L'OPINION PUBLIQUE OU LA SÉMANTIQUE DE LA NORMALITÉ
Laurence Kaufmann
Maison des sciences de l'homme | Langage et société
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Pour citer cet article :
-------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Kaufmann Laurence, « L'opinion publique ou la sémantique de la normalité »,
Langage et société, 2002/2 n° 100, p. 49-79. DOI : 10.3917/ls.100.0049
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2002/2 - n° 100
pages 49 à 79
Laurence Kaufmann
Institute for Social Research
University of Michigan
La langue comporte, à titre irréductible, tout un catalogue
de rapports interhumains, toute une panoplie de rôles
que le locuteur peut se choisir pour lui-même
et imposer au destinataire.
Oswald Ducrot, Dire et ne pas dire
De l’étrange consistance d’un concept social 1
Dans le savoir de sens commun que les agents ordinaires mettent en
œuvre dans la vie de tous les jours, comme dans le savoir spécialisé
des experts, qu’ils soient journalistes, politologues ou sociologues,
l’opinion publique est le plus souvent appréhendée comme un état
de choses. “Fait de société” avec lequel les acteurs sociaux et politiques doivent désormais compter, elle suppose la présence préalable d’une réalité dont l’existence peut être attestée par des critères
1. La préparation de cet article a bénéficié du soutien financier du Fonds National de
la Recherche Scientifique Suisse, dans le cadre du programme “Demain la Suisse”,
bourse n°84SP-056189.
© Langage et société n° 100 – juin 2002
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L’opinion publique
ou la sémantique de la normalité
LAURENCE KAUFMANN
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objectifs, tels que la mesure quantitative des attitudes, les mécanismes de diffusion des opinions ou l’organisation interne de leur
distribution. Dans ce cadre objectiviste, « l’opinion publique, c’est
ce que mesurent les sondages », car elle renvoie à l’addition des
opinions individuelles effectives auxquelles les dispositifs d’enregistrement et de traitement statistiques confèrent, sinon les qualités
tangibles d’une entité physique, du moins les qualités visibles d’une
entité publiquement observable (Boudon et al. 1981). À l’encontre
de cette conception naïvement réaliste s’est peu à peu imposée une
approche artificialiste qui conçoit l’opinion publique comme un artefact construit à des fins de légitimation politique. Une telle
démarche, en partant du principe opposé, à savoir que « l’opinion
publique n’existe pas », déplace l’analyse sur les dispositifs institutionnels qui sont parvenus à lui conférer un pouvoir réalisant qui ne
doit, en aucun cas, être confondu avec la réalité effective des opinions prétendument partagées (Bourdieu 1973).
Afin d’éviter les éternelles disputes qui opposent ainsi l’acception
artificialiste de l’opinion publique par une sociologie du soupçon qui
la dénonce comme une illusion mensongère utile à la reproduction
de l’ordre établi, et son acception réaliste par une sociologie empirique qui lui attribue le statut d’une entité réelle et donc dûment
quantifiable, cet article se propose de partir de ce qu’elle est de toute
manière. L’opinion publique renvoie, bien plus qu’à un état de
choses ou à une hallucination collective, à la réalité étrange des
“objets non quelconques”, sociaux et politiques, qui jalonnent le sens
commun (Grize 1990 : 29). La nature apparemment indécise de ces
notions, essentiellement stéréotypiques, qui peuplent les discours
ordinaires, les distingue des concepts dits naturels qui réfèrent,
quant à eux, à des entités extra-linguistiques (la rose, l’or, l’eau).
En effet, du point de vue analytique, les concepts extensionnels ou
dénotatifs se forment, via la perception, dans l’interaction causale et
directe entre l’organisme humain et l’univers des choses concrètes
qui meublent la réalité extérieure. En revanche, les concepts dits
intensionnels ou connotatifs qui abondent dans le langage ordinaire
sont des fabrications de l’intelligence qui ne sont pas reliées, en tant
que telles, par une relation causale à des données tangibles ou per-
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ceptibles (la Nation, la Justice, la Morale, etc.) 2. Loin de se référer
aux “existences irréductibles” des êtres singuliers qui se reconnaissent notamment à leur localisation spatio-temporelle, ils renvoient
aux “existences réductibles” des “manières de parler”, de concevoir
et de classifier ces mêmes êtres singuliers (Largeault 1971 : 15).
L’opinion publique, comme la plupart des concepts socio-politiques,
appartient à la catégorie des concepts intensionnels : elle ne représente pas un état de choses, un fait empirique que l’on pourrait,
conformément aux critères strictement nominalistes de l’existence,
toucher du doigt ou voir de ses propres yeux. Elle présente une signification qui n’est pas déterminée par le lien vertical entre les mots et
les choses qu’ils sont censés signifier, mais par les différenciations
“horizontales” qui se tissent à l’intérieur même du système des
conventions linguistiques, des règles sociales et des intérêts politiques qui a présidé à sa fixation 3. Or, si l’on admet que le concept
d’opinion publique n’appartient pas à la réalité elle-même, mais à
notre manière de la décrire, les traits sémantiques qui le composent
2. Bien entendu, cette partition analytique, d’obédience nominaliste, entre les
concepts relatifs au monde naturel et les concepts relatifs au monde culturel risque
de paraître trop rigide aux adeptes d’un internalisme social et linguistique : pour
ceux-ci, en effet, les significations communes médiatisent et opacifient inéluctablement l’accès aux états de choses, rendant ainsi illusoire toute différence de nature entre les homologations perceptives et les homologations intellectuelles et/ou
pratiques. Cela étant, même si l’on entérine le constat wittgensteinien selon
lequel « on croit suivre sans cesse le cours de la nature, alors qu’on ne fait que longer la forme au travers de laquelle nous la contemplons » (Wittgenstein (1961) :
§114), on ne peut guère récuser la différence de degré, sinon de nature, qui sépare
les concepts intensionnels et extensionnels. Les concepts dont la teneur est exclusivement basée sur des appréhensions mentales et des constructions linguistiques
sont privés de toute confrontation, potentiellement vérificationniste, avec des entités non linguistiques. Ces dernières, que Peter Strawson appelle à bon escient des
“particuliers” de base, ont des propriétés spatio-temporelles qui contraignent la
“référence identifiante” dont elles font l’objet – ce qui n’est pas le cas des “objets
non quelconques”, qui s’inscrivent dans l’univers non empirique et donc a-spatial
des significations. Voir sur cette problématique (Strawson 1973 : 97-150).
3. Ces remarques rejoignent ce que dit Searle sur le statut des universaux, cf. Searle
(1969). Sur la distinction plus générale entre des phénomènes intentionnels, tels
que les états mentaux et les institutions, et des phénomènes physiques bruts, voir
Searle (1995).
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L’OPINION PUBLIQUE OU LA SÉMANTIQUE DE LA NORMALITÉ
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ne peuvent être considérés comme la restitution descriptive des propriétés substantielles d’une entité physique. Ils constituent les éléments intrinsèques, linguistiques et argumentatifs, de sa définition
– une définition privée, à proprement parler, de valeur référentielle.
Dans ce cadre, la tâche principale de l’analyste n’est plus de chercher, pour ainsi dire derrière la dénomination “opinion publique”, les
états mentaux (option “réaliste”) ou les instruments de domination
extra-linguistiques (option “artificialiste”), que masquerait son
appellation. Elle consiste à déplier l’ensemble des composants définitionnels de l’objet discursif “opinion publique”, dont les lacunes
référentielles sont loin d’être synonymes d’impuissance ; au contraire,
la “juridiction linguistique” lui confère, on le verra, le pouvoir exorbitant d’imposer implicitement à ses destinataires un rôle obligeant
qui le prive, tout comme le langage en général dont parle Oswald
Ducrot, de toute “innocence” (Ducrot 1991 : 4).
L’acte d’origine de l’opinion publique
Une fois spécifiée la réalité intensionnelle du concept d’opinion
publique, il reste à savoir si elle mérite le discrédit ontologique du
“moindre être”, habituellement réservé aux produits de l’intellection
privés de référence ou si, au contraire, elle entraîne un import existentiel suffisant pour pouvoir prétendre au titre d’objet ou de
quasi-objet. L’homologation de l’opinion publique dans l’univers
apparemment instable et capricieux des productions intellectuelles
et linguistiques peut en effet donner lieu à deux voies d’analyse principales. La première option, proche de l’approche artificialiste que
nous avons esquissée, consisterait à lui octroyer un statut exclusivement fictif, analogue à celui d’“un revenant sacré” (Key 1961), d’un
“fantôme” (Lippmann 1925) ou du “diable” (Padioleau 1981). La
deuxième option, qui sera ici la nôtre, refuse de rabattre l’opinion
publique au rang des dénominations chimériques qui peuvent être
activées et désactivées en fonction des stratégies ou des aveuglements de leurs utilisateurs. Même si, comme le disait Frege dans une
boutade célèbre, c’est l’usage répété de l’article défini “l’opinion
publique” qui a progressivement fait croire à l’existence de son référent, elle n’est pas – ou plus – un “être de discours” fluctuant dont
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la détermination sémantique resterait suspendue aux dispositifs
d’intéressement et aux bonnes volontés politiques. La sédimentation historique et argumentative de ses différentes valeurs d’usage
lui ont peu à peu conféré l’inertie et la stabilité relative d’un “être
institutionnel”, structuré par des contraintes ou des “interprétants
élémentaires” qui s’imposent à quiconque, « qu’il les néglige ou
qu’il en tienne compte » (Rastier 1994 : 21).
L’opinion publique, ainsi consacrée comme un “être” contraignant et pesant, dispose d’une capacité d’agir qui n’est pas uniquement due au poids social des autorités statutaires et des instances
légitimes qui l’invoquent. La capacité d’agir qui nous intéresse ici
est due aux propriétés performatives internes d’un concept qui est
moins le mot d’une chose qu’un mot qui “fait” des choses, notamment en suscitant le ralliement et l’adhésion du grand nombre à ses
décrets supposés. En effet, conçue sous les auspices polémiques
sinon polémologiques du jeu argumentatif – un jeu éminemment
belliqueux puisqu’il déploie un véritable champ de bataille discursif, elle représente un “agent” argumentatif redoutablement efficace. En misant sur la logique normative du consensus, elle déploie un
univers discursif d’autant plus contraignant qu’il entérine une caractéristique générale du langage : celle qui consiste à favoriser, voire à
instaurer, “la communauté des esprits” (Perelman et OlbrechtsTyteca 1958). L’invocation de l’opinion publique redouble donc, au
niveau explicite, le postulat implicite selon lequel le but premier et
dernier de la communication est l’adhésion conjointe des interlocuteurs à un monde partagé.
De ce point de vue, l’émergence et le succès du concept d’opinion
publique, à un moment historique aussi troublé que celui qui précède, au XVIIIe siècle, l’événement révolutionnaire, sont loin d’être un
hasard. À cette époque, la remise en question des dogmes qui soutenaient l’architecture absolutiste, ainsi que la dénonciation de l’hétéronomie arbitraire qui faisait du Nous de majesté le dépositaire
exclusif du pouvoir, ne permettent plus la reconduction impensée
du monde social sous l’égide des rois, des dieux et des coutumes
(Lefort 1978 ; Castoriadis 1990). Le seul principe qui semble désormais à même de réconcilier les intérêts particuliers et l’intérêt géné-
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ral, la liberté individuelle et la nécessité publique, réside dans l’accord
des esprits. Le collectif démocratique que l’opinion publique met en
scène symbolise ainsi l’accord générique des individus qui se décident à coexister sans violence et à déterminer de concert les institutions qui seront aptes à réaliser le bonheur de chacun d’entre eux
(Akoun 1986 : 150). Cet accord originel représente pour ainsi dire le
seul mode de pouvoir auquel une société idéalement autonome peut
décemment consentir : celui qui gouverne les esprits en leur propre
nom, sous la forme constamment réitérée d’un consensus collectif
qui incarne, à lui seul, la « glu sociale de qualité supérieure » nécessaire à la cohésion nationale (Gordon 1994 : 80). L’opinion publique,
en thématisant ainsi publiquement une communauté d’esprits qui
paraît perpétuellement menacée par les insubordinations des libertés individuelles, garantit, tout au moins au niveau des représentations, le maintien de l’échafaudage encore fragile de la nouvelle
République (Ozouf 1987). Dans la mesure où elle témoigne, par sa
seule dénomination, de la réalité d’un consensus collectif qui ne coule
plus de source, elle fonctionne comme un véritable opérateur de totalisation, dépassant les divergences individuelles dans la seule autorité supérieure encore admissible pour un peuple désormais souverain. Cette autorité, c’est celle du Nous ou du On de la communauté
que tout être humain, fût-il citoyen, convoque tacitement et spontanément pour valider ses énonciations et justifier ses actions.
Dans cette perspective, si le concept d’opinion publique est parvenu, au XVIIIe siècle, à évincer les prétentions concurrentes des autres
autorités qui se portaient candidates au pouvoir symbolique du
Nouveau Régime (la Raison, la Loi, la Nature, etc.), c’est peut-être
parce que son baptême linguistique et politique n’a pas la dimension
inaugurale qui lui a été généralement attribuée. En effet, sa nomination fait entrer officiellement, dans les ressorts articulés du langage,
des expériences sensibles et des attentes concrètes qui n’ont pas attendu leur homologation discursive pour s’imposer aux agents ordinaires 4. Certes, ces attentes sont historiquement situées puisqu’elles
4. Afin de montrer que la nomination ne fait pas forcément advenir ex nihilo ce qu’elle
nomme, Koselleck prend l’exemple du concept de “mariage d’amour” : si ce dernier a plus de chances de se réaliser dans les faits une fois que son homologation
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prennent racine dans le contexte particulier du déclin structurel et spirituel de l’État monarchique. Mais, comme nous allons le voir à présent, elles renvoient également à des invariants anthropologiques qui font
de la figure de l’opinion publique un lieu commun encore plus commun que les autres. Car tout en stabilisant et reconfigurant des orientations morales et politiques, situées et encore balbutiantes, dans une
entité de référence inédite, elle objective l’autorité impersonnelle d’un
Nous ou d’un On qui gouverne, de facto, tous les types de société.
Autrement dit, le concept d’opinion publique, en conférant des
oripeaux linguistiques et politiques à ce Nous ou à ce On, d’autant
plus imperceptible qu’il sous-tend toutes les activités de la vie quotidienne, table sur un postulat auquel les agents ordinaires sont d’ores
et déjà coutumiers. Ce postulat apparemment minimal consiste,
pour les membres d’une même communauté, à présupposer la
congruence mutuelle de leurs expériences, la confirmation réciproque de leurs perceptions et la convergence potentielle de leurs
interprétations. C’est dire si la mise en résonance, thématique et historiquement datée, d’un tel postulat anthropologique, via le concept
d’opinion publique, jouit d’un avantage argumentatif considérable.
En symbolisant un accord collectif qui dépasse les expériences disparates et les bifurcations interprétatives de ses destinataires, elle
bat le rappel de ce qui est devenu l’obsession politique des démocrates : la communauté des esprits. Cette obsession du commun
fait ainsi de l’opinion publique l’égérie d’une normalité et d’une
normalisation qui représentent la seule armature possible d’une
congrégation d’individus condamnés à rester, désormais, entre eux.
Cette armature repose aussi bien sur les expériences et les attentes
historiques qui ont régi son apparition que sur les préalables anthropologiques et linguistiques qui structurent son sens et sa compréhension. Toutefois, c’est plutôt au déploiement de la charpente
anthropologique et linguistique que nous allons nous atteler ici, notre
hypothèse étant que le panégyrique de la normalité constitue le squelette sémantique relativement immuable du concept “opinion
conceptuelle l’a rendu pensable et préhensible, cela ne veut pas dire que l’amour
n’existait pas déjà dans des mariages dont l’auto-interprétation langagière ne faisait pourtant nulle mention. (Cf. Koselleck 1997 : 115)
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publique”. Certes, du point de vue d’une socio-histoire des mots politiques et de leurs usages discursifs, ce concept dépend des interrelations sémantiques et des rapports sociaux qui ont présidé à son
montage conceptuel. Cela étant, bien qu’il garde la marque de ses origines et dépende de l’adhésion probable ou effective que son usage
circonstancié est à même de susciter, il dispose bien d’une sémantique interne qui survit à bon nombre de ses oscillations contextuelles.
En tant que tel, il peut être appréhendé indépendamment des matériaux historiques qui ont procédé à sa construction et traité sous
l’angle d’une théorie de l’argumentation qui s’intéresse à l’efficacité
pragmatique et à la pesanteur intrinsèque des significations. Sous cet
angle, précisément, le concept d’opinion publique semble conserver,
par-delà ses diverses accommodations, le statut de sujet de prédication
– un sujet auquel il est possible de se référer (« l’Opinion est la Reine
du Monde »), d’imputer des pouvoirs causaux (« l’opinion gouverne le monde »), d’attribuer des buts et des motifs d’action (« l’opinion ne veut pas d’un gouvernement représentatif »), d’identifier
sous un aspect particulier (« la tyrannie de l’opinion ») ou encore de
quantifier (« une partie de l’opinion désapprouve cette décision »).
Bien entendu, une fois l’opinion publique consacrée en tant que
foyer énonciatif et donc dotée du statut d’actant collectif, on peut
analyser de plus près les différentes déclinaisons de son usage
(Landowski 1989). Ainsi, les journalistes qui parlent sur l’opinion
sont des médiateurs interprétatifs qui mettent en scène la “voix off”
du public : ils visent à faire connaître aux gouvernants les réactions
de l’opinion publique qu’ils prétendent déceler, grâce à leur “sens
inné” des états d’âme collectifs ou, plus trivialement, grâce au sondage “scientifique” des enquêteurs (Landowski 1989 : 34). Dans un
énoncé tel que « le public seroit content d’un enfermement et il suffiroit pour empecher que le nombre des impies n’augmente », le sujet
parlant s’efface en tant que locuteur particulier pour se faire l’humble
porte-voix du public qu’il consacre comme étant “le sujet logique”
de son discours 5. En revanche, ceux qui parlent au nom de l’opinion
5. Cet exemple, qui est de notre fait, est tiré d’une Lettre adressée au Procureur du Roy,
26 juin 1766, expéditeur illisible.
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délaissent la posture interprétative pour prendre la voix revendicative d’un agent politique dont le but est persuasif, puisqu’il vise à faire
agir ou réagir les gouvernants. Un énoncé comme « le peuple se
lasse, il vous dit en ce jour par mon organe » ou, plus crûment, « le
peuple demande votre tête » n’interprète pas un “dit” préalablement
énoncé en bonne et due forme par l’opinion publique ; il instaure la
demande populaire au moment même de son énonciation (Conein
1981). Le statut énonciatif de l’opinion publique peut ainsi passer du
statut “politologue” d’interprète de l’intérêt général, au statut “politicien” de protagoniste actif d’une mise en scène dramaturgique
(Landowski 1989 : 24 et sq.). Cela étant, par-delà ces différences de
déclinaison, la consécration de l’opinion publique comme un
“Destinateur syntaxique” valide, et donc comme un garant de la crédibilité des discours, la charge par définition de faire agir d’autres
sujets (Landowski 1989 : 37). Or, l’étape sémiotique qui consiste à
projeter l’opinion publique “sur un carré sémiotique” afin de révéler
ses quatre modes d’actualisation principale gagne, à mon sens, à être
précédée par une étape sémantique, qui explicite les propriétés primitives permettant à cette étrange instance de faire agir.
Nous nous proposons ainsi d’explorer, à l’aide du cadre théorique
général d’Oswald Ducrot, le monde idéal, les prolongements juridiques et l’avenir imaginaire ouverts par les énonciations qui ont
l’opinion publique comme instance d’énonciation 6. Pour ce faire,
nous adopterons une démarche logique et analytique dont le travail
d’abstraction et d’inférence se situe au niveau du “composant linguistique” d’un énoncé : un tel travail consiste à attribuer à un
énoncé pris indépendamment de tout contexte une certaine signification, et cela avant même que le sens effectif de l’occurrence particulière de ce même énoncé n’ait pu être complètement déterminé
(Ducrot 1984 : 15 et sq.). L’isolement d’une des étapes interprétatives
nécessaires à la compréhension d’un discours peut sembler, à bien
6. Il nous faut préciser ici que notre démarche ne vise aucunement à présenter la
théorie de Ducrot ou de Berrendonner en tant que telles : elle vise à utiliser certains
éléments de leurs cadres théoriques pour investiguer notre objet “opinion
publique” dont ni l’un ni l’autre n’ont traité – du moins, à ma connaissance.
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des égards, artificiel. Mais cet isolement interprétatif ne suspend
que provisoirement la deuxième étape interprétative, centrée sur
“le composant rhétorique” qui résulte de l’accomplissement situé et
de la signification effective de l’événement énonciatif (Ducrot 1984 :
15 et sq.). Il ne s’agit donc aucunement ici de récuser l’importance
de l’analyse des occurrences empiriques : il est évident que les individus n’ont pas affaire, dans la vie ordinaire, à des concepts abstraits,
à des structures logiques ou à des actes de langage idéaux.
De plus, si la sémantique interne et la valeur d’action d’un concept
contraignent virtuellement les (inter)locuteurs, elles ne contraignent
pas les usagers et destinataires réels, qui restent libres de les
reprendre à leur compte. Ainsi, bien qu’un acte de langage tel que « je
promets de voter pour toi ce soir » ait la capacité structurelle d’engager son destinateur à tenir sa promesse, sa continuation logique peut
toujours être refusée, trahie ou reniée par son énonciateur empirique
(Searle 1969). De même, l’analyse de la sémantique “pragmatisée” du
concept d’opinion publique, tout en soulignant la nature agissante
des énoncés qui le prennent comme instance d’énonciation, ne préjuge pas du suivi effectif des contraintes qu’encapsule un tel
concept 7. Cependant, les instanciations contingentes d’un contenu
conceptuel ou de l’armature logique d’un acte de langage ne compromettent pas nécessairement leur valeur d’usage ou leur effet
d’obligation internes. D’une certaine manière, l’on retrouve ici la distinction entre le niveau général et structurel de la langue et le niveau
situé et contingent de la parole, mais à une différence près et qui n’est
pas des moindres : il ne s’agit pas ici d’une distinction rigide entre
deux types de réalité différente mais d’une seule et même réalité,
appréhendée selon deux niveaux complémentaires de description 8.
7. La pragmatique intégrée que propose Ducrot consiste en effet à remplacer une
sémantique formelle, centrée sur les contenus informatifs, par une sorte de sémantique “pragmatisée” ou, mieux, de “pragmatique formelle” qui articule actes virtuels abstraits et instructions interprétatives. Loin de “pragmatiser” après coup une
sémantique sans rapport avec l’action, il s’agit de concevoir une pragmatique primitive des énonciations conçues comme de véritables instruments de guerre argumentatifs.
8. C’est ce que suggèrent, chacun à leur manière, des penseurs tels que Descombes,
Taylor, Searle (celui des Speech Acts) et Ducrot en reconsidérant la dualité langue-
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La description structurelle des effets déterminés d’une énonciation
rend ainsi possible, par la suite, la description empirique des occurrences qui se conforment ou font violence à une telle structure. Notre
démarche se situe précisément au niveau d’une telle description
structurelle, car c’est celle-ci qui permet, à terme, d’interroger le
mode d’existence des “objets” discursifs en général et de l’opinion
publique en particulier.
La mise en transparence argumentative
Afin de montrer en quoi consiste le squelette sémantique du concept
d’opinion publique, nous allons adopter une théorie de l’argumentation qui se montre plus soucieuse de la signification intrinsèque des
énoncés que des circonstances situées de leur énonciation. Dans cette
perspective, les opérateurs argumentatifs sont considérés comme des
éléments primitifs, d’ordre sémantique, qui intègrent des propriétés
pragmatiques au sein même de la structure de la langue – conformément en cela à la “pragmatique intégrée” (Anscombre et Ducrot
1988). Ces “unités” sémantiques ne sont donc pas dérivées de la
situation de communication ; au contraire, elles sélectionnent a priori, de manière structurelle et non pas contingente, les chemins interprétatifs qui restreignent l’éventail des possibilités de l’enchaînement
discursif. Elles engendrent également des attentes quant aux “satisfactions” qui leur sont grammaticalement reliées ; par exemple,
l’attente d’une réponse à une question ne peut être satisfaite, par définition, que par la réponse elle-même, quelles que soient les circonstances contingentes qui peuvent empêcher sa réalisation pratique –
l’interlocuteur n’a pas compris que c’était une question, la réplique
est inaudible, etc.
parole, règle-pratique, comme une différence de niveau de description d’un même
phénomène : on peut décrire les pratiques en termes de règles, même si la pratique
elle-même ne consiste pas en une conformité à des règles externes. Chez
Descombes comme chez Ducrot, il existe ainsi un niveau de description structurale qui décrit les pratiques sous le mode “quasi-juridique” de ce qu’elles devraient
être mais ne décrit pas encore comment elles sont effectivement. Voir Taylor (1995),
Searle (1972), Descombes (1996) et Ducrot (1984).
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Ces alliages normatifs, qu’ils soient topiques ou pragmatiques,
renvoient à une connexion grammaticale qui a presque « la dureté
du doit (devoir) logique », faisant ainsi de l’argumentation un espace
de conformité sinon d’obligation (Wittgenstein 1961 : § 437). En effet,
le destinataire doit prouver qu’il dispose de la compétence cognitive
et culturelle nécessaire à la poursuite de l’échange en cours en produisant une réponse adaptée, tant du point de vue de la cohérence de
son contenu (la thématique de la discussion) que du point de vue de
l’adéquation de son énonciation par rapport à l’acte de langage précédent. L’argumentation tend ainsi à enfermer les interlocuteurs
dans un univers qu’ils n’ont pas choisi en leur imposant une alternative à laquelle ils ne peuvent échapper : faire ce qu’ils doivent
faire, c’est-à-dire répondre de manière ajustée, ou bien alors se taire
et enfreindre la règle de conversation de manière à s’exclure euxmêmes de l’échange (Ducrot 1984, 1991).
L’argumentation, ainsi caractérisée en termes d’attentes normatives et d’enchaînements discursifs, est réussie lorsque ses destinataires s’inscrivent de leur plein gré dans le même univers de référence. Une des conditions de la réussite argumentative est donc la
neutralisation de l’énonciation, celle-ci se présentant non comme un
point de vue parmi bien d’autres, ce qui laisserait à l’auditoire la
possibilité de se positionner à son encontre, mais comme l’expression des choses elles-mêmes. Cette apparente adéquation entre le
discours et son objet permet l’effacement symbolique, bien évidemment illusoire, des intermédiaires “opacifiants” qui déforment la
chose représentée en la présentant à leur manière subjective et donc
contestable. L’argumentation, en offrant des signes transparents aux
vues de l’esprit de ses destinataires, fait ainsi valoir, pragmatiquement parlant, un seul des « deux destins possibles du signe » dont
parle François Récanati : elle court-circuite le niveau “opaque” du
signe discursif en tant que chose significative, qui prend fait et cause
dans des réseaux conceptuels différenciés, pour mieux mettre en
exergue le niveau “transparent” du signe que sa “quasi-invisibilité”
résorbe dans “la chose signifiée” (Récanati 1979 : 33).
Or, parmi les moyens qui permettent aux orateurs ambitieux de
récolter les contrecoups persuasifs de cette mise en transparence,
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l’usage du concept “opinion publique” constitue, pourrait-on dire
logiquement ou du moins grammaticalement, une manœuvre
redoutable. En effet, un des principaux subterfuges rhétoriques
consiste, pour le locuteur, à revêtir son propre point de vue des attributs impersonnels du point de vue de quiconque. En faisant coïncider
ses intérêts, ses croyances et ses conduites « avec ce qui est réputé
normal et légitime », en les unifiant « avec des valeurs reconnues
pour les faire valoir auprès de l’autre », il dote ses arguments des
traits généralisables et reproductibles qui sont, une fois réactivés par
l’auditoire, l’indice manifeste de sa victoire (Berrendonner 1990 : 7).
Les montages discursifs qui recourent à l’opinion publique, dans la
mesure où ils délaissent le sens subjectif que revêt nécessairement
pour le locuteur une situation donnée, bénéficient précisément
d’une telle propension à la généralisation. Dans la mesure où “l’opinion publique” incarne le point de vue des croyances communes et
du consentement mutuel, elle crédite les énoncés dont elle est l’instance d’énonciation officielle d’un “état de la vérité” qui est censé
être suffisamment public et impersonnel pour être partagé, du
moins en principe, par tous les interactants.
La communauté argumentative que la “collectivisation” artificielle du locuteur parvient ainsi à suggérer est d’autant plus prégnante qu’elle redouble, au niveau rhétorique, la présupposition
tacite de toute interaction : la possibilité de “tomber d’accord”, quel
que soit le degré de problématisation et de dissensus qui marque par
ailleurs l’événement communicationnel. Cette présupposition, dans
la mesure où elle présume l’interchangeabilité potentielle des points
de vue dans tous les types d’échange, n’est ni une convention provisoire, ni une norme de civilité. Elle renvoie au pré-requis anthropologique qui caractérise la métaphysique profane de la “raison
ordinaire”: la présomption d’une communauté de sens et d’expérience qui permet de reconnaître à quiconque le statut d’un semblable
apte, en tant que tel, à entrer en relation, à mener des activités de
coordination ou à établir des références valides (Pollner 1987). Cette
assomption originaire déploie l’horizon d’un accord et d’une compétence indépendants des contraintes empiriques qui sont suscep-
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tibles de les amender – un accord et une compétence qui lient pour
ainsi dire a priori les membres présomptifs du Nous commun dans
lequel s’inscrivent et prennent sens toutes les interactions 9. Étant
donnée cette présomption générique, n’importe quel locuteur tend
à être crédité par ses pairs du statut de relais et/ou de porte-parole
du Nous qui les unit, par-delà leurs divergences, dans une même
“unanimité de principe” (Pollner 1987).
C’est dire si l’énonciateur habile, qui veut masquer aussi bien la
subjectivité de son point de vue que l’asymétrie propre à l’accaparement de la parole publique, a tout intérêt à stimuler et à simuler
cette procédure de délégation et de validation à crédit. En se faisant
le délégué plus ou moins improvisé de “l’opinion publique”, notamment, il réactive à son propre avantage les postulats consensualistes
et coopératifs de la raison ordinaire et fait de ses destinataires les
co-auteurs virtuels de son propre point de vue. Surtout, en faisant
de la communauté d’esprits ou de “l’unanimité de principe” le sujet
de son énonciation, il fait explicitement appel à une autorité impersonnelle que toutes les énonciations se contentent de présupposer
implicitement afin d’affirmer la validité de leurs assertions ou la
légitimité de leurs appréciations. Cette autorité impersonnelle,
qui s’apparente d’ailleurs plus à la personne indéterminée du On
qu’au sujet collectif ou pluriel auquel le pronom Nous prête à
penser, renvoie à ce qu’Alain Berrendonner appelle la “On-vérité”
(Berrendonner 1981 : 40 et sq.).
“L’ isotopie génétique” ou la force du redoublement
Définie comme étant l’opinion publique, le discours de la doxa ou
encore l’avis général, la “On-vérité” dont parle Berrendonner est
“un agent vérificateur” qui valide une proposition non pas de
9. Melvin Pollner (1987) montre, par exemple, comment les procès judiciaires, en
résolvant localement les divergences quant à la description et à la qualification des
événements et en désignant ceux dont les conduites sont déviantes ou les comportements anormaux, remplissent une exigence fondamentale de la vie commune : ils réhabilitent “l’unanimité de principe” et la présomption de la communauté d’expérience qui ont été menacées par le conflit des interprétations quant à « ce
qui s’est réellement passé ».
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manière absolue, mais de manière relative en la rapportant à une
vérité socialement convenue. La On-vérité « ne se fonde pas sur
la conformité du contenu propositionnel à l’état des choses, mais
repose sur le seul consentement des participants au dialogue, sur le
crédit attribué à ce contenu par la communauté linguistique ou l’une
de ses parties » (Berrendonner 1981 : 113). Elle se caractérise par
l’ordre du consentement de la doxa : elle impose des artefacts nominaux aux membres d’une communauté qui sont capables, au terme
de leur socialisation, de s’y référer par un argument déictique semblable à celui qui leur permet de désigner l’univers référentiel des
faits. En effet, pour Berrendonner, la On-vérité, dans la mesure où
elle désigne le monde-partagé-avec-les-autres auquel tout un chacun
doit se référer pour se faire comprendre, est un “actant” du procès de
communication au même titre que les individus en présence, d’une
part, et la réalité factuelle qu’il appelle “le fantôme de la vérité”,
d’autre part. Toute énonciation renvoie ainsi, directement ou indirectement, alternativement ou simultanément, au déictique de
l’ordre du sens subjectif que présente le locuteur, au déictique de
l’ordre du sens commun que représente la On-vérité et au “déictique
de l’ordre des choses” que soutient la réalité objective.
Ces trois types de déictiques sont les mécanismes indexicaux
d’embrayage du langage au monde, les trois agents vérificateurs qui
valident, le plus souvent tacitement, un énoncé en le rapportant à
« trois sortes de vérité : individuelle, commune et universelle »
(Berrendonner 1981 : 61). Dans la mesure où ces trois vérités collaborent continûment entre elles, la vérité universelle qui est censée régir
la fonction primitive du langage que constitue, pour Berrendonner,
la dénotation, tend à rester – comme son nom l’indique – désespérément fantomatique. Elle cède le plus souvent la place à ses consœurs
dans le jeu social d’une communication qui reste essentiellement relative aux individus parlants et aux personnages sociaux et institutionnels qu’ils endossent. Ainsi, dans des expressions telle que « cette
rose est noire », « ceci est une licorne » ou « pour l’opinion publique,
le citoyen ne peut être privé de sa liberté d’expression », la validation,
neutre et fantomatique, de « l’avis de la personne d’univers » est rendue impossible par une relation de dénotation fausse, vide ou empi-
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riquement invérifiable. C’est la validation impersonnelle et anonyme
de l’opinion commune qui prend dès lors le relais en transformant
leur fausseté de fait, ce que Berrendonner appelle leur “ø-fausseté”,
en une vérité de discours, c’est-à-dire en “une On-vérité” 10.
Au niveau politique, le concept d’opinion publique, dans la mesure où il concentre dans son appellation même la On-vérité qui constitue d’ordinaire la ressource et l’arrière-plan de toute énonciation,
représente une arme redoutable dans la lutte pour l’imposition non
violente d’une nouvelle orthodoxie. Qu’il fonctionne comme un
macro-sujet intentionnel qui est capable de ressentir et de connaître
(« l’opinion publique n’aime plus son roi »), comme un acteur politique qui est responsable de la mise en œuvre d’une action collective
(« l’opinion publique a imposé la condamnation du député ») ou
comme le destinataire d’une parole qui lui serait adressée (« il faut
alerter l’opinion publique sur les dangers de cette décision »), il
convoque de façon explicite un dispositif de ratification qui régit “en
sourdine” toutes les prétentions à validité. Indépendamment de son
usage en tant qu’agent ou patient d’une action collective, il table en
effet sur le consentement et la connivence sur lesquels misent tous les
agents ordinaires pour vaquer à leurs activités quotidiennes. En
d’autres termes, l’opinion publique, en objectivant la On-vérité, incarne à elle seule l’un des trois agents de vérification qui composent, par
définition, le jeu ternaire de la communication. Aussi bien par la
modalité de son usage que par la légitimation qui lui est corrélative,
elle met en exergue le fait que la source ultime des vérités publiques,
à savoir la voix anonyme et légitime de la communauté, garantit bien
plus sûrement leur acceptabilité que la valeur intrinsèque de leur
10. Cette On-vérité, qu’elle prenne la forme de la loi générale qu’est l’avis de tout le
monde (« le peuple déclare obligatoire le port de la cocarde ») ou des lois institutionnelles (« je vous déclare mari et femme »), est au fondement de la performativité des actes de langage : en faisant crédit au discours de l’action à laquelle il prétendait se substituer, elle est à même de transformer un état de choses possible en
un état de choses actuel. « Elle [ndlr. la vérité de cet énoncé] ne se fonde pas sur la
conformité du contenu propositionnel à l’état des choses, mais repose sur le seul
consentement des participants au dialogue, sur le crédit attribué à ce contenu par
la communauté linguistique ou l’une de ses parties » (Berrendonner 1981 :113).
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contenu. Compte tenu de la préséance et de l’omniprésence de cette
source d’autorité génétique et donc non modifiable, on peut émettre
l’hypothèse que la figure de l’opinion publique et l’agent de vérification qu’est la On-vérité sont reliés par ce que j’appellerai une isotopie génétique ou structurelle.
Le concept d’“isotopie” vise à souligner, en effet, la redondance
des catégories sémantiques dans un discours donné, leur homogénéité ou leur compatibilité mutuelle permettant de canaliser les
parcours interprétatifs de leurs destinataires (Greimas 1966). Ainsi,
l’isotopie sémantique ou thématique engendrée par la prééminence,
dans un même discours, d’occurrences telles que “peuple”, “public”
ou “nation”, contribue à l’uniformité relative de sa réception. Or,
“l’opinion publique”, c’est du moins notre hypothèse, entretient
avec la On-vérité une isotopie fondamentale. Cela n’exclut pas, bien
entendu, que l’usage de “l’opinion publique” soit à même de jouer
superficiellement sur plusieurs plans isotopiques : ses actualisations
particulières peuvent la renvoyer aussi bien à la totalité d’un corps
social quasi-mystique, à la revendication politique d’un sujet collectif,
aux états d’esprit d’un ensemble d’individus ou encore au jugement
public d’un événement donné. Mais par-delà les différentes évocations qu’elle est même d’enchevêtrer ou d’exclure dans son
appellation, elle semble rattachée à la On-vérité par une isotopie
souterraine qui ferme l’éventail interprétatif des œuvres argumentatives dans lesquelles elle fait office de sujet de prédication.
Pour défendre cette hypothèse, il nous faut d’abord brièvement
rappeler les caractéristiques du statut des présuppositions discursives telles qu’elles sont notamment analysées par Ducrot.
Contrairement au “sous-entendu”, qui est pour ainsi dire surajouté
par l’interprétation de l’interlocuteur et donc postérieur à l’acte
énonciatif, le “posé” est simultané à l’acte de discours et le “présupposé” lui est antérieur (Ducrot 1984 : 21 et sq.) 11. L’énoncé qui
11. Ainsi, à la différence du “sous-entendu” qui renvoie au “composant rhétorique”,
c’est-à-dire au niveau des conditions d’occurrences et de l’interprétation de l’auditeur, le présupposé est un produit du “composant linguistique”. D’après Ducrot, le
présupposé n’est pas une notion sémantique qui relierait de purs contenus propo-
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est posé explicitement comme un objet ou un thème à discuter est
ainsi toujours accompagné par un certain nombre de présupposés,
antérieurs par définition, qui le qualifient et orientent son interprétation (Ducrot 1984). Par exemple, le posé « nous autres, qui
sommes du peuple, connaissons bien la misère de notre condition »
suppose la démarcation sinon la polarisation incompressible des
énonciateurs par rapport à un autre groupe ; le présupposé pourrait
ainsi prendre la forme propositionnelle d’un « vous autres, qui
n’êtes pas du peuple, ne connaissez rien à la misère de notre condition ». Les termes de cette totalité illocutoire complexe, constituée
par le posé discursif et les présupposés qui l’accompagnent, sont
indissociables pour trois raisons essentielles. D’une part, les présuppositions pré-justifient le discours, car elles déclinent les postulats linguistiques (l’opposition syntagmatique nous/vous), mais
aussi sociaux (le peuple/l’aristocratie) qui rendent son énonciation
pertinente et vraisemblable. D’autre part, l’acceptation du conséquent explicite de l’argumentation renforce en retour, et de manière chaque fois plus définitive, les prémisses implicites qui constituaient son antécédent – en l’occurrence, l’antinomie de l’en-groupe
et du hors-groupe. Enfin, l’alliage illocutoire qui articule ainsi les
deux actes complémentaires et simultanés que forment le posé et le
présupposé est encore renforcé par une “isotopie thématique”
(« connaître la misère de notre condition ») qui donne une cohérence sémantique à ce double acte de langage, l’un étant implicite,
l’autre explicite (Berrendonner 1981 : 50).
Même si les présupposés n’ont jamais été nommément introduits
dans le discours, ils sont unis au posé par une triple connivence qui
leur permet d’accéder au passé commun de la connaissance – une
connaissance qui fait « l’objet d’une complicité fondamentale qui lie
entre eux les participants à l’acte de communication » (Ducrot 1984 :
20). Cette complicité a, bien entendu, un prix. En validant sans mot
dire le cadre indiscuté de l’argumentation, elle exerce un effet indésitionnels sous le mode logique et vériconditionnel du type “si p, alors q”, mais une
notion discursive et pragmatique. Il impose aux enchaînements discursifs des
conditions cadres qui “obligent” le destinataire à continuer le dialogue dans une
certaine direction plutôt que dans une autre.
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niablement contraignant sur l’auditoire devenu, bon an mal an,
consentant : elle lui impose un certain état de la vérité. Or, l’état de
la vérité ainsi imposé par l’ensemble des présupposés implicites
du discours renvoie à un Nous ou à un On, c’est-à-dire à une voix
collective à l’intérieur de laquelle le locuteur est lui-même rangé et
inclus (Ducrot 1984 : 20-21). Contrairement au posé, qui engage la
responsabilité en “je” du locuteur même si celui-ci tente de s’esquiver en donnant à son énoncé l’apparence d’une croyance commune
non problématique, le présupposé repose, en dernière instance, sur la
On-vérité. Ainsi, l’énoncé « l’opinion publique n’aime plus son roi »
présente deux énonciateurs : l’un de ceux-ci, implicite, est un certain
On qui est responsable du contenu présupposé, ie. « l’opinion
publique a un jour aimé son roi ». Le présupposé est ainsi la ressource et non le thème de l’argumentation : il est “ce à partir de
quoi” et non “ce à propos de quoi” le dialogue peut s’établir. En tant
qu’élément implicite du monde partagé par les interlocuteurs, il est
un fait de langue, non de rhétorique, qui jouit du statut de On-vérité.
Si l’on suit Berrendonner, parmi tous les présupposé spécifiques
qui cadrent un énoncé, il y a toujours une présupposition méta
par rapport au contenu propositionnel de l’assertion : celle qui
prend implicitement l’énoncé pour thème et lui attribue une valeur
de vérité (Berrendonner 1981 : 50-53). À ce titre, on pourrait dire que
les préjugés ordinaires de validité, qui soutiennent et donnent sens
aux jugements posés ou exposés dans le discours, constituent une
forme générique de présupposition qui implicite l’accord originaire
des interlocuteurs. Ainsi, énoncer un proverbe tel que « il ne faut pas
vendre la peau de l’ours avant de l’avoir tué » présuppose de la part
du sujet parlant un “je conviens que” qui manifeste son allégeance
tacite à des vérités culturellement établies dont la corpulence sociale suffit à lester son propre énoncé d’une présupposition de On-vérité. De manière analogique, la présupposition de tout acte de langage semble être la prétention à sa validité et, par là même, la référence
déférente à un lointain méta-énonciateur qui bénéficie du statut littéralement fondateur du “Maître de la signification” (Castoriadis
1990 : 123).
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Compte tenu de l’omniprésence de cette macro-validation
impersonnelle, l’isotopie thématique qui rattache d’ordinaire le présupposé au posé discursif se double, lorsque “l’opinion publique”
est le sujet explicite d’une énonciation, d’une isotopie génétique. En
effet, dans ce cas particulier, le dénominateur commun entre le posé
et le présupposé est précisément l’agent vérificateur qu’est l’opinion
commune: celle-ci soutient la validité de la proposition non seulement en sous-main, mais également dans le registre de la “manifesteté mutuelle” propre à l’argumentation (Sperber et Wilson 1986).
Ainsi, dans un énoncé tel que « l’opinion publique a manifesté son
attachement au jury populaire », le topos de l’opinion publique
redouble le jugement commun qui soutient, d’une manière tacite et
anté-prédicative, tous les contenus propositionnels 12. Ce faisant, il
met explicitement en jeu “l’universel particulier” de la On-vérité qui
est, comme le suggère Merleau-Ponty, une opinion originaire dans
le double sens d’“originelle” et de “fondamentale”, puisqu’elle est
la forme à la fois la plus rudimentaire et la plus mûre du savoir
(Merleau-Ponty 1945 : 454 ; Beaud et Quéré 1990 : 7 et sq.). Cette opinion originaire, qui est présupposée, on l’a vu, dans tous les énoncés,
manifeste le “report de l’énonciation en arrière du sujet” vers le
point de vue en Nous ou en On d’une communauté qui dote
d’emblée les énoncés d’une valeur de vraisemblance (Descombes
1977 ; Quéré 1990). Les sujets parlants instancient inévitablement
dans leurs discours ce point de vue originaire, puisque ce dernier
pré-détermine et possibilise, en creux, le sens des énoncés dont il est
la mesure et le garant ultime. Si l’on suit Vincent Descombes, les
locuteurs parlent donc toujours après et d’après ce point de vue
a priori qui représente la “loi de l’énonciation”, c’est-à-dire l’ordre
normatif tierce qui structure “l’inter-dit” (Descombes 1977 : 128).
On comprend mieux, dans cette perspective, la circularité ou plutôt
l’illusion de la circularité de la On-vérité et de l’opinion publique.
Elles s’inscrivent toutes deux dans un même lieu originaire, celui de
la production et de la validation en Nous ou en On des significations
12. La citation est de Jacques Toubon, Journal de 13h., TF1, le 15 mai 1996.
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sociales. Toutefois, le processus circulaire de véridiction que dessine
leur isotopie génétique n’est en rien une reproduction à l’identique,
car elles n’ont pas la même fonction pragmatique. Alors que la Onvérité est le lieu anté-prédicatif du sens, l’opinion publique est une
instance de validation explicite qui met en scène un sens commun
qui n’est plus, par définition, celui qui constitue le fonds incommunicable de toute communauté. En effet, lorsque l’opinion publique
objective des fragments de la On-vérité dans le régime de visibilité
et d’articulation qui est le sien, elle transforme radicalement leur statut. Comme le dit Francis Jacques, le savoir tacite de sens commun
va sans dire : il ne supporte d’être dit ou rappelé que s’il a été contesté
de telle sorte qu’il change de sens, voire le perd, lorsqu’il fait l’objet
d’une explicitation publique (Jacques 1986).
La circularité dont il est question ici est donc essentiellement une
illusion rhétorique. L’opinion originaire de la On-vérité, en circonscrivant le champ du pensable et du dicible, permet aux intentions
de signification de l’individu d’être immédiatement congruentes
avec celles de sa société. En revanche, le concept d’opinion publique
ne peut jouir, en tant que concept, du statut matriciel de cette opinion originaire ; il cautionne plutôt le répertoire des contenus
sémantiques mal certifiés qui doivent encore être mis en évidence, au
sens littéral du terme. En objectivant la présumée vérité commune,
l’opinion publique remplit donc essentiellement un rôle palliatif par
rapport au mode du “cela va de soi” qui caractérise la On-vérité.
Elle représente une instance de recours pour les questions, notamment politiques, mythologiques et morales, qui concernent toute la
communauté et qui ne peuvent être résolues par un autre agent de
vérification.
L’imputation juridique à la normalité
Au vu de ce qui précède, le concept “opinion publique” bénéficie
d’une propriété remarquable : quelles que soient l’ambiguïté et
l’indétermination de sa sémantique, il ravive et met en évidence,
dans un raccourci saisissant, la condition de validation grammaticale de tout discours, le lieu commun de toute énonciation. Ce lieu
commun, c’est l’opinion de tous, non pas au sens du cumul factuel
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L’OPINION PUBLIQUE OU LA SÉMANTIQUE DE LA NORMALITÉ
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des opinions de chacun ou du catalogue des opinions reçues, mais
au sens de ce que tout un chacun doit dire pour que son discours
soit tenu pour vraisemblable. Les argumentations qui dupliquent,
avec la figure explicite de l’opinion publique, l’agent vérificateur que
représente en tout temps l’avis général bénéficient donc de tous les
avantages du “raisonnement par l’autorité” (Ducrot 1984 : 150 et sq.).
En effet, le sujet parlant qui se réfère explicitement au répertoire
public des jugements de la On-vérité et donc à une classification préexistante construit officiellement son propre discours sur “les discours
des autres” (De Certeau 1981). Il ne revendique pas son énonciation
comme étant un acte de qualification ou d’évaluation personnel dont
il voudrait, en tout premier lieu, informer son auditoire. Il effectue
une “prédication seconde” qui se contente d’homologuer un jugement d’ores et déjà accompli, en l’occurrence l’avis de tous (Ducrot
1980 : 57-92). De telles prédications secondes, ainsi assumées par un
méta-énonciateur extrinsèque qui prend en charge leur validation, se
voient alors indûment conférer le droit d’être les prémisses de base
d’un raisonnement apparemment neutre. Cette neutralité, théoriquement réservée aux jugements de fait validés par la ø-vérité, tient non
à sa conformité à des faits primitifs, mais à l’éviction apparente de
toute contrainte, notamment argumentative (Anscombre et Ducrot
1986). Cet ostracisme pacificateur, illégitime du point de vue de la
déontologie linguistique, provient du fait que la figure de l’opinion
publique enchaîne ses destinataires à une instance de validation qui
paraît construite à leur propre mesure : le miroir d’identification
qu’elle déploie mise, en effet, sur un “sujet” tout à fait inédit, puisqu’il
s’agit de tout le monde, de quiconque et de personne.
Or, cet effet de miroir ne se réduit pas à un reflet anodin et
complaisant ; il s’avère de fait extrêmement contraignant dans la
mesure où il impute un nouveau statut “juridique” à ses destinataires, qu’ils approuvent ou contestent le discours qu’il met en scène
(Ducrot 1984, 1991). En convoquant l’opinion commune, le locuteur
en appelle en creux au blâme et à la désapprobation sociale que suscite la non-conformité, persuadant les interlocuteurs de se rallier à
sa cause sous peine d’être exclus de la normalité, présente ou à venir.
Ainsi, “l’opinion publique”, en enrôlant locuteur et allocutaire
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dans une seule et même figure, en les prenant à témoin mais aussi
à partie dans les termes mêmes de l’échange, construit et impose
“l’espace du sujet”, c’est-à-dire « ce au nom de quoi le locuteur se
voit obligé de parler » (Borel 1983 : 63 et sq.). Tous les agents ordinaires, qui entrent de plein droit dans cet “espace du sujet”, sont
d’ores et déjà les co-énonciateurs virtuels et donc les co-responsables
de ce qui est en train de se dire en leur nom. Le contrat communicationnel est ainsi biaisé d’emblée, car les réactions potentiellement
critiques des destinataires sont désamorcées par leur intégration
dans un sujet d’énonciation qui leur impose “naturellement” le
ralliement à une bonne cause, celle de tous. Autrement dit, l’énonciation qui table sur l’avis prétendument commun attribue indirectement à ses allocutaires le statut juridique d’adhérent, nécessairement
consentant, d’une même communauté de pensée.
Comme le dirait Jeff Coulter, l’invocation de l’opinion publique
instancie une “catégorie d’identification” tout à la fois collectivisante
et unanimisante : elle prétend englober et dépasser les catégorisations différenciées qui permettraient, par exemple, d’individuer ses
destinataires par leur état civil, par leurs biographies particulières
ou même par les rôles sociaux fragmentaires qu’ils remplissent
simultanément (paysans, artisans, avocats, père de famille, époux,
etc.) (Coulter 1996). Cette macro-catégorisation, en misant sur
l’accord transversal des esprits qui est censé dépasser l’appartenance
particulière de ses multiples destinataires, les consacre peu ou prou
comme les attributaires d’une règle qui est celle de la loi commune.
Cette adresse intempestive les confine dans un univers de discours
qui leur impose « le rôle d’un personnage de la comédie illocutoire »
dont ils sont, bon an, mal an, les obligés (Ducrot 1981 : 81). Les protagonistes de cette comédie imposante ne bénéficient plus que d’une
valeur de position qui se réduit à la posture anonyme du “particulier”, au sens juridique du terme, dont les droits et surtout les
devoirs sont ceux de coopération et de conformité 13. Les particuliers
13. Nous nous inspirons ici, dans le cadre de la problématique qui est la nôtre, des
notions du suppôt et de particulier que Vincent Descombes utilise pour montrer le
mode d’individuation statutaire que les règles sociales imposent aux individus qui
en sont, au sens quasi juridique du terme, les attributaires. (Cf. Descombes 1996).
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en question, une fois qu’ils ont endossé les attributs typiques du
membre compétent de la communauté, qui collabore, comme toute
personne sensée, à l’ordre social, sont conduits à opiner, moins dans
le sens d’émettre leur avis que dans celui, plus récent, de consentir.
Dans le cadre de cette normalisation subreptice, les avis dissonants
par rapport au jugement d’évaluation publique ainsi mis en exergue
apparaissent comme des dissidences et des sécessions potentielles
que leurs “suppôts” sont sommés de justifier. À l’inverse, les porteurs de l’opinion commune n’ont pas à se justifier car ils ont pour
eux la justification supérieure, si ce n’est ultime, de l’avis de ce que
l’on pourrait appeler, par analogie à l’avis de la personne d’univers
dont parle Berrendonner, “la personne de société”.
Au terme de ce parcours, il semble bien que les propriétés isotopiques du concept intensionnel d’opinion publique, ses incitations
juridiques à la conformité et ses propensions conjonctives, constituent son squelette sémantique. Bien entendu, la relative immuabilité de ces propriétés génériques n’est pas imperméable au contexte
de leur application, car leur activation dépend également de leur
mode d’emploi. Mais si l’on délaisse provisoirement la manière dont
les individus utilisent le langage pour décrire et transformer le
monde qui les entoure, pour mieux se concentrer sur les effets structurels que génère le langage lui-même, le concept d’opinion publique
semble bel et bien disposer d’un pouvoir d’action intrinsèque.
En objectivant notamment la compréhension incorporée du sens
commun comme s’il s’agissait d’une intentionnalité collective, il réactive les pré-requis de la raison ordinaire et mobilise, par là même, les
ressemblances de fond qui unissent ses destinataires. En effet,
l’objectivation de cette intentionnalité collective suggère nommément
aux “co-agents” de renoncer à des actes symboliquement idiosyncrasiques ou monologiques pour s’engager dans une entreprise plus
ou moins “dialogique” dans laquelle ils sont tenus de se produire et
de se percevoir comme étant les parties intégrantes d’un Nous
(Taylor 1995).
Tout comme les proverbes, les énonciations qui se réclament de
l’opinion publique n’ont donc pas le statut descriptif des discours
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qui souscrivent à une “loi d’informativité” (Berrendonner 1981 : 53).
Elles ont plutôt le statut normatif et performatif des discours
qui entérinent une sorte de loi de la normalisation en confirmant les
propositions que les destinataires sont d’ores et déjà censés connaître
et en affirmant des jugements qui font d’emblée l’objet d’une présomption de On-vérité. Dans la mesure où de telles énonciations
substituent la logique du savoir de sens commun à celle de la sujétion et/ou de la nécessité, elles implicitent la contrainte en invitant
chacun à opiner aux idées et aux évaluations déclarées officiellement
communes. Cette invitation ne paraît d’ailleurs guère “obligeante” :
la prétention à validité de l’opinion publique ayant pour elle, tout au
moins potentiellement, le consentement universel, elle satisfait
la fonction pragmatique, essentielle pour les discours normatifs,
qui consiste à “masquer la prescription” (Berrendonner 1982 : 41
et sq.) 14.
Du coup, la thématisation même “déformante” de la On-vérité
déploie, bien plus encore que les concepts en général dont parle
Michel Meyer, “un lieu d’identité” qui supprime les questions
potentiellement séparatrices, condense les réponses fragmentaires
et les intègre dans un “lieu commun” qui est censé cimenter la
« rencontre des hommes et de leurs discours » (Meyer 1996 : 36).
Car l’opinion publique, grâce notamment à l’isotopie génétique qui
la leste, on l’a vu, de l’autorité inconditionnelle de l’opinion originaire, déploie des énonciations potentiellement monophoniques.
La polyphonie apparente qui permet de distinguer prime facie le sujet
parlant (le locuteur empirique) du sujet d’énonciation (l’opinion
14. Dans cette perspective, il semble que la description d’un “état” donné de l’opinion
publique semble pouvoir opérer le fameux passage du fait à la norme (du is au ought
anglo-saxon) qui oppose nombre de philosophes du langage. En effet, compte tenu
des effets juridiques qu’entraîne l’homologation apparemment purement descriptive de l’avis majoritaire, le transfert du mode indicatif du “est” (« l’opinion
publique aime toujours son roi ») au mode impératif d’un “doit” (« les membres
virtuels de l’opinion publique doivent aimer leur roi ») paraît relativement aisé. Ce
“doit”, toutefois, renvoie plus ici aux contraintes sociales, morales et psychologiques, de celui qui est sommé de se rallier ou de s’exclure de l’opinion commune
qu’à une obligation d’ordre strictement institutionnelle. Sur les termes du débat
“is-ought”, (voir Searle 1972 : 228 et sq.)
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publique) ne fait que voiler superficiellement la monophonie qui
relie, dans les coulisses de la scène argumentative, la personne du
locuteur à la “personne de société”. Au niveau de cette charpente
“monophonique”, le sujet parlant apparaît comme le support plus
ou moins transparent de la co-énonciation de l’opinion publique et
de l’agent vérificateur qu’est la On-vérité – une co-énonciation
nécessairement convergente, puisqu’elle parle d’une seule et même
voix : celle du Nous ou du On de la communauté. Les énoncés qui
font de l’avis général leur sujet d’énonciation forment ainsi des
expressions auto-référentielles qui se bouclent sur elles-mêmes
et renvoient, au niveau explicite du posé comme au niveau implicite
du présupposé, à un On-vrai qui n’a pas d’autres preuves de sa
validité que le nombre indéfini de ses adeptes. Cette même autoréférentialité ne se limite d’ailleurs pas aux énonciations accomplies
sous l’égide de l’opinion publique. Ces dernières mettent explicitement en exergue ce qui constitue l’ordinaire tacite des jugements
communs mais aussi des avis subjectifs et des vérités objectives :
la condition grammaticale de leur validité publique est en effet, par
définition, leur inclusion dans une communauté de sens ontologiquement et logiquement préexistante.
Conclusion
En guise de conclusion, il nous faut brièvement revenir sur la question que nous avons esquissée au début de cet article : un concept
social et politique tel que l’opinion publique peut-il prétendre, en
dépit de sa réalité strictement intensionnelle, au statut de “quasiobjet” ? Au terme de notre investigation, il semble que sa reprise et
sa “chosification” collectives lui confèrent bel et bien le droit au titre
d’“objet notionnel” (Dennett 1990 : 229-266). L’objet notionnel,
comme son nom l’indique, a deux caractéristiques essentielles :
comme les notions, il renvoie à des entités intangibles qui sont,
à strictement parler, inexistantes, puisqu’elles ne sont que les
“créatures” de nos « croyances linguistiquement infectées »
(Dennett 1990). Mais comme les objets, il a des propriétés suffisamment contraignantes et impersonnelles pour s’imposer aux esprits
qui s’y réfèrent. L’opinion publique est une excellente illustration de
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ces curieuses entités : bien qu’elle ait émergé dans la compétition et
l’enchevêtrement des discours argumentatifs qui prolifèrent à la fin
de l’Ancien Régime, elle a progressivement conquis une inertie
sémantique et un véritable pouvoir d’action qui subsistent avec
suffisamment de ténacité pour pouvoir s’imposer à ses usagers.
Cette subsistance est d’autant plus tenace que ses propriétés sémantiques ne sont pas uniquement des nœuds interdiscursifs et interactionnels de nature contingente. Elle répond également aux
contraintes invariantes, de nature essentielle, qui accompagnent les
présomptions anthropologiques de la raison ordinaire. C’est dire si
l’objet notionnel “opinion publique”, même s’il ne renvoie pas à un
existant réel au même titre que les concepts d’espèces naturels, dispose d’une consistance sémantique “interne” suffisamment récalcitrante pour résister à un grand nombre de ses remaniements.
Cette même résistance nous invite, plus généralement, à réfléchir
sur l’inscription de ces êtres “non quelconques” que sont les objets
notionnels dans l’ameublement ontologique du monde. En effet, ces
existants insolites paraissent incorporer en eux-mêmes un véritable
pouvoir d’action, et cela indépendamment du pouvoir extrinsèque
que les individus et les institutions sont susceptibles d’exercer sur
eux 15. En se montrant capables de restructurer le champ d’action et
de pensée de leurs destinataires, ils répondent ainsi à un des critères
fondamentaux de l’ontologie : celui qui consiste à remplir un rôle
causal, ce rôle fût-il limité au contexte d’attentes, de rôles et de
modes d’action stéréotypés propres à une collectivité donnée
15. Nous nous éloignons donc ici de la prise de position “sociolinguistique” de
Berrendonner pour lequel, à l’inverse, les mots ne peuvent agir que grâce aux
usages et aux systèmes de normes extra-linguistiques, institutionnels ou interpersonnels, qui leur donnent “du dehors” l’efficacité apparemment interne dont ils
semblent pourvus. Il me semble que la position de Ducrot et de Searle est à cet
égard plus convaincante : les conventions sociales arbitraires associent de manière intrinsèque une énonciation à une obligation. L’obligation est constitutive de
l’acte et fait partie de la définition même de l’énoncé. Le résultat conventionnellement attaché à des énonciations n’est pas une simple conséquence extérieure ou
un accident empirique intervenu à l’occasion de l’énoncé ; les effets de l’usage des
énonciations et de leur sémantique sur la situation du discours sont internes à ces
mêmes énonciations (Ducrot 1972 : 12-25).
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(Laurence et Macdonald 1998). Le dépliement de la sémantique de
la normalité qui caractérise l’“opinion publique” suggère que
l’emprise causale des objets notionnels sur les esprits qui contribuent, sans le savoir, au maintien de leur existence, repose sur les
relations de nécessité juridique que seules les communautés sont à
même de générer. Cette nécessité étrange, qui confère une réalité et
une efficacité propres à des objets dont l’existence dépend pourtant
des actions et des discours qui les ont fait advenir au monde social,
pourrait plaider pour une ontologie élargie qui épargne à certaines
productions nominales le discrédit métaphysique dont elles sont
victimes.
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