Article
Entre la sacralisation de la vie et lessentialisation de la nature humaine: un examen critique
du bioconservatisme
     Nicolas Le Dvdec
     Politique et Socits, vol. 36, n 1, 2017, p. 47-63.
Pour citer cet article, utiliser l'information suivante :
URI: http://id.erudit.org/iderudit/1038760ar
DOI: 10.7202/1038760ar
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                                                                                                 Document tlcharg le 22 February 2017 10:53
                                      Entre la sacralisation de la vie
                                      et lessentialisation de la nature
                                      humaine: un examen critique du
                                      bioconservatisme1
                                      Nicolas Le Dvdec
                                      HEC Montral
                                      nicolas.le-devedec@hec.ca
                        rsum Souvent qualifis par leurs dtracteurs danti-mlioristes ou de biolud-
                        dites, les penseurs associs au bioconservatisme ont dvelopp au dbut du vingt et
                        unime sicle une critique vigoureuse des avances technoscientifiques et biomdicales
                        visant lamlioration de ltre humain et de ses performances.  travers lexamen de la
                        pense de deux de ses reprsentants majeurs, le philosophe Leon Kass et le politologue
                        Francis Fukuyama, cet article propose une lecture critique de la biothique conservatrice.
                        Si les bioconservateurs ont le mrite de rappeler la ncessit de tenir compte de lancrage
                        vivant irrductible de ltre humain  lre de la bioconomie et de lexploitation crois-
                        sante du monde vivant, nous verrons que la conception, sinon religieuse, pour le moins
                        dogmatique de la nature humaine qui soutient leur argumentation permet difficilement
                        de rpondre aux dfis thiques et politiques soulevs par laspiration actuelle  un
                        humain augment.
                        mots cls bioconservatisme, biothique, biotechnologies, humain augment, nature
                        humaine, dignit humaine, religion, dmocratie.
                        abstract Often described as anti-meliorists or bioluddites, thinkers associated to
                        bioconservatism have developed in the early twenty-first century a vigorous criticism
                        of technoscientific and biomedical advances which aim to enhance human capacities.
                        This article offers a critical reading of the conservative bioethics through the examination
                        of the thought of two of its major thinkers, the philosopher Leon Kass and the political
                        scientist Francis Fukuyama. If these thinkers have the merit of recalling the need to
                        consider the living anchor irreducible of human beings in the era of bioeconomy and the
                        increasing exploitation of the living world, however, we will see that the dogmatic concep-
                        tion of human nature that supports their argument does not offer an appropriate
                             1.	 Lauteur tient  remercier les valuateurs anonymes pour leurs remarques judicieuses
                        et constructives sur la premire version de cet article.
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                      framework to confront the ethical and political issues posed by the current desire for
                      enhancing human performances.
                      keywords bioconservatism, bioethics, biotechnologies, human enhancement, human
                      nature, human dignity, religion, democracy.
                                Le mouvement environnemental nous a appris lhumilit et le respect de
                                lintgrit de la nature non humaine. Nous avons besoin dune considration
                                similaire  lgard de la nature humaine. Ne pas la dvelopper rapidement,
                                cest autoriser implicitement les transhumanistes  dfigurer lhumanit avec
                                leurs bulldozers gntiques et leurs supermarchs de psychotropes2.
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                      Lavnement dune mdecine damlioration ambitionnant de perfectionner
                      ltre humain et ses performances suscite depuis une quinzaine dannes de
                      nombreux dbats biothiques et philosophiques (Parens, 2000; Buchanan et
                      al., 2001; Mehlman, 2009; Thompson, 2014). Du dopage sportif  la chirur-
                      gie esthtique, de lutilisation de smart drugs pour amliorer les perfor-
                      mances intellectuelles au dveloppement dune mdecine rgnratrice
                      semployant  repousser les effets du vieillissement, le human enhancement
                      soulve des enjeux thiques, sociaux et politiques considrables qui divisent
                      le champ universitaire (Frippiat, 2011; Alexandre, 2012).  loppos des
                      penseurs bioprogressistes, parmi lesquels le mouvement transhumaniste
                      occupe une place centrale3, se situent les penseurs souvent qualifis par leurs
                      dtracteurs danti-mlioristes, de bioluddites en rfrence au lud-
                      disme, du nom du mouvement anglais des briseurs de machines durant
                      la rvolution industrielle, ou encore de bioconservateurs. Condamnant
                      avec fermet les idaux transhumanistes dun humain techniquement aug-
                      ment, les bioconservateurs remettent en cause lavnement dune mde-
                      cine damlioration excdant la vise thrapeutique mdicale classique de
                           2.	 Toutes les citations dont la source est en anglais sont nos traductions.
                           3.	 Mouvement culturel et scientifique qui gagne aujourdhui en notorit, le transhuma-
                      nisme regroupe des ingnieurs, des entrepreneurs et des philosophes qui ambitionnent de
                      transcender les limites biologiques humaines afin daccder  un nouveau stade de lvolution
                      (Bailey, 2005; Naam, 2005; Young, 2005; More et Vita-More, 2013). Le mouvement transhu-
                      maniste, prcise le philosophe et partisan du transhumanisme Bostrom (2002: n.p.), a acquis
                      ses assises en tablissant une faon de penser qui met au dfi la prmisse suivante: la nature
                      humaine est et devrait rester essentiellement inaltrable. En liminant ce blocage mental, il
                      nous est permis de voir un monde extraordinaire de possibilits. Pour de nombreux trans-
                      humanistes, non seulement lhumain augment est souhaitable, mais il y aurait mme une
                      obligation morale  recourir aux nouvelles technologies pour amliorer les performances
                      humaines (Savulescu, 2005; Harris, 2007).
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                        rtablissement ou de restauration de lorganisme humain4. Figure impor-
                        tante de cette mouvance bioconservatrice, le politologue amricain Francis
                        Fukuyama associait en ce sens en 2004 le mouvement transhumaniste et sa
                        volont de donner naissance  un tre suprieur, dot de capacits physiques,
                        intellectuelles et motionnelles dcuples,  lune des idologies actuelles les
                        plus dangereuses au monde.
                              la diffrence des transhumanistes, les penseurs bioconservateurs ne
                        sont nullement fdrs dans un cadre institutionnel ou organisationnel
                        prcis. Comme le souligne le sociologue Laurent Frippiat (2011: 38), le bio-
                        conservatisme consiste bien plus en une vision intersubjectivement parta-
                        ge de normes et principes comme la nature humaine, la dignit humaine,
                        la distinction entre lutilisation thrapeutique et mliorative dune tech-
                        nique quen lexistence de structures organisationnelles comme lAssocia-
                        tion Mondiale Transhumaniste dans le camp adverse. Cr par GeorgesW.
                        Bush en 2001 avant dtre dissous en 2009 par Barack Obama, le Presidents
                        Council on Bioethics a cependant fdr nombre de penseurs que lon asso-
                        cie aujourdhui communment au courant bioconservateur. Lobjectif de cet
                        article est de proposer une lecture critique de la biothique conservatrice5 
                        travers lexamen de la pense de deux de ses reprsentants majeurs: le phi-
                        losophe et biothicien Leon Kass, prsident du comit de biothique amri-
                        cain de 2001  2005, ainsi que le politologue Francis Fukuyama, auteur du
                        best-seller La fin de lhomme. Les consquences de la rvolution biotechnique
                        (2002) et membre du comit amricain de biothique de 2001  2004.
                              4.	 Nous utilisons le qualificatif bioconservatisme comme un idal-type en ayant bien
                        conscience des diffrences qui peuvent distinguer les penseurs regroups sous ce chef. Mixte
                        de biologie et de conservatisme, le terme prsente selon nous un double avantage. Dune
                        part, il permet de clairement identifier le positionnement biothique de penseurs dont le point
                        commun est de dfendre une thique centre sur la prservation des traits biologiques
                        humains:Les bioconservateurs (ou biocons), crit Briggle (2014: 216), veulent une biolo-
                        gie qui rponde  des spcifications donnes naturellement. Le terme permet, dautre part,
                        dinsister sur lorientation politique ouvertement conservatrice de ses reprsentants: Le
                        terme a t form (ou du moins popularis) autour de 2004 dans leffort de dcrire la pr-
                        gnance des forces politiques conservatrices dans les dbats amricains concernant la recherche
                        biologique et les biotechnologies. (Ibid.: 176)
                              5.	 Ayant fait lobjet de plusieurs discussions critiques dans le monde universitaire anglo-
                        phone (Levin 2003; Hugues, 2004; Macklin, 2006; Briggle, 2014), la pense bioconservatrice
                        a t moins discute dans le monde francophone et elle la surtout t sous un angle essentiel-
                        lement philosophique (Hottois, 2003; Lecourt, 2003; Maesttruti, 2011). Prenant appui sur ces
                        travaux, il nous a paru essentiel doffrir une synthse francophone critique de ces dbats sous
                        langle de la science politique. Faire retour sur cette tradition de pense nous semble dautant
                        plus important  un moment o les dbats autour de lhumain augment tendent  sorienter
                        vers une approche pragmatique et gestionnaire du phnomne, oblitrant de ce point de vue
                        le questionnement anthropologique et politique que le bioconservatisme a le mrite daborder.
                         lre de la bioconomie et de lexploitation technoscientifique des corps et de la vie
                        (Lafontaine, 2014), situer le dbat  ces niveaux anthropologique et politique parat essentiel,
                        aussi critique que nous puissions tre des prsupposs et des conclusions bioconservateurs.
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                           Kass et Fukuyama ont dvelopp selon des perspectives propres une
                      critique forte de laspiration contemporaine  amliorer lhumain que nous
                      prsenterons successivement. Alors que Kass formule une condamnation
                      morale de lhumain augment, celui-ci portant selon lui atteinte  la dignit
                      humaine, Fukuyama dveloppe pour sa part une condamnation dordre
                      davantage politique de lamlioration humaine, celle-ci remettant daprs lui
                      en cause les principes de la dmocratie librale. Si les deux ont indniable-
                      ment le mrite de rappeler la ncessit de tenir compte de lancrage vivant
                      irrductible de ltre humain  lre de la bioconomie et de linstrumenta-
                      lisation biotechnologique croissante du monde vivant, nous verrons toutefois
                      que la conception, sinon religieuse, pour le moins dogmatique de la nature
                      humaine, qui soutient leur argumentation, permet difficilement de rpon
                      dre aux dfis thiques et politiques soulevs par laspiration actuelle  un
                      humain augment. Entre la sacralisation de la vie soutenue par Kass et
                      lessentialisation de la nature humaine opre par Fukuyama, ce sont les
                      acquis de la modernit politique et dmocratique qui sont remis en cause, au
                      profit de positions ractionnaires aussi problmatiques que les perspectives
                      technoprogressistes dfendues par le transhumanisme peuvent ltre.
                      Leon Kass, de la prservation de la dignit humaine
                       la sacralisation de la vie
                      Physicien et biologiste de formation, Kass est lune des figures intellectuelles
                      emblmatiques du courant bioconservateur. Connu pour son opposition
                      radicale au clonage humain et, plus largement, pour ses critiques virulentes
                      des avances biotechnologiques, celui-ci a pourtant men pendant de nom-
                      breuses annes des recherches en biologie molculaire pour le compte de
                      lInstitut national de la sant amricain. Cest la lecture de deux ouvrages
                      de fiction, Le meilleur des mondes dAldous Huxley et Labolition de lhomme
                      de Clive Staple Lewis (dit C.S.Lewis) qui dcide de sa reconversion profes-
                      sionnelle et de son passage de la biologie  la biothique. Ces ouvrages lui
                      font en effet prendre conscience du potentiel de dshumanisation que com-
                      portent les avances technoscientifiques dont il navait pas jusqualors
                      mesur lampleur. Par la science-fiction, ces ouvrages montrent en particu-
                      lier, crit-il,
                               comment lambition de matriser techniquement la nature peut, si nous ny
                               prtons pas attention, conduire  notre dshumanisation par le biais de la
                               gntique ou de la satisfaction induite par les mdicaments et dautres trans-
                               formations de la nature humaine, autant de possibilits dj prvisibles avec
                               la nouvelle biologie [] Lhomme restera-t-il une crature cre  limage de
                               Dieu, aspirant  se rapprocher du divin, ou deviendra-t-il un artefact cr par
                               lhomme  limage de Dieu-ne-sait-quoi, suivant les seules aspirations de la
                               volont humaine? [] Il mapparut ainsi essentiel de rorienter ma carrire de
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                               scientifique vers ltude de la signification humaine de la science. (Kass, cit
                               dans Flaumenhaft, 2003: n.p.)
                             Durant les annes 1970, Kass quitte lInstitut national de la sant pour
                        intgrer le Conseil national de la recherche de lAcadmie nationale de la
                        science, en tant que directeur du comit des sciences de la vie et des poli-
                        tiques sociales. Le comit publiera un des tout premiers rapports de bio-
                        thique critique des avances biotechnologiques (National Research Council,
                        1975). Commence pour Kass une longue carrire partage entre lenseigne-
                        ment et la rflexion biothique qui le conduira, de 2001  2005,  prsider
                        limportant Comit de biothique form par GeorgeW. Bush6  une prsi-
                        dence controverse en raison des positions juges ractionnaires de Kass7.
                        Sous sa prsidence, le comit publiera cinq rapports importants, parmi les-
                        quels Beyond Therapy: Biotechnology and the Pursuit of Happiness (2003),
                        rfrence essentielle des crits bioconservateurs pouvant tre considr
                        comme le pendant bioconservateur du rapport dinspiration transhumaniste
                        intitul NBIC Converging Technologies for Improving Human Performance
                        (Rocco et Bainbridge, 2002).
                             Vritable compendium des arguments bioconservateurs (Maestrutti,
                        2011), Beyond Therapy synthtise la philosophie bioconservatrice au sujet du
                        human enhancement. Prsentant les diffrentes avenues technoscientifiques
                        et biomdicales que recouvre laugmentation humaine, le rapport aborde en
                        particulier les questions de la slection gntique des embryons (chapitre2:
                        Better Children), de laugmentation des performances physiques (chapitre3:
                        Superior Performance), de la prolongation de la vie  travers la mdecine
                        rgnratrice (chapitre 4: Ageless Bodies) et, enfin, de la modification de
                        lhumeur et des tats motionnels (chapitre5: Happy Souls). La volont de se
                        rendre mieux que bien qui traverse lensemble de ces domaines tmoigne,
                        selon les auteurs du rapport, dun bouleversement profond du champ mdi-
                        cal qui sloignerait de sa fonction thrapeutique de rtablissement ou de
                        restauration de lorganisme. Ce sont les frontires entre thrapie et amlio-
                        ration qui sont ainsi remises en cause, donnant naissance  une mdecine
                        damlioration dont lobjectif nest plus de remdier  des formes de handicap
                        ou de gurir des maladies, mais doptimiser ltre humain et ses perfor-
                        mances physiques, intellectuelles, aussi bien qumotionnelles. Un au-del
                             6.	 Aprs avoir t prsid par Edmund Daniel Pellegrino, le comit a t dissous en 2009
                        par le prsident Obama, qui souhaitait donner aux rflexions biothiques une orientation plus
                        pragmatique que philosophique. Cest dans cet esprit que la Presidential Commission for the
                        Study of Bioethical Issues a t officiellement cre le 24novembre 2009.
                             7.	 Le penseur Ronald Bailey (2002: n.p.) le faisait remarquer: Prcisons que le Conseil
                        est compos de penseurs et de chercheurs minents. En examinant la liste des membres du
                        Conseil, il apparat toutefois vident que Kass a favoris le choix de collgues partageant ses
                        craintes profondes quant aux progrs de la mdecine.
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                      52       Nicolas Le Dvdec
                      de la thrapie qui soulve pour les penseurs bioconservateurs un nombre
                      considrable de problmes thiques et politiques.
                           Un des arguments centraux que Leon Kass (2002) dveloppe en particu-
                      lier contre cette volont damliorer techniquement ltre humain a trait  la
                      dignit humaine et  la menace que les nouvelles technologies feraient peser
                      sur elle. Pour lui, le risque principal soulev par cette mdecine damliora-
                      tion est de remettre potentiellement en cause lhumanit de ltre humain
                      en apprhendant son corps et la vie en gnral comme de simples matriaux
                      exploitables. Autrement dit, il croit que lamlioration humaine porterait
                      atteinte  la dignit humaine en relguant lhumain au rang de simple moyen
                      au lieu de lapprhender comme une fin en soi. Renvoyant  la dfinition
                      quen donnait Kant (cit dans Pelluchon, 2009: 145), en vertu de laquelle
                      lhomme ne peut tre trait par lhomme (ni par un autre ni par lui-mme)
                      comme un simple moyen, mais toujours comme une fin, la notion de
                      dignit humaine se rattache daprs Kass  une forme dirrductibilit et
                      dindtermination de lhumain qui senracine dans la vie elle-mme. Si la
                      dignit humaine ne constitue nullement une qualit naturelle comme le fait
                      de possder  la naissance les cheveux bruns ou les yeux bleus, elle sancre
                      daprs lui dans des conditions vitales que lon ne peut luder: Ce nest rien
                      dvident. Ce nest pas grav dans la pierre, a volue. Mais il y a certaines
                      caractristiques qui sont essentielles, et si on venait  les perdre, nous
                      deviendrions autres que ce que nous sommes. (Kass, cit dans Robitaille,
                      2007: 200) En ce sens, la dignit humaine est pour Kass indissociable de la
                      prservation du caractre inalinable du corps humain qui relve non pas
                      seulement de lavoir, mais de ltre.
                           Cette conception incarne de la dignit humaine formule par Leon
                      Kass fournit un guide thique et moral utile pour aborder de manire cri-
                      tique le biocapitalisme contemporain. Ne pas prendre en compte la dimen-
                      sion corporelle inhrente  lexistence humaine revient en effet  apprhender
                      le corps comme un vulgaire matriau exploitable et donc  encourager les
                      nouvelles formes de marchandisation et dappropriation biotechnologiques
                      contemporaines du corps (voir Lafontaine, 2014). En rappelant ses conditions
                      vitales dnonciation, Kass fournit donc une comprhension largie non
                      seulement de la dignit humaine mais plus encore de la condition humaine
                      qui devrait, daprs lui, faire lobjet dune forme de respect similaire au res-
                      pect pour lenvironnement qui sous-tend lthique cologique: Pour dter-
                      miner le bon usage du pouvoir biotechnique, nous avons besoin de quelque
                      chose de plus que la reconnaissance gnrale des dons de la nature. Nous
                      avons besoin dun tel gard et dun tel respect pour notre propre nature.
                      (Kass, 2002: 289-290) Cest  un tel respect de la vie en elle-mme que le
                      philosophe politique Michael Sandel (2007: 26-27) en appelle dailleurs
                      galement dans son ouvrage The Case Against Perfection: Le problme nest
                      pas tant celui dune drive mcaniciste que celui de tout vouloir matriser.
Pol et Soc 36.1.corr.indd 52                                                                              2016-12-12 5:43 PM
                                  Entre sacralisation de la vie et essentialisation de la nature humaine              53
                        Et ce que cette aspiration  la matrise occulte et risque mme de mettre en
                        pril cest la reconnaissance du caractre donn des pouvoirs et des ralisa-
                        tions humaines. Essentielle, cette prise en compte de la corporit de
                        lhumain et la reconnaissance plus gnrale de lappartenance de ltre
                        humain au monde vivant sont toutefois indissociables dans largumentation
                        de Kass dune conception religieuse de ltre humain et de la vie qui se rvle
                        problmatique.
                             Daprs Kass, cest en effet la question du recours au religieux et au sacr
                        qui doit se poser en bout de ligne. Ainsi que le philosophe Hans Jonas, que
                        Kass considre depuis la lecture de son ouvrage Le phnomne de la vie
                        comme son premier et vritable professeur de philosophie biologique, le
                        soulignait dj, La question est de savoir si, sans la restauration de la catgo-
                        rie du sacr qui a t le plus fondamentalement dtruite par la raison scienti-
                        fique claire, nous pouvons avoir une thique capable de refrner les forces
                        que nous possdons aujourdhui et que nous sommes presque contraints
                        dacqurir en surplus et dexercer constamment. (Jonas cit dans Giroux,
                        2012) Kass est pour sa part catgorique. La nature est selon lui un guide moral
                        indispensable mais cependant insuffisant; il faudrait donc renouer imprati-
                        vement avec une conception religieuse de ltre humain et du monde pour
                        fonder une nouvelle thique8. Comme il le prcise dans son article intitul La
                        science, la religion et le futur humain (Kass, 2007), la particularit de la
                        civilisation occidentale moderne tiendrait  lquilibre fragile qui sy serait
                        form entre la science et la religion. Or, cest prcisment cet quilibre qui
                        serait aujourdhui tendanciellement rompu. La science et la raison humaine
                        tendraient  prendre le pas lutopie de lhumain amlior en serait un symp-
                        tme sur la conception religieuse et biblique du monde, menaant lqui-
                        libre moderne et, plus encore, la destine humaine. Tout lenjeu de cet article
                        est alors de montrer en quoi la religion devrait tre aujourdhui revalorise et
                        mobilise  nouveaux frais pour btir une vritable biothique.
                             Loin de nourrir le dbat dmocratique sur les avances techniques et
                        biomdicales actuelles, cet ancrage religieux de la pense de Kass le conduit
                         un certain rejet des acquis de la modernit politique. Ainsi, contrairement
                        au philosophe Jrgen Habermas qui, dans son ouvrage Lavenir de la nature
                        humaine (2002), exclut toute essentialisation de lhumain9 afin de conser-
                        ver un certain scepticisme face  la smantique de la personne intangible et
                             8.	 Ainsi que le souligne le philosophe Vogel (2006: 42): Lorsque Kass souligne linsuf-
                        fisance de la nature et de la raison en thique, il ne parle pas uniquement suivant une perspec-
                        tive politique, il fait aussi et surtout valoir la croyance en la supriorit de la Rvlation par
                        rapport  la tradition philosophique, de Jrusalem par rapport  Athnes.
                             9.	 Comme le remarque en effet Mills (2011: 16): Notamment, limportance accorde
                        par Habermas au droit  lauto-dtermination distingue clairement sa position de lapproche
                        aristotlicienne beaucoup plus lmentaire de Fukuyama. Pour Habermas, la notion de nature
                        humaine a son importance au sein de notre monde vcu, mais elle nest pas lie  des revendi-
                        cations dordre ontologique sur la nature humaine en soi.
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                      54         Nicolas Le Dvdec
                      sacre, Kass fait au contraire valoir lide dune dignit intrinsque du
                      vivant humain qui saffirmerait ds sa forme embryonnaire, comme le
                      rsume Stphane Haber (2005: 237). Une position qui le conduit, souligne 
                      juste titre Haber,  recourir aux mmes arguments que ceux qui se trouvent
                      mobiliss par les tenants de la position pro life dans la querelle de lavorte-
                      ment (ibid.). Kass tablit de fait un lien direct entre largument de la libre
                      disposition du corps utilis par les transhumanistes et largumentation des
                      militants favorables  lavortement: En effet, je crois quil y a l un lien. 
                      une certaine poque, dans les dbats sur lavortement et sur la contraception,
                      on a us du slogan Tout enfant doit tre dsir. Or, cela peut nous conduire
                       percevoir lenfant non plus comme un cadeau dont on doit prendre soin et
                      que lon doit chrir, mais comme un tre qui existe afin de satisfaire nos
                      propres dsirs. (Kass, cit dans Robitaille, 2007: 202)
                           Entre les droits des femmes  disposer librement de leur corps et les
                      fantasmes dun tre posthumain, il ny aurait donc daprs Kass aucune diff-
                      rence fondamentale de principe, les premiers ayant en quelque sorte fray le
                      chemin aux seconds. Loin de stimuler le dbat dmocratique et de permettre
                      la prservation des acquis progressistes des combats fministes en faveur de
                      lgalit des droits, la position de Kass conduit alors  une forme de retour
                       des valeurs traditionnelles prmodernes pour le moins contestables. Pour
                      contrecarrer lambiance socitale actuelle quil qualifie de post-morale,
                      Kass appelle  mettre en uvre un ensemble de rformes revalorisant le cycle
                      de la vie,  commencer par linstitution du mariage:
                               Une vraie rforme en direction dun rapport sain  la vie requerrait de renouer
                               avec une certaine gravit culturelle  lgard du sexe, du mariage et du cycle
                               de la vie. Restigmatiser linfidlit et la promiscuit pourrait aider. Un renver-
                               sement des rcents prjugs anti-natalistes, implicites dans la pratique de
                               lavortement, et une correction de lactuelle ducation sexuelle anti-gnra-
                               tionnelle pourraient aussi aider, tout comme la revalorisation du mariage
                               comme un idal autant personnel que culturel. (Kass, 1997: 61-62)
                           Entre la sacralisation de la vie et la valorisation dune morale traditiona-
                      liste aux accents religieux, cest la perspective sculire et humaniste moderne
                      qui est ici en dfinitive vacue. Or, comme le souligne  juste titre la philo-
                      sophe Corine Pelluchon (2009: 11), La foi et lenseignement tirs des reli-
                      gions doivent tre pris en compte dans les discussions publiques, parce quils
                      clairent les sources de la moralit et permettent de mieux comprendre la
                      tradition politique qui est la ntre, mais ils ne sauraient fonder la politique
                      dans une dmocratie. Bien quil ne formule pas explicitement une telle
                      orientation politique religieuse, cest toutefois un mme rejet de la tradition
                      humaniste politique moderne que lon trouve galement exprime chez
                      Francis Fukuyama.
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                                   Entre sacralisation de la vie et essentialisation de la nature humaine   55
                        Francis Fukuyama, de la prservation de la dmocratie
                         lessentialisation de la nature humaine
                        Penseur remarqu pour la publication en 1992 de son ouvrage mondialement
                        discut La fin de lhistoire et le dernier homme, le politologue amricain
                        Francis Fukuyama compte avec Leon Kass parmi les opposants bioconser-
                        vateurs aux idaux dun humain augment les plus importants. Dans le
                        dossier spcial de la revue amricaine Foreign Policy publi en 2004 et
                        consacr aux ides juges les plus dangereuses au monde en ce dbut de
                        millnaire, Fukuyama, enseignant  la John Hopkins University, faisait ainsi
                        paratre une virulente tribune contre le mouvement. Qualifiant le transhu-
                        manisme dtrange mouvement de libration, le politologue en appelle 
                        prendre au srieux le danger quil reprsenterait pour lespce humaine. Loin
                        de relever de la pure fiction, les idaux transhumanistes, prvient-il, sont dj
                        bien implants socialement et technoscientifiquement:
                               Un transhumanisme dune telle sorte est implicite dans le programme de
                               recherche de la biomdecine contemporaine. Les nouveaux procds et tech-
                               nologies qui mergent des laboratoires et des hpitaux aussi bien les mdi-
                               caments pour modifier lhumeur, les substances pour accrotre la masse
                               musculaire ou pour effacer de manire slective la mmoire que le diagnostic
                               prnatal ou la thrapie gnique peuvent tre facilement utiliss autant aux
                               fins de gurir ou dattnuer la maladie que pour amliorer lespce humaine.
                               (Fukuyama, 2004: 42)
                            Cette critique des idaux transhumanistes sinscrit dans une rflexion
                        biothique et politique plus large mene par Fukuyama sur les avances
                        technoscientifiques et biomdicales contemporaines, dont il a rassembl les
                        lments principaux dans son ouvrage publi en 2002, Our Posthuman
                        Future  traduit en franais sous le titre La fin de lhomme.  la lumire des
                        deux grandes dystopies que sont 1984 de George Orwell et Le meilleur des
                        mondes dAldous Huxley, Fukuyama estime que la menace de ltat totali-
                        taire nest plus  lordre du jour avec le succs irrsistible de la dmocratie
                        librale, mais considre que la prescience politique de Huxley est aujourdhui
                        plus que jamais dactualit. De la fcondation in vitro aux progrs de la neu-
                        ropharmacologie en passant par linterventionnisme gntique, ces avances
                        technoscientifiques menacent, au dire de Fukuyama (2002: 25), lidal
                        dmocratique moderne et notre rapport politique au monde: une tech-
                        nique assez puissante pour remodeler ce que nous sommes risque bien
                        davoir des consquences potentiellement mauvaises pour la dmocratie
                        librale et la nature de la politique elle-mme.
                            Linquitude de Fukuyama repose de manire lgitime sur linterroga-
                        tion des liens qui unissent le politique et la condition humaine vivante.
                        Linstrumentalisation biotechnologique du vivant, de la naissance et de la
                        mort ne risque-t-elle pas en effet de porter atteinte  notre rapport politique
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                      au monde? La question est essentielle et nappelle pas ncessairement une
                      rponse dordre sociobiologique. On sait par exemple que Hannah Arendt
                      (2004: 314) ancre son concept daction, qui fonde le rapport symbolique et
                      politique de lhomme au monde, dans la natalit: Le miracle qui sauve le
                      monde, le domaine des affaires humaines, de la ruine normale, naturelle,
                      cest finalement le fait de la natalit, dans lequel senracine ontologiquement
                      la facult dagir. En dautres termes: cest la naissance dhommes nouveaux,
                      le fait quils commencent  nouveau, laction dont ils sont capables par droit
                      de naissance. Sinspirant de cette analyse, Habermas montre aussi trs bien
                      dans Lavenir de la nature humaine (2002) comment les manipulations
                      gntiques remettent potentiellement en cause la symtrie des gnrations
                      qui fonde lgalit dmocratique. Si la naissance constitue un paramtre
                      essentiel dans le rapport politique que ltre humain entretient avec le
                      monde, cest  lautre extrmit la mort et son acceptation en soi qui consti-
                      tuent pour nombre de penseurs une donne essentielle de la chose politique:
                      Toute vraie politique, crit en ce sens Cornlius Castoriadis, en tant quelle
                      vise linstitution de la socit, est aussi une politique de la mortalit: elle dit
                      aux humains quil vaut la peine de mourir pour la sauvegarde de la polis,
                      pour la libert et lgalit. (Castoriadis, cit dans Lafontaine, 2008: 25)
                           La crainte exprime par Fukuyama dune remise en cause du politique
                      par la manipulation et la dngation des limites biologiques inhrentes  la
                      condition humaine parat ainsi lgitime et essentielle  considrer si lon veut
                      sassurer de prserver les soubassements de lidal dmocratique moderne.
                      Ce nest toutefois pas dans cette perspective humaniste et incarne du poli-
                      tique que son analyse se situe. Sinscrivant dans la tradition thorique du
                      droit naturel de son matre Leo Strauss, Fukuyama renoue avec lide dune
                      nature humaine sur laquelle sdifie selon lui la dmocratie librale. Ce nest
                      quen regard de sa thse sur La fin de lhistoire que cette perspective peut tre
                      pleinement comprise. Renouant avec le grand rcit historiciste du dix-neu-
                      vime sicle, le politologue soutient dans cet ouvrage que Hegel avait eu
                      raison daffirmer que lhistoire, avec linstauration de la dmocratie librale,
                      avait atteint son paroxysme. Pour Hegel, aucun progrs politique ntait plus
                       attendre au-del des principes poss par la Rvolution franaise. La chute
                      du Mur de Berlin en 1989 ne faisait selon Fukuyama (2002: 13) que confir-
                      mer ce diagnostic: Leffondrement du communisme, en 1989, marquait
                      simplementle dnouement dune plus vaste convergence vers la dmocratie
                      librale  lchelle mondiale. Ce triomphe du libralisme reprsentait selon
                      lui la fin de la qute humaine de la perfectibilit: Si nous en sommes 
                      prsent au point de ne pouvoir imaginer un monde substantiellement diff-
                      rent du ntre, dans lequel aucun indice ne nous montre la possibilit dune
                      amlioration fondamentale de notre ordre courant, alors il nous faut prendre
                      en considration la possibilit que lHistoire puisse elle-mme tre  sa fin.
                      (Ibid.)
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                                   Entre sacralisation de la vie et essentialisation de la nature humaine              57
                             Si dans La fin de lhomme le politologue sinquite des avances technos-
                        cientifiques et biomdicales, cest prcisment parce quelles remettent en
                        cause cette fin de lhistoire quil navait jusque-l pas envisage aussi claire-
                        ment10. Prcisant le fond de sa pense, Fukuyama y dveloppe de manire
                        plus affirme lide que le succs de la dmocratie librale nest pas tranger
                         la nature mme de ltre humain. Au cur de son argumentation se trouve
                        en effet lide que la nature humaine existe en soi et quelle constitue le socle
                        de nos valeurs les plus essentielles: Cela est fondamental, dirai-je, parce que
                        la nature humaine existe, quelle est un concept signifiant et quelle a fourni
                        une base conceptuelle solide  nos expriences en tant quespce. Conjointe
                        ment avec la religion, elle est ce qui dfinit nos valeurs les plus fondamen-
                        tales. (Fukuyama, 2002: 13) Plus encore, soutient-il, la nature humaine
                        modle et dtermine les diffrents types possibles de rgimes politiques
                        (ibid.: 25). Si de ce point de vue la dmocratie librale incarne daprs lui le
                        rgime politique idal, cest prcisment parce quil serait le rgime se
                        conformant le mieux aux dcrets de cette nature humaine. La convergence
                        mondiale vers la dmocratie librale en serait la preuve:
                                la fin du 20esicle, presque toutes ses exprimentations ont chou, et lon
                               essaye de crer ou de restaurer,  leur place, des dmocraties librales tout
                               aussi modernes, mais moins radicales sur le plan politique. Lune des rai-
                               sons fondamentales de cette convergence vers la dmocratie librale  lchelle
                               mondiale a quelque chose  voir avec la tnacit de la nature humaine. Car si
                               le comportement humain est modelable et variable, il ne lest pas indfini-
                               ment:  un certain point profondment enracin, les instincts et les schmas
                               de comportement naturels se reprennent deux-mmes, pour ruiner les plans
                               les mieux conus de lingnierie sociale. (Ibid.: 38)
                             Tout comme les penseurs prtendant carter lide de nature humaine
                        de leur thorie se feraient toujours en dernier ressort rattraper par elle pour
                        voir leur difice scrouler inluctablement en vertu du principe: Chassez
                        le naturel, il revient au galop , les rgimes politiques contre-nature
                        auraient eux aussi toujours t irrmdiablement relgus aux oubliettes de
                        lhistoire. Parce quelle pouserait le mieux les contours de la nature humaine,
                        quelle en reprsenterait la traduction sociale et politique la plus fidle, du
                              10.	 Mme si, comme la rfrence  Nietzsche dans le titre le suggrait, lissue de cette
                        histoire ntait pas ncessairement apprhende en termes exclusivement positifs. Elle demeu-
                        rait surtout ouverte  lincertitude, Fukuyama refusant par prcaution de mettre un point
                        dfinitif  cette histoire. Associant les diffrentes nations du monde  des chariots, il prcisait
                         la fin de louvrage: Malgr la rcente rvolution librale qui a secou le monde entier, les
                        tmoignages que nous pouvons recueillir sur la direction de la migration des chariots ne
                        permettent pas provisoirement de conclure. Et il exprimait plus particulirement une
                        inquitude, significative au regard de la suite des vnements: Nous ne pouvons pas non plus
                        savoir, en dernire analyse, pour peu quune majorit de chariots aient atteint la mme ville, si
                        leurs occupants, aprs avoir regard un peu autour deux, ne trouveront pas lendroit inadapt
                        et nenvisageront pas de repartir pour un nouveau et plus long voyage. (Fukuyama, 1992: 380)
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                      moins la plus lgitime, la dmocratie librale ne pouvait, elle, que perdurer et
                      triompher: La dmocratie librale, insiste Fukuyama, est apparue comme
                      le seul systme politique viable et lgitime pour les socits modernes, parce
                      quil vite les deux extrmes en modelant la politique selon des normes de
                      justice cres historiquement, mais sans interfrences excessives avec les
                      schmas naturels de comportements. (Ibid.: 39, nous soulignons) Plutt que
                      de nier ou de refouler cette essence humaine, il conviendrait ds lors de
                      lassumer pleinement et de la dfendre.
                           Si La fin de lhomme a le mrite de rendre explicites les a priori tho-
                      riques qui sous-tendaient la thse de La fin de lhistoire, force est nanmoins
                      de constater qu mille lieues dinterroger et denrichir notre comprhension
                      des liens essentiels entre la condition humaine vitale et lidal dmocratique
                      en tant que tel, la perspective de Fukuyama procde en ralit davantage 
                      la ngation de toute conception humaniste et politique de la perfectibilit
                      humaine. Ce rejet de limaginaire humaniste transparat clairement dans la
                      critique quil formule en direction de la conception rousseauiste de la per-
                      fectibilit. En pensant ltre humain comme un tre perfectible et donc
                      indtermin, Rousseau et Kant auraient selon lui reni toute normativit
                      naturelle, seule  mme, daprs Fukuyama, de sopposer au transhumanisme
                      et de rhabiliter un rapport politique au monde:
                               Comme Hobbes et Locke, Rousseau a cherch  caractriser lhomme  ltat
                               de nature, mais il a galement soutenu dans le second Discours que les tres
                               humains taient perfectibles  cest--dire quils avaient la capacit de
                               modifier leur nature avec le temps. Cette perfectibilit est  la base de lide
                               kantienne dun royaume noumnal libre du principe de causalit naturelle et
                               qui est le terrain de limpratif catgorique, ce qui a dtach la morale dans
                               son intgralit de tout concept de nature. (Fukuyama, 2002: 180)
                            rebours de cette conception humaniste de la perfectibilit, lit selon
                      Fukuyama de toutes les drives morales et politiques contemporaines, il
                      faudrait au contraire renouer avec un naturalisme assum: Selon moi,
                      linterprtation commune courante de lillusion naturaliste est fallacieuse et
                      la philosophie a dsesprment besoin de revenir  la tradition pr-kantienne
                      qui fonde le droit et la moralit dans la nature. (Ibid.: 201)
                           Comme le souligne trs bien le philosophe Gilbert Hottois, Francis
                      Fukuyama ne procde ici pas tant  la prservation du politique et de lidal
                      dmocratique qu la lgitimation naturelle dun rgime politique, en loccur-
                      rence celui de la dmocratie librale de march:
                               Lassociation entre une certaine conception de la fin de lhistoire que concr-
                               tiserait la dmocratie [] et la nature humaine dfinie sur base dun ensemble
                               de traits gntiques factuels constitue  la fois largument central et la grande
                               faiblesse du livre. La ncessit qui va de la nature humaine  cette dmocratie
                               comme fin de lhistoire ne serait une ncessit authentique que si la nature
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                               humaine tait vritablement une essence ou une ide, non un produit contin-
                               gent, un ensemble de conditions empiriquement donnes. Fukuyama semble
                               voir la contingence  et donc la manipulabilit  de la nature humaine
                               surtout lorsquil sagit de dnoncer des risques; elle revt par contre une allure
                               dessence ncessaire lorsquil sagit de justifier le rgime politique qui a triom-
                               ph au cours du XXesicle. (Hottois, 2003: 279)
                             Loin de renouer avec le politique, Fukuyama encourage en effet le dog-
                        matisme politique. Le recours au concept de nature humaine sinscrit en
                        faux contre la tradition du constructivisme politique moderne qui fonde
                        ldifice dmocratique. Nest-ce pas la reconnaissance de lindtermination
                        humaine ce qui ne veut pas dire sa dsincarnation au fondement de la
                        conception humaniste moderne qui rend pour ainsi dire possible cette capa-
                        cit dagir rflexivement et politiquement sur le monde? La dmocratie,
                        soutient en ce sens Castoriadis (1999), est la capacit de mettre en doute
                        linstitution de la socit telle quelle est. Et cela suppose de rejeter le dogme
                        dune nature humaine pour reconnatre lautonomie essentielle de ltre
                        humain et le caractre fondamentalement institu de lordre social11. En ce
                        sens, le naturalisme politique de Fukuyama contribue tout autant que les
                        discours transhumanistes  une biologisation du dbat et au rejet de la tra-
                        dition politique dmocratique hrite de la modernit. Le recours  lide
                        dune nature humaine intangible et matrice de la dmocratie librale
                        constitue de fait plus le ressort idologique dune Amrique messianique
                        porte par les noconservateurs12 (Frachon et Vernet, 2004) que le support
                         une vritable rflexion anthropologique sur les liens entre le politique et le
                        vivant. Pour Hottois (2003: 278), il ne fait  ce titre aucun doute que La fin
                        de lhomme est un ouvrage qui, sciemment, instrumentalise des arguments
                        et lieux communs philosophiques au service dune position politique. Pour
                        Fukuyama, il semble quil y a dabord la politique la politique amricaine
                        capitaliste, librale et conservatrice et la philosophie relve de la panoplie
                        idologique utile  son maintien et  son expansion.
                              11.	 Par cette justification naturaliste de lordre social, Fukuyama est amen  branler
                        ce paradoxe mancipateur, selon lexpression de Guillebaud (2001: 477), qui veut que les
                        valeurs fondatrices de lgalit  luniversalit soient des artifices, des fictions assumes,
                        des constructions volontaires insparables de lhistoire et de lautonomie humaines. Vouloir
                        faire concider le principe dhumanit avec je ne sais quelle humanit biologique, conclut-il, ce
                        serait tout simplement asservir lhumain aux tyrannies de la matire.
                              12.	 Rappelons quen dpit des distances quil a pu prendre  lgard du mouvement no-
                        conservateur, Fukuyama a t membre du Project for the New American Century (PNAC), un
                        think tank noconservateur amricain actif de 1997  2006. En 2006, il publie un ouvrage
                        faisant le point sur cette mouvance idologique, intitul America at the Crossroads: Democracy,
                        Power, and the Neoconservative Legacy.
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                      60         Nicolas Le Dvdec
                      Conclusion
                      Dans un rcent entretien, le philosophe Jrgen Habermas dplorait lab-
                      sence dun questionnement fondamental sur les prsupposs et les finalits
                      thiques et politiques lis  lavnement dune mdecine damlioration et
                       la propagation de limaginaire transhumaniste dun humain augment.
                      Ainsi crivait-il:
                               Dans les dpartements de philosophie amricains, mes collgues se creusent
                               dj la tte  propos de lingalit prvisible de la rpartition des technologies
                               eugniques, en raison du cot lev des investissements et des prix, car la
                               question ne va pas tarder  se poser. Ils appliquent demble lensemble de la
                               thorie politique aux problmes que posera,  lavenir, la rpartition de ces
                               produits, le jour prochain o ils seront disponibles. Mais ils le font sans stre
                               demand srieusement, au pralable, si cette augmentation de lhomme est
                               vraiment souhaitable. (Habermas, cit dans Atlan et Pol-Droit, 2012: 486)
                           Alors quune grande partie des dbats contemporains sur les enjeux
                      poss par laugmentation technique des performances humaines soriente
                      vers une approche thique gestionnaire du phnomne, il importe en effet
                      de dvelopper un regard critique qui aborde les enjeux autant anthropolo-
                      giques que politiques soulevs par lhumain augment. Dune certaine faon,
                      le mrite des penseurs associs au bioconservatisme que nous avons voqus
                      dans cet article, pour reprendre les mots de la philosophe Corine Pelluchon
                      (2009: 13), est de souligner les besoins naturels de lhomme et darticuler
                      les problmes dits de biothique  une anthropologie.
                            lre de la bioconomie et de lexploitation biotechnologique croissante
                      du vivant et des lments du corps humain (Lafontaine, 2014), il semble en
                      effet difficile de faire lconomie dune telle rflexion anthropologique et
                      politique. Lhistoire des socits et des cultures humaines, observe la phi-
                      losophe Sylviane Agacinski (2012: 13), ne sexplique pas par des proprits
                      biologiques, mais elle ne flotte pas non plus au-dessus delles comme si les
                      corps humains ntaient pas aussi des corps vivants. Force est cependant
                      de constater, rappelons-le, que la conception, sinon religieuse, pour le moins
                      dogmatique de la nature humaine dfendue par les bioconservateurs ne
                      permet pas de rpondre vritablement  ce dfi de repenser le rapport entre
                      le politique et la vie. La perspective religieuse et traditionaliste dfendue par
                      Leon Kass sinscrit ainsi en faux contre la perspective humaniste et dmo-
                      cratique hrite de la modernit politique. De mme, la thorie jusnaturaliste
                      dfendue par Francis Fukuyama se rvle tout aussi problmatique au regard
                      de lidal dmocratique et de la conception constructiviste du politique
                      hrite de la modernit. Elle consiste moins en une rflexion fondamentale
                      sur le politique, la vie et la possibilit de penser une biopolitique axe sur la
                      prservation du vivant quen une justification naturaliste et noconservatrice
                      de la dmocratie librale de march. Penser une politique de la vie capable
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                                   Entre sacralisation de la vie et essentialisation de la nature humaine       61
                        de tenir compte, dans une perspective sculire, critique et progressiste, de
                        ce que Pelluchon (2015) appelle le vivre de, cest--dire lensemble des
                        conditions vitales qui nourrissent ltre humain, constitue encore, de ce
                        point de vue, un dfi majeur  relever pour la science politique et plus gn-
                        ralement lensemble des sciences humaines et sociales  lre de lhumain
                        augment.
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                      62         Nicolas Le Dvdec
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