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Le renversement de Parent

2004

Document generated on 12/12/2021 4:04 a.m. Histoire Québec Le renversement de Parent Marc Beaudoin Volume 10, Number 2, 2004 URI: https://id.erudit.org/iderudit/11261ac See table of contents Publisher(s) La Fédération des sociétés d'histoire du Québec ISSN 1201-4710 (print) 1923-2101 (digital) Explore this journal Cite this article Beaudoin, M. (2004). Le renversement de Parent. Histoire Québec, 10(2), 3–5. Tous droits réservés © La Fédération des sociétés d'histoire du Québec, 2004 This document is protected by copyright law. Use of the services of Érudit (including reproduction) is subject to its terms and conditions, which can be viewed online. https://apropos.erudit.org/en/users/policy-on-use/ This article is disseminated and preserved by Érudit. Érudit is a non-profit inter-university consortium of the Université de Montréal, Université Laval, and the Université du Québec à Montréal. Its mission is to promote and disseminate research. https://www.erudit.org/en/ Simon-Napoléon Parent (1855-1920) 12e premier ministre du Québec et 2V maire de Québec. (BNQ) Laurier choisit donc un homme de 45 ans, jovial, conteur intarissable, grand amateur de bridge, au jugement sûr, mais peu communicatif et très effacé en public. Le maire de Québec et président de la Compagnie du pont de Québec est le conseiller écouté de Laurier, et surtout, il dispose de tout le «patronage» municipal, provincial et fédéral dans la région de Québec. Le 3 octobre 1900, Parent forme son cabinet. Il garde pour lui les Terres, Forêts et Pêcheries et confie à ses rivaux des portefeuilles prestigieux : les Travaux publics à Lomer Gouin; l'Agriculture à François-Gilbert Miville Dechêne, la Colonisation et les Mines, de même que le Secrétariat provincial, à Adélard Turgeon. Son équipe participe activement aux élections fédérales du 7 novembre, puis, prétextant la nécessité de faire approuver par le peuple son accession au poste de premier ministre, Parent fixe au 7 décembre les élections provinciales, afin de profiter du désarroi des conservateurs ébranlés par la fulgurante victoire de Laurier. Les conservateurs ne font élire que sept candidats dans les 74 circonscriptions provinciales. de manieur d'hommes et sa capacité de travail hors du commun. La communauté marchande de Québec qui le croit capable de concrétiser ses projets de développement régional le porte à la mairie de Québec, en 1894. Parlant peu, il agit avec célérité. Sous la gouverne de Parent, on rationalise l'administration municipale, on entreprend l'assainissement des finances de la ville, alors l'une des plus endettées du Canada, à cause de son faible taux de taxation. On réalise de grands travaux: la construction de l'hôtel de ville, le parc Victoria et une vigoureuse politique de voirie municipale et de modernisation du transport urbain. En 1896, Wilfrid Laurier prend le pouvoir à Ottawa. L'année suivante, aux élections provinciales, les libéraux de Félix-Gabriel Marchand, ostensiblement appuyés par Laurier, écrasent les conservateurs. Le député de SaintSauveur reçoit, à la satisfaction du milieu des affaires, le portefeuille des Terres, Forêts et Pêcheries. Parent y remplira les coffres de la province en vendant les ressources naturelles aux promoteurs canadiens et américains. S-N Parent annonce qu'il continuera la politique «d'honnêteté et de sagesse administratives» de Marchand et qu'il gérera les affaires de l'État comme on gère une entreprise. Il laisse à Turgeon et à Gouin, qui subissent plus qu'ils n'acceptent son leadership, le soin de défendre son régime sur les «hustings» et de cultiver les fleurs de la rhétorique dans les assemblées officielles. Lui-même, qui a l'esprit toujours gros d'un projet, travaille comme un forcené. Debout à cinq heures du matin, il parcourt ses dossiers et lit les journaux. Il accueille ses clients dans son bureau d'avocat entre huit et dix heures, puis son cocher le mène à l'hôtel de ville vaquer aux affaires de la cité de Québec. Vers midi, il est à son bureau du Parlement, où l'attendent collègues, quémandeurs et lobbyistes. Il prend un repas vers deux heures de l'après-midi, puis retourne à son bureau d'avocat. Deux fois la semaine, il assiste le soir à une réunion du conseil municipal ou d'un comité. Il ne déroge jamais à cet horaire, si ce n'est en temps de session ou quand l'appellent Le renversement de Parent Par MARC BEAUDOIN E n 1905, le 12'' premier ministre de la province de Québec, Simon-Napoléon Parent, est renversé par les membres de son parti. Louis-Alexandre Taschereau et René Lévesque vivront un traitement semblable. Mais ce qui est particulier dans ce cas, c'est l'implication de l'aile fédérale du parti, chose qui serait impensable de nos jours. L'affaire remonte au décès du premier ministre de la province de Québec, Félix-Gabriel Marchand, le 25 septembre 1900. Sa succession politique s'avère difficile, car les dauphins sont nombreux. Le premier ministre du Canada et chef du Parti libéral est appelé à trancher. Sir Wilfrid Laurier écarte les Joseph-Hmery Robidoux et Adélard Turgeon pour imposer Simon-Napoléon Parent. S-N Parent, comme l'appelait ses contemporains, est né le 12 septembre 1855 à Beauport. Fils de cultivateur, il reçoit une éducation rudimentaire, mais il termine ses études classiques durant ses loisirs. Menant de front ses études et la gestion de son commerce, il obtient sa licence en droit de l'Université Laval, assortie du prix Tessier et de la médaille du gouverneur général en 1881. Admis au barreau le 9 août suivant, il ouvre un cabinet rue Saint-Vallier, à Québec. Parent est handicapé par sa timidité naturelle et son timbre de voix éteint: il s'exprime difficilement en public. Il surmonte son handicap en pratiquant le droit en société avec Joseph-Évariste Prince (1882-1883), John Constantine O'Donnell (1884-1891), Charles De Guise (1895), Charles Fitzpatrick, Louis-Alexandre Taschereau et Ferdinand Roy ( 1898-1905 ), qui s'adjoignent vers 1900 Lawrence Arthur Dumoulin Cannon. Il prépare minutieusement ses causes, et ses collègues les plaident. En 1890, il est élu échevin du quartier Saint-Vallier à Québec et député libéral de Saint-Sauveur à l'Assemblée législative. Parent s'impose par ses tendances populistes, son sens de l'organisation, ses qualités HISTOIRE QUEBEC NOVEMBRE 2004 PAfiE 3 quelques affaires importantes à Montréal ou ailleurs. À la fin de 1903, les jeunes Montréalais se plaignent de ne jamais voir le chef; les sociétés de colonisation dénoncent le parti pris du gouvernement en faveur des commerçants de bois; les classes populaires s'inquiètent d'une possible collusion entre les milieuxfinancierset le gouvernement; les ambitieux de tout acabit commencent à exploiter l'absence d'une ligne de démarcation très nette dans certains actes administratifs du maire et du premier ministre, entre les intérêts personnels ou familiaux et les intérêts généraux. En février 1904, Parent, toujours populaire dans sa ville et bien servi par son organisation électorale, est réélu à la mairie, mais ses adversaires ont sérieusement attaqué son intégrité personnelle dans l'Événement. Les opposants au gouvernement Parent multiplient leurs attaques contre le favoritisme, l'absence d'une politique de colonisation, la dilapidation du patrimoine national au profit des capitalistes américains, le refus de hausser les droits de coupe du bois destiné à l'exportation pour forcer les capitalistes à investir au Québec. Parent fait quelques concessions, mais la parade ne désarme pas les opposants, qui élargissent les débats aux privilèges concédés aux compagnies de transport urbain et d'hydro-électricité. Aux élections fédérales de 1904, Laurier remporte une autre éclatante victoire. Le lendemain matin, 4 novembre, Parent réunit son cabinet, décide de convoquer les électeurs, fixe la présentation des candidats au 18, le vote au 25 novembre. Puis, il se rend à Spencer-Wood (Bois-de-Coulonge) pour faire signer la dissolution de la Législature par le lieutenant-gouverneur Jette. Parent veut profiter de l'élan libéral et de la démoralisation des bleus pour répéter l'élection de 1900. Les conservateurs crient que cette élection précipitée est un coup de Jarnac, un geste antidémocratique pour ne pas faire officiellement de campagne électorale. L'absence de candidatures conservatrices officielles pave la voie à un affadissement de la discipline de parti chez les libéraux. Sur l'insistance de Laurier, le sénateur Philippe-Auguste Choquette par- ticipe à la campagne. Sa présence sur les estrades apporte un reflet du prestige du grand chef et elle manifeste la solidarité des «rouges» fédéraux et provinciaux. Or, le «bouillant sénateur» est très mal disposé à l'égard de Parent. Sénateur Philippe-Auguste Choquette (1854-1948). Il a juré d'envoyer Parent chez le Diable. (BNQ) Le vendredi 25 novembre 1904, les électeurs élisent six députés conservateurs et 67 libéraux. Mais la demi-douzaine de députés libéraux officiellement antiparentistes remettent en question moins le contenu de la politique de Parent, que son style de gestion. Les choses auraient pu s'arranger sans l'acharnement de Choquette, qui s'est juré « d'envoyer Parent chez le diable ». Au lendemain des élections, le sénateur communique aux journaux des griefs confus. Dans son Courrier de Montmagny, il traite le premier ministre de «vulgaire boodler». Parent promet, par le truchement du Soleil, une réponse immédiate si Choquette précise ses plaintes. Ce dernier reprend alors les accusations portées par Legris d'utilisation de l'influence ministérielle au service d'affaires personnelles. En somme, de mettre son influence politique au service de ses intérêts personnels, de sa famille et de ses amis. Pourtant, c'est ce que tous ces ministres, sénateurs et députés font ou cherchent à faire. Le sénateur Choquette -l'âme du complot- venait de réaliser un bénéfice en vendant au gouvernement fédéral une propriété sur la Grande Allée. Parent poursuit en diffamaHISTOIRE QUEBEC NOVEMBRE 2004 PAfiE 4 tion Legris, Choquette et le Courrier de Montmagny. La bataille se porte sur le front parlementaire. Le choix d'un nouvel Orateur sera l'occasion de se compter. Parent offre la présidence de la Chambre à Dominique Monet, député de Napierville, qui refuse. Pour se donner du temps, le premier ministre fixe la convocation des Chambres à une date tardive, le 2 mars. Choquette utilise le délai mieux encore que son adversaire. Il s'entend avec trois ministres mécontents, Gouin, Turgeon et Weir, pour mater Parent dès l'ouverture de la session. Puis, il envoie aux députés libéraux provinciaux une circulaire les invitant à «ne prendre aucun engagement vis-à-vis du gouvernement Parent, et surtout relativement au vote sur la question de l'Orateur». Le député de Châteauguay, François-Xavier Dupuis publie dans la Presse une lettre demandant au sénateur de quel droit se mêle-t-il des affaires d'une législature à laquelle il n'appartient pas. Des libéraux alarmés appellent Laurier, qui se repose, en Californie, des fatigues de la campagne fédérale. Il rentre en hâte. La Presse Au 29 décembre 1904 écrit : «Ce n'est un secret pour personne que le premier ministre est venu à Québec expressément pour régler le différend ChoquetteParent ». Après des rencontres à Montréal et Québec, le chef du Parti libéral pèse les répercussions de la crise. Laurier désapprouve entièrement les attaques faites contre Parent. Il propose de ne pas l'humilier, ni d'avoir l'air de le chasser, mais de le laisser conduire une session pour partir ensuite. L'accord devrait être possible, puisque les ministres conspirateurs siègent toujours au cabinet et n'ont pas officiellement rompu avec leur chef. Mais l'affaire est trop engagée. La crise était ouverte. Les journaux supputent les députés gouinistes ou parentistes. Parent offre à Monet d'entrer dans le ministère. Il est assermenté le 2 février ministre sans portefeuille. Au Conseil, Gouin, Turgeon et Weir ne desserrent pas les dents, lorsque Parent annonce le projet de s'adjoindre Monet. Mais Choquette les relance, les harcelle. Il les presse de démissionner. Mais les conjurés ont une confiance limitée. Chacun d'eux craint de démissionner seul et d'être dupé. Choquette fait alors signer à Weir, sur une feuille de papier à lettres du Château Frontenac, l'engagement suivant: 1 « 2 février 1905. Je démissionnerai si Turgeon et Gouin démissionnent ». Puis Choquette va trouver Turgeon et Gouin et leur fait écrire à la suite de la signature de Weir : «Je suis prêt à démissionner, Adélard Turgeon, L. Gouin ». Choquette, radieux, ne cacha pas son bonheur. Un conseil de cabinet se tient le samedi matin 4 février. Gouin, Turgeon et Weir n'y paraissent pas. Ils font remettre au premier ministre leur lettre de démission datée du 3 février 1905. La crise devient enfin officielle. Parent convoque un «caucus» de députés libéraux -en excluant ses adversaires notoires- pour le mercredi 8 février, à 8 heures du soir, au Parlement. Gouin, Turgeon et Weir convoquent eux aussi un «caucus » de députés libéraux le même jour, à 7 heures du soir, au Château Frontenac. Les indécis pourront assister aux deux caucus. Le soir du double caucus. Le sénateur Choquette, improvisé maître des cérémonies, reçoit au Château Frontenac une cinquantaine de députés. Les conjurés font présider la séance par Auguste Tessier, député de Rimouski. Gouin, Turgeon et Weir affirment qu'ils agissent «dans l'intérêt du parti», mais s'excusent de ne pouvoir détailler leurs raisons : le lieutenant-gouverneur leur impose cette discrétion jusqu'à la rentrée des Chambres. Au bout de deux heures, une demi-douzaine d'assistants partant pour la réunion Parent, il reste quarante-quatre députés, tous partisans des ministres démissionnaires. Choquette leur fait signer en «round robin» l'engagement de voter contre Parent. Un député serre la main de Gouin en l'appelant «Monsieur le premier ministre» ; les autres l'imitent. A Québec, Alfred Girard, député de Rouville, intermédiaire bénévole entre les deux groupes, organise une réunion secrète, au Club de la Garnison, où l'on adopte en principe le compromis souhaité par Laurier. La Presse du vendredi 24 février annonça l'accord. C'est compter sans Choquette. Faisant la navette entre Québec et Montréal, il ne permet pas aux conjurés de céder. À l'ouverture de la session, le mercredi 2 mars, Parent propose lui-même, comme Orateur, Auguste Tessier. Pendant que Tessier, élu à l'unanimité, se retire pour revêtir la toge et le tricorne, Parent tend la main à Gouin et à Turgeon sous une acclamation générale. Puis, aussitôt après la lecture du discours du Trône, Parent se lève pour lire une déclaration solennelle où il affirme n'avoir «jamais reçu, pour mon profit personnel, ou le profit de qui que ce soit, un centin du revenu du domaine public» et qu'il «n'a jamais eu connaissance de la moindre fraude qu'auraient pu commettre des fonctionnaires» de son ministère. Puis, le chef conservateur Leblanc demande au gouvernement de produire la correspondance échangée entre le premier ministre d'une part, MM. Turgeon, Gouin et Weir d'autre part. Parent répond qu'il déposera cette correspondance lors du débat sur l'adresse. Le lendemain 3 mars, Leblanc lit le texte des accusations portées par Legris et Choquette -deux libéraux, souligne-t-ilet demanda une enquête parlementaire. À la séance suivante -le 7-, Girard, appuyé par Perrault, propose alors la formation d'un comité parlementaire. Girard préside tout naturellement le comité d'enquête, qui se réunit le 10. Parent semble prêt à répondre à toutes les questions, à ouvrir tous les dossiers, à citer tous les témoins. Mais Legris et Choquette refusent de présenter leurs accusations devant le comité. Les chefs de service du ministère des Terres affirment tous au comité la parfaite régularité des opérations administratives. L'enquête est virtuellement close par défaut de plaignants. Le comité d'enquête dépose, le 14 mars, un bref rapport affirmant que les accusations sont fausses et qu'au ministère des Terres, Mines et Pêcheries, l'administration des affaires a toujours été conduite par Parent et ses fonctionnaires avec intégrité et honnêteté, et qu'aucun acte de faveur ou de partialité n'a été commis. Lors du débat sur le rapport, le chef conservateur Leblanc exploite à fond cette querelle entre libéraux, utilisant les accusations de Gouin, Turgeon et Weir contre Parent, mais leur reprochant d'avoir «frappé M. Parent dans le dos avec le plus HISTOIRE QUEBEC NOVEMBRE 2004 PAfiE 5 aigu des poignards». Le conservateur, Mathias Tellier, dénonce l'enquête comme une comédie montée entre Parent et ses accusateurs : le premier ministre, blanchi par le comité, peut partir maintenant et céder sa place aux conjurés. Le rapport est adopté par 49 voix contre 7 (deux libéraux votent avec l'opposition conservatrice). Le mardi 21 mars, le premier ministre présente sa démission au lieutenant-gouverneur. À la Chambre, la séance est véritablement funèbre: des ministres et députés libéraux font l'éloge «du premier ministre qui s'en va». Choquette assiste à la séance, rayonnant. Parent et Choquette croyaient que Turgeon prendrait la place. Mais Gouin, plus ambitieux, convoite le poste, et manœuvre depuis longtemps pour l'atteindre. S'appuyant sur les députés montréalais, Gouin a su se faire acclamer et donner l'impression d'un mouvement d'opinion en sa faveur. 11 n'y a plus qu'un obstacle : la méfiance du clergé. Gouin passe pour un anticlérical à peine camouflé. On lui connaît des liens avec Godfroy Langlois, qui veut la «réforme scolaire». Or, Laurier, tient à la paix religieuse, il ne permettra pas au parti libéral de transgresser le veto de Mgr Bruchési. Québec vaut bien une messe. Gouin promet à l'archevêque de Montréal qu'il ne laissera pas laïciser l'instruction publique. Le dernier obstacle est levé. Le cabinet Gouin est assermenté le 23 mars 1905. Presque tous les députés parentistes s'inclinent devant le fait accompli, et reconnaissent Gouin pour leur chef. Le 31 juillet, Laurier nomme son fidèle lieutenant président de la Commission du chemin de fer Transcontinental. Parent démissionne de la mairie de Québec le 5 septembre, mais restera en poste jusqu'au 12 janvier 1906. Bibliographie : Dictionnaire biographique du Canada, Vol XIV. Rumilly, Robert, Histoire de la province de Québec, Vol. XI, S.-N. Parent, Éditions Bernard Valiquette, Montréal, 1930. 1 Choquette, Philippe-Auguste : Un demi-siècle de vie politique. - 1936