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Océans

QUE RESTE-T-IL À DÉCOUVRIR ?

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un enjeu crucial

Pour son rôle dans la régulation du climat, la biodiversité qu'il abrite et les services multiples et vitaux qu’il rend aux sociétés humaines, le maintien en bonne santé de l’Océan est un enjeu crucial. Mais les effets combinés du changement climatique et des activités humaines mettent en péril la machine océanique, faisant peser de nouvelles menaces pour le vivant. Immense laboratoire physique, géologique, chimique et biologique, l’océan reste pour autant un grand inconnu. Les scientifiques sont sur tous les fronts - et dans tous les fonds - océaniques pour tenter de repousser toujours plus loin les frontières de la connaissance sur nos océans.

comment naissent
et évoluent les océans ?

Les océans couvrent 70 % de la surface de la planète et contiennent 97 % de l’eau sur Terre. Ils abritent également la majorité de la biodiversité. Mais cet immense réservoir de richesses n’a pas toujours eu la configuration qu’on lui connaît aujourd’hui. Au fil des temps géologiques et climatiques, intimement liée au ballet des continents, la forme des océans a évolué. Dorsales et bassins océaniques, fosses et abysses, rifts, monts hydrothermaux : la richesse des paysages des fonds marins nous révèle une partie de leur histoire.

Le destin d’un océan

Au regard de l’âge vénérable de la Terre, les fonds océaniques actuels sont jeunes : pas plus de 200 millions d’années contre 4,56 milliards pour notre planète. En cause : l’activité tectonique qui façonne la surface de la Terre, la lithosphère. Cette enveloppe rigide, de quelques dizaines de kilomètres d’épaisseur en moyenne dans les océans, est un véritable puzzle géant et mouvant, qui forme actuellement 53 plaques tectoniques. On distingue sept grandes plaques (américaine, pacifique, eurasiatique, africaine, australienne et antarctique), qui couvrent 95 % de la surface terrestre, et 46 plus petites (Caraïbes, Philippines, etc.). Sous tension permanente, ces plaques se forment puis se déforment avant de disparaître pour être recyclées dans le manteau terrestre. La naissance et l’évolution des océans sont donc directement liées aux mouvements des plaques tectoniques.

Carte de la tectonique des plaques Carte physique mondiale en français des limites des plaques tectoniques avec leurs vecteurs de déplacement et une sélection de points chauds (hotspots). Source : Wikimedia commons, Share alike 3.0 Unported – Eric Gaba

L’océanisation est le fruit d’un long processus géologique qui débute par la rupture d’un continent. Sous l’effet de contraintes tectoniques, la croûte terrestre s’échauffe, s’étire et s’amincit jusqu’à son déchirement, formant en surface une vaste vallée d’effondrement appelé rift continental. Les rifts constituent ainsi le premier stade d’un processus de divergence entre deux futures plaques. Si le processus se prolonge suffisamment longtemps, le rift et sa vallée s’ouvrent jusqu’à ce que de l’eau s’engouffre dans cette dépression nouvellement formée. C’est au niveau de cette nouvelle limite de plaques, désormais une dorsale océanique, que de la croûte va être générée, entraînant l’élargissement de l’océan. Si toutes les étapes de ce processus sont encore mal connues, comme le passage du domaine continental aminci au système purement océanique par exemple, de nombreux éléments sur terre comme en mer ont permis aux scientifiques d’en établir les grands traits.

Le rift Est-Africain est, lui, en cours d’ouverture. De l’Afar au Golfe du Mozambique, il offre sur près de 4000 km un éventail unique des différents stades d’évolution de la rupture continentale depuis 25 millions d’années. Alors que la rupture est à peine amorcée dans sa partie sud (depuis 1 à 5 millions d’années au Malawi, Mozambique, Tanzanie), elle atteint un stade très avancé en Afar, où la nature de la croûte terrestre a même commencé à être modifiée. Cette zone particulière regroupe trois branches distinctes où de nombreuses dépressions (bassins), failles, et volcans actifs attestent des phénomènes dynamiques internes qui sont à l’œuvre pour rompre la croûte terrestre. Pour autant, il est impossible de prédire aujourd’hui si le rift Est-Africain donnera effectivement naissance à un océan. L’Islande constitue, elle, un autre cas remarquable : située au niveau d’un point chaud (siège d’une activité volcanique intense), l’île est en fait une partie émergée de la dorsale médio–atlantique, ce qui permet d’observer sur terre des processus d’extension classiquement sous-marins.

Vue du rift du Manda Hararo (Afar éthiopien) Vue du rift du Manda Hararo (Afar éthiopien) à partir de l’épaule sud-ouest. Bien que de nombreuses failles soient visibles au premier plan, celles-ci ne sont probablement plus actives, car l’activité magmato-tectonique Quaternaire semble concentrée sur une zone étroite visible au second plan (zone sombre, couverte de coulées basaltiques). © Raphaël GRANDIN/IPGP/CNRS Photothèque

Les dorsales océaniques forment une chaîne de montagnes sous-marines, observable par satellite, de plus de 60 000 kilomètres. Les limites des plaques tectoniques sont en effet des zones à forte activité sismique et volcanique et font l’objet d’une étude toute particulière. C’est ici que se forme en continu la nouvelle lithosphère – ou plancher – océanique. Par quels mécanismes ? Des laves provenant de la fusion partielle du manteau sous-jacent montent au niveau de la dorsale. Elles s’échappent par des fissures et forment des volcans sous-marins puis des bandes de basaltes qui s’accolent à des laves plus anciennes. Ce processus, par lequel la lithosphère est générée à l’axe des dorsales avec l’expansion océanique, est nommé accrétion. Hormis quelques exceptions, on distingue les dorsales  » lentes « , dont la vitesse d’expansion est de 2 à 4 centimètres par an (comme la dorsale médio-atlantique) et des dorsales  » rapides  » dont le taux d’accrétion est de 8 à 20 centimètres par an (comme la dorsale est-Pacifique).

L’étude des dorsales, notamment la dorsale lente sud-ouest indienne, a montré que l’apport magmatique n’était pas le seul responsable de la formation du plancher océanique. Des campagnes océanographiques ont permis de découvrir, à certains endroits, des traces d’exhumation du manteau terrestre (composé de péridotites) et de la croûte profonde sans remontée magmatique : sur les dorsales lentes, de grands cisaillements, ou failles normales, entraînent la remontée de péridotites jusqu’à l’affleurement. L’expansion et la composition du plancher océanique résultent ainsi d’une balance entre ces trois mécanismes : le magmatisme, les failles normales et l’hydrothermalisme associé.

L’accrétion permet chaque année la formation de 17 km3 de nouvelle lithosphère. Se couvrant progressivement de sédiments, elle s’épaissit, s’alourdit, avant d’être engloutie sous son propre poids dans le manteau terrestre. Les plaques océaniques terminent ainsi leur cycle en s’enfonçant dans le manteau terrestre au niveau des zones dites de subduction – sous les plaques tectoniques voisines, moins denses. De ce fait, on trouve très peu de lithosphère océanique datant de plus de 180 millions d’années. En d’autres termes, le plancher océanique est éphémère… à l’échelle des temps géologiques. En s’enfonçant dans les entrailles de la Terre, la croûte océanique va fondre avant d’être recyclée par le manteau terrestre pour donner naissance, quelques millions d’années plus tard, à de nouvelles dorsales.

“ Si l’on commence à mieux comprendre les mécanismes tectoniques - qui permettent d'amincir la lithosphère continentale de 30 à 10 km jusqu'à en exhumer le manteau lithosphérique dans certains cas, on connaît encore mal en revanche comment se forme la dorsale océanique initiale, c'est-à-dire comment se forme une nouvelle limite de plaque. Qu'est ce qui contrôle le timing des apports de magma lors du rifting ? Quelles sont les interactions entre processus magmatiques et tectoniques ? Quel est le rôle des points chauds ? Cette transition, au moment où les processus tectoniques laissent la place aux processus magmatiques, est encore mal comprise. ”
Daniel Sauter
directeur de recherche à l’Institut Terre et environnement de Strasbourg (ITES)
Comment se forme une île
au milieu de l’Océan ?

Quel est le point commun entre l’Islande, les Tonga, Mayotte, ou encore les Açores ? Ce sont toutes des îles volcaniques, émergeant des océans. Nées de points chauds, de l’émergence d’un rift océanique ou lors de la subduction d’une plaque tectonique sous une autre, les îles qui se forment au milieu de l’océan ne sont pas pour autant éternelles : certaines peuvent disparaître quelques mois ou quelques années après leur formation. 

Les îles de points chauds, comme l’archipel d’Hawaï dans l’océan Pacifique, La Réunion dans l’océan Indien ou les Açores dans l’océan Atlantique sont le fruit de percées magmatiques survenues il y a plusieurs dizaines de millions d’années. En un point donné, du magma traverse en continu la croûte océanique, formant un volcan de plus en plus grand jusqu’à ce qu’il émerge de l’océan. Ces poinçons de magma ne bougent pas par rapport au manteau terrestre ; ce sont les plaques qui, se déplaçant au-dessus, sont ainsi “ poinçonnées ”, entraînant la naissance de nouveaux volcans. Un phénomène qui s’inscrit dans le temps long : il a fallu deux millions d’années à La Réunion pour devenir une île définitive. Les volcans sont en effet très instables et se détruisent régulièrement. Le volcan actif du piton de la Fournaise, à La Réunion, est installé à l’intérieur d’une énorme caldera – un effondrement latéral de tout un côté du volcan, qui correspond à une série d’effondrements successifs de son flanc est. L’Islande, située au milieu de l’Atlantique sur la dorsale médio-océanique entre l’Europe et l’Amérique, est le seul endroit du monde où le plancher d’une dorsale océanique a émergé.

Carte des principaux points chauds mondiaux Sur cette carte des principaux points chauds mondiaux, on distingue en 1 : Limite de plaque divergente (dorsale), 2 : Limite de plaque transformante, 3 : Limite de plaque de subduction, 4 : Zones de limite diffuse de plaque, 5 : Sélection de principaux points chauds. © Wikipédia

La plus jeune île connue, émergée en janvier 2022 dans l’archipel des Tonga, dans l’océan Pacifique, appartient, elle, à un arc volcanique. Ces arcs se forment dans les zones de subduction : là où la croûte océanique s’enfonce dans le manteau sous une autre plaque. Du magma s’échappe du manteau et forme, en aplomb de cette zone, un arc de volcans qui percent régulièrement les flots. Quand il y a convergence entre deux plaques océaniques, il y a formation de chapelets d’îles volcaniques qui s’élèvent au-dessus de la surface des océans pour constituer un arc insulaire. Les arcs volcaniques insulaires s’installent sur la plaque chevauchante. Les principaux arcs se situent dans les Caraïbes (Petites Antilles), l’Atlantique Sud (Sandwich du Sud) et le Pacifique Ouest. L’archipel de Mayotte constitue la plus orientale, la plus australe et la plus ancienne terre émergée de l’arc volcanique des Comores, au nord du canal du Mozambique, au large de Madagascar. Mais en 2018, la plus importante secousse sismique jamais enregistrée dans la région a déclenché une enquête scientifique haletante. Celle-ci a permis de découvrir un système volcanique complexe inédit : un volcan sous-marin de 5 kilomètres de diamètre et de 800 mètres de haut était en train de naître à l’est de Mayotte. De nombreux sites font ainsi l’objet d’une surveillance continue, au sol et par satellite, pour en surveiller l’éruption, la sismicité et la déformation associée. Des campagnes qui continuent de fournir des données précieuses pour affiner la compréhension de ces systèmes volcano-tectoniques.

Mayotte 2019 Naissance d’un volcan sous-marin au large de Mayotte en 2019 © MAYOBS, CNRS/Ifremer/IPGP/BRMG

D’où viennent
les roches sédimentaires ?

Archives de l’histoire de l’océan, la sédimentation océanique contribue aussi à faire de l’océan un puits de carbone essentiel. Les faciès sédimentaires reflètent à la fois la variabilité des apports qui les constituent et les caractéristiques du milieu océanique où ils se déposent (morphologie, profondeur, courants, salinité, pH, concentration en CO2…). On peut ainsi distinguer deux grands types d’apports à la sédimentation océanique : les apports détritiques dus à l’altération des continents et la destruction des sols, et les apports d’origine marine liés à la production biogène dite primaire (organismes marins, plancton, microplancton…).

Les apports détritiques montrent aussi bien la diversité d’origine et de composition des roches continentales – magmatiques ou sédimentaires – que les conditions climatiques qui les altèrent – formation de sols. Ils sont donc directement reliés aux différentes zones géographiques de climat, à la variation du climat global de la Terre au cours du temps et à la position des continents. Les apports détritiques sont principalement et d’abord déposés près des continents par les fleuves, sur les marges. Avec ces apports particulaires silicatés ou carbonatés, produits de l’altération des roches, les apports de matières organiques marines et continentales peuvent alors former des roches « réservoirs » de matières carbonées, comme le charbon, le pétrole et le gaz, que nous utilisons comme ressources d’énergie. Ces dépôts se sont formés à des époques géologiques spécifiques où les conditions climatiques et la configuration de bassins sédimentaires favorisaient la préservation de la matière organique. Or les ressources carbonées, outre le fait qu’elles ne sont pas infinies, relâchent le CO2 qui y était fixé et qui, dans un nouveau cycle, induit actuellement l’érosion et une altération accélérée des roches continentales, acidifie les eaux marines, réchauffe l’atmosphère. Les mécanismes des effets-réponses de ce cycle du carbone et leurs conséquences sur nos milieux et nos sociétés sont une préoccupation primordiale des recherches sur les processus d’altération et la relation continent-océan influençant le climat.

Chaînon primordial du cycle du carbone, les apports biogènes marins constituent quant à eux la grande part des sédiments océaniques formés loin des côtes et à plus grande profondeur au-delà du talus continental. À la surface des océans et des mers ouvertes, le plancton et le microplancton sont au début de la chaîne biologique. On peut distinguer deux grandes familles planctoniques qui formeront les sédiments pélagiques : le plancton carbonaté et le plancton siliceux. Ces deux types se répartissent en fonction des zones géographiques climatiques (T°) et de la dynamique des grands courants marins couplés entre surface et profondeur (concentration en oxygène et nutriments). Les faciès sédimentaires pélagiques carbonatés (calcite) et siliceux (opale) sont le reflet direct des conditions océaniques qui ont varié au cours des temps géologiques. Ces conditions sont liées d’abord à la configuration des continents due à l’activité tectonique et à l’expansion océanique avec l’ouverture ou la fermeture de passages entre les océans Atlantique, Pacifique et Indien. La configuration actuelle – depuis environ 15 millions d’années – a permis la mise en place du grand système de courant global, la circulation thermohaline, qui régit les échanges de chaleur océanique et atmosphérique. La formation des sédiments pélagiques biogènes est aussi conditionnée à un autre facteur : la préservation donc le stockage du carbone. La préservation des tests (« squelettes »), une fois la matière organique planctonique dégradée et recyclée en surface, est en fonction de la profondeur, du pH et de la concentration en CO2 des masses d’eau profondes. Ces facteurs ont aussi varié au cours du temps. Ainsi la répartition sur le plancher océanique des sédiments biogènes enregistre à la fois le climat de surface et les conditions marines profondes.

“ L'étude des sédiments pélagiques a permis de caractériser les grandes variations et les crises brutales climatiques et biologiques à l'échelle géologique ; ils servent également de base aux modélisations des évolutions futures. De grands programmes internationaux de carottages et de forages permettent d'affiner nos connaissances sur les connexions complexes et étroites entre océan et atmosphère, donc sur le climat et le cycle du carbone. ”
Anne-Marie Karpoff
directrice de recherche émérite à l’Institut Terre et environnement de Strasbourg
zoom surLes précieux minéraux
des fonds océaniques

Une autre particularité de la sédimentation océanique est la formation du faciès dit « argiles rouges » et des nodules de manganèse, sortes de gros galets qui agrègent les minerais présents dans l’eau et dont l’attrait minier a trouvé un regain d’intérêt pour les métaux stratégiques qu’ils concentrent. Aux très grandes profondeurs abyssales, vers 4 500 mètres, la sédimentation change. Les particules biogènes subissent des dissolutions intenses dues aux conditions physicochimiques de fond : diminution de la température, du pH, augmentation en CO2 dissous… La calcite n’est plus stable. Il ne se dépose alors qu’une faible quantité de particules silicatées et de nouveaux minéraux permettant l’équilibre de la chimie de l’eau de mer : des argiles ferrifères et des oxydes. Ces derniers forment les nodules de fer et de manganèse riches en nickel (Ni), cuivre (Cu), cobalt (Co), et en Cérium (Ce) – une terre rare d’intérêt économique. L’intérêt des nodules a resurgit avec les nouvelles technologies de communication gourmandes en métaux rares, en particulier pour les pays d’Asie. Les nodules, dont les gisements sont limités, ont mis des millions d’années à se former et ils abritent un écosystème et une faune uniques ; une fois ratissés, il ne resterait sans doute qu’un désert sans que l’on connaisse les conséquences sur l’équilibre du milieu océanique dans sa globalité. De nouveaux programmes se sont ouverts sur ces sujets. Les mêmes attraits économiques se portent sur les volcans sous-marins et les croûtes cobaltifères.

Concombre de mer dans un champ de nodules polymétalliques Les concombres de mer, tel ce Psychropotes longicauda, sont communs sur les zones à nodules du Pacifique Nord équatorial par 5 500 mètres de profondeur. © Campagne Nodinaut 2004 / Ifremer-NAUTILE 

Comment se forment
les minéralisations ?

70 % de la surface terrestre correspondent à de la croûte océanique formée le long des dorsales sous-marines. À cet endroit, l’interaction entre volcanisme et tectonique est complexe et de nombreux processus y sont actifs ; cette couche de roche saturée d’eau et traversée par les gaz chauds en provenance du magma constitue un véritable réacteur chimique dont les volcanologues connaissent mal le fonctionnement.

Cheminees hydrothermales du site Lucky Strike Situé à 1 700 mètres de profondeur, au sommet d’un volcan sous-marin, le champ hydrothermal de Lucky Strike se présente sous la forme d’une centaine de sources hydrothermales entourant un ancien lac de lave. © Ifremer / MoMARSAT 2008

Dans ces conditions extrêmes, entre la chaleur du magma des dorsales océaniques et la froideur de l’eau de mer profonde, se développent des écosystèmes autour de zones géologiques découvertes à la fin des années 1970 et explorées depuis : les sources hydrothermales (les tout premiers indices « géochimiques » de l’hydrothermalisme océanique ont cependant été trouvés par l’observation des sédiments métallifères de la mer Rouge). Cette activité hydrothermale, avec un transfert d’énergie et de composés chimiques entre la Terre profonde et les océans, est responsable de la perte d’environ 30 % de la chaleur de la Terre vers l’extérieur. L’expression la plus spectaculaire de cette circulation hydrothermale dans la croûte océanique est la formation des fumeurs noirs. Ces cheminées sous-marines, chargées de minuscules particules métalliques et pouvant atteindre jusqu’à 30 mètres de hauteur, émettent des panaches de plus de 350 °C à l’axe des dorsales ; les fumeurs blancs, de plus basses températures (entre 100 °C et 300 °C), rejètent eux du sulfate de calcium. Entre les deux, on trouve toutes les nuances de gris. Chaudes, acides et anoxiques, chargées en sulfures polymétalliques, ces émissions jouent un rôle clé, par exemple, dans la teneur en fer des océans. La vie se concentre autour de ces cheminées actives où des micro-organismes survivent. Sans lumière, ces derniers vont utiliser une énergie chimique, non pas par photosynthèse, mais par chimiosynthèse microbienne, pour produire de la matière organique. Cette matière organique sera ensuite consommée par les animaux qui colonisent ces zones à forte productivité. Aujourd’hui, ces oasis abyssales, fragiles et méconnues, sont particulièrement ciblées pour les ressources minières et minérales qu’elles pourraient représenter. Sans que l’on ne mesure, comme pour les nodules polymétalliques, les risques d’une telle exploitation sur les écosystèmes associés dont, par ailleurs, on connaît mal la capacité de résilience.

“ La cartographie des fonds océaniques est un bon outil de représentation qu’il est important de développer davantage. Les grands points d’interrogation se situent au niveau des fonctions, des interactions et des interdépendances entre les différentes composantes - l’eau, les roches, la vie et l’atmosphère. Quels sont les transferts, physiques et biologiques, à l'œuvre ? Comment la vie s’organise-t-elle dans les milieux profonds ? Comment vont-ils réagir au réchauffement climatique et aux pressions anthropiques ? Nous avons le désir et le devoir, en tant que scientifiques, de nous poser ces questions. ”
Mathilde Cannat
directrice de recherche dans l’équipe de géosciences marines
à l'Institut de physique du globe de Paris (IPGP)
Écouter Mathilde Cannat

(podcast en anglais) sur les dorsales médio-océaniques.

RESSOURCES

comment fonctionne
la machine océanique ?

Depuis plus de 8 000 ans, et la fin de la dernière glaciation, Océan et atmosphère forment un couple stable. L’un influence l’autre et inversement. L’atmosphère échange en permanence avec l’Océan chaleur, eau, gaz et éléments nutritifs ; en les redistribuant dans tous les océans de la Terre, la circulation des eaux océaniques joue le rôle de régulateur du climat global. Un fragile équilibre aujourd’hui menacé ?

Un Océan ou des océans ?

L’océan n’est pas homogène. À la manière d’un millefeuille, les eaux marines sont organisées en couches. Elles circulent les unes au-dessus des autres selon leur densité, qui est fonction de leur température et de leur salinité. On trouve les eaux chaudes et peu salées en surface ; plus elles sont froides et salées, plus elles sont denses, et plus elles vont venir former les couches intermédiaires et profondes de l’océan. L’océan est dynamique. Ouvert, ses immenses volumes d’eau sont brassés en permanence par les grands courants et les tourbillons marins. Les vents de surface et la rotation de la Terre, via la force de Coriolis, génèrent des gyres océaniques – Pacifique Nord et Sud, Atlantique Nord et Sud, océan Indien. Ces gigantesques vortex d’eau, formés d’un ensemble de courants marins, transportent lentement et dans tous les océans de la planète l’énergie thermique, l’eau, les gaz reçus en surface mais aussi les pollutions d’origine anthropique.

Les océans transportent de la chaleur de l’équateur vers les pôles par les grands courants de bord ouest, comme le Gulf Stream et le Kuroshio dans l’hémisphère nord, et les courants du Brésil et des Aiguilles dans l’hémisphère sud. Lorsqu’elles arrivent au niveau de la pointe sud du Groenland et de la Norvège, ces eaux chaudes qui ont traversé l’Atlantique se refroidissent. Devenues beaucoup plus denses, elles sont entraînées vers le fond et retraversent le bassin atlantique, vers la Floride. Lorsque le point de congélation est atteint, une partie des eaux se transforme en banquise, rejetant son sel dans les eaux environnantes, ce qui en augmente encore la densité. Ces eaux froides et salées, très denses, plongent par gravité entre 2 000 et 4 000 mètres de fond. Elles forment alors un courant profond qui transporte vers le sud les eaux froides formées au nord, assurant un transfert profond dans l’Atlantique Nord, du même ordre que le transport assuré par les courants de surface. C’est ce phénomène que décrit la circulation de retournement (circulation méridienne de retournement atlantique, AMOC), addition de nombreux courants et tourbillons. Longtemps résumé à un « tapis roulant » océanique, ce terme n’est plus usité aujourd’hui donnant l’idée fausse d’un flux unique et continu.

AMOC La circulation méridienne de retournement atlantique, AMOC, joue un rôle fondamental dans l’absorption du CO2 atmosphérique.
© NASA’s Goddard Space Flight Center

Une des contributions majeures – et bien connues – de l’océan et de ses courants dans la régulation du climat est de transférer et mieux répartir l’excédent de chaleur solaire reçu à la surface de l’océan en profondeur et dans la plupart des régions océaniques. L’AMOC y contribue largement. Mais ses fluctuations pourraient avoir un impact sur le climat global en affectant les températures, les précipitations, les événements météorologiques extrêmes et la biodiversité qui affecteront à leur tour les sociétés humaines. La très grande échelle d’AMOC et le peu de données globales disponibles rendent difficile, encore aujourd’hui, l’observation de son évolution.

zoom surle Gulf Stream

Le Gulf Stream est un courant océanique chaud bien connu depuis le XVIe siècle : les navigateurs l’empruntaient pour revenir des Amériques.

Jusqu’à l’apparition des premiers satellites, il était décrit comme un flux unique et continu qui circule de la Floride, où il prend naissance, jusqu’en Europe et aux latitudes polaires. Aujourd’hui, on sait que la réalité est tout autre : si le Gulf Stream est en effet un courant continu et très intense qui longe la côte américaine du sud vers le nord sous l’effet de la rotation terrestre (faisant partie d’un ensemble plus large appelé gyre atlantique), on sait qu’après s’être détaché de la côte au niveau du Cap Hatteras, en Caroline du Nord, il change totalement d’aspect et se désintègre en une multitude de tourbillons océaniques bien visibles par les satellites. Une partie de ces masses d’eau – environ 20 %, soit à peu près 20 fois le débit de l’Amazone – traverse le bassin atlantique d’ouest en est et poursuit sa route vers le nord, tandis que le reste retourne vers le sud. On retrouve ensuite un courant sud-nord bien identifié au large de Terre-Neuve, qui se casse à nouveau en petits tourbillons en partant vers le large. Ce n’est donc pas le Gulf Stream qui vient lécher les côtes européennes, mais AMOC. Sous l’effet du changement climatique, la circulation de retournement atlantique est-elle en train de ralentir ? Les données, récoltées sur ces quinze dernières années, sont encore insuffisantes pour donner des tendances de long terme. Le ralentissement de l’AMOC dans les cent ans qui viennent est néanmoins possible, et a peut-être déjà commencé. Il est d’ailleurs envisagé par un certain nombre des modèles climatiques actuels ; quelques scénarios évoquent même l’arrêt total de la circulation de retournement atlantique. Mais si l’AMOC s’arrête, cela ne sera jamais le cas du Gulf Stream. Ce courant qui longe les côtes de l’Amérique est exclusivement lié à la rotation terrestre. Ce n’est pas le cas de l’AMOC, liée en grande partie au bilan énergétique de la Terre et aux circulations d’eaux chaudes et froides entre l’équateur et les pôles.

“ Si la circulation océanique à très grande échelle est relativement bien caractérisée, la quantification des processus physiques permettant le transfert de carbone entre la couche de surface et les couches plus profondes reste encore largement débattue. Par exemple, quelle est l’influence de la topographie des océans sur le mélange océanique, celle des vents forts, des tourbillons, ou de dessalures à la surface de l’océan et reliées à la fonte de la glace ou aux panaches des fleuves ? ”
Jacqueline Boutin
directrice de recherche au Laboratoire d'océanographie et du climat :
expérimentations et approches numériques (LOCEAN-IPSL)

Carbone, fer ou oxygène :
le rôle de l’Océan dans
les cycles des éléments

Ce stockage repose sur le couplage de deux phénomènes, l’un physique, l’autre biologique.

La pompe à carbone physique fonctionne grâce à la solubilité du CO2 dans l’eau, favorisée par de basses températures : une partie du carbone présent dans l’atmosphère est dissous naturellement à la surface des océans puis une partie est transférée en profondeur par des processus physiques et/ou biologiques.

La pompe à carbone biologique repose, elle, sur la photosynthèse. 

À la surface de l’océan, vivent des algues microscopiques : le phytoplancton. Comme toute plante, ces algues pratiquent la photosynthèse : elles absorbent du CO2 atmosphérique et le transforment en matière organique et en dioxygène (O2) grâce à la lumière du Soleil. 

De ce fait, l’océan est à l’origine de plus de la moitié de l’oxygène présent dans l’atmosphère. Lorsque ces microalgues meurent, une partie de la matière organique coule vers le fond de l’océan – c’est la “ neige marine ” – entraînant et séquestrant ainsi le carbone dans les profondeurs pour des milliers d’années.

Présent uniquement dans les couches éclairées de l’océan, le phytoplancton a donc besoin pour survivre de lumière et de CO2, mais également d’un certain nombre d’éléments nutritifs apportés, transportés et transformés par les océans – comme l’azote, le phosphore ou le fer. D’origine atmosphérique, hydrothermale ou volcanique, le fer fait par ailleurs l’objet de nombreuses recherches, notamment sur le lien entre les différentes sources de fer, et leur impact sur le cycle du carbone à grande échelle.o

Diatomée Une diatomée observée au microscope électronique à balayage (MEB) avec un grossissement x 2000. L’image est retraitée et colorisée avec des couleurs artificielles. © Bertrand REBIERE / ICGM / CNRS Photothèque

Enfin, la nature dynamique de l’océan lui confère également ce rôle fondamental de thermostat planétaire. Mais, en réponse au changement climatique, il tend à se stabiliser de plus en plus depuis cinquante ans et à un rythme six fois supérieur aux estimations passées. Le réchauffement des eaux, la fonte des glaciers et le dérèglement des précipitations forment une couche à la surface de l’océan qui se découple des profondeurs : comme de l’eau sur de l’huile, cette séparation limite le mélange océanique et rend l’atténuation du changement climatique par l’océan plus difficile. Par ailleurs, le changement du climat entraîne une intensification des vents qui a épaissi la couche de surface de l’océan de 5 à 10 mètres par décennie depuis un demi-siècle, rendant plus ardu l’accès vital à la lumière pour la majorité de la biodiversité marine vivant dans cette couche. Dans quelle mesure le changement climatique affecte-t-il l’océan et sa capacité à piéger une partie des émissions de CO2 anthropiques ? Quels seront les effets sur le cycle global du carbone ? Seules des études continues et sur le temps long permettront d’apporter des éléments de réponse.

Mélange océanique Schéma idéalisé de la structure verticale de l’océan mondial : la couche de surface est mélangée par les vents, et absorbe de la chaleur atmosphérique qui augmente en réponse au changement climatique. Pour que l’océan joue un rôle d’atténuation du changement climatique, il faut que cette chaleur soit transmise dans l’océan profond, loin de l’atmosphère. Mais l’océan se stabilise depuis 50 ans, avec une barrière entre océan de surface et océan profond de plus en plus difficile à franchir. En parallèle, l’intensification des vents approfondie la couche de surface. © Jean-Baptiste Sallée, Locean (CNRS/MNHN/IRD/Sorbonne Université)

quels liens
avec le climat ?

Depuis la révolution industrielle, les activités humaines ont mis à mal le fragile équilibre de la machine océanique. Parce qu’ils captent une partie des émissions de gaz à effet de serre anthropiques, les océans de la planète se réchauffent, s’asphyxient et s’acidifient. La vitesse de ces changements et leur ampleur sur ces dernières décennies rendent ainsi l’avenir du couple Océan-climat incertain. Et pour cause, chaque variation – de température ou de salinité – pourrait entraîner de grandes conséquences. Pour tenter de comprendre et de prévoir le rôle de l’Océan sur le climat de la planète, les scientifiques observent les bouleversements en cours et leurs impacts sur la biodiversité.

Quel est le devenir
de la pompe à carbone ?

En réponse au changement climatique, l’océan jusque-là stable est désormais en évolution permanente sans que l’on connaisse encore la vitesse de modification des processus. Est-il proche de la saturation ? La pompe à carbone océanique, indispensable à la régulation du climat, est-elle en train de s’enrayer ? Peut-on envisager de la manipuler pour en activer ou en intensifier les bénéfices ?

Dans la captation du carbone atmosphérique, phénomènes physique et biologique au sein des océans fonctionnent de concert. Mais nous savons désormais que c’est uniquement grâce au processus physique qu’une partie de cet excédent est absorbée. La pompe biologique ne contribue pas, elle, à capter les émissions de carbone anthropiques : le phytoplancton n’a pas bénéficié de l’excès de CO2 produit par les activités humaines et la quantité de CO2 piégée par le processus biologique reste donc inchangée. Par ailleurs, soumise à de nombreuses variabilités naturelles, la pompe biologique implique de multiples paramètres que l’on cherche encore aujourd’hui à identifier. Parmi eux, la concentration plus ou moins élevée de fer dans les océans.

En 2005 et 2011, les missions Keops-1 et Keops-2 menées dans les îles Kerguelen, dans l’océan Austral, ont permis de découvrir que les abords des îles sont très riches en phytoplancton, contrairement au reste de cet océan. Ce « bloom », une floraison exceptionnelle, serait due à la présence de fer dans l’eau. Les mesures de CO2 dans l’eau de surface ont montré que la région du bloom est un large puits de CO2

En fertilisant artificiellement une petite zone en fer, les scientifiques ont constaté une augmentation de l’absorption de carbone par le phytoplancton ; leurs mesures indiquent alors que la fertilisation naturelle est 10 à 100 fois plus efficace que la fertilisation artificielle. 

Au cours de la deuxième mission, les sources de fer sont davantage étudiées. Résultat : les apports atmosphériques sont négligeables tandis que les processus de ruissellement, d’apports par les glaciers et les sédiments du plateau sont des sources importantes de fer dissous. Peut-on pour autant injecter du fer dans l’océan pour augmenter la quantité de phytoplancton et activer la pompe biologique ? Dans son sixième et dernier rapport, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) avance qu’une séquestration nette de CO2 à la place des émissions actuelles sera nécessaire pour maintenir le réchauffement global sous la barre des 2 °C. Autrement dit, que des processus biologiques, technologiques et géochimiques devront venir renforcer les puits de carbone naturels pour nous permettre de le capter et de le stocker durablement. Faudra-t-il en passer par la hausse de la productivité de l’océan ? Au-delà des questions éthiques que poserait la fertilisation artificielle, venue de la géo-ingénierie, ni l’efficacité en termes de durée de séquestration (de jours à des milliers d’années) ni les effets secondaires d’une telle manipulation ne sont connus à ce jour.

Le changement climatique induit donc de nombreux effets sur le fonctionnement et sur l’équilibre des océans. L’intensification de la stratification liée au réchauffement réduit les apports nutritifs de la couche éclairée vers les couches profondes de l’océan. Le réchauffement des couches de surface agit, lui, indirectement sur la pompe physique, le carbone se dissolvant moins pour des températures plus élevées. Avec un effet identique sur l’oxygène et donc un impact : la proportion de zones de haute mer dépourvues de tout oxygène, au cours des cinquante dernières années, a plus que quadruplé. Quant aux sites à faible teneur en oxygène situés près des côtes, y compris les estuaires et les mers fermées ou semi-fermées, ils ont été multipliés par 10 depuis 1950.

Comment le réchauffement climatique désoxygénise-t-il l’océan ?

Comme nous, l’océan respire l’oxygène dissous (O2) provenant de l’atmosphère et produit par le phytoplancton en surface par photosynthèse, en même temps que le CO2 atmosphérique est capté. L’oxygène introduit dans l’océan est donc essentiel aux écosystèmes océaniques et à leur survie. Mais depuis le milieu du XXe siècle, les océans s’asphyxient. Entre 1960 et 2010, on observe une diminution moyenne – et constante – de la teneur en oxygène océanique de plus de 2 %, avec des estimations variant largement entre les bassins océaniques, les zones côtières et les eaux profondes. D’ici la fin du siècle, la désoxygénation pourrait atteindre de 1 % à 7 % du stock océanique actuel selon les régions. Principale cause de ces bouleversements : le réchauffement climatique. Il affecte la solubilité, mais surtout la stratification qui s’oppose au mélange avec les eaux oxygénées de surface, à la manière d’un couvercle, ainsi que les taux de respiration océaniques.

Carte de la désoxygénation des océans Cette carte montre la répartition des concentrations minimales d’oxygène (O2) dans l’océan (en μmol/litre) faisant apparaître les OMZs en bleu-gris foncé, avec les sites côtiers où des événements hypoxiques ont été reportés (points orange). D’après Paulmier (2017).

L’oxygénation océanique comprend elle aussi un volet physique et biologique. Physique par les échanges atmosphériques avec la dissolution de l’oxygène dans l’océan, puis par son transfert de la surface vers l’océan profond. Biologique car le phytoplancton produit de l’oxygène grâce à la photosynthèse dans la couche de surface éclairée. En descendant vers l’obscurité des profondeurs, la photosynthèse diminue. En conséquence, les eaux de surface contiennent généralement de fortes concentrations d’oxygène. Mais durant la photosynthèse, le phytoplancton va également produire de la matière organique vivante (le phytoplancton, lui-même suivi de la chaîne des brouteurs, le zooplancton, puis des autres prédateurs) et inertes (déjections et carcasses des organismes une fois morts). Ces particules de matière organique vont chuter dans les couches d’eau intermédiaires et profondes et être dégradées et recyclées en nutriments en produisant du CO2, mais en consommant également de l’oxygène, essentiellement par les bactéries. Une autre partie de l’oxygène va être consommée par la respiration des organismes marins lors de l’utilisation de la matière organique pour leur nutrition et rejetant également du CO2.

L’oxygène régule ainsi les grands cycles des éléments nutritifs (azote et phosphore), indispensables au maintien et au développement des écosystèmes océaniques, ainsi que le cycle du carbone et ses mécanismes de séquestration. Lorsque la consommation d’O2 est importante, les eaux peuvent être très appauvries en oxygène : on parle dans ce cas d’hypoxie (il existe différents niveaux de désoxygénation, allant de l’hypoxie à l’anoxie, Ndlr). La teneur en oxygène dissous devient critique, passant sous le seuil de 63 µmol/l (env. 25 % de saturation) et la composition de l’écosystème (poissons, mollusques, invertébrés) commence à être affectée par une mortalité importante.

Dans les zones de haute mer, le changement des concentrations en oxygène, en favorisant le développement de bactéries anaérobies ou semi-anaérobies, modifie également la composition de l’océan. La croissance des bactéries anaérobies, qui ne consomment pas l’oxygène contenu dans les couches d’eau profonde, peut ainsi déclencher le rejet de substances chimiques dangereuses telles que le protoxyde d’azote, ce gaz hilarant étant un gaz à effet de serre jusqu’à 300 fois plus puissant que le dioxyde de carbone (et intervenant dans la destruction de la couche d’ozone stratosphérique qui protège la vie contre les UVB), et le sulfure d’hydrogène, gaz à l’odeur d’œuf pourri très toxique. Si certaines espèces peuvent effectivement prospérer dans ces ” zones mortes ” ou zones minimales d’oxygène (ZMO), il n’en est pas de même pour la biodiversité dans son ensemble.

La désoxygénation dans les zones côtières est, elle, induite par des charges accrues de nutriments et de matière organique – c’est le phénomène d’eutrophisation souvent liées aux activités humaines comme les rejets d’éléments nutritifs et autres effluents. Les algues prolifèrent et lorsqu’elles meurent et se décomposent, consomment énormément d’oxygène. La teneur en oxygène dans ces zones est également influencée par les effets du changement climatique, à l’échelle régionale, à travers les précipitations et les vents. Là où les précipitations augmentent et/ou les vents diminuent, la stratification tend à augmenter, tandis que l’inverse est prévu dans les régions où les précipitations diminuent et/ou les vents s’intensifient.

Pour mettre un terme à ce déclin, il est nécessaire de s’attaquer aux causes : en réduisant de façon drastique les émissions de gaz à effet de serre et l’utilisation d’engrais agricoles. Pour prévenir les impacts de cette désoxygénation, il est également nécessaire d’améliorer la surveillance des teneurs en oxygène à travers le monde, facteur permettant de refléter l’état de santé des écosystèmes. Enfin, favoriser la création d’aires marines protégées ou de zones de pêche interdite précisément dans les zones où la faune se réfugie pour échapper à la baisse d’oxygène dans son habitat d’origine.

“ Dans le cycle de l’oxygène, d’infimes variations peuvent entraîner de grandes conséquences, localement sur la biodiversité et globalement sur le climat, du fait de nombreuses rétroactions. Si l’on commence à déceler les bouleversements en cours, il reste de nombreuses zones d’ombre ; la consommation d’oxygène reste à explorer, ainsi que les impacts de la désoxygénation sur les équilibres biogéochimiques de notre planète. Il nous faut poursuivre et améliorer les mesures, en particulier vers les concentrations ultra-faibles, pour franchir de nouvelles frontières de la connaissance. ”
Aurélien Paulmier
chercheur au Laboratoire d'études en géophysique
et océanographie spatiales (LEGOS)

Quel est l’impact
de la fonte des glaces
sur la pompe à carbone ?

Sentinelles du climat, les régions polaires sont aujourd’hui au cœur des changements globaux.

Entre 1994 et 2017, la planète a perdu 28 000 milliards de tonnes de glace. Alimentée par le réchauffement climatique, cette fonte, inexorable, prend différentes formes. La disparition des glaciers et des calottes glaciaires participe directement à la hausse du niveau de la mer partout sur la planète – contrairement à la fonte de la banquise, constituée d’eau de mer gelée.

Mais le réchauffement des pôles a aussi une multitude d’effets sur le climat global à travers les courants marins ou la circulation atmosphérique, fortement dépendants de ce qu’il se passe dans les régions froides.

Pour les scientifiques, l’océan Austral est un laboratoire à ciel ouvert. Région clé du climat, cet immense océan (25 à 30 % de la superficie de tous les océans du monde) est l’un des puits de carbone océanique les plus efficaces : une superpompe à carbone et à chaleur qui capte près de 40 % des émissions séquestrées par l’ensemble des océans. Au cœur de cet immense courant qu’est la circulation thermaline, il transporte la chaleur et les éléments chimiques d’un bout à l’autre de la planète, ce qui en fait un « hub » entre les 3 autres océans pour les nutriments. Ses températures glaciales augmentent la dissolution du CO2 ; les 40e rugissants, 50e hurlants, 60e déferlants, ces vents violents que l’on croise dans l’océan Austral mélangent très rapidement les lourdes et denses (car plus salées) eaux de surface, avec celles en profondeur, entraînant le CO2 au fond des océans.

zoomFonte des glaces et
désoxygénation

La fonte des glaces induit une augmentation de la stratification des océans. L’eau douce ou moins salée (et donc plus légère en surface), se mélange plus difficilement avec l’eau plus salée (et plus lourde en subsurface). Ainsi, moins de gaz dissous, CO2 comme O2, sont amenés à être introduits dans l’océan. En plus des effets de changement de circulation (notamment thermohaline), la fonte des glaces pourrait amplifier l’effet de la désoxygénation. Cela reste encore à étudier et à prouver actuellement.

Mais parce qu’il est aussi dangereux et difficile d’accès, l’océan Austral est encore largement méconnu. C’est pourtant là, dans ce milieu extrême et isolé, que l’on observe comme nulle part ailleurs les effets du changement climatique. Les Terres australes et antarctiques françaises (TAAF) – comprenant l’archipel Crozet, l’archipel Kerguelen, les îles Saint-Paul et Amsterdam, la terre Adélie en Antarctique, et les îles Éparses – font figure de terrains de recherche et d’exploration uniques au monde. C’est aujourd’hui l’une des plus grandes aires marines protégées au monde ; c’est également là que l’on observe l’une des fontes les plus rapides de glaciers : la calotte Cook, dans les îles Kerguelen.

Ce glacier pourrait bien disparaître d’ici la fin du siècle. Ce phénomène est dû à deux principales causes.

  • L’une est globale : sous l’effet du changement climatique, la région se réchauffe, l’océan aussi, en surface comme en profondeur.
  • L’autre plus locale : on observe une baisse considérable des précipitations et la calotte peine à se reconstituer.

Pour l’instant, les observations laissent penser que la pompe à carbone et à chaleur de l’océan Austral est intacte. Mais parce qu’il absorbe plus de carbone que les autres, il s’acidifie également plus rapidement. Parce qu’il se réchauffe aussi, la température de l’eau risque de réduire la solubilité du gaz. La capacité future de l’océan à remplir son rôle de thermostat global se joue en partie ici.

que sait-on des
espèces qui y vivent ?

Les mondes sous-marins ont longtemps nourri l’imaginaire avec leurs créatures étranges, presque effrayantes. Parce que leur exploration est récente et qu’ils sont toujours difficiles d’accès, les espèces qui les habitent restent encore aujourd’hui méconnues. Parce que les milieux marins sont aussi riches en ressources, ils sont désormais largement – et de plus en plus – exploités par l’humanité, mettant en péril les écosystèmes et faisant peser de nouvelles menaces pour les populations humaines.

La biodiversité marine:
un océan d’incertitudes

S’il n’existe pas de définition qui fasse véritablement consensus, on entend par biodiversité la diversité du vivant à toutes ses échelles : la diversité des écosystèmes (c’est-à-dire les relations et les interactions entre les espèces et leur environnement), la diversité des espèces (soit la variété d’espèces au sein d’un écosystème), et la diversité génétique au sein même des espèces (une variabilité intra spécifique cruciale dans leur adaptation et leur résilience). Ce concept souligne la richesse incroyable des formes de vie, mais il peut inclure aussi d’autres dimensions comme l’abondance (biomasse), les spécificités locales (endémisme), et l’intérêt ou l’empathie pour certaines espèces ou espaces naturels (patrimoine).

Longtemps supposé être désertique et plat au-delà de ses couches de surface, l’océan abrite des millions d’espèces, végétales comme animales, des virus et des bactéries à la macrofaune marine ; on estime que près de 90 % des espèces marines restent à découvrir. Au fil des expéditions scientifiques et depuis près de deux siècles, cet immense réservoir du vivant continue de révéler petit à petit une partie de ses richesses. Une partie seulement puisque les connaissances que l’on en a restent parcellaires et les contraintes pour y accéder toujours fortes. Les robots et les engins, et plus largement le déploiement de nouvelles technologies d’exploration, ne permettent pas à eux seuls de repousser les frontières de la connaissance sur la biodiversité marine. S’ils favorisent sa visualisation, notamment dans les grands fonds, les observations, l’échantillonnage et les expéditions naturalistes sont encore nécessaires, voire indispensables. Naviguant dans des zones où la biodiversité n’est pas encore connue, ce type d’expéditions permet d’inventorier et de débusquer les espèces mais aussi de fournir les références pour les approches indirectes comme la visualisation ou l’ADN environnemental.

Pour en accélérer l’inventaire, les scientifiques disposent de ce nouvel outil : l’ADN environnemental. L’explosion de la puissance de séquençage génétique ces dernières années a permis de s’en servir au milieu de l’océan. On prélève aujourd’hui des échantillons dans les couches photique, aphotique (là où la lumière est suffisante ou non pour permettre la photosynthèse), et les couches sédimentaires profondes de l’océan pour y rechercher des traces d’ADN. L’eau est filtrée avant de séquencer les gènes qui s’y trouvent et de les attribuer aux espèces ou lignées connues (une technique aussi appelée barcoding). Cette méthode permet ainsi de mesurer l’ampleur de l’inconnu car une bonne partie de ce que l’on séquence n’est pas répertorié dans les bases de données génétiques. L’analyse de l’ADN environnemental a aussi d’autres finalités : c’est un outil précieux pour repérer des espèces rares ou des espèces invasives pendant les stades précoces d’une invasion biologique.

“ Il est nécessaire de continuer à explorer, in situ, de nouvelles zones, d’aller là où la biodiversité se fait discrète, et d'échantillonner les océans pour décrire de nouvelles espèces. On ne protège que ce que l’on connaît et ce que l’on comprend. ”
Sarah Samadi
chercheuse dans l’équipe Exploration, espèces et évolution
à l’Institut de Systématique, évolution, biodiversité (ISYEB), professeure au MNHN
zoom surle cœlacanthe

Pour comprendre l’histoire et la complexité du vivant au sein des océans, il existe aussi le registre fossile. Le cœlacanthe, aujourd’hui en danger critique d’extinction, est une espèce emblématique. Ce poisson que l’on pensait éteint depuis la fin du Crétacé – il y a plus de 70 millions d’années – a « refait son apparition » en 1938 au large de l’Afrique du Sud, dans l’océan Indien. Mesurant jusqu’à 2 mètres pour 110 kilos, vivant jusqu’à 100 ans, le cœlacanthe est lui bien répertorié dans le registre fossile. Cette redécouverte inattendue lui a valu le titre séduisant mais trompeur de “ fossile vivant ”. Il existe d’autres groupes que l’on connaît surtout sous leur forme fossile et dont on a découvert bien plus tard les formes apparentées actuelles, comme les crinoïdes pédonculées. Au-delà du mythe, on sait désormais qu’il n’existe pas forcément de corrélation directe entre la divergence moléculaire observée et l’évolution de l’aspect extérieur de l’espèce considérée. L’idée que l’évolution des espèces serait plus lente au sein des océans est un biais de perception. Si les organismes apparaissent ralentis dans leurs métabolismes, il n’en est rien de leurs processus évolutifs : l’Océan n’est pas le “ frigo ” de l’évolution.

Fossile d’un jeune cœlacanthe Fossile d’un jeune cœlacanthe, datant de plus de 300 millions d’années, issu des collections du Muséum national d’histoire naturelle (MNHN). © Cyril FRESILLON/MNHN/CNRS Photothèque

Comment les espèces
marines évoluent-elles ?

L’évolution est un processus dynamique. Pour Pierre-Henri Gouyon, biologiste au Muséum national d’histoire naturelle, qui reprend une citation d’Albert Einstein, l’évolution est comme une bicyclette : il faut avancer pour ne pas perdre l’équilibre. Autrement dit, c’est parce que ça bouge que ça tient. Et de fait, sur terre comme en mer, il existe différentes forces évolutives : la mutation, la sélection, la migration ou encore la dérive génétique.

Trouver de la nourriture, se reproduire, se déplacer, résister à la pression ou survivre au froid… Au cours des temps géologiques, la plupart des espèces marines ont développé de formidables capacités d’adaptation, de coopération, de symbiose. Les scientifiques cherchent aujourd’hui à mieux comprendre les moteurs de cette évolution. Mais aux pressions de sélection naturelle, s’ajoutent désormais de nouvelles contraintes environnementales. Les pollutions, la surexploitation, les invasions biologiques, le changement climatique et la propagation de maladies sont autant de menaces qui affectent la répartition et l’abondance des espèces marines ainsi que les interactions entre espèces et environnement. Ces menaces bouleversent aujourd’hui certains processus d’évolution naturelle : pour ne pas disparaître, elles doivent s’adapter. Les facteurs de cette marche forcée vers l’adaptation, accroissant la vulnérabilité des écosystèmes face aux tempêtes ou face aux espèces invasives, sont multiples. Les épidémies marines restent, elles, globalement encore très mal connues. Les chercheurs formulent l’hypothèse que le trafic maritime et l’aquaculture pourraient favoriser le transport et la propagation de maladies, de pathogènes et de parasites, en établissant des connectivités entre des communautés d’espèces. À l’image du cancer transmissible de la moule, une maladie européenne ancienne que l’on retrouve aujourd’hui jusqu’en Amérique du Sud (et dont la mortalité est relativement faible : une prévalence de 1 % qui monte avec le trafic à 2 % à 3 %). 

La surpêche est la principale menace selon l’IPBES (2019). On estime aujourd’hui que 30 à 40 % des espèces de poissons sont surexploitées. Et ce chiffre est sous-estimé car cela concerne uniquement les poissons pour lesquels une évaluation des stocks a été faite. Elle entraîne ainsi des disparitions locales d’espèces et déséquilibre le réseau trophique – la chaîne alimentaire. Le fret maritime engendre lui pollution chimique et sonore. Son développement portuaire peut notamment affecter l’architecture du littoral. À cela s’ajoute le changement climatique.

La hausse des températures induit des comportements variables selon les espèces. Certaines s’y adaptent, d’autres migrent vers les pôles ou vers de nouvelles zones, au risque d’entraîner de nouvelles concurrences entre les espèces. Les espèces invasives, qui peuvent être aussi charriées et introduites accidentellement par les navires et les bateaux de plaisance, représentent ainsi un risque pour la biodiversité et le fonctionnement des écosystèmes. Elles peuvent être aussi à l’origine de métissage biologique, comme pour la moule des docks, générant de la nouveauté génétique au sein d’une espèce.

Étude de la dynamique de colonisation d’espèces marines envahissantes (non indigènes) Les espèces envahissantes représentent un risque pour la biodiversité et le fonctionnement des écosystèmes. Les cargos et les navires de plaisance seraient responsables de 70 % des invasions en milieu marin. © Wilfried THOMAS/CNRS Photothèque

zoomDans les ports,
s’hybrider pour s’adapter

Lieux de métissage biologique, plaques tournantes épidémiologiques, les zones portuaires font figure de « pots-pourris » pour les espèces natives et invasives. Et donnent à voir des cas uniques d’évolution induite par les activités anthropiques. Par le trafic maritime, des espèces provenant du monde entier ont été introduites dans les ports avec un rythme de plus en plus soutenu. Ces introductions (et dispersions) par les navires créent aussi des rencontres inattendues entre espèces différentes. Lorsque les espèces ou les lignées peuvent s’hybrider, émergent dans les ports des populations métissées. C’est le cas d’une variété méditerranéenne de moules, Mytilus galloprovincialis, qui s’est hybridée avec l’espèce atlantique, Mytilus edulis, pour donner une variété que l’on rencontre uniquement dans les grands ports de commerce : la « moule des docks ». De façon surprenante, cette variété totalement métissée (tout son génome est hybridé) reste circonscrite aux zones portuaires. Quelles sont les conséquences que l’hybridation pourrait avoir pour les populations naturelles ? Les chercheurs se penchent sur la question.

À gauche : au Croisic, on observe un hotspot de prévalence de cancer transmissible de la moule  © Nicolas Bierne

À droite : Moules des docks © Hélène Cochet

D’autres encore disparaissent, comme certains coraux qui peuvent blanchir et mourir par rupture de la symbiose avec les algues unicellulaires qu’ils abritent. L’acidification de l’Océan, causée par la hausse du carbone dissous dans les océans, affecte, elle, les espèces marines qui ont un squelette ou une coque calcaire. Enfin, l’artificialisation des espaces, comme sur les littoraux, et la perte d’habitat naturel altèrent les conditions de vie locales de ces espèces côtières. Les fonds marins ne sont pas épargnés avec les projets d’exploitation des ressources minérales profondes qui nécessitent de récolter sur le plancher océanique nodules et sédiments, sur des profondeurs de plusieurs dizaines de centimètres, détruisant ainsi toute la faune, sans distinction.

“ Il nous faut aller encore plus loin pour mieux comprendre le processus de spéciation, ce moteur de la diversification qui génère de la biodiversité, et l’hybridation qui pourrait permettre une adaptation rapide des espèces face aux changements environnementaux. Pour mieux comprendre aussi comment on peut « aider » les espèces à s’adapter, sélectionner les espèces les plus résilientes, aider les espèces qui dispersent peu à migrer vers les régions qui leur sont/seront favorables, et mieux comprendre les effets positifs et négatifs du métissage. Il y a toutefois un fort délai entre la recherche, qui se fait sur le temps long, par rapport à la vitesse actuelle de l’érosion du vivant. Si les extinctions sont et seront irréversibles, on modifie également la trajectoire évolutive des populations de façon irréversible. La manière la plus efficace de répondre à la crise de la biodiversité est de stopper les facteurs qui l’abîment, et ces facteurs nous ne les connaissons que trop bien déjà. ”
Nicolas Bierne
directeur de recherche à l'Institut des sciences de l'évolution de Montpellier (ISEM)
au sein du département Génome-Phénome-Environnement

Océans : réservoir de biodiversité La surface de la Terre est recouverte environ à 70,8 % par les océans. Ce formidable réservoir de biodiversité abrite des millions d’espèces. Trois chercheurs, Gilles Le Boeuf, Nadine Le Bris et Nathalie Niquil nous exposent les impacts du dérèglement climatique sur l’environnement marin.© CNRS Images

Comment protéger et
préserver la biodiversité ?

L’ours blanc est l’une des icônes les plus charismatiques des campagnes de protection de la biodiversité. Si sa médiatisation a pu le favoriser sur le plan des efforts de conservation, il reste aujourd’hui vulnérable. Victime du réchauffement climatique avec la fonte de la banquise, il est largement menacé et pourrait disparaître du pôle Nord d’ici la fin du siècle. Les exemples de ces animaux « stars » sont légion, sans que l’on obtienne de résultats probants de préservation ni sur l’espèce elle-même ni sur la protection de l’ensemble de la biodiversité. Quels sont les outils et les leviers d’actions pour enrayer l’érosion de la biodiversité marine ?

L’un des outils de préservation des milieux marins (notamment côtiers) les plus efficaces reste aujourd’hui les Aires marines protégées (AMP). Les AMP permettent de limiter et réguler les activités humaines qui s’exercent sur une seule zone, pour la sauvegarde et la croissance des espèces présentes. Au niveau international, l’engagement fut pris d’ici 2020 d’arriver à 10 % d’AMP sur l’ensemble des océans. Un nouvel objectif mondial a été fixé à 30 % pour 2030. Mais la réalité derrière ces prises de positions est à nuancer : les degrés et les niveaux de protection peuvent varier, des plus restrictives à de très faibles niveaux de règlementation. Aujourd’hui, si 8 % de la surface des océans est classée en AMP, seules un tiers ont été effectivement mises en place. Pour ce qui est de la France, environ 60 % du bassin méditerranéen est couvert par des AMP, mais moins de 0,1 % sous protection intégrale ou haute. De fait, les scientifiques ont cherché à établir de plusieurs manières l’efficacité de telles mesures de protection : après et avant la mise en place d’AMP, par des études in situ (en comptant le nombre et la taille des poissons, par la richesse du milieu en espèces, en comparant les pêches proches et loin d’une AMP, par des enquêtes auprès des populations, etc.) et des méta-analyses selon le niveau de protection des AMP. Le constat n’est pas surprenant : seuls les niveaux les plus élevés de protection et de régulation, associés à une bonne surveillance des milieux, une acceptation et la participation des populations locales, montrent des bénéfices significatifs sur les écosystèmes.

Au-delà de la réglementation des pressions anthropiques, d’autres mesures de protection de la biodiversité, locales et spécifiques, ont été mises en œuvre. Il s’agit de solutions basées sur la nature et qui reposent sur la restauration des écosystèmes, plus particulièrement l’habitat côtier comme les dunes, les mangroves, les herbiers marins ou les récifs. En effet, ils assurent également des services écosystémiques irremplaçables, limitant l’érosion côtière, séquestrant le carbone et servant de zone tampon face aux cyclones et aux tsunamis. Cinq cents millions de personnes dépendent directement de la bonne santé de ces écosystèmes côtiers, soit 8 % de la population mondiale.

Quels sont les enjeux spécifiques
dans les zones intertropicales
et les territoires d’outre-mer ?

Récifs coralliens, herbiers marins et mangroves sont emblématiques des menaces qui pèsent sur la biodiversité marine. La dégradation de ces écosystèmes menace aussi directement les activités économiques liées à ces régions. La France, deuxième domaine maritime mondial, détient 10 % des récifs coralliens mondiaux présents essentiellement dans les outre-mer français. Elle s’est engagée à en protéger 75 % d’ici à 2021, 100 % d’ici à 2025. Selon le ministère de l’Écologie, en 2020, 67 % des récifs coralliens d’outre-mer sont inclus dans le périmètre d’une AMP.

En milieu tropical, la connectivité écologique entre mangroves, herbiers et récifs coralliens est importante. Ces écosystèmes s’apportent des bénéfices mutuels : les mangroves font office de nurserie pour les juvéniles, elles jouent un rôle dans le recyclage des éléments nutritifs, la régulation des maladies et limitent la turbidité (qui retient la lumière) de l’eau ; les herbiers sont des zones d’alimentation pour les poissons et piègent les sédiments ; les récifs coralliens cassent l’énergie des vagues (la houle), et abritent de nombreuses espèces côtières, comme les poissons et de nombreux invertébrés. La surpêche, les sources de pollutions, les événements extrêmes (fortes houles, cyclones, épisodes El Niño, anomalies de température et maladies), l’acidification des océans et d’autres pressions locales liées aux activités humaines affectent ces écosystèmes. Le changement climatique, conjugué à l’augmentation de la fréquence et de l’intensité des événements extrêmes réduisent le temps de régénération entre deux événements.

Prélèvement de sédiments dans la mangrove du Moule, en Guadeloupe © CNRS Photothèque

Pour exemple, les coraux qui abritent et vivent en symbiose avec des microalgues, les zooxanthelles, leur donnent cette panoplie de couleurs. Sous l’effet d’anomalies de température de l’eau, les coraux expulsent ces algues vitales. S’ils peuvent récupérer suite à ces épisodes de blanchissement, leur prolongement et leur répétition entraînent des extinctions locales massives. Toutefois, l’état des récifs inventoriés en outre-mer français est relativement bon. Selon l’Initiative française pour les récifs coralliens (Ifrecor) 70 % sont en bon état ; 21 % dégradés ; 9 % très dégradés. Mais les rapports successifs de l’IPBES  (Plateforme intergouvernementale sur la biodiversité et les services écosystémiques) et du Giec dressent un bilan plus alarmant à l’échelle mondiale : un tiers des coraux des récifs sont aujourd’hui menacés. Leur déclin pourrait s’élever de 70 à 90 % si le réchauffement est de 1,5 °C, de plus de 99 % s’il est de 2 °C. Quant aux herbiers marins du globe, 30 % ont d’ores et déjà disparu depuis la fin du XIXème siècle.

Le Labo sur l’eau C’est un outil unique au monde pour étudier les coraux et les écosystèmes marins. Dans ce reportage, naviguez dans les lagons de Polynésie française à bord de la barge scientifique, un bateau-laboratoire mis au point par les chercheurs du Criobe, à Moorea. © CNRS Images

Au-delà de la restauration des écosystèmes et/ou de leur classement en zone protégée, le clonage (ou le croisement) de «  super » coraux, c’est-à-dire les espèces les plus résistantes – et résilientes – aux différents épisodes de réchauffement pourrait apparaître comme une solution séduisante. Mais cette adaptation assistée reste coûteuse et n’est pas considérée comme viable sur le long terme et à grande échelle. Certains coraux, dits mésophotiques, qui vivent eux entre 30 et 200 mètres, laissent espérer une source potentielle de réensemencement. Mais ces tentatives resteront vaines si rien n’est fait pour limiter les causes à la base de leur disparition.

Premier système de pépinière de coraux utilisé au Criobe, lagon de Moorea © CNRS Photothèque

Coraux scléractiniaires blanchis durant l’épisode El Niño de 2018-2019, Moorea © CNRS Photothèque

OneOcean Science Face au réchauffement climatique, les récifs coralliens sont en première ligne. Avec l’augmentation de la température du globe, le corail blanchit et meurt. Ce déclin a un impact sur tout son écosystème. Serge Planes et Laetitia Hédouin, chercheurs spécialistes des récifs coralliens expliquent en quoi les recherches menées au Criobe sont cruciales pour tenter de sauver les coraux © CNRS Images

“ Comment parvenir à assurer la durabilité de ces écosystèmes, c’est-à-dire concilier un bon état de l’environnement dans le temps et la permanence de l’usage des services écosystémiques qu’ils nous apportent ? Quels sont les freins et les leviers à l’augmentation de la qualité, et non de la quantité, des AMP ? Comment créer des mécanismes de gouvernance efficaces pour ces écosystèmes et s’engager vers une économie bleue véritablement durable ? Les océans sont connectés, il manque aujourd’hui une structure de gouvernance, à l’échelle de la planète, qui permettrait de gagner en cohérence et en efficacité dans la gestion et la protection des écosystèmes marins, des littoraux aux grands fonds. ”
Joachim Claudet
directeur de recherche au Centre de recherches insulaires
et observatoire de l'environnement (Criobe)
Partie 5

et les humains ?

Le rôle de l’Océan dans la régulation du climat, la production de biodiversité et les services multiples et vitaux qu’il rend aux sociétés humaines est fondamental. Le maintien d’écosystèmes marins en bonne santé et productifs est un enjeu crucial. Mais sous l’effet du changement climatique et des activités anthropiques, aléas naturels et risques sociaux, environnementaux et économiques spécifiques se multiplient et s’intensifient. Littoraux et zones côtières, à l’interface entre terres et mers, sont particulièrement vulnérables.

De l’Océan côtier et littoral

Des aléas et des risques naturels…

Dans le monde, plus de la moitié de la population vit à moins de 100 kilomètres d’une grande zone côtière. Face à l’élévation du niveau de la mer, face aux tempêtes, les littoraux forment le premier rempart contre l’océan. Mais cette zone tampon, qui procure de nombreux services écosystémiques, est aujourd’hui largement menacée. Zone de continuum terre/océan, elle est soumise à de nombreuses pressions anthropiques, comme la démographie et l’urbanisation galopante, la pêche, le tourisme par exemple, ou encore le développement industriel et portuaire. Ces zones sont également soumises à des aléas naturels, tels que les tempêtes et les submersions marines, les tsunamis, ou encore aux phénomènes d’érosion. Le changement climatique impacte ces milieux en favorisant l’élévation du niveau de la mer (3,28 mm/an en moyenne), l’acidification ou l’augmentation de la fréquence de certains événements météorologiques extrêmes.

L’érosion Au nord de la côté girondine, en Nouvelle-Aquitaine, la combinaison d’une érosion chronique de plusieurs mètres par an et le peu de mobilité dunaire a conduit à la disparition totale de la dune. La forêt tombe désormais dans la mer. © Bruno Castelle / CNRS

Pour s’en prémunir, il existe des solutions d’adaptation à court terme. Sur les zones abritant des enjeux importants, les villes par exemple, l’objectif est de consolider les ouvrages et les aménagements existants, comme les digues. Toutefois, cette approche n’est pas tenable partout : bien trop coûteuse et d’une efficacité relative car on ne peut pas durablement figer ces environnements. Depuis quelques décennies, la doctrine du génie côtier s’éloigne progressivement de cette bétonisation des côtes. On voit de plus en plus apparaître des mesures d’adaptation dites « souples ». De nombreux scientifiques encouragent le déploiement de solutions fondées sur la nature s’appuyant sur la restauration de certains écosystèmes littoraux sur les secteurs qui n’abritent pas ou peu d’enjeux. En effet : la nature est souvent la plus à même à s’adapter à l’augmentation du niveau marin. Parmi ces solutions, la « dépoldérisation » de certains anciens marais littoraux doit être envisagée. En France, certaines dunes littorales, profondément reprofilées dans les années 1970-1980 et fixées par des oyats, des graminées, sont aujourd’hui progressivement grignotées et menacées de disparition. Les remettre en libre évolution peut leur permettre de migrer lentement dans les terres et, in fine, préserver ce corridor écologique qui joue aussi un rôle de rempart important contre la submersion marine.

… aux activités anthropiques

L’humanité est également actrice de ces bouleversements en cours. L’eutrophisation en est un bon exemple. La prolifération des algues vertes sur certaines plages bretonnes témoigne de ce phénomène de pollution en pleine recrudescence sur la planète, caractérisé par la perturbation d’un écosystème aquatique due à un apport excessif de nutriments (principalement nitrates et phosphates). Depuis le début du XXIe siècle, une vague d’eutrophisation plus insidieuse se répand à travers le monde : proliférations végétales parfois toxiques, perte de biodiversité, diminution de la concentration d’oxygène pouvant engendrer la mort massive d’organismes aquatiques, comptent parmi les symptômes de cette fertilisation diffuse. En l’espace d’une quarantaine d’années, le nombre et l’emprise des zones hypoxiques (à faible concentration d’oxygène) et anoxiques (sans oxygène du tout) y a en effet triplé à l’échelle du globe.

Marées vertes Des ulves, aussi appelées « laitues de mer ». L’ulvane est le principal composant des ulves, responsables des marées vertes notamment sur les côtes bretonnes.
© Wilfried THOMAS/SBR/CNRS Photothèque

En raison des engrais chimiques qu’il utilise en abondance pour fertiliser les cultures et des grands volumes d’effluents provenant des élevages industriels, le modèle agricole intensif actuel est régulièrement pointé du doigt. Ces dernières années, la limitation des épandages de lisier en plein champ, la réduction de l’érosion des sols via la plantation de cultures hivernales ou la promotion de pratiques agricoles moins gourmandes en engrais chimiques sont autant de mesures prises au niveau européen dans le but de réduire l’impact de l’eutrophisation sur les écosystèmes aquatiques. En dépit de ces efforts, les bénéfices pour ces milieux naturels demeurent malheureusement limités. Dans le contexte du changement climatique global, parvenir à identifier les écosystèmes aquatiques les plus sensibles à l’accroissement de ces flux d’éléments nutritifs s’avère plus que jamais primordial pour lutter contre l’eutrophisation. Parce qu’elle devrait stimuler la production de biomasse végétale tout en diminuant la concentration d’oxygène dissous dans l’eau, l’élévation progressive des températures risque en effet d’amplifier les symptômes actuels de l’eutrophisation des milieux aquatiques.

Jusqu’aux profondeurs océaniques
De nouvelles sources d’exploitation…

Touché de plein fouet par le changement climatique et les activités humaines, l’océan change à grande vitesse, compromettant son rôle de grand régulateur du climat mais aussi les nombreux services écosystémiques qu’il nous apporte. Depuis la découverte de ressources minérales profondes, à la fin des années 1970, une nouvelle idée a émergé : les ressources terrestres s’épuisant, pourquoi ne pas explorer le fond des océans à la recherche de cuivre, de platine ou de cobalt, de lithium ou de strontium ? Trois ressources attirent particulièrement l’attention des industriels et des chercheurs : les nodules polymétalliques, les encroûtements cobaltifères et les sulfures hydrothermaux. Les nodules sont des boules d’une dizaine de centimètres de diamètre composés de cristaux d’oxyde de fer et de manganèse dans lesquels sont incorporés du cuivre, du nickel, du cobalt et même des métaux et terres rares (lithium, thallium, molybdène, tellure, etc.). On les retrouve généralement dans les plaines océaniques abyssales entre 3 000 et 5 500 mètres de profondeur ; les encroûtements sont eux aussi principalement constitués d’oxyde de fer et de manganèse, enrichis en cobalt, en platine et en tellure. Ils constituent également une source de métaux tels que le titane, le vanadium, le cérium, le zirconium et le phosphore. Les dépôts présentant le plus fort potentiel économique sont enrichis en cobalt et en platine, et se situent en Polynésie. Les encroûtements ont jusqu’à 25 centimètres d’épaisseur et couvrent des surfaces de plusieurs kilomètres carrés, sur les reliefs sous-marins et près des volcans immergés, à des profondeurs variant de 400 à 4 000 mètres. Les sulfures hydrothermaux pourraient constituer les minéralisations les plus prometteuses en milieu marin. Cela est lié à leur richesse en métaux de base (cuivre, zinc, plomb), en métaux précieux (argent et or), mais également parfois en éléments rares (indium, sélénium, germanium, etc.). Les gisements hydrothermaux sous-marins se retrouvent le long des 60 000 kilomètres de dorsales océaniques.

Sulfures Morceau de sulfures contenant du chlorure de cuivre vert émeraude, observé sur le site hydrothermal Logatchev par 3 000 mètres de profondeur sur la dorsale médio-atlantique. © Campagne Serpentine 2007 / Ifremer-VICTOR

Une chimère Hydrolagus sp. Une chimère Hydrolagus sp., espèce cousine des requins et visiteur fréquent des sites hydrothermaux de la dorsale médio-atlantique. Ici, sur le site de Lucky Strike par 1 700 mètres de fond. © Campagne BIOBAZ 2013 / Ifremer

Mais brasser le fond des océans à la recherche de ses ressources minérales ne semble pas sans conséquence sur les écosystèmes marins. Pour être exploitée, la roche doit être décapée, exterminant tout le biotope présent au-dessus et anéantissant toute possibilité de restaurer des écosystèmes qui ont mis des millions d’années à se former. Enfin, ces processus d’exploitation minière pourraient conduire au relargage de divers éléments chimiques notamment ceux impactant la vie océanique et ainsi provoquer un effet majeur sur le fonctionnement de l’océan et sur sa capacité à stocker du dioxyde de carbone atmosphérique.

… aux multiples sources de pollutions

L’océan souffre des activités qui sont menées en son sein, mais également des activités qui arrivent jusqu’à lui. En 2019, lors d’une expédition inédite, un sac plastique et des papiers d’emballage ont été découverts dans la fosse des Mariannes, à près de 11 km de profondeur.

Chaque année, faute d’une mauvaise gestion de nos déchets, on estime qu’entre 8 et 12 millions de tonnes de plastiques sont déversées en mer, 80 % d’entre elles provenant de la terre, via les fleuves essentiellement. Ce sont en fait des microplastiques, issus de la fragmentation des plastiques sous l’effet des UV et des vagues et presque invisibles à l’œil nu, qui ont envahi et continuent d’envahir les océans : ils comptent pour plus de 90 % des morceaux de plastique flottant à la surface de nos océans. Cette pollution est sournoise : les plus gros déchets (sacs, bouteilles…) peuvent entraîner la mort des animaux par enchevêtrement ou par occlusion intestinale en cas d’ingestion. Les microplastiques sont ingérés par toute la faune marine, même les plus petits organismes. Une fois avalés, ils peuvent empêcher les animaux de s’alimenter normalement, ce qui a des répercussions sur leur croissance, leur reproduction ou leurs défenses immunitaires.

La plastifère La surface de ce microplastique, observé en microscopie électronique à balayage, est recouverte d’un biofilm. Cette communauté bactérienne se développe sur les microplastiques flottant en mer. © Alexandra TER HALLE/ IMRCP/CNRS Photothèque

Tara, enquête de plastique Grâce aux missions Tara, les chercheurs vont pouvoir dresser un périmètre de la zone qui rejette le plus de plastique au monde, après la Chine. Si supprimer ces plastiques de la mer est désormais impossible cette mission devrait permettre d’alerter les autorités européennes car il y a urgence. On estime que 5 000 milliards de ces microplastiques flottent aujourd’hui à la surface de nos océans. © CNRS Images

Médicaments, perturbateurs endocriniens, pesticides, retardateurs de flamme, cosmétiques ou détergents : les pollutions chimiques des eaux, rejetées par les industries, les activités agricoles ou par tout un chacun, viennent également altérer tous les écosystèmes. Ils se concentrent dans les eaux continentales, rivières ou nappes phréatiques, qui les transportent. Car du fait de leur accumulation le long de la chaîne alimentaire, on les retrouve en forte concentration dans les tissus de certains organismes marins. Le risque avec toutes ces molécules est d’autant plus sérieux qu’il concerne non seulement la faune marine mais également l’humain qui les consomme. Autres polluants persistants, mais non organiques : les métaux lourds, et notamment le mercure qui, une fois dans les océans, est converti en méthylmercure par les microbes. Et, bien que ce composé soit présent en quantité infime dans l’eau, sa concentration est très élevée dans le poisson que nous mangeons, du fait là encore de son accumulation le long de la chaîne alimentaire

Plastiques, métaux lourds, engrais et pesticides ne sont pas les seuls à polluer les océans. Des milliers de tonnes de déchets radioactifs dorment également au plus profond des mers, conséquences de nos activités nucléaires civiles et militaires. Entre les années 1950 et les années 1990, 200 000 fûts remplis de déchets et contenant des résidus radioactifs, liés à du bitume ou à du béton afin que les barils jetés depuis la surface résistent au choc de l’impact, ont été jetés par les États européens dans les abysses de l’Atlantique Nord-Est (ratifiée en 1975, la Convention de Londres sur la prévention de la pollution des mers à décidé de linterdiction totale de cette pratique, Ndlr). Il s’agit, pour ce que l’on en sait, de gants, de matériaux de laboratoire, d’échantillons… Ce type de déchets renferme plusieurs sortes de radionucléides, dont le comportement, la toxicité et la durée de vie varient grandement. Deux campagnes océanographiques françaises programmées à partir des années 2023-2024 devraient permettre de l’évaluer avec précision pour la première fois.

Largage de fûts Largage de fûts par le navire britannique GEM, lors d’une action de Greenpeace en 1981, dans l’Atlantique Nord. © Greenpeace / Pierre Gleizes

Fûts au fond des mers Six fûts ont été retrouvés lors de la campagne scientifique CEA/Ifremer de 1984. © Ifremer / Épaulard (1984)

Pour relever ce défi de la multiple contamination des eaux, la recherche doit s’intéresser à toute la filière pour réduire et limiter en amont les impacts de ces pollutions dans les milieux et pour développer des systèmes de surveillance visant à préserver les écosystèmes dont nous dépendons.

“ Les océans n’ont pas de frontières. On découvre de nouvelles choses à chaque campagne d’exploration, des trésors biologiques comme des traces de contamination humaines. Pour enrichir nos connaissances, de la cartographie des grands fonds à l’évaluation des conséquences des activités anthropiques, il faut approfondir ces recherches. Mais il fait peu de doute que l’exploitation minière aura un impact absolu sur les écosystèmes associés à qui il a fallu des temps géologiques pour se former, à qui il faudra des temps géologiques pour se restaurer. ”
Javier Escartin
directeur de recherche dans l’équipe Géosciences marines à l’Institut de physique du globe de Paris (IPGP)
Partie 6

quand la recherche
prend la mer

Dabord barrière infranchissable entre les continents, lOcéan sest ensuite fait voie de navigation et réservoir immense de ressources pour lhumanité. La mer ne devient objet de recherche quau milieu du XIXe siècle grâce, en partie, à la cartographie presque achevée du contour des mers. Les premières grandes campagnes de recherche océanique vont permettre de lever certains mystères, notamment sur la vie des profondeurs. Au cours du XXe siècle et plus encore ces dernières décennies, le retour des grandes campagnes naturalistes, associées aux progrès techniques et technologiques, ont considérablement enrichi les connaissances parcellaires que lon avait des océans. Engins, satellites et navires de recherche permettent désormais de partir à la découverte de mondes océaniques jusque-là inaccessibles, repoussant les frontières de la connaissance. Les scientifiques disposent aujourdhui dun arsenal doutils pour observer et tenter de comprendre les océans de la planète.

Les grandes campagnes
océanographiques

Comment a t-on observé l’Océan dans l’histoire ?

Au début du XIXe siècle, une théorie est en vogue : à mesure que l’on s’enfonce dans les profondeurs de l’Océan, sous la pression et les températures glaciales, la vie marine se raréfiait. Cette thèse est notamment développée par le naturaliste britannique Edward Forbes en 1843 : la théorie azoïque – ou hypothèse des Abysses – avance qu’au-delà de 549 mètres de fond, les océans sont “ sans vie ”. Mais de manière tout à fait inattendue, cette théorie va être incontestablement remise en cause. Au milieu du XIXe siècle, on installe les premiers câbles télégraphiques transatlantiques. Pour éviter leur casse, il devient rapidement indispensable de se rendre compte de la nature des reliefs sous-marins. Sondages, dragages et remontées des câbles rompus viennent alors certifier l’existence d’une vie sous-marine dans les profondeurs et des reliefs au moins aussi variés qu’à la surface. L’odyssée océanique est lancée.

Entre 1872 et 1876, l’expédition à bord du HMS Challenger va bouleverser notre vision de l’océan, marquant les débuts de l’océanographie moderne. En 1 290 jours de voyage, sillonnant les océans Atlantique, Austral, Indien et Pacifique, le navire parcourt plus de 120 000 km. L’objectif : étudier les animaux pélagiques et comprendre la circulation des eaux océaniques. Il en ressort la description de près de 5 000 espèces marines, une cartographie affinée (dite carte bathymétrique) des fonds océaniques et une riche analyse de la température, de la salinité et donc de la densité des océans. C’est aussi au cours de cette expédition que l’on découvre la fosse des Mariannes, à près de 11 kilomètres de profondeur dans le Pacifique.

HMS Challenger Extrait de « The Report of the Scientific Results of the Exploring Voyage of HMS Challenger during the years 1873–1876 » publié  sous la supervision de John Murray (1841-1914). © Source Wikimedia commons, domaine public

Les régions polaires font, elles, l’objet d’une attention particulière. Jules Dumont d’Urville sur l’Astrolab, Paul-Émile Victor, Jean-Baptiste Charcot et le Pourquoi pas ? sont autant de grands noms d’explorateurs (et de bateaux) qui ont marqué l’histoire des pôles par leurs recherches et pour leurs découvertes. Dumont d’Urville découvre en 1840 la terre Adélie, Jean-Baptiste Charcot conduit, de 1903 à 1936, plusieurs missions pionnières en Antarctique et en Arctique. À sa suite, l’ethnographe Paul-Émile Victor fonde les Expéditions polaires françaises en 1947 et engage ainsi la France dans l’exploration moderne des régions polaires. Au milieu des années 1950, l’exploration des grandes profondeurs est elle aussi en plein essor grâce à des explorateurs pionniers tels que le suisse Auguste Piccard, qui retourne dans la fosse des Mariannes, en 1960, à bord de son bathyscaphe le Trieste. Les submersibles habités ouvrent ainsi la voie à l’exploration des grands fonds. Au tournant des années 1970, la découverte de sources hydrothermales, situées sur une dorsale à proximité des îles Galápagos par le sous-marin américain l’Alvin, ajoute à la liste de nouveaux territoires à explorer. Au même moment, débutent dès 1976 des expéditions naturalistes, les « campagnes Musorstom » – devenues en 1999 Tropical Deep-Sea Benthos et alliant désormais l’Institut de recherche pour le développement (IRD) et le Muséum national d’histoire naturelle (MNHN) – dont le but est d’explorer le domaine bathyal (entre 200 et 2000 mètres de profondeur) des grandes îles tropicales.

Mais encore largement inconnu, l’océan reste aujourd’hui une frontière, de recherche et d’exploration. À ce jour, une infime partie des fonds océaniques a pu être cartographiée ; seul un petit nombre de sites, sur de petites surfaces, ont pu être visités, échantillonnés et explorés en détail. C’est pourquoi les scientifiques continuent de prendre la mer, poursuivant cette quête au long cours.

Et aujourd’hui ?

De par sa longue tradition de campagnes océanographiques, parce qu’elle détient le deuxième domaine maritime mondial (après les États-Unis), la France possède aujourd’hui l’une des trois plus grandes flottes européennes. Elle dispose principalement de quatre navires hauturiers: le Marion Dufresne II, le Pourquoi Pas ? (quatrième du nom), L’Atalante et le Thalassa, capables de réaliser des campagnes océanographiques sur tous les océans, hors zones polaires, mais aux spécificités propres. S’ajoutent deux bateaux semi-hauturiers, Antea et Alis, qui participent eux-aussi largement aux campagnes d’exploration océanographiques. À bord, de nombreux équipements mobiles (de sismique, d’acoustique ou de prélèvements) vont permettre de sonder, d’échantillonner ou d’analyser sur place.

Parmi les submersibles, on compte le Nautile (habité) et Victor 6000 (téléopéré), tous deux capables de travailler jusqu’à 6 000 mètres de profondeur. Le ROV Ariane (lui aussi téléopéré) permet des immersions jusqu’à 2 500 mètres. AsterX et IdefX, véhicules sous-marins autonomes (AUV), sont dédiés à la reconnaissance scientifique pour les plateaux et les marges continentaux jusqu’à 2 850 mètres de profondeur. UlyX, le petit dernier, AUV conçu sur-mesure pour l’exploration des grands fonds, est capable de plonger, lui aussi,  jusqu’à 6 000 mètres.

Où sont les navires ?

Grâce à ces navires de recherche pluridisciplinaire, la communauté scientifique réalise aussi bien des explorations de colonnes d’eau et de courants marins, des cartographies sous-marines, des études des processus biologiques ou géologiques de fonds marins, des analyses de la biodiversité sous-marine, des études de paléoclimatologie et bien plus encore… Mais si la préparation d’une campagne océanique prend plusieurs années, l’analyse des données récoltées est plus longue encore. Voici un aperçu de quelques grandes campagnes océaniques récentes.

La campagne Swings

La mission Swings s’est déroulée du 13 janvier au 8 mars 2021 dans l’océan Austral. 48 scientifiques ont embarqué depuis La Réunion à bord du Marion-Dufresne II, navire ravitailleur et propriété des TAAF. Cette campagne avait deux objectifs principaux : comprendre la pompe à carbone océanique et mieux connaître les éléments chimiques dans l’océan Indien Sud-Ouest austral.

Un jeune éléphant de mer, « Mirounga leonina », et le navire océanographique Marion Dufresne au loin, dans l’archipel des Kerguelen. © Sébastien MOTREUIL/CNRS Photothèque

Swings s’inscrit dans un très grand projet international, Geotraces, dont l’objectif est de décrire et de quantifier les sources d’éléments chimiques de l’océan, leur transformation dans l’océan une fois qu’ils y sont, et, enfin, comment ils vont ensuite en être soustraits. Les scientifiques ont prélevé des échantillons de la surface jusque dans les profondeurs pour déterminer les (très faibles) concentrations de ces éléments. Véritables vitamines de l’océan, certains de ces éléments sont indispensables au développement de la vie. Nutritifs, comme le fer, ils sont indispensables à la photosynthèse en surface. D’autres éléments entrent en jeu, comme le cuivre, le zinc ou le cadmium.

Outre Swings, les dernières années ont été riches en missions océanographiques. Le Pourquoi Pas ? a pris la direction de l’océan Indien fin 2020 afin de réaliser une série de missions dans le Canal du Mozambique. La première, SISMAORE, menée par le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM), le service géologique national, et le CNRS, vise à combler un déficit de connaissances dans la région de Mayotte frappée dernièrement par une crise de sismicité majeure. En avril 2021, a suivi la mission GEOFLAMME mettant en œuvre le ROV Victor 6000 pour étudier cette crise sismo-volcanique à Mayotte.

Le navire océanographique « Pourquoi pas ? » au port de Toulon. Le « Pourquoi pas ? » est un navire de la flotte océanographique opérée par l’Ifremer, utilisé lors de campagnes dans tous les domaines des sciences de l’environnement. Cette image a été réalisée durant la campagne d’installation de plusieurs instruments scientifiques sur le site de l’observatoire sous-marin EMSO-LO, à 2 500 m de profondeur au large de Toulon : un sismographe, un spectromètre gamma, une biocaméra, le BathyReef (un récif artificiel bio-inspiré) et le robot BathyBot. © Cyril FRESILLON / MIO / Ifremer / CNRS Photothèque

Quant à l’Atalante, il a repris à la mi-février avec la mission d’océanographie SUMOS dans le golfe de Gascogne. Portée par le Laboratoire d’océanographie physique et spatiale, SUMOS a un objectif double : l’étude des processus physiques et énergétiques liés aux échanges à l’interface air/mer et la validation de la mission spatiale franco-chinoise CFOSAT, dédiée à la mesure du vent et des vagues. Enfin, le Thalassa a débuté son programme 2021 avec la mission IBTS (International Bottom Trawl Survey) qui étudie, pour le compte de l’Union européenne, l’état des écosystèmes et de la ressource halieutique à l’extrémité de la Manche et en mer du Nord. Plus en amont, d’autres expéditions ont pu être conduites.

La campagne Tonga

La mission Tonga, menée du 1er novembre au 5 décembre 2019 à bord du navire océanographique L’Atalante, avait pour objectif d’étudier l’impact des volcans sous-marins peu profonds sur la vie marine ; plus précisément, d’étudier le rôle des fluides émis par ces volcans sous-marins, riches en oligo-éléments, nutritifs ou toxiques, sur les micro-algues vivant dans les eaux de surface de l’océan, et sur sa capacité à piéger le CO2 de l’atmosphère. Pour ce faire, une équipe internationale de 29 chercheurs a sillonné le Pacifique, entre Nouméa et l’arc volcanique des Tonga.

Mission Tonga : à la recherche des volcans sous-marins du Pacifique L’expédition, dirigée par deux chercheuses, Sophie Bonnet (océanographe, IRD), etCécile Guieu (océanographe, CNRS), analyse et étudie les conséquences de l’apport d’éléments traces issus de sources hydrothermales peu profondes pour en déterminer l’impact potentiel sur la productivité marine et la pompe biologique à carbone. © CNRS

La campagne Chubacarc

Le 26 mars 2019, une vingtaine de scientifiques de l’Ifremer, de Sorbonne Université, de l’université de Bretagne occidentale et de l’université de Lille ont embarqué à bord de l’Atalante pour une mission de 70 jours à travers le Pacifique Ouest. Ils ont étudié cinq zones hydrothermales profondes de la région à l’aide du sous-marin téléguidé Victor 6000. Leurs objectifs : établir un état de référence de l’écosystème de ces milieux et évaluer la résilience de ces sites ciblés pour l’exploitation de leurs ressources minières. La campagne visait notamment à apporter des informations sur l’importance de certaines populations en tant que source potentielle vis-à-vis des autres populations à l’échelle locale ou régionale ,ou en tant que refuges ou de zones d’endémisme pour certaines espèces.

Source hydrothermale Victor 6000 Source hydrothermale observée lors de la campagne Chubacarc en 2019 © Ifremer

La campagne Peacetime

La mission Peacetime (Process studies at the air-sea unterface after dust deposition in the Mediterranean sea), conduite du 10 mai au 11 juin 2017 depuis Toulon, visait à étudier l’impact des dépôts atmosphériques sur l’Océan. À bord du navire océanographique le Pourquoi Pas ?, une équipe internationale et pluridisciplinaire de 40 scientifiques a parcouru la Méditerranée centrale et occidentale à la recherche de dépôts atmosphériques de poussières sahariennes. Leur but : étudier les processus à l’interface entre l’atmosphère et l’océan dans cette région du monde où les apports atmosphériques jouent un rôle clé comme source de nutriments pour la biosphère marine, pour prédire plus précisément le devenir de la biodiversité en Méditerranée.

La campagne Bathyluck

Cette mission, conduite sur le navire le Pourquoi Pas ? de l’Ifremer, a quitté le port de Horta aux Açores le 31 août 2009 – retour un mois plus tard – pour se rendre vers le site hydrothermal de la dorsale médio-atlantique, Lucky Strike. À son bord, une équipe scientifique internationale de 26 personnes venues de France, du Portugal, de Grande-Bretagne et d’Italie. La campagne a mis en œuvre, pour la première fois sur le même site, trois appareils d’exploration des grands fonds, le submersible Nautile, le robot Victor 6000, le véhicule autonome AsterX. Objectifs : mettre en place et relever les capteurs nécessaires à la mesure de différents paramètres physiques, chimiques, biologiques ; cartographier le site avec une grande précision ; prélever des échantillons pour mieux comprendre le fonctionnement de la dorsale, la fabrication de la croûte océanique, les échanges de flux de chaleur, de fluides, de matières entre les profondeurs et la surface.

Comment observer l’Océan ?

Mais si le développement des submersibles, habités ou téléopérés, a permis de commencer à répondre à ces questions, les approches classiques, basées sur des campagnes océanographiques, n’apportent qu’une image partielle du fonctionnement d’un écosystème, sans que l’on en connaisse encore l’évolution, la variabilité du système au cours du temps. Comment, dès lors, aller toujours plus loin ? Et en multipliant nos yeux sur et sous la mer : satellites, flotteurs, drones marins, bouées, petits bateaux autonomes, capteurs ou encore radars sont là pour nous assister, scrutant jour après jour et sur de longues périodes ces phénomènes. En voici un aperçu – non exhaustif.

Océanographie spatiale

Observant l’océan, ses courants et ses tourbillons, l’océanographie spatiale améliore la connaissance et les simulations du changement climatique. Le satellite Sentinel 6, par exemple, est dédié à la mesure de précision des vents, des vagues et du niveau de la mer à la surface des océans ; la mission SWOT à la mesure précise du niveau de l’eau dans les rivières, les lacs et les zones inondées, et les océans. L’océanographie spatiale a permis la première topographie globale des fonds marins, montrant les fosses abyssales et des chaînes de volcans sous-marins résultant de la tectonique des plaques ; la mesure de la montée du niveau des océans produite par le réchauffement climatique, soit 3,28 mm/an ; et, plus récemment, l’obtention d’une carte précise du courant circumpolaire antarctique, jusqu’à présent méconnu, de ses tourbillons à petite échelle, et finalement de son rôle dans le cycle du carbone et le réchauffement climatique.

Argo

Observer, comprendre et prévoir le rôle de l’océan sur le climat de la planète. C’est tout l’enjeu du programme international Argo, le premier réseau global d’observation in situ des océans. On compte, début 2022, 4 000 flotteurs Argo actifs, qui suivent les liens étroits entre océan et climat. Selon leur modèle, les flotteurs mesurent soit uniquement la température et la salinité des deux premiers kilomètres de l’océan (flotteurs “ standards ”), soit également l’acidité (le pH), la quantité d’oxygène dans l’eau, la chlorophylle, la lumière ou le nitrate (flotteurs biogéochimiques, dits “ BGC ”). Les flotteurs dits “ profonds ” sont, quant à eux, capables de mesurer la température, la salinité et la quantité d’oxygène jusqu’à 4 km voire 6 km de profondeur.

Flotteur profileur BGC-Argo Flotteur profileur BGC-Argo déployé dans le cadre du projet ERC REFINE (PI Hervé Claustre). © David Luquet, Institut de la Mer de Villefranche, IMEV, CNRS-SU

Observatoires de fond de mer

La communauté scientifique internationale a développé, dans les années 2000, les premiers observatoires de fond de mer, notamment dans les zones hydrothermales sous-marines. L’innovation de ces installations réside dans le fait qu’elles déploient in situ des instruments de mesure, au plus près des sujets et des milieux analysés. Les processus étudiés évoluent sur des échelles de temps qui ne peuvent être appréhendées lors d’une seule campagne océanographique et doivent être suivis en continu. Implantée au large de l’archipel des Açores, à 200 miles nautiques de l’île Faial, l’installation régionale autonome Emso-Açores est située au sommet d’un volcan sous-marin actif qui abrite l’un des sites hydrothermaux les plus actifs de la dorsale médio-atlantique. Ancrés à 1 700 mètres de profondeur, les instruments assurent l’acquisition en continu de nombreux paramètres géophysiques, géochimiques et biologiques, du substratum rocheux jusqu’en haut de la colonne d’eau, et à la surface (avec une bouée de transmission équipée d’une centrale météorologique).

Gliders

Les gliders, planeurs sous-marins, sont dédiés à la connaissance de l’environnement sous-marin. Capables de plonger jusqu’à 1 000 mètres de profondeur, ils remontent à la surface toutes les 4 heures environ. Ils peuvent naviguer plusieurs mois et parcourir des dizaines de milliers de kilomètres en acquérant des données comme la température, la salinité ou le taux d’oxygène dissous – certaines de ces données collectées peuvent être transmises en temps réel.

SeaExplorer SeaExplorer, le glider autonome qui se déplace en planant par remplissage d’un ballast et rotation de son bloc batterie. © Cyril FRESILLON / IMEV / CNRS Photothèque

BathyBot

BathyBot, le rover des profondeurs au faux air de Wall-E, a entamé au début de l’année 2022 une longue mission à 2 400 mètres de profondeur au large de Toulon. L’objectif est d’étudier l’impact du changement climatique, la biodiversité, la bioluminescence et les flux de particules, pour une durée minimale de dix ans.

Mise à l’eau de BathyBot  Le rover sous-marin benthique BathyBot est un robot d’exploration téléopéré via Internet, dédié au suivi sur le long terme de l’environnement, l’écologie et des potentiels impacts du changement climatique dans les grands fonds. © Cyril FRESILLON / MIO / CNRS Photothèque

BathyBot sur le pont arrière du N/O  » Pourquoi pas ?  » avant sa mise à l’eau. © Cyril FRESILLON / MIO / CNRS Photothèque

Rover sous-marin profond piloté à distance via Internet, le premier en Europe, BathyBot s’oriente à l’aide d’une caméra équipée d’une lumière blanche. Une seconde caméra scrutera la bioluminescence avec une telle sensibilité qu’elle n’aura pour seul éclairage qu’une lumière rouge connue pour ne pas effrayer les organismes des profondeurs. BathyBot « jouera » d’ailleurs avec le plancton grâce à plusieurs petites LED colorées afin de déterminer quelles teintes appâtent ou au contraire font fuir la faune du fond de la Méditerranée. Également équipé de capteurs de température, de salinité, d’oxygénation de l’eau, ainsi que d’un système d’imagerie pour détecter les particules et le plancton, il permettra de révéler avec une grande précision un environnement quasi inconnu. Enfin, BathyReef, rampe ajourée en ciment bio-inspiré, permettra au rover de se surélever pour accroître son champ d’observation et elle concentrera les organismes à étudier puisque ceux-ci coloniseront la structure sur plusieurs années.

Si la Saga des océans ne fait que commencer, leur préservation est un véritable défi lancé à l’humanité.