Syria 87 (2010)
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certaines hypothèses peu crédibles (comme l’idée de
Kloner d’identifier les amphores à des loutrophores).
Enfin, il tente de situer les peintures de Marisa dans
le bref corpus actuellement disponible de la peinture
hellénistique, notamment par rapport aux peintures
des tombes royales de Vergina ou celles de nécropoles
d’Alexandrie. D’où il ressort que la qualité artistique
des peintures de Marisa se situe nettement au-dessous
de celles des capitales précitées. Certes, nous sommes
tributaires de photographies du début du XXe s., et des
aquarelles réalisées alors, puisque les peintures sont
devenues pratiquement invisibles, quand elles n’ont
pas été détruites volontairement par les pillards qui
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ont suivi de peu les découvreurs. Mais il est vrai
qu’en dehors de certains motifs (comme le coq et
surtout un admirable cavalier), l’ensemble est d’une
honnête qualité, sans plus, et s’apparente assez aux
stèles peintes de la nécropole de Sidon, avec leurs
traits fortement soulignés, ce qu’avait déjà noté
Thiersch. La bibliographie comprend les principales
publications utiles, mais on s’étonne néanmoins
de n’y voir figurer ni le livre d’A. Rouveret sur les
peintures hellénistiques conservées au Louvre 1, ni
la publication des peintures de la nécropole d’Abila
de Décapole, il est vrai un peu plus tardives, par
A. Barbet et Cl. Vibert-Guigue 2.
Maurice SARTRE
Ulrich-Walter GANS, Attalidische Herrscherbildnisse. Studien zur hellenistischen Porträtplastik Pergamons,
(Philippika. Marburger altertumskundliche Abhandlungen, 15), Harrassowitz, Wiesbaden, 2006, 17 x 24 cm,
168 p., 16 pl., ISBN 978-3-447-05430-0.
Ce court volume est consacré à l’iconographie des
dynastes et des rois attalides. L’ouvrage s’ouvre par une
rapide introduction, accompagnée de brèves notices
sur chacun des souverains (p. 3-10). Il se clôt par un
appendice rassemblant les attestations épigraphiques
et littéraires de statues qui représentent des Attalides
(p. 123-147), puis des résumés en plusieurs langues
(p. 152-159), différents indices (p. 161-168) ainsi que
16 planches de photographies. Dans le corps du livre,
U.-W. Gans (ci-après G.) traite principalement des
problèmes d’identification que pose toute étude de
la sculpture royale des Attalides : en effet, la plupart
d’entre eux, à la différence des Séleucides, ne se font
pas représenter sur leurs monnaies et, partant, leur
iconographie reste délicate à établir.
Cette monographie fait suite à celle de
Fr. Queyrel (Q.) (Les portraits des Attalides, Paris,
2003) avec laquelle elle souffre la comparaison. La
perspective minimaliste adoptée par G. n’est pas a
priori de mauvaise méthode face à l’inflation du corpus
chez Q. par nombre de portraits dont l’identification
est loin d’être certaine. Cependant, le plan
d’Attalidische Herrscherbildnisse gêne l’intelligence
de l’ensemble. La première partie du catalogue (p. 1118) est consacrée aux « portraits assurés » (gesicherte
Attalidenporträts), c’est-à-dire celui de Philétairos,
conservé par plusieurs séries monétaires (G. no 1),
lesquelles permettent de reconnaître le fondateur
de la dynastie dans le célèbre buste de marbre de
la villa des Papyri (G. no 2 ; Q. A2), ainsi que celui
d’Eumène II, illustré par deux tétradrachmes bien
connus (G. no 3). Dans une deuxième partie, intitulée
« Identifizierungen als Attalidenporträts », (p. 19-55),
G. retient trois sculptures généralement considérées
comme des portraits de rois attalides. Il conserve
l’identification à Attale de la tête colossale trouvée
à Pergame et conservée à Berlin (G. no 4 ; Q. C1),
mais il écarte le « Young Commander » de la villa
des Papyri (G. no 5 ; Q. D3) et le fameux « dynaste
des Thermes » (G. no 6 ; Q. E1). La troisième partie
du catalogue regroupe, sans volonté d’exhaustivité,
les petits objets et fragments de statues, dans lesquels
des historiens et des archéologues ont reconnu des
portraits d’Attalides, toutes attributions que G. rejette
quasi systématiquement. L’absence du grand buste
féminin trouvé près du Grand Autel (Q. H1) surprend
tout de même. Suivant l’historiographie, trente-huit
testimonia sont alors distribués selon la chronologie,
depuis Philétairos à Attale III (« Porträtszuweisungen
an Attaliden », p. 56-98), ou bien d’après leurs
caractéristiques iconographiques (« Attalidische
Prinzeporträts ? », p. 99-105 ; « Götterbildnissen
angeglichene Attalidenporträts? », p. 106-114). Seules
deux têtes de Pergame en marbre sont envisagées
comme portraits possibles de rois attalides (G. no 3738 ; Q. F.2-F1).
1. A. ROUVERET, Peintures grecques antiques. La collection hellénistique du musée du Louvre, Paris, 2004.
2. A. BARBET et Cl. VIBERT-GUIGUE, Les peintures des nécropoles romaines d’Abila et du Nord de la Jordanie, 2 vol.,
Beyrouth, 1988-1994.
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Le corpus n’est donc établi que sur la base
des recherches précédentes, sans que de nouveaux
documents soient proposés et identifiés. Même si G.
affirme que « das pergamenische Herrscherbildnis
nahm bislang keine zentrale Stellung und wurde noch
nicht monographisch behandelt » (p. 1), c’est souvent
le travail de Q. qui gouverne le classement des
documents. Ainsi pour une tête en marbre diadémée
de la villa des Papyri et pour la tête colossale trouvée
à Cos, rangées sous la section « Zuweisungen an
Attalos I. Soter », p. 71-73), conformément aux
identifications avancées par Q., bien que G. s’en
tienne aux anciennes attributions lagides (G. no 1819 ; Q. C3-C2). Cependant, l’auteur écarte aussi des
œuvres où personne ne reconnaît plus un souverain
attalide (par ex. p. 74-75 : le nom d’Eumène II avait
autrefois été prudemment avancé pour une tête de
marbre à Rome). Au total, le plan est malcommode,
puisque le lecteur ignore à quelle section se reporter
pour retrouver des œuvres dont l’identification est
discutée, tandis que les documents se rapportant à
Philétairos, Attale I et Eumène II sont dispersés et
traités dans des sections différentes.
Il s’agit, en définitive, d’un essai d’hypercritique.
G. s’inspire des conclusions extrêmement prudentes
de R. R. R. Smith il y a près de vingt ans (Hellenistic
Royal Portraits, Oxford, 1988, p. 79, p. 176-177). Il les
restreint encore et ne fonde que sur quatre documents
(G. no 1-4) son chapitre terminal sur les traits
généraux des portraits attalides (« Charakteristika der
Attalidenporträts », p. 115-121).
Parmi les critères retenus par G. pour identifier
une statue royale, le « diadème » est employé d’une
manière beaucoup trop systématique. Somme toute,
c’est parce qu’on observe ou qu’on suppose la
présence de cet attribut sur deux têtes de Pergame en
marbre (G. no 37-38 ; Q. F.2-F1) que l’auteur a retenu
ces œuvres comme des portraits possibles d’Attalides.
Cependant, des prêtres ou des athlètes peuvent aussi
être ceints d’un bandeau qui rappelle le diadème ;
rappelons que l’emploi de ce dernier terme (plutôt
que tainia, par exemple) fait déjà glisser l’analyse de
la description à l’interprétation. Bien avant l’époque
hellénistique, il suffit de mentionner le buste, daté
du Ve s., qui provient du sanctuaire d’Apollon de
Cyrène et qu’on interprète comme la représentation
du roi Arcésilas ou bien d’un simple prêtre à cause de
cette coiffure. Inversement, on ne peut récuser trop
simplement, comme le fait G., l’identification royale
d’une statue au simple motif qu’elle ne porte pas le
diadème (par exemple, p. 78 : G. no 23 ; Q. D4 ou
p. 86 : G. no 28 ; Q. E2). On ne le suivra donc pas
dans son argumentation concernant le buste du
« Young Commander » de la villa des Papyri : « Auch
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wenn dem Kopf das Diadem als königliches Attribut
fehlt, so wurde er doch mehrfach mit Herrschern in
Verbindung gebracht. (…) Dem Bronzekopf fehlt
das Diadem, das den Dargestellten zweifelsfrei
als hellenistischen Monarchen ausweist. Erst mit
diesem Attribut wäre, streng methodisch gesehen,
die Interpretation des Kopfes gesichert » (p. 44 : G.
no 5 ; Q. D3). Ni pour le « dynaste des Thermes » :
« Da der Thermenherrscher kein Diadem, dafür aber
einen kurzen Vollbart trägt, wurde häufig bezweifelt,
daß die Statue überhaupt einen hellenistischen König
abbildet. (…) Um ihn sicher als hellenistischen König
identifizieren zu können, muß man ein Diadem als
charakteristisches Herrschaftszeichen fordern. Da
dieses aber fehlt, kommt aus methodischen Gründen
eine Deutung als König nicht in Frage » (p. 51 :
G. no 6 ; Q. E1). G. reprend ici, de manière moins
nuancée, l’avis de R. Fleischer, dans son compte
rendu des Portraits attalides de Q. (Gnomon 77,
2005, p. 623, 625). Le problème est certainement plus
complexe et il ne semble pas inutile d’en rappeler
quelques jalons.
Les monnaies représentant Philétairos, par
lesquelles débute l’étude de G., posent déjà ce
problème de l’articulation entre le titre de roi et les
attributs qui manifestent en image cette dignité.
L’auteur s’en tient à la chronologie autrefois établie
par U. Westermark (Das Bildnis des Philetairos von
Pergamon, Uppsala, 1961) et affirme qu’il s’agit
de portraits posthumes (p. 11). Il est regrettable
qu’il ne discute pas les révisions proposées par
G. Le Rider à partir du trésor de Gülnar (Le
trésor de Meydancıkkale, Paris, 1989, p. 338) :
d’éminents spécialistes considèrent désormais que
si les monnaies qui figurent Philétairos coiffé d’une
couronne de laurier lui sont postérieures, celles qui le
représentent ceint d’un bandeau (strophion ?) furent
émises de son vivant. G. aurait trouvé là matière à
réflexion. Hors Philétairos, d’autres dynastes ont joué
de l’ambiguïté iconographique. On passe rapidement
sur les hésitations de la génération des Diadoques ;
ainsi Démétrios Poliorcète, qui frappe à Éphèse des
drachmes et hémidrachmes le montrant coiffé du
diadème (O. Mørkholm, Early Hellenistic Coinage,
Cambridge, 1991, no 169), n’est-il sans doute représenté
qu’avec un casque sur de petits bronzes à Salamine de
Chypre (ibid. no 164). C’est surtout dans un processus
d’accession à l’indépendance que l’image monétaire
de la tête diadémée peut être déconnectée du titre et
du statut royal. En Bactriane, au revers des monnaies
qu’il frappe pour le compte d’Antiochos II, Diodotos
remplace le portrait du roi par le sien, tout en gardant
la légende au nom du Séleucide régnant pendant plus
de dix ans (O. Bopearachchi, « L’indépendance de la
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Bactriane », Topoi 4, 1994, p. 513-519) ; trois siècles
plus tard, dans la principauté de Chalcis, l’Ituréen
Lysanias se fait aussi représenter coiffé du diadème
sur des bronzes qui ne portent pas le titre royal mais
ceux de tétrarque et de grand-prêtre (BMC Galatia
p. 280,6). Le diadème est certes d’importance,
puisque les dynastes souhaitaient ainsi apparaître
comme des rois. Mais, inversement, des souverains
sont volontairement figurés sans ce marqueur. Q. avait
relevé les couronnes enrubannées qui coiffent des rois
sur des monnaies de cités ou de peuples à l’époque
hellénistique (p. 66). On peut ajouter l’exemple de
Ptolémée III qui se fait représenter avec une couronne
à la place du diadème sur des bronzes destinés à la
Grèce (Mørkholm, 1991, no 310).
Ces stratégies iconographiques ne se limitent pas
à la documentation numismatique. S’agissant de la
glyptique, il faut relever, par ex., deux empreintes d’un
sceau, à Séleucie du Tigre, qui montrent Antiochos III
avec la chlamyde, mais sans le diadème (R. Fleischer,
« Portraits of Hellenistic Rulers on Bullae », in
M. F. Boussac, A. Invernizzi éds., Archives et sceaux
du monde hellénistiques – Archivi e Sigilli nel mondo
ellenistico. BCH suppl. 29, Paris, Athènes, 1996,
93
p. 322). Peut-être s’agissait-il de diffuser à la cour
l’image d’un Macédonien primus inter pares ? Ces
témoignages invitent à la prudence pour l’examen
de la statuaire. Des statues de rois divinisés, en effet,
portent d’autres attributs que le diadème : lors d’une
procession à Alexandrie, un agalma de Ptolémée,
par exemple, est surmonté d’une couronne d’or
(Athénée, Deipnosophistes V, 33 §201) ; c’est sans
doute la statue de Séleucos divinisé, coiffée d’une
couronne d’or, qu’évoque un papyrus fragmentaire
(P.Berol. 21286). La tête colossale d’Attale I à
Berlin, surtout, donne à penser : au IIe s., on a voulu
dissimuler en partie le large diadème préexistant par
un ajout de cheveux. L’un des aspects stimulants de
l’étude de Q. est justement de suggérer qu’en image,
paradoxalement, c’est l’absence ou la discrétion
du diadème qui pourraient caractériser de manière
dynastique les portraits attalides en référence au
fondateur.
Le mérite principal du livre de G. est de rappeler
l’extrême prudence qui doit présider à l’examen de
la statuaire royale attalide. Cependant, c’est à l’étude
de Q., même si elle donne matière à discussion, que
l’historien continuera de se reporter.
Kévin TRÉHUÉDIC
David KENNEDY, Gerasa and the Decapolis. A ‘virtual island’ in Northwest Jordan (Duckworth Debates in
Archaeology), Duckworth, Londres, 2007, 21 x 13,5 cm, 216 p., 24 ill., ISBN : 978-0-7156-3567-4.
D. Kennedy est bien connu des spécialistes
pour ses prospections de première importance sur la
Jordanie du Nord-Est, ses études sur l’armée romaine
en Jordanie, et d’une manière générale ses travaux
sur la Syrie antique. Il donne ici un petit livre assez
surprenant, parfois un peu déroutant, mais toujours
intéressant. Dans une collection qui privilégie le
débat plutôt que l’exposé systématique des résultats,
il propose une réflexion méthodologique à propos
d’une région particulière, la Décapole, pris dans tous
ses aspects historiques. À dire vrai, on a un peu de
mal à comprendre quelle aire géographique précise
est prise en compte. Si le titre semble clair, l’auteur
se détourne bien souvent de l’espace décapolitain
au sens propre pour explorer les villages du Hauran
syrien ou jordanien, les bords de la mer Morte ou
les plateaux de Moab, voire les terrains de parcours
des pasteurs qui ont gravé les dizaines de milliers
de graffiti « safaïtiques ». Certes, ces microrégions
interfèrent plus ou moins avec les cités de Décapole,
mais l’auteur ne précise guère comment, et l’on a
souvent l’impression de développements sans grand
rapport avec le sujet annoncé, même s’ils sont, par
eux-mêmes, bien conduits et instructifs.
L’un des axes de la réflexion de D. Kennedy
consiste à souligner la précarité de nos sources et leur
caractère à la fois infiniment lacunaire et aléatoire. On
ne peut que lui donner raison, et je crois que chaque
historien n’écrit pas un mot sans avoir constamment à
l’esprit combien son discours peut tout à coup devenir
obsolète pour cause de découverte nouvelle ! Deux
exemples, parmi d’autres, invitent à la réflexion.
Celui des funéraires d’abord, dont D. Kennedy
souligne à juste titre qu’elles constituent 50 % des
inscriptions d’une ville comme Bostra (et on pourrait
ajouter 80 % à Adraha, par exemple). Or, à Gerasa,
c’est à peine 10-15 % des inscriptions. Alors que dans
la longue période considérée — ce que D. Kennedy
nomme LCM, « Long Classical Millenium » — il
a dû mourir au moins 150 000 personnes à Gerasa,
on possède une cinquantaine d’épitaphes. Peut-on,
méthodologiquement utiliser cette documentation
pour en tirer un enseignement historique ? Ne
doit-on pas attendre la découverte de nécropoles
entières ? Dans un autre domaine, on sait combien
l’administration lagide — qui a dominé la région
pendant un bon siècle — a fait usage des papyrus ;
et l’on peut être assuré que les Séleucides, puis