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Sur le quai des gares
Sur le quai des gares
Sur le quai des gares
Livre électronique579 pages7 heures

Sur le quai des gares

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À propos de ce livre électronique

Marc Circé, passionné par les trains et vaillant travailleur dans le milieu ferroviaire, s’éprend de la tendre et charmante Nancy Plante. Alors qu’il n’y croyait pas, cette rare beauté devient sa femme à lui, un homme pourtant peu choyé par la nature. Le jeune marié vit un bonheur parfait, jusqu’à ce que la passion s’éteigne dans le cœur de sa douce…

Envahie par l’ennui, Nancy ne tarde pas à se réfugier dans les bras de Jean-Marie. Pétillant, ce marin fait renverser la vapeur de sa vie monotone. Laissé en plan sur le quai des gares, Marc ne sait plus quel chemin emprunter.

Toutefois, s’installe peu à peu chez Nancy un indomptable sentiment de culpabilité. Lorsqu’elle prend conscience de la grave erreur de son écart de conduite, est-il trop tard pour raviver la flamme des tout premiers jours ?
LangueFrançais
ÉditeurÉditions JCL
Date de sortie24 janv. 2018
ISBN9782894315965
Sur le quai des gares
Auteur

Pascal Cloutier

Pascal Cloutier a porté divers chapeaux. Il a été joueur de hockey, improvisateur, auteur-compositeur-interprète, avocat, critique de films, grand voyageur et bien plus. Touche à tout et écrivain passionné, il a déjà publié six ouvrages. Il nous offre ici un roman d'époque, où l'amour et la tourmente s'emparent de ses personnages.

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    Aperçu du livre

    Sur le quai des gares - Pascal Cloutier

    Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives nationales

    du Québec et Bibliothèque et Archives Canada

    Cloutier, Pascal, 1967-

    Sur le quai des gares

    ISBN 978-2-89431-596-5

    I. Titre.

    PS8555.L678S97 2018 C843’.6 C2017-942202-2

    PS9555.L678S97 2018

    Illustration de la couverture : Annie Boulanger

    © 2018 Les éditions JCL

    Les éditions JCL bénéficient du soutien financier de la SODEC

    et du Programme de crédit d’impôt du gouvernement du Québec.

    Nous remercions le Conseil des Arts du Canada

    de l’aide accordée à notre programme de publication.

    ReconnaissanceCanada.tif

    Édition

    LES ÉDITIONS JCL

    jcl.qc.ca

    Distribution au Canada et aux États-Unis

    MESSAGERIES ADP

    messageries-adp.com

    Distribution en France et autres pays européens

    DNM

    librairieduquebec.fr

    Distribution en Suisse

    SERVIDIS/TRANSAT

    asdel.ch

    LogoFB.tif Suivez Les éditions JCL sur Facebook.

    Imprimé au Canada

    Dépôt légal : 2018

    Bibliothèque et Archives nationales du Québec

    Bibliothèque nationale du Canada

    Bibliothèque nationale de France

    page_titre.jpg

    À Joséphine, le plus beau wagon du monde

    À Sophie sa mère aussi

    On n’écrit pas sur ce qu’on aime Sur ce qui ne pose pas problème Voilà pourquoi je n’écris pas sur toi Rassure-toi

    ZAZIE, SUR TOI

    Un homme dans une gare isolée, une valise à ses côtés Deux yeux fixes et froids montrent de la peur Lorsqu’il se tourne pour se cacher

    VISAGE, FADE TO GREY

    Première Partie

    LOCOMOTIVE

    Il n’est pas de hasard, il est des rendez-vous, pas de coïncidence […]Il fut long le chemin et les pièges nombreux avant que l’on se trouve […]Ce n’est pas un hasard, c’est notre rendez-vous, pas une coïncidence

    ÉTIENNE DAHO

    ,

    OUVERTURE

    1

    L’USINE

    Marc n’a jamais été très beau.

    Déjà, petit, son visage provoquait plus de grimaces que de sourires. Le personnel de l’hôpital où il était né lui prodiguait les soins habituels, mais à toute vitesse. Sur l’étage, le mot s’était même passé : on avait remarqué un poupon plutôt répugnant dans la maternité. C’était là, chose assez rare. Pour qu’on en parle ainsi, il fallait que ce bébé ne soit vraiment pas choyé par la nature.

    Dans sa famille, ce n’était pas important. La beauté ne faisait pas partie des valeurs familiales et c’était loin d’être indispensable. Ses parents, Marguerite et Clément, ne s’étaient jamais arrêtés à cela. Il faut dire qu’il est difficile de contempler ce qu’on n’a pas, et chez les Circé, on s’intéressait à autre chose. La force, la débrouillardise et le courage, voilà ce qui ferait de Marc un homme ! Et ça, c’était important.

    En 1943, Marguerite et Clément Circé avaient six enfants. Évidemment, ce qui ne se disait pas s’était réglé dans la plus grande discrétion. Un septième marmot ? « Il faudrait faire avec ». Ils avaient été obligés de faire une place dans un coin de l’appartement pour le poupon. Au deuxième étage de cet immeuble du Faubourg à m’lasse, le garçon avait reçu une éducation empreinte d’humilité et marquée par la religion. Fier, le couple à la tête du clan Circé s’était investi corps et âme pour offrir à sa progéniture tout ce qu’il pouvait lui apporter, et ce, malgré le peu qui l’entourait. Ce n’était peut-être pas grand-chose, mais Clément s’était plutôt bien débrouillé. Il avait réussi à procurer l’essentiel à ses enfants, soit un toit au-dessus de leur tête ; c’était déjà ça.

    Marguerite, « Margot » comme on la surnommait, en avait déjà plein les bras avec ses cinq filles et son garçon avant d’apprendre qu’elle attendait un septième enfant. Sa dernière grossesse, moins planifiée que les autres, lui avait posé plusieurs soucis et l’avènement de Marc avait été un problème en soi. S’étaient ajoutés aux circonstances difficiles, des obstacles d’ordre financier chez les Circé, ce qui avait forcé Clément à demander qu’on lui offre des heures supplémentaires. L’employeur acceptant sur-le-champ, l’employé, père d’une famille nombreuse, avait pu compter sur de très longues heures de travail et, conséquemment, sur un salaire substantiellement plus élevé. L’exploitation éhontée du pauvre homme qu’il était allait durer jusqu’à sa mort.

    Clément, dont les parents avaient disparu alors qu’il était encore très jeune, avait déniché à l’âge de dix-sept ans un travail de manutentionnaire chez Macdonald Tobacco. Logeant chez sa sœur Alice, qui habitait dans un appartement situé non loin du fabricant de cigarettes de la rue Ontario, Clément avait hérité du sérieux de son père et de l’assiduité de sa mère.

    Quant à Marguerite, elle provenait d’une famille nombreuse s’étant établie à Montréal alors qu’elle était encore toute petite. Son père, qui s’employait jusque-là chez un important cultivateur de Notre-Dame-des-Prairies, à proximité de Joliette, avait entendu l’appel financier des manufactures de la grande ville. L’aventure ne s’était pas avérée aussi profitable que le chef de famille l’avait espéré, mais le clan au complet s’était établi à Montréal et rien ne les pousserait à retrouver la campagne. Le déménagement avait au moins eu ça de bon : c’est en ville que Clément Circé, un petit gars du quartier, avait fait la connaissance de sa belle Margot.

    Durant les vêpres, dans l’enceinte de l’église Sacré-Cœur-de-Jésus, au coin des rues Plessis et Ontario, l’orphelin avait tôt fait de remarquer la jolie demoiselle qui assistait à la cérémonie avec le reste de sa famille. La rencontre des deux jeunes gens s’était donc déroulée au beau milieu de leur quartier, en pleine église, non loin de la maison familiale ­qu’habitait maintenant Marguerite, non loin de la maison de chambre d’Alice Circé qui hébergeait Clément. À l’ombre de la Macdonald Tobacco, le couple s’était ainsi formé.

    Les parents de Marc avaient connu l’amour au centre même de la paroisse, au cœur de l’endroit que les sept enfants du couple allaient un jour appeler « chez nous ».

    C’est là que Marc, fils de Clément et de Margot Circé, allait grandir.

    2

    LA FABRIQUE

    Nancy était belle comme un cœur.

    C’est ce qu’on disait toujours lorsqu’on l’apercevait. Bizarrement, les chuchotements que commandait le savoir-vivre n’étaient pas observés par ceux qui se pâmaient devant la fille de Reynald Plante. Elle était si belle qu’il fallait passer ledit commentaire à voix haute ! Sa beauté ne se démentait pas et les compliments fusaient de toutes parts. L’admiration qu’on lui témoignait s’était manifestée dès son plus jeune âge. Adolescente, Nancy avait bien tenté de proposer un profil moins exubérant, mais c’était peine perdue ; son éclat transcendait même les vêtements démodés et les coiffures mal définies.

    Avec l’âge, elle ressemblait à s’y méprendre à sa mère, Juliette, qui, de son temps, provoquait les mêmes réactions et attirait les mêmes compliments. Dans cet environnement humble et discret qu’offrait le quartier qu’on surnommait le Faubourg à m’lasse, la mère, puis la fille, attiraient les regards des hommes issus de toutes les générations et de toutes les classes sociales. Cette beauté s’exposait aux réactions maladroites et parfois déplacées des ouvriers qui peuplaient le secteur. Cette élégance provoquait les regards à la dérobée et remplissait de désir les gens de la haute qui visitaient les alentours. Sûres d’elles, mère et fille imposaient le respect et jamais elles ne s’offusquaient des approches un peu trop directes de la gent masculine.

    Reynald, le père de la belle Nancy et le mari de la tout aussi jolie Juliette, philosophe à ses heures, comprenait la chance qu’il avait d’avoir deux femmes aussi magnifiques dans sa vie. C’est toutefois d’un œil inquiet qu’il entrevoyait le jour où Nancy se laisserait séduire et prendrait mari. Les rumeurs se faisaient aussi intenses pour la fille de Reynald que pour sa femme à l’époque où tous deux n’avaient pas encore uni leur destinée. La célébration nuptiale avait en quelque sorte solidifié la confiance qu’ils avaient l’un en l’autre. Reynald et Juliette étaient un modèle pour tout couple qui tentait de traverser le temps et les épreuves dans la fidélité la plus pure. L’amour qu’ils éprouvaient l’un pour l’autre était imperturbable.

    Le rapprochement des parents de Nancy s’était tenu quelques années avant qu’elle ne voie le jour. Reynald Plante, qui travaillait à la quincaillerie J.R. Grégoire depuis son retour de la guerre, s’était un jour présenté à la fabrique de biscuits Viau & Frère. L’entreprise y confectionnait des centaines de variétés de biscuits, bonbons et chocolats. Juliette y travaillait depuis quelques années déjà lorsqu’elle avait entrevu le plus beau livreur de matériaux qu’elle n’ait jamais vu. Par l’entremise d’amies, la jeune femme avait retrouvé la trace du quincaillier, celui qu’elle avait reconnu comme étant son futur prince charmant.

    Sans valse-hésitation, Juliette s’était présentée au magasin de la rue Ontario. La cloche de la porte d’entrée lui avait semblé bruyante et de longues secondes s’étaient écoulées avant que le commis ne daigne rejoindre le comptoir de service. L’attente lui avait paru une éternité. Il n’était pas bien vu pour une fille d’être si entreprenante à un tel âge et chaque seconde passée à chercher à provoquer une rencontre la mettait un peu plus mal à l’aise. Mais Juliette, fonceuse et dégourdie, justifiait sa démarche par la reconnaissance de l’âme sœur dans ce colosse au regard attendrissant. Même s’il n’avait pas dit un mot lorsqu’elle l’avait aperçu chez Viau & Frère, parmi les étalages de biscuits et de bonbons, Juliette avait tout de suite compris que c’était lui, l’homme de sa vie.

    Les fréquentations avaient été courtes. À peine six mois plus tard, Juliette et Reynald avaient uni leur destinée. Répondant à une volonté commune, le couple s’était, dès lors, affairé à fonder une famille. Alors que parents et amis n’avaient de cesse d’ajouter de nouveaux membres à leur famille, Reynald et Juliette n’arrivaient pas à s’offrir une progéniture. Tristes et désemparés, monsieur et madame Reynald Plante avaient prié sans répit jusqu’à ce que, trois années après leur union, Juliette tombe enfin enceinte. Nancy allait voir le jour un soir de tempête de 1947.

    L’unique enfant du couple était facile et peu demandant. Reynald avait souvent répété que le poupon, livré par un blizzard mémorable, avait le tempérament des beaux jours. Il disait aussi que la nouvelle de sa venue avait supplanté pour lui celle de la fin de la Deuxième Guerre mondiale. Et pour Reynald Plante, vétéran du grand conflit, ce n’était pas peu dire. Véritable rayon de soleil pour ses parents, celle qui complétait la famille Plante serait l’objet de beaucoup d’attention de la part de son père et de sa mère.

    La petite Nancy Plante se savait choyée. Elle recevait toujours plus que ses petites amies qui, pour la plupart, étaient issues de familles nombreuses et conséquemment moins fortunées, puisque résidant dans les quartiers pauvres de la métropole. Le foyer où vivait la famille Plante n’avait rien d’exceptionnel, mais la bonne entente et l’amour y séjournaient en permanence. La beauté de Nancy n’aurait de cesse de grandir dans cet environnement où on s’habituait plutôt au contraire.

    3

    THE FISH FACTORY

    Il allait manquer d’air.

    Nu comme un ver, il venait tout juste de trouver l’air libre. Il allait mourir s’il ne respirait pas enfin. La température extérieure était glaciale. N’importe qui aurait regretté la douce humidité et la chaleur de la femme qu’il venait tout juste de quitter. L’oxygène ne s’était pas encore rendu à ses poumons et ce n’était pas parce qu’on ne l’avait pas frappé. Il avait reçu cette claque et il n’avait pas bronché. Il en gardait encore la marque sur sa peau. Son corps était couvert de sueur et son sexe s’était timidement recroquevillé. Il pensait se liquéfier tellement il avait chaud, mais son épiderme était frigorifié. Sous le choc de se retrouver tout à coup sous la rafale des côtes gaspésiennes, le garçon était un mélange de sensations contraires. Il était né Gaspésien.

    Il avait beau être jeune, il avait beau ne pas connaître grand-chose, il comprenait très bien ce qui venait de se passer. Neuf mois qu’il entretenait cette relation intime avec cette femme. Il en avait entendu des choses. Il en avait deviné aussi. Cette liaison avait débuté une quarantaine de semaines plus tôt, sur la grève, pas très loin de Port-Daniel, sous un pont ferroviaire qui barrait la vue qu’on avait du ciel étoilé du mois de mai.

    Déjà à cette époque, il avait ressenti cette chose étrange chez celle qui le recevait en elle. Rien n’allait plus avec son conjoint, il le pressentait. La première dame de Bonaventure, celle à qui il faisait l’amour pour la première fois, n’était pas heureuse avec son mari. Le maire de Bonaventure était absent trop souvent pour réussir à prendre soin d’elle. Le premier magistrat était incapable de satisfaire cette femme sensuelle qui était la sienne. Une aventure semblable, c’est unique. Jamais n’avait-il ressenti autant d’amour et d’affection. Elle l’avait reçu chez elle au début d’un été qui s’annonçait chaud. Tout était au beau fixe jusqu’à ce que, neuf mois plus tard, le maire revienne à la maison en bravant les vents d’hiver et les embruns glacés. Les pleurs qu’aurait souhaité lui soutirer l’élu municipal ne sont pas venus, l’enfant – parce que Jean-Marie en était bien un – était trop surpris pour se plaindre et gémir comme l’aurait voulu le maire cocu.

    Jean-Marie n’avait que quinze ans lorsque le mari de la femme si délicieuse à qui il faisait l’amour, le premier officier de Bonaventure, s’était présenté sur le pas de sa propre demeure. La maison de l’élu avait beau proposer la plus belle vue sur la mer des environs, la scène à laquelle serait confronté le maire allait le décevoir encore longtemps. Les soupirs, que dire, les plaintes qu’il avait entendues en montant l’escalier menant au deuxième palier lui avaient glacé le sang. Jamais il n’aurait cru qu’une telle chose pouvait se produire sous son toit. Lorsqu’il avait poussé le battant de la porte de la chambre conjugale, le spectacle qui s’était présenté à lui n’avait rien d’aussi joli que celui qu’offrait la Baie-des-Chaleurs qui, par la fenêtre, faisait contre-jour. Le dos de ce jeune homme, luisant sous la lumière bleutée du ciel nocturne des berges de Bonaventure, avait provoqué chez lui un sentiment de violence qu’il n’avait jamais ressenti jusque-là dans sa vie. Il avait connu les vieilles batailles politiques, les longues récriminations des pêcheurs, les revendications ancestrales des autochtones, les éternels malheurs des cultivateurs trop peu nombreux des environs, mais le conflit auquel il faisait face en ce soir de tempête avait à peine quinze ans. Qui plus est, c’était un conflit qui se mouvait à un rythme effréné entre les cuisses de Solange, sa femme. Furieux, il avait crié à pleins poumons et mis frein aux ébats sexuels de sa femme et de cet enfant.

    La réunion à laquelle devaient participer les conseillers et les citoyens avait été annulée à cause du mauvais temps. Le maire avait réintégré la snowmobile Bombardier qu’il avait achetée cinq ans plus tôt et avait pris le chemin de la maison, inquiet de devoir affronter les vents et la glace qui s’abattaient avec force sur la côte gaspésienne. La route était encombrée, la visibilité nulle et le bruit des bourrasques étouffait le son du moteur. Il avait aperçu au loin la vieille motoneige d’Armand Rainville, garée devant sa maison. Rainville, un pêcheur dont les barques mouillaient au quai Bonaventure, demeurait à proximité de la route à Dion pas très loin de Saint-Siméon. Le maire avait froncé les sourcils, intrigué. Qu’est-ce que ce père de sept enfants pouvait bien faire un soir de tempête chez lui seul avec Solange ?

    Le maire avait monté les marches du perron et contourné sa demeure en faisant bien attention de ne pas faire de bruit. De toute manière, le vent soufflait tellement fort qu’il étouffait tous les sons environnants : le moteur du snowmobile, la portière du véhicule et même le grincement de la porte du vivoir à l’arrière de la maison qu’avait empruntée le maire. Seul le vent se faisait entendre. Le reste était couvert par la tempête. Le propriétaire de la maison s’était déchaussé le plus silencieusement possible tout en jetant un œil autour de lui. Le rez-de-chaussée était plongé dans le noir, mais la flamme qu’abritait le poêle à bois dénonçait la présence de Solange quelque part dans la maison. Le maire avait lentement traversé la cuisine et rejoint l’escalier qui faisait face au portique. Il avait choisi ce petit hall d’entrée afin d’éviter de signaler son retour. Immobile au bas des marches, il avait commencé à s’inquiéter. Pourquoi Rainville avait-il bravé la tempête et laissé sa famille pour rejoindre la résidence du maire ? Pourquoi avait-il choisi de lui rendre visite un soir de conseil municipal ?

    Alors qu’il était à ces réflexions, le plancher s’était mis à craquer au-dessus de sa tête dans une cadence plutôt particulière. Il avait gravi les marches et s’était retrouvé en un rien de temps sur le deuxième palier. Il s’était arrêté devant la porte de bois qui donnait sur la chambre à coucher et avait agrippé avec force la porcelaine de la poignée. Dans un geste théâtral, il avait repoussé le battant de la porte et c’est là qu’il avait compris. L’homme dans le lit conjugal n’en était pas un. Du moins, ce n’était pas Armand Rainville. Si le Ski-Doo à l’extérieur était bien celui du pêcheur de Saint-Siméon, l’homme nu qui montrait une paire de fesses en pleine contraction n’avait rien de la stature de celui qu’il avait d’abord suspecté.

    Le maire avait hurlé durant de longues secondes, provoquant la panique chez sa femme et le jeune intrus. Le magistrat ne connaissait ce garçon ni d’Ève ni d’Adam. Sa femme s’était mise à le supplier de laisser partir Jean-Marie pendant que ce dernier s’affairait à retrouver ses vêtements éparpillés sur le plancher de la chambre. Le maire s’était approché et, dans une motion que sa corpulence ne laissait pas présager, il avait frappé de sa main ouverte la joue recouverte de sueur de l’amant de sa femme. Le bruit de la claque retentissait encore sur les murs de la pièce quand Jean-Marie dévalait les marches de l’escalier menant au premier étage. Sans même revêtir les vêtements qui encombraient ses bras, le garçon avait débouché dans le portique, sautant littéralement dans ses bottines et récupérant son anorak encore mouillé des premières neiges de la tempête qui avait pris de l’ampleur.

    C’est sous le regard furieux du maire cocu, installé à la fenêtre de la chambre conjugale, que Jean-Marie avait rejoint la motoneige appartenant à son employeur, le pêcheur Armand Rainville. Alors qu’il réussissait à se glisser dans quelques vêtements avant de faire démarrer son véhicule, Jean-Marie avait cru apercevoir Solange en pleurs, dont le maire tentait de se dégager.

    La nuit où Jean-Marie s’était fait prendre, il n’avait pas trouvé le sommeil dans les bras de Solange, mais plutôt dans un coin de l’usine de poissons de Bonaventure. Il connaissait bien l’endroit pour y être allé souvent avec monsieur Rainville. Il avait cassé un carreau, ouvert la porte et alimenté un feu qui crépitait encore dans la cheminée. Le quart de nuit devait s’être terminé quelques minutes avant qu’il n’atteigne la bâtisse sur le dos de sa motoneige. Le lendemain matin, alors qu’il remettait les clés du Ski-Doo à son propriétaire, Jean-Marie allait négocier la fin de son embauche et demander qu’on le dépose de l’autre côté de la Baie-des-Chaleurs dès que possible.

    C’est dans la chaleur odorante des bureaux de la fish factory que Jean-Marie avait compris que l’exil était la seule solution pour éviter que le maire de Bonaventure ne le tue. Pour avoir entretenu une relation extraconjugale avec la femme du préfet de l’endroit durant neuf mois, le jeune homme de quinze ans allait s’éloigner encore plus de ses parents et de son Port-Daniel natal. Il était hors de question de faire savoir d’où il était originaire et encore moins où il comptait se rendre. Si le maire, un homme de pouvoir, se mettait en tête de lui mettre la main dessus, il comprenait que sa vie serait infernale, sinon terminée.

    Il ne réalisait pas que d’être sorti de chez le maire de Bonaventure et d’avoir quitté la première dame, la belle Solange, était comme expérimenter sa naissance à nouveau. Nu, il s’était subitement retrouvé à l’aube d’une nouvelle vie. Une vie froide et saisissante qui lui demanderait de se réchauffer dans les bras des femmes, question de survie.

    Quitter cette existence vieille de quinze ans, c’était le prix à payer pour avoir usé de ses charmes.

    4

    LA PRÉANNONCE

    Tout comme Nancy Plante, la petite Nicole Pomerleau était enfant unique. Son père travaillait chez Macdonald Tobacco, qui comptait parmi son personnel Clément Circé, le père du petit Marc. Contrairement à Nancy et Marc dont les parents vivaient humblement, Nicole Pomerleau, elle, connaissait le luxe et le confort d’une grande maison. C’est son père qui, membre de la direction du cigarettier, avait décidé de quitter le faubourg cossu du Mille carré doré pour établir sa petite famille dans le nouveau quartier huppé de Westmount. À l’époque, Nicole était trop jeune pour exprimer son opinion, mais le déménagement avait emballé sa mère.

    Roger Pomerleau était un des rares cadres francophones chez Macdonald Tobacco. Son statut de personne importante au sein de l’entreprise s’en voyait diminué, mais puisqu’on l’appelait « Rodgeurrr » avec cet accent anglais qui fait rouler les « r », la situation lui permettait de sauver la face devant la direction presque exclusivement anglophone. On reconnaissait aussi Pomerleau parce que le crazy frenchman avait des exigences particulières quant à la gestion du personnel qu’il supervisait. Pomerleau demandait de pouvoir s’adresser directement aux employés sans passer par les contremaîtres, ce qui aurait mieux répondu aux politiques de l’entreprise. Sans prétention jamais, l’homme se rendait sur le plancher plusieurs fois par jour pour mieux discuter avec tout un chacun. Le cadre disait que c’était pour mieux faire passer ses messages, pour que l’équipe dont il était responsable comprenne parfaitement et rapidement ses directives. Il disait avoir besoin d’exécuter son travail ainsi, afin d’exprimer clairement ses attentes à propos du fonctionnement du secteur de l’usine dont il était le chef.

    Sous les ordres de Roger Pomerleau, Clément Circé se démenait comme un diable dans l’eau bénite. Pour gagner un salaire lui permettant de faire vivre convenablement sa femme et ses sept enfants, l’ouvrier était prêt à tout. Jamais la tâche que Pomerleau lui donnait n’était assez ardue ou ingrate pour qu’il refuse de l’exécuter. C’est au seul cadre francophone de l’entreprise que Circé s’était adressé pour qu’on lui permette de faire des heures supplémentaires.

    Un soir de l’été 1953, une de ces soirées où le directeur et son employé étaient retenus à l’ouvrage, Pomerleau s’était approché du plus vaillant jobber de son équipe.

    — Clément, as-tu quelque chose de prévu en fin de semaine ?

    L’ouvrier avait interrompu ce qu’il faisait. Il avait relevé la tête et avait hésité un instant avant de répondre. La question l’avait surpris, parce que jamais son patron ne s’était adressé à lui pour autre chose que le travail. Interloqué, l’employé s’était interrogé sur la manière dont la question avait été formulée. Il lui semblait clair que « monsieur Pomerleau » ne lui posait pas cette question dans le but de s’enquérir des heures qu’il prévoyait faire durant le week-end. Il avait l’intention de faire quelques heures supplémentaires samedi, mais envisageait de prendre congé dimanche pour retrouver sa femme et ses enfants. La question avait été posée avec une désinvolture que Clément ne connaissait pas à son supérieur. Mais ce ne serait pas la première fois qu’il se méprendrait sur les intentions de la direction.

    — Ben samedi, je travaille de six heures à cinq heures…

    — Non, non. Je ne te parle pas de travailler. Je voulais savoir si tu avais quelque chose de prévu dimanche.

    Son intuition avait été bonne. La question lui était posée sans référence au travail.

    — Dimanche, à part la messe, j’ai rien…

    — Ton dernier… Marc, c’est ça ? avait hésité Pomerleau.

    — …

    — Ton dernier, serait-il intéressé à venir célébrer l’anniversaire de ma fille ?

    — Nicole ?

    Clément se rappelait vaguement en avoir entendu parler quelques années plus tôt alors que Roger s’était absenté quelques heures pour se rendre au chevet de sa femme qui accouchait. Il se souvenait du prénom que lui avaient donné ses parents.

    — C’est ça !

    Hésitant, le subalterne s’interrogeait sur l’intérêt qu’aurait son plus jeune fils à se rendre chez une enfant de six ans. Marc en avait dix.

    — J’sais pas… J’pourrais y demander.

    — Fais donc ça pis reviens-moi avec sa réponse demain. Il va y avoir plein d’enfants de son âge. On a prévu des activités en après-midi pis j’pense que ton gars aimerait ça.

    Clément n’en était pas si sûr. Une petite fille de six ans, des amies du même âge, probablement issues de la haute, et des activités qui commandaient qu’on offre un présent à la fêtée n’avaient rien pour convaincre Clément que son fils Marc avait sa place là.

    Comme si Pomerleau avait lu dans les pensées de son employé, il avait vite fait d’ajouter :

    — Pas de cadeau. Juste la présence de Marc, ce sera en masse.

    — Je vais lui en parler ce soir pis je vous reviens là-dessus demain, monsieur Pomerleau.

    — Appelle-moi Rodgeurrr…

    — Oui, monsieur Pomerleau. Merci, monsieur Pomerleau.

    Le cadre avait prononcé son propre prénom à l’anglaise et l’embarras s’était immédiatement lu sur ses traits. Il s’était repris en répétant « Roger » comme tout bon francophone l’aurait prononcé. Le patron avait tôt fait de corriger Clément une seconde fois sur la prononciation de Roger et s’était retourné pour se diriger vers ses quartiers. Rapidement, il était remonté à son bureau sans saluer le travailleur qui était resté en plan, immobile et interdit, balais à la main.

    Songeur, Clément Circé avait répété dans un seul souffle :

    — Oui, monsieur Pomerleau…

    Caboose_detoure.jpg

    Pour arrondir les fins de mois, Reynald Plante s’improvisait menuisier. Avec l’accès qu’il avait à la quincaillerie J.R. Grégoire, l’ouvrier se trouvait des projets sans trop de difficultés auprès de la clientèle de la boutique de matériaux de construction et les exécutait la fin de semaine. Rapide, talentueux et peu chérant, Reynald Plante s’était fait bonne réputation dans le quartier et les alentours.

    Un ami l’avait référé à un homme important du quartier Westmount : un père de famille allait emménager avec femme et enfants dans une de ces grandes demeures beaucoup trop dispendieuses pour que Reynald puisse jamais rêver en avoir une semblable un jour. Il importait peu au commis de quincaillerie que la demeure soit luxueuse ou non. Il en avait vu des pires et des châteaux encore plus prestigieux aussi. Pourvu qu’il soit payé pour le travail qu’il y effectuait, c’est tout ce qui comptait. Il était arrivé trop souvent que ses services n’aient pas été rémunérés parce que les gens dans le besoin n’avaient pas les moyens de régler la note. À sa grande surprise, on lui apprit que l’homme qui allait emménager dans cette demeure cossue n’était pas anglophone. C’était un Canadien français qui répondait au nom évocateur de Roger Pomerleau. Cet homme occupait un poste important à la Macdonald Tobacco.

    Parce que satisfait du travail exécuté par Reynald Plante, le nouveau propriétaire avait, par la suite, régulièrement fait appel à l’ouvrier. Il arrivait assez fréquemment que Pomerleau lui-même revête les habits d’un travailleur pour donner un coup de main au menuisier. Les deux hommes en étaient venus à apprécier la présence l’un de l’autre. Roger Pomerleau n’était plus pour Reynald Plante ce riche cadre du cigarettier de la rue Ontario. Roger Pomerleau était devenu un ami. Au fond, pour Plante, Pomerleau était devenu ce bonhomme qui travaillait lui aussi dans l’est de la ville, tout simplement.

    C’est alors qu’il s’affairait à réparer une marche défectueuse du grand escalier que Reynald Plante avait reçu une première invitation de la part de son employeur de fin de semaine. Pomerleau avait invité Reynald, sa femme Juliette et sa fille Nancy à se joindre à une fête pour souligner le troisième anniversaire de sa fille Nicole. Reynald Plante avait accepté sans hésiter et s’était présenté à la demeure des Pomerleau, ayant bon espoir que sa fille s’amuserait beaucoup durant la journée qui s’annonçait si spéciale. Chaque année qui allait suivre, la famille de Reynald Plante se ferait un plaisir de célébrer l’anniversaire de la petite Nicole. Avec le temps, les deux jeunes filles étaient devenues de très bonnes amies. L’amitié sincère qu’elles se vouaient s’était établie dès leur rencontre initiale. Par la suite, il n’était pas rare que Nancy accompagne son père durant les travaux que lui demandait d’exécuter l’homme important de la Macdonald Tobbacco.

    Le sixième anniversaire de la fille unique des Pomerleau avait été célébré avec plus d’insistance que les précédents. Les jardins de la résidence de Westmount avaient reçu une multitude d’enfants aux yeux brillant devant tous ces chapiteaux sous lesquels les attendaient surprise après surprise.

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    Le rendez-vous avait été donné à treize heures.

    Reynald Plante, sa femme Juliette et sa fille Nancy étaient apparus tout sourire dans l’arrière-cour. Émerveillée par l’aménagement de l’endroit, Nancy avait lâché la main de ses parents et s’était précipitée auprès de son amie, la reine des célébrations. La journée s’annonçait fantastique pour la petite Nicole et ses invités. Et tous ces enfants que Nancy ne connaissait pas ! Il y avait quelque chose d’exaltant à se trouver là au milieu de jeunes qui ne demandaient pas mieux que de faire connaissance et d’offrir leur amitié à qui voudrait bien l’accepter. Le visage de chacun semblait si heureux que la petite Nancy s’imaginait faire de tous, ses nouveaux amis.

    La famille Circé, quant à elle, s’était présentée en retard. Le tramway ne se rendait pas si haut en ville et la marche avait été plus longue que prévu. Marc, son père et sa mère n’avaient pas encore mis les pieds dans le jardin que Margot avait déjà mentionné deux fois plutôt qu’une qu’ils n’étaient là que pour faire acte de présence. Il faudrait bientôt faire le chemin inverse pour retrouver la maison familiale gardée par l’aînée des sept enfants. L’inquiétude que cette situation provoquait n’était pas motivée par les sœurs Circé, mais plutôt par le grand frère de Marc, Jacques. Déjà pas commode, le garçon s’était insurgé contre le fait que son petit frère était invité à une fête, mais que lui ne l’était pas. C’était bien la première fois que Clément et Margot accompagnaient un seul de leurs enfants à un événement semblable. En fait, c’était la toute première fois que le couple participait à une fête donnée à l’extérieur du giron familial.

    Malgré le temps qui pressait, Margot ressentait une certaine fierté de savoir son mari invité à une fête donnée par un homme aussi important que monsieur Pomerleau. Un patron de la Macdonald Tobacco avait demandé à Clément Circé de le rejoindre à Westmount pour une fête ! Peu importait que ce soit une fête d’enfants, Marguerite n’en revenait tout simplement pas. La gêne qui accompagnait son sentiment de fierté et qui l’avait envahie à son arrivée s’était peu à peu évanouie. Elle avait senti Clément se détendre lorsque Roger Pomerleau était venu les rejoindre en soulignant combien il était content de les voir là.

    Pour Marc, c’était autre chose. Du moment où son père lui avait parlé de l’invitation, le garçon plutôt timide s’était fait encore plus silencieux. Il était évident qu’une fête donnée en l’honneur d’une petite fille qu’il ne connaissait pas ne l’emballait pas outre mesure. Clément avait beau avoir tenté de l’intéresser, Marguerite de le supplier de changer d’air, rien n’y faisait. Par-dessus tout, Jacques s’était moqué de son cadet, soulignant à plusieurs reprises que la petite fille n’avait que six ans. Le plus jeune fils de la famille Circé se rendait à la fête à reculons.

    Une fois au milieu de la cohue, Marc s’était senti encore plus intimidé. Tous ces enfants bien habillés, tous ces garçons sûrs d’eux-mêmes, toutes ces petites filles mieux coiffées les unes que les autres n’avaient rien à voir avec l’entourage habituel du Faubourg à m’lasse. Dès lors, son idée fixe de vouloir quitter les lieux et de retrouver ses sœurs et son frère Jacques s’était accentuée. Il avait même demandé à sa mère, devant les hôtes de la journée, s’ils pouvaient quitter la fête. Le regard méchant que Marguerite avait lancé à son fils ne laissait aucune place à l’interprétation. Ils venaient d’arriver et malgré le fait qu’ils n’aient pas beaucoup de temps devant eux, ils allaient apprécier la fête pour un moment encore, question de faire preuve d’un minimum de savoir-vivre.

    Roger Pomerleau avait interpellé sa fille pour la présenter à la famille Circé. Les vœux de joyeux anniversaire lui furent passés par Clément et Margot, mais Marc, l’air renfrogné, n’avait osé aucun son. L’absence de sourire lui avait valu le regard sévère de son père et une petite poussée de sa mère. Le garçon laissait transparaître toute l’aversion qu’il avait pour l’événement et sa présence forcée en ces lieux. Des lieux trop impressionnants. La tête baissée, il n’avait pas fait bonne impression et il avait fait honte à ses parents.

    Soulageant tout le monde d’un certain malaise, la mère de Nicole s’était à son tour présentée au petit groupe avec, dans ses mains, un cadeau qu’elle tendait à Marc. Gentille comme tout, la dame s’était présentée à Marguerite puis à son mari. Lorsqu’elle posa le regard sur Marc, le garçon s’efforçait de sourire d’une manière grotesque, à la demande de ses parents. Sans souligner la chose, la maîtresse de la maison s’était penchée pour remettre à Marc la boîte décorée qu’elle avait, jusque-là, tenue dans ses mains.

    — C’est pour toi, Marc.

    Étonné, le jeune garçon avait enfin relevé la tête. Sur son visage enfantin, une mine intriguée dénonçait la franchise de sa réaction.

    — Oui, oui. C’est pour toi, mon beau.

    La louange empreinte de politesse avait réjoui l’enfant et ses parents. Il était plutôt rare que l’on complimente Marc sur son apparence. Marguerite avait redonné une petite poussée à son fils pour qu’enfin il accepte la boîte emballée.

    — C’est pas ma fête…, avait-il chuchoté en évitant le regard de ceux qui l’entouraient.

    — Je le sais, c’est la fête de Nicole, mais tout le monde a un cadeau aujourd’hui.

    Marguerite, sous le regard de son mari, s’était exclamée à l’endroit de son fils :

    — Qu’est-ce qu’on dit ?

    Marc ne comprenait rien. Lui qui voulait s’en aller recevait un cadeau alors que ce n’était ni sa fête ni Noël. Remerciant timidement la mère de Nicole, le garçon avait porté son regard sur la boîte enveloppée dans un papier coloré luxueux. Jamais n’avait-il vu aussi bel emballage.

    — Ouvre-le, insista Roger Pomerleau, les mains posées sur les épaules de sa fille.

    En quelques mouvements précis, Marc avait débarrassé le cadeau du papier qui le recouvrait. Il avait ouvert les battants de la boîte pour y découvrir une jolie locomotive noire de marque Lionel. Elle avait fière allure ! Marc en avait vu de semblables dans les catalogues de Noël, mais jamais que sur des images. C’était le plus beau cadeau qu’il ait jamais reçu. Il ferait l’envie de son frère Jacques, qui n’en serait que plus choqué de ne pas avoir été invité à la fête.

    D’un coup, la réception ne semblait plus aussi ennuyante pour Marc. Il allait même insister pour rester plus longtemps lorsque Marguerite, n’en pouvant plus de s’inquiéter pour ses autres rejetons, proposerait de s’en retourner. À cause de ce cadeau aussi inattendu qu’extraordinaire, le garçon avait laissé tomber les ornières qu’il portait depuis son arrivée chez les Pomerleau. À bien y regarder, les enfants n’étaient plus si bien vêtus, les garçons avaient retrouvé leurs six ans et les coiffures des petites filles étaient devenues en un instant des coquetteries bien inoffensives. Le Faubourg à m’lasse venait de se transporter dans cette cour arrière d’une maison cossue de Westmount. Subito presto, l’idée de vouloir quitter les lieux était disparue des pensées de Marc. Il n’avait plus si hâte de voir son frère Jacques piquer une crise épouvantable à la vue de sa rutilante locomotive.

    Nicole, désireuse de retrouver ses amis, s’était subitement détachée de son père et s’était précipitée en direction de la foule d’enfants.

    — Vas-y toi aussi, s’était exclamé Roger Pomerleau à l’intention du jeune Circé, de toute évidence subjugué par la locomotive qu’il admirait, comme hypnotisé.

    — Donne-moi ton cadeau, Marc, avait lancé Marguerite, pis va jouer !

    Marc s’était détaché du petit groupe d’adultes sans remettre la tête de train miniature à sa mère. Personne ne toucherait à son trésor. Il en était bien trop fier ! Margot avait compris qu’il ne servait à rien d’insister. Les Pomerleau étaient contents d’avoir eu l’idée d’offrir ces babioles aux invités. Les garçons avaient tous reçu la première composante d’un train ; les filles, quant à elles, avaient eu une petite poupée de chiffon.

    Les parents de Nicole comprenaient que les parents de Marc étaient reconnaissants de cette délicate attention.

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    Dans un coin du jardin, à l’arrière de la résidence des Pomerleau, Marc s’était empressé de placer sa locomotive sur des rails imaginaires. Le train à vapeur devait traverser Montréal d’un bout à l’autre pour livrer ses marchandises et autres biens qu’il avait ramassés un peu partout sur son chemin à travers les États-Unis. Les embûches étaient

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