Vues de l’Esprit
La pensée est l’instrument de la liberté
LA REPRÉSENTATION DE LA LUMIÈRE DANS LES PENSÉES ANCIENNES ET MODERNES
Qu’est-ce que la lumière ? Essentiellement un phénomène, c’est-à-dire quelque chose qui
apparaît et disparaît. Nous allons nous intéresser ici à la lumière en tant que phénomène et aux
représentations liées à ce phénomène. Notre approche du phénomène n’est pas scientifique mais
historique. L’histoire tend à être de plus en plus une histoire des représentations. C’est par exemple
ce que fait actuellement Patrick Boucheron au Collège de France avec ses « Politiques de
l’amour »1. On peut parler de phénoménologie historique. Ce n’est pas exactement de la science. La
science cherche à cerner la réalité intrinsèque au-delà du phénomène et des représentations. Ce
faisant elle opère une coupure ontologique entre l’objet et sa représentation. La phénoménologie
reste au niveau des représentations ; elle fait en quelque sorte le deuil de l’objet en soi. Nous ne
pouvons pourtant pas faire une distinction absolue entre science, phénoménologie et histoire. La
science se déploie aussi dans l’histoire ; il y a une histoire des sciences, c’est d’ailleurs très
important pour chacune de ses branches que de se comprendre dans leur développement historique.
Il n’y a jamais de vérité immédiate ; tout est construit.
La lumière apparaît et disparaît : c’est un phénomène dont il y a des représentations, des
discours. La phénoménologie demeure en continuité avec la mythologie et les rêves ; elle n’opère
pas une rupture sujet/objet comme le fait la science.
Portons nous du côté du sujet. Qu’est-ce qu’une femme ? Nous pouvons en donner des
définitions abruptes, objectives, en partant de son rôle social de gardienne du foyer et reproductrice.
Mais cela implique une assignation de l’être à un rôle prédéterminé.
Nous pouvons aussi définir la femme comme sujet, au-delà de ses fonctions sociales. Définir la
femme comme sujet signifie qu’elle n’est plus assignée à un rôle, sauf à celui de l’émancipation,
parce que le sujet a principalement pour fonction de se libérer de ses assignations. On parlera ici
d’assignation de genre.
À partir de là on peut faire une histoire des femmes. Ou une histoire de l’amour. Plus qu’une
histoire de l’homme, parce que l’homme mâle lui a toujours plus ou moins été considéré comme
sujet depuis belle lurette. La religion parfois conteste cela ; certains voudraient que nous soyons
tous assignés et définis objectivement, à partir d’un prétendu principe ordonnateur transcendant,
dont ils détiennent évidemment les arcanes sacrés et secrets. C’est cela la religion, l’antisubjectivité, l’angoisse de la subjectivité. Contre cet enfermement angoissé, paranoïaque, la
philosophie a depuis longtemps tâché de creuser des tunnels souterrains ou d’ouvrir des voies
aériennes de libération. Ce mouvement dialectique est sans fin, c’est le moteur de l’histoire comme
l’a bien vu Hegel. Cela, de l’histoire, il est du moins certain que l’on ne s’émancipera jamais. Pas de
fin de l’histoire, sauf à sortir de la dialectique. C’est ce qu’ont voulu tenter je crois les communistes,
à partir d’une interprétation controuvée d’Hegel. Ils se sont fracassés sur le dur pavé de leurs
illusions. Avec des millions de morts à inscrire sur leurs livres de comptes. Ça coûte cher parfois les
illusions. Il faudrait demander à Jean-Paul Sartre s’il s’agit bien d’illusion ou de fausse conscience,
de dissimulation, d’être pour de faux. C’est-à-dire de manque de courage. Mais qui a le droit de
juger son prochain ? Et qui voit la paille ne voit pas la poutre, etc. La sagesse, autrement dit la
prudence, existe de tout temps, personne ne l’a inventée. On peut en trouver des éléments dans les
Évangiles chrétiens comme ailleurs, n’importe où. La folie existe de même partout et de tout temps,
y compris dans les Évangiles. Mais pas tellement.
*
1
Voir sur le site du Collège de France : https://www.college-de-france.fr/fr/agenda/cours/politiques-de-amour
1
Bon je voulais parler de la lumière. Mais qu’est-ce que la lumière ? Un phénomène. Et alors ? Au
commencement était la lumière… Ah non ! Au commencement était le Verbe ! Mais le Verbe est
lumière, et la lumière est verbe. Qu’est-ce à dire ? Voir c’est connaître : nous connaissons à partir du
verbe, en ce sens il est lumière. Fiat lux !
Athéna est une déesse qui apporte la lumière, le plus souvent la lumière de la victoire dans le
combat, ce qui équivaut à une libération. Enfin pas pour tous, pas pour les victimes, les vaincus.
Athéna est une déesse qui est censée donner les moyens de la victoire : armes et stratégie.
Intelligence technique et ruse. Elle est bien la fille de son père, Zeus, celui qui sait ourdir des plans
imparables. Il a avalé la Métis, la ruse, comme d’autres sont tombés dans la potion magique étant
petit. Zeus-le-jour, père de toutes les lumières.
Athéna tient de son père la lance virile, symbole du désir et du courage qui triomphe de
l’obstacle.
Comment la lumière est-elle venue au jour ? Question difficile à laquelle tente de répondre le
mythe. Nous nous réveillons avec la lumière : nous venons au jour avec elle. Pourtant le sommeil
n’est pas simplement une négation de la veille. L’inconscient a aussi ses structures, ses lois, qui ne
sont pas celles de la conscience, mais qui ne sont pas moins nécessaires. Les rêves ne sont pas
simplement des aberrations, des inepties, d’où la saine raison est absente. Autrement dit la nuit a sa
part de souveraineté légitime en ce monde. Il serait absurde de vouloir affronter, opposer, le jour et
la nuit comme deux ennemis2.
Au commencement était le partage. Avant il n’y avait que l’indivision, l’indistinction. Au
commencement il y eut un matin et une nuit. Pas de lumière sans ombre, nous voilà encore dans la
dialectique, même si elle n’est pas purement hégélienne. Je ne crois pas que Hegel ait jamais médité
sur l’ombre et la lumière, le jour et la nuit. Sa conception de la dialectique était plus métaphysique,
enfin je ne sais pas, mes connaissances là-dessus sont limitées, il faudrait faire des recherches…
Des recherches souvent naît la lumière. Comme de la nuit.
Au commencement était la séparation. Le ciel n’est pas la terre, c’est ainsi que l’on peut leur
donner un nom propre, des noms distincts.
*
Athéna ressemble à l’Ishtar – associée à la planète Vénus, l’étoile du matin – des orientaux.
Déesse combattante et vindicative qui n’a rien à voir avec la Vénus des Romains plus popote. Ishtar
éveille et déchire la nuit : elle est l’incarnation du désir agressif, semeuse de discorde et de guerre.
Très redoutable, elle ne laisse personne en paix. Mais elle exalte les passions fortes comme une
boisson enivrante. Plus agaçante que séduisante, elle ne peut laisser indifférent. Elle n’est pas
censée satisfaire le désir, mais le provoquer. Une emmerdeuse, une allumeuse…
2
C’est ce que fait pourtant le dualisme iranien, entre autres. Le dualisme en tant que discours basé sur le principe de
l’opposition conflictuelle, semble avoir ses racines dans la civilisation indo-iranienne, antérieure à la division
précisément Inde/Iran. Le dualisme s’oppose à l’amphibologie, ou discours normand qui comprend dans une seule
formulation des thèses opposées. cf. Jean Kellens professeur au Collège de France <https://www.college-defrance.fr/fr/chaire/jean-kellens-langues-et-religions-indo-iraniennes-statutory-chair> et ses recherches sur «le
phénomène des amphipolarités sémantiques indo-iraniennes » : https://www.academia.edu/1815442/L_amphipolarit
%C3%A9_s%C3%A9mantique_et_la_d%C3%A9monisation_des_daivas
> Voir aussi sur OpenEdition – Philippe Swennen (dir.). Démons iraniens : Actes du colloque international organisé
à l’Université de Liège les 5 et 6 février 2009 à l’occasion des 65 ans de Jean Kellens. Nouvelle édition [en ligne].
Liège : Presses universitaires de Liège, 2015 (généré le 22 mars 2024). <https://books.openedition.org/pulg/9484>.
ISBN : 979-10-365-6071-2. DOI : https://doi.org/10.4000/books.pulg.9484.
2
Tous ces thèmes astraux me font penser à la façon dont jadis les Romains ont associé le culte des
Empereurs avec la gloire du Soleil. Ce dont – je lance l’hypothèse – le Chrisme de Constantin est
précisément le signe, avant même d’avoir été plus tard interprété comme relatif à Jésus. Le chrisme
est le signe de l’onction royale. Christ = Messie = Oint. L’onction est un rite de consécration royale,
l’huile possédant en elle les vertus de la lumière solaire, elle « solarise » ou glorifie celui qui en est
recouvert. Ainsi le Chrisme est d’abord le signe de la glorification de l’Empereur. Enfin comme je
l’ai dit c’est une hypothèse. Dans le volet 8 de L’Apocalypse de Gérard Mordillat et Jérôme Prieur,
La conversion de Constantin (2008), M. Dominique Hollard de la Bibliothèque Nationale de
France, spécialiste en numismatique, fait des observations intéressantes là-dessus3. On peut aussi se
référer à la mosaïque du IVè siècle découverte en 1963 à Hinton St Mary dans le Dorset en Grande
Bretagne, où le Chrisme couronne un personnage qui n’est pas clairement identifié4.
Détail central de la mosaïque romaine de Hinton St. Mary - British Museum
Majorina de l'usurpateur Décence présentant au revers un Chrisme datant de 353
3
4
Après Corpus Christi (1997) et L’origine du Christianisme (2004), L’Apocalypse (2008) est la troisième série de
Mordillat et Prieur sur le christianisme. Cet ensemble qui forme un tout de 32 documentaires de 52 minutes chacun,
est un monument magnifique d’intelligence et d’érudition. Dans le volet 8 de L’Apocalypse, La conversion de
Constantin, l’intervention de M. Hollard est vers la minute 36. Voir sur Arte Campus (accès limité aux
établissements abonnés) : https://campus.arte.tv/program/l-apocalypse-la-conversion-de-constantin
Voir sur Wikipédia (en) : https://en.wikipedia.org/wiki/Hinton_St_Mary_Mosaic
3
Des cultes de la lumière et plus particulièrement de la lumière solaire, il en a existé un peu
partout dans le monde. Il semble que même les animaux rendent un culte au soleil. Par exemple le
matin quand les oiseaux se mettent à chanter. Il existe aussi cependant des oiseaux nocturnes
comme la chouette, l’oiseau d’Athéna, celle qui transperce la nuit.
Oiseaux de nuit, oiseaux de jour. Oiseaux qui volent, oiseaux qui courent…
Akhenaton vouait un culte à la sphère solaire, Aton le visible. Ce qui semble être un défi direct
lancé contre la religion d’Amon l’invisible, le mystérieux. Si tout est révélé, que reste-t-il aux
prêtres de leur autorité, de leur supposé savoir ésotérique ? Akhenaton a dit : « Il n’y aura plus rien
de secret, plus rien de caché. Tout est en nous et par nous, à travers nous, révélé. Nul mystère ne
résiste à la lumière divine, celle même qui nous habite. » C’est une paraphrase interprétative.
Jamais Akhenaton n’a tenu un tel discours de façon attestée. Mais il aurait pu, c’était peut être le
principe de sa foi, principe ignoré de lui-même ou qu’il n’avait pas les moyens conceptuels
adéquats pour exprimer. Il en avait pourtant une idée suffisamment claire pour nous la transmettre
jusqu’à nos jours, à travers les monuments et les œuvres d’art qu’il a laissé à la postérité. Le style
amarnien est unique et se distingue aisément de toutes les autres périodes artistiques de l’Égypte.
La religion solaire amarnienne a fait long feu. Les prêtres maîtres es sciences ésotériques ont
repris le dessus. Le peuple surtout ne devait pas croire que tout étant devenu manifeste, le Royaume
des dieux lui-même était à leur portée. Akhenaton avait mis en péril l’autorité même de Pharaon.
C’est à mon avis ce qui explique que ses héritiers, ses successeurs, se sont empressés d’oublier son
œuvre et son nom. Un pharaon ne doit jamais devenir populaire, il suffit qu’il soit craint et redouté.
Mais de quelle nature était en définitive la religion amarnienne ? De nature double : solaire et
royale. C’est une association très commune, très répandue dans toutes les civilisations. Par exemple
chez les anciens peuples autochtones d’Amérique : Incas, Mayas, Aztèques, etc.
La raison d’être de cette association entre le trône et le soleil n’est pas si évidente. Elle est aussi
bien présente dans la religion christique, cela nous concerne aussi actuellement dans notre propre
civilisation, ce n’est pas réservé aux hommes de l’antiquité ou à ceux des civilisations vaincues par
la colonisation européenne moderne.
Je pense par exemple à la célèbre statue de la Liberté de New-York, La Liberté éclairant le
monde, un don de la France au peuple américain des États Unis. Toujours l’association du Règne et
de la Lumière.
Photographie autochrome vers 1905
4
Les républicains en France comme en Amérique, associaient Liberté et Raison.
Il fut un temps dit « Temps des Lumières ». Le XVIIIe siècle. L’aube de notre ère actuelle.
Coloniale, esclavagiste : l’ère du libéralisme impérialiste. Mais aussi celle de la démocratie et de la
science.
Pas de lumière sans ombre. Le prétendu universalisme des lumières a trop souvent couvert le
colonialisme le plus agressif et son mépris intrinsèque, raciste, des cultures étrangères. La vérité est
dialectique, difficile de la dire sans se contredire. L’essentiel je pense est la distance critique prise
vis-à-vis de la religion.
Le XVIIIe siècle a inventé une sorte de culte laïque de la lumière : Newton, Mozart, Goethe, la
Franc-Maçonnerie…
Qu’est-ce que la lumière ? La science ne répond pas à toutes les questions. Je pense à une
approche « phénoménologique » de la lumière. Une approche qui prend en compte la subjectivité, la
position subjective existentielle, l’essence relative du phénomène.
La lumière nous met en relation justement avec des objets, présents ou disparus, comme les
lointaines étoiles mortes, dont nous recevons pourtant la lumière. La lumière d’un corps survit à sa
disparition même. Paradoxe.
D’un autre côté, l’autre côté symétrique du paradoxe : pas de lumière sans corps. Ici nous avons
affaire au temps. Au temps disparu du corps, s’oppose le temps toujours présent de la lumière
provenant de ce corps. C’est comme si le corps représentait un trou dans le temps : une chute.
Alors que la lumière est mémoire. Plutôt signe, trace, qu’être corporel. C’est la difficulté avec la
lumière : est-ce un corps ? Un corps sans poids/masse ? Cela a-t-il un sens ?
Qu’est-ce qu’un photon ? À quelle sorte de particule élémentaire avons-nous à faire ?
Photon/Proton. Photon = photo d’un noyau atomique ? Les mots, les concepts, les formules que
nous employons sont choses limitées dont nous ne pouvons nous abstraire. Notre champ de
connaissance, pour structuré qu’il est, est justement limité du fait de sa structure même. Nous
vivons dans cet horizon limité. Et qu’y a-t-il au-delà ? Ce que nous appelons Big Bang. Cette
immense explosion qui correspond à l’immense trou noir de notre connaissance.
À l’origine était la fin.
Si on associe lumière et connaissance, il faut alors dire que ce que nous fait connaître la lumière,
ce dont elle est la trace, ce dont elle témoigne, c’est d’une disparition. Nous ne voyons au fond que
ça : le trou à la place de l’être. Enfin c’est une dialectique : être/non-être. L’être ne s’affirme que sur
fond de non-être – et vice-versa.
5
Voyons ce qui se passe chez les Indo-Aryens :
6. Nature et fonction de Haoma. À la fin de l’interrogatoire anthropogonique, Zaraθuštrauštra
identifie officiellement Haoma en énumérant ses propriétés : Y9.16 « Hommage à Haoma ! Haoma
est un dieu bon. Il a été bien mis en place, le dieu bon qui l’a mis en place en prononçant un texte
rectiligne l’a fait comme suit : il est guérisseur, il a un beau corps, il donne une bonne joie, il brise
l’obstacle, sa couleur est jaune et sa tige flexible ; autant il est très bon pour celui qui le boit,
autant il sait donner à l’âme son envol ». La strophe suivante reprend partiellement les termes de
cette énumération sous la forme d’une demande pour en tirer un bénéfice personnel : Y9.17 « Voici
ce que j’attends de toi, ô jaune : l’ivresse, la force-offensive, la capacité de briser l’obstacle, la
santé, la guérison, la croissance, la puissance de tout le corps, la compréhension de toutes les
figures de style et ceci encore : que je puisse circuler librement parmi les êtres vivants en
surmontant la nocivité et en vainquant la tromperie ». Ceci constitue une remarquable description
de la nature et de la fonction de Haoma.
6.1.1. [°] L’absorption est traduite par l’expression tanūm pairi + dā avec datif « donner son
corps à Haoma » (qui, pressuré, n’a plus de corps).
6.1.2. [°] Y9.17 : « autant il est très bon pour celui qui le boit, autant il sait donner à l’âme son
envol ». Mais ce n’est pas Haoma lui-même qui accomplit cette brusque ascension, c’est l’âme de
celui qui, en le buvant, lui a rendu un corps et en a reçu l’impulsion vers le ciel. Le motif est
eschatologique et l’anticipation de Y9.17 a pour écho l’espérance qui imprègne la seconde
absorption et clôture le Hōm Stōm : Y11.10 « Moi, je te donne ce corps, ô Haoma... toi, puisses-tu
me donner le très bon état qui assure la lumière et tous les bien-être à ceux qui soutiennent
l’Agencement ! ».
6.2.2. L’ivresse, la littérature, la pensée et l’âme. Les bienfaits escomptés par le chantre de Y9.17
a pour premier terme l’ivresse (madem) et pour dernier la compréhension des figures de style
(mastı̄m vı̄spō.paēsanhem). Schwartz (dans Flattery et Schwartz, Haoma and Harmaline, 1989,
115-116) a remarqué que cet effet d’encerclement par des mots assonants rendait sensible l’idée que
l’ivresse de Haoma est la source d’un savoir inspiré. [°]
Comme le corps survit par la descendance, la pensée survit avec l’âme. La fonction
eschatologique de Haoma n’est pas fréquemment exprimée, mais elle l’est de manière
particulièrement saisissante, par l’écho que se renvoient Y9.17 et Y11.10, de manière discrète, mais
récurrente, par la mention de la capacité qu’a Haoma de briser les obstacles (Y9.16, 17, 20, 27,
Y10.6, 9, 1, 19). La valeur eschatologique de vәrәthrajan- explique sans doute que l’adjectif figure
parmi les épithètes usuelles de Haoma, alors que son équivalent scr. vr̥trahán- ne s’applique
qu’exceptionnellement à Soma (Renou, EVP IX, 3).
Jean Kellens – L’éloge mazdéen de l’ivresse.5
*
Haoma/Soma le dieu pressuré, c’est un cousin de Dionysos. Il n’y a pas identité mais cousinage.
Un air de famille.
5
Cours du Collège de France, Jean Kellens, chaire Langues et religions indo-iraniennes, résumé annuel 01 sep 2002
6
Le mazdéisme, est-ce une religion de la lumière ? Ce serait trop simplifier que d’exprimer cela
de cette façon. Mais il y a des éléments qui penchent effectivement de ce côté. Comme d’ailleurs un
peu dans toute religion ou philosophie. La lumière est un principe difficile à écarter du phénomène
de la conscience et de la connaissance. Même de la simple sensibilité.
Les plantes sont éminemment sensibles à la lumière. Ce sont parmi les premiers êtres sensibles
du monde vivant. Et elles témoignent de notre lien intrinsèque, essentiel, à la lumière. Nourriture
divine. Les plantes se nourrissent de lumière. Comment est-ce possible ? Ces êtres que nous
prenons, que nous considérons comme primitifs : ils ont directement accès à une connaissance
« divine » supérieure. Je mets le mot divin entre guillemet parce que c’est une expression, une façon
de parler. Il ne faut pas essentialiser le sens des mots.
Moi je suis un républicain rationaliste athée. Rien de plus français, dans la version universelle de
l’identité nationale. Un des derniers témoins de l’identité révolutionnaire. Ce qui survit à toute
identité essentialiste, à toute idée essentialiste de la nation. Témoin précisément de la disparition de
la nation comme corps incarné – ce qu’étaient les rois jadis.
Qu’est-ce qu’être français ? C’est être fidèle à la lumière née de l’explosion révolutionnaire.
*
La lumière nous donne une idée de ce qu’est la transcendance. Ce qui est au-delà de l’être.
Paradoxe. Plus que l’être, ou moins ? Ce n’est ni plus ni moins. Paralogique, surréel, tangentiel…
spirituel ? Pas dans le sens métaphysique ancien, pas dans un sens reçu et borné. Dans un sens…
ouvert et productif, créateur, fécond.
Quelle est ma raison d’être ? Est-ce que mon individualité peut suffire, ou la perpétuation de mes
gènes ? Une façon de se continuer physiquement, charnellement. Pourquoi faire ? Pourquoi être
encore – vouloir être encore ?
Je me sens plus comme un relais, un passeur de lumière. L’idée républicaine, l’idéal républicain
universaliste et humaniste. Une idée explosive, révolutionnaire. Mais pas à la sauce marxiste, même
si tout n’est pas à jeter là-dedans. Je ne crois pas à la lutte des classes comme à ce grand mécanisme
imparable qui doit finalement – encore une croyance eschatologique – amener le bonheur sur Terre.
Le marxisme c’est une contre-religion, comme on dit une contre-vérité. En somme rien qu’un
nouveau mensonge, une nouvelle illusion. Mais meurtrière et très dangereuse. Comme beaucoup de
religions il a produit pas mal de fanatismes. Mais pour autant, comme je l’ai dit, tout n’est pas à
rejeter là-dedans. L’être que nous sommes, l’être social et politique, doit être soumis à la critique, et
les gens doivent être libres de s’opposer aux pouvoirs en place. C’est absolument nécessaire pour
évoluer. Sans parler de l’appel aux sentiments de justice, l’idée d’égalité, etc.
Qu’est-ce que la justice ? L’application du principe d’égalité. Égalité devant la loi. C’est-à-dire
aussi dans les faits. La loi n’est pas indépendante des faits. Mais est-ce que cela implique que nous
ayons tous le même niveau de richesse, le même pouvoir d’achat ? Est-ce que cela n’est pas une
déformation de l’idée de justice ?
Non dans la mesure d’une égalité matérielle « raisonnable ». Or nous savons aujourd’hui que les
inégalités dépassent toutes les mesures raisonnables possibles. Il faut poser des limites : richesse
égale pouvoir. Personne ne peut ignorer cette simple équation. Si nous voulons que les gens soient
égaux en droit, ils doivent l’être aussi dans une certaine mesure dans les faits. Pas absolument, pas
strictement, seulement dans une certaine mesure, car il convient aussi de laisser à la liberté sa place
nécessaire, légitime. Toute la difficulté est de bien balancer les deux principes Égalité/ Liberté. Ce
n’est pas un défi surhumain.
7
Il convient par exemple de donner à chacun une chance égale au départ. Donc beaucoup de
choses à revoir sur les droits d’héritage, et sur le minimum social et matériel nécessaire à la survie
de chacun, comme à l’éducation des enfants. Le calcul des droits sociaux doit inclure le principe
d’un minimum individuel universel. Il est enfin indispensable d’instaurer des plafonds sur le
possible montant des fortunes personnelles. Le droit de propriété n’est en rien un droit absolu : il
doit être pondéré, harmonisé avec les faits et les contraintes, dont font parties les réalités sociales.
Cela doit être très éloigné du cauchemar totalitaire qu’est trop souvent devenu le communisme
réel. L’égalité sans la liberté, c’est une voie sans issue. Il ne s’agit pas d’appliquer des principes à
l’aveuglette, comme on appliquerait la charia, une loi venue d’en haut, sans examen ni critique.
Personne jamais n’est exempté de sa responsabilité et de son libre jugement par rapport à une loi
quelconque. C’est à nous, sujets humains, de juger, à nous de choisir. Avec l’erreur possible que
toujours peut comporter notre jugement. D’où un principe de prudence – et de clémence –
indispensable.
8
AMOUR
Je n’ai pas parlé de l’amour. Pourtant si la lumière est Liberté et Raison ou Connaissance, elle est
aussi indiscernablement Amour. L’amour arrive par les yeux, comme dit Patrick Boucheron dans sa
série de cours sur les « Politiques de l’amour »6. Il y revient à plusieurs endroits, il y insiste, peutêtre parce que cela le renvoie à une expérience personnelle. Enfin c’est écrit dans les textes, c’est
historique – il ne l’a pas inventé.
L’amour c’est l’élément dynamique qui nous attire vers la lumière, comme les papillons. C’est
paradoxal cette attirance pour la lumière dans le règne animal, parce que beaucoup d’animaux ont
tendance à la fuir, comme à craindre le feu. Beaucoup d’insectes se grillent les ailes à nos lumières
artificielles, c’est une réalité artificielle que leur instinct n’a pas encore assimilé. L’homme crée des
artifices, dont les feux d’artifice justement… ou des poèmes comme Dante.
6
Patrick Boucheron – Chaire du Collège de France – Histoire des pouvoirs en Europe occidentale, XIIIe-XVIe siècle
– Politiques de l’amour (Janvier/Avril 2024) https://www.college-de-france.fr/fr/agenda/cours/politiques-de-amour
Voir particulièrement la partie 9 « Les amoureux du bien public (XIIIe-XIVe siècles) », consacrée à l’Italie de Dante.
9
CONSTRUIRE UN FOYER
Nous avons le pouvoir de changer notre structure. Nous habitons une structure artificielle que
nous pouvons modifier. C’est pour moi la définition de ce qu’est un sujet. Au commencement était
la liberté.
Je suis face à deux questions qui s’interpénètrent :
1) Comment construire ou plutôt constituer, fonder, un foyer humain, a home ?
2) Comment de même constituer, fonder, un sujet ?
Un sujet quel qu’il soit ne se conçoit pas sans un lieu, une place où habiter. Cela va de la maison
à la nation, en passant par le territoire qui peut être divers, avoir plusieurs formes et définitions :
Territoire de chasse, territoire de production agricole, ou de prédation, territoire d’exploitation de
ressources naturelles diverses, dont les gisements lithiques ou métalliques, territoire d’habitat
simplement, que le sujet identifie comme sien, propre (importante notion de propriété), habitat
refuge, habitat ressource, base naturelle nécessaire à la survie, au développement, et à la
perpétuation ou reproduction du groupe social dont les limites sont plus ou moins bien définies
(importante notion d’identité culturelle).
*
N’est-ce pas en plaçant le feu au cœur de l’habitation humaine, que l’homme, les hommes en
général, inventent la première notion de foyer / home ? Qu’est-ce que la domestication du feu ?
Comment la penser en tant qu’élément structurel de la culture humaine universelle ?
Intégrer le feu à l’habitation humaine, c’est l’intégrer subjectivement : en faire un élément de
l’identité propre, du soi ou self, de l’être-je. Le feu est chaleur et lumière, aussi combustion. C’est
un élément vivant (il bouge et il dévore, il se nourrit), mais ce n’est pas un animal. En tant que
foyer, feu domestique, il dépend de l’homme : c’est l’homme qui le crée et l’entretient, le nourrit,
c’est aussi l’homme qui éventuellement l’éteint.
L’extinction d’un feu n’est jamais sa mise à mort, car il peut toujours être rallumé. Le feu survit à
son extinction, à sa disparition. Il est toujours le même, sans réelle personnalité individualisée
associée à tel ou tel foyer. Mais les hommes ont inventé des feux sacrés, entretenus sans interruption
pendant de longues périodes. Ils ont donc donnés parfois une identité individuelle particulière à tel
ou tel foyer. Voire une identité « divine ».
Le feu dans les cultures diverses de l’humanité est souvent associé à l’habitat dont il représente
le cœur, précisément le « foyer », l’essence de l’être social, l’âme vivante d’un ensemble défini,
d’une collectivité structurée et délimitée (pas de société sans limites : le bord est par lui-même
structurant, comme l’est la peau pour le moi-self).
Si nous considérons la figure du cercle avec le point comme centre. La limite extérieure, la peau
est le cercle. Le point central est le foyer ou âme. C’est là en fait où se projettent tous les points
extérieurs du cercle et ce qui représente leur principe de cohésion. Le cercle pointé est le symbole
du soleil. Un symbole universel très explicite.
10
*
L’intégration subjective de l’élément igné et/ou de la lumière, a peut-être marqué chez notre
espèce, l’espèce humaine, une étape évolutive plus importante que n’importe quel épaississement
du cortex cérébral. Mais la science ne sait que mesurer des données physiques, ce qui en soi n’a rien
de mauvais, mais qui a pour résultat à terme de laisser un grand pan de notre réalité (immatérielle ⊕
symbolique ⊕ imaginaire ⊕ affective) dans l’ombre. Entendons nous bien, je n’ai rien contre la
science, tant du moins qu’elle ne prétend pas devenir un discours hégémonique, une nouvelle doxa
dont les contrevenants seraient poursuivis pour « mauvaise foi ». Je pense qu’elle doit simplement
reconnaître ses limites, son domaine de compétence. Tout dans la réalité humaine, et ailleurs aussi
bien dans le monde, la nature, etc, ne relève pas d’un discours et d’une méthode scientifique. Non
au totalitarisme de la science.
Je suis pourtant un rationaliste dur et je m’en vante. Simplement je n’identifie pas raison et
science. La science n’est qu’un sous-ensemble du domaine rationnel. Il faut reconstruire notre arbre
généalogique de la connaissance, notre géographie du savoir. Ne serait-ce qu’en se demandant par
exemple quelles sont les structures logiques et/ou les forces contraignantes, productives du discours
scientifique. Je pense spécialement à une sociologie de la science. Il faudrait étudier les laboratoires
scientifiques comme on étudie les villages Papous. Cela se fait d’ailleurs déjà, ce n’est qu’un
exemple d’approche. On pourrait aussi faire référence à « L’Archéologie du savoir » de Michel
Foucault7, inspirée plus ou moins directement de la « Généalogie de la morale » de Friedrich
Nietzsche8. Etc...
7
8
Michel Foucault : L'Archéologie du savoir, Paris, Éditions Gallimard, coll. « Bibliothèque des Sciences humaines »,
1969, 288 p. (ISBN 2-07-026999-X)
Friedrich Nietzsche : Zur Genealogie der Moral : eine Streitschrift. - Leipzig : Naumann, 1887
> Andreas Urs Sommer, « Une vue d’ensemble sur la Généalogie de la morale », Les Cahiers philosophiques de
Strasbourg [En ligne], 51 | 2022, mis en ligne le 30 mai 2022, consulté le 11 avril 2024. URL :
http://journals.openedition.org/cps/5449 ; DOI : https://doi.org/10.4000/cps.5449
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ZOO
Qu’est-ce que la vie ?
Lumière incarnée. On peut comprendre le Soleil notre étoile, comme une source d’énergie. Ce
qui est le moteur du système solaire, le foyer, le centre moteur, autour de quoi tout le reste tourne.
C’est aussi la lumière qui fait vivre les plantes, et partant les animaux qui s’en nourrissent et ainsi
de suite jusqu’aux prédateurs.
Oiseaux solaires, animaux solaires. Expressions de cette flamme qui est la source de tout. Source
de la vie terrestre. La vie est éclose sur cette planète unique qui est notre...
« ♪ Home sweet Home ♪ »
la Terre
La vie est une flamme qui se consume, elle passe de corps en corps. Nos corps sont le réceptacle
et le combustible qui transporte cette flamme à la fois ravissante et destructrice, animante et
mortelle. Le prédateur qui vole un corps, ne cherche au fond qu’à s’emparer de cette flamme, la
faire sienne. Nous serions comme des torches vivantes.
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LE PARESSEUX
Le paresseux est un animal très étrange ou du moins particulier. Apparemment il s’est tellement
bien acclimaté à la vie de la forêt amazonienne, qu’il tend même à se confondre avec la végétation –
à vouloir devenir végétal. C’est un animal méditatif à cheval entre deux règnes ; il semble ainsi
avoir réussi à transcender sa condition animale.
Sauf qu’une fois par semaine il doit descendre de son arbre chéri pour déféquer. Un sport
dangereux qui n’a apparemment aucune raison d’être, aucune utilité spéciale. Sauf que cet animal
est ainsi rendu à sa condition primitive, ce dont il ne peut se détacher, le dernier lien qui
précisément le relie à la terre. Et puis cela l’oblige à se remuer un peu, comme une sorte de jogging
pour entretenir la forme.
Disons que le paresseux fait l’expérience ou démontre l’existence de la dialectique : entre haut et
bas, ciel et terre, entre végétal et animal, immobilisme et mouvement – mort et vie.
LES FÉLINS
Animaux prédateurs qui sont de parfaites images solaires, jusqu’aux taches qu’ils portent sur
leurs corps. Robes de couleur fauve tachée de noir. Yeux jaunes d’or, particulièrement ceux des
panthères. Parfois, plus rarement, la robe est noire : soleil noir, abîme dévorant.
LE TATOU
Carapace en mouvement. Creuseur de terriers. Le tatou semble fuir la lumière ; il cherche à se
protéger. Furtif, isolé, secret, il est d’ailleurs plutôt actif la nuit. Pas vu pas pris. Pour vivre heureux
vivons caché…
Le tatou se multiplie par quatre. C’est un animal à base carrée, chiffre terrestre. La femelle
accouche d’un ovule quadruplé : quatre individus exactement semblables. C’est une performance
unique dans toute la lignée animale.
LES OISEAUX
Les oiseaux sont des animaux vachement solaires, enfin s’il est permis de s’exprimer ainsi.
D’après notre science paléontologique – la science des vieux os –, ils descendent en droite ligne des
célèbres dinosaures qui ne sont donc en rien « disparus », mais ont simplement évolués, faisant bien
avant l’animal humain la conquête de l’Espace. Un petit battement d’aile qui représente un
franchissement définitif, une rupture gigantesque dans l’histoire générale de l’évolution.
Je ne sais pas si une météorite a frappé ou non la Terre à telle ou telle date, et surtout si elle a
vraiment causée une extinction massive des animaux. Ce que nous en dit la science n’est au fond
qu’une interprétation des faits. Je ne mets pas en doute les faits, mais leur interprétation. Ce qui est
certain c’est que les formes du vivant, les espèces, évoluent. Et je crois que malgré les grandes
avancées de Charles Darwin, on reste très ignorant des processus à grande échelle de ladite
évolution. C’est ainsi dans la plupart des domaines scientifiques : nous n’apprenons qu’en réalisant
que nous ne savions pas. Le Réel possède une profondeur infinie dont nous ne percevons que
l’horizon, là où butte notre regard.
Il fut un temps où la Terre possédait des reptiles géants, des animaux hors de notre mesure, hors
de notre temps – disons antédiluviens si on veut s’exprimer de façon biblique. Puis ces animaux ont
disparus, et un autre règne animal est venu les remplacer. Une autre biosphère, autrement agencée,
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différemment foutue. Pourquoi rien ne reste jamais pareil ? Tout change, tout passe. Même la Terre
toute entière disparaîtra un jour, nous le savons cela. Nous ne serons d’ailleurs nous-mêmes, nous
autres les primates humains, plus là pour le vérifier. Et depuis longtemps. Notre règne, celui de la
biosphère à laquelle nous appartenons, dont nous dépendons absolument – notre règne aussi
disparaîtra, comme tous les autres règnes successifs de l’histoire animale globale. Rien n’est fait
pour durer éternellement, c’est ainsi, c’est la loi.
Ça n’empêche pas les oiseaux de voler.
CHENILLES ET PAPILLONS
Il est difficile de faire plus dissemblable qu’une chenille et un papillon, l’une n’inspire que
dégoût et répulsion, l’autre est un miracle d’harmonie et de beauté. C’est subjectif. De nombreux
insectes connaissent ces phases de mutation, de métamorphose. Ils ont une phase larvaire, puis une
phase adulte (et reproductive), souvent très différente de la première. L’une sans ailes, l’autre avec.
Pourquoi les ailes sont si souvent associées avec le stade reproductif ? Serait-il possible que cela
soit en lien avec la lumière, d’une façon ou d’une autre ? Je ne saurais répondre de façon
conclusive, mais je le pressens.
LA CIVETTE MARBRÉE
La civette marbrée a un joli pelage que reflète son joli nom. Comme de nombreux félins sa robe
est d’or parsemé de noir, ou noire parsemée d’or. Tout dépend d’où on se place. Ces prédateurs
tachetés semblent avoir transcendé la division phénoménale (existentielle) entre le jour et la nuit. Ils
sont l’un et l’autre en même temps ; incarnations de l’ambiguïté ; chasseurs masqués ; voleurs de
feu.
PS : il n’existe pas de civette marbrée dans les nomenclatures zoologiques. On se demande
pourquoi.
LA HYÈNE TACHETÉE
La hyène tachetée femelle possède un organe sexuel atypique. Les lèvres subvaginales sont
suturées et pendent en forme de scrotum. Son vagin trouve une sortie à travers un manchon qui peut
la faire confondre avec un mâle. Ce manchon prend la place de ce que nous appelons clitoris chez
les femelles d’autres espèces. Mais on ne peut pas continuer à appeler cela un clitoris chez cette
hyène. Ce serait prendre nos fantasmes pour des réalités, et je ne pense pas que ce soit le but de la
zoologie. Il ne s’agit pas d’une femelle androgyne, ou d’un futanari à la mode nipponne 9. C’est
simplement que son appareil sexuel est conformé différemment. Cela arrive finalement assez
souvent dans le monde animal. La nature est très inventive.
Quand les petits naissent, ils déchirent la peau de cet engin malgré son élasticité naturelle. Pour
la fécondation le mâle doit également s’introduire à travers cet orifice qui alors s’invagine. Ce
manchon sert également de conduite urinaire.
Au point de vue social, on peut remarquer une hiérarchie fortement marquée, de type
matriarcale. Les interactions sont denses, complexes et vives, souvent agressives. Les jeunes sont
très alertes et deviennent vite adultes. Ils héritent en règle générale du statut maternel.
Il est dit dans les revues scientifiques que les enjeux de rivalité concernent essentiellement les
femelles, les mères et leurs filles. Les mâles semblent relativement plus pacifiques. Là encore je ne
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https://fr.wikipedia.org/wiki/Futanari
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sais pas si nos fantasmes ne biaisent pas quelque peu les observations. Il faudrait voir comment
dans les autres espèces animales, pas seulement chez les hyènes, la hiérarchie des femelles est
gérée. Et si les mâles sont toujours aussi souvent combatifs qu’on le croit. En tout cas pour ma part,
je pense qu’il vaut mieux éviter de mettre ce comportement social en lien avec la forme atypique du
vagin terminal.
Je le répète, la nature est très inventive. Plusieurs solutions sont toujours possibles pour gérer un
problème. Par exemple ici la place relative, le statut social des individus au sein d’un groupe. Ce
n’est pas toujours réglé à partir de l’affrontement des mâles. Il peut y avoir d’autres solutions, y
compris le refus même de la rivalité hiérarchique. Cela se rencontre aussi bien dans les sociétés
humaines. Il existe toujours une variété de solutions face à un problème.
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||TRÉTEAUX||
L’Esprit qui m’anime pourrait se définir comme celui d’un gardien du temple ou des temples…
de l’esprit. Gardien des lettres et de la mémoire. Gardien des sceaux. Gardien de la révolution.
Gardien des semences de l’être, de la vie. Gardien de la maison humaine. Gardien du feu.
De ce moment où l’Esprit est venu se révéler à l’homme. Quand il est venu lui dire : tu seras ma
demeure. Quand « je » s’est éveillé à la conscience de « soi ». L’Esprit prenant forme consciente,
vivante, animale. Forme matérielle concrète. Alors même que l’Esprit est au-delà de toute forme :
éclair illuminant les ténèbres.
Telle la lumière prenant forme animale dans les ténèbres des grottes du paléolithique supérieur.
Émouvants témoignages de consciences éphémères inscrivant là dans le roc un instant d’éternité. Il
y a si longtemps de cela ; nous avions tous oubliés.
Toujours et paradoxalement l’Esprit se révèle ainsi. Il dit : « Tu m’avais oublié ! ».
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Et cette parole est un profond déchirement. C’est ainsi que parle l’enfant brûlant au père
endormi, dans un rêve rapporté par Sigmund Freud dans sa Traumdeutung. Rêve de l’Éveil du père.
C’est une rude épreuve, cela vous traverse et vous déchire. Permettez moi de parler ici un peu de
mon expérience – et sinon de quoi d’autre ?
Nous avions tous oublié. Nous étions dans les ténèbres. Il a fallu un éclair pour nous éveiller. Et
dans cet éclair le monde est disparu. Notre monde, notre maison, notre personnalité. Il ne restait
plus rien de tout cela, que des cendres. Nous étions devenus habitants d’un monde disparu. Et tel
Diogène le cynique je me promenais en plein jour avec une lanterne, demandant où était passé
l’homme.
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COURONNEMENT
J’ai aperçu la lumière, comme disent les illuminés. J’ai vu que nous étions dans un combat
interminable, dans une dialectique comme dit Hegel ; une dialectique sans fin qui n’est en rien
dépassable, car c’est bien le moteur même de l’être, le moteur de l’histoire – animale ou humaine.
Le combat est l’essence même de l’existence. Son but, son origine ? C’est le même que celui du
désir, ou de l’amour. L’obscur objet du désir, c’est… la victoire, l’hégémonie.
Marx a gravement contrefait Hegel, d’abord en promouvant l’illusion d’une possible fin de
l’histoire, soit un dépassement de la dialectique qui est son moteur. Illusion néfaste comme toutes
les illusions. Ensuite en ajoutant l’erreur à l’erreur : le faux concept de lutte des classes. C’est très
important, je sais qu’il existe encore parmi nous, parmi vous, des classistes, des gens qui ont fait de
ce concept de lutte des classes, la raison, le principe de leur engagement et de leur… lutte.
Reprenons, corrigeons : la lutte des classes n’est qu’un aspect du mouvement de la dialectique
historique. Ce n’est pas Toute la dialectique. Ce n’est pas sa vérité intrinsèque, son principe. Ce
n’est qu’un simple moment de son existence. C’est donc un concept à relativiser.
*
Nous devons nous situer par rapport à l’animal. Nous les hommes. Nous ne sommes ni des
prédateurs, ni des proies. Nous n’entrons pas dans ces catégories, ou en tout cas nous n’y adhérons
pas absolument. Qu’est-ce à dire ? Serions-nous donc en dehors de l’être, en dehors de l’assignation
à un état déterminé ?
Réflexion : j’ai toujours été impressionné par le courage des dompteurs du cirque face aux
fauves. Je ne sais comment ils parviennent ainsi à subjuguer la psychologie agressive de ces
animaux. Ou l’instinct. Je n’emploie jamais les mots dans un sens normatif prédéfini. Je ne veux
pas les enfermer dans une logique béate et triomphante. Je préfère me laisser guider en aveugle par
eux. Ce sont eux les mots qui me montrent la voie, moi je ne sais rien et même je ne suis rien, sans
eux. Ils sont aussi l’élément du lien social, voire du lien vital, avec l’autre que moi. Pas seulement
l’autre humain, mais aussi l’autre animal, et plus généralement tout l’environnement.
Les mots : agents de liaison avec et de structuration propre. Je suis un dompteur de mots.
Comme le dompteur de fauves, je pense qu’il faut savoir faire alliance avec eux, ne pas faire sentir
une volonté de domination, une contrainte – qui ne pourrait que rencontrer son image en miroir.
Une volonté opposée. Mais travailler à mettre en harmonie les volontés, sans autre but que l’égal
règne de tous, l’égal assouvissement du désir de prédation et de domination. Chacun à sa place.
Mais les places doivent être respectées. Les fauves ont l’instinct du respect des places – ou des
classes. En un sens ce sont des bêtes hiérarchiques. Mais pourquoi l’homme lui prend-il
systématiquement la place du trône dans le règne animal ?
Je n’aime pas le cirque, payer pour voir des gens prendre des risques, c’est un plaisir
« bourgeois » qui ne me convient pas. Mais j’ai des souvenirs d’enfance. Mon père m’emmenait au
cirque. Et puis j’ai vu des scènes à la télé ou ailleurs.
*
Cette nuit j’ai fait un rêve. Je me disputais plus ou moins avec une jeune femme qui voulait que
j’écrive quelque chose, mais je voulais l’écrire à ma façon – et elle voulait m’imposer un ordre de
composition. Je ne sais trop quoi, une logique… Je suis rebelle à tout cela. À la fin et cela m’a
réveillé, elle revient avec un chien de combat, un pit-bull qu’elle me lance à la figure. Je me défend
en lui opposant mes lettres, ma valise pleine de mots et de vents.
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Ceci m’amène à poser la question suivante : qu’est-ce que l’Esprit ?
Il me faut bien tenter de répondre à cette question. Je suis assigné à cette tâche. Comme un
esclave. J’ai ma gouvernante. Elle ne me laisse pas en paix. L’Esprit est au-delà de toute logique, de
toute dialectique. Il transcende la lutte. Dans un monde sans esprit, règne le mal, la misère et le
malheur. L’homme doit régner par l’esprit, et curieusement, c’est le seul animal qui en soit capable.
Le seul animal capable de transcender sa condition. Et donc capable aussi de changer l’histoire, sa
logique meurtrière. Refuser la guerre.
Oui mais l’alliance avec l’être n’implique-t-elle pas l’acceptation de la guerre ? Puisque la guerre
est le principe même de l’être, de sa dialectique intrinsèque. Être et non-être, c’est encore de la
dialectique. Refuser l’assignation c’est encore de la dialectique. Dire que l’être est sans assignation
définissable a priori. Arriver à ce point où l’assignation se perd (par exemple l’appartenance de
classe, de genre, de race, d’espèce). C’est assumer pleinement enfin ce que nous sommes vraiment,
nous les hommes. Quoi ?
La science échoue dans son effort – louable – pour atteindre le Réel. Parce qu’elle est toute
entière dans une logique d’assignation. La vérité est ailleurs. Nous ne devons nous laisser enfermer
dans aucun système. C’est très important. D’où ma critique du freudisme et du marxisme. Systèmes
devenus à présent largement obsolètes. Ce qui ne signifie pas qu’ils n’aient pas approché, jamais, la
vérité par quelque bord. Ils l’ont fait. Mais à vouloir la revendiquer toute entière, toute nue, toute
dévoilée, ils l’ont finalement bafouée et rendue méconnaissable.
Quel est ce but suprême à atteindre ? Pourquoi vouloir lui donner un nom, le définir a priori ? On
pourrait l’appeler « surhomme », « esprit », « grâce », « libération ». Mais de fait ce but à atteindre
c’est ce qui nous reste à être, à faire être, à construire, à devenir. Et nous ne savons pas encore – a
priori – ce que cela est vraiment. Nous ne pouvons pas le savoir. Comment faire alors ?
Que faire ? Disait Lénine dans un célèbre pamphlet écrit peu avant la révolution soviétique de
1917. Une révolution ensuite revendiquée comme « communiste » puis « russe ». Mais qui n’était
alors dans sa vérité intérieure ni l’une ni l’autre. C’est pour cela qu’elle peut encore d’ailleurs
figurer comme modèle et inspirer l’action concrète au présent.
L’humanité a connu déjà en effet, dans son long âge, plusieurs moments de libération. Nous ne
sommes pas nés d’hier. Nous reconnaissons les apports du Bouddha et d’autres de son type assez
courant en Inde. Les apports de Socrate, type plus singulier, plus individuel. Ceux des premiers
chrétiens se réclamant d’un certain enseignement divin ou révélation, attribuée à un nommé Jésus
dont tout nous porte à croire qu’il n’est qu’une figure fictive, ou bien arrangée (en forme de
messie). Etc… L’histoire n’arrête pas, et l’esprit qui la meut non plus. Il est toujours là présent, cette
force, ce moteur qui nous empêche d’être simplement ce que nous sommes. De coïncider avec nous
même.
Je le disais : nous brûlons. Nous sommes pour le devenir. L’homme n’est pas la fin de l’homme.
*
Cette nuit je me suis réveillé. J’ai fait un nouveau rêve. Une certaine « Chantal de Grâce »
chantait des hymnes – divins – à la radio. Il ne suffit sans doute pas de se convertir, mais tous les
chemins sont bons pour parvenir à la paix. Construire la paix. Le Royaume doit descendre du Ciel
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sur la Terre. Sans fanatisme, sans délire et sans violence. Mais avec fermeté et courage, sans quoi
rien n’est possible.
Bhagavad-Gîtâ. C’est le « chant divin », le chant extraordinaire qui s’ouvre dans le Mahâbhârata,
la grande épopée indienne, quand Arjuna se détourne de la guerre. Un peu comme Achille dans
l’Iliade. Figures du guerrier refusant le combat. Les raisons ne sont pas les mêmes, mais le résultat
est très proche. Le cocher qui est le dieu Vishnou, alias Krishna sous son apparence d’avatar,
illusion ou incarnation. Passage du plan du rêve à celui de la réalité. Le cocher d’Arjuna, puisque
nous sommes ici dans un contexte où la guerre se fait sur des chars. C’est une guerre à roulettes, du
moins pour les nobles, les gens de la haute. La plèbe elle se bat toujours les pieds dans la fange.
C’est à ça qu’on la reconnaît.
Quand Arjuna se détourne de la guerre, parce qu’il refuse de combattre ses cousins ou ses
semblables, ses proches. Son cocher le convainc de reprendre les armes en lui brossant un tableau
sublime de la guerre, en forme de destin tragique. Cela pourrait être l’argument d’un opéra à la
mode wagnérienne. Selon Krishna le cocher, la véritable éthique consiste à accepter ce destin
tragique, à s’y soumettre. C’est l’éthique du combattant. Ce dont nous avons encore quelque relent
au Japon et dans les sports de combat. Arjuna se laisse convaincre, obéissant au point de vue de
l’auteur de ce récit : la guerre est inévitable. Là-dessus les dieux ont bon dos pour la justifier. Cette
justification est un tour de passe-passe dont la ficelle est tout de même assez grosse. Homère est
plus sévère, plus juste – plus réaliste. Aucun dieu chez lui ne vient relever la guerre de son caractère
infâme et furieux. Arès est le pire de tous les dieux, tout le monde le hait. Et Achille ne revient au
combat que pour venger la mort d’un compagnon. Pas pour se soumettre à un prétendu destin. Chez
Homère ce sont les raisons humaines qui l’emportent. Les dieux ne sont là que pour faire décor.
Nous sommes déjà dans un univers largement désenchanté. Homère est très moderne.
La Bhagavad-Gîtâ indienne est un chant inventé pour complaire à l’esprit de la caste guerrière et
noble. Je veux lui enlever un peu de son pouvoir séducteur. Il faut se rappeler que Bouddha et ses
pareils (comme les Jaïns) appartiennent à la classe noble ; leurs actes et leurs enseignements sont
dans la continuité de cette doctrine très ancienne du détachement glorieux ou/et sacrificiel. C’est ce
que l’on appelle aussi « voie du guerrier ». Une éthique paradoxale qui comme telle est parfois
reprise à leur compte aujourd’hui par les voyous ou les gangs organisés. Par là en effet on peut tout
justifier, y compris le crime. Méfions nous des chants sublimes. Ou des « chants de grâce ». Je suis
un être dialectique. Je me pense en me dépensant… et la Terre tourne.
Héraclite nous a prévenu : nous devons tous brûler. Mais je suis rebelle aux devins comme aux
prophètes et aux rationalistes. Tous ceux qui nous représentent notre destin comme tracé à l’avance
– obligation ou nécessité. L’homme pieux dans l’antiquité était celui qui se soumettait à la loi des
dieux (i.e. au destin). Je fais moi partie des rebelles. Ce que je vois surtout c’est que la femme est
toujours par métaphore la cause du désir, telle Eve pour Adam ou Hélène dans la Guerre de Troie.
On peut l’appeler Félicité ou Chienne, derrière ses masques divers c’est toujours la même. Me voilà
donc revenu à mon point de départ : comme je suis sorti du ventre d’une femme, j’y retourne…
On n’avance jamais qu’en retournant en arrière.
Si toutes ces considérations ne sont que creuses vanités, il vaudrait mieux sans doute que je me
taise – et définitivement. Et que je fasse aussi enfin le deuil de La femme qui n’existe pas. Mais
sacrifier le rêve et le fantasme, sacrifier l’art et la beauté ? Au nom de quoi encore, de quel dieu, de
quelle raison, de quelle vérité partielle et boiteuse ? La porte est vraiment étroite par laquelle je
prétends pouvoir faire passer le chameau de mon âme. Et comme Bouddha l’a dit, il ne suffira pas
de faire des dévotions ou des jeûnes de pénitence les plus sévères. Par la loi je suis condamné ajoute
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Paul l’avorton (le dernier né des apôtres chrétiens). L’obéissance à la loi, c’est l’obéissance à la
condamnation.
Réveil – Libération – Grâce. Mais d’où tout cela vient-il ?
C’est un mystère dans le sens le plus absolu du terme. À chacun donc de le rencontrer et de s’en
faire une idée. Il n’y a ni science ni savoir là dessus. C’est une dure limite. Il faut avancer, oser
avancer, sans savoir. Mais non sans désir.
By...
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CONSCIENCE
La conscience est quelque chose de secondaire. Avant que je ne sois conscient, je suis. C’est sans
doute de là, de cette obscure perception ou intuition, que m’est venu l’idée d’ « alliance ». Alliance
avec l’être, c’est-à-dire d’abord avec le corps. Mon corps me précède. Il est avant que je ne sois.
Cela répond à l’assertion freudienne : Wo es war soll ich werden (le je doit advenir là où était le ça).
C’est en continuité avec l’orientation hyper rationaliste de l’entreprise psychanalytique. Sigmund
Freud croyait fermement au progrès de la science – croyance quasi religieuse. C’est en relation avec
l’esprit de son temps, et à l‘opposition entre rationalistes-matérialistes (progressistes) vs idéalistestraditionalistes (réactionnaires). Cela a amené Freud à soutenir un temps la révolution bolchevique,
parce qu’elle se situait dans le camp de la raison positive et matérialiste.
Moi je ne veux pas prendre la place du ça, ou régner dessus. Je préfère la voie de l’alliance à
celle de la domination. Je ne veux pas encore répéter la dialectique du maître et de l’esclave. Et puis
je considère que le corps possède infiniment plus de profondeur, de vérité, que ma conscience, qui
n’est qu’un artefact superficiel, un simple écran sensible. La vérité n’est pas inscrite dans cet écran,
mais dans le corps de l’être d’où émane la lumière qui vient toucher l’écran. Le corps inconscient.
À partir de ce lieu du corps inconscient, je peux aussi entrer en connivence, en entente, avec le
monde et ses habitants, animaux ou végétaux. Car eux aussi existent à partir de leurs corps. Tous les
corps vivants sont en harmonie, en relation harmonique. Les liaisons peuvent se faire de façon
chimique, par voie olfactive, avec des phéromones, ou par la voix, par l’ouïe, par le bruit, la vision,
les couleurs, le dessin. Tout ce qui peut émaner du corps est signe. Nous humains nous n’avons pas
inventé le signe. La nature est un grand livre ouvert. Je crois que c’est une réflexion de Galilée.
La nature (ce qui est) parle. C’est pourquoi la science est capable de la lire – ou de l’entendre. Il
suffit d’écouter. Premier pas sur le chemin de l’alliance : l’Écoute.
Science sans écoute n’est qu’illusion.
Ce que je voudrais, c’est que l’être – la nature – parle à travers moi : lui donner la parole. Une
autre façon de comprendre et de réaliser le programme freudien. Il ne s’agit plus de prendre la place
du ça, de vaincre l’inconscient. Triomphe de la science et de la conscience sur les monstres obscurs
de la nuit. Cela c’est un fantasme paranoïaque. Il s’agit de devenir ce que nous sommes, en cessant
d’être ce que nous croyions être. Cette simple surface de contact. Faire un trou dedans, et regarder à
travers. Ce qui signifie à proprement parler : d’abord devenir aveugle. Œdipe à l’envers.
Œdipe vous savez, c’est ce type qui s’est crevé les yeux. Triomphe de l’inconscient. C’est aussi
bien quelque chose que l’on retrouve dans la philosophie de Socrate – celui qui ne savait pas. Il faut
commencer par devenir aveugle, voilà la voie véritable de la connaissance. Con-être = être avec.
Rejoindre son essence, communier avec l’Un.
*
Une de ces dernières nuits j’ai rêvé que je me baladais dans la circulation, entre chiens et
voitures. Objets artificiels animés, automobiles, et êtres vivants autonomes, animaux. Les chiens
quoique plus fragiles, étaient bien supérieurs aux voitures, et ils exprimaient leur mépris en pissant
dessus. Nous pouvons construire des robots en apparence autonomes, et même les munir d’une
Intelligence Artificielle (AI), le nouveau rêve hyper-technologique à la mode – je pense à Elon
Musk, le grand ami de Donald Trump. Ces machines ne seront jamais des êtres autonomes : elles
n’auront pas leur principe en elles-mêmes. Ce ne seront jamais que des fabrications ; les Grecs de
l’antiquité savaient déjà fabriquer d’ingénieux automates qui faisaient l’admiration des foules,
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notamment dans certains temples pour abuser les fidèles (les portes qui s’ouvrent toute seule, une
flamme qui apparaît, etc). À présent les clients sur les marchés économiques ont remplacés les
fidèles. Les prouesses technologiques fascinent et on se vante de posséder le dernier objet à la
mode. La dernière magie.
C’est de l’illusionnisme, comme les programmes pour aller coloniser la planète Mars.
*
Le temps des systèmes philosophiques généraux, ready-made, prêts-à-porter, est révolu. C’est à
chacun selon ses mesures et ses forces, sa situation, sa conscience, de prendre ses responsabilités.
Aucun programme à suivre ne nous montre la lumière au bout du tunnel. Il faut y mettre du sien, se
retrousser les manches et creuser. Il n’existe pas de solution générale, universelle, adaptée à tous les
publics. Le monde est si complexe, si... Immense ! On ne pourra jamais le mettre en boîte.
L’enfermer dans une équation. Et c’est tant mieux, c’est une chance : la liberté. La liberté nous est
donnée. Cadeau des dieux. Évidemment il faut l’assumer, et elle peut s’avérer lourde à porter, ou
amère. Comme la beauté.
Nous ne vivons pas au pays des Bisounours, la vie donne des leçons souvent assez rudes. Il faut
apprendre à se défendre contre l’adversité – et les adversaires. Il y en a toujours. Cela me fait penser
à la démocratie américaine, celle des USA : la démocratie armée. En France où je vis, les citoyens
sont désarmés, c’est la police qui porte les armes et fait la loi. Mais en quelque sorte nous sommes
dépossédés de notre citoyenneté. Pas de pouvoir sans arme. Un homme désarmé est un homme
impuissant. Cela a bien évidemment des connotations sexuelles. Mais il ne faut pas s’obnubiler làdessus, ce n’est qu’une coïncidence. On peut donner à tout et à n’importe quoi un sens sexuel. Ce
n’est jamais que du sens. La vérité ce n’est pas que du sens. C’est un réveil.
Le sens endort.
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LUMIÈRE
Un seul mot et tous les destins semblent abolis. Venue de n’importe où toujours déjà partie. Tu
surprends les enfants dans leur sommeil. Tu passes à travers les murs. Rien ne t’échappe, mais rien
ne t’appartiens. Reine du sabbat, fée du logis. Tu fus appelée Athéna, Diana ou Zina… Zina Pallas
est un personnage de L’Invasion Divine, un roman de prospective mentale de Philip K. Dick 10. Cet
auteur me revient souvent en mémoire, il est comme un élément indissociable de ma propre
conscience. Un repère fixe autour duquel je tourne, mais non par choix. D’une façon ou d’une autre
je me retrouve toujours dans son orbite, c’est étrange. Je m’y suis vu conduit par bien des voies.
L’appellation de Science Fiction pour qualifier son œuvre est inadéquate, particulièrement quand
il s’agit de la Trilogie Divine et sa nébuleuse. Je ne crois pas pouvoir aller plus loin que lui dans la
folie et l’écriture. Seulement dans les miennes, éventuellement. Mais je suis tel une chouette en
plein jour…11 Nous décodons des informations : lumière, son, langage, rythmes. Il y a des
correspondances. Et une unité transcendante qui enveloppe tout, ou plutôt qui est le cœur de tout.
Enfin, c’est la même chose : le cœur et le cercle, le centre et la périphérie. PKD expliquait cela
comme un hologramme : les informations qui nous viennent de la peau, le cercle, sont enregistrées
et reformulées de façon synthétique dans le cœur, le foyer de l’être que je ne saurais pas mieux
nommer que comme « Je suis ».
Nous sommes peut-être immortels dans un certain sens. Comme la lumière qui survit à la
disparition de son propre corps d’émanation. PKD a été un technicien de matériel audiophonique, il
a travaillé dans la diffusion radio – et la musique. Cela m’intéresse fort. J’ai été joueur de guitare,
remarqué parfois, enfin rarement. Mais il suffit d’un moment extraordinaire où on « trouve » la
bonne expression, en impro évidemment, enfin en ce qui me concerne. Je ne sais pas me répéter.
Musique, son, lumière : il y a des continuités. L’aveugle entend, le sourd voit. Et nous pouvons
ainsi traverser des frontières inédites, inconscientes. Y compris le temps et l’espace.
La question essentielle pour PKD si je peux me permettre de l’interpréter serait : quelle est la
source de l’information principale, le noyau informatif ou informateur (qui donne son unité et sa
cohérence au monde, au-delà des apparences et des simulacres) ? Nous pourrions l’appeler Big
Bang. C’est une simple suggestion. Le lieu originaire de l’énergie créative.
Lieu – Temps – Énergie. Ce lieu origine (le point O pointé = ʘ) est pourtant toujours présent et
actif. L’histoire n’est que l’écho de son explosion. Mais qu’est-ce que cela, cette explosion toujours
présente et active dans notre monde le plus quotidien ?
L’éternité. Un simple mot qui ne dit pas grand-chose au fond, qui n’explique pas grand-chose. Je
l’ai dit, je suis comme une chouette surprise dans la lumière du plein jour. Identité et différence.
Réveil. S’il n’y avait pas de différence, il n’y aurait jamais de réveil. Quoi le réveil ?
Identité : « Je suis ».
*
La lumière est un code. Il faut la voir comme on écoute une portée musicale. Entendre avec les
yeux, goûter avec les oreilles. Comment Beethoven entendait-il la musique ?
10 Voir sur Babelio : bibliographie, critiques, citations, vidéos - https://www.babelio.com/auteur/Philip-K-Dick/58279
> Une approche psychanalytique (les conclusions sont à relativiser, mais le travail pour relever les faits et les
références est indéniable) Nicolas Brémaud : Le délire paraphrénique de Philip K. Dick, l'homme reprogrammé Dans L'en-je lacanien 2011/1 (n° 16), pages 143 à 171 https://doi.org/10.3917/enje.016.0143
> Et l’incontournable Wikipédia, pas mal foutu ici : https://fr.wikipedia.org/wiki/Philip_K._Dick
11 https://philipdick.com/mirror/websites/pkdweb/THE%20OWL%20IN%20DAYLIGHT.htm
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Revenir à la source comme le saumon remonte la rivière… mourir pour renaître, indéfiniment.
Cycles et passages, continuités et ruptures. Langage et dialectique, rythmes et longueurs d’onde.
Nous étions dans un univers qui contient toujours la mémoire de son origine. Être et devenir.
Telle une chouette surprise en plein jour.
Les aveugles voient, les sourds entendent, les estropiés marchent, les manchots maçonnent, les
édentés rient, les fous comprennent ce que les sages ignorent. Mais qu’y a-t-il donc à savoir ? Le
rêve d’une vie.
Je voudrais être un passeur de lumière. Symboles. Arcanes. Chiffres. Remonter à la source
encore. Délice, envolée : hélice. Comme une spirale ouverte par-delà le temps et l’espace. Il ne
s’agit pas de fuite hors du monde, mais de compréhension et de contemplation. De
complémentation. Chaque fois nous ne voyons qu’une partie du tout, c’est tout à fait normal et
logique. Mais il existe d’autres dimensions. Nous ne sommes qu’un reflet, un fragment du prisme.
Nous pourrions rester enfermés dedans. En devenir les otages. C’est un vrai danger. C’est
pourquoi nous avons besoin de nous rappeler qu’il existe des au-delà. Et même avoir le courage de
le dire, de le formuler. Contre toutes ces tentatives d’asservissement et de domination. Nous devons
croire en la possibilité d’une libération. Et en être les agents. Secrets ou non, peu importe.
Voici une clé :
ΙΧΘΥΣ –
Cela n’ouvre pas toutes les portes, mais c’est une bonne introduction, un bon sauf-conduit.
C’est un symbole. Qu’est-ce que cela signifie ? C’est très simple et il n’y a aucun mystère. Cela
signifie… VIE. Sens premier et originaire. Il n’y en a pas d’autres. Vous pouvez aller chercher au
fond des grottes paléo – aller vérifier. C’est écrit avant l’histoire. Mais nous sommes aveuglés,
comme une chouette en plein jour. Nous avons accumulé trop de savoirs inutiles, trop de sens. Nous
ne savons plus comprendre et sentir – être simplement. Aujourd’hui, dans nos sociétés hypertechnologiques, être est devenu un vrai objectif en soi, un vrai travail à temps plein.
Personnellement en tout cas, je n’ai pas d’autres projets. Enfin ça peut venir, je ne suis pas non plus
fermé aux nouveautés, mais j’aime me laisser surprendre. Prévoir la suite m’ennuie d’avance.
PS : L’Empire quant à lui est bel et bien fini.
Alain R – Toulouse, le 05-05-2024
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