La vérité sur l’accident
Par Eddy Laval
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À propos de ce livre électronique
À PROPOS DE L'AUTEUR
Eddy Laval a grandi au rythme des enquêtes d’Arsène Lupin, des joutes verbales de San Antonio et des atmosphères troubles de Simenon. Adolescent, ses nuits furent habitées par Manchette, Goodis, Chandler, et les voix du Masque et la Plume. Nourri de polars littéraires, de cinéma noir et d’inspecteurs plus rusés qu’ils n’y paraissent, il n’était ni seul ni vierge d’influences lorsqu’il a pris la plume. Aujourd’hui, il vous invite à partager, à votre tour, le plaisir intense et addictif du polar.
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Avis sur La vérité sur l’accident
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Aperçu du livre
La vérité sur l’accident - Eddy Laval
1
Les morts et les vivants
23 février
« Reste attachée, je vais le faire. »
— Argh ! il a parlé !
— Chut !
« Il » est allongé sur un lit, inconscient. La jeune femme qui a crié de surprise porte un badge « stagiaire » sur sa blouse verte. Un tic nerveux fait rouler ses lèvres l’une sur l’autre, comme si elle venait d’étaler son gloss. Elle a sursauté et lâché le drap qu’elle tenait entre ses mains. Sa collègue la regarde en posant un doigt sur la bouche.
Celle qui a crié n’a pas vingt ans, elle est rouge d’excitation et ne peut détacher son attention de l’homme inerte devant elle ; l’autre est aide-soignante titulaire et pourrait être sa mère. Dans sa tunique et son pantalon de service verts, elle est blême de surprise. Elle fixe la jeune stagiaire d’un regard intense, mais malgré elle, ses yeux glissent vers le lit et l’homme qui a parlé.
— Alors, on fait quoi ?
— Chut !
La titulaire lève les yeux sans que l’on sache si elle s’adresse à sa mémoire, au plafond ou à dieu lui-même.
— On peut lui donner une beigne pour voir si…
— T’es folle ? réagit aussitôt la titulaire.
Ses traits durcis manifestent sa désapprobation. La stagiaire sourit de toutes ses dents et fait babeu babeu en jouant sur ses lèvres avec son index. Sa collègue se détend et dit :
— T’es bête, Kim, faut pas m’faire peur comme ça.
Elle a chuchoté comme si elle se souvenait soudain que son malade avait parlé. Elle adopte de nouveau une position de penseuse et après quelques secondes déclare :
— On prévient le docteur. Y a Thouvenel à l’étage du dessous. Ça va faire criser la Clémentine qu’on la saute pour aller direct voir Thouvenel.
— La Clémentine ?
— La pimbêche avec sa queue de cheval et ses dents pareilles. Qui donne des ordres avec sa blouse d’infirmière. J’y vais. Toi, tu bouges pas !
La titulaire hâte le pas vers la porte, la jeune stagiaire a déjà son mobile en main.
« Ouais, le miraculé, il s’est réveillé ! […] J’te l’avais dit, j’ai gagné […] Non, t’es ouf, il s’est pas réveillé sakom, il a parlé […] Ziva, maint’nant, j’te parie vingt balles qu’y sait pas pour sa femme et ses mômes […] Non, il a dit un truc […] Oh, j’sais pas, du genre détache-moi
[…] Ouais, c’est bon, ziva ! J’ai compris, tu m’gaves […] Yo, moi aussi, à c’soir ».
Dans son lit, l’homme est toujours inerte. Une larme s’est formée sous ses paupières et déborde au coin de ses yeux.
L’aide-soignante pénètre dans la chambre en compagnie d’un professionnel en pyjama et tunique bleus, et d’une infirmière, blanche du calot aux sabots.
Le malade a ouvert les yeux.
Le docteur Thouvenel décline son identité en soulignant qu’il n’est pas neurochirurgien, puis consulte l’état de santé accroché à une barre au pied du lit. Le médecin est un homme grand et carré, un homme que l’on devine rigoureux et efficace comme un chef. L’infirmière profite de l’intermède pour se présenter au patient. Elle dit « Clémentine Fursac » d’un ton précieux et précise « sans particule, nous ne sommes pas liés au célèbre couturier ». Le docteur se tourne vers elle en affichant une mine surprise, puis pivote encore d’un quart de tour vers « Kimberly stagiaire, très enchantée » qui, dans la foulée de la pimbêche sans particule, a cru bon de se présenter elle aussi. La titulaire tire la manche de Kimberly tandis que le docteur fronce les sourcils et noircit son regard. Kimberly lui sourit. Il retrousse le nez, se masse une tempe et revient à son patient.
— Vous vous appelez Florent Grandlac, vous…
— Petitlac, rectifie l’infirmière en faisant onduler sa queue de cheval d’un gracieux mouvement de tête.
— Florian, non Florent Petitlac, reprend le docteur Thouvenel en montrant quelques signes d’impatience, m’entendez-vous ?
Le patient ferme puis ouvre lentement les paupières. La larme en suspension au coin de son œil dévale sur sa pommette et se répand sur sa joue. Poursuivant son examen, le médecin pose sa main dans celle de son patient.
— Serrez mes doigts.
Florent Petitlac cligne des yeux une fois, mais sa main ne bouge pas.
— Notez, dit le docteur Thouvenel à l’attention de l’infirmière.
D’une élégante arabesque gestuelle, Clémentine Fursac dégaine un stylo plume d’une poche de sa blouse et se tient prête à écrire sur le bulletin de santé. Le docteur fait comme s’il n’avait rien vu de ses manières et dicte :
— État de conscience réactive.
Il s’enquiert sur la douleur qu’éprouve Florent Petitlac. Ce dernier ne bouge pas, mais semble intensifier son regard. Le docteur reformule sa question et demande s’il ne ressent rien. Florent Petitlac opine des paupières.
— Notez, première manifestation relationnelle, continue le docteur qui observe son patient et ajoute : notez, il pleure.
Il pratique encore le test de « suivi du regard » et quelques autres examens. Ses gestes sont professionnels, ses ordres sont clairs. Avec une certaine manière de ne pas en faire, l’infirmière – Clémentine Fursac – consigne les réactions du patient. Sa façon d’écrire ! Le bruit de la plume s’activant sur le papier occupe toute la chambre.
Le docteur Thouvenel ne se laisse pas perturber. Il semble chercher des points précis sous la plante du pied de Florent Petitlac. Celui-ci indique par des mouvements de paupières qu’il sent certaines pressions. Tout d’un coup, sa jambe se tend et enlève le pied de la main du docteur. Comme un ver sans membres, Florent Petitlac tente de ramper sur le drap pour se redresser contre les coussins. La manœuvre est pénible à voir. Un instant prise de cours, l’aide-soignante fait « Ho » et se précipite sur le corps empoté. Elle le soutient sous les aisselles, aidée par Kimberly qui a fait le tour du lit.
— On ne bouge plus, clame l’infirmière qui, d’une volée chaloupée, saisit la télécommande suspendue à la tête du lit.
L’injonction a claqué dans l’espace, les deux aides-soignantes se sont immobilisées. Le dossier se redresse, Clémentine hoche la tête et les aides-soignantes installent le patient au centre du matelas, bien calé entre deux coussins. Le docteur Thouvenel s’avance, le reste de l’équipe recule d’un pas.
— Je vais peu parler. Vous vous êtes réveillés en une fois, ce n’est pas courant. Votre cerveau était au repos, votre métabolisme était ralenti. Vous serez mieux à même de comprendre les explications médicales dans les jours qui viennent. On va simplement repasser tout à l’heure pour faire quelques relevés de l’activité respiratoire et cardiovasculaire. Le professeur Rostovtsev vous examinera plus complètement demain ou…
— Je suis mort.
Florent Petitlac a parlé d’une petite voix. Personne ne répond. Le visage inquiet, l’aide-soignante et la stagiaire se dissimulent dans l’ombre. Perchée sur une jambe, le second pied enroulé derrière la cheville, l’infirmière regarde le docteur Thouvenel debout près de la table de chevet. C’est lui qui brise la chape de silence.
— Monsieur Petitlac, vous êtes vivant. Je vous l’assure. De quoi vous souvenez-vous ?
Florent Petitlac ne répond pas. Le docteur reprend d’une voix lente. Il parle d’un accident, d’un coma.
— Vous rappelez-vous qui était dans la voiture ? Il y avait votre femme et vos deux…
— Docteur, il s’est évanoui !
Florent Petitlac a fermé les paupières, sa tête s’est affaissée, son corps s’est ramolli. Indolent, il se laisse manipuler par l’infirmière qui s’est précipitée à son secours. Elle prend son pouls tandis que le médecin analyse les courbes sur les écrans et les mesures des différentes fonctions vitales de son patient.
— Son rythme cardiaque est normal, docteur.
— Les constantes sont correctes. Ça va. On va le laisser se reposer. Il apprendra bien assez tôt.
Le médecin donne ses instructions, demande à l’infirmière de prévenir l’anesthésiste de service, puis toute l’équipe sort de la chambre.
Florent ouvre les yeux.
***
Enfin seul !
Seul ?
Florent a tout entendu. Il sait.
Il va pour bondir du lit… mais son corps reste statique. Il a l’impression d’être en plomb et ne pourrait juger si le matelas est rêche ou soyeux. À part ses paupières, la mécanique est hors service. Les larmes coulent à nouveau. À gros flots.
Il a des sondes et des tuyaux pour les entrées et sorties physiologiques, mais ne semble pas avoir de blessures. Un corps mort, pense-t-il. Natacha, les jumeaux ? Depuis combien de temps ? Il aurait dû demander.
Il réfléchit. L’opération mentale est lente et fatigante. De longs trous noirs absorbent ses pensées et coupent le fil de ses idées. Un calendrier est posé sur la table de chevet… mais tous les mois sont sur la même page. La tête ? En se concentrant, il peut la bouger – un peu – dans les quatre directions.
Des néons, une chaise, des murs blancs, une penderie bon marché, un écran de contrôle sur une table à roulettes, un lavabo isolé à l’abri d’un rideau : il est dans une chambre d’hôpital, dépouillée comme toutes les autres.
Où ?
Par la fenêtre, il aperçoit le ciel et la cime d’un peuplier proche. Le feuillage frémit, il fait un peu de vent… Le jour est clair, mais pas ensoleillé. Les nuages semblent légers. Il ne sait pas où il est.
Il effectue une gymnastique de la bouche. Les laborieuses grimaces sont autant de victoires contre le plomb. Il ne s’impatiente pas. Au contraire, il s’absorbe dans sa tâche et essaie de ne plus penser. Les larmes ont séché sur son visage, sa peau tire et rougit, mais il est insensible à la brûlure.
Grimacer pour ne plus penser s’avère vain ! Natacha, les jumeaux… Il s’irrite de n’avoir aucun souvenir de l’accident. Il a des flashs d’avant, les boucles et les yeux noisette de Natacha, les rires des jumeaux, mais il n’a plus les images du moment fatal en mémoire. Il ne se rappelle plus l’instant où Natacha et les garçons… Il rage de ne pouvoir rager.
Et j’ai pas pu être à l’enterrement.
Une glaire bileuse remonte et se coince dans sa gorge. L’acide ronge ses muqueuses, il suffoque prêt à étouffer, mais non ! Sa bouche crache le liquide visqueux qui dégouline, il ne meurt pas.
« Miraculé ! » Mais pourquoi ? Pourquoi moi ? Pourquoi je suis là ?
Il est crevé, sans futur, absent au présent, il lui reste son passé.
Il ne ressent rien. Ni ses membres ni la désagréable sensation des larmes qui s’accumulent au creux des cernes avant de ruisseler sur ses joues. Des gouttes salées envahissent son palais. Celles-là, il en éprouve l’insupportable goût, mais il est paralysé et ne peut rien faire pour s’en débarrasser. Pourrait-il seulement crier ?
« ARH ! » Oui, il peut crier.
De toutes ses forces, il hurle.
Une tête passe par la porte. C’est l’aide-soignante qui crie « vite, Kim, rattrape le docteur, il convulse » et se précipite auprès du malade. Ce dernier tétanise, son corps est ponté sur le matelas, ses yeux sont exorbités, une horrible langue blanche est bandée au milieu de sa bouche ouverte. Le hurlement n’a pas cessé. Les bras levés dans le vide, l’aide-soignante ne sait que faire. Elle bondit vers la porte et crie de nouveau :
— Vite, ici.
Quelques secondes suffisent au docteur pour ficher une seringue dans son patient et l’éteindre.
— Il est dans les vap’ pour un bon moment. Vous noterez l’heure de l’intraveineuse et la dose, dit-il à l’infirmière en désignant l’étiquette sur la petite fiole de drogue qu’elle tient dans la main.
***
Lundi 20 septembre, sept mois plus tard
Florent est en état de conscience depuis trois jours. Le docteur Ferrand lui rend visite. Il est chauve et semble tordu. En considérant la ligne de haut en bas, le cou est cassé vers l’avant, le dos bombé et la hanche désaxée sur la gauche. Il porte des lunettes sur le bout du nez et un carnet de notes à la main.
Un large sourire aux lèvres, il se présente comme un docteur volant. Florent ne rigole pas. Le praticien se ressaisit et explique qu’il n’est pas attaché au service, mais intervient au besoin des patients. Il consulte un instant son carnet puis reprend :
— Nous sommes le 20 septembre, vous êtes donc restés un peu moins de neuf mois dans le coma. Mais vous avez eu des réveils partiels. Le professeur Rostovtsev vous expliquera tout cela. Il va arriver. Vous pouvez avoir entière confiance, c’est le meilleur spécialiste pour les séquelles physiques et fonctionnelles.
Florent reste impassible. Cela ne semble pas perturber le docteur Ferrand qui laisse planer le silence. Il s’approche de Florent et adopte un ton plus familier :
— Mais il n’y a pas que le physique et le fonctionnel. Vous pouvez avoir des troubles… des troubles plus… émotionnels.
Il observe son patient qui ne cille pas.
— Je suis psychiatre et psychologue également. Vous savez, le deuil… on peut se perdre. Il est conseillé de se faire aider. Il n’y a pas de honte à fréquenter des groupes de soutien. Vous serez entouré de personnes qui pourront vous comprendre. Ils ont traversé cette douleur, je veux dire, la disparition d’un proche sans y être préparé.
Florent fait semblant de dormir derrière ses paupières rabattues. Le docteur semble hésiter, enveloppe la main de Florent dans la sienne et dit :
— Le deuil est une épreuve difficile, il y a des étapes. Croyez-moi, dans les moments les plus durs, c’est important de pouvoir compter sur quelqu’un. Vous ne devez pas rester seul. Il y a un groupe qui se réunit ici, dans les locaux de l’hôpital.
Il se lève, regarde un instant par la fenêtre, griffonne quelques mots sur son carnet, puis sa silhouette tordue se retourne vers Florent Petitlac qui a ouvert les yeux.
— Venez me voir dès que vous pourrez marcher.
Florent ne répond toujours rien. Il reste immobile, le plus possible. Le docteur Ferrand réajuste ses lunettes du bout de l’index, feuillette à nouveau son carnet, puis se penche vers son patient.
— Natacha, votre femme, Melville et Alexandre, vos fils jumeaux, dans l’accident…
— Je sais, dit Florent à voix basse en levant le poignet devant lui.
La porte de la chambre s’ouvre d’un geste franc.
— Cher confrère, monsieur Petitlac, bonjour.
Le professeur Rostovtsev serre la main du docteur Ferrand puis celle de son patient. Clémentine Fursac – blouse et sabots blancs, queue de cheval rangée sous le calot – entre à sa suite et se cale en retrait contre le mur.
Le « meilleur spécialiste » a le visage émacié ; il est très grand et si maigre qu’on dirait que c’est lui le malade. Il laisse pousser les quelques cheveux qui lui restent et essaie de les répartir sur son crâne. Ses yeux sont rieurs, mais il a la poigne ferme et le verbe impérieux. Il est neuro-grand manitou et prend les choses en main.
Secondé par l’infirmière qui s’applique à rester sobre, il refait les tests qu’avait effectués le docteur Thouvenel pour vérifier la spontanéité des réponses motrices aux différentes stimulations orales et sensitives. Il semble satisfait des résultats, mais ne dit rien. Il consulte des statistiques sur le moniteur ambulant puis se plante à quelques centimètres de la tête du lit. Florent saisit la télécommande qui pend à portée de main et redresse son dossier. Le professeur Rostovtsev recule d’un pas et monte par inadvertance sur un pied de Clémentine Fursac. Celle-ci s’écarte d’un bond et dit :
— Pardon ! Excusez-moi.
— Oui, répond le docteur sans la regarder.
Il explique la situation à son patient.
Florent est arrivé dans le coma. Il avait une brûlure au mollet. Il en conserve des traces. La peau durcie peut tirer, mais avec le temps, il ne sentira plus rien. Et n’y pensera même plus ! Il souffrait également de commotions cérébrales multiples, mais sans lésions fatales. Le diagnostic des séquelles neurologiques est difficile à établir, « nous en reparlerons », dit le professeur Rostovtsev. Il avait aussi une double fracture du fémur. Par chance, celles-ci étaient nettes et se sont bien ressoudées. Le pavillon de son oreille gauche est en partie arraché. Pour ça, il n’y a rien à faire à court terme, mais il peut se rassurer, le système auditif n’est pas endommagé. Pour les dents, il devra prendre rendez-vous avec son dentiste. Le professeur précise qu’il fera une lettre pour son confrère. D’après le rapport établi depuis trois jours, Florent semble ne pas avoir de séquelles psychomotrices.
« Avec le temps » ; « Par chance » ; « se rassurer » ? J’m’en fous, j’suis mort, j’ai déjà dit, pense Florent sans rien laisser paraître.
— Vous êtes arrivé le 23 décembre, il y a neuf mois. Vous avez connu un réveil le 23 février. Une reprise de conscience complète, semble-t-il. Je n’étais pas là, mais le relevé est sûr. Un réveil complet est bon signe pour la convalescence à venir.
Il regarde son confrère qui acquiesce d’un hochement de tête.
— Et vous avez rechuté, après une… crise indéterminée. Le mois dernier, vous avez eu deux autres sursauts hors de l’état végétatif. Très partiels et brefs. Mais vous n’avez pas été agité tous ces mois, c’est aussi plutôt bon signe. Vous êtes un cas rare, vous savez ? Il faudra qu’on suive la convalescence, nous avons un service de neuro-rééducation et de neuropsychologie. Vous avez fait connaissance avec le docteur Ferrand. Allez le voir au plus vite, conseille-t-il en se tournant vers son confrère.
Il explique encore que la conscience et la mémoire ne reviennent pas d’un bloc. Le cerveau est divisé en différentes zones. La remise en marche des neurones passe par des paliers successifs. Florent, de manière atypique, n’avait que des microlésions cérébrales et il est sorti plusieurs fois de l’état comateux, alors… Le professeur s’interrompt, laisse échapper un soupir et dit d’une voix plus chaude, presque intime.
— Vous sembliez ne jamais vouloir reprendre conscience. Comme si vous hésitiez.
Puis il reprend avec son ton professionnel :
— On vous a stimulé pendant votre coma, on vous a bougé, parlé, et fait sentir des parfums. Votre cerveau a été sollicité, cela devrait faciliter votre rétablissement.
Il marque une pause, attendant peut-être une réaction de son patient. Florent est immobile. Le spécialiste poursuit :
— On vous a préparé, mais cela n’est pas une garantie. Votre guérison dépendra de vous. De votre volonté, dit-il avec autorité.
Il prévient son patient qu’il peut connaître des passages de paranoïa, des « dysfonctionnements » comme des trous de mémoire. Immédiate ou plus lointaine. On ne peut pas prédire. Il faut qu’il se surveille. Ils en reparleront également.
Florent ne répond pas aux questions. L’infirmière est gentille, le spécialiste n’est pas méchant et le docteur volant tout tordu est presque amusant, mais Florent ne peut pas. Il ne peut pas s’enfuir en arrière, il ne peut pas mourir, il ne peut rien. Il doit rester en observation pour différents examens qu’il ne cherche pas à comprendre. Les patients sortent lorsqu’ils peuvent assurer eux-mêmes leurs fonctions vitales. Il pourra se lever dès qu’il le désire, mais il doit appeler une infirmière, car la première fois, il aura besoin de soutien. Une séance de kiné est programmée dans deux jours. Le professeur Rostovtsev l’informe également de la reprise immédiate de l’alimentation orale. Le spécialiste abrège les hypothétiques complications et espère que dans une à deux semaines, il sera dehors.
— Cela dépend de votre capacité de remise sur pied. Pour vous, ce sera une question de volonté, répète le professeur en fixant Florent.
Clémentine Fursac, l’infirmière demande au spécialiste si les visites sont autorisées.
— Un inspecteur, monsieur Pierre, je crois, a appelé plusieurs fois.
Le professeur consulte le médecin volant du regard, ce dernier hoche la tête.
— Pas de contre-indication pour les visites, répond-il à l’infirmière avant de se tourner vers Florent et d’ajouter : de la compagnie ne…
Florent se crispe, serre les poings et les mâchoires, son visage s’empourpre, il veut être seul, seul, seul.
— Seul, crie-t-il en pensant trop fort.
Le docteur volant et le spécialiste remballent leurs conseils. Ils ne semblent pas fâchés contre Florent.
— À bientôt, monsieur Petitlac, nous en reparlerons.
Florent pousse un soupir et ferme les yeux.
***
C’est jeudi, quatre jours plus tard, qu’un officier de police passe à l’hôpital. Il frappe et pénètre dans la chambre sans attendre de réponse.
— Florent Petitlac ? Je suis l’inspecteur Pierre Deschattes, du commissariat d’Abbeville.
Pierre Deschattes porte un costume gris et une chemise blanche. Ses chaussures en cuir sont cirées. Il n’a pas l’allure d’un flic des rues. L’homme a soigné sa moustache, une moustache épaisse et qui rebicote vers le haut comme dans l’ancien temps. Ses cheveux sont parfaitement lisses sur son crâne. À l’aube de la cinquantaine, il promène son embonpoint comme un trophée… mais quelque chose cloche dans son jeu ! Les poses convenues peut-être ? Aucune prestance, c’est pas un chef, c’est un grouillot, songe Florent qui demeure coi et figé du plus qu’il le peut.
— Petitlac, vous m’entendez ?
Ce dernier confirme d’un cillement des yeux.
— On va parler un peu tous les deux.
L’inspecteur déplace la chaise au pied du lit et s’assoit à califourchon. Il entame un monologue pour se présenter. Cette affaire a été confiée au commissariat d’Abbeville à cause du vol, parce que l’accident, lui, dépend de la gendarmerie d’Auxi-le-Château. Florent l’interrompt.
— Quand ?
— Nous sommes le 24 septembre.
Il voit Florent calculer dans sa tête et ajoute :
— Vous êtes restés neuf mois dans le coma, le docteur ne vous a pas expliqué ?
— Non, pas ça, affirme Florent.
— Ah ? dit l’inspecteur, je suis étonné !
Il se lève. Florent fait mine de chercher dans sa mémoire pour se donner une contenance, mais il sait ce qu’il n’a pas entendu. Il confirme :
— Non, pas ça.
L’inspecteur sort son téléphone, tape quelques mots et revient à la victime.
— Vous vous souvenez de quelque chose ?
Florent Petitlac signifie que non d’un léger mouvement de la tête à droite et à gauche. L’inspecteur fait les grosses lèvres et fronce le nez, puis consulte l’état de santé accroché à la barre au pied du lit.
— Vous êtes en bonne santé, dit-il, vous avez récupéré.
Il s’approche de Florent qui, allongé, s’applique toujours à rester statique et muet.
— Asseyez-vous, Petitlac, ce sera mieux.
Florent soulève le menton et pointe son regard en direction de la télécommande qui pend au-dessus de
