Brume sur la Presqu'île: Tome 1
()
À propos de ce livre électronique
« - C'est une affaire très délicate monsieur Toirac. Laissez la police faire son travail. »
Des ombres sur la presqu'île ! En venant à Camaret, Jean-Gabriel Toirac n'imaginait pas un instant qu'en évoquant la mémoire d'un grand poète, il allait réveiller d'autres ombres beaucoup plus inquiétantes et mettre sa propre vie en danger. C'est à une véritable enquête policière qu'il se trouve mêlé pour venir en aide à une belle étrangère et la protéger d'un assassin qui veut la faire disparaître.
Un thriller captivant sur les terres bretonnes !
EXTRAIT
Sa chambre était rose et aussi désordonnée que celle de Jean-Gabriel était bien rangée. Elle avait étalé un peu partout le contenu de ses bagages et semblait tout à fait à l’aise en invitant quelqu’un à entrer dans ce bazar charmant. Il sentit un mélange de parfum et de fumée mentholée.
— Tu veux boire quelque chose ? J’ai du whisky.
Elle avait dit ça avec de la gourmandise dans la voix et il se demanda si toutes les jeunes Anglaises buvaient très tôt du whisky. Sans plus de scrupules cependant, il accepta, dut aller dans sa chambre chercher son verre à dents, en profita pour regarder sa tête dans le miroir de la salle de bain. Il était encore bouleversé mais ça ne se voyait pas sur son visage. Il revint très vite et ils s’assirent, lui sur une chaise, elle sur son lit. Comme autrefois dans les salons des précieuses, mais ce soir la précieuse était en jeans et buvait du Knockando dans un verre à dents. Accessoirement, elle était aussi en passe d’être assassinée.
CE QU'EN PENSE LA CRITIQUE
Éditions Bargain, le succès du polar breton. - Ouest France
À PROPOS DE L'AUTEUR
Jean-Pierre Farines vit en Auvergne et en Allemagne. Poète, éditeur d’une revue de poésie et homme de théâtre, il est aussi amoureux de la presqu’île de Crozon. Brume sur la Presqu'île est son premier roman policier.
À PROPOS DE L'ÉDITEUR
"Depuis sa création en 1996, pas moins de 3 millions d'exemplaires des 420 titres de la collection « Enquêtes et suspense » ont été vendus. [...] À chaque fois, la géographie est détaillée à l'extrême, et les lecteurs, qu'ils soient résidents ou de passage, peuvent voir évoluer les personnages dans les criques qu'ils fréquentent." - Clémentine Goldszal, M le Mag, août 2023
Autres titres de la série Brume sur la Presqu'île ( 1 )
- Brume sur la Presqu'île: Tome 1 Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluation
En savoir plus sur Jean Pierre Farines
- Le Phénix est mort à Camaret: Tome 3 Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluation
- Cercueil vide en Mer d'Iroise: Tome 4 Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluation
Lié à Brume sur la Presqu'île
Titres dans cette série (1)
- Brume sur la Presqu'île: Tome 1 Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluation
Livres électroniques liés
- euclide, une rancœur obsessionnelle: roman Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluation
- Hors-la-loi à Groix: Capitaine Paul Capitaine - Tome 13 Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluation
- Les Trois Demoiselles Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluation
- Comme une louve: Roman Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluation
- Secrets salés à Fouesnant: Les enquêtes du commissaire Landowski - Tome 19 Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluation
- Conduite dangereuse Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluation
- La Vedette Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluation
- SI NOIR BAISER: ROMAN Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluation
- Un Pavé dans la Loire: Une enquête du commandant Agnès Delacour - Tome 1 Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluation
- MELANIE A DISPARU Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluation
- Camembert Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluation
- La mystérieuse affaire Bonnadieu - Tome 1: Les enquêtes de Mary Lester - Tome 46 Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluation
- Rendez-vous avec le tueur: Un polar régional haletant Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluation
- Haines: Les trois Brestoises - Tome 1 Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluation
- L'incorrigible monsieur William: Une enquête du commissaire Workan - Tome 5 Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluation
- L'Archer du marais: Enquête en Charente-Maritime Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluation
- Caval à Saint-Guénolé: Les enquêtes du capitaine Paoli - Tome 4 Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluation
- Mortelle suspicion Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluation
- Allers simples pour Ouessant: Chantelle, enquêtes occultes - Tome 10 Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluation
- La cage de l'Albatros: Les trois Brestoises - Tome 2 Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluation
- La gamine au pull-marine Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluation
- Au tour de Violette Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluation
- Le manoir de la douleur Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluation
- Coup de Chaud à Bénodet: Les enquêtes de Maxime Moreau - Tome 13 Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluation
- Saint-Cast priez pour eux: Les enquêtes du commissaire Marie-Jo Beaussange - Tome 3 Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluation
- Oléron couleurs pourpres: Roman policier Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluation
- Agence Tout sur Tous - Le Ballot Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluation
- On a volé Saint-Nonna Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluation
- Mortelle Rencontre Dans La Forêt Du Morvan Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluation
- Dernier tour de manège à Cergy: Une enquête du commandant Perrot - Tome 1 Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluation
Avis sur Brume sur la Presqu'île
0 notation0 avis
Aperçu du livre
Brume sur la Presqu'île - Jean-Pierre Farines
I
La porte s’ouvrait facilement. La jeune fille rousse hésita. Elle en avait assez d’attendre, énervée, ça se voyait dans ses yeux violets. Les derniers éclats du soleil caressaient la maison et les arbres tout autour. Les taillis plutôt, poussés à la diable, avec le temps, et vivifiés par l’air marin. Une lumière paisible et, tout près, les soupirs des vagues qui roulaient doucement les galets. Elle entra, pour se distraire, mais avec l’étrange sentiment de faire quelque chose qui ne se fait pas. Surtout peut-être pour une Anglaise. Les beaux reflets cuivrés s’éteignirent dans ses cheveux. La maison était inhabitée depuis longtemps et une odeur de bois pourri, de moisissure, de plâtre humide parut remuer avec le courant d’air produit par la porte ouverte. Il faisait froid à l’intérieur où le soleil n’entrait jamais. C’était une lourde bâtisse, trapue, bien accrochée à la roche, sans doute réparée plusieurs fois, rachetée et revendue, comme en témoignaient les volets, toujours fermés, déjà abîmés par les embruns mais relativement récents. Les graffiti sur les murs, les carreaux brisés aux fenêtres et le verre pilé sur le sol, les détritus de toutes sortes et ce remugle prouvaient assez que ceux qui entraient ici, parfois, utilisaient l’endroit comme poubelle, ou pire encore.
Et cependant la jeune fille éprouvait la désagréable impression d’entrer chez quelqu’un
. Cette maison lui parut très ancienne, le linteau de pierre en accolade au-dessus de la porte d’entrée et l’épaisseur des murs le prouvaient. Même le froid semblait séculaire. « Comme dans une tombe », se dit-elle, en frissonnant. Elle n’entendait plus les voitures sur la route toute proche. Resserrant autour d’elle les pans de son anorak, elle enfonça les mains dans ses poches. Silence. Et sa propre respiration. La maison était ancienne donc, mais pas assez pourtant pour avoir connu les événements passés qui l’intéressaient. Plusieurs pièces. Cela avait dû être une demeure plus cossue que les maisonnettes du pays. Elle dominait toute la baie et la plage de galets mais on n’entendait pas les vagues. Seulement un silence froid – et l’obscurité chargée d’humidité. 
La jolie Anglaise rousse traversa la première pièce et entra dans une autre. Sous ses pieds, craquaient des gravats et tout ce qu’elle préférait ne pas imaginer. La curiosité la poussait à continuer bien qu’elle ne vît pratiquement plus rien. « Je reviendrai demain », se dit-elle, prête à ressortir, quand elle fut attirée, dans l’ombre, par une masse noire étalée dans un coin. Elle se pencha pour essayer de mieux voir. Montait aussi une autre odeur, métallique, écœurante, qu’elle se refusait à identifier mais qu’elle avait reconnue d’instinct, avant de savoir. Elle chercha, dans sa poche, son paquet de cigarettes qu’elle n’était pas très sûre d’avoir emporté et, à l’intérieur du paquet, son briquet. L’envie soudaine de sortir de là, de retrouver la lumière, luttait contre l’attrait de quelque chose d’horrible qu’elle pressentait, puis la fascination. La flamme orange éclaira le coin de la pièce en même temps que le corps étendu sur le sol. Elle hésitait à comprendre. Un corps étendu sur le dos et qui dormait… Ces mains tendues vers elle, comme pour la saisir ou la repousser… et cette étrange tête ronde. Tentée de toucher malgré tout, tant l’impression était déconcertante, elle tendit la main et la retira aussitôt. Ce n’était pas une tête mais une pierre énorme. Un galet gros comme une tête, sous lequel du sang pas encore coagulé formait une mare sombre qui se mélangeait aux ordures étalées sur le sol. Elle se mit à trembler violemment et se retint de hurler. Émit un gémissement, comme une plainte. Le briquet s’éteignit quand elle fit demi-tour pour s’enfuir et elle ne put retenir son hurlement, cette fois, en heurtant quelqu’un qui était là, tout près, derrière elle.
Repoussant de toutes ses forces la silhouette noire découpée sur la clarté déclinante qui entrait par la porte, elle se retrouva dehors sans savoir comment et se mit à courir sur le chemin en pente vers la mer.
Ses chevilles se tordaient dans les galets mais elle courait vers la lumière du couchant, trop effrayée pour réfléchir, pour penser qu’elle s’éloignait ainsi du chemin par où elle était venue, de la route où elle aurait pu trouver du secours. Seulement courir entre les rochers. Arriver sur la grève, au pied de la falaise juste en dessous de la maison. Puis les lourdes enjambées, derrière elle, de quelqu’un qui jurait en trébuchant dans les pierres. Elle obliqua brusquement sur sa gauche. Ici et là, ses pieds s’enfonçaient dans du sable. La falaise formait une arche et, au-dessous, elle devina l’entrée d’une grotte. Comprenant enfin que la plage était un cul-de-sac n’offrant aucune chance d’échapper à son poursuivant, elle profita des quelques secondes d’avance qui lui restaient pour se jeter dans l’ombre de la voûte rocheuse et s’arrêter là, prête à s’évanouir de terreur.
L’autre passa devant l’entrée sans l’avoir vue et continua sa course. A nouveau, elle ne voyait rien et, à tâtons, s’enfonça dans l’obscurité. Des blocs énormes détachés de la roche lui barraient le chemin. Elle se glissa entre eux, en se cognant douloureusement les genoux et les mains. Le sol s’élevait mais elle réussit à se caler entre un rocher et ce qui semblait être le plafond de la grotte. Dehors les pas revenaient. Immobile contre la pierre, maîtrisant ses sanglots avec ses poings tandis que les larmes ruisselaient sur son visage, elle parvint à se retenir de crier. Une ombre grandit, se découpa sur le jour finissant.
— Putain de salope ! Tu vas pas m’échapper comme ça.
Une voix dure, éraillée, terrifiante.
La jolie rousse replia ses longues jambes, se serra plus encore dans le faible espace entre la paroi et les roches effondrées. L’homme s’approchait toujours puis il s’immobilisa, tâtant les pierres autour de lui.
— J’sais que t’es là. C’est pas la peine de te cacher.
Si proche qu’elle l’entendait respirer, il se tut, immobile maintenant.
Il attendait, écoutait, retenait sa respiration pour entendre. Puis haletait à nouveau lourdement. Elle distinguait, dans l’air humide, l’odeur d’alcool de son haleine.
— Bon Dieu ! C’est sûr que j’t’aurai.
Le froid de la pierre traversait ses vêtements et l’envahissait en même temps que la terreur qui la faisait trembler. Comment ne l’entendait-il pas ?
— J’suis sûr que t’es là, salope. Je t’entends.
De rage, il lança dans sa direction une lourde pierre qui rebondit en produisant une minuscule étincelle, l’effleura. Elle faillit crier, se retint encore de justesse. Son cri resta muet, c’était comme dans les cauchemars d’enfant et elle allait se réveiller. Mais l’ombre restait là bien qu’elle se confondît de plus en plus avec la nuit minérale de la grotte. Alors elle commença à retrouver des bribes de pensée, comprit que ce n’était pas vrai, qu’il ne l’entendait pas et risquait de moins en moins de la voir. Sans quoi il serait déjà venu la chercher… Essayer d’attendre encore. Il bluffait. S’il avait eu des allumettes ou un briquet, il aurait fait de la lumière depuis longtemps et l’aurait trouvée. Il hésitait maintenant, elle le sentait.
— Bon Dieu de merde, j’sais pas par où, mais elle a filé cette garce !
Il fit encore un pas dans l’obscurité. Elle perçut ses mains frôlant la roche, ses pieds qui faisaient rouler les galets, puis elle comprit qu’il doutait, se décourageait enfin. S’éloignait maladroitement, à tâtons. Maintenant, elle luttait contre l’envie de s’enfuir aussitôt et de courir sur le chemin. Mais il l’aurait entendue et vite rattrapée. Il fallait attendre. Attendre autant qu’elle le pourrait. Être sûre qu’il ne s’éloignait pas seulement par ruse, pour la faire sortir de sa cachette. Qu’il avait bel et bien renoncé, croyait l’avoir perdue. Elle resta longtemps. Jusqu’à être certaine qu’il n’était plus devant la grotte. Jusqu’à être transie. Alors elle bougea lentement, osa avancer une main, puis un pied et, pas à pas, sans déplacer une seule pierre, elle se rapprocha de l’arche rocheuse qui marquait l’entrée de la grotte et se dessinait à peine maintenant sur le ciel et la mer confondus dans l’obscurité. Elle reprenait conscience du rythme continu des vagues sur la grève. Comme une respiration paisible qui berçait sa terreur doucement. La protégeait. Personne n’aurait pu l’entendre marcher.
En face, de l’autre côté de la baie, les lumières de Camaret scintillaient sur l’eau calme. Et ici une houle tranquille, régulière, ourlait le rivage d’une écume légèrement phosphorescente qui reculait en murmurant entre les galets. La ville lui paraissait très loin mais, retrouvant un peu plus de sa lucidité elle s’avança hors de la grotte, prête à entendre courir à tout instant. Un peu plus haut, un moteur s’emballait rageusement. Une voiture s’éloigna. Elle devina qu’elle était seule. L’ombre des grands rochers se découpait sur le ciel. Elle revoyait le cadavre au visage écrasé sous une pierre, les mains aux ongles cassés qui avaient voulu se défendre. Les détails lui revenaient et elle se mit à pleurer en montant vers la route. Si son agresseur était revenu à ce moment-là, elle n’aurait même pas eu la volonté de s’enfuir. Incapable de reprendre le chemin côtier qui l’aurait obligée à passer devant la maison, sans chercher à réprimer ses sanglots, la jeune fille marchait dans la nuit, titubait au milieu de la chaussée à peine plus claire que les haies des bas-côtés. Elle se confiait à cette obscurité où elle n’avait plus la prudence ni même la force d’imaginer que quelqu’un pourrait encore la surprendre. Maintenant une voiture arrivait derrière elle, s’arrêtait. Elle entendit une portière s’ouvrir, des pas qui couraient. Elle resta figée, les bras ballants, fixant son ombre sur l’asphalte, dans le faisceau des phares.
II
Jean-Gabriel Toirac se réveilla dans sa chambre, au deuxième étage de l’hôtel Vauban
. L’hôtel tire son nom du quai au bord duquel il est bâti et de la célèbre tour dont s’enorgueillit Camaret, depuis le XVIIe siècle. La lumière du soleil de février passait à travers les fentes des volets et il entendait, en bas, les vaguelettes paisibles qui léchaient les galets du port. Depuis trois jours, il n’avait pas beaucoup travaillé et il avait plutôt bien dormi, c’est-à-dire pas trop fait de cauchemars. En émergeant du sommeil, il se demandait s’il travaillerait beaucoup plus ce jour-là. « L’iode. C’est l’iode qui fait ça, ça dope et puis après vient le coup de pompe et c’est là qu’on récupère. » Ça le rassurait de le penser et surtout de n’avoir pas fait de cauchemars. La mer en hiver aussi. C’était un vieux rêve d’enfant pas encore émoussé malgré tous les voyages. 
Les mains sous la tête, il regardait au plafond les silhouettes que projetait un rayon de soleil reflété par l’eau. « Le principe de la chambre noire. » Il était comme ça, il fallait toujours qu’il explique tout. Ça le fatiguait d’être comme ça, mais surtout ça fatiguait les autres parfois. Un travers d’universitaire.
Quand même, ce petit miracle, une image d’un monde extérieur se formait ici comme un regard d’une autre dimension. Quelques rares passants, quelques voitures défilaient, ainsi dessinés seulement par la lumière, en noir et blanc sur le plafond. Il n’avait pas envie de se lever, comme si ces fantômes lui suffisaient. Moins pénibles que la réalité.
Finalement, il poussa ses volets. Le port, rempli à ras bord par la marée haute, semblait presque désert malgré quelques bateaux de plaisance aux ailes repliées, immobiles, collés sur un miroir au-dessus de leurs reflets. Sur les collines d’en face, les colonnes de nuages noirs et d’un gris presque bleu s’élevaient comme des fumées dans le ciel pâle. Le vent les poussait vers l’intérieur des terres. Une belle lumière pour les peintres. Jean-Gabriel pensa à Saint-Pol-Roux, à ses amis artistes qui étaient venus ici, tous attirés par cette même lumière transparente et magique. Ça lui rappela aussi qu’il était ici pour travailler. Parfois il regrettait, peut-être aurait-il dû se consacrer à l’écriture. Au lieu de ça, il avait préféré étudier celle des autres. Pour gagner sa vie, nourrir sa famille, c’était l’excuse qu’il se donnait au nom de la raison. Ou bien était-ce par faiblesse ? De toute façon, maintenant… Il échappa à cette idée. D’abord déjeuner, pensa-t-il. C’était souvent que la vigueur de son corps lui servait ainsi de bon sens. Il se rappela que le déjeuner de l’hôtel était bon et copieux et cela l’aida à entamer sa toilette. Il étira son mètre quatre-vingts que la fatigue tassait un peu ces derniers temps et commença à raser sa barbe déjà noire de deux ou trois jours.
Quand il descendit au bar, il remarqua à peine une voiture bleu marine de la gendarmerie stationnée de l’autre côté du quai. Deux athlétiques gendarmes, leur képi sous le bras, buvaient un café en discutant avec le patron.
— Inutile de la réveiller, Léo. Ça peut attendre. Nous repasserons dans une heure. D’ici là peut-être…
Sans finir sa phrase, le brigadier coiffa son képi et sortit, suivi aussitôt de son adjoint.
— Et merci pour le café !
Tandis que la voiture démarrait, Léo s’approcha de Jean-Gabriel.
— Alors, bien dormi ?
— Parfaitement merci, je peux déjeuner ?
— Bien sûr !
Il fit quelques pas vers le comptoir puis revint avec son plateau vide sous le bras.
— Vous n’avez rien entendu hier soir ?
— Non, pourquoi ?
— Vers onze heures, quand la demoiselle anglaise est rentrée…
— Rien du tout. Qu’est-ce que j’aurais dû entendre ?
— Non rien ! On a toujours peur que nos clients soient dérangés, il repartait, soupirait, revenait vers le comptoir. Mais là… là, je crois qu’on peut le dire. De toutes façons, vous avez vu les gendarmes. La pauvre ! Elle était dans un état ! Ce sont eux qui l’ont ramenée ici. Anne-Marie a dû lui donner des cachets pour qu’elle dorme.
— Qu’est-ce qui lui est arrivé ?
— Ben, elle a découvert un cadavre. Dans une maison, près d’ici, là, en face, à Trez Rouz.
Avec un air désolé, il montrait les falaises de l’autre côté de la baie, au-delà de la tour Vauban.
— Un cadavre ? Mais c’est une maison inhabitée, je suppose ? Je veux dire hors saison.
— Non. Abandonnée. Oh, elle a été achetée et revendue plusieurs fois. Une fois à des Hollandais, puis à des Anglais, la dernière fois à des Parisiens. C’est toujours pareil – il poussa un gros soupir – ils viennent d’abord en touristes, le pays leur plaît, alors ils achètent un peu n’importe quoi. Et quand ils ont passé leurs vacances deux ou trois années de suite à faire des travaux et à passer la tondeuse, ils commencent à trouver que c’est loin ou bien ils n’ont plus de sous. Alors ils revendent.
Jean-Gabriel regarda dans la direction que lui montrait Léo, là où, un quart d’heure avant, il admirait l’empilement des nuages.
— Et c’est quelqu’un d’ici ?
— On n’en sait rien encore. Il paraît qu’il était tellement défiguré qu’il était méconnaissable.
— Oh ! Quel choc elle a dû avoir !
— Pauvre petite ! Surtout qu’il y avait quelqu’un d’autre… L’assassin sûrement, il l’a poursuivie, menacée ! Elle était morte de peur. C’est malheureux quand même ! Heureusement, elle a réussi à s’échapper, quelqu’un l’a vue, juste à temps, qui courait au milieu de la route et après ça, elle a appelé les gendarmes de la première cabine téléphonique qu’elle a trouvée. Ils sont allés la chercher et ils l’ont ramenée ici après l’avoir interrogée. Elle n’a pas dû leur dire grand-chose, elle est restée dans leur voiture, elle ne voulait pas revenir sur les lieux, ça se comprend, dans l’état où elle était. Bon, je bavarde, mais vous devez avoir faim, qu’est-ce que je vous sers ? Du café, du thé ?
— Thé, avec un peu de lait.
Tout en préparant le thé, Léo se penchait vers la porte de la cuisine, criant pour couvrir le chuintement du percolateur :
— Un petit-déjeuner, Anne-Marie !
Et il racontait ce qu’il savait. Avant de la ramener ici, les gendarmes étaient retournés à Trez Rouz bien sûr et, là où elle le leur avait indiqué, ils avaient trouvé le cadavre d’un inconnu. Pas encore identifié, comme je vous disais
, parce que son visage avait été écrasé avec une grosse pierre. Pas de papiers, naturellement, on n’a pas toujours ses papiers sur soi, ou alors on les a volés. 
— Et la jeune fille ?
— Ben, elle dort encore à cette heure-ci.
Quelqu’un poussait la porte du bar.
— Alors Léo, t’as les gendarmes soir et matin à ce qu’il paraît ?
Un homme, en ciré de marin et pantalon rouge brique délavé, s’asseyait à une table et dépliait le journal. Il se mit à lire puis lança sans lever la tête :
— Un petit café, léger, s’il te plaît.
— Comme d’habitude quoi !
L’autre baissa son journal.
— Et pourquoi ils sont nerveux comme ça, les bleus ?
— Tu sais pas encore ?
Anne-Marie passait la tête à la porte de la cuisine.
— Tu ferais mieux de tenir ta langue. Quel bavard celui-là !
— Mais Jean-Baptiste dira rien. Je le connais. Pas vrai, Jean-Baptiste ?
— Tu parles, il est aussi bavard que toi, et c’est pas peu dire.
Et Léo racontait à nouveau la soirée de la veille. Jean-Baptiste réagissait à son tour par des « oh ! » des « non ! » des « c’est pas possible ! » Puis se pencha sur son journal après un dernier « c’est malheureux quand même. » Pendant ce temps, Anne-Marie apportait le plateau du petit-déjeuner. Jean-Gabriel connaissait la jeune fille en question depuis deux jours. Quand il avait expliqué à Léo qu’il venait à Camaret pour faire des recherches sur Saint-Pol-Roux, celui-ci lui avait tout de suite dit qu’il y avait dans l’hôtel une autre personne qui faisait des recherches justement, mais elle c’étaient des recherches d’histoire, s’il avait bien compris. Et quand la demoiselle était rentrée à l’hôtel, il les avait immédiatement présentés l’un à l’autre. C’était une jeune fille ravissante, rousse, un visage au modelé très ferme mais non dépourvu de douceur, avec une très jolie bouche et des yeux bleu sombre, pratiquement violets. A vrai dire, Jean-Gabriel avait beaucoup pensé à elle depuis. Elle parlait parfaitement français, avec un accent presque imperceptible. Nancy était d’une famille en partie française et avait fait des études d’histoire pour s’intéresser tout naturellement au pays de ses ancêtres. Jean-Gabriel en était précisément là de ses réflexions quand il vit la jeune Anglaise sortir de l’hôtel pour entrer au bar. Elle hésita un instant puis gagna une table proche de la sienne, suivie par les regards des trois hommes.
— Ça va mieux ? s’inquiéta Léo, vous avez pu dormir ?
Elle répondit d’une légère inclinaison de tête. Jean-Gabriel la salua. Elle était complètement différente de la belle fille de la veille. Les traits tirés, les yeux cernés. Elle semblait n’avoir pas dormi et son regard inquiet se posait tour à tour sur chacun des trois hommes. Jean-Gabriel se dit qu’elle avait l’air d’une enfant qui essaie de sortir d’un cauchemar. Juste après, il jugea cette idée très naïve et son imagination, romanesque et même un peu ridicule. Puis Anne-Marie entra dans la salle et s’approcha de Nancy.
— Vous voulez déjeuner ? Il faut prendre des forces. Vous devriez venir avec moi dans la cuisine proposa-t-elle, regardant les hommes comme pour leur signifier d’être plus discrets. Allez, venez, vous serez plus tranquille.
En même temps, elle la prit par la main et la jeune Anglaise se laissa conduire sans un mot. Eux se sentirent vaguement frustrés mais n’osèrent rien dire. Léo alla pousser la porte de la cuisine, peut-être simplement pour manifester qu’il n’était pas tout à fait exclu, et maître chez lui après tout.
— Dis-lui tout de même que les gendarmes sont venus…
Il referma puis se ravisa et poussa la porte à nouveau pour ajouter :
— Et qu’ils vont revenir.
Jean-Gabriel n’entendit pas la réponse. Lui aussi aurait aimé en savoir davantage. Il se versa une deuxième tasse de thé au lait. A l’anglaise justement, le lait et le sucre d’abord, puis le thé par-dessus, qu’il but très chaud, à petites gorgées, en regardant le mouvement des bateaux qui se balançaient légèrement près des pontons au milieu du port. Ça c’étaient les vacances, boire son thé en regardant le mouvement des bateaux qui se balançaient… Par-dessus, on voyait au loin la falaise où Léo lui avait désigné une maison. Il n’avait pas très bien vu. Jean-Baptiste replia son journal et se leva.
— Salut Léo, à plus tard.
Il posa quelques pièces qui tintèrent sur le comptoir.
— Tiens, revoilà les gendarmes !
Léo encaissa la monnaie
— Salut Jean-Baptiste.
La voiture bleu marine s’arrêta en face, au bord du quai. Les deux hommes entrèrent.
— Alors on peut la voir ?
Léo fit un signe vers la cuisine et appela Anne-Marie. La porte s’ouvrit.
— Ah, c’est vous ! Elle est là, elle vient de déjeuner. Ne la maltraitez pas trop, la pauvre !
Et Nancy parut presque aussitôt. Une des deux armoires à glace qui avait un galon de plus que l’autre s’inclina et dit, à mi-voix comme pour s’excuser :
— Vous voulez bien nous suivre ? Ce ne sera pas très long. Mais nous avons évidemment besoin de connaître tous les détails que vous pouvez vous rappeler.
Elle paraissait petite entre les deux policiers, tous les deux blonds avec des cheveux très courts et tous les deux encombrés de leur carrure. Visiblement intimidés par cette jolie fille qu’ils avaient un peu l’air de kidnapper, ils saluèrent en portant la main à leur képi et ouvrirent la porte de verre. En passant, Nancy regarda Jean-Gabriel. Il lui adressa un sourire qu’il voulait le plus encourageant possible. Elle sortit, suivie du brigadier qui répétait : « Ce ne sera pas long. » Ils traversèrent le quai et la firent monter à l’arrière de la voiture. Un reflet dans la vitre la dissimulait et Jean-Gabriel ne la voyait plus. Ils allaient démarrer quand un homme poussa la porte du bar, la tête tournée pour regarder les gendarmes s’éloigner, aller jusqu’au parking, au bout du quai, puis faire demi-tour et repasser devant la vitrine avant de disparaître. Jean-Gabriel aperçut la silhouette de la jeune fille pendant une seconde. Elle lui sembla très seule sur la banquette arrière. Une nouvelle fois, il fit taire son imagination.
— Eh bien ! Cette fois, tout Camaret sera au courant avant midi, murmurait Anne-Marie, en regardant la porte grande ouverte, tandis que l’homme qui entrait saluait bruyamment.
— Qu’est-ce qui se passe donc chez toi,
