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Patrimoines du sud – 6, 2017 La restauration des plafonds peints. Réflexions générales autour d’un exemple : la salle d’apparat du château de Malves (Aude) Monique BouRin Georges PuchAL Anne RiGAud Les charpentes de plancher peintes, qu’on appelle en français abusivement plafonds peints, ont orné maints palais, châteaux et grands hôtels urbains jusque et y compris au XViiie siècle lorsque l’évolution des goûts lui substitua le plafond plat, ses stucs et ses peintures. Aujourd’hui, la réhabilitation des centres anciens des villes et l’intérêt croissant pour le patrimoine architectural posent avec acuité la question de leur restauration. certains problèmes techniques, un même support - le bois - et la relative constance de la gamme des pigments utilisés, sont communs à toutes ces charpentes décorées. Mais les cinq siècles pendant lesquels l’élite sociale a souhaité orner de peintures la sous-face des planchers de ses demeures, ont vu les styles, la palette des couleurs, la disposition du décor et même la structure des charpentes se modifier ; la restauration ne se pose donc pas tout à fait dans les mêmes termes pour un hôtel d’époque « classique », vieux d’à peine trois siècles ou pour une charpente médiévale à l’histoire complexe, notamment parce qu’elle a connu plusieurs états successifs. Patrimoines du sud - 6, 2017 63 L’objectif de cet article n’est pas de donner des recettes : il n’y a sans doute pas deux plafonds pour lesquels les méthodes de restauration soient identiques. Mais d’inventorier les situations que peut rencontrer leur conservation/restauration1, de proposer les premières étapes indispensables du cahier des charges, puis de développer un exemple, spécifique, celui du plafond peint du château de Malves, près de carcassonne. La restauration des plafonds peints médiévaux : une longue histoire La restauration des plafonds peints médiévaux n’est pas récente. dès avant le milieu du XiXe siècle, l’intérêt pour le grand patrimoine médiéval est vif autour de Prosper Mérimée, puis de Viollet-le-duc. À narbonne, où il arrive en 1839, Viollet-le-duc travaille d’abord à l’achèvement de la cathédrale Saint-Just, puis au Palais des archevêques que la commune vient d’acquérir pour en faire l’hôtel de ville. Viollet-le-duc ne touche pas au Palais Vieux : son grand plafond, sans doute encore visible dans la vaste salle utilisée depuis longtemps comme grenier, est donc resté hors de son champ d’intervention. on pourrait d’ailleurs penser qu’il n’accorde pas d’intérêt aux décors des plafonds, puisqu’il y consacre bien peu d’espace dans son Dictionnaire de l’architecture2 : trois lignes sur les dix pages dédiées aux structures des charpentes qui les portent. Mais il n’en est rien ; dans les salles et les galeries qu’il aménage dans le Palais neuf, Viollet-le-duc fait peindre les plafonds qui sont, de ce fait, de très utiles témoignages des modèles que les restaurateurs de ce temps ont eus devant les yeux. Les « restaurations » du XIXe siècle car, en effet, quelques restaurations ont lieu dès ces années-là. ce fut le cas de l’immense salle de la diana, à Montbrison3, construite à l’extrême fin du Xiiie siècle par les comtes de Forez, et des lambris qui la couvrent, en forme de nef, décorée de plus de 1700 écus. Son décor avait été redécouvert une vingtaine d’années auparavant par deux érudits locaux, membres de la société française d’archéologie. Achetée par la ville de Montbrison en 1862, grâce à un don du duc de Persigny, ministre de l’intérieur de napoléon iii, elle fut restaurée entre 1863 et 18664. Persigny avait sans doute été en contact avec Viollet-le-duc pour la diana, mais c’est finalement à un architecte lyonnais, puis à sa mort à l’un de ses confrères de SaintÉtienne que le travail fut confié. Le duc y associa la création de la société savante qui porte le nom de la salle. comme dans d’autres pièces de ce type, les salles couvertes d’une charpente en nef, la hauteur en avait été coupée par un plafond installé au départ des voûtes. il fut abattu. outre la reconstruction complète de la façade, initialement en pisé et désormais en pierres, le décor en fut presque intégralement repeint et un impressionnant mobilier de chêne fut installé pour recevoir les livres de la société savante. 1 - La plupart des décors sont des peintures sur bois. Le marouflage de papier existe aussi, mais il est rare en France (certains éléments de la notairie de Béziers). ils posent des problèmes techniques particuliers dont il ne sera pas traité. 2 - Paru en 1868. 3 - dans la plaine du Forez (Loire). 4 - chAZELLE, Marie hélène. « La restauration de la salle de la diana à Montbrison au XiXe siècle (18621866) », Livraisons d’histoire de l’architecture, 2002, vol. 3, 1er semestre, p. 57-73. Patrimoines du sud - 6, 2017 64 de manière contemporaine le logis abbatial de Saint-hilaire, dans l’Aude, dont le décor fut commandé au début du XVie siècle par l’abbé Gérard de Bonnet, a été « restauré » ou plutôt repeint. Le chanoine Boudet, curé de Saint-hilaire, en chargea un peintre toulousain assez en vogue, dont le travail ne donna d’ailleurs pas satisfaction complète5. Si certains closoirs6 semblent seulement repeints, d’autres, notamment des armoiries, sont tout simplement inventés (fig.1, 2). Les transformations sont énormes, affectent le gros œuvre, allongent certaines poutres au point que les «engoulants» originels sont apparus, lors d’une étude récente, largement en avant de leurs ancêtres originaux. L’espace est réorganisé, le décor repensé en fonction du nouveau plan, le plafond est repeint dans ses parties anciennes et dans ses parties nouvelles, inspirées du même style. Fig. 1. Saint-Hilaire (Aude), plafond du logis abbatial ; closoirs imaginés lors de la restauration du XIXe siècle, au-dessus d’une nouvelle cloison. © UDAP de l’Aude. Fig. 2. Saint-Hilaire (Aude), plafond du logis abbatial ; closoirs repeints au XIXe siècle. © Marianne Gramain. Henri Nodet et le plafond de la « salle romane » du palais des archevêques de Narbonne, au milieu du XXe siècle Les principes de restauration n’avaient guère changé lorsque fut décidée l’installation des collections antiques dans le palais Vieux des archevêques de narbonne. Avant d’être musée archéologique, les bâtiments qui entouraient la cour de la Madeleine avaient connu diverses fonctions. La grande salle au plafond peint servait de grenier à blé au XViiie siècle ; elle devint prison comme la plus grande partie du Palais Vieux et fut divisée par des cloisons ; puis école, les cellules se muant en salles de classe. Le gigantesque projet de création d’une bibliothèque publique en 1933 bouleversa l’aile sud, le long du passage de l’ancre, modifia les niveaux, supprima la grande galerie extérieure, mais ne toucha pas à la salle au plafond. Les travaux du musée commencent en 1947, confiés, comme les précédents, à l’architecte en chef des Monuments historiques henri nodet. il est le premier à signaler l’existence du plafond peint de la salle qu’il appelle salle romane. il demande des sondages pour vérifier l’existence de décors muraux, mais sans résultat. Les archives concernant ces travaux sont assez riches : les rapports, les plans de nodet, les comptabilités des entreprises qui assurent 5 - L’historien charles Peytavie et claude-Marie Robion, chargé d’études documentaires aux archives départementales de l’Aude, mènent une recherche sur cette restauration du logis abbatial. 6 - Le closoir est la planchette qui ferme l’espace entre deux solives. Le nom languedocien, attesté un peu plus tardivement est « buget ». cf. BERnARdi, Philippe. «décor et support. Quelques éléments de terminologie relatifs aux charpentes peintes médiévales », Plafonds peints médiévaux en Languedoc, Actes du colloque de capestang, narbonne, Lagrasse, 21-23 février 2008, études réunies par Monique Bourin et Philippe Bernardi, Presses universitaires de Perpignan, Perpignan, 2009, p. 51-66. Patrimoines du sud - 6, 2017 65 les travaux sont conservés à la Médiathèque du patrimoine à charenton et aux archives départementales de l’Aude. Elles permettent de suivre avec une certaine précision les trois années du chantier. Les relevés aquarellés de Marcel nicaud reproduisent avec une grande élégance les closoirs de l’extrémité nord de la salle. nodet ouvre des portes et établit une circulation intérieure dans cette aile de la Madeleine, reconstruit les baies géminées. c’est une véritable chirurgie qu’il opère dans la cour de la Madeleine. Le témoignage d’André camps est précieux : tout jeune, il travaillait pour le compte de l’entreprise narbonnaise Jougla qui assura toute la restauration de la maçonnerie du Palais pendant plusieurs décennies et ce fut à lui que revint le soin d’ouvrir le faux plafond qui masquait la charpente peinte et d’y découvrir le décor originel. Le plafond découvert, certaines poutres furent consolidées, de nombreuses planches changées, tous les couvre-joints remplacés. nodet fit appel à chauffrey et Müller une entreprise parisienne de très grande réputation pour restaurer les peintures. Les écritures relatives à cette partie des travaux constituent un maquis de devis et mémoires7. Selon un mémoire manuscrit établi le 15 janvier 1951, on procède en 1950 à un nettoyage complet du « plafond à poutrelles », avec grattage et vernissage « prêt pour la restauration ». Les travaux sont évalués à 150 000 francs. un autre mémoire dactylographié indique un nettoyage total du plafond (247 m2) et « fixage s’il y a lieu », restauration. on admirera la précision de ces mentions ! un troisième résume l’intervention confiée à l’entreprise parisienne : enlever le badigeon Fig. 4. Narbonne (Aude), palais des archevêques, salle dite romane, closoir qui recouvre le plafond, patiner les éléments remplacés et 4a ; à gauche le bouc n’a pas été restauré, mais le lion de droite, dans son peindre une surface évaluée à 92 m2. épaisse couleur grise, est un repeint Le mémoire d’octobre 1951 écrit pudiquement : restau- grossier. © Pierre-Olivier Dittmar/RCPPM. ration des parties anciennes et reprise des parties disparues. À y regarder de plus près (ce qu’on ne peut faire que sur un échafaudage puisque la charpente est à 6 m audessus du sol) sur 126 closoirs, seuls 46 ont gardé leur décor originel sans altérations sensibles. Quelques-uns ont été fortement repeints et probablement 56 ont été totalement inventés, parfois dans un style terriblement fantaisiste. La manière du XXe siècle, épaisse, souvent faite d’une couleur grisâtre absente des closoirs originaux au Fig. 5. Narbonne (Aude), palais des arXiiie siècle, contraste avec le graphisme aéré du peintre chevêques,e salle dite romane ; une création du XX siècle ! médiéval (fig.3, 4, 5). Le plafond avait plus souffert dans © Georges Puchal/RCPPM. Fig. 3. Narbonne (Aude), palais des archevêques, salle dite romane, la double rangée de closoirs (côté cour de la Madeleine) ; closoirs originaux, closoirs partiellement repeints (en jaune), closoirs « inventés » en 1950 (en rose). © Georges Puchal, Pierre-Olivier Dittmar/ RCPPM. 7 - Médiathèque de l’architecture et du patrimoine, 081/011/0207/03. ces documents sont également conservés dans le fonds versé par les Bâtiments de France aux archives départementales de l’Aude. Patrimoines du sud - 6, 2017 66 sa partie sud. d’en bas, l’ensemble fait illusion. La maladresse de la restauration ne doit pas faire oublier le sauvetage de ce plafond, sans doute le plus ancien de la France méridionale. Pont-Saint-Esprit : le tournant des années 80 Le grand changement se fait en Languedoc8 à la fin des années 80. La restauration de la Maison des chevaliers, ou hôtel Piolenc, conduite à Pont-Saint-Esprit (Gard) par Alain Girard, est une date de référence dans l’histoire de la restauration des charpentes peintes9. de cette maison, on connaissait, depuis les années 1850-1860, la charpente de ce qui est identifié aujourd’hui comme la salle de justice. La grande nef avait été coupée par un plafond à la française à la fin du XVie siècle, mais au-dessus subsistait la charpente peinte dont Léon Alègre avait fait les relevés soigneux, aquarellés, dessinant tous les écus et en identifiant une bonne partie (fig.6). dans les années 1930, un comité d’histoire locale demanda à Marcel Gouron, alors archiviste du Gard, une histoire de Pont-SaintEsprit. c’est lui qui comprit que la salle à la charpente peinte était la salle de la justice royale, et son travail aboutit au classement de la façade et de la grande salle de cette propriété privée en juillet 1942. Lors de sa consolidation, la charpente intéressa plusieurs chercheurs et fit l’objet de relevés photographiques10. Et en 1977, la remarquable thèse pionnière de Jacques Peyron11 attira une attention, qui était bien retombée depuis l’époque de Léon Alègre et Louis BruguierRoure12, sur l’ensemble des plafonds « gothiques » languedociens. on ignorait encore que la maison Piolenc abritait d’autres Fig. 6. Pont-Saint-Esprit (Gard), maison des chevaliers ou maison Piolenc ; la salle de justice. © Maryan Daspet. Fig. 7. Pont-Saint-Esprit (Gard), la restauration de la salle d’apparat de Guillaume Piolenc ; seule pièce entièrement dédiée à son décor médiéval et notamment à son plafond, dans le musée d’art sacré du Gard. © Maryan Daspet. 8 - La médiathèque d’Avignon, installée dans la livrée du cardinal ceccano, fit l’objet d’une minutieuse restauration entre 1976 et 1982. 9 - La Maison des chevaliers, conseil général du Gard, t. 1, La demeure des Piolenc, rédacteur Alain Girard, 2001. 10 - Ad Bouches-du-Rhône, 22 F 122. 11 - PEYRon, Jacques. Les plafonds peints gothiques en Languedoc, thèse de 3e cycle, Montpellier, université Paul Valéry, 1977. 12 - BRuGuiER-RouRE, Louis. « Plafonds peints du XVe siècle », Bulletin Monumental, 1873, p. 570589. Patrimoines du sud - 6, 2017 67 plafonds peints. La maison fut acquise en 1988 par le département du Gard pour y installer le Musée d’art sacré du Gard. une fois de plus, la restauration était menée à partir du moment où le bâtiment passait dans le patrimoine public. L’objectif de la restauration n’était que très partiellement la mise en valeur des décors peints. néanmoins, la salle d’apparat de Guillaume Piolenc leur fut entièrement consacrée (fig.7). La restauration fut menée de manière exemplaire pour l’ensemble de la maison. L’enquête archivistique fut poussée, utilisant notamment les documents inédits apportés par Ludovic de Piolenc. L’archéologie du sol et une lecture méticuleuse du monument complétèrent les acquis textuels, dans une remarquable concordance. c’est lors de l’étude préalable que furent découverts, sous de faux-plafonds, deux ensembles peints du XVe siècle. Les résultats de l’étude conduisirent à l’extension de la protection à l’ensemble de l’hôtel. ils permirent aussi de suivre pas à pas la construction des diverses ailes et leur devenir. L’utilisation de la dendrochronologie et l’observation rigoureuse du décor héraldique donnent des datations concordantes, beaucoup plus sûres que l’observation stylistique qui peut au contraire s’appuyer sur ces éléments de datation et nourrir la comparaison entre les éléments décoratifs de décors monumentaux ou autres, par exemple pour les entrelacs. La restauration repose aussi sur l’analyse des techniques picturales à la détrempe : liant à l’œuf, identification des pigments, teintes posées à plat, rehauts de traits noirs. Alain Girard exprime ce que fut son principe pour la restauration : dénaturer le moins possible le bâtiment, mais ne tromper ni les visiteurs ni les observateurs à venir : un écu repeint, même avec la meilleure intention, fait encourir à nos successeurs un risque d’erreur sur la lecture des émaux13. néanmoins, les quelques 200 pages et plus du volume consacré par Alain Girard à la maison Piolenc laissent très peu de place aux choix de la conservation/restauration. Aujourd’hui, même dans un ouvrage destiné au grand public, les techniques de restauration seraient traitées plus largement. Le tournant n’en est pas moins très net : repeindre est désormais hors de mise. La restauration pose pourtant une vraie question. Les quelques fragments de décors des plafonds restés cachés, sous une baguette ou une planche livrent aujourd’hui les couleurs originelles d’un plafond médiéval : elles sont d’une incroyable violence. À moins qu’on ne préfère parler de leur fraîcheur (fig.8). comment rendre cette impression au visiteur actuel ? on dispose aujourd’hui de la réalité virtuelle projetée ou, comme à la Maison du patrimoine de Lagrasse (Aude), dans l’exposition Images oubliées du Moyen Âge, la présentation, à l’échelle 1, d’un fragment de Fig. 8. Puisserguier (Hérault), maison dite du l’ostal de la famille carcassonne à Montpellier, une viguier, place de l’église ; les couleurs origireconstitution identifiée comme telle, faite avec des nelles révélées lors de la chute d’une pièce de bois qui la recouvrait. pigments aux teintes saturées et contrastées, © Claude Delhaye/CNRS. conformes au goût du Moyen Âge. 13 - La Maison des chevaliers, op. cit., p. 15. Patrimoines du sud - 6, 2017 68 La stratégie de restauration dans les récents exemples languedociens désormais le passage du moyenâgeux au médiéval est acquis : on ne repeint plus le décor des plafonds, même s’ils ont souffert. depuis le temps pionnier de la Maison Piolenc, de « nouveaux » plafonds peints ont été découverts. Plusieurs restaurations ont été menées en Languedoc : à carcassonne dans les demeures des 19 et 51 rue de Verdun, à la maison des infirmières à narbonne, plus récemment au vestibule inférieur des appartements d’Auger de Gogenx à l’abbaye de Lagrasse, dans la partie du logis de l’abbé de Saint-hilaire resté sous le faux-plafond du XiXe siècle, et tout récemment encore, dans un appartement de la rue des Sœurs noires à Montpellier. À Lagrasse, des plafonds démontés, récupérés, puis restaurés, sont présentés à la Maison du patrimoine. L’accord de principe est acquis sur Fig. 9. Saint-Hilaire (Aude), plafond du ; détail d’un closoir repeint la lisibilité et la réversibilité que toute restauration doit as- logis abbatial au XIXe siècle. © UDAP de l’Aude. surer. Reste l’équilibre à trouver entre conservation et restauration : l’atelier Baudin-Savreux écrit en conclusion de son rapport sur le travail accompli au plafond de la maison des infirmières, 8 rue Rabelais à narbonne, au mois d’avril 2009 : Nous avons regretté […] que notre mission se limite à la stricte conservation des éléments polychromes. Nous pensons, en effet, que des retouches picturales effectuées avec modération sur les éléments répétitifs auraient contribué à mieux percevoir la disposition générale de l'ensemble sans en trahir l'intégrité. Sur les closoirs, la lecture de certains sujets aurait été con- Fig. 10. Saint-Hilaire (Aude), plafond du logis abbatial ; détail de la restauration sidérablement améliorée en comblant quelques lacunes. du couloir en 2014. © E. Serrano / AbIl sera toujours possible, le cas échéant, d'effectuer ces baye de Saint-Hilaire. opérations, lesquelles devront alors faire l'objet d'un projet préalable précis. La restauration du logis des abbés de Saint-hilaire est un prodigieux raccourci de l’évolution des pratiques de conservation/restauration depuis le XiXe siècle14. Sont désormais côte à côte, le plafond du XVe siècle tel que le XiXe siècle l’a repeint (fig.9), les tests destinés à faire voir la stratigraphie et le plafond d’origine sous le repeint, enfin le plafond d’origine tel qu’il avait été emprisonné par un faux plafond, légèrement restauré lors de la campagne de l’hiver 2012-2013 (fig.10, 11). Fig. 11. Saint-Hilaire (Aude), plafond du logis abbatial ; les deux aspects du plafond du logis abbatial, version XIXe siècle et version 2013. © G. Puchal/RCPPM. 14 - La restauration a été menée au cours de l’année 2013. La maîtrise d’ouvrage était assurée par la mairie de Saint-hilaire, le maître d’œuvre était Jean-Louis Rebière, architecte en chef des monuments historiques, avec une surveillance archéologique et l’intervention de deux restaurateurs. Patrimoines du sud - 6, 2017 69 un plafond à restaurer : le condensé d’une histoire Apparus au cours du Xiiie siècle en Languedoc, mais aussi en Provence et en Auvergne, présents dans tout l’arc méditerranéen, du Frioul au royaume de Valence et même au Portugal, les plafonds peints ont subi l’histoire des goûts et de leur évolution, parfois brutale. démodés, ils ont connu des sorts très divers, liés pour une grande part au devenir social de la demeure qui les abritait et du quartier dans lequel elle avait été édifiée. Si la demeure qui les abritait a gardé son rang, les plafonds ont été repeints dès le XVie siècle et remplacés par des décors au goût du temps. Ainsi en va-t-il à l’hôtel Boyer de Sorgues à Béziers ou à la maison du 4, place de la halle à Lagrasse. La charpente comporte quatre poutres et couvre une salle presque carrée de 68 m2. des corbeaux en bois moulurés à triple tore supportent les quatre poutres de 8,30 m de portée. cette pièce avec cheminée a été divisée en plusieurs espaces, probablement au XViie siècle. La poutre de façade a disparu lors du recul de la façade moderne. des 85 closoirs que la charpente devait compter originellement, il n’en reste plus que 68. un closoir protégé par le manteau de la cheminée et le décor végétal de certaines solives sont les seuls témoins du décor du XiVe ou XVe siècle qui a été remplacé par un décor au pochoir du XViie siècle, appliqué sur l’ensemble du plafond, en très bon état de conservation. Mais plus souvent, le rang social du propriétaire s’est abaissé : les salles d’apparat qu’ils ornaient ont changé de fonction, tout en restant des locaux d’habitation ; elles ont été partagées en plusieurs pièces. Le décor ancien a été recouvert par un badigeon ou un faux plafond, sous lequel on les retrouve aujourd’hui. Plus rarement, la transformation de la demeure a été si radicale que la pièce d’apparat est devenue local de stockage, grenier15. Le plafond y a survécu tant bien que mal au gré des toitures effondrées et des dégâts des eaux. Les insectes xylophages ont en outre ajouté leurs outrages à ceux infligés par les humains. Les variations environnementales ont aussi atteint plus ou moins gravement les pigments et entraîné leur pulvérulence. des rénovations violentes : les décors-puzzle Les souffrances sont parfois d’origine mécanique et humaine. il arrive que les plafonds aient été démontés et remployés, notamment les planches en voliges. ce fut le cas de la maison de la rue des cancans à Lagrasse, aujourd’hui identifiée comme la maison de Bérenger Mage, le viguier de l’abbé16. Le remploi perturbe alors l’ordonnance originelle du décor de la charpente. 15 - c’est le cas à narbonne, au palais archiépiscopal. Mais aussi à capestang (hérault) au XViiie siècle. Les cloisons qui divisaient l’espace sous la charpente peinte ont disparu. Plus tard, deux travées furent intégrées sous de faux plafonds à une maison mitoyenne, élevée au milieu du XiXe siècle, tandis que l’autre restait grenier et que le niveau du sol était abaissé d’un mètre. Aujourd’hui que les faux plafonds ont été supprimés et que la salle est un espace unique, comme elle l’était devenue au XViiie siècle, le contraste entre l’état de conservation de la polychromie des deux parties est très marqué ; les couleurs de l’espace protégé par un faux-plafond au cours du XXe siècle sont d’une puissance éclatante. 16 - SARRET, Jean-Pierre, FoLTRAn, Julien, LAnGLoiS Gauthier, « La maison de Bérenger Mage, viguier de Lagrasse au Xiiie siècle, et son plafond peint historié», Bulletin de la société des études scientifiques de l’Aude, supplément numérique au t. cXVi, 2016. Patrimoines du sud - 6, 2017 70 Bien plus violentes encore sont les réhabilitations qui ignorent les peintures du plafond ou les détruisent consciemment : combien de charpentes de plancher sablées, où le décor méconnu a disparu pour laisser la place à un rustique « plafond à poutres apparentes »? Tel fut le cas de la maison dite maison Balat à capestang. La somptueuse cheminée y demeure, mais le plafond en a disparu. néanmoins le saccage est parfois interrompu avant qu’il ne soit irrémédiable et le restaurateur se trouve devant un puzzle peu lisible. Être réduit à un amoncellement de petits morceaux peints arrachés et destinés à la déchetterie fut le sort funeste, un jour de mars 1999, de l’une des plus belles charpentes peintes du Languedoc, dans l’hôtel des carcassonne à Montpellier, pourtant classé. Les barres à mine, auxquelles l’architecte avait confié cette maison qui avait été aux carcassonne, puis aux Gayon, avaient eu rapidement raison d’une splendeur, il est vrai, en grande partie cachée par la crasse et un badigeon. Mais des parties cachées de la charpente avaient gardé toute leur polychromie et à l’intérieur de la maison, quelques personnes qui virent tomber du plafond des étoiles d’or alertèrent les services de l’inventaire. Bernard Sournia et Jean-Louis Vayssettes17 reconnurent au milieu des gravats les décombres du plafond peint. Le nettoyage et la reconstitution du puzzle furent confiés à Pascal Mariteaux, au LAMM18, qui proposa en 2009 un protocole de conservation-restauration portant sur une planche en bois de 78,5 cm de longueur, 12,5 de largeur et 1,3 cm d’épaisseur, qu’il identifia, à cause de sa longueur, comme un fragment du bandeau qui courait en haut des murs, juste sous le plafond et figurant un motif végétal. Aujourd’hui entièrement restaurés après un long séjour au LA3M (fig.12a, b, c), les quelques beaux fragments de décor qui purent être sauvés sont, pour une part, exposés à Lagrasse. Fig. 12. Montpellier (Hérault) ostal des Après avoir été remployé comme voliges d’une grange, Carcassonne, rue de la Vieille ; étapes de le (ou les) plafond de la maison de Bérenger Mage faillit la restauration du centaure par le LA3M, Université d’Aix-Marseille - CNRS. subir un sort équivalent. La maison avait été acquise par 12 a : avant dégagement ; un Anglais séduit par le village de Lagrasse et il la 12 b : après dégagement ; 12 c : frise du centaure après masticage. restaura lui-même, pendant plus de sept ans, avec des © P. Mariteaux / LA3M. 17 - Auteurs de l’ouvrage fondamental : SouRniA, Bernard, VAYSSETTES, Jean-Louis, Montpellier : la demeure médiévale. Paris, imprimerie nationale, 1991. (inventaire général, Études du patrimoine, no 1). 18 - ce laboratoire de l’université d’Aix-Marseille est depuis 2012 le LA3M, ou laboratoire d’archéologie médiévale et moderne. Patrimoines du sud - 6, 2017 71 artisans locaux, qui assurèrent notamment le démontage de la toiture. Au cours de cette longue période, en décembre 2004, les voliges furent arrachées sans ménagement et stockées dans la cour. Le lendemain, la pluie avait nettoyé ces planches et le propriétaire vit apparaître des dessins polychromes ; il tria les planches qui en portaient et les mit à l’abri dans son atelier. Entre temps, en 2012, l’intérêt de Lagrasse pour les plafonds peints, dont elle possède un nombre élevé et d’une qualité certaine, s’était affirmé. L’ancien maire du village, qui connaissait l’histoire récente de cette maison, fit le lien entre le propriétaire, l’unité départementale de l’architecture et du patrimoine de l’Aude (udAP) et Jean-Pierre Sarret archéologue, habitant de Lagrasse et membre très actif de la RcPPM19. Le propriétaire accepta le transport de ce monceau de planches (121 fragments de planches, solives et couvre-joints) à la Maison du patrimoine de Lagrasse qui disposait d’un espace suffisant pour en étaler une grande partie. Les étudiant avec soin, Jean-Pierre Sarret vit apparaître des trames décoratives différentes (fig.13a, b, 14a, b), dont une présentant des chevaliers, proches de sceaux équestres, avec leurs armes figurées sur le bouclier et le caparaçon du cheval (fig.15a, b). La restauration fut entreprise, en commençant par une période d’anoxie. Actuellement à peine 15% de ce plafond20, que la facture et l’héraldique datent de la décennie 1270, ont été restaurés (fig.16a, b). Fig. 13 a et b. Lagrasse (Aude), maison du patrimoine : fragments du plafond de la maison Mage (rue des cancans) avant restauration. © Jean-Pierre Sarret. Fig. 14 a et b. Lagrasse (Aude), maison du patrimoine : après restauration. © Jean-Pierre Sarret. Fig. 15 a et b. Lagrasse (Aude), maison du patrimoine ; détails. © Jean-Pierre Sarret. 19 - Association internationale de recherche sur les charpentes et plafonds peints médiévaux, fondée en 2008. 20 - il est aussi exposé à la maison du patrimoine de Lagrasse. Patrimoines du sud - 6, 2017 72 Fig. 16 : Lagrasse (Aude), maison du patrimoine. 16 a : la restauration du décor de l’ostal des Carcassonne exposée à la maison du patrimoine ; 16 b : reconstitution du décor. © G. Puchal / Mairie de Lagrasse. À Lagrasse ou à l’ostal des carcassonne de Montpellier, il s’agit de cas extrêmes où, à la difficulté du nettoyage, s’ajoute ce travail de reconstitution d’un décor. En règle générale, les souffrances ont été lourdes, la saleté épaisse et de nature incertaine. Pourtant les dégâts sont moins irréversibles qu’on ne le penserait si le restaurateur procède selon les techniques appropriées. démonter pour restaurer La restauration d’un plafond peint implique en général du gros œuvre (couverture, étais etc.) et de la charpenterie, notamment dans le cas de bâtiment ayant souffert d’abandon ou de mauvais traitements. il est presque toujours nécessaire que la charpente peinte ne soit plus porteuse. Malgré les protections qu’on peut appliquer sur les closoirs, il faut parfois se résoudre à démonter le plafond pour en assurer la conservation. Aussi rarement que possible, parce que les closoirs contribuent à la stabilité de la charpente et que malgré le soin apporté au stockage temporaire21, les interversions de closoirs sont fréquentes lors du remontage. Mais l’avantage de la dépose du plafond est qu’évidemment, tant le traitement curatif destiné à détruire les insectes xylophages22 que les possibilités d’études photographiques et même la restauration des closoirs, s’en trouvent considérablement simplifiés. c’est le parti qui fut pris à la Maison des infirmières, à narbonne. c’est celui qui vient d’être pris à la maison dite du viguier à Puisserguier (hérault) (fig.17a, b). 21 - on reste cependant confondu par les interversions de closoirs, même dans des interventions assez récentes. Ainsi à capestang, malgré la rigueur de l’organisation spatiale de certaines poutres, plusieurs closoirs n’avaient pas été remis à leur place originelle lors des interventions qui se sont échelonnées entre la fin des années 70 et le début des années 80. ils ont été remis en place lors de l’étude conduite sur le plafond par claire delhumeau et Jean-Luc Mulhauser en 2011. 22 - notamment le traitement par anoxie. Patrimoines du sud - 6, 2017 73 Fig. 17. Puisserguier (Hérault), maison dite du viguier, place de l’église : 17 a : protection des closoirs ; 17 b : après démontage du plancher. © Frédéric Mazeran. cette opération éminemment délicate a été conduite à Puisserguier par l’architecte du patrimoine Frédéric Fiore23 au cours de l’été 2016. Les closoirs étant soutenus par-dessous par des pièces de bois, clouées et peintes, il a fallu les extraire par le haut de la fente ménagée dans la face des solives, fente oblique dans laquelle les closoirs ont été glissés avec précision. connaître un plafond : outils techniques et scientifiques Quelques outils viennent donner une connaissance approfondie du plafond. ils peuvent paraître simples, comme les relevés photographiques, mais sont parfois décevants s’ils ne sont pas accomplis par des techniciens ou des scientifiques avertis des difficultés inhérentes à la restauration des plafonds peints. Les relevés photographiques un plafond n’est jamais assez photographié, avant comme au cours de sa restauration. Le relevé initial, ou relevé d'architecte, poutre à poutre, est le premier outil à mettre en œuvre. il est aussi le support de référence sur l'ordonnancement des éléments essentiels du plafond (poutres, closoirs...). ce document de référence accompagne ensuite tous les travaux effectués sur le plafond. il doit porter sur les closoirs, mais doit se garder de s’y limiter, tant le reste du décor a de l’importance. ce relevé est à compléter par une campagne de photographies documentaires, aussi exhaustive que possible. Le relevé photographique sera le témoin graphique le plus précis et la référence scientifique de l'état initial du plafond, avant toute intervention. il importe de le confier à un professionnel de la photographie, connaissant les problématiques particulières de la prise de vue des plafonds, et travaillant sous le contrôle d'un expert en plafonds. ce relevé photographique doit être accompagné d'un cahier technique décrivant les outils, techniques et protocoles mis en œuvre par le photographe24. Avant intervention du restaurateur, il est bon de doubler la campagne photographique 23 - Elle a été présentée par Frédéric Fiore et Frédéric Mazeran au colloque organisé par le cicRP et la RcPPM à Marseille en septembre 2016, Connaissance, conservation et restauration des plafonds peints médiévaux en Europe : méthodes et approches scientifiques, dont les actes sont à paraître. L’exemple de la dépose effectuée à Puisserguier a été filmé. L’extraction des closoirs se fait assez aisément par la mise en place d’un vérin qui écarte très légèrement les solives. 24 - Voir sur ce point sur le site de la rcppm, dans la rubrique Études et documents, Les bonnes pratiques photographiques. Patrimoines du sud - 6, 2017 74 documentaire par une campagne de photographies scientifiques ciblée sur les parties du plafond présentant des problématiques particulières (occultation du décor par de la suie, par exemple). La réflectographie infrarouge et la fluorescence ultraviolette sont les techniques actuellement utilisées par les laboratoires du patrimoine25. dans les meilleurs cas, ces techniques permettent d'apporter une analyse non destructive des pigments et d’identifier les procédés picturaux : poncifs, traits ou incisions préalables. Dater un plafond dater un plafond n’est sans doute pas une démarche essentielle à la détermination d’un protocole de restauration. Mais c’est évidemment un élément fondamental de sa connaissance. Pour un plafond peint, deux dates sont importantes : d’une part celle de la charpente, c’està-dire, à défaut d’un contrat entre le commanditaire et le charpentier, celle de l’abattage des arbres, et d’autre part celle du décor. on sait que le bois d’une charpente ne doit pas être trop sec pour faciliter sa mise en place, mais que pour de très vastes charpentes, l’abattage peut se prolonger sur plusieurs années. La dendrochronologie permet le plus souvent de fournir une date assez précise de la date d’abattage des arbres26. on sait aussi qu’il est préférable d’attendre quatre ou cinq ans de séchage après l’abattage lorsque la charpente plane est destinée à être peinte. Le décor peut être contemporain de la mise en place de la charpente, ce qui permet de peindre l’essentiel des pièces au sol. Mais le décor peut être aussi bien postérieur, comme au château de Pieusse (commune de Limoux, Aude), où près de deux siècles séparent la construction du donjon et l’abattage des poutres au milieu du Xiiie siècle d’une part et le décor commandé par l’archevêque Pierre de la Jugie d’autre part (fig.18). dans le cas de plafonds à poutres et solives, l’observation des bords des closoirs permet de voir si la peinture déborde sur les solives ou si elle passe dans la rainure ménagée dans la solive. L’héraldique est souvent d’une précision remarquable : le croisement des dates de naissance et de mort des grands personnages dont les armes sont figurées sur la charpente donne le laps de temps pendant lequel le décor Fig. 18. Pieusse (Aude), château ; décor du plafond. Les planches ont peut-être un décor antérieur aux solives où se repère le thème des perruches, présent dans le décor du tombeau de Pierre de la Jugie. © Georges Puchal/RCPPM. 25 - ces diverses techniques ont été employées par le cicRP pour analyser quelques closoirs du plafond de la maison dite du viguier à Puisserguier. Elles l’ont été de manière très convaincante par Gianluca Poldi : cf. « importanza dei metodi non invasivi di indagine scientifica per i soffitti dipinti medievali » : Actes du colloque de Marseille, op. cit., note 23, à paraître. 26 - il arrive que les échantillons ne soient pas interprétables. c’est le cas dans l’immeuble de la rue des sœurs noires à Montpellier où un plafond, sans doute parmi les plus anciens de la région, a été récemment restauré. il y a aussi une certaine difficulté à évaluer le nombre de cernes manquants, quand l’aubier du bois de charpente a été éliminé. Patrimoines du sud - 6, 2017 75 a été commandé et réalisé : pour l’hôtel de Brignac, à Montagnac (hérault), les derniers mois de 1446 ; à Pont-Saint-Esprit, l’année 1450. Mais la discordance entre dendrochronologie et héraldique, entre construction de la charpente et pose du décor, n’est pas impossible. L’analyse des pigments Les analyses physico-chimiques effectuées par des laboratoires spécialisés, sur des prélèvements, permettront de connaître les composants des pigments, mais aussi l'ordre de superposition des couches, l'imperméabilité ou la porosité entre elles. Elles apportent toute une série d’informations majeures sur les conditions de réalisation du plafond : le soin avec lequel les pigments ont été broyés, la rapidité avec laquelle le travail a été effectué, selon que chaque strate a eu le temps de bien sécher ou non. Elles seront déterminantes pour savoir si le décor a été effectué lors de la pose du plafond ou s’il a été réalisé ultérieurement, selon l’absence ou la présence de grains de poussière entre le bois et la première couche de peinture (fig.19). La nature des pigments et celle de la préparation sont aussi des indices de la qualité du travail. une préparation du fond faite de plâtre et de colle animale signale un travail raffiné ; a fortiori la présence de feuilles d’étain, d’argent ou d’or. Mais l’orpiment n’est pas sans valeur. Parmi les rouges, le minium est plus commun que le vermillon et la laque plus appréciée encore. En Languedoc, le bleu est d’indigo ; sur aucun plafond il n’a été reconnu d’azurite ni de bleu outremer (ou lapis lazuli). Les analyses permettent aussi d’identifier les techniques picturales, entre liant protéique, détrempe à la colle animale ou détrempe à l’œuf, liant protéique mêlé à des lipides ou peinture à l’huile27. Fig. 19. Narbonne (Aude), palais des archevêques de Narbonne ; détails de la stratigraphie de l’échantillon prélevé sur un projectile (scène de la machine de guerre). Photomicrographie réalisée par microscopie optique et image obtenue par microscopie électronique à balayage (MEB) de la même section. Au centre de la couche picturale jaune, on distingue un grain d’orpiment très mal broyé puisque sa taille est proche du demi-millimètre. Les couches picturales sont assez épaisses : la pâte picturale était plutôt dense et manquait de fluidité lorsqu’elle a été appliquée. On remarque également un mauvais broyage des pigments, en particulier du blanc de plomb et de l’orpiment, qui donne lieu à des grains très grossiers et contribue à l’empâtement observé. De plus, on peut voir une certaine interpénétration des couches l’une dans l’autre, qui indique que les coups de pinceau servant à appliquer la nouvelle couleur ont déplacé la matière colorée déjà sur le support mais encore fraîche. Il s’agit donc d’une exécution très rapide où les couches successives n’ont pas eu toujours le temps de sécher. © Sarah Boularand/patrimoni consultors, Université de Barcelone. 27 - Ainsi, les analyses faites par Sarah Boularand (laboratoire Patrimoni, Barcelone) au plafond du palais des archevêques de narbonne ont révélé un liant à base d’une substance de nature protéique et d’un lipide, ce qui correspond à la définition d’une technique a tempera. La palette est assez limitée : un blanc, un noir, différentes tonalités de gris, un rouge pour le fond qui recouvre une base orange et des touches très ponctuelles de couleur jaune. Les pigments qui permettent l’obtention de ces teintes sont le blanc de plomb, le noir de charbon, le lac-laque, le minium et l’orpiment, matériaux qui sont aussi bien des pigments minéraux ou organiques d’origine naturelle que des pigments synthétiques ; la plupart d’emploi courant et bon marché, mais le lac-laque est un pigment d’origine lointaine et de grand prix (cf. Plafonds peints de Narbonne, direction générale des affaires culturelles, occitanie, coll. patrimoine protégé, p. 60-61). il y a beaucoup de points communs entre les pigments utilisés dans les divers plafonds languedociens, mais on note parfois des usages exceptionnels, comme la dolomite pour les rehauts de blanc au plafond de Puisserguier, tandis que pour tous les autres les peintres usent du blanc de plomb. cf Sarah Boularand, « usages des pigments sur les plafonds peints médiévaux dans l’arc méditerranéen », à paraître dans RcPPM-cicRP, Actes du colloque de Montpellier, 2016, op. cit., note 23. Patrimoines du sud - 6, 2017 76 Muni de ces informations et de ses propres observations, le restaurateur choisira entre les procédés mécaniques, le scalpel ou le nettoyage au papier japon, la brossette, le pinceau, le bâtonnet de coton, les compresses, le nettoyage à l’eau ou à l’eau additionnée de quelques pourcents d’ammoniaque ou au carbonate d’amonium. il jugera de la nécessité de refixer les écailles de peinture soulevées et les sulfatations. Les tests sont indispensables, le risque grand pour le restaurateur d’enlever de la matière picturale toujours très mince et parfois d’aller jusqu’au bois. Avant de laisser la parole au restaurateur et à son expérience, reste à souligner le difficile choix du degré de restauration. S’il peut y avoir des doutes sur les meilleures stratégies de conservation, le degré de restauration reste un choix toujours délicat entre le goût actuel, le respect de l’objet en son état actuel et la découverte des couleurs originelles si vives que révèle telle pièce restée cachée. Que faire, par exemple, à Puisserguier, lorsque se posera la question de la restauration de ce plafond peint par un peintre ou un atelier talentueux entre simple nettoyage et restauration plus poussée? Monique BouRin, Georges PuchAL Association internationale de recherche sur les charpentes et plafonds peints médiévaux (RcPPM) unE EXPÉRiEncE dE RESTAuRATion : LE chÂTEAu dE MALVES La salle d’apparat du château de Malves-enMinervois, situé à une douzaine de kilomètres de carcassonne, fait partie des expériences récentes abouties de conservation-restauration. Le château de Malves, construit par la puissante famille carcassonnaise des Bellissens entre la fin du XVe siècle et les dernières années du XVie époque à laquelle il fut embelli, possède une charpente plane peinte datant de la fin du XVie siècle (fig.20). Selon l’angle avec lequel on le regarde, plusieurs niveaux de lecture se découvrent. La composition des poutres offre à voir des chimères, des paysages dans des cartouches, et des scènes de la commedia dell’arte. des fleurs naturalistes sont peintes sur les planches ; des entrelacs géométriques rehaussés de pierres précieuses et d’ornements unissent les solives en un motif que l’œil suit dans son mouvement. Fig. 20. Malves (Aude), château ; vue d’ensemble du plafond, après dépose du faux plafond du XVIIIe siècle. © A. Rigaud. Fig. 21. Malves (Aude), château ; nettoyage de la poutre. © A. Combenègre. Patrimoines du sud - 6, 2017 77 La mission de conservation a consisté en la mise au jour de ce plafond, caché par un autre, en plâtre. La désinsectisation et la consolidation du bois et des pigments assurent la longévité du décor. La particularité du travail fut de procéder au fixage des pigments pour révéler les ornements disparus (fig.21). Les trois quarts des repeints grossiers destinés à masquer des fleurs de lys ont été supprimés pour ne garder qu’un témoignage des modifications que la période révolutionnaire a apporté au décor. Les peintures et leurs lectures Les décors peuvent se lire de diverses manières. de prime abord, le regard est retenu par les poutres maîtresses illustrées de scènes narratives et émaillées de médaillons en grisaille ou polychromes portant un paysage le plus souvent au fil de l’eau. Scènes de la commedia dell’arte, de chasse ou narratives, sont accompagnées de grotesques, animaux hybrides issus du vocabulaire médiéval. Les saynètes entre chaque cartouche paysager sont ludiques, voire à connotation sexuelle, et délivrent certainement un message, une référence à des scènes connues de la commedia dell’arte. Parmi les grotesques, des rinceaux d’acanthes sortent des personnages masqués, l’un aux grandes oreilles, l’autre avec des cornes (fig.22), le dernier porte un visage vert aux moustaches et barbichette démesurées (fig.24). Les thèmes de la chasse, du combat sont récurrents, comme celui du banquet ou du porteur d’aiguière (fig.22, 23). ces scènes burlesques alternent avec des créatures métamorphiques, issues d’un songe coloré d’étrangeté et d’ironie (fig.25). Fig. 22. Malves (Aude), château ; personnage de la commedia dell’arte, scène festive à l’aiguière. © A. Rigaud. Fig. 23. Malves (Aude), château ; Pantalon au visage léonin : l’utilisation de ce vert acide est unique pour ce décor peint, ou bien c’est le seul à nous être parvenu intact, car il est très fragile. © A. Rigaud. Fig. 24. Malves (Aude), château ; scène chez le barbier exécutée par une autre main, plus charnelle et satirique. © A. Rigaud. Fig. 25. Malves (Aude), château ; chimère avec corne d’abondance. © A. Rigaud. En seconde lecture, il faut alors prendre du recul dans cette pièce longue de 15 mètres sur 6. nulle place au vide, chaque espace est rempli. Le principe décoratif des solives ne se livre Patrimoines du sud - 6, 2017 78 pas aisément à un spectateur qui découvre pour la première fois le plafond peint. il faut prendre une certaine distance et regarder la composition légèrement de biais pour en apprécier la régularité et l’astuce optique et géométrique. Les solives viennent alors au premier plan en escamotant les planches peintes, et le regard peut alors en reconstruire le schéma géométrique : jeu des cercles s’opposant aux carrés, symbolisent le temps et l’espace. En troisième lecture, les planches les plus éloignées du sol, offrent une déclinaison de fleurs réalistes dont les essences peuvent facilement être identifiées. La technique d’exécution La pièce comprend sept poutres maîtresses, ancrées dans la maçonnerie du mur. La nature du bois utilisé est de type résineux. des moulures, larges de 11 cm, avec doucine, servent de transition entre la poutre, verticale, et les solives. L’espace entre solives et planches est quasiment de l’ordre de 1/1, ou, selon l’expression du temps, « tant plein que vide ». Pour la réalisation des fonds ocre rouge, deux couches de peintures ont été appliquées : en premier un rouge clair à la détrempe, puis un ocre rouge plus foncé et résistant à l’eau. La composition distribue sur les poutres des thèmes récurrents, tout en laissant libre cours à l’imagination et la fantaisie du peintre. L’association régulière de cartouches paysagers, encadrés de motifs végétaux et ornements d’où sortent des personnages appartenant à la commedia dell’arte, ou issus du vocabulaire mythologique, des scènes relatant un épisode de chasse ou autre fabulette, des monstres fabuleux, ou hybrides, se terminant en rinceaux végétaux. Les ornements La plupart des motifs ont été réalisés à main levée, de manière automatique, et assurée. Leur distribution dans l’espace est régie à partir d’un point central, un cabochon rectangulaire, qui est au centre du motif central (cercle ou carré). Le même motif est peint en double, de manière régulière et en opposition avec son « jumeau » (fig.26, 27). Fig. 26. Malves (Aude), château ; schéma des entrelacs. © A. Rigaud. Fig. 27. Malves (Aude), château ; détail des entrelacs avec les repeints verts exécutés pendant la Révolution. © A. Rigaud. Patrimoines du sud - 6, 2017 79 La variété des ornements et de leur couleur est très riche. certains sont bicolores, d’autres ont un motif général dont les courbes sont soulignées d’ombre portées et de rehauts de lumière. d’autres furent blancs et sont en voie de disparition. Quelques motifs ont été réalisés avec un poncif ; cela se voit de manière flagrante pour les fleurs de lys (fig.28) dont le motif est traversé par les coups de pinceaux visibles, puis arrêté par une petite épaisseur de matière sur la frange. Fig. 28. Malves (Aude), château ; fleurs de lys dégagées de son repeint révolutionnaire. © A. Rigaud. Le traitement de conservation du plafond Renaissance une première campagne de sondages, effectuée en juillet 2011, a permis de repérer la présence d’un décor Renaissance de très belle qualité, sous un plafond de plâtre du XViiie siècle, et de programmer une mise au jour. une deuxième campagne, débutée en février et terminée en avril 2013, a eu pour mission de mettre au jour le plafond d’époque Renaissance (fig.29, 30, 31), d’assurer la conservation tant du point de vue du support que de la couche picturale et de proposer des améliorations pour l’avenir de l’œuvre (poids supporté par le plafond à alléger). Fig. 30. Malves (Aude), château ; détail des coyalures ou pièces de bois sciées et clouées pour donner le galbe de la gorge. © A. Rigaud. Patrimoines du sud - 6, 2017 Fig. 29. Malves (Aude), château ; dépose soignée du faux plafond. © A. Rigaud. Fig. 31. Malves (Aude), château ; mise au jour du décor caché par un badigeon de chaux gris (visible sur la partie gauche). © A. Rigaud. 80 Refixage de la couche picturale Le refixage de paysages exécutés à la détrempe a été réalisé en premier, avec parfois l’application du produit sous film pour éviter le déplacement des pigments (fig.32). La mise en lecture de silhouettes fantômes (fig.33), des traces blanches de poussière, des éléments du décor pouvant être appelés à être perdus, ont été détourés par rechampi au petit pinceau fin et fixatif afin d’en améliorer la lecture. cependant, il s’agit d’une lecture « par le vide ». Les couleurs pulvérulentes et les soulèvements de couche picturale ont été refixés avec une résine acrylique Primal ES330 dans l’éthanol à 4% pour redonner de la cohérence aux pigments. Le refixage des écailles soulevées s’effectue à travers un mélinex, essentiellement sur les paysages. Les bois vermoulus ont été consolidés par la face du bois nu en 2013 et par le revers en 2016, par injection d’un copolymère acrylique en solution dans un solvant aromatique. Les fibres de bois assez fines pour être recollées sont replacées avec de la colle PVA à 10% dans l’eau. Le refixage des papiers dé- Fig. 32. Malves (Aude), château ; refixage de la polychromie. © A. Rigaud. collés est effectué avec un adhésif acrylique Plextol Fig. 33. Malves (Aude), château ; conservation du motif fantôme par la fixation sélective du B500 à 10% dans l’eau. fond pour faire ressortir la forme. Les parties Les éléments figurés (peints à l’huile) ont été net- claires ne sont pas blanches, elles sont dépourvues de pigment et laissent transparaître les toyés avec du tri-ammonium à 2% dans l’eau. veines du bois nu. © A. Rigaud. Le gommage avec gomme de latex retire un voile grisâtre de poussière pour l’ensemble des poutres. une solution désinfectante avec de l’éthanol a été appliquée en raison de la présence de rongeurs. La Révolution française avait laissé sa marque, moyennant un trait épais de peinture verte. Sous cet ajout, au cours du chantier, la fleur de lys a été redécouverte. Pour illustrer la part historique de ce recouvrement, un quart de la surface n’a pas été dégagée. Les repeints verts à base de peinture au plomb de type céruse ont été retirés laborieusement avec des compresses d’argile, pour casser la croûte de surface et la rendre plus perméable aux mélanges de solvants (dMF/acétate d’éthyl 1/1)° avec finition mécanique au scalpel. Anne RiGAud conservatrice restauratrice de peintures murales, Logrian-Florian Patrimoines du sud - 6, 2017 81 Glossaire Charpente plane : charpente horizontale dont les poutres et solives soutiennent le plancher de l’étage supérieur. Les pièces de structure sont visibles à l’étage que couvre cette charpente. Closoir : le closoir est une planchette de bois destinée à obturer l’espace compris entre deux solives. il est en général glissé dans deux fentes ménagées dans chacune des deux solives et soutenu par une baguette. Coyalure : pièce de bois, montée en série, destinée à donner un changement d’inclinaison au bas d’une forme (par exemple d’une toiture). Engoulant : gueule d’animal ornant chaque extrémité d’un entrait ou d’une poutre. Orpiment : l'orpiment est le sulfure d'arsenic, minéral facilement reconnaissable par sa couleur jaune doré à jaune orangé et utilisé par les peintres médiévaux pour donner l’impression d’or. Pour citer cet article : Monique BouRin, Georges PuchAL, Anne RiGAud « La restauration des plafonds peints. Réflexions générales autour d’un exemple : la salle d’apparat du château de Malves (Aude) », Patrimoines du sud [en ligne], 6 / 2017, mis en ligne le 1er septembre 2017, consulté le uRL : https://inventaire-patrimoine-culturel.cr-languedocroussillon.fr Patrimoines du sud - 6, 2017 82