Une fois le constat établi que « dans le monde réellement renversé, le vrai est un moment du faux » (La Société du spectacle, thèse 9), toute sincérité devient suspecte, est dévoyée, ou s’avère donc impossible. Dans un tel monde, l’art...
moreUne fois le constat établi que « dans le monde réellement renversé, le vrai est un moment du faux » (La Société du spectacle, thèse 9), toute sincérité devient suspecte, est dévoyée, ou s’avère donc impossible. Dans un tel monde, l’art n’est qu’une marchandise comme une autre, soumis au fétichisme théorisé par Karl Marx (Le Capital, Livre I, chapitre I.4), reprise par Theodor Adorno, prolongée par Guy Debord, repensée par la Wertkritik (Théorie de la Valeur). Cette marchandisation de l’art pourrait aboutir au constat facile qu’émet le dernier homme nietzschéen d’une « fin de l’art ». Mais cet état de l’art poserait plutôt l’exigence de penser son cadre définitionnel : la question ne serait plus essentialiste, « qu’est-ce que l’art ? », mais elle s’historiciserait et se contextualiserait : « quand y a-t-il art ? » Cette question appelle une définition institutionnelle formulée par Georges Dickie (après avoir été amorcée par Arthur Danto et la philosophie analytique de Nelson Goodman), et qui demande aujourd’hui quelques précisions que nous essaierons d’apporter.
Alors, de quoi parlons-nous ? D’un art émancipateur ? Cette conception n’a rien d’évident : si elle existe, elle n’a jamais prévalu, n’a jamais été dominante. Pourtant si on admet la possibilité que l’art puisse échapper au mensonge et à l’imposture, il faut postuler qu’il puisse être émancipateur. La question revient donc à savoir dans quelles conditions l’art devient émancipateur ?
Logiquement, l’art pourrait s’avérer émancipateur en échappant aux déterminismes coercitifs de sa production comme de sa réception.
Pour préciser, nourrir, corriger cette première assertion, nous prendrons l’exemple de Piotr Pavlenski, justement parce qu’il revendique un art émancipateur. Après l’avoir replacé dans le contexte long de la performance (et plus précisément de la performance « engagée »), mais aussi dans le contexte actuel d’autres artistes de la performance, nous aurons l’exigence d’analyser rigoureusement son discours et la teneur de ses actions à la fois pour délimiter l’espace critique dans lequel il évolue, pour analyser le processus de dévoilement des mensonges qu’il cherche à dénoncer, pour réfléchir à l’éthique pratique de l’artiste, et, bien sûr, finalement, aux limites de cette posture.