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Acta 13227

Le document présente un essai d'Alain Mabanckou, 'Huit leçons sur l'Afrique', qui aborde son expérience au Collège de France et propose une nouvelle vision des littératures africaines, loin de la perspective franco-centrée. À travers huit leçons, Mabanckou traite de l'histoire littéraire africaine, de la Négritude et des représentations de l'Afrique, tout en plaidant pour une approche réparatrice et nuancée des récits historiques. L'ouvrage vise à déconstruire les idées reçues et à promouvoir une compréhension plus riche et diversifiée des littératures africaines et de leur contexte historique.

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Acta 13227

Le document présente un essai d'Alain Mabanckou, 'Huit leçons sur l'Afrique', qui aborde son expérience au Collège de France et propose une nouvelle vision des littératures africaines, loin de la perspective franco-centrée. À travers huit leçons, Mabanckou traite de l'histoire littéraire africaine, de la Négritude et des représentations de l'Afrique, tout en plaidant pour une approche réparatrice et nuancée des récits historiques. L'ouvrage vise à déconstruire les idées reçues et à promouvoir une compréhension plus riche et diversifiée des littératures africaines et de leur contexte historique.

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Acta fabula

Revue des parutions


vol. 21, n° 10, Novembre 2020
Études africaines : nouvelles approches, nouveaux
enjeux
DOI : https://doi.org/10.58282/acta.13227

Huit leçons sur l’Afrique : un essai réparateur


Eight Lessons on Africa: a restorative essay

Anaïs Stampfli

Alain Mabanckou, Huit leçons sur l’Afrique, Paris : Éditions


Grasset, 2020, 217 p., EAN 9782246812180.

Pour citer cet article

Anaïs Stampfli, « Huit leçons sur l’Afrique : un essai réparateur »,


Acta fabula, vol. 21, n° 10, « Études africaines : nouvelles
approches, nouveaux enjeux », Novembre 2020, URL : https://
www.fabula.org/revue/document13227.php, article mis en ligne
le 25 Octobre 2020, consulté le 08 Avril 2025, DOI : 10.58282/acta.
13227

Ce document a été généré automatiquement le 08 Avril 2025


Anaïs Stampfli, « Huit leçons sur l’Afrique : un essai réparateur »

Résumé - Huit leçons sur l’Afrique rend compte du passage d’Alain Mabanckou au Collège de France.
Cet ouvrage immortalise à double titre une entrée dans l’institution historique puisqu’Alain
Mabanckou est le premier membre congolais élu au Collège de France mais aussi le premier écrivain
à qui la chaire de création artistique a été confiée. Cette occasion lui a permis de donner à voir
l’histoire des littératures africaines et afro‑descendantes sous son regard d’écrivain engagé. Plus
qu’un compte rendu, il s’agit là d’un véritable essai proposant une nouvelle conception des Lettres
africaines détachée de la traditionnelle vision franco‑centrée. Ces huit leçons sont introduites par un
« Avant‑propos » (p. 7) inédit et conclues par une « Lettre ouverte au président de la République
française » (p. 195) ainsi qu’une « Allocution pour le Monument aux héros de l’Armée noire » (p. 199).
Ces leçons constituent un guide à la fois varié et synthétique permettant une approche réparatrice
des littératures africaines en nous délestant des idées reçues et autres mésinterprétations sur
lesquelles nous reviendrons ici. Les mises au point du sociétaire font ainsi émerger une nouvelle
interprétation de la littérature qu’il est urgent de faire entendre.

Mots-clés - Approche transversale, Conception franco‑centrée, Devoir de mémoire, Littérature


africaine, Rôle de l’écrivain

Anaïs Stampfli, « Eight Lessons on Africa: a restorative essay »

Summary - Huit leçons sur l'Afrique accounts Alain Mabanckou's time at the Collège de France. This
book immortalizes a double entry into the historic institution, since Alain Mabanckou is the first
Congolese member elected to the Collège de France, but also the first writer to whom the chair of
artistic creation has been entrusted. This occasion allowed him to present the history of African and
Afro-descendant literature through the eyes of a committed writer. More than an account, this is a
real essay proposing a new conception of African literature detached from the traditional Franco-
centric vision. These eight lessons are introduced by an unpublished "Foreword" (p. 7) and concluded
by an "Lettre ouverte au président de la République française" (p. 195) as well as an "Allocution pour
le Monument aux héros de l’Armée noire" (p. 199). These lessons effectively constitute a guide that is
both varied and synthetic, allowing for a restorative approach to African literatures by relieving us of
preconceived notions and other misinterpretations, to which we will return here. In this way, the
clarifications made by the member of the Society give rise to a new interpretation of literature that
urgently needs to be heard.

Ce document a été généré automatiquement le 08 Avril 2025


Huit leçons sur l’Afrique : un essai réparateur

Huit leçons sur l’Afrique : un essai réparateur

Eight Lessons on Africa: a restorative essay

Anaïs Stampfli

Huit leçons sur l’Afrique rend compte du passage d’Alain Mabanckou au Collège de
France. Cet ouvrage immortalise à double titre une entrée dans l’institution
historique puisqu’Alain Mabanckou est le premier membre congolais élu au Collège
de France mais aussi le premier écrivain à qui la chaire de création artistique a été
confiée. Cette occasion lui a permis de donner à voir l’histoire des littératures
africaines et afro‑descendantes sous son regard d’écrivain engagé.
Plus qu’un compte rendu, il s’agit là d’un véritable essai proposant une nouvelle
conception des Lettres africaines détachée de la traditionnelle vision
franco‑centrée. Ces huit leçons sont introduites par un « Avant‑propos » (p. 7) inédit
et conclues par une « Lettre ouverte au président de la République
française » (p. 195) ainsi qu’une « Allocution pour le Monument aux héros de
l’Armée noire » (p. 199). Aliosha Wald Lazowski postule qu’avec Huit leçons sur
l’Afrique, Alain Mabanckou « nous apporte vraiment un manuel, des histoires, des
littératures africaines, avec des paysages, des singularités, des oppositions, des
tensions1. » Ces leçons constituent effectivement un guide à la fois varié et
synthétique permettant une approche réparatrice des littératures africaines en
nous délestant des idées reçues et autres mésinterprétations sur lesquelles nous
reviendrons ici. Les mises au point du sociétaire font ainsi émerger une nouvelle
interprétation de la littérature qu’il est urgent de faire entendre.
Cette urgence se constate surtout en France, pays moins performant que les
États‑Unis et le Canada quant à la reconnaissance des études africaines. Plus grave
encore, la gêne est palpable en France lorsqu’il est question d’étudier l’histoire
coloniale, comme s’il valait mieux passer sous silence ces pages sombres de
l’histoire pour ne pas entacher l’image de la nation. Alain Mabanckou se propose
donc de poser son regard d’écrivain franco‑congolais sur cette histoire, sans avoir
de tabou et sans tomber non plus dans le misérabilisme. Il propose ainsi en huit
leçons une « relecture apaisée et en courtoisie de notre passé commun » (p. 15).

1
Aliosha Wald Lazowski, propos recueillis par Raphaël Bourgois, Avis critique — France culture, 22/02/2020, disponible en ligne
sur : https://www.franceculture.fr/emissions/avis-critique/brutalisme-dachille-mbembe-huit-lecons-sur-lafrique-dalain-
mabanckou (Consulté le 24/08/2020).

Acta fabula, vol. 21, n° 10, 2020


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Huit leçons sur l’Afrique : un essai réparateur

Rôle de l’écrivain africain


La première leçon porte le titre général de l’enseignement d’A. Mabanckou au
Collège de France : « Lettres noires : des ténèbres à la lumière » (p. 17). Elle propose
un découpage chronologique des différentes mouvances littéraires africaines. Dès
la lecture de cette première leçon, la plume pédagogue de l’enseignant à l’Université
de Californie se remarque : sont présentées chacune des thématiques littéraires
abordées tout au long de l’essai. Cette clarté de ton n’empêche pas à l’auteur
d’adopter des tournures plus engagées lorsqu’il s’agit, par exemple, de rappeler que
l’on distingue à tort la culture africaine de l’oralité de la culture occidentale
s’illustrant dans l’écriture. L’auteur sait également s’inscrire dans la nuance. Lorsqu’il
présente Batouala2 du guyanais René Maran, premier « roman nègre » couronné du
prix Goncourt, A. Mabanckou reconnait qu’hormis la préface annonçant une remise
en cause des abus des colonisateurs en Afrique équatoriale, peu d’éléments dans le
corps de ce roman soutiennent cette dénonciation. Sans doute est‑ce dû au statut
de René Maran qui devait jongler entre ses velléités émancipatrices et son statut de
fonctionnaire dans l’administration coloniale. Par souci de précision, cet essai
convoque et fait dialoguer de nombreuses voix du monde des Lettres africaines et
les analyses d’A. Mabanckou sont ainsi souvent nuancées ou confortées par celles
d’écrivains et critiques. Nous apprenons par exemple que Léopold Sédar Senghor
est reconnaissant envers René Maran pour avoir été le premier à« exprimer l’âme
noire avec un style nègre en français3 ». A. Mabanckou le situe malgré tout dans la
littérature coloniale qu’il distingue de la littérature de voyage dans laquelle s’est
illustré André Gide avec Voyage au Congo4. L’histoire littéraire dressée par l’essayiste
lui donne l’occasion de soulever de grandes questions comme celle du rôle de
l’écrivain africain. Il voit ainsi une distinction entre un Bernard Dadié qui a fait de
son écriture ironique l’arme de sa littérature engagée et un Camara Laye qui avec
L’enfant noir5 s’est plutôt consacré à l’introspection autobiographique. Si
A. Mabanckou prône la liberté d’expression, il précise que certains confrères de
Camara Laye, dont Mongo Beti, n’ont pas aussi bien reçu son œuvre et lui ont
reproché de se perdre dans une écriture contemplative alors que l’urgence était
plutôt à la dénonciation de la domination coloniale.

2
René Maran, Batouala, Paris, Albin Michel, 1921, 189 p.
3 Léopold Sédar Senghor, in Hommage à René Maran. Paris, Présence Africaine, 1965. Cité par Alain Mabanckou, p. 41.
4 André Gide, Voyage au Congo, Paris, Gallimard, 1924, 249 p.
5
Camara Laye, L’enfant noir, Paris, Pocket, 1976, 179 p.

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Huit leçons sur l’Afrique : un essai réparateur

Une approche décentrée & actualisée de la


Négritude
La deuxième leçon s’arrête sur le mouvement fondateur de la reconnaissance d’une
littérature africaine : la Négritude. Ce sujet permet à l’auteur de préciser sa vision
des études africaines qui doivent s’inscrire dans la transversalité. Il songe à une
transversalité interdisciplinaire d’une part, les approches historiennes,
anthropologiques et littéraires des cultures africaines gagnant à être pensées
ensemble, comme c’est déjà le cas dans les universités américaines ; mais
également à une transversalité géographique : aborder la Négritude sous un angle
exclusivement européen, sans prendre en compte les influences nord‑américaines,
biaiserait notre conception de ce mouvement littéraire. A. Mabanckou invite ainsi à
se détacher du centre de gravité français des études francophones pour envisager
et comprendre la littérature de la Négritude. Il fait par ailleurs place aux déçus de la
Négritude, parmi lesquels James Baldwin qui, après son expérience du congrès des
écrivains Noirs, a émis des réserves quant à cette Négritude jugée trop étriquée,
vague et franco‑centrée. L’essayiste tient également à réparer certains oublis en
consacrant des pages aux femmes qui ont joué des rôles non‑négligeables dans le
mouvement de la Négritude, bien qu’Aimé Césaire ne les ait pas citées parmi les
fondateurs. Il retrace ainsi le parcours de Paulette Nardal et Suzanne Césaire qui
ont respectivement fondé les périodiques La revue du monde noir6 et Tropiques7.
A. Mabanckou essaie enfin d’envisager un moyen pérenniser — en les
renouvelant — les grands principes de la Négritude. Il s’associe ainsi à Nimrod qui,
avec Tombeau de Léopold Sédar Senghor8, rappelle l’urgence qu’il y a à mettre en
application la fraternité inter‑raciale que Senghor appelait de ses vœux. Ce que
Senghor nommait un humanisme intégral au début des années 1960 doit être
pensé dans notre monde multiculturel où des pensées clivantes et souvent
intersectionnelles compartimentent les appartenances.

6 Paulette Nardal, La revue du monde noir, Paris, Éditions de la Revue mondiale, 1931‑1932, 6 num.
7 Aimé et Suzanne Césaire, Tropiques, Fort‑de‑France, 1941‑1945, 14 num.
8
Nimrod, Tombeau de Léopold Sédar Senghor, Cognac, Le temps qu’il fait, 2003, 75 p.

Acta fabula, vol. 21, n° 10, 2020


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Huit leçons sur l’Afrique : un essai réparateur

Représentations de l’Afrique précoloniale à


l’Afrique postcoloniale
La troisième leçon donne l’occasion à l’auteur de revenir sur différentes manières
d’envisager les époques précoloniales, coloniales et postcoloniales.
Il présente ainsi le cynique discours de Nicolas Sarkozy postulant qu’avant la
colonisation, l’Africain vivait en harmonie avec la nature sans chercher le progrès,
sans chercher à s’inventer un nouveau destin. La légitime colère d’A. Mabanckou
transparaît derrière la question « Comment juger de telles approximations qui font
par exemple l’impasse sur la grandeur et le rayonnement de l’empire du
Ghana (750‑1204), contemporain de celui de Charlemagne, et qui était le plus vaste
des deux ? » (p. 88). La vision stéréotypée du politicien, chargée de représentations
coloniales, rend compte de l’urgence qu’il y a à reconsidérer les récits historiques
qui restituent la richesse des empires précoloniaux. A. Mabanckou multiplie les
suggestions de lecture de Doguicimi9 de Paul Hazoumé — qui relate le parcours du
roi Guézo d’Abomey — à Soundjata ou l’épopée mandingue10 de Tamsir Niane.
L’auteur a ainsi saisi l’occasion de réparer une injustice, de déconstruire au sein
d’une institution française les insinuations réductrices de l’ancien président de la
République : « Et c’est au peuple africain qu’on dirait que “jamais il ne lui [viendrait]
à l’idée de sortir de la répétition pour s’inventer un destin” ? » (p. 89). Cela étant dit,
l’auteur n’en perd pas son art de la nuance et précise qu’il ne faut pas non plus
encenser outre mesure la période précoloniale pendant laquelle le recours à la
barbarie était fréquent dans le cadre des conflits internes et des pratiques
esclavagistes arabo‑africaines.
De même, A. Mabanckou évoque la littérature faisant part de l’instabilité
postcoloniale. Il s’appuie, entre autres, sur la satire sociopolitique que Henri Lopes
dresse sur les mœurs congolaises dans Le pleurer‑rire11 et la critique qu’émet
Aminata Sow Fall envers la politique senghorienne de gestion des mendiants de
Dakar dans La grève des bàttu12.
A. Mabanckou ajoute qu’il remarque une différence entre la littérature de migration
pendant la période coloniale et après la période coloniale. Ceci relève d’un
changement de perception du migrant : pendant la colonisation, les Africains
installés en France avaient plus facilement accès aux études et aux travaux grâce à

9
Paul Hazoumé, Doguicimi, Paris, Larose, 1938, 510 p.
10 Tamsir Niane, Soundjata ou l’épopée mandingue, Paris, Présence africaine, 1960, 153 p.
11 Henri Lopes, Le pleurer‑rire, Paris, Présence Africaine, 1982, 315 p.
12
Aminata Sow Fall, La grève des bàttu ou les Déchets humains, Dakar ; Abidjan ; Lomé, Nouvelles éditions africaines, 1979, 13 p.

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une législation plus souple tandis qu’après les indépendances, ils ont plutôt été
considérés comme des clandestins, des parias. De ce fait, les romans de migration
pendant et après la colonisation relatent des expériences foncièrement différentes.

Représentations des langues & univers


africains
Dans la quatrième leçon, l’auteur partage quelques points de réflexion sur la
situation éditoriale des auteurs africains. Reprenant des critiques formulées dès les
années 1980, A. Mabanckou constate leur mise à l’écart avec la création de
collections dédiées, comme « Continents Noirs » chez Gallimard. Tout se passe
comme si les auteurs africains devaient avant tout être abordés par le filtre de leurs
origines, contrairement aux autres, et, une fois qu’ils ont fait leurs preuves, ils
accèdent à des collections plus prestigieuses. C’est le cas de la Rwandaise
Scholastique Mukasonga qui a accédé à la « collection blanche » après l’obtention
du Prix Renaudot. L’auteur se trouve lui‑même dans le même cas — mais ne revient
pas sur sa propre stratégie éditoriale, puisqu’il a été publié par Présence africaine,
avant Le Seuil puis Gallimard en « collection blanche » ! — mais aborde les prismes
éditoriaux par le choix des images de couverture, conforme aux idées reçues sur
l’Afrique, pour des raisons purement commerciales. Cela‑dit, comme dans ses
fictions, A. Mabanckou sait mêler l’humour à l’indignation en transmettant, par
exemple, la fameuse recette de Binyavanga Wainaina pour écrire le parfait roman
africain conforme aux exotismes attendus. L’essayiste manie finement l’art
rhétorique et ménage son lecteur en instillant quelques pauses illustratives dans sa
démonstration. Pensons à « La parabole du vieux qui ne lisait plus que les romans
africains » (p. 126), clin d’œil à Sépúlveda, révélatrice des a priori sur la littérature
africaine : lors d’une séance de dédicace un lecteur transmet son étonnement de ne
pas voir figurer le nom du traducteur en français d’A. Mabanckou dans ses livres.
S’en suivent de très belles pages sur la liberté de l’écrivain d’investir la langue
française à sa manière pour en faire l’instrument de son art. Ces pages se font l’écho
de la théorie exposée dans l’essai Le monde est mon langage13 paru en 2016. L’auteur
y prône sa liberté de dire le monde à partir de sa langue d’écriture. Il rejoint ainsi
Édouard Glissant qui, à partir de son français d’écriture, affirmait « J’écris en
présence de toutes les langues du monde14 ».
La question linguistique fait toujours débat parmi les auteurs africains, comme
l’atteste la cinquième leçon. Celle‑ci évoque la thèse d’écrivains militants, tel Patrice

13 Alain Mabanckou, Le monde est mon langage, Paris, Grasset, 2016, 314 p.
14
Édouard Glissant, Introduction à une poétique du divers, Montréal, Les Presses de l'Université de Montréal, 1995, p. 32.

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Nganang, qui préconisent de s’émanciper de la langue du colonisateur, de


promouvoir les langues africaines en les érigeant au rang de langues littéraires
écrites. A. Mabanckou prévient qu’il est stérile de vouloir s’enfermer dans la
glorification d’une langue nationale, ce projet ne correspondant pas à la situation
linguistique mondiale faite d’échanges. Il invite également les écrivains africains « du
dedans » à être plus tolérants envers ceux « du dehors » (p. 136) dont l’exil ne
représente pas une trahison et dont les écrits sur leur pays natal s’avèrent tout
aussi vibrants.

Mémoire de l’esclavage
Cette entreprise de mise au point sur la perception d’une littérature africaine est
poursuivie dans la sixième leçon dans laquelle A. Mabanckou exhorte ses
compatriotes à ne pas se complaire dans les lamentations et à ne pas accuser les
Européens de tous leurs maux. Ces propos déjà tenus en 2012 dans Le Sanglot de
l’homme noir15 ont fait polémique. L’auteur maintient ici sa position non victimaire
qui a séduit ses électeurs au Collège de France. Il rappelle que les Africains ont
également pratiqué l’esclavage, comme l’avait mis en scène Yambo
Ouologuem dans son célèbre roman Le Devoir de violence16, et qu’il serait plus utile
de chercher « ce qui pourrait redéfinir nos rapports, ce qui pourrait nous
rapprocher et fonder le vivre ensemble quelle que soit notre couleur » (p. 156)
plutôt que de fomenter des projets de vengeance. Néanmoins, il admet le
ressentiment et le sentiment d’injustice, ce qu’il illustre à partir d’une expérience
personnelle vécue aux États‑Unis : un afro‑américain pris d’un délire de vengeance
l’a directement pris à parti en ayant décidé qu’il était le descendant de notables
africains vendeurs d’esclaves. Les blessures sont bien réelles. Pour les panser, il est
essentiel d’activer le devoir de mémoire de l’esclavage et de le reconnaitre enfin
comme un crime contre l’humanité.

Quand la réalité historique invite à


repenser le rôle de l’écrivain africain
Au cours de la septième leçon, A. Mabanckou propose une réflexion quant au
traitement littéraire des réalités africaines et s’appuie notamment sur la question
« De la “poétisation” de l’enfant soldat » (p. 161). Il rejoint la chercheuse Charlotte

15 Alain Mabanckou, Le Sanglot de l’homme noir Paris, Fayard, 2011, 181 p.


16
Yambo Ouologuem, Le Devoir de violence, Paris, Seuil, 1968, 207 p.

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Lacoste qui constate, face à l’essor du récit d’enfant soldat, qu’il correspond à un
horizon d’attente du lecteur occidental et « devient dès lors le support à partir
duquel l’Occidental plaque et déploie un discours qui le concerne lui, et
accessoirement lui évite de se pencher sur les raisons objectives du phénomène »17.
Face à ce sujet épineux, A. Mabanckou n’apporte pas de réponse toute faite, il pose
des questions ouvertes. Il se demande si le fait d’enrober par la fiction les récits
d’enfants soldats ne contribue pas à une esthétisation dérangeante de réalités
historiques graves. Il partage son ressenti de lecteur d’Allah n’est pas obligé18, publié
par Amadou Kourouma en 2000, face au petit Birahima qui suscite à la fois effroi et
fascination. Sa réflexion s’appuie sur plusieurs supports. Par sa dimension visuelle
et esthétique, le cinéma est également concerné par ce questionnement.
A. Mabanckou revient notamment sur le film Johnny Mad Dog19 de Jean‑Stéphane
Sauvaire qui propose une adaptation anhistorique et esthétisante du roman Johnny
Chien Méchant20 d’Emmanuel Dongala. Il rejoint ici le scepticisme de Charlotte
Lacoste face à l’esthétisation du récit qui contribue à banaliser la gravité de la réalité
dépeinte. Il y a là un équilibre difficile à trouver entre témoignage et fiction, comme
l’expliquait déjà Kourouma en dédiant son roman aux enfants soldats djiboutiens.
Leurs récits ont contribué à la naissance de Birahima, mais cet enfant‑soldat installé
entre le Liberia et le Sierra Leone est sorti de l’imagination de Kourouma, au cœur
d’un monde où les mots, avant les armes, font sens.
La question de la mise à l’écrit d’une réalité dont la violence dépasse le champ des
possibles est reposée dans le cadre de la huitième leçon consacrée à la mise en
récit du génocide rwandais. A. Mabanckou rappelle la responsabilité des autorités
belges et françaises dans cette tragédie ainsi que l’immobilité de la communauté
internationale pendant le génocide. Il déplore également le silence des écrivains
pendant les massacres et constate une urgence à recentrer la littérature sur
l’histoire immédiate, malgré le défi que requiert l’acte d’écriture, sans le filtre du
temps. Pour A. Mabanckou, d’un point de vue littéraire, il y a un avant et un après
génocide rwandais. Cet évènement impose de repenser le statut de l’écrivain et son
rôle à jouer face au devoir de mémoire. Même si les écrivains avancent à tâtons,
leurs tentatives de restituer le génocide rwandais par la fiction sont essentielles,
qu’il s’agisse de Murambi, le livre des ossements21 de Boubacar Boris Diop qui
s’appuie sur des témoignages pour s’inscrire dans une démarche explicative ou de
L’Aîné des orphelins22 de Tierno Monénembo qui a préféré la liberté offerte par la

17 Charlotte Lacoste, L’Enfant soldat dans la production culturelle contemporaine, figure totémique de l’humaine
tribu,L’enfant‑combattant, Hal‑Shs, Novembre 2010, France. Cité par Alain Mabanckou p. 162‑163.
18
Amadou Kourouma, Allah n’est pas obligé, Paris, Seuil, 2000, 232 p.
19 Jean‑Stéphane Sauvaire, Johnny Mad Dog, Issy‑les‑Moulineaux, TF1 vidéo, 2009, 2h41min.
20 Emmanuel Dongala, Johnny Chien Méchant, Paris, Le serpent à plumes, 2002, 360 p.
21
Boubacar Boris Diop, Murambi, le livre des ossements, Paris, Stock, 2000, 228 p.

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fiction. La fin de cette dernière leçon rythmée par la périphrase conclusive « écrire
après le génocide rwandais » (p. 175) prend des airs de manifeste invitant à ne pas
rester passif et à réinventer l’acte d’écriture afin qu’il soit plus à‑même d’envisager le
monde actuel.
Cette sortie d’un état passif passera par la fin de la complicité française avec les
états dictatoriaux africains qui gangrène le continent, comme l’affirme
A. Mabanckou dans sa « Lettre ouverte au président de la République
française » (p. 195). Dans son « Allocution pour le Monument aux héros de l’Armée
noire » (p. 199), l’essayiste exige également une reconnaissance du sacrifice des
tirailleurs sénégalais. Reconnaissance qui implique une entraide, en réponse à la
fraternité de ces tirailleurs qui ont contribué à sauver la France au prix de leurs vies.
Ce qui frappe dans l’écriture d’A. Mabanckou, c’est que malgré la virulence des
travers qu’il pointe du doigt, il parvient à conserver un point de vue pacifique et
fédérateur. Cette bienveillance mêlée à son humour, son érudition et son art de
faire dialoguer les écrivains parviennent ainsi à attirer l’attention du lecteur sur des
perceptions, des analyses et des à‑priori transportés depuis des générations à
propos d’une des littératures d’Afrique, qu’il était urgent de rectifier.

À Alain Mabanckou de conclure « Et, quelle que soit notre couleur, quelles que
soient nos origines, ces travaux devraient nous rappeler une réalité capitale : le
monde est une addition, une multiplication, et non une soustraction ou une
division… » (p. 84).

Bibliographie
• Hommage à René Maran, Collectif, Paris, Présence Africaine, 1965, 311 p.
• Césaire, Aimé et Suzanne, Tropiques, Fort‑de‑France, éditeur inconnu,

1941‑1945, 14 num.
• Diop, Boubacar Boris, Murambi, le livre des ossements, Paris, Stock, 2000, 228 p.
• Dongala, Emmanuel, Johnny Chien Méchant, Paris, Le serpent à plumes, 2002,
360 p.
• Glissant, Édouard, Introduction à une poétique du divers, Montréal, Les Presses
de l'Université de Montréal, 1995, 144 p.
• Gide, André, Voyage au Congo, Paris, Gallimard, 1924, 249 p.
• Hazoumé, Paul, Doguicimi, Paris, Larose, 1938, 510 p.

22
Tierno Monénembo, L’Aîné des orphelins, Paris, Seuil, 2000, 156 p.

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Huit leçons sur l’Afrique : un essai réparateur

• Kourouma, Amadou, Allah n’est pas obligé, Paris, Seuil, 2000, 232 p.

Lacoste, Charlotte, L’Enfant soldat dans la production culturelle contemporaine,
figure totémique de l’humaine tribu. L’enfant‑combattant, Hal‑Shs,
Novembre 2010, France. Disponible en ligne sur : https://halshs.archives-
ouvertes.fr/halshs-00572746/document (Consulté le 31/08/2020).
• Laye, Camara, L’enfant noir, Paris, Pocket, 1976, 179 p.
• Lopes, Henri, Le pleurer‑rire, Paris, Présence Africaine, 1982, 315 p.
• Mabanckou, Alain, Le Sanglot de l’homme noir, Paris, Fayard, 2011, 181 p.
• —, Le monde est mon langage, Paris, Grasset, 2016, 314 p.
• —, Huit leçons sur l’Afrique, Paris, Grasset, 2020, 217 p.

• Maran, René, Batouala, Paris, Albin Michel, 1921, 189 p.


• Monénembo, Tierno, L’Aîné des orphelins, Paris, Seuil, 2000, 156 p.
• Nardal, Paulette, La revue du monde noir, Paris, Éditions de la Revue mondiale,
1931‑1932, 6 num.

Niane, Tamsir, Soundjata ou l’épopée mandingue, Paris, Présence africaine,
1960, 153 p.
• Nimrod, Tombeau de Léopold Sédar Senghor, Cognac, Le temps qu’il fait, 2003,
75 p.
• Ouologuem, Yambo, Le Devoir de violence, Paris, Seuil, 1968, 207 p.
• Sauvaire, Jean‑Stéphane, Johnny Mad Dog, Issy‑les‑Moulineaux, TF1 vidéo,
2009, 2h41min.
• Sow Fall, Aminata, La grève des bàttu ou les Déchets humains, Dakar ; Abidjan ;
Lomé, Nouvelles éditions africaines, 1979, 131 p.

Wald Lazowski, Aliosha, propos recueillis par Raphaël Bourgois, Avis critique —
France culture, 22/02/2020, disponible en ligne sur : https://
www.franceculture.fr/emissions/avis-critique/brutalisme-dachille-mbembe-
huit-lecons-sur-lafrique-dalain-mabanckou (Consulté le 24/08/2020).

Acta fabula, vol. 21, n° 10, 2020


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Huit leçons sur l’Afrique : un essai réparateur

PLAN

• Rôle de l’écrivain africain


• Une approche décentrée & actualisée de la Négritude
• Représentations de l’Afrique précoloniale à l’Afrique postcoloniale
• Représentations des langues & univers africains
• Mémoire de l’esclavage
• Quand la réalité historique invite à repenser le rôle de l’écrivain africain
• Bibliographie

AUTEUR

Anaïs Stampfli
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Courriel : Anais.stampfli@unil.ch

Acta fabula, vol. 21, n° 10, 2020


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