Polycopié - Modèle 2
Polycopié - Modèle 2
Contenu de la matière :
Le texte littéraire entre lire et interpréter
1. Définition de la littérature
Simard (1997 : 201) définit la littérature comme : « l’art du verbe, la littérature s’efforce
d’actualiser maximalement les virtualités de la langue en prêtant attention dans son activité, de
signifier à toutes les composantes langagières : morphosyntaxique, lexicale, textuelle mais
aussi sonore, prosodique et graphique». Sous l’influence des formalistes russes, la notion de
littérature (d’abord entendue comme un ensemble d’œuvres hautement valorisées) s’est vue
progressivement concurrencer puis remplacer par celles de littérarité (entendue comme la qualité
intrinsèque de certains textes, conduisant davantage à une sorte de typologie propre au fait
littéraire).
2. La communication littéraire
À diverses époques, on a considéré que le texte littéraire devait remplir un rôle dans la société,
l’esthétisme de l’œuvre n’étant pas suffisant. Tandis que les lecteurs du XVIIe siècle le regardait
comme un moyen plaisant de s’instruire, il est devenu au XIXe siècle le lieu de la mise à nu des
rapports sociaux et du fonctionnement de la société, pour agir ensuite directement sur cette
société, comme le souhaitaient les poètes antiques.
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La finalité esthétique peut alors dominer, l’« art pratique » n’ayant plus de raison d’être. Cette
finalité esthétique dominante n’est plus l’objet de tels débats aujourd’hui. Elle est considérée
comme une caractéristique distinctive de la littérature dont la mise en valeur permet de placer la
singularité du texte littéraire du côté de l'intention de l’auteur et non du matériau utilisé. En effet,
comme il a été dit plus haut, la langue utilisée par l'auteur, matériau de base de la littérature, est
identique à celle que nous utilisons chaque jour. Les conditions de production, de publication
et les objectifs de l’auteur vont déterminer les choix et les orientations stylistiques du texte
pour lui donner une autre finalité. La transmission d’une information, objectif habituel de tout
discours, est au second plan dans un texte littéraire.
De même, la situation de production propre à la littérature n’est pas ordinaire. Elle permet à un
auteur d'élaborer un discours construit et choisi, en lui offrant la possibilité de disposer d’un temps
plus ou moins long de réflexion et de corriger son texte jusqu’à sa publication. Cette non-linéarité
de production est autorisée par la communication décalée qui s'instaure entre l'auteur, écrivant
dans une situation de production X caractérisée par un cadre spatio-temporel précis, et le lecteur
qui se place dans une situation de réception Y, différente et pouvant être très éloignée de la
première.
Dans l'espace fictionnel, l’auteur dispose d’un relais, le « narrateur », qui ne lui est pas strictement
identifiable. Ce narrateur qui n’apparaît que dans le texte, s'adresse parfois à un « lecteur fictif »,
également uniquement présent dans le texte. Bien entendu, narrateur et lecteur fictif ne sont pas
assimilables aux personnages et à leur discours. Le texte déploie ainsi une parole fictionnelle
multiple, parfois contradictoire, qui n’est pas la seule voix de l’écrivain. Acquérant une part
d’autonomie lorsque le texte quitte son auteur, cette parole est irréductible à un point de vue
unique et peut dire bien d’autres choses.
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Si la situation de production est complexe, la situation de réception l’est tout autant. Toujours
selon M.C. ALBERT et M. SOUCHON (2000), à l'auteur répond un « lecteur empirique », inscrit
dans une situation sociale, temporelle et géographique particulière, et au scripteur correspond un
sujet lisant, le « lecteur ». Ces deux instances constituent la personne en train de lire qui a la
particularité de ne jamais correspondre exactement au destinataire originel du texte. Le lecteur
modèle n’est pas réel et la multiplicité des lecteurs possibles ne s’y superpose pas.
Les textes publiés sont a priori disponibles pour l’ensemble de la société présente et à venir,
dès le moment de leur mise à disposition. Les cas de censure mis à part, toute personne sachant
lire et partageant la langue de l’auteur – ou la langue de traduction – peut y avoir accès et en
prendre connaissance. La durée de « vie » d’un texte littéraire est, en outre, théoriquement très
longue et peut s’étendre sur plusieurs siècles.
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Cours n° 2 : Qu’est-ce qu’un texte littéraire ?
Objectif : cerner le concept de texte littéraire
Le texte littéraire est une notion vivante qui prend de la réalité pour revenir sur son espace fermé.
Il consiste en un extrait de roman, un conte, un poème ou un extrait d’une pièce de théâtre. Le
texte littéraire n’est pas seulement un phénomène de langage, il est aussi un phénomène de
voyages, de rencontres, de découvertes, d’évasion, d’exotisme. C’est beaucoup plus une aventure
qu’une affaire de lecture. Par opposition aux autres textes, le texte littéraire présente une certaine
spécificité, qui, selon P. MACHERY, réside dans son autonomie qui est à elle seule sa propre règle
dans la mesure où elle se donne ses limites en les construisant. Ouvert à toutes les possibilités, il
offre des lectures plurielles et se prête à plusieurs interprétations alors que le texte non littéraire
présente un seul sens. Nous ajouterons que c’est dans la perspective du beau que se situera la
définition du texte littéraire : un langage systématique qui devient autotélique (qui ne trouve pas
sa justification en dehors de lui-même). La notion du beau renvoie à l’accomplissement en soi
(avant, elle renvoyait à l’utilité puis cette dernière fut remplacée par l’esthétique, la forme, la
structure).
M. Thérien (1997 : 21-22) atteste que pour définir le texte littéraire, un grand nombre de théoriciens
s’entendent sur quatre points :
- le texte littéraire est polysémique ;
- le texte littéraire se caractérise par la régularité de forme ;
- le texte littéraire s’inscrit dans une série qu’il reprend et complète ; l’intertextualité
donnant à lire la culture et à la reconstruire, le caractérise ;
- le texte littéraire s’ouvre à l’imaginaire entrainant en quelque sorte le lecteur dans d’autres
mondes possible.
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2. Les particularités du texte littéraire
Parler de la particularité du texte littéraire, c’est d’abord parler de « littérarité ». C’est l’ensemble
de procédés par lesquels les oeuvres relèvent de l’art et d’un fonctionnement esthétique du langage.
Comme l’écrit Jackobson c’est la littérarité qui fait d’une oeuvre donnée une oeuvre littéraire.
Jackobson (1960, cité par C. Achour et S. Rezzoug, 1990, p.87). En effet, ce concept de la littérarité
permet de définir ce que l’on appelle un texte littéraire.
Jean-Louis Dufays (2000 : 83) explique que la littérarité contient trois grandes tensions :
- la tension entre la recherche du sens (unique) et l’activation des significations (multiples) ;
- la tension entre l’ancrage référentiel (dans le vrai) et le désancrage fictionnel (dans le faux,
dans le symbolique ou l’onirique) ;
- la tension entre la quête de conformité par rapport aux stéréotypes attendus et aux lois du
genre et la mise en valeur de leur subversion.
L’œuvre littéraire se caractérise aussi par une autre spécificité : l’autonomie. Selon P. Macherey
(cité par N. Ouhibi-Ghassoul, 2003, p.110), l’autonomie du texte littéraire est, à elle seule, sa
propre règle dans la mesure où elle lui donne des limites, en le construisant. C’est pourquoi, le
texte littéraire s’oppose aux autres textes. Par opposition aux textes scientifiques qui présentent
des fins pratiques, l’œuvre littéraire, ouverte à tous les possibles, consiste en la possibilité d’offrir
des lectures plurielles et en ce qu’elle se prête à plusieurs interprétations. Le texte littéraire
véhicule essentiellement des idées et dissimule les interprétations. De ce fait, le texte littéraire
admet une diversité d’interprétations à partir d’une source unique et non modifiable de signes
tandis que le texte non littéraire offre un seul sens.
Il faut ajouter qu’avec l’évolution des sciences du langage, le statut du texte littéraire a pris une
autre dimension avec l’apparition d’autres conceptions, d’autres visions en donnant
principalement de l’importance à la communication littéraire et en mettant en évidence les rapports
entre la poétique et la linguistique. Dans cette dimension, la particularité linguistique de la
littérature est donc de créer un autre système signifiant. R. Barthes (1964, cité par Toursel et
Vassevière, 1994: 7) écrit : « la littérature est faite avec du langage, c’est-à-dire avec une matière
qui est déjà signifiante au moment où la littérature s’en empare ». De plus, dans le contexte de la
lecture, l’œuvre littéraire offre des possibilités de développer une conscience du langage : « c’est
la littérature qui incarne les sens du langage dans ses formes les plus subtiles et les plus complexes
qui doivent englober les nuances sémantiques et l’ambiguïté. (Pieper, 2006: 11).
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La spécificité du texte littéraire, et par extension l’œuvre littéraire, peut être recherchée selon que
l’on considère ce dernier (le texte littéraire) comme une œuvre d’art, une communication
linguistique ou une structure qui ne prend sens que dans la réception :
- Le texte littéraire, comme œuvre d’art : pendant longtemps, les textes littéraires étaient
perçus comme des productions artistiques dont le but est d’instruire mais surtout de plaire.
Dans la lignée des grands écrivains du XX° siècle – poètes et romanciers voués au culte
du Beau et de l’idéal – on a invoqué les qualités formelles, condition de la survie du texte
littéraire. Appartenant, en effet, au domaine esthétique, le texte ne se laisse définir que
comme une «forme parfaite», produit d’un «travail artistique». A ce titre, l’œuvre littéraire
est opposée aux écrits qui ne visent qu’une fin utilitaire, notamment les connaissances
scientifiques.
- Le texte littéraire comme communication linguistique : le développement des sciences du
langage a favorisé l’émergence d’autres conceptions, d’autres visions quant à place et au
statut de texte littéraire. La définition du texte littéraire (citée précédemment), quelque
peu générale, ne visant que l’aspect formel du texte et par là sa valeur artistique, esthétique,
a été dépassée, à la faveur de la prise en considération de la nature particulière de la
communication littéraire. L’accent est ainsi mis sur le message en tant que tel, c’est-à-dire
«pour son propre compte» : c’est ce qui caractérise la fonction poétique du langage.
Au final, l’œuvre littéraire doit être analysée formellement, et cette analyse prend pour objet la
littérarité, c’est-à-dire ce qui fait d’une œuvre donnée une œuvre littéraire. Il importe alors de
mettre en évidence dans ce type d’analyse les rapports entre la poétique et la linguistique.
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Cours n° 3 : Les théories du texte
Objectifs : - distinguer le texte de l’œuvre - Cerner la notion de lecteur
1. Le texte et l’œuvre
Roland Barthes (De l’œuvre au texte, 1984, pp. 69-77) propose une série de qualifications qui
définissent le Texte par opposition à l'œuvre :
- l'œuvre est substantielle et le texte est représentationnel : l’œuvre c'est le livre qu'on a dans la
main, qui occupe un espace dans une bibliothèque ; son existence repose sur le seul langage.
L'œuvre relève d o n c de la réalité (de ce qui se montre) et le Texte du réel (de ce qui se
démontre).
- le Texte se caractérise par sa force de subversion, se portant à la limite des règles de l'énonciation
(rationalité, lisibilité, etc.).
- l'œuvre se ferme sur un signifié, impliquant donc une signification apparente et une signification
cachée. Le champ du Texte, au contraire, est celui du signifiant, qui engendre le symbolique,
comme jeu et dans son jeu de métonymies et d'associations en réseau.
- la nature du Texte est donc intégralement symbolique, fonctionnant, comme le langage de manière
décentrée et sans clôture. Tout Texte est pluriel et introduit une dissémination du sens.
- l'œuvre relève de la filiation à un auteur, au monde : elle se place sous l'ordre de celui qui l’a
écrite. Le Texte, lui, est sans origine : il se lit sans l'inscription de celui qui l’a écrit.
- le Texte recueille l'œuvre comme pratique, abolissant la distance entre lecture et écriture.
- le Texte implique une écriture : la théorie du Texte ne peut coïncider qu'avec une pratique de
l'écriture.
- le Texte participe enfin à une utopie sociale. Il accomplit la transparence des rapports sociaux,
du moins celle des rapports de langage.
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Barthes (1984) rajoute que « ce qui fait d'une œuvre un Texte, ce n'est pas l'époque historique de
sa production, c'est son ouverture à la diffraction du sens. Des œuvres dites modernes peuvent
être classiques et des œuvres anciennes, des Textes à part entière. La lecture de Sarrasine de
Balzac illustre cette modernité, non pas contingente, mais inhérente à la notion de Texte ».
2. Le lecteur
Le scripteur a besoin d’un destinataire à qui s’adresser. En conséquence, il va construire une
figure de lecteur idéal présentant les caractéristiques qu’il considère comme étant nécessaires à
la lecture de son texte. La première d’entre elles concerne les compétences linguistiques qui sont
supposées être communes au lecteur et à l’auteur afin d’atteindre un seuil minimal de
compréhension du texte. L’auteur attend ensuite du lecteur qu’il puisse compléter les espaces
laissés vacants, qu’il interprète le texte et décèle les signes que le texte comporte en faisant appel
à son savoir encyclopédique et à sa compétence lectoriale. Théorisée et nommée « Lecteur
Modèle » par U. ECO (1985 : 61), cette construction empirique n’a pas pour fonction de
correspondre au lecteur réel, elle est destinée à conduire l’écriture car « prévoir son Lecteur
Modèle ne signifie pas uniquement "espérer" qu'il existe, cela signifie aussi agir sur le texte de
façon à le construire » (Eco, 1985 : 69). La structure de la narration, la construction de l’incipit,
le choix du vocabulaire vont concourir à indiquer aux lecteurs le type de texte auquel ils sont
confrontés et à diriger leur interprétation. Un texte est un tissu d’espaces blancs, d’interstices à
remplir, et celui qui l’a émis prévoyait qu’ils seraient remplis ; c’est pourquoi, les a laissés en
blanc. Le lecteur est donc fréquemment sollicité. Il doit coopérer avec le texte et, au-delà, avec
l’auteur, proposer des interprétations, elles-mêmes guidées par les indices ménagés dans le texte.
Partie prenante de la création comme de l’interprétation, le lecteur est indispensable à l’existence
de l’œuvre littéraire. Ce Lecteur Modèle, en tant que construction intellectuelle, permet à
l’auteur d’élaborer des stratégies d’écriture qui correspondent aux stratégies de lecture,
nécessairement différentes mais parallèles, que va utiliser le lecteur.
Deux situations opposées apparaissent alors, dans lesquelles l’auteur construit une figure du
lecteur tandis que le lecteur fait de même avec l’auteur. L’émetteur du message doit avoir une
image pour guider le lecteur : « le lecteur empirique, en tant que sujet concret des actes de
coopération, doit lui aussi se dessiner une hypothèse d’Auteur en la déduisant justement des
données de stratégie textuelle » (Eco, 1985 : 77). L’Auteur Modèle ainsi formé s’appuie sur le
texte, mais également sur la connaissance personnelle encyclopédique du récepteur.
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Les deux figures construites de part et d’autre de la communication littéraire ne sont pas des
reflets exacts, ils sont construits à partir d’informations différentes. Ainsi, le nom de l’écrivain
figure sur le texte, qui contient lui-même des informations s’ajoutant à la connaissance potentielle
de la personne sociale par le public. Le Lecteur Modèle, à l’inverse, est une construction qui se
réalise ponctuellement et varie sans cesse. Certaines de ses propriétés sont fixes, plus ou moins
imposées par les choix de l’auteur et se répètent d’un lecteur à l’autre. Toutefois, la taille du
lectorat potentiel et sa variabilité empêchent toute définition précise et définitive. Le Lecteur
Modèle est un lecteur absolu et schématique qui doit être « capable de coopérer à l'actualisation
textuelle de la façon dont lui, l'auteur, le pensait et capable aussi d'agir interprétativement
comme lui a agi générativement » (Eco, 1985 : 68). L’Auteur Modèle, en revanche, est une
hypothèse interprétative actualisée par l’énonciation. Il ne doit pas être réduit à la personne
empirique de l’auteur mais son image peut bénéficier des informations disponibles dans ou en
dehors du texte pour aider le lecteur à établir ses propres stratégies interprétatives.
Par ailleurs, le Lecteur Modèle est susceptible de trouver un équivalent dans la réalité de la
situation de réception. Le lectorat est en effet une entité qui peut être caractérisée par différents
critères. Regroupement de type sociologique, le lectorat est un ensemble d’individu pour lequel
est destiné un genre, un courant ou une œuvre littéraire à une époque et dans une situation donnée.
Sans cesse en évolution, le lectorat est fondé sur une identification globale qui présente des
caractéristiques spécifiques, telles que la catégorie socioprofessionnelle, le sexe, l’âge ou le lieu
d’habitation des lecteurs. Les œuvres paralittéraires ont un lectorat généralement mieux identifié
que celui de leurs homologues littéraires. Néanmoins, lorsque la situation d’énonciation est
temporellement proche de la situation de réception, l'auteur littéraire comme l’auteur paralittéraire
peuvent se baser sur le lectorat auquel ils destinent leur texte pour construire un Lecteur Modèle.
Le savoir encyclopédique et la compétence lectoriale supposés par l’auteur seront alors mieux
adaptés au lectorat visé.
Ajoutons que ce lectorat n’est pas réductible au lecteur empirique, tout comme il ne peut pas être
confondu avec le Lecteur Modèle. Au moment de l’écriture, il peut correspondre à ce que l’auteur
envisage, pour changer ensuite en fonction des variations sociologiques ou culturelles d’une
société. Le rapport potentiellement entretenu par l’auteur entre le lectorat et le Lecteur Modèle
invite toutefois à lier ces deux éléments, comme c’est le cas sur la figure présentée ci- dessous qui
reprend les éléments qui représentent la communication littéraire :
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Situation Situation de
d’énonciation réception
T E X T E L IT T É R AIR E
Lectorat
Lecteur Modèle
Auteur Modèle
Auteur Lecteur
Espace fictionnel
empirique
En définitive, le discours littéraire existe et peut être analysé comme tout autre discours. Lui
conserver le qualificatif de « littéraire » permet de ne pas négliger ses spécificités, la fonction
poétique du message et la particularité de la situation de communication qui est la sienne.
Document spécifique, son étude apporte des informations au chercheur comme au lecteur, ce
qui nécessite une analyse précise des différentes instances communicantes.
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Cours n° 4 : Lire, comprendre et interpréter le texte littéraire
Objectif : distinguer la lecture/compréhension/interprétation
H.-G. Gadamer (1996) explique que comprendre correspond à l’art de dissiper les obstacles qui
surviennent dans un texte ou dans un dialogue. Il s’agit de passer d’une subjectivité frileuse (propre
au lecteur) à l’intersubjectivité véhiculée par le dialogue qui invite ce lecteur à reconnaître ce qui
vient à sa rencontre à partir de l’interprétation d’autrui, notamment celle de l’auteur.
Gadamer reprend la thèse selon laquelle “la fonction première et critique de l’interprétation [et
par conséquent de la compréhension] est d’élucider pour elle-même nos anticipations”. Ce qui
veut dire que comprendre signifie dépasser les suppositions personnelles et aller au texte lui-
même pour en construire le sens. Le sens du texte s’oriente donc par rapport à une attente, c'est-
à-dire par rapport à un sens déterminé au préalable. Lors de la lecture d’un texte, l’incessante
vérification de l’esquisse de sens, revue et corrigée, aboutit à l’émergence d’une compréhension.
Pour Gadamer, l’acte de compréhension est un acte de reconstruction. Devant un texte on se pose
la question : “Qu’est-ce que l’auteur veut dire ?” “Pour quel public ?”. Comprendre c’est se
laisser d’emblée saisir “dans un advenir de vérité où s’impose quelque chose qui a sens. Quand
nous comprenons un texte, ce qui en lui a sens captive de la même manière que le beau”. (Gadamer,
H.G., Vérité et Méthode, Éditions du Seuil, 1996).
De son côté, Paul Ricœur définit la compréhension comme capacité de s’approprier la structure du
texte. Comprendre, c’est faire ou refaire le discours qui porte la signification. Il rajoute qu’ « en
présence d’un texte, à partir de notre propre situation, nous nous comprenons nous-mêmes ».
C’est ce qui se passe quand le lecteur s’approprie un texte, à partir de sa propre situation.
Comprendre un texte, c’est don, avant tout, se comprendre devant le texte. C’est s’apprêter à
recevoir du texte, un soi plus vaste. Le lecteur ne peut aller au texte qu’en partant de lui-même, et
se laisser transformer ensuite par le texte. “Se comprendre, c’est se comprendre devant le texte et
recevoir de lui les conditions d’un soi autre que le moi qui vient à la lecture”. Il y a comme un va-
et-vient qui s’instaure entre le lecteur et le texte.
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La lecture ne peut pas être envisagée comme un processus linéaire de découverte de texte, mais
plutôt comme une démarche intégrative procédant par tâtonnements. En définitive, l’acte de
lecture ne peut s’accomplir effectivement qu’avec le consentement du lecteur.
« Je n’ai pas la prétention de faire une théorie générale de la lecture mais simplement
d’analyser, à partir de ma propre expérience, ce que je fais lorsque je lis un texte. J’ai
devant moi une feuille de papier avec des caractères noirs sur un fond blanc. La première
chose que je fais, c’est que je commence par le caviarder, par le parsemer de blancs. Et
ces blancs, ce sont en réalité les mots, les membres de la phrase que je ne comprends pas
vraiment, que je ne réunis pas aux autres, que je néglige. Evidemment, ça se passe non
seulement quand lit mais aussi quand on écrit, et c’est ce que vous faites vous-même en ce
moment, en prenant des notes. On ne peut pas lire sans négliger des fragments de phrases
du texte, et donc lire c’est délire, c’est délier. On ne peut pas avoir une lecture totale. Et
non seulement en lisant je déchire le texte mais encore je froisse, je le replie, c’est-à-dire
que je vais rapporter l’un à l’autre des passages qui se correspondent ; je vais construire
un réseau de correspondances. Par-delà la linéarité matérielle du texte, je vais recoudre
les membres dispersés du discours. Il y a une linéarité du texte, et je vais reconstruire un
espace multidimentionnel qui est l’espace sémantique de l’espace réel, l’espace vivant du
texte. On retrouve là, dans le fait de recoudre, de replier le texte, une activité textile qui
nous fait revenir au fond, aux sources étymologiques de la notion de texte. Quand je lis, je
fais un travail de facteur puisque je fais vivre une correspondances entre les parties du
texte, en m’aidant du travail d’adressage qui est fourni par la syntaxe, par la langue mais
aussi par les indications de l’auteur, par les indications de l’éditeur, par la typographie ;
je vais mêmeéventuellement constituer une sorte de géographie sémantique qui n’avait
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pas été prévue ni par l’auteur, ni par l’éditeur dans un travail de réinvention du texte. Ça
c’est le travail que je fais sur le texte lui-même mais lire vraiment c’est aussi rapporter le
texte à d’autres textes, à d’autres discours, s’il s’agit d’un texte entendu. Il s’agit là de
constituer un réseau de correspondances non plus dans le texte mais dans le corpus de
ma mémoire en quelque sorte. Et il ne s’agit pas seulement de rapporter le texte à d’autres
textes mais aussi à des images que je possède dans le grand réseau sémantique de ma
mémoire(…) Au fond, la lecture c’est, à partir d’une linéarité, d’une platitude originelle
du texte, déchirer, tordre, recoudre le texte pour ouvrir un milieu vivant où va pouvoir se
déployer le sens. C’est aussi utiliser le texte pour étendre un réseau derenvois, faire
entrer en résonance des images et des mots que nous avons déjà dans notre esprit mais
peut-être de façon dramatique, par une sorte d’effet de seuil, toute cettepelote emmêlée
d’émotions et d’image qui nous constitue. C’est alors l’occasion d’un véritable
apprentissage ; d’une transformation de notre vision du monde. Vous voyez que lire ce n’est
pas seulement comprendre les intentions de l’auteur mais aussi construire le paysage de
sens qui nous habite ».
De là nous pouvons dire que la lecture / Compréhension est considéré comme le résultat de la
rencontre de deux textes : le texte à lire et le texte du lecteur : ce « moi » qui s’approche du texte
est déjà lui-même une pluralité d’autres textes, des codes infinis, ou plus exactement dont l’origine
se perd », (R. Barthes, 1970 : 16).
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Cours n° 5 : Les niveaux de lecture du texte littéraire
Objectif : distinguer les différents niveaux de lecture d’un texte littéraire
Pour interpréter un contenu textuel, le lecteur ausculte le texte de manière attentive pour explorer
les récurrences et déployer un des signifiants possibles. Ce n’est plus le sens que le lecteur-
interprète poursuivra mais une signification (dont l’étymologie renvoie directement à l’«action
d’indiquer»). La lecture devient ainsi actualisation sociale d’un signe créé ; elle n’est plus
seulement une représentation personnelle, puisqu’elle doit nécessairement passer par la
confrontation sociale pour acquérir une certaine légitimité. Le texte polysémique se transforme
de la sorte en un matériau d’un nouveau texte, fruit de la création du lecteur qui déborde du texte
original. Dans un mouvement itératif, le lecteur s’éloigne du texte (compréhension) et s’en
rapproche (interprétation) pour constamment changer sa perspective et l’adapter à la fois à ses
connaissances et aux signes tirés du texte. Les différentes définitions de la compréhension et de
l’interprétation rappelleront immanquablement cette tension dynamique entre, d’une part, la vision
macroscopique, qui part du texte pour s’en éloigner et, d’autre part, la vision microscopique, qui
part de l’extérieur du texte pour s’y plonger et y explorer des microstructures récurrentes.
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2. Quelle (s) compétence (s) pour lire, comprendre et interpréter un texte littéraire ?
Karl canvat explique qu’il existe un socle de compétences nécessaires à la
compréhension/production de texte littéraire. Ces compétences sont à considérer au niveau de trois
dimensions du phénomène littéraire :
- le texte ou le produit discursif proprement dit ;
- les conditions et les stratégies de sa production ;
- la lecture comme opération de construction de sens.
Jean –Louis Dufay (2000 : 79) explique que le lecteur compétent est celui qui sait exploiter les
divers ressources du « liseur » (la dimension physique), du « lu » (la dimension psychoaffective)
et du « lectant » (la part cognitive) et qui sait s’ouvrir à la diversité des composantes du texte tout
en étant conscient des choix qu’il est obligé d’opérer.
Par ailleurs, Dufay (2000 : 84) atteste que la maitrise de certains concepts et outils théoriques ne
suffit pas à elle seule à développer chez les lecteurs « novices » une compétence de lecture riche
et subtile. Quatre autres axes complémentaires sont alors nécessaires :
- la stimulation du plaisir de lire et de l’appropriation des valeurs suscitées par les textes ;
- la familiarité avec l’univers culturel du livre ;
- une culture littéraire suffisante pour pouvoir décoder l’implicite ;
- un savoir-faire interprétatif : la capacité de faire signifier l’implicite en établissant des
hypothèses fondées et cohérentes.
Dans ce même sens, L. Gemenne, D. Ledure et J-L. Dufay (2000) montrent que pour développer
une lecture littéraire, il faut :
- prendre en compte les représentations du lecteur ;
- familiariser le lecteur avec l’univers du livre ;
- stimuler l’appropriation sensorielle et imaginaire des textes,
- initier au jeu des hypothèses interprétatives ;
- initier à la diversité des niveaux de lecture ;
- initier aux genres de textes ;
- connaître les codes culturels.
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Cours n° 6 : Quelques théories inhérentes à lecture d’un texte
Objectif : saisir la notion de lecture de manière générale et la lecture du texte littéraire de
manière spécifique.
Iser et Jauss (1978) présentent ces deux approches comme complémentaires : « la prise en compte
des réceptions effectives n’empêche nullement d’affirmer qu’il existe à la source un ensemble de
contraintes historiquement situées. En fait, si l’on part du constat que tout lecteur est obligé de
lire en utilisant d’abord les stéréotypes (historiquement situés) de la culture qui l’entoure, on est
amené à reconnaitre l’existence, pour chaque groupe sociohistorique, d’un réseau virtuel d’effets
communs fondés sur les stéréotypes qui permettent à ces groupes d’exister. De la sorte, avant
d’être lu, tout texte n’est qu’un pur artefact (Phénomène artificiel ou accidentel lors d'une
expérience scientifique) qui condamne chaque lecture à être un processus de construction reposant sur
les compétences et les motivations du lecteur. Ainsi, dès qu’il est situé dans un contexte de réception
particulier, le texte devient « un objet social » ou encore « un discours » et la lecture devient un
processus de reconnaissance et de combinaison d’une matièrepréexistante. Définir le texte comme un
objet social qui se prête à la fois à une reconnaissance et à une construction, à une coopération
interprétative et à des utilisations, c’est légitimer une certaine pluralité des interprétations ».
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« le sens n’est pas un immanent au texte comme, mais à une situation de communication
comprenant en outre un émetteur et un récepteur, comme aussi un ensemble de conditions (des
normes dans le genre textuel et une pratique sociale déterminée). Si donc le texte est construit
plutôt que donné, son objectivation (action d’exprimer quelque chose, définir, donner une
forme concrète) n’est pas un processus unique fixé une fois pour toute. L’objectivation du sens
textuel peut recommencer indéfiniment dans des situations nouvelles »
A partir de là, nous pouvons dire que lire ne consiste ni à identifier des significations stables et
intemporelles, ni à projeter sur le texte de purs fantasmes subjectifs mais c’est se mouvoir dans
du culturellement reconnaissable, ce qui permet à chaque communauté de lecteurs de s’entendre
un minimum sur le sens des textes.
Par ailleurs, Jean-Louis Dufays (2000 : 82) distingue deux lectures possibles :
- la lecture « littéraire » caractérisée par la suspension du sens référentiel, activation du sens
symbolique et exploitation maximale de la polysémie ;
- la lecture « fonctionnelle » caractérisée par son univocité, référencialité, priorité au fond,
conformité aux lois du genre et aux lois éthiques, clarté, investissement affectif.
Dans ce sens, la fonctionnalité et la littérarité constituent les deux pôles d’un continuum dans
lequel toutes les variations sont possibles : par exemple, une lecture peut activer la tension entre
sens et signification mais se cantonner au niveau de l’émotion et donc se montrer très littéraire.
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Cours n° 7 : La didactique des langues
Objectif : Cerner les concepts de « didactique des langues et « didactique du fle »
En science de l’éducation, on parle de didactique des disciplines pour faire référence à un travail
de réflexion sur l’ensemble des disciplines scolaires, y compris les langues vivantes. Toutefois, la
didactique des langues (DDL) se distingue des didactiques des autres disciplines par deux traits
principaux (Cicurel) :
- La DDL n’a pas de discipline-objet, c'est-à-dire que son objet n’est pas l’appropriation par
l’apprenant de savoirs construits par des disciplines comme la linguistique ou les études
littéraires ;
- Le mode d’appropriation d’une langue est double : l’apprentissage et l’enseignement de la
langue sont en concurrence avec un mode d’appropriation naturel qui est « l’acquisition » ;
ce qui n’est le cas d’aucune autre discipline.
Dans une première approche, la didactique était considérée comme issue de la pédagogie (qui en
est la plus ancienne et la plus courante dénomination). Mais dans les années 1970, la définition de
ce concept a beaucoup évoluée :
Ensemble des méthodes, techniques et procédés pour l’enseignement » G. Miaret (1979)
« La didactique se définit notamment par des recherches sur les conditions d’appropriation
des savoirs. Elle s’interroge alors moins sur les concepts et les notions en eux-mêmes, que sur leur
construction. Dans l’apprentissage, les prérequis qu’ils supposent, les représentations ordinaires
qu’en ont les apprenants, les différentes sortes d’obstacles à l’apprentissage qu’ils peuvent
susciter… La dominante est psychologique. » (Halté, 1992)
18
« La didactique d’une discipline est la science qui étudie, pour un domaine particulier, les
phénomènes d’enseignement, les conditions de la transmission de la culture propre à une
institution et les conditions de l’acquisition des connaissances par l’apprenant. » J.J. Duppin et
S. Johssua (1993)
2. La didactique du FLE
La didactique du FLE a été longtemps très marquée par les sciences du langage. En effet,
pendant une bonne partie du XXe siècle, la linguistique a su produire des modèles si élaborés
que beaucoup de chercheurs dans le domaine de l’enseignement des langues ont pu penser que,
l’objet linguistique étant commun, l’application de ces modèles à l’enseignement pouvait fournir
une réponse à la fois efficace et scientifiquement garantie. C’est cette époque qu’on a appelée celle
de la linguistique appliquée. Le déclin, en France du moins, de cette expression correspond à la
baisse de l’influence de la linguistique en sciences humaines.
Dès lors, pour beaucoup de chercheurs (M. Dabène, E. Roulet, L. Porcher par exemple), c’est
l’établissement de concepts issus de disciplines de référence qui peuvent seules la légitimer. Dès
1977, R. Galisson propose de remplacer linguistique appliquée par didactique des langues
étrangères, mais il a fallu encore bien des années pour que la didactique se détache réellement de
la linguistique dont elle ne peut être conçue comme une des applications, sinon, des sciences du
langage avec lesquelles elle garde encore des liens privilégiés. La divergence fondamentale de la
DDL avec la linguistique se situe dans l’orientation de ses modèles vers les problèmes posés
par l’enseignement et l’apprentissage, qui ne sont pas dans le champ d’investigation des linguistes.
Toutes langues enseignées, et parmi elles le français, peuvent faire l’objet d’une didactique qui
peut à son tour être scindée en plusieurs didactique en fonction de la situation de l’apprenant par
rapport à la langue à apprendre. En fait, l’enseignement du français ne peut être saisi comme un
ensemble homogène, et la première distinction entre les différentes didactiques du français est
fondée non pas sur la langue mais sur l’apprenant :
- si celui-ci s’est approprié cette langue de façon naturelle au cours de sa première
socialisation, on parlera de locuteur de langue maternelle (LM) ;
- si au contraire le français n’est pas pour lui une langue première, on le dira locuteur de
langue étrangère ou seconde (LS).
19
Cette différence est prise en compte par deux sous-ensembles de la didactique du français :
- la didactique du français langue maternelle (DFLM) ;
- la didactique du français langue seconde (DFLS).
Cela étant, la DFLM entretient des liens de nature didactique et non pas linguistique avec la
didactique des autres langues maternelles et il en va de même pour la DFLS avec la didactique des
autres langues étrangères. C’est pourquoi la DFLS est aujourd’hui plutôt conçue comme un sous-
ensemble de la didactique des langues étrangères et secondes.
D’un point de vue social et institutionnel, la DFLS a développé depuis les années 1960 un véritable
champ de recherche indépendant de celui des sciences de l’éducation et celui des sciences du
langage pour se poser en tant que discipline autonome. Dans cette perspective, on peut concevoir
son organisationen à trois niveaux :
- Le niveau méta-didactique (un niveau descriptif). C’est à ce niveau que s’effectue la
production des concepts propres à la discipline et la transposition des concepts issus des
disciplines de référence dans le but d’établir un système conceptuel cohérent, qui
détermine les méthodes d’enseignement et tente de décrire les phénomènes ;
- Le niveau méthodologique, dont l’objet est d’une part, le paramétrage théorique maximum
de l’enseignement et de l’apprentissage, et d’autre part la production d’une série organisée
de principes d’action ;
- Le niveau technique où s’élabore un ensemble de pratiques et où se mettent en œuvre les
technologies disponibles.
De manière générale, l’une des principales fonctions de la didactique est de réfléchir sur les objets
de l’enseignement, notamment sur les écarts entre les savoirs de référence et les savoirs scolaires,
de les mesurer et de tenter de les réduire : d’où la notion de transposition didactiquequi renvoie
aux opérations de fabrication des savoirs à enseigner à partir des savoir savants (Chevallard, 1991
: 13)
20
Cours n° 8 : La didactique de la littérature
Objectif : Cerner le champ de la didactique de la littérature
C’est Jean Peytard, ancien chercheur du CRELEF qui a été probablement le premier unifier l’étude de la
langue et l’étude de la littérature. Alors que les méthodes traditionnelles d’approche du texte littéraire
étaient l’illustration de faits grammaticaux et l’illustration de faits sociaux et culturels, il a été à l’origine
d’une nouvelle approche, ancrée dansle mouvement du structuralisme, qui se veut attentive aux faits de
langue littéraire. S’appuyant sur l’idée de Roland Barthes (1969) selon laquelle «la littérature est
un espace de langage», Jean Peytard (1988, p.17) indique que le texte littéraire est « le lieu de la
littérarité, c’est-à-dire de l’écriture qui signale les potentialités, les ressources de la langue à
apprendre. ».
La littérature est donc le lieu de tous les possibles de la langue. Elle est la meilleure incarnation de la
langue, et c’est à ce titre que son étude peut se révéler fructueuse pour des apprenants des langues
étrangères. Jean Pétard (1989) explique que
« Le pari à faire consiste en ce que l’approche du texte littéraire, comme ensemble des
manifestations de la langue, requiert une minutieuse attention analytique à l’é́criture (…)
L’hypothèse [est] que la littérature peut et doit être présente dans la classe de langue, et qu’elle
produira son efficacité si les approches du texte sont celles d’une sémiotique ‘différentielle’,
ou ‘sémiotique des entailles’ inscrites dans la matérialité du texte sur son aire scripturale.
Autrement dit, le texte littér aire est un laboratoire langagier, où la langue est si instamment
sollicitée et travaillée, que c’est en lui qu’elle révèle et exhibe le plus précisément ses
structures et ses fonctionnements. Littérature, non pas, non plus, comme supplément
culturel, mais assise fondatrice de l’enseignement de la langue. »
Il s’agit donc de travailler sur le signifiant et de repérer les « entailles du texte », les endroits où il y
a «polémique » : « On ne s’installe pas dans la linéarité du texte, mais dans sa tabularité. »
(Peytard, 1988, p.16). Ces entailles peuvent être de nature scripto-visuelle (titre, typographie),
syntaxique (pronoms personnels, temps verbaux, deixis, discours rapportés), paragrammatique
(grapho- phonèmes) ou de variance (variations génétiques). En étudiant ces différents éléments,
l’apprenant accède à la littérarité du texte tout en poursuivant son apprentissage de la langue.
21
Le texte étant perçu comme un ensemble de différences qui le distinguent des autres textes et en
prenant conscience de ces différences, l’apprenant finira par progresser dans sa apprentissage de la
langue ainsi que dans la connaissance de la littérature de la langue étrangère. De plus, l’intérêt de
l’approche initiée par Jean Peytard est de relier l’apprentissage de la langue à celui de la littérature par
le biais de la théorie de la littérature.
Au final, la didactique du texte littéraire doit s’inscrire dans le cadre large de la didactique des langues
et avoir les mêmes finalités d’enseignement/apprentissage des langues, de manière spécifique et de
l’école de manière générale tels que :
- aborder des questions de valeurs qui donnent sens à la vie ;
- développer le goût de lire ;
- faire acquérir une démarche de d’analyse pour développer une lecture autonome et critique.
L’articulation des savoirs de référence avec les compétences à acquérir par les élèves dans
l’enseignement de la littérature permet de délimiter un champ notionnel défini par un certain nombre
de connaissances et de concepts (les concepts sont des idées générales constituées par abstractions et
généralisation : l’élève cherche à faire fonctionner un texte à partir d’un exemple déjà étudié). Ce
champ notionnel pourrait être défini comme le « noyau dur » de la discipline appelée : «
l’enseignement de la littérature ». Dans ce cas, le projet didactique de la littérature entend :
- construire la littérature comme objet de savoir et d’apprentissage ;
- établir un type de cohérence (au niveau méthodologique) structurant la transmission des
savoirs, les pratiques des enseignants et les activités des apprenants ;
- faciliter la constitution de corpus, structuré autour des œuvres et rendre possible l’intelligence
dusens profond des variations de l’écriture littéraire.
22
2. Les finalités de la didactique de la littérature
23
Cours n° 9 : La genèse de la didactique de la littérature
Objectif : Connaitre l’origine des réflexions en didactique de la littérature
La didactique de la littérature s’est en partie constituée sur une critique de ce qui était identifié
comme une « configuration ancienne » de l’enseignement du français (Halté, 1992). La critique
portée par la didactique naissante à l’enseignement de la littérature peut être résumée dans cette
formule : « l’enseignement-apprentissage de la littérature a longtemps été contesté parce qu’il
était le lieu de pratiques impressionnistes ignorantes de leurs présupposés épistémologiques ».
L’éditorial de la première livraison de la revue Pratiques, en 1974, constitue un témoignage de
cette contestation fondée sur l’idée que de l’enseignement de la littérature ne répondait pas à une
approche scientifique. De cette période ressortent trois traits caractéristiques, qui ne manquent pas
d’avoir encore des effets sur le champ didactique actuel :
Cette approche critique, idéologique mais de forte exigence théorique, s’autorise particulièrement
de deux champs de recherche, bien qu’ils soient, à certains égards, incompatibles entre eux :
- les uns concernent les études sociologiques et philosophiques qui interrogent soit le rôle de
l’école dans la reproduction des inégalités sociales, dans le domaine de la culture littéraire
particulièrement (Bourdieu & Passeron, 1964 & 1970 ; Baudelot & Establet, 1971) soit,
plus spécifiquement, le rôle de l’école dans le fonctionnement idéologique de la littérature
(Balibar, 1974), soit encore la place de l’école dans le champ ou l’institution littéraire
(Bourdieu, 1979 ; Dubois, 1978) ;
- L’autre source de réflexion didactique, favorisant l’émergence de la didactique de la
littérature, correspond aux théories littéraires et particulièrement celles qui fondaient leur
programme sur la recherche d’une possible littérarité. L’effervescence théorique des
années 1950-1960, dans le domaine de la littérature a eu une réelle influence sur la première
génération des didacticiens, qui y trouvèrent à la fois une légitimité à critiquer ce qu’ils
percevaient comme un ordre ancien, mais surtout les outils théoriques qui permettaient de
repenser l’enseignement de la littérature.
24
Par conséquent, dans les années 1970, les lieux de rencontre entre spécialistes de l’enseignement de
la littérature et les théoriciens universitaires du texte littéraire, eux-mêmes enseignants se
multiplient : la didactique de la littérature n’est pas au départ, identifiée comme autonome des études
littéraires universitaires et c’est au contraire dans l’alliance entre chercheurs d’horizons divers
qu’émerge peu à peu une réflexion spécifique qui contribuera à fonder le champ didactique.
Mais la critique de l’enseignement traditionnel se réalise plus généralement dans l’analyse des
pratiques observées de cet enseignement, avec un accent particulier mis sur deux aspects : les
manuels en usage et les exercices dominants.
25
Cours n° 10 : Les fondements théoriques de la didactique de la littérature
Objectif : connaitre les fondements théoriques de la didactique de la littérature
Ce sont en fait essentiellement les nombreux travaux littéraires sur la lecture qui ont permis de
construire la lecture littéraire comme un véritable outil didactique théorique permettant de
concilier les avancées théoriques des années 1950-1960, centrées sur le texte, et la conception du
texte comme objet de lecture, dont le sens n’est pas conçu comme indépendant de l’interaction
qu’il entretient avec ses lecteurs – non dans un « tête à texte » mais dans le cadre d’un contexte
historique et social.
Dès les années 1990, une nouvelle « alliance » entre théoriciens de la lecture littéraire et
didacticiens : elle se concrétise (outre un numéro spécial du Français dans le monde de 1988)
dans la publication simultanée d’ouvrages théoriques non spécialement didactiques, mais rédigés
par des auteurs qui s’intéressent par ailleurs à la question même de l’apprentissage de la lecture :
on peut citer, parmi les plus représentatifs, ceux de Jean-Louis Dufays (1994), de Bertrand Gervais
(1993), de Vincent Jouve (1992 & 1993). Plus parlants encore de ce point de vue sont, la
même année, la tenue du colloque « Pour une lecture littéraire » (Dufays, Gemenne & Ledur,
1996) et le lancement de la revue Lecture littéraire (depuis 1996), qui ont offert aux didacticiens
et aux théoriciens de la lecture littéraire l’occasion de se côtoyer et discuter.
Du reste, la question didactique de la lecture des textes ne peut manquer d’interroger les théories
de la lecture littéraire. Comme l’écrit Jean Verrier (1991) : « L’étude de la façon dont les textes
sont lus, c’est-à-dire enseignés, montrés, reçus, et surtout transformés par des lecteurs
particuliers, fait intrinsèquement partie de la réflexion théorique sur la littérature ».
26
Dire de la notion de lecture littéraire qu’elle est un outil didactique, c’est signaler son intérêt et sa
productivité dans les recherches didactiques concernant l’enseignement de la littérature. Pour
autant, ce n’est pas là un concept construit de manière consensuelle dans le champ : nul ne
saurait définir, sans se voir opposer une autre définition, ce qu’est une lecture littéraire. Il faut
insister sur son statut de notion heuristique, en ce qu’elle permet d’interroger l’acte de lecture
(scolaire notamment) et de concevoir un enseignable qui ne soit pas seulement le texte (et ses
divers contours), mais la relation texte-lecteur.
C’est là, la force de la notion de « lecture littéraire », en ce sens qu’elle ouvre un espace
d’inventivité aussi bien dans les recherches théoriques que dans l’ingénierie didactique, non pas
tant par la découverte de nouvelles approches du texte littéraire que par la redéfinition d’anciennes
approches, recomposées et donc reconstruites, au moyen d’un étayage théorique nouveau qui
permet de leur donner une valeur et une raison d’être dans la conception d’un enseignement
rationnel de la littérature. Autrement dit, la notion de lecture littéraire a permis de chercher à
mieux définir un contenu enseignable susceptible de donner un contour identifiable, théorisable
et donc didactisable à l’enseignement de la littérature.
Le propre de la notion de lecture littéraire comme outil théorique (didactique) est précisément
de centrer l’attention sur ce fait, au lieu de le voir comme une conséquence de choix portant sur
le texte et ses valeurs ou ses caractéristiques intrinsèques. En même temps, et conformément aux
apports des théories littéraires qui lui servent de référent principal, la notion de lecture littéraire
s’est construite par une réévaluation du rôle du lecteur dans l’appréhension des textes, permettant
d’ouvrir, dans la lignée de Roland Barthes (1970), à la « lecture plurielle » et de passer, pour
emprunter l’expression de Thomas Aron (1987), « du texte interrogé au texte qui interroge ».
27
Cours N° 11 : Les approches du texte littéraire
Objectif : connaitre les outils théoriques permettant l’analyse du texte littéraire
En littérature le texte est avant tout exploité afin de transmettre un savoir littéraire, mais en
classe du FLE, cela ne doit pas être sa seule finalité. Il doit être exploité pour réaliser plusieurs
objectifs pédagogiques. Enseigner un texte quelconque, c’est apprendre indirectement la langue
de ce texte, analyser les objectifs esthétiques qui concernent l’apprentissage de la stylistique, et de
la rhétorique et enfin des objectifs sociohistoriques et culturels, car tout texte reflète d’abord la
société et la culture à laquelle il renvoie.
Dans un projet didactique, l’enseignant doit prendre conscience de toutes ces dimensions de
l’enseignement du texte littéraire et non seulement de l’aspect littéraire afin d’élargir le champ
d’investigation du texte et le rendre plus flexible à des usages multiples afin de permettre à
l’apprenant à se l’approprier à des usages variés. Le texte littéraire ne doit pas être exploité à des
fins esthétiques, stylistiques et culturelles, mais aussi et surtout dans le cas de la formation en
langue, à des fins langagières. Le texte doit être le lieu de tous les plaisirs de langue et donner goût
à l’apprentissage de la langue afin de motiver les apprenants.
28
Ces méthodes ont le mérite d’adosser l’enseignement de la littérature à une approche
scientifique des textes, au risque d’une illusion scientiste très vite dénoncée d’ailleurs par la plupart
des acteurs de l’époque, conscients, comme l’écrit Georges Raillard (1977, p. 100), de la difficulté
à penser un enseignement de la littérature entre « deux fantômes déchaînés : la “science”,
valorisée comme on la valorise surtout en dehors des disciplines dites “scientifiques”, et, en face,
le spectre de l’impressionnisme ».
29
Cours n° 12 : Théories sous-tendant l’enseignement/apprentissage du texte littéraire
Objectif : connaitre quelques théories liées à l’enseignement/apprentissage du texte littéraire
Cela dit, les connaissances théoriques nécessaires dans l’approche du texte littéraire sont :
- les outils théoriques : l’ensemble de connaissances techniques permettant de donner du
sens et de la valeur à un texte, tels que la sociologie des institutions (le champ littéraire
de sphère de production large et restreint, etc.), l’histoire des esthétiques littéraires, la
théorie des types et des genres littéraires (la tradition rhétorique, la poético-narratologie
de Genette), la théorie du texte de Bakhtine et de Genette (en relation avec les notions de
mythe, stéréotype et de prototype) ;
- les concepts cadres : les connaissances que l’on a des notions de texte, discours, lecture
et de littérature et qui permettent de modifier l’ensemble du regard que l’on porte sur les
textes.
La multiplicité des savoirs en jeu dans une conception de l’enseignement de la littérature a été
souvent soulignée. On les catégorise en trois grands ensembles :
- les savoirs socio-institutionnels,
- les savoirs formels,
- les savoirs historiques.
30
2. L’horizon d’attente chez l’élève : un concept théorique déterminant dans la lecture
littéraire
En 1989, A. Pagès dessine les grandes lignes d’une pédagogie de la lecture méthodique inspiré de
la théorie littéraire de Jauss (1978) et qui consiste à faire prendre conscience aux élèves des formes
littéraires propres à chaque genre et à chaque type de texte afin de leur apprendre à distinguer dans
une œuvre littéraire ce qui relève de la reproduction de ce qui relève de l’innovation. En mesurant
l’écart au plan esthétique entre l’œuvre et l’horizon d’attente en matière de formes littéraires
(l’horizon d’attente chez l’élève est fondé sur son analyse textuelle à partir de normes formelles
préexistantes mais également sur la culture héritée d’une tradition esthétique et de tout un système
de valeurs sociales, orales et spirituelles ), les élèves perçoivent l’originalité d’une œuvre. Ainsi
conçue, la lecture méthodique a pour objectif la formation d’une conscience esthétique chez les
élèves. Cette approche du texte littéraire est appelée « la théorie de l’esthétique de la réception
appliquée en didactique de la littérature ».
Au plan didactique, l’intérêt du concept de l’horizon d’attente réside dans le fait qu’onpeut
l’appliquer non seulement à la réception de l’œuvre lors de sa parution mais aussi à la réception
de l’élève lui-même. Par exemple : les modifications apportées par Racine aux mythes et aux
légendes grecs prennent tout le sens quand on les met en relation avec l’attente du public de
l’époque et avec la doctrine classique dont l’idéal était de plaire : face à l’horizon d’attente des
spectateurs habitués à un certains raffinement des mœurs, Racine se voyait obligé d’adoucir la
férocité de Pyrrhus dans Andromaque et d’atténuer la virilité hautaine d’Hyppolite dans Phèdre.
31
Cours n° 13 : Le texte littéraire comme outil pédagogique
Objectif : savoir pourquoi/comment considère-t-ton le texte littéraire comme outil pédagogique
Nous considérons que l’une des premières activités que l’on peut proposer sur la base d’un texte
littéraire correspond à l’activité de lecture. La lecture est le premier passage obligatoire pour initier
les apprenants à la lecture du texte littéraire. La lecture de ces textes peut permettre aux apprenants
de mobiliser leurs propres réalités, expériences et représentations. Pour cela, il est souhaitable
d’exercer sans relâche en classe de langue la lecture, qu’elle soit dirigée, commentée et/ou illustrée
et afin d’aider l’apprenant à maîtriser la langue, c’est-à-dire au moyen de la lecture. En fait, il
s’agit surtout de développer chez l’apprenant certaines capacités notamment celles qui consistent
à décoder et à comprendre le langage littéraire le conduisant forcément aux activités de production.
D’après Peytard (1986, cité par Rufat, 1997: p.583), le texte littéraire est celui où le langage
travaille de manière non-linéaire et non-univoque, sans pour autant en interdire une approche
réglée. Parce que précisément, elle révèle et illustre les potentialités multiples du langage, l’oeuvre
littéraire a inévitablement sa place dans les cours de FLE. J. Peytard suggère aux didacticiens
qu’ « il convient de ne pas placer le texte littéraire à la fin ou au sommet, ou au hasard de la
progression méthodologique, mais d’en faire, au début, dès l’origine du cours de langue , un
document d’observation et d’analyse ». (Peytard, 1982: 102).
32
Le choix du texte est donc l’étape la plus importante dans le déroulement du processus
pédagogique, car comme l’écrit J. Peytard (1982), cité par M. H. Estéoule-Exel (1993 : 184-185),
« le texte est cet objet-produit considéré comme un lieu de travail du langage, c’est-à-dire,
où l’on peut percevoir et analyser les effets discursifs singuliers. Travail du langage par le
scripteur. Mais simultanément scripteur travaillé par le langage. La langue est questionnée
par les épreuves qu’elle traverse […]. Ce qui apparaît d’abord […] tout ce qui fait l’étrange
du langage dans le texte et dérange nos habitudes perspectives […]. Le texte devenant ce
«laboratoire» où le langage est en expérience […]. Les mots n’ont plus cours ni valeur
ailleurs, d’abord, que dans le texte».
S. Doubrovsky (1971, cité par J. Bekker, 2008: p.30) explique aussi que le texte littéraire « c’est
un lieu d’apprentissage dans lequel les apprenants peuvent explorer tous les possibles de la langue
étrangère et toutes les virtualités connotatives, pragmatiques et culturelles qui s’inscrivent en
elle ».
Le choix du texte littéraire à étudier en classe dépend du public d’apprenants, de leur niveau en
langue étrangère et de leurs objectifs, mais il dépend aussi des caractéristiques du texte lui-même.
Quatre critères généraux sont à prendre en compte.
- Le premier critère est l’étrangeté linguistique. Lors des premières années
d’apprentissage du français, les apprenants deviennent progressivement familiers avec le
vocabulaire et la syntaxe utilisés aujourd’hui dans les conversations courantes. Dans une
perspective de communication, il est en effet logique que l’apprentissage suive une
progression allant duvocabulaire et des structures les plus courants à ceux les plus rares.
- Le second critère est l’étrangeté référentielle. Un texte présente toujours un contenu
thématique et celui-ci peut être plus ou moins familier pour le lecteur/apprenant, en
fonction des expériences qu’il a faites dans la vie, des connaissances qu’il a de la société
dont il apprend la langue, mais aussi de ses habitudes de lecture, car beaucoup de thèmes
sont récurrents en littérature. Plus le texte évoquera des thèmes étranges, plus il sera difficile à
comprendre pour le lecteur. Plongés dans un univers dont ils ignorent tout, les apprenants ne
peuvent en effet pas autant anticiper sur les événements ou inférer des idées à partir de
phrases dont ils ne connaissent pas le sens. Or, l’é́volution de la société et des idées au fil du
temps tend à rendre plus complexes les textes les plus anciens.
33
- Le troisième critère, le plus trivial mais pas le moins important, est la longueur du texte. Les
apprenants en classe de FLE lisent encore lentement, ils butent sur certains mots, ne
comprennent pas certains paragraphes immédiatement, et cette lenteur peut rendre leur
lecture t o ut à fait difficile. Certains manuels pallient cette difficulté en ne proposant
que des extraits, souvent courts, d’œuvres littéraires Toutefois les extraits prés entent
plusieurs d´défauts : sur le plan littéraire, il s’agit de textes sortis de leur contexte, ce qui
diminue souvent en grande partie leur richesse ; sur le plan pédagogique, ils sont
ponctuellement insérés dans un cours, de même que n’importe quel autre texte et n’éveillent
pas chez les apprenants l’intérêt que peut susciter une œuvre intégrale. A partir d’un
certain niveau des élèves, il est préférable de privilégier les œuvres intégrales,qui font l’objet
d’un suivi sur une ou plusieurs semaines et que les apprenants ontainsi le temps de
d´couvrir et d’explorer.
- Le dernier critère relevé directement de la didactique puisqu’il s’agit de l’insertion du texte
dans un programme, qu’il soit linguistique ou culturel. Les cours de langue suivent en effet,
une progression, à l’intérieur de laquelle le texte littéraire peut trouver sa place.
34
Cours N° 14 : La méthodologie interculturelle dans la lecture littéraire
Objectif : percevoir l’intérêt d’exploiter la dimension culturelle en didactique du fle à travers le
texte littéraire
Quel (s) dispositif (s) didactique (s) dans l’enseignement /apprentissage de la lecture
littéraire ?
Pour chaque texte, l’étude portera sur le phénomène unique choisi par l’enseignant. Cela ne signifie
pas qu’il n’existe pas d’autres éléments linguistiques intéressants dans le texte, mais simplement que
les autres éléments sont moins significatifs dans la double perspective d’une initiation à la littérature et d’une
progression dans la maîtrise de la langue française car l’objectif à long terme est bien de permettre aux
apprenants d’améliorer leurs compétences de communication en langue française, non pas d’en faire des
spécialistes de littérature. Parmi tant méthodes qui existent pour l’enseignement des textes littéraires,
citons le modèle le plus utilisé, celui de la méthode culturelle. Acquérir une autre langue, explorer sa
culture, aborder sa littérature implique la découverte et la reconnaissance d’un autre système de
valeurs.
Dans cette perspective, Cervera considère le texte littéraire comme « une expression, un regard
fragmentaire porté sur un modèle culturel ». L’objectif de cette démarche culturelle consiste à
apprendre aux apprenants de travailler sur les préjugés, les représentations et les stéréotypes
préconçus de la culture étrangère qui pourraient instaurer un blocage quant à l’apprentissage de
la langue étrangère comme le démontrent M. Abddallah- Prercteille et L. Porcher : « les rapports
avec autrui ne peuvent jamais relever pleinement de la spontanéité, mais renvoient toujours à des
représentations, c’est-à-dire à des images à coup sûr incomplètes et inexactes ». (Abdallah-
Preceille et L. Porcher, 1996: 53). L’exploitation de l’aspect culturel du texte littéraire doit plutôt être
conçue comme une série d’activités pédagogiques axées principalement sur les différentes
catégories de savoirs:
- linguistiques (le texte étant censé refléter la langue) ;
- socio-historiques et culturels (le texte étant supposé refléter la société) ;
- stylistiques, rhétoriques (le texte étant supposé être le lieu de tous les délices langagiers et par
conséquent favoriser la réflexion sur la langue).
35
Selon les études récentes il existerait trois modèles principaux d’enseignement du texte littéraire
à savoir le modèle culturel, le modèle langagier, et le modèle de développement personnel. Le
premier modèle, celui de l’aspect culturel est à notre sens le plus important, celui qu’il faudrait
exploiter en premier, essentiellement en littératures francophones parce qu’elles posent le
problème du contexte, la fait de partager les mêmes compétences culturelles du texte, il serait plus
facile pour l’apprenant de lire et de comprendre le texte, ce que nous avons pu observer chez
nos apprenants. Cette approche met l’accent sur l’aspect culturel afin de mieux faciliter
l’intégration du lecteur dans le texte.
36
Cours n° 15 : De la lecture littéraire à l’écriture littéraire : quel transfert ? Quelleméthodologie ?
Objectif : reconnaitre le lien entre la lecture et l’écriture littéraires
1. L’interaction lecture/écriture
Dans les approches didactiques actuelles de l’écriture littéraire la dimension interactive de la
relation entre l’écriture et la lecture a conduit à considérer l’écriture, outil et objet d’apprentissage,
non comme le couronnement d’autres apprentissages mais comme un élément central de ces
derniers. Cela dit, il ne peut y avoir d’acte de lecture qu’avec le plaisir de lire pour pouvoir écrire.
Pour atteindre cet objectif, lire pour écrire, il faut tout un arsenal de moyens à mettre à la
disposition des acteurs. Les enjeux de ce travail de lecture-écriture sont donc clairs : en même
temps que se fait un travail sur la langue, en même cela favorise l’émergence, en classe d’une
parole vraie, authentique. Cet accès à une parole vraie donne les moyens de se découvrir comme
sujet (c’est- à-dire comme quelqu’un qui est en train d’accomplir le travail de production avec
manifestation du « je »), dans une langue étrangère où sa propre culture peut se manifester, et de
s’affirmer comme un détenteur d’une expérience unique dans son histoire spécifique. C’est ce que
affirme O. Séoud (1997, p.170) :
« la lecture des textes par leurs auteurs va créer les conditions d’une communication
véritable entre les apprenants. Elle provoque le dévoilement de soi que le groupe analyse et
commente et qui fait courir un risque à l’auteur qui se lit : le « je » qui parle dans la classe
n’est pas un « je » de fiction, comme par exemple dans les « jeux de rôle », où l’apprenant
joue un personnage « pour produire, du grammatical et fait semblant d’avoir quelque chose
à dire ».
37
- préparer l’élève à une lecture de plus en plus affinée et de plus en plus autonome et approfondie
en le dotant d’outils d’analyse probants et adéquats qui lui faciliteraient cet approfondissement
et ce perfectionnement,
- ne pas hésiter enfin à recourir à la langue maternelle de l’apprenant pour faciliter l’accès au
sens ;
- encourager l’élève à lire pour écrire et à écrire pour lire sans appréhensions et sans risque de
sanction ;
- accepter toutes les productions (quelles qu’elles soient), les lire et procéder progressivement à
leur enrichissement (prise en charge de l’aspect linguistique, l’aspect de la cohérence, etc.) ;
- sensibiliser l’élève quant à la possibilité de se tromper sans risque d’être sanctionné, car
l’apprentissage se fait par essai → erreur → essai → appropriation.
38
Cours n° 16 : Lien entre littérature et culture
Objectif : Connaitre le lien entre la littérature et la culture
Le lien entre littérature et culture dans le domaine de la didactique des langues est bien ancien. Il
est sans cesse renouvelé. Les méthodologies traditionnelles le considéraient comme le pivot et
l’aboutissement de l’enseignement apprentissage des langues, modèle linguistique par excellence
et pierre angulaire de la culture cultivée. Les approches actuelles, en ce qui les concerne, en font
un lieu privilégié et emblématique du dialogue interculturel, ancrant leur réflexion à la fois du côté
de la sociocritique, des théories sur la réception littéraire et de la pédagogie interculturelle. Il faut
reconnaître et en même temps avoir conscience que, comme le souligne O. Séoud (1997 : 137) :
« l’interculturel est un passage obligé parce que […] tout rapport avec le texte est dans son
essence interculturel […], compte tenu évidemment de la pluralité culturelle, de la multiplicité des
croisements culturels, caractéristiques de la civilisation d’aujourd’hui.»
Fourtanier et G. Langlade (2000 : 10) attestent que l’observation de classe a montré que la maitrise
des savoirs isolés n’améliore pas la compétence interprétative des élèves. Ils posent les questions
suivantes :
En détournant leur intérêt de la lecture des textes eux-mêmes au profit de l’acquisition des
moyens de les lire, ne risque –t-on pas de porter atteinte aux finalités de la lecture littéraire
et aux exigences fondamentales de l’interprétation des textes ? Paradoxalement, une
construction méthodique des savoirs ne risque –t-elle pas d’éloigner les élèves de
l’expérience de lecture et de la dynamique interprétative que les savoir ont pour vocation
de servir ?
Ils répondent par le fait qu’ « il est nécessaire de dépasser une telle contradiction en prenant compte
de la diversité des statuts didactiques des savoirs. Les savoirs sur les textes, la littérature, son
histoire et ses rituels, ses codes et ses genres, ne sont pas seulement et ne sauraient être directement
des objets d’enseignement. Ils sont surtout et avant tout des instruments didactiques au service
d’une lecture aménagée d’une œuvre ». De la sorte, la didactique des textes littéraire n’agit pas
directement mais par l’intermédiaire de situations de lecture et de lecture aménagées pour les
besoins d’apprentissage.
39
Cours n° 17 : Culture et représentations
Objectif : connaitre la relation entre la culture et les représentations
Le concept de représentation sociale a été proposé par G. ZARATE (1993) afin de désigner « le
produit d’un travail social collectif, à travers lequel les agents sociaux construisent leurs modes
de connaissance de la réalité » (ZARATE, 1993 : 29). Agents et non pas sujets, les membres de
cette société sont dans une position active en évolution permanente où ils prennent part à la
constitution de représentations multiples. Celles-ci ne sont pas des enveloppes ou des regards
sur les manifestations sociales. En les désignant, elles contribuent à les faire exister dans la
réalité sociale à laquelle elles appartiennent.
Ainsi, dans le cadre de l’apprentissage d’une langue étrangère, l’accès aux représentations qui
régissent la culture cible permet à l’apprenant d’entrer dans un nouveau groupe social. Celui-
ci est généralement très étendu puisque les communautés décrites dans les cours de langue sont
vastes. Les appartenances culturelles sont parfois évoquées par le biais des spécialités culinaires
ou des particularités géographiques sans insister sur les caractères définitoires de ces groupes.
Destinées à être utilisées dans l’ensemble du pays considéré, voire dans la totalité des pays
partageant la langue cible, les représentations doivent correspondre à un espace géographique
et une réalité sociale vaste, ce qui leur impose d’être synthétiques et généralistes.
40
Plusieurs types de représentations se croisent alors dans la classe de langue. Chaque société
construit ses propres représentations, qui sont un moyen de reconnaissance pour le groupe et
qui participent à la construction de l’identité sociale de ses membres. Elles constituent un mode
de connaissance du monde par la désignation et le classement des réalités quotidiennes et
étrangères, et elles établissent une relation entre le système culturel d’origine du groupe et le
système de référence observé.
L’apprenant est inscrit dans cette relation par la découverte d’un ensemble de représentations
inconnues qu’il observe à partir de ses propres représentations. Les désignations de cet ailleurs,
extérieur à la réalité sociale de référence, participent à la définition des frontières de celle-ci.
Désigner, c’est déjà créer un lien et donner une existence à ce qui pourrait ne pas être perçu. La
mise en parallèle de plusieurs systèmes de représentation pourra mettre en relief la subjectivité
de ces perceptions, notamment par la comparaison entre les différents modes de désignation.
Formant une des voies d’accès à la relativité des positionnements culturels, l’observation des
représentations offre donc un terrain particulièrement riche qui tient compte des valeurs
inhérentes à la société d’origine de l’apprenant et à la culture cible. Subjectives certes, mais
résultats d’une construction sociale, elles sont les manifestations des modes de pensée qui
orientent la perception du monde dans chaque société et des hiérarchies symboliques mises en
place. Le cadre de la classe de langue offre un espace réflexif propice à la découverte de sa
propre structuration culturelle à travers la connaissance progressive de la culture étrangère. Loin
d’être déstabilisant, la compréhension des appartenances plurielles de chacun amène à relire
autrement l’adhésion aux groupes sociaux et les représentations que l’on partage avec ceux-ci.
41
Cours n° 18 : Le texte littéraire comme moyen d’accès à la culture
Objectif : connaitre l’une des fonctions du texte littéraire : moyen d’accès à la culture
Nous considérons que le texte littéraire est le support pédagogique idéal pour l’apprenant afin de
connaître et d’entrer dans la langue et la culture de l’autre et de restructurer sa propre identité, à
travers des interactions autour de ce texte. De ce fait, le texte littéraire semble être le meilleur
dispositif pour enseigner et apprendre la langue et la culture de l’autre. Il est aussi considéré
comme un espace favorable de rencontre avec d’autres cultures pour sensibiliser l’apprenant à la
différence à la diversité et à l’altérité, stimuler et développer chez lui le côté intellectuel. Il s’agit
donc dans cette perspective interculturelle de développer chez l’apprenant la capacité à s’ouvrir
sur la culture de l’Autre et permet la confrontation avec une autre perception du monde. De ce fait,
l’objectif de la démarche interculturelle consiste à apprendre aux apprenants de travailler sur les
préjugés, les représentations et les stéréotypes préconçus de la culture étrangère qui pourraient
instaurer un blocage quant à l’apprentissage de la langue étrangère comme le démontrent M.
Abddallah- Prercteille et L. Porcher :
« les rapports avec autrui ne peuvent jamais relever pleinement de la spontanéité,
mais renvoient toujours à des représentations, c’est-à-dire à des images à coup sûr
incomplètes et inexactes ». (Abdallah-Preceille et L. Porcher, 1996: 53).
Dans sa construction même, le texte littéraire est intertextuel et interculturel, à partir du moment
où il rentre en rapport avec d’autres textes. Le contact avec le texte met l’apprenant au contact
d’autres textes mais aussi avec d’autres cultures, l’apprentissage de la littérature et de langue ne se
conçoit jamais en dehors du processus de comparaison. Tout au cours de l’apprentissage,
l’apprenant compare le texte qu’il lit à d’autres textes, sa langue à la langue de l’Autre, et par là
même sa propre culture à la culture du texte. Selon Marc Lits :
« il n’est pas possible, pour des élèves, de percevoir ce qui constitue leur propre
environnement culturel sans terme de comparaison […]. Ce n’est qu’après avoir
découvert la culture de l’autre que je puis percevoir ce qui fonde mes particularités
culturelles. » (Mekhnache, 2010 : 126.)
42
Cours n° 19 : Le texte littéraire et l’interculturel : cas de la littérature francophone
Objectif : savoir considérer la dimension interculturelle d’un texte littéraire
Le texte littéraire s’il peut servir de support ou de moyen à l’apprentissage de la langue, il peut
être aussi un outil efficace d’entrer dans d’autres cultures et par là-même d’apporter un regard
différent sur sa propre culture.
Séoud (1997, p. 137.) explique que « l’interculturel est un passage obligé parce que […] tour
rapport avec le texte est dans son essence interculturel […], compte tenu évidemment de la «
pluralité » culturelle, de la multiplicité des croisements culturels, caractéristiques de la civilisation
d’aujourd’hui. ».
43
Le texte littéraire est donc le lieu, le moment et l’occasion propices pour l’apprenant d’entrer dans
la langue/culture de l’autre et de reconfigurer sa propre identité, à travers des interactions autour
de ce texte. Nous constatons donc à la suite de Roger Fayolle que l’intérêt de l’étude et de
l’enseignement des littératures francophones réside dans le fait qu’
« elle offre donc d’abord un grand intérêt historique et scientifique car elle permet de
mieux saisir les relations des phénomènes littéraires avec leur contexte socio-culturel et
de percevoir aussi quelles peuventêtre les « lois » ou, du moins, les orientations et les
étapes du développement de la littérature vers une plus grande autonomie. »
(Roger Fayolle pp.38-39).
44
Cours n° 20 : Le texte littéraire entre le double ancrage culturel/ L’altérité
Objectif : savoir considérer le texte littéraire entre le double ancrage culturel/ L’altérité
1. Définition de l’altérité
En philosophie, l'altérité est le caractère, la qualité de ce qui est autre. C'est aussi la
reconnaissance de l’autre dans sa différence, qu'elle soit ethnique, sociale, culturelle ou religieuse.
Le questionnement sur l'altérité conduit à s'interroger sur ce qui est autre (alter) que nous (ego),
sur nos relations avec lui, sur les moyens de le connaître, sur la possibilité d'exister sans lui, s'il
constitue une menace pour notre identité. Dans le langage courant, l'altérité est l'acceptation de
l'autre en tant qu'être différent et la reconnaissance de ses droits à être lui- même. L'altérité
implique la compréhension des particularités de chacun, la capacité d'ouverture aux différentes
cultures et à leur métissage.
Dans un article intitulé La question de l’interculturalité dans la littérature et les sciences sociales,
J.-P. ROGUES et S. CORBIN (2007) rapprochent littérature et altérité pour montrer la
permanence de ce thème :
« La littérature est non seulement culture, mais elle pense en outre la culture et la
question de l’altérité, qui peut être considérée comme l’un de ses ferments. Ce dont
est riche la littérature, c’est tout d’abord cette capacité à penser de façon
problématique la question de l’identité du sujet et de sa culture, de la différence
culturelle et de l’expérience de l’altérité. » (2007 : 35)
45
« L’apprenant d’une deuxième langue (ou langue étrangère) et d’une deuxième
culture (ou culture étrangère) ne perd pas la compétence qu’il a dans sa langue et
sa culture maternelles. Et la nouvelle compétence en cours d’acquisition n’est pas
non plus totalement indépendante de la précédente. L’apprenant n’acquiert pas deux
façons étrangères d’agir et de communiquer. Il devient plurilingue et apprend
l’interculturalité. Les compétences linguistiques et culturelles relatives à chaque
langue sont modifiées par la connaissance de l’autre et contribuent à la prise de
conscience, aux habiletés et aux savoir-faire interculturels. Elles permettent à
l’individu de développer une personnalité plus riche et plus complexe et d’accroître
sa capacité à apprendre d’autres langues étrangères et à s’ouvrir à des expériences
culturelles nouvelles. (Conseil de l’Europe, 2001: 40).
En définitive, nous pouvons dire que la littérature est considérée comme un support authentique
pour initier les apprenants à la culture et à la langue étrangère en vue d’acquérir une compétence
interculturelle.
Pour HEGEL (1998 : 141), « la littérature permet d’aller au-delà de la description d’une réalité
et de s’affranchir de l’histoire littéraire ou de la grammaire-traduction. Construction de l’esprit,
vision particulière du monde, elle manifeste ce que l’on nomme l’« universel- singulier »,
concept créé pour « exprimer la synthèse possible entre un individu, une particularité, une
singularité, et la présence de l’universalité ».
46
Chaque œuvre littéraire s’inscrit dans un lieu et un temps de production, elle est écrite par un
auteur individuel. Pourtant, elle exprime des sentiments et des réalités qui peuvent être
universels. Elle peut être lue partout et en tout temps : « les écrivains s’adressent à tout le monde
et sont reçus différemment par chacun […] La littérature parle à chacun d’entre nous et pour
nous tous » ((ABDALLAH-PRETCEILLE et PORCHER, 1996 : 142). À la fois image d’une
réalité particulière et expression d’un ressenti universel, le texte littéraire montre que chacun a
une perception singulière et individuelle de phénomènes communs à tous, c’est-à-dire universels.
L’auteur/scripteur d’un texte littéraire propose ainsi au lecteur sa propre représentation d’un fait
particulier, après avoir opéré une sélection nécessitée par la forme textuelle. Il n’est pas question
de produire une image détaillée, telle qu’elle peut se présenter dans la réalité, mais d’éviter le
superflu afin d’entraîner le lecteur dans une direction précise. Parfois archétypaux, les situations
et les personnages sont construits pour montrer quelques aspects d’eux-mêmes, tout en offrant
au lecteur une position privilégiée d’observateur disposant fréquemment d’une grande quantité
d’informations. La multiplication des lectures va dessiner un éventail de représentations qui
nécessite à chaque nouvelle lecture un déplacement de point de vue et empêche tout
enfermement dans une vue unique. Le texte littéraire est davantage représentation que
description. Loin de la description anthropologique, il énonce une vision du monde particulière
qui cohabite avec d’autres perceptions, d’autres textes. Il peut présenter plusieurs voix mêlées,
plusieurs représentations qui se croisent pour former une vision plurielle de la réalité évoquée.
Il peut aussi entrer en relation, volontairement ou non, avec d’autres textes, conjuguant les points
de vue et mettant en valeur la diversité des représentations possibles.
47
Cours n° 21 : Culture versus civilisation
Objectif : distinguer la culture de la civilisation
Au moment de la révolution française, le suffixe –ation lui confère le trait sémantique de l’action
et non plus d’une qualité acquise. La civilisation s’apparente à un processus transformateur, à
une évolution sociale a priori bénéfique pour tous. Cette conception s’accompagne d’une vision
de la civilisation française lisse et uniforme, ne tenant pas compte des différences régionales et
de la pluralité du pays. La mission civilisatrice des colons peut imposer un système de valeurs
que le peuple français est censé partager dans son ensemble.
Le terme « culture », au contraire, est longuement défini, comme chez L. PORCHER (1995) qui
propose de distinguer plusieurs types de culture qui prennent place dans des sociétés elles-
mêmes pluriculturelles :
« Toute société est liée à une culture d’ensemble, qui la caractérise et qui est elle-
même le résultat de très nombreuses cultures plus petites, plus sectorisées. Une
culture est un ensemble de pratiques communes, de manières de voir, de penser,
et de faire, qui contribuent à définir les appartenances des individus, c’est-à-dire
les héritages partagés dont ceux-ci sont les produits et qui constituent une
partie de leur identité. » (L. PORCHER, 1995 : 55).
48
J. DEMORGON (2005) met en garde contre la disparition de la notion de « civilisation ».
Le recours à la culture pour passer outre les jugements de valeur véhiculés par la civilisation
comporte des risques et le sociologue s’interroge à propos de l’absence de jugement prêtée à la
culture. Le remplacement mécanique de l’un par l’autre évince une part d’un débat pourtant
fertile.
«La civilisation ne constitue-t-elle pas une synthèse, souvent plus étendue et plus profonde,
entraînant une validité et une durée plus grande des orientations de pensée et d’action ?
Même si elles sont mortelles, les civilisations se déploient davantage dans le temps et
l’espace. Si la notion de "civilisation" supposait une volonté de situer une ou des cultures
au-dessus des autres, la notion de "culture", en se voulant égalisatrice, risque de contribuer
à la banalisation de toutes les cultures. » (J. DEMORGON , 2005 : 30)
Les cultures sont renouvelables, elles évoluent sans cesse et sont considérées à un moment
donné et pour une période donnée. Leur variabilité rend presque caduque tout débat de valeur
car leur présence s’impose et efface la précédente. Les civilisations, au contraire, sont inscrites
dans une histoire et portent en elles le poids du passé. Elles apparaissent comme des garantes
d’une structure, d’une cohérence permanente et non soumise aux fluctuations du présent.
Parvenir à un équilibre entre ces deux domaines est souhaitable pour rendre compte de l’assise
historique d’une civilisation et de l’actualité de sa culture. Certains manuels qui choisissent pour
en-tête le terme « civilisation » pratiquent ce dépassement en proposant des contenus culturels
et civilisationnels. La perspective adoptée va alors au-delà du clivage évoqué plus haut
pour intégrer dans le terme « culture » l’historicité et la profondeur de la civilisation. C’est ce
qui nous permet de désigner ce domaine de l’enseignement / apprentissage par un terme unique
qui est le plus fréquemment celui de « culture » dans le champ didactique.
L’accès à la culture donne donc des clés pour comprendre le fonctionnement d’une société et
pour accéder à une part sous-entendue des échanges verbaux. La présence de la civilisation offre
une assise à ce savoir et un cadre de compréhension plus large. Fortement liées à la langue,
comme le montre l’appellation proposée par R. GALISSON (1990) de « langue- culture », la
culture et la civilisation apparaissent comme une entité indivisible. Indispensable mais bien
éloignée de l’imposition d’une civilisation unique et supérieure, cette entité se conjugue à
l’aspect linguistique de l’apprentissage pour former les deux faces de l’objet central de
l’enseignement d’une langue.
49
Il apparaît cependant que le terme « culture » est le plus fréquent dans les discours didactiques.
Ce changement de vocable qui a placé la culture en lieu et place de la civilisation a été
accompagné d’une modification de la conception de l’enseignement culturel. Progressivement,
il ne s’agit plus d’imposer mais de comprendre et de reconnaître les différences de chacun
pour les respecter. L’utilisation du terme « culture » est le symbole d’un nouveau regard posé
sur l’objet enseigné. L’inculcation de valeurs imposées et considérées comme seules valables
cède la place à la reconnaissance de la légitimité de toutes les cultures.
50
Cours n° 22 : La didactique de la littérature/ La didactique de l’interculturalité.
Objectif : distinguer entre la didactique de la littérature et la didactique de l’interculturalité.
En somme, les pratiques pédagogiques doivent être orientées vers la mise en place d’un
apprentissage des lieux de reconnaissances qui préparent et déterminent la « réception » d’un texte.
Dans ce sens, c’est l’approche interculturelle qui pourrait être sollicitée pour l’enseignement des
textes littéraires. Cette dernière consiste à mettre l’accent sur l’interculturel qui se définit comme
l’ensemble des processus psychiques, relationnels, groupaux, institutionnels, générés par les
interactions de cultures […] (Clanet, 1989: 21) afin de mieux faciliter l’intégration du lecteur
dans le texte. En effet, « l’interculturel est un passage obligé parce que […] tout rapport
avec le texte est dans son essence interculturel […], compte tenu évidemment de la « pluralité »
culturelle, de la multiplicité des croisements culturels, caractéristiques de la civilisation
d’aujourd’hui ». (Séoud, 1997: 137)
Aussi, acquérir une autre langue, explorer sa culture, aborder sa littérature implique la découverte
et la reconnaissance d’un autre système de valeurs. Dans cette perspective, Cervera considère le
texte littéraire comme :
51
Une expression, un regard fragmentaire porté sur un modèle culturel. C’est en ce sens que
nous envisageons l’apprentissage d’une langue étrangère. Puisqu’apprendre une langue
étrangère ce n’est pas seulement étudier la langue, il convient d’établir un parallèle entre
la découverte d’une culture et l’apprentissage d’une langue, en somme, de mettre en
évidence cette culture partagée. L’apprentissage de la langue étrangère implique donc la
découverte de nouvelles pratiques culturelles et de nouvelles valeurs. (Cevera, 2009: 46).
Donc il est nécessaire de dire que le texte littéraire est considéré comme « un lieu emblématique
de l’interculturel » car cette méthodologie interculturelle est basée essentiellement sur une
perspective inter-relationniste entre le moi et l’Autre où il est question d’appréhender les
différences entre les cultures en question. A ce propos, De Carlo dit :
« Nous avons imaginé un modèle de construction du savoir culturel qui prendrait la forme
d’un mouvement de spirale, qui, partant de soi, se projette vers l’autre pour revenir à un
moi modifié. Mais ce mouvement n’est pas possible, qu’à condition de réexaminer la vision
et les certitudes que nous avons sur nous-mêmes et sur les autres. (De Carlo, 1998: 08).
En effet, cette perspective interculturelle permet à l’apprenant non seulement de développer son
savoir, son savoir- être, son savoir- faire, son savoir- apprendre mais également de créer un savoir-
faire culturel.
52
Cours n°23 : Développer une compétence interculturelle avec le texte littéraire
Objectif : savoir comment développer la compétence interculturelle avec le texte littéraire
Apparu dans les années 1970, ce concept nommé « interculturel » est un dépassement du
multiculturalisme qui avait cours à cette époque, notamment dans les pays anglo-saxons.
Postulant que la juxtaposition de cultures variées ne pouvait suffire au bon fonctionnement d’une
société, les partisans de l’interculturalisme proposèrent d’instaurer une vraie relation entre
les différentes communautés. Sans renoncer à sa propre culture, chacun peut s’enrichir par le
contact avec d’autres cultures et l’ouverture à l’altérité. Cette perspective suppose, bien entendu,
une égalité de principe entre toutes les cultures et un respect mutuel, garants de bonnes conditions
pour établir une relation.
L’interculturel s’est vite développé vers diverses applications et orientations dans les milieux de
l’action sociale. Repris ensuite par le domaine des langues étrangères, il a connu de nombreuses
critiques et a dû passer outre des difficultés d’ordres multiples. Le lien établi dès l’origine avec
l’immigration, la méfiance et la suspicion suscitées par le sujet des différences, la terminologie
mal stabilisée, ou la suprématie du « modèle culturaliste » sont analysés par M. ABDALLAH-
PRETCEILLE (1999 : 50) comme des facteurs fragilisants qui ont empêché une appropriation et
des recherches spécifiques sur ce sujet.
Selon le CECR (p.117), la compétence interculturelle est le savoir-être qui va regrouper deux
composantes :
53
interculturelle. Elle s’enrichit des savoirs et des savoir-faire qui lui sont
associés, tout en permettant une interprétation des informations
disponibles.
Le modèle dit interculturel permet de distinguer différentes dimensions qui pourront être
abordées par les textes relevant de ce champ. En tant qu’entité culturelle et patrimoniale,
il présente un caractère artistique et une histoire littéraire qui le lient au savoir cultivé. Le texte
comporte ensuite des informations quant à la vie quotidienne, aux us et coutumes d’un pays, aux
relations sociales qui s’apparentent au savoir encyclopédique et peuvent participer à la formation
d’un savoir-faire culturel. Comme le dit D. BRAHIMI (2001 : 3), « la littérature est le fait
d’individus marqués par leur environnement immédiat » . Celui-ci transparaît dans le texte et
forme fréquemment le cadre du sujet. Le savoir-interpréter, quant à lui, peut se développer dans
un cadre propice lorsque l’apprenant lit un texte littéraire. La relation qui s’établit entre le texte
et son lecteur sollicite celui-ci et attend qu’il forme sa propre lecture, individuelle et unique.
Enfin, l’acquisition d’un savoir-être portant plus particulièrement sur la compétence de
communication interculturelle trouve un terrain particulièrement intéressant dans les textes
littéraires puisque, comme le disent M. ABDALLAH-PRETCEILLE et L. PORCHER (1996 :
138), « la littérature permet d’étudier l’homme dans sa complexité et sa variabilité ». Les textes
sont pluriels, ils rendent compte du monde en suivant une voie particulière lorsqu’il est
question de découvrir une réalité étrangère au lecteur. ABDALLAH-PRETCEILLE et
PORCHER, 1996: 139) justifient leur idée relative à l’interculturel par le fait que :
54
Cours n°24 : Analyser une séquence pédagogique :
Le poème de Jacques Prévert intitulé « Page d’écriture »
Objectif : observer le déploiement de l’approche interculturelle du texte littéraire dans les pratiques
de classe décrites dans les documents (extraits d’Internet) suivants :
Cette pr e mièr e s éque nce est consacrée à l’é́tude du poème de Jacques Prévet intitulé Page d’écriture.
Elle est proposée aux apprenants dans une double perspective : les initier à la méthode d’analyse stylistique
(et notamment, leur donner l’habitude de relever des mots ou des expressions du texte pour les
commenter) ainsi qu’à la notion de symbole à travers l’opposition entre sens littéral et sens figuré. Nous
avons choisi ce poème parce qu’il peut faire l’objet d’une analyse intéressante, tout à fait accessible à
des apprenants de niveau 2. En effet, Page d’écriture ne pose pas de difficultés sur le plan linguistique,
`a l’exception de certaines expressions que les apprenants ignorent probablement comme «foutre le
camp », «ne faire ni une ni deux », « faire le pitre », et de la valeurde conséquence de « et », qui pourront
faire l’objet d’une brève explication. De même, sur le plan discursif, il est simple et facile à comprendre
pour des apprenants de niveau 2. Le poème met toutefois en œuvre un réseau complexe d’oppositions
qui permet d’initier les apprenants à la notion de symbole et de les faire pénétrer dans l’imaginaire
français. Cette séquence peut être mise en place en début d’année en guise d’initiation à la méthode
stylistique sur un texte qui ne pose pas beaucoup de problèmes de compréhension. Une à deux heures de
cours peuvent lui être consacrées. Les défenseurs de la stylistique trouveront peut-être que l’activité
d’exploitation n’est pas assez dense et ne met pas en œuvre suffisamment d’outils stylistiques, car le
métalangage lié à l’étude stylistique a ici volontairement été mis de côté. Même l’idée de champ
lexical doit rester implicite, puisqu’il s’agit ici de focaliser l’attention des apprenants sur le vocabulaire
employé par le poète, sans introduire de notions qui pourraient les perturber plus que les aider. Le
public visé étant des apprenants de niveau 2, pas nécessairement spécialistes de littérature, il nous est
apparu inutile, voire contraire à l’efficacité, de proposer une séquence qui serait ouvertement centrée
sur l’analyse littéraire, alors que son objectif est d’aider les apprenants à progresser dans leur maitrise
de la langue.
56
Activité́ d’introduction au texte
Avant même de donner le poème à lire aux apprenants, l’enseignant demande aux apprenants quelles
sont les images ou notions qu’ils associent spontanément avec la figure de l’oiseau. Tous les noms
énoncés par les apprenants peuvent ˆetre ´ecrits dans un coin du tableau de la salle de classe. Cette activité
sera d’autant plus intéressante que les apprenants sont issus d’origines géographiques, ethniques ou
sociales différentes, car elles offrent l’occasion d’une discussion lors de laquelle les apprenants
compareront les différentes images qui leur viennent à l’esprit.
Lecture
L’enseignant distribue le texte du poème aux apprenants pour qu’ils le lisent silencieusement, puis il
demande aux apprenants volontaires de le lire à voix haute. Ainsi, l’enseignant s’assure que les
apprenants ont lu le texte deux fois, et si le cas se présente, il peut corriger un défaut de prononciation,
et expliquer quelques mots de vocabulaire selon les besoins des apprenants. Il les laisse ensuite par
groupes de deux ou trois discuter des événements évoqués par le poème.
57
Au bout d’une petite dizaine de minutes, l’enseignant dessine les deux tableaux sur le tableau de la
salle de classe et y inscrit les mots relevés par les apprenants, en leur demandant de justifier leur choix
de mot. Cette justification n’a pas besoin d’être très précise, mais elle doit obliger les apprenants à
motiver leurs idées et `ales exprimer le plus clairement possible. Le cas échéant, l’enseignant peut refuser
un mot, ou celui-ci peut être contesté par d’autres apprenants.
On peut alors aboutir aux tableaux suivants (d’autres mots peuvent être relevés, mais nous avons indiqué
ici les plus importants pour la phase d’interprétation qui suivra) :
Sur le plan linguistique, quelques expressions méritent d’être rappelées aux apprenants, comme la
différence entre entendre et écouter, qui implique ici une progression dans la dissipation
des élèves. L’enseignant peut ainsi demander aux apprenants pourquoi entendre apparaıt avant écouter dans
le texte. Il sera également intéressant d’expliquer le jeu de mots sur oiseau-lyre, expression qui désigne un
grand passereau d’Australie, mais qui souligne aussi la connivence entre l’oiseau et la musique par le
biais de l’instrument de musique. L’analyse stylistique doit ainsi être l’occasion de progresser dans la
maîtrise du vocabulaire.
58
Une fois que les tableaux ont été remplis, l’enseignant divise la classe en deux groupes et pose au
premier groupe la série de questions suivante :
Quel est le type de sons émis par le maître? par l’oiseau ?
Ces deux types de sons sont-ils considérés de la même manière par les enfants ? Pourquoi?
et au second groupe les questions :
Quel est le type d’actions réalisé par le maître? par l’oiseau ?
Quelles actions sont les plus positives ? Pourquoi?
Les apprenants doivent ici mettre en relief l’opposition entre la figure du maître, qui ne fait que répéter
les mêmes mots sans aboutir à l’effet escompté (faire apprendre à des élèves disciplinés les tables de
multiplication), et celle de l’oiseau dont la présence est un véritable agent, bien plus puissant que le
maître.
Conclusion de l’analyse
A la fin de ces deux séries de questions, l’enseignant demande aux apprenants par groupes de deux ou
trois de choisir deux symboles auxquels l’oiseau est associé dans le poème. Plusieurs réponses peuvent
ici être suscitées de la part des apprenants : la musique, le jeu, la liberté, la destruction de l’ordre,
ou encore la nature. L’enseignant demande alors aux apprenants de se rappeler du symbolisme auquel
ils avaient spontanément pensé au début de la séquence lors de l’activité préliminaire et de rapprocher
ou d’opposer ce symbolisme avec celui qu’ils ont découvert dans le poème. Enfin, il conclut sur le
symbolisme de l’oiseau dans la société franç̧aise, et sur la notion d’école buissonnière, qui
s’oppose l’école comme institution enfermante. Les images de l’école véhiculées par la littérature
française sont en effet largement ambigües. Cela peut alors être l’occasion d’un débat parmi les
apprenants sur leur vision de l’école.
59
Travail conclusif
Comme exercice de conclusion de la séquence, l’enseignant demande aux apprenants de réécrire le
poème en modifiant tous les mots relevés dans le tableau consacré à l’oiseau. Les apprenants doivent alors
proposer une autre figure qui leur semble mieux symboliser la liberté, le jeu, la nature, en fonction de
ce qui leur apparaît comme le symbole le plus fort dans le poème, et indiquer quel serait le pouvoir
de cette figure en changeant les verbes qui évoquent son action. De cette faç on, les apprenants doivent
se réapproprier la notion de symbole, et travailler au sein de champs lexicaux pour remplacer ceux qui ont
été mis en place dans le poème.` En fonction du temps disponible enclasse, ce travail peut avoir lieu
lors d’une heure de classe ou en dehors. Les apprenantsvolontaires pourront lire leur poème lors de la
séquence suivante.
Remarques générales
Le choix de l’objet de la séquence, l’opposition entre la figure de l’oiseau et celle du maitre, était lié
à une double contrainte : la première était celle d’aider les apprenants progresser dans leur maîtrise du
français ; la seconde de relier le sens et le fonctionnement du poème, afin que l’étude soit également
intéressante en terme de contenu. Quant au choix de la méthode, ici le tableau, il doit forcer les apprenants à
relever des mots précis du texte, plutôt que d’en énumérer simplement les idées. L’enseignant doit réussir
à susciter chez les apprenants le réflexe de relever les mots significatifs, au lieu de se contenter d’en
extraire l’idée générale et vague. Car c’est cette attentionaux mots qui doit permettre aux apprenants de
progresser dans leur maîtrise du vocabulaire et plus généralement de la langue. Cette étude permet aussi
de souligner le lien entre linguistiqueet culture, puisque l’´étude stylistique permet de mettre au jour
certaines idées présentes dans la société et d’ouvr ir le débat interculturel sur les différentes
not ions attachées à l’oiseau et à l’école.
60
Cours n°25 : Analyser une séquence pédagogique :
Texte littéraire court : « Moderato Cantabile » de Marguerite Duras
Objectif : observer le déploiement de l’approche interculturelle du texte littéraire en classe de FLE
Cette seconde séquence s’adresse exactement au même public que la première : un groupe
d’apprenants en classe de FLE de second niveau. Elle peut ˆêtre mise en place juste après la première
séquence qui devait fonctionner comme une initiation à la mé́thode stylistique, ainsi qu’à la différence entre
sens littéral et sens figuré. L’analyse de ce court roman de Marguerite Duras sera donc centrée sur six
motifs qui fonctionnent comme de véritables leitmotivs tout au long du texte, et qui ont valeur de
symbole pour mieux comprendre l’évolution de la relation entre les deux personnages principaux : la
bourgeoise Anne Des baresdes et l’ouvrier Chauvin. A nouveau, ils’agit de forcer les apprenants à être
très attentifs aux mots du texte, et à étudier comment une évolution dans la formulation implique une
évolution du rapport entre les choses.
Ce roman est composé de huit chapitres, sensiblement de même longueur (12 `a14 pages dans l’Edition
Minuit), qui pourront chacun faire l’objet d’une heure de cours. Le texte n’est pas très compliquésur le plan
linguistique et discursif, toutefois certains mots de vocabulaire comme môle et hêtre, récurrents dans le
texte, poseront nécessairement problème aux apprenants. Cette difficulté peut toutefois ˆêtre levée grâce
`a des fiches de vocabulaire distribuées aux apprenants. Mais une autre difficulté, moins perceptible pour
un enseignant, réside dans les dialogues. En effet, Marguerite Duras n’indique pas toujours quel est le
personnage qui parle, et si l’indentification du locuteur est assez claire pour un natif de la langue
française, tel n’est pas le cas pour des apprenants ´étrangers. Lords l’´étudie ce texte `Smith Collège
(2008-2009), mes étudiants avaient eu beaucoup de mal à identifier les locuteurs de certaines tirades. Il
est donc utile de vérifier au début de chaque cours que les apprenants ont bien compris quel est le propos
du chapitre lu.
Introduction au texte
Avant que les apprenants ne commencent leur lecture du texte, l’enseignant présente le personnage
principal, Anne Desbaresdes, jeune femme bourgeoise dont l’unique distraction est de conduire son fils à ses
leçons de piano, activité ´éminemment bourgeoise elle aussi. Le roman se déroule en effet probablement
dans les années 1950, dans la région de Bordeaux, et il est peu probable que les apprenants soient
d’eux-mêmes sensibles au drame social mis en scène par Marguerite Duras. Orles notions de désir et de
transgression qui seront étudiés ensuite au travers des symboles ne peuvent être pleinement compris sans
prendre en compte l’opposition de classe sociale entre Anne Desbaresdes et Chauvin.
61
Si la notion de classe sociale structure la société française, ce n’est pas le cas dans d’autres sociétés ou cette
notion est remplacée par une autre, comme la notion de race aux Etats-Unis. Il est donc utile, à la fois dans la
perspective d’une bonne compréhension du récit, et dans celle, interculturelle, de la découverte du
fonctionnement de la société française (la notion de classe sociale est encore très présente aujourd’hui,
mêmes les classes sociales elles-mêmes ne sontplus aussi rigides qu’avant) que l’enseignant donne ces
informations sur le texte et ses personnages.
L’enseignant présente également la méthode de travail : les apprenants auront à lire un chapitre du texte
pour chaque cours (éventuellement deux chapitres, si le cours n’a lieu qu’une seule fois par semaine),
et à tenir un journal de bord qu’ils rempliront au cours de leur lecture, et compléter en classe. Ainsi, lors
de leur lecture, ils devront recopier les passages ou noter des expressions quimentionneront un des six
motifs suivants : la musique, le cri de la femme morte, le vin, l’invention, les mains d’Anne ou de
Chauvin, le magnolia, en précisant les numéros de page. Il est donc conseille aux apprenants de
diviser une page en six parties et d’y indiquer les six motifs :
- La musique :
- Le cri de la femme morte :
- Le vin :
- L’invention :
- Les mains d’Anne ou de Chauvin :
- Le magnolia:
Ces six motifs ne sont pas tous présents à chaque chapitre, mais ils réapparaissent tous régulièrement au
fur et à mesure que le texte progresse, et c’est cette progression qui sera au cœur de l’analyse.
Lecture
A la différence de la lecture du poème de Jacques Prévert dans la séquence précédente, les
apprenants doivent lire chaque chapitre du roman chez eux, entre deux cours. Toute- fois, une fiche
explicatrice peut être bienvenue, pour expliquer aux apprenants des mots de vocabulaire qu’ils sont
susceptibles de ne pas connaître. Au début de chaque séance, avant de commencer la phase d’analyse
du texte, l’enseignant doit donc s’assurer que les apprenants ont bien compris le texte, soit en posant
des questions de compréhension, soit en demandant à un apprenant de résumer les évènements du
chapitre.
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MARGUERITE DURAS, MODERATO CANTABILE : RESUMÉ CHAPITRE PAR
CHAPITRE
Chapitre I
Chapitre II
Le lendemain. Anne, accompagnée de l'enfant, retourne sur les lieux du crime. Elle pénètre
dans le café. La présence de la femme du Directeur étonne les ouvriers. Gênée, elle commande
un verre de vin et discute avec la patronne. Un homme s'immisce dans la conversation des
deux femmes. Il avoue être lui aussi revenu pour en apprendre davantage sur le meurtre de la
veille. Il invite Anne à revenir le voir.
Chapitre III
Le lundi. Anne et l'homme se retrouvent au café. Ils poursuivent leur conversation avortée.
Anne s'interroge sur les raisons du crime, sur la pulsion morbide des amants. Mais l'homme
avoue qu'il ne sait rien. Il préfère évoquer la vie privée d'Anne qu'il semble connaitre : la villa,
le magnolia de son jardin, la femme qu'il a déjà vu observer les ouvriers de sa fenêtre.
La fin de la journée de travail s'achève. Les ouvriers se rendent au café. Anne et l'homme se
quittent.
Chapitre IV
Le lendemain.
Anne retourne au café. Elle commande du vin et retrouve l'homme.
Elle ne cesse de l'interroger sur le crime. Il confie avoir rôdé, la nuit, près de la villa. Il
l'exhorte à parler d'elle. Chauvin, l'homme ainsi nommé, avoue avoir rencontré Anne il y à un
an de cela lors d'une réception chez le Directeur des Fonderies. Anne ne s'étonne guère des
propos de Chauvin. Encouragée par l'ivresse, elle ne peut se détacher de ses angoisses, de sa
curiosité morbide. Quand les ouvriers arrivent, elle quitte le café.
Chapitre V
Le vendredi suivant. La leçon de piano chez Melle Giraud est un échec. Seules les douces
recommandations de sa mère parviennent à infléchir l'enfant. C'est avec difficultés qu'il joue la
sonatine de Diabelli. Le son du piano parvient à Chauvin, installé au Café.
Le professeur reproche à Anne son manque d'autorité, sa passivité et demande que la mère
cesse d'accompagner l'enfant.
63
Chapitre VI
La leçon de piano achevée, Anne rejoint Chauvin. Attendue pour un diner le soir même, elle
sait qu'elle sera en retard. Mais elle ne peut renoncer à voir Chauvin. Elle boit avec avidité et
interroge inlassablement Chauvin sur le meurtre. Celui-ci fabule, raconte, invente le drame des
amants : une relation intense devenue insupportable, un désir morbide, une soumission à la
passion, éros et thanatos. Enivrée par le récit, fascinée par la funeste destinée de la victime à
qui elle s'identifie, Anne mime le geste de l'étranglement.
La nuit est tombée. Elle quitte le café, guidée par l'enfant.
Chapitre VII
Anne arrive en retard au diner bourgeois. Les convives sont scandalisés. Elle n'avale rien mais
continue de boire avec déraison.
De son coté, Chauvin l'attend sur la plage. Mais bientôt lassé par l'attente, il quitte la plage.
Anne s'isole dans la chambre de l'enfant pour vomir.
Chapitre VIII
Le soleil se couche, les ouvriers arrivent au café. Résignée, Anne quitte les lieux, retournant à
la monotonie de sa vie bourgeoise.
Personnages
Un professeur de Piano, Mlle Giraud, revêche et obstinée dans sa volonté de faire changer Anne
Desbaresdes de mode d’éducation de son enfant. Elle oppose à la mère l’idée qu’il faut imposer sa loi,
la loi et la volonté de l’adulte, et cela au risque de l'arbitraire. Enfin Mlle Giraud promet à la mère
beaucoup de difficultés avec son enfant si elle ne change pas à cet égard.
L’enfant : il est blond, joueur, solitaire, il aime l’activité du port, les bateaux et leurs mouvements. Il
câline sa mère dans une continuelle nécessité d’être rassuré par sa présence, il aime sa mère et sait se
conduire avec elle, en "petit homme". Il oppose aux consignes du professeur de piano une obstination
sourde et désinvolte. Il n’aime pas les leçons de piano répétitives et ennuyeuses alors qu’il réussit très
bien quand il accepte la consigne; il est doué, il est capable d'une interprétation musicale de la sonatine
de Diabelli. Il aime la musique qu'il joue et chante l'air avec plaisir. Il est conscient de l'amour de sa
mère et il est un complice docile des escapades maternelles.
64
Desbaresdes est la mère de cet enfant et l’héroïne du roman. Elle s’ennuie à mourir dans son milieu.
C'est une jeune femme. Elle traverse la ville tous les vendredis après-midi avec son enfant pour la
leçon de piano : elle est autorisée à sortir, semble-t-il, pour cela et depuis peu. La traversée de la ville
dans sa partie populaire lui est, socialement, interdite.
Elle aime son enfant dans ses entêtements, ses oppositions farouches à l'autoritarisme du professeur
de piano; elle aime cette vie difficile qu'il lui impose, même si (et peut-être surtout) elle ne sait
comment s'y prendre pour lui faire aimer ces leçons et lui faire accepter la nécessité d'obéir.
Le meurtre d’une femme, par son amant dans le café d'en face, l’émeut. Et l'intrigue.
Elle veut savoir comment deux amants en sont arrivés là. C'est à partir de sa propre figure de femme,
notamment dans sa relation aux hommes, qu'elle tente de comprendre : comment cette femme en est
arrivée par amour à demander à son amant de la tuer ?
Il est au comptoir du café quand, le lendemain du meurtre, il aborde Anne Desbaresdes précisément à
propos du crime. Ils nouent une relation en vidant verre de vin sur verre de vin et échangent leurs
points de vue sur le crime. Très vite les rôles sont partagés. Elle pose des questions. Lui tente d'y
répondre.
C’est un ancien ouvrier de l’usine de M. Desbaresdes, libre dans le temps du roman, il s’est révolté
contre le mode de vie que lui impose l’usine. Il connaît Mme Anne Desbaresdes. Ils se sont rencontrés
lors d’une soirée "patronale" où elle assumait son rôle de femme du patron avec ennui et indifférence
pour les ouvriers invités. Depuis cette première rencontre, Chauvin désire Mme Anne Desbaresdes.
Peu à peu, au fil des questions à propos du meurtre, l'une et l'autre occupent la "place" des amants
dans un relation où le désir sexuel devient une préoccupation principale.
La patronne du café
Elle a une présence particulière; à la fois curieuse et protectrice, voire complice des rencontres entre
Chauvin et Anne Desbaresdes; elle est la serveuse des verres de vin qui enivrent peu à peu Mme Anne
Desbaresdes.
65
L'intrigue
Un meurtre dans le café assez simple à élucider : un homme a tué sa maîtresse, meurtre passionnel
selon les rubriques journalistiques. Cette élucidation n’est pas celle qui intéresse Mme Anne
Desbaresdes.
Cette comparaison peut être tout à fait fructueuse pour le motif du vin des chapitres 2 et 7, qui occupent
la seconde séquence et une partie de la cinquième séquence du film. Mes apprenants de Smith College
étaient particulièrement demandeurs d’une variation dans le rythme et le schéma des séances de cours,
c’est pourquoi nous proposons ces différentes perspectives d’analyse. Toutefois, l’objectif reste bien le
même : il s’agit de rendre les apprenants sensibles aux réseaux de signification qui se tissent autour des
motifs centraux de ce roman de Marguerite Duras, et donc de les rendre `à la fois plus actifs dans leur
lecture et plus actifs dans leur apprentissage de la langue : l’étude de ces motifs, de la place et de la
forme qu’ils prennent dans le texte et de leur évolution au fil des chapitres doit leur permettre de mieux
comprendre le lien entre forme linguistique et sens herméneutique en français.
Nous proposons ainsi pour les différents chapitres :
Chapitre 1 : étude comparée des motifs de la musique et du cri (relevé des occurrences pour chaque
motif et comparaison des deux relevés obtenus)
Chapitre 2 : étude des motifs du vin et de l’invention (relevé des occurrences et analyse de chacun des
relevés séparément et visionnement d’un extrait du film correspondant au chapitre2)
Chapitre 3 : ´étude comparée des motifs du vin et de l’invention avec le chapitre 2 (relevé des
occurrences et comparaison de l’évolution des motifs avec le chapitre 2)
66
Chapitre 4 : étude comparée des motifs du vin, de l’invention et des mains, avec les chapitres 2 et 3
(relevé des occurrences et comparaison de l’évolution des motifs avec les chapitres 2 et3)
Chapitre 5 : étude comparée du motif de la musique avec le chapitre 1 (relevé des occurrences et
comparaison de l’´évolution des motifs avec le chapitre 1)
Chapitre 6 : étude compareé des motifs du vin et de l’invention avec les chapitres 2, 3 et 4 (relevé
des occurrences et comparaison de l’évolution des motifs avec les chapitres 2, 3 et4)
Chapitre 7 : ´étude comparée des motifs du vin et du magnolia avec les chapitres 2, 3, 4 et 6 (relevé
des occurrences et comparaison de l’´évolution des motifs avec les chapitres 2, 3, 4 et 6 +visionnement
d’un extrait du film correspondant au chapitre 7)
Chapitre 8 : ´étude comparée du motif des mains avec les chapitres 2 et 6 et du motif du cri avecle chapitre
1.
Les apprenants doivent faire chez eux relever les occurrences de chacun des six motifs pour chaque
chapitre, même si tous les motifs ne sont pas étudiés en classe lors de chaque séance. Certains relevés
pourront servir lors de séances suivantes. On remarquera ainsi que les motifs ne sont pas tous étudiés
en classe au sein du même ensemble (par exemple, musique et cri), mais que chaque motif est étudié avec
des motifs différents selon les chapitres, ce qui tend à souligner la relation et l’imbrication des six motifs
entre eux. Les analyses en classe doivent partir des relevés faits par les apprenants. Il est probable,
toutefois, que les apprenants ne soient pas sensibles à tous les phénomènes linguistiques qui composent
un motif, et qu’ils relèvent principalement des mots de vocabulaire. Pour compléter cette étude,
l’enseignant devra alors attirer l’attention des apprenants sur d’autres phénomènes, comme des
constructions syntaxiques ou des emplois verbaux. C’est le motif de l’invention qui pose le plus de difficultés
à cet égard. Outre les verbes d´dénotant l’invention, comme j’imagine ou j’invente, les apprenants
pourront progressivement être sensibilisés à l’emploi des négations (je ne sais ) et du conditionnel
d’incertitude. Mais si le motif de l’invention est le plus difficile à analyser pour les apprenants, c’est
aussi le plus stimulant en terme d’apprentissage de la langue. Ces différents marqueurs lexicaux et
syntaxiques sont en effet souvent présents dans lesarticles de presse, et l’enseignant pourra proposer
l’´étude d’un article de journal à l’issue de l’´étude de Moderato Cantabile.
67
Conclusion de l’analyse
Au terme de l’analyse, les apprenants doivent avoir une vue d’ensemble de la présence de ces six motifs
et de leurs relations. L’enseignant propose alors une séance de synthèse, où les apprenants sont répartis
en six groupes chargés chacun de travailler sur un motif différent. Chaque groupe doit dessiner un
cercle, au centre duquel ils inscrivent le motif qui leur a été attribué. Tout autour de ce cercle central,
ils doivent dessiner d’autres cercles, plus petits et reliés au cercleprincipal par un trait. Chaque
cercle secondaire doit indiquer les idées (symboles, notions, évènements, motifs) auxquelles le motif
central est associé. Chaque groupe vient ensuite présenter son graphique devant le reste de la classe et
défendre les idées qu’il a choisies. Cette activité de bilan doit permettre aux apprenants de faire la
synthèse des idées qu’ils ont rencontrées et d´enveloppées au cours de l’analyse du texte. Elle doit aussi
mettre en ´évidence le lien de figurationentre le symbole et les idées qu’il symbolise, et enfin, obliger les
apprenants à reprendre le vocabulaire important du texte. L’enseignant pourra conclure sur les
connotations qui sont associées à certains motifs au sein de la société française : la sensualité des fleurs,
l’ivresse libératrice du vin. L’étude stylistique d’un texte ne doit pas se refermer sur ce texte, mais ouvrir
sur la culture et la société française pour pouvoir être pleinement utile à des apprenants de FLE.
Exercice conclusif
Pour conclure la séquence, l’enseignant demande aux apprenants de rédiger la synthèse de la présence ou
de l’évolution d’un des six motifs, ou bien de proposer une analyse sur un autre motif auquel ilsauraient
été sensibles dans le texte. Ils peuvent reprendre ce qu’ils ont fait lors de la dernière séance de cours sur un
motif particulier, ou bien développer un autre motif qui leur a plus particulièrement plu. Cet exercice
de synthèse doit permettre aux apprenants de faire le bilan de leurs nouvelles compétences d’analyse.
Remarque générale
Si l’on fait le bilan de ce que les apprenants doivent avoir acquis au terme de cette séquence, troispoints
sont à relever : la maitrise des expressions du doute et de l’incertitude (motif de l’invention), l’analyse
culturelle du motif des fleurs et de celui du vin, la capacité d’analyse de la langue française.
68
Cours n°26 : Analyser une séquence pédagogique :
Texte littéraire long : Le Horla Guy de Maupassant
Objectif : observer le déploiement de l’approche interculturelle du texte littéraire en classe de FLE
Cette séquence s’adresse à un public de niveau 3 qui possède déjà une bonne connaissance de base de la
langue française. Le texte du Horla est en effet beaucoup plus difficile à lire que des textes présentés
dans les deux séquences précédentes, à la fois sur le plan linguistique et sur le plan du contenu, car
le narrateur expose parfois des pensées particulièrement complexes pour qui ne connait pas l’engouement
des hommes du XIXe siècle pour l’invisible et ses mystères. Sur le plan stylistique, ce texte est en
revanche extrêmement riche et donc extrêmement intéressant `aanalyser. Car la folie du narrateur, cet
homme intelligent et cultivé, lui fait tenir deux types de discours, selon qu’il est en proie à la terreur
ou non : le discours de l’´émotion et le discours du raisonnement logique. Or ces deux types de
discours sont nettement identifiables dans le texte, et leur étude doit permettre aux apprenants d’être
sensibles aux différentes manières de s’exprimer en français. L’objectif de cette séquence est donc que
les apprenants aient un regard critique sur l’emploi de la langue française par l’auteur du Horla et
sachent identifier certains types de discours. Nous ´étudierons ici la seconde version du texte du
Horla de 1887, version la plus complète et la plus riche sur le plan stylistique. Ce texte peut être
divisé en cinq parties d’une longueur à peu près équivalente (nous donnons les dates d’entrée du journal
tenu par le narrateur) : du 8 mai au 3 juin ; du 2 au 14 juillet ; du 16 juillet au 4 août ; du 6 au 18 août et
du 19 août au 10 septembre. Cinq à six heures de cours (à raison de séances d’une heure) doivent être
consacrées `acette séquence.
Introduction au texte
Pour sensibiliser directement les apprenants au style du texte, l’enseignant donne en introduction
quelques informations sur la vie de Maupassant : un homme de la fin du XIXe siècle, période où
les hommes étaient fascinés par l’invisible et le surnaturel, alors que la fée électricité arrive dans
les grandes villes et réalise le mystère de l’invisible réel ; un homme attaché à la Normandie,
territoire aux multiples l´légendes; un homme qui a lui-même souffert de troubles psychiatriques à la fin
de sa vie.
69
Lecture
Les apprenants doivent lire pour chaque séance de cours une portion du texte, et un à deux apprenants
doivent préparer une lecture orale d’un ou deux paragraphes que l’enseignant aura choisi et qui feront
l’objet d’une ´étude plus détaillée en classe. Cet exercice de la lecture orale se révèle particulièrement
difficile pour les apprenants, parfois timides faces aux autres apprenants, parfois mal à l’aise face à un
texte qu’ils n’ont pas bien compris. Pourtant, il se révèle aussi utile pour sensibiliser les apprenants aux
différentes émotions mises en jeu dans le texte, et donc à ses différents styles. Il permet aussi de contrevenir
à l’idéee que la littérature relève exclusivement du domaine de l’écrit, d’un domaine donc éloigné de
celui de la communication orale ordinaire. Toutefois, pour que cet exercice soit réellement profiteur,
il peut ˆêtre utile que l’enseignant sesoumette lui-même à l’exercice la première fois, ne désigne au début
que des apprenants volontaires, et accompagne les apprenants dans leur lecture par le biais de fiches de
vocabulaire ou de notions indispensables pour bien comprendre le texte. Cette lecture par un
apprenant peut avoir lieu autout début de la séance, comme point de départ à la vérification de la
bonne compréhension du passage, ou bien avoir lieu après cette phase de vérification, pour ouvrir
l’étude stylistique à proprement parler.
Le Horla est une nouvelle fantastique écrite par Guy de Maupassant et parue pour la première fois en
1886. Elle est rédigée sous la forme d’un journal intime où le narrateur relate une partie de sa vie.
- Le narrateur
Le nom du narrateur n’est pas connu. Il rédige régulièrement, en mentionnant les dates, des notes sur
sa vie, ses sentiments et ses angoisses. Ses écrits laissent apparaître de façon progressive sa paranoïa,
puis sa folie.
- Le Horla
Le Horla est défini par le narrateur comme un être invisible qui le hante et le poursuit. Il boit son lait
ou son eau et l’empêche de dormir et de voir son reflet de façon distincte dans le miroir. Il domine
l’homme, comme l’homme a précédemment dominé l’animal.
70
II. Le résumé de l’histoire
Le narrateur conte, pour sa première date citée, une journée admirable où il a pu profiter du beau
temps, de sa maison et de sa région bien-aimée : la Normandie. Il évoque ensuite une journée où son
humeur a considérablement changé. Il ne sait comment il a pu évoluer d’un état plutôt joyeux à une
tristesse persistante. Il décrit ces tourments invisibles et se demande comment ils peuvent autant
atteindre l’âme humaine. Il parle d’une fièvre ayant fait son apparition depuis quelques jours. Sa
situation se dégrade, sa fièvre se prolonge et il ressent que son esprit est aussi perturbé que son corps.
Il consulte son médecin en raison de son impossibilité à dormir. Le docteur ne décèle rien d’anormal
en dehors d’une grande fatigue. Le soir, il commence à avoir des difficultés pour lire et craint de se
mettre au lit. La nuit devient une véritable angoisse. Il fait un cauchemar récurrent, où un homme
s’assoit sur lui durant son sommeil et l’étrangle. Il se débat et se réveille complètement en sueur,
toujours affolé. Son état s’aggrave et les solutions préconisées par le médecin (bromure et douches)
n’améliorent pas sa santé. Il va se promener dans une forêt et se sent poursuivi, mais ne voit rien. Il y
fait une sorte de malaise. Il part de chez lui afin d’aller mieux. Son voyage lui fait beaucoup de bien.
Il en profite pour visiter le mont Saint- Michel. Il y converse avec le moine qui l’y accompagne. Ce
dernier lui raconte que, parfois, les pêcheurs disent apercevoir un berger caché par son manteau
conduisant un bouc avec une tête d’homme et une chèvre possédant un visage de femme. Le narrateur
s’interroge sur la possibilité que cette légende soit réelle. Le moine souligne que l’homme ne voit pas
tout ce qui existe. Pour illustrer son propos, il prend exemple sur le vent. Le narrateur hésite à le
considérer comme un sage ou un sot. À son retour chez lui, il ressent de nouveau ses anciens troubles.
Son cocher l’informe qu’il dort mal depuis qu’il est parti en voyage. Les cauchemars reprennent et il
commence à fermer la porte à clé et remarquer que de l’eau est bue dans sa carafe quand il dort. Cela
l’angoisse et il craint de devenir fou. Il laisse les nuits suivantes de l’eau, du lait et des aliments sur
une table. Il imagine qu’il y a deux êtres en lui. Le matin, au réveil, il constate avec effroi qu’il ne
reste plus d’eau ni de lait. Il se rend au théâtre pour assister à une pièce du fils d’Alexandre Dumas et
cette sortie le régénère. Il pense qu’un homme ne doit pas demeurer seul et que la compagnie des
autres lui est nécessaire. Il dîne chez de la famille et observe une expérience qui le perturbe : un
médecin hypnotise sa cousine. Il lui indique qu’elle regarde un miroir et cette dernière parvient à voir
ce qu’il y a derrière elle, alors que l’objet en question n’est qu’une carte. Puis il lui ordonne de
demander 5 000 francs au narrateur.
71
Ce qu’elle fait, en dépit de son bon sens, puis le docteur l’hypnotise de nouveau en exigeant qu’elle
oublie tout ce qu’il s’est passé. Sa cousine ne se rappelle effectivement pas avoir sollicité le narrateur
qui est interloqué par les effets de l’hypnose sur celle-ci. Il part ensuite à Bougival et parvient à son
retour à bénéficier de quelques jours sereins, jusqu’à ce que ses domestiques se disputent en arguant
qu’une personne casse de la vaisselle pendant la nuit. Durant la journée, en se promenant, le narrateur
voit une fleur être cueillie par un être invisible, puis disparaître alors qu’il voulait la saisir. Il assène à
plusieurs reprises qu’il n’est pas fou et qu’il a bien vu de ses propres yeux cet événement surréaliste.
Il doute qu’il s’agisse d’une hallucination et en déduit qu’il existe un être invisible rôdant autour de
lui, buvant de l’eau et du lait, et qui est immatériel. Le narrateur cherche à savoir s’il est dément et ses
réflexions sont de plus en plus marquées par l’angoisse. Il croit que cet être invisible le domine et qu’il
est à sa merci. Il essaie de le fuir, mais n’y parvient pas toujours. Ses nuits deviennent de plus en plus
affreuses. Il indique avoir lu dans un ouvrage scientifique des manifestations de panique similaires
aux siennes se déroulant au Brésil, où des personnes s'enfuient de chez elles en raison de la venue d’un
être invisible. Le narrateur croit fermement que cet être existe et le nomme le Horla. Il songe à toutes
les espèces qui en ont dominé d’autres et pense que le Horla est la prochaine espèce qui dominera
l’homme, comme l’homme l’a fait avec les animaux. Il veut tuer le Horla, mais il a l’impression qu’il
est en train de devenir une part de lui. Alors qu’il est seul en train d’écrire, il sent sa présence. Il se
retourne et s’observe dans le miroir. Il n’y voit qu’un voile et non son image. Il en déduit que le Horla
est bien là. Il entreprend ensuite de le piéger en l’enfermant dans la pièce. Pour ce faire, il sollicite un
serrurier. Lorsqu’il croit le Horla présent, il ferme toutes les issues, puis sort de chez lui et met le feu.
Il assiste à l’incendie de son domicile et entend des cris : il a laissé ses domestiques sans les prévenir.
Il appelle à l’aide et continue d’observer sa maison brûler. Il pense en fin de compte que le corps du
Horla n’est pas comme celui des hommes et qu’il ne peut pas l’assassiner. Le narrateur conclut que la
seule solution pour faire disparaître le Horla est de se suicider.
72
Il devient dangereux pour les autres et enfin pour lui-même, parce qu'il constate que le seul moyen de
tuer le Horla est de se suicider. Il envisage donc de mettre fin à ses jours, sans avoir de preuves de
l’existence de cet être supposé. Maupassant aborde également l’hypnose et rend la frontière entre ce
qui est plausible et ne l’est pas extrêmement poreuse.
Le récit se termine par la conclusion du narrateur que s’il veut supprimer définitivement le Horla il
doit se tuer. Dans la réalité, Maupassant a essayé de se suicider. Cette tentative a débouché sur un
séjour à l’hôpital ayant entraîné son décès, à 42 ans. À la fin de son existence, l’écrivain vit
majoritairement seul, il est obsédé par la mort et se plaint de devenir fou, comme le narrateur de la
nouvelle. Il rédige plusieurs récits sur les thèmes de l’angoisse et de la folie, en utilisant le domaine
fantastique, en dehors du réalisme qui a fait son succès. Au vu de son parcours, il est difficile de
déterminer à quel point Le Horla est autobiographique. Quoi qu’il en soit, il fait mention pour son
narrateur d’états de tristesse profonds dont il a lui-même été atteint durant sa dépression.
Du 8 mai au 3 juin
Dans cette première s´séance, les apprenants sont divisés en trois groupes. Le premier groupe doit
étudier l’entrée du 8 mai dans le journal et répondre aux questions suivantes :
Quel est le sentiment éprouvé par le narrateur ? Relevez tous les mots qui évoquent ce sentiment.
Quels sont les éléments du paysage décrits par le narrateur ? Ces éléments sont-ils décrits de manière
positive ou négative ? Relevez des exemples.
Le second groupe doit étudier les journées du 12 au 18 mai, et répondre aux questions :
Comment le narrateur se sent-il ? Relevez tous les mots qui indiquent son état psychologique ou
physique.
73
Quels sont les hypothèses du narrateur pour expliquer son état ? Indiquez précisément les passages.
Enfin, le troisième groupe étudie les journées du 25 mai et du 2 juin :
Observez : la longueur des phrases, la ponctuation et les répétitions de mots. A quels moments du récit
les phrases sont-elles courtes, interrompues et répétitives ? Relevezdes exemples.
Relevez tous les mots qui ´évoquent la peur du narrateur.
Les résultats de l’analyse de ce troisième groupe peuvent faire l’objet d’un commentaire spécifique de
l’enseignant, voire d’exercices de mémorisation. Il est en effet important que tous les apprenantsretiennent
le vocabulaire lié à la peur et au mal-être, puisque ces mots seront récurrents tout au long du texte.
Du 2 au 14 juillet
Les apprenants sont à nouveau divisés en trois groupes. Le premier groupe ´étudie la journée du 2 juillet,
consacrée au voyage du narrateur au Mont Saint-Michel :
La description du Mont Saint-Michel est-elle réaliste (= d´écrivant la réalité comme elle est)ou fantastique
(= faisant intervenir des ´éléments surnaturels ou au moins bizarres) ? Justifiez votre réponse en relevant
des expressions du texte.
Quelle est l’hypothèse du moine sur les choses invisibles ? Le second groupe analyse les journées du 5
au 10 juillet.
Relevez des phrases, interrompues ou répétitives ? A quel moment du récit apparais- sent-elles ?
Relevez des exemples de reformulation (= passages où le narrateur redit presque la mêm e chose). Qu’est-
ce que ces reformulations indiquent sur l’´état du narrateur ?
Quelle est l’hypothèse du narrateur sur son ´état ?
Enfin, le troisièm e groupe est chargé d’analyser la journée du 12 juillet.
Comment le narrateur parle-t-il de ce qui lui est arrivé´ ? Relevez des expressions qui montrent qu’il a
retrouvé la raison.
Pourquoi utilise-t-il « nous » et « notre » (« notre tˆete ») plusieurs fois ?
Les résultats de l’analyse doivent ici encore montrer l’opposition entre les journées où le narrateur semble
fou et celles où il raisonne normalement. Or différents moyens stylistiques sont mis en œuvre dans les
deux cas, ce que les apprenants doivent à présent percevoir plus nettement. S’il reste du temps, la s´eance
peut se terminer sur un d´ebat autour de la question «Le narrateur est-il fou ?», que les apprenants pourront
argumenter à partir de l’étude qu’ils ont faite.
Du 16 juillet au 4 août
La majeure partie de cette section est occupée par une anecdote dont le narrateur a été témoin et
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qu’il rapporte dans son journal. Le début de cette séance sera consacré à la mise en scène de cette anecdote
par les apprenants, ce qui permet à l’enseignant de s’assurer que les apprenants ont biencompris le
déroulement de l’épisode, et permet aux apprenants de mieux saisir le positionnement du narrateur vis-
à-vis de ce qui arrive à sa cousine. Par la suite, l’enseignant demande aux apprenants par groupes de
deux ou trois de r´efl´echir aux questions suivantes :
Quels sont l’attitude et le rôle du narrateur dans cet épisode ?
Pourquoi a-t-on l’impression qu’il s’agit d’une histoire vraie dont Maupassant aurait pu être le témoin ?
Essayez de relever des éléments stylistiques caractéristiques du témoignage.
En effet, le narrateur se veut ici un fidèle rapporteur de ce qu’il a vu, logique et fiable, et c’est donc
un nouveau style d’écriture que les apprenants pourront ici appréhender.
Du 6 au 18 août
Les apprenants sont à nouveau divisés en trois groupes. Le premier groupe étudie les journées du 6,13 et 14
août et doit essayer de dégager une stylistique du discours de l’angoisse à partir des éléments stylistiques
déjà relevés lors des autres séances, et des nouveaux éléments qui apparaissent dans ce passage, comme
l’importance des négations. Le second groupe est chargé de l’analyse de la journée du 7 août et réfléchir
aux questions suivantes :
Quelle est l’hypothèse que le narrateur fait sur son état ?
Quelles sont les marques dans le texte qui indiquent qu’il s’agit d’hypothèses ? Faites attention aux
temps des verbes et aux conjonctions.
Enfin, le troisième groupe s’intéresse à la seconde partie des événements rapportés le 17 août, et à ceux
du 18 août :
Le narrateur est-il encore seulement angoissé ? Quel est le nouveau sentiment qui nait chez le narrateur ?
Relevez tous les mots et formulations qui indiquent ce nouvel état d’esprit chez le narrateur.
Un discours de la violence, qui possède quelques points communs avec le discours de l’´émotion
panique, s’impose `à la fin de ce passage, et les apprenants doivent ici ˆêtre sensibles au changement
de tonalité qui intervient dans le texte. Pour conclure cette séance, l’enseignant inviteles apprenants à
débattre autour de la fin du texte. Quelle fin les passages qu’ils ont lus leur laissent-il envisager ? Ils
pourront argumenter à partir des analyses qu’ils ont faites pendant la séance.
75
Du 19 août au 10 septembre
Lors de cette s´séance, les apprenants sont divisés en deux groupes (ou en quatre groupes si le nombre
d’apprenants est trop important, deux groupes travailleront alors sur le même sujet). Le premier groupe
s’intéressera au personnage du Horla :
Comment le narrateur sait-il que l’être mystérieux qui le hante s’appelle le Horla ?
Comment peut-on interpréter le nom Horla (pensez au mot « dehors ») ?
Pensez-vous que le Horla existe réellement ?
Le second groupe au personnage du narrateur :
Relevez des mots et expressions qui montrent la violence du narrateur.
Pensez-vous que le narrateur soit fou?
Les deux questions posées `a chaque groupe pourront donner lieu `a un débat à la fin de la séance, pour
savoir si le narrateur est fou et a inventé le personnage du Horla, si le narrateur est lucide et que le
Horla le hante réellement ou encore si le Horla a rendu fou le narrateur. Ce débat pourra ˆêtre l’occasion
d’une petite introduction a posteriori à la littérature fantastique.
Conclusion de l’analyse
En conclusion de l’analyse de la nouvelle, l’enseignant demande aux apprenants d’´établir la liste des
caractéristiques stylistiques et sémantiques du discours exprimant la peur, de celui exprimant la
violence, ainsi que du discours logique et rationnel. Cet exercice doit permettre aux apprenants de
rassembler les idées qu’ils ont acquises pendant les dernières s´séances.
Exercice conclusif
A partir des listes établies lors de la dernière séance de cours, les apprenants doivent écrire un courttexte à
la première personne exprimant la terreur ou la violence. Ce faisant, ils doivent réemployer les
caractéristiques relevées dans Le Horla sur un autre texte, donc les détacher de leur contexte
d’origine et se les réapproprier. Les apprenants qui le souhaiteront pourront lire leur texte à voix
haute à l’ensemble du groupe.
Remarque générale
Si l’on fait le bilan de ce que les apprenants doivent avoir acquis au terme de cette séquence, deux
points sont à relever : pouvoir identifier des discours dont les caractéristiques sont différentes, pouvoir
produire un texte exprimant la peur, la violence ou des idées logiques.
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Cours n°27 : Analyser une séquence pédagogique :
Le thème de la Tour Eiffel dans « Tour » deBlaise Cendras, « La Tour Eiffel » de Guillaume
Apollinaire, et La Tour Eiffel de RolandBarthes
Objectif : observer le déploiement de l’approche interculturelle du texte littéraire en classe de FLE
Cette dernière séquence, plus longue, sera consacrée à l’étude de deux poèmes et d’un essai, tousayant pour
thème la Tour Eiffel. Il s’agit de « Tour » de Blaise Cendras, « La Tour Eiffel » de Guillaume
Apollinaire, et La Tour Eiffel de Roland Barthes. Ce dernier texte étant particulièrement difficile, cette
séquence ne peut être mise en place qu’avec des apprenants de niveau 3 en fin d’année. Environ cinq
heures de cours devront lui être dévolues. Cette séquence porte sur un objet culturel, hautement
symbolique en France. Mais ses objectifs ne sont pas uniquement culturels. En effet, cette ´étude sur
la Tour Eiffel doit être l’occasion d’une réflexion sur la notion de métaphore et inviter les apprenants à
être eux-mêmes créatifs tout en gardant un regard critique sur leur propre usage de la langue française,
comme nous le verrons à la fin decette séquence.
Activité préliminaire
En préliminaire à l’étude de la Tour Eiffel, nous proposons une activité qui doit per- mettre aux
apprenants de se familiariser avec l’idée de métaphore. Lors de la première séance dévolue à cettes´equence,
l’enseignant distribue aux apprenants le texte du poème Allo de Benjamin Peret. Le texteest lu collectivement,
a` r aiso n d’un vers par apprenant, puis l’enseignant attire l’attention des apprenants sur le titre «
Allo », en leur demandant dans quelles circonstances ce mot est généralement prononcé. Une fois
que l’idée a été émise qu’il s’agit une communication, que le poète d’adresse à quelqu’un, l’enseignant
dirige l’attention des apprenants vers le dernier vers du poème « Je t’aime », afin qu’ils déterminent quelle
est la personne à laquelle s’adresse le poète. L’enseignant laisse ensuite les apprenants par groupes de
quatre identifier le contenu du poème, et notamment les métaphores. C’est un poème particulièrement
obscur de ce point de vue, et certaines métaphores sont assez difficiles à interpréter. Les apprenants peuvent
toutefois être sensibles au fait qu’il y ait plusieurs parties du visage mentionnées dans les premiers vers.
Au bout de quelques minutes, l’enseignant demande aux apprenants ce qu’ils ont compris ou identifié
dans le poème : les iris noirs comme un ghetto, la chevelure comme une écume noire. Plusieurs de mes
étudiantes de Smith Collège avaient aussi interprèté le château en flammes et l’avion inondé du vin du Rhin
comme des métaphores de l’amour du poète, en référence aux flammes de l’amour et à l’ivresse que
l’amour en- gendre.
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Après cette mise en commun, l’enseignant demande aux apprenants, toujours par groupes de quatre, de
continuer à réfléchir sur le poème, en les invitant notamment `trouver d’autres parties du corps.
L’enseignant oriente les apprenants vers l’idée que le poème est un blason du corps de la femme
aimée. A la fin de la séance, les apprenants proposent leur interprétation des différents vers du poème.
Les apprenants sont alors invités à décoder l’image suscitée par le poème en expliquant le parallélisme
entre la relation de la bergère avec ses moutons d’un côté et celle de la Tour Eiffelavec les ponts de Paris
de l’autre. L’enseignant conclut cette étude sur la force des images métaphoriques en réécrivant le poème
et en transformant les métaphores en comparaisons : Ô tour Eiffel qui est comme une bergère, les ponts
sont comme un troupeau qui bêle ce matin. Les apprenants doivent alors être sensibles au fait que les
métaphores affirment l’identité de l’objet et de son image, à la différence des comparaisons qui
n’indiquent qu’une similitude, ce qui en diminue la portée. L’enseignant introduit alors un autre poème,
Tour de Blaise Cendras, lu en classe à raison d’un vers par apprenant. Par groupes de trois, les
apprenants doivent alors relever dans le poème toutes les métaphores de la Tour Eiffel et essayer de
trouver l’idée commune qui les relie : l’universalité. Car les métaphores de Blaise Cendras reposent autant
sur une analogie formelle que sur la symbolique d’une Tour universelle, dans le temps comme dans
l’espace. Il est probable toutefois que certaines images échapperont aux apprenants, et il pourraalors être
utile de montrer la ressemblance entre la forme de la Tour Eiffel et la forme d’un objet ou animal qu’ils
auraient du mal à associer avec elle. Mes étudiantes de Smith Collège avaient ainsi eu du mal à
identifier le crocodile et le gibet comme des images de la Tour Eiffel.
L’étude stylistique des métaphores dans les poèmes de Guillaume Apollinaire et de Blaise Cendras,
mettant l’accent sur l’idée que la m´métaphore est une image, peut conduire à une forme de stylistique
comparative. Lors de la séance suivante, l’enseignant introduit alors d’autres métaphores de la Tour
Eiffel, sous une forme picturale, avec les tableaux de Robert Delaunay: Tour Eiffel (1909), Tour Eiffel
(1910), Champ-de-Mars (1911-1923) et La ville de Paris, la femme et la Tour ; ainsi qu’un tableau
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de Marc Chagall, La Tour Eiffel (1934). Dans ces tableaux, la Tour Eiffel est tantˆot associ´ee `ala
nature, à l’industrie, à l’urbanisation, ou encore à la ville de Paris elle-même, et à une femme. Les
apprenants sont invités à commenter la place, la forme et la couleur de la Tour Eiffel dans ces tableaux,
et à identifier les images ou les symboles auxquels elle est associée.
Ce texte de Roland Barthes est particulièrement intéressant, parce qu’il offre aux apprenants un regard
critique sur leur propre analyse des métaphores de la Tour Eiffel. Il leur permet d’enrichir leur analyse
tout en leur présentant une autre manière de parler de la Tour Eiffel. CarRoland Barthes développe ici
le style de l’essai (même si cet essai tend fortement vers la littérature), avec ses enchainements
logiques et son vocabulaire critiques. Lors de cette étude, l’enseignant pourra ainsi faire comprendre
aux apprenants la forte rigueur logique qui soutient le texte de Roland Barthes. Mes étudiantes de
Smith College avaient eu beaucoup de difficulté à comprendre les enchainements entre les
paragraphes. Ce texte pourra donc être prolongé à la suite de cette séquence, par une autre séquence
sur l’argumentation. Lors de la dernière séance, l’enseignant présente aux apprenants un dernier poème
métaphorique sur la Tour Eiffel, qui associe la dimension linguistique et la dimension picturale de la
métaphore : le calligramme « La Tour Eiffel » de Guillaume Apollinaire. L’enseignant attire
l’attention desapprenants sur plusieurs phénomènes :
Le fait que le poème soit écrit à la première personne : qui est « je » ? la polysémie du mot langue ;
le fait que les Allemands soient mentionnés, en référence à pendant l’occupation de Paris
la seconde guerre mondiale.
79
Puis il laisse les apprenants discuter par groupes de trois ou quatre de l’interprétation que l’on peut
faire du poème, avant qu’ils n’en rédigent individuellement un commentaire. Il est important, au terme
de cette séquence, que cet exercice soit fait à l’écrit et non à l’oral. Il s’agit en effet d’obliger les
apprenants à organiser leurs idées avec logique.
Exercice conclusif
Pour conclure cette séquence, l’enseignant demande aux apprenants d’écrire leur propre calligramme
sur le thème de la Tour Eiffel, et d’en rédiger un commentaire, dans lequel ils expliquent l’image qu’ils
ont voulu développer et les mots ou expressions qu’ils ont choisi en conséquence. De cette façon, les
apprenants doivent travailler sur la langue française, afin de développer une image de la Tour Eiffel qui
leur semble intéressante avec les mots lesplus justes possibles.
Remarque générale
Au terme de cette séquence, les apprenants doivent être capables de reconnaitre et d’analyser une
métaphore avec un vocabulaire juste et approprie. Or les métaphores ne se trouvent pas qu’en poésie,
mais elles sont omniprésentes dans la vie quotidienne, dans la publicité par exemple. Il s’agit donc
de les rendre attentifs au fonctionnement du langage, et au jeu avec les mots que les Français
affectionnent. Cette séquence doit également les initier à prendre du recul sur le choix des mots ou des
expressions dans les textes de langue française, et sur leur propre choix de mots lorsqu’ils écrivent en
français. Pour bien écrire en français, il ne s’agit pas en effet de choisir le premier mot qui vienne
`a l’esprit, mais le mot qui semble le plus juste dans le contexte spécifique du texte à écrire. Ce
type de recul est indispensable à qui veut pouvoir développer sa compétence de communication en
français, car la langue repose sur un certains nombres de codes, que le locuteur applique mieux
lorsqu’il en est conscient.
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Document-support (activité n°4 ) : « Tour »
Poéme de Blaise Cendrars
1910
Castellamare
Je dînais d'une orange à l'ombre d'un oranger
Quand, tout à coup...
Ce n'était pas l'éruption du
Vésuve
Ce n'était pas le nuage de sauterelles, une des dix plaies
d'Egypte
Ni
Pompéi
Ce n'était pas les cris ressuscites des mastodontes géants
Ce n'était pas la
Trompette annoncée
Ni la grenouille de
Pierre
Brisset
Quand, tout à coup,
Feux
Chocs
Rebondissements
Étincelle des horizons simultanés
Mon sexe
O
Tour
Eiffel!
Je ne t'ai pas chaussée d'or
Je ne t'ai pas fait danser sur les dalles de cristal
Je ne t'ai pas vouée au
Python comme une vierge de
Carthage
Je ne t ai pas revêtue du péplum de la
Grèce
Je ne t ai jamais fait divaguer dans l'enceinte des menhirs
Je ne t ai pas nommée
Tige de
David ni
Bois de la
Croix
Lignum
Crucis
O
Tour
Eiffel
Feu d'artifice géant de l'Exposition
Universelle!
Sur le
Gange
A
81
Bénarès
Parmi les toupies onanistes des temples hindous
Et les cris colorés des multitudes de l'Orient
Tu te penches, gracieux
Palmier
I
C'est toi qui à l'époque légendaire du peuple hébreu
Confondis la langue des hommes
O
Babel!
Et quelque mille ans plus tard, c'est toi qui retombais en langues de feu sur les
Apôtres rassemblés dans ton église
En pleine mer tu es un mât
Et au
Pôle-Nord
Tu resplendis avec toute la magnificence de l'aurore boréale de ta télégraphie sans fil
Les lianes s'enchevêtrent aux eucalyptus
Et tu flottes, vieux tronc, sur le
Mississipi
Quand
Ta gueule s'ouvre
Et un caïman saisit la cuisse d'un nègre'
En
Europe tu es comme un gibet
(Je voudrais être la tour, pendre à la
Tour
Eiffel!)
Et quand le soleil se couche derrière toi
La tête de
Bonnot roule sous la guillotine
Au cœur de l'Afrique c'est toi qui cours
Girafe
Autruche
Boa
Equateur
Moussons
En
Australie tu as toujours été tabou
Tu es la gaffe que le capitaine
Cook employait pour diriget
son bateau d'aventuriers
O sonde céleste!
Pour le
Simultané
Delaunay, à qui je dédie ce poème,
Tu es le pinceau qu'il trempe dans la lumière
Gong tam-tam
Zanzibar bête de la jungle rayons-X
83
« La tour Eiffel », Poème de Guillaume Apollinaire
84
« La Tour Eiffel »
Roland Barthes
Le Texte et
l’image
catalogue de
l’exposition
au Pavillon
des arts
7 mai-3 août 1986 éd. Paris
Musées, 1986
Texteoriginal:
« La Tour Eiffel »
(photographies d’André
Martin) éd. Delpire.
coll. « Le génie du lieu », 1964
Maupassant déjeunait souvent au restaurant de la Tour, que pourtant il n’aimait pas : c’est, disait-
il, le seul endroit de Paris où je ne la vois pas. Il faut, en effet, à Paris, prendre des précautions
infinies pour ne pas voir la Tour ; quelle que soit la saison, à travers les brumes, les demi-jours,
les nuages, la pluie, dans le soleil, en quelque point que vous soyez, quel que soit le paysage de
toits, de coupoles ou de frondaisons qui vous sépare d’elle, la Tour est là ; incorporée à la vie
quotidienne au point qu’on ne saurait plus lui inventer aucun attribut particulier, entêtée tout
simplement à persister, comme la pierre ou le fleuve, elle est littérale comme un phénomène
naturel, dont on peut bien interroger infiniment le sens, mais non contester l’existence. Il n’est
à peu près aucun regard parisien qu’elle ne touche à un certain moment de la journée. (...)
La Tour est aussi présente au monde entier. D’abord comme symbole universel de Paris, elle est
partout sur la terre où Paris doit être énoncé en image ; du Middlewest à l’Australie, il n’est pas
un voyage vers la France qui ne se fasse, en quelque sorte, au nom de la Tour, pas un manuel de
classe, une affiche où un film sur la France qui ne la livre comme le signe majeur d’un peuple
et d’un lieu : elle appartient à la langue universelle du voyage.
Bien plus : au-delà de son énoncé proprement parisien, elle touche à l’imaginaire humain le
plus général ; sa forme simple, matricielle, lui confère la vocation d’un chiffre infini : tour à
tour et selon les appels de notre imagination, symbole de Paris, de la modernité, de la
communication, de la science ou du XIXe siècle, fusée, tige, derrick, phallus, paratonnerre
ou insecte, face auxgrands itinéraires du rêve, elle est le signe inévitable ; de même qu’il n’est
pas un regard parisien qui ne soit obligé de la rencontrer, il n’est pas un fantasme qui n’en
vienne tôt ou tardà retrouver sa forme et à s’en nourrir ; prenez un crayon et laissez aller votre
main, c’est-à- dire votre pensée, et c’est souvent la Tour qui naîtra, réduite à cette ligne simple
dont la seule fonction mythique est de joindre, selon l’expression du poète, la base et le sommet,
85
ou encore la terre et le ciel.
Ce signe pur — vide, presque — il est impossible de le fuir, parce qu’il veut tout dire. Pour nier
la Tour Eiffel (mais la tentation en est rare, car ce symbole ne blesse rien en nous), il faut, comme
Maupassant, s’installer sur elle, et pour ainsi dire s’identifier à elle. A l’instar de l’homme, qui
est le seul à ne pas connaître son propre regard, la Tour est le seul point aveugle du système
optique total dont elle est le centre et Paris la circonférence. Mais dans ce mouvement qui semble
la limiter, elle acquiert une nouvelle puissance : objet lorsqu’on la regarde, elle devient à son
tour regard lorsqu’on la visite, et constitue à son tour en objet, à la fois étendu et rassemblé sous
elle, ce Paris qui tout à l’heure la regardait. La Tour est un objet qui voit, un regard qui est vu.
(...) Cette position rayonnante dans l’ordre de la perception lui donne une propension
prodigieuse au sens : la Tour attire le sens, comme un paratonnerre la foudre ; pour tous les
amateurs de signification, elle joue un rôle prestigieux, celui d’un signifiant pur, c’est-à-dire
d’une forme en laquelle les hommes ne cessent de mettre du sens (qu’ils prélèvent à volonté
dans leur savoir, leurs rêves, leur histoire), sans que ce sens soit pourtant jamais fini et fixé : qui
peut dire ce que la Tour sera pour les hommes de demain ? Mais à coup sûr elle sera toujours
quelque chose, et quelque chose d’eux-mêmes. Regard, objet, symbole, tel est l’infini circuit des
fonctions qui lui permet d’être toujours bien autre chose et bien plus que la Tour Eiffel...
... Pourquoi donc visite-t-on la Tour Eiffel ? Sans doute pour participer à un rêve dont elle est
(et c’est là son originalité) beaucoup plus le cristallisateur que l’objet propre. La Tour n’est pas
un spectacle ordinaire ; entrer dans la Tour, l’escalader, courir autour de ses coursives, c’est,
d’une façon à la fois plus élémentaire et plus profonde, accéder à une vue et explorer l’intérieur
d’un objet (pourtant ajouré), transformer le rite touristique en aventure du regard et de
l’intelligence. C’est cette double fonction dont on voudrait dire quelques mots avant de passer,
pour finir, à la grande fonction symbolique de la Tour, qui est son sens dernier.
La Tour regarde Paris. Visiter la Tour, c’est se mettre au balcon pour percevoir, comprendre et
savourer une certaine essence de Paris. Et ici encore, la Tour est un monument original.
Habituellement, les belvédères sont des points de vue sur la nature, dont ils tiennent les éléments,
eaux, vallées, forêts, rassemblés sous eux, en sorte que le tourisme de la « belle vue» implique
infailliblement une mythologie naturiste. La Tour, elle, donne, non sur la nature, mais sur la ville
; et pourtant, par sa position même de point de vue visité, la Tour fait de la ville une sorte de
nature ; elle constitue le fourmillement des hommes en paysage, elle ajouteau mythe urbain,
souvent sombre, une dimension romantique, une harmonie, un allégement ; par elle, à partir
d’elle, la ville rejoint les grands thèmes naturels qui s’offrent à la curiosité des hommes : l’océan,
86
la tempête, la montagne, la neige, les fleuves. Visiter la Tour, ce n’est donc pas entrer en contact
avec un sacré historique, comme c’est le cas pour la plupart des monuments, mais plutôt avec
une nouvelle nature, celle de l’espace humain : la Tour n’est pas trace, souvenir, bref culture,
mais plutôt consommation immédiate d’une humanité rendue naturelle par ce regard qui la
transforme en espace...
... La Tour est d’abord le symbole de l’ascension, de toute ascension ; elle accomplit une sorte
d’idée de la hauteur en soi. Aucun monument, aucun édifice, aucun lieu naturel n’est aussi mince
et aussi haut ; en elle, la largeur est annulée, toute la matière s’absorbe dans un effort de hauteur.
On sait combien ces catégories simples, cataloguées déjà par Héraclite, ont d’importance pour
l’imagination humaine, qui peut y consommer à la fois une sensation et un concept ; on sait
aussi, notamment depuis les analyses de Bachelard, combien cette imagination ascensionnelle
est euphorique, combien elle aide l’homme à vivre, à rêver, en s’associant en lui à l’image de la
plus heureuse des grandes fonctions physiologiques, la respiration. De loin, la Tour est ainsi
vécue par des millions d’hommes comme un exercice pur de la hauteur ; et de près, pour qui la
visite, cette fonction se complique mais ne cesse pas ; on le voit sur les photographies de la Tour,
au niveau de ses poutrelles, un concours subtil s’établit entre l’horizontal et le vertical ; bien
loin de barrer, les lignes transversales, la plupart obliques ou arrondies, disposées en arabesques,
semblent relancer sans cesse la montée ; l’horizontal ne s’empâte jamais, il est lui aussi dévoré
par la hauteur ; les plates-formes elles- mêmes ne sont jamais que des relais, des reposoirs ; tout
s’élève dans la Tour, jusqu’à la fine aiguille le long de laquelle elle se perd dans le ciel.
Car on comprend bien que cette imagination de la hauteur communique avec une imagination
de l’aérien ; les deux symboles sont indissolublement liés, l’aérien étant aussi euphorique que le
haut auquel il touche (le ciel est une image sublime, donc heureuse). Cependant le thème aérien
se développe dans une tout autre direction et rencontre sur son chemin des symboles inédits que
le thème d’altitude ne comporte pas. Le premier attribut de la substance aérienne, c’est la
légèreté. La Tour est en effet un symbole de légèreté. On sait que ce fut l’une des prouesses
techniques d’Eiffel que d’allier le gigantisme (d’ailleurs élancé) de la forme à la légèreté du
matériau ; une Tour réduite au millième ne pèserait que 7 g, le poids d’une feuille de papier à
lettres ; une connaissance aussi précise n’est pas nécessaire pour savoir intuitivement que la
Tour est prodigieusement légère ; il n’y a visiblement en elle aucun poids ; elle ne s’enfonce
pas dans la terre, mais semble posée sur elle.
87
Le second attribut de la substance aérienne, c’est une qualité bien particulière d’étendue,
puisqu’on la trouve ordinairement dans certains tissus, c’est l’ajouré : la Tour est une dentelle
de fer, et ce thème n’est pas sans rappeler l’évidement tourmenté de la pierre dont on a toujours
fait la marque du gothique : la Tour relaye encore une fois ici la cathédrale. L’ajouré est un
attribut précieux de la substance, car il l’exténue sans l’anéantir ; en un mot, il fait voir le vide
et manifeste le néant sans pour autant lui retirer son état privatif ; on voit toujours leciel à
travers la Tour ; en elle, l’aérien échange sa propre substance avec les mailles de sa prison, le
fer, délié en arabesques, devient lui-même de l’air. Sans doute ce caractère aérien de la Tour a
une origine positive : il fallait trouer à l’extrême le matériau pour qu’il offrît le moins de prise
possible au seul ennemi dangereux qu’Eiffel ait rencontré dans son entreprise : le vent
; mais par là-même, on saisit la nature la plus subtile de l’aérien ; c’est la substance antithétique
du vent, dans la mesure même où il est du vent dominé, quintessencié, sublimé ; le vent est
toujours symbole de puissance immaîtrisée, et par suite de massivité ; paradoxalement, le vent
ne peut être rattaché aux éléments légers (l’air et le feu) mais bien au contraire aux éléments
lourds, telluriques (la terre et la mer) ; vaincre le vent (comme le fait la Tour) c’est donc aller
du côté du léger et du subtil, c’est rejoindre les grandes mythologies de l’esprit songeur et
libérateur. Cependant, le haut, l’aérien, le léger et l’ajouré peuvent se résumer dans un dernier
symbole : la plante. La plante est haute par sa tige, aérienne et légère par sa tête, ajourée par ses
branches.
Est-ce la dernière métaphore de la Tour ? La photographie, qui souvent nous dit toute la vérité
d’un objet, nous livre peut-être d’elle une autre métamorphose : la métamorphose animale. Soit
qu’on la considère comme un insecte au corselet dur dont on aurait arraché les pattes, soit qu’on
la voie s’élever dans le ciel comme un oiseau dont on aurait coupé les ailes et qui chercherait à
pousser plus haut son vol, bien au-dessus des nuages, soit enfin qu’elle apparaisse plus
prosaïquement comme une immense girafe offerte à l’étonnement des Parisiens, comme celle
dont un sultan fit cadeau à Louis-Philippe, et qui serait en même temps, par une contraction
illogique, la bête et sa cage, il y a une animalité virtuelle de la Tour.
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Or, on le sait, la métamorphose animale est un thème baroque d’expansion poétique, dans la
mesure où l’animal est le grand lieu de passage de la Nature, lorsqu’elle émigre de l’objet à
l’homme ; c’est à l’animal que commencent toutes les transgressions, celle de l’objet qui s’anime
mystérieusement, celle de l’homme qui franchit les barrières de la morale et de la nature. La
Tour, mythiquement, participe à ce passage. C’est un être baroque parce qu’il enferme un rêve
de transgression de la matière vers des états inconnus, sans cependant jamais les rejoindre tout
à fait.
C’est en se replaçant au cœur de cette instabilité métaphorique (si féconde et si libératrice pour
l’esprit) que l’on peut saisir le dernier avatar de la Tour, qui est son avatar humain. La Tour est
une silhouette humaine ; sans tête, sinon une fine aiguille, et sans bras (elle est pourtant bien au-
delà du monstrueux), c’est tout de même un long buste posé sur deux jambes écartées ; elle
retrouve d’ailleurs dans cette figure sa fonction tutélaire : la Tour est une femme qui veille sur
Paris, qui tient Paris rassemblé à ses pieds ; à la fois assise et debout, elle inspecte et protège,
elle surveille et couvre. (...)
Regard, objet, symbole, la Tour est tout ce que l’homme met en elle, et ce tout est infini.
Spectacle regardé et regardant, édifice inutile et irremplaçable, monde familier et symbole
héroïque, témoin d’un siècle et monument toujours neuf, objet inimitable et sans cesse reproduit,
elle est le signe pur, ouvert à tous les temps, à toutes les images et à tous les sens, la métaphore
sans frein ; à travers la Tour, les hommes exercent cette grande fonction de l’imaginaire, qui est
leur liberté, puisque aucune histoire, si sombre soit-elle, n’a jamais pu la leur enlever.
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Cours N° 28 : En exploitant les fiches outils proposées ci-dessous, analyser les textes littéraires
donnés.
1. Analyse du paratexte : titre(s) ; date de parution, auteur,… Quels sont les horizons
d’attente ? Quelles sont vos connaissances littéraires et historiques sur cette
époque ?
2. Type de discours dominant : narratif, descriptif, argumentatif, informatif,
injonctif. Différentes formes de discours sont-elles associées ? Quelle est la forme
de discours dominante ?
3. Genre du texte : poésie, roman, théâtre, texte d’idées… Est-il possible de
déterminer le genre ? Quels sont les indices ?
Bilan : Quel outil vais-je utiliser en fonction de ces premiers repérages ? Quelles
connaissances sont susceptibles de m’aider pour analyse le texte ?
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Fiche 2 : analyse de la situation d’énonciation
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Fiche 3 : analyser le lexique
Bilan : à ce stade de l’étude des hypothèses peuvent déjà être clairement formulées.
Les fiches suivantes servent à démonter comment les procédés d’expression utilisés
se mettent au service du sens du texte.
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Fiche 4 : étudier les figures de rhétorique (figures de style)
Remarque : une figure de style ne doit jamais être relevée pour elle-même : elle
n’est pas un simple ornement de la pensée mais se mets au service d’un sens
qu’elle renforce.
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Fiche 5 : analyse de la syntaxe
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Fiche 6 : analyse de la temporalité
Remarque : pour une lecture analytique, on peut se poser des questions de ce type :
- les temps renvoient-ils à des actions réalisées ou non réalisées ? à des faits
concrets ou seulement envisagés ? Dans quelle mesure traduisent-ils les
sentiments, les espoirs, les hésitations des personnages ou du locuteur ?
- les temps utilisés renforcent-ils la certitude du locuteur par rapport à sonénoncé
?
- les temps utilisés accélèrent-ils ou ralentissent-ils l’action ?
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Fiche 7 : analyse du récit
1. Part de la narration et de la description. Combinaison et répartition de la narration et de
la description.
2. Toujours se demander dans quelle mesure la narration ( la manière de raconter) donne
un sens à la fiction (ce qui raconté).
3. Etudier le cadre et les circonstances de l’action. Circonstances banales ou
extraordinaires ? Moment privilégié ou non ? (exemple : crépuscule)
4. Schéma actantiel et narratif. Quel est le rôle de chaque personnage en présence ? Quels
sont les buts éventuels des protagonistes ? Comment l’action évolue-t-elle ? Echec ou
réussite ? Amélioration ou détérioration ?
5. Objet de la description :
- personnages : éléments constitutifs et organisation du portrait éventuellement
péjoratif (blâme) ou mélioratif (éloge), satire, caricature… Caractère représentatif
du personnage.
- décor/paysage : dimension symbolique du lieu, lien entre personnage, et milieu
dans lequel il évolue. Rôle et place des objets. Formes et couleurs dominantes.
Atmosphère et conditions climatiques.
6. Statut du narrateur : interne/externe. Se demander aussi si le narrateur est une
personnage de l’histoire.
7. Point de vue adopté : focalisation externe/interne/zéro.
8. Jeux des pronoms, étude des substituts des noms.
9. Déterminants utilisés.
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Fiche 8 : analyse de la dimension poétique
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Fiche 9 : analyse des idées du texte (analyse thématique)
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Fiche 10 : analyse du texte théâtral
1. Ce qui est essentiel : un texte théâtral n’est pas fait pour être lu mais pour être
joué, représenté.
2. théâtre en prose ou en vers ? (dans le dernier cas, utiliser les éléments de la fiche
8).
3. S’agit-il d’un moment particulier de l’intrigue (scène d’exposition, dénouement
?)
4. Observer les didascalies. Quelle relation s’établit entre les paroles et les gestes ?
Quel ton doit être adopté ? Eléments symboliques du décor.
5. Que sait-on de chaque personnage ? Quelle image donne-t-il de lui ? Quel lien
unit les personnages ? Rapports harmonieux ou conflictuels ? Quels sont les
éventuels rapports de force ?
6. Quel est le registre de langue des différents personnages ? Emploient-ils le même
registre ? Décalage éventuel.
7. Etude de la double énonciation (effets tragiques ou comiques) ?
8. Repérer et analyser le rôle de certaines formes propres au langage dramatique :
monologue (un personnage parle seul sur la scène), aparté (paroles prononcées
par un personnage et que seul le spectateur est sensé entendre), tirade (réplique).
9. Essayer d’identifier le registre (la tonalité) de l’extrait : comique ou tragique ?
Mélange ?
10. repérer éventuellement les différentes manifestations du comique (mots, gestes,
situation).
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posture d’auteur à l’école de la GS au CM, éd. Hatier, Paris.
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