Hervé Hubert
Psychiatrist, PsychoanalystHead chief of a Psychonalitic Center in Paris ( Elan Retrouvé )President of APPS Psycho-social practice analysis
Phone: 0682946273
Address: 10 rue de Sèze 75009 Paris
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Les questions posées par la transidentité ne cessent de revenir sur le devant de la scène médiatique en France. Cela témoigne d’un fait de plus en plus évident : un passage social historique est en train de se réaliser qui modifie totalement les regards portés sur ces questions.`
Cette journée de formation « Apports et enjeux de la la transiden- tité » interrogera ce passage dans différents registres.
Il s’agira de dégager ce qu’apportent les rencontres humaines avec la transidentité et comment elles portent des questions so- ciales universelles, et en même temps de saisir les enjeux qui se font jour pour la société de demain. Comment entendre d’une autre manière cette question qui commence à trouver dans les médias sa juste place, à savoir la scène sociale ?
Psychiatre et psychanalyste j’ai reçu depuis 20 ans des centaines de personnes qui portent cette question. Cela a fait évoluer de fa- çon considérable ma pensée et ma pratique en tant que médecin, en tant que psychanalyste, en tant qu’être humain ; j’ai appris et apprends toujours d’elles et d’eux.
Ma première consultation transgenre était une personne qui avait un talent pédagogique d’une telle sensibilité que j’ai tout de suite compris pourquoi la question d’être reconnu dans le genre contraire à l’anatomie de naissance était question de vie ou de mort.
Cette question de vie ou de mort au sens propre comme au sens figuré se retrouve à chaque demande de « transition » mettant en évidence au fil des rencontres cette irrémédiable et inévitable
ATELIERS PRATIQUES DE PSYCHANALYSE SOCIALE 23 rue de la Rochefoucauld 75009 Paris www.apps-psychanalyse-sociale.com
urgence à « être » complètement ce que la personne porte intrin- sèquement.
Ces rencontres m’ont transmis ce qui caractérise tout être hu- main : un nouage matériel entre les mots, les images et les sensa- tions du corps, nouage matériel qui est au fondement de l’identi- té. Cette base , matérielle et historique, évolue dans le temps se noue, se dénoue, sensible à ce que j’ai nommé le transfert social, transfert de valeurs, valeur d’un mot par rapport à un autre mot, valeur d’une image par rapport à une autre image, valeur d’une sensation de corps par rapport à une autre sensation de corps, valeur d’une image par rapport à un mot, d’un mot par rapport à une sensation de corps...
La transidentité subvertit un ordre et véritable révolution transmet un éveil vers la vie pour l’humanité. Ces quelques points, rapide- ment décrits mais fondamentaux seront repérables dans la trame vivante de cette journée.
Hervé Hubert
Papers
Au commencement est le transfert. Au commencement de la vie, en tant qu’elle est échange avec d’autres, se produit un transfert. Cette formule fait évidence tant elle est vécue par tout être humain dans son rapport au monde, son rapport avec les autres.
Ce phénomène historique et social du transfert a produit, à un moment historique donné, l’expérience psychanalytique inventée par Freud et le mot transfert a caractérisé la relation entre le psychanalyste et celui qui est couché sur le divan.
Aujourd’hui en dehors du monde psy, le mot transfert évoque plutôt le transfert de fonds financiers ou bien le transfert de joueurs de foot. Transfert de valeurs des marchandises donc.
Pour les psychanalystes, le mot “transfert” évoque classiquement « le terrain où se joue la problématique d’une cure psychanalytique, son installation, ses modalités, son interprétation et sa résolution » pour reprendre la définition académique du « Vocabulaire de Psychanalyse » de Laplanche et Pontalis.
Allons plus loin. Freud a mis du temps à isoler le phénomène du transfert indique Lacan dans son Séminaire I en juillet 1954 car, selon les propres dires de Freud, il en a été apeuré et cela est un repère très important pour la pratique d’aujourd’hui sur le « Que faire ? » face à l’amour de transfert dans cette expérience humaine où l’intime est confié. Que faire dans ces moments transférentiels de la vie quotidienne où les significations se déplacent, où les pulsions débordent, où les phénomènes humains du tromper et cacher aboutissent à des significations qui attribuent des intentions aux autres, au socius, avec qui des rapport sociaux sont établis. Que faire à partir de l’expérience de transfert où se manifeste le phénomène fondamental de l’angoisse de la rencontre humaine, de la production d’effets humains dans les rencontres répétées et notamment de la survenue de l’amour et de la haine ? Freud a misé sur son concept d’inconscient pour répondre à cette question et cela est resté comme caractéristique première de la psychanalyse.
Si Georges Politzer en 1928 salue la voie possible vers une psychologie concrète proposée par Freud, il critique d’emblée ce concept d’inconscient, indiquant que seule la psychologie classique, abstraite, réactionnaire peut l’expliquer. L’oeuvre freudienne est prise dans de nombreuses contradictions, des poussées contraires et Politzer reste aujourd’hui le meilleur critique de ces contradictions (1)
Lacan, en effet, dans son retour à Freud part étrangement d’une lecture hégelienne de Freud alors que ce dernier considérait le système hégélien comme fou ! Il restera attaché à produire une philosophie de la psychanalyse ainsi que le souligne Louis Althusser, comme d’autres produisent des philosophies hégeliennes de l’histoire, sans prise sur la vie et le transfert qui la produit. Lacan restera hégelien jusqu’à la fin et cela en marque définitivement la limite.
Il s’agit donc, à partir de la vie sociale toujours transférentielle, de proposer et construire une autre pratique et une autre théorie dans une dialectique des contradictions humaines, une dialectique des poussées contraires.
C’est ici qu’il s’agit de recommencer cette approche du phénomène transférentiel entamée par la psychanalyse classique, et l’apport de Marx dans l’histoire des contradictions de la vie sociale et de l’histoire humaine est une base essentielle et incontournable. C’est dans ce contexte que le transfert social, transfert des valeurs, Wertübertragung, est apparu dans notre fabrique d’outils analytiques.
Travailler avec la psychanalyse sociale et l’APPS - Ateliers Pratiques de Psychanalyse Sociale - a donc comme base une autre conception du transfert que celles de Freud et Lacan, et donc une autre pratique de transfert. Il n’y a ici ni continuité théorique ni continuité pratique entre la psychanalyse sociale et la psychanalyse classique. Il ne s’agit en aucun cas de rajouter une analyse des contradictions de la vie sociale à la psychanalyse existante. La formulation « Partir d’une autre base » l’exclut.
Cela correspond à une autre pratique face aux ségrégations humaines. Les débats récents sur la PMA l’attestent : le Complexe d’Oedipe, l’ordre symbolique et l’ordre du Nom-du-Père sont au service d’une privation des libertés, privation stupide et cruelle. Ces conceptions témoignent d’un rapport au savoir sur la vie humaine qui exclut le savoir des personnes concernées sur leur propre vie.
Comment cela se fabrique-t-il ? D’abord au nom du principe qu’il y a un savoir autre contenu dans le discours de la personne et que celle-ci l’ignore… Qu’il y ait un insu dans nos dires et nos actions, dans ce que nous produisons dans notre vie, cela est là aussi une évidence. Que l’analyste se charge d’interpréter cet insu à partir d’un texte sacré, celui de Freud ou Lacan, est une autre affaire. Ce qui est lu, soit disant chez l’autre, est déjà dans le mental du psychanalyste classique. Il se surajoute à cette façon religieuse de considérer l’interprétation psychanalytique deux autres avatars : le fait de prendre l’inconscient comme une entité, une instance, d’abord ou encore comme une structure ( l’inconscient structuré comme un langage). Les années 60-70 sont souvent considérées comme libératrices au niveau intellectuel. Il y a bien sûr des apports contradictoires, mais il convient aujourd’hui de se rendre compte que la structure et l’objet ont pris le dessus dans ce quia été produit pendant cette période historique. Ainsi avec cette transformation de la vie sociale en concepts psychanalytiques, socio-philosophiques ou anthropologiques, s’est affirmé le règne de l’objet : la personne vivante y est ensevelie. Que cela soit avec Levi-Strauss, Foucault ou Lacan, il n’y a plus d’histoire. Le développement conceptuel, les outils utilisés, proviennent d’une conception an-historique et métaphysique des humains. Politzer signalait le danger : cela n’est pas l’histoire concrète, vivante et contradictoire qui est le ferment de la psychanalyse mais l’interprétation métaphysique faite à partir de concepts psychologiques ou psychanalytiques produits par une période historique donnée, en l’occurence un ordre capitaliste, patriarcal et religieux. Les concepts psycho-pathologiques utilisés par les psychanalystes classiques sont fondamentalement et dramatiquement an-historiques, depuis le concept d’hystérie, à celui de perversion en passant par l’aberration de celui d’une entité « psychose ». Cela rejoint la conception an-historique du fameux complexe d’Oedipe.
Ce n’est pas ce qui se passe dans le mental qui explique l’histoire sociale mais l’histoire sociale qui se transfère dans le mental.
Le transfert en tant qu’il est transfert social et transfert de valeurs permet de partir de l’histoire, individuelle et collective, et du mode de production correspondant. Il est alors l’outil qui permet à la personne concernée de prendre part à la découverte de ce qui lui arrive dans sa vie. L’insu, ce qu’il y a d’inconscient, est alors du côté du « faire » et non du primat transcendantal du « lire ». La libération qui est à la base de notre pratique en psychanalyse sociale, est celle qui concerne pour les humains, au niveau des pratiques individuelles et collectives, leurs rapports pratiques aux moyens qu’ils utilisent pour produire leurs vies et leurs rapports pratiques à leurs produits.
Hervé Hubert 15 octobre 2019,
publié sur
http://hubertherve75.over-blog.com
(1) http://hubertherve75.over-blog.com/2020/09/herve-hubert-entre-apport-et-aporie-de-la-critique-marxiste-retour-sur-la-critique-de-georges-politzer-faite-a-la-psychanalyse.persp
Cet énoncé intimement personnel résonne comme un coup de tonnerre dans le ciel serein de la santé mentale. En tant que psychiatre, psychanalyste, ancien chef de secteur des hôpitaux psychiatriques, cette sentence pourrait être jugée paradoxale voire antagoniste sinon provocatrice ou idiote. Je renchéris en disant que c’est au contraire le principe abstrait de maladie mentale qui détonne aujourd’hui comme hier dans des contextes historiques et économiques différents parce qu’il ne répond pas aux besoins des personnes concernées par une douleur de l’esprit, une douleur concrète vécue dans le mental. Cette affirmation pourrait être prise comme une position « antipsychiatrique ». Certes, il convient d’entendre la nécessité impérieuse de passer à des pratiques radicalement différentes concernant la souffrance mentale, aussi grave soit-elle dans sa forme d’expression ; cependant je considère que la psychiatrie est une branche de la médecine qui traite expressément cette douleur dans le mental et que sa fonction devrait permettre de comprendre et d’aider les personnes concernées par cette souffrance. Elle n’en a pas l’exclusivité et il convient de pouvoir ôter les masques de spécialistes qui nous protègent de rencontres humaines authentiques et ainsi, autoriser les potentiels soignants contenus chez tout un chacun dans certaines conditions. Enoncer « Il n’y a pas de maladie mentale ! » implique donc que les pratiques psychiatriques actuelles doivent changer de base.
Dire « Il n’y a pas de maladie mentale » est possible alors qu’énoncer « Il n’y a pas de douleur mentale » ou « Il n’y a pas de souffrance mentale » n’a aucun sens dans la pratique.
Partons de ces trois mots et des savoirs contenus dans leurs étymologies historiques, suivant en cela les leçons de mon seul maître en psychiatrie, Antonin Artaud.
« Maladie » apparaît vers 1150 et désigne une altération de la santé, surtout une affection précise.
« Douleur » apparaît en 1050 et exprime la souffrance physique ou morale, plus spécialement en rhétorique « émotion, faculté de pathétique »
« Souffrance » apparaît en 1170 et renvoie d’abord à l’action de « supporter » puis à la fonction de « trêve, d’arrêt, de faire cesser », avant de passer au sens de « délai, répit ». Parallèlement le mot « souffrance » prend la valeur de « patience, tolérer, autoriser ». C’est surtout en Moyen Français (1492) que le terme signifie « douleur, physique ou morale » et « état d’un personne qui souffre ».
Quel est l’intérêt de cette histoire linguistique en forme de triptyque ?
Tout simplement : saisir qu’utiliser les mots « douleur » ou « souffrance » rend plus difficile l’exercice et l’emprise du pouvoir bureaucratique qui régit les politiques de santé à l’écart de la problématique humaine, de ce qui se passe dans le mental et la vie sociale concrète.
Les pouvoirs bureaucratiques évoluent suivant les conditions historiques qui les déterminent et il est clair que dans la période actuelle, la régression progresse à grands pas ! Ce « progrès de la régression » est à analyser comme choix politique dans une période où existent d’autres possibles : les avancées technologiques permettant de traiter autrement les questions de la liberté, de la libre disposition de soi, de l’aliénation, de la contrainte tutélaire. Les moyens de production de savoirs, de savoirs faire, de partages des savoirs et des pratiques offrent cette possibilité.
Cela touche donc la question sociale et politique directement.
Dans ce contexte, la pratique sociale prime consciemment et inconsciemment. C’est cet aspect que nous développons dans nos Ateliers Pratiques de Psychanalyse Sociale. Nous le faisons à la fois en référence au collectif et à l’individuel.
Notre vie sociale est une expérience transférentielle dans la signification psychanalytique du terme.
Nous sommes pris dans un transfert social, c’est à dire que nous sommes à la fois agents, effets et produits des rapports sociaux que nous vivons. Cette base est fondamentale et change considérablement la donne pour les personnes qui présentent une douleur psychique. Cela change également la base du transfert psychanalytique, le rapport au savoir psychanalytique, le rapport aux pratiques de transfert. Cela implique en effet que s’il y a une souffrance psychique pour des personnes dans la vie concrète, cela indique en même temps que les rapports sociaux ne sont pas adéquats à la question que posent ces personnes. C’est là un éclairage fondamental. Il y a des questions portées par des personnes qui souffrent dans la société par les formulations qu’elles posent et il s’agit d’étudier avec elles, ce qui dans le rapport social est exprimé là. C’est ce qu’explique Antonin Artaud dans son oeuvre avec sa lucidité.
Il convient de changer les réponses données à leurs questions car les réponses dominantes actuelles sont de l’ordre de la répression sociale. Le terme « maladie mentale » renvoie au moins à deux points qui sont à changer dans les pratiques : tout d’abord le rapport avec l’autre, qui est dans le principe dominant actuel un rapport d’observation. Ensuite, vient la forme d’un savoir qui complète ce rapport de subordination et met les personnes dans la prison de la catégorisation psychopathologique. Cela correspond concrètement à un emprisonnement de la pensée et à une condamnation sociale. Libérer les potentiels inhibés, qui poussent alors la personne vers la vie dans sa relation aux autres, favoriser les créations de vie en considérant l’être humain comme un artiste en partition avec les autres, donnent d’autres perspectives pour les humains déchirés dans leurs souffrances, que de les classer en schizophrènes, paranoïaques ou hystériques ou bien encore de cocher des cases pour faire un diagnostic de désordres mentaux type DSM. Ces catégorisations font partie de l’arsenal bureaucratique et correspondent en leurs fondements - parfois à notre insu - à des logiques colonisatrices.
Partir du vécu concret de l’histoire familiale et sociale, de son enfantement, permet d’éclairer les issues émancipatrices pour les personnes souffrantes. Nous sommes alors dans le champ de l’immanence qui permet de repérer les obstacles liés au champ de la transcendance qui fait fonctionner des principes qui sont à la fois sources de toute explication et réalités supérieures.
Georges Canguilhem, médecin, philosophe et résistant contre la barbarie nazie, souligne un point qui fait directement écho à la problématique du transfert social avec cette phrase : « Par une altération lente du sens de ses objectifs la médecine, de réponse à un appel qu’elle était primitivement, est devenue obéissance à une exigence (…) Ainsi, la médecine qui est primitivement réponse à un appel émanant d’une personne singulière s’est trouvée déviée par ce qui est devenu obéissance à l’exigence des normes et des protocoles ». Cet énoncé de Georges Canguilhem a des incidences dans tous les champs de la pratique médicale. Cela concerne la psychiatrie mais aussi bien les autres champs concernés par la souffrance dans le mental : la psychologie et la psychanalyse classique dans leurs obéissances aux exigences transcendantales.
La souffrance ou la douleur ont une fonction d’appel et cela survient toujours dans le contexte d’un rapport social, d’une relation sociale. Le socius est l’autre, le compagnon, le camarade. L’énoncé « Il n’y a pas de maladie mentale » ne peut prendre sa signification qu’en complément de « Il y a une problématique du social dans le mental ». Il y a un transfert des problématiques sociales, des problématiques de ce qui se socie dans le mental. Le terme « psychanalyse sociale » affirme le désir d’analyser ce transfert, toujours social, d’en découvrir l’insu qu’il porte, ses conditions historiques singulières. Partir d’une autre base - celle de la vie sociale concrète et des transferts qui agissent, qui ont des effets, qui produisent - permet de renverser les poussées destructrices, repère fondamental pour saisir les fixations de jouissance qui collent à la souffrance. Marx l’indiquait dans ses Manuscrits Parisiens en 1844 « Le pâtir humain - compris humainement - est une jouissance de soi de l’homme ». Avec cette autre base, la dimension poétique du savoir qui se manifeste dans la pratique psychanalytique permettra de mettre en valeur un autre rapport humain, et ce qui pourra s’autoriser désormais : les conditions de la liberté et de disposer toujours plus librement de soi.
Hervé Hubert
Article préparatoire à la journée de travail de l'APPS du 22 mai 2019
"Il n'y a pas de maladie mentale...Mais une problématique du social dans le mental"
http://www.apps-psychanalyse-sociale.com/il-ny-a-pas-de-maladie
Les questions posées par la transidentité ne cessent de revenir sur le devant de la scène médiatique en France. Cela témoigne d’un fait de plus en plus évident : un passage social historique est en train de se réaliser qui modifie totalement les regards portés sur ces questions.`
Cette journée de formation « Apports et enjeux de la la transiden- tité » interrogera ce passage dans différents registres.
Il s’agira de dégager ce qu’apportent les rencontres humaines avec la transidentité et comment elles portent des questions so- ciales universelles, et en même temps de saisir les enjeux qui se font jour pour la société de demain. Comment entendre d’une autre manière cette question qui commence à trouver dans les médias sa juste place, à savoir la scène sociale ?
Psychiatre et psychanalyste j’ai reçu depuis 20 ans des centaines de personnes qui portent cette question. Cela a fait évoluer de fa- çon considérable ma pensée et ma pratique en tant que médecin, en tant que psychanalyste, en tant qu’être humain ; j’ai appris et apprends toujours d’elles et d’eux.
Ma première consultation transgenre était une personne qui avait un talent pédagogique d’une telle sensibilité que j’ai tout de suite compris pourquoi la question d’être reconnu dans le genre contraire à l’anatomie de naissance était question de vie ou de mort.
Cette question de vie ou de mort au sens propre comme au sens figuré se retrouve à chaque demande de « transition » mettant en évidence au fil des rencontres cette irrémédiable et inévitable
ATELIERS PRATIQUES DE PSYCHANALYSE SOCIALE 23 rue de la Rochefoucauld 75009 Paris www.apps-psychanalyse-sociale.com
urgence à « être » complètement ce que la personne porte intrin- sèquement.
Ces rencontres m’ont transmis ce qui caractérise tout être hu- main : un nouage matériel entre les mots, les images et les sensa- tions du corps, nouage matériel qui est au fondement de l’identi- té. Cette base , matérielle et historique, évolue dans le temps se noue, se dénoue, sensible à ce que j’ai nommé le transfert social, transfert de valeurs, valeur d’un mot par rapport à un autre mot, valeur d’une image par rapport à une autre image, valeur d’une sensation de corps par rapport à une autre sensation de corps, valeur d’une image par rapport à un mot, d’un mot par rapport à une sensation de corps...
La transidentité subvertit un ordre et véritable révolution transmet un éveil vers la vie pour l’humanité. Ces quelques points, rapide- ment décrits mais fondamentaux seront repérables dans la trame vivante de cette journée.
Hervé Hubert
Au commencement est le transfert. Au commencement de la vie, en tant qu’elle est échange avec d’autres, se produit un transfert. Cette formule fait évidence tant elle est vécue par tout être humain dans son rapport au monde, son rapport avec les autres.
Ce phénomène historique et social du transfert a produit, à un moment historique donné, l’expérience psychanalytique inventée par Freud et le mot transfert a caractérisé la relation entre le psychanalyste et celui qui est couché sur le divan.
Aujourd’hui en dehors du monde psy, le mot transfert évoque plutôt le transfert de fonds financiers ou bien le transfert de joueurs de foot. Transfert de valeurs des marchandises donc.
Pour les psychanalystes, le mot “transfert” évoque classiquement « le terrain où se joue la problématique d’une cure psychanalytique, son installation, ses modalités, son interprétation et sa résolution » pour reprendre la définition académique du « Vocabulaire de Psychanalyse » de Laplanche et Pontalis.
Allons plus loin. Freud a mis du temps à isoler le phénomène du transfert indique Lacan dans son Séminaire I en juillet 1954 car, selon les propres dires de Freud, il en a été apeuré et cela est un repère très important pour la pratique d’aujourd’hui sur le « Que faire ? » face à l’amour de transfert dans cette expérience humaine où l’intime est confié. Que faire dans ces moments transférentiels de la vie quotidienne où les significations se déplacent, où les pulsions débordent, où les phénomènes humains du tromper et cacher aboutissent à des significations qui attribuent des intentions aux autres, au socius, avec qui des rapport sociaux sont établis. Que faire à partir de l’expérience de transfert où se manifeste le phénomène fondamental de l’angoisse de la rencontre humaine, de la production d’effets humains dans les rencontres répétées et notamment de la survenue de l’amour et de la haine ? Freud a misé sur son concept d’inconscient pour répondre à cette question et cela est resté comme caractéristique première de la psychanalyse.
Si Georges Politzer en 1928 salue la voie possible vers une psychologie concrète proposée par Freud, il critique d’emblée ce concept d’inconscient, indiquant que seule la psychologie classique, abstraite, réactionnaire peut l’expliquer. L’oeuvre freudienne est prise dans de nombreuses contradictions, des poussées contraires et Politzer reste aujourd’hui le meilleur critique de ces contradictions (1)
Lacan, en effet, dans son retour à Freud part étrangement d’une lecture hégelienne de Freud alors que ce dernier considérait le système hégélien comme fou ! Il restera attaché à produire une philosophie de la psychanalyse ainsi que le souligne Louis Althusser, comme d’autres produisent des philosophies hégeliennes de l’histoire, sans prise sur la vie et le transfert qui la produit. Lacan restera hégelien jusqu’à la fin et cela en marque définitivement la limite.
Il s’agit donc, à partir de la vie sociale toujours transférentielle, de proposer et construire une autre pratique et une autre théorie dans une dialectique des contradictions humaines, une dialectique des poussées contraires.
C’est ici qu’il s’agit de recommencer cette approche du phénomène transférentiel entamée par la psychanalyse classique, et l’apport de Marx dans l’histoire des contradictions de la vie sociale et de l’histoire humaine est une base essentielle et incontournable. C’est dans ce contexte que le transfert social, transfert des valeurs, Wertübertragung, est apparu dans notre fabrique d’outils analytiques.
Travailler avec la psychanalyse sociale et l’APPS - Ateliers Pratiques de Psychanalyse Sociale - a donc comme base une autre conception du transfert que celles de Freud et Lacan, et donc une autre pratique de transfert. Il n’y a ici ni continuité théorique ni continuité pratique entre la psychanalyse sociale et la psychanalyse classique. Il ne s’agit en aucun cas de rajouter une analyse des contradictions de la vie sociale à la psychanalyse existante. La formulation « Partir d’une autre base » l’exclut.
Cela correspond à une autre pratique face aux ségrégations humaines. Les débats récents sur la PMA l’attestent : le Complexe d’Oedipe, l’ordre symbolique et l’ordre du Nom-du-Père sont au service d’une privation des libertés, privation stupide et cruelle. Ces conceptions témoignent d’un rapport au savoir sur la vie humaine qui exclut le savoir des personnes concernées sur leur propre vie.
Comment cela se fabrique-t-il ? D’abord au nom du principe qu’il y a un savoir autre contenu dans le discours de la personne et que celle-ci l’ignore… Qu’il y ait un insu dans nos dires et nos actions, dans ce que nous produisons dans notre vie, cela est là aussi une évidence. Que l’analyste se charge d’interpréter cet insu à partir d’un texte sacré, celui de Freud ou Lacan, est une autre affaire. Ce qui est lu, soit disant chez l’autre, est déjà dans le mental du psychanalyste classique. Il se surajoute à cette façon religieuse de considérer l’interprétation psychanalytique deux autres avatars : le fait de prendre l’inconscient comme une entité, une instance, d’abord ou encore comme une structure ( l’inconscient structuré comme un langage). Les années 60-70 sont souvent considérées comme libératrices au niveau intellectuel. Il y a bien sûr des apports contradictoires, mais il convient aujourd’hui de se rendre compte que la structure et l’objet ont pris le dessus dans ce quia été produit pendant cette période historique. Ainsi avec cette transformation de la vie sociale en concepts psychanalytiques, socio-philosophiques ou anthropologiques, s’est affirmé le règne de l’objet : la personne vivante y est ensevelie. Que cela soit avec Levi-Strauss, Foucault ou Lacan, il n’y a plus d’histoire. Le développement conceptuel, les outils utilisés, proviennent d’une conception an-historique et métaphysique des humains. Politzer signalait le danger : cela n’est pas l’histoire concrète, vivante et contradictoire qui est le ferment de la psychanalyse mais l’interprétation métaphysique faite à partir de concepts psychologiques ou psychanalytiques produits par une période historique donnée, en l’occurence un ordre capitaliste, patriarcal et religieux. Les concepts psycho-pathologiques utilisés par les psychanalystes classiques sont fondamentalement et dramatiquement an-historiques, depuis le concept d’hystérie, à celui de perversion en passant par l’aberration de celui d’une entité « psychose ». Cela rejoint la conception an-historique du fameux complexe d’Oedipe.
Ce n’est pas ce qui se passe dans le mental qui explique l’histoire sociale mais l’histoire sociale qui se transfère dans le mental.
Le transfert en tant qu’il est transfert social et transfert de valeurs permet de partir de l’histoire, individuelle et collective, et du mode de production correspondant. Il est alors l’outil qui permet à la personne concernée de prendre part à la découverte de ce qui lui arrive dans sa vie. L’insu, ce qu’il y a d’inconscient, est alors du côté du « faire » et non du primat transcendantal du « lire ». La libération qui est à la base de notre pratique en psychanalyse sociale, est celle qui concerne pour les humains, au niveau des pratiques individuelles et collectives, leurs rapports pratiques aux moyens qu’ils utilisent pour produire leurs vies et leurs rapports pratiques à leurs produits.
Hervé Hubert 15 octobre 2019,
publié sur
http://hubertherve75.over-blog.com
(1) http://hubertherve75.over-blog.com/2020/09/herve-hubert-entre-apport-et-aporie-de-la-critique-marxiste-retour-sur-la-critique-de-georges-politzer-faite-a-la-psychanalyse.persp
Cet énoncé intimement personnel résonne comme un coup de tonnerre dans le ciel serein de la santé mentale. En tant que psychiatre, psychanalyste, ancien chef de secteur des hôpitaux psychiatriques, cette sentence pourrait être jugée paradoxale voire antagoniste sinon provocatrice ou idiote. Je renchéris en disant que c’est au contraire le principe abstrait de maladie mentale qui détonne aujourd’hui comme hier dans des contextes historiques et économiques différents parce qu’il ne répond pas aux besoins des personnes concernées par une douleur de l’esprit, une douleur concrète vécue dans le mental. Cette affirmation pourrait être prise comme une position « antipsychiatrique ». Certes, il convient d’entendre la nécessité impérieuse de passer à des pratiques radicalement différentes concernant la souffrance mentale, aussi grave soit-elle dans sa forme d’expression ; cependant je considère que la psychiatrie est une branche de la médecine qui traite expressément cette douleur dans le mental et que sa fonction devrait permettre de comprendre et d’aider les personnes concernées par cette souffrance. Elle n’en a pas l’exclusivité et il convient de pouvoir ôter les masques de spécialistes qui nous protègent de rencontres humaines authentiques et ainsi, autoriser les potentiels soignants contenus chez tout un chacun dans certaines conditions. Enoncer « Il n’y a pas de maladie mentale ! » implique donc que les pratiques psychiatriques actuelles doivent changer de base.
Dire « Il n’y a pas de maladie mentale » est possible alors qu’énoncer « Il n’y a pas de douleur mentale » ou « Il n’y a pas de souffrance mentale » n’a aucun sens dans la pratique.
Partons de ces trois mots et des savoirs contenus dans leurs étymologies historiques, suivant en cela les leçons de mon seul maître en psychiatrie, Antonin Artaud.
« Maladie » apparaît vers 1150 et désigne une altération de la santé, surtout une affection précise.
« Douleur » apparaît en 1050 et exprime la souffrance physique ou morale, plus spécialement en rhétorique « émotion, faculté de pathétique »
« Souffrance » apparaît en 1170 et renvoie d’abord à l’action de « supporter » puis à la fonction de « trêve, d’arrêt, de faire cesser », avant de passer au sens de « délai, répit ». Parallèlement le mot « souffrance » prend la valeur de « patience, tolérer, autoriser ». C’est surtout en Moyen Français (1492) que le terme signifie « douleur, physique ou morale » et « état d’un personne qui souffre ».
Quel est l’intérêt de cette histoire linguistique en forme de triptyque ?
Tout simplement : saisir qu’utiliser les mots « douleur » ou « souffrance » rend plus difficile l’exercice et l’emprise du pouvoir bureaucratique qui régit les politiques de santé à l’écart de la problématique humaine, de ce qui se passe dans le mental et la vie sociale concrète.
Les pouvoirs bureaucratiques évoluent suivant les conditions historiques qui les déterminent et il est clair que dans la période actuelle, la régression progresse à grands pas ! Ce « progrès de la régression » est à analyser comme choix politique dans une période où existent d’autres possibles : les avancées technologiques permettant de traiter autrement les questions de la liberté, de la libre disposition de soi, de l’aliénation, de la contrainte tutélaire. Les moyens de production de savoirs, de savoirs faire, de partages des savoirs et des pratiques offrent cette possibilité.
Cela touche donc la question sociale et politique directement.
Dans ce contexte, la pratique sociale prime consciemment et inconsciemment. C’est cet aspect que nous développons dans nos Ateliers Pratiques de Psychanalyse Sociale. Nous le faisons à la fois en référence au collectif et à l’individuel.
Notre vie sociale est une expérience transférentielle dans la signification psychanalytique du terme.
Nous sommes pris dans un transfert social, c’est à dire que nous sommes à la fois agents, effets et produits des rapports sociaux que nous vivons. Cette base est fondamentale et change considérablement la donne pour les personnes qui présentent une douleur psychique. Cela change également la base du transfert psychanalytique, le rapport au savoir psychanalytique, le rapport aux pratiques de transfert. Cela implique en effet que s’il y a une souffrance psychique pour des personnes dans la vie concrète, cela indique en même temps que les rapports sociaux ne sont pas adéquats à la question que posent ces personnes. C’est là un éclairage fondamental. Il y a des questions portées par des personnes qui souffrent dans la société par les formulations qu’elles posent et il s’agit d’étudier avec elles, ce qui dans le rapport social est exprimé là. C’est ce qu’explique Antonin Artaud dans son oeuvre avec sa lucidité.
Il convient de changer les réponses données à leurs questions car les réponses dominantes actuelles sont de l’ordre de la répression sociale. Le terme « maladie mentale » renvoie au moins à deux points qui sont à changer dans les pratiques : tout d’abord le rapport avec l’autre, qui est dans le principe dominant actuel un rapport d’observation. Ensuite, vient la forme d’un savoir qui complète ce rapport de subordination et met les personnes dans la prison de la catégorisation psychopathologique. Cela correspond concrètement à un emprisonnement de la pensée et à une condamnation sociale. Libérer les potentiels inhibés, qui poussent alors la personne vers la vie dans sa relation aux autres, favoriser les créations de vie en considérant l’être humain comme un artiste en partition avec les autres, donnent d’autres perspectives pour les humains déchirés dans leurs souffrances, que de les classer en schizophrènes, paranoïaques ou hystériques ou bien encore de cocher des cases pour faire un diagnostic de désordres mentaux type DSM. Ces catégorisations font partie de l’arsenal bureaucratique et correspondent en leurs fondements - parfois à notre insu - à des logiques colonisatrices.
Partir du vécu concret de l’histoire familiale et sociale, de son enfantement, permet d’éclairer les issues émancipatrices pour les personnes souffrantes. Nous sommes alors dans le champ de l’immanence qui permet de repérer les obstacles liés au champ de la transcendance qui fait fonctionner des principes qui sont à la fois sources de toute explication et réalités supérieures.
Georges Canguilhem, médecin, philosophe et résistant contre la barbarie nazie, souligne un point qui fait directement écho à la problématique du transfert social avec cette phrase : « Par une altération lente du sens de ses objectifs la médecine, de réponse à un appel qu’elle était primitivement, est devenue obéissance à une exigence (…) Ainsi, la médecine qui est primitivement réponse à un appel émanant d’une personne singulière s’est trouvée déviée par ce qui est devenu obéissance à l’exigence des normes et des protocoles ». Cet énoncé de Georges Canguilhem a des incidences dans tous les champs de la pratique médicale. Cela concerne la psychiatrie mais aussi bien les autres champs concernés par la souffrance dans le mental : la psychologie et la psychanalyse classique dans leurs obéissances aux exigences transcendantales.
La souffrance ou la douleur ont une fonction d’appel et cela survient toujours dans le contexte d’un rapport social, d’une relation sociale. Le socius est l’autre, le compagnon, le camarade. L’énoncé « Il n’y a pas de maladie mentale » ne peut prendre sa signification qu’en complément de « Il y a une problématique du social dans le mental ». Il y a un transfert des problématiques sociales, des problématiques de ce qui se socie dans le mental. Le terme « psychanalyse sociale » affirme le désir d’analyser ce transfert, toujours social, d’en découvrir l’insu qu’il porte, ses conditions historiques singulières. Partir d’une autre base - celle de la vie sociale concrète et des transferts qui agissent, qui ont des effets, qui produisent - permet de renverser les poussées destructrices, repère fondamental pour saisir les fixations de jouissance qui collent à la souffrance. Marx l’indiquait dans ses Manuscrits Parisiens en 1844 « Le pâtir humain - compris humainement - est une jouissance de soi de l’homme ». Avec cette autre base, la dimension poétique du savoir qui se manifeste dans la pratique psychanalytique permettra de mettre en valeur un autre rapport humain, et ce qui pourra s’autoriser désormais : les conditions de la liberté et de disposer toujours plus librement de soi.
Hervé Hubert
Article préparatoire à la journée de travail de l'APPS du 22 mai 2019
"Il n'y a pas de maladie mentale...Mais une problématique du social dans le mental"
http://www.apps-psychanalyse-sociale.com/il-ny-a-pas-de-maladie