2024-
2025
INSTITUT
MARANAT
COURS
HA DE LEADERSHIP
CHRETIEN
Dr TRAORE
Thomas
INTRODUCTION
1. Description et objectifs du cours
A cheval entre la dogmatique et la théologie pratique 1, le cours sur le
leadership chrétien peut se définir, ou être décrit, comme un cours de la
bonne gouvernance ou la gestion de l’Eglise, en tant qu’association,
suivant les principes de l’Ecriture. Sa nécessité n’est pas à démontrer
quand on considère que l’Eglise est l’ensemble des croyants appelés à
une mission donnée et avec des activités à réaliser, et des objectifs à
atteindre. Pour y arriver, il faut une organisation des hommes et des
tâches par une personne, ou par groupe de personnes, ayant la capacité
de conduire l’ensemble vers le but final.
Les objectifs du cours sont de trois ordres suivant l’aspect cognitif,
l’aspect réfléchi, et l’aspect mise en pratique, ou la dimension pratique.
Ce cours, comme tout cours, vise à d’abord communiquer des
connaissances relatives au thème du leadership chrétien. Car la
connaissance est le point de départ de tout développement ou de
toute action puisqu’elle prépare et détermine les actions.
L’aspect cognitif est le premier objectif visé par cette étude
systématique.
Ensuite, il vise à faire prendre conscience par chaque
participant de sa responsabilité, ou de son leadership, à quelque
niveau que ce soit ou qu’il se situe dans l’Eglise. L’aspect
réfléchi vient comme une conséquence de l’aspect cognitif. On se
remet alors en cause en fonction des nouvelles connaissances.
Chaque étudiant, après avoir découvert les principes bibliques
du leadership avec une nouvelle perspective, devrait pouvoir
améliorer son potentiel de leadership en vue de servir
efficacement le Corps du Christ selon le modèle biblique de
leader.
1
Le PMC (Programme Minimum Commun), range le cours sur le leadership chrétien
dans le volet de la théologie pratique, Abel NDJERAREOU, Célestin KOUASSI, et Rubin
POHOR, eds., CITAF. Une vision, une valeur, une volonté, p. 92.
2
Dans la mesure où le leader est un formateur, chacun devrait
pouvoir investir les connaissances acquises dans la formation
d’autres leaders potentiels en se donnant surtout comme
modèle à suivre.
2. Intérêt du sujet et problématique
Le sujet est intéressant et d’actualité même s’il ne date pas
d’aujourd’hui. Ce qui fonde, peut-être, son intérêt et son actualité, c’est la
divergence des points de vue et des approches sans oublier la différence
des contextes historiques qu’a connu le traitement du sujet dans le
temps. L’unanimité n’est pas faite autour de la question.
Patrick ETOUGHE a affirmé que le « leadership spirituel n’est pas une
capacité génétique innée »2 tandis qu’un autre auteur, J. Oswald
SANDERS, n’hésite pas à parler de leadership naturel 3. Ce qui est inné
n’est-il pas de l’ordre du naturel ? Dans ce débat contradictoire sur le
sujet, ne doit-on pas d’abord s’interroger sur ce qu’on entend par
leadership ? Naît-on leader ou bien le devient-on en recevant des dons à
cet effet ? Quelles sont les qualités et conditions du leadership selon le
donné biblique ? Si la Bible est la normativité de toute action du chrétien,
quel type de leadership peut-il être cautionné par l’Ecriture ? Après
examen du sujet, peut-on avoir les jalons d’une théologie du leadership
chrétien valable pour l’Eglise ?
En partant de l’examen du champ sémantique, on pourra avancer dans
la réflexion pour répondre aux questions relatives aux qualifications et
2
PatricK ETOUGHE, Le leadership spirituel. Un besoin pour l’Eglise, s. l., African
Theological Association., 2013, p. 29.
3
J. OswalD SANDERS, Le leader spirituel. Les qualités importantes pour les
responsables d’églises, Marne-la-Vallée, Farel, 1994, p. 22.
3
aux types de leadership prôné par l’Ecriture tout en précisant le rôle du
leader chrétien. Une proposition de jalons d’une théologie du leadership
sera faite à la fin avec la possibilité de prolonger encore la réflexion pour
mieux la définir.
3. Démarche du cours
Des possibilités existent en termes de démarches ou de conceptions du
cours. Il y a la possibilité de mener une étude du leadership sous l’angle
biblique. Dans ce cas de figure on choisit des textes bibliques avec des
personnages clés. C’est l’approche choisie par BILLIE Davis 4. Il y a
l’approche systématique, dont l’exemple type est l’ouvrage de J. Oswald
SANDERS5, qui ne part ni d’un texte biblique ni d’un personnage clé ; elle
consiste à examiner les différents aspects du sujet de sorte à les intégrer
dans un tout unifié, un système.
Ce cours est une approche systématique du sujet et, avec cette
approche, il a l’avantage de créer un dialogue fructueux entre des
auteurs différents sur le même sujet tout en soumettant ce dialogue à la
normativité de l’Ecriture sainte.
I. Examen du champ sémantique
Le leadership ne datant pas d’aujourd’hui, des mots pour le traduire
ne manquent pas tant dans l’A.T que dans le N.T. L’ensemble du
vocabulaire, à examiner, traduit ce que la Bible entend par leadership
spirituel. C’est bien par la Bible, toute entière, que tout doit commencer
pour le chrétien.
1. La terminologie biblique du leadership
4
DAVIS BILLIE, Une étude du leadership chrétien. Des hommes, des tâches et des buts,
Springfield, Global University, 2000.
5
SANDERS J. Oswald, Le leader spirituel. Les qualités importantes pour les
responsables d’églises, Marne-la-Vallée, Farel, 1994.
4
a. Le leadership selon la vision de l’Ancien Testament
In stricto sensus, l’Ancien Testament connaît un régime
théocratique ; et Dieu seul est le leader du peuple d’Israël. Cela justifie
le fait que la majorité des termes, convoquant la notion de leadership,
« se réfère à Dieu comme le seul qui dirige »6. Mais, dans l’exercice du
pouvoir divin, des hommes et des femmes ont été l’objet du choix de Dieu
pour la gouvernance. Quel sont les mots et images décrivant le leadership
dans l’A.T. ?
DAVIDSON a repéré, en partant de l’hébreu et de l’araméen, 16
termes qui décrivent le leadership au sens de leader-serviteur 7. Il a cité
entre autres le terme ‘abad qui veut dire servir ; ‘ebed ( )ֶ֫ע ֶב דqui signifie
serviteur et esclave, et ‘aboda évoquant la notion de service et de
servitude. L’ambigüité du langage est l’absence de distinction claire entre
le serviteur et l’esclave8. Au sens figuré, le terme serviteur peut être
utilisé pour caractériser les serviteurs ou leaders de Dieu tels que les
prophètes, les rois, les prêtres et toutes autres catégories de leaders 9.
Moïse et David sont ainsi appelés les serviteurs de Dieu ou du Seigneur
(Nb 12.7-8 ; Dt 34.5 ; Jos 1.1 ; Ps 18.1).
Il est important de noter que le Messie attendu par Israël est appelé
« serviteur de Dieu » ou « serviteur souffrant » (Es 42.1, 19 ; 52.13 ;
53.11). Du champ sémantique analysé par DAVIDSON, il ressort que le
concept de leadership serviteur est caractériel du leadership selon l’A.T.
Il conclut son analyse avec la conviction qu’une théologie du leadership,
orienté vers le service, émerge et atteint son point culminant dans le
serviteur leader par excellence, le serviteur messianique 10.
6
M. RicharD DAVIDSON, Servants and Friends. A Biblical Theology of Leadership, ed.,
BELL Skip, Berrien Springs, Andrews University Press, s.d., p. 2.
7
Ibid., p. 13.
8
Ibid., p. 14.
9
Ibid., p. 15.
10
Ibid., p. 24. “From an examination of the more than 1,500 occurrences of the sixteen
different Hebrew/Aramaic term service/servant/serve, referring to some thirty-five
named leaders and many other unnamed individuals and categories of leaders, a
profound theology of servant-oriented leadership emerges, culminating in the example
of servant leadership par excellence-the Messianic Servant”
5
ETOUGHE, à la différence de DAVIDSON, ne part pas d’un concept
clé, celui du serviteur ; mais il passe en revue un certain nombre de
termes relatifs au leadership11. Il introduit cette revue par le terme ’adôn
en référence aux seigneurs terrestres (300x) et au Seigneur divin
(400x). A ce terme, bien fréquent dans l’A.T., s’ajoutent d’autres comme
’allûph et ’ayil c’est-à-dire « chef tribal » ou « leader » pour désigner
socialement des leaders de groupes ou de tribus. Il y a aussi zaquen qui
veut dire « aîné », « ancien » ou un dirigeant de la communauté (Gn
19.4 ; 1Sm 28.14 ; Es 9.15). Mais ce terme pouvait être aussi donné aux
scribes au regard de leur mission d’explication de la loi (1Sm 11.1-4) 12.
Les sôptîm, c’est-à-dire les juges, sont à classer sémantiquement
dans la famille des leaders. Le terme, qui indique clairement le leadership
dans le contexte littéraire et historique de la rencontre entre Jéthro et
Moïse, est celui de juge-serviteur (Ex 18.13-27). Par deux fois le terme
apparaît pour désigner l’action de Moïse (juger au v13) ou pour désigner
son service (faire office de juge v16). L’idée de leader serviteur y est
explicitement évoquée quand on considère le but de la présence et de
l’action de Moïse au sein ou auprès du peuple : il était là pour le peuple
c’est-à-dire qu’il faisait tout pour le servir (18.14). Selon le conseil de
Jéthro, Moïse a été exhorté à déléguer son pouvoir de juge-serviteur à
d’autres personnes pour alléger sa tâche (18.22).
Il faut aussi ajouter à la fonction de juge celle de prophètes
(Nevi’im). En effet Moïse est considéré comme le premier prophète de
Dieu. Les prophètes font aussi partie des leaders de l’AT.
On s’aperçoit que le champ sémantique du leadership est très vaste
couvrant également des domaines très variés avec divers personnages.
Toutefois le service et du Seigneur et du peuple semble être la toile de
fond au point où le concept de leader serviteur peut être présenté comme
le modèle vétérotestamentaire du leadership. Car, selon OSEI-MENSAH,
11
PatricK ETOUGHE, op. cit., p. 34.
12
GüntheR BORNKAMM, « Presbus, presbyteros », in Theological Dictionary of the New
Testament, vol. VI, Grand Rapids, Eerdmans, 1968, p. 660.
6
« [a]utant dans l’Ancien que dans le Nouveau Testament, ceux qui sont
élevés au rang de chefs spirituels du peuple de Dieu sont toujours
destinés à servir. […] ils ne sont pas appelés à régner sur le peuple, mais
à le servir »13.
b. La vision néotestamentaire du leadership
Le NT, sans rompre avec le langage évocateur du leadership dans
l’AT, semble mettre un accent particulier sur le leadership serviteur
suivant la redéfinition du leadership faite par Jésus. Quels sont les mots
exprimant la notion dans le NT ?
ETOUGHE a mis en lumière le mot « administrateur »
(kubernêseis) qui est « l’habilité avec laquelle un pilote oriente un
navire »14. Il convoque, au sens figuré, la notion de capacité
administrative, le don du leadership, la capacité managériale. Paul en fait
usage justement pour parler du don d’administrer (1Co 12.28). Selon
BEYER, le terme se réfère à « un don spécifique avec lequel un chrétien
est qualifié pour être pilote [timonier] pour sa congrégation c’est-à-dire
de son maintien d’ordre et de sa vie »15.
Presbyteros (ancien) est aussi un terme du champ sémantique du
leadership du NT. Il peut évoquer, dans les Evangiles, dans Actes, et dans
les Epîtres, soit les personnes âgées (Lc 1.18), soit l’ancien chrétien
(1Tm 4.14), soit, dans l’Apocalypse, des êtres célestes 16 (4.4, 10 ; 11.16).
La notion en cause apparaît surtout dans le texte de Timothée où il est
question du collège des anciens qui ont imposé les mains sur le jeune
Timothée au début de son ministère (1Tm 4.14). Il s’agit ici d’un titre
officiel indiquant que les anciens sont « des leaders d’églises chrétiennes
dûment nommés comme tels et chargés d’accomplir des fonctions
13
GottfrieD OSEI-MENSAH, Le dirigeant : patron ou serviteur?, Abidjan, CPE,
1994, p. 12.
14
PatricK ETOUGHE, op. cit., p. 38.
15
W. H. BEYER, « Kubernesis », in Theological Dictionary of the New Testament, vol. III,
eds., KITTEL G. and FRIEDRICH G, Grand Rapids, Eerdmans, 1965, p. 1036.
16
PatricK ETOUGHE, op. cit., p. 40. G. BORNKAMM, op. cit., p. 668 pense que les
anciens en tant qu’êtres célestes, désignent, dans le livre d’Apocalypse, le conseil des
anciens de Dieu, avec comme vocation unique l’adoration de Dieu.
7
spécifiques »17. Ils ont, dans l’église primitive, un ministère ou leadership
semblable ou identique à celui des apôtres en tant que court suprême et
normative de l’enseignement au sein de l’église locale (Ac 16.4 ;
20.17s)18. Les anciens sont assimilés aux évêques (épiscope), ou
surveillants, avec la fonction principale de veiller sur le troupeau (Ac
20.28).
Il y a également les pasteurs, au sens de bergers, les diacres à
considérer dans le champ sémantique du leadership du Nouveau
Testament. On peut s’interroger sur la fonction réelle du leadership des
prophètes dans la vie de l’Eglise.
On ne saurait exclure du champ sémantique du leadership des termes
classiques mais aussi modernes tels que le « chef » africain, le leader, le
patron, le manager et le directeur, le prêtre, le pasteur. Jean KOULAGNA
donne une analyse assez intéressante des ces termes avec une
perspective africaine19. Selon lui, ces différents termes permettent de
cerner les concepts de leader et de leadership 20. Il note la synonymie
entre le pasteur et le berger en précisant que le rôle général du berger
(pasteur) est de « conduire, guider »21. Ce qui convoque la notion de
leadership. Dans son article sur le ministère pastoral, paru dans
Théologie Evangélique, Christophe PAYA examine au passage le débat
sur le modèle de pasteur-théologien et celui de pasteur-leader 22.
2. Essais de définitions et les fondements bibliques et théologiques
Après examen des termes dans l’Ancien et le Nouveau Testaments,
quelle définition du leadership, et du leader aussi, peut-on formuler ? La
17
G. BORNKAMM, op. cit., p. 654.
18
Ibid., p. 663. BORNKAMM pense que les apôtres et les presbyterois formaient un seul
corps, p. 662.
19
Jean KOULAGNA, « Leadership, discipolat et sacerdoce universel dans les églises
protestantes en Afrique », dans Symposium sur les « théologies africaines et l’impact de
la Réformation », Butaré, (Rwanda), 21 février 2016, pp. 153-158.
20
Ibid., p. 152.
21
Ibid., p. 157.
22
Christophe PAYA, « Le ministère pastoral : redéfinitions et débats récents », ThEv,
vol. 16, 2/2017, p. 52-66.
8
pratique du leadership peut-elle avoir des assises bibliques et
théologiques ?
a. Essais de définitions
Dès lors qu’on connaît les termes du leadership, il est possible de
proposer quelques essais de définitions du concept de leadership.
Reconnaissons la diversité de définitions et la difficulté à trouver une
définition consensuelle, d’où l’idée d’essais !
Pour RADU, le leadership est considéré comme « le processus qui
consiste à influencer les activités d’une personne ou d’un groupe de
personnes dans le but d’accomplir les objectifs d’une organisation »23.
SANDERS écrit, en citant Lord Montgomery, que « le leadership est la
capacité à [sic], et la volonté de rassembler des hommes et des femmes
pour un but commun, et le caractère qui inspire la confiance »24. Ou
encore « le leadership peut être défini comme la qualité qui, dans un
leader, inspire suffisamment de confiance à ses subordonnés pour que
ceux-ci acceptent ses façons de voir et exécutent ses ordres »25. Le
« leadership est la capacité à reconnaître les aptitudes et les limitations
particulières des autres, combinée avec le talent de pouvoir placer
chacun dans un travail où il donnera le meilleur de lui-même »26. Enfin,
citant le Président TRUMAN, il définit le leader comme « une personne
qui a la capacité de faire faire aux autres ce qu’ils n’ont pas envie de
faire, et de l’aimer ! »27. De l’avis de SANDERS, c’est le meilleur type de
leadership que de faire faire le travail par des gens bien qu’ils n’aient
pas eu l’envie de le faire28. Dans ces définitions, l’accent tombe soit sur la
capacité ou la volonté du leader à rassembler et à influencer, soit sur la
23
CatalinA RADU, « Leadership and Gender Differentiation », Review of International
Comparative Management, 2011, vol. 12, no 3, p. 456.
24
J. OswalD SANDERS, op. cit., p. 22. La citation, dans l’original en anglais, est plus
claire que la version française car nous lisons ceci : “Leadership is the capacity and will
to rally men and women to a common purpose, and the character which inspires
confidence”, J. Oswald SANDERS, Spiritual Leadership. Principles of Excellence for
Every Believer, Chicago, Moody Publishers, 1967, p. 27.
25
Ibid.
26
Ibid., p. 164.
27
Ibid., p. 23.
28
Ibid., p. 164.
9
confiance qu’il suscite par son caractère, soit sur son habilité à faire faire
les choses par d’autres personnes.
Le leadership chrétien, qui nous intéresse au premier plan, tout en se
rapprochant du leadership général, fait tomber l’accent sur d’autres
éléments ou les implique dans sa définition aussi bien que dans sa
pratique. L’idée de service et le rôle et la place de l’Esprit, voire les dons
de celui-ci, sont des facteurs déterminants pour le leadership spirituel,
comme ETOUGHE, OSEI-MENSAH, et SANDERS l’ont fait remarquer.
Selon ETOUGHE, le leadership spirituel, ou chrétien, est « la
possibilité de permettre à la volonté de Dieu d’agir pour son peuple, à
travers nous »29. Il continue en disant que « le leadership est donc la
disposition à suivre Dieu contre les évidences et à agir selon ses plans et
non en fonction du grand nombre »30. Selon SANDERS, le « leadership
spirituel consiste en une puissance spirituelle supérieure, et il ne peut
jamais se générer lui-même ! Un leader spirituel qui se ‘serait fait lui-
même’, n’existe pas »31. C’est un « mélange de qualités naturelles, et
spirituelles »32. OSEI-MENSAH, décrivant le leader, a écrit que « [l]e
responsable doit être capable de discerner les dons des autres ; il doit
aussi aider les chrétiens à développer leurs talents et leur donner
l’occasion de les exercer »33. Son rôle ou sa responsabilité consiste à
aider le peuple de Dieu à découvrir ses dons et trouver les moyens de les
développer34.
Les différentes définitions du leadership spirituel et chrétien montrent
nettement qu’il ne s’agit pas seulement d’une capacité ou influence
naturelle acquise et exercée sur un groupe. Bien que SANDERS aille un
peu dans ce sens. Toutefois l’idée centrale est celle du service et un
service du peuple que seul l’Esprit donne d’accomplir aux moyens des
dons de l’Esprit. Les qualités naturelles sont certes mises à contribution
29
PatricK ETOUGHE, op. cit., p. 30.
30
Ibid., p. 32.
31
J. OswalD SANDERS, op. cit., p. 24.
32
Ibid., p. 23.
33
GottfrieD OSEI-MENSAH, op. cit., pp. 64-65.
34
Ibid., p. 16.
10
mais les qualifications spirituelles sont une valeur ajoutée rendant
possible un véritable leadership chrétien.
b. Le principe fondamental et les fondements théologiques du
leadership chrétien
De l’avis de beaucoup de théologiens, le principe fondamental du
leadership chrétien tiendrait à un seul fait : le service. Mais tout leader
chrétien, qui veut réussir, ne doit pas ignorer les fondements mêmes de
ce service important pour son leadership.
i. Le principe du leadership serviteur35.
Les théologiens le disent, la Bible le confirme et le pose en principe.
Le leadership chrétien est un leadership basé sur le service. ETOUGHE a
noté cela en ces mots : « [l]e leadership spirituel n’est pas la poursuite
des postes, des avantages ou du pouvoir, mais l’enthousiasme intense à
réaliser une tâche noble pour le bien commun ».36 Il continue en disant
que « le leadership pieux devrait être redéfini comme des services loyaux
rendus à Dieu et à son peuple »37. SANDERS trouve que le terme leader
n’est pas fréquent dans la Bible mais le plus fréquent est celui de
« serviteur »38, et « servir », selon lui, « était la définition de Jésus pour le
leadership »39. Le dirigeant est-il un patron ou un serviteur ? A la
question, OSEI-MENSAH a répondu en défendant la thèse selon laquelle
« le modèle de dirigeant que les Ecritures proposent au peuple de Dieu,
est plutôt celui que nous pourrions appeler le dirigeant-serviteur »40.
« Aux yeux de Dieu, est grand celui qui se donne en servant les autres »41
dit-il. La description du leader serviteur par DAVIDSON met en lumière
l’idée de service quand il le décrit comme « quelqu’un dont la nature est
caractérisée par le service rendu à Dieu et aux autres, possédant un
35
L’expression « leader serviteur » semble avoir été utilisée et développée pour la
première fois par Robert K. GREENLEAF dans son écrit The Servant as Leader, 1970.
36
PatricK ETOUGHE, op. cit., p. 33.
37
Ibid.
38
J. OswalD SANDERS, p. 15.
39
Ibid., p. 148.
40
GottfrieD OSEI-MENSAH, op. cit., p. 12.
41
Ibid., p. 18.
11
cœur de serviteur, et un tel individu n’a pas besoin d’être dans une
position ou dans un office de responsabilité pour exercer le
leadership »42.
Le type de leadership, axé sur le service promu par les théologiens,
se trouve être celui que le donné biblique prône pour l’Eglise de tous les
temps. Le lieu classique où le concept de leader serviteur est clairement
énoncé dans la Bible est la section où Jacques et Jean ont demandé à
Jésus de leur accorder des places d’honneur (Mc 10.35ss ; Mt 20.20-28).
Ils veulent s’asseoir l’un à la droite et l’autre à la gauche de Jésus (Mc
10.37). Dans la réponse de Jésus se dégagent des vérités fondamentales
sur le leadership révélant deux types de leadership. Il s’agit du leadership
de domination et d’oppression pratiqué dans le monde (10.42), et le
leadership guidé et motivé par le service, recommandé par Jésus (10.43-
44). Jésus lui-même se donne comme modèle et exemple de ce type de
leadership en affirmant qu’il est venu pour servir et donner sa vie en
servant les autres (10.45).
Le sens spirituel et théologique du lavage des pieds des disciples par
Jésus est une interpellation à agir en tant que leader serviteur (Jn 13.2-
18). On retient que Jésus condamne le leadership de domination et
valorise celui du service43. Pierre, s’adressant aux pasteurs ou bergers,
les enjoint de paître le troupeau sans le tyranniser (1Pi 5.2-3). L’apôtre
Paul, quoiqu’étant un apôtre (2 Co 1.1 ; Gal 1.1), donc un leader chrétien,
s’est aussi défini comme serviteur ou esclave du Seigneur (Rm 1.1 ; 1Co
1.1 ; Ph 1.1). Bibliquement, le leadership authentique ne peut s’affranchir
de l’idée de servitude. C’est d’ailleurs cette servitude qui constitue la clé
du leadership chrétien (Mc 10.43).
42
Richard M. DAVIDSON, op. cit., p. 18. “A servant leader is someone whose nature is
characterized by service to God and to others, possessing a servant’s heart, and such an
individual need not to be in a position or office of responsibility of exercise leadership”.
43
GottfrieD OSEI-MENSAH, op. cit., p. 13. « Lorsque nous en arrivons au Nouveau
Testament, nous constatons que Jésus-Christ met en avant le même modèle, aussi bien
en paroles qu’en actes. Il présenta à ses disciples le type de chef spirituel auquel ils
devaient aspirer. D’abord il faisait référence au modèle en vigueur à l’époque qui, tout
comme maintenant, s’exprimait en termes de statut, de domination et contrôle. Il rejeta
formellement ce modèle et insista, bien au contraire, sur l’humilité du service qui doit
caractériser une direction assumée par ses disciples ».
12
ii. Les fondements bibliques et théologiques du leadership chrétien
Le leadership chrétien se caractérise par le service et cet aspect
fondamental se justifie théologiquement par un certain nombre
d’éléments qui sont la souveraineté de Dieu, la Seigneurie du Christ, et
l’exemplarité du Christ en tant que leader serviteur.
Pour KOULAGNA, « [l]a compréhension de la notion de chefferie dans
les langues et cultures africaines influence, consciemment ou
inconsciemment, la conception et le vécu du leadership dans les Etats et
les églises en Afrique »44. Une telle influence pourrait faire croire aux
chrétiens que les vrais fondements sont dans la pratique et la culture
courantes du leadership en Afrique. Ainsi le leader chrétien peut-il penser
qu’il est le seul chef dans l’église comme le chef du village. En effet, le
leadership chrétien doit être fondé sûrement sur l’idée que Dieu seul est
chef ; et le leader n’est qu’un représentant de l’autorité venant de Dieu 45.
SANDERS va dans le même sens que KOULAGNA en disant que
le « leadership spirituel [dans ses fondements] implique la souveraineté
divine »46. Sans cette mise en relation du leadership avec la souveraineté
de Dieu, le leader chrétien ne sera jamais un leader serviteur, soumis à
Dieu, mais un dictateur qui se sert en voulant soumettre le peuple. Il
pourrait même se faire passer pour un dieu et penser que tout pouvoir lui
appartient.
Un autre élément fondamental dans l’assise théologique du leadership
chrétien est la seigneurie de Jésus-Christ. Qu’entend-on par « seigneurie
de Jésus-Christ » en relation avec le leadership ? L’expression évoque que
Jésus-Christ est Seigneur et qu’il est confessé comme tel par le leader
chrétien. Cela se fait au moyen de la conversion (1Co 12.3). Un leader qui
44
J. KOULAGNA, op. cit., p. 153.
45
Ibid., p. 164. L’auteur décrit comment le leadership biblique est fondé par l’idée selon
laquelle Dieu est chef en ces mots : « Dans l’ensemble, le leadership biblique est fondé
sur l’idée que Dieu est le chef de son peuple et de l’ensemble de la création, et que toute
autorité vient de lui. Celle-ci est appelée à s’exercer dans la relation à Dieu qui la fonde.
Le dirigeant ne dispose donc que d’une parcelle de l’autorité et doit l’exercer dans sa
soumission à Dieu ».
46
J. OswalD SANDERS, op. cit., p. 17.
13
ne confesse pas cette seigneurie du Christ est simplement un inconverti
et par conséquent incapable d’être un serviteur de Jésus-Christ et de son
peuple. Puisque « [t]out enseignement sur le leadership d’un serviteur de
Dieu repose sur le fait biblique fondamental suivant : Jésus est Seigneur.
Notre service présuppose sa seigneurie »47. La tyrannie du leadership
dans l’église laisse croire qu’il y a un véritable problème spirituel
d’inconversion48.
Il faut également souligner l’exemplarité de Jésus, le leader serviteur
par exemple, comme le modèle qui nous est laissé et qui fonde aussi notre
discours et notre pratique du leadership chrétien. STOTT a su bien le
souligner en parlant de la nouveauté du leadership introduit par Christ
en ces mots : « [r]appelons-nous que le Christ a inauguré dans le monde
un nouveau style de commandement [leadership] : par le service et
l’exemple, et non par la contrainte et la force »49. On peut partager l’avis
de KOULAGNA sur ce point quand il dit que « [l]e leadership de l’Eglise
se fonde sur le modèle de Jésus »50. Lorsque Jésus a lavé les pieds de ses
disciples, il l’a fait en tant que leader. Le but manifeste de cet acte a été
de montrer le chemin du leadership serviteur à ses disciples en leur
donnant son propre exemple à perpétuer (Jn 13.15).
Pour reproduire l’exemple du maître, il y a lieu d’insister sur
l’affirmation de Jésus selon laquelle le disciple n’est pas plus grand que
son maître (Jn 16). Ainsi « [ê]tre leader dans l’Eglise, c’est être disciple
du Christ. Mais c’est aussi faire des disciples pour le Christ. Leadership,
discipolat, et mission deviennent donc indissociables »51. L’ordre
missionnaire (Mt 28.19s) peut s’accomplir quand le leadership est vu et
vécu comme un service rendu aux autres. En fait, le bon leader est un
47
GottfrieD OSEI-MENSAH, op. cit., p. 31.
48
Ibid., p. 37. « Il faut prendre au sérieux la seigneurie de Jésus-Christ. Ce n’est que si
nous sommes convertis, si nous savons dans la réalité des faits ce que signifie nous
soumettre à Jésus et respecter sa parole jour après jour, et si nous renonçons à nos
idées personnelles pour nous laisser guider par les Ecritures et le Saint-Esprit, que nous
serons en mesure de servir les autres en son nom ».
49
R. W. JohN STOTT, Le chrétien à l’aube du XXIe siècle. Vivre aujourd’hui la Parole
éternelle de Dieu, vol. II, Coll., Sentier, Québec, Clairière, 1995, p. 74.
50
J. KOULAGNA, op. cit., p. 168.
51
Ibid., p. 169.
14
disciple de Jésus, qui fait des disciples. Le mandant missionnaire n’est
autre chose que de faire des disciples.
II. Revue du leadership et pièges de son exercice selon la
Bible
1. Typologie du leadership
a. Les théories et modèles majeurs du leadership
Il y a des théories et des modèles proposés souvent pour le
leadership. A cet effet, on dégage souvent des axes ou des orientations
majeurs pouvant aider à comprendre la typologie du leadership
aujourd’hui. Ainsi entendons-nous parler de leadership transformationnel,
de leadership situationnel, le leadership transactionnel, le leadership
‘laissez-faire’. Il y a du continium en la matière dans la mesure où on peut
partir du leadership situationnel en passant par les autres pour aboutir
au type ‘laissez-faire’.
Le leadership situationnel (modèle de Paul Hersey et Kenneth
Blanchard) met en tension la situation, ou le contexte, et les
collaborateurs pour trouver l’homme qu’il faut. Les aptitudes et qualités
du leader ne sont pas les seuls déterminants, mais la situation aussi sans
oublier les besoins des collaborateurs. La relation du leader avec les
coéquipiers est capitale et demeure le facteur critique pour le succès du
travail du leader. La particularité de ce type est de permettre au
manager de questionner son style de management et surtout,
d’apprendre à l’ajuster, à le doser et à le faire évoluer en tenant compte
du contexte (situation et besoins des autres).
Diriger (S1) - Les leaders dictent à leur population exactement
ce qu'il faut faire et comment le faire et quand le faire. Style
directif.
15
Persuader (S2) - Les dirigeants fournissent de l'information et
orientent leurs subordonnés. La communication est meilleure
que dans le cas S1. Style persuasif
Participer (S3) - Les leaders se concentrent davantage sur la
relation et moins sur la direction. Le leader travaille avec
l'équipe et il partage ses responsabilités décisionnelles.
Déléguer (S4) - Les leaders transfèrent la plupart des
responsabilités sur le sujet ou sur un groupe de subordonnés.
Les dirigeants gardent toujours un œil sur les progrès, mais ils
sont moins impliqués dans les décisions. On a un style de laissez-
faire plus ou moins a cette étape.
Le leadership transactionnel. Ce type de leadership met en
œuvre à la fois les récompenses et les sanctions pour conduire le groupe.
L’idée de transaction est centrale. Il met l’accent sur trois éléments :
l’ordre, la structure, et la planification axée sur les objectifs. Les
éléments clés sont surtout, les règles, la motivation (récompense) et la
punition. Ce type est efficace dans des contextes où les problèmes sont
moins compliqués et clairement définis.
Le leadership transformationnel est un type qui vise à changer
et à transformer les gens. Il les amène à se surpasser en dépassant leur
propres limites. Le leader est doté d’une forte capacité à influencer de
façon positive la progression et le développement des personnes sous sa
responsabilité. Le leadership transformationnel est proactif à la
différence du leadership transactionnel qui est réactif. Ce style de
leadership permet aux employés d'être créatifs, de penser avec audace et
d'être prêts à proposer de nouvelles solutions grâce au coaching et au
mentoring. Attention ! Ce type est adapté aux vieilles entreprises qui ont
besoin de changement !
Le leadership démocratique
16
Le leadership du laissez-faire. On cite Albert Benjamin
SIMPSON comme étant un leader du style ‘laissez-faire’ car on dit de lui
« qu’il faisait confiance aux personnes en charge des diverses institutions
et les laissait libres d’exercer leurs propres dons »52.
Le leadership du Seigneur peut être identifié à ce type car il a su
former, équiper, et envoyer ses disciples. Car, comme le père m’a
envoyé, moi aussi je vous envoie a-t-il dit à ses disciples (Jn 20.21). Un
bon leader doit savoir quand laisser-faire les autres.
Quand on parle de typologie du leadership, il peut s’agir de niveaux
de leadership qui s’inscrivent dans la logique de continuité sans
opposition radicale. John MAXWELL présente un leadership à 5 niveaux
qu’il convient de survoler.
b. Exemples de leaders dans la Bible
Néhémie est le personnage le plus en vue quand on évoque le
leadership biblique. Il a été étudié et son cas continue de faire école. Il
est qualifié de « leader exemplaire »53 par SANDERS. On peut dire qu’il a
été un leader modèle par son caractère et par sa méthode de travail. Il a
été un homme de prière54, courageux, soucieux du réel bien-être de son
peuple, prévoyant et prudent55. Il était un homme prêt à remplir sa
mission malgré les difficultés inhérentes à cette mission 56. Sa stratégie a
consisté entre autres à remonter le moral du peuple, à organiser le
travail, à apprécier et encourager le peuple, et à restaurer l’autorité de la
Parole de Dieu57.
Il y a également Joseph, le premier ministre du Pharaon. Davis BILLIE
le qualifie de « dirigeant dans l’esclavage »58. La vérité qui se dégage du
leadership de Joseph est qu’une « personne dans une position humble
52
J. OswalD SANDERS, op. cit., p. 166.
53
Ibid., p. 196.
54
Ibid.
55
Ibid., p. 197.
56
Ibid., p. 198.
57
Ibid., pp. 198-201.
58
BILLIE DAVis, Etude du leadership chrétien. Des hommes, des tâches et des
buts, Springfield, Global University, 2000, p. 23.
17
peut être en même temps un dirigeant efficace »59. On reconnaît en lui,
tout comme en Néhémie, « un homme sage et averti ou aussi prudent »,
ou « un homme patient »60, un homme « exempt de tout signe d’orgueil ou
d’arrogance »61.
On ne peut pas occulter le leadership de Moïse car, comme le dit
BILLIE, « [l]’histoire de Moïse est celle d’un dirigeant »62. L’homme
« s’est mis très tôt à éprouver des sentiments d’empathie. Il s’intéressait
aux gens. Soucieux de leur condition, il désirait leur venir en aide »63.
Mais son leadership, dans son approche, était comme « celui du
dirigeant trop zélé, qui cumule toutes les responsabilités »64. Le
changement d’approche viendra lorsque Moïse fit la rencontre de Jéthro
(Ex 18.13ss). Désormais il va exercer un leadership axé sur la confiance,
sur la délégation du pouvoir, et la répartition des tâches (18.17-24).
Enfin dans le Nouveau Testament, Paul, le théologien incontesté et
plus grand auteur, a également été un grand leader, « un leader dans le
plan de Dieu »65 selon BILLIE, et « l’un des leaders les plus talentueux
que l’église ait jamais connu »66. D’entrée de jeu, on voit en lui, comme
qualité, « un homme capable d’influencer les autres »67 ; « il agit avec
audace »68. Il est un modèle ou « l’exemple d’un serviteur de Dieu qui a
toujours eu le souci de former des jeunes pour prendre la relève »69. Il a
aussi été un leader visionnaire car son ministère apostolique était orienté
vers les nations païennes, peuples non encore atteints par l’Evangile (2
Co 10.15-16).
59
Ibid., p. 24.
60
Ibid., p. 28.
61
KennetH PRIOR, Le responsable chrétien, Coll., Sources, Mazerolles,
Empreinte, 1993, p. 116.
62
BILLIE DAVis, op. cit., p. 42.
63
Ibid., p. 43.
64
GottfrieD OSEI-MENSAH, op. cit., p. 20.
65
BILLIE DAVis, op. cit., p. 70.
66
J. OswalD SANDERS, op. cit., p. 37.
67
BILLIE DAVis, op. cit., p. 71.
68
Ibid.
69
GottfrieD OSEI-MENSAH, op. cit., p. 78.
18
Jésus : quel type de leadership a-t-il pratiqué ? Le leadership
modèle de Jésus sera présenté au moyen de l’article très intéressant de
Gabriel Kofi Boahen Nsiah70.
2. Pièges liés à l’exercice de l’autorité
Si l’Eglise a besoin de leaders qualifiés pour se développer, le
leadership a lui-même des pièges et problèmes qui mettent en mal son
développement. Mieux vaut connaître lesdits problèmes en vue d’en faire
face en tant que leader. Il y a des types de leadership, ou selon
l’expression de John STOTT, des « anti-modèles »71, à éviter : « le chef
trop pointilleux », « le dirigeant faible et trop tolérant », et « le dirigeant
insensible »72. Il y a aussi l’orgueil, l’égotisme, la jalousie, la popularité,
l’infaillibilité, l’indispensabilité, l’exaltation et dépression, prophète ou
leader, et la disqualification qui sont des dangers mis en évidence par
SANDERS73. Nous insistons sur les trois types à éviter proposés
par MENSAH.
OSEI-MENSAH décrit « le chef trop pointilleux », comme étant un
leadership ou le dirigeant est trop zélé ; il cumule toutes les
responsabilités car, selon lui, personne en dehors de lui n’est capable
d’assumer des responsabilités. Sa vision du leadership peut se résumer à
cette courte phrase : « Moi, rien que moi ! »74. Le danger d’une telle
conception de la responsabilité et du travail est que l’on veut tout faire et
on pense qu’on doit tout faire et seul. La conséquence est que le leader
s’épuise et les résultats sont maigres et même médiocres sans oublier la
lenteur d’exécution du travail. On méprise les capacités et talents des
autres et on se met au centre. Moïse, au début de son leadership,
70
Gabriel Kofi Boahen Nsiah, “Leading as Jesus Led : Christ Models of Leadership”, in
Journal of Leadership, vol. 2, No 4/2013, pp. 103-105
71
R. W. JohN STOTT, op. cit., p. 79.
72
GottfrieD OSEI-MENSAH, op. cit., pp. 20-29. L’auteur développe les trois types de leaderships
à éviter, en faisant des mises en garde assez claires, sur le danger qu’ils peuvent
représenter pour le leader et pour le peuple ou l’Eglise.
73
J. OswalD SANDERS, op. cit., pp. 183-1195. L’auteur passe en revue ces dangers
référés plus haut. Il n’est point nécessaire de développer ces points, qui peuvent, au
moyen d’une analyse poussée, se retrouver dans les types à éviter qui connaîtront un
traitement détaillé.
74
GottfrieD OSEI-MENSAH, op. cit., p. 20.
19
correspond à ce type de leader. Car, à lui seul, il voulait porter le fardeau
de plus de 600.000 personnes (Ex 18.13-16). L’évaluation portée par
Jéthro sur le leadership de Moïse est très sévère : « ce que tu fais n’est
pas bien … » (18.17-18). La mauvaise conception du leadership, par le
pasteur ou les fidèles, fait que le pasteur veut tout faire ou on pense qu’il
devrait tout faire. Une église ne saurait se développer avec un tel
leadership. L’église meurt parce qu’il n’y a pas un cadre d’expression et
d’éclosion des talents75.
Il y a aussi, à l’opposé du leader qui s’accapare seul du pouvoir, celui
qui est trop faible et incapable d’exercer une vraie autorité sans être
autoritariste. C’est le dirigeant trop faible et trop tolérant. En fait, ce type
de leader se dit : « Je ferme les yeux [et je laisse faire] »76. OSEI
MENSAH, dans sa critique, affirme justement que « [c]ela a pour
résultat l’anarchie spirituelle »77. Un tel danger guète tout leader qui veut
être doux et gentil avec tout le monde craignant de frustrer ou de blesser
les autres dans l’exercice de son autorité. Le sacrificateur Elie a exercé
son autorité en cédant à la faiblesse et à l’excès de tolérance vis-à-vis de
ses enfants. Ses enfants étaient sans moral (1Sm 2.12) et commettaient
des abus dans l’exercice de leur fonction sacerdotale (2.13-17) ; malgré
cela, ils étaient honorés plus que Dieu par Elie leur père (1Sm 2. 29).
Pour n’avoir pas été selon le cœur de Dieu, le leadership sacerdotal lui a
été retiré et confié à une autre famille et ses enfants punis à mort (2.30).
On peut décrire le leadership d’Elie comme un « leadership inversé »78
selon les termes de SANDERS.
75
J. OswalD SANDERS, op. cit., p. 176. De la responsabilité qu’a le leader de se
reproduire et de se multiplier, l’auteur a écrit qu’«il en découle que le leader doit
donner à ses subordonnés un espace adéquat pour l’exercice et le développement de
leurs capacités ».
76
GottfrieD OSEI-MENSAH, op. cit., p. 24.
77
Ibid., p. 25.
78
J. OswalD SANDERS, op. cit., p. 14. Le « leadership inversé » est, selon cet auteur, un
leadership où le leader lui-même, au lieu de conduire le peuple vers les hautes terres
spirituelles, donc vers le haut, est paradoxalement entrainé inconsciemment vers les
bas-fonds par le peuple à cause de sa faiblesse et de sa tolérance excessive vis-à-vis de
son peuple. Le leader cesse d’être le guide ou celui qui montre le chemin et conduit
mais il est lui-même conduit et influencé par le peuple.
20
Le leadership de type autoritariste est un danger permanent même
dans l’Eglise. Ce leader se dit : « c’est moi qui commande ici ! »79 ; il
reste alors insensible à toute nouvelle orientation proposée par d’autres.
L’exemple biblique type est Roboam, le fils de Salomon. Un jeune roi,
arrogant et méprisant la sagesse des vieilles personnes (1R 12.6-7), qui a
développé un leadership autoritariste suivant le conseil de ses amis
d’enfance en soumettant plus encore le peuple à la servitude (1R 12.8).
En conséquence, il a perdu le contrôle des 10 autres tribus d’Israël,
tombées sous la juridiction de son rival politique, Jéroboam (1R 12.20).
Obsession, arrogance, et mépris et aliénation des autres constituent les
méfaits d’un tel leadership.
Un des dangers du leadership dans le contexte africain, est la
pesanteur ethnique et familiale qui ne donne pas droit de cité à
l’impartialité dans l’exercice du pouvoir. Du choix « démocratique » du
leader à l’exercice du pouvoir par le leader, la fausse conception du
pouvoir par la mère des fils de Zébédée (Mt 20.20) oriente
malheureusement les stratégies politiques. Tant que le leadership va
continuer de porter les couleurs ethniques et familiales, un fait favorisé
souvent par la démocratie, l’Eglise sera toujours en manque de véritables
leaders serviteurs. L’Eglise est un corps ; sa diversité et son unité
devraient être prises en compte dans l’exercice du pouvoir en son sein.
III. Conditions du leadership, caractéristiques, et qualités ou
aptitudes du leader
Naît-on leader ou le devient-on ? C’est une question à laquelle
différentes réponses, souvent contradictoires, peuvent être données 80.
79
GottfrieD OSEI-MENSAH, op. cit., p. 26.
80
PatricK ETOUGHE, op. cit., p. 29. Rappelons que selon cet auteur le leadership n’est
pas inhérent à l’humain mais est trouvé en Dieu. Il affirme que « le leadership spirituel
n’est pas une capacité génétique innée ». On peut mieux appréhender la question en
suivant la distinction faite par SANDERS, dans son livre, entre le leadership naturel et
le leadership spirituel. Une telle distinction laisse croire qu’il y a bien un leadership
naturel, voire potentiel ou inné. K. PRIOR, op. cit., p. 94 parle de Pierre comme « un
responsable-né » ce qui sous-entend un leader de naissance.
21
Dans la perspective biblique, pour être un bon leader, il faut obéir à
certaines conditions spirituelles ; et avoir des qualités et aptitudes
spirituelles ne fera que renforcer le leadership.
1. Conditions spirituelles
Si l’idée de condition renvoie à ce qui est indispensable, on est en
droit de se demander à quelles conditions bibliques doit-on répondre pour
être un dirigeant selon l’Ecriture ? La conversion, condition sine qua non
de toute action et engagement chrétiens, vient en tête de liste mais elle
reste, en amont, le chef-d’œuvre de l’Esprit. On ne peut donc pas
droitement parler de conditions spirituelles en excluant le rôle capital et
primordial de l’Esprit.
a. Conversion/foi
Du rapport de la conversion au leadership chrétien, OSEI-MENSAH
a écrit ceci : « [u]ne réelle conversion est donc la première condition
requise pour tout responsable dans l’œuvre de Dieu ; elle seule permet au
dirigeant d’appeler loyalement Jésus ‘Seigneur’ en pensant sincèrement
ce qu’il dit »81. En effet, la conversion n’est rien d’autre que l’acceptation
de Jésus comme Seigneur dans la vie d’un homme. Une telle acceptation
suppose une obéissance parfaite au Seigneur (Lc 6.46). Etant donné que
le leadership est un service rendu à Dieu, et à son peuple, on ne peut
être leader que lorsque sa vie est soumise au Seigneur. Au cas contraire
un leader inconverti ne peut servir ni le Seigneur ni son peuple mais il se
servira lui-même et restera un tyran ou leader selon le principe du
monde.
Le bon leader sait se reproduire en produisant d’autres leaders.
Mais comment peut-on être dirigeant à l’image de Jésus sans une relation
personnelle avec lui ? Ainsi « [i]l est hors de question que nous puissions
être des leaders chrétiens si nous n’avons pas nous-mêmes un Seigneur
[leader] avec lequel nous entretenons des relations personnelles »82. A.
81
GottfrieD OSEI-MENSAH, op. cit., p. 36-37.
82
Ibid., p. 33.
22
KUEN a fait savoir que « [t]oute la pédagogie [du leadership] de Jésus
est fondée sur une relation personnelle avec ses disciples »83. Hors de
Jésus, nous n’avons aucun repère de leadership, aucun modèle, aucun
patron à imiter. Rappelons-nous que, dans la couture, patron signifie un
modèle. Le leadership transformationnel n’est possible que lorsque le
cœur de l’homme lui-même est transformé, car de lui viennent les sources
de la vie, nous dit la Parole de Dieu (Pr 4.23). De lui peuvent aussi venir
les mauvais désirs du leadership. On peut dire que le cœur converti fait le
leader tout comme « le cœur fait le théologien »84 selon l’article de
BLOCHER. Ainsi les dangers du leadership, que nous avons signalés, ne
peuvent être évités que par un leader au cœur circoncis ou converti.
b. Renouvellement de l’intelligence
L’injonction de Paul au sujet du renouvellement de l’Esprit
s’adresse certes à tout chrétien (Rm 12.2) mais elle vaut plus
particulièrement pour le leader spirituel. Tout est question d’intelligence
dans la vie dit-on. Ne dit-on pas d’un joueur qu’il a une intelligence du
foot ? Ainsi peut-on aussi dire d’une personne qu’il a une intelligence du
leadership. Mais cette intelligence ne doit pas être statique mais elle doit
savoir se mettre à jour. C’est cela le renouvellement de l’intelligence.
Contrairement à la conversion, qui est un acte ponctuel et initiatique, le
renouvellement de l’intelligence est un processus continu car
l’intelligence ne se renouvelle pas automatiquement85.
S’il est vrai que « l’homme vit conformément à ce qu’il pense »86, le
leadership sera alors à l’image de la dynamique intellectuelle du leader
lui-même, une dynamique spirituelle car le leader a la pensée du Christ ;
cette dernière étant une faculté spirituelle qui transforme la façon de
penser et d’agir du leader chrétien87. Le renouvellement de l’intelligence
est important pour le leadership car « [s]i nous voulons des responsables
83
AlfreD KUEN, Jésus, Paul et nous : formateurs, Saint-Légier, Emmaüs, 2000, p. 13.
84
H. BLOCHER, “Le cœur fait le théologien”, in La Bible au microscope. Exégèse et
théologie biblique, vol. 1, Vaux-sur-Seine, Edifac, 2006.
85
GottfrieD OSEI-MENSAH, op. cit., p. 38.
86
Ibid., p. 39.
87
Ibid., p. 40.
23
capables de s’abaisser pour se mettre au service de la communauté
chrétienne, il faut attendre d’eux une intelligence renouvelée »88.
En fait quelqu’un qui conçoit le leadership traditionnellement ou
selon le monde ne peut pas devenir un leader serviteur. Cela est contraire
à l’esprit ou à l’intelligence du leadership selon le monde. Pierre n’avait
pas l’esprit renouvelé pour comprendre l’acte posé par Jésus en lavant les
pieds des disciples. Il avait pensé le leadership selon les paradigmes
traditionnels : c’est le plus petit ou l’esclave qui fait ce genre de boulot
(Jn 13.6, 8). Seule l’intelligence renouvelée permet de penser les choses
autrement et différemment des anciennes pratiques du leadership mais
conformément à la pensée de Dieu. On peut avoir cette intelligence
renouvelée grâce à l’œuvre régénératrice de l’Esprit et par la
connaissance de la Parole de Dieu89.
c. Le leadership de l’Esprit de Dieu
Beaucoup de raisons théologiques font croire que le leadership dans
l’Eglise ne peut se faire sans l’action de l’Esprit de Dieu. On pourrait
même dire que l’Esprit dirige ou gouverne en réalité l’Eglise ; il l’anime
et lui donne vie comme son souffle. Ce n’est donc pas pour rien, sans
aucune raison théologique valable, qu’on a coutume de dire que l’Eglise
est née à la Pentecôte. On ne peut être leader chrétien que lorsqu’on est
rempli de l’Esprit de Dieu. La Bible va clairement dans ce sens en
mettant en tension le choix des diacres de l’église primitive avec la
plénitude de l’Esprit (Ac 6.3-5). La nomination des responsables dans
l’Eglise suivant la perspective profane, non spirituelle, est désastreuse
pour le développement de l’Eglise90.
88
Ibid., p. 39.
89
Ibid., p. 44-45. Faisant le lien entre la conversion et le renouvellement de
l’intelligence, comme conditions pour le leader chrétien, l’auteur écrit : « [u]n serviteur
de Dieu qui aspire à la responsabilité doit donc non seulement être converti, mais aussi
être constamment renouvelé dans son intelligence. Il doit veiller à nourrir
continuellement les aspirations que Dieu fait naître et à y répondre, par l’Esprit et par la
Bible ».
90
J. OswalD SANDERS, op. cit., p. 89. « La nomination d’hommes ayant une perspective
profane ou matérialiste empêche le Saint-Esprit de réaliser son programme pour l’Eglise
dans le monde ».
24
SANDERS note le caractère indispensable de la plénitude de
l’Esprit dans la vie du leader en ces mots : « [l]a plénitude du Saint-Esprit
est une expérience essentielle et indispensable pour le leader spirituel. Et
chacun d’entre nous est autant rempli de l’Esprit qu’il le veut bien »91.
Quelque soit le sens donné à l’idée de plénitude, il est évident que « le
leadership spirituel ne peut être exercé que par des hommes remplis de
l’Esprit »92. La direction de l’Esprit dans la vie des leaders est un facteur
important pour l’accomplissement de l’œuvre de Dieu 93. L’exemple du
leadership réussi que nous a laissé Jésus est d’être rempli et conduit par
l’Esprit. L’homme Jésus a mis le leadership de l’Esprit au premier rang
dans son ministère car il a été rempli de l’Esprit ou conduit par l’Esprit
(Lc 4.1, 14, 18 ; Jn 3.34 ; Ac 10.38).
Qui parle de l’Esprit, comme une condition pour le leadership, ne
peut s’empêcher de parler des dons de l’Esprit. On trouve l’appui
biblique, en faveur du leadership dans l’Eglise comme don de l’Esprit,
chez l’Apôtre Paul. Dans l’Epître aux Romains, il parle du don de
direction : que celui qui dirige, le fasse avec empressement (Rm 12.8).
L’étude du terme kubernêseis a déjà mis en lumière cette vérité
profonde. A partir d’une analyse rapide du texte faisant mention des dons
de l’Esprit, tels que le don de la prophétie, l’apostolat, ou le don
d’évangéliste, on peut, par analogie et sans contredit biblique, parler de
leadership par vocation. SANDERS écrit que « [q]uiconque est appelé
par Dieu au leadership peut s’attendre avec confiance à ce que le Saint-
Esprit l’ait doté des dons spirituels indispensables, car leur but est de
qualifier leur possesseur pour le ministère qui lui a été attribué auprès du
Corps du Christ »94. Il est évident que, selon l’auteur, le leadership est un
don parmi tant d’autres. BILLIE fait savoir qu’une des caractéristiques
du leader est « le sentiment de l’appel de Dieu ou de la mission »95. Il
91
Ibid., p. 93.
92
Ibid., p. 88.
93
BILLIE DAVis, op. cit., p. 18. « L’un des aspects importants du plan de Dieu est que
l’œuvre du Seigneur doit être accomplie par des hommes et des femmes qui sont
conduits tous par le Saint-Esprit, revêtus de Sa puissance ».
94
J. OswalD SANDERS, op. cit., p. 94.
95
BILLIE DAVis, op. cit., p. 29.
25
peut même parler clairement du leadership comme étant un don, le don
d’administration ou de direction, en vue de coordonner les
responsabilités et opérations au sein de l’Eglise96.
L’Eglise doit réinterroger ses méthodes et ses pratiques relatives au
choix des responsables. Cherche-t-on vraiment des gens remplis et
conduits par l’Esprit ? Le statut social ou la capacité financière de
certains chrétiens ne constituent-ils pas malheureusement les facteurs
déterminants dans le leadership chrétien ? Quelque soit le statut social et
l’aisance financière dont jouit un chrétien, cela ne saurait faire de lui,
indépendamment de son expérience spirituelle, un leader potentiel dans
l’Eglise97. Notons en plus, en accord avec SANDERS, que le « leader
spirituel authentique ne fera jamais campagne pour une promotion »98.
2. Caractéristiques du leader chrétien
L’excellence du leadership est en partie liée aux caractéristiques du
leader, c’est-à-dire ce qui fait son être, ses attitudes et son
comportement. Le problème est de déterminer avec précision quels
doivent être les traits caractériels du leader chrétien hormis les
conditions déjà évoquées. Les auteurs ont des traitements très variés du
problème et les propositions ne manquent pas99. Nous prenons pour appui
ce que BILLIE a repéré comme traits caractéristiques, ou même qualités,
du leader en faisant dialoguer cet auteur avec d’autres auteurs. Il a noté
7 qualités couramment évoquées qu’un leader doit avoir.
a. L’empathie
Qu’est-ce que l’empathie ? On peut la définir par le fait ou l’effort
fourni par le leader de comprendre ce que ressentent les autres. C’est se
96
Ibid., p. 19.
97
J. OswalD SANDERS, op. cit., p. 89. S’agissant du choix des responsables, la mise au
point de SANDERS est claire : « [l]eur sélection ne doit pas être influencée par des
considérations telles que la sagesse humaine, la clairvoyance financière ou la popularité
mondaine ; ils devraient être choisis principalement pour leur spiritualité sincère ».
98
Ibid., p. 9.
99
BILLIE DAVis, op. cit., p. 28. Selon l’auteur des centaines de livres ont été écrits au
sujet des caractéristiques du leader ; et un livre propose même une liste de 339 qualités
requises chez un dirigeant. Le sujet, à notre avis, est donc comme une mer à boire !
26
mettre à la place des autres en vue de les comprendre. « L’empathie est,
de ce fait, essentielle dans le service ou le témoignage chrétien, et par
conséquent au dirigeant chrétien ou au conducteur spirituel »100. Robert
GREENLEAF (1977) faisait cas de l’empathie, en l’associant avec l’idée
d’acceptation des autres, comme une qualité du leader. Il la définit
comme l’habilité à prendre soin d’une autre personne et, pour ce faire, il
faut prêter attention à ce qu’elle dit.
Nous avons évoqué, avec l’exemple de Roboam, le danger que court
le leader en restant insensible aux ressentis des autres (1R 12.6-20). Sans
l’empathie, le leader ne peut pas comprendre la souffrance des autres, il
ne peut guère la soulager en devenant pour eux un leader serviteur selon
le modèle biblique. La Bible exhorte les chrétiens, et donc les leaders
aussi, à avoir de la compréhension mutuelle, à souffrir ensemble (Gal
6.2 ; 1Pi 3.8 ; He 13.3). La compassion est un ingrédient de l’empathie,
dans la mesure où les deux termes peuvent avoir en commun le pathos.
Selon SANDERS, « le serviteur du Seigneur devrait être compatissant et
compréhensif avec les faibles et les pécheurs »101. Car « [le] manque de
sensibilité à l’égard des besoins et des intérêts de nos fidèles peut les
éloigner de nous »102. Le pathos, et l’éthos aussi, n’est donc pas à
négliger dans la vie du leader chrétien car il faut du ressenti auquel on
répond avec un bon comportement éthique, un éthos.
b. La capacité d’atteindre ses objectifs
Un leader ne frappe pas dans le vent ou dans le vide, il a des
objectifs à atteindre. Autrement dit le leader court toujours vers le but
qu’il s’est fixé (Phil 3.14). L’efficacité de son leadership est mesurée en
fonction de sa capacité à mener le groupe vers le but fixé, qui doit être
conforme à la volonté de Dieu. Pour ce faire, le leader doit se demander
constamment pour quoi il est leader. Vers quelle destination doit-il
conduire le groupe ou le peuple de Dieu ?
100
Ibid., p. 30.
101
J. OswalD SANDERS, op. cit., p. 20.
102
GottfrieD OSEI-MENSAH, op. cit., p. 27.
27
c. La compétence
Pour être compétent, il faut « la solide conviction que nous sommes
à la place choisie par Dieu »103. On peut dire que la compétence est la
capacité de bien remplir ses tâches 104. Pour y arriver, il faut travailler dur
et refuser la nonchalance (Pr 12.27). Cela peut demander une
qualification spirituelle mais aussi intellectuelle. Une formation est
accueillie favorablement puisqu’elle donnerait les outils nécessaires à la
compétence. L’incompétence, dans certains cas, peut être un sentiment
justifié face à l’ampleur du travail mais le véritable leader se doit de
vaincre ce sentiment. Dans ce cas, il faut de l’optimisme et non du
scepticisme ou du pessimisme105. Le leader chrétien est plein d’optimisme
car sa foi le pousse résolument à espérer. Il doit rester réaliste.
d. La stabilité émotionnelle
Selon BILLIE, le leader « ne se met pas facilement en colère, n’est
pas obstiné et ne se décourage pas aisément. Il est capable de réagir de
manière paisible et avec élégance lorsque les choses ne se passent pas
selon ses plans et que surviennent les difficultés »106. Pour avoir un tel
caractère, il faut de la patience et de la maîtrise de soi face à des
situations difficiles. Le leader ne doit pas céder à la panique, ou à la
colère, et perdre le contrôle de ses émotions. Face à la crise d’eau dans le
désert, Moïse a faibli dans la maîtrise de sa colère face au peuple d’Israël
rebelle. Cela l’a amené à frapper le rocher au lieu de parler. Par
conséquent Moïse fut empêché d’entrer dans le pays promis (Nb 20.7-
13).
e. Le sentiment d’appartenir à un groupe
103
KennetH PRIOR, op. cit., p. 31.
104
BILLIE DAVis, op. cit., p. 30.
105
J. OswalD SANDERS, op. cit., p. 61. « Aucun pessimiste n’a jamais constitué un bon
leader. Le pessimiste voit une difficulté en toute occasion ». Il a écrit plus tôt que « [l]e
serviteur de Dieu devrait être optimiste jusqu’à ce que son objectif soit pleinement
atteint », p. 21.
106
BILLIE DAVis, op. cit., p. 30. Il est intéressant de voir que SANDERS voit la colère,
surtout la sainte colère, comme une qualité essentielle du leader pour apporter des
changements dans des situations de décadence nationale ou spirituelle, O. SANDERS,
op. cit., p. 75.
28
Le leader n’est pas un solitaire mais il appartient à un groupe ou à
une communauté. C’est cette appartenance à un groupe qui donne au
terme leader tout son sens. En effet, « [l]a personne qui conduit les
autres existe donc uniquement en relation avec ceux qui la suivent »107.
Le leader doit prendre conscience qu’il existe et fonctionne de façon
relationnelle. La prise en compte des intérêts et besoins des autres valide
son leadership et donne du sens à l’existence communautaire ou
organique.
Le leader chrétien africain devrait encore être plus conscient de
cette réalité du leadership dans la mesure où la notion de communauté a
encore un sens dans le contexte africain. Il faut développer la notion de
“église-famille” pour être leader dans le contexte. Attention donc à
l’individualisme dans la vie du leader africain 108! Mais attention
également au communautarisme et l’ethnicisme destructeurs !
f. La capacité de partager ses responsabilités
Une des faiblesses du leadership de Moïse, surtout à ses débuts,
comme nous l’avons présenté, a été le danger d’avoir voulu porter à lui
seul tout le poids du peuple sans partage de responsabilités. Mais un vrai
dirigeant doit développer la capacité de responsabiliser d’autres
personnes comme des leaders intermédiaires. Il doit savoir créer une
pyramide du leadership pour faciliter l’exécution du travail. C’est le
modèle du leadership de Jéthro, beau-père de Moïse. « Celui qui a du
succès en faisant faire le travail par les autres exerce le meilleur type de
leadership »109 nous dit SANDERS. Mais attention à ce que le « faire faire
par les autres » ne soit pas une stratégie avec laquelle le leader
incompétent couvre et voile son incompétence !
g. La consistance et la fiabilité
107
Ibid., p. 31.
108
GottfrieD OSEI-MENSAH, op. cit., p. 90-95. L’auteur plaide pour la prise en compte
du sens de la communauté dans le leadership en contexte africain. Selon lui,
« [l]’africain se définit par rapport à la communauté. Sa propre identité s’enracine dans
la prise de conscience qu’il fait partie d’un groupe ». Dans un tel contexte, quand on est
leader, on est leader pour tout le monde.
109
J. OswalD SANDERS, op. cit., p. 164.
29
La Générale des Assurances au Burkina Faso a comme slogan : “On
vous croit, on vous suit”. C’est un slogan qui indique que la confiance, ou
la fiabilité, est importante en matière d’assurance. Il en est de même dans
le leadership. Dans le leadership, il y a « ceux qui dirigent et ceux qui
suivent »110. Mais le contrat entre eux doit être basé sur la confiance car
on ne peut suivre que lorsqu’on a confiance, et on est suivi quand on est
digne de confiance. Deux définitions du leadership, rapportées par
SANDERS, ont mis en évidence la place de la confiance dans le
leadership111. Quand « il tient parole et observe les règles qu’il a lui-
même établies pour chacun »112, le leader inspire confiance et se montre
conséquent.
Il doit, pour être crédible et conséquent, être un homme qui sait
prendre une décision et la respecter. « La temporisation et l’indécision
sont fatales au leadership »113. La fiabilité ne se négocie pas car elle
s’impose où il y a l’intégrité. Donc la fiabilité et l’intégrité sont une paire
de qualités requises pour être un bon leader.
3. Autres qualités et aptitudes nécessaires
a. La vision
La vision, dont il est surtout question dans ce cas précis, n’est pas
la vision prophétique (Pr 29.18) mais, au fond, elle ne s’oppose pas à
cette dernière. SANDERS dit que « [c]eux qui ont influencé leur
génération avec le plus de force et de permanence ont été les
‘visionnaires’-des hommes qui ont vu plus, et plus loin, que les autres »114.
Selon les propos de l’auteur, on peut comprendre que la vision, c’est voir
plus, et plus loin, que les autres. Au nombre des qualités requises pour le
leadership, DAVIDSON inclut la capacité du leader à avoir la vision
venant de Dieu115.
110
BILLIE DAVis, op. cit., p. 14.
111
J. OswalD SANDERS, op. cit., p. 22.
112
BILLIE DAVis, op. cit., p. 32.
113
J. OswalD SANDERS, op. cit., p. 65.
114
Ibid., p. 59.
115
Richard M. DAVIDSON, op. cit., p. 21.
30
SANDERS dit que « les yeux qui voient sont chose commune. Ceux
qui regardent sont rares »116. Si la distinction, faite par l’auteur entre le
verbe « voir » et le verbe « regarder », est juste, le leader ne doit donc
pas seulement voir les choses, faculté commune à tous ceux qui ont des
yeux, mais il doit regarder les choses. C’est dire que le leader doit avoir
un autre regard, un second regard, sur les choses. Il doit être en mesure
de réfuter l’équation 1+1=2.
Le texte du prophète Habacuc (2.1-3) sur la vision mérite une brève
considération. La bonne vision se caractérise par son origine, sa clarté,
son échéance fixée et la capacité du leader à la communiquer. Tous ces
éléments sont impliqués ou convoqués dans la vision reçue par le
prophète. Le leadership sera efficace et différent des autres si la vision,
qui le sous-tend, est claire, venant de Dieu, avec une échéance fixée, et
bien communiquée. Billy GRAHAM a été un bel exemple en ce qui
concerne l’Évangélisation.
b. La motivation et la mobilisation
« On ne peut mobiliser quelqu’un que sur la base de ses intérêts »
dit-on. Le leader doit avoir des motifs valables, répondant aux intérêts du
groupe, pour mettre tous le monde en mouvement derrière lui. Il doit
lui-même aussi avoir des motifs personnels pour être mobilisé lui-même.
La motivation, selon BILLIE, est le « processus qui se cache derrière les
actes ou au comportement dont nous sommes témoins »117. En fait, le
comportement ou les actes constatés dans la vie de l’autre montrent le
niveau d’intérêts ou de besoins réels de la personne. Il faut tenir compte
des besoins des autres, en tant que leader, pour les servir 118. C’est une
condition pour être un leader spirituel car son but est de servir les
intérêts de Dieu.
116
J. OswalD SANDERS, op. cit., p. 61.
117
BILLIE DAVis, op. cit., p. 263.
118
Ibid., pp. 265-266. BILLIE s’approprie la théorie des besoins de MASLOW, bien
connue, pour montrer comment les niveaux des besoins de l’homme sont importants
dans la mobilisation. On peut aussi recourir à la théorie de la récompense et de la
punition, ou à la théorie de l’objectif pour motiver les membres du groupe.
31
Il faut alors faire en sorte que la motivation et la mobilisation
s’appuient, non sur l’intérêt personnel et égoïste, mais sur la poursuite
des intérêts communs, ceux du groupe. Néhémie a fait reconstruire les
murailles de Jérusalem en 52 jours parce qu’il a mis au centre l’intérêt
commun du peuple (2.10, 17 ; 6.15). Jésus était suivi par beaucoup de
personnes parce qu’elles trouvaient en lui un centre d’intérêts : la
gratuité des soins, du repas, la vie éternelle ou même le nationaliste
idéal pour Israël (Jn 6.2 ; Mt 14.13ss ; Mt 6.68 ; Jn 6.15). Une telle
approche du leader, visant les intérêts du groupe, montre que le leader
est un leader serviteur et non un qui se sert ou exploite le peuple. Car au
lieu de considérer nos propres intérêts, l’Ecriture nous exhorte à suivre le
modèle de Jésus en ayant comme priorité les intérêts d’autrui (Phil 2.4).
La kénose du Fils éternel de Dieu est une leçon de serviteur leader (Phil
2.5-11).
c. L’anticipation et la prévoyance
Le leader doit avoir une longueur sur les autres, interpréter les
signes du moment et même savoir lire l’avenir. La prévoyance est signe
de sagesse d’après la parabole des dix vierges (Mt 25.1-13). Si le
leadership de Néhémie fait école, c’est aussi parce qu’il avait « un sens
aigu de la prévoyance »119. Comme les vierges sages de la parabole,
Néhémie avait tout prévu, c’est-à-dire ‘vu à l’avance’ les choses qui
arriveraient. Ainsi avait-il demandé un laissez-passer, et des lettres
d’autorisation de coupe et de transport du bois pour être en règle vis-à-
vis des autorités (2.7-8). La prévoyance, dans la vie du chrétien et du
leader, n’est pas un signe de manque de foi mais fruit de l’Esprit. Il faut
éviter les prières situationnelles de dernière minute pour des choses
qu’on pouvait bien prévoir.
Le leader doit jouer le jeu de la simulation en se demandant si tel
ou tel problème arrivait, alors que ferait-il ? On reconnaît les forces et
119
J. OswalD SANDERS, op. cit., p. 197.
32
faiblesses d’une armée par le jeu de simulation des attaques et des
guerres. Un tel questionnement permet d’anticiper en prenant un certain
nombre de dispositions. Néhémie s’est sans doute donné à cet exercice
intellectuel : le questionnement. Il a dû comprendre qu’un voyage aussi
long peut comporter des risques. On ne perd rien en prévoyant les choses
même si elles n’arrivent pas comme prévues. Mais au contraire il y aura
un sérieux problème si les imprévus nous tombaient dessus car aucune
stratégie de sortie de crise n’a été prévue. En réalité, la question
d’anticipation, ou de prévoyance, doit être réfléchie dans un cadre élargi,
celui de la planification120.
d. La formation des leaders
MENSAH fait le triste constat suivant au niveau du leadership
politique africain : « [m]alheureusement, en ce qui concerne nos
dirigeants nationaux, ils restent à leur poste jusqu'à leur mort, et
lorsqu’ils disparaissent, personne n’a été formé pour relever le
flambeau »121. Le problème du leadership de l’Eglise est le manque de
vision et de volonté de formation de nouveaux leaders pour la relève. On
a malheureusement un leadership à vie, qu’il soit politique ou
ecclésiastique. Une telle pratique ne cadre pas avec la vision du
leadership biblique où l’accent est sur le service et non sur les intérêts.
C’est parce qu’on considère les intérêts plus que le service qu’on
s’accroche au pouvoir même dans l’Eglise.
Le leader conscient que le service est la primauté dans le leadership,
fera tout pour qu’une relève soit assurée afin d’assurer la continuité du
travail ou de la mission. On admet généralement que les disciples de
Jésus ont passé trois ans aux pieds du Maître 122. Le principe de la
120
BILLIE DAVis, op. cit., pp. 108-110. L’auteur décrit le processus de la planification en
8 étapes. Dans l’étape 1, l’analyse et prévision, le leader cherche à appréhender les
conditions actuelles et à prédire ou à évaluer ce qu’elles seront dans l’avenir. Par cette
analyse des conditions, il peut prendre des dispositions pour anticiper sur certains
problèmes éventuels.
121
GottfrieD OSEI-MENSAH, op. cit., p. 79.
122
J. OswalD SANDERS, op. cit., p. 178. « Notre Seigneur a consacré une grande partie
de ses trois années de ministère à modeler les caractères de ses disciples et à discipliner
leurs esprits ».
33
reproduction des leaders est établi par le texte biblique de la deuxième à
Timothée (2Tm 2.2). Timothée et Tite ont été formés par Paul en
application du principe. Comme il y a un lien entre le discipolat et le
leadership, le leader se doit de former d’autres leaders-disciples 123. Mais
SANDERS met en garde contre l’idée de formation de masse quant à la
reproduction des leaders124.
IV. Rôle et responsabilité du leader chrétien
1. Servir et équiper pour le service
L’idée de service, au regard des définitions du leadership, est au
cœur du leadership biblique. On a démontré que le leader chrétien est un
leader serviteur à l’image de Jésus-Christ. SANDERS a vu juste en disant
que « [s]ervir était la définition de Jésus pour le leadership »125.
Comment le leader sert-il concrètement le peuple et quel est le contenu
de son service ? Le leader doit servir le peuple en étant en mesure de le
nourrir de la Parole de Dieu. C’est un présupposé et un a priori pour tout
leader chrétien126. Le leader spirituel doit servir le peuple en lui donnant
la nourriture nécessaire comme le bon berger sait nourrir son troupeau
de verts pâturages et l’abreuver d’une eau douce (Ps 23.2).
Le rôle éducateur, ou de formateur, qui échoit au leader dans le
contexte africain, est très capital à cause du faible taux d’éducation. Au
Burkina Faso, selon l’indexe mondial de la population de 2015, on a un
taux d’éducation de 29% pour les femmes et 43% pour les hommes. Ainsi
dans l’Eglise, la foi de beaucoup de chrétiens se nourrit de ce que
prêchent les prédicateurs, laïcs et pasteurs, car tous n’ont pas accès à
123
J. KOULAGNA, op. cit., p. 181. Cette attribution apparaît même dans la définition du
leader car, selon l’auteur, « [le] leader est avant tout un disciple qui, non seulement suit
le modèle du Maître, mais a aussi une mission : faire des disciples, c’est-à-dire des
serviteurs dévoués et consacrés à Dieu ».
124
J. OswalD SANDERS, op. cit., p. 181.
125
Ibid., p. 149.
126
Ibid., p. 118. « […] je présuppose que la préoccupation principale et l’intérêt suprême
des leaders spirituels est d’acquérir la maîtrise de la Parole de Dieu, grâce à une étude
persévérante et à l’illumination du Saint-Esprit ».
34
l’Ecriture. Dans un tel contexte, un leader doit être aussi un leader dans
la connaissance de la Parole de Dieu. Mais comment le sera-t-il lui-même
sans formation en la matière ? Il est donc urgent que le leader soit formé
pour former d’autres. Tout leader formateur doit viser la méthodologie,
en apprenant à pêcher, au lieu de donner toujours au peuple ce « fast-
food » ou de la sardine, toute prête à la consommation. L’ignorance
théologique des leaders dans l’Eglise est un frein au développement de
l’Eglise en Afrique et constitue même un danger spirituel.
2. Guider et conduire le peuple de Dieu
Le terme anglais « leadership », qui est passé dans le français
comme de l’anglicisme sans trop de difficulté à cause de la difficulté
qu’on a à le rendre correctement en français, est évocateur de la
responsabilité du leader au sein du peuple de Dieu. Le verbe to lead en
anglais veut dire entre autres conduire, diriger ou guider. Etre le guide
ou montrer la voie à suivre semble être le rôle principal du leader. A cet
effet, comme dit SANDERS, le « leader spirituel doit savoir où il va et,
comme le berger oriental, marcher devant son troupeau »127. Dans le
domaine musical on a le lead vocal qui conduit le groupe de louange et
d’adoration, et qui donne le ton et le tempo.
Le peuple de Dieu avait compris cette fonction du leader lorsqu’il
s’en prenait malheureusement à Moïse de l’avoir conduit dans le désert
pour le faire mourir (Nb 20.4-5 ; 14.4 ; Ex 14.11). Même si le peuple n’a
pas une bonne lecture du leadership de Moïse, celui-ci savait où il voulait
conduire le peuple, dans le pays où coulent le lait et le miel, saint et sauf
(Ex 18.23). Aucun leader sérieux et consciencieux ne conduit son peuple
vers la mort ou l’extermination.
Le travail de guide, ou de direction, peut comporter plusieurs
aspects. Etant donné qu’il s’agit d’un leader spirituel, il doit a priori
tracer la ligne doctrinale à suivre par le groupe conformément à
l’Ecriture. La doctrine ne s’invente pas, pour le chrétien, elle est
127
Ibid., p. 151.
35
contenue dans l’Ecriture sacrée et sa substance se trouve dans les textes
confessionnels de chaque dénomination. Le rôle du leader est de montrer
le chemin doctrinal et de maintenir également le groupe dans la bonne
direction doctrinale. Si l’Ecriture atteste, par exemple, que le Christ a
été sans péché, le leader doit faire respecter cette position. On peut et
doit dire du leader qu’il est un leader d’opinion.
L’une des mesures d’accompagnement du leader en tant que guide
est l’exercice de la discipline en cas de besoin. Il doit, avec autorité,
savoir ramener à l’ordre, par une mesure disciplinaire, les membres qui
sortent de la ligne doctrinale établie officiellement. Il ne doit pas, par sa
faiblesse, ou manque d’autorité, détourner les hommes de la bonne
voie128. Il est alors demandé au leader de connaître et défendre la
doctrine confessée par son Eglise d’origine.
3. Exécuter le plan d’action de Dieu
Une définition du leadership proposée par ETOUGHE a fait savoir
que le leadership consiste à agir selon les plans de Dieu et non en
fonction du grand nombre129. En effet, le leader spirituel n’a pas un
programme sociétal autre que le plan de Dieu. OSEI-MENSAH fait le lien
nécessaire entre les programmes et le plan de Dieu en écrivant ceci :
« [n]ous établissons des programmes pour accomplir ce que Dieu a
ordonné ». Le leader sait faire son programme dans le programme de
Dieu ou selon le plan de Dieu. Seulement à ce titre, il est un exécutant du
plan de Dieu.
Aucun leader biblique n’avait un plan ou programme de société
personnel et propre à lui. Quand Moïse a fait sortir Israël de l’Egypte, il
était dans le plan de Dieu (Ex 3.7, 10). En fait ce n’est pas Moïse qui a fait
sortir Israël de la servitude mais plutôt l’Eternel, qui a vu sa souffrance
pour l’en délivrer. Le leader Néhémie n’a pas non plus pris l’initiative de
faire des centaines de kilomètres pour venir reconstruire les murailles de
128
GottfrieD OSEI-MENSAH, op. cit., p. 25.
129
PatricK ETOUGHE, op. cit., p. 32.
36
Jérusalem de lui-même. Il a été un homme de prière, un intercesseur, qui
a obtenu la double faveur : celle du roi mais aussi celle de Dieu pour être
le métronome de la reconstruction (1.5, 11 ; 2.5). Néhémie a été envoyé
par le roi, selon la volonté et conformément au plan de Dieu, pour
restaurer les murailles de Jérusalem (2.5 ; 2.18). On le sait aussi, de par
son refus catégorique, que Gédéon n’avait probablement jamais envisagé
de devenir juge et libérateur de sa tribu, si cela n’avait pas été le plan
inchangeable ou immuable de Dieu (Jg 6.13-24).
Certes le leader peut être audacieux, initier de nouvelles actions,
avoir de la créativité, ou même de l’ingéniosité, mais il faut qu’il
apprenne à connaître le plan de Dieu pour être un bon leader dans ses
programmations. Jésus était le leader qui agissait dans le plan de Dieu
car, à la fin de sa mission, il pouvait dire au Père qu’il a fait toute l’œuvre
que le Père lui avait donnée à faire (Jn 17.4). La gloire du leader spirituel
passe par son obéissance et sa fidélité au plan de Dieu.
4. Faire face aux problèmes du leadership
Le leader doit toujours faire face aux problèmes du leadership. Les
plus courants problèmes du leadership, si l’on prend Néhémie pour
modèle, sont l’opposition, la rébellion ou la révolte, la cupidité,
l’instrumentalisation du prophétisme, et le découragement. En faisant
une brève étude systématique de Néhémie, on s’aperçoit que le leader
Néhémie a eu à faire face à ces problèmes. La stratégie de résolution
adoptée par Néhémie est instructive pour tout leader.
Le plan de reconstruction des murailles de Jérusalem a été combattu
par le trio Sanballat, Tobiya, et Guéshem (2.19). Ils avaient pour seul
motif explicite que ce plan était une révolte contre le roi (2.19). Il y a le
découragement du peuple (4.4) ; la montée de la cupidité et intérêts
personnels (5.1-4) ; l’instrumentalisation politique du prophétisme (6.10-
13). Il y avait aussi le relâchement spirituel du peuple par l’abandon des
pratiques religieuses essentielles à la foi juive : abandon de la fête des
37
tabernacles (8.14), abandon du prélèvement de la dîme (13.5), le mariage
avec les autres nations (13.23-25).
Face à tous ces problèmes, Néhémie a opposé une résistance dure,
même armée, face à l’opposition de Sanballat, de Tobiya, et de Gueshem
avec la ferme résolution que Dieu est avec lui (2.20 ; 4.10). Il a remonté
le moral des troupes et les a fortifiées (4.8) ; il ramena la justice sociale et
économique en interdisant les prêts avec intérêts (5.7-13) ; il a su éviter
l’erreur de la non séparation des pouvoirs en refusant d’entrer dans le
lieu saint pour y trouver refuge sur l’invitation du faux prophète Shemaya
(6.10-12). Les problèmes n’ont pas empêché les travaux de reconstruction
des murailles, et en 52 jours elles avaient été reconstruites (6.15). Le bon
leader, à l’image de Néhémie, doit surmonter les obstacles, à tout prix,
pour atteindre son but. Néhémie est un leader réformateur dont le
leadership doit inspirer les leaders d’aujourd’hui.
CONCLUSION
Le leadership chrétien a été considéré et examiné selon quelques
angles, ceux que nous avons trouvés très utiles et largement partagés ou
acceptés. A l’issue de l’examen du champ sémantique, la difficulté à
trouver une définition simple au concept nous a obligés à plutôt proposer
des essais de définitions englobant l’essence de la réalité du leadership.
Etre un leader, selon le cœur de Dieu, ne s’invente pas ; on y arrive en
ayant des aptitudes, des qualités naturelles, et en remplissant des
conditions spirituelles non négociables. Le leader, qui veut être selon le
cœur de Dieu, doit être un leader serviteur, modèle prôné par l’Ecriture
sainte, qui donne le Fils éternel incarné comme exemple vivant et parfait
du leader. A la lumière des éléments fondamentaux du leadership,
examinés dans ce cours, il nous semble que c’est possible de dresser le
portrait d’une théologie du leadership.
Une telle théologie devrait se développer suivant trois axes majeurs :
38
En partant de l’idée basique que le dirigeant est avant tout un
serviteur, il serait normal et instructif de cerner l’aspect sacerdotal et
pastoral de ce service. Il faudra que le leader se comprenne lui-même
comme servant d’abord Dieu, mais pris du milieu des hommes, à l’image
du Souverain sacrificateur de l’ancienne alliance (He 5.1). Ainsi le leader
doit prendre conscience qu’il est pris du milieu des hommes, semblables
à lui, pour les représenter et servir auprès de Dieu. Il n’est pas, à ce titre,
différent ou supérieur aux autres hommes. Il lui faut donc de l’humilité et
de la considération des autres.
Mais il ne devrait pas non plus oublier la dimension pastorale de son
leadership. Il doit mesurer à sa juste valeur qu’il est aussi l’homme
représentant Dieu, auprès des hommes, qu’il est appelé à servir. Il est le
pasteur dans la mesure où il paît le troupeau de Dieu et au Nom de Dieu.
Il doit donc, à ce titre, être attentif à la voix de Dieu, dont il est le
représentant, et dépendre de lui. Seule une bonne articulation de ces
deux aspects donne un leadership chrétien valable et efficace pour
l’Eglise. On est serviteur au sens bilatéral : servant Dieu et servant les
hommes aussi.
La Bible affirme que les chrétiens de la nouvelle alliance, pris
organiquement, sont des prêtes et lévites (1Pi 2.5). Le réformateur
LUTHER avait justement systématisé le sujet dans son écrit La lettre à la
noblesse allemande en 1520. L’ébauche d’une théologie du leadership
chrétien doit prendre en compte la diversité du corps du Christ, sans
exclusion de personnes, et aussi son unité organique fondée par l’unique
de l’Esprit. A cet effet, il y a de la place même pour le leadership féminin.
L’Esprit ayant fait des dons à tous les chrétiens, le leadership, dans
l’Eglise, ne doit plus être la chasse-gardée des hommes à l’exclusion des
femmes. Les tensions, liées à la question du genre et au leadership dans
l’Eglise130, devraient baisser facilement.
130
CatalinA RADU, « Leadership and Gender Differentiation », Review of International
Comparative Management, 2011, vol. 12, no 3, pp. 455-460. L’auteur essaie de répondre
à la question pourquoi il y a peu de femmes dans le leadership. La lecture de l’article,
vivement recommandée, peut illuminer l’esprit sur la problématique du rapport genre
et leadership.
39
Le dernier axe est une sage articulation du pouvoir, ou du
leadership, avec l’ordre missionnaire (Mt 28.18-20). Le pouvoir ou
l’autorité est donnée pour des fins missionnaires, faire des disciples. A ce
titre, le leadership chrétien est missionnaire car, pour paraphraser les
propos de STOTT, l’Esprit qui dirige et conduit le leader chrétien, dans
sa mission de faiseur de disciples, est lui-même missionnaire 131. Ainsi le
pouvoir du leader doit être au service de la mission et non être utilisé
pour des fins personnelles. Cela donne du sens au leadership serviteur et
participe au développement de l’Eglise.
131
R. W. JohN STOTT, op. cit., p. 156-158. Jennifer STRAWBRIDGE, « The Word of the
Cross : Mission, Power, and the Theology of Leadership », in ATR, vol. 1/1991, pp. 61-79.
La lecture de cet article peut éclairer sur le rapport entre leadership et la mission
même si son traitement reste une perspective d’une église épiscopale sur le sujet.
40
BIBLIOGRAPHIE
BEYER W. H., « Kubernesis », in Theological Dictionary of the New
Testament, Grand Rapids, KITTEL G. and FRIEDRICH G., 1965, vol.III,
pp. 1035-1037.
BORNKAMM Gunther, « Presbus, presbyteros », in Theological
Dictionary of the New Testament, Grand Rapids, 1968, vol.VI,
pp. 651-683.
DAVIDSON Richard M., Servants and Friends. A Biblical Theology of
Leadership, Andrews University Press., Berrien Springs, BELL Skip, s.d.
DAVIS BILLIE, Une étude du leadership chrétien. Des hommes, des tâches
et des buts, Global University., Springfield, 2000.
DJUNGANDEKE PESSE Pierre-Hilaire, Le leadership de Néhémie comme
paradigme pour la reconstruction en République démocratique du Congo.
Analyse sociale et herméneutique chrétienne de Néhémie 2-5, Paris,
Harmattan, 2016.
ETOUGHE Patrick, Le leadership spirituel. Un besoin pour l’Eglise,
African Theological Association., s. l., 2013.
KUEN Alfred, Jésus, Paul et nous : formateurs, Emmaüs., Saint-Légier,
2000.
OSEI-MENSAH Gottfried, Le dirigeant : patron ou serviteur?, CPE.,
Abidjan, 1994.
PAYA Christophe, « Le ministère pastoral : redéfinitions et
débats récents », ThEv, vol. 16, 2/2017, p. 52-66.
PRIOR Kenneth, Le responsable chrétien, Empreinte., Mazerolles,
Sources, 1993.
41
RADU Catalina, « Leadership and Gender Differentiation », Review of
International Comparative Management, 2011, vol. 12, no 3, pp. 455-460.
SANDERS J. Oswald, Le leader spirituel. Les qualités importantes pour
les responsables d’églises, Farel., Marne-la-Vallée, 1994.
STOTT R. W. John, Le chrétien à l’aube du XXIe siècle. Vivre aujourd’hui
la Parole éternelle de Dieu, La Clairière., Québec, Sentier, 1995, no II.
42