Projet de
patrimoine
culturel
immatériel
LA MUSIQUE GNAWA MAROCAINE,
ENTRE GUERISON ET DIVERTISSEMENT
Université Aix-Marseille HISZ14 - Approches du patrimoine
Réalisé par Donatella Mistretta, M1 Tourisme, langue et patrimoine,
aire arabe, musulman, hamito-sémitique
À l’atte tio de M e Brigitte Sabatti i
année scolaire 2014/2015
Table des matières
Remerciements .............................................................................................................................. p.2
Introduction.................................................................................................................................... p.3
Première partie : À Propos Des Gnawa
CHAPITRE 1– L’histoire des esclaves, les racines africaines …………………………………… p.5
CHAPITRE 2– L’appréhension marocaine ……………………………………………………... p.6
CHAPITRE 3 – Les instruments de musique …………………………………………………….. p.7
CHAPITRE 4 – La cérémonie, éléments et personnages ……………………………………….. p.10
CHAPITRE 5 – Les textes ……………………………………………………………………… p.14
Deuxième partie : La Sauvegarde Et La Mise En Valeur
CHAPITRE 6 – La transmission orale ………………………………………………………….. p.15
CHAPITRE 7 – La valeur patrimoniale ………………………................................................… p.17
CHAPITRE 8 – L’art ambulant …................................................................................................. p.19
CHAPITRE 9 – Les festivités Gnawa …………………………………………………………... p.21
CHAPITRE 10 – Gnawa dans le monde….................................................................................... p.25
Conclusion …................................................................................................................................ p.26
Bibliographie …............................................................................................................................ p.27
Table des illustrations …............................................................................................................. p.29
Les Annexes ….............................................................................................................................. p.30
1
Remerciements
J'adresse mes remerciements aux personnes qui m'ont aidée dans la réalisation de ce dossier.
En premier lieu, je remercie Madame Brigitte Sabattini, enseignante à l'université d’Aix-Marseille.
En tant que professeur du Cours d’Approche du Patrimoine, elle m'a guidé dans mon travail et m'a
donné l’occasion de travailler sur un projet qui a été très utile à ma formation professionnelle.
Je remercie mon compagnon Omar Hilali, en tant que Marocain il m’a aidée à comprendre des
aspects culturels que je ne pouvais pas comprendre toute seule et, en tant que mon compagnon, il
m’a accompagné pendant mon parcours de recherche sur le terrain et non, avec une affectueuse
patience et un soutien inconditionnel.
Je tiens à exprimer toute ma reconnaissance au Mâallem Essaid Salmane, qui a été le premier à me
faire découvrir le fascinant monde du Gnawa et qui a m’a accordé le privilège de l'interviewer.
Je remercie Monsieur Abdelmajid Arrif, ethnologue, chercheur à l'IREMAM-CNRS, Université
d’Aix-Marseille, qui m’a aidé à faire les premiers pas dans ma recherche.
Encore je remercie tous mes amis marocains pour leur sincère amitié et confiance, pour leur aide et
accompagnement à la découverte d’une culture qui n’est pas la mienne et qui ont constamment
répondu à mes questions et participé à mes sondages durant mes recherches.
Enfin, je remercie mon ami Pierre Waeler qui s’est rendu disponible à la correction de mon dossier
et qui s’est préoccupé de me donner d'importants conseils linguistiques.
À tous ces intervenants, je présente mes remerciements, mon respect et ma gratitude. Sans vous, je
n’aurais jamais pu réaliser ce dossier.
2
Introduction
La première fois que j’ai rencontré Mâallem Essaid Salmane, je n’eus pas la moindre idée de qui il
pouvait s'agir réellement. C'était dans un hôtel Riyad à Marrakech, dont il était le portier. La veille
de mon départ, Said - ainsi se fait-il appeler - nous a offert, à moi et mon compagnon, un petit
spectacle de musique Gnawa, nous révélant alors sa vraie identité.
Tout ce que je connaissais sur la musique Gnawa se limitait aux musiciens ambulants de la Place
Jemaa el-Fna.1 Said et son "frère" jouèrent pour nous, une belle atmosphère s'était créée. Il ne
s'agissait certes pas d'une réelle cérémonie, ce qui n'ôta rien au charme qui m'envoutai. Suivant le
conseil de mon compagnon, je fermai les yeux et me laissai transporter par le courant des notes ; un
voyage riche en émotions.
J'ai tout de suite été séduite par la musique Gnawa. Ce n'était pas que de la musique, celle-ci
renfermait une magie, narratrice de siècles de traditions. C'est alors que je décidai de me
documenter à son sujet.
J’ai toujours été fascinée par la philosophie mystique, en particulier par le sufisme, et également par
la philosophie indienne. Ainsi les pratiques rituelles des Gnawa et celles des confréries soufis
marocaines jouissent d'un véritable lien spirituel.
La Gnawa a donc été pour moi une découverte extraordinaire qui a contribué à intensifier ma
passion pour le Maroc. J'avais finalement rencontré un mysticisme fort, passionnant, et humble à la
fois, dont les racines remontent jusqu’en Afrique noire.
La Gnawa n’est pas seulement une musique de divertissement mais aussi une cure pour l’esprit,
capable de soigner notre génie intérieur et d'évacuer l’angoisse. C’est une musique curative et je
dois admettre qu'il ne fut pas facile de le découvrir. Les rituels gnawa comportent en effet une part
d’obscurité et les soirées thérapeutiques sont confidentielles ; le rite demeure un mystère même
pour la plupart des Marocains. Le Gnawa se présente aujourd’hui sous forme de folklore, comme un
art ambulant, pour amuser autochtones et touristes. On trouve à présent de jeunes musiciens gnawa
qui ignorent tout de la partie sacrée du rituel.
Il est important de valoriser cette tradition pittoresque, actrice importante du maintien de la diversité
culturelle face à une mondialisation croissante. Préserver le Gnawa comme patrimoine immatériel
1
C’est la t s l
pa l’UNESCO.
e pla e de Ma ake h, i s it depuis le
da s le pat i oi e ultu el i
at iel de l’hu a it .
3
est utile au dialogue interculturel et encourage le respect d’autres modes de vie. De surcroît, sa
sauvegarde peut s'effectuer grâce à sa valeur économique actuelle et potentielle.
Dans mon dossier j’ai traité la question en suivant un parcours chronologique. Pour ce faire, il était
nécessaire d'effectuer un voyage dans le passé du Maroc et pas seulement, étant donné que le
Gnawa plonge ses origines jusqu’à l’Afrique subsaharienne.
Qu’est-ce que connaissent vraiment les Marocains sur le Gnawa ? La plupart d’entre eux
méconnaissent les secrets du rituel de possession, pourquoi ?
À partir de cette problématique j’ai fait mes observations, en essayant de valoriser ce patrimoine et
de donner des réponses concrètes.
J’ai divisé mon dossier en deux parties : la première illustre tous les aspects liés à la musique, au
rituel et à ses personnages. J’admets que la question a été assez compliquée à traiter, compte tenu de
la méticulosité de l’argument. La deuxième partie sert à donner une démarche patrimoniale, j’ai
donc relevé les points que j’ai retenu importants pour comprendre le procédé que les Gnawa
utilisent pour maintenir en vie leur patrimoine, et encore comment cela s’est développé et
transformé dans le temps.
J’ai utilisé deux formes différentes de recherche : la lecture des œuvres disponibles, et le contact
direct avec les acteurs Gnawa et les citoyens marocains. Evidemment les résultats obtenus sont
diversifiés et çela a augmenté la complexité de mon travail.
La possibilité de me rendre sur place, au Maroc, m’a permis de voir comme l’esprit Gnawa est
encore vivant chez un grand nombre de personnes, mais il m’a aussi fait noter qu’il y a
paradoxalement un bon nombre de personnes qui ont totalement altéré sa signification originelle.
En tant qu'étudiante du patrimoine arabe, mon dossier a comme but la valorisation de ce dernier.
4
Première partie : À Propos Des Gnawa
CHAPITRE 1- L’histoire des esclaves, les racines africaines
L’origine du nom « Gnawa » est encore en phase de discussion. L’explication fournie par Maurice
Delafosse en 1924, fut adoptée par des générations de chercheurs. Selon Delafosse, l'expression
berbère akal-n-iguinaouen, qui signifie «pays des Noirs», aurait donné naissance au mot Guinée et
au mot « Gnawa ». Ce dernier, signifierait donc, par extension, «homme noir» ou «venant du pays
des hommes noirs» (Afrique subsaharienne).2 Toutefois, cette observation ne fait pas l’unanimité
parmi les chercheurs, bien qu'ils soient tous d’accord sur ses racines africaines.
Les Gnawa sont les descendants d’anciens esclaves originaires de l’Afrique noire. Cette référence
est toujours revendiquée par les Gnawa actuels, comme l’humble présentation de leur racines.
Originaires de l’empire du Soudan Occidental (Mali, Guinée, Sénégal, Ghana, Niger) ces esclaves
se sont installés dans plusieurs régions du Maroc : Marrakech, Essaouira, Casablanca, Rabat,
Meknès, Fez, Azila, Tanger. L’origine de leur existence est une longue histoire, l’évènement le plus
significatif remonte au XVIème siècle, lorsque le sultan marocain Ahmed El Mansour, de la
dynastie Saâdienne, organisa une expédition à Tombouctou. Il en revint victorieux et rapporta une
grande quantité d’or à son pays. Le Maroc connut alors une ère de prospérité. Le sultan développa
des plantations de canne à sucre et fit venir une main d’œuvre noire, ce qui constitua la première
vague de Gnawa. Ils s’installèrent dans le pays berbère des Haha, et on les appella gangas, du nom
de leur tambour. On les trouve encore aujourd’hui dans cette région, ce sont des adeptes de Lalla
Mimouna.3 Leurs instruments sont des tambours et des crotales, et leur rituel se déroule en été, à la
campagne, pendant la journée. Au XVIIème siècle, le sultan alaouite Moulay Ismail enrôla des
centaines d'africains en provenance de Guinée dans sa garde personnelle. La mort du sultan entraîna
la dispersion de la troupe, dont une partie se retrouva à Essaouira. Ils participèrent aux travaux des
murailles de la ville avec des centaines d'ouvriers noirs venus du Soudan. Ces hommes s’installèrent
dans un quartier à côté de la kasbah. Ils constituèrent la deuxième vague de Gnawa. Ceux-ci se
proclamaient de Sidna Bilal, l’esclave éthiopien noir affranchi par le Prophète et devenu le première
2
3
http://etudes-francaises.over-blog.com/gnawas
Sainte musulmane et également ville dans la province de Kénitra.
5
muaddin4 de l’Islam. Bilal est la plus importante icône des Gnawa. Leurs instruments sont les
mêmes que ceux des Gangas, en plus du gumbri. Leur rituel s'appelle lila (de l’arabe leyla, nuit), et
se déroule dans une maison ou dans la zaouïa (lieu saint), pendant la nuit.
Il est tout de même important de préciser que les Gnawa actuels ne sont pas tous des descendants
d’esclaves, plusieurs sont issus de familles libres.
CHAPITRE 2 - L’appréhension marocaine
« Chaque soir quand ils finissaient le travail ils se rassemblaient dans leur cité. Ils organisaient
entre eux un rite spirituel, pour évacuer la souffrance de toute la journée, avec la musique, en
chantant leur histoire».5
Comme le raconte Mâalem Essaid Salmane, les esclaves ont ramené leur culture avec spontanéité,
la musique était une manière d'expulser le stress de la journée, leur souffrance en tant qu'esclaves,
loins de leurs terres. Le soir ils se réunissaient pour chanter leur histoire en jouant leurs instruments,
produisant une sorte de rite magique.
Les cités esclaves et marocaines étaient mêlées, ce qui favorisa une propagation naturelle de cette
tradition. Les marocains ont appris leur culture, ont copié le rythme, transformé les instruments et
changé les noms des Saints évoqués dans les chants. En effet, les subsahariens chantaient leurs
Saints et leurs divinités. Certains noms, ou autres termes apparaissent encore aujourd'hui dans les
chants gnawa : par exemple dans une célèbre ritournelle ils chantent « Bongoro-Bongoro », dont la
signification reste inconnue.
En ce qui concerne le rite, ils l’ont adapté à la loi et à la coutume musulmane. Selon la coutume
africaine, boire le sang de l’animal sacrifié était un passage essentiel du rite, alors que le sang est
considéré harām6 pour l’Islam. Les marocains considéraient le rite africain comme une sorte de
sorcellerie.
Il est nécessaire faire la cérémonie au nom de Dieu. La formule bismillah, au nom d’Allah, ouvre
tous les morceaux de la cérémonie, ainsi que le sacrifice de l’animal consacré.
4
est le membre de la mosquée, chargé de lancer l'appel à la prière, au moins cinq fois par jour, souvent depuis le
sommet d'un des minarets de la mosquée.
5
6
Mâallem Essaid Salmane, à propos des esclaves arrives au Maroc, interview, March 2015
Harā est un mot arabe qui signifie « illicite », « interdit ».
6
Comme le dit le Mâalem7 Esaid Salmane, « les marocains ont nettoyé le rituel africain de tout ce
qui est mauvais et ont laissé ce que l’Islam permet ».
Les Gnawas sont essentiellement les intermédiaires entre le monde réel peuplé par les humains
(dunia en arabe) et le monde de l’au-delà (akhira) peuplé par des génies appelés djinns. La
cérémonie, la lila, consiste à se connecter à son génie bienfaiteur et guérisseur.
Persistent encore aujourd’hui des confréries Gnawa qui pratiquent des sortes de sorcelleries, celles
que nous pouvions traduire comme satanistes. Ils n’adressent pas leur cérémonies au Dieu et les
djinns appelés sans la bénédiction de Dieu sont des djinns harām, toute la cérémonie sera dominée
par les forces du mal.
CHAPITRE 3 – Les instruments de musique
« Un Mâallem construit personnellement son gumbri. Ce serait une honte de l’acheter chez
quelqu’un..»8
Musiciens Gnawa avec leur instruments
7
Le mâallem est le hef du g oupe de
8
Mâallem Essaid Salmane, à propos des instruments de musique, interview, Mars 2015.
usi ie s ui o pose l’o hest e des G a a
7
Les instruments de musique sont ornés de signes cosmogoniques, ils semblent représenter certaines
règles divines. Trois sont les instruments de musique qui jouent un rôle essentiel dans la lila : le
qarqabu, le ṭbəl et le gumbri.
Le qarqabu, appelé plus communément crotales, est l’instrument le plus ancien. Ce sont deux
cupules en fer, identiques, attachées par des liens en cuir. Le musicien tient dans chaque main deux
de ces claquettes et les entrechoque, les parties concaves symétriques se faisant face. La légende
expliquant l’origine des crotales est connue de tous les Gnawa et a été recueillie par de nombreux
auteurs. Je propose la version du Mâalem Si-Mohamed, publiée par P.A.Claisse :
-
« Fatima Zahra, fille du prophète Mohamed, avait subi les foudres de son époux pour avoir
mal préparé le couscous ; elle s’était réfugiée dans une grotte fermée pas sept portes
magiques et ne voulait plus en sortir. Mohamed envoya l’esclave Bilal qui, chargé de veiller
à l’unité familiale, a bien tenté de raisonner la prostrée, mais elle n’entendait rien à ses
suplications. Il s’en alla fouiller dans les branchages et se façonna avec des choses en bois
qu'il assembla avec des fils de laine. Bilal, muni de cet instrument qu’il venait d’inventer,
s’est mis à danser en tournoyant et en faisant des grimaces. Il faisait des youyous en agitant
sa langue à la manière du serpent. Fatima Zahra a fini par rire et a ouvert les sept portes.
Ainsi Bilal, en réconciliant les époux, avait inventé le "jeu" de danse des Gnawa. »9
Le symbolisme des qarqabu ne s’arrête pas aux légendes de son origine. Pour identifier leurs biens,
les jeunes musiciens marquent leurs qarqabu de la couleur de leur génie possesseur.
9
Les G a a
arocai s de traditio loyaliste , de Pierre-Alain CLAISSE, L’Har atta éditeur, 2003
8
Les qarqabu
Le second instrument qui apparait après le qarqabu, est le ṭbəl, le tambour. Il y en a deux, le grand
et le petit, l’homme et sa fille, le ṭbəl et la faradi. Mystiquement le bəl représente la montagne :
frapper le tambour c’est frapper la montagne. Le ṭbəl est frappé avec deux bâtons. Le premier est
courbé et se tient avec la main droite, qui frappe deux coups. Le deuxième est une baguette droite
en bois d’olivier, elle frappe un coup, de la main gauche, après la double percussion de la droite.
Le bois du tambour est recourbé comme le bois d’un tamis, car les génies seront tamisés.
La peau duṭbəl est celle du bouc, alors que les intestins formeront les cordes du gumbri.
9
Le ṭbəl
Le gumbri des Gnawa est un instrument qui tient à la fois du luth et du tambour. La caisse est
taillée dans du bois de figuier puis on lui donne sa forme extérieure, avec un dos légèrement bombé
et des angles arrondis. Le bois est creusé et cintré au milieu. Ensuite on tend une peau qui sera soit
collée à la caisse, soit attachée par des lacets en cuir de vache. Sur la partie inférieure de la peau, on
pratique un trou circulaire taillé en trois pointes où viendront se fixer les trois cordes de
l’instrument. Avant de jouer, le mâalem passe son gumbri au-dessus du brasero de façon à ce que
les fumés d’encens pénètrent par la « bouche » et nourrissent les génies. La peau du gumbri est celle
du cou de la chamelle égorgée. À l’extrémité supérieure du gumbri est enfoncée la sərsār, une
plaquette ovoïde en fer blanc, fixée par un flèche dans le trou du bâton. La sərsār est ornée sur tout
son pourtour d’anneaux de fer qui résonnent à chaque coup que le musicien frappe sur la peau. Le
gumbri est muni de trois cordes faites avec les intestins du bouc sacrifié.
Les trois matériaux avec lesquels on fabrique le gumbri, le bois, la peau du cou de la chamelle et le
fer des sonnailles témoignent de la présence de l’eau, de lait et de sang. La caisse du gumbri est
habillée soit d’un tissu bariolé représentant l’ensemble des génies, soit d’une étoffe de la couleur du
génie dominant du mâalem. Le mâalem range son instrument dans un sac en tissu. Le gumbri est
considéré le réceptacle des génies, il est pour un gnawi le bien le plus précieux.10
10
La religio des escla es de Viviana Paques, Actes Sud éditeur, 2001
10
Les gumbri
CHAPITRE 4 - La cérémonie, éléments et personnages
Le rituel principal des musiciens gnawa qui se rattachent à la personne du muaddin Bilal, se
présente généralement sous la forme d’une cérémonie privée se déroulant dans un espace
domestique, appelé zaouïa. La place sacrée de la zaouïa où a lieu la transe, s’appelle raḥbat.
La structure de base de la lila (ou dərdeba) est difficile à analyser aujourd’hui car certains chants
ont disparu et d’autres ont été transformés, changeant ainsi leur signification.
Des génies symboliquement proches peuvent posséder des rythmes ou des ornements communs, de
même que leur symbolique peut varier selon les régions du Maroc. Il est assez compliqué pour le
chercheur, ou ethnologue, de donner une explication précise du rituel gnawa qui soit partagée par
toutes les confréries. Il est important de déterminer au moins sa signification globale et les éléments
indispensables.
Pour le déroulement de la lila nous avons suivi la ligne directrice donnée par le Mâallem Essaid
Salmane, enrichie par des recherches personnelles.
Nous parlerons donc des quatre parties de la lila: l’aâda, la negcha, les kûyû et les treq. L’aâda
(coutume) est l’ouverture de la cérémonie, le moment le plus important car il sert à faire appel aux
génies. Les adeptes, puis le Mâallem, entament une procession accompagnée par les ṭbəls et les
crotales. Ils chantent « l’aafou ya moulana » (délivre-nous Seigneur) comme invocation à la
guérison thérapeutique et spirituelle. La moqaddema (la prêtresse de la cérémonie) promène un
brasero où brûle l’encens et asperg les adeptes d’eau de fleurs d’oranger. Des jeunes filles ferment
le cortège en tenant des bougies. L’aâda est une procession haute en couleurs, un véritable
spectacle de danse et de musique. L’atmosphère est principalement ludique, à la différence des
parties successives qui acquièrent une majeure austérité. La negcha constitue la partie profane de la
lila. Les chants évoquent le Prophète Mohammed et les ancêtres. Les musiciens battent des mains et
des pieds, et dansent en reculant puis en avançant face au mâallem. Les joueurs évoluent souvent en
cercle au milieu duquel, à tour de rôle, chacun vient exhiber ses qualités de danseur et pratiquer des
sauts spectaculaires. Durant la negcha l’énergie commence à se canaliser.
Les kûyû demeurent une série de danses effectuées par les musiciens de la troupe. Ce n’est pas
encore de la transe mais un jeu préliminaire, un spectacle, où l’on évoque les anciens maîtres, les
saints de l’Islam, des personnages et esprits aux noms africains, la vie des esclaves. C’est pourquoi,
cette partie est également appellée Awlad Bambara (les fils Bambara11).
11
Les Bambaras sont un peuple mandingue de l'Oouest sahélienne, établi principalement au Mali.
11
Les treq sont les parties sacrées de la lila durant lesquelles sont invoqués, par cohortes successives,
les génies des sept couleurs. Son début est marqué par des fumigations de jaoui12 qui circulent
parmi les musiciens et dont se sert le mâallem pour sacraliser son gumbri. L’introduction de cet
encens brûlé, qui instaure la structure même du rituel, sera respectée scrupuleusement sous peine de
mécontenter les génies.
Pendant la cérémonie, le mâallem interprète différents groupes de chants, chacun d’eux étant
associé à un esprit et à une des sept couleurs gnawa, jusqu’à ce que l’on découvre celui qui fait
rentrer le patient en transe. Chaque morceau représente une devise musicale correspondant à la
couleur du génie et à une fumigation d'encens. De plus, à certains djinns sont associés une danse de
possession, une nourriture et des accessoires spécifiques. C’est par l’addition de ces éléments qui
mobilisent tous les sens et par le respect d’une liturgie propre à ce rituel que les génies pourront être
invoqués. Pendant l’invocation de son génie-maître, l’adepte va se sentir attiré par une force
irrésistible vers l’aire de danse. La moqaddema le couvre alors d’un foulard de la couleur
appropriée et l’asperge abondamment de fumigations de jaoui.
« Les mains tremblantes, le corps secoué par des convulsions qui le mènent d’avant en arrière au
rythme des crotales, il commence une danse de possession, devenant pour un instant la « monture »
de son génie. Une fois ce dernier rassasié, il s’échappe du corps de l’adepte qui s’écroule
subitement pour se réveiller demi-conscient quelque temps après. Il se sent alors spirituellement
soutenu et plus apte à faire face aux vicissitudes quotidiennes.» 13
Comme on peut le comprendre, les couleurs jouent un rôle assez important dans la lila. Un
remarquable documentaire de Jacques Willemont, "Les sept couleurs de l’univers", reporte les
paroles de l’ethnologue Viviane Pâques : « Les Gnawa disent : "Faire la derdeba, c’est apprendre
comment l’âme va de la vie à la mort pour revenir à la vie, en passant par les sept couleurs de
l’univers " ». Les couleurs gnawa indiquant les djinns différents sont les suivantes : le blanc, le
voile d’eau étendu sur la terre où sont enfermées les âmes ; le jaune, la terre nouvelle et la lumière
du soleil ; le vert, la forêt ensoleillée; le rouge, le sang de la défloration, de l’accouchement et de la
circoncision ; le noir, le fœtus dans les entrailles obscures, la forêt ténébreuse, le couteau ; le bleu
clair et le bleu foncé (ou deuxième noir pour Viviane Pâques), l’eau du ciel et de la mer.
Généralement, on s’arrête aux bleus. On se débrouille pour que les chants bleus arrivent à l’aube.
12
13
Encens
http://les-nouveaux-voyageurs.com/animations/lila-gnawa/
12
Alors on arrête et on reprend, le lendemain, l’après-midi, car on rentrera à nouveau dans la nuit,
seul moment où les djinns peuvent être appelés. 14
Gnawa Rouges
D’autres éléments tels que les bâtons, les couteaux, les bougies, les encens et le henné sont des
parties nécessaire du rituel. Tous ces objets sont les membres du trésor de la moqaddema, laquelle
les conserve tous dans une chambre qui lui est consacrée, à l’intérieur de la zaouïa.
Le rôle de le moqaddema est aussi importante que celui du mâallem. C’est elle qui s’occupe de
l’organisation de toute la cérémonie, qui guide les malades à leur parcours curatif à travers la transe,
elle est la thérapeute des Gnawa. La moqaddema est assistée par deux arifat, ses adeptes.
Chaque mâallem a sa moqaddema, ils sont le complément l'un de l’autre. Il y a un lien indissoluble
entre eux. C’est la moqaddema qui convoque le mâallem lorsqu’elle veut égorger pour un sacrifice
ou organiser une lila. Le mâallem réunit alors sa troupe. Tous les musiciens connaissent les chants
et les invocations, ainsi que les danses. Musiques, chants et danses sont le Verbe qui ouvre la
raḥbat. Tous les musiciens devront s’asseoir sur la place réservée à la danse, adossés au mur, face à
la qibla. Il faut évidemment ajouter à ces acteurs permanents les possédés (jdeba) qui rentrent en
transe et viennent danser devant le gumbri. Quand ils s’arrêtent, ils vont s’asseoir parmi les
visiteurs. Les femmes se regroupent autour de la moqaddema ou dans des chambres voisines de la
Ext ait du do u e tai e “Les sept couleurs de l’u i ers réalisé par Jacques Willemont en collaboration avec Viviane
Pâques, 2005
14
13
sienne ; les hommes sont assis dehors autour des musiciens. Tout le monde est cordialement invité à
assister aux cérémonies et à participer aux offrandes.
On trouve également le moqaddem male, le chef de la confrérie. Autrefois, il était également celui
qui égorge l’animal destiné au sacrifice, l’erqsou. Aujourd’hui, c’est le mâallem qui tient les deux
rôles, en plus de celui de chef de musique.
Le sacrifice est un passage essentiel et de grosse importance dans la lila, le rituel est assez
méticuleux. Tout d’abord, la moqaddema se procure deux poulets, symboles de la gémellité
primordiale. L’un d’eux sera laissé en vie et l’autre égorgé par le moqaddem car la naissance est à
la fois mort et vie. Un tel sacrifice est offert par toute personne désireuse d’entrer dans la confrérie :
l’initié naîtra une seconde fois, sa mère étant la moqaddema et son père le moqaddem.
Mais pour la naissances de génies, le plat est préparé sous une forme spéciale, ḥalu, sucré. Le sucre
attire les âmes à la porte de la vie. Par la suite le moqaddem s’occupe d'aromatiser et cuisiner le
poulet selon des formules précises. Pas de sel, le sel étant l’interdit des génies. L’ingestion du ḥalu
par la moqaddema facilite la pénétration en elle des âmes-génies. La consommation du ḥalu doit se
faire le soir dans le silence absolu. À la fin, tous les invités et les musiciens peuvent manger
ensemble l’animal sacrifié.15
CHAPITRE 5- Rythme et chants
Dans le répertoire de la lila, le rythme joue un rôle éminent, car il doit être capable d'attirer les
djinns. Le rythme typique superpose et aligne des formules binaires et ternaires. La base rythmique
des crotales est rigoureusement régulière pour chaque phase de la lila, alors que le chant est flottant.
Autant la ligne mélodique chantée est coulante, autant la percussion est détachée.
Le répertoire de la lila comporte un ensemble de chants ponctués par des solos de gumbri.
Tandis que les musiciens chantent, le gumbri annonce la devise du djinn constituée d’une phase
courte. L’adepte reconnaît cette devise et lui répond immédiatement en rentrant en transe.
Les Gnawa chantent principalement en darija, le dialecte marocain, en mélangeant des mots
africains et parfois du berbère. Leurs chants invoquent le supplément de Dieu, la guérison, la bonne
santé, le pardon, l’aide. De plus ils rappellent le Prophète, les saints et les ancêtres.
Voici un exemple de chant Gnawa, du titre Khali M' Bara Meskin (Pauvre oncle M' Bara).
15
La religio des escla es de Viviana Pâques, chapitre « Les nourritures »
14
Dieu, Dieu, Maître
Dieu, Dieu, guéris-nous
Dieu, Dieu, guéris-moi
Dieu, Dieu, Maître
Ah, Seigneur, guéris-nous de cet état
Dieu, Dieu, Seigneur Dieu, Dieu, guéris-nous
Dieu, Dieu, Maître
Je me tourne vers Dieu le Très-Haut
Oh, Seigneur, guéris-nous de cet état
Seul, Dieu peut m'aider, sœurs
Seul Dieu, le Maitre peut m'aider
Dieu, Le Généreux, ne nous oublie pas
Toi qui réponds à nos prières
Seigneur, guéris cet état
Le pauvre oncle M'Bara le Derviche
Lui est malheureux
Je me tourne vers Dieu, le Très-Haut
Oh, Seigneur, guéris cet état
Eh, madame monte sur le mulet
Monsieur monte sur le mulet
Tante M'Bara va à pied
C'est lui le malchanceux
Madame déroule le tapis
Monsieur déroule le tapis
Tante M'Bara un drap usé
Et M'Bara dort par terre
C'est lui le malchanceux
Madame porte des babouches
Monsieur porte des babouches
Tante M'Bara des sandales usées
Et M'Bara va pieds nus
C'est lui le malheureux
Et le chœur répond :
Dieu, Dieu, Maitre (3 fois)
C'est un malheureux 16
Deuxième partie : La Sauvegarde Et La Mise En Valeur
CHAPITRE 6 – La transmission orale
Le Gnawa, comme la plupart des patrimoines immatériels, ne compte pas d’école pour l’apprendre.
La transmission est uniquement orale, de mâalem à mâalem, de moqaddema à moqaddema.
Aujourd’hui le Gnawa est généralement vu comme une musique de divertissement où la lila risque
16
"Chants et musiques Gnawa du Maroc" de Amida Boussou (http://www.alsur.fr/assets/files/pdf/alcd101.pdf)
15
d’être oubliée. Pour éviter de perdre ses caractéristiques primordiales, il est nécessaire de
sauvegarder sa transmission.
« Pour rester vivant, le patrimoine immatériel doit conserver sa pertinence pour la culture et être
régulièrement pratiqué et appris au sein des communautés et d’une génération à l’autre. Les
communautés et les groupes qui pratiquent ces traditions et coutumes partout dans le monde ont
leur propre système de transmission des connaissances et des savoir-faire, qui repose généralement
sur l'oral plutôt que sur l'écrit. Les activités de sauvegarde doivent donc toujours impliquer les
communautés, les groupes et, le cas échéant, les individus porteurs d’un tel patrimoine. » 17
D’après notre informateur, le Mâalem Essaid Salmane, tout maître de musique devrait subir un rite
pour acquérir ses vertus d’impassibilité. Ceci rend obligatoire une transmission temporelle qui
plonge ses racines jusqu'à l’origine des Gnawa.
Afin de contribuer à la préservation de ce patrimoine, nous voudrions ici montrer les règles
générales pour faire partie d’une confrérie Gnawa, d'abord en tant qu'adepte puis comme Mâalem
ou Moqaddema.
Pour faire partie d’une confrérie il est nécessaire de suivre un parcours qui commence avant la
naissance même du nouvel adepte. L’usage marocain voulait que la mère de l’enfant, avant
d’accoucher, comme toute autre personne qui veut entrer dans confrérie, doit offrir le sacrifice
d’ouverture, cela comporte un rituel assez méticuleux. Après, le quarantième jour qui suit la
naissance de l’enfant, les parents l’amènent à la zaouïa la plus proche de leur domicile et
demandent au chérif18 de lui couper les cheveux. L’enfant est consacré au saint et appartient à la
communauté de sacrifice des Gnawa. Cependant le chérif est souvent lui-même affilié à un telle
confrérie, donc l’enfant, en grandissant, se dirigera vers celle-ci.19
Avant de devenir mâallem, il faut passer par tout : apprendre à jouer parfaitement les instruments,
connaître par cœur les chants, savoir bien danser. On doit aussi s’approprier les répertoires propres
aux cérémonies particulières et connaître les deux mondes, le matériel et l’immatériel. De plus le
mâallem doit être un homme complet, c’est-à-dire marié. Il sera toujours suivi par son maître, on ne
peut pas devenir mâallem sans avoir reçu les enseignements d'un autre mâallem. En théorie, le
maître est quelqu’un de la famille.
17
"Qu’est-ce que le patrimoine culturel immatériel ?" , UNESCO, Patrimoine culturel immatériel
(http://www.unesco.org/culture/ich/doc/src/01851-FR.pdf)
18
Un descendant présumé du Prophète Mohammed. Désigne également un « Saint » dans le monde musulman.
19
La religio des escla es de Viviana Pâques, chapitre « R gle d’e t e da s la o f ie »
16
Devenir moqaddema demande les mêmes applications et dévouements et, évidemment, la même
règle d’apprentissage : suivre une maîtresse. Mais la moqaddema, en tant que porteuse des secrets
de guérison dont elle seule a connaissance, les révélera seulement avant de mourir. L’adepte
connaîtra tout le répertoire et trucs nécessaires au moment donné, quand elle devra substituer sa
maitresse.
CHAPITRE 7 – La valeur patrimoniale
Qu'est-ce qui nous permet de considérer le Gnawa comme un patrimoine culturel immatériel ?
Pour notre réflexion, nous nous sommes appuyés sur la démarche suivie par l’UNESCO, laquelle
définit le patrimoine culturel immatériel en ces termes :
«On entend par “patrimoine culturel immatériel” les pratiques, représentations, expressions,
connaissances et savoir-faire - ainsi que les instruments, objets, artefacts et espaces culturels qui
leur sont associés - que les communautés, les groupes et, le cas échéant, les individus reconnaissent
comme faisant partie de leur patrimoine culturel. Ce patrimoine culturel immatériel, transmis de
génération en génération, est recréé en permanence par les communautés et groupes en fonction de
leur milieu, de leur interaction avec la nature et de leur histoire, et leur procure un sentiment
d’identité et de continuité, contribuant ainsi à promouvoir le respect de la diversité culturelle et la
créativité humaine. […] »20
Encore, l’article 2 du texte de la convention de l’UNESCO du 2003, expose les domaines suivants
dans lesquels le patrimoine immatériel se manifeste : traditions et expressions orales (y compris la
langue) ; les pratiques sociales, rituels et événement festifs ; les connaissances et pratiques
concernant la nature et l’univers ; et les savoir-faire liés à l’artisanat traditionnel.
Le Gnawa couvre tous ces domaines : la musique, la danse, les pratiques curatives, les textes qui
plongent leur racines même dans un patrimoine encore plus vaste, et l’important savoir-faire en ce
qui concerne les instruments de musique. Ces derniers constituent l’assise matérielle du patrimoine
immatériel. À ce titre, la perte des savoir-faire de conception et de fabrication des instruments peut
être fatale pour le Gnawa. Leur préservation est donc tout à fait cruciale.
20
Article 2 du « Texte de la Convention pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel » de l’UNESCO,
17
Bien que certains savoir-faire, pratiques et rituels persistent dans le temps, de manière plus ou
moins fidèle, le Gnawa court le risque de disparaitre suite à une « évolution » mentale, à un
détachement des croyances populaires. Combien de Marocains, des dernières générations, peuvent
croire qu’une personne puisse communiquer avec des génies qui rentrent et sortent du corps? De
plus certains ulémas21, faisant appel à des versets du Coran, considèrent la musique comme une
œuvre du diable et retient le Gnawa comme une sorcellerie de la même façon que les Gnawa
appréhendaient le rite de leur ancêtres subsahariens. Il est important de rappeler qu’on se trouve
dans une société musulmane, où la polémique entre harām et ḥalāl22 est de plus en plus forte,
spécifiquement depuis que les musulmans combattent les préjugés sociaux. Dans une condition
assez polémique comme celle-ci, la question du Gnawa prend une position délicate au Maroc. Un
sondage réalisé auprès des citoyens marocains nous a permis de recueillir différents points de vue
sur la valeur du Gnawa.
La plupart des gens sondés, exceptés les artistes Gnawa naturellement, ignorent la fonction rituelle
de cette pratique. Cette tradition fait évidemment partie du répertoire des traditions marocaines mais
elle est seulement listée en tant que musique folklorique. À la question « Qu'est-ce que le
Gnawa ? » la majorité des personnes interrogées a répondu qu'il s'agissait d'un des nombreux
genres musicaux marocains. Le lien immédiat se fait au grand évènement du Festival de Musique
Gnawa d’Essaouira (sujet sur lequel nous reviendrons plus loin), qui attire centaines de milliers de
visiteurs du monde entier. Le Gnawa est donc vu, désormais, comme une attraction touristique.
Nous assistons ici à une forte dégradation du savoir. L’affection à cette tradition est sûrement forte,
en effet le Gnawa est une partie intégrante du scénario marocain, une indiscutable marque
distinctive que tous les interviewés ont reconnue. On doit cependant remarquer que sa vraie
signification reste obscure à beaucoup d'entre eux, même aux musiciens ambulants que nous
trouvons dans les places. On doit de toute façon faire une distinction entre l’opinion des jeunes et
celle des plus âgés, entre les intégristes qui la considèrent harām et qui, avec un sourire, rappelle
l'arrivée des Gnawa au village. Une histoire qui donne le sourire à captivé notre attention. Un jeune
marocain nous a raconté l’épisode de sa grand-mère que son fils avait enfermé à clé dans une
chambre quand les Gnawa sont arrivés dans son village. La musique attirait tellement cette femme
qu’elle réussissait de toute façon à s'échapper par la fenêtre, prête à s’enivrer de chants mystiques.
Aujourd'hui, les Gnawa n’intéressent pas seulement le monde du spectacle ou les « fanatiques » des
croyances populaires. Le Gnawa a éveillé l’attention des médecins, psychologues, psychiatres et
21
L’uléma est le docteur de la loi musulmane, juriste et théologien. Est celui qui étudie le Coran et les commentaires,
et qui connait le droit musulman.
22
Ḥalāl est un mot arabe qui signifie « permis », « licite ». Est le contrarie de harā .
18
psychanalystes qui pratiquent des thérapies de transe. Toutefois ceux-ci semblent refuser
l’association de transe et possession. Il existe un autre aspect marquant l’intérêt que nous devrions
considérer, les observations sur les effets thérapeutiques que put faire un observateur nonmaghrébin, Européen par exemple, que rien ne prédisposait à se livrer à ce genre d’exercices
spirituels.
Comment faire donc pour préserver cet extraordinaire patrimoine ?
La tâche prioritaire nous semble être un travail d’inventaire rigoureux. Seulement un travail préalable
d’identification, de documentation et d’archivage, peut garantir la pérennité de centaines de
manifestations menacées par une homogénéisation culturelle, autre visage de la mondialisation
économique et commerciale. Ce travail doit être mené par les directs intéressés, les Marocains, les seuls
détenteurs autorisés de ce patrimoine. C’est la mémoire même du pays qu’il s’agit de sauvegarder. Dans
un pays comme le Maroc, et dans autres pays pauvres et en voie de développement, des pans entiers du
patrimoine immatériel disparaissent sous les yeux impuissants de leurs détenteurs et des spécialistes. En
plusieurs cas, au manque de moyens matériels pour mener un travail de grande envergure, s’ajoute celui
du manque d’expertise, mais nous ne croyons pas que ce soit le le cas du Gnawa. C’est avant tout le
parcours qu'a entrepris le Gnawa qui mène à un graduelle mais immuable transformation.
CHAPITRE 8- L’art de rue
La transformation du Gnawa commence avec l’art de rue. Jour après jour, cette forme d’art
ambulant s’étend dans la société au point de devenir une véritable profession.
Précédemment les Gnawa exerçaient tous un travail et ils se réunissaient une fois par semaine ou
davantage chez les uns ou les autres pour accomplir leur rituel. Aujourd’hui la vie au Maroc semble
être plus cher que dans le passé, car plusieurs professionnels de Gnawa ont admis avoir de grosses
difficultés économiques à organiser une lila. Ou peut-être, présentement, on ne trouve plus
beaucoup de personne prêtes à dépenser une grosse somme d’argent pour cela. Organiser une lila a
un haut coût, surtout si l'on pense aux animaux qu’il faut acheter pour le sacrifice.
Voici les premiers signes de cette transformation. Certains mâllim (pl.de mâallem) se sont retrouvés
à faire leurs spectacles dans la rue, pour des raisons principalement économiques.
Mais, si la plupart des Marocains ne connaissent pas les secrets sur le Gnawa, c’est parce que même
les musiciens de rue ne les connaissent pas.
Il y a une énorme différence entre un musicien faisant partie d’une confrérie et un musicien qui joue
son instrument dans des endroits publics. Les gnawa ambulants n'ont rien à voir avec la transe. Ce
sont des jeunes qui aiment la musique gnawa et ils ont appris les rythme en écoutant la musique ou,
19
plus probablement, ce sont des hommes qui jouent pour le travail. N’importe qui étant allé à
Marrakech a assisté, sans même s’en être aperçu, à un spectacle Gnawa. Place Jemaa el-Fna, à
Marrakech, est le meilleur endroit pour exercer cet art itinérant. La place animée attire plus d'un
million de visiteurs par an et « l'espace culturel de la place Jemaa el-Fna » est inscrit, depuis le
2001, dans le patrimoine culturel immatériel de l’humanité par l’UNESCO.
Les pourboires que reçoivent les artistes sont souvent leurs seules rentrées d'argent. Ce pourboire
prends un nom particulier en arabe, « baraka », qui signifie bénédiction divine, une vertu
surnaturelle, la chance ; soit « laftouh » en darija23, qui a la même signification.
Gnawa en bleu à Place Jemaa el-Fna
Les gnawa itinérants ont l’habitude de s’exhiber non seulement sur les places et les routes, mais
aussi dans les restaurants, dans les riyads, et dans tous les endroits touristiques en général.
On peut les croiser en groupe ou seuls. Souvent, en groupe, ils jouent le qarqabu et le ṭbəl, mais pas
le gumbri, ainsi que les Gnawa ganga, la première vague de Gnawa dont nous avons parlé avant.
Au contraire, le Gnawa en solitaire, utilise le gumbri, en s’improvisant chanteur de ballades.
De toute façon, s’il est vrai que le Gnawa est vraiment capable de réveiller les génies, alors une
observation nous a apparu tout de suite plausible. Les musiciens de rue, qui n'ont pas appris la
culture gnawa par un maître, qui jouent sans « la permission d’autres gnawa » , méconnaissent la
23
Le darija est le dialecte marocain.
20
force de leur musique et ignorent les effets qu’elle peut avoir sur leur public ou sur un passant.
Comment pourraient-ils aider quelqu’un qui rentre en transe en les écoutant ?
Mâallem Essaid Salmane nous a confirmé que cela peut devenir dangereux si l'on ne connait pas le
déroulement du rituel. Pour cette raison, les sages gnawa, portent toujours sur eux un petit flacon de
jawi, dans le sac de leur gumbri, pour s'assainir d’une éventuelle transe.
CHAPITRE 9 – Les festivités Gnawa
Toutes les confréries religieuses au Maroc sont organisées autour d’une zaouïa, centre religieux
établi par un personnage charismatique. Celui-ci a fondé sa réputation soit par la preuve de sa
descendance du prophète, soit par l'accomplissement d'un miracle ou d'un prodige qui lui vaut le
titre de saint. A sa mort, son tombeau devient un lieu de ralliement où les membres de
la zaouïa effectuent un pèlerinage annuel à la date d'anniversaire de la mort du maître. Ils y
reçoivent aussi des enseignements spirituels et juridiques. Ce centre spirituel est géré par les
descendants du saint fondateur, à qui cette force bénéfique a été transmise. Progressivement, la
confrérie se développe ; le nombre de disciples et le montant des dons augmente. La descendance
du saint fondateur se charge d'accroître et de fructifier ce capital économique par l'acquisition de
propriétés foncières et par l'organisation de fêtes saisonnières. Celles-ci sont appelées moussem.
Elles permettent d'attirer de nouveaux membres et d'affermir le capital symbolique de la confrérie. 24
Les Gnawa célèbrent deux fêtes canoniques principales. La première est obligatoire pour tous et se
déroule pendant le mois du Chaâbane, précédant le mois du Ramadan25. La fête est la
commémoration de la mort de Sidna Bilal, le saint favori des Gnawa. Son mausolée se trouve dans
la ville d’Essaouira, à l’intérieur de la zaouïa qui prend justement son nom « Zaouïa Sidna Bilal ».
Comme il est de coutume à chaque mois de Chaâbane, les confréries Gnawa se réunissent à
Essaouira et remplissent la ville de musique. Temple du patrimoine spirituel, thérapeutique et
cultuel du Gnawa, la zaouïa de Sidna Bilal a servi, comme toujours, de refuge pour plusieurs
milliers d’adeptes de cet héritage singulier. Aujourd’hui la zaouïa est gardé par la moqaddema
Zaida Guinia, sœur d’un grand maître Gnawa, Mahmoud Guinia, tous les deux fils du grand
24
25
http://cle.ens-lyon.fr/arabe/les-gnawa-33796.kjsp
Chaâbane et Ramadan sont deux de douze mois dans le calendrier lunaire musulman.
21
mâallem Boubker. Leur histoire est intimement liée à celle des esclaves puisque le père du
mâallem, d’origine malienne, fut vendu au Sahara.
La deuxième fête est un acte de soumission envers le saint Sidi Abdellah de Tamesloht, auquel ils
procèdent à l’occasion d’un pèlerinage, lors de la fête du Mawlid, la célébration de la naissance du
Prophète. Les Gnawa célèbrent cet événement durant sept jours.
Zaouïa Sidna Bilal
Nous avons pu relever, pendant nos recherches, un parallèlisme fréquent entre le moussem et le
célèbre Festival Gnawa d’Essaouira, qui se déroule au début de l’été. Les Gnawa n'ont, en effet,
aucun moussem qui leur est propre. En l'absence d'un saint fondateur enterré au Maroc, ils
participent aux moussem qui sont organisés par d'autres confréries religieuses. Le festival, cette fête
annuelle, permet de reconnaître publiquement l'existence des Gnawa et de les sortir de l'anonymat.
Le Festival Gnawa d'Essaouira (ou encore Festival Gnaoua & Musiques du Monde) est, sans aucune
doute, l’évènement qui maintient en vie cette extraordinaire patrimoine. Grâce à ce festival, la
musique Gnawa persiste dans le temps et des centaines de jeunes peuvent assister à l’exhibition des
grands mâllim. Ce festival a pour but le métissage culturel et musical, et propose une excellente
sélection d'artistes venus du monde entier pour mêler leur musique à celle des artistes Gnawa. La
réhabilitation de leur histoire, la mise en lumière de leur savoir-faire est incontestablement l’une des
22
principales raisons d’être du festival. C'est aussi l'occasion pour de jeunes artistes locaux de faire
leur apparition devant un large public.
La première édition du Festival Gnawa d’Essaouira remonte au Juin 1998, elle a été un vrai succès
en attirant près de 20 000 estivants. Actuellement à sa 18eme édition, selon les organisateurs, le
festival attire environ le double de personnes du fait de sa renommée mondiale.
Les musiciens Gnawa, conscients du message que le festival souhaite transmettre, livrent leurs
secrets à des artistes venus d’ailleurs pour les célébrer et à un public curieux de mieux les connaître.
Les instruments Gnawa se mélangent avec d’autres, venus de cultures proches ou lointaines, dans
une harmonie exceptionnelle qui ne laisse ni le public, ni les musiciens indifférents.
Le Festival, qui a tout de suite mis l’accent sur la nécessité de la transmission du savoir-faire, a
permis aux mâllim de passer le flambeau et de voir de jeunes groupes et artistes émerger, perpétuant
ainsi un patrimoine longtemps oublié, au mieux folklorisé sur sa propre terre.
« Né de la volonté d'une équipe passionnée de musique convaincue que la culture est un droit
inaliénable de l'homme, que le dialogue est le chemin qui mènera le monde à la sagesse, et que le la
préservation du patrimoine sous toutes ses formes est le fondement de l'identité, le Festival marque
sur cette base un tournant remarquable dans l'histoire du pays. »26
Le festival est entièrement gratuit, et seuls certaines soirées privées sont payantes, pour permettre aux
intéressés de découvrir le rituel de la lila dans sa totalité.
Pour avoir une estimation approximative du festival, nous reportons ici un extrait d’interview de la
directrice du Festival, Neila Tazi, réalisée par le journal Le Economiste, en 2013 :
« En 16 ans, le budget du festival est passé de 600.000 à 12 millions de dirhams. Nous n’avons pas
de financement de la ville, 90% des fonds viennent de sponsors privés ou semi-publics qui
renforcent leur contribution parce qu’ils ont confiance en ce projet et les valeurs qu’il défend. 10%
de nos ressources sont des fonds publics ». 27
À la suite de l’article, la maire d’Essaouira a annoncé que 300 millions de dirhams seraient injectés
à la commune pendant la période du festival.
La presse marocaine nous informe également qu'en 2013 Neila Tazi a adressé une demande à
l’UNESCO, pour inscrire le Festival d’Essaouira dans la liste des patrimoines immatériels :
26
27
Texte relevé du site officiel du Festival (http://www.festival-gnaoua.net/fr/le_festival)
http://www.leconomiste.com/article/908703-essaouiragnaouale-festival-qui-valait-300-millions
23
« La notoriété de ce festival et son engagement pour les valeurs de l’universalité ont poussé les
organisateurs à demander l'inscription de la musique gnaouie au patrimoine oral et immatériel de
l'UNESCO. Cela permettra la sauvegarde de cet art, qui ne s'est jamais départi de sa racine
africaine et n’a jamais cessé de la revendiquer, et la préservation de sa pérennité d'autant que cette
musique a réussi à attirer un public de férus des musiques du monde d'âges et de catégories
sociales différents du Maroc et de l'étranger ».
La directrice générale de l’UNESCO, Irina Bokova, a d’ailleurs répondu par courrier aux
organisateurs. Aucune réponse positive à leur demande ne leur a encore été communiquée. Une
ambition qu’ils espèrent toutefois voir se réaliser dans un futur proche.28
De toute façon, nous retenons que le festival d’Essaouira permettait évidemment la conservation du
Gnawa dans le temps mais, en même temps, focalisait son attention presque uniquement sur la
musique, en oubliant le rituel ; c’est une autre raison pour laquelle la lila a perdu sa valeur.
28
http://www.yabiladi.com/articles/details/16995/maroc-festival-gnaoua-d-essaouira-bientot.html
24
Festi al d’Essaoui a, G a a et Musi ues du Mo de
CHAPITRE 10 – Gnawa dans le monde
Bien que le Gnawa fasse partie de la culture et de la tradition marocaines, nous trouvons des
correspondances également dans d'autres pays, où cette pratique est malgré tout moins répandue.
L’équivalent algérien s’appelle Diwane, autrement dit Gnawa d’Algérie, le rituel est le diwan.
En Tunisie nous trouvons le Stambali dont le rituel ressemble beaucoup à celui marocain. Il semble
être encore vivant dans la population, alors que l’équivalent égyptien, la musique Zar, semble
mourir. Il semble qu'il existe aussi en Libye une tradition proche du Stambali tunisien et du Zar
égyptien. Tous ces équivalents remontent, à peu près, aux même origines que le Gnawa, d’esclaves
subsahariens.
De même des ressemblances entres les pratiques rituelles des Gnawa et celles des confréries soufi29
maghrébines sont évidentes, on peut parler d’une forme d’accommodation, métissage ou
syncrétisme. Mais ceci ouvrirait une vaste discussion que nous ne pouvons pas traiter ici.
La musique Gnawa marocaine a enrichi les autres styles de musiques au Maghreb et dans le monde.
Grace au Festival d’Essaouira et au tourisme toujours en expansion, les échanges artistiques entre le
Maroc et l’Occident ont permis à la musique Gnawa de s’internationaliser, en créant des fusions
intéressantes comme le jazz-gnawa, blues-gnawa, reggae-gnawa, etc.
D'importants personnages, tels que les artistes de jazz américains Bill Laswell, Adam Rudolph et
Randy Weston ont expérimenté, dans leur composition, un mélange entre leur style et le Gnawa.
En France par exemple, elle est produite essentiellement par des artistes algériens (comme le
célèbre groupe musical Gnawa Diffusion ou l'orchestre national de Barbès). Ainsi de grands
standards de la musique Gnawa comme " Allah Allah Moulana " se retrouvent dans de nombreuses
compositions. En acceptant l'existence de ce genre musical, les pays du Maghreb reconnaissent
29
Le soufisme est défini comme le œu
sot i ue de la tradition islamique.
25
enfin la part africaine de leur culture et ouvrent la porte d'un passé esclavagiste avec tous les sujets
tabous qui l'accompagnent. Comme pour le Festival d’Essaouira, il y a des puristes marocains,
fidèles au rituel, qui craignent une dénaturation du style due à des objectifs commerciaux excessifs.
D'autres applaudissent cet intérêt des artistes internationaux pour ce genre musical, qui sort des
frontières du Maghreb offrant ainsi aux artistes Gnawa une notoriété et une reconnaissance
internationale, ainsi que de meilleures perspectives financières.
Il est important d’ajouter qu’aujourd’hui on trouve également des femmes qui jouent les
instruments des Gnawa, surtout le gumbri, bien que ce soit assez rare.
Conclusion
Parvenue à la fin de mon dossier, je suis impressionnée par tout ce qui reste à faire pour que mon
étude soit complète. Cela tient, bien sûr, aux proportions que ce travail aurait dû prendre, mais
également au fait que je ne disposais pas de tous les moyens pour le réaliser. Le thème que j’ai
choisi de traiter compte une histoire assez longue et complexe. En outre mon statut d'Européenne
m’a entravée à la compréhension de certains aspects culturels et linguistiques. Valoriser le Gnawa
comme patrimoine local a été à la fois facile et compliqué. Facile parce qu'il a été simple d'identifier
certains facteurs, comme le Festival de musique Gnawa d’Essaouira, qui contribuent énormément à
la diffusion et à la conservation de ce patrimoine, en réussissant à captiver l’attention de centaines
de personnes ; difficile parce que valoriser le rituel, la lila, s’est montré plus dur du prévu. Cela m'a
semblé être comme faire une course contre la montre, contre une mentalité qui, évidemment, s’est
développée et s’éloigne d’anciennes croyances populaires, comme le fait de curer l’esprit à travers
une transe guidée par la musique.
Avoir fait ce voyage dans l’histoire des traditions marocaines m’a permis de m’approcher d'une
culture que j’admire et respecte beaucoup. Depuis deux ans je concentre mon intérêt au Maroc et
j’ai pu observer de près les Marocains, leurs attitudes et facettes. Mon admiration est née du fait que
le Maroc est exactement au milieu, entre le vieux et le neuf, entre notre culture européenne et la
culture arabo-africaine. J’ai séjourné dans différents endroit en dehors de l’Europe, mais jamais je
ne me suis sentie aussi confortable qu'au Maroc. D’un côté je vois que les Marocains essaient de
copier la culture occidentale, influencés par les medias, mais de l’autre, ils réussissent à garder leur
voile de pureté et d'humilité.
Et le Gnawa, n'est-ce pas tout-à-fait ce chaînon intermédiaire ? Une musique attractive qui cache
des secrets séculaires. À ce propos je n’ai pas voulu, expressément, approfondir la véracité des
26
effets thérapeutiques de la lila. Il ne m'appartient pas de juger une tradition ancienne et respectable
comme celle-ci.
Tous les artistes internationaux qui se sont approchés de ce genre de musique, qui l’ont changé et
qui s'en sont appropriés, ont été attirés par cette force mystérieuse et magique.
Je crois que cela est le secret du Gnawa : la curiosité mystique qui réside en chacun de nous.
Sans aucun doute la meilleure stratégie pour sa sauvegarde est de raconter, de passer à la postérité
l’histoire de la lila de telle manière que, quand les prochaines générations écouteront le Gnawa,
elles penseront à la magie qui se cache derrière. Une idée supplémentaire serait de faire naître
d’autres évènements tels que le festival d’Essaouira dans d’autres régions du Maroc concernées par
la culture Gnawa en cherchant le soutien des mairies et des artistes locaux afin de perpétuer la lila.
Bibliographie
•
Belghazi Mohamed (textes) et Dubos Wily (photographies), Instruments de musiques populaires
et de confréries au Maroc : fragments de musées, La Calade éditeur, 1998
•
Claisse Pierre-Alain, Les Gnawa marocains de tradition loyaliste, L’Harmattan éditeur, 2003
•
Chouki El Hamel, Black Morocco, A History of Slavery, Race and Islam, Cambridge University
Press, 2013
•
Mortaigne Véronique, Musiques du Maghreb, Du Chêne éditeur, 2002
•
Pâques Viviana, La religion des esclaves, Recherches sur la confrérie Marocaine des Gnawa,
Actes Sud éditeur, 2001
•
Skounti Ahmes, Le patrimoine culturel immatériel au Maroc Promotion et valorisation des
Trésors Humains Vivants, PDF du dossier, 2005
Sitographie
•
•
Arts&Folklores Gnawa : www.gnawa.eu
Ce que nous apprend l’anthropologie : https://dun.unistra.fr/ipm/uoh/anthropologie/index.html
27
•
•
Etudes-francaises.over-blog.com
Festival d’Essaouira, Gnawa & Musiques du monde : www.festival-gnaoua.net
•
La clé des langues : http://cle.ens-lyon.fr/
•
La Lila de Lalla Mina : www.lilagnaoua.com
•
Les nouveaux voyageurs : www.les-nouveaux-voyageurs.com
•
UNESCO : whc.unesco.org
Documentaries
•
Jacques Willemont, Les 7 couleurs de l’Univers, Production Université de Strasbourg, 2005
(conseiller scientifique : Viviana Pâques)
Interviews
•
Salmane Essaid, Mâallem Gnawa, Marrakech, Mars-Avril 2015
28
Table des illustrations
FIGURE N°1 :
Photo de couverture, Musiciens de rue à Place Jamaa el-Fna, Marrakech. Photo
personnelle, Avril 2015.
FIGURE N°2 :
Musiciens Gnawa avec leur instruments. Photo prise d’un site internet
(http://www.pbase.com/image/131592932). Page 7
FIGURE N°3 : Les
qarqabu, photo personnelle, Essaouira, Mars 2015. Page 8.
FIGURE N°4 : Les
ṭbəl, photo prise d’un site internet (http://aissawa-du-maroc.skyrock.com). Page 9.
FIGURE N°5 : Les
gumbri, photo personnelle, Essaouira, Mars 2015. Page 10.
Musiciens Gnawa en rouge, photo prise d’un site internet (http://les-nouveauxvoyageurs.com/animations/lila-gnawa/). Page 13.
FIGURE N°6 :
Gnawa en bleu à Place Jemaa el-Fna, photo prise d’un site internet
(http://dafina.net/forums/read.php?52,180988,page=6). Page 20.
FIGURE N°7 :
FIGURE N°8 : Zaouïa
Sidna Bilal, photo personnelle, Essaouira, Avril 2015. Page 22.
Festival d’Essaouira, Gnawa et Musiques du Monde, photo prise d’un site internet
(http://www.lematin.ma/journal/-/203937.html-http://marrakech-circuit.com/festivals). Page 24.
FIGURE N°9 :
Festival d’Essaouira, Gnawa et Musiques du Monde, photo prise d’un site internet
(http://marrakech-circuit.com/festivals-marrakech/festival-gnaoua.asp). Page 24.
FIGURE N°10 :
29
FIGURE N°11 :
Zaouia Sidna Bilal, Essaouira. Photo personnelle, Avril 2015. Page 36.
Affiches du Festival Gnawa et Musiques du Monde, Essaouira. Photo personnelle,
Avril 2015. Page 36.
FIGURE N°12 :
FIGURE N°13 :
Graffiti du Mâallem Guinia, Essaouira. Photo personnelle, Avril 2015. Page 37.
LES ANNEXES
30
ARTICLE
Samedi 29 juin 2013
«Moi, Zaida Gania, voyante, médium et chanteuse»
Arnaud Robert
Sœur d’un grand maître gnawa, Zaida Gania raconte comment elle soulage les hommes en
proie à de mauvais esprits
«Je m’appelle Zaida Gania. Je suis une kadima, une voyante, un médium. C’est ma mère qui m’a
transmis ce don. Elle le tenait elle-même de son père qui était venu d’Afrique, du Sénégal. Il
s’appelait Samba Camara. Il tombait en transe très facilement, il utilisait des bougies pour ses
cérémonies. Mon grand-père paternel, lui, est venu du Mali. Il jouait du luth guembri à une corde
seulement. Mon frère Mahmoud Guinea est un grand maître gnawa.
Je soigne les gens. Quand quelqu’un se rend chez le docteur, parfois, rien n’est diagnostiqué de son
mal. On examine son estomac, sa tête, sa tension et on ne trouve rien. Et pourtant, l’homme se sent
malade. Alors il vient me voir. Je lui demande son nom et son prénom, je fais des calculs,
j’accomplis des rites cachés. Et puis j’entre en contact avec l’esprit qui le taraude. L’esprit, on
l’appelle mlouk. Il peut être positif, mais il arrive qu’il dérange en profondeur une âme.
J’ai assisté à de véritables guerres entre un homme et un esprit qui avait pris possession de son
corps. L’homme, chez lui, au calme, commençait à renverser de l’eau chaude sur sa peau, à casser
des verres, il se mettait dans des colères invraisemblables. Parfois, il lui suffit d’aller dans une
mosquée pour se nettoyer et l’esprit s’en va comme il était venu, par la même porte. Mais, de temps
à autre, c’est plus grave.
Dans ces cas-là, il n’y a pas à hésiter: il faut organiser une lila, une cérémonie. Les gnawas jouent
leur musique et moi, je m’occupe de tout gérer. Il arrive que l’on fasse des sacrifices d’animaux.
Tout ce qu’il faut pour que l’esprit s’en aille. Nous avons tout un tas de familles d’esprits que l’on
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classe par couleurs: blancs, rouges, verts, bleus. Parmi les noirs, il y a ceux d’Afrique. C’est ma
spécialité. Je connais bien les esprits africains. Je ne peux pas vous mentionner leur nom. C’est un
secret.
Attention, ce ne sont pas seulement les hommes qui chantent la musique des gnawas. Moi, j’ai un
groupe de femmes, je joue même du guembri. On ne nous a pas invitées au festival, mais j’espère
bien que l’on va donner des concerts cette année. Les femmes sont très importantes dans le rituel.
Mais il faut être très perspicace, quand il s’agit des voyantes, il y a de vraies voyantes et des fausses
qui ne sont pas efficaces.
Quand je tombe en transe et que j’invoque des esprits africains, il m’arrive de parler des langues
que je n’ai jamais apprises. Des langues du Sénégal et des langues du Mali. Je sais que nous venons
d’Afrique noire. Quand je chante, je parle à l’Afrique. Malheureusement, je n’y suis jamais allée.»
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ARTICLE
Édition N° 4070 du 2013/07/09
ESSAOUIRA/GNAOUA
LE FESTIVAL QUI VALAIT 300 MILLIONS!
Neïla Tazi, directrice et productrice du festival Gnaoua Musiques du Monde, promet une belle
édition pour 2014, sans vouloir en dire trop: «La prochaine édition sera pleine de surprises, patience
donc! Mais réservez vos dates du 12 au 15 juin 2014!»
Le festival Gnaoua Musiques du Monde est le rendez-vous culturel annuel par excellence
d’Essaouira. Voilà plus de 16 ans qu’il continue de séduire et de surprendre un public fidèle qui
vient de partout du Maroc et de l’étranger. De grandes têtes d’affiche s’y sont produites: de
Youssou N’Dour à Omar Sosa, les plus grands maâlems… et bien d’autres! Seulement, pour
organiser un événement d’une telle ampleur, il faut y mettre du cœur, de la logistique… et
beaucoup de moyens!
- L’Economiste: Le festival Gnaoua prend de l’ampleur chaque année. Quelle a été l’évolution
du budget en 16 ans et quels en sont les enjeux ?
- Neïla Tazi: En 16 ans, le budget du festival est passé de 600.000 à 12 millions de dirhams. Nous
n’avons pas de financement de la ville, 90% des fonds viennent de sponsors privés ou semi-publics
qui renforcent leur contribution parce qu’ils ont confiance en ce projet et les valeurs qu’il défend.
10% de nos ressources sont des fonds publics. Au fil des ans, la programmation se renforce, les
durées des résidences s’allongent, les scènes et les conditions techniques se transforment… De plus,
le festival abrite désormais un forum international. Nous nous efforçons de parfaire cet évènement
pour qu’il soit à la hauteur des ambitions de notre pays et des attentes d’un public fidèle.
-
Quel
est
l’apport
de
la
médiatisation
au
succès
de
l’événement?
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- Le soutien des médias est un réel capital du festival. Il a commencé il y a 16 ans avec un appui
manifeste et massif de la presse nationale, puis a fait l’objet d’un intérêt croissant de la presse
internationale.
Nous avons évalué à plus de 500 millions de dirhams la visibilité du festival dans les médias au
cours de ces années, par le travail de relations presse et de partenariats médias.
Une campagne médiatique annuelle représente 600 passages promotionnels sur des chaînes de
télévision nationales et internationales, 1.300 passages sur des radios marocaines et étrangères, 60
annonces dans la presse écrite. Plus de 200 journalistes accrédités, en provenance de tous les
continents, couvrent le festival. En moyenne, 300 articles paraissent dans la presse, 140 reportages
TV et radio sont diffusés, 250 interviews réalisées. Au-delà du quantitatif, c’est forcément sur
l’authenticité et l’originalité du projet, sur la force des messages, que repose la notoriété éditoriale
du festival.
J’aimerais enfin signaler qu’un des meilleurs baromètres de popularité du festival est l’écho
formidable qu’il rencontre dans les réseaux sociaux. Le festival totalise sur Facebook 23.300 fans et
plus de 500.000 personnes l’ont suivi sur le Web à travers le site gnaoualive.com.
-
Qu’en
est-il
de
l’attractivité
des
touristes
et
des
recettes
générées?
- Le festival représente un formidable rendez-vous pour le tourisme culturel. Le taux d’occupation
dépasse largement la capacité hôtelière. Pendant une semaine, la ville est pleine, les hôtels, les
maisons d’hôtes… La particularité d’Essaouira, c’est qu’il y a beaucoup de locations de particulier
à particulier. La présence de touristes étrangers est de plus en plus visible d’une édition à l’autre,
mais qu’ils soient nationaux ou étrangers, les touristes sont bel et bien là. Toute la ville en
bénéficie: hôtels, restaurants, commerçants, artisans… Le maire d’Essaouira a annoncé que 300
millions
de
dirhams
sont
injectés
dans
la
ville
pendant
la
période
du
festival.
- Pourtant, d’aucuns estiment que le festival dénature l’esprit de la ville des Alizés?
- Au contraire! Le festival est connu pour son ambiance magique parce qu’il se produit une
formidable alchimie entre la ville et les festivaliers, entre les artistes et le public. C’est tout cela qui
fait le charme du festival Gnaoua: la magie des fusions et l’hospitalité d’une ville où il fait bon se
promener d’un lieu à un autre en toute quiétude. Il est vrai qu’au début des années 2000, la ville
était prise d’assaut. Il n’y avait alors presque aucun autre festival populaire au Maroc et c’étaient
des vagues humaines qui se déversaient sur la ville. Depuis, les choses ont évolué: les festivals se
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sont multipliés et l’approche qualitative a repris le dessus. Les retombées économiques ont été
tellement importantes que le festival est attendu par la grande majorité des Souiris comme une
véritable bouffée d’oxygène. Je précise aussi que 200 personnes sont recrutées localement
par l’organisation.
-
Rencontrez-vous
encore
des
difficultés
au
niveau
de
l’organisation?
- Les conditions d’organisation ont clairement évolué et en particulier la collaboration avec les
pouvoirs publics et divers responsables locaux. Les difficultés sont donc surtout d’ordre financier
parce que, bien que le budget évolue, il reste encore en deçà des besoins. Pour créer les conditions
d’une solide pérennisation d’un festival de cette ampleur, il est important d’avoir une vision
ambitieuse, mais désormais partagée en amont par l’ensemble des acteurs. L’évolution réside dans
les modalités d’un nouveau partenariat avec les opérateurs locaux, un partenariat dans lequel tout le
monde serait plus engagé. Nous pourrions par exemple imaginer la mise en place d’une taxe qui
serait reversée au festival pour en allonger la durée, car il y a un potentiel pour une semaine pleine.
Le tourisme local y gagnerait, mais les moyens manquent.
Un long chemin a été parcouru, mais un nouveau palier important reste encore à franchir dans
l’approche collective pour le développement du projet. Nous sommes confiants.
PROPOS RECUEILLIS PAR SANAA EDDAÏF
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LES AUTRES PHOTOS
Zaouïa Sidna Bilal
Tél/Fax : +21524783232
E-mail : zaouiasidnabilal@gnaouamogador@gmail.com
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Affiches du Festival d’Essaoui a
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Graffiti de Guinia, Essaouira
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