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Histoires d’elles
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Histoires d’elles
Livre électronique192 pages2 heures

Histoires d’elles

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À propos de ce livre électronique

Histoires d’elles présente des femmes confrontées aux turpides, aux délices de l’existence et aux surprises bonnes ou mauvaises. Elles subissent les carcans ou s’en affranchissent. Elles se battent, renoncent, aiment, souffrent, exultent… Elles sont flamboyantes et lumineuses ou passives et entravées. Dans différentes époques, diverses circonstances et des milieux variés, vous êtes invités à les rencontrer…


À PROPOS DE L'AUTRICE


Laure Lucie de Sinzelles a toujours été fascinée par les textes et la musique des mots. Alors même que son orientation professionnelle ne l’y prédisposait pas, elle n’a jamais cessé d’écrire et de se laisser emporter par la beauté de la lexie.
LangueFrançais
ÉditeurLe Lys Bleu Éditions
Date de sortie31 juil. 2023
ISBN9791037786623
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    Aperçu du livre

    Histoires d’elles - Laure Lucie de Sinzelles

    1

    22 Long Rifle

    L’attente

    Dans les années soixante-dix, un père divorcé qui a la garde de sa fille, ce n’est pas banal.

    Ces deux-là vivent dans un grand appartement moderne et très bien pensé. Leur tandem a tendance à surprendre, voire à être moqué. Il est tolérable qu’un veuf gère seul ses enfants mais là… un père célibataire !

    Ce que personne ne sait c’est le pourquoi de l’absence de la mère. L’enfant ne connaît pas davantage la réelle raison de ses absences, de ses oublis, de ses disparitions…

    Parfois, elle prépare sa valise. Sa maman va venir la chercher aujourd’hui. À l’heure dite, ils descendent dans le hall de l’immeuble tapissé de moquette. Ils attendent, là, debout, dans le sas entre les deux portes, devant les boîtes aux lettres alignées des nombreux locataires. Le temps semble long. Pesant, il s’étire avec peine. Les minutes s’allongent, éprouvant cruellement la pesanteur du temps. Dans l’esprit de l’enfant, des châteaux s’effondrent. Des blessures s’ouvrent ; elles ne se refermeront jamais. Le père distille du venin. Il ironise, il vomit des paroles visant à rabaisser la mère, à écorner son image. Il pose des mots qui résonneront pour toujours « C’est ce qu’on appelle une mère indigne ». Elle acquiesce, elle approuve, elle confirme… peut-elle faire autrement prise dans un piège atroce ?

    La petite fille ne dispose pas de tous les éléments pour comprendre le drame qui se joue entre les adultes. Personne ne s’est placé à sa hauteur pour lui raconter son histoire.

    Personne n’a pu dire « Ta maman est malade. Elle fait des séjours dans une clinique psychiatrique pour tenter de surmonter un geste abominable qu’elle a commis ». Cette réalité-là est-elle seulement dicible ? L’acte horrible de la mère, dont elle ne se remettrait jamais et qui éclabousserait pour toujours la vie de l’enfant vivant, peut-il être révélé ? Est-il possible de dire « Ta mère est infanticide » ?

    Car la vérité est là : elle aurait dû avoir un petit frère.

    Juste après sa naissance, sa mère s’est à nouveau trouvée enceinte. Elle ne s’est pas « sentie en mesure de poursuivre cette grossesse », « d’accueillir un autre enfant »… « Elle n’aurait pas su partager l’amour », disait-elle. Le père n’avait pas mesuré la fracture dans la raison de sa femme. Il n’avait pas anticipé qu’elle pouvait en arriver au pire.

    Pour se débarrasser de cet intrus, elle a avorté à plus de cinq mois de gestation avec la complicité monstrueuse d’une amie…

    Alors, voilà, l’attente durait et perdurait. Les minutes devenaient aussi cinglantes que des griffures arrachant la peau. Se tenir là debout, sa valise à ses pieds, elle ne pouvait pas savoir l’horreur que cela cachait.

    On doit bien peu compter, pour être ainsi oubliée. On se dit des choses comme celles-là lorsqu’on ne sait pas, lorsqu’un secret écrase tout.

    Parfois, la mère apparaissait, il ne s’agissait que d’un retard. Le soulagement était intense mais légèrement teinté de rancœur car elle avait de nouveau laissé à son ex-mari la latitude de cracher des paroles acerbes, lourdes de sens et pourvoyeuses de malheurs. La douceur revenait ensuite effacer les chagrins et les doutes, le temps du week-end, le temps des vacances.

    Des fois, elle ne venait pas du tout. Il fallait se résoudre à remonter à l’appartement. La colère du père se déchaînait. La fillette comprenait facilement que ses plans, à lui, en étaient bouleversés, qu’elle en était la cause. Il pestait de ne pas pouvoir « souffler ». On ne peut jamais se faire assez minuscule lorsque l’on analyse que l’une a omis de venir vous chercher et que l’autre doit supporter le poids de votre présence imprévue.

    Ils avaient été un couple infernal dès le début de leur mariage. Ils évoluaient dans les années de la libération sexuelle sans savoir en gérer les turpitudes, les tromperies, la jalousie et ses affres.

    Elle était invivable… déjà aux prises avec une pathologie sous-jacente peut-être… et lui n’allait guère mieux. Il pouvait se montrer d’une violence terrible. Cette violence s’exprimait tant en parole qu’en actes. Et si sous ses coups personne n’est mort, il ne le doit qu’à une chance certaine.

    Son ex-femme avait refait sa vie mais lui n’acceptait pas cette réalité. Il lui pourrissait l’existence et la terrorisait encore. À l’occasion, il lui infligeait une « correction ». Leur fille assistait à ces scènes abominables : les gifles, les coups de poing, les coups de pied, les membres tordus… les tentatives de fuite qu’il réprimait, en la tirant par les cheveux, par un membre… Si elle avait réussi à atteindre le couloir, il la ramenait alors dans l’appartement pour mieux poursuivre sa besogne. Elle hurlait, bien sûr, elle hurlait, mais aucun voisin jamais n’avait porté le moindre secours à cette femme, ou aux autres femmes qu’il avait frappées. Le judas ne servait qu’à savoir… on ne faisait rien.

    Un enfant est impuissant à sauver autrui et ce d’autant plus lorsque lui-même subit des agressions.

    Alors, ils pouvaient bien tous les deux se montrer aimants et louer son intelligence, sa beauté… ils pouvaient bien emplir les murs de photos d’elle, la cassure qu’ils avaient provoquée ensemble ne serait jamais réparable, elle laisserait des cicatrices intérieures indélébiles et incurables.

    Déflagration

    Dimitri est le nouveau venu dans la vie de la mère. Il est le confident du passé terrible et le spectateur impuissant des monstruosités actuelles.

    Sûrement aime-t-il suffisamment cette femme pour vouloir la libérer de son calvaire, alors il prend une décision effroyable…

    Le bruit tout d’abord n’est pas identifié, pas identifiable. Les fenêtres qui éclatent, cela est aussi inintelligible. Le père lui crie « Couche-toi ! Couche-toi ! ».

    Des choses ricochent au plafond, la petite ignore ce que sont ces choses.

    L’attaque ne dure que quelques minutes. La stupeur a gagné le père et l’enfant, présents dans cet appartement visé par des tirs de 22 Long Rifle. Il faut à l’adulte le temps de comprendre et de réaliser ; elle sera plus ou moins laissée dans l’ignorance. Et de nouveau, l’absence de mots clairs posés sur cet événement funeste aura des conséquences dramatiques.

    L’assaillant va-t-il revenir ? Ils ne le savent pas. Elle, terrorisée, est prise de terribles vomissements.

    De l’après, elle ne se souvient presque de rien. Les seules preuves patentes de la véracité de cet affreux moment, ce sont les cercles plus clairs au plafond, car le père a rebouché les traces des impacts de balles sans repeindre. Des années durant, elle pourra contempler à loisir les preuves du drame.

    Une fois de plus, la vérité est escamotée. L’enfant comprend assez vite, par bribes volées, en écoutant aux portes, ou en traînant à proximité des conversations d’adultes, que l’auteur des faits n’est autre que le nouvel amoureux de maman.

    Elle a intégré d’emblée que ces tirs auraient pu les tuer… Le traumatisme subi n’est pas pris en compte ; ses parents n’ont pas le temps de gérer autre chose que leurs propres tracas. Ils sont noyés, englués en eux-mêmes. Bourrés de médicaments pour dormir et de cachets pour se réveiller.

    Dimitri a disparu. La chose lui semble logique. Elle se raconte qu’il y a eu procès et qu’il est en prison.

    La vie a repris. Ils sont restés dans l’appartement. Les tourments des adultes ont continué de perturber le quotidien. La violence, la pression morale et les coups n’ont pas cessé.

    Plusieurs années après les faits, elle a commencé à voir un homme qui ressemblait à Dimitri. Elle le croisait sans cesse. Il faisait renaître en elle les relents d’une terreur absolue. Allait-il venir les tuer cette fois ? Était-il en repérage pour commettre une nouvelle tentative ? Elle courait très vite pour lui échapper…

    Elle regagnait l’appartement où elle serait seule plusieurs heures, en proie à ses tourments, en attendant le retour du père qui travaillait d’équipe et revenait après 22 heures.

    Il était clairement impossible que ce soit Dimitri, tentait-elle de se convaincre, puisqu’il était incarcéré. Elle en concluait donc qu’elle devenait folle. Elle vécut d’énormes tourments sans jamais s’en ouvrir aux autres. D’abord parce que l’on ne peut pas raconter une telle nuit d’horreur… et ensuite parce que nul ne semblant s’apercevoir de sa folie, il lui paraissait plus raisonnable de continuer de la cacher.

    Adolescente, elle finit par livrer à sa mère son terrible secret : la construction de son esprit qui lui faisait voir Dimitri alors que cela ne pouvait pas être lui…

    Et la vérité, soudain, vint tout remettre en perspective. Bien sûr que l’homme, qu’elle avait croisé cent fois peut-être, était bien Dimitri. Il avait été condamné à une courte peine pour tentative de meurtre et avait été libéré assez vite pour bonne conduite. Sa mère habitant la rue perpendiculaire aux immeubles de leur résidence, il était évident que les rencontres avaient été courantes car il vivait là.

    Mon histoire

    On est parfois si seule dans son enfance. On a si peur, si mal…

    Aujourd’hui, je sais l’histoire de mon petit frère qui n’a pas eu le droit de vivre. Mon père m’a expliqué sa vérité. Après ma naissance, cette grossesse qui s’enchaîne et que maman ne tolère pas. Et cette décision dont un médecin avait dit qu’elle ne guérirait pas.

    Les nuits sans sommeil, j’aime écrire. Parler d’elle ou à travers elle de moi. Je réécris l’histoire, pour parvenir à m’expliquer SON rôle, MA place et sûrement pour l’en sortir, me désolidariser… enfin.

    Le mouvement de la plume sur le papier, l’étrange communion des mots au fil des lignes, la course effrénée de la main sans cesse en crainte de ne pas suivre la pensée, ou l’esprit peureux de la trahir.

    J’écris pour que jamais mon âme ne se lasse du sempiternel combat que je lui fais livrer ; pour ne pas m’abîmer dans la folie (elle nous épie tous plus ou moins).

    J’écris jusqu’à l’épuisement afin de m’acculer au « vrai », dans un besoin impudique de me justifier. Ligne après ligne, mot à mot, je tisse la toile de mon existence banale. Je veux dissoudre l’indissoluble désespoir dans le flot glacé de l’encre. En soulageant l’ineffable soudard qu’est mon cœur, je confesse « l’inconfessable ». Je suis l’enfant pour qui l’on a sacrifié un autre enfant.

    J’écris comme, à mon idée, on devient fou, au terme de trop de souffrance, dans une sorte de spasme, dans un cri silencieux et au combien violent.

    Et chaque jour m’éveillant, inconsciemment, je défie le temps : ce n’est pas un jour, ni même un autre matin… c’est MA vie. Vingt-quatre heures du lever au couchant, vingt-quatre longues heures d’un cœur qui livre son sang, d’un cerveau dictant ses ordres… le temps ponctué : pleurs et rires, hurlements et chuchotements, haine et amour, le tout verrouillé en moi pour ne gêner personne. Une course vers qui ? Vers quoi ?

    Je rêve d’écriture. Cependant, ma plume n’est qu’un résidu du ciel, l’oubli d’un oiseau. Je cherche la possibilité de dire, de révéler… je suis engluée dans mon passé.

    J’ai les moyens du mort sursitaire ; jetant mes impudeurs sur l’innocence de la page vierge, je souille l’ultime espace de pureté se présentant à mes yeux. La beauté du monde s’égare jusqu’à me paraître inaccessible. Les bouffons ont déposé leur masque au pied de mon enfance ; après, rien ne fera plus réellement illusion. Certaines batailles montrent des guerres trop vaines, même pour qui les remporte ; car elles saignent le cœur et l’âme.

    J’ai les mots d’un agonisant trop vivant et néanmoins si proche de sa fin. J’ai échangé quelques baisers avec la vie et ses délices, sans être capable de m’attacher ses grâces. D’avoir goûté l’extase, j’ai la crainte de la tiédeur confortable des petites joies.

    Je ne veux que brûlures, passions… en perdant de vue l’aspect destructeur de cette quête, sa dimension terriblement chimérique.

    J’ai l’effroi de peurs dévorantes. Je me noie sous les larmes lugubres de mes démons morbides. J’attends que quelqu’un me sauve sans oser l’espérer mais peut-être que cet être tant attendu n’est autre que moi.

    Je m’accommode mal de moi-même, du

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