Marius BAVEKOUMBOU - Signe Et Présence
Marius BAVEKOUMBOU - Signe Et Présence
Marius BAVEKOUMBOU - Signe Et Présence
Marius BAVEKOUMBOU
Ecole Normale Supérieure (ENS) de Libreville
Centre de Recherches Sémiotiques (CeReS) de Limoges
mariusbave@gmail.com 1
Résumé :
Constitué de catégories descriptives spécifiques qui sont aptes, fondamentales à la
saisie d’une perception, le signe relève de la jonction entre deux axes : (i) l’axe de la
structuration du monde de l’expression sémiotique et (ii) l’axe de l’extension maximale
du signe vers la perception, l’esthésie et toutes les dimensions phénoménologiques de
l’apparaître du sujet. À s’en tenir au signe et à l’actant, c’est précisément à ces points
que la sémiotique croise la phénoménologie de la perception. Où que l’on se tourne,
du côté de la sémiotique ou du côté de la phénoménologie de la perception, l’actant
acquiert l’expérience de la spatialité et de la temporalité en fixant sa présence au
monde. Chez Okoumba-Nkoghé, le signe est mis en relation avec des catégories
d’expression du vécu : un vécu sensuel fait de mouvements et de trajectoires du corps
qui, progressivement, pivote vers un cours d’actions ouvert et projectif de l’espace
sacré. L’actant est englobé dans des espaces-temps successifs préfigurés par
l’expérience sensible comme activité immanente à la perception du monde et des
signes.
Mots clés : Présence, perception, sémiotique, signe, tension.
Abstract :
Made up of specific descriptive categories which are suitable, fundamental to the grasp
of a perception, the sign relates to the connection between two axes : (i) the axis of the
structuring of the world of semiotic expression and (ii) the axis of the maximum
extension of the sign towards perception, aesthesia and all the phenomenologial
dimensions of subject’s appearance. By sticking to the sign and the agent, it is precisely
at these points that semiotics intersects with the phenomenology of perception.
Wherever one turns, of the side of semiotics or on the side of the phenomenology of
perception, the agent acquires the experience : a sensual experience mad up of
movements and trajectories of the body which, progressively, pivots towards an open
and projective course of actions of the sacred space. The actor is encompassed in
successive space-times prefigured by the sensitive experience as an activity immanent
in the perception of the world and of signs.
Keywords : Presence, perception, semiotics, sign, tension.
Introduction
Soucieuse des pratiques signifiantes et des sens articulés, la démarche sémiotique subit
un tournant phénoménologique. Méthodes, paradigmes et théories oscillent et
convergent vers de nouveaux observables : c’est l’ouverture de la sémiotique au vaste
domaine de la présence, des sensations, des actes signifiants, perceptifs, spatialisés et
temporalisés. Dans la perspective d’une quête épistémique et heuristique, la
sémiotique redéfinit son champ de réflexion. Il est à la fois intensif, du régime narratif
au discursif ; et extensif, par la combinaison de l’activité sensible, de la corrélation entre
des « états de choses aux états d’âme » (Greimas et Fontanille, 1991) avec, en leur
milieu, le surgissement d’un vécu sensible.
2. La pratique énonciative
La notion de pratique énonciative implique dans Elo, la fille du soleil, l’installation d’un
champ de présence modulé par des intensités sensibles et affectives comme phases
d’apparition de la signification, dont les règles d’effectuation se manifestent dans cette
narration :
Pour dévoiler les formes et les tensions de sens et des stratégies discursives en acte,
Elo s’expose à l’effacement énonciatif de sa présence. Actant solaire, le sujet permet
par contre de reconstruire les significations perceptives à partir desquelles seules les
articulations énonciatives permettent de l’appréhender. Des significations du monde
sensible (profane) sont médiées au mystérieux (sacré) qui se transforme en une
assomption du vécu chez Okoumba-Nkoghé. Entre le sacré et le profane, il y a ce que
Renaud Barbaras (2006) appelle une distance phénoménologique (distance qui sépare le
sacré du profane). C’est ainsi que le champ de présence est caractérisé par la motricité
déclenchée à travers les signifiants spatio-lumineux que l’on rencontre à chaque coin
du texte. L’apparition d’Elo dans une scène énonciative est toujours fonction de celle
du soleil et la propagation d’un faisceau lumineux dont l’objectif consiste à déplier la
signification, pour la rendre transparente, en intention : « Elo, vous savez, c’est une
âme noble et libre, encore plus lumineuse et plus vieille que la mienne. Vous voyez ce
que je veux dire ? C’est la fille du soleil. » (Okoumba-Nkoghé, op. cit., p. 52). Les
signifiants « noble », « libre », « lumineuse » manifestent un procès sémiotique où il
est particulièrement question de se dessaisir des formes corporelles de l’actant et de
leurs signifiés de nature profane. Encore, plus difficile de mener une corrélation entre
ce qui relève d’un champ sensible et ce qui appartient à une expérience énonciative du
rite d’initiation à la quête ascendante actualisée dans la périphrase, « c’est la fille du
6
soleil ». L’angle d’une dynamique sémiotique de la transcendance témoigne que le
sujet construit une identité flottante génératrice d’une signification. Nous sommes au
cœur d’une quête, celle des repères solaires étincelants. La présence
phénoménologique d’Elo plane, entre les traits et les traces de ce que Greimas appelle
« un univers humain du fait qu’il est omniprésent et multiforme » (1966 : 60).
Partant de là, nous souhaitons ainsi connaître le statut de la perception chez Okoumba-
Nkoghé. Ces perceptions qui marquent, particulièrement dans Elo, la fille du soleil, la
scission entre l’intéroceptivité (la présence du sujet au monde en forme de visée) et
l’extéroceptivité (le réel, la saisie du monde). Ainsi que nous l’avons déjà montré, Elo
est absorbé par cette étendue temporelle épiphanisée en élévation spirituelle : « c’est
pourtant vrai, en toi tout est synthèse, symbole et harmonie. Concentre-toi dans la
prière, tu finiras par découvrir le long des pistes ces pas subtils laissés à ton intension
par le soleil » (Okoumba-Nkoghé, op. cit., p. 59). Tout se joue sur une intensité forte
parce que le soleil dissémine autant d’empreintes qu’Elo tente de récupérer dans une
saisie extense. On a particulièrement des strates qui résultent de toutes sortes de
modalisations, perceptives, existentielles, et subjectives parce que le sujet stratifie son
vécu. Le vécu concret est opposé au vécu abstrait ils sont des traits d’un noyau central
du sens. Le sujet apparaît sur le plan du contenu avec des vécus immanents, c’est-à-
dire avec des subjectivations et des attitudes. Il y a visée au sens où le sujet perçoit son
vécu à travers une forme d’incertitude que nous interprétons d’ailleurs comme une
présence non appropriée sémiotiquement : c’est plutôt une auto-adaptation saisissable
dans un champ phénoménal par laquelle l’actant doit passer pour reconstituer la
plénitude de son identité sémiotique.
7
Mais la gamme de cette plénitude marque tout aussi une identité modale transitoire
qui est une forme enracinée dans l'assomption d'un vécu. Celui-ci actualise totalement
un acte qui génère le degré suprême de l’unicité. Entre les vécus diffractés de l’actant,
se projette, par extension nécessaire, sa reconstitution en allant du plan de l’expression
créé par les impressions d’ellipse, de densité dans la superposition d’unités spatiales
jusqu’au plan substantiel de la composition d’un sujet autodynamique. Dans l’extrait
ci-dessus, aucune perception n'est neutre de signification, elle reste d’ailleurs
surmodalisée. En d'autres mots, Elo est porteuse d'une certaine stabilité. Son harmonie
est déployée, projetée en tension constante avec le soleil.
À chaque fois qu’il y a présence d’Elo, elle fait ressortir les moments adjacents qui se
profilent en reconfigurant tous les possibles investis. Sa présence déborde et excède le
moment vécu en émettant une fonction, celle de projection du corps à la fois dans une
spatialité de position (dimension proximale de la présence) et une spatialité de
situation (dimension distale de la présence). Le mouvement, l'orientation du corps-
actant sont des acquisitions motrices d'une nouvelle signification, source d’esthésies.
3. Perception et esthésies
La perception est le résultat de la combinaison synchronique d’une visualité, d’un
regard tendu vers une structure d’horizon. On peut ainsi préciser la définition du faire
perceptif :
La lecture sémiotique montre que l’esthésie est une vision du monde suscitée et
contrainte par un type de morphologie sensible du sens. Les esthésies engagent divers
domaines de caractérisations d’ampleurs croissante : les éléments des formes
sémantiques comme les états d’atmosphère ; les types d’impression référentielles, les
qualités propres au sujet, les isotopies évaluatives, etc. Il s'agit bien d'une énonciation
où le point de vue de l'observateur donne sens à l'ensemble des caractéristiques
morphologiques, où la perception fait ressortir des figures géométriques dans les
traits. La définition de l’esthésie, considérée comme une vision du monde est
davantage précisée ici :
Une telle perception énonciative est en rapport avec un degré de spiritualité qui
permet un recentrement entre les dimensions sensibles du sujet. Il est aussi question
encore d'une forme de vie d'émerveillement où les formes énonciatives affluent vers
une sérénité et avec elles, la saisie et la visée augmentent en harmonie. Chaque
énonciateur adopte le tempo d’un état d’âme apaisé. Cela confirme l'enthousiasme
d’Elo et son accès à la plénitude capable de changer le monde. Vivre et percevoir se
confondent dans une totale harmonie, spontanée et réalisée.
Toutes ces caractéristiques dégagées se trouvent perpétuellement en rapport avec le
système sensoriel manifesté par une saisie impressive. Le texte reconstruit la
signification à l’aide des cinq sens ou des conduites sensori-motrices (gestualité et
respiration) ainsi que des mouvements corporels intimes (battement de cœur,
pulsation) déclenchés par Elo.
En s'y actualisant, des processus d'énonciation très variés correspondent, côté sujet, à
une dimension fondamentale d'élargissement du schéma spirituel dans l'espace-
temps. Lorsqu'elle est pleinement déployée, la perception entraîne le sujet dans une
quête qui progresse en allotopie. En corrélant les signes, l'état perfectif se substitue à
l'état imperfectif. Autrement dit, l’énonciation efface l'état imperfectif ; pour ne garder
que l'état perfectif qui a le privilège de s’ouvrir sur une multiplicité de parcours
virtuels débouchant sur ce que Okoumba-Nkoghé appelle « la Source », « le Soleil »,
« la Vérité », « Dieu ». Dans cet ordre, les transformations syntaxico-énonciatives
inscrivent les actes de perception sous forme d’intervalles tensifs.
10
Elo est en proie à un combat d’équilibre entre la visée et la saisie sémiotique des
signes. Face à cette tension, le soleil devient un signe porteur d’une parcelle de lumière
provenant du monde invisible où sa vie se déploie sous l’isotopie de l’être. Les
« grelots » et les « lucioles » sont des dérivés ou des relais voire, des indices dont la
méditation offre la possibilité de passer à une lucidité supérieure qui est la source
lumineuse originale. De subtiles symétries dessinent au plan de l’expression une
modulation de degrés énonciatifs et sensibles. Ce faisant, le sujet achemine le procès
de perception par succession des significations prioritaires. Cette succession,
Zilberberg la requalifie sous le signe d’un intervalle :
Dans la perspective de la perception sémiotique, les tensions de sens dans Elo, la file du
soleil marquent une corrélation et fait couple avec la relation converse, inverse, intense
et extense. Nous avons donc un phorème directif de tension, c’est-à-dire l’intervalle
entre la décadence et l’ascendance. Parler alors des phorèmes tensifs revient donc à
vérifier dans le volume signifiant du sujet les orientations diverses prises par les
actants dans le corpus. Deux phorèmes tensifs sont particulièrement prégnants dans
le texte : la position et l’élan. Ces deux phorèmes sont d’ordre inchoatif. Ils situent le
commencement de l’action énonciative où le corps-actant commence à aménager une
zone d’équilibre. Ils se dessinent alors des traces d’une scène événementielle traversée
par l’intensité d’une émotion qui fond dans l’ensemble des structures énonciatives :
« il continuait à rôder par la pensée autour de cette Elo, avec une âpre passion que
l’âge n’avait pas éteinte. Il avait cru, jadis, qu’il pourrait encore contrôler son corps
pendant longtemps. Aujourd’hui il découvrait avec effroi que celui-ci ne répondait
plus, que bientôt il s’en irait comme tant d’autres avant lui, sans avoir organisé les
choses. Sinon, cette Elo…Ce n’est pas à ses garçons qu’il aurait demandé du secours !
Cette furieuse vigueur qui fut la sienne avait pâli dans ses veines, ainsi que la lumière »
(Okoumba-Nkoghé, op. cit., p. 159).
11
Les traits ‘passion’, ‘corps’, ‘vigueur’ déclenchent autant de prises de position, la
manifestation de l’élan émotionnel auquel un corps creux n’arrive plus à faire sens de
façon dynamique. Cette faille de l’élan est actualisée dans les traits sémantiques
/effroi/, /pâli/ qui pèsent sur une axiologie négative du corps. Parce que nous avons
l’indice d’un actant sensible, passionnel et thymique. Il est ému par des extases qui
l’assaillent, un actant plutôt oscillatoire qu’identitaire. A partir de cet instant, le point
de vue énonciatif s'exerce en arrière fond et fait travailler un point de vue inhérent au
fait que la sensibilité du sujet tient du sens de l’émotion, dans son élan de
déclenchement. Cette émotion s'accélère mais le corps se fige et se rétracte. Les
dispositions corporelles sont bien en place et signalent qu’une « manipulation » est en
train de se produire. Jacques Fontanille propose d’interpréter cette disposition
corporelle comme une structure actantielle :
V2
12
V1
V0
Apparaissant
0 contenance de l’actant V0
Dans Elo, la fille du soleil les actants sont partagés entre diverses directions, à la fois une
direction anticipatrice vers le soleil [ 𝑽𝟎 → 𝑽𝟐 ] et une direction de nature rétrospective
comme la réflexivité des valences de [ 𝑽𝟐 → 𝑽𝟎 ]. La direction, c’est aussi l’orientation
de la perception qui masque une corrélation entre l’apparaissant et l’apparaître
phénoménologiques. Expliquons ces deux modes de perception :
On a un sujet de perception modulé dans un cours de vie qui s’étend dans l’ordre
croissant, de la perception extensive de l’ordre d’une structure de l’apparaissant
(forme de la saisie) à l’admiration intensive de l’ordre de l’apparaître
phénoménologique du monde intéroceptif (forme de la visée). Elo capte tous les
accents : les odeurs, les synesthésies existentielles, de fortes implications subjectives et
perceptives qui montrent que les formes énonciatives et les tensions de sens
s'effectuent dans un rapport à l'existence.
Conclusion
La sémiotique résulte de la combinaison des systèmes signifiants entre eux, des lois
communes et systématiques permettant une explication unifiée d’un univers de sens.
Elle vise aussi à ‘‘saisir’’ la totalité des processus perceptifs engagés dans
l’établissement des significations. Celles-ci relèvent de la forme des relations
transmises par les signes : l’admiration du soleil, ses modes d’apparition, son
apparaître et son apparaissant phénoménologiques. Ce qui nous a permis de
catégoriser et de hiérarchiser les signes chez Okoumba-Nkoghé. Il y a, dans l’ordre
sémiotique de la présence, des signes naturels qui se situent dans le monde physique
en allant du signe le plus ouvert au signe le plus fermé. C’est à travers ce passage entre
signes que s’est formulée la question de la corrélation perceptive entre l’intéroception
du signe et son extéroception. Le signe devient ainsi une unité dynamique de
l’apparition d’un monde où se condensent des processus complexent de signification
et le caractère immersif du signe dans un horizon culturel. Ce dernier manifeste sans
cesse sa signifiance à travers des éléments relevant de l’acte perceptif : le soleil, le ciel,
le corps et leurs corrélations sémiotiques. Le soleil est un signe qui se déploie chez
Okoumba-Nkoghé sous la forme, à la fois d’une trace, d’une image, d’une
représentation, d’un code social, mais plus, d’un signe porteur d’une corrélation entre
les catégories de l’expression et de la substance.
15
Bibliographie