrétiens qui passoient leur vie avec si peu de connaissance des choses de leur salut, qu’à`grand’ peine sçavoient-ils s’il y avoit un Dieu. On ne leur donnoit aucune intelligence des Mysteres de la Trinité, n’y de l’Incarnation du Fils de Dieu, quoy-que tous les Fidéles les doivent croire explicitement ; & on ne leur faisoit aucune explication DE PÄUL, LIV.I. CHAP .I. 5 de ce qui concerne les Sacremens qu’ils doivent recevoir, ny des dispositions qu’il y faut apporter. Dieu sçait quel estoit l’etat de leur conscience & de leur Foy dans cette ignorance des choses du salut, ne se trouvant presque personne qui prit soin de leur enseigner ce qu’ils estoient obligez de croire. Pour ce qui est des Habitans des villes, bien qu’ils eussent plus de connaissance & de lumiere par le secours des prédications qu’on faisoit plus frequemment dans leurs Eglises ; cette connaissance toutefois estoit ordinairement sterile, & cette lumiere sans chaleur. On ne voyait presque point de marques de la veritable charité qui se manifeste par les Œuvres ; les Exercices de la misericorde spirituelle envers le prochain, estoient rarement pratiquez parmy les personnes laÏques ; Les œuvres de la misericorde corporelle estoient communément negligées, & les aumônes si petites, que les plus riches pensaient faire assez de donner quelque double, ou quelque fol aux pauvres ; & s’il arrivait que l’on fist quelque aumône un peu considerable, elle passoit pour une action de charité extraordinaire. Voilà l’etat où le Christianisme estoit reduit en France, lorsque Dieu qui est riche en misericorde voulut pourvoir aux grands besoins qu’il voyait en l’une des parties principales de son Eglise, suscitant entre plusieurs grands & saints Personnages son fidéle Serviteur Vincent de Paul, lequel animé de son Esprit & fortifié par sa grace, s’est employé, autant qu’il a pû, à reparer tous ces defauts par des remèdes convenables. Pour cet effet, il procura de tout son pouvoir que` L’Eglise fust remplie de bons Prestres, sachant que la reformation des peuples, dépend sur tout de celle des Ecclesiastiques. C’est à quoy tendent les Exer- 6 LA VIE DU VENERABLE VINCENT cices des Ordinans, les Seminaires, les Retraites, les Conferences spirituelles & autres semblables Institutions tres-saintes, dont il a esté ou l’Auteur ou le Promoteur. Il joignit au zele qu’il avoit pour l’Etat Ecclesiastique une charité tres –ardente pour les ames les plus abandonnées & sur tout pour les peuples de la Campagne qu’il cherissoit avec une tendresse particulière. On ne peut dire les peines qu’il a prises pour les délivrer du péché & de l’ignorance. Il les catechisoit, & les disposoit à faire des Confessions générales ;& comme il n’eust pas été satisfait des travaux qu’il embrassoit luy-mesme à leur occasion, il excitait les autres à faire semblable. Enfin son amour envers les Pauvres ne fut point content qu’il n’eust établi une nouvelle Congregation de vertueux Prestres Missionnaires, qui s’employent à son exemple aux mesmes exercices de charité dans la France, dans l’Italie, dans la Pologne, dans la Barbarie & dans d’autres Païs éloignez, mesme jusques sous la Zone Torride dans l’Isle de Madagascar, où plusieurs de ces Ouvriers Evangéliques ont consumé leur vie dans les ardeurs de la charité. Mais ce n’estoit pas assez à Vincent de Paul de travailler au salut des ames, s’il ne pourvoyoit encore aux besoins des corps. Il s’estoit fait luy-mesme pauvre pour l’amour de JESUS-CHRIST ; & ayant tout quitté pour le suivre, il ne luy restait plus dequoy donner : néanmoins comme il avoit le cœur embrazé du feu celeste que ce divin Sauveur est venu allumer sur la terre, il ne luy fut pas difficile de répandre un peu de cette sainte ardeur dans le monde , & de porter les riches à faire de grandes aumônes, dont les pauvres ont été assistez dans leurs extrémes besoins. La suite de l’Histoire nous DE PAUL. LIVRE I. CHAP.I. 7 Fournir des exemples merveilleux qui feront connoistre la grace de cet Homme de Dieu pour ressusciter parmy la corruption de ce siècle, l’esprit & la charité des premiers Chrétiens. Et quoy qu’on pût avec grande raison renouveller dans ces derniers temps cette plainte du S. Apôtre : Que toun ne s’etudient qu’à chercher leurs interets, & non point ceux de JESUS-CHRIST ; l’exemple néanmoins & la parole de Vincent de Paul ont eu tant d’efficace, que d’arracher des cœurs de quantité de personnes la convoitise, que S.Paul appelle la racine de tous les maux.& de leur inspirer des dispositions si parfaites, qu’elles ont fait avec joye une sainte profusion de leurs biens pour assister les pauvres, & se sont sacrifiées elles-mesmes, consumant leur santé & leur vie dans les plus pénibles travaux de la charité. Paris n’est pas la seule ville qui a éprouvé les ef-fets de leur zele dans l’assistance qui a été renduë a une multitude presque innnombrable de pauvres honteux de toute condition, d’âge & de sexe, que les guerres & les autres calamitez publiques avoient reduits à une extreme indigence ; leur charité s’est etenduë jusques aux Provinces les plus éloignées.& outre les secours tres-favorables rendus aux frontières de la France que la guerre avoit ruinées, les païs etrangers en ont aussi receu de tres-grandes assistances dans leurs nécessitez, comme l’on pourra voir dans la suite de ce Livre. Omnes quaerunt quae sua sunt,non Quae JESUS CHRISTTI. PhiLip.2. Radix omnium malorum cupiditas . I. Tim. 6 . 8 LA VIE DU VENERABLE VINCENT _________________________________ CHAPITRE II. La Naissance & l’Education de Vincent De Paul. Ce fut l’an 1576, un mardy d’après Pasques que Vincent de Paul prit naissance dans le village de Poüy prés de la ville d’Acqs située aux confins des Landes de Bordeaux vers les monts Pyrenées. Dans le détroit de cette Paroisse il y a une Chapelle dediée en l’honneur de la tres-sainte Vierge sous le titre de Nostre-Dame de Buglose, où l’on voit ordinairement un grand concours de peuple, qui vient rendre ses hommages & offrir ses prieres à la Mere de Dieu ; & ce fut un des motifs qui porta notsre Vincent à concevoir dans son cœur dés son plus jeune âge, une devotion particuliere qu’il con•ervira toute sa vie envers la Reyne du Ciel. Ses parens ont esté pauvres des biens de ce monde, vivans de leur travail ; son pere se nommait Jean de Paul, & sa mere Bertrande de Moras, qui ont vécu tous deux non seulement sans reproche, mais aussi dans une grande innocence & droiture. Ils avoient une maison & quelques petits héritages qu’ils faisoient valoir par leurs mains ; à quoy ils estoient aidez par leurs enfant qui furent six, sçavoir quatre garçons & deux filles. Vincent qui estoit le troisieme, fut dés son enfance employé comme les autres à travailler, & particulièrement à garder les bestiaux de son pere. Mais comme les perles qui naissent dans une nacre mal polie & souvent toute fangueuse, ne laissent pas de faire éclater leur vive blancheur au milieu de cette bourbe, qui sert mesme à en relever le lustre, & à faire mieux connoitre leur valeur : De DE PAUL, LIVRE .I. CHAP.II. 9 mesme la vivacité d’esprit dont Dieu avoit doüé nostre jeune Vincent, commença à paroistre parmy ces bas emplois où il estoit occupé ; & son pere reconnut bien que cét enfant pouvoit faire quelque chose de meilleur que de paistre les bestiaux. C’est pourquoi il prit resolution de le faire étudier ; à quoy il se porta encore plus volontiers par la connoissance d’un certain Prieur de son voisinage, lequel estant d’une famille qui n’estoit pas fort accomodée, avoit beaucoup contribué du revenu de son Benefice pour avancer ses freres. Ainsi ce bon-homme pensait dans sa simplicité que son fils Vincent s’etant rendu capable par l’etude, pourroit un jour obtenir quelque Benefice, & en servant l’Eglise soulager sa famille, & faire du bien à ses autres enfans. Mais les pensées de Dieu sont bien différentes de celles des hommes, comme luy-mesme le témoigne par un Prophete, & ses desseins sont bien élevez au dessus de toutes leurs pretentions. Le pere du petit Vincent esperoit en le portant aux études, tirer de luy quelques avantages pour sa famille ; & Dieu avoit dessein de s’en servir pour faire de tres-grands biens à son Eglise, & il vouloit que laissant ses parens dans leur bassesse & dans leur pauvreté, il s’employat uniquement à etendre le Royaume de JESUS-CHRIST. A ce sujet nous pouvons rapporter ce que luymesme dit long-temps après à un Curé de son pays, lequel estant à Paris pour quelques affaires, vint luy représenter le pauvre etat de sa famille, & le prier de rendre quelque assistance à ses parens. Sur quoy ce Serviteur de Dieu luy ayant demandé s’ils ne vivoient pas honnêtement de leur travail selon leur condition, & le Curé ayant répondu qu’ouy ; il le remercia de la charité qu’il avoit pour eux.Ensuite le mettant sur le propos du 10 LA VIE DU VENERABLE VINCENT Prieur ; dont il a esté parlé c y-dessus, qui avoit employé les revenus de son Benefice à enrichir ses parens, il luy fit faire reflexion que ces gens-là ayant dissipé leurs biens pendant la vie & après la mort de leur Bienfaiteur, estoient tombez dans un etat pire que celuy où ils etoient auparavant ; car disait-il, c’est en vain que l’homme bastit la maison, si Dieu ne nl’edifie luy-mesme. Il luy donna cet exemple pour preuveq l’experience qu’il avoit de quantité de familles ruïnées, à cause que leurs parens Ecclesiastiques les ayant voulu enrichir aux dépens de l’Eglise, leur avoient fait beaucoup plus de mal que de bien ; Dieu ayant permis tost ou tard par un juste Jugement, qu’ils fussent dépouillez non seulement de ces revenus, qui sont la portion des pauvres, mais encore de leurs biens propres. D’où il conclud qu’il estoit bien plus utile à ses parens de demeurer dans leur innocente pauvreté, que d’en estre tirez comme ceux-là, avec un pareil danger de retomber dans une plus grande indigence. Il avoit néanmoins un cœur fort tendre aux miseres du prochain, & il estoit naturellement tres-prompt à le secourir ; de sorte qu’il pouvoit dire avec cét ancien Patriarche, Que la misericorde estoit née avec luy, & qu’il avoit toujours eu une particuliere inclination à cette vertu . On a mesme remarqué qu’estant encore enfant il donnoit tout ce qu’il pouvoit aux pauvres ; & que les rencontrant sur son chemin, lorsqu’il revenait du moulin quérir la farine, il ouvroit le sac & leur en donnait des poignées ; dequoy son pere qui estoit homme de bien temoignoit n’estre pas fâché. Une autre fois à l’âge de douze ans, ayant rencontré un pauvre qui paroissoit dans une grande misere, il en fut touché de compassion, & luy donna DE PAUL, LIVRE.I. CHAP. II. .III. 11 tout son petit trésor, qui consistait en trente sols qu’il avoit amassez peu à peu de son travail, & qu’il estimait beaucoup à cét âge, & en un païs où l’argent estoit fort rare. Certes si l’on veut faire attention à l’attache naturelle que les enfant ont aux choses qui leur plaisent, on pourra juger que cette action fut un effet des premieres grâces dont Dieu avoit prévenue l’ame de Vincent de Paul, & un présage du parfait detachement des créatures, & du degré éminent de charité, où Dieu le vouloit élever. _________________________________________ CHAPITRE III. Ses Etudes & sa promotion aux Ordres Ecclesiastiques. Les bonnes dispositions d’esprit, & les inclinations au bien qui paroissoient dans le jeune Vincent ayant fait resoudre son pere à faire un effort selon l’etenduë fort modique de ses facultez pour l’entretenir aux études, il le mit en pension chez les Peres Cordeliers d’Acqs, moyennant soixante livre par an, selon la coûtume du temps & du pays. Ce fut environ l’an 1588, qu’il commença ses études par les premiers Rudimens de la langue Latine, où il fit un tel progrés, que quatre ans après, M. de Commet l’aisné, Avocat de la ville d’Acqs & juge du lieu de Poüy, ayant appris du Pere Gardien les bonnes qualitez de ce jeune Ecolier, conceut une affection toute particuliere pour luy ; & l’ ayant retiré du Couvent des Cordeliers, l’admit en sa maison pour estre Precepteur de ses enfants afin qu’en prenant soin de leur instruction & de leur conduite, il eust moyen de continuer ses 12 LA VIE DU VENERABLE VINCENT études sans estre davantage à charge à son pere. Il y employa neuf ans entiers dans la ville d’Acqs avec un grand profit ; & ce temps expiré, M. de Commet, qui estoit une personne de merite & de pieté, estant tres-satisfait du service que le jeune Vincent luy avoit rendu en la personne de ses enfans, & de l’édification que toute sa famille avoit receuë de sa conduite qui surpassoit de beaucoup son âge, jugea qu’il ne falloit pas laisser cette lampe sous le boisseau, & qu’il serait avantageux à l’Eglise de l’élever sur le chandelier ; c’est pourquoi il le porta à s’offrir à Dieu pour le servir dans l’Etat Ecclesiastique. Vincent qui avoit un grand rerspect pour luy, & qui le regardoit comme un second pere, suivit son avis, & receut la Tonsure & les quatre Ordres qu’on appelle Mineurs le 2 0 Decembre 1596. Après cela voyant qu’il estoit engagé au ministere de l’Eglise, & qu’il avoit pris Dieu seul pour son partage , il quitta son pays où il n’a jamais demeuré depuis ; & du consentement de son pere, qui vendit une paire de bœufs pour l’assister, il s’en alla à Toulouse où il employa environ sept ans à l’étude de la Theologie. Il est vray qu’il interrompit son sejour de Toulouse, & qu’il passa à Sarragosse en Espagne pour y faire aussi quelques études. Le 27. de Fevrier & le 29. Decembre 1598, il receut les Ordres de Soûdiacre & de Diacre ; & enfin le 23. de Septembre de l’année 1600, il fut promû au Saint Ordre de Prestrise ; de sorte qu’ayant vescu jusqu’au 27. de Septembre 1660, il a esté Prestre dans l’Eglise de JESUS-CHRIST l’espace De soixante ans. Dieu seul connoit quels furent les Sentimens de son cœur lorsqu’il receut ce Sacré Caractere ; mais si l’on juge des arbres par les DE PAUL, LIV. I . CHAP. III. 13 Fruits, & des causes par leurs effets, la perfection avec laquelle ce digne Prestre a exercé les fonctions de son Sacerdoce, nous donne juste sujet de croire qu’au moment qu’il fut consacré Prestre, JESUS-CHRIST qui est le Prestre éternel versa tres-abondamment sur luy la plenitude de l’ Esprit Sacerdotal. C’est cét Esprit Divin qui luy donna de si hauts sentimens de ce Caractere, qu’il en parloit toujours avec admiration, & temoignoit estre dans un etonnement extraordinaire, quand il consideroit la puissance merveilleuse en vertu de laquelle les Prestres remettent les pechez, & avec quatre ou cinq paroles changent la subsistance du pain & du vin au Corps et au Sang de JESUSCHRIST, qu’ils offrent en sacrifice à Dieu, distribuant ensuite ce mesme Corps comme un pain de vie pour la nourriture des Fidéles. Enfin il estoit si pénétré de l’estime du Caractere Sacerdotal, & de l’ obligation indispensable qu’il impose à ceux qui en sont honorez, de mener une vie toute pure, toute sainte & toute Angelique, qu’on luy a souvent oüy dire depuis, que s’il n’eust été Prestre, il n’eust pû se resoudre à l’estre jamais, tant il s’en estimoit indigne. On n’a pû savoir en quel lieu, n’y mesme en quel temps il célébra sa premiere Messe ; on luy a seulement, oüy dire, qu’il avoit une si vive apprehension de la majesté de cette action toute Divine qu’il en trembloit ; & que n’ayant pas le courage de la célébrer publiquement, il choisit une Chapelle retirée à l’écart, où il ne fut assisté que d’un Prestre & d’un Servant. Messieurs les Grands Vicaires d’Acqs, dont le Siege estoit pour lors vaquant, n’eurent pas plutost appris qu’il estoit Prestre, qu’ils le pourveurent de la Cure du lieu de Tilh à la sollicitation de 14. LA VIE DU VENERABLE VINCENT M. de Commet, & pour l’estime qu’ils faisoient de sa vertu ; mais cette Cure luy ayant esté contestée par un competiteur qui l’avoit impétrée en Cour de Rome, il ne voulut point entrer en procez ; & Dieu le permit ainsi, afin qu’il ne fust pas obligé de quitter ses études qu’il avoit si grand desir de continuër. Il y avoit alors deux ans que son pere estoit mort, lequel ayant fait son testament, & partagé son bien à ses enfans avoit declaré qu’il vouloit que Vincent fust entretenu aux études selon la portée de la succession qu’il laissoit. En vertu de ce testament il aurait pû exiger quelque chose de sa mere & de ses freres, afin de pouvoir subsister dans Toulouse ; néanmoins ne voulant pas leur estre à charge, ny leur causer aucune peine, il prit resolution, d’accepter une petite Regence qu’on luy offrit à quatre lieuës de là dans la ville de Buset,où plusieurs Gentils-hommes des environs, & quelques personnes de Toulouse luy donnerent leurs enfant en pension. Le grand soin qu’il prit de leur instruction & de leur éducation luy moyenna peu de temps après son retour à Toulouse, où il mena ses pensionnaires avec l’agrément des parens : de sorte qu’en instruisant cette petite jeunesse il pût continuër commodément ses études de Theologie. Il y employa sept ans, comme l’on voit par une attestation du père Esprit Iarran Religieux Augustin, Docteur Regent en Theologie de l’Université de Toulouse, en datte du mois d’Octobrr 1604. & Il s’y appliqua avec tant d’affection & de diligence, qu’il fut receu au bout de ce temps-là Bachelier en Theologie, comme il appert par d’autres lettres du mesme mois, signées d’André Gallus Docteur Regent & Recteur de l’Université. Ensuite il luy DE PAUL, LIV .I. CHAP. .III. 15 fut permis d’enseigner publiquement le second Livre des Sentences, comme il est porté dans d’autres lettres de la mesme année, signées du Chancelier de cette Université. Ces trois pièces ont esté trouvées depuis la mort de ce Serviteur de Dieu par ceux de sa Congregation, qui n’en av oient eu aucune connaissance pendant sa vie ; & il paroist par les mémoires envoyez de son pays, qu’il a employé plus de seize ans à étudier, tant au College d’Acqs qu’en l’Université de Toulouse. Il n’estoit pas de ceux qui se laissent enfler pour un peu de science ; au contraire il cachoit celle qu’il avoit acquise, & par un mouvement d’humilité assez extraordinaire, il tâchoit de persuader aux autres qu’il n’estoit pas sçavant ; & parlant de luymesme il se nommoit souvent un pauvre Ecolier, de quatrième, pour donner autant qu’il pouvoit une basse opinion de sa suffisances; en quoy il ne disoit rien contre la verité, puisqu’en effet il avoit esté écolier de quatrième ; mais par un saint artifi ce de la vertu d’humilité il couvroit du voile du silence le reste de ses études. Et quoy que dans les occasions où il estoit obligé de parler pour les interests de la vérité, ou de la charité, il donnait des preuves suffisantes de sa capacité, il estoit pourtant bien-aise qu’on crût qu’il n’avoit point de science, afin de réprimer l’inclination vicieuse de passer pour capable, qui provient de la racine d’orgueil, & qui se trouve ordinairement en tous les hommes, en sorte mesme que les ignorans affectent cette reputation autant & quelquefois plus que les autres. Mais Vincent de Paul, quoy-que tres-abondamment pourveu de doctrine & de suffisance, prenoit pour luy la devise du Saint Apostre, & disait à son imitation : Je n’ay point fait estat de savoir autre chose que JESUS-CHRIST, & JESUS 16 LA VIE DU VENERABLE VINCENT Non judicavimus scire ali- CHRIST crucifié. C’estoit là sa principale science & la plus haute sagesse ; c’estoit le livre qu’il avoit toujours ouvert devant les yeux, & duquel il tiroit des connoissances & des lumières plus relevées, que toutes celles qu’il eust pû puiser des autres sciences qu’il avoit acquises dans le cours de ses études. ___________________________________________ quid inter vos , nisi Iesum Christum & hunc crucifixum. I. Cor.2. CHAPITRE IV Ce qui luy arriva losqu’il fut fait esclave & mené en Barbarie. Pendant tout le temps que Vincent de Paul employa à ses études, tant en la ville d’Acqs qu’en l’Université de Toulouse, il se comporta avec tant de modestie & de sagesse qu’il en estoit estimé et aymé de tous ceux qui le connoissoient. La bonne conduite dont il usoit envers ses jeunes pensionnaires, & le soin particulier qu’il prenait de leur donner avec la science, de fortes impressions de la pieté Chrétienne, contribuerent aussi beaucoup à le mettre en telle reputation dans Toulouse, qu’il pouvoit s’y promettre un établissement considerable. Monsieur de Saint-Martin Chanoine de d’Acqs son ancien et intime amy qui l’a survécu, a témoigné que dés ce temps-là on luy a voit fait espérer un Evesché par l’entremise de M. le Duc d’Espernon, duquel il avoit élevé deux proches parens. Au commencement de l’année 1605, il fit un voyage à Bordeaux, dont on ne sçait pas le sujet ; mais il y a raison de croire que c’estoit pour quelque grand avantage qu’on luy vouloit procurer ; car dans une de ses lettres écrite en ce temps là, il dit : qu’il l’avoit entrepris pour une affaire qui requeroit grande depense, & qu’il ne pouvoit déclarer sans témérité. DE PAUL, LIV. I. CHAP. IV. 17 Estant de retour à Toulouse il trouva qu’une personne qui avoit eu de l’estime & de l’affection pour luy, estant décédée pendant son absence l’avoit institué son heritier, ce qui l’obligea d’employer quelque peu de temps, à recueillir cette succession. Ayant appris qu’un homme qui devoit quatre ou cinq cens écus à la personne defunte, s’estoit retiré à Marseille pour éviter les poursuites qu’on faisoit contre luy, & qu’ayant gagné quelque bien par le trafic il estoit en etat d’acquitter cette dette ; il s’y en alla pour se faire payer, & par accommodement il tira de luy 300 écus. Ayant achevé cette affaire au mois de juillet de l’année 1605, il se disposait à retourner par terre à Toulouse, lorsqu’un Gentil-homme de Languedoc avec lequel il estoit logé, le convia de s’embarquer avec luy jusqu’à Narbonne. & le luy persuada facilement, parce que le temps estant propre à la navigation il esperoit ainsi abréger beaucoup son chemin. Il est vray que si l’on juge de cét embarquement selon le sentiment ordinaire du monde, il luy fut bien funeste & contraire à ses desseins ; mais si on le regarde avec des yeux éclairez de la lumiere de la Foy, il luy fut tres-heureux & tres-propre à l’accomplissement des desseins de Dieu. Laissons le faire luy mesme le recit de ce qui luy arriva en cette rencontre, comme il se trouve dans une lettre qu’il écrivit d’Avignon en datte du 24 Juillet 1607. à M. de Commet le jeune, l’aisné estant mort de la gravelle quelques temps auparavant. Je m’embarquay, dit il, pour Narbonne afin d’y « estre plutôt & d’epargner, ou pour mieux dire, « afin de n’y arriver jamais & de tout perdre. Le « vent nous fut favorable autant qu’il falloit pour ar- « river ce jour-là à Narbonne, qui estoit faire cin- « quante lieuës, si trois Brigantins Turcs qui cô- « 18 LA VIE DU VERABLE VINCENT « toyoient le Golfe de Leon, pour attraper les « barques qui venaient de Beaucaire, où il y « avoit une foire, ne nous eusse donné la « charge & attaqué si vivement, que deux ou trois « des nostres estant tuez & tout le reste blessé, de « moy-mesme qui eus un coup de flèche qui me « servira d’horloge tout le reste de ma vie, n’eus« sions esté contraints de nous rendre à ces felons. « Les premiers éclats de leur rage furent de mettre « notre Pilote en mille pièces, pour avoir perdu un « des principaux des leurs, outre quatre ou cinq for« çats que les nostres tuërent ; cela fait ils nous en« chaînerent, & aprés nous avoir grossièrement « pensez, ils poursuivirent leur pointe, faisant mil« les voleries, & donnant néanmoins liberté à ceux « qu’ils avoient volez, s’ils se rendoient sans comba« tre. Enfin estant chargez de marchandises, ils pri« rent au bout de sept ou huit jours la route de Bar« barie, taniere de voleurs sans aveu du grand Turc. « Estant arrivez à Tunis, ils nous exposerent en ven« te, avec un procez verbal de notre capture, qu’ils « disoient avoir esté faite dans un Navire Espagnol ; « parce que sans ce mensonge nous aurions esté déli« vrez par le Consul que le Roy tient en ce lieu-là, « pour rendre libre le commerce aux François. Leur « procedure à notre vente fut qu’après qu’ils nous « eurent dépuïllez, ils nous donnerent à chacun « une paire de caleçons, un hoqueton de lin, avec « une bonnette, & nous promenèrent par la ville de « Tunis, où ils estoient venus expressément pour « nous vendre. N ous ayant fait faire cinq ou six « tours par la ville, la chaîne au coû, ils nous rame« nerrent au bateau afin que les marchands vinssent « voir qui pouvoit bien manger, & qui non ; & pour « montrer que nos playes n’estoient point mortelles. « Cela fait, ils nous ramenèrent à la place où les DE PAUL. LIV. I. CHAP. IV. 19 marchands nous vinrent visiter de mesme que l’on « fait à l’achapt d’un cheval ou d’un bœuf, nous fai- « sant ouvrir la bouche pour voir nos dents, palpant « nos costez, sondant nos playes, & nous faisant che « miner le pas, trotter & courir, puis lever des far- « deaux, & puis lutter pour voire la force d’un cha- « cun, & mille autres sortes de brutalitez. « Je fus vendu à un Pescheur qui fut contraînt de « Se defaire bien-tost de moy, parce qu’il n’y a rien « qui me soit si contraire que la mer. Ce Pescheur me « revendit à un vieillard Medecin Sparirique souve- « rain tireur de quintessences, homme fort humain « & traitable, lequel avoit travaillé cinquante ans à la « recherche de la Pierre-Philosophale. Il m’aimoy « fort, & se plaisoit à m’entretenir de l’ Alchimie, « & puis de la Loy à laquelle il faisoit tous ses efforts « de m’attirer, me promettant de grandes richesses & « tout son savoir. Dieu opera toûjours en moy une « croyance asseurée de ma delivrance, par les prie- « res assiduës que je luy faisois, & à la Vierge Marie, « par la seule intercession de laquelle je croy fer- « mement avoir esté délivré. L’esperance donc que « j’avois de vous revoir, Monsieur, me fit estre « plus attentif à m’instruire du moyen de guérir de la « gravelle, en quoy lui voyois chaque jour faire « des merveilles ; il me l’enseigna & me fit mesme « préparer et administrer les ingrediens. O combien « de fois ay-je desiré depuis d’avoir esté esclave avant « la mort de Monsieur vostre Frere ! car je croy que « si j’eusse sceu le secret que je vous envoye mainte- « nant, il ne serait pas mort de ce mal-là. « Je fus donc avec ce vieillard depuis le mois de Se- « ptembre 605. Jusqu’au mois d’oust 1606. qu’il « fut pris & mené au grand Sultan, afin de travailler « pour luy ; mais en vain, car il mourut de regret par « les chemins. Il me laissa à un sien neveu qui me re- « 20 LA VIE DU VENERABLE VINCENT « vendit bien-tost après la mort de son oncle, parce « qu’il oüyt dire que Monsieur de Breves Ambassa« deur pour le Roy en Turquie, v enoit avec bonnes « & expresses patentes du grand Turc pour recouvrer « tous les Esclaves Chrétiens. Un Renegat de Nice, « ennemy de nature, m’achepta & m’emmena en « son Temat ( ainsi s’appelle le bien que l’on tient « comme métayer du Grand-Seigneur ; car là le « peuple n’a rien, tout est au Sultan ) le Temat de « celuy-cy estoit dans la montagne où le païs est ex« trémement chaud & desert. L’une des trois fem« mes qu’il avoit estoit Grecque Chrétienne, mais « schismatique ; une autre estoit Turque, qui servit « d’instrument à l’immense misericorde de Dieu « pour retirer son mary de l’apostasie & le remettre au « giron de l’Eglise, & pour me délivrer de mon escla« vage. Curieuse qu’elle estoit de savoir notre fa« çon de vivre, elle me venait voir tous les jours « aux champs où je fossoyois ; & un jour elle me com« mandoit de chanter les louanges de mon Dieu. Le « ressouvenir du ! Quomodo cantabimus Do-, « mini in terrâ alienâ, des enfant d’Israël captifs en « Babylone, me fit commencer la larme à l’œil le « Psaume, Super fulmina Babylonis, & puis le Sal« ve Regina, & plusieurs autres choses ; en quoy « elle prenait tant de plaisir que c’estoit mervfeille, « elle ne manqua pas de dire le soir à son mary qu’il « avoit eu tort de quitter sa Religion qu’elle esti« moit extrêmement bonne, pour un recit que je « lui avois fait des grandeurs de notre Dieu, & « pour les loüanges que j’avois chantées en sa « presence ; en quoy elle disait avoir ressenty un tel « plaisir, qu’elle ne croyait pas que le Paradis de ses « peres, & celuy qu’elle esperoit, fust accompagné « de tant de joye, qu’elle en avoit ressenty pendant « que je loüois mon Dieu ; concluant qu’il y avoit en DE PAUL, LIV. I . IV. 21 cela quelque merveille. C ette femme comme une « autre Caïphe, ou comme l’asnesse de Balaam, fit « tant par ses discours que son mary me dit dés le len- « demain , qu’il ne tenait qu’à une commodité que « nous ne nous sauvassions en France ; mais qu’il y « donneroit tel remede dans peu de jours que Dieu « en seroit loüé. Ce peu de jours dura dix mois, pen- « lesquels il m’entretint en cette esperance ; & « au bout de ce temps-là nous nous sauvâmes dans un « petit esquif, & n ous abordâmes à Aigues-mortes « le 28 Juin. De-là nous-nous rendismes bien-tost « après à Avignon, où le Renegat se presenta la larme « à l’œil & le sanglot au cœur à Monseigneur le Vi- « celegat, qui le receut publiquement dans l’Eglise « de Saint-Pierre, à l’honneur de Dieu, & à l’edifi- « cation des assistans. Mondit Seigneur nous a rete- « nus tous les deux pour nous mener à Rome, où il s’en « ira aussi-tost que son Successeur sera venu : Il a pro- « mis au penitent de le faire entrer à l’austere Cou - « vent des Fate ben Fratelli, où il s’est voüé, $c. « Ce sont jusques-icy les termes de la lettre que M.Vincent écrivit d’Avignon. Un gentil-homme d’Acqs neveu de M. de Saint –Martin l’ayant trouvé par hasard entre plusieurs autres papiers, en l’année 1658, cinquante ans après qu’elle avoit esté écrite, la mit entre les mains de son oncle.Celuy-cy estimant que M.Vincent serait consolé de lire ses anciennes avantures, & de se voir jeune avant sa mort ; mais l’ayant leüe il la mit au feu. En suite il récrivit à M.de Saint-Martin pour le remercier de la copie, & pour luy demander l’original ; & six mois avant sa mort il renouvella avec grande insistance la demande qu’il luy en avoit faite. Celuy qui écrivoit sous M.Vincent se doutant que cette lettre contenait quelque chose qui tournoit à 22. LA VIE DU VENERABLE VINCENT sa louange, & qu’il ne la demandoit que pour la faire brûler, comme il avoit brûlé la copie, afin d’en supprimer la connoissance, fit couler un billet dans la lettre écrite à M. de Saint-Martin, pour le prier d’adresser cét original à quelqu’un d’autre qu’à M. Vincent, s’il ne vouloit qu’il fust perdu. Il fut donc envoyé à un Prestre de la Congregation, qui estoit superieur du Seminaire établi au College des Bons-Enfans à Paris ; & c’est par ce moyen que cette lettre a esté conservée, dequoy M.Vincent n’a rien sceu avant sa mort ; & sans ce pieux artifice l’on n’eust jamais eu connoissance de ce qui s’estoit passé en son esclavage ; car cet humble Prestre faisoit tous les efforts pour cacher aux hommes les grâces qu’il recevoit de Dieu, & les services qu’il luy rendoit. C’est ce que les personnes qui l’ont observé de plus prés ont toujours reconnu, & on aurait peine à croire jusqu’où alloient ses soins & ses précautions, pour éviter tout ce qui pouvoit tendre directement ou indirectement à sa loûange ; de sorte que l’on ne verra dans cette Histoire que ce que son humilité n’a pû dérober à la connoissance des hommes, ou ce que la charité l’a obligé quelque fois à découvrir pour l’édification du prochain. On pourroit icy considérer plusieurs excellentes vertus & autres dons de Dieu qui ont paru en M. Vincent pendant son esclavage ; mais particulierement sa confiance dans la possession de la Foy devant les Infideles, & dans la resistance aux sollicitations pressantes d’un de ses Patrons. Sa confiance au secours de la divine Bonté dans l’abandon des créatures, & contre toutes les apparences humaines ; sa ferveur dans les exercices de pieté envers Dieu, & sa tendre devotion envers la Sainte Vierge, au milieu des impietez de la Barbarie ; enfin la DE PAUL, LIV.I. CHAP . IV. 23 grace singuliere de fléchir les cœurs les plus endurcis, & d’inspirer le respect & l’amour de notre Sainte Religion à ceux qui luy estoient les plus opposez. Nous passons néanmoins ces faveurs quoy-que tres-considerables, les laissant à peser aux pieux Lecteur pour son édification ;& nous-nous contentons de luy faire remarquer en ce sujet deux autres choses qui méritent une attention particuliere. La premiere est la force extraordinaire d’esprit de ce Saint homme à retenir & supprimer en luy toutes les connoissances de plusieurs beaux secrets de la Nature & de l’Art que ce Medecin Spagirique Luy avoit communiquées, & dont il luy avoit vû faire des expériences merveilleuses durant prés d’une année qu’il fut à son service, ainsi qu’il le témoigne luy-mesme dans la suite de la lettre précedente adressée à M. de Commet, comme aussi dans une autre qu’il luy écrivit depuis estant arrivé à Rome. S’il eust voulu se servir de ces connoissances dans cette grande Ville , où se trouvent tant d’esprits curieux, il n’y a point de doute qu’il n’en eust tirer de grands avantages temporels dans un temps où il sembloit en avoir plus de besoin mais jugeant que cela estoit indigne d’un Prestre de JESUSCHRIST, il n’en voulut point user, et ayma mieux demeurer pauvre ; que de devenir riche par une voye qui luy semblait déshonorer son Caractere & avilir sa condition. Ce qui est encore plus admirable en cecy, est que depuis son retour de Rome en France, on ne luy a jamais rien oüy dire de ces secrets, n’y à ceux de sa Congregation, n’y à aucun de ses plus intimes amis, quoy qu’il ait eu fort souvent occasion d’en parler. La seconde chose qui merite d’estre considérée dans l’esclavage de M.Vincent, c’est l’esprit de 370 LA VIE DU VENERABLE VINCENT Compassion qu’il y conceut envers tous les pauvres Chrétiens lesquels il vit languir dans les fers, & gemir sous le ,joug tyrannique des Barbares, sans aucune assistance corporelle, n’y consolation spirituelle, chargez d’outrages, accablez de travaux, & ce qui est plus deplorable, exposez continuellement au danger de faire naufrage en la Foy. Dieu luy voulut donner l’experience de leurs miseres, afin de les porter plus efficacement à secourir un jour ces pauvres abandonnez, comme il a fait depuis, ayant trouvé moyen d’établir une residence de Missionnaires à Tunis & une autre à Alger, dont nous verrons les fruits sur la fin de ce Livre. __________________________________________ CHAPITRE V. Son retour de Rome en France, & son premier sejour à Paris. MONSIEUR Vincent estant arrivé à Rome y demeura jusques vers la fin de l’année 1608. Il y fut honorablement entretenu par M. le Vicelegat qui le faisoit manger à sa table, & luy fournissoit libéralement toutes les necessitez. Durand ce temps là son âme fut remplie de plusieurs sentimens de pieté & de joye spirituelle à la veuë des choses qui rendent cette ville recommandable ; car il regardoit avec devotion, & par les yeux de la Foy, ce que les autres ne considèrent ordinairement qu’avec curiosité, & par les yeux de la chair. Il témoigna luy-mesme dans une lettre qu’il écrivit trente ans après à un Prestre de sa Con« gregation qui estoit à Rome ; Qu’il fut sensible« ment consolé de se voir en cette Ville maîtresse de « la Chrétienté, ou est le Chef de l’Eglise Militante, « où sont les Corps de S. Pierre & de S.Paul, & de « tant de Martyrs & d’autres Saints Personnages, DE PAUL, LIV .I. CHAP . V. 25 Dont les uns ont autrefois versé leur sang, & les « autres ont employé leur vie pour JESUS-CHRIST : « Qu’il s’estimoit heureux de marcher sur la terre « où tant de grands Saints avoient marché ; & que « cette consolation l’avoit attendry jusqu’aux lar- « mes. Quoy-que son ame fut ainsi remplie de sen- « timens de devotion, il n’abandonna pourtant pas l’étude, les peines & les traverses qui luy estoient arrivées n’en avoient point diminué en luy l’affection ; de sorte que lorsqu’il se vit un peu en repos dans cette grande Ville, il employa tout le temps qu’il avoit de libre pour rafraîchir & renouller en son esprit les idées de ce qu’ il avoit appris en l’Université de Toulouse. Pendant son sejour à Rome M.le Vicelegat découvrant de plus en plus les excellentes qualitez de son esprit, le fit connoistre à plusieurs personnes de condition, de la faveur desquelles il pouvoit esperer un avancement considerable dans le Siecle ; ce qui luiy donna mesme occasion, lorsqu’il fut de retour à Paris, de voir le Roy Henry IV, pour une affaire secrete qui luy avoit esté confiée : mais il ne voulut point se prévaloir de ses avantages, que d’autres eussent menagé avec toutes les adresses possibles, craignant que la faveur d’un puissant Roy & des Grands de la terre ne luy fust un obstacle aux grâces du Roy du Ciel, au service duquel il s’estoit attaché par des liens indissolubles. C’est pourquoi s’étant fidèlement acquité de sa commission, il se dégagea de toutes les affaires du monde, pour mener une vie vraiment Ecclesiastique, & accomplir parfaitement les obligations de son caractere. Le logement qu’il prit d’abord au Faux-bourg S. Germain, luy donna occasion de faire connoissance avec quelques-uns des principaux Officiers de 26 LA VIE DU VENERABLE VINCENT la Reyne Marguerite qui demeurait en ce quartier-là. Il contracta dés-lors une amitiétre tres étroite avec Monsieur du Fresne Secretaire de sa Majesté, à cause de la vertu & des bonnes qualitez qu’il voyait en luy ; & après la mort de cette Princesse, il l’attira en la maison de Gondy, ,où il fut Secretaire, & puis Intendant du Seigneur Emmanuel de Gondy Comte de Joigny, & General des Galeres de France. C’est luy qui a rendu temoignage, que dés ce temps-là M. Vincent paroissoit fort humble, charitable & prudent : qu’il faisoit du bien à un chacun, & n’estoit à charge à personne, qu’il estoit circonspect en ses paroles ; qu’il écoutait paisiblement les autres sans jamais les interrompre ; & qu’il alloit soigneusement visiter, servir & exhorter les pauvres malades de la Charité. Pendant ce premier sejour que M. Vincent fit à Paris, Dieu permit pour éprouver sa vertu, qu’il Luy arriva un étrange accident, qui n’a esté sçeu que depuis sa mort par le moyen de M. de Saint-Martin temoin irreprochable. C’est qu’en l’année 1609, estant encore logé aux Faux-bourg S.Germain dans une mesme chambre avec le Juge de Sore, qui est un Village situé aux Landes, & dans le ressort du Parlement de Bordeaux, il fut accusé à faux de luy avoir dérobé quatre cens écus. Voicy comment la chose arriva. Ce juge s’estant un jour levé de grand matin s’en alla à la Ville pour quelques affaires, & s’oublia de fermer une armoire où il avoit mis son argent. Il laissa M. Vincent au lit un peu indisposé, qui attendoit une medecine qu’on luy dev boit apporter. Le garçon de l’Apoticaire estant venu avec sa medecine, trouva cet argent en cherchant un verre dans l’armoire qui estoit ouverte, & sans dire mot il le mit en sa poche & l’emporta, vérifiant le DE PAUL, LIV.I. CHAP.V. 27 Proverbe qui dit que l’occasion fait le larron.Le Juge estant de retour fut bien étonné de ne trouver plus sa bourse ; il la demanda à M.Vincent, qui ne sçavoit que luy en dire, sinon qu’il ne l’avoit ny prise ni veu prendre. L’autre crie, tempeste, & veut qu’il luy réponde de son argent ; il l’oblige à se séparer de sa compagnie ; il le diffame par tout comme un méchant & comme un voleur ; il porte ses plaintes à toutes les personnes qui le connoissoient, & ayant sçeu qu’il voyait quelquefois Monsieur de Berulle qui estoit alors Superieur General de la Congregation des Prestres de l’Oratoire, & qui a esté depuis Cardinal de la Sainte Eglise Romaine ; il l’alla trouver un jour qu’il estoit avec luy en la compagnie de quelques autres personnes d’honneur & de pieté, & en leur presence il l’accusa de ce larcin, & mesme luy en fit signifier un Monitoire. Mais cet homme de Dieu sans témoigner aucun ressentiment d’un affront si sensible, & sans se mettre en peine de justifier son innocence d’une accusation si injuste, se contenta de luy dire doucement : que Dieu sçavoit la verité. Il conserva ainsi l’égalité de son esprit parmy l’opprobre d’une si honteuse calomnie, & n’edifia pas moins la compagnie par son humble retenue, que son calomniateur l’avoit offensée par ses reproches injurieux. Mais qu’elle fut enfin l’issuë d’une si facheuse rencontre ? Dieu permit que le garçon qui avoit fait le vol fut quelques années après arresté prisonnier à Bordeaux pour un autre sujet : il estoit de ces quartiers-là, & mesme de la connaissance du Juge de Sore. Comme il se vit en prison il se ressouvin t du larcin qu’il avoit commis à Paris ; & estant pressé du remords de sa conscience, & de la crainte des chastimens de Dieu, il fit prier ce Juge de le 28 LA VIE DU VENERABLE VINCENT venir trouver, & si-tost qu’il fut arrivé, il luy avoüa qu’il avoit pris son argent, & luy promit de luy faire restitution. Si d’un costé le Juge fut extrémement joyeux d’avoir retrouvé son bien qu’il croyoit perdu, il fut de l’autre fort affligé d’avoir accusé un Ecclesiastique tres vertueux d’un crime dont il estoit innocent. Le regret qu’il conceut de sa faute fut si grand, qu’il écrivit à M. Vincent une lettre exprés pour luy en demander pardon ; mais il le supplia de le luy donner par écrit protestant que s’il le luy refusoit il viendrait en personne à Paris se jetter à ses pieds & luy demander pardon la corde au coû. M. Vincent ayant lû cette lettre remercia Dieu d’une si sensible protection, & comme il avoit esté plus touché du tort que ce Juge avoit fait à sa propre conscience par ses emportemens, que de l’injure qu’il,en avoit recuë, il luy pardonna de tres bon cœur, & luy envoya par écrit le témoignage de son entiere réconciliation qu’il avoit désiré. On a trouvé confirmation de ce fait dans le recueil d’une Conference faite à S. Lazare, dont le sujet estoit de bien faire les corrections, & de les bien recevoir. Entre les bons avis que M. Vincent donna à l’Assemblée, il toucha cet exemple parlant en tierce personne.Surquoy il dit les paroles suivantes qui sont tres-dignes de remarque. « Si le defaut dont on nous avertit n’est pas en « nous, estimons que nous en avons beaucoup d’autres « manquemens pour lesquels nous devons aimer la « confusion, & la recevoir sans nous justifier, bien « loin de nous indigner ou emporter contre celuy « qui nous accuse. Ensuite il ajouta : J’ay connu une « personne qui estant accusée par son compagnon de « luy avoir pris quelque argent, luy dit doucement « qu’il ne l’avoit pas pris : mais voyant que l’autre, DE PAUL, LIV. I. CHAP. V. 29 persévéroit de l’accuser, il se tourne de l’autre costé, » s’éleve à Dieu & luy dit :Que feray-je mon Dieu » vous savez la verité. Et alors se confiant en luy » Il se resolut de ne plus répondre aux accusations de » cet homme qui allerent fort avant, jusqu’à tirer » Monitoire du larcin, & le luy faire signifier. Or il » arriva au bout de six ans, Dieu le permettant ainsi, » que celuy qui avoit perdu l’argent estant à plus de » six vingt lieües d’icy, trouva le larron qui l’avoit » pris. Voyez le soin de la Providence pour ceux qui » s’abandonnent à elle ! Alors cet homme reconois » sant le tort qu’il avoit eu de s’en prendre avec tant » de chaleur & de calomnie contre son amy inno- » cent, luy écrivit une lettre pour luy demander par- » don de sa faute, luy declarant qu’il en avoit un si » grand déplaisir qu’il estoit prest pour l’expier, de » venir au lieu où il estoit, & d’en recevoir l’absolu - » tion à genoux. Estimons donc, Messieurs & mes » Freres, que nous sommes capables de tout le mal » qui se fait, & laissons à Dieu le soin de manifester » le secret des consciences, & de faire connoistre » notre innocence quand on nous calomnie &c. » CHAPITRE VI. Il est pourveu de la Cure de Clichy, & il y Exerce l’office d’un bon Pasteur. Quoy que M.Vincent fust bien resolu de se donner parfaitement à Dieu, & de luy rendre tous les services qu’il pourroit dans l’Etat Ecclesiastique ; néanmoins l’accident, dont nous avons parlé au chapitre précedent, luy servit comme d’un nouvel aiguillon pour le faire avancer en son amour, & le bon usage qu’il fit de cette Croix attira sur luy de nouvelles grâces, qui le porterent en- 30 LA VIE DU VENERABLE VINCENT core plus fortement à la pratique de ses saintes rélutions. La Compagnie des personnes Laïques avec lesquelles il avoit esté obligé de se retirer lorsqu’il arriva à Paris, luy semblait peu convenable à l’execution des désirs que Dieu luy avoit inspirez pour la perfection de son état ; il se resolut de la quitter afin de suivre avec moins d’empeschement les attraits de sa Vocation. L’estime que sa vertu luy avoit acquise, luy fit trouver accez chez les RR. PP. de l’Oratoire qui le receurent en leur Compagnie, car il a luy-mesme declaré depuis qu’il n’avoit point eu cette intention ; mais pour mieux connoistre les desseins de Dieu sur luy & se disposer à les suivre. Il sçavoit bien que nous sommes aveugles en notre propre conduite, & que le plus assuré moyen pour ne se point détourner des voyes de Dieu, est d’avoir quelque Ange visible, c’est à dire, un sage & vertueux Directeur qui nous conduise par ses bons avis. Il s’adressa pour cet effet à Monsieur de Berulle, dont la memoire est en odeur de sainteté ; estimant qu’il ne pouvoit faire choix d’un meilleur guide, que de celuy-là mesme qui conduisoit avec tant de sagesse & de benediction cette sainte Congregation de l’Oratoire. Il luy ouvrit son cœur & luy déclara tous les mouvemens de son ame ; d’où ce digne Superieur, qui avoit un esprit des plus éclairez du siecle, reconnut incontinent que Dieu l’appeloit à de grandes choses ; & l’on dit mesme qu’il luy prédit dés-lors le service signalé qu’il devoit rendre à l’Eglise par l’établissement d’une nouvelle Congregation de bons Prestres, qui travailleroient avec fruit à la sanctification des Ames. Il demeura environ deux ans dans l’Oratoire, & DE PAUL, LIV. I. CHAP. .VI. 31 pendant ce temps-là le R.P. Bourgoing, qui estoit pour lors Curé de Clichy, ayant eu dessein de quitter sa Cure pour entrer en la Congregation de l’Oratoire, dont il a esté depuis tres-digne Superieur General, Monsieur de Berulle porta M. Vincent à accepter la resignation qui luy fut faite de cette Cure, & à commencer par ce lieu-là à travailler en la vigne du Seigneur. Il acquiesça par esprit d’obeïssance à la proposition de son sage Directeur ; & quoy qu’il eust esté nommé par le Roy deux ou trois ans auparavant à l’Abbaye de S. Leonard de Chaume au Diocese de Maillefay, maintenant de la Rochelle, & que la Reine Marguerite l’eust fait mettre pour se vertu sur l’etat de sa Maison, en qualité de son Aumônier ordinaire ; il renonça de bon cœur à tous ces avantages, & préféra la condition de simple Curé d’un Village, aux autres plus honorables selon le monde, dont il pouvoit se prévaloir. Ayant donc pris possession de la Cure de Clichy, & se voyant Pasteur d’un Troupeau que la Providence de Dieu avoit confié à ses soins, il se proposa de s’acquiter fidèlement des devoirs de sa charge, suivant ce qui est prescrit par les saints Canons, & particulièrement par le dernier Concile General. Il s’étudia premièrement à bien connoître ses oüailles, & s’appliqua ensuite à donner une pasture salutaire à leurs ames. Il leur distribuoit dans ses Prônes & dans ses Catéchismes le pain la parole de Dieu ; il demandoit pour elles dans ses Sacrifices & Oraisons les grâces nécessaires, & il leur ouvroit la fontaine par l’administration des Sacremens. On le voyait incessamment occupé au service de son troupeau ; il visitoit les malades, il consoloit les affligez, il soulageoit les pauvres, il reconciloit les ennemis, il pacifioit les familles, il Cûm precepto divino madarum fit omnibus, quibus ani marum cura commissa est, oves suas agnoscere, pro his sacrificiû offerte, verboque divini proedicatione, Sacramenttorum administratione, ac bonorum omniû operum exé- 32 LA VIE DU VENERABLE VINCENT plo pascere, pauperum aliarumen miserabilium per sonarum curam paternam. Trid. Sess.23. Cap.I. de Reform. corrigeoit les vicieux, il encourageait les bons ; enfin il se faisoit tout à tous pour les gagner à JESUS-CHRIST. L’exemple de sa vie vertueuse estoit une predication continuelle ; & elle avoit un tel effet, que non seulement les habitans de CliChy, mais aussi les Bourgeois de Paris qui avoient des maisons en ce Village, le regardoient & le respectoient comme un Saint. Les Curez mesme du voisinage avoient pour luy tant d’estime & de confiance, qu’ils recherchaient sa conversation pour apprendre de luy à bien faire leurs fronctions, & à s’acquiter dignement de tous les devoirs de leurs charges Il fut une fois obligé de s’absenter quelque peu de temps pour un petit voyage dont il n’avoit pû se dispenser. Pendant son absence son Vicaire luy rendant compte de l’etat de sa Parroisse, luy man« da entre autres choses : Que Messieurs les Curez « ses voisins desiroient fort son retour : Que tous les « Bourgeois & tous les habitans le desiroient pour le « moins autant. Venez donc, Monsieur, ajouta-t-il, « venez maintenir vostre troupeau dans le bon che« min où vous l’avez mis ; car il a un grand desir de « votre presence. Et un Docteur de la Faculté de Paris Religieux d’un Ordre celebre qui preschoit quelquefois en la Parroisse de Clichy, a depuis rendu ce temoi« gnage : Je me rejoüi, dit-il, de ce qu’avant l’heu« reux Institut de la Mission, je confessois souvent « dans le village de Clichy celuy qui a fait naistre par « les ordres du Ciel cette petite fontaine, qui devient « visiblement un grand fleuve mille fois plus pre« cieux & plus utile à l’Eglise qu’il commence d’ar« roser heureusement, que le N il ne l’est à l’Egypte’. « Je m’employoit pour lors à prescher le peuple de "Clichy dont il estoit Curé ; mais j’avoüe que ces DE PAUL, LIV. I . CHAP. VI 33 Bonnes-gens vivaient universellement comme des « Anges, & qu’à vray dire, j’apportois la lumiere au « Soleil. « La loüange que ce Docteur donne au troupeau fait connoistre le zele du Pasteur, & montre bien clairement les soins qu’il avoit pris de l’instruire des Mysteres dela Foy, & de le former aux vertus Chrétiennes. En effet il n’omettoit aucune chose qu’il crust pouvoir contribuer au bien spirituel de ses Paroissiens, & entre autres pratiques de pieté qu’il mit en usage parmy eux, il tascha de leur inspirer une devotion particuliere envers la Sainte Vierge, & procura dans ce dessein que la Confrerie du Rosaire fust établie dans son Eglise. Quand il entra en cette Cure l’Eglise estoit fort pauvre, tant en son édifice qu’en ses ornemens. Il entreprit de la faire rebâtir toute entiere, & de la fournir de tous les meubles nécessaires & de tous` les ornemens convenables pour l’honneur du service Divin. Il exécuta heureusement son entreprise, non pas à la verité à ses dépens car ses aumônes epuisoient tout son revenu : ny aussi aux dépens des habitans, car ils n’en avoient pas le moyen ; mais par l’assistance des personnes de Paris à qui il eut recours, & qui seconderent volontiers ses bonnes intentions : de sorte que lorsqu’il quitta la Cure, il laissa l’Eglise rebâtie tout à neuf, bien fournie d’ornemens & remise en bon etat. Comme sa charité Pastorale avoit particulierement eclaté dans la conduite de sa Cure, son parfait des-interessement parut aussi dans la résignation qu’il en fit par l’avis de son sage Directeur. Il ne pût estre émû par la licence du siecle, ny par l’exemple des autres à retenir aucune pension sur le Benefice qu’il laissait, il n’avoit garde de prendre la laine & le lait des brebis qu’il ne paissait 34 LA VIE DU VENERABLE VINCENT Plus, luy qui les avoit revertuës & nourries penDant qu’elles estoient obligées de l’entretenir. Il remit donc sa Cure purement & simplement entre les mains d’un digne Successeur nommé M. Souillard, lequel outre le soin qu’il prit de la parroisse, éleva dans la pieté & aux lettres plusieurs jeunes Clercs qui luy furent adressez par M. Vincent, & les mit dans les dispositions de rendre un service utile à l’Eglise. _______________________________________ CHAPITRE VII. Son entrée & ses comportement en la Maison de Gondy. Environ l’an 1613, Monsieur de Berulle porta M. Vincent à accepter la charge de precepteur des enfant de Messire Emmanuël de Gondy Comte de Joigny, alors General des galeres de France, & de Madame Françoise Marguerite de Silly son épouse, femme d’une excellente vertu & d’autant digne d’estre estimée, que la pieté estoit plus rare en ce temps-là parmy les personne de la Cour. Le choix qui fut fait de M. Vincent pour cet employ, n’est pas une petite preuve du jugement avantageux que ce premier Superieur General de l’Oratoire faisoit de sa vertu & des bonnes qualitez de son esprit. Il le donnait à une des plus pieuses & des plus illustres familles du Royaume, & luy confioit l’éducation de trois jeunes Seigneurs de grande esperance, dont l’aisné est Duc & Pair de France, le second a esté elevé pour ses mérites à la dignité de Cardinal de la Sainte Eglise, & le troisieme qui promettoit beaucoup pour les belles qualitez de l’esprit & du corps dont il estoit doué, fut retiré du monde à l’âge de dix ou onze DE PAUL, LIV, I. CHAP. VII. 35 ans, Dieu luy voulant donner dans le Ciel un partage plus avantageux que celuy qu’il eust trouvé sur la terre. M. Vincent, a passé douze ans dans cette illustre Maison, & il s’y est toujours comporté avec tant de sagesse et de retenuë, qu’il s’est acquis l’estime & l’affection de tous ceux qui y demeuroient. Il ne se presentoit jamais devant M. le General ny devant Madame, s’ils ne le faisoient appeler. Il estoit fort exact en tout ce qui regardoit la charge qu’on luy avoit confiée ; mais il ne singeroit point de luymesme en d’autres choses, & hors le temps destiné à l’instruction de ces jeunes Seigneurs, il demeuroit dans cette grande maison, comme dans une Chartreuse, éloigné du commerce des hommes. Il estoit retiré en sa chambre comme dans une cellule, & sa solitude luy plaisoit si fort qu’il ne la quittoit point que par charité, ou par necessité. C’estoit une de ses maximes que pour se produire au dehors avec assurance parmy les occasions périlleuses qui ne sont que trop fréquentes dans une grande Ville comme Paris, il falloit se tenir dans la retraite & dans le silence, quand il n’y avoit aucune necessité de sortir ny de parler. Mais s’il estoit question de rendre quelque bon office à l’ame de son prochain, il quittoit aussi facilement sa retraite, qu’il la gardoit volontiers quand il ny avoit point de sujet qui l’obligeast d’en sortir. On le voyoit alors parler & s’entremettre avec grande charité, & faire aux uns & aux autres tout le bien qu’il pouvoit. Il appaisoit les querelles & dissensions des domestiques, & taschoit de les maintenir dans l’union & la concorde. Il les alloit visiter dans leurs chambres quand ils estoient malades, & il ne se contentoit pas de les consoler de paroles, mais leur rendoit encore jusqu’aux moindres services dont ils avoient 36 A VIE DU VENERABLE VINCENT Nemo securé apparet, nisi qui libenter later. Nemo securé loquitur, nisi qui libentrer tacet. Thom.à Kempis Lib.I.de Imit.6. 20. besoin. Aux approches des Festes Solemnelles, il les assembloit tous pour les disposer par ses instructions à la reception des Sacremens. Quand il estoit a table il y faisoit couler de bons propos avec adresse pour empescher lesz entretiens inutiles ; & lorsque Monsieur & Madame le menoient aux champs avec Messieurs leurs enfans, comme à Joigny, à Montmirail, à Villeppreux &c, tout son plaisir estoit d’employer les heures qui luy estoient libres, à instruire les enfans & les pauvres par des Catechismes familiers ; à exhorter le peuple par de ferventes predications, & administrer les Sacremens, particulierement celui de la Penitence avec l’approbation des Evesques & l’agrément des Curez. Une maniere d’agir si prudente & si vertueuse gagna bien-tost le cœur & l’affection de tous ceux avec lesquels il vivoit. Madame la Generale fut tellement, édifiée de sa modestie, de sa discretion & de sa charité, que dés la premiere ou la seconde année qu’il fut en sa maison, elle se resolut de luy confier la conduite de son ame. Elle eut pour cet effet recours à Monsieur de Berulle, & le pria& d’obliger ce vertueux Prestre à prendre soin de sa conscience & à l’aider de ses bons avis. Monsieur de Berulle proposa à M. Vincent le desir de cette Dame, & luy persuada d’y acquiescer ; ce qu’il fit par esprit de déférence & de soûmission aux sentimens de celuy qu’il respectoit comme le pere de son ame, quoy-que son humilité luy fit ressentir beaucoup de confusion de l’estime qu’on témoignait de luy. Cette tres-pieuse Dame qui aimoit parfaitement le bien, & qui desiroit ardemment de le procurer dans sa famille & parmy sesz Sujets, fut sensiblement consolée de la grace que Dieu luy avoit faite de luy donner un Prestre tel qu’elle le pouvoit souhaiter, & en qui, outre les dispositions & les qua- DE PAUL, LIV. I . CHAP. VII. 37 Litez propres pour l’execution de ses bons desseins Elle reconnoissoit une sage conduite, & une sincere charité ausquelles elle se pouvoit confier avec une entiere assurance. Mais pour connoître mieux de quelle faÇon M. Vincent s’est comporté pendant le temps qu’il a demeuré en cette grande & illustre Maison, il faut l’apprendre de luy-mesme : Voicy comme il en a parlé en deux occasions. La premiere fois fut dans une Conference d’Ecclesiastiques où traitant de l’importance de se bien acquitter de l’Office d’Aumônier dans les Maisons des Grands, il dit entre autres choses, parlant de soy en tierce personne : Qu’il sçavoit un homme qui avoit beau- « coup profité en cette condition à luy-mesme & aux « autres dans la Maison d’un Seigneur, ayant toû- « jours regardé & honoré JESUS-CHRIST en la « personne du Seigneur, & la Sainte Vierge en la « personne de la Dame ; Que par cette consideration « s’estant toujours comporté avec modestie dans ses « actions, & avec circonspection dans ses paroles, il « avoit acquis l’affection de ce Seigneur, la confian- « ce de cette Dame, & l’estime de tous leurs dome- « stiques ; ce qui luy avoit donné moyen de faire un « notable fruit dans cette Famille. « La seconde fois il en parla ouvertement à un jeune Avocat de Paris tres sage & tres-pieux, qu’il avoit disposé à entrer chez M. le Duc de Rets, pour avoir l’Intendance de sa Maison, Sur quoy cét Avocat l’ayant prié de luy dire comment il pourroit garder l’esprit de devotion au milieu des distractions qui sont inévitables parmy la multiplicité des affaires dont il luy falloit prendre le soins. Il luy répondit : Qu’ayant luy-mesme demeuré « dans cette famille, Dieu luy avoit fait la grace de « s’y comporter en telle sorte, qu’il avoit regardé & « 38 LA VIE DU VENERABLE VINCENT JESUSCHRIST est codex apertus, in quo legédo & meditando universa virtutum disciplina discitur. Laurent. Justin. Lib ; de Humilit. Cap. 21. « honoré en la personne de M. de Gondy General « des Galeres, celle de Nostre-Seigneur ; en la per« sonne de Madame, celle de Nostre-Dame, & qu’il « avoit considéré les domestiques & les étrangers « qui affluoient chez Monsieur le General, comme « les Disciples & les troupes qui abordoient Nostre« Seigneur. Voilà comme M.Vincent se tenoit continuellement uny à JESUS-CHRIST. Il le contemploit en ses créatures comme en ses vives images ; il regloit toutes ses actions intérieures & extérieures par cette veuë, & avoit toujours les yeux de son ame ouverts sur ce Livre mystique, en la lecture duquel il apprenait la scienbce de toutes les vertus. Quoy qu’il eust un tres grande respect pour MonSieur le General des Galeres, il luy rendoit pourtant sans crainte tous les offices d’une parfaite charité ; & lors-qu’il le jugeoit necessaire pour le bien de son ame, il usoit envers luy de la mesme liberté qu’envers les autres. Le zele qu’il avoit pour le bien & pour la vertu luy donnoit une telle horreur du mal & du peché, qu’il n’en pouvoit souffrir les moindres approches ny en soy, ny dans les autres : mais la ferveur estoit temperé par la prudence ; & s’il avoit de la force, il avoit aussi de la discretion. Voicy de quelle façon il se comporta un jour envers ce bon Seigneur, pour le détourner d’un duel auquel son courage & son honneur l’avoient enga« gé selon le damnable usage de ce temps-là : l’ay« connu (dit-il, parlant de luy mesme en tierce per« sonne dans une Conference tenuë à Saint Lazare, « avec plusieurs Ecclesiastiques ) un Aumônier qui « sachant que son Maître avoit dessein de s’aller « battre en duel, prit occasion après qu’il eut célébré « la sainte Messe, & que le monde se fut retiré, de « se jetter aux pieds de ce Seigneur, lequel estoit re- DE PAUL, LIV. I. CHAP. VII. 39 sté seul dans la Chapelle, & de luy parler de la « sorte : Monsieur, permettez-moy, s’il vous p)laist « qu’en toute humilité vous dise un mot. Je sçay « de bonne part que vous avez dessein de vous aller « battre en duel ; mais je vous dis de la part de mon « Sauveur que je vous ay montré maintenant, & que « vous venez d’adorer, que si vous ne quittez ce « mauvais dessein, il exercera sa justice sur vôtre « personne & sur vôtre posterité. Cela dit, l’Aumô- « nier se retira. Et en cela vous remarquerez, s’il « vous plaît, le temps opportun qu’il prit, & lese « termes dont il usa, qui sont les deux circonstan- « ces qu’il faut particulièrement observer en telles « occasions. « _________________________________________ CHAPITRE VIII. Une confession générale qu’il fait faire à un Païsan, donne lieu à sa premiere Mission : & le sucez de cette Mission luy en fait entreprendre d’autres.. MADAME la Generale des Galeres ressentoit une consolation indicible d’avoir en sa maison M. Vincent. Elle le regardoit comme un second Ange Tutelaire qui attiroit tous les jours par son zele & par sa prudence de nouvelles grâces sur sa famille. Comme elle aspiroit incessamment à la perfection, c’estoit aussi tout le desir de son sage Directeur de luy fournir les moyens d’y avancer, & ainsi poussez d’un mesme esprit, il s’adonnoient tous deux à plusieurs bonnes œuvres. Cette vertueuse Dame faisoit de grandes aumônes pour soulager les pauvres, & particulièrement ceux de ses terres ; & s’ils estoient malades, elle les visitoit dans leurs maisons, & les servoit de ses 40 LA VIE DU VENERABLE VINCENT propres mains. Elle avoit un soin particulier que ses Officiers rendissent une bonne & prompte Justice ; & pour cela elle veillait à remplir les Charges de personnes de probité : mais son zele n’estant pas encore satisfait de l’ordre qu’elle faisoit observer dans l’administration de la justice, elle s’employoit elle-mesme pour terminer à l’amiable les procez & les differens qui naissoient parmy ses Sujets, & elle se rendoit sur tout la protectrice des veuves &la mere des orphelins. Enfin elle procuroit de toutes ses forces, que Dieu fust honoré & servy en tous les lieux où elle avoit du pouvoir : en quoy elle estoit autorisée par la pieté & par le credit de Monsieur son mary, & aidée par la presente & par les avis de M. Vincent, qui de son costé ne manquoit pas d’exercer son zele en ces occasions par la v isite des malades, par l’instruction des ignorans, & par tous les moyens convenables pour gagner les ames à Dieu. Sur la fin de l’année 1616, estant allé en Picardie avec Madame qui y possessoit plusieurs terres, il fit quelque sejour au Châsteau de Folleville au Diocese d’Amiens. Comme il s’occupoit en ce lieu aux oeuvres de misericorde, on le vint prier un jour d’aller à Gannes, qui est un village distant de ce Chasteau d’environ deux lieuës ; pour enten dre la confession d’un Païsan dangereusement, malade qui desideroit se confesser à luy. Or quoy-que ce villageois eust toujours vécu en reputation d’homme de bien, néanmoins M.Vincent l’estant allé voir eut la pensée de le porter à faire une Confession générale pour mettre son salut en plus grande securité. Il parut par l’effet qui suivit que Dieu luy avoit inspiré cette pensée, & qu’il vouloit faire misericorde à cette pauvre ame, se servant de son fidéle Ministre pour le retirer du penchant du pré- DE PAUL, LIV. I. CHAP. VIII. 41 cipice où elle alloit tomber ; car quelque bonne que fust en apparence la vie que cét homme avoit menée, sa conscience estoit chargée de plusieurs pechez mortels qu’il avoit toujours cachez dans ses Confessions précédentes par une honte malheureuse, comme il le déclara luy mesme depuis, en presence de plusieurs personnes, & mesme de Madame qui eut la charité de le visiter. Hà Ma- « Dame ! luy dit-il, si je n’eusse fait une Confession « générale j’estois damné à cause de plusieurs gros « pechez que je n’avois osé confesser. Il témoigna « assez par ces paroles la vive contrition dont son « cœur estoit touché, & ayant persévéré toujours « dans les sentimens d’une veritable douleur, il fi- « nit sa vie âgé de soixante ans. M. Vincent faisant « depuis le recit de ce qui s’estoit passé en cette ren- « contre à ceux de sa Congregation, ajouta : La « honte empesche plusieurs de ces bonnes-gens des « champs de faire des Confessions entieres à leurs Cu- « rez ; ce qui les tient dans un état de damnation. He- « las mon Dieu ! combien est important l’usage des « Confessions générales par lequel on remédie à ce « Mal-heur ? Cét homme dont je viens de vous par- « ler, disait qu’il eut esté damné sans cette confes- « sion, parce qu’il estoit vraiment touché de l’esprit « de penitence. Quand une ame en est remplie elle « conçoit une telle horreur du peché, que non seu- « lement elle s’en confesse au Prestre, mais elle se- « roit disposée de s’en accuser publiquement, s’il « estoit necessaire pour son salut. J’ay veu des per- « sonnes lesquelles apres leur Confession générale « voulaient déclarer leurs pechez devant tout le « monde, j’avois mesme de la peine à les retenir ; & « quoy-que je leur défendisse de le faire : Non « Monsieur, me disaient-elles, je les diray à tous : « je suis un mal-heureux, je merite la mort. Voyez « 42 VIE DU VENERABLE VINCENT « s’il vous plaist en cela l’impression de la grace, &la « force de la douleur. J’en ay vû plusieurs dans ce « grand desir, & l’on en voit souvent qui touchez de « componction ne font aucune difficulté de dire tout « haut : Je suis un méchant homme ; parce qu’en tel« le & telle rencontre j’ay fait cecy & cela : J’en de« mande pardon à Dieu, à M. le Curé, & à toute la « Parroisse. C’est ainsi que les plus grands Saints « l’ont pratiqué : S. Augustin a découvert à tout le « monde ses péchez & ses erreurs dâs ses Confessions ; « & S. Paul avant luy avoit publié aux Chrétiens « son blaphéme & sa persecution dans ses Epîtres. « Tous deux l’ont fait afin de manifester d’autant plus « les miséricordes de Dieu envers eux, que leur in« gratitude avoit esté plus grande envers luy. « La grace fit aussi cette salutaire operation dans le « cœur de ce Païsan, que de luy faire avoüer publi« quement, & en présence de Madame la Generale, « dont il estoit vassal, ses Confessions sacrilèges & « les enormes pechez de sa vie passée. Sur quoy cet« te vertueuse Dame saisie d’étonnement s’ecria : Hà« Monsieur Vincent ! Qu’est-ce que nous venons « d’entendre ? Il en est sans doute ainsi de la plu« part de ces pauvres –gens. Si cét homme qui passoit « pour homme de bien, estoit néanmoins en état « de damnation, que sera-ce des autres qui vivent « plus mal ? Hà Monsieur, que d’ames se perdent ! « quel remede à cela ? « Ce fut au mois de Janvier 1617, que cecy arri« va : & le jour de la Conversion de S. Paul, qui est « Le 25, cette Dame me pria de faire une Predication « en l’Eglise de Folleville, pour exhorter les Habi« tans à la Confession Generale ; ce que je fis : je leur « rerpresentay son importance & son utilité, & puis « je leur enseignay la maniere de la bien faire. Dieu « eut tant d’égard à la confiance de cette Dame car, DE PAUL, LIV. I. CHAP. VIII. 43 Le grand nombre & l’énormité de mes pechez eus- « sent empesché le fruit de cette action qu’il donna « bénédiction à mon discours ; & ces bonnes-gens fu- « rent si touchez de Dieu, qu’ils venoient tous pour « faire leurs Confessions générales. Je continuay à « les disposez à la reception des Sacremens par des « instructions familieres, & je commencay à les en- « tendre ; mais la presse fut si grande que ne pouvant « plus suffire au travail, Madame envoya prier les « RR. PP. Jesuites d’Amiens de venir à notre se- « cours. Elle écrivit au R. P. Recteur qui vint luy- « mesme ; mais n’ayant pas eu le loisir de s’arreter « que fort peu de temps avec nous, il envoya le R. P. « Fourché pour travailler en sa place. Celuy-cy « donc nous aida à confesser, à presser & a catéchiser,« & trouva par la misericorde de Dieu dequoy s’oc- « cuper. Nous allâmes ensuite aux autres villages « qui appartenoient à Madame en ces quartiers-là « & nous y fismes comme au premier. Il y eut grand « concours de peuple, & Dieu donna bénédiction « par tout à nos petits travaux. Voilà le premier « Sermon de la Mission, & le succez que Dieu luy « donna le jour de la Conversion de S. Paul ; ce qu’il « ne fits pas sans dessein en un tel jour. « La Mission du lieu de Folleville estant la premiere que M. Vincent ait faite, il l’a toujours considerée comme la semence des autres qu’il a entreprises depuis jusqu’à sa mort. Tous les ans le 25 Janvier il rendoit & faisoit rendre aux siens des humbles actions de grâces à Dieu, pour les suites tres-heureuses que sa bonté infinie avoit données à cette premiere Predication ; & il honoroit particulierement la divine Providence qui avoit voulu que le jour de la Converssion de S. Paul fust celuy de la conception de la Congregation de la Mission. C’est pour cette raison que les Missionnaires cele- 44 LA VIE DU VENERABLE VINCENT brent avce un spéciale devotion le jour de la Conversion de ce Saint Apostre, en, memoire de ce que ce nouveau Paul leur Pere & instituteur commença heureusement ce jour-là sa premiere Mission, laquelle a esté suivie de tant d’aqutres qui ont causé la conversion d’une infinité d’ames, quoy-que pour lors, ny plus de huit ans après il ne pensait nullement que cette petite semence deust multiplier de la sorte, & servir de fondement d’une nouvelle Congregation dans l’Eglise. Madame la Generale ayant reconnu par experience la necessité des Confessions générales, particulierement parmy les peuples de la campagne, & l’utilité des Missions pour les y porter & disposer, conceut dés lors le dessein de donner un fonds de seize mille livres à quelque communauté qui se voudrait charger de faire des Missions de cinq ans en cinq ans par toutes ses terres. Pour le mettre en execution elle le fit proposer par M. Vincent au Reverend Pere Charlet Provincial des Jesuites, lequel luy fit reponse qu’il en ecriroit à Rome ; ce qu’ayant fait on luy manda qu’il ne devoit point accepter cette proposition. Elle fit offrir la mesme fondation aux RR. PP. de l’Oratoire ; mais ils ne s’en voulurent pas aussi charger. Enfin ne sçachant plus à qui s’adresser, elle fit son Testament, par lequel elle donnoit seize livres pour fonder ces Missions, au lieu & en la maniere que M. Vincent Le jugeroit à propos ; & pour user des termes qu’il Employoit ordinairement,à la disposition de ce miserable. DE PAUL, LIV. I. CHAP. IX. 45 CHAPITRE IX. Il se retire de la Maison de Gondy, & y retourne quelque temps après. Les succés pleins de bénédiction que Dieu donnoit aux charitables emplois de M. Vincent, augmentoient de plus en plus l’opinion qu’on avoit de sa vertu, & il estoit regardé de ceux qui le connoissoient comme un homme rempli de l’Esprit de Dieu. M.le General des Galeres entre autres & Madame sa femme concevoient toujours une estime plus grande de sa personne, & ils luy en faisoient souvent paroistre des marques dans les occasions : mais comme il ne cherchoit qu’à son merite estoit un supplice à son humilité. L’opposition qu’il avoit aux sentimens de la vanité, luy fit prendre la resolution d’en prévenir le danger.L’exemple de plusieurs grands Saints luy persuada la suite, afin d’éviter cét écueil de la vaine gloire, qui cause souvent aux ames les plus vertueuses un triste naufrage au milieu de leur navigation. Moïse, comme remarque S. Ambroise, s’enfuit de la Cour du Roy Pharaon, de peur que le bon traitement qu’il y recevoit ne soüillat son ame, & que la puissance qui luy avoit esté donnée ne fust un lien qui le retint attaché. Il s’enfuit non par defaut de resolution ou de courage, mais pour trouver le sentier assuré de l’innocence, pour suivre le chemin de la vertu, & pour s’affermir dans la pieté. Quoy que la maison de M.le General fust une des mieux réglées de la Cour, & que M. Vincent N’y vist aucune chose qui fust contraire à la pieté ; néanmoins les témoignages d’honneur & d’affe- 46 LA VIE DU VENERABLE VINCENT Fugit Moïses à gacie ReGis Pharaonis, ne eum aula regia inquinaret, neirretirerpotentia : fuga illa cerat trames innocentiae, virtutis via, pie- ratis assumotori. Ambros.l. lib.de su ga saeculi cap.4. ction qu’il y recevoit pour sa vertu, luy donnoient beaucoup de peine. Il craignoit que le grand credit qu’il avoit acquis sur les esprits dans cette illustre Maison, ne l’empeschast de s’avancer dans la perfection de son état. C’est pourquoi sans s’arrester ny aux sentimens de la Nature, ny aux interests du siecle, il resolut de se retirer pour se donner plus parfaitement à Dieu. Il y avoit encore une raison qui le portoit à cette retraite. Madame la Generale estoit fort travaillée de scrupules & d’autres peines intérieures, dans lesquelles Dieu l’exerçoit, pour luy donner un jour la couronne de la patience avec celle de la charité. Or ayant receu de notables assistances de M. Vincent pour le soulagement de son esprit, elle avoit conceu un tel surcroist d’estime & de confiance pour sa conduite, que cela fist naistre en elle une crainte de le perdre, & de ne trouver jamais personne qui eust lumiere & grace comme luy pour adoucir ses peines, pour tenir sa conscience en paix, & pour la conduire seurement dans les voyes de la vertu. Sa crainte s’augmenta peu à peu en telle sorte, qu’elle ne pouvoit souffrir son absence qu’avec peine. C’estoit à la verité une imperfection en cette Dame, quoy-que d’ailleurs fort vertueuse, & dés que M. Vincent s’en apperceut, il tascha d’y remédier. Il l’obligea à se confesser quelque fois à un P. Recolect tres-experimenté en la conduite des ames, de qui il jugeoit qu’elle demeureroit satisfaite ; & luy ayant fait avoüer qu’en effet il l’avoit fort consolée, il se servit de cette experience pour la convaincre que Dieu la conduiroit aussi heureusement par une autre que par luy, si elle mettoit toute sa confiance en sa bonté infinie. Mais tout cela n’eut pas assez de force pour luy DE PAUL, LIV. I. CHAP. IX. 47 oster l’impression de l’extréme besoin qu’elle croyoit avoir de la presence d’un homme veritablement charitable & prudent comme luy, pour y avoir recours dans les occasions. Ce qui la confirmoit davantage dans cette pensée, est qu’ayant plusieurs terres à la campagne où elle estoit obligée d’aller souvent, & de passer une partie de l’année, elle ne pouvoit recevoir des Prestres de village l’éclaircissement de ses difficultez, ny mesme se resoudre à les découvrir. M. Vincent eut du déplaisir de la voir dans cette disposition, car il ne pouvoit souffrir qu’on eust la moindre attache à sa conduite particuliere ; & craignant que cét excés de confiance ne fust un empeschement au bien de cette ame tres vertueuse, & n’arrestast son avancement dans le chemin de la perfection, au lieu de l’aider,il prit la resolution de se retirer. Il voyait bien qu’on feroit divers jugemens de sa retraite à son des-avantage, & mesme qu’on le blasmeroit d’ingratitude envers une famille dont il avoit receu beaucoup d’honneur & de bons traitemens ; cequi sans doute estoit tres-sensible à un cœur porté comme le sien à la reconnaissance. Neanmoins il passa par dessus toutes ses considérations humaines, & renonçant à ses propres interests, il s’exposa volontiers à la censure des mondains pour estre fidéle à Dieu, & pour procurer le bien spirituel de cette vertueuse Dame, en luy montrant par son propre des-interessement qu’il ne falloit s’attacher qu’à Dieu seul. Comme il n’estoit entré en la Maison de M. le General qu’à la persuasion de Monsieur de Berulle, il le pria d’agréer qu’il en sortit, sans luy dire d’autre raison sinon qu’il se sentoit interieurement pressé de Dieu de s’employer en quelque Province éloignée à l’instruction & au service des pauvres 48 LA VIE DU VENERABLE VINCENT gens de la campagne, Monsieur de Berulle qui connoissoit en M.Vincernt un esprit fort éclairé des lumières de la grace, & qui alloit droit à Dieu, approuva son dessein, jugeant qu’il ne luy pouvoit rien conseiller de meilleur, que ce qu’il luy proposoit luy-mesme. La Cure de Chatillon lez Dombes estoit alors vacante ; Messieurs les Comtes de Saint Jean de Lyon à qui il appartient de nommer le Curé, desiroient qu’elle fust remplie d’un Pasteur capable de la gouverner. Comme elle avoit pour lors peu de revenu & beaucoup de charges, elle demandoit un homme qui meprisast les interests, & qui n’épargnast point ses peines. Le R. P. Bence Superieur de l’Oratoire de Lyon à qui ils s’estoient adressez pour avoir un Sujet de cette trempe, pria M. de Berulle, que s’il pouvoit trouver à Paris quelque Ecclesiastique qui fust disposé à procurer la gloire de Dieu & a servir l’Eglise, il le luy indiquast, & qu’on luy expedieroit les provisions de la Cure de Chatillon. La lettre du R.P .Bence arriva justement lors-que M.Vincent minutant sa retraite de la Maison de Gondy, demandait avis à M.de Berulle de ce qu’il avoit à faire. Ce sage Superieur qui connoissoit & la capacité & le détachement de M.Vincent, crût que c’estoit l’homme Que Dieu destinoit à cét employ ; c’est pourquoi il Le lui proposa comme une occasion favorable que la Providence offroit à son zele. M. Vincent acquiesça humblement & joyeusement à cette proposition ; & ensuite prenant pour pretexte un voyage qu’il avoit à faire, il sortit de la Maison de Gondy vers le commencement du Printemps de l’année 1617, pour s’en aller à Lyon, où estant arrivé le Pere Bence le presenta à Messieurs les Comtes de S.Jean qui le nommerent volontiers à la Cure de DE PA1UL,,LIV. I . CHAP. IX. 49 Chatillon. Il s’en alla aussi-tost prendre possession de son Benefice & veiller sur le troupeau que Notre Seigneur avoit confié à ses soins. Nous dirons au Chapitre suivant ce qu’il fit pour la sanctification de son peuple & pour la nourriture de ses oüailles. Revenons à la Maison de Gondy. On ne sçavoit encore rien de tout cecy en la Maison de M. le General des Galeres ; car M. Vincent n’avoit communiqué son dessein qu’à une ou deux personnes de confiance. Quelque temps après qu’il fut arrivé à Chatillon il crust etre obligé d’en donner avis à M. le General qui estoit pour lors en Provence ; il luy écrivit donc une lettre par laquelle il le supplioit d’agréer sa retraite, puis-qu’il n’avoit pas, disait-il, assez de grace ny de capacité pour l’instruction de Messieurs ses enfant ; & qu’au reste il n’avoit dit ny à Madame, ny à personne de la Maison le dessein qu’il avoit de ne pas retourner. Ce bon Seigneur fut fort affligé d’une nouvelle si surprenante, & il en fit part aussi-tost à Madame sa femme par une lettre qu’ill luy écrivit en ces termes : Je suis au desespoir d’une lettre que m’a écrit M. « Vincent, & que je vous envoye pour voir s’il n’y « aurait point encore quelque remede au mal-heur « que ce nous serait de le perdre. Je suis extréme- « ment étonné de ce qu’il ne vous a rien dit de sa re- « solution, & que vous n’en ayez point eu d’avis. Je « vous prie de faire en sorte par tous les moyens que nous « ne le perdions point ; car quand le sujet qu’il prend « seroit veritable, il ne me seroit de n ulle con- « sideration, n’en ayant point de plus forte que celle « de mon salut & de mes enfant ; à quoy je sçaiy qu’il « pourra beaucoup aider un jour, & aux résolutions « que je souhaite plus que jamais pouvoir prendre, « & dont je vous ay bien souvent parlé. Je ne luy ay « 50 LA VIE DU VENERABLE VINCENT « point encore fait de reponse,& j’attendray de vos « nouvelles auparavant. Jugez si l’entremise de ma « Sœur de Ragny qui n’est pas loin de luy sera à pro« pos ;mais je croy qu’il n’y aura rien de plus puis« sant que M. de Berulle. Dites luy que quand bien « M.Vincent n’auroit pas la methode d’enseigner la « jeunesse, qu’il peut avoir un homme sous luy : « mais qu’en toutes façons je désire passionnément « qu’il revienne en ma maison où il vivra comme il « voudra, & j’espere moy-mesme un jour vivre en « homme de bien s’il demeure avec moy. Cette lettre est du mois de septembre 1617. & Madame la Generale la receut le jour de l’exaltation de Sainte Croix, auquel elle apprit la resolution de M. Vincent, & le lieu où il s’estoit retiré ; ce qui luy fut à la verité une Croix bien pesante. Elle ne cessa de pleurer depuis qu’elle eut receu cette nouvelle, & la douleur luy osta l’appetit de manger aussi-bien que de dormir. On peut juger des sentimens de son cœur par les paroles suivantes qu’elle dit sur ce sujet à une personne de confiance. « Je ne l’aurois jamais pensé ; M. Vincent s’estoit « montré trop charitable envers mon ame, pour « croire qu’il voulust m’abandonner de la sorte : mais « je croy qu’il n’a rien fait que par une speciale Pro« vidence de Dieu, & touché de son saint amour. « Mais de verité son éloignement me paroist bien « etrange, & je confesse que je n’y connois rien. Il « sçait le besoin que j’ay de sa conduite ; les affaires « que j’ay à luy communiquer, les peines d’esprit & « de corps que j’ay souffertes faute d’assistance, le « bien que je désire faire en mes villages qu’il m’est « impossible d’entreprendre sans son conseil ; enfin « mon ame est reduite en un tres-pitoyable état DE PAUL, LIV. I . CHAP. IX. 51 Vous voyez que Monsieur le General m’écrit sur « cela avec grand ressentiment ; que mes enfant depe- « rissent tous les jours ; que le bien qu’il faisoit en ma « Maison & sept ou huit mille ames qui sont sur mes « terres ne se fera plus. Quoy ? Ces ames ne sont- « elles pas aussi bien rachetées du précieux Sang de « Notre-Seigneur, & ne luy sont-elles pas aussi che- « res que celles de Bresse ? A dire vray, je ne sçay « comme M. Vincent l’entend ; mais cela me semble « assez considerable pour faire mon possible de le « r’avoir. Il ne cherche que la plus grande gloire de « Dieu, & je ne le désire pas contre sa sainte volonté, « Mais je supplie de tout mon cœur Nostre-Seigneur « de me le redonner ; j’en prie aussi sa sainte Mere, « & je les en prierois encore plus fortement, si mon « interest particulier n’estoit pas mélé avec celuy de « M. le General, de mes Enfans, de ma famille, & « de mes sujets. « Voilà quels estoient les sentimens de cette vertueuse Dame, & voicy de quels moyens elle usa pour parvenir à ce qu’elle pretendoit. Elle pria Dieu instamment , & le fit prier par toutes les bonnes Ames qu’elle connoissoit ; elle recommanda aussi cette affaire aux prieres des principales Communautez Religieuses de Paris ; elle alla plusieurs fois toute éplorée trouver Monsieur de Berulle, elle luy ouvrit son cœur & luy déclara la grande peine où elle se trouvoit. Ses larmes & ses raisons firent assez connoistre à ce grand Serviteur de Dieu le besoin qu’elle avoit de la presence & du conseil de M.Vincent ; & la voyant au milieu de ses plus fortes angoisses toûjours resignée au bon plaisir de Dieu, sans vouloir pour quoy-que ce fust aller contre ses ordres, il luy dit qu’elle pouvoit en seureté de conscience faire tout son possible pour obliger M. Vincent à revenir en sa maison ; & enfin de la conso- 52 LA VIE DU VENERABLE VINCENT ler davantage il luy fit espérer qu’il s’emploiroit luy-mesme envers M. Vincent pour luy persuader son retour ; ce qui soulagea beaucoup son esprit & luy fit dire que M. de Berulle estoit l’homme du monde le plus consolant. Elle écrivit ensuite plusieurs lettres à M. Vincent qu’elle faisoit voir auparavant à M. de Berulle ; elle luy envoya celle de M. le General, & le pria de bien peser le grand desir qu’il temoignoit avoir de son retour en telle condition qu’il luy plairait. Avant que de passer outre il faut faire un peu de reflexion sur la conduite admirable de Dieu envers les ames qu’il veut élever à quelque excellent degré de vertu. Il dispose tellement toutes les rencontres & tous les accidens de leur vie, qu’il les fait contribuer a leur avancement dans la perfection, & ce qui fait davantage paroistre sa sagesse & sa puissance, est que souvent il se sert des moyens qui semblent entièrement opposez à la fin qu’il prétend. C’estoit luy sans doute qui avoit donné M. Vincent A Madame la Generale pour luy servir d’un fidéle guide dans le pelerinage de cette vie ; le grand progrés qu’elle faisoit dans la vertu, & l’ardente charité qui brûloit dans son cœur, & produisoit au dehors de si merveilleux effets, estoit une marque bien certaine de la bénédiction que Dieu donnoit à la conduite de son sage Directeur. Cependant Dieu qui avoit associé ces deux grandes ames pour luy rendre des services signalez, & pour se sanctifier dans les exercices de la pieté & de la charité, est celuy-là mesme qui les sépare, & qui se sert de cette separation pour les disposer a de plus grandes grâces, & pour les rendre plus dignes instrumens de sa misericorde, afin de coopérer au salut d’un tres-grand nombre d’ames, ainsi qu’on verra dans la suite de l’Histoire. DE PAUL, LIV. . I . CHAP. IX. 53 Dieu vouloit que sa fidéle servante fit en cette rencontre plusieurs actes d’une heroïque résignation, & qu’elle luy offrist en sacrifice son appuy, son conseil, sa consolation, & le secours qui luy semblait necessaire pour sa perfection, & pour son salut. Il vouloit aussi que M. Vincent eust occasion de pratiquer un parfait détachement des personnes mesmes auxquelles il l’avoit saintement uny avec des liens d’une charité tres-sincére ; & l’on ne peut douter qu’il ne fust obligé de se faire violence lors qu’il se resolut de les quitter, & qu’il exécuta sa resolution sans leur en rien dire : mais il ne luy fallut pas une moindre force quand il receu la lettre de cette vertueuse Dame, pour ne se rendre ny à ses raisons, ny à ses prieres tres –pressantes. Comme il s’estoit donné parfaitement à Nostre-Seigneur, & qu’il ne vouloit agir que dans une entiere dépendance de sa volonté, ayant leu cette lettre il éleva d’abord son esprit à Dieu, afin de renouveller les protestations d’une inviolable fidelité à ses ordres, & de sacrifier tous les sentimens de sa nature à ses volontez. Il lui demanda sa lumiere & sa grace pour connoistre & pour exécuter ce qui luy seroit le plus agreable. Il examina les raisons de par & d’autres, & après avoir tout consideré devant Dieu, il ne crût pas devoir changer la resolution qu’il avoit prise, n’y retourner au lieu d’où il estoit sorty. Il écrivit à Madame la Generale, & luy representa tout ce qu’il jugea propre pour soulager son esprit dans ses peines, & pour luy persuader la conformité à la volonté de Dieu. Cette lettre ne servit néanmoins qu’à augmenter le desir qu’elle avoit de son retour, ayant esté assurée qu’elle le pouvoit licitement procurer. Elle employa diverses personnes de pieté & de condition qui luy écrivi- 54 LA VIE DU VENERABLE VINCENT rent pour le persuader de revenir. L’on a trouvé des lettres de Messieurs des Enfans, de Monsieur le Cardinal de Retz son beau-frère qui estoit pour lors Evesque de Paris, de quelques autres de ses proches parens, des principaux Officiers de sa Maison, de plusieurs Docteurs, de quantité de Religieux, & de grand nombre d’autres personnes de merite qui pressaient M. Vincent de retourner. M. de Berulle luy écrivit aussi, comme il l’avoit fait espérer à Madame la Generale ; mais ce fut d’un,e maniere digne de sa haute prudence & de son éminente pieté. Il se contenta de luy exposer l’extréme affliction où se trouvoit cette vertueuse Dame, & le mal encore plus grand dont elle estoit menacée ; il luy représenta aussi le desir extraordinaire que M. le General avoit de son retour ;mais il ne luy dit rien de ce qu’il avoit à faire en cette occasion, laissant à sa discretion de considérer ce Que Dieu demande de luy, & à sa charité de prentre la resolution qu’il jugeroit la plus conforme a sa Divine volonté ; tant il l’estimoit capable de discerner les desseins de Dieu sur sa personne, & de les suivre sans autre conseil ny persuasion. Il ne fut pas seulement solicité par lettres, on luy envoya aussi exprés en diligence l’un de ses plus intimes amis ; ce fut M. du Fresne Secretaire de M. Le General, qui le vint trouver à Chatillon au commencement d’Octobre de la mesme année 1617. Il luy représenta des raisons si fortes, & opposa à toutes ses excuses des reponses si pertinentes, qu’il le mit en doute si Dieu se vouloit servir plus long-temps de luy dans la Bresse. Surquoy M. Vincent luy ayant dit qu’il ne vouloit pas se déterminer luy-mesme dans une affaire de cette importance, & que pour mieux connoître la volonté de Dieu, il desiroit prendre conseil de DE PAUL, LIV. .I . CHAP. IX. 55 quelque personne sage& expérimentée, il s’accorda de venir avec luy jusqu’à Lyon, & de prendre avis du R. P. BENCE Superieur de l’Oratoire ; ce qu’ayant fait, ce Reverend Pere luy conseilla de retourner à Paris, & luy dit que là estant aidé des bons avis de ceux qui le connoissoient depuis longtemps, il pourroit discerner avec plus d’assurance qu’elle estoit la volonté de Dieu. Ayant receu ce conseil il écrivit à M.le General qui estoit à Marseille, qu’il esperoit faire un voyage à Paris dans deux mois, & qu’on verrait ce que Dieu ordonneroit de luy. Il écrivit aussi la mesme chose à Madame la Generale à Paris, par la voye de Monsieur du Fresne, sans s’engager à aucune chose. Quelque temps après qu’il fut retourné à Chatillon il y receut la réponse suivante de M. le General. J’ay receu depuis deux jours celle que vous m’a- « vez écrite de Lyon, où je voy la resolution que « vous avez prise de faire un petit voyage à Paris sur « la fin Novembre, dont je me rejouis extréme- « ment, espérant que je vous y verray en ce temps-là, « & que vous accorderez à mes prieres & au conseil « de tous vos bons amis, le bien que je désire de « vous ; je ne vous en diray pas davantage puisque « vous avez lû la lettre que j’ay écrite à ma femme ; « je vous prie seulement de considérer qu’il semble « que Dieu veut que par vostre moyen le Pere & les « Enfans soient gens-de bien, &c. « M. Vincent estant sur le point de quitter Chatillon, sans estre assuré s’il y retourneroit, voulut consoler ses Parroissiens par un petit discours, dans lequel il les exhorta à persévérer pendant son absence dans le bon chemin où la grace de Dieu les avoit mis. Il leur protesta qu’il ne les quitteroit point si la volonté de Dieu ne l’y contraignoit ; & 56 LA VIE DU VENERABLE VINCENT que s’il ne les avoit pas presens aux yeux du coprs, pour la distance des lieux, il les auroit toûjours presens à ceux de l’esprit. Ensuite il leur donna sa bénédiction &les laissa avec quelque esperance de les revoir bien-tost. Il se mit en chemin & fut accompagné hors de la ville des grands & des petits, qui tous fondoient en larmes pour son depart, & qui ne cesserent de le suivre qu’après qu’il leur eut encore une fois donné sa benediction. Il arriva à Paris le 23 de Decembre, & tout aussi-tost il vint trouver M. de Berulle, pour savoir de luy ce qu’il devoit faire. Il luy représenta l’obligation qu’il avoit de servir la Parroisse dont il avoit pris le soin par l’ordre de la Providence, & le pria de luy dire nettement ce que Dieu demandait de luy. M. de Berulle ayant recommandé cette affaire à Nostre –Seigneur & l’ayant communiquée à quelques personnes fort éclairées, luy répondit qu’il croyait que c’estoit la volonté de Dieu qu’il rentrat chez M. le General. M.Vincent à qui les avis de M. De Berulle estoient comme autant de loix, obeït simplement ; & incontinent après il fit une demission pure & simple de la Cure entre les mains de Messieurs les Comtes de Saint-Jean, qui en pourveurent à sa recommandation M. Louys Girard son Vicaire, lequel y a tres-utilement travaillé, & finy saintetement sa vie. Suivant donc le conseil de M. de Berulle il rentra chez M.le General des Galeres la veille de Noël. L’on peut conjecturer de l’affliction que son départ avoit causée à toute la famille, quel fut le contentement que son retour apporta. On lisoit sur les visages l’allegresse qui transportoit les cœurs ; tous se pressoient à l’envy de la luy témoigner, & ils benissoient Dieu unanimement de le leur avoirt rendu. Mais qui pourroit dignement exprimer la DE PAUL, LIV. I . CHAP. X. 57 consolation particuliere de Madame la Generale. Cette vertueuse Dame sembla renaistre en ce jour ; la presence de M.Vincent essuya ses larmes, adoucit ses amertumes, & apaisa ses troubles. Le bon-heur toutefois dont elle joüissoit eust esté imparfait, s’il eust esté encore accompagné de la crainte de le perdre ; c’est pourquoi elle voulut y pourvoir à l’avenir, & empescher qu’il ne la quittat une seconde fois. Elle luy fit promettre qu’il l’assisteroit jusqu’à la mort, comme il a fait, Dieu l’ayant ainsi voulu pour donner commencement à la Congregation de la Mission, par le moyen de cette charitable Dame, comme nous dirons cy-après. Mais avant que de parler des saintes œuvres qu’il entreprit depuis son retour en la Maison de Gondy, il est à propos de raconter quelques-unes de celles qu’il fit pendant son sejour en Bresse, c’est ce que nous allons voir au Chapitre suivant. _________________________________________ CHAPITRE X. Des Oeuvres remarquables qu’il fit pendant son sejour en Bresse. Pour faire mieux comprendre la grandeur des biens que M.Vincent a faits à Chastillon lez-Dombes, il serait à propos d’exposer en détail la grandeur des maux qu’il y a trouvez à son arrivée ; nous nous contenterons néanmoins, pour éviter la longueur, d’en donner une grossiere idée, & de rapporter en abregé les choses principales que plusieurs anciens habitans du lieu, témoins de veuë & hors de reproche, ont amplement declaré sur ce sujet. L’Eglise de Chastillon avoit esté privée depuis 58 LA VIE DU VENERABLE VINCENT prés de quarante ans de la presence de ses Pasteurs. Les Benefices qu’ils possedoient à Lyon leur faisoient quitter le soin, & mépriser la compagnie de cette Eglise leur légitime Epouse, parce qu’elle estoit pauvre. Les six Chapellains qui la desservoient ne luy faisoient pas moins de tort par leurs scandales, que les Curez qui l’abandonnoient luy avoient apporté de préjudices par leurs- absence. La plupart des habitans suivoient la Religion prétenduë reformée ; & ceux qui faisoient profession de la Religion Catholique, vivoient dans l’ignorance des choses du salut, & ne cedoient presque point aux Heretiques dans le déreglement des mœurs. Le Temple materiel estoit aussi negligé que le spirituel ; on ne voyoit en toutes ses parties ny la netteté, ny la decence requise.Les murailles estoient toutes noircies de la fumée que faisoient les luminaires de poix-refine qu’on y brûloit. Les Autels estoient dépourvus d’ornemens ; les Offices Divins estoient célébrez sans révérence & sans attention. Enfin ce Saint lieu servoit aux Ecclesiastyiques & aux laïques à se promener & à discourir , comme s’il eust esté destiné aux usages communs & ordinaires. Voilà en peu de mots en quel etat M. Vincent trouva Chastillon à son arrivée, & voicy de quelle maniere il remédia à tant de désordres. Pour commencer par les Ecclesiastiques dont le changement estoit également difficile & important, il tascha premièrement de gagner leur affection par un grand respect accompagné d’une singuliere douceur & d’une sincere cordialité. Il les visita chacun en leur maison, il leur fit quelques pressens de livres propres à leur état, & par son abord extrêmement gracieux, il leur donna confiance de traiter familièrement avec luy. Ayant DE PAUL,,LIV. I. CHAP. X 59 ainsi gagné leurs cœurs, il leur fit ensuite quelques Discours de l’excellence & de la sainteté de l’état Ecclésiastique, puis il les invita à l’exercice des ceremonies de la Messe, à la visite des malades & à d’autres bonnes œuvres qu’il pratiquoit avec eux, prenant de là occasion de leur donner avec prudence les instructions dont ils avoient besoin. S’il les instruisoit par ses paroles, il les animoit encore plus par ses actions. On ne le vit jamais sans soutanne & sans les autres marques de sa profession. Il celebroit tous les jours la sainte Messe, & assistoit aux Offices Divins avec une modestie fort exemplaire. Il estoit tres-liberal envers les pauvres, & par l’inclination de son naturel, & par le mouvement de la grace. La dureté de cœur luy sembloit monstrueuse dans les Prestres, & il desiroit fort inspirer à ceux de Chastillon des sentimens de tendresse pour les miseres du prochain. Sa charité, qui estoit tres ingenieuse, luy suggera une invention admirable pour reüssir dans son dessein. Nous avons dit cy-dessus qu’il les menoit avec luy à la visite des pauvres & des malades, il s’avisa donc de distribuer par leurs mains l’argent des aumônes, afin de leur apprendre à ses dépens à pratiquer la misericorde corporelle envers les necessiteux. Sa bourse fut bien-tost vuide, mais sa charité ne fut point epuisée. Aprés qu’il eut donner son argent, il n’epargna ny ses habits, ny son linge ; il ne craignit point de se dépouïller pour revétir les nuds ; & il ne crût jamais estre plus riche que lors-qu’il se vit pauvre pour l’amour des membres pauvres de JESUS-CHRIST. Il passa si avant dans cet exercice de charité, que n’ayant plus rien en propre qu’il pust donner, il eut recours aux emprunts, & il y satisfit quand il fut revenu à Paris. 60 LA VIE DU VENERABLE VINCENT Il eust fallu estre bien froid pour n’estre pas embrasé d’un feu si ardent, & bien aveugle pour n’estre pas éclairé d’une lumiere si eclatante : aussi vit- on bien-tost un changement extraordinaire dans les Ecclesiastiques de Chastillon ; ils commencerent à paroistre fort reglez en leurs mœurs, ils renoncerent à tous les divertissemens ordinaires de la chasse & du jeu ; ils cesserent d’aller dans les cabarets, & de hanter les mauvaises compagnies ; & ceux qui tenoient chez eux des femmes & des filles suspectes, les chasserent de leur propre mouvement. Ils retrancherent aussi plusieurs abus qui s’estoient glissez depuis long-temps dans l’exercice des choses saintes, & particulierment dans l’administration du Sacrement de Penitence. L’un de ces abus en estoit de faire confesser en commun les enfans depuis l’âge de 7, ou 8 ans jusqu’à 14, les interrogeant publiquement sur les pechez qu’ils pouvoient avoir commis. De cet abus, qui estoit presque universel dans la Bresse, naissoient entre-eux mille desordres, & l’exemple de Chastillon le fit ensuite abolir pour toute la Province. Ils en retrancherent un autre qui n’estoit pas moins pernicieux que le précedent : Ils avoient coûtume d’exiger de l’argent ou autre chose équivalente avant que d’entendre les confessions, & par cette concussion Simoniaque, ils empeschoient plusieurs pauvres gens de recevoir ce Sacrement, jusqueslà que quelques-uns avoient passé pour ce sujet plus de sept ans sans se confesser. Cet abus neanmoins ne fut pas détruit sans quelque opposition de la party d’un Prestre qui tiroit grand profit de cet infame trafic ; mais M. Vincent surmonta par une adresse admirable l’attache déreglée que ce Prétre avoit à l’argent, en luy faisant present d’une somme considerable ; car ce Prestre avaricieux ou- DE PAUL, LIV. .I. CHAP. X. 61 vrit incontinent les yeux à cette liberalité pour reconnoistre & détester son avarice, il demanda pardon à son charitable Pasteur de la resistance qu’il avoit faite à sa conduite, & luy voulut rendre l’argent qu’il avoit receu: mais l’homme de Dieu le refusa, & luy conseilla de le donner aux pauvres, s’il ne le vouloit pas retenir. Nous serions trop longs si nous voulions rapporter par le menu tous les abus qu’il deracina par sa prudence & par son zele. Nous dirons seulement que par ses remontrances il fit changer des exercices de pieté les excés scandaleux que commettoient les Ecclesiastiques en un jour de feste solemnelle, & qu’il obtint de M. l’Archevesque de Lyon la permission d’exposer à l’avenir le S. Sacrement en ce mesme jour, auquel les Ministres de cet adorable Sacrement avoient accoûtumé de le deshorer par des réjoüissances profanes. Nous ne devons pas aussi ômettre qu’à sa persuasion une Communauté de biens Ecclesiastiques fut établie entre les Prestres, pour remédier à l’injuste usurpation de quelques-uns, par l’exacte distribution qui en fut faite depuis à un chacun à proportion du service qu’il rendoit à l’Eglise. Enfin pour conclurre en un mot tout ce qui regarde ce point, il suffit de dire que les Ecclesiastiques de Chastillon qui avant l’arrivée de M. Vincent negligeoient aussi-bien leur habit qu’ils m’eprisoient leur ministere, ont esté depuis fort exacts à porter l’un & à s’acquitter de l’autre. On les a toûjours vûs avec leur soutannes & avec les cheveux courts ; Ils ont célébré le service Divin avec révérence & avec attention, & se sont appliquez à faire des prédications au peuple, des catéchismes aux enfant, & à exercer toutes les autres fonctions de leur état. Comme Dieu avoit destiné M. Vincent pour 62 LA VIE DU VENERABLE VINCENT au salut d’un grand nombre de personnes, non seulement de Chastillon mais encore des environs, il eut soin aussi de luy trouver quelque bon Ouvrier pour le seconder en une entreprise si difcile & si importante. M. Loüis Girard Prestre de la Parroisse de Jayat en Bresse estoit alors fort renommé en ces quartiers-là pour sa pieté & pour sa doctrine. M. Vincent estant bien informé de son merite l’attira à Chastillon, & le choisit pour son Vicaire. Leurs intentions se trouvoient conformes, & ainsi leur union ne fut pas difficile à faire. Ils commencerent à défricher cette terre inculte qui recevoit avec avidité la rosée de la parole de Dieu, & produisoit ensuite des fruits dignes de penitence. On voyait leurs confessionnaux assiégez d’une grande foule de peuple qui vouloit faire des confessions générales. M. Vincent s’applique à entendre tous ces bons pénitens avec tant d’assiduité qu’il perdoit le souvenir de sa conservation, & si l’on n’eust eu soin de le retirer du confessionnal, il se sust bien souvent oublié de boire & de manger. Ces confessions furent suivies d’un changement considerable des mœurs déreglées de ce peuple, & d’un nouvel exercice des plus rares vertus.Nous en rapporterons seulement quelques exemples remarquables entre plusieurs autres que nous ômettons. Le premier qui se presente est la parfaite conversion de M. Beyvier. C’estoit un jeune-homme né de parens hérétiques, dont il avoit succé les erreurs avec le lait, & hérité de grands biens selon le monde. Il avoit mené jusqu’alors une vie fort dereglée, mesme depuis l’abjuration de son hérésie, & il surpassoit tellement tous les jeunes-hommes de Chastillon pour sa vie libertine, qu’il avoit esté choisi par eux pour estre le Chef de leurs de- DE PAUL, LIV. I. CHAP.X. 63 bauches.La Divine Providence qui avoit conduit M. Vincent à Chastillon pour le salut de plusieurs, permit par un ressort admirable de sa bonté qu’il logeast chez M. Beyvier, afin que connaissant plus particulièrement l’état mal-heureux de ce jeune homme, il fust plus puissamment excité à faire ses efforts pour l’en retirer. Il se resolut donc d’entreprendre la guerison de ce malade, & dans ce dessein il tâcha de s’insinuer peu à peu dans son amitié par des entretiens agréables & utiles ; en quoy il reüssit si bien, qu’il le ravit autant par ses discours, qu’il avoit déjà édifié par ses exemples. M.Beyvier experimenta bien-tost leur efficace, & passant du respect qu’il avoit eu au commencement pour la personne de son hoste, à la docilité & à la confiance, il écouta ses remontrances, il se rendit à ses raisons, & par sa direction il fit en peu de temps de merveilleux progrès au chemin de la perfection. Une conversion si extraordinaire causa bien du deplaisir aux anciens compagnons de ses débauches : mais les gens de bien l’admirerent, & les Saints s’en rejoüirent. Ont vit avec etonnement un jeune-homme de violent qu’il estoit, devenu modeste ; de debauché devot ; de scandaleux, exemplaire. Il renonça aux amitiez criminelles qu’il avoit contractées durant ses déreglemens.il fit des restitutions considérables pour les dommages qu’il avoit causez à diverses personnes pendant ses excés, & il ceda mesme quelques fonds qu’il croyoit détenir injustement aux légitimes proprietaires. M. Vincent ayant conduit son cher fils spirituel par les premiers degrez de la justice chrétienne, le fit ensuite aspirer à une plus haute perfection. Il le porta principalement à aimer la misericorde & la continence ; & pour l’accoûtumer insensible- 64 LA VIE DU VENERABLE VINCENT ment à les pratiquez, il l’engagea d’un costé à visiter les pauvres en sa compagnie, & de l’autre il luy persuada de n’admettre point de femmes chez luy pour le servir. Cet humble Disciple accomplit fort exactement le reste de sa vie tous les conseils salutaires de son charitable Maistre & Directeur, & s’avança tellement en la vertu sous sa conduite, qu’il perséverera constamment jusqu’à la mort dans l’observances des loix du celibat, & dans l’exercice des œuvres de la charité. Comme il avoit vécu dans la privation des plaisirs sensuels, il mourut aussi dans le denüement des biens temporels. La patience couronna sa charité, & les douleurs qui précederent sa mort, furent un creuset à cette ame fidéle pour la purger des moindres taches, & pour la rendre digne des biens éternels. M. Beyvier ayant esté ainsi engendré à Dieu par le zele de M. Vincent, il luy servit depuis d’instrument pour attirer à JESUS-CHRIST & à l’Eglise Catholique, la famille de son beau-frere nommé M. Jacques Garron. Elle estoit composée de trois garçons & d’une fille, tous deja grands & elevez dans les erreurs du Calvinisme aussi-bien que leur pere. Pour venir mieux à bout de cette œuvre difficile, notre charitable Missionnaire conseilla à M. Beyvier de recevoir quelques-uns de ses neveux en sa maison pour demeurer avec luy ; & les ayant aisément obtenus par son entremise, il s’employa ensuite avec tant de vigueur à leur conversion, qu’il eut enfin la consolation pendant son sejour à Chastillon, de les recevoir tous à la profession solemnelle de la Foy Catholique, nonobstant les grandes oppositions de leur pere & des autres hérétiques. Laisné de cette famille, qui estoit âgé de 25 ans quand il fut converti, se fit Capucin un an après, & ayant utilement travaillé en divers DE PAUL, LIV. I. CHAP. X 65 lieux à la reduction des Heretiques, il finit santement ses jours au Couvent de Bourg-en-Bresse. La fille suivit bien-tost l’exemple de son frere aisné, tant en sa conversion à l’Eglise Catholique, qu’en sa profession de la vie Religieuse. Elle entra au Monastere des Ursulines à Lyon, & y mourut quelques années après en la charge de Maistresse des Novices. Les deux freres qui restoient ayant esté aussi instruits par M. Vincent, firent ensemble l’abjuration de leurs erreurs entre ses mains en présence d’une grande multitude de peuple. L’un de ces deux freres mourut six mois après sa conversion, lors-qu’il estoit sur le point d’estre reçeu en la Congregation de l’Oratoire ; & l’autre qui est demeuré seul de toute la famille dans le siecle, a bien fait voir par sa grande charité envers les pauvres, & par sa bonne conduite dans l’état du mariage, qu’il n’avoit pas moins profité des saintes instructions de son Pere Spirituel, que ses freres & sa sœur. Il est encore maintenant en vie, & c’est principalement de luy qu’on a appris la plupart des choses contenuës en ce Chapitre. Nous ne dirons rien des Charges que sa pieté & sa prudence luy ont acquises dans le monde, non plus de l’eminente vertu où les avis & la conduite de son Directeur l’ont fait atteindre devant Dieu, de peur que nous n’offenssions sa modestie en découvrant aux hommes ce que son humilité tâche de leur cacher. Nous rapporterons seulement une lettre qu’il écrivit à ce charitable Pere de son ame l’an 1656, au sujet de son fils unique, où l’on peut voir quelque échantillon de ses vertueuses dispositions. Voicy, luy dit-il , un de vos enfant en JESUS- « CHRIST qui a recours à vostre bonté paternelle « dont il a ressenty autrefois les effets, lors-que l’en- « 66 LA VIE DU VENERABLE VINCENT « fantant à l’Eglise par l’absolution de l’heresie que « vostre charité luy donna publiquement en l’Egli« se de Chastillon les-Dombes l’année 1617, vous « luy enseignâtes les premiers principes & les plus « belles maximes de la Religion Catholique, Aposto« lique & Romaine, en laquelle par la misericorde « de Dieu j’ay persévéré & espère de coninüer le « reste de ma vie. Je suis ce petit Jean Garron neveu « du Sieur Beyvier de Chastillon qui demeurois en « sa maison avec vous pendant que vous fistes sejourt « à Chastillon. Je vous supplie de me donner le se« cours qui m’est necessaire pour m’empescher de « rien faire contre les desseins de Dieu.. J’ay un fils « unique qui après avoir achevé ses classes, à formé « le dessein de se faire Jesuite. C’est le fils le plus avan« tagé des biens de fortune qui soit en toute cette « Province. Que dois-je faire ? mon doute procéde « de deux choses &c. Il deduit ensuite les raisons pour « & contre ce dessein ; puis il conclud ainsi : Je crains « de faillir, & j’ay crû que vous me feriez la grace « de me donner vos avis là-dessus, comme je vous « en supplie tres-humblement. Vous agréerez que « je vous dise que l’Association de la Charité des « Servantes des pauvres est toujours en vigueur dans « Chastillon, &c. Par cette lettre le Lecteur pourra remarquer d’un costé dans ce digne fils spirituel de M. Vincent, un detachement heroïque d’une personne qui touchait de si prés, & de l’autre une grace singulierte dans le mesme M. Vincent pour conduire les ames à la pratique des vertus les plus solides & les plus Chretiennes.Mais il verra des effets remarquables de cette mesme grace en plusieurs autres personnes dont voicy quelques exemples. L’un est arrivé en la personne d’un illustre Sei- DE PAUL, LIV. I. CHAP.X 67 gneur nommé Baltazar de Rogemont Baron de Chandé, lequel s’estoit retiré de Savoye en France, lors-que Henry le Grand unit la Bresse à son Royaume. Comme ce Seigneur avoit passé la plus grande partie de sa vie à la Cour, il retenait aussi toutes les maximes des Courtisans, &particulierement celles qui concernent le point d’honneur. L’usage des Duels luy estoit si ordinaire, qu’il s’estoit acquis la reputation du plus grand Duelliste de son temps. Neanmoins ayant oüy parler des choses admirables que M. Vincent avoit faites à Chastillon, il se resolut de le voir. Les entretiens familiers qu’ils eurent ensemble le toucherent beaucoup ; & les prédications de notre zelé Missionnaire achevèrent ce que ses conversations avoient ébauché. L’assiduité avec laquelle ce Seigneur les venoit entendre, donna lieu à l’operation de la grace dans son cœur. Il conceut de l’horreur pour son état present, & du dégoust pour ses anciennes vanitez. Il fit une confession générale à M. Vincent avec toutes les dispositions qu’on sçauroit désirer d’une ame vraiment penitente ; & sa conversion fut suivie d’une vie aussi Chrétienne, que celle qui l’avoit précédée avoit esté mondaine. Il vendit sa terre de Rogemont plus de trente mille écus, qu’il employa partie à fonder des Monasteres, partie à faire des aumônes, & le reste à` diverses œuvres de piété. L’Oraison estoit l’entretien ordinaire de son ame, & il passoit tous les jours trois ou quatre heures en meditation, la teste nuë & à genoux sans s’appuyer. Il s’appliquoit particulierement à considérer les Mysteres de la Passion de JESUS-CHRIST ; & sa devotion l’ayant porté à vouloir savoir combien le Fils de Dieu avoit receu de coups en sa flagellation, il donna 68 LA VIE DU VENERABLE VINCENT Autant d’écus à la Maison de l’Oratoire de Lyon. Il n’y avoit point de malade en ses terres qu’il ne visitoit et ne servist luy-mesme, & quand il estoit obligé de faire quelque voyage, ce qui arrivait assez rarement, il les faisoit visiter & servir par ses domestiques. On eust pris le Chasteau de Chandé pour un hospice de Religieux ou pour un Hôpital de pauvres. Il entretenait des Ecclesiastiques pour instruire ceux en qui l’ignorance se trouvoit jointe avec la pauvreté, & la misere de l’ame avec la misere du corps. Mais quoy qu’il fist un tel usage de ses biens, il estoit néanmoins si ennuyé de les posseder qu’il dit un jour en pleurant au R. Pere des Moulins de la Congregation de l’Oratoire, lequel « a rendu un fidele témoignage de tout cecy : Ah « mon Pere ! que ne me laisse-t-on faire, & pourquoi « faut-il que je sois toûjours traité de Seigneur, & « vous assure, mon Pere, que devant qu’il fust un mois « le Seigneur de Rogemont ne possederoit pas un « poulce de terre ; car je m’étonnecomment un Chré« tien voyant le Fils de Dieu si pauvre sur la terre, « peut rien garder en propre. Les Grands du monde peuvent apprendre de ce Seigneur, quel usage ils doivent faire de leurs richesses, & avec quel degagement de cœur ils les doivent posséder. Il leur a enseigné par son exemple le commandement que S. Paul fait aux riches, d’user de leurs moyens comme s’ils n’en usoient point, & d’en user comme des biens qui n’ont que l’apparence, & qui passent incontinent. M. Vincent proposa un jour cet exemple à sa Communauté pour l’exorter au détachement de toutes les choses de la terre ; mais d’autant que son discours contient des particularitez dignes de remarque DE PAUL, LIV.I. CHAP. X. 69 nous rapporterons icy un extrait du recueil qu’on en fit alors. J’ay connû dit-il, un Gentil-homme de Bresse « nommé M. de Rogemont quoi avoit esté un grand « Dueliste ; mais Dieu le toucha si efficacement, qu’il « rentra en luy-mesme ; & reconnaissant l’état mal « heureux où il estoit, il resolut de changer entiere- « ment de vie. Depuis son changement il demeura « quelque-temps en sa façon commençante, & il « alla depuis si avant en son progrès, qu’il demanda « permission à M. l’Archevesque de Lyon de tenir « le Saint Sacrement en sa Chapelle pour y honorer « Nostre-Seigneur, & pour mieux entretenir sa pie- « té. Comme je l’allay voir un jour en sa maison il « me raconta les pratiques de sa devotion, & entre « les autres celle de son détachement des créatures : « Je suis assuré, me disait-il, que si je ne tiens à rien « du monde je me porteray tout à Dieu ; & pour ce- « la je regarde si c’est l’amitié d’un tel Seigneur, d’un « tel parent & d’un tel voisin qui m’enpesche d’al- « ler ; ou si ce n’est point l’amour de moy-mesme qui « m’arreste ; si ce sont les biens ou les honneurs, mes « passions ou mes aises qui me tiennent attaché ; & « quand je m’aperçois que quelque chose me de- « tourne de mon Souverain bien, je prie, je coupe, « je brise tout pour me faire quitte de cet obstacle ; ce « sont-là mes exercices. « Il me dit une chose entre les autres qui m’edifia « extrêmement sur l’heure, & qui depuis m’est-sou- « vent revenuë en l’esprit : c’est qu’allant un jour en « voyage, & s’occupant de Dieu le long du chemin « a son ordinaire, il s’examina si depuis qu’il avoit « renoncé à tout, il ne luy estoit point resté d’attache, « ou s’il ne luy en estoit point survenu. Il parcourut « les affaires, les alliances, la reputation, les grands « menus amusemens du cœur humain, il tour- « 70 A VIE DU VENERABLE VINCENT « ne, il retourne ; enfin il jette les yeux sur son épée : « Pourqoy la portes-tu ? se dit-il à luy-mesme, « Quoy ? quitter cette chere épée qui t’a servy en « tant d’occasions, & qu’après Dieu t’a tiré de mil« le & mille dangers ? Si on t’attaquoit encore tu se« rois perdu sans elle ;mais aussi il peut arriver quel« que riotte où tu n’auras pas la force de te contenir, « & tu offenseras Dieu derechef avec ton épée. Que « feray-je donc, mon Dieu ! que feray-je ? Un tel in« strument de ma honte & de mon péché est-il enco« re capable de me tenir au cœur ? Je ne trouve que « cette épée seule qui m’embarasse. O que je ne se« ray plus si lache que de la porter ! Et en ce moment « se trouvant vis à vis d’une grosse pierre, il descend « de son cheval, prend cette épée, & la rompt & met « en pièces sur cette pierre, & puis remonte à che« val & s’en va. Il me dit qu’en cette occasion sa « victoire n’avoit pas esté sans combat, & qu’il luy « avoit fallu surmonter l’iclination que son cœur « avoit pour cette épée avant que de la rompre ; mais « aussi que l’acte de détachement qu’il fit en brisant « cette chaîsne de fer qui le tenait captif, luy donna « une liberté si grande, que jamais plus il n’avoit eu « d’affection à chose perissable, & qu’il ne tenoit « qu’à Dieu seul. Ah Messieurs, dit M.Vincent en « concluant cette histoire, quel progrès ne ferions« nous point dans la vertu, si comme ce bon Sei« gneur nous surmontions entièrement nos inclina« tions par quelque acte heroïque ? Ah que nous « nous unirions bien-tost à Dieu si nous estions déta« chez du monde, & si notre cœur ne tenoit plus « aux créatures. Dieu voulut enfin récompenser les saintes oeuvres de ce vertueux Seigneur, mais il le prépara auparavant à la gloirte par une maladie fort longue & fort fâcheuse.L’excés des douleurs ne luy fit DE PAUL, LIV.I. CHAP. X . 71 jamais lascher une parole de plainte, ny montrer un signe d’impatience ; & après avoir vécu comme un parfait Chrétien, il désira mourir comme un humble Religieux. Il avoit fondé durant sa vie plusieurs Couvents de Capucins, & il obtint à sa mort du R. P. Provincial de leur Ordre un habit de Capucin. Ce fut à Lyon qu’arriva cette mort qu’on peut vraiment appeler precieuse devant Dieu. Après avoir rapporté la conversion de quelques hommes, il ne sera pas hors de propos d’ajoûter le changement de quelques femmes, puisque l’esprit de direction que M. Vincent avoit receu de Dieu, n’eclatte pas moins admirablement dans la vie qu’elles ont mené depuis, que dans la vie des hommes, dont nous venons de parler. Il y avoit pour lors dans Chastillon deux demoiselles des plus qualifiées de la Ville, & mesme de la Province. L’une estoit Françoise Bacher de Mayserait femme de M. Gonar Seigneur de la Chassaigne, & l’autre Charlotte de Brie femme de M. de Caiot Seigneur de Brunand. Comme elles avoient esté élevées dans le grand monde, leurs mœurs estoient aussi toutes mondaines. Le luxe de leurs habits excedoit les bornes d’une juste moderation, & leurs occupations plus ordinaires estoient les danses, les jeux, & les festins. Dés la premiere prédication que notre bon Pasteur fit dans Chastillon, ces Demoiselles conceurent une haute idée de son merite ; & sachant qu’il estoit logé chez M. Beyvier, dontr nous avons parlé, elles se résolurent de luy rendre visite. La Divine Providence qui les luy adressoit afin de les retirer de leurs vanitez par son ministere, accompagna son discours de tant d’onction & de tant d’efficace, qu’elles prirent dés l’heure-mesme une généreuse resolution de renon- 72 LA VIE DU VENERABLE VINCENT cer aux amusemens du monde & à ses folles maximes, pour se conscrer sans reserve au service de JESUS-CHRIST & de ses paures membres. Elles Commencerent donc à exécuter leur sainte resolution, s’adonnant aux exercices de pieté, & au soulageent des misérables ; à quoy elles s’appliquerent avec tant de ferveur, qu’elles meriterent d’estre les premieres pierres vivantes de la Confrerie de la Charité, qui fut quelque-temps après instituée à Chastillon, & qui a depuis servy de modèle à` toutes les autres qu’on a érigées en divers lieux de France & mesme des Etats étrangers. Et puisque nous sommes tombez sur cette Confrerie en laquelle ces vertueuses Demoiselles ont particulièrement signalé leur zele, nous dirons icy quelque chose de son origine & des premiers fruits. M. Vincent estant un jour prest à monter en Chaire, Mademoiselle de la Chassaigne le pria de recommander aux charitez de la parroisse, une famille fort affligée de pauvreté & de maladie aux environs de Chastillon. Il prit de là occasion de parler en son Sermon de l’assistance qu’on devoit rendre aux pauvres, & particulièrement aux malades, tels qu’estoient ceux qu’il recommandoit. Ses paroles émurent la compassion d’un grand nombre de personnes, & on les vit au sortir de sa prédication s’en aller en la maison de ces pauvres malades ; les uns portoient du pain, les autres du vin, d’autres de la viande & de semblables provisions. Après Vespres M. Vincent s’y achemina aussi avec quelques-uns des habitans, sans savoir qu’il eust esté devancé par tant d’autres personnes ; & il fut fort étonné quand il les rencontra par troupes dans le chemin, qui retournoient de leut visite. Estant entré dans la chaumine de cette pauvre famille, & voyant leut table chargée de quantité de DE PAUL ? LIV . I . CHAP. X. 73 vivres qu’on leur avoit apportez, il dit aux Demoiselles de la Chassaigne & de Brie, & à quelques autres : Voilà une grande charité que l’on vient d’e- « exercer, mais elle n’est pas bien reglée. Ces pau- « vres malades ont trop de provisions tout à la fois ; « une partie sera gastée et perduë, & puis ils retom- « beront en leur premiere necessité. « Ces vertueuses Demoiselles emuës de l’objet qu’elles avoient devant les yeux, & des paroles qu’elles venoient d’entendre de M. Vincent, luy demanderent comment on pourroit faire pour secourir non seulement les pauvres malades qui estoient presens,mais aussi ceux qu’on trouveroit à l’avenir. L’humble Serviteur de Dieu qui ne se determinoit jamais sur le champ dans les affaires d’importance, se contenta de leur dire qu’il y penseroit devant Dieu, & que le Dimanche suivant il leur rendroit réponse ; qu’en attendant elles recommandassent le dessein à Nostre Seigneur. Le jour designé estant venu, il confera avec elles touchant l’ordre qu’on devoit garder en assistant les pauvres ; & ayant oüy leurs avis & louë leur zele, il leur proposa quelques points dont l’execution luy paroissoit necessaire pour le sucez de cette pieuse entreprise. Elles receurent avec une parfaite soûmission d’esprit tout ce qu’il leur dit, & le prierent de leur dresser de sa main un ordre binen ample de tout ce qu’elles auroient à faire pour le service des pauvres malades, afin de s’en mieux souvenir. Il` satisfit pleinement à leur desir ; & ayant reconnu par les fruits qui réussirent bien-tost de l’observance de ce Reglement, qu’on en pouvoit encore espérer de plus grands à l’avenir, s’il estoit confirmé par l’authorité des Superieurs ; il le presenta à M. de Marquemont Archevesque de Lyon, lequel l’approuva le 24 Novembre 1617, avec cette clause ex- DE PAUL, LIV. I. CHAP. X. 74 presse : Que le Sieur Vincent de Paul y pourroit ajouter & diminuër tout ce que bon luy sembleroit. Avec cette approbation M. Vincent n’avoit encore fait qu’un simple essay de cette Confrerie : mais quand il la vit autorisée par la puissance legitime, il crût que c’estoit tout de bon qu’il falloit mettre la main à l’œuvre. Il commença le jour de la Conception de Nostre-Dame, & par une heureuse rencontre il enfanta, pour ainsi dire, à l’Eglise, la Confrerie de la Charité qu’il avoit conceuë auparavant dans son sein. Une quinzaine de Dames furent pour lors enrôlées au catalogue des Servantes des pauvres dans la Chapelle de l’Hôpital & quatre jours après quelques autres suivirent l’exemple des premieres. A chaque reception des Dames M. Vincvent leur fit un discours tout embrasé touchant l’excellence de leur employ, & l’exactitude à leurs Reglemens ; & il leur répéta plusieurs fois avec une ferveur extraordinaire ; Que si elles s’acquittoient fidèlement de leur Devoir, les pauvres leur manqueroient plustost que le fonds necessaire pour les assister. L’experience a verifié ce qu’il dit pour lors ; car encore que cette Confrerie ait fort peu de revenu assuré, elle n’a pas neanmopins laissé de faire de grosses dépenses pour secourir les personnes nécessiteuses dans leurs besoins. Les saintes instructions que ces vertueuses Dames receurent de leur sage Directeur, furent une semence qui produisit depuis des fruits abondans en plusieurs occasions. Peu de temps après le retour de M. Vincent à Paris, Chastillon fut visité de Dieu par une famine extraordinaire. Les pauvres estoient en grand danger de manquer de vivres & de mouirirt de faim, après avoir langui en des mi- DE PAUL, LIV. I . CHAP. X. 75 seres extrêmes. Mais si Dieu envoyoit le mal, il avoit auparavant préparé les remèdes, & nos charitables Servantes des pauvres les appliquerent. Estant donc assistées de M. Beyvier elles louèrent un grenier commun, où elles mirent une partie de leur propre bled, & d’autre encore qu’elles amasserent dans une queste générale qu’elles firent chez les personnes les mieux accommodées de la ville & des environs. Ensuite, elles distribuèrent elles-mesmes aux pauvres, sans se rebuter du travail, n y se plaindre de la dépense. La peste suivit la famine & fit grand ravage dans Chastillon ; l’abandon des pestiferez estoit d’autant plus grand, que le remede à leurs maux estoit plus difficile à appliquer. La crainte de gagner la peste eust esté capable d’étonner les hommes les plus courageux ; mais le sexe le plus faible & le plus craintif devient fort & assuré, quand il est animé de la charité de JESUS-CHRIST. Ces mesmes Dames entreprennent de pourvoir aux besoins des malades & des pauvres, & taschent d’apporter quelque ordre parmy le trouble de l’affliction publique. Pour cét effet elles se logerent en des cabanes auprès de la ville, d’où elles faisoient porter des remedes & des vivres aux pestififerez. On regardoit avec admiration en des chaumines ces charitables Dames, exposées aux incommoditez du lieu & la corruptioon de l’air, quoy-quellesd eussent pû joüiir des commoditez de leurs maisons de campagne, & fuïr le mauvais air de la ville de Chastillon. Il est croyable qu’un exemple de si grande charité fléchit enfin le cœur de Dieu & apaisa sa justice ; la violence du mal diminüa, l’air corrompu fut purifié, & tout le peuple rendy avec Joye ses vœux à Dieu pour son heureuse délivrance. 76 LA VIE DU VENERABLE VINCENT Nous avons veu comme M. Vincent a rétably la discipline Ecclesiastique parmy le Clergé, & la pieté Chretiernne parmy le peuple de Chastillon ; il reste à dire un mot de ce qu’il a fait pour le rétablissement du Temple materiel, qui estoit en fort mauvais estat ; il exhorta premierement le peuple à se comporter dans l’Eglise avec devotion, modestie & bien-seance, & il fit tant d’impression sur les esprits par la ferveur de ses remontrances, que dans une assemblée des Ecclesistiques & des syndics, qui fut tenuë exprés, on abolit divers abus qui avoient esté introduits contre le respect deu à la sainteté de ce lieui. Ensuite il porta les habitans à fournir leur Eglise d’ornemens convenables pour le service Divin ; &é joignant l’action à la parole il acheta luy-mesme un dais à ses dépens, afin qu’on portast le S. Sacrement aux malades avec plus de décence. Il accoutuma aussi les séculiers à accompagner Nostre-Seigneur chez les malades avec des flambeaux, ce qu’ils ont toujours observé depuis. M. Beyvier entre les autres a fait faire quantité de reparations, & a donné plusieurs ornemens à l’Eglise de Chastillon ; & un autre enfant spirituel de M. Vincent, poussé du zele de la Maison de Dieu, a contibuë d’une somme considerable à la fondation d’un Chapitre, laquelle à esté faite depuis plusieurs années en cette méme Eglise, pour y augmenter la splendeur du culte Divin. De sorte que l’Eglise Parroissiale de Chastillon est maintenant une des plus belles & des plus propres de toute le Province. Plusieurs Chapitres entiers ne suffiroient pas si On vouloit rapporter en détail toutes les saintes oeuvres que M. Vincent a faites dans la Bresse. Nous ne dirons rien icy des fréquentes mortifiecations, qui luy estoient ordinaires dés ce temps-là ; DE PAUL, LIV.I. CHAP..XI. 77 ny de l’Oraison mentale qu’il faisoit tous les jours ; ny des prieres communes du matin & du soir qu’il avoit établies parmy ses Parroissiens, & auquelles il excitoit un chacun par sa presence dans la maison de son hoste ; ny enfin de plusieurs autres exercices de pieté, par lesquels il attiroit les benedictions du Ciel sur son peuplke ; & nous renvoyons Le Lecteur au second Livre, où il est traité expressément de ses vertus, afin de finir ce Chapitrte qui n’est désja que trop long. Il y a plusieurs personnes vivantes qui ont vû faire les biens que nous avons rapportez, & la pluspart de ces mesmes biens qui continuént encorte, font paroistre aussi-bien par leur durée que leur utilité, qu’ils ont Dieu pour principal Auteur, & que M. Vincent n’a servy que d’instrument à la grace pour les produire. _________________________________________ CHAPITRE XI. Diverses œuvres de pieté auxquelles il s’adonna depuis son retour en la Maison de Gondy. LA vraye Charité n’est jamais oisive, & depuis qu’elle possède parfaitement un cœur, elle l’excite continuellement à faire tout ce qu’il peut pour la gloire de Dieu, & pour le salut des ames. Comme M. Vincent estoit animé de cette vertu, il en produisoit des œuvres dans tous les lieux où il se rencontroit ; & dés qu’il fut de retour en la maison de Gondy, il commença tout de nouveau à travailler à la campagne, comme il avoit fait à Chastillon & en tous les autres lieux où il s’estoit rencontré. Outre les Missions donty il a esté parlé dans un des Chapitres précédents, il en en- 78 LA VIE DU VENERABLE VINCENT reprit beaucoup d’autres dans tous les villages qui dependoient de la Maison de Gondy, & il fit des fruits incroyables. Madame la générale ne contribuoit pas peu de son costé au succez de` ces Missions, par les aumônes qu’elle distribuoit aux pauvres, & par les visites qu’elle rendoit aux malades, par les accommodemens & les reconciliations qu’elle procuroit entre ceux qui estoient en procès ou en discorde, & par l’appuy qu’elle donnait à M. Vincent & à ceux qui trvailloient avec luy, pour extirper les abus, retrancher les scandales, & avancer le Royazume de JESUS-CHRIST. Après plusieurs Missions, M. Vincent accompagna Madame la Generale à Monjt Mirail, & il s’y appliqua à son ordinaire à instruire les pauvres, à catéchiser les enfant, à visiter les malades, & à entendre les confessions. Ayant parlé au peuple dans une de ses exhortations de la devotion que tous les chrétiens doivent avoir envers la Mere de Dieu, il in,traduisit la pieuse coûtume de faire chanter aux enfant tous les samedis un salut en l’honneur de cette tre-sainte Vierge ; ce qui a toujours esté continué depuis.Les Habitans conceurent dés-lors une tres-haute estime de son merite ; & queluqes-uns d’entre eux qui` l’ont survécu, ont rendu temoignane après sa mort, qu’ils l’avoient toûjopurs respecté comme un saint. Pendant que madame la Generale señorita à Montmirail environ l’an 1620, elle apprit qu’il y avoit en ces quartiers-là trois hérétiques ; & estan,t poussée de son zele ordinaire,elle les fit venir en son Chasteau, & convia M. Vincent à entreprenddre leur conversion. Il embrassa tres-volontiers cette œuvre de charité, & employa chaque jourt deux heures entieres à les instruire & a resoudre DE PAU, LIV. I . CHAP. XI 79 leurs difficultez ; ce qu’ayanht fait durant une semaine, Dieu ouvrit les yeux de l’ame à deux de ces hérétiques, pour connoistre la verité, & il toucha leurs cœurs pour l’embrasser. Mais le troisiéme qui se mettoit de dogmatiser, & qui méme ne menait pas une trop bonne vie, ne fut pas persuadé quoy qu’il fust convaincu. Il cherchoit des subterfuges & forgeoit tous les jours de nouveaux doutes qui l’empeschoient d’acquiescer à la` verité. Sur quoy M. Vincent a rapporté depuis en quelques rencontres que cét hérétique estant presque entièrement disposé à faire l’abjuration de ses erreurs , luy fit l’objection suivante. Monsieur, vous m’avez dit que l’Eglise Romai- « ne est conduite du S. Esprit, mais c’est ce que je ne « puis croire ; parce que d’un costé l’on voit des Ca- « tholiques de la campagne abandonnez à des Pas- « teurs vicieux & ignorans, sans estre instruits de « leurs devoirs & mesme sans savoir pour la plu- « part ce que c’est que la Religion Chretienne ; & « d’un autre l’on voit les villes pleines de Prestres & « de Moines, & peut-estre que dans Paris l’on en « trouveroit dix mille qui ne font rien & qui laissent « cependant les pauvres gens des champs dans cette « ignorance épouvantable, par laquelle ils se per- « dent. Et vous voudriez me persuader que cela soit « conduit du S. Esprit ? Je ne le croiray jamais. « M. Vincent fut fort touché de l’objection de cét Hérétique, & elle fit en son esprit une nouvelle Impression du grand besoin spirituel des peuples de La campagne, & de l’obligation de les assister, qu’il Connoissoit desja assez par sa propre experience. Néanmoins dissimulant le sentiment que cette objection avoit fait naistre dans son ame, il repartit a cét homme : Qu’il estoit mal informé de ce dont « il parloit ; qu’il y avoit de bons Curez & de bons « 80 LA VIE DU VENERABLE VINCENT « Vicaires en beaucoup de Parroisses, qu’entre les « Ecclesiastiques & les religieux qui abondent dans « les villes ,il y en avoit plusieurs qui alloient cate« chiser & prescher à la campagne ; que d’autres « estoient appliquez à prier Dieu, & à chanter ses « loüanges de jour & de nuit ; que d’autres servoient « utilement le public en composant des Livres, en « enseignant les sciences, & en administrant les Sa« cremens : Que s’il y en avoit quelques uns qui fu« sent inutiles & qui ne s’acquitassent pas de leur « obligations comme ils devoient, c’estoient des hom« mes particuliers sujets à faillir, & qui ne faisoient « pas l’Eglise. Que lors qu’on dit que l’Eglise est con« duite du S. Esprit, cela s’entend en général, lors« qu’elle est assemblée dans les Conciles ; & encore « en particulier, quand les Fidèles suivent les lumie« res de la Foy, & les Regles de la justice Chretien« ne.mais que pour ceux qui s’en éloignent, ils re« sistent au S. Esprit ; & bien qu’ils soient membres « de l’Eglise, ils sont pourtant de ceux qui vivent « selon la chair, comme parle S. Paul, & qui mour« ront. Quoy que cét hérétique eust dû estre satisfait de cette reponse, néanmoins il demeura pour lors obstiné dans son erreur, tant il s’estoit fortement mis en l’esprit que l’ignorance des peuples` & le peu de zele des Prestres estoient un argument infaillible que l’Eglise Romaine n’estoit point conduite du S. Esprit. L’année suivante M. Vincent retournant à Monmirail y mena avec luy M. du Chesne Docteur de La faculté de Paris & Archidiacre de Beauvais, M. Feron Docteur de la méme Faculté & Archidiacre de Chartres, & quelques Prestres & Religieux de ses amis pour travailler avec eux aux Missions tant en ce lieu –là qu’aux villages voisins. Comme tout le Païs fut imbu des biens que fai- DE PAUL. LIV. I. CHAP..XI. 81 soient ces Missions, l’heretique dont nous venons de parler, eut la curiosité de voir les divers exercices qu’on y pratiquoit ; il assista aux Predications & aux Catechismes ; il vit avec quel soin on apprenoit aux ignorans les verites necessaires au salut, & avec quelle charité on s’accommodoit aux esprits les plus grossiers & les plus stupides pour leur faire bien entendre ce qu’ils devoient croire & pratiquer. Il admira l’efficace merveilleuse de ces instructions par lesquelles les plus grands pecheurs estoient portez à se convertir & à faire penitence, Toutes ces choses firent une si forte impression sur son esprit, & la grace toucha si vivement son cœur, qu’il resolut de quitter son hérésie & d’embrasser la Foy Catholique. Il vint trouver M. Vincent, & Luy dit : C’est maintenant que je voy que le S. Es- « prit conduit l’Eglise Romaine, puisqu’on y prend « soin de l’instruction & du salut des pauvres villa- « geois ; & je suis prest d’y entrer quand il vous plai- « ra de m’y recevoir. M. Vincent qui ne pensait « plus à luy depuis lon-temps, fut fort consolé de le voir dans cette disposition ; il luy demanda s’il n’avoit plus aucune difficulté : Non, Monsieur, « Répondit-il, je croy tout ce que vous m’avez dit, « & suis disposé à renoncer publiquement à toutes « mes erreurs. M. Vincent luy ayant fait encore « quelques interrogations sur les veritez Catholiques, pour voir s’il s’en souvenoit bien, demeura pleinement satisfait de ses reponses, & luy dit de se trouver le Dimanche suivant en l’Eglise de Marchais, pour y faire abjuration & recevoir l’absolution de son hérésie. On faisoit alors la Mission en ce village qui est auprès de Monmirail, & l’heretique ne manqua pas de s’y trouver au jour qui luy avoit esté marqué. M.Vincent avertit ses Auditeurs à la fin de sa Predication de la venuë de cét 82 LA VIE DU VENERABLE VINCENT homme, & du sujet qui l’amenoit ; puis se tournant vers luy & l’appellant par son nom, il luy demanda devant toute l’assistance s’il persévéroit dans la volonté d’abjurer son hérésie & d’embras« ser la Foy Catholique. Cét homme répondit qu’il « y persévéroit, mais qu’il luy restoit encore une dif« ficulté qui venoit de se former en son esprit en re« gardant une Image de pierre qui representoit la « Sainte Vierge ; c’est dit-il, en montrant cette ima« ge qui estoit assez mal façonnée, que je ne scau« rois croire qu’il y ait quelque puissance en cette « pierre. A quoy M ; Vincent repartit : Que l’Eglis« se n’enseignoit point qu’il ,y eust aucune vertu dans « ces images matérielles, si ce n’est quand il plaist « à Dieu de la leur communiquer, comme il le peut « faire, & comme il l’a fait autrefois à la verge de « Moïse, laquelle faisoit tant de miracles. Il ajouta « que les enfant mesmes luy pourraient expliquer les « sentimens qu’avoit l’Eglise touchant les Images. Sur quoy s’estant adressé à un des mieux instruits, & lui ayant demandé ce que nous devions croire touchant les Saintes Images ; l’enfant répondit « qu’il estoit bon d’en avoir & de leur rendre l’hon« neur qui leur est dû, non pas à cause de la matiere « dont elles sont faites, mais parce qu’elles nous re« présentent Nostre-Seigneur JESUS-CHRIST, « & sa glorieuse Mere, & les autres Saints de paradis, « lesquels ayant triomphé du monde, nous exhor« tent par ces figures muettes à les suivre en leurs « bonnes œuvres. M. Vincent ayant trouvé la reponse de l’enfant bien faite, la répéta & fit avouer à l’heretique qu’il n’avoit pazs eu raison de s’arreter à cette difficulté, après avoir esté instruit & informé sur cét article de la Créance Catholique, aussi-bien que sur les autres. C’est pourquoi ne le jugeant pas DE PAUL. LIV. I . CHAP. XI. 83 Encore assez bien disposé pour faire son abjuration, il le remit à un autre jour, auquel il se presentat derechef, & renonçant à son hérésie, il fit publique ment profession de la Foy Catholique, & y persevera constamment depuis à l édification de tout Le païs. Ce qui se passa en la conversion de cét hérétique, & particulièrement le motif qui l’excita à renoncer à son hérésie & embrasser la Foy catholique, donna sujet à M. Vincent qui en faisoiit un jour le recit à ceux de sa Congregation de s’écrier : O quel bon-heur à nous Missionnaires de vérifier la conduite du Saint Esprit sur son Eglise, en travaillant, comme nous faisons, à l’instruction, & à la sanctification des Pauvres de la Campagne. _______________________________________ CHAPITRE XII. Il est fait Aumônier Royal des galeres, & il s’employe en divers lieux au secours des Galeriens. Monsieur le général des galeres voyant avec quels fruits M. Vincent travailloit au salut des peuples de la campagne, voulut que les Forçats fussent aussi participans des effets de sa charité. Dans ce dessein il demanda pour luy au feu Roy Louïs XIII, de tres glorieuse memoire, la charge d’ Aumônier Royal des Galeres ; ce que sa Majesté luy accorda & luy fit expédier Le Brevet à la recommandation de ce charitable Seigneur. Le grand desir que M. Vincent avoit d’assister ces criminels abandonnez, & de procurer qu’ils fussent du nombre des pecheurs penitens qui rejoüissent le Ciel, luy fit accepter vo- 84 LA VIE DU VENERABLE VINCENT lontiers cette charge, afin qu’ayant juridiction sur eux, & veuë sur les autres Aumôniers des Galeres, il pûst mieux reüssir dans une si sainte entreprise. Ce nouvel office l’obligea à faire un voyage à Marseille environ l’an 1622, pour connoistre par luy mesme les nécessitez des Forçats, afin d’y remedier & de les soulager autant qu’il pourroit dans leurs peines. Estant donc arrivé en cette Ville, il visita les Galeres, & y considéra avec étonnement l’objet le plus pitoyable qu’on puisse s’imaginer. Il vit des criminels doublement misérables, chargez du poids de leurs chaînes, & accablez du fardeau de leurs pechez ; désespérez par les tourmens de leurs corps, & insensibles aux playes mortelles de leurs ames. Ce lieu estoit une vraye image de l’Enfer, où ces miserables ne parloient de Dieu que pour le renier & le déshonorer, & où leur mauvaise disposition rendoit toutes leurs souffrances inutiles. Un spectacle si déplorable toucha puissamment le cœur de M. Vincent, & luy donna des sentimens d’une tres-grande compassion envers ces pauvres Forçats. Ils se mit en devoir de les assister, & de retirer leurs ames du mal-heureux état où elles estoient engagées : & afin de les rendre plus susceptibles des saintes impressions qu’il leur vouloit donner, il s’étudia particulièrement à les gagner par la douceur & de s’insinuer dans leur bien-veillance. Pour cét effet il écoutoit leurs plaintes avec patience, il compatissoit à leurs peines avec tendresse, il supportoit leurs insolences sans se rebuter, il les embrassoit & baisoit leurs chaisnes avec grande affection ; il usoit mesme de prieres & de remontrances envers les Comites & autres Officiers, afin qu’il les traitassent plus humainement. Enfin il se servoit de tous les moyens DE PAUL. LIV.I. CHAP. XII. 85 que sa charité luy pouvoit suggérer pour amollir les cœurs endurcis, & pour les attirer plus facilement à Dieu. Un procedé si plein d’amour & de bonté luy acquit bien-tost l’estime & l’affection de tous ces Galeriens. Ils l’honoroient comme un homme de Dieu ; & l’aimoient comme un pere tres charitable ; & ensuite, ils recevoient avec docilité les saintes instructions qu’il leur donnoit, & acceptoient de bon cœur le remede salutaire de la Penitrence qu’il leur offroit pour la guerison de leurs ames. On peut conjecturer quelque chose des merveilleux effets que produisit en eux cette aimable conduite de M. Vincent, par les paroles qu’il en écrivit depuis à un de ses Prestres, pour luy persuader d’agir avec grande douceur envers les peuples de la campagne : Les Forçats mesmes, luy dit- « il, avec lesquels j’ay demeuré, ne se gagnent que « par douceur ; & quand je les ay plaints en leurs « souffrances, que j’ay baisé leurs chaisnes, & que « j’ay témoigné de l’affliction de leurs disgraces, « c’est alors qu’ils m’ont écouté, & qu’ils se sont mis « en état de salut. « M. Vincent ayant demeuré quelques temps à Marseille fut obligé de retourner à Paris, où Dieu se vouloit servir de luy en d’autres occasions importantes pour sa gloire : Mais son éloignement ne diminua point l’ardeur de son affection envers les Galeriens ; & la compassion de leurs peines qu’il eut toujours vivement empraintes dans son esprit, luy fit concevoir de nouveaux désirs d’apporter un plus ample remede aux souffrances de leurs corps & aux nécessitez de leurs ames. C’est ce qu’il fit depuis par les Prestres de sa Congregation établie à Marseille, qui ont la direction spirituelle de 86 LA VIE DU VENERABLE VINCENT l’Hôpital des Galeriens, & qui font de temps en temps des Missions sur les Galeres. Il s’appliqua encore luy-mesme depuis son retour à Paris à secourir les criminels condamnéz aux Galeres, qu’on tient enfermez jusqu’à ce qu’ils soient en assez grand nombre pour estre conduits à Marseille. Avant que sa charité leur eust moyenné l’Hôpital où, ils sont maintenant ils demeuroient enfermez dans les cachots de la Conciergerie & des autres prisons de la Ville, où de langueur, accablez de pauvreté, mangez de vermine, & entièrement négligez pour le corps & pour l’ame. Ayant donc reconnu leurs miseres il en donna avis à M. le General, luy remontrant que ces pauvres gens luy appartenoient, & que c’estoit une œuvre digne de sa charité de faire prendre un moyen de les assister spirituellement & corporellement, & obtint de luy tout pouvoir de l’executer. A cét effet il loüa une maison au Fauxbourg S. Honoré assez prés de l’Eglise de S. Roch & la fit préparer avec tant de diligence, que dés la mesme année 1622, les Forçats y furent conduits & renfermez sous une seule garde. Après avoir ainsi heureusement accompli le dessein qu’il avoit formé pour leur retraite, il tascha aussi de pourvoir à leurs salut & à leur soulagement. Il les visitoit fort souvent, il les instruisoit, il leur administroit les Sacremens, il leur procuroit encore des aumônes, il les servoit de ses mains & afin de les consoler & assistez davantage, il se retiroit quelquefois avec eux, mesme en des temps suspects de maladies contagieuses ; l’amour qu’il leur portoit luy faisant oublier sa DE PAUL. LIV. I. CHAP.XII. 87 propre conservation, pour ne penser qu’à leurs nécessitez. Quand il ne pouvoit les assister luy- mesme à cause des affaires, il laissoit en sa place deux bons & vertueux Ecclesistiques, dont l’un estoit M. Portail son premier Compagnon, & l’autre M. Belin Chapelain de la Maison de Gondy à Villepreux, lesquels logeoient pour lors dans cét Hôpital des Forçats & y celebroient la sainte Messe. Dieu a eu si agreable cette œuvre de charité, que l’ayant commencée par le ministere de M. Vincent, il l’a fait subsister jusqu’à maintenant par les soins de sa Prividence. Les Forçats ont esté depuis transférez du Fauxc-bourg S. Honoré à la porte S. Bernard ; & nous dirons cy-après comme la mesme Providence a assigné un fonds pour leur entretien. M.le General fut fort consolé du succés de cette entreprise ; & comme l’année suivante on eut fait venir les Galeres à Bordeaux au sujet de la guerre contre les hérétiques, il consentit bien volontiers que notre charitable Aumônier fit un voyage en cette ville, pour y rendre aux Galeriens les mesmes services, qu’il leur avoit desja rendus à Marseille & à Paris. Estant arrivé à Bordeaux il invita plusieurs bons Religieux de divers Ordres à se joindre à luy pour faire Mission dans les Galeres, & les ayant trouvez fort disposez à seconder ses pieuses intentions, ils se partagerent deux en chaque Galere & y firent la Mission, en laquelle ils porterent les Galeriens à se réconcilier avec Dieu par de bonness Confessions générales,& à satisfaire pour leurs pechez à sa justice par une acceptation volontaire de leurs peines. M. Vincent gagna pour lors à Dieu & à l’Eglise’ un Turc, & l’ayant mené à Paris, il le presenta à M. le General qui receut beaucoup de contentement de sa 96 LA VIE DU VENERABLE VINCENT conversion. Il fut nommé Loüys au Baptesme, & il a toujours conservé le souvenir des obligations qu’il a à la charité de M. Vincent, publiant hautement qu’il luy est après Dieu, redevable de son salut. _______________________________________ CHAPITRE XIII. Il pourvoit aux nécessitez corporelles & spirituelles des pauvres de la ville de Mascon. COmme la charité de M. Vincent s’allumoit de plus en plus dans son cœur, Dieu se plaisoit aussi de luy fournir toujours de nouveaux sujets pour luy donner moyen de l’etendre davantage ; de quoy nous allons voir un exemple remarquable, environ l’an 1623, comme il passoit par la Ville de Mascon, il la trouva remplie d’un grand nombre de pauvres, qui estoient encore plus dénuez des biens de l’ame que de ceux du corps ; & qui pour comble de mal-heur ne se soucioient point de leur misere spirituelle & de l’etat deplorable de leur conscience, ils estoient dans une insensibilité des choses de leur salut, & ils passoient leur vie dans un libertinage & une irreligion qui donnoient de l’horreur, & qui sembloient incapables de reméde. Ces miserables ne faisoient autre chose que courir par les ruës & par les Eglises pour demander l’aumône, sans craindre de violer les commandemens de Dieu, & sans se mettre en peine d’observer les loix de l’Eglise. Ils n’entendoient presque jamais la sainte Messe ; ils sçavoient ce que c’estoit que de Se confesser & de recevoir les autres Sacremens ; ils Croupissaient dans une profonde ignorance de Dieu DE PAUL. LIV. I . CHAP XIII. 89 & des obligations du Christianisme, & ensuite ils se plongeoent en toute sorte d’ordures & de vices. M. Vincent eut une telle compassion de leur misere qu’il ne pût se resoudre à passer outre, quoyqu’en arrivant dans la Ville il n’eust aucun dessein de s’y arrêter. Il considéra tous ces pauvres abandonnez, comme autant de voyageurs qui avoient esté dépouillez & dangereusement navrez par les ennemis de leur salut ; & imitant la charité du bon Samariotain, il interrompit son voyage pour quelques jours afin de bander leurs playes, & de pourvoir tout ensemble au salut de leurs ames & au soulagement de leurs corps. En effet il vint heureusement à bout de l’un & de l’autre par le bon ordre qu’il établit ayant associé en forme de Confrerie de la Charité, des hommes pour assister les pauvres, & des femmes pour avoir soin des malades. Voicy ce que le R. Pere des Moulins, qui estoit alors Superieur de l’Oratoire de Mascon, a témoigné par écrit de cette sainte entreprise. Je n’ay appris de personne, dit-il, l’estat de ces « pauvres, je l’ay reconnu moy-mesme ; car lors de « l’Institution de cette Charité, comme il fut ordon- « né que tous les pauvres qui recevoient l’aumône « se confesseroient les premiers jours de chaque mois, « les autres confesseurs & moy trouvions des Vieil- « lards agez de soixante ans & plus qui nous « avoüoient franchement qu’ils ne s’estoient jamais « Confessez ;, & lorsq ‘on leur parloit de la tres- « Sainte Trinité, de la Nativité, de la Passion & de « la Mort de JESUS-CHRIST & des autres My- « steres, c’estoit un langage qu’ils n’entendoient « point. Or par le moyen de cette Confrerie on pour- « vût à ces désordres, & les pauvres furent en peu « de temps délivrez de leurs miseres de corps & d’es- « prit. M. l’Evesque deMascon qui estoit alors Mes- « 90 LA VIE DU VENERABLE VINCENT « sire Loüis Dinet, approuva ce dessein de M. Vin« cent ; Messieurts du Chapitre de la cathedrale, & « Chanoines nobles de quatre races, l’appuyerent « aussi ; M. Chambon Doyen de la cathedrale, & M. « de Relets Prevost de S. Pierre furent priez d’estre « les Directeurs, avec M. Fallart Lieutenant Gene« ral. Ils suivirent le Reglement que donna M. Vin« cent ; c’est à savoir, qu’on feroit un catalogue de « tous les pauvres de la Ville qui s’y voudroient ar« rester ; qu’à ceux-là on donneroit l’aumône à cer« tain s jours, & que si on les trouvoit mendier dans « les Eglises ou par les maisons, ils seroient punis de « rien donner : Que les passans seroient logez pour « une nuit, & renvoyez le lendemain avec deux sols : « Que les pauvres honteux de la Ville seraient assis« tez en leurs maladies, & pourveus d’alimens & de « remèdes convenables, comme dans les autres lieu « où la charité estoit établie. Cet ordre commença « à estre exécuté sans qu’il y eust aucuns deniers com« muns ;mais M. Vincent sçeut si bien menager les « grands & les petits, qu’un chacun contribua volon« tiers à une si bonne œuvre, les uns en argent & les « autres en bled, ou en d’autres denrées selon leur « pouvoir : de sorte que prés de trois cens pauvres « estoient logez, nourris & entretenus fort raisonna« blement. M. Vincent donna la premiere aumône « & ensuite se retira. Mais comment se retira-t-il ? Il le faut apprenddre de luy-mesme : Voicy comme il le rapporte dans une Lettre qu’il écrivit en 1635, à Mademoiselle le Gras, qui estoit allée par son avis à Beauvais pour un semblable dessein, & qui avoit be« soin d’un peu d’encouragement : Je vous avois bien « dit, luy manda-t-il, que vous trouveriez de gran- DE PAUL. LIV .I. CHAP. XIII. 91 « des difficultez en l’affaire de Beauvais. Beny soit « Dieu de ce que vous l’azvez heureusement ache« minée. Quand j’etably la Charité à Mescon, cha« cun se mocquoit de moy & me montroit au doigt « par les ruës, croyant que je n’en pourrois jamais « venir à bout : mais quand la chose fut faite, cha« cun fondoit en larmes de joye ; & les Eschevins « de la Ville me faisoient tant d’honneur, que ne le « pouvant porter je fus contraint de partir en cachet« te pour éviter cet applaudissement ; & cette Cha« rité est une des mieux établies. J’espere aussi, Ma« demoiselle, que la confusion qu’il vous a fallu souf« frir au commencement, se convertira à la fin en « consolation, & que l’œuvre sera d’autant plus af« fermie qu’elle a esté combattuë. Les RR. PP. de l’Oratoire de Mascon luy firent la grace de loger chez eux pendant trois semain es ou environ qu’il séjourna en cette Ville, & comme le jour de son depart ils entrerent de bon matin en sa chambre afin de luy dire adieu, ils s’apperceurent qu’il avoit osté le matelas de son lit, & qu’il couchoit sur la paille ; mais son humilité luy fournit aussi-tost un pretexte pour couvrir cette mortification qu’il avoit commencée quelques années auparavant, & qu’il a continuée jusqu’à sa mort, qui n’est arrivé que plus de cinquaqnte ans après. ******** ******** 92 LA VIE DU VENERABLE VINCENT CHAPÏTRE XIV Il est choisy par S. François de Sales, & par La Reverende Mere de Chantal pour estre Le premier Pere Spirituel & Superieur des Religieuses de la Visitation à Paris. IL y avoit déjà quelques années que Dieu avoit fait éclore le Saint Ordre des Religieuses de la Visitation de Sainte Marie, comme une nouvelle fleur qui commençoit à répandre une odeur de suavité dans le jardin de son Eglise. Dieu s’estoit servy de S.François de Sales Evesque de Geneve, pour donner la vie & la premiere culture à cette mysti que plante ; à quoy ce saint Instituteur s’estoit appliqué avec tous les soins que sa charité incomparable luy avoit pû suggérer. Il avoit envoyé à Paris la Reverende Mere Chantal, dont la memoire est en bénédiction, pour y fonder un Monastere de ce Saint Ordre ; & elle travailla avec tant de zele & de prudence, que nonobstant toutes les oppositions & persécutions qui luy furent faites, les murs de cette petite Jerusalem s’eleverent avec un favorable succès. Plusieurs âmes désireuses de leur salut & de leur perfection, venoient se rendre dans cette demeure de paix pour y estre à l’abry des tentations du monde. L’humilité, la modestie, la douceur, la patience, l’obeïssance, la charité & les autres vertus de ces nouvelles Epouses de JESUS-CHRIST, donnoient une merveilleuse édification à tous ceux qui les connoissoient, ou qui en entendoient parler. Il estoit question de trouver un Pere Spirituel & un Superieur, qui par sa charité, par sa prudence, & par se fidelité conservast le pre- DE PAUL, LIV. I. CHAP. XIV. 93 mier Esprit que JESUS-CHRIST leur avoit donné par le ministere de leur Saint Instituteur, & qui leur rendit les assistances nécessaires pour faire progrés dans le chemin de la perfection. Mais si ce Saint Prelat parlant d’un Directeur pour une personne particuliere, a dit avec grande raison dans sa Philothée : Qu’il le falloit chercher entre dix mille, & qu’il s’en trouvoit moins qu’on ne sçauroit dire qui fussent capables de cet Office. Que peut-on penser de la difficulté qu’il y avoit de rencontrer un digne Superieur & Pere Spirituel de cette Sainte Congregation, dont la conduite requeroit d’autant plus de grace & de lumiere en celuy qui en seroit chargé, que le vie Religieuse est plus sublime, la perfection plus importante, & son dechet plus pernicieux à l’Eglise. C’est pour cela que ce Saint Instituteur desiroit particulièrement en celuy auquel on confieroit cette charge, une grande charité, une solide doctrine & une longue experience ; par où il signifie en peu de mots qu’il devoit estre un homme consommé en toutes sortes de vertus, & parfait en un si haut point, qu’il fust capable de perfectionner les ames que Dieu appelle à la plus haute perfection. Ce n’est donc pas un petit temoigange de l’éminente pieté & des autres excellentes qualitez de M. Vincent, qu’entre tant de personnages signalez en doctrine & en vertu qui vivoient alors dans Paris, S. François de Sales & la tres-digne Mere de Chantal ayent jugé qu’il estoit le plus digne & le plus capable de cet employ. Ils avoient aussi tous deux conceu une telle estime de sa pieté & de sa prudence, par la communication particuliere qu’ils avoient euë avec luy, qu’ils en parloient comme d’un homme des plus parfaits de leur temps ; & feu M. Cocqueret Docteur en Theologie de la 94 LA VIE DU VENERABLE VINCENT Faculté de Paris, non moins illustre pour sa vertu que pour sa science, a assuré qu’il avoit oüy-dire à ce Saint Prelat ; Qu’il ne connoissoit point d’homme plus sage, ny plus vertueux que M. Vincent. Certes si ce qu’a dit un Ancien est veritable, que c’est une grande loüange d’estre estimé & loué par une personne qui d’elle-mesme est tres-digne de loüange ; il faut avouer que M. Vincent ne pouvoit alors recevoir un plus illustre témoignage de sa vertu, que celuy qu’un si saint Prelat & une si vertueuse Religieuse luy ont rendu, non seulement par paroles, mais encore par effet, en luy confiant le soin du principal & du plus cher ouvrage de leur grande pieté. On a bien reconnu aussi depuis qu’ils ne s’estoient pas trompez dans le jugement qu’ils avoient fait du merite de ce tres-digne Prestre, car à sa conduite, tant pour l’avancement interieur des Religieuses en la vertu, que pour la multipliation exterieure des personnes & des Maisons de la Visitation. Le premier monastere établi à Paris en produisit bien-tost un second au Faux-bourg S. Jacques de la mesme ville, & ensuite un troisieme dans la ville de S. Denis ; & l’un et l’autre ayant esté sous le direction de M. Vincent, il a plû à Dieu leur communiquer les mesmes grâces qu’il avoit faites au Premier. Depuis quelques années le second Monastere en a encore produit un autre dans Paris, lequel ayant eu aussi M. Vincent pour Superieur, a ressenty pareillement les effets de sa prudente conduite. Il a esté ainsi chargé du soin de ces quatre Maisons jusqu’à sa mort, & a employé trente-huit ans au service de ce S. Institut avec tant de succés, que des deux premieres Maisons de Paris il est sorty mediatement ou immédiatement environ une DE PAUL, LIV. I. CHAP. XIV. 95 vingtaine d’autres en plusieurs Villes du Royaume & ailleurs, où les Filles d’un si sage Pere Spirituel sont allé répendre l’odeur de leurs vertus, & attirer par ce moyen d’autres Filles au party de leur celeste Epoux. Le saint Instituteur de ce nouvel Ordre ayant peu de temps après quitté la terre pour s’en aller au Ciel, la vénérable Mere de Chantal, qui luy survéquit prés de vingt ans, communiqua souvent de vive voix & par écrit avec M. Vincent, tant de sa conduite interieure que de celle de son Institut, & elle receut toujours ses avis avec une estime & une consolation particuliere, comme l’on peut voir par les paroles suivantes tirées de deux de ses Lettres : Quoy-que mon cœur luy dit-elle « dans la premiere, soit insensible à toute autre cho- « se qu’à la douleur, si est-c e qu’il n’oubliera jamais « la charité que vous luy fites le jour de vostre dé- « part ; car mon tres-cher Pere, il s’est trouvé beau- « coup soulagé dans son mal, & mesme fortifié dans « les occasions, &c. « Par le seconde elle luy témoigne la consolation « singuliere qu’elle esperoit de son entrevuë à An- « nessi, & luy parle en ces termes : Helas ! mon vray « & tres-cher Pere, serait-il bien possible que mon « Dieu me fit cette grace de vous amener en ce païs ? « ce serait bien la plus grande consolation que je « pûsse recevoir en ce monde ; & il m’est avis que ce « serait par une speciale misericorde de Dieu sur mon « ame qui en serait nom pareillement soulagée, com « me il me semble, en quelque peine interieure que « je porte il y a plus de quatre ans, laquelle me sert « de martyre, &c. Quoy-que M. Vincent n’allast pas « en effet jusques à Annessi, Dieu accorda néanmoins encore une fois à cette vertueuse Mere l’entiere satisfaction qu’elle avoit ardemment & long-temps 95 LA VIE DU VENERABLE VINCENT desirée, par la communication de son interieur avec ce charitable Directeur de son ame dans le dernier voyage qu’elle fit à Paris : de quoy elle disoit avoir receu un soulagement & un profit nompareil. Les autres Superieures & Religieuses du mesme Ordre qui ont esté sous la direction de ce tres-digne Superieur, ayant aussi resenty des effets tresavantageux de sa grande charité & de sa prudente conduite, en ont donné de tres-amples témoignages, dont nous rapporterons seulement que quelques paroles qui font assez voir l’estime & la reconnais« sance qu’elles en conservent : Nous avons toujours « receu, disent-elles, une entiere satisfaction de sa di« gne conduite, reconnaissant en luy une grande ple« nitude de l’esprit Evangelique, par un zele suave, « puissant & embrasé de la Gloire de Dieu, & par « une fermeté douce, mais inébranlable à mainte« nir l’observance de nos Regles. Il s’enqueroit toû« jours de ce qui estoit marqué, & des sentimens « de notre Bien-heureux Pere, & de notre digne « Mere pour les faire suivre exactement. Il nous fai« soit peser les plus petites observances aussi bien « que les plus importantes ; & il ne s’est jamais servy « de son authorité pour y apporter aucun change« ment, mais plu stot pour les confirmer & pour les « établir. Il nous parloit peu, mais nous avons re« marqué qu’une de ses paroles faisoit plus d’effet « que des sermons entiers, par l’efficace de l’Esprit de « Dieu qui residoit en luy, & par les solides fonde« mens que sa vie donnoit à l’estime que l’on avoit de « Sa sainteté. « Dans les conseils qu’il donnoit sur les proposi« tions qui luy estoient faites, nous avons remarqué « qu’il agissoit avec une grande prudence, & un ju« gement si profond & si clair, qu’aucune circonstan« ce n’échappoit à ses lumines. Cela nous a paru dans DE PAUL, LIV. I . CHAP. XIV. 97 quelques affaires fort obscures & embrouillées, qui « avoient esté consultées à plusieurs Peres de Reli- « gieux fort éclairez, & à des Docteurs tres-sçavans, « qui furent assez long-temps sans en pouvoir don- « ner la decision : mais ayant eu recours à ce digne « Pere, il nous en écrivit avec tant de clarté & de so- « lidité pénétrant le fond de cette affaire, qu’il nous « donna moyen d’en sortir heureusement, sans inte- « resser n otre communauté, ny la charité du pro- « chain ; ce qui fit avouer à plusieurs que veritable- « ment il falloit qu’il eust l’esprit de Dieu pour faire « un discernement si equitable & si judicieux ? Aussi « a-t-on remarqué que jamais il ne donnait de con- « clusion en quelque affaire que ce fust, qu’on ne le « vist auparavant rentrer en luy-mesme, comme in- « voquant la grace du Saint Esprit. « Nous pouvons assurer avec certitude, disent cel- « les d’un autre Monastere du mesme ordre, qu’il « nous est arrivé plusieurs fois des choses presque « miraculeuses dans le temps de ses Visites, ou bien- « tost après. Dés le commencemnt qu’il nous ren- « dit ce charitable office,, il délivra presque en un « instant une de nos sœurs d’une peine d’esprit qui « estoit si violente, qu’elle redondoit sur son corps, & « la rendoit incapable de rendre aucun service au « Monastere ; ce qui faisoit grande compassion à ceux « qui la voyoient ; & néanmoins depuis sa guerison « elle a exercé avec grande bénédiction les charges de « Maitresse des Novices, & de Superieure durant « plusieurs années, & enfin par la grace de Dieu elle « est morte saintement. D’autrefois plusieurs Reli- « gieuses qui souffroient des peines & des tentations « fâcheuses, s’en trouvoient entièrement délivrées en « les découvrant à ce charitable Pere, & d’autres « faisoient un changement notable de mœurs par la « communication de la grace abondante qui residoit « 98 LA VIE DU VENERABLE VINCENT « en Luy. Enfin toutes se renouvelloient à chaque « Visite, & marchoient plus gaiement que jamais « en la voye de la perfection ; & nous ne pouvons « ômettre que mesme ses benedictions se sont eten« duës jusques aux choses temporelles ensuite de ses « Visites. Voilà le temoignage de ces dignes Re« ligieuses. M. Vincent ne les portoit pas seulement à travailler à leur propre perfection, il les excitoit encore à procurer le salut & la perfection des autres par des emplois de charité qu’il jugeoit conformes a leutr Institut, & autres intentions de leur saint Fondateur. Elles ont ainsi embrassé par son avis & par sa persuasion les occasions qui se sont presententées d’aller établir la reforme en plusieurs Monasteres de Religieuses, suivant le desir des Prelats qui les y avoient appellées.mais celuy où elles ont travaillé avec plus de constance, c’est le Monastere de Sainte Magdelaine fondé par les bien-faits de Madame la Marquise de Maignelay, dont la memoire est en bénédiction, & par l’entremise de quelques autres personnes charitables, pour servir de retraite aux filles & aus femmes qui désirent se retirer de leurs désordres, & de se convertir entièrement à` Dieu. On reconnut dés le commencement de cette Fondation la necessité d’une bonne conduite au dedans de la Maison, & l’on eut des-lors la pensée d’en confier la direction aux Religieuses de la Visitation ; à cause que la charité & la douceur dont elles font une particulière profession selon L’Esprit de leur Institut, sont des vertus tres-propres pour gagner le cœur de ces pauvres Penitentes, & pour les attirer à JESUS-CHRIST avec des liens d’amour. Sazint François de Sales prédit mesme en ce temps-là que cet employ chazritable serait un jour l’ouvrage pour ses filles ; mais la Divine DE PAUL, LIV. I. CHAP. XIV. 99 Providence avoit reservé l’exécution de ce dessein au zele deM. V incent. Il disposa la R. mere Helene Angelique l’Huillier Superieure du premier Monastere avec sa Communauté, à entreprendre cette œuvre importante à la gloire de Dieu, & leur fit surmonter par des puissantes exhortations, toutes les difficultez qu’elles y prévoyoient : De sorte que quatre Religieuses du mesme Monasteres furent envoyées l’an 12629, en celuy de Sainte Magdelaine, par l’autorité de M. l’Archevesque de Paris, pour y exercer les principales Charges de la Maison ; & elles ont toujours continué depuis le méme exercice de charité avec tant de bénédiction, qu’elles ont établi un tres-bon ordre dans cette grande Communauité. M. Vincent a beaucoup contribué à cet heureux succés par ses sages conseils, & par ses soins charitables ; ayant employé tous les moyens possibles pour y maintenir la paix, l’obeïssance, & tout ce qui concerne le service de Dieu. On peut voir par cet echantillon des biens qui Ont reüssi dedans & dehors les Maisons du saint Ordre de la Visitation sous la conduite de M. Vincent, les grâces abondantes que Dieu avoit commu niquées à ce saint Prestre pour la perfection des personnes Religieuses, aussi-bien que pour le salut de celles qui vivent dans le monde ; ce qui procedoit sans doute de l’intime union qu’il avoit avec Nostre Seigneur qui est la souirce des grâces & des lumières ; ces bonnes Religieuses ayant remarqué entre autres choses, qu’il estoit tout absorbé en Dieu quand elles luy parloient, & que le voyant revenir de ce saint recueillement, elles recevoient ensuite les avis qu’il leur donnoit, non comme des conseils d’un homme, mais comme des lumières qui leur estoient envoyées du Ciel. 100 VIE DU VENERABLE VINCENT ____________________________________ CHAPITRE XV. Premiere Fondation de la Congregation de la MISSION. Nous avons vû cy-dessus comme Madame la Generale des Galeres avoit fait solliciter plusieurs Communautez d’accepter un fonds de seize mille livres pour faire de temps en temps des Missions sur ses Terres, & comme ces mesmes Communautez n’avoient pas jugé à propos de s’en charger. Cette vertueuse Dame avoit toujours perseveré depuis dans son dessein, & les autres dans leur refus. Chaque Superieur voit ses raisons pour ne pas s’engager à cette fondation ; mais Dieu rapportoit leurs raisons à ses fins. M. Vincent estoit celuy auquel il la reservoit, & qui devoit estre l’instrument des desseins que sa Providence avoit formez pour le bien de l’Eglise, & particulièrement pour l’instruction des Peuples de la Campagne. Voicy comme la mesme Providence fit enfin reüssir cet ouvrage à sa gloire par des moyens tres-convenables. Madame la Generale voyant d’un costé qu’elle ne pouvoit exécuter la fondation par les Communautez Religieuses qui l’avoient refusée, & considerant d’autres-part avec quelle affection plusieurs Docteurs & vertueux Ecclesiastiques se joignoient d’ordinairer à M. Vincent pour travailler aux Missions ; elle pensa que s’il y avoit dans Paris une Maison destinée pour ceux qui les voudroient continüer, quelques-uns d’entre eux pourraient s’y retirer, & former une Communaute de bons Prêtres dédiez à ce saint Exercice ; & qu’en recevant ceux qui se presenteroient dans la suite du temps, DE PAUL, LIV. I . CHAP. XV. 101 Cette bonne œuvre subsisteroit toujours, & sa fondation auroit l’effet qu’elle desiroit. Elle communiqua sa pensée à Monsieur son mary, lequel non seulement l’approuva, mais voulut encore se rendre Fondateur avec elle d’un si pieux Etablissement. Ils déclarèrent ensuite leur dessein à M. Jean François de Gondy leur frere & successeur de M. Le Cardinal de Rets au gouvernement de l’Eglise De Paris, dont il fut le premier Archevesque. Ce Bon Prelat loüa fort leur zele dans cette sainte entreprise ; & considerant que son Diocese en pourroit recevoir beaucoup d’avantage, il y voulut aussi contribuer, & destina le College des BonsEnfans qui estoit à sa disposition pour le logement de ces Prestres. Après qu’ils eurent conferé ensemble des moyens de faire reüssir une si bonne œuvre ; ils se résolurent d’en parler tous trois à M. Vincent pour couper chemin à toutes les excuses que son humilité pourroit alléguer, & pour l’obliger plus afficacement à se conformer à leurs sentimens. Le singulier respect que M. Vincent portoit à ces trois personnes, luy fit donner les mains à tout ce qu’ils desiroient de luy en cette occasion ; & il consentit aux propositions qu’ils luy firent, dont la premiere estoit de recevoir la Principauté du College des BonsEnfans, avec la direction des Prestres qui s’y retiroient, & des Missions auxquelles ils feroient appliquez. La seconde, d’accepter la Fondation au nom des mesmes Prestres. Et la troisiéme, de choisir Luy-mesme ceux qu’il trouveroit propres & disposez poiur ce pieux dessein. La chose fut ensuite exécutée comme elle avoit esté resoluë. M. l’Archevesque luy fit expédier les provisions de la Principauté du College des Bons-Enfans l’an 1614, & l’année suivante M. le General des Galeres & Madame sa femme passerent 102 VIE DU VENERABLE VINCENT le Contract de Fondation, qui fut, suivant leur intention & par leur ordre, conceu en des termes dignes de leur pieté. « Ils declarerent en premier lieu que Dieu leur ayant « donné depuis quelques années le desir de le faire « honorer tant en leurs Tgerres qu’aux autres lieux, « ils avoient considéré que sa Divine majesté ayant « pourveu par sa misericorde infinie aux nécessités « spirituelles des Habitans des Villes par quantité « de bons Docteurs et de vertueux Religieux, qui « les preschen,t & catec hisent, & qui les conservent « en l’esprit de dévotion ; il ne restait que le pauvre « abandonné ; à quoy il leur avoit semblé qu’on pour« roit remédier par la pieuse Association de quelques « Ecclesiastiques de pieté, de doctrine & de cvapacité « connuë, qui voulussent s’appliquer entièrement « sous le bon plaisir des Prelats, au salut de ces pau« vres gens, & aller de village en village aux dé« pens de leur bourse commune pour les presser, « instruire, exhorter, & porter à faire des confessions « générales de toute leur vie passée, sans prendre au« cune retrib ution, afin de distribuer gratuitement « les dons qu’ils aurone gratuitement receus de la « main de Dieu. Et pour y parvenir, lesdits Seigneur « & Dame en reconnaissance des biens qu’ils ont re« ceus & reçoivent tous les jours de sa Divine Ma« jesté ; pour contribuer à l’ardent desir qu’elle a du « salut des pauvres ames ; pour honorer le Mystere de « l’Incarnation, de la vie & de la mort de JESUS« CHRIST Nostre Seigneur ; pour l’amour de sa tres« sainte Mere ; & encore pour essayer d’obtenir la « grace de si bien vivre le reste de leurs jours, qu’ils « puissent avec leur famille parvenir à la gloire eter« nelle ; ils ont donné à cet effet la somme de qu« rante mille livres qu’ils ont délivrée comptant és DE PAUL, LIV. I . CHAP. XV. 103 mains de M. Vincent de Paul Prestre du Diocese « d’Acqs, aux clauses & charges suivantes. C’est à « savoir ; Que lesdits Seigneur & Dame ont remis « & remettent au pouvoir dudit Sieur de Paul, d’éli- « re & choisir dans un an tel nombre de personnes « Ecclesiastiques que le revenue de la presente Fonda- « tion pourra porter, desquels la doctrine, la pieté, « les bonnes mœurs & l’integrité de vie luy soient « connuës, pour travailler à cette œuvre sous sa di- « rection durant sa vie ; ce que lesdits Seigneur & Da- « me entendent & veulent expressément, tant pour « la confiance qu’ils ont en sa conduite, que pour « l’experience qu’il s’est acquise au fait des Missions, « dans lesquelles Dieu luy a donné grande benedi- « ction. Mais nonobstant cette direction lesdits Sei- « gneur & Dame entendent que ledit Sieur de Paul « fasse sa residence actuelle en leur Maison, pour con- « années. « Que les Ecclesiastiques & autres qui désireront « A present & à l’avenir s’adonner à cette sainte oeu- « vre, s’appliqueront entièrement au soin du pau- « vre peuple de la Campagne, & à cét effet s’oblige- « ront de ne presser ny d’administrer aucun Sacre- « ment dans les villes où il y aura Archevesché, « Evesché, ou Presidial, sinon en cas de notable ne- « cessité. Que lesdits Ecclesiastiques vivront en « commun sous l’obeyssance de Sieur de Paul, & de « leurs Superieurs à l’avenir après son decés, sous « le nom de Compagnie ou Congregation des Pre- « stres de la Mission. Que ceux qui sedront cy-après « admis à cette œuvre, seront obligez d’avoir in- « tention d’y servir Dieu en la maniere susdite, & « d’observert le Reglement qui sera dressé entre eux. « Qu’ils seront tenus d’aller de cionq ans en cinq ans, « 104 LA VIE DU VENERABLE VINCENT « par toutes les terres desdits Seigneur & Dame, « pour y presser, confesser, catéchiser, & faire « toutes les bonnes œuvres susdites ; comme aussi « d’assister spirituellement les pauvres Forçats, afin « qu’ils profitent de leurs peines corporelles, & « qu’en cecy ledit Seigneur General satisfasse à ce en « quoy il se sent aucunement obligé ; charité qu’il en« tend estre continuée à perpetuité à l’avenir aux For« çats. Enfin que lesdits Seigneur & Dame demeure« ront conjointement Fondateurs de cette œuvre, & « comme tels eux & leurs successeurs descendans de « leur famille joüyront à perpetuité des droits & « prérogatives concédées & accordées aux Patrons « par les Saints Canons exepté au droit de nom« mer aux Charges, auquel ils ont renoncé. Il y a quelques autres clauses dans le contract lesquelles ne regardent que le bon ordre des Missions & la perfection des Missionnaires ; mais elles seroient trop longues à rapporter, & ce qui en a esté extrait cy-dessus suffira pour faire connoistre non seulement qu’elle a esté la premiere Fondation des Prerstres de la Congregation de la Mission ; mais aussi combien pure a esté l’intention de leurs Fondateurs. Leur dés-interessement fait bien voir qu’ils ont uniquement cherché en cette œuvre la plus grande gloire de Dieu & le salut des ames ; car ils n’ont voulu imposer aucune obligation ny de Messes, ny de prieres, ny d’autres bonnes œuvres qui leur fussent appliquées en particulier, soit pendant leur vie, soit après leur mort ; & ils se sont ainsi volontairement privez de tous les biens spirituels qu’ils s’en pouvoient prétendre, afin quer les Prestres de cette Congregation estant dégagez de ces sortes d’obligations, pussent avec plus de liberté s’appliquer aux fonctions de leur ministere, & travailler avec plus d’assiduité à leur principale Employ des Missions. DE PAUL, LIV. I . CHAP. XVI. 105 Peu de temps après ce Contract fut passé M. le General des Galeres s’en alla en Provéce. & laissa Madame à Paris. Ils demeurerent tous deux fort consolez d’avoir exécuté leur pieux dessein & assuré leur Fondation, estimant avec raison qu’ils ne la pouvoient mettre en de meilleures mains qu’en celles de M. Vincent. Ils le consideroient comme ce fidéle & vigilant Serviteur de l’Evangile qui fit profiter les talens qu’il avoit receus de son Maistre, & ils s’assuroient que par sa bonne conduite & sa vie exemplaire il multiplieroit aussi le talent qu’ils luy avoient confié. En effet il n’ont pas esté trompez en leur esperance : car cette premiere Fondation a si bien profité entre ses mains, qu’elle a produit quantité d’autres, par la bénediction qu’il a plû à Dieu luy donner, comme l’on verra dans la suite. Mais avant que de rapporter le progrès de cette Fondation, voyons l’heureuse fin de Madame la Generale. ________________________________________ CHAPITRE XVI Madame la Generale des galeres passe de cette vie à une meilleure, & M. Vincent se retire au College des Bons-Enfans. COMME la Fondation des Prestres de la MisSion estoit l’ouvrage de cette vertueuse DaMe avoit le plus affectionné, aussi quand Dieu luy Eut fait grace d’y mettre la derniere main, il luy Sembla qu’elle n’avoit plus rien à désirer en cette Vie ; & que les plus ardens souhaits estant accomPlis, elle pouvoit bien dire comme sainte Monique, Qu’elle n’avoit plus rien à faire sur la terre. Elle Aspirait continuellement au Ciel, & desiroit la 106 VIE DU VENERABLE VINCENT Numerat propter quod in hâc vitâ aliquantulum iniomorari cupieba ; cumulatiùs hoc mihi de praestitit Quid hic facio ? August. Lib.9. Confess. Cap. 10 . separation de son ame d’avec son corps, afin d’estre plus parfaitement unie à son premier principe & à son souverain bien. Ses vœux furent bien-tost accomplis ; car il n’y avoit pas encore deux mois que le contract de la Fondation avoit esté passé, quand elle fut atteinte de sa derniere maladie. Son corps qui estoit desja fort attenué, tant par les maladies précédentes, que par les grandes fatigues que son zele luy avoit fait entreprendre, ne pût résister long-temps à la violence du mal, & cette sainte ame eut enfin la liberté de sortir de sa longue prison pour aller joüir du repos eternel. Cette mort arriva la veille de la feste de S. JeanBaptiste l’an 1625. & elle fut vraiment précieuxse devant Dieu, parce qu’elle avoit esté précédée d’une vie très-sainte. Les actions de cette vertueuse Dame auraient pû fournir une matiere suffisante pour remplir un juste volume ; & elles feroient l’admiration de nos jours, comme elle avoit servy d’exemple aux personnes de son temps, si l’humilité de M. Vincent ne nous eust derobé la connoissance. Il sçavoit mieux qu’aucun autre les excellentes qualitez & les rares vertus de cette ame très pure, & il eust pû donner des mémoires bien amples des grâces singulieres qu’il avoit remarquées en elle pendant dix ou douze ans qu’il l’avoit dirigée : mais comme il avoit eu beaucoup de part à toutes les œuvres considérables de cette pieuse Dame, il craignoit que si elles eussent été données au public, elles eussent attiré sur luy-mesme une partie des loüanges qu’on eust renduës à sa memoire. C’est pourquoi ne pouvant faire connoître le merite de cette Dame sans publier le sien, il ayma mieux cacher l’un & l’autre sous le silence, que de s’exposer au danger d’estre estimé & honoré des hommes. DE PAUL, LIV . I . CHAP..XVI 107 Après qu’on eut rendu les derniers dev oirs à Madame la Generale, & que suivant ce qu’elle avoit ordonné, son corps eust esté enterré au second Monastere des carmélites de Paris, M. Vincent parti auus-tost pour aller en Provence porter cette triste nouvelle à Monsieur le General. Comme il sçavoit bien qu’elle luy causeroit une douleur très-sansible, il dissimulka prudemment le sujet de sa venuë. Il ne luy parla d’abord que des grâces pertinacités qu’il avoit receuës de Dieu, tant en sa personne, qu’en sa famille, & de l’obligation qu’il avoit d’en témoigner une grande reconnaissance à sa Divine Majesté. Ensuite il ajouta qu’un des principaux actes de cette reconnaissance estoit de se tenir continuellement dans une soûmission absoluë & une entiere conformité à sa tres sainte volonté ; & l’ayanty ainsi préparé peu à peu, il luy déclara enfin ce qui estoit arrivé. Il donna lieu aux premiers mouvemens de la nature, & puis il employa tout ce que son grand jugement & l’onction du S. Esprit luy purent suggérer, pour modérer l’extréme affliction de ce Seigneur, & pour l’ayder à porter cette croix avec paix & tranquilité d’esprit. Il avoit receu une grace particuliere de Dieu pour consolmer les affligez, & Nostre-Seigneur JESUS-CHRIST luy avoit donné pour cét effet une speciale communication de son Esprit : De sorte qu’il pouvoit dire à son imitation ; Que l’esprit du Seigneur estoit sur luy pour évangéliser les pauvres, Pour relever les courages abattus, & pour essuyer les larmes de ceux qui pleurent. M. le General sentit aussi en cette rencontre l’onction & la vertu des paroles de ce charitable consolateur, & il en fut tellement touché qu’il se soûmit entièrement aux ordres de Dieu, & supporta la privation d’une per- Spiritus Domini super me, evangelisare pauperibus misit me, sannare contritos corde, ve consolare omnes lu- 108 LA VIE DU VENERABLE VINCENT gentes. Isa. 61. Luc. 4. sonne qui luy estoit si chere, avec une patience & une resignation vraiment Chrétienne. M. Vincent s’estant acquité de sa commission s’en revint à Paris, & demeura encore quelque temps chez M. le General ; mais la Maison de Gondy, quoy-que tres-bien réglée, n’estoit pas son élément, parce qu’elle l’exposoit trop au grand air du monde. Il vouloit vivre inconnu aux hommes pour ne plaire qu’à Dieu seul & le desir qui le pressoit de se donner tout à luy, le faisoit aspirer à une vie plus retirée des embarras du siecle. Plusieurs choses sembloient s’opposer à l’effet de ses désirs. L’affection que toutes les personnes de cette illustre famille luy portoient & l’estime particuliere que M. le General faisoit de son merite rendoient l’execution de sa retraire fort difficile ; mais le plus grand obstacle estoit l’expresse recommandation que Madame la Generale avoit faite un peu avant sa mort, pour l’obliger à n epoint quitter sa maison. Cette pieuse Dame ayant receu beaucoup de grâces de Dieu, par l’entremise de ce charitable Prestre, estimoit qu’il attireroit de plus en plus, par sa présence les bénédictions divines dans sa famille, comme l’Arche dans la maison d’Obededom ; c’est pourquoi elle le conjura pour l’amour de Nostre-Seigneur & de sa sainte Mere, non seulement de vive voix, mais encore dans son Testament, de ne point quitter M. le General, ny ses enfant apres qu’il seroit mort ; elle ajouta ensuite qu’elle suppliait M. le General de le retenir toujours dans sa maison, & d’ordonner la mesme chose à ses enfant apres luy. Neanmoins comme Dieu avoit destiné M. Vincent pour d’autres desseins tres-importans à son service, il disposa l’esprit de ce vertueux Seigneur à consentir après plu- DE PAUL, LIV. I . CHAP. XVII. 109 sieurs instances qu’on lmuy en fit, qu’il s’en retiroit au College des Bons-Enfans ; ce que M. Vincent exécuta aussi-tost, sortant de la Maison de Gondy pour s’etablir en cette nouvelle demeure. Ce fut en l’année 1625, que ce fidéle serviteur de Dieu, après avoir vogué plusieurs années sur la mer orageuse du monde, aborda enfin par une speciale conduite de la Divine Providence en cette retraite tant désirée, comme dans un port assuré, pour y commencer une vie toute Apostolique par la sui!te des honneurs des dignitez, & des autres biens de la terre ; & pour y faire une profession particuliere de travailler à sa propre perfection & au salut des peuples, par l’exercice des vertus que JESUS-CHRIST nous a enseignées de parole & d’exemple. Ce fut en ce lieu où il jetta les fondemens de la Congregation de la Mission toute dediée, comme celle des premiers Disciples de Nostre-Seigneur, à suivre ce grand & premier Missionnaire venu du Ciel, & à travailler au mesme ouvrage auquel il s’est empoté pendant le temps de sa vie mortelle. Mais avant que de parler de l’Erection de cette Congregation, il est à propos de faire bien connoistre au Lecteur quel a esté le digne Ouvrier dont Dieu s’est servy pour l’eriger ; c’est ce que nous tascherons de représenter au Chapitre suivant. ________________________________________ CHAPITRE XVII. Les dispositions de corps & d’esprit de M. Vincent. QUAND la Divine Providence destine quelqu’un à un employ, elle ne manque pas de luy donner les qualitez nécessaires pour y reüssir : Ainsi ayant choisi Vincent de Paul pour établir 110 LA VIE DU VENERABLE VINCENT une nouvelle Congregation dans l’Eglise, elle l’aavantagea de toutes les dispositions tant de corps que d’esprit, qui estoient convenables pour l’execution d’une œuvre si importante à sa gloire. Pour ce qui est du corps, il estoit d’une taille moyenne & bien proportionnée ; il avoit la teste un peu chauve & assez grosse, mais bien faite par une juste proportion au reste du corps ; le front large & majestueux, le visage ny trop plain, ny trop maigre, son regard estoit doux, sa veuë penetrante, son oüy subtile, son port grave, & sa gravité benigne, sa contenance simple et naïve, son abord fort affable, & son naturel tres-bon & tres-amiable. Il estoit d’un temperament bilieux & sanguin & d’une complexion forte & robuste ; ce qui n’empeschoit pas pourtant qu’il ne fust plus sensible qu’il ne sembloit aux impressions de l’air, & ensuite sujet à quelques atteintes de fiévre. Il avoit l’esprit posé, circonspect, capable de grandes choses, & difficile à surprendre. Il n’entroit pas légèrement dans la connoissance des affaires ; mais lors-qu’il s’y appliquoit, il les penestroit jusqu’au fonds, il en decouvroit toutes les circonstances, il en prévoyoit toutes les suites. Il ne s’arrestoit pas aux apparences, mais il consideroit la nature & la fin des choses ; & quoy qu’on luy presentast sous un mesme visage le vray & le faux, le bon & le mauvais, il sçavoit néanmoins tres-bien les discerner. Il excelloit pour le bon sens & le grand jugement ; mais plus il estoit éclairé, plus il craignoit de se tromper. C’est pourquoi il ne determinoit rien qu’il n’eust auparavant examiné les raisons pour & contre, & mesme qu’il n’eust demandé conseil à d’autres, à moins qu’il ne fust pressé de répondre. Lorsqu’il luy falloit dire son avis ou prendre quelque resolution, il developpoit la que- DE PAUL, LIV. I . CHAP. XVII. 111 stion avec tant d’ordre & de clarté qu’il étonnoit les plus experts, sur tout dans les matières spirituelles & Ecclesiastiques. Il ne s’empressoit jamais dans les affaires, & ne se troubloit point pour leur multitude, ny pour les difficultez qui s’y rencontroient ; mais il les entreprenoit avec une presence & une force d’esprit infatigable, & il s’y appliquoit avec ordre & lumiere, & en portoit le poids & la peine avec patience & tranquilité. Quand il traitoit avec les autres de quelque affaire, il les ecoutoit volontiers sans les interrompre jamais ; & si on l’interrompoit luy-mesme, il s’arrestoit tout court, & puis reprenoit le fil de son discours. Lorsqu’il disoit son avis, il le faisoit en eloquence naturelle qui ne luy donnoit pas moins de netteté pour expliquer ses pensées, que de force pour persuader les esprits. Il faisoit en ces difcours un juste melange de la prudence & de la simplicité ; & quoy qu’il dit les choses avec sincerité, il traitoit néanmoins prudemment ce qui ne devoit pas estre divulgué. On n’a pû remarquer en luy aucun trait de plume ny de langue qui temoignast de la mesestime, ou de l’aigreur pour qui que ce fust. Son esprit estoit éloigné des changemens, des nouveautez & des singularitez ; & il tenoit pour maxime, quand les choses estoient bien de ne les pas changer facilement sous pretexte de les mettre mieux. Il se defioit de toutes sortes de propositions, ou de pratiques ; & il se tenoit ferme aux usages & sentimens communs, sur tout en fait de Religion. Il disoit à ce sujet : Que l’esprit humain est « Prompt & remüant ; que les esprits les plus vifs & « 112 LA VIE DU VENERABLE VINCENT « les plus éclairez ne soint pas toujours les meilleurs, « s’ils ne sont bien retenus ; & que ceux-là marchent « seurement, qui ne s’ecartent pas du chemin par où « le gros des sages a passé. Il avoit le cœur fort tendre, noble, généreux, libéral, & facile à concevoir de l’affection pôur ce qu’il voyoit estre vraiment bon & selon Dieu ; il avoit néanmoins un empire absolu sur tous les moumens, & tenoit ses passions si sujettes à la raison, qu’à peine pouvoit-on s’apercevoir qu’il en eust. Et pour comprendre en peu de mots les dons surnaturels de son ame, dont il sera parlé plus amplement au second Livre, nous rapporterons icy quel ques pratiques fondamentales de perfection, sur lesquelles il a particulièrement élevé l’édifice spirituel de ses vertus. La premiere & la principale de toutes a esté une application continuelle à Nostre-Seigneur, pour conformer toutes ses actions à celles de ce Divin Exemplaire, & pour régler tous ses sentimens sur les Maximes de son Evangile. Il avoit si bien imprimé JESUS-CHRIST en son esprit qu’on le voyoit en toutes occasions parler & agir à son imitation & sur son modèle. Toute sa politique dans le maniment des affaires, & toute sa Morale dans la conduite de sa vie, n’estoit autre que l’exemple & la Doctrine de JESUS-CHRIST ; & il travailloit sans cesse à se rendre une copie vivante de cet incombarable original, ou plustost à se trans-former tout en luy. De sorte que l’on peut dire avec verité qu’il a luy-mesme exprimé, sans y penser, le caracterte de son esprit, & marqué sa devise particuliére par les belles paroles qu’il dit un jour de l’abondance de son cœur : Rien ne me plaist qu’en JESUSCHRIST. De là venoit qu’il envisageoit toutes choses par le rapport qu’elles avoient avec son DE PAUL, LIV.I. CHAP. XVII. 113 bien-aimé, & que les devoirs de charité qu’il rendoit aux hommes se terminoient uniquement à son Divin Sauveur, qu’il regardoit diversement en eux selon les différentes qualitez d’un chacun. Il le consideroit comme Chef de l’Eglise dans N. S. P. le Pape, comme Evesque dans les Evesques, comMe Prestre dans les Prestres, comme Docteur dans les Docteurs, comme Religieux dans les Religieux, comme Souverain dans les Rois, comme Noble dans les Gentils-hommes, comme juge dans les Magistrats, comme Ouvrier dans les artisans, comme Pauvre dans les pauvres & comme Infirme dans les malades. C’est dans cette veuë elevée au dessus des sens & des considérations humaines qu’il honoroit, aimoit & servoit son prochain en Norste-Seigneur : & comme il sçavoit par sa propre experience les avantages de cette sainte pratique, il conseilloit souvent aux autres de s’en servir, afin de se tenir toujours intimement unis à JESUS-CHRIST, & de rendre leur charité envers le prochain plus pure & plus constante. A ce grand Exercice de l’imitation de NostreSeigneur, il en joignoit un autre qui n’est pas moins utile, ny moins necessaire ; c’est celuy de faire en toutes choses la volonté de Dieu. Il avoit appris cette excellente leçon entre les autres par l’étude continuelle des actions & des sentimpens de son Divin Maistre : c’est pourquoi quand il taschoit de la persuader aux siens, il se servoit ordinairement de l’exemple & des paroles de JESUS-CHRIST : Faire la volonté de Dieu, Leur disoit-il, un jour, c’est vivre de la vie de JESUS-CHRIST ; cart il n’est descendu du Ciel, comme il l’assure luy-mesme, que pour faire la volonté de son Pere ; c’etoit l’ambroisie céleste dont il se nourrissait, & il estoit tellement ponctuel à 114 LA VIE DU VENERABLE VINCENT ter les ordres de son mesme Pere, qu’il ne vouloit pas les prévenir d’un seul moment. & s’excusoit mesme de faire des miracles sur ce que son heure n’estoit pas encore arrivée. M. Vincent vivoit de cette vie de JESUSCHRIST é se nourrissoit de cette ambroisie du Ciel, puisqu’il estoit si exact & si fidéle à faire en toutes choses la volonté de Dieu, qu’il n’entreprenoit aucune affaire où il ne reconnust auparavant le bon plaisir Divin, qui estoit pour luy une loy souveraine & inviolable. Attendons disoit-il quelquefois à ceux qui le pressaient d’agir. Attendons, l’heure de Dieu n’est pas encore venüe. Mais pour bien discerner les mouvemens de l’Esprit de Dieu des inclinations de la nature, & ne prendre pas les sentimens de l’amour propre pour des inspirations du Ciel, il evitoit sur tout la precipitation dans les affaires, & se tenoit continuellement attentif à la conduite de la Divine Providence, comme ces Serviteurs vigilans qui ont toujours les yeux arrestez sur les mains de leurs Maistres, pour connoi stre au moindre signe qu’elle est leur intention afin de la suivre. Ces deux maximes générales de perfec tion ont Esté comme les deux principaux ressorts qui ont donné le branle à toutes les saintes actions de ce fidéle Serviteur de Dieu, & comme les deux vives sources d’où sont découlées en son ame toutes les autres vertus ; mais entre celles qui ont paru avec plus d’éclat dans le cours de sa vie, l’Humilité & La Charité ont toujours tenu le premier rang, selon le sentiment de ceux qui l’ont connû. Celle-là le portoit à s’humilier sans cesse & à s’avilir en toutes les occasions, pour honorer les abaissemens De JESUS-CHRIST. Celle-cy l’appliquoit continüellement à de grandes œuvres poiur la gloire de DE PAUL, LIV. I . CHAP. XVIII. 115 Dieu, & pour l’assistance du prochain ; & il s’estoit rendu la pratique de ces deux vertus si familiere, qu’il ne faisoit presque aucune action qui ne portast le caractere de l’une ou de l’autre, & mesme le plus souvent de toutes les deux ensemble. C’est dans cét esprit qu’il s’est comporté avec tant de respect & de circonspec tion envers les plus grands, & avec tant de bonté & de condescendance envers les plus petits, quesa vie & sa conduite ont esté dans une approbation publique et universelle. Voilà en général un petit abregé de l’esprit de M. Vincent, qu’on a tiré tant de ses lettres, que dans la suite de sa vie un grand nombre d’exemples de son ardente charité, & de son humilité profonde ; & l’on reconnoistra par ces marques assurées combien il avoit étudié JESUS-CHRIST, combien il estoit exact à se mouler sur ce Divin Exemplaire, & avec quelle confiance il se tenait uny à la volonté de Dieu en toutes choses. _________________________________________ CHAPITRE XVIII. Naissance & Erection de la Congregation de la Mission. L’On peut dire avec vérité que cette Congregation a esté semblable au grain de senevé de l’Evangile, qui estant le moindre entre toutes les semences, devient enfin comme un arbre sur les branches duquel les oiseaux se peuvent reposer : Car elle a paru de mesme fort petite dans sa naissance, & a eu dans la suite un si heureux progrès, quelle s’est trouvé en peu de temps etenduë en divers lieux, où elle a contribué avec benedistion, & con- 116 LA VIE DU VENERABLE VINCENT tribüé encore tous les jours à la sanctification & au salut des Ames. Nous avons dit cy-dessus comme M. Vincent S’estoit retiré l‘an 1625, au College des Bons-Enfans, afin de pouvoir mieux servir Dieu & executer la Fondation de M. le General des Galeres, & de Madame sa femme. M. Portail, dont il a esté cy -devant parlé, ayant desja demeuré douze ou quinze ans avec M. Vincent, ne le voulut pas quitter dans une si belle occasion ; & prenant une sorte de resolution de ne se séparer jamais de sa compagnie, il le suivit en sa retraite, dans le dessein de s’employer avec luy toute sa vie aux Missions. Ils commencerent donc avec une nouvelle ferveur à t travailler ensemble à ce saint exercice ; & ils y furent aidez durant quelque temps par un autre bon Prestre auquel il s donnoient cinquante écus par an. Ils alloient tous trois de village en village, où ils faisoient toutes les fonctions de la Mission gratuitement, & avec une simplicité, une humilité, & une charité admirable. Ils se consideroient comme les moindres Ministres de l’Eglise, & s ‘appliquoient aux œuvres qui semblent les plus basses, & qui sont les plus méprisées du monde. Ils ne se rendoient pas seulement comme les serviteurs des Curez & des autres Prestres, mais encore des Villageois, des Galeriens & de ceux qui paroissoient les plus misérables. Ils tenoient mesme à grand honneur de servir JESUS-CHRIST en la personne de ces pauvres abandonnez, & reput oient à une faveur singuliere la permission d’exercer dans les Parroisses de la campagne, les œuvres de charité selon leur Institut. Ils travaillaient premièrement aux lieux où la Mi ssion estoit fondée, & continüoient ensuite ailleurs les mesmes services, particulierement dans les Paroisse du Diocese de Paris. DE PAUL, LIV. I . CHAP. XVIII. 117 Quand ils alloient en Mission, ils laissoient les clefs de leur maison à quelqu’un des voisins, n’ayant pas le moyen d’entretenir des serviteurs pour la garder en leur absence ; tant estoit grande la pauvreté & l’humilité dont ils f aisoient profession. Qui eust alors pensé que de si petits commencemens deussent avoir un tel progrès que l’on voit maintenant, & que deux pauvres Prestres allant ainsi travailler dans les lieux moins connus & plus abandonnez, eussent posé sans y penser les fondemens d’un nouvel Edifice spirituel que Dieu a voulu élever dans son Eglise ? C’estoit un des étonnement de M. Vincent, ainsi qu’il l’a souvent témoigné aux siens, & un jour entre autres il leur dit sur ce sujet : Nous allions tout bonnement & simplement envoyez par Nos Seigneurs les Evesques évangéliser les Pauvres, suivant l’exemple de Nostre-Seigneur. Voilà ce que nous faisions, & Dieu faisoit de son costé ce qu’il avoit préveu de toute éternité. Il donna quelque bénédiction à nos travaux ; ce que voyant d’autres bons Ecclesiastiques, demanderent d’estre en notre compagnie, & se joignirent à nous, non pas tous à la fois, mais en divers temps. O Sauveur ! qui eust jamais pensé qu’une si petite Assemblée f ust venuë en l’état où elle est maintenant ? Qui m’eust dit cela pour lors, j’aurois crû qu’il se seraot moqué de moy. Et neanmoins c’estoit par là que Dieu v ouloit donner commencement à la Congregation. Hé bien appellerez-vous humain, ce à quoy nul homme n’a jamais pensé ? Car ny moy,ny le pauvr M. Portail n’y pensions pas ; helas nous en estions bien eloignez ! Les deux premiers qui furent attirez par l’odeur des vertus & par les fruits des Missions de M. Vin- 118 VIE DU VENERABLE VINCENT cent à se mettre sous sa conduite avec M. Portail furent deux bons Prestres du Diocese d’Amiens, dont l’un nommé François du Coudray fut receu au mois de Mars de l’an 1626, & l’’autre qui fut M. Jean de la Salle, le suivit peu de temps après, & M. Vincent associa ces trois fidèles ouvriers avec luy, en execution de la Fondation dont nous avons parlé. M. Jean François de Gondy Archevesque de Paris reconnoissant par ces heureux commencemens que l’Association de ces Prestres zelez estoit un ouvrage de Dieu, donna l’an 1626, une approbation authentique à l’Institut de la Congregation de la Mission. Et le Roy Loüys XIII de glorieuse memoire confirma par ses Lettres patentes de l’an 1627, le contract de Fondation & l’Association & Congregation des Prestres de la Mission, auxquels il permit de vivre en commun, de s’établir en tels lieux du Royaume de France que bon leur sembleroit, & d’accepter tous legs, aumônes & dons qui leur seroient faits. Dieu ayant ainsi donné les premiers commencemens à la Congregation de la Mission par une conduite toute particuliere de sa misericordieuse Providence, il étendit aussi ses soins pour la faire croïtre et multiplier. Il inspira à cette fin plusieurs vertueux Ecclesiastiques de se joindre à M. Vincent pour travailler avec luy à la moisson des ames. Les quatre premiers qui suivirent bien-tost les trois autres cy-dessus nommez, furent Messieurs Jean-Becu, du village de Brache au Diocese d’Amiens, Antoine Lucas de la ville de Paris, Jean Brunet de la ville de Rion en Auvergne au Diocese de Clermont, & Jean Dehorgny du village d’estrée au Diocese de Noyon. Ces sept Prestres estant ainsi assemblez & unis avec M. Vincent dans le dessein de vivre & de mourir dans la Congregation de DE PAUL, LIV. I . CHAP. XVIII. 119 la Mission, promirent à Dieu de s’appliquer toute leur vie à procurer le salut des pauvres gens des champs en la mesme Congregation. C’est ce qu’ils ont fidèlement accompli sous la direction de leur zelé Superieur ; & l’on peut dire qu’ils ont esté comme ces sept Prestres, lesquels sous la conduite de Josué sonnerent les trompettes pour renverser les murs de Jericho ; ayant par leurs Missions détruits l’ignorance & le peché parmy les peuples de la Campagne, & atttiré par l’exemple de leurs vertus plusieurs autres à une si sainte milice. N.S.P. le Pape Urbain VIII d’heureuse memoire approuva & confirma par sa Bulle de l’an 1632 ce nouvel Institut, & l’érigea en Congregation sous le titre des Prestres de la Congregation de la Mission, & sous la conduite de M. Vincent à qui sa Sainteté donna le pouvoir de faire tous les Reglemens convenables pour le bon ordre de la mesme Congregation. Le Roy fit ensuite expédier d’autres Lettres patentes qui furent, comme les précédentes, vérifiées au parlement. Nous ne devons pas ômettre sur ce sujet que par la Bulle d’Urbain VIII, le nom de Prestres de la Congregation de la Mission est tellement attribué à ceux qui sont de cette Congregation, que c’est par ce nom qu’ils sont distinguez des autres Communautez, & des Ecclesiastiques particuliers qui s’appliquent aussi à faire des Missions ; ce que nous avons jugé necessaire d’observer en ce lieu, pour obvier aux inconvénient que pourroit causer le defaut de cette distinction. Voilà de quelle maniere la Divine Providence a formé peu à peu la Congregation, de la Misson ; mais pour le faire mieux connoistre, nous representerons au Chapitre suivant le fondement sur lequel elle a esté principalement établie par son tres digne 120 LA VIE DU VENERABLE VINCENT Instituteur, & nous découvrirons par ce mesme moyen l’Esprit Divin qui donne la vie & le mouvement à tout le corps de cette Congregation. ________________________________________ CHAPITRE XIX Paroles remarquables de M. Vincent, tou chant l’Esprit & les vertus fondamentales de la Congregation de la Mission. MONSIEUR Vincent voyant par le progrès de sa Congregation naissante, que la main de Dieu estoit avec luy pour la faire avancer & la conduire à sa perfection ; s’appliqua avec un soin particulier à l’établir sur de solides fondemens, & à luy communiquer par ses paroles aussi-bien que par ses exemples l’Esprit Divin dont il estoit animé. Dans ce dessein il proposa dés le commencement aux siens la vertu d’Humilité, comme le fondement principal,non seulement de leur perfection particuliere, mais aussi de tout le Corps de leur Congregation ; & il tâcha toujours de leur inspirer un sincere mépris d’eux-mesme & un profond abbaissement au dessous des autres. Nous ne sçaurions mieux faire connoistre cecy que par les mesmes paroles dont il s’est servy pour exprimer ses sentimens sur le present sujet. « L’Humilité, leur dit-il un jour, est la vertu de « JESUS-CHRIST, la vertu de sa sainte Mere, la « vertu des plus grands Saints, & c’est aussi la vertu « des Missionnaires, j’entens que c’est la vertu « dont ils ont plus de besoin, & dont ils doivent « avoir un tres-arden,t desir ; car cette chétive Con« gregation, qui est la derniére de toutes, ne doit estre DE PAUL, LIV. I . CHAP. XIX. 121 fondée que sur l’humilité comme sur sa vertu pro- « pre ; autrement nous ne ferons jamais rien qui vail- « le ny au de-dans, ny au dehors ; & sans l’humilité « nous ne devons attendre aucun avancement pour « nous, ny aucun profit envers le prochain. « Celuy donc qui veut estre veritable Missionnai- « re doit travailler sans cesse à acquérir cette vertu & « a s’y perfectionner. Il doit combattre toutes les « pensées d’orgueil, d’ambition & de vanité comme « les plus grands ennemis, & veiller soigneusement « pour ne leur donner aucune entrée. Nous devons « estre bien-aises qu’on nous tienne chacun en parti- « culier pour des esprits pauvres & chétifs, & pour « des gens sans vertu ; qu’on nous traite comme des « ignorans ; qu’on nous meprise & injurie, & qu’on « nous publie comme insupportables pour nos mi- « seres & pour nos imperfections. Mais ce n’est pas « encore assez, nous devons mesme estre bien-aises « qu’on dise de notre Congregation en général qu’el- « le est inutile à l’Eglise, qu’elle est composée de pau-« vres gens, qu’elle fait mal tout ce qu’elle entre- « pren,d, que ses emplois de la Campagne sont sans « fruit, ses Seminaires sans grace, & ses Ordinations « sans ordre. Ouy, si nous avons le veritable Esprit « de JESUS-CHRIST, nous devons agréer d’estre « reputez tels que jeviens de dire. « N’est-ce pas une chose étrange que l’on conçoi- « ve facilement que les particuliers d’une Compa- « gnie, comme Pierre, Jean & Jacques doivent fuïr « l’honneur & aimer le mépris ; & qu’on se persua- « de néanmoins que la Compagn ie ou la Communau- « é doit acquérir & conserver de l’honneur dans le « monde ? Comment se peut-il faire que Pierre, Jean « & Jacques aiment vraiment & cherchent sincere- « ment le mépris, si la Compagnie qui n’est compo- « sée que de ces particuliers, fait profession d’aimer « 122 LA VIE DU VENERABLE VINCENT « & rechercher l’honneur ? certainement il faut « reconnoistre & confesser que ces deux choses sont « incompatibles : C’est pourquoi tous les Mission« naires doivent estre contens, non seulement quand « ils se trouveront dans quelque occasions d’abje« ction ou du mépris, pour leur particulier, mais aussi « quand on méprisera leur Congregation ; & l’on « pourra connoistre cette marque s’ils sont veri« table ment humbles. « Pour vous affectionner davantage à cette sainte « vertu, remarquez je vous prie que si vous avez ja« mais oüy raconter par des personnes du dehors « quelque bien qui ait esté fait dans la Congregation « vous trouverez que c’est parce qu’il leur a paru en « elle quelque petite image d’humilité, & qu’on « luy à vû pratiquer quelques actions basses & ab« jectes, comme d’instruire les paysans, & de servir « les pauvres. De mesme si quelques-uns témoi« gnent estre édifiez de cette Maison, c’est parce qu’ils « y ont remarqué une maniere d’agir humble & sim« ple, qui est une nouveauté pour eux, & un charme « & attrait pour tout le monde. Je sçay bien que d’au« tres ont leurs raisons pour agir avec plus d’autho« rité; mais pour les Missionnaires, je n’estime point « que ce soit dans cet esprit qu’ils doivent agir, ny « ne puis me persuader qu’ils y fissent du fruit. C’est « pour cela que je prie Dieu souvent qu’il donne sur« tout l’humilité à cette petite Congregation, & que « ce soit là son partage ; car en cette vertu nous trou« verons toutes les autres, & particulièrement cel« les qui nous sont les plus propres, comme la Simpli« cité, la Douceur, la Mortification & le Zele des « ames. O Sauveur ! donnez-nous cette humilité « qui vous est propre, que vous avez enseignée, au « monde, & que vous chérissez avec tant d’affection. « O sainte humilité que tu es belle ! O petite Con- DE PAUL. LIV. I . CHAP. XIX. 123 gregation que tu seras aimable, si Dieu te fait la « grace de posséder cette excellente vertu. « L’Etat des Missionnaires, leur dit-il une autre « fois, est un Etat conforme aux Maximes Evange- « liques, lequel consiste à tout quitter & abandonner, « ainsi que les Apotres, pour suivre JESUS- « CHRIST, & pour faire à son imitation ce qui « est convenable à la gloire de Dieu & au salut des « ames. Car qui a-t-il de plus Chrétien & de plus « Apostolique, que de s’en aller de village en village « pour aider le pauvre peuple à se sauver, comme « vous voyez que l’on fait avec beaucoup de fatigues « & d’incommoditez ? Voilà que nos Confreres qui « travaillent présentement en un village du Diocese « d’Evreux, sont reduits à coucher sur la paille pour « faire aller les ames en Paradis par l’instruction & « par la souffrance ; cela n’approche-t-il pas de ce que« Nostre Seigneur est venu faire ? Il n’avoit pas seu- « lement une pierree où il pût reposer sa teste, & il « alloit ainsi d’un lieu à un autre pour gagner les « ames à Dieu, & enfin il est mort pour leur salut. « Certes il ne pouvoit mieux nous faire comprendre « combien elles luy sont cheres, ny nous persuader « Plus efficacement de ne rien épargner pour les « Eclairer de sa Doctrine, & pour les laver dans les « fontaines de son précieux sang. Mais voulons-nous « qu’il nous fasse cette grace, travaillons à l’humili- « té ; car d’autant plus que quelqu’un sera humble, « d’autant plus sera-t-il charitable envers le prochain. « La charité est l’ame des vertus, mais c’est l’humili- « té qui les attire & qui les garde. Il en est des Com- « Pagnies humbles comme des vallées, qui attirent « sur elles tout le suc des montagnes ; dés que nous « serons vuides de nous-mesmes Dieu nous remplira « de luy. Humilions-nous donc, mes Freres, de ce que « Dieu a jetté les yeux sur cette petite Congregation « 97 LA VIE DU VENERABLE VINCENT « pour servir son Eglise, si toutefois on peut appeler « Congregation, une poignée de gens pauvres de « naissance, de science & de vertu, la lie, la balieure « & le rebut du monde. « Le Reverend Pere de Condren General de l’O« ratoire, dont la memoire est en bénédiction, me di« soit un jour à ce propos : O Monsieur, que vous « etes heureux de ce que votre Con,gregation a les « marques de l’Institution de JESUS-CHRIST ! Car « comme instituant son Eglise il prit plaisir de choisir « des gens pauvres, idiots & grossiers pour la fonder « & pour l’etendre par toute la terre, afin de faire « paroistre sa Toute-Puissance en renversant la sa« gesse des Philosophes par des pauvres pécheurs, & « la puissance des Rois par de foibles ouvriers : De « mesme la plus-part de ceux que Dieu appelle en « votre Congregation, sont des personnes de medio« cre condition ou qui n’eclatent pas beaucoup en « science ; & ainsi ce sont des instrumens propres « a ux desseins de JESUS-CHRIST, qui s’en servi« ra pour détruire le mensonge & la vanité. L’on peur aisément reconnoistre par ces Discours de M. Vincent ; que l’Humilité est le principal fondement sur lequel il a élevé l’Edifice Spirituel de sa Congregation. A quoy si l’on ajoûte la Simplicité ; la Douceur, la Mortification & le Zele des ames qu’il propose à mesme temps ; l’on trouvera dans `l’assemblage de ces cinq vertus, la perfection & l’a ccomplissement de l’esprit propre de cet Institut. C’est ce qu’il a luy-mesme declaré aux siens, non seulement de vive voix, mais encore par une Regle expresse, de laquelle traitant un jour dans une conference,,il fit voir amplement la necessité de ces cinq vertus, par rapportr à la Fin & aux fonctions de la Congregation de la Mission ; puis il conclut son Discours en ces termes . DE PAUL. LIV. I. CHAP. XIX . 125 Voilà mes Freres les Maximes Evangeliques que « J’ay toujours crû les plus conformes à notre état, « & les plus propres aux Missionnaires. La Simpli- « cité qui nous fait aller droit à Dieu, & avoir uni- « que ment en veuë dans toutes nos actions sont hon- « neur & son bon plaisir. L’Humilité qui nous por- « te à l’aneantissement de nous-mesmes devant Dieu, « & à l’amour de notre propre abjection devant les « hommes, afin que Dieu seul soit honoré & glori- « fié en nous. La Douceur par laquelle nous suppor- « tons les foiblesses & les rebuts de notre prochain « pour l’attirer suavement à la connaissance & à l’a- « mour de Dieu. La Mortification qui nous fait sur- « monter toutes les difficultez qui se rencontrent « dans les divers Emplois de notre Vocation. Enfin « le Zele qui nous anime d’un ardent desir de procu- « rer la gloire de Dieu, notre propre perfection , & « le salut des ames. La Simplicité a rapport à Dieu ; « l’Humilité à nous-mesmes ; & la Douceur au pro- « chain ; la Mortification est un moyen necessaire « pour l’acquisition de ces mesmes vertus, entant « qu’elles en retranche les obstacles ; & le Zele adou- « cit par l’onction de la grace & de la charité l’amer- « tume de la mortification, nous faisant mesme trou- « ver du plaisir & de la joye dans les travaux & dans « les souffrances. Il faut donc, conformément à notre « Regle, que ces cinq vertus soient à la Congregation « de la Mission, ce que les facultez sont à l’ame ; c’est « à dire, que comme l’ame connoist par l’entendement, « veut par la volonté, se ressouvient par la memoire, « &c. Ainsi les Missionnaires, agissent par le principe « de ces cinq vertus, & qu’on les voye reluire dans « leurs Prédications, dans leur Conversation & dans « toute leur conduite. O Seigneur qui avez suscité « par vostre Providence cette petite Congregation, « & qui luy avez marqué cet Esprit comme un moyen « 126 LA VIE DU VENERABLE VINCENT « absolument necessaire pour répondre à sa Voca« tion, disposez nos cœurs à le recevoir avec pleni« tude, afin que nous puissions accomplir vos desseins « éternels sur nous, & satisfaire aux obligations de « notre Etat. C’est la grace que nous vous deman« dons & que nous espérons de votre Divine mi« sericorde. _______________________________________ CHAPITRE XX. Institution du premier Seminaire interne de la Congregation de la Mission, & la sage conduite de M. Vincent, envers ceux qu’il y recevoit. C’ESTOIT une Maxime receuë parmy les Anciens Peres qui faisoioent profession de l’Etat Coenobitique, de ne recevoir personne dans leurs Congregations, qu’après avoir bien reconnu ses dispositions & eprouvé sa vertu. C’est ce qui a esté depuis saintement observé dans toutes les Communautez soit Regulieres soit Seculieres, qui ont esté établies dans l’Eglise ; M. Vincent suivit aussi cette Maxime tres-importante dans l’Etablissement de sa Congregation, afin de n’y admettre que des personnes bien appellées de Dieu & disposées aux fonctions & emplois de son Institut. Il est vray que ne pouvant dés le commencement établir entièrement cette sainte pratique, à cause du petit nombre de ses Ouvriers, & de leur continuelle application aux Missions, il se contenta durant les premieres années déprouver par la Retraite Spirituelle, la bonne volonté de ceux qui se presentoient à` luy, & de les préparer par quelques autres exercices de pieté à recevoir l’Esprit propre de leur Vo- DE PAUL. LIV. I. CHAP¨.XX. 127 cation. Mais le nombre des Missionnaires s’estant peu à peu augmenté, il institua l’an 1629, une espece de Probation particuliere pour tous les commençans qui s’estoient nouvellement joints à luy, & donna le nom & la forme de Seminaire à cette Probation, comme estant instituée pour former les Siens aux vertus & aux fonctions d’une vie vraiment Ecclesiastique, suivant leur profession. Depuis que sa Congregation fut établie en la Maison de S. Lazare, il perfectionna encore davantage cette sainte institution, ayant dressé un tres-bel Ordre pour l’employ de la journée, & des Regles fort convenables à la fin de cet Etablissement. Ayant ainsi mis la derniere main à cet Ouvrage, il ordonna qu’à l’avenir ceux qui desiroient estre admis dans sa Congregation, seroient pendant deux ans exercez dans un semblable Seminaire à la pratique des vertus sous la conduite d’un Directeur ; & il confia pour lors cet Employ à M. Jean de la Salle un des trois premiers Prestres qui s’estoient unis à luy.. C’estoit un homme d’une solide vertu, & d’une sage conduite, qui avoit une grande experience de toutes les fonctions de l’Institut, & qui en possedoit parfaitement l’Esprit : Aussi s’acquitta-t-il de cette charge avec une singuliere édification de tous ceux de la Maison, & particulièrement des Commençans dont il eut la Direction jusqu’à sa Mort, qui fut, comme celle des justes, tres-precieuSe devant Dieu. Ce Seminaire ayant eu de si bons commencemens & un si heureux progrès, a toûjopurs continuë depuis avec la mesme bénédiction ; & l’on y voit pour l’ordinaire trente ou quarante Seminaristes, tant Prestres que Clercs, qui y sont soigneusement élevez dans tous les Exercices de la vie Spirituelle.M. Vincent tenoit pour maxime que c’estoit à Dieu d’y 128 LA VIE DU VENERABLE VINCENT appeler ceux qui luy plairoit ; & que comme les Apostres, qui ont esté les premiers Missionnaires Du Fils de Dieu, ne se sont pas ingerez d’eux-mesmes, mais ont été choisis par ce Divin Seigneur ; il falloit aussi que ceux qui voudroient à l’imitation de ces grands Saints, travailler à l’instruction & à la conversion des Peuples, fussent choisis & appellez par ce mesme Seigneur. C’est pour cette raison que ce Saint homme defendoit étroitement aux Siens de persuader à qui que ce fust d’entrer dans la Congregation ; & toutes les fois que l’occasion se pretentoit de renouveller cette defense, il ne manquoit pas de le faire d’une maniere fort puissante. Voicy ce qu’il leur dit un jour sur ce sujet. « Prenez bien garde, Messieurs, lors-que vous « rendez service, & donnez conduite à ceux qui « viennent faire leurs Retraites Spirituelles en cette « maison, de ne leur dire jamais rien qui tende à « les attirer dans notre Congregation : c’est à Dieu « d’y appeller & d’en donner la premiere inspiration. « Je dis bien davantage, quand mesme ils vous de« couvriroient qu’ils en ont la pensée, & qu’ils vous « temoigneroient qu’ils y ont inclination ; gardez « vous bien de les déterminer de vous-mesmes à se « faire Missionnaires, en le leur conseillant, ou les y « exhortant ; mais alors dites leur seulement qu’ils « recommandent de plus en plus leur dessein à Dieu, « & qu’ils y pensent meurement, comme à une chose « tres-importante. Représentez-leur les difficultez « qu’ils y pourront avoir selon la nature ; & que s’ils « embrassent cét état, ils doivent s’attendre de bien « souffrir & de bien travailler pour Dieu. Que si « après cela ils prennent leur resoluition, à la bonne « heure on peut les faire parler au Superieur pour « conférer plus amplement avec eux de leur vocation. « Laissons faire Dieu, Messieurs, & nous tenons DE PAUL. LIV. I . CHAP. XX. 129 humblement dans l’attente & dans la dependance « des ordres de sa Providence. Par sa misericorde « l’on en usé ainsi jusqu’à present dans la Congre- « gation ; & nous pouvons dire qu’il n’y a rien en « elle que Dieu n’y ait mis, & que nous n’avons re- « cherché ny hommes, ny biens, ny établissemens. « Au nom de Dieu, tenons-nous là, & le laissons fai-« re. Suivons, je vous prie, ses ordres, & ne les pre- « venons pas. Croyez-moy, si la Congregation en « use de la forte, Dieu la benira. « Une autre fois M. Vincent ayant receu une lettre d’un de ses Prestres, pour la faire tenir à un Ecclesiastique tres-vertueux, qu’il estimoit fort propre pour les Emplois de la Mission, & qui luy avoit mesme témoigné en quelque rencontre de l’inclination pour cet état ; il fit cette reponse. Je n’ay pas envoyé la lettre que vous m’avez « adressé pour Monsieur N. parce qu’elle le persua- « de d’entrer dans la Congregation, & que nous avons « une maxime contraire, qui est de ne solliciter ja- « mais personne d’embrasser notre Estat. Il n’appar- « tient qu’à Dieu de choisir ceux qu’il veut appel- « ler ; & nous sommes assurez qu’un Missionnaire « donné de sa main paternelle, fera luy seul plus de « bien, que beaucoup d’autres qui n’auroient pas une « pure Vocation. C’est à nous à le prier qu’il envoye « de bons Ouvriers en la Moisson, & si bien vivre « que nous leur donnions par nos exemples, de l’at- « trait pour travailler avec nous, si Dieu les y ap- « pelle. « Voilà de quelle façon M. Vincent parloit ; & voicy comme il agissoit. Trois sortes de personnes se sont souvent adressées à luy pour le consulter sur le choix d’un état de vie. Les uns estoient irrésolus s’ils quitteroient le monde. Les autres desiroient le quitter, mais n’estoient pas déterminez touchant la 130 LA VIE DU VENERABLE VINCENT Religion ou la Communauté qu’ils devoient embrasser. D’autres enfin avoient une volonté toute formée de se faire Missionnaires. Plusieurs de ceux qui balançoient entre la vie Religieuse & la vie commune qu’on mene dans le monde, luy écrivoient ou luy disoient chacun en particulier : Monsieur, je me mets entre vos mains pour faire tout ce que vous jugerez que Dieu demande de moy. Dites moy ce que je dois faire ? Si je dois quitter le monde pour embrasser un tel ou tel état ? il me semble que Dieu m’adresse à vous pour connoitre sa volonté. Je suis dans une entiere indiferrence sur le choix que je dois faire, & je poursuivroy votre avis comme la marque la plus assurée de la volonté de Dieu. On luy a fait plusieurs fois de telles Consultations & demandes ; & c’est une chose merveilleuse que cet humble & sage Serviteur de Dieu n’a presque jamais voulu déterminer personne, ny leur prescrire l’état qu’ils devoient embrasser, de peur d’entreprendre, comme il disait, sur la conduite de la Providence de Dieu, & de prévenir les ordres de sa Souveraine volonté. Sa réponse plus ordinaire estoit celle-cy. « La Resolution de vostre doute est une affaire à` « vuider entre Dieu & vous ; continuez à le prier « qu’il vous inspire ce que vous avez à faire, mettez« vous en Retraite pour quelques jours à cet effet, & « croyez que la resolution que vous prendrez en la « veüe de Nostre Seign eur, sera la plus agreable à « sa Divine majesté, & la plus utile pour vostre « bien. Quant à ceux qui s’adressoient à luy, estant déja déterminez de quitter le monde, mais incertains de la Religion ou Communauté en laquelle ils devoient se retirer ; s’il luy en proposoient deux qui fussent bien réglées, pour savoir laquelle il de- DE PAUL. LIV. I . CHAP. XX. 131 voient choisir, il les remettoit encore à resoudre ce qu’ils avoient à faire avec Dieu ; mais si la Congregation de la Mission estoit une de ces deux-la, il leur disoit : O Monseiur, nous sommes de pau- « vres gens, indignes d’entrer en comparaison avec « cette autre sainte Compagnie/ Allez-y au Nom de « Nostre Seigneur, vous y serez incomparablement « mieux qu’avec nous. « C’est ce qu’il a pratiqué en plusieurs rencontres, & il a luy mesme autrefois rapporté sur ce sujet les deux exemples suivans. Il me souvient, dit-il, qu’un « Avocat au Conseil, qui estoit un des beaux Esprits « du Siecle, me consulta un jour sur la Vocation « qu’il devoir suivre. Il se sentoit porté à entrer dans « L’Ordre des Chartreux, ou dans notre Congrega- « tion. Dieu me fit la grace de ne luy dire jamais rien « pour l’incliner à se faire Missionnaire ; & toutes les « fois qu’il m’en parla, je luy dis toûjours ; Dieu « vous demande aux Chartreux, allez, Monsieur, où « Dieu vous appelle. Il est vray qu’il avoit encore « quelque temps à demeurer dans le monde pour « terminer ses affaires, & pour prendre sa derniere « resolution ; mais il est enfin allé aux Chartreux. « Un autre jeune homme qui estoit aussi un des beaux « Esprits que j’ay encore veus parmy Messieurs les « Exercitans, témoigna pendant ses exercices qu’il de- « siroit estre de notre Congregation, & il attendoit seu- « lement qu’on luy en touschat le moindre mot pour « s’y determiner tout à fait. Son Directeur me consulta « là- dessus, & je luy dis qu’il ne luy en falloit point « parler. Il est maintenant aux Capucins où il fait tres- « bien. Nous devons avoir un entier dés-interessement « en semblables occasions, & ne regarder que Dieu seul, « afin de juger toûjopurs selon son Esprit, & non selon la « chair, de la Vocation des personnes qu’ il nous adresse. « 132 VIE DU VENERABLE VINCENT Pour ceux qui se presentoient à luy avec volonté déterminée d’entrer en sa Congregation , il procedoit au discernement de leur Vocation avec une tres-grande circonspection avant que de les recevoir. Il s’informoit d’eux depuis quand ils avoient eu cette pensée ? Comment & par quelle occasion elle estoit venuë ? de quelle condition ils estoient ? Par quel motif ils estoient portez à embrasser l’état de Missionnaire ? S’ils estoient disposez d’aller en tous les lieux où ils seroient envoyez, & de passer par dessus telles & telles difficultez, leur proposant celles qui arrivent plus fréquemment en l’état qu’ils vouloient embrasser. Il les remettoit d’ordinaire pendant quelque temps, les obligeant de revenir plusieurs fois, afin de les mieux connoistre. Il les renvoyoit mesme quelquefois sans leur donner de resolution, & avec peu d’esperance d’estre admis, pour eprouver leur Vocation & leur bonne volonté ; & enfin quelque epreuve qu’il eust faite de leurs dispositions & de leur persévérance, il ne leur donnoit jamais parole qu’ils n’eussent fait auparavant une Retraite exprés pour consulter la volonté de Dieu ; après que s’ils continuoient dans leur premier dessein, il les faisoit voir par quelques anciens Prestres de la Mission ; & s’ils les jugeoient propres pour la Congregation, il les recevoit au Seminaire pour y faire une epreuve de deux ans. Mais ce qui est bien remarquable en ce sujet, est qu’il faisoit plus de difficultez de recevoir ceux qui avoient quelques avantages de naissance ou d’esprit par dessus le commuin, que ceux qui estoient médiocrement pourvûs de ces qualitez naturelles, s’il ne voyoit dans les premiers une veritable & sincere humilité ; parce qu’il se defioit beaucoup de tout ce qui pouvoit donner entrée aux considérations humaines, & favoriser les DE PAUL. LIV. I . CHA. XX. 133 inclinations de la nature ; outre qu’il estimoit que ceux qui n’avoient que des talens communs, estoient d’ordinaire mieux disposez à se confier en Dieu, & que par ce moyen, ils reüssissoient souvent avec plus de bénédiction dans leurs Emplois. Un tresvertueux Prelat, ayant bien remarqué cette conduite de M. Vincent, disoit avec grande raison : Que les Maximes qu’il avoit introduite dans sa Con- « gregation, de n’estimer les qualitez de la nature, ou « de fortune, qu’autant qu’elles estoient jointes à la « vertu & soûmises à la grace, estoit un des grands « moyens que Dieu luy avoit inspirez pour mainte- « nir sa Congregation dans la pureté de son esprit. « S’il estoit si soigneux d’examiner la Vocation de ceux qu’ il admettoit au Seminaire, il ne l’estoit pas moins de les y eprouver dans la pratique de l’Humilité, de la Mortification, de la Devotion, `de la Recollection, de l’exactitude, & en d’autres semblables Exercices nécessaires pour faire un fonds de vertu, & pour honorer, comme il disoit, l’Etat de l’Enfance de Nostre Seigneur. Il souhaitoit sur tout qu’ils se rendissent fort intérieurs, & qu’ils fissent une bonne provision de l’Onction de l’Esprit de Dieu, laquelle pûst après conserver le feu de la charité dans leurs cœurs, parmy tous les emplois de leur Congregation. Il a laissé écrit de sa main un Sommaire des dispositions qu’il requeroit de ceux qui rentroient dans le Seminaire. Il est conçeu en ces termes. Quiconque veut estre admis en cette Congregation, doit se resoudre de vivre comme un Pelerin « sur la terre ; de se faire foû pour JESUS-CHRIST ; « de changer de mœurs, de mortifier toutes ses pas- « sions, de chercher Dieu purement, de s’ assujettir « à un chacun, se considerant comme le moindre de « tous. Il doit se persuader qu’il est venu pour servir « 134 LA VIE DU VENERABLE VINCENT « & non pour gouverner ; pour souffrir & travail« ler, & non pour vivre en délices & en oisiveté. Il « doit savoir que l’on y est éprouvé comme l’or dans « la fournaise, & qu’on ne peut y persévérer, si l’on « ne veut s’humilier pour Dieu ; mais il peut aussi « s’assurer qu’en ce faisant, il aura un veritable con« tentement en ce monde, & la vie eternelle en « l’autre. Dans ce peu de paroles ce Saint homme a compris beaucoup de choses, & a bien taillé de l ’ouvrage à ceux qui ne trouvant pas leurs commoditez ny leurs satisfactions dans le monde, penseroient trouver leurs aises & leur repos dans la Congregation de la Mission. Mais il a encore d’autrefois passé plus avant en ce sujet, jusqu’à désirer que tous Ceux qui entroient en sa Congregation fussent dans « la disposition d’endurer le martyre : Plaise à Dieu, « dit-il, que tous ceux qui viennent pour estre Mis« sionnaires, soient dans la pensée du martyre & dans « le desir de souffrir la mort pour le service de Dieu, « soit dans les païs éloignez, soit en celuy-cy, ou en « quelque lieu qu’il plaira à Dieu se servir de la pe« tite Congregation. O que nous devons demander « souvent cette grace à Nostre Seigneur. Helas ! Mes« sieurs & mes Freres, y a-t-il rien de plus raison« nable que de nous consumer pour celuy qui a si li« beralement donné sa vie pour nous ? Si Nostre Sei« gneur nous a aimez jusqu’à ce point que de mourir « pour nous, pourquoi n’aurons-nous pas la mesme « affection envers luy, aussi bien que tant de Papes « & d’autres Saints qui ont esté martyrisez ? Nous « v oyons mesme tant de Marchands, qui traversent « les mers, & s’exposent à une infinité de dangers « pour aller chercher quelques pierres précieuses & « pour un profit temporel, combien plus le devons« nous faire pour porter les perles in estimables des DE PAUL. LIV. I . CHAP. XXI. 135 Veritez de l’Evangile, & pour gagner des Ames à JESUS-CHRIST. C e sont les excellentes dispositions que ce tres-digne Pere des Missionnaires desiroit en tous ceux qu’il recevoit ; & c’est à cette éminente perfection, comme tres-conforme à leur état, qu’il tas choit de les élever, jugeant avec raison que puis qu’ils estoient obligez par la fin de leur Institut à commu niquer l’Esprit & les vertus de N ostre Seigneur non seulement aux Peuples de la campagne, mais encore aux Ecclesiastiques qui vivent dans le monde, comme nous verrons cy-après ; ils devoient par consequent les posséder eux-mesmes avec plenitude, & estre sur tout embrasez, à l’imitation de ce Divin Sauveur, d’un zele infatigable pour le salut des Ames. _______________________________________ CHAPITRE XXI. Etablissement des Prestres de la Congregation de la Mission à Saint Lazare Lez-Paris. CETTE petite Congregation s’augmentoit de Jour en jour, & les pierres vivantes qui devoient faire la structure de cette n ouvelle Cité s’assembloient & se disposoient de plus en plus par la pratique des Vertus. Mais comme le College des Bons-Enfans, qui avoit peu de revenu & d’étenduë, ne pouvoit fournir la subsistance, ny le logement pour beaucoup de personnes ; Dieu voulut y pourvoir d’une maniere qui surprendra le Lecteur, & qui luy fera admirer les conduites de son infinie sagesse. Pendant que ces bons Missionnaires n’appliquoient leurs pensées & leurs soins 136 LA VIE DU VENERABLE VINCENT qu’à étendre le Royaume de JESUS-CHRIST, & à luy gagner des ames ; la Divine Providence leur preparoit un nouvel Etablissement dans la Maison de Saint Lazare lez- Paris. C’est une Seigneurerie Ecclasiastique, où il y a justice haute, moyenne, & basse, en laquelle outre la grande étenduë des logemens & des enclos, ils pouvoient trouver tous les secours convenables pour s’affermir & se multiplier. On ne peut douter que cet Etablissement ne soit un ouvrage particulier de la main de Dieu, puisqu’il s’est fait contre, toutes les apparences, & que les moyens par lesquels il a reüssi, ne pouvoient servir, selon le raisonnement humain , qu’à mettre obstacle à son execution. Cela paroist bien clairement par tout ce qui s’est passé dans cette occasion, suivant le recit tres-fidéle qu’en a fait entre autres celuy qui a esté le princepal Entremetteur de cette affaire. C’est feu M. de Lestocq, dont les vertus, aussi-bien que la qualité de Docteur de Sorbon,ne, & de Curé de SaintLaurens à Paris, méritent une creance particuliere. Il ne s’est pas contenté d’avoir declaré de vive voix ce qu’il sçavoit sur ce sujet, il a voulu encore donner son témoignage écrit & signé de sa main en la maniere suivante. « Messire Adrien le Bon Religieux de l’Ordre des « Chanoines Reguliers de S. Augustin, & Prieur « de S. Lazare, eut quelque difficulté en l’année « 1630, avec les Religieux, laquelle le porta à vou« loir permuter son Prieuré avec un autre Benefice. « Plusieurs le presserent & luy offrirent des Abbayes « & d’autres Benefices de revenu : mais ayant com« muniqué son dessein à ses amis, ils l’en détourne« rent, disant qu’on pourroit apporter remede au « differend qu’il avoit avec ses Religieux, par une « Conference de luy avec eux, en presence de qua- DE PAUL. LIV. I. CHAP. XXI. 137 tre Docteurs ; à quoy il consentit, & ses Reli- « gieux en convinrent. L’Assemblée s’estant faite « chez un Docteur fort recommandable en merite & « en sainteté, M. le Prieur allégua ses griefs, & en- « suite on oüit la réponse du Sous-Prieur qui par- « loit pour les Religieux : après quoy il fut ordonné « que l’on dresseroit une Formule de vie & un Re- « glement qu’on suivroit à l’avenir ; ce qui fut exe- « cuté. M. le Prieur ne laissa pas pourtant de per- « severer en la volonté de quitter son Prieuré ; & « Ayant oüy parler de quelques bons Prestres qui s’a- « donnoient à faire des Missions sous la conduite de « M. Vincent qu’il ne connaissoit point, il eut la « pensée que s’il les établissoit en ce Prieuré, il pour- « roit participer au grand fruit qu’ils faisoient dans « L’Eglise. Il demanda où ils demeuroient, & le lieu « Luy ayant esté déclaré, il me pria, comme son voisin« & son bon amy, de l’accompagner. Je le fis tres-vo- « lontiers, & luy representay qu’il ne pouvoit mieux « faire, & que cette pensée ne pouvoit venir que du « Ciel : Que Dieu avoit suscité ces bons Prestres « pour le bien de la Campagne, laquelle avoit un ex- « tréme besoin d’eux, tant pout l’instruction que les « Villageois en recevoient, que pour la declaration « de leurs pechez au tribunal de la Confession, où « Ils ouvroient librement & entièrement leurs con - « sciences, & decouvroient ce qu’ils n’avoient osé « dire aux Confesseurs des lieux, soit pour n’avoir « pas esté interrogez suffisamment sur leurs pechez, « soit pour estre retenus par la honte de les manife- « ster : Que j’en pouvois parler & l’en assurer, pour « avoir esté en Mission avec eux, & l’avoir experi- « menté : Qu’au reste il verroit un homme de Dieu « en leur Compagnie qui estoit leur Directeur, en- « tendant parler de M. Vincent, ain si que luiy-mes- « me reconnoistroit. Estant donc allez ensemble au « 138 LA VIE DU VENERABLE VINCENT « College des Bons-Enfans prés de la porte S.Victor « M.le Prieur découvrit à M. Vincent le sujet qui « l’avoit amené , & luy dit : Qu’on luy avoit fait un « recit tres avantageux de sa Congregation, & des « charitables emplois auxquels elle s’appliquoit en « faveur des pauvres dens des champs ; qu’il seroit « heureux s’il y pouvoit contibüer, & qu’il luy ce« deroit volontiers la Maison de S. Lazare pour un si « digne exercice. « Cette offre si avantageuse étonna grandement « cét humble Serviteur de Dieu ; & elle fit en luy le « mesme effet qu’un éclat de tonnerre impréveu, qui « surprend un homme soudainement, & qui le lais« se comme interdit. Ce bon Prieur s’appercevant de « cela luy dit : Hé quoy, Monsieur, vous tremblez ? « Il est vray, Monsieur, luy répondit-il, que vostre « proposition m’étonne, & elle me paroist si fort au « dessus de nous, que je n’oserois y penser.Nous « sommes de pauvres Prestres qui vivons dans la « simplicité, sans autre dessein que de servir les Pau« vres gens des champs. Nous vous sommes fort « obligez, Monsieur, de vostre bonne volonté, & « vous en remercions tres-humblement. Un un mot « il témoigna n’avoir aucune inclination d’accepter « cette offre, & s’en recula si loin, qu’il osta toute es« perance de le retourner voir sur ce sujet. Nean« moins la douce & affable reception dont vsa M. « Vincent, toucha tellement le cœur de M. le « Bon, qu’il ne pouvoit se resoudre à changer de des« sein, & il luy dit en le quittant qu’il luy donnoit « six mois pour y penser. « Après ce temps-là il me pria derechef de l’ac« compagner pour aller revoir M. Vincent, auquel « il fit la mesme proposition, & le conjura de vou« loir agréer son Prieuré, l’assurant que Dieu luy « inspiroit de plus en plus de le luy mettre entre les DE PAUL. LIV. I . CHAP. XXI. 139 mains : A quoy j’insistay aussi de mon costé, priant « M. Vincent de ne pas refuser une si belle occasion. « Tout cela néanmoins ne fit point d’impression sur « son esprit, & ne le put faire changer de sentiment. « Il demeura ferme sur le petit nombre qu’ils estoient, « Disant qu’à peine ils estoient nez ; qu’il ne vouloit « pas faire parler de luy ; & qu’enfin il ne meritoit pas « cette faveur de M. le Prieur. Sur cela M. le Bon « entendant sonner le disner, dit à M. Vincent qu’il « vouloit disner avec luy & avec sa Communauté, « comme en effet il y disna, & moy aussi. La mode- « stie de ces Prestres, la Lecture spirituelle, & tout « L’ordre plût tellement à M. le Bon, & luy fit con- « cevoir une si grande vénération & affection pour « eux, qu’il ne cessa de me faire solliciter M. Vin- « cent. Je reïteray plus de vingt fois dans l’espace « de six mois mes sollicitations, & jusques à ce point « que je luy dis plusieurs fois, comme estant fort son « amy, qu’il resistoit au S. Esprit, & qu’il répon- « droit devant Dieu de ce refus, pouvant par le « moyen de l’offre qu’on lui y faisoit, établir & former « une Congregation parfaite dans toutes ses circon- « stances. « Je ne puis dire avec qu’elle instance on l’a pour- « suivy. Jacob n’a pas eu tant de patience pour obte- « nir Rachel, ny tant insisté pour obtenir la bene- « diction de l’Ange, que M. le Prieur & moy pour « avoir un oüy de M. Vincent, & pour obtenir de « luy cette acceptation que nous le pressions de nous « accorder. Enfin M. le Prieur s’avisa de luy aller « dire au bout d’un an : Monsieur, quel homme « estes-vouis ? si vous ne voulez pas entendre à cet- « te affaire, dites-nous au moins de qui vous prenez « avis ? En qui vous avez confiance ? Quel amy « vous avez à Paris, à qui nous puissions nous adres- « 140 VIE DU VENERABLE VINCENT « ser pour en convenir ? J’ay le consentement de tous « mes Religieux, & il ne me reste que le vostre. Il « n’y a personne qui veüille vostre bien, qui ne vous « conseille de recevoir celuy que je vous presente. « Alors M. Vincent luy indiqua M. André Duval « Docteur de Sorbonne, qui estoit un Saint-homme, « & qui a mesme écrit la vie de plusieurs Saints. « Nous ferons dit-il, ce qu’il nous conseillera. En « effet M. le Prieur l’estant allé trouver, il traite« rent ensemble de ce dessein, & demeurerent d’ac« cord des conditions. En suite le Concordat fut « passé le 7 Janvier 1632, entre M. le Prieur & les « Prestres de sa Congregation de l’autre.C’est « par ce moyen que M. Vincent a cedé enfin aux im« portunitez qui luy ont esté faites, & entre autre par « moy-mesme, qui pouvois bien dire en cette occas« sion : Raucoe factoe sunt fauces meoe. J’eusse volon« tiers porté sur mes épaules ce Pere des Missionnai« res pour le transporter à S. Lazare, & pour l’en« gager à l’accepter ; mais il ne regardoit pas les « avantages extérieurs du lieu & de tout ce qui en « dépend, & il ne vint pas mesme le voir pendant « tout ce temps-là : de sorte que ce ne fut point sa « belle situation qui l’y attira ; mais la seule volonté « de Dieu, & le bien spirituel qu’il y pouvoit faire. « Ayant donc accepté par ce seul motif la Maison de « S. Lazare, après toutes les résistances imagi« nables, il y vint le lendemain 8 janvier 1632. & « tout se passa avec douceur, & au contentement de « tous ceux de la Maison. C’est ce qui fait bien voir « que Digitus Deshîc est : Que c’est la Terre de Pro« mission où Abraham a esté conduit ; je veux dire « M. Vincent vray Abraham & grand Serviteur de « Dieu, dont les Enfans sont destinez pour remplir « la terre de ben diction, & dont la Famille subsiste « ra dans les siècles. DE PAUL. LIVR. I . CHAP. XXI. 141 M le Curé de S. Laurens ayant envoyé ce récit au successeur de M. Vincent en la charge de SuPerieur general de la Congregation de la Mission, il l’accompagna de la Lettre suivante qui est dattée Du 30 Octobre 1660. Monsieur, le desir que vous avez témoigné de « savoir comment s’estoit passé l’entrée de M. Vin- « cent & de sa Con,gregation dans Saint Lazare, avec « Le repect que je dois à sa memoire, m’ont engagé « à vous en adresser un petit recit que je vous envoye. « Je n’en dis pas la centiéme partie, car je ne puis « me souvenir de tous les pieux entretiens que M. le « Prieur de S. Lazare & moy avons entendu de la bou- « che de feu M. Vincent, dans les visites que nous luy « avons renduës plus de trente fois l’espace de plus « d’un an, pendant lequel nous avons eu mille peines à « l’ébranler & à le disposez à accepter S. Lazare. Plu- « sieurs eussent esté ravis d’une telle offre, & il la « rebutoit. C’est ainsi que les bonnes choses s’éta- « blissent. Moïse refusoit d’aller en Egypte, & Je- « remie d’aller au peuple ; & nonobstant leurs excu- « ses, Dieu les choisit & veut qu’ils marchent. C’est « une vocation toute divine & miraculeuse, où la « nature n’a point de part. Le papier ne peut pas ex- « primer la conduite de cette affaire de laquelle Dieu « est l’Auteur & le Consommateur. Je n’ay fait « que tracer & crayonner ; celuy qui la voudra met- « tre au jour, la revelera & suppléera à mon silence. « Cependant je vous prie de croire que je revere ex- « trémement la memoire de feu M. Vincent, & que « j’estime à faveur d’avoir esté connu & aimé de « luy. « Voilà un témoignage qui contient beaucoup de particularitez tres-considerables & dignes d’estre pesées au poids du Sanctuaire. Le Pieux Lecteur pourra aisément reconnoistre par là, à quel degré 142 LA VIE DU VENERABLE VINCENT de perfection la grace de JESUS-CHRIST avoit dés-lors élevé M. Vincent ; combien son cœur estoit dégagé de tout interest propre & de tout respect humain ; & avec quelle pureté il regardoit Dieu en toutes ses entreprises : puisqu’il ne vouloit pas mesme écouter les propositions les plus avantageuses, s’il n’estoit assuré qu’elles fussent selon son bon plaisir : & qu’il ne desiroit aucun avancement qui ne fust pour sa plus grande gloire. Mais il y a encore une autre circonstance bien remarquable en cette affaire, qui ne fait pas seulement voir le parfait des-interessement de ce grand Serviteur de Dieu, mais aussi l’exactitude & la fidelité qu’il gardoit inviolablement jusqu’aux moindres choses qui pouvoient contribuer au bon ordre de sa Congregation, & au service qu’il desiroit qu’elle rendist à Dieu. Les principaux artiicles du Concordat estant arrestez,,il en restoit un que M. Vincent jugea tresImportant, bien qu’il ne semblast pas fort considerable. C’est que M. le Prieur desiroit que ses Religieux logeassent dans le Dortoir avec les Missionnaires, estimant que cela ne nuirait point à ceux-cy, & serviroit beaucoup aux autres, par le bon exemple qu’ils verroient en la personne de M. Vincent & des Siens. Mais ce sage Superieur ne voulut jamais consentir à cét article, dont il prévoyoit plusieurs inconvéniens, qui eussent pû apporter quelque préjudice au bon ordrte qu’il avoit etabli parmy ses Missionnaires. Il pria pour cét effet M. le Curé de S. Laurens de représenter à M. « le Prieur ; Que les Prestres de la Mission obser« voient le silence depuis les Prières du soir, jusqu’au « lendemain après disner ; Qu’ils avoient ensuite une « heure de conversation, depuis laquelle ils demeu« roient dans le silence jusqu’au soir après souper ; DE PAUL. LIV. I . CHAP. XXI. 143 auquel temps il avoient une autre heure de con- « versation, d’où ils rentroient dazns le silence, pen- « dant lequel on ne parloit que des choses nécessaires, « & encore à voix basse : Qu’il tenoit pour certain « que qui oste cela d’une Communauté, introduit le « desordre & la confusion : Qu’un saint personnage « avoit dit dans cette pensée, qu’on pouvoit assurer « d’une Communauté où le silence estoit exactement « gardé, qu’elle observoit aussi exactement le reste « de la régularité ; & au contraire que dans celles où « l’on ne gardoit pas le silence, il estoit presque im- « possible que les autres Regles y fussent observées. « Or comme il y avoit sujet d’apprehender que ces « Messieurs les Religieux ne voulussent pa s’assu- « Jettir à une observance si étroite, il estoit aussi à « craindre que ne le faisant pas, ils ne ruinassent en- « tierement cette pratique des Missionnaires. « C’ets ce que M. Vincent pria M. le Curé de S. Laurens de représenter à M. le Prieur, ainsi qu’on l’a trouvé dans une Lettre écrite de sa main, où il propose ensuite un expédient pour le logement des Religieux hors du Dortoir ; & enfin il déclare ouvertement sa resolution par ces paroles dignes de remarque : J’aymerois mieux que nous demeurassions Dans notre pauvreté, que de détourner les desseins De Dieu sur nous. Il demeura si ferme en cette Resolution qu’il fallut refayre cét article, autrement Il n’eust jamais passé les autres, & eust mieux ayMé estre privé de la maison de S. lazzare, & de tous les avantages temporels qui luy en pouvoient revenir, que de consentir à une chose qui eust pû causer le moindre obstacle au bien spirituel de sa Congrecation. Il estoit ainsi ferme & inflexible en ce point, parce qu’il sçavoit que la solitude & la recollection sont absolument necessaire à ceux qui font profession d’aider le prochain, & que s’ils ne se prému- 144 VIE DU VENERABLE VINCENT nissent par la retraire & le silence, contre la dissipation d’esprit que leur apportent leurs emplois, ils courent risque de se perdre en voulant sauver les autres. Ensuite du Concordat & sur la demission de M. le Bon, la Maison de S. Lazare avec ses dépendances fut unie à la Congregation de la Mission par M. l’Archevesque de Paris, de qui la collation en dépendoit ; & l’union fut confirmée quelque temps après par N.S.P. le Pape Urbain VIII. Messieurs les Prevost des marchan,ds & les EsChevins de Paris consentirent aussi à l’établissement des Missionnaires en la maison de S. Lazare ; & le Roy fit expédier de nouvelles Lettres patentes, lesquelles furent enregistrées au Parlement nonobstant quelque opposition qui fut levée par un Arrest contradictoire & solennel. Mais ce qui ne doit pas estre ômis en ce sujet, est que pendant que les Avocats plaidoient la cause, M. Vincent estoit en Oraison dans la sainte Chapelle du palais, & pour l’évenement de cette affaire. Voicy ce qu’il en écrivit environ ce temps- là à une personne de grande « vertu en qui il avoit une entiere confiance. Vous « savez bien que N.N. nous contestent S. Lazare. « Vous ne sçauriez croire les devoirs de soûmisssion « que je leur ay rendus selon l’ordre de l’Evangile « quoy-qu’en verité ils ne soient point fondez en rai« son, à ce que que M. Duval m’a assuré, & à ce que me « disent toutes les personnes qui savent de quoy il « s’agit. Il en sera ce qu’il plaira à Nostre-Seigneur, qui « sçait en verité que sa bonté m’a rendu autant indif« ferent en cette occasion, qu’en aucune autre affaire « que j’ay jamais euë : Aidez-moy s’il vous plait « à l’en remercier. L’Etablissement des Missionnaires à S. Lazare fut DE PAUL. LIV. I . CHAP. XXII. 145 comme une seconde naissance de leur Congre gation ; parce qu’il leur donna moyen de l’étendre & de pratiquer plusieurs saintes œuvres auxquelles la Divine Providence les a voulu appliquer, par l’entremise de leur charitable Instituteur. Nous en rapporterons les plus remarquables dans la suite de ce Livre ; & pour garder quelque ordre dans le recit de tant d’œuvres différentes que cet homme de Dieu a faites par soy & par les Siens, nous parlerons de celles qui subsistent encore, comme autant d’institutions permanentes pour le service de l’Eglise, avant que de passer aux autres actions particulieres de sa vie. En quoy nous suivrons à peu prés l’ordre du temps que ces Œuvres ont esté faites, préférant neanmoins, lorsqu’il sera necessaire, la liaison naturelle des choses, à la suite exacte des années. __________________________________________ CHAPITRE XXII. Dénombrement de plusieurs grands biens qui ont accompagné ou suivy l’Institution de la Congregation de la Mission, desquels M. Vincent a esté l’Autheur, ou le principal Promoteur. ET PREMIEREMENT LES MISSIONS C’EST une chose digne d’admiration & qui sembleroit presque incroyable, si elle n’avoit autant de témoins qu’il y a de personnes qui ont connu M. Vincent, qu’un simple Prestre, comme luy, qui fuyoit autant qu’il pouvoit d’estre connu du monde, & qui ne se produisoit qu’avec peine, ait néanmoins entrepris & conduit heureusement 146 VIE DU VENERABLE VINCENT à chef tant d’œuvres importantes pour le service de l’Eglise qu’il semble que la vie de plusieurs hommes n’y pourroit suffire. C’est ce que l’on verra néanmoins dans ce Chapitre & dans les autres qui suivent, où nous représenterons premièrement les Œuvres pas lesquelles il a principalement procuré le secours spirituel du prochain, comme sont les Missions, les Retraites spirituelles, les Exercices des Ordinans, les Conferences des Ecclesiastiques, les Seminaires, & le soin des Pensionnaires enfermez à S. Lazare. Ensuite, nous ajouteron,s les Etablissemens de pieté qu’il a particulierement instituez, pour l’assistance corporelle des pauvres, comme sont les Confreries de la Charité, la Compagnie des Filles servantes des Pauvres, le service de l’Hostel-Dieu, les Hôpitaux pour les Enfans-Trouvez & pour les Galeriens, sans parler maintenant d’autres semblables œuvres de sa misericorde, tant spirituelles que corporelles, que nous rapporterons cy-après dans la suite de l’Histoire. Nous commençons par les Missions de ce Serviteur de Dieu, par ce qu’entre toutes ses Œuvres elles tiennent le premier rang, soit que l’on considere le temps & la maniere de sa vocation à cét Employ Apostolique, soit que l’on regarde l’estime singuliere qu’il en a toujours témoigné de parole & d’effet. Il fut appelé à ce saint Exercice par une` conduite particuliere de la Divine Providence, dés les premières années qu’il s’employa à l’assistance spirituelle du prochain ; Dieu lui ayant fait connoistre, comme nous avons dit cy-devant, la necessité de ce moyen pour remédier à l’ignorance & aux déreglemens des Pauvres gens des champs, & particulièrement aux grands défauts que la plus- DE PAUL. LIV. I . CHAP. XXII. 147 part avoient jusques alors commis dans leurs Confessions ordinaires. L’experience qu’il eut des benedictions abondantes qui accompagnerent ses Missions, le confirmerent encore davantage dans la pensée que Dieu demandoit ce service de luy, & il s’y appliqua dés le commencement avec une telle ardeur & assiduité, que lors qu’il estoit obligé de retourner à Paris, il luy semblait, comme il a dit souvent, que les portes de la ville devoient tomber sur luy pour l’écraser ; tant il faisoit conscience d’interrompre, pour peu que ce fust, une occupation si necessaire & si avantageuse au salut des Ames. Ce fut aussi dans cette veuë de l’utilité & necessité des Missions, que Dieu l’inspira d’établir une nouvelle Congregation, qui eust cét Exercice pour principal Employ ; ce que le Saint Siege a approuvé & confirmé, déterminant cette Fonction-importante comme la Fin propre de cét Institut, & comme le caractere particulier qui le distingue de tous les autres. De sorte que l’on peut dire, qu’encore que M. Vincent n’ait pas travaillé le premier aux Missions, cette Œuvre néanmoins luy est propre en certaine maniere, tant pour l’étenduë & l’accroissement qu’il en a procuré dans un grand nombre de lieux où elles n’estoient pas connuës, que pour le bel ordre qu’il y a établi par sa prudente conduite, & pour le mouvement qu’il a donné par son exemple, & par ses paroles à beaucoup de vertueux Prestres, de s’appliquer à son imitation au mesme exercice des Missions. C’est pour cela que plusieurs Prelats & autres personnes de merite luy ont souvent attribué cét Ouvrage, le congratulant de vive voix & par écrit d’une si sainte institution ; ce qu’un des plus zelez luy témoigna un jour en peu de mots, luy écrivant sur ce sujet : Plusieurs, lui dit-il, ont trouvé le 148 LA VIE DU VENERABLE VINCENT moyen de reformer des Ordres Religieux ; mais vous avez trouvé le secret de renouveller par les Missions, l’Esprit du Christianisme dans les Fidéles. & de les établir parfaitement dans la Mere de toutes les Religions &c. Il faudrait plusieurs Volumes, pour representer dans le détail, le nombre considerable, & les fruits extraordinaires des Missions, que ce tres-digne Instituteur des Missionnaires a faites durant sa vie par luy & par les Siens ; mais afin d’abreger une si ample matiere, nous n’en parlerons qu’en général, renvoyant le Lecteur à ce qui en a esté dit dans la premiere Edition ; & nous rapporterons plus particulièrement quelques-uns des principaux Avis qu’il a donnez pour s’appliquer avec fruit à ce charitable Exercice. Nous avons veu au chapitre 8, comme avant l’Institution de sa Congregation, il commença ses premieres Missions l’an 1617, & les continua jusqu’à l’année 1625, non seulement dans les Bourgs & villages de plusieurs Diocéses, mais aussi dans l’Hôpital des petites Maisons, & dans celuy des Galeriens de Paris, & à Bordeaux dans les GaLeres : en quoy il fut aidé par plusieurs Ecclesiastiques considérables pour leur pieté & pour leur érudition, & mesme pour leur naissance. On ne sçait pas le nombre de Missions qu’il a faites luy mesme en personne durant ces 7 ou 8 premieres années ;mais il est constant qu’il en fit presque en toutes les terres de la Maison de Gondy, & en celles de Madame la Generale des Galeres, qui alloient à prés de quarante, tant Villes que Bourgs & villages ; & outre celles-là il en fit encore en beaucoup d’autres lieux. Depuis la naissance de la Congregation de la Mission, qui fut en l’an 1625, jusqu’en l’année 1632, qu’elle fut établie DE PAUL. LIV. I . CHAP. XXII 149 à S. Lazare, il fit par luy ou par les Siens tout au moins cent quarante Missions ; & depuis l’année 1632, jusqu ‘à la mort de ce grand Serviteur de Dieu, la seule Maison de S. Lazare en a fait par son ordre prés de sept cens, en plusieurs desquelsles il a luy mesme travaillé avec grande benedidiction. A quoy si l’on ajoûte toutes les Missions que les autres Maisons de la Congregation établies en plus de 25 Dioceses dedans & dehors le Royaume de France, ont faites sous sa conduite. Qui est-ce qui pourra concevoir la grandeur, l’étenduë, & la multiplicité des biens qui en ont reüssi pour la gloire de Dieu & pour le service de son Eglise ? Qui pourra dire combien de personnes qui vivoient dans une ignorance criminelle des choses de leur salut, ont esté instruites des veritez qu’elles estoient obligées de savoir ? Combienn d’autres qui vivoient toute leur vie croupy dans l’état du peché, en ont esté retirées par de bonnes Confessions générales ? Combien de sacrilèges qui se commettoient par la reception indigne des Sacremens, ont esté reparez ? Combien d’inimitiez & de haines deracinées ? Combien d’usures bannies ? Combien de concubinages & autres scandales ostez ? Combien de bonnes œuvres introduites en des lieux où elles n’estoient pas seulement connuës ? Et enfin combien d’Ames ont obtenu le salut éternel par le secours favorable qu’elles ont receu des Missions. C’est tous ces biens qu’il a operez par sa grace dans ces Emplois Apostoliques, & qui les manifestera un jour pour la plus grande gloire, & pour l’honneur de son fidéle Serviteur. Surquoy il est à propos de remarquer, qu’encore que son principal dessein ait esté de pourvoir aux besoins presque extrêmes des Pauvres de la Cam- 150 LA VIE DU VENERABLE VINCENT pagne & des petites villes, & qu’il ait particulierement attaché à leur service & assistance ceux de sa Congregation, il n’a pas eu pour cela moins de charité envers les habitans des grandes Villes ; car il a souvent excité & porté plusieurs vertueux Ecclesiastiques, particulièrement ceux qui s’assemblent à S. Lazare pour les Conferences spirituelles à entreprendre plusieurs Missions en des villes considerables de ce Royaume, & mesme en celle de Paris, où estant assistez de ses charitables avis & bénédiction. On a veu aussi depuis l’Institution desa Congregation, plusieurs autres Ecclesiastiques, lesquels estant excitez pare son exemple & par le succés de ses Missions, se sont unis & associez ensemble en diverses Provinces pour y travailler ; ce que ce grand Serviteur de Dieu, animé d’une charité vraiment des-interessée, approuvoit & loüoit toujours hautement ; car il ne luy importoit pas par qui JESUS CHRIST fust annoncé, pourveu que son saint Nom fust connü & glorifié, & les Ames sanctifiées & sauvées. Il a encore particulièrement fait paroistre son ardente affection pour l’employ des Missions par le grand soin qu’il a pris de former des Ouvriers qui pussent toûjours continuer cét exercice si utile au salut du prochain. C’est ce qu’il a fait donnant à ses Missionnaires tous les Avis convenables pour s’en acquitter dignement, & taschant de leur commu niquer par ses discours embrasez, l’Esprit Apostolique dont il estoit rempli. Avant toutes choses il a mis pour fondement des qualitez requises aux Missionnaires, le soin particulier de leur propre perfection, par l’exercice continuel des vertus, suivant le modèle que NoStre-Seigneur nous en a donné luy-mesme, com- DE PAUL. LIV. I . CHAP. XXII. 151 mençant à faire avant que d’enseigner. Or entre toutes les vertus, il disoit qu’ils avoient particulierement besoin d’une profonde Humilité, & d’une grande defiance d’eux-mesmes, pour ne point attribüer à leur industrie, ny à leur travail, les bons succés de leurs Missions ; mais pour en rendre fidélement toute la gloire à Dieu, ne retenant pour eux que la confusion de leurs défauts. Il estimoit aussi qu’ils devoient avoir une grande foy & une parfaite confiance en Dieu, pour ne se laisser point aller au découragement dans les peines & contradictions qui accompagnent leurs emplois ; une grande Charité & un zele tres-ardent du salut des Ames, pour les secourir & servir ; une singuliere Douceur & une egale patience, pour les attirer & supportez ; une grande Simplicité & une sainte prudence pour les conduire droit à Dieu ; un grand détachement des biens de la terre, & de tous les embarras d’affaires, afin d’estre plus libres dans les travaux qu’ils entreprennent pour Dieu, & plus propres pour inspirer aux autres l’affection des biens du Ciel ; une continuelle mortification de corps & d’esprit, afin que les mouvemens de la nature n’empeschent point en eux les opérations de la grace ; une grande Indifference à l’egard des emplois, des lieux, des temps & des personnes, n’ayant d’autre prétendtion que de faire la volonté de Dieu ; en sorte mesme que ceux qui parlent en public soient toujours disposezà consentir volontiers qu’un autre prenne leur place & occupe la Chaire au milieu d’une Mission, si telle est la volonté du Superieur. Enfin, il desiroit surtout qu’ils fussent des hommes d’Oraison & de bon exemple ; & il estimoit qu’ils feroient par ce moyen plus de fruit, qu’avec toute le science & l’éloquence qu’ils pourroient employer ; l’Oraison attirant en eux une abondance de grâces & 152 LA VIE DU VENERABLE VINCENT d’onction interieures & le bon exemple préparant les esprits à bien recevoir ce qu’ils leur communiqueroient de la part de Dieu. Pour disposer ses Missionnaires à l’acquisition de toutes ces vertus, il jugea qu’il estoit necessaire de leur faire bien pratiquer dés leur entrée pendant deux années de Seminaire ; & il leur prescrivit encore des moyens tres-propres pendant le temps des Missions, tant pour empescher le déchet interieur que les occupations leur auroient pû causer, que pour rendre leurs fonctions plus utiles au salut du prochain. Le premier est, de s’appliquer tellement au salut des autres, dans les Missions, qu’ils n’oublient point pour cela leurs propres Exercices spirituels, comme L’Oraison mentale, l’Office Divin en commun, La sainte Messe, les Examens particuliers & generaux, &c. A quoy il ajoutoit l’exactitude à faire toutes leurs actions aux heures prescrites par le Reglement qu’il leur a donné pour les Missions. Le second, de se retirer tous les ans à la Maison pendant le temps de la recolte, non seulement, pour prendre quelque relâche dans le travail trespenible des Missions, & pour préparer les matieres qu’ils doivent enseigner ; mais principalement pour vaquer avec plus de loisir, & de tranquilité à leur propre perfection, par la retraite & les autres exercices de pieté qu’ils pratiquent pendant les vacances spirituelles, suivant l’instruction que Nostre-Seigneur donna à ses Apostres en semblable occasion, leur disant : Venez à l’écart dans un lieu solitaire pour y demeurer quelque temps en repos & en tranquilité. A ce propos M. Vincent disoit quelque fois, que la vie d’un Missionaire devoit estre la vie d’un Chartreux à la maison, DE PAUL. LIV. I . CHAP. XXII. 153 & d’un Apôtre à la campagne ; & qu’à proportion qu’il travailleroit plus soigneusement à sa perfection interieure, ses travaux & ses emplois seroient aussi plus utiles pour le bien spirituel des autres. C’est ce qu’il mit en usage dés le commencement dans sa Congregation ; sur-quoy il écrivit en l’année 1631, à un de ses Prestres : Nous menons « une vie presque aussi solitaire à Paris, que celle des « Chartreux ; parce que ne pressant, ne catechi- « sant & ne confessant point à la Ville, presque per- « sonne n’a affaire à nous, & nous n’avons aussi affai- « re à personne ; & cette solitude nous fait aspirer « au travail de la campagne, & le travail à la so- « litude. « Le troisiéme, de faire toutes leurs Fonctions sans Aucune pretention de retribution temporelle, & Sans rien prendre des personnes au salut desquelles Ils s’employent, si ce n’est le logement & les ustenSiles nécessaires qu’ils peuvent recevoir. Le quatriéme, de ne point faire leurs Missions superficiellement & à la haste ;mais solidement & à fond, demeurant pour cet effet dans un mesme lieu jusqu’à ce que tout le Peuple soit bien instruit & mis en état de se sauver ; & employent oridinairement à cela cinq ou six semaines dans les gros lieux, trois semaines ou un mois dans les médiocres, & quinze jours ou environ dans les plus petits lieux. Il recommandait en particulier aux Predicateurs, I.De s’abstenir des pensées curieuses & subtiles, & de s’attacher toujours aux veritez solides, taschant d’en bien convaincre les Auditeurs par des motifs proportionnez à leur capacité, & leur proposant des moyens propres & faciles pour en tirer du fruit, selon la methode tres-utile qu’il leur a prescrite, & à laquelle Dieu a donné grande bénediction. 154 LA VIE DU VENERABLE VINCENT 2. De se servir d’un style simple & intelligent pour s’accommoder à la portée du Peuple, employant à cet effet des similitudes & des exemples bien choisis, & descendant aux choses particulières, sans designer pourtant les personnes. 3. De ne se pas laisser emporter à une ferveur exessive, ny élever le ton de la voix criant trop fort & trop long-temps ; mais de parler au Peuple familièrement & d’une voix mediocre, excitant les mouvemens sur la fin avec moderation & sans aigreur. Surquoy il écrivit un jour à un des Siens ces « paroles remarquables : Je vous ay dit autrefois que « Nostre Seigneur benit les Discours qu’on fait en « parlant d’un ton commun & familier ; parce qu’il a « luy-mesme enseigné & presché de la sorte, & que « cette maniere de parler estant naturelle, est aussi « plus aisée que l’autre qui est forcée, & le Peu« ple la goûte mieux & en profite davantage. 4. De n’erstre pas trop longs dans la predication n’y employant ordinairement que trois quartsd’heure les jours ouvriers, & une heure au plus mesme aux jours de Festes, pour ne se pas rendre ennuyeux aux Auditeurs. Pour les Confesseurs il, leur donnoit cet Avis Important entre les autres, de joindre à l’exercice De la Charité, de la douceur, & de la patience dont Ils doivent user envers les Penitens, la fermeté au refus ou delay de l’Absolution dans les cas ausquels on les juge mal disposez ; comme sont principalement les occasions prochaines, les restituetions, les inimitiez, & les pechez d’habitude, jusqu’à ce qu’ils ayent satisfait à leur devoir sur toutes ces choses, & afin que les Confesseurs fussent uniformes en ce point, il jugeoit necessaire qu’ils en convinssent ensemble, avant que de commencer la Mission. DE PAUL. LIV. I . CHAP. XXII. 155 A l’egard des Heretiques, il avertissoit les Missionnaires d’éviter surtout les invectives & les injures, & de tenir pour maxime que les contentions & disputes, qui se font avec un esprit d’aigreur & des paroles picquantes, n’estoient nullement propres pour les convertir. Il disoit à ce propos que les gens doctes ne pouvoient rien gagner avec le « Diable, par l’orgueil, d’autant qu’il en est plus « rempli qu’eux, mais il estoit aisément vaincu « par l’humilité ; parce que c’est une espece d’armes « dont il ne se peut servir ; & il ajoutoit qu’il n’avoit « jamais vû ny entendu qu’aucun Heretique eust « esté converti par la subtilité d’un argument, mais « bien par la douceur & par l’humilité. « Enfin, il leur recommandoit avec un soin particulier de témoigner à Messieurs les Curez & aux autres Prestres, toute sorte de déférence & de soûmission accompagné de douceur & de cordialité ; de n’entreprendre rien sans leur agrément, de ne parler jamais en Chaire contre leurs défauts particuliers, mais plûtost d’exorter le peuple au respect qui leur est dû ; & de recevoir en chaque lieu la benediction de M. le Curé, ou en son absence, de son Vicaire, avant & après la Mission. Il desiroit aussi qu’il rendissent aux Religieux de semblables témoignages d’humilité & de charité ; & que s’ils preschoient dans un mesme lieu, il leur cedassent volontiers la Chaire à l’heure qu’ils desireroient. Nous passons sous silence, pour abréger cette matiere, plusieurs autres excellens Avis qu’il a donnez à ses Missionnaires, avec le tres-bel ordre qu’il a établi dans leurs Missions ; quoy que l’on y puisse reconnoistre, aussi-bien que dans tout ce que nous avons dit, les lumières & les grâces particulieres qu’il avoit receües de Dieu, pour procurer par ce moyen le salut des personnes les plus de- 156 VIE DU VENERABLE VINCENT laissées. Nous ajouterons seulement pour conclusion de ce Chapitre, l’extrait d’un fervent Discours qu’il leur fit un jour sur ce sujet. « Nous avons, leur dit-il, obligation de travailler « au salut des Pauvres gens des Champs, parce que « Dieu nous a appellez pour cela, & que saint-Paul « nous recommande de marcher en notre Vocation, « & de correspondre aux desseins éternels que Dieu « a eus sur nous. Ce travail est le capital de notre « Congregation, tout le reste n’est qu’accessoire ; « car nous n’eussions jamais travaillé aux Ordinans, « ny aux Seminaires, si nous n’eussions reconnu le « grand besoin que les Peuples avoient de vertueux « Ecclesiastiques, pour conserver les fruits des Mis« sions. Ne sommes-nous pas bien-heureux, mes « Freres, d’exprimer au naïf la Vocation de JESUS« CHRIST, qui a esté envoyé, comme il dit luy« mesme, pour évangéliser les Pauvres. Pensons « qu’il nous dit intérieurement : Sortez Missionnai« res, allez où je vous envoye : voilà de pauvres ames « qui vous attendent , le salut desquelles dépend en « partie de vos Predications & de vos catéchismes. « Que répondrions-nous à Dieu, s’il arrivoit que « quelqu’une de ces ames vint à se perdre par notre « faute ? N’auroit-il pas sujet de nous reprocher que « nous serions en quelque façon causes de sa damna« tion, pour ne l’avoir pas assistée comme nous le « pouvions ? Souvenez vous de ce que dit un saint « Pere, So non pavisti occidisti : Paroles qui s’en« tendent à la vérité de la refection corporelle, mais « qui se peuvent appliquer à la spirituelle avec au« tant de vérité, & mesme avec plus de raison. Jugez « donc si nous n’avons pas sujet de trembler, si nous « venons à manquer en ce point ; & si à cause de « l’âge, ou bien sous pretexte de quelque infirmi« té, nous venons à n ous ralentir & à degenerer de « notre premiere ferveur. Pour moy ; nonobstant DE PAUL. LIV. I . CHAP. XXII. 157 mon âge, je ne me tiens point excusé de l’obliga- « tion de travailler au service des Pauvres ; car qui « m’en pourroit empescher ? si je ne puis presser « tous les jours, je prescheray daux fois la semaine ; « Si je n’ay pas assez de forces pour me faire enten- « dre dans les grandes Chaires, je parleray dans les « petites ; & si je n’avois pas encore assez de voix « pour cela, qui est-ce qui m’empescheroit de parler « simplement & familièrement à ces bonnes gens, les « faisant approcher autour de moy, comme vous « estes ? O que ceux-là seront heureux qui à l’heu- « re de la mort verront accomplies en eux ces belles « paroles de Nostre Seigneur, Evangelisare Paupe- « ribus misit me. Et si nous correspondons fidèlement « à notre Vocation, n’aurons-nous pas sujet d’espe- « rer que Dieu nous augmentera de jour en jour ses « grâces ; qu’il multipliera de plus en plus la Congre- « gation ; & qu’enfin toutes ces Ames qui obtien- « dront le salut eternel pas notre ministere, rendront « témoignage à Dieu de notre fidelité dans nos fon- « ctions. Quelqu’un de ceux qui cherchent à vivre long- « temps, craindroit peut-estre d’abreger ses jours « par le travail des Missions, & tascheroit pour cela « de s’en exempter, comme d’un mal-heur. Mais je « demanderois à celuy qui seroit dans ce sentiment : « Est-ce un mal-heur à celuy qui voyage dans un païs « etranger, d’avancer son chemin & de s’approcher « de sa Patrie ? Est-ce un mal-heur à une Ame fidéle « d’aller voir & posséder son Dieu ? Enfin est-ce un « mal-heur aux Missionnaires, de jouir bien-tost de « la gloire que leur Divin Maistre leur a méritée par « ses souffrances & par sa mort ? Quoy ? a t-on peur « qu’une chose arrive, que nous ne sçaurions assez « désirer, & qui n’arrive toujours que trop tard. « Or ce que je dis icy aux Prestres, je le dis aussi à « 158 LA VIE DU VENERABLE VINCENT « ceux qui ne le sont pas. Ne croyez pas, mes Freres, « que parce que vous n’estes point employez à la pré« diction, vous soyez exempts des obligations que « nous avons de travailler au salut des Pauvres ; « vous le pouvez faire en vostre façon, peut –estre « aussi bien que le Predicateur, & avec moins de « danger ; & vous y estes obligez, estant membres « que tous les membres du Sacré Corps de JESUS« CHRIST ont coopéré chacun en leur maniere à « l’œuvre de notre Redemption ; Si son chef a esté « couronné d’épines, ses pieds ont esté aussi percez « de cloux ; & si après la Resurrection ce sacré Chef « a receu sa recompense, les pieds y ont aussi partici« pé, & ont partagé avec luy la Gloirr dont il a esté « couronné dans le Ciel. C’est ainsi que ce digne Pere des Missionnaires travailloit à former de fidèles Ouvriers pour l’Employ des Misssions. Il ne se contentoit pas de les eclairer par les sages avis qu’il leur donnoit sur ce sujet, il as choit à mesme temps de les echauffer par les ardeurs du zele dont il estoit embrasé ; sçachant par experience qu’on ne peut dignement s’acquitter de ce charitable Exercice, ny soutenir longtemps les travaux qui l’accompagnent, si l’on n’est animé d’un fervent amour de Dieu & du prochain. Mais quoy-que ce seul Employ fust capable d’occuper les plus zelez, il ne pût pas pourtant borner l’étenduë de la charité de cet homme de Dieu. Il introduisit encore, comme nous allons voir, une autre espece de Mission continuelle dans les Maisons de la Congregation, dés le commencement de son institution, par l’usage des Retraites sprituelles pour les personnes tant Ecclesiastiques que Laïques ; afin que ses Missionnaires, soit aux Champs soit à la Ville, eussent toujours occasion d’exercer DE PAUL. LIV. I. CHAP. XXII. 159 Les œuvres de la misericorde spirituelle envers les Ames qui en avoient le plus besoin. _________________________________________ CHAPITRE XXIII. L’usage des Retraites Spirituelles pour toutes sortes de personnes. LA terre est toute en desolation (disoit autrefois un Prophete) parce qu’il n’y a personne qui se recueille intérieurement, & qui s’applique à penser dans son cœur aux choses de son salut. Les plus grands Saints ont souvent parlé contre ce desordre ; & dans ces derniers temps S. Ignace, S. Charles Borromée, S. François de Sales, & plusieurs autres grands Personnages ont tasché d’y remedier par l’usage des Exercices Spirituels, où l’on pratique excellemment cette recollection si necessaire pour le salut des Ames. Mais quoy-que ce remede, qui est tres-efficace, produisit de grands fruits en ceux qui avoient le bon-heur de s’en servir ; il se trouvoit néanmoins peu de personnes, particulièrement de celles qui viven,t dans le monde, qui pussent jouïr de ce bien, par le defaut des lieux propres, & d’autres commoditez exterieures qui sont requises pour faire ces Exercices. C’est ce qui fi resoudre M. Vincent, à tenir la porte de la Maison ouverte aux Ecclesiastiques, & aux Laïques, qui auroient devotion d’y passer quelques jours dans les Exercices d’une sainte Retaite , & sans attendre qu’ils vinssent luy demander cette grace. Il sembloit que le cœur embrasé de ce fidéle Serviteur, disait à l’imitation de son Divin Maî-` tre : Venez à moy vous tous qui estes travaillez du Fardeau de vos pechez, & je vous soulageray, car 160 LA VIE DU VENERABLE VINCENT ce ne luy estoit pas assez de secourir ceux qui s’adressoient à luy pour estre déchargez du fardeau de leurs crimes, il appelloit encore ceux qui n’y faisoient pas attention, & ne desiroient pas mesme d’en estre délivrez. Il commença cet office de charité au College des Bons-Enfans, & le continua depuis dans toutes les Maisons de sa Congregation, où ses Prestres reçoivent avec une charité toute cordiale les personnes dde dehors qui s’y presentent, de quelque condition qu’elles soient, & en leur faisant part de leur table Ils leurs rendent toute sorte d’assistance & de services pour le bien de leurs ames. Ils les disposent particulièrement dans cette Retraite à faire une bonne Confession générale, & à se convertir parfaitement à Dieu par l’exercice de l’Oraison Mentale & Vocale, & par des Lectures spirituelles conformes à leurs besoins. Ils leur donnent lumiere & conseil pour dresser un ordre & Reglement des actions qu’ils doivent pratiquer selon leur condition ; & aident ceux qui désirent faire choix d’un genre de vie à connoistre les desseins de Dieu sur eux, & à les suivre avec fidelité. En un mot ils taschent de les mettre dans la disposition de mener une vie vraiment Chrétienne, & d’acquerir la perfection requise de leur état. On peut juger de-là combien la Retraite spirituelle est utile, pour rétablir dans les Chrétiens la veritable Esprit du Christianisme ; & l’experience le fait encore mieux voir par les changemens admirables que Dieu opere en ceux qui s’appliquent à cet Exercice avec desir d’en profiter. M. Vincent qui en voyoit tous les jours des exemples dans sa « Maison, disait à ce propos : Qu’entre tous les « moyens que Dieu a mis au pouvoir des hommes « pour remédier au desordre de leur vie, il n’y en DE PAUL. LIV. I . CHAP. XXIII. 161 avoit point de plus efficace, & dont on remarquast « des effets plus sensibles, plus frequens & plus mer- « veilleux, que celuy des Retaites, & que si les pe- « cheurs ne s’amendoient par ce remede, il falloit « des miracles pour les convertir. C’est ce qui pressoit continuellement ce charitable Prestre à rendre toutes les personnes qu’il pouvoit participantes de ce bien, par le facile accés qu’il leur donnoit pour cette fin dans les Maisons de sa Congregation : En quoy il a si heureusement reüssi, que la seule Maison de S. Lazare, où il faisoit sa residence ordinaire, a receu toutes les années sept ou huit cens personnes pour y faire les Exercices spirituels ; de sorte que depuis l’année 1635, que les Retraites y ont esté plus fréquentes, jusqu’à la mort de ce Serviteur de Dieu, qui arriva vingt-cinq ans après, il s’en est fait prés de vingt-mille, par le moyen desquelles on a remédié à une infinité de désordres, soit des personnes particulieres, soit des familles entieres ; on a réconcilié à Dieu un tres-grand nombre de pecheurs tant publics que secrets ;on a procuré aux Justes un accroissement de grâces & de vertus ; & On a mis entre les mains des uns & des autres, des armes offensives & défensives contre les ennemis de leur salut, afin de résister à toutes leurs attaques, & d’en remporter de glorieuses victoires. M. Vincent avoit des sentimens extraordinaires de reconnaissance envers Dieu pour tous ces biens ; & il s’estimoit fort obligé à sa Bonté infinie, de ce qu’elle daignoit se servir de luy, & des Siens pour coopérer avec elle à tous ces effets merveilleux de sa grace. C’est aussi pour cette consideration qu’il a toujours eu une affection toute particuliere à conserver dans sa Congregation cette pratique des Retraites. Il la consideroit comme une singuliere faveur de Dieu, & il l’appelloit ordinairement un 162 LA VIE DU VENERABLE VINCENT Don du ciel, quoy-qu-elle luy fust grandement à charge ; car outre la peine que luy & les Siens en recevoient, il faisoit à cette occasion une dépense considerable, nourrissant gratuitement la plus-part de ce grand nombre d’Exercitans, qui passent tous les ans par la Maison de S. Lazare & par les autres de sa Congregation. Mais cet homme de Dieu n’avoit aucun egard à la depense, quand il estoit question du salut des Ames qui ont coûté si cher à JESUS-CHRIST ; & il estimoit ; suivant ce que dit le Saint-Esprit dans les Cantiques, que quand il auroit employé toute la substance de sa Maison pour de semblable œuvres de charité, il n’auroit rien fait qui pust estre comparé au merite de cette Divine vertu. Il ne se contenta pas d’avoir donné dans les Maisons de sa Congregation des aydes si propres au salut des hommes de toute condition, il voulut encore que les femmes pussent trouver quelquefois un semblable secours pour le bien spirituel de leur Ames dans les Maisons des Filles de la Charité ; & Mademoiselle le Gras animée du mesme zele, les y recevoit à bras ouverts, & leur rendoit toutes les assistances qu’elle pouvoit, avec un cœur qui n’estoit jamais las de bien-faire. Il luy avoit prescrit l’ordre de la journée qu’elle leur devoit faire observer, les Méditations & les Lectures spirituelles qu’elle leur assigneroit, & les Avis qu’elle auroit à leur donner. Il luy recommandoit sur tout de les porter à prendre des Resolutions particulieres sur les Actes des vertus, & à les pratiquer ensuite avec fidelité ; parce que sans cela, disoit- il on n’est souvent vertueux que par imagination ; Après ces Exemples de charité, qui montrent clairement l’étenduë du zele de M. Vincent à procurer le salut des Ames par les Retraites spirituelles DE PAUL. LIV. I. CHAP. XXIII. 163 Nous ne devons pas entièrement ômettre le témoignage de ses paroles, qui découvrent encore la ferveur de ce mesme zele dont il estoit animé, comme l’on peut voir par cet échantillon de plusieurs Discours qu’il a faits sur ce sujet à ceux de sa Congregation. Remercions Dieu mille & mille fois, leur disooit « t-il, de ce qu’il luy a plû choisir la Maison de S. La « zare, pour estre un théâtre de ses miséricordes, où « le Saint-Esprit fait une descente continuelle sur les « ames de ceux qui y viennent faire la Retraite. C’est « une grande grace que Dieu fait à cette Maison, d’y « appeler tant de personnes aux saints Exercices, & « de se servir de cette Famille comme d’instrument « pour opérer leur conversion. Plusieurs y viennent « de 10, de 20, & de 50 lieuës loin exprés, non « seulement pour se récolliger & faire une Confession « générale ; mais aussi pour se déterminer à un état « de vie dans le monde, & pour prendre les moyens « de s’y sauver. D’autres y viennent pour connoistre « la volonté de Dieu, dans le mouvement qu’ils ont « eu de quitter le monde. D’autres nouvellement « convertis d’Heresie, viennent s’y disposer à leur « premiere Confession & Communion, & s’instruire « de tous les Exercices de la Religion Catholique. Il « y vient encore beaucoup de Gens de guerre, pour « mettre ordre à leur conscience avant que d’aller « s’exposer dans les occasions , & des vieillards mes- « me s’y retirent pour se préparer à la mort. Nous « voyons aussi tant de Curez & d’autres Ecclesiasti- « ques qui y viennent de tous costez pour se redres- « ser dan s leur Profession, & pour s’avancer dans la « vie spirituelle. O Messieurs ! Quels grands biens « peuvent produire les Retraites, si nous y travail- « lons fidèlement, & quel sujet de consolation, de sça- « voir qu’il y a lieu dans Paris, toujours prest à « 164 LA VIE DU VENERABLE VINCENT « recevoir ceux qui s’y presentent avec un véritable « dessein de se mettre bien avec Dieu. Servons les « donc, Messieurs, non comme de simples hommes « mais come des hommes envoyez de Dieu. N’ayons « aucune acception de personne ; que le pauvre « nous soit aussi cher que le riche, & mesme encore « davantage, comme estant plus conforme à l’état de « la vie que JESUS-CHRIST a menée sur la terre. « Cette Maison servoit autrefois à la retraite des« Lepreux, & pas-un n’y guerissoit ; elle sert main« tenant à la retraite des Pecheur qui sont des ma« lades couverts de lèpre spirituelle, & par la grace « de Dieu l’on voit qu’ils y guérissent. Disons plus « ce sont des morts qui ressuscitent. O quel bon« heur( ! que la Maison de S. Lazare soit un lieu de « resurrection. Ce saint après avoir demeuré trois « jours mort dans le tombeau, en sortit plein de vie ; « Nostre Seigneur qui le ressuscita fait encore la mes« me grace à plusieurs, qui ayant demeuré ceans en « Retraite, comme dans le Sepulcre du Lazare, en « sortent avec une nouvelle vie. Qui est-ce qui ne « se réjouira d’une telle bénédiction ? Et qui n’en« trera dans un sentiment d’amour & de reconnois« sance envers la Bonté de Dieu, mes Freres, qu’il nous « conserve par sa misericorde ce qu’il nous a si libera« lement donné ; car c’est un grand don qu’il fait à « notre petite Congregation de luy rendre ce servi« ce, & nous le devons prier beaucoup qu’il nous « donne un cœur ferme contre l’inconstance & les re« pugnaces de la nature, & qu’il ne permette pas « que nous nous rendions indignes d’une si grande « grace par notre negligence. Il est aisé de remarquer dans les paroles de ce charitable Prestre, les étincelles du feu Divin qui brûloit dans son cœur, & qui l’excitoit continuel- DE PAUL. LIV. I. CHAP. XXIV. 165 Lement à avancer le Royaume de Dieu dans les Ames par les Retraites spirituelles. C’est ce qu’il faisoit avec d’autant plus d’affection que leur utilité est de plus grande étenduë ; veu qu’elle regarde non seulement les personnes Laïques, mais encore les Ecclesiastiques : Et comme il sçavoit que le bon état des Peuples dépend particulièrement de la bonne vie des Prestres, il s’appliqua dés-lors à procurer leur sanctification par ces saints Exercices ; à quoy il ajouta depuis plusieurs autres excellentes Institutions & pratiques de perfection conformes à leur Etat, comme l’on verra dans les Chapitres Suivans. ________________________________________ CHAPITRE XXIV. Les Exercices des Ordinans pour disposer ceux qui désirent recevoir les Saints Ordres.. L’AVERTISSEMENT que S. Paul donne à l’Evesque S. Timothée, de n’imposer facilement les mains à personne, n’est pas seulement tres-important aux Evesques, mais encore à toute l’Eglise ; parce que, comme dit un S. Pere, elle ne reçoit ordinairement de plus grand dommage que de la part de ses propres Ministres, & les persécutions mesmes des tyrans ne luy ont pas tant causé de préjudices, que la vie scandaleuse des mauvais Prestres. C’est ce que M. Vincent experimentoit avec grande douleur dans les Missions qu’il faisoit à la Campagne, & il voyoit par-là le grand besoin qu’on avoit de bons Prestres, pour conserver parmy les Peuples le fruit de ses travaux. C’est aussi un des sujets qui donnoit plus de peine aux bons Evesques 166 LA VIE DU VENERABLE VINCENT dans l’exercice de leurs Charges ; car d’un costé l’obligation de pourvoir les Eglises de Prestres & d’autres Ministres sacrez , les pressoit d’en recevoir un grand nombre, à cause de l’étenduë de leurs Dioceses, & de la multitude des Peuples qui sont dans les Paroisses. D’autre-part comme il estoit tres-difficile qu’entre tous ceux qui se presentoient, il n’y en eust plusieurs mal pouvûs des qualitez requises à un si saint Ministere, ils se trouvoient fort empeschez à en faire le choix ; & quelque diligence qu’ils apportassent à l’examen de la capacité & des mœurs de ceux qu’ils admettoient, ils n’en pouvoient avoir une entiere connoissance ; de sorte qu’ils y estoient assez souvent trompez. Messire Augustin Potier Evesque de Beauvais, dont la memoire est en bénédiction pour son zele, sa vigilance Pastorale & ses autres vertus, avoit bien reconnu ce mal, & recherché souvent les moyens d’y remédier, sans les pouvoirs trouver. Mais voyant que Dieu avoit abondamment comMuniqué son Esprit à M. Vincent, pour subvenir Aux nécessitez spirituelles du Peuple par les MisSions qu’il avoit faites en plusieurs paroisses de Son Diocese, & par les Confreries de la Charité Qu’il y avoit établies ; il jugea qu’il n’auroit pas Moins de lumiere & de grace pour l’aider à remetTre son Clergé en bon état. Pour cet effet, comme Il avoit une grande estime de sa vertu & une conFiance particuliere en sa charité, il luy déchargea Plusieurs fois son cœur, & luy déclara les peines Qu’il ressentoit sur ce sujet ; Il l’appella souvent à Beauvais, & le vint mesme visiter à Paris, pour Conférer ensemble des remèdes efficaces à ce presSant besoin, surquoy notre sage & expérimenté « Missionnaire luy dit une fois entre-autres : Qu’il « estoit presque impossible de reformer les mauvais DE PAUL. LIV. I . CHAP. XXIV. 167 Prestres qui avoient vieilly dans leurs vices, & de « redresser les Curez déréglez qui avoient déjà pris « un mauvais ply ; mais pour travailler avec es- « perance de fruit à la réforrmation de son Clergé, il « falloit appliquer le remede à la source du mal, pre- « nant un soin particulier de former à l’avenir de bons « Prestres ; ce qu’on feroit premierment, n’admet- « tant personne aux Ordres qui n’eust la science re- « quise & les autres marques d’une veritable V oca- « tion. Secondement, travaillant envers ceux que « l’on voudroit admettre, à les rendre capables de « leurs obligations, & à leur faire prendre l’Esprit Ec- « clesiastique ; afin qu’estant bien instruits & dispo- « sez, on les envoyast dans les Paroisses. M. L’Evesque de Beauvais goûta fort cette proposition, & y faisant depuis une serieuse reflexion dans un voyage où M. Vincent l’accompagnoit, au mois de juillet de l’an 1628. il demeura quelquetemps les yeux fermez sans parler, & dit ensuite qu’il venoit de penser que le moyen le plus court & le plus assuré pour bien dresser & préparer ceux qui prétendent aux saints Ordres, seroit de les faire venir chez luy & de les y retenir quelques jours, pendant lesquels on les intruiroit des veritez qu’ils estoient obligez de savoir, & des vertus qu’ils devoient pratiquer. Alors M. Vincent approuvant beaucoup la manieree de cette preparation, luy dit : O Monseigneur ! voilà une pensée qui est de Dieu. Voilà un excellent moyen pour remettre peu à peu Le Clergé de vostre Diocese en bon ordre. Ce vertueux Prelat fut fort encouragé à cette sainte entreprise par les discours de M. Vincent, & il luydit en le quittant, qu’il alloit faire préparer toutes les choses nécessaires à ce dessein. Il le pria aussi de penser aux matières propres pour entretenir ceux qui se presenteroient à l’Ordination, & de mettre 168 LA VIE DU VENERABLE VINCENT par écrit l’ordre qu’ils devoient observer pendant leur Retraite, le conviant de se rendre à Beauvais quinze ou vingt jours avant le temps de la prochainne Ordination qui se devoit faire au mois de septembre suivant. M. Vincent ne manqua pas de faire tout ce que ce Prelat luy avoit prescrit, estant plus assuré que Dieu demandoit ce service de luy, que si un Ange le luiy avoit esté marqué, & après que M. L’Evesque eut fait l’ouverture des Exercices ; il continua les Entretiens avec Messieurs Messier & Duchesne Docteurs de la Faculté de Paris, à peu prés selon l’ordre qu’on a depuis suivy. Il expliqua entre autres choses le Decalogue aux Ordinans ; ce qu’il fit d’une maniere si nette & tout ensemble si affective & si efficace, que ses Auditeurs en conceurent un desir de luy faire des Confessions générales ; ce que M. Duchesne voulut aussi pratiquer luy-mesme, avec une grande édification de tous les Ordinans. Ces premiers Exercices de l’Ordination ayant tres-bien reüssi, M. l’Evesque de Beauvais les fit depuis continüer par l’aide de M. Vincent qui les avoit si heureusement commencez ; & quelquetemps après estant venu à Paris, il entretint M. l’Archevesque de Paris des fruits que ces Eercices avoient déjà produits dans son Diocese, luy en faisant voir la necessité, & lui representant la grace singuliere que M. Vincent avoit pour cet Employ, M. l’Archevesque qui connoissoit par experience les grands dons que Dieu avoit mis en ce charitable Prestre, pour travailler utilement au salut du Peuple, fut bien-aise d’apprendre ce qu’il avoit fait à Beauvais pour la sanctification du Clergé ; & ayant esté pleinement informé des choses qu’on pratiquoit dans les Exercices de l’Ordina- DE PAUL. LIV. I . CHAP. XXIV. 169 tion, il fut aisément persuadé de leur importance & de leur utilité : de sorte qu’il se resolut de les mettre en usage dans son Diocese, & d’y employer M. Vincent avec ceux de sa Congregation. Il ordonna pour cét effet au commencement de l’année 1631, que tous les Ordinans de son Diocese se retireroient dix jours avant chaque Ordination dans la Maison des Prestres de la Mission, afin d’y apprendre les qualitez requises pour les Ordres, & se disposer à les obtenir de Dieu. M. Vincent obeït avec joye à ce mandement, & receut les Ordinans dés la premiere Ordination de careme au College des Bons-Enfans, où il leur fit faire les Exercices. Les grâces que Dieu répandit sur les Ordinans de Paris, par le ministere de notre charitable Prêtre, dés le commencement des Exercices, ne furent pas moins abondantes, que celles qu’il avoit auparavant communiquées par son entremise aux Ordinans de Beauvais. L’on en peut connoistre quelque chose par l’extrait d’une lettre qu’il écrivit quelque temps après à un de ses Prestres en ces termes : Monseigneur l’Archevesque, conformé- « ment à la pratique ancienne de l’Eglise, a ordonné « que d’oresnavant ceux de son Diocese qui désireront « estre promûs aux Ordres, se retireront dix jours « avant chaque Ordination chez les Prestres de la « Mission, pour s’exercer à la Meditation, faire une « Confession générale, apprendre la Theologie Mo- « rale, l’usage des Sacremens, les Ceremonies, & « les Fonctions des Ordres ; en un mot toutes les cho- « ses nécessaires aux Ecclesiastiques. Ils sont logez & « nourris pendant ce temps-là ; & par la grace de « Dieu, il résulte un tel fruit de ces Exercices, que « tous ceux qui les ont faits, & mesme la plus part d’en-« tre eux s’appliquent d’une maniere toute particu- « 170 LA VIE DU VENERABLE VINCENT « liere aux œuvres de pieté ; ce qui commence à « estre manifesté au Public. Et dans une autre lettre qu’il écrivit encore sur « le mesme sujet environ ce temps-là, il ajoûte : En« tre ceux qui ont fait les Exercices de l’Ordination « il y en a plusieurs considérables pour leur naissan« ce ou pour d’autres qualitez, qui vivent aussi re« glez en leur Maison, que nous avons chez nous. « Ils font l’Oraison Mentale, célèbrent la Sainte « Messe, & pratiquent les Examens de consc ience « tous les jours, comme nous. Ils s’appliquent à la « visite des Hôpitaux, & des Prisons, où ils cate« chisent, preschent & confessent, ce qu’ils font « aussi dans les Colleges ; d’où l’on voit par la grace « de Dieu reüssir de tres-grands fruits. La bénédiction de ces exercices, qui estoit dés le commencement particuliere aux Ecclesiastique du Diocese de Paris, devint bien-tost commune par le zele de M. Vincent, à ceux des autres Dioceses du Royaume ; car dés l’année 1638, quelques Dames de pieté luy ayant proposé de les recevoir tous en sa Maison, il y acquiesça tres-volontiers, & avec l’approbation de M. l’Archevesque, il les admit toujours depuis par un effet de son incombarable Charité. Il est vray que la tres vertueuse Dame Charlotte de Ligny, veuve de M. l e Pre sident de Herce, laquelle n’estoit pas moins zelé pour la perfection del’Estat Ecclesiastique, que pour l’assistance des Pauvres, fournit cette dépense extraordinaire pendant les cinq premieres années, & contribua encore avec quelques autres Dames de la Compagnie de la Charité, au logement & emmeublement necessaire aux Ordinans. La Reine Mere du Roy donna ensuite quelques aumônes pour le mesme dessein durant deux ou DE PAUL. LIV. I . CHAP. XXIV. 171 trois ans ; & Madame la Marquise de Maignelay Sœur de M. Jean-François de Gondy Archevesque de Paris, aida aussi per ses bien-faits à soûtenir cette pesante charge. Mais ces charitables secours estant enfin epuisez, toute la depense est tombée depuis prés de vingt ans sur la Maison de Saint Lazare, laquelle n’estant pas fondée pour l’entretien d’un si grand nombre de personnes, qui sont pour l’ordinairee à chaque Ordination 70. 80.90, & plus, elle en demeura fort incommodée dés le vivant de M. Vincent ; ce qui ne fut pourtant pas capable de luy faire quitter cette sainte entreprise, ny mesme de tirer la moindre plainte de sa bouche. Les effets de son zele pour l’avancement de l’Etat Ecclesiastique ne s’arresterent pas-là, ils s’étendirent encore en plusieurs Dioceses de France, où il envoya exprés, suivant le desir des Prelats, quelques-uns de ses Missionnaires, pour y introduire l’usage des Exercices de l’Ordination, pârticulierement dans les Dioceses de Poitiers, d’Angouleme, de Saintes, de Rheims, de Noyon, de Chartres, &c, outre beaucoup d’autres lieux, tant de France que des Etats voisins, comme à AnnesSy, à Gennes, & à Rome, où sa Congregation ayant depuis esté établie, continuë avec la mesme bénédiction, à procurer par cét excellent moyen de fidèles Ministres à l’Eglise. Il a aussi profité par son exemple aux lieux mesmes où il n’a pû travailler en personne, ny envoyer des Ouvriers ; car plusieurs Prelats ayant vû à Paris les Exercices des Ordinans qu’il pratiquoit en sa Maison, & reconnu par experience leur grande utilité, ils les ont mis ensuite en usage dans leurs Dioceses, avec des fruits qu’on peut mieux reconnoistre par les effets, qu’expliquer par les paroles. C’est ainsi que cette 172 LA VIE DU VENERABLE VINCENT premiere Maison de la Mission, comme une source abondante , a repandu ses ruisseaux de tous costez dans le champ de l’Eglise, non seulement par les Missions, pour l’instruction & la sanctification des Peuples de la Campagne ; mais encore par les Exercices des Ordinans, pour le renouvellement & la perfection des Personnes Ecclesiastiques. Finissons ce Chapitre par quelques paroles remarquables tirées des Discours que ce zelé Missionnaire a faits souvent aux Siens, pour leur inspirer une haute estime & une ardentre affection de ce Divin employ, & pour leur enseigner les moyens convenables de le faire reüssir à la gloire de Dieu. « S’employer, disoit-il, pour faire de bons Prestres « c’est faire l’Office de JESUS-CHRIST, lequel « pendant sa vie mortelle, semble avoir pris à tâche « de faire douze bons Prestres qui sont les Apôtres ; « ayant voulu demeurer plusieurs années avec eux « pour les instruire & les former à ce Divin Ministe« re. Qui pourra donc comprendre la dignité de cét « Employ, qui nous applique à faire de bons Prestres ? « C’est un Chef-d’œuvre de grace, & il n’y a rien au « monde de plus grand, puis-qu’il n’y a rien de plus « relevé que l’Etat Ecclesiastique. Cependant nous « sommes tous appellez à ce Chef-d’œuvre, & Dieu « nous a confié une si grande grace. Helas ! quelle « proportion y a-t-il de nous misérables à un Employ « sxi saint ? Et comment Dieu nous a-t-il choisis pour « une Œuvre si excellente ? C’est qu’il se sert d’or« impaire des choses les plus basses pour les su« limes opérations de sa grace. Nous devons donc « dans cette veuë, nous tenir bas, & reconnoistre « que nous ne pouvons rien avancer dans cét ouvra« ge, si Dieu mesme ny met la main, & s’il ne nous « anime de son Esprit. « Et puis-qu-il fait l’honneur à cette petite Con- DE PAUL. LIV.I. CHAP. XXIV. 173 gregation, la derniere de toutes, de l’appliquer à « cét employ, nous devons apporter tous nos soins « pour faire reüssir ce dessein Apostolique. Il faut pour « cét effet offrir à Dieu ses Messes, ses Communikons, « ses mortifications & toutes ses prieres durant les « Exercices de l’Ordination ; rapporter tout à l’édfi- « fication de Messieurs les Ordinans ; leur rendre « toutes sortes de respects & de déférences ; ne point « faire les entendus avec eux, mais les servir cordia- « lement & humblement ; car il n’y a rien que l’hu - « milité, & la pure intention de plaire à Dieu, qui « ait fait reüssir cette Œuvre jusqu’à maintenant. « Gardons-nous bien que le maudit esprit de vanité « ne nous porte à leur parler des choses hautes & re- « `levées ; car cela ne fait que détruire au lieu d’edifier. « Il faut toûjours viser à ce qu’ils remportent tout ce « qu’on leur dit dans les Entretiens de Theologie Mo- « rale ; ce qui arrivera, si on ne les entretient point d’au- « tres choses, ainsi qu’il est expedient pour plusieurs « raisons. Je recommande aussi qu’on s’applique aux « Ceremonies avec toute l’attention possible, & « qu’on les enseigne avec un silence religieux & une « grande modestie & gravité : Qu’on chante posé- « ment, & qu’on psalmodie avec un air devot. Mais « sur tout que ceux qui auront le bon-heur de leur « parler & d’assister à leurs Conferences, s’elevent « souvent à Dieu pour recevoir de luy ce qu’ils ont « à leur dire. Dieu est une vive source de lumiere & « d’amour ; c’est en luy que nous devons puiser ce « que n ous disons aux autres. Nous devons anéantir « notre propre esprit & nos sentimens particuliers, « pour donner lieu aux opérations de la grace, qui « seule eclaire & embrase les cœurs. Il faut sortir « de nous mesmes pour entrer en Dieu ; il faut le « consulter pour apprendre son langage, & le prier « 174 LA VIE DU VENERABLE VINCENT « qu’il parle & qu’il agisse luy-mesme en nous & par « nous ; car de la sorte il fera son ouvrage, & nous « ne gâterons rien. O Seigneur, qui me voyez tout « couvert de pechez, ne privez pas pour cela de vos « grâces cette petite Congregation ! Faites qu’elle « continuë à vous servir avec humpilité, & qu’elle « coopère fidélement au dessein qu’il semble que « vous avez, de faire un dernier effort pour rétablir « l’honneur du Sacerdoce, & pour reparer les bre« ches que les mauvais Prestres ont faites à vostre « Eglise. ___________________________________________ CHAPITRE XXV. Les Conferences spirituelles des EcclesiaStiques. C’EST de tout temps que les Conferences spi- Vbi enim sunt duo vel tres Congregati in nomine meo ; ibi sum in medio corum. Math.18. rituelles ont esté en usage dans l’Eglise entre les personnes desireuses de la vertu. Les anciens Peres du desert s’en servoient comme d’un moyen tres-propre pour s’avancer dans la voye de la perfection Evangelique, & se representoient JESUS-CHRIST dans leurs saintes Assemblées, selon la promesse qu’il a faite dans l’Evangile ; Que lors-que deux ou trois seroient assemblez en son Nom, il se trouveroit au milieu d’eux. Plusieurs Ordres Religieux suivant l’exemple de ces Saints Peres, ont depuis embrassé cét excellent moyen de perfection ; & M. Vincent, qui en connoissoit bien les avantages, l’introduisit aussi dans sa Congregation dés le commencement qu’elle fut établie. Mais cette sainte pratique n’estoit pas encore pour lors en usage parmy les Ecclesiastiques qui vivent dans le monde, comme on l’a veuë depuis DE PAUL. LIV. I . CHAP. XXV. 175 & quoy qu’en certains lieux les Curez & autres Prestres fissent des Assemblées par l’ordre de leurs Prelats, ils n’y traitoient pour l’ordinaire que de quelques points de science, & particulièrement de la Theologie Morale ; mais non des vertus requises à leur Estat. Dieu qui s’estoit servy du ministere de M. Vincent pour introduire dans l’Eglise les Exercices des Ordonans, voulut encore communiquer par son moyen aux personnes Ecclesiastiques, ce nouveau secours des Conferences spirituelles, non seulement pour conserver en eux la grace de leur Ordination, mais encore pour les rendre capables de s’acquiter dignement de tous les Emplois de leur vocation. Voicy de quelle maniere la Divine Providence donna commencement à cette Œuvre si importante & si utile. Quelques vertueux Ecclesiastiques ayant passé par les Exercices de l’Ordination, & receu par ce moyen plusieurs grâces particulieres, furent touchez d’un grand desir de conserver toujours les saintes dispositions, où ils se trouvoient alors, & de mener une vie digne du Sacré caractere dont ils avoient esté honorez. Ils s’adresserent pour ce sujet à M. Vincent, & le prierent de les assister de ses bons avis pour leur conduite, & de les appliquer à toutes les fonctions de leur Estat, selon qu’il le jugeoit à propos pour la gloire de Dieu, & pour leur propre sanctification. Ce charitable Prestre qui avoit une singuliere affection pour l’avancement spirituel des personnes Ecclesiastiques, s’offrit de bon cœur à leur rendre le service qu’ils desiroient de luy : Et afin de fournir à mesme temps de la matiere à leur zele, il convia un d’entre eux, qui estoit Docteur en Theologie, d’aller travailler avec quelques-uns de ses Missionnaires au Diocese d’Angers, & pria les autres de faire une petite Mis- 176 LA VIE DU VENERTABLE VINCENT sion aux Ouvriers qui bâtissoient l’Eglise du premier Monastere de la Visitation de Paris. Celuy qu’il envoya avec ses Missionnaires, luy proposa avant son depart, de faire quelque Assemblée de ces bons Ecclesiastiques qui luy avoient témoigné un grand désir de mener une vie conforme à la sainteté & aux obligations de leur Estat. M. Vincent approuva d’autant plus aisément cette pensée, qu’elle avoit plus de rapport aux vuës que Dieu luy avoit desja données sur ce sujet ; quoy-que selon sa Maxime ordinaire, de ne point prévenir les Ordres de la Divine Providence, il attendit avec humilité quelque ouverture à l’execution de ce pieux dessein. Il laissa encore passer prés de quinze jours avant que d’en parler à ces Messieurs, pour recommander cependant cette affaire à Nostre-Seigneur. Ensuite il les alla trouver chacun en particulier, & leur communiqua la pensée qu’il avoit euë de les unir ensemble par la pratique des Conferences spirituelles, & par un mesme Reglement de vie & d’exercices convenables à leur Profession, sans les obliger pourtant à quitter leurs demeures particulieres. Il trouva tous ces vertueux Ecclesiastiques entièrement disposéz à cette sainte union ; & pour les y confirmer encore davantage, il leur en fit voir plus amplement l’utilité dans leur premiere Assemblée, où il leur expliqua l’ordre & la maniere qu’ils pourroient y observer à l’avenir. Dans l’assemblée suivante ils tinrent la premiere Conference, qui fut de l’Esprit Ecclesiastique, & ils firent choix de quelques Officiers sous la direction de M. Vincent & de ses successeurs ; Et depuis ce jour-là, qui fut le 16 de Juillet de l’an 1633, ils ont continué avec la permission de M ; l’Archevesque de Paris, à s’assembler le Mardy de chaque semaine, pour conférer DE PAUL. LIV. I . CHAP. XXV. 177 des vertus & des fonctions propres de leur Ministere ; en quoy ils ont toûjours gardé unemaniere de parler humble, devot & eloignée de toute ostentation. Leur sage Directeur leur proposa quelque temps aprés, un Reglement tres-utile pour la conduite de leur vie. Il y établit pour fondement la fin principale de leur union & Assemblée, qui est d’honorer la Vie de Nostre-Seigneur JESUS-CHRIST, son Sacerdoce éternel, sa sainte Famille, & son amour Envers les Pauvres, en conformant leur vie à la`sienne, & procurant la gloire de Dieu dans l’Estat Ecclesiastique, dans leurs familles, & parmy les Pauvres, tant des villes que des champs. Il leur proposa ensuite plusieurs excellens avis avec l’ordre de l’Employ de la journée, où les principales actions qu’ils doivent faire chaque jour leur sont marquées & entre autres l’Oraison Mentale, la celebration de la Sainte Messe, la Lecture d’un Chapitre du Nouveau Testament à genoux, les Examens particuliers sur quelque vertu avant chaque repas, outre le général qu’on fait le soir ; la Lecture de quelque Livre de pieté ; & enfin l’étude, ou autre Exercice convenanble à leur état.&c. Ces bons Ecclesiastiques embrasserent avec beaucoup d’affection & de fidelité tous les Avis & Reglement que M. Vincent leur donna d’où ils tirerent aussi tres-grands fruits qu’ils attribuoient après Dieu, aux soins de leur charitable Directeur. Feu M. Renard entre les autres qui estoit un des premiers & des plus fervens de tous, disoit souvent à ce propos : C’est M. Vincent qui nous a enseigné à servir Dieu, & nous luy avons tous cette obligation. L’exemple & l’odeur des vertus de cette petite Assemblée y attira en peu de temps un si grand nombre d’Ecclesiastiques que du vi- 178 VIE DU VENERABLE VINCENT vant de M. Vincent plus de deux cens cinquante y furent receus ; entre lesquels l’on compte plus de 40 Docteurs en Theologie de la faculté de Paris, & plusieurs personnes considérables pour leur naissance & pour d’autres vertueuses qualitez qui les ont rendu dignes des premieres Charges de l’Eglise. En effet cette Compagnie a servy comme d’une pépinière sacrée, d’où l’on a tiré jusqu’à vingt -deux Prelats tant Archevesques qu’Evesques, qui ont travaillé tres-utilement dans leurs Dioceses. Elle a fourni aussi un grand nombre de Vicaires Generaux, d’Officiaux, d’Archidiacres, de Chanoines, de Curez & d’autres Ecclesiastiques qui ont dignement rempli les Benefices de l’Eglise, & fait beaucoup de fruit en diverses Provinces du Royaume, tant par l’exemple de leur bonne vie, que par les Fonctions de leur saint Ministere. Ce n’estoit pas pourtant dans le dessein de se produire ny d’avoir entrée dans les bénéfices, que ces vertueux Ecclesiastiques s’engageoient dans cette Conference ; au contraire une des principales conditions qu’on leur demandoit, avant que de les admettre, estoit un entier détachement de tous propre interest, & une pure intention de se donner parfaitement au service de Dieu. C’est ce que leur zelé Directeur leur recommandoit souvent & dans ce mesme esprit il les portoit pour l’ordinaire aux Emplois les plus bas & les moins estimez selon le monde ; comme sont de catechiser & confesser dans les Hôpitaux, dans les Prisons & dans les Missions de la Campagne, & autres exercices tres-necessaires, auxquels ils s’appliquoient sous sa conduite & direction. Mais Dieu qui se plaist autant à exalter les humbles qu’à rabaisser les superbes, se servit de leur abaissement DE PAUL. LIV. I . CHAP. XXV. 179 Pour les élever : car leurs Conferences & Exercices ayant produit un changement considerable parmy les Ecclesiastiques de Paris, Monsieur le Cardinal de Richelieu voulut en estre particulierement informé. Pour ce sujet il manda M. Vincent, & l’ayant entretenu touchant ces Assemblées, & Conferences d’Ecclesiastiques, & mesme sur la conduite & les emplois des Prestres de la Mission, il en fut fort satisfait, & conceut des-lors une plus` grande estime de la vertu de ce digne Prestre, que le bruit commun ne luy en avoit donné, comme il le témoigna à Madame le Duchesse d’Aiguillon sa niéce. Il le voulut voir depuis en diverses occasions , & l’exhorta à continuer les bonnes Oeuvres qu’il avoit commencées, luy disant qu’il estimoit que sa Congregation feroit beaucoup de bien dans l’Eglise, & l’assurant de son assistance & de sa protection. Il désira aussi savoir quels estoient ces bons Ecclesiastiques qui s’assembloient toutes les semaines A S. Lazare ; quelle estoit la fin de leurs Assemblées ; de quelles matières ils traitoient dans leurs Conferences ; & à quelles œuvres de pieté ils s’appliquoient. Surquoy il fut pleinement satisfait des réponses de M. Vincent ; & comme ce sage & zelé Ministre avoit un grand desir de procurer que les Eglises de France fussent pourveuës de bons Evesques, il luy demanda quels estoient ceux qu’il estimoy dignes de l’Episcopat, ayant dessein de les proposer au Roy, pour estre nommez par sa majestée aux Eveschez qui viendroient à vacquer. M. Vincent luy en nomma quelques-uns que ce grand Cardinal écrivit luy-mesme de sa main. Mais ce qui est encore plus considerable en ce sujet, c’est ce que le Roy Loüys XIII de glorieuse memoire ayant luy-mesme remarqué avec grande satisfac- 180 VIE DU VENERABLE VINCENT tion, la bonne conduite des Prelats qui avoient esté tirez de cette Assemblée, envoya un jour exprés son Confesseur à M. Vincent, pour luy demander la liste de ceux qui luy sembloient les plus capables de cette Dignité. Tout cecy néanmoins se passa si secrétement, qu’aucun des Ecclesiastiques de cette Conference n’en eut connoissance durant la vie de M. Vincent ; car ce sage Prestre eut toujours un tres-grand soin de les entretenir dans l’esprit d’humilité, de simplicité, & de dés-interessement Evangelique, & ne leur fit jamais paroistre qu’il eust la moindre pensée de leur procurer ces grandes Charges, mais au contraire il les exhortoit incessamment à füir tout ce qui est éclatant & honorable, & à aymer ce qui paroist méprisable & ravallé. Entre les biens que Dieu a tirez de cette Assemblée pour la sanctification du Clergé, & pour le service de l’Eglise, un des principaux a esté le frequent usage des Conferences Ecclesiastiques qu’on a faites depuis en divers Dioceses, à l’imitation de celles de Paris ; car ceux qui la composoient connoissant par experience les grands fruits qui procedoient de ce saint Exercice, le persuaderent ensuite, par le mouvement de leur sage Directeur, aux Ecclesiastiques des autres Provinces, pour ses rares vertus, qui l’ont rendu tres-digne Fondateur du Seminaire de Saint Sulpice, après avoir esté un des premiers de la Conference de S. Lazare. Ce grand Serviteur de Dieu estant allé l’an 1636, faire des Missions dans les lieux dépendans de son Abbaye de Pebrac en Auvergne, avec des Prestres de la Congregation de la Mission & quelques autres DE PAUL. LIV. I . CHAP. XXV. 181 de la Conference de Paris, porta Messieurs les Chanoines de l’Eglise cathedrale du Puy à former une semblable Compagnie, & leur donna pour cet effet les mesmes Reglemens, accommodez neanmoins à leur état de Chanoines. Surquoy il écrivit à ceux de Paris en ces termes : Vous estes, Mes- « sieurs établis par Nostre-Seigneur en la ville de « Paris, comme des lumières posées sur un grand « Chandelier, pour éclairer tous les ecclmesiastiques « de la France ; à quoy vous devez estre particulie- « rement encouragez, par les grands fruits que fait « dans la ville du Puy la Compagnie de Messieurs les « Ecclesiastiques, qui ont heureusement participé à « vostre Esprit. Ils donnent des exemples de vertu « qui ravissent toute la Province. Les catéchismes « se font par eux en plusieurs endroits de la ville ; « la visite des Prisons & des Hôpitaux y est fréquent « te ; & à present ils se disposent pour aller faire des « Missions dans tous lms lieux qui dépendent du « Chapitre, &c. « M. Vincent a souvent receu des Lettres sur ce sujet, de plusieurs lieux où de semblables Conférences, ont esté introduites pendant sa vie, soit par le zele de quelques ecclésiastiques de celle de Paris, soit par les soins des Missionnaires de sa Congregation, lesquels s’aqppliquent avec bénédiction à ce saint Exercice en plusieurs de leurs Maisons, & particulierement en celle qu’ils ont à Rome. Il y a eu aussi grand nombre de Prelats, lesquels estant bien informez de l’utilité de ces Conferences, les ont établies en divers lieux de leurs Dioceses, où les Beneficiers & autres Ecclesiastiques tant des villes que des champs s’assemblent à certains jours, pour conférer ensemble des matières qui concernent les obligations de leur état ; ce qui ne contri buë pas seulement à l’avancement du Clergé, mais 182 LA VIE DU VENERABLE VINCENT encore à l’édificaztion du Peuple, dont la reformation dépend sur tout de celle des Ecclesiastiques. En l’année 1642, M. Vincent établit encore à Paris une autre Conference d’Ecclesiastiques au College des Bons-Enfans, dont l’occasion fut telle. Les Dames de l’Assemblée de la Charité, desquelles il sera parlé cy-après, ayant procuré qu’outre les Prestres qui demeuroient à l’Hôtel-Dieu, il y en eust encore six autres qui fussent particulierement employez à l’assistance spirituelle des malades, M. Vincent receut ces six premiers à S. Lazare, afin de les préparer par les exercices de la Retraite à bien faire ce à quoy ils estoient destinez ; & les ayant exhorter sur la fin à s’acquitter dignement de ce nouvel employ, & de conserver toûjours l’esprit de pieté envers Dieu, & l’union fraternelle entre eux ; il leur proposa pour cela divers moyens, dont le principal fut de s’assembler une fois par semaine au College des Bons-Enfans, pour y conférer des choses spirituelles sur le modèle de la Conference de S. Lazare. Ces bons Ecclesiastiques ayant volontiers accepté une offre si avantageuse, commencerent bien-tost cette Conference, qui a toûjpours continuë depuis, & qui a donné moyen à plusieurs autres Ecclesiastiques qui s’appliquent à la Theologie dans l’Université de Paris, de joindre l’étude de la vertu avec celle de la science, & de se rendre capables de servir utilement l’Eglise, & de donner une grande gloire à Dieu. DE PAUL. LIV. I . CHP. XXVI. 183 Etablissement de plusieurs Seminaires Ecclesiastiques. CE ne fut pas assez à notre zelé Missionnaire d’avoir établi les moyens, dont nous avons parlé, pour renouveller dans le Clergé l’Esprit Ecclesiastique, & pour attirer les personnes appellées aux sacrez Ministeres à la pratique des vertus conformes à leur état. Les Retraites spirituelles, les Exercices des Ordinans, & les Conferences Ecclesiastiques, quoyque tres-propres à ce dessein, ne produisoient pas encore tous les fruits que sa charité souhaitoit, c’est pourquoi il jugea qu’ il falloit apporter le remede à la premiere source du mal, en disposant de bonne heure à la vie Ecclesiastique, les enfans qui témoignoient avoir inclination à cét état ; & les instruisant des devoirs de cette profession par les Exercices des Seminaires, selon l’intention du S. Concile de Trente. C’est pour cette raison que s’estant retiré en la Maison de S. Lazare, il destina le College des Bons-Enfans, pour y élever les jeunes Clercs au bonnes mœurs & à l’étude des Lettres ; & il commença dés l’an 1636, ce nouveau Seminaire avec un tres-heureux succés. Il le transféra dix ans après en une autre Maison proche de S. Lazare, qu’il nomma le Seminaire de S. Charles, où les siens ont toûjours continuë depuis avec la mesme benediction, à former les jeunes Clercs à la pieté, & aux sciences humaines. Cette sainte Institution est sans doute un moyen tres-convenable pour renouveller peu à peu la face du Clergé ; mais les fruits en sont un peu tardifs, à cause du long espace de 184 LA VIE DU VENERABLE VINCENT temps qui se passe avant que des enfant soient capables des Saints Ordres. Les besoins de l’Eglise estoienjt alors trop pressans pour attendre un secours si éloigné ; & il estoit necessaire, pour y remedier, de former de bons Prestres, qui pussent estre bien-tost employez aux fonctions Ecclesiastiques ; & de redresser ceux qui estant desja engagez aux Ordres Sacrez, auroient desir d’apprendre à se bien acquitter de leurs obligations. M. Vincent voyoit bien qu’il falloit pour cela établir d’autres Seminaires, dans les quels ceux qui seroient en âge de recevoir les Ordres, ou qui les auroient desja receus, fussent exercez aux vertus, & aux fonctions Ecclesiastiques. Mais comme son humilité ne luy permettoit pas de s’ingerer de son propre mouvement en cette importante entreprise, il attendoit que la Divine Providence y employast quelque autre, ou qu’elle mesme l’y engageast ; & ce dernier arriva à l’occasion suivante. M. le Cardinal de Richelieu ayant reconnu, comme nous avons dit, le merite de M. Vincent, estoit bien aise de le voir de temps en temps, & mesme de le consulter quelquefois sur les moyens de procurer la gloire de Dieu dans le Clergé. Il le manda un jour entre autres, & s’estant entretenu familièrement avec luy sur ce sujet, il donna occasion à cét humble Prestre de luy déclarer la-dessus « ses sentimens. Il luy dit donc qu’après les Exerci« ces des Ordinans , & l’usage des Conferences spi« rituelles entre les ecclmesiastiques, il semblait qu’il « ne restait autre chose à désirer que l’établissementy « des Seminaires dans les Dioceses, non pas tant « pour les jeunes Clercs, dont les fruits estoient un « peu tardifs, que pour ceux qui estoient prests d’en« trer dans les saints Ordres, ou qui les avoient des« ja receus : Qu’ils seraient exercez dans ces Ecoles DE PAUL. LIVR. I . CHAP. XXVI. 185 de vertus à l’Oraison, au service Divin, aux Ce- « remonies, au Chant, à l’administration des Sacre- « mens, au catechisme, à la prédication & aux au- « tres Fonctions Ecclesiastiques : Qu’ils y appren - « droient aussi les Cas de conscience & les autres par- « ties plus nécessaires de laTheologie ; de sorte qu’ils « seroient rendus capables, non seulement de travail- « ler à leur perfection particuliere, mais encore de « conduire les Ames dans les voyes de la justice & « du salut : Que faute de cela on voyoit fort peu de « Prestres qui eussent les qualitez nécessaires pour « Servir & édifier l’Eglise ; & qu’au contraire il y en « Avoit grand nombre qui servoient de pierre d’achope- « ment aux Peuples. « M. le Cardinal l’ayant écouté avec satisfaction, témoigna qu’il goûtoit fort cette proposition ; & estimant qu’il ne pouvoit choisir une personne plus capable de l’executer que celuy qui la luy avoit faite, il l’exhorta à entreprendre luy-mesme un Seminaire tel qu’il luy avoit proposé, & luy promit de l’assister en cela selon son credit & de ses moyens. M. Vincent reconnoissant alors clairement la volonté de Dieu sur luy, touchant ce pieux dessein, se resolut de la suivre ; & son Eminence luy ayant envoyé bien-tost après mille écus pour commencer, il les employa à l’entretien des premiers Ecclesiastiques qu’il receut au mois de Fevrier de l’année 1642, dans le College des Bons-Enfans, où ils furent instruits l’espace de deux ans de toutes les choses requises à leur état.Plusieurs s’estant présentez depuis pour estre élevez de cette sorte à la pieté & à la science, en payant leur pension ; l’on a toûjours continuë dans cette Maison les mesmes exercices, qui ont produit de tres-grands fruits parmy les personnes Ecclesiastiques. 186 LA VIE DU VENERABLE VINCENT C’est ainsi que M. Vincent établit les Seminaires des Bons-Enfans par les biens- faits de M. le Cardinal de Richelieu, & avec l’approbation de M. L’Archevesque de Paris. Ce bon Prelat avoit desja permis aux Prestres de la Communauté de SaintNicolas du Chardonnet, d’en commencer un autre sur lequel Dieu versoit beaucoup de bénédictions par le soin de ces Messieurs, & particulièrement par le zele incomparable de M. Bourdoise, à qui Nostre-Seigneur avoit donné l’Esprit Clerical avec plenitude, & une ardeur incroyable pour le communiquer aux autres. Depuis ce temps-là les Prelats de ce Royaume considérant la necessité qu’il y avoit d’établir de semblables Seminaires pour les personnes Ecclesia stiques, en ont pour la plupart erigé dans leurs Dioceses ; & plusieurs d’entre eux en ont confié la conduite aux Prestres de la Congregation de la Mission. En quoy l’on a remarqué comme les fruits des Missions ; faites par M. Vincent & par ceux de sa Con,gregation, avoient excité plusieurs vertueux Ecclesiastiques à s’adonner au mesme exercice des Missions ; ainsi les biens qui ont reüssi des premiers Seminaires établis par ce digne Prestre, ont porté plusieurs Prelats à en ériger de semblables dans leurs Dioceses ; ce qui a beaucoup contribuë à` renouveller le Clergé de France, qui commence par ce moyen à reprendre sa premiere splendeur. M. Vincent avoit un zele particulier pour ces Employ des Seminaires, dans la vuë de l’éminente Sainteté que requiert le Sacerdoce, & du grand besoin que l’Eglise a de bons Prestres. Il representoit souvent aux Siens ces puissans motifs pour les porter à s’acquitter fidèlement d’un si saint ministere, & leur donnoit sur ce sujet plusieurs excel« lens Avis : Les Missionnaires, leur disoit-il, sont DE PAUL. LIV. I . CHAP. XXVI. 187 envoyez de Dieu pour travailler à la sanctification « des Ecclesiastiques, & c’est une des Fins de leur In- « stitut. O que cet employ est sublime, & qu’il est « élevé au dessus de nos forces ! Il n’y a rien de plus « grand qu’un bon Prestre, soit que l’on considère « l’excellence du pouvoir que Nostre-Seigneur luy « donne sur son Corps naturel & sur son Corps my- « stique ; soit que l’on regarde l’étenduë des biens « qu’il peut faire dans l’Eglise pour le salut des Fidé- « les. Le bon-heur du Christianisme dépend de la « bonté des Prestres ; car lors-que les paroissiens « voyent un bon Ecclesiastique & un charitable Pas- « teur, ils l’honorent, ile entendent sa voix & tas- « chent de l’imiter. Cette consideration de la gran- « deur & dignité des Prestres nous oblige à les servir « soigneusement, pour tascher de les rendre tels « qu’ils doivent estre ; & plus encore celle de la ne- « cessité que l’Eglise a de fidèles Ministres, pour re- « medier à tant de vices & d’ignorance dont la terre « est couverte. Personne d’entre nous n’avoit jamais « pensé aux Exercices des Ordinans, ny à l’employ « des Seminaires qui sont si nécessaires pour la perfe- « ction de l’Etat Ecclesiastique. Nostre petite Con- « gregation ne s’appliquoit au commencement qu’à « son avancement spirituel , & à l’instruction des Peu-« ples de la campagne : mais dans la suite du temps « Dieu nous a appelllez pour coopérer avec luy à fai- « re de bons Prestres ; & comme c’est luy-mesme qui « a destiné notre Congregation à ces emplois sans « choix de notre part, il demanda aussi que nous y « apportions une application serieuse, humble, de- « vote, constante, & qui réponde à l’excellence de « l’œuvre. O mon Sauveur ! avec quelle affection les « pauvres Missionnaires doivent-ils se donner à vous « pour contribuer à former de bons Prestres, pui- « que vous-mesme leur avez confié cet Employ qui « 188 LA VIE DU VENERABLE VINCENT « est si relevé & de telle importance pour le salut des « Ames, & pour l’avancement de tout le Chrstia« nisme. Ce zelé Missionnaire n’avoit pas moins de lumiere pour la conduite des Seminaires, qu’il avoit d’ardeur pour en procurer l’établissement, & pour animer les Siens a un si saint employ. Il disoit entreautre choses, que pour recueillir des fruits d’un Seminaire, il estoit necessaire que les Ecclesiastiques y employassent un temps considerable à se purger des mauvaises habitudes qu’ils pouvoient avoir contractées dans le monde, & à vuider leurs cœurs de toute affection déreglée des créatures, pour s’avancer ensuite à la connoissance & à l’amour de Dieu. Il estimoit, suivant cette pensée, que ceux qui aspiroient aux Ordres Sacrez, devoient avant que de les recevoir, demeurer au moins un an dans un Seminaire ; jugeant avec raison qu’ils avoient besoin de ce temps-là pour établir solidement dans leurs ames les principes de la perfection requise à L’Oraison, qu’il disoit estre aux Ecclesiastiques ce que l’épée est au Soldats. Il ajoutoit encore sur ce sujet, qu’il estoit important de ne dispenser du Seminaire aucun de ceux qui prétendent aux Saints Ordres, non pas mesme les plus vertueux & les plus capables ; tant parce qu’ils y ont occasion d’accroistre en vertu & en science ; qu’à cause que leur exemple sert d’encouragement aux foibles, & d’aiguillon aux imparfaits. Il prenoit grand soin d’instruire en particulier ceux de sa Congregation qui estoient appliquez aux Seminaires, de la maniere de procurer l’avancement des personnes Ecclesiastiques dont ils avoient la Direction. Il fit venir assez long-temps à S.Lazare une fois la semaine, le Superieur & les Regens DE PAUL. LIV. I . CHAP. XXVI. 189 du Seminaire de S. Charles, pour conférer avec eux des moyens de faire profiter en la vertu & en la science, les jeunes Clercs qui estoient sous leur conduite. Il ecrivoit aux autres qui demeuroient dans les Maisons plus éloignées les Avis ne cessaires sur ce sujet pour leur instruction. Ce n’est pas « assez, écrivit-il à un d’entre ceux-là, d’enseigner aux « Ecclesiastiques le Plein –Chant, les Ceremonies, & « la Theologie Morale ; le principal est de les élever « dans le veritable Esprit de leur possession, lequel « consiste particulièrement dans la vie interieure, & « dans la pratique de l’oraison & des vertus solides. « Nous en devons donc estre les premiers remplis « car il seroit presque inutile de leur en donner l’in- « struction, & non pas l’exemple. Demandons bien « cet Esprit à Nostre-Seigneur, & n ous étudions à « conformer notre conduite & nos actions aux sien- « nes. Un des plus grands empechemens aux biens « du Seminaire, seroit d’agir en Maistre envers ceux « qui sont sous notre charge, ou de les négliger, ou « malédifier ; ce qui arriveroit si nous voulions nous « faire considérer, nous épargnez, & nous commu- « niquer trop au dehors. Il faut estre ferme, & non « pas rude dans la conduite ; & éviter une douceur « fade qui ne sert à rien. Nous apprendrons de Nostre « Seigneur comme la notre doit estre toujours accom- « pagnée d’humilité & de grace, pour luy attirer les « cœurs & pour n’en dégoûter aucun. « Quoy qu’il recommandast principalement l’appli cation aux vertus intérieures comme les plus importantes, il desiroit néanmoins qu’on fust fort exact à tout ce que les saints Canons ont ordonné touchant le Reglerment exterieur des Ecclesiastiques, ainsi qu’il l’a témoigné en plusieurs occasions. Il refusa par cette consideration, à un de ses Prestres la permission de se servir d’une soutanelle pendant 190. LA VIE DU VENERABLE VINCENT qu’il travailloit sur les Galeres à l’instruction des Forçats, nonobstant les incommodiez du lieu ; « Parce que dit-il, qu’estant appellez de Dieu pour ren« dre service à Messieurs les Ecclesiastiques, il est bien « à propos que nous leur donnions en toutes choses « l’exemple du repect & de la soumission que nous « avons pour les Ordonnances de l’Eglise. Il n’étendoit pas seulement ses soins sur tout ce qui concernoit le progrès spirituel des Seminaires, qui estoient sous la conduite des Prestres de sa Congregation ; il pourvoyoit encore aux dépens de sa Maison, & par le secours des personnes charitables, aux besoins temporels des Ecclesiastiques qui n’avoient pas moyen d’y payer leur pension ; C’est ce qu’il fit particulièrement à l’égard de plusieurs, qui demeuroient au Seminaire des BonsEnfans pendant les premieres années de son établissement, comme aussi dans le Seminaire d’Annessy & ailleurs, où l’exemple de sa charité excita depuis quelques personnes vertueuses à envoyer des aumônes pour y entretenir des pauvres ecclesiastiques, en quoy s’est rendu remarquable entre les autres M. Chomel Prestre de Paris, non moins illustre par sa ,pieté que par sa naissance, lequel envoya pour cét effet pendant 10 ou 12 ans une somme Considerable par chaque année au Seminaire de Troyes en Champagne-, & dans celuy d’Annessy en Savoye ; sans parler de plusieurs semblables charitez qu’il exerçoit à mesme temps en d’autres Seminaires, particulièrement en celuy des Bons-Enfans A Paris, & encore depuis dans celuy de S. Flour En Auvergne, où il a esté Vicaire General & Official. L’on ne peut douter que les aumônes qui sont appliquées pour une si bonne œuvre, ne soient tresméritoires, & qu’elles n’attirent sur ceux qui s’y employent des bénédictions d’autant plus abondan- DE PAUL. LIV. I . CHAP. XXVI. 191 tes, que l’instruction & la sanctification des Prêtres auxquels elles contribuent, produisent de plus grands biens pour la gloire de Dieu, & l’avantage de l’Eglise. C’est ce qui faisoit dire quelquefois à M. Vincent, par l’experience qu’il en avoit ; O qu’un bon Prestre est une grande chose ! Que ne peut-il pas faire, mais que ne fait-il pas avec la grace de Dieu ? Nous pourrions représenter icy plusieurs fruits remarquables des Seminaires que ce digne Superieur a dirigez par ses salutaires Avis, & par la cooperation de ses Enfans : mais pour éviter la longueur, nous nous contenterons de rapporter le témoignage qu’en ont donné entre autres, deux Prelats d’une éminente pieté. Le premier est M. Dom Juste Guerin Evesque de Geneve, lequel ayant commencé un Seminaire en La ville d’Annessy dés l’année 1641, sous la conDuite des Prestres de la Congregationn de la Mission, En écrivit quelque-temps après à M. Vincent en Ces termes : Vos tres-chers Enfans travaillent toûJours utilement pour la gloire de Dieu & le salut « Des Ames, comme des Ouvriers vraiment Evan- « Geliques. Ils élevent en leur maniere de vivre, & « Dansleurs Exercices, des Ecclesiastiques du Diocese« Lesquels j’entretiens de ce que je puis épargner ; & « Par la grace de Dieu ils font des merveilles sous « Leur sainte direction : de sorte que par ce moyen « Nous espérons qu’ils nous dresseront des Curez ca- « Pables & vertueux qui s’acquiteront dignement « De leurs Charges. Je vous remercie de tout mon « Cœur des charitez que vous nous avez faites, & de « Celles que vous nous avez procurées auprès de M. « Chomel pour le secours de notre Seminai- « Re, l’Evesque & le Diocese en auront à vous & à luy « Des obligations immortelles, & Dieu en sera vostre « 192 LA VIE DU VENERABLE VINCENT « éternelle recompense. Nous espérons faire de gran« des choses pour son service, moyennant sa grace & « vos bonnes assistances, &. L’autre est M. Alain de Solminihac tres-saint Evesque de Cahors, lequel ayant donné l’an 1643, la direction de son Seminaire aux Prestres de la Mesme Congregation, voulut faire part à M. Vincent de la consolation qu’il recevoit de leurs travaux, par une Lettre qu’il luy écrivit cinq ans après « Leur etablissement : Vous seriez ravy, luy dit-il, de » voir mon Clergé, & vous beniriez Dieu mille fois « si vous saviez le bien que les Vostres ont fait dans « mon Seminaire, d’où il s’est desja répandu dans « toute la Province. L’affection que j’ay pour vostre « Congregation, ne cedera jamais à celle d’aucun des « vostres, & vous aurez toujours tout pouvoir en ce « qui dépendra de moy, &. Le temoignage de ces deux illustres Prelats est assez confirmé par les grands biens qu’on a vû reüssir des Seminaires établis sous la sage conduite de M. Vincent ; & la continüation des mesmes biens qui se multiplient & s’augmentent de plus en plus, fait assez connoistre que Dieu l’avoit particulièrement destiné avec sa Congregation, pour contribuer par cet excellente Institution, aussi-bien que par les précédentes, à l’avancement spirituel des personnes Ecclmesiastiques, & pour donner par ce moyen de dignes Pasteurs à l’Eglise. DE PAUL. LIV. I . CHAP. XVII. 193 Le soin des Pensionnaires enfermez A S. Lazare. CE n’est pas sans raison que nous mettons entre les Œuvres remarquables de M. Vincent puisqu’elle est aussi-bien que toutes les précédentes un evident témoignage de sa charité universelle pour le salut des Ames, & pour la consolation des affligez ; & que les maux auxquels il a par ce moyen pourveu d’un excellent remede, sont plus difficiles à guérir. Il s’est appliqué à cet humble & charitable Employ, de mesme qu’à tous les autres, par un ordre particulier de la Divine Providence, laquelle luy en fit naistre l’occasion en la maniere qui suit. lorsqu’il entra avec les Siens dans la Maison de S. Lazare, il y trouva deux ou trois personnes foibles d’esprit, & un autre qui ne manquoit pas tant de raison que de bonne conduite, tous lesquels avoient esté confiez par leurs parens au soin de M ; Le Bon Prieur de cette Maison. M. Vincent voyant que Dieu luy présentoit une si belle occasion d’eexercer la charité envers ces personnes, en prit tresvolontiers le soin, & s’appliqua à les servir avec tant d’affection, qu’il prisoit beaucoup plus le service qu’il rendoit à JESUS-CHRIST en leurs personnes, que toutes les possessions & tous les avantages de cette nouvelle Maison. C’est ce qu’il declare luy-mesme un jour aux Siens, pour leur montrer l’estime qu’ils devoient faire de cet employ. Nous « eusmes, leur dit-il, au commencement un procès, « auquel il s’agissoit, si nous ferions chassez de la « Maison de S. Lazare, ou si nous y serions mainte- « 194 LA VIE DU VENERABLE VINCENT « nus & il me souvient que dans cette conjoncture « je me demanday à moy-mesme : S’il te falloit main« tenant quitter cette Maison, qu’est-ce qui te tou« cheroit davantage, & quelle chose te donneroit « plus de deplaisir & de ressentiment ? il me sembla « pour-lors que ce seroit de ne plus voir ces pauvres « gens, & d’estre obligé d’en quitter le soin e& le « service. C’est dans ce sentiment, qui procède d’une sagesse vraiment Evangelique, & entièrement opposée aux Maximes du monde, que cet homme de Dieu estant demeuré paisible possesseur de la Maison de S. Lazare, a voulu continuer, quoy-que sans obligation, le mesme exercice d’humilité & de charité envers un grand nombre de personnes qui luy ont esté depuis adressées ; & par cet exercice il a procuré une grande gloire à Dieu, un notable avantage au public, une singuliere consolation à plusieurs jeunes-homes libertins & vicieux. Mais pour connoître plus clairement l’utilité de cette œuvre charitable, il faut savoir que M. Vincent a toujours receu depuis son etablissement à S. Lazare, deux sortes de personnes en qualité de pensionnaires enfermez dans cette Maison. Les premierts sont des jeunes-hommes incorrigibles dans le desordre de leur vie, lequel se laissant aller au libertinage negligent leurs études, ou autres exercices conformes à leur état, d’où il arrive pour l’ordinaire qu’ils s’abandonnent aux vices & aux débauches par la frequentation des mauvaises compagnies ; de sorte que leurs parens, après avoir employé tous les remèdes dont ils ont pû s’aviser pour les ramener à leur raison, reconnaissent enfin qu’il ne leur en reste plus d’autre, sinon de les priver de la liberté dont ils usent mal, & de les enfermer à S. Lazare, où ils DE PAUL. LIV. I . CHAP. XXVII. 195 sont receus avec la permission du Magistrat, & traitez selon leur pension, tant pour le logement que pour la nourriture, sans estre veus de personne de dehors, que du consentement de ceux qui les y ont fait enfermer, & mesme sans estre connus au dedans, sinon de ceux qui sont établis pour leur rendre service ; Il y a des freres destinez pour les besoins du corps, & des Prestres pour ceux de l’ame. Ceux-là ont soin de leur nourriture & de leur autres besoins extérieurs ; & ceux-cy les visitent, les consolent, & les exhortent à changer de vie par tous les motifs capables de leur toucher le cœur. Com me la solitude & l’humiliation où ils sont, est trespropre pour leur faire ouvrir les yeux et reconnoîtretre leur mauvais état ; ils sont aussi beaucoup mieux disposez à profiter, tant des avis salutaires qu’on leur donne, que des Lectures spirituelles, de la participation des Sacremens, & des autres exercices de pieté qu’on leur fait pratiquer avec un tres bel ordre, ainsi que dans une Communauté bien reglée. Ils demeurent pour l’ordinaire en cette Maison, jusqu’à ce qu’on reconnoisse en eux des marques fort probables d’une veritable conversion ; & avant que de sortir, ils font encore les Exercices spirituels pour se fortifier davantage dans leurs bonnes résolutions, & pour obtenir de Dieu la grace de persévérer dans le bien commencé. Les autres sur lesquels M. Vincent a aussi étendu ses soins charitables, sont des personnes foibles d’esprit, ou mesme depourveuës tout à fait de raison, lesquels ne pouvant demeurer dans leurs Maisons sans estre beaucoup à charge à leurs parens & à opprobe à leurs familles, trouvent une demeure assurée dans S. Lazare, où ils sont servis et assistez avec une tres-grande charité ; & ce qui est bien remarquable, l’on en a vû plusieurs qui estant en- 196 LA VIE DU VENERABLE VINCENT trez en ce lieu privez de l’usage de la raison, l’ont enfin recouvré par les soins qu’on a pris d’eux, & sont sortis avec une entiere liberté d’esprit. Mais les fruits plus considérables de ce pieux Etablissement, sont les fréquentes conversions des pecheurs endurcis, & les changemens admirables des jeunes gens qui sembloient auparavant incorrigibles & incapables de remèdes. Plusieurs qui avoient abandonné leurs études par un esprit de libertinage, ayant passé quelque-temps dans cette Ecole de vertu, sont ensuite retournez dans les Classes, & y ont tres-bien reüssi. D’autres qui avoient emporté des sommes notables à leurs parens, se voyant arrêtez en ce lieu sans pouvoir dissiper leur larcin, ont decouvert franchement l’endroit où ils l’avoient caché, & témoigné beaucoup de regret du tort qu’ils leur avoient causé. D’autres qui avoient entièrement perdu le respect & la soumission qu’ils devoient à leurs parens, & qui avoient mesme passé quelquefois jusques à cet excés, que de les frapper, ou attenter à leur vie, ont conceu dans cette sainte retraite une telle horreur de leurs emportemens, qu’après les avoir expiez devant Dieu par une veritable Penitence, ils en ont demandé pardon à leurs parens avec abondance de larmes, & leur ont ensuite donné toute sorte de contentemens. D’autres qui estoient en des habitudes invétérées de divers pechez enormes, ont si bien profité de leur demeure en cette Maison, qu’ils ont entièrement renoncé à leurs vices, & ont mené depuis une vie exemplaire ; soit dans les Charges publiques, mesme des plus considérables ; soit dans le negoce, ou autres semblables exercices ; soit deans les Ordres & ministeres Ecclesiastiques ; soit enfin dans les Religions bien reformées, où plusieurs sont allez pour y mener une vie penitente le reste de leurs jours. DE PAUL. LIV. I . CHAP. XVII. 197 tous ces biens qui ont commencé depuis plus de 30 ans, ont toûjours continué avec de nouveaux accroissement ; & il semble que Dieu se plaise encore à rependre les benedictions particulieres sur cette Œuvre de pieté, par les mérites de son Serviteur Vincent de Paul, & en veuë de la charité extrordinaire avec laquelle il s’y est appliqué pendant sa vie. Il recommandoit souvent à toute sa Communauté de prier Dieu pour ces Pensionnaires enfermez, & enjoignoit soigneusement à ceux qui en avoient la charge de s’acquitter fidèlement de cet employ. Il leur disoit quelquefois à ce propos, que la seule negligence en ce point seroit capable d’attirer la malediction de Dieu sur toute la Maison ; & qu’au contraire la fidéle application à ce saint exercice estoit un des services les plus agréables qu’ils pouvoient rendre à sa Divine Majesté. Il les exhortoit par de puissans motifs à supporter avec courage les peines & les difficultez qui accompagnent ce charitable employ, de peur que la repugnance que la nature y trouve, ne rallentist peu à peu leur ferveur ; & comme dans ces occasions la bouche parloit de l’abondance de son cœur, il inspiroit facilement aux autres les mesmes sentimens dont il estoit rempli. Mais pour connoistre encore mieux avec quel zele il taschoit de maintenir cette œuvre si utile à la gloire de Dieu & au bien des Ames, nous ajouterons pour conclusion de ce Chapitre l’extrait de quelques Discours qu’il a fait aux Siens sur ce sujet en diverses occasions. Rendons grâces à Dieu, leur disoit-il, de ce qu’il « applique certte Communauté à la conduite des in- « corrigibles, & des foibles d’esprit. Ce n’est pas peu « de chose d’estre ainsi employé au soulagement des « affligez, c’est une des œuvres les plus agréables à « Dieu ; & elle est d’autant plus meritoire, que la na- « 198 LA VIE DU VENERABLE VINCENT « ture y trouve moins de satisfaction. Prions Dieu « qu’il donne aux Prestres de la Congregation l’esprit « de conduite pour ces sortes d’emplois, quand ils y « seront appliquez ; & qu’il fortifie & anime de sa « grace nos pauvres Freres, pour essuyer les peines & « souffrir les travaux qu’ils eprouvent tous les jours « au service de ces pensionnaires. « Courage mes Freres, savez-vous-bien qu’il y a « eu autrefois des Papes appliquez au soin des bestes ; « Oüy, du temps des Empereurs qui persecutoient « l’Eglise en son Chef & en ses membres, ont prenoit « quelquefois des Papes pour garder des Lyons, des « Leopards & d’autres bestes semblables qui ser« voient au divertissement de ces Princes infidèles. « & qui estoient comme les images de leur cruauté. « Or les hommes, dont vous avez la charge pour les « besoins extérieurs, ne sont pas des bestes, quoy qu’ils « soient en quelque façon pires, si l’on a égard à leurs « déreglemens. Cependant Dieu a voulu faire passer « tous les Chretiens, par ces abaissemens & par ces « afflictions extraordinaires, afin qu’ils apprissent par « leur propre experience à compatir aux abjections « & aux adversitez de leurs Enfans spirituels. C’est « pour cela que Nostre- Seigneur meszme a voulu se « charger de toutes nos miseres, à la reserve de l’i« gnorance & du peché ; Nous avons un Pontife, dit « S. Paul, qui sçait compatir à nos infirmitez, parce « qu’il les a éprouvées luiy-mesme. O Sagesse Eter« nelle ! Vous avez pris & embrassé nos pauvretez, « le scandale des Juifs, & la folie des Gentils. Vous « avez voulu mesme paroistre comme hors de vous : « Oüy, Nostre-Seigneur a bien voulu passer pour « un insensé & pour un furieux, comme il est rap« porté dans le sant Evangile. Exterunt tenere eum ; DE PAUL. LIVR. I . CHAP. XVII. 199 & dicentra quoniam in surorem versus est. Benis « sons ce Divin Sauveur & le remercions de ce que « nous appliquant au soin des Pensionnaires qu’on « nous amene icy, il nous fait voir combien sont « grandes & diverses les miseres humaines ; & par « cette connoissance nous rend plus propre à travail- « ler utilement envers le prochain & à nous acquitter « de nos autres fonctions. Cependant je prie ceux « qui sont employez auprès de ces personnes, d’en « avoir un gran d soin ; & la Compagnie, de les recom-« mander souvent à Dieu, & de faire estime de cette « occasion qu’elle a d’exercer la charité & la pa- « tience. « Mais, me dira querlqu’un, nous avons assez d’au- « tres emplois sans cela, & nous n’avons point pour « Regle de recevoir à S. Lazare tous ces esprits fas- « cheux. Je répondrai à celuy-là, que notre Regle « en cecy est Nostre-Seigneur, lequel a voulu estre « entouré de lunatiques, de démoniaques, de tentez « & de possédez ; on les luy amenoit de tous costez « pour les délivrer & les guérir, comme il faisoit avec « grande bonté. Pourquoi donc nous blasmer & « trouver à redire de ce que nous taschons de l’imiter « en une chose qu’il a témoigné luy estre si agreable ? « S’il a receu les aliénez, & les obsédez, pourquoi « ne les recevrons-nous pas ? Nous ne les allons pas « chercher, on nous mes amene ; & que savons-nous « si sa providence qui l’ordonne ainsi, ne veut pas « se servir de nous pour remédier à leur infir mité, en « laquelle ce debonnaire Sauveur leur a voulu com- « patir jusques-là, qu’il semble l’avoir fait passer en « luy-mesme, ayant voulu paroistre tel que je viens « de dire ? O mon Sauveur et mon Dieu ! Faites-nous « la grace de regarder ces choses du mesme œil que « vous les avez regardées. « C’est sur ces exemples de Nostre-Seigneur & des 200 LA VIE DU VENERABLE VINCENT Saints que M. Vincent se conduisoit en cet Employ de charité ; & suivant les lumières de la Sagesse Eternelle, il jugeoit de la veritable excellence de cette œuvre par les salutaires effets qui en procedent, l’estimant aussi grande devant Dieu, qu’elle est utile au salut des pecheurs, & propre au soulagement des affligez. ________________________________________ CHAPITRE XXVIII. Etablissement des Confreries de la Charité. Nous avons vû dans les Chapitres précedens sept Œuvres principales, par lesquelles M. Vincent a pourveu de remèdes tres-propres aux nécessitez spirituelles, tant des peuples de la Campagne que des Ecclesiastiques, & de plusieurs autres personnes qui en avoient un particulier besoin. Nous rapporterons dans les cinq Chapitres suivans d’autres Œuvres remarquables & Institutions permanentes, par lesquelles il a principalement soulagé les miseres corporelles des pauvres les plus abandonnez, quoy-que dans ces mesmes œuvres il ait heureusement uny l’assistance des ames avec le soulagement des corps. La premiere qui se présente, est la Confrerie de la Charité instituée pour le secours des pauvres malades des paroisses. Cette sainte Institution est le propre Ouvrage de la charité de M. Vincent envers les pauvres, où pour mieux dire, la charité de ce veritable Amy des pauvres a servy d’instrument à la Divine misericorde, pour introduire dans l’Eglise cette nouvelle maniere de les assister dans leurs maisons, lors qu’ils sont attaints de maladie. Elle est composée d’un certain nombre de femmes & de DE PAUL. LIV. I . CHAP. XVIII. 201 filles qui servent les pauvres chaque jour à leur tour ; & trois d’entrte elles, qui sont la Superieure`, La Tresoriere & le Garde-meubles ont l’entiere direction de la Confrerie. On fait tous les deux ans élection de ces trois Officieres en la presence de M. Le Curé ; & par son avis l’on choisit aussi dés le commencement, un homme pieux & charitable pour leur servir de procureur. Les fruits que M. Vincent vit reüssir de la preMiere Confrerie de la Charité qu’il avoit établie A Chastillon en Bresse, le fit resoudre à étendre Autant qu’ilpourroit, une œuvre si utile au souLagement & au salut des pauvres malades. C’est ce Qu’il a exécuté depuis avec tant de succés par luy& par les Siens dans la plus-part des lieux où ils sont fait Mission, qu’au temps de sa mort la Confrerie de la Charité s’est trouvé répanduë en une infinité de lieux, tant en France que dans les Etats voisins ; & ses mles mes enfant continüent encore tous les jours à l’établir dedans et dehors le Royaume, avec l’approbation du S. siege, & avec l’agrement des Prelats & des autres Pasteurs. DE PAUL. LIV. I . CHAP. XVIII. 201 filles qui servent les pauvres chaque jour à leur tour ; & trois d’entrte elles, qui sont la Superieure`, La Tresoriere & le Garde-meubles ont l’entiere direction de la Confrerie. On fait tous les deux ans élection de ces trois Officieres en la presence de M. Le Curé ; & par son avis l’on choisit aussi dés le commencement, un homme pieux & charitable pour leur servir de procureur. Les fruits que M. Vincent vit reüssir de la preMiere Confrerie de la Charité qu’il avoit établie A Chastillon en Bresse, le fit resoudre à étendre Autant qu’ilpourroit, une œuvre si utile au souLagement & au salut des pauvres malades. C’est ce Qu’il a exécuté depuis avec tant de succés par luy& par les Siens dans la plus-part des lieux où ils sont fait Mission, qu’au temps de sa mort la Confrerie de la Charité s’est trouvé répanduë en une infinité de lieux, tant en France que dans les Etats voisins ; & ses mles mes enfant continüent encore tous les jours à l’établir dedans et dehors le Royaume, avec l’approbation du S. siege, & avec l’agrement des Prelats & des autres Pasteurs. Comme les bonnes entreprises ont particulierement besoin dans leur naissance d’estre soutenuës & cultivées avec grand soin, pour estre conduites à leur perfection parmy les difficultez qui s’opposent d’ordinaire à leur progrès ; pour ce sujet M. Vincent visitoit souvent les Confreries de la Charité dans leur commencement, ou il faisoit visiter par ses Missionnaires, autant que les autres emplois de sa Congregation le pouvoient permettre. Mais ces Confreries s’estant tellement multipliées en peu de temps, qu’il ne pouvoit plus satisfaire à toutes ces visites sans manquer à ses autres occupations. Dieu inspira une tres vertueuse Demoiselle de se dédier à ces Œuvres de charité sous la 202 LA VIE DU VENERABLE VINCENT direction de notre charitable Pere des Pauvres pour suppléer par ses travaux, ce qui pouvoit manquer à la perfection des Confreries nouvellement établies. En quoy l’on peut remarquer un trait particulier de la Divine Prrovidence ; car Madame la Generale des Galeres estant décedée en l’année 1625, après avoir coopéré avec cét homme Apostolique aux premieres Missions, & au premier Etablissement des Missionnaires ; Dieu suscita à mesme temps cette pieuse Demoiselle, laquelle seconda par son zele la Charité de ce saint Prestre dans l’assistance des pauvres, & dans l’institution des Filles de la Charité, Servantes des Pauvres malades. Et parce qu’elle a beaucoup travaillé avec luy, tant à l’avancement des Confreres de la Charité, qu’à plusieurs autres saintes œuvres, dont nous parlerons cy-après ; il est necessaire avant que de passer outre, de la faire connoistre plus particulièrement au Lecteur. C’estoit Mademoiselle Loüise de Marillac veuve de Monsieur Le Gras Secretaire de la Reine Marie de Medicis. Dieu luy avoit donné les vertus & les dispositions convenables pour reüssir dans toutes les saintes Œuvres auxquelles il la destinoit ; car elle avoit un fort bon jugement, une vertu Masle, & une charité universelle, qui luy faisoit embrasser avec un zele infatigable toutes les occasions de secourir le prochain, & particulièrement les pauvres. Elle fut exercée pendant quelque temps par des peines intérieures qui l’affligeoient beaucoup. Elle retrouva aussi en de grandes perplexitez touchant sa propore conduite, & sur la resolution qu’elle devoit prendre pour se donner entierement à Dieu, comme elle le desiroit. Elle avoit demeuré plusieurs années sous la direction de M. Jean Pierre Camus Evesque de Bellay, & enfin DE PAUL. LIV. I . CHAP. XXVIII. 203 par son conseil elle se resolut de prendre M. Vincent pour Directeur. Quoy-que ce sage Prestre ne se chargeast pas facilement de la conduite des Ames en particulier, & qu’il evitast cét employ autant qu’il luy estoit possible, de peur qu’il ne l’empeschast de s’appliquer à des Œuvres plus importantes pour le service de l’Eglise ; il crût neanmoins qu’il devoit en cette occasion deferer aux avis de ce grand Prelat, & rendre cét office de charité à cette vertueuse Demoiselle ; Dieu en ayant ainsi disposé pour les plus grands biens que sa Providence en vouloit tirer, comme il parut bien-tost après. Cette fidéle Servante de JESUS-CHRIST se sentit fortement touchée en ses Oraisons, de s’adonner au service des pauvres ; sur quoy ayant demandé l’avis de M.Vincent, il luy fit réponse par écrit en ces termes : Oüy certes, Mademoiselle, « je veux bien, puisque Dieu vous a donné ce saint « sentiment. Communiez demain, & vous prépa- « rez à la salutaire reveuë que vous -vous proposez ; « & après cela vous commencerez les saints Exer- « cices que vous –vous estes ordonnez. Je ne sçaurois « vous exprimer combien mon cœur desire ardem- « ment de voir le vostre, pour sçacvoir come cela « s’est passé en luy : mais je m’en veux bien mor- « tifier pour l’amour de Dieu, auquel seul je désire « que le vostre soit occupé. Vous avez paru aujour- « d’huy devant les yeux de Dieu comme un bel arbre, « puis que par sa grace vous avez produit un tel fruit. « Je le supplie qu’il fasse par son infinie bonté, que « vous soyez à jamais un veritable arbre de vie, qui « produise des fruits d’une vraye charité. Ayant donc trouvé en elle de si bonnes dispositions, & éprouvé durant quelques années sa vertu, il luy proposa au commencement de l’an 1629, de se donner particulièrement à Nostre-Seigneur, 204 LA VIE DU VENERABLE VINCENT pour honorer sa Charité envers les Pauvres, & d’entreprendre à son exemple quelques v oyages par les villages où les Confreries de la Charité avoient esté établies ; afin d’encourager les femmes & les filles qui s’y estoient enrôlées, & leur donner les avis dont elles avoient besoin pour se bien acquitter du service des pauvres. Elle accepta par obéissance cét employ de Charité, auquel elle estoit assez portée d’ailleurs par son propre zele ; & elle l’executa dans le mesme esprit d’obeïssance, suivant fidèlement une instruction écrite de la main de son sage Directeur, & n’entreprenant rien d’extraordinaire sans le luy communiquer. L’on ne sçauroit exprimer les grands biens qu’elle fit dans ses charitables visites ; elle releva les Confreries qui estoient descheuës ; elle releva celles qui branloient & perfectionna celles qui s’estoient conservées. Elle faisoit ordinairement quelque sejour en chaque Parroisse, & pendant ce temps-là elle assembloit les femmes qui composoient la Confrerie ; elle les exhortoit à continuer leur nombre, si elles estoient trop peu ; elle les dressoit au service des pauvres malades, leur enseignant à composer les remèdes, & leur donnant quelques aumônes qui consistoient en argent, en linge, & en d’autres choses propres pour le soulagement des malades ; & outre le soin qu’elle prenoit des Confreries de la Charité, elle instruisoit encore les jeunes- filles sous le bon plaisir de Messieurs les C urez, & procuroit qu’il y eust en chaque lieu quelque Maitresse d’école, qu’elle taschoit de bien dresser dans cét office, instruisant elle-mesme en sa presence les petites filles. Elle s’appliqua durant plusieurs années à ces exer- DE PAUL. LIV. I . CHAP. XXVIII. 205 cices de charité, dans les Dioceses de Paris, de Beauvais, de Senlis, de Soissons, de Meaux, de chalons en Champagne, &c, & partout , ses travaux furent benis de Dieu. Elle faisoit des voyages é ses aumônes à ses dépens, & estoit toûjours accompagnée de quelque autre Demoiselle de pieté, &` d’une servante. Après avoir employé la plus grande partie de l’année en ces saints exercices, elle revenoit ordinairement passer l’Hyver à Paris, où elle rendoit la mesme assistance aux Pauvres de la Ville qu’à ceux de la Campagne. La Charité qui pressoit continuellement son cœur, n’estoit pas satisfaite du secours qu’elle donnoit par ellemesme aux pauvres, elle le portoit encore à convier d’autres personnes de son sexe à rendre une semblable service à JESUS-CHRIST dans ses membres ; & sa parole avoit beaucoup de force sur leurs esprits, parce qu’elle estoit accompagnée de son exemple, qui paroissoit d’autant plus admirable, qu’elle estoit d’une complexion fort delicate & sujette à plusieurs infirmitez. Elle continua ses charitables exercices envers les pauvres malades pendant la peste qui affligea la ville de Paris, dans les premieres années que la Confrerie de la Charité y fut établie ; & elle se trouva un jour dans un danger évident de cette maladie, pour avoir visité une fille qui en estoit frappée. M. Vincent l’ayant sçeu, l’encourage par ces Paroles qu’il luy écrivit aussi-tost : la Bonté de « Dieu sur les personnes qui se donnent à luy pour « Le service des Pauvres dans la Confrerie de la Cha- « rité, en laquelle jusqu’à present aucune n’a esté « frappée de peste, me fait avoir une tres-parfaite « confiance que vous n’en aurez point de mal. Notre- « Seigneur se veut servir de v ous pour quelque chose « qui regarde sa gloire, & j’estime qu’il vous con- « 206 LA VIE DU VENERABLE VINCENT « servira pour cela. La confiance de M. Vincent ne fut pas vaine, & l’evenement a fait v oir depuis la verité de sa prédiction ; car Dieu preservera pour lors de la peste cette charitable Demoiselle, & la conservera encore plus de trente-ans après, pendant lesquels elle a rendu des services importans à sa gloire & au bien de l’Eglise, comme l’on verra au Chapitre suivant. Quoy que M. Vincent n’eust point d’autre dessein au commencement que d’établir la Confrerie de la Charité dans les petites villes & dans les villages, où faute d’Hôpitaux les pauvres malades estoient dépourvues de secours ; néanmoins M. Augustin Potier Evesque de Beauvais ayant sceu les grands fruits que produisoit cette Confrerie pour le secours spirituel aussi-bien que pour le soulagement corporel des Pauvres malades, désira qu’elle fust établie dans la ville de Beauvais ; ce qui fut fait par l’entremise de M. Vincent, & par la cooperation de Mademoisellle le Gras, dans toutes les Parroisses de cette ville, qui sont au nombre de dix-huict. Depuis ce temps-là quelques Dames vertueuses & charitables de Paris, ayant vû les bons effets de cette Confrerie dans les villages, firent en sorte qu’elle fut établie à Paris, dans leur Parroisse de Saint-Sauveur. Ce premier Etablissement de la Confrerie de la Charité dans la ville de Paris, fut fait l’an 1629 par M. Vincent, selon le desir de M. le Curé ; & l’année suivante Mademoiselle le Gras ayant persuadé à cinq ou six Dames de la Parroiisse Saint Nicolas du Chardonnet où elle demeuroit, de se joindre à elle pour le service des Pauvres malades, elle écrivit à M. Vincent qui estoit alors en Mission, pour luy rendre compte du progrès qu’elles avoient fait en ce pieux exercice. Sur quoy il luy recommanda particulièrement DE PAUL. LIV. I . CHAP. XXVIII. 207 de suivre les Reglemens des Confreries desja établies, ajoutant d’autres avis convenables pour faire reüssir cette bonne œuvre en cette Parroisse, ainsi qu’il avoit fait l’année précedente en celle de Saint Sauveur. Elle observa fidèlement tous les avis de son charitable Directeur ; & Dieu donna telle benediction à cette entreprise, que plusieurs autres Dames s’estant associées aux premieres, les pauvres ont toujours esté depuis par ce moyen tres-bien Assistez, sous la sage conduite de M. le Curé. La mesme année & la suivante 1631, cette Confrerie fut établie par M. Vincent , avec la permission de M. l’Archevesque de Paris & l’agrément de Messieurs les Curez, dans les Parroisses de S. Mederic, de S. Benoist, & de S. Sulpice ; & ensuite en divers temps le mesme etablissement s’est fait presque en toutes les Parroisses de la Ville & des Faux-bourgs de Paris, & mesme dans l’Hôpital des Quinze vingt. Qui pourroit maintenant raconter tous les biens que tant de confréries de la Charité ont produits ? Combien elles ont fait vivre de pauvres malades abandonnez de tout secours humain ? Combien elLes ont retiré de pecheurs des portes de lm’Enfer ? Et combien d’actes héroïques de charité elles ont fait produire aux personnes qui s’y sont enrôlées. Il n’est pas possible d’exprimer la moindre partie de tous ces biens, ny de concevoir l’excellence & le merite de cette sainte Institution qui en est la source. Si la Fondation d’un Hôpital est une action digne d’une éternelle louange, quelle estime doiton faire de cette invention, par laquelle on peut dire qu’il a établi des centaines & des milliers d’Hôpitaux ; car quoy-qu-il n’ait pas basty de nouvelles Maisons pour y retirer les pauvres, il a néanmoins 208 LA VIE DU VENERABLE VINCENT trouvé le moyen de les faire soigneusement assistez en une infinité de lieux, sans séparer les maris de leurs femmes, ny les peres & les meres de leurs enfans ; ce qui leur est beaucoup plus agreable, & souvent mesme plus avantageux. Mais ce qui n’est pas moins digne de remarque en ce sujet, c’est qu’encore que cette Confrerie ne soit composée en la plupart des lieux que de simples femmes & files de village, ou de mediocre condition ; & qu’elle n’ait d’autre fonds que le peu d’argent & de meu-` bles qu’on amasse au commencement par une queSte générale dans la parroisse, & ensuite par les questes ordinaires qu’on fait dans l’Eglise : l’on n’a pas sceu néanmoins qu’elle ait manqué en aucun lieu des choses nécessaires pour l’assistance des Pauvres malades, lors-que le Reglement dressé par M. Vincent y a esté fidèlement observé. C’est ce que l’on peut voir par l’exemple de celle de Chastillon en Bresse, laquelle subsiste depuis prés de cinquante ans, par un soin particulier de la Divine Providence, quoy-que M.Vincent n’ait pû la visiter, à cause de son éloignement & de ses autres emplois. Le Chapitre suivant nous fera voir encore un excellent moyen que cette mesme Providence à fait naistre depuis, pour maintenir, & pour accroistre les fruits de ces charitables Conferries ________________________________________ CHAPITRE XXIX. Institution de la Compagnie des Fille de la Charité, Servantes des Pauvres malades. S’Il est vray, comme a dit le Prophete Royal, qu’un abysme appelle à soy un autre abys- DE PAUL. LIV. I . CHAP. XXIV. 209 me ; à plus forte raison peut-on dire qu’une benediction, attire une autre bénédiction ; & que la Charité qui est la plus seconde de toutes les vertus, achevant une de ses œuvres en conçoit ordinairement une autre. Cela se vérifie particulièrement au present sujet, car la Confrerie de la Charité a donné commencement à une sainte Compagnie de Filles sous le titre de Filles de la Charité : Et Dieu ayant fait M. Vincent Instituteur d’une Congregation d’Hommes, pour évangéliser les Pauvres, a voulu qu’il fust aussi le Pere & l’Instituteur d’une nouvelle Communauté de Filles pour le service des mesmes Pauvres, & principalement des malades. Voicy de quelle façon cela est arrivé. Les Confreries de la Charité ayant esté premierement établies dans les villages, comme il a esté dit, les femmes qui s’y estoient enrôlées, s’appliquoient elles-mesmes au service des malades, & lors-que ces Confreries furent établies dans les Parroisses de Paris, les Dames qui en avoient procuré l’établissement, poussées du mesme esprit de charité, voulurent aussi visiter les malades en leurs maisons, & leur rendre les mesmesmes services. Mais ces Confreries s’estant beaucoup multipliées dans la suite du temps, plusieurs Dames de condition y furent associées, lesquelles ne pouvoient pas, soit par l’opposition de leurs Maris, soit pour d’autres raisons, rendre elles-mesmes aux pauvres les assistances accoûtumées ; & leurs domestiques qu’ellese employoient à cela, n’avoient le plus souvent ny l’adresse, ny l’affection pour s’en bien acquitter. C’est pourquoi elles jugerent qu’il estoit absolument necessaire d’avoir des personnes qui ne fussent occupées qu’à servir ces pauvres malades, & qui leur distribuassent chaque jour la nourriture & les remèdes dont ils avoient besoin, 210 LA VIE DU VENERABLE VINCENT Cela fut proposé dés l’année 1630, à M. Vincent, lequel après y avoir pensé devant Dieu, & reconnu la necessité de ce secours, se souvint que dans les Missions des villages on rencontroit quelque fois de bonnes filles, qui n’avoient pas disposition pour le mariage, ny le moyen d’estre Religieuses ; & qu’il s’en pourroit trouver de ce nombre qui seroient bien aises de se donner pour l’amour de Dieu au service des Pauvres malades. La Providence de Dieu disposa les choses en telle sorte qu’aux premieres Missions suivantes on en trouva deux qui accepterent cette proposition, & qui furent mises l’une en la Parroisse de S. Sauveur, & l’autre en celle de S. Benoist ; & ensuite d’autres se presenterent, qui furent placées à S. Nicolas du Chardonnet & en d’autres Parroisses de Paris. M. Vincent et Mademoisellle le Gras leur donnerent les avis nécessaires pour se comporter de la maniere qu’elles devoient, tant envers les Dames qu’envers les pauvres malades : mais ces filles Estant venuës de divers lieux, n’avoient alors aucune liaison, ny correspondance entre elles, ny autre dependance que des Dames des Parroisses où elles demeuroient ; & comme elles n’avoient point esté dressées à ces exercices de Charité envers les Pauvres malades, plusieurs d’entre elles ne donnoient pas la satisfaction qu’on en esperoit, & l’on estoit pour cela obligé de les renvoyer, quoy-qu’on n’en eust point d’autres de reserve qui fussent éprouvées & formées ; de sorte que les Dames & les pauvres retomboient dans leur premier besoin. Cela faisoit assez voir qu’il estoit necessaire d’avoir Un grand nombre de filles, pour en en pourvoir tous les lieux de Paris, où ces Confreries se trouvoient établies ; & qu’il falloit aussi en les dressant au service des malades, les bien former DE PAUL. LIV. I . CHAP. XXIX. 211 aux exercices de la vie spirituelle ; estant fort difficile de vaincre les repugnances que la nature ressent dans cette vocation tres-penible, & d’y perseverer long-temps, si l’on n’est bien établi dans La vertu. M. Vincent voyoit ce grand besoin, & les Dames de la Charité le pressoient souvent d’y remedier : Mais comme il avoit pour maxime de ne s’empresser jamais en de nouvelles entreprises, il se contentoit de recourir à Dieu par la priere, attendant qu’il plust à sa Providence luy donner le moyen de subvenir à cette necessité. Il ne fut point trompé dans son attente, car plusieurs filles s’estant bien tost presentées, il en choisit trois ou quatre qu’il jugea les plus propres ; & ayant disposé Mademoiselle le Gras, à les recevoir & entretenir dans sa maison, il les mit entre ses mains, afin qu’elle les rendist capables de répondre à leur vocation. Cela fut fait en l’année 1633, par maniere d’essay, & Dieu y donna grande bénédiction. Cette vertueuse Demoiselle dressoit ces filles avec beaucoup de soin, & après qu’elles a voient passé quelque temps chez elle, on les distribuoit dans les Parroisses où elles s’acquittoient de leurs emplois avec l’édification d’un chacun ; de sorte que la bonne odeur de leur vie attira plusieurs autres filles qui voulurent suivre leur exemple, & rendre comme elle service à JESUS-CHRIST, en la personne des Pauvres. Mademoiselle le Gras voyant les biens que Dieu faisoit par ces bonnes filles, crût que si on en formoit une Communauté, ces biens pourroient estre de durée ; & l’affection qu’elle avoit pour les Pauvres, la portoit à se dédier entièrement à cetTe sainte entreprise ; mais comme elle se defioit 212 LA VIE DU VENERABLE VINCENT de ses propres sentimens, elle pria plusieurs fois M. Vincent de la déterminer , & de luy dire si elle devoit écouter cette pensée, & suivre ce mouvement : sur quoy il luy fit un jour cette Réponse : « Quand à cét employ, je vous prie une fois pour « toutes de n’y point penser, jusqu'à ce que Nostre« Seigneur fasse paroistre qu’il le veut ; car on désire « souvent plusieurs bonnes choses d’un desir qui « semble estre selon Dieu, & néanmoins il ne l’est « pas toûjopurs ;mais Dieu permet ces désirs afin de « préparer l’esprit, à ce que désire sa Providence. « Saül cherchoit des asnesses, & il trouva un Royau« me. S. Loüis prétendoit la conqueste de la Ter« re-Sainte, & il obtint la conqueste de soy-mesme, « & la Couronne du Ciel. Vouis cherchez à devenir « la Servante de ces pauvres Filles, & Dieu veut « que vous soyez la sienne, & peut-être de plus de « personnes que vous ne seriez en cette façon. Pour « Dieu, Mademoiselle, que vostre cœur honore la « tranquilité de celuy de Nostre-Seigneur, & il se« ra en état de servir. Le Royaume de Dieu est la « paix au S. Esprit ; il regnera en vous, si vous este « en paix. Soyez donc s’il vous plaist, & d’honorer « souverainement le Dieu de paix & de dilection. « Et par une autre Lettre il louy demanda : Je n’ay « pas l’esprit assez éclairé devant Dieu en cette affai« re, & une difficulté m’empesche de voir qu’elle est sa « volonté. Je vous supplie, Mademoiselle, de luy « recommander ce dessein pendant ces saints jours « auxquels il communique plus abondamment les « grâces du S. Esprit. Il la tint deux ans dans cette indifference, sans luy donner de resolution, l’exhortant à se confier uniquement en Dieu, & l’assurant qu’il luy feroit connoistre avec le temps sa volonté, & qu’elle ne DE PAUL. LIV. I . CHAP. XXIX. 213 serait point trompée. Il procedoit ainsi avec une grande retenuë au discernement de la vocation de cette vertueuse Demoiselle pour la direction des Filles de la Charité, & il avoit deux raisons principales pour en user de la sorte. L’une estoit qu’il luy sembloit qu’elle pourroit faire plus de bien, si elle ne s’engageoit pas dans cette entreprise, qui la devoit occuper toute entiere ; & l’autre qu’il craignoit par un sentiment ordinaire de son humilité, de gaster l’ouvrage de Dieu en y mettant la main. Enfin cette parole qu’il avoit si souvent repetée à cette pieuse Demoiselle, que se confiant en Dieu elle ne seroit point trompée, se vérifia dans la suite du temps : car Dieu fit connoistre si clairement sa volonté par la bénédiction qu’il donna à ces premiers essais, que l’humilité de son Serviteur ne pût refuser plus long temps de se rendre, & de cooperer aux desseins de sa Providence sur cette charitable Demoiselle, & sur les Filles dont elle devoit estre la Mere. C’est ainsi qu’après avoir servy d’instrument à Dieu pour faire naistre une nouvelle Congregation d’Hommes, il devint sans y penser l’Instituteur & le Pere spirituel d’une nouvelle Communauité de Filles. M. l’Archevesque de Paris érigea leur Compagnie en Congregation, sous le titre de Filles de la Charité, Servantes des Pauvres, & il en commit à perpetuité la direction Au Supêrieur General de la Congregation de la Mission. Il approuva aussi les Regles que M. VinCent leur avoit prescrites, & le Roy confirma leur Etablissement par ses Lettres patentes qui ont esté Vérifiées au parlement de Paris. Les premiers fondemens de leur Communauté Furent posez dans la Maison de Mademoiselle le Gras en la Parrfoisse de S. Nicolas du Chardonnet, d’où elles furent bien-tost après transférées 214 LA VIE DU VENERABLE VINCENT par l’avis de M. Vincent, au village de la Chapelle a demy-lieuë de Paris ; le sejour de la Campagne luy ayant semblé plus propre pour les élever dans l’esprit d’humilité & de pauvreté, conformément à leur profession de Servantes des Pauvres. Elles demeurerent en ce lieu prés de neuf ans ; & enfin on jugea à propos pour quelques raisons particilieres, de les faire retourner à Paris l’an 1642. & elles furent logées en la maison où elles sont encore aujourd’huy dans le Faux-bourg S. Lazare. M. Vincent ayant esté chargé de la conduite de ces vertueuses Filles, par un ordre si exprés de la Divine Providence, crût qu’il ne devoit épargner ny ses soins ny ses peines pour les elever à la perfection requise de leur état. C’est à quoy il s’appliqua avec une charité nompareille, leur faisant souvent des Exhortation & des Conferences spirituelles sur l’Esprit & les vertus propres de leur Vocation, & sur la maniere de se bien acquitter de leurs emplois. Ces bonnes Filles écoutaient tous ses discours avec tantr d’affection, qu’elles en ont recueilly plus de cent Entretiens dans la lecture desqauels elles trouvent encore tous les jours des mostifs tres puissans, & des moyens fort utiles pour avancer dans la vertu, & pour exercer saintement toutes leurs fonctions. Il leur donna aussi des Regles qui comprennent toutes les instructions necessaires pour leur sanctification particuliere. Entre autres choses il leur propose dés le commencement pour maxime fondamentale de leur Institut, de se considérer comme destinées par la volonté de Dieu, pour servir Nostre-Seigneur JESUS-CHRIST, corporellement & spirituellement en la personne des Pauvres malades ; & de travailler soigneusement à leur propre perfection, pour rendre dignes Servantes d’un tel Seigneur dans un employ si saint. DE PAUL. LIV. I . CHAP. XXIX. 215 faisant à cette fin tous leurs exercices en esprit d’HuMilité, de Simplicité, & de Charité, & en union de ceux que Nostre-Seigneur JESUSCHRIST à faits sur la terre. Il leur prescrit ensuite les moyens convenables pour arriver à cette perfection, qui sont entre autres, la pratique journaliere de l’Oraison Mentale, la frequentation des Sacremens, les Retraites annuelles, les Conferences & les Lectures spirituelles, l’union & charité mutuellle, l’uniformité de vie, d’habits & d’actions, & une modestie toute singuliere. Outre ces Regles qui sont communes à toutes Les Filles de la Charité, il leur donna encore des Reglemens particuliers jusqu’au nombre de six tous differens, qui leur marquent tout ce qu’elles doivent faire en chaque office, où elles peuvent estre appliquées pour le service des Pauvres. Il leur representoit souvent l’excellence & le merite des œuvres de charité qu’elles exercent envers les membres infirmes de JESUS_CHRIST, pour les exciter à correspondre, par une vie solidement vertueuse à la grace, d’une si sainte Vocation. Il leur disoit à ce propos, qu’elles avoient besoin d’une plus « grande vertu que les Religieuses les plus austères, « à cause de la multitude & diversité de leurs Em- « plois, qui comprennent presque tous ceux des dif- « ferentes Religions de Filles ; estant obligées outre « le soin de leur propre perfection qui leur est com- « mun avec toutes les Religieuses, de servir les Ma- « lades, comme les Hôspitalieres ; & de vaquer à « l’instruction des pauvres Filles, comme les Ursu- « lines ; sans parler de l’education des Enfans- trou- « vez, & de plusieurs autres services qu’elles ren- « dent à toutes sortes de Pauvres. 2. A cause ders oc- « casions plus grandes de relâchement, qui se rencon- « 216 LA VIE DU VENERABLE VINCENT « trent dans l’exercice de leurs emplois, ce quu’ila fort bien exprimé dans un Article des Reegles particulieres pour les Sœurs qui servent les pauvres « malades des Parroisses. Elles considereront, dit-il « qu’encore qu’elles ne soient pas dans une Religion, » cét état n’estant pas convenable aux emplois de « leur vocation ; néanmoins parce qu’elles sont beau« coup plus exposées que les Religieuses cloistrées, « n’ayant pour Monastere, que les maisons des mala« des ; pour Cellule, qu’une pauvre chambre, & bien « souvent de loüage ; pour Chapelle, l’Eglise Par« roissiale ; pour Cloitre, les ruës de la ville ; pour « Clôture, l’obeyssance ; pour Grille, la crainte de « Dieu ; & pour Voile, la sainte modestie. Pour tou« tes ces considérations elles doivent avoir autant « ou plus de vertu que si elles estoient Professes dans « un Ordre Religieux. C’est pourqoy elles tâche« ront de se comporter en tous ces lieux-là, du moins « avec autant de retenuë, de recollection & d’edifi« cation, que sont les vrayes Religieuses dans leurs « Monasteres ; & pour obtenir de Dieu cette grace, « elles doivent s’etudier à l’acquisition de toutes les « vertus qui leur sont recommandées par leurs Re« gles, & particulièrement d’une profonde Humili« té, d’une parfaite Obeïssance, & d’un grand deta« chantent des créatures ; mais surtout elles useront « de toutes les précautions possibles, pour conserver « parfaitement la Chasteté du Corps & du cœur. On peut bien dire que Dieu est le veritable Auteur de tous ces divers Reglemens, & que M. Vincent n’y a eu d’autre part que celle d’un simple instrument de la Divine Providence ; puis-qu’il ne les a dressez qu’après plusieurs prieres, & sur une longue experience de l’utilité de tous ces moyens, tant pour le soulagement des Pauvres, que pour DE PAUL. LIV. I . CHAP. XXIX. 217 la sanctification de ces Filles qui leur rendent service. C’est ce que l’on a veu encore depuis par les effets qui en ont suivy ; car la fidelité avec laquelle ces bonnes Filles ont observé les Reglemens & les avis salutaires de leur Pere, a attiré sur elles beaucoup de benedictions, & les a fait en peu d’années multiplier é établir, non seulement en la plus part des Parroisses de Paris, mais aussi en un grand nombre d’autres,tant des champs que des villes, où elles travaillent au service des Pauvres malades. Cette Œuvre semblera petite aux yeux du monde, qui n’estime que les choses qui ont de l’apparence & de l’éclat ; mais ceux qui savent combien Dieu prise les œuvres de misericorde & de charité envers les Pauvres, & qui sont persuadez que Nostre-Seigneur tient fait à sa personne le service qu’on leur rend, connoistront assez que cét Institiut est tres-grand devant Dieu ; & que ses emplois sont d’autant plus méritoires,` que la charité avec laquelle on rend service à JESUS-CHRIST en la personne des Pauvres, est plus pure & dés-interessée ; ny ayant souvent rien à attendre pour toute reconnoissance de la part de ces pauvres créatures, que des contradictions, des plaintes & des injures. A quoy nous pouvons encore ajouter un avantage particulier de cét Instituit pour les filles et les veuves, qui n’ayant pas un dot suffisant pour estre Religieuses, désirent neanmoins se retirer du monde, & assurer leur salut par des œuvres de charité : car elles sont receuës sans aucun dot dans cette Compagnie, & on ne leur demande que ce qui est necessaire pour leur premier habit : mais on requiert sur tout qu’elles ayent une bonne disposi- 218 LA VIE DU VENERABLE VINCENT tion de corps & d’esprit, pour répondre dignement à la grace d’une si sainte Vocation par une continuelle pratique des vertus Chrétiennes, & par une grande fidelité à tous leurs charitables Emplois. _____________________________________ CHAPITRE XXX. Institution d’une Compagnie de Dames pour le service de l’Hostel-Dieu de Paris, & pour plusieurs autres œuvres publiques de Charité. Les différentes miseres qui se trouvent en cette vallée de larmes, obligent les personnes animées de la charité à employer divers moyens pour le soulagement des misérables. C’est par ce principe que M. Vincent écoutoit tres-volontiers tous les avis qu’on luy donnoit pour le secours du prochain, & qu’il les embrassoit avec la mesme affection lors-que la volonté de Dieu luy estoit mainfestée, sur tout par l’organe des Superieurs. Il écouta dans cet esprit, & exécuta ensuite heureusement un nouveau dessein de charité, qui luy fut proposé l’an 1634, par Madame la Presidente Goussault, dont la memoire est en bénédiction pour ses rares vertus. Cette Dame estant demeurée veuve à la fleur de son âge, &pouvant prétenddre de grands établissemens dans le monde, renonça de bon-cœur à tous ces avantages, & prit une généreuse resolution de s’employer uniquement au service de JESUS-CHRIST en la personne des Pauvres, particulièrement des malades. Elle alloit souvent les visiter à l’Hôtel-Dieu de DE PAUL. LIV. I . CHAP. XXX. 219 Paris, & n’y trouvant pas les choses dans l’ordre qu’elle eust bien desiré, elle pria M. Vincent d’étendre sa charité sur ces pauvres, & d’aviser aux moyens de procurer quelque secours à ce grand Hôpital. Cet homme de Dieu qui se conduisoit en toutes choses avec prudence & discretion, ne crût pas d’abord devoir porter, comme l’on dit, la faux en la moisson d’autruy, ny s’ingerer à faire aucune chose dans un Hôpital qui avoit pour Directeurs & Administrateurs, tant au spirituel qu’au temporel, des personnes qu’il estimoit tres sages é tres capables d’y apporter les Reglemens nécessaires. Mais dés qu’il eut reconnu la volonté de Dieu par la voix de M. l’Archevesque de Paris, qui luy fit savoir, à la priere de cette Dame, qu’il serait fort content que suivant le dessein qu’elle luy avoit proposé, il procurast une Assemblée de Dames pour prendre un soin particulier des malades de l’HôstelDieu ;il obeït sans replique, & chercha aussi-tost les moyens de faire cet Etablissement. il assembla pour cet effet quelques vertueuses Dames, & leur fit l’ouverture de ce pieux dessein avec des paroles si énergiques, qu’elles prirent à memse temps resolution de l’entreprendre. On trouve dans une de ses Lettres qu’il écrivit sur ce sujet à Mademoiselle le Gras, les noms des premieres Dames qui ont commencé cette bonne-œuvre. L’Assemblée, luy dit-il, se fit hier chez madame « La Presidente Goussault. Mesdames de Ville-Savin, « De Bailleul, Du-Mecq, Sainctor & Poulaillon s’y « Trouverent ; la propositioon fut agreée, & on resolut « De s ’assembler encore lundy prochain, & d’offrir « Cependant l’affaire à DIEU, & de communier « Pour cela. Chacune proposera la chose aux Dames « & Demoiselles de sa connoissance ; Madame de « Beaufort en sera. On aura besoin de vous & de « 220 LA VIE DU VENERABLE VINCENT « vos Filles ; l’on estime qu’il en faudra quatre, c’est « pourquoi, il faut penser au moyen d’en avoir de « bonnes. La seconde Assemblée fut plus nombreuse que la premiere ; Madame le Chancelier s’y trouva, Madame Foucquet, Madame de Traverszay & plusieurs autres Dames de vertu & de condition qui s’associent aux premieres ; toutes ensemble firent election de trois Officieres, c’est à savoir d’une Superieure, d’une Assistante & d’une Tresoriere. Madame la Presidente Goussault fut la premiere Superieure, & M. Vincent demeura le Directeur perpetuel de cette Compagnie. L’odeur des vertus de ces premieres Dames, en attira depuis un grand nombre d’autres dans la mesme Compagnie ; de sorte que plus de deux cens s’y sont enrolées, mesme de la plus haute condition, comme Presidentes, Comtesses, Marquises, Duchesses, Prin-` cesses, qui ont tenu à honneur de s’offrir à Dieu pour servir les Pauvres, les reconnaissant comme membres vivants de son Fils JESUSCHRIST. M. Vincent n’eut pas peine d’associer ces Dames, ny de les disposer à secourir les pauvres ; mais bien de les mettre en exercice dans l’Höstel-Dieu. Aussi leur prédit-il, lorsqu’il leur représenta le merite de cette entreprise, qu’elle ne seroit pas sans difficultez, sur tout de la part de quelques personnes qui pourroient leur estre contraires, dans la pensée que ces exercices de charité seroient connoistre les défauts qui estoient alors dans cet Hôpital ; & par consequent qu’il estoit necessaire de se préparer dés le commencement à soutenir ces obstacles, & de prendre bien ses mesures pour les pouvoir surmonter. Il prévint de son costé M.M. Les Superieurs spirituels & temporels de cet Hô- DE PAUL. LIV.I. CHAP. XXX. 221 pital, les informant de la bonne intention de ces vertueuses Dames, & de l’ordre qui avoit esté donné par M. l’Archevesque ; afin qu’ils agréassent l’assistance qu’elles avoient dessein de rendre aux malades : A quoy ces Messieures donnerent tres volontiers leur approbation & leur consentement. Enfin, il nomma celles qui devoient commencer cette charitable visite des Pauvres malades, & les autres qui devoient suivre en ce mesme exercice. Il ne manqua pas de leur donner les Avis convenables touchant la maniere de s’y bien comporter ; & leur recommanda entre autres choses, comme il a fait encore depuis en diverse occasions, 1.De s’habiller fort simplement, pour ne pas faire peine à ces pauvres infirmes, lesquels pour l’ordinaire s’attristent davantage de leur pauvreté, lors-qu’ils voyent les surperfluitez des personnes riches. 2. D’invoquer toûjours, entrant à l’Hôtel-Dieu, l’assistance de Nostre-Seigneur vray Pere des pauvres, par l’entremise de la tres-Sainte Vierge, & de Saint Loüis Fondateur de cette Maison. 3. De se presenter ensuite aux Religieuses qui ont le soin des malades, & de s’offrir à les servir avec elles pour participer au merite de leurs bonnes œuvres. 4. D’estimer & respecter les mesmes Religieuses commedes Anges visibles, leur parlant avec douceur, & humilité, & leur rendant une entiere déference ; en sorte que s’il arrivoit qu’elles n’agreassent pas quelquefois leur bonne volonté, elles leur en fissent des excuses, & taschassent d’entrer dans leurs sentimens, sans jaùmais les contredire, ny les contrister, ny vouloir l’emporter sur lelles. Nous prétendons, leur disoit-il, contribuer au « salut & au soulagement des pauvres, & c’est ce « 222. LA VIE DU VENERABLE VINCENT « qu’on ne peut faire sans l’aide & l’agrement de ces « bonnes Religieuses qui les gouvernent ; il est donc « juste de les prévenir d’honneur comme leurs me« res, & de les traiter comme les Epouses de Nostre« Seigneur, & comme les Dames de la maison. C’est « le propre de l’Esprit de Dieu d’agir suavement, & « c’est le moyen le plus assuré de reüssir que de l’i« miter en cette maniere d’agir. Voilà l’esprit avec lequel M Vincent entreprit cette sainte Œuvre, & la sage conduite que ces vertueuses Dames suivirent dans leurs exercices de charité envers les Pauvres de l’Hôtel-Dieu. Elles gagnerent aussi bien-tost par leur abord affable & respectueux, les cœurs des Religieuses, & trouverent un facile accés auprés d’elles par l’humble déférence qu’elles rendoient à leurs volontez. Ce qui contribuoit encore beaucoup à entretenir cette bonne intelligence, c’est que ces charitables Dames ne se contentoient pas de servir les malades & les convalescens, mais assistoient encore les parens des mesmes Religieuses, lors-qu-ils avoient besoin d’appuy & de recommandation pour quelques affaires de famille. Elles obtinrent de cette sorte une entiere liberté d’aller de salle en salle, & de lit en lit pour consoler les malades, & les porter à faire bon usage de leurs infirmitez. Pour rendre leurs visites profitables & aux ames & aux corps des malades, elles convinrent avec M. Vincent d’ajoûter aux paroles de consolation, quelques douceurs par maniere de collation entre le disner & le souper. A cet effet elles louerent une chambre prés de l’Hôtel-Dieu, pour y préparer & garder les confitures, les fruits, les ustensiles convenables. Les Filles de la Charité y furent établies, tant pour aider les Dames à distribuer les DE PAUL. LIV. I . CHAP. XXX. 223 ser toutes les choses qui estoient nécessaires. Ces Dames faisoient préparer tous les matins des bouillons au lait pour quantité de malades auxquels ils estoient propres, & puis elles-mesmes les leur portoient.. Après le disner sur les trois heures, elles donnoient la collation à tous ; c’est à savoir du pain blanc, du biscuit, des confitures & de la gelée, des raisins & des cerises en la saison ; & durant l’Hyver, des citrons, des poires cuites &des rosties au sucre . elles alloient chaque jour à leur tour quatre ou cinq ensemble à l’Hôtel-Dieu, où ayant pris chacune un tablier, elles se separoient par les salles, & passoient d’un lit à un autre pour presenter ces petites douceurs, & pour rendre service aux pauvres malades, ou plutost à Nostre-Seigneur en leur personne. Il est vray que depuis elles retrancherent le pain, le biscuit, & les citrons, parce qu’elles n’en pouvoient soutenir la dépense ; comme aussi les bouillons au lait, à cause que M.M. les Administrateurs prirent le soin d’en faire donner. Voilà ce qu’elles faisoient pour le soulagement des corps, & voicy ce qu’elles pratiquoient pour le bien des Ames suivant les avis de leur sage Directeur. Elles parloient avec grande douceur à tous ces pauvres malades, leur témoignoient compassion de leurs maux, & les exhortoient à souffrir avec patience & avec soûmission au bon plaisir de Dieu. Elles taschoient de les préparer à bien mourir, si leurs maladies estoient périlleuses ; ou à prendre une ferme resolution de bien vivre, s’ils estoient en état de recouvrer leur santé. Elles enseignoient par maniere d’entretien aux femmes & aux filles qui n’estoient pas instruites, les choses nécessaires à salut, & puis les disposoient à faire de bonnes Confessions générales, si elles voyoient qu’elles en eus- 224 LA VIE DU VENERABLE VINCENT sent besoin. Elles se servoient dans leurs instructions d’un petit Livret que M. Vincent avoit fait imprimer, & qu’il leur avoit recommandé de tenir entre leurs mains, en exerçant cet office de charité envers les pauvres : afin qu’il ne sembloit pas qu’elles voulussent leur faire des Predications. Quand les pauvres malades estoient suffisamment instruits & préparez à faire leurs Confessions générales, les Dames prenoient au commencement le soin de faire prier quelques Religieuses de les aller entendre ; mais il survint quelques difficultés qui les empescherent de continuer : C’est pourquoi avec l’approbation des Superieurs, elles entretinrent pour cet effet deux Prestres, dont l’un sçavoit parler plusieurs langues pour la commodité des pauvres étrangers. Le nombre des malades augmentant, ces deux Prestres n’y purent pas suffire, & les Dames se trouverent surchargées de l’instruction ; outre que la bien-seance ne leur permettoit pas d’enseigner aux hommes à bien faire leurs Confessions générales. Pour remédier à ce besoin, elles convinrent avec M. M. les Superieurs de mettre six Prestres à l’Hôtel-Dieu pour instruire les hommes, & pour entendre les Confessions tant des hommes que des femmes, afin de suppléer par ce moyen au defaut des autres Prestres habituez dans ce lieu, lesquels sont attachez au Chœur & ne doivent s’employer qu’à l’assistance spirituelle des malades ; & pour s’en acquitter dignement, ils doivent avant que d’entrer à l’Hôtel-Dieu, faire une Retraite à S. Lazare, & la renouveller tous les ans en la mesme Maison. Les Dames leur donnent à chacun quarante écus, & outre cela ils ont tous les jours leurs Messes en l’Eglise de Nostre-Dame, DE PAUL. LIV. I . CHAP. XXX. 225 & sont logez & nourris à l’Hôtel-Dieu. Environ deux ans après l’Etablissement de cette Compagnie, M. Vincent jugea qu’il estoit expedient de deputer un certain nombre de Dames de trois mois en trois mois, qui s’appliqueroient particulièrement à l’instruction & consolation spirituelle des pauvres malades, pendant que les autres vaqueroient à leur donner quelque soulagement corporel. L’experience avoit déjà fait connoistre qu’il leur estoit difficile de faire ces deux choses à mesme temps ; & comme toutes n’avoient pas une égale aptitude à exercer les œuvres de la misericorde spirituelle, on pouvoit par ce moyen choisir celles qui estoient les plus propres pour cet employ. Il leur fit donc cette proposition dans une Assemblée générale, & toute la Compagnie l’ayant approuvée, on en députa quatorze pour l’executer pendant les trois mois suivans. Dés le lendemein celles qui avoient esté députées, allerent par l’avis de M. Vincent, recevoir la bénédiction de ceux d’entre M.M. les Chanoines de Nostre-Dame, qui exerçoient la charge de Superieurs de l’Hôtel-Dieu, & ensuite elles commencerent à s’appliquer deux chaque jour, les unes après les autres, à la visite & instruction des malades. De trois mois en trois mois aux Quatre-temps de l’année, on en élisoit d’autres qui s’employoient au mesme exercice, & M. Vincent assembloit celles qui sortoient de charge & les autres qui y entroient, avec les Officieres de la Compagnie dans leur chambre prés de l’Hôtel-Dieu, où les premieres rapportoient de quelle façon elles avoient procedé, & les fruits que Dieu avoit fait reüssir de leur travail ; afin que ce qu’elles avoient bien fait servist de regle aux autres qui leur succedoient, & leur bon succés d’encouragement pour s’employer avec plus d’affection à cet 226 LA VIE DU VENERABLE VINCENT exercice de charité.M. Vincent appuyoit de ses avis, quand il le jugeoit necessaire, les choses qu’il falloit suivre, & faisoit prendre garde à ce qu’on devoit éviter. Or pour connoistre les grands biens que cette Compagnie de Dames a produits, il faut remarquer qu’avant qu’elle fust établie, c’estoit la coûtume dans l’Hostel-Dieu de faire confesser les malades dés qu’ils y entroient ; mais comme pour l’ordinaire ils n’avoient point esté instruits ny disposez auparavant, & qu’ils estoient dans le trouble que causent les douleurs d’une maladie, ils faisoient souvent des Confessions nulles & sacrilèges. On ne leur parloit jamais de Confession générale, & mesme depuis leur premiere Confession on ne les invitoit à en faire une seconde, sinon aux approches de la mort, lor-qu’ils estoient autant ou plus incapables de se bien confesser, que la premiere fois. D’ailleurs entre les malades ils se trouvoit des heretiques, qui n’osant se découvrir de peur d’estre renvoyez, faisoient semblant de se confesser comme les autres : De sorte qu’il se commettoit alors de grands abus parmy eux ; & de vingt ou vingtcinq mille pauvres qui sont receus chaque année à l’Hôtel-Dieu, l’on en voyait fort peu qui fissent de véritables conversions. C’est à tous ces besoins qu’il a plû à Dieu de pourvoir par l’Etablissement de la Compagnie de ces Dames, lesquelles par leurs emplois charitables, & par leur zele soûtenu de la prudente conduite de M. Vincent, n’ont pas seulement remédié à ces maux, mais ont encore procuré de grands biens pour la santification & le salut des pauvres malades. Dieu seul connoist le nombre de ceux qui ont esté par ce moyen mis en état de bien mourir ou de bien vivre ; on peut neanmoins dire en général qu’il doit avoir esté tres- DE PAUL. LIV. 1 . CHAP. XXX. 227 grand, si l’on juge de la conversion des mœurs par les changemens de creance : Car dés la premiere année que l’on commença d’assister ain si les pauvres de l’Hôtel-Dieu, sans parler des suivantes, la bénédiction de Dieu fut si abondante sur cette oeuvre de charité, qu’il y eut plus de sept cens soixante personnes dévoyées de la vraye Foy, tant LuTheriens, Calvinistes, que Turcs, dont plusieurs avoient esté blessez & pris sur mer, lesquels se convertirent & embrasserent la Religion Catholique. Et cette grace extraordinaire que Dieu repandoit sur les emplois charitables de ces Dames, mit l’Hôtel-Dieu en telle estime, qu’une honneste Bourgeoise de Paris estant malade, demanda d’y estre receuë en payant sa dépense, pour y estre assistée comme les pauvres ; ce qui luy fut accordé. La Charité des Dames de cette Compagnie n’a pas esté bornée au secours des malades de l’HôtelDieu, elle s’est encore depuis étenduë à plusieurs Œuvres tres-importantes pour la gloire de Dieu & le service de l’Eglise ; & comme elles ne les ont entreprises que par la conduite & les avis de M. Vincent, nous en rapporterons des exemples remarquables dans la suite de ce Livre. Ce serait icy le lieu de parler de plusieurs Dames de cette Compagfnie, qui se sont signalées dans tous les exercices de pieté & de charité ; mais il faudroit des Volumes entiers pour traiter ce sujet selon son merite & son etenduë ; & d’ailleurs la modestie de celles qui sont encore vivantes, ne nous permet pas d’en parler avec liberté. C’est pourquoi nous nous contenterons de proposer icy en abregé l’exemple d’une des plus illustres entre celles qui sont decedées la tres-vertueuse Dame Marie des Landes, veuve de M. le President de Lamoignon, duquel 228 LA VIE DU VENERABLE VINCENT l’integrité, la pieté & les autres excellentes qualitez ont esté connuës de toute la France. M. Vincent ayant trouvé en cette pieuse Dame de grandes dispositions pour coopérer aux charitables entreprises que Dieu luy avoit inspirées ;& elle réciproquement voyant en luy un zele accompagné d’une singuliere prudence, & des autres vertus propres pour y reüssir ; ils se trouverent parfaitement unis de sentimens & d’intentions pour tout ce qui regardoit le service de Dieu & l’assistance du prochain. Elle fut associée des premieres à cette devote Compagnie ; & depuis en ayant esté élüe Superieure, elle exerça tres-dignement cette Charge durant plusieurs années & jusqu’à sa mort. Estant dans l’Assemblée des Dames, qui se tenoit pour l’ordinaire en sa maison, elle embrasoit leurs cœurs par les ardeurs du sien tout brûlant de l’amour de Dieu & du prochain ; & ses exemples joints à ses paroles donnoient le branle à leurs plus saintes Entreprises. Il seroit difficile d’exprimer les sentimens de compassion & de tendresse qu’elle avoit pour les pauvres. Elle ne se contentoit pas de leur procurer tous les soulagemens qu’elle pouvoit ; mais à l’imitation du Fils de Dioeu, elle prenoit un singulier plaisir à se voir dans leur Compazgnie ; & quoy-que sa naissance luy donnast dans le monde un rang tres-considerable, elle s’estimoit honorée de converser avec eux. Sa plus grande satisfaction estoit de les assister elle-mesme, & de leur donner l’aumône corporelle par ses mains, & la spirituelle par Sa bouche, leur enseignant les choses les plus necessaires à savoir & ajoutant toûjours quelque mot de consolation à ses pieuses instructions. Cet amour si tendre fit que les pauvres recouroient publique- DE PAUL. LIV .I . CHAP. XXX. 229 ment à elle comme à leur bonne Mere, & pour les aumônes qu’elle leur distribuoit, ils luy souhaitoient mille bénédictions & publioient ses bienfaits à tout le monde. Une chose rendoit la charité de cette Dame plus digne d’admiration ; c’est qu’entre les pauvres qu’elle assistoit, il s’en trouvoit quelques-uns lesquels n’estant pas contens des aumônes qu’elle leur faisoit, s’emportoient avec une extréme ingratitude à des paroles injurieuses, & taschoient de décrier ses plus saintes œuvres. Mais c’estoit ordinairement envers ceux-là qu’elle se montroit plus libérale, voulant, selon, la parole de l’Apostre, vaincre le mal par le bien, & pratiquer parfaitement ce que JESUS-CHRIST nous a enseigné dans l’Evangile, qui est de faire du bien à ceux qui nous veulent du mal & qui nous calomnient. Quoy-qu’elle eust un cœur si tendre envers les pauvres, elle estoit néanmoins fort sévère à soymesme, exerçant sur son corps une sainte rigueur par le frequent usage qu’elle faisoit de plusieurs austeritez. M. Vincent qui la connoissoit parfaitement, la recommandant un jour aux prieres de sa Communauté, pendant la derniére maladie dont elle fut atteinte, rendit ce témoignage. Que c’estoit « une ame tres-unie à Dieu, tres-fidéle aux mouve- « mens de la grace, & fort adonnée à la mortification « du corps. L’Humilité qui luy faisoit cacher ses exer-« cices de penitence, ne les pouvoit tenir si secrets qu’on ne s’en apperceust quelquefois. Il arriva un jour qu’après avoir communié, elle fut attaquée d’une apoplexie estant encore dans l’Eglise ; & comme on fut obligé de la des-habiller en cét état où elle avoit perdu toute connoissance, on la trouva revétuë d’une haire ; ce qui parut d’autant plus surprenant, qu’elle estoit dans un âge plus avancé 230 LA VIE DU VENERABLE VINCENT & sujette à plusieurs infirmitez. Elle ne se releva jamais bien de cet accident, auquel elle survéquit cinq ou six ans dans des langueurs & des incommoditez continüelles, qui firent voir que Dieu vouloit couronner une vie si vertueuse & si exemplaire par les souffrances. Elle fut ainsi attachée à la Croix jusqu’au jour de son heureux decés qui arriva le 30 Decembre de l’an 1651. Les pauvres pleurerent sa mort avec abondance de larmes, & donnerent des preuves extraordinaires de leur reconnaissance. Le Service étant achevé dans l’Eglise de S. Leu sa Parroisse, il se saisirent de son corps, pour empescher que les R.R. P.P. Recollets de la ville de S. Denis, fondez par Feu M. des Landes son Pere, ne le transportassent dans leur Couvent où elle avoit choisi sa Sepulture. Ce qu’ils executerent avec tant d’affection & de courage, que toute l’assistance en fut sensiblement touchée ; & que les Religieux qui estoient venus enlever ce précieux dépost, furent obligez de le céder à l’effort de ces pauvres, qui le descendirent dans la cave de cette Eglise, pour avoir la consolation de retenir toujours auprès d’eux ce gage de leur charitable Mere. La mort ravit ainsi au monde cette vertueuse Dame, & les mains des pauvres enfermerent son corps dans le tombeau ; mais sa charité est encore vivante dans son illustre Famille, dont je ne nommeray pas les personnes de peur d’offenser leur modestie. Je diray seulement en général qu’on les voit S’appliquer à toutes sortes d’œuvres de misericorde, & procurer avec un zele merveilleux l’assistance des pauvres dans les Prisons, dans les HôpiTaux, & mesme dans les ménages desolez, où la Charité les porte pour y soulager ceux dont la honte cache souvent d’extrémes besoins. Ces charita- DE PAUL. LIV . I . CHAP. XXXI. 231 bles personnes ne se contentent pas de distribuer leurs aumônes dans tous les quartiers de cette grande Ville, elles les répandent encore en quantité de Provinces de France, & jusques dans les Païs étrangers, où elles envoyent des secours necessaires à la vie & au salut des peuples qui leur en seront à jamais redevables. La Divine Providence qui se plaist à honorer ceux qui l’honorent, a voulu que cette vertueuse Dame ait tenu durant sa vie le premier rang dans les Assemblées de charité, & qu’après sa mort, Monsieur son Fils ait esté élevé sur le premier Trône de la justice dans le plus auguste Parlement de France, où il s’est rendu le Protecteur des Veuves, le Pere des Orphelins, le refuge de tous les affligez, & le plus ferme appuy des Etablissemens de charité commencez par M. Vincent, pour le bien de l’Eglise & pour le soulagement des pauvres. __________________________________________ CHAPITRE XXXI. Etablissement d’un Hôpital pour les Enfans Trouvez. Les Peintres voulant représenter la Charité sous quelque figure sensible, la depeignent ordinairement avec plusieurs mamelles, & quantité de petits enfant qu’elle tient entre ses bras & sur son sein. Si l’on vouloit faire un Embléme de la charité de M. Vincent, il ne faudroit point d’autre peinture que celle-là, qui viendroit aussi fort à propos au sujet dont nous allons parler en ce Chapitre. On y verra ce Saint homme devenu le Pere nourrissier d’un tres-greand nombre de pauvres petits enfant, auxquels il a procuré autant de charitables Meres en la place de leurs marastres qui les 232 VIE DU VENERABLE VINCENT avoient abandonnez, qu’il a porté de vertueuses Dames à prendre soin de leur nourriture, & de leurs autres nécessitez. Voicy de quelle façon cette entreprise vraiment Chretienne a commencé. La Ville de Paris estant d’une excessive étenduë & renfermant dans son enceinte un nombre presque innombrable d’habitans, il n’est pas possible d’empescher tous les déreglemens qui se trouvent en la vie de quelques personnes particulieres. Entre ces désordres un de splus pernicieux est celuy d’exposer les enfans nouvellement nez, dont on ne met pas seulement la vie en peril, mais aussi le salut ; car les meres dénaturées qui exercent cette inhumanité envers leurs enfans, se soucient pour l’ordinaire fort peu de les faire baptiser & d’assurer leurs ames en abandonnant leurs corps. Le nombre en est si grand dans la Ville & dans les Faux-Bourgs, qu’il va pour le moins à trois ou quatre cens chaque année ; & selon l’ordre de la police les Commissaires du Chastelet doivent lever ces enfans exposez, & faire leurs Procés verbaux des lieux & de l’état où ils les ont trouvez. Il les faisoient porter cy-devant en la ruë SaintLandry, dans une maison qui estoit pour ce sujet appelée la Couche, & ils y estoient receus par une certaine veuve qui se chargeoit du soin de leur nourriture. Mais comme elle ne pouvoit suffire avec une ou deux servantes à leur éducation, & que le revenu qui estoit seulement de douze ou quatorze cens livres, n’estoit pas capable d’entretenir des nourrices pour les allaiter, ny de fournir à la dépense necessaire pour élever ceux qui estoient sevrez ; la plus-part de ces pauvres enfant languissoient de misere, & mouroient tost ou tard dans cette maison. Les servantes mesmes pour se délivrer DE PAUL. LIV. I . CHAP. XXXI 233 De l’importunité de leurs cris, les faisoient endormir par le moyen de quelques drogues, qui causoient la mort à plusieurs. Ceux qui restoient en vie estoient donnez à qui les venoit demander, ou vendus à si vil prix, qu’il y en a eu pour lesquels on n’a payé que vingt sols. On les achetoit ainsi, quelquefois pour les faire tetter des femmes gastées, dont le lait corrompu les faisoit mourir ; d’autrefois pour servir aux mauvais desseins de quelques personnes` qui supposoient des enfant dans les familles ; & on a sceu qu’on en avoit acheté ( chose horrible) pour servir à des opérations magiques. De sorte que tous ces pauvres Innocens estoient comme des victimes destinées à la mort, ou à quelque chose de pire. Nul d’entre –eux n’echappoit ce mal-heur, parce que personne ne prenoit soin de leur conservation ; & ce qui est encore plus deplorable, plusieurs mouroient sans Baptesme, cette veuve ayant Avoüé qu’elle n’en avoit jamais baptisé, ny fait baptiser aucun. Cét étrange desordre dans une ville si riche & si Chrétienne qu’est celle de Paris, toucha sensiblement le cœur de M. Vincent, lors-qu-il en eut connoissance ; & ne sachant encore quel remede y apportert, il pria quelques Dames de la Charité, d’aller quelquefois dans cette maison, non tant pour découvrir le mal qui estoit assez connu, que pour voir s’il n’y auroit point moyen d’en arrêter le cours. Elles y allerent donc, & furent d’abord touchées d’un tres-grand sentiment de compassion envers ces Innocens, qui estoient en effet bien plus à plaindre que ceux qu’Herode fit massacrer. Le zele de ces Dames leur faisoit souhaiter de sauver la vie à tous ces pauvres enfans ; mais voyant que cette entreprise estoit au dessus de leurs forces, elles se résolurent au moins d’en nourrir douze 234 LA VIE DU VENERABLE VINCENT qu’elles tirerent au sort, pour honorer la Providence Divine, dont elles ne sçavoient pas les desseins sur ces petites créatures. Ils furent mis dans une maison de loüage hors la porte S. Victor l’année 1638, sous le soin de Mademoiselle le Gras & de quelques Filles de la Charité que M. Vincent y envoya. On essaya au commencement de les faire subsister avec du lait de chèvres ou de vaches, & depuis on leur donna des nourrices. Ces vertueuses Dames en retiroient encore d’autres de temps en temps, selon les moyens qu’elles En avoient, & toûjours au sort comme les premiers. Le bien qu’elles faisoient aux uns, augmentoit en elles la compassion des autres qu’elles laissoient ; & les élans de leur charité prenant de nousveaux accroissemens, elles se sentoient de plus en plus pressées de se charger de tout le reste. Enfin après avoir beaucoup prié Dieu, & concerté souvent ensemble sur ce sujet , elles tinrent une Assemblée générale au commencement de l’année 1640, pour en délibérer, & prendre une derniere resolution. Dans cette Assemblée, M. Vincent leur représenta avec des paroles si touchantes la necessité & le merite de cette Œuvre de misericorde, & le grand service qu’elles rendroient à Dieu en pratiquant cette vertu qui luy est si agreable qu’elles résolurent généreusement de prendre soin de la nourriture & de l’education de tous les petits enfans. Néanmoins afin de ne pas s’engager inconsidérément dans cette œuvre difficile, elles entreprirent, suivant l’avis de leur sage Directeur, que par maniere d’essay, sans s’y obliger en aucune façon ; veu que comme nous avons dit, il n’y avoit pour lors que douze ou quatorze cens liures de revenu assuré. Ensuite de cette resoluition tous les enfans qui restoient dans la maison de la DE PAUL. LIV.1. CHAP. XXXI. 235 Couche furent portez en celle-là, où les autres avoient desja esté retirez ; & depuis ce temps-là ils ont toûjurs esté entretenus par les bien-faits de ces charitables Dames, & soigneusement élevez par les Filles de la Charité. M.Vincent sollicita à mesme temps en leur faveur la pieté de la Reyne Mére, & obtint pour eux une aumône de douze mille livres par an, que le Roy leur a assigné sur les cinq grosses Fermes. Mais comme la dépense, qui monte tous les ans après de quarante mille livres, surpasse de beaucoup tout leur revenu, les Dames se sont trouvées plusieurs fois fort en peine de soutenir une si grande charge, & dans l’apprehension de succomber sous le faix d’une telle entreprise. Cela obligea M. Vincent à faire une autre Assemblée générale de ces Dames environ l’an 1648, où il mit en déliberation si elles devoient continuer à prendre soin de la nourriture des Enfans-Trouvez, ou si elles devoient s’en décharger ; puis-que n’y estant engagées que par une pure charité, elles avoient la liberté toute entiere, ou de cesser, ou de poursuivre cette bonne œuvre. Il leur proposa ensuite les raisons pour & contre : Il leur fit voir que par leurs charitables soins elles en avoient fait vivre jusqu’à lors un grand nombre, qui fussent morts sans leur assistance : Qu’entre ceux-là, il y an avoit plusieurs qui apprenoient desja un métier, & d’autres qui estoient en état d’en apprendre bien-tost : Que tous ces pauvres Enfans avoient appris par leur moyen à connoistre & à servir Dieu ; qu’elles pouvoient insérer de ces commencemens, quel seroit à l’avenir le fruit de leur charité. Puis élevant un peu sa voix, il conclud avec ces paroles : Or sus, Mes- « Dames, la compassion & la charité vous ont fait « adopter ces petites créatures pour vos enfant ; vous « 236 LA VIE DU VENERABLE VINCENT « avez esté leurs Meres selon la grace, depuis que « leurs meres, selon la nature les ont abandon« nez ; voyez maintenant si vous vouilez aussi les « abandonner. Cessez d’estre leurs Meres pour deve« nir leurs Juges ; leur vie & leur mort sont entre « vos mains. je m’en vais prendre les voix & les suf« frages ; il est temps de prononcer leur Arrest, & « de savoir si vous ne voulkez plus avoir de miseri« corde pour eux. Ils vivront si vous continuez d’en « prendre un charitable soin ; & au contraire ils « mourront & perirons infailliblement, si vous les « abandonnez ; l’experience ne vous permet pas d’en « douter. Ayant prononcé ces paroles avec un ton de voix fort pathetique, & qui faisoit assez connoistre quel estoit son sentiment, ces Dames furent tellement touchées, qu’elles conclurent toutes unanimement qu’il falloit soutenir à quelque prix que ce fust cette entreprise de charité : & dés l’heure mesme elles délibererent entre elles des moyens de la faire subsister. Elles demanderent pour cét effet au Roy les bâtimens du Château de Bicestre, qu’elles obtinrent, & elles y ont logé pendant quelque temps ces enfans, après qu’ils estoient sevrez ; mais les subtilités de l’air qui nuisoit à leur santé, & quelques autres incommoditez obligerent les Dames de les faire ramener à Paris, & de prendre à loüage une grande maison au faux-Bourg S. Lazare, où ils sont encore présentement nourris & élevez par dix ou douze Filles de la Charité. On entretient plusieurs nourrices dans cét Hôpital, pour donner du lait aux enfans nouvellement apportez, en attendant que d’autres nourrices des champs les viennent prendre. On leur paye par mois leur salaire & lors que les enfant sont sevrez, elles les rapportent au mesme Hôpital, où les Filles de la Charité prennent soin DE PAUL. LIV. .I. CHAP. XXXI. 237 D’eux, leur enseignant à prier Dieu & à le bien Servir, à mesme temps qu’ils apprennent à parler. Quand ils avancent un peu en âge, elles les occuPent à quelque petit ouvrage pour leur faire éviter L’oisiveté, en attendant que la Providence de Dieu Fasse nastre quelque occasion de les pourvoir, & de Les mettre en état de subsister par leur travail & par Leur industrie. Qui n’admirera dans cét Œuvre si charitable & si utile ;la bonté dont Dieu a usé envers tant d’innocentes créatures, & l’esprit de misericorde dont il a animé ces vertueuses Dames, par le ministere de son zelé Serviteur Vincent de Paul. Il s’est servy de leur zele & de leurs liberalitez pour rendre ces enfans plus heureux dans le mal-heur de leur abandon, que s’ils fussent demeurez sous la conduite de leurs propres parens, qui sont pour l’or-` dinaire ou tres-pauvres, ou tres-vicieux ; & au lieu de cruelles marastres qui les avoient miserablement délaissez, il leur a suscité des Meres charitables qui ont abondamment pourveu à toutes leurs nécessitez. De sorte qu’il semble avoir voulu vérifier de nos jours en leurs personnes, ce qu’il avoit dit autrefois par un Prophete en faveur de son Pëuple : Que s’il se pouvoit faire que la mere vint à perdre le souvenir & le soin de son enfant, il ne l’abandonneroit pourtant jamais, & ne le Mettroit point en oubly. ____________________________________ CHAPITRE XXXII. Etablissement des Hôpitaux de Paris, & de Marseille, pour les pauvres Galeriens. LA misericorde dont M. Vincent estoit touché envers les Forçats des galeres, ayant tiré son origine de la parfoite connaissance quy’il avoit euë 238 LA VIE DU VENERTABLE VINCENT de leurs miseres, comme il a esté dit cy-dessus, elle ne luy permettoit pas de les mettre en oubly, mesme parmy les emplois importans qui occupoient son esprit. Il tournoit souvent ses pensées vers l’hospice qu’il leur avoit procuré proche l’Eglise de saint Roch, où il les visitoit d’affection, ne les pouvant d’effet pour n’en avoir pas le temps. Ils y estoient assez soigneusement assistez, soit pour L’ame, soit pour le corps ; mais comme la maison où ils logeoient ne leur appartenoient pas en propre, & qu’elle n’avoit point de revenu assuré ; il prévoyoit que cette charitable entreprise ne pourroit pas subsister long-temps, si l’on ne remedioit à ces deux grands besoins. Il se resolut donc d’y travailler, & de faire tout ce qu’il pourroit avec le secours de Dieu, afin d’en venir à bout. Pour cét effet il sollicita, & fit solliciter le feu Roy Loüis XIII, de glorieuse memoire, & Messieurs les Eschevins de la ville de Paris, de consentir qu’une ancienne tour qui est entre la porte SaintBernard & la riviere, fust destiné pour servir de retraite à ces peuvres enchaînez ; ce qui luy fut accordé en l’année 1632. Ensuite ils y furent conduits, & n’y subsisterent durant quelques années que par les aumônes des personnes charitables ausquelles M. Vincent representoit leurs necessitez, & qu’il convioit mesme dans les occasions, à les visiter, pour exercer davantage leur compassion envers ces misérables, & les porter plus afficacement à leur faire du bien. Mademoiselle le Gras ne fut pas des dernieres à les assister de ses aumônes, & à leur rendre toutes sortes de charitables offices. M. Vincent l’exhorta par une de ses Lettres à continuer cette bonne œuvre ; & comme elle estoit alors Superieure de la Confrerie de la Parroisse DE PAUL. LIV. I . CHAP. XXXII. 239 S. Nicolas du Chardonnet, en laquelle les Galeriens estoient logez, il luy proposa de voir si cette Confrérie voudrait les secourir de quelque partie de ses aumônes. La Charité, luy dit-il, envers ces pauvres For- « çats, est d’un merite incomparable devant Dieu. « Vous avez bien fait de les assister, & vous ferez « bien de c ontinüer en la maniere que vous le pour- « rez, jusqu’à ce que j’aye le bien de vous voir, qui « sera dans deux ou trois jours. Pensez un peu si vô- « tre Charité de S. Nicolas s’en voudroit charger, « au moins pour quelque temps ; vous les aideriez de « l’argent qui vous reste. Mais quoy ? Cela est dif- « ficile, & c’est ce qui me fait jetter cette pensée en « votre esprit à l’avanture. « Pour luy il ne se contenta pas d’employer ses sollicitations envers diverses personnes, pour leur obtenir les choses nécessaires à leur entretien ; il y contibua aussi notablement de son costé. Et premierement il leur rendit toutes les assistances spirituelles dont ils avoient besoin, leur envoyant des Prestres de sa Congregation qui demeuroient au College des Bons-Enfans, pour leur dire la sainte Messe, pour leur administrer les Sacremens, & Pour les instruire des Mysteres de notre Religion. En second lieu, il leur fit des aumônes assez considerables des biens de sa maison ; & il demeura pendant plusieurs années le principal pourvoyeur de ces pauvres misérables, tant pour les nécessitez corporelles, que pour les spirituelles. Enfin, il plût à la Divine Providence d’y remédier, inspirant à une personne riche qui mourut environ l’année 1639, de laisser son Testament six mille livres de rente, pour estre appliquées par Madame sa fille & son heritiere, suivant l’avis de quelque Ecclesiastique, au soulagement des crimi- 240 LA VIE DU VENERABLE VINCENT nels condamnez aux Galeres. Mais il y eut de grandes difficultez à surmonter en l’execution de ce Testament, & ce ne fut qu’après avoir souffert plusieurs rebuts de la part du Mary de cette Dame, que M. Vincent obtint de luy & d’elle, par l’enremise de feu M. Molé alors Procureur General, un fond suffisant pour assurer cette rente. La mesme Dame ayant appris de M. Vincent l’état déplorable auquel ces Forçats estoient reduits avant qu’on en prist quelque soin, & combien il estoit important de perpétrer cette assistance, eut cette affaire fort à cœur, & consentit après avoir conferer diverses fois sur ce sujet avec luy, que M. le Procureur General eust à perpetuité l’Administration temporelle du revenu qu’elle leur avoit assigné. Elle désira encore depuis qu’il y eust des Filles de la Charité destinées pour le service de ces pauvres Forçats, particulièrement des malades, & leur fit assurer leur entretien sur la mesme rente des six mille livres. Etr durant qu’on prétendoit que Messieurs les Ecclesiastiques de S. Nicolas du Chardonnet estoient tenus d’administrer les sacremens à ces pauvres gens, & d’enterrer leurs morts, comme estant de leur Parroisse ; M. Vincent representa que la charge estoit trop grande, & quelques Dames ayant joint leurs instances aux siennes, firent en sorte qu’on leur accorda trois cent livres de rente, à condition qu’ils leur diroient la sainte Mese, leur feroient des exhortations et des Catechismes, & leur rendroient toutes les autres assistances spirituelles, de quoy ils se sont toujours depuis acquittez tres-dignement, & avec une grande charité. M. Vincent n’a pas laissé pourtant de procurer qu’on fist des Missions de temps en temps à ces pauvres enchaînez, sur tout lors qu’ils se trouvoient en grand nombre, & qu’ils estoient prests DE PAUL. LIV. I . CHAP XXXII. 241 d’estre menez aux Galeres, afin de les consoler & de les disposer à faire un bon usage de leurs peines. Il sembloit qu’il ne se pouvoit rien faire davantage pour le soulagement de ces pauvres affligez, & un cœur moins embrasé de charité que celuy de M. Vincent se fust contenté de leur avoir procuré cette retraite avec toutes les assistances corporelles & spirituelles qu’ils y recevoient ; mais l’amour qu’il avoit pour eux ne pouvoit pas les délaisser dans le lieu où ils avoient un plus grand besoin de secours. Il les accompagna donc de ses charitables soins jusqu’à Marseille, où il sçavoit que les Forçats estoient dans un état encore plus déplorable que celuy dont il les avoit délivrez à Paris, ayant vû de ses yeux leur misere, quand il alla, comme nous avons dit, les visiter sur les Galeres. Il y avoit sur tout remarqué que les malades estoient dans le dernier abandon, demeurant toujours attachez à la chaîne, rongez de vermine, accablez de douleurs & presque consumez de pourriture & d’infection. Son cœur pitoyable avoit esté sensiblement touché de voir des hommes faits à l’image de Dieu dans un tel delaissement, & des Chrétiens reduits à mourir comme des bestes. C’est ce qui le fit resoudre, dans l’impuissance où il estoit de pourvoir à de si grands besoins, d’avoir recours à ceux qui pouvoienbt y apporter un remede efficace.M.le Cardinal de Richelieu qui estoit pour lors General des Galeres, & Madame la Duchesse d’Aiguillon sa n iéce luy donnoient tant de témoignages de la bonne volonté qu’ils avoient d’appuyer de leur authorité ses saintes entreprises, qu’il prit la confiance de leur représenter l’état de ces misérables Forçats, & l’extrême necessité d’un Hôpital pour les y faire porter & assister lors-qu-ils 242 LA VIE DU VENERABLE VINCENT seraient malades. Leur pieté agréa cette charitéble remontrance, & procura depuis qu’on bâtis pour cet effet un Hôpital à Marseille ; ce qui fut executé au mesme lieu ou feu M. Philippe Emmanuel de Gondy avoit jetté les fondements d’un semblable Hôpital pendant qu’il estoit général des Galeres, & que M. Vincent demeuroit avec luy. Mais comme ce n’estoit pas assez d’avoir une Maison sans revenu, M. Vincent, après la mort Du Roy Loüis XIII, ayant esté appellé par la Reine Regente, pour luy donner ses avis dans les affaires Ecclesiastiques & autres œuvres de pieté, porta sa Majesté à faire en sorte que le Roy son fils heureusement regnant se rendit le Fondateur de cét Hôpital ; ce qu’il fit par ses Lettres patentes de l’année 1646, & par d’autres de l’année 1648, par lesquelles sa Majesté assigna à cét Hôpital douze mille livres de revenu annuel sur les Gabelles de Provence, & ordonna que les Prestres de la Mission, qui estoient déjà établis à Marseille, auroient à perpetuité la direction spirituelle du mesme Hôpital, suivant le pouvoir qui leur en avoit esté octroyé par le Seigneur Evesque. Et afin que les Galeres fussent à l’avenir pourvuës de bons Aumôniers, sa majesté ordonna par ces mesmes Lettres que le Superieur de la maison de la Mission de Marseille aurait droit de les nommer, & aussi de les destituer quand il seroit besoin ; & mesme de les obliger à vivre en Communauité dans leur Maison, lors que les Galeres seroient au Port de Marseille, afin de les rendre capables de bien faire leurs fonctions d’Aumôniers. Pour cét effet, sa Majesté unit à perpetuité la charge d’Aumônier Royal à la Congregation de la Mission, afin que les Missionnaires qui estoient employez à procurer le salut des Forçats, eussent tout le pouvoir necessaire pour DE PAUL. LIV. I . CHAP. XXXII. 243 y travailler avec polus de fruit & de bénédiction. Quelques autres personnes d’un tres-grand merite ont encore particulièrement signalé leur zele dans l’etablissement de cét Hôpital des galeriens. Mais par dessus tous, Messire Jean-Baptiste Gault Evesque de Marseille, duquel la memoire est en bénédiction dans l’Eglise pour son incomparable charité envers les Forçats, & pour sa vigilance Pastorale sur son Diocese ; & feu M. Gaspar de Simiane Chevalier Sieur de la Coste, assez connu pour ses rares vertus, & pour ses biens- faits envers tous les misérables, y sont heureusement employé & de leurs sollicitations & leurs travaux, comme on peut voir dans l’Histoire de leur sainte vie, qui a esté donné au public après leur mort. Le second ayant survécu quelques années à ce tres digne Prelat, procura enfin par ses soins & par ses liberalitez, l’accomplissement de cét ouvrage de pîeté ; & il avoit un tel desir de l’avancer, qu’il vint exprés de Marseille à Paris, pour solliciter l’expedition des Lettres Patentes du Roy, lesquelles il obtint à la recommandation de M. Vincent, Voicy en quels termes, il luy fit savoir dés l’an 1645, les premiers fruits de cét Hôpital. Je vous ecris pour vous faire savoir le progrès « de l’Hôpital à l’Etablissement duquel vous avez « Tant contribué. Vous aurez appris par ma dernie- « re comme après beaucoup de résistance, par l’aide « de Nostre-Seigneur on n ous a donné les malades « des Galeres. Certes je ne vous sçaurois exprimer « la joye que reçoivent ces pauvres Forçats, lors- « qu’ils se voyent transportez de cét Enfer dans l’Hô-« pital qu’ils appellent un Paradis. A l’entrée seule- « ment on les voit guérir de la moitié de leur mal, par « c e qu’on les décharge de la vermine dont ils vien- « nent couverts, on leur lave les pieds, puis on les « 244 LA VIE DU VENERABLE VINCENT « porte dans un lit un peu plus mol que le bois sur le« quel ils ont accoûtumé de coucher, & ils sont tout « ravis de se voir couchez, servis & traitez avec un « peu plus de chariuté que sur les Galeres, où nous « avons renvoyé un grand nombre de convalescens qui « y fussent morts. Certes, Monsieur, nous pouvons « non seulement en la conversion des mauvais Chré« tiens, mais mesme des Turcs qui demanderent le « saint Baptesme. ________________________________________ CHAPITRE XXXIII. Quelques services rendus par M. Vincent à M. le Commandeur de Sillery, & à l’Ordre de S. Jean de Jerusalem, communément dit des Chevaliers de Malte. MESSIRE Noël de Brussard de Sillery, Commandeur du Temple de Troyes, de l’Ordre de S. Jean de Jerusalem, après s’estre acquitté avec honneur de diverses Ambassades en Italie, en Espagne & en d’autres Provinces étrangeres, & après avoir manié plusieurs affaires tresimportantes pour le service du Roy, avec une entiere satisfaction de sa Majesté ; fut enfin touché d’un puissant mouvement de la grace, qui le pressoit de se consacrer sans reserve au service de Dieu. il connut à mesme temps que les distractions de la Cour & les embarras du siecle estoient un grand obtacle à l’execution de ses bons désirs ; c’est pour quoy il prit la resolution de s’en séparer absolument & de ne vaquer désormais qu’aux affaires qui concernoient l’honneur de Dieu & la santification DE PAUL. LIV. I . CHAP. XXXIII. 245 son ame. Il y avoit déjà plusieurs années qu’il connoissoit & la personne & le merite de M. Vincent, & se voyant pour lors sur le point d’entrer dans le chemin de la perfection, il crût qu’il auroit besoin d’un si bon guide, de peur de s’y égarer s’il suivoit ses propres lumières. Il luy communiqua le desein qu’il avoit formé de se donner entierelment à Dieu, & le pria de l’assister de ses conseils dans une entreprise de cette consequence : A quoy M. Vincent, qui ne cherchoit que la gloire de Dieu & le salut des Ames, acquiesça tres-volontierrs. Ce bon Seigneur apporta de son costé d’excellentes dispositions à son avancement, mais sur tout une parfaite docilité d’esprit & un ardent desir de faire progrès en la vertu. Il embrassoit avec grande affection les avis salutaires de son sage Directeur, & les prevenoit mesme quelquefois par un effet de sa ferveur. Il luy rendoit souvent compte de l’état de son ame ; ce qu’il faisoit toujours avec une simplecité, une candeur & une confiance toute particuliere, comme l’on peu voir par l’une de ses Lettres où il luy parle en ces termes. Monsieur mon Reverend, & tres-cher Pere, je « ne doute point que connoissant, comme vous faites, « le cœur de vostre chétif fils, vous n’ayez voulu « par vostre tant aimable & si cordiale Lettre, le « remplir de tant de douceur de vostre exuberante « bonté, qu’encore qu’en matiere de cordialité il ne « cede à personne, vous l’obligez néanmoins à vous « rendre les armes, & à vous reconnoistre, ainsi « qu’il fait tres-volontiers en cela & en tout, pour « son maistre & son Superieur. Et de vray il faudroit « estre bien rude & bien agreste pour ne pas fondre « tout en dilection, pour une charité si amoureuse- « ment exercée par un si digne & si debonnaire Pere « envers un fils qui ne luy sert qu’à luy donner de la « 246 LA VIE DU VENERABLE VINCENT « peine.Mais il n’y a remede, je reçois humblement « & volontiers la confusion de toutes les pauvretés « &foiblesses que vous supportez en moly, après « vous en avoir en toute révérence & soûmission re« quis pardon. Je vous promets bien, mon tres-cher « Pere, que c’est a bon escient que j’ay envie, « moyennant la grace de Nostre-Seign eur, de m’en « amender. Ouy certes, mon unique Pere, il m’est « avis que je ne me suis jamais senty touché pour ce « regard jusqu’au point que je me trouve. O ! si nous « venons à travailler efficacement à un bon amen« dement de tant de miseres, dont vostre Reverence « sçait que je suis rempli & environné de tous cô« tez, je suis assuré qu’elle en recevra des consola« tions indicibles, & quand ce bien n’arriveroit pas « si promptement ou si notablement que vostre pieté « le désire, je vous con,jure, mon bon Pere, Per vis« cera misericordiae Dei nostri in quibus visitavit nos oriens ex alto, que vostre bonté ne se lasse point & « ne veüille jamais délaisser ce pauvre fils. Vous sça« vez bien qu’il seroit sous une trop mauvaise con« duite, s’il demeuroit sous le sienne, &c. Voilà une partie de cette Lettre, en, laquelle il est mal-aisé de dire ce qui est plus admirable de voir, ou une telle humilité & simplicité dans un personnage qui avoit passé la meilleure partie de sa vie parmy les intrigues de la Cour, & dans le maniment des plus importantes affaires du Royaume ; ou bien une conduite si sage & si remplie d’onction qu’estoit celle de M. Vincent, par laquelle il avoit acquis une telle creance sur l’esprit de ce Seigneur & produit en luy avec la grace de Dieu un si grand changement. Un des premiers effets de sa conversion fut le retranche ment des grandes dépenses & du luxe ordinaire aux personnes de sa condition : Il quitta son DE PAUL. LIV. I . CHAP. XSXXIII. 247 Hôtel de Sillery avec tous ses somptueux & magnifiques appartemens, dont il s’estoit servy pour soutenir avec honneur les grandes Charges ausquelles il avoit esté employé. Il congedia la plus grande partie de son train, récompensant ses serviseurs à proportion du service qu’ils luy avoient rendu. Il vendit tous ses plus riches meubles, & distribua des sommes considérables en des œuvres de charité. Après cela ilfut inspiré de se consacrer encore plus particulièrement à Dieu dans le saint Ordre de Prestrise, & suivant l’avis de M. Vincent, il se disposa à le recevoir par les pratiques de piété les plus convenables à l’excellence de ce Sacrement. Il s’étudia ensuite avec une nouvelle affection à mener une vie digne du sacré caractere, dont il avoit esté honoré, & s’exerça avec un plus grand besoin à la pratique de toutes les vertus. Cer tres-zelé Seigneur ayant ainsi travaillé au reglement de sa personne & de sa maison, jetta aussi les yeux de son esprit sur l’Ordre où Dieu l’avoit appellé ; & il eut la pensée de pourvoir aux besoins spirituels des Religieux & des Curez qui dependoient du grand Prieuré du Temple. Il receut commission de Monsieur le Grand- Maistre de Malte pour les visiter ; sur quoy il communiqua avec M. Vincent, & concerta avec luy de la maniere de faire utilement ses visites. Ils convinrent ensemble qu’à mesme temps qu’il visiteroit les Parroisses, on y feroit aussi des Missions ; tant pour mettre les Peuples en bon état, que pour donner aux Religieux & aux Curez qui estoient chargez de leur conduite, les avis convenables aux besoins des Parroisses, ce qui fut fait avec un tres-heureux succés, de quoy M. le Grand-Maistre de Malte ayant eu connoissance dés le commencement, il en remercia M. Vincent par la Lettre suivante. 248 LA VIE DU VENERABLE VINCENT « Monsieur, on m’a donné avis que le Venerable « Bailly de Sillery vous avoit choisi pour l’aider à « faire la visite des Eglises & des Parroisses qui de« pendent du grand Prieuré ; à quoy vous avez déjà « commencé d’employer utilement vos soins & vos « fatigues, pour l’instruction de ceux qui en avoient « un extréme besoin. C’est ce qui me convie à vous « en faire par ces lignes de bien affectionnez remer« cimens, & à vous en demander la continuation, « puisqu’elle n’a autre objet que l’avancement de la « gloire de Dieu, & l’honneur & reputation de cét « Ordre. Je supplie de tout mon cœur la bonté de « Dieu de vouloir récompenser vostre zele & chari« té par ses grâces & bénédictions ; & de me donner « le pouvoir de vous témoigner combien je m’en re« connois vostre, &c. Le Grand-Maistre Lascaris « De Malte le 7 Septembre 1637. Monsieur le Commandeur connoissant que ce n’estoit pas assez de nettoyer les ruisseaux si l’on ne purifioit la source, ne se contenta pas de bien faire ses visites, il voulut encore procurer qu’on éleveuast de bons Ecclesaistiques dans la maison du Temple à Paris, & qu’on choisit pour cét ffet les personnes que l’on reconnoistroit bien appellées de Dieu, pour luy rendre service dans cette Religion ; afin que ceux qui en prendroient l’habit, en requissent aussi le veritable esprit, & qu’on pûst après tirer des Sujets propres d’entre eux pour remplir dignement les Cures, & renouveller ainsi peu à peu toute la face de ce grand Ordre. Neanmoins comme l’evénement ne répond pas toûjours à l’esperance qu’on a conceüe, ce bon dessein n’eut pas le succés qu’on esperoit. M. Vincent avoit esté prié de s’y appliquer, & mesme il avoit fait pour cela quelque sejour dans le Temple ; mais comme on ne luy laissa pas la liberté d’agir suivant ses maximes DE P0AUL. LIV. I . CHAP. XXXIII. 249 ordinaire, on rendit ses soins inutiles & ses travaux sans effet. Voicy ce qu’il écrivit alors à une personne de confiance : L’on me violente, dit-il, par la « precipitation de l’affaire du Temple, dont je crains « qu’on n’ait pas un succés tel qu’on le souhaite. Je le « dis & redis, & néanmoins l’on passe par dessus. « l’Humilité m’oblige à deferer & la raison me fait « appréhender. In Nomine Domini. Je ne voy rien « de plus commun que le mauvais succés des affaires « précipitées. « On apprend par une autre Lettre de M. le GrandMaistre de Malte, que M. Vincent luy en avoit ecrit plusieurs pour le service de M. le Commandeur de Sillery, & pour luy recommander ses pieuses intentions. Et en effet ce vertueux Seigneur obtint de son Ordre le pouvoir de disposer de ses grands biens, & il les employa tous en des œuvres de pieté ; entre lesquelles il ne faut pas ômettre en ce lieu, que pour reconnaissance des obligations qu’il avoit à M. Vincent, & plus encore par la consideration des grands services que sa Congregation rendoit & pouvoit rendre à l’avenir à toute l’Eglise, il donna une somme considerable tant pour la fondation d’une Maison & d’un Seminaire en la ville d’Annessy au Diocese de Genéve, que pour aider à la Fondation de celle de Troyes,, & à la subsistance de celle de S. Lazare. Dieu recompensa cette charité par les grandes grâces qu’il luy fit, non seulement durant sa vie, mais particulierement à sa mort qui fut sainte & précieuse devant les yeux de sa Divine Majesté. M. Vincent qui luy rendit en cette derniere heure tous les services & toutes les assistances qu’il pût, donna cet avantageux témoignage de luy, qu’il n’avoit jamais vû mourir personne plus remplie de Dieu 250 LA VIE DU VENERABLE VINCENT qu’estoit ce pieux & charitable Seigneur en ce dernier passage. _________________________________________ CHAPITRE XXXIV. Il fait faire des Missions en l’Armée, & donne des Reglemens aux Missionnaires qui devoient y travailler. EN l’année 1636, les Etrangers, qui estoient pour lors Ennemis de ce Royaume, y firent une irruption du costé de la Picardie, où ils prirent en peu de temps plusieurs places, & entre autres la ville de Corbie. Comme leur Armée esdtoit nombreuse, & qu’elle étendoit beaucoup ses quartiers, elle envoyoit ses coureurs fort avant, & causoit une alarme d’autant plus grande, qu’il y avoit moins d’apparence de recevoir un prompt sercours ; parce que les Armées du Roy estoient alors occupées ou hors du Royaume, ou aux extremitez des Provinces les plus éloignées. Neanmoins le Roy Loüis XIII, de glorieuse memoire mit en fort peu de temps une nouvelle Armée sur pied ; & la maison de S. Lazare eut occasion de témoigner son obeïssance & son affection particuliere au service de sa Majesté, ayant esté choisie pour servir comme de place d’armes, afin de dresser les soldats nouvellement enrolez, & les mettre en état d’aller repousser les Ennemis. Voicy ce que M. Vincent Ecrivit en ce temps-là sur ce sujet à un de ses Prestres, qui faisoit des Missions en Auvergne avec feu M. l’Abbé Olier. « Paris, luy dit-il, appréhende d’estre assiegé par « les Ennemis qui sont entrez en la Picardie, & qui DE PAUL. LIV. I. CHAP. XXXIV. 251 la ravagent avec une grande Armée, dont l’avant « garde s’étend jusqu’à dix ou douze lieuës de cette « Ville ; de sorte que tout le plat–païs s’y vient re- « fugier & l’épouvante est telle, que plusieurs des « habitans de Paris vont se retirer en d’autres villes. « Le Roy néanmoins dresse une Armée pour s’op- « poser à celle-là, ses autres Armées estant occupées « au dehors ou aux extremitez du Royaume ; & notre « Maison est le lieu ou l’on dresse & on arme les sol- « dats nouvellement enrôlez. L’étable, le bucher, « & les salles sont pleines d’armes, & les cours sont « remplies de gens de guerre. Ce saint jour de l’As- « somption n’est pas exempt de ces embarras tumul- « tueux ; on commence à battre le tambour, quoy « qu’il ne soit encore que sept heures du matin ; & « depuis huit jours on a dressé ceans soixante & dou- « ze Compagnies. Or quoy que les choses soient « en cet état, toute notre Communauté ne laisse « pas de faire sa Retraite, trois ou quatre exceptez « qui sont sur le point de partir & de s’en allert au « loin. J’écris à M. l’Abbé que je pourray luy en- « voyer quatre ou cinq de nos Prestres ; j’en en- « voiray d’autres à Messeigneur d’Arles & de Ca- « hors, & j’espere les faire partir au plutost avant « que les affaires se broüilllent davantage. « Cette Lettre fait bien voir la force merveilleuse De l’esdprit de M. Vincent, la grandeur de sa vertu, &l’ardeur de son zele. Il est au milieu du bruit & du tumulte d’une nouvelle armée, sa Maison est toute pleine de soldats, on n’y voit de tous costez que des armes & des ionstrumens de guerre, on n’y entend que le son des tambours ; & nonobstant cela, comme s’il eust esté dans la plus grande paix & tranquillité exterieure, il met ses Prestres en Retraite pour faire les Exercices spirituels ; & à mesme temps qu’on dresse en sa Maison des soldats. 252 LA VIE DU VERNERABLE VINCENT pour les ervice de l’Etat & du Roy, il y prépare des Missionnaires pour rendre de nouveaux services à Dieu & à l’Eglise, & il y forme des soldats de JESUS-CHRIST pour combattre contre le Diable. Mais en quel païs les envoye-t-il ? il pensoit donner queqlue secours aux Prelats dont il parle dans sa Lettre, & il est, comme un autre Abacuc emporté subitement en Babylone parmy des Lions. Il reçoit un ordre du Roy par M. le Chancelier d’envoyer vingt Prestres à l’Armée pour y faire Mission, qui estoit une chose non moins difficile que nouvelle & extraordinairte ; & il pouvoit bien dire, comme ce Prophete, qu’il ne sçavoit pas le chemin de cette babylone, & qu’il n’avoit jamais esté en aucune Armée ;mais il se laissa prendre par la teste en soûmettant son jugement aux ordres qu’il avoit receus, & faisant voir qu’il n’excelloit pas moins en l’obeïssance & en l’affection de servir son Roy, que dans les autres vertus. Il fit aussitost partir quinze Missionnaires, n’en n’ayant pas davantage, & les envoya au rendez-vous de l’Armée ;d’où ils se disperserent en tous les quartiers où les régiment estoient campez, pour y travailler selon le dessein pour lequel ils avoient esté envoyez. M. Vincent s’en alla en mesme temps à Senlis où estoit le Roy, pour offrir son serv ice & celui de toute sa Congregation à sa Majesté ; & après s’estre acquité de ce devoir, il y laissa un de ses Prestres pour recevoir les ordres de sa Majesté, & les envoyer au Superieur de cette Mission. Il fit ensuite acheter une tente pour servir aux Missionnaires de l’Armée, & leur envoya des meubles & des vivres avec un mulet & une charrette pour les porter & pour servir dans leurs besoins. Il leur prescrivit aussi ce qu’ils avoient à faire pendant cette Mission par un Reglement digne de sa prudence DE PAUL. LIV. I. CHAP XXXIV. 253. & de sa piete, lequel est conceu en ces termes. Les Pretres de la Mission qui sont à l’Armée, se « représenteront que Nostre-Seigneur les a appellez « à cet employ , I. Afin d’offrir leurs Prieres et Sa- « crifices à Dieu pour l’heureux succés des bons des- « seins du Roy, & pour la conservation de son Ar- « mée. 2. Pour faire des gens de guerre qui sont dans « le peché à s’en tirer, & ceux qui sont en état de « grace à s’y conserver. Et enfin pour faire leur possi-« ble que ceux qui mourront, sortent de ce monde en « etat de salut. « Ils auront pour cet effet une particulière devo- « tion au Nom que Dieu prend dans l’Ecriture, du « Dieu des Armées ; & au sentiment qu’avoit Nô- « Tre-Seigneur quand il disoir : Non veni pacem mit- « Tere, seg gladium ; & cela pour nous donner la paix « Qui est la fin de la guerre. « Ils se représenteront qu’encore qu’ils ne puissent « oster tous les pechez de l’Armée, Dieu leur fera « peut-estre la grace d’en diminüer le nombre, qui « est autant que si l’on disoit, que si Nostre-Seigneur « devoit estre encore crucifié cent fois, il ne le sera « peut-estre que quatre-vingt-dix ; & si mille ames « par leurs mauvaises dispositions devoient estre « damnées, ils feront en sorte avec le secours de la gra-« ce de Dieu, qu’il y en aura quelques-unes de ce « nombre qui ne le seront pas. « Les vertus de charité, de ferveur, de mortif- « cation, d’obeÏssance, de patience é de modestie leur « sont grandement nécessaires ; c’est pourquoi ils en « feront une continuelle pratique interieure & ex- « terieure, & sur tout de l’accomplissement de la vo- « lonté de Dieu. « Ils celebreront à cet effet tous les jours la sainte « Messe, ou au moins communieront. « Ils honoreront le silence de Nostre-Seigneur aux « 254 LA VIE DU VENERABLE VINCENT « heures accoûtumées, & toûjours à l’egard des af« faires d’Etat ; & ne témoigneront leurs peines « qu’à leur Superieur, ou à celuy qu’il leur or« donnera. « Si on les applique à entendre les Confessions des « pestiferez, ils le feront de loin & avec les precau« tions necessaires ; & ils laisseront l’assistance cor« porelle, tant de ceux-cy que des autres malades, « à ceux que la Providence employe en ces fonc« tions. « Ils feront souvent des Conferences, après avoir « pensé devant Dieu aux sujets qui seront proposez : « par exemple, 1. De l’importance qu’il y a que les « Ecclesiastiques assitent les Armées. 2. En quoy « consiste cette assistance. 3. les moyens de labien « faire. « Il pourront traiter par la mesme methode, d’au« tres sujets qui leur seront convenables en cet em« ploy ; comme de l’assistance des malades ; de quel« le maniere on se comportera pendant les combats & « les batailles ; de l’humilité, de la patience, de la « mortification & des autres vertus requises dans les « Armées. « L’on observera le plus exactement qu’on pourra « les petits Reglermens de la Mission, principalement « à l’egard des heures du lever & du coucher, de l’O« raison, de l’office Divin, de la Lecture spirituelle & « des Examens. « Le Superieur distribuera les Offices à chacun. Il « donnera à l’un, celuy de la Sacistie ; à l’autre, ce« luy d’entendre les Confessions de la Compagnie, « & le soin de la Lecture de table ; à l’autre, l’assistan« ce des malades ; à l’autre, la charge de l’oeconomie « & de l’apprest du manger ;à l’autre, le soin de la « tente & des meubles pour les faire charger & dé« charger & pour les mettre en place ; & tous se- DE PAUL. LIVR. I . CHAP. XXXIV. 255 ront employez aux Predications & aux Confes- « sions, selon que le Superieur le jugera expe- « dient. « Ils logeront & vivront ensemble, si faire se peut, « quoy-qu-ils soient distribuez dans les Regimerns. « que si on les employe en divers lieux, comme en « l’avant-garde, ou à l’arriere-garde, ou au corps « de l’Armée ; le Superieur qui les distribuera fera « en sorte qu’ils logent sous des tentes, si faire se « peut. « Voilà le Reglement que ce sage Superieur prescrivit à ses Missionnaires, lorsqu-il les envoya travailler dans l’Armée au salut des soldats. Leur fidelité à l’observer attira sur eux & sur leurs saints travaux une tres grande bénédiction, ainsi qu’on apprend par une Lettre de congratulations que M. Vincent écrivit à l’un d’entre-eux. Dieu soit « loüé, luy dit-il, de la bénédiction qu’il donne à « vostre travail. O JESUS , Monsieur, qu’elle me « paroist grande ! Quoy ? d’avoir desja procuré pour « vostre part le bon état de trois cens soldats qui ont « si dévotement communié, & des soldats qui vont à « la mort ; il n’y a que celuy qui connoist la rigueur « que Dieu exerce dans les Enfers, ou qui sçait le « prix du sang de JESUS-CHRIST répandu pour « une ame, qui puisse comprendre la grandeur de ce « bien. Et quoy-que je connaisse mal l’un & l’autre, « il plaist néanmoins à sa bonté de me donner une « estime infinie du bien que vous avez fait en ces trois « cens Penitens. Mardy passé il y avoit desja 9000. « Confessions faites en toutes les autres Missions de « l’Armée, sans conter les vôtres, outre ce qui s’est « fait depuis. O Dieu, Monsieur, que cela est au des- « sus de mon espérance ! Il faut s’humilier, louër « Dieu, continuer avec courage, & suivre si vous n’a- « vez d’autre ordre. 256 LA VIE DU VENERABLE VINCENT Et dans une autre Lettre du 20 Septembre qu’il ecrivit à M. Portail, pour s’excuser de ce qu’il ne pouvoit envoyer les Missionnaires qu’il avoit fait « espérer à M. l’Abbé Olier : Il nous est impossible, « luy dit-il, de vous envoyer si-tost ces Missionnai« res, que vous attendez, parce que ceux que nous « avions préparez ont esté commandez de suivre les « Regimens qui estoient à l’Usarche, à Pons, à Saint « Leu & à la Chapelle-Orly, & de camper avec eux « dans l’Armée, où desja quatre mille soldats ont fait « leur devoir au Tribunal de la Penitence avec gran« de effusion de larmes. J’espere que Dieu fera mise« ricorde à plusieurs par ce petit secours, & que peut« estre cela ne nuira pas au bon succés des Armées « du Roy. Après ces quatre mille Confessions, les Missionnaires furent obligez de suivre l’Armée, & de camper avec elle, en chaque campement, outre les assistances spirituelles qu’ils donnerent aux soldats, ils confesserent encore & mesme communierent quantité de personnes dans les Dioceses par où l’Armée passa, dequoy ils avoient une expresse permission de M. M.les Evesques. Enfin une partie de ces Missionnaires après six semaines de travail s’en retourna à Paris, & les autres continûerent de camper avec l’Armée jusqu’au mois de Novembre qu’elle retourna victorieuse des Ennemis. DE PAUL. LIV.I. CHAP. XXXV 257 CHAPITRE XXXV. Il s’employe pour l’assistance des Pauvres Lorrains pendant les guerres, & prend Un soin particulier de plusieurs Gen,tilsHommes & Demoiselles réfugiez à Paris. SAINT Augustin a dit avec grande raison, que Dieu est si bon qu’il ne permettrait jamais aucun mal, s’il n’estoit assez puissant pour en tirer un plus grand bien. On pourroit alléguer un nombre presque infiny d’exemples, pour voir combien cette parole est veritable ; & sans aller en chercher bien loin, il ne faut que jetter les yeux sur ce qui s’est passé dans la Lorraine pendant les dernieres guerres. Cette Province qui estoit autrefois tresabondante en toutes sortes de biens, tomba dans une extreme misere, & ses habitants furent reduits dans l’état le plus deplorable qu’on puisse s’imaginer. Mais il semble que Dieu ne permit ce malheur, que pour donner à plusieurs personnes vertueuses une belle occasion de pratiquer les œuvres de misericorde dans un éminent degré, & à M. Vincent une tres-ample matiere pour signaler sa vertu, en faisant ressentir à ces pauvres peuples affligez les effets d’une charité toute heroÎque. Ce fut en l’année 1639, qu’ayant eu avis de la necessité extraordinaire où les habitans de cette Province estoient reduits, il se resolut de les secourir ; & ayant promptement recueilli quelques aumônes, auxquelles il contribua notablement de son costé,il les envoya distribuer par les mains de ses Missionnaires. Mais ces aumônes furent bien tost employées, & quelques-uns de ceux qu’il 258 LA VIE DU VENERABLE VINCENT avoit envoyez estant retournez à Paris, luy rapporterent qu’ils avoient vû des nécessitez inoüyes & presque incroyables : Que tout le monde, & mesme les Bourgeois des Villes estoient dans une tres-grande indigence : Que plusieurs Filles & Demoiselles estoient sur le point de s’abandonner pour éviter la mort : Que les Religieuses les plus réformées estoient à la veille de rompre leur Clôture pour aller chercher du pain au peril de leur honneur & au scandale de l’Eglise ; & qu’il se trouvoit mesme des meres qui par une rage de faim mangeoient leurs propres enfant. Cela toucha si fort le cœur de M. Vincent, & de quelques autres personnes de pieté & de condition de l’un & de l’autre sexe de la ville de Paris, ausquellelles il en fit le recit, que sa resolution fut prise de secourir ces pauvres gens à quelque prix que ce fust. Pour cet effet ces charitables personnes fournirent des sommes considérables que M. Vincent envoya par plus pressans besoins qui se trouvoient non seulement dans les Villagesn, mais aussi dans les Villes, mesmes les plus grandes qu’on croyoit les moins incommodées des guerres, comme Mets, Toul, Verdun, Nancy, Bar-le Duc , Pont –à-Mousson, Saint Michel & autres. Ce grand nombre de personnes de toute condition réduites à l’extréme necessité, epuisoient incontinent les aumônes, quoy-que tres-abondantes & une charité moindre que celle de Vincent De Paul eust perdu courage, & eust considéré cette entreprise comme une chose impossible, attendu les autres nécessitez pressantes auxquelles il falloit en mesme temps pourvoir du costé de Paris, & du reste de la France. Mais que ne peut un cœur qui aime Dieu & qui se confie parfaitement en luy à DE PAUL. LIV.I. CHAP. XXXV. 259 Je puis tout, disait le Saint Apôtre, en celui qui me Fortifie. M.Vincent pouvoit bien dire de semblable ; car Dieu donna une telle bénédiction à ses charitables instances, envers tous ceux & celles qu’il voyoit disposez à exercer les œuvres de misericorde, qu’il envoya en divers temps pour les Pauvres de la Lorraine & pour ceux de quelques Villes conquises dans l’Artois, prés de seize cens mille livres d’aumônes, dont la Reine Mere du Roy fit donner une partie, & les Dames de la Charité de Paris y contribuerent aussi notablement de leur costé. Un seul Frere de la Mission fit pour ce sujet cinquante trois voyages en Lorraine pendant que cette extréme necessité dura, & il y porta chaque fois tant en espéce qu’en Lettres de change, vint mille livres, & quelquefois vint-cinq & trente mille livres, & plus : Et ce qui fait clairement onnoistre la protection de Dieu sur cette bonne œuvre, c’est qu’ayant fait la plus-part de ces voyages au milieu des Armées, & en des lieux remplis de soldats, & exposez à leurs pilleries, il n’a jamais esté volé, & est toujours heureusement arrivé aux lieux où il alloit. Le moyen dont usa M. Vincent afin de rendre ces aumônes plus utiles & plus etenduës, est encore digne de remarque ; car si l’on se fust contenté de distribuer de l’argent aux pauvres, ils n’auroient pû trouver des vivres qu’avec beaucoup de peine, & a un si haut prix, qu’il eust esté impossible de les faire subsister long-temps. Il donna donc ordre aux Missionnaires qu’il avoit envoyez en Lorraine de préparer eux-mesmes les choses nécessaires pour faire du pain & du potage, & de les distribuer chaque jour dans les lieux où il y avoit des pauvres. Il y fit mesme porter environ quatre mille aulnes de draperie, dont la plus grande partie fut achetée à 260. LA VIE DU VENERABLE VINCENT Paris. Il pourveut ainsi de nourriture & de vétemens une infinité de personnes nécessiteuses, en plus de vingt-cinq Villes, &dans un grand nombre de bourgs & de villages des environs ; & il fit durer neuf ou dix ans cette grande entreprise, qui sembloit capable d’epuiser en peu de mois des tresors immenses. Sa prudence ne parut pas moins dans l’application de toutes ces aumônes ; car quoy qu’on s’en remist entièrement à sa conduite, il n’en voulut pourtant jamais ordonner que par l’avis des Dames de la Charité, & souvent mesme il prenoit les ordres de la Reine, afin de suivre exactement dans cette distribution, l’intention des Bienfaicteurs. Qui pourroit exprimer les fruits de ces charitébles assistances ? Combien de pauvres malades ou languissans de faim & de froid ont esté préservez de la mort ? Combien de filles ont esté garanties des mal-heurs où la necessité des exposoit ? Combien de Communautez Religieuses tant d’hommes que de filles se sont maintenuës dans l’observance de leurs Vœux & de leurs Regles ? En un mot combien d’Ames ont esté mises dans les voyes de leur salut, par les catéchismes & Instructionjs des Missionnaires & par les Sacremens qu’ils leur ont administrez. Ces biens surpassent tout ce qu’on en peut concevoir ; & pour en donner quelque idée, il suffit de dire qu’ils ont esté proportionnez à la grandeur & etenduë des miseres extrêmes de ces peuples malades dans ces charitables Exdercices par l’excés du travail dont ils estoient accablez, & un d’entre eux y finit saintement sa vie au grand regret des Pauvres qu’il avoit assistez. La Divine Providence fournit encore au mesme temps une n ouvelle matiere pour mettre le com- DE PAUL. LIV.I. CHAP XXXV 261 ble à la Charité de M. Vincent. La continuation de la guerre & des miseres de la Lorraine obligea enfin une partie des habitans d’en sortir & de se réfugier à Paris. Il y en eut un grand nombre qui se Vint jetter entre les bras de ce Pere des Pauvres, comme à l’azile le plus assuré des affligez. Il prit soin de les faire loger en divers lieux, leur procura du pain, des habits & les autres choses nécessaires ; & ayant reconnu que par le mal-heur du temps & faute d’assistance de leurs Pasteurs, qui estoient pour la plus-part ou morts ou en fuite ; plusieurs d’entre eux ne s’estoient point approchez des Sacremens depuis long-temps ;il leur fit faire deux Missions au temps des Festes de Pâques, pendant deux années consécutives, dans l’Eglise d’un village distant environ demy-lieuë de Paris, nommé la Chapelle. Plusieurs personnes de condition de Paris eurent devotion d’y assister, les uns pour prendre part au travail, & les autres pour participer au merite de l’œuvre par leurs aumônes ; & par ce moyen ces pauvres gens furent secourus dans leurs besoins tant spirituels que temporels. Outre ceux-là notre charitable Prestre fit conduire à Paris & défrayer dans le voyage jusqu’à cent soixante filles, lesquelles estant depourvuës de biens & d’appuy, se trouvoient exposées à un tres-grand danger. Elles furent logées à leur arrivée chez Mademoisellle le Gras, & ensuite placées en d’honnestes conditions. Il fit amener de la mesme sorte grand nombre de petits garçons qu’il receut à S. Lazare, & leur trouva depuis des maisons pour servir. Ce fut aussi par son moyen que de vertueuses Religieuses Benedictines, ne pouvant subsister à Saint Mihel, à cause de l’extréme disette du païs, furent conduites à Paris, où la bonne odeur de leur sainte vie a fait trouver un 262. LA VIE DU VENERABLE VINCENT Etablissement dans le faux-bourg saint Germain, sous le titre de Religieuses du Saint-Sacrement. Entre les personnes refugiées de Lorraine que la necessité obligea de venir à Paris, il se trouva plusieurs Gentils-hommes & Demoiselles, qui ayant vendu ce qu’ils avoient pû sauver du débris de leurs biens, s’en entretinrent quelque-temps mais après que tout fut consumé & qu’ils n’eurent plus de quoy subsister,ils se virent reduits à une necessité d’autant plus grande, qu’ils ne l’osoient faire paroistre. La honte de se voir déchûs de leur premier état leur fermoit la bouche ; & ils estoient résolus de souffrir plutost toutes sortes d’extremitez, que de manifester leur pauvreté. Une personne d’honneur & de merite ayant eu connaissance de ce besoin pressant, en donna avis à M. Vincent, & « les moyens d’y remédier. A quoy il répondit : O « Monsieur, que vous me faites plaisir ! Oüy, il est « juste de soulager cette pauvre noblesse, pour hono« rer Nostre Seigneur qui estoit tres-Noble, & tres« Pauvren tout ensemble. Ensuite ayant recommandédé cette affaire à Dieu, & considéré en luy-mesme par quel moyen on le pourroit faire reüssir, il jugea que c’estoit un employ digne de la charité des personnes de condition ; & en ayant fait l’ouverture à quelques-uns de sa connaissance, il en trouva jusqu’à sept ou huit fort disposez à seconder son zele dans cette charitable assistance. Feu M. le Baron de Renty personnage encore plus illustre par Ses vertus que par sa naissance, & dont la sainte vie, Qui a esté donné au Public après sa mort, peut serVir d’un parfait modèle de la pieté Chrétiennee aux Ames vraiment nobles, fut un des premiers & des Plus fervens en cette sainte entreprise. Ces Messieurs ayant esté conviez par M. Vin- DE PAUL. LIV. I . CHAP. XXXV. 263 cent à s’assembler pour ce sujet, il leur parla si efficacement de l’importance & du merite de cette Œuvre de charité, qu’ils prirent resolution de se lier & associer ensemble pour secourir cette pauvre Noblesse. Quelques-uns d’entre eux se chargerent de les aller voir dans leurs chambres, pour reconnoistre plus particulièrement leurs besoins, pour prendre leurs noms, & pour savoir au vray le nombre de personnes de chaque famille. Ils en firent me rapport à la prochaine Assemblée, où ils se cotiserent tous pour leur fournir la subsistance d’un mois. Ils continüerent depuis à s’assembler à S. Lazare tous les premiers Dimanches des mois, où ils se cotisoient de nouveau selon le besoin de ces pauvres réfugiez. Cet Exercice de charité envers la pauvre Noblesse de Lorraine continua environ huit ans, pendant lesquels on leur portoit tous les mois leur subsistance ; & ces Messieurs leur rendaient visite les uns après les autres, avec des témoignages de respect & des paroles de consolation ; & ils leur procuroient encore tous le secours qu’iolspouvoient en leurs affaires. M. Vincent de son costé n’échauffoit pas moins les cœurs de ces Messieurs par son exemple que par ses discours ; car il ne se contentoit pas de faire du bien par les autres, mais il en faisoit aussi par soy-mesme. Un des plus qualifiez de cette illustre & charitable Assemblée en a rendu par écrit un fidéle témoignage en ces termes. M. Vincent estoit toujours le premier à donner, « Il ouvroit son cœur & sa bourse ; de sorte que quand« Il manquoit quelque chose, il contribuoit tout du « sien, & se privoit des choses qui luy estoient neces- « saires, afin d’achever l’œuvre commencée. Une « fois mesme que pour parfaire une somme conside- « 264. LA VIE DU VENERABLE VINCENT « rable, il estoit besoin de trous cens livres, il les « donna aussi-tost, & l’on sçeut que c’estoit des de« niers qu’une personne charitable luy avoit donnez « pour avoir un autre cheval meilleur que le sien « qui estoit diverses fois tombé sous luy de foiblesse, « estant extrêmement vieux. Mais il aima mieux se « mettre en peril d’estre blessé, que de laisser des « personnes, qu’il croyait dans le besoin, sans les « assister. A cet exemple nous en ajouterons encore un semblable, qui est tres-digne de remarque. Il arriva une fois entre autres, que toute l’Assemblée s’estant cotisée, il s’en fallut environ deux cens livres que la somme necessaire pour la subsistance de cette pauvre Noblesse, durant le mois suivant, ne fust complete ; ce que voyantr M. Vincent il appella le Prestre quie stoit Procureur de la Maison, & l’ayant tiré à l’écart, il luy demanda tout bas combien il avoit d’argent entre les mains. A quoy celuy-cy répondit qu’il n’avoit que ce qui estoit necessaire pour pourvoir le lendemain aux nécessités ordinaires du vivre de la Communauté, laquelle estoit alors fort nombreuse. Et combien y a-t-il, luy dit M. Vincent ? Cinquante écus repondit l’autre : Mais n’y a-t-il que cela d’argent dans la Maison, replique M. Vincent ? non, Monsieur, répond le Procureur, il n’y a que cinquante écus. Je vous prie luy dit derechef M. Vincent, de me les aller quérir, & les luy ayant apportez, il les do na pour fournir à peu prés ce qui manquoit, aimant mieux s’incommoder & se reduire à emprunter pour la nourriture des Siens, que de laisser souffrir ces pauvres réfugiez. Un de ces Messieurs qui avoit presté l’oreille, ayant entendu la réponse du Procureur, admira la généreuse charité de M. Vincent ; ce qu’ayant après rapporté aux autres, DE PAUL. LIV. I . CHAP. XXXV. 265 ils en furent si touchez, que quelqu’un d’entre eux envoya le lendemain matin une aumône de mille francs à la Maison de S. Lazare. Enfin la Lorraine s’estant un peu remise de tous les troubles qui l’avoient agitée, plusieurs de ces réfugiez retournerent en leurs maisons, & M. Vincent prit soin de leur fournir ce qui estoit ne cessaire, tant pour faire le voyage, que pour subsister quelque-temps dans leur païs, & continua toujours d’assister ceux qui resterent à Paris. Comme un exercice de charité n’occupoit jamais tellement le cœur de ce saint-homme, qu’il ne fust toujours disposé d’en embrasser un autre ; ayant sceu en ce mesme temps qu’il ,y avoit plusieurs SeiGneurs & Gentils-hommes Anglois & Ecossois, lesquels pour le sujet de la Foy Catholique qu’ils professoient, avoient esté contraints de se réfugier à Paris, il en parla à ces Messieurs qui avoient assisté les Lorrains, & procura avec eux qu’ils fussent secourus comme les autres ; & il a toujours continué presque jusqu’au temps de sa mort, de les faire assister de ses soins & de ses aumônes. Cette Assemblée dura prés de vingt ans, & on peut avec raison la mettre au rang des grandes Oe vres, auxquelles M. Vincent az coopéré, puis-qu’il en a esté l’Auteur & le poromoteur, & qu’avec le secours des personnes illustres qui la composoient, il a remédié à une infinité de maux, & procuré un grand nombre de biens considérables. Nous ne devons pas ômettre icy que ce charitable Prestre voyant tant de funestes effets qui estoient causez par la guerre ; & considerant que tant qu’elle dureroit, les blasphèmes, les Sacrileges, les violences & tous les autres pechez horr bles qui l’accompagnopient, continüeroient à provoquer la colere de Dieu & à desoler les Provin- 266 LA VIE DU VENERABLE VINCENT ces ; son cœur se trouva tellement saisi de douleur, qu’il se resolut contre toutes les raisons de la prudence humaine, d’employer un moyen dont le succés paroissoit assez douteux, & qui pouvoir d’ailleurs luy estre fort prejudiciable. Nous avons desja dit en un autre endroit que M. le Cardinal de Richelieu luy té »moignon beaucoup de bien-veillance ;il s’en voulut donc prévaloir, non pour ses propres interests, mais pour le bien public. Dans ce dessein il s’en alla un jour le trouver ; & après luy avoir exposé avec toute sorte de respect l’extréme souffrance du pauvre Peuple, & tous les autres désordres causez par la guerre, il se jetta à ses pieds, en luy disant : Monseigneur, ayez pitié de nous, donnez-nous la paix, donnez la paix à la France. Ce qu’il répéta avec tant de sentiment, que ce grand Cardinal en fut touché ; & ayant pris en bonne part sa remontrance,il luy dit qu’il y travailloit, & que cette paix ne dependoit pas de Luy seul, mais aussi de plusieurs autres, tant du Royaume que du dehors. Voicy un semblable sujet ou son zele pour la Religion Catholique le porta à proposer à son Eminence une chose encore plus difficile. C’est luy« mesme qui en a parlé en ces termes : Je fus chargé « un jour de prier M. le Cardinal de Richelieu d’as« sister la pauvre Hibernie ( c ‘estoit du temps que « l’Angleterre avoit la guerre contre son Roy ) ce « qu’ayant fait ; Hà M. Vincent ! me dit-il, le Roy « a trop d’affaires pour le pouvoir faire. Je’ luy dis « que le Pape le seconderoit, & qu’il offroit cent « mille écus. Cent mille écus, répliqua-t-il, ne « sont rien pour une armée ; il faut tant de soldats, « tant d’equipages, tant d’armes, & tant de convois « par tout ; c’est une grande machine qu’une Armée, « qui ne se remüe que mal-aisément. Ainsi ses DE PAUL. LIV. I . CHAP. XXXV. 267 charitables propositions & ses humbles prieres demeurerent à la vérité sans effet ; mais il eut néanmoins le merite devant Dieu d’avoit plûtost suivy en cela les mouvemens de sa conscience, que les maximes de la politique humaine. Certainement s’il eust consulté quelque sage du siecle, il ne se fust pas exposé par cette liberté de parler, à perdre l’accés qu’il avoit auprès de ce premier Ministre, & à l’importuner par des prieres qui auroient paru hors de raison à des personnes moins des-interessées ; mais la charité qui pressoit son cœur, luy fit déposer toute crainte & fermer les yeux à tout respect humain, pour n’envisager en ce qu’il entreprenoit que le service de Dieu & le bien du peuple Chrétien. _________________________________________ CHAPITRE XXXVI. Il assiste le Roy Louys XIII en sa derniere maladie & à sa mort. QUOY- que la dignité des Rois les éleve au dessus des autres hommes, & que l’Ecriture Sainte les appelle des Dieux, parce qu’ils sont sur la terre les Images vivantes de la Divinité : Cette mesme Ecriture neanmoins, après leur avoir donné un nom si glorieux, les avertit au mesme endroit qu’ils sont hommes, & qu’en cette qualité ils sont obligez, comme les autres, à payer en mourant le tribut que tous doivent à la nature. C’est une loy indispensable, & les Princes les plus sages & les plus vertueux y sont aussi-bien sujets, que ceux qui déshonorent leur dignité en abusant de leur pouvoir. Il y a pourtant cette difference entre eux, que les bons Rois échangent par leur mort, selon le langage de l’Eglise, une Souveraineté terre- Ego dixi Dijestis, &c. Vos autem homines MorioNi. Ps .81. 268 LA VIE DU VENERABLE VINCENT stre & temporelle un Royaume celeste & eternel ; & que les mauvais Princes y trouvent le terme de leurs vices aussi-bien que de leur vie, & le commencement de la peine que la justice de Dieu leur doit faire souffrir, en punition de leurs desordres. Si les vertus & les qualitez toutes Royales de Loüys XIII de tres glorieuse memoire, l’ont fait reconnoistre pendant sa vie pour l’un des plus grands Monarques de la terre, sa pieté s’est particulierement signalé dans sa derniere maladie & aux temps de sa mort. Ce n’est pas icy le lieu de rapporter tout ce que ce Prince vraiment tres-Chrétien a fait & dit en cette occasion, par où il a montré combien son cœur Royal estoit détaché des choses de la terre, & animé de zele pour procurer la conversion des hérétiques & des pecheuirs, & pour faire que Dieu fust de plus en plus glorifié dans tous les lieux de son obéissance ; il suffira de remarquer icy ce qui est à notre sujet. Ce bon Roy ayant oüy parler de la vertu & de la sainteté de M. Vincent, & estant informé des grands biens qu’il faisoit dans tout le royaume par luy-mesme & par ceux de sa Congregation, désira de l’avoir auprés de soy durant sa derniere maladie, pour estre assisté en cét état de ses avis salutaires. Il vouloit aussi luy communiquer divers desseins de pieté qu’il se proposoit d’executer, particulierement en ce qui concernoit la conversion des hérétiques de la ville de Sedan. Il luy demanda donc de le venir trouver à saint Germain en Laye : A quoy cét humble Prestre obeït incontinent, & se rendit auprès de sa majesté. Le premier compliment qu’il luy fit en l’abordant, fut de luy dire ces paroles du Sage : Sire, Timenti Deum benè érit in extremis. A quoy sa majesté toute remplie des sen- DE PAUL. LIVRE. I . CHAP. XXXVI. 269 Timens de sa pieté ordinaire, qui luy avoit fait lire & méditer souvent ces belles sentences de l’Ecriture, répondit en achevant le verset : Et in die defuncvtionis suoe benedicetur. Un autre jour comme ce saint homme entretenoit sa Majesté du bon usage des grâces de Dieu ; ce grand Roy faisant reflexion sur tous les dons qu’il avoit receus de Dieu, & considerant l’éminence de la dignité Royale à laquelle sa Providen ce l’avoit élevé, les grands droits qui y sont annexez, & particulièrement celuy de nommer aux Eveschez & aux Prelatures de son Royaume. O M. Vincent, luy dit-il, si je retournois en santé les Evesques seroient trois ans chez vous : voulant dire qu’il obligeroit ceux qui seroient nommez aux Eveschez de se disposer à s’acquiter de leurs Charges, par la frequentation des lieux & des personnes qu’il jugeoit leur pouvoir estre utiles à cette fin. En quoy ce gran d Prince rendit un temoignage signalé des sentimens qu’il avoit touchant l’impor-` tance de la dignité Episcopale, & de l’estime qu’il faisoit de l’Institut de M. Vincent ; puis qu’il le jugeoit tres-propre pour servir à former des Ecclesiastiques, qui fussent capables de soutenir avec honneur & avec merite, la charge tres-pesante de ces grandes Dignitez de l’Eglise. M. V incent demeura cette fois environ huit jours à S. Germain, où il eut plusieurs fois l’honneur d’approcher du Roy, & de l’entretenir des paroles de salut & de vie éternelles ; à quoy sa Majesté témoignoit prendre une particuliere satisfaction. Enfin comme la maladie du Roy s’augmentoit de plus en plus, & qu’elle surmontoit tous les remedes, ce Prince tres-Chrétien voyant que Dieu vouloit le retirer de ce monde, manda derechef M. 270. LA VIE DU VENERABLE VIONCENT Vincent pour l’assister en ce dernier passage. Il retourna donc à S. Germain & se rendit auprès de sa Majesté trois jours avant son deceds, pendant lesquels il demeura presque toûjours en sa presence, l’aidant à élever son esprit à Dieu, & à former interieurement des actes de Religion & des autres vertus propres pour se bien disposer à ce dernier moment, duquel dépend l’éternité. Entre plusieurs dévotes aspirations qu’il luy suggéra pour lors, l’ayant invité à loüer Dieu par ces paroles du Prophete Royal : Benedicam Dominum in omni tempore ; le Roy tout foible & tout abattu qu’il estoit du mal, acheva d’une voix fort devote : Semper laus ejus in ore meo. Et puis levant les yeux au Ciel, il ajouta avec une ferveur qui surpassoit ses forces : Oüy, mon Dieu, je le feray pendant ce peu de temps qui me reste, & si j’avois mille vies, je les emploirois toutes à vous loüer. Peu de temps après ce grand Prince finit sa vie par une mort tres Chrétienne, comme il avoit toûjours vécu en Prince tres-Chrétien. Cette mort arriva le 14 de May 1643. & M. Vincent voyant la Reine saisie d’une extréme douleur, & incapable de consolation de la part des hommes, s’en revint aussi-tost à S. Lazare, afin de faire prier Dieu pour leur majestez. Il estoit d’un costé bien affligé de la perte d’un Prince si juste & si pieux ; mais d’autre part il estoit fort consolé des saintes dispositions dans lesquelles il l’avoit veu mourir. Voicy les sentimens qu’il témoigna sur ce sujet dans une lettre qu’il écrivit le lendemain à un de ses Prestres qui estoit à Rome. « Il plût à Dieu disposer hier de notre tres-bon « Roy ; c’estoit le jour auquel il avoit commencé à « regner il y a trente-troix ans. Sa Majesté désira que « j’assistasse à sa mort avec nos Seigneurs de Lisieux DE PAUL. LIV. I . CHAP. XXXVII. 271 & de Meaux, & le R.P.Dinet son Confesseur. « Depuis que je suis sur la terre je n’ay veu mourir « personne plus Chretiennement & je n’ay jamais « remarqué en aucun autre plus d’élevation à Dieu, « plus de tranquilité, plus d’apprehension des moin- « dres apparences du peché, plus de bonté, & plus « de jugement dans un pareil état. Le R. P. Dinet « luy ayant dit avant hier, que les Medecins esti- « moient qu’il estoit temps de faire les prieres de la « recommandation de son ame à Dieu, il embrassa « tendrement & lon-temps ce bon Pere, le remer- « ciant de la bonne nouvelle qu’il luy donnaoit ; & in-« continent après levant les mains &é les yeux au Ciel« il dit le Te Deum Laudamus avec tant de ferveur, « que j’en suis tout attendry à l’heure mesme que je « vous écris, par le seul souvenir que j’en ay, &c. « C’est le témoignage que M. Vincent rendit pour lors des excellentes dispositions qu’il avoit rema quées en ce Roy tres-pieux, pendant les derniers jours de sa vie. Le lendemain de sa mort il fit faire un service solennel dans l’Eglise de S. Lazare, & ordonna à tous les Prestres tant de cette Maison que des autres de sa Congregation, d’offrir le S. Sacrifice de la Messe, pour le repos de l’ame de sa Majesté tres-Chrétienne. _________________________________________ CHAPITRE XXXVII. Il est employé dans le Conseil du Roy pour les affaires Ecclesiastiques, pendant la Regence de la Reine Mere. LE Roy Loüys XIII de glorieuse mermoire Ayant laissé en mourant la Regen,ce du Royau- 272 LA VIE DU VENERABLE VINCENT me à la Reine, pendant la minorité du Roy son Fils &n tres-digne Successeur, cette sage & vertueuse Princesse jugea d’abord qu’entre toutes les affairtes qui accompagnoient sa Regence dans l’étenduë de cette grande Monarchie, celles qui concernoient l’Eglise & la Religion, estoient les plus importantes & les plus dignes de ses soins. Elle établit dans cette veuë un Conseil particulier pour les affaires Ecclesiastiques, & le composa de quatre personnes ; c’est à savoir de M. le Cardinal Mazarin, de M. le Chancelier ;de Monsieur Charton Penitencier de Paris, & de M. Vincent ; & elle prit à mesme leurs avis, des Benefices qui dependoient de sa nomination. Quoy que M. V ioncent fust tres-porté à rendre toutes sortes de services à leurs Majestez ; ce luy fut néanmoins une tres-grande peine de se voir ap-` pellé dans le Conseil, pour y tenir un rang qui estoit d’autant plus insupportable à son humilité, qu’il paroissoit plus honorable aux yeux des hommes. Il fit toutes les instances possibles pour estre dispensé de cette Charge ; mais la Reine qui connoissoit sa vertu & sa capacité, voulut absolument qu’il y demeurast. Il entra donc dans l’exercice de cét employ en l’année 1643, par une pure déference aux volontez de sa Majesté, & avec une grande crainte, non pas de s’évanoüir dans les honneurs du monde ; dont il connoissoit assez la vanité ; mais bien de ne pouvoir sortir de cet employy aussi-tost qu’il l’eust desiré. Il s’adressa depuis incessamment à Dieu, le priant qu’il luy plust le délivrer de cet embarras ; & il dit un jour à une personne de confiaznce, que depuis ce temps-là il n’avoit jamais celebré la sainte Messe, qu’il n’eust demandé à Dieu cette grace. Il témoigna dans une autre rencontre, combien il DE PAUL. LIV. I . CHAP. XXXVII. 273 desiroit estre déchargé de ce pesant fardeau. S’estant une fois retiré de Paris, pendant quelques jours, il courut un bruit qu’il estoit disgracié, & qu’il avoit eu ordre de se retirer de la Cour. Après son retour, comme un Ecclésiastique de ses amis, se conjoüissoit avec luy de ce que ce bruit ne s’estoit pas trouvé veritable, il luy dit en levant les yeux au Ciel, & frappant sa poitrine avec un vif ressentiment : Hà miserable que je suis, je ne suis pas digne de cette grace. Dieu voulut qu’il demeurast pour le moins dix ans dans cet employ qui luy estoit tres-penible, parce qu’on luiy renvoyoit la plus-part des affaires qu’on devoit traiter dans le Conseil. La Reine l’avoit particulièrement chargé de l’avertir de la capacité des personnes, afin qu’elle ne fut point surprise. Il recevoit pour cét effet les Placets qu’on presentoit à sa Majesté, & prenoit con naissance des raisons & des qualitez de ceux qui demandoient ou pour lesquels on demandoit des Benefices ; de quoy il faisoit ensuite son rapport au Conseil. C’estoit une chose digne d’admiration de voir ce grand Serviteur de Dieu conserver une constante égalité d’esprit au milieu d’un flux & reflux de personnes, & posséder son ame dans une profonde paix parmy les distractions & les importunitez continuelles. Il recevoit avec la mesme affabilité les petits & les grands, les pauvres & les riches ; & sans sortir de soy-mesme il se donnoit à un chacun, se faisant tout à tous pour les gagner tous à JESUS-CHRIST. On peut dire que la Cour a esté comme un Theatre où ses vertus ont paru dans leur plus grand jour. Son humilité y a triomphé des vains applaudissemens des hommes ; sa patience s’y est montrée invincible parmy les pertes, les afflictions & tous les traits envenimez de l’envie, son dés-interes- 274 VIE DU VENERABLE VINCENT sement y a receu un merveilleux éclat, par le mépris de tous les biens & avantages qu’il pouvoit aisément obtenir, estant si prés de la source d’où ils découloient sur les autres. C’est là où il a fait voir sa fermeté inébranlable à soutenir les interests de Dieu & de l’Eglise, sa fidelité inviolable & son affection sincere au service de leurs Majestez ; son respect & sa soûmission envers les Prelats ; & enfin l’estime & l’amour qu’il conservoit en son cœur pour toutes les Communautez Ecclesiastiques & Religieuses. Nous rapporterons au second Livre plusieurs exemples considérables de toutes ces vertus, que son employ dans le Conseil luy a donné moyen de pratiquer ; & nous représenterons seulement icy quelques effets particuliers de son zele dans le retranchement de divers abus, touchant les Benefices & Dignitez de l’Eglise, & dans l’abolition d’autres désordres publics. Une des premieres choses qu’il fit dans ce nouvel employ, fut de porter la Reine & Messieurs du Conseil à prendre quelques résolutions touchant les qualitez requises en ceux qui seroient nommés aux Benefices, & sur d’autres points importants en ce mesme sujet ; afin de s’en servir comme de Regles certaines dans la disposition des Benefices dont la nomination appartenoit à sa Majesté. Mais comme c’est peu de prendre de bonnes résolutions, si on ne les observe ; il fit tout ce qu’il pût, afin que celles qui avoient esté prises, fussent exactement gardées. Lors-qu-il voyoit qu’on se relâchoit quelque peu de cette exactitude, il en rafraichissoit aussi-tost la memoire, & les faisoit renouveller, se plaignant avec une liberté respectueuse, de ce que les considérations purement humaines l’emportoient quelquefois par dessus celles qui regardoient le Service de Dieu & le bien de l’Eglise. DE PAUL. LIVRE. I . CHAP. XXVII. 275 Ayant reconnû qu’entre les Ecclesiastiques de la Maison du Roy & de la Reine, il s’en trouvoit plusieurs qui estant desja pourvûs de bons Benefices, ne laissoient pas d’en demander & d’en poursuivre d’autres ; en sorte qu’il arrivoit souvent que les plus incapables avoient plusieurs pensions & Benefices n& que ceux qui le meritoient davantagege- en estoient privez : pour remedier à ce desordre, il fit un liste de tous les Aumôniers, Confesseurs, Chapelains & autres Officiers de leurs majestez, où il marqua ceux qui estoient suffisamment pourveus, & les autres qui ne l’estoient pas ; & il veilla depuis soigneusement & fit tout ce qui dépendit de luy, afin que l’abondance des uns ne préjudiciast point à l’indigence des autres. Il y avoit en ce temps là plusieurs Gentils-Hommes estropiez à la guerre, qui demandoient avec instance des pensions sur des Benefices, pour recompense des services qu’ils disoient avoir rendus au Roy. M. Vincent les recommandoit volontiers à la Reine & à M. le Cardinal pour leur faire obtenir quelque recompense ; mais il ne pouvoit consentir que ce fust sur des biens Ecclesiastiques ; parce qu’ils n’avoient jamais vécu & n’estoient gueres disposez à vivre Ecclesiastiquement, comme doivent faire ceux qui ont de telles pensions. Il employoit une vigilance extraordinaire pour empescher qu’il ne se commist aucune Simonie n’y confidence dans la recherche des Benefices, & quand il en découvroit quelque chose, il avertissoit avec charité ceux qui les vouloient commettre ; & s’ils ne desistoient de leurs mauvais desseins, il les refusoit absolument. Mais comme il sçavoit bien que la malice des hommes est artificieuse pour se couvrir de divers prétextes, il prenoit soigneusement garde aux déguisement dont on se sert pour 276. LA VIE DU VENERABLE VINCENT cacher ce mal-heureux commerce ; & lors qu’il ne voyoit pas bien clair dans les permutations, démissions & autres traitez touchant les Benefices, il faisoit renvoyer ceux qui y pretendoient, jusqu’à ce qu’on eust un éclaircissement plus assuré. Il tenoit aussi la main afin qu’il ne se commist aucun abus dans les pensions, & qu’elles ne fussent point excessives ny trop onéreuses aux Bebefices sur lesquels elles estoient établies. Il s’est souvent opposé aux injustes prétensions de plusieurs, lesquels desirant ardemment de s’enrichir du bien de l’Eglise, & n’en pouvant avoir par des voyes droites, jettoient des Devolus sur les Benefices ; afin que par la crainte de leurs chicanes & de leur creditt, leurs légitimes Possesseurs fussent contraints de les leur ceder, ou de leur accorder au moins quelques pensions. Et parce que ces écumeurs du bien d’Eglise, pour rendre leurs poursuites moins odieuses, employoient ordinairement des prétextes specieux, quoy-que-faux & supposez ; il obligeoient ceux qui s’adressoient au Conseil touchant ces Devolus, avant que de leur en donner les Brevets, de justifier les causes sur lesquelles ils pretendoient se fonder ; ce que plusieurs ne pouvant faire suffisamment, ils representoient au Conseil qu’il n’y avoit pas lieu d’accorder leurs demandes, & les faisoit renvoyer. Il a etouffé par ce moyen une infinité de procédés dés leur naissance, & a redimé de plusieurs vexations injustes un grand nombre de bons Ecclesiastiques & vertueux Pasteurs, qui sans ce charitable Protecteur eussent esté souvent obligez d’abandonner leurs oüailles, & d’aller employer les mois & les années à solliciter des procès divers Tribunaux, pour se défendre des violences qu’on leur vouloit faire souffrir. Il ressentoit un extréme deplaisir voyant l’ar- DE PAUL. LIVRE. I . CHAP. XXXVII. 277 deur avec laquelle plusieurs desiroient aveuglément l’Episcopat, & faisoient tous les efforts pour se charger d’un fardeau, qui bien loin d’estre à désirer, seroit redoutable aux Esprits Evangeliques. Il ne pouvoit pas mesme approuver qu’on fist la moindre avance pour entrer dans aucun Benefice ; mais sur tout dans les Prelatures, dont l’élevation est environnée de précipices, où l’on ne peut faire que des chûtes déplorables, si l’on n’est appellé à cette Dignité par une vocation divine. C’est ce qu ’il a témoigné en plusieurs occasions, & nommément en celle qui suit. Un Aumônier du Roy, qui estoit homme de grande probité, se voyant pressé par ses parens de représenter ses longs services, & d’employer les recommandations de ses amis pour estre nommé à quelque Evesché, se trouva dans une grande perlexité d’esprit, ne sachant à quoy se resoudre. Il consideroit d’un costé que s’il ne parloit ou faisoit parler pour luy, il seroit mis en oubly, & ne s’avanceroit jamais : mais d’autre part il sentoit de la repugnance à ce procedé, qu’il connoissoit estre contraire à l’huimilité & à la modestie que requiert l’Etat Ecclesiastique. Il écrivit sur cela à M. Vincent, le priant de luy mander ce qu’il devoit faire. A quoy cét homme de Dieu répondit par des Maximes bien contraires au sentiment du monde, luy disant entre autres choses : comme il n’y a que « Dieu seul, qui dans l’inclination naturelle que les « hommes ont de s’élever, vous ait pû donner les « veues, & les mouvemens que vous avez ressentis de « faire le contraire, il vous donnera aussi la force de « les mettre à execution, & d’accomplir en cela ce « qui luy est le plus agreable. En quoy, Monsieur, « vous suivrez la Regle de l’Eglise, qui ne permet « pas qu’on se pousse soy-mesme aux Dignitez Eccle- « 278 LA VIE DU VENERABLE VINCENT « siastiques, & particulièrement à la Prelature ; & « vous imiterez le Fils de Dieu, qui estant Prestre « Eternel, n’est pas néanmoins venu de luy-mesme « exercer cét Office ; mais il a attendu que son Pere « l’ait envoyé. Vous donnerez une grande édifica« tion au siecle present, où par mal-heur il se trou« ve peu de personnes qui ne passent par dessus cette « Regle & cét exemple. Vous aurez la consolation, « Monsieur, s’il plait à Dieu de vous appeler à ce « divin employ, d’avoir une vocation certaine ; par« ce que vous ne vous y serez pas introduit par des « moyens humains. Vous y serez secouru de specia« les grâces de Dieu, qui sont attachées à une legiti« me vocation, & qui vous feront porter des fruits « d’une vie Apostolique, dignes de la bien heureu« se éternité ; ainsi que l’experience le fait voir dans « les Prelats qui n’ont fait aucune avance pour estre « Evesques, lesquels Dieu bénit manifestement en « leurs personnes & en leur conduite. Enfin, Mon« sieur, vous n’aurez point de regret à l’heure de la « mort de vous estre chargé vous-mesme du poids « d’un Diocese, qui pour lors paroist insupportable. « Certes je ne puis écrire cecy qu’avec action de gra« ces à Dieu, de vous avoir éloigné de la recherche « dangereuse d’un tel fardeau, & donné la disposition « de n’aller pas seulement au devant; c’est une grace « qui ne se peut assez priser ny chérir, &. Voilà le sentiment tres-remarquable de ce Saint Prestre, sur la necessité de la vocation divine aux charges Ecclesiastiques. Il estoit continuellement attentif aux occasions d’avancer la gloire de Dieu, & il employoit à cét effet tout le credit que sa vertu luy avoit acquis dans le Conseil de sa Majesté ; estimant ce jour-là heureux auquel il avoit empesché quelque mal, ou procuré quelque bien ; DE PAUL. LIVRE . I . CHAP. XXXVII. 279 Et parce que comme dit S. Cyprien, plus l’Etat des Vierges consacrées à Dieu est relevé & honorable, plus grand aussi doit estre le soin de le maintenir en sa perfection ; le déchet y estant d’autant plus à craindre, que le sexe est plus fragile ; il a pour cette raison étendu particulièrement sa charité sur les Abbayes & Monasteres de Filles ; soit pour y conserver le bon ordre, s’il y estoit desja étably ; soit pour le rétablir, s’il ne s’y trouvoit pas. Un de ses principaux soins pour cela a esté de maintenir le droit d’Election dans les Abbayes où il estoit en usage ; & il s’est fortement opposé aux prétentions de certaines Religieuses, lesquelles ne pouvant espérer de parvenir à la dignité d’Abbesses par voye d’élection, pour n’en avoir ny la capacité ny le merite, s’efforçoient d’y monter en s’appuyant sur l’authorité du Roy, & sur le credit de leurs parens. Il s’est comporté de mesme à l’égard de celles qui ayant esté éluës par la Communauté pour trois ans, selon l’usage de leurs Monastères, tâchoient d’obtenir des Brevets du Roy pour se perpetüer dans leur Charge.Surquoy un Prelat tres-vertueux qui avoit procuré l’Election d’une digne Religieuse pour la conduite d’une Abbaye, luy ayant voulu persuader que la perpetuité des Supérieures estoit plus avantageuse que la triennalité : Ce sage Prestre luy remontra avec respect & humilité, que les Elections triennales estoient pour beaucoup de raisons plus à souhaiter que les perpétuelles, à l’égard des Filles qui ont moins de fermeté dans le bien, & qui peuvent plus facilement se meconnoistre dans les grandes Charges, quand elle s’y voyent une fois établies pour toute leur vie. Outre qu’il ne pouvoit approuver en aucune façon les innovations qui se faisoient 280 LA VIE DU VENERABLE VINCENT contre un usage canoniquement étably dans les Communautez Religieuses. Il a encore soûtenu souvent pour ce mesme sujet de puissantes attaques, quand les Abbayes des Filles, qui estoient à la nomination du Roy, venoient à vacquer. Les brigues & les sollicitations estoient alors fort grandes pour des filles de naissance : mais comme il sçavoit par experience que le bon ou le mauvais ordre des Religieuses dépend principalement des Superieures, il tenoit ferme contre tous les respects humains, & procuroit de tout son pouvoir qu’on nommast pour Abesses celles que l’on sçavoit estre les plus capables, les plus éprouvées, & les plus exactes aux observances Regulieres. Pour la mesme raison il se montra inébranlable aux sollicitations de plusieurs Abbesses, lesquelles ayant quelques parentes Rel gieuses, les demandoient pour leurs Coadjutrices, ce qu’il ne jugeoit pas qu’on deust jamais accorder sans une evidencte nécessité. Son zele s’étendoit encore à empescher, autant qu’il pouvoit, toutes les offences qui se commettoient contre Dieu. Ayant appris que certains comediens representoient sur le Theatre des choses non seulement indécentes, mais aussi scandaleuses, & fort préjudiciables aux bonnes mœurs ; il fit voir à la Reine les pernicieux effets que cette licence pouvoit produire, & obtint par ses remontrances, que cela leur fut absolument défendu. Les troubles de l’Etat & les diverses entreprises contre le service du Roy, avoient obligé sa Majesté de s’assurer de plusieurs personnes suspectes & de les retenir dans la Bastille, où ils ne pratiquoient presque aucun exercice de pieté. M. Vin cent n’eut DE PAUL. LIV. I . CHAP. XXXVII. 281 pas plutost connoissance de ce besoin qu’il en procura le remedce, persuadant à un vertueux Ecclesiastique de la Conference de S. Lazare d’aller visiter ces Prisonniers, & de leur faire quelques Exhortations ; & par ce moyen les Prieres du matin et du soir furent introduites parmy eux, avec plusieurs autres pratiques Chrétiennes, au grand bien de leurs ames. Pendant quie le Demon allumoit de tous costez la guerre dans ce Royaume, & jet toit en tous lieux des semences de rebellion contre le service du Roy ; Il incitoit aussi plusieurs Esprits à se révolter contre Dieu, & à faire diverses entreprises contre la Religion. Il y en avaoitr entre autres qui taschoient de renouveller les damnables erreurs des Illuminez, & de les repandre en divers endroits de la France, particulier ment à Paris, & en quelques lieux du Diocese de Bazas. Nostre zelé Missionnaire ayant decouvert ce mal, procura par ses soins qu’on y apportast un remede si prompt & si efficace, que ce monstre fut étouffé dans son berceau, avant qu’il pust faire un plus grand degast dans l’Eglise. La liberté que chacun se donnoit pendant les troubles du Royaume, de parler comme bon luy sembloit des choses qui concernoient la Religionn, aussi-bien que de celles qui regardoient l’Etat, ouvrit la porte à une licence encore plus pernicieuse, d’écrire & de publier toutes sortes de libelles, mesme contre la foy & les bonnes mœurs. M. Vincent l’ayant representé au Conseil, fit en sorte que cette licence fut reprimée ; l’ordre ayant esté donné de chercher & de saisir les mauvais livres, avec défenses aux Imprimeurs & Libraires d’en imprimer ou de debiter sous de griéves peines. Ce saint homme a aussi contribué en toutes les manieres qu’il a pû, soit par ses remontrances, soit 282LA VIE DU VENERABLE VINCENT par ses sollicitations à faire abolir la pratique damnable des Duels ; ce qui a esté enfin heureusement executé par la piété de la Reine, & par l’authorité du Roy ; Dieu ayant voulu réserver la gloire de cette défaite à notre grand Monarque, & signaler les premieres années de son Régne par un exploit heroïque, qui a sauvé la vie du corps & de l’ame à un million de Gentils-hommes François, & empesché la ruine d’une infinité de Familles. M. Vincent n’a pas moins travaillé pour deraciner les Blasphemes, ayant procuré qu’on renouvellast les anciennes Ordonnances contre ce détestable crime, & proposé divers moyens pour l’exterminer entièrement. On a desja commencé à voir des effets de ses soins & de ses vœux sur ce Sujet, & il faut espérer que Dieu ayant égard aux Ardentes Prieres qu’il luy a offertes à cette fin, insPirera à notre incomparable Monarque d’emPloyer les moyens les plus efficaces, & s’il est neCessaire, le fer & le feu, à l’imitation de S. loüis Son Ayeul, pour purifier bson Etat de cette gangrene Infernale, qui le corrompt & l’infecte, mesme en ses Plus nobles parties. Nous passons sous silence plusieurs autres services considérables que ce tres-digne Prestre a rendus à Dieu, pendant qu’il a esté employé dans le Conseil du Roy ; mais nous ne devons pas ômettrte icy une circonstance fort remarquable, & qui fait voir clairement la pureté de son zele. Il avait dans cet employ des occasions tres-favorables pour procurer à sa Congregation naissante de puissans secours d’amis & de biens, afin de l’affermir & de l’étendre, & pour l’aider à soutenir les grandes dépenses qu’elle fait gratuitement au service de l’Eglise. Il ne voulut point néanmoins se servir de ce moyen qui luy estoit facile & permis, & ne demanda ja- DE PAUL. LIV. I . CHAP. XXXVIII. 283 mais ny bénéfice, ny autre chose pour aucune Maison de sa Congregation. Ce qui semble encore plus admirable en ce sujet, est qu’il ne voulut pas mesme demander aucune recompense ny dedommagement pour les grandes pertes qui furent causées à sa Maison de S.Lazare pendant les guerres Civiles, en haine de sa fidelité & de son attachement au service du Roy ; bien qu’il s’employast volontiers à demander de semblables grâces pour d’autres pertes que luy ; & qu’il y ait grande apparence que la Reine, qui avoit une estime partticuliere de sa vertu, ne luy eust pas refusé, ce qu’elle accordoit facilement aux autres à sa recommandation. Il courut mesme un bruit pendant quelques jours qu’il alloit estre Cardinal, jusques-là que plusieurs personnes luy en firent compliment : mais quoy-qu’on ne sache pas si sa Majesté eut ce dessein, comme on le disait publiquement ;l’on peut bien assurer que l’humilité de ce serviteur de Dieu, qui n’estoit pas moindre que son dés-interessement, luy eust fourni des raisons assez puissantes pour l’en dissuader. _____________________________________ CHAPITRE XXXVIII. Ce qu’il a fait pour le bien spirituel des filles de la Congregation de la Croix COMME la charité de M. Vincent n’estoit bornée à aucune œuvre particuliere, mais s’étendoit à toutes celles où il voyoit que Dieu pouvoit estre glorifié ; l’on n’a presque point fait de son temps d’œuvres publiques de pieté, auxquelles DE PAUL. LIVR. I . CHAP. XXXVIII. 284 il n’ait contribué de son entremise, ou du moins de ses avis ; en voicy un exemple considerable. Madame Marie l’Huillier veuve de M. Claude Marcel Conseiller du Roy en ses Conseils ; Maistre des Requettes ordinaires de son Hôtel, & Seigneur de Villeneuve ; avoit dessein depuis long-temps de fonder une Congregation de Filles, lesquelles se consacrant à Dieu sous un habit seculier, s’employassent à procurer le salut des personnes de leur sexe. Ce dessein luy avoit esté inspiré par cet illustre & incomparable Prelat S. François de Sales Evesque de Geneve, sous la direction duquel elle avoit esté plusieurs années. Ce grand Saint luy dit un jour, que comme il se trouvoit dans l’Eglise des Maisons & Seminaires, où l’on recevoit & instruisoit charitablement les hommes à la vertu & aux devoirs du Christianisme ; il estoit aussi à souhaiter qu’il y eust quelque Institut de Filles, qui enreprissent le mesme en faveur des personnes de leur sexe & qui s’appliquassent principalement à les former à la vertu & à la pieté Chrétienne. Il ajouta mesme que si Dieu luy en donnoit le temps, il vouloit y travailler ; mais la mort l’ayant prévenu, cette vertueuse Dame se sentit intérieurement pressée d’y mettre la main. Il y avoit prés de quinze ans qu’elle cherchoit les moyens, lors-que la Providence luy en présenta une occasion fort favorable en l’année 1636. La guerre continüoit alors entre les deux Couronnes, & les ennemis ayant assiegé Corbie, & fait irruption dans la Picardie, avoient jetté l’épouvante dans cette Province, & obligé les peuples de se réfugier à Paris. Il y avoit des Filles dévotes dans une petite ville de Picardie, qui vivoient ensemble & qui tenoient les petites écoles où elles instruisoient les filles avec beaucoup de soins & de charité DE PAUL. LIV . I . CHAP. XXXVIII. 285 La peur des violences que les soldats exerçoient, les fit venir à Paris, où s’estant adressées à Madame de Ville-neuve, elle les accueillit favorablement & les secourut dans leurs besoins. Comme elle les vit disposées à prendre les petits emplois qu’elle voudroit leur procurer, elle se resolut de faire un essay du dessein qu’elle avoit formé, pour reconnoistre si la chose luy reüssiroit. Elle les envoya donc à la campagne en un lieu éloigné de Paris de cinq à six lieües, où elle exerça pendant quatre ans aux petites écoles & à divers autres emplois de charité envers les personnes de leur sexe. Après les avoir suffisamment éprouvées en ce lieu-là, & reconnu par experience le bien qui reviendrait au Public, si elle pouvoit faire une Communauité de ces bonnes Filles ; elle fit choix de celles qu’elle jugea propres pour son dessein, & les fit venir à Paris avec quelques autres jeunes filles qu’elle avoit prises d’ailleurs ; & les ayant tenües quelque-temps auprès de sa personne, elle donna commencement à sa Congregation. Elle ne voulut pas se fier à ses propres lumières dans une entreprise de cette importance ; mais elle consulta auparavant plusieurs grands Serviteurs de Dieu, & principalement M. Vincent, dont elle avoit conceu une tres haute estime, par la connoissance particuliere qu’elle avoit de sa vertu & de sa capacité. Ce grand homme ayant reconnu la bonté de l’œuvre, l’encouragea à l’entreprendre ; & comme elle eut le bien de conférer souvent avec luy sur ce sujet, il luy donna plusieurs bons avis pour la conduite de cette œuvre, & pour l’aider à bien former les filles qui la devoient soutenir avec elle. Ayant eu ensuite l’Approbation de M. l’Archevesque de Paris, & fait verifier au parlement les Lettres Patentes du Roy qu’elle avoit obtenües, la 286 LA VIE DU VENERABLE VINCENT Congregation des Filles de la Croix fut établie, & repandit en peu de temps une si bonne odeur de sa pieté & de sa vertu, que Madame la Duchesse d’Aiguillon, qui avoit par sa liberalité & par ses soins beaucoup contribué à cette Fondation, voulut avoir quelques-unes de ces filles en la ville d’Aiguillon & en d’autres lieux, afin qu’elles s’y employassent aux œuvres de charité conformes à leur Institut. Mais comme les ouvrages de cette nature ne se forment qu’avec le temps, plusieurs années se passerent avant que cette Congregation fust mise en etat de subsister. Les grandes & continüelles infirmitez de Madame de Villeneuve y apporterent beaucoup de retardement ; & enfin elle fut prevenüe de la mort avant qu’elle pust donner la derniere perfection à ce qu’elle avoit si bien commencé. Ainsi les bonnes filles demeurerent orphelines & perdirent leur mere au temps où elles en avoient plus besoin. Elles virent en cette conjonction leur Congregation naissante sur le point de sa ruine. On les attaqua de toutes parts à l’occasion de la mort de cette bonne Dame, & elles furent obligées à soutenir plusieurs procès touchant le temporel de leur Congregation, lorsqu’elles estoient sans appuy, sans conseil, sans experience & sans moyens de subvenir aux frais. Il y avoit à la verité plusieurs personnes de vertu & de condition qui desiroient s’employer pour faire subsister cette Congregation ; mais on trouvoit de si grandes difficultez & des traverses si fâcheuses, que les plus affectionnez à sa conservation, concluoient presque tous à la dissoudre. Surquoy M. Vincent ayant esté consulté, & plusieurs assemblées, ayant esté tenües en sa presence, il fut absolument d’avis qu’on devoit soû- DE PAUL. LIV. I . CHAP. XXXVIII. 287 tenir cette Congregation naissante par tous les moyens possibles ; & les grands obstacles qu’on opposoit à cette resolution, ne purent jamais luy persuader le contraire. En quoy son sentiment fut d’autant plus remarquable, qu’il estoit d’ordinaire assez tardif à se resoudre dans les affaires de cette nature, & qu’il n’approuvoit pas légèrement les Etablissement nouveaux. Il conseilla pour lors à une vertueuse Dame, dont il connoissoit le zele & la Charité, d’entreprendre cette bonne œuvre & de se rendre la Protectrice & comme Tutrice de ces Filles orphelines. Ce fut Madame Anne Petau veuVe de M. Renauld Seigneur de Traverzay, & ConSeiller du Roy en son Parlement de Paris, laquelLe déferant à cet avis de M. Vincent, s’est employée Avec une affection infatigable à soutenir & à déFendre les interests de la Congregation des Filles de La Croix ; & ayant surmonté par le secours de Dieu Tous les obstacles qui luy estoient les plus contraiRes, elle l’a mise en etat de subsister, & de rendre, Comme elle fait, un service utile à l’Eglise. M. Vincent ne se contenta pas d’avoir relevé de la sorte cette Congregation qui sembloit estre sur le panchant de sa ruine, & de luy avoir procuré un secours si favorable ; il exhorta encore un Ecclesiastique qu’il jugeoit propre pour cét effet, d’accepter sous le bon plaisir de M. l’Archevesque de Paris, la Charge de Superieur de ces vertueuxses Filles, afin de les aider à se perfectionner en leur état, & de suppléer aux choses qui n’avoient peu estre faites du vivant de Madame de Villeneuve. Il luy donna ensuite en divers rencontres plusieurs avis tres utiles touchant leur conduite ; & depuis ce temps-là il a plû à Dieu de répandre une bénédiction toute particuliere sur cette Congregation, en sorte qu’elle a contribué & contribuë en- 288 LA VIE DU VENERABLE VINCENT core tous les jours à la sanctification & au salut de plusieurs ames. Les Filles qui la composent ont pour but de former le personnes de leur sexe à une vie vraiment Chrétienne ; ce qu’elles ne font pas seulement par le soin qu’elles prennent de dresser celles qui se presentent, pour les rendre capables d’instruire utilement les autres selon leur Institut ; mais encore par diverses assistances spirituelles qu’elles donnent aux filles & aux femmes, en les instruisant des choses nécessaires à salut, soit en les disposant à faire des Confessions generales, soit en les recevant quelques jours en leur maison pour y apprendre dans les exercices de la retraite, à s’acquiter de tous les devoirs de leur condition. Or comme M. Vincent est après Dieu celuy qui leur a tendu la main pour les soutenir, & pour garantir leur Congregation d’une chûte dont elle ne se fust peut-estre jamais relevée ; & comme c’est luy qui a d’ailleurs fort contribué par ses sages conseils à les mettre dans le bon état où elles se trouvent ; elles se confessent obligées de le reconnoistre, sinon pour leur Fondateur, au moins pour leur Restaurateur, & de remercier Dieu d’avoir pourvû si à propos à leurs besoins, soit spirituels soit temporels, par l’entremise de son fidéle Serviteur. DE PAUL. LIV. I . CHAP. XXXIX. 289 CHAPITRE XXXIX. Il sort de Paris pendant les troubles de l’année 1649 & visite plusieurs Maisons de sa Congregation. C E Royaume avoit joüy d’un grand calme pendant les premières années de la Regence de la Reine Mère, & cette sage Princesse y avoit jusqu’alors maintenu heureusement la paix, pendant qu’elle employoi t les armes au dehors pour repousser les efforts des ennemis. Mais soit que nos pechez nous rendissent indignes de joüir plus longtemps d’un si grand bien, ou que Dieu pour d’autres justes raisons qui nous sont inconnües, nous en voulust priver ; ce calme fut suivy d’une des plus violentes tempestes dont la France ait esté agitée depuis long-temps. L’orage commença à éclater sur la fin de l’ année 1648. & donna sujet à leu rs Majestez d’allere à Germain en Laye au mois de Janvier de l’année suivante. Les troupes s’estant depuis approchées de cette grande ville, elle fut incontinent bloquée & bien-tost reduite à de fâcheuses extremitez. La premi ere chose que fit alors M. Vincent, fut de mettre sa Communauté en prieres pour demander à Dieu le secours de sa misericorde, prévoyant bien que l’affliction publique seroit grande , si cette division duroit. Ensuite il crût qu’il devoit faire tout ce qu’il pourroit afin d’y apporter quelque remede ; & dans cette veuë il se resolut d’aller trouver leurs Majestez à S. Germain, & de prendre occasion, après leur avoir fait offre de ses tres-fidéles services, de représenter à la Reine avec toute l’hu- 290 LA VIE DU VENERABLE VINCENT milité possible, ce qu’il pensait selon Dieu estre le plus expedient pour moyenner la paix & la tranquilité de l’Etat. Dans cette resolution il partit de S. Lazare le 13 du mesme mois de Janvier ; & afin que sa sortie ne donnast aucun ombrage, il fit en mesme temps porter de sa part une Lettre à M. le Premier President, par laquelle il luy declaroit le mouvement que Dieu luy avoit donné d’aller à S. Germain, pour tascher de procurer la paix ; & que s’il n’avoit pas eu l’honneur de le voir avant que de sortir, c’estoit pour pouvoir assurer la Reine qu’il n’avoit concerté avec personne ce qu’il avoit à luy dire. Il crût devoir user de cette précaution pour deux fins : L’une pour ôter tout soupçon à la Cour qu’il eust eu aucune communication avec ceux du party contraire, & pour avoir moyen de parler plus efficacement à sa Majesté, quand elle seroit assurée qu’il luy parloit seulement selon les mouvemens qu’il en avoit receus de Dieu. L’autre, pour ne pas mécontenter le Parlement, qui auroit pû trouver à redire qu’un homme, comme luy, eust quitté Paris de la sorte, s’il n’avoit donné avis de son voyage & de son dessein à quelqu’un des principaux de ce Corps.. Estant don c parti de grand matin, il arriva à S. Germain sur les neuf à dix heures, non sans peril, à cause du débordement extraordinaire des eaux, & des courses que les soldats faisoient de tous côtez. Il se présenta à la Reine & luy parla prés d’une heure. Ensuite il alla trouver M. le Cardinal Mazarin, avec lequel il eut aussi une assez longue conference. Il fut receu & écouté favorablement de sa Majesté & de son Eminence, parce qu’ils connoissoient assez la sincerité de son cœur & la droiture de ses intentions. Et bien que sa remontrance n’eust pas alors l’effet qu’il desiroit, les affaires n’é- DE PAUL. LIV. I . CHAP. XXXIX 291 tant pas encore disposées à un accomodement ; il eut au moins cette satisfaction d’avoir témoigné sa fidelité pour le service de leurs Majestez, son zele pour le bien public, & son affection pour le soulagement des pauvres, lesquels quoy qu’innocens, estoient néanmoins les plus exposez aux coups de cette tempeste. Ayant ainsi exécuté ce pour quoy il estoit allé à S. Germain, il en partit le troisiéme jour pour aller à Ville-preux, ne croyant pas pour beaucoup de raisons devoir retourner à Paris. Il eust pû facilement se retirer en divers lieux commodes & assurez, soit à la campagne, soit aux villes voisines, pour se mettre à couvert de la rigueur du temps & de la violence des soldats : Mais comme il cherchoit à souffrir & à faire penitence pour apaiser la colere de Dieu, & non pas à se garantir des incommodités auxquelles la raison & les troubles l’exposoient il partit de Ville-preux, & choisit pour le lieu de sa demeure une petite ferme de la Maison de S. Lazare qui est situé dans un pauvre hameau d’un village de la Beausse nommé Val-de-puisseaux à deux lieuës d’Estampes. Pendant un mois qu’il y sejourna, on peut vraiment dire qu’il ne se sustenta que de pain de tribulations & de l’eau d’angoisse. C’estoit durant un Hyver extrêmement rude ; dans un lieu fort exposé aux courses des gens de guerre, & dans un logement si pauvre, qu’on y manquoit de toutes les commoditez nécessaires à une personne de son âge ;On n’y trouvoit que du pain noir & insipide fait de seigle & de féves, qui estoient néanmoins la principale nourriture ; & quand le Frere qui l’accompagnoit, en envoyoit chercher d’autre un peu meilleur à deux lieuës de là, il le distribuoit à ce mesme Frere, & à quelques paysans qu’il faisoit manger avec luy. Il n’ômit point la lecture de table, 292 LA VIE DU VENERABLE VINCENT & luy-mesme le faisoit après avoir mangé quelques morceaux, pendant que les autres achevaient de prendre leur repas. Il n’eut pas moins à souffrir de la rigueur du froid, que du defaut de la nourriture ; car il n’y avoit aucune provision de bois en ce pauvre lieu, & l’on estoit contraint d’aller couper quelques brossailles vertes, qui se consumoient au feu presque sans chauffer. La peine qu’il enduroit en son corps n’estoit pas comparable à l’amertume dont son cœur estoit noyé. Il estoit là, comme un autre Jeremie, déplorant les pechez du peuple, & offrant à Dieu ses larmes & ses souffrances, afin d’obtenir misericorde pour ce Royaume desolé. Il prit occasion des miseres publiques, d’exhorter par de ferventes Predications les habitans du lieui & ceux de quelque autre village voisin à faire penitence , , & à tirer profit de l’affliction que Dieu leur e envoyoit ; & les yant disposez à se confesser, il les entendit avec M. le Curé, & un autre Prestre de sa Congregation. Cependant la Maison de S. Lazare souffroit de grandes vexations depuis son depart. Les Fermes qu’elle possède auprès de Paris & dont elle tire sa principale subsistance, avoient esté pillées par les soldats, les meubles emportez, les troupeaux enlevez avec dix huit ou vingt muids de froment. On avoit mesme logé dans S. Lazare six cens hommes qui y faisoient d’étranges ravages, & l’on s’estoit saisi des portes de la Maison & des greniers pour faire transporter les grains & les farines aux halles, par l’ordre d’un Conseiller qui disoit en avoir charge du Parlement. Il est vray que cette commission ne s’estant pas trouvée veritable, le Parlement fit sortir les soldats, & rendre les clefs de la Maison ; mais les dommages ne furent point reparez. M. DE PAUL. LIV. I. CHAP. XXXIX. 293 Vincent fit voir en cette rencontre une patience heroïque, endurant toutes ces rudes epreuves sans aucune plainte ny murmure. On venoit tous les Jours, luy rapporter tantost une perte & tantost une autre ; à quoy ce saint homme, comme un autre Job, ne repondoit autre chose sinon : Beny soit Dieu, Beny soit Dieu. Et écrivant en ce mesme temps-là A M. Lambert qui estoit son Assistant dans la Maison de S. Lazsare, il luy dit ces paroles : J’ay esté bien consolé d’apprendre par vostre Lettre que vous & toute la Compagnie recevez avec joye l’enlevement de vos biens. Je vous assure, Monsieur, qu’il ne me reste d’autre peine de ces grandes pertes, que celle de vous voir dans le travail extraordinairere dont vous estes chargé, &c. C’est dans ces sentimens d’une parfaite resignation qu’il receut les divers sujets d’affliction dont Dieu éprouva sa constance, pendant un mois environ qu’il demeura en ce pauvre hameau du Valde –Puisseaux. Cependant V oyant qu’il ne pouvoit assister de sa presence ses chers Enfans qui vivoient à S.Lazare dans la persecution, il se resolut d’aller visiter ceux qui estoient dans les autres Maisons de sa Congregation. Dans ce dessein il partit de cette petite ferme au commencement du caresme ; nonobstant la rigueur de la saison qui rendoit les voyages dangereux ; & il s’en alla droit au Mans en une Maison de sa Congregation. Après qu’il y eut fait la visite, il se mit en cheminn pour aller à Angers ; & passant une petite riviere assez prés de Durtal, son cheval se coucha & le renversa dedans, de sorte qu’il eust esté bien-tost noyé dans le prompt secours qu’on luy donna. Mais ce qui fait voir combien son esprit estoit uny à Dieu, c’est qu’en cet accident il n’ouvrit point la bouche soit pour de- 294. LA VIE DU VENERABLE VINCENT mander secours, soit pour se plaindre du froid, & ayant esté tiré de l’eau tout trempé, il remonta à cheval sans qu’il parust aucune emotion sur son visage. Il poursuivit son chemin, après s’estre un peu arresté dans une petite chaumine, où à grand’ peine pût-il trouver de quoy se sécher, & il demeura sans manger jusqu’au soir qu’il arriva fort fatigué dans une hostellerie. Il pouvoit bien dire à l’imitation de Nostre-Seigneur, que sa prin cipale nourriture & son plus grand repos estoit d’accomplir l’œuvre de Dieu en procurant le salut des ames ; car dés qu’il fut arrivé en cette maison, au lieu de se reposer & de prendre sa refection, il s’appliqua, selon sa coutûme ordinaire, à catéchiser les Serviteurs & domestiques ; ce que voyant la Maîtresse du logis, elle fit venir tous les enfant du Bourg & les conduisit à sa chambre, dequoy il la remercia fort ; & ayant separé ces enfant en deux bandes, il fit le catechisme à l’une, & le fit faire à mesme temps à l’autre par le Prestre qui estoit avec luy. Il séjourna cinq jours à Angers, & y fit la visite des Filles de la Charité qui servent les malades de l’Hôpital. Ensuite il s’en alla en Bretagne, où approchant de Rennes il luy arriva un accident qui le mit dans un tres-grand danger de sa vie ; car passant sur un petit pont de bois entre un moulin & un estang fort profond, son cheval vinbt à s’ombrager de la roüe du moulin, & se recula en telle sorte qu’il avoit desja un des pieds de derrière presquehors du pont, & estoit sur le point de se précipiter dans l’estang, si Dieu par une assistance comme miraculeuse, ne l’eust retenu & arresté tout court. M. Vincent se voyant hors de ce danger avoüa qu’il n’en avoit jamais échappé de sembla- DE PAUL. LIV. I . CHAP. XXXIX. 295 ble &benissant Dieu d’une protection si évidente, il pria celuy qui l’accompagnoit de l’aider à en remercier sa Divine bonté. Il desiroit passer inconnu dans tout le cours de ce voyage ; c’est pourquoi il n’avoit fait jusqu’à lors aucune visite de compliment & de civilité à personne, ny à Orleans, ny au Mans, ny à Angers, ny aux autres lieux où il avoit passé. Ilvouloit faire le mesme à Rennes, qui estoit son chemin pour aller en une Maison de sa Congregation à huit lieuës au-delà dans le Bourg de S. Méen ; mais ayant esté reconnu à l’entrée de la Ville qu’il trouva dans l’émotion au sujet des troubles du Royaume, une personne qui avoit authorité luy demanda dés le lendemain matin, que son séjour estoit suspect à cause de son employ dans le Conseil ; qu’on avoit dessein de le faire arrêter, & qu’il luy en donnoit avis afin qu’il sortit à l’heure mesme de la Ville.M. Vincent receut ce congé comme une faveur, & se disposa à l’heure mesme pour partir ; mais comme on selloit son cheval, un Gentil-homme logé dans la mesme hostellerie, & fort passionné pour le party contraire au service du Roy, luy dit tout-haut : M. Vincent sera bien étonné si à deux lieuës d’icy on luy donne un coup de pistolet dans la teste, & en mesme temps il sortit. Mais ce serviteur de Dieu ne fut aucunement é émû de cette menace, parce qu’il Avoit mis toute sa confiance en la divine Providence, & qu’il estoit toûjours disposé à la mort ; ce qu’il témoigna au Missionnaire qui l’accompagnoit & qui vouloit le détourner de se mettre en chemin, auquel il dit : Je ne me soucie gueres de mourir allons, allons. Neanmoins un Ecclesiastique de sa connoissance venu visiter en cette hostellerie, l’empescha de partir ce jour-là, & luy persuada d’aller voir 296. LA VIE DU VENERABLE VINCENT M. le premier President & quelques autres, desquels il fut receu fort civilement. Le lendemain comme il estoit sur son départ, on vit rentrer ce mesme Gentil-homme, qui après l’avoir menacé dele tuër estoit sorty & avoit couché hors la Ville, ce qui donna sujet de croire qu’il l’estoit allé attendre sur le chemin pour faire ce mauvais coup. M. Vincent arriva à S. Méen le Mardy de la Se-` maine Sainte, & y demeura quinze jours, pendant lesquels il se tint la plupart du temps au Confessionnal pour entendre les pauvres qui viennent de tous costez en pelerinage à ce saint lieu, afin d’y recevoir la guerison de leurs incommoditez, laquelle Dieu leur accorde fréquemment par l’interces sion de Saint Méen. Il s’en alla delà à Nantes pour quelque affaire de pieté, & ensuite à Luçon dans le dessein de passer à Saintes & puis en Guyenne pour y continuër la visite des maisons de sa Congregation. mais ayant receu ordre exprés de la Reine de s’en revenir à Paris, où le Roy estoit alors retourné il s’en vint à Richelieu où il tomba malade. MaDame la Duchesse d’Aiguillon l’ayant sceu, luy envoya un petit carrosse avec deux de ses chevaux & un de ses cochers, pour le ramener dés qu’il seroit en état de se mettre en chemin. On luy avoit donné ce mesme carrosse deux ans auparavant à cause de l’incommodité de ses jambes ;mais il ne l’avoit pas seulement voulu voir, bien-loin de s’en servir ; & parce que les personnes qui luy avoient envoyé refuserent de le reprendre, il estoit demeuré inutile dans un coin de la basse-cour. Enfin, ayant laissé dans toutes les Maisons qu’il visita durant ce voyage, une grande consolation à ses Enfans spirituels, & une tres-bonne odeur de l’humilité, de la cordialité, dela douceur, & de DE PAUL. LIV. I . CHAP XXXIX. 297 toutes les autres vertus dont il leur donna les exem ples, il retourna à Paris au mois de Juillet de l’an 1649, après six mois & demy d’absence. Aussitost qu’il fut arrivé, il renvoya les chevaux à Madame la Duchesse d’Aiguillon avec mille remerciemens ;mais elle les luy fit ramener, disant qu’elle les luy avoit donnez pour s’en servir. Il les refusa derechef luy faisant savoir qu’il estoit dans la resolution de demeurer plustost toute sa vie dans la maison, que d’avoir un carrosse. Mais la pieté de cette Dame fut plus forte que les excuses de cét humble Prestre, car elle les renvoya jusqu’à la troisiéme fois, protestant qu’elle ne les reprendroit jamais. Il fut ainsi forcé de les prendre malgré luy, non pas pourtant afin de s’en servir à tirer un carrosse, mais pour les employer aux usages ne cessaires de la maison. Le grand voyage qu’il venoit de faire en Bretagne & en Poitou avoit tellement accrû le mal de ses jambes, qu’il ne pouvoit plus monter à cheval ny en descendre, ny mesme tenir dessus qu’avec peine & danger de sa personne ; de sorte qu’il estoit reduit à demeurer le reste de ses jours à S. Lazare sans pouvoir sortir. On avoit beau luy representer que tant de bonnes œuvres qu’il avoit établies ne pouvoient subsister, s’il ne les maintenoit par sa présence, & s’il n’alloit & venoit pour y vacquer, il repondoit toûjours à ces raisons : Que Dieu par sa bonté suppléeroit à son impunissance, & qu’il ne demandoit rien de luy au delà de ses forces. Plusieurs personnes s’efforcerent de gagner cela sur son esprit ; mais ils ne le purent obtenir, & son humilité surmonta toutes leurs instances ; & si la Reine mesme & M. l’Archevesque de Paris, à qui cela fut rapporté, n’y eussent 298 VIE DU VENERABLE VINCENT interposé leur authorité, & ne luy eussent fait un commandement exprés d’aller en carrosse, il ne l’eust jamais fait. Il se servit quelque temps des chevaux que Madame la Duchesse d’Aiguillon luy avoit donnez ; mais il les fit vendre un peu après, parce qu’il luy sembloient trop beaux, & en prit d’autres de moindre valeur, qu’il faisoit employez à la charruë, & à la charrette quand il n’estoit pas obligé de sortir. Il voulut encore depuis avoir d’autres chevaux plus petits, & mesme se contenter d’un seul ;mais on luy fit voir que cela ne se pouvoit veu qu’il estoit souvent obligé d’aller en divers quartiers de Paris fort éloignez, avec un Missionnaire qui luy tenoit compagnie. Il estoit pour lors âgé de soixante-quinze ans & tellement incommodé, qu’il avoit bien de la peine à se lever quand il estoit assis. De sorte que ce n’a esté que par obéissance & par necessité qu’il s’est servy pendant huit ans de ce carrosse, avec une extréme répugnance & confusion : ce qu’il témoignoit assez ne l’appelant que son iognominie & son infamie quoy-qu’il fust si pauvre & si chétif, qu’il estoit souvent l’objet de la risée des enfant. Cependant il luy a donné moyen de travailler durant ce tempslà à plusieurs affaires tres importantes pour la gloire de Dieu, & pour le service de l’Eglise, auxquelles sans cela il n’auroit pû s’employer. DE PAUL. LIV. I . CHAP. XL. 299 _________________________________ CHAPITRE XL. Il a assisté les pauvres habitans des Frontieres de Champagne & de Picardie ruinez par les guerres COMME les maladies de longue durée qui degenerent en langueur, donnent beaucoup d’ennuy au Medecin, & l’obligent souvent à abandonner le malade, quand il ne sçait plus quel remede employer pour sa guerison ; l’on peut dire de mesme qu’il y avoit quelque sujet de se refroidir dans l’assistance des Pauvres, dont le nombre & les miseres croissoient tous les jours par le malheur des guerres qui affligeoient la France Mais sur tout l’extréme desolation des Frontieres de Champagne & de Picardie, qui arriva ensuite de tant de maux, eust esté capable d’abattre un cœur moins rempli de confiance & de charité que celuy De M. Vincent, & de le détourner après toutes les pertes, dont nous avons parlé, d’entreprendre le secours d’un si grand nombre de pauvres reduits à la derniere necessité. Ce fut toutefois en cette occasion que ce Saint homme fit paroître excellemment la grandeur de son courage & la force de sa charité ; car s’élevant comme la palme avec d’autant plus de vigueur qu’il se voyoit chargé, & se confiant plus que jamais en la toute-puissante bonté de Dieu, il embrassa cette œuvre si difficile avec la mesme ardeur qu’il avoit fait toutes les autres. Les Peuples de ces Provinces commencerent l’an 1650, à ressentir plus vivement les rigueurs 300 LA VIE DU VENERABLE VINCENT de la guerre ; & l’on en reconnut particulièrement les funestes effets, lors-que les Armées se retirerent Languor prolixior gravat medicû Eccl. 10. 11. des environs de Guise ; car elles y laisserenent quantité de soldats malades, lesquels s’efforçant de s’approcher des villes, mouroient sur les chemins, privez des sacremens, & de toute assistance humaine. Quelques passans ayant vû ce triste spectacle, en porterente la nouvelle à Paris, où tout le monde se réjouïssoit alors de la retraite des ennemis, mais fort peu de personnes sse mirent en peine de secourir ces pauvres abandonnez. Nostre charitable Prestre, fut sensiblement touché de leur necessité, & en parla aussi- tost à Madame la Presidente de Herse, qui luy donna cinq cens livres en argent. Il fit partir à mesme temps deux de ses Missionnaires avec cette aumône, & quelques provisions de sa maison, pour aller sauver la vie de ces pauvres moribonds, & pour disposer à la mort ceux qui ne la pourroient échapper. Ces Missionnaires trouverent sur les chemins un si grand nombre de pauvres languissans couchez le lond des hayes, qu’ils consumerent en peu de temps toutes leurs provisions ; & estant allez aux villes les plus proches pour en acheter d’autres, ils furent bien etonnez d’y voir des besoins presque aussi grands qu’à la campagne. Ils en écrivirent incontinent à leur charitable Superieur, & luy manderent que la desolation estoit generale dans tout le païs. Que les Armées avoient moissonné tous les grains, pillé & brûlé les maisons, & depouillé les peuples jusqu’à la chemise. Que la plus grande partie des gens de la campagne avoient quitté leur demeure pour aller chercher leur vie dans les villes, où ne trouvant aucun soulagement ils mouroient accablez de misere. Que ceux qui n’avoient pû s’enfuïr, & entre autres les malades, les vieillards, & les orphelins estoient DE PAUL. LIV. I . CHAP. XL. 301 dans un abandonnement déplorable. Qu’on les voyoit en des masures couchez sur la terre, ou sur un peu de paille pourrie, exposez à toutes les injures de l’air, & délaissez de leurs parens & amis. En un mot qu’ils estoient tous à la veille de perir de faim & de froid, s’ils ne recevoient un prompt & abondant secours. M. Vincent ayan,t receu ces tristes nouvelles, eut recours premièrement à Dieu, & implora instamment sa misericorde infinie en faveur de ces Peuples affligez. Ensuite il s’adressa aux Dames de la Charité, & leur proposa d’entreprendre le secours de cette multitude inombrable de pauvres. Il y avoit beaucoup de raisons qui sembloient plus que suffisantes, pour les dissuader de cette grande entreprise. La Lorraine avoit desja épuisé des sommes immenses ; les aumônes qu’on estoit obligé de faire dans Paris & aux environs, laissoient peu d’esperance de trouver de quoy en faire de nouvelles dans les autres lieux ; & les miseres communes qu’on avoit souffertes pendant les premiers troubles, avoient reduit les personnes les plus riches dans un état où elles ne pouvoient plus faire ce qu’elles avoient fait par le passé. Neanmoins lors-que ces pieuses Dames eurent entendu sur ce sujet le Discours extrêmement touchant de ce charitable Pere des pauvres, elles fermerent les yeux à toutes les considérations humaines, pour suivre la volonté de Dieu qui leur estoit manifestée par l’organe de son Serviteur ; & ayant pris sur l’heure une généreuse resolution de secourir ces Provinces desolées, elles amasserent des aumônes considérables pour les faire distribuer sur les lieux. M. Vincent envoya aussi-tost plusieurs de ses Missionnaires qui visiterent toutes les villes & les villages de ces frontières ruïnées, & travaillerent avec beau- 302 LA VIE DU VENERABLE VINCENT Coup d’assiduité & de courage à l’assistance des personnes nécessiteuses. Outre tous ces Missionnaires qui furent divisez en plusieurs Dioces, ce sage Superieur en établit un comme Intendant de cette charitable entreprise, pour avoir une veu générale sur tous les autres. Celuy-cy alloit continuëllement d’un costé & d’autre pour reconnoistre la veritable necessité des lieux ; il choisissoit dans les villes & les villages, où les Missionnaires ne pouvoient s’arrester, des personnes de pieté pour faire par leurs mains une fidéle distribution des aumônes qu’il leur confioit. Il regloit par tout la dépense, l’augmentant ou la diminuant en chaque lieu selon le nombvre de pauvres. Il rendoit compte de toutes choses à M. Vincent, lequel en informoit les Dames de la Charité, & elles s’assembloient toutes les semaines, pour resoudre avec luy ce qu’il y avoit à faire, afin de subvenir aux besoins de ces pauvres Provinces. Dans les premiéres années que la desolation fut extréme, le secours fut aussi plus abondant ; & outre seize Missionnaires qui y furent employez, M. Vincent y envoya aussi des Filles de la Charité qui servoient & pensoient les malades, pendant qu’une partie des Missionnaires pourvoyoit aux autres necessitez des pauvres, & que l’autre partie estoit occupée dans les Parroisses de la campagne destituées de Pasteurs, à administrer les Sacremens, à prescher la parole de Dieu, & à reparer les Eglises, dont la plupart avoient este pillées & profanées par les soldats. Dieu donna une telle bénédiction à cette sainte entreprise, que depuis elle fut toujours continüée jusqu’à la conclusion de la paix ; c’est à dire, l’espace de dix ans, penda,t lesquels on a distriüé la valeur d’environ six cens mille livres tant en ar- DE PAUL. LIV. I . CHA. XL. 303 gent, qu’en vivres, vêtemens, remèdes, outilsz grains, & autres choses nécessaires à la vie ; & ce secours s’est étendu en plus de trente-cinq villes & en plusieurs centaines de villages des environs, où l’on a par ce moyen retiré des portes de la mort un nombre incroyable de pauvres ; les Eglises ont esté pourveuës d’ornemens pour la célébration des Offices Divins ; les Pasteurs & autres prestres de la campagne, que l’extréme necessité avoit fait sortir de leurs Parroisses, y ont esté rétablis pour continüer l’exercice de leurs fonctions ; les Communautez Religieuses d’hommes & de filles ont esté soigneusement assistées dans leurs pressans besoins ; les filles qui vivoient dans le monde exposées à beaucoup de dangers, ont esté conduites & entretenües dans des lieux de pieté & d’assurance : En un mot la pauvre Noblesse, & généralement toutes les personnes indigentes & affligées ont receu un notable soulagement, & une singuliere consolation. Nous ajouterons icy seulement deux exemples particuliers de la charité universelle de M. Vincent, laquelle luy fit étendre ses soins en ce mesme temps-là sur les étrangers, & sur les morts. Les premiers furent plusieurs Catholiques Irlandois, lesquels ayant esté chassez de leur païs par Cromwel, s’estoient enrôlez dans les armées, & après avoir beaucoup soufferts en deux campagnes, eurent la ville de Troyes pour retraite. Ils y arriverent dans un triste equipage, couverts de haillons, & les pieds nuds au milieu de l’Hyver ; ils menoient avec eux leurs pauvres familles, avec un grand nombre de veuves & plus de 150 orphelins, dont les parens estoient morts à la guerre ; & leur pauvreté estoit si grande, qu’on les voyoit ramasser dans les rües pour leur nbourriture, ce que 304 LA VIE DU VENERABLE VINCENT les chiens n’eussent pas voulu manger. Nostre charitable Pere des pauvres ayant eu avis de la necessité de ces Etrangers, fit partir aussi-tost un Prestre de sa maison Hibernois de naissance, avec quelque somme d’argent & quantité d’habits, pour remedier à leurs plus pressans besoins ; à quoy il ajouta encore depuis en divers temps, un semblable secours par le moyen des Dames de la Charité de Paris ; & de la sorte il procura le soulagement de ces pauvres abandonnez. On prit un soin particulier des enfant orphelins ; les filles & les veuves furent retirées dans l’Hôpital de S. Nicolas, où elles apprirent à filer & à coudre ; & enfin tous furent logez, revêtus & assistez. Ce secours donné si à propos à ces pauvres exilez, releva leurs esprits tout abattus de tristesse, & les rendit susceptibles des instructions & exhortations que ce Prestre de la Misssion leur fit en leur langue pendant le Caresme, afin de les disposer à la Communion de Pâques. Et comme le bon exemple a une force particuliere pour toucher les cœurs, la veuë de ces assistances réveilla la charité des Bourgeois, non seulement à l’égard de ces pauvres étrangers, mais aussi envers tous ceux de la ville & des environs. Les autres qui eprouverent après leur mort les effets de la charité de M. Vincent, furent quinze cens soldats qui demeurerent sur la place à la bataille de Rethel. Ce charitable Prestre en ayant eu connoissance, ne pût souffrirt que les corps des hommes & des Chretiens, quoy-que la plus-part étrangers & ennemis, servirent de pâture aux bestes carnassieres ; & il manda a un de ses Prestres qui assistoit les pauvres en ces quartiers-là, de prendre des hommes à la journée pour enterrer ces corps ; ce qui celuy-cy exécuta avec beaucoup de diligence, & mesme, comme il disoit, avec une DE PAUL. LIV. I . CHAP. XLI. 305 singuliere consolation d’avoir accompli en cela le precepte de l’Evangile, touchant l’amour des ennemis, en rendant ce devoir de charité & de pieté Chrétienne à ceux qui avoient exercé en tous ces quartiers-là des actes d’hostilité & de cruauté fort inhumaine. Certes si les siècles passez ont vû de semblables désolations & miseres, on ne lit point dans l’Histoire qu’ils ayent jamais vû une pareille ardeur pour y apporter le remede, & un remede si prompt & si etendu que celuy dont nous avons parlé jusques icy, & dont nous rapporterons encore des exemples remarquables dans un des Chapitres suivans. CHAPITRE XLI. La mort de M. le Prieur de S. Lazare, & les reconnoissances que M. Vincent luy a renduës. MESSIRE Adrien le Bon Prieur de S. Lazare fut l’instrument dont Dieu se voulut servir, comme nous avons dit, pour introduire M. Vincent & sa Congregation dans la Maison de S. Lazare. Il y retint toûjours depuis son logement, & l’on ne sçauroit dire combien il receut de satisfaction le reste de sa vie, de la part de tous les Missionnaires. M. Vincent de son costé tâchoit de luy donner de continuels sujets de consolation. Il le visitoit souvent parmy toutes ses grandes occupations ; & lors-qu’il revenoit de quelque voyage, la premiere chose qu’il faisoit, après avoir adoré le S. Sacrement en l’Eglise, c’estoit de l’aller saluer dans sa chambre avec une pro- 306 LA VIE DU VENERABLE VINCENT fonde humilité & soûmission. Il l’appelloit ordinairement notre Pere, & le consideroit en effet comme le Pere nourrissier & le signalé Bien-faicteur de tous les Missionnaires. Il s’etudioit en toutes occasions à luy rendre tous les respects, toutes les complaisances, & tous les services qu’il pouvoit, non seulement par paroles, mais encore par effets. Il a mesme fait quelquefois pour ce sujet des dépenses fort considérables, auxquelles il n’estoit nullement obligé ; & d’autrefois il s’est privé des principaux meubles de sa maison, quand il luy a témoigné qu’il desiroit en disposer en faveur de ses amis ; ce qu’il luy accordoit toujours de bonne grace, par un veritable esprit d’une sincere & filiale reconnaissance. Il contiûa à luy rendre avec la mesme affection, tous ces témoignages de gratitude l’espace de plus de vingt ans, & jusqu’à ce qu’il plût à Dieu retirer de cette vie ce tres-bon & charitable Prieur, le jour de Pâques de l’an 1651. pour luy faire goûter les fruits de sa charité dans le Ciel. Comme M. Vincent l’avoit honoré, aimé & servy pendant sa vie, il luy fit encore plus particulierement paroistre la sincerité de son affection en ce dernier passage, luy rendant tous les devoirs & toutes les assistances que son zele luy pouvoit suggerer. Il fit venir les Missionnaires qui estoient en la Maison, pour se mettre en prieres autour du lit de ce cher malade, & il luy demanda sa bénédiction au nom de tous, avec une siguliere devotion. Il recita ensuite pendant son agonie qui fut longue, les prieres pour les agonisans, auxquelles il ajouta plusieurs autres suffrages que sa charité luy inspira. Lors-que ce bon vieillard qui estoit pour lors âgé de 75 ans eut rendu le dernier soûpir, & qu’on DE PAUL. LIV. I . CHAP. XLI. 307 eut fait la recommandation de son âme, M. VinCent parla à ceux qui estoient pressens de cette sorte : Or sus mes Frères, voilà notre bon Pere mainte- « nant devant Dieu ; & aussi-tost levant les yeux au « Ciel, il dit : Plaise à vôtre bonté, mon Dieu, luy « appliquer les bonnes œuvres que la Congregation « Peut avoir faites , & les petits services qu’elle a tâ- « ché de vous rendre jusqu’à present ; nous vous les « offrons, mon Dieu,vous suppliant de luy en ap- « pliquer l’efficace. Puis adressant sa parole aux Mis- « sionnaires qui estoient pressens, il ajouta. Peut- « estre que plusieurs d’entre nous estions dans l’in- « digence, & il nous a pourveus de nourriture & « d’entretien. Prenons donc garde, mers Freres de « tomber jamais dans ce miserable péché d’ingratitu- « de envers luy,ny envers ces autres Messieurs les « Anciens de cette Maison, de qui nous sommes com- « me les Enfans, & que nous devons reconnoistre & « respecter comme nos Peres. Ayons de grandes re- « connoissances envers eux du bien qu’ils nous ont « fait ; & tâchons particulièrement de nous ressou- « venir tous les jours de M. le Prieurt, & d’offrir nos « prieres à Dieu pour luy. Il luy fit des funérailles-honorables, & Il célébra & fit célébrer à son intention un tresgrand nombre de Messes dans l’Eglise de S. Lazare & ailleurs. Il écrivit de plus sur ce sujet à toutes les Maisons de sa Congregation en ces termes : Il a « plû à Dieru rendre la Compagnie orpheline d’un « Pere qui nous avoit adoptez pour ses Enfans ; c’est « Du bon M. le Prieur de Saint-Lazare, qui décéda le « Jour de Pâques, muny des Sacremens, & dans une « Telle conformité à la volonté de Dieu, qu’en tout « Le cours de sa maladie il n’a pas paru en luy le moi- « Dre trait d’impatience, non plus que dans ses in- « Commoditez précédentes. Je prie topus les Prestres « 308 LA VIE DU VENERABLE VINCENT « de vôtre Maison de célébrer des Messes à son inten« tion, & tous nos Freres de communier. Aprés cela il fit mettre une belle Epitaphe au milieu du chœur de l’Eglise de S. Lazare auprès de la tombe de ce charitable defunt, pour une perpetuelle memoire de l’obligation tres-particuliere que la Congregation de la Mission reconnoist luy avoir. Enfin il ordonna que tous les ans le neuviéme d’Avril, qui fut le jour de son decés, on celebreroit en l’Eglise S. Lazare, un Service Solemnel à son intention. C’est ainsi qu’il témoigna sa parfaite reconnoissance pendant la vie , & après la mort de ce cher Bien-Faicteur ; & il s’est toûjopurs acquité de ce devoir avec grande fidelité, non seulement envers ce bon Prieur, mais aussi envers ses Religieux & tous les autres Bien-Faicteurs de sa Congregation : De quoy il ne se faut pas étonner, veu que sa charité le portoit incessamment à faire du bien à ceux-là mesme dont il n’avoit jamais receu, ny ne pouvoit espérer aucun secours ny avantage ; comme il a fait paroître dans l’assistance des pauvres, dont nous avons désja veu plusieurs exemples considérables, & nous en allons encore voir d’autres tres-dignes de remarque au Chapitre suivant. ________________________________________ CHAPITRE XLII. Il pourvoit aux miseres des pauvres de Paris & des environs, durant les troubles de l’année 1652. OUTRE les secours charitables que M. Vincent procura aux pauvres de la Lorraine, de la Champagne, & de la Picardie, dont nous avons DE PAUL. P. XLII. 309 parlé aux Chapitres précedens ; Les nouveaux troubles; de la France, survenus en l’année 1652 luy fournirent encore une matiere tres – ample pour exercer sa charité ; & il semble que Dieu voulut par ce moyen donner le comble aux mérites de son fidéle Serviteur & des autres personnes vertueuses, lesquelles à son imitation ont signalé leur zele dans cette rencontre, voicy de quelle façon les choses se passerent. La Campement & le sejour des armées prés de Paris ayant causé par tout aux environs une étrange désolation, la ville d’Estampes fut celle qui en ressentit davantage les funestes effets. Comme elle fut assiegée long-temps & plusieurs fois de suite, les habitans de cette ville & les villages circonvoisins se virent reduits à un pitoyable état. Leur pauvreté qui estoit extréme, & les maladies dont la plus part estoient attaquez, en avoient fait autant de squelettes qui n’avoient que la peau collée sur les os, & pour comble de miseres leur ville ayant esté prise & reprise, estoit toute infectée, & les fumiers répendus de tous costez, où l’on avoit laissé quantité de corps morts avec des charognes de bestes, exhaloient une telle puanteur, qu’on n’osoit s’en approcher. M. Vincent ayant appris le miserable état de cetTe ville & de ses environs, le représenta à l’Assemblée des Dames de la Charité, qu’il trouva entierement disposée à seconder son zele dans cette occasion, comme en toutes les autres ; & il envoya promptement plusieurs de ses Missionnaires, afin de pourvoir aux besoins spirituels & corporels de ces pauvres abandonnez. Une des premieres choses que firent les dignes Enfans de ce charitable Pe- 310 LA VIE DU VENERABLE VINCENT re, pour remédier à tant de maux, fut de faire nettoyer la ville & enlever les fumiers en des charestes. Ensuite ils donnerent la sépulture à tous les corps demy pourris, tant de la ville que des champs, puis ils firent parfumer les ruës & les maisons pour en oster l’infection, & les rendre habitables. En mesme temps ils établirent la distribution des potages dans cette ville, & en plusieurs villages qui avoient esté les plus mal-traitez par les Armées, & tous les pauvres des autres lieux voisins Y venoient chaque jour recevoir leurs portions . M. Vincent y avoit desja envoyé quelque temps auparavant d’autres Missionnaires au Bourg de Palaiseau, où les soldats avoient aussi fait de grands ravages, l’on y conserva la vie à un grand nombre de pauvres languissans. Comme plusieurs de ces Parroisses qu’on assistoit se trouvoient sans Pasteurs, dont les uns estoient morts de miseres, & les autres s’estoient enfuïs ; les Missionnaires tâchoient de suppléer à leur défaut. Mais dans la suite ils furent tellement accablez du travail, qu’ils n’y pouvoient plus fournir ; parce que l’assistance corporelle qu’ils rendoient aux pauvres, ne leur laissoit pas tout le temps necessaire pour s’appliquer à la spirituelle. Ils eurent recours dans ce besoin à M. Vincent, qui envoya des Filles de la Charité pour subvenir aux nécessitez corporelles des pauvres. Ces bonnes Filles prirent le soin de faire les potages & de les distribuer, de médicamenter les malades, & d’assister un grand nombre d’orphelins qu’on avoit retirez tous ensemble dans une maison à Estampes, où ils estoient nourris & revêtus. Par ce secours les Missionnaires eurent moyen de travailler avec plus d’assiduité au salut des Ames, & d’aller dans DE PAUL. LIV. I . CHAP. XLII. 311 toutes les Parroisses abandonnées, pour y faire les fonctions curiales avec l’approbation & la permission des Superieurs. Pendant que M. Vincent assistoit les pauvres de ces costez-là, Dieu luy préparoit un nouveau sujet pour étendre encore ailleurs les exercices de sa charité ; car les Armées s’estant approchées de Paris, causerent dans tous les villages des environs une extréme desolation. Aussi-tost s que notre charitable Pere des pauvres eut connoissance de ces grands besoins, il envoya tout le premier des Prestres & des aumônes à Juvisy, afin de secourir les habitans de tout ce quartier-là. Mais lors qu’on eut appris que la desolation estoit générale, & que de tous costez les villageois avoient esté pillez par les soldats, & reduits pour la plus-part à la derniére necessité ; plusieurs personnes de condition & de pieté touchées de Dieu, & portées d’une charité vraiment Chrétienne, se joignirent à M. Vincent pour secourir ces pauvres affligez. On envoya pour cét effet des Missionnaires à Lagny, & d’autres Ecclesiastiques & Religieux en divers endroits : Et comme on ne pouvoit fournir toutes les choses nécessaires à tant de pauvres gens qui avoient esté dépouillez de tous leurs biens, qu’avec de tres-grandes dépenses ; la charité qui est ingenieuse, ou plutost le Dieu de charité suggéra à ces vertueuses personnes la pensée de faire un magazin charitable, où chacun mettroit les provisions qui luy seroient superfluës, & qu’il pourroit donner plus facilement que de l’argent, dont on se trouvoit alors fort court en la plus-part des familles. Ce pieux dessein ayant esté publié, plusieurs y contribuërent volontiers ; les uns envoyèrent des meubles, les autres des habits, quelques-uns des ustensiles, d’autres des étoffes, chacun selon sa com- 312 LA VIE DU VENERABLE VINCENT modité & ses moyens. On eut particulièrement l’obligation à M. du Plessis-Monbart, qui s’est signalé par son zele en beaucoup d’autres rencontres, d’avoir inventé un dessein si admirable ; il en dressa le plan, & proposa les moyens de le rendre utile & fructueux. C’est ce merveilleux magazin, comme d’une source inepuisable de charité, qu’on tira toutes les choses que l’on donna aux pauvres pendant six ou sept mois. C’est-là qu’on trouva tant d’habits, de meubles, d’outils, de drogues pour les remèdes, de farine, de beurre & d’autres choses nécessaires à la vie. C’est de là qu’on tira mesme des Calices, des Ciboires, des Chasubles, des Livres, & en un mot tous les meubles & tous les ornemens dont on fournit tant d’Eglises pillées. On envoyoit toutes ces choses en certains lieux de la campagne, d’où elles estoient après distribuées avec ordre & mesure. Les Missionnaires alloient chaque jour de village en village avec des bestes chargées de vivre & d’habits pour les départir selon le besoin d’un chacun ; à quoy l’on ajoutoir encore l’aumône journaliere des potages, qui sauverent la vie à un nombre incoyable de pauvres. Les travaux des Missionnaires furent si grands dans ces voyages, & les maladies qu’ils contracterent en servant les pauvrees furent si malignes, que quatre ou cinq en moururent, & plusieurs autres en furent malades fort longtemps. Mais quoyque M. Vincent ressentit vivement les incommoditez & la mort de ces bons Missionnaires, qu’il cherissoit tendrement comme ses enfant spirituels ; néanmoins il bentonite Dieu de les voir travailler & souffrir avec tant de courage pour les membres de JESUS-CHRIST, & finir glorieusement leur vie dans le champ de bataille, & pour ainsi dire, les DE PAUL. LIV. IL. CHAP. XLII. 313 armes à la main ; parce qu’il sçavoit bien que mourir de la sorte n’est pas tant mourir, que commencer une meilleure & plus heureuse vie, dans la possession parfaite de celuy qui est la source & le principe de la vray vie, il y eut aussi des Filles de la Charité lesquelles après avoir supporté en cette occasion des fatigues qui surpassoient les forces de leur sexe, offrirent leur vie à Dieu en holocauste de suavité, & participerent ainsi à la mesme couronne. On n’assista pas seulement ceux qui estoient demeurez dans les villages, mais aussi plusieurs autres qui avoient abandonné leurs maisons, & s’estoient retirez à Paris, où l’on donnoit tous les jours du potage à quatorze ou quinze mille pauvres, qui fussent morts de faim sans ce secours. Il y avoit parmy ces réfugiez plusieurs femmes & filles, & mesme des Reeligieuses qui se trouverent d’abord dans une grande necessité. Dés que M. Vincent en eut connaissance, il porta quelques-unes des Dames de la Charité à les assister, comme elles firent avec` beaucoup de zele. Les Religieuses furent toutes retirées en un lieu de piété. Les autres ayant esté partagées en diverses bandes, jusqu’au nombre de huit à neuf cens, furent logées en des maisons assurées ; & les unes & les autres furent pourvûes de tous leurs besoins. On eut un soin particulier, suivant les avis de M. Vincent, que les premieres menassent dans leur Retraite, une vie conforme à la sainteté de leur profession ; & on fit aux autres en chaque lieu où elles demuroient, une esspece de Mission, tant pour les instruire des choses ne cessaires à salut que plusieurs d’entre-elles ignoroient, que pour les disposer à faire de bonnes Confessions Générales, & à se mettre en état d’offrir à Dieu pour la paix du Royaume, des Prieres qui méritassent d’estre exaucées. 314 LA VIE DU VENERABLE VINCENT Comme les pauvres estoient dispersez en divers endroits de Paris, particulièrement dans les fauxbourgs, on employa grand nombre des Filles de la Charité pour leur distribuer presque par tout les potages que les Dames de la Compagnie de laCharité, & quelques autres personnes de pieté leur faisoient préparer ; & en cette occasion plusieurs Ecclésiastiques & Religieux travaillerent utilement à l’instruction des mesmes pauvres. M. Vincent de son costé prit un soin particulier de ceux qui se trouverent dans les quartiers proches de S. Lazare, au nombre de sept ou huit cens. Il les fit venir durant plusieurs semaines le matin & l’apresdinée, pour les disposer aux Sacremens de Penitence é d’Eucharistie par les exercices d’une Mission, après lesquels non leur donnoit chaque jour l’aumône. Ils s’assembloient tous en arrivant dans l’Eglise, où ils entendoient une Predication ; ensuite l’on separoit les hommes & les garçons d’avec les femmes & les filles ; & pendant que plusieurs Prestres faisoient le Catechisme à ceux-là dans la Maison, d’autres le faisoient aux femmes & aux filles dans l’Eglise. Ayant esté ainsi suffisamment instruits & préparez, ils firent leurs Confessions générales, & puis communierent tous ensemble avec grande devotions. M. Vincent voulut prendre part à ce travail, faisant luy-mesme le Catechisme à ces pauvres & entendant leurs Confessions avec les Prestres de sa Congregation. Après cette Mission, il fit encore continuer dans sa Maison environ six années, le Catéc hisme & la distribution de pain & de potage à tous les pauvres qui se presentoient, & il ne les fit cesser que pour obeïr aux ordres qui furent donnez sur ce sujet, ensuite de l’etablissement de l’Hôpital General. Dieu a tellement beny toutes ces œuvres de cha- DE PAUL. LIV. I . CHAP. XLIII. 315 rité qui ont esté entreprises par les soins de son fidéle Serviteur, qu’elles ont servy de modèle, & donné occasion àn beaucoup d’autres semblables qu’on a faites depuis sa mort en diverses rencontres ; car il semble que, comme un autre Elie, il a laissé son esprit, non seulement à sa Congregation, mais aussi à toutes les personnes vertueuses quoi ont esté pendant sa vie, unies avec luy pour le secours des pauvres ; & particulièrement aux Dames de la Compagnie de la Charité, lesquelles suivant ses traces, ont continué par le moyen des Missionnaires, l’assistance de plusieurs Provinces de France affligées de disette : A quoy elles ont employé des sommes immenses, qui montoient à plus de cinq cens mille Livres, dés la quatrieme année après le décés de leur charitable Directeur. Mais nous passons tous ces effets que l’exdemple de sa charité a produits par les autres, pour voir la suite des choses qu’il a faites par luy-mesmepour le soulagement des pauvres, en procurant de tout son pouvoir la pacification des troubles, d’où procedoient principalement leurs miseres. _________________________________________ CHAPITRE XLIII. Ce qu’il a fait pour le bien du Royaume & pour le service du Roy pendant les troubles de l’an 1652. POUR remédier efficacement à un mal, ce n’est pas assez d’en empescher les effets, il faut si l’on peut en faire cesser la cause. Toutes les assistances charitables que M. Vincent procuroit aux pauvres pendant la guerre, pouvoient bien les soulager d’une partie des miseres que ce fleau leur faisoit res- 316 LA VIE DU VENERABLE VINCENT sentir ; mais pour les en délivrer entièrement, il falloit faire cesser les divisions intestines qui en estoient la source, en rétablissant une paix assurée par l’entiere soûmission des Sujets envers leur Souverain, car l’union des membres avec leur chef n’est pas moins necessaire pour maintenir l’ordre dans le corps Politique que dans le Naturel, & par consequent pour y mettre la paix, qui n’est autre chose, comme dit S. Augustin, que la tranquilité de l’ordre. M. Vincent qui avoit autant de prudence que de zele, estoit bien persuadé de cette verité, & prévoyant l’accroissement des maux que la continüation de la guerre apporterroit, non seulement à l’Etat, mais encore à la Religion, il se resolut de faire tout ce qu’il pourroit pour en arrêter le cours. La premiere chose qu’il fit pour ce sujet fut de recourir à Dieu par la priere & par les larmes. On ne sçait pas le detail des pénitences qu’il s’est impôsées luy-mesme, ny des rigueurs dont il a affligé son corps pour demander à Dieu la pacification des troubles du Royaume ; mais s’il est permis d’en conjecturer quelque chose par celles qu’il a pratiquées pour des sujets moins importans, on ne peut douter qu’elles n’ayent esté tres-frequentes & tres-austeres. Il enjoignit aussi à tous ceux de sa Congregation de prier pour la paix, & de faire leur possible pour apaiser la colere de Dieu. Un des moyens Qu’il établit pour cet effet dans la Maison de Saint Lazare, fut que chaque jour trois Missionnaires, un Prestre, un Clerc & un Frere jeunerent à cette intention ; & que le Prestre diroit la Messe & les deux autres y communieroient. Quoy qu’il fust deja plus que septuagenaire, il ne se dispensoit pas néanmoins de cette sainte pratique ; mais quand son tour venoit, il s’en acquitoit avec autant d’e- DE PAUL. LIV. I . CHAP. XLIII. 317 xactitude, qu’eust pû faire un jeune-homme fort robuste. Dans les Conferences & dans les autres Assemblées de sa Communautré, il recommandoit aux siens de redoubler leurs prieres pour la mesme fin, sans se lasser de répéter toujours une mesme chose ; & il parloit de ce sujet avec de si vifs sentimens, qu’on en estoit tout attendry. Il recommandoit encore souvent aux autres personnes vertueuxses de sa connoissance, & particulièrement aux Ecclesaistiques de la Conference de S. Lazare, & aux Dames de la Charité, de faire des prieres, des aumônes, des pèlerinages & des œuvres de pénitentces, pour obtenir de la Divine bonté cette paix si necessaire & si desirée. Outre les preres & les œuvres de pieté qu’il offrit à Dieu & luy fit offrir par les autres, il crût qu’il estoit aussi de son devoir de s’entremettre auprès des hommes qui avoient quelque credit, pour les porter à s’y employer efficacement, en procurant que l’authorité du Roy fust reconnue de tous ses Sujets. Il s’estoit toujours abstenu des affaires publiques, soit qu’il s’en jugeast incapable par humilité, soit qu’il s’en eloignast par prudence, pour n’estre détourné de ses autres emplois qui concernoient le service de Dieu & le bien spirituel des ames. Mais voyant la France menacée de sa derniere ruine, si ces guerres intestines duroient plus long-temps, il prit resolution de faire tout ce qu’il pourroit pour secourir sa Patrie & pour servir son Prince dans une occasion si importante ; sachant fort bien que l’amour de la Patrie est un devoir de justice, & que le service qu’on rend au Roy fait une partie de celuy qu’on doit à Dieu. Les premiers auxquels il s’adressa pour cet effet furent M.M. les Evesques, dont plusieurs avoient beaucoup de crance en luy. Il se servit fort à pro- 318 LA VIE DU VENERABLE VINCENT pos de cette creance pour les exhorter à résider dans leurs Dioceses pendant ces troubles, afin de contenir les peuples en leur devoir par leur présence, & de s’opposer par leutr authorité aux desseins de ceux qui les vouloient soustraire de l’obeïssance du Roy. Il écrivit diverses Lettres sur ce sujet à plusieurs de ces Prelats ; aux uns pour les congratuler d’avoir empesché que les Villes de leurs Dioceses n’eussent receu ny favorisé le party contraire ; aux autres pour leur persuader de demeurer dans leurs Eveschez, afin d’y consoler leurs peuples & d’y rendre au Roy tous les eservices qu’ils pourroient. Il n’en demeura pas là, car se souvenant que Saint-Bernard & d’autres Saints personnages, qui menoient une vie encore plus retirée que luy, avoient néanmoins quitté leus solitudes pour venir à la Cour des Empereurs & des Princes, quand il estoit question de pacifier les troubles & de procurer la tranquilité Publique ; il se resolut à leur exemple de sortir de sa Retraite, & de faire tous ses efforts pour la reünion des Princes avec sa Majesté. Plusieurs raisons sembloient le devoir détourner d’une entreprise si difficile & si perilleuse : neanmoins préférant le service du Roy, & le bien de la France a ses interests particuliers,il ferma les yeux à toutes les considérations de la prudence humaine pour s’acquitter des devoirs d’un fidéle Sujet. Dans ce dessein il alla plusieurs fois à la Cour & Vers M.M les Princes ; il parla en diverses rencontres à ceux-cy par ordre de sa Majesté, & luy rapporta leurs reponses ; & enfin le succés fit bien voir que Dieu avoit donné bénédiction à son entremise, car peu de temps après, cet accommodement si important se traita & fut conclu. Les troubles du Royaume estant ainsi terminez DE PAUL. LIV. I . CHAP. XLIV. 319 au dedans, par la Divine misericorde, notre saint Prestre le laissa pas de faire toujours continuer en sa Maison de S. Lazare les Prières, les Messes, les Communions, les jeusnes & les autres exercices de Penitence qu’il y avoit établis. Et comme on voulut luy persuader de les faire cesser, attendu que ces pratiques de Penitence estoient beaucoup à charge à la Communauté& & que la guerre Civile, pour laquelle on les faisoit, estoit finie ; il repondit ; Non non, il n’en faut pas demeurer là, il les faut continuer pour demander à Dieu la paix générale. En effet elles furent encore continüées pendant huit ans, & jusqu’en 1660, que cette paix tant desirée fut enfin heureusement concluë six ou sept mois avant son decés : Dieu luy ayant voulu donner avant sa mort, la consolation de voir le fruit de ses prieres, de ses jeusnes, & de sa perseverance. ________________________________________ CHAPITRE XLIV Il s’oppose fortement aux nouvelles erreurs du Jansenisme. LES Saints ont toujours tenu à grand honneur de demeurer dans une humble dependanc e, non seulement des ordres de Dieu, mais aussi des conduites de son Eglise. Ils ont fait profession de soumettre leur liberté, obéissant exactement aux Loix qu’elle leur prescrit ; & de captiver leur raison, donnant un e entière creance aux Veritez qu’elle leur enseigne, pour honorer JESUS-CHRIST qui est est le Souverain Chef. Tous ceux qui ont connu M.Vincent, ont pû remarquer qu’entre toutes les vertus, il a particulierement excellé en cette soûmission ; & que quand 320 LA VIE DU VENERABLE VINCENT l’Eglise avoit parlé, soit pour établir quelque Loy, ou pour définir quelque Verité, ou condamner quelque erreur ; il n’avoit point de langue pour repliquer, ny d’esprit pour raisonner contre ; mais seulement des oreilles pour écouter, & un cœur pour se soumettre sincèrement à tout ce qui luy estoit prescrit ou proposé de cette part. C’est ce qu’il pratiqua saintement lors-que les nouvellles erreurs du Jansemisme commencerent à paroistre ; & encore plus, quand elles eurent esté condamnées par les Constitutions des Souverains Pontifes. Des que le Livre de Jansenius, intitulé Augustinus, fut mis en lumière, & que la nouveautré de ses opinions eut commencé d’exciter diverses contentions parmy les Docteurs ; ce fidéle & prudent Serviteur de Dieun se souvenant de l’averttissement que le saint Apostre a donné, de ne pas croire à toutes sortes d’esprits, mais d’éprouver qu’ils sont de Dieu, se tint sur ses gardes pour ne se pas laisser surprendre à cette nouveauté. Et ce qui l’obligeoit davantage à se précautionner, estoit la connaissantce tres-familiere qu’il avoit d’un des premiers Autheurs de la secte du Jansenisme, de qui l’esprit & la conduite luy donnoit juste sujet de le tenir fort suspect, comme il a esté plus particulièrement declaré dans la premiere Edition au Chapitre Xij. du Livre second, où nous renvoyons le Lecteur. Cette nouvelle Doctrine ayant esté depuis foudroyée par les anathèmes de l’Eglise, & les Constitutions des Souverains Pontifes Innocent X & Alexandre VII qui la condamnoient, receuës & publiées par l’authorité des Prelats ; il crût alors estre obligé, non seulement de se soûmettre au jugement du Saint Siege Apostolioque, mais encore de faire profession ouverte de cette soûmission, & de se déclarer entièrement opposé aux erreurs DE PAUL. LIV. I . CHAP. XLIV 321 condamnées, qu’à tous les pernicieux desseins de ceux qui voudroient s’obstiner à les soutenir. C’est ce qu’il a fait avec autant de vigueur, que de prudence ; ne dissimulant point quand il falloit parler, & ne parlant toutefois qu’autant qu’il le jugeoit necessaire, soit pour confirmer ceux qui acquiesçoient au jugement de l’Eglise, soit pour reduire ceux qui ne vouloient pas s’y soumettre, soit pour affermir ceux qui chanceloient, soit enfin pour rendre constamment le témoignage qu’il devoit à la verité. Mais quoy-qu’il ait toujours fait paroistre un tres-grand zele pour soutenir les Constitutions des Souverains Pontifes, & pour s’opposer à tout ce que quelques esprits mal-intentionnez s’efforçoient de faire pour en éluder l’execution ; il a bien sceu néanmoins fairer la distinction des personnes d’avec l’erreur ; détestant l’erreur, & gardant toûjours en son cœur une vraie & sincere charité pour les personnes, dont il ne parloit qu’avec grande retenuë, & plûtost par esprit de compassion que par aucun mouvement d’indignation. Il a mesme employé divers moyens & fait plusieurs efforts charitables, quand les occasions s’en sont presentées, pour les porter à se réconcilier à l’ Eglise : Jusqueslà, qu’après la publication de la Constitution du Pape Innocent X, il s’en alla les rechercher, & rendre visite à quelques-uns d’entre eux au PortRoyal, pour les convier avec honneur, & les obliger doucement à se réunir ; ce qui toutefois n’eut pas l’effet qu’il desiroit. Il veilla sur tout avec un soin particulier, afin que ceux de sa Congregation fussent exempts de ces erreurs, & mesme du moindre soupçon d’y adhérer en quelque maniere que ce fust. Que s’il en trouvoit quelqu’un qui ne marchast pas dans l’humble & sincere soûmission qu’il vouloit que tous les Vera justitia copassioné habet, no daignatyrine. Gregor. Hom.34. In Evag 322 LA VIE DU VENERABLE VINCENT Siens rendissent aux Constitutions du saint Siege Apostolique, il l’obligeoit à se retirer de sa Compagnie. Après avoir pourvû à la conservation des Siens, il etendit sa vigilance & sa charité sur les autres parties de l’Eglise, qui avoient quelque besoin d’estre secouruës & prémunies contre la contagion de ces nouvelles erreurs. Ayant reconnû que ceux qui s’obstinoient à les soutenir, s’efforçoient par divers artifices de les répandre dans les Monasteres & Communautez de Filles, comme plus faciles a estre trompées par l’apparence du bien, dont les faux Prophetes (suivant l’avertissement de JESUS-CHRIST ) ont accoûtumé de couvrir & déguiser leurs plus pernicieux sentimens ; il employa tous les moyens qu’il pût pour empescher que ces loups revêtus de la peu des brebis, ne fissent aucun degast dans cette illustre portion du bercail de JESUS-CHRIST, & mesme qu’ils n’eussent aucun accés sur tout dans les Monasteres que Dieu avoit confiez à sa conduite. Il usa de la mesme précaution dans le Conseil des affaires Ecclesiastiques, afin qu’on ne mist dans les charges & dignitez de l’Eglise, des personnes infectées ou suspectes de cette Doctrine condamnée. Enfin son zele pour la conservation de l’union de l’Eglise, & pour la defense de la Doctrine orthodoxe, l’obligea de s’employer en plusieurs occasions envers les Prelats de ce Royaume, soit pour les exhorter à s’opposer aux entreprises des ennemis de la verité, soit pour leur donner divers avis afin qu’ils se donnassent de garde de leurs surprises. Nous avons rapporté au second Livre cy dessus allégué, plusieurs Lettres qu’il leur a écrites, dans lesquelles on peut voir comme ce grand Serviteur de Dieu sçavoit fort bien faire un juste temperament du respect qu’il dervoit à leur Dignité, & des charitables offi- DE PAUL. LIV. I . CHAP. XLIV 323 ces qu’il desiroit rendre à leurs Personnes ; ses paroles aussi bien que ses actions ayant toujours esté accompagnées d’une humilité, d’une discretion, & d’une charité vraiment Apostolique. Mais comme l’industrie humaine se trouve court si elle n’est souitenuë de l’assistance Divine, ce Saint homme mit son principal appuy en la bonté de Dieu. Il luy offrit des prieres continuelle, & convia les autres à faire le mesme, afin qu’il luy plust regarder son Eglise d’un œil de misericorde, & ne pas permettre que l’esprit d’erreur & de mensonge fist un plus grand ravage permy les Fidéles. Il disoit que les meilleures armes pour combattre les erreurs, estoient l’Oraison, & la pratique des vertus contraires aux vices ordinaires de ceux qui s’opiniastre à les soutenir : Qu’il falloit opposer une profonde humilité & soûmission d’esprit, à l’orgueil & présomption qu’ils ont de leur propre suffisance ; l’amour de l’abjection & du mépris, aux vaines loüanges qu’ils recherchent & qu’ils se donnent les uns aux autres ; une garnde droiture & simplicité de cœur, à tous les déguisement, falsifications & impostures dont ils couvrent leurs erreurs, pour en cacher la difformité ; enfin une ardente charité qui ne pust estre éteinte par toutes les eaux malignes des médisances & calomnies que l’Esprit de mensonge enploye pour opprimer la vérité. On luy a aussi oûy dire avec douleur, qu’il y avoit grand sujet de croire, que les dereglemens qu’on voit dans la vie ordinaire des Chrétiens, si opposée aux Maximes de l’Evangile de JESUS-CHRIST, estoient cause de la playe que l’Eglise reçoit de cette nouvellle hérésie ; & que si nous ne taschions d’appaiser Dieu justement irrité contre nous, il falloir appréhender que, suivant la 324 LA VIE DU VENERABLE VINCENT menace faite aux Juifs dans l’Evangile, le Royaume de Dieu ne nous fust osté pour estre transféré à d’autres Nations qui en feroient mailleur usage. Que nous devions trembler de frayeur, voyant devant nos yeux des Royaumes autrefois si florissans en Religion & en pieté, commel’Angleterre, le Dannemare, la Suede, & la plus grande partie de l’Allemagne, lesquels par un juste jugement, Dieu a laissé tomber dan s l’heresie :Que le mal-heur de nos voisins nous devoit rendre sages ; & que le don de la Foy, qui nous a esté acquis par le merite du sang & de la mort de JESUS-CHRIST, devoit estre tenu fort précieux, & conservé avec grand soin. _________________________________________ CHAPITRE XLV. Il établit un Hôpital pour les Pauvres Vieillards, & donne occasion à l’établissement de l’Hôpital General de Paris. LE grand nombre de saintes Œuvres que M. Vincent avoit jusqu’alors entreprises, & son âge desja fort avancé semboient devoir enfin épuiser la vigueur de son zele, & l’occuper entièrement à soutenir le poids de tant de pieuses Institutions qu’il avoit établies. Mais comme Dieu continüoit à luy fournir de nouvelles occasions d’augmenter sa gloire, il l’excitoit aussi à entreprendre de nouveaux ouvrages de charité, & luy donnoit à mesme temps la force de les conduire à leur perfection, comme nous allons voit dans l’exemple suivant. En l’année 1653, un Bourgeois de Paris poussé du desir de rendre quelque service agreable à Dieu DE PAUL. LIV. I . CHAP. XLV. 325 s’adressa un jour avec confiance à ce saint Prestre, & luy dit qu’il avoit dessein de luy mettre entre les mains une somme considerable d’argent, afin qu’il l’employast en des œuvres de pieté, telles Qu’il jugeroit à propos ; mais avce cette condition qu’il ne découvriroit à personne celuy qui luy avoit donné l’argent, parce qu’il vouloit faire cette bonne œuvre purement pour Dieu, & sans estre connu des hommes. M. Vincent également édifié de l’humilité & de la devotion de cet homme charitable, ne voulut pas luy refuser son service, & ayant receu cette somme en depost, il demanda lumiere à Dieu pour connoistre en quoy il aurait plus agreable qu’elle fust Employée. Il ne consulta point sur ce sujet ses interests particuliers, ny les avantages de sa Communauté ; & quoy-que les Exercices des Ordinans, les Retraites spirituelles & autres semblables fonctions qu’elle exerce gratuitement & dont la depense excessive l’avoit dés-lors notablement endettée, fussent des œuvres tres-saintes & dignes d’une fondation de pieté ; il n’y eut toutefois point d’égard, & tint ferme sa maxime ordinaire, qui estoit de ne faire jamais un pas de luy-mesme pour l’avancement temporel de sa Congregation. Il jetta donc les yeux sur les pauvres Artisans, lesquels n’estant plus en état de gagner leur vie, soit par vieillesse, soit par infirmité, sont reduits à la mendicité, en laquelle ils negligent souvent le soin de leur salut ; ce qui luy fit penser que si l’on fondoit un Hôpital pour leur servir de retraite, on exerceroit envers eux une double charité, en pourvoyant tout-ensemble aux besoins de leurs corps & de leurs ames. Il proposa cette pensée au Bienfaicteur, qui l’approuva fort & consentit tres volontiers que son argent fust appliqué en une si bon- 326 LA VIE DU VENERABLE VINCENT ne œuvre, avec cette condition que l’administration spirituelle & temporelle de cet Hôpital, demeuroit toujours au Superieur General de la Congregation de la Mission. Pour l’execution de ce pieux dessein, M. Vincent y acheta dans le Faux-bourg S. Laurens de la ville de Paris, une place d’assez grande étendue, & deux maisons qu’il meubla de lits, de linges & d’autres choses nécessaires. Il fit aussi dresser une petite Chapelle avec tous les ajustemens convenables, & du reste de l’argent il acquit une rente annuelle, pour laquelle il receut dans cet Hôpital quarante pauvres, c’est à savoir vingts-hommes & vingtfemmes, qu’on y a nourris & entretenus jusqu’à l’année 1664, en laquelle leur rente ayant esté notablement diminuée, on a esté contraint de retrancher à propostion le nombre des personnes. Il fit donc mettre ces pauvres en deux corps de logis séparez l’un de l’autre, & néanmoins tellement disposez, que chaque sexe à part peut entendre une mesme Messe & une mesme Lecture de table, sans se voir ny se parler. Il fit aussi acheter des métiers & des outils afin de bannir d’entre eux l’oisiveté, en les occupant selon leurs forces & leur industrie. Il y établit des Filles de la Charité pour les servir, & eut soin d’y envoyer tous les jours un Prestre de sa Maison pour leur dire la sainte Messe, & leur administrer la parole de Dieu & les Sacremens. Il fut luy-mesme des premiers à les instruire & à leur recommander l’union entre eux, la pieté envers Dieu, & sur tout la reconnaissance envers son infinie bonté, de ce qu’elle les avoit retirez de la misere & conduit dans une retraite si douce & si tranquille. Il donna à cette Maison le titre d’Hôpital du Nom de Jesus, & passa une declaration de cette DE PAUL. LIV. I . CHAP. XLV. 327 Fondation devant les Notaires, sans pourtant nommer le Fondateur. M. L’Archevesque de Paris l’ayant ensuite approuvée, luy en donna l’entiere direction pour luy & pour ses successeurs ; ce que le Roy a confirmé & authorisé par ses Lettres patentes. Ce nouvel Hôpital ayant esté ainsi établi & reglé, plusieurs Dames de la Charité de Paris, & autres personnes de condition & de vertu le vinrent visiter, & l’ayant considéré dans toutes ses parties, furent merveilleusement édifiées. On y voyait une paix & une union merveilleuse ; le murmure, la médisance & les autres vices estoient bannis de cette Maison. Les pauvres s’occupoient fidèlement à leurs petits ouvrages & s’acquitoient de tous les devoirs de pieté conformes à leur condition. En un mot c’estoit une image de la vie des premiers Chretiens, & plûtost un Monastere de Religieux qu’un Hôpital de séculiers. La veuë d’un lieu si bien reglé donnait sujet aux personnes vertueuses qui le venoient visiter, de déplorer le mal-heur de tant de pauvres qui demandoient l’aumône dans les ruës & dans les Eglises de Paris, & qui menoient pour la plus-part une vie tres-libertine & tres-debordée. La mal avoit jusqu’alors passé incurable, & avoit rendu inutiles tous les remèdes dont on avoit usé pour le guerir. Neanmoins quelques Dames de la Charité ayant fait reflexion à la grace qui accompagnoit toutes les entreprises de notre charitable Prestre, il leur sembla que s’il s’en méloit, ilpourroit en venir à bout, & retirer de ces désordres un grand nombre de pauvres aussi-bien qu’un petit, pourveu qu’on eust des lieux suffisans pour les loger & dequoy les occuper. 328 LA VIE DU VENERABLE VINCENT Les premieres Dames qui eurent cette pensée, la communiquerent à d’autres ; & celles-cy estant venu visiter ce petit Hôpital, entrerent dans le mesme sentiment. Une d’entre elles promit d’abord de donner cinquante millle livres pour commencer un Hôpital General ; & une autre s’obligea de donnet trois millle livres de rente pour le mesme dessein. Enfin le jour de leur Assemblée estant venu, où M. Vincent se trouvoit toujours s’il ne luy arrivoit quelque empeschement extraordinaire, elles luy firent cette grande proposition qui luy donna sujet d’admirer leur charité. Il loua Dieu de leur zele & les congratula grandement ; néanmoins il leur dit qu’une affaire de telle importance merisier d’estre meurement considérée. Elles parurent à l’Assemblée suivante avec de nouvelles ardeurs pour l’execution de ce grand dessein ; elles assurerent que l’argent ne manqueroit point ; qu’elles connoissoient des personnes considérables qui avoient intention d’y contribuer notablement ; & sur cela, elles presserent M. Vincent de trouver bon que leur Compagnie s’y employast. La chose ayant esté mise en deliberation, il fut resolu qu’on l’entreprendroit. M. Vincent eust pourtant bien desiré d’attendre encore un peu ; mais il ne pût arrêter la ferveur de ces vertueuses Dames. Comme il fallloit une Maison fort ample & de grands espaces pour loger tous ces pauvres, on proposa à mesme temps de demander au Roy la maison & les enclos de la salpêtriére, qui n’estoient pas alors de grand service. M. Vincent en parla à la Reine Regente, laquelle accorda bien volontiers cette demande & le Brevet du don en fut expédié. Un particulier prétendant y avoit inter est s’y opposa, mais y consentit depuis, parce qu’une des DE PAUL. LIV. I . CHAP. XLV. 329 Dames luy promit huit cens liures de rente pour le dédommager. Après cela il sembloit à ces Dames charitables que toutes choses estoient suffisamment disposées pour commencer, & il tardoit à quelques-unes des plus ferventes Qu’elles ne vissent tous les pauvres retirez en ce lieu, dequoy elles pressaient fort M. Vincent : mais comme il ne convenoit pas avec elles de la maniere d’attirer les pauvres en cette Maison, & de conduire une telle entreprise, il eut grande peine à retenir les plus ardentes qui luy sembloient aller trop vite pour son pas ; & pour modérer leur empressement, il leur représenta un jour les conditions suivantes. Les œuvres de « Dieu, dit-il, se font ordinairement peui à peu par « Commencemens & par progrès. Quand il voulut « Sauver Noé du deluge avec sa famille, il luy com- « Manda de faire une Arche qui pouvoit estre ache- « Minée en peu de temps ; & neaqnmoins il la luy fit « Commencer cent ans auparavant, afin qu’il la bastit « Peu à peu . Dieu voulant semblablement introduire « Les Enfans d’Israël en la terre de Promission, il le « Pouvoit faire en peu de jours, & cependant plus « De quarante ans s’écoulerent avant qu’ils y entras- « Sent. Ainsi Dieu ayant dessein d’envoyer son Fils « Au monde pour remédier au peché du premier hom- « Me qui voit infesté tous lmes autres, poyurquoy tar- « da-t-il plus de quatre mille ans ? C’est qu’il ne se « haste point dans ses œuvres, & qu’il fait toutes « choses dans leur temps. Et Nostre-Seigneur pou- « vant venir sur la terre dans un âge parfait, pour « opérer notre Redemption, sans employer trente « ans d’une vie cachée, qui pourroit sembler super- « fluë ; il a néanmoins voulu naistre petit enfant, & « cristre en âge à la façon des autres hommes, pour « arriver peu à peu à la consommation de cet incom- « 330 LA VIE DU VENERABLE VINCENT « parable Bien-fait. Il pouvoit mesme de longtemps « établir l’Eglise par toute la terre, mais il se conten« ta d’en jetter les fondemens & laissa le reste à ses « Apostres & à leurs successeurs. Ne disoit-il pas « aussi quelquefois, parlant des choses qu’il avoit à « faire : Que son heure n’estoit pas encore venue ? « Pour nous apprendre de ne nous pas trop avancer « dans les choses qui dépendent plus de Dieu que de « nous. Selon cela il n’est pas expedient de vouloir « tout faire à la fois, ny tout à coup, ny de penser que « tout soit perdu, si tout le monde ne s’empresse avec « nous pour coopérer à un pêu de bonne volonté que « nous avons. Que faut-il donc faire ? Aller douce« ment, beaucoup prier Dieu, & agir de con« cert. Il ajouta que selon son sentiment il ne falloit faire d’abord qu’un essay, & ne prendre que cent ou deux cens pauvres, & encore seulement ceux qui viendroient de leur bon gré, sans en contraindre aucun ; que ceux-là estant bien traitez & bien contens donneroient de l’attrait aux autres, & qu’ainsi l’on augmenteroit le nombre à mesure que la Proidence envoiroit des fonds : qu’on estoit assuré de ne rien gatter agissant de la sorte, & qu’au contraire la precipitation & la contrainte dont on useroit, pourroient estre un empeschement au dessein de Dieu : que si l’œuvre estoit de luy elle reüssiroit & subsisteroit ; mais que si elle estoit seuLement de l’industrie humaine, elle n’iroit guere bien ny beaucoup loin. Les remontrances de ce sage Prestre apporterent quelque moderation au zele trop ardent de ces Dames ; mais ce qui retarda le plus l’execution de cette affaire, fut que quelques-uns des principaux Magistrats croyans qu’il y avoit de l’impossibilité dans son execution, ne pouvoient se resoudre d’y DE PAUL. LIV. I . CHAP. XLV. 331 consentir. Cela fut cause que les années 1655& 1656 s’écouleront, sans qu’on pûst faire autre chose que dresser plusieurs projets & proposer divers moyens, pour l’execution de ce grand dessein. Quelques personnes de condition & de merite s’y employèrent, & enfin Dieu ayant beny leur zele, on convint de la maniere de l’entreprise & de la forme du gouvernement, & l’on nomma des Administrateurs ou Directeurs, qui furent tous des personnes d’honneur & de pieté. Les Dames de la Charité qui avoient jetté les fondemens de ce grand ouvrage sous la sage conduite de M. Vincent, furent extrêmement consolées de le voir appuyé & soûtenu par l’authorité publique ; & par son avis elles s’en déchargerent sur Messieurs les Administrateurs, & memes elles leur remirent non seulement la Salpetriere, mais encore le Château de Bicestre qu’on avoit obtenu & possedé quelques années auparavant pour les Enfans trouvez. Outre tous les grands logemens que ces Dames cederent pour retirer les pauvres, elles contribuërent encore à ce dessein des sommes fort notables & quantité de linges, de lits & d’autres meubles, dont quelques-uns mesme furent faits à S. Lazare par les Menuisiers de la Maison. Ainsi cette entreprise fut enfin exécutée, non pas toutefois par sorte d’essay, ny du gré des pauvres, selon le premier projet de M. Vincent ; mais par une résolution absoluë de les enfermer, pour les empescher de gueuser : & depuis ce temps-là on a contraint tous les mendians qui se sont trouvez dans Paris, ou de travailler pour gagner leur vie, ou bien d’entrer dans l’Hîopital général. Voicy ce que M. Vincent en écrivit au mois de Mars de l’année 1657 à une personne de confiance. 332 LA VIE DU VENERABLE VINCENT « On va oster la mendicité de Paris, & ramasser « tous les pauvres des lieux propres pour les en« tretenir, les instruire & les occuper. C’est un grand « dessein & un ouvrage difficile, mais grâces à Dieu « il est bien avancé & approuvé de tout le monde. « Plusieurs personnes y donnent abondamment, & « d’autres s’y emploient volontiers. On a desja dix « mille chemises & le reste à proportion. Le Roy & « le Parlement l’ont puissamment appuyé, & « sans m’en faire parler, ont destiné les Prfestres de « notre Congregation, & les Filles de la Charité, « pour le service des pauvres, sous le bon plaisir de « M. l’Archevesque de Paris. Nous ne sommes pour« tant pas encore resolu de nous engager à ces Em« plois, pour ne pas connoistre assez si Dieu le veut. « Mais si nous les entreprenons, ce ne sera d’abord « que pour essayer. Ayant donc esté averti qu’on avoit nommé les Prestres de sa Congregation pour assister spirituelLement les pauvres de l’>Hôpital General, il crût Qu’un employ de telle consequence pour sa Congregation meritoit bien qu’on y pensast devant Dieu, & qu’on avisoit s’il estoit expedient de l’accepter. C’est pourquoi après avoir prié Dieu pour ce sujet ; Il assembla les Prestres de la Maison de S. Lazare, pour en délibérer ; & leur ayant representé les diverses considérations qui pouvoient les y porter ou les en détourner, on conclud enfin de s’en execuser, comme l’on fit pour plusieurs raisons tres-importantes. Et parce que les Lettres patentes du Roy, qui avoient desja esté expediées pour la fondation de l’Hôpital General, leur attribuoient ce droit, ils y renoncerent absolument par un acte authentique, & laisserent aux autres Ecclesiastiques une entiere liberté de s’y appliquer sans aucun empeschement. DE PAUL. LIV .I. CHAP. XLVI. 333 Neanmoins comme l’Etablissement de cet Hôpital estoit sur le point d’éclore, & que les Administrateurs estoient pressez d’en faire l’ouverture au plûtost, M. Vincent voulut pourvoir à ce que son refus n’y appostast aucun retardement. Il pria pour cét effet un des Ecclesiastique qui s’assemblent le Mardy à S. Lazare, d’accepter la charge de Recteur e l’Hôpital général ; ce qu’il fit, & après l’avoir exercé quelques temps, & fait diverses Missions dans les Maisons de l’Hôpital, ses indispositions ne luy permettant pas de porter davantage une charge si penible, il s’en démit entre les mais de Messieurs les Vicaires Generaux de M. le Cardinal de Rets Archevesque de Paris. Il eut pour Successeur cette charge un Docteur de la faculté de Paris de la mesme Compagnie, qui l’a exercée pendant plusieurs années avec grande benediction, & a travaillé avec un zele infatigable par des Missions presque continüelles qu’il a fait faire en toutes les Maisons de cét Hôpital. _______________________________________ CHAPITRE XLVI. De plusieurs établissemens de la Congregation de la Mission, faits en divers lieux durant la vie de M. Vincent. DIEU ayant planté la Congregation de la Mission dans son Eglise, comme une vigne mystique qui devoit fructifier avec le secours de sa grace pour la sanctification d’une infinité d’Ames ; il voulut pour la rendre plus fertile, la provigner en divers lieux par plusieurs nouveaux Etablissemens. En quoy il a fait voir d’autant plus clairement le 334 LA VIE DEU VENERABLE VINCENT soin particulier de sa Providence sur cette Congregation, que M. Vincent, dont il s’est servy pour l’établir & pour l’étendre, a suivy une conduite plus opposée aux régles de la prudence humaine, ayant eu pour Maxime inviolable de ne rechercher jamais aucun établissement, & mesme de n’accepter ceux qu’on luy a presentez, que par une pure soûmission à la volonté de Dieu. Les premiers Etablissemens furent faits à Paris comme nous avons dit, & les grands fruits qu’on en vit reüssir dés le commencement porterent bientost plusieurs Prelats & autres personnes d’une insigne pieté à demander des Ouvriers de ce nouvel Institut, pour remédier par leurs travaux aux besoins spirituels de lmeurs Dioceses & de leurs Provinces. C’est ainsi que la Congregation de la Mission a pris son accroissement par les mesmes moyens qui ont principalement contribué à sa naissance ; car comme l’utilité de ses fonctions a donné occasion à son Erection, elle l’a fait aussi depuis rechercher de tous costez, non seulement en France, mais encore dans les Etats voisins, & mesme dans les Païs les plus éloignez. Il n’est pas necessaire de rapporter en détail tous ces Etablissemens, dont le recit pourroit estre ennuyeux ; & comme nous avons desja assez amplement parlé des premiers qui ont esté faits en France, il suffit de dire en général de tous ceux du mesme Royaume, qui sont plus de 25 en nombre, qu’ils ont esté établis par une semblable conduite de la Divine Providence, & que les saintes Œuvres commenc&ées par M. Vincent, y ont toûjopurs esté continüées avec une particuliere bénédiction. C’est ce que l’on peut encore voir bien clairement dans les Etablissemens de la mesme Congregation, qui ont esté faites en Italie, & particuliere- DE PAUL. LIV. I . CHAP.. XLVI. 335 ment dans le premier qui fut fondé à Rome l’an 1642 en la maniere qui suit. M. Vincent avoit envoyé en cette ville quelque temps auparavant un de ses Prestres nommé Louis le Breton pour quelques affaires de sa Congregation ; & comme celuy-cy sçavoit desja la langue Italienne, il luy recommanda que si ses occupations luy laissoient quelque temps de reste, il tachast de l’employer au salut des peuples de la Campagne de Rome. Ce bon Missionnaire se mit en devoir d’accomplir les saintes intentions de son Pere, aussi-tost qu’il en eut le loisir, & M. le Cardinal Lanti qui estoit Evesque de Porto, luy en donna l’occasion, l’envoyant dans son Diocese au temps de l’Avent, pour disposer ses peuples à célébrer dignement la Feste d la Nativité de Nostre-Seigneur. Cette premiere Mission dura environ un mois, & Dieu y donna tant de bénédiction, que les Superieurs ayant reconnu par cét echantillon la grace de cette Congregation naissante, le Pape Urbain VIII d’heureuse memoire luy octroya facilement pouvoir d’établir une Maison dans Rome. M. Vincent receut cette nouvelle avec des sentimens d’une particuliere reconnaissance envers la Divine bonté, & envoya d’autres Ouvriers pour l’établissement de cette Maison, dont la tres-vertueuse Dame Marie de Vignerod Duchesse d’Aiguillon se rendit Fondatrice. Ces Missionnaires s’appliquerent bien-tost après leur arrivée aux exercices propres de leur Institut, lesquels ils commencerent, suivant l’ordre exprés de M. Vincent, en faveur des Pastres ou Bergers de la Campagne de Rome, par une espece de Mission assez extraordinaire, & non moins laborieuse : En quoy l’on voit reluire d’une maniere particuliere l’humilité & la charité de ce saint Prestre, qui 336 LA VIE DU VENERABLE VINCENT L’ont toujours porté à embrasser les œuvres les plus abandonnées, où il y a moins d’éclat, & à secou« rir les ames les plus dépourvuës d’assistance. O « que je souhaite (leur écrivit-il sur ce sujet ) que « vous puissiez faire Mission parmy les pauvres Pres« tres ! Ce sont les Favoris de Nostre-Seigneur, « puis-qu’il leur a voulu donner les premieres nou« velles de sa Naissance, à l’exclusion des habitans de « Jerusalem, & mesme de Bethleem où il naquit. Quoy-que cette œuvre de Charité que les Enfans de M. Vincent exercent encore de temps en temps envers les pauvres Bergers des Cabanes, & les autres Emplois qu’ils ont en la ville de Rome, comme les Exedrcices des Ordinans, les Retraites spirituelles, les Conferences des Ecclesiastiques, &c leur donnent beaucoup d’occupation ; ils n’ont pas laissé pourtant de s’employer aux Missions ordinaires avec tant d’assuidité, qu’ils en ont fait un tres-grand nombre en plus de vingt Dioceses de l’Etat Ecclesiastique, & en plusieurs autres lieux dépendans de quelques Abbayes considérables ; & comme ils se sont comportez par tout avec le mesme esprit & le mesme ordre qui leur a esté donné par leur tres digne Instituteur, Dieu a répandu aussi sur leurs travaux les mesmes grâces qu’il a communiquées aux premieres Missions de leur Congregation. Les bons succés de tant de Missions faites en divers Eveschez d’Italie par les Missionnaires établis à Rome, estant si grands & si publics, furent Bien-tost connus & recherchez par plusieurs Prelats des Dioceses mesme éloignéz. M. le Cardinal Durazzo, dont la memoire est en bénédiction pour ses rares vertus, & qui estoit pour lors tres-digne Archevesque de Génes, ayant desiré voir par experience les fruits de cette sainte Institution, la DE PAUL. LIV. I . CHAP. XLVI. 337 Divine Providence luy en présenta l’occasion par le moyen d’un Prestre de cette Con,gregation, qui retournoit de Rome en France par Génes, sans aucun dessein de s’y arrêter.Il le retint pour cét effet quelques mois, pendant lesquels il luy fit faire des Missions en son Diocese, avec l’aide de quelques vertueux Prestres, & Dieu benit tellement son travail, que ce tres-zelé Cardinal se resolut de fonder un Etablissement des Prestres de la Congregation der la Mission dans la ville de Génes, comme il fit depuis. Surquoy il écrivit à M. Vincent au mois d’Aoust de l’an 1645 en ces termes : Ces mois passez Monsieur N. passant par « ces quartiers, j’appris qu’il estoit de la Congrega- « tion de la Mission, & je me suis prévalu de son mi- « nistere en divers lieux de mon Diocese, où il a tra - « vaillé avec grand fruit & bénédiction pour le ser- « vice de Dieu, pour le salut des ames, & pour ma « satisfaction particuliere ; & m’ayant dit que pour « obeïr à ses Superieurs, il devoit se rendre à Paris, « j’y ai consenty, puis-que vous avez envoyé d’au- « tres Prestres pour continuer ce qu’il a si heureu- « sement commencé. Il y a esperance d’y établir un si « pieux Institut à la plus grande gloire de sa Divine « Majesté ; & j’ay bien voulu vous voir faire part de la « consolation spirituelle que j’en reçois. « Ces heureux commencemens eurent en peu de temps des suites tres-considerables ; car dés la mesme année dans une seule Mission, outre les biens ordinaires, on fit une solemnelle reconciliation de trois Partoisses entieres qui estoient auparavant en grande desunion, & les réconciliations des particuliers, y furent en tres grand nombre. On a vû plusieurs semblables fruits dans les Missions suivantes, qui ont esté faites par lmes mesmes Missionnaires, non seulement dans le Diocese de l’E- 338 LA VIE DU VENERABLE VINCENT tat de Génes, mais encore dans l’Ile de Corse dépendante de la mesme Republique, où ils ont esté envoyez en divers temps ; & c’est là particulierement qu’il semble que Dieu a voulu répandre des grâces d’autant plus abondantes, que les besoins spirituels du peuple estoient plus grand, & sembloient moins capables de remede. La mesme Congregation fut établie quelques années après dans la ville de Turin Capitale du Piedmont, à l’instance de M ; le Marquis de Pianesse, premier ministre d’Etat de son Altesse Royale de Savoye. Ce Seigneur tres-zelé pour la gloire de Dieu & le salut des ames, fut particulièrement porté procurer par ses biens fais cét Etablissement, dans la veuë des grands fruits que les Missions avoient produits, non seulement en Italie mais aussi dans la Savoye, où les Prestres de cette Congregation avoient esté fondez dés l’an 1640 par M. le Commandeur de Sillery, suivant le desir de M. Juste Guerin Evesque de Genéve & de la vénérable Mere de Chantal Fondatrice de saint Ordre de la Visitation. Or l’on peut reconnoistre dans cét Etablissement de Turin, aussi-bien que dans tous les autres, l’entiere dependance que M. Vincent avoit de la Divine Providence ; car quelque temps après qu’on luy en eut fait l’ouverture un de ses Prestres qui estoit à Rome, luy écrivit qu’une personne de qualité bien affectionnée à leur Congregation, luy avoit indiqué une Maison dans Turin, laquelle leur serait bien commode & mesme facile à obtenir, estant comme abandonnée de ceux à qui elle appartenoit. Surquoy ce fidéle Serviteur de Dieu luy déclara les sentimens de son «cœur, par la reponse suivante. Je vous prie de re« mercier de ma part Monsieur N de l’affection qu’il « témoigne à notre Congregation dans le desir qu’il DE PAUL. LIV. CHAP. LVI. 339 a qu’elle soit établie à Turin. S’il entend nean- « moins que nous demandions nous-mesmes la Mai- « son abandonnée dont il vous a parlé, c’est ce que « nous ne pouvons faire, ayant pour Maxime, comme « vous savez, de ne nous introduire jamais en au- « cun lieu, si nous n’y sommes appelez ; & quoy- « que l’on vous dise qu’il faudrait en user autrement « Dans cette occasion, parce que ce serait une porte « ouverte à avancer beaucoup la gloire de Dieu en « ce Païs-là ; nous devons estimer le contraire, & « espérer que Dieu seraz plus honoré par notre soû-« e missiopn à sa Providence, en attendant ses ordres, « que si nous entreprenions de les prévenir tant soit « peu par notre propre volonté. Telle estoit l’axac- « titude de M. Vincent à suivre en toutes choses. « La Divine Providence ; & cette humble conduite ayanttoûjours esté benie de Dieu, le fut particulierement dans cét Etablissement, lequel a produit des fruits tout extraordinaires dans les Missions, sur tout par les réconciliations admirables non seulement des personnes particulieres, mais aussi de plusieurs lieux entiers qui estoient depuis longtemps dans une étrange division. La Serenissime Reine de Pologne Marie de Gonzague, poussée d’un grand desir de pourvoir aux besoins spirituels de ses Sujets, fonda quelques années auparavant un Etablissement de la mesme Congregation dans la ville de Varsovie. M. VinCent y envoya pour Superieur M. Lambert, qui estoit son Assistant dans la Maison de S. Lazare, & comme son bras droit dans la conduite de sa Congregation ; en quoy il fit paraître son parfait détachement des creatures, se privant volontiers de ce fidéle Cooperateur de ses travaux, & de tous les secours qu’il en popuvoit recevoir à l’avenir. Il semble que la Divine Providence appelloit les Mis- 340 LA VIE DU VENERABLE VINCENT sionnaires en ce grand Royaume, aussi-bien pour souffrir avec le peuple affligé, que pour travailler à son instruction ; car il fut bien-tost après leur arrivée attaqué de la peste, de la guerre, & de la famine, qui fournirent à ces bons Prestres, une ample matiere d’exercer la patience & la charité, & presserent vivement M. Vincent à redoubler ses prieres & ses mortifications pour obtenir de Dieu la paix de ce Royaume, & la conservation de la Religion Catholique. Il plût aussi à la Divine Bonté de luy donner avant sa mort la consolation d’apprendre le rétablissement du Roy dans la Pologne, & le triomphe de la Religion Catholique, malgré tous les efforts de ses plus puissans ennemis. Quoy que tous les Etablissemens, dont nous venons de parler, ayant esté accompagnez de grandes bénédictions, il faut néanmoins avouer que ceux que M. Vincent a faits dans les Païs infidèles luy ont rapporté des fruits d’autant plus précieux & exquis, qu’ils luy ont coûté plus cher ; plusieurs de ses Enfans y ayant consumé leur vie dans l’excés de leurs travaux pour le service de JESUS-CHRIST. Mais pour abréger une matiere si vaste, nous rapporterons seulement icy en substance ce qui a esté plus amplement declaré sur ce sujet dans la premiere Edition. M. Vincent commença ces Missions étrangeres par l’assistance spirituelle & corporelle des Esclaves de Barbarie, dont il avoit autrefois expérimenté les souffrances, & conservé depuis une grande compassion. Le Roy Louïs XIII de glorieuse memoire luy ouvrit le chemin à l’execution de ce pieux dessein, luy en donnant la commission, avec neuf ou dix mille liures, pour y estre employées. Ensuite il disposa toutes les choses nécessaires pour l’heureux sucez de cette bone œuvre, & envoya l’an 1645 DE PAUL. LIV. I . CHAP. XLVI. 341 En la ville de Tunis M. Julien Guerin tres-zelé Missionnaire, auquel il donna l’année suivante un autre de ses Prestres pour partager avec luy les travaux d’une si abondante moisson. Il procura encore dés la mesme année un semblable secours dans la ville d’Alger, où le nombre des Esclaves est beaucoup pluis grand qu’à Tunis ; & il fit en sorte auprés du Roy, que les Consulats de ces deux villes fussent donnez à des personnes entièrement des-interessées, & qui n’ayans d’autre fin que l’assistance des Esclaves, aussi bien que les Missionnaires, conservassent toujours une parfaite union avec eux ; sans quoy les Prestres n’auroient pû agir afficacement, ny mesme demeurer long-temps dans cette terre infidéle. Ayant ainsi levé tous les obstacles de cette bonne œuvre, il appliqua tous ses soins à la faire subsister. Il envoya en divers temps plusieurs de ses Prestres en la place de ceux qui estoient décédez au service des Esclaves atteints de maladie contagieuse. Il fit succéder aux Consuls, qui furent quelquefois obligez de repasser en France, d’autres personnes éga lement zélées & bien intentionnées. Il écrivit souvent aux siens des avis tres-utiles pour leur bonne conduite, & les encouragea puissamment à souffrir toutes les peines qu’ils rencontroient dans cét employ Apostolique. Et pour comprendre en peu de mots les divers secours que M. Vincent a procurez par l’entremise de ses Prestres aux Esclaves de Barbarie, qui sont pour l’ordinaire en tres-grand nombre dans les Royaumes de Tunis & d’Alger ; il faut savoir que ceux qu’il y a envoyez ont esté établis par l’authorité de N.S Pere le Pape, Missionnaires Apostoliques, & Grands-Vicaires de l’Archevesque de Carthage, dont ces deux Royaumes dépendent ; & qu’en cette qualité ils se sont employez à conserver les Chré- 342 LA VIE DU VENERABLE VINCENT tiens dans la Religion Catholique, par de fréquentes Instructions & Exhortations, tant à la ville qu’à la campagne, par l’administration des Sacremens aux sains & aux malades, & par la célébration Solemnelle des Offices Divins dans toutes les Chappelles de Bagnes, qui sont les prisons communes des Esclaves, avec l’aide des Prestres & Religieux captifs. Or entre autres fruits que ces charitables assistances ont produits, un tres-grand nombre des pauvres Esclaves ont esté préservez de la damnation éternelle, où plusieurs se precipitoient auparavant pour s’exempter des rigueurs de leur esclavage ; car les uns se causoient la mort par desespoir, les autres rénioient la Foy de JESUS-CHRIST, & d’autres vivoient dans une profonde negligence & un entier oubly des devoirs du Christianisme. Plusiuers ont esté tellement fortifiez dans l’amour de Dieu, qu’ils ont mieux aimé souffrir toutes les sortes de tourmens & s’exposer à une cruelle mort, que de consentir au péché. Les hérétiques mesmes, qui estoient tombez dans l’esclavage avec les autres Chrétiens, ont esté souvent délivrez de la captivité du Diable, en renonçant à leurs erreurs & embrassant la Religion Catholique. Enfin le zele de M. Vincent s’étendant jusqu’aux besoins du corps de ces pauvres Captifs, a donné moyen à ses Missionnaires de racheter pendant sa vie, partie par charité, partie par commission, plus de douze cens Esclaves ; & ils ont employé tant en ces rachapts, que dans les autres dépenses qu’ ils ont faites sur les lieux pour le soulagement des mesmes Esclaves, prés de douze cens mille livres. C’est ainsi que ce fidéle Serviteur de Dieu Vincent de Paul a dressé un illustre trophée à JESUS-CHRIST, par l’exercice de la Religion Catholique au milieu de ses ennemis, & qu’il a fait triompher la charité DE PAUL. LIV. I . CHAP. XLVI. 343 Chrétienne dans les lieux mesmes où l’injustice & la violence regnent avc impunité. L’Etablissement des Prestres de la de la Mission dans l’Ile de Madagascar, estant exposé à de plus grandes difficultez que tous les précedens, & ayant &prouvé des traverses plus fâcheuses, a esté aussi un témoignage plus assuré du zele fervent & généreux de M. Vincent. Nous ne sçaurions mieux connoistre ses sentimens sur ce sujet, & le commencement de cette importante Mission, que par un extraitt de la lettre qu’il en écrivit à M. Nacquart l’envoyant en cette Ile infidéle avec M. Gondrée. Il y a long-temps, luy dit il que Nostre-Sei- « gneur a donné à vostre cœur les sentimens de luy « rendre quelque signal service ; & quand on fit à « Richelieu la proposition des Gentils, il me sem- « ble que Nostre-Seigneur fit sentir à vostre ame « qu’il vous y appelloit, comme vous me l’écivistes « pour lors avec quelques autres de la famille de Ri - « chelieu. Il est temps que cette semence divine « vocation ait son effet. Voilà que M. le Nonce, de « l’authorité de la Sacrée Congregation de la Propa - « gation de la Foy, a choisi notre Congregation pour « aller servir Dieu dans l’Isle de Saint-Laurens, autre-« ment dite Madagascar ; & la Congregation a jet- « tée les yeux sur vous, comme sur la meilleure hostie« qu’elle ait, pour en faire hommage à notre Sou- « verain Createur, afin de luy rendre ce service avec « M. Gondrée. O mon plus que tres cher Monsieur ! « Que dit vostre cœur à cette n,ouvelle ? a-t-il la « Confusion convenable pour recevoir une telle grace « Du Ciel ? Vocation semblable à celle des Apôtres « & des plus grands Saints de l’Eglise de Dieu. L’hu- « milité, Monsieur, est seule capable de porter cet- « te grace ; le plus parfait abandon de tout ce que vous « 344 LA VIE DU VENBERABLE VINCENT « estes & pourrez estre, dans une entiere confiance en « la Divine bonté doit suivre ; la grandeur de coura« ge vous est necessaire ; il vous faut une Foy aussi « grande que celle d’Abraham ; la charité de S. Paul « vous fait grand besoin ; le zele, la patience, l’a« mour de la pauvreté, la discretion, la pureté, & « le grand desir de vous consumer tout pour Dieu, « vous sont aussi convenables qu’à S. François de Xa« vier. Il luy donna ensuite plusieurs excellens avis qu’il conclud par ce témoignage de son humilité « de son zele : Je finis prosterné en esprit à vos pieds, « vous priant de m’offir à notre commun Seigneur, « afin que j’acheve en son amour le chemin qui con « duit à l’éternité ; & vous assurant qu’il n’y a con« dition que je souhaite plus sur la terre, que celle « de vous aller servir de compagnon, s’il m’estoit « permis, en la place de Monsieur Gondrée. Ces deux vertueux Missionnaires estant animez par les paroles, & par les exemples de leur bon Pere, s’embarquerent joyeusement le 18 Avril de l’an 1648. & après avoir passé tout le temps de la navigation en divers exercices de pieté,ils arriverent heureusement en cette Isle le 4 Decembre de la mesme année. Dés qu’ils eurent acquis quelque intelligence de la langue du païs,ils commencerent à instruire les Insulaires proches de leur habitation, & visiterent ensuite ceux des lieux plus éloignez ; & par tout les peuples firent paraître tant d’affection à écouter leurs instructions, & de dispositions à soumettre leur esprit aux veritez de l’Evangile, qu’ils se plaignoient mesme de ce que les François qui estoient allez auparavant trafiquer avec eux, ne leur avoient point encore parlé des choses de leur salut. Pendant que ces deux bons Prestres travailloient si utilement dans cette grande moisson, il plût à Dieu retirer de cette vie M. DE PAUL. LIV . I . CHAP. XLVI. 345 Gondrée, & luy donner au bout d’une courte carriere, la recompense de ses travaux. M. Nacquart luy survéquit deux ans, durant lesquels il porta seul la charge de cette Eglise naissante, avec des fatigues extraordinaires & finit enfin la course par une tres-sainte mort. Messieurs Bourdaise & Mounier succederent à ces deux premiers, & ils furent bientost après suivis de Messieurs Dufour, Prevost, & Belle-ville, tous Prestres de la mesme Congregation & d’une vertu éprouvée, qui ont aussi consumé saintement leur vie pour le salut des ames dans cette penible Mission. M. vincent ne désista point cette sainte entreprise pour la perte de tant de bons Ouvriers, ny Mesme pour le mauvais succés des deux embarquemens suivans, où les Siens néanmoins furent préservez par une speciale protection de Dieu. Il envoya encore sur la fin de l’année 1659. Cinq au-t res Missionnaires, auxquels il donna de vive voix tous les avis qu’il jugea convenables. Ces cinq Missionnaires firent naufrage au Cap-de-bonneEsperance, sans qu’aucun néanmoins de ceux qui estoient dans le vaisseau fust submergé ; & n’ayant pû passer outre, faute de commodité, ils furent obligez de prendre l’occasion de la flotte des Hollandois pour retourner en France,où ils n’arriverent que dix huit mois après leur depart, M. Vincent estant desja mort. Celuy qui luy a succédé dans la conduite de sa Congregation a envoyé depuis un bon nombre de Missionnaires par trois embarquemens consécutifs, dont les deux premiers ont reüssi heureusement§ ; & l’on attend encore des nouvelles du troisieme.M. Etienne qui avoit la conduite de cette Mission, & qui estoit party des premiers, obtint huit mois après son arrivée, la recompense de ses travaux par une glorieuse mort 346 LA VIE DU VENERABLE VINCENT qu’il endura pour le nom de JESUS-CHRIST ; avec un vertueux Frere de la mesme Congregation, nommé Philippe Patte ; tous les deux ayant esté tuez par le commandement d’un Grand de ce Païslà, auquel ils estoient allé annoncer l’Evangile. Deux autres bons Prestres & fervens Missionnaires, nommez M.M.Cuveron & Manié, ont encore depuis saintement consumé leur vie au service de cette Eglise naissante ; sans parler de plusieurs autres qui estant morts sur le chemin, ont receu en peu de temps le salaire de leurs fatigues, & de la bonne volonté qu’ils avoient d’en entreprendre de plus grandes, pour la gloire de Dieu & la conservation des infidèles. M. Vin cent a fait encore ressentir les effets de sa charité dans les Païs infestez d’heresie, où ses Missionaires ont travaillé par sa conduite, à conterver les Catholiques dans la Foy & dans la pieté Chrétienne, & à ramener les hérétiques au Bercail de l’Eglise. Il envoya l’an 1646, par l’ordre de N.S.P.le Pape Innocent X huit Prestres de sa Congregation en Hibernie, où la plupart des Catholiques vivoient dans une grande ignorance des choses de leur salut, & dans un éminent danger d’estre pervertis par la malice des hérétiques.Ces fidèles Ouvriers tascherent de prévenir ce malheur, par de continuelles Missions qu’ils firent en plusieurs Dioceses de ce Royaume, jusqu’à l’année 1652, que le libre exercice de la Religion Catholique y fut entièrement interdit, sous la sanglante persecution de Cromwel. On ne sçauroit exprimer combien grands furent les fruits de ces Missions, & avec qu’elle ardeur les catholiques venoient de tous costez, mesme de dix lieuës aux environs, pour y participer. On y fit plus de quatre-vingt mille Confessions générales, & d’autres DE PAUL. LIV. I . CHAP. XLVI. 347 biens presque innombrables. Tous les habitans de la ville de Limerik, au nombre de vingt mille, firent leurs Confessions générales avec des sentimens & des témoignages extraordinaires de Penitence. Dieu voulut ainsi préparer ces Peuples a deux grandes afflictions qui devoient éprouver leur patience & leur Foy. L’une fut la peste qui fit grand ravage en plusieurs Provinces, & qui enleva prés de huit mille personnes dans la ville de Limerik. L’autre fut la cruelle persecution des hérétiques, lesquels s’estant rendus Maistres du Païs, firent mourir plusieurs bons Catholiques, qui aimerent mieux souffrir la perte de leurs biens & de leur vie, que de manquer de fidelité à Dieu, en renonçant à la Religion Catholique. Nostre charitable Pere des Missionnaires a envoyé en divers temps un semblable secours en d’autres lieux, où les besoins spirituels n’estoient pas moins pressans, & où la bénédiction de Dieu ne s’est pas seulement répanduë sur les Catholiques, mais encore sur plusieurs Heretiques. Un de ses Missionnaires entre autres luy écrivit d’un Païs fort éloigné, que Dieu en avoit converti huit ou neuf cens par ses Instructions & ses Exhortations, & deux ans après il louy manda que le nombre de ceux qui s’estoient convertis montoit à prés de douze cens. A quoy nous pourrions ajouter beaucoup d’autres semblables conversions qui ont esté opérées tant en France que dans les Païs Etrangers, par le Ministere des Prestres de la mesme Congregation. Mais nous ômettons, pour abréger ce Chapitre, tous ces effets extraordinaires de la grace ; le peu que nous en avons dit, estant plus que suffisant pour faire voir dans le progrès de la Congregation de la Mission, aussi-bien que dans sa naissance, une conduite particuliere de la Providence de Dieu, & 348 LA VIE DU VENERABLE VINCENT une assistance & protection speciale de sa main toute puissante. C’est ce que M. Vincent reconnoissoit par une sensible experience ; ma is bien-loin d’en concevoir aucun sentiment de vaine complaisance, il s’en humilioit davantage, & en rendoit fidèlement toute la gloire de Dieu, disant à ceux qui le congratuloient des grandes Œuvres qu’il avoit « faites : Qu’il n’estoit qu’un bourbier & un limon « vil & abjet, & que si Dieu l’avoit employé à ses Oeu« vres, c’est qu’il s’estoit voulu servir de cette boüe « pour joindre ensemble les pierres de ses Edifices. _________________________________________ CHAPITRE XLVII.` Il donne des Regles à sa Congregation, & dit plusieurs choses considérables sur ce sujet. MONSIEUR Vincent ayant desja atteint la 83 année de son âge, & se sentant attaqué par de continüelles infirmitez, prevoyoit bien qu’il ne uy restoit plus guere de temps à vivre, & que la mort le separeroit bien-tost de ses chers Enfans. C’est pourquoi comme il les avoit tendrement aimez pendant sa vie, il voulut leur donner sur la fin des preuves signalées de cet amour, en leur laissant pour heritage son esprit exprimé dans ses Regles ou Constitutions. Il y avoit desja 22 ans que la Congregation estoit étable, & qu’elle observait les Reglemens qu’il avoit mis peu à peu en usage depuis le commencement de son erection ; mais il n’avoit point voulu les faire imprimer, ny leur donner une entiere stabilité, jusqu’à ce qu’il eut reconnu par une longue experience, ce qui estoit le plus convenanble à la perfection de son institut. DE PAUL. LIV. I . CHAP. XLVII. 349 Ayant donc esté pleinement persuadé de l’utilité de ces Reglemens, par les bons effets qu’il en avoit vû reüssir pendant plusieurs années ; il y mit enfin la derniere main & les fit imprimer. Ensuite il assembla les Missionnaires de la Maison de Saint Lazare un Vendredi au soir 17 de May de l’année 1658, & leur fit un Discours tres-affectif & plein d’une tendresse paternelle, pour les exhorter à l’observance des mesmes Regles. Ce Discours fut fidélement recueilli par un des Siens qui l’avoit entendu & nous en rapporterons icy des extraits qui feront voir la Prudence & le zele de ce charitable Instituteur. Il commença par les Motifs que sa Congregation avoit d’aimer & de bien observer ses Regles. Il « me semble, dit-il que par la grace de Dieu toutes « les Regles de la Congregation de la Mission tendent « à nous éloigner du peché, & mesme à éviter les « imperfections, à procurer le salut des Ames, à ser- « vir l’Eglise, & à donner gloire à Dieu : de sorte que « quiconque les observera comme il faut, s’éloi- « gnera des pechez & des vices, se perfectionnera « dans son état, sera utile à l’Eglise, & rendra à No- « stre Seigneur la gloire qu’il en attend. Quels motifs, « Messieurs & mes Freres, de s’exempter des vices & « des pechez, autant que l’infirmité humaine le peut « permettre, glorifier Dieu & faire qu’il soit aimé & « servy sur la terre ? O Sauveur ! Quel bon-heur ? « Je ne le puis assez considérer. Nos Regles ne nous « prescrivent en apparence qu’une vie assez commu- « ne, & néanmoins elles ont de quoy porter ceux qui « les pratiquent à une haute perfection ; & non seu- « lement à cela, mais encore à détruire le peché & « l’imperfection dans les autres, comme ils les au- « ront détruites en eux-mesmes. Si la petite Congre- « gation a desja fait quelques progrès dans la vertu « 350 LA VIE DU VENERABLE VINCENT « & si chaque particulier est sorty de l’état du peché « & s’est avancé dans le chemin de la perfection ; n ‘est« ce pas l’observance de ces Regles qui a fait cela ? « Si par la misericorde de Dieu, la mesme Compagnie « a produit quelques biens dans l’eglise, par le « moyen des Missions & par les Exercices des Ordi« nans ; n’est-ce pas parce qu’elle a gardé l’ordre que « Dieu y avoit introduit, & qui est prescrit par ces « Regles ? O que nous avons donc grand sujet de « les observer inviolablement, & que la Congre« gation de la Mission sera heureuse si elle y est fi« déle. « Un autre motif qu’elle a pour cela, est que ces « Regles sont presque toutes tirées de l’Evangile, « comme vous verrez, & qu’elles tendent toutes à « conformer notre vie à celle de Nostre Seigneur « a menée sur la terre. Il est dit que ce Divin Sauveur « a esté envoyé de son Pere pour Evangelisez les Pau« vres : Pauperibus evangelisare misit me. C’est ce « que la petite Congregation tasche de faire par la « grace de Dieu ; & elle a grand sujet de s’humilier « & de se confondre, de ce qu’il n’y en a point enco« re eu d’autre, que je sache, qui se soit proposée « pour fin particuliere & principale, d’annoncer l’E« vangile aux pauvres, & aux Pauvres les plus aban« donnez. Pauperibus evangelisare misit me. C’est « là notre fin ; ouy, Messieurs & mes Freres, notre « partage sont les pauvres. Quel bon-heur de faire « la mesme chose pour laquelle Nostre Seigneur a dit « qu’il estoit venu du Ciel en terre, & moyennant « quoy nous espérons avec sa grace aller de la terre « au Ciel ? Faire cela, c ‘est continuer l’ouvrage du « Fils de Dieu qui alloit volontiers dans les lieux de « la campagne chercher les Pauvres. Voilà à quoy « nous oblige notre Institut, à servir & aider les « Pauvres que nous devons reconnoistre pour nos DE PAUL. LIV. I . CHAP XLVII. 351 Seigneurs & pour nos Maistres. O pauvres, mais « bien-heureuses Régles, qui nous engagent à aller « dans les villages à l’exclusion des grandes villes, « pour faire ce que J ESUS-CHRIST a fait ! Voyez « je vous prie le bon-heur de ceux qui les observent, « de conformer ainsi leur vie & toutes leurs actions à « celles du Fils de Dieu. O Seigneur ! quel motif « avons-nous en cela de bien observer ces Regles, « qui nous conduisenty à une fin si sainte & si de- « sirable « Mais qu’elles sont ces Regles ? Ce sont celles « que la Congregation a observées jusqu’à mainte- « nant ; on a trouvé seulement à propos de les ex- « pliquer un peu & de les faire imprimer, afin qu’un « chacun les puisse avoir commodément. Vous les « avez long-temps, attenduës, Mes :sieurs & mes Fre- « res, & nous avons beaucoup differé à vous les don- « ner pour de bonnes raisons. Premierement, pour « imiter la conduite de Nostre-Seigneur, lequel com- « mença à faire avant d’enseigner : Coepis Jesus « sacere docere. Il pratiqua les vertus pendant les « Trente premieres années de sa vie, & employa seu- « lement les trois dernieres à prescher & enseigner « Ainsi la petite Congregation a tasché de l’imiter, « non seulement en ce qu’il est venu faire sur la terre, « mais aussi à le faire de la mesme maniere qu’il l’a « fait. Car elle peut dire qu’elle a premièrement fait « & puis qu’elle a enseigné :Coepit face re & desserre. « Il y a bien trente-trois ans ou environ que Dieu luy « a donné commencement, & depuis ce temps-là on « y a par la grace de Dieu pratiqué les Regles que « nous allons vous donner présentement ; aussi n’y « trouverez-vous rien de nouveau, & que vous « n’ayez mis en pratique depuis plusieurs années « avec beaucoup d’edification. Si l’on donnait des « Regles qu’on n’eust point encore pratiquées, on « 352 LA VIE DU VENERABLE VINCENT « pourroit trouver de la difficulté ; mais vous don« nant ce que vous avez fait & exercé depuis tant « d’années avec fruit & consolation, il n’y a rien que « vous ne trouviez également utile & aisé pour l’a« venir. On a fait comme les Reccabites, dont il est « parlé en la sainte Ecriture lesquels gardoient par « tradition les Regles que leut avoit laissé leur Pere, « bien qu’elles ne fussent pas écrites ; & mainte« nant que nous avons les nostres écrites & impri« mées, la Congregation n’aura qu’à continuer & à « se maintenir dans l’usage de ce qu’elle a pratiqué « durant plusieurs années, & à faire toujours ce « qu’elle a si fidèlement observé par le passé. « Secondement si nous eussions donné les Regles « dés le commencement & avant que la Congrega« tion les eust mises en pratiques, on auroit pû pen« ser qu’il y auroit eu en cela plus de l’humain que « du divin, & que c’eust esté un dessein pris & con-` « certé humainement, & non par un ouvrage de la « Providence de Dieu : mais : Messieurs & mes Fre« res, toutes ces Regles & tout le reste que vous « voyez dans la Congregation, s’est fait je ne sçait « comment, car je n’y avois jamais pensé, & tout « cela s’est introduit peu à peu, sans qu’on puise di« re qui en est la cause. Or c’est une Regle de S. Au« gustin, que quand on ne peut trouver la cause d’une « chose bonne,il la faut rapporter à Dieu, & recon« noistre qu’il en est le Principe & l’Auteur. Selon « cela Dieu n’est-il pas l’Auteur de toutes nos Regles « qui ont esté introduites de telle sorte, qu’on ne « sçauroit dire comment ny pourquoi ? O Sauveur « quelles Regles ! et d’où viennent-elles ? Y avois« je pensé ? point du tout. Je vous puis assurer, Mes« sieurs & mes Freres, que je n’avois jamais pensé ny « à ces Regles, ny à la Con,gregation, ny mesme au « mot de Mission ; c’est Dieu qui a fait tout cela, les DE PAUL. LIV. I . CHAP. XLVII. 353 hommes n’y ont point de part. pour moy quand je « considère la conduite dont il a plû à Dieu se servir « pour faire naistre la Congregation en son Eglise, « j’avoüe que je ne sçay où j’en suis, & qu’il me sem- « ble que c’est un songe tout ce que je vois. Non, ce- « la n’est point de nous, cela n’est point humain, mais « de Dieu ? Appellerez-vous humain ce que l’enten- « dement de l’homme n’a point prévû, & ce que la « volonté n’a desiré ny recherché en aucune manie- « re ? Nos premiers Missionnaires n’y avoient pas « pensé non plus que moy ; de sorte que cela s’est « fait contre toutes nos prévoyances & espérances. En « verité quand je considère cela & que je voy tous « les emplois de la Congregation de la Mission, il me « semble que c’est un songe. Quand le Prophete Ha- « bacuc fut enlevé par un Ange, & porté bien-loin « pour consoler Daniel dans la fosse aux Lions, & « puiis rapporté au lieu où il avoit esté pris, pouvoit- « il pas s’imaginer que tout cela n’estoit qu’un songe ?« De mesme si vous me demandez comment les pra- « tiques de la Congregation ont esté introduites ? « Comment la pen,sée de tous nos Exercices nous « est venue ? je vous diray que je n’en sçy rien, & « que je ne le puis connoistre. Voilà -.M. Portail qui « a vû aussi bien que moy l’origine de la petite Con- « gregation, & qui vous peut dire que nous ne pen- « sions à rien moins qu’à tout cela ; tout s’est fait com-« me de soy-mesme, peu à peu, l’une après l’autre. Le « nombre de ceux qui se joignoient à nous s’aug- « mentoit, & chacun travailloit à la vertu ; & « à mesme temps que le nombre croissoit, les bonnes « pratiques s’introduisoient, afin de pouvoir vivre « bien –unis ensemble, & de nous comporter avec « uniformité dans nos emplois. Ces pratiques ont « toûjours esté depuis observées, & le sont encore au- « jourd’huy par la grace de Dieu. Enfin on a trouvé « 354. LA VIE DU VENERABLE VINCENT « à propos de les reduire par écrit & d’en faire des Re« gles. J’espere que la Compagnie les recevra comme « émanées de L’Esprit de Dieu : A quo bona cunitas « procédure : duquel toutes les choses bonnes proce« dent, & sans lequel : Non sumu sufficientes cogita« re quelqu’un à nobis quasi ex nobis. Nous ne sommes « pas capables de produire de nous-mesme une bonne « pensée, comme de nous-mesmes. « O Messsieurs et mes Freres ! je suis dans un tel « étonnement de penser que c’est moy qui donne des « Regles, que je ne sçaurois concevoir comment « j’y fait pour en venir-là ; Il me semble que je suis « toujours au commencement ; & plus j’y pense, plus « aussi cela me paroist éloigné de l’invention des hom« mes, & je connois plus évidemment que c’est Dieu « seul qui a inspiré ces Regles à la Congregation. Que « si j’y ay contribué quelque peu de chose, je crains « que ce ne soit ce peu là qui empesche qu’elles ne « produisent tout le bien qu’elles auroient fait. « Que reste-t-il Messieurs ? Sinon d’imiter Moïse « lequel ayant donné la loy de Dieu au peuple, pro« mit à tous ceux qui l’observeroient toutes sortes de « benedictions en leurs corps & en leurs ames, en « leurs biens & en toutes choses. Aussi, Messieurs « & mes Freres, nous devons espérer de la bonté de « Dieu toutes sortes de grâces & de ben,edictions pour « tous ceux qui observeront fidèlement les Regles « qu’il nous a données ; bénédiction en leurs per« sonnes, bénédiction en leurs pensées, bénédiction en « leurs desseins, bénédiction en leurs emplois, en « toutes leurs conduites, bénédiction enfin en tout ce « qui les concernera. J’espere que vostre fidelité passée « à observer ces Regles, & vostre patience à les atten« dre si long-temps, vous obtiendront de la bonté de « Dieu la grace de les observer encore plus facile- DE PAUL. LIV. I . CHAP. XLVII. 355 ment & plus parfaitement à l’avenir. O Seigneur ! « donnez vostre bénédiction à ce petit Livre, & ac- « compagnez-le de l’onction de vostre Esprit, afin « qu’il opere dans les ames de ceux qui le liront, l’é- « loignement du peché, le détachement du monde, la « pratique des vertus & l’union avec vous. « M. Vincent ayant ainsi parlé, fit approcher les Prestres, à chacun desquels il donne un petit Livre contenant les Regles imprimées, qu’ils voulurent par devotion recevoir à genoux ; & il réserva à distribuer les autres le lendemain au reste de la Communauté, parce qu’il estoit trop tard. Aprés cette distribution, l’Assistant de la Maison s’estant mis derechef à genoux, & luy ayant demandé sa bénédiction au nom de toute la Communauté qui s’y estoit mise aussi, M. Vincent se prosterna luy-mesme comme les autress, & dit ces belles paroles . O Seigneur ! qui estes la loy éternelle & la loy immuable, qui gouvernez par vostre sagesse infinie tout l’univers ; Vous de qui toutes les conduites des créatures, toutes les loix & toutes les Regles de bien vivre sont émanées comme de leur vive source. O Seigneur ! benissez s’il vous plaîst ceux à qui vous avez donné ces Regles icy, & qui les ont receuës comme procédantes de vous. Donnezleur, Seigneur, la grace necessaire pour les observer toûjours & inviolablement jusqu’à la mort. C’est en cette confiance & en vostre Nom, que tout miserable pécheur que je suis, je prononceray les paroles de la bénédiction que je vais donner à la Compagnie. Voilà une partie du Discours que M. Vincent fit en cette occasion, lequel il prononça d’un ton de voix mediocre, humble, doux & devot ; & de telle sorte qu’il faisoit sentir aux cœurs de tous 356 LA VIE DU VENERABLE VINCENT ceux qui l’écoutoient, l’affection paternelle du sien . Il leur sembloit qu’ils estoient avec les Apostres écoutans parler Nostre Seigneur, particulièrement en ce dernier Sermon qu’il leur fit avant sa PASSION. Où il leur donna aussi ses Regles en leur imposant le grand commandement de la parfaite dilection. Plusieurs ne purent contenir leurs larmes dans cette occasion, & tous sentirent en leurs ames des mouvemens de joye de ce qu’ils avoient vû & entendu ; d’amour de leur vocation ; de desir de s’avancer, & de ferme propos d’estrefidéles à l’observance de leurs Regles. On peut recueillir de ce qui vient d’estre dit, & plus encore de la lecture des Regles de la Congregation de la Mission, qu’elle a esté instituée pour trois fins principale. La premiere, pour travailler à sa propre perfection, en s’étudiant de pratiquer les vertus de Nostre-Seigneur a daigné nous enseigner par ses paroles & son exemple. La seconde, pour prescher l’Evangile aux Pauvres, & particulièrement à ceux de la campagne, qui sont les plus delaissez. Et la troisiéme, pour aider les Ecclesiastiques à acquérir les connoissances & les vertus nécessaires à leur état. C’est le précis de son Institut & à quoy tendent ses Regles, dont on peut dire avec raison qu’elles sont venuës de Dieu, parce qu’elles ont esté puisées dans l’Evangile. Au reste quand M. Vincent disoit qu’il ne sçavoit pas comment elles avoient esté mises en usage dans sa Congregation, c’est qu’il ne se regardoit pas comme s’il en eust esté l’Auteur ; car les Prestres de sa Congregation sçavent bien que c’est luy qui les a introduites, non pas en commandant aux autres de les observer, mais en les observant luy-mesme tout le premier. Il s’est rendu leur Regle vivante par une vray expression de la v ie & des maximes de JESUS- DE PAUL. LIV. I . CHAP. XLVIII. 357 CHRIST ; & eux ont tasc hé de se conformer à ses exemples & de marcher sur ses pas ; & c’est ainsi que les Regles de sa Congregation ont esté pratiquées avant que d’estre écrites. _________________________________________ CHAPITRE XLVIII. Plusieurs autres Œuvres de pieté qui luy ont esté ordinaires, & en particulier ce qu’il a fait pour l’Hôpital de Sainte Reyne. ON peut dire avec raison du fidéle Serviteur de Dieu Vincent de Paul, que ses jours ont esté vraiment pleins, selon le langage de l’Ecriture, & qu’il n’en a laissé aucune partie vuide & inutile ; puisque tous les momens de sa vie, particulièrement depuis sa vocation aux Emplois de la Mission,ont esté tissus d’une suite continuelle de saintes œuvres & d’occupations tres-utiles pour le salut du Prochain. Comme sa charité estoit tres-bien reglée, il donoit le premier rang aux exercices de pieté envers Dieu, & s’il s’en est toûjours acquité avec une exactitude & une fidelité inviolable, comme l’on verra plus amplement au second Livre. Il s’appliquoit ensuite avec une grande assiduité au gouvernement des Maisons de sa Congregation & de tous ceux qui estoient sous sa conduite. Il soûtenoit aussi par sa presence & par ses soins tous les autres Etablissemens de pieté, dont nous avons parlé ; & il assistoit pour cet effet chaque semaine à diverses Assemblées qu’il avoit assignées à certains jours, outre plusieurs extraordinaires où il estoit prié de se trouver. Les Prelats l’ont souvent appellé dans leur Conseil, quand il s’agissoit du rétablissement de la 358 LA VIE DU VENERABLE VINCENT discipline Ecclesiastique dans les Dioceses, ou d’y arrêter quelques grandes désordres qui en troubloient la tranquilité. Les Superieurs de diverses Communautez tant d’hommes que de filles, l’ont aussi employé plusieurs fois pour apaiser des divisions domestiques, ou pour remettre l’observance de leurs Regles. On le prenait quelquefois pour Arbitre en des differens de conséquence, ce qui l’obligeoit à aller plusieurs fois tantost chez les uns & tantost chez les autres ; & il a heureusement terminé par sa prudence, des procès qui avoient troublé long-temps des familles & mesmes des Parroisses entieres. Il recevoit un tres-grand nombre de Lettres, tant de la part des Evesques, que d’autres personnes de toute condition, pour des affaires de conscience, ou pour des entreprises de pieté. Plusieurs mesme qui ne le connoissoit que par la seule reputation de sa vertu & de sa charité, prenoient néanmoins la confiance de recourir à luy dans leurs doutes, & de luy écrire des endroits du Royaume les plus éloignez, & des Païs étrangers, afin d’en tirer les éclaircissemens. Il ne manquoit pas de leur faire réponse & de leur donner satisfaction sur tout ce qu’ils avoient desiré de luy ; & cela avec autant de cordialité & de franchise, que s’ils eussent esté ses plus intimes amis. La Maison de S. Lazare estoit comme le rendez-vous de ceux qui avoient dessein d’entreprendre quelque bonne œuvre ; il y estoit presque accablé de visites & de consultations : Les uns luy proposoient des biens à faire, & les autres luy demandoient des avis & souvent des secours pour les exécuter. Il les recevoit tous avec beaucoup de bonté, il les écoutoit avec attention, & puis il leur donn oit toutes les instructions nécessaires pour reüssir ; & s’il estoit besoin, il y contribuoit aussi de tout son pouvoir. DE PAUL. LIV. .I. CHAP. XLVIII. 359 On a pû remarquer dans plusieurs Chapitres précedens divers exemples particuliers de ce que nous venons de dire, & il serait bien facile d’en proposer beaucoup d’autres pour preuve de la mesme verité ; mais la chose estant si publique, il suffira d’en rapporter encore un qui est tres-digne de remarque, & qui luy arriva environ deux ans avant sa mort en la maniere qui suit. Quelques personnes de pieté estant allées à Sainte Reyne au Diocese d’Autun, furent sensiblement touchées de la misere des Pelerins qui abordent continuellement à ce saint lieu, à cause des guerisons que Dieu y opere par les intercessions de cette illustre Vierge & Martyre. Ces pauvres gens n’avoient d’autre retraite qu’une méchante grange où ils couchoient sur la terre ; quelquefois mesme le grand nombre en obligeoit plusieurs de passer la nuit dans les rües du Bourg, exposez aux injures de l’air, & à la rigueur des saisons ; & ceux qui mourroient, soit de faim, soit de maladie, estoient souvent privez de tout secours pour l’ame & pour le corps. Un si triste spectacle fit naistre dans le cœur de ces vertueuses personnes le désir de secourir ces pauvres abandonnez ; mais l’impuissance où ils estoient d’executer une œuvre si grande & si difficile, leur donnoit sujet de douter si Dieu vouloit se servir d’eux pour l’entreprendre ; veu principalement que feu M. de Renty, & d’autres personnes de grand merite avoient eu la mesme pensée, sans avoir trouvé assez d’ouverture pour l’effectuer. Ils furent inspirez dans leur incertitude de s’adresser à quelque Saint personnage de qui ils pussent apprendre ce que Dieu desiroit d’eux en cette occasion. Ils choisirent M. Vincent entre les autres, & remirent principalement en ses mains la resolution 360. LA VIE DU VENERABLE VINCENT de leur doute. Dés la premiere fois qu’ils luy parlerent de cette œuvre de charité, il en conceut une haute idée ; mais comme il sçavoit qu’il n,’y a rien de plus dommageable à toutes les entreprises de pieté que la précipitation, il désira, selon sa coûtume, recommander leur dessein à Dieu avant que de leur donner réponse. Il leur conseilla mesme de faire une Retraite spirituelle à cette fin, à quoy ils acquiescerent tres-volontiers. Il eut ensuite avec eux une longue Conference, où après avoir écouté leurs pensées, il conclud nettement que le dessein estoit de Dieu, & qu’encore qu’on vist peu d’ouverture pour établir un Hôpital, ils devoient neanmoins commencer à secourir les Pelerins ; qu’il falloit aller sans delayat ou plûtost courir au secours de ces pauvres abandonnez, de peur que plusieurs ne mourussent cependant sans estre assistez. Une resolution si précise les détermina entierement à exécuter ce qu’ils avoient projetté de faire à Sainte Reyne pour le soulagement des Pelerins ; mais avant leur depart ils eurent encore une seconde Conference d’une apres-disnée entiere avec M. Vincent, où l’on mit en déliberation s’ils devoient commencer le bastiment de l’Hôpital avec le peu d’artgent qu’ils avoient mis en commun. Il écoûta tous leur avis, & ayant ensuite demeuré quelque temops sans parler, il ,leur dit enfin d’une « voix ferme et devote : Beny soit Dieu, il veut as« surément cét ouvrage, il faut avoir confiance en sa « Bonté, espérer tout de sa Providence, & mettre « promptement la main à l’œuvre pour jetter les pre« miers fondemens d’une si sainte entreprise, sans se « mettre en peine d’autre chose que de bien servir les « pauvres. Quoy qu’on ait amassé peu d’argent pour « cela, l’on ne doit pas néanmoins douter que l’oeu« vre , ne soit de Dieu. Les Mysteres de notre Reli- DE PAUL. LIV .I. CHAP. XLVIII. 361 gion ont eu ainsi des commencemens foibles en ap-« parence, comme l’Incarfnation, & il faut seule- « ment rapporter tout à la gloire de Dieu, vous hu- « milier beaucoup en la veüe de vostre neant, & fai- « re une bonne provision de patience ; car vous aurez « plusieurs persécutions à souffrir, & ceux qui de- « vroient vous appuyer de leur protection, seront les « premiers à traverser vos desseins. « Les paroles enflammées de cét homme de Dieu encouragerent tellement ces charitables Ouvriers, qu’ils prirent resolution de partir au plût ost de Paris, & de se rendre à Sainte Reine pour y loger & y servir JESUS-CHRIST mesme en la personne des pauvres Pelerins. A leur depart ils vinrent prendre congé de M. Vincent, & recevoir sa benediction. Il leur témoigna une singuliere affection & tendresse, & leur dit : Allez, mes enfans, mettez toute vostre confiance en Nostre Seigneur, je le prie de tout mon cœur de vous donner sa sainte bénédiction, & la-dessus il leur donna la sienne. Ils arriverent à Sainte Reine le 23 de May 1659 & commencerent incontinent, avec l’approbation de M. l’Evesque d’Autun, à servir les pauvres & à bâtir l’Hôpital. En attendant qu’il fust en état de les loger ils leur preparerent des lits dans la grange, dont nous avons parlé, & leur y fournirent tout ce qui estoit necessaire pour leur nourriture & pour leur soulagement. Ils firent une telle diligence dans la construction de l’Hôpital, que dés l’année suivante ils y recurent les Pelerins. Mais comme les bons desseins souffrent ordinairement de fâcheuses traverses dans leur execution, celuy-cy ,n’en fut pas exempt ; il fut agité de bourrasques si furieuses qu’on le vit presque sur le point d’echoüer. Neanmoins ces personnes charitables ne perdirent jamais l’esperance de reüssir ; 362VIE DU VENERABLE VINCENT M. Vincent qui les avoit avertis des persécutions qu’on leur susciteroit, les avoit à mesme temps disposez à ne point craindre la violéce des hommes, & à se confier au secours du Ciel. Dieu fit bien voir qu’il les protegeoit ; car il inspira quelques personnes puissantes de les assister en leur credit & de leurs moyens. La Reine Mere du Roy entre les autres, poussée de son zele ordinaire pour toutes les œuvres qui regardent le service de Dieu, prit déslors cét Hôpital sous sa protection particuliere, & le favorisa depuis de ses bien-faits ; & le Roy mesme ayant esté informé de l’importance de cette oeuvre, l’authorisa par ses Lettres Patentes, qui furent ensuite vérifiées au Parlement de Dijon Les grandes dépenses qu’on a esté obligé de faire, soit pour les logemens, soit pour l’assistan,cve des Pelerins, sans autre fonds que celuy de la Divine Providence, montrent assez que Dieu en est le premier & le principal Fondateur. C’est luy qui a fourny des sommes tres-notables pour avancer cét Ouvrage, & qui le fait subsister tous les jours avec une visible dépendance de sa protection. L’on n’avoit que dix mille Livres quand on commença, & pour le mettre en état qu’il est présentement, on en a employé prés de cent mille. Certainement à juger du reste par tout ce que nous venons de rapporter, on peut dire que cét Hôpital est un des grands biens que la charité de nostre siecle ait produits ; & que ce n’est pas sans raison qu’un illustre personnage l’a mis en parallelle avecl’Hôpital General de Paris, veu qu’il passe tous les ans plus de vingt mille pauvres par le Bourg de Sainte Reyne, où depuis l’Etablissement de l’Hôpital, ils sont assistez pour l’ame & pour le corps, par des Ecclesiastiques & des Laïques qui se sont entièrement consacrez à leur service. DE PAUL. LIV. I . CHAP. XLVIII. 363 C’est une Mission continuelle où les ignorans sont instruits des Mysteres de la Foy & des règles du Christianisme. C’est une admirable piscine, où les corps sont nettoyez par la vertu des miracles, & où les ames sont purgées par l’efficace des sacremens ; & l’on voit maintenant sortir de Sainte Reyne grand nombre de pauvres gens, qui vont ensuite dans les Provinces voisines, jusques dans les Etats étrangers, publier les prodiges de cette double guerison. Dieu s’est servy de diverses personnes recommandables par l’eclat de leur naissance, ou par le merite de leur pieté, pour contibüer à l’Etablissement de ce nouvel Hôpital ; & l’on ne peut douter qu’elles ne se soient acquis par cét ouvrage de charité, ,une gloire d’autant plus grande, que la misere de ces pauvres pèlerins est plus digne de compassion. Mais la Providence avoit particulierement choisi M. Vincent pour estre comme l’ame de l’entreprise. Ceux qui en ont esté les premiers instrumens, ont expressément declaré : Qu’ils « avoient éprouvé que ses conseils estoient benis de « Dieu & suivis d’heureux succés ; qu’ils n’avoient « fait aucune chose considerable en cette œuvre que « de concert avec luy ; qu’ils l’avoient commencée « par ses avis, continuée par ses persuasions, & « avancée en partie au point qu’elle est par ses pieu-« ses sollicitations auprès des personnes puissantes. « En effet, il ne se contenta pas de les avoir éclairez par ses conseils & encouragé par ses exhortations, il leur procura encore des aumônes considérables par le moyen des Dames de la Charité, dont il sollicita le zele en faveur de cét Etablissement ; & ces vertueuses Dames furent tellement persuadées de sa necessité, par le rapport qu’il leur en fit dans leurs Assemblées, qu’elles ont continué mesme 364 LA VIE DU VENERABLE VINCENT depuis sa mort, & continüent encore leurs charitables soins, pour accomplir le dessein commencé, & pour subvenir aux extrêmes besoins de tant de pauvres qu’on y reçoit continuellement. ________________________________________ CHAPITRE XLVIX. Reflexion sur l’heureuse mort de quelques personnes vertueuses dont M. Vincent a eu la conduite, & les sentimens qu’il en a témoignez. LA vie des Serviteurs de Dieu est d’un prix inestimable, & d’autant plus qu’ils sont rares, d’autant plus les doit-on estimer & regretter leur mort ; puisque si elle leur est utile, elle est neanmoins dommageable à l’Eglise, qui est privée du fruit de leurs exemples & de leurs travaux. C’est dans cette veuë que M.Vincent ressentoit vivement, comme S. Ambroise, la mort des personnes de pieté, & principalement des Ouvrierrs Evangeliques ; & quoy-qu-‘il fust parfaitement soumis aux ordres de Divine Providence, il ne laissoit pas pourtant d’estre fort touché de cette perte. Il l’a bien témoigné en diverses rencontres, mais particulierement quand il s’est vû privé de ses meilleurs Missionnaires, & de plusieurs autres qui avoient fidèlement coopéré à ses saintes entreprises. Nous en proposerons seulement quelques-uns, qui ont eu pendant leur vie une plus etroite liaison de grace avec luy, & qui ayant rendu de grandes services à Dieu sous sa conduiten, relevent en quelque façon par leur merite, celuy de leur charitable Pere & Directeur. DE PAUL. LIV. I . CHAP. XLIX 365 Le premier qu’on peut mettre avec raison entre les plus dignes Enfans de M. Vincent est M. Lambert natif du Diocese d’Amiens. Il fut receu l’an 1629 en la Congregation de la Mission, & il y travailla depuis jusqu’à sa mort, avec un zele infatigable dans tous les emplois de cét Institut. Ayant esté envoyé en Pologne l’an 1651 avec quelques autres Missionnaires selon le desir de la Serenissime Reine Marie de Gonzague qui les avoit demandez, il s’y employa avec grande ferveur à l’instruction des peuples de la campagne, & au secours spirituel & corporel des pauvres & mesme des pestiferez. Mais environ deux ans après son arrivée en ce Royaume, Dieu le retira de cette vie, pour l uy donner la recompense de ses travaux passez, & des désirs ardens qu’il avoit d’embrasser encore de nouveaux pour son service. Voicy les sentimens que M. Vincent témoigna de sa mort dans une Lettre qu’il écrivit sur ce sujet aux Maisons de sa Congregation. La Sainrte consolation de Nostre Seigneur soit « en nous tous, pour supporter avec amour l’incompara-« rable perte que la Congregation vient de faire en « la personne de feu M. Lambert qui décéda le 31 « jour de Janvier dernier. Le confesseur de la Rei- « ne de Pologne me mande qu’il est universellement « regretté, & que selon les pensées des hommes il est « difficile de trouver un Ecclesiastique plus accompli « & plus propre pour l’ouvrage de Dieu ; & il ajoû- « te qu’il peut estre nommé, Dilectus Deo, & homi- « nibus cujus memoria in benedictione est. C’estoit « dit-il, un homme qui cherchoit uniquement Dieu, « & nul ne s’estoit tant avancé en si peu de temps « dans les bonnes grâces & dans l’estime du Roy & « de la Reine, ny ne s’estoit acquis une apporobation « plus universelle parmy le peuple que ce cher dé- « 366 LA VIE DU VENERABLE VINCENT « funt, qui a repandu par tout où il a passé une gran« de odeur de ses vertus. Voilà les sentimens du Con« fesseur de la Reine ; & sa majesté m’en ayant écrit « une grande Lettre de sa propre main, après avoir « exprimé la satisfaction qu’elle ressentoit de sa mort, « elle finit par ces mots : Enfin si vous ne m’envoyez « un second M. Lambert, je ne sçay plus que faire. « Je ne doute pas, Messieurs, que cet accident qui « a affligé toute la Congregation, ne vous touche « sensiblement. Mais quoy ? la conduite de Dieu est « adorable, & nous en devons aimer les visites & les « afflictions, nous confiant que ce cher defunt nous « sera plus utile au Ciel, qu’il n’eust esté sur la « terre. On peut juger de la grandeur de cette perte, & de la douleur que M. Vincent en ressentit, par les vertus éminentes de ce bon Missionnaire. Elles ont esté si remarquables & en si grand nombre, qu’elles meriteroient un plus ample recueil que ne permet l’étendüe d’un Chapitre ; & pour les exprimer en peu de mots, il suffira de dire que ce fidéle Serviteur de Dieu s’estant proposé la vie de sonb tres-digne Pere pour modèle de la sienne, comme il le dit un jour à une personne de confiance, il s’est rendu une des plus parfaitres copies de cét excellent original. Il l’a particulièrement imité dans l’amour du mépris & de l’abaissement qu’il recherchoit en toutes les occasions. Il representoit souvent, sur tout à ceux qui luy rendoient quelque honneur, les choses les plus humiliantes qu’il pouvoit s’imaginer, pour s’abaisser devant les hommes ; & dans ce mesme esprit il s’appliquoit avec une singuliere affection aux offices les plus vils & abject, se comportant par tout comme le moindre la Maison, & com- DE PAUL. LIV. .I. CHAP. XLIX 367 me le Serviteur de ses freres. Son humilité neanmmoins estoit accompagnée d’un grand courage, qui procedoit de la ferme confiance qu’il avoit en Dieu, ce qu’il a fait voir clairement en plusieurs œuvres difficiles qu’il a entreprises pour son service, & en diverses souffrances qu’il a toûjours supportées avec une admirable égalité d’esprit. L’amour qu’il avoit pour l’obeïssance l’a fait rentrer par deux fois dans le Seminaire avec les commençans, pour avoir occasion de la pratiquer envers les plus jeunes ; & il estoit parvenu à un si haut degré de cette vertu, que M.Vincent disoit quelquefois pour l’exprimer ; Qu’il n’avoit jampais pû connoistre de quelle couleur estoit sa volonté, tant il estoit indifferent à toutes choses, & soumis à ce qui luiy estoit ordonné. Comme la bouche parle de l’abondance du cœur, on reconnoissoit aisément la plenitude de l’amour Divin, dont il estoit animé, par la pîeté de ses discours ; & la douceur dont il les assaisonnoit, leur donnoit une force merveilleuse pour gagner les cœurs de tous ceux avec qui il traitoit. Ce mesme amour le rendoiut si fort assidu à l’Oraison, où Dieu le favirisoit de si tendres sentimens de devotion, qu’on l’a vû plusieurs fois dans sa chambre, prosterné devant un Crucifix, les yeux baignez de larmes ; ce qui luy arrivoit encore assez souvent en recitant l’Office divin, & mesme dans ses Prédications & dans ses Conferences spirituelles. Les douceurs & consolations célestes qu’il experimentoit dans la communication avec Dieu, estoient le fruit du renoncement généreux qu’il avoit fait à toutes les satisfactions de la nature ; car depuis son entrée en la Congregation de la Mission, il persévéra constamment jusqu’à la mort dans une continuelle mortification de ses sens, & dans l’exercice de plusieurs pénitences & austéritez corporelles. C’est 368 LA VIE DU VENERABLE VINCENT par la pratique de ces vertus, & de beaucoup d’autres que n ous ômettons pour abréger, que ce vertueux Missionnaire s’est rendu une parfaite image de son charitable Pere, & qu’il a mérité, comme il y a sujet de croire, de posséder avec luy dans le Ciel la couronne preparée aux hommes Apostoliques. Le second que Dieu a retiré de cette vie au commencement de l’année 1660 est M. Portail du Diocese d’Arles. Il a eu l’avantage par dessus les autres Missionnaires, d’estre le Fils aisné de M. Vincent, & le compagnon inseparable de ses travaux, pendant prés de cinquante ans. Il fut associé le premier à la Congregation de la Mission par son tres-digne Instituteur, & il y a rendu de grands services à Dieu, tant par les Missions qu’il a faites en plusieurs Provinces du Royaume pour la sanctification des peuples, que par les divers emplois qu’il a saintement exercez pour l’avancement interieur de la mesme Congregation. Il a aussi travaillé jusqu’à sa mort avec grande bénédiction, au progrés spirituel des Filles de la Charité ; & parmy ces différentes & continüelles occupations, il a toûjours constamment persévéré dans l’exercice des vertus propres aux Missionnaires. Entre les autres, M. Vincent estimoit beaucoup sa douceur, & la proposoit mesme quelquefois aux siens pour exemple d’une vraye douceur Chrétienne ; parce que ce bon Prestre estant d’un naturel sévère, pratiquoit néanmoins cette vertu dans un tres-haut degré de perfection. Voicy les sentimens particuliers que M. Vincent témoigna touchant la mort & les saintes dispositions de ce vertueux Missionnaires dans la Lettre qu’il en écrivit pour lors au Superieur d’une « de ses Maisons. Il a plû à Dieu de n,ous priver du « bon M. Portail qui décéda le 14 de Fevrier. Il DE PAUL. LIV. I . CHAP. XLIX 369 avoit toûjopurs appréhendé la mort, mais la voyant « approcher, ,il l’a envisagée avec paix & resignation, « & il m’a dit plusieurs fois que je l’ay visité, qu’il ne « luy restait aucune impression de la crainte passée. « Il a finy comme il a vécu dans le bon usage des souf-« frances, dans la pratique des vertus & dans le desir « de se consumer, comme Nostre-Seigneur, en l’ac- « complissement de la volonté de Dieu. Il a esté l’un « des deux premiers qui ont travaillé aux Missions, & « il a toûjopurs fort contribué aux autres emplois de « la Congregation, à laquelle il a rendu de notables « services en toutes les manieres : De sorte qu’elle « auroit beaucoup perdu en sa personne, si Dieu ne « disposoit de toutes choses pour le mieux, & ne nous « faisoit trouver nostre bien en cela mesme, où nous « pensons recevoir du dommage. « La troisiéme Personne qui a fait un grand progrés dans les voyes de Dieu par la direction de M. Vincent, & qui a fort contribué à ses charitables entreprises pour le secours des pauvres, c’est Mademoiselle le Gras Fondatrice & premiere Superieure des Filles de la Charité, laquelle décéda un mois après M. Portail. Il y avoit prés de quarante ans qu’elle s’estoit mise sous la conduite de M. Vincent, & qu’elle s’appliquoit , suivant ses avis, à la pratique des plus excellentes vertus. Dieu qui vouloit se servir d’elle pour former dans l’Eglise une nouvelle Congregation de Filles, qui fust destinée au service des pauvres, luy avoit donné de grands sentimens de compassion pour leurs miseres ; une Mere n’eust pas aimé plus tendrment ses propres enfans, qu’elle cherissoit les pauvres. Elle leur avoit sacrifié ses biens, ses soins, son temps & sa personne ; elle les servoit elle-mesme dans leurs maladies, faisoit leurs lits, pensait leurs playes, préparoit leurs remèdes & leur nourriture. 24 LA VIE DU VENERABLE VINCENT L’amour des pauvres produisit en elle l’amour de la pauvreté. Elle pressa fort instamment M. Vincent d’agréer qu’elle vecust effectivement en pauvre, pour suivre de plus prés JESUS-CHRIST pauvre ; & ne l’ayant pû obtenir qu’en partie, elle en conservera néanmoins l’affection entiére jusqu’à sa mort. On voyoit reluire l’esprit de pauvreté sur ses habits & dans ses meubles ; elle estoit vétuë d’une etoffe grossiere & presque toute usée & rapiecée, elle demandoit ordinairement jusqu’aux moindre choses pour l’amour de Dieu ; & elle les « recevoit comme des aumônes : Nous sommes, di« soit-elle, les servantes des pauvres & nous en por« tons le nom ; nous devons donc estre plus pauvres « qu’eux, & nous réjouir dans cette veuë d’estre « nourries & vétuës pauvrement. Si elle avoit pris le titre de Servante des Pauvres par esprit de pauvreté, c’estoit l’humilité qui le luy faisoit estimer précieux ; & c’est par ce principe qu’elle l’a laissé à ses Filles. Il n’y avoit point d’occupation trop basse pour elle dans la maison, & si ses forces eussent égalé son ardeur, il n’y eust eu rien d’humiliant dans les offices domestiques, qu’elle n’eust embrassé avec joye. On l’a veuë plusieurs fois prosternée aux pieds de ses Filles, pour leur demander pardon du mauvais exemple qu’elle croyoit « leur avoir donné : Je merite, leur disoit-elle, d’e« stre foulée aux pieds comme la plus vile & la plus « miserable de toutes les créatures Cependant cette vertueuse Demoiselle qui avoit de si bas sentimens de soy-mesme, estoit élevée à une tres-haute perfection, & M. Vincent disoit d’elle, « qu’il n’avoit guerres connu d’ames aussi pu« re que la sienne ; & qu’encore que ses manquemens « fussent presque imperceptibles, tant ils estoient le« gers, elle s’accusoit néanmoins dans ses Con- DE PAUL. LIV. .I. CHAP. XLIX 371 fessions avec tant de doulmeur & de larmes, qu’il « avoit bien de la peine à l’appaiser. « Il n,e faut pas s’etonner qu’une ame parfaitement unie à Dieu, comme elle estoit, fust arrivée à une si grande pureté. Elle ne tenoit qu’à luy seul, & elle avoit entièrement dépris son cœur de toutes les choses de la terre. Ses emplois mesme extérieurs n’éstoient pas capables d’interrompre l’union de son esprit avec Dieu ; & dans les evenemens les plus surprenans, aussi-bien que dans les maladies les plus aiguës, elle conservoit une soûmission absoluë à sa divine volonté, & témoignoit par la douceur de ses paroles & par la sérénité de son visage, la joye interieure avec laquelle elle recevoit également toutes choses de la main de son Bien-aimé. La foiblesse de son corps ne diminüoit point la vigueur de son esprit, & le travail continuel où l’engageoient le service des pauvres, & la conduite de ses Filles, n’empeschoit pas qu’elle n’entreprist encore diverses mortifications. M. Vincent fut obligé d’en modéré l’excés ; mais cette moderation auroit semblé une grande rigueur à d’autres ; car on a trouvé une de ses Lettres, où après luy avoir défendu le trop fréquent,t usage des disciplines, il le luy permet néanmoins trois fois par semaine. Nous ne disons rien de sa douceur, de son support, de sa prudence, ny de ses autres vertus qui meriteroient un Livre entier ; & nous concluons en un mot cét échantillon de ses saintes actions, par quelques circonstances de son heureux decés. Dieu la disposa à ce passage par une longue maladie, pour Luy donner moyen de consommer le sacrifice de sa vie laborieuse, par l’exercice d’une patience heroÏque. Elle employa tout ce temps de souffrances en de contiüelles aspirations vers Dieu, & elle ac- 372 LA VIE DU VENERABLE VINCENT quit ainsi le comble de ses mérites par les actes des plus excellentes vertus. Ayant esté priée de donner sa derniere bénédiction à ses Filles, elle ramas« sa le peu de forces qui luy restoient, & leur dit : Mes « cheres Sœurs, je prie Nostre-Seigneur qu’il vous « donne sa sainte bénédiction, & qu’il vous fasse la « grace de persévérer en vostre vocation pour le ser« vir en la maniere qu’il demande de vous. Je vous « recommande sur tout de vous acquitter fidèlement « du service des pauvres, de conserver soigneuse« ment une grande union & cordialité entre vous, & « d’avoir une particuliere devotion à la Sainte Vier« ge, comme à vostre unique & tres-bonne Mere. Elle rendit ensuite son ame à Dieu le 15 de Mars âgée de 68 ans & 7 mois. Elle avoit toujours appréhendé d’estre privée de l’assistance qu’elle desiroit recevoir de son charitable Directeur, & Dieu permit que cela luy arrivast, car M. Vincent estoit pour lors si foible, qu’il ne pouvoit se soutenir. Comme elle luy eut fait demander quelques mots de consolation écrits de sa main, il ne le voulut pas faire, mais il luy envoya un Prestre de sa Congregation, pour luy dire de sa part, qu’elle s’en alloit devant, & qu’il la suivroit bien-tost & esperoit de la voir dans le Ciel. M. Portail & cette charitable Demoiselle avoient eu pendant leur vie le soin particulier des Filles de la Charité sous la conduite de M. Vincent, & après leur mort ils luy laisserent toute la charge de cette Compagnie sur les bras, lorsqu’il n’estoit plus en état de sortir, ny de s’appliquer beaucoup au travail. Il se soumit néanmoins à cette disposition de la divine Providence, comme à toutes les autres, avec une entiere resignation & une parfaite tranquillité d’esprit. DE PAUL. LIV. . I . CHAP. XLIX. 373 Enfin le dernier, dont la mort arriva cette mesme année, fut Messire Louïs de Rochechoüart de Chandenier, Abbé de Tournus, lequel s’estoit retiré à S. Lazare depuis quelque temps avec M. l’Abbé de Moustier-Saint-Jean son frère, & M. Vincernt les y avoit receus pour des considérations tres-grandes, & telles qu’elles ne se peuvent presque rencontrer qu’en eux d’eux. C’est ce qui le fit passer par-dessus la resolution que luy & les siens avoient desja prise, de ne point admettre des Pensionnaires pour vivre dans leur Communauté, sinon dans les Maisons où il y a des Seminaires d’Ecclesiastiques externes. Ces deux Freres estoient Neveux de feu M. le Cardinal de la Rochefoucault, & dignes héritiers de sa pieté. Leur naissance estoit illustre, mais leur vertu l’estoit encore plus ; & la conformité de leur vie tres-exemplaire les unissoit ensemble par un lien plus etroit, que l’alliance de la nature. La modestie de l’un qui est encore vivant, ne permet pas d’en parler avec la mesme liberté que du defunt son aisné, lequel estoit Prestre, & pouvoit servir de regle & d’exemple aux Abbez commendataires les plus reformez du Royaume. L’Oraison estoit sa plus fréquente nourriture, l’humilité son ornement, la mortification ses délices, le travail son repos, la pauvreté sa chere compagne, & la charité le principe de toutes ses actions. Il estoit de la Compagnie des Messieurs les Ecclesiastiques de la Conference de S. Lazare, & Visiteur general des Carmélites de France. Il avoit assisté & travaillé en plusieurs Missions, & avoit eu la conduite de celle que la Reine Mere désira qu’on fist en la ville de Mets l’an 1658. Plusieurs Evesques luy avoient voulu ceder leurs Sieges, estimans que sa promotion à l’Episcopat serait tres-avantageuse à 374 LA VIE DU VENERABLE VINCENT l’Eglise, mais il les avoit remerciez, n’ayant pas crû que Dieu l’appeloit à cét Etat si relevé. Quoy-que Monsieur son Frere & luy employassent tres-utilement les revenus de leurs Benefices, & que les pauvres des lieux où ils sont situez, en receussent une bonne partie ; néanmoins reconnoissans que la pluralité des Benefices n’estoit pas conforme aux SS Canons, ny à l’Esprit de l’Eglise, ils prirent resolution de n’en retenir que chacun un, & de quitter tous les autres ; ce qu’ils executerent généreusement, les mettant entre les mains des personnes qu’ils sçavoient en devoir faire bon usage ; en quoy ils ont donné un exemple d’autant plus digne d’estre admiré & imité, qu’il est plus rare en ce siecle. Ces deux vertueux Freres firent un voyage à Rome sur la fin de l’année 1659, avec deux Prestres de la Congregation de la Mission, que M. Vincent leur donna, selon leur desir, pour les accompagner. N.S.P. le Pape Alexandre VII fut fort consolé de les voir, & toute la Cour Romaine, grandement édifiée de leur modestie & de leur vertu, pendant trois ou quatre mois qu’ils séjournerent à Rome. Ce fut là que M. l’Abbé de Tournus ayant esté atteint de maladie, voulut enfin accomplir le dessein qu’il avoit formé quelque temps auparavant, d’entrer dans la Congregation de la Mission. Il pressa fort le Superieur de la Maison de Rome de la mesme Congregation de le recevoir au nombre des Missionnaires, parce qu’il craignoit de mourir sans avoir eu ce bon-heur. Mais ce Superieur jugeant qu’il estoit plus à propos que cela se fit par M. Vincent mesme, ne crût pas devoir acquiescer à son désir, sinon en cas qu’il se trouvat en danger de mourirt à Rome. Son mal ayant depuis DE PAUL. LIV. I. CHAP XLIX. 375 depuis diminué, il alla avec Monsieur son Frere recevoir la benedictioon de sa Sainteté, & partit aussi-tost pour s’en venir à Paris, bien resolu de faire tous ses efforts auprès de M. Vincent pour obtenir, comme il disoit, la grace d’estre admis en sa Congregation. Dieu se contenta de sa bonne volonté, & voulut par avance le recompenser d’une si généreuse résolution ; car ayant esté attaqué d’une fievre en chemin, il fut obligé de s’arrester à Chambery en Savoye, où il se trouva en peu de jours reduit à l’extrémité, pendant laquelle il eut la consolation d’estre reçu Missionnaire par un des Prestres de cette Congregation qui l’accompagnoit ; & enfin il acheva heureusement sa course par une sainte mort, le 3 de May l’an 1660. M. l’Abbé de Moustier S. Jean, qui le cherissoit tendrement comme son Frere, & qui l’honoroit comme son Pere, fit conduire son corps à Paris, où il a esté enterré en l’Eglise de S. Lazare. Le décés de ce tres-digne Abbé a esté sans doute une tres –grande perte pour l’Eglise, & pour la Congregation de la Mission ; & M. Vincent en fut tellement affligé, qu’encore qu’il ne pleurast presque jamais, il ne pût néanmoins en cette occasion contenir ses larmes. Il écrivit sur ce sujet à toutes les Maisons de sa Congregation, afin qu’on y offrit des sacrifices & des prieres à Dieu pour le repos de son ame. Voicy ce qu’il manda pour lors au Superieur d’une de ses Maisons. Il a plû à ,Dieu d’appeler à soy M. l’Abbé de Tournus, que je recommande d’une maniere toute particuliere aux prieres & aux saints Sacrifices de vostre Famille. Il a voulu paraître devant sa Divine Majesté sous le nom et l’habit de Mis- 376 LA VIE DU VENERABLE VINCENT « naire, ayant esté receu en notre Congrega« tion quelques jours avant son décés par Monsieur « N. apres luy avoir fait de tres-grandes ins« tances. Il me les avoit faites à moy-mesme plusieurs « fois depuis quelques années ; mais je ne le vouloit « pas écouter, & je détournois son discours, voyant « la pauvre Mission indigne d’un personnage de sa « condition & de sa vertu ; car je n’en ay point « connû qui fust plus à Dieu, plus détaché du « monde, & plus éloigné des créatures que luy. O « Monsieur ! Que c’est une grande perte pour « l’Eglise, & pour notre Congregation. Nous n’a« vons jamais eu ceans de Predicateur qui nous ait « pressé avec tant d’efficace, la modestie, l’humi« lité, la pauvreté, la penitence, le recueillement, « la Religion envers Dieu & la charité envers « le prochain, qu’il a fait par ses actions. Il n’y a « que notre Maison du Ciel qui ait mérité l’hon« neur de le posséder en qualité de Missionnaire ; « il a seulement laissé à celles de la terre, les « exemples de sa sainte vie, autant pour les admi« rer que pour les imiter. Je ne sçay ce qu’il a vû « en notre chétive Congregation, qui ait pû luy « donner la dévotion de vouloir se couvrir de ses « haillons pour se présenter devant Dieu. J’espere « qu’il obtiendra de nouvelles bénédictions pour ceux « qui en sont revêtus icy bas, afin qu’ils travaillent « toûjours plus utilement pour la gloire de Dieu & « le salut des Ames. DE PAUL. LIV. . I . CHAP. L 377 ____________________________________ CHAPITRE L. Ses Maladies, & le saint usage qu ’il en a fait. POUR faire un holocauste parfait de la vie de ce saint Prestre, & la consommer entierement à l’honneur de son souverain Seigneur, il falloit que les maladies achevassent en son corps, le sacrifice que la charité avoit commencé en son ame ; & que les travaux continüels que son zele lui faisoit entreprendre pour le service de Dieu, fussent accompagnez du mérite des souffrances. C’est pourquoy, bien qu’il fust d’un tres-bon temperament, la Divine Providence néanmoins voulut qu’il ressentit durant sa vie diverses incommoditez, & que dans ses dernieres années, il fust exercé par plusieurs infirmitez tres-douloureuses. On remarqua dés le commencement de sa Congregation qu’il estoit sujet à une petite fiévre, laquelle pour l’ordinaire luy duroit trois ou quatre jours de suite, & quelquefois jusqu’à quinze & plus ; & bien que les accés n’en fussent pas fort sensibles,ils ne laissoient pas toutefois par leur importunité, de luy donner souvent matiere de patience, & de faire connoistre la force de son esprit ; car il n’interrompoit pour cela aucun de ses exercices, se levant à quatre heures comme les autres, allant à l’Eglise faire sa meditation, & vaquant à ses autres affaires & occupations, comme s’il eust esté en pleine santé. Il la guerissoit ordinairement par des sueurs qu’il se procuroit plusieurs jours de 378 LA VIE DU VENERABLE VINCENT suite, particulièrement durant l’esté. Pour cét effet, pendant les plus grandes chaleurs, & lors qu’à peine on peut souffrir un linceul la nuit, il mettoit sur soy trois couvertures, & deux gros flaccons d’étain pleins d’eau boüillante à ses côtez, & passoit la nuit en cét état ; si bien que le matin il sortoit du lit comme d’un bain, laissant sa paillasse & ses couvertures toutes pénétrées de sueur, & s’essuyant luy-mesme sans vouloir permettre que personne le touchast. Le desir qu’il avoit de souffrir, le portoit volontiers à user de ce reméde, parce qu’il en ressentoit une incommodité tres-grande & plus fâcheuse que le mal mesme ; la nujit, l’excés de la chaleur qui luy falloit souffrir, luy causoit sans doute d’extrémes peines, puis-que les seules ardeurs de la saison de l’Esté semblent si difficiles à supporter. Pendant les sept ou huit premières années de sa Congrégation il fut pour l’ordinaire travaillé deux fois l’an d’une fièvre-quarte, l’espace d’un ou deux mois chaque fois : Mais au lieu de se tenir en repos dans une Infirmerie, il s’appliquoit avec assiduité au service de l’Eglise, & à l’assistance spirituelle & corporelle des pauvres, par l’Etablissement d’une partie de ses grandes Oeuvres dont nous avons parlé. En l’année 1644, il fit atteint d’une dan gereuse maladie, qui ne luy permit pas pour lors de célébrer la sainte Messe ; c’est pourquoi il eut la devotion de communier tous les jours qu’elle dura. La violence du mal ayant fait un transport au cerveau, il fut quelques heures en délire, durant lequel il fit paroistre les saintes dispositions de son ame, prononçant plusieurs dévotes aspirations, & repetant DE PAUL. LIV. I . CHAP. L. 379 Souvent celle-cy entre les autres : In spiritu humiliatis, & in anomo contrito suscipiamur à te Domine, c’est à dire, Recevez, Seigneur, l’oblation que nous vous faisons de nous-mêmes avec un esprit humilié & un cœur contrit. Il arriva pendant cette maladie une chose digne de remarque. Un tres-vertueux Missionnaire nommé M. Dufour, du Diocèse d’Amiens, se trouva pour lors malade dans la mesme Maison ; & ayant appris que M. Vincent estoit en danger de mort, il offrit à Dieu sa propre vie, pour la conservation de celle de son cher Pere spirituel. Cette oblation aussi heroïque que dés-interessée fut receuë de Dieu, ainsi que l’evenement le fit voir depuis ; car M. Vincent commença dés- lors à se mieux porter, & recouvra ensuite la santé , au lieu que la maladie de ce bon Prestre s’augmenta tellement, qu’il en mourut peu de temps après. Il trépassa environ la minuit, & ceux qui veilloient M. Vincent, entendirent à l’heure-même frapper trois coups à la porte de sa chambre, dequoy ils furent assez surpris, n’y ayant trouvé personne, bien qu’ils l’eussent ouverte aussitost, mais ils ne furent pas moins étonnez de ce que M. Vincent appelant en mesme temps un d’entre eux, luy fit prendre le Breviaire & réciter quelque partie de l’Office des Morts, avant que personne luy eust annoncé le decés de ce bon Missionnaire. Cela leur donna sujet de croire que Dieu luy avoit fait connoistre par une voye extraordinaire, encore que son humilité ne luy permit pas d’en parler. En l’année 1656, il fut attaqué d’une fiévre continüe qui dura quelques jours, & se termina par une fluxion tres-douloureuse sur une jambe. Il fut obligé pour cela de tenir le lit durant quelque- 380 LA VIE DU VENERABLE VINCENT temps, & de garder la chambre prés de deux mois, sans qu’il pust se soutenir en aucune façon ; de sorte qu’il le falloit porter du lit auprès du feu, & de là au lit ; & ce fut seulement en cette maladie qu’on luy pût persuader de coucher dans une chambre à cheminée, afin d’y faire du feu quand il estoit necessaire pour remédier à ses incommodiez. Depuis cette année-là jusqu’à la fin de sa vie, il eut de fréquentes attaques de fièvres & de diverses infirmitez. Entre les autres, il fut long-temps, incommodé d’un œil ; & après avoir essayé plusieurs remèdes sans aucun soulagement, le Medecin luy ordonna d’y mettre du sang d’un pigeon faischement tué ; mais comme on luy en eut apporté un, il ne voulut jamais souffrir qu’on le tuast, quelque raison qu’on luiy pust alléguer ; parce, disoit-il, que cet animal innocent luy representoit son Sauveur, & que Dieu sçauroit bien le guérir par une autre voye ; ce qui arriva en effet. Je passe sous silence toutes ses autres maladies, de peur d’ennuyer le Lecteur, & je viens à la plus longue & de la plus fascheuse qui a enfin terminé sa vie ; c’est l’enflure de ses pieds & de ses jambes qu’il a soufferte l’espace de quarante-cinq ans. Cette incommodité l’obligea dés le commencement de sa Congregation à se servir d’un cheval en allant par la Ville ; & elle s’acrût tellement avec le temps, qu’estant montée jusqu’aux genoux, il ne pouvoit plus les ployer, ny mesme se lever qu’avec des douleurs sensibles. Ensuite, une de ses jambes s’étant ouverte à la cheville du pied droit, il s’y fit de nouveaux ulcères en l’année 1658. & les douleurs des genoux s’augmentant tous les jours, il ne fut plus en son pouvoir au commencement de l’année 1659 de sortir de la maison. Il continua nean- DE PAUL. LIV.I. CHAP. L. 381 moins quelque-temps de descendre en bas pour se trouver à l’Oraison en l’Eglise avec la Communauté, & pour y célébrer la sainte Messe ; comme aussi pour assister aux Conferences spirituelles en la salle destinée à cet effet. Mais sur la fin de l’année 1659, il fut obligé de célébrer en la Chapelle de l’Infirmerie ;& les jambes luy ayant enfin manqué tout-afait en l’année 1660, qui fut la derniere, il ne pût plus dire la sainte Messe, laquelle il continüa d’entendre jusqu’au jour de son decés, quoy-qu’il souffrit une peine incroyable pour aller de sa chambre à la Chapelle, ne pouvant marcher qu’avec les potences, & mesme avec un continuel danger de tomber, car il estoit si faible, qu’il ne pouvoit presque plus remüier les jambes. Cela fut cause qu’au mois de juillet de la mesme année 1660, on le pria instamment de consentir qu’on fist une Chapelle de la chambre contiguë à la sienne, afin que sans sortir il pûst entendre la Messe ; ce qu’il refusa absolument, disant pour raison, que les Chapelles domestiques, destinées pour y célébrer la Messe, ne se doivent permettre que dans une grande necessité, laquelle il ne voyoit pas à son égard. ? On le pria au moins de trouver bon qu’on luy fist faire une chaise pour le porter de sa chambre à la Chapelle de l’Infirmerie, afin qu’(il n’eust pas tant de peine, & qu’il ne se mist pas en danger de tomber en allant chaque jour entendre la sainte Messe. Son humilité trouva encore moyen d’empescher l’effet de cette proposition jusqu’au mois d’Aoust, que ne se pouvant plus soûtenir sur ses potences, il consentit enfin qu’on luy fist une chaise, de laquelle il commença à se servir le jour de l’Assomption de la tres-Sainte-Vierge, & continua d’en user environ six semaines jusqu’à sa mort. Ce luy estoit une nouvelle peine d’en cau- 382 LA VIE DU VENERABLE VINCENT ser à deux Freres qui le portoient, & pour cela il ne voulut jamais se faire porter ailleurs qu’à la Chapelle distante de sa chambre d’environ trente ou quarante pas. Certainement quand ce vénérable vieillard n’auroit eu d’autre mal que d’avoir esté obligé à demeurer prés de deux ans assis, depuis le matin jusqu’au soir, sans se pouvoir presque remuer, ce luy auroit esté un grand exercice de patience, mais si l’on considere les douleurs tres-aiguës que luy causoient les ulcères de ses pieds & l’enflure de ses jambes, soit de jour, soit de nuit, on reconnoistra clairement que sa vie n’estoit pour lors qu’un continuel martyre. Durant le jour les serositez mordicantes couloient de ses ulcères en telle quantité, qu’elles faisoient quelquefois un petit ruisseau sur le plancher, & pendant la nuit elles s’arrestoient dans les jointures des genoux, où s’estant amassées elles redoubloienrt ses tourmens, & le consumoient peu à peu. Outre cela il luy survint encore la derniere année de sa vie, une grande difficulté d’uriner qui augmenta de beaucoup ses souffrances ; de sorte qu’on pouvoit bien dire de luy, par conformité avec son Divin Maistre, qu’il estoit véritablement un homme de douleurs. Néanmoins il supportoit gaiement toutes ses peines en esprit de penitence & d’humilité, sans qu’on entendist sortir aucune plainte de sa bouche, mais seulement quelques dévotes aspirations vers Dieu ; & il jet toit souvent les yeux sur un Crucifix, dont la veuë servoit de Ienitif à la violence de ses maux. Parmy toutes ses souffrances il persévéra constamment dans sa maniere de vie austere & laborieuse. Il ne voulut jamais coucher que sur une paillasse, ny prendre pour nourriture que des viandes DE PAUL. LIV. .I. CHAP. L. 383 communes. Le Medecin & quelques personnes de condition & de vertu l’ayant un jour fait consentir, après plusieurs instances, à prendre tous les jours des consommez, & à manger de quelque poulet, il s’en excusa dés la premiere ou seconde fois qu’on luy en eut apporté, disant que cette nourriture luy faisoit mal au cœur ; de sorte que pour le contenter on ne luy en présenta plus. Cependant, quoy-que ses forces diminuassent tous les jours, il ne relaschoit rien de son application ordinaire à la conduite de sa Congrégation, ny du soin des autres bonnes œuvres dont il estoit chargé : mais enfin tous ses efforts d’agir & de patir l’affoiblirernt tellement, qu’il ne pouvoit plus s’appliquer, ny parler qu’avec grande peine. il ne laissa pas néanmoins de faire encore en cet état des Discours de plus d’une demy-heure, avec tant de vigueur & de grace, que ceux qui l’écoutoient en estoient tout étonnez ;& ils ont assuré depuis qu’ils ne l’avoient jamais oüy parler avec tant d’ordre & d’énergie. Et ce qui est encore plus digne d’admiration, c’est que parmy de si longues & si fâcheuses angoisses,, il parut toûjours, tant à ceux de sa Maison, qu’aux personnes du dehors, avec un esprit tranquille, un visage riant & des paroles fort affables, comme s’il eust esté en pleine santé, & qu’il n’eust rien souffert. Aussi parloit-il de son mal à ceux qui luy en demandoient des nouvelles, comme d’une chose dont on ne devoit pas se mettre en peine, disant qu’il avoit bien mérité d’autres chastimens, & que tout ce qu’il enduroit, n’estoit rien en comparaison des souffrances de Nostre Seigneur, & ensuite il détournoit adroitement le discours à d’autres choses. 384. LA VIE DU VENERABLE VINCENT ______________________________________ CHAPITRE LI. Ce qui a précédé, accompagné & suivy son heureux trépas. CE Saint vieillard connoissoit bien que sa fin estoit proche, & chacun s’en apercevoit aussi, quoy qu’avec des sentimens fort differens ; car les` Siens & tous ceux qui avoient de l’affection pour Luy, apprehendoient beaucoup cette separation ; Mais luy, comme un autre Simeon, attendoit avec Joye l’heureux moment auquel son âme devoit Estre délivrée de sa longue prison, pour jouir du rePos eternel. Cette derniere heure luy estoit toûJourts présente ; ce qui luy faisoit souvent dire aux Siens,, quelques années avant sa mort : Un de ces jours. le miserable corps de ce vieux pecheur sera mis en terre & reduit en cendre, & vous le foulerez aux pieds. D’autrefois parlant de son âge il leur disoit : Il y a tant d’années que j’abuse des grâces de Dieu : Heu mihi quia incollables meus proton,gatus est ! Hélas Seigneur ! je vis trop long-temps, puis-qu’il n’y a pas d’(amendement en ma v ie, & que mes pechez se multiplient avec le n ombre de mes années. Et losqu’il annonçoit aux Siens la mort de quelque bon Missionnaire, il ajoutoit ordinairement ces paroles d’humilité : Vous me laissez, mon Dieu, & attirez à vous vos fidèles Serviteurs. Je suis cett e yvraye qui gaste le bon grain que vous recueillez, & voilà que j’occupe toujours iutileùment la terre. Ut qui terram occupo. Mais comme ses désirs estoient bien réglez, il Conservoit toujours une inviolable soumission à la DE PAUL. LIV. . I. CHAP. L.I 385 volonté de Dieu, à laquelle il estoit intérieurement uny par un entier abandon de son ame & de son corps entre les mains de son Createur, afin qu’il en disposast selon son bon –plaisir au temps & en l’eternité. Or sus mon Dieu, disoit-il souvent à ce propos, que vostre volonté soit faite, & non pas la mienne. Et dans unbe Lettre écrite de sa main plus de vingt-cinq ans avant saz mort, il dit : Je tombay dangereusement il y a deux ou trois jours, ce qui m’a bien fait penser à la mort, mais par la grace de Dieu bj’adore sa volonté, & j’y acquiesce de touty mon cœur, & m’examinant sur ce qui me poyurroit donner quelque peine, je n’ay rien trouvé sinon que nous n’avons pas encore dressé nos Regles. Toute sa vie luy avoit servy d’une preparation continuelle pour bien mourir, & ses bonnes oeuvres qui rendoient ses journées pleines, estoient autant de pas pour avancer heureusement vers cette derniere periode ; néanmoins il y apporta encore des dispositions plus particulieres. Entre les autres, il fit un an devant sa mort, nonobstant ses grandes infirmitez, la Retraite Spirituelle pour se préparer à cette entiere séparation du monde, dont il pressentoit les approches, comme il le témoigna à un des anciens Prestres de sa Congregation, auquel il écrivit pour lors ce peu de mots : Je vous prie d’of-« frir à Nostre Seigneur la petite Retraite que je fais. « pour me disposer à la grande, en cas qu’il plaise à « Dieu de m’appeler bien-tost. Mais outre cette Re- « traire qu’il faisoit chaque année, il avoit pris depuis long-temps une sainte coûtume de reciter tous les jours après l’action de grâces de la Messe, les prieres pour les Agonisans, & les recommandations de l’ame, afin de se disposer par avance au 386 LA VIE DU VENERABLE VINCENT depart de la sienne ; & tous les soirs avant que de se coucher, il faisoit encore un exercice particulier pour se préparer à bien mourir, comme il l’avoüa un jour à un des Siens à l’occasion suivante. Un peu avant son decés un Prestre de la Maison de S. Lazare écrivant à un autre du dehors, luy manda entre autres choses, que selon les apparences M. Vincent devoit bien-tost mourir ; puis sans y faire aucune reflexion, il luy porta tout simplement sa Lettre pour la lire, suivant l’usage de la Congregation de la Mlission. M. Vincent l’ayant prise, luy dit qu’il la verroit à loisir, comme il fit en effet ; & réflechissant sur l’endroit où il estoit parlé de sa fin prochaine, il se mit à penser pour quelle raison ce Missionnaire mettoit cela dans une Lettre qu’il luy faisoit voir. Un autre auroit pû le condamner d’imprudence ; mais ce saint homme jugea que peut-être il luy avoit voulu rendre un bon office, en l’avertissant de sa mort ; & passant encore plus avant, son humilité luy fit craindre qu’il n’eust donné sujet à ce Prestre de luy faire cet avertissement, sans toutefois connoistre comment, ny en quelle occasion. Il l’envoye quérir là-dessus, & le remercia de son avis, luy disant qu’il luy avoit fait plaisir, & le priant que s’il avoit remarqué en luy quelque defaut, il luy fist la charité de l’en avertir. Ce Prestre luy repondit qu’il n’en avoit point remarqué, & luy fit excuse de son inconsideration, l’assurant que ce n’avoit point esté don dessein de luy faire aucun avertissement, & qu’il n’avoit pas mesme fait reflexion à ce que contenoit sa Lettre en la « luy presentant. Surquoy M. Vincent luy dit : Pour « ce qui est de l’avertissement que j’estimois que vous « me vouliez faire, je vous diray tout simplement DE PAUL. LIV. .I . CHAP. L I. 387 que Dieu m’a fait la grace d’en éviter le sujet ; & je « vous le dis, afin que vous ne soyez point scandalisé « de ne me voir pas faire des préparations extraordi- « naires. Il y a dix-huit ans que je ne me suis cou- « ché, sans m’estre mis auparavant en disposition « de mourir la mesme nuit. « Il y avoit donc long-temps que ce fidéle Servi teur, selon ce qui est dit dans l’Evangile, avoit les reins ceints & la lampe allumée en main, pour aller au devant de son Seigneur lors-qu’il viendroit ; & il accomplit enfin toutes ses saintes dispositions, par une patience heroïque dans ses plus cuisantes douleurs, par de fervens désirs de s’unir à son Dieu, & par une entiere conformité à toutes ses volontez .` Cependant, comme on sceut à Rome que sa santé estoit fort affaiblie, & que nonobstant l’accablement de ses douleurs, il continüoit toûjours à dire son Breviaire ; N.S Pere le Pape Alexandre VII, connoissant combien la conservation de ce grand-serviteur de Dieu estoit importante à toute l’Eglise, luy fit expédier un Bref Apostolique pour l’en dispenser sans qu’il en sceut rien ; & a mesme temps M. M. les Cardinaux Durazzo Archevesque de Génes, Ludivisio Grand Penitentier, & Bagny autrefois Nonce en France qui estoient alors tous trois à Rome, l’exhorterent par Lettres à se soulager davantage & à moderer l’application de son esprit, en usant librement de cette dispense, afin de conserver pour le service de Dieu le peu de forces qui luy restoient. Mais ces précautions arriverent trop tard, & trouverent la victime consommée ; Dieu ayant voulu par luy-mesme décharger son fidéle Serviteur de tant de fatigues & de peines, par lesquelles il avoit tasché de luy ren- 388 LA VIE DU VENERABLE VINCENT dre tout le service qu’il avoit pû , durant le cours de sa sainte vie. Voicy en particulier comme tout se passa au temps de son heureux trépas. Quelques jours auparavant il fut extraordinairerement assoupi, tant-à-cause de sa foiblesse qui croissoit à veuë d’œil, que par le defaut du repos qu’il ne pouvoit prendre durant la nuit. Il consideroit cette somnolence, comme l’image & l’avantcourrier de sa mort ; & quelqu’un luy ayant demandé la cause de ce sommeil extraordinaire, il luy dit en soûriant ; c’est que le frere est venu en attendant la sœur, appellant ainsi le sommeil le frere de la mort qu’il prevoyoit estre proche. Il ne laissait pas pourtant de se faire portert tous les matins à la Chapelle de l’Infirmerie pour y entendre la Messe & communier, ce qu’il faisoit ordinairement chaque jour. On l’y porta jusqu’au 26 de Septembre qui fut la veille de sa mort ; mais quand il fut de retour en sa chambre, il tomba dans un assoupissement plus profond qu’à l’ordinaire. Le Frere qui l’assistoit voyant que cela continüoit trop-long-temps, l’éveilla & le fit parler ; mais s’appercevant qu’il retombait aussi-tost dans le mesme assoupissement, il en avertit celuy qui avoit le soin de la Maison, par l’ordre duquel on alla quérir le Medecin. Celuy-cy estant venu l’aprés-dinée trouva le malade si faible, qu’il ne le jugeaa pas en état de recevoir aucun remede ; & avant que de se retirer, il luy dit quelques paroles, auxquelles le malade répondit selon sa coûtume, avec un visage riant & affable ; mais il demeura court après quelques mots, n’ayant pas la force d’achever ce qu’il vouloit dire. Un des principaux Prestres de sa Congregation l’estant venu voir ensuite, & luy ayant demandé sa DE PAUL. LIV. .I. CHAP. L I. 389 benediction pour tous ceux de la mesme Congregation, tant présens qu’absens, il fit un effort pour lever la teste, & l’accueillir avec son affabilité ordinaire ; puis ayant commencé les paroles de la benediction, il en prononça tout-haut plus de la moitié, & le reste a voix basse. Sur le soir comme on vit qu’il s’affaiblissoit de plus en plus, & qu’il sembloit tendre à l’agonie, on luiy donna l’ExtrémeOnction. Il passa la nuit dans une douce, tranquille, & presque continuelle application à Dieu ; & quand il s’assoupissoit, on avoit qu’à luy en parler pour l’eveiller ; ce qu’à peine tout autre discours pouvoit faire. Entre les dévotes aspirations qu’on luy suggeroit de temps en temps, il témoigna avoir une devotion particuliere à ces paroles du Psalmiste : Deu in adjutorium meum intende. Et pour cela on Les luy repetoit souvent, & il répondoit aussi-tost : Domine ad adjuvant me festina. Ce qu’il continüa de faire juisqu’au dernier soupir ; imitant en cela la pieté de ces anciens Solitaires qui usoient fort souvent de cette courte priere, afin de temoigner leur dépendandance de la souveraine puissance de Dieu, le besoin continuël qu’ils avoient de ses graces, leur esperance en sa bonté, & l’amour filial qui les portoit incessamment à le rechercher comme leur tres-bon Pere, sans crainte de l’importuner. Un tres-vertueux Ecclesiastique de la Conference De S. Lazare, qui honoroit beaucoup M. Vincent, & pour qui réciproquement M. Vincent avoit beaucoup d’estime & de tendresse, estoit pour lors en Retraire dans cette Maison : Celuy-cy ayant appris l’extremité où estoit reduit ce cher malade, vint en sa chambre un peu avant qu’il expirast, & luy demanda sa bénédiction pour tous ces Messieurs 390 LA VIE DU VENERABLE VINCENT de la Conference qu’il avoit associez, le priant de leur laisser son esprit, & d’obtenir de Dieu que leur Compagnie ne degenerast jamais de la vertu qu’il luy avoit inspirée : à quoy ce saint homme répondit$ avec son humilité ordinaire : Qui coepit opnus bonum ipse perficiet ; Et bien-tost après il s’endormit paisiblement au Seigneur, passant de cette vie à une meilleure sans effort ny convulsion ; & avec une tranquilité si grande, qu’on eust pris sa mort pour un doux sommeil ; car il mourut sans fiévrte & sans accident extraordinaire, ayant cessé de vivre par une pure defaillance de la nature. Ce fut un lundy 27 Septembre de l’année 1660, sur les quatre heures & demie du matin, que Dieu le tira à luy, lors-que des Enfans spirituels assemblez à l’Eglise, commençoient leur Oraison mentale pour attirer Dieu en eux. Ce fut à la mesme heure & au mesme moment qu’il avoit accoûtumé depuis quarante ans, d’invoquer le S. Esprit sur luy & sur les Siens, que cet Esprit adorable enleva son ame de la terre au Ciel. Comme la sainteté de sa vie, son zele pour la gloire de Dieu, sa charité pour le prochain, son humilité, sa patience & toutes ses autres vertus, nous donnent juste sujet de le croire de l’infinie bonté de Dieu ; car ayant, à l’imitation du S. Apôtre, généreusement combattu, ayant saintement achevé sa course, & gardé une fidelité inviolable, on peut raisonnablement présumer, qu’il ne luy restoit plus sinon de recevoir la couronne de justice de la main de son Souverain Seigneur. Il expira revétu de ses habits & assis dans sa chaise, estant demeuré en cette posture des vingt-quatre heures dernières de sa vie ; parce que ceux qui l’assistoient, estimerent qu’il seroit difficile de le remuer en cet état, sans danger d’avancer sa mort, & de luy DE PAUL. LIV. .I. CHAP. L I. 391 faire plus de mal. Son corps demeura aussi souple & maniable aprés son decés qu’il estoit auparavant, & son visage conserva toujours sa douceur & serenité ordin aire. Il fut ouvert & on lui trouva les parties nobles fort saines ; mais il s’estoit formé dans la rate un os de la largeur d’un écu blanc, & plus long que large ; ce que les Medecins & les Chirurgiens trouverent fort extraordinaire. Il demeura exposé le lendemain 28 Septembre jusqu’à midy, tant dans la salle que dans l’Eglise de S. Lazare, où le service Divin fut célébré solemnellement. M. le Prince de Conty, M. Picolomini, Nonce du Pape & Archevesque de Cesarée, & plusieurs autres Prelats s’y trouverent ; comme aussi Quelques-uns des Curez de Paris, grand nombre d’Ecclésiastiques, & quantité de Religieux de divers Ordres. Madame la Duchesse d’Aiguillon & plusieurs autres Seigneurs & Dames voulurent aussi honorer ses funérailles par leur présence, aussibien que le peuple qui s’y trouva en grande foule. On réserva son cœur dans un petit vaisseau d’argent que cette pieuse Duchesse donna pour cet effet ; & le corps ayant esté mis dans une bierre de plomb avec une autre de bois par dessus, fut enterré au milieu du Chœur de l’ Eglise. Messieurs les ecclésiastiques de la Conference de S. Lazare, que M. Vincent avoit unis & dirigez tant d’années, luy firent faire quelque-temps après un Service fort solemnel en l’Eglise S. Germain l’Auxerrois ; où Messire Henry de Maupas du Tour Evesque d’Evreux, qui avoit eu une vénération & une affection toute particuliere pour ce grand Serviteur de Dieu, prononça son Oraison Finebre avec beaucoup de zele, d’érudition & de pieté. Il fut écouté avec une singuliere admiration & édifica- 392 LA VIE DU VENERABLE VINCENT tion de tout son Auditoire, qui estoit composé d’un grand nombre de Prelats, d’Ecclesiastiques, de Religieux, & d’une foule incroyable de peuple. Il ne pût néanmoins dire tout ce qu’il avoit projeté quoy-qu’il parlast plus de deux heures, la matiere estant si ample qu’il en eust eu assez, comme il avoüa luy-mesme, pour prescher un Careme tout entier. Plusieurs Eglises Cathedrales & nommément la celebre Metropolitaine de Reims, luy ont fait des Services Solemnels, comme aussi des Eglises Parroissiales & des Communautez ; & un grand nombre de personnes particulieres luy en ont fait faire, tant à Paris qu’en plusieurs autres lieux de la France, pour témoigner la reconnoissance des obligations qu’ils avoient à sa charité, & des services qu’il avoit rendus à l’Eglise. Tous ceux qui ont eu connoissance de ses rares vertus & de ses grandes Œuvres pendant sa vie, ont d’une commune voix honoré sa memoire après sa mort, comme celle d’un des plus grands Serviteurs de Dieu qui ayant paru dans ce siecle. Entre les autres, plusieurs Illustres Prelats tant d’ArChevesques qu’Evesques, ont donné de vive voix & par écrit des témoignages considérables de la haute estime qu’ils font de ses mérites, du sensible regret que leur cause la perte d’un Ouvrier si utile à l’Eglise, & de la pieuse creance qu’ils ont de son bonheur dans le Ciel. Fin du premier Livre. Ce LIVRE I a été tappé sur l’original par Sœur Claire HAMON, Fille de la Charité, En mars-avril 2006.