Bruno Goussault n'a jamais été chef mais il a dédié sa vie aux fourneaux. On doit à cet ingénieur français l'invention de la cuisine sous vide à "juste température", une technique méconnue du grand public, pourtant souvent utilisée à travers le monde pour remplir nos assiettes.
Un premier bain à 83°C pour "rétracter le collagène", puis un deuxième à 66°C pour garder la "jutosité" de la viande, explique à l'AFP le scientifique, sortant de l'eau des filets de poulet cuits à point dans leur sachet de plastique, bien plus dodus que d'ordinaire.
Un emballage plastique ? Oui, car si l'eau permet une cuisson à coeur et uniforme, elle "agresse le produit et lui pique sa valeur gustative", détaille l'ingénieur agronome qui, fin janvier à Lyon (est de la France), célébrait en grande pompe ses 83 ans, entouré de chefs de renom français et internationaux.
Exemple: "Quand vous faites une blanquette de veau, le jus de la blanquette a le goût de la blanquette, mais la viande n'a plus de goût", tandis que cuits sous vide, les aliments ne perdent ni saveur ni texture, et ils "rétrécissent" moins, assure-t-il. Une fois tendres à souhait, ils peuvent être assemblés à l'assiette ou conservés dans leur sachet.
"J'ai appris aux chefs à mesurer la température pour maîtriser leur cuisson", résume le fin gourmet qui, au début des années 1970, innovait dans son laboratoire pour des industriels de l'agroalimentaire.
- "Aiguilles dans la viande" -
À cette époque, le procédé existait en version bêta. Lui a "amélioré le process", dit-il. "Avant, on ne mettait pas de thermomètre dans l'eau. Les chefs inséraient des aiguilles dans la viande. S'ils se brûlaient avec, ils disaient que c'était cuit, sinon, ils remettaient à cuire."
"C'était n'importe quoi", relate cet enfant des Alpes. Il dit avoir déboulé dans le monde de la cuisine comme un "chiantifique", "parce que j'emmerde tout le monde avec ma science".
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Bruno Goussault détaille sa méthode scientifique de cuisson sous vide à "juste température", le 26 janvier 2025 à Lyon
JEFF PACHOUD - AFP
Plus tard, on le charge d'élaborer de nouveaux plats pour les voyageurs des trains SNCF, main dans la main avec l'illustre Joël Robuchon. Cette collaboration, où "le top chef est devenu l'apprenti d'un scientifique", fera la part belle à la cuisine sous vide.
"C'est grâce à lui que j'ai eu une aura", confie Bruno Goussault, depuis considéré comme LE parangon en la matière, et qui a voyagé aux quatre coins du globe pour enseigner son art.
De leur rencontre naîtra également un centre de formation à Paris, où défilera le gratin de la gastronomie comme les étoilés français Anne-Sophie Pic, Yannick Alléno et Daniel Boulud ou encore l'Américain Thomas Keller.
Bruno Goussault sera aussi le maître Yoda de Stanislas Vilgrain, entrepreneur français installé aux États-Unis et fondateur de Cuisine Solutions, leader mondial de la cuisine sous vide à grande échelle, basé depuis 1989 en Virginie.
L'entreprise, aujourd'hui dotée de quatre usines aux États-Unis, une en France et une en Thaïlande, fournit en souris d'agneau ou encore saumons au citron des compagnies aériennes, ferroviaires et maritimes du monde entier, supermarchés, banquets d'hôtellerie, cuisines de restaurants, et même l'armée américaine.
- "Disciple" -
"Ils ont tout de suite compris, les Américains. Eux n'ont pas de culture culinaire ancrée dans leurs habitudes", glisse Bruno Goussault.
En France, de nombreux chefs étoilés utilisent cette technique de cuisson, mais à bas bruit.
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Bruno Goussault détaille sa méthode scientifique de cuisson sous vide à "juste température", le 26 janvier 2025 à Lyon
JEFF PACHOUD - AFP
Sur les cartes, on préfère dire que l'onglet de boeuf a mijoté à "basse température", plutôt que sous vide. Question d'image.
Un temps adepte de ce procédé, le Lyonnais Christian Têtedoie reconnaît les avantages gustatifs, mais le considère moins adapté aux établissements qui, comme le sien, ont peu de couverts et font leurs cuissons à la minute.
Et puis il y a le plastique qui coince. "C'est ça qui m'a le plus bloqué", indique-t-il à l'AFP. Comme beaucoup de confrères aujourd'hui, il tente en effet d'inscrire la gestion de son restaurant étoilé dans une démarche écologique.
"Je suis très fier de ce que j'ai fait", insiste Bruno Goussault. Du haut de son "âge canonique", le scientifique regrette néanmoins de n'avoir pas encore trouvé de "disciple" pour continuer de transmettre son savoir-faire.
Comment l'explique-t-il? Le souci environnemental, sans doute, mais aussi à cause d'internet qui a "complètement écrasé le système" en facilitant l'accès à la connaissance. "Au début, j'étais triste, mais on ne peut pas aller contre le vent de l'histoire."
Par Bertille LAGORCE / Lyon (AFP) / © 2025 AFP