Une vie sans racines
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À propos de ce livre électronique
Chaque période marque une rupture brutale, des épreuves à surmonter. Mais Simone dominera tous les déchirements, faisant preuve d'une résilience hors du commun.
A crépuscule de sa vie, à 98 ans, elle trouve enfin la paix et la sérénité auprès de Mélanie, sa petite fille adoptive.
C'est le roman d'une femme forte qui a traversé le XXème siècle comme beaucoup d'autres, anonymement.
Christian Malegol
Après Pierre Yves Keralum, cavalier du Christ, son premier livre qui nous envoyait au Texas, Christian Malégol pioche encore dans son histoire familiale pour nous fait traverser le XXème siècle. Nous voyageons ici en Afrique du Nord durant une période trouble qui marqua la vie de nombreux français.
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Aperçu du livre
Une vie sans racines - Christian Malegol
Chapitre I
Bordeaux Mai 2014
Place Charles Gruet, Mélanie descend du tram. Elle ajuste son cabas sur l’épaule gauche et positionne ses lunettes de soleil. Il fait beau ce mercredi 21 mai, c’est agréable de passer sous les arbres de la place. La jeune femme s’engage dans la rue Lafaurie de Monbadon et s’arrête devant les Saveurs d’Ho Chi Minh. Devant la petite boutique des traiteurs vietnamiens il y a déjà la queue alors qu’il n’est pas encore dix heures du matin. Mélanie se dit qu’elle a bien fait de passer hier pour commander. Son tour arrive, tout est prêt, elle prend son sac, paie et remercie la patronne toujours souriante qui lui dit :
—Vous donnerez le bonjour à madame Bertrand ! Comment va-t-elle ?
— Oui, bien-sûr, je n’y manquerai pas, Oh, elle va très bien, toujours bon pied-bon œil, et la tête est toujours très bonne à son âge!
Mélanie repart. Au bout de vingt mètres, elle se rend compte qu’elle a oublié de passer à la boucherie un peu plus bas, de l’autre côté de la place. Et voilà, se dit-elle, quand on a pas de tête il faut avoir des jambes, heureusement que je me suis rappelée à temps, je n’ai pas été trop loin. Allez, hop, demi-tour.
Quelques instants plus tard, elle entre dans le magasin.
— Bonjour Monsieur Moirand, ça va par ce beau temps ?
— Ah, bonjour Mademoiselle, lui répond le boucher, ça va, ça va, il y a du boulot, donc ça va, n’est ce pas ?
—Tout à fait dit Mélanie
— Bon alors, qu’est-ce que je vous sers ?
— Et bien rien pour l’instant, je viens juste vous commander pour le week-end, de la blanquette de veau et un petit rosbeef pour dimanche.
— Pas de problème, je note cela sur mon cahier. Je dépose la marchandise chez Madame Bertrand vendredi si vous voulez ?
— Non, non, c’est gentil mais ce n’est pas la peine de vous déranger. Je passerai samedi matin après avoir pris le pain. Ah ! Et puis mettez aussi du gratin dauphinois pour aller avec la viande, pour deux. Je vais manger avec elle dimanche ! Bon allez, j’y vais, à samedi !
— C’est noté, à samedi, Mademoiselle, bonne journée !
Mélanie prend vers le sud, face au soleil et marche une centaine de mètres pour arriver devant le numéro 60. Elle cherche les clés dans son sac, évidemment elle ne les trouve pas, fouille encore et finalement met la main dessus. Elle ouvre la porte et s’engage dans le hall de l’immeuble qu’elle traverse pour arriver dans la cour couverte, face au deuxième bâtiment de la propriété.
C’est un joli coin, tranquille, pense-t-elle, et en plein centre ville. J’ai vraiment eu de la chance de trouver ce travail quand j’ai décidé de quitter la maison de retraite. J’y ai fait deux ans et je n’en pouvais plus, ici ça fait déjà trois ans et j’ai l’impression que c’était hier. C’est vrai que Simone est assez extraordinaire, toujours contente, loin d’être bête et elle s’ intéresse à tout, on ne croirait pas qu’elle va avoir bientôt quatre vingt seize ans, on lui en donnerait quatre vingt. Bon, il ne faut pas que j ’oublie de lui dire que je pars en vacances début juin ,il faudra tout préparer avant de partir de toute façon pour qu’elle soit tranquille.
Arrivée devant la porte de l’appartement trente trois, c’est bien pour elle qu’elle soit au rez de chaussée, pense Mélanie, elle sonne et entre :
— Bonjour Madame Bertrand, c’est Mélanie !
— Bonjour jeune fille, répond une petite voix, je me doute bien que c’est toi, je n’attends personne d’autre ! Alors, comment vas-tu aujourd’hui, il a l’air de faire beau ?
— Oui, il fait beau, il y a du soleil et il doit faire dans les vingt deux-vingt trois degrés, c’est correct pour une mimai. Bon, je mets vos courses dans le frigo, je suis passée chez le vietnamien pour récupérer les rouleaux de printemps. C’est l’époque ! On va se régaler ce midi, ils sont toujours très bons chez eux.
Mais d’ailleurs, comment se fait-il que vous mangiez ce genre de nourriture ? Sans vous vexer, c’est quand même assez rare de voir une personne de votre âge aimer ça !
— Oh, tu sais ma pauvre enfant, tu serais étonnée de savoir tout ce que j’aime encore manger ! Toute ma vie j’ai été curieuse de goûter les saveurs du monde dès que je le pouvais, tu sais, j’ai tout de même vécu une bonne partie de ma vie à l’étranger, plus de la moitié même !
— Oui, je sais, Madame Bertrand, vous m’avez dit que vous étiez en Tunisie, mais je n’en sais pas plus, vous ne m’en avez jamais dit davantage.
— Mélanie, je t’ai dit plus d’une fois que tant que tu m’appellerais Madame Bertrand au lieu de Simone, je ne te raconterais pas mon histoire !
— Mais, j’ai du mal . . . Simone ! dit la jeune femme avec un sourire, mais je vais faire un effort, rien que pour savoir votre histoire, je ne suis pas curieuse, mais j’aime bien savoir ! Et puis maintenant que vous m’avez augmenté mes heures, on aura plus de temps pour discuter, jusqu’ici j’arrivais juste à faire votre ménage, les courses et les repas. D’ailleurs c’est gentil de me faire manger avec vous, pour moi aussi c’est plus agréable que toute seule.
— C’est vrai dit la vieille dame, c’est pour ça également que j’ai voulu que tu viennes davantage, tu sais, à mon âge le temps se fait long, j’arrive sur ma fin tout de même et pourtant les journées ne passent pas si vite. J’ai beau lire mon journal, ou un roman, dieu merci j’y arrive encore, je fais mes mots croisés, une petite promenade en fin d’après midi mais la solitude me pèse tu sais. Les quelques personnes du quartier que je connais encore se font rares, je les ai toutes enterrées, fit-elle avec un demi-sourire en coin, mais bon, c’est la vie, maintenant que tu es là, on pourra discuter, enfin, si tu m’appelles Simone bien sûr !
Les deux femmes se mirent à rire, et Mélanie passa dans la chambre pour faire le lit et commencer le ménage.
— Dites donc, Madame, euh, Simone, l’infirmière est passée ce matin ? Vous aviez une prise de sang ? Il faudra lui dire la prochaine fois de ne pas laisser traîner ses cotons sales, je ne suis pas sa bonniche, et qu’elle fasse attention en vous piquant de ne pas mettre, encore une fois, du sang sur vos draps, je suis bonne pour les changer une fois de plus après elle ! A chaque fois c’est la même chose.
— Pourtant je lui ai dit de faire attention, mais elle est toujours pressée, toujours à la va vite ! Tu veux que je te donne un coup de main ?
— Mais non, mais non ! De toute façon je devais les changer en début de semaine prochaine, ce n’est pas trop grave, mais j’aime bien râler ! dit Mélanie en éclatant de rire.
— Bon, râle dans ton coin, moi je vais finir de lire mon journal, je me mets dans mon fauteuil dans le salon. Préviens moi quand nous passerons à table.
L’aide-soignante change donc les draps du lit, puis elle passe l’aspirateur dans la chambre, le couloir de l’entrée et la salle à manger.
Je ferai le salon tout à l’heure quand Simone aura fini de lire son canard, pense-t-elle, je la laisse tranquille un petit peu. Mélanie sourit en entendant la musique venir du salon, de la musique arabo-andalouse. Voilà, ça y est, Simone est repartie en Tunisie se dit-elle.
Puis elle se dirige vers la cuisine et fait la vaisselle du repas d’hier soir et du petit déjeuner. C’est marrant se dit-elle, finalement je fais le travail d’une aide ménagère alors que j’ai fait mes petites études d’aide soignante et ça ne me dérange pas. Je préfère de loin faire ce que je fais ici que ce que je faisais à l’EHPAD. C’est inadmissible de s’occuper des personnes âgées comme ça, elles n’ont pas mérité ça. Mais tant qu’il n’y aura pas davantage d’embauche de personnel, ça ne pourra pas s’améliorer. Les filles font ce qu’elles peuvent, ce n’est pas de leur faute, mais ce n’est pas normal dans une société comme la notre, les anciens ont le droit à un peu plus d’égards. De toute façon ils ne trouveront personne pour faire ce boulot tant qu’ils ne revaloriseront pas les salaires.
Mais bon, en tout cas, moi j’ai réussi à partir et maintenant j’ai vraiment une bonne place, enfin, en espérant que Simone vive le plus longtemps possible. Parce qu’en plus c’est plutôt bien payé, je gagne bien plus qu’avant, je n’ai pas à me plaindre de ce côté là non plus. Evidemment, on voit bien qu’elle est à l’aise financièrement, mais elle n’est pas radin et ne méprise pas les autres et elle n’étale pas son argent. J’ai hâte qu’elle me raconte son histoire, elle a dû vivre des choses assez incroyables. Depuis trois ans que je viens chez elle, nous n’avons jamais eu le temps de discuter de nos vies. Enfin, moi, je n’ai pas grand-chose à dire, à trente ans, finalement je n’ai pas beaucoup de vécu, surtout par rapport à elle.
La cuisine est propre et maintenant bien rangée, Mélanie revient dans le salon où la musique joue toujours, elle jette un regard attendri sur Simone qui dort dans son fauteuil, le journal sur les genoux, les lunettes un peu de travers.
La mélodie l’a bercée, elle est repartie en Afrique du Nord songe la jeune femme. On ne se rend pas compte finalement de ce qu’ont pu vivre ces personnes, certes leur aspect physique a changé, mais leur tête pas tant que ça, l’intellect ne vieillit pas si vite, ni autant qu’on le croit. Pour certains oui, bien sûr qui perdent la mémoire, mais beaucoup comme Simone gardent toutes leurs facultés si elles sont un peu stimulées. Et bien je vais la stimuler moi Simone ! se dit Mélanie, je l’aime bien, moi cette petite grand-mère, je veux la garder encore et lui donner un peu de joie si je peux dans sa fin de vie. Je me suis attachée à elle. Elle va me raconter son histoire, ça lui fera du bien de se souvenir de tout ce qu’elle a vécu, enfin j’espère qu’il n’y a rien de dramatique non plus, mais bon, même si c’est le cas, ça peut aussi la soulager d’en parler. Et puis, a moi aussi ça fera du bien, je n’ai pas connu mes grand-mères ni mes grand-pères. Eux aussi auraient eu des choses a raconter !
Mélanie repasse dans la salle à manger, met la table et va dans la cuisine chercher le repas. Au bruit des assiettes qui succède à la musique qui s’est arrêtée, Simone se lève et rejoint sa place.
— Je crois que je me suis assoupie !
— Je crois bien, oui, mais pas si longtemps que ça, vous êtes à l’heure pour le repas ! Allez, à table !
Les deux femmes commencent leur repas et discutent de choses et d’autres, des gens du quartier, des nouveaux commerces.
— Ah ben tiens, justement, puisque l’on parle des nouveautés des environs, j’ai vu il y a quelques temps dans Sud Ouest qu’un nouveau restaurant italien c’est ouvert dans le quartier, plutôt haut de gamme, Tentazioni je crois qu’il s’appelle, ou quelques chose d’approchant, et bien ma chère enfant, nous irons y manger à la fin du mois de juin pour mon anniversaire, décrète Simone tout à coup. Mélanie, tu as interdiction de me dire non et tu téléphoneras tout à l’heure pour réserver. Pour le midi, hein, le soir ce sera un peu trop tard pour moi. Je sais, c’est dans un mois et demi, et bien tant pis, comme ça nous serons sûr d’avoir une place. Et ne me dis pas que tu ne peux pas à cause de ton petit ami ou quelque chose comme ça, pour une fois il se passera de toi.
— Oh, ça, ce n’est pas un problème, je n’ai pas de petit copain pour l’instant, le dernier, je l’ai quitté il y a trois mois, il se fichait de moi, il travaillait, pas trop, et pas souvent, il était au chômage la plupart du temps. Je le trouvais devant la télé quand je rentrais le soir, le repas n’était pas prêt, il ne faisait rien à la maison, il profitait de moi, c’est tout, alors je l’ai mis dehors, je lui ai dit de chercher quelqu’un d’autre qui accepterai t son comportement. Et tant pis si je finis vieille fille, il ne faut pas se moquer de moi tout de même. Donc pour le vingt neuf juin, je serai disponible, Madame Simone, sûr !
Le visage de Mélanie s’est empourpré lorsqu’elle a sorti sa tirade, tout d’un bloc, sur un ton saccadé. Puis, semblant soulagée, elle s’excuse auprès de la vieille dame de s’être emportée.
— Simone, pas Madame Simone ! Tu avais sans doute un peu de sentiment pour ce jeune homme puisque tu avais décidé de vivre avec lui, mais tu as eu entièrement raison de le mettre dehors. Il ne faut pas se laisser faire par des hommes qui n’en valent pas la peine, ni par les autres non plus d’ailleurs. Tu sais, moi j’ai attendu l’âge de trente neuf ans avant de me marier, je n’avais pas trouvé le bon avant, aucun d’ailleurs, et si j’avais fini vieille fille comme tu dis, et bien tant pis. Comme le dit le proverbe, il vaut mieux être seule que mal accompagnée. Voilà, donc c’est bon pour aller faire la fête le vingt neuf juin !
Les deux femmes éclatent de rire encore une fois, visiblement, le courant passe bien entre elles. Simone pensa qu’elle avait bien fait de proposer à Mélanie de travailler davantage pour passer plus temps avec elle, et Mélanie se disait qu’elle avait vraiment de la chance d’avoir une telle relation avec cette petite grand-mère qui semble avoir toute confiance en elle.
— Trente neuf ans, vous aviez trente neuf ans quand vous vous êtes mariée ? En Tunisie ? Il valait sûrement le coup d’attendre !
— Oui, en Tunisie. Il valait le coup oui, comme tu dis, René. Il était beaucoup plus vieux que moi, il avait cinquante six ans, mais ça, nous nous en moquions complètement. Nous nous sommes toujours très bien arrangés, et respectés jusque sa mort en 1979. Nous avons été marié pendant vingt deux ans. Ah, bien sûr, nous n’avons pas eu d’enfant, nous ne l’avons pas voulu du fait de cette différence d’âge, et puis c’était un peu trop tard, mais bon... Et après son décès, je suis venu m’installer à Bordeaux. J’aurais pu aller en Bretagne, mais j’ai préféré venir ici.
— En Bretagne ? Mais c’est chez moi ça, vous savez que je suis née là-bas ?
— Ah oui ? Où ça donc en Bretagne ?
— Dans le Morbihan, à Vannes. D’ailleurs je vais y aller en vacances la première quinzaine du mois de juin. Enfin, pas à Vannes, mais en Bretagne. Mais j’arrangerai tout pour vous avant de partir, je vous ferai les menus, passerai les commandes et vous serez livrée, et j’ai demandé à une copine de passer voir si tout va bien. Si vous êtes d’accord évidemment, c’est quelqu’un de bien, elle est en congé maternité mais elle pourra passer de temps en temps.
— Bien sûr que je suis d’accord, elle pourra passer avec son bébé, je te fais confiance. Tu vas où en Bretagne alors ?
— Je vais avec une amie à Loctudy, nous avons réservé un mobil-home dans un camping pas très loin de la mer, il y a des belles plages par là-bas il paraît !
Simone posa sa fourchette et regarda Mélanie.
— Tu vas à Loctudy ! Elle laissa passer un silence. Mes parents sont nés à l’Ile Tudy. Un petit bras de mer sépare les deux communes. Ils ont quitté leur village au moment de la première guerre mondiale, avec mon frère, pour aller en Tunisie. Puis ils se sont installés en Algérie et ne sont jamais revenu en métropole. Moi-même, je n’ai jamais pu y mettre les pieds à l’Ile Tudy. Mais bon, c’est l’histoire de ma famille, une histoire pas toujours facile.
— Ça alors dit Mélanie, son couteau suspendu en l’air, bouche bée. Elle avala sa bouchée et dit à Simone : Vous avez vraiment beaucoup de choses à me raconter.
— Allez, on fini le repas, on discutera cette après-midi.
Chapitre II
Ile Tudy, années 1900
Le repas s’est terminé dans le silence, puis, Mélanie a débarrassé la table et fait la vaisselle. Simone est retournée sur son fauteuil dans le salon. Elle somnole malgré elle, mais quand la jeune fille revient, elle lève la tête et lui sourit, un peu tristement.
— Ça remue un peu tout ça, n’est ce pas ? demande-telle à la vieille femme.
— Oui, un peu, mais ça remonte à tellement loin ! Je vais commencer à te raconter ça, installe toi bien. Ça sera peut-être un peu confus tu sais, mais c’est l’histoire que mes parents m’ont racontée.
Mélanie s’installe dans le canapé en cuir qui fait face au fauteuil de la vieille femme, puis, Simone commence son récit :
— La vie n’était pas facile à cette époque au sud de la Bretagne. L’Ile Tudy, c’est le pays Bigouden, tu vois, c’est le coin qui représente un peu toute la Bretagne maintenant, un peu partout avec les grandes coiffes. Je te dirais les dates de mémoire, je pense qu’elles sont assez justes tout de même, depuis le temps que je les ai en tête. Je n’ai jamais parlé de tout cela à qui que se soit depuis la mort de mon mari, et même avec lui, nous n’en parlions pas tous les jours.
Mon père s’appelait Dominique Gouzien, Dominique comme son oncle qui était son parrain. C’était comme ça à cette époque, les garçons prenait souvent le prénom de leur parrain et les filles celui de leur marraine. Mon père est né au début du mois de juillet 1886 à l’Ile Tudy. Son père était marin, comme les trois quart des hommes de la commune.
Ma grand-mère était ménagère, ce qui veut dire qu’elle n’avait pas de métier bien particulier. Ce n’est pas pour autant qu’elle ne faisait rien, je te rassure. Elle s’occupait de sa maison, des enfants, mais cela ne l’empêchait pas de faire un peu de pêche aux coquillages pour arrondir les fins de mois ou bien d’aller travailler à l’usine durant la période d’activité.
A la fin du 19ème siècle, l’Ile Tudy était assez prospère, la pêche à la sardine marchait bien et il y avait des conserveries qui transformaient le poisson. La pêche à la sardine se faisait du mois d’août jusqu’à la Toussaint, et au printemps, c’était la pêche au congre. Jusqu’au début des années 1900, il y avait une telle activité liée à la sardine que l’odeur du poisson imprégnait l’air ambiant de tout le village, les vêtements et même les cheveux des habitants sentaient la sardine. Les poissons, autres que les sardines qui allaient toutes aux conserveries, étaient vendus aux halles de Pont L’Abbé et de Quimper ou même transportés dans les autres ports du sud de la Bretagne.
Les conserveries avaient été montées par des industriels venant de Nantes ou de Douarnenez, et les femmes qui y travaillaient avaient délaissé en majorité, la coiffe bigoudène, pour celle de Douarnenez, la Penn Sardin, qui était bien plus commode à mettre et plus pratique pour le travail.
Ma mère, elle, était un peu plus jeune, cinq ans je crois et s’appelait Marie Clarisse Keralum. Clarisse comme sa marraine, et c’est ainsi que tout le monde l’appelait. Elle est née au début de l’année 1891, pas à l’Ile Tudy mais à Quimper. Mais sa mère était de l’Ile Tudy et elle
