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Les Cahiers de Douai de Rimbaud

Les Cahiers de Douai de Rimbaud illustrent une quête d'émancipation créatrice à travers une évolution poétique marquée par des visions sensorielles et des réflexions sur la vérité et les injustices. Rimbaud se positionne comme un 'poète voyant', capable de transcender ses expériences personnelles pour dénoncer les souffrances du monde et éveiller la conscience des lecteurs. Sa démarche créatrice, bien que parfois teintée de folie, prépare le terrain pour une poésie engagée et révolutionnaire.

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Les Cahiers de Douai de Rimbaud

Les Cahiers de Douai de Rimbaud illustrent une quête d'émancipation créatrice à travers une évolution poétique marquée par des visions sensorielles et des réflexions sur la vérité et les injustices. Rimbaud se positionne comme un 'poète voyant', capable de transcender ses expériences personnelles pour dénoncer les souffrances du monde et éveiller la conscience des lecteurs. Sa démarche créatrice, bien que parfois teintée de folie, prépare le terrain pour une poésie engagée et révolutionnaire.

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Les Cahiers de Douai de Rimbaud

Voici 5 sujets sur Les Cahiers de Douai de Rimbaud, liés au thème : « émancipations
créatrices »
Sujet 1

🔥 En quoi peut-on dire que la création poétique est un acte d’émancipation dans Les
Cahiers de Douai de Rimbaud ?
Sujet 2

🔥 La soif de liberté suffit-elle à expliquer l’exceptionnelle créativité poétique de


Rimbaud dans Les Cahiers de Douai ?
Sujet 3

🔥 Comment les procédés d’ironie participent-ils aux émancipations créatrices de


Rimbaud dans Les Cahiers de Douai ?
Sujet 4

🔥 La liberté créatrice du jeune Rimbaud dans Les Cahiers de Douai est-elle


seulement une rébellion adolescente ?
Sujet 5

🔥 En quoi la démarche créatrice de Rimbaud dans Les Cahiers de Douai prépare-t-


elle déjà la figure du « poète voyant » voleur de feu ?

*1
Sujet 5
🔥 En quoi la démarche créatrice de Rimbaud dans Les Cahiers de Douai prépare-t-elle
déjà la figure du « poète voyant » voleur de feu ?

Introduction
Accroche
• Le 15 mai 1971, Rimbaud écrit à Paul Demeny sa célèbre lettre du voyant, où il
décrit sa nouvelle méthode de création poétique…
Le Poète se fait voyant par un long, immense et raisonné dérèglement de tous les
sens. Toutes les formes d’amour, de souffrance, de folie ; [...] il épuise en lui tous les
poisons, pour n’en garder que les quintessences.

• Et plus loin, arrive une conclusion étonnante :


Donc le poète est vraiment voleur de feu.
Il est chargé de l’humanité, des animaux même ; il devra faire sentir, palper, écouter
ses inventions.
Situation
• Pas même un mois plus tard, le 10 juin 1871 Rimbaud demande à Paul Demeny de
brûler les Cahiers de Douai :
Brûlez, je le veux, et je crois que vous respecterez ma volonté comme celle d'un mort,
brûlez tous les vers que je fus assez sot pour vous donner lors de mon séjour à Douai.

• Heureusement, Paul Demeny n’en fera rien. Mais cela révèle une chose : pour
Rimbaud, les Cahiers de Douai ne sont qu’une étape dans l’élaboration de sa méthode
poétique.
• Et en effet, tout au long de ces 22 poèmes, on observe l’évolution de l’écriture du
jeune poète, qui s’affirme, s’émancipe, devient de plus en plus autonome à l’égard de
ses modèles.

Problématique
En quoi la démarche créatrice de Rimbaud dans Les Cahiers de Douai prépare-t-elle
déjà la figure du poète voyant voleur de feu ?

Annonce de plan
I. D’abord, les poèmes des Cahiers de Douai constituent déjà des visions, dans
le sens où elles synthétisent des sensations, souvent issues de la Nature, produisant
*2
une certaine ivresse.
II. Mais ces visions ne sont pas forcément euphoriques : elles révèlent aussi des
vérités difficiles à admettre, elles forcent le poète à regarder en face les injustices du
monde.
III. Alors, le poète touché par ces souffrances se fait par moment véritablement
voleur de feu, donnant au lecteur les moyens d’une révolte prométhéenne.

Première partie :
La quintessence des sensations
1) Des sensations liées aux émois amoureux
◊ Exemple : « Rêvé pour l’hiver ».
• Une vision fantastique et une petite fiction (l’araignée qui voyage) initient un jeu
amoureux.
Tu fermeras l’oeil, pour ne point voir, par la glace,
Grimacer les ombres des soirs,
Un petit baiser, comme une folle araignée,
Te courra par le cou…

◊ Exemple : « Sensation ».
• Au futur, le jeune Rimbaud de quinze ans sur le point de fuguer, imagine le bonheur
de marcher dans la Nature.
• Le mélange des perceptions (pluriel) deviennent une Sensation au singulier.
Je ne parlerai pas, je ne penserai rien :
Mais l’amour infini me montera dans l’âme,
Et j’irai loin, bien loin, comme un bohémien,
Par la Nature, — heureux comme avec une femme.

2) Une Nature qui enivre

◊ Exemple « Les réparties de Nina ».


• Le poète confond parfois l’ivresse de l’amour et l’ivresse de la Nature.
Amoureuse de la campagne,
Semant partout,
Comme une mousse de champagne,
Ton rire fou [...]

◊ Exemple : « Roman ».
• On retrouve cette même ivresse du champagne dans « Roman ».
Nuit de juin ! Dix-sept ans ! — On se laisse griser.
La sève est du champagne et vous monte à la tête...
*3
⇨ Mais cette promenade sous les tilleuls, bien proche de la ville, n’apporte que des
parfums de vigne…
Les tilleuls sentent bon dans les bons soirs de juin !
L'air est parfois si doux, qu'on ferme la paupière ;
Le vent chargé de bruits — la ville n'est pas loin —
A des parfums de vigne et des parfums de bière...

◊ Exemple : « Ma Bohème ».
• Méthode de création : traduire le frou-frou des étoiles en musique.
• Les gouttes du vin de vigueur remplacent les lauriers à son front.
— Mes étoiles au ciel avaient un doux frou-frou.
Et je les écoutais, assis au bord des routes,
Ces bons soirs de septembre où je sentais des gouttes
De rosée à mon front, comme un vin de vigueur ;

3) Écouter et être attentif aux sensations

◊ Exemple : « À la musique »
• Rimbaud s’observe regardant les jeunes filles sous les marronniers.
• Les baisers sont les poèmes que ces muses lui inspirent, évoquant l’embouchure de
la flûte de pan du syrinx ou même du clairon.
— Moi, je suis, débraillé comme un étudiant,
Sous les marronniers verts les alertes fillettes :
[...] — Je reconstruis les corps, brûlé de belles fièvres.
[...] Elles me trouvent drôle et se parlent tout bas…
— Et je sens les baisers qui me viennent aux lèvres…

• Les baisers sont ces poèmes qui viennent d’un bond sur scène.
• Ici, le poète s’observe lui-même « je est un autre », et entend une musique très
différente de celle de la fanfare.
Car Je est un autre. Si le cuivre s’éveille clairon, il n’y a rien de sa faute. Cela m’est évident : j’assiste
à l’éclosion de ma pensée : je la regarde, je l’écoute : je lance un coup d’archet : la symphonie fait
son remuement dans les profondeurs, ou vient d’un bond sur la scène.

4) Visions d’harmonie

◊ Exemple : « Au Cabaret-Vert »
• La gousse d’ail et la mousse de bière, qui n’étaient pas demandées, représentent
une corne d’abondance.
• La chope immense renvoie à la coupe qui déborde dans la Bible.
Et ce fut adorable,
Quand la fille aux tétons énormes, aux yeux vifs,
*4
[...] m’emplit la chope immense, avec sa mousse
Que dorait un rayon de soleil arriéré.

⇨ Ce poème est un véritable moment d’épiphanie « ce fut adorable » : moment de

⇨ Nouvelle religion ? La messe est dite par la serveuse « aux tétons énormes » où le
révélation, petite illumination.

pain et le vin sont devenus jambon et bière.

◊ Exemple : « Soleil et Chair »


• Vision d’un passé mythique s’opposant à une réalité présente et désenchantée.
Je regrette les temps de l’antique jeunesse,
Des satyres lascifs, des faunes animaux, [...]
Parce qu’il était fort, l’Homme était chaste et doux.
Misère ! Maintenant il dit : Je sais les choses,
Et va, les yeux fermés et les oreilles closes.

Transition
• Les visions ont une dimension euphorique, mais elles font aussi voir la laideur du
monde, la souffrance et les injustices.
• En se faisant voyant, le poète fait une expérience dangereuse :
Ineffable torture où il a besoin de toute la foi, de toute la force surhumaine, où il
devient entre tous le grand malade, le grand criminel, le grand maudit, — et le
suprême Savant — Car il arrive à l’inconnu !

Deuxième partie :
Voir la vérité et les injustices
1) Se confronter la vérité

◊ Exemple : « Vénus Anadyomène »


• Le poète n’hésite pas à montrer les pires détails.
• La vérité possède sa propre beauté qui dépasse les constructions rationnelles et les
traditions esthétiques.
[...] Le tout sent un goût
Horrible étrangement ; on remarque surtout
Des singularités qu’il faut voir à la loupe…

• Dans la Lettre du Voyant, Rimbaud utilise l’image d’un homme cultivant des verrues
sur son propre visage.
Mais il s’agit de faire l’âme monstrueuse : Imaginez un homme s’implantant et se
cultivant des verrues sur le visage.

*5
⇨ Devenir le « suprême savant » fait penser aux naturalistes.

2) Dénoncer les injustices

◊ Exemple : « Le Forgeron ».
• À l’origine, dans cette anecdote, il s’agit d’un boucher. Rimbaud choisit la figure du
forgeron, allégorie du poète voleur de feu.
• Il montre au roi, par la fenêtre, le peuple qui souffre et se révolte.
L’Homme, par la fenêtre ouverte, montre tout
Au Roi pâle, suant qui chancelle debout,
Malade à regarder cela !
« C’est la Crapule, Sire.

⇨ Vision où le roi pâle représente la monarchie malade, et où le peuple traité de


Crapule retrouve sa dignité.

◊ Exemple : « Le Mal »
• Vision accusatrice et synthétique : quel est ce Dieu qui ne s’éveille que pour prendre
l’argent des veuves et des orphelins ?
— Il est un Dieu, [...]
Qui dans le bercement des hosannah s’endort,
Et se réveille, quand des mères, [...]
[...] Pleurant sous leur vieux bonnet noir,
Lui donnent un gros sou lié dans leur mouchoir !

⇨ Symboliquement, elles font plus que donner un sou : elle donnent aussi leur
mouchoir, ne gardant que leurs yeux pour pleurer.

3) Mettre à nu l’hypocrisie

◊ Exemple : « Le châtiment de Tartufe »


• Rimbaud transforme la pièce de Molière en véritable vision synthétique. Le
dramaturge a mis à nu les rouages de l’hypocrisie.
Châtiment ! ... Ses habits étaient déboutonnés,
Et le long chapelet des péchés pardonnés
S’égrenant dans son cœur, Saint Tartufe était pâle !…

◊ Autre exemple : « L’éclatante victoire de Sarrebrück »


• Une caricature peut devenir une vision révélatrice d’une vérité difficile à voir ou à
comprendre.
• Ici, révéler les pièges de la propagande par un simple geste.
Boquillon, rouge et bleu, très naïf, sur son ventre

*6
Se dresse, et, — présentant ses derrières « De quoi ?… »

⇨ L’Empereur ne dirige que les fesses des soldats, pas leurs pensées.

4) Rallumer la flamme de la Liberté

◊ Exemple : « Morts de 92 »
• Vision fantastique d’une armée de morts.
• La Liberté est la religion de ces martyres.
• Interpeller ceux qui vivent sous la tyrannie
Nous vous laissions dormir avec la République,
Nous, courbés sous les rois comme sous une trique.
— Messieurs de Cassagnac nous reparlent de vous !

◊ Exemple : « Rages de Césars »


• Par le jeu symbolique, le poète se fait vraiment voleur de feu : tandis que la flamme
de la soif de pouvoir de Napoléon III s’éteint, renaît le brasier de la Liberté.
Il s’était dit : « Je vais souffler la liberté
Bien délicatement, ainsi qu’une bougie ! »
La liberté revit ! Il se sent éreinté !

Transition
• Le poète nous montre les injustices et les dénonce, mais il veut aller encore plus
loin : voler le feu pour le donner aux hommes.
• Métaphore de la flamme qui se transmet et se démultiplie.

Troisième partie :
Le poète visionnaire et voleur de feu
1) Prendre le feu pour le donner aux faibles

◊ Exemple : « Les Effarés »


• Véritable vision où les enfants qui n’ont pas le nécessaire deviennent des chatons
gémissant devant un soupirail.
Collant leurs petits museaux roses
Au grillage, chantant des choses,
Entre les trous,

⇨ Le soupirail leur permet de contempler le four où le pain cuit, mais ce pain reste

⇨ Dans la lettre du voyant, le poète va souhaiter voler le feu pour le confier enfin aux
inaccessible et le boulanger (poète ?) chante un vieil air.

humains.
*7
Donc le poète est vraiment voleur de feu.
Il est chargé de l’humanité, des animaux même ; il devra faire sentir, palper, écouter
ses inventions ;

2) Des visions aux confins de la folie

◊ Exemple : « Ophélie ».
• Le poète prend le risque de la folie en s’aventurant dans ces visions.
• En effet, les vérités recherchées par le poète défient la Raison.
Ciel ! Amour ! Liberté ! Quel rêve, ô pauvre folle !
Tu te fondais à lui comme une neige au feu :
Tes grandes visions étranglaient ta parole
— Et l’infini terrible effara ton œil bleu !

• Dans sa lettre du voyant, Rimbaud parle des poétesses :


Quand sera brisé l’infini servage de la femme, [...] [elle] trouvera de l’inconnu ! [...] des
choses étranges, insondables, repoussantes, délicieuses ; nous les prendrons, nous
les comprendrons.

3) Poursuivre une exploration dangereuse

• Lien entre les poètes, qui héritent des précédents.


• Chacun poursuit le chemin commencé par les autres.
Qu’il crève dans son bondissement par les choses inouïes et innombrables : viendront d’autres
horribles travailleurs ; ils commenceront par les horizons où l’autre s’est affaissé !

◊ Exemple : « Bal des pendus »


• Rimbaud se sent héritier de Villon, le poète brigand.
• Danse macabre où les poètes crevés reprennent vie.
Oh ! voilà qu'au milieu de la danse macabre
Bondit, par le ciel rouge, un grand squelette fou
[...] Il crispe ses dix doigts sur son fémur qui craque
[...] Puis, comme un baladin rentre dans la baraque,
Rebondit dans le bal au chant des ossements.

4) Rendre le lecteur capable de visions

◊ Exemple : « Le Dormeur du Val ».


• Vision qui nous donne brutalement, à la fin, l’indice révélateur.
• Produire chez le lecteur le choc de la vision.
Les parfums ne font pas frissonner sa narine ;
Il dort dans le soleil, la main sur sa poitrine
*8
Tranquille. Il a deux trous rouges au côté droit.

⇨ Dans les poèmes qui suivront Les Illuminations et Une Saison en Enfer, ces clés
de lecture resteront en filigrane.

◊ Exemple : « Le Buffet ».
• Influence de Baudelaire.
• Médaillons, mèches de cheveux, fleurs et fruits évoquent des histoires qui pourtant
restent au conditionnel…
• Le poète met son lecteur au défi de devenir voyant à son tour.
— Ô buffet du vieux temps, tu sais bien des histoires,
Et tu voudrais conter tes contes, et tu bruis
Quand s’ouvrent lentement tes grandes portes noires.

Conclusion
Bilan
• Les Cahiers de Douai retracent l’évolution de la pensée de Rimbaud, une
véritable aventure de la créativité poétique.
• Dans un premier temps, le poète se laisse porter par les émois amoureux, écoute
une symphonie intérieure, synthétise des sensations, des moments d’épiphanie, de
véritables illuminations…
• Mais bientôt cela le conduit à voir des vérités horribles et repoussantes. Il
perçoit alors les injustices, et il nous aide à percevoir les principes profonds que
cachent les souffrances du monde.
• Rimbaud va même au-delà du simple constat dans ses Cahiers de Douai : il
donne à la Liberté une véritable force de mobilisation, et il invite même son lecteur à
devenir voyant lui aussi.
Ouverture
• Les surréalistes admirent Rimbaud, pour eux, le véritable poète est celui qui inspire
les autres !
• André Breton, Paul Éluard et René Char écrivent ensemble un recueil de poèmes
intitulé Ralentir travaux.
• Dans la préface, Paul Éluard érige cette idée en véritable principe :
Le poète est celui qui inspire bien plus que celui qui est inspiré. Les poèmes ont
toujours de grandes marges blanches, de grandes marges de silence où la mémoire
ardente se consomme pour recréer un délire sans passé. Leur principale qualité est
non pas, je le répète, d’invoquer mais d’inspirer.

*9
Sujet 4

🔥 La liberté créatrice du jeune Rimbaud dans Les Cahiers de Douai est-elle


seulement une rébellion adolescente ?

Introduction
Accroche
• Élève brillant à l’école municipale de Charleville-Mézières, il obtient de nombreux prix
en littérature, en latin.
• Mais il ne se sent pas à sa place dans cette société dont il perçoit les hypocrisies.
• Conflit avec sa mère, qui surveille ses lectures, et qu’il surnomme « la bouche
d’ombre » en référence à un poème de Hugo.
Situation

*10
• Les premiers poèmes des Cahiers de Douai de Rimbaud sont des poèmes
d’adolescence (entre mai et octobre 1870).
• Rébellion adolescente contre le monde des adultes, révolte à l’égard de l’ordre
ancien. Mais déjà, soif d’autonomie, trouver sa propre voie.
• Créativité artistique qui part de cette rébellion pour aller plus loin.
Problématique
La liberté créatrice du jeune Rimbaud dans les Cahiers de Douai est-elle seulement
une rébellion adolescente ?
Annonce de plan
I. Un jeune poète qui préfère rester à l’écart de la société, s’éloignant même bien loin
en faisant des fugues.
II. Un poète qui, en grandissant, s’élève contre l’ordre établi, dénonce les discours
dominants.
III. Un poète qui atteint enfin une certaine autonomie, qui définit ses propres
croyances, et qui se sent chargé de l'humanité.

Première partie :
Un poète à l’écart de la société
1) Un poète qui observe la société

◊ Exemple : « Les réparties de Nina »


• Chute du poème : alors que le poète vante à Nina la beauté de la Nature, il se
découvre pour rival un employé de bureau.
LUI. — Tu viendras, tu viendras, je t’aime !
Ce sera beau.
Tu viendras, n’est-ce pas, et même…
ELLE. — Et mon bureau ?

◊ Exemple : « À la musique ».
• Tableau accablant de la société de son époque rassemblé autour d’une fanfare
militaire. Caricature de la bourgeoisie.
• Le poète quant à lui se trouve physiquement en marge.
— Moi, je suis, débraillé comme un étudiant,
Sous les marronniers verts les alertes fillettes :
Elles le savent bien ; et tournent en riant,
Vers moi, leurs yeux tout pleins de choses indiscrètes.

2) Un poète en fugue

◊ Exemple : « Roman »

*11
• Le poète est d’abord tenté de s’éloigner du village pour aller sur la promenade, lieu
qui n’est pas encore bien éloigné.
• Les « tilleuls verts » sont bien le symbole d’une tisane doucereuse, les étoiles
pétillent comme du champagne.
Nuit de juin ! Dix-sept ans ! — On se laisse griser.
La sève est du champagne et vous monte à la tête...
On divague ; on se sent aux lèvres un baiser
Qui palpite là, comme une petite bête…

◊ Exemple : « Sensation ».
• Les fugues prennent une nouvelle ampleur, Rimbaud rêve d’aller « loin bien loin ».
• L’amour romanesque pour une « demoiselle aux airs charmants » est devenu un
amour pour la Nature.
Je ne parlerai pas, je ne penserai rien :
Mais l’amour infini me montera dans l’âme,
Et j’irai loin, bien loin, comme un bohémien,
Par la Nature, — heureux comme avec une femme.

3) Un voyage sans destination ?


◊ Exemple : « Rêvé pour l’hiver ».
• Lors de ses fugues, Rimbaud prend souvent le train, il est même arrêté une fois sans
billet. Pendant un voyage, il écrit ce poème.
• Le wagon est une destination en soi, comparable à un badinage amoureux qui n’a
pas vraiment de fin.
Et tu me diras : « Cherche ! » en inclinant la tête,
— Et nous prendrons du temps à trouver cette bête
— Qui voyage beaucoup…

◊ Exemple : « Ma Bohème ».
• Dernier poème du recueil, Rimbaud revient sur ses fugues au passé.
• Les cordes de la lyre, l’instrument très noble d’Orphée, sont devenues les lacets
élastiques de ses chaussures (genre bas).
• Les voyages l’ont amené à inventer un lyrisme plus personnel.
Où, rimant au milieu des ombres fantastiques,
Comme des lyres, je tirais les élastiques
De mes souliers blessés, un pied près de mon cœur !

Transition
• À travers ses fugues, Rimbaud conçoit sa propre esthétique, plus simple en
apparence, qui bouscule les codes établis.
• Rimbaud se révèle alors poète engagé, d’abord artistiquement, mais aussi
politiquement.

*12
Deuxième partie :
Un poète contre l’ordre établi

1) Une rébellion artistique

◊ Exemple : « Vénus Anadyomène ».


• Détourner, voire renverser les canons traditionnels.
• Anadyomène = émerger. Au contraire, cette Vénus est une prostituée qui ne

⇨ Mouvement qui va et vient « rentre et ressort ».


parvient pas à sortir de sa baignoire.

⇨ Modalisation insistante « semblent prendre l’essor ».


Puis le col gras et gris, les larges omoplates
Qui saillent ; le dos court qui rentre et qui ressort ;
Puis les rondeurs des reins semblent prendre l’essor ;

◊ Autre exemple « Le Bal des pendus ».


• Les squelettes des hérétiques « de Saladins » sont les frères des poètes, les «
baladins ».
Oh ! voilà qu'au milieu de la danse macabre
Bondit, par le ciel rouge, un grand squelette fou
Et, se sentant encor la corde raide au cou,
[...] Comme un baladin rentre dans la baraque,
Rebondit dans le bal au chant des ossements.

⇨ Le renouveau poétique est comparable à une hérésie !


⇨ Le poète « grand squelette fou » retenus par la corde au cou, s’élève contre
la religion et les dogmes traditionnels.

2) Mettre à nu les hypocrisies

◊ Exemple « Le Châtiment de Tartufe »


• Héritier de Molière, le jeune poète dénonce les hypocrites
• Dans un premier temps, mettre à nu suffit pour rendre inoffensif.
Châtiment ! ... Ses habits étaient déboutonnés, [...]
L’homme se contenta d’emporter ses rabats...
— Peuh ! Tartufe était nu du haut jusques en bas !

⇨ Le mot « Châtiment » accuse en filigrane Napoléon III.


⇨ En acrostiche, on peut lire « Jules César » : Tartufe n’est pas seulement un faux
dévot, il désigne tout homme qui a soif de pouvoir.

*13
◊ Exemple : « L’éclatante victoire de Sarrebrück ».
• Dénoncer la propagande de guerre de Napoléon III.
• Blague potache : Boquillon montre ses fesses à l’Empereur.
Et : « Vive l’Empereur !! » — Son voisin reste coi…
Un schako surgit, comme un soleil noir… — Au centre,
Boquillon, rouge et bleu, très naïf, sur son ventre
Se dresse, et, — présentant ses derrières « De quoi ?… »

⇨ Blague plus complexe qu’il n’y paraît, nous invite à restituer la phrase avec le

⇨ Sous-entendu : vous dirigez mais je reste libre de mes pensées.


complément d’objet « Empereur de mes fesses. »

3) Dénoncer les manipulations


◊ Exemple : « Morts de 92 ».
• Un député bonapartiste (Cassagnac) défend la guerre déclarée par le gouvernement
de Napoléon III en évoquant les morts de la Révolution.
• Rimbaud fait remarquer que ces révolutionnaires sont morts justement pour
renverser des tyrans comme Napoléon III.
Nous vous laissions dormir avec la République,
Nous, courbés sous les rois comme sous une trique.
— Messieurs de Cassagnac nous reparlent de vous !

◊ Autre exemple « Le Mal »


• La religion de ce Dieu cruel est en fait au service d’un pouvoir cupide.
— Il est un Dieu, qui rit aux nappes damassées [...]
Et se réveille, quand des mères, ramassées
Dans l’angoisse, et pleurant sous leur vieux bonnet noir,
Lui donnent un gros sou lié dans leur mouchoir !

Transition
• La rébellion adolescente de Rimbaud l’amène à trouver ses propres valeurs et à les
défendre contre la religion et l’ordre établi.
• Voilà que le poète adolescent, sur les routes, en marge de la société, se sent
concerné par le sort des plus faibles.

Troisième partie :
Un poète chargé de l’humanité
1) Trouver ses propres croyances

◊ Exemple : « Soleil et chair ».


*14
• D’abord intitulé « Credo in unam » = Dieu est une femme. Cela exprime une révolte à
l’égard de la religion chrétienne.
• Le christ devient « l’autre Dieu … à sa croix ».
• Le jeune Rimbaud affirme ses propres croyances.
Je crois en toi ! je crois en toi ! Divine mère,
Aphrodite marine ! – Oh ! la route est amère
Depuis que l’autre Dieu nous attelle à sa croix ;
Chair, Marbre, Fleur, Vénus, c’est en toi que je crois !

◊ Exemple : « Le Dormeur du Val ».


• L’enfant soldat, victime de la guerre (d’un régime ambitieux et cupide), est confié à la
Nature, chargée de le bercer.
Les pieds dans les glaïeuls, il dort. Souriant comme
Sourirait un enfant malade, il fait un somme :
Nature, berce-le chaudement : il a froid.

2) Protéger les plus faibles

◊ Exemple « Les Effarés ».


• Vision d’un poète empathique avec les orphelins.
• Images réconfortants : le boulanger qui chante, le pain = sein chaud.

Ils écoutent le bon pain cuire.


Le boulanger au gras sourire
Chante un vieil air.

Ils sont blottis, pas un ne bouge


Au souffle du soupirail rouge
Chaud comme un sein.

◊ Autre exemple : « Le Forgeron ».


• Rimbaud s’inspire d’une anecdote de la Révolution française : un boucher se
serait adressé au Roi Louis XVI.
• Rimbaud remplace le boucher par un forgeron.
• La figure du forgeron, c’est un artisan, un créateur (comme le poète) .
Enfin ! Nous nous sentions Hommes ! [...]
Soûls de terribles espoirs :
Et quand nous fûmes là, devant les donjons noirs,
Agitant nos clairons et nos feuilles de chêne,
Les piques à la main ; nous n’eûmes pas de haine,
— Nous nous sentions si forts, nous voulions être doux !

⇨ La destruction du monde ancien laisse entrevoir la construction d’un monde

*15
meilleur.

3) Des visions de l’humanité

◊ Lettre du Voyant envoyée à Paul Demeny du 15 mai 1871 :


Il est chargé de l’humanité, des animaux même ; il devra faire sentir, palper, écouter
ses inventions ; si ce qu’il rapporte de là-bas a forme, il donne forme : si c’est informe,
il donne de l’informe.

⇨ Les visions du poète adolescent l’éloignent un temps de la société, du monde des


adultes, mais lui donnent de nouvelles responsabilités.

◊ Exemple : « Le Buffet ».
• Rimbaud va plus loin : il transmet au lecteur ce don de voyance.
• Mèche blonde coupée à la naissance, blanche, sur le lit de mort.
• Symbole de mort « Fleurs sèches ».
• Symbole de vie « Parfums de fruit »
— C’est là qu’on trouverait les médaillons, les mèches
De cheveux blancs ou blonds, les portraits, les fleurs sèches
Dont le parfum se mêle à des parfums de fruits.

⇨ Laisser au lecteur le soin d’imaginer les vies entières des générations humaines qui
l’ont précédé.

Conclusion
Bilan
• Dans les Cahiers de Douai nous pouvons suivre une véritable dynamique, l’évolution
d’un jeune poète. D’abord à l’écart de la société, fuguant, vivant sans attache. Le
voyage se transforme en errance, c’est-à-dire qu’il n’a pas de destination.
• Mais le voyage a quelque chose d’initiatique. La distance du jeune poète lui permet
de mieux comprendre la société qu’il a quitté. Il commence à forger ses propres
valeurs et dénonce l’ordre établi.
• Dernière étape de ce voyage, le jeune poète définit ses propres croyances, entre en
empathie avec les plus faibles. Se sentant alors « chargé de l’humanité » il s’engage.
• Chez Rimbaud, le poète en fugue donne naissance au poète voyant et au poète
prométhéen. Les Cahiers de Douai racontent le parcours initiatique d’un adolescent en
quête d’émancipation.
Ouverture

*16
• Après Rimbaud, d’autres poètes racontent cette expérience du voyage et de la
poésie, comme véritable quête initiatique.
• Blaise Cendrars par exemple, écrit en 1913 Le Prose du Transsibérien :
En ce temps-là, j'étais en mon adolescence
J'avais à peine seize ans et je ne me souvenais déjà plus de mon enfance
J'étais à 16.000 lieues du lieu de ma naissance
J'étais à Moscou dans la ville des mille et trois clochers et des sept gares
Et je n'avais pas assez des sept gares et des mille et trois tours [...]

*17
N °2 La soif de liberté suffit-elle à expliquer l’exceptionnelle créativité poétique
de Rimbaud dans Les Cahiers de Douai ?

Introduction
Accroche
• Rimbaud, héritier des romantiques : valeur de Liberté.
• Allégorie de « La Liberté guidant le peuple » de Delacroix.
• Liberté qu’on retrouve dans la vie de Rimbaud.
• Fugues, intérêt pour la Commune de Paris.
• Errance jusqu’en Afrique.
Situation
• Les Cahiers de Douai : moment déclencheur.
• Il écrira ensuite en vers libres Les Illuminations, et Une Saison en Enfer.
• La liberté est bien un principe fondateur dans la poésie de Rimbaud.
• Et pourtant fuite en avant qui semble dissimuler une quête cachée…
Problématique
Cette soif de liberté suffit-elle à expliquer l’exceptionnelle créativité poétique de
Rimbaud dans Les Cahiers de Douai ?
Annonce de plan

I. D’abord, Rimbaud est un adolescent qui se révolte à l’égard d’un ordre injuste, il
veut se libérer, sa soif de liberté le conduit à s’engager politiquement, à explorer
l’amour et à partir sur les routes.

II. Mais la liberté ne peut pas se résumer à l’errance, chez Rimbaud, elle révèle une
vision philosophique plus complexe de la vie, de l’amour et du bonheur.

III. La soif de liberté explique magnifiquement l’œuvre de Rimbaud, mais elle produit
surtout un débordement de créativité, un dérèglement de tous les sens.

*18
Première partie :
Une soif de liberté
1) Liberté politique
◊ Exemple : « Morts de 92 »
• Rimbaud admire les martyres de la Révolution française.
• Mettre la Liberté devant la vie : cela fascine Rimbaud.
• Grandeur de mourir pour une Liberté collective.
Morts de Quatre-vingt-douze et de Quatre-vingt-treize,
Qui, pâles du baiser fort de la liberté,
Calmes, sous vos sabots, brisiez le joug qui pèse
Sur l’âme et sur le front de toute humanité ;

◊ Exemple : « À la musique »
• Remettre en cause l’ordre établi.
• Poète à l’écart, observation critique.
• Les baisers sont un symbole de poésie.
— Moi, je suis, débraillé comme un étudiant,
Sous les marronniers verts les alertes fillettes : [...]
Elles me trouvent drôle et se parlent tout bas...
— Et je sens les baisers qui me viennent aux lèvres…

2) Une liberté amoureuse


◊ Exemple : « Les Réparties de Nina »
• Le poète est libre de partir en promenade amoureuse.
• Mais Nina n’a pas cette liberté et lui oppose un rival…
• Sa tresse est le symbole d’une chevelure qui n’est pas libre !
Riant à moi, brutal d’ivresse,
Qui te prendrais
Comme cela, — la belle tresse,

◊ Exemple : « Rêvé pour l’hiver »


• Le couple se réfugie dans un wagon pendant l’hiver.
• Le train est comparable à cette petite bête qui court.
• Errance = voyage sans but ?
Et tu me diras : « Cherche ! » en inclinant la tête,
— Et nous prendrons du temps / à trouver cette bête
— Qui voyage beaucoup…

*19
3) Liberté ou errance
◊ Exemple : « Roman »
• Désinvolture à double sens : tomber amoureux, retour au café.
• Les tilleuls et la limonade sont bien fades…
— On n'est pas sérieux, quand on a dix-sept ans
Et qu'on a des tilleuls verts sur la promenade.

◊ Exemple : « Au Cabaret-Vert »
• Au-delà des tilleuls verts, la liberté apportera-t-elle le bonheur ?
• Dimension spirituelle cachée dans le rayon doré du soleil ? (référence à la bible : «
ma coupe déborde »)
Du jambon rose et blanc parfumé d’une gousse
D’ail, — et m’emplit la chope immense, avec sa mousse
Que dorait un rayon de soleil arriéré.

Transition
Une liberté insuffisante en soi, pose des questions plus profondes sur le sens de la vie
: s’engager, trouver l’amour, trouver le bonheur ?...

Deuxième partie :
La liberté à l’origine d’une soif de vie
1) Liberté et dignité
◊ Exemple : « Le Forgeron ».
• Donner la parole à un forgeron : un créateur et alchimiste.
• Le premier droit, celui de nourrir sa famille.
— Puisqu’ils ne mangent pas, Sire, ce sont les gueux !
Je suis un forgeron : ma femme est avec eux,
Folle ! Elle vient chercher du pain aux Tuileries !

• Mais au-delà du nécessaire, il revendique la dignité humaine.


Libérés, ils sont comme des chiens :
On les insulte ! Alors, ils ont là quelque chose
Qui leur fait mal, allez !

◊ Autre exemple : « Les Effarés ».


• Vision qui rapproche le lecteur de ces enfants abandonnés.
• N’ayant rien, ils sont comme de petits animaux.
• Le poète prométhéen leur redonne une voix.
[...] Ils sont là, tous,
Collant leurs petits museaux roses
Au grillage, chantant des choses,

*20
Entre les trous, [...]

2) Liberté d’un amour universel


◊ Exemple : « Soleil et chair ».
• Dans sa lettre à Banville, Rimbaud parle du credo, de la « foi des poètes » : une
autre religion.
• Il partage un poème qui s’appelle Credo in unam, et qu’il recopiera sous le nom de «
Soleil et chair » dans son premier cahier de Douai :
Le Monde vibrera comme une immense lyre
Dans le frémissement d’un immense baiser !
— Le Monde a soif d’amour : tu viendras l’apaiser.
Ô ! L’Homme a relevé sa tête libre et fière !

◊ Exemple : « Ma Bohème ».
• La liberté est une manifestation de cet amour universel « infini ».
• L’amour « d’une femme » est en fait un grand amour de la Nature.
Je ne parlerai pas, je ne penserai rien :
Mais l’amour infini me montera dans l’âme,
Et j’irai loin, bien loin, comme un bohémien,
Par la Nature, — heureux comme avec une femme.

3) Dénoncer un mal contre-nature


◊ Exemple : Le Mal ».
• Cet amour naturel et sain pousse le poète à s’opposer radicalement à ce qu’il appelle
« Le Mal »
• Une religion au service d’ambitions politiques est contre-nature.
— Pauvres morts ! dans l’été, dans l’herbe, dans ta joie,
Nature ! ô toi qui fis ces hommes saintement !…

◊ Exemple : « Le Dormeur du val ».


• Dénoncer la guerre est surtout défendre une conception de la vie.
• Inventivité exceptionnelle dans ce poème.
• Acrostiche LIT du dernier tercet :
Les parfums ne font pas frissonner sa narine ;
Il dort dans le soleil, la main sur sa poitrine,
Tranquille. Il a deux trous rouges au côté droit.

Transition
La liberté de Rimbaud est émancipatrice : elle lui permet de trouver ses propres
thèmes, et de repousser les limites de sa propre créativité.

*21
Troisième partie :
Une créativité débordante
1) Remise en cause des canons de beauté dominants
2)
◊ Exemple : « Vénus Anadyomène ».
• Oxymore « Belle hideusement ».
• Rimbaud voit tout de même de la beauté dans ces détails.
Les reins portent deux mots gravés : Clara Venus ;
— Et tout ce corps remue et tend sa large croupe
Belle hideusement d’un ulcère à l’anus.

• Comme les naturalistes : dire ce qui est vrai.


• Le poète rapporte des visions qui peuvent être dérangeantes.

◊ Autre exemple : « Bal des pendus ».


• S’inspirer de la tradition « Villon » pour remettre en cause le discours dominant
et bien-pensant.
Oh ! voilà qu'au milieu de la danse macabre
Bondit, par le ciel rouge, un grand squelette fou
Emporté par l'élan [...]

• À mettre en parallèle avec ce passage de la Lettre du Voyant :


Suprême Savant [...] qu’il crève dans son bondissement par les choses inouïes et
innombrables : viendront d’autres horribles travailleurs ; ils commenceront par les horizons où
l’autre s’est affaissé !

2) Une liberté qui confine à la folie ?


◊ Exemple : « Ophélia ».
• Symbole même de la beauté aux confins de la folie.
• La liberté ne se confond pas avec la rationalité.
Ciel ! Amour ! Liberté ! Quel rêve, ô pauvre folle !
Tu te fondais à lui comme une neige au feu :
Tes grandes visions étranglaient ta parole
— Et l’infini terrible effara ton œil bleu !

• Ce même mot « effarer » comme dans « Les Effarés ».


• Atteindre les limites de ce qui est humain : tous les sens déréglés.

3) Repousser les limites de la poésie

◊ Exemple : « Ma Bohème ».
• Tout le poème est au passé, avec une certaine auto dérision.
*22
• Le jeune poète s’est donc libéré de la Muse ?
J’allais sous le ciel, Muse ! et j’étais ton féal ;
Oh ! là là ! que d’amours splendides j’ai rêvées !

⇨ Le petit poucet rêveur va bientôt cesser de semer des rimes.


⇨ Les Illuminations et Une Saison en Enfer sont deux recueils en vers libres, sans
rimes.
4) Une liberté donnée au lecteur
◊ Exemple : « Le Buffet ».
• Les histoires de ce buffet ne seront jamais racontées.
• Le conditionnel préserve le mystère.
• Mais Rimbaud laisse, pour ainsi dire, la porte ouverte à l’imagination du lecteur :
— Ô buffet du vieux temps, tu sais bien des histoires,
Et tu voudrais conter tes contes, et tu bruis
Quand s’ouvrent lentement tes grandes portes noires.

Conclusion
Bilan

• Dans Les Cahiers de Douai, la soif de liberté est première. Rimbaud est un
adolescent révolté, qui remet en cause l’ordre établi.
• Ses fugues et ses expériences amoureuses le conduisent sur les routes, loin des
tilleuls verts de la promenade !
• Mais cette soif de liberté n’est pourtant pas synonyme d’errance. Bientôt, on voit
émerger d’autres principes dans la poésie de Rimbaud.
• Poésie engagée d’un poète prométhéen : défenseur de l’humanité.
• Ses poèmes d’amour cachent une philosophie plus profonde.
• Nouvelle méthode dans la « Lettre du Voyant » à Paul Demeny.
Il cherche lui-même, il épuise en lui tous les poisons, pour n’en garder que les
quintessences. Ineffable torture où il a besoin de toute la foi, de toute la force
surhumaine, où il devient entre tous le grand malade, le grand criminel, le grand
maudit, — et le suprême Savant — Car il arrive à l’inconnu.
Ouverture
• Rimbaud inspire les surréalistes, qui vont explorer les limites des perceptions et
de la réalité, pour chercher des vérités plus profondes !
• Par exemple, Paul Éluard, poète surréaliste :
Ce qui a été compris n'existe plus,

*23
L'oiseau s'est confondu avec le vent,
Le ciel avec sa vérité, L'homme avec sa réalité.

SUJET N° 3
Introduction
Accroche
• Mai 1870, Rimbaud espérant être publié dans le « Parnasse contemporain » écrit à
Théodore de Banville :
C’est que j’aime tous les poètes, tous les bons Parnassiens, — puisque le poète est
un Parnassien, — épris de la beauté idéale ; c’est que j’aime en vous, bien naïvement,
un descendant de Ronsard, un frère de nos maîtres de 1830, un vrai romantique, un
vrai poète. Voilà pourquoi. — c’est bête, n’est-ce pas, mais enfin ?

• On perçoit déjà une distance « c’est bête, n’est-ce pas ? » et une certaine auto
dérision « bien naïvement ».
• On devine ici que le jeune Rimbaud se méfie déjà de ces grands mots « bons
Parnassiens … beauté idéale … vrai romantique »…
• Ironie = laisser entendre qu’on pense autre chose que ce qu’on dit.
• Et en effet, il va rapidement s’éloigner des Parnassiens pour écrire une poésie moins
grandiloquente, plus personnelle.

*24
Situation
• L’ironie traverse toute l’œuvre de Rimbaud, et explique même l’évolution des Cahiers
de Douai jusqu’aux Illuminations.
• Cahiers de Douai = 2 recueils confiés à Paul Demeny en octobre 1870.
• La plupart de ces poèmes portent une trace d’ironie, à travers de nombreux procédés
: exagérations, antiphrases, oxymores…
Problématique
Comment les procédés d’ironie participent-ils aux émancipations créatrices de
Rimbaud dans Les Cahiers de Douai ?

Annonce de plan

I. D’abord, l’ironie de Rimbaud l'empêche d'être dupe des discours dominants.


Elle lui permet de dénoncer l’ordre de la société, le Second Empire et la guerre franco-
prussienne.
II. Mais Rimbaud n’hésite pas non plus à tourner l’ironie contre lui-même, et à
faire preuve d’autodérision. Le regard qu’il pose sur son adolescence est véritablement
émancipateur.
III. Car l’ironie de Rimbaud participe à une authentique démarche créative, qui
l’amènera à concevoir l’idée du poète voyant en quête d’infini.

Première partie :
Une ironie pour dénoncer l’ordre dominant
1) Dénoncer l’hypocrisie sociale
◊ Exemple : « À la musique ».
• Rimbaud emprunte les mots de la bourgeoisie « correct ».
• Mais c’est pour aussitôt le détourner « mesquin ».
• Et montrer que justement, ces « bêtises jalouses » n’ont rien de correct. Les appétits
se déchaînent sous le vernis de la société.
Sur la place taillée en mesquines pelouses,
Square où tout est correct, les arbres et les fleurs,
Tous les bourgeois poussifs qu'étranglent les chaleurs
Portent, les jeudis soirs, leurs bêtises jalouses.

◊ Autre exemple : « Le châtiment de Tartuffe »


• Oxymore : « effroyablement doux » signale l’ironie.
• Un « Méchant » il s’agit certainement de Molière ou du poète lui-même : méchant du
point de vue de l’hypocrite démasqué !
*25
Un jour qu’il s’en allait, effroyablement doux,
[...] Un Méchant
Le prit rudement par son oreille benoîte
Et lui jeta des mots affreux,

2) Donner à voir la cruauté du point de vue dominant


◊ Exemple : « Le Forgeron »
• Les mots « Folle » et « crapule » sont décrédibilisés par le contexte.
Je suis un forgeron : ma femme est avec eux,
Folle ! Elle vient chercher du pain aux Tuileries !
— On ne veut pas de nous dans les boulangeries.
J’ai trois petits. Je suis crapule.

◊ Autre exemple : « Le Bal des pendus ».


• Ce même terme de « fou » désigne le grand squelette pendu.
• Ces pendus sont les poètes maudits « baladins » que l’ordre établi exclut et étrangle.

Oh ! voilà qu'au milieu de la danse macabre


Bondit, par le ciel rouge, un grand squelette fou
Emporté par l'élan : [...] la corde raide au cou,
[...] Comme un baladin rentre dans la baraque.

3) Dénoncer la propagande impériale


◊ Exemple : « L’éclatante victoire de Sarrebrück ».
• Ironie du titre et du sous-titre : « éclatante … brillamment ».
Remportée aux cris de Vive l’Empereur !
(Gravure belge brillamment coloriée, se vend à Charleroi, 35 centimes.)

• Adjectifs en F qui qualifient l’Empereur « Flamboyant … Féroce »


• Point de vue subjectif « il voit tout en rose ».
• Ponctuation originale « heureux, ? »
Au milieu, l’Empereur, dans une apothéose
Bleue et jaune, s’en va, raide, sur son dada
Flamboyant ; très heureux, ? car il voit tout en rose,
Féroce comme Zeus et doux comme un papa ;

• La chute du poème est une blague potache : Boquillon baisse son pantalon. Si
l’Empereur décide pour ses fesses, le soldat n’en reste pas moins libre de ses
pensées…

Transition
• La blague potache de l’adolescent qui se moque de l’autorité cache une démarche
plus sophistiquée et profonde.
*26
• Capacité du jeune Rimbaud à faire preuve d’auto dérision. Il dirige aussi son ironie
contre la figure du poète ou de l’adolescent.

Deuxième partie :
Une ironie pour sortir de l’adolescence
1) Rimbaud se représente lui-même
◊ Exemple : « À la musique ».
• Il se représente lui-même à l’écart de la société bourgeoise.
• Son attitude prête à rire « débraillé ».
• Pas du tout discret, il fait rire les jeunes filles.
— Moi, je suis, débraillé comme un étudiant,
Sous les marronniers verts les alertes fillettes :
[...] Elles me trouvent drôle et se parlent tout bas...
— Et je sens les baisers qui me viennent aux lèvres...

◊ Autre exemple : « Première soirée »


• Ironie du jeu amoureux, « c’est encore mieux » est un faux reproche.
• Le rire qui rejette la tête en arrière est un consentement pudique.
Je baisai doucement ses yeux :
— Elle jeta sa tête mièvre
En arrière : « Oh ! c’est encor mieux !
Monsieur, j’ai deux mots à te dire… »

2) Ironie sur le mauvais poète qu’il pourrait être


◊ Exemple : « Les réparties de Nina »
• Le rire de Nina, au contraire, repousse le poète trop entreprenant.
• Le poète est un « voleur » qui « embête aimablement ».
Riant au vent vif qui te baise
Comme un voleur ;
Au rose, églantier qui t’embête
Aimablement.

◊ Exemple : « Roman »
• Récit d’un premier amour qui enflamme le jeune homme mais n’a pas de
conséquences.
• Répétition du mot « amoureux » antanaclase : la deuxième fois, il se charge de
toutes les connotations romantiques.
• De même Madame Bovary se répète « j’ai un amant ! »
Vous êtes amoureux. Loué jusqu'au mois d'août.
Vous êtes amoureux. — Vos sonnets La font rire.

*27
3) Le badinage amoureux est créatif

◊ Exemple : « La Maline »
• Ironie « je ne sais pas pourquoi » : au contraire, il le sait bien.
• Le titre est ironique « La Maline » le masculin serait « Le Malin » : la servante est
dépourvue de malignité.
— Et la servante vint, je ne sais pas pourquoi,
Fichu moitié défait, malinement coiffée

◊ Exemple : « Rêvé pour l’hiver »


• Invitation au voyage comme Baudelaire.
• Voyage en train qui est aussi un voyage des baisers.
• Les baisers sont une métaphore de la poésie.
Et tu me diras : « Cherche ! » en inclinant la tête,
— Et nous prendrons du temps / à trouver cette bête
— Qui voyage beaucoup…

Transition
• Chez Rimbaud, l’ironie n’est pas seulement un outil de dénonciation ou
d’émancipation, elle participe à la démarche créative.
• Dynamique qui traverse toute l’œuvre de Rimbaud et explique l’évolution de sa
poésie.

Troisième partie :
Une ironie créatrice
1) Regard rétrospectif amusé sur les poèmes qu’il a écrits
◊ Exemple : « Ma Bohème »
• Le mot « aussi » se moque gentiment des idéaux du poète.
• De même l’hyperbole « splendide » insiste sur les « rêves ».
• L’exclamation « Oh ! là ! là ! » : naïveté de sa jeunesse !
Mon paletot aussi devenait idéal ;
J’allais sous le ciel, Muse ! et j’étais ton féal ;
Oh ! là là ! que d’amours splendides j’ai rêvées !

◊ Suite de l’exemple dans « Ma Bohème »


• L’enfant « Petit Poucet rêveur » appartient au conte de fée.
• La fin du poème le fait entrer dans le registre fantastique.
• L’élastique n’est-il pas justement une propriété de l’ironie ?
Où, rimant au milieu des ombres fantastiques,
Comme des lyres, je tirais les élastiques
De mes souliers blessés, un pied près de mon cœur !

*28
2) Rimbaud voulait être parnassien
◊ Exemple « Soleil et chair ».
• Adresse à Théodore de Banville, il imite parfaitement le style parnassien, mais peut-
être en fait-il un peu trop ?
• « Kallipyge » terme de statuaire antique = aux belles fesses.
Ô renouveau d’amour, aurore triomphale
Où, courbant à leurs pieds les Dieux et les Héros,
Kallipyge la blanche et le petit Éros
Effleureront, couverts de la neige des roses,
Les femmes et les fleurs sous leurs beaux pieds écloses !

◊ Exemple « Vénus Anadyomène ».


• Renonçant à devenir parnassien, Rimbaud écrit une « Vénus Anadyomène »
iconoclaste.
• Loin d’être callipyge, cette Vénus porte à l’anus un ulcère dû certainement à la
syphilis.
Les reins portent deux mots gravés : Clara Venus ;
— Et tout ce corps remue et tend sa large croupe
Belle hideusement d’un ulcère à l’anus.

3) Rimbaud s’émancipe même de Baudelaire

◊ Exemple : « Le Buffet » est inspiré du « Flacon » de Baudelaire.


• Chez Baudelaire, le ton est sérieux, voire grave :
Ou dans une maison déserte quelque armoire
Pleine de l'âcre odeur des temps, poudreuse et noire,
Parfois on trouve un vieux flacon qui se souvient,
D'où jaillit toute vive une âme qui revient.
Baudelaire, Les Fleurs du Mal, 1857.

• Chez Rimbaud, le ton est amusé, porte une légère ironie.


• Polyptote : « vieilles vieilleries ».
Tout plein, c’est un fouillis de vieilles vieilleries,
De linges odorants et jaunes, de chiffons
De femmes ou d’enfants, de dentelles flétries,
De fichus de grand’mère où sont peints des griffons ;

4) Vers le poète voyant et le dérèglement des sens


◊ Exemple « Le Dormeur du Val ».
• On peut interpréter ce mot « dormeur » comme une marque d’ironie, un euphémisme
qu’il faut deviner.
• Les visions du poète voyant ont une dimension ironique elles jouent sans cesse avec
notre interprétation, et s’en amuse :
Les pieds dans les glaïeuls, il dort. Souriant comme
Sourirait un enfant malade, il fait un somme.
*29
⇨ Répétant plusieurs fois « il dort … Il fait un somme » cette insistance suspecte est
ironique : elle laisse entendre ce qui n’est pas dit — ce sommeil est celui de la mort.

Conclusion
Bilan

• Nous avons vu que Dans Les Cahiers de Douai, l'ironie permet d'abord au jeune
poète de ne pas être la dupe du discours dominant. Pas ses effets d'exagération, de
caricature, elle dénonce un ordre social injuste, voire cruel, qui se maintient à l'aide
d'une propagande et d'un discours hypocrite. Le jeune poète engagé s'insurge contre
la guerre et se réjouit de la fin du Second Empire en septembre 1870.
• Mais Rimbaud n'hésite pas aussi à tourner l'ironie contre lui-même : il la transforme
en auto dérision. Il rit avec nous de ses aventures amoureuses, de la naïveté des
grands sentiments romanesques, et des mauvais vers qu'il pourrait écrire !
• C'est alors qu'on réalise à quel point ce regard ironique participe à une véritable
démarche créative. On devine Rimbaud sans cesse insatisfait de ce qu'il laisse
derrière lui, au point de demander à Paul Demeny de brûler ses cahiers,
heureusement que ce dernier n'en fit rien !

Ouverture
• L'ironie de Rimbaud se poursuit dans les recueils qui suivent, dès les premiers vers
d'une Saison en enfer, ce regard critique porté sur son passé est bien perceptible :

Jadis, si je me souviens bien, ma vie était un festin où s’ouvraient tous les cœurs, où
tous les vins coulaient.

Un soir, j’ai assis la Beauté sur mes genoux. — Et je l’ai trouvée amère. — Et je l’ai
injuriée.

Je me suis armé contre la justice.

Je me suis enfui.

*30
Introduction

La Lettre du voyant est une lettre privée écrite par Rimbaud à Paul Demeny, mais
un contexte de communication plus large.
Influences et originalité dans la conception de poète et de la poésie.

La Lettre du voyant n’était pas prévue pour la publication, c’est une démarche
encore embryonnaire et inachevée traduite notamment par la forme elliptique des
propositions.
Avant : réflexions sur l’évolution de la poésie. Seule la poésie de la Grèce antique et
quelques romantiques trouvent grâce aux yeux de Rimbaud.

*31
Texte de la Lettre du voyant de Rimbaud
Charleville, 15 mai 1871
à P. Demeny
J'ai résolu de vous donner une heure de littérature nouvelle. je commence de suite par
un psaume d'actualité :

CHANT DE GUERRE PARISIEN

- Voici de la prose sur l'avenir de la poésie-

Toute poésie antique aboutit à la poésie grecque, Vie harmonieuse. - De la Grèce au


mouvement romantique, moyen âge, - il y a des lettres, des versificateurs. D'Ennius à
Theroldus, de Theroldus à Casimir Delavigne, tout est prose rimée, un jeu,
avachissement et gloire d'innombrables générations idiotes : Racine est le pur, le fort,
le grand. - On eût soufflé sur ses rimes, brouillé ses hémistiches, que le Divin Sot
serait aujourd'hui aussi ignoré que le premier venu auteur d'Origines. - Après Racine,
le jeu moisit. Il a duré deux mille ans !

Ni plaisanterie, ni paradoxe. La raison m'inspire plus de certitudes sur le sujet que


n'aurait jamais eu de colères un Jeune-France. Du reste, libre aux nouveaux d'exécrer
les ancêtres : on est chez soi et l'on a le temps.

On n'a jamais bien jugé le romantisme. Qui l'aurait jugé ? Les Critiques ! ! Les
Romantiques, qui prouvent si bien que la chanson est si peu souvent l'œuvre, c'est-à-
dire la pensée chantée et comprise du chanteur?

Car JE est un autre. Si le cuivre s'éveille clairon, il n'y a rien de sa faute. Cela m'est
évident . J'assiste à l'éclosion de ma pensée : je la regarde, je l'écoute : je lance un
coup d'archet : la symphonie fait son remuement dans les profondeurs, ou vient d'un
bond sur la scène.

Si les vieux imbéciles n'avaient pas trouvé du Moi que la signification fausse, nous
n'aurions pas à balayer ces millions de squelettes qui, depuis un temps infini, ont
accumulé les produits de leur intelligence borgnesse, en s'en clamant les auteurs !

En Grèce, ai-je dit, vers et lyres, rythment l'Action. Après, musique et rimes sont jeux,
*32
délassements. L'étude de ce passé charme les curieux : plusieurs s'éjouissent à
renouveler ces antiquités : -c'est pour eux. L'intelligence universelle a toujours jeté ses
idées naturellement ; les hommes ramassaient une partie de ces fruits du cerveau ; on
agissait par, on en écrivait des livres : telle allait la marche, l'homme ne se travaillant
pas, n'étant pas encore éveillé, ou pas encore dans la plénitude du grand songe. Des
fonctionnaires, des écrivains. Auteur, créateur, poète, cet homme n'a jamais existé !

La première étude de l'homme qui veut être poète est sa propre connaissance,
entière. Il cherche son âme, il l'inspecte, il la tente, l'apprend. Dès qu'il la sait, il la doit
cultiver : cela semble simple : en tout cerveau s'accomplit un développement naturel ;
tant d'égoïstes se proclament auteurs ; il en est bien d'autres qui s'attribuent leur
progrès intellectuel ! - Mais il s'agit de faire l'âme monstrueuse : à l'instar des
comprachicos, quoi ! Imaginez un homme s'implantant et se cultivant des verrues sur
le visage.

Je dis qu'il faut être voyant, se faire voyant.

Le poète se fait voyant par un long, immense et raisonné dérèglement de tous les
sens. Toutes les formes d'amour, de souffrance, de folie ; il cherche lui-même, il
épuise en lui tous les poisons, pour n'en garder que les quintessences. Ineffable
torture où il a besoin de toute la foi, de toute la force surhumaine, où il devient entre
tous le grand malade, le grand criminel, le grand maudit, - et le suprême Savant ! - Car
il arrive à l'inconnu ! - Puisqu'il a cultivé son âme, déjà riche, plus qu'aucun ! Il arrive à
l'inconnu ; et quand, affolé, il finirait par perdre l'intelligence de ses visions, il les a
vues ! Qu'il crêve dans son bondissement par les choses inouïes et innommables :
viendront d'autres horribles travailleurs; ils commenceront par les horizons où l'autre
s'est affaissé!

- La suite à six minutes. -

Ici j'intercale un second psaume hors du texte : veuillez tendre une oreille
complaisante, et tout le monde sera charmé. - J'ai l'archet en main, je commence :

MES PETITES AMOUREUSES

Voilà. Et remarquez bien que, si je ne craignais de vous faire débourser plus de 60 c.


de port, -moi pauvre effaré qui, depuis sept mois, n'ai pas tenu un seul rond de
bronze ! - je vous livrerais encore mes Amants de Paris, cent hexamètres, Monsieur,
et ma Mort de Paris, deux cents hexamètres !

- Je reprends :

*33
Donc le poète est vraiment voleur de feu.

Il est chargé de l'humanité, des animaux même ; il devra faire sentir, palper, écouter
ses inventions. Si ce qu'il rapporte de là-bas a forme, il donne forme ; si c'est informe,
il donne de l'informe. Trouver une langue ;

- Du reste, toute parole étant idée, le temps d'un langage universel viendra ! Il faut être
académicien, plus mort qu'un fossile, - pour parfaire un dictionnaire, de quelque
langue que ce soit. Des faibles se mettraient à penser sur la première lettre de
l'alphabet, qui pourraient vite ruer dans la folie ! -

Cette langue sera de l'âme pour l'âme, résumant tout, parfums, sons, couleurs, de la
pensée accrochant la pensée et tirant. Le poète définirait la quantité d'inconnu
s'éveillant en son temps, dans l'âme universelle : il donnerait plus que la formule de sa
pensée, que l'annotation de sa marche au Progrès ! Énormité devenant norme
absorbée par tous, il serait vraiment un multiplicateur de progrès !

- Fin de l'extrait étudié -

- Suite de la lettre -

Cet avenir sera matérialiste, vous le voyez. -Toujours pleins du Nombre et de


l'Harmonie, les poèmes seront faits pour rester. -Au fond, ce serait encore un peu la
Poésie grecque.

L'art éternel aurait ses fonctions, comme les poètes sont citoyens. La poésie ne
rythmera plus l'action ; elle sera en avant.

Ces poètes seront ! Quand sera brisé l'infini servage de la femme, quand elle vivra
pour elle et par elle, l'homme -jusqu'ici abominable, - lui ayant donné son renvoi, elle
sera poète, elle aussi ! La femme trouvera de l'inconnu ! Ses mondes d'idées
différeront-ils des nôtres ? - Elle trouvera des choses étranges, insondables,
repoussantes, délicieuses ; nous les prendrons, nous les comprendrons.

En attendant, demandons aux poètes du nouveau, - idées et formes. Tous les habiles
croiraient bientôt avoir satisfait à cette demande : -ce n'est pas cela !

Les premiers romantiques ont été voyants sans trop bien s'en rendre compte: la
culture de leurs âmes s'est commencée aux accidents: locomotives abandonnées,
mais brûlantes, que prennent quelque temps les rails. -Lamartine est quelquefois
voyant, mais étranglé par la forme vieille. - Hugo, trop cabochard, a bien du VU dans
*34
les derniers volumes : Les Misérables sont un vrai poème. J'ai Les Châtiments sous
main : Stella donne à peu près la mesure de la vue de Hugo. Trop de Belmontet et de
Lamennais, de Jehovahs et de colonnes, vieilles énormités crevées.

Musset est quatorze fois exécrable pour nous, générations douloureuses et prises de
visions, - que sa paresse d'ange a insultées ! Ô ! les contes et les proverbes
fadasses ! ô les Nuits ! ô Rolla ! ô Namouna ! ô la Coupe! tout est français, c'est-à-dire
haïssable au suprême degré; français, pas parisien ! Encore une œuvre de cet odieux
génie qui a inspiré Rabelais, Voltaire, Jean La Fontaine, commenté par M. Taine !
Printanier, l'esprit de Musset ! Charmant, son amour ! En voilà, de la peinture à l'émail,
de la poésie solide ! On savourera longtemps la poésie française, mais en France.
Tout garçon épicier est en mesure de débobiner une apostrophe Rollaque; tout
séminariste emporte les cinq cents rimes dans le secret d'un carnet. A quinze ans, ces
élans de passion mettent les jeunes en rut ; à seize ans, ils se contentent déjà de les
réciter avec cœur; à dix-huit ans, à dix-sept même, tout collégien qui a le moyen fait le
Rolla, écrit un Rolla ! Quelques-uns en meurent peut-être encore. Musset n'a rien su
faire. Il y avait des visions derrière la gaze des rideaux : il a fermé les yeux. Français,
panadis, traîné de l'estaminet au pupitre du collège, le beau mort est mort, et,
désormais, ne nous donnons même plus la peine de le réveiller par nos abominations !

Les seconds romantiques sont très voyants : Théophile Gautier, Leconte de Lisle,
Théodore de Banville. Mais inspecter l'invisible et entendre l'inouï étant autre chose
que reprendre l'esprit des choses mortes, Baudelaire est le premier voyant, roi des
poètes, un vrai Dieu. Encore a-t-il vécu dans un milieu trop artiste ; et la forme si
vantée en lui est mesquine. Les inventions d'inconnu réclament des formes nouvelles.

Rompus aux formes vieilles : parmi les innocents, A. Renaud, - a fait son Rolla, - L.
Grandet, - a fait son Rolla ; - les gaulois et les Musset, G. Lafenestre, Coran, C. L.
Popelin, Soulary, L. Salles. Les écoliers, Marc, Aicard, Theuriet ; les morts et les
imbéciles, Autran, Barbier, L. Pichat, Lemoyne, les Deschamps, les Des Essarts ; les
journalistes, L. Cladel, Robert Luzarches, X. de Ricard ; les fantaisistes, C. Mendès ;
les bohèmes ; les femmes ; les talents, Léon Dierx et Sully-Prudhomme, Coppée; -la
nouvelle école, dite parnassienne, a deux voyants, Albert Mérat et Paul Verlaine, un
vrai poète. Voilà. Ainsi je travaille à me rendre voyant. Et finissons par un chant pieux.

ACCROUPISSEMENTS

Vous seriez exécrable de ne pas répondre : vite, car dans huit jours je serai à Paris,
peut-être.

Au revoir.
A. RIMBAUD.
*35
Portrait du jeune Arthur Rimbaud

Annonce des axes

I. « Je est un autre »
1. Différenciation, dédoublement
2. Démarche : connaître et cultiver son âme
3. Cultiver l’extraordinaire

II. Il faut être voyant


1. Etre voyant
2. Résultat
3. Limites

III. Le poète « voleur de feu » et porteur de progrès


1. Voleur de feu
2. Inventer une langue
3. Le poète et le progrès

Commentaire littéraire

I. « Je est un autre »

1. Différenciation, dédoublement

*36
- Sur le romantisme : péremptoire : « on a jamais » (on = critiques). Relations critiques
et œuvre qui mettent en évidence l’incompréhension des journalistes : ironie et mépris.
Rimbaud ne disserte pas, les phrases sont elliptiques. Mise en évidence du décalage
pensée/œuvre (« Les romantiques ? »), la création échappe à son auteur…
- « Je est un autre » : postulat péremptoire et surprenant par le paradoxe : « je »,
subjectivité et intimité, une différenciation étrange. L’individu est traversé par une
pensée qui le dépasse, le poète doit s’en faire le relais, et ne pas se focaliser sur sa
propre personne. Lettre à Izambard : « votre poésie subjective sera toujours
horriblement fadasse ».

2. Démarche : connaître et cultiver son âme

- Deux illustrations : métaphore musicale : le cuivre, matériau brut (métaphore filée) et


son cas particulier (importance du « je ») => le pouvoir de création s’impose et
échappe au poète : « je suis né poète, je me suis reconnu poète, ce n’est pas du tout
de ma faute » (lettre à Izambard).
« s’éveiller, éclore » : manifestation de l’inconnu, comme de son propre mouvement.
« j’assiste à ma… » : dédoublement. « je la regarde, je l’écoute » : deux propositions
brèves et parallèle : spectateur, extérieur, attention accrue : le poète se met à la
disposition de la pensée.
Pensée = action : « un coup d’archet » contre « symphonie » : caractère involontaire
de la création. Un long travail de gestation (« dans les profondeurs ») ou une
illumination qui s’impose.
- Définitions des voies d’accès : « veux » : être poète suppose un choix. Rimbaud
mène une étude approfondie (champ lexical) dont il est lui-même le principal objet :
« âme ». Tâtons : gradation ascendante des verbes. Une connaissance jamais
achevée : « doit la cultiver » : injonction.
- Mépris pour ceux qui s’autoproclament (sans être) : égoïsme contre « je est un
autre », distance critique.

3. Cultiver l’extraordinaire

- Tiret + « mais » : autre aspect pratique, description imagée : « se faire », réfléchi (=


« cultiver »), « âme monstrueuse » : monstre : ce que l’on montre, l’hors norme.
Montrer son âme ? oxymore : cultiver l’extraordinaire sans soucis des conventions.
Un premier exemple : les comprachicos, voleurs d’enfants qui les mutilaient pour un
bénéfice = poète. Cette comparaison est choquante. Rimbaud pousse la provocation
avec les verrues : connaître et cultiver son âme au delà des impératifs esthétiques ou
moraux, un écho au paragraphe précédent.

II. Il faut être voyant


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1. Etre voyant

- « Je dis qu'il faut être voyant, se faire voyant. » : reprise de l’évolution précédente. Le
VOYANT. Ecarter le sens ésotérique ? voir l’invisible, entendre l’inouï, dépasser les
apparences pour révéler l’inconnu.
- Moyens et limites du poète : comment, pourquoi et jusqu’ou ? (lignes12-18)
« le poète se fait voyant… » : perception renouvelée. Voir le monde comme il n’a
jamais été vu, avec une candeur originelle = enfant. Créer des correspondances entre
les sens : cf. Baudelaire. « long, immense » : difficulté. « raisonné dérèglement »:
oxymore. Conserver assez de lucidité, garder la maîtrise de soi. Une proposition
elliptique : « toutes les formes » : tout embrasser, pas de limites : souffrance, folie.
Quintessence + poisons : tous les sujets sont bons : transfigurer le réel. « tu m’as
donné ta boue, et j’en ai fais de l’or » (Baudelaire à Dieu).

2. Résultat

- Allitérations en f : travail au sens étymologique (instrument de torture) +


« ineffable » : c’est à ce prix qu’on devient poète. Deux propositions parallèles, « force
et foi », anaphore de « toute » + surhumaine : dépasser les limites de l’homme. Il
devient ainsi marginal, expressions hyperboliques en asyndète, d’abord le point de vue
négatif de la société, puis une autre perspective : la sienne, rupture du tiret, majuscule
et ! : registre laudatif, hyperbole. « car » explicatif, inconnu en italique : le voyant se
donne ainsi les moyens d’accéder à l’inconnu.

3. Limites

- Allitérations ff/vv. Conditionnel, possibilité de l’échec, de la mort qui n’effraie pas : un


mouvement (« bondissement ») perpétuel : futur, anticipation. « affolé, perdre, crève,
affaissé » : limites, défaite du poète contrebalancée par l’espoir, poursuite de
l’aventure : la notion de progrès en poésie (surréalisme et héritage).

III. Le poète « voleur de feu » et porteur de progrès

1. Voleur de feu

- « donc » : conclusion « voleur de feu ». Prométhée vola le feu aux Dieux. Ainsi les
hommes deviennent presque = (supplice perpétuel). Comparaison glorieuse, le rôle du
poète : l’« invention » pour tous, hommes, animaux (mouvement inversé : embrasse
tout). « chargé ».
Trois infinitifs : référence à tous les sens (Correspondances de Baudelaire). « là-bas »,
*38
référence à l’inconnu.

2. Inventer une langue

- De la nature de la création à l’outil de transmission poétique. « trouver » : inventer


une langue reflet de l’inconnu.
- Prophétie : futur : « le temps viendra ». « toute parole étant idée » : influence de la
Cabbale, correspondance magique nom-objet. La parole est à la fois fin et moyen. Des
propos satiriques : les académiciens fossiles, une conception opposée du langage.

3. Le poète et le progrès

- Dernier paragraphe : langue totale qui ne sépare pas expression et perception. Le


poète est catalyseur de progrès, un rôle irremplaçable dans la marche de l’Humanité
(Hugo, préface Des Rayons et des Ombres), « énormité » = hors norme, « absorbe ».
=> La langue, outil de communication pour l’Humanité, plus qu’un outil pour
s’exprimer, est une fin en soi. Une action : « la pensée… accrochant et tirant… », un
langage à inventer, celui des correspondances de Baudelaire.

Conclusion

Rapprocher :
Baudelaire, Les Fleurs du mal, « La Mort » : Le voyage :
« Nous voulons, tant ce feu nous brûle le cerveau,
Plonger au fond du gouffre, Enfer ou ciel, qu’importe !
Au fond de l‘Inconnu pour trouver du nouveau. »

Le poète de 7 ans, le bateau ivre, le poison, le feu : héritage poétique, Rimbaud prend
la suite là où Baudelaire s’est « affaissé ».

*39

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