[go: up one dir, main page]

Academia.eduAcademia.edu
L'OPINION PUBLIQUE OU LA SÉMANTIQUE DE LA NORMALITÉ Laurence Kaufmann Maison des sciences de l'homme | Langage et société Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Lausanne - - 130.223.2.2 - 28/03/2014 07h05. © Maison des sciences de l'homme ISSN 0181-4095 Article disponible en ligne à l'adresse: -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------http://www.cairn.info/revue-langage-et-societe-2002-2-page-49.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Pour citer cet article : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Kaufmann Laurence, « L'opinion publique ou la sémantique de la normalité », Langage et société, 2002/2 n° 100, p. 49-79. DOI : 10.3917/ls.100.0049 -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Maison des sciences de l'homme. © Maison des sciences de l'homme. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Lausanne - - 130.223.2.2 - 28/03/2014 07h05. © Maison des sciences de l'homme 2002/2 - n° 100 pages 49 à 79 Laurence Kaufmann Institute for Social Research University of Michigan La langue comporte, à titre irréductible, tout un catalogue de rapports interhumains, toute une panoplie de rôles que le locuteur peut se choisir pour lui-même et imposer au destinataire. Oswald Ducrot, Dire et ne pas dire De l’étrange consistance d’un concept social 1 Dans le savoir de sens commun que les agents ordinaires mettent en œuvre dans la vie de tous les jours, comme dans le savoir spécialisé des experts, qu’ils soient journalistes, politologues ou sociologues, l’opinion publique est le plus souvent appréhendée comme un état de choses. “Fait de société” avec lequel les acteurs sociaux et politiques doivent désormais compter, elle suppose la présence préalable d’une réalité dont l’existence peut être attestée par des critères 1. La préparation de cet article a bénéficié du soutien financier du Fonds National de la Recherche Scientifique Suisse, dans le cadre du programme “Demain la Suisse”, bourse n°84SP-056189. © Langage et société n° 100 – juin 2002 Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Lausanne - - 130.223.2.2 - 28/03/2014 07h05. © Maison des sciences de l'homme Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Lausanne - - 130.223.2.2 - 28/03/2014 07h05. © Maison des sciences de l'homme L’opinion publique ou la sémantique de la normalité LAURENCE KAUFMANN Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Lausanne - - 130.223.2.2 - 28/03/2014 07h05. © Maison des sciences de l'homme objectifs, tels que la mesure quantitative des attitudes, les mécanismes de diffusion des opinions ou l’organisation interne de leur distribution. Dans ce cadre objectiviste, « l’opinion publique, c’est ce que mesurent les sondages », car elle renvoie à l’addition des opinions individuelles effectives auxquelles les dispositifs d’enregistrement et de traitement statistiques confèrent, sinon les qualités tangibles d’une entité physique, du moins les qualités visibles d’une entité publiquement observable (Boudon et al. 1981). À l’encontre de cette conception naïvement réaliste s’est peu à peu imposée une approche artificialiste qui conçoit l’opinion publique comme un artefact construit à des fins de légitimation politique. Une telle démarche, en partant du principe opposé, à savoir que « l’opinion publique n’existe pas », déplace l’analyse sur les dispositifs institutionnels qui sont parvenus à lui conférer un pouvoir réalisant qui ne doit, en aucun cas, être confondu avec la réalité effective des opinions prétendument partagées (Bourdieu 1973). Afin d’éviter les éternelles disputes qui opposent ainsi l’acception artificialiste de l’opinion publique par une sociologie du soupçon qui la dénonce comme une illusion mensongère utile à la reproduction de l’ordre établi, et son acception réaliste par une sociologie empirique qui lui attribue le statut d’une entité réelle et donc dûment quantifiable, cet article se propose de partir de ce qu’elle est de toute manière. L’opinion publique renvoie, bien plus qu’à un état de choses ou à une hallucination collective, à la réalité étrange des “objets non quelconques”, sociaux et politiques, qui jalonnent le sens commun (Grize 1990 : 29). La nature apparemment indécise de ces notions, essentiellement stéréotypiques, qui peuplent les discours ordinaires, les distingue des concepts dits naturels qui réfèrent, quant à eux, à des entités extra-linguistiques (la rose, l’or, l’eau). En effet, du point de vue analytique, les concepts extensionnels ou dénotatifs se forment, via la perception, dans l’interaction causale et directe entre l’organisme humain et l’univers des choses concrètes qui meublent la réalité extérieure. En revanche, les concepts dits intensionnels ou connotatifs qui abondent dans le langage ordinaire sont des fabrications de l’intelligence qui ne sont pas reliées, en tant que telles, par une relation causale à des données tangibles ou per- Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Lausanne - - 130.223.2.2 - 28/03/2014 07h05. © Maison des sciences de l'homme 50 51 Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Lausanne - - 130.223.2.2 - 28/03/2014 07h05. © Maison des sciences de l'homme ceptibles (la Nation, la Justice, la Morale, etc.) 2. Loin de se référer aux “existences irréductibles” des êtres singuliers qui se reconnaissent notamment à leur localisation spatio-temporelle, ils renvoient aux “existences réductibles” des “manières de parler”, de concevoir et de classifier ces mêmes êtres singuliers (Largeault 1971 : 15). L’opinion publique, comme la plupart des concepts socio-politiques, appartient à la catégorie des concepts intensionnels : elle ne représente pas un état de choses, un fait empirique que l’on pourrait, conformément aux critères strictement nominalistes de l’existence, toucher du doigt ou voir de ses propres yeux. Elle présente une signification qui n’est pas déterminée par le lien vertical entre les mots et les choses qu’ils sont censés signifier, mais par les différenciations “horizontales” qui se tissent à l’intérieur même du système des conventions linguistiques, des règles sociales et des intérêts politiques qui a présidé à sa fixation 3. Or, si l’on admet que le concept d’opinion publique n’appartient pas à la réalité elle-même, mais à notre manière de la décrire, les traits sémantiques qui le composent 2. Bien entendu, cette partition analytique, d’obédience nominaliste, entre les concepts relatifs au monde naturel et les concepts relatifs au monde culturel risque de paraître trop rigide aux adeptes d’un internalisme social et linguistique : pour ceux-ci, en effet, les significations communes médiatisent et opacifient inéluctablement l’accès aux états de choses, rendant ainsi illusoire toute différence de nature entre les homologations perceptives et les homologations intellectuelles et/ou pratiques. Cela étant, même si l’on entérine le constat wittgensteinien selon lequel « on croit suivre sans cesse le cours de la nature, alors qu’on ne fait que longer la forme au travers de laquelle nous la contemplons » (Wittgenstein (1961) : §114), on ne peut guère récuser la différence de degré, sinon de nature, qui sépare les concepts intensionnels et extensionnels. Les concepts dont la teneur est exclusivement basée sur des appréhensions mentales et des constructions linguistiques sont privés de toute confrontation, potentiellement vérificationniste, avec des entités non linguistiques. Ces dernières, que Peter Strawson appelle à bon escient des “particuliers” de base, ont des propriétés spatio-temporelles qui contraignent la “référence identifiante” dont elles font l’objet – ce qui n’est pas le cas des “objets non quelconques”, qui s’inscrivent dans l’univers non empirique et donc a-spatial des significations. Voir sur cette problématique (Strawson 1973 : 97-150). 3. Ces remarques rejoignent ce que dit Searle sur le statut des universaux, cf. Searle (1969). Sur la distinction plus générale entre des phénomènes intentionnels, tels que les états mentaux et les institutions, et des phénomènes physiques bruts, voir Searle (1995). Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Lausanne - - 130.223.2.2 - 28/03/2014 07h05. © Maison des sciences de l'homme L’OPINION PUBLIQUE OU LA SÉMANTIQUE DE LA NORMALITÉ LAURENCE KAUFMANN Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Lausanne - - 130.223.2.2 - 28/03/2014 07h05. © Maison des sciences de l'homme ne peuvent être considérés comme la restitution descriptive des propriétés substantielles d’une entité physique. Ils constituent les éléments intrinsèques, linguistiques et argumentatifs, de sa définition – une définition privée, à proprement parler, de valeur référentielle. Dans ce cadre, la tâche principale de l’analyste n’est plus de chercher, pour ainsi dire derrière la dénomination “opinion publique”, les états mentaux (option “réaliste”) ou les instruments de domination extra-linguistiques (option “artificialiste”), que masquerait son appellation. Elle consiste à déplier l’ensemble des composants définitionnels de l’objet discursif “opinion publique”, dont les lacunes référentielles sont loin d’être synonymes d’impuissance ; au contraire, la “juridiction linguistique” lui confère, on le verra, le pouvoir exorbitant d’imposer implicitement à ses destinataires un rôle obligeant qui le prive, tout comme le langage en général dont parle Oswald Ducrot, de toute “innocence” (Ducrot 1991 : 4). L’acte d’origine de l’opinion publique Une fois spécifiée la réalité intensionnelle du concept d’opinion publique, il reste à savoir si elle mérite le discrédit ontologique du “moindre être”, habituellement réservé aux produits de l’intellection privés de référence ou si, au contraire, elle entraîne un import existentiel suffisant pour pouvoir prétendre au titre d’objet ou de quasi-objet. L’homologation de l’opinion publique dans l’univers apparemment instable et capricieux des productions intellectuelles et linguistiques peut en effet donner lieu à deux voies d’analyse principales. La première option, proche de l’approche artificialiste que nous avons esquissée, consisterait à lui octroyer un statut exclusivement fictif, analogue à celui d’“un revenant sacré” (Key 1961), d’un “fantôme” (Lippmann 1925) ou du “diable” (Padioleau 1981). La deuxième option, qui sera ici la nôtre, refuse de rabattre l’opinion publique au rang des dénominations chimériques qui peuvent être activées et désactivées en fonction des stratégies ou des aveuglements de leurs utilisateurs. Même si, comme le disait Frege dans une boutade célèbre, c’est l’usage répété de l’article défini “l’opinion publique” qui a progressivement fait croire à l’existence de son référent, elle n’est pas – ou plus – un “être de discours” fluctuant dont Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Lausanne - - 130.223.2.2 - 28/03/2014 07h05. © Maison des sciences de l'homme 52 53 Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Lausanne - - 130.223.2.2 - 28/03/2014 07h05. © Maison des sciences de l'homme la détermination sémantique resterait suspendue aux dispositifs d’intéressement et aux bonnes volontés politiques. La sédimentation historique et argumentative de ses différentes valeurs d’usage lui ont peu à peu conféré l’inertie et la stabilité relative d’un “être institutionnel”, structuré par des contraintes ou des “interprétants élémentaires” qui s’imposent à quiconque, « qu’il les néglige ou qu’il en tienne compte » (Rastier 1994 : 21). L’opinion publique, ainsi consacrée comme un “être” contraignant et pesant, dispose d’une capacité d’agir qui n’est pas uniquement due au poids social des autorités statutaires et des instances légitimes qui l’invoquent. La capacité d’agir qui nous intéresse ici est due aux propriétés performatives internes d’un concept qui est moins le mot d’une chose qu’un mot qui “fait” des choses, notamment en suscitant le ralliement et l’adhésion du grand nombre à ses décrets supposés. En effet, conçue sous les auspices polémiques sinon polémologiques du jeu argumentatif – un jeu éminemment belliqueux puisqu’il déploie un véritable champ de bataille discursif, elle représente un “agent” argumentatif redoutablement efficace. En misant sur la logique normative du consensus, elle déploie un univers discursif d’autant plus contraignant qu’il entérine une caractéristique générale du langage : celle qui consiste à favoriser, voire à instaurer, “la communauté des esprits” (Perelman et OlbrechtsTyteca 1958). L’invocation de l’opinion publique redouble donc, au niveau explicite, le postulat implicite selon lequel le but premier et dernier de la communication est l’adhésion conjointe des interlocuteurs à un monde partagé. De ce point de vue, l’émergence et le succès du concept d’opinion publique, à un moment historique aussi troublé que celui qui précède, au XVIIIe siècle, l’événement révolutionnaire, sont loin d’être un hasard. À cette époque, la remise en question des dogmes qui soutenaient l’architecture absolutiste, ainsi que la dénonciation de l’hétéronomie arbitraire qui faisait du Nous de majesté le dépositaire exclusif du pouvoir, ne permettent plus la reconduction impensée du monde social sous l’égide des rois, des dieux et des coutumes (Lefort 1978 ; Castoriadis 1990). Le seul principe qui semble désormais à même de réconcilier les intérêts particuliers et l’intérêt géné- Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Lausanne - - 130.223.2.2 - 28/03/2014 07h05. © Maison des sciences de l'homme L’OPINION PUBLIQUE OU LA SÉMANTIQUE DE LA NORMALITÉ LAURENCE KAUFMANN Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Lausanne - - 130.223.2.2 - 28/03/2014 07h05. © Maison des sciences de l'homme ral, la liberté individuelle et la nécessité publique, réside dans l’accord des esprits. Le collectif démocratique que l’opinion publique met en scène symbolise ainsi l’accord générique des individus qui se décident à coexister sans violence et à déterminer de concert les institutions qui seront aptes à réaliser le bonheur de chacun d’entre eux (Akoun 1986 : 150). Cet accord originel représente pour ainsi dire le seul mode de pouvoir auquel une société idéalement autonome peut décemment consentir : celui qui gouverne les esprits en leur propre nom, sous la forme constamment réitérée d’un consensus collectif qui incarne, à lui seul, la « glu sociale de qualité supérieure » nécessaire à la cohésion nationale (Gordon 1994 : 80). L’opinion publique, en thématisant ainsi publiquement une communauté d’esprits qui paraît perpétuellement menacée par les insubordinations des libertés individuelles, garantit, tout au moins au niveau des représentations, le maintien de l’échafaudage encore fragile de la nouvelle République (Ozouf 1987). Dans la mesure où elle témoigne, par sa seule dénomination, de la réalité d’un consensus collectif qui ne coule plus de source, elle fonctionne comme un véritable opérateur de totalisation, dépassant les divergences individuelles dans la seule autorité supérieure encore admissible pour un peuple désormais souverain. Cette autorité, c’est celle du Nous ou du On de la communauté que tout être humain, fût-il citoyen, convoque tacitement et spontanément pour valider ses énonciations et justifier ses actions. Dans cette perspective, si le concept d’opinion publique est parvenu, au XVIIIe siècle, à évincer les prétentions concurrentes des autres autorités qui se portaient candidates au pouvoir symbolique du Nouveau Régime (la Raison, la Loi, la Nature, etc.), c’est peut-être parce que son baptême linguistique et politique n’a pas la dimension inaugurale qui lui a été généralement attribuée. En effet, sa nomination fait entrer officiellement, dans les ressorts articulés du langage, des expériences sensibles et des attentes concrètes qui n’ont pas attendu leur homologation discursive pour s’imposer aux agents ordinaires 4. Certes, ces attentes sont historiquement situées puisqu’elles 4. Afin de montrer que la nomination ne fait pas forcément advenir ex nihilo ce qu’elle nomme, Koselleck prend l’exemple du concept de “mariage d’amour” : si ce dernier a plus de chances de se réaliser dans les faits une fois que son homologation Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Lausanne - - 130.223.2.2 - 28/03/2014 07h05. © Maison des sciences de l'homme 54 55 Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Lausanne - - 130.223.2.2 - 28/03/2014 07h05. © Maison des sciences de l'homme prennent racine dans le contexte particulier du déclin structurel et spirituel de l’État monarchique. Mais, comme nous allons le voir à présent, elles renvoient également à des invariants anthropologiques qui font de la figure de l’opinion publique un lieu commun encore plus commun que les autres. Car tout en stabilisant et reconfigurant des orientations morales et politiques, situées et encore balbutiantes, dans une entité de référence inédite, elle objective l’autorité impersonnelle d’un Nous ou d’un On qui gouverne, de facto, tous les types de société. Autrement dit, le concept d’opinion publique, en conférant des oripeaux linguistiques et politiques à ce Nous ou à ce On, d’autant plus imperceptible qu’il sous-tend toutes les activités de la vie quotidienne, table sur un postulat auquel les agents ordinaires sont d’ores et déjà coutumiers. Ce postulat apparemment minimal consiste, pour les membres d’une même communauté, à présupposer la congruence mutuelle de leurs expériences, la confirmation réciproque de leurs perceptions et la convergence potentielle de leurs interprétations. C’est dire si la mise en résonance, thématique et historiquement datée, d’un tel postulat anthropologique, via le concept d’opinion publique, jouit d’un avantage argumentatif considérable. En symbolisant un accord collectif qui dépasse les expériences disparates et les bifurcations interprétatives de ses destinataires, elle bat le rappel de ce qui est devenu l’obsession politique des démocrates : la communauté des esprits. Cette obsession du commun fait ainsi de l’opinion publique l’égérie d’une normalité et d’une normalisation qui représentent la seule armature possible d’une congrégation d’individus condamnés à rester, désormais, entre eux. Cette armature repose aussi bien sur les expériences et les attentes historiques qui ont régi son apparition que sur les préalables anthropologiques et linguistiques qui structurent son sens et sa compréhension. Toutefois, c’est plutôt au déploiement de la charpente anthropologique et linguistique que nous allons nous atteler ici, notre hypothèse étant que le panégyrique de la normalité constitue le squelette sémantique relativement immuable du concept “opinion conceptuelle l’a rendu pensable et préhensible, cela ne veut pas dire que l’amour n’existait pas déjà dans des mariages dont l’auto-interprétation langagière ne faisait pourtant nulle mention. (Cf. Koselleck 1997 : 115) Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Lausanne - - 130.223.2.2 - 28/03/2014 07h05. © Maison des sciences de l'homme L’OPINION PUBLIQUE OU LA SÉMANTIQUE DE LA NORMALITÉ LAURENCE KAUFMANN Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Lausanne - - 130.223.2.2 - 28/03/2014 07h05. © Maison des sciences de l'homme publique”. Certes, du point de vue d’une socio-histoire des mots politiques et de leurs usages discursifs, ce concept dépend des interrelations sémantiques et des rapports sociaux qui ont présidé à son montage conceptuel. Cela étant, bien qu’il garde la marque de ses origines et dépende de l’adhésion probable ou effective que son usage circonstancié est à même de susciter, il dispose bien d’une sémantique interne qui survit à bon nombre de ses oscillations contextuelles. En tant que tel, il peut être appréhendé indépendamment des matériaux historiques qui ont procédé à sa construction et traité sous l’angle d’une théorie de l’argumentation qui s’intéresse à l’efficacité pragmatique et à la pesanteur intrinsèque des significations. Sous cet angle, précisément, le concept d’opinion publique semble conserver, par-delà ses diverses accommodations, le statut de sujet de prédication – un sujet auquel il est possible de se référer (« l’Opinion est la Reine du Monde »), d’imputer des pouvoirs causaux (« l’opinion gouverne le monde »), d’attribuer des buts et des motifs d’action (« l’opinion ne veut pas d’un gouvernement représentatif »), d’identifier sous un aspect particulier (« la tyrannie de l’opinion ») ou encore de quantifier (« une partie de l’opinion désapprouve cette décision »). Bien entendu, une fois l’opinion publique consacrée en tant que foyer énonciatif et donc dotée du statut d’actant collectif, on peut analyser de plus près les différentes déclinaisons de son usage (Landowski 1989). Ainsi, les journalistes qui parlent sur l’opinion sont des médiateurs interprétatifs qui mettent en scène la “voix off” du public : ils visent à faire connaître aux gouvernants les réactions de l’opinion publique qu’ils prétendent déceler, grâce à leur “sens inné” des états d’âme collectifs ou, plus trivialement, grâce au sondage “scientifique” des enquêteurs (Landowski 1989 : 34). Dans un énoncé tel que « le public seroit content d’un enfermement et il suffiroit pour empecher que le nombre des impies n’augmente », le sujet parlant s’efface en tant que locuteur particulier pour se faire l’humble porte-voix du public qu’il consacre comme étant “le sujet logique” de son discours 5. En revanche, ceux qui parlent au nom de l’opinion 5. Cet exemple, qui est de notre fait, est tiré d’une Lettre adressée au Procureur du Roy, 26 juin 1766, expéditeur illisible. Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Lausanne - - 130.223.2.2 - 28/03/2014 07h05. © Maison des sciences de l'homme 56 57 Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Lausanne - - 130.223.2.2 - 28/03/2014 07h05. © Maison des sciences de l'homme délaissent la posture interprétative pour prendre la voix revendicative d’un agent politique dont le but est persuasif, puisqu’il vise à faire agir ou réagir les gouvernants. Un énoncé comme « le peuple se lasse, il vous dit en ce jour par mon organe » ou, plus crûment, « le peuple demande votre tête » n’interprète pas un “dit” préalablement énoncé en bonne et due forme par l’opinion publique ; il instaure la demande populaire au moment même de son énonciation (Conein 1981). Le statut énonciatif de l’opinion publique peut ainsi passer du statut “politologue” d’interprète de l’intérêt général, au statut “politicien” de protagoniste actif d’une mise en scène dramaturgique (Landowski 1989 : 24 et sq.). Cela étant, par-delà ces différences de déclinaison, la consécration de l’opinion publique comme un “Destinateur syntaxique” valide, et donc comme un garant de la crédibilité des discours, la charge par définition de faire agir d’autres sujets (Landowski 1989 : 37). Or, l’étape sémiotique qui consiste à projeter l’opinion publique “sur un carré sémiotique” afin de révéler ses quatre modes d’actualisation principale gagne, à mon sens, à être précédée par une étape sémantique, qui explicite les propriétés primitives permettant à cette étrange instance de faire agir. Nous nous proposons ainsi d’explorer, à l’aide du cadre théorique général d’Oswald Ducrot, le monde idéal, les prolongements juridiques et l’avenir imaginaire ouverts par les énonciations qui ont l’opinion publique comme instance d’énonciation 6. Pour ce faire, nous adopterons une démarche logique et analytique dont le travail d’abstraction et d’inférence se situe au niveau du “composant linguistique” d’un énoncé : un tel travail consiste à attribuer à un énoncé pris indépendamment de tout contexte une certaine signification, et cela avant même que le sens effectif de l’occurrence particulière de ce même énoncé n’ait pu être complètement déterminé (Ducrot 1984 : 15 et sq.). L’isolement d’une des étapes interprétatives nécessaires à la compréhension d’un discours peut sembler, à bien 6. Il nous faut préciser ici que notre démarche ne vise aucunement à présenter la théorie de Ducrot ou de Berrendonner en tant que telles : elle vise à utiliser certains éléments de leurs cadres théoriques pour investiguer notre objet “opinion publique” dont ni l’un ni l’autre n’ont traité – du moins, à ma connaissance. Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Lausanne - - 130.223.2.2 - 28/03/2014 07h05. © Maison des sciences de l'homme L’OPINION PUBLIQUE OU LA SÉMANTIQUE DE LA NORMALITÉ LAURENCE KAUFMANN Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Lausanne - - 130.223.2.2 - 28/03/2014 07h05. © Maison des sciences de l'homme des égards, artificiel. Mais cet isolement interprétatif ne suspend que provisoirement la deuxième étape interprétative, centrée sur “le composant rhétorique” qui résulte de l’accomplissement situé et de la signification effective de l’événement énonciatif (Ducrot 1984 : 15 et sq.). Il ne s’agit donc aucunement ici de récuser l’importance de l’analyse des occurrences empiriques : il est évident que les individus n’ont pas affaire, dans la vie ordinaire, à des concepts abstraits, à des structures logiques ou à des actes de langage idéaux. De plus, si la sémantique interne et la valeur d’action d’un concept contraignent virtuellement les (inter)locuteurs, elles ne contraignent pas les usagers et destinataires réels, qui restent libres de les reprendre à leur compte. Ainsi, bien qu’un acte de langage tel que « je promets de voter pour toi ce soir » ait la capacité structurelle d’engager son destinateur à tenir sa promesse, sa continuation logique peut toujours être refusée, trahie ou reniée par son énonciateur empirique (Searle 1969). De même, l’analyse de la sémantique “pragmatisée” du concept d’opinion publique, tout en soulignant la nature agissante des énoncés qui le prennent comme instance d’énonciation, ne préjuge pas du suivi effectif des contraintes qu’encapsule un tel concept 7. Cependant, les instanciations contingentes d’un contenu conceptuel ou de l’armature logique d’un acte de langage ne compromettent pas nécessairement leur valeur d’usage ou leur effet d’obligation internes. D’une certaine manière, l’on retrouve ici la distinction entre le niveau général et structurel de la langue et le niveau situé et contingent de la parole, mais à une différence près et qui n’est pas des moindres : il ne s’agit pas ici d’une distinction rigide entre deux types de réalité différente mais d’une seule et même réalité, appréhendée selon deux niveaux complémentaires de description 8. 7. La pragmatique intégrée que propose Ducrot consiste en effet à remplacer une sémantique formelle, centrée sur les contenus informatifs, par une sorte de sémantique “pragmatisée” ou, mieux, de “pragmatique formelle” qui articule actes virtuels abstraits et instructions interprétatives. Loin de “pragmatiser” après coup une sémantique sans rapport avec l’action, il s’agit de concevoir une pragmatique primitive des énonciations conçues comme de véritables instruments de guerre argumentatifs. 8. C’est ce que suggèrent, chacun à leur manière, des penseurs tels que Descombes, Taylor, Searle (celui des Speech Acts) et Ducrot en reconsidérant la dualité langue- Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Lausanne - - 130.223.2.2 - 28/03/2014 07h05. © Maison des sciences de l'homme 58 59 Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Lausanne - - 130.223.2.2 - 28/03/2014 07h05. © Maison des sciences de l'homme La description structurelle des effets déterminés d’une énonciation rend ainsi possible, par la suite, la description empirique des occurrences qui se conforment ou font violence à une telle structure. Notre démarche se situe précisément au niveau d’une telle description structurelle, car c’est celle-ci qui permet, à terme, d’interroger le mode d’existence des “objets” discursifs en général et de l’opinion publique en particulier. La mise en transparence argumentative Afin de montrer en quoi consiste le squelette sémantique du concept d’opinion publique, nous allons adopter une théorie de l’argumentation qui se montre plus soucieuse de la signification intrinsèque des énoncés que des circonstances situées de leur énonciation. Dans cette perspective, les opérateurs argumentatifs sont considérés comme des éléments primitifs, d’ordre sémantique, qui intègrent des propriétés pragmatiques au sein même de la structure de la langue – conformément en cela à la “pragmatique intégrée” (Anscombre et Ducrot 1988). Ces “unités” sémantiques ne sont donc pas dérivées de la situation de communication ; au contraire, elles sélectionnent a priori, de manière structurelle et non pas contingente, les chemins interprétatifs qui restreignent l’éventail des possibilités de l’enchaînement discursif. Elles engendrent également des attentes quant aux “satisfactions” qui leur sont grammaticalement reliées ; par exemple, l’attente d’une réponse à une question ne peut être satisfaite, par définition, que par la réponse elle-même, quelles que soient les circonstances contingentes qui peuvent empêcher sa réalisation pratique – l’interlocuteur n’a pas compris que c’était une question, la réplique est inaudible, etc. parole, règle-pratique, comme une différence de niveau de description d’un même phénomène : on peut décrire les pratiques en termes de règles, même si la pratique elle-même ne consiste pas en une conformité à des règles externes. Chez Descombes comme chez Ducrot, il existe ainsi un niveau de description structurale qui décrit les pratiques sous le mode “quasi-juridique” de ce qu’elles devraient être mais ne décrit pas encore comment elles sont effectivement. Voir Taylor (1995), Searle (1972), Descombes (1996) et Ducrot (1984). Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Lausanne - - 130.223.2.2 - 28/03/2014 07h05. © Maison des sciences de l'homme L’OPINION PUBLIQUE OU LA SÉMANTIQUE DE LA NORMALITÉ LAURENCE KAUFMANN Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Lausanne - - 130.223.2.2 - 28/03/2014 07h05. © Maison des sciences de l'homme Ces alliages normatifs, qu’ils soient topiques ou pragmatiques, renvoient à une connexion grammaticale qui a presque « la dureté du doit (devoir) logique », faisant ainsi de l’argumentation un espace de conformité sinon d’obligation (Wittgenstein 1961 : § 437). En effet, le destinataire doit prouver qu’il dispose de la compétence cognitive et culturelle nécessaire à la poursuite de l’échange en cours en produisant une réponse adaptée, tant du point de vue de la cohérence de son contenu (la thématique de la discussion) que du point de vue de l’adéquation de son énonciation par rapport à l’acte de langage précédent. L’argumentation tend ainsi à enfermer les interlocuteurs dans un univers qu’ils n’ont pas choisi en leur imposant une alternative à laquelle ils ne peuvent échapper : faire ce qu’ils doivent faire, c’est-à-dire répondre de manière ajustée, ou bien alors se taire et enfreindre la règle de conversation de manière à s’exclure euxmêmes de l’échange (Ducrot 1984, 1991). L’argumentation, ainsi caractérisée en termes d’attentes normatives et d’enchaînements discursifs, est réussie lorsque ses destinataires s’inscrivent de leur plein gré dans le même univers de référence. Une des conditions de la réussite argumentative est donc la neutralisation de l’énonciation, celle-ci se présentant non comme un point de vue parmi bien d’autres, ce qui laisserait à l’auditoire la possibilité de se positionner à son encontre, mais comme l’expression des choses elles-mêmes. Cette apparente adéquation entre le discours et son objet permet l’effacement symbolique, bien évidemment illusoire, des intermédiaires “opacifiants” qui déforment la chose représentée en la présentant à leur manière subjective et donc contestable. L’argumentation, en offrant des signes transparents aux vues de l’esprit de ses destinataires, fait ainsi valoir, pragmatiquement parlant, un seul des « deux destins possibles du signe » dont parle François Récanati : elle court-circuite le niveau “opaque” du signe discursif en tant que chose significative, qui prend fait et cause dans des réseaux conceptuels différenciés, pour mieux mettre en exergue le niveau “transparent” du signe que sa “quasi-invisibilité” résorbe dans “la chose signifiée” (Récanati 1979 : 33). Or, parmi les moyens qui permettent aux orateurs ambitieux de récolter les contrecoups persuasifs de cette mise en transparence, Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Lausanne - - 130.223.2.2 - 28/03/2014 07h05. © Maison des sciences de l'homme 60 61 Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Lausanne - - 130.223.2.2 - 28/03/2014 07h05. © Maison des sciences de l'homme l’usage du concept “opinion publique” constitue, pourrait-on dire logiquement ou du moins grammaticalement, une manœuvre redoutable. En effet, un des principaux subterfuges rhétoriques consiste, pour le locuteur, à revêtir son propre point de vue des attributs impersonnels du point de vue de quiconque. En faisant coïncider ses intérêts, ses croyances et ses conduites « avec ce qui est réputé normal et légitime », en les unifiant « avec des valeurs reconnues pour les faire valoir auprès de l’autre », il dote ses arguments des traits généralisables et reproductibles qui sont, une fois réactivés par l’auditoire, l’indice manifeste de sa victoire (Berrendonner 1990 : 7). Les montages discursifs qui recourent à l’opinion publique, dans la mesure où ils délaissent le sens subjectif que revêt nécessairement pour le locuteur une situation donnée, bénéficient précisément d’une telle propension à la généralisation. Dans la mesure où “l’opinion publique” incarne le point de vue des croyances communes et du consentement mutuel, elle crédite les énoncés dont elle est l’instance d’énonciation officielle d’un “état de la vérité” qui est censé être suffisamment public et impersonnel pour être partagé, du moins en principe, par tous les interactants. La communauté argumentative que la “collectivisation” artificielle du locuteur parvient ainsi à suggérer est d’autant plus prégnante qu’elle redouble, au niveau rhétorique, la présupposition tacite de toute interaction : la possibilité de “tomber d’accord”, quel que soit le degré de problématisation et de dissensus qui marque par ailleurs l’événement communicationnel. Cette présupposition, dans la mesure où elle présume l’interchangeabilité potentielle des points de vue dans tous les types d’échange, n’est ni une convention provisoire, ni une norme de civilité. Elle renvoie au pré-requis anthropologique qui caractérise la métaphysique profane de la “raison ordinaire”: la présomption d’une communauté de sens et d’expérience qui permet de reconnaître à quiconque le statut d’un semblable apte, en tant que tel, à entrer en relation, à mener des activités de coordination ou à établir des références valides (Pollner 1987). Cette assomption originaire déploie l’horizon d’un accord et d’une compétence indépendants des contraintes empiriques qui sont suscep- Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Lausanne - - 130.223.2.2 - 28/03/2014 07h05. © Maison des sciences de l'homme L’OPINION PUBLIQUE OU LA SÉMANTIQUE DE LA NORMALITÉ LAURENCE KAUFMANN Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Lausanne - - 130.223.2.2 - 28/03/2014 07h05. © Maison des sciences de l'homme tibles de les amender – un accord et une compétence qui lient pour ainsi dire a priori les membres présomptifs du Nous commun dans lequel s’inscrivent et prennent sens toutes les interactions 9. Étant donnée cette présomption générique, n’importe quel locuteur tend à être crédité par ses pairs du statut de relais et/ou de porte-parole du Nous qui les unit, par-delà leurs divergences, dans une même “unanimité de principe” (Pollner 1987). C’est dire si l’énonciateur habile, qui veut masquer aussi bien la subjectivité de son point de vue que l’asymétrie propre à l’accaparement de la parole publique, a tout intérêt à stimuler et à simuler cette procédure de délégation et de validation à crédit. En se faisant le délégué plus ou moins improvisé de “l’opinion publique”, notamment, il réactive à son propre avantage les postulats consensualistes et coopératifs de la raison ordinaire et fait de ses destinataires les co-auteurs virtuels de son propre point de vue. Surtout, en faisant de la communauté d’esprits ou de “l’unanimité de principe” le sujet de son énonciation, il fait explicitement appel à une autorité impersonnelle que toutes les énonciations se contentent de présupposer implicitement afin d’affirmer la validité de leurs assertions ou la légitimité de leurs appréciations. Cette autorité impersonnelle, qui s’apparente d’ailleurs plus à la personne indéterminée du On qu’au sujet collectif ou pluriel auquel le pronom Nous prête à penser, renvoie à ce qu’Alain Berrendonner appelle la “On-vérité” (Berrendonner 1981 : 40 et sq.). “L’ isotopie génétique” ou la force du redoublement Définie comme étant l’opinion publique, le discours de la doxa ou encore l’avis général, la “On-vérité” dont parle Berrendonner est “un agent vérificateur” qui valide une proposition non pas de 9. Melvin Pollner (1987) montre, par exemple, comment les procès judiciaires, en résolvant localement les divergences quant à la description et à la qualification des événements et en désignant ceux dont les conduites sont déviantes ou les comportements anormaux, remplissent une exigence fondamentale de la vie commune : ils réhabilitent “l’unanimité de principe” et la présomption de la communauté d’expérience qui ont été menacées par le conflit des interprétations quant à « ce qui s’est réellement passé ». Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Lausanne - - 130.223.2.2 - 28/03/2014 07h05. © Maison des sciences de l'homme 62 63 Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Lausanne - - 130.223.2.2 - 28/03/2014 07h05. © Maison des sciences de l'homme manière absolue, mais de manière relative en la rapportant à une vérité socialement convenue. La On-vérité « ne se fonde pas sur la conformité du contenu propositionnel à l’état des choses, mais repose sur le seul consentement des participants au dialogue, sur le crédit attribué à ce contenu par la communauté linguistique ou l’une de ses parties » (Berrendonner 1981 : 113). Elle se caractérise par l’ordre du consentement de la doxa : elle impose des artefacts nominaux aux membres d’une communauté qui sont capables, au terme de leur socialisation, de s’y référer par un argument déictique semblable à celui qui leur permet de désigner l’univers référentiel des faits. En effet, pour Berrendonner, la On-vérité, dans la mesure où elle désigne le monde-partagé-avec-les-autres auquel tout un chacun doit se référer pour se faire comprendre, est un “actant” du procès de communication au même titre que les individus en présence, d’une part, et la réalité factuelle qu’il appelle “le fantôme de la vérité”, d’autre part. Toute énonciation renvoie ainsi, directement ou indirectement, alternativement ou simultanément, au déictique de l’ordre du sens subjectif que présente le locuteur, au déictique de l’ordre du sens commun que représente la On-vérité et au “déictique de l’ordre des choses” que soutient la réalité objective. Ces trois types de déictiques sont les mécanismes indexicaux d’embrayage du langage au monde, les trois agents vérificateurs qui valident, le plus souvent tacitement, un énoncé en le rapportant à « trois sortes de vérité : individuelle, commune et universelle » (Berrendonner 1981 : 61). Dans la mesure où ces trois vérités collaborent continûment entre elles, la vérité universelle qui est censée régir la fonction primitive du langage que constitue, pour Berrendonner, la dénotation, tend à rester – comme son nom l’indique – désespérément fantomatique. Elle cède le plus souvent la place à ses consœurs dans le jeu social d’une communication qui reste essentiellement relative aux individus parlants et aux personnages sociaux et institutionnels qu’ils endossent. Ainsi, dans des expressions telle que « cette rose est noire », « ceci est une licorne » ou « pour l’opinion publique, le citoyen ne peut être privé de sa liberté d’expression », la validation, neutre et fantomatique, de « l’avis de la personne d’univers » est rendue impossible par une relation de dénotation fausse, vide ou empi- Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Lausanne - - 130.223.2.2 - 28/03/2014 07h05. © Maison des sciences de l'homme L’OPINION PUBLIQUE OU LA SÉMANTIQUE DE LA NORMALITÉ LAURENCE KAUFMANN Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Lausanne - - 130.223.2.2 - 28/03/2014 07h05. © Maison des sciences de l'homme riquement invérifiable. C’est la validation impersonnelle et anonyme de l’opinion commune qui prend dès lors le relais en transformant leur fausseté de fait, ce que Berrendonner appelle leur “ø-fausseté”, en une vérité de discours, c’est-à-dire en “une On-vérité” 10. Au niveau politique, le concept d’opinion publique, dans la mesure où il concentre dans son appellation même la On-vérité qui constitue d’ordinaire la ressource et l’arrière-plan de toute énonciation, représente une arme redoutable dans la lutte pour l’imposition non violente d’une nouvelle orthodoxie. Qu’il fonctionne comme un macro-sujet intentionnel qui est capable de ressentir et de connaître (« l’opinion publique n’aime plus son roi »), comme un acteur politique qui est responsable de la mise en œuvre d’une action collective (« l’opinion publique a imposé la condamnation du député ») ou comme le destinataire d’une parole qui lui serait adressée (« il faut alerter l’opinion publique sur les dangers de cette décision »), il convoque de façon explicite un dispositif de ratification qui régit “en sourdine” toutes les prétentions à validité. Indépendamment de son usage en tant qu’agent ou patient d’une action collective, il table en effet sur le consentement et la connivence sur lesquels misent tous les agents ordinaires pour vaquer à leurs activités quotidiennes. En d’autres termes, l’opinion publique, en objectivant la On-vérité, incarne à elle seule l’un des trois agents de vérification qui composent, par définition, le jeu ternaire de la communication. Aussi bien par la modalité de son usage que par la légitimation qui lui est corrélative, elle met en exergue le fait que la source ultime des vérités publiques, à savoir la voix anonyme et légitime de la communauté, garantit bien plus sûrement leur acceptabilité que la valeur intrinsèque de leur 10. Cette On-vérité, qu’elle prenne la forme de la loi générale qu’est l’avis de tout le monde (« le peuple déclare obligatoire le port de la cocarde ») ou des lois institutionnelles (« je vous déclare mari et femme »), est au fondement de la performativité des actes de langage : en faisant crédit au discours de l’action à laquelle il prétendait se substituer, elle est à même de transformer un état de choses possible en un état de choses actuel. « Elle [ndlr. la vérité de cet énoncé] ne se fonde pas sur la conformité du contenu propositionnel à l’état des choses, mais repose sur le seul consentement des participants au dialogue, sur le crédit attribué à ce contenu par la communauté linguistique ou l’une de ses parties » (Berrendonner 1981 :113). Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Lausanne - - 130.223.2.2 - 28/03/2014 07h05. © Maison des sciences de l'homme 64 65 Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Lausanne - - 130.223.2.2 - 28/03/2014 07h05. © Maison des sciences de l'homme contenu. Compte tenu de la préséance et de l’omniprésence de cette source d’autorité génétique et donc non modifiable, on peut émettre l’hypothèse que la figure de l’opinion publique et l’agent de vérification qu’est la On-vérité sont reliés par ce que j’appellerai une isotopie génétique ou structurelle. Le concept d’“isotopie” vise à souligner, en effet, la redondance des catégories sémantiques dans un discours donné, leur homogénéité ou leur compatibilité mutuelle permettant de canaliser les parcours interprétatifs de leurs destinataires (Greimas 1966). Ainsi, l’isotopie sémantique ou thématique engendrée par la prééminence, dans un même discours, d’occurrences telles que “peuple”, “public” ou “nation”, contribue à l’uniformité relative de sa réception. Or, “l’opinion publique”, c’est du moins notre hypothèse, entretient avec la On-vérité une isotopie fondamentale. Cela n’exclut pas, bien entendu, que l’usage de “l’opinion publique” soit à même de jouer superficiellement sur plusieurs plans isotopiques : ses actualisations particulières peuvent la renvoyer aussi bien à la totalité d’un corps social quasi-mystique, à la revendication politique d’un sujet collectif, aux états d’esprit d’un ensemble d’individus ou encore au jugement public d’un événement donné. Mais par-delà les différentes évocations qu’elle est même d’enchevêtrer ou d’exclure dans son appellation, elle semble rattachée à la On-vérité par une isotopie souterraine qui ferme l’éventail interprétatif des œuvres argumentatives dans lesquelles elle fait office de sujet de prédication. Pour défendre cette hypothèse, il nous faut d’abord brièvement rappeler les caractéristiques du statut des présuppositions discursives telles qu’elles sont notamment analysées par Ducrot. Contrairement au “sous-entendu”, qui est pour ainsi dire surajouté par l’interprétation de l’interlocuteur et donc postérieur à l’acte énonciatif, le “posé” est simultané à l’acte de discours et le “présupposé” lui est antérieur (Ducrot 1984 : 21 et sq.) 11. L’énoncé qui 11. Ainsi, à la différence du “sous-entendu” qui renvoie au “composant rhétorique”, c’est-à-dire au niveau des conditions d’occurrences et de l’interprétation de l’auditeur, le présupposé est un produit du “composant linguistique”. D’après Ducrot, le présupposé n’est pas une notion sémantique qui relierait de purs contenus propo- Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Lausanne - - 130.223.2.2 - 28/03/2014 07h05. © Maison des sciences de l'homme L’OPINION PUBLIQUE OU LA SÉMANTIQUE DE LA NORMALITÉ LAURENCE KAUFMANN Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Lausanne - - 130.223.2.2 - 28/03/2014 07h05. © Maison des sciences de l'homme est posé explicitement comme un objet ou un thème à discuter est ainsi toujours accompagné par un certain nombre de présupposés, antérieurs par définition, qui le qualifient et orientent son interprétation (Ducrot 1984). Par exemple, le posé « nous autres, qui sommes du peuple, connaissons bien la misère de notre condition » suppose la démarcation sinon la polarisation incompressible des énonciateurs par rapport à un autre groupe ; le présupposé pourrait ainsi prendre la forme propositionnelle d’un « vous autres, qui n’êtes pas du peuple, ne connaissez rien à la misère de notre condition ». Les termes de cette totalité illocutoire complexe, constituée par le posé discursif et les présupposés qui l’accompagnent, sont indissociables pour trois raisons essentielles. D’une part, les présuppositions pré-justifient le discours, car elles déclinent les postulats linguistiques (l’opposition syntagmatique nous/vous), mais aussi sociaux (le peuple/l’aristocratie) qui rendent son énonciation pertinente et vraisemblable. D’autre part, l’acceptation du conséquent explicite de l’argumentation renforce en retour, et de manière chaque fois plus définitive, les prémisses implicites qui constituaient son antécédent – en l’occurrence, l’antinomie de l’en-groupe et du hors-groupe. Enfin, l’alliage illocutoire qui articule ainsi les deux actes complémentaires et simultanés que forment le posé et le présupposé est encore renforcé par une “isotopie thématique” (« connaître la misère de notre condition ») qui donne une cohérence sémantique à ce double acte de langage, l’un étant implicite, l’autre explicite (Berrendonner 1981 : 50). Même si les présupposés n’ont jamais été nommément introduits dans le discours, ils sont unis au posé par une triple connivence qui leur permet d’accéder au passé commun de la connaissance – une connaissance qui fait « l’objet d’une complicité fondamentale qui lie entre eux les participants à l’acte de communication » (Ducrot 1984 : 20). Cette complicité a, bien entendu, un prix. En validant sans mot dire le cadre indiscuté de l’argumentation, elle exerce un effet indésitionnels sous le mode logique et vériconditionnel du type “si p, alors q”, mais une notion discursive et pragmatique. Il impose aux enchaînements discursifs des conditions cadres qui “obligent” le destinataire à continuer le dialogue dans une certaine direction plutôt que dans une autre. Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Lausanne - - 130.223.2.2 - 28/03/2014 07h05. © Maison des sciences de l'homme 66 67 Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Lausanne - - 130.223.2.2 - 28/03/2014 07h05. © Maison des sciences de l'homme niablement contraignant sur l’auditoire devenu, bon an mal an, consentant : elle lui impose un certain état de la vérité. Or, l’état de la vérité ainsi imposé par l’ensemble des présupposés implicites du discours renvoie à un Nous ou à un On, c’est-à-dire à une voix collective à l’intérieur de laquelle le locuteur est lui-même rangé et inclus (Ducrot 1984 : 20-21). Contrairement au posé, qui engage la responsabilité en “je” du locuteur même si celui-ci tente de s’esquiver en donnant à son énoncé l’apparence d’une croyance commune non problématique, le présupposé repose, en dernière instance, sur la On-vérité. Ainsi, l’énoncé « l’opinion publique n’aime plus son roi » présente deux énonciateurs : l’un de ceux-ci, implicite, est un certain On qui est responsable du contenu présupposé, ie. « l’opinion publique a un jour aimé son roi ». Le présupposé est ainsi la ressource et non le thème de l’argumentation : il est “ce à partir de quoi” et non “ce à propos de quoi” le dialogue peut s’établir. En tant qu’élément implicite du monde partagé par les interlocuteurs, il est un fait de langue, non de rhétorique, qui jouit du statut de On-vérité. Si l’on suit Berrendonner, parmi tous les présupposé spécifiques qui cadrent un énoncé, il y a toujours une présupposition méta par rapport au contenu propositionnel de l’assertion : celle qui prend implicitement l’énoncé pour thème et lui attribue une valeur de vérité (Berrendonner 1981 : 50-53). À ce titre, on pourrait dire que les préjugés ordinaires de validité, qui soutiennent et donnent sens aux jugements posés ou exposés dans le discours, constituent une forme générique de présupposition qui implicite l’accord originaire des interlocuteurs. Ainsi, énoncer un proverbe tel que « il ne faut pas vendre la peau de l’ours avant de l’avoir tué » présuppose de la part du sujet parlant un “je conviens que” qui manifeste son allégeance tacite à des vérités culturellement établies dont la corpulence sociale suffit à lester son propre énoncé d’une présupposition de On-vérité. De manière analogique, la présupposition de tout acte de langage semble être la prétention à sa validité et, par là même, la référence déférente à un lointain méta-énonciateur qui bénéficie du statut littéralement fondateur du “Maître de la signification” (Castoriadis 1990 : 123). Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Lausanne - - 130.223.2.2 - 28/03/2014 07h05. © Maison des sciences de l'homme L’OPINION PUBLIQUE OU LA SÉMANTIQUE DE LA NORMALITÉ LAURENCE KAUFMANN Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Lausanne - - 130.223.2.2 - 28/03/2014 07h05. © Maison des sciences de l'homme Compte tenu de l’omniprésence de cette macro-validation impersonnelle, l’isotopie thématique qui rattache d’ordinaire le présupposé au posé discursif se double, lorsque “l’opinion publique” est le sujet explicite d’une énonciation, d’une isotopie génétique. En effet, dans ce cas particulier, le dénominateur commun entre le posé et le présupposé est précisément l’agent vérificateur qu’est l’opinion commune: celle-ci soutient la validité de la proposition non seulement en sous-main, mais également dans le registre de la “manifesteté mutuelle” propre à l’argumentation (Sperber et Wilson 1986). Ainsi, dans un énoncé tel que « l’opinion publique a manifesté son attachement au jury populaire », le topos de l’opinion publique redouble le jugement commun qui soutient, d’une manière tacite et anté-prédicative, tous les contenus propositionnels 12. Ce faisant, il met explicitement en jeu “l’universel particulier” de la On-vérité qui est, comme le suggère Merleau-Ponty, une opinion originaire dans le double sens d’“originelle” et de “fondamentale”, puisqu’elle est la forme à la fois la plus rudimentaire et la plus mûre du savoir (Merleau-Ponty 1945 : 454 ; Beaud et Quéré 1990 : 7 et sq.). Cette opinion originaire, qui est présupposée, on l’a vu, dans tous les énoncés, manifeste le “report de l’énonciation en arrière du sujet” vers le point de vue en Nous ou en On d’une communauté qui dote d’emblée les énoncés d’une valeur de vraisemblance (Descombes 1977 ; Quéré 1990). Les sujets parlants instancient inévitablement dans leurs discours ce point de vue originaire, puisque ce dernier pré-détermine et possibilise, en creux, le sens des énoncés dont il est la mesure et le garant ultime. Si l’on suit Vincent Descombes, les locuteurs parlent donc toujours après et d’après ce point de vue a priori qui représente la “loi de l’énonciation”, c’est-à-dire l’ordre normatif tierce qui structure “l’inter-dit” (Descombes 1977 : 128). On comprend mieux, dans cette perspective, la circularité ou plutôt l’illusion de la circularité de la On-vérité et de l’opinion publique. Elles s’inscrivent toutes deux dans un même lieu originaire, celui de la production et de la validation en Nous ou en On des significations 12. La citation est de Jacques Toubon, Journal de 13h., TF1, le 15 mai 1996. Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Lausanne - - 130.223.2.2 - 28/03/2014 07h05. © Maison des sciences de l'homme 68 69 Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Lausanne - - 130.223.2.2 - 28/03/2014 07h05. © Maison des sciences de l'homme sociales. Toutefois, le processus circulaire de véridiction que dessine leur isotopie génétique n’est en rien une reproduction à l’identique, car elles n’ont pas la même fonction pragmatique. Alors que la Onvérité est le lieu anté-prédicatif du sens, l’opinion publique est une instance de validation explicite qui met en scène un sens commun qui n’est plus, par définition, celui qui constitue le fonds incommunicable de toute communauté. En effet, lorsque l’opinion publique objective des fragments de la On-vérité dans le régime de visibilité et d’articulation qui est le sien, elle transforme radicalement leur statut. Comme le dit Francis Jacques, le savoir tacite de sens commun va sans dire : il ne supporte d’être dit ou rappelé que s’il a été contesté de telle sorte qu’il change de sens, voire le perd, lorsqu’il fait l’objet d’une explicitation publique (Jacques 1986). La circularité dont il est question ici est donc essentiellement une illusion rhétorique. L’opinion originaire de la On-vérité, en circonscrivant le champ du pensable et du dicible, permet aux intentions de signification de l’individu d’être immédiatement congruentes avec celles de sa société. En revanche, le concept d’opinion publique ne peut jouir, en tant que concept, du statut matriciel de cette opinion originaire ; il cautionne plutôt le répertoire des contenus sémantiques mal certifiés qui doivent encore être mis en évidence, au sens littéral du terme. En objectivant la présumée vérité commune, l’opinion publique remplit donc essentiellement un rôle palliatif par rapport au mode du “cela va de soi” qui caractérise la On-vérité. Elle représente une instance de recours pour les questions, notamment politiques, mythologiques et morales, qui concernent toute la communauté et qui ne peuvent être résolues par un autre agent de vérification. L’imputation juridique à la normalité Au vu de ce qui précède, le concept “opinion publique” bénéficie d’une propriété remarquable : quelles que soient l’ambiguïté et l’indétermination de sa sémantique, il ravive et met en évidence, dans un raccourci saisissant, la condition de validation grammaticale de tout discours, le lieu commun de toute énonciation. Ce lieu commun, c’est l’opinion de tous, non pas au sens du cumul factuel Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Lausanne - - 130.223.2.2 - 28/03/2014 07h05. © Maison des sciences de l'homme L’OPINION PUBLIQUE OU LA SÉMANTIQUE DE LA NORMALITÉ LAURENCE KAUFMANN Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Lausanne - - 130.223.2.2 - 28/03/2014 07h05. © Maison des sciences de l'homme des opinions de chacun ou du catalogue des opinions reçues, mais au sens de ce que tout un chacun doit dire pour que son discours soit tenu pour vraisemblable. Les argumentations qui dupliquent, avec la figure explicite de l’opinion publique, l’agent vérificateur que représente en tout temps l’avis général bénéficient donc de tous les avantages du “raisonnement par l’autorité” (Ducrot 1984 : 150 et sq.). En effet, le sujet parlant qui se réfère explicitement au répertoire public des jugements de la On-vérité et donc à une classification préexistante construit officiellement son propre discours sur “les discours des autres” (De Certeau 1981). Il ne revendique pas son énonciation comme étant un acte de qualification ou d’évaluation personnel dont il voudrait, en tout premier lieu, informer son auditoire. Il effectue une “prédication seconde” qui se contente d’homologuer un jugement d’ores et déjà accompli, en l’occurrence l’avis de tous (Ducrot 1980 : 57-92). De telles prédications secondes, ainsi assumées par un méta-énonciateur extrinsèque qui prend en charge leur validation, se voient alors indûment conférer le droit d’être les prémisses de base d’un raisonnement apparemment neutre. Cette neutralité, théoriquement réservée aux jugements de fait validés par la ø-vérité, tient non à sa conformité à des faits primitifs, mais à l’éviction apparente de toute contrainte, notamment argumentative (Anscombre et Ducrot 1986). Cet ostracisme pacificateur, illégitime du point de vue de la déontologie linguistique, provient du fait que la figure de l’opinion publique enchaîne ses destinataires à une instance de validation qui paraît construite à leur propre mesure : le miroir d’identification qu’elle déploie mise, en effet, sur un “sujet” tout à fait inédit, puisqu’il s’agit de tout le monde, de quiconque et de personne. Or, cet effet de miroir ne se réduit pas à un reflet anodin et complaisant ; il s’avère de fait extrêmement contraignant dans la mesure où il impute un nouveau statut “juridique” à ses destinataires, qu’ils approuvent ou contestent le discours qu’il met en scène (Ducrot 1984, 1991). En convoquant l’opinion commune, le locuteur en appelle en creux au blâme et à la désapprobation sociale que suscite la non-conformité, persuadant les interlocuteurs de se rallier à sa cause sous peine d’être exclus de la normalité, présente ou à venir. Ainsi, “l’opinion publique”, en enrôlant locuteur et allocutaire Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Lausanne - - 130.223.2.2 - 28/03/2014 07h05. © Maison des sciences de l'homme 70 71 Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Lausanne - - 130.223.2.2 - 28/03/2014 07h05. © Maison des sciences de l'homme dans une seule et même figure, en les prenant à témoin mais aussi à partie dans les termes mêmes de l’échange, construit et impose “l’espace du sujet”, c’est-à-dire « ce au nom de quoi le locuteur se voit obligé de parler » (Borel 1983 : 63 et sq.). Tous les agents ordinaires, qui entrent de plein droit dans cet “espace du sujet”, sont d’ores et déjà les co-énonciateurs virtuels et donc les co-responsables de ce qui est en train de se dire en leur nom. Le contrat communicationnel est ainsi biaisé d’emblée, car les réactions potentiellement critiques des destinataires sont désamorcées par leur intégration dans un sujet d’énonciation qui leur impose “naturellement” le ralliement à une bonne cause, celle de tous. Autrement dit, l’énonciation qui table sur l’avis prétendument commun attribue indirectement à ses allocutaires le statut juridique d’adhérent, nécessairement consentant, d’une même communauté de pensée. Comme le dirait Jeff Coulter, l’invocation de l’opinion publique instancie une “catégorie d’identification” tout à la fois collectivisante et unanimisante : elle prétend englober et dépasser les catégorisations différenciées qui permettraient, par exemple, d’individuer ses destinataires par leur état civil, par leurs biographies particulières ou même par les rôles sociaux fragmentaires qu’ils remplissent simultanément (paysans, artisans, avocats, père de famille, époux, etc.) (Coulter 1996). Cette macro-catégorisation, en misant sur l’accord transversal des esprits qui est censé dépasser l’appartenance particulière de ses multiples destinataires, les consacre peu ou prou comme les attributaires d’une règle qui est celle de la loi commune. Cette adresse intempestive les confine dans un univers de discours qui leur impose « le rôle d’un personnage de la comédie illocutoire » dont ils sont, bon an, mal an, les obligés (Ducrot 1981 : 81). Les protagonistes de cette comédie imposante ne bénéficient plus que d’une valeur de position qui se réduit à la posture anonyme du “particulier”, au sens juridique du terme, dont les droits et surtout les devoirs sont ceux de coopération et de conformité 13. Les particuliers 13. Nous nous inspirons ici, dans le cadre de la problématique qui est la nôtre, des notions du suppôt et de particulier que Vincent Descombes utilise pour montrer le mode d’individuation statutaire que les règles sociales imposent aux individus qui en sont, au sens quasi juridique du terme, les attributaires. (Cf. Descombes 1996). Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Lausanne - - 130.223.2.2 - 28/03/2014 07h05. © Maison des sciences de l'homme L’OPINION PUBLIQUE OU LA SÉMANTIQUE DE LA NORMALITÉ LAURENCE KAUFMANN Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Lausanne - - 130.223.2.2 - 28/03/2014 07h05. © Maison des sciences de l'homme en question, une fois qu’ils ont endossé les attributs typiques du membre compétent de la communauté, qui collabore, comme toute personne sensée, à l’ordre social, sont conduits à opiner, moins dans le sens d’émettre leur avis que dans celui, plus récent, de consentir. Dans le cadre de cette normalisation subreptice, les avis dissonants par rapport au jugement d’évaluation publique ainsi mis en exergue apparaissent comme des dissidences et des sécessions potentielles que leurs “suppôts” sont sommés de justifier. À l’inverse, les porteurs de l’opinion commune n’ont pas à se justifier car ils ont pour eux la justification supérieure, si ce n’est ultime, de l’avis de ce que l’on pourrait appeler, par analogie à l’avis de la personne d’univers dont parle Berrendonner, “la personne de société”. Au terme de ce parcours, il semble bien que les propriétés isotopiques du concept intensionnel d’opinion publique, ses incitations juridiques à la conformité et ses propensions conjonctives, constituent son squelette sémantique. Bien entendu, la relative immuabilité de ces propriétés génériques n’est pas imperméable au contexte de leur application, car leur activation dépend également de leur mode d’emploi. Mais si l’on délaisse provisoirement la manière dont les individus utilisent le langage pour décrire et transformer le monde qui les entoure, pour mieux se concentrer sur les effets structurels que génère le langage lui-même, le concept d’opinion publique semble bel et bien disposer d’un pouvoir d’action intrinsèque. En objectivant notamment la compréhension incorporée du sens commun comme s’il s’agissait d’une intentionnalité collective, il réactive les pré-requis de la raison ordinaire et mobilise, par là même, les ressemblances de fond qui unissent ses destinataires. En effet, l’objectivation de cette intentionnalité collective suggère nommément aux “co-agents” de renoncer à des actes symboliquement idiosyncrasiques ou monologiques pour s’engager dans une entreprise plus ou moins “dialogique” dans laquelle ils sont tenus de se produire et de se percevoir comme étant les parties intégrantes d’un Nous (Taylor 1995). Tout comme les proverbes, les énonciations qui se réclament de l’opinion publique n’ont donc pas le statut descriptif des discours Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Lausanne - - 130.223.2.2 - 28/03/2014 07h05. © Maison des sciences de l'homme 72 73 Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Lausanne - - 130.223.2.2 - 28/03/2014 07h05. © Maison des sciences de l'homme qui souscrivent à une “loi d’informativité” (Berrendonner 1981 : 53). Elles ont plutôt le statut normatif et performatif des discours qui entérinent une sorte de loi de la normalisation en confirmant les propositions que les destinataires sont d’ores et déjà censés connaître et en affirmant des jugements qui font d’emblée l’objet d’une présomption de On-vérité. Dans la mesure où de telles énonciations substituent la logique du savoir de sens commun à celle de la sujétion et/ou de la nécessité, elles implicitent la contrainte en invitant chacun à opiner aux idées et aux évaluations déclarées officiellement communes. Cette invitation ne paraît d’ailleurs guère “obligeante” : la prétention à validité de l’opinion publique ayant pour elle, tout au moins potentiellement, le consentement universel, elle satisfait la fonction pragmatique, essentielle pour les discours normatifs, qui consiste à “masquer la prescription” (Berrendonner 1982 : 41 et sq.) 14. Du coup, la thématisation même “déformante” de la On-vérité déploie, bien plus encore que les concepts en général dont parle Michel Meyer, “un lieu d’identité” qui supprime les questions potentiellement séparatrices, condense les réponses fragmentaires et les intègre dans un “lieu commun” qui est censé cimenter la « rencontre des hommes et de leurs discours » (Meyer 1996 : 36). Car l’opinion publique, grâce notamment à l’isotopie génétique qui la leste, on l’a vu, de l’autorité inconditionnelle de l’opinion originaire, déploie des énonciations potentiellement monophoniques. La polyphonie apparente qui permet de distinguer prime facie le sujet parlant (le locuteur empirique) du sujet d’énonciation (l’opinion 14. Dans cette perspective, il semble que la description d’un “état” donné de l’opinion publique semble pouvoir opérer le fameux passage du fait à la norme (du is au ought anglo-saxon) qui oppose nombre de philosophes du langage. En effet, compte tenu des effets juridiques qu’entraîne l’homologation apparemment purement descriptive de l’avis majoritaire, le transfert du mode indicatif du “est” (« l’opinion publique aime toujours son roi ») au mode impératif d’un “doit” (« les membres virtuels de l’opinion publique doivent aimer leur roi ») paraît relativement aisé. Ce “doit”, toutefois, renvoie plus ici aux contraintes sociales, morales et psychologiques, de celui qui est sommé de se rallier ou de s’exclure de l’opinion commune qu’à une obligation d’ordre strictement institutionnelle. Sur les termes du débat “is-ought”, (voir Searle 1972 : 228 et sq.) Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Lausanne - - 130.223.2.2 - 28/03/2014 07h05. © Maison des sciences de l'homme L’OPINION PUBLIQUE OU LA SÉMANTIQUE DE LA NORMALITÉ LAURENCE KAUFMANN Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Lausanne - - 130.223.2.2 - 28/03/2014 07h05. © Maison des sciences de l'homme publique) ne fait que voiler superficiellement la monophonie qui relie, dans les coulisses de la scène argumentative, la personne du locuteur à la “personne de société”. Au niveau de cette charpente “monophonique”, le sujet parlant apparaît comme le support plus ou moins transparent de la co-énonciation de l’opinion publique et de l’agent vérificateur qu’est la On-vérité – une co-énonciation nécessairement convergente, puisqu’elle parle d’une seule et même voix : celle du Nous ou du On de la communauté. Les énoncés qui font de l’avis général leur sujet d’énonciation forment ainsi des expressions auto-référentielles qui se bouclent sur elles-mêmes et renvoient, au niveau explicite du posé comme au niveau implicite du présupposé, à un On-vrai qui n’a pas d’autres preuves de sa validité que le nombre indéfini de ses adeptes. Cette même autoréférentialité ne se limite d’ailleurs pas aux énonciations accomplies sous l’égide de l’opinion publique. Ces dernières mettent explicitement en exergue ce qui constitue l’ordinaire tacite des jugements communs mais aussi des avis subjectifs et des vérités objectives : la condition grammaticale de leur validité publique est en effet, par définition, leur inclusion dans une communauté de sens ontologiquement et logiquement préexistante. Conclusion En guise de conclusion, il nous faut brièvement revenir sur la question que nous avons esquissée au début de cet article : un concept social et politique tel que l’opinion publique peut-il prétendre, en dépit de sa réalité strictement intensionnelle, au statut de “quasiobjet” ? Au terme de notre investigation, il semble que sa reprise et sa “chosification” collectives lui confèrent bel et bien le droit au titre d’“objet notionnel” (Dennett 1990 : 229-266). L’objet notionnel, comme son nom l’indique, a deux caractéristiques essentielles : comme les notions, il renvoie à des entités intangibles qui sont, à strictement parler, inexistantes, puisqu’elles ne sont que les “créatures” de nos « croyances linguistiquement infectées » (Dennett 1990). Mais comme les objets, il a des propriétés suffisamment contraignantes et impersonnelles pour s’imposer aux esprits qui s’y réfèrent. L’opinion publique est une excellente illustration de Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Lausanne - - 130.223.2.2 - 28/03/2014 07h05. © Maison des sciences de l'homme 74 75 Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Lausanne - - 130.223.2.2 - 28/03/2014 07h05. © Maison des sciences de l'homme ces curieuses entités : bien qu’elle ait émergé dans la compétition et l’enchevêtrement des discours argumentatifs qui prolifèrent à la fin de l’Ancien Régime, elle a progressivement conquis une inertie sémantique et un véritable pouvoir d’action qui subsistent avec suffisamment de ténacité pour pouvoir s’imposer à ses usagers. Cette subsistance est d’autant plus tenace que ses propriétés sémantiques ne sont pas uniquement des nœuds interdiscursifs et interactionnels de nature contingente. Elle répond également aux contraintes invariantes, de nature essentielle, qui accompagnent les présomptions anthropologiques de la raison ordinaire. C’est dire si l’objet notionnel “opinion publique”, même s’il ne renvoie pas à un existant réel au même titre que les concepts d’espèces naturels, dispose d’une consistance sémantique “interne” suffisamment récalcitrante pour résister à un grand nombre de ses remaniements. Cette même résistance nous invite, plus généralement, à réfléchir sur l’inscription de ces êtres “non quelconques” que sont les objets notionnels dans l’ameublement ontologique du monde. En effet, ces existants insolites paraissent incorporer en eux-mêmes un véritable pouvoir d’action, et cela indépendamment du pouvoir extrinsèque que les individus et les institutions sont susceptibles d’exercer sur eux 15. En se montrant capables de restructurer le champ d’action et de pensée de leurs destinataires, ils répondent ainsi à un des critères fondamentaux de l’ontologie : celui qui consiste à remplir un rôle causal, ce rôle fût-il limité au contexte d’attentes, de rôles et de modes d’action stéréotypés propres à une collectivité donnée 15. Nous nous éloignons donc ici de la prise de position “sociolinguistique” de Berrendonner pour lequel, à l’inverse, les mots ne peuvent agir que grâce aux usages et aux systèmes de normes extra-linguistiques, institutionnels ou interpersonnels, qui leur donnent “du dehors” l’efficacité apparemment interne dont ils semblent pourvus. Il me semble que la position de Ducrot et de Searle est à cet égard plus convaincante : les conventions sociales arbitraires associent de manière intrinsèque une énonciation à une obligation. L’obligation est constitutive de l’acte et fait partie de la définition même de l’énoncé. Le résultat conventionnellement attaché à des énonciations n’est pas une simple conséquence extérieure ou un accident empirique intervenu à l’occasion de l’énoncé ; les effets de l’usage des énonciations et de leur sémantique sur la situation du discours sont internes à ces mêmes énonciations (Ducrot 1972 : 12-25). Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Lausanne - - 130.223.2.2 - 28/03/2014 07h05. © Maison des sciences de l'homme L’OPINION PUBLIQUE OU LA SÉMANTIQUE DE LA NORMALITÉ LAURENCE KAUFMANN Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Lausanne - - 130.223.2.2 - 28/03/2014 07h05. © Maison des sciences de l'homme (Laurence et Macdonald 1998). Le dépliement de la sémantique de la normalité qui caractérise l’“opinion publique” suggère que l’emprise causale des objets notionnels sur les esprits qui contribuent, sans le savoir, au maintien de leur existence, repose sur les relations de nécessité juridique que seules les communautés sont à même de générer. Cette nécessité étrange, qui confère une réalité et une efficacité propres à des objets dont l’existence dépend pourtant des actions et des discours qui les ont fait advenir au monde social, pourrait plaider pour une ontologie élargie qui épargne à certaines productions nominales le discrédit métaphysique dont elles sont victimes. Références bibliographiques AKOUN André (1986) – « De l’opinion publique » in A.Akoun (dir.), Le pouvoir des médias. Mélanges offerts à Jean Cazeneuve. Paris, Presses universitaires de France : 149-155. ANSCOMBRE Jean-Claude et Oswald DUCROT (1986) – « Argumentativité et informativité » in M. Meyer (dir.), De la métaphysique à la rhétorique. Bruxelles, Université de Bruxelles : 79-93. — (1988) – L’argumentation dans la langue. Liège, Mardaga. BEAUD Paul et Louis QUÉRÉ (1990) – La formation de l’opinion comme phénomène intersubjectif, pour un changement de paradigme dans l’étude de l’opinion publique. Rapport de recherche. Paris, CNET. BERRENDONNER Alain (1981) – Eléments de pragmatique linguistique. Paris, Minuit. — (1982) – L’éternel grammairien. Étude du discours normatif. Berne/Francfort. Peter Lang. — (1990) – « Avant-propos: système et interaction » in A. Berrendonner et H. Parret (éds.), L’interaction communicative. Berne, Peter Lang : 5-16. BOREL Marie-Jeanne (1983) – « Argumentation et schématisation » in M.-J. Borel, J-B. Grize et D. Miéville (dir.), Essais de logique naturelle. Berne, Peter Lang : 3-95. Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Lausanne - - 130.223.2.2 - 28/03/2014 07h05. © Maison des sciences de l'homme 76 77 Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Lausanne - - 130.223.2.2 - 28/03/2014 07h05. © Maison des sciences de l'homme BOUDON Raymond, François BOURRICAUD et Alain GIRARD (dir.) (1981) – Science et théorie de l’opinion publique. Paris, Retz. BOURDIEU Pierre (1973) – « L’opinion publique n’existe pas », in Questions de sociologie. Réimpr. 1984, Paris, Minuit : 222-235. CASTORIADIS Cornelius (1990) – Le monde morcelé. Les carrefours du labyrinthe III. Paris, Seuil. CONEIN, Bernard (1981) – « La position du porte-parole sous la Révolution française », in M . Glatigny et J. Guilhaumou (éd.), Peuple et pouvoir. Essais de lexicologie. Lille, Presses Universitaires de Lille 153-164. COULTER Jeff (1996) – « Human Practices and the Observability of the “Macrosocial” », Zeitschrift für Soziologie, Jg. 25, Heft 5 : 337-345. De CERTEAU Michel (1981) – « Une pratique sociale de la différence : croire », in Faire croire. Modalités de la diffusion et de la réception des messages religieux e e du XII au XV siècle. Rome, École française de Rome : 363-383. DENNETT Daniel (1987) – La stratégie de l’interprète. Le sens commun et l’univers quotidien. Réimpr. 1990, Paris, Gallimard. DESCOMBES Vincent (1977) – L’inconscient malgré lui. Paris, Minuit. — (1996) – Les Institutions du sens. Paris, Minuit. DUCROT Oswald (1972) – « Préface », in Searle (1972) : 7-34. — (1980) – Les mots du discours. Paris, Minuit. — (1984) – Le dire et le dit. Paris, Minuit. — (1991) – Dire et ne pas dire. Paris, Hermann. GORDON Daniel (1994) – Citizens without Sovereignty. Equality and Sociability in French Thought (1670-1789). Princeton, Princeton University Press. GREIMAS Algirdas-Julien (1966) – Sémantique structurale. Paris, Larousse. GRIZE Jean-Blaise (1990) – Logique et langage. Paris, Ophrys. JACQUES Francis (1986) – « Sens commun, lieu commun, sens communicable », Revue Internationale de Philosophie, vol. 40, n°158 : 207-220. Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Lausanne - - 130.223.2.2 - 28/03/2014 07h05. © Maison des sciences de l'homme L’OPINION PUBLIQUE OU LA SÉMANTIQUE DE LA NORMALITÉ LAURENCE KAUFMANN Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Lausanne - - 130.223.2.2 - 28/03/2014 07h05. © Maison des sciences de l'homme KEY Valdimer O. (1961) – Public Opinion and American Democracy. New York, Knopf. KOSELLECK Reinhardt (1997) – L’expérience de l’histoire. Paris, Seuil/ Gallimard. LANDOWSKI Éric (1989) – La société réfléchie. Paris, Seuil. LARGEAULT Jean (1971) – Enquête sur le nominalisme. Paris/Louvain, Nauwelaerts. LAURENCE Stephen et Cynthia MACDONALD (1998) – « Introduction : Metaphysics and Ontology », in S. Laurence et C. Macdonald (éd.), Contemporary Readings in the Foundations of Metaphysics. Oxford/Massachusetts, Blackwell : 1-7. LEFORT Claude (1978) – Les formes de l’histoire. Essais d’anthropologie politique. Paris, Gallimard. LIPPMANN Walter (1925) – The Phantom Public. New York, Harcourt Brace Jovanovitch. MERLEAU-PONTY Maurice (1945) – La phénoménologie de la perception. Paris, Gallimard. MEYER Michel (1996) – « Les fondements de l’argumentation », in Corinne Hoogaert (dir.), Argumentation et raisonnement. Paris, Presses universitaires de France : 13-36. OZOUF Mona (1987) – « Quelques remarques sur la notion d’opinion publique au XVIIIe siècle », Réseaux n° 22 : 81-103. PADIOLEAU Jean G. (1981) – « Présentation : de l’opinion publique à la communication politique », in J. Padioleau (dir.), L’opinion publique, examen critique, nouvelles directions. Paris/La Haye, Mouton/EHESS : 13-60. PERELMAN Chaïm et Lucie OLBRECHTS-TYTECA (1958) – Traité de l’argumentation. La nouvelle rhétorique. Réimpr. 1976, Bruxelles, Éd. de l’Université de Bruxelles. POLLNER Melvin (1987) – Mundane reason. Cambridge, Cambridge University Press. Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Lausanne - - 130.223.2.2 - 28/03/2014 07h05. © Maison des sciences de l'homme 78 79 Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Lausanne - - 130.223.2.2 - 28/03/2014 07h05. © Maison des sciences de l'homme QUÉRÉ Louis (1990) – « L’opinion: l’économie du vraisemblable, introduction à une approche praxéologique de l’opinion publique », Réseaux, n° 43 : 33-58. RASTIER François (1994) – « Interprétation et compréhension », in F. Rastier, M. Cavazza et A. Abeillé (dir.), Sémantique pour l’analyse. De la linguistique à l’informatique. Paris, Masson : 1-22. RÉCANATI François (1979) – La transparence et l’énonciation. Paris, Seuil. SEARLE John R. (1969) – Les actes de langage. Essai de philosophie du langage. Réimpr. 1972. Paris, Hermann. — (1995) – La construction de la réalité sociale. Réimpr. 1998. Paris, Gallimard. SPERBER Dan et Deirdre WILSON (1986) – La pertinence. Communication et cognition. Réimpr. 1989. Paris, Minuit. STRAWSON Peter F. (1959) – Les individus. Réimpr. 1973, Paris, Seuil. TAYLOR Charles (1995) – « Suivre une règle », Critique, n° 579-580 : 554-572. WITTGENSTEIN Ludwig (1945) – Investigations philosophiques. Réimpr. 1961, Paris, Gallimard. Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Lausanne - - 130.223.2.2 - 28/03/2014 07h05. © Maison des sciences de l'homme L’OPINION PUBLIQUE OU LA SÉMANTIQUE DE LA NORMALITÉ