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' Chroniques d’ailleurs ' ou Écriture concentrationnaire : Un regard sur la lyrique fÉminine des Goulags staliniens (1940-1950) Claudia Pieralli Université d’État de Macerata La poésie du Goulag, en tant que genre, est une des manifestations de la littérature produite par les victimes du régime soviétique. Cet article cherche à révéler les relations entre deux phénomènes littéraires : d’une part, la littérature des victimes du stalinisme et, d’autre part, la littérature de l’ailleurs. Dans cette étude, on va décliner le concept d' " ailleurs " non pas comme relevant de l’étranger, de l’exil ou de l’émigration au-delà des frontières, mais comme répression, déportation et prison. On considérera, donc, ces textes comme textes produits dans un ailleurs plus ou moins forcé, à l’intérieur de l’espace soviétique. En outre, on s’intéressera à l’écriture produite à l’intérieur de l’univers concentrationnaire, et non après le retour (comme la plupart des œuvres que l’on connaît et qui sont devenues à juste titre populaires). Ce qui permet de classifier cette poésie comme poésie de l’ailleurs n’est donc pas seulement le sujet (poésie sur le Goulag), mais la dimension spatio-temporelle où elle a été créée (poésie du Goulag). Cette acception constitutive du concept d’" ailleurs " fait dériver une spécification secondaire: dans le cas où la littérature du Goulag est vue comme littérature de l’ailleurs, quelle est la relation entre la littérature des camps (" lagernaja literatura ") et la littérature de l’ailleurs comprise comme de l’émigration interne. Est-ce qu’on peut considérer ces textes (mémoires ou lyrique du Goulag) comme relevant du corpus des écrits d’ " émigrés internes ") ? Cette interrogation pourrait peut-être aider à préciser le concept polysémique d’ " émigration interne " et le statut de l’écrivain " émigré interne ". À ce propos, il faut rappeler qu’il s’est produit un schisme après la révolution russe, qui deviendra encore plus aigu avec le durcissement du système punitif stalinien en 1929 (année d’introduction du nouveau code pénal) ; il s’agit d’un schisme qui voit apparaître une scission entre la littérature de la " métropole " et celle produite à l’étranger (" emigracija vnechnaja " ou diaspora). À l’intérieur de la littérature de la métropole, on peut distinguer trois courants : la littérature officielle, celle des émigrés internes et celle du goulag. On envisage le troisième type ou genre, qui s’encadre dans une position pas tout à fait définie : elle ne peut pas être considérée comme officielle, mais ne relève plus tout à fait des émigrés internes. Il y a encore peu de clarté sur le concept d’émigré interne qui, de jours, n’a pas reçu une définition univoque : on entend par là, en général, des écrivains ou artistes qui ont cessé d’être publiés, dont la publication était bloquée par la censure des régimes totalitaires. Ils vivaient chez eux, en menant une " dissidence silencieuse ", sans publier, ou se trouvaient confinés aux périphéries de l’URSS. Donc, il pouvait s’agir d’une condition choisie ou forcée. L’habitude de voir une opposition entre littérature officielle et de l’ailleurs a toujours exclu de ce cadre la littérature des camps, toutefois, celle-ci identifie un phénomène intermédiaire qui peut trouver une place cohérente à l’intérieur de cette opposition : cela ne servira pas à satisfaire un vain intérêt (jeu) terminologique, mais bien à désigner un tableau plus complet et exhaustif de la culture littéraire russe à cette époque historique. Afin d’atteindre ce but, on utilisera comme clé conceptuelle le concept d’ " ailleurs ". Dans l’espace de la littérature de l’" ailleurs interne ", soviétique, il y a une importante distinction qui s’impose, entre la " ssylka " (exil forcé dans les régions périphériques de l’URSS) et la détention dans les camps de travail. Cette distinction se reflète dans deux manifestations littéraires différentes vues en perspective synchronique : l’exil permet de se dédier à l’écriture de contes, de récits, de poèmes, de Mémoires, de journaux intimes, de correspondances, etc. La vie du camp et, donc, l’expérience concentrationnaire empêche toute sorte d’écriture, par conséquent la seule création littéraire possible est représentée par le " myslennoe stikhotvortchestvo ", écriture de poèmes composés dans l’esprit des prisonniers, appris par cœur et gardés, pendant des années, en mémoire. Les écrits en prose inédits des exilés sont conservés surtout dans les archives de la " Bibliothèque mémorielle russe " de la fondation Dom Russkogo Zarubej’ia (Maison de l’Émigration Russe) à Moscou, qui contient un nombre important de témoignages tant d’intellectuels et de dissidents émigrés à l’étranger, que de ceux qu’on appelle les " émigrés internes ", des exilés ( " vyslannye " ) et des déportés, donc d’écrits sur les camps et à partir des camps. On trouve ici un corpus de manuscrits, Mémoires et écrits de différents genres que Soljénitsyne avait demandé de lui envoyer en Amérique Fonds n. 1, " Всероссийская мемуарная библиотека – ВМБ", (DRZ). En 1975 Aleksandr et Natal’ja Soljenitsyne commencèrent à rassembler les mémoires de l’émigration russe, en suite les matériaux qu’ils reçurent, intégrés par les mémoires des citoyens soviétiques et russes furent recueillis dans le fond intitulé " Всероссийская мемуарная библиотека – ВМБ", c’est-à-dire un fonds de manuscrits qui constituent la base même de l’archive de la Maison de l’Emigration Russe à Moscou. Les textes les plus intéressants ont étés publiés dans la série " Исследования новейшей русской истории par les éditeurs "YMCA-PRESS"  et "Русский путь". Le rassemblement des manuscrits fut démarré par Soljénitsyne en 1975, quand il publie dans le quotidien La Nouvelle parole russe (Новое русское слово) son " Appel aux émigrés russes " où il encourageait les émigrés de la " première vague " à lui envoyer leurs Mémoires personnelles, liées aux événements dramatiques de l’histoire russo-soviétique. En 1977, dans le même quotidien, il publia le deuxième appel aux émigrés russes, cette fois en fixant les buts et perspectives de la bibliothèque-archive (ВМБ) qu’il projetait de fonder. Dès 1994 commencent à arriver, à la bibliothèque mémorielle, les mémoires de citoyens soviétiques qui reconsidèrent toute l’histoire de l’URSS, de la révolution à la collectivisation, la dékoulakisation, les répressions et le goulag stalinien, et d’autres encore. Actuellement, le ВМБ comprend plus de deux mille manuscrits et il s’enrichit continuellement.. La quantité d’écrits de femmes déportées dans les goulags à l’époque stalinienne, comme témoignages de la vie concentrationnaire, est imposante. Presque tous les écrits présentent une subdivision interne, organisée selon une même structure : la vie avant l’arrestation ou la déportation (dans certains cas, l’émigration, et s’il y a eu émigration, alors le retour forcé / rapatriement), arrestation et enquête / instruction, déportation, années de punition, bagne, travaux forcés (souvent Kolyma – Sibérie ou autres), ouverture – libération et retour (libération partielle), réhabilitation, inscription dans le registre des victimes de répression politique. Enfin, il est intéressant de remarquer, dans les annotations, que les compilateurs du fonds ont lu et fait des observations sur la qualité littéraire des écrits. Pour répondre à interrogations, voulons relever les éléments qui mettent l’écriture concentrationnaire en relation avec le phénomène de l’émigration interne et ceux qui les séparent. Or, il semble que la littérature des déportés puisse être considérée comme de l’émigration interne. Par exemple, la condition d’isolement est un élément de connexion avec celle des écrivains définis comme émigrés internes. Mais il y a une distinction qui, au contraire, éloigne ces deux phénomènes historico-culturels : dans le cas présent on doit remplacer le mot émigré par exilé interne, parce que le départ, le déplacement sont, dans tous les cas, une condition forcée. La littérature de camps vit un isolement de genre différent mais, dans les deux situations, exil interne ou camps, un élément de connexion avec le phénomène de l’émigration interne est le fait qu’il s’agisse toujours de " nepodcenzurnaja literatura ", c'est-à-dire une littérature qui n’a pas dû se confronter aux organes soviétiques de la censure, qui les a évités. Tableau général des sources à disposition  Les manifestations de la littérature des camps sont diverses et hétérogènes, on va donc en tenter une macroclassification de genre : d’un côté, les écrits sur toutes sortes de sujets concentrationnaires (produits après le retour ou la libération) : mémoires, contes documentaires, contes autobiographiques – il s’agit, dans ce cas-là, d’écriture rétrospective (l’ailleurs se manifeste dans une dimension rétrospective) ; de l’autre côté, la poésie du goulag : les contes, les journaux intimes, les correspondances carcérales – ceux ci sont de textes produit " ailleurs " (l’ailleurs se manifeste dans une dimension synchronique). En ce qui concerne le genre de la littérature documentaire ou des mémoires au féminin écrits après le retour, la principale auteure est Evrosinija Kersnovskaja, dont la plus significative des œuvres est Combien ça coûte un homme  (2000), conte autobiographique en six livres Евросиния А. Керсновская, Сколько стоит человек, в 6 томах (Москва : "Можайск-ТЕРРА", 2000-2011). Le livre a été traduit en italien "Quanto vale un uomo", trad. Emanuela Guercetti, (Milano : Bompiani 2009). De cette auteure on a vu paraître en traduction française seulement Coupable de rien : chronique illustrée de ma vie au Goulag (Наскальная живопись, [M. : Kвадрат, 1991]), trad. Sophie Benech (Paris : Plon, 1994).. Il y aussi l’expérience d’Evgenija Ginzburg, auteure du roman autobiographique Le Vertige  Evgenija S. Ginzburg, Le Vertige (Krutoj marshrut , [Moskva, 1967]) ; trad. Genevieve Johannet, (Paris : Seuil, 1967). et d’Irina Ratuchinskaja, dont les mémoires, parues en 1987, Le Gris est la couleur de l’espoir  Ирина В. Ратушинская, Серый – цвет надежды (London, 1989) présentent une valeur essentiellement documentaire sur la vie de camps féminins. Le jugement critique du slaviste italien Mauro Martini dans son chapitre consacré au " refoulement du Goulag " selon qui la principale manifestation littéraire de la littérature concentrationnaire est la prose, parce que " l’univers concentrationnaire tend à exclure la lecture non linéaire de la poésie, la médiévale ruminatio, et exige au contraire la linéarité absolue " Mauro Martini, Oltre il disgelo. La letteratura russa dopo l’Urss, (Milano : B. Mondadori, 2002) : 52., est mis en doute par les expériences éditoriales des vingt dernières années, ainsi que par la présence imposante de sources qu’on présente dans cette contribution. Daniela Ansallem s’interroge sur la capacité de la poésie à traiter de thèmes d’une telle portée historique ; la réponse donnée est que, face à une expérience qui défie la raison, la poésie est peut-être le moyen le plus adéquat pour exprimer l’inconcevable et l’indicible ( " en effet la poésie contient une charge émotive qui la rend plus apte à exprimer l’horreur ou la révolte " Daniela Ansallem, " ' Au nom du mort qui fut sans nom '. La poesia del lager in Francia ", Dal buio del sottosuolo . Poesia e lager, A. Cavaglion (Milano : Franco Angeli, 2007) 29.  ). Par ailleurs, il est vrai que la poésie du Goulag n’est pas une poésie hermétique, ni surréaliste ou expérimentale ; elle est au contraire très directe. En ce qui concerne la lyrique, la poétesse majeure du goulag est Anna Barkova (1901-1976) ; nombreux textes sont apparus en Russie, en particulier le recueil Jizn’ i tvortchestvo A. Barkovoj  Доднесь тяготеем, Вып.1, сост. С.С. Виленского (Москва : Советский писатель, 1989). (2002). L’une des maisons d’édition de poésie des camps staliniens est " Vozvrachtchenie " , qui était initialement une simple association historico-littéraire de détenus dans les Goulags et qui fut, bientôt, agrandie en maison d’édition. L’activité de " Vozvrachtchenie " comme éditeur remplacera celle de l’éditeur " Sovetskij Pisatel ", qui en 1989 avait publié un énorme recueil de mémoires de vingt-trois prisonniers du goulag, intitulé Dodnes’ tjagoteet Доднесь тяготеем. Сборник: в двух томах, сост. С.С. Виленского (Moсква : Возвращение, 2004). (Сela pèse encore) dirigé par Semen Vilenskij. La maison d’édition, renommée " Vozvrachtchenie " en 1992, a commencé, sur l’initiative personnelle de Zajara Veselaja, une activité intensive, presque un engagement personnel de publication. Il y a, toutefois, des éléments distinctifs dans son activité éditoriale : l’autonomie de gestion, le manque complet de financement, le choix presque obligé de recourir aux photocopies au lieu de la topographie et, donc, l’aspect très domestique de l’organisation et du projet éditorial. La série était intitulée Poety – uzniki GULAGa. Malaïa seriïa, chaque numéro ( " vypusk " ) est constitué de quarante pages environ à petit format, imprimé sur des feuilles photocopiées, à tirage limité de cent à cinq cents exemplaires. On retrouve, dans ces éditions réprimées, une préférence ou, du moins, un fort intérêt pour la lyrique au féminin, les auteurs sont soit des poètes connus, soit des personnes qui publient pour la première fois, sous la direction de Zajara Veselaja. En 1992, ils publient dix-sept recueils, dont La Muse des Solovki  Соловецкая муза. Стихи и песни заключенных СЛОНа. Серия Поэты – узники ГУЛАГа. Малая серия, 2 (Moсква : Возвращение, 1992). (écrits poétiques des condamnés aux Solovki) et L’Etape de la Kolyma Колымский этап, серия Поэты – узники ГУЛАГа. Малая серия 12 (Москва : Возвращение, 1992). , les autres étant tous avtorskie (d’auteurs particuliers). Chaque recueil est composé de la couverture, portant la photographie de l’auteur ; sur la quatrième de couverture, on trouve les données biographiques essentielles, durée et raisons de la condamnation, on fait aussi mention des activités conduites par l’auteur après la réhabilitation (souvent il s’agit de gens qui n’ont pas arrêté leur activité dans le domaine artistique ou littéraire). Ce type de support permet au responsable d’édition (Zaïara Veselaïa) de publier non seulement des vers, mais aussi des illustrations, des photos de camps et de baraques qui contribuaient à conférer à la publication une valeur documentaire, avec la reproduction des images du lieu où la poésie avait été conçue. Zaïara parle de " kustarnoe svoebrazie " au sujet de la qualité " artisanale " de ces publications, en soulignant, de cette façon, l’importance de l’aspect (la présentation) esthétique et visuelle de ces publications de petit format en photocopies. Malheureusement, ces recueils ne sont pas tous conservés à la Bibliothèque d’État Lénine à Moscou. Le journal parisien Russkaïa Mysl’ fait paraître, en mai 1992, une recension à propos de la parution du recueil Soloveckaja muza . Le journal met aussi en évidence la signification toute particulière de ce choix éditorial précis : Dans son orphelinage soigné, il y a une certaine adéquation stylistique au matériau, ni forcée, ni intentionnelle : une honnête pauvreté du papier, une importance graphique de photographies ‘polarisées’ par la photocopie […] l’aspect extérieur même de ce livre donne l’impression que ses éditeurs en savent bien plus sur le sujet que ce qu’ils en ont dit "В ее аккуратном сиротстве есть какая-то ненавязчивая, ненамеренная стилиститческая адекватность материалу – честная бедность бумаги, графическая существенность, " поляризованных " ксерокопированием фотографий […] сам внешний вид этой книги создает ощущение, что ее издатели знают о своем предмете гораздо больше того, что рассказали". Citation tirée de Заяра Веселая, серия Поэты – узники ГУЛАГа (Москва Возвращение, 2009) 14.. Ce phénomène et le récit que Zajara Veselaïa en fait, rapproche assez bien cette expérience du mécanisme de production et d’autodiffusion alternative des écrits connu sous le terme de SAMIZDAT. Dès 1993, ces livres se diffusent aussi à l’étranger. En 2005, a vu le jour l’anthologie Poety – uzniki GULAGa, publiée par le fonds international " Demokratiïa ", sous la direction de Simen Vilenskij Поэты – узники ГУЛАГа: Антология; под. oбщ. ред. А.Н. Яковлев; сост. С.С. Виленский (Moсквa : МФД: "Maтерик", 2005).. C’est un livre de mille pages environ, où les poèmes sont classés par auteur : très peu de poétesses sont représentées (mais on retrouve toutes celles qui avaient été publiées par Zajara Veselaïa sur photocopies, avec un plus petit nombre de poèmes). La littérature critique, aperçu Dans le milieu soviétique, on enregistre un manque presque absolu de réflexion critique sur la question, à l’exception de Leonid Taganov, qui a examiné principalement l’œuvre d’Anna Barkova Анна Баркова, Вечно не та, Сост. Л.Н. Taганов, O.K. Перверзев, (Moсква : Фонд "Сергея Дубова", 2002). et qui est l’auteur d’études sur les spécificités de la lyrique du Goulag. Le thème a également été traité par les chercheurs italiens Mauro Martini et par les historiens Giulia Lami et Alberto Cavaglion Martini, Oltre il disgelo; Cavaglion, Dal buio del sottosuolo. Poesia e lager.. En France, il faut signaler les travaux de Louba Jurgenson, de Michel Heller et de Sabine Sellam Luba Jurgenson, L’Expérience concentrationnaire, est-elle indicible?, préf. Jacques Catteau (Paris : Éd. du Rocher, 2003); Michel Heller, Le Monde concentrationnaire et la littérature soviétique (Lausanne : L’Âge d’homme, Paris 1974) ; Sabine Sellam, L’Écriture concentrationnaire ou la poétique de la résistance (Paris : Publibook, 2008). . Selon Sergej Dovlatov, en 1982, les lecteurs en avaient déjà assez de la lagernaïa literatura (Dovlatov dit littéralement qu’ " elle est consumée " ) ; selon l’analyse de Mauro Martini, à vingt ans de distance, la situation s’est seulement radicalisée. En fait, si l’holocauste a fait l’objet d’une pluralité d’études, on ne peut pas en dire de même pour la littérature du Goulag, parce qu’il s’est produit un véritable " refoulement du Goulag " (spécialement si on considère le cadre des études en Russie) " Rimozione del Gulag ", Mauro Martini, Oltre il disgelo 47. Il faut, toutefois, relever l’extraordinaire activité de rassemblement de témoignages et de recherche sur le répressions politiques en Union Soviétique menée par l’association " Memorial " (http://www.memo.ru/) et par le centre Sakharov de Moscou.. D’autre part, il faut aussi reconnaître que la question des représentations artistiques de l’expérience concentrationnaire a acquis une vigueur croissante ces dernières années, en particulier en Europe On peut évoquer le congrès international organisé par l’Institut piémontais pour l’Historie de la Résistance et de la Société contemporaine qui a eu lieu à Turin, en 2005, et qui a débouché sur un ouvrage dirigé par Alberto Cavaglion. Cela dit, la question n’a pas du tout été examinée sous l’angle du milieu soviétique et de l’Europe de l’est (Cavaglion, Dal buio del sottosuolo 7-10).. Pourtant, il s’agit d’un genre qui n’a même pas reçu la sanction officielle d’existence ; on tentera, donc, ici de lui attribuer une place au sein des écritures de l’ailleurs qui datent de l’époque stalinienne. Voudrions, donc, rechercher les ressemblances où les éléments qui peuvent mettre en relation la littérature des camps et la littérature de l’ailleurs, entendu comme condition générale de l’exil. Servirons du concept qui décrit le phénomène de " Potaennaïa literatura " (littérature secrète, cachée). La littérature du Goulag a été mise en relation avec la " littérature secrète " par le chercheur Leonid Taganov, en 1998, qui motive cette relation par " la projection à la fois historique et littéraire de la poésie des camps et par l’aspect essentiellement ésotérique de l’expérience de création poétique. L’élément ‘secret’ fonctionne en tant que dominante de la vision artistique du monde chez ces poètes du Goulag et devient le principal sens poétique et philosophique-existentiel " " Тема гулаговская, как потаенная литература, связана с вопросом о потаенности в ее историко-литературной проекции и вместе с тем затрагивает имманентно-эзотерическую сторону поэтического творчества. Потаенное в этой поэзии выступает в качестве доминанты художественного мироощущения, становится главным поэтическим и жизненно-философским смыслом ", Леонид Н. Таганов, " Потаенная литература: поэзия ГУЛага ", Вопросы онтологической поэтики. Потаенная литература. Исслед. и мат. (Иваново : ИвГУ Иваново, 1998) 81. . Par ailleurs, il précise que la poésie du Goulag n’est pas toujours " secrète " (il y aussi des courants plus pro-soviétiques, là où on exprime un espoir de reconstruction et de confiance dans l’avenir). La première convergence entre la dimension de l’émigration interne et la littérature ou poésie du Goulag comme littérature  " secrète " réside dans le fait d’être conçue dans un ailleurs, qui est souvent caché, du sous-sol (" podpolnoj "), par rapport à une dimension " macro " ou officielle de référence et qui aurait un public. La deuxième convergence constatée est représentée par le haut niveau d’autoperception et d’autoconscience de cette poésie, qui se perçoit elle-même comme dramatiquement unique (l’autoconscience se concrétise, ici aussi, comme conscience de ne pas avoir un interlocuteur, un public, tout en l’espérant pour le futur). Comme le déclarait Chalamov dans ses Zapisnye knijki (Carnets), la poésie du camp est une poésie d’individus seuls, qui ont réussi à conquérir la force d’un courant littéraire entier. Chalamov entend, par cela, principalement la découverte, grâce à ce genre de poésie, d’une profondeur existentielle, dont le genre humain n’avait pas encore connaissance. Selon Taganov, " l’autoperception intérieure de la poésie secrète du Goulag " est celle d’une poésie qui se perçoit elle-même comme particulière et dramatique, dans la continuité de la ligne moderniste de la littérature russe. En se détachant des ses prédécesseurs, la poésie sent l’obligation de garder leurs traditions ainsi que d’accomplir une mission culturelle " " Внутреннeе самоощущение потаенной гулаговской поезии ", Таганов, " Потаенная литература ", 82.. D’ici on glisse directement vers le troisième élément de convergence entre la littérature de l’émigration en générale et celle qui intéresse : c’est le sens d’une mission culturelle et historique à accomplir. Celle du camp est une mission historique et qui a une dimension collective, comme le démontre aussi la continuelle oscillation du statut de ces textes entre création artistique et témoignage. Sources Prenons comme matériel de base de l’analyse une sélection des poétesses publiées dans la série Poety uzniki GULAGa. Malaïa seriïa, plus précisément les poétesses Elena Tager, Nadejda Nadejdina et Ioulia Panycheva. Ces deux dernières étaient emprisonnées et ont écrit pendant les années 1950. Elena Tager (1895-1964) était un personnage d’une certaine importance dans le milieu culturel de Leningrad au début de l’époque stalinienne. Elena Tager menait une activité littéraire avant même son arrestation et collaborait à des revues ; elle a fait partie du groupe " Pereval " (1929 - 1932) et a été admise à l’Union des écrivains en 1934. Elle est condamnée en 1938 à dix ans de Kolyma ; en 1951, elle est à nouveau confinée au Kazakhstan. Son œuvre s’étend des années 1940 aux années 1950. Sa poésie lyrique présente une spécificité dans l’organisation du vers : elle les casse en deux par l’insertion d’un point à la moitié, qui coupe le vers au milieu en créant une césure. Ce procédé (la césure ainsi créée) produit un effet d’intensification rythmique du vers et de dynamisme, ainsi que d’interruption lyrique et d’anxiété. Parfois il est utilisé dans une structure itérative vers par vers qui souligne de plus en plus l’effet dynamisant et syncopé " Оплывает свеча. Наклонился / Огонек и глядит во тьму. / Значит, мир мне только приснился? / Или я приснилась ему? // Все равно. Бесплодные муки / Дымной тучей лежат позади. / И родные кроткие руки / Призывают, манят ' Приди! ' // Я иду. Податель забвения, умудри меня, научи […]". Елена Тагер, " Оплывает свеча ", Десятилетняя зима, Поэты – узники ГУЛАГа. Малая серия, 22 (Москва : Возвращение, 1994).. À part les caractéristiques personnelles soulignées, l’intérêt est celui de saisir quelles pratiques d’écriture spécifiques la lyrique au féminin engage aux niveaux formel et thématique. On mettra en évidence les éléments distinctifs de la lyrique concentrationnaire au féminin, qui permettent de la voir et de l’encadrer comme littérature de l’ailleurs, entendu comme de l’exil interne, un ailleurs forcé. Examinerons aussi comment les éléments de convergence qu’on vient de mentionner, deviennent spécifiques dans cette littérature. Au niveau structurel, ces petits recueils de vers suivent d’assez près la structure de répartition en chapitres mémoriels (soit la subdivision en moments qui suivent un ordre chronologique et historique que représentent l’étape, le déplacement dans les camps, la vie en captivité, les fragments du passé tirés par la mémoire, l’espoir et le retour). Le statut hybride des textes en question entre art et " témoignage ", la continuelle oscillation entre témoignage et création littéraire et le haut niveau d’autoconscience, de sorte que le sens d’une mission est vécu comme devoir envers son peuple et que cela est déclaré, explicité par le poète :  " C’est un livre sur le peuple russe – je dois l’écrire jusqu’à la fin " " Это – книга о русском народе / Я должна ее дописать " (Тагер, " Если бы только хватило силы ")., écrit Elena Tager, tandis que Nadejda Nadejdina dans le poème Pravda, odna tol’ko pravda (La vérité, seulement la vérité), confesse: " je ne veux ni dénigrer, ni noircir / Je suis – seulement un témoin du temps " " Я не хочу не хулить не чернить, / Я – лишь свидетель времени ". Надежда Надеждина, " Огонь негaсимый ", Поэты – узники – ГУЛАГа. Малая серия, 18 (Москва Возвращение, 1992).. Parfois le poète prend conscience de la difficulté de pouvoir achever sa mission et le regrette (" tu n’as pas aimé complètement / tu n’as pas écrit complètement " " Ты не долюбила / ты не дописала ". Е. Тагер. " Разговор с ветром ", Десятилетняя зима. ). En troisième lieu, on met en relief les conditions où a été produite cette écriture, où la poésie se pose (et s’impose) comme une forme de résistance spirituelle à l’enfer concentrationnaire et où tout est composé et appris par cœur. Les prisonniers des Goulags n’avaient ni crayon ni papier pour écrire. Il y a un cycle de vers de Nadejda Nadejdina intitulé Vers sans papier ( Stikhi bez bumagi ) issu de son recueil publié dans la série " Poety – uzniki GULAGa. Malaïa seriïa ". Enfin, c’est une poésie qui se protège du chaos et, donc, comme l’a écrit Leond Taganov, qui cherche à retrouver un ordre rationnel, le logos, pour survivre à l’absurdité du réel " Путь к логосу в данном случае проходит через преодоление абсурда окружающго…, " Таганов, "Потаенная литература: поэзия ГУЛага", 86. . Ou encore, comme le dit la poétesse condamnée aux camps Nina Gagen-Torn : " Les vers en prison sont une chose indispensable : ils harmonisent la conscience avec le temps " " Стих в тюрьме – необходимость: он гармонизирует сознание во времени ", citation tirée par Tаганов. . Il s’agit d’une écriture de l’esprit, d’une écriture mentale et de la conscience, autant du point de vue " technique ", que du point de vue " fonctionnel ". A cet égard et aussi pour faire un lien avec la question du statut de cette littérature qui se situe entre art et document ou témoignage, il est très intéressant de remarquer que,parfois, la poésie " mentale " du Goulag sert à ses auteurs de plate-forme de mémoire, de boussole dans le passé pour la création des œuvres en prose écrites après la libération : comme en témoigne Evgenija Ginzburg, auteur de l’imposant récit Krutoj marchrut  (traduction française : Le Vertige) publié hors de l’URSS en 1967, les poésies écrites mentalement sans papier et sans crayon servirent à " s’orienter dans les labyrinthes du passé " " Все, что написано, написано только по памяти. Единственными ориентирами в лабиринтах прошлого являлись при работе над книгой мои стихи, сочиненные тоже без бумаги и карандаша, но благодаря тренированности моей памяти именно на поэзию четко отпетчатавшиеся в мозгу ", Евгения Гинзбург, Поэзия узников ГУЛАГа: Антология 305.. Un autre élément qu’il faut mettre en évidence est l’image du feu (comme en témoigne aussi le titre du recueil de Nadejda Nadejdina Ogon’ negasimyj - [Feu inextinguible]). Au niveau formel, il s’agit d’un genre de poésie très conservateur, la métrique est régulière, la rythmique et la rime du vers sont souvent respectées et cadencées. En fait, il n'y a pas ici d’espace pour la sédimentation linguistique ni pour la sédimentation portant sur l’organisation du vers ; en revanche, le plan sémantique s’impose en première ligne. En même temps, du point de vue du contenu, il n’y a pas d’espace dans cette poésie pour le non-sens ou le surréalisme. C’est une poésie narrative, parfois dialogique, dramatiquement autobiographique. La lyrique du Goulag est une poésie parcourue par l’absence de barrières nettes entre la vie et la mort, ou entre le sommeil, le rêve et la vie réelle. Par exemple dans le poème " Oplyvaet svetcha " de Elena Tager aux troisième et quatrième vers : "J’ai donc seulement rêvé du monde ? Où est-ce lui qui a rêvé de moi ? " " значит, мир мне только приснился ? Или я приснилась ему ? ", Елена Тагер, " Оплывает светча ", Десятилетняя зима.. La phrase a une signification métaphorique, où la vie et le monde sont comparés à un rêve (" son "), comme si la vie concentrationnaire lui faisait croire ou lui donnait l’illusion de n’avoir jamais vécu, de n’avoir vu le monde qu’en rêve. Mécanisme psychologique de destruction à rebours de la vie vécue qu’opère le camp. C’est une poésie qui se situe entre la terre et le ciel (qui est vu de la prison comme un lambeau, un morceau), c’est une poésie de la limite et qui exalte, accentue la limite entre le dedans et le dehors, l’intérieur et l’extérieur. Le héros lyrique est saisi pendant qu’il observe, comme l’écrit Anna Barkova, dans " glubinu proletevchih vekov " (" la profondeur des siècles écoulés "). La compression de l’espace où on est contraint à vivre se résout par la dilatation de l’extérieur : Elena Tager, dans le poème " Conversation avec l’âme ",  écrit : " au-delà du grillage quelque chose s’est ouvert / s’est ouvert par le lointain ciel bleu " et plus loin : " Sont-ce les vieilles blessures qui brûlent de nouveau ? / Il faut prier. Peut-être, cela aidera / Peut-être, là-bas, au-delà du grillage – l’aurore […] " " За решеткой что то распахнулось / Приоткрылось далью голубой […] Раны ли старые снова горят ? / Надо молиться. Быть может, поможет / Может быть, там, за решеткой – заря… ", Еленa Тагер, " Разговор с душей ", Десятилетняя зима.. Renversement du monde, donc, qui fait que la réclusion n’est plus le lieu " autre ", puisque, au contraire, le " lieu autre " est devenu la vie dehors, celle qui est imaginée, rappelée à la mémoire, espérée et désirée. On relève la présence insistante des images de grillages (" rechtchetka ") et du seuil (" porog "), ils sont les symboles concrets, les realia d’une opposition entre dedans et dehors, d’un ailleurs qui n’a pas à être considéré comme émigration, mais comme exil interne, forcé, punitif, ou simplement réclusion. Cette condition punitive et de reclus détermine une perception renversée de la vie et des valeurs par rapport à celles selon lesquelles on s’orientait avant ce déplacement (Nadejda Nadejdina écrit dans un poème du cycle " Stikhi bez bumagi " : " Quand tu franchis ce seuil, / et que ton œil / se cogne au grillage, / Oublie ce mot, / que tu connaissais et préservais / ce mot auquel tu t’étais fait / camarade. / Car celui qui est devenu / le maître de ta vie / en serrant ton cas d’un trombone / il n’est pas un camarade pour toi – il est un citoyen " " Когда переступишь этот порог / и глазом / в решетку ударишь, / Забудь то слово, / что знал и берег, / Обжитое слово / товарищ. / Ведь тот, кто стал / жизни твоей господин, / скрепив твое дело скрепкой, / Тебе не товарищ : он – гражданин", Надеждина, " Отсюда не возвращаются ", Стихи без бумаги, Огонь негасимый, 10-11. ). Le renversement de la vision du monde au-delà de la clôture, des grillages qui poussent le condamné à la limite même de son existence, acquiert les traits d’une opposition entre soi et les autres, entre soi et les amis. Parfois, cela prend le ton d’une révolte et d’une opposition de la poétesse au monde des autres, parfois des amis qui ont déjà oublié. Elena Tager écrit : " et en repoussant les mains amies / je parle sans colère, sans dépit, / mes amis, ne me touchez pas / je n’ai besoin de rien de personne " " И дружеские руки отстраня / я говорю без гнева, без досады / друзья мои, не трогайте меня / мне нечего ни от кого не надо ", (Е. Тагер, " Приснилось мне, что четырые друзья…", Десятилетняя зима).. Parfois, domine la solitude accentuée par la situation de confinement du poète, à la limite de la vie (Ju. Panycheva dans le poème qui ouvre son recueil, dédié à l’emprisonnement à Lefortovo, écrit : " Tout a disparu / les visages des amis se sont éteints / et moi je suis seule, dans la vie, en bordure […] Le silence des murs gris / le judas de la porte en fer / Et un lambeau de ciel, au-delà du grillage " " Изчезло все / друзей потухли лица, / и я одна у жизни на краю. […] Молчанье серых стен, / глазок железной двери / Да неба зарешечный лоскут ", Юлия Панышева, " Лефортово ", Поэты – узники ГУЛАГа. Малая серия, 28 (Москва : Возвращение, 1996) 3.). Cette tension vers le ciel, soit vers l’infini, protagoniste de cette poésie lyrique, est parfois marquée par des éléments chrétiens. Il faut remarquer, en outre, la proximité de cette conception poétique avec les idées symbolistes, par exemple la perception de deux mondes, à la dissolution de la terre et du ciel, ainsi qu’à l’aspiration à un ordre différent, nié dans la terre où domine le chaos, tension eschatologique. Un autre élément de distinction est la représentation toute particulière du temps. Dans la strophe d’un poème de Elena Tager inclus dans son recueil, on lit : " Est-ce la conscience qui tourmente ? L’offense qui ronge ? / Sont-ce les vieilles blessures qui brûlent de nouveau ? " " Совесть ли мучит Обида ли гложет? / Раны ли старые снова горят? " (Елена Тагер " Горе клубок и несчастья свиток…", Десятилетняя зима). ; on trouve aussi la confusion, c'est-à-dire la perte d’une perception ordonnée du temps (on ne distingue pas entre douleur récente et passée). Telle est aussi une spécificité de la poésie d’un ailleurs renfermé comme le Goulag, où se produit une dilatation amorphe du temps, un écrasement du passé sur le présent (en ce qui concerne les mémoires en particulier). Cet article a tenté d’établir des relations entre la littérature produite par les victimes du régime stalinien dans une perspective synchronique et la littérature de l’émigration en général, externe ou interne, ainsi qu’avec celle de l’exil. Parmi les textes conçus dans un ailleurs forcé, il y a donc ceux des exilés (" vyslannye "), qu’on n’a pas pu aborder dans le détail, mais qui peuvent être rattachés à l’émigration interne. En conclusion, soulignons que la lyrique du goulag, qui partage, avec la culture de l’émigration lato sensu, des éléments, ne peut pas être définie comme littérature de l’émigration interne. Sont présentés ici ainsi les points fondamentaux de jointure entre ces deux types de littérature, à savoir, le sens d’une mission à accomplir et la révolte qui acquiert, même dans le goulag, une dimension existentielle et privée de résistance spirituelle à la violence. On ne trouve jamais de renvoi au régime, ni cette ironie que l’on constate souvent dans l’écriture des émigrés dissidents des années 1960, ni de condamnation ouverte. La révolte dans la lyrique des camps apparaît comme un cri personnel contre une vie brisée, non vécue. En revanche, les éléments qui caractérisent la poésie du goulag comme poésie de l’ailleurs, tout en la séparant nettement du phénomène génériquement dénommé " émigration " (externe comme interne) sont la dimension mentale de cette littérature, l’opposition entre un espace de vie clos, fermé à l’extension, et un dehors où il y a la vie et la liberté, la présence d’images récurrentes (comme celles du feu et du son), des images caractérisant l’espace punitive (clôture, baraque, fil de fer, etc.), dans la présence des descriptions de l’espace ; la relative simplicité du vers (absence de sédimentation linguistique, sémantique ou portant sur l’organisation métrique du vers), la perception du temps, l’intonation lyrique ferme. L’idée d’" ailleurs " traverse cette tradition poétique en profondeur. Si on veut garder cette notion, on devrait utiliser les termes d’" exil interne " ou de " réclusion et captivité " plutôt que celui d’" émigration ". En fait, dans cet ailleurs, la question de l’éloignement par rapport à un chez soi n’est pas importante : les prisons de Lefortovo ou de la Loubianka (d’où proviennent beaucoup de vers de ces femmes) ne sont pas éloignées géographiquement, mais constituent, néanmoins, un ailleurs tragique. Plus généralement, il paraît important d’analyser ce genre et d’ébaucher les critères de son identification par rapport à des dimensions littéraires de l’ailleurs bien plus connues et fréquentes pour une raison fondamentale. Il s’agit d’une littérature qui aurait besoin d’être comprise dans le cadre général d’une macroopposition entre littérature officielle et d’État d’un côté, et littérature de l’ailleurs (donc de l’exil dans toutes ses significations) de l’autre, afin de lui attribuer une situation plausible. Sans cela, cette littérature risque de rester sans lieu précis dans l’histoire de la culture russe du XX siècle et de la culture européenne in toto. Son encadrement à l’intérieur des références qui ont guidé ce travail lui permet, au contraire, de gagner une position précise dans cet espace historique. De cette façon, peut-être, il deviendra moins difficile de la lire, de la comprendre et de la déchiffrer, enfin, et surtout, d’être les interlocuteurs que la poétesse Anna Barkova imaginait et souhaitait pour elle-même dans une époque future : Peut-être, dans cinq générations, avec l’épanchement terrifiant du temps, le monde relèvera cette époque de désarroi, et, parmi d’autres, mon nom  " Может быть, через пять поколений, / через грозный разлив времен / мир отметит эпоху смятений / и мое средь других имен ", А. Баркова, " Хоть в метелях душа разметалась…" cit. de А. Баркова, Вечно не та, (сост. Л.Н. Таганов, О.К. Переверзев [Москва Фонд " Сергея Дубова ", 2002] 490).. PAGE \* MERGEFORMAT242