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Les Historiettes/Tome 1/2

La bibliothèque libre.
Texte établi par Monmerqué, de Chateaugiron, Taschereau, 
A. Levavasseur
(Tome 1p. 3-20).


HENRI IV[1].

Si ce prince fût né roi de France, et roi paisible, probablement ce n’eût pas été un grand personnage ; il se fût noyé dans les voluptés, puisque, malgré toutes ses traverses, il ne laissoit pas, pour suivre ses plaisirs, d’abandonner les plus importantes affaires[2]. Après la bataille de Coutras, au lieu de poursuivre ses avantages, il s’en va badiner avec la comtesse de Guiche[3], et lui porte les drapeaux qu’il avoit gagnés. Durant le siége d’Amiens, il court après madame de Beaufort[4], sans se tourmenter du cardinal d’Autriche, depuis l’archiduc Albert, qui s’approchoit pour tenter le secours de la place[5].

Il n’étoit ni trop libéral, ni trop reconnoissant. Il ne louoit jamais les autres, et se vantoit comme un gascon. En récompense, on n’a jamais vu un prince si humain, ni qui aimât plus son peuple ; il ne refusoit point de veiller pour le bien de son État. Il a fait voir en plusieurs rencontres qu’il avoit l’esprit vif et qu’il entendoit raillerie[6].

Pour reprendre donc ses amours, si Sébastien Zamet, comme quelques-uns l’ont prétendu, donna du poison à madame de Beaufort[7], on peut dire qu’il rendit un grand service à Henri IV, car ce bon prince alloit faire la plus grande folie qu’on pouvoit faire ; cependant il y étoit tout résolu[8]. On devoit déclarer feu M. le Prince bâtard[9]. M. le comte de Soissons se faisoit cardinal, et on lui donnoit trois cent mille écus de rente en bénéfices. M. le prince de Conti[10] étoit marié alors avec une vieille qui ne pouvoit avoir d’enfants[11]. M. le maréchal de Biron devoit épouser la fille de madame d’Estrées, qui depuis a été madame de Sanzay. M. d’Estrées la devoit avouer ; elle étoit née durant le mariage, mais il y avoit cinq ou six ans que M. d’Estrées[12] n’avoit couché avec sa femme, qui s’en étoit enallée avec le marquis d’Allègre, et qui fut tuée avec lui à Issoire[13], par les habitants qui se soulevèrent, et prirent le parti de la Ligue. Le marquis et sa galante tenoient pour le Roi : ils furent tous deux poignardés et jetés par la fenêtre.

Cette madame d’Estrées étoit de La Bourdaisière, la race la plus fertile en femmes galantes qui ait jamais été en France[14] ; on en compte jusqu’à vingt-cinq ou vingt-six, soit religieuses, soit mariées, qui toutes ont fait l’amour hautement. De là vient qu’on dit que les armes de La Bourdaisière, c’est une poignée de vesces ; car il se trouve, par une plaisante rencontre, que dans leurs armes il y a une main qui sème de la vesce[15]. On fit sur leurs armes ce quatrain :

Nous devons bénir cette main
Qui sème avec tant de largesses,
Pour le plaisir du genre humain,
Quantité de si belles vesces[16].

Voici ce que j’ai ouï conter à des gens qui le savoient bien, ou croyoient le bien savoir : une veuve à Bourges, première femme d’un procureur ou d’un notaire, acheta un méchant pourpoint à la Pourpointerie[17], dans la basque duquel elle trouva un papier où il y avoit : « Dans la cave d’une telle maison, six pieds sous terre, de tel endroit (qui étoit bien désigné), il y a tant en or en des pots, etc. » La somme étoit très-grande pour le temps (il y a bien 150 ans). Cette veuve, voyant que le lieutenant-général de la ville étoit veuf et sans enfants, lui dit la chose, sans lui désigner la maison, et offrit, s’il vouloit l’épouser, de lui dire le secret. Il y consent ; on découvre le trésor ; il lui tient parole et l’épouse. Il s’appeloit Babou. Il acheta La Bourdaisière. C’est, je pense, le grand-père de la mère du maréchal d’Estrées[18].

Madame d’Estrées eut six filles et deux fils, dont l’un est le maréchal d’Estrées qui vit encore aujourd’hui[19]. Ces six filles étoient madame de Beaufort, que madame de Sourdis, aussi de La Bourdaisière, gouvernait ; madame de Villars, dont nous parlerons de suite ; madame de Namps, la comtesse de Sanzay, l’abbesse de Maubuisson et madame de Balagny. Cette dernière est Délie dans l’Astrée ; elle avoit la taille un peu gâtée, mais c’étoit la personne la plus galante du monde. Ce fut d’elle que feu M. d’Épernon eut l’abbesse de Sainte-Glossine de Metz[20]. On les appeloit, elles six et leur frère, les sept péchés mortels. Madame de Neufvic, dame d’esprit, qui étoit fort familière chez madame de Bar[21], fit cette épigramme sur la mort de madame la duchesse de Beaufort :

J’ai vu passer par ma fenêtre
Les six péchés mortels vivants,
Conduits par le bastard d’un prêtre[22],
Qui tous ensemble alloient chantant
  Un requiescat in pace,
Pour le septième trépassé[23].

Henri IV, à ce qu’on prétend, n’en avoit pas eu les gants, et ce fut pour cela qu’il ne fit pas appeler M. de Vendôme Alexandre, de peur qu’on ne dît Alexandre le Grand, car on appeloit M. de Bellegarde M. le Grand[24], et apparemment il y avoit passé le premier. Le Roi commanda dix fois qu’on le tuât[25], puis il s’en repentoit quand il venoit à considérer qu’il la lui avoit ôtée ; car Henri, voyant danser M. de Bellegarde et mademoiselle d’Estrées ensemble, dit : « Il faut qu’ils soient le serviteur et la maîtresse[26]. »

Henri IV a eu une quantité étrange de maîtresses ; il n’étoit pourtant pas grand abatteur de bois ; aussi étoit-il toujours cocu. On disoit en riant que son second avoit été tué. Madame de Verneuil l’appela un jour Capitaine bon vouloir ; et une autre fois, car elle le grondoit cruellement, elle lui dit que bien lui prenoit d’être roi, que sans cela on ne le pourroit souffrir, et qu’il puoit comme charogne. Elle disoit vrai, il avoit les pieds et le gousset fins[27] ; et quand la feue Reine-mère coucha avec lui la première fois, quelque bien garnie qu’elle fût d’essences de son pays, elle ne laissa pas que d’en être terriblement parfumée. Le feu Roi[28], pensant faire le bon compagnon, disoit : « Je tiens de mon père, moi, je sens le gousset. »

Je pense que personne n’a approuvé la conduite d’Henri IV avec la feue Reine-mère, sa femme, sur le fait de ses maîtresses ; car que madame de Verneuil fût logée si près du Louvre[29], et qu’il souffrît que la cour se partageât en quelque sorte pour elle, en vérité il n’y avoit en cela ni politique, ni bienséance. Cette madame de Verneuil étoit fille de ce M. d’Entragues qui épousa Marie Touchet, fille d’un boulanger d’Orléans[30], et qui avoit été maîtresse de Charles IX. Elle avoit de l’esprit, mais elle étoit fière, et ne portoit guère de respect, ni à la Reine, ni au Roi. En lui parlant de la Reine, elle l’appeloit quelquefois votre grosse banquière, et le roi lui ayant demandé ce qu’elle eût fait si elle avoit été au port de Nully (ou Neuilly) quand la Reine s’y pensa noyer[31] : « J’eusse crié, lui dit-elle : La Reine boit. »

Enfin le Roi rompit avec madame de Verneuil ; elle se mit à faire une vie de Sardanapale ou de Vitellius : elle ne songeoit qu’à la mangeaille, qu’à des ragoûts, et vouloit même avoir son pot dans sa chambre ; elle devint si grasse qu’elle en devint monstrueuse ; mais elle avoit toujours bien de l’esprit. Peu de gens la visitoient. On lui ôta ses enfants[32] ; sa fille fut nourrie auprès des Filles de France.

La feue Reine-mère, de son côté, ne vivoit pas trop bien avec le Roi : elle le chicanoit en toutes choses. Un jour qu’il fit donner le fouet à M. le dauphin : « Ah ! lui dit-elle, vous ne traiteriez pas ainsi vos bâtards. — Pour mes bâtards, répondit-il, il les pourra fouetter, s’ils font les sots, mais lui il n’aura personne qui le fouette. »

J’ai ouï dire qu’il lui avoit donné le fouet lui-même deux fois : la première, pour avoir eu tant d’aversion pour un gentilhomme, que, pour le contenter, il fallut tirer à ce gentilhomme un coup de pistolet sans balle pour faire semblant de le tuer ; l’autre, pour avoir écrasé la tête à un moineau ; et que, comme la Reine-mère grondoit, le Roi lui dit : « Madame, priez Dieu que je vive, car il vous maltraitera, si je n’y suis plus[33]. »

Il y en a qui ont soupçonné la Reine-mère d’avoir trempé à sa mort, et que pour cela on n’a jamais vu la déposition de Ravaillac. Il est bien certain que le Roi dit un jour que Conchine, depuis maréchal d’Ancre, l’étoit allé saluer à Monceau : « Si j’étois mort, cet homme-là ruineroit mon royaume. »

Ceux qui ont voulu raffiner sur la mort de Henri IV disent que l’interrogatoire de Ravaillac fut fait par le président Jeannin, comme conseiller d’État (il avoit été président au mortier de Grenoble) ; et que la Reine-mère l’avoit choisi comme un homme à elle[34]. On a dit que la Comant avoit persévéré jusqu’à la mort[35].

On a seulement dit que Ravaillac avoit déclaré que voyant que le Roi alloit entreprendre une grande guerre, et que son État en pâtiroit, il avoit cru rendre un grand service à sa patrie que de la délivrer d’un prince qui ne la vouloit pas maintenir en paix, et qui n’étoit pas bon catholique. Ce Ravaillac avoit la barbe rousse et les cheveux tant soit peu dorés. C’étoit une espèce de fainéant qu’on remarquoit à cause qu’il étoit habillé à la flamande plutôt qu’à la françoise. Il traînoit toujours une épée ; il étoit mélancolique, mais d’assez douce conversation.

Henri IV avoit l’esprit vif ; il étoit humain, comme j’ai déjà dit. J’en rapporterai quelques exemples.

À La Rochelle, le bruit étoit parmi la populace qu’un certain chandelier avoit une main de gorre, c’est-à-dire une mandragone ; or, communément on dit cela de ceux qui font bien leurs affaires. Le Roi, qui n’étoit alors que roi de Navarre, envoya quelqu’un à minuit chez cet homme demander à acheter une chandelle. Le chandelier se lève et la donne. « Voilà, dit le lendemain le Roi, la main de gorre. Cet homme ne perd point l’occasion de gagner, et c’est le moyen de s’enrichir. »

Un monsieur de Vienne, qui s’appeloit Jean, étoit bien empêché à faire sa propre anagramme : le Roi le trouva par hasard en cette occupation : « Hé ! lui dit-il, il n’y a rien plus aisé : Jean de Vienne, devienne Jean. »

Une fois un gentilhomme servant, au lieu de boire l’essai qu’on met dans le couvercle du verre, but en rêvant ce qui étoit dans le verre même ; le Roi ne lui dit autre chose sinon : « Un tel, au moins deviez-vous boire à ma santé, je vous eusse fait raison. »

On lui dit que feu M. de Guise étoit amoureux de madame de Verneuil ; il ne s’en tourmenta pas autrement, et dit : « Encore faut-il leur laisser le pain et les p.... : on leur a ôté tant d’autres choses[36] ! »

Quand il vint à donner le collier à M. de La Vieuville, père de celui que nous avons vu deux fois surintendant, et que La Vieuville lui dit, comme on a accoutumé : « Domine, non sum dignus. — Je le sais bien, je le sais bien, lui dit le Roi, mais mon neveu m’en a prié. » Ce neveu étoit M. de Nevers, depuis duc de Mantoue, dont La Vieuville, simple gentilhomme, avoit été maître-d’hôtel. La Vieuville en faisoit le conte lui-même, peut-être de peur qu’un autre ne le fît, car il n’étoit pas bête, et passoit pour un diseur de bons mots[37].

Lorsqu’on fit une chambre de justice contre les financiers : « Ah ! disoit-il, ceux qu’on taxera ne m’aideront plus. »

Il faisoit des banquets avec M. de Bellegarde, le maréchal de Roquelaure et autres, chez Zamet[38] et autres. Quand ce vint au maréchal, il dit au Roi qu’il ne savoit où les traiter, si ce n’étoit aux Trois Mores. Le Roi y alla ; ils menèrent un page à deux, et le Roi un pour lui tout seul : « Car, dit-il, un page de ma chambre ne voudra servir que moi. » Ce page fut M. de Racan, dont nous avons de si belles poésies.

Un jour il alla chez madame la princesse de Condé, veuve du prince de Condé le bossu[39] ; il y trouva un luth sur le dos duquel il y avoit ces deux vers :

Absent de ma divinité,
Je ne vois rien qui me contente.

Il ajouta :

C’est fort mal connoître ma tante,
Elle aime trop l’humanité.

La bonne dame avoit été fort galante. Elle étoit de Longueville.

Avant la réduction de Paris, une nuit qu’il ne dormoit point bien, et qu’il ne pouvoit se résoudre à quitter sa religion, Crillon lui dit : « Pardieu, sire, vous vous moquez de faire difficulté de prendre une religion qui vous donne une couronne. » Crillon étoit pourtant bon chrétien, car un jour, priant Dieu devant un crucifix, tout d’un coup il se mit à crier : « Ah ! Seigneur, si j’y eusse été on ne vous eût jamais crucifié ! » Je pense même qu’il mit l’épée à la main, comme Clovis et sa noblesse au sermon de saint Remi. Ce Crillon, comme on lui montroit à danser, et qu’on lui dit : « Pliez, reculez. Je n’en ferai rien, dit-il ; Crillon ne plia ni ne recula jamais. » Il refusa, étant mestre-de-camp du régiment des gardes, de tuer M. de Guise ; et quand M. de Guise le fils, étant gouverneur de Provence, s’avisa à Marseille de faire donner une fausse alarme, et de lui venir dire : « Les ennemis ont repris la ville ; » Crillon ne s’ébranla point, et dit : « Marchons ; il faut mourir en gens de cœur. » M. de Guise lui avoua après qu’il avoit fait cette malice pour voir s’il étoit vrai que Crillon n’eût jamais peur. Crillon lui répondit fortement : « Jeune homme, s’il me fût arrivé de témoigner la moindre foiblesse, je vous eusse poignardé. »

Quand M. du Perron, alors évêque d’Évreux, en instruisant le Roi, voulut lui parler du purgatoire : « Ne touchez point cela, dit-il, c’est le pain des moines. »

Cela me fait souvenir d’un médecin de M. de Créqui, qui, à l’ambassade de son maître à Rome, comme quelqu’un au Vatican demandoit où étoit la cuisine du pape, dit en riant que c’étoit le purgatoire ; on le voulut mener à l’Inquisition ; mais on n’osa quand on sut à qui il étoit.

Arlequin et sa troupe vinrent à Paris en ce temps-là, et quand il alla saluer le Roi, il prit si bien son temps, car il étoit fort dispos, que Sa Majesté s’étant levée de son siége, il s’en empara, et comme si le Roi eût été Arlequin : « Eh bien ! Arlequin, lui dit-il, vous êtes venu ici avec votre troupe pour me divertir ; j’en suis bien aise, je vous promets de vous protéger et de vous donner tant de pension. » Le Roi ne l’osa dédire de rien, mais il lui dit : « Holà ! il y a assez long-temps que vous faites mon personnage ; laissez-le-moi faire à cette heure. »

À ce propos un conte d’Angleterre. Milord Montaigu étoit mal satisfait du roi Jacques, et un jour qu’un gentilhomme écossois, que le roi avoit plusieurs fois évité, venoit pour lui demander récompense, il lui dit : « Sire, vous ne sauriez plus fuir ; cet homme-là ne vous connoît point, j’ai votre ordre, je ferai semblant que je suis le roi, mettez-vous derrière. » L’Écossois fait sa harangue ; Montaigu lui répond : « Il ne faut pas que vous vous étonniez que je n’aie rien fait encore pour vous, puisque je n’ai rien fait pour Montaigu, qui m’a rendu tant de services. » Le roi Jacques entendit raillerie, et lui dit : « Ôtez-vous de delà, vous avez assez joué. »

Henri IV conçut fort bien que détruire Paris c’étoit, comme on dit, se couper le nez pour faire dépit à son visage : en cela plus sage que son prédécesseur, qui disoit que Paris avoit la tête trop grosse, et qu’il la lui falloit casser. Henri IV voulut pourtant, à telle fin que de raison, avoir une issue pour sortir hors de Paris sans être vu, et pour cela il fit faire la galerie du Louvre, qui n’est point du dessin de l’édifice, afin de gagner par là les Tuileries, qui ne sont dans l’enceinte des murs que depuis vingt ou vingt-cinq ans[40]. M. de Nevers en ce temps-là faisoit bâtir l’hôtel de Nevers. Henri IV le trouvoit un peu trop magnifique, pour être à l’opposite du Louvre[41], et un jour en causant avec M. de Nevers, et lui montrant son bâtiment : « Mon neveu, lui dit-il, j’irai loger chez vous, quand votre maison sera achevée. » Cette parole du Roi, et peut-être aussi le manque d’argent, firent arrêter l’ouvrage.

Un jour qu’il se trouva beaucoup de cheveux blancs : « En vérité, dit-il, ce sont les harangues que l’on m’a faites depuis mon avénement à la couronne, qui m’ont fait blanchir comme vous voyez. »

Il dit à sa sœur, depuis madame de Bar, la voyant rêveuse : « Ma sœur, de quoi vous avisez-vous d’être triste ? nous avons tout sujet de louer Dieu, nos affaires sont au meilleur état du monde. — Oui, pour vous, lui dit-elle, qui avez votre conte, mais pour moi, je n’ai pas le mien[42]. »

Elle fit danser une fois un ballet dont toutes les figures faisoient les lettres du nom du Roi. « Eh bien ! Sire, lui dit-elle après, n’avez-vous pas remarqué comme ces figures composoient bien toutes les lettres du nom de Votre Majesté ? — Ah ! ma sœur, lui dit-il, ou vous n’écrivez guère bien, ou nous ne savons guère bien lire : personne ne s’est aperçu de ce que vous dites. »

À propos du comte de Soissons, j’ai ouï dire que comme il se sauvoit de Nantes, conduit par un blanchisseur dont il faisoit le garçon, il alla, car il marchoit fort mal à pied, choquer M. de Mercœur qui par hasard passoit dans la rue. Le blanchisseur lui donna un grand coup de poing, en lui disant : « Lourdaud, prenez garde à ce que vous faites. »

Le jour que Henri IV entra dans Paris, il fut voir sa tante de Montpensier, et lui demanda des confitures. « Je crois, lui dit-elle, que vous faites cela pour vous moquer de moi. Vous pensez que nous n’en avons plus. — Non, répondit-il, c’est que j’ai faim. » Elle fit apporter un pot d’abricots, et en prenant, elle en vouloit faire l’essai ; il l’arrêta, et lui dit : « Ma tante, vous n’y pensez pas. — Comment, reprit-elle, n’en ai-je pas fait assez pour vous être suspecte ? — Vous ne me l’êtes point, ma tante. — Ah ! répliqua-t-elle, il faut être votre servante. » Et effectivement elle le servit depuis avec beaucoup d’affection.

Quelque brave qu’il fût, on dit que quand on lui venoit dire : « Voilà les ennemis, » il lui prenoit toujours une espèce de dévoiement, et que, tournant cela en raillerie, il disoit : « Je m’en vais faire bon pour eux. »

Il étoit larron naturellement, il ne pouvoit s’empêcher de prendre ce qu’il trouvoit ; mais il le renvoyoit. Il disoit que s’il n’eût été roi, il eût été pendu.

Pour sa personne, il n’avoit pas une mine fort avantageuse. Madame de Simier, qui étoit accoutumée à voir Henri III, dit, quand elle vit Henri IV : « J’ai vu le Roi, mais je n’ai pas vu sa Majesté. »

Il y a à Fontainebleau une grande marque de la bonté de ce prince. On voit dans un des jardins une maison qui avance dedans, et y fait un coude[43]. C’est qu’un particulier ne voulut jamais la lui vendre, quoiqu’il lui en voulût donner beaucoup plus qu’elle ne valoit. Il ne voulut point lui faire de violence.

Lorsqu’il voyoit une maison délabrée, il disoit : « Ceci est à moi, ou à l’Église. »

  1. Henri IV, né au château de Pau, le 13 décembre 1553, roi de Navarre en 1572, et de France en 1589, assassiné à Paris le 14 mai 1610.
  2. C’est ce qui a fait dire à Bayle : « Si la première fois qu’il débaucha la fille ou la femme de son prochain, on l’eût traité comme Pierre Abélard, il seroit devenu capable de conquérir toute l’Europe, et il auroit pu effacer la gloire des Alexandre et des César… Ce fut son incontinence prodigieuse qui l’empêcha de s’élever autant qu’il auroit pu le faire. » L’article entier de Tallemant peut faire croire qu’il partageoit cette opinion si vivement relevée par Voltaire, et traitée de plaisanterie par Condorcet.
  3. Elle se trouvoit alors en Gascogne, à une distance assez grande du théâtre de la guerre.
  4. Gabrielle d’Estrées. Henri IV avoit érigé pour elle le comté de Beaufort en duché-pairie.
  5. Sigogne* en fit cette épigramme :

    Ce grand Henri, qui souloit estre
    L’effroi de l’Espagnol hautain,
    Fuyt aujourd’huy devant un prestre,
    Et suit le c.. d’une p..... (T.)

     — Mézerai dit que peu après qu’il eut amené Gabrielle au siége de la ville, « il fut contraint d’éloigner ce scandale de la vue des soldats, non-seulement par leurs murmures qui venoient jusqu’à ses oreilles, mais aussi par les reproches du maréchal de Biron. » (Abrégé chronologique de l’Histoire de France, édition de 1682, tome 6, page 170.)

    * Voir sur ce poète une note placée ci-après dans l’Historiette de mademoiselle Du Tillet.

  6. Henri IV étant près de se faire catholique, ses favoris lui disoient : « Sire, avertissez-nous quand vous changerez de religion. » Il faisoit alors l’amour à une religieuse de Passy, il s’en lassa et s’en alla faire autant à Maubuisson ; ils lui dirent : « Vous aviez promis de nous avertir. »
  7. Sébastien Zamet étoit de Lucques ; il fut naturalisé françois. Plaisant et enjoué, il s’étoit fait aimer de Henri IV, qui avoit choisi sa maison pour faire ses parties de plaisir. D’Aubigné est de ceux dont Tallemant parle comme croyant à l’empoisonnement de Gabrielle par Zamet ; il dit qu’après s’être rafraîchie chez lui en mangeant d’un gros citron, ou selon d’autres d’une salade, elle sentit aussitôt un grand feu au gosier, et des tranchées furieuses à l’estomac.
  8. Voyez à ce sujet les Mémoires de M. de Sully, liv. 9. (T.)
  9. Henri de Bourbon, prince de Condé, père du grand Condé.
  10. François de Bourbon, prince de Conti, fils de Louis de Bourbon Condé, premier du nom.
  11. Madame de Montafier, mère de feue madame la comtesse (de Soissons). (T.)
  12. Le premier M. d’Estrées, grand-maître de l’artillerie (mais en ce temps-là ce n’étoit pas officier de la couronne), étoit un brave homme qui fit sa fortune. Il étoit de la frontière de la Picardie ; on l’appeloit La Caussée en picard, pour La Chaussée, et étoit un peu dubiæ nobilitatis. Mais après il se fit appeler d’Estrées, et dit qu’il étoit d’une bonne maison de Flandre. Son fils, par la faveur de madame de Beaufort, fut aussi grand-maître de l’artillerie. J’ai ouï dire que ce premier M. d’Estrées étoit gendarme dans la compagnie d’un M. de Rubempré, et qu’il sauva la vie à son capitaine. On l’appeloit Gran-Jean de La Caussée ; cela servit à sa fortune. (T.)
  13. Le 31 décembre 1593. (Voyez Anselme, tome 4, page 599.)
  14. On dit qu’une madame de la Bourdaisière se vantoit d’avoir couché avec le pape Clément VII ; à Nice, avec l’empereur Charles-Quint, quand il passa en France, et avec François Ier. (T.)
  15. Les Babou écarteloient en effet au Ier et au 4e d’argent au bras de gueules, sortant d’un nuage d’azur, tenant une poignée de vesce en rameau de trois pièces de sinople. (P. Anselme, tome 7, page 180.)
  16. Ce mot étoit alors synonyme de femme éhontée. (Dictionnaire de Trévoux.)
  17. La Pourpointerie étoit, sans doute, le lieu où étaloient les marchands de vieux habits.
  18. Il y a du vrai et de l’inexact dans ce souvenir de Tallemant. Françoise Ra, veuve de Laurent Babou, se remaria, le 26 janvier 1504, avec Jean Salar, lieutenant-général de Bourges. Philibert Babou, son fils aîné, épousa en 1510 Marie Gaudin, dame de la Bourdaisière, qui apporta cette terre à son mari. Ce dernier est l’aïeul de Françoise Babou, mère du maréchal d’Estrées. (P. Anselme, loco cit.)
  19. Il mourut à Paris le 5 mai 1670.
  20. Louise, bâtarde de La Valette, abbesse de Sainte-Glossine ou Glossinde de Metz, en 1606, morte en 1647. (Gallia christiana, tome 13, page 933 ; le P. Anselme, tome 3, page 857.)
  21. Catherine, princesse de Navarre, sœur de Henri IV, mariée au duc de Bar, en 1599.
  22. Balagny, fils de Montluc, évêque de Valence. Il vint avec cinq cents chevaux et huit cents fantassins levés à ses dépens, trouver Henri IV, lorsqu’il ne savoit comment s’opposer au grand commandeur de Castille et à M. de Mayenne, qui venoient pour faire lever le siége de Laon. Ce service fut si agréable au roi, qu’il fit Balagny maréchal de France, et lui fit épouser la sœur de madame de Beaufort. Ce Balagny avoit été prince de Cambray, dont il s’étoit rendu maître en suivant le duc d’Alençon. Sa première femme, la sœur du brave Bussy d’Amboise, avoit tant de cœur, qu’elle creva de dépit de n’être plus la princesse de Cambray, où ils faisoient grande dépense. Elle eut un fils qui fut le Bouteville de son temps ; Puymorin le tua dans la rue des Petits-Champs. Il est vrai qu’un valet le blessa par-derrière d’un coup de fourche, comme il se battoit. Le Balagny qui est venu de la sœur de madame d’Estrées n’est qu’un coquin. (T.)
  23. On conte encore une chose fort jolie de cette madame de Neufvic. Quoique déjà assez âgée, elle aimoit fort les fleurs, et portoit souvent des bouquets. Le comte de Sardini, alors jeune, la trouva un jour chez madame de Bar, avec un bouquet ; c’étoit durant le siége d’Amiens. Il se mit à chanter ce couplet de Ronsard :

      Quand ce beau printemps je voy,
       J’aperçoy
      Rajeunir la terre et l’onde,
      Et me semble que l’amour,
       En ce jour,
      Comme enfant renaisse au monde.


    Elle, sur-le-champ, se mit à chanter :

      Moi je fais comparaison
       D’un oison
      À un homme malhabile,
      Qui, d’un sang par trop rassis,
       Cause assis,
      Quand son roi prend une ville. (T.)

  24. À cause de sa charge de grand-écuyer.
  25. Un jour M. de Praslin, capitaine des gardes-du-corps, depuis maréchal de France durant la régence, pour empêcher le Roi d’épouser madame de Beaufort, lui offrit de lui faire surprendre Bellegarde couché avec elle. En effet, il fit lever le Roi une nuit à Fontainebleau ; mais quand il fallut entrer dans l’appartement de la duchesse, le Roi dit : « Ah ! cela la fâcheroit trop. » Le maréchal de Praslin a conté cela à un homme de qualité de qui je le tiens. (T.)
  26. L’anecdote du médecin Alibour, rapportée dans les Mémoires de Sully, rend vraisemblable le récit de Tallemant. (Voyez les Œconomies royales, tome 2, page 355 de la deuxième série des Mémoires relatifs à l’Histoire de France.)
  27. Locution du temps dont on comprend suffisamment le sens.
  28. Louis XIII.
  29. À l’hôtel de la Force. (T.) Cet hôtel, ainsi que celui de Longueville, avoit été construit près du Louvre, sur le terrain de l’ancien hôtel d’Alençon. (Jaillot, Recherches sur Paris, quartier du Louvre, p. 55.) L’ancien palais du roi de Sicile n’a pris le nom d’hôtel de la Force que sous Louis XIV. (Ibid., quartier Saint-Antoine, p. 119.)
  30. Brantôme a prétendu que Marie Touchet étoit fille d’un apothicaire d’Orléans ; mais suivant Le Laboureur, dans les Additions sur les Mémoires de Castelnau, et Dreux du Radier, dans les Reines et Régentes, le père de Marie Touchet auroit été lieutenant particulier au bailliage d’Orléans.
  31. Cet événement arriva le 9 juin 1606. (Mercure françois, tom. I, fol. 107.)
  32. Tallemant se tait sur la conspiration d’Entragues et du comte d’Auvergne, où madame de Verneuil trempa, si elle n’en a pas été le principal moteur.
  33. La Reine-mère revint de l’éloignement qu’elle avoit témoigné pour ce genre de punition. (Voyez les Mémoires de l’Estoile, dans la Collection des Mémoires, première série, tome 49, page 26.)
  34. Ces accusations tombent devant les faits. Le président Jeannin interrogea Ravaillac le 14 mai, jour même du parricide. Ce monstre subit deux autres interrogatoires devant le premier président Achille du Harlay et d’autres magistrats. Il soutint, même dans la question, que personne ne l’avoit excité à commettre son crime. Ces interrogatoires, tirés des manuscrits de Brienne, ont été imprimés dans le Supplément aux Mémoires de Condé, édition de Lenglet du Fresnoy, in-4o ; 1743 ou 1745.
  35. Jacqueline Levoyer, dite de Comant, femme d’Isaac de Varennes, accusa le duc d’Épernon et la marquise de Verneuil d’avoir trempé dans l’assassinat du Roi. Elle fut condamnée à une prison perpétuelle. (Mémoires de l’Estoile, audit lieu, t. 49, p. 170 et 218.) Voyez plus bas l’Historiette de mademoiselle Du Tillet.
  36. Il étoit amateur de bons mots : un jour, passant par un village, où il fut obligé de s’arrêter pour y dîner, il donna ordre qu’on lui fît venir celui du lieu qui passoit pour avoir le plus d’esprit, afin de l’entretenir pendant le repas. On lui dit que c’étoit un nommé Gaillard. « Eh bien ! dit-il, qu’on l’aille quérir. » Ce paysan étant venu, le Roi lui commanda de s’asseoir vis-à-vis de lui, de l’autre côté de la table où il mangeoit. « Comment t’appelles-tu ? dit le roi. — Sire, répondit le manant, je m’appelle Gaillard. — Quelle différence y a-t-il entre gaillard et paillard ? — Sire, répondit le paysan, il n’y a que la table entre deux. — Ventre saint-gris, j’en tiens, dit le Roi en riant. Je ne croyois pas trouver un si grand esprit dans un si petit village. » (T.)
  37. On dit que La Vieuville ayant fait quelque raillerie d’un brave de la cour, ce brave lui envoya faire un appel, et celui qui lui portoit la parole ajouta que ce seroit pour le lendemain à six heures du matin. « À six heures ? reprit La Vieuville, je ne me lève pas de si bon matin pour mes propres affaires ; je serois bien sot de me lever de si bonne heure pour celles de votre ami. » Cet homme n’en put tirer autre chose. La Vieuville de ce pas en alla faire le premier le conte au Louvre ; et, parce que les rieurs étoient de son côté, l’autre passa pour un ridicule. (T.)
  38. Zamet, comme un notaire lui demandoit ses qualités, dit : « Mettez seigneur de dix-huit cent mille écus. » (T.)
  39. C’est à cette princesse que son époux contrefait disoit, au moment de faire une absence : « Surtout, madame, ne me faites pas c… pendant que vous ne me verrez pas. — Partez en paix, monsieur, répondit-elle ; je n’ai jamais tant envie de vous le faire que quand je vous vois. »
  40. Tallemant écrivoit ceci vers l’année 1657.
  41. L’hôtel de Nevers étoit situé près du Pont-Neuf entre la rue de Nevers et le palais de l’Institut. Il a fait place à l’hôtel de Conti, qui a été détruit vers la fin du règne de Louis XV, quand on a construit l’Hôtel de la Monnoie.
  42. Le comte de Soissons. (T.) Madame, sœur du roi, avoit été recherchée par le comte de Soissons ; mais Henri IV ne voulut jamais consentir à ce mariage. Dans le seizième siècle, et même encore dans le dix-septième, on écrivoit indifféremment conte ou compte.
  43. Cette maison pourroit bien être l’ancien hôpital de la Charité d’Avon, fondé en 1662 par Anne d’Autriche. Cet hospice est aujourd’hui un petit séminaire. Les bâtiments et les jardins font une hache dans la partie du parc qui longe le canal.