Actualiser le patrimoine par l'architecture contemporaine
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À propos de ce livre électronique
L’explosion des formes en architecture contemporaine, parallèlement à la montée d’une prédominance de la signature de l’architecte, semble a priori difficilement réconciliable avec l’extension de la notion de patrimoine. Or, que ce soit pour des raisons économiques, environnementales, fonctionnelles ou patrimoniales, les insertions d’éléments d’architecture contemporaine sur des bâtiments patrimoniaux contribuent au développement urbain et font partie de la praxis actuelle.
Dans cet ouvrage, le phénomène de l’actualisation est décomposé pour comprendre comment celui-ci contribue à reformuler le sens des sites patrimoniaux transformés. Ce processus communicationnel se pose comme une réponse à l’obsolescence patrimoniale. D’objet-relique, le patrimoine devient un projet dynamique, constituant ainsi un genre architectural particulier et indépendant.
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Aperçu du livre
Actualiser le patrimoine par l'architecture contemporaine - Alexandra Georgescu Paquin
Collection dirigée par Luc Noppen
La Chaire de recherche du Canada en patrimoine urbain de l’École des sciences de la gestion de l’Université du Québec à Montréal destine la collection « Nouveaux patrimoines » aux travaux des chercheurs de la relève. Elle cherche à valoriser des études et analyses sur les objets, les traces, les usages et les savoir-faire, mais aussi des représentations et des mémoires, selon une définition élargie des notions de patrimoine.
Titres déjà parus
Le devenir des églises : patrimonialisation ou disparition
Sous la direction de Jean-Sébastien Sauvé et Thomas Coomans
2014, 234 pages, ISBN 978-2-7605-4176-4
Patrimoine mondial et développement : au défi du tourisme durable
Sous la direction de Maria Gravari-Barbas et Sébastien Jacquot
2014, 312 pages, ISBN 978-2-7605-3978-5
Patrimoines urbains en récits
Sous la direction de Marie-Blanche Fourcade et Marie-Noëlle Aubertin
2013, 240 pages, ISBN 978-2-7605-3887-0
Gastronomie québécoise et patrimoine
Sous la direction de Marie-Noëlle Aubertin et Geneviève Sicotte
2013, 288 pages, ISBN 978-2-7605-3835-1
La patrimonialisation de l’urbain
Sous la direction de Lyne Bernier, Mathieu Dormaels et Yann Le Fur
2012, 278 pages, ISBN 978-2-7605-3628-9
Diffusion / Distribution :
Canada Prologue inc., 1650, boulevard Lionel-Bertrand, Boisbriand (Québec) J7H 1N7 Tél. : 450 434-0306 / 1 800 363-2864
France AFPU-D – Association française des Presses d’universitéSodis, 128, avenue du Maréchal de Lattre de Tassigny, 77403 Lagny, France – Tél. : 01 60 07 82 99
Belgique Patrimoine SPRL, avenue Milcamps 119, 1030 Bruxelles, Belgique – Tél. : 02 7366847
Suisse Servidis SA, Chemin des Chalets 7, 1279 Chavannes-de-Bogis, Suisse – Tél. : 022 960.95.32
Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives nationales du Québec et Bibliothèque et Archives Canada
Georgescu Paquin, Alexandra
Actualiser le patrimoine par l’architecture contemporaine
(Collection Nouveaux patrimoines)
Comprend des références bibliographiques.
ISBN 978-2-7605-4149-8
1. Architecture – Conservation et restauration. I. Titre. II. Collection : Collection Nouveaux patrimoines.
NA105.G46 2014 720.28’8 C2014-941777-2
Cet ouvrage a bénéficié de l’apport financier des programmes et organismes suivants :
le Programme des Chaires de recherche du Canada, grâce à la contribution de la Chaire de recherche du Canada en patrimoine urbain – ESG, UQAM (Luc Noppen, titulaire 2001-2015) ;
le Programme de soutien aux équipes de recherche du Fonds québécois de recherche sur la société et la culture (FQRSC), qui subventionne le Groupe PARVI (Groupe interuniversitaire de recherche sur les paysages de la représentation, la ville et les identités urbaines) (Lucie K. Morisset, directrice, 2014-2018) ;
le Programme de Réseaux stratégiques de connaissances du public sur le patrimoine (Programme de Réseaux stratégiques de connaissances du Conseil de recherche en sciences humaines du Canada [CRSH] qui subventionne le Forum canadien de recherche publique sur le patrimoine / Canadian Forum for Public Research on Heritage) (Luc Noppen, Lucie K. Morisset et Martin Drouin, directeurs, 2008-2015).
Les Presses de l’Université du Québec reconnaissent l’aide financière du gouvernement du Canada par l’entremise du Fonds du livre du Canada et du Conseil des Arts du Canada pour leurs activités d’édition.
Elles remercient également la Société de développement des entreprises culturelles (SODEC) pour son soutien financier.
Révision linguistique Micheline Giroux-Aubin, TRADUCT’ART
Conception graphique et mise en pages Interscript
Image de couverture Hufton+Crow
Conversion au format ePub Samiha Hazgui
Dépôt légal : 4e trimestre 2014
Bibliothèque et Archives nationales du Québec
Bibliothèque et Archives Canada
© 2014 – Presses de l’Université du Québec Tous droits de reproduction, de traduction et d’adaptation réservés
À Octav et Mioara Georgescu
Remerciements
Ce livre est une adaptation de ma thèse doctorale, réalisée en mouvement sur deux continents et financée par le Conseil de recherches en sciences humaines du Canada. Il m’apparaît fondamental de reconnaître les influences croisées dans le traitement d’un sujet qui s’insère dans une réalité internationale, dont les frontières sont de plus en plus diffuses.
D’un côté de l’océan, j’aimerais remercier Luc Noppen pour ses remarques pertinentes et son soutien à tous les niveaux, du cheminement de la thèse à cette publication, ainsi que Lucie K. Morisset et la Chaire de recherche du Canada en patrimoine urbain.
De l’autre côté, je suis reconnaissante envers Jean Davallon pour m’avoir inspirée dans un requestionnement des processus de patrimonialisation grâce à son savoir dans les sciences de la communication. Aussi, avec le soutien et les encouragements de Xavier Roigé de l’Université de Barcelone, ce travail est à l’image de sa fabrication, c’est-à-dire réparti entre les deux continents par sa diffusion en Espagne aux éditions TREA.
Les études de cas ont été possibles grâce à la collaboration et à la disponibilité des institutions qui sont le sujet des trois études de cas, soit le musée Reina Sofía de Madrid (le Département des archives en particulier), CaixaForum de Barcelone et le Musée du théâtre romain de Carthagène (grâce à l’accueil de sa directrice, Elena Ruiz Valderas), ainsi que des studios d’Arata Isozaki à Barcelone et de Rafael Moneo à Madrid.
Je remercie aussi Matei G. pour le design graphique des schémas ainsi que tous les architectes et photographes qui m’ont généreusement permis d’illustrer le concept d’actualisation avec des créations contemporaines.
Chaque personne qui m’a appuyée, écoutée, encouragée au cours de ce processus a contribué à l’aboutissement de ce livre. Tout près de moi, merci Enrique et Adriana.
Parce que le patrimoine est une question de filiation, dont la reconnaissance et la transmission forment notre identité, complexe et riche, je dédie ce livre à Octav et Mioara Georgescu.
Table des matières
Remerciements
Introduction
Rencontre de deux univers : la création dans l’existant
L’actualisation, un acte de médiation
La révélation
Musée du théâtre romain, Carthagène [Rafael Moneo, 2008]
La prolongation
Extension du Musée national centre d’art Reina Sofía, Madrid [Jean Nouvel, 2005]
La ponctuation
Accès au CaixaForum, Barcelone [Arata Isozaki, 2002]
L’actualisation par les processus communicationnels
Conclusion
Le projet patrimonial au xxie siècle
Glossaire
Bibliographie
Bibliographie complémentaire
Articles de journaux
Introduction
Rencontre de deux univers : la création dans l’existant
On ne peut restaurer, ou mieux : conserver, qu’à condition de transformer. Il faut actualiser la signification du monument, éclairer le témoignage du passé d’un nouveau jour qui le rende perceptible par une sensibilité de notre époque. Ce sont parfois des éléments nouveaux qui mettent en valeur ceux du passé. (Maheu-Viennot et al., 1986, p. 201)
Les insertions de nouveaux éléments dans une architecture préexistante se font rarement dans l’indifférence, car elles soulèvent des enjeux de société allant au-delà des considérations formelles. Les ajouts contemporains sur des bâtiments patrimoniaux, quand ils revêtent un caractère clairement distinctif par rapport à l’existant, sont au cœur de l’actualité.
L’amalgame nouveau-ancien n’est certes pas récent ; depuis l’Antiquité, le mélange entre les nouvelles constructions et le tissu urbain historique se révèle dans le réemploi des matériaux de monuments importants pour la construction de nouveaux bâtiments (figure I.1), ou encore dans le réaménagement d’édifices existants. Entre cette époque et aujourd’hui, l’avènement de la notion de patrimoine (en constante évolution) et l’éclatement des formes en architecture à l’intérieur de contextes complexes et à l’échelle mondiale ont fait de cette pratique un enjeu qui porte à réflexion.
En effet, la distinction entre les édifications de nouveaux bâtiments et les constructions qui s’insèrent dans l’existant est relativement récente. C’est le Mouvement moderne en architecture au début du xxe siècle qui, en s’inscrivant en rupture avec l’histoire pour s’en libérer et créer un renouveau, a divisé les approches face au tissu existant. En privilégiant les démolitions au profit des constructions nouvelles, ce mouvement a initié la polarisation de la création envers la conservation.
Par la suite, les reconstructions en Europe après la Seconde Guerre mondiale ainsi que la montée du mouvement de conservation des villes et des ensembles historiques, autant sur le Vieux Continent qu’en Amérique du Nord, ont fait ressortir le problème des confrontations ancien/nouveau en architecture. Au centre des débats vers les années 1970, ce problème se manifeste encore aujourd’hui sous diverses formes.
C’est aussi à cette époque que s’est amorcé dans le monde occidental un débat davantage philosophique sur la conservation et les nouvelles interventions dans le patrimoine. Dominique Rouillard (2006, p. 28) spécifie que « faire projet avec
l’existant est une démarche récente dès lors qu’elle intervient comme théorie du projet lui-même, et non comme nécessité ou occasion foncière ». Luc Noppen et Lucie K. Morisset (1995, 1998) ont défini ce genre d’intervention comme un recyclage, qui fait de « l’histoire le matériau du projet », ce qui signifie « que l’on ne recherche plus comment restituer l’histoire – ce qui conduit inévitablement à la copie du passé –, mais plutôt quoi restituer du corpus sémantique que constitue l’interprétation historique » (1995, p. 210). Ainsi, les insertions architecturales contemporaines dans le patrimoine bâti, quand elles visent à l’actualiser, ont à la fois une attention pour la conservation de celui-ci et une considération pour sa projection dans le futur.
La reconversion des édifices et la création architecturale est, comme l’affirme l’ancien président de la section française du Conseil international des monuments et des sites (ICOMOS), Yves Boiret, un acte de transformation qui a des effets autant physiques que symboliques :
La réutilisation des monuments est un acte architectural qui se traduit par l’introduction délibérée d’une intervention contemporaine dans un ensemble préexistant où elle s’exprime selon des attitudes variées dont les conséquences ne sont innocentes ni pour l’intégrité des témoignages en place, ni pour la signification et la portée du message qu’ils contiennent. (1986, p. 8)
Ces doubles transformations, qu’il s’agisse de recyclage ou d’agrandissement de bâtiment, peuvent déranger car elles touchent aux « émotions patrimoniales », pour reprendre l’expression de Daniel Fabre (cité dans Heinich, 2009, p. 65). Ce genre d’émotions peut être ressenti devant l’ancienneté du patrimoine, la rareté, l’authenticité, la présence (liée au contact avec une personne associée à l’objet, par exemple) ou encore la beauté. Si une intervention d’architecture contemporaine sur un bâtiment patrimonial provoque une de ces émotions, cette intervention soulèvera énormément de polémiques, qui ne pourront se résoudre par des questions de style ou de design. Ces émotions sont toutefois l’expression d’une époque et d’une culture particulière (d’abord occidentale) et le changement d’attitude par rapport au patrimoine aura des conséquences sur la réception de ce type d’intervention.
L’enrichissement de la notion de patrimoine à partir des années 1960 et 1970 a complexifié le débat du nouveau dans l’ancien. Tout en reconnaissant l’existence de différentes conceptions du patrimoine (comme celles davantage reliées à la tradition, au savoir-faire, au rituel et au vernaculaire), c’est toutefois la conception occidentale du culte de la trace qui supporte l’idée d’actualisation développée dans cet ouvrage. En effet, la résistance générale face aux ajouts contemporains dans l’existant provient du fait que le patrimoine bâti, dans cette vision occidentale, est considéré comme étant une chose sacrée dont la transformation devient source de problèmes dès lors que l’on touche à cette trace, c’est-à-dire à la matérialité préservée pour son authenticité.
Malgré les débats entre ancien et nouveau, quelques projets amorcent les premières réconciliations de la création architecturale offrant une lecture contemporaine d’un site historique dès l’après-guerre, mais de façon ponctuelle et surtout dans des projets de reconversion ou de réhabilitation. Ces insertions font apprécier l’ancien avec le nouveau en portant un autre regard sur le passé, et elles ont marqué le début d’une longue tradition qui se poursuit encore aujourd’hui, mais sous des formes différentes.
Parmi les pionniers de ce type d’intervention, Hans Döllgast a reconstruit l’Alte Pinakothek de Munich en 1957 en gardant la cicatrice laissée par la bombe qui l’endommagea durant la Seconde Guerre mondiale pour dévoiler une partie de son histoire, et ce, en adoptant une approche moderne. Dans l’Italie de l’après-guerre, l’intervention de Carlo Scarpa au Castelvecchio à Vérone [1964] (figure I.2) est devenue une référence dans le thème nouveau/ancien, grâce à son dialogue avec les différentes strates du lieu par l’utilisation de démolitions et d’ajouts, ainsi qu’en travaillant avec des matériaux modernes. Ce rejet du pastiche a aussi influencé Karljosef Schattner pour célébrer l’ancien par le contraste plutôt que par la copie dans ses interventions dans la ville d’Eichstätt en Allemagne, dès la fin des années 1970.
En 1984, Andrea Bruno a choisi de reconvertir le château de Rivoli à Turin en musée d’art moderne en y insérant des éléments modernes, tout en mettant au jour la stratification temporelle du lieu (y compris les traces de dégradation). La restauration du Castelgrande par Aurelio Galfetti à Bellinzona en Suisse, achevée en 1991, a également apporté une lecture contemporaine du lieu, notamment grâce à l’introduction d’un ascenseur moderne favorisant la circulation verticale et ouvrant la forteresse au public depuis le pied du rocher où il est situé, changeant le rapport du visiteur à l’environnement dans lequel il est placé.
D’autres pionniers se sont illustrés, cette fois par des ajouts démarqués de l’existant, c’est-à-dire dans des structures moins imbriquées que les exemples précédents, avec des parties modernes entières. Oswald Mathias Ungers, au Deutsches Architekturmuseum de Francfort [1984], a utilisé la technique de « la maison dans la maison ». Vidant l’intérieur d’une villa néoclassique datant de 1912, Ungers y a inséré une structure moderne en forme de maison autour de laquelle se situent les espaces d’exposition, jouant ainsi avec les codes architecturaux, thème du musée : « Thus old and new are fused in a new entity, commenting on German’s architectural legacy while providing space for the presentation of Germany’s most recent architecture in drawings and models » (Roth, 1993, p. 509).
Cependant, ce sont plutôt les nombreux agrandissements de musées par l’ajout d’une nouvelle aile dans un langage architectural moderne, vers les années 1960 et 1970, qui ont vraiment instauré le rapport de confrontation et d’articulation de deux éléments architecturaux d’époques différentes dans un ensemble. L’extension de la Bibliothèque publique de Boston par Philip Johnson [1971] fait œuvre de véritable pionnier, suivie de multiples interventions de ce genre, comme l’extension de Marcel Breuer au Cleveland Museum of Art [1971], l’ajout de Kenzo Tange au Minneapolis Institute of Fine Arts¹ [1974], ou encore les deux extensions de Ludwig Mies van der Rohe au Museum of Fine Arts de Houston [1958 et 1973]. Parmi ces quelques exemples, certains ont, à leur tour, subi d’autres extensions à partir des années 1990.
Dans cette décennie et la suivante, les musées ont effectivement été les principaux catalyseurs des transformations architecturales (Powell, 1999, p. 14). Ce genre d’agrandissement présente comme caractéristique une ouverture à d’autres transformations et ne s’impose pas comme un point final sur le bâtiment existant.
Aux États-Unis, la firme Venturi, Scott Brown and Associates a introduit une nouvelle poétique de la reconstruction avec la maison de Benjamin Franklin à Philadelphie [1978], en reproduisant le squelette de l’édifice pour évoquer les formes du passé (figure I.3). Ne s’appuyant que sur des sources historiques et archéologiques fiables, les architectes ont montré les limites de la reconstruction en proposant des formes basées sur les traces mémorielles, laissant le visiteur s’imaginer le reste. Il convient de préciser que, pour les postmodernistes, la connaissance de l’histoire est essentielle au projet ; Robert Venturi et Aldo Rossi, en soulevant l’importance du contexte mémoriel et en portant une attention spéciale aux notions de lieu, de l’existant, de la mémoire et de la signification, ont transformé l’approche typomorphologique en projet d’intervention (Layuno Rosas, 2004, p. 224).
L’approche typomorphologique, provenant de l’école italienne des années 1960 avec, à sa tête, Saverio Muratori (et ses disciples, notamment Rossi), a en effet influencé le traitement du tissu urbain historique. Réagissant en critique au Mouvement moderne, cette approche privilégie le respect des diverses strates historiques et de la relation entre le bâti et le site. Pour cette école, le site est envisagé comme un palimpseste. Ainsi, la structure de la ville moderne ne peut se comprendre sans référence aux temps historiques qui l’ont façonnée, et cette compréhension se fait à travers la forme urbaine et les types qui constituent l’essence du caractère urbain.
Avec la notion de patrimoine en expansion, les conservateurs du patrimoine tentent, depuis les années 1970, de réconcilier création et conservation, mémoire et projet, lors de nombreux colloques et dans différents ouvrages. Trois ans après la IIIe Assemblée générale de l’ICOMOS tenue à Budapest en juin 1972 sur l’intégration de l’architecture contemporaine dans les ensembles historiques, la revue Monumentum consacra un numéro spécial à ce thème. Déjà, on reconnaissait que le débat sortait des considérations esthétiques pour aborder des questions « entre les monuments historiques et la vie, ou même la réelle relation entre le passé et le futur » (Monumentum, 1975, « Introduction »).
Depuis, on a essayé d’encadrer les interventions contemporaines dans des contextes historiques par des normes, des guides, des critères, en prenant en compte de plus en plus d’éléments comme l’identité ou l’authenticité (qui sont encore sujets à débats). On a situé de plus en plus ce type d’intervention à l’intérieur d’un contexte physique en expansion, allant jusqu’aux paysages urbains historiques mis de l’avant dans le Mémorandum de Vienne (UNESCO, 2005).
On tentait ainsi de gérer le contraste, l’inscription dans le contexte, la défense de l’« intégrité » du monument, ce qui a été complètement ébranlé à la suite de la construction du Centre Pompidou à Paris [Renzo Piano et Richard Rogers, 1977] dans les années 1970 ou celle de la pyramide du Louvre par Ieoh Ming Pei, inaugurée en 1989 (figure I.4). Cette façon d’aborder le problème est plutôt glissante, car il semble impossible de normaliser ce type d’intervention en homogénéisant le processus d’intégration sans tenir compte des différents contextes dans lesquels il se produit.
Hormis l’abondante littérature sur les reconversions d’édifices, la plupart des ouvrages qui traitent des insertions d’architecture contemporaine dans des sites historiques abordent le thème soit par le domaine de la conservation (Brolin, 1980 ; National Trust for Historic Preservation, 1980 ; Strike, 1994 ; Semes, 2009), soit par l’architecture, qui favorise la création à partir de l’existant (Smeallie et Smith, 1990 ; Powell, 1999 ; Schittich, 2003 ; Cramer et Breitling, 2007 ; Bloszies, 2012). Malgré certaines positions antagonistes avec, d’un côté, les architectes qui présentent des projets en innovant et en préférant oublier la nostalgie du passé pour se projeter dans l’avenir et, de l’autre côté, les conservateurs du patrimoine qui condamnent les interventions trop en contraste avec l’existant, une certaine réconciliation des positions semble évoluer vers des frontières de plus en plus poreuses.
Les points de vue des deux camps ont été confrontés dans l’ouvrage Context : New Buildings in Historic Settings (Warren et al., 1998). De plus en plus, à cause de problèmes pratiques tels que le manque d’espace ou de budget ou encore par souci écologique (privilégier une approche « durable » de l’architecture plutôt que la démolition et la reconstruction), les ouvrages cherchent à rallier les positions par une approche prescriptive ou encore en montrant de nombreux exemples de réussite – selon leur point de vue – pour encourager ce type d’intervention (Bloszies, 2012).
Si les pionniers mentionnés précédemment ont transformé le paysage urbain historique dans une époque de changement pour l’architecture moderne, les créations architecturales en milieu historique sont toujours d’actualité et suscitent autant de débats et de questionnements sur la façon de les aborder. Des thèses doctorales (Clarelli, 2008 ; Prochazka, 2009) aux mémoires de maîtrise (Kersting, 2006 ; Laferrière, 2007), en passant par les récentes publications sur le sujet (Jäger, 2010 ; Williamson, 2010 ; Bloszies, 2012, entre autres), les approches commencent à se diversifier, tout comme la pratique.
Le site Web d’architecture Europaconcorsi (2014), sous la section « Réutilisation, restauration et restructuration », présentait au printemps 2014 plus de 600 projets récents. Ces projets comportent un volet créatif très fort, ainsi qu’un engagement envers l’existant. On y dénote une préoccupation pour les reconversions, les restructurations et, surtout, le recyclage d’édifices. Le recyclage semble être en effet une solution du présent millénaire qui vise à puiser des possibilités créatrices dans une optique artistique, tout en se préoccupant de la perte et du gaspillage de matériaux et d’espaces pour une action civique, comme l’a démontré notamment l’exposition Re-Cycle au Musée national des arts du xxie siècle de Rome (MAXXI, 1er décembre 2011 au 29 avril 2012).
L’insertion dans le geste architectural
Bien que la problématique de l’insertion du nouveau dans l’ancien soit apparue dans les années 1970, elle n’a pris une place accrue dans le débat public que depuis peu de temps. Steven W. Semes (2009, p. 30) remarque ainsi que les critères pour évaluer les divers arguments sont encore en émergence. L’un des symptômes révélateurs de cette émergence est la confusion dans la façon de nommer la situation : nouveau/ancien, architecture en contexte historique ou dans l’existant, patrimoine/création, etc. Comment alors qualifier cette combinaison ? S’agit-il d’intégration ou d’insertion ?
Un dossier spécial du Mag arts (2007), consacré aux insertions architecturales de la fin du xxe siècle « dans la ville de toutes les époques », privilégie le mot « insertion », « qui place entre et parmi d’autres », qui accepte « la réalité d’avant et celle à venir ». « L’intégration » dans le site réfère davantage au mimétisme, selon les auteurs du dossier, car il y a recours à des techniques comme l’emprunt ou la reproduction, tandis que « l’inscription » serait réductrice, puisque, s’apparentant davantage à l’acte artistique, elle évacue les contextes (social, environnemental, historique) de l’intervention.
Les raisons d’intervenir sur le patrimoine peuvent varier du besoin d’adaptation d’un site à des exigences contemporaines (sécurité, normes modernes, circuit touristique…), à la réhabilitation de la mémoire d’un lieu en l’interprétant ou en le mettant en valeur, en passant par le recyclage d’un site pour lui donner une nouvelle fonction. Elles peuvent aussi être d’ordre économique (attirer des touristes par l’offre d’un nouveau « service patrimonial »), politique (créer l’image d’une ville par une nouvelle architecture ou laisser la trace d’un « supermaire ») ou encore idéologique ou religieuse.
Dans l’énonciation d’un projet, ces justifications peuvent être convoquées pour répondre à la fois au besoin de conservation et à la nouvelle logique de marchandisation de la culture. L’intervention est guidée par une « stratégie de design » qui va au-delà de la stratégie formelle : « a good design concept not only exploits the qualities and possibilities a building offers ; it contributes to contemporary architectural discourse and also upholds sustainability far beyond the guarantee period » (Cramer et Breitling, 2007, p. 95).
Les insertions d’architecture contemporaine sur des édifices historiques posent d’emblée la question de la relation au temps (passé et présent) et de l’approche formelle pour aborder et construire cette relation. Cette approche formelle décline généralement les types de relations entre le nouveau et l’ancien sur un gradient qui va du contraste au mimétisme par rapport à l’édifice existant. Semes (2009) identifie quatre sortes de traitement du « nouveau dans l’ancien », pour reprendre son expression :
1. la réplique littérale,
2. l’invention dans un même style,
3. la référence abstraite,
4. l’opposition intentionnelle.
L’ordre d’énumération de ces traitements correspond à une gradation de la compatibilité à l’existant jusqu’à sa différenciation, ce qui conditionne aussi la perception de la transformation effectuée, le contraste étant généralement perçu par les conservateurs comme menace potentielle du lieu.
C’est justement ce certain contraste entre les deux éléments, l’ajout architectural et le bâtiment existant, qui peut provoquer l’actualisation, où se croiseront ces deux dimensions culturelles et temporelles. Les ajouts appartiennent au langage associé à l’architecture contemporaine, qui est ancrée dans son présent et qui essaie d’anticiper le futur, sans se tourner vers le passé, duquel elle se démarque.
Dans le contexte étudié, certains ajouts peuvent être créés par un « geste architectural », que Florent Champy (1999) définit comme une pratique qui date des années 1980 et qui consiste à utiliser un architecte de renom pour une intervention qui imposera sa marque et qui signe, par son style, le geste effectué. Selon cet auteur, il s’agit d’une stratégie pour « donner une visibilité nouvelle à la politique de l’administration » (p. 13). Le « geste architectural » fait référence à une intervention dont l’objectif est de « faire remarquer l’opération des journalistes de revues spécialisées et des jurés des prix d’architecture, qui contribuent fortement à construire les réputations des architectes » (p. 14). Cette dernière position s’est affirmée avec la montée récente des « starchitectes² ».
Les formes de plus en plus éclatées