[go: up one dir, main page]

0% ont trouvé ce document utile (0 vote)
181 vues42 pages

Origines Historiques de Jésus-Christ

Transféré par

Omar Afaf
Copyright
© © All Rights Reserved
Nous prenons très au sérieux les droits relatifs au contenu. Si vous pensez qu’il s’agit de votre contenu, signalez une atteinte au droit d’auteur ici.
Formats disponibles
Téléchargez aux formats PDF, TXT ou lisez en ligne sur Scribd
0% ont trouvé ce document utile (0 vote)
181 vues42 pages

Origines Historiques de Jésus-Christ

Transféré par

Omar Afaf
Copyright
© © All Rights Reserved
Nous prenons très au sérieux les droits relatifs au contenu. Si vous pensez qu’il s’agit de votre contenu, signalez une atteinte au droit d’auteur ici.
Formats disponibles
Téléchargez aux formats PDF, TXT ou lisez en ligne sur Scribd
Vous êtes sur la page 1/ 42

L'Énigme de Jésus-Christ

Tome premier
INTRODUCTION : L’HUMBLE VÉRITÉ

Je dédie, en toute simplicité et confiance, à l’opinion du monde,


comme à un jury de bonne foi dont je ne redoute pas le verdict, quel
qu’il puisse être, aujourd’hui ou demain, — demain, surtout — le
fruit de plus de vingt-cinq années de recherches et d’études,
purement historiques, sur les Origines du Christianisme en général,
et par suite, mais plus particulièrement, sur l’identité, la vie, la
carrière du vrai personnage ayant eu chair qui, dans les Évangiles et
autres Écritures, a été dissimulé sous le pseudonyme de Jésus-
Christ, et transfiguré en Dieu, fils de Dieu, auteur et fondateur de la
religion chrétienne et Rédempteur de l’humanité. Comme le lecteur
aime savoir où on le mène, et, aussi, pour la clarté et la franchise,
surtout en une matière où, depuis qu’elle l’explore, la critique des
savants et érudits, aussi aveugle que la foi qu’elle inquiète, sans
satisfaire la raison, n’a frayé jusqu’à ce jour que des chemins sans
issues, je crois utile de projeter en pleine lumière, au seuil même de
cet ouvrage, les conclusions auxquelles j’ai abouti, dont je fournirai
les preuves, appréhendant plus de n’être pas bref et concis que d’en
manquer, et qui opposent la loyauté de l’Histoire et de la vérité à la
légende pleine d’onction, mais frauduleuse[1]. Voici :

A — CE QU’EST
JÉSUS-CHRIST
I. — L’homme-dieu.
Le personnage que les Évangiles et autres Écritures
chrétiennes, canoniques ou non, appellent tantôt Jésus,
tantôt Christ ou le Christ, tantôt Jésus-Christ, comme si les
deux mots étaient un nom de personnes[2], constitue un être
double, mi-réel, mi-fictif, fabrication littéraire de scribes
juifs qui se sont efforcés, pendant deux siècles successifs, à
partir du troisième, d’assembler et de fondre en une
individualité unique deux éléments essentiels, qui ne sont
même pas contemporains, comme date de naissance
d’apparition :
1° Un homme de chair et d’os, qui a vécu réellement en
Palestine au temps d’Auguste et de Tibère, c’est-à-dire aux
premiers siècles de l’ère vulgaire ; qui a joué un rôle de
premier plan en ce temps, le rôle d’un chef de secte
politico-religieuse, en guerre ouverte, armes à la main,
:
contre les Romains et la dynastie hérodienne qui régnait
alors Judée, race d’origine iduméenne, non davidique, dont
les princes n’avait pas été Oints, et, s’il détenait le pouvoir
politique, grâce à l’appui et la protection de Rome, n’était
pas en même temps, pontifes religieux ; considérés comme
usurpateur du trône de David par les juifs fanatiques, ils
furent l’objet de leur haine féroce. Juif fanatique lui-même,
l’homme de chair et d’os qui est en Jésus-Christ, rebelle
aux autorités, fut capturés après sédition, trouble, émeutes
et meurtres, fût jugé, condamné à mort et crucifié par ordre
de Ponce Pilate, procurateur de Judée au nom de Rome.
On peut l’appeler Christ, et nous l’appellerons souvent
ainsi, Messie-Christ, en le distinguant bien de Jésus-Christ,
dont il n’est que la moitié historique, mais en donnant au
mot Christ son sens hébraïque étroit de Meschiah[3].
Car il voulut bien être le Messie juif, Oint par excellence,
en tant que celui des descendants de David, qui, d’après
d’anciennes prophéties des Jacob, des MoÏse, des Nabis,
devait restaurer le royaume d’Israël et venger le peuple juif
des injures des nations, mais qui n’y réussit pas[4].
Durant tout le premier siècle, et jusqu’à la destruction de la
nation juive par Hadrien au second (en 135), aucun auteur
grec ou romain, aucun scribe d’Église non plus, quoi qu’on
dise, n’a connu le Jésus-Christ des Évangiles et des
Écritures chrétiennes ; nul n’a connu les Évangiles ni les
Écritures chrétiennes qui n’existaient pas, à l’exception de
l’Apocalypse, d’ailleurs retouchée depuis, et des
Commentaires, à dessein supprimés par l’Église, que, dans
le premier quart du second siècle, en fit le Juif que les
scribes ecclésiastiques ont caché sous le pseudonyme de
Papias, et qui fût, d’après eux, Évêque d’Hiérapolis en
Phrygie, en un temps où il n’y avait pas d’Évêques. Tous
les historiens latins, tels Tacite, Suétone, et juifs, tels
Flavius Josèphe et Juste de Tibériade, des auteurs latins,
tels Quintilien et Apulée, grecs, tel Lucien de Samosate,
ont connu le Messie Christ, crucifié par Ponce Pilate en
788 de Rome, 35 de l’ère vulgaire. Ils ont connu
l’Apocalypse. Ils ont dit, — rendus muets ou presque,
depuis, par la censure de l’Église, — ce que furent le
Christ et les christiens en Judée, ce qu’ils ont fait[5]. Ils
n’ont jamais su, ni dit que le Fils unique de Dieu, Jésus
Christ, conçu du Saint-Esprit, né de la vierge juive Marie,
était apparu sur la Terre pour révéler aux hommes le vrai
Dieu, prêcher l’amour, la paix, la repentance, la
résurrection des morts, la vie éternelle, et, crucifié, mort,
était ressuscité lui-même. En revanche, ils ont su et dit
:
qu’un Juif, dont le nom de circoncision a disparu, mais
qu’ils nommaient, se donnant pour le Messie, roi des Juifs,
avait fomenté dans son pays des révoltes messianistes
(christiennes, en grec), sous le règne de Tibère, et que c’est
bien à son corps défendant que, poursuivi pendant sept ans
par Hérode Antipas et Ponce Pilate, procurateur de Judée
au nom de Rome, et capturé, Hérode Antipas et Ponce
Pilate avaient mis fin à sa carrière en le clouant au bois
d’une croix, le 14 nisan 788 = 35, veille de la Pâques. Ils
n’ont jamais su que ce Juif se fut, Fils de Dieu, offert
volontairement en holocauste, pour sauver, l’humanité soi-
disant condamnée à la géhenne pour ses péchés, et avide
de rédemption.
Ce qu’on lit sur Jésus-Christ, les passages des Écritures
chrétiennes que l’on trouve dans les ouvrages mis sous le
nom des Ignace, des Polycarpe, des Irénée, des Justin, des
Origène et tous autres auteurs, véritables ou inventés, et
antérieurs au IIIe siècle au moins, sont autant de fraudes et
d’impostures, glissées dans les œuvres refaites des auteurs
réels, ou perpétrées dans des œuvres supposées, fabriquées
à dessein. Aussi formidable que le fait paraisse de prime
abord, en face du préjugé vulgaire, il en est ainsi.
Bref avant 135 de notre ère, et au delà, Jésus-Christ n’est
pas inventé. Personne non plus n’a entendu parler de
l’apôtre Paul qui convertit le monde ; nul ne sait que Pierre
a été pape à Rome pendant vingt-cinq ans, et y a eu des
successeurs : Lin, Anaclet, Clément, etc. Le Nouveau
Testament, à part l’Apocalypse, n’est pas commencé.
Pour faire Jésus-Christ, il a fallu, à l’homme de chair,
Messie-Christ historique, qui, premièrement, le compose,
ajouter :
2° Un dieu supposé, pur esprit, né littérairement plus de
cent ans après la crucifixion du Messie-Christ sous Ponce
Pilate, soit vers le milieu du IIe siècle, des spéculations
idéologiques de cerveaux orientaux, de la théologie
métaphysique et abstraite de scribes juifs tels que Cérinthe,
Valentin et les gnostiques, travaillant sur les conceptions
de l’Apocalypse et les Commentaires qu’en fit Papias,
intitulés : Exégèse des Prophéties (ou Révélations) du Rabbi
(ou du Mâran), — qu’Eusèbe désigne sous le titre de Paroles
du Seigneur, qui est un change[6].
Ce dieu imaginaire, Æon chez Cérinthe, Jésus dans
Valentin, si le terme n’y a pas été substitué, devient le
Logos (Verbe ou Parole) dans le selon Jean, quatrième
Évangile canonique[7]. Il n’est ni le Messie-Christ, ni
:
Jésus-Christ. Il a été amalgamé au Messie-Christ pour
former Jésus-Christ.
Et l’opération s’est faite en deux mouvements à cinquante
ans de distance.
Les scribes juifs, cérinthiens, valentiniens, gnostiques,
pendant toute la deuxième moitié du IIe siècle et jusque
dans le IIIe ont produit des ouvrages où ils développaient
leurs fables, faisant descendre du ciel sur la terre cet Æon-
Jésus, Logos ou Verbe divin, le revêtant, pendant son
séjour ici-bas, de l’enveloppe, de l’apparence du Crucifié
de Ponce Pilate, choisi pour sa sainteté et sa justice (selon la
Thora, bien entendu, interprétée messianiquement). C’est le premier
mouvement de l’opération. Nous ne connaissons plus les
doctrines cérinthiennes et gnostiques que par l’Église, qui
a détruit les œuvres de leurs auteurs[8] ; je ne m’attarde pas
aux calomnies infâmes qu’elle a fait écrire contre eux : de
la boue. Ces doctrines n’apparaissent plus aujourd’hui
qu’en arrière-plan, reléguées dans l’ombre discrète de
traités tardifs d’apologétique ou de polémique de son crû
où, sous prétexte de les discuter, les traitant a priori
d’hérétiques, à l’époque où le christianisme est fait, elle les
expose à sa manière, les dénaturant le plus qu’elle peut
dans les Irénée, les Epiphane, les Tertullien, pour se
faciliter la réplique, et surtout pour effacer cette vérité
fondamentale, que Jésus-Christ, Verbe incarné, — ce sera
le deuxième mouvement de l’opération, — est le dernier
avatar de l’Æon cérinthien et du Jésus de Valentin[9].
Le IIe siècle n’a été qu’une série de controverses tournant
autour de l’Apocalypse, des fables cérinthiennes
gnostiques, et issues des scribes de synagogues ou de
communautés juives, avec des protagonistes tels que
Justin, Irénée, Tatien, Origène, Basilide, Marcion,
Hippolyte, tous Juifs, Syriens, Assyriens ou Égyptiens, ou
Judéo-hellènes. Ils différaient d’avis sur quelques points.
Notamment, les uns rejetaient la prédestination d’Israël
comme peuple élu, ayant le privilège de la révélation
divine, tel Marcion du Pont, — et c’est pourquoi les
scribes l’ont diffamé à l’envi ; les autres la prônant et la
défendant. Une secte, les Aloges, n’admet même pas les
fables sur le Verbe, le Logos. Mais tous étaient d’accord
sur cette vérité : que le Christ-Messie, Crucifié de Ponce
Pilate, n’est pas Jésus, dieu fictif, — ni Jésus-Christ, qui
n’est pas inventé[10].
La doctrine gnostique déborde sur le IIIe siècle et apparaît
dans des auteurs comme Tertullien, malgré toutes les
adultérations qu’on lui a fait subir. Jésus-Christ inventé,
:
elle subsistera chez tous ceux qui ne cesseront pas de
proclamer honnêtement qu’en Jésus-Christ il y a un
homme et un Dieu : tels Arius, Nestorius, etc. jusqu’au VIe
siècle.
II. — L’incarnation-
Transfiguration
Donc, dans le système de Cérinthe et des gnostiques,
distinction et séparation très nette entre l’Æon ou Jésus
Sauveur, Verbe-Logos, et le Messie-Christ qui sert de
support à sa substance hyalline, — l’épithète est dans
Valentin, — éthérée, impondérable. Chez ces auteurs, tous
Juifs, pas d’incarnation, qui serait en leur âme et
conscience un blasphème et un scandale. Ils ne cessent pas
de proclamer que Jésus ne s’est pas incarné. Pour eux, ils
n’ont pas même l’idée que le Verbe ou Logos se soit fait
chair comme les scribes l’ont écrit, et comme on le lit
aujourd’hui dans le quatrième Évangile, pour cacher que le
contraire ressort en fait de la substance du texte[11].
L’incarnation a été le grand travail des scribes du IIIe et du
IVe siècles, — deuxième mouvement de l’opération d’où
est sorti Jésus-Christ., — construisant une histoire à eux,
une histoire ecclésiastique, en marge de l’histoire[12].
L’Incarnation, c’est, bien plus que cette scène des trois
Évangiles (Matthieu, Marc, Luc) sur une haute montagne, où le
lecteur assiste à un lever de soleil qui illumine la nuée,
tandis qu’une voix proclame sur Jésus, le Verbe : Celui-ci
est mon Bar, mon Fils bien-aimé..., l’incarnation, c’est, dis-
je, la vraie Transfiguration, — tout de la mystification, et
rien du mystère.
Pendant trois cents ans, des scribes juifs, de mauvais Juifs
et des judéo-hellènes, tous christiens, éliminant peu à peu
l’Apocalypse et les Commentaires de Papias, en ce qu’ils
contiennent d’histoire, transformant les doctrines froides et
abstraites des cérinthiens et le dogmatisme hiératique de
Valentin aux allégories hybrides, en réalités supposées
mais concrètes, plus accessibles aux foules, en un temps
d’ailleurs où la superstition et la magie, l’astrologie
règnent partout, vont s’efforcer, dans des libelles sans
nombre, de combiner littérairement, le Christ de chair
crucifié par Ponce Pilate et le dieu Jésus, imaginaire, de les
réunir en un être unique qu’ils donneront comme
appartenant à la biologie, au règne vivant et animal. Et tout
d’abord, ils créent l’appellation de Jésus-Christ, unissant
les deux éléments du composé mi-humain, mi-divin, qu’ils
sont en train de fabriquer. Puis, pour achever une fusion
qui n’est vraiment que confusion, ils l’appelleront tantôt
:
Jésus ; tout court, tantôt Christ, mais étant bien entendu,
dans leur dessein, qu’il s’agit bien de Jésus-Christ. Le
Christ, crucifié par Ponce Pilate, ne peut et n’a pu être dit
Jésus et devenir Jésus-Christ, d’une façon décisive et
habituelle, qu’après le travail littéraire d’incarnation et de
transfiguration dû aux scribes et que dans la mesure où, par
exception, la fusion est réalisée. Car le double vocable
reste l’aveu qui attestera toujours et contiendra à jamais
tout le mystère de la mystification[13].
III. — L’apôtre Paul et les Actes.
L’imposture par laquelle on a lancé Jésus-Christ comme
une individualité vivante, biologique et indivisible, en
combinant l’homme de chair et le dieu fictif, est liée à un
coup d’audace, autre imposture, qui a consisté dans
l’invention de l’apôtre Paul. L’Épître aux Galates est la
première étape, par voie indirecte, de cette double
invention que les Actes des Apôtres ont consacrée : on
fabrique une lettre ; on la dit de Paul. Qui ça, Paul ?
Attendez un peu. Les Actes vont vous l’apprendre. Et l’on
fabrique les Actes. Entre temps, les scribes ont eu le loisir
de confectionner toutes les autres Épîtres mises sous le
nom de saint Paul, sur l’authenticité de la plupart
desquelles les critiques déraisonnent à l’envi, sans
s’apercevoir qu’elles sont toutes aussi frauduleuses.
L’invention de l’apôtre Paul, par la voie sournoise et qui
biaise de ses Lettres, puis par la fabrication des Actes, est
l’œuvre au début du IIIe siècle, à Rome, de scribes à tout
faire, aux gages des mauvais Juifs, qui abritent leurs
impostures derrière le Saint-Esprit, et camouflés en
Calliste et Zéphyrin, dont l’Église, qui n’est pas dégoûtée,
a fait des papes. Lettres et Actes, surtout les Actes, ont subi
par la suite d’importantes retouches, suivant les besoins de
la cause et les humeurs de l’Esprit. Les imposteurs savent
qu’il ne protestera pas, non plus que Dieu, — ce qui juge
leur moralité et leur foi, voire leur bonne foi. L’invention
de l’apôtre Paul, ses Lettres, les Actes, œuvres de
littérature, sans plus, sauf que la fraude, comme la grâce, y
a surabondé, n’ont pas d’autre but essentiel que de créer
Jésus-Christ, le Verbe incarné, le mystère de l’Incarnation.
Toutes les impostures des Actes faussant l’histoire, de
propos délibéré, servent à couvrir l’imposture première de
l’Homme-dieu[14].
M. Charles Guignebert, dont je ne partage aucune des
conclusions sur le christianisme historique, qui croit à
l’apôtre Paul, et qui déclare que l’apôtre a ouvert la porte
à toutes les autres gnoses, alors qu’il n’a été inventé que
:
pour la fermer par la combinaison de Jésus-Christ[15] a
écrit des pages bien remarquables comme analyse, sur la
doctrine de Paul[16]. Elles n’expliquent rien, cependant.
Pourquoi ? Parce que, fidèle à la critique conventionnelle
et surannée, il n’a pas vu qu’il n’a pas existé au Ier siècle,
sous Claude et Néron, d’apôtre Paul christien et, moins
encore chrétien, quoi qu’on l’y achemine, converti du
prince hérodien Saül de Tarse ou de Giscala, lequel n’a
jamais cessé, depuis son âge adulte jusqu’à sa mort, de
persécuter, c’est-à-dire de combattre et de poursuivre, non
comme des victimes ou martyrs sans armes, mais comme
des ennemis de Rome et de la dynastie régnante, en Judée,
les troupes des messianistes-christiens. La chasse qu’il leur
a donnée, dès les jours qui ont précédé la capture du Christ
jusqu’à la défaite de Ménahem sous Vespasien, reste
inscrite, vivace et profonde, sous les édulcorations des
Actes et des Épîtres, mises sous le nom de Paul. Tout ce
qu’on y lit sur les querelles dogmatiques entre Simon-
Pierre et Paul n’est que l’écho, transformé en disputes ou
discussions de conciles, pour donner le change, d’épisodes
de guerre où se sont affrontés les deux hommes, les armes
à la main, Simon-Pierre comme chef de la secte christienne
après la mort du Christ, et Paul, alors Saül, ne respirant
toujours que menaces et que carnage contre les disciples
du Seigneur (les partisans du Christ), ainsi que disent les Actes,
avant de convertir Saül au IIIe siècle[17]. Il est mort. Il n’en
saura rien. Pas de rectification à redouter.
La conversion de Saül en Paul est contredite par la
chronologie même de l’Église. Le Christ mort, Saül est
converti en Paul, pas même une année après. A quel
moment placer, alors que Saül n’apparaît pas dans les
Évangiles, une persécution qui, pour avoir été celle
qu’impliquent les Actes, féroce, ardente, a duré plus d’un
jour ? Elle n’est pas commencée à la mort du Christ, sans
quoi les Évangiles le diraient et nommeraient Saül, et au
témoignage des Actes. elle se termine à la conversion
évidemment. Oui, où la placer ? Dans l’imagination des
scribes[18].
Mais il y a plus. Si le prince Saül s’était converti,
pourquoi, ainsi qu’on le lit encore dans Épiphane (Contra
Hœres., XXX, 18), les premières sectes christiennes, celles des
Naziréens et des Ébionites, entre autres, n’ont-elles cessé
de parler de Saül comme d’un ennemi maudit, d’un renégat
traître à la Thora (interprétée messianiquement, bien entendu) ?
Pourquoi, en raison de sa conversion, de sa prédication, et
surtout de ses collectes, si fructueuses. dans l’Occident, au
:
profit des saints de Jérusalem et des pauvres (les ebionim
précisément), ne lui ont-elles pas pardonné ? C’est qu’elles
n’ont jamais rien su de l’apôtre Paul, inventé plus tard.
Si Saül a été en réalité le converti qu’est l’apôtre Paul, à
qui les Actes et les Épîtres attribuent un rôle si éminent,
qu’il dépasse celui des apôtres et des disciples du Christ
eux-mêmes, comment expliquer que les Épîtres de Jean, de
Jacques, de Jude, ne nomment même pas cet ancien
persécuteur, exemple inouï de la puissance de Jésus-Christ,
recrue à nulle autre pareille en faveur de la foi nouvelle,
dont la conversion eût entraîné celle de tous les Juifs du
Temple ? Comment Papias qui, d’après Eusèbe, cite
Matthieu et Marc, à propos des Paroles du Seigneur, est-il
muet sur Paul, qui domine toute la génération apostolique,
tel qu’on l’a fabriqué, et sur ces Épîtres ?
Pour trouver un mot sur Paul, il faut aller chercher une
interpolation qui se dissimule dans une Épître dite de
Pierre, fausse, mais antérieure aux Actes, contemporaine
de Papias peut-être, dans sa substance première, car elle a
été retouchée, et une interpolation, de même style, et aussi
honteuse, Paul, notre frère bien-aimé, dans la Pistis-Sophia
de Valentin[19].
Il n’y a jamais eu d’apôtre Paul que sur le papier.
IV. — Les deux hypostases.
Les deux éléments qui composent Jésus-Christ, l’Église,
pour donner le change sur leur incompatibilité spécifique,
les appelle, d’un mot qui veut les faire de même espèce :
ses deux natures, ou, pour parler le jargon de curie : ses
deux hypostases, l’hypostase divine et l’hypostase
humaine. Les deux natures de Jésus-Christ sont, en lui,
unies hypostatiquement, c’est-à-dire, parlant français, de
manière à ne former, comme en chimie les corps simples,
qu’une seule personne, homogène de substance,
inséparable spécifiquement, indissoluble, synthétisant à la
fois les attributs de l’homme et de Dieu. Du deuxième
siècle à la fin du premier tiers du cinquième, soit pendant
deux cent trente ans environ, les coryphées christiens se
sont disputés à coups de livres, et, dans des manifestations
publiques, allant jusqu’à la bataille où l’on se tue, sur les
deux hypostases, sur cette imposture que les plus honnêtes
ne voulaient pas admettre comme une vérité[20]. Les plus
honnêtes ont été vaincus.
En 431, le concile d’Éphèse, présidé par saint Cyrille
d’Alexandrie, un fanatique, digne fils des sicaires
christiens du temps des Hérodes, a proclamé ceci, sous son
:
inspiration pneumatique :
Si quelqu’un attribue à deux personnes ou à deux
hypostases les choses que les Évangiles et les apôtres
rapportent comme ayant été dites de Jésus-Christ, et
appliquent les unes à l’homme considéré séparément du
Logos (Verbe) de Dieu, et les autres, comme dignes de Dieu,
au seul Logos (Verbe) qui procède de Dieu le Père, qu’il soit
anathème ! [21]
Or, malgré l’anathème que j’encours, — mais il faudra
qu’il retombe sur les Évangiles derrière lesquels je vais
m’abriter, — cette union hypostatique des deux natures,
elle n’est pas, Évangiles en mains, sans joints visibles ni
bâillements, contrairement à la robe du Christ, dont on dit
qu’elle était sans couture ; elle n’est pas sans éclater aux
yeux. Quand saint Cyrille fulmine contre ceux qui séparent
les deux hypostases, les Évangiles sont faits, ou à peu près,
tels que nous les possédons aujourd’hui, tels absolument, si
l’on y tient. Saint Jérôme, qui y a mis la dernière main, est
mort en 420. Le concile d’Éphèse est de 431. Les
Évangiles ne réussissent pas à fondre en Jésus-Christ les
deux hypostases. Voici deux exemples[22] :
V. — Fils unique ou Fils premier-
né ?
Les Évangiles parlent du Christ tantôt comme fils unique,
tantôt comme fils premier-né, ayant eu donc des frères,
dont ils donnent les noms. L’Église, elle, ne veut pas que le
Christ ait eu des frères, contre l’évidence. Comme elle
s’arroge tous les droits, elle traduit le mot grec adelphos,
qui signifie proprement frère, par cousin. Elle invente pour
Joseph, si inconsistant comme époux de Marie, une
première femme, qui serait la mère des frères de Jésus. Et
les exégètes indépendants discutent gravement sur ces
facéties sans fondement et arbitraires.
La question de Jésus fils unique ou de Jésus premier-né, est
d’une solution enfantine, quand on veut bien comprendre
que la moitié du Jésus-Christ des Écritures sort de la
métaphysique gnostique. Les gnostiques ont précédé les
Évangiles actuels de trois cents ans. La question du Fils
unique et du Fils non unique en est une preuve entre tant
d’autres. Jésus-Christ est bien à la fois Fils unique et Fils
premier-né ayant eu plusieurs frères. Mais, attention ! Il est
le Fils unique en tant que Fils de Dieu, Verbe ou Logos ; et
il est le fils premier-né en tant que né de Marie et de
Joseph, Christ de chair. Il est Fils unique, quand les
Évangiles le mettent en scène, quand ils le font discourir
:
surtout, comme Æon, comme Logos, comme Verbe, dieu
fictif, pur Esprit, même revêtant le corps charnel du fils de
Joseph, qui lui sert de support. C’est parce qu’il est Fils de
Dieu que Marie devient enceinte par la vertu de l’Esprit, et,
ayant enfanté, reste vierge. D’où l’Immaculée-Conception,
cet autre mystère. Mais, comme Christ, il est tout de même
le fils premier-né de Marie (dans la crèche de Bethlehem).
Joseph est-il le père ou non ? On flotte. Le travail des
scribes, sur ce point, laisse beaucoup à désirer. J’avoue que
vouloir réaliser l’unité de la combinaison Jésus-Christ
passe le génie littéraire des scribes, même
pneumatiquement, autrement dit avec l’aide du Saint-
Esprit[23]. Mais quand il est le Crucifié de Ponce Pilate,
Christ en chair, il a des frères ; il est le premier-né. Il a un
père et une mère, comme tout le monde, et qui l’ont conçu
et engendré d’après les lois les plus naturelles. Et il n’est
pas seulement verbeux, il est avant tout homme d’action.
Nous le verrons à l’œuvre, et quelle !
Pour voir clair dans les Évangiles, il ne faut jamais oublier
qu’ils réunissent le Verbe divin et le Crucifié de Ponce
Pilate, l’Esprit et la Chair sous le même vocable : Jésus-
Christ. Ils additionnent deux quantités de substance
différente, contrairement à toutes les lois de l’arithmétique.
Un haricot plus une fève, pour les scribes, donnent au total
haricot-fève, fondus ensemble, malgré le trait d’union.
Pour les gens de raison normale, la somme ne doit faire
jamais qu’un haricot à côté d’une fève[24].
Ainsi, cette prétendue fusion de la chair et de l’esprit, qui
n’est qu’une superposition, aboutit à des incohérences et à
des contradictions comme celle du Fils unique et du Fils
ayant plusieurs frères, que la critique n’expliquera que
lorsqu’elle retrouvera ce sens spécial qui est sa raison
d’être, et qu’elle perd, dès qu’elle s’occupe d’histoire du
christianisme[25].
Après le dogme, des faits.
VI. — Femme ! femme, vois le fils
de toi !
On connaît ces mots si cruels, et même de violence
méprisante, lancés par Jésus contre ses frères selon la
chair, qu’il renie, dirait-on, et contre sa mère, qu’il appelle
Femme !
L’Église les explique en opinant d’un ton benoît que Jésus,
venu pour sauver le monde, ne pouvait que considérer avec
un grand détachement sa famille selon la chair. Ceux qui le
suivent sont sa vraie famille, ses père, mère, frères (tiens !
:
et sœurs. Quoi de plus naturel ?
tiens ! où sont les cousins, ici ?)
L’Église tient toujours à justifier pour elle-même, le mot
du Selon-Matthieu : Heureux les simples d’esprit ! Il ne
faut pas se laisser endormir par l’exégèse pateline. Elle
n’est que verbiage trompeur, piège d’autant plus certain
qu’elle se fait plus doucereuse, Les explications de l’Église
ne justifient pas, ni ne font pardonner la réponse d’un fils à
sa mère aux Noces de Cana : Femme, qu’y a-t-il entre toi
et moi ? Mon heure n’est pas encore venue[26]. Femme !
En parlant à sa mère ! et la suite : Qu’y a-t-il entre toi et
moi ? Ce Christ, dont on a fait un professeur de morale,
n’est même pas digne de notre code civil qui, dans son
article 371, pose comme principe que l’enfant à tout âge
doit honneur et respect à ses père et mère. Ne saurait être
divin ce qui n’est pas premièrement humain[27].
Il n’est pas impossible de retrouver encore, dans un autre
épisode du Selon-Jean (XIX, 26-27), celui du Golgotha, la
distinction entre le Verbe Jésus et le Crucifié en chair.
Certes, le récit canonisé cherche bien, dans la forme,
littéralement, à ne montrer sur la croix que Jésus-Christ,
être unique, homme-dieu. Pas d’Æon, de Verbe, de Jésus-
Esprit distinct du Crucifié Jésus Chair. Mais si l’on veut
bien ne pas se fier aux apparences, on retrouve dans le
fond, dans ce qui est la substance intime du morceau,
révélant à l’analyse son origine gnostique, la distinction
frappante entre le Dieu-Esprit et le Messie-homme
crucifié. Il n’y a qu’à lire :
Près de la croix de Jésus se tenaient sa mère et la sœur de
sa mère, Marie, femme de Cléopas, et Marie-Madeleine.
Jésus, voyant sa mère, et, près d’elle, le disciple qu’il
aimait, dit à sa mère : Femme, vois le fils de toi ! Puis il
dit au disciple : Vois la mère de toi ! A partir de ce
moment, le disciple la prit chez lui.
Raisonnons sur ce texte. Il en vaut la peine. Il est un
remarquable exemple de la manière dont s’y prennent les
scribes pour fabriquer les Évangiles, en se servant d’écrits
antérieurs, décrétés ensuite hérétiques.
Jésus-Christ est sur la croix. Le scribe veut donner l’idée
au lecteur que c’est l’homme, le fils premier-né de Joseph ;
il escamote l’Æon, Fils de Dieu, distinct du Christ. Par
l’insistance avec laquelle le scribe répète sa mère, le
lecteur ne peut, même s’il se méfie, prendre ce Jésus pour
le métaphysique Esprit des gnostiques. Voilà pour
l’apparence littérale. Venons au fond.
Au pied de la croix, la première phrase place les trois
:
Maries évangéliques. Ne les discutons pas ici, bien que
deux soient une même Marie. Remarquons que le scribe
n’ajoute pas aux trois Maries qui se trouvent au pied de la
Croix le disciple que Jésus aimait ; il n’y est donc pas, sans
quoi le scribe l’aurait dit d’emblée. Jésus aperçoit alors sa
mère ; et c’est par un détour que le scribe fait apparaître,
auprès d’elle, le disciple. Nous avons tous compris qu’il
s’agit de Jean. Or, Jean, le disciple bien-aimé, c’est le
Iôannès, le Crucifié de Ponce Pilate ; je l’ai déjà indiqué,
en attendant la preuve massive ; c’est le Iôannès, en qui le
Verbe Jésus a élu domicile sur la terre.
Où est Jean dans cette scène ? Pas au pied de la croix, mais
tout de même près de sa mère. En fait donc, il est sur la
croix ; et son corps supporte le Jésus, pur Esprit. Le scribe
le sait si bien que c’est pourquoi il ne l’a pas placé et
signalé, en commençant son récit, au pied de la Croix où
Marie se trouve ; et si le Iôannès est auprès d’elle, c’est
qu’il est un peu au-dessus, voilà tout, sur la croix. Le Verbe
Jésus qui, en tant qu’Esprit, ne peut être crucifié, va
s’envoler, retourner au ciel, vers son Père[28]. Alors, il
restitue à sa mère l’enveloppe de chair qui le logea Femme,
vois le Fils de toi ! C’est le même Jésus, Esprit, des Noces
de Cana. Femme, dit-il encore. Peut-on concevoir qu’un
fils de chair, crucifié, près de mourir, confiant sa mère qu’il
va laisser à jamais, ne trouve pas de mot et de phrase, dans
un récit que l’on affirme historique, donc humain, de mot
et de phrase partant du cœur, et qui attendrissent, qui soient
une consolation, un élan de pitié pour cette malheureuse,
cette mère, inconsolable[29] ?
Contradictions et incohérences ? Oui, si Jésus-Christ
n’est pas un être double. Non, — et c’est la vérité, — si le
Jésus qui parle à cette mère écroulée au pied de la croix
n’est pas son fils, le premier-né des morts, le Messie-
homme ; non, — et c’est la vérité, — si c’est l’Æon
gnostique, le métaphysique Jésus, par la plume de
Cérinthe, trempée plus tard dans l’encre du pseudo-Jean.
Et c’est le pseudo-Jean, un inconnu, plusieurs sûrement,
qui ajoute, pour achever de nous dérouter, qu’à partir de ce
moment, il (le disciple bien-aimé) prit sa mère chez lui. Sa
mère, en effet ; la sienne, mais pas celle du Jésus qui a
parlé dans cette scène. Et c’est cette certitude qui reste,
précise, de l’analyse du texte au fond, malgré
l’amphibologie de la lettre, et qui ne permet pas de croire à
la possibilité du fait qu’annonce le scribe, Jean emmenant
sa mère chez lui, puisque le vrai crucifié de chair, qui va
mourir sur la croix, c’est lui Jean-Iôannès, tandis que
:
l’Æon immortel, le Jésus, Fils unique de Dieu, va retourner
vers son Père[30].
Cette scène du Selon-Jean, qui donne l’impression d’une
mystification macabre, achève de prendre toute sa
signification et sa vraie valeur, quand on la rapproche de la
fin d’une phrase qu’on lit dans Épiphane (Hom., 24) et
Théodoret (Hœret. fab., 1), pour résumer la doctrine
christienne du gnostique Basilide, et où il est dit que «
Jésus ne s’était point incarné, qu’il s’était seulement
couvert de l’apparence d’un homme, et que dans le temps
de la Passion... il se moquait des Juifs et du Crucifié sans
qu’ils le vissent, et qu’il était ensuite remonté dans le ciel
vers son père, sans avoir été connu des anges et des
hommes[31].

VII. — Cérinthe et le Selon-Jean.


L’Église a toujours donné l’impression, bien qu’attribuant
aujourd’hui le quatrième Évangile à l’apôtre Jean, qu’elle
ne sait pas quel en est l’auteur. Il est de Cérinthe ; mais,
bien entendu, après l’avoir mis au compte d’un autre,
l’Église lui a fait subir toutes retouches propres à y effacer
la doctrine cérinthienne. On vient de voir par quels
procédés, et qu’elle y a mal réussi.
Que le quatrième Évangile, dénommé le Selon-Jean, est un
écrit de Cérinthe, cela s’infère et résulte d’abord de la
comparaison entre la doctrine de Cérinthe, ôtées les
falsifications que les scribes d’Église, par qui seuls nous la
connaissons, y ont glissées, et celle de l’actuel Selon-Jean,
quand on sait le lire.
Cela résulte de l’opposition qui a été faite à cet Évangile
quand il s’est agi de lui faire prendre place dans le Canon
au Ve siècle. Il n’y est entré, par esprit de conciliation
entre les sectes, mais qu’à la condition évidente de lui faire
subir toutes les mises au point nécessaires.
Cela résulte de l’examen des textes christiens où l’on peut
suivre à la piste le travail de fraude par lequel on a
substitué Jean à Cérinthe, au moyen d’invraisemblances
qui confinent au miracle.
C’est ainsi que, quand on analyse de près ce qui est raconté
de Cérinthe, dans des ouvrages fabriqués par des faussaires
au IIIe ou IVe siècles, tel l’Adversus Hœreses (I, XXXI, 1),
mis sous le nom d’Irénée (du IIe siècle), sans parler
d’Épiphane et d’Hippolyte de Thèbes, on y touche la
fraude en train de se faire, et par quels procédés ! Cérinthe,
:
dit en gros Irénée, Cérinthe, contemporain de Jean, disait
qu’un Æon, nommé Christos, s’était uni par le baptême à
l’homme nommé Jésus, et l’avait quitté sur la croix[32].
En faisant de Cérinthe le contemporain de Jean, qui est le
Christ mort plus de cent ans auparavant, le scribe Irénée ou
Irénéen veut établir une confusion entre Jean qui, comme
disciple et apôtre est déjà une invention, et Cérinthe. Pour
ce résultat, on n’a aucun respect de la chronologie. Jean et
Cérinthe sont d’abord contemporains ; de là à substituer
Jean à Cérinthe, il n’y a qu’un pas que l’Église a franchi
avec allégresse. Jean devient l’auteur de l’Évangile de
Cérinthe. Même, Eusèbe (Hist. eccl.) déclarera avec
indignation, d’après Denys d’Alexandrie, que Cérinthe
voulut mettre son œuvre sous un nom digne de lui attirer
du crédit. Ainsi, c’est Cérinthe désormais qui a dérobé à
Jean sa signature[33].
Mais, voici les Aloges. Adversaires des Cérinthiens, ils
niaient, comme leur nom l’indique, le Verbe ou Logos, à la
fois comme Æon ou émanation de Dieu, et comme s’étant
incarné dans le Christ, crucifié de Ponce Pilate. Ils
rejetaient avec mépris les fables cérinthiennes, les traitant
d’œuvre de mensonge. Et ils affirmaient que l’Évangile dit
aujourd’hui Selon-Jean était l’évangile de Cérinthe.
Que l’Évangile Selon-Jean est de Cérinthe, cela résulte
donc du témoignage formel des Aloges.
Pardon ! dit l’Église, au VIe ou au VIIe siècle, mais le
Jean ou Iôannès des Aloges, ce n’est pas le nôtre, qui
s’appelait Iohanan (ou Iochanan). D’ailleurs, à quoi bon
discuter ? Vous dites que Papias, mort en 130, n’a pas
connu l’Évangile de Jean, ni Iochanan ? Qu’Eusèbe ne
sait rien de Iochanan ? Qu’importe ! Aujourd’hui, tous ces
faux qui cascadent les uns sur les autres, s’épaulant
mutuellement, sont un casse-tête chinois dans lequel les
critiques laïques perdent leur raison. Ils ne s’y risquent
plus. Ces faux, enfin, je les ai réduits à un seul : le
quatrième Évangile est de Jean. J’ai dit. C’est acte de foi.
Si le faux est devenu le vrai, il y a prescription. Enfin, je
suis souveraine. Et les pouvoirs publics sont mes
champions[34].
En attendant, au IVe siècle, après Constantin, après l’édit
de Milan et le Concile de Nicée, si la chrétienté a adopté
Jésus-Christ, la fusion n’est pas faite encore entre le dieu et
l’homme. Nestorius n’en veut pas, vous l’avez vu (en 428).
Saint Cyrille de Jérusalem avait écrit, à la fin du IVe
siècle, dans ses Catéchèses (IV, 9) : Le Christ était double,
:
homme en tant que visible, Dieu en tant qu’invisible. Sous
Constantin (IVe siècle), tous les christiens sont de l’avis
d’Arius, et Arius, prêtre d’Alexandrie, est un gnostique
impénitent[35].
Au surplus, l’Évangile Selon-Jean est resté, canonique,
orthodoxe, par conséquent. Les critiques ont beau en
fausser la signification et la portée, avec une absence de
bon sens qui n’a d’égale que l’enthousiasme théologique
qu’ils lui vouent, le quatrième Évangile, tout revu et
corrigé qu’il soit pour lui enlever son caractère gnostique
et le plier à l’orthodoxie du IVe siècle, ne cesse pas de
présenter un Jésus-Christ dont les deux hypostases ne se
rejoignent jamais, depuis le moment où, dès le prologue, le
Verbe côtoie Jean, puis s’unit à lui, Christ au baptême du
Jourdain, par l’intermédiaire de la Colombe[36], jusqu’à la
crucifixion au Golgotha, quand l’Æon quitte sa demeure de
chair[37].
VIII. — Les Évangiles.
Au Ve siècle, le Christianisme est fait, et, grâce au pape
Damase, tenant la main de saint Jérôme, les Évangiles
aussi. Ils sont le résultat, en marge de l’histoire, de la
chronologie et de la géographie, — de la linguistique
ordinaire aussi, — d’un travail littéraire de cinq siècles,
combinant toutes les données d’ouvrages antérieurs :
Apocalypse, Commentaires de Papias, affabulations
gnostiques, Actes des Apôtres et Lettres apostoliques, y
choisissant, y élaguant, y mettant de l’ordre, bref, en
faisant sortir les récits qui ont la prétention de faire
accepter comme vécue, arrivée, l’histoire qu’ils donnent de
Jésus-Christ.
C’est parce qu’ils n’ont pas voulu voir cet assemblage
factice de l’homme et du dieu, en Jésus-Christ, si éclatant
encore, bien ou mal fait, et dans lequel, — travail de cinq
siècles, — ou a voulu concilier, en plus, les conceptions
juives sur le Messie, farouche quand il est celui des
Psaumes, souffrant quand il est celui du prophète Ésaïe, et,
pour donner au personnage qui en résulte un certain air de
grandeur et de majesté, en y mêlant les mythes solaires
venus des religions et cultes mithriatiques ou isiaques, que
les exégètes et critiques, malgré la peine qu’ils y prennent,
ne réussissent pas à accorder les contrastes, contradictions,
incohérences, de même origine et explicables pareillement,
qu’en apparence présente tout ensemble et tour à tour, dans
une désunion intime, ce Jésus-Christ des Évangiles. En
voici au hasard : intelligence humaine parée d’un esprit
divin, qui ne dépasse pas d’ailleurs le meilleur de la
:
sagesse antique[38] être grand et abaissé, maître et
serviteur, roi et sujet, sacrificateur et victime, mortel et
vainqueur de la mort, riche et pauvre ; conquérant glorieux
dont le règne n’aura pas de fin, qui soumet la nature par
ses prodiges, et cependant homme de douleur ; n’ayant
pas, dans cette vie où il se dit roi, de lieu pour reposer sa
tête (comme le soleil, il tourne autour de la terre et marche sur les eaux)
; fanatique de la Thora ou Loi juive (dont pas un iod ou iota ne
passera, qu’il est venu accomplir) et se mettant au-dessus d’elle (il
est le maître du sabbat ; il fonde par son sang une nouvelle alliance) ;
prédicateur de la paix et de l’amour (voir les Béatitudes) et
proférateur d’anathèmes, de cris de guerre et de haine,
éclatant en invectives, apportant non la paix mais le glaive
; digne de la faveur des Romains et des Hérodes, comme
agent de pacification en un temps où la Judée est à feu et à
sang, et condamné par eux, comme soulevant le peuple, au
supplice le plus cruel et le plus honteux.
Mais de ce que le Christianisme est fait, il ne s’ensuit pas
que le monde y est converti, est chrétien. Certes, il a des
adeptes. Ils ont fait tant de bruit, causé tant de troubles, ils
sont assez nombreux pour que les pouvoirs politiques
comptent avec eux, reconnaissent la religion nouvelle ; des
empereurs mêmes passent au christianisme.
IX. — Destruction de l’Empire
romain.
A partir du IIIe siècle, l’Empire romain entre en décadence.
Il ne m’appartient pas d’en rechercher les causes hors de
mon sujet. Mais l’une d’elles, qui s’y rattache, c’est la
propagande christienne, qui, par son caractère de violence
haineuse contre Rome, d’abord haine politique attestée par
l’Apocalypse, ensuite haine tout court, vengeance de
vaincus, après la destruction et la dispersion de la nation
juive sous Hadrien (135), a contribué à précipiter la
dislocation de l’Empire et la ruine de la civilisation
antique. Jusqu’à la fin du Ier siècle, la propagande
christienne est restée messianiste, apocalyptique, prêchant
la prochaine destruction du monde en faveur de la nation
juive. A partir du IIIe siècle, sans cesser de spéculer sur la
même sinistre espérance, les christiens, ayant perdu la foi
dans une revanche par les armes, ont continué leur
propagande de haine contre le monde occidental, en
transposant leurs doctrines du plan politique sur le plan
social.
Sous couleur de morale et de justice sociale, en même
temps qu’ils fabriquent les fables évangéliques, donnant à
Jésus-Christ l’allure de la réalité vécue, sans scrupule pour
:
l’histoire, que l’on fausse, que l’on truque, que l’on
supprime, ils foncent contre les autres religions, contre les
cultes grecs et romains avec une violence inouïe. Un
fanatisme d’espèce inconnue jusqu’alors, venu de l’esprit
des races sémitiques, et qui est un trait d’union de plus
entre le christianisme messianiste et le christianisme
chrétien, gangrène les civilisations occidentales[39].
Par les christiens, la liberté de conscience, qui avait été
l’honneur de la civilisation antique, est battue en brèche. Et
leurs héritiers, les chrétiens, la supprimeront toutes les fois
qu’ils seront les plus forts.
Avec les christiens-chrétiens, la religion devient agressive
et persécutrice. La vieille conception libérale des
philosophes exposant des théories, des doctrines, des
systèmes qu’ils offrent au libre examen de la raison, cède
la place à la propagande par l’anathème, par autorité, et,
quand ou le peut, par la violence. Le christien ne prêche
pas pour convaincre par la discussion, mais pour convertir
par la foi. Il ne s’adresse pas à la raison ; abrité derrière le
mystère, il force la conscience par effraction[40]. Si, au nom
de la liberté, on s’oppose à ses empiètements, si on lui
résiste, il crie à la persécution. On n’a la paix avec lui que
par la soumission[41].
La propagande christienne a été d’autant plus âpre et
corrosive contre l’ordre établi que, cessant d’être la révolte
franche de l’âge héroïque par le glaive, sous Tibère,
Vespasien, Claude, Trajan, Hadrien, l’insurrection par les
armes, elle s’est placée sur le terrain de la justice sociale et
de la morale. Traînant son relent de haine messianiste,
gardant son caractère de fanatisme zélote, elle s’adresse
aux masses dont elle remue les bas instincts, semant
l’envie, opposant le riche au pauvre, l’esclave au maître,
l’humble, le petit au puissant. C’est l’Évangile révélé aux
petits (Math., XI, 25-26).
Exagérant les misères d’en bas, le luxe et l’orgueil d’en
haut, faisant miroiter l’espoir d’une revanche dans ce
monde encore peut-être, — le maintien de l’Apocalypse au
Canon des Écritures permet de l’affirmer, ainsi que les
discours apocalyptiques de Jésus sur son avènement dans
les Évangiles, et la promesse du grand Jour dans les
Épîtres, — et, plus tard, en tout cas, dans le ciel, après la
mort et la résurrection dans la Jérusalem nouvelle, on ne
sort pas des conceptions christiennes judaïques, et la
parabole évangélique du pauvre et de Lazare est là pour
attester le caractère de cette propagande. En résumé,
détachant les peuples de leur affection pour l’Empire, de
:
leur respect pour les pouvoirs politiques et religieux,
émasculant les sentiments de fidélité aux institutions,
sapant la cohésion, l’unité politique et morale de tout un
monde, la propagande christienne et chrétienne est arrivée
à ceci — que les peuples de l’Empire romain se sont
désintéressés de son existence.
Quand les Barbares ont osé s’attaquer à l’Empire, ils sont
entrés si facilement dans ce corps sans âme et l’ont vaincu
si promptement, que l’on peut supposer que les christiens
eux-mêmes, leur ont, ça et là, montré les routes et ouvert
les chemins.
X. — Christianoï = Chrêstôi.
A ce moment déjà, si le Christianisme coudoie encore, tant
bien que mal, plutôt mal que bien, dans un sentiment
d’hostilité persécutrice et de prosélytisme iconoclaste, qui
s’affiche de plus en plus audacieusement, les dieux de la
Grèce et de Rome qui résistent à céder la place et
conservent encore leurs fidèles, malgré d’injurieuses
offenses, ce ne peut plus être pour longtemps.
Après avoir raillé dans des ouvrages qui sentent déjà le
catéchisme, et mis sous le nom de Justin, la mythologie
antique, pour défendre leurs propres fables judaïques
assimilées à d’autres des cultes non chrétiens, les scribes
ecclésiastiques font un pas en avant pour annexer la
philosophie et la morale des Platon, des Socrate, des
stoïciens. Le prétendu Justin déclare froidement que Platon
a plagié Moïse. Est-ce Justin, Tertullien, saint Jérôme, —
lequel, qu’importe ? — qui soutiendra que les philosophes
et moralistes grecs et latins ont volé aux chrétiens leur
morale ? que, dans ce qu’ils ont dit de bien en tout cas, ils
ont été inspirés par l’esprit chrétien, — avant le
christianisme[42].
Justin, c’est, environ, le temps de Marc-Aurèle, de
Minucius Félix, de Fronton, de ces honestiores du monde
latin, de ces vertueux d’Épictète, de ces bons, que le grec
appelle les chréstoï, excellents, stoïciens et laïques,
dirions-nous, dont la religion est un monothéisme
rigoureux, sans dogme ni culte, prouvée par une bonne
conscience. Religion de l’honnête homme, des Fronton,
des Celse, des Lucien de Samosate, du véritable Justin,
sans doute. Au Ve siècle, saint Augustin rendra à ces
honestiores, à ces chréstoï le plus bel hommage, en
avouant que c’est la lecture de l’Hortensius de Cicéron qui
provoqua sa conversion au christianisme. Ce qui n’a pas
persuadé l’Église de nous conserver ce bel ouvrage, —
:
perdu naturellement.
On voit aussi que pour mieux réussir dans son jeu, pour ne
pas effaroucher les Occidentaux, par son origine judaïque
et son drapeau christien, l’Église n’a pas hésité à se draper
dans le manteau de la philosophie antique. Les Apologies
de Justin n’ont été faites, bien après lui, que dans ce but. Et
pour achever la confusion, les scribes essaieront
d’assimiler les chréstoï aux christiens, en faisant dire à
Justin : Nous sommes accusés d’être christiens, et il est
injuste de haïr... ce qui est chrêston, c’est-à-dire excellent.
Le scribe joue sur les deux mots ; et il faut, pour en saisir
le jeu et la portée aujourd’hui, savoir que l’é grec, l’éta de
chréston, que nous prononçons comme un è, se prononçait
très pointu, comme un i, chez les Hellènes. On entendait
christon — on pouvait comprendre : Il est injuste de haïr
Christ, pour ce qui est excellent[43].
XI. — L’Église.
La propagande christienne s’est, dans les premiers siècles,
appuyée sur le noyau des communautés juives groupées
autour des synagogues[44]. Ce que les scribes, dans les
œuvres, appellent aujourd’hui l’assemblée, que l’ont
traduit par Église, n’a dû être longtemps que la synagogue
ou une association à côté, mais s’y rattachant. L’ekklésia
ne s’est substituée, comme local distinct, à la synagogue,
qu’au fur et à mesure que toute une partie du judaïsme
résistait à la conversion, et ne s’est créée que dans les
milieux où la propagande s’exerçait sur des non Juifs.
Quoi qu’il en soit, les christiens, pendant quatre siècles
avant l’invasion des Barbares, avaient tissé à travers tout le
territoire de l’Empire, comme une vaste toile d’araignée
dont le centre est à Rome, un réseau de communautés,
parfaitement organisées, avec leurs troupes, leurs cadres,
leur hiérarchie, empruntant à l’esprit formaliste des
Romains le sens de la règle et de la discipline, l’instinct du
gouvernement et de l’autorité.
Devenus une force, dès le IVe siècle, une force qui, plus
d’une fois, a troublé l’Empire, tant leur propagande était
agressive et prête aux voies de fait entre eux et contre les
autres, l’empereur Constantin, pour s’appuyer sur eux,
reconnut leur culte, ouvrit aux christiens l’existence
officielle, les admettant dans l’armée et dans
l’administration, ne se doutant guère, — les politiques
ambitieux ne se doutent jamais de ces choses-là, — qu’il
livrait l’Empire à ses pires ennemis, à un gouvernement
occulte dans l’État, qui espérait les prochaines
:
convulsions, et qui aspirait à devenir l’héritier, sentant près
de s’accomplir, par la destruction de l’Empire, prévue à
l’avance, l’ancienne espérance d’Israël à la domination du
monde, à la souveraineté universelle, c’est-à-dire, déjà,
catholique[45].
Et, en effet, quand l’Empire romain, colosse au socle miné,
s’effondre sous une poussée des Barbares, quand vont
suivre trois siècles de migrations de peuples, de guerres de
races, de perturbations politiques et sociales,
d’écroulements de toutes sortes, de mort intellectuelle, de
barbarie, où disparaît toute la civilisation antique, l’Église
reste seule debout sur les décombres et les ruines, ayant
échappé aux désastres qu’elle avait provoqués, ayant
traversé tous les orages sans en souffrir, n’ayant rien fait
que d’achever d’asseoir ses dogmes et d’affermir son
organisation et sa puissance[46].
Quand les Barbares, désireux de se fixer sur les territoires
conquis, chercheront à rétablir l’ordre et le calme, à refaire
le monde sombré dans l’anarchie, à profiter en un mot de
leur victoire, c’est l’Église, — ne pouvant s’appuyer que
sur elle, — qui les y aidera, mais non, part à deux ! sans se
faire payer par des bénéfices temporels et spirituels.
Lorsque, après trois siècles de misères et de tourmentes
encore, le monde, avec Charlemagne, commence à peine à
respirer et à se reprendre, Rome vaincue est devenue la
capitale chrétienne, ses cultes ont disparu avec la
civilisation ; l’Église est souveraine ; il n’y a plus qu’une
religion, la religion chrétienne. Qui refuse de s’y convertir,
qui refuse de croire à Jésus-Christ, ce mystère
mystification, est traité par l’empereur, d’Occident comme
les Saxons, — nouveaux Barbares. Le grand Pan est mort.
XII. — L’ère chrétienne.
Au fur et à mesure qu’elle devenait plus puissante, et au
fur et à mesure que s’éteignait le flambeau de la
civilisation, l’Église, refaisant les manuscrits des anciens, a
sophistiqué les textes, répandu des manuscrits nouveaux,
supprimé ceux qu’elle n’a pas pu ou voulu refaire. Grâce à
son organisation, qui a compté dans son sein, à un
moment, un moment de plusieurs siècles, tout ce qui avait
de la culture au monde, elle a tenu sous sa main tous les
manuscrits de l’antiquité.
Ainsi a-t-elle pu, tout en fabriquant ses ouvrages, effectuer
dans ceux des autres, Tacite, Suétone, Flavius Josèphe,
Dion Cassius, etc., toutes les adultérations nécessaires,
sans compter les suppressions totales, pour faire taire ou
:
mentir l’Histoire sur le christianisme[47].
Mais, pour achever la défaite de l’Histoire, il restait à
l’Église un dernier coup à perpétrer, coup d’audace et
d’autorité, coup de force, que facilitait la barbarie des
temps et son alliance avec le souverain d’Occident, pour le
temporel. Qui pouvait protester ? Il lui restait à brouiller la
chronologie, par la création d’une ère nouvelle, la sienne,
que l’on ferait commencer, par effet rétroactif, comme
pour les Évangiles tardifs et autres Écritures antidatées de
plusieurs siècles, à l’année de la naissance de Jésus-Christ.
Elle y était prête depuis deux cents ans.
Dès la fin du XIIIe siècle de l’ère romaine, toujours en
vigueur, peut-être au début du XIVe, un moine Scythe,
Denys le Petit, — pourquoi le Petit ? Son exploit tient du
génie, — qui, dans son couvent, traduisait du grec en latin
les Canons des Conciles, — soyez sûrs qu’il fabriquait de
faux canons de faux conciles, — et composait le recueil
des Décrétales des Papes, avait déjà, par l’ordre de
l’évêque de Rome qu’il servait, refait, à tout événement, la
chronologie de l’histoire, fixant à l’an 754 de la fondation
de Rome, par une erreur volontaire ou commandée, la
naissance de Jésus-Christ, Crucifié de Ponce Pilate[48].
Mais l’Église n’avait pas encore les moyens ou l’occasion
d’imposer son nouveau comput. L’occasion ne se présenta
que sous Charlemagne, qui lui paya, entre autres prix, son
couronnement comme empereur, par la création de l’ère
chrétienne, qu’il imposa.
C’est ainsi que le monde est devenu chrétien[49].
Avec Charlemagne se ferme l’histoire des Origines du
Christianisme et de la victoire de l’Église, que le Moyen-
âge, nuit propice, portera à l’apogée.
XIII. — La conversion du monde.
Quand Renan écrit dans sa Vie de Jésus que la religion
nouvelle a mis au moins trois cents ans à se former et que
la conversion (des plus nobles portions de l’humanité) a eu besoin
de près de mille ans pour se faire, il énonce deux faits
approximativement exacts. Qu’il voie dans cette révolution
l’événement capital de l’histoire du monde, c’est un point
de vue un peu étroit. L’histoire du monde, dans son passé,
est déjà longue — six ou sept millénaires, certains, Égypte,
Chaldée, Assyrie, Grèce, Empire romain. Le christianisme
ne fait pas plus de seize cents ans, et sa victoire pas mille
encore.
Quant aux plus nobles portions de l’humanité, elles furent,
:
au Ier siècle, des Juifs, des Judéo-hellènes, puis au second
et au troisième, des Grecs crédules et dégénérés, puis des
Romains en décadence à partir du troisième.
Le christianisme ne s’est établi en Occident que comme
une colonisation de foules barbares, brutes ignorantes et
asservies à des chefs politiques dont on peut admirer la
grandeur, à ce titre, mais pour qui la religion n’a été qu’un
moyen, et le but de ce moyen[50].
Si un pays a une histoire, si l’Église en a une, si, de nos
jours, le socialisme, le collectivisme, le bolchevisme
soviétique et le communisme international, commencent la
leur, la foule, la multitude n’a pas d’histoire, surtout dans
le domaine inaccessible de la foi et du for intérieur. En
religion, comme en politique, elle suit. Pas de sens
critique, et, en fait de sentiment, presque toujours du
sentiment qui porte à faux, qui se trompe. Des exaltés,
quand ils sont sincères, des ambitieux, et des malins quand
ils ne le sont pas, agitent l’opinion, se font les
propagateurs, les apôtres de doctrines, inquiètent les
pouvoirs établis, et, pour devenir des chefs à leur tour qui
profitent, n’hésitent pas à critiquer les institutions pour les
renverser. En faisant mouvoir les ressorts de la nature
humaine les moins nobles, intérêt immédiat, désir de jouir,
égoïsme individuel primant le sens social, peur de la mort,
et en se servant de tous les moyens de propagande, paroles
et actes, théories parées de belles couleurs, justice,
fraternité, distribution d’avantages matériels, on donne
l’assaut aux âmes, on émascule les consciences, on tue le
sentiment du devoir. Professeurs de lâcheté !
Peu à peu le centre de gravitation de la vie se déplace.
Lassitude de ce qui est, espérance du meilleur en
changeant l’ordre établi qui n’est, ne sera jamais la
perfection, les hommes insensiblement se demandent :
Pourquoi pas ? Il n’en coûte rien d’essayer. Les
résistances des conservateurs, incapables de se modifier, de
renoncer à des privilèges, d’aider aux réformes qui
apaiseraient des impatiences légitimes, ne font qu’aviver
l’énergie des novateurs et que les pousser aux excès. Le
courant les emporte. Les générations se renouvellent, sur
lesquelles la prise est plus forte, parce que, dans l’état
social où elles arrivent, elles n’aperçoivent que la distance
vers l’idéal souvent inaccessible, vers le rêve dans les
nuées, sans avoir connu ni appris les tourments de
l’enfantement de toute civilisation vieillie. Les illusions de
la jeunesse ne sont plus tempérées par la raison qui pèse
les difficultés, sait ce qu’elle a et se méfie des promesses.
:
Car si elles étaient réalisables par la magie des systèmes
abstraits, depuis que le monde est monde, alors que tant de
généreux efforts ont travaillé au bonheur de l’humanité, le
monde n’aurait pas attendu les nouveaux prophètes pour se
transformer en un paradis.
Mais qui a assez de raison pour croire aux vieilles
expériences ?
Le monde, tout étonné, se réveille un beau matin avec une
foi nouvelle, comme un beau costume neuf sur une vieille
enveloppe de chair. Il a l’illusion d’avoir rajeuni, d’avoir
fait un pas vers le souverain bien. Les espérances stériles
de la vie, il les a transportées dans un ciel imaginaire
d’outre-tombe ou d’organisation sociale où la justice
régnera. Il a déchu, n’ayant plus le fier courage de vivre
dans son temps qui, s’il a ses iniquités et ses imperfections,
ses inégalités nécessaires, de plus en plus atténuées par le
progrès même de l’esprit humain, à chaque moment d’une
civilisation successive, a tout de même ses fiertés et ses
noblesses, sa part de sublime et d’idéal qu’il sied à chacun
de cultiver, et apporte sa moyenne de bien-être
économique général, dans une harmonie et un équilibre
sans désastre ni catastrophe.
Mais il faut à l’homme de l’au-delà terrestre ou céleste,
vieux ronron des exploiteurs médiocres, pour qui il
renversera l’ordre établi, par le fer, par le sang et par le feu,
s’il résiste, l’entraînant avec lui dans la ruine et aidé, quand
il le faut, par les barbares venus du dehors. Combien de
siècles de misère universelle, à la suite ?
Le christianisme a été pour l’Empire romain et la
civilisation antique, vaille que vaille, ce que les
socialismes, de quelque nom qu’ils se parent, —
collectivisme, soviétisme, bolchevisme, communisme, tous
révolutionnaires, et la morale en moins, — commencent
d’être pour les patries et l’humanité. Mêmes moyens et
procédés de propagande, aboutissant au « défaitisme »
individuel, social, économique et national, sous couleur de
justice et de rénovation du monde. Même mysticisme qui
spécule sur les aspirations de l’homme vers le meilleur.
Même engouement de la multitude, avide de porter au
pinacle ces nouveaux christs sans calvaire, avide de
servitude, dans la ruine et la calamité générales, pour
donner à ces nouveaux maîtres le pouvoir et ses délices.
Les complicités qu’elle trouve auprès des Pouvoirs,
comme le christianisme auprès des derniers empereurs
romains, ne permettent guère de fonder d’espoir sur
:
l’écrasement et la défaite de cette nouvelle exécrable
superstition, comme dit Tacite, haineuse du genre humain.
XIV. — L’effet rétroactif.
On dit, en Droit, que la Loi ne dispose que pour l’avenir,
ce qui signifie qu’elle n’a d’effet qu’à partir de la date où
elle est promulguée. Quand le législateur,
exceptionnellement, veut faire produire à une loi des effets
antérieurs à sa promulgation, risquant de léser des droits
acquis, il la déclare rétroactive. Le fait peut être arbitraire ;
la déclaration est honnête. Par elle, on sait sur quoi l’on
peut compter.
Comme l’ère chrétienne, tout le christianisme est
rétroactif. Mais l’Église ne le proclame pas. Au contraire.
Elle a tout fait pour dissimuler le coup.
La grande imposture de l’Église, fraude pieuse, si l’on
veut, mais fraude tout de même et immense, a consisté, —
je l’ai indiqué fragmentairement, mais il est bon de le
redire en bloc, — à bâtir longuement, péniblement, sur le
peu d’Histoire qu’elle n’a pu effacer, et en la travestissant
d’ailleurs en tant que de besoin, une histoire ecclésiastique,
une histoire à elle du Christ et du Christianisme. Tout ce
qui pouvait la contredire trop visiblement dans les auteurs,
elle l’a supprimé ou camouflé ou modifié dans le sens de
son histoire. Ce travail a duré au moins cinq siècles,
pendant lesquels, plus tardivement qu’on ne le croit, elle a
fabriqué des ouvrages ou refaits des ouvrages anciens
accommodés au dernier état de ses doctrines, au VIe siècle
environ, et sauf, peut-être, car j’y crois, quelques autres
retouches postérieures, plus ou moins importantes.
Tous ces ouvrages, tardivement faits, refaits ou contrefaits,
monuments définitifs de son histoire, elle les a antidatés,
mis sous le nom d’auteurs qui ont sans doute vécu à
l’époque qu’elle dit, mais qui n’ont certes pas écrit, soit
pour le tout, soit pour partie, les ouvrages qu’elle leur
attribue.
Ainsi, elle fait croire que ce que ses scribes ont écrit plus
tard a été écrit bien antérieurement, de façon à produire
comme témoignages du temps, soit des Ier, IIe, IIIe siècles,
des écritures bien postérieures.
L’exemple le plus frappant, pour ne s’en tenir ici qu’à une
Écriture canonique, est celui des Évangiles. Elle les déclare
d’autorité, en s’appuyant sur des impostures que l’on
trouve dans l’Histoire ecclésiastique d’Eusèbe, et sur des
citations de textes évangéliques que l’on peut lire
:
aujourd’hui dans des œuvres données comme du Ie siècle
(Apologies de Justin, notamment), ou du je pour d’autres, elle les
déclare audacieusement parus à la fin du Ier siècle, et en
cherchant à en avancer la date, sans preuve, aussi haut que
possible vers le milieu de ce siècle, le plus près du temps
où mourut le Crucifié de Ponce Pilate.
Tous les critiques, érudits et savants, sont dans l’ensemble
et en gros, de l’avis de l’Église, à quelque vingt ans près.
J’ai déjà fait entrevoir quelques preuves, et j’en donnerai
sans cesse dans cet ouvrage, en attendant une
démonstration massive et spéciale, que les Évangiles sont
le résultat d’un long travail de fabrication, au cours des IIe,
IIIe et IVe siècles. Il n’est même pas sûr qu’au Ve, ils
étaient achevés dans l’état définitif où ils se montrent
aujourd’hui.
Mais, en avançant la date des Évangiles et autres Écritures
qui émanent d’elle, — les auteurs profanes ayant été à
temps convenablement censurés, — de façon à les faire
témoigner sur les événements à l’époque même, ou le plus
près possible, des événement, qu’elle raconte, l’Église
donne à ces témoignages effet rétroactif, force rétroactive.
Ils rétroagissent, ils agissent en arrière, dans le passé. Ils
sont des témoins contemporains. Comment douter de la
vérité de ce qu’ils rapportent ?
Ainsi, comme par la création de l’ère chrétienne, l’Église a
coupé en deux l’histoire du monde avec effet rétroactif.
Avant le christianisme, ténèbres où végète une humanité
misérable, corrompue, sans idéal. Règne de Satan et du
Diable. Avec le Christ lumière éclatante tout à coup,
révélant le Bien, les vérités morales, la pureté, le royaume
de Dieu. Il faut lire ces choses dans Justin. Et des hommes,
qui ne sont pourtant pas des ignorants, vivent et raisonnent
toujours d’après ce préjugé, par habitude de foi,
d’éducation ou de milieu. Rien de plus faux que ce point
de vue. Rien qui résiste moins à l’examen des faits et de la
raison. Le vrai, en bref, c’est que Jésus-Christ et le
Christianisme sont le produit de faux en écritures, sans
nombre, que couronne le faux dernier de l’ère chrétienne,
tous postérieurs de deux à huit siècles aux faits et
évènements qu’ils prétendent raconter.
:
[1] Je dis frauduleuse. Le mot est gros. Ce n’est ni par plaisir, ni
par paradoxe, ni pour le scandale que je l’écris. Mais Ernest
Renan, l’illustre auteur, trop illustre, à mon sens, comme
critique scientifique, de la Vie de Jésus, n’a-t-il pas avoué dans
la préface de son œuvre (treizième édition) ? : J’ai voulu que
mon livre gardât sa valeur, même le jour où l’on arriverait à
regarder un certain degré de fraude, comme inséparable de
l’histoire religieuse. Qu’est-ce à dire ? Si la fraude, d’après
Renan, — et Renan est ce qu’on appelle un critique libéral, —
est, à un certain degré, dont il évite de nous dire la limite, car il
n’y en a pas, un élément inséparable de l’histoire religieuse, et
plus ecclésiastique que religieuse, celle que fait Renan, j’ai le
droit de déclarer, sans intention injurieuse, dont le sentiment est
loin de moi, comme constatation d’un fait évident, que l’histoire
religieuse est légende frauduleuse. Renan prouve à peine la
fraude : pour lui, elle est pieuse. Pour moi, qui fais de l’Histoire
tout court, la fraude est la fraude tout court. Je laisse au lecteur
le soin de décider si, pieuse, spéculant sur certains besoins de
l’Âme dans un but de domination et de lucre, elle n’est pas
d’autant plus méprisable.
[2] Alors qu’ils forment un titre signifiant : l’Oint libérateur :
Christ (Christos, en grec ; Christus, en latin) est la traduction
exacte du mot hébreu Meschiah, francisé lui aussi sous la forme
Messie, et qui veut dire : oint (oint d’huile). Les rois hébreux,
chefs politiques et religieux, souverains pontifes, étaient
consacrés et sacrés par l’onction, par le chrisme, comme chez
d’autres peuples la cérémonie du sacre, pour les rois, est le
couronnement. Jésus, est une forme dérivée de l’hébreux
Ieoshouah ou Iaoshouah, signifiant : secours d’Iao, de Iahwé,
d’où le sens de Sauveur, celui qui délivre, celui de qui vient le
salut, le libérateur.
Dans les documents primitifs, le héros des Évangiles devait, à
côté de son non juif de circoncision, porter le titre de Meschiah-
Iesohoua, en grec christos-Sôter. Par conciliation entre les juifs
purs et les Judéo-Hellènes, quand les récits sont passés de Syrie
dans le monde grec, les scribes ont unis l’un des vocables
hébraïque, à peine héllénisé à la traduction grecque de l’autre :
lesous-christos. En français : Sauveur-Oint, ou Sauveur Christ
et, nom propre : Jésus-Christ. Mais Jésus-Christ n’est pas plus
un nom propre que Général Vainqueur, Eminent Maître, Juge
Intègre. Ces observations ont leur importance, qui est grande.
[3] De même, les mots christianoï, en grec, christiani, en latin,
ont le même sens que l’adjectif hébraïque que l’on tirerait du
mot meschiah, pour désigner les partisans du Messie, comme,
en français, les messianistes, ou, d’après le mot grec, les
:
christiens, et non les chrétiens. Observation analogue sur les
substantifs christianisme et messianisme qui sont,
étymologiquement de même sens pour désigner une même
doctrine juive que Tacite appelle l’exécrable superstition, et
Dion Cassius une impiété qui s’est glissée dans la religion des
juifs.
Les mots français Christ, christianisme, chrétien, tels qu’on les
entend d’ordinaire, ne correspondent pas à la vérité historique,
avant le quatrième ou le cinquième siècle, c’est-à-dire avant le
moment où la religion chrétienne, — qui a mis trois cents ans à
se former, dit Renan, — a été faite ou à peu près, et, pour tout
dire, à l’époque où les messianistes-christiens se sont séparés du
judaïsme et sont devenus chrétiens, contre les Juifs, leurs
coreligionnaires jusqu’alors.
C’est une erreur fondamentale, quand on étudie les origines
historiques du christianisme, de considérer la rupture entre la
synagogue et ce qu’on appelle en grec, l’ekklésia, l’assemblée
(dont on a fait l’Église), comme réalisée au premier siècle. Il y a
probabilité que, du temps de saint Augustin encore, les Juifs
chrétiens n’avaient. pas complètement rompu avec les juifs de
la synagogue, que l’on ménage et que l’on flatte toujours.
Tous les auteurs dits ecclésiastiques (œuvres perdues ou non)
tels que les Polycarpe, les Ignace, les Papias, les Irénée, les
Justin, les Origène, les Clément, sans compter les Cérinthe, les
Valentin, les Tatien, les Manès, qui ont collaboré à la fabrication
du Christianisme, les Jérôme, les Eusèbe, etc. sont des Juifs, des
Levantins, des Assyriens, des Egyptiens. Les Occidentaux
comme Minucius Felix, que l’Église a annexé, après
modifications utiles dans leurs œuvres, ne sont pas des
christiens, ni des chrétiens.
[4] Si, de plus, de son temps, on l’a aussi appelé Jésus, ce qui est
douteux, ce ne peux être que dans le sens de ce mot, au point de
vue juif , c’est-à-dire au titre de Messie qui devait, croyait-t-il,
délivrer le peuple juif du joug de Rome et de la royauté
hérodienne. Il devait être le libérateur, le sauveur, le Jésus de la
nation juive, son Christ-Jésus, ce qui n’est pas Jésus-Christ,
dieu chrétien imaginaire.
[5] Ils l’ont su et le disaient, puisqu’ils connaissent le Christ et la
crucifixion, dont ils devaient nécessairement donner les raisons.
Leur silence est inexplicable, ou plutôt il s’explique le plus
naturellement du monde : l’Église a coupé les textes.
Après le Christ, Simon-Pierre, Jacob-Jacques, Menahem ont
continué la tentative christienne manquée. La révolte de
Ménahem est dans Flavius Josèphe. Après la répression par
Vespasien, il faut aller jusqu’à la révolte de Bar-Kocheba petit-
neveu du Christ de Ponce Pilate pour une nouvelle et dernière
révolte. Ce qui est curieux, c’est que cette révolte qui amena la
destruction de la nation juive sous Hadrien en 888-135, cent ans
exactement après la crucifixion du Christ, ne nous est plus
connue que par quelques phrases de scribes d’Église. Curieux,
mais combien compréhensible, quand on sait que les christiens
ne sont pas autre chose que les Juifs messianistes. Et la preuve
qu’ils le sont, c’est que l’Église a fait dans les auteurs le plus de
nuit possible sur ces mouvements messianistes en Palestine,
depuis Juda le Gaulonite jusqu’à Bar-Kocheba. Ils la gênent
parce qu’ils collent à ces origines comme la tunique de Nessus.
:
[6] CHANGE n. m. vénerie. Feinte de la bête qui, pour
échapper à la meute, fait lever une autre bête, afin de détourner
sur celle-ci la poursuite des chiens.
Donner le change, Faire lever une autre bête pour que les
chiens en suivent la voie. — Fig. Détourner quelqu’un d’un
but... tromper en lui faisant prendre adroitement une chose pour
une autre (Dict. Larousse illustré).
Christ donne le change sur Messie, christianisme sur
messianisme, chrétien sur christien, Paroles du Seigneur sur
Révélations du Marân, Royaume de Dieu sur royaume de
David, Rédemption ou salut du monde sur délivrance d’Israël,
etc. Toute la linguistique chrétienne : nativité, péché, sauveur,
tous les miracles, dont quelques-uns soit des faits historiques
traités en allégorie, constituent des changes, que l’Église (la
bête, en vénerie) donne aux critiques (meute de chiens), pour les
détourner de la poursuite de la vérité, pour les jeter hors de la
voie historique. Mais le change des changes, c’est le Saint-
Esprit : Hagion pneuma. Tout ce qui est pneumatique est
contraire à la vérité, historique. Le Saint-Esprit n’a été inventé
que pour mentir à l’histoire, ou la truquer. Jésus-Christ est une
création de l’Esprit, de l’Esprit de Dieu, naturellement. Aussi,
dans le selon Matthieu (XII, 31), les scribes font prendre à Jésus
ses précautions : Le blasphème contre l’Esprit ne sera point
pardonné. Évidemment, sans l’Esprit, tout le christianisme
s’écroule, historiquement, comme un souffle s’évanouit.
Toutefois, dans les Évangiles, l’Esprit ne souffle pas où il veut.
Le dieu Jésus ne peut pas manquer d’appui. Dans Jésus-Christ,
il y a encore le Crucifié de Ponce Pilate, l’homme de chair qui a
une histoire. Et c’est pourquoi les Évangiles contiennent tant de
vérité historique ; ils atténuent, ils allégorisent, la réalité
transparaît tout de même.
Mais, après la mort, l’homme de chair disparu, le Saint-Esprit
en prend à son aise. C’est à l’Esprit que sont dus les Actes des
apôtres et les lettres apostoliques, celles de Paul tout
particulièrement. Jamais l’intention de tromper ne fut plus
manifeste, jamais impostures plus cyniques. C’est le défi de
mauvais juifs et de Levantins judéo-hellènes jeté à l’histoire ;
c’est le mensonge élevé a la hauteur d’une institution, et mis a
son service, — L’institution jésus-christienne.
[7] Logos est un mot emprunté, à la langue de Platon, chez qui il
représente la source des Idées. Le grand philosophe juif
d’Alexandrie au Ier siècle, Philon, néo-platonicien, en fait un
des aspects de la divinité. Avec Cérinthe et les Gnostiques, il
devient une puissance qui émane de Dieu, un daïmon, dieu lui-
même, qui va de Dieu à l’homme, et élit le corps d’un homme
pour y habiter quand il vient sur la terre. Il ne restera plus aux
scribes christiens qu’à incarner le Logos dans l’homme pour
achever l’évolution.
En somme, le procédé littéraire d’une telle allégorie est celui
dont usent tous les poètes épiques, et notamment Homère, dans
l’Iliade, quand il fait prendre aux dieux et aux déesses de
l’Olympe, désireux de garder leur céleste incognito, la forme et
le visage des guerriers grecs et troyens qu’ils aiment et qu’ils
veulent sauver de la mort dans les combats.
[8] La Pistis-Sophia de Valentin a échappé dans une version
copte, où des mains chrétiennes ont pratiqué des coupures, des
:
interpolations et des retouches. Malgré tout, et bien que parfois
difficile à comprendre, la Pistis-Sophia est une aide puissante
pour qui cherche la vérité historique. Elle permet aussi de
comprendre que l’Église ait détruit les ouvrages qui
prouveraient que son histoire, jusqu’au VIe siècle, n’est qu’un
tissu d’impostures.
[9] Dans la Pistis-Sophia (Foi-Sagesse) le Dieu-Jésus, remonté
vers son Père, lors de la crucifixion du Christ, son double
terrestre, redescend sur le mont des Oliviers où il assemble ses
disciples. Ils ne sont que sept, y compris l’enveloppe de chair,
Jean-Iôannès, à qui Jésus s’est uni enfant. La scène qui raconte
l’événement ne laisse aucun doute. Et ceci est une première
indication, — en attendant tout un ensemble de preuves, le
moment venu, — que le Crucifié de Ponce Pilate se confond
avec Jean (Iôannès est un nom de révélation ou d’apocalypse,
de Qabbale, parlant juif) avant l’invention de Jésus-Christ, qui,
pour qu’on n’en retrouve pas l’origine historique, a nécessité la
séparation entre le Christ, assimilé à Jésus-Christ, et le Iôannès-
Jean. L’image du disciple bien-aimé Jean qui, dans l’Évangile
selon Jean, gnostique par excellence, nous allons le voir plus
loin, est couché ou se repose dans le sein de Jésus, est le résidu
allégorique de la doctrine de Cérinthe le dieu-Jésus empruntant
le corps du Christ-Iôannès.
Sur le mont des Oliviers, dans Valentin, Jésus, pendant onze
ans, Instruit ses sept disciples. Le système de la Pistis-Sophia,
qui aboutit à la suprématie juive, à la prédestination et à
l’élection du peuple juif comme révélateur de toute
connaissance (du grec, d’où gnose et gnostique), y compris celle
du vrai Dieu, est d’un syncrétisme complexe. Le IIe siècle est
une époque où, chez les esprits les plus sérieux, traîne un
mélange incroyable, un amalgame incohérent des doctrines
métaphysiques les plus diverses, apportées de tous les coins du
monde : bouillonnante fermentation d’idées confuses sur le
divin, sur la religion, mythes, symboles, paralogismes,
allégories, similitudes, mêlant aux conceptions du messianisme
judaïque les spéculations philosophiques de Philon,les théories
gnostiques avec leurs végétations parasites, ainsi que les fables
de l’Egypte, de la Chaldée, de la Haute Asie, de la Perse. Une
lettre de l’empereur Hadrien, authentique ou non, à son beau-
frère Servien témoigne de cette salade russe d’Idées religieuses,
judaïques, christiennes, isiaques ou mithriatiques.
Dans Valentin, le dieu-Jésus devient le père des Juifs, comme
ayant fécondé Maria, sa mère, selon le monde, en chair. Il est,
comme dieu, le père de sa mère de toute éternité. Inversement,
Marie, mère du Christ, devenu Jésus-Christ en évangile, est
mère de Dieu. Le concile d’Éphèse (431), en condamnant le
nestorianisme qui disait qu’en Jésus-Christ. Il y a deux
personnes. — la vérité, quoi — n’a pas fait autre chose
qu’adopter le système de Valentin sur Jésus et Marie. Citons
Valentin :
Marie, la mère de Jésus, s’avança et dit : Mon Fils, selon le
monde, mon Dieu et mon Sauveur, selon le Très-Haut...
— Toi aussi, répond Jésus, ô Marie, toi qui a pris forme... selon
la matière, mais as pris une ressemblance avec la Vierge de la
Lumière, selon la Lumière , et l’autre Marie la Bienheureuse (la
mère selon la chair), parce que le témoignage du premier
:
mystère a habité en toi, ô Marie, ma mère selon la matière, toi
en qui j’ai habité (toi qui m’as porté)...
Le mystère, c’est Iôannès que Marie a conçu et mis au monde,
chair, témoignage, enveloppe que revêt Jésus hyallin, esprit. De
même que Iôannès-Jean est élevé au rang de Jésus, Marie, mère
du Christ, devient mère de Jésus-dieu.
On aperçoit par la citation de Valentin (Pistis-Sophia, p. 60,
trad. Asselineau) que Marie est double, comme Jésus-Christ.
Elle a son double en Marie-Magdaléenne, d’où Jésus extrait
sept daïmons, les sept disciples de Jésus, les sept frères, selon le
monde, fils de Joseph et de Marie, le Christ-Jean, crucifié de
Ponce Pilate, compris.
[10] Cette distinction qu’ils faisaient entre Jésus et le Christ, les
gnostiques y étaient d’autant plus obligés que, de leur temps,
l’histoire du Christ, crucifié par Ponce Pilate, se trouvait encore
tout au long et en détails narrée dans les historiens comme
Tacite et Flavius Josèphe, Suétone (fin du Ie siècle), dans Dion
Cassius (du IIe siècle), — tous outrageusement sophistiqués
plus tard, et comme Juste de Tibériade (juif comme Flavius
Josèphe et son contemporain), dont l’œuvre a été supprimée
purement et simplement, pour ne pas avoir à la refaire toute.
L’invention du Verbe incarné dans le Christ, n’est que la
revanche imaginaire des Juifs messianistes, leur fiche de
consolation après l’écroulement de leurs espérances christiennes
dans la restauration du trône de David, par la ruine définitive de
Jérusalem, la destruction et la dispersion de la nation juive.
Et c’est pourquoi il est anachronique, pour ne pas dire ridicule,
d’imaginer seulement des Ecritures dites chrétiennes et un
apostolat chrétien avant 888-135. Il faut, à cette conception,
autant de sens critique et d’intuition historique qu’à admettre du
temps de Louis XIV, le suffrage universel dans notre colonie du
Sénégal, chez les nègres.
[11] Car nous verrons que l’Incarnation n’y est que verbale, et
qu’elle n’est qu’une apparence. Quand on va au fond des choses
substantielles, il n’est pas difficile d’éventer le change que l’on
veut donner, et de s’apercevoir que Christ et Jésus font deux ;
que Jésus-Christ, l’homme-dieu, le théanthrope, n’est un être
unique que sur le papier, Grâce au trait d’union orthographique ;
que loin de se mêler en une fusion intime, les deux éléments
restent juxtaposés comme les deux noms ; et que les deux
moitiés de Jésus-Christ ne sont même pas contemporaines.
[12] Les évangiles (Matt., IV, 11 ; Marc, I, 7 ; Jean, I, 30)
marquent par une phrase lapidaire cette fabrication successive,
en deux temps, de Jésus-Christ, quand le Iôannès dit : Celui qui
vient après moi. Mais, par un change, Jean est devenu le
Précurseur, l’Annonciateur du Verbe Jésus qu’on incarnera en
lui, pour faire Jésus-Christ.
[13] Je donne plus loin (§ IV, les deux hypostases, § V, Fils
unique ou Fils premier-né, § VI, Femme ! Femme, vois-le Fils
de toi !) des preuves palpables des deux éléments qui sont en
Jésus-Christ et que l’on peut séparer d’une chiquenaude.
J’indique ici, en gros, quelques épisodes ou traits, que l’on peut
restituer à chaque élément.
Au dieu-Jésus, les allégories astrologiques ou contenant des
chiffres : Noces de Cana, les Douze Apôtres, Multiplication des
pains, Lavement des pieds, Cène, Trente deniers de Judas,
:
Résurrection, Repas d’Emmaüs, la Croix, etc.
Au Christ-homme, sous les espèces de faits réels, historiques,
mais allégorisés : le démoniaque Légion de Gadara, les
résurrections de christiens illustres morts pour la cause, la
Cananéenne, la Samaritaine, le sourd-muet de la Décapole, etc.
[14] C’est un bien grand sujet d’ironie joyeuse que
l’étonnement, parmi tant d’autres, des critiques, savants et
érudits qui ont construit l’histoire du christianisme, devant
l’ignorance voulue de saint Paul sur les actes et faits de la vie du
Christ, à part la crucifixion. Ils s’efforcent d’expliquer ce
silence, qu’ils sentent impossible, si l’apôtre Paul a réellement
existé, par des raisons d’une puérilité ridicule, ou de théologie
mystique.
L’Église dit : Les faits de la vie du Christ ? Ils n’intéressaient
pas les apôtres, qui ne tiennent qu’à son enseignement. Encore
faudrait-il prouver que la doctrine de Paul est celle du Christ des
Évangiles, ce que personne ne peut soutenir. Mais peu importe
ce détail énorme. Reste ceci : que les actes et faits de la vie du
Christ n’intéressent pas saint Paul. Que saint Paul n’ait fondé sa
foi, — d’après les mystifications des scribes, — que sur des
révélations (Il plut à Dieu de révéler son fils en moi, Gal., I, 16 ;
je suis crucifié avec le Christ ; ce n’est plus moi qui vis, c’est
Christ qui vit en moi, Gal., II, 20 ; Jésus-Christ est ma vie,
Philip., I, 21), qu’il ait réalisé en Jésus-Christ l’unité de
l’homme et du dieu qui le composent, ne s’attachant qu’à sa
moitié fictive, on le comprendrait à peine si justement il n’avait
pas été inventé et si on ne l’avait fait écrire dans ce seul but.
Mais cet apôtre, qui est donné comme l’apôtre des Gentils, des
incirconcis, des non-Juifs, dès l’an 44, après avoir été converti
en 34 (dans ce système le Christ est supposé crucifié en 33), qui
est à Rome en 61, qui a parcouru entre temps l’Asie Mineure, la
Grèce, l’Italie, prêchant Jésus-Christ, avant même que les
Évangiles aient paru (dans les conjonctures les plus favorables),
cet apôtre a eu des auditoires à qui il a parlé, des correspondants
à qui il a écrit. Qui peut croire que ses auditeurs et ses
correspondants ont pu, je ne dis pas se convertir, mais
seulement l’écouter et le lire, sans aucune espèce de curiosité,
sans lui poser de questions sur ce Jésus-Christ crucifié, sur les
actes et faits de sa vie ? Aussi grande que soit la crédulité
imbécile des foules, que surpasse la crédulité intelligente des
critiques, il faut tout de même quelque chose de plus positif que
les idéologies de métaphysicien ou de théologien des Épîtres de
Paul, pour l’écouter et croire au dieu qu il prêche. Il ne connaît
pas les Évangiles qui n’existent pas de son temps (et même pas
du temps où on l’a inventé). Le fond de sa doctrine, abstraction
faite de l’idéologie métaphysique et des préceptes de morale
commune, c’est Jésus-Christ, en chair, Fils de Dieu et Crucifié.
Inventé pour faire pièce aux gnostiques et les contredire, il en
prend le contre-pied. Ce n’est plus, chez lui, le Logos qui s’est
incarné, c’est le corps qui s’est déifié, divinisé, endieusé, si l’on
peut dire. On dit bien endiablé. L’Église, d’autre part, quand
ceux que l’on, appelle les Mythiques, dont M. Couchoud, en
nos temps, s’est fait le protagoniste, nient qu’il y a même une
moitié de chair en Jésus-Christ, rien d’un homme, en sorte que
même l’histoire de la crucifixion serait une imposture, —
l’Église déclare : Si les scribes nous ont transmis aussi peu de
:
renseignements sur Jésus-Christ, c’est que, voyant le dieu en
lui, son humanité les gênait. Le mot humanité naturellement est
un change, C’est rôle historique qu’il faut comprendre. Et, pour
une fois, qui ne sera pas la seule, je suis d’accord avec 1’Église.
C’est le rôle historique du Christ qu’il a fallu, parce qu’il était
gênant, et combien !, effacer pour créer le dieu Jésus. Saint Paul
l’a complètement supprimé, Mais, comme l’on dit, il a été fort :
il va fort, trop fort. Les Évangiles viendront pour amender saint
Paul : les fables en sont en train par morceaux, fragmentaires,
d’ailleurs mal concordants, peu en harmonie, avec des détails
ridicules, des bavures, des énormités, trop de vérité historique
aussi, Ce ne sera pas commode de mettre de l’ordre, de la
vraisemblance, de l’onction, dans tout ce fatras, Mais on s’y
efforcera. Le prix en vaut la peine ; car c’est la souveraineté, la
domination du monde, but messianiste au premier chef. Il faut
comprendre ces choses.
[15] Ce qui ne veut pas dire que l’invention de Paul a réussi
d’emblée à supprimer la gnose et à imposer Jésus-Christ. Les
controverses entre christiens, les Manichéens, les Montanistes,
les Novatiens, et, même après Constantin, Arius et ses disciples,
les Pélagiens, les Nestoriens (Nestorius, patriarche de
Constantinople, proclame encore en 428 qu’en Jésus-Christ, il y
a deux personnes), prouvent les protestations indignées qu’a
soulevées la fabrication de Jésus-Christ, homme-dieu. Tous les
protestataires sont des christiens-chrétiens. Ils n’ont été déclarés
hérétiques que parce qu’ils ont été vaincus par les jésus-
christiens, et après l’avoir été, quand ils n’ont eu tort qu’à cause
de leur défaite, avec effet rétroactif.
[16] Hist. ancienne du Christianisme, par Ch. Guignebert, pp.
337 et suiv., notamment. Après avoir cité comme point
d’aboutissement de la doctrine de Paul au regard de Jésus,
l’Épître aux Philippiens (II, 5-11), il conclut : Cette déclaration
n’est assurément pas limpide pour nous. La voici : Qu’en vous
soient les sentiments qui étaient en Christ, lequel existant en
forme de Dieu (le mot grec que M. Guignebert traduit par
existant, que je traduirai, moi, d’après sa racine même :
commandant en dessous de quelqu’un, c’est-à-dire commandant
après Dieu, lieutenant de Dieu, pour me faire comprendre ;
autrement dit, il est l’Æon de Cérinthe, le Logos des gnostiques
: le grec des scribes est plein d’intentions. Rien que l’emploi de
ce mot montre la filiation des Lettres pauliniennes avec les
doctrines gnostiques) n’a point cru une usurpation d’être égal à
Dieu ; mais il s’anéantit lui-même, prenant la forme d’un
esclave (le scribe exagère à dessein : esclave, simple homme, le
Messie ?) à la ressemblance d’un homme : et, ayant paru sous
le vêtement d’un homme, il s’est diminué lui-même (le contre-
pied de l’histoire), s’étant fait obéissant jusqu’à la mort, la mort
sur la croix. C’est pourquoi Dieu l’a élevé à lui et lui a donné
un nom au-dessus de tout nom, afin qu’au nom de Jésus, (on
peut inférer ces deux phrases que le Christ de Ponce Pilate ne
devint Jésus qu’au IIIe siècle) tout plie le genou... et que toute
langue confesse que le Seigneur Jésus-Christ est dans la gloire
de Dieu le Père. Pas limpide, cette déclaration ? dit M. Ch.
Guignebert. Elle est d’une clarté éblouissante, pour qui veut
comprendre de quelle façon les scribes ont fabriqué Jésus-Christ
en fusionnant le Christ de chair, Messie sous Tibère, avec l’Æon
:
ou Logos Jésus de Cérinthe et des gnostiques. M. Ch.
Guignebert ajoute : Que reste-t-il du Jésus (du Christ, plutôt)
vivant et vrai sous ces formules issues de la révélation directe ?
Rien. Je suis d’accord avec M. Ch. Guignebert sur la réponse à
sa question. Quant à la question elle-même, qui emploie le mot
Jésus pour l’homme vivant et vrai, — mot impropre
historiquement, — j’y substituerai le Christ à Jésus et j’y
remplacerai, pour être exact et véritable, la révélation directe,
voire le Saint-Esprit sous-entendu, par l’encre des faussaires et
des Imposteurs qui ont fabriqué la lettre.
[17] L’Église, qui ne recule devant aucun petit moyen pour
farder la vérité, quand elle ne peut pas la détruire, aussi bien
dans les faits que dans les mots, ainsi que les traducteurs
français, critiques et exégètes, savants et érudits, qui la suivent
d’une façon moutonnière, écrivent Saul, sans tréma sur l’u. Un
rien, mais qui, du coup, désoriente le personnage, que le nom de
Paul romanise tout à fait. Le camouflage des événements qui le
concernent ne procède pas autrement que celui du nom. Le grec
des Actes (IX, 4 et XXVI, 14), traduisant l’hébreu, est Saou-1 ;
en français donc, Sa-ü-1, deux syllabes.
[18] Je tiens à dire que cet argument chronologique que je donne
en me plaçant sur le terrain du faux où l’on me mène, ne vaut
que sur ce terrain.
En réalité, Saül devrait être dans les Évangiles, dont il est
l’homme à l’oreille coupée de Gethsémani. La persécution de
Saül a commencé avant le temps où se ferme l’Évangile,
crucifixion, mort du Christ.
Les Actes des Apôtres, monument d’imposture, ont été établis
d’après le système qui fait mourir le Christ en 781-782, sous le
consulat, des deux Géminus (coupure énorme dans Tacite),
quinzième année de Tibère, — celle où le Selon Luc fait débuter
Jésus-Christ. Conciliez les deux faits, si vous pouvez : le Christ
mort avant qu’il ne se manifeste. Ce système est encore celui de
saint Augustin et de Lactance, obligés d’antidater la crucifixion
de sept ans pour confondre ceux qui affirmaient que le Iôannès-
Baptiste avait été le Christ crucifié. Comme Jean-Baptiste meurt
avant Jésus, 787 =33 dans la fable chrétienne, l’argument par
antidate ne valait rien ; et on eut se demander comment l’Église
se serait tirée de ce mauvais pas, si la chute de l’Empire romain
ne l’avait débarrassée à temps de ses adversaires pour des
siècles qu’elle a mis à profit. Débutant en 781 = 27 ou 782 = 28,
les Actes contiennent des faits de la carrière du Messie-Christ,
sous le nom de Jean : deux emprisonnements, deux supplices du
fouet. Supposé mort, il n’est qu’un comparse. Pierre le domine à
qui l’on prête même des miracles qui sont au Jésus-Christ des
Évangiles. Je ne dis rien de plus ici de ce Pierre qui, par trois
fois, a renié son maître, la nuit de l’arrestation et qui, dans les
Actes, ose dire aux Juifs : .... Le Dieu de nos pères a glorifié son
fils Jésus, que vous, vous avez livré et renié devant Pilate. C’est
vous qui avez renié le Saint et le Juste (III, 13-14). Plus lui. Et
Jean ne bronche pas.
[19] Sans compter l’Épître aux Philippiens de saint Polycarpe,
pastiche à la manière des épîtres de Jean (Polycarpe est donné
comme un disciple de Jean, et aurait été lui-même le maître
d’Irénée) où l’on cite Ignace, Zozime, Rufus, Valens (Valentin
?), Crescent, pour lui donner une date, Paul lui-même, saint et
:
glorieux, dont le séjour à Philippes est rappelé, ainsi que ses
lettres et sa prédication. C’est un travail de rhétorique sans âge,
postérieur au Ille siècle en tout cas, un faux pour étayer d’autres
faux, — d’ailleurs plein d’onction et d’excellents préceptes de
morale, empruntés aux livres chrétiens ou profanes.
[20] Et ceci prouve que ce n’est pas le dogme qui résulte des
Évangiles, mais que les Évangiles ont été faits sur le dogme.
Après quoi, tous ceux qui, auteurs mêmes chrétiens, ont écrit
avant le dogme fait, contribuant d’ailleurs à son évolution,
marquant un moment de la doctrine chrétienne, et ne sont donc
plus conformes au dogme tardif, sont déclarés hérétiques en
bloc, quand on ne les a pas rendus orthodoxes après coup, en
partie, si l’on n’a que corrigé leurs œuvres, en y laissant des
hérésies de détail, soit à dessein, soit parce qu’on ne s’en est
aperçu qu’après la fermeture du Canon.
[21] Qu’il soit anathème ! Cela dispense en effet de preuve. Ou
plutôt, c’est ce que l’Église appelle une preuve de la vérité
historique, en attendant le bourreau, quand elle le pourra.
[22] Il y en a d’autres, tout au long des récits évangéliques. Je les
soulignerai, le moment venu. Ici, deux doivent suffire. Ils sont
d’ailleurs typiques et touchent l’un au dogme, l’autre au fait
vivant.
[23] Autres conséquences, au hasard, — ou inconséquences, —
de cet assemblage du Dieu et de l’Homme : Jésus-Christ marche
sur les eaux, de l’est à l’ouest, comme le soleil ; il ne porte pas
la trace des clous après la mise en croix. Et c’est pourquoi
Thomas, ce compère, qui sait très bien que le Verbe de Dieu ne
peut avoir de blessures, tient à toucher les plaies du Messie-
chair.
Invention des scribes qui est un aveu, bien qu’il serve à nous
tromper. Thomas est convaincu et il ne demande pas mieux. Les
Incirconcis n’y voient que du feu.
L’imbroglio qui résulte de la confusion, en Jésus-Christ, du
Verbe ou Logos et du Christ-chair produit enfin des effets
analogues à ceux du mariage d’Œdipe avec sa mère : Œdipe
devient le frère de ses enfants par la mère, tout en étant leur
père par l’épouse. Les enfants qu’il a avec sa mère sont en
même temps les neveux des enfants que sa mère a eus avec son
père, et qui sont ses frères. Quand on sait qu’Œdipe a épousé sa
mère, qu’il a eu des enfants d’elle qui en avait eu du père
d’Œdipe, tout s’explique. C’est un casse-tête chinois, mais on
s’en tire. Avec le fil conducteur de Jésus-Christ, être double,
moitié homme, moitié dieu, monstre hybride, toutes les
incohérences s’expliquent. Rendez à Dieu ce qui appartient à
Dieu, — et au Christ-Messie ce qui appartient à l’homme. C’est
tout le mystère de Jésus-Christ et le secret des Évangiles. Rien
de miraculeux. Un rébus.
[24] Dans l’Apocalypse, au prologue, dû à un disciple de
Valentin, comme l’envoi aux sept Églises qui suit le prologue,
avant le fonds même de l’ouvrage, tronqué au départ, est de
Papias, Jésus-Christ est même — c’est de l’homme de chair
qu’il s’agit ici, — le premier-né des morts. Cette expression est
remarquable. Elle ne parait avoir sollicité l’attention de la
critique que négligemment. Peu de chose, à leur avis. Énorme
chose, en vérité. Le scribe sait qu’après le Christ, mort sous
Ponce Pilate, ses frères ont péri, Simon, Jacob, ainsi que les
:
autres Messies, parents ou alliés ; il connaît, toute l’histoire des
révoltés messianistes jusqu’après Bar-Kocheba. Le prologue
date donc de la fin du IIe siècle, au plus tôt.
[25] Quel est l’Évangile qui, bien qu’il parle à plusieurs reprises,
sans les nommer, de ses frères, donne tout particulièrement
Jésus-Christ comme Fils du Père (Dieu), Fils unique du Père ?
C’est le Selon-Jean, le quatrième. Nous verrons, — mais déjà
on peut s’en douter par ce trait, — que le Selon-Jean a été fait
d’après un écrit de Cérinthe, convenablement retouché pour
qu’il ne jure pas trop avec les trois autres évangiles, très
postérieurs, résultat (les trois siècles de travail littéraire qui ont
amalgamé tant bien que mal l’Æon-Logos-Jésus avec le Christ
crucifié par Ponce Pilate. Pourquoi, dans le Selon-Jean, Jésus-
Christ est-il tout particulièrement le Fils unique de Dieu, sinon
parce que cet Évangile est tout particulièrement le témoin que le
Dieu des Évangiles est issu des idéologies cérintiennes et
gnostiques ? Sans Cérinthe et les gnostiques les Évangiles sont
impossibles et le christianisme n’aurait pu se faire.
[26] La première phrase est du Dieu, du Fils unique du Père.
Marie n’est pas, sa mère. Femme ! La seconde est du fils
premier-né, du Christ qu’a crucifié Ponce Pilate.
Les Noces de Cana, qui sont données par le Selon-Jean, au
début de la carrière du Christ-homme, prouvent de plus, par
cette phrase : Mon heure n’est pas encore venue, que l’épisode
est le dispositif premier de la Sainte-Cène. Les trois autres
Évangiles ont la Sainte-Cène et pas les Noces de Cana. Le
Selon-Jean ne donne pas la Sainte-Cène.
[27] Pour ne vous rien cacher, je vous dirai que l’Église estime
que ce mot : Femme, en cette circonstance, ainsi qu’au
Golgotha, dans une scène qui va suivre, n’implique pas, chez les
Hébreux, le mépris. Les Romains, dit-elle, donnaient le titre de
Femme à des princesses et à des reines. Oui, mais ce n’était pas
leur mère. Quant à la phrase qui suit, eh bien ! elle signifie —
Que nous importe à l’un ou à l’autre ? ou bien : à ton service !
ou bien : laisse-moi faire, je n’ai pas besoin de ton concours ;
ou bien que demandes-tu de moi ? C’est une formule de
politesse. Vous désiriez des explications ? Vous n’avez que
l’embarras du choix.
[28] Il faut relire dans le Selon-Jean (I, 6-18), combien ces
théories gnostiques y éclatent encore Le Verbe a été fait chair et
a habité parmi nous... la gloire du Fils unique venu d’auprès du
Père... Personne n’a jamais vu Dieu ; le Fils unique, qui est
dans le sein du Père, nous l’a révélé. Ce n’est pas parce qu’on y
mêle le Iôannès, que l’on peut s’y tromper. Bien au contraire.
Le Iôannès est venu, envoyé de Dieu. On ne l’a pas cru. Alors,
grâce aux gnostiques, Dieu a fait descendre son Fils unique dans
la chair du Iôannès. C’est assez clair.
[29] Et c’est ce Jésus-Christ, à qui l’on fait vociférer dans les
Écritures : Heureux ceux qui pleurent, car ils seront consolés !...
Venez à moi, vous tous qui êtes travaillés et chargés, et je vous
soulagerai !
[30] J’ai traduit textuellement, mot à mot, les deux phrases
grecques de l’Évangile : Femme, vois le fils de toi ! — Fils, vois
la mère de toi. Le mot grec que je traduis par vois est en effet un
impératif aoriste du verbe qui signifie voir. Idé, du présent :
orao... Les traductions d’Église portent : Voici ton fils, voilà ta
:
mère. Et il est vrai que Idé s’emploie adverbialement, d’après
les dictionnaires, pour dire : voici, voilà, comme Idou. Mais je
tiens à la traduction littérale. Oraô signifie bien : voir, regarder,
jeter les yeux sur. Dans le texte grec, une ligne plus haut, pour
dire Jésus voyant sa mère et le disciple, c’est le même verbe
oraô, au participe aoriste — idôn, qui est employé. Je ne vois
pas de raison pour faire de la forme Idé un adverbe, une ligne
au-dessous de la forme idôn, verbe. Au contraire. Au surplus, la
traduction : Voici, voilà, au lieu de Vois ! ne modifie pas le fond.
[31] La phrase n’est donnée, dans Épiphane et Théodoret, que
pour substituer au Messie-homme Simon le Cyrénéen. J’ai
supprimé le détail sans intérêt ici. Nous le retrouverons dans
l’histoire du dogme de la résurrection, tout au début. Car avant
de dire que le Christ était ressuscité, on a prétendu qu’il n’avait
pas été crucifié, qu’il avait échappé aux Romains, lesquels
n’avaient crucifié que Simon de Cyrène. On a prétendu ensuite
d’autres choses qui ont abouti à la fable de la survie, etc. Pour le
moment, il n’y a lieu que de retenir le trait : Il se moquait.
Ce Jésus qui se moque, est-ce qu’on ne peut pas, sans forcer les
textes, le retrouver dans le Jésus du Selon-Jean au Golgotha ?
Ces phrases : Femme, vois le fils de toi !, et au disciple : Vois la
mère de toi ! il faut bien peu d’effort, quand on a lu le texte de
Basilide, pour les prendre comme des railleries. On y est
d’autant plus sollicité que pas un mot de pitié, pas un élan du
cœur ne jaillit du fils à la mère, et inversement. Cette mère, qui
a l’air en bois, dont on ne sait pas si elle souffre, ce fils, sans un
cri d’amour, sont-ce des êtres humains ou des fantoches ? Dans
quel monde nous transporte-t-on ? C’est cela la Passion, qui fait
pleurer les vieilles filles ? Femme, vois le fils de toi !. Quelle
émotion ! On a envie d’ajouter : Quelle figure il a ! Non, mais
regarde donc ! et autres aménités — celles que les Épiphane et
Théodoret ne donnent plus, mais que les évangiles (Math.,
XXVII, 39-44 ; Marc, XV, 29-32 ; Luc, XXIII, 35-37) prêtent
maintenant aux chefs du peuple, aux soldats, aux passants, aux
sacrificateurs, aux brigands. Mascarade macabre qui provient
peut-être de Basilide. Et je le jurerais. Qu’est-ce que ce Basilide
? Je vais vous l’apprendre, si vous l’ignorez en une phrase.
Le gnostique Basilide, d’après Clément d’Alexandrie (Liv. VII),
avait eu pour maître Glaucia, disciple et interprète de Pierre. En
sorte que Basilide tient ce qu’il sait de Pierre, par Glaucia. Il
n’est pas possible que Glaucia et Basilide aient méconnu la
pensée de Pierre sur un point aussi essentiel que l’incarnation.
Donc l’incarnation, d’après Pierre lui-même, est une imposture.
[32] Le faussaire qui a refait Irénée, intervertit les noms de
l’Æon et de l’homme. Fraude grossière, mais qui est un aveu.
Car pourquoi frauder, si l’on ne veut pas tromper ? L’Æon ne
peut être que Sauveur, que Jésus, comme émanation de Dieu.
L’homme est naturellement le Christ-Messie. D’ailleurs,
Epiphane et Théodoret vous ont donné l’opinion de Pierre,
Simon-Pierre, premier pape, transmise par Glaucia à Basilide :
Jésus, et non Christos, ne s’est point incarné. Qui, mieux que
Pierre, a pu savoir exactement ce qu’était son maître, — son
frère aîné ?
[33] Irénée rapporte, du moins Eusèbe le dit, que l’apôtre Jean
étant un jour entré dans un établissement de bains pour s’y
baigner, et ayant appris que Cérinthe s’y trouvait, — car ils sont
:
contemporains, n’est-ce pas ? — s’en alla précipitamment en
criant à ses compagnons : Fuyons, de peur que les bains ne
s’écroulent ! Cérinthe s’y trouve, l’ennemi de la vérité ! C’est à
pouffer. Le Iôannès-Christ qui doit à Cérinthe d’être devenu
l’enveloppe de chair de Jésus, puis, progressivement, à d’autres,
le Verbe incarné, par le baptême au Jourdain, origine de toute un
fable, ne veut plus même, à 120 ans, se plonger dans l’eau sous
le même toit que Cérinthe, et retrouve pour fuir ses jambes de
quinze ans.
[34] Mais la raison et la vérité auront le dernier mot, avec
l’histoire ; car toutes les fraudes, toutes les impostures
s’écrouleront devant la preuve que le Iôannès-Jean, disciple
bien-aimé, apôtre du Baptiseur, c’est, historiquement, le Christ,
crucifié par Ponce Pilate.
[35] L’Église présente aujourd’hui un symbole des Apôtres, issu
du Concile de Nicée (325), qui condamne l’arianisme. Mais le
symbole qu’elle présente est un faux à ajouter aux autres.
[36] C’est, en effet, Cérinthe qui a inventé la colombe. Il disait
que l’Æon céleste, ayant choisi, élu, le corps du fils de Marie et
de Joseph, le corps du Nazaréen (Nazir), à cause de sa justice
envers la Thora (la Loi) et de sa sainteté (messianiste), était
entré en lui, sous la forme d’une colombe. Pour comprendre la
colombe, il faut savoir — ni les exégètes, ni les critiques ne
vous le diront, et moins encore l’Église, car toute la
mystification cesserait d’être un mystère, — il faut savoir, dis-
je, que la colombe c’est, en hébreu, Iemona, dont les voyelles
IEOA équivalent à Iao, Ieou, Iawah, Iovah, Iahwe, c’est-à-dire
Dieu. C’est le mot du Plérôme ; et le Plérôme, d’après les
gnostiques, c’est le plus haut ciel, le séjour de Dieu : IEOA,
l’Innommable.
Les scribes font dire à Cérinthe, aujourd’hui, que la colombe est
entrée dans Jésus pendant que Iôannès le baptisait au Jourdain.
Falsification évidente, puisque les mêmes scribes déclarent que
Cérinthe distinguait le Verbe Jésus du Christ en chair. Le
baptême de Jésus-Christ est une invention postérieure à
Cérinthe, et même à Origène qui, dans l’Anticelse, nous révèle
qu’il n’y avait qu’une personne au Jourdain, le Iôannès, lequel a
été le seul témoin de la colombe et le seul auditeur de la Voix du
ciel (Tu es mon Fils bien-aimé).
En somme, la scène de la colombe signifie que le mot (du
Plérôme, I. E. O. A., l’Esprit de Dieu, le Verbe-Esprit), a élu
domicile dans le corps du Crucifié de Ponce Pilate, au Jourdain.
Le Selon-Matthieu, si on veut bien relire le récit du baptême,
n’est qu’un marivaudage assez apparent, un échange de
politesse caractéristique, qui permet de reconnaître comment la
scène a été littérairement fabriquée, entre le Verbe Jésus, que le
scribe fait venir de Galilée, on ne sait d’où, — Il y est tombé du
ciel, — et le Christ baptiseur Iôannès.
[37] Dans le Selon-Jean, Jésus rend le Christ à sa mère. Puis le
Christ (il y a Jésus dans le texte, depuis que Jésus c’est le Christ
ou Jésus-Christ) dit : J’ai soif ! ce qui ne peut s’entendre que de
l’homme de chair. On lui fait prendre du vinaigre. Enfin,
baissant la tête, il rendit l’esprit. L’expression doit être entendue
littéralement, sans figure. Autrement dit : l’Æon, pur esprit,
quitte son enveloppe charnelle. Pneuma, c’est l’Esprit ; c’est
même le Saint-Esprit. Dans Matthieu (XXVII, 50), Jésus (le
:
mot Christ ferait grincer la plume du scribe) ne rend pas
l’Esprit, comme disent les traductions. Il l’envoie hors de lui, il
le fait sortir. C’est exactement le sens du verbe grec employé.
Luc dit que Jésus (toujours) expira, comme tous les hommes qui
meurent. Il ne lui fait pas rendre l’esprit. Pourquoi ? parce qu’en
même temps qu’il le fait expirer, il lui a fait remettre son Esprit
entre les mains du Père. L’Æon retourne à Dieu, au moment où
l’homme expire. Voici le texte : Ayant parlé d’une voix grande
(les traductions disent — ayant poussé un grand cri, ce qui est
un faux sens), Jésus a dit : Père, dans les mains de toi je remets
en dépôt l’Esprit de moi. Et il expire. L’Esprit reste bien
distinct du crucifié. Dans Marc, Jésus ayant émis ou poussé une
grande parole, expira. Même expression que dans Luc.
Seulement, il n’y est nulle part dit qu’il rendit l’Esprit ou qu’il
le remit entre les mains du Père. C’est inutile. Le départ de
l’Æon, du Verbe, de l’Esprit s’infère du cri : Éloï, éloï, pourquoi
m’as-tu abandonné ?. Le Selon-Matthieu a le même détail.
Mais Éloï y est Éli, pour donner le change par un calembour
inconvenant dans cette scène tragique. Ni Luc, ni Jean n’ont le
cri : Éloï ou Éli, Père ou Abba, pourquoi m’as-tu abandonné ?
L’abandon, le départ de l’Æon résulte suffisamment de leurs
récits.
En somme, les quatre récits, divers dans la forme, expriment la
même vérité de fond. Le Logos, distinct du Christ. Il n’y a
qu’une bavure pléonastique chez Matthieu, pour le calembour
sur Élie, que l’on a fait passer dans Marc où il ne se comprend
même pas, car Jésus y appelle Éloï. Et les Juifs, ainsi, qui, dans
Marc, se prêtent au calembour matthéen, ne savent même plus
le nom de leur dieu. C’est absurde.
[38] C’est un de ces préjugés les plus répandus et les plus faux
que le christianisme a découvert ou révélé la morale. Il n’y a pas
dans le Nouveau Testament un seul précepte de morale, une
seule idée haute qui n’aient été exprimés antérieurement. Aime
ton prochain comme toi-même, le plus beau commandement, est
dans le Lévitique (XIX, 18), repris par le grand docteur juif
Hillel. L’oraison dominicale, le Pater noster, n’est qu’un plat et
sec pastiche de la belle prière du stoïcien Cléanthe, conservée
dans l’anthologie de Stobée.
La seule innovation du christianisme, en matière de préceptes
moraux, c’est la surenchère. Si on te frappe sur la joue droite,
tends la gauche, si on te prend ton manteau, donne ta veste.
Surenchère, et d’une immoralité certaine, car en agissant ainsi,
on ne fait qu’encourager la canaille. La surenchère en morale
est aussi laide qu’en politique. Au surplus, le Christ crucifié par
Ponce Pilate n’a jamais prononcé aucune parole de morale,
d’amour, de fraternité, de charité, de justice ou de bonté. Sa
doctrine est dans l’Apocalypse.
[39] Un autre trait d’union qui identifie le messianisme judaïque
au christianisme chrétien, c’est la prise à son compte par
l’Église de ce qu’elle appelle les persécutions et les martyres.
Encore un change qu’elle veut donner.
Jamais les Romains, ces grands conquérants, pionniers de
civilisation, n’ont persécuté les peuples ni les gens pour cause
de religion. (Voir Montesquieu.) Les Juifs ont même, en tant
que Juifs, été traités avec faveur par les Romains, qui n’ont
jamais eu de missionnaires à la suite de leurs armées pour
:
imposer aux vaincus les dieux de l’Olympe. Rome a été le
Panthéon de tous les dieux. Ce qu’ils ont poursuivi, c’est
l’exécrable superstition judaïque, expression de Tacite, cette
doctrine de l’Apocalypse chrétienne faisant fonds sur la
destruction de l’Empire. La religion chrétienne ? Mais quand
elle est faite, les empereurs eux-mêmes s’y convertissent.
Comment concilier d’ailleurs ces prétendues persécutions
contre les soi-disant chrétiens, avec la soi-disant velléité de
Tibère proposant au Sénat la statue et la béatification de Jésus,
avec les lettres fausses, bien entendu, mais chrétiennes, où Pline
et Trajan, où Hadrien recommandent d’honorer et de protéger
les chrétiens ? Il n’y a jamais eu de persécutions, chrétiennes
qu’entre christiens-chrétiens, et féroces d’ailleurs.
A part la persécution sous Néron, lors de l’incendie de Rome,
contre les christiens, que l’on infère de Tacite, — ces christiens
étant des partisans du Messie-juif, ce qui ne signifie pas qu’ils
sont des chrétiens, — aucun document historique n’a jamais
signalé de persécution chrétienne. Les Actes des Martyrs, la
littérature agiographique, si ample et si riche, mais de mains
d’Église, débordant de grands exemples et de hautes leçons,
n’ont aucune autorité. Tout y est inventé sous quelques traits
historiques clairsemés d’ailleurs, malaisés à discerner.
A propos des martyrs, alors que les Pères de l’Église ne parlent
jamais que de leur multitude, Origène a écrit cette phrase
significative : Quelques uns seulement, dont le compte est facile
à faire, sont morts, à l’occasion, pour la religion du Christ,
tandis que Dieu empêchait qu’on ne leur fit une guerre par
laquelle on en eût fini avec la communauté tout entière. Au
moment où Origène est censé écrire, il y avait eu six
persécution d’après l’Église, qui en affirme dix en tout. Au
surplus, si ces persécutions sont des répressions contre des
propagandes messianistes-christiennes, que l’Église s’annexe
comme chrétiennes, c’est bien possible. Le texte d’Origène
flotte ; Il essaie de répudier le messianisme, dont les martyrs
furent nombreux et amorce, par l’affirmation qu’il y eut des
morts pour la religion du Christ, peu nombreux, n’est-ce pas ? le
martyrologe chrétien inventé.
[40] Chaque chrétien est un missionnaire. De là, la colère des
Romains se plaignant que le foyer domestique fût assiégé par
des hommes, muets devant le père de famille ou le précepteur,
mais intarissables avec les femmes et les enfants. On peut s’en
rendre compte dans Tibulle, Ovide, Catulle, Juvénal.
Quant à l’immonde histoire du chevalier Mundus et de Pauline,
dans Flavius Josèphe, refaite pour donner le change sur quelque
événement christien, dès 772 = 19 à Rome, elle montre jusqu où
pouvait aller la propagande. La conquête de Plassans ! Rien n’a
changé.
[41] Ce que l’on sait des conciles prouve que, pour des
différences d’opinion sur des abstractions théologiques dont la
seule idée relève plus de la pathologie que de la raison critique,
les christiens se vouaient entre eux la malédiction et se
menaçaient de terribles supplices, plus exaltés dans leurs
criailleries que des déments qui s’écorchent entre vifs.
Déjà, dans l’Anticelse, mis au IVe siècle sous le nom d’Origène
qui vécut au second, un soi-disant adversaire des christiens, un
Juif, interlocuteur supposé, émet sur eux cette vérité, qu’on a
:
laissé passer : Ils se chargent à l’envi de toutes les injures qui
leur passent par la tête, se refusant à la moindre concession
pour le bien de la paix, et animés les uns contre les autres d’une
haine mortelle. On voit, de plus, indirectement, que l’Anticelse
n’a pas été composé seulement comme apologie du
christianisme et pour prouver Jésus-Christ aux Juifs et autres
Incrédules. Il cherche un terrain d’entente entre controversistes,
tous juifs ou judaïsants encore, christiens qui font le plus grand
mal à leur propre cause. L’œuvre a précédé d’assez loin la
rupture avec le judaïsme.
Ammien Marcellin, historien du temps de Julien l’Apostat, écrit
(XXII, 5) : Il n’y a pas de bêtes féroces qui le soient autant
contre les hommes que les christiens le sont entre eux (nullas
infestas hominibus bestias, ut sunt sibi ferales plerique
Christianorum expertus.)
[42] La doctrine de Platon, dit Justin, n’est pas contraire à celle
du Christ. Vous entendez bien, comme en toutes choses,
considérez la fin. Stoïciens, poètes, tout ce qu’ils ont dit de bon
(voir la fin du paragraphe) nous appartient à nous, chrétiens.
Ceux qui ont vécu d’une façon conforme à la raison sont
chrétiens. Nous enseignons la même chose que les philosophes,
nous professons la même doctrine. Où sont les Lettres de Paul
opposant la folie de la croix à la sagesse du monde ? Justin (IIe
siècle) n’a pas l’air de se douter qu’elles existent depuis cent
ans. Lactance, au IVe siècle, parlera comme Justin, à moins que
Justin ne parle comme Lactance, déjà.
[43] De même, l’éta d’ekkésia est devenu i dans Église. En
revanche, ce qui est sans exemple, l’i de Christ a donné un é
dans chrétien. Un change sur christien.
[44] La nation juive détruite, les Juifs christiens ou non
essaimèrent, forcés de s’expatrier, dans les colonies juives, déjà
nombreuses, des rivages méditerranéens, et en créèrent d’autres.
Quelques-unes de ces colonies existaient déjà du temps
d’Auguste. D’autres durent se créer après Vespasien. Ce sont les
Juifs de la Dispersion ou de la Diaspora, par qui le
christianisme, au fur et à mesure que ses scribes en fabriquaient
les fables changeantes, a fait sa propagande, son prosélytisme en
Occident.
[45] Je ne sais pas si on peut parler de patriotisme, au temps de
Constantin. Pour moi, réduit à sa plus simple expression et
dégagé des lyrismes parasitaires, le patriotisme est, pour les
peuples, chez les individus qui les composent, ce sentiment de
conservation, qui procède de l’instinct animal lui-même. En
reconnaissant officiellement les chrétiens, dans l’intérêt
personnel et immédiat d’affermir sa couronne d’Auguste, ce
Constantin, tout ensanglanté de crimes, a failli, vis-à-vis de
l’Empire et de la civilisation, à cet instinct de conservation que
nous appelons patriotisme. Triste Auguste !
[46] Les controverses, les polémiques, les déchirements entre
sectes, doctrines, tendances, qui furent parfois sanglantes, sont
allées en s’apaisant de plus en plus, au fur et à mesure que,
l’Empire romain en décadence, puis détruit, devenait plus
certain l’espoir de régner sur le monde. L’unité de foi et de
direction a été recherchée œcuméniquement, et toute théorie ou
doctrine qui n’est plus conforme aux décrets de l’infaillible, au
dogme péniblement et successivement établi est déclaré
:
hérétique par anathème.
Toutefois, jamais l’accord ne s’est fait sur les deux hypostases.
Arius et sa doctrine sont excommuniés au Ve siècle. Deux cents
ans après, l’arianisme règne encore sur la moitié de la
chrétienté, repris, à des degrés divers, sous des noms différents,
eutychianisme, monothélisme, socianisme, etc. Le pape
Honorius (626-640), à la sollicitation de l’empereur Héraclius,
accepte une formule neutre. Héraclius proposait : Il y a en
Jésus-Christ deux natures mais une seule opération
théandrique, divine et humaine. Honorius déclara : Jésus-Christ
est une seule personne, opérant à la fois par la divinité et
l’humanité Le concile de Constantinople (681) prescrivit et
anathémisa Honorius, jadis pape de Rome. Et il rédigea le
canon suivant :
Nous jugeons qu’il y a en Jésus-Christ deux natures ayant leurs
propriétés naturelles : la nature divine avec tous les attributs
divins, la nature humaine avec les qualités humaines, sans
ombre de péché. Ces deux natures subsistent sans confusion,
indivisibles et immuables... Il a aussi deux volontés et deux
opérations naturelles, l’une divine, l’autre humaine : la volonté
divine en communauté avec le Père de toute éternité ; l’humaine
dans le temps, l’ayant reçue de nous avec notre nature. A la fin
du VIIIe siècle (794), Félix, évêque d’Urgel et son archevêque,
Elipand, de Tolède, ne savent pas si Jésus-Christ, comme
homme, doit être dit Fils propre et naturel de Dieu, ou bien Fils
adoptif.
Restons-en là... Pour cacher que Jésus-Christ a été fabriqué,
monstre hybride, avec un homme du premier siècle, dans lequel
on a incarné au troisième, le dieu Jésus inventé au second par
les gnostiques et Cérinthe, l’Église patauge dans des formules
logomachiques, dans du galimatias et du pathos théologiques,
dont elle ne sait même pas ce qu’il veut dire, sinon que c’est la
quadrature du cercle.
[47] On peut affirmer au surplus, que les christiens n’ont pas
attendu d’être tout-puissants, de pouvoir accaparer les
manuscrits des auteurs non chrétiens pour en faire des copies
frelatées qu’ils lançaient dans le public. Mais le grand travail de
mise au point générale n’a pu être fait que du VIe au XIe siècle.
Et Il l’a été.
Quant aux écrits ecclésiastiques, Ils sont des faux dès leur
apparition, qu’on a dû cependant harmoniser au fur et à mesure
que le christianisme évoluait. C’est surtout des ouvrages
d’Église, pendant les dix premiers siècles, ne l’on peut dire : De
ce qu’une chose est écrite, il ne s’ensuit pas qu’elle soit vraie.
[48] Il doit être difficile de fixer exactement la date de ce beau
travail de Denys. Le Nouveau dictionnaire Larousse illustré
(direction Claude Augé), à l’article Denys le Petit, fait mourir
notre moine vers 540 après J.-C. A l’article Ère (ère chrétienne),
il l’occupe encore, vers 580, quarante ans après sa mort, à
refaire la chronologie. Encore un coup du pneumatique, c’est-à-
dire du Saint-Esprit.
[49] Renan a écrit : Cette conversion (des plus nobles portions
de l’humanité, dit-il. Sous Charlemagne !) a eu besoin de près
de mille ans pour se faire. Ce qui ne ressemble guère à un
phénomène soudain, éclatant comme un coup de tonnerre dans
l’univers ébloui et émerveillé. Le raccourci avec lequel,on
:
présente les perspectives du passé, la manière même dont on
expose en bloc les doctrines du christianisme, comme si elles
s’étaient établies tout d’une pièce par les Évangiles révélateurs,
portent à le faire croire.
[50] Quand, plus tard, les plus nobles portions de l’humanité, —
Rome des papes, Espagne des Jésuites, — ont fait essaimer le
Christianisme avec leurs émigrants, à travers notre globe
terraqué, l’établissement du Christianisme a coïncidé avec la
destruction des races indigènes. Le christianisme est resté
propre aux descendants des peuples de l’Europe, occidentale
surtout. L’Afrique, l’Asie, ce qui reste des anciennes tribus des
Amériques, nègres, Indiens, Japonais, Chinois, les deux tiers de
la population de la terre, ont résisté aux missionnaires chrétiens,
toutes les fois que les plus nobles portions de l’humanité n’ont
pas réussi à les assujettir par la force. Et même, chez les peuples
protégés ou conquis, où le christianisme fait son prosélytisme à
couvert sous les forces militaires, il n’entame guère les
croyances et superstitions locales.
Pour l’avenir, alors que de plus en plus, les gouvernements
temporels tendent à ne plus vouloir servir de soutien officiel,
politique, aux religions, on peut prévoir, à certains signes des
temps, le déclin du christianisme. La science, qui a bien fait,
elle aussi, quelques révolutions capitales, réserve à nos
descendants d’autres révolutions, événements d’une importance
tout aussi capitale que le christianisme, qui n’est plus affaire
que d’éducation, de préjugé, sauf exceptions honorables, citez
les foules moutonnières des plus nobles portions de l’humanité,
— que le christianisme n’a pas rendues meilleures, à ce qu’il
semble. Renan exagère.
:

Vous aimerez peut-être aussi