Pourquoi avoir entrepris de publier les oeuvres (presque) complètes de Charles Racine-qu'il aurait sans doute fallu intituler à la Monterroso « oeuvres complètes et autres poèmes », tant l'infinitude, la reprise, la recomposition sont des...
morePourquoi avoir entrepris de publier les oeuvres (presque) complètes de Charles Racine-qu'il aurait sans doute fallu intituler à la Monterroso « oeuvres complètes et autres poèmes », tant l'infinitude, la reprise, la recomposition sont des figures structurantes de ce travail d'écrire sans pareil, tant cette oeuvre ne semble jamais devoir ou pouvoir même être « complète », devant par contre sans cesse être complétée ? N'étant donc jamais vraiment publiable. Au fond, simplement, parce qu'il y eut l'évidence un jour rencontrée, au détour d'un livre beige intitulé Ciel étonné, d'une forme rare et absolument efficace de sensation poétique intégrale. Intégrale parce que le texte y a, dans le même temps, une immanence fervente et une étrangeté native. Et c'est l'alliage qui lui donne sa dynamique d'exil permanent, je veux dire de désarrimage du sens, d'errance mot à mot, comme on va, pas à pas, sur un chemin, sans savoir où le bivouac se fera à la nuit. C'est avec ce texte rétif et généreux, plein de saisissements et de ricochets, exilé de toutes les normativités de l'époque-de la sienne autant que de celle à laquelle je le reçus-, avec cet intempestif fondamental, que je suis spontanément tombé en amitié. Ce fut le premier mouvement. Celui de l'envie. De l'envie de marcher avec. Mais à ce stade, autour de 2005, je dus me contenter de glaner ce qui était déjà là. Et ce fut fort peu. Tout en ne cessant de penser que ce peu ne pouvait d'évidence pas constituer un terme définitif. Il fallait aller plus avant, plus loin. Il fallait un second mouvement, qui permit de passer de l'envie au possible, puis de tourner le possible en réel. Et ce mouvement vint, comme de lui-même. Je le dois au hasard presque concomitant d'une rencontre à distance avec Frédéric Marteau, qui travaillait le lien, le destin parallèlement vrillé, son triple séquestre de langue, de cendre et de nation, que connurent Paul Celan et Charles Racine. Cette rencontre propulsa l'idée de l'hommage et de la justice éditoriale qu'il y avait à rendre jusqu'à son seuil de possibilité concrète. Car au bien peu que j'avais déjà pu lire, mais qui avait su se constituer en un petit bréviaire profane pour moi, s'adjoignait soudain la promesse d'une malle infiniment généreuse. Il y avait des textes, en quantité, d'autres versions de textes parus, des inédits. Allons, alors, en avant ! Il fallait que cela pût se lire, que vingt ans après la disparition de l'homme, l'héritage enfin pût être partagé. Et avec la confiance immédiate et la complicité patiente de Gudrun Racine, les archivescollectes, restes, variantes, amoncellements, strates-sortirent de leur réserve. Et il fallut puiser… Voilà comment vinrent les trois volumes que Grèges s'est engagé à publier. Le troisième, Poésie ne peut finir, au titre de programme poétique et ontologique, paraîtra au printemps. Il complètera, sans penser l'achever, cette impubliable légende forestière…