Les Cahiers de Douai de Rimbaud
Les Cahiers de Douai de Rimbaud
Voici 5 sujets sur Les Cahiers de Douai de Rimbaud, liés au thème : « émancipations
créatrices »
Sujet 1
🔥 En quoi peut-on dire que la création poétique est un acte d’émancipation dans Les
Cahiers de Douai de Rimbaud ?
Sujet 2
*1
Sujet 5
🔥 En quoi la démarche créatrice de Rimbaud dans Les Cahiers de Douai prépare-t-elle
déjà la figure du « poète voyant » voleur de feu ?
Introduction
Accroche
• Le 15 mai 1971, Rimbaud écrit à Paul Demeny sa célèbre lettre du voyant, où il
décrit sa nouvelle méthode de création poétique…
Le Poète se fait voyant par un long, immense et raisonné dérèglement de tous les
sens. Toutes les formes d’amour, de souffrance, de folie ; [...] il épuise en lui tous les
poisons, pour n’en garder que les quintessences.
• Heureusement, Paul Demeny n’en fera rien. Mais cela révèle une chose : pour
Rimbaud, les Cahiers de Douai ne sont qu’une étape dans l’élaboration de sa méthode
poétique.
• Et en effet, tout au long de ces 22 poèmes, on observe l’évolution de l’écriture du
jeune poète, qui s’affirme, s’émancipe, devient de plus en plus autonome à l’égard de
ses modèles.
Problématique
En quoi la démarche créatrice de Rimbaud dans Les Cahiers de Douai prépare-t-elle
déjà la figure du poète voyant voleur de feu ?
Annonce de plan
I. D’abord, les poèmes des Cahiers de Douai constituent déjà des visions, dans
le sens où elles synthétisent des sensations, souvent issues de la Nature, produisant
*2
une certaine ivresse.
II. Mais ces visions ne sont pas forcément euphoriques : elles révèlent aussi des
vérités difficiles à admettre, elles forcent le poète à regarder en face les injustices du
monde.
III. Alors, le poète touché par ces souffrances se fait par moment véritablement
voleur de feu, donnant au lecteur les moyens d’une révolte prométhéenne.
Première partie :
La quintessence des sensations
1) Des sensations liées aux émois amoureux
◊ Exemple : « Rêvé pour l’hiver ».
• Une vision fantastique et une petite fiction (l’araignée qui voyage) initient un jeu
amoureux.
Tu fermeras l’oeil, pour ne point voir, par la glace,
Grimacer les ombres des soirs,
Un petit baiser, comme une folle araignée,
Te courra par le cou…
◊ Exemple : « Sensation ».
• Au futur, le jeune Rimbaud de quinze ans sur le point de fuguer, imagine le bonheur
de marcher dans la Nature.
• Le mélange des perceptions (pluriel) deviennent une Sensation au singulier.
Je ne parlerai pas, je ne penserai rien :
Mais l’amour infini me montera dans l’âme,
Et j’irai loin, bien loin, comme un bohémien,
Par la Nature, — heureux comme avec une femme.
◊ Exemple : « Roman ».
• On retrouve cette même ivresse du champagne dans « Roman ».
Nuit de juin ! Dix-sept ans ! — On se laisse griser.
La sève est du champagne et vous monte à la tête...
*3
⇨ Mais cette promenade sous les tilleuls, bien proche de la ville, n’apporte que des
parfums de vigne…
Les tilleuls sentent bon dans les bons soirs de juin !
L'air est parfois si doux, qu'on ferme la paupière ;
Le vent chargé de bruits — la ville n'est pas loin —
A des parfums de vigne et des parfums de bière...
◊ Exemple : « Ma Bohème ».
• Méthode de création : traduire le frou-frou des étoiles en musique.
• Les gouttes du vin de vigueur remplacent les lauriers à son front.
— Mes étoiles au ciel avaient un doux frou-frou.
Et je les écoutais, assis au bord des routes,
Ces bons soirs de septembre où je sentais des gouttes
De rosée à mon front, comme un vin de vigueur ;
◊ Exemple : « À la musique »
• Rimbaud s’observe regardant les jeunes filles sous les marronniers.
• Les baisers sont les poèmes que ces muses lui inspirent, évoquant l’embouchure de
la flûte de pan du syrinx ou même du clairon.
— Moi, je suis, débraillé comme un étudiant,
Sous les marronniers verts les alertes fillettes :
[...] — Je reconstruis les corps, brûlé de belles fièvres.
[...] Elles me trouvent drôle et se parlent tout bas…
— Et je sens les baisers qui me viennent aux lèvres…
• Les baisers sont ces poèmes qui viennent d’un bond sur scène.
• Ici, le poète s’observe lui-même « je est un autre », et entend une musique très
différente de celle de la fanfare.
Car Je est un autre. Si le cuivre s’éveille clairon, il n’y a rien de sa faute. Cela m’est évident : j’assiste
à l’éclosion de ma pensée : je la regarde, je l’écoute : je lance un coup d’archet : la symphonie fait
son remuement dans les profondeurs, ou vient d’un bond sur la scène.
4) Visions d’harmonie
◊ Exemple : « Au Cabaret-Vert »
• La gousse d’ail et la mousse de bière, qui n’étaient pas demandées, représentent
une corne d’abondance.
• La chope immense renvoie à la coupe qui déborde dans la Bible.
Et ce fut adorable,
Quand la fille aux tétons énormes, aux yeux vifs,
*4
[...] m’emplit la chope immense, avec sa mousse
Que dorait un rayon de soleil arriéré.
⇨ Nouvelle religion ? La messe est dite par la serveuse « aux tétons énormes » où le
révélation, petite illumination.
Transition
• Les visions ont une dimension euphorique, mais elles font aussi voir la laideur du
monde, la souffrance et les injustices.
• En se faisant voyant, le poète fait une expérience dangereuse :
Ineffable torture où il a besoin de toute la foi, de toute la force surhumaine, où il
devient entre tous le grand malade, le grand criminel, le grand maudit, — et le
suprême Savant — Car il arrive à l’inconnu !
Deuxième partie :
Voir la vérité et les injustices
1) Se confronter la vérité
• Dans la Lettre du Voyant, Rimbaud utilise l’image d’un homme cultivant des verrues
sur son propre visage.
Mais il s’agit de faire l’âme monstrueuse : Imaginez un homme s’implantant et se
cultivant des verrues sur le visage.
*5
⇨ Devenir le « suprême savant » fait penser aux naturalistes.
◊ Exemple : « Le Forgeron ».
• À l’origine, dans cette anecdote, il s’agit d’un boucher. Rimbaud choisit la figure du
forgeron, allégorie du poète voleur de feu.
• Il montre au roi, par la fenêtre, le peuple qui souffre et se révolte.
L’Homme, par la fenêtre ouverte, montre tout
Au Roi pâle, suant qui chancelle debout,
Malade à regarder cela !
« C’est la Crapule, Sire.
◊ Exemple : « Le Mal »
• Vision accusatrice et synthétique : quel est ce Dieu qui ne s’éveille que pour prendre
l’argent des veuves et des orphelins ?
— Il est un Dieu, [...]
Qui dans le bercement des hosannah s’endort,
Et se réveille, quand des mères, [...]
[...] Pleurant sous leur vieux bonnet noir,
Lui donnent un gros sou lié dans leur mouchoir !
⇨ Symboliquement, elles font plus que donner un sou : elle donnent aussi leur
mouchoir, ne gardant que leurs yeux pour pleurer.
3) Mettre à nu l’hypocrisie
*6
Se dresse, et, — présentant ses derrières « De quoi ?… »
⇨ L’Empereur ne dirige que les fesses des soldats, pas leurs pensées.
◊ Exemple : « Morts de 92 »
• Vision fantastique d’une armée de morts.
• La Liberté est la religion de ces martyres.
• Interpeller ceux qui vivent sous la tyrannie
Nous vous laissions dormir avec la République,
Nous, courbés sous les rois comme sous une trique.
— Messieurs de Cassagnac nous reparlent de vous !
Transition
• Le poète nous montre les injustices et les dénonce, mais il veut aller encore plus
loin : voler le feu pour le donner aux hommes.
• Métaphore de la flamme qui se transmet et se démultiplie.
Troisième partie :
Le poète visionnaire et voleur de feu
1) Prendre le feu pour le donner aux faibles
⇨ Le soupirail leur permet de contempler le four où le pain cuit, mais ce pain reste
⇨ Dans la lettre du voyant, le poète va souhaiter voler le feu pour le confier enfin aux
inaccessible et le boulanger (poète ?) chante un vieil air.
humains.
*7
Donc le poète est vraiment voleur de feu.
Il est chargé de l’humanité, des animaux même ; il devra faire sentir, palper, écouter
ses inventions ;
◊ Exemple : « Ophélie ».
• Le poète prend le risque de la folie en s’aventurant dans ces visions.
• En effet, les vérités recherchées par le poète défient la Raison.
Ciel ! Amour ! Liberté ! Quel rêve, ô pauvre folle !
Tu te fondais à lui comme une neige au feu :
Tes grandes visions étranglaient ta parole
— Et l’infini terrible effara ton œil bleu !
⇨ Dans les poèmes qui suivront Les Illuminations et Une Saison en Enfer, ces clés
de lecture resteront en filigrane.
◊ Exemple : « Le Buffet ».
• Influence de Baudelaire.
• Médaillons, mèches de cheveux, fleurs et fruits évoquent des histoires qui pourtant
restent au conditionnel…
• Le poète met son lecteur au défi de devenir voyant à son tour.
— Ô buffet du vieux temps, tu sais bien des histoires,
Et tu voudrais conter tes contes, et tu bruis
Quand s’ouvrent lentement tes grandes portes noires.
Conclusion
Bilan
• Les Cahiers de Douai retracent l’évolution de la pensée de Rimbaud, une
véritable aventure de la créativité poétique.
• Dans un premier temps, le poète se laisse porter par les émois amoureux, écoute
une symphonie intérieure, synthétise des sensations, des moments d’épiphanie, de
véritables illuminations…
• Mais bientôt cela le conduit à voir des vérités horribles et repoussantes. Il
perçoit alors les injustices, et il nous aide à percevoir les principes profonds que
cachent les souffrances du monde.
• Rimbaud va même au-delà du simple constat dans ses Cahiers de Douai : il
donne à la Liberté une véritable force de mobilisation, et il invite même son lecteur à
devenir voyant lui aussi.
Ouverture
• Les surréalistes admirent Rimbaud, pour eux, le véritable poète est celui qui inspire
les autres !
• André Breton, Paul Éluard et René Char écrivent ensemble un recueil de poèmes
intitulé Ralentir travaux.
• Dans la préface, Paul Éluard érige cette idée en véritable principe :
Le poète est celui qui inspire bien plus que celui qui est inspiré. Les poèmes ont
toujours de grandes marges blanches, de grandes marges de silence où la mémoire
ardente se consomme pour recréer un délire sans passé. Leur principale qualité est
non pas, je le répète, d’invoquer mais d’inspirer.
*9
Sujet 4
Introduction
Accroche
• Élève brillant à l’école municipale de Charleville-Mézières, il obtient de nombreux prix
en littérature, en latin.
• Mais il ne se sent pas à sa place dans cette société dont il perçoit les hypocrisies.
• Conflit avec sa mère, qui surveille ses lectures, et qu’il surnomme « la bouche
d’ombre » en référence à un poème de Hugo.
Situation
*10
• Les premiers poèmes des Cahiers de Douai de Rimbaud sont des poèmes
d’adolescence (entre mai et octobre 1870).
• Rébellion adolescente contre le monde des adultes, révolte à l’égard de l’ordre
ancien. Mais déjà, soif d’autonomie, trouver sa propre voie.
• Créativité artistique qui part de cette rébellion pour aller plus loin.
Problématique
La liberté créatrice du jeune Rimbaud dans les Cahiers de Douai est-elle seulement
une rébellion adolescente ?
Annonce de plan
I. Un jeune poète qui préfère rester à l’écart de la société, s’éloignant même bien loin
en faisant des fugues.
II. Un poète qui, en grandissant, s’élève contre l’ordre établi, dénonce les discours
dominants.
III. Un poète qui atteint enfin une certaine autonomie, qui définit ses propres
croyances, et qui se sent chargé de l'humanité.
Première partie :
Un poète à l’écart de la société
1) Un poète qui observe la société
◊ Exemple : « À la musique ».
• Tableau accablant de la société de son époque rassemblé autour d’une fanfare
militaire. Caricature de la bourgeoisie.
• Le poète quant à lui se trouve physiquement en marge.
— Moi, je suis, débraillé comme un étudiant,
Sous les marronniers verts les alertes fillettes :
Elles le savent bien ; et tournent en riant,
Vers moi, leurs yeux tout pleins de choses indiscrètes.
2) Un poète en fugue
◊ Exemple : « Roman »
*11
• Le poète est d’abord tenté de s’éloigner du village pour aller sur la promenade, lieu
qui n’est pas encore bien éloigné.
• Les « tilleuls verts » sont bien le symbole d’une tisane doucereuse, les étoiles
pétillent comme du champagne.
Nuit de juin ! Dix-sept ans ! — On se laisse griser.
La sève est du champagne et vous monte à la tête...
On divague ; on se sent aux lèvres un baiser
Qui palpite là, comme une petite bête…
◊ Exemple : « Sensation ».
• Les fugues prennent une nouvelle ampleur, Rimbaud rêve d’aller « loin bien loin ».
• L’amour romanesque pour une « demoiselle aux airs charmants » est devenu un
amour pour la Nature.
Je ne parlerai pas, je ne penserai rien :
Mais l’amour infini me montera dans l’âme,
Et j’irai loin, bien loin, comme un bohémien,
Par la Nature, — heureux comme avec une femme.
◊ Exemple : « Ma Bohème ».
• Dernier poème du recueil, Rimbaud revient sur ses fugues au passé.
• Les cordes de la lyre, l’instrument très noble d’Orphée, sont devenues les lacets
élastiques de ses chaussures (genre bas).
• Les voyages l’ont amené à inventer un lyrisme plus personnel.
Où, rimant au milieu des ombres fantastiques,
Comme des lyres, je tirais les élastiques
De mes souliers blessés, un pied près de mon cœur !
Transition
• À travers ses fugues, Rimbaud conçoit sa propre esthétique, plus simple en
apparence, qui bouscule les codes établis.
• Rimbaud se révèle alors poète engagé, d’abord artistiquement, mais aussi
politiquement.
*12
Deuxième partie :
Un poète contre l’ordre établi
*13
◊ Exemple : « L’éclatante victoire de Sarrebrück ».
• Dénoncer la propagande de guerre de Napoléon III.
• Blague potache : Boquillon montre ses fesses à l’Empereur.
Et : « Vive l’Empereur !! » — Son voisin reste coi…
Un schako surgit, comme un soleil noir… — Au centre,
Boquillon, rouge et bleu, très naïf, sur son ventre
Se dresse, et, — présentant ses derrières « De quoi ?… »
⇨ Blague plus complexe qu’il n’y paraît, nous invite à restituer la phrase avec le
Transition
• La rébellion adolescente de Rimbaud l’amène à trouver ses propres valeurs et à les
défendre contre la religion et l’ordre établi.
• Voilà que le poète adolescent, sur les routes, en marge de la société, se sent
concerné par le sort des plus faibles.
Troisième partie :
Un poète chargé de l’humanité
1) Trouver ses propres croyances
*15
meilleur.
◊ Exemple : « Le Buffet ».
• Rimbaud va plus loin : il transmet au lecteur ce don de voyance.
• Mèche blonde coupée à la naissance, blanche, sur le lit de mort.
• Symbole de mort « Fleurs sèches ».
• Symbole de vie « Parfums de fruit »
— C’est là qu’on trouverait les médaillons, les mèches
De cheveux blancs ou blonds, les portraits, les fleurs sèches
Dont le parfum se mêle à des parfums de fruits.
⇨ Laisser au lecteur le soin d’imaginer les vies entières des générations humaines qui
l’ont précédé.
Conclusion
Bilan
• Dans les Cahiers de Douai nous pouvons suivre une véritable dynamique, l’évolution
d’un jeune poète. D’abord à l’écart de la société, fuguant, vivant sans attache. Le
voyage se transforme en errance, c’est-à-dire qu’il n’a pas de destination.
• Mais le voyage a quelque chose d’initiatique. La distance du jeune poète lui permet
de mieux comprendre la société qu’il a quitté. Il commence à forger ses propres
valeurs et dénonce l’ordre établi.
• Dernière étape de ce voyage, le jeune poète définit ses propres croyances, entre en
empathie avec les plus faibles. Se sentant alors « chargé de l’humanité » il s’engage.
• Chez Rimbaud, le poète en fugue donne naissance au poète voyant et au poète
prométhéen. Les Cahiers de Douai racontent le parcours initiatique d’un adolescent en
quête d’émancipation.
Ouverture
*16
• Après Rimbaud, d’autres poètes racontent cette expérience du voyage et de la
poésie, comme véritable quête initiatique.
• Blaise Cendrars par exemple, écrit en 1913 Le Prose du Transsibérien :
En ce temps-là, j'étais en mon adolescence
J'avais à peine seize ans et je ne me souvenais déjà plus de mon enfance
J'étais à 16.000 lieues du lieu de ma naissance
J'étais à Moscou dans la ville des mille et trois clochers et des sept gares
Et je n'avais pas assez des sept gares et des mille et trois tours [...]
*17
N °2 La soif de liberté suffit-elle à expliquer l’exceptionnelle créativité poétique
de Rimbaud dans Les Cahiers de Douai ?
Introduction
Accroche
• Rimbaud, héritier des romantiques : valeur de Liberté.
• Allégorie de « La Liberté guidant le peuple » de Delacroix.
• Liberté qu’on retrouve dans la vie de Rimbaud.
• Fugues, intérêt pour la Commune de Paris.
• Errance jusqu’en Afrique.
Situation
• Les Cahiers de Douai : moment déclencheur.
• Il écrira ensuite en vers libres Les Illuminations, et Une Saison en Enfer.
• La liberté est bien un principe fondateur dans la poésie de Rimbaud.
• Et pourtant fuite en avant qui semble dissimuler une quête cachée…
Problématique
Cette soif de liberté suffit-elle à expliquer l’exceptionnelle créativité poétique de
Rimbaud dans Les Cahiers de Douai ?
Annonce de plan
I. D’abord, Rimbaud est un adolescent qui se révolte à l’égard d’un ordre injuste, il
veut se libérer, sa soif de liberté le conduit à s’engager politiquement, à explorer
l’amour et à partir sur les routes.
II. Mais la liberté ne peut pas se résumer à l’errance, chez Rimbaud, elle révèle une
vision philosophique plus complexe de la vie, de l’amour et du bonheur.
III. La soif de liberté explique magnifiquement l’œuvre de Rimbaud, mais elle produit
surtout un débordement de créativité, un dérèglement de tous les sens.
*18
Première partie :
Une soif de liberté
1) Liberté politique
◊ Exemple : « Morts de 92 »
• Rimbaud admire les martyres de la Révolution française.
• Mettre la Liberté devant la vie : cela fascine Rimbaud.
• Grandeur de mourir pour une Liberté collective.
Morts de Quatre-vingt-douze et de Quatre-vingt-treize,
Qui, pâles du baiser fort de la liberté,
Calmes, sous vos sabots, brisiez le joug qui pèse
Sur l’âme et sur le front de toute humanité ;
◊ Exemple : « À la musique »
• Remettre en cause l’ordre établi.
• Poète à l’écart, observation critique.
• Les baisers sont un symbole de poésie.
— Moi, je suis, débraillé comme un étudiant,
Sous les marronniers verts les alertes fillettes : [...]
Elles me trouvent drôle et se parlent tout bas...
— Et je sens les baisers qui me viennent aux lèvres…
*19
3) Liberté ou errance
◊ Exemple : « Roman »
• Désinvolture à double sens : tomber amoureux, retour au café.
• Les tilleuls et la limonade sont bien fades…
— On n'est pas sérieux, quand on a dix-sept ans
Et qu'on a des tilleuls verts sur la promenade.
◊ Exemple : « Au Cabaret-Vert »
• Au-delà des tilleuls verts, la liberté apportera-t-elle le bonheur ?
• Dimension spirituelle cachée dans le rayon doré du soleil ? (référence à la bible : «
ma coupe déborde »)
Du jambon rose et blanc parfumé d’une gousse
D’ail, — et m’emplit la chope immense, avec sa mousse
Que dorait un rayon de soleil arriéré.
Transition
Une liberté insuffisante en soi, pose des questions plus profondes sur le sens de la vie
: s’engager, trouver l’amour, trouver le bonheur ?...
Deuxième partie :
La liberté à l’origine d’une soif de vie
1) Liberté et dignité
◊ Exemple : « Le Forgeron ».
• Donner la parole à un forgeron : un créateur et alchimiste.
• Le premier droit, celui de nourrir sa famille.
— Puisqu’ils ne mangent pas, Sire, ce sont les gueux !
Je suis un forgeron : ma femme est avec eux,
Folle ! Elle vient chercher du pain aux Tuileries !
*20
Entre les trous, [...]
◊ Exemple : « Ma Bohème ».
• La liberté est une manifestation de cet amour universel « infini ».
• L’amour « d’une femme » est en fait un grand amour de la Nature.
Je ne parlerai pas, je ne penserai rien :
Mais l’amour infini me montera dans l’âme,
Et j’irai loin, bien loin, comme un bohémien,
Par la Nature, — heureux comme avec une femme.
Transition
La liberté de Rimbaud est émancipatrice : elle lui permet de trouver ses propres
thèmes, et de repousser les limites de sa propre créativité.
*21
Troisième partie :
Une créativité débordante
1) Remise en cause des canons de beauté dominants
2)
◊ Exemple : « Vénus Anadyomène ».
• Oxymore « Belle hideusement ».
• Rimbaud voit tout de même de la beauté dans ces détails.
Les reins portent deux mots gravés : Clara Venus ;
— Et tout ce corps remue et tend sa large croupe
Belle hideusement d’un ulcère à l’anus.
◊ Exemple : « Ma Bohème ».
• Tout le poème est au passé, avec une certaine auto dérision.
*22
• Le jeune poète s’est donc libéré de la Muse ?
J’allais sous le ciel, Muse ! et j’étais ton féal ;
Oh ! là là ! que d’amours splendides j’ai rêvées !
Conclusion
Bilan
• Dans Les Cahiers de Douai, la soif de liberté est première. Rimbaud est un
adolescent révolté, qui remet en cause l’ordre établi.
• Ses fugues et ses expériences amoureuses le conduisent sur les routes, loin des
tilleuls verts de la promenade !
• Mais cette soif de liberté n’est pourtant pas synonyme d’errance. Bientôt, on voit
émerger d’autres principes dans la poésie de Rimbaud.
• Poésie engagée d’un poète prométhéen : défenseur de l’humanité.
• Ses poèmes d’amour cachent une philosophie plus profonde.
• Nouvelle méthode dans la « Lettre du Voyant » à Paul Demeny.
Il cherche lui-même, il épuise en lui tous les poisons, pour n’en garder que les
quintessences. Ineffable torture où il a besoin de toute la foi, de toute la force
surhumaine, où il devient entre tous le grand malade, le grand criminel, le grand
maudit, — et le suprême Savant — Car il arrive à l’inconnu.
Ouverture
• Rimbaud inspire les surréalistes, qui vont explorer les limites des perceptions et
de la réalité, pour chercher des vérités plus profondes !
• Par exemple, Paul Éluard, poète surréaliste :
Ce qui a été compris n'existe plus,
*23
L'oiseau s'est confondu avec le vent,
Le ciel avec sa vérité, L'homme avec sa réalité.
SUJET N° 3
Introduction
Accroche
• Mai 1870, Rimbaud espérant être publié dans le « Parnasse contemporain » écrit à
Théodore de Banville :
C’est que j’aime tous les poètes, tous les bons Parnassiens, — puisque le poète est
un Parnassien, — épris de la beauté idéale ; c’est que j’aime en vous, bien naïvement,
un descendant de Ronsard, un frère de nos maîtres de 1830, un vrai romantique, un
vrai poète. Voilà pourquoi. — c’est bête, n’est-ce pas, mais enfin ?
• On perçoit déjà une distance « c’est bête, n’est-ce pas ? » et une certaine auto
dérision « bien naïvement ».
• On devine ici que le jeune Rimbaud se méfie déjà de ces grands mots « bons
Parnassiens … beauté idéale … vrai romantique »…
• Ironie = laisser entendre qu’on pense autre chose que ce qu’on dit.
• Et en effet, il va rapidement s’éloigner des Parnassiens pour écrire une poésie moins
grandiloquente, plus personnelle.
*24
Situation
• L’ironie traverse toute l’œuvre de Rimbaud, et explique même l’évolution des Cahiers
de Douai jusqu’aux Illuminations.
• Cahiers de Douai = 2 recueils confiés à Paul Demeny en octobre 1870.
• La plupart de ces poèmes portent une trace d’ironie, à travers de nombreux procédés
: exagérations, antiphrases, oxymores…
Problématique
Comment les procédés d’ironie participent-ils aux émancipations créatrices de
Rimbaud dans Les Cahiers de Douai ?
Annonce de plan
Première partie :
Une ironie pour dénoncer l’ordre dominant
1) Dénoncer l’hypocrisie sociale
◊ Exemple : « À la musique ».
• Rimbaud emprunte les mots de la bourgeoisie « correct ».
• Mais c’est pour aussitôt le détourner « mesquin ».
• Et montrer que justement, ces « bêtises jalouses » n’ont rien de correct. Les appétits
se déchaînent sous le vernis de la société.
Sur la place taillée en mesquines pelouses,
Square où tout est correct, les arbres et les fleurs,
Tous les bourgeois poussifs qu'étranglent les chaleurs
Portent, les jeudis soirs, leurs bêtises jalouses.
• La chute du poème est une blague potache : Boquillon baisse son pantalon. Si
l’Empereur décide pour ses fesses, le soldat n’en reste pas moins libre de ses
pensées…
Transition
• La blague potache de l’adolescent qui se moque de l’autorité cache une démarche
plus sophistiquée et profonde.
*26
• Capacité du jeune Rimbaud à faire preuve d’auto dérision. Il dirige aussi son ironie
contre la figure du poète ou de l’adolescent.
Deuxième partie :
Une ironie pour sortir de l’adolescence
1) Rimbaud se représente lui-même
◊ Exemple : « À la musique ».
• Il se représente lui-même à l’écart de la société bourgeoise.
• Son attitude prête à rire « débraillé ».
• Pas du tout discret, il fait rire les jeunes filles.
— Moi, je suis, débraillé comme un étudiant,
Sous les marronniers verts les alertes fillettes :
[...] Elles me trouvent drôle et se parlent tout bas...
— Et je sens les baisers qui me viennent aux lèvres...
◊ Exemple : « Roman »
• Récit d’un premier amour qui enflamme le jeune homme mais n’a pas de
conséquences.
• Répétition du mot « amoureux » antanaclase : la deuxième fois, il se charge de
toutes les connotations romantiques.
• De même Madame Bovary se répète « j’ai un amant ! »
Vous êtes amoureux. Loué jusqu'au mois d'août.
Vous êtes amoureux. — Vos sonnets La font rire.
*27
3) Le badinage amoureux est créatif
◊ Exemple : « La Maline »
• Ironie « je ne sais pas pourquoi » : au contraire, il le sait bien.
• Le titre est ironique « La Maline » le masculin serait « Le Malin » : la servante est
dépourvue de malignité.
— Et la servante vint, je ne sais pas pourquoi,
Fichu moitié défait, malinement coiffée
Transition
• Chez Rimbaud, l’ironie n’est pas seulement un outil de dénonciation ou
d’émancipation, elle participe à la démarche créative.
• Dynamique qui traverse toute l’œuvre de Rimbaud et explique l’évolution de sa
poésie.
Troisième partie :
Une ironie créatrice
1) Regard rétrospectif amusé sur les poèmes qu’il a écrits
◊ Exemple : « Ma Bohème »
• Le mot « aussi » se moque gentiment des idéaux du poète.
• De même l’hyperbole « splendide » insiste sur les « rêves ».
• L’exclamation « Oh ! là ! là ! » : naïveté de sa jeunesse !
Mon paletot aussi devenait idéal ;
J’allais sous le ciel, Muse ! et j’étais ton féal ;
Oh ! là là ! que d’amours splendides j’ai rêvées !
*28
2) Rimbaud voulait être parnassien
◊ Exemple « Soleil et chair ».
• Adresse à Théodore de Banville, il imite parfaitement le style parnassien, mais peut-
être en fait-il un peu trop ?
• « Kallipyge » terme de statuaire antique = aux belles fesses.
Ô renouveau d’amour, aurore triomphale
Où, courbant à leurs pieds les Dieux et les Héros,
Kallipyge la blanche et le petit Éros
Effleureront, couverts de la neige des roses,
Les femmes et les fleurs sous leurs beaux pieds écloses !
Conclusion
Bilan
• Nous avons vu que Dans Les Cahiers de Douai, l'ironie permet d'abord au jeune
poète de ne pas être la dupe du discours dominant. Pas ses effets d'exagération, de
caricature, elle dénonce un ordre social injuste, voire cruel, qui se maintient à l'aide
d'une propagande et d'un discours hypocrite. Le jeune poète engagé s'insurge contre
la guerre et se réjouit de la fin du Second Empire en septembre 1870.
• Mais Rimbaud n'hésite pas aussi à tourner l'ironie contre lui-même : il la transforme
en auto dérision. Il rit avec nous de ses aventures amoureuses, de la naïveté des
grands sentiments romanesques, et des mauvais vers qu'il pourrait écrire !
• C'est alors qu'on réalise à quel point ce regard ironique participe à une véritable
démarche créative. On devine Rimbaud sans cesse insatisfait de ce qu'il laisse
derrière lui, au point de demander à Paul Demeny de brûler ses cahiers,
heureusement que ce dernier n'en fit rien !
Ouverture
• L'ironie de Rimbaud se poursuit dans les recueils qui suivent, dès les premiers vers
d'une Saison en enfer, ce regard critique porté sur son passé est bien perceptible :
Jadis, si je me souviens bien, ma vie était un festin où s’ouvraient tous les cœurs, où
tous les vins coulaient.
Un soir, j’ai assis la Beauté sur mes genoux. — Et je l’ai trouvée amère. — Et je l’ai
injuriée.
Je me suis enfui.
*30
Introduction
La Lettre du voyant est une lettre privée écrite par Rimbaud à Paul Demeny, mais
un contexte de communication plus large.
Influences et originalité dans la conception de poète et de la poésie.
La Lettre du voyant n’était pas prévue pour la publication, c’est une démarche
encore embryonnaire et inachevée traduite notamment par la forme elliptique des
propositions.
Avant : réflexions sur l’évolution de la poésie. Seule la poésie de la Grèce antique et
quelques romantiques trouvent grâce aux yeux de Rimbaud.
*31
Texte de la Lettre du voyant de Rimbaud
Charleville, 15 mai 1871
à P. Demeny
J'ai résolu de vous donner une heure de littérature nouvelle. je commence de suite par
un psaume d'actualité :
On n'a jamais bien jugé le romantisme. Qui l'aurait jugé ? Les Critiques ! ! Les
Romantiques, qui prouvent si bien que la chanson est si peu souvent l'œuvre, c'est-à-
dire la pensée chantée et comprise du chanteur?
Car JE est un autre. Si le cuivre s'éveille clairon, il n'y a rien de sa faute. Cela m'est
évident . J'assiste à l'éclosion de ma pensée : je la regarde, je l'écoute : je lance un
coup d'archet : la symphonie fait son remuement dans les profondeurs, ou vient d'un
bond sur la scène.
Si les vieux imbéciles n'avaient pas trouvé du Moi que la signification fausse, nous
n'aurions pas à balayer ces millions de squelettes qui, depuis un temps infini, ont
accumulé les produits de leur intelligence borgnesse, en s'en clamant les auteurs !
En Grèce, ai-je dit, vers et lyres, rythment l'Action. Après, musique et rimes sont jeux,
*32
délassements. L'étude de ce passé charme les curieux : plusieurs s'éjouissent à
renouveler ces antiquités : -c'est pour eux. L'intelligence universelle a toujours jeté ses
idées naturellement ; les hommes ramassaient une partie de ces fruits du cerveau ; on
agissait par, on en écrivait des livres : telle allait la marche, l'homme ne se travaillant
pas, n'étant pas encore éveillé, ou pas encore dans la plénitude du grand songe. Des
fonctionnaires, des écrivains. Auteur, créateur, poète, cet homme n'a jamais existé !
La première étude de l'homme qui veut être poète est sa propre connaissance,
entière. Il cherche son âme, il l'inspecte, il la tente, l'apprend. Dès qu'il la sait, il la doit
cultiver : cela semble simple : en tout cerveau s'accomplit un développement naturel ;
tant d'égoïstes se proclament auteurs ; il en est bien d'autres qui s'attribuent leur
progrès intellectuel ! - Mais il s'agit de faire l'âme monstrueuse : à l'instar des
comprachicos, quoi ! Imaginez un homme s'implantant et se cultivant des verrues sur
le visage.
Le poète se fait voyant par un long, immense et raisonné dérèglement de tous les
sens. Toutes les formes d'amour, de souffrance, de folie ; il cherche lui-même, il
épuise en lui tous les poisons, pour n'en garder que les quintessences. Ineffable
torture où il a besoin de toute la foi, de toute la force surhumaine, où il devient entre
tous le grand malade, le grand criminel, le grand maudit, - et le suprême Savant ! - Car
il arrive à l'inconnu ! - Puisqu'il a cultivé son âme, déjà riche, plus qu'aucun ! Il arrive à
l'inconnu ; et quand, affolé, il finirait par perdre l'intelligence de ses visions, il les a
vues ! Qu'il crêve dans son bondissement par les choses inouïes et innommables :
viendront d'autres horribles travailleurs; ils commenceront par les horizons où l'autre
s'est affaissé!
Ici j'intercale un second psaume hors du texte : veuillez tendre une oreille
complaisante, et tout le monde sera charmé. - J'ai l'archet en main, je commence :
- Je reprends :
*33
Donc le poète est vraiment voleur de feu.
Il est chargé de l'humanité, des animaux même ; il devra faire sentir, palper, écouter
ses inventions. Si ce qu'il rapporte de là-bas a forme, il donne forme ; si c'est informe,
il donne de l'informe. Trouver une langue ;
- Du reste, toute parole étant idée, le temps d'un langage universel viendra ! Il faut être
académicien, plus mort qu'un fossile, - pour parfaire un dictionnaire, de quelque
langue que ce soit. Des faibles se mettraient à penser sur la première lettre de
l'alphabet, qui pourraient vite ruer dans la folie ! -
Cette langue sera de l'âme pour l'âme, résumant tout, parfums, sons, couleurs, de la
pensée accrochant la pensée et tirant. Le poète définirait la quantité d'inconnu
s'éveillant en son temps, dans l'âme universelle : il donnerait plus que la formule de sa
pensée, que l'annotation de sa marche au Progrès ! Énormité devenant norme
absorbée par tous, il serait vraiment un multiplicateur de progrès !
- Suite de la lettre -
L'art éternel aurait ses fonctions, comme les poètes sont citoyens. La poésie ne
rythmera plus l'action ; elle sera en avant.
Ces poètes seront ! Quand sera brisé l'infini servage de la femme, quand elle vivra
pour elle et par elle, l'homme -jusqu'ici abominable, - lui ayant donné son renvoi, elle
sera poète, elle aussi ! La femme trouvera de l'inconnu ! Ses mondes d'idées
différeront-ils des nôtres ? - Elle trouvera des choses étranges, insondables,
repoussantes, délicieuses ; nous les prendrons, nous les comprendrons.
En attendant, demandons aux poètes du nouveau, - idées et formes. Tous les habiles
croiraient bientôt avoir satisfait à cette demande : -ce n'est pas cela !
Les premiers romantiques ont été voyants sans trop bien s'en rendre compte: la
culture de leurs âmes s'est commencée aux accidents: locomotives abandonnées,
mais brûlantes, que prennent quelque temps les rails. -Lamartine est quelquefois
voyant, mais étranglé par la forme vieille. - Hugo, trop cabochard, a bien du VU dans
*34
les derniers volumes : Les Misérables sont un vrai poème. J'ai Les Châtiments sous
main : Stella donne à peu près la mesure de la vue de Hugo. Trop de Belmontet et de
Lamennais, de Jehovahs et de colonnes, vieilles énormités crevées.
Musset est quatorze fois exécrable pour nous, générations douloureuses et prises de
visions, - que sa paresse d'ange a insultées ! Ô ! les contes et les proverbes
fadasses ! ô les Nuits ! ô Rolla ! ô Namouna ! ô la Coupe! tout est français, c'est-à-dire
haïssable au suprême degré; français, pas parisien ! Encore une œuvre de cet odieux
génie qui a inspiré Rabelais, Voltaire, Jean La Fontaine, commenté par M. Taine !
Printanier, l'esprit de Musset ! Charmant, son amour ! En voilà, de la peinture à l'émail,
de la poésie solide ! On savourera longtemps la poésie française, mais en France.
Tout garçon épicier est en mesure de débobiner une apostrophe Rollaque; tout
séminariste emporte les cinq cents rimes dans le secret d'un carnet. A quinze ans, ces
élans de passion mettent les jeunes en rut ; à seize ans, ils se contentent déjà de les
réciter avec cœur; à dix-huit ans, à dix-sept même, tout collégien qui a le moyen fait le
Rolla, écrit un Rolla ! Quelques-uns en meurent peut-être encore. Musset n'a rien su
faire. Il y avait des visions derrière la gaze des rideaux : il a fermé les yeux. Français,
panadis, traîné de l'estaminet au pupitre du collège, le beau mort est mort, et,
désormais, ne nous donnons même plus la peine de le réveiller par nos abominations !
Les seconds romantiques sont très voyants : Théophile Gautier, Leconte de Lisle,
Théodore de Banville. Mais inspecter l'invisible et entendre l'inouï étant autre chose
que reprendre l'esprit des choses mortes, Baudelaire est le premier voyant, roi des
poètes, un vrai Dieu. Encore a-t-il vécu dans un milieu trop artiste ; et la forme si
vantée en lui est mesquine. Les inventions d'inconnu réclament des formes nouvelles.
Rompus aux formes vieilles : parmi les innocents, A. Renaud, - a fait son Rolla, - L.
Grandet, - a fait son Rolla ; - les gaulois et les Musset, G. Lafenestre, Coran, C. L.
Popelin, Soulary, L. Salles. Les écoliers, Marc, Aicard, Theuriet ; les morts et les
imbéciles, Autran, Barbier, L. Pichat, Lemoyne, les Deschamps, les Des Essarts ; les
journalistes, L. Cladel, Robert Luzarches, X. de Ricard ; les fantaisistes, C. Mendès ;
les bohèmes ; les femmes ; les talents, Léon Dierx et Sully-Prudhomme, Coppée; -la
nouvelle école, dite parnassienne, a deux voyants, Albert Mérat et Paul Verlaine, un
vrai poète. Voilà. Ainsi je travaille à me rendre voyant. Et finissons par un chant pieux.
ACCROUPISSEMENTS
Vous seriez exécrable de ne pas répondre : vite, car dans huit jours je serai à Paris,
peut-être.
Au revoir.
A. RIMBAUD.
*35
Portrait du jeune Arthur Rimbaud
I. « Je est un autre »
1. Différenciation, dédoublement
2. Démarche : connaître et cultiver son âme
3. Cultiver l’extraordinaire
Commentaire littéraire
I. « Je est un autre »
1. Différenciation, dédoublement
*36
- Sur le romantisme : péremptoire : « on a jamais » (on = critiques). Relations critiques
et œuvre qui mettent en évidence l’incompréhension des journalistes : ironie et mépris.
Rimbaud ne disserte pas, les phrases sont elliptiques. Mise en évidence du décalage
pensée/œuvre (« Les romantiques ? »), la création échappe à son auteur…
- « Je est un autre » : postulat péremptoire et surprenant par le paradoxe : « je »,
subjectivité et intimité, une différenciation étrange. L’individu est traversé par une
pensée qui le dépasse, le poète doit s’en faire le relais, et ne pas se focaliser sur sa
propre personne. Lettre à Izambard : « votre poésie subjective sera toujours
horriblement fadasse ».
3. Cultiver l’extraordinaire
- « Je dis qu'il faut être voyant, se faire voyant. » : reprise de l’évolution précédente. Le
VOYANT. Ecarter le sens ésotérique ? voir l’invisible, entendre l’inouï, dépasser les
apparences pour révéler l’inconnu.
- Moyens et limites du poète : comment, pourquoi et jusqu’ou ? (lignes12-18)
« le poète se fait voyant… » : perception renouvelée. Voir le monde comme il n’a
jamais été vu, avec une candeur originelle = enfant. Créer des correspondances entre
les sens : cf. Baudelaire. « long, immense » : difficulté. « raisonné dérèglement »:
oxymore. Conserver assez de lucidité, garder la maîtrise de soi. Une proposition
elliptique : « toutes les formes » : tout embrasser, pas de limites : souffrance, folie.
Quintessence + poisons : tous les sujets sont bons : transfigurer le réel. « tu m’as
donné ta boue, et j’en ai fais de l’or » (Baudelaire à Dieu).
2. Résultat
3. Limites
1. Voleur de feu
- « donc » : conclusion « voleur de feu ». Prométhée vola le feu aux Dieux. Ainsi les
hommes deviennent presque = (supplice perpétuel). Comparaison glorieuse, le rôle du
poète : l’« invention » pour tous, hommes, animaux (mouvement inversé : embrasse
tout). « chargé ».
Trois infinitifs : référence à tous les sens (Correspondances de Baudelaire). « là-bas »,
*38
référence à l’inconnu.
3. Le poète et le progrès
Conclusion
Rapprocher :
Baudelaire, Les Fleurs du mal, « La Mort » : Le voyage :
« Nous voulons, tant ce feu nous brûle le cerveau,
Plonger au fond du gouffre, Enfer ou ciel, qu’importe !
Au fond de l‘Inconnu pour trouver du nouveau. »
Le poète de 7 ans, le bateau ivre, le poison, le feu : héritage poétique, Rimbaud prend
la suite là où Baudelaire s’est « affaissé ».
*39