[go: up one dir, main page]

0% ont trouvé ce document utile (0 vote)
68 vues13 pages

Dom Juan Acte I

Dans cet extrait, Sganarelle exprime son admiration pour le tabac et ses effets positifs sur les relations humaines, tout en s'inquiétant du départ de Dom Juan et de son comportement envers Done Elvire. Dom Juan, quant à lui, se montre désinvolte et justifie son mode de vie libertin, affirmant que la beauté doit être célébrée sans attachement exclusif. Sganarelle, bien qu'il reconnaisse le charme de Dom Juan, reste préoccupé par les conséquences morales de ses actions.

Transféré par

zacharypoire
Copyright
© © All Rights Reserved
Nous prenons très au sérieux les droits relatifs au contenu. Si vous pensez qu’il s’agit de votre contenu, signalez une atteinte au droit d’auteur ici.
Formats disponibles
Téléchargez aux formats PDF, TXT ou lisez en ligne sur Scribd
0% ont trouvé ce document utile (0 vote)
68 vues13 pages

Dom Juan Acte I

Dans cet extrait, Sganarelle exprime son admiration pour le tabac et ses effets positifs sur les relations humaines, tout en s'inquiétant du départ de Dom Juan et de son comportement envers Done Elvire. Dom Juan, quant à lui, se montre désinvolte et justifie son mode de vie libertin, affirmant que la beauté doit être célébrée sans attachement exclusif. Sganarelle, bien qu'il reconnaisse le charme de Dom Juan, reste préoccupé par les conséquences morales de ses actions.

Transféré par

zacharypoire
Copyright
© © All Rights Reserved
Nous prenons très au sérieux les droits relatifs au contenu. Si vous pensez qu’il s’agit de votre contenu, signalez une atteinte au droit d’auteur ici.
Formats disponibles
Téléchargez aux formats PDF, TXT ou lisez en ligne sur Scribd
Vous êtes sur la page 1/ 13

ACTE PRE'MIER1

ScENE Pm!Mrm. - SGANARELLE, GUSMAN.


SGANARELLE, tenant une tabati"be. - Quoi 9.ue puisse dire
Aristote et toute la Philosophic, il n'est rien d'egal au tabac 1 :
c'est la passion des honnetes gens, et qui vit sans tabac n'est
pas digne de vivre•. Non sewement ii rejouit et purge ies
cerveaux humains, mais encore ii instruit Jes ames a la
vcrru, et !'on apprcnd avec Jui a devenir honnete homme 5•
Ne voyez-vous pas bien, des qu'on en prend, de quelle
manierc obliReante on en use• avec tout le monde, et commc
on est ravi d en donner a droit' et a gauche, partouc ou l'on
se trouve? On n'attend pas m!me qu'on en demande, et
l'on court au-devant d u souha.it des gens : tant il est vrai
que le tabac inspire des sentimenrs d'honoeur er de verru
a tous ceux qui en prennent. Mais c'est assez de cette ma­
tiere. Reprenons un peu notrc discours. Si bien donc1 cher
Gusman, que Done Elvire, ta ma!tresse, surprise de notre
depart, s'e.sc mise en campagne apres nous8, et son c-Olur,
que moo maitre a su toucher trop fortement, n'a pu vivre,
dis•tu, sans le venir chercher io. Veux-ru qu'entre nous
je te disc ma pensee? J'ai peur qu'elle ne soit mal payee
de oon amour, gue son voya:ge en cette ville produise peu
de fruit, et que vous eussiez autant gagne a ne bouger de la.
20- DOM JUAN
GUSMAN. - Et la raison encore? Dis-moi, je te prie, Sga­
nareUe, 9ui 1 peut t'inspircr une peur d'un si m.auvais augure?
Ton ma1tre t'a-t-iJ ouvert soo ca:ur la-dessus, et t'a-t-il.dit
qu'il eut pour nous quelquc froideur qui l'ait oblige a
partir?
SGANARBLLI!. - Non pas; l111l.is, a vue de pays2, je connais
a peu pres le train des choses; et sans qu'il rn'ait encore
rien die, je gagerais presque que l'affaire va la". Je pour­
rais peut-etre me tromper; mais enfin, sur de tels sujers,
!'experience m'a pu donncr quclques lumiercs.
GUSMAN. - Quoi ? ce depart si peu prevu serait une infi­
delite de Dom Juan? II pourrait faire cette injure aux
chastes feux:· de Done Elvire?
S'GANAJU!LLE. - Non, c'est qu'il est jeuae encore, et qu'il
n'a pas le courage...
GUSMAN, - Ull homme de � qi.witc fcrait une action
si llche?
SGANARBLLE. - Eh oui, sa qualit� ! La raison en est
belle, et c'est par Ja qu'il s'empecherait4 des choses.
GUSMAN. - Mais les saints .DCJ:uds du manage le tieaneat
engage.
SGANAREU.B. - Eh I mon pauvre Gusman, mon arni, tu ne
sais pas encore, crois-moi, qiUel hornme est Dom Juan.
GUSMAN, - Je ne sais pas, de vrai, quel homme il peut
etre, s'il faut qu'il nous ait filit cette perfidie; ec je ne
comprends point commell apres rant d'amour ec rant d 'im­
patience temoignce•, tant d'hommages prcssants, de vteux,
de soupirs et de larrnes, tant de lettres passionnees, de pro­
testations ardentes et de serments reiteres, tant de trans­
pc,ns1 enfin et tant d'emportements qu'il a fait paraitre,
1usqu'a forcer, dans sa passion, l'obstacle sacre d'un convent",
pour mettre Done Elvire en sa puissance, je ne comprends
pas, dis-je, comme, apres tout cela, il aurait le oo:ur de
pouvoir manquer a sa parole.
ACTE l'RBMlER. Sctm l'IU!.M!BRE - 2r
SGANARELLB. - Je n'ai pas grande peine a le O)tnprendre,
moi; et si tu connaissais le pelerin1, tu trouverais 1a chose
assez facile pour lui. Je ne dis, pas qu'it ait change de senti­
ments pour DoneEtvire, je n•en ai point de certitude encore:
tu sais que, par son ordre, f e partis avant lui, et depuis son
arrivee 11 ne m'a point entretenu; mais, par precaution, je
t'apprends, inter ncn2, que tu vois en Dom Juan, man matue,
le plus grand scelerat que la t.e:rrc ait jamais porte, un enrage,
un chien, un diable, un Turc, un herecique, qui ne croit
ni Ciel, ni Enfer, ru loup-garou', qui passe cette vie en veri­
table betc brute, un pourceau d'Ep1cure", un vtai Sarda­
napale, qui fcrme l'oreille a mures les remontrances qu'on
lui peut faire, et traice de lbillevesees tout ce que nous
crayons. Tu me dis qu'il a epouse ta maitresse : crois qu'il
aurait plus tait pour sa passion, et qu'avec elle U .au.rait
encore epouse toi, son cnien et son chat. Un mariage ne
lui c-oute rien a contracter; i1 ne se sere point d'autres pieges
pour attrapcr les belles\ et c'est un epoU$C1.11 a toutes
mains•. Dame, demoisclle', bourgeoise, paysanne, il ne
trouve rien de trop cband ni de tror froid pour lui; et si
je te disais le nom de routes celles qu il a epousees en divers
lieux, ce serait un cbapitre a durer jusques au soir. Tu
demelll'
>
es surpris et changes de couleur a ce discours; oe
n est la qu'une ebauche du personnage, et pour en achever
le portrait, il faudrait bieo d'autres coups de pinoeau. Suffit
qu'il faut que le courroux du Ciel l'accable quclque jout';
qu'il me vai,dxait bien mieux d'ette au diable qw:: d'!tre
a lui, et qu'il me falt voir tant d'horteurs, que JC souilai­
terais qu'il fut deja je ne sais ou. Mais un grand sei$Jleur
mechant hommc est une terrible chose; i1 faut que 1e Eui
sois fidele, en depit que j'en aie': la crainte enmoifaitl'offioe
du zele, bride mes sentiments, et me redwt d'applaudir 10
2i -DOM JUAN
bien souvent a cc que mon amc detesre. Le voila qui vient
se promener daDS ce palais : separons-nous. 11coute au
mo1os : je t'ai fait cette confidence avec franchise, et ceJa
m'est sorti un peu bien vite de la bouche; mais s'il fallait
qu'il en viot quelque chose a ses oreilles, je dirais haute­
ment que tu aurais menti.

Sc�NE 11.-DOM JUAN, SGANARELLE.


DOM JUAN. - Quel homme te parfait la? 11 a bien de
Pair, ce me semble, du bon Gusman de Done Elvire.
SG!NIJU!LLB. - C'est q\lelque chose aussi a peu pres de
ccla•.
DOM JUAN. - Quoi? c'est Jui?
SGANARELLB. - Lw-mqme.
DOM JUAN. - Et depuis quand est-il en cene ville?
SGANARl!LLB. - D'hi-er au s:oir.
DOM JUAN. - Et quel sujet J'amene?
SGANARELLB. - Je crois que vous jugez assez ce qui le
peut inqu:ieter.
DOM JUAN. - Notre depart :sans doute?
SGANARELLl!. - Le bonhom.me eo est tout mortifie 3, et
m'en dernandait le sujet.
DOM JUAN. - Et quelle reponse as-tu faice?
SGANARELU!. - Que vous ne m'en aviez rien dit.
DOM JUAN. -Mais encore, <J:Uelle est ta pcns6e la-dessus?
Que t'imagines-tu de cette affane?
SGANARELLE. - Moi, je ctois, sans vous faire tott, que
vous avez quclque nouvcl am.our en t&e.
DOM JUA1'f. - Tu le crois?
SGANAJU!LLB. - Oui.
DOM JUAN. - Ma foi ! tu ne re trompes pas, et je dois
t'avouer qu'un autre objet* a chasse Elvire de ma pensee.
ACTB PREMIER. Scl!Nl! II - 23
SGANARELLE. - Eh mon Dieu! je sais mon Dom Juan sur
le bout du doigt1, et connais votre oxur pour le plus grand
coureur du monde : ii .se plait � se promener de liens en
liens, et n'aimc guere a demeurer en place.
DOM JUAN. - Er ne trouves-tu pas, dis-moi, gue j'ai rai-
son d'en user de la sone?
SGANA!U!LLI!. - Eh I Monsieur.
DOM JUAN. - Quoi? Parle.
SGANARBLLB. - Assurement que vous avez raison, si vous
le voulez; on oe peut pas aller � contre. Mais si vom ne le
vouliez pas, ce serait peut-etre une autre a1Iaire.
DOM JUAN. - Eh bien ! je te donne la liberte de parler
et de me dire tes sentiments.
SGANARELLE. - En ce cas, Monsieur, je vous dirai fran­
chement que je n'arprouve point votre methode, et que je
trouve fort vilain daimer de tous cotes comme vous faites.
DOM JUAN. - Quoi? tu vewc qu'on se lie�• demeurer au
premier objet � ui nous prend, qu'on renonce au monde
pour lu.i, et qu on n'ait plus d'yeux pour personne? La
belle chose de vouloir se piquer• d'un faux honneur d'etre
fideie, de s'ensevelir pour t.oujours dans une passion, et
d'etre mort des sa jeunesse a toutes !es autres beautes qui
nous peuvent frapper les yeux I Non, . non : la constance
n'est bonne que pour des ridicules•; toutes Jes belles ont
droit' de nous charmer, et l'avantage d'etre rencontree la
premiere ne doic point derober aux autres les justes pre­
centions qu'elles ont toutes sur nos e<:eurs. Pour m01, la
beaute me ravit partout ou je la trouve, et ie cede facilement
� cette douce violence dont elle nous enrraine. J'ai beau
etre engage, l'amour que j'ai pour une belle n'engage' point
mon ame a faire injustice aux autres; je conserve des yeux
pour voir le merite de toutes:, et rends a chacune les hom-
24 -DOM JUAN
mages et Jes tributs oil' la nature nous oblige. Quoi qu'il en
soit, je ne puis refu,er mo11 cceur a tout ce que je vo1s d'ai­
mable; et des qu'un beau vi�ge me le demande, si j'en avais
dix miUe, je les donncrais tous. Les uiclinations naissantes,
a_pres tout, ont des charmes inexplicables, et tout le plaisir
de !'amour est dans le changemenL On goute une douceur
extreme a reduire, par cent hommages, le creur d'une jeune
beaure, a voir de j,our en jour les petits progres qu'on y fair,
a combattre par des transports, par des larmes et des sou­
pirs, l'innocence pudeur d'une ame qui a I?eine a rendre
les armes, a forcer pied a pied routes les peures resistances
qu'elle nous oppose, a vaincre ks scrupules dont elle sc
fait -un honnet,Jr et la mener dO"Ua:ment ou nous avon$ e11vie
de la faire venir. Mais lorsqu'o.n en est majtre u.ne fois\
il n'y a plus rien h dire• ni rien a souhaiter; tout le beau de
la passion est fini, et nous nous endormons dans la cran­
qwllite d'un tel amour, si quelque objet nouveau ne vient
reveiller nos desirs, et presenter a notre ca:ur les charmes
attrayants d'une conquete A faire, Enfin il n'est rien de si
doux que de triompher de la resistance d'Wle belle pcnonne,
et j'ai sur ce sujet !'ambition des conquerants, qui volent
perpetuellemcnt de victoire co vicroire, ct ne pcu:vent se
resoudrre ll horner teurs souhaits. Il n'est rien qui puisse
amter l'imperuosite de mes desit:s :-jc me se.ns un cxeur
a aimer route la terre; et comme Alexandre-, je souhaire­
ntis qu'il y eut d'aurres mondes, pour y pouvoir mend.re
mes oonquetes amoureuses'.
SGANh11£1 £E � Vertu de ma vie, comrne vous debitez!
11 semble que vous ayez appris cela par CO!Ur, et vous parlez
tout comme un livre.
DOM JUAN. - Qu'as-tu il dire la-dessus.:?
SGANARELLB. - Ma foi ! j'ai a dire... , je ne sais que dire•;
ACT.B PREMIER. SclNB JI - 25
car vous toumei les moses d'une maniere 1, qu'il scmblc
que vous avez l'aison; ct ce:pendant ii est vrai quc vous nc
l'a\re:t pas. ravais les plus beUes pensees du monde, et VOS
di.scours m'ont brouille tout ccla. Laissez faire : unc autre
fois je mettrai mes raisonncmenrs par ecrit, pour disputer 1
avecvous.
DOM JUAN. - Tu feras bien.
SGANAREUE.- - Mais, Monsieur, cela serait-il de la per•
mission que vous m'avez donnee, si je vous disais que je
suls �t soit peu scandalise de Ja vie que vous menez?
DOM JUAN. - Comment? quelle vie est-ce que je m�ne?
SGANARELL.I!. - Fort bonne. Mais, par cxcmplc, de vous
voir tous ks mois vous mar.ier comme vous faites ...
DOM JUAN. - y a-t-il rieo. de plus agreable?
SGANARELLB. - ll est vrai, je con�i$ que �la <:$t fort
agreable et fort divenissant, et je m'en accommoderais assez,
moi, s'il n'y avait pomt de mal; mais, Monsieur, se jouer
amsi d'un a.ystere sacre 3, Ct•.•
DOM JUAN. - Va, va, c'est une aftaire entre le Ciel et
moi, et nous la deme.leroas bien ensemble, sans que tu
t'en mettes en peine.
SGANARELLB. - Ma foi I Monsieur, j'ai toujours oui dire
que c'est une mecbante• raillerie que de se railler du Ciel,
et que les libertms• ne font jamais une bonne fin.
DOM JUAN. - Holli! maitre sot•, vous savez que je vou.s
ai dit que je n'-aime pas les faiseurs de- remontrances.
SGANARELLE. � Je ne parlc pas aussi li vous, Dieu m'en
garde. Vous savez cc quc vous faites, vous; et si vous ne
crorez rien, vous avcz vos raisons; mais i1 y a de certains
pents impertinents' clans le monde, qui sont libertins sans
savoir pourquoi, qui font les espritS forts, parce qu'ils
croietit que cela leur sied bien; et s1 j'avais un maicre comme
16 -DOM JUAN
cela, je Jui dirais fort nettement, le regardanr en face :
• Osez-vous bien ain,si vous jouer au Ciel•, et ne tremblez­
vous point de vo11s mqquer comme vous faites des choses
les plus saintes? C'est b1en ll vous, petit ver de terre, petit
mirmidon' que vous etes (je parle au maitre que j'ai dit),­
c'est bien a vous ll vouloir v·ous meler d e toumer en rail•
Ierie ce que tous les hommes reverent? Pensez-vous que
pour etre de qualite, pour avoir une perruque blonde• et
bien frisee, des plumes a vorre cha peau, urt habit bien dote,
et des rubans couleur de feu (cc n'est pas a vous que je parle,
c'est a l'autre)', pensez-vous, dis-je, que vous en soyez plus
habile' homme, que tout vous soit pennis, et qu'on n'ose
vous dire vos verires? Apprenez de moi, qui suis votre valet,
que le Ciel punit tot ou 1ard les impies, qu'une mechantc
vie amene une mechante mort, et que ... )>
DOM JUAN. -PaiJc!
SOANARELLE. - De quoi est-il question?
DOM JUAN. - II est question de te dire qu'une beaute
me tient au ettur, et qu'entraine parses appas•, je l'ai suivie
jusques en cette ville.
SGANARELLE. - Et n'y craignez-vous rien, Monsieur, de
!a mon de ce commandeur 1 que vous tt.uites iI y a six mois?
ooM JUAN. - Et pourquoi craindre? Ne l'ai-je pas bien
rue8 ?
SGAN.A:RELLI!, - fort bien, le mieux du monde, et il await
tQrt de se plaindre.
DOM JUAN. - J'ai eu ma grace de cette affaire.
ACTB PREMIER. SctNl! Il - 27
SGANARELUl. - Oui, mais cette grAce n'eteint pas peut­
etre le ressentiment des parents et des amis, et...
DOM JUAN. - Ahl n'allons point songer au mal qui nous
peut arriver, et songeons seulement .a ce qui nous peut don­
ner du pl11isir. La personne dont je te parle est WJe jeune
Jiancee, la plus agreable du monde, qui a ete conduite ici
par c-elui mane qu'elle y vient epouser; et le hasard me fit
voir ce couple d'amants trois ou quatre jours avant Leur
voyage. Jamais je n'ai vu deux: personnes etre si contents
l'un de l'autre 1, et faire eclater plus d'amour. La tendresse
visible de leurs muruelles ardeurs me donna de l'emotion;
j'en fus frappe au creur et mon amour commen� par Ia
Jalousie. Oui, je ne pus souffrir d'abord1 de les vo1r si bien
ensemble; le depit alanna mes desirs, et je me figurai un
plaisir extreme a pouvoir troubler lcur intelligence, et,
rompre cet attachement, dont la delicatesse• de mon creur
se tenait offensee; mais j\l.$ques ici tous mes efforts ont ete
inutiles, et j'ai recours a11 demier remede. C.et epoux pre­
tcndu• doit aujourd'hui rcgaler5 sa maitrcsse d'une pro­
menade sur mer. Sans t'en avoir rien dit, toutes choses sont
preparees5 pour satisfaire mon amour, et j'ai une yetite
barque et des gens, atec quoi fon facilement je pretends
enlever Ja belle.
SGANAR!LLB. - Ha! Monsieur...
DOM JUAN. - Hein?
SGANARELLB. - C'est fort bien fait a vous, et vol!S le
prenez 7 comme il faut. Il n'est rien tel en ce monde que
de se contenter.
DOM JUAN. - Ptepare-toi done a venir avec moi, et ptends
soin toi-m�mc d'apporter toutes mes anncs, afin que8... Ahl
rencontre facheuse. Traitre, tu ne m'avais pas dit qu'elle
etait ici elle-meme.
28 -·· DOM JUAN
SGANARELLB. - A-1onsieur, vous ne me l'avez pas demande.
DOM JUAN. - Est-cllc folle, de n'avoir oas change d'habit,
et de venir en � lieu-ci avec son cquipage1 de campagne;,

SctNE III. - DONE ELVIRE, DOM JUAN,


SGANARELLE.
DONE EL\rlltt. - Me ferez•vous la grace, Dom Juan, de
vouloir bien me reconnaitre ? et puis-je au moins espcrer
que vous daigniez toumer le visage de cc: cote ?
DOM JUAN. - Madame, je vous avoue que je suis surpris,
cc que je ne vous auend.lis pas ici.
DONE BLVTRB. - Ow, je vois bien quc vous nc m'y atten•
dicz pas; et vous etes surpris, a la vcrite, mais tout autre­
mcnt que je oe l'esper-.ds; et la maniere dont vous Je parais­
sez me persuade pleinement ce que je refusais de croire.
]'admire ma si.mplicire et la faiblcsse de mon cceur a douter
d'une trahison que rant d'11pparences me connrmaienz.
J' ai ete assez bonnc, je le oonfesse, ou plutot assez sotte
pour me vouloir tromper moi-meme, ct travailler a dementir
mes yeux et mon jugement. J'ai cberche des raisons pour
excuser � ma tendresse le relachement d'amitie qu'e-lle
voyait en vous; et je me suis forge expres cent sujets legi­
times d'un depart si precipite, pour vous justifier du crime
dont ma raison vous accusait•. Ates justes soup(j:ons chaque
jour avaient beau me pader : j'en rejetais la voix qui vous
rendai t criminel a mes yeux, et j'ecourais avec plaisir mille
chin1�es ridicules qui vous pcignaicnt innocent a mon
oo:ur. Mais enfin cet abord• ne me pcnnct plus de doutcr,
et Je coup d'reil qui m'a res;uc m'apprend bien plus de choses
que je nc voudrais en savoir. Je serai bien aise pourtant
d'o.uu de votte bouche les raisons de votre depart. Parlez,
Dom Juan, je vous prie, et voyons de quel air vous saurez
vous justifier.
ACTE PREMIER. Scmrn Ill - 29
DOM JUAN. - Madame, voilll Sganarclle qui sait pour­
quoi je suis parti1.
SGAl-1AimLU!. - Moi, •Monsieur? Je n'cn sais rien, s'il
vous plait.
DONE ELVJRE. - Eh bien! Sganarelle, par!ez. ll n'impone
de quclle bouche j 'entende <;CS raisons.
DOM JUAN,faisant signe a'approcher a Sganarelle. -Allons,
parle done a Madame.
SGANARBLI.Il. - Que voulez-vous que jc disc?
DONE ELVIRE. - Approchez, puisqu'on le veur ainsi, et me
dites un peu les causes d'un dcpan si prompt.
DOM JUAN. - Tu ne repondras pas?
SGANARELLE. - Jc n'ai ricn a rcpondre. Vous vous moqucz
de votre servitem.
DOM JUAN. - Veus•tu repondre, te dis�je?
SGANARELLE. - Madame...
DONE ELVDU!. - Quoi?
SGANARELLE, se retoumant 'Uers s<m maitre. - Monsieur...
• s·
DOM JUAN • - 1•••
SGANARELLE. - Madame, les· oonquerarits, Alexandre et
l.es aurn:s mondes sont causes de notre depart. Voita, Mon­
sieur, tout � que je puis dire.
DONE ELVIRE, - Vous plait-ii, Dom Juan, nous edaircir ces
beaux mysreres?
DOM JUAN. - Madame, a vous dire la verite...
DONE ELVIRE. - Ah! que vous savez mat vous defendre
pour un homme de cour, et qui doit ttre acooutume a ces
sortes de choses! J'ai pitie de vous voir la confusion que
VOtlS avez. Que ne vous armez-vous le front' d'une noble
effronterie? Que ne me jurez-vous que vous etes toujours
dans les mem.es sentiments pour moi, que vous m'aimez
30 - DOM JUAN
toujours avec une ardeur sans egale, et (lUC rien n'est
capable de vous detacher de moi que 1a mort? Que ne me
dites-vous que des affaires de la demiere conse�uence'­
vous oot oblige a partir sans m'en donner avis; qu il faut
que, malgre vous, vous demeuriez ici quelque temps, et
que je n'ai qu'a m'en retoumer d'ou je viens, assuree que
vous suivrcz mes pas le plus tot qu'il vous sera possible;
qu'il est certain que vous brfilez de me rejoindre, et qu'e­
loigne de moi, vou-s souffrez ce que souffre un co� qui
est separe <ie son rune? Voila comme il faut vous defendre,
et non pas enc interdit comme vous etes'.
DOM JUAN. - Je vous avoue, Madame, que je n'ai point
le talent de dissimuler, et que je pone un creur sinc�e.
Jc ne vous dirai point que je• suis toujours dans les memes
sentiments pour vous, et que je brfile de vous· rejoindre,
puisque enfin il est assure• que je ne suis parti que pour
vous fuir 4 ; non point par les raison& que vous pouvez vous
figurer, mafa par un pur motif de conscience, et pour $ pc
croire pas qu'avec vous davantage je puisse vivre sans peclie.
II m'est venu des sc.rupules, Madame, et j'ai ouvert les
yeux de l'rune sur ce que je faisais. J'ai fait reflexion que,
pour vous epouser, je vous ai derobee a la cloture d'un
convent•, que vous avez rompu des vccux qui vous enga­
geaient autre pan> et que le Ciel est fort jaloux de ces sones
de choses. Le repentir m'a pris, et j'ai craint le murroux
Celeste; j'ai cru que notre mariage n'etaic qu'un adultere
deguisc, qu'il nous attirerait quelque disgr1ke1 d'eo baut,
et qu'enfin je devais tacher de vous oublier, et vous donner
moyen de retourner a vos preinieres chaines. Voudriez-vous,
Madame, vous opposer ll une s:i sainte pensee, et que j'allasse,
en vous retenant, me mettre le Ciel SUI les bras, que par ... ?
OONJ! BLVIU. -Ah! scelerat, c'est maintenant que je te
ACTE PREMIER. Scoo III - 3I
connais tout entier; et pour mon maJheur, je te connais
lo:rsqu'il n'en est plus temps, et qu'une telle connaissance
ne pe�t plus me servir qu'a �e dese_sperer. Mais �che q�e
ton cume ne demeurera pas 1mpum, et que le meme Ciel
dont tu te joues me saura venger de ta perfidie t .
DOM JUAN. - Sganarelle, le Ciel!
SGANAR£LLB. - Vraiment oui, nous nous moquons bien
de cela, nous autres2•
DOM JUAN. - Madame ...
DONE ELVIRE. - Il suffit. Je n'en veux pas ouir davan­
tage, et je m'accuse meme d'en avoir trop entendu. C'est
une Hicbete que de se faire ex:pliquer' trop sa b.onte; et, sut
de tels s�jets, un noble ca:ur,. a� premi� r. mot, d-0it prendre
son, P.arn. N'attends p� '.1u� ,•�elate 1ci en rtptoches et
en miu1-es : non, non, JC n at point un courroux a exhaler
en paroles vaincs, et toute sa chaleur se reserve pour sa
vengeance. Je te le dis enco: re, le Ciel te punira, perfide,
de t>outrage que tu me fais; et si le Ciel n'a rien que tu
puisses apprehender, apprehende du moins la colhe d'une
femme offensee•.
SGANARELLB, - Si le n:mords le pouvait prendre !
DOM JUAN, apres une petite reflexion. - Allons songer ll
l'execution de notre entreprise amoureuse.
SGANARELLB. - Ah I quel abominable maitre me vois-ie
oblige de servir !

Vous aimerez peut-être aussi