La directive Oiseaux quarante ans après : des résultats
encourageants et des espoirs à concrétiser
Julien Bétaille
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Julien Bétaille. La directive Oiseaux quarante ans après : des résultats encourageants et des espoirs à
concrétiser. Revue semestrielle de droit animalier, 2020, n° 2, pp.305-336. �hal-03148916�
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La directive Oiseaux quarante ans après :
des résultats encourageants et des espoirs à concrétiser.
BÉTAILLE JULIEN
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Revue Semestrielle de Droit Animalier – RSDA
2/2020
TRIBUNE CONTRADICTOIRE
La directive oiseaux quarante ans après :
des résultats encourageants et des espoirs à concrétiser
Julien BÉTAILLE
Maître de conférences
Université Toulouse 1 Capitole
(IEJUC EA 1919)
La directive concernant la conservation des oiseaux sauvages n’a pas échappé
à un certain nombre de difficultés d’application depuis son adoption par la
Communauté européenne le 2 avril 1979 1. Pour autant, plus de quarante ans
après, elle a produit d’importants résultats en faveur de la protection des
espèces d’oiseaux et a permis de déjouer d’importantes résistances. Si elle
n’a pas renversé la tendance au déclin des populations d’oiseaux, elle
comporte encore en son sein un potentiel peu exploité. En somme, la
directive Oiseaux a porté ses fruits mais la récolte n’est pas terminée.
Lorsqu’en 1973 la communauté européenne adopte son premier programme
d’action en matière d’environnement, la situation des populations d’oiseaux
vivant à l’état sauvage est d’emblée perçue comme préoccupante. Est alors
décidé la mise en place d’une politique comportant « des mesures permettant
d'éviter la destruction massive d'oiseaux » 2 et une harmonisation des
législations nationales est tout de suite envisagée. Un an plus tard, la
Commission européenne constatera, de manière plus documentée, la
régression de nombreuses espèces d’oiseaux en Europe, 58 d’entre elles étant
alors menacées d’extinction 3. Elle recommandait alors aux États-membres
1
Directive n° 79/409 du 2 avril 1979 concernant la conservation des oiseaux sauvages
(JOCE n° L 103 du 25 avril 1979).
2
Déclaration du Conseil des Communautés européennes et des représentants des
gouvernements des États membres réunis au sein du Conseil, du 22 novembre 1973,
concernant un programme d'action des Communautés européennes en matière
d'environnement (JOCE n° C 112/1 du 20 décembre 1973).
3
V. la recommandation de la Commission du 20 décembre 1974 aux États membres
relative à la protection des oiseaux et de leurs habitats (JOCE n° L 21/24 du 28 janvier
1975).
305
Tribune contradictoire
d’adhérer à la convention de 1950 pour la protection des oiseaux 4 mais cette
recommandation constituait déjà les prémices de la directive Oiseaux.
L’année 1979 sera déterminante pour la protection des oiseaux. Quelques
mois avant l’adoption de deux conventions internationales majeures dans ce
domaine, celle de Bonn et de Berne 5, la directive Oiseaux est adoptée par la
Communauté le 2 avril. Cela constitue en soi un petit miracle dans la mesure
où la Communauté n’avait à l’époque aucune compétence en matière
d’environnement. Il a alors fallu recourir à la clause de flexibilité de l’article
235 du traité de Rome et justifier la directive par le caractère transfrontalier
de la protection des oiseaux. Néanmoins, une fois entrée en vigueur, « la
directive a cristallisé les oppositions au développement d’une politique
communautaire de l’environnement. La rédaction particulièrement imprécise
de la directive est à l’origine de graves difficultés et retards de mise en œuvre
et d’un contentieux fourni » 6. Au prix de nombreux recours en manquement
introduits par la Commission devant la Cour de justice, la directive s’est
pourtant progressivement imposée. Après avoir fait l’objet d’une codification
en 2009 7, et malgré l’expression constante d’oppositions, la légitimité de la
directive Oiseaux est ressortie renforcée du « fitness check » mené par la
Commission européenne en 2016 8.
Le contenu de la directive peut-être brièvement résumé. Applicable à toutes
les espèces d’oiseaux 9, la directive fixe comme objectif général d’en
« maintenir ou adapter la population » 10 et protège plus de 460 espèces
d’oiseaux 11. Alors que l’article 3 concerne la protection de l’habitat des
oiseaux, l’article 4 prévoit des mesures de conservation spéciale concernant
4
Convention internationale pour la protection des oiseaux conclue à Paris le 18
octobre 1950. Cette convention a remplacé la convention de Paris du 19 mars 1902
pour la conservation des oiseaux utiles à l’agriculture.
5
Convention de Bonn du 23 juin 1979 sur la conservation des espèces migratrices ;
Convention de Berne du 19 septembre 1979 relative à la conservation de la vie
sauvage et du milieu naturel de l’Europe. V. Sandrine Maljean-Dubois, La protection
internationale des oiseaux sauvages, Thèse, droit, Aix-Marseille 3, 1996.
6
Eve Truilhé-Marengo, Droit de l’environnement de l’Union européenne, Larcier,
2015, p. 326.
7
Directive n° 2009/147/CE du Parlement européen et du Conseil du 30 novembre
2009 concernant la conservation des oiseaux sauvages (JOUE n° L 20 du 26 janvier
2010).
8
Commission européenne, Fitness check of the EU Nature legislation (Birds and
Habitats Directives), Bruxelles, 16 décembre 2016, SWD(2016) 472 final.
9
L’article 1er fait référence à « toutes espèces d’oiseaux vivant naturellement à l’état
sauvage sur le territoire européen des États membres ».
10
Article 2 de la directive Oiseaux.
11
European Environment Agency, State of nature in the EU – Results from reporting
under the nature directives 2013-2018, EEA Report, n° 10/2020, p. 14.
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l’habitat des espèces de l’annexe I et des espèces migratrices, principalement
par la création de zones de protection spéciale (ZPS). Un régime général de
protection de toutes les espèces d’oiseaux (interdictions de tuer, capturer
intentionnellement, détruire, endommager, perturber, détenir, etc.) est ensuite
mis en place par l’article 5 12. Si les espèces de l’annexe I sont strictement
protégées, celles de l’annexe II « peuvent être l’objet d’actes de chasse »,
mais sans « compromettre les efforts de conservation entrepris dans leur aire
de distribution » 13. L’article 7 interdit également la chasse durant certaines
périodes (période nidicole, reproduction et dépendance) et, s’agissant
spécifiquement des espèces migratrices, elles ne peuvent être chassées
pendant « leur période de reproduction et pendant leur trajet de retour vers
leur lieu de nidification ». L’article 8 fixe les règles applicables à la chasse,
interdisant particulièrement les « moyens, installations ou méthode de capture
ou de mise à mort massive ou non sélective ou pouvant entraîner localement
la disparition d’une espèce ». Enfin, un dispositif de dérogation aux
dispositions des articles 5 à 8 est prévu par l’article 9, à condition qu’il n’y ait
pas « d’autre solution satisfaisante » et que la dérogation soit justifiée par un
des motifs listés par cet article. Ces dispositions ont progressivement été
transposées par les États-membres. En France, les éléments essentiels de la
protection des espèces d’oiseaux résident dans le statut d’espèces protégées et
dans une partie du droit de la chasse 14.
Quarante ans après l’adoption de la directive, la situation des oiseaux dans
l’Union européenne est toujours préoccupante. Le récent rapport de l’Agence
européenne de l’environnement sur l’état de la nature dans l’Union
européenne fait état d’une dégradation des indicateurs s’agissant des
populations d’oiseaux 15. Ainsi, moins de la moitié de toutes les espèces
d’oiseaux sont dans un bon état de conservation au sein de l’Union
européenne 16. Concernant les oiseaux sauvages, « seulement 47% des
populations sont dans un état favorable, contre 52 % lors de la publication du
précédent rapport en 2015 »17. La situation se dégrade puisque la proportion
d’espèces classées en bon état de conservation a baissé de 8% pour les
12
L’article 6 de la directive porte sur l’interdiction du commerce des espèces des
annexes I et II.
13
Article 7 de la directive Oiseaux.
14
Articles L. 411-1 et s. ; L. 424-1 et s. du code de l’environnement ; Arrêté du 29
octobre 2009 fixant la liste des oiseaux protégés sur l'ensemble du territoire et les
modalités de leur protection (JORF n°0282 du 5 décembre 2009).
15
European Environment Agency, State of nature in the EU – Results from reporting
under the nature directives 2013-2018, EEA Report, n° 10/2020, p. 5.
16
European Environment Agency, ibidem, p. 14.
17
Perrine Mouterde, « Plus de la moitié des oiseaux sauvages en mauvais état de
conservation dans l’UE », Le Monde, 20 octobre 2020.
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Tribune contradictoire
espèces de l’annexe I et de 9% pour les espèces de l’annexe II 18. Le rapport
met également en évidence les principaux facteurs ayant un effet négatif sur
les populations d’oiseaux 19. Il s’agit en substance de l’intensification de
l’agriculture, de l’urbanisation et des diverses activités de développement, de
l’exploitation forestières et de la chasse.
L’étendue de la période écoulée depuis l’adoption de la directive, de même
que l’accumulation de données scientifiques et juridiques, permet aujourd’hui
d’envisager dresser un bilan de l’application de la directive Oiseaux. On se
concentrera néanmoins à titre principal sur la protection des espèces
d’oiseaux, laissant de côté la question de la protection de leurs habitats.
Même si cela a pris plus de temps qu’initialement prévu 20, un vaste réseau de
zones de protection spéciales est désormais en place au sein de l’Union
européenne, auquel s’ajoute le reste du réseau Natura 2000, étant également
entendu que l’ensemble des aires protégées contribuent à la protection de
l’habitats des oiseaux 21. S’il n’est pas possible, dans le cadre de cet article, de
dresser un état des lieux détaillé de l’application de la directive, il s’agit plus
modestement de proposer une image dynamique de la contribution de
l’application de la directive à la protection des oiseaux. Il est ainsi possible de
se demander quels sont les principaux apports de la directive à cette
18
European Environment Agency, State of nature in the EU – Results from reporting
under the nature directives 2013-2018, EEA Report, n° 10/2020, p. 26.
19
Le rapport liste la conversion et drainage des terres agricoles, les activités de loisirs
et le développement qui détruisent les sites de reproduction, d'hivernage et de repos
des oiseaux et provoquent des perturbations, les pratiques forestières non durables, y
compris la réduction des forêts anciennes, qui constituent une pression majeure pour
les oiseaux nicheurs dépendant de la forêt ainsi que la mise à mort et la chasse
illégales constituent une menace importante pour les oiseaux hivernants (European
Environment Agency, State of nature in the EU – Results from reporting under the
nature directives 2013-2018, EEA Report, n° 10/2020, p. 14).
20
Sur le contentieux européen de la désignation de ces zones en France, v. CJCE, 18
mars 1999, Commission c. France, C-166/97 ; 25 novembre 1999, Commission c.
France, C-96/98 ; 7 décembre 2000, Commission c. France, C-374/98 ; 26 novembre
2002, Commission c. France, C-202/01. Sur la protection des habitats au titre de la
directive Oiseaux, v. Pascale Steichen, « Les petits oiseaux contre les grands projets :
quelles activités économiques dans les zones de protection spéciale ? », in Des petits
oiseaux aux grands principes – Mélanges en hommage au Professeur Jean
Untermaier, Mare & Martin, 2018, p. 643.
21
Par exemple, les réserves naturelles sont efficaces pour la protection des oiseaux
communs : « alors que les populations d’oiseaux communs ont baissé en moyenne de
6,6 % sur le territoire métropolitain entre 2004 et 2018, elles augmentent sur la même
période de 12,5 % dans les Réserves naturelles » (Réserves naturelles de France,
« Les Réserves naturelles, efficaces pour éviter la disparition des oiseaux communs »,
Communiqué,
Dijon,
le
9
octobre
2019 :
www.reservesnaturelles.org/sites/default/files/news/2019_10_cp_effet_reserve_stoc.pdf).
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protection, que ce soit de manière rétrospective en soulignant les principaux
succès de son application (I), mais aussi de manière prospective en essayant
de recenser les principaux défis auxquels est confronté l’application de la
directive (II), singulièrement dans le contexte français.
I. Les succès de l’application de la directive Oiseaux
En dépit de la dégradation de l’état des populations d’oiseaux dans l’Union
européenne, il existe plusieurs motifs de se réjouir en examinant l’application
de la directive Oiseaux. D’une part, sur le plan factuel, il a pu être démontré
que la directive avait des effets bénéfiques sur les populations d’oiseaux (1).
D’autre part, sur le plan juridique, la directive a été pleinement appliquée par
le juge administratif en dépit de la forte résistance déployée par les autorités
françaises (2).
1. Les effets bénéfiques de la directive sur les populations d’oiseaux
Le mauvais état de conservation de bon nombre d’espèces d’oiseaux dans
l’Union européenne ne doit pas conduire à tirer des conclusions hâtives
s’agissant de l’(in)efficacité de la directive Oiseaux. En effet, le mauvais état
de l’environnement n’implique pas nécessairement que l’on puisse en déduire
l’inefficacité du droit de l’environnement 22. La directive Oiseaux constitue à
cet égard un bon exemple. Celle-ci a produit des effets positifs mesurables
(A), mais un certain nombre de contre-effets portent atteinte à la conservation
des oiseaux (B), ce qui explique que l’état de conservation ne soit pas
satisfaisant.
A. Des résultats positifs mesurables
Le statut d’espèce protégée dont bénéficient de nombreuses espèces
d’oiseaux est souvent considéré comme efficace. Ainsi, selon Serge Muller,
Président du Conseil national de la protection de la nature et professeur au
Museum national d’histoire naturelle, « la protection règlementaire des
espèces reste une réponse efficace face aux pressions qu’elles subissent, (…),
à condition qu’elle soit effectivement appliquée » 23. C’est également le point
22
Ce type de raccourci est malheureusement fréquent. V. par exemple D. Bourg, « A
quoi sert le droit de l’environnement ? Plaidoyer pour les droits de la nature », Les
cahiers de la justice, Dalloz, n° 3, 2019, p. 407.
23
Serge Muller, Président du Conseil national de la protection de la nature et
professeur au MNHN, in INPN 2019. La biodiversité en France—100 chiffres
expliqués sur les espèces. UMS PatriNat (AFB-CNRS-MNHN), Paris.
309
Tribune contradictoire
de vue exprimé par Jean Untermaier en 1987 24 puis, plus récemment, par
Simon Jolivet. Ainsi, si l’on prend comme référence l’objectif premier du
droit de la protection des espèces, à savoir éviter la disparition des espèces,
« l’efficacité du statut d’espèce protégée a été réelle : les espèces ne
disparaissent pas ou peu en France, et certaines d’entre elles autrefois au bord
de l’extinction ont été sauvées » 25. Concernant les oiseaux, « seules deux
espèces sont aujourd’hui considérées comme disparues en France depuis
1976 (le Traquet rieur et le Pluvier guignard). Au contraire, les populations
de rapaces nicheurs, tombées à des niveaux très bas dans les années 1970, ont
progressivement recouvré une partie de leurs effectifs. Des oiseaux
hivernants qui survivaient difficilement en France, tels que les hérons
cendrés, grues cendrées, cigognes blanches et spatules blanches, ont
également vu leurs effectifs progresser depuis leur protection » 26.
Néanmoins, l’auteur souligne à juste titre que « de nombreuses autres espèces
autrefois plus communes ont vu leurs effectifs décliner de manière
inquiétante » 27. Nous y reviendrons car il s’agit là du principal enjeu
contemporain, à savoir la lutte contre le déclin des effectifs au sein des
populations d’oiseaux.
Un constat assez proche a pu être également réalisé dans d’autres États. Par
exemple, une étude scientifique a montré, s’agissant de plusieurs États
d’Europe de l’Est, que la tendance de l’état de conservation des oiseaux est
significativement meilleure s’agissant des espèces protégées, par rapport à
celles qui ne le sont pas 28.
24
Jean Untermaier, « Les mécanismes juridiques de gestion de l’avifaune en France »,
Rev. Ecol. (Terre Vie), Suppl. 4, 1987, p. 296.
25
Simon Jolivet, « De la survie des espèces menacées d’extinction à la lutte contre le
déclin des populations. Réflexions sur l’efficacité du statut d’espèce protégée à partir
du cas de la faune sauvage », RJE, 2020, p. 105.
26
Simon Jolivet, ibidem, p. 105.
27
Simon Jolivet, ibidem, p. 105.
28
Jaroslav Kolecek et al., « Birds protected by national legislation show improved
population trends in Eastern Europe », Biological Conservation, 172 (2014), p. 113 :
« our results show that legislation for species protection was significantly related to
bird population trends in Eastern Europe. After controlling for the effects of species’
ecology, life history and phylogenetic relatedness, population trends of bird species
protected since the 1990s, after the fall of totalitarian governments, improved more
than those of unprotected species. However, trends of both protected and unprotected
species remained negative in 1990–2000. Thus, we might have expected an even
stronger decline in protected species if they had lacked protection. This pattern
suggests that the modern conservation legislation in these countries helped to protect
birds, albeit not sufficiently to reverse their declining trends ».
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Revue Semestrielle de Droit Animalier – RSDA
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S’agissant de la directive Oiseaux proprement dite, ses effets sur l’état de
conservation des oiseaux sont très bien documentés, ce qui est extrêmement
rare en matière d’environnement. En effet, si l’état de l’environnement est
largement mesuré par les études scientifiques, cela ne permet que très
rarement d’analyser et de mesurer spécifiquement la contribution des normes
juridiques à la protection de l’environnement. Or, concernant la directive
Oiseaux, deux publications scientifiques ont permis d’isoler l’effet produit
par la directive sur l’état de conservation des oiseaux. Comme le soulignent
les auteurs de la première publication, il faut se réjouir de cette situation. En
effet, « poor understanding of the effectiveness of international policy
instruments exposes them to criticism or abandonment and reduces
opportunities to improve them » 29. Cette première étude – c’est là le plus
important – avait déjà permis à ses auteurs de conclure à l’effet positif de la
directive sur l’état de conservation des oiseaux. Selon eux, « comparative
analyses of population trends provide strong evidence for a positive impact of
one such instrument, the European Union’s Birds Directive, and we identify
positive associations between the of provision of certain conservation
measures through the directive and the response of bird populations » 30.
La seconde étude a néanmoins permis d’aller plus loin en distinguant les
oiseaux inscrits à l’annexe I de ceux figurant à l’annexe II 31. Pour détecter
spécifiquement l’effet de la directive Oiseaux, l’étude compare l’état de
conservation des oiseaux à l’intérieur et en dehors de l’Union européenne, où
la directive n’est pas applicable. Elle distingue également, à l’intérieur de
l’Union, l’état de conservation des oiseaux dans les États-membres de
l’Union depuis 2004 et dans les États-membres de l’Union avant cette date.
Cela permet ainsi d’évaluer l’efficacité dans le temps de la directive. Les
résultats sont très intéressants. Ils montrent d’une part que les espèces de
l’annexe I ont connu des tendances plus positives que les espèces hors annexe
I 32. La protection la plus stricte, celle qui ne tolère pas la chasse et
s’accompagne d’une protection poussée des Habitats, est donc plus efficace.
D’autre part, l’étude montre que cet effet est plus prononcé dans les Étatsmembres de l’Union depuis plus longtemps, même s’il est aussi présent dans
29
Paul F. Donald et al., « International Conservation Policy Delivers Benefits for
Birds in Europe », Science, 10 August 2007, Vol. 317, p. 810.
30
Paul F. Donald et al., ibidem, p. 810.
31
Fiona J. Sanderson et al., « Assessing the Performance of EU Nature Legislation in
Protecting Target Bird Species in an Era of Climate Change », Conservation Letters,
July 2015, 0(0), p. 1.
32
Fiona J. Sanderson et al., ibidem, p. 1 : « annex I species had more positive trends
than non-Annex I species ».
311
Tribune contradictoire
les États qui ont rejoint l'Union depuis 2004 33. Dès lors, les auteurs concluent
que la directive Oiseaux a eu un impact manifestement positif sur les espèces
ciblées, alors même que les changements climatiques ont considérablement
affecté les populations 34.
D’une autre manière, c’est aussi ce que confirme le « fitness check » des
directives Oiseaux et Habitats effectué en 2016 par la Commission
européenne. S’agissant de l’effectivité des directives, la Commission
considère que la situation et les tendances des espèces d'oiseaux protégées
seraient nettement plus mauvaises en l’absence des directives et que des
améliorations de la situation des espèces et des habitats ont lieu lorsque des
actions ciblées sont mise en œuvre à une échelle adéquate 35. La Commission
invite ainsi à imaginer ce que seraient devenus les oiseaux en l’absence de
protection et c’est dès lors toute l’utilité de la directive Oiseaux qui est mise
en lumière.
Si la directive Oiseaux donne largement satisfaction compte tenu de ses
résultats avérés, cela n’implique pas pour autant que la situation des oiseaux
soit idyllique. Comme le note la Commission elle-même, les objectifs de la
directive ne sont pas encore atteints et de nombreuses espèces sont dans un
état de conservation défavorable. Cela est notamment dû au fait que les
pressions qui s’exercent les populations d’oiseaux n’ont pas été
substantiellement réduites 36. Les effets positifs de la directive sont ainsi
neutralisés par un certain nombre de contre-effets produits par d’autres
politiques publiques 37.
B. Les contre-effets produits par d’autres politiques publiques
33
Fiona J. Sanderson et al., ibidem, p. 6 : « this effect was more pronounced in
countries that had been in the EU for longer, although it was still present in the shorter
time period in countries joining the EU since 2004 ».
34
Fiona J. Sanderson et al., ibidem, p. 1 : « we conclude that the EU’s conservation
legislation has had a demonstrably positive impact on target species, even during a
period in which climate change has significantly affected populations ».
35
Commission européenne, Fitness check of the EU Nature legislation (Birds and
Habitats Directives), Bruxelles, 16 décembre 2016, SWD(2016) 472 final, p. 5 : « it is
clear that the status and trends of bird species as well as other species and habitats
protected by the Directives would be significantly worse in their absence and
improvements in the status of species and habitats are taking place where there are
targeted actions at a sufficient scale ».
36
V. Commission européenne, ibidem, p. 87.
37
En 1987, Jean Untermaier expliquait déjà que les effets de la protection des oiseaux
étaient limités par d’autres facteurs tels que l’urbanisation ou l’intensification de
l’agriculture (Jean Untermaier, « Les mécanismes juridiques de gestion de l’avifaune
en France », op. cit., p. 300).
312
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Les principaux facteurs d’érosion pesant sur les populations d’oiseaux qui
sont mis en évidence par la littérature scientifique sont en général, si on laisse
de côté le problème de la chasse, liés à l’agriculture, à l’urbanisation et aux
changements climatiques 38. Alors que les changements climatiques
désorientent les oiseaux, notamment les migrateurs, l’urbanisation fragmente
et grignote leurs habitats. Quant à l’agriculture, elle conduit elle aussi à une
perte d’habitats naturels (destruction des haies du fait des remembrements) 39,
à l’assèchement des zones humides (drainage), mais aussi à la contamination
de toute la chaîne alimentaire du fait de l’utilisation massive de pesticides. Ce
n’est ainsi pas un hasard si une étude du CNRS et du Museum national
d’histoire naturelle a pu mettre en évidence que les espèces spécialistes des
milieux agricoles « ont perdu en moyenne un individu sur trois en quinze
ans » 40. Il est frappant de constater que « les espèces généralistes ne déclinent
pas à l’échelle nationale ; la diminution constatée est donc propre au milieu
agricole, sans doute en lien avec l’effondrement des insectes » 41. Au rang des
causes, l’étude pointe notamment la fin des jachères qui étaient autrefois
imposées dans le cadre de la politique agricole commune et la généralisation
de l’utilisation des néonicotinoïdes. Dès lors, si le droit ne parvient pas à
lutter efficacement contre le déclin des populations d’oiseaux, cela ne semble
pas dû à un défaut intrinsèque de la directive Oiseaux, mais à une insuffisante
régulation des facteurs d’érosion tels que l’urbanisation et l’agriculture.
S’agissant de l’agriculture, la politique agricole commune a été un facteur
déterminant de son intensification massive 42. On retrouve ici une forme de
schizophrénie de l’Union européenne dont les politiques ont des objectifs ou
des effets contradictoires. Il s’agit là d’une cause habituelle de l’ineffectivité
des normes juridiques dans le domaine de l’environnement 43. Le principe
d’intégration, pourtant inscrit à l’article 11 du traité sur le fonctionnement de
38
V. Commission européenne, op. cit., p. 87.
V. S.J. Butler et al., « Quantifying the impact of land-use change to European
farmland bird populations », Agriculture, Ecosystems and Environment 137 (2010), p.
348.
40
CNRS et Museum national d’histoire naturelle, « Le printemps 2018 s'annonce
silencieux dans les campagnes françaises », 20 mars 2018 : www.cnrs.fr/fr/leprintemps-2018-sannonce-silencieux-dans-les-campagnes-francaises
41
CNRS et Museum national d’histoire naturelle, ibidem.
42
Une étude préconise de supprimer les incitations économiques à l’intensification de
l’agriculture : v. Paul F. Donald et al., « Further evidence of continent-wide impacts
of agricultural intensification on European farmland birds, 1990-2000 », Agriculture,
Ecosystems and Environment, 116 (2006), p. 189.
43
V. Julien Bétaille, Les conditions juridiques de l’effectivité de la norme en droit
public interne : illustrations en droit de l’urbanisme et en droit de l’environnement,
thèse, droit, Limoges, 2012, n° 500.
39
313
Tribune contradictoire
l’Union européenne et à l’article 37 de la charte des droits fondamentaux de
l’Union européenne 44, est insuffisamment mis en œuvre dans les différentes
politiques sectorielles et l’accès très limité au juge de l’Union européenne ne
permet pas aux ONG de contester la légalité des textes sectoriels n’intégrant
pas suffisamment les enjeux environnementaux 45. Au niveau interne, si
l’utilisation du glyphosate est toujours permise en agriculture, certains
produits phytopharmaceutiques ont fait l’objet d’une interdiction. C’est le cas
de l’usage d’insecticides néonicotinoïdes depuis une loi du 30 octobre
2018 46, mais le Parlement vient d’accorder une dérogation à cette interdiction
au bénéfice de la filière betteravière 47, ce que le Conseil constitutionnel a
validé faute d’avoir chaussé des lunettes lui permettant de déduire de l’article
2 de la Charte de l’environnement un principe de non-régression 48.
Le constat est assez proche s’agissant de l’urbanisation. Le droit de
l’urbanisme tente de concilier des objectifs partiellement contradictoires. Si
les principes du Code de l’urbanisme promeuvent une ville compacte, les
règles qui en découlent sont souvent permissives, voire facultatives, et
insuffisamment contrôlées 49. Malgré la multiplication des règles, le
législateur ne parvient pas à maitriser l’étalement urbain. Les oiseaux payent
44
L’article 11 du TFUE énonce que « les exigences de la protection de
l'environnement doivent être intégrées dans la définition et la mise en œuvre des
politiques et actions de l'Union » et l’article 37 de la charte des droits fondamentaux
de l’Union européenne dispose qu’« un niveau élevé de protection de l’environnement
et l’amélioration de sa qualité doivent être intégrés dans les politiques de l’Union ».
45
V. Eve Truilhé-Marengo et Estelle Brosset, « L’accès au juge dans le domaine de
l’environnement : le hiatus du droit de l’Union européenne », in Revue des droits et
libertés fondamentaux, 2018, chron., n°07 ; Jean-Félix Delile, « La protection
juridictionnelle dans la matière environnementale en droit de l’Union européenne : la
victoire de l’incohérence », in Julien Bétaille (dir.), Le droit d’accès à la justice en
matière d’environnement, Presses de l’IFR de l’Université Toulouse 1 Capitole,
LGDJ, décembre 2016 ; Julien Bétaille, « Accès à la justice de l’Union européenne, le
Comité d’examen du respect des dispositions de la Convention d’Aarhus s’immisce
dans le dialogue des juges européens », commentaire de la décision n°
ACCC/C/2008/32 du 14 avril 2011, RJE, 2011, p. 547. Voir également, s’agissant des
collectivités territoriales, CJUE, 3 décembre 2020, Région de Bruxelles-Capitale c.
Commission, C-352/19 P.
46
Article 83 de la loi n° 2018-938 du 30 octobre 2018 pour l'équilibre des relations
commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable
et accessible à tous, modifiant l’article L. 253-8 du code rural et de la pêche maritime.
47
Loi n° 2020-1578 du 14 décembre 2020 relative aux conditions de mise sur le
marché de certains produits phytopharmaceutiques en cas de danger sanitaire pour les
betteraves sucrières.
48
CC, 10 décembre 2020, n° 2020-809 DC, § 13.
49
Sur ce sujet, voir la thèse de Frédéric Balaguer, Rec erc e sur l e ecti it des
principes du droit de l’urbanisme, thèse, droit, Toulouse, 2018.
314
Revue Semestrielle de Droit Animalier – RSDA
2/2020
eux aussi une partie du prix de la décentralisation de l’urbanisme aux mains
des collectivités territoriales.
In fine, le mauvais état d’une bonne partie des populations d’oiseaux n’est
donc pas, sur le plan juridique, un échec de la directive Oiseaux 50, mais
plutôt celui de l’insuffisante mise en œuvre du principe d’intégration, que ce
soit au niveau européen ou au niveau interne. La directive a des effets positifs
sur les oiseaux, mais ceux-ci sont contrecarrés par des effets pervers générés
par d’autres politiques publiques. Le succès de la directive est également
perceptible dans le fait qu’elle a été très largement appropriée par le juge
administratif français, ce dernier ayant pleinement joué le jeu de son
application.
2. La pleine application de la directive par le juge administratif
« Les oiseaux hivernants et de passage souffrent avant tout de la chasse – au
moins 52 millions d’oiseaux sont chassés chaque année sur le territoire
européen » 51. C’est la raison pour laquelle l’article 7 de la directive Oiseaux
interdit la chasse des oiseaux migrateurs pendant « leur période de
reproduction et pendant leur trajet de retour vers leur lieu de nidification ».
Depuis le début des années quatre-vingt, le cas de la chasse aux oiseaux
migrateurs a largement occupé les juridictions administratives,
singulièrement le Conseil d’Etat. Il s’agit là d’une saga juridique bien connue
qui a marqué tant l’histoire de l’application de la directive Oiseaux en France
que celle de la mise en œuvre de la primauté du droit communautaire. Si la
situation reste aujourd’hui encore assez laborieuse compte tenu de
l’obstination des autorités administratives françaises (B), cette saga mérite
50
Il faut néanmoins mentionner la pression exercée sur les oiseaux par les chats
domestiques. Selon certains auteurs, les directives Oiseaux et Habitats imposent, dans
certains cas, le déplacement ou le contrôle des chats et, dans d’autres cas, leur
enfermement au domicile de leur maître : « various obligations in the Directives,
particularly concerning Natura 2000 sites and the generic protection of birds and other
species, have significant implications for the management of free-ranging domestic
cats. Regarding (unowned) stray and feral cats, these must be removed or controlled
when they pose a threat to protected species and/or sites. Regarding (owned) pet and
farm cats, the Nature Directives require EU Member States to ensure that letting cats
roam free outdoors is forbidden and effectively prevented » (Arie Trouwborst et Han
Somsen, « Domestic Cats (Felis catus) and European Nature Conservation Law –
Applying the EU Birds and Habitats Directives to a Significant but Neglected Threat
to Wildlife », Journal of Environmental Law, 2019, 0, p. 1).
51
Perrine Mouterde, « Plus de la moitié des oiseaux sauvages en mauvais état de
conservation
dans
l’UE »,
Le
Monde,
20
octobre
2020 :
www.lemonde.fr/planete/article/2020/10/20/dans-l-union-europeenne-plus-de-lamoitie-des-oiseaux-sauvages-en-mauvais-etat-de-conservation_6056744_3244.html
315
Tribune contradictoire
d’être rappelée car elle témoigne du fait que le juge administratif s’est
largement approprié la directive Oiseaux, faisant plier tant le souverainisme
règlementaire que législatif (A).
A. La directive Oiseaux face au souverainisme français
L’application de la directive Oiseaux aux périodes de chasse des oiseaux
migrateurs a constitué, dès le début des années quatre-vingt, le terrain
privilégié des progrès de la primauté des directives européennes sur les actes
règlementaires puis législatifs. C’est ainsi qu’à l’occasion du célèbre arrêt
Fédération française des sociétés de protection de la nature rendu le 7
décembre 1984, le Conseil d’Etat annule un acte règlementaire contraire à la
directive Oiseaux s’agissant d’espèces migratrices 52. Dans le prolongement
de cette avancée jurisprudentielle, le Conseil d’Etat va ensuite annuler le
refus implicite d’inscrire le Bruant Ortolan sur la liste des espèces protégées,
sur le fondement d’une obligation de modifier des dispositions
règlementaires incompatibles avec la directive Oiseaux 53.
L’année 1994 marque une nouvelle étape. Le 19 janvier, la Cour de justice
des communautés européennes a interprété la directive Oiseaux concernant la
manière de déterminer l’étendue des périodes de chasse 54. Il en résulta « la
fixation, pour l’ensemble des espèces concernées, d’une date unique de
clôture de la chasse, correspondant à celle fixée pour l’espèce qui migre le
plus tôt, garantit en principe la réalisation de l’objectif de protection » 55, ce
qui conduisit le Conseil d’État à systématiquement considérer que des dates
d’ouverture antérieures au 1er septembre et/ou des dates de fermeture
postérieures au 31 janvier sont incompatibles avec la directive. La situation
semblait donc claire sur le plan juridique, mais c’était sans compter sur
l’influence des chasseurs sur le Parlement.
Quelques mois après la décision de la Cour de justice, le législateur est
intervenu pour fixer les dates de clôture de la chasse aux oiseaux
52
CE, 7 décembre 1984, Fédération française des sociétés de protection de la nature,
rec. p. 140 ; RFDA, 1985, p. 303, note J.-M. Auby. V. également l’annulation d’un
arrêté autorisant la chasse de certaines espèces strictement protégées par la directive
Oiseaux (CE, 1er juillet 1988, Fédération française des sociétés de protection de la
nature, rec. p. 271).
53
CE, 10 juin 1994, Rassemblement des opposants à la chasse, rec. p. 313.
54
CJCE, 19 janvier 1994, ASPAS, C-435/92.
55
Isabelle Michallet, « Regarder passer les oies sauvages… et tirer ! », AJDA, 2020,
p. 73.
316
Revue Semestrielle de Droit Animalier – RSDA
2/2020
migrateurs 56, cela dans le but délibéré de contourner les annulations répétées
des périodes de chasse fixées par voie réglementaire. Il réitèrera la même
stratégie quatre ans plus tard 57. Cette stratégie, qui conduisait à une violation
directe de la directive Oiseaux, ne trompa cependant ni les associations de
protection de l’environnement, ni le Conseil d’Etat 58. En effet, dans les deux
cas, les associations sont parvenues à contourner l’obstacle procédural induit
par l’écran législatif et le Conseil d’Etat a fait preuve d’une certaine audace
pour neutraliser ces deux violations manifestes du droit communautaire par le
législateur 59. C’est ainsi que Louis Dubouis pouvait mettre en évidence « la
volonté du Conseil d’Etat d’aller aussi loin qu’il lui semble possible pour
assurer l’application de la règle communautaire » 60.
En résumé, « les autorités administratives puis le législateur ont essayé de se
soustraire à la norme communautaire. Systématiquement, les juridictions
administratives ont contrecarré ces tentatives et montré leur volonté et leur
capacité à faire respecter le droit communautaire » 61. C’était cependant sans
compter sur le zèle dont ont fait preuve les autorités administratives pour
satisfaire les chasseurs.
56
Loi n° 94-591 du 15 juillet 1994 fixant les dates de clôture de la chasse des oiseaux
migrateurs.
57
Loi n° 98-549 du 3 juillet 1998 relative aux dates d’ouverture anticipée et de clôture
de la chasse aux oiseaux migrateurs.
58
V. Gérard Charollois, « Le protecteur de la nature, le droit et le chasseur », Recueil
Dalloz, 1999, p. 389 ; Paul Cassia et Emmanuelle Saulnier, « La loi du 3 juill. 1998
sur la chasse et le droit communautaire, error communis, facit jus », Europe, no 7,
juill. 1999 ; Philippe Lagrange, « Chasse aux oiseaux migrateurs : la France dans
l’impasse », RJE, 2000, p. 5 ; Louis Dubouis, « La chasse et le droit communautaire –
Le Conseil d’Etat assure-t-il pleinement la primauté de la directive sur la loi ? »,
RFDA, 2000, p. 409 ; Jean-Marc Février, « Le juge administratif et les directives
communautaires – Le cas de la directive du 2 avril 1979 sur la protection des oiseaux
migrateurs », Droit administratif, n° 12, 2000, chron. 21 ; Véronique Gervasoni, « De
quelques apports du contentieux cynégétique », in Des petits oiseaux aux grands
principes – Mélanges en hommage au Professeur Jean Untermaier, Mare & Martin,
2018, p. 216.
59
CE, sect., 3 décembre 1999, Association ornithologique et mammalogique de
Saône-et-Loire et Rassemblement des opposants à la chasse, n° 164789, rec. p. 379,
concl. F. Lamy, GAJA, n° 103 ; CE, sect., 3 décembre 1999, Association
ornithologique et mammalogique de Saône-et-Loire et association France Nature
Environnement, n° 199622, rec. p. 381, concl. F. Lamy, GAJA, n° 103.
60
Louis Dubouis, « La chasse et le droit communautaire – Le Conseil d’Etat assure-til pleinement la primauté de la directive sur la loi ? », RFDA, 2000, p. 409.
61
Jean-Marc Février, « Le juge administratif et les directives communautaires – Le
cas de la directive du 2 avril 1979 sur la protection des oiseaux migrateurs », Droit
administratif, n° 12, 2000, chron. 21.
317
Tribune contradictoire
B. La directive Oiseaux face aux pratiques administratives
Le législateur a fini par mettre la loi en conformité avec la directive Oiseaux
en la transposant littéralement s’agissant des périodes de chasse aux oiseaux
migrateurs, n’omettant cependant pas d’y adjoindre le régime de dérogation
prévu par la directive 62. Le ministre fixe ainsi chaque année les dates des
périodes de chasse pour les oiseaux migrateurs, mais ne manque
régulièrement pas de prévoir des dérogations, continuant ainsi à contourner la
directive Oiseaux.
La Cour de justice a pourtant eu l’occasion de préciser qu’une dérogation à la
protection des oiseaux adoptée sur le fondement de l’article 9 de la directive
ne peut avoir pour seul objet de prolonger les périodes de chasse 63. Mais c’est
à croire que rien ne peut arrêter la volonté de satisfaire les chasseurs. Le
ministre utilise des motifs de dérogations qu’il sait erronés, ce qui ne manque
pas d’être sanctionné par le Conseil d’Etat. C’est ainsi que, pour la douzième
fois, le Conseil d’Etat a annulé, après l’avoir suspendu, un arrêté relatif à la
chasse d’oiseaux migrateurs le 11 décembre 2019 64. Comme le dénonce
Isabelle Michallet, « cette fable saisonnière est affligeante : le droit est
moqué et le Conseil d’Etat instrumentalisé » 65.
Face aux annulations contentieuses des arrêtés, la ministre Ségolène Royale
est même allée encore plus loin, usant de tous les stratagèmes pour
contourner la directive Oiseaux. Mais là encore, l’action des associations
devant le Conseil d’Etat a permis de sanctionner ces pratiques. C’est d’abord
par le biais d’une simple lettre adressée au directeur de l’office national de la
chasse et de la faune sauvage que, le 28 janvier 2015, Madame Ségolène
Royale a décidé que la verbalisation des contrevenants à la fermeture de la
chasse prévue fin janvier ne débuterait qu’à compter du 9 février. La ministre
décidait ainsi d’ordonner la suspension de l’application de la loi. A la
demande l’association France Nature Environnement, le Conseil d’Etat a
annulé cet ordre le 8 juin 2016 66 : victoire juridique donc, mais après la
62
Article L. 424-2 al. 2 et 3 du code de l’environnement.
CJCE, 16 octobre 2003, Ligue pour la protection des oiseaux, C-182/02 ; CE, 27
février 2004, Ligue pour la protection des oiseaux et a., n° 224850.
64
A propos de l’arrêté du 30 janvier 2019 relatif au prélèvement autorisé de l’oie
cendrée, de l’oie rieuse et de l’oie des moissons au cours du mois de février 2019 :
CE, ord., 6 février 2019, Ligue pour la protection des oiseaux et a., n° 427504 ; CE,
11 décembre 2019, Ligue pour la protection des oiseaux et a., n° 427513. V. Isabelle
Michallet, « Regarder passer les oies sauvages… et tirer ! », AJDA, 2020, p. 73.
65
Isabelle Michallet, « Regarder passer les oies sauvages… et tirer ! », AJDA, 2020,
p. 73.
66
CE, 8 juin 2016, Association France Nature Environnement et a., n° 388429.
63
318
Revue Semestrielle de Droit Animalier – RSDA
2/2020
bataille. Cela n’a pas pour autant découragé la ministre de l’environnement
puisque le 25 janvier 2017 celle-ci annonçait par oral devant l’Assemblée
nationale, en réponse à la question d’un député, qu’elle avait ordonné aux
agents de l’office national de la chasse et de la faune sauvage de ne pas
verbaliser les chasseurs à l’oie cendrée jusqu’au 12 février. Mais là encore,
l’illégalité de cette décision ne faisait pas de doute. Le Conseil d’Etat l’a
suspendu le 6 février 67 avant de l’annuler 68.
In fine, cette saga juridique relative à la chasse aux oiseaux migrateurs fournit
au moins deux motifs de satisfaction. D’une part, le Conseil d’Etat a, dès le
départ, joué pleinement le jeu de la directive Oiseaux en l’appliquant dans le
cadre de configurations juridiques variées. D’autre part, elle témoigne du fait
que « les associations de protection de la nature, à l’origine de l’ensemble des
recours contentieux, défendent l’intérêt général et le respect du droit à la
place de l’Etat » 69 et que, plus largement, l’accès à la justice ne leur pose pas
de difficulté. Le problème ne relève donc ni de l’interprétation du juge, ni de
l’accès à la justice. Il réside plutôt dans l’effectivité de la justice en matière
d’environnement, dans sa capacité à prendre des décisions qui préviennent
effectivement les atteintes, qui n’interviennent pas trop tard, une fois le fait
accompli. Cela fait, entre autres, partie des défis à relever.
II. Les défis de l’application de la directive Oiseaux
Si la directive Oiseaux nous semble avoir largement donné satisfaction d’un
point de vue juridique et factuel, il demeure toujours des marges
d’amélioration pour en récolter pleinement les fruits. Ce sont les défis
auxquels est désormais confrontée l’application de la directive, que ce soit
sur le fond ou sur le plan procédural. Il s’agit d’une part de passer d’une
logique de sauvegarde des espèces menacées d’extinction à la lutte contre le
déclin des effectifs des populations d’oiseaux (1) et, d’autre part, de résoudre
certains obstacles procéduraux afin d’améliorer la prévention des atteintes
(2).
67
CE, ord., 6 février 2017, Ligue pour la protection des oiseaux, n° 407349 ; RSDA,
n° 2, 2017, p. 83, chron. Simon Jolivet.
68
CE, 28 janvier 2018, Ligue pour la protection des oiseaux, n° 407350.
69
Isabelle Michallet, « Regarder passer les oies sauvages… et tirer ! », AJDA, 2020,
p. 73.
319
Tribune contradictoire
1. Concrétiser la lutte contre le déclin des populations
Alors que les scientifiques alertent de plus en plus sur le déclin des
populations, la directive Oiseaux, en imposant une obligation de résultat,
contient déjà les germes de cette approche (A). A cela s’ajoute le soutien
apporté par le principe de précaution dans cette entreprise (B).
A. La concrétisation d’une obligation de résultat
Dès la fin des années quatre-vingt, Jean Untermaier remarquait que la
sauvegarde des espèces menacées n’était pas suffisante et qu’il fallait songer
sérieusement à maintenir l’effectif des populations d’oiseaux. Il écrivait
alors que « tout se passe comme si le droit devait s’en tenir rigoureusement à
sa mission première, le sauvetage des espèces proches de l’extinction, sans
pouvoir servir d’autres ambitions » 70 et poursuivait en considérant qu’« il
importe désormais de penser en termes de populations et d’effectifs » 71. Plus
récemment, Simon Jolivet a à juste titre montré que le droit répond peu à la
question du déclin des effectifs 72. Néanmoins, l’état du droit a largement
évolué depuis la fin des années quatre-vingt, principalement à partir de 1992,
date à laquelle la directive Habitats est adoptée 73.
Tout d’abord, la directive Oiseaux a pour objectif de « maintenir ou adapter
la population » d’oiseaux 74. On notera ainsi que son objectif n’est pas
simplement de sauvegarder les espèces menacées d’extinction, mais bien de
conserver les « populations » d’oiseaux. Dès lors, elle porte déjà en germe
l’objectif de lutter contre le déclin des effectifs d’oiseaux. Du moins, le juge
pourrait facilement interpréter la directive en ce sens.
Ensuite, le concept d’« état de conservation favorable », central au sein de la
directive Habitats 75, est venu renouveler la manière d’envisager la
conservation des espèces. Les termes utilisés dans la directive Habitats nous
semblent intéressants pour lutter contre le déclin des effectifs. Or, comme
nous le verrons, il existe des ponts entre les deux directives que le juge de
70
Jean Untermaier, « Les mécanismes juridiques de gestion de l’avifaune en France »,
op. cit., p. 302.
71
Jean Untermaier, ibidem, p. 303.
72
Simon Jolivet, « De la survie des espèces menacées d’extinction à la lutte contre le
déclin des populations. Réflexions sur l’efficacité du statut d’espèce protégée à partir
du cas de la faune sauvage », RJE, 2020, p. 101.
73
Directive 92/43/CEE du Conseil, du 21 mai 1992, concernant la conservation des
habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages.
74
Article 2 de la directive Oiseaux.
75
Article 2, paragraphe 2, de la directive Habitats.
320
Revue Semestrielle de Droit Animalier – RSDA
2/2020
l’Union européenne s’autorise d’ores et déjà à franchir. Dès lors, il ne serait
pas surprenant de voir l’objectif de la directive Oiseaux interprété à la
lumière de celui de la directive Habitats. L’intérêt d’une telle approche réside
dans le concept d’état de conservation favorable. La directive Habitats,
applicable aux autres espèces, vise leur « maintien ou le(ur) rétablissement,
dans un état de conservation favorable » et prend le soin de définir ce
concept. Ainsi, l’article 1er de la directive dispose que l’état de conservation
d’une espèce est considéré comme favorable lorsque, entre autres critères,
« les données relatives à la dynamique de la population de l'espèce en
question indiquent que cette espèce continue et est susceptible de continuer à
long terme à constituer un élément viable des habitats naturels auxquels elle
appartient ». Sans entrer dans le détail des implications écologico-juridiques
de cette définition 76, la viabilité à long terme d’une espèce nous semble
constituer une exigence plus forte que celle qui consiste simplement à éviter
sa disparition. Le concept d’état de conservation favorable implique
nécessairement une réflexion en termes d’effectifs et de populations 77,
surtout lorsque cet état est considéré comme une obligation de résultat.
L’objectif des directives Oiseaux et Habitat constitue un élément très
important sur le plan juridique. En effet, au terme de l’article 288 du traité sur
le fonctionnement de l’Union européenne, « la directive lie tout État membre
destinataire quant au résultat à atteindre, tout en laissant aux instances
nationales la compétence quant à la forme et aux moyens ». Or, l’objectif des
directives détermine ce résultat. Il est donc possible d’en déduire le fait de
« maintenir ou adapter » les populations d’oiseaux constitue une obligation
de résultat pour les États-membres. Selon la Cour de justice, ce type
d’obligation « implique, pour chacun des États membres destinataires d'une
directive, celle de prendre, dans le cadre de son ordre juridique national,
toutes les mesures nécessaires en vue d'assurer le plein effet de la directive,
conformément à l'objectif qu'elle poursuit » 78. Il faut ajouter à cela que la
76
Sur les implications juridiques et écologiques de cette définition, v. Yaffa Epstein,
« Favourable Conservation Status for Species: Examining the Habitats Directive’s
Key Concept through a Case Study of the Swedish Wolf », Journal of Environmental
Law, 2016, 28, p. 232 ; Yaffa Epstein, José Vicente Lopez-Bao & Guillaume
Chapron, « A legal-Ecological Understanding of Favorable Conservation Status for
Species in Europe », Conservation Letters, March-April 2016, 9(2), p. 83.
77
Ce concept soulève néanmoins un certain nombre de questions et de difficultés
d’interprétation au sein des États-membres. Par exemple, s’agissant du loup en
France, l’état de conservation favorable semble être davantage considéré comme un
seuil maximal à ne pas dépasser plutôt que comme un seuil minimal, compte tenu de
l’importance des dérogations mises en place pour limiter la croissance de la
population de loups.
78
CJCE, 8 mars 2001, Commission c. France, C-97/00, § 9.
321
Tribune contradictoire
Cour veille, sur le fondement de l’obligation de coopération loyale 79, à ce que
les États-membres assurent l’effet-utile des directives 80. Or, cela n’implique
pas seulement que les États-membres s’abstiennent d’agir de manière
contraire au droit de l’Union européenne, mais aussi qu’ils mettent en œuvre
les mesures positives nécessaires à son application effective dans des
situations concrètes 81.
Si l’on résume ces éléments comme revenant à une obligation générale de
prendre toutes les mesures nécessaires pour atteindre l’objectif de la
directive, alors les États ne peuvent pas se contenter de transposer et
d’appliquer le régime de protection des espèces prévu par la directive 82. Il ne
s’agit pas simplement d’interdire les atteintes aux espèces, mais aussi de
prendre des mesures positives en faveur du « maintien » de leurs populations.
Ce type de raisonnement a d’ores et déjà été mis en œuvre avec succès par la
Commission s’agissant de la directive Habitats 83. Dans plusieurs affaires, la
Cour de justice a retenu un manquement à cette directive en raison de
l’absence ou de l’insuffisance de mesures positives 84. L’article 12 de la
79
Article 4, paragraphe 3, du traité sur l’Union européenne.
CJCE, 12 octobre 1970, Scheer, n° 30/70, § 10 ; CJCE, 8 avril 1976, Jean Noël
Royer, n° 48/75, § 75.
81
CJCE, 21 septembre 1989, Commission / Grèce, n° 68/88, § 23.
82
Articles 5 à 9 de la directive Oiseaux.
83
V. Marc Clément, « Global objectives and scope of the Habitats Directive – What
does the obligation of result mean in practice? The European hamster in Alsace », in
Charles-Hubert Born, An Cliquet, Hendrik Schoukens, Delphine Misonne et Geert
Van Hoorick (Ed.), The habitats directive in its EU Environmental Law context,
Routledge, 2015, n° 1.
84
Pour la Commission européenne, il a toujours été clair que « l’obligation incombant
aux États membres va bien au-delà de la simple prévention de l’extinction »
(Commission européenne, Document d’orientation sur la protection stricte des
espèces animales d’intérêt communautaire en vertu de la directive « Habitats »
92/43/CEE, version finale, février 2007, §14, p. 10). Dans un contexte différent, la
Cour a interprété l’article 6, paragraphe 2, de la directive Habitats comme imposant
non seulement une protection négative des zones de protection spéciale mais aussi
l’adoption de mesures positives visant à la protection de la zone et à l’amélioration de
son état de conservation (CJUE, 24 novembre 2011, Commission/Espagne, C-404/09 ;
RSDA, n° 2, 2011, p. 111, note Hubert Delzangles). Pour certains auteurs, la directive
Habitats impliquerait même une obligation de restauration des populations. Selon An
Cliquet, Kris Decleer et Hendrik Schoukens, « in light of the overall objective of the
Habitats Directive and the unfavourable conservation status for many habitats and
species, restoration measures in order to reach a favourable conservation status are
legally required » (An Cliquet, Kris Decleer et Hendrik Schoukens, « Restoring
nature in the EU The only way is up? », in Charles-Hubert Born, An Cliquet, Hendrik
80
322
Revue Semestrielle de Droit Animalier – RSDA
2/2020
directive Habitats semble être interprété par la Cour comme impliquant une
gradation des exigences de conservation. L’avocate générale Juliane Kokott
distingue 3 niveaux 85. D’abord, lorsque le statut de conservation de l’espèce
est favorable, alors l’État peut s’en tenir à une interdiction des atteintes à
l’espèce. Ensuite, lorsque ce statut est défavorable en raison d’un certain
nombre de menaces, l’article 12 implique que l’État doive lutter contre ces
menaces. Enfin, lorsqu’il est défavorable et que la population est faible, alors
l’article 12 implique de prendre des mesures pour que la population
augmente. Cela se manifeste directement dans la jurisprudence de la Cour.
Dans l’affaire caretta caretta (tortue), la Cour a jugé que les États doivent
prendre « toutes les mesures concrètes nécessaires pour éviter » la
perturbation des espèces 86. Cela est encore plus clair dans une autre affaire
concernant l’Irlande. La Cour précise que « la transposition dudit article 12,
paragraphe 1, impose aux États membres non seulement l’adoption d’un
cadre législatif complet, mais également la mise en œuvre de mesures
concrètes et spécifiques de protection » 87. Il est également admis que le
système de protection stricte de l’article 12 implique l’adoption « de mesures
cohérentes et coordonnées, à caractère préventif » 88 et que ce système doit
« permettre d’éviter effectivement la détérioration ou la destruction des sites
de reproduction ou des aires de repos des espèces animales » 89. La décision la
plus importante est intervenue dans l’affaire cricetus cricetus (hamster) où la
Cour franchit une étape supplémentaire : le problème n’était pas seulement
ici d’interdire les atteintes au grand hamster, mais aussi d’adopter des
mesures positives de protection. La Cour a considèré ainsi que la France avait
manqué à ses obligations européennes parce qu’elle n’avait pas instauré « un
Schoukens, Delphine Misonne et Geert Van Hoorick (Ed.), The habitats directive in
its EU Environmental Law context, Routledge, 2015, n° 15).
85
Une telle gradation est présentée par l’avocat général Juliane Kokott dans ses
conclusions sur l’affaire cricetus cricetus : « le nécessaire contenu des mesures de
protection dépend en outre de manière déterminante de l’état de conservation de
l’espèce à protéger. Si ladite espèce se trouve dans un état de conservation favorable,
il peut suffire, le cas échéant, de prévoir les interdictions mentionnées à l’article 12,
paragraphe 1, de la directive habitats de manière abstraite et de la surveiller.
Toutefois, si l’espèce en cause se trouve dans un état de conservation défavorable, les
États membres ont des obligations d’une portée plus large, puisque le système de
protection est censé contribuer au rétablissement de l’état de conservation favorable.
(…) Dans la mesure du possible, les mesures de protection doivent viser
spécifiquement les circonstances qui sont la cause de l’état de conservation
défavorable » (conclusions de l’avocat général Juliane Kokott dans l’affaire C-383/09,
20 janvier 2011, § 37 ; 83).
86
CJCE, 30 janvier 2002, Commission/Grèce, C-103/00, § 39.
87
CJCE, 11 janvier 2007, Commission/Irlande, C-183/05, § 29.
88
CJCE, 16 mars 2006, Commission/Grèce, C-518/04, § 16.
89
CJUE, 9 juin 2011, Commission/France, C-383/09, § 21.
323
Tribune contradictoire
programme de mesures permettant une protection stricte de l’espèce du grand
hamster » 90.
Il n’est pas incongru d’imaginer la Cour transposer ce type de raisonnement à
la directive Oiseaux. En effet, celle-ci s’en inspire déjà. Ainsi, dans une
décision du 17 avril 2018, la Cour affirme que « l’article 5 de la directive
« oiseaux » exige que les États membres adoptent un cadre législatif complet
et efficace (arrêts du 12 juillet 2007, Commission/Autriche, C-507/04,
EU:C:2007:427, points 103 et 339, ainsi que du 26 janvier 2012,
Commission/Pologne, C-192/11, non publié, EU:C:2012:44, point 25), par la
mise en œuvre, à l’instar de ce que prévoit l’article 12 de la directive
« habitats », de mesures concrètes et spécifiques de protection qui doivent
permettre d’assurer le respect effectif des interdictions susmentionnées » 91.
In fine, la directive Oiseaux comporte une obligation de résultat qui implique
de prendre toute mesure utile en faveur du maintien des populations, y
compris des mesures positives. Avec l’aide d’une interprétation audacieuse
de la Cour de justice, elle comporte en son sein quelques-uns des éléments
nécessaires pour lutter contre le déclin des populations d’oiseaux. Il
appartient désormais aux différents acteurs de tirer progressivement les fils
de cette pelote. Si le Conseil d’Etat a récemment suspendu des actes
administratifs compromettant la réalisation de l’objectif de la directive
Oiseaux, que ce soit s’agissant du courlis cendré 92 ou de la tourterelle des
bois 93, la question de l’insuffisance de mesures positives en faveur des
espèces d’oiseaux n’a pas encore été posée. Seul le cas de l’ours dans les
Pyrénées, dont la situation est très préoccupante, a pour le moment permis
d’avancer sur ce terrain 94.
B. Le renversement de la charge de la preuve sous l’effet du principe de
précaution
La montée en puissance du principe de précaution depuis le début des années
quatre-vingt-dix commence à porter ses fruits en matière de protection des
90
CJUE, 9 juin 2011, Commission/France, C-383/09, § 40.
CJUE, 17 avril 2018, Commission c. Pologne, C-441/17, § 252.
92
CE, ord., 26 août 2019, Ligue pour la protection des oiseaux, n° 433434.
93
CE, ord., 11 septembre 2020, Ligue pour la protection des oiseaux et association
One Voice, n° 443482 et 443567.
94
S’agissant de la directive Habitats, le tribunal administratif de Toulouse a
admirablement tiré ces fils en retenant la carence fautive de l’État en raison de
l’absence de rétablissement de l’ours brun dans un état favorable de conservation (TA
Toulouse, 6 mars 2018, Association Pays de l’ours – ADET et Association FERUS, n°
1501887, AJDA, 2018, p. 2346, note Julien Bétaille).
91
324
Revue Semestrielle de Droit Animalier – RSDA
2/2020
espèces. Reconnu à l’article 191 du traité sur le fonctionnement de l’Union
européenne, à l’article 5 de la Charte de l’environnement ainsi qu’à l’article
L. 110-1 du code de l’environnement, le principe est désormais
progressivement utilisé par les juges en matière de protection de la nature.
La Cour de justice de l’Union européenne a ouvert la voie en appliquant
d’abord le principe en matière de protection des habitats 95 puis, depuis une
décision Tapiola du 10 octobre 2019, en matière de protection des espèces,
en l’espèce à propos de la protection du loup en Finlande 96. Se fondant
explicitement sur l’article 191 du traité, elle considère que « si l'examen des
meilleures données scientifiques disponibles laisse subsister une incertitude
sur le point de savoir si une telle dérogation nuira ou non au maintien ou au
rétablissement des populations d'une espèce menacée d'extinction dans un
état de conservation favorable, l'État membre doit s'abstenir de l'adopter ou
de la mettre en œuvre ». En d'autres termes, une dérogation à la protection
des espèces ne peut pas être délivrée lorsque les connaissances scientifiques
disponibles laissent subsister un doute quant à son effet potentiellement
négatif sur l'état de conservation de l'espèce en cause. Il n’y a aucune raison
pour que ce raisonnement ne soit pas transposé en matière de protection des
oiseaux.
Au niveau interne, c’est le tribunal administratif de la Guadeloupe qui, dans
un jugement du 19 février 2019 et pour la première fois, a appliqué le
principe de précaution en matière de protection des espèces, devançant ainsi
de quelques mois la Cour de justice de l’Union européenne. Dans ce
jugement, le tribunal considère que le quota de chasse du pigeon à couronne
blanche « n’est fondé sur aucune étude de la dynamique des populations »,
alors que l’espèce est par ailleurs considérée comme étant quasi-menacée par
l’Union internationale pour la conservation de la nature. Il conclut alors que
« dans ces circonstances, compte tenu des connaissances scientifiques
actuelles, la chasse du pigeon à couronne blanche en Guadeloupe et à SaintMartin apparaît susceptible de menacer gravement le maintien de l’espèce sur
ces territoires. Par suite, en autorisant cette chasse dans les conditions sus
95
Notamment depuis l’affaire de la mer des Wadden (CJUE, 7 septembre 2004,
Waddenvereniging et Vogelbeschermingsvereniging, C-127/02). La Cour utilise
également le principe de précaution au soutien du prononcé d’une injonction en
référé. V. CJUE, ord. référé, 27 juillet 2017 et ord. référé, grande chambre, 20
novembre 2017, Commission européenne c. République de Pologne, C-441/17 R »,
Droit de l’environnement, n° 263, 2018, p. 14, note Julien Bétaille.
96
CJUE, 10 octobre 2019, Tapiola, C-674/17 ; voir Julien Bétaille, « La Cour de
justice de l'Union européenne met le principe de précaution au service de la protection
des espèces », Actu-environnement.com, 28 octobre 2019 : www.actuenvironnement.com/blogs/julien-betaille/180/protection-espece-europe-loup-267.html
325
Tribune contradictoire
rappelées, le préfet de la Guadeloupe, (…), a commis une erreur manifeste
d’appréciation dans l’application du principe de précaution résultant de
l’article 5 de la Charte de l’environnement et de l’article L. 110-1 du code de
l’environnement » 97. Ce jugement suggère ainsi que face à l’absence
d’expertise fournie par l’administration, il est possible de faire jouer
pleinement son rôle au principe de précaution.
Le Conseil d’Etat a rapidement suivi ce mouvement, précisément en matière
de protection des oiseaux, mais on peut déceler au moins deux occasions
manquées, l’affaire de la chasse à la glu d’une part 98, et celle du courlis
cendré d’autre part. Dans cette dernière, le principe de précaution était
invoqué par la Ligue pour la protection des oiseaux mais le juge n’y fait pas
explicitement référence 99. Il utilise néanmoins un raisonnement assez proche
de celui du principe 100, si bien que l’on peut voir cette affaire comme
prémices de l’utilisation du principe par le Conseil d’Etat en matière de
protection des espèces.
C’est finalement l’affaire de la tourterelle des bois qui permettra au Conseil
d’Etat de fonder pour la première fois une décision sur le principe de
précaution en matière de protection des espèces. En l’espèce, il considère
« eu égard à l’ensemble de ces circonstances et au principe de précaution »
qu’il existe un doute sur la légalité de l’arrêté du 28 août 2020 qui autorisait
le prélèvement de 17460 tourterelles des bois pour la saison 2020-2021, ce
qui le conduit à suspendre l’arrêté 101. S’agissant d’une décision en référé, le
raisonnement du juge n’est pas très développé. Néanmoins, l’absence de
données scientifiques à jour sur les effectifs des populations de tourterelle et
le risque d’affecter gravement ces populations compte tenu de la tendance au
97
TA Guadeloupe, 19 février 2019, ASPAS, n° 1800780 ; RSDA, no 2/2018, p. 93,
chron. Simon Jolivet.
98
V. Julien Bétaille, « Chasse à la glu : la tradition l’emporte sur la jurisprudence de
la Cour de justice », commentaire sur CE, 28 décembre 2018, Ligue française de
protection des oiseaux, n° 419063, AJDA, 2019, p. 1172.
99
CE, 17 décembre 2020, Ligue pour la protection des oiseaux, n° 433432 (v. aussi
CE, ord., 26 août 2019, Ligue pour la protection des oiseaux, n° 433434).
100
« Il appartient au ministre (…) de suspendre la possibilité de chasser une espèce
d’oiseau vivant à l’état sauvage en mauvais état de conservation, lorsque les données
scientifiques disponibles sur l’espèce et sa conservation ne permettent pas de s’assurer
que la chasse est compatible avec le maintien de la population ». En l’espèce, le
comité d’experts sur la gestion adaptative avait souligné le mauvais état de
conservation de l’espèce et mis en évidence les lacunes des connaissances concernant
l’espèce, ce qui ne permettait pas d’évaluer l’impact de l’autorisation de la chasse sur
l’état de conservation de l’espèce.
101
CE, ord., 11 septembre 2020, Ligue pour la protection des oiseaux et association
One Voice, n° 443482 et 443567.
326
Revue Semestrielle de Droit Animalier – RSDA
2/2020
déclin déjà observée ont probablement justifié l’applicabilité du principe en
l’espèce. Quant au non-respect du principe, il nous semble avoir été constitué
par l’absence d’évaluation des risques que la chasse aurait fait peser sur
l’espèce et sur le fait que la baisse du quota de chasse était insuffisante 102.
Au-delà de ce cas d’espèce, l’utilisation du principe de précaution dans ce
domaine nous semble prometteuse. En effet, le premier effet du principe est
de contraindre les autorités publiques à produire davantage de connaissances
scientifiques, en l’occurrence sur les populations d’oiseaux. Or, on ne protège
correctement que ce que l’on connait bien, et ce n’est manifestement pas le
cas de bon nombre de populations d’oiseaux. Surtout, le principe de
précaution oblige indirectement à justifier ses décisions de manière beaucoup
plus approfondie. Indirectement, cela renverse la charge de la preuve devant
le juge. Il n’appartient plus seulement aux associations de montrer que la
chasse d’une espèce est nocive. Il revient à l’administration de montrer en
quoi elle ne le serait pas. En obligeant l’administration à évaluer l’effectif des
populations et en encadrant ses possibilités d’autoriser la chasse, le principe
de précaution nous paraît ainsi contribuer à lutter contre le déclin des
populations.
In fine, une lecture plus poussée de la directive Oiseaux comme une
utilisation plus large du principe de précaution pourrait permettre d’exploiter
davantage le potentiel de la directive. Pour autant, il conviendrait également
de lever un certain nombre d’obstacles procéduraux afin que ces avancées
théoriques puissent se traduire dans la réalité concrète.
2. Résoudre les obstacles procéduraux pour améliorer la prévention des
atteintes
Le contentieux occupe une place importante dans la prévention des atteintes
aux populations d’oiseaux. En particulier, la procédure du référé-suspension
permet le cas d’échéant d’obtenir la suspension d’un acte administratif
portant atteinte aux oiseaux, en principe avant qu’il ne soit trop tard (A). Le
102
La situation de l’espèce semble très préoccupante. Selon la Commission
européenne, « entre 1996 et 2016, la population de tourterelles a diminué de 44 % en
France, ce qui montre comment les pressions exercées par l’agriculture et la chasse,
en particulier, peuvent contribuer à la perte de biodiversité », ce qui a conduit la
Commission à adresser à la France un avis motivé dans le cadre de la procédure
d’infraction, avant une éventuelle saisine de la Cour de justice (v. Commission
européenne, « Biodiversité : la Commission prie la France d'assurer une protection
adéquate
des
tourterelles »,
3
décembre
2020 :
https://ec.europa.eu/france/news/20201203/protection_tourterelles_des_bois_france_f
r).
327
Tribune contradictoire
caractère préventif des recours en responsabilité est quant à lui plus indirect,
mais ils peuvent permettre de dissuader l’administration d’adopter de
nouveaux actes portant atteinte aux oiseaux (B). Pour autant, le
fonctionnement de ces deux voies contentieuses de prévention des atteintes
n’est pas toujours satisfaisant.
A. La prévention par le référé-suspension
Dans la mesure où les atteintes à l’environnement sont, le plus souvent,
irréversibles, la procédure de référé-suspension 103 peut potentiellement se
révéler efficace en ce qu’elle permet d’éviter qu’elles ne se produisent.
La protection des oiseaux a d’abord semblé être un terrain privilégié du
développement du référé-suspension. Comme le relève Véronique
Gervasoni 104, c’est à l’occasion d’une affaire concernant les périodes de
chasse des oiseaux migrateurs que le Conseil d’Etat a, pour la première
fois 105, fait droit à une demande de référé-suspension sur le fondement de la
loi du 30 juin 2000 106. Plus fondamentalement, le contentieux de la directive
Oiseaux a conduit le juge à renforcer la portée de ses décisions en référé. Il a
ainsi avancé la date du caractère exécutoire de sa décision pour lui donner
effet le plus rapidement possible 107 : « le juge des référés peut avancer le
caractère exécutoire de sa décision, qui prend normalement effet le jour de
réception de sa notification à la partie concernée, en la rendant exécutoire au
moment de son prononcé » 108, ce qui permet de conférer à sa décision une
plus grande utilité pratique, notamment lorsque, comme en l’espèce, la date
de fermeture de la chasse est proche. Le juge des référés a également été
confronté à l’obstination des autorités administratives qui avaient pris
l’habitude de reprendre des décisions identiques à la suite de leur suspension
par le juge. Le Conseil d’Etat a alors rappellé que « l’administration ne
103
Article L. 521-1 du code de justice administrative.
V. Véronique Gervasoni, « De quelques apports du contentieux cynégétique », in
Des petits oiseaux aux grands principes – Mélanges en hommage au Professeur Jean
Untermaier, Mare & Martin, 2018, p. 209.
105
CE, réf., 12 février 2001, Association France Nature Environnement et a., n°
229797 ; LPA, 6 mars 2001, n° 46, p. 18, note Hervé de Gaudemar.
106
Loi n° 2000-597 du 30 juin 2000 relative au référé devant les juridictions
administratives.
107
S’agissant de la suspension d’un arrêté de fermeture de la chasse de plusieurs
espèces d’oiseaux : CE, réf., 8 février 2006, Association Convention Vie et nature, n°
289757 ; RJE, 2007, p. 499.
108
Véronique Gervasoni, « De quelques apports du contentieux cynégétique », in Des
petits oiseaux aux grands principes – Mélanges en hommage au Professeur Jean
Untermaier, Mare & Martin, 2018, p. 214.
104
328
Revue Semestrielle de Droit Animalier – RSDA
2/2020
saurait légalement reprendre une même décision sans qu’il ait été remédié au
vice que le juge des référés avait pris en considération pour prononcer la
suspension » 109.
Sur le plan pratique, le référé-suspension s’est quelques fois révélé efficace 110
mais il semble que dans bon nombre de cas, la décision en référé intervient
trop tard pour empêcher toute atteinte. Même en référé, la victoire juridique
est souvent précédée par une défaite sur le terrain. Isabelle Michallet dénonce
ainsi le procédé sournois utilisé par l’administration en matière de chasse aux
oiseaux migrateurs : « l’arrêté ouvrant cet espace de liberté est édicté de
préférence fin janvier, afin que le délai de réponse du juge des référés laisse
quelques jours de récréation aux chasseurs à l’affût » 111. Mais c’est aussi la
rapidité du juge des référés qui est en cause. L’affaire du courlis cendré en
offre un exemple récent. L’arrêté fixant le quota de chasse était paru le 2 août
et entré en vigueur depuis le 3 août. La décision du Conseil d’Etat en référé
est intervenue le 26 août 112. Dès lors, pendant 23 jours, le courlis cendré a pu
être chassé, illégalement 113.
Le cas illustrant le mieux l’échec pratique du référé-suspension en matière de
protection des oiseaux nous semble cependant être celui du Grand Tétras
dans les Pyrénées. Il mérite de présenter des données plus étayées 114. Cette
espèce relève de l’annexe II de la directive Oiseaux et peut ainsi, en théorie,
être chassée. Cependant, c’est seulement sous réserve de ne pas
compromettre les efforts de conservation. Le Grand Tétras étant dans un
109
CE, sect., 5 novembre 2003, Association Convention Vie et nature, n° 258777 et
259339, rec. p. 444, concl. F. Lamy ; LPA, 20 avril 2004, n° 79, p. 11, chron. Fabrice
Melleray.
110
CE, ord., 4 août 2003, ASPAS, n° 258778 : suspension de l’arrêté du 21 juillet
2003 fixant une date d’ouverture de la chasse à compter du 9 août 2003 ; CE, ord., 3
août 2005, Ligue pour la protection des oiseaux, n° 283104 : suspension de l’arrêté du
21 juillet 2005 fixant une date d’ouverture de la chasse à compter du 6 août 2005.
111
Isabelle Michallet, « Regarder passer les oies sauvages… et tirer ! », AJDA, 2020,
p. 73.
112
CE, ord., 26 août 2019, Ligue pour la protection des oiseaux, n° 433434.
113
Le même constat peut être dressé s’agissant du lagopède alpin. Par exemple, le 20
octobre 2020 le tribunal administratif de Grenoble a suspendu la chasse de cette
espèce dans deux départements alpins alors que la chasse était ouverte depuis la
deuxième quinzaine de septembre (TA Grenoble, réf., 20 octobre 2020, Ligue pour la
protection des oiseaux, n° 2005738 et n° 2005741).
114
L’essentiel de ces données jurisprudentielles nous ont été fournies par Hervé
Hourcade, juriste au sein de l’association France Nature Environnement MidiPyrénées. Nous remercions chaleureusement Hervé Hourcade et Maître Alice
Terrasse pour nous avoir fait part des documents pertinents ainsi que de leur
expérience de ces procédures.
329
Tribune contradictoire
mauvais état de conservation, les arrêtés autorisant sa chasse sont
systématiquement censurés par le juge administratif 115. C’est ainsi que,
depuis mars 2011, les associations pyrénéennes ont obtenu gain de cause
dans près de 50 procédures devant les juridictions administratives. A
l’échelle des Pyrénées, c’est 24 arrêtés préfectoraux qui ont été annulés 116.
115
Pour une décision récente du Conseil d’Etat, v. CE, 21 novembre 2018, Groupe
ornithologique du Roussillon, n° 411084 : « 5. Il ressort des pièces du dossier soumis
aux juges du fond qu'en relevant que l'effectif de grands tétras mâles a connu une
diminution de l'ordre de 70 % à l'échelle de l'ensemble des Pyrénées françaises entre
1960 et 2009, que l'effectif de l'espèce demeure inférieur au seuil critique de cinq
cents unités à la date de l'arrêté attaqué dans le département des Pyrénées-Orientales
et même inférieur à cent dans l'unité de gestion "Canigou-Puigmal-Carança" dont
relève l'association de chasse agréée de Llo, alors que l'indice de reproduction est
insuffisant pour assurer la conservation favorable de l'espèce à court et moyen terme
dans son aire de répartition naturelle, s'agissant d'un oiseau sédentaire, la cour
administrative d'appel a porté sur les faits de l'espèce une appréciation souveraine
exempte de dénaturation ».
116
TA Pau, 24 mars 2011, n° 0902472 (annulation de l’arrêté Hautes-Pyrénées de
septembre 2009) ; CAA Bordeaux, 9 février 2012, n° 10BX01901 (annulation de
l’arrêté Hautes-Pyrénées de septembre 2008) ; TA Toulouse, 27 juillet 2012, n°
1004064-4 et 1105243-4, confirmé en appel par CAA Bordeaux, 19 juin 2014, n°
12BX02614 et n° 12BX02615 (annulation des arrêtés Ariège de septembre 2010 et de
septembre 2011) ; CAA Bordeaux, 18 octobre 2012, n° 10BX202016 et n°
10BX02017 (annulation des arrêtés Ariège de mai 2008 et de juin 2009) ; TA Pau, 20
novembre 2012, n° 1100878-1, confirmé en appel par CAA Bordeaux, 6 novembre
2014, n° 13BX00595 (annulation de l’arrêté Hautes-Pyrénées de septembre 2010) ;
TA Pau, 30 mai 2013, n° 1102546 et n° 1202089, confirmé en appel par CAA
Bordeaux, 4 juin 2015, n° 13BX02196 et 13BX02195 (annulation de deux arrêtés
Hautes-Pyrénées de septembre 2011 et de septembre 2012) ; TA Pau, 5 février 2015,
n° 1301683 et n° 1302260, confirmé en appel par CAA Bordeaux, n° 15BX01365
(annulation de deux arrêtés Hautes-Pyrénées de juillet 2013 et septembre 2013) ; TA
Montpellier, 6 mars 2015, n° 1305601, confirmé en appel par CAA Marseille, 30 mars
2017, n° 15MA01921 et rejet du pourvoi par CE, 21 novembre 2018, n° 411084
(annulation arrêté Pyrénées-Orientales d’octobre 2013) ; TA Toulouse, 20 janvier
2016, n° 1205104, n° 1304382 et n° 1405684 (annulation des arrêtés Ariège de
septembre 2012, de septembre 2013 et de septembre 2014) ; TA Pau, 2 juin 2016, n°
1402055, confirmé en appel par CAA Bordeaux, 15 février 2019, n° 16BX02645
(annulation de l’arrêté Hautes-Pyrénées de septembre 2014) ; TA Pau, 16 juin 2016,
n° 1502020, confirmé en appel par CAA Bordeaux, 15 février 2019, n° 16BX02865
(annulation de l’arrêté Hautes-Pyrénées de septembre 2015) ; TA Pau, 8 juin 2017, n°
1601876 (annulation de l’arrêté Hautes-Pyrénées de septembre 2016) ; TA Toulouse,
20 mars 2018, n° 1500552 et n° 1504435 (annulation de deux arrêtés Ariège de
septembre 2014 et septembre 2015) ; TA Toulouse, 24 avril 2018, n°
1505420 (annulation de l’arrêté Haute-Garonne de septembre 2015) ; TA Pau, 5 juillet
2018, n° 1702000 (annulation de l’arrêté Hautes-Pyrénées de septembre 2017) ; TA
Toulouse, 13 novembre 2018, n° 1604438 (annulation de l’arrêté Ariège de septembre
330
Revue Semestrielle de Droit Animalier – RSDA
2/2020
Devant une telle obstination des préfets et compte tenu du fait que les
décisions d’annulation interviennent des mois après la fin de la saison de
chasse, les associations se sont logiquement tournées vers le juge des référés,
là encore avec un succès certain. Les tribunaux administratifs ont, à cinq
reprises, suspendu des arrêtés préfectoraux autorisant la chasse au Grand
Tétras 117. Néanmoins, en moyenne, la décision en référé est intervenue 18
jours après la date de l’arrêté préfectoral, sachant que ces arrêtés sont en
général pris quelques jours seulement avant l’ouverture de la chasse. Cela
laissait donc en moyenne au moins 15 jours de liberté aux chasseurs,
largement de quoi faire des dégâts irréversibles sur les populations de Grand
Tétras. Une affaire en particulier est tout à fait représentative de cette
situation. Le 18 octobre 2013, le juge des référés du tribunal administratif de
Montpellier a considéré que l’arrêté ne pouvait pas être suspendu compte
tenu du fait qu’à la date de l’audience celui-ci avait déjà épuisé tous ses
effets, le spécimen dont la chasse avait été autorisé ayant déjà été prélevé 118.
En somme, même dans le cadre du référé, la victoire juridique des
associations se traduit rarement par une victoire au bénéfice de l’espèce. Cela
s’explique essentiellement par la stratégie préfectorale visant à gagner le
maximum de temps au profit des chasseurs. C’est ainsi que les arrêtés sont
systématiquement publiés au dernier moment, juste avant l’ouverture de la
chasse. A partir de là, la décision du juge des référés ne peut intervenir
qu’avec un certain retard compte tenu du nécessaire respect du principe du
contradictoire dans le cadre de cette procédure. Selon Hervé Hourcade,
juriste au sein de l’association France Nature Environnement Midi-Pyrénées,
il y a une « volonté de faire échec à la saisine du juge de l’urgence par les
autorités préfectorales pyrénéennes » 119.
2016) ; TA Toulouse, 11 juin 2019, n° 1705408 (annulation de l’arrêté Ariège de
septembre 2017). En complément, il faut noter que les pourvois formés par le ministre
de l’écologie ont tous été rejetés par le Conseil d’Etat, pour la plupart en raison de
l’absence de moyens sérieux (v. CE, 12 décembre 2012, n° 358591 ; CE, 1er octobre
2013, n° 367799 ; CE, 30 septembre 2015, n° 387011 ; CE, 9 novembre 2015, n°
392378 et 392379 ; CE, 25 juin 2018, n° 412180 ; CE, 21 novembre 2018, n°
411084).
117
TA Toulouse, réf., 10 octobre 2013, n° 1304383 (suspension de l’arrêté Ariège du
26 septembre 2013) ; TA Pau, réf., 9 octobre 2015, n° 1502021-1 (suspension de
l’arrêté Hautes-Pyrénées du 15 septembre 2015) ; TA Pau, réf., 19 octobre 2016, n°
1601863 (suspension de l’arrêté Hautes-Pyrénées du 30 septembre 2016) ; TA
Montpellier, réf., 28 octobre 2016, n° 1605149 (suspension de l’arrêté PyrénéesOrientales du 6 octobre 2016) ; TA Toulouse, réf., 8 octobre 2019, n°
1905658 (suspension de l’arrêté Ariège du 27 septembre 2019).
118
TA Montpellier, réf., 18 octobre 2013, Groupe ornithologique du Roussillon, n°
130545.
119
Message personnel, inédit.
331
Tribune contradictoire
Que faire face à une telle obstination de l’État ? Outre le dépôt d’une plainte
auprès de la Commission européenne, en espérant que cette dernière ouvre
une procédure d’infraction à l’encontre de la France, les associations
pourraient essayer d’utiliser une autre procédure de référé, celle du référéliberté de l’article L. 521-2 du Code de justice administrative. L’intérêt est ici
de raccourcir le délai puisque le juge doit alors se prononcer dans un délai de
quarante-huit heures. Néanmoins, encore faut-il démontrer une atteinte grave
et manifestement illégale à une liberté fondamentale. Cela ne paraît pas
impossible. On se souvient en effet de la décision du Tribunal administratif
de Châlons-en-Champagne qui avait, dans une affaire concernant la
protection de la nature, considéré l’article 1er de la Charte de l’environnement
(droit à l’environnement) comme une liberté fondamentale 120. Il reste
cependant que cette décision n’a pas fait beaucoup d’émules 121 et le Conseil
d’Etat ne s’est jamais prononcé sur cette question.
Une autre voie s’offre néanmoins aux associations pour améliorer la
prévention des atteintes aux oiseaux, même si elle est beaucoup plus
indirecte. Il s’agit d’engager la responsabilité de l’Etat pour illégalité fautive,
en espérant que cela puisse exercer un effet dissuasif. Cette voie a d’ailleurs
été empruntée par France Nature Environnement s’agissant du Grand Tétras.
Celle-ci a obtenu la condamnation de l’État à lui verser 30 000 euros en
réparation de son préjudice moral 122. Néanmoins, l’évolution de la
jurisprudence du Conseil d’Etat semble obscurcir la possibilité de persister
dans cette voie.
B. La prévention par la responsabilité
La réparation du préjudice moral d’une association agréée de protection de
l’environnement causé par une faute de l’administration ne semblait pas
poser de difficulté dans son principe. Entre autres décisions, ce type de
préjudice a été indemnisé dans l’affaire des algues vertes 123 ou encore
s’agissant de la chasse illégale aux oiseaux migrateurs 124.
120
TA Châlons-en-Champagne, ord., 29 avril 2005, Conservatoire du patrimoine
naturel et a. c. Préfet de la Marne, n° 0500828, 0500829, 0500830.
121
V. TA Amiens, réf., 8 décembre 2005, Nowacki, no 0503011 ; AJDA 2005, p.
2372.
122
TA Pau, 26 octobre 2017, Association France Nature Environnement MidiPyrénées, n° 1502311.
123
CAA Nantes, 1er décembre 2009, Halte aux marées vertes et a. ; AJDA, 2010, p.
900, note Agathe Van Lang.
124
TA Pau, 21 janvier 1999, Association France Nature Environnement, n° 981838 ;
TA Dijon, 23 mars 1999, ASPAS, n° 987079.
332
Revue Semestrielle de Droit Animalier – RSDA
2/2020
La situation est cependant un peu moins claire depuis deux arrêts ASPAS
rendu par le Conseil d’Etat en 2015 et 2016. Ce dernier admet la réparabilité
du préjudice moral de ces associations, mais c’est sous réserve pour elles
d’en démontrer le caractère personnel, c’est-à-dire l’atteinte à leur objet
statutaire résultant des effets de la décision illégale 125. Le caractère personnel
du préjudice est une condition classique de réparabilité du préjudice, mais ce
qui frappe en l’occurrence c’est le rejet des demandes de l’association
ASPAS, pourtant largement investie dans la protection des espèces. Le
Conseil précise dans l’arrêt de 2016, à propos du préjudice moral, que « la
circonstance que des animaux ont été détruits en application des arrêtés
annulés ne saurait suffire à l'établir ». De plus, l’arrêt reste difficile à
interpréter dans la mesure où il a été rendu sur conclusions contraires du
rapporteur public. Néanmoins, il semble que le juge exige une argumentation
plus précise et circonstanciée de la part des requérantes, consistant par
exemple à démontrer en quoi les effets de la décision administrative ont
compromis l’accomplissement de leur objet statutaire et anéanti les efforts
effectués par elle pour le réaliser 126. Comme l’exprime Xavier de Lesquen,
« les destructions effectuées sur le fondement de l'arrêté illégal affectent les
intérêts moraux de l'association, du fait des efforts consentis pour éviter les
destructions inconsidérées des espèces. (…). Les associations s'investissent
localement pour une gestion équilibrée des espèces, et c'est bien l'atteinte
portée à leurs efforts qui les affecte "personnellement", au sens des intérêts
statutaires » 127.
En apparence, rien de semble avoir vraiment changé par rapport à la situation
antérieure. Cependant, ce type d’appréciation quelque peu rigoriste du
préjudice moral associatif a été reprise par certains tribunaux administratifs,
justement en matière de chasse aux oiseaux migrateurs. Dans un jugement du
9 mars 2018, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a, après avoir
reconnu la faute de l’État constituée par l’édiction de plusieurs arrêtés
illégaux, rejeté la demande indemnitaire présentée par les associations
France Nature Environnement et Ligue pour la protection des oiseaux 128.
Pour le tribunal, les dispositions de l’article L. 142-1 du Code de
l’environnement relatives à l’agrément associatif « ne dispensent pas
l’association qui sollicite la réparation du préjudice, notamment moral, causé
125
CE, 30 mars 2015, ASPAS, n° 375144, concl. Xavier de Lesquen (inédit) ; CE, 26
février 2016, ASPAS, n° 390081, concl. Xavier de Lesquen (inédit).
126
V. en ce sens les conclusions de Xavier de Lesquen sur la décision du 30 mars
2015 (inédit), p. 7.
127
Xavier de Lesquen, conclusions sur CE, 26 février 2016, ASPAS, n° 390081, p. 3
(inédit).
128
TA Cergy-Pontoise, 9 mars 2018, Association France Nature Environnement et
Ligue pour la protection des oiseaux, n° 1510876.
333
Tribune contradictoire
par les conséquences dommageables d’une illégalité fautive, de démontrer
l’existence d’un préjudice direct et certain résultant, pour elle, de la faute
commise par l’État ». Le tribunal insiste sur la démonstration du caractère
personnel du préjudice et considère que le prélèvement illégal de plusieurs
milliers d’oies sauvages n’établit pas « la réalité d’un préjudice personnel
ouvrant droit à réparation », cela alors même que l’action de ces associations
en faveur des oiseaux est particulièrement fournie depuis plusieurs dizaines
d’années.
A l’inverse, plusieurs tribunaux administratifs ont semblé admettre assez
facilement les demandes indemnitaires des associations. Cela a été le cas
s’agissant du Grand Tétras 129, de l’ours brun 130 ou encore des cétacés 131. Le
juge motive en général sa décision par l’ampleur de l’investissement de
l’association en faveur de l’espèce (activités menées, ancienneté, niveau
d’expertise, etc.).
Il reste que si l’appréciation restrictive du préjudice moral associatif devait se
confirmer à l’avenir, cela marquerait une régression du droit de
l’environnement, voire du droit de l’Union européenne 132. Il en va de
l’effectivité de la justice en matière d’environnement. Dans le cas des oiseaux
129
TA Pau, 26 octobre 2017, Association France Nature Environnement, n°
1502311 : « les autorisations successives de destructions de cet oiseau protégé
pendant cinq années ont donc causé une atteinte importante à l’objet de l’association
requérante, laquelle est ainsi fondée à demander à être indemnisée du préjudice moral
qui en résulte ».
130
TA Toulouse, 6 mars 2018, Association Pays de l’ours – ADET et Association
FERUS, n° 1501887 ; AJDA, 2018, p. 2346, note Julien Bétaille : « eu égard à leur
objet, à leur ancienneté, à leur niveau d’expertise et à l’importance des actions
menées, les fautes commises par l’État ont porté atteinte aux intérêts collectifs que
défendent ces deux associations et leur ont causé un préjudice moral certain, direct et
personnel, dont elles sont fondées à demander réparation ».
131
TA Paris, 2 juillet 2020, Association Sea Sheperd France, n° 1901535 : « eu égard
à son objet, à son ancienneté, et à l’importance des actions menées, la faute commise
par l’État a porté atteinte aux intérêts collectifs que défend cette association et lui a
causé un préjudice moral certain, direct et personnel, dont elle est fondée à demander
réparation ».
132
Rappelons que l’État engage sa responsabilité en édictant des actes contraires au
droit de l’Union européenne : CJCE, 16 décembre 1960, Humblet, n° 6/60 ; CJCE, 19
novembre 1991, Francovich et Bonifaci, C-6/90 et C-9/90, rec. I, p. 5357 ; RTDE,
1993, p. 81, chron. Enrico Traversa ; CJCE, 5 mars 1996, Brasserie du Pêcheur et
Factortame, C-46/93 et C-48/93, rec., p. I-1029 ; JDI, 1997, p. 488, note Denys
Simon ; CE, Ass., 28 février 1992, Rothmans et Philip Morris ; AJDA, 1992, p. 329,
chron. Christine Maugüé et Rémy Schwartz ; RFDA, 1992, p. 425, note Louis
Dubouis ; CE, 28 février 1992, Société Arizona Tobacco, rec., p. 78 ; AJDA, 1992, p.
210, concl. Martine Laroque ; RFDA 1992, p. 425, note Louis Dubouis.
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Revue Semestrielle de Droit Animalier – RSDA
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migrateurs, la chasse ne porte directement préjudice qu’aux oiseaux euxmêmes. Dès lors, si les associations agréées ne peuvent pas engager la
responsabilité de l’État, qui pourrait être susceptible de le faire ? Personne,
sauf à reconnaître la personnalité juridique de la nature elle-même, solution
dont on pense néanmoins qu’en dehors de sa dimension symbolique, elle ne
présente pas de véritable plus-value pour le droit de l’environnement 133.
Il faut ajouter au développement d’une approche restrictive du préjudice
moral le fait que le juge administratif se refuse toujours à admettre le
préjudice écologique pur 134. Alors que le juge civil 135, puis le législateur 136,
l’ont admis, montrant ainsi qu’il n’est nullement indispensable de reconnaître
la personnalité juridique de la nature pour prendre en compte sa valeur
intrinsèque, le juge administratif reste ici en retrait. On admet ici avoir du
mal à concevoir les raisons qui poussent encore le juge administratif à le
refuser dans la mesure où il suffirait de s’inspirer du code civil. En 2015, le
rapporteur public Xavier de Lesquen exposait dans ses conclusions relatives à
l’arrêt ASPAS qu’il était « urgent d'attendre que le législateur éclaire cette
question » 137. C’est désormais chose faite depuis la loi du 8 août 2016 pour la
reconquête de la biodiversité puisque son article 4 a intégré au Code civil la
réparation du préjudice écologique 138. La balle est désormais dans le camp du
Conseil d’État. Sur le plan préventif, l’intérêt d’une telle reconnaissance ne
serait pas négligeable. En alourdissant le montant des indemnités, cela
renforcerait le caractère dissuasif des recours en responsabilité.
133
V. Julien Bétaille, « Rights of Nature: why it might not save the entire world? »,
Journal for European Environmental & Planning Law, n° 16, 2019, p. 35 ; « La
personnalité juridique de la nature démystifiée, éléments de contre-argumentation »,
Avis d’expert, deux parties, Actu-Environnement.com, 13 novembre 2020 et 16
novembre 2020.
134
CE 12 juill. 1969, Ville de Saint-Quentin et a., rec., p. 383 ; confirmé
implicitement par CE, 30 mars 2015, ASPAS, n° 375144, concl. Xavier de Lesquen
(inédit) ; CE, 26 février 2016, ASPAS, n° 390081, concl. Xavier de Lesquen (inédit).
Sur le préjudice écologique en droit administratif, v. Olivier Fuchs, Responsabilité
administrative extracontractuelle et atteintes environnementales, thèse, droit, dact.,
Nantes, 2007 ; Marthe Lucas, « Préjudice écologique et responsabilité : Pour
l’introduction légale du préjudice écologique en droit de la responsabilité
administrative », Environnement, 2014, étude 6.
135
CA Paris, 30 mars 2010 ; Dalloz, 2010, p. 1008 et p. 2238, note Laurent Neyret ;
Cass., crim., 25 septembre 2012, n° 10-82.938 ; RTD Civ, 2013, p. 119, note Patrice
Jourdain.
136
Articles 1246 et s. du Code civil.
137
Xavier de Lesquen, conclusions sur CE, 30 mars 2015, ASPAS, n° 375144, p. 8
(inédit).
138
Article 4 de la loi n° 2016-1087 du 8 août 2016 pour la reconquête de la
biodiversité, de la nature et des paysages
335
Tribune contradictoire
Voilà qui pourrait être particulièrement utile dans ce domaine où, nous
l’avons vu, l’obstination de l’État à violer la directive Oiseaux n’a pas encore
rencontré de véritable limite. Alors que l’autorité des décisions du Conseil
d’Etat est chaque année moquée par l’État, peut-on vraiment se passer de tels
outils ? « La volonté du Conseil d’Etat d’aller aussi loin qu’il lui semble
possible pour assurer l’application de la règle communautaire » 139 est-elle
toujours d’actualité ?
139
Louis Dubouis, « La chasse et le droit communautaire – Le Conseil d’Etat assure-til pleinement la primauté de la directive sur la loi ? », RFDA, 2000, p. 409.
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