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Avis sur Claudine en ménage
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Aperçu du livre
Claudine en ménage - Willy et Colette
Préambule
À l’âge de 20 ans, en 1893, Colette épouse Henri Gauthier Villars, dit Willy, don Juan scandaleux de la Belle Époque. Ce dernier l’introduit dans les milieux « mondains » et l’entraîne dans une vie de bohème. Au bout de quelques temps, Willy se lance dans la littérature en faisant travailler une troupe de nègres comme Debussy ou Fauré pour des chroniques musicales et va demander à sa femme de lui écrire un livre de souvenirs d'enfance.
C'est ainsi qu'en 1900, Claudine à l'école paraît sous la signature de Willy, celui-ci prétendant avoir reçu le manuscrit d'une inconnue, créant ainsi la légende de la fameuse Claudine.
Devant le succès, Willy pousse sa femme à écrire 3 suites – Claudine à Paris 1901, Claudine en ménage 1902, Claudine s'en va 1903 – assorties d'un volume intitulé Minne (1904) et des Égarements de Minne (1905).
En 1906, Colette se sépare de Willy.
Ainsi, bien que l’auteur indiqué sur la jaquette de ce livre, soit Willy et Colette, c’est bien sûr Colette, seule, qui l’a écrit.
1
Sûrement, il y a dans notre ménage quelque chose qui ne va pas. Renaud n'en sait rien encore ; comment le saurait-il ?
Depuis six semaines nous sommes de retour. Fini, ce vagabondage de flemme et de fièvre qui, durant quinze mois, nous mena, trôleurs, de la rue de Bassano à Montigny, de Montigny à Bayreuth, de Bayreuth à un village badois, que je crus d'abord, à la grande joie de Renaud, s'appeler « Forellen-Fischerei » parce qu'une affiche énorme proclame, au-dessus de la rivière, qu'on y pêche des truites, et parce que je ne sais pas l'allemand.
L'hiver dernier, hostile et serrée au bras de Renaud, j'ai vu la Méditerranée qu'un vent froid rebrousse et qu'éclaire un soleil pointu. Trop d'ombrelles, trop de chapeaux et de figures m'ont gâté ce Midi truqué, et surtout la rencontre inévitable d'un ami, de dix amis de Renaud, de familles qu'il fournit de billets de faveur, de dames chez qui il dîna. Cet affreux homme se fait aimable à tous, surtout en frais pour ceux qu'il connaît le moins, car les autres, les vrais amis, explique-t-il avec une douceur impudente, ce n'est pas la peine de s'exterminer le tempérament pour leur plaire, on est sûr d'eux…
Ma simplicité inquiète n'a jamais pu comprendre ces hivers de la Côte d'Azur où les robes de dentelle frissonnent sous des collets de zibeline !
Et puis, l'abus que je fis de Renaud, l'abus qu'il fit de moi, força mes nerfs et me donna une âme mal résignée aux petits cailloux de la route. Et ballottée, entraînée, en un état, mi-pénible, mi-délicieux, d'ivresse physique et de quasi-vertige, j'ai fini par demander grâce, et repos, et le gîte définitif. M'y voici rentrée ! Que me faut-il donc ? Que me manque-t-il encore ?
Tâchons de mettre un peu d'ordre dans cette salade de souvenirs encore tout proches, déjà si lointains…
2
La bizarre comédie que fut le jour de mon mariage ! Trois semaines de fiançailles, la présence fréquente de ce Renaud que j'aime à l'affolement, ses yeux gênants, et ses gestes (contenus cependant) plus gênants encore, ses lèvres toujours en quête d'un bout de moi me firent pour ce jeudi-là une mine aiguë de chatte brûlante. Je ne compris rien à sa réserve, à son abstention, dans ce temps-là ! J'aurais été toute de lui, dès qu'il eût voulu ; il le sentait bien. Et pourtant, avec un soin trop gourmet de son bonheur – et du mien ? il nous maintint dans une sagesse éreintante. Sa Claudine déchaînée lui jeta, souvent, des regards irrités au bout d'un baiser trop court et rompu avant le… avant le temps moral : « Mais enfin, dans huit jours ou maintenant, qu'est-ce que ça fait ? Vous me brégez inutilement, vous me fatiguez affreusement… » Sans pitié de nous deux, il me laissa toute intacte, malgré moi, jusqu'à ce mariage à la six-quat'deux.
Irritée sincèrement contre la nécessité d'informer un monsieur-maire et un monsieur-curé de ma décision de vivre avec Renaud, je refusai d'aider Papa ni personne, en rien. Renaud y mit une adroite patience, Papa un dévouement inusité, furieux et ostentatoire. Mélie seule, rayonnante d'assister au dénouement d'une histoire d'amour, chanta et rêva au-dessus du plomb de la petite cour triste. Fanchette, suivie de Limaçon encore chancelant « plus beau qu'un fils de Phtah », flaira des cartons ouverts, des étoffes neuves, des gants longs qui lui donnèrent d'ingénus haut-le-cœur, et « fit du pain » en pétrissant mon voile de tulle blanc.
Ce rubis en poire qui pend à mon cou, au bout d'un fil d'or si léger, Renaud me l'apporta l'avant-veille de notre mariage. Je me rappelle, je me rappelle ! Séduite par sa couleur de vin clair, je le mirais à contre-jour, à hauteur des yeux, mon autre main appuyée à l'épaule de Renaud agenouillé. Il rit : – Tu louches, Claudine, comme Fanchette quand elle suit une mouche volante.
Sans l'écouter, je mis soudain le rubis dans ma bouche « parce que ça doit fondre et sentir la framboise acidulée ! » Renaud, dérouté par cette compréhension nouvelle des pierres précieuses, m'apporta des bonbons le lendemain. Ils me causèrent, ma foi, autant de plaisir que le bijou.
Le grand matin, je m'éveillai irritée et bougonne, pestant contre la mairie et l'église, contre la lourdeur de ma robe à traîne, contre le chocolat trop chaud et Mélie en cachemire violet dès sept heures du matin (« Ah ! ma France, tu vas en avoir du goût »), contre ces gens qui allaient venir : Maugis et Robert Parville, témoins de Renaud, tante Cœur en chantilly, Marcel à qui son père pardonnait – exprès pour l'agacer et lui faire la gnée|¹ |, je crois – et mes témoins à moi : un malacologue très décoré, très crasseux aussi, de qui je n'ai jamais su le nom, et M. Maria ! Papa, oublieux et serein, trouvait tout naturel ce dénouement singulier de mon amoureux martyr.
Et Claudine, prête avant l'heure, un peu jaunette dans sa robe blanche et son voile mal équilibré – pas toujours commodes, ces cheveux courts – assise devant la corbeille de Fanchette en train de se faire masser le ventre pas son Limaçon rayé, Claudine songeait : « Ça me rebute, ce mariage ! L'idéal, ce serait de l'avoir ici, de dîner tous deux, de nous enfermer dans cette petite chambre où j'ai dormi en songeant à lui, où j'ai songé à lui sans dormir, et… Mais mon lit bateau serait trop petit… »
La vue de Renaud, la trépidation légère de ses gestes ne chassa point ces préoccupations. Il fallut pourtant, sur la prière de M. Maria qui s'affolait, objurguer Papa et l'aller relancer. Mon noble père, digne de la circonstance exceptionnelle et de lui-même, avait simplement oublié que je me mariais ; on le trouva en robe de chambre (à midi moins dix !) fumant sa pipe avec solennité. Il accueillit le pauvre Maria par ces mots mémorables :
– Arrivez donc, vous êtes bougrement en retard, Maria, aujourd'hui que nous avons justement un chapitre très dur… Tiens, cette idée de vous enfiler dans un habit noir, vous avez l'air d'un garçon de restaurant !
– Mais, Monsieur… Monsieur… le mariage de Mlle Claudine… On n'attend que vous…
– Foutre ! répondit Papa en consultant sa montre, au lieu du calendrier, foutre ! vous êtes sûr que c'est pour aujourd'hui ? Si vous partiez devant, on pourrait toujours commencer sans moi.
Robert Parville, ahuri comme un caniche perdu, parce qu'il n'était pas dans le sillage de la petite Lizery ; Maugis verni de gravité goguenarde ; M. Maria tout pâle ; tant Cœur pincée et Marcel gourmé, ça ne fait pas une foule, n'est-ce pas ? Ils me parurent au moins cinquante, dans l'appartement étroit ! Isolée sous mon voile, j'écoutais mes nerfs défaillants et agacés…
Mon impression, ensuite, fut celle d'un de ces rêves emmêlés et confus, où l'on se sent les pieds liés. Un rayon violet et rose sur mes gants blancs, à travers les vitraux de l'église ; mon rire nerveux à la sacristie, à cause de Papa prétendant signer deux fois sur la même page « parce que mon premier paraphe est trop maigre ». Étouffante impression d'irréel ; Renaud, lui-même, devenu distant et sans épaisseur…
De retour à la maison, tout inquiet devant ma figure tirée et triste, Renaud m'interrogea tendrement ; je secouai la tête : « Je ne me sens pas beaucoup plus mariée que ce matin. Et vous ? » Ses moustaches tressaillirent ; alors je rougis en haussant les épaules.
Je voulus me débarrasser de cette robe ridicule et on me laissa seule. Fanchette, ma si chère, me reconnut mieux sous une blouse de linon rose et une jupe de serge blanche. « Fanchette, vais-je te quitter ? C'est la première fois… Il le faut. Je ne veux pas te trimbaler en chemin de fer avec ta famille. » Un peu envie de pleurer, malaise indéfinissable, côtes serrées et douloureuses. Ah ! que mon ami aimé me prenne vite et qu'il me délivre de cette appréhension sotte, qui n'est ni de la peur ni de la pudeur… Comme la nuit vient tard en juillet, et comme ce soleil blanc me serre les tempes !…
À la nuit tombante, mon mari – mon mari ! – m'emmena. Le roulement caoutchouté ne m'empêchait pas d'entendre mon cœur battre, et je serrais fort les dents que son baiser ne les desserra pas.
Rue de Bassano, j'entrevis à peine, sous l'électricité voilée des lampes à écrire posées sur les tables, cet appartement « trop gravure dix-huitième siècle » qu'il avait jusqu'alors refusé de m'ouvrir. Je respirai, pour m'enivrer plus, cette odeur de tabac blond et de muguet, avec un peu de cuir de Russie, qui imprègne les vêtements de Renaud et ses moustaches longues.
Il me semble y être encore, je m'y vois, j'y suis.
Quoi, c'est maintenant ? Que faire ? Je pense à Luce, le temps d'un éclair. J'ôte mon chapeau sans savoir. Je prends la main de celui que j'aime, pour me rassurer, et je le regarde. Il se débarrasse, au hasard, de son chapeau, de ses gants, et s'étire un peu en arrière avec un soupir tremblé. J'aime ses beaux yeux sombres, et son nez courbé, et ses cheveux dédorés qu'un vent habile peigna. Je me rapproche de lui, mais il se dérobe, méchant, s'écarte et me contemple, pendant que j'achève de perdre toute ma belle hardiesse. Je joins les mains :
– Oh ! s'il vous plaît, dépêchez-vous !
(Hélas ! je ne savais pas que ce mot fût si drôle.)
Il s'assied :
– Viens, Claudine.
Sur ses genoux, il m'entend respirer trop vite ; sa voix s'attendrit :
– Tu es à moi ?
– Il y a longtemps, vous le savez bien.
– Tu n'as pas peur ?
– Non, je n'ai pas peur. D'abord, je sais tout !
– Quoi, tout ?
Il m'a couchée sur ses genoux et se penche sur ma bouche. Sans défense, je me laisse boire. J'ai envie de pleurer. Du moins, il me semble que j'ai envie de pleurer.
– Tu sais tout, ma petite fille chérie, et tu n'as pas peur ?
Je crie :
– Non !…
… quand même, et je me cramponne désespérément à son cou. D'une main, il essaie déjà de dégrafer ma chemisette. Je bondis :
– Non ! moi toute seule !
Pourquoi ? Je n'ai pas su pourquoi. Une dernière Claudinerie impulsive. Toute nue, je serais allée droit dans ses bras, mais je ne veux pas qu'il me déshabille.
Avec une hâte maladroite, je défais et j'éparpille mes vêtements, lançant mes souliers en l'air, ramassant mon jupon entre deux doigts de pied, et mon corset que je jette, tout cela sans regarder Renaud assis devant moi. Je n'ai plus que ma petite chemise, et je dis : « Voilà ! » l'air crâne, en frottant, d'un geste habituel, les empreintes du corset autour de ma taille.
Renaud n'a pas bougé. Il a seulement tendu la tête en avant et empoigné les deux bras de son fauteuil ; et il me regarde. L'héroïque Claudine, prise de panique devant ce regard, court éperdue et se jette sur le lit… sur le lit non découvert !
Il m'y rejoint. Il m'y serre, si tendu que j'entends trembler ses muscles. Tout vêtu, il m'y embrasse, m'y maintient, – mon Dieu, qu'attend-il donc pour se déshabiller, lui aussi ? – et sa bouche et ses mains m'y retiennent, sans que son corps me touche, depuis ma révolte tressaillante jusqu'à mon consentement affolé, jusqu'au honteux gémissement de volupté que j'aurais voulu retenir par orgueil. Après, seulement après, il jette ses habits comme j'ai fait des miens, et il rit, impitoyable, pour vexer Claudine stupéfaite et humiliée. Mais il ne me demande rien, rien que la liberté de me donner autant de caresses qu'il en faut pour que je dorme, au petit jour, sur le lit toujours fermé.
Je lui sus gré, je lui sus beaucoup de gré, plus tard, d'une abnégation aussi active, d'une patience aussi stoïquement prolongée. Je l'en dédommageai apprivoisée et curieuse, avide de regarder mourir, ses yeux comme il regardait, crispé, mourir les miens. Je gardai longtemps, d'ailleurs, et à vrai dire je garde encore un peu l'effroi du… comment dire ? on appelle cela « devoir conjugal », je crois. Ce puissant Renaud me fait songer, par similitude, aux manies de la grande Anaïs qui voulait toujours gainer ses mains importantes de gants trop étroits. À part cela, tout est bon ; tout est un peu trop bon même. Il est doux d'ignorer d'abord, et d'apprendre ensuite, tant de raisons de rire nerveusement, de crier de même, et d'exhaler de petits grognements sourds, les orteils recourbés.
La seule caresse que je n'aie jamais su accorder à mon mari, c'est le tutoiement. Je lui dis « vous » toujours, à toutes les heures, quand je le supplie, quand je consens, quand le tourment exquis d'attendre me force à parler par saccades, d'une voix qui n'est pas la mienne. Mais, lui dire « vous », n'est-ce pas une caresse unique que lui donne là cette Claudine un peu brutale et tutoyeuse ?
Il est beau, il est beau, je vous le jure ! Sa peau foncée et lisse glisse contre la mienne. Ses grands bras s'attachent aux épaules par une rondeur féminine où je pose ma tête, la nuit et le matin, longtemps.
Et ses cheveux couleur de grèbe, ses genoux étroits, et la chère poitrine qui respire lentement, marquée de deux grains de bistre, tout ce grand corps où je fis tant de découvertes passionnantes ! Je lui dis souvent, sincère : « Comme je vous trouve beau ! » Il m'étreint : « Claudine, Claudine, je suis vieux ! » Et ses yeux noircissent d'un regret si poignant que je le regarde sans comprendre.
– Ah ! Claudine, si je t'avais connue il y a
