Ni excès d'honneur ni indignité pour le plan d'affaires
Olivier Toutain, Alain Fayolle
Dans Entreprendre & Innover 2012/3 (n° 15),
15) pages 17 à 24
Éditions De Boeck Supérieur
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ISSN 2034-7634
ISBN 9782804175788
DOI 10.3917/entin.015.0017
Ni excès d’honneur
ni indignité pour
le plan d’affaires
> Olivier Toutain
> Alain Fayolle
Résumé
Le plan d’affaires – ou Business Plan – connaît un grand succès. Il est un des seuls outils capable de relier
les mondes académiques, professionnels et politiques impliqués dans le soutien au développement de l’entrepreneuriat. Mais il suscite des critiques et des controverses qui sont à la mesure de ce succès. Plutôt que
de « brûler » le plan d’affaires, il convient de le remettre à sa place. Il n’est en effet qu’un moyen et non une
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Les points forts
• La véritable contribution du business plan au développement et à la réussite
de l’activité entrepreneuriale pose question depuis une dizaine d’années.
• En réalité, c’est moins l’outil lui-même que l’usage qui en est fait
qu’il faut incriminer.
• L’approche effectuale permet de surmonter la plupart des critiques adressées
au business plan, mais va dans le sens d’une remise à plat
de son enseignement.
Entreprendre & Innover / Novembre 2012 / 17
Le plan d’affaires, vol. 3 (15), 2012
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fin.
Dossier : Ni excès d’honneur ni indignité pour le plan d’affaires
Dans les années 1980, le business plan a
fait l’objet de travaux visant à l’adapter
aux univers de la PME et de la création
d’entreprise. Ces travaux ont été réalisés
dans la perspective de dégager les points
essentiels du business plan permettant
aux entrepreneurs d’élaborer leur projet
de création d’entreprise. Au final, une
majorité des éléments sélectionnés contribue à développer une approche analytique et stratégique de l’environnement de
l’entreprise et de l’entrepreneur. Celle-ci
se caractérise ainsi par la mise en œuvre
d’activités très opérationnelles visant
notamment à prévoir une demande identifiée au préalable. L’approche est donc
causale et déterministe (une décision produit un effet attendu).
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Plus de trente ans plus tard, la popularité
du business plan n’est plus à démontrer,
tant au niveau éducatif que pratique.
Sur le plan académique, il sert de support à de nombreuses compétitions dans
et entre les écoles. Certains n’hésitent
d’ailleurs pas à parler d’équipes athlétiques qui vont combattre des équipes
adverses représentant d’autres écoles 1.
Sur le plan professionnel, il est considéré
comme un outil d’aide à la décision par
une grande majorité d’organisations qui
financent et accompagnent les entrepreneurs.
1 Honig (B.), “Entrepreneurship education: toward a
model of contingency-based business planning”, Academy of management learning education, 2004, Vol.3 (3),
p. 258-273.
18 /
Sur le plan politique et institutionnel, il est
considéré comme un support permettant
d’évaluer la pertinence d’une demande
de financement. Il offre ainsi la possibilité de constituer un sens commun autour
duquel des acteurs professionnels (accompagnateurs, financeurs, institutionnels)
de divers horizons croisent leurs regards.
Il fait également l’objet de compétitions
récompensées par des prix.
En définitive, le plan d’affaire est l’un des
rares outils qui relie les mondes académiques, professionnels et politiques impliqués dans le soutien au développement
de l’entrepreneuriat.
Pourtant, malgré son succès, de nombreux spécialistes s’interrogent, depuis
une dizaine d’années, sur la véritable
contribution du business plan dans le
développement et la réussite de l’activité
entrepreneuriale. Les raisons sont multiples, comme nous allons le montrer dans
la suite de notre propos.
Incertitudes, paradoxes
et controverses
Les fondations théoriques et les applications pratiques pour utiliser le business
plan sont peu connues. Étrangement, peu
d’études ont été consacrées à l’évaluation
réelle de l’impact du business plan dans
l’amélioration de la maîtrise des connaissances et du processus de création d’entreprise. D’autre part, les quelques études qui
ont été menées sur le sujet ne permettent
pas encore à l’heure actuelle de trouver
suffisamment d’éléments fondés scientifiquement qui accréditent cette thèse 2. Ces
2 Stone (M.) et Brush (C.G.), “Planning in ambiguous
context: the dilemma for meeting needs for commitment
and demands for legitimacy”, Strategic Management
Journal, Vol.17, 1996, p. 633-652.
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L
e business plan apparaît aux États-Unis
au milieu du XXe siècle. Il est né dans la
grande entreprise (notamment chez Ford)
pour faciliter les processus de décision
entrepreneuriales à moyen-long terme.
Olivier Toutain, Alain Fayolle
Ainsi, d’un côté le business plan est une
« success story « qui transforme son utilisation en rituel 6. De l’autre, une grande
partie de la communauté scientifique
reconnaît une véritable carence dans la
démonstration de son efficacité et de son
efficience dans le développement de l’activité entrepreneuriale.
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Alors quelles sont les solutions ? Au
regard de cette situation paradoxale, certains chercheurs prônent l’abandon pur et
simple du business plan. C’est le cas, par
exemple, de Claude Ananou qui propose
de « brûler « le plan d’affaires 7. D’autres
3 Notamment Delmar (F.) et Shane (S.), “Does business planning facilitate the development of new ventures?”, Strategic Management Journal, Vol. 24, 2003,
p. 1165-1185.
4 Et plus précisément entre la mise en œuvre du plan
d’affaires et le développement de l’entreprise.
5 Karlsson (T.) et Honig (B.), “Judging a business by its
cover: an institutional perspective on new ventures and
the business plan”, Journal of Business Venturing, Vol. 24,
2009, p. 27-45.
tentent plus modérément de proposer
des modèles alternatifs pour évaluer la
viabilité d’un projet de création d’entreprise 8. Enfin, dans une autre perspective
et sans remettre en question le business
plan (bien au contraire !), certains étudient les conditions d’amélioration de son
utilisation. Par exemple, Lahm 9 se penche
sur le problème du plagiat, très répandu
dans certains établissements qui utilisent
le business plan. Il cherche ainsi à comprendre le phénomène (les différents cas
de plagiat rencontrés), les procédures de
détection, et les conséquences judiciaires
encourues.
Cette dernière étude, assez curieuse et
originale, ouvre néanmoins une voie nouvelle, probablement non voulue au départ
par l’auteur, pour réfléchir sur l’utilisation
actuelle du business plan. Et si, finalement, le business plan était moins à incriminer que l’usage que l’on en fait ?
Du déterminisme
à un interactionnisme
dynamique
La déclinaison du business plan, utilisé
initialement dans la grande entreprise,
au niveau des établissements d’enseignement supérieur et du monde professionnel de la création d’entreprise a permis
de mettre en œuvre une méthode efficace
d’accompagnement et d’évaluation de
projet. Simple, structuré et structurant,
il encadre l’accompagné comme l’accompagnant autour d’un langage commun.
6 Meyer (J.) et Rowan (B.), “Institutionalized organization: formal structure as myth and ceremony”, American
Journal of Sociology, Vol. 83, 1977, p. 340-363.
8 Kuehn (K.W.), Grider (D.), Sell (R.), “New venture assessment: moving beyong business plan in introductory
entrepreneurship courses”, Journal of Entrepreneurship
Education, Vol. 12, 2009, p. 67-78.
7 Ananou (C.), « Faut-il brûler les plans d’affaires ? »,
Ve ongrès International de l’Académie de l’Entrepreneuriat, Sherbrooke, 2007.
9 Lahm (R. J.), “Plagiarism and business plans: a growing
challenge for entrepreneurship education?”, Journal of
Entrepreneurship Education, Vol. 10, 2007, p. 73-84.
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études ont d’ailleurs tendance à se contredire. Par exemple, certains chercheurs 3 ont
montré qu’il y a une relation de causalité
entre l’élaboration du business plan et la
survie des entreprises après dix-huit mois
d’existence 4. Pourtant, d’autres montrent
qu’il n’y a pas de relation directe entre la
performance de l’entreprise et le business
plan que les entrepreneurs enquêtés ont
réalisé deux ans auparavant 5. Pire, dans
une enquête publiée plus récemment,
ces mêmes auteurs démontrent que les
entrepreneurs qui ont écrit un business
plan lors du processus de création de leur
entreprise ne se réfèrent que très rarement à celui-ci une fois l’activité créée.
Dossier : Ni excès d’honneur ni indignité pour le plan d’affaires
Considéré officiellement comme un moyen
pour apprendre à construire son projet
entrepreneurial, il tend, dans bien des
cas, à devenir un but visant à se rassurer à
travers l’aval des professionnels, à accroître sa légitimité ou encore à obtenir un
prix ou un financement. En conséquence,
l’adoption généralement partagée d’une
version causale et déterministe du business plan tend à simplifier le processus
entrepreneurial au risque d’en occulter
toute la complexité.
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Ainsi, plutôt que d’envisager de brûler le
business plan, ne faudrait-il pas plutôt
nous intéresser à ce que nous pourrions
en faire dans le but, notamment, d’éviter
l’écueil du réductionnisme ? Certaines
études montrent dans ce sens qu’une troisième voie peut être explorée. Celles-ci
tendent d’abord à repositionner le business plan comme un moyen et non une
fin en soi. Dans cette perspective, Brinckmann, Grichnik et Kapsa 10 proposent par
exemple de combiner la planification et
l’apprentissage dynamique né de l’interaction entre l’environnement et l’entreprise.
Dans ce même sillon, Honig 11 souligne que
l’entrepreneuriat est un processus inductif
par lequel les produits, les services et les
idées sont examinés, essayées, modifiées
et adoptées. Dans cette approche, l’envi10 Brinckmann (J.), Grichnik (D.), Kapsa (D.), “Should entrepreneurs plan or just storm the castle? A meta-analysis
on contextual factors impacting the business planningperformance relationship in small firms”, Journal of Business Venturing, Vol. 25, 2010, p. 24-40.
11 Honig (B.), op.cit.
20 /
ronnement est considéré comme un univers organique, composé d’une pluralité
d’acteurs socio-économiques qui interagissent. Ces interactions produisent les
conditions d’un mouvement permanent,
plaçant l’entrepreneur dans une situation
d’adaptation face à l’incertain. Dans ce
contexte, le business plan peut constituer
un miroir qui permet à l’entrepreneur,
durant le processus entrepreneurial, de
relever dans l’environnement les informations qui interagissent sur la construction de son projet 12. En d’autres termes,
le business plan s’apparente à un guide
d’entretien détaillé qui permet à l’entrepreneur d’interroger l’environnement et
de tenter d’en déceler le caractère mouvant et incertain pour mieux s’adapter et
répondre aux besoins socio-économiques
qu’il recèle. Dans ce contexte, le guide
d’entretien reprend les axes forts du business plan 13. L’entrepreneur mobilise une
approche déterministe dans une perspective dynamique durant l’ensemble du processus entrepreneurial.
En synthèse, nous constatons, en premier
lieu, que l’utilisation du business plan
réduite à la planification et à l’organisation des tâches le rabaisse au rang d’un
exercice mécaniste à accomplir en vue
d’obtenir une récompense (une validation, un financement, une bonne note,
etc.). En second lieu, étudier les conditions
d’une autre utilisation oblige à reconsidérer nos pratiques en expérimentant de
nouvelles approches pédagogiques. Pour
cela, de nouveaux courants apparaissent,
12 Ceux-ci peuvent concerner le marché, les attitudes des
parties prenantes, les prix, le comportement de la concurrence, etc.
13 L’étude de l’environnement (conjoncture, zone de chalandise, clientèle cible, fournisseurs, concurrents), des
moyens (humains, matériels, communication), des outils
financiers, juridiques et fiscaux à mettre en œuvre.
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Il permet également aux membres d’une
commission d’attribution de financements
d’échanger autour d’un sujet formalisé.
Par ailleurs, le business plan est facilement transférable, assimilable et évaluable. Cependant, cette utilisation formelle
ne se répand pas sans écueils.
Olivier Toutain, Alain Fayolle
Le business plan à la lumière
de l’effectuation 15
En plaçant la contingence au cœur de la
compréhension des processus entrepreneuriaux, Sarasvathy 16 bouscule l’idée
simplificatrice qui consiste à prédire le
futur en utilisant une rationalité maîtrisée
par un ensemble de moyens et d’outils.
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Ainsi, plus que jamais, l’individu doit
être à même de savoir composer avec ses
connaissances et celles qu’il peut se procurer dans son environnement extérieur
pour réaliser la tâche qui lui est confiée
(le salarié) ou qu’il se confie à lui-même
si, par exemple, il dirige sa propre activité.
L’entrepreneur, qu’il soit salarié ou chef
d’entreprise, est incité à mobiliser une
pensée effectuale dominée par l’imagination et la créativité à un niveau aussi élevé
que l’incertitude dans laquelle il se trouve
au moment où il agit.
Sarasvathy souligne d’ailleurs à ce propos que la fonction essentielle de l’entrepreneuriat réside dans « l’effectuateur »
considéré comme un acteur imaginatif qui
dimensionne des opportunités contingentes et exploite tous les moyens qu’il a à sa
disposition pour satisfaire une pluralité de
courants et d’aspirations futurs.
Développer des actions de type « effectual » s’apprend donc. Par exemple, dans
l’utilisation « classique » du business
plan, la réalisation d’une étude de marché est souvent marquée par l’acquisition
d’informations statiques qui caractérisent les composantes de l’environnement
ciblé. Celles-ci sont collectées dans le but
de répondre de manière prédictible à un
besoin préexistant et identifié (raisonnement causal).
À l’inverse, l’usage de techniques de lancement d’un produit sur le marché avec
aucune ressource initialement investie
ou la négociation sur des premiers engagements de partenaires 17 relèvent davantage d’un raisonnement effectual. Dans ce
contexte, le business plan permet à l’entrepreneur d’interroger l’environnement
dans l’objectif d’obtenir des informations
susceptibles de l’aider à faire des choix et
à prioriser des scénarii qui ne sont jamais
achevés.
Sarasvathy propose de nouvelles perspectives pédagogiques pour utiliser différemment le business plan. Dans le
développement de sa théorie, nous retenons en particulier les six éléments fondamentaux suivants pour faciliter la mise
en œuvre d’un apprentissage effectual et
expérientiel de l’entrepreneuriat.
15 Cette approche est présentée dans un article de ce dossier.
L’observation et l’analyse des attitudes
et des comportements, des règles de
vie sociétale et des procédures d’actions quotidiennes. Cette attitude, qui
requiert un savoir-faire, porte l’idée
selon laquelle le démarrage d’une
action dans un environnement incer-
16 « Causation and effectuation: toward a theorical shift
from economic inevitability to entrepreneurial contingency » (Sarasvathy, 2001).
17 Sans en connaître les véritables tenants et aboutissants à moyen terme.
14 Voir notamment Sarasvathy (Saras D.), “Causation and
effectuation: toward a theorical shift from economic inevitability to entrepreneurial contingency”, The Academy of
Management review, 2001 (26, 2), p. 243-263.
Entreprendre & Innover / Novembre 2012 / 21
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notamment depuis une dizaine d’années.
L’un d’entre eux, animé par la chercheuse
américaine Sarsavathy 14, ouvre des perspectives particulièrement prometteuses
pour nous aider à utiliser autrement le
business plan.
Dossier : Ni excès d’honneur ni indignité pour le plan d’affaires
L’imagination et la créativité permettent, dans le cadre de la pensée effectuale, de dessiner, selon les objectifs
préalables que l’entrepreneur s’est
lui-même assigné, un panel d’actions
possibles à mettre en œuvre, une idée
à développer, un marché à découvrir,
un projet à construire. Ces activités
cognitives ne sont pas innées. Des
outils et méthodes facilitant leur mise
en œuvre peuvent contribuer au développement de cette fonction centrale
dans l’effectuation.
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Le contrôle non prédictif est une aptitude qui est centrale dans l’action
effectuale. Son enseignement offre
ainsi une alternative pragmatique aux
approches déterministes. Apprendre
à contrôler en acceptant l’idée d’un
futur incertain revient à savoir, en
particulier à : a) inventorier les effets
possiblement encourus suite aux
actions ; b) mesurer les contraintes
engendrées et c) réaliser des choix à
partir de l’inventaire des effets et de la
mesure des contraintes engendrées.
Le management d’une stratégie est
un élément qui conditionne la mise
18 Branche de l’ethnologie s’intéressant notamment à
l’étude des procédures d’actions quotitidiennes des individus.
22 /
en œuvre d’une action effectuale.
Conduire une stratégie demande, dans
un premier temps de savoir l’élaborer
pour ensuite la gérer. Elle nécessite
ainsi de savoir en particulier : a) définir un but ; b) comment atteindre le
but fixé préalablement 19, c) Mesurer
l’écart entre le résultat attendu et le
résultat obtenu.
La négociation avec les parties prenantes de son environnement rejoint
la notion de « docilité » de Simon 20
(1999). En considérant que l’effectuation est utile dans un environnement
incertain où la définition des buts est
souvent ambiguë, les entrepreneurs
cherchent à contrôler le futur à travers
les engagements qu’ils prennent avec
les parties prenantes. Mais parce que
les entrepreneurs, comme les parties
prenantes, sont « dociles », ils sont
disposés à négocier des morceaux
spécifiques du futur. La négociation
avec l’environnement nécessite donc
en particulier de savoir : a) collecter
les ressources nécessaires 21 ; b) définir
un but commun par l’engagement des
parties prenantes et c) revoir ses engagements, formuler de nouvelles préférences et de nouveaux buts.
La prise de conscience est, comme le
pilotage d’une stratégie, un élément
clé dans la théorie de l’effectuation.
Déterminante pour la réalisation de
19 À partir, par exemple, de l’analyse de ce que je sais/
ce que je ne sais pas ; de ce que je veux faire/ce que je ne
veux pas faire ; de ce que j’aime faire/ce que je n’aime pas
faire et des moyens dont je dispose/de ceux que je dois
rechercher.
20 Simon (M.) & al, “Cognitive biases, risk perception,
and venture formation: how individuals decide to start
companies”, Journal of Business Venturing, vol. 15, 1999,
p.113-134.
21 Les connaissances manquantes, les suggestions et les
recommandations.
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tain nécessite le recueil d’informations (de « ressources ») externes dans
la perspective de « nourrir », par l’analyse qui en est faite, l’activité cognitive de l’entrepreneur. Les apports
des sciences humaines, par exemple
de l’ethnométhodologie 18, peuvent
s’avérer particulièrement utiles dans
l’apprentissage de l’observation et de
l’analyse des informations issues de
l’activité humaine en général.
Olivier Toutain, Alain Fayolle
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Ces éléments clés de l’apprentissage mis
en avant dans la théorie de l’effectuation
nous montrent que, finalement, les nombreuses informations contenues dans la
formalisation d’un business plan peuvent
constituer le résultat d’un travail qui allie
déterminisme et contingence ou, dit autrement, causation et effectuation. Dans cet
esprit, le business plan redevient un outil
pédagogique particulièrement intéressant.
La problématique initiale, résolue radicalement par Claude Ananou, peut être
abordée différemment. En effet, ce n’est
peut-être pas le plan d’affaires qu’il faut
brûler, mais plutôt les pratiques que nous
avons développées pour utiliser celui-ci.
Modifier nos pédagogies en privilégiant
la dimension effectuale suppose ainsi de
revoir, dans le monde professionnel, les
techniques d’accompagnement. Cet enjeu
n’est pas modeste, car il implique entre
autres de mettre en place des formations
d’accompagnateurs adaptées, qui intègrent davantage la dimension effectuale.
Cela nécessite donc d’exploiter de manière
plus approfondie des méthodes qui favorisent la prise en compte de la contingence
dans le processus entrepreneurial comme
par exemple savoir aider le porteur de projet à :
tirer profit des problèmes rencontrés
ou des erreurs effectuées ;
élaborer, tester, et revoir naturellement ses stratégies par une meilleure
prise de conscience de l’interaction
entre elle/lui-même (ses connaissances, ses motivations, ses moyens),
l’entreprise qu’elle/il bâtit (son objet
réflexif) et l’environnement complexe, mouvant, incertain (nombreux
réseaux d’acteurs, arrivée quotidienne
d’informations nouvelles) dans lequel
elle/il navigue ;
apprendre de ses expériences vécues
(savoir les transformer en connaissances). Promouvoir la complémentarité
des approches causales et effectuales
demande également un gros effort de
valorisation et de communication sur
les contributions qualitatives de l’accompagnement dans la formation de
l’entrepreneur et la réalisation de son
business plan. Cet effort doit cibler, en
particulier, les décideurs institutionnels et les financeurs, une aspiration
qui est particulièrement d’actualité
dans la conjoncture actuelle, où la
tendance consiste davantage à « rationaliser » le soutien aux actions d’accompagnement 22 et à évaluer les
résultats par le biais de la création
d’entreprise plus que par la formation
de l’entrepreneur 23.
22 En limitant parfois drastiquement le nombre d’heures
d’accompagnement financées.
23 Qui –nous en faisons l’hypothèse- contribue à renforcer
les chances de pérennisation des entreprises créées.
Entreprendre & Innover / Novembre 2012 / 23
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l’action entrepreneuriale, elle constitue un moyen d’agir, en particulier
dans des situations inédites au futur
incertain qui font expressément appel
aux ressources internes de l’entrepreneur. La prise de conscience, qui est
une aptitude requise pour ce style
d’exercice, ne s’improvise pas mais
s’apprend. Elle rend l’apprentissage
plus efficient, en permettant à l’entrepreneur de commencer par inventorier son stock de connaissances et
d’expériences pour mieux déterminer
ses besoins complémentaires. Apprendre à prendre conscience permet à
l’entrepreneur de valoriser ce qu’il sait
et l’aide à ajuster, in fine, sa stratégie
d’apprentissage.
Dossier : Ni excès d’honneur ni indignité pour le plan d’affaires
Nous constatons, un peu plus de dix ans
après son apparition, que la théorie de
l’effectuation continue d’offrir des perspectives de recherche-action prometteuses pour la recherche en entrepreneuriat,
et plus particulièrement dans l’éducation
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24 Sarasvathy (S) & al., “Effectual entrepreneurship”,
Routledge, 2011.
24 /
entrepreneuriale. Elle permet notamment
d’aider à mettre en musique une double
complexité : d’une part celle d’une discipline, l’entrepreneuriat, qui prend ses
sources « dans la vie réelle », et d’autre
part celle qui consiste à l’enseigner, la
pédagogie entrepreneuriale, qui puise sa
substance dans la pluridisciplinarité afin
de traduire l’expérience entrepreneuriale
en connaissances académiques.
Olivier Toutain, docteur en sciences de gestion,
est enseignant-chercheur au département management des organisations et entrepreneuriat au
groupe ESC-Dijon Bourgogne.
Alain Fayolle, docteur en sciences de gestion, est
professeur à l’EM-Lyon Business School, membre
fondateur de l’Académie de l’Entrepreneuriat et rédacteur en chef d’Entreprendre & Innover.
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Dans le monde de l’enseignement, revoir
l’utilisation du business plan suppose,
en premier lieu, de renforcer l’usage des
pédagogies actives auprès de petits groupes d’étudiants, en privilégiant ainsi le
coaching et l’accompagnement dans des
perspectives similaires à celles que nous
avons évoquées plus haut. En second lieu,
cela implique de renforcer les formations,
auprès des enseignants et des formateurs,
basées sur l’utilisation des outils issus de
la pensée effectuale. Car ils existent ! 24