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Ni excès d'honneur ni indignité pour le plan d'affaires

2012, Entreprendre & Innover

Ni excès d'honneur ni indignité pour le plan d'affaires Olivier Toutain, Alain Fayolle Dans Entreprendre & Innover 2012/3 (n° 15), 15) pages 17 à 24 Éditions De Boeck Supérieur © De Boeck Supérieur | Téléchargé le 01/10/2023 sur www.cairn.info (IP: 35.173.137.0) Article disponible en ligne à l’adresse https://www.cairn.info/revue-entreprendre-et-innover-2012-3-page-17.htm Découvrir le sommaire de ce numéro, suivre la revue par email, s’abonner... Flashez ce QR Code pour accéder à la page de ce numéro sur Cairn.info. Distribution électronique Cairn.info pour De Boeck Supérieur. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. © De Boeck Supérieur | Téléchargé le 01/10/2023 sur www.cairn.info (IP: 35.173.137.0) ISSN 2034-7634 ISBN 9782804175788 DOI 10.3917/entin.015.0017 Ni excès d’honneur ni indignité pour le plan d’affaires > Olivier Toutain > Alain Fayolle Résumé Le plan d’affaires – ou Business Plan – connaît un grand succès. Il est un des seuls outils capable de relier les mondes académiques, professionnels et politiques impliqués dans le soutien au développement de l’entrepreneuriat. Mais il suscite des critiques et des controverses qui sont à la mesure de ce succès. Plutôt que de « brûler » le plan d’affaires, il convient de le remettre à sa place. Il n’est en effet qu’un moyen et non une © De Boeck Supérieur | Téléchargé le 01/10/2023 sur www.cairn.info (IP: 35.173.137.0) Les points forts • La véritable contribution du business plan au développement et à la réussite de l’activité entrepreneuriale pose question depuis une dizaine d’années. • En réalité, c’est moins l’outil lui-même que l’usage qui en est fait qu’il faut incriminer. • L’approche effectuale permet de surmonter la plupart des critiques adressées au business plan, mais va dans le sens d’une remise à plat de son enseignement. Entreprendre & Innover / Novembre 2012 / 17 Le plan d’affaires, vol. 3 (15), 2012 © De Boeck Supérieur | Téléchargé le 01/10/2023 sur www.cairn.info (IP: 35.173.137.0) fin. Dossier : Ni excès d’honneur ni indignité pour le plan d’affaires Dans les années 1980, le business plan a fait l’objet de travaux visant à l’adapter aux univers de la PME et de la création d’entreprise. Ces travaux ont été réalisés dans la perspective de dégager les points essentiels du business plan permettant aux entrepreneurs d’élaborer leur projet de création d’entreprise. Au final, une majorité des éléments sélectionnés contribue à développer une approche analytique et stratégique de l’environnement de l’entreprise et de l’entrepreneur. Celle-ci se caractérise ainsi par la mise en œuvre d’activités très opérationnelles visant notamment à prévoir une demande identifiée au préalable. L’approche est donc causale et déterministe (une décision produit un effet attendu). © De Boeck Supérieur | Téléchargé le 01/10/2023 sur www.cairn.info (IP: 35.173.137.0) Plus de trente ans plus tard, la popularité du business plan n’est plus à démontrer, tant au niveau éducatif que pratique. Sur le plan académique, il sert de support à de nombreuses compétitions dans et entre les écoles. Certains n’hésitent d’ailleurs pas à parler d’équipes athlétiques qui vont combattre des équipes adverses représentant d’autres écoles 1. Sur le plan professionnel, il est considéré comme un outil d’aide à la décision par une grande majorité d’organisations qui financent et accompagnent les entrepreneurs. 1 Honig (B.), “Entrepreneurship education: toward a model of contingency-based business planning”, Academy of management learning education, 2004, Vol.3 (3), p. 258-273. 18 / Sur le plan politique et institutionnel, il est considéré comme un support permettant d’évaluer la pertinence d’une demande de financement. Il offre ainsi la possibilité de constituer un sens commun autour duquel des acteurs professionnels (accompagnateurs, financeurs, institutionnels) de divers horizons croisent leurs regards. Il fait également l’objet de compétitions récompensées par des prix. En définitive, le plan d’affaire est l’un des rares outils qui relie les mondes académiques, professionnels et politiques impliqués dans le soutien au développement de l’entrepreneuriat. Pourtant, malgré son succès, de nombreux spécialistes s’interrogent, depuis une dizaine d’années, sur la véritable contribution du business plan dans le développement et la réussite de l’activité entrepreneuriale. Les raisons sont multiples, comme nous allons le montrer dans la suite de notre propos. Incertitudes, paradoxes et controverses Les fondations théoriques et les applications pratiques pour utiliser le business plan sont peu connues. Étrangement, peu d’études ont été consacrées à l’évaluation réelle de l’impact du business plan dans l’amélioration de la maîtrise des connaissances et du processus de création d’entreprise. D’autre part, les quelques études qui ont été menées sur le sujet ne permettent pas encore à l’heure actuelle de trouver suffisamment d’éléments fondés scientifiquement qui accréditent cette thèse 2. Ces 2 Stone (M.) et Brush (C.G.), “Planning in ambiguous context: the dilemma for meeting needs for commitment and demands for legitimacy”, Strategic Management Journal, Vol.17, 1996, p. 633-652. © De Boeck Supérieur | Téléchargé le 01/10/2023 sur www.cairn.info (IP: 35.173.137.0) L e business plan apparaît aux États-Unis au milieu du XXe siècle. Il est né dans la grande entreprise (notamment chez Ford) pour faciliter les processus de décision entrepreneuriales à moyen-long terme. Olivier Toutain, Alain Fayolle Ainsi, d’un côté le business plan est une « success story « qui transforme son utilisation en rituel 6. De l’autre, une grande partie de la communauté scientifique reconnaît une véritable carence dans la démonstration de son efficacité et de son efficience dans le développement de l’activité entrepreneuriale. © De Boeck Supérieur | Téléchargé le 01/10/2023 sur www.cairn.info (IP: 35.173.137.0) Alors quelles sont les solutions ? Au regard de cette situation paradoxale, certains chercheurs prônent l’abandon pur et simple du business plan. C’est le cas, par exemple, de Claude Ananou qui propose de « brûler « le plan d’affaires 7. D’autres 3 Notamment Delmar (F.) et Shane (S.), “Does business planning facilitate the development of new ventures?”, Strategic Management Journal, Vol. 24, 2003, p. 1165-1185. 4 Et plus précisément entre la mise en œuvre du plan d’affaires et le développement de l’entreprise. 5 Karlsson (T.) et Honig (B.), “Judging a business by its cover: an institutional perspective on new ventures and the business plan”, Journal of Business Venturing, Vol. 24, 2009, p. 27-45. tentent plus modérément de proposer des modèles alternatifs pour évaluer la viabilité d’un projet de création d’entreprise 8. Enfin, dans une autre perspective et sans remettre en question le business plan (bien au contraire !), certains étudient les conditions d’amélioration de son utilisation. Par exemple, Lahm 9 se penche sur le problème du plagiat, très répandu dans certains établissements qui utilisent le business plan. Il cherche ainsi à comprendre le phénomène (les différents cas de plagiat rencontrés), les procédures de détection, et les conséquences judiciaires encourues. Cette dernière étude, assez curieuse et originale, ouvre néanmoins une voie nouvelle, probablement non voulue au départ par l’auteur, pour réfléchir sur l’utilisation actuelle du business plan. Et si, finalement, le business plan était moins à incriminer que l’usage que l’on en fait ? Du déterminisme à un interactionnisme dynamique La déclinaison du business plan, utilisé initialement dans la grande entreprise, au niveau des établissements d’enseignement supérieur et du monde professionnel de la création d’entreprise a permis de mettre en œuvre une méthode efficace d’accompagnement et d’évaluation de projet. Simple, structuré et structurant, il encadre l’accompagné comme l’accompagnant autour d’un langage commun. 6 Meyer (J.) et Rowan (B.), “Institutionalized organization: formal structure as myth and ceremony”, American Journal of Sociology, Vol. 83, 1977, p. 340-363. 8 Kuehn (K.W.), Grider (D.), Sell (R.), “New venture assessment: moving beyong business plan in introductory entrepreneurship courses”, Journal of Entrepreneurship Education, Vol. 12, 2009, p. 67-78. 7 Ananou (C.), « Faut-il brûler les plans d’affaires ? », Ve ongrès International de l’Académie de l’Entrepreneuriat, Sherbrooke, 2007. 9 Lahm (R. J.), “Plagiarism and business plans: a growing challenge for entrepreneurship education?”, Journal of Entrepreneurship Education, Vol. 10, 2007, p. 73-84. Entreprendre & Innover / Novembre 2012 / 19 © De Boeck Supérieur | Téléchargé le 01/10/2023 sur www.cairn.info (IP: 35.173.137.0) études ont d’ailleurs tendance à se contredire. Par exemple, certains chercheurs 3 ont montré qu’il y a une relation de causalité entre l’élaboration du business plan et la survie des entreprises après dix-huit mois d’existence 4. Pourtant, d’autres montrent qu’il n’y a pas de relation directe entre la performance de l’entreprise et le business plan que les entrepreneurs enquêtés ont réalisé deux ans auparavant 5. Pire, dans une enquête publiée plus récemment, ces mêmes auteurs démontrent que les entrepreneurs qui ont écrit un business plan lors du processus de création de leur entreprise ne se réfèrent que très rarement à celui-ci une fois l’activité créée. Dossier : Ni excès d’honneur ni indignité pour le plan d’affaires Considéré officiellement comme un moyen pour apprendre à construire son projet entrepreneurial, il tend, dans bien des cas, à devenir un but visant à se rassurer à travers l’aval des professionnels, à accroître sa légitimité ou encore à obtenir un prix ou un financement. En conséquence, l’adoption généralement partagée d’une version causale et déterministe du business plan tend à simplifier le processus entrepreneurial au risque d’en occulter toute la complexité. © De Boeck Supérieur | Téléchargé le 01/10/2023 sur www.cairn.info (IP: 35.173.137.0) Ainsi, plutôt que d’envisager de brûler le business plan, ne faudrait-il pas plutôt nous intéresser à ce que nous pourrions en faire dans le but, notamment, d’éviter l’écueil du réductionnisme ? Certaines études montrent dans ce sens qu’une troisième voie peut être explorée. Celles-ci tendent d’abord à repositionner le business plan comme un moyen et non une fin en soi. Dans cette perspective, Brinckmann, Grichnik et Kapsa 10 proposent par exemple de combiner la planification et l’apprentissage dynamique né de l’interaction entre l’environnement et l’entreprise. Dans ce même sillon, Honig 11 souligne que l’entrepreneuriat est un processus inductif par lequel les produits, les services et les idées sont examinés, essayées, modifiées et adoptées. Dans cette approche, l’envi10 Brinckmann (J.), Grichnik (D.), Kapsa (D.), “Should entrepreneurs plan or just storm the castle? A meta-analysis on contextual factors impacting the business planningperformance relationship in small firms”, Journal of Business Venturing, Vol. 25, 2010, p. 24-40. 11 Honig (B.), op.cit. 20 / ronnement est considéré comme un univers organique, composé d’une pluralité d’acteurs socio-économiques qui interagissent. Ces interactions produisent les conditions d’un mouvement permanent, plaçant l’entrepreneur dans une situation d’adaptation face à l’incertain. Dans ce contexte, le business plan peut constituer un miroir qui permet à l’entrepreneur, durant le processus entrepreneurial, de relever dans l’environnement les informations qui interagissent sur la construction de son projet 12. En d’autres termes, le business plan s’apparente à un guide d’entretien détaillé qui permet à l’entrepreneur d’interroger l’environnement et de tenter d’en déceler le caractère mouvant et incertain pour mieux s’adapter et répondre aux besoins socio-économiques qu’il recèle. Dans ce contexte, le guide d’entretien reprend les axes forts du business plan 13. L’entrepreneur mobilise une approche déterministe dans une perspective dynamique durant l’ensemble du processus entrepreneurial. En synthèse, nous constatons, en premier lieu, que l’utilisation du business plan réduite à la planification et à l’organisation des tâches le rabaisse au rang d’un exercice mécaniste à accomplir en vue d’obtenir une récompense (une validation, un financement, une bonne note, etc.). En second lieu, étudier les conditions d’une autre utilisation oblige à reconsidérer nos pratiques en expérimentant de nouvelles approches pédagogiques. Pour cela, de nouveaux courants apparaissent, 12 Ceux-ci peuvent concerner le marché, les attitudes des parties prenantes, les prix, le comportement de la concurrence, etc. 13 L’étude de l’environnement (conjoncture, zone de chalandise, clientèle cible, fournisseurs, concurrents), des moyens (humains, matériels, communication), des outils financiers, juridiques et fiscaux à mettre en œuvre. © De Boeck Supérieur | Téléchargé le 01/10/2023 sur www.cairn.info (IP: 35.173.137.0) Il permet également aux membres d’une commission d’attribution de financements d’échanger autour d’un sujet formalisé. Par ailleurs, le business plan est facilement transférable, assimilable et évaluable. Cependant, cette utilisation formelle ne se répand pas sans écueils. Olivier Toutain, Alain Fayolle Le business plan à la lumière de l’effectuation 15 En plaçant la contingence au cœur de la compréhension des processus entrepreneuriaux, Sarasvathy 16 bouscule l’idée simplificatrice qui consiste à prédire le futur en utilisant une rationalité maîtrisée par un ensemble de moyens et d’outils. © De Boeck Supérieur | Téléchargé le 01/10/2023 sur www.cairn.info (IP: 35.173.137.0) Ainsi, plus que jamais, l’individu doit être à même de savoir composer avec ses connaissances et celles qu’il peut se procurer dans son environnement extérieur pour réaliser la tâche qui lui est confiée (le salarié) ou qu’il se confie à lui-même si, par exemple, il dirige sa propre activité. L’entrepreneur, qu’il soit salarié ou chef d’entreprise, est incité à mobiliser une pensée effectuale dominée par l’imagination et la créativité à un niveau aussi élevé que l’incertitude dans laquelle il se trouve au moment où il agit. Sarasvathy souligne d’ailleurs à ce propos que la fonction essentielle de l’entrepreneuriat réside dans « l’effectuateur » considéré comme un acteur imaginatif qui dimensionne des opportunités contingentes et exploite tous les moyens qu’il a à sa disposition pour satisfaire une pluralité de courants et d’aspirations futurs. Développer des actions de type « effectual » s’apprend donc. Par exemple, dans l’utilisation « classique » du business plan, la réalisation d’une étude de marché est souvent marquée par l’acquisition d’informations statiques qui caractérisent les composantes de l’environnement ciblé. Celles-ci sont collectées dans le but de répondre de manière prédictible à un besoin préexistant et identifié (raisonnement causal). À l’inverse, l’usage de techniques de lancement d’un produit sur le marché avec aucune ressource initialement investie ou la négociation sur des premiers engagements de partenaires 17 relèvent davantage d’un raisonnement effectual. Dans ce contexte, le business plan permet à l’entrepreneur d’interroger l’environnement dans l’objectif d’obtenir des informations susceptibles de l’aider à faire des choix et à prioriser des scénarii qui ne sont jamais achevés. Sarasvathy propose de nouvelles perspectives pédagogiques pour utiliser différemment le business plan. Dans le développement de sa théorie, nous retenons en particulier les six éléments fondamentaux suivants pour faciliter la mise en œuvre d’un apprentissage effectual et expérientiel de l’entrepreneuriat. 15 Cette approche est présentée dans un article de ce dossier.  L’observation et l’analyse des attitudes et des comportements, des règles de vie sociétale et des procédures d’actions quotidiennes. Cette attitude, qui requiert un savoir-faire, porte l’idée selon laquelle le démarrage d’une action dans un environnement incer- 16 « Causation and effectuation: toward a theorical shift from economic inevitability to entrepreneurial contingency » (Sarasvathy, 2001). 17 Sans en connaître les véritables tenants et aboutissants à moyen terme. 14 Voir notamment Sarasvathy (Saras D.), “Causation and effectuation: toward a theorical shift from economic inevitability to entrepreneurial contingency”, The Academy of Management review, 2001 (26, 2), p. 243-263. Entreprendre & Innover / Novembre 2012 / 21 © De Boeck Supérieur | Téléchargé le 01/10/2023 sur www.cairn.info (IP: 35.173.137.0) notamment depuis une dizaine d’années. L’un d’entre eux, animé par la chercheuse américaine Sarsavathy 14, ouvre des perspectives particulièrement prometteuses pour nous aider à utiliser autrement le business plan. Dossier : Ni excès d’honneur ni indignité pour le plan d’affaires  L’imagination et la créativité permettent, dans le cadre de la pensée effectuale, de dessiner, selon les objectifs préalables que l’entrepreneur s’est lui-même assigné, un panel d’actions possibles à mettre en œuvre, une idée à développer, un marché à découvrir, un projet à construire. Ces activités cognitives ne sont pas innées. Des outils et méthodes facilitant leur mise en œuvre peuvent contribuer au développement de cette fonction centrale dans l’effectuation. © De Boeck Supérieur | Téléchargé le 01/10/2023 sur www.cairn.info (IP: 35.173.137.0)  Le contrôle non prédictif est une aptitude qui est centrale dans l’action effectuale. Son enseignement offre ainsi une alternative pragmatique aux approches déterministes. Apprendre à contrôler en acceptant l’idée d’un futur incertain revient à savoir, en particulier à : a) inventorier les effets possiblement encourus suite aux actions ; b) mesurer les contraintes engendrées et c) réaliser des choix à partir de l’inventaire des effets et de la mesure des contraintes engendrées.  Le management d’une stratégie est un élément qui conditionne la mise 18 Branche de l’ethnologie s’intéressant notamment à l’étude des procédures d’actions quotitidiennes des individus. 22 / en œuvre d’une action effectuale. Conduire une stratégie demande, dans un premier temps de savoir l’élaborer pour ensuite la gérer. Elle nécessite ainsi de savoir en particulier : a) définir un but ; b) comment atteindre le but fixé préalablement 19, c) Mesurer l’écart entre le résultat attendu et le résultat obtenu.  La négociation avec les parties prenantes de son environnement rejoint la notion de « docilité » de Simon 20 (1999). En considérant que l’effectuation est utile dans un environnement incertain où la définition des buts est souvent ambiguë, les entrepreneurs cherchent à contrôler le futur à travers les engagements qu’ils prennent avec les parties prenantes. Mais parce que les entrepreneurs, comme les parties prenantes, sont « dociles », ils sont disposés à négocier des morceaux spécifiques du futur. La négociation avec l’environnement nécessite donc en particulier de savoir : a) collecter les ressources nécessaires 21 ; b) définir un but commun par l’engagement des parties prenantes et c) revoir ses engagements, formuler de nouvelles préférences et de nouveaux buts.  La prise de conscience est, comme le pilotage d’une stratégie, un élément clé dans la théorie de l’effectuation. Déterminante pour la réalisation de 19 À partir, par exemple, de l’analyse de ce que je sais/ ce que je ne sais pas ; de ce que je veux faire/ce que je ne veux pas faire ; de ce que j’aime faire/ce que je n’aime pas faire et des moyens dont je dispose/de ceux que je dois rechercher. 20 Simon (M.) & al, “Cognitive biases, risk perception, and venture formation: how individuals decide to start companies”, Journal of Business Venturing, vol. 15, 1999, p.113-134. 21 Les connaissances manquantes, les suggestions et les recommandations. © De Boeck Supérieur | Téléchargé le 01/10/2023 sur www.cairn.info (IP: 35.173.137.0) tain nécessite le recueil d’informations (de « ressources ») externes dans la perspective de « nourrir », par l’analyse qui en est faite, l’activité cognitive de l’entrepreneur. Les apports des sciences humaines, par exemple de l’ethnométhodologie 18, peuvent s’avérer particulièrement utiles dans l’apprentissage de l’observation et de l’analyse des informations issues de l’activité humaine en général. Olivier Toutain, Alain Fayolle © De Boeck Supérieur | Téléchargé le 01/10/2023 sur www.cairn.info (IP: 35.173.137.0) Ces éléments clés de l’apprentissage mis en avant dans la théorie de l’effectuation nous montrent que, finalement, les nombreuses informations contenues dans la formalisation d’un business plan peuvent constituer le résultat d’un travail qui allie déterminisme et contingence ou, dit autrement, causation et effectuation. Dans cet esprit, le business plan redevient un outil pédagogique particulièrement intéressant. La problématique initiale, résolue radicalement par Claude Ananou, peut être abordée différemment. En effet, ce n’est peut-être pas le plan d’affaires qu’il faut brûler, mais plutôt les pratiques que nous avons développées pour utiliser celui-ci. Modifier nos pédagogies en privilégiant la dimension effectuale suppose ainsi de revoir, dans le monde professionnel, les techniques d’accompagnement. Cet enjeu n’est pas modeste, car il implique entre autres de mettre en place des formations d’accompagnateurs adaptées, qui intègrent davantage la dimension effectuale. Cela nécessite donc d’exploiter de manière plus approfondie des méthodes qui favorisent la prise en compte de la contingence dans le processus entrepreneurial comme par exemple savoir aider le porteur de projet à :  tirer profit des problèmes rencontrés ou des erreurs effectuées ;  élaborer, tester, et revoir naturellement ses stratégies par une meilleure prise de conscience de l’interaction entre elle/lui-même (ses connaissances, ses motivations, ses moyens), l’entreprise qu’elle/il bâtit (son objet réflexif) et l’environnement complexe, mouvant, incertain (nombreux réseaux d’acteurs, arrivée quotidienne d’informations nouvelles) dans lequel elle/il navigue ;  apprendre de ses expériences vécues (savoir les transformer en connaissances). Promouvoir la complémentarité des approches causales et effectuales demande également un gros effort de valorisation et de communication sur les contributions qualitatives de l’accompagnement dans la formation de l’entrepreneur et la réalisation de son business plan. Cet effort doit cibler, en particulier, les décideurs institutionnels et les financeurs, une aspiration qui est particulièrement d’actualité dans la conjoncture actuelle, où la tendance consiste davantage à « rationaliser » le soutien aux actions d’accompagnement 22 et à évaluer les résultats par le biais de la création d’entreprise plus que par la formation de l’entrepreneur 23. 22 En limitant parfois drastiquement le nombre d’heures d’accompagnement financées. 23 Qui –nous en faisons l’hypothèse- contribue à renforcer les chances de pérennisation des entreprises créées. Entreprendre & Innover / Novembre 2012 / 23 © De Boeck Supérieur | Téléchargé le 01/10/2023 sur www.cairn.info (IP: 35.173.137.0) l’action entrepreneuriale, elle constitue un moyen d’agir, en particulier dans des situations inédites au futur incertain qui font expressément appel aux ressources internes de l’entrepreneur. La prise de conscience, qui est une aptitude requise pour ce style d’exercice, ne s’improvise pas mais s’apprend. Elle rend l’apprentissage plus efficient, en permettant à l’entrepreneur de commencer par inventorier son stock de connaissances et d’expériences pour mieux déterminer ses besoins complémentaires. Apprendre à prendre conscience permet à l’entrepreneur de valoriser ce qu’il sait et l’aide à ajuster, in fine, sa stratégie d’apprentissage. Dossier : Ni excès d’honneur ni indignité pour le plan d’affaires Nous constatons, un peu plus de dix ans après son apparition, que la théorie de l’effectuation continue d’offrir des perspectives de recherche-action prometteuses pour la recherche en entrepreneuriat, et plus particulièrement dans l’éducation © De Boeck Supérieur | Téléchargé le 01/10/2023 sur www.cairn.info (IP: 35.173.137.0) 24 Sarasvathy (S) & al., “Effectual entrepreneurship”, Routledge, 2011. 24 / entrepreneuriale. Elle permet notamment d’aider à mettre en musique une double complexité : d’une part celle d’une discipline, l’entrepreneuriat, qui prend ses sources « dans la vie réelle », et d’autre part celle qui consiste à l’enseigner, la pédagogie entrepreneuriale, qui puise sa substance dans la pluridisciplinarité afin de traduire l’expérience entrepreneuriale en connaissances académiques. Olivier Toutain, docteur en sciences de gestion, est enseignant-chercheur au département management des organisations et entrepreneuriat au groupe ESC-Dijon Bourgogne. Alain Fayolle, docteur en sciences de gestion, est professeur à l’EM-Lyon Business School, membre fondateur de l’Académie de l’Entrepreneuriat et rédacteur en chef d’Entreprendre & Innover. © De Boeck Supérieur | Téléchargé le 01/10/2023 sur www.cairn.info (IP: 35.173.137.0) Dans le monde de l’enseignement, revoir l’utilisation du business plan suppose, en premier lieu, de renforcer l’usage des pédagogies actives auprès de petits groupes d’étudiants, en privilégiant ainsi le coaching et l’accompagnement dans des perspectives similaires à celles que nous avons évoquées plus haut. En second lieu, cela implique de renforcer les formations, auprès des enseignants et des formateurs, basées sur l’utilisation des outils issus de la pensée effectuale. Car ils existent ! 24